dimanche, 13 mars 2022
Analyse du conflit en Ukraine
Analyse du conflit en Ukraine
Par Daniele Perra
Source: https://www.eurasia-rivista.com/analisi-del-conflitto-in-ucraina/
L'analyse suivante est divisée en trois sections distinctes et tente d'évaluer le conflit à travers les aspects du droit international, de la doctrine militaire et des données économiques. Plus précisément, tout en reconnaissant que, comme l'affirmait Karl Haushofer, la géopolitique n'est pas une science exacte, on tentera de démontrer que l'action russe, loin d'être "ratée" ou mal planifiée (comme elle est présentée dans un Occident toujours plus éloigné de la réalité), est le produit d'un calcul froid et rationnel , tenant compte des coûts et des avantages.
Sur le point de droit
Il est très difficile d'évaluer selon les critères d'un droit international essentiellement américano-centré ce qui apparaît comme l'agression militaire d'une puissance non occidentale. Toutefois, il convient de rappeler que la Russie, dans le passé (intervention en Syrie et annexion de la Crimée sous le concept de "Responsabilité de protéger"), a souvent essayé de se présenter comme un État agissant précisément en accord avec ce droit.
Tout d'abord, le droit international actuel peut être considéré comme une sorte de jus contra bellum à opposer au concept de justa causa belli. Cette approche théorique antimilitariste est, bien entendu, foulée aux pieds sans que cela ne choque particulièrement l'opinion publique lorsque la guerre est menée par la puissance hégémonique au niveau mondial (les États-Unis) ou l'avant-poste occidental au Levant (Israël). À cet égard, il faut se rappeler qu'il existe quelques exceptions à la violation de l'intégrité territoriale d'un État (théoriquement) souverain. Ceci est permis soit en cas d'autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies, soit en cas de légitime défense collective nécessaire. Cette autodéfense (cas de la Russie) doit répondre à deux critères: a) la nécessité ; b) la proportionnalité.
Il est clair que l'intervention russe est le produit inévitable du mépris par l'Occident à l'égard du droit plus que légitime à la sécurité de la deuxième puissance militaire du monde. Moscou ne peut tolérer une nouvelle expansion de l'OTAN vers l'Est, avec l'installation conséquente de systèmes de missiles en Ukraine capables de frapper le territoire russe en quelques minutes (la nucléarisation de l'espace géographique russe est le rêve des dirigeants militaires américains depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale) ; Moscou ne peut tolérer l'installation de laboratoires biologiques militaires américains à ses frontières [1]. Il est tout aussi évident qu'une intervention militaire russe (pas plus de 70.000 soldats) peut (du moins en théorie) répondre au critère de proportionnalité.
Jusqu'à présent, nous restons dans le domaine très complexe de "l'attaque préventive" utilisée à plusieurs reprises par des homologues occidentaux (Israël en 1967, les Etats-Unis en 2003 en Irak sur la base de fausses preuves). Des sources au sein des services de Moscou font également référence à une éventuelle opération ukrainienne de grande envergure dans le Donbass (grâce à l'utilisation de miliciens formés en Pologne par l'OTAN) qui aurait été empêchée par une action russe. Au-delà, il existe deux autres cas d'intervention "légitime" : (a) la violation du principe de diligence raisonnable ; (b) l'usurpation.
La première s'applique en réponse aux attaques de groupes terroristes et de bandes armées (c'est-à-dire d'acteurs non étatiques) lorsque l'État ayant juridiction sur ces acteurs ne prend pas les mesures qui s'imposent (l'Ukraine face à des groupes paramilitaires, selon l'interprétation russe). La seconde s'applique lorsqu'un État (l'Ukraine) exerce des fonctions gouvernementales sur le territoire d'un autre État (les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk reconnues comme indépendantes par Moscou à une époque précédant le conflit). A cela s'ajoute, et cela semble sans doute être l'argument le plus fort en faveur de Moscou, le non-respect des accords de Minsk et les actions militaires ukrainiennes répétées (aussi brutales soient-elles) pour rétablir l'ordre dans les régions orientales du pays, qui ne sont pas par hasard également les plus industrialisées et riches en ressources.
À la lumière de ce qui a été écrit jusqu'à présent, il est clair que toute justification de l'intervention militaire russe au niveau du droit international est pour le moins assez faible. En fait, il s'agit plutôt d'une tentative de surmonter le positivisme normatif (et l'hypocrisie substantielle) du droit international américano-centrique au nom d'une idée de nomos de la terre liée à un concept historico-spirituel de possession et d'appartenance à l'espace géographique.
Enfin, outre le fait que le droit international lui-même est souvent interprété (surtout par les grandes puissances) à leur guise, on ne peut oublier la suggestion que Iosif Staline a faite à Chiang Ching-kuo, délégué de la République de Chine auprès de l'URSS à la fin de la Seconde Guerre mondiale: "tous les traités sont du papier brouillon, ce qui compte, c'est la force" [2].
Aspects militaires
L'ancien militaire et analyste de la Fondation pour la défense des démocraties, Bill Roggio, a affirmé que la propagande occidentale a conduit à une incompréhension totale de la stratégie militaire russe en Ukraine (3). En particulier, Roggio souligne que l'Occident s'est concentré à tort sur la thèse selon laquelle l'échec de la prise de Kiev dans les premiers jours du conflit signifierait inévitablement l'échec de l'action russe.
Certes, Moscou pensait que l'entrée de ses troupes en territoire ukrainien aurait pu générer un effondrement immédiat du gouvernement de Kiev. Toutefois, cela ne signifie pas qu'une stratégie n'avait pas été prévue qui aurait pu ignorer cet événement. L'analyse des forces sur le terrain, dans ce cas, parle très clairement.
Depuis plusieurs jours, on parle d'une colonne de chars russes de plus de 60 km de long stationnée immobile à la périphérie de Kiev. Pourquoi n'est-elle pas attaquée par l'armée ukrainienne ? Pourquoi n'entre-t-elle pas dans Kiev ?
A la première question, l'ancien général Fabio Mini a répondu que ladite colonne n'est pas attaquée simplement parce que Moscou contrôle l'espace terrestre et aérien [4]. C'est pourquoi Kiev continue de réclamer une No Fly Zone qui n'arrivera jamais (à condition que le fanatisme des franges les plus extrémistes de l'atlantisme choisisse d'opter pour une guerre mondiale). L'entrée dans Kiev, avec le risque de finir écrasée dans une guérilla urbaine entre des factions ukrainiennes qui se combattent déjà (le meurtre d'un négociateur plus enclin au compromis en est la démonstration la plus évidente), n'est pas nécessaire, étant donné que la réunification entre les forces russes arrivant du nord et celles arrivant du sud couperait l'Ukraine en deux, rendant impossible le ravitaillement des troupes et milices opérant sur le front le plus chaud, celui de l'est. Empêcher l'entrée dans les centres urbains et contrôler les infrastructures énergétiques reste l'objectif principal de l'opération militaire russe. L'attaque de la centrale électrique de Zaporizhzhia a été mentionnée à plusieurs reprises. Eh bien, aucun analyste ne semble avoir remarqué que juste au-dessus de la centrale se trouve le canal qui, en 2014 (après l'annexion de la Crimée), a été fermé dans le but précis d'étrangler la péninsule de la mer Noire en lui refusant tout approvisionnement en eau. Le contrôle de cette infrastructure est crucial pour rétablir l'approvisionnement en eau de la région.
À ce stade, à la lumière du succès de propagande de l'ancien acteur Volodymyr Zelenskyi, dont les profils sur les plateformes sociales sont une apothéose de fake news et de déclarations de soutien de l'élite de l'atlantisme (von der Leyen, Biden, Draghi), du sionisme et des multinationales qui leur sont liées, on peut se poser une autre question : pourquoi Moscou s'attaque-t-il aux répétiteurs de télévision mais ne ferme-t-il pas Internet ?
C'est là que la question se complique. Comme l'a souligné l'ancien général de l'armée de l'air chinoise Qiao Liang, la guerre du XXIe siècle est avant tout une cyber-guerre indissociable de son appareil technologique. Les armées (celle de la Russie n'est pas différente) sont dépendantes des technologies de l'information. Ce facteur, selon Qiao, peut être à la fois un avantage et un inconvénient. La technologie de l'information, en effet, est basée sur les puces et la possibilité d'éviter la dépendance à ces instruments est désormais inexistante. Cela rend la protection des données de plus en plus problématique, et l'incapacité à surmonter les faiblesses potentielles découlant du haut niveau d'informatisation représente un risque permanent pour la durabilité des capacités et des actions militaires. C'est pourquoi le choc des puissances au XXIe siècle (et le conflit en Ukraine, avec son mélange de guerre traditionnelle et de cyberattaques, en est le principal indicateur et anticipateur) se déroulera principalement dans ce qu'on appelle le cyberespace.
En conclusion, l'action de Moscou (conçue pour ne pas être trop longue mais pas trop courte non plus) vise toujours à imposer ses propres conditions sur la table des négociations : neutralisation de l'Ukraine et reconnaissance de l'annexion de la Crimée et de l'indépendance des républiques dans l'est de l'Ukraine actuelle. Il ne faut pas oublier qu'il a fallu à la Wehrmacht plus d'un million d'hommes et cinq semaines pour vaincre la Pologne en 1939. À cette occasion, tant les Allemands que les Polonais se sont peu souciés de la population civile. Aujourd'hui, la Russie a choisi de limiter au maximum les attaques contre les centres de population et d'établir (en accord avec son homologue de Kiev) des corridors humanitaires qui, pour l'instant, ne semblent pas fonctionner au mieux en raison de l'obstructionnisme des groupes paramilitaires ukrainiens (le tristement célèbre Bataillon Azov surtout).
Si Moscou a une stratégie précise à long terme, il est tout aussi vrai que l'Occident en a une aussi. En fait, il n'est pas exclu que l'Occident se soit déjà préparé à l'éventualité d'un gouvernement ukrainien en exil. L'envoi d'armes et la facilitation du voyage vers ce pays d'Europe de l'Est de mercenaires et de terroristes internationaux peuvent être interprétés par la volonté précise de poursuivre la déstabilisation de la région si Moscou parvient à ses fins.
Le fait économique
Le fait que le Premier ministre israélien Naftali Bennett se soit rendu à Moscou le jour du Shabbat pour rechercher une médiation dans la crise a provoqué des remous. Outre le facteur géopolitique (montrer son amitié envers la Russie pourrait s'avérer utile en Syrie contre la présence iranienne), il ne faut pas négliger les profonds intérêts économiques et de stabilité interne que l'entité sioniste a dans le conflit. En fait, une grande partie de la population d'Israël, qui est entre autres l'un des principaux importateurs de blé ukrainien, est originaire des républiques qui faisaient autrefois partie de l'Union soviétique. C'est pourquoi une éventuelle prolongation de l'affrontement n'aiderait en rien l'équilibre entre les différentes communautés ex-soviétiques au sein de l'entité sioniste et une économie qui, malgré les mythes de la propagande mensongère, vit déjà largement de l'aide étrangère.
Lorsque l'on parle des données économiques, on ne peut bien sûr pas ignorer le sujet des sanctions. Puisqu'il a été question d'"actions sans précédent" de la part de l'Union européenne, il sera bon d'analyser les effets réels que ces actions peuvent avoir. À cet égard, on peut partir du fait que la Russie dispose d'un trésor de 630 milliards de dollars qui peut être dépensé pour supporter le fardeau des "actions sans précédent" que je viens de mentionner. Il convient également de rappeler que ces dernières années, peut-être en préparation de la guerre et de la réponse occidentale, la Russie a réduit son ratio dette/PIB (la dette publique russe représente 12,5 % du PIB, alors que la dette américaine est de 132,8 %) ; elle a réduit sa dette extérieure ; elle a accumulé de grandes quantités d'or (2300 tonnes), l'actif refuge qui prend de la valeur en même temps que les crises géopolitiques ; et elle a sciemment cédé des titres de la dette américaine. À cela s'ajoutent l'énorme disponibilité de matières premières et la relation étroite avec les deux plus grands pays fabricants du monde (la Chine et l'Inde, qui n'ont guère l'intention de suivre la vulgate des sanctions).
A l'abondance de matières premières s'ajoute la production avancée d'aluminium, de titane (le groupe russe Vsmpo-Avisma couvre largement les besoins en titane de Boeing et Airbus) et de palladium (50% de la production à l'échelle mondiale). Sans parler de la production de céréales, dont le blocus à l'exportation met déjà en crise le secteur italien des pâtes (un sujet pour une éventuelle étude approfondie sur la géopolitique de l'alimentation). Cela signifie que toute contre-sanction russe aurait des effets potentiellement dévastateurs sur l'économie européenne, déjà à genoux après deux années de gestion désastreuse de la crise de la pandémie. Tout cela pour le plus grand plaisir de Washington qui, en jetant les bases de ce conflit, avait vu une belle opportunité de se débarrasser du principal concurrent à l'hégémonie du dollar : l'euro. C'est pourquoi elle invite encore ses vassaux européens à approvisionner Kiev en avions de combat. L'objectif, en fait, est d'élargir le conflit à l'ensemble du continent.
NOTES
[1] Voir Le pentagone bio-armes, www.dylana.bg.
[2] Liu Xiaofeng, La nouvelle Chine et la fin du droit international américain, www.americanaffairsjournal.org.
[3] Poutine n'est pas fou et l'invasion russe n'est pas un échec. L'illusion de l'Occident sur cette guerre, www.fdd.org.
[4] Ukraine, l'ancien général Fabio Mini : "Regardez le ciel, pas la longue colonne de chars. Si c'est une attaque contre Kiev, elle viendra de là", www.ilfattoquotidiano.it.
14:10 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ukraine, politique internationale, géopolitique, europe, affaires européennes, russie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
samedi, 12 mars 2022
L'Europe suspendue entre l'être et le non-être : est-ce une patrie commune ou un cadavre atlantique ?
L'Europe suspendue entre l'être et le non-être: est-ce une patrie commune ou un cadavre atlantique?
par Luigi Tedeschi
Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-europa-sospesa-tra-essere-e-non-essere-e-una-patria-comune-o-un-cadavere-atlantico
L'avènement du multilatéralisme dans la géopolitique mondiale place l'Europe devant un dilemme existentiel entre: être une patrie commune ou ne pas être un cadavre atlantique. L'histoire impose parfois des choix cruciaux et inéluctables.
La nécessaire neutralité de l'Ukraine
La guerre en Ukraine a des origines lointaines. Elle est le résultat de tensions de longue date qui ont explosé en raison de l'ineptie européenne et de la politique expansionniste de l'OTAN, qui ont empêché l'existence d'un équilibre stable entre la Russie et l'Occident. Avec l'effondrement de l'URSS et l'indépendance des républiques d'Europe de l'Est qui faisaient déjà partie de l'ancien empire soviétique, la logique de partition déjà éprouvée à Versailles en 1919 avec le démembrement des empires centraux s'est reproduite. L'Europe était en fait fragmentée en de nombreux États, souvent artificiels, et de nombreux peuples, très différents sinon hostiles les uns aux autres, étaient contraints de vivre ensemble. Comme on le sait, Versailles a jeté les bases de la Seconde Guerre mondiale.
L'ouest de l'Ukraine est peuplé de catholiques ukrainophones qui veulent être intégrés à l'Europe, tandis que l'est est habité par une population majoritairement orthodoxe et russophone qui s'identifie à la Russie. Pour Kissinger, l'indépendance de l'Ukraine était un facteur d'instabilité politique potentielle. Soljénitsyne, qui considérait que l'Ukraine faisait partie intégrante de l'histoire et de l'identité russes, s'y opposait. Une réconciliation pacifique entre les deux âmes de l'Ukraine s'est avérée impossible, en raison de l'expansion progressive de l'OTAN à l'est, qui envisageait l'intégration de l'Ukraine à l'Ouest en hostilité ouverte avec la Russie, qui, elle, voyait sa sécurité menacée. Le coup d'État pro-occidental de Maidan en 2014 en est une preuve objective.
Il était possible de parvenir à un équilibre géopolitique qui empêcherait cette guerre d'éclater : la médiation européenne aurait pu favoriser l'entrée de l'Ukraine dans l'UE, à condition qu'elle ne rejoigne pas l'OTAN. Une telle perspective aurait impliqué une rupture entre l'Europe et l'Alliance atlantique. Mais l'Europe n'est pas une entité géopolitique indépendante ; au contraire, elle ne trouve son unité que dans le contexte atlantique.
En effet, l'Ukraine est déjà associée à l'UE depuis 2017 et a bénéficié d'un financement européen de plus de 5 milliards, en plus des 1,2 milliard déboursés récemment. Par ailleurs, les accords de Minsk de 2014 (jamais respectés par l'Ukraine), entre la Russie et l'Ukraine, qui prévoyaient l'autonomie des républiques russophones du Donbass, ramenées à la souveraineté ukrainienne, ont été signés sous les auspices de l'OCDE. Afin d'éviter un conflit russo-ukrainien, l'Europe pourrait exiger que la partie ukrainienne les respecte. Mais l'Europe a brillé par son ignorance coupable.
Cette guerre entraînera une redéfinition des frontières entre l'Occident et la Russie, évoquant un retour au rideau de fer qui a marqué l'époque de la guerre froide. Mais les similitudes sont plus apparentes que réelles. Pendant la guerre froide, deux puissances mondiales, les États-Unis et l'URSS, se sont affrontées en tant que systèmes idéologiques, politiques et économiques alternatifs, entre lesquels les affrontements (jamais directs) alternaient avec les négociations. Aujourd'hui, les États-Unis et la Russie sont tous deux des puissances capitalistes. Les Américains ne reconnaissent pas le statut de puissance mondiale de la Russie et ne concluent donc pas d'accords avec Poutine, qui n'est pas considéré comme un partenaire égal. Avec la dissolution de l'URSS et la dissolution du Pacte de Varsovie, l'OTAN, en tant qu'alliance de défense de l'Occident contre la menace soviétique, aurait également dû être liquidée. L'expansion dans les pays d'Europe de l'Est et les guerres "humanitaires" menées par l'OTAN sur une période de 30 ans ont réfuté la nature défensive de l'Alliance atlantique. Il faut également considérer que l'OTAN a été fondée en 1949, tandis que le Pacte de Varsovie a vu le jour en 1955. Donc, entre les États-Unis et l'URSS, qui a dû se défendre contre qui ? La nature agressive de l'OTAN n'était-elle pas génétique ?
Cette guerre aurait pu être évitée si la nécessaire neutralité de l'Ukraine avait été reconnue. La stabilité et la sécurité de la région ne peuvent être garanties que par la neutralité ukrainienne, comme l'a observé Henry Kissinger : "Trop souvent, la question ukrainienne se présente comme une épreuve de force : l'Ukraine choisit-elle de rejoindre l'Est ou l'Ouest ? Mais si l'objectif de l'Ukraine est de survivre et de prospérer, elle ne peut être l'avant-poste de deux factions qui se combattent - elle doit être un pont." Kissinger, en 2014, était également un prophète facile lorsqu'il a déclaré qu'en l'absence d'une politique de réconciliation, "la dérive vers le conflit va s'accélérer, et à ce rythme, elle se produira assez rapidement".
L'Amérique, une puissance en crise entre pacifisme et russophobie
Cette guerre a éclaté parce qu'elle a été déclenchée par le désir de la Russie de sauvegarder sa sécurité et de contrer l'avancée de l'OTAN à l'est et par le désir des États-Unis d'éradiquer toute relation entre l'Europe et la Russie et de réaffirmer ainsi leur domination sur l'Europe elle-même. Les États-Unis ont en fait facilité l'invasion russe en déclarant leur réticence à s'engager dans une intervention militaire directe et en refusant tout accord avec Poutine. L'Amérique de Biden est pacifiste. Les divisions au sein de la société américaine ont eu pour effet de paralyser la politique étrangère américaine. L'aile libérale de la côte américaine ne veut pas la guerre pour des raisons pacifistes-idéologiques, pas plus que la population intérieure, patriotique par nature mais désormais fatiguée et désabusée par la succession des défaites américaines dans le monde.
L'Occident veut donc contrer la Russie avec l'arme des sanctions. Avec l'éviction de la Russie du système de paiement rapide et l'embargo économique, elle veut provoquer l'implosion financière de la Russie, avec le défaut de paiement russe associé. Mais la Russie est déjà sous le coup de sanctions depuis 2014. L'arme des sanctions provoque nécessairement des représailles et s'est toujours révélée inefficace. Au contraire, les sanctions politiques renforcent la cohésion interne des nations et encouragent la production de biens pour remplacer les produits étrangers qui ne sont plus importés. En outre, la Russie a été bien équipée au fil des ans pour faire face à de telles éventualités. Devenue économiquement vulnérable lors de la crise de 2014, la Russie a adopté ses propres contre-mesures. Depuis 2016, l'économie russe a enregistré une croissance annuelle du PIB de plus de 4 %, augmenté ses réserves de 631 milliards de dollars, principalement en devises autres que le dollar, contre une dette de 350 milliards de dollars, augmenté ses réserves d'or de 196 %, réalisé d'importants investissements dans le numérique, et le commerce avec la Chine s'élève désormais à 140 milliards de dollars, avec l'objectif d'atteindre 200 milliards de dollars.
Les sanctions ont évidemment aussi un impact majeur sur l'Occident, étant donné l'interdépendance des marchés mondiaux. L'Europe dépend du gaz russe pour 40 % de ses besoins et, puisque les approvisionnements de Gazprom ont été exclus des sanctions, paradoxalement, l'UE finance indirectement les dépenses militaires russes pour l'invasion de l'Ukraine avec les revenus de l'énergie. Alors que la bourse russe a été fermée pour cause de baisse excessive et que le rouble est à son plus bas niveau historique, les marchés européens ont enregistré des pertes de plus de 20 % depuis janvier. Standard & Poor's a rétrogradé la dette publique de la Russie au statut de "junk", mais cette dette ne représente que 20 % du PIB. La crise énergétique, avec des prix du gaz et du pétrole à des niveaux records et une inflation galopante, ainsi que la hausse des prix des matières premières, causent des dommages importants à l'économie européenne. Par le biais de sanctions, l'Occident veut amener la Russie à faire défaut, mais toute implosion russe impliquerait aussitôt l'Europe, étant donné l'exposition du système bancaire européen à la Russie (l'Italie seule est exposée pour plus de 25 milliards), et le blocage des flux commerciaux avec la Russie elle-même. Pour l'Europe, les dommages causés par les mesures de sanction sont encore incalculables.
L'expansion progressive de l'OTAN en Eurasie occidentale est conforme à une stratégie américaine bien connue, poursuivie depuis 1991. La pénétration de l'Atlantisme en Eurasie entraînerait la déstabilisation de la Russie. Les guerres qui ont déjà éclaté en Géorgie et en Tchétchénie, ainsi que la révolution colorée en Ukraine, sont des événements fonctionnels à une stratégie globale : la décomposition de la Russie en de nombreux petits États et leur insertion dans le contexte de l'OTAN, avec l'exploitation indiscriminée de leurs ressources, sous l'égide de la domination américaine.
L'objectif est de reproduire en Russie la stratégie qui a conduit à la fragmentation de l'ex-Yougoslavie (qui a également été expérimentée sans succès au Moyen-Orient). Mais quelqu'un a-t-il prévenu Biden et son équipe que la Russie n'est pas comparable à la Yougoslavie ? Le défaut de paiement et la déstabilisation économique de la Russie devraient être suivis d'une déstabilisation politique, avec la défenestration de Poutine par un complot ourdi par les oligarques russes sanctionnés. Mais les États-Unis, qui ont été incapables de faire tomber Saddam, Assad ou Milosevic, pourront-ils un jour faire tomber Poutine et avec lui tout l'appareil politique et militaire russe ?
À l'ONU, la résolution condamnant la Russie, outre l'unité des talibans européens pro-OTAN et son approbation par 141 voix, a enregistré 35 abstentions et 5 voix contre. Parmi les abstentions figurent la Chine, l'Inde, l'ensemble du monde islamique (à l'exception du Qatar et du Koweït), l'Afrique du Sud, le Brésil, le Mexique et le Congo. Il est donc nécessaire de réfléchir à l'importance économique et géopolitique de ces pays (qui, par ailleurs, détiennent une grande partie des matières premières mondiales et représentent la moitié de la population mondiale). La Turquie elle-même n'appliquera pas de sanctions à la Russie et Israël s'est déclaré prêt à jouer un rôle de médiateur dans le conflit : les intérêts d'Israël ne coïncident manifestement pas toujours avec ceux des Américains. Le front abstentionniste est donc hostile à l'Occident et constitue une démonstration tangible que la Russie n'est nullement isolée dans le contexte géopolitique mondial. La politique de l'Occident américain est inspirée par une profonde russophobie, qui conduira à l'isolement de l'Occident lui-même et à sa réduction géopolitique.
La politique expansive de l'OTAN a favorisé la création d'un partenariat russo-chinois qui pourrait devenir stratégique. La Chine a adopté une politique d'attention prudente dans le conflit russo-ukrainien. La Chine est le premier partenaire commercial de l'Ukraine, mais il faut surtout noter que 90 % du commerce de l'Europe avec la Chine passe par la Russie et l'Asie centrale. Cette guerre pourrait être un coup mortel pour l'économie européenne. Mais le plus important est que l'intensification des relations économiques et politiques de la Chine, de l'Inde et du monde islamique avec la Russie entraînerait une contraction drastique de la zone dollar, qui a jusqu'à présent dominé le commerce mondial. Et, à cet égard, on peut s'interroger : mais l'euro n'a-t-il pas été créé comme monnaie alternative au dollar afin de libérer l'Europe de la tyrannie financière américaine ? Cependant, des changements systémiques dans l'économie mondiale nous attendent.
L'Europe sortira-t-elle de son hibernation historique ?
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec les accords de Yalta et de Potsdam, l'Europe est divisée en deux zones d'influence : l'américaine à l'ouest et la soviétique à l'est. Alors que l'Europe de l'Est a souffert de l'occupation soviétique et de ses régimes totalitaires, l'Europe occidentale a accepté la domination américaine avec un large consentement. Le régime pro-américain de souveraineté limitée a ensuite été étendu, après 1989, aux pays de l'ancien bloc soviétique et s'est étendu à l'UE elle-même, au point de déterminer une identification parfaite entre l'Europe et l'OTAN.
L'Europe a ainsi renoncé à son indépendance et à un rôle puissant dans le contexte géopolitique mondial. Le statut de l'Europe est comparable à celui d'un colonialisme consentant, c'est-à-dire un groupe de pays économiquement avancés, à la prospérité généralisée, mais politiquement aseptisés, culturellement américanistes, dépourvus de pouvoir de décision et de responsabilité en matière de défense et de politique internationale, délégués aux États-Unis. Ce statut colonial, perpétué jusqu'à ce jour, a représenté la sortie de l'Europe de l'histoire.
Ce modèle socio-politique, qui a présidé à la fondation de l'UE elle-même, trouve sa pleine réalisation en Allemagne, qui, en vertu de sa suprématie économique continentale, l'a imposé à l'ensemble de l'Europe. Depuis 70 ans, l'Allemagne vit dans la dimension de la post-histoire. Le diplomate allemand Thomas Bagger a effectivement déclaré que "la fin de l'histoire était une idée américaine, mais une réalité allemande". Dans un article paru dans Limes, Ulrike Franke affirme que, pour la génération des millennials allemands, l'histoire est un récit d'événements passés, et non un processus dynamique en constante évolution. L'oubli de la mémoire historique a condamné les nouvelles générations à vivre dans une dimension existentielle absorbée par l'éternel présent. Il s'agit d'une dimension nihiliste, qui implique l'impossibilité de concevoir des réalités historiques et des horizons futurs comme des alternatives à celle-ci. Le progrès, le bien-être, le cosmopolitisme libéral pacifiste et le marché mondial sont les traits distinctifs d'un modèle économique et social occidental post-historique, qui a néanmoins généré dans la génération post-1989 l'idée de vivre dans le meilleur des mondes possibles.
Ulrike Franke dit : "Et la fin de l'histoire a pris notre avenir. Après tout, nous savions tous comment cela allait se terminer. La politique est devenue ennuyeuse - une activité administrative plutôt qu'une compétition idéologique. Et cela peut aussi nous aider à comprendre pourquoi tous les partis allemands prétendent toujours être du centre. Il semble qu'il ne soit pas nécessaire de penser stratégiquement à l'avenir. Une telle vision ahistorique de la réalité a été transmise à l'ensemble de l'Europe, qui est devenue un continent dépourvu de toute identité culturelle et sans aucune perspective d'avenir".
L'avènement de la post-histoire est lié à une époque où la souveraineté politique de l'Europe était dévolue au protectorat atlantique. L'UE elle-même a été créée en tant qu'organe supranational intégré à l'OTAN à l'extérieur et en tant que structure financière qui a établi un système économique d'extrême compétitivité entre les États à l'intérieur. L'UE n'a pas favorisé le développement et l'émancipation, mais a créé un système de domination économique de l'Allemagne et de ses satellites dans lequel la croissance allemande s'est accompagnée d'une dépression dans les pays du sud. Mais aujourd'hui, l'Europe est confrontée à un ordre géopolitique considérablement modifié. Les États-Unis poursuivent des objectifs qui ne sont pas compatibles, voire conflictuels, avec l'Europe.
Les États-Unis, qui se sont engagés à contenir la Russie et la Chine, n'ont plus l'intention de soutenir les dépenses militaires pour la défense des pays européens, qui sont tenus de consacrer 2 % de leur PIB à l'armement. L'objectif géopolitique poursuivi par les Américains n'est en fait pas la défense de l'Ukraine contre l'invasion russe, mais la restauration de leur domination politique absolue dans l'espace européen, en rompant les relations entre l'Europe et la Russie et en interrompant les flux commerciaux entre l'Europe et la Chine. Une Europe, dévastée par la crise économique provoquée par l'urgence énergétique et réduite dans son rôle de puissance économique dans le monde (surtout en ce qui concerne ses exportations vers les USA), pourrait être réduite à une condition de subordination totale aux USA. Les États-Unis pourraient alors imposer à l'Europe un traité de libre-échange transatlantique capricieux, semblable au tristement célèbre TTIP.
Le retrait américain d'Afghanistan a entraîné un changement substantiel de la stratégie géopolitique américaine. La politique étrangère de Biden, dans la continuité de celle d'Obama et de Trump, n'envisage pas d'interventions militaires dans le monde, sauf si les intérêts américains sont directement menacés. Par conséquent, des déploiements politico-militaires de dimension continentale ont été mis en place pour sauvegarder les zones d'influence de l'Amérique dans le monde. Dans le cadre de cette nouvelle stratégie géopolitique américaine, à travers le pacte abrahamique, la nouvelle OTAN du Moyen-Orient a été établie, dirigée par Israël et avec la participation de nombreux pays arabes. Et aussi l'AUKUS, qui est une alliance militaire dans la zone Indo-Pacifique qui vise à contenir la puissance chinoise. La décision de l'Allemagne d'allouer 100 milliards d'euros aux dépenses d'armement doit être interprétée de la même manière. Jusqu'à hier, le réarmement allemand aurait suscité l'inquiétude de tout l'Occident. L'Europe, sous la direction de l'Allemagne, devrait devenir une puissance continentale au sein de l'OTAN dans une fonction anti-russe. Mais il semble hautement improbable que la société allemande accepte de mourir pour l'Ukraine, comme la société japonaise le ferait pour Taïwan.
La phase post-historique de l'Europe touche donc à sa fin. Une perpétuation de l'hibernation historique de l'Europe est inconcevable. Nous devons occuper une place dans une histoire en constante évolution, sinon l'histoire elle-même s'occupera de nous, c'est-à-dire que d'autres décideront pour nous en fonction de leurs propres intérêts. Et dans notre cas, ce seront les Américains qui décideront.
L'Europe à la croisée des chemins entre multilatéralisme et abandon de l'histoire
Le conflit entre Poutine et l'Occident a pris la dimension d'une opposition d'époque de nature historico-idéologique. Depuis la crise de 2014, la réaction de Poutine au tournant pro-occidental en Ukraine a été interprétée par le courant dominant officiel comme la renaissance d'une conception de la politique du XIXe siècle, qui a été reproposée à travers la résurrection du nationalisme russe comme une réaction à une Russie assiégée et visant à défendre ses frontières et à sauvegarder son indépendance nationale. Ces concepts étaient considérés par l'intelligentsia libérale comme relégués à des époques historiques dépassées. Poutine est donc considéré comme un leader anti-historique.
Cependant, nous voyons dans le conflit ukrainien une opposition géopolitique et un affrontement idéologique, qui avaient déjà émergé dans l'histoire récente. L'Occident est dominé par un système néolibéral et une culture postmoderne qui postulent l'individualisme absolu, les droits de l'homme, la primauté de l'économie sur la politique, l'éradication des cultures identitaires et la dissolution des États. Ainsi, le conflit entre l'Occident et la Russie, selon l'idéologie libérale, est interprété comme le choc entre liberté et répression, progrès et réaction, démocratie et autocratie, laïcité et obscurantisme.
L'émergence de nouvelles puissances continentales telles que la Russie, la Chine, l'Inde, l'Iran et d'autres puissances mineures, qui revendiquent au contraire leur propre identité nationale, la valeur de la patrie en tant que destin commun des peuples, leurs racines historiques et culturelles, a mis en évidence depuis longtemps le déclin de l'idéologie libérale comme seul canon d'interprétation de la réalité dans une clé post-historique, individualiste et progressiste. La défense des droits de l'homme et l'imposition du système libéral-démocratique au niveau mondial constituent donc les valeurs en vertu desquelles l'Occident revendique sa suprématie morale dans le monde. Ces principes constituent la légitimation idéologique du "Nouvel Ordre Mondial". Les conflits qui ont eu lieu au cours des dernières décennies démentent les hypothèses idéologiques sur lesquelles repose le "Nouvel Ordre". C'est ce que dit Alberto Negri dans son article dans "Il Manifesto" du 13/02/2022 : "Cette fois, l'atlantisme est nu. Comme le roi" : "Quel "ordre" libéral les États-Unis et l'OTAN préconisent-ils? Celle qui a incité Washington à utiliser les djihadistes contre l'URSS dans les années 1980? Celle de l'Afghanistan 2021? L'"ordre" de l'intervention fabriquée en Irak en 2003? L'"ordre" de la guerre en Libye en 2011, dont les désastres sont encore sous nos yeux?
L'"ordre" américain qui nous a valu des attaques en Europe et des millions de migrants traités comme des objets et repoussés dans le désespoir, tout en nous privant des ressources énergétiques de nos voisins? L'"ordre" de la Turquie, un pays de l'OTAN utile pour massacrer les Kurdes sous le sultan Erdogan? L'"ordre" qui réduit au silence et efface les Palestiniens?
Les Américains et les atlantistes s'arrogent le droit de décider de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, s'accrochant à des principes d'autodétermination des peuples qu'ils sont les premiers à violer.
Prenez la Syrie : pendant des années, Washington et Bruxelles ont déclaré que "Assad devait partir", mais pour le déstabiliser, ils ont encouragé Erdogan à envoyer des milliers d'égorgeurs djihadistes de l'autre côté de la frontière. Ils ont demandé à la Syrie de rompre ses liens avec l'Iran, puis la Russie, alliée historique de Damas, est intervenue.
Que voulait l'Occident, peut-être le bien des Syriens, toujours maintenus sous un embargo dramatique? Que voulaient les Américains de l'Afghanistan? Pour se venger du 11 septembre 2001, comme Biden l'a lui-même admis? Eh bien, après avoir tué Ben Laden, ils auraient pu partir, mais ils sont restés et ont tué plus de civils que les talibans, à qui ils ont rendu le pays, et maintenant ils se vengent sur la population en gelant les fonds afghans et en entravant l'acheminement de l'aide humanitaire.
L'unilatéralisme américain a généré de nouveaux conflits dans le monde entier entre les États dominés par le néolibéralisme et les États dominés par la souveraineté, entre les gagnants et les perdants de la mondialisation, entre l'Occident post-moderniste et l'Orient traditionaliste. Ce conflit irréductible est également présent au sein de la société occidentale. Les classes dominantes sont idéologiquement libérales et mondialistes, les classes subalternes revendiquent les valeurs communautaires, l'État-providence, les cultures identitaires.
Le monde occidental s'est révélé anti-historique dans la mesure où il n'a pas su comprendre l'esprit de notre époque, dans laquelle un nouvel ordre multipolaire émerge dans la géopolitique mondiale. Et c'est la cause du déclin progressif de l'unilatéralisme américain.
Nous sommes au seuil d'un tournant historique, annoncé prophétiquement par Alexandre Douguine dans son ouvrage La quatrième théorie politique: "La seule alternative plausible, aujourd'hui, se trouve dans le contexte d'un monde multipolaire. Le multipolarisme peut garantir à chaque pays et civilisation de la planète le droit et la liberté de développer son propre potentiel, de s'organiser intérieurement selon l'identité de sa culture et de son peuple, de fournir une base acceptable pour un système de relations internationales justes et équilibrées entre les nations du monde. La multipolarité doit être fondée sur le principe d'équité entre les différentes organisations politiques, sociales et économiques des diverses nations. Le progrès technologique et l'ouverture croissante doivent favoriser le dialogue entre les peuples et les nations et leur prospérité, mais ne doivent pas pour autant mettre en péril leur identité. Les différences entre les civilisations ne doivent pas nécessairement culminer dans un affrontement inévitable - contrairement à ce que pensent de manière simpliste certains auteurs américains. Le dialogue - ou plutôt le polylogue - est une possibilité réaliste que nous devrions tous explorer.
L'avènement du multilatéralisme dans la géopolitique mondiale place l'Europe devant un dilemme existentiel entre être une patrie commune ou ne pas être un cadavre atlantique. L'histoire impose parfois des choix cruciaux et inéluctables.
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Opération militaire en Ukraine : Analyse géopolitique
Opération militaire en Ukraine : Analyse géopolitique
En toute exclusivité: la perspective russe selon Alexandre Douguine
Alexandre Douguine
Source: https://katehon.com/en/article/military-operation-ukraine-geopolitical-analysis?fbclid=IwAR3Y3lIY5eabLUPz3tvclSDLIcGNl6PFCv0d4vj71c0Avnjof-Ojj7AzSBM
La question ukrainienne à l'origine de la géopolitique
La place de l'Ukraine dans la confrontation géopolitique entre la Terre et la Mer a déjà fait l'objet de nombreux écrits et de descriptions détaillées. Il est d'ailleurs symbolique que le fondateur de la géopolitique, Halford J. Mackinder, ait été le haut commissaire de l'Entente pour l'Ukraine pendant la guerre civile en Russie. Et à cette époque-là, dans le gouvernement blanc de Wrangel, le fondateur de l'eurasisme, le géographe Piotr Savitsky, qui fut le premier, dans le journalisme de langue russe, à mentionner lui-même le terme "géopolitique" et à exposer les points principaux de cette méthodologie, travaillait comme assistant du ministre des Affaires étrangères Peter Struve.
La géopolitique : la guerre continuelle entre la terre et la mer
Mackinder a formulé la théorie de la grande guerre des continents, l'opposition entre la civilisation de la Mer (l'Occident en général, l'Empire britannique plus spécifiquement) et la civilisation de la Terre (Heartland, Russie-Eurasie) quelques années plus tôt, en 1904, dans son célèbre ouvrage The Geographic Pivot of History. Terre (Rome, Sparte) et Mer (Carthage, Athènes) représentent deux civilisations antagonistes, opposées en tout - traditionalisme et modernité, spiritualité et matérialisme, esprit militaire et esprit commercial. Le conflit qui les oppose est une constante de l'histoire du monde.
L'Eurasie, théâtre d'affrontements géopolitiques
Au cours des derniers siècles, lorsque le Grand Jeu, la confrontation entre les empires britannique et russe, battait son plein, la grande guerre continentale s'inscrivait dans l'espace de l'Eurasie. Dans cet espace, le "Heartland", c'était la Russie. Et la "civilisation de la mer" était portée par l'Angleterre. L'Angleterre tentait d'enserrer l'Eurasie de l'extérieur, depuis les océans. La Russie se défendait de l'intérieur, en essayant de briser le blocus.
La principale bande territoriale où se multipliaient les tensions se nommait alors, dans le langage spécial de la géopolitique mackindérienne, le Rimland, la "zone côtière". Elle s'étendait de l'Europe occidentale à l'Asie du Sud-Est, comprenait l'Inde et la Chine, en passant par le Moyen-Orient et l'Asie centrale.
L'objectif de la Mer était de subjuguer le Rimland. L'objectif de la Terre était de briser cette influence et de déserrer l'anneau de l'anaconda thalassocratique qu'il fallait rétrécir. C'est la raison de l'avancée de la Russie en Asie centrale et en Extrême-Orient.
D'où la formule principale de la géopolitique: "Qui contrôle l'Europe de l'Est contrôle le Heartland. Qui contrôle le Heartland, contrôle le monde". Telle est la théorie.
Le démembrement de la Grande Russie
De par sa position de Haut Commissaire de l'Entente, Mackinder tenta de mettre la théorie en pratique. La guerre civile russe a donné à la civilisation de la mer une nouvelle chance de repousser les frontières du Rimland vers l'est, aux dépens des territoires qui quittaient alors la sphère de la puissance russe - la Finlande, la Pologne et, surtout, l'Ukraine.
Mackinder (comme Savitsky) avait compris que la victoire des bolcheviks conduirait inévitablement à une confrontation avec l'Occident et à une tentative de recréer l'Empire russe sous une nouvelle forme (et c'est exactement ce qui s'est passé). Et face à cette perspective, Mackinder a exigé que le gouvernement britannique soit plus actif dans l'aide aux Blancs [1], il a tenté de convaincre les dirigeants anglais de la nécessité de soutenir l'indépendance de l'Ukraine. Il a également élaboré un plan visant à séparer de la Russie la grande région du Caucase méridional, la Biélorussie, l'Asie centrale, ainsi que la Sibérie orientale et même un certain nombre de territoires du sud de la Russie. Plus tard, en 1991, l'effondrement de l'URSS permet, dans une large mesure, de réactiver le plan de Mackinder.
L'Ukraine et le cordon sanitaire
L'Ukraine jouait un rôle majeur dans le plan géopolitique de Mackinder. Ce territoire, avec la Pologne et les pays d'Europe de l'Est, faisait partie du "cordon sanitaire", une zone stratégique qui devait être sous le contrôle direct de l'Angleterre et de la France (les alliés de l'Entente à l'époque) et empêcher tout rapprochement entre la Russie et l'Allemagne. Retenue par un "cordon sanitaire", la Russie-Eurasie ne pouvait pas devenir un Empire à part entière. Sans l'Ukraine, la Russie n'est pas un Empire. Et de plus, l'Ukraine, rendue hostile à la Russie et placée sous le contrôle direct des Anglo-Saxons, couperait la Russie de l'Europe continentale, où l'Allemagne, à son tour, était un Heartland, mais pas un Heartland mondial (comme la Russie), mais local, européen. Le conflit de l'Angleterre avec l'Allemagne (aussi avec l'Autriche) était une constante de la géopolitique européenne.
En conséquence, le projet d'une Ukraine indépendante était initialement dirigé contre la Russie et était supervisé par les Anglo-Saxons.
Les bolcheviks créent et démantèlent simultanément l'Ukraine
Nous savons que pendant la guerre civile, les Blancs ont adhéré à une politique de restauration d'un Empire uni et indivisible. En même temps, ils dépendaient du soutien de l'Entente, qui leur imposait certaines conditions. Quoi qu'il en soit, le gouvernement britannique, n'étant pas d'accord avec Mackinder sur la nécessité d'un soutien fort aux Blancs en échange de leur accord à la sécession de l'Ukraine, les Blancs ont perdu la guerre. Dans cette configuration, le sujet a donc été écarté de l'ordre du jour.
Les bolcheviks, quant à eux, ont d'abord soutenu l'Ukraine et encouragé activement les cercles nationalistes en pensant qu'ils s'étaient orientés contre le "tsarisme", mais ils ont ensuite opté pour une politique centraliste, voyant que l'Ukraine n'allait pas accepter le pouvoir bolchevique sans se plaindre et cherchait à céder aux Anglo-Saxons (ce qui signifiait alors le "capitalisme mondial"). Par conséquent, comme Mackinder l'avait prévu, Lénine a commencé la saisie directe de l'Ukraine, qui n'avait pas eu, dans son passé, une histoire d'État indépendant et était une proie relativement facile pour les Rouges. Les Rouges n'ont pas réussi à conquérir la Pologne par le même stratagème. Mais le territoire de la Biélorussie, qui était revendiqué par la Pologne de Piłsudski, est resté aux mains des Rouges.
Ensuite, déjà sous l'autorité des bolcheviks en 1922, Lénine a donné à la République socialiste soviétique d'Ukraine les vastes territoires qui avaient toujours fait partie de l'Empire russe - Slobozhanshchina, Donbass, Novorossiya, ainsi que de vastes zones au nord (oblast de Tchernigov) et à l'ouest (Petite Russie proprement dite). La Galicie est restée sous la tutelle de la Pologne, la Bucovine faisait partie de la Roumanie. La Crimée appartenait à la RSFSR.
Mais cet arrangement territorial de l'Ukraine n'impliquait pas véritablement la création d'un État. Le pouvoir bolchevique s'étendait à tous les territoires de l'URSS et, dans l'esprit de l'idéologie internationaliste, il ne pouvait être question d'un statut d'État pour les différentes républiques. Il s'agissait presque d'une division purement administrative dans le cadre d'un pouvoir solidement unifié. C'est exactement ce que Mackinder avait craint.
Les bolcheviks ont à la fois créé l'Ukraine et l'ont abolie (en tant qu'État indépendant).
L'Ukraine dans l'URSS après la Grande Guerre patriotique
La Galicie, la Volhynie et la Bukovine ont été annexées à l'Ukraine juste avant la Grande Guerre patriotique et la Transcarpathie - juste après la guerre. Mais à ce moment-là, la Russie-Eurasie sous la forme de l'URSS s'est déplacée de manière significative vers l'ouest, déplaçant la frontière du pays au détriment du Rimland, et établissant son contrôle sur l'Europe de l'Est, qui était toute entière sous le pouvoir de Moscou. L'URSS a ainsi réduit à néant et totalement aboli le "cordon sanitaire" de Mackinder et de Lord Curzon, s'installant directement en Europe continentale et s'emparant, en fait, des territoires de l'ancienne Prusse/Brandebourg (RDA).
Dans une telle position - profondément à l'arrière de ce rimland européen de l'Eurasie et donc dans le Heartland eurasien - l'Ukraine a existé jusqu'en 1991. Dans le même temps, pour des raisons de convenance purement administrative dans les limites d'un État absolument unitaire, Khrouchtchev a transféré en 1954 la Crimée à Kiev. Du point de vue géopolitique, cependant, cela ne signifiait rien, car toutes les frontières entre les sujets de l'URSS, les républiques fédératives, étaient conditionnelles et ne signifiaient rien du tout dans la pratique.
L'atlantisme et le monde bipolaire
Pendant la guerre froide, l'Occident est revenu à sa pratique particulière de la géopolitique. C'est ainsi qu'en 1949, suivant les modèles mise au point par Mackinder, l'OTAN (l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) a été créée. Le terme "Atlantique" ayant été introduit dans le sigle de l'organisation militaire, le vocable "atlantisme" devient synonyme de "civilisation de la mer", de thalassocratie, dans le sens exact où Mackinder l'entendait. L'"atlantisme", c'est l'Occident et ses alliés, le monde capitaliste avec un noyau dur anglo-saxon, dont le centre, au XXe siècle, s'est progressivement déplacé de Londres à Washington, de l'Angleterre aux États-Unis.
La carte dessinée par Mackinder correspondait parfaitement à l'équilibre des forces dans la guerre froide, et les deux camps - le communiste et le capitaliste - étaient strictement alignés sur les critères attribués à la Terre et à la Mer. Le bloc de l'Est était la Terre, avec l'URSS en son centre, le Heartland. Le bloc occidental était la Mer, centrée sur l'Atlantique (les Anglo-Saxons), mais comprenait les colonies stratégiques d'après-guerre des États-Unis - les pays d'Europe, le Japon et d'autres États du tiers-monde qui proclamaient leur allégeance au capitalisme. Ils étaient disposés en ordre dispersé en Asie, en Afrique et en Amérique latine, qui constituaient la carte géopolitique de la confrontation mondiale. Terre et Mer s'affrontaient rarement directement (comme lors de la crise des missiles de Cuba), et agissaient généralement par le biais de leurs mandataires, les régimes pro-soviétiques ou pro-américains. Et si la Terre était directement impliquée dans un conflit - comme en Tchécoslovaquie, en Afghanistan, etc., alors la Mer s'y opposait par le biais de mandataires, de "proxies", de groupes et de mouvements antisoviétiques sans intervenir directement. Et quand la Mer intervenait ouvertement - comme en Corée et au Vietnam - la Terre aidait indirectement, avec des conseillers, la diplomatie, l'économie, etc.
Le problème du Rimland
Pendant la guerre froide, le problème du Rimland est redevenu extrêmement pertinent. Ainsi, le géopolitologue américain Nicholas Spykman, révisant les théories de Mackinder, arrive à la conclusion que c'est le Rimland qui est la principale zone de confrontation. Il formule la loi de la géopolitique comme suit : "Celui qui contrôle le Rimland contrôle le monde". Mais il ne s'agit pas d'une nouvelle géopolitique, mais d'une réinterprétation - mineure - du poids des zones principales dans la théorie de Mackinder. D'autant plus que Mackinder lui-même a commencé par énoncer une théorie sur "l'Europe de l'Est", c'est-à-dire sur ce qui deviendra le "cordon sanitaire", et que celui-ci appartient au Rimland.
Quoi qu'il en soit, la guerre froide, d'un point de vue géopolitique, était une bataille pour le Rimland. Moscou a tenté d'étendre son influence - par le biais de partis et de mouvements de gauche - en Europe, au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique et en Amérique latine. À une certaine époque, la Chine maoïste faisait également partie d'un camp socialiste unique, c'est-à-dire du Heartland eurasien.
L'attaque de l'Atlantisme
Lorsque l'URSS a commencé à s'affaiblir, les géopoliticiens atlantistes (Z. Brzezinski, R. Gilpin, etc.) ont commencé à penser et à agir de manière plus avant-gardiste. Outre le modèle bipolaire et le déplacement partiel de l'équilibre à la périphérie du monde et le long des contours de l'Eurasie, ils ont commencé à élaborer des concepts plus audacieux, évoquant un monde unipolaire. Ainsi, les idées de Mackinder ont retrouvé leur fraîcheur et leur pertinence. Pour obtenir la victoire décisive et finale de la civilisation de la mer, il fallait briser le bloc de Varsovie, puis de préférence l'URSS, et enfin ce qu'il en restait. En d'autres termes, faire progresser de manière significative le Rimland dans les profondeurs de la terre, en le bridant et en bloquant l'accès aux "mers chaudes", vers lesquelles la Russie tentait constamment de se porter.
L'un des géopoliticiens atlantistes les plus constants était Zbigniew Brzezinski. À l'époque bipolaire, il soutenait farouchement les forces antisoviétiques en Afghanistan, jusqu'à et y compris Al-Qaïda. Au début des années 80, Brzezinski et Kissinger se sont efforcés de rompre définitivement les derniers liens que la Chine entretenait encore avec l'URSS, en cherchant à l'inclure dans l'économie mondiale et à l'intégrer progressivement dans la civilisation de la mer.
Lorsque les processus destructeurs de l'URSS ont commencé à agir, les atlantistes ont augmenté la pression sur l'Europe de l'Est, provoquant, fomentant et soutenant par tous les moyens possibles des sentiments artificiellement antisoviétiques/russophobes. D'un point de vue géopolitique, le soviétique et le russe coïncidaient à l'époque.
Avec Gorbatchev, l'effondrement rapide du camp socialiste a commencé. La Terre reculait, la Mer avançait. Nous ne devons donc pas être surpris que l'expansion de l'OTAN vers l'Est ait commencé et se soit parachevé. Cette expansion était à l'origine inscrite dans la théorie géopolitique de l'atlantisme. On ne pouvait rien attendre d'autre de la politique atlantiste.
La création de l'anti-Russie
Lorsque l'on a assisté à l'effondrement de l'URSS, les projets de Mackinder visant à démembrer la Russie-Eurasie, redevenaient toujours plus pertinents. Les frontières conditionnelles des républiques au sein d'un État unitaire, entièrement et étroitement contrôlé par le parti communiste, se sont soudainement transformées en frontières d'États-nations souverains. Tous les États post-soviétiques ont été créés selon les moules atlantistes. Ces entités n'ont d'autre sens que d'être anti-russes. L'une de ces "Anti-Russie" était la Fédération de Russie elle-même. Mais parce que la Fédération de Russie occupait le territoire du Heartland, même si elle s'est considérablement réduite, elle représente toujours la Terre ennemie aux yeux des géopoliticiens atlantistes, c'est-à-dire de l'ennemi thalassocratique. Et pour achever l'ennemi, il a fallu pousser l'OTAN plus loin vers l'Eurasie, et aussi tenter de démembrer la Russie elle-même (la première campagne de Tchétchénie, la vague des séparatismes internes à la Fédération de Russie, etc.)
La Russie ne pourra jamais se relancer sans l'Ukraine.
Tous ces processus, Brzezinski les a compris et a contribué à les mettre en pratique (comme Mackinder l'avait fait auparavant). Dans son célèbre livre Le grand échiquier, Brzezinski parle ouvertement de la nécessité de démembrer davantage la Russie, de renforcer le "cordon sanitaire", etc. Plus important encore, Brzezinski comprend le rôle de l'Ukraine dans cette question. Brzezinski dit à son propos que la chose la plus importante est :
- d'arracher irrévocablement l'Ukraine, alors hésitante, à la Russie,
- d'en faire un avant-poste de l'Atlantisme et
- d'imposer à son peuple le nationalisme russophobe comme idéologie principale.
Sans l'Ukraine, la Russie ne sera jamais en mesure de devenir une puissance souveraine à part entière, un Empire, un pôle indépendant du monde multipolaire. Ainsi, le sort de l'unipolarité et du globalisme (pour Brzezinski, c'est presque la même chose), dépend de la capacité de l'Occident à mettre en œuvre la séparation de l'Ukraine d'avec la Fédération de Russie. Après tout, si la Russie et l'Ukraine s'unissent - d'une manière ou d'une autre, l'unipolarité s'effondrera et la carte géopolitique changera à nouveau de manière irréversible.
La bataille pour l'Ukraine et contre la Russie est une constante historique dans la stratégie géopolitique de l'Occident. Cela explique tout, de la déclaration d'indépendance à la révolution orange Iouchtchenko-Timochenko, en passant par le Maïdan et huit années de préparation intensifiée par Kiev, sous la houlette des instructeurs atlantistes, aux opérations militaires visant à s'emparer du Donbass et de la Crimée.
La naissance de la géopolitique en Russie : L'Eurasie comme sujet
Depuis le début des années 1990 en Russie, juste au moment de l'effondrement de l'URSS et de l'arrivée au pouvoir des agents atlantistes (l'ancien ministre des Affaires étrangères Andrey Kozyrev a directement admis qu'il était un atlantiste), contrairement à l'attitude politique et idéologique de base envers le libéralisme et l'occidentalisme, la Russie - principalement dans les cercles militaires (en particulier, à l'Académie d'état-major militaire) - a commencé à développer sa propre école géopolitique. Elle était basée sur l'eurasisme, car ce sont les premiers Eurasiens russes qui, dans les années 1920, ont décrit la carte géopolitique de la confrontation entre la Russie et l'Occident, en dehors de l'idéologie communiste (les Eurasiens étaient des Blancs). Leurs idées sont les plus adaptées à la situation actuelle, face à l'offensive de l'OTAN à l'Est et aux propres politiques incompréhensibles (par endroits perfides) de Moscou. Les militaires ne pouvaient pas prendre pour amis ceux dont ils enregistraient toutes les heures les intentions et les actions agressives contre la Russie. Mais le gouvernement libéral est resté sourd à la géopolitique. Néanmoins, l'école géopolitique ne pouvait être détruite. Tout le monde était occupé par les processus fascinants de la corruption totale.
La géopolitique expliquait parfaitement ce qui se passait en Europe de l'Est et dans l'espace post-soviétique dans les années 1990 (l'écrasement par la mer de la terre, l'expansion des "cordons sanitaires" et du territoire du Rimland), mais cette compréhension restait à l'intérieur des cercles militaires, qui n'appréciaient guère la politique officielle, mais qui n'avaient à l'époque aucun poids ni aucune influence politique. Les atlantistes, en revanche, ont méthodiquement poursuivi leur cause, nourrissant et renforçant l'anti-Russie, à la fois à l'extérieur et, en partie, au sein même de la Fédération de Russie.
Poutine change le vecteur géopolitique
Tout a changé lorsque Poutine est arrivé au pouvoir. Il a commencé par restaurer la souveraineté de la Russie, à se débarrasser des agents atlantistes qui étaient à la tête du pays, à concentrer et à développer son potentiel militaire, et à renforcer l'unité de la Russie. La deuxième campagne de Tchétchénie, l'introduction des districts fédéraux et les changements dans la législation ont renforcé l'intégrité territoriale et la verticalité du pouvoir. Poutine a progressivement commencé à s'opposer de plus en plus à l'Occident et à mener une politique d'intégration eurasienne dans l'espace post-soviétique. En bref, Poutine a rendu à la Russie le statut de sujet de la géopolitique, et a anénati son état de déréliction, qui faisait d'elle un objet de la géopolitique globale, atlantiste. Il a rejoint de manière consciente et responsable la grande guerre continentale au nom de la Terre.
Cela n'a pas échappé à l'Occident et a entraîné une pression accrue sur les pays post-soviétiques pour qu'ils adoptent une position de plus en plus anti-russe, pour qu'ils s'intègrent plus rapidement aux structures occidentales. Cela a touché tous les pays post-soviétiques, mais surtout l'Ukraine. Il dépendait de l'Ukraine de déterminer si la Russie serait capable ou non de restaurer pleinement sa souveraineté géopolitique. Selon les lois de la géopolitique, sans l'Ukraine, la Russie n'est pas un Empire, pas un pôle, pas une civilisation, mais avec l'Ukraine, elle est un Empire, un pôle et une civilisation. Et cette formule peut être lue depuis deux positions - celle des yeux de la Mer et celle des yeux de la Terre. De toute évidence, Poutine l'a lue avec les yeux de la Terre, car il était et reste le dirigeant du Heartland, conscient et puissant.
Le nationalisme ukrainien comme outil géopolitique de l'Atlantisme
Dans le même temps, l'initiateur des cataclysmes en Ukraine était l'Occident atlantiste. Même les politiques neutres, modérément pro-occidentales - multi-vectorielles - de Kuchma ou de Yanukovich ne convenaient pas aux atlantistes. Ceux-ci ont fait pression sur Kiev pour que l'Ukraine se transforme le plus rapidement possible en une anti-Russie agressive et radicale, attaquante. Dans cette logique, Kiev devait attaquer.
Cela explique la Révolution orange, le Maïdan et les raisons de l'opération militaire russe actuelle.
L'Occident se battait pour l'Ukraine. Il faut tenir compte du fait que l'Ukraine n'a pas du tout d'histoire en tant qu'Etat inscrit dans la durée, et que les territoires dans lesquels elle se trouve sont historiquement accidentels et sont le résultat de la créativité administrative des bolcheviks. Lorsque Poutine a justifié l'opération militaire en Ukraine en disant que "Lénine a créé l'Ukraine", il avait parfaitement raison. Cependant, Lénine n'a pas créé l'Ukraine en tant que telle, mais une des zones de contrôle bolchevique parmi d'autres. La nationalité, selon la théorie bolchevique, devait être complètement dépassée dans une société internationale socialiste. Lénine a créé l'Ukraine et l'a en fait immédiatement abolie.
Par conséquent, après 1991, il y avait sur le territoire de l'Ukraine des peuples et des territoires ayant chacun une histoire, une identité, une langue et une culture complètement différentes. La moitié d'entre eux n'étaient pas du tout différents des Russes. La seconde moitié était constituée d'Ukrainiens plus ou moins russifiés. Et seule une écrasante minorité professait une idéologie nationaliste autoproclamée. Mais seule cette minorité était capable, selon les géopoliticiens occidentaux, de transformer les Ukrainiens en une "nation" et ce, à un rythme accéléré. Il s'agissait d'un projet géopolitique atlantiste. Dans d'autres pays, l'Occident a soigneusement éradiqué le nationalisme, surtout dans ses formes radicales. En Ukraine, cependant, l'Occident a agi exactement à l'inverse, soutenant activement toutes les formes de nationalisme jusqu'aux plus extrêmes. Selon les stratèges atlantistes, c'était le seul moyen d'accélérer la formation d'une construction artificielle, rigidement russophobe, un simulacre virtuel de nation. C'est pourquoi la sphère de l'information était si importante, car elle inculquait de manière obsessionnelle aux Ukrainiens une haine infondée des Russes et de tout ce qui unissait nos peuples. Toutes les inepties étaient utilisées, jusqu'à "l'ancienne civilisation des anciens Ukrainiens", ce qui n'aurait provoqué qu'une totale perplexité en Occident. Cependant, toute l'opération était supervisée par les services secrets atlantistes, et c'est pourquoi l'Occident a créé une image artificielle de l'Ukraine comme une jeune démocratie ouvertement vulnérable, souffrant de la menace russe. En fait, un état d'esprit nazi s'est affirmé de manière obsessionnelle dans la société, inextricablement lié à l'atlantisme et même au mondialisme libéral (peu importe combien ces systèmes se contredisent, car le mondialisme nie l'État, et le libéralisme toute identité collective, et surtout l'identité nationale).
L'affrontement final
Le virage russophobe prononcé de Kiev et de l'ensemble de la société ukrainienne est le résultat des événements de Maidan de 2013-2014, qui ont culminé avec l'expulsion et la fuite du président Ianoukovitch. Ianoukovitch n'était ni un politicien pro-russe ni un eurasiste. C'était plutôt un pragmatique à courte vue, mais même cela, du point de vue de l'Occident, était tout aussi inacceptable. L'Occident voulait "tout et pas tout". En regardant la Russie de Poutine se renforcer et en tenant compte des événements de 2008 en Géorgie, où l'Occident a également opposé Saakashvili à la Russie, mais où le résultat n'était clairement pas en faveur de la civilisation de la Mer, les Atlantistes ont décidé d'agir par les méthodes les plus radicales.
L'actuel président américain Joe Biden, alors vice-président, et d'autres membres de son équipe, comme Victoria Nuland, etc., ont participé très activement au renversement de Ianoukovitch et à la préparation du Maïdan. L'objectif était le même que celui de Mackinder et Brzezinski : arracher enfin l'Ukraine à la Russie et préparer le terrain pour un conflit violent entre Kiev et Moscou.
Poutine a répondu en ramenant la Crimée dans le giron russe et en soutenant le Donbass, mais cela n'a pas résolu le problème sur le plan géopolitique. Poutine a déjoué le plan visant à accélérer l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, notamment celui qui visait à expulser la marine russe de Sébastopol, il a ensuite empêché les génocides en Crimée et dans le Donbass, mais l'ampleur de l'Ukraine était trop importante pour qu'il puisse poursuivre son offensive eurasienne en 2014 et mener la défense du monde russe à sa conclusion logique. À ce moment-là, la Terre a cessé de réagir. Le processus des accords de Minsk avait commencé, mais d'un point de vue géopolitique, il était évident qu'aucune solution pacifique ne pourrait être trouvée et qu'une confrontation directe se produirait inévitablement tôt ou tard. En outre, les services de renseignement russes ont reçu des informations selon lesquelles la partie ukrainienne ne faisait que profiter de ce report pour préparer une opération militaire dans le Donbass, puis en Crimée.
Les forces nationalistes qui avaient remporté le coup d'État de 2014 à Kiev haïssaient encore plus la Russie, déployaient une propagande massive pour laver le cerveau de la population, lançaient une opération punitive brutale contre les habitants du Donbass, victimes d'un génocide systématique, et préparaient une attaque contre le Donbass et la Crimée d'ici le printemps 2022. Dans le même temps, Kiev, en collaboration avec l'Occident, élaborait des plans pour construire ses propres armes nucléaires. En outre, il y avait des laboratoires biologiques dispersés dans toute l'Ukraine, engagés dans des expériences illégales pour produire des armes biologiques.
Tout cela faisait partie d'une même géostratégie atlantiste.
[1] L'armée blanche (également connue sous le nom de Gardes blancs ou simplement Blancs) était des forces militaires qui ont combattu le régime bolchevique pendant la guerre civile russe.
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Les limites de la patience russe
La limite de la patience russe
Par Claudio Mutti
Source: https://www.eurasia-rivista.com/il-limite-della-pazienza-russa/
"Patrie de la patience, terre des Russes !"
Fyodor Ivanovič Tjutčev
Il y a environ trente ans, en 1993, le politologue américain John Mearsheimer posait l'éclatement d'un conflit entre la Russie et l'Ukraine comme inévitable. "La situation, écrit-il dans Foreign Affairs, est mûre pour qu'une vive rivalité sécuritaire éclate entre les deux pays. Les grandes puissances divisées par une ligne frontalière très large et non protégée, comme celle qui sépare la Russie et l'Ukraine, entrent souvent en conflit poussées par la crainte pour leur propre sécurité. La Russie et l'Ukraine pourraient surmonter cette dynamique et apprendre à vivre ensemble en harmonie, mais une telle solution serait très inhabituelle (1).
A cette approche, basée sur un modèle "étatiste" de l'école réaliste, Samuel Huntington reproche d'ignorer le fait historique des "liens historiques, culturels et personnels étroits qui unissent la Russie et l'Ukraine et le fort degré d'assimilation mutuelle qui existe entre les populations des deux pays" [2] ; soulignant plutôt la "profonde césure culturelle qui divise l'Ukraine orthodoxe orientale et l'Ukraine uniate occidentale" [3], le théoricien du "choc des civilisations" a appelé à envisager la possibilité d'une scission du pays en deux parties, mais a jugé improbable une guerre russo-ukrainienne.
Presque simultanément, l'ancien conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski, se référant ouvertement à la célèbre formule de Sir Harold Mackinder ("Celui qui gouverne l'Europe de l'Est gouverne le cœur du monde ; celui qui gouverne le cœur du monde gouverne le monde insulaire [4] ; celui qui gouverne le monde insulaire gouverne le monde" [5]), a illustré la fonction stratégique fondamentale qu'une Ukraine séparée de la Russie pourrait jouer pour faciliter le renforcement du contrôle américain sur l'Eurasie.
"L'Ukraine, nouvel espace important sur l'échiquier eurasien", a soutenu Brzezinski dans Le Grand Échiquier, "est un pivot géopolitique parce que son existence même en tant que pays indépendant contribue à transformer la Russie. Sans l'Ukraine, la Russie cesse d'être un empire eurasien. (...) Si Moscou reprend le contrôle de l'Ukraine, avec ses cinquante-deux millions d'habitants et ses grandes ressources, ainsi que l'accès à la mer Noire, la Russie trouve automatiquement un moyen de devenir un puissant État impérial, s'étendant sur l'Europe et l'Asie" [6].
La "géostratégie pour l'Eurasie" [7], proposée par Brzezinski aux États-Unis, impliquait donc qu'il fallait à tout prix empêcher Moscou d'exercer son hégémonie sur sa sphère d'influence historique. L'Ukraine, à laquelle Brzezinski a assigné la fonction de bloquer la Russie à l'ouest et au sud, est ainsi devenue le "bouclier défensif" de l'Europe centrale (un concept réitéré dans les mêmes termes, vingt-cinq ans plus tard, par le président ukrainien Volodymyr Zelensky à la Conférence de Munich sur la sécurité [8]) ; une autre tâche de l'Ukraine serait de maintenir le Belarus sous un contrôle constant. Enfin, bien que Brzezinski se soit rendu compte que la Russie aurait "incomparablement plus de mal" [9] à accepter l'entrée de l'Ukraine dans l'alliance militaire hégémonisée par les États-Unis, Kiev fournirait à l'OTAN des bases militaires et lui garantirait l'accès à la mer Noire. Ainsi, avec l'affaiblissement de la Russie, l'Ukraine aurait été le canal permettant de relier le bloc occidental à la région de la Transcaucasie et lui aurait donc permis de menacer la République islamique d'Iran à bout portant.
Le projet élaboré par Brzezinski constitue le contexte stratégique du document que l'OTAN et l'Ukraine ont elles-mêmes signé en 1997 pour formaliser leur partenariat. Dans ce document, on peut lire que "le rôle positif de l'OTAN consiste à maintenir la paix et la stabilité en Europe, à promouvoir une plus grande confiance et une plus grande transparence dans la zone euro-atlantique, et à ouvrir la coopération avec les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale, dont l'Ukraine est une partie inséparable". Plus tard, en novembre 2002, les relations entre l'OTAN et l'Ukraine seront approfondies et élargies avec l'adoption du plan d'action OTAN-Ukraine, "qui renforce les activités de réforme de l'Ukraine en vue de sa pleine intégration dans les structures de sécurité euro-atlantiques" [10].
Dans le projet géostratégique de Brzezinski, le rôle attribué à l'Ukraine s'inscrivait dans un panorama européen caractérisé par l'élargissement de l'OTAN à l'Est et l'élargissement complémentaire de l'Union européenne, "tête de pont géopolitique essentielle de l'Amérique en Eurasie"[11]. L'élargissement de l'Union européenne n'aurait donc pas dû inquiéter outre mesure la Maison Blanche, bien au contraire. "Une Europe plus grande - a assuré Brzezinski - élargira le champ de l'influence américaine (...) sans créer en même temps une Europe, si intégrée politiquement qu'elle pourrait bientôt défier les États-Unis dans des affaires géopolitiques de grande importance pour l'Amérique ailleurs dans le monde, notamment au Moyen-Orient" [12].
En offrant à l'Ukraine la perspective d'adhérer à l'Union européenne, en s'ingérant sans vergogne dans les affaires ukrainiennes pour aider les subversifs de Maïdan à transformer l'Ukraine en un pays hostile à la Russie, en apportant un soutien politique et militaire au régime issu du coup d'État, et en soutenant les initiatives anti-russes des administrations américaines, l'Union européenne et les gouvernements de certains pays européens ont activement collaboré à la consolidation de la "tête de pont démocratique" requise par le projet américain de pénétration du continent eurasien.
Enfin, après plus de 20 ans de patience, la Russie a été contrainte de réagir. Même un ancien soldat de l'OTAN, le général Marco Bertolini [13], a admis: "Les États-Unis ne se sont pas contentés de gagner la guerre froide, ils ont également voulu humilier la Russie en prenant tout ce qui se trouvait d'une certaine manière dans leur zone d'influence. La Russie a vu les États baltes, la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie entrer dans l'OTAN : face à l'Ukraine, qui lui aurait ôté toute possibilité d'accès à la mer Noire, elle a réagi" [14].
Bien avant de franchir le Rubicon, Vladimir Poutine avait averti l'Occident. Déjà en 2007, lors de la conférence annuelle sur la sécurité de Munich, il avait dénoncé le caractère agressif et provocateur de l'expansion de l'OTAN. En Bulgarie et en Roumanie, dit-il, il y a des bases américaines dites avancées avec environ cinq mille hommes chacune. Il s'avère que l'OTAN a déployé ses forces avancées en direction de nos frontières, tandis que nous, tout en continuant à remplir nos engagements en vertu du traité [15], nous ne réagissons en aucune façon. Je pense qu'il est évident que l'expansion de l'OTAN n'a rien à voir avec la modernisation de l'Alliance elle-même ou la sécurisation de l'Europe. Au contraire, elle représente un sérieux facteur de provocation qui réduit le niveau de confiance mutuelle. Et nous avons le droit de demander : contre qui cette expansion a-t-elle lieu ? Et qu'est-il advenu des déclarations faites par nos interlocuteurs occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie ? Où sont ces déclarations aujourd'hui ?" [16].
NOTES
[1] John J. Mearsheimer, "The Case for a Nuclear Deterrent", dans Foreign Affairs, n° 72, été 1993, p. 54.
[2] Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations et le nouvel ordre mondial, Garzanti, Milan 2001, pp. 38.
[3] Samuel P. Huntington, op. cit. p. 39.
[4] L'île-monde est, pour Mackinder, la masse continentale qui comprend l'Europe, l'Asie et l'Afrique.
[5] "Qui gouverne l'Europe de l'Est commande le Heartland ; qui gouverne le Heartland commande l'île-monde ; qui gouverne l'île-monde commande le monde" (H. J. Mackinder, Democratic Ideals and Reality. A Study in the Politics of Reconstruction, [1919, 1942], National Defense University, Washington 1996, p. 106.
[6] Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard. American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, Basic Books, New York 1997, p. 46.
[7] Zbigniew Brzezinski, op. cit. p. 197.
[8] "L'Ukraine est le 'bouclier de l'Europe' contre l'armée russe. C'est ce qu'a déclaré le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors de la conférence sur la sécurité de Munich" (ANSA, Berlin, 19 février 2022).
[9] Zbigniew Brzezinski, op. cit. p. 121.
[10] https://www.nato.int/docu/sec-partnership/sec-partner-it.pdf
[11] Zbigniew Brzezinski, "A Geostrategy for Eurasia", Foreign Affairs, septembre-octobre 1997, p. 53.
[12] Zbigniew Brzezinski, op. cit, p. 199.
[13] Le général Marco Bertolini était, entre autres, le chef d'état-major de la "force d'extraction" de l'OTAN en République de Macédoine (ARYM) pour la récupération éventuelle des vérificateurs de l'OSCE au Kosovo.
[14] www.liberoquotidiano.it, 24 février 2022.
[15] Le Traité adapté sur les forces armées conventionnelles en Europe, signé en 1999.
[16] Discours de Vladimir Poutine à la 43e Conférence de Munich sur la sécurité, Eurasia. Journal of Geopolitical Studies, 2/2007, p. 251.
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vendredi, 11 mars 2022
Deoorlog in Oekraïne en de geopolitieke rol van Europa
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mercredi, 09 mars 2022
L'alliance franco-russe de Louis XVI relègue le projet de l'Union Européenne au niveau d'un bac-à-sable d'école maternelle !
L'alliance franco-russe de Louis XVI relègue le projet de l'Union Européenne au niveau d'un bac-à-sable d'école maternelle !
Par Frédéric Andreu
La tragédie qui secoue l'Europe ne veut absolument rien dire par elle-même. Sans le recours au temps long de l'Histoire, ces images de guerre qui nous martèlent nuit et jour ne font qu'imposer leur vérité. Or, une vérité, surtout lorsqu'elle est martelée par des médias partisans, n'est pas une découverte, c'est même exactement le contraire.
Ce modeste article reflète au contraire une découverte, résultat de l'“effet puzzle” produit par l'emboitement de plusieurs pièces, alors même que les bombes pleuvent sur Kiev.
Il y a quelques années, j'avais traversé la Biélorussie à bicyclette, puis l'Ukraine du nord au sud, jusqu'à la Crimée encore territoire ukrainien. Je me souviens que le passage de la frontière avait été rendu possible par une liasse de billets glissée dans la poche du douanier. Mon voyage sur les routes défoncées s'acheva au-dessus des falaises blanches d'où s'étalait une mer magnifiquement bleue pourtant appelée “mer noire”.
Ces souvenirs de voyages, ces images, ces rencontres, se sont emboitées à une carte, à des lectures, pour se transformer en pistes intuitives.
En lisant ces lignes, vous pouvez vous demander : quels rapports entretiennent les vociférations anti-russes de Biden, la guerre en Ukraine, Louis XVI, Catherine II ? Apparemment aucun ! Et pourtant.
On peut se dire : L'Ukraine de Poutine sera-t-elle le bourbier espagnol de Napoléon ? La résistance farouche des Ukrainiens est-elle comparable à celle des résistants pendant l'occupation allemande ? Tous ces rapprochements infusent en nous des émotions, éclairent des feux, mais qui n'éclairent finalement pas grand chose. La première des choses qui compte dans l'univers des compréhensions politiques, ce sont les contraintes géographiques, ce sont elles qui déterminent aussi bien les rapports entre voisins que le mindscape des peuples qui y habitent.
Or, l'Ukraine n'est pas une péninsule comme l'Espagne, ni un “finisterre” comme la France, mais une zone de contact continental avec deux polarités, l'Occident et la Russie (voire, trois si l'on y ajoute la Turquie) à la fois différentes et complémentaires. L'axe Estonie-Ukraine est une ligne de fracture qui oppose deux géopolitiques antagonistes, la première arrimée au Etats-Unis le “Sea-power" et la seconde, au "Land-Power" incarné par l'immense Russie. Puissances de la mer et puissances et la terre, d'un côté, une Europe gagnée par l'imaginaire libéral-américain ; de l'autre, une Russie pan-continentale, siège de la “troisième Rome”. Ce sont ces deux mondes qui s'affrontent aujourd'hui en Ukraine.
Tout cela dépasse, bien sûr, les personnes et les passions. Mais il faut connaître un peu les hommes car l'Histoire est aussi faite d'imaginaire, de personnalité, de passions et d'irrationnel.
Les masses humaines, lorsqu'elles sont guidées par des élites illégitimes, se limite au niveau du bas-ventre. Les Ukrainiens se trouvent aujourd'hui devant le choix du ventre devant celui de l'âme. Ils sont partagés entre, d'un côté, la perspective d'un salaire à 150 Euros qu'implique le rattachement au grand frère russe et, de l'autre, les paillettes de l'Occident...
Le problème, c'est que la stratégie insidieuse des Etats-Unis et de l'Otan oblige à cette alternative diabolique entre mourir à 50 ans dans une église orthodoxe ou à 75 dans un supermarché Carrefour.
Cela c'est la victoire posthume de Brzezinski, le merlin noir des élites étatsuniennes. A ce jeu-là, il n'est pas impossible que la guerre fratricide qui se déroule en Ukraine s'achève par la scission du pays de son territoire au niveau du fleuve Dniepr. L'Ukraine pays-tampon entre Europe et Russie est en train de se transformer en deux Ukraines rivales, instrument d'affrontement entre l'Occident et la Russie. Il y a une différence majeure entre les deux scénarios qui déterminent deux géopolitiques mondiales. Le second scénario rimerait avec le martyr des minorités de part et d'autre. A la vérité, ce martyr a déjà commencé dans l'Est du pays, le Donbass. Huit ans de guerre où les villes russophones sont bombardées par un gouvernement ukrainien à la botte de l'Etat profond américain ; non par quelques obus égarés, mais par un bombardement systématique, ciblé, visant les populations civiles et non militaires.
En d'autre terme, un nettoyage ethnique qui ne semble pas émouvoir nos bonnes âmes droits-de-l'hommistes. Au cours de mon séjour en Russie, j'avais rencontré des Ukrainiens du Donbass (ukrainiens russophones) traumatisés par les frappes, les immeubles éventrés, les enfants contraints de vivre dans des caves.
On peut comprendre, sans diplôme de géopolitique, qu'une Ukraine à couteaux tirés, arrange les affaires de Washington puisque le but des Etats-Unis est de diviser l'Europe et la Russie et pour se faire, détacher l'Ukraine de la Russie.
Le camp des “non-alignés”
Les politiques assez lucides pour refuser cette fatalité sont nombreux à droite. On connait François Fillon, Philippe de Villiers, favorable à une “Europe de l'Altantique à l'Oural”. Mais tous ne sont pas issus des rangs de la droite. Jean-Luc Mélenchon, fervent défenseur du non-alignement, ancien député socialiste, certes, mais pas plus ni moins que ne l'était Marcel Déat avant guerre, étonne par ses positions. Les candidats patriotes de droite et de gauche veulent chasser du pouvoir la classe politique embourgeoisée et technocratique qui règne à Paris et à Bruxelles. Ces politiques, capables des pires traîtrises et des pires contre-sens historiques, déclaraient, encore hier, tous en coeur : “Avec nos sanctions, nous allons isoler la Russie !”.
Ont-ils tort ? Ces idiots utiles des Multi-nationales américaines pensent sanctionner, comme on le ferait à un mauvais élève, un “pays-continent” dont la superficie est 35 fois celle de la France, allié de surcroît de la Chine, voire de l'Inde, dont le réservoir démographique correspond à la moitié de la population mondiale ! Une super union économique basée sur l'étalon or et indépendante du dollar.
Bref, le conséquence de cette union, c'est la mort lente de l'Europe, continent déclassé, vieilli, asséché par 50 ans de planification technocratique.
L'Europe aurait alors pour seul avenir d'être un marché américain. Certes, elle l'est déjà depuis 1945 mais cette dépendance s'amplifierait de manière exponentielle. Elle distillerait le poison consumériste, le wokisme, la culpabilisation, pilules abortives des ventres et des âmes. Mais que les démographes se rassurent, l'Afrique pourra toujours suppléer au manque démographique des Européens : les populations noires déracinées pourront se déverser, toujours plus nombreuses, sur le Vieux Continent, avec la bénédiction d'un pape tiers-mondiste et des élites européennes métissolâtres.
Nul doute que ce grand remplacement de populations aidera à l'harmonie entre les peuples, fera augmenter le nombre de prix Nobel. Oui, lorsque cette classe de libéraux-traitres non élue qui dirige l'Union Européenne parle de "paix", il faut entendre : “Lgbtisme”, “pensée unique”, “matérialisme pratique”, “MacDonaldisation” de la société, autant de dissolvants de la société traditionnelle. Ces technocrates incarnent parfaitement les deux vers écrits par le poète :
“Ils refusent le halo autour des choses
Ils appellent solidarité la cohabitation”.
Avec la mise au ban de la Russie, l'Europe sera en donc “paix”, mais sans halo autour des choses, soumis au communisme libéral de l'UE à la puissance dix. Voici le contenu des mots “paix” et “démocratie” pour la génération à venir ! Voulez-vous de cette “paix” là ? Alors, dites adieu à Homère et à Pic de la Mirandole et dites bonjour au clown Mac-Do !
La “triple alliance” France-Autriche-Russie, contingence historique ou “alignement de planètes” géopolitiques ?
Les partisans d'une autre paix que celle imposée par les instances de l'OTAN savent que l'Europe a au contraire tout intérêt à s'ouvrir à cette Russie frappée de l'aigle à deux têtes, l'”empire bicéphale”, janus bifrons orient-occident et symbole de l'union des polarités grand continentales.
En effet, on ignore complétement, dans le pays qui a coupé la tête au roi, que le projet du Roi Louis XVI était non seulement d'en finir avec la rivalité Bourbon/Habsbourg, mais aussi de créer une alliance commerciale, voire plus, avec la Russie de Catherine II. Il m'a fallu tomber sur le livre de Jean Savant: Louis XVI et l'alliance russe pour en arpenter l'histoire différemment. On y apprend que l'ambassadeur français, le comte de Ségur, signa de nombreux échanges commerciaux entre Paris et St Petersbourg.
Quant à la fameuse expédition de La Pérouse dans le Pacifique, elle fut rendu possible grâce à une alliance de facto entre la France, l'Autriche-Hongrie et la Russie. Les Russes explorent le Pacifique et installent un comptoir de pêche à Hawaï. Ils se rendent maître de l'Alaska et poussent jusqu'en Californie. Sensible à l'ouverture vers les mers, Catherine II crée une politique monde du Pacifique à la Mer Noire...
La Crimée et l'Ukraine, déjà objets de toutes les convoitises au XVIIIème siècle
On sait peu de choses du comte Louis-Philippe de Ségur sinon qu'il a été une pièce maitresse dans le projet d'alliance franco-russe. Il faut comprendre que l'histoire officielle de la France écrite après la Révolution, a cherché à faire la part belle aux Lumières et à la République. Elle a cherché a discréditer Louis XVI et la Royauté en général jusqu'à la caricature. Très peu d'études ont été consacrées à la politique de Louis XVI, sinon pour, au bas mot, la dénigrer. Nous savons donc peu de choses sur les motivations de Ségur. Nous savons cependant que Ségur accompagna Catherine II en Crimée. C'est sur les rives de la Mer Noire que Ségur aurait eut la pré-science d'une relation étroite entre la Russie, l'Autriche et la France... Nous savons qu'en France, Necker y fut opposé et retarda la projet. Des accords étaient sur le point d'être noués lorsque la Révolution, qui plongea la France dans 10 ans de guerre civile, mis brutalement un terme au projet.
Portrait de Louis-Philippe de Ségur
A l'époque, les aristocrates russes et européens ne phosphoraient pas dans un anglais d'aéroport, de taux d'inflation et de statistiques. Ils pratiquaient l'art de la conversatio dans le Français de Molière. De quoi parlaient-ils ? De découvertes d'îles, de Nouveau Monde, de philosophie, de vin et de Belles Lettres. Le comte de Ségur, poète, jouait, paraît-il, les pièces qu'il écrivait lui-même, dans le théâtre privé de l'Impératrice...
Au-delà des anecdotes, la politique du dernier Roi Bourbon, reposa sur un tissage diplomatique de longue date qui a laissé des traces dans le vocabulaire. Les mots russes pour “bagage”, “étage”, “chauffeur”, “ambassade” sont tous des mots d'origine française. Les mots parlent d'eux-mêmes. On imagine bien que ce champs lexical (russe mais aussi suédois et autres) reflète, bien mieux que des thèses universitaires illisibles et politisées, l'intense activité diplomatique de la France des XVIIème et XVIIIème siècle.
Au fond, qu'a fait Napoléon, sinon poursuivre la politique des Bourbons ?
Même si les choses ne sont, là encore, jamais présentées comme cela, la même politique pan-continentale inspira l'Empereur des Français même si Napoléon fut - bien malgré lui - contraint de la réaliser... sur les champs de bataille.
Cherchant à nouer des alliances, Napoléon aurait sans doute épousé la grande duchesse Anna Pavlovna, la soeur du Tsar, si le camp de Talleyrand ne l'avait emporté sur celui de Cambacéres. Cependant, cherchant à créer une dynastie européenne, il épousa la nièce de Marie-Antoinette d'Autriche, imitant ainsi Louis XVI. Bien que rival des Bourbons, il aimait à rappeler qu'il était le “neveu du Louis XVI !”.
Bref, les deux tentatives françaises avortées n'empêchèrent pas la IIIème République de poursuivre des relations avec la Russie, mais le rêve d'alliance grand continental fut oublié au profit de la soumission à l'Angleterre et de l'aventure coloniale. Au lieu d'un rapprochement organique avec la Russie, ce sont des peuples africains et asiatiques qui ont été, aux cours du XIXème Siècle, la proie des exploitations honteuses de la bourgeoisie industrielle et cela, au détriment de la paysannerie française.
Le grand tremblement géopolitique déclenchée par la guerre en Ukraine oblige à revoir notre Histoire officielle. Il serait temps de ressortir des cartons ce plan d'alliance datant de Louis XVI. On s'apercevra alors que Louis XVI était loin d'être le chef d'Etat poussif décrit par la propagande républicaine. En réalité, ce roi si dénigré relègue le petit projet néolibéral de l'UE à un bac-à-sable d'école maternelle. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette grande politique est inscrite dans le destin de la France, à la fois géographiquement, politiquement et aussi spirituellement. Oui, il ne s'agit pas seulement d'échanges économiques, il s'agit de faire passer l'oxygène du poumon gauche (l'Europe) au poumon droit (la Russie) et vice-versa. Deux mondes différents et organiquement complémentaires qu'un demi-siècle de guerre froide ont rendus incompréhensibles. Ce projet est d'ailleurs inscrit dans la géographie car, lorsqu'on ouvre une carte, on s'aperçoit que la France commence le Grand Continent et que la Russie, le termine. Louis XVI, catholique pratiquant et Catherine II, impératrice d'origine allemande, n'ignoraient rien de cette géopolitique. Cherchant à s'extirper du rapprochement anglo-prussien, Catherine qualifie la France de “nation privilégier de la Russie”. Louis XVI parlera à cet endroit de “politique naturelle”. Les acteurs politiques de cette époque n'étaient pas de vulgaires technocrates interchangeables, ils incarnaient aussi et surtout des principes cosmiques reliant la terre et les peuples.
Des révolutions très opportunes...
Cette voie pan-continentale reliant la France à la Russie a pu émerger ici ou là dans le cours méandreux de l'Histoire. Nous avons ciblé ici les accords qui précédèrent de quelques mois la Révolution Française. Mais il y a une différence entre des accords conjoncturels et un tropisme géopolitique profond, or, l'alliance franco-russe et ceux qui s'y opposent, oppose également la puissance de la terre à la puissance de la mer. La seule fois où elle fut en voie de réalisation concrète c'est au cours de l'année 1788, début 1789, mais ô surprise, une révolution éclata à Versailles qui allait renverser le roi... Au lendemain de la prise de la Bastille, élément rhétorique du coup d'Etat libéral téléguidée par les ennemis de la France, Catherine II coupa toute relation avec la France.
La seconde fois dans l'Histoire où une coalition d'alliance franco-russe aurait pu se réalisé, c'est dans les années qui précèdent la première guerre mondiale mais la révolution bolchevique de 1917 en décida autrement. La troisième fois, dans les années 2012 / 2015, un scénario similaire se produisit. Vladimir Poutine, conseillé par son merlin en politique, Alexandre Douguine, inspira cette politique de rapprochement ; des pipelines de gaz allaient été construits, des liens diplomatiques, renforcés, mais une autre révolution éclata. Non pas à Paris ni à Moscou, mais à Kiev. La révolution dite de Maïdan.
Fomentée par un gouvernement ukrainien pro-américain et par un étrange conglomérat composé de néo-nazis auto-proclamés et de sionistes activistes, la révolution “orange” présentée dans les mass-média occidentaux comme une révolution populaire et spontanée, reste en réalité mal connue. Elle mériterait une étude approfondie.
Retenons simplement la coïncidence troublante entre les projets d'alliance et ces révolutions – toujours téléguidées de l'extérieur - qui éclatent presque toujours au moment où une alliance constructive va être scellée... Alors que les planètes semblaient alignées une nouvelle fois pour une alliance trans-continentale qui auraient pu renverser le nouvel ordre mondial, Maïdan fait en effet figure d'une enième révolution “de couleur”.
Aujourd'hui, l'Ukraine subit une guerre téléguidée par des puissances étrangères, une sale guerre où résonne plus que jamais les mots de Paul Valéry : “La guerre, c'est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas”. Notre article peut aider à montrer les enjeux géopolitiques énormes qui s'y déroulent visant l'isolement de la Russie, enjeux que ne montrent ni les caméras ni les commentaires à chaud, de part et d'autre.
Et si le rêve pan-continental pouvait encore inspirer l'avenir ?
Si le vieux rêve du dernier roi capétien et de l'Empire Français reprenait vie dans le moment dramatique que traverse aujourd'hui l'Europe, par un socialiste franc-maçon d'inspiration révolutionnaire ? Alors, Jean-Luc Mélenchon, ou un autre candidat qui réaliserait ce dessein, resterait dans l'Histoire d'abord et avant tout comme Français !
Contact : fredericandreu@yahoo.fr
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mardi, 08 mars 2022
Il n'y aura pas d'ordre international sans équilibre géopolitique
Il n'y aura pas d'ordre international sans équilibre géopolitique
Par Alberto Hutschenreuter*
(article écrit le 16 décembre 2021)
Ex: https://nomos.com.ar/2021/12/16/no-habra-orden-internacional-sin-equilibrio-geopolitico/
Ces dernières semaines, la situation qui s'établit désormais entre l'Ukraine, l'Occident et la Russie a clairement montré qu'il sera très difficile dans les années à venir d'avoir une configuration ou un ordre international qui assure la stabilité.
La paix entre les nations est plus un objectif formel que réel. Ainsi, comme l'affirme à juste titre Henry Kissinger, c'est l'ordre international, c'est-à-dire un arrangement plus large convenu et respecté par les puissances d'échelle, qui rend possible une coexistence que nous pourrions appeler "paix".
L'une des composantes clés de tout ordre est l'équilibre géopolitique, c'est-à-dire la satisfaction (toujours relative) des acteurs, prééminents et intermédiaires, en matière de sécurité et de protection territoriale.
L'expérience est ici catégorique : chaque fois qu'un ordre a été recherché sur la base d'insatisfactions territoriales, l'ordre prévu a tôt ou tard fini par s'effondrer. Rappelons les préludes politico-territoriaux dans les Balkans avant 1914, où les prémisses de la guerre avaient déjà commencé à s'installer. Ou ce qui s'est passé avec l'ordre de Versailles en Europe centrale et orientale, où l'application du principe d'autodétermination nationale a fini par être l'une des causes de l'effondrement mondial en 1939. Au Moyen-Orient, en Afrique, plus récemment à nouveau dans les Balkans, ou en URSS même, le grand séisme géopolitique de l'après-Seconde Guerre mondiale, dans tous les cas, la "contradiction territoriale" a impliqué une déstabilisation régionale, continentale et même mondiale.
Le grand Raymond Aron, un penseur malheureusement de plus en plus oublié, disait que "tous les ordres internationaux sont des ordres territoriaux" ; on pourrait donc dire que tous les désordres internationaux impliquent des désordres territoriaux.
Le "désordre territorial" qui se produit en Europe de l'Est est dû au fait qu'une stratégie basée sur la "rentabilisation de la victoire au-delà de la victoire" a été privilégiée, ce qui a fini par provoquer un déséquilibre géopolitique d'envergure dont il est de plus en plus difficile de trouver des stratégies de sortie.
En d'autres termes, l'Occident n'a jamais considéré qu'après la fin de la guerre froide et la disparition de l'URSS, un ordre d'après-guerre aurait dû être envisagé. La fin d'une guerre, et la guerre froide en était une, nécessite nécessairement toujours une réflexion stratégique par rapport à l'ordre qui la suit. Il est vrai que le côté gagnant jouit du droit que donne la victoire, mais s'il ne le fait pas avec un sens de l'équilibre, alors ce que nous aurons est un ordre mou, contesté et de plus en plus instable. C'est ce qui s'est passé après 1919 : après une éphémère période de coopération internationale, les revendications des vaincus ont émergé, qui, de surcroît, ont défilé ensemble (l'Allemagne, le principal vaincu, et l'URSS, le vaincu des vaincus et des marginaux à Versailles).
Après sa victoire dans la guerre froide, l'Occident se comporte comme les vainqueurs de 1918, et le traitement de la Russie est semblable à celui accordé alors à l'Allemagne. L'élargissement de l'OTAN est la principale manifestation de la victoire sans stratégie pro-ordre international.
Si Machiavel était avec nous aujourd'hui, il aurait demandé : était-il nécessaire d'amener l'Alliance aux portes mêmes de la Russie ?
Ce n'est pas si le schéma territorial avait été apprécié comme une carte maîtresse d'une nouvelle configuration entre les États. Mais l'Occident, faisant fi du passé et des sages conseils des stratèges d'État qui déconseillaient de pousser l'OTAN plus loin que nécessaire, a opté pour la "voie de Carthage", c'est-à-dire pour une décision qui empêcherait à jamais (comme l'a fait le général Scipion lorsqu'il a conquis la ville africaine ennemie de Rome dans l'Antiquité et a semé du sel dans les sillons) une Russie politiquement conservatrice et géopolitiquement révisionniste de contester à nouveau la prépondérance de l'Occident.
Pour l'OTAN, "frotter du sel dans les sillons de la Russie" signifie anéantir ses actifs territoriaux qui ont toujours signifié des barrières géopolitiques et du temps stratégique. C'est-à-dire les questions qui concernent les intérêts vitaux de la Russie ; pour elles, la Russie est entrée en guerre en 2008 en Géorgie et en 2014 elle a mutilé le territoire de l'Ukraine.
Pour les tenants de cette croisade occidentale, les équilibres géopolitiques n'ont aucun intérêt. Le secrétaire général de l'OTAN vient d'avertir, en rejetant la demande de Moscou de retirer l'invitation à adhérer à l'Ukraine : "La relation de l'OTAN avec l'Ukraine sera décidée par les 30 alliés de l'OTAN et l'Ukraine, et personne d'autre. Nous ne pouvons pas accepter la tentative de la Russie de rétablir un système dans lequel les grandes puissances, comme la Russie, ont des sphères d'influence".
L'Occident (et l'Ukraine) n'envisage aucune alternative, c'est-à-dire que l'Ukraine ne fasse partie d'aucune alliance politico-militaire et, sans atteindre un statut de neutralité, maintienne des relations avec les deux parties, comme c'était le cas avant le début du conflit, lorsqu'il existait une relation économique intéressante avec la Russie. Cette possibilité ayant pratiquement disparu, le conflit a pris un caractère irréductible. Il est compréhensible que Kiev veuille faire partie de toutes les assurances fournies par l'Occident ; mais ne pas supposer que sa situation géographique l'oblige à maintenir une diplomatie déférente calibrée lui a coûté des territoires et pourrait lui coûter beaucoup plus. C'est là que réside son statut d'"État pivot".
Dans ce conflit, il n'est pas très utile de s'attarder sur le type de régime ou le leadership. La clé, selon les mots du regretté Kenneth Waltz, est de considérer la structure internationale, et cela, dans cette région unique ou "plaque territoriale", signifie ne pas dépasser le mandat de la géopolitique et les équilibres nécessaires qu'elle exige des puissances, ce qui ne s'est pas produit et devient de plus en plus inquiétant.
*Alberto Hutschenreuter est titulaire d'un doctorat en relations internationales. Professeur à l'Instituto del Servicio Exterior de la Nación. Son dernier livre s'intitule Ni guerra ni paz, una ambigüedad inquietante, Editorial Almaluz, Buenos Aires, 2021.
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lundi, 07 mars 2022
Lorsque les Russes ont conquis la mer Noire
Histoire
Lorsque les Russes ont conquis la mer Noire
L'épopée du napolitain Don Giuseppe de Ribas y Boyonsin parmi les protagonistes des guerres avec les Turcs
par Mirko Tassone
Ex: https://www.barbadillo.it/103335-storia-quando-i-russi-conquistarono-il-mar-nero/
"Conquête de la forteresse d'Izmail par les troupes russes en décembre 1790 (huile de Mikhail Grachev,1953 - Musée naval de Saint-Pétersbourg)
Dans leur attaque contre l'Ukraine, les troupes russes concentrent une partie importante de leurs forces sur le front sud. C'est la zone où, selon de nombreux observateurs, se déroulent les batailles les plus sanglantes. En outre, la bande de terre qui fait face à la mer Noire est d'une valeur stratégique extraordinaire pour les deux parties. Pour les Ukrainiens, elle constitue le seul débouché sur la mer ; tandis que pour les Russes, elle représente la possibilité de réaffirmer l'hégémonie exercée sur la mer Noire depuis plus de deux siècles.
Le dernier tsar du Kremlin ne cache pas qu'il veut reprendre le contrôle d'une région qui fait l'objet de l'expansionnisme russe depuis la fin du XVIIe siècle, lorsque Pierre le Grand a commencé à caresser le rêve de donner à son empire naissant un débouché sur les mers chaudes. En 1696 - bien avant la paix de Nystadt (1721), par laquelle ils obtiennent de la Suède le contrôle de la Baltique - les Russes avaient déjà occupé la forteresse turque d'Azov. Cette étape a été suivie par la construction du port de Taganrog et d'une flotte pour garder la nouvelle colonie. Azov était destiné à être un avant-poste à partir duquel il serait possible de s'étendre par la suite.
En fait, le tsar a ensuite étayé ses revendications devant la Sublime Porte en occupant l'ancien khanat tatar de Crimée, protectorat ottoman depuis 1475. L'occupation a duré jusqu'en 1711, lorsque, engagés dans une guerre avec la Suède, les Russes ont dû tout rendre aux Ottomans. En 1736, sous le règne de l'impératrice Anne, les troupes tsaristes reviennent en Crimée, mais sont à nouveau contraintes de partir par le traité de Nyssa. C'est Catherine II qui s'assura du contrôle final du Khanat, pour qui la conquête de la Crimée faisait partie d'un plan beaucoup plus ambitieux : le "Projet grec", un programme d'expansion grandiose élaboré en 1780 par le secrétaire privé de l'impératrice, Alexandre Andreyevich Bezborodko. Le plan consistait à prendre les possessions européennes aux Turcs, à diviser les Balkans entre la Russie et l'Autriche et à créer un empire chrétien avec Constantinople comme capitale. L'idée a été favorisée par les résultats encourageants obtenus lors de la première guerre russo-turque, qui avait été déclenchée en 1768 par la décision du sultan Mustafa III de s'opposer à Catherine II qui, en violation des accords de 1739 empêchant la Russie de s'immiscer dans les affaires polonaises, avait placé son favori, Stanislaus Augustus Poniatowski, sur le trône de la Confédération polono-lituanienne.
Don Giuseppe de Ribas y Boyonsin
La fin du conflit
La guerre s'est terminée en 1774 par le traité de Kücük Kainarci, par lequel les Russes ont obtenu la possession des ports d'Azov, du détroit de Kerch et de la base de Taganrog, ainsi que le contrôle de l'estuaire du Dniepr et la reconnaissance de la neutralité de la Crimée. En 1777, Catherine décide de confier les provinces de Nouvelle Russie (Novorossiya) et d'Azov - les territoires correspondant à l'actuel sud-est de l'Ukraine - au gouvernement de l'un de ses nombreux amants : le comte Grigory Aleksandrovich Potëmkin. Entre 1778 et 1779, les nouvelles villes d'Ekaterinoslav, Cherson et Nikolaev ont été créées, avec des colons venus d'Allemagne, de Pologne, d'Italie, de Grèce, de Bulgarie et de Serbie. Conformément au "projet grec", la tsarine décrète en 1783 l'annexion de la Crimée, qui est suivie l'année suivante par la construction de la base navale de Sébastopol. Une autre pierre à l'édifice de la réalisation des aspirations russes s'est ajoutée, à partir de l'automne 1787, lorsque la Russie et l'Autriche ont uni leurs forces contre la Suède et les Ottomans. Déterminée à maintenir ses conquêtes et à en réaliser de nouvelles, Catherine confie le commandement de la deuxième guerre russo-turque à Potëmkin.
Au début, une tempête qui a dispersé leur flotte a forcé les Russes à se mettre sur la défensive. Profitant de leur supériorité momentanée en mer, les Turcs concentrent 42 navires dans l'estuaire du Dniepr et débarquent 5000 hommes pour attaquer la forteresse de Kinburn. Le siège, grâce à l'énergie déployée par le commandant de la forteresse, le comte Aleksandr Vasil'evic Suvorov, s'est avéré être un échec et les Turcs ont dû battre en retraite.
Bloquée par les rigueurs de l'hiver, la guerre reprend l'année suivante. Entre-temps, Potemkin (portrait) avait évincé Mordvinov et confié le commandement de la flotte de la mer Noire au prince Karl von Nassau-Ziegen qui, aidé du brigadier Panaiothos Alexiano et du père de l'US Navy, le contre-amiral John Paul Jones, a vaincu l'escadre navale dirigée par le kapudan (amiral) Hassan Pacha dans l'estuaire du Dniepr les 28 et 29 juin 1788. Le 10 juillet, les Russes engagent à nouveau la bataille près de l'île de Tendra, où l'escadron naval du contre-amiral comte Mark Voynovich met en déroute ce qui reste de la flotte ottomane. Ayant pris le contrôle de la mer, les Russes assiègent Očakov, sur l'estuaire du Dniepr.
Après une période d'étude, poussé par les rigueurs de l'hiver et le belliqueux général Alexandre Souvorov (potrait, ci-dessous), Potemkine lance son armée de 50 000 hommes à l'assaut en décembre 1788. La bataille a été un bain de sang. Au prix de 20 000 morts, les Russes ont réussi à prendre la forteresse, laissant plus de 30 000 Turcs sur le terrain. L'année suivante, la flotte d'un nouveau sultan dirigée par Pasha Hussein met le cap sur la Crimée.
Informé de la manœuvre, le nouveau commandant de l'escadron de Sébastopol, l'amiral Fedor Fedorovich Ushakov, engage la bataille dans le détroit de Kerch le 19 juillet 1790, où il remporte une brillante victoire. Entre-temps, les généraux de Catherine II avaient décidé de prendre pour cible toute la côte nord de la mer Noire, jusqu'à l'embouchure du Danube. Un objectif ambitieux, d'autant plus qu'ils auraient à affronter la formidable forteresse d'Izmail. Située sur la rive gauche de l'estuaire du Danube, la ville - aujourd'hui dans la région ukrainienne d'Odessa - a été fondée par les Génois au 12e siècle. Conquise par les Ottomans en 1484, elle a été modernisée par des ingénieurs français et allemands peu avant le début de la guerre. Protégé par des murs massifs, un fossé de 12 mètres de large sur 6 mètres de profondeur et sur un côté par le Danube, Izmail, avec ses 11 bastions défendus par 260 canons et 40.000 hommes, était considéré comme imprenable.
C'est à ce moment de l'histoire qu'entre en scène Don Giuseppe de Ribas y Boyonsin, un Napolitain qui a joué un rôle décisif dans la chute d'Izmail. De père espagnol et de mère irlandaise, il est né à l'ombre du Vésuve en 1749, où, à l'âge de 16 ans, il a rejoint la Garde napolitaine avec le grade de lieutenant. En 1769, à Livourne, il rencontre l'homme qui va changer sa vie : le commandant en chef de la marine russe, le comte Aleksei Orlov. Arrivé avec la flotte de la Baltique pour engager les navires du sultan en Méditerranée, Orlov est fasciné par le jeune Napolitain qui parle couramment six langues. Il décide d'en faire son assistant et son interprète. En 1770, de Ribas a pris part à la bataille de Cesme - la première bataille menée par des navires russes en Méditerranée - qui s'est soldée par une défaite écrasante de la flotte ottomane.
En 1772, nous le trouvons à Saint-Pétersbourg, sous le nom d'Osip Michajlovic Deribas. L'année suivante, il entre au service du nouveau favori de la tsarine, le comte Potëmkin, avec lequel il rejoint le sud de l'Ukraine pour prendre le commandement d'une escadre navale. En 1790, après avoir remporté plusieurs succès dans une série de raids contre des établissements turcs le long de la côte, de Ribas est chargé par Potëmkin de conquérir Izmal avec le comte Ivan Vasil'evic Gudóvic. Commencé en mars 1790, le siège a duré jusqu'en novembre lorsque, en vue de l'hiver, Gudovic (portrait, ci-dessous) a décidé de suspendre les opérations.
Cette nouvelle a mis Potemkin dans une colère noire et il a décidé de remplacer Gudovic par Souvorov. Lorsqu'il arrive à Izmail, le général convoque de Ribas et, avec lui, prépare le plan d'attaque. Le 21 décembre, il lance un ultimatum à la garnison. Après avoir reçu une réponse négative du commandant ottoman, Aydozle-Mehmet Pacha, à 3 heures du matin le 22 décembre, se déplace pour attaquer dans trois directions. Un rôle décisif a été joué par de Ribas lui-même qui, à la tête de 9000 hommes, a mené l'attaque au point le plus inaccessible des rives du Danube, là où les défenses étaient les plus faibles. L'assaut a désorienté les défenseurs qui ne s'attendaient pas à être attaqués dans ce secteur. Pour tenter de combler l'écart créé de ce côté, les Turcs ont dû déplacer une partie des troupes qui faisaient face aux 7500 hommes du général Pavel Potemikin sur l'aile ouest et aux 12.000 du général Samoilov sur l'aile est. À 16 heures, la bataille était terminée, la forteresse était tombée. Comme dans les sièges médiévaux, les vainqueurs étaient autorisés à piller pendant trois jours. C'est un massacre : les Turcs comptent plus de 26.000 morts et 9000 prisonniers.
Les Russes ont eu 1815 morts et 2445 blessés. L'année suivante, les Ottomans cherchent à se venger sur mer, mais les escadrons navals algériens, tunisiens et tripolitains sont mis en déroute dès qu'ils atteignent la mer Noire. Tout semblait aller dans le sens de l'accomplissement du "projet grec", si le spectre de la Révolution française ne planait pas sur l'Europe. Inquiet de la fureur révolutionnaire, l'empereur autrichien Léopold II signe la paix de Sistova (août 1791) par laquelle il rend aux Turcs la plupart de ses conquêtes. Privée de son allié autrichien, Catherine II doit signer le traité de Jassy (janvier 1792). La Russie obtient toutefois la place forte d'Ochakov, la côte nord de la mer Noire jusqu'à Dnestr et la reconnaissance de l'annexion de la Crimée, tandis qu'Izmail est rendu aux Turcs. Après trois cents ans de domination turque, la mer Noire est devenue un lac russe. Pour ses services, de Ribas se voit confier le commandement de la flotte de la mer Noire en 1791. En sa qualité d'amiral, en 1794, il propose à Catherine de construire Odessa. La nouvelle ville russe devait avoir un aspect nettement italien, mais c'est une autre histoire.
Mirko Tassone
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dimanche, 06 mars 2022
Sur la situation géopolitique dans les Caraïbes
Sur la situation géopolitique dans les Caraïbes
Leonid Savin
Source: https://www.geopolitica.ru/article/o-geopoliticheskom-polozhenii-v-karibskom-basseyne
La transformation des processus clés de la politique mondiale et l'intensification de l'action de la Russie en Amérique latine obligent à regarder de plus près la région située à proximité immédiate des États-Unis - les Caraïbes, qui sont un carrefour pour les intérêts de nombreuses grandes puissances.
La plupart des acteurs de la région sont de petits pays, même s'il existe des géants comme le Mexique et le Venezuela. Certains sont des clients des Etats-Unis, un certain nombre ont des politiques indépendantes et sont en bons termes avec la Russie. Mais la plupart préfèrent trouver un équilibre.
En raison de sa proximité avec les États-Unis, Washington a toujours accordé une attention particulière à la région. En 1983, alors que la guerre froide faisait encore rage, les États-Unis ont lancé l'Initiative du bassin des Caraïbes (ICB), qui est devenue la pierre angulaire de l'interaction économique entre les États-Unis et les Caraïbes.
L'idée était de fournir une aide économique à la région afin de faire des États de la région des satellites fiables. Il s'agissait d'une sorte de soft power visant à contrer toute influence de l'Union soviétique et de ses alliés, surtout de Cuba. Officiellement, comme aujourd'hui, elle était justifiée par la nécessité de promouvoir et de renforcer les démocraties des Caraïbes.
L'ICB se compose de deux programmes commerciaux destinés aux pays et territoires des Caraïbes et d'Amérique centrale : la loi sur la relance économique des Caraïbes (CBERA) et la loi sur le partenariat commercial des Caraïbes (CBTPA).
Aujourd'hui, l'ICB fournit des avantages à 17 pays dans le cadre de la CBERA, dont huit sont également bénéficiaires de la CBTPA. La CBERA est imprescriptible et la CBTPA a été re-prolongée par le Congrès américain jusqu'en 2030. Les États-Unis offrent aux pays des Caraïbes un accès favorable à leur marché, ainsi qu'une impulsion en faveur de réformes libéralisées.
En 2016, la loi sur l'engagement stratégique États-Unis-Caraïbes a été adoptée, qui vise à accroître l'engagement avec les gouvernements, le secteur privé et la société civile dans la région. Les États-Unis partent du principe qu'ils n'ont pas encore tiré suffisamment d'avantages des Caraïbes et vont identifier divers points focaux pour s'engager, c'est-à-dire accroître leur influence.
Les États-Unis sont le premier partenaire commercial des Caraïbes et, à leur tour, les Caraïbes sont le sixième partenaire commercial des États-Unis, avec 35,3 milliards de dollars passant entre eux chaque année. En 2017, la région était le troisième marché d'exportation américain de produits manufacturés en Amérique latine, après le Mexique et le Brésil.
Toutefois, en dehors de l'accord de libre-échange entre la République dominicaine et l'Amérique centrale (CAFTA-DR), les pays des Caraïbes ne disposent pas d'accords de libre-échange bilatéraux avec les États-Unis, n'ayant accès aux marchés américains que par le biais de l'ICB.
Présence militaire américaine
Les États-Unis restent le principal partenaire des Caraïbes en matière de coopération sécuritaire. La région abrite sept bases militaires américaines clés qui font partie du Commandement sud des États-Unis (SOUTHCOM), et la sécurité a été un élément central de la stratégie américaine dans les Caraïbes [i]. Les bases américaines actives en Amérique latine sont connues sous le nom de "Forward Operation Locations" (FOL) ou Cooperative Security Locations (CSL).
Ironiquement, l'une des bases est située à Cuba, dans la province de Guantanamo et représente en fait l'occupation illégale de la République depuis 1959. Le Honduras possède une base à Palmerola/Soto Cano, qui abrite environ 500 militaires américains + 600 entrepreneurs civils (dont des ressortissants honduriens).
Au Salvador, les avions de l'US Navy et de la Drug Enforcement utilisent l'aéroport international de Comalapa. La garnison qui s'y trouve fait partie du Joint Interagency Group basé à Key West, en Floride. Les îles de Curaçao et d'Aruba, qui sont des territoires d'outre-mer des Pays-Bas, ont rendu leurs territoires disponibles pour une présence militaire américaine.
L'armée américaine est assistée par les garde-côtes néerlandais. Une base militaire américaine existe à Antigua depuis la Seconde Guerre mondiale. L'US Air Force loue désormais le site au gouvernement d'Antigua. Aux Bahamas, il existe un centre pour tester les nouvelles armes sur l'île d'Andros. Il est associé à la marine américaine, mais d'autres membres de l'OTAN - Canada, Danemark, Allemagne, Grèce, Italie, Norvège, Grande-Bretagne - sont régulièrement présents sur le site. Enfin, l'armée américaine utilise régulièrement le port principal du Panama à Basco Núñez de Balboa pour le ravitaillement en carburant et le déchargement [ii].
Au large des côtes du Panama, l'armée américaine mène continuellement depuis 2003 des exercices militaires PANAMAX sous le prétexte de sécuriser le fonctionnement du canal. Il est intéressant de noter qu'aucune menace n'a jamais pesé sur le canal [iii].
La stratégie 2017-2027 de l'US SOUTHCOM indique que les défis potentiels futurs comprennent les réseaux de menaces transrégionaux et transnationaux qui incluent les organisations criminelles traditionnelles ainsi que la capacité croissante des organisations extrémistes telles que l'ISIL et le Hezbollah opérant dans la région, en utilisant les institutions faibles des Caraïbes et de l'Amérique latine. L'US SOUTHCOM note également que la région est "extrêmement vulnérable aux catastrophes naturelles et aux épidémies de maladies infectieuses" en raison des problèmes de gouvernance et d'inégalité.
Enfin, le rapport reconnaît la présence croissante de la Chine, de l'Iran et de la Russie dans la région et que les intentions de ces pays constituent "un défi pour toute nation qui valorise la non-agression, l'état de droit et le respect des droits de l'homme" [iv]. Ces préoccupations ont servi de prétexte pour renforcer les relations entre les États-Unis et les gouvernements de plusieurs pays de la région.
Dans ce cadre, l'Initiative de sécurité du bassin des Caraïbes (CBSI) est un partenariat de sécurité collaborative qui soutient la coopération en matière de lutte contre le trafic, de prévention du crime et d'initiatives de sécurité citoyenne.
Entre 2010 et 2018, le programme a dépensé plus de 556 millions de dollars. Le programme se concentre sur la coopération maritime et aérienne, le renforcement des capacités d'application de la loi, la sécurité des frontières et des ports, la réforme judiciaire et la prévention de la criminalité chez les jeunes à risque. Il implique le Bureau des affaires internationales de stupéfiants et de répression, le ministère de la Défense et l'Agence américaine pour le développement international.
Le rôle de la Chine, les intérêts de la Russie et d'autres pays
Fait important, entre 2002 et 2019, le commerce entre la région et la Chine a été multiplié par huit, passant de 1 à 8 milliards de dollars. Malgré l'existence du Forum de coopération économique et commerciale Chine-Caraïbes, les relations commerciales reposent essentiellement sur des accords bilatéraux, qui permettent à la Chine d'exporter principalement des produits manufacturés de grande valeur.
Le commerce sur les marchés chinois reste cependant largement unilatéral ; la CARICOM n'a pas d'accord d'accès préférentiel avec la Chine, qui a toujours un énorme excédent commercial dans la région. Grâce à sa présence croissante dans les Caraïbes, la Chine a de plus en plus attiré les partenaires commerciaux de longue date de Taïwan ces dernières années, alors même que Taïwan continue de proposer des accords de libre-échange bilatéraux dans le cadre d'une lutte d'influence.
Quatre des 15 pays qui reconnaissent Taïwan se trouvent dans les Caraïbes. Néanmoins, ces pays ont toujours un volume d'échanges nettement supérieur avec la Chine continentale, car Taïwan attire ses alliés dans la région principalement par le biais d'investissements et d'aides étrangères.
Le commerce entre le Mexique et les pays du CARICOM est également relativement insignifiant. Quant au Mexique, le commerce avec les Caraïbes représente moins de 0,1 % de son portefeuille de commerce international. Collectivement, les autres pays d'Amérique latine ont également des échanges minimes avec les pays du CARICOM : ces derniers ont exporté 2,2 milliards de dollars vers l'Amérique latine et importé 3 milliards de dollars de la région en 2019.
Le commerce entre les pays de la CARICOM et le Canada est également faible. Cette relation économique est régie par l'Accord commercial entre le Canada et les Caraïbes (CARIBCAN), qui accorde aux pays des Caraïbes un accès en franchise de droits au Canada de manière unilatérale dans le cadre d'une initiative similaire à l'ICB. Cependant, malgré de nombreuses négociations, les États des Caraïbes n'ont pas encore conclu d'accord de libre-échange officiel avec le Canada, comme ils l'ont fait avec l'Union européenne.
En 2008, le Forum des Caraïbes a signé l'accord de partenariat économique CARIFORUM-UE, donnant à chaque région un accès préférentiel à l'autre. L'Union européenne est le deuxième partenaire commercial du CARIFORUM après les États-Unis. Elle importe principalement du carburant et des produits miniers des Caraïbes.
En 2010, la Russie et le CARIFORUM ont signé un protocole d'accord et établi un mécanisme de dialogue politique et de coopération. Et ce cadre juridique d'engagement s'étend [v]. En 2013, la Russie a effacé 277.000 dollars de dette envers la Guyane, et en 2015, un accord a été signé pour restructurer la dette de la Grenade.
Lorsque la question de la Crimée a été examinée à l'ONU en 2014, évaluant le retour de la Crimée à la Russie, la plupart des États des Caraïbes ont adopté une position neutre. Ces États étaient Antigua-et-Barbuda, la Jamaïque, le Guyana, le Suriname, la République Dominicaine, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie et Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Peu de pays ont voté contre la Russie, parmi lesquels des pays traditionnellement pro-américains comme la Barbade, les Bahamas, Haïti et Trinité-et-Tobago [vi].
Depuis 2018, tous les pays des Caraïbes sont devenus exempts de visa pour les citoyens russes.
Le 27 juillet 2019, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lors d'une visite au Suriname, a noté l'intérêt des pays de la Communauté des Caraïbes à accroître la coopération et le dialogue politique avec Moscou : "Nous avons un intérêt mutuel à accroître la coopération, y compris le dialogue politique, entre les membres de la Communauté des Caraïbes et la Russie" [vii].
Selon l'ambassadeur russe en Guyane, Nikolay Smirnov, qui représente également notre pays à la Barbade, à Grenade, à Trinité-et-Tobago et à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, "les pays des Caraïbes soutiennent le concept de multipolarité avec un rôle de coordination pour l'ONU, la règle du droit international et le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États".
Et leurs voix ont un certain poids dans les arènes internationales, d'autant plus qu'ils adoptent souvent une position consolidée sur les grandes questions à l'ordre du jour international - qu'il s'agisse de la mise en œuvre des dispositions de l'Accord de Paris sur le climat, de la levée de l'embargo commercial et économique contre Cuba ou de la nécessité de résoudre la crise au Venezuela sans pression ni ingérence extérieures" [viii].
Dans la région, la Russie n'a une présence militaire conventionnelle qu'au Venezuela et au Nicaragua, avec des conseillers et des formateurs. Au Nicaragua, la Russie contribue également à la lutte contre le crime organisé, en particulier les tentatives d'utiliser le pays comme pays de transit pour les drogues.
La proximité de la région avec les États-Unis en fait une route majeure pour les activités illicites, notamment pour les organisations criminelles colombiennes et mexicaines qui coopèrent avec des groupes locaux pour le trafic de drogue dans les Caraïbes. Mais récemment, des cargaisons de drogue ont également été envoyées directement en Europe via des ports colombiens et brésiliens.
Le développement énergétique peut également présenter un certain intérêt. Seuls trois pays des Caraïbes - la Guyane, le Suriname et Trinité-et-Tobago - sont des exportateurs nets d'énergie, tandis que les autres dépendent fortement des importations de produits pétroliers [ix]. Trinité-et-Tobago est un important fournisseur d'énergie de la région, mais doit faire face à une baisse des revenus pétroliers en raison de la chute des prix mondiaux.
Le Guyana et le Suriname sont également sur le point de devenir des acteurs sérieux dans l'exploration des hydrocarbures dans la région, selon les données récentes des compagnies pétrolières internationales. Les réserves du bassin dit de la Guyana, dont la production a débuté en 2019, sont estimées à 10 milliards de barils, ce qui en fait l'hôte de l'un des 50 plus grands bassins pétroliers du monde.
La Guyane est membre du Commonwealth britannique et est le seul pays anglophone du continent. En outre, la Grande-Bretagne possède des territoires dans la région - Anguilla, les îles Vierges britanniques, les îles Caïmans et Montserrat font toutes partie des Petites Antilles, autrefois découvertes par Christophe Colomb et conquises par l'Espagne.
Trinité-et-Tobago est depuis longtemps le plus grand producteur de gaz naturel liquéfié (GNL) des Caraïbes et le sixième plus grand producteur de GNL au monde, ce qui en fait la seule nation insulaire de la région qui n'est pas un importateur net d'énergie.
Les Caraïbes sont également considérées comme ayant un énorme potentiel pour une transition énergétique verte, étant donné leur abondance de possibilités de production d'énergie solaire, éolienne, géothermique volcanique et (dans des circonstances limitées) marémotrice et hydroélectrique.
Il semble qu'une position plus active de la Russie dans la région, ainsi que sa participation à divers projets économiques et d'infrastructure, pourraient accroître le statut et le rôle de Moscou, et favoriser une nouvelle expansion de sa présence politique et même militaro-politique.
Notes:
[i] https://www.coha.org/the-u-s-militarys-presence-in-the-greater-caribbean-basin-more-a-matter-of-trade-strategy-and-ideology-than...
[ii] https://www.state.gov/wp-content/uploads/2019/12/WHA-US-Caribbean-2020-Report-web.pdf
[iii] https://www.navaltoday.com/2016/07/26/panamax-military-exercise-kicks-off/
[iv] https://web.archive.org/web/20170622051944/http://www.southcom.mil/Portals/7/Documents/USSOUTHCOM_Theater_Strategy_Final.pdf?ver...
[v] https://interaffairs.ru/news/show/23281
[vi] http://vestnik.bukep.ru/articles_pages/articles/2014/2014-4/Articles_362-365.pdf
[vii] http://caribbean-russia.com/frend
[viii] https://iz.ru/668332/nataliia-portiakova/kariby-i-rossiia-podderzhivaiut-kontceptciiu-mnogopoliarnosti
[ix] https://data.worldbank.org/indicator/EG.FEC.RNEW.ZS?locations=S3
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samedi, 05 mars 2022
Les vulnérabilités de la politique intérieure et extérieure des États-Unis
Les vulnérabilités de la politique intérieure et extérieure des États-Unis
Leonid Savin
Ex: https://www.geopolitica.ru/article/uyazvimosti-ssha-vo-vnutrenney-i-vneshney-politike
Le nouveau cycle de confrontation entre la Russie et l'Occident [i] nous oblige, nous Russes, à réfléchir à la manière d'infliger des dommages à nos adversaires sans recourir à un conflit armé. Le principal instigateur de la campagne anti-russe étant les États-Unis, il est logique de prendre en compte les faiblesses de cet État afin de les exploiter au niveau géopolitique mondial.
Certains problèmes aux États-Unis n'ont rien à voir avec un programme international et reflètent des luttes politiques internes et une dégradation générale de la culture politique. Par exemple, la tendance à la LGBTQisation de la société américaine a atteint un tel sommet que les autorités publiques de ce pays qualifient déjà les mots "Maman" et "Papa" d'offensants, ce qui est bien sûr perçu comme des actions inacceptables par la partie conservatrice de la société [ii].
La bataille entre les partisans des valeurs traditionnelles et les pervers de tous poils se poursuit dans les branches législatives et judiciaires des différents États. Les républicains exploitent cette question pour prendre leur revanche lors des élections de mi-mandat au Congrès américain. La polarisation pourrait en outre conduire à la radicalisation d'un certain nombre de mouvements sociaux, dont beaucoup représentent des organisations militarisées. Cela a le potentiel d'ouvrir un conflit armé au sein du pays selon des lignes idéologiques.
L'économie américaine n'est pas non plus en très bonne santé. En décembre dernier encore, l'inflation des prix à la consommation s'élevait à 6,8 %, le taux le plus rapide depuis quatre décennies. L'inflation a déjà atteint un niveau record sur plusieurs années et le pays connaît également une bulle boursière et immobilière causée par les achats excessifs d'obligations par la Réserve fédérale.
L'économiste de renom Desmond Lachman, qui a précédemment travaillé au FMI, a souligné que "la dernière chose dont M. Biden a besoin avant les élections de mi-mandat de cette année, c'est que les bulles boursières et immobilières américaines éclatent. Néanmoins, c'est exactement ce qui pourrait se produire si la Fed est effectivement obligée de relever les taux d'intérêt pour tuer le dragon inflationniste auquel les prix élevés du pétrole donnent maintenant un nouvel élan.
Cela semble particulièrement pertinent étant donné que les bulles du marché boursier et du marché immobilier ont été fondées sur l'hypothèse que les taux d'intérêt resteraient éternellement à leurs niveaux actuels ultra-bas" [iii].
Étant donné qu'il est peu probable que la situation entre la Russie et l'Ukraine soit résolue de sitôt, il y a de fortes chances que les prix du pétrole restent élevés dans un avenir prévisible, surtout si des sanctions sont imposées au secteur pétrolier russe. Cela ne laisserait guère d'autre choix à la Réserve fédérale que de freiner sa politique monétaire pour éviter que les attentes d'inflation nationales ne s'atténuent [iv].
Le gouvernement Biden a également été sévèrement critiqué pour le fait que les nouvelles lois relatives à l'allocation budgétaire pour contenir la Chine et soutenir le Pentagone détourneront des dizaines de milliards de dollars de l'éducation, des soins de santé et d'autres objectifs sociaux [v].
Les différends territoriaux des États-Unis avec leurs voisins peuvent également constituer un moyen efficace de détourner l'attention et de semer la confusion dans les partenariats au sein des membres de l'OTAN.
Si l'adage bien connu veut que les États-Unis n'aient que le Mexique et le poisson parmi leurs voisins, le Canada représente précisément le genre de cas où il existe des précédents en matière de conflits territoriaux. Et la dégradation économique pourrait exacerber ces tensions, car les zones revendiquées par les deux États présentent un intérêt pour les poissons et les fruits de mer et contiennent également d'importantes ressources énergétiques.
En tout, il y a cinq zones maritimes où le Canada et les États-Unis sont en désaccord sur leur propriété. La détérioration des relations entre les pays pourrait être précisément due à ceux-ci.
La première zone contestée est le détroit de Juan de Fuca, qui sépare l'île de Vancouver en Colombie-Britannique, au Canada, de la péninsule abritant l'Olympic National Park dans l'État de Washington, aux États-Unis. La frontière entre les deux pays passe en plein milieu du détroit. Les deux pays conviennent que la frontière doit être équidistante. Mais chaque côté utilise des points de base légèrement différents, ce qui entraîne de légères différences dans la ligne frontalière.
De plus, le gouvernement de la Colombie-Britannique a rejeté les frontières canadiennes et américaines, ainsi que tout le principe d'équidistance. Il affirme le principe de la continuation naturelle, en déclarant que la limite appropriée est le canyon sous-marin (également appelé Juan de Fuca). Cette approche est favorable à la Colombie-Britannique, mais le gouvernement canadien n'est pas disposé à abandonner le principe d'équidistance, ce qui pourrait lui coûter cher dans d'autres domaines.
Le contraire est vrai à l'entrée de Dixon. Au nord de celle-ci se trouve l'île du Prince de Galles. Malgré son nom royal, l'île fait partie des États-Unis. Au sud de Dixon Inlet se trouve l'archipel canadien de Haida Gwaii, connu jusqu'en 2010 sous le nom d'îles de la Reine-Charlotte.
Les eaux qui les séparent sont riches en poissons, attirant les prédateurs, les albatros et, bien sûr, les humains. Il est intéressant de noter que le conflit actuel trouve ses racines dans une confrontation entre l'Empire russe et la Grande-Bretagne. La frontière actuelle entre l'Alaska et le Canada correspond au traité de Saint-Pétersbourg de 1825. Cet accord entre la Russie et la Grande-Bretagne a tracé une ligne entre les intérêts des deux pays dans le nord-ouest de l'Amérique du Nord. Elle établit 54°40' de latitude nord comme limite sud de l'Amérique russe.
Le différend a ensuite été réglé par arbitrage international en 1903. La frontière terrestre actuelle se situe à 35 miles (56 km) à l'est de l'endroit où l'océan rencontre la côte, à mi-chemin entre les lignes revendiquées par les deux parties.
Les Canadiens, cependant, étaient mécontents. Si la frontière avait été légèrement plus en leur faveur, ils auraient eu un accès maritime direct aux champs aurifères du Yukon. Le tribunal arbitral a également défini la frontière maritime de l'Alaska avec le Canada. La ligne dite A-B partait du cap Muzon, le point le plus au sud de l'île Dalles, la plus méridionale de l'Alaska, vers l'est jusqu'au continent. Cela a laissé la majeure partie de l'entrée de Dixon du côté canadien de la ligne.
Mais les Américains ont vu les choses différemment. Ils pensaient que la ligne A-B concernait la frontière terrestre ; la frontière maritime passait bien au sud de cette ligne. Cela a coupé l'entrée de Dixon en deux : la partie nord menant aux États-Unis, la partie sud au Canada.
Ces opinions sont toujours défendues par les deux gouvernements à ce jour. L'une des raisons pour lesquelles cette question est si difficile à résoudre est le saumon du Pacifique présent dans la région, qui va y frayer chaque année.
Relativement récemment, dans les années 1990, la concurrence entre les pêcheurs canadiens et américains dans la région a dégénéré en une "guerre du saumon", les deux parties arrêtant occasionnellement les équipages de l'autre. La situation a atteint son paroxysme en 1997, lorsque des pêcheurs canadiens ont bloqué un ferry de l'Alaska, retenant effectivement ses passagers en otage pendant trois jours. Aujourd'hui, la situation est moins tendue. Mais le problème sous-jacent n'a toujours pas été résolu.
Dans la mer de Beaufort, il existe également une zone cunéiforme contestée au nord de l'endroit où la frontière entre l'Alaska et le territoire du Yukon atteint la mer. Cette frontière terrestre suit le 141e méridien ouest, comme convenu dans le traité de Saint-Pétersbourg de 1825 entre la Russie et la Grande-Bretagne.
Le Canada soutient que cette ligne doit être suivie à 200 milles nautiques (370 km) au nord dans la mer, et qu'il s'agit là de la frontière maritime. Mais les États-Unis soutiennent que la frontière maritime devrait être perpendiculaire à la ligne de côte lorsqu'elle entre dans la mer. La différence est une superficie d'environ 8100 miles carrés (21.000 kilomètres carrés).
La dispute porte sur d'importantes réserves de pétrole et de gaz cachées sous la glace et l'eau. Selon l'Office national de l'énergie du Canada, le biseau pourrait contenir jusqu'à 1,7 milliard de mètres cubes de gaz et 1 milliard de mètres cubes de pétrole, soit suffisamment pour répondre aux besoins énergétiques du pays pendant de nombreuses années. Et ces réserves pourraient devenir plus accessibles dans quelques années, lorsque la glace reculera en raison du changement climatique.
Ensuite, il y a le passage du Nord-Ouest, représentant une route à travers divers canaux dans le vaste archipel du Nord, qui est bloqué par la glace depuis de nombreux mois. Au cours des dernières décennies, le changement climatique et la réduction de la glace de mer qui en résulte ont rendu les canaux du nord du Canada plus navigables. En 2007, un navire commercial a accompli le voyage sans l'aide d'un brise-glace, ce qui est une première.
Si la route du nord pouvait laisser passer les superpétroliers et autres navires trop grands pour le canal de Panama, cela réduirait considérablement leur seule option actuelle : un voyage autour du Cap Horn, à la pointe sud de l'Amérique du Sud. Comme la température globale de la Terre continue à augmenter, le passage du Nord-Ouest deviendra de plus en plus navigable, ne serait-ce qu'en été. Cela signifie que le différend territorial sur le passage du Nord-Ouest risque d'éclater à nouveau.
Pour le Canada, le problème est assez clair : toute voie navigable potentielle s'ouvrant à la navigation internationale passerait par les eaux canadiennes sur lesquelles le pays exerce une souveraineté totale, ce qui signifie que le Canada peut accorder l'accès ou facturer des frais de passage comme il l'entend.
Cependant, les États-Unis et plusieurs autres pays soutiennent qu'un passage du Nord-Ouest viable et de jure serait un détroit international ouvert au passage en transit sans restriction ni compensation.
En 1969, le pétrolier américain SS Manhattan a effectué le passage sans demander l'autorisation préalable des Canadiens. Pour donner suite, le brise-glace Polar Sea de la Garde côtière américaine a fait de même en 1985. Bien que ce dernier ait été autorisé à être inspecté par la Garde côtière canadienne, l'opinion publique canadienne est devenue furieuse et un scandale diplomatique a éclaté.
En 1986, le Canada a réaffirmé sa souveraineté sur le passage du Nord-Ouest, une revendication que les États-Unis ont refusé de reconnaître. Pour désamorcer la situation, les deux pays ont signé en 1988 un accord de coopération dans l'Arctique qui n'abordait pas la question de la souveraineté en tant que telle mais clarifiait certaines questions pratiques.
Selon le droit de la mer, les navires en transit n'ont pas besoin d'un permis de passage, mais ils ne peuvent pas se livrer à des recherches. L'accord partait du principe que les navires de l'US Coast Guard et de l'US Navy seraient toujours considérés comme effectuant des recherches, et qu'un permis de transit devrait donc toujours être demandé.
Le traité est resté en vigueur pendant environ dix ans. Fin 2005, des photos de l'USS Charlotte au pôle Nord ont été publiées. Bien sûr, personne n'a demandé au Canada la permission de passer. La réponse du Canada a été qu'il a décidé de ne plus utiliser le terme "passage du Nord-Ouest" et a désigné la zone comme "eaux intérieures du Canada".
Les États-Unis, en revanche, s'en tiennent à leur interprétation du droit international et se réservent le droit de considérer les eaux intérieures du Canada comme des eaux internationales. Incidemment, c'est aussi la position qu'ils défendent sur la mer de Chine méridionale et d'autres zones revendiquées par d'autres pays, en l'appelant "le droit à la libre navigation".
Un autre point de conflit est l'île aux phoques de Machias (photo), au large des côtes du Maine. Elle se trouve à moins de 10 miles des côtes du Maine. Les Canadiens y ont établi leur présence sous couvert de travailler comme gardiens de phare. Les États-Unis, en revanche, la considèrent comme leur propriété. En 2002, le Canada a autorisé ses pêcheurs à y pêcher en été, ce qui a entraîné un conflit direct avec les pêcheurs du Maine.
Les droits des Indiens, y compris les demandes d'indemnisation, la possibilité de sécession du Texas et la montée du sentiment séparatiste dans les États riches (cela s'est déjà produit en Californie pendant la Grande Dépression, lorsque le gouvernement de l'État a imposé une interdiction d'entrée et l'a même entourée d'une clôture en fil de fer barbelé) sont également des cas intéressants qui ne peuvent être écartés. Enfin, l'énorme population hispanique, qui augmente rapidement, surtout dans le sud. Un rappel de l'annexion de certaines parties du Mexique par les États-Unis serait le bienvenu au sein de la communauté latino-américaine.
Notes:
[i] https://russtrat.ru/analytics/26-fevralya-2022-0010-8991
[ii] https://c-fam.org/friday_fax/biden-admin-says-mother-and-father-are-offensive/
[iii] https://www.19fortyfive.com/2021/12/americas-growing-inflation-problem-who-is-to-blame/
[iv] https://www.19fortyfive.com/2022/02/joe-bidens-next-economic-nightmare-an-oil-price-shock/
[v] https://fpif.org/the-u-s-competes-with-china-at-what-cost/
19:34 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, canada, états-unis, vancouver, maine, passage du nord-ouest, géopolitique, politique internationale, amérique du nord, océan arctique, océan pacifique, pêche, richesses halieutiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
vendredi, 04 mars 2022
Le grand dessein de la Moscovie post-soviétique et les prémisses culturelles du poutinisme
L'Ukraine, un Non-Etat ? La Russie, une succession d’Empires ? La démocratie, un ennemi mortel de l’Etat russe ?
Le grand dessein de la Moscovie post-soviétique et les prémisses culturelles du poutinisme
Irnerio Seminatore
Depuis la guerre de Tchéchénie et celle de Géorgie, les théories sur l'empire ont cessées d'être marginales dans l'historiographie de la Russie post-soviétique
Elles constituent en revanche le terreau culturel des "silovikis", les anciens du KGB, devenus les décideurs de l'Etat actuel. Ces conceptions se résument à un cadre conceptuel selon lequel l'Etat russe est un Etat-civilisation et l'histoire de la Russie, depuis l'époque païenne, est une succession d'empires, ceux de Kiev-Novgorod, de la Moscovie, des Romanov et de Staline, pour lesquels la démocratie et le libre débat sont des ennemis mortels (Prokhanov).
A la base de l'invasion de l'Ukraine il y a l'idée que la liberté mène à l'anarchie et aux coups d'Etats (Maïdan) et que ceux-ci conduisent, par l'intervention de l'étranger (hégémon ,Otan, UE), au démembrement de l'Etat russe et à une menace vitale pour son existence (missiles rapprochés) .
La réévaluation de Staline et de son génie, fut celle d'avoir sauvé l'Etat, par remise en selle de l'autocratie, contre la folie démocratique généralisée, imputée aux bolchéviques, coupables d'avoir établi un pouvoir collégial au sommet de l'Etat.
Le "poutinisme", dans un contexte marqué par ce révisionnisme post-soviétique, est une lecture de la réalité internationale dans laquelle l'Ukraine est un non-Etat et un bras armé de l'étranger et ce dernier se rapproche sournoisement par vagues successives (par les élargissements de l'Otan), dans le but d'anéantir la Russie.
Dans ce cadre, l'Europe occidentale, impuissante, puisque subalterne de l'Amérique, ne peut apporter de solutions à la fissuration induite par l'Occident, à cause de l'inexistence d'une politique étrangère autonome et par la dissociation de l'unité indispensable (Raymond Aron) du "verbe diplomatique et de l'action militaire".
Dissociation qui conduit tout droit à un pouvoir désarmé (Macron) et à une politique internationale posée comme "politique des valeurs" (UE).
Dans une situation internationale où la position des Etats ne correspond plus aux principes juridiques de l'indépendance et de la souveraineté, en raison surtout des nouveaux systèmes d'armes et, du point de vue du système international, en raison de l'existence d'alliances intégratives à vocation régionale, la mutation des régimes politiques ne peut conduire au revirement des alliances et des engagements de sécurité que si elle est suscitée ou soutenue de l'extérieur par le leader du système (les Etats-Unis d'Amérique). Tel est le cas de l'Ukraine.
Dans de pareilles situations les jeux d'influences sont démultipliés et les politiques d'aide, d'amitié et de coopération recouvrent en réalité des projets stratégiques de déstabilisation (des différents types de révolution de couleur et des interventions diverses, ouvertes ou sournoises)
Or, sur la scène mondiale, la communauté internationale représente idéologiquement le pendant des Etats, qui ne sont jamais complètement autonomes. En sa forme et en sa structure, la communauté internationale (onusienne et multilatéraliste), à la recherche d'un ordre stable, se plie à la cohérence du système hégémonisé par le pouvoir dominant (l'Amérique), donc "la compétition s'organise en fonction du conflit" (Raymond Aron).
Ainsi le noyau et le centre de rassemblement d'autres Etats, comme lieu de compétition entre hégémonies, américaines et russes, devient non seulement l'Ukraine, mais l'espace occidental tout entier, le "Rimland" européen (Europe de l'Ouest et de l'Est). L'enjeu n'est plus seulement régional, mais mondial; pire, multipolaire et systémique.
Or le pari historique pris par la Russie avec l'invasion de l'Ukraine, lui impose de ne pas subir une défaite, car elle perdrait alors, non seulement vis à vis de l'Occident, mais du monde entier et, en particulier, de l'Orient chinois et serait déclassée dans la hiérarchie de la "Triade" et des puissances du système international dans son ensemble.
Dans cette hypothèse et en termes de pur pouvoir politique, imposé par l'issue du conflit, Poutine et le poutinisme sortiraient de l'histoire et laisseraient la place à l'Empire du milieu renaissant.
Selon des observateurs désenchantés, par son invasion de l'Ukraine, la Russie ferait davantage, pour l'unité de l'Europe et de l'Union Européenne , en termes de blâmes et d'acrimonie anti-américaine, que la multiplicité des Sommets et des déclarations multilatéralistes des institutions "démocratiques". Des manifestations de rues, en rajouteraient, aussi bien à l'intérieur de la Russie, qu'à l'extérieur.
Assisterions nous ainsi, avec "l'opération spéciale" lancé contre un pays-frère mais asservis à Hégémon, à la renaissance de la "Doctrine Medvedev" sur la sécurité européenne de 2008 à Berlin, visant à faire contrepoids à l'Otan, dans un espace eurasien intégré, à l'image du vieux Pacte de Varsovie défunt?
Cela serait alors le "début véritable de reconstitution de l'Union Russe, c'est à dire de l'Etat civilisationnel, qui à différentes périodes de son histoire, s'est appelé grande principauté de Moscou, royaume de Moscou, empire de Russie et Union Soviétique"? Comme l’a rappelé Poutine à la Conférence de Munich en 2007 (photo, ci-dessus), les bases d'un rassemblement anti-hégémonique, porté par le vent de l'histoire, étaient déjà là, mais devaient encore être coordonnés et démultipliés, composés de plusieurs axes fondamentaux, idéologique, diplomatico-stratégique et militaire".
Axe idéologique, car l'Occident aurait perdu le leadership intellectuel et moral. Axe diplomatico -stratégique, car la puissance américaine est un obstacle au plein épanouissement des potentialités eurasiennes du continent, rapprochant l'Est et l'Ouest. Axe militaire, puisque "le parapluie américain sur l'Europe se serait effondré". Puisque "l'Atlantisme a vécu, selon Medvedev, nous devons parler d'unité au sein de tout l'espace euro-atlantique de Vancouver à Vladivostok(2008)", mais au nom "des intérêts nationaux" et non des alliances ou des blocs. Au cas où cette proposition aurait été acceptée, la "solidarité européenne » aurait volé en éclat et la Russie se serait retrouvée au coeur du dispositif de sécurité européen, en symétrie du pouvoir chinois dans l'Asie-Pacifique.
Plus d'un chef d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne pense aujourd'hui que l'opération spéciale consistant à décapiter politiquement l'Ukraine, vise ce même objectif, bien que les Européens portent une partie des responsabilité pour ne pas avoir entendu ni satisfait les revendications de sécurité de la Russie, depuis l'effondrement de l'Urss. Ainsi, derrière la crise de l'Ukraine, le test de la sécurité européenne a pour objectif la relation entre la Russie et l'Allemagne et de façon plus large, le bras de fer mondial entre le multilatéralisme occidental et le multipolarisme eurasiatique, autrement dit la forme de gouvernement démocratique et la forme autocratique.
Bruxelles le 27 février 2022
20:17 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, europe, affaires européennes, vladimir poutine, politique internationale, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Finlandisation de l'Ukraine ? - Deux points de vue de l'Autriche neutre
Finlandisation de l'Ukraine ?
Deux points de vue de l'Autriche neutre
Erich Körner-Lakatos & Bernhard Tomaschitz
Source : https://zurzeit.at/index.php/ploetzlich-ist-fuer-selenskij-eine-neutralitaet-der-ukraine-denkbar/ & https://zurzeit.at/index.php/kommt-es-zur-finnlandisierung-der-ukraine/
Va-t-on vers une finlandisation de l'Ukraine?
Erich Körner-Lakatos
Neutralité et renonciation à l'adhésion à l'OTAN : une alternative envisageable
Au vu de la situation en Ukraine, on parle ces derniers jours de la possibilité que le pays situé sur le Dniepr renonce à l'avenir à adhérer à l'OTAN et devienne un Etat durablement neutre. Des signes en ce sens sont même apparus dans la bouche du président Volodymyr Zelenski (soit dit en passant, le prénom Volodymyr signifie Vladimir ; Zelenski et son adversaire Poutine partagent donc au moins le même prénom). Avant cela, Emmanuel Macron avait déjà évoqué le terme de finlandisation, car la Finlande et l'Ukraine sont tout à fait comparables d'un point de vue géographique : les deux pays ont une longue frontière avec leur voisin oriental, la Russie, qui est militairement surpuissante.
En d'autres termes, la finlandisation signifie que le petit voisin ne peut affirmer son indépendance limitée que si sa neutralité présente une caractéristique particulière, à savoir un déséquilibre en faveur de la Russie. Un autre parallèle saute aux yeux : la Finlande et l'Ukraine ont longtemps fait partie de la Russie des Tsars, l'Ukraine en sa totalité en fit même partie après le pays nordique, et, dans ses frontières actuelles pendant la seule période de domination communiste. Les deux pays n'ont pu obtenir leur indépendance étatique que pendant une période de faiblesse de la Russie.
Pour comprendre ce que signifie la finlandisation pour la future Ukraine, il est nécessaire de se pencher sur l'histoire de la Finlande pendant qu'a germé le processus qui a donné, in fine, cette forme particulière de neutralité.
Comme on le sait, la Finlande faisait partie de la sphère d'intérêt soviétique en vertu du protocole additionnel secret du pacte Molotov-Ribbentrop signé en août 1939. C'est pourquoi les troupes soviétiques ont envahi les trois États baltes, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, sans rencontrer de résistance. Il en fut autrement en Finlande : pendant la guerre dite de l'hiver 1939/40, l'armée finlandaise, relativement petite, remporte des succès défensifs et met à mal l'Armée rouge, affaiblie par les purges de Staline. Ce n'est qu'au bout de six mois que la supériorité de Moscou se fait sentir et qu'Helsinki doit demander un armistice et subir des pertes territoriales, tout en étant épargnée par l'occupation.
La situation est similaire après la guerre dite "de Continuation" qui rangea la Finlande du côté allemand dans le cadre de l'entreprise Barbarossa. En 1944, la Finlande n'est pas non plus occupée, mais commence alors une période qui durera jusqu'à l'effondrement de l'Union soviétique et qui est connue sous le nom de finlandisation, c'est-à-dire de prise en compte particulière des sentiments et des souhaits de Moscou.
Sous les présidences de Juho Paasikivi (1946-1956) et d'Urho Kekkonen (1956-1981), la Finlande a plutôt le statut de vassal de l'Union soviétique, du moins en politique étrangère. Kekkonen, qui appartient au parti paysan du centre et gouverne de manière presque dictatoriale, fait participer les communistes finlandais au gouvernement. On murmure même que Kekkonen a travaillé pendant des années pour les services secrets soviétiques, le KGB.
L'obéissance anticipée d'Helsinki est frappante. Lorsque la télévision suédoise diffuse un film basé sur la nouvelle d'Alexandre Soljenitsyne Un jour dans la vie d'Ivan Denissovitch, la Finlande coupe les émetteurs des îles Åland (un groupe d'îles dans le golfe de Botnie entre la Suède et la Finlande) parce que le bureau de la censure d'Helsinki interdit le film car il est considéré comme hostile aux Soviétiques. Le roman L'Archipel du Goulag, également écrit par Soljenitsyne, ne peut pas être publié en finnois - le chef de l'État Kekkonen s'y oppose. Par crainte d'effrayer Moscou.
Les manuels scolaires ne doivent rien contenir qui puisse fâcher les amis russes (les deux pays ont signé un traité d'amitié en 1948). Même la vie culturelle est soumise à une censure sévère : les acteurs et les artistes de cabaret qui se permettent de faire de petites blagues sur le voisin de l'Est n'obtiennent plus de rôles.
Leonid Brejnev et son Politburo vieillissant se réjouissent d'autant plus des quelque mille manifestations festives organisées en Finlande en 1970. L'occasion en est le retour du centenaire de la naissance de Vladimir Ilitch Lénine, le fondateur de l'Union soviétique.
D'autre part, entre 1945 et 1979, l'économie finlandaise connaît un essor fulgurant, basé sur l'économie de marché occidentale. On se transforme pour le voisin de l'Est en une sorte d'épicerie fine, qui profite certes en premier lieu à la nomenklatura, c'est-à-dire à la classe des fonctionnaires du PC soviétique.
En ce qui concerne l'Ukraine, une neutralité à la finlandaise serait un moindre mal. D'autres scénarios - un État vassal à la manière de la Biélorussie, voire une incorporation totale dans la Fédération de Russie - ne sont probablement pas du goût des citoyens ukrainiens.
***
Soudain, la neutralité de l'Ukraine est envisageable pour Zelensky
Dr. Bernhard Tomaschitz
Un statut de neutralité aurait permis à l'Ukraine d'éviter la guerre avec la Russie
Dans le cadre de l'opération militaire lancée par la Russie en Ukraine, les troupes russes ont désormais atteint la capitale Kiev. Face au désespoir de sa propre situation, le président ukrainien Volodimir Zelensky est manifestement en train de changer d'avis.
Dans un message vidéo diffusé sur Telegram, Zelensky a déclaré qu'il était prêt à discuter d'un statut de neutralité pour l'Ukraine: "Nous n'avons pas peur de la Russie, nous n'avons pas peur de parler avec la Russie, de parler de tout : des garanties de sécurité pour notre pays et un statut de neutralité". Si l'Ukraine avait négocié plus tôt un statut de neutralité avec la Russie ou avait déclaré sa neutralité de son propre chef au lieu de se laisser entraîner dans le sillage de la politique hégémonique américaine, le pays aurait évité bien des désagréments. Notamment la guerre actuelle avec son puissant voisin de l'Est.
En outre, Zelenskij s'est plaint de ce qu'il considère comme un manque de solidarité de la part de l'OTAN : "Nous sommes livrés à nous-mêmes. Qui est prêt à partir en guerre pour nous ? Honnêtement, je ne vois personne. Qui est prêt à donner des garanties à l'Ukraine pour qu'elle devienne membre de l'OTAN ? Franchement, tout le monde a peur".
Pour les États-Unis, l'Ukraine, qui a été réarmée et qui devait se rapprocher de l'OTAN, était un instrument important pour parfaire l'endiguement de la Russie. Mais dans la situation actuelle, les pays de l'OTAN ne sont pas prêts à envoyer des soldats dans ce pays non-membre, pour des raisons compréhensibles. En ces heures amères, l'Ukraine et son président Zelenski doivent se rendre compte qu'ils ont été des pions dans le jeu des États-Unis.
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jeudi, 03 mars 2022
Géopolitique d'un échec
Géopolitique d'un échec
par Stefano De Rosa
Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/geopolitica-di-un-fallimento
Au lieu de justifier une critique à sens unique contre la Russie, les événements de guerre en Ukraine devraient surtout interpeler l'Union européenne sur sa fonction politique, laquelle est inexistante, et sur sa subordination aux États-Unis et à l'OTAN
Au cours de l'été 2008, l'actualité internationale et la diplomatie du monde entier ont été monopolisées par la crise russo-géorgienne. Presque tous les commentateurs et décideurs politiques ont traité les événements caucasiens selon la distinction habituelle entre "bons" et "mauvais", plaçant la Géorgie, l'OTAN, les États-Unis et l'UE parmi les premiers et la Russie, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud parmi les seconds.
L'affaire présentait des analogies avec la question du Kosovo, une région serbe à majorité albanaise qui, une décennie plus tôt, a jugé bon de se séparer de la Serbie, faisant valoir un droit fondé sur l'autodétermination des peuples et donnant naissance à une nation artificielle. Chacun se souvient de la façon dont l'Occident - avec sa logique coloniale du XIXe siècle - s'est comporté face à la réaction légitime de Belgrade qui, voulant préserver son intégrité territoriale, ne pouvait tolérer le séparatisme islamo-kosovar.
L'OTAN, composée d'États membres dans un but de défense mutuelle, a bombardé un État souverain - la Serbie - sans que cet Etat n'ait menacé l'un de ses membres. Pour la première fois, l'Alliance atlantique est intervenue dans une guerre civile sans mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, inaugurant ainsi une nouvelle ère dans les relations internationales, dans laquelle le "droit d'ingérence" était justifié par la défense de la démocratie, des minorités et des droits de l'homme.
Un critère refusé, par exemple, aux Serbes de Bosnie (quelques années plus tôt), aux Kurdes ou au Tibet, au nom de la (prétendue) intangibilité des frontières. Cette guerre - une monstruosité juridique avalisée, de surcroît, en Italie par le gouvernement D'Alema - s'est révélée être un dangereux précédent historique, dont la légitimité a été contestée par de larges couches de l'opinion publique internationale et, de manière significative, par la Russie elle-même.
Plus de neuf ans plus tard, les camps des acteurs se sont inversés: c'est la Russie, alliée traditionnelle de la Serbie, qui a bénéficié politiquement de l'indépendance vis-à-vis de la Géorgie des deux petites républiques ethniques caucasiennes, désireuses d'entrer dans la sphère d'influence et la protection militaire du Kremlin. Pourquoi la Russie aurait-elle fait fi en 2008 du principe d'autodétermination (si cher au président Wilson en 1919) alors qu'en 1999, son exercice était garanti aux Kosovars avec la précieuse contribution de l'uranium appauvri des bombes lancées sur Belgrade ?
Cela n'a pas eu pour résultat le bombardement de Moscou par l'OTAN en 2008. De toute évidence, l'intangibilité des frontières était considérée comme un principe élastique à adapter au potentiel atomique ou au droit de veto à l'ONU du "mauvais" pays. Les récurrences de l'histoire (et parfois de la géographie) se sont répétées au cours de l'hiver 2022 en Ukraine. Les revendications des républiques autoproclamées de Donetsk et Luhansk dans le Donbass reconnues par Moscou étaient similaires à celles des républiques ethniques de Géorgie en 2008 et similaires aussi avec celles du Kosovo en 1999: les raisons invoquées étaient linguistiques, culturelles et religieuses pour justifier un détachement légitime (malgré une application intermittente du principe d'autodétermination des peuples) d'avec l'État auquel elles appartiennent.
Plutôt que de se diviser, de se demander si les craintes de la Russie sont fondées et si les raisons de son action militaire sur le territoire ukrainien sont justifiées, il serait plus constructif de se demander quelle est la fonction actuelle de l'Union européenne et si, dans cette affaire, elle n'a pas manqué une nouvelle occasion de se libérer de la protection des États-Unis, d'un point de vue énergétique et militaire, et de se différencier de l'OTAN, d'un point de vue politico-international. Une approche géopolitique à long terme pourrait peut-être offrir des éléments pour une meilleure compréhension prospective des événements et nous permettre d'échapper au joug d'une propagande narrative banalisée et à sens unique.
À cet égard, la théorie organique de l'État élaborée en 1897 par Friedrich Ratzel peut venir à la rescousse. Il considère l'entité étatique comme un organisme vivant et, en tant que tel, ayant tendance à s'étendre, à acquérir de nouveaux espaces également par le biais de fusions entre États et à lutter pour la conquête de son espace vital (le Lebensraum, l'espace géographique dont il a besoin pour vivre). Selon Ratzel, ce sont les batailles et les conflits, et non les accords, qui régissent les relations entre les États.
À la mort de Ratzel en 1904, Sir Halford Mackinder (photo), dans un discours célèbre à Londres, a parlé du "pivot géographique de l'Histoire", le Heartland, le cœur eurasien de la Terre. Le géographe anglais a appelé cette région l'île du monde, dominée par le Heartland. Mackinder a écrit en 1919 : "Celui qui dirige l'Europe de l'Est dirige le Heartland ; celui qui dirige le Heartland dirige l'île du monde ; celui qui dirige l'île du monde dirige le monde". Il est facile d'y voir les préoccupations d'un exposant de la "thalassopolitique" dont parle Julien Freund.
La Première Guerre mondiale venait de se terminer. Pour Mackinder, il était essentiel d'empêcher une alliance entre l'Allemagne et la Russie et donc la conquête du Heartland. D'où la nécessité de créer des "États tampons" pour contrecarrer ce projet. Malgré les développements ultérieurs de la Seconde Guerre mondiale, de la Guerre froide et de l'effondrement du système soviétique, son modèle peut encore être adopté avec succès pour clarifier la dynamique d'un présent qui, autrement, serait incompréhensible.
Il ne peut y avoir de politique - pour emprunter à Carl Schmitt - que s'il existe une pluralité d'entités politiques entretenant entre elles des relations amicales ou hostiles. L'unification politique du monde poursuivie par la globalisation économique et financière conduit à une "dépolitisation totale" (Alain de Benoist). Le dilemme schmittien entre le monopole mondial d'une seule puissance (univers), d'une part, et les sphères d'intervention et les aires de civilisation (plurivers), d'autre part, est la véritable clé d'interprétation de ce qui se passe sur le flanc oriental de l'Europe.
Sans connaître l'issue, le mérite de l'initiative russe est, pour l'instant, au moins celui d'avoir remis la géographie et la politique sur le devant de la scène. Elle a également mis en évidence une saine distinction entre solide et liquide, entre fermeture et ouverture, entre identité et hybridité, entre enracinement et nomadisme, entre sentiment de limitation et omnipotence. C'est sur ces dichotomies que les chancelleries et les consciences individuelles doivent être appelées à s'exprimer. Il ne s'agit pas d'adhérer sans critique à ces visions stratégiques et culturelles ou de les partager. Ce qui est important, cependant, c'est de ne pas les négliger ou de les reléguer dans les scories contaminées de l'histoire.
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Ukraine, la première guerre sociale et cybernétique de l'histoire
Ukraine, la première guerre sociale et cybernétique de l'histoire
Francesca Salvatore
Source: https://it.insideover.com/guerra/ucraina-la-prima-guerra-social-e-cyber-della-storia.html
Une guerre étrange qui nous catapulte dans le troisième millénaire. Semblable à aucune autre, si ce n'est la peur et les rues tachées du sang des innocents. Le conflit en Ukraine est une émission en direct constante qui passe par les réseaux sociaux comme une émission en direct continue d'un reality show dystopique. Les réseaux sociaux sont remplis d'images postées par les protagonistes eux-mêmes qui, à l'aide de smartphones et de connexions précaires, se documentent, demandent de l'aide et exorcisent la peur.
Le reportage en direct rend obsolètes les reporters, les correspondants, les relais, les documents et les histoires. D'autre part, le web est un protagoniste sombre. La guerre de l'information du Kremlin va de pair avec l'escalade militaire en cours. Le flux de désinformation se poursuit depuis des mois afin de discréditer l'Ukraine en tant que pays et en tant que société. Puis il y a ceux, comme le collectif Anonymous, le réseau sans visage de "bons" geeks, qui décident de faire la guerre à Poutine en sabotant ses sites gouvernementaux. C'est comme être dans les Hunger Games, mais ce n'est "que" le début de 2022.
Un conflit sur l'air
"Papa, maman, je vous aime". La vidéo d'un jeune soldat ukrainien partant en guerre a fait le tour du monde. Un "Piero" 3.0 qui ne laisse pas derrière lui une photo en noir et blanc, immobile à côté d'un pilier, et encore moins des lettres du front qui arriveront des semaines plus tard. Il emmène son monde à la guerre avec lui, et marquera la guerre par des nouvelles de chez lui. Tant que ce téléphone émet, c'est une bonne nouvelle. Les réseaux sociaux arrivent dans les abris, tandis que les bombes déchirent le ciel et nous font passer nous aussi des "foyers chaleureux" au théâtre de la guerre. Les objectifs des téléphones portables bénis/maudits immortalisent les regards, les chars d'assaut, documentent la vie et la mort. Et c'est sur les réseaux sociaux que les dirigeants lancent des appels et des réparties.
Le président ukrainien Zelensky n'abandonne jamais son téléphone, et c'est son sceptre en ces heures tragiques. De ce téléphone, il écrit des messages sur les réseaux sociaux, prend des photos pour témoigner qu'il est vivant, incite les Ukrainiens à résister par des messages vidéo, dirige l'armée: le web fait partie intégrante de sa mythopoïèse, qui mêle chevalerie, courage et drame.
Mais les médias sociaux sont aussi la bête noire de Moscou en ce moment : Facebook a interdit à tous les médias d'État russes de parrainer et de monétiser leur contenu, tandis que Moscou a bloqué l'accès à Twitter sur le territoire russe. Le web est devenu un véritable front où s'affrontent vérité, mensonges et post-vérités, où les fake news sont générées et les démentis correspondants à la vitesse de l'éclair. Facebook a commencé à bloquer le contenu de quatre médias russes comme étant des sources possibles d'informations trompeuses, déclenchant la colère de Poutine qui demande que ces blocages soient retirés. Les forums de discussion, les photos de profil, les histoires et les reels deviennent instruments de guerre, pour la fomenter, la documenter, se rebeller contre elle.
La cyberguerre est déjà là
Parallèlement à une invasion, les cyberattaques mettent le grappin sur un système étranger. L'année 2021 nous a silencieusement habitués à ce nouveau type d'attaques, puisque leur nombre et leur gravité moyenne ont atteint des niveaux jamais égalés en Italie ou à l'étranger. Un exemple frappant est l'attaque contre le Colonial Pipeline aux États-Unis, qui a révélé en mai dernier, pour la première fois, comment les pirates informatiques peuvent perturber le fonctionnement du système d'un pays : le plus important réseau d'oléoducs américains a été bloqué, les approvisionnements ont été interrompus et le président Biden a été contraint de déclarer l'état d'urgence en pleine pandémie. La puissance de l'attaque, principalement à des fins d'extorsion, avait ouvert un énorme point d'interrogation sur l'avenir. Jeudi, le jour où Moscou a attaqué l'Ukraine, le Conseil européen, en plus de condamner l'invasion, a appelé "la Russie et les formations soutenues par la Russie à cesser les campagnes de désinformation et les cyber-attaques", marquant ainsi le début d'une nouvelle ère.
Toutefois, il ne s'agit pas entièrement d'une cyberguerre. La bataille du web et des réseaux sociaux en matière d'informations trafiquées et déformées est le volet information de cette guerre, mais en soi, elle n'est rien d'autre que les fausses informations traditionnelles véhiculées auparavant par d'autres méthodes. Plusieurs cyberattaques ont eu lieu ces derniers jours, dont l'origine remonte à Moscou. Selon les experts du Washington Post, dans les prochains jours, les cyberattaques vont s'intensifier pour deux raisons principales : en réponse aux sanctions occidentales ; et comme instrument de soutien tactique aux opérations militaires sur le terrain.
La guerre hybride que suppose le conflit ukrainien est ainsi confirmée. En ce qui concerne le premier point, selon le journal, dans les prochaines heures, "il est très probable que nous assisterons à l'intensification de l'utilisation de capacités cybernétiques offensives avec des cyberattaques en guise de représailles contre les sanctions imposées à la Russie". Même l'Italie ne peut se targuer d'être à l'abri : le secteur de l'énergie en particulier est sur le qui-vive, où les attaques pourraient être plus probables et potentiellement plus dommageables.
Le 22 février, les spécialistes de l'Unité 42, le groupe de recherche basé à Palo Alto et spécialisé dans les cybermenaces, ont signalé "une augmentation significative des cyberattaques" au cours des neuf jours précédents. Depuis la mi-février, une série d'attaques Ddos (celles qui bloquent les réseaux et les infrastructures) a frappé le gouvernement et les banques ukrainiennes.
Le 23 février, des organisations américaines (CISA, FBI, National Security Agency) et le National cyber security center (NCSC) britannique ont signalé la propagation de Cyclops Blink, un malware distribué à l'aide d'une mise à jour du célèbre antivirus WatchGuard. Les agences ont remonté la piste du malware jusqu'à Sandworm, une organisation cybercriminelle bien connue qui a des liens avec le gouvernement russe : une équipe qui comprendrait plusieurs officiers militaires du Crane (Direction principale des renseignements russes). Il s'agit du même groupe responsable des attaques de 2015 et 2017 contre l'Ukraine via le ransomware Petya.
Les Anonymous et la "bonne guerre"
Les hacktivistes du célèbre groupe qui se cache derrière le masque de Guy Fawkes enchaînent actuellement les actions. Dans un long message vidéo, le mouvement international de pirates informatiques a déclaré la "guerre" au président Poutine après que les troupes russes ont envahi l'Ukraine dans le cadre d'une opération appelée "OpRussia - Defend Ukraine". Dans la vidéo, le collectif appelle les gens à rejoindre la cyber-guerre au nom de la défense des droits de l'homme.
Samedi, le groupe de pirates informatiques a rendu inaccessibles depuis longtemps les sites Web du Kremlin et du ministère de la Défense, ainsi que celui du diffuseur russe RT - la première chaîne d'information en langue anglaise de Russie. Samedi également, après que Poutine a ordonné une plus grande censure de ce qui pouvait être montré à la télévision, les Anonymous ont piraté les réseaux de télévision et ont diffusé un montage de la guerre en cours. En arrière-plan, une chanson russe de Monatyk, qui a participé au concours Eurovision de la chanson en 2017. Et encore, un site du réseau de contrôle du gaz russe a également été piraté, dans le cadre de l'offensive contre la Russie et pour la défense de l'Ukraine. Il s'agit du terminal russe Linux à Nogir, en Ossétie du Nord. "Nous avons modifié les données et augmenté la pression du gaz à tel point que cela a failli provoquer un incendie", peut-on lire dans un tweet des hackers. "Mais cela n'a pas été le cas", ajoute-t-il, "grâce à l'action rapide d'une personne responsable. En tant que collectif, Anonymous a pour objectif d'aider à fournir des informations valables au peuple russe sur les actions "folles" de Poutine, tout en essayant d'aider le peuple ukrainien en fournissant des colis de soins, en essayant de garder les canaux de communication ouverts et en aidant à obscurcir leurs communications des "yeux indiscrets".
Au début, les opérations perturbatrices des hackers les plus notoires du monde ont suscité un soutien inconditionnel et une sympathie collective. Mais de nombreux doutes entourent une organisation aussi mystérieuse et pourtant puissante de "justiciers du web". Combien de hackers y a-t-il dans le collectif ? Comment s'organisent-ils ? La série d'actions perturbatrices en Russie est-elle vraiment de leur fait ? Est-il possible qu'un État soit derrière eux, se cachant pour empêcher l'escalade ? À ce stade de la "règle de suspicion", toutes les hypothèses sont plausibles.
Le collectif est officiellement né en 2003 lorsque des images et du contenu sont apparus pour la première fois de manière anonyme sur "4Chan", un site anglophone de conseil en image fondé par Christopher Poole en 2003, sur le modèle du site japonais "2channel". Dès le départ, Anonymous s'est déclaré être "une idée, un drapeau qui rassemble ceux qui veulent la justice et l'honnêteté dans le monde". Parmi leurs exploits les plus récents, citons les menaces à l'encontre d'Elon Musk, accusant le milliardaire de surinfluencer les cryptomonnaies par le biais de ses messages sur les médias sociaux ; et encore l'attaque contre l'Église de Scientologie en 2008, contre Visa et Mastercard en 2010 et l'opération KKK en 2015, lorsque les identités de plus de 1000 membres du Ku Klux Klan ont été rendues publiques.
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Colonel Douglas Macgregor : "Poutine met en garde l'Otan depuis 15 ans"
Colonel Douglas Macgregor : "Poutine met en garde l'Otan depuis 15 ans"
Roberto Vivaldelli
Source: https://it.insideover.com/guerra/il-colonnello-macgregor-putin-ha-avvisato-per-15-anni-la-nato.html
L'ancien président américain Donald Trump a toujours apprécié et tenu en haute estime les opinions hors normes du colonel Douglas Macgregor, à tel point qu'il a failli le nommer conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche après le départ de John Bolton en 2019. Vétéran de la guerre du Golfe, Macgregor est l'auteur de Breaking the Phalanx, un texte proposant la réforme de l'armée américaine, qui a intéressé le secrétaire à la Défense de l'époque, Donald Rumsfeld, à l'automne 2001. Après avoir quitté l'armée en 2004, Macgregor a souvent été invité à commenter la politique étrangère américaine à la télévision - sur Fox News, en particulier -, souvent à partir d'une position moins conventionnelle, critiquant l'immigration illégale et le magnat libéral, George Soros, avec des mots très durs.
Le 27 juillet 2020, la Maison Blanche a annoncé l'intention de Donald Trump de nommer Macgregor au poste d'ambassadeur des États-Unis en Allemagne, mais les médias libéraux américains ont lancé une offensive haineuse contre le vétéran de l'armée américaine en raison de ses positions, ce qui a conduit à l'enlisement de sa nomination au sein de la commission des affaires étrangères du Sénat. Lorsque l'idée de s'installer à Berlin a été écartée, il a été nommé conseiller principal du secrétaire à la défense par intérim Christopher Miller le 11 novembre 2020. Aujourd'hui, le colonel Macgregor est de retour dans l'actualité, une fois de plus en raison de ses opinions résolument "contre-culturelles" sur l'invasion russe de l'Ukraine, telles qu'exprimées sur Fox News. Nous l'avons rattrapé pour lui poser quelques questions.
Macgregor : "Poutine a averti l'Occident depuis des années"
Selon le vétéran de l'armée américaine, l'invasion russe de l'Ukraine était planifiée depuis des mois. L'objectif de Vladimir Poutine, explique-t-il, "est de faire en sorte que les États-Unis et leurs alliés ne puissent pas stationner des missiles et des forces de combat à la frontière" avec la Fédération de Russie. Dans son discours du 24 février, le président russe a souligné que "ce qui se passe est une mesure nécessaire. On ne nous a laissé aucune possibilité de faire autrement". Une lecture correcte, selon le colonel Macgregor. "Oui. Poutine a essayé à plusieurs reprises, depuis au moins 15 ans, de signaler l'opposition de la Russie à l'avancée de l'OTAN vers les frontières de la Russie."
Le colonel explique quels sont les objectifs du Kremlin en Ukraine : "Moscou veut une Ukraine neutre, non alignée et non hostile à la Russie. Le modèle est l'Autriche et son traité d'État de 1955. Il n'est pas enclin à traverser le Dniepr et à se diriger vers l'ouest. L'armée russe a déjà encerclé et coupé les forces ukrainiennes à l'est du fleuve Dniepr. Elle souhaiterait une résolution telle que décrite. Si cela échoue, elle écrasera les forces ukrainiennes, traversera le Dniepr et annexera ou déclarera l'Ukraine orientale comme une République russe indépendante. Cela lui donnerait le "tampon" qu'elle souhaite", explique Macgregor. "Compte tenu de la géo-hydrographie de l'Ukraine occidentale, elle peut retenir au-delà du Dniepr les forces occidentales qui tenteraient de traverser le fleuve et qui rencontreraient une destruction certaine par des moyens conventionnels." Mais combien de temps l'armée ukrainienne peut-elle résister à l'avancée russe ? L'expert n'a aucun doute: "Au maximum 30 jours". Et les sanctions économiques n'arrêteront pas Moscou: "Les sanctions ont-elles forcé Moscou à quitter la Crimée ? Les sanctions ont-elles forcé l'Iran à se soumettre aux exigences des États-Unis et d'Israël ? Non. Les sanctions ne changent pas les gouvernements".
"Biden a provoqué la Russie"
L'ancien conseiller principal du Pentagone sous l'administration Trump explique quelles ont été les erreurs de l'actuel locataire de la Maison Blanche, Joe Biden. Il aurait essayé de tout faire sauf d'établir un dialogue diplomatique avec la Fédération de Russie: "Biden a commencé son mandat en condamnant Poutine et son gouvernement. Il n'a pas cessé de menacer Poutine et de pousser les gouvernements européens à le rejoindre. Plus sérieusement, Macgregor note que "les forces américaines ont mené des exercices et des opérations militaires à moins de 50 miles nautiques de Saint-Pétersbourg". En revanche, l'ancien président Donald Trump a "écouté le président Poutine, en cherchant à améliorer les relations avec la Russie". Cependant, note-t-il, "Poutine a compris que le président Trump avait été subverti par son propre gouvernement et a conclu qu'il devait se préparer à une nouvelle administration américaine hostile. Encore une fois, le résultat est l'action en cours dans l'est de l'Ukraine".
Une autre question clé concerne l'ordre mondial qui émergera après la fin du conflit. L'isolement de l'Occident et les sanctions économiques sévères pousseront la Russie à se tourner de plus en plus vers la Chine, mais attention : il ne s'agit pas, pour le moment, d'une véritable "alliance". "Moscou et Pékin ne sont pas des alliés", explique le colonel Macgregor. "Ce sont des partenaires stratégiques qui entretiennent des relations économiques mutuellement bénéfiques. Tous deux sont menacés par les États-Unis et, bien sûr, coopèrent pour des raisons de sécurité."
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mardi, 01 mars 2022
Modèles géopolitiques comparés
Modèles géopolitiques comparés
Par Daniele Perra
Source: https://www.eurasia-rivista.com/modelli-geopolitici-a-confronto/
L'article suivant est la suite idéale d'une autre contribution intitulée "L'ennemi de l'Europe", parue sur le site "Eurasia" ( https://www.eurasia-rivista.com/il-nemico-delleuropa/ - version française: http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/02/10/l-ennemi-de-l-europe-6365403.html ). Dans le cas présent, nous tenterons de mettre en évidence les principales différences entre deux modèles contrastés d'application de la science géopolitique à la lumière de la recrudescence actuelle de la crise ukrainienne: le modèle russe "traditionnel" (ou classique) et le modèle "moderne" (ou peut-être serait-il plus correct de dire "techno-financier") des États-Unis et de l'OTAN.
Le théoricien chinois Wang Huning (photo, ci-dessous) a été l'un des premiers à avancer la thèse selon laquelle pour comprendre la stratégie nationale américaine, il faut d'abord comprendre la façon dont les Américains sont une nation: c'est-à-dire observer attentivement leur mode de vie avant d'accorder du crédit à ce qui apparaît dans les publications "géopolitiques" de leurs groupes de réflexion [1].
Lors de son séjour aux États-Unis dans la seconde moitié des années 1980, Huning est arrivé à la conclusion que le fondement du mode de vie américain est l'idée de richesse ou de prospérité. Cette prospérité (apparente ou réelle) n'est maintenue que par le flux continu de capitaux internationaux dans les coffres américains. Et, pour que ce flux de capitaux reste constant, il est nécessaire que la position hégémonique du dollar ne soit pas ébranlée de quelque manière que ce soit. C'est la véritable source de pouvoir qui maintient les États-Unis forts et prospères pour le moment.
Cela soulève bien sûr la question suivante : comment a-t-il été possible d'atteindre une telle position ? La réponse se trouve dans l'histoire contemporaine. Au début de la Première Guerre mondiale, les États-Unis sont l'un des pays les plus endettés au monde. À la fin du conflit, cependant, les États-Unis étaient un créancier mondial. En 1917, l'Entente reçoit une ligne de crédit de 2,3 milliards de dollars de Washington. Au cours de la même période, l'Allemagne, vaincue à la bataille navale du Jutland (1916) et déjà soumise à un blocus naval britannique, a reçu un peu plus de 27 millions de marks d'aide étrangère.
En fait, les États-Unis ont été parmi les premiers à comprendre la guerre exclusivement comme une entreprise économique à une époque où les empires européens traditionnels, toujours convaincus que la victoire serait déterminée uniquement et exclusivement par la force des armées sur le terrain (ce qui n'était possible que dans le cas de la "Blitzkrieg"), étaient devenus incompatibles avec la base économique du capitalisme. La Première Guerre mondiale est donc également le premier conflit dans lequel le flux de capitaux a joué un rôle plus important que le flux de sang au sens littéral du terme. Les États-Unis eux-mêmes ne sont intervenus que lorsqu'il était certain qu'il n'y aurait pas de différence substantielle entre les vainqueurs et les vaincus (qui sont tous sortis du conflit avec les os brisés).
En effet, le véritable objectif était d'évincer la Grande-Bretagne de son rôle de puissance thalassocratique hégémonique au niveau mondial. Cet objectif ne sera atteint qu'après la Seconde Guerre mondiale et après que la Grande-Bretagne elle-même (grâce à celui que l'on définit peut-être à tort comme un grand politicien et stratège, Winston Churchill) ait contribué de manière décisive à son suicide et à celui de l'Europe.
Le 15 août 1971 est une autre date clé dans l'histoire contemporaine et, surtout, pour les besoins de cette analyse. Ce jour-là, le président Richard Nixon a annoncé la fermeture de la "fenêtre dorée", rompant ainsi le lien entre le dollar et l'or et trahissant ainsi délibérément le système créé à Bretton Woods. Depuis cette date, les États-Unis ont acquis le pouvoir théorique d'imprimer des dollars à volonté. De plus, à la suite du conflit israélo-arabe de 1973 et d'un accord avec l'OPEP, les États-Unis ont ancré le dollar dans le commerce mondial du pétrole, faisant de leur monnaie la seule monnaie de règlement international du commerce du pétrole. Ce faisant, ils ont imposé au monde le principe selon lequel il faut des dollars pour acheter du pétrole. Ainsi, si un pays a besoin de pétrole, il a également besoin de dollars pour l'acheter. La mondialisation économique, dans ce sens, a été le résultat inévitable de la mondialisation du dollar.
En ce sens, les États-Unis, selon l'ancien général de l'armée de l'air de l'Armée de libération du peuple, Qiao Liang, ont créé la première "civilisation financière" en transformant toutes les monnaies du monde en accessoires du dollar [2]. De plus, depuis les années 1970, ils délocalisent les industries manufacturières de bas et moyen niveau vers les pays en développement (encourageant la consommation et la dégradation de l'environnement et des ressources), ne gardant sur leur territoire que celles à haute valeur ajoutée technologique.
Les effets néfastes de ces politiques se sont reflétés dans l'économie américaine elle-même lorsque la crise de 2007 a mis en évidence sa nature exclusivement "virtuelle" face à la mise à zéro du secteur manufacturier. Une tendance que les administrations Obama et Trump ont toutes deux tenté (et échoué) à contrebalancer. Par conséquent, la fortune des États-Unis reposera encore longtemps sur la capacité de Washington à concentrer les flux de capitaux internationaux sur son territoire, générant des crises géopolitiques et éliminant les concurrents potentiels.
En d'autres termes, les États-Unis ont créé un "empire vide" totalement parasitaire (en 2001, 70% de la population américaine travaillait dans le secteur financier et les services connexes) basé sur la production de dollars, tandis que le reste du monde produit les biens qui sont échangés contre des dollars. "La mondialisation", dit Qiao Liang (photo, ci-dessous), "n'est rien d'autre qu'une lubie financière prise en otage par le dollar américain" [3].
Dans l'article précédent, que je cite ci-dessus et intitulé L'ennemi de l'Europe, il était largement fait référence à la guerre du Kosovo comme à un "conflit américain au cœur de l'Europe" visant à polluer le climat d'investissement sur le Vieux Continent et à tuer dans l'œuf un rival potentiellement dangereux : l'euro. En fait, avant la guerre du Kosovo, rapporte l'ancien général chinois, 700 milliards de dollars erraient en Europe sans pouvoir être investis nulle part [4]. Une fois la guerre commencée avec le soutien des gouvernements collaborationnistes européens (celui de l'Italie en particulier), 400 milliards de dollars ont été immédiatement retirés du sol européen. 200 milliards sont retournés directement aux États-Unis. Une autre tranche de 200 milliards est allée à Hong Kong, où certains spéculateurs optimistes visaient à utiliser la ville comme tremplin pour accéder au marché de la Chine continentale. C'est à ce moment précis qu'a eu lieu le bombardement "accidentel" de l'ambassade de Chine à Belgrade par des "missiles intelligents" de l'OTAN. Le résultat final : les 400 milliards ont tous coulé dans les caisses américaines.
En novembre 2000, Saddam Hussein a annoncé que les exportations de pétrole irakien seraient réglementées en euros. Le premier décret du gouvernement irakien établi par (et sous) les bombes américaines stipulait le retour immédiat à l'utilisation du dollar pour le commerce du pétrole brut.
Le même argument peut facilement être appliqué à la crise ukrainienne de 2014, qui a éclaté à un moment où les États-Unis (comme aujourd'hui) ne souhaitaient en aucun cas que les capitaux restent ou soient investis en Europe. La meilleure façon d'empêcher cela était de créer une crise régionale. Une crise qui a également contraint l'Europe à se joindre aux États-Unis pour imposer des sanctions à la Russie.
À ce jour, le seul pays qui a contré ce jeu nord-américain en essayant d'intercepter le flux de capitaux est la Chine. Cela devrait expliquer en partie pourquoi il y a eu une intensification substantielle des crises régionales autour du géant asiatique, de Hong Kong à Taiwan.
Cependant, la recrudescence actuelle de la crise ukrainienne appelle également un autre type de réflexion. En effet, indépendamment de la volonté occidentale d'exacerber au maximum la crise par les provocations (et les opérations "false flag"/"fausse bannière"), la propagande et le non-respect des accords de Minsk, nous assistons à la confrontation de deux modèles opposés d'interprétation de la géopolitique. Dans l'article déjà mentionné, L'ennemi de l'Europe, il était fait référence à l'utilisation des crises géopolitiques par les États-Unis comme instruments subordonnés à la politique monétaire. Par conséquent, dans le cas ukrainien, nous sommes confrontés à un double niveau de manipulation : géographique/idéologique et financier. La crise géopolitique n'a pas seulement la tâche (cachée) de faire circuler les capitaux vers Washington en affaiblissant la reprise économique de l'Europe post-pandémique, mais elle est également utilisée comme un outil pour maintenir l'Europe dans une condition de "captivité géopolitique" au sein de l'invention géographique/idéologique de l'Occident.
Or, étant donné que la mise en œuvre des stratégies globales des grandes puissances dépend toujours de la force (c'est Staline qui a déclaré "tous les traités sont des vieux papiers, ce qui compte c'est la force"), il faudra faire la distinction entre un modèle de géopolitique subordonné à la finance (il ne faut pas oublier que l'abattage d'un avion russe grâce aux systèmes de l'OTAN en Turquie a également entraîné une fuite des capitaux qui ont quitté Moscou et Ankara en 2015) et un modèle classique ou traditionnel qui reste (volontairement ou non) lié à l'idée d'Élisée Reclus selon laquelle la géographie n'est rien d'autre que l'histoire dans l'espace [5] et à la notion de Lebensraum développée par Friedrich Ratzel (photo).
Ce concept mérite un bref développement, étant donné l'interprétation erronée dont il a fait l'objet afin de présenter la géopolitique comme une sorte de pseudo-science nazie (une opération qui n'a déjà pas beaucoup de sens si l'on considère que Ratzel est mort en 1904) (ndt: et ne développait nullement des théories qualifiables de "racistes", cf. http://robertsteuckers.blogspot.com/2013/10/friedrich-ratzel.html ). Le Lebensraum (espace de vie) est profondément lié à la relation entre l'homme/les gens et le sol/l'espace. L'espace de vie, dans la théorie de Ratzel, se développe selon deux lignes de croissance (Wachstum) qui incluent tous les phénomènes détectables dans l'espace : une croissance verticale et une croissance horizontale. Les phénomènes sont les signes vitaux du lien entre l'homme et le sol : champs cultivés, mais aussi lieux de culte, écoles, œuvres d'art et industries. Cette connexion génère l'idée politique, le ciment spirituel de l'État et l'expression la plus élevée de la croissance verticale, c'est-à-dire de l'État lui-même en tant qu'organisme spirituel. La croissance horizontale, en revanche, est liée à la pure expansion militaire et à l'État en tant qu'organisme biologique. Toutefois, cette expansion doit suivre les phénomènes sur le territoire, dans le sens de préférer la direction qui permet une plus grande continuité entre le centre et la périphérie [6]. Il est évident qu'une telle élaboration théorique se traduit directement par une condamnation de l'impérialisme moderne, qui ne connaît pas de frontières mais uniquement et exclusivement des zones de sécurité.
La géopolitique subordonnée à la finance, en fait, est fondée non pas sur la sauvegarde du limes, mais sur le contrôle et la gestion des flux de capitaux (même en recourant à la force militaire pour les manipuler) comme moyen de contrôler le flux des ressources à travers les carrefours géopolitiques (par exemple, le canal de Suez ou le détroit de Malacca). La géopolitique classique, au contraire, est basée sur le contrôle logistique du voisin immédiat comme espace de projection et d'influence. En ce sens, par exemple, on pourrait interpréter la colonisation grecque de l'espace autour de la mer Noire (qui était crucial pour l'accès aux céréales produites par les Scythes et les Sarmates) dans l'Antiquité [7].
Aujourd'hui, l'annexion de la Crimée par la Russie (alors qu'elle n'a été incluse dans les frontières ukrainiennes que dans les années 1950), outre le fait que le droit international est souvent interprété toujours à l'avantage de la puissance hégémonique qui l'a créé, peut et doit également être interprété dans un sens traditionnel. Empêcher que cet avant-poste (après la réduction progressive de la marge de manœuvre suite à l'effondrement de l'URSS) ne passe sous le contrôle de l'OTAN a à la fois un sens purement stratégique et une valeur en termes de lien spirituel entre la terre et les gens et, par conséquent, de réaffirmation de l'espace vital russe. La Russie a également besoin de transporter ses ressources naturelles vers le marché et de promouvoir son économie. La coupure des gazoducs et des oléoducs (ce que les États-Unis tentent de faire par le biais de la crise ukrainienne elle-même) aurait (et a) donc un impact non seulement sur l'économie russe mais aussi (et peut-être même de manière plus décisive) sur le destinataire final : l'Europe occidentale [8].
Ici, une autre considération entre également en jeu. La reconnaissance russe des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk (qui en soi ne peut être critiquée par ceux qui, par exemple, ont créé de toutes pièces le Kosovo ou le Sud-Soudan par simple opportunisme géopolitique) a une double valeur. Ceci est lié à la fois au discours précédent sur la réaffirmation de l'espace vital russe (et comme l'achèvement d'un processus commencé en 2014 après le coup d'État atlantiste à Kiev), et à un projet plus large d'accélération vers la reconstruction de l'ordre mondial. Il semble clair que le choix russe s'impose également comme un défi ouvert au modèle unipolaire. Le Kremlin, en effet, à l'heure où la coopération eurasiatique ne cesse de se renforcer (grâce surtout au travail diplomatique de la Chine et de l'Iran), montre qu'il ne craint absolument pas un nouveau régime de sanctions (principal instrument de l'unipolarité) qui, comme déjà prévu (et malgré les timides efforts du président français Emmanuel Macron pour sauver le Vieux Continent du resserrement de l'étau atlantique), se ferait surtout au détriment du seul vrai perdant de cette crise : une Europe incapable de sauvegarder son propre intérêt et de devenir un pôle autonome et indépendant.
À cet égard, une dernière considération s'impose pour tous ceux qui, en Europe occidentale, regardent la Russie avec un espoir excessif. Bien que la Russie soit un exemple d'opposition à l'idée unipolaire, elle poursuit naturellement son propre intérêt national. Ce n'est pas la Russie (également beaucoup trop patiente à cet égard) qui sauvera l'Europe. Toutefois, dans le cas ukrainien, Moscou a le mérite de mettre l'Europe devant le fait accompli et de souligner davantage le rôle néfaste de l'Alliance atlantique en tant qu'instrument de coercition du Vieux Continent.
NOTES:
[1] Voir Wang Huning America against America, Shanghai Arts Press, Shanghai 1991.
[2] Qiao Liang, L’arco dell’impero con la Cina e gli Stati Uniti alle estremità, LEG Edizioni, Gorizia 2021, p. 101.
[3] Ibidem, p. 63.
[4] Ibidem, p. 109.
[5] "La géographie n'estrien d'autre que l'histoire dans l'espace, tout comme l'histoire est la géographie dans le temps". Cette phrase apparaît, mise en exergue, dans chacun dessix volumes de l'oeuvre monumzentale du géographe français, L’homme et la terre (Hachette, Parigi 1906-1908).
[6] Voir F. Ratzel, Politische Geographie, R. Oldenbourg, Monaco-Lipsia 1897.
[7] Il ne faut pas oublier le fait qu'aujourd'hui encore, la Russie et l'Ukraine sont parmi les principaux exportateurs de blé au monde. 50% du blé importé par Israël, par exemple, vient d'Ukraine.
[8] De la même façon, la Chine, avec la Nouvelle Route de la Soie, cherche à construire un modèle eurasien de coopération et de développement, aussi pour donner une force propulsante à sa propre production économique intérieure. Le fait de fomenter des crises le long du parcours de cette route de la soie nuit non seulement à l'économie chinoise mais aussi à tous les pays d'Asie centrale et méridionale qui, via ce projet infrastructurel, visent à améliorer leurs propres capacités de développement.
17:27 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Eurasisme, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : europe, russie, chine, affaires européennes, affaires asiatiques, eurasie, eurasisme, géopolitique, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Groupe de travail Feniks (Flandre) : Finies les guerres fratricides !
Groupe de travail Feniks (Flandre) : Finies les guerres fratricides !
En ce moment, toute notre civilisation réagit avec indignation face à l'invasion russe en Ukraine. Une guerre que personne n'aime voir éclater si près de nous, en Europe. De nombreux postes sur la frontière ont été franchis, ce qui viole l'intégrité territoriale de l'Ukraine elle-même. Toutes les victimes dans cette guerre sont regrettables, et pire, toutes auraient pu être évités.
Il y a maintenant une surenchère de condamnations et de sanctions contre la Russie, qui a lancé les opérations cette semaine. De manière réaliste, la plupart des gens se rendent compte que cela ne résoudra pas le conflit. Aucune sanction économique, et certainement aucun bâtiment illuminé en bleu et jaune, ne fera changer d'avis les Russes. Par impuissance, nous crions notre dépit à travers des déclarations sur les médias sociaux et dans la presse, même si nous devons admettre qu'aucun d'entre nous ne veut voir son propre pays partir en guerre.
Nous devons toujours tirer les leçons de l'histoire pour nous tourner vers l'avenir, y compris et surtout dans le cas présent.
Ce qui a provoqué cette invasion est facilement oublié, voire délibérément nié. Les politiciens occidentaux aiment se laver les mains dans l'affaire et blâmer Poutine de manière unilatérale. Cependant, la raison de cette invasion pose problème sur la scène internationale depuis un certain temps et fait constamment surface depuis 2014. En 2014, la politique occidentale a soutenu l'opposition ukrainienne de l'époque dans la révolution de Maidan, qui réclamait un cours pro-occidental, pro-UE et pro-OTAN et surtout anti-russe. Entre autres, notre ancien Premier ministre Guy Verhofstadt s'est rendu à Kiev pour jeter un peu plus d'huile sur le feu (contre une belle rémunération bien sûr).
Les accords précédents entre l'OTAN et la Russie ont été davantage mis en péril. Un accord (entre l'Occident, l'OTAN, et la Russie) selon lequel l'OTAN ne s'étendrait pas dans les anciens pays ayant été sous tutelle soviétique. Pour les Russes fraîchement désoviétisés, il s'agissait d'éviter à la Russie d'être encerclée par des bases hostiles de l'OTAN dans son voisinage direct. Depuis la promesse américaine selon laquelle l'Ukraine pourrait rejoindre l'OTAN en 2008, la Russie a exprimé à plusieurs reprises ses inquiétudes, mais l'Occident s'est retranché derrière la souveraineté nationale de l'Ukraine, alors qu'il cherchait, à grand renfort d'argent, à rapprocher l'Ukraine de l'UE et de l'OTAN. Ce jeu a été bien perçu par les Russes comme une menace directe pour leur grand pays.
Nous pouvons envisager ce conflit de deux façons. Soit nous réagissons d'un point de vue ethnocentrique et blâmons unilatéralement la Russie, ce qui entraînera des sanctions longues et sévères et l'envoi de troupes supplémentaires à l'Est. Ou bien nous essayons d'avoir une vue d'ensemble et de penser le long terme. Alors peut-être devrions-nous accepter le fait patent que le temps où l'Occident fixait unilatéralement les termes de la politique internationale est désormais derrière nous, et que certains lobbyistes occidentaux tels les néoconservateurs, comme feu John Mccain, et les libéraux comme Guy Verhofstadt ne servent pas du tout les intérêts de l'Europe qui ne pourra s'épanouir que dans la paix.
La guerre en Ukraine montre que nous avons besoin d'une stratégie géopolitique différente. Avons-nous, en tant qu'Européens, le courage de nous regarder et de défendre nos propres intérêts ? Prenons-nous notre défense en main au lieu de la négliger comme nous l'avons fait au cours de ces 30 dernières années ? Ne pourrions-nous pas commencer par développer une force de paix européenne continentale dans une zone déclarée neutre au lieu de réclamer (et de pérenniser) des frontières dures entre l'OTAN d'une part et, par exemple, la Russie (ou la Chine, ou, à l'avenir, la Turquie) d'autre part ? Ou bien allons-nous réagir avec grande indignation pendant quelques semaines seulement, en portant encore davantage préjudice à notre propre économie et en ne faisant rien pour qu'à la prochaine crise, nous soyons tout aussi impuissants ?
Pour aller plus loin dans la réflexion :
https://m.youtube.com/watch?v=JrMiSQAGOS4
https://synergon-info.blogspot.com/2022/02/oorlog-in-euro...
https://ejmagnier.com/2022/02/25/poetins-oorlog-met-oekra...
https://m.youtube.com/watch?v=JrMiSQAGOS4
https://ejmagnier.com/2022/02/24/putins-war-on-ukraine-cu...
https://caitlinjohnstone.substack.com/p/civilized-nations...
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lundi, 28 février 2022
Guerre en Ukraine : le point de non-retour - 32 points sur la question ukrainienne
Guerre en Ukraine : le point de non-retour
32 points sur la question ukrainienne
par Roberto Buffagni
Source : Roberto Buffagni (28 fév. 2022) & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/guerra-in-ucraina-il-punto-di-non-ritorno
Je résume aussi brièvement que possible le déroulement des événements passés et propose une hypothèse interprétative des événements futurs.
1. La cause profonde de la guerre est la décision stratégique américaine d'étendre l'OTAN à l'Est. L'expansion a commencé avec l'administration Clinton, après l'effondrement de l'URSS. George Kennan, Henry Kissinger, John Mearsheimer - pour ne citer que les principales personnalités américaines dans le domaine des relations internationales - l'ont considéré comme une erreur de première grandeur, annonciatrice de graves conséquences.
2. Le sommet de l'OTAN de 2008 à Bucarest a déclaré que la Géorgie et l'Ukraine rejoindraient l'OTAN. La France et l'Allemagne s'y opposent mais cèdent à la pression américaine. Le résultat est un compromis : aucune date d'entrée n'est spécifiée.
3. La Russie fait immédiatement savoir que l'entrée de la Géorgie et de l'Ukraine dans l'OTAN est inacceptable. La raison sous-jacente est que la Géorgie et l'Ukraine dans l'OTAN deviendraient des bastions militaires occidentaux à la frontière russe. Immédiatement après le sommet de Bucarest, la Russie envahit la Géorgie pour l'empêcher de rejoindre l'OTAN. Elle n'est ni politiquement ni militairement capable de faire de même avec l'Ukraine.
4. En 2014, les États-Unis orchestrent un coup d'État en Ukraine et installent un gouvernement qui leur plaît et qui met le désir de rejoindre l'OTAN dans la constitution.
5. En 2021, les États-Unis et les pays de l'UE commencent à armer sérieusement les Forces Armées ukrainiennes.
6. Fin 2021, la Russie ouvre des discussions diplomatiques avec les États-Unis. Le point clé de la proposition russe est la signature d'un traité garantissant que l'Ukraine ne rejoindra pas l'OTAN. Contre la coutume diplomatique, la Russie rend le projet de traité public.
7. Les États-Unis refusent de garantir par écrit que l'Ukraine ne rejoindra pas l'OTAN, car cela reviendrait à renoncer au rôle décisionnel "superiorem non recognoscens" dans l'ordre international unipolaire qu'ils détiennent depuis l'effondrement de l'URSS. Ils font immédiatement savoir qu'ils n'interviendront PAS militairement pour défendre l'Ukraine en cas d'attaque russe. Une grande puissance nucléaire n'affronte une autre grande puissance nucléaire sur le terrain que lorsque ce qui est en jeu est un intérêt vital pour les deux. L'Ukraine est un intérêt vital pour la Russie, elle n'est PAS un intérêt vital pour les États-Unis.
8. Lors de la conférence de Munich, le chef du gouvernement ukrainien annonce que l'Ukraine envisage d'acquérir des armes nucléaires tactiques. Les plus petites armes atomiques tactiques peuvent effacer une division blindée de la surface de la terre.
9. Peut-être à cause de cette annonce, la Russie accélère. Elle reconnaît les républiques du Donbass, envahit l'Ukraine. Elle mène la guerre de la manière la plus susceptible d'épargner la vie des civils, en vue de la réconciliation/stabilisation de l'Ukraine. L'objectif stratégique russe ne comprend PAS la conquête totale ou partielle du pays, mais sa neutralisation, la reconnaissance des républiques du Donbass et de Crimée, la démilitarisation de l'Ukraine.
10. Les États-Unis - plus précisément, l'establishment qui dirige leur politique étrangère et qui est en mesure d'influencer fortement toute administration - décident de mettre en œuvre une stratégie de guerre indirecte, dans le but de provoquer un "changement de régime" en Russie, et utilisent les pays de l'UE comme un instrument politique, en assumant le rôle d'"OTAN politico-économique".
11. Des sanctions économiques majeures sont imposées à la Russie par les États-Unis et les pays de l'UE, y compris le gel, c'est-à-dire la saisie, des actifs de la Banque nationale russe détenus dans les pays occidentaux (un acte de guerre).
12. Des mesures draconiennes sont également décidées par les pays de l'UE, qui sont aussi de véritables actes de guerre : l'UE finance et envoie à l'Ukraine des systèmes d'armes non seulement défensifs mais aussi offensifs (avions de chasse). La distinction entre les systèmes d'armes offensifs et défensifs, qui n'a aucune valeur sur le champ de bataille, est toutefois pertinente sur le plan juridique. Envoyer des systèmes d'armes défensifs à un pays en guerre ne constitue pas un acte de guerre contre son ennemi, envoyer des systèmes d'armes offensifs oui.
13. La Suède et la Finlande, pays neutres limitrophes de la Russie, annoncent qu'ils envisagent de rejoindre l'OTAN.
14. L'Allemagne annonce un vaste programme de réarmement.
15. L'envoi de systèmes d'armes à l'Ukraine ne change pas l'issue du conflit en Ukraine, car il ne modifie pas l'équilibre des forces entre les protagonistes, qui penche fortement en faveur de la Russie. Il s'agit d'une provocation adressée à la Russie. Elle la met au défi de réagir à des actes de guerre réels, sachant qu'une réaction militaire russe contre des pays de l'UE, qui sont également des pays de l'OTAN, provoquerait un conflit ouvert OTAN-Russie. L'intention de la provocation est de démontrer l'impuissance russe : "Vous avez mordu plus que vous ne pouvez mâcher", et ainsi déstabiliser le gouvernement de la Fédération de Russie.
16. Le gouvernement russe lève l'alerte nucléaire. C'est un cas de "escalade pour désescalade". Par l'escalade, un message est envoyé à l'adversaire : "Sachez que nous sommes prêts à aller jusqu'au bout, y compris au conflit nucléaire. Désescaladez ou subissez les conséquences".
17. Les premiers entretiens entre les représentants des gouvernements ukrainien et russe sont annoncés pour ce matin.
18. L'opération de "changement de régime" en Russie exploite toutes les failles du conflit en Russie, en premier lieu les nationalismes des États qui composent la Fédération. Le scénario envisagé par les planificateurs est similaire à celui déjà mis en œuvre dans l'ex-Yougoslavie : guerre civile, fragmentation de la Fédération de Russie, implosion de l'État fédéral, nouveaux gouvernements dirigés par des politiciens acceptables pour l'Occident, et le président fédéral russe V. Poutine, déjà décrit par les médias occidentaux comme un gangster mentalement dérangé, comme le président yougoslave Milosevic accusé devant le Tribunal international de La Haye.
19. Il est très clair, d'après ce qui précède, que la Russie NE PEUT PAS reculer. S'il le fait, le gouvernement sera déstabilisé et la deuxième phase de l'opération de changement de régime sera déclenchée : des révolutions colorées dans les États constitutifs de la Fédération de Russie. En outre, l'Ukraine est la dernière ligne de défense militaire et politique de la Fédération de Russie, qui est dos au mur et défend sa survie.
20. Je rappelle que pour éviter la situation actuelle très dangereuse, il aurait suffi de deux choses : a) garantir par écrit que l'Ukraine ne rejoindrait pas l'OTAN; b) qu'un seul pays de l'UE propose, avant le début des hostilités, une révision du système de sécurité européen tenant compte des intérêts russes, orientée vers la neutralisation de l'Ukraine.
21. Je prédis que les pourparlers entre l'Ukraine et la Russie ne donneront aucun résultat. Le gouvernement ukrainien est dirigé par les États-Unis. Il est dans l'intérêt des États-Unis, en vue de l'opération de changement de régime, de gagner du temps et d'accroître la pression sur le gouvernement russe.
22. L'attitude actuelle des pays de l'UE n'est dans l'intérêt d'aucun pays européen, y compris les voisins de la Russie. En fait, la Russie n'a PAS l'intention de s'étendre, ni en Ukraine ni ailleurs (elle n'en a pas la capacité politico-militaire). La Russie défend son intégrité politique et sa survie en tant qu'État unitaire.
23. L'attitude actuelle des pays de l'UE fait courir un grand risque à tous les pays européens. Elle est dictée par les États-Unis, qui peuvent ainsi mener une politique de "guerre courte" contre la Russie à coût zéro. Le coût économique et politique est payé par les peuples d'Europe.
24. L'attitude actuelle des pays de l'UE laisse soupçonner que leurs dirigeants ne se rendent pas compte de la gravité des actes qu'ils posent, ni de leurs éventuelles conséquences.
25. En effet, je répète que la Russie NE PEUT PAS faire marche arrière, et que ses objectifs ne sont pas expansionnistes ou impérialistes, mais strictement défensifs. La Russie les considère comme des intérêts vitaux, qu'elle doit sécuriser pour survivre.
26. La Russie est une grande puissance nucléaire. Personne au monde, à part Dieu ou le recul, ne sait quelles pourraient être les conséquences d'une opération réussie de changement de régime en Russie, car personne ne peut savoir qui contrôlerait l'arsenal nucléaire russe, ou des parties de celui-ci, plus que suffisantes pour provoquer une destruction catastrophique.
27. De plus, un échec définitif de l'opération de changement de régime après son succès partiel et temporaire pourrait encourager un comportement désespéré et irrationnel de la part des dirigeants politiques russes, qui, je le rappelle encore une fois, ont le sentiment de se battre pour la survie de la Russie.
28. La décision allemande de réarmer, et d'envoyer en Ukraine des armes qui tueront les soldats russes, combinée à la présence en Ukraine de formations qui rappellent le national-socialisme, ne peut que rappeler aux Russes ce qui s'est passé lors de la deuxième guerre mondiale, lorsque les Allemands ont tué 22 millions de civils russes, et qu'une partie des Ukrainiens s'est rangée du côté des nazis contre l'URSS. Les Russes appellent la seconde guerre mondiale la "Grande guerre patriotique", célèbrent solennellement son souvenir, se rassemblent autour d'elle. Le patriotisme et le nationalisme sont une force très puissante en Russie. Les émotions qu'ils suscitent lorsque la survie de la nation est jugée en danger peuvent dépasser la rationalité.
29. Très important : à partir de maintenant, il est absolument nécessaire de prendre au pied de la lettre, et de croire du premier au dernier mot, les avertissements et menaces officiels adressés à l'Occident par les dirigeants russes. En effet, les dirigeants politiques russes n'ont non seulement aucune raison de mentir ou de proférer des menaces vides de sens, mais ils ont absolument besoin d'être clairs, sincères et cohérents dans leurs déclarations officielles à l'Occident. C'est en effet le seul instrument à sa disposition pour contrôler rationnellement le cours des événements et éviter qu'ils ne deviennent incontrôlables et ne précipitent une catastrophe. Penser que les dirigeants russes bluffent est une recette pour le désastre.
30. Il est très important que ceux qui partagent cette lecture des événements transmettent, du mieux qu'ils peuvent, aux parlementaires italiens leur désaccord inquiet pour l'attitude de notre gouvernement et de l'UE. Il convient de rappeler que seul le Parlement peut légitimement décider des actes de guerre et que l'article 11 de la Constitution italienne "répudie la guerre comme instrument d'offense à la liberté des autres peuples et comme moyen de régler les différends internationaux". Il s'agit d'un différend international, qui peut être réglé rapidement en garantissant la neutralité de l'Ukraine.
31. En conclusion, rappelons qu'une attitude agressive et intransigeante, et pire, la collaboration à l'opération de "changement de régime" en Russie, peut précipiter l'Ukraine dans l'abîme. L'issue militaire du conflit, compte tenu des forces sur le terrain et de l'incapacité de la Russie à faire marche arrière, est prédéterminée. Le seul effet réel d'une agression intransigeante pourrait être une augmentation de la pression militaire russe pour conclure rapidement les opérations. Cela impliquerait l'adoption d'un style de guerre beaucoup plus violent et une augmentation spectaculaire des pertes civiles. Si les événements devenaient incontrôlables et débouchaient sur une confrontation directe entre l'OTAN et la Russie, une attitude agressive et intransigeante pourrait également plonger les nations européennes dans l'abîme.
32. De nombreuses personnes suivent le déroulement de cette affaire comme s'il s'agissait d'une série télévisée. Ce n'est pas une série télévisée, c'est la réalité. Nous ne sommes pas à Disneyland, nous ne sommes pas au pays des merveilles. Nous ne sommes pas des enfants : il n'est pas vrai que Papa USA, qui est si fort et si juste, nous protège et veillera à ce que tout se termine de la meilleure façon possible. Soyons des adultes responsables. Une fois cette crise passée, nous discuterons à nouveau des valeurs, des modèles de société, des raisons et des torts, qui sont très importants. Mais avant de discuter des valeurs et des modèles de société, nous devons savoir comment vivre et survivre.
15:48 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, affaires européennes, europe, ukraine, russie, politique internationale, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Examen d'un rapport de la RAND Corporation: "Overextending and Unbalancing Russia"
Examen d'un rapport de la RAND Corporation: "Overextending and Unbalancing Russia"
Pavel Kiselev
Source: https://www.geopolitica.ru/en/article/overextending-and-unbalancing-russia-rand-corporation?fbclid=IwAR0IGXyuVEcYVNB9fIOlXPyQriLpXqYa1KpFuDStTvY8kgxz_pAS_TzaZ24
La provocation à la guerre qui sévit aujourd'hui sur le territoire de l'Ukraine a été planifiée par les États-Unis depuis longtemps, et cela leur semble être la meilleure étape à franchir pour obtenir la destruction de la Russie.
En 2019, le think tank américain RAND Corporation a publié un rapport sur le programme d'affaiblissement et de démoralisation de la Russie intitulé Overextending and Unbalancing Russia. Les informations sont disponibles gratuitement sur le site Web de RAND.
Le rapport contient beaucoup de choses intéressantes concernant les stratégies visant l'affaiblissement de l'économie russe, le matraquage idéologique de la population avec les valeurs libérales, et ainsi de suite. Mais dans la situation actuelle, nous sommes intéressés par les points relatifs à la pression politique et militaire sur notre pays. Voici une liste de ces points :
- Fournir une aide létale à l'Ukraine permettrait d'exploiter le plus grand point de vulnérabilité externe de la Russie. Mais toute augmentation des armes et des conseils militaires américains à l'Ukraine devrait être soigneusement calibrée pour augmenter les coûts auxquels la Russie devrait consentir pour maintenir son engagement actuel sans provoquer un conflit beaucoup plus large dans lequel la Russie, en raison de la proximité, aurait des avantages significatifs.
- Augmenter le soutien aux rebelles syriens pourrait mettre en péril d'autres priorités politiques américaines, comme la lutte contre le terrorisme islamique radical, et risquerait de déstabiliser davantage toute la région. En outre, cette option pourrait même ne pas être réalisable, étant donné la radicalisation, la fragmentation et le déclin de l'opposition syrienne.
- Promouvoir la libéralisation en Biélorussie n'aboutirait probablement pas et pourrait provoquer une forte réaction russe, qui entraînerait une détérioration générale de l'environnement sécuritaire en Europe et un recul de la politique américaine.
- Étendre les liens dans le Caucase du Sud - rivaliser économiquement avec la Russie - serait difficile en raison de la géographie et de l'histoire.
- Réduire l'influence russe en Asie centrale serait très difficile et pourrait s'avérer coûteux. Un engagement accru a peu de chances de nuire à la Russie sur le plan économique et risque d'être disproportionnellement coûteux pour les États-Unis.
- Agiter la Transnistrie et expulser les troupes russes de la région serait un coup dur pour le prestige russe, mais cela permettrait également à Moscou d'économiser de l'argent et, très probablement, d'imposer des coûts supplémentaires aux États-Unis et à leurs alliés.
Comme le montre la liste, la déstabilisation de l'Ukraine et l'assistance aux nationalistes ukrainiens en matière d'armement constituent une tâche prioritaire pour affaiblir l'influence de la politique étrangère de la Russie sur l'étranger proche, car le reste des actions envisagées par le Pentagone nécessite un tout autre alignement des forces autour de la Russie.
La déstabilisation des relations entre la Russie et l'Ukraine est le premier grand pas vers la destruction de l'État russe, ainsi que l'encerclement de toute la frontière russe par des conflits militaires dans les territoires environnants. L'essentiel est de provoquer un affrontement, d'allumer le feu de la guerre, d'enserrer la Russie dans un cercle ardent de chaos.
Les Etats-Unis visent à faire de l'ensemble du territoire bordant la Russie du côté européen un tremplin pour désamorcer le potentiel militaire russe. Le rapport poursuit en disant que les bombardiers, les chasseurs, les armes nucléaires et les installations antimissiles de l'OTAN doivent être relocalisés à portée de main des principales installations stratégiques russes. L'expansion de l'OTAN réduira les risques et les coûts pour les États-Unis en attirant d'autres pays dans l'économie de l'alliance et rendra les défenses de la Russie plus vulnérables.
Les points stratégiques de ce plan ont déjà commencé à être mis en œuvre par les États-Unis en 2021. Les experts du centre analytique ont souligné que pour étendre l'influence de l'OTAN, il est nécessaire de mener des exercices des armées de l'Alliance de l'Atlantique Nord dans des territoires tampons qui ne font pas partie de l'OTAN. Le gouvernement de Kiev et les dirigeants de l'alliance ont organisé des exercices militaires sur le territoire de l'Ukraine afin de montrer leur "approche provocatrice envers la Russie".
Les États-Unis voulaient vraiment provoquer la Russie jusqu'au moment où les forces de l'OTAN atteindraient les frontières de la Russie ou, pire encore, entoureraient les murs du Kremlin. Mais la partie russe, comme d'habitude, "s'attelle longtemps, mais roule vite". Les provocations sans fin, les actions terroristes dans les territoires de la RPD et de la RPL ne pouvaient pas durer longtemps. Nous ne pouvions pas attendre que les États-Unis jouent suffisamment la diplomatie et étendent leur hégémonie à l'est de l'Europe jusqu'aux terres russes. Les actions de notre armée en Ukraine aujourd'hui sont le seul moyen de contenir une guerre plus sanglante, de réconcilier deux pays frères et de stopper la politique expansionniste des Etats-Unis.
A propos de l'auteur :
Kiselev Pavel - traducteur, linguiste, membre de l'Union eurasienne de la jeunesse.
13:08 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : géopolitique, actualité, politique internationale, rand corporation, états-unis, stratégie, europe, affaires européennes | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 27 février 2022
Guerre en Ukraine: la spirale autoréalisatrice
La Russie avait de son côté vraisemblablement anticipé plusieurs scénarios. Soit les médiations européennes .aboutissaient à une promesse de stopper l'élargissement de l'OTAN avec la négociation d'un nouveau traité de sécurité européen, soit la Russie serait contrainte, comme elle l'avait annoncé dès 2021, de procéder à des mesures technico-militaires pour assurer sa sécurité, mais aussi celle du Donbass, qui n'a en réalité jamais cessé d'être sous les bombardements ukrainiens depuis 2014, depuis qu'il ont gagné leur guerre d'indépendance après le coup d'Etat à Kiev.
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La guerre en Ukraine et les querelles intra-européennes
La guerre en Ukraine et les querelles intra-européennes
Vincenzo Bovino
SOURCE : https://medium.com/@thegreatgame/the-war-in-ukraine-and-the-contest-of-europe-3602fe9dba7b
L'Europe est le continent le plus important, le plus convoité en termes de prestige culturel, de situation géographique et vu les compétences étendues de ses habitants. Le fait économique ne suffit pas à décrypter les enjeux de la planète, les puissances impériales regardent l'Europe pour se jauger. Les Chinois en sont bien conscients et se concentrent sur l'Europe pour perturber la mondialisation en cours et saper la supériorité américaine.
L'Europe est au cœur du différend, la crise ukrainienne découle de ce fait, la politique étrangère des États-Unis semble capricieuse et imprévisible, pourtant un fil conducteur relie l'attitude de tous les gouvernements de l'ensemble du spectre politique américain du siècle dernier : l'hostilité envers une puissance rivale dans l'espace eurasien. Le contrôle de l'Europe passe par l'endiguement de la Russie et la politique de Biden poursuit également un autre objectif : ralentir, retarder et éventuellement saboter l'autonomie stratégique européenne, en évitant la soudure de l'Allemagne, de la France et peut-être un peu de l'Italie, avec les Russes.
L'Ukraine s'est retrouvée dans un jeu plus vaste, le lieu où se croisent des tendances et des mentalités opposées. Sur le champ de bataille, les troupes et les véhicules blindés se déplacent, mais il ne s'agit pas seulement d'un conflit régional visant à affirmer des sphères d'influence, mais d'une attaque qui affaiblit l'Europe, prise entre les feux croisés d'impérialismes opposés.
La crise ukrainienne n'a pas été soudaine, elle a une origine historique, culturelle et politique séculaire qui s'est ravivée à partir de 2014, lorsque le dernier gouvernement pro-russe le plus fiable a été submergé par les manifestations de rue et les manœuvres politiques euro-atlantiques.
La Russie tente de regagner de l'influence dans son voisinage étranger et la question ne concerne pas seulement les armements de l'OTAN et leur destination. Kiev devient un symbole : le premier noyau étatique slave est attesté entre la fin du 9e et le début du 10e siècle, lorsque la Rus' de Kiev, fondée par un certain Rjurik, probablement un chef viking, commence son ascension.
Au fil des siècles, l'émergence de différentes identités a polarisé la société ukrainienne, qui est divisée en fractures sociales, ethniques et linguistiques. Le territoire ukrainien est divisé en deux, la partie nord et ouest ukrainophone est sentimentalement plus proche de l'Europe centrale, tandis que l'est russophone regarde vers sa patrie.
Pour en revenir à l'actualité, la question ukrainienne est une énigme, pas trop difficile à résoudre si l'on prend quelques données sans se laisser berner par les apparences d'antagonismes plus fictifs que réels.
Commençons par une question : l'Ukraine est-elle stratégiquement importante pour les États-Unis ? Non. Et c'est encore plus clair maintenant, puisqu'il n'y a eu aucune volonté d'envoyer des soldats pour contrer les Russes. L'Ukraine a été approvisionnée en armements et rien de plus, elle est (scandaleusement) considérée comme un pion consommable, elle a été abandonnée à elle-même, comme en témoigne la décision des Américains de retirer les formateurs présents sur le territoire et de transférer leur personnel diplomatique à Lviv, dans la zone la plus occidentale, jouxtant la Pologne, dans la Galicie, province anti-russe par excellence.
Le sale jeu des prétendants
Les Américains concentrent leurs attentions sur l'Indo-Pacifique, déterminés à contenir la Chine, ils n'ont pas besoin d'encercler davantage la Russie, déjà confinée dans un espace imposant des mouvements qui ne sont qu'étroits. Biden n'a jamais voulu négocier une réorganisation de l'architecture de sécurité européenne avec Poutine, mais il s'est montré prêt à faire des concessions modérées, étant donné que la configuration actuelle garantit toujours un contrôle substantiel sur le vieux continent. Biden a préparé un piège, Poutine a calculé chaque mouvement, suivant d'abord la voie politique puis choisissant l'option militaire, prenant même en compte le risque de sanctions qui ne l'affectent guère si l'on pense aux énormes réserves de liquidités dont il dispose.
La tentative européenne
Emmanuel Macron avait immédiatement compris le plan anti-européen des Américains et avait agi bien avant les autres chancelleries européennes. Il avait pressenti les intentions mal dissimulées de Biden et s'est consacré avec abnégation à l'objectif de la détente. La France, titulaire de la présidence tournante du Conseil de l'Europe, ainsi que l'Allemagne, ont tenté de proposer une médiation entre Washington et Moscou, afin d'agir comme une troisième force.
Macron s'était montré prêt à évaluer les garanties de sécurité données par le Kremlin à l'Alliance atlantique et à garantir une position neutre à l'Ukraine. Les États-Unis, au cours des trois derniers mois de négociations serrées, même après les entretiens de Biden et de Poutine à Genève le 10 janvier, ont fait preuve de bonne volonté mais ont refusé certaines demandes spécifiques de l'adversaire, concernant la fermeture des installations de missiles en Roumanie et les démantèlement de celles qui sont actuellement en construction en Pologne.
Macron a joué toutes ses cartes de médiateur pour éviter que l'Union européenne ne soit acculée par les deux prétendants. Les Russes et les Américains avaient-ils vraiment la volonté de parvenir à un compromis ?
Biden est en train de gagner sans tirer un coup de feu, Poutine a choisi la voie la plus difficile. Le conflit militaire déclenché par le Kremlin, motivé par une justification bon marché, telle que la restauration des conditions démocratiques (rappelant certaines hypocrisies linguistiques américaines), a pour seul objectif de plier l'Ukraine à sa volonté. Le choix de la date de la première attaque, le matin du 24 février, anniversaire de la fuite du dernier président pro-russe de Kiev, Viktor Yanukovich, en 2014, est également symbolique. "La Russie est une tempête" a écrit le poète Aleksandr Blok en 1918 et la tempête est servie.
La guerre peut être gagnée sur le terrain, mais à moyen et long terme, une victoire stratégique est nécessaire et, en ce moment, parallèlement à la douleur, le sentiment nationaliste ukrainien s'intensifie dans une fonction anti-russe. Il est impossible pour les soldats russes de rester sur le terrain pendant de nombreux mois, en raison du manque de personnel militaire, de l'extension complexe du territoire et des coûts considérables que génèrerait un conflit de basse intensité. Dans quelque temps, la Russie sera probablement confrontée aux mêmes problèmes avec ses nombreux voisins, temporairement endormis et réfléchissant à leur vengeance.
Une autre triste vérité demeure, l'indécision des nations européennes, le contraste interne entre des forces plus autonomes et d'autres plus alignées sur les positions américaines, entravent l'affirmation d'une Europe plus puissante et souveraine.
Vincenzo Bovino
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samedi, 26 février 2022
Afghanistan: Une frontière sans "date de péremption"
Afghanistan: une frontière sans "date de péremption"
Victor Dubovitsky
Aujourd'hui, le mot Afghanistan est sur toutes les lèvres, même pour ceux qui ne s'intéressent pas du tout aux affaires internationales, et encore moins à la politique : nous avons assisté à une défaite trop inattendue et trop honteuse pour ce pays que sont les Etats-Unis, et pour l'"Occident uni". La défaite des forces britanniques lors de la première guerre anglo-afghane (1838-1842) a peut-être été bien plus dévastatrice, mais l'absence d'Internet et de télévision a sauvé les Britanniques de la honte. Cependant, Jalalabad (où le seul survivant des 16.000 hommes de la garnison de Kaboul, l'Anglais William Bryden, est parvenu le 13 janvier 1842), ainsi que le passage de Khyber tout proche, étaient et sont des lieux largement connus à l'époque et aujourd'hui : mais au 19ème siècle, les intérêts de Kaboul et d'Islamabad s'opposaient.
Échappée d'une "pension honoraire"
L'histoire des revendications mutuelles, qui font aujourd'hui trembler la frontière afghano-pakistanaise, a commencé pendant l'hiver 1879, curieusement à plus d'un demi-millier de kilomètres de Kaboul - dans le Turkestan russe. Le mardi 9 Muharram, 1297 de l'Hégire, ce qui correspond au 11/23 décembre 1879, quatre cavaliers sont partis de Samarkand vers l'est - vers la vallée de Fergana. Les chevaux turkmènes Argamaks-Akhalteke aux jambes fines transportaient le prétendant au trône de l'émir d'Afghanistan (Abdurahman Khan / photo ci-dessous) et ses plus proches associés dans l'obscurité hivernale qui précédait l'aube. Cet événement, peu remarqué par les personnes non informées, a marqué le début d'une nouvelle phase dans l'histoire de ce pays.
Le départ de l'héritier du trône, âgé de trente-cinq ans, qui vivait avec sa famille depuis plus de dix ans dans une "pension de famille honoraire", gérée par les autorités russes en Asie centrale, a été mis en scène comme une évasion : il fallait endormir la vigilance des "marins éclairés", qui craignaient l'apparition en Afghanistan d'un prétendant au trône populaire, mais indésirable pour eux. Pour la Russie, l'arrivée au pouvoir à Kaboul d'un "retraité honoraire" était extrêmement importante : lorsqu'en novembre 1879, la nouvelle de la déposition de l'émir Muhammad Yaqub Khan est arrivée d'Afghanistan, il est devenu clair en Russie que les Britanniques entendaient gérer le démembrement de l'Afghanistan. Leur prochaine étape aurait été d'envoyer leurs mandataires dans les provinces indépendantes et semi-indépendantes de Kunduz, Darwaz et Badakhshan, ou (ce qui était particulièrement indésirable) de tenter une occupation directe de ces terres.
La position de la Russie en Asie centrale et de son allié, le khanat de Boukhara, aurait alors été menacée. N'aurait-il pas été préférable d'écarter les rivaux les plus dangereux d'"Albion" et de placer à la tête de ces régions un homme qui avait bénéficié de l'hospitalité russe pendant dix ans ? Car le descendant direct des émirs d'Afghanistan - Abdurahman Khan - avait le droit de revendiquer le pouvoir au moins dans les territoires du nord de la rive gauche de l'Amu Darya, portant le nom commun de Chor-Viloyat.
Lorsqu'il prend le pouvoir à Kaboul au printemps 1880, il mène une politique très indépendante, annexant de vastes territoires par le feu et l'épée. Le nouvel émir a définitivement considéré toutes les terres peuplées de Pachtounes comme des territoires inféodés à sa personne. Mais l'est du Pachtounistan ("pays pachtoune"), d'une superficie d'environ 150.000 kilomètres carrés, qui faisait partie de l'empire Durrani jusqu'en 1819, a été conquis par les souverains sikhs du Punjab, puis par les Britanniques après l'effondrement de leur empire. Dans cette situation, la réaction de Londres n'était pas difficile à prévoir : l'indépendance dont a fait preuve l'ancien "retraité" a obligé "Foggy Albion" à soulever la question d'une frontière bien définie entre l'Afghanistan et la plus grande des colonies britanniques.
L'Indian Bureau of Surveying (une organisation servant à des opérations de reconnaissance plutôt qu'à organiser des expéditions scientifiques) s'est rapidement saisi de l'affaire, envoyant des équipes de géomètres militaires au Pachtounistan. À l'automne 1893, les cartes anglaises ont révélé une ligne brisée complexe s'étendant sur 2670 km (1660 miles), et 12.000 km (7460 miles). Le 12 novembre 1893, un traité entre l'émir afghan, Abdurahman Khan, et le secrétaire aux affaires étrangères de l'administration coloniale britannique, Lord Henry Mortimer Durand, a établi une nouvelle frontière qui est devenue internationalement connue sous le nom de ligne Durand.
Il est difficile de dire à ce stade ce qui a poussé l'énergique émir afghan à accepter une telle frontière, qui divisait le Pashtunistan dans son intégralité. Cependant, connaissant les réalités politiques de la fin du 19ème siècle, on peut très probablement supposer qu'il considérait cette frontière comme une ligne temporaire balisant son autorité territoriale (le "mouvement frontalier" constant en Afghanistan dans toutes les directions, de Herat et Kattagan aux Pamirs, en est la confirmation). Cela est indirectement indiqué par le fait que les autorités afghanes ultérieures n'ont pratiquement jamais reconnu la ligne Durand comme une frontière d'État légitime. Néanmoins, les réalités politiques du Moyen-Orient ont changé de manière spectaculaire avec l'apparition de cette frontière : un État doté d'une frontière légale en vertu du droit européen est apparu entre l'Inde britannique (c'est-à-dire la Grande-Bretagne) et l'Empire russe. À l'époque, il semblait peu important qu'il n'y ait aucune démarcation nulle part - les bornes pourraient être établies encore plus tard. Ainsi, le "retraité honoraire" avait accompli sa tâche.
Un héritage scandaleux
Aujourd'hui, il existe douze provinces afghanes (Nimroz, Helmand, Kandahar, Kabul, Paktika, Khost, Paktia, Logar, Nangarhar, Kunar, Nuristan et Badakhshan) et trois unités administratives afghanes (province du Baloutchistan, province de Khyber Pakhtunkhwa et région du Gilgit-Baltistan) qui se trouvent le long de la ligne Durand du côté pakistanais (parties de l'ancienne Inde britannique). Sur le plan géopolitique et géostratégique, la "ligne" proverbiale est l'une des frontières les plus dangereuses au monde.
En juillet 1949, l'Afghanistan a officiellement déclaré qu'il ne reconnaissait pas la ligne Durand ; depuis lors, pas un seul gouvernement afghan, y compris même le régime des Talibans, lié au Pakistan, n'a osé le faire. Ainsi, la question de la frontière entre l'État afghan et le Pakistan, qui reste à ce jour la plus aiguë dans les relations entre les deux pays, a également été "suspendue". Les Pachtounes, qui ont dirigé l'Afghanistan pendant presque toutes les périodes de son histoire, sont animés par le désir tenace de réunir toutes leurs tribus en un seul État (le projet du "Grand Pachtounistan") ; ce facteur, quelles que soient les circonstances, persistera, entretenant la suspicion et la méfiance dans les relations afghano-pakistanaises.
Le Pakistan, quant à lui, a été et reste inflexible sur le fait que l'Afghanistan doit reconnaître le traité de la ligne Durand qu'il a signé il y a plus d'un siècle et respecter la frontière entre les deux pays. Islamabad ignore ainsi la revendication des Afghans selon laquelle la frontière tracée par les Britanniques pendant la période de domination coloniale a de facto privé l'Afghanistan de l'ensemble de ses terres ancestrales pachtounes sous contrôle pakistanais. Ces approches diamétralement opposées de la frontière ne pouvaient que conduire à une confrontation politique (et sporadiquement militaire) entre Kaboul et Islamabad.
En 1976, le président afghan de l'époque, Sardar Mohammed Daud Khan, a reconnu la ligne Durand comme la frontière internationale entre le Pakistan et l'Afghanistan. Il a fait cette déclaration, qui a gravement porté atteinte à sa réputation dans son pays, lors de sa visite officielle à Islamabad.
Après le retrait soviétique d'Afghanistan et, par la suite, la chute du gouvernement laïc du pays (effectivement à partir de l'automne 1994), on a assisté à une augmentation de l'aide apportée aux Talibans par les forces armées, les services de renseignement et les agences de sécurité du Pakistan. L'organisation islamique militante, fondée par les services de renseignements militaires pakistanais, contrairement à l'Alliance des Sept, créée pour combattre les Soviétiques, était inconditionnellement subordonnée aux Pakistanais. Après l'entrée des combattants talibans dans Kaboul (fin septembre 1996), Islamabad a tenté de servir de médiateur entre les dirigeants talibans et leurs opposants.
En 1996, le Pakistan a immédiatement reconnu le gouvernement formé par les talibans à Kaboul. Il s'est avéré être le premier et le seul gouvernement dans l'histoire de l'Afghanistan à trouver son soutien total. Le gouvernement taliban a essentiellement agi sous la dictée des dirigeants militaires et politiques pakistanais, qui cherchaient à renforcer leur position stratégique dans la région.
Il convient de noter que la transformation du territoire pakistanais en un refuge pour les groupes armés afghans a créé des problèmes aigus pour Islamabad lui-même. La crise de 1979-1989 (associée à la présence des troupes soviétiques en Afghanistan, puis à l'intensification des opérations des moudjahidines contre le gouvernement du président Najibullah) a créé un ensemble de problèmes pour le Pakistan qui a considérablement compliqué la situation intérieure du pays. Les tendances négatives qui ont alors émergé persistent à ce jour. Les déchirements ethniques, tribaux et sectaires ne s'arrêtent pas d'un coup au Pakistan. Les sunnites tuent les chiites et les membres de la secte Ahmadiyya. En conséquence, le rêve des pères fondateurs du Pakistan, Mohammad Ali Jinnah et Alam Iqbal, est plus insaisissable que jamais.
Changement de vecteur ?
Les relations du Pakistan avec l'Afghanistan voisin sont restées très tendues depuis le renversement du régime taliban en 2001. La question non résolue de la frontière coloniale est restée une pierre d'achoppement dans les relations bilatérales. Compte tenu de l'ouverture de la frontière et de la possibilité de circuler librement dans les deux sens, les autorités afghanes pro-occidentales ont souvent accusé leurs homologues pakistanais d'être de connivence avec l'infiltration de combattants sur le territoire afghan (qui, selon elles, est l'une des principales causes de la déstabilisation constante de l'Afghanistan), et parfois de la favoriser. De leur côté, les autorités pakistanaises ont déclaré que ces affirmations étaient grotesques. En particulier, Kaboul a vivement critiqué les accords de trêve conclus en 2005-2006 par Islamabad avec les talibans locaux au Sud et au Nord du Waziristan, ainsi que les accords similaires conclus au printemps 2008. Du point de vue des autorités afghanes, ces manœuvres politiques ont permis aux talibans de gagner du répit et de regrouper leurs forces. Il y a eu de plus en plus de cas où le Pakistan a été ouvertement accusé de soutenir directement les talibans opérant en Afghanistan afin d'influencer directement le cours de la situation et de l'utiliser dans le sens des intérêts d'Islamabad.
Enfin, le mois d'août 2021 est arrivé et les talibans soutenus par le Pakistan ont pris le pouvoir, transformant l'État islamique d'Afghanistan en Émirat d'Afghanistan. Les nouveaux maîtres de Kaboul, malgré les nombreuses années d'aide d'Islamabad à leur mouvement, sont restés inflexibles sur la non-reconnaissance de leur frontière orientale. Le fait qu'ils aient vaincu un Occident uni leur a également donné confiance. Commençant par la démolition de poteaux frontaliers et de clôtures en fil de fer, ils sont rapidement passés à la destruction de postes frontières, puis à des fusillades.
Les reportages sur les affrontements armés le long de la ligne Durand, non seulement dans la ceinture pachtoune mais aussi dans la ceinture baloutche du sud, ont abondé pendant l'hiver 2021-2022. Des dizaines de soldats pakistanais et de combattants de l'Armée de libération du Baloutchistan étaient déjà en train de se mobiliser. Cela signifie que non seulement le Pakistan et l'Afghanistan, mais aussi l'Iran, étaient en difficulté. La question du "Grand Baloutchistan", éclipsée par le conflit afghan depuis trente ans, devient un véritable problème pour les trois États à la fois.
Il y a trois ou quatre mois, les propagandistes pakistanais faisaient, dans tous les sens du terme, l'éloge des talibans afghans et se réjouissaient activement de leur retour au pouvoir à Kaboul. Aujourd'hui, les utilisateurs pakistanais des médias sociaux sont de plus en plus désillusionnés par leurs "amis talibans", car le boomerang du djihad qu'Islamabad a lancé plus tôt contre Kaboul semble revenir à son point de départ. Par exemple, les attaques contre les forces de sécurité pakistanaises et les fonctionnaires civils se produisent presque quotidiennement dans les districts du Sud et du Nord du Waziristan depuis des mois. Les principaux responsables sont les militants du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), un parti affilié aux talibans afghans, également interdit en Russie. Les terroristes talibans pakistanais ont attaqué des barrages routiers et des véhicules appartenant à l'armée pakistanaise et aux agences de renseignement.
Les militants ont de plus en plus recours à la tactique du sniper, utilisant des armes de fabrication occidentale abandonnées dans la panique du départ des Américains et des Britanniques. Le nombre de victimes parmi les militaires, les policiers et les civils dans le Pachtounistan pakistanais est devenu si élevé que les autorités officielles ont classé ces statistiques. On estime qu'au moins vingt membres du personnel de sécurité pakistanais sont tués chaque mois dans la seule région de Khyber Pakhtunkhwa. Les tentatives d'Islamabad (l'officiel) de négocier la paix avec les talibans pakistanais ont échoué, malgré la médiation active du réseau Haqqani, la faction dominante au sein des talibans afghans qui entretient des liens étroits avec l'ISI du Pakistan.
Plus récemment, l'armée pakistanaise a tenté d'attaquer les chefs de "leurs talibans" qui se cachent dans la province de Kunar, dans l'est de l'Afghanistan, à l'aide de drones, mais avec apparemment peu de succès. Dans le même temps, les attaques du Pakistan contre les colonies afghanes ont suscité des réactions de plus en plus négatives, voire agressives, de la part de nombreux combattants et commandants de terrain des talibans afghans. Ces derniers sont déjà ouvertement favorables à l'idée de "poursuivre le djihad" par son "transfert" de l'Afghanistan au Pakistan.
Un tel niveau de gâchis suggère qu'une véritable guerre est en train de prendre de l'ampleur dans les provinces pakistanaises du Baloutchistan et de Khyber Pakhtunkhwa. Elle est menée contre l'armée et le gouvernement pakistanais par les militants du TTP ainsi que par les partisans de la lutte armée pour l'indépendance du Baloutchistan, qui ont réussi à établir une infrastructure arrière dans les zones frontalières du Pakistan en Afghanistan et en Iran.
Certains analystes politiques estiment même que dans les prochaines années, le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan n'auront pas à s'inquiéter de la sécurité de leurs frontières : le vecteur d'agression du nouveau gouvernement de Kaboul s'est déplacé vers le sud-est. Il convient toutefois de rappeler que le Pakistan est un État défaillant typique, qui possède néanmoins des armes nucléaires. On peut se demander ce qui se passerait si un arsenal nucléaire tombait entre les mains de fanatiques religieux. En outre, une telle évolution entraînerait inévitablement dans le conflit les deux plus grands rivaux du sud de l'Eurasie, la Chine et l'Inde, qui possèdent également des armes nucléaires. L'adhésion commune de quatre des cinq rivaux à l'OCS va pimenter la situation géopolitique.
La Thalassocratie doit-elle être si satisfaite de la gabegie qu'elle a générée dans la région?
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La Russie entre dans une nouvelle phase de confrontation avec l'Occident
La Russie entre dans une nouvelle phase de confrontation avec l'Occident
Leonid Savin
Source: https://katehon.com/ru/article/rossiya-vstupaet-v-novuyu-fazu-protivostoyaniya-s-zapadom
La reconnaissance de la DPR et de la LPR, ainsi que l'opération de maintien de la paix en Ukraine, était nécessaire pour un certain nombre de raisons
La décision des dirigeants russes de reconnaître la DPR et la LPR était une mesure forcée et prévisible. Bien que près de huit ans se soient écoulés depuis les référendums organisés dans les anciens oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk, cette reconnaissance par Moscou a suscité un soutien public non seulement dans les républiques déjà légitimées, mais aussi en Russie, au Belarus, en Serbie et dans plusieurs autres pays.
Kiev s'est rendu coupable non seulement d'une planification de génocide contre le peuple russe en Ukraine au fil des ans, mais aussi d'une glorification irrationnelle et stupide du nazisme et d'une politique étrangère clairement destructrice qui a inclus une militarisation outrancière avec l'aide des pays occidentaux, assortie de tentatives actives d'adhésion à l'OTAN.
Ces facteurs ont été fondamentaux dans la décision, bien que Moscou ait espéré jusqu'au dernier moment que l'Ukraine applique correctement les accords de Minsk. Cela ne s'est malheureusement pas produit, de sorte qu'un retournement contre l'Ukraine, comme celui de ces derniers jours, était tout simplement nécessaire. Principalement pour des raisons humanitaires.
Il faut également prêter attention à la situation stratégique qui s'est installée autour de l'Ukraine. Après le coup d'État de 2014, les dirigeants biélorusses, notamment, ont été fidèles au régime de Petro Porochenko, puis à celui de Vladimir Zelenski. Ce n'est qu'après une tentative de coup d'État similaire au Belarus même qu'Alexandre Loukachenko a commencé à mener une politique clairement pro-russe. Et à la veille de la reconnaissance de la DNR et de la LNR, un exercice militaire conjoint avec la Russie s'est tenu sur le territoire du Belarus. Les dirigeants biélorusses ont également annoncé leur intention d'acheter un certain nombre de systèmes d'armes de fabrication russe, notamment des avions de combat et des systèmes de défense aérienne.
Par conséquent, le rôle du Belarus dans l'opération conjointe de maintien de la paix est désormais très important. Kiev ne s'est pas seulement retrouvé sous un blocus économique de la part de la Russie et du Belarus. L'une des directions d'avancée vers Kiev a été choisie à partir de cette position stratégique.
Il est maintenant nécessaire d'examiner la procédure de reconnaissance de la RPD et de la RPL du point de vue du droit international. Déjà le 21 février, et même avant, alors que les politiciens occidentaux étaient hystériques à propos de l'"invasion" imminente de la Russie, les représentants du cartel néolibéral de l'OTAN parlaient d'une seule voix de la violation du droit international. Mais l'ont-ils fait ? Et qu'entendent-ils par droit international ?
Il suffit de rappeler que le bombardement de la Yougoslavie en 1999 et la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo ont violé les accords d'Helsinki sur l'inviolabilité des frontières politiques en Europe. Mais l'Occident n'y a pas prêté attention. Comme le droit de précédent s'applique en Occident, ces événements ont effectivement ouvert la voie à de telles actions.
Mais encore plus tôt, en 1994, les États-Unis ont envahi Haïti sous des prétextes fallacieux, alors qu'ils avaient reçu l'approbation des Nations unies. Cela a été relativement facile à faire dans le sillage immédiat de l'effondrement de l'URSS, surtout si l'on considère qu'à l'époque Andrei Kozyrev était ministre des Affaires étrangères et écoutait les instructions de Washington. L'administration de Bill Clinton a motivé sa décision d'occuper Haïti par la nécessité de protéger les citoyens américains dans ce pays.
Ces deux cas, et plus tard le bombardement de la Libye en 2011, sont connus sous le nom de doctrine de la responsabilité de protéger (R2P). Cette doctrine a été développée directement en Occident. Entre-temps, elle a été mise en œuvre à l'ONU en 2005 à la demande du Canada, qui l'avait rédigée en 2001 [i]. L'implication est que la souveraineté n'est pas seulement un droit, mais aussi une obligation. Et si certains gouvernements manquent à leur devoir de respecter les droits et libertés de leurs citoyens, ils doivent être punis.
Une autre association apparaît avec la partition du Soudan. Le Sud-Soudan a obtenu son indépendance par un référendum en juillet 2011, qui faisait suite à un accord entre le gouvernement et les rebelles du sud [ii]. Le processus a été directement supervisé par des politiciens américains de haut rang, qui voyaient dans la partition un intérêt pour les États-Unis, notamment l'accès aux ressources pétrolières. De manière révélatrice, cette préoccupation de Washington n'a pas sauvé le Sud-Soudan - il a plongé dans une nouvelle guerre civile en 2013.
Une question légitime se pose : le gouvernement ukrainien a-t-il réussi à garantir les droits de la population russophone sur le territoire ukrainien depuis le coup d'État de février 2014 ?
Tout d'abord, le gouvernement lui-même peut difficilement être qualifié de légitime, car après le coup d'État, une alliance de néonazis et d'Occidentaux s'est lancée dans une politique d'intimidation et de chantage. Et les décisions prises par le parlement ukrainien après le 22 février 2014 ne peuvent être considérées comme des actes juridiques.
Deuxièmement, lorsque la polarisation politique a clairement mis en évidence les deux camps opposés, des tentatives ont-elles été faites pour résoudre pacifiquement les différends par le biais de négociations ? Non, la junte de Kiev a envoyé non seulement des unités des forces de l'ordre et des services spéciaux, mais aussi des formations militaires dans les régions qui défendaient leurs droits (notamment en parlant leur langue maternelle). Donetsk et Luhansk ont subi des raids aériens et des tirs d'artillerie.
Par conséquent, l'Ukraine, en tant qu'État, a perdu son droit à la souveraineté. Et lorsque la Russie vient protéger les civils dans un pays voisin dont la population est liée historiquement, culturellement et spirituellement par des traditions séculaires, elle a bien plus le droit de parler de "responsabilité de protéger" que les États-Unis et les pays de l'OTAN, qui ont envahi d'autres pays sous des prétextes farfelus. Enfin, ni la Yougoslavie, ni Haïti, ni l'Irak, ni la Libye, ne représentaient une menace existentielle pour les États-Unis. Mais l'Ukraine, transformée par l'Occident en un pays carrément hostile à la Russie, représente certainement une telle menace.
Nous avons donc affaire à deux poids, deux mesures. Et si l'on prête attention au fait que c'est à la Russie que l'Occident refuse de prendre la défense (on se souvient de la réaction à l'opération visant à contraindre la Géorgie à la paix en août 2008), alors cela suggère une certaine forme de racisme.
Après tout, il s'avère que ce sont les Russes qui ne sont pas autorisés à venir en aide à leurs compatriotes ou à d'autres peuples. C'est presque comme Orwell, où dans son œuvre "La Ferme des animaux", les cochons qui ont pris le pouvoir ont déclaré que tous les animaux sont égaux, mais que certains sont plus égaux que d'autres. Cela n'est pas explicitement indiqué, mais clairement sous-entendu.
De plus, les États-Unis refusent le droit non seulement de prendre la défense de ces populations harcelées, mais aussi de critiquer, de signaler les violations et d'établir des comparaisons - tout cela est déclaré faux par le département d'État américain, tandis que les satellites de Washington s'emploient activement à informer et à laver psychologiquement le cerveau de leur propre population et de la population russe par le biais d'agents étrangers, des médias sociaux et de divers programmes de subventions par le biais de missions diplomatiques.
La médisance des politiciens occidentaux à l'égard des pays non-occidentaux relève également clairement du double standard. Prenez, par exemple, le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a déclaré que la décision de Moscou de reconnaître la LNR et la DNR était inacceptable. "Nous appelons les parties à se laisser guider par le bon sens et à respecter le droit international", a déclaré le président turc [iii].
La présence de l'armée turque en Syrie et en Irak ne viole-t-elle pas le droit international? Ont-ils reçu une invitation des autorités de ces pays? Bien sûr que non. Et la situation en Chypre du Nord ne correspond clairement pas aux normes dont parle Erdogan.
À propos, pendant des décennies, la République de Chypre du Nord n'a été reconnue que par la Turquie pour des raisons évidentes. Et la DNR et la LNR ont déjà été reconnues non seulement par la Russie, mais aussi par la RCA. La Syrie, qui a déjà soutenu la décision du président Poutine, est la prochaine [iv]. Des reconnaissances officielles suivront sûrement de la part de la Biélorussie, du Venezuela et du Nicaragua, dont les dirigeants ont soutenu la décision de Moscou. Et aussi d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud.
Bien sûr, Erdogan est préoccupé par la question kurde, car la population kurde de Turquie augmente chaque année, ce qui entraînera inévitablement des déséquilibres politiques à terme. Mais Erdoğan lui-même mène plutôt dans son pays une politique répressive sous couvert de lutte contre le terrorisme, puisque le Parti des travailleurs du Kurdistan y est reconnu comme une organisation terroriste.
Toutefois, le rôle de la Turquie pourrait être plus destructeur en direction de l'Ukraine - où des drones de combat Bayraktar ont déjà été livrés, qui pourraient être utilisés contre les habitants du Donbass [v]. Et les combattants sans scrupules utilisés par la Turquie à Idlib en Syrie ou en Libye pourraient également se déployer après les Bayraktars [vi]. Au moins, la possibilité d'un tel scénario doit être envisagée. D'autant plus qu'il a déjà été fait état du recrutement de combattants de Bosnie-Herzégovine, d'Albanie et du Kosovo pour les envoyer en Ukraine [vii].
En résumé, on peut conclure clairement que la Russie est du bon côté de l'histoire. Il sera difficile de briser le blocus de l'information et de faire connaître la vérité aux citoyens d'autres pays, notamment ceux de la communauté euro-atlantique. Bien qu'il y ait là aussi des médias et des politiciens adéquats. Il sera également difficile de surmonter les nouvelles mesures de sanctions qui concernent la dette souveraine de la Russie et sa capacité à opérer sur les marchés occidentaux.
Mais, d'un autre côté, cela nous oblige à continuer à développer notre propre stratégie mondiale, où il n'y aura pas de place pour le totalitarisme occidental. Par conséquent, la reconnaissance de la DNR et de la LNR est un autre pas vers la multipolarité émergente [viii].
Sources:
[i] https://www.un.org/en/genocideprevention/about-responsibility-to-protect.shtml
[ii] https://ria.ru/20210109/sudan-1591607931.html
[iii] https://www.forbes.ru/society/456553-erdogan-nazval-nepriemlemym-resenie-putina-priznat-dnr-i-lnr
[iv] https://ria.ru/20220221/siriya-1774191571.html
[v] https://www.mk.ru/politics/2022/02/21/eksperty-ocenili-ugrozu-ot-tureckikh-bayraktarov-na-donbasse.html
[vi] https://ru.armeniasputnik.am/20200122/Idlib-kak-zhertva-voenno-politicheskoy-avantyury-Turtsii-pochemu-Erdogan-zhaluetsya-Putinu-21797766.html
[vii] https://rg.ru/2022/02/21/zapadnye-specsluzhby-verbuiut-boevikov-dlia-otpravki-na-ukrainu.html
[viii] https://katehon.com/ru/article/liberalizm-umiraet-priblizhaetsya-mnogopolyarnost
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vendredi, 25 février 2022
L'Irak en proie à une crise prolongée
L'Irak en proie à une crise prolongée
Leonid Savin
Après les élections parlementaires en Irak, il semblait qu'il y aurait un gouvernement stable qui prendrait des mesures actives pour ramener l'ordre dans le pays. Cependant, ces espoirs ne se sont pas concrétisés et depuis le début de l'année, une nouvelle crise politique a embrasé l'Irak.
Le 9 février, la structure de coordination irakienne a proposé une initiative en trois points pour sortir de l'impasse politique dans le pays. Dans une déclaration, l'Alliance des partis chiites a appelé toutes les factions politiques et les personnalités nationales à "communiquer et à dialoguer pour remplir les obligations constitutionnelles" et a demandé au plus grand bloc politique de "se mettre d'accord sur les critères de choix d'un premier ministre fort et efficace".
"Nous déclarons être tout à fait prêts à nous engager positivement dans toutes les propositions, idées et visions qui seront présentées par nos partenaires au pays, avec lesquels nous partageons le même destin. Nous devons tous faire notre possible pour servir les Irakiens, un peuple qui a beaucoup souffert dans l'intervalle", indique la déclaration. L'organisme a également annoncé qu'il tendait la main aux "forces politiques qui constituent le plus grand bloc parlementaire, notamment le mouvement sadriste."
Plus tôt, le 5 février, des représentants du bloc sadriste ont déclaré qu'ils avaient suspendu toutes les négociations visant à former un gouvernement irakien et ont appelé au boycott de la session parlementaire destinée à élire un président. Le mouvement sadriste, dirigé par l'éminente figure chiite Muqtada al-Sadr, a formé le plus grand bloc parlementaire lors des élections du 21 octobre dernier, remportant 73 des 329 sièges du parlement.
Et un vote parlementaire visant à élire un président le 7 février a été annulé parce que seuls 58 des 329 députés étaient présents, soit bien moins que le quorum des deux tiers requis pour élire un nouveau chef d'État.
Le boycott parlementaire fait suite à une décision de la Cour suprême disqualifiant l'ancien ministre des Affaires étrangères Hoshyar Zebari en tant que candidat à la présidence en raison d'allégations de corruption formulées en 2016 alors qu'il était ministre des Finances [i].
Le plus grand bloc politique, dirigé par le clerc chiite Moqtada al-Sadr, ainsi que la Coalition pour la souveraineté alliée dirigée par Halbusi et le Parti démocratique du Kurdistan, dont Zebari lui-même est un représentant, ont annoncé un boycott avant la session.
La présidence est largement cérémoniale, mais l'échec de son élection soulève des questions sur la capacité de l'influent clerc chiite Moqtada al-Sadr à obtenir la nomination d'un premier ministre et d'un gouvernement.
Ces scandales de haut niveau n'aident manifestement pas à résoudre les problèmes sous-jacents, parmi lesquels les activités des vestiges d'organisations terroristes constituent une menace importante. Il y a eu récemment des tentatives de réorganisation par des cellules d'ISIS (interdites en Russie).
Par exemple, fin janvier, le groupe "Desert Ghosts" est devenu actif dans la province d'Anbar et a commencé à organiser des attaques contre des chefs tribaux locaux et des politiciens indépendants. C'est dans l'ouest de l'Anbar que l'ISIS a pu se déployer et c'est à partir de là qu'il a entamé des frappes dans d'autres régions, tant en Irak qu'en Syrie.
La présence militaire étrangère pose également des problèmes. En plus des bases militaires américaines qui sont stationnées en Irak, de Zahu à Hakurk sur l'axe ouest-est et d'Awashin à Erbil sur l'axe nord-sud, la Turquie possède 38 postes ou bases militaires dans le nord de l'Irak [ii].
Auparavant, la volonté de la Turquie de détruire les milices kurdes dans la région de Sinjar, dans le nord de l'Irak, avait provoqué des tensions avec Bagdad et Téhéran. Lorsque les forces armées turques ont lancé une opération militaire contre le Parti des travailleurs du Kurdistan, considéré comme une organisation terroriste, à Gara, dans le nord de l'Irak, en février 2021, les unités de mobilisation populaire irakiennes ont déployé leurs forces dans la région de Sinjar contre les forces turques. Cela a, bien sûr, provoqué des frictions diplomatiques entre l'Iran et la Turquie.
On sait également que les Turcs formaient les structures de combat Hashd al-Watani de l'homme politique irakien Oussama al-Nujaifi dans une base turque à Bashik, près de Mossoul. Officiellement, Ankara affirme que ses troupes et ses bases se trouvent dans le nord de l'Irak pour "combattre le terrorisme" et maintenir la sécurité nationale. Cependant, la Turquie a également des revendications contre les sunnites irakiens.
Et tandis que les États-Unis restent en Irak et poursuivent leur politique consistant à "contrer l'Iran" en Asie occidentale, c'est-à-dire à lutter contre les chiites (y compris les chiites irakiens), la Turquie considère sa politique comme un contrepoids à la soi-disant "influence iranienne". En cela, les objectifs de la Turquie et des États-Unis sont les mêmes.
En même temps, comme objectif hypothétique, en cas de fragmentation de l'Irak, la Turquie est susceptible d'envisager l'annexion du nord de l'Irak, où, selon Ankara, elle a des revendications historiques.
En ce qui concerne le gouvernement irakien, les possibilités de contrer les violations de la souveraineté et de l'intégrité territoriale par la Turquie sont jusqu'à présent limitées. Et Ankara restera un partenaire commercial majeur de Bagdad, avec un important déficit commercial au détriment de ce dernier.
Et le récent réchauffement des relations entre la Turquie, certains États du Golfe et Israël pourrait contraindre Bagdad à accepter la présence de la Turquie dans le nord de l'Irak comme un fait accompli.
En fin de compte, les troupes turques dans le nord de l'Irak sont là pour accomplir trois tâches : influencer la question kurde et s'attaquer directement au problème du PKK ; renforcer les ambitions régionales de la Turquie ; et créer une monnaie d'échange avec ses alliés occidentaux. Les dernières nouvelles pour Ankara ne sont toutefois pas bonnes, même si elles n'ont pas de dimension militaire.
La loi de 2007 sur le pétrole et le gaz régissant la région du Kurdistan a été jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême fédérale d'Irak dans un arrêt rendu le 15 février. C'est un coup dur pour le gouvernement régional du Kurdistan, avec des conséquences directes sur ses accords énergétiques cruciaux avec la Turquie.
Le Kurdistan a utilisé cette loi pour développer son propre secteur pétrolier et gazier indépendamment de Bagdad, alors que les gouvernements régionaux cherchaient à obtenir une indépendance totale et signaient des accords de plusieurs milliards de dollars avec des compagnies pétrolières internationales. La justification officielle des autorités du Kurdistan était que Bagdad n'avait pas fourni et ne fournit toujours pas à la région du Kurdistan une part équitable du budget national et des revenus pétroliers.
La décision du tribunal est considérée comme liée aux intrigues qui se sont déroulées à Bagdad et, selon des sources bien informées, a pris par surprise le Premier ministre irakien Mustafa al-Khadimi, qui entretient de très bonnes relations avec les Kurdes irakiens [iii].
Pourquoi cette décision n'est-elle pas bénéfique pour la Turquie ? Depuis 2014, le pétrole brut du Kurdistan circule dans un oléoduc construit à cet effet qui mène à des terminaux de chargement dans le port méditerranéen de Ceyhan, en Turquie. Cela a donné à Ankara un pouvoir sans précédent sur la zone kurde semi-indépendante, bien que les Turcs aient continué à se battre avec les structures du Parti des travailleurs du Kurdistan.
Bagdad a déposé une demande d'arbitrage contre la Turquie auprès de la Chambre de commerce internationale, qui en est maintenant à sa huitième année. La Turquie pourrait potentiellement verser au gouvernement irakien 24 milliards de dollars en compensation. Israël était également dans le coup, car une grande partie du brut du Kurdistan est achetée par Israël sur le marché au comptant.
La décision du tribunal indique que la loi de 2007 viole diverses dispositions de la constitution et déclare invalides les contrats conclus par le Kurdistan avec des pays et des sociétés étrangers pour l'exploration, la production, l'exportation et la vente.
Le Kurdistan, officiellement reconnu comme une région autonome de l'Irak depuis 2005, exploite ses ressources pétrolières et gazières indépendamment du gouvernement fédéral irakien depuis des décennies, adoptant sa propre loi sur le pétrole en 2007 pour gérer les ressources sur son territoire.
Jusqu'à présent, la Turquie n'a pas officiellement commenté la décision, tandis que les autorités kurdes l'ont rejetée, la qualifiant non seulement d'"inconstitutionnelle" mais aussi d'"injuste". Masoud Barzani, leader du Parti démocratique du Kurdistan et ancien président de la région, a déclaré que cette démarche était une tentative de "dresser la région du Kurdistan contre le système fédéral en Irak".
Il convient d'ajouter qu'en plus des tensions liées au différend sur les ventes de pétrole et de gaz du Kurdistan contournant Bagdad, la situation s'est considérablement détériorée après 2014, lorsque les forces armées kurdes Peshmerga ont pris le contrôle de la ville de Kirkouk après que les combattants d'ISIS aient tenté de s'en emparer. La ville, ainsi que les lucratifs champs pétrolifères environnants, sont restés sous le contrôle des Kurdes jusqu'en octobre 2017, date à laquelle Bagdad a ramené de force la ville sous contrôle fédéral à la suite d'un référendum contesté sur l'indépendance de la région kurde [iv].
Malgré un accord conclu en 2019 entre Bagdad et la capitale kurde Erbil, les Kurdes ont officiellement fourni à Bagdad 250.000 des plus de 400.000 barils de pétrole par jour en échange de leur part du budget fédéral, qui sert à payer les salaires des fonctionnaires et des forces armées. Mais les Kurdes, parallèlement, ont continué à maintenir des contrats avec des compagnies pétrolières étrangères indépendantes de Bagdad - ces mêmes accords qui sont aujourd'hui menacés.
Et selon les experts, Bagdad gagnera le procès car il a un dossier très solide dans la cour d'arbitrage de Paris.
La Turquie souhaite un délai car elle ne veut pas être accusée de manquement, ce qui à son tour saperait sa crédibilité sur les marchés internationaux alors qu'elle se bat pour maintenir à flot ses finances actuelles. Pour Ankara, le dilemme est donc de savoir ce qu'il faut faire ensuite.
La seule issue semble être une crise politique prolongée en Irak même, car le chaos à Bagdad pourrait retarder un changement de jeu à la fois pour les Kurdes et les Turcs. Et la question se pose : Ankara va-t-elle agir sur ce point ou attendre tranquillement la décision d'arbitrage ?
Mais il y a un autre aspect extérieur à cette affaire, car la décision de la Cour suprême irakienne est intervenue un jour après que la société française Total Energies a conclu un accord de 27 milliards de dollars avec l'Irak, dont Bagdad espère qu'il pourrait inverser le départ des grandes compagnies pétrolières du pays. L'accord devrait être finalisé à partir de mars de cette année. Par conséquent, étant donné les nombreux intérêts et contradictions, la restauration de la souveraineté de Bagdad sera un processus difficile et non rapide.
Notes:
[i] https://www.arabnews.com/node/2020976/middle-east
[ii] https://thecradle.co/Article/investigations/6255
[iii] https://www.al-monitor.com/originals/2022/02/iraqi-courts-ruling-krg-gas-puts-turkey-spot
[iv] https://www.middleeasteye.net/news/iraq-kurds-denounce-unjust-oil-gas-ruling-energy-feud
12:49 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : géopolitique, actualité, politique internationale, irak, kurdes, kurdistan irakien, moyen-orient, pétrole, hydrocarbures | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Psychopathes géopolitiques
Psychopathes géopolitiques
par Georges FELTIN-TRACOL
Non content de tripoter les petites filles, Joe Biden tripote les faits et les renseignements que lui fournissent chaque matin les agences spécialisées. Le fameux contentieux entre l’Ukraine et la Russie démontre une fois de plus la malfaisance de la Maison Blanche et sa propension inégalée à alarmer inutilement l’opinion publique.
Selon les experts extra-lucides du Département d’État, le 16 février 2022 signifiait le commencement de l’offensive russe en Ukraine. Les Ukrainiens attendent toujours l’arrivée des blindés de Vladimir Poutine (l'actualité vient de démentir cette phrase...). Les Anglo-Saxons (Étatsuniens et Britanniques) élèvent au rang d’art appliqué la désinformation ainsi que les manipulations de masse. L’exagération des menaces agace un gouvernement ukrainien qui n’apprécie pas les conseils donnés aux ressortissants occidentaux de quitter le pays et le transfert à l’Ouest de l’Ukraine des ambassades. Les journalistes européens sur place confirment par leurs prises d’antenne et leurs reportages que Boris Johnson et Joe Biden détournent la réalité dans le seul but de provoquer une guerre déstabilisatrice pour l’aire eurasiatique.
Organisation belliciste, l’OTAN concentre de nombreuses troupes aux frontières de la Russie, du Bélarus et de l’Ukraine. Les Polonais et les Lituaniens favorisent ces mouvements militaires et livrent des armes aux Ukrainiens par russophobie et par ressentiments historiques non dépassés. Certes, des cénacles nationaux-soviétiques et néo-eurasistes en Russie rêvent de reprendre l’Ukraine. Mais Varsovie et Vilnius convoitent aussi les mêmes terres au nom d’un héritage historique commun. La Turquie et Israël ne sont pas non plus insensibles au devenir du chétif État ukrainien.
Huit longues années de conflit au Donbass ont développé et fortifié le sentiment national ukrainien. Nombreux sont les Ukrainiens de tout âge et des deux sexes qui s’exercent au maniement des armes et s’entraînent au combat sur leur temps libre. Il faut saluer ce magnifique esprit patriotique bien qu’on reste par ailleurs perplexe quand ils souhaitent adhérer à l’Alliance Atlantique et à l’Union dite européenne, deux asiles psychiatriques planétaires réputés ! Ukrainiens et Russes n’ont encore pas fait leur révolution intérieure anti-matérialiste !
Les propos sensationnalistes et volontairement délirants de Joe Biden et de son déplorable comparse Boris Johnson servent en priorité à masquer leurs déboires politiques intérieurs. Le clown du 10, Downing Street s’enferre dans le scandale médiatique des fêtes clandestines organisées en plein confinement covidien. La probité douteuse de « BoJo » en prend un sérieux coup et ravit au contraire l’opposition travailliste ainsi que les conservateurs thatchériens qui n’acceptent toujours pas son virage social.
Quant à Biden, il assiste médusé à la convergence contre toute intervention US à l’Est de l’Europe de l’aile isolationniste des Républicains menée par la représentante de Géorgie Marjorie Taylor Greene, et de l’aile gauchiste des Démocrates conduite par la meneuse du « Squad » (le quateron féministe wokiste) Alexandria Ocasio-Cortez. La forte inflation bloque en outre le plan de relance économique à plusieurs centaines de milliers de milliards de dollars adopté dans la douleur par un Congrès divisé. Dans ce contexte socio-économique difficile s’ajoutent une hausse sans précédent de la criminalité et le blocage des institutions. À l’approche des élections de mi-mandat, le bilan, fort mauvais, de « Sleepy » Joe tient sur un simple timbre-poste. Sa seule chance de ne pas perdre la majorité au Sénat, voire à la Chambre des représentants, serait de se lancer dans une nouvelle aventure militaire étrangère. Or, la Russie de Vladimir Poutine en 2022 n’est pas le Guatemala du président Árbenz de 1954…
Ce calcul de politique extérieure démontre de la part d’un Joe Biden qui veut porter le vêtement trop grand pour lui de commandant en chef, d’un comportement de psychopathe géopolitique. Le moindre prétexte à la frontière russe risque de déclencher des hostilités dont le continent européen deviendrait le principal théâtre d’opération. Maints commentateurs estiment que l’ambiance actuelle entre les principales puissances s’apparente à une véritable avant-guerre. Il est envisageable que ce conflit général commence par une provocation montée par les Polonais ou les Lituaniens qui passeraient pour des soldats russes attaquant une garnison ukrainienne frontalière. Les États-Unis d’Amérique ont une très longue tradition de victimisation qui leur donne ensuite l’avantage moral. Des motifs de l’invasion du Mexique en 1846 – 1848 aux mensonges de Colin Powell au Conseil de sécurité de l’ONU en 2003 en passant par l’explosion accidentelle de l’USS Maine dans le port de La Havane à Cuba le 15 février 1898 et l’attaque japonaise de Pearl Harbor acceptée par Roosevelt, Washington se sert des événements pour lancer des guerres soi-disant défensives alors que l’« État profond » yankee est naturellement agressif.
La présence depuis soixante-dix ans de bases étatsuniennes en Europe et le maintien de l’Alliance Atlantique perturbent les relations internationales. Même si le monde russe n’appartient qu’en partie à la civilisation européenne, la guerre entre Ukrainiens et Russes demeure une affreuse guerre civile que les diplomates allemands, français et italiens devraient arrêter au plus tôt. Hélas ! Leurs initiatives respectives sont bloquées ou vidées de leur sens par les redoutables coteries atlantistes qui infestent la haute-administration des États européens colonisés. La libération de l’Europe commencera d’abord et avant tout par sa « désaméricanisation », ce qui, on le conviendra, n’est pas une mince affaire.
GF-T
PS : Enregistrée et transmise le 17 février dernier pour une diffusion, le 22 suivant, cette chronique minimisait un peu les tensions entre la Russie et l’Ukraine, entre le nationalisme grand-russe et le nationalisme ukrainien dont l’antagonisme ne cesse d’être alimenté par les régimes occidentaux dévoyés. Malgré l’actualité brûlante et nonobstant la brutalité des faits, sa trame reste plus que jamais pertinente.
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 21, mise en ligne le 22 février 2022 sur Radio Méridien Zéro.
11:06 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : géopolitique, politique internationale, joe biden, états-unis, europe, affaires européennes, russie, ukraine | | del.icio.us | | Digg | Facebook