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samedi, 07 mai 2022

En limitant les mouvements de Moscou, Erdogan joue à la roulette russe

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En limitant les mouvements de Moscou, Erdogan joue à la roulette russe

par Abdel Bari Atwan

Source: https://www.ideeazione.com/limitando-le-mosse-di-mosca-erdogan-sta-giocando-alla-roulette-russa/

La décision de la Turquie de fermer son espace aérien aux avions militaires et civils russes à destination du nord de la Syrie a surpris de nombreux observateurs. L'annonce de cette décision par le ministre des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu aux journalistes turcs lors de sa tournée en Amérique latine a soulevé de nombreuses questions sur ses implications futures pour les relations russo-turques.

Il est peu probable que cette décision ait pu être l'un des résultats d'un accord turco-américain suite à des contacts discrets entre le président Recep Tayyip Erdogan et son homologue américain Joe Biden pour sévir contre la Russie. Contrairement à son prédécesseur Donald Trump, M. Biden estime qu'il est difficile d'assurer la sécurité régionale sans la Turquie, qui est un membre originel de l'OTAN. L'accord entre les deux pays prévoyait donc d'étendre la coopération économique et de répondre aux besoins de la Turquie en matière de défense, notamment en ce qui concerne les systèmes de missiles avancés F-35, Patriot et THAAD.

Il y a plusieurs explications à la décision d'Ankara. La première est que les États-Unis ont fait pression sur la Turquie après qu'il soit apparu que les Russes dirigeaient la bataille de Marioupol et d'autres zones du sud-est de l'Ukraine depuis la base aérienne russe de Hemeimim, dans le nord de la Syrie - d'où étaient menées des attaques stratégiques contre les forces ukrainiennes.

Une deuxième explication possible est qu'Erdogan a réussi à améliorer les relations de son pays avec Washington en profitant du besoin désespéré des États-Unis d'avoir des alliés régionaux dans la guerre par procuration de l'OTAN en Ukraine.

Mais là où l'un perd, un autre gagne. À la suite de la décision surprise de la Turquie, Téhéran a astucieusement proposé d'autoriser les avions russes à utiliser l'espace aérien iranien pour atteindre les bases navales et aériennes du nord de la Syrie. Bien que ces temps de vol puissent être plus longs, il y a des avantages immédiats pour les deux pays, en particulier pour l'Iran, qui a maintenant renforcé davantage sa relation stratégique avec l'axe Russie-Chine. L'Iran n'a pas été ambigu: depuis le début de la crise militaire ukrainienne, il n'a pas condamné les actions de Moscou et est resté tranquillement parmi les alliés tacites de la Russie.

Le président russe Vladimir Poutine s'est montré généreux envers son homologue turc. Il a pardonné à Erdogan son erreur de 2015, lorsque les défenses aériennes turques avaient abattu un avion russe Sukhoi qui avait pénétré pendant quelques secondes dans l'espace aérien de la Turquie, près de la frontière turco-syrienne. Il a fallu une série de sanctions russes de bonne envergure pour que le président turc s'excuse dans toutes les langues, y compris le russe, pour cette mésaventure.

Poutine a fait preuve de compréhension, voire de patience, à l'égard de l'occupation par la Turquie de zones dans le nord de la Syrie, contrairement aux souhaits de ses fidèles alliés à Damas. Toutefois, la dernière décision d'Ankara d'établir une zone d'exclusion aérienne russe ne sera pas si facile à pardonner, surtout si elle est suivie d'autres mesures telles que l'interdiction du passage des navires de guerre russes par les détroits du Bosphore et des Dardanelles vers la Méditerranée, conformément à l'accord de Montreux.

Cela reste une option à la lumière de l'amélioration rapide - bien que furtive - des relations turco-américaines; mais choisir de s'aligner sur Washington au sujet de l'Ukraine risque également d'accroître les coûts militaires, politiques et économiques de la Turquie, un an avant les élections cruciales du pays.

S'aligner davantage sur les États-Unis signifie également qu'Erdogan ne pourra pas continuer à jouer son rôle soigneusement élaboré de médiateur "neutre" dans cette crise, et accueillir la prochaine réunion au sommet entre les présidents turc et ukrainien.

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Les aspirations turques à étendre la coopération commerciale avec la Russie à 100 milliards de dollars par an seront également touchées, et la vente de systèmes de défense antimissile russes S-400 supplémentaires à la Turquie sera peu probable. Plus sérieusement, la Russie pourrait réagir en développant ou en élargissant ses relations avec le parti séparatiste des travailleurs du Kurdistan (PKK) et en soutenant ses opérations en Turquie.

Politiquement parlant, l'opération militaire russe en Ukraine est une question de vie ou de mort pour Poutine. Par conséquent, sa réponse aux mouvements inamicaux d'Ankara sera probablement décisive et pourrait se jouer sur plusieurs fronts :

- Le front syrien : afin de maintenir l'équilibre dans les relations russes avec la Turquie, Poutine s'est fortement opposé au désir des dirigeants syriens d'envahir Idlib pour éliminer les groupes terroristes djihadistes qui y sont basés et rendre le contrôle de ce territoire à Damas. Même si la position de Moscou ne change pas encore, la reprise et l'intensité des opérations militaires russes à Idlib entraîneront la fuite d'un plus grand nombre de Syriens vers le territoire turc, qui accueille déjà plus de 3 millions de réfugiés syriens.

- Renforcement des relations russo-iraniennes : cela aura un impact négatif sur les ambitions régionales d'Erdogan - notamment en Asie occidentale et centrale - en tenant compte du fait que la Chine, qui constitue le troisième bras, et plus fort, dans cette alliance naissante, est un membre à part entière de cette troïka.

- Le front arabe : Le désir de la Turquie d'améliorer ses relations avec l'Arabie saoudite, l'Égypte et d'autres États du golfe Persique et du monde arabe pourrait être entravé par le rapprochement de ces pays avec la Russie et la Chine, qui coïncide avec la rupture de leurs relations avec leur allié américain traditionnel. L'alliance Russie-Iran-Chine (RIC) peut faire beaucoup en Asie occidentale pour perturber les relations d'Ankara dans la région. Il convient de noter que Riyad n'a pas encore répondu aux ouvertures diplomatiques turques, notamment en ce qui concerne la fermeture du dossier étatique sur le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.

Ces derniers mois, le leadership d'Erdogan a été caractérisé par la confusion et la volatilité. Parmi les récents développements politiques, citons le renforcement impopulaire des liens d'Ankara avec Israël, son implication progressive dans la crise ukrainienne et le réchauffement des relations avec Washington. Celles-ci interviennent à un moment critique, non seulement en pleine crise économique nationale, mais aussi un an avant les élections présidentielles et législatives qui menacent sérieusement le pouvoir détenu par Erdogan.

Le président Poutine a peut-être décidé dans un premier temps de fermer les yeux sur la vente par la Turquie des drones Bayraktar qui ont probablement contribué à la mort de quelque 2000 soldats russes en Ukraine, et a accepté à contrecœur le rôle d'intermédiaire joué par la Turquie dans la crise. Au niveau stratégique, cependant, il lui sera difficile de tolérer l'accélération des nouveaux rapports de la Turquie avec l'Occident américanisé.

Il est vrai que la Turquie est une puissance régionale, et qu'elle est militairement forte, mais il est également vrai que le camp dirigé par les États-Unis vers lequel elle penche est en déclin, déchiré par les divisions, et échoue dramatiquement dans son régime de sanctions économiques contre la Russie. De plus, ce camp est confronté à l'alliance de deux superpuissances, d'une troisième nucléaire (l'Inde) et d'une quatrième en devenir (l'Iran), qui représentent ensemble plus de la moitié de la population mondiale.

Le nouveau pari du président Erdogan relatif à la Russie est risqué et pourrait se retourner contre lui au mauvais moment.

4 mai 2022

lundi, 02 mai 2022

Vers une finlandisation de l'Ukraine?

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Vers une finlandisation de l'Ukraine?

Erich Körner-Lakatos

Source: https://zurzeit.at/index.php/kommt-es-zur-finnlandisierung-der-ukraine/

Neutralité et renonciation à l'adhésion à l'OTAN : une alternative envisageable

Au vu de la situation en Ukraine, il est question ces derniers jours que le pays situé sur les rives du Dniepr pourrait à l'avenir renoncer à adhérer à l'OTAN et devenir un Etat durablement neutre. Des signes en ce sens sont même apparus dans la bouche du président Volodymyr Selenski (soit dit en passant, le prénom Volodymyr correspond à Vladimir; Zelenski et son adversaire Poutine partagent donc au moins le même prénom). Avant cela, Emmanuel Macron avait déjà évoqué le terme de finlandisation, car la Finlande et l'Ukraine sont tout à fait comparables d'un point de vue géographique: tous deux ont une longue frontière avec leur voisin oriental, la Russie, qui est militairement surpuissante.

En d'autres termes, la finlandisation signifie que le petit voisin ne peut affirmer son indépendance limitée que si sa neutralité présente une caractéristique particulière, à savoir un déséquilibre en faveur de la Russie. Un autre parallèle saute aux yeux: la Finlande et l'Ukraine ont longtemps fait partie de la Russie tsariste, l'Ukraine même après, pendant la période de domination communiste. Les deux pays n'ont pu obtenir leur indépendance étatique que pendant une période de faiblesse de la Russie.

Pour comprendre ce que signifie la finlandisation pour la future Ukraine, il est nécessaire de se pencher sur l'histoire de la Finlande pendant la période où cette forme particulière de neutralité a existé.

Comme on le sait, la Finlande faisait partie de la sphère d'intérêt soviétique en vertu du protocole additionnel secret au pacte Molotov-Ribbentrop d'août 1939. C'est pourquoi les troupes soviétiques ont envahi les trois États baltes, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, sans rencontrer de résistance. Il en alla autrement en Finlande: pendant la guerre dite d'hiver en 1939/40, l'armée finlandaise, relativement petite, remporta des succès défensifs et mit à mal l'Armée rouge, affaiblie par les purges de Staline. Ce n'est qu'au bout de six mois que la supériorité de Moscou se fit sentir et qu'Helsinki dut demander un armistice et subir des pertes territoriales, tout en étant épargnée par l'occupation.

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La situation fut similaire après la guerre de Continuation du côté allemand dans le cadre de l'opération Barbarossa. En 1944, la Finlande n'est pas non davantage occupée, mais commence alors une période qui durera jusqu'à l'effondrement de l'Union soviétique et qui est connue sous le nom de "finlandisation", c'est-à-dire de prise en compte particulière des sentiments et des souhaits de Moscou.

Sous les présidences de Juho Paasikivi (1946-1956) et d'Urho Kekkonen (1956-1981), la Finlande eut plutôt le statut de vassal de l'Union soviétique, du moins en politique étrangère. Kekkonen, qui appartenait au parti paysan du centre et gouverna de manière presque dictatoriale, fit participer les communistes finlandais au gouvernement. On murmure même que Kekkonen a travaillé pendant des années pour les services secrets soviétiques, le KGB.

L'obéissance anticipée d'Helsinki fut frappante. Lorsque la télévision suédoise diffusa un film basé sur la nouvelle d'Alexandre Soljenitsyne Un jour dans la vie d'Ivan Denissovitch, la Finlande coupa les émetteurs des îles Åland (un groupe d'îles dans le golfe de Botnie entre la Suède et la Finlande) parce que le bureau de la censure d'Helsinki interdit le film comme étant hostile aux Soviétiques. Le roman L'Archipel du Goulag, également écrit par Soljenitsyne, ne put pas être publié en finnois - le chef de l'État Kekkonen s'y opposa. Par crainte d'effrayer Moscou.

Les manuels scolaires ne devaient rien contenir qui puisse fâcher les amis russes (les deux pays ont signé un traité d'amitié en 1948). Même la vie culturelle fut soumise à une censure sévère: les acteurs et les artistes de cabaret qui se permettent de faire de petites blagues sur le voisin de l'Est n'obtenaient plus de rôles.

Leonid Brejnev et son Politburo vieillissant se réjouissent d'autant plus des quelque mille manifestations festives organisées en Finlande en 1970. L'occasion en est le retour du centenaire de la naissance de Vladimir Ilitch Lénine, le fondateur de l'Union soviétique.

D'autre part, entre 1945 et 1979, l'économie finlandaise connut un essor fulgurant, basé sur l'économie de marché occidentale. On se transforma pour le voisin de l'Est en une sorte d'épicerie fine, qui profita certes en premier lieu à la nomenklatura, c'est-à-dire à la classe des fonctionnaires du PC soviétique.

En ce qui concerne l'Ukraine, une neutralité à la finlandaise serait un moindre mal. D'autres scénarios - un État vassal à la manière de la Biélorussie, voire une incorporation totale dans la Fédération de Russie - ne sont probablement pas du goût des citoyens ukrainiens.

RICs et multipolarité

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RICs et multipolarité

par le comité de rédaction de Katehon

Source: https://www.ideeazione.com/i-ric-e-la-multipolarita/

Ces dernières années, le monde est en crise, non seulement à cause de l'instabilité économique, mais aussi à cause des problèmes politiques relatifs au "déclin idéologique et à la perte d'identité". Un nouvel ordre mondial est en train d'émerger: d'un monde unipolaire, nous passons progressivement à un ordre mondial multipolaire. Cependant, sur le plan scientifique, la théorie du monde multipolaire (MMT) n'a pas été finalisée, car elle ne figure pas aujourd'hui parmi les théories et paradigmes classiques des relations internationales.

Malgré cela, un nombre croissant d'ouvrages sur la politique étrangère et la géopolitique liés au TMM sont apparus au fil du temps. L'historien britannique Paul Kennedy, spécialiste des relations internationales, a prédit dans son livre The Rise and Fall of the Great Powers (1987) que l'équilibre des forces militaires allait changer au cours des 20 à 30 prochaines années, pour aboutir à un monde multipolaire vers 2009. Jusqu'à présent, sa prédiction ne s'est pas réalisée, mais aujourd'hui, en 2022, nous faisons l'expérience d'un changement dans l'ordre mondial plus aigu que jamais. En 2000, la secrétaire d'État américaine Madeleine Albright a soutenu que l'ordre mondial émergent n'est plus unipolaire, mais plutôt multipolaire.

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En 2009, le rapport Global Trends 2025 du National Intelligence Council américain a déclaré que les conditions préalables à l'émergence d'un "système multipolaire mondial" étaient en train de se mettre en place sur les deux prochaines décennies, vers 2029. Cette hypothèse sera testée par le temps. Le rapport cite les facteurs suivants: la montée en puissance de pays tels que la Chine, l'Inde, qui peuvent influencer la création d'un système mondial multipolaire. En 2025, il n'y aura plus une seule "communauté internationale" d'États-nations. Le pouvoir sera dispersé parmi les nouveaux acteurs politiques. Il y a aussi la dépendance des pays vis-à-vis des grands exportateurs de gaz, comme la Russie et l'Iran. Si les prix sont élevés, la puissance de ces pays augmentera considérablement. Le niveau du PIB de la Russie pourrait en théorie égaler celui du Royaume-Uni et de la France. Comme nous le savons, la question de l'approvisionnement en gaz de la Russie à l'UE n'a pas été résolue jusqu'à présent. En raison d'un nombre précédent de sanctions américaines et européennes contre la Russie, la Fédération de Russie a décidé de vendre du gaz exclusivement en roubles à partir du 1er avril 2022, ce qui a provoqué une vague d'indignation dans l'UE. Toutefois, le 25 avril 2022, on a appris que l'Arménie et l'Azerbaïdjan étaient passés au paiement du gaz en roubles. Ainsi, l'un des points d'influence de la Russie sur le monde pourrait être les ressources énergétiques.

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Alors, quelle est la théorie du monde multipolaire? Il a été développé en Russie en 2012, grâce au philosophe, sociologue et penseur politique russe A. G. Douguine. Dans sa monographie intitulée The Theory of a Multi-polar World. Pluriversum, il a présenté le concept en détail. Le TMM est avant tout un concept politique, qui constitue une interprétation alternative du concept de multipolarité largement utilisé dans la théorie des relations internationales. La création de la théorie s'est appuyée sur diverses études politiques et culturelles-anthropologiques, ainsi que sur des systèmes socio-philosophiques tels que la géopolitique, l'eurasianisme et plusieurs autres. Ajoutons qu'elle s'appuie sur l'idéologie de la "révolution conservatrice" et le traditionalisme de la "nouvelle droite". Cette théorie vise à construire un nouveau système non occidental de relations internationales. En 1993, le politologue américain Samuel Huntington a proposé le concept du choc des civilisations, qui correspondait tout à fait aux idées de Douguine. Les "nouveaux centres", posés comme tels, sont une alliance de plusieurs États BRICS (Russie, Brésil, Chine, Inde et Afrique du Sud).

Cependant, les partisans américains de l'unipolarité rigide ne veulent pas reconnaître le terme "multipolarité". C'est pourquoi ils ont proposé un autre terme, la "non-polarité". Ce concept suppose que "les processus de mondialisation vont se développer davantage et que le modèle occidental d'ordre mondial va étendre sa présence parmi tous les pays et peuples de la terre". Ainsi, l'hégémonie intellectuelle des valeurs de l'Occident se perpétuera.

Toutefois, cette théorie soulève un certain nombre de doutes en raison des développements mondiaux actuels. La Chine, par exemple, devance désormais, en toute confiance de soi, les États-Unis dans un certain nombre d'indicateurs. Depuis 2013, l'initiative "Une Ceinture, une Route" s'est développée ("One Belt, One Road"). La Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures a été lancée, ce qui a été un succès pour la RPC. La Chine a commencé à promouvoir les idées du concept chinois de "l'avenir commun de l'humanité". L'un des postulats de ce concept est la création d'une "grande famille", qui peut être interprétée comme une interconnexion étroite entre les peuples du monde. Progressivement, la Chine s'éloigne du soutien à l'ordre mondial existant pour tenter de remplacer l'ancien hégémon, les États-Unis.

Une autre théorie, alternative à la théorie de la multipolarité, est celle d'un "monde multipolaire". C'est que les États-Unis ne doivent pas être la seule puissance hégémonique. Elle devrait plutôt tenir compte des positions de ses partenaires et parvenir à des solutions de compromis avec les autres pays. Mais comme nous le savons, la politique américaine à ce jour est en totale contradiction avec cette thèse.

Ensuite, il convient de définir un cadre clair pour un monde multipolaire. Il ne s'agit pas d'un retour des deux pôles tels que les États-Unis et l'URSS qui se faisaient face autrefois: dans un monde multipolaire, il doit y avoir plus de deux pôles. La multipolarité n'est pas non plus compatible avec les concepts de non-polarité et de multilatéralisme mentionnés précédemment.

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Il est important de noter que la tendance à la multipolarité se fera dans les États qui sont principalement orientés vers un monde multipolaire: la Russie, la Chine, l'Inde et quelques autres. L'eurasisme, par exemple, est considéré comme l'une des stratégies pour un monde multipolaire. À ce jour, il existe plusieurs perspectives sur l'intégration eurasienne. Premièrement, l'Union économique eurasienne (UEE) en tant qu'interprétation de l'eurasisme. Deuxièmement, l'évaluation de l'EAEU comme un véritable concurrent qui pourrait menacer les intérêts de l'UE et des États-Unis. Troisièmement, la possibilité d'évaluer objectivement la relation entre la politique étrangère de la Russie et l'intégration eurasienne et les développements politiques mondiaux. Le projet chinois One Belt, One Road, mentionné plus haut peut être considéré comme un complément à l'eurasisme. Un projet comme celui de la Grande Eurasie est souvent considéré ici dans sa globalité. Par exemple, le diplomate sri-lankais D. Jayatilleka (photo, ci-dessus) estime que le plus faisable pour la géopolitique eurasienne de la Russie est "d'étendre le concept de "multivectorisme" de Primakov au domaine de l'idéologie et à l'évolution du soft power, qui est véritablement multivectoriel: droite, gauche et centre... Ce n'est qu'ainsi que la Russie pourra redécouvrir son rôle d'avant-garde d'un nouveau projet historique, de porteuse d'une nouvelle synthèse d'idées et de valeurs".

Il est également important de noter que le terme "eurasisme" est souvent utilisé pour décrire la Russie et les nouveaux États indépendants. Selon l'historienne française M. Laruelle, la plasticité de l'eurasisme en tant qu'idéologie explique sa popularité. Parmi les prémisses théoriques de l'eurasisme, Laruelle identifie les suivantes: le rejet de l'Occident et du capitalisme, l'affirmation de l'unité culturelle entre l'ancienne Union soviétique et certaines parties de l'Asie, la formation d'une forme impériale d'organisation politique, ainsi que la croyance en l'existence de constantes culturelles.

En outre, M. R. Johnson, un chercheur de Pennsylvanie travaillant sur l'histoire de la Russie, note que la société américaine ne peut tout simplement pas accepter l'idée de l'eurasisme en raison d'un manque de compréhension de l'ontologie globale de l'eurasisme, et Johnson ne cache pas que le développement de l'eurasisme, et donc la formation d'un monde multipolaire, est une menace potentielle pour les États-Unis. Un autre historien américain, T. Fox, estime que pour parvenir à une diffusion mondiale de l'eurasisme, et donc à la multipolarité, il faut créer un récit universel qui combine l'expérience historique et les valeurs culturelles communes.

Après avoir discuté des théories de la multipolarité de la Chine et de la Russie, il convient de s'intéresser à la théorie de la multipolarité en Inde. L'Inde considère le concept de multipolarité depuis une position participative comme l'un des pôles. Cette position a été exposée lors d'une discussion en janvier 2017 dans The New Normal : Multilateralism with Multipolarity. Ce concept cherche à relier les deux théories de la "multipolarité" et du "multilatéralisme", dont nous avons discuté la distinction précédemment. La théorie indienne de la multipolarité est une fusion de la philosophie occidentale avec la Russie et la Chine. L'Inde présente les relations internationales contemporaines en termes de formation non pas de "pôles" mais d'États agissant en tant que sujets de la multipolarité.

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Le politologue hindou Suryanarayana estime que la formation de la multipolarité est possible si les pays au centre ont leur propre développement historique, leur identité culturelle, leur intérêt national et leurs stratégies politiques. Le politologue critique également les politiques de néocolonialisme et de messianisme caractéristiques de l'Occident. C'est ici qu'émerge un nouveau concept de "multipolarité" par les politologues indiens, à savoir la coopération et le partenariat égalitaire entre les États. Ainsi, la multipolarité n'est pas la domination des "superpuissances", mais la coopération totale entre les pays. Sanjaya Baru (photo, ci-dessus), en tant que directeur de la géo-économie et de la stratégie à l'Institut international d'études stratégiques en Inde, a souligné qu'il était dans leur intérêt de trouver un terrain d'entente et de résoudre les conflits avec le Pakistan, et de maintenir la coopération au plus haut niveau entre l'Inde, la Russie et la Chine. De cette manière, de nouveaux centres ont été identifiés qui, s'ils coopèrent, pourraient obtenir des résultats significatifs dans la réalisation d'un monde multipolaire. Un regard sur les concepts de la Russie, de l'Inde et de la Chine révèle que ces trois pays sont unis par des objectifs communs. S'il existe effectivement un équilibre des forces, une coopération bénéfique entraînera un changement de l'ordre mondial.

29 avril 2022

mercredi, 27 avril 2022

La géopolitique des îles: litiges territoriaux et autres aspects de la géographie maritime

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La géopolitique des îles: litiges territoriaux et autres aspects de la géographie maritime

Leonid Savin

Source: https://katehon.com/ru/article/geopolitika-ostrovov-territorialnye-spory-i-drugie-aspekty-morskoy-geografii

Bases militaires, postes d'étape et garantie du contrôle d'une zone économique exclusive

Début avril, deux événements apparemment sans rapport ont eu lieu: l'Argentine a célébré le 40e anniversaire du début de la guerre pour les îles Malouines (au début, l'opération était en faveur de Buenos Aires, mais les Britanniques ont fini par battre les Argentins et ceux-ci ont capitulé), ainsi que les préoccupations exprimées par certains pays au sujet du prochain traité entre la Chine et les îles Salomon dans l'océan Pacifique.

En fait, les deux cas reflètent un facteur très important de la géopolitique mondiale - l'importance des îles en tant que bastions, bases militaires et territoires souverains (autrement dépendants) contestés. Bien que l'un des premiers géopoliticiens, Halford Mackinder, ait utilisé le concept d'île mondiale pour l'Eurasie et l'Afrique, et que les îles britanniques ou Cuba soient également des sujets assez importants de la politique internationale, nous analyserons dans ce rapport la fonction, le rôle et l'importance d'îles plus petites, voire de rochers et d'atolls. Cela dit, de nombreux cas sont tout à fait uniques.

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Le cas des Malouines (la version argentine et françaises des îlesnommées Falkland par les Britanniques) est un pur défi de souveraineté. Le 2 avril 1982, l'Argentine a tenté de reprendre les îles par la force et a pu y prendre pied pendant un certain temps. Cependant, le gouvernement de Margaret Thatcher a envoyé un groupe de porte-avions dans la zone de conflit, et pour un certain nombre de raisons objectives (indécision des dirigeants argentins, problèmes de munitions et de logistique), l'Argentine a perdu.

Quarante ans plus tard, la question n'a toujours pas été résolue. Dans le même temps, la plupart des pays d'Amérique latine reconnaissent la souveraineté argentine sur les Malouines (la Russie aussi, d'ailleurs), tandis que l'Occident collectif se range du côté de la Grande-Bretagne. Les îles sont importantes pour la sécurité de l'Atlantique Sud. En tant que membre de l'OTAN, la présence de la Grande-Bretagne près du littoral du cône sud du continent (qui s'ouvre à l'Antarctique) est une préoccupation constante pour les pays qui n'ont aucune sympathie pour les politiques anglo-saxonnes.

Un cas géographiquement plus proche est celui des îles Åland dans la mer Baltique, qui appartiennent formellement à la Finlande mais ont un statut autonome. En outre, ils ont leur propre juridiction douanière, un parlement et un gouvernement séparés.

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Les îles ont un statut démilitarisé. La question se pose: que se passera-t-il si la Finlande rejoint l'OTAN ? Ces îles resteront-elles sans contingent militaire, ou leur statut sera-t-il révisé, comme cela s'est produit pour l'île suédoise de Gotland relativement récemment (manifestement sous l'influence d'une russophobie artificiellement gonflée) ?

Les États-Unis, après tout, sont les principaux experts en matière de manipulation des îles. Et les bases de cette politique manipulatoire ont été posées dès le 19e siècle. Le fondateur de l'atlantisme, Alfred Mahan, dans un article de 1890, écrivit: "Les États-Unis regardent vers l'extérieur"; il soulignait ainsi que "des conditions politiques instables, comme en Haïti, en Amérique centrale et dans de nombreuses îles du Pacifique, en particulier dans le groupe hawaïen, combinées à une grande importance militaire ou commerciale, comme dans le cas de la plupart de ces positions, entraînent, comme toujours, de dangereux germes de discorde, auxquels il est au moins sage de se préparer".

"Il ne fait aucun doute que l'état d'esprit général des nations est plus opposé à la guerre qu'il ne l'était autrefois. Si nous ne sommes pas moins égoïstes et avides que nos prédécesseurs, nous avons une grande aversion pour les inconvénients et les souffrances qui accompagnent la rupture de la paix; mais pour préserver cette paix si précieuse, et la jouissance sereine des profits du commerce, il est nécessaire de discuter avec l'ennemi à armes égales".

Et plus loin: "La France et l'Angleterre donnent déjà aux ports qu'elles détiennent un degré de puissance artificielle, inapproprié à leur importance actuelle. Ils se tournent vers l'avenir proche. Parmi les îles et sur le continent, de nombreux postes très importants sont désormais occupés par des États faibles ou instables. Les États-Unis sont-ils prêts à les vendre à un puissant concurrent? Mais quel droit invoqueraient-ils contre un tel changement? Ils ne peuvent revendiquer qu'une seule chose - ses politiques sensées soutenues par sa puissance" [i].

Aujourd'hui, Porto Rico dans les Caraïbes, et dans le Pacifique, Guam, Hawaï et un certain nombre d'îles et d'atolls au sud servent divers objectifs des États-Unis. Saisie de l'Espagne pendant la guerre en 1898, Guam est aujourd'hui une possession américaine, ce qui signifie que l'île ne fait pas partie des États-Unis et qu'elle est "officiellement répertoriée comme un territoire non associé organisé par les États-Unis".

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Entre-temps, il y a un délégué de Guam à la Chambre des représentants des États-Unis, bien que sa fonction ne soit pas tout à fait claire puisqu'il n'a pas le droit de vote. Apparemment, il s'agit d'une sorte d'aumône symbolique de la part de Washington afin que les habitants ne soient pas particulièrement indignés, car il existe un mouvement pour l'indépendance sur l'île.

Et Washington a beaucoup à perdre - c'est maintenant la plus grande base militaire stratégique américaine dans le Pacifique. Les troupes américaines sont principalement concentrées sur la base aérienne d'Andersen et la base navale d'Apra Harbour. Étant donné que les distances dans le Pacifique ne sont pas proches (par exemple, la côte de la Chine est à environ cinq mille kilomètres, celle de l'Australie un peu moins), le Pentagone tentera de tenir cet avant-poste.

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Les États-Unis ont également des bases dans des territoires étrangers. L'île de Taïwan est souvent considérée comme le plus grand porte-avions insubmersible des États-Unis. Mais la base militaire américaine la plus septentrionale, Thulé, est située au Groenland, qui appartient au Danemark, mais qui est des dizaines de fois plus grand que ce royaume d'Europe du Nord.

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Au XXe siècle, les États-Unis ont utilisé certaines îles pour tester des armes nucléaires - les tristement célèbres atolls de Bikini (découverts, soit dit en passant, par un capitaine russe) et Eniwetok sur les îles Marshall ont subi la frappe de 67 ogives nucléaires. De nombreux natifs des îles voisines sont morts de cancer, et la radioactivité est toujours au-dessus des niveaux acceptables [ii].

On trouve des choses tout aussi intéressantes en Méditerranée. L'île grecque de Kastellorizo se trouve à deux kilomètres de la côte sud de la Turquie et à des centaines de kilomètres de la côte grecque, y compris d'autres îles importantes comme Rhodes et Chypre.

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Le groupe d'îles, qui comprend Kastellorizo, Rho et Strongili, est très important pour la zone économique exclusive de la Grèce, car il s'agit du territoire le plus oriental de la Grèce. En vertu du droit maritime des Nations unies ainsi que du droit international coutumier, la Grèce peut revendiquer la majeure partie du bassin méditerranéen oriental.

En plus de ce groupe d'îles, il en existe d'autres dans la mer Égée qui sont proches de la Turquie, ce qui pose un problème de chevauchement des eaux territoriales et de l'espace aérien entre les deux pays [iii].

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Chaque année, des incidents surviennent entre les deux pays. Les avions de guerre turcs envahissent régulièrement le territoire grec et la Grèce répond en faisant décoller ses avions de chasse pour les intercepter. Dans les années 90, il y a même eu des morts de pilotes des deux côtés. Jusqu'à présent, le problème n'a pas été résolu.

Un sujet assez proche est la zone de défense aérienne (ZDA). Ainsi, l'évolution du droit international au cours des dernières décennies a transformé les paramètres des zones de défense aérienne de l'Asie de l'Est et les revendications juridictionnelles connexes. Les zones de défense aérienne japonaise et sud-coréenne ont été établies avant la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, qui stipule que les eaux territoriales/espace aérien s'étendent à 12 milles nautiques (22 km) de la côte et la zone économique exclusive (ZEE) à 200 milles nautiques (370 km).

Le rocher submergé de Jeodo Rock dans la mer Jaune, à 149 km de l'île sud-coréenne de Jeju, se trouvait auparavant en dehors de la zone de défense aérienne de la Corée du Sud en raison d'un simple oubli. Séoul a étendu sa zone de défense aérienne en 2013 parce qu'il se trouvait dans les eaux internationales et non dans la zone de défense aérienne sud-coréenne lorsque celle-ci a été établie. L'extension de cette zone par la Corée du Sud a entraîné un chevauchement de sa zone de défense aérienne avec celle du Japon au-dessus de Yodo, bien qu'il n'y ait aucun désaccord entre le Japon et la Corée du Sud sur cette question.

Toutefois, alors que le droit international affirme qu'un rocher immergé situé en dehors des eaux territoriales d'un État ne peut faire l'objet d'un litige sur la zone, la Chine et la Corée du Sud se disputent depuis longtemps le droit de juridiction sur la zone maritime autour de Yodo, qui couvre les zones de défense aérienne des deux pays qui se chevauchent.

Le 23 novembre 2013. La Chine a atteint un degré établi de contrôle de l'espace aérien en mer de Chine orientale grâce à l'établissement de sa première zone de défense aérienne. La Chine a conçu sa zone de défense aérienne de manière à chevaucher les zones de défense aérienne du Japon, au Sud et à l'Est.

La Corée et Taïwan, malgré des juridictions territoriales et maritimes contestées telles que les îles Senkaku (Diaoyu dans la version chinoise) contrôlées par le Japon et les eaux autour de Yodo, qui ont suscité les protestations des responsables japonais, sud-coréens et américains [iv].

La Corée du Sud a demandé à la Chine de redessiner sa zone de défense aérienne pour supprimer ce chevauchement, mais la Chine a refusé d'apporter des modifications. En décembre 2013. La Corée du Sud a répondu en étendant sa zone de défense aérienne pour inclure Yodo. Aucun des trois pays en question ne reconnaît aujourd'hui la zone de défense aérienne de la Chine.

La Chine, en général, qui a mis en avant une stratégie unique consistant à créer des îles artificielles et à déclarer sa souveraineté sur celles-ci. C'est le cas des îles Paracel et Spratly, précédemment inhabitées, dans la mer de Chine méridionale.

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Dans le cadre du concept géopolitique du collier de perles, la Chine a besoin des îles comme bases de transbordement et places fortes. C'est pourquoi Pékin s'emploie activement à conclure des baux avec les États insulaires et à proposer ses services.  Au Sri Lanka, la Chine a aidé à construire des installations dans le port de Hambantota, et comme il n'y avait rien à payer, un bail à long terme a été négocié [vi].

Mais revenons aux îles Salomon dont nous avons commencé à évoquer dans le présent article. Jusqu'à présent, seule une ébauche de l'accord a été préparée.

"L'accord-cadre en six articles claironné par les médias occidentaux a une formulation plutôt vague. Les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande estiment qu'il permettra à la Chine de mener des opérations militaires et de renseignement diversifiées et à grande échelle, ainsi que de participer activement au maintien de l'ordre public en déployant "des policiers, des policiers armés, des militaires et d'autres forces de l'ordre et forces armées".

La souveraineté des Îles Salomon serait vraisemblablement protégée par des pouvoirs détaillés contrôlant l'intervention chinoise, tels que la délivrance de "consentements" pour les visites de navires de la marine chinoise. Cependant, l'inclusion d'une phrase qui donne soi-disant aux deux pays le droit d'agir "conformément à leurs propres besoins" a renforcé les craintes de ce qui pourrait arriver si l'accord prend effet.

L'accord accorderait également à tout le personnel chinois une "immunité légale et judiciaire" et les coûts seraient traités "par une consultation à l'amiable entre les parties".

La véracité du document n'a pas été confirmée jusqu'à ce que le gouvernement des Îles Salomon reconnaisse officiellement, le 25 mars 2022, qu'il recherchait "une coopération accrue en matière de sécurité avec davantage de partenaires". Ils ont également confirmé que l'accord-cadre avec la RPC n'est pas encore signé, bien que le gouvernement des îles Salomon ait l'intention de le compléter, malgré les pressions régionales croissantes.

La situation intérieure des Îles Salomon doit également être prise en compte ici, car les casques bleus régionaux d'Australie, de Nouvelle-Zélande, de Fidji et de Nouvelle-Guinée ont commencé à arriver à la demande du Premier ministre Manasseh Sogavare depuis le 26 novembre 2021. Cette demande d'assistance fait suite aux émeutes qui ont éclaté dans la capitale Honiara deux jours plus tôt. La résidence du chef du gouvernement et le bâtiment du parlement national étaient sur le point d'être envahis par les émeutiers.

Les émeutes elles-mêmes ont été déclenchées par des désaccords de longue date entre la province de Malaita (qui couvre toute l'île du même nom), la plus peuplée et la plus grande des îles Salomon, qui souffre d'un manque chronique de ressources, et la population de l'île principale de Guadalcanal (où se trouve Honiara), où de nombreux Malaitis doivent souvent s'installer pour trouver du travail.

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Les tensions ont dégénéré en un conflit armé entre les Malaitis et la population de Guadalcanal en 1998. La situation s'est détériorée au point que la Mission d'assistance régionale aux îles Salomon (RAMSI), dirigée par l'Australie, est arrivée à la demande du premier ministre de l'époque en 2003 et est restée sur place jusqu'en 2017. À cette époque, l'Australie a signé un accord de sécurité avec les îles Salomon.

Les tensions non résolues entre Malaita et le gouvernement se sont à nouveau intensifiées en septembre 2019, lorsque le Premier ministre Sogaware a radicalement modifié l'engagement de 36 ans du pays envers Taïwan. Les politiciens de Malaita se sont opposés à cette décision, déclarant leur soutien continu à Taiwan.

Ils ont accusé le gouvernement Sogaware d'abandonner les projets de développement et d'autres formes de soutien à la province de Malaita en représailles de leur position pro-Taïwan, qui a été le déclencheur des émeutes. Ce faisant, les attaques visaient la communauté chinoise de Honiara. Et l'accord-cadre prévoit la "protection" du personnel chinois et des "grands projets" comme déclencheur de l'intervention chinoise.

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Lorsque les forces de maintien de la paix régionales ont répondu à la demande d'aide de Sogaware (photo), les dirigeants de Malaita se sont opposés à l'intervention car, selon eux, elle soutenait un "dirigeant profondément corrompu et très impopulaire".

La superposition des tensions entre la RPC et Taïwan a connu une nouvelle escalade en décembre 2021, lorsque Sogaware a accusé les émeutiers d'être des "agents de Taïwan" et a annoncé que la Chine enverrait six formateurs de police avec des équipements "non létaux" pour travailler avec la police des îles Salomon.

Selon les experts américains, "le 80e anniversaire de la bataille épique de Guadalcanal pendant la Seconde Guerre mondiale, qui approche à grands pas, souligne l'importance critique des îles Salomon pour la sécurité de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée (en particulier la nation en développement de Bougainville, située au nord de la frontière des îles Salomon), de la Nouvelle-Calédonie, du Vanuatu et des Fidji, ainsi que de la région au-delà des voisins immédiats des îles Salomon.

Il convient de réfléchir au coût de cette bataille pour toutes les parties, car les habitants des îles Salomon sont toujours aux prises avec des débris militaires résiduels et dangereux. Bien que la situation en matière de sécurité ait radicalement changé au cours des huit décennies qui se sont écoulées depuis la bataille de Guadalcanal, les principes de base qui ont rendu cette bataille cruciale pour renverser le cours de la guerre et empêcher une invasion japonaise imminente de l'Australie restent les mêmes.

Les îles Salomon se trouvent à 2000 miles (ou moins de quatre heures d'avion) à l'est du nord de l'Australie. Ils traversent des voies de navigation et de communication critiques, de sorte que, comme en 1942, leur contrôle par une puissance hostile constitue une menace pour la capacité de défense de l'Australie et au-delà.

L'accord-cadre assurerait une présence militaire importante pour l'Armée populaire de libération dans les îles Salomon (les troubles civils serviraient probablement de prétexte à l'APL pour envahir les îles Salomon) et permettrait également à la marine de l'APL de visiter régulièrement les navires et de réapprovisionner la logistique.

La réaction régionale, menée par l'Australie et la Nouvelle-Zélande, s'est fortement opposée à l'accord. Le Premier ministre néo-zélandais, Jacinda Ardern, l'a qualifié d'"extrêmement préoccupant". L'accord proposé n'est pas seulement le résultat de la coopération régionale et du soutien apporté au gouvernement des Îles Salomon pour l'envoi de soldats de la paix en novembre dernier, il s'accompagne également d'autres manifestations de soutien.

Il s'agit notamment de l'annonce, en février 2022, lors de la visite du secrétaire d'État Anthony Blinken dans le Pacifique, de la réouverture de l'ambassade des États-Unis à Honiara, fermée depuis 1993. Lors de l'annonce, M. Blinken a déclaré que cette mesure visait à empêcher la Chine de "s'implanter fermement" dans la nation du Pacifique Sud.

Confronté à une rude bataille de réélection où les relations avec la Chine sont un facteur majeur, le Premier ministre australien Scott Morrison a essuyé des critiques selon lesquelles ses politiques sur le changement climatique et les coupes dans l'aide étrangère, notamment aux îles Salomon, ont sapé l'influence de l'Australie au bénéfice de la Chine.

Le gouvernement Morrison a largement utilisé l'expression "famille du Pacifique" pour exprimer les liens profonds entre les acteurs traditionnels du Pacifique, ce qui exclut implicitement la Chine. Le déploiement de cette rhétorique sentimentale ne semble pas avoir réussi en tant que stratégie.

Il ne fait aucun doute que l'émergence de l'accord-cadre est une pilule amère à avaler pour tous les pays qui ont travaillé ensemble ces derniers mois pour contrer l'influence de la Chine dans le Pacifique par divers moyens. Il est impossible d'éviter le sentiment que ce regain d'intérêt pour le Pacifique arrive trop tard.

Ce récent regain d'activité est évident dans le pacte de sécurité AUKUS entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, annoncé en septembre 2021, et dans la stratégie indo-pacifique lancée par la Maison Blanche de M. Biden en février 2022. Certains commentateurs appellent maintenant à une révision complète de la stratégie des îles Salomon, en particulier en ce qui concerne le Premier ministre Sogaware et son gouvernement" [vii].

Ainsi, le Centre d'études stratégiques et internationales, au nom de son expert, a trahi les véritables objectifs et intérêts des États-Unis, qui sont de maintenir leur contrôle sur l'océan Pacifique. Et dans le cadre de la stratégie indo-pacifique, nous voyons une tentative d'étendre sa zone d'influence [viii].

En réalité, les différentes îles peuvent être plus que de simples points d'appui aériens ou navals. Si la souveraineté d'un État, aussi petit soit-il, est établie sur un point de terre dans l'océan, le droit international étend cette souveraineté à la zone économique exclusive ainsi qu'à l'espace aérien.

La surface de l'eau peut être utilisée pour la capture de fruits de mer et le plateau continental pour la prospection et l'extraction de ressources naturelles - hydrocarbures, minéraux et métaux et terres rares. L'épuisement des exploitations minières traditionnelles dans divers pays oblige de nombreuses entreprises à se tourner de plus en plus vers cette forme prometteuse d'extraction des ressources naturelles.

"L'économie bleue", comme les explorateurs modernes appellent les projets impliquant des ressources marines, même si elles se trouvent en eaux profondes, présente un sérieux potentiel d'enrichissement. Et la présence d'îles facilite grandement l'exploitation des fonds marins en permettant l'équipement, le personnel, le stockage et le traitement des ressources, ainsi que la poursuite de la logistique en fonction de leurs intérêts.

Cela encourage à son tour les pays à prendre plus au sérieux la protection de leurs îles et territoires d'outre-mer. La France, par exemple, possède les îles Wallis et Futuna en Océanie, qui sont formellement les royaumes d'Alo et de Sigaw, mais font partie de la République française en vertu du traité de protectorat de 1887.

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De ce fait, la France revendique une présence commerciale, économique, politique et donc militaire dans le Pacifique. Et le domaine maritime total de la France s'élève à plus de 11 millions de kilomètres carrés, soit vingt ( !) fois plus que le territoire continental de la France.

La première place en termes de possessions maritimes revient aux États-Unis, les véritables maîtres des mers. De manière révélatrice, la disponibilité des ressources peut provoquer des tensions politiques entre la métropole et les provinces. Par exemple, lorsque les habitants de Wallis et Futuna, ainsi que leurs dirigeants, ont découvert qu'un groupe minier français, Eramet, prévoyait de draguer le cratère du Culolassi, qui contient des gisements de métaux de terres rares, ils ont protesté auprès de Paris et ont même menacé de faire sécession.

Et combien d'autres micro-îles de ce type peuvent être trouvées dans les océans Pacifique et Atlantique, et les grandes entités n'hésitent pas à transformer leurs économies dans les bonnes conditions et à se joindre à la course aux terres rares et autres ressources des fonds marins.

Ces facteurs complexes ont toujours été associés aux îles, mais à l'ère actuelle de la mondialisation et de la transformation simultanée de l'ordre géopolitique mondial, leur rôle et leur statut sont considérablement renforcés.

Notes:

[i] Alfred T. Mahan, "The United States Looking Outward", Atlantic Monthly, LXVI (décembre, 1890), 816-24.

[ii] https://phys.org/news/2019-07-radioactivity-marshall-islands-higher-chernobyl.html

[iii] http://www.turkishweekly.net/pdf/aegean_sea.pdf

[iv] https://fas.org/wp-content/uploads/2020/08/ADIZ-Report.pdf

[v] https://www.gazeta.ru/business/2015/04/17/6644201.shtml

[vi] https://www.ng.ru/world/2021-02-25/6_8090_%20srilanka.html

[vii] https://www.csis.org/analysis/framework-agreement-china-transforms-solomon-islands-pacific-flashpoint

[viii] https://www.fondsk.ru/news/2018/07/04/indo-tihookeanskij-region-ssha-v-prostranstve-dvuh-okeanov-46398.html

mardi, 26 avril 2022

Quels sont les atouts dans la manche de l'Iran ?

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Quels sont les atouts dans la manche de l'Iran?

Anastasia Solyanina

Source: https://www.geopolitika.ru/article/kakie-kozyri-v-rukave-irana

Le cœur du Moyen-Orient

L'Iran (République islamique d'Iran) est l'un des plus anciens pays du monde. Le pays a une histoire riche et une variété de particularités culturelles. Il est important de noter que jusqu'en 1935, l'Iran était appelé Perse. D'après les événements historiques, la Perse était l'un des États les plus puissants. Toutefois, en raison de l'impact des États-Unis sur l'opinion publique, l'Iran est désormais identifié comme un pays du tiers monde sous-développé et menaçant sur le plan du terrorisme. L'Amérique a souvent profité des capacités des pays qui lui étaient ou sont alliés. Cependant, comme nous le savons, l'Amérique est célèbre pour sa "politique spéciale", dans laquelle il est important pour un pays allié d'exister seulement selon le principe élaboré par les États-Unis.

Dès qu'un État va à l'encontre de l'agenda politique de l'Amérique, il passe automatiquement du statut de pays ami à celui de pays inamical.

La pierre d'achoppement actuelle de la coopération de l'Iran avec l'Occident et les États-Unis est le "programme nucléaire". L'Iran développe sa propre puissance nucléaire depuis les années 1950, donc déjà sous le règne du Shah Mohammad Reza Pahlavi, un allié des Etats-Unis au Moyen-Orient. Le président américain Dwight Eisenhower a soutenu l'idée dans le cadre du programme Atomes pour la paix, et en 1957, il a signé un accord avec l'Iran pour "l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire".

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En 1958, l'Iran est devenu membre de l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique. L'objectif du développement de l'énergie nucléaire en Iran était de développer une supériorité technologique sur les pays arabes. Il convient également de noter qu'outre les États-Unis, des pays comme la France, le Royaume-Uni, l'Italie, la Belgique et l'Allemagne ont participé au programme de développement de l'énergie nucléaire en Iran dans les années 1960 et 1970. Le projet de diversification de l'énergie nucléaire en Iran devait être achevé en 1994, mais le plan a été entravé par la vague révolutionnaire islamiste qui a éclaté en 1979. En conséquence, tous les projets ont été réduits à néant et tous les contrats avec les partenaires américains et européens ont été annulés.

À partir de la seconde moitié des années 1980, l'Iran a commencé à coopérer avec la Chine après l'échec des tentatives de rapprochement avec l'Occident. Toutefois, sous la pression des États-Unis, la Chine s'est également retirée de la coopération avec l'Iran. Ainsi, après cela, presque tous les pays ont refusé de coopérer avec l'Iran. Ce n'est qu'au début des années 1990 que la Russie a commencé à coopérer avec l'Iran, période durant laquelle un accord intergouvernemental a été signé entre la Russie et l'Iran. En août 2002, le Conseil national de la résistance iranienne a exposé les usines d'enrichissement d'uranium non déclarées de l'Iran à Natanz. Il convient également de noter que la coopération entre la Russie et l'Iran se situe à un niveau élevé. Le chiffre d'affaires commercial entre la Russie et l'Iran à la fin de 2021 a atteint un record historique de 4 milliards de dollars.

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L'année 2003 a été marquée par le début des négociations avec l'Iran sur le "dossier nucléaire". Au départ, trois pays européens participaient aux pourparlers: la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. En 2006, les États-Unis, la Russie et la Chine les ont rejoints. Cela a été facilité par l'émergence du format 5+1 ou JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action). Il convient également de noter qu'un certain nombre de trains de sanctions ont été imposés à l'Iran entre 2006 et 2010. Cependant, les sanctions à l'encontre de l'Iran remontent aux années 1950, lorsque l'Iran a nationalisé l'Anglo-Iranian Oil Company, qui était détenue par la Grande-Bretagne. Pendant 30 ans, les États-Unis ont rompu tout contact avec l'Iran, interdisant toute forme de commerce.

Le 14 juin 2015, la version finale du JCPOA a été approuvée à Vienne. L'Iran s'est engagé à ne pas produire de plutonium de qualité militaire pendant 15 ans, à ne pas détenir plus de 3,67 % d'uranium enrichi et à utiliser ses installations nucléaires exclusivement à des fins pacifiques. Depuis lors, les sanctions ont été assouplies. Mais à peine 2 ans plus tard, en février 2017, l'administration du président Donald Trump a annoncé de nouvelles sanctions, contre l'Iran. En effet, Trump, un républicain, avait accusé l'Iran de ne pas respecter les accords adoptés par le format des Six-Parties.

Encore une fois, en 2017, l'Iran est un État voyou. Cependant, l'Iran détient le record des réserves d'hydrocarbures liquides. Il convient de noter ici que les changements dans l'environnement géopolitique, tels que l'imposition ou la levée des sanctions contre l'Iran, affectent les prix du pétrole. En mai 2018, ignorant la déclaration de l'AIEA selon laquelle l'Iran respecte toutes ses obligations, les États-Unis ont annoncé leur retrait de l'accord sur le nucléaire iranien. Les États-Unis ont formulé de nouvelles demandes, avec l'intention de parvenir à un nouvel accord. Et depuis le 5 novembre 2018, ils ont renouvelé les sanctions contre l'Iran. En mai 2019, le bras de fer entre l'Iran et les États-Unis s'est intensifié, en raison de l'escalade de la situation dans le golfe Persique. Ceci était dû à des informations présumées selon lesquelles les troupes iraniennes se préparaient à attaquer les installations américaines situées au Moyen-Orient. Les États-Unis ont également accusé l'Iran d'avoir attaqué des pétroliers au large des côtes des Émirats arabes unis (EAU). Les États-Unis imposent à nouveau une série de sanctions contre l'Iran.

Le conflit s'est encore intensifié en janvier 2020. Le gouvernement américain a lancé une frappe de missiles pour détruire le Corps des gardiens de la révolution islamique, Al-Quds. L'Iran a ensuite déclaré que l'armée américaine était une "organisation terroriste".

En mars 2021, sous la pression des sanctions américaines, la Chine et l'Iran concluent une coopération globale de 25 ans, ce qui renforce la coopération entre la Chine et l'Iran. Ici aussi, la confrontation stratégique de l'Iran avec les États-Unis en entrant en coopération avec des pays désignés par l'Amérique comme une menace est remarquable. Outre la Chine et la Russie, l'Iran coopère également avec la RPDC et le Venezuela.

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Il convient de mentionner qu'en 2002, le président américain George W. Bush a déclaré les pays qui sont menacés par une activité terroriste accrue et les a nommés "axe du mal". Il s'agit de l'Iran, de l'Irak et de la RPDC, et plus tard, en 2007, la Russie et la Chine ont été ajoutées à la liste. Par conséquent, la coopération entre ces pays pourrait être considérée comme la bonne décision stratégique. Après tout, la Corée du Nord et le Venezuela sont sous sanctions depuis un total combiné de plus de 60 ans. Les pays tentent de s'entraider pour affronter les États-Unis. La RPDC avec ses secrets nucléaires et militaires, l'Iran avec ses capacités de raffinage du pétrole, et le Venezuela avec ses réserves naturelles et sa position stratégique vu la proximité géographique des États-Unis. La coopération entre l'Iran et la Corée du Nord est très controversée, mais les modes de développement des programmes nucléaires des deux pays sont similaires, sauf que la RPDC a développé son programme nucléaire sans le soutien des États-Unis. En effet, l'Amérique voyait un avantage à aider Téhéran, poussée par un intérêt personnel dans les réserves de pétrole de l'Iran. Pourtant, le Venezuela est considéré comme une source principale de réserves de pétrole, représentant environ 17,2% du total mondial. Les États-Unis ont également imposé des sanctions au Venezuela depuis 2005, pour des allégations de trafic de drogue et de terrorisme. L'énergie peut donc être considérée comme un domaine clé de la coopération entre le Venezuela et l'Iran. Les pays coopèrent dans le cadre de l'OPEP et s'encouragent également mutuellement pour maintenir des prix élevés pour les hydrocarbures.

Le 29 novembre 2021, des pourparlers entre Téhéran et Washington sur l'"accord sur l'Iran" ont eu lieu à Vienne. Les pays occidentaux n'étaient prêts à discuter des sanctions que dans le cadre de "l'accord nucléaire". Le résultat idéal pour l'Occident aurait été de limiter non seulement le programme nucléaire de l'Iran, mais aussi son programme de missiles. Cependant, l'Iran a fait des demandes réciproques, en premier lieu la levée totale de toutes les sanctions. Mais l'Occident et l'Iran ne sont pas parvenus à un nouvel accord sur le programme nucléaire.

De plus, à ce jour, la situation n'a pas changé ; après 11 mois de négociations, la signature d'un nouvel accord nucléaire va dérailler. La raison en était l'opération spéciale de la Russie en Ukraine. Politico note qu'il est très difficile de négocier un accord nucléaire dans les circonstances actuelles. La Russie est actuellement sous le coup de sanctions américaines et européennes. L'UE étudie actuellement un moyen de reprendre l'accord nucléaire sans la participation de la Russie, mais dans la pratique, elle est toujours dans l'embarras.

Il convient également de noter que le 13 avril 2022, l'Iran a annoncé qu'une usine fabriquant des pièces pour une centrifugeuse à uranium à Natanz avait été mise en service.

Le 20 avril 2022, les États-Unis ont soulevé la question du bénéfice de la Russie, sous réserve de l'accord de l'Iran sur son programme nucléaire. Plus tôt, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a déclaré que la reprise des négociations sur le programme iranien touchait à sa fin. Par conséquent, les préoccupations des États-Unis sont immédiatement compréhensibles. Après tout, la coopération entre l'Iran et la Russie pourrait constituer une menace sérieuse pour les politiques menées par les États-Unis.

L'Iran joue un rôle clé dans la région de l'Asie occidentale et occupe une position militaro-stratégique vitale en raison de sa situation géographique avantageuse.

L'Iran est également désigné comme le cœur du Grand Moyen-Orient. De plus, comme il a été mentionné précédemment, l'Iran dispose de réserves de pétrole, ce qui lui permet d'influencer l'environnement géopolitique mondial. Le soutien de l'Iran à des pays comme la Chine, la Russie joue un rôle important dans la formation d'un monde multipolaire. Il convient ici de prêter attention à la théorie de la multipolarité. Il s'agit d'un modèle politique qui suppose l'existence non pas d'un seul centre, mais d'un certain nombre de centres de pouvoir qui seraient à la mesure de leurs capacités politiques, militaires, culturelles et économiques. Un autre facteur important de ce modèle est d'éviter de "marcher sur les pieds", en d'autres termes, d'étendre l'influence d'un pays sur un autre en appliquant le genre de double standard que l'Amérique a si souvent utilisé.

La réorientation du monde d'unipolaire à multipolaire dépend dans une large mesure des pays BRICS (Russie, Chine, Brésil, Inde). Par conséquent, l'Iran, en raison de sa situation géographique avantageuse et de ses réserves de pétrole, est déjà capable d'influencer les changements dans l'ordre mondial. Et avec l'aide des alliés mentionnés précédemment comme le Venezuela et la RPDC, ainsi que des pays du BRICS, la Chine et la Russie font partie des alliés qui peuvent obtenir des résultats s'ils unissent leurs forces. Cependant, il est important de dire que c'est la coopération égale des pays qui créera un monde multipolaire. Mais la question se pose ici de savoir si des États tels que la Chine et la Russie coopéreront sans exercer leur influence sur d'autres "États moins importants" : il est important de maintenir un équilibre et de répartir les rôles intelligemment. L'Iran est le plus susceptible de jouer un rôle sur la voie d'un monde multipolaire - un pays servant de lien entre d'autres États de valeur.

Après la conquête de la mer d'Azov

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Après la conquête de la mer d'Azov

par Federico Dezzani

Source: https://www.ariannaeditrice.it/articoli/dopo-la-conquista-del-mare-di-azov & Federico Dezzani

Au 57e jour de la guerre russo-ukrainienne, le ministère russe de la Défense a annoncé la conquête de la ville de Marioupol. Il est temps d'analyser comment la campagne militaire a évolué au cours des deux derniers mois, comment elle pourrait évoluer dans un avenir proche et, surtout, quelles seront ses répercussions internationales: il est de plus en plus évident que les puissances anglo-saxonnes veulent utiliser le conflit pour affaiblir la Russie et, en même temps, déstabiliser l'Allemagne et l'Italie.

Une guerre par procuration tous azimuts

Un peu moins de deux mois après le début des hostilités russo-ukrainiennes, le ministère russe de la Défense a annoncé la conquête de la ville de Marioupol, qui compte environ 400.000 âmeset est située sur le littoral de la mer d'Azov: seul le grand complexe sidérurgique, qui fait partie du kombinat de l'acier construit dans le Donbass dans les années 1930, reste encore aux mains des troupes ukrainiennes désormais clairsemées, mais sa chute est une question de temps. La Russie a donc obtenu un premier résultat stratégique tangible: elle a recréé un pont terrestre avec la péninsule de Crimée (annexée en 2014) et transformé la mer d'Azov en un lac intérieur. Les frontières russes sont donc revenues, sur le front sud, à la conformation de la première moitié du XVIIIe siècle, lorsque l'empire tsariste a réussi à arracher la mer d'Azov aux Turcs et à entrer dans les mers chaudes.

Il est particulièrement utile de reconstituer comment la Russie est parvenue à ce résultat en l'espace de deux mois. Dans notre analyse effectuée au "jour -1", nous avions supposé une campagne militaire de grande envergure, d'une durée de 30 à 40 jours, qui conduirait les Russes jusqu'au Dniepr et à partir Odessa jusqu'au Dniestr. Les faits montrent toutefois que cette option, une campagne militaire de grande envergure sur le territoire ukrainien, n'a jamais été envisagée par les stratèges russes qui pensaient à tort pouvoir se limiter à une "opération militaire spéciale" aux fins éminemment politiques, à savoir le renversement du gouvernement Zelensky et l'avènement d'une junte militaire qui rétablirait la coopération traditionnelle entre la Russie et l'Ukraine. Appeler les opérations qui ont duré du 25 février au 31 mars la "bataille de Kiev" est erroné: on peut tout au plus parler d'une "intimidation de Kiev", car les Russes n'ont jamais envisagé de conquérir la ville dans cette phase de la guerre. La "première phase" de la campagne militaire peut être résumée par l'appel lancé par Poutine aux militaires ukrainiens le 26 février 2022 pour qu'ils prennent le pouvoir et se débarrassent de la "bande de drogués et de néonazis", facilitant ainsi le début des négociations.karte-meerenge-von-kertsch.jpg

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Ces calculs se sont révélés erronés, car Moscou a sous-estimé le degré de pénétration des puissances anglo-saxonnes dans l'appareil ukrainien: en huit ans (le temps écoulé entre la révolution colorée de 2014 et aujourd'hui), Londres et Washington ont eu les moyens de s'insinuer jusque dans le coin le plus caché de l'État et de l'armée ukrainiens, éliminant les éléments qui auraient pu accepter l'appel de Poutine et renverser Zelensky. À ce moment-là, les Russes se sont retrouvés dans une position militaire aussi inconfortable qu'improductive: une tête de pont autour de Kiev, alimentée avec de grandes difficultés logistiques par la Biélorussie et exposée à la guérilla des nationalistes ukrainiens. Tant qu'il y avait la possibilité d'un règlement politique du conflit (les négociations tenues en Biélorussie puis en Turquie), les Russes sont restés aux portes de Kiev. Une fois ce scénario écarté, ils se sont retirés en bon ordre du nord de l'Ukraine pour poursuivre des objectifs militaires plus concrets dans le sud-est de l'Ukraine: c'est la "phase deux", annoncée dans les derniers jours de mars. La nomination du général Aleksandr Dvornikov, déjà en charge des opérations militaires en Syrie, comme commandant unique du front ukrainien, annoncée le 9 avril, peut être considérée comme le tournant de la campagne, qui prend de moins en moins de connotations politiques et de plus en plus de connotations militaires. Il convient toutefois de noter que deux mois après l'ouverture du conflit, la Russie ne s'était pas encore lancée dans la destruction systématique des infrastructures ukrainiennes, qui, si une approche purement militaire avait été suivie, aurait dû avoir lieu dès les premières heures de la campagne.

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La conquête de Mariupol (avec ses aciéries, photo ci-dessus) annoncée le 21 avril, avec le déploiement consécutif des troupes engagées dans la ville, devrait être le prodrome de la déjà célèbre "bataille du Donbass", dont les Russes ont jeté les bases en conquérant, le 24 mars, le saillant d'Izyum: sur le papier, elle se préfigure ainsi comme une grande tenaille qui, partant du nord et du sud, devrait se refermer sur la ville de Kramatosk. Les avantages que pourraient obtenir les Russes seraient multiples: la destruction de l'armée ukrainienne concentrée depuis le début des hostilités dans le Donbass (estimée à environ 40.000-60.000 unités) et l'affinement des futures frontières, de manière à rendre compacte la région à annexer à la Russie. Quoi qu'il en soit, même en cas de défaite sévère de l'armée ukrainienne, il est peu probable que la "bataille du Donbass" marque la fin des hostilités.

Les puissances anglo-saxonnes ont intérêt à prolonger le conflit le plus longtemps possible et, à cette fin, s'apprêtent à déverser de plus en plus d'armes en Ukraine pour alimenter la "résistance". Le Royaume-Uni, en particulier, qui joue un rôle de premier plan en Ukraine, comme en témoigne le voyage de Johnson à Kiev le 9 avril, a promis d'envoyer des instructeurs, de l'artillerie, des missiles anti-navires Harpoon et même des véhicules blindés pour transporter les systèmes anti-aériens Starstreak. Cet activisme britannique s'explique par le fait que dans la "troisième guerre mondiale" menée par les puissances anglo-saxonnes contre les puissances continentales pour le contrôle du Rimland, le quadrant européen de l'Eurasie a été mis entre les mains de Londres, tandis que Washington et Canberra doivent se concentrer sur le Pacifique et la Chine.

Qu'est-ce que les puissances anglo-saxonnes espèrent gagner en prolongeant jusqu'au bout la guerre en Ukraine, à créer une nouvelle "Syrie" au cœur de l'Europe? Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises dans nos analyses, toute compréhension géopolitique des événements actuels doit englober l'Eurasie dans son ensemble et donc l'axe horizontal Chine-Russie-Allemagne (avec ses nombreuses branches verticales en Birmanie, au Pakistan, en Iran, en Italie, etc.). En prolongeant le conflit pour au moins toute l'année 2022, en jetant de plus en plus d'armes létales sur le théâtre ukrainien, les puissances maritimes anglo-saxonnes espèrent :

- affaiblir davantage la Russie, de manière à rendre possible la chute de Poutine et la relocalisation stratégique du pays dans une fonction anti-chinoise (ou du moins la disparition de la Russie en tant que facteur de puissance, dans le sillage d'une crise politique et d'un effondrement socio-économique) ;

- mener à bien la déstabilisation de l'Europe, en mettant un accent particulier sur l'Allemagne et l'Italie.

A plusieurs reprises, en effet, il a été souligné que les objectifs anglo-saxons de la guerre en Ukraine se situaient sur deux fronts: le russe et l'allemand. Les invectives de plus en plus violentes de Zelensky à l'encontre des dirigeants allemands, coupables de ne pas fournir suffisamment d'armes et de faire obstacle à l'embargo total sur la Russie, illustrent bien ce phénomène. En exacerbant le conflit en Ukraine et en le faisant traîner jusqu'à l'automne prochain, les Anglo-Américains espèrent imposer le blocus convoité sur les approvisionnements énergétiques en provenance de Russie, plongeant ainsi l'Allemagne et l'Italie, qui sont les plus dépendantes du gaz russe, dans une récession économique grave et prolongée. À ce moment-là, l'"axe médian" de l'Europe, qui a son prolongement naturel en Algérie et qui tend naturellement à converger vers la Russie et la Chine, serait jeté dans le chaos ou, du moins, sérieusement affaibli, également parce que les Anglo-Saxons travaillent activement à faire de la terre brûlée partout où les Italiens et les Allemands peuvent s'approvisionner, en Libye comme en Angola. Chaque missile Starstreak envoyé par les Britanniques en Ukraine est un missile visant à laisser l'Allemagne et l'Italie sans énergie: tout porte à croire que l'automne 2022 sera l'un des plus difficiles de mémoire d'homme.

lundi, 25 avril 2022

Nord Stream 2, une des clés de la guerre en Ukraine

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Nord Stream 2, une des clés de la guerre en Ukraine

Daniel Miguel López Rodríguez

Source: https://posmodernia.com/nord-stream-2-una-de-las-claves-de-la-guerra-de-ucrania/ 

Le flux du Nord

Le sous-sol ukrainien contient un réseau de gazoducs par lequel passe une partie de l'approvisionnement russe vers l'Europe. Entre 2004 et 2005, 80 % du gaz russe destiné à l'Europe a transité par le sous-sol ukrainien. Lorsque Gazprom (le géant russe de l'énergie appartenant à l'État) a interrompu l'approvisionnement des Ukrainiens en janvier 2006 et en janvier 2009, ces derniers ont saisi le gaz destiné à l'Europe, ce qui a entraîné des pertes énormes pour ces pays, qui sont très dépendants du gaz russe, et a jeté un sérieux discrédit sur la Russie en tant que fournisseur.

Afin d'éviter ce transit ukrainien, les Russes ont décidé de construire deux nouveaux gazoducs. Gazprom a fait valoir que le fait de relier un gazoduc directement à l'Allemagne sans avoir besoin de passer par des pays de transit permettrait d'éviter que les exportations de gaz russe vers l'Europe occidentale ne soient coupées, comme cela s'est produit deux fois auparavant. C'est ainsi qu'est né le projet Nord Stream (Севеверный поток), un gazoduc qui relierait la Russie à l'Europe (directement à l'Allemagne via la mer Baltique) sans devoir passer par l'Ukraine ou la Biélorussie.

En avril 2006 déjà, le ministre polonais de la défense, Radek Sikorski, comparait les accords sur la construction d'un gazoduc au pacte de non-agression germano-soviétique, le pacte Ribbentrop-Molotov signé aux premières heures du 24 août 1939, car la Pologne est particulièrement sensible aux accords passés par-dessus sa tête (https://www.voanews.com/a/a-13-polish-defense-minister-pi... ). Tout pacte conclu par la Russie et l'Allemagne y fera penser et sera diabolisé (telle est la simplicité de la propagande, mais elle est tout aussi efficace non pas en raison du mérite des propagandistes mais du démérite du vulgaire ignorant, qui abonde). 

Le ministre suédois de la défense, Mikael Odenberg, a indiqué que le projet constituait un danger pour la politique de sécurité de la Suède, car le gazoduc traversant la Baltique entraînerait la présence de la marine russe dans la zone économique de la Suède, ce que les Russes utiliseraient au profit de leurs renseignements militaires. En fait, Poutine justifierait la présence de la marine russe pour assurer la sécurité écologique.

L'hebdomadaire allemand Stern a émis l'hypothèse que le câble à fibre optique et les stations relais le long du gazoduc pourraient être utilisés pour l'espionnage russe, mais Nord Stream AG (le constructeur du gazoduc) a répondu en arguant qu'un câble de contrôle à fibre optique n'était pas nécessaire et n'avait même pas été prévu. Le vice-président du conseil d'administration de Gazprom, Alexander Medvedev, minimise la question en soulignant que "certaines objections sont soulevées qui sont risibles : politiques, militaires ou liées à l'espionnage. C'est vraiment surprenant car dans le monde moderne, il est ridicule de dire qu'un gazoduc est une arme dans une guerre d'espionnage" (https://web.archive.org/web/20070927201444/ et http://www.upstreamonline.com/live/article138001.ece ). Où que soient les Russes, on craint toujours les espions (on ne se méfie pas autant des Ricains, malgré les révélations d'Edward Snowden : l'enfer, c'est toujours les autres).

Le Rockefellerien Greenpeace se plaindrait également de la construction du gazoduc, car il traverserait plusieurs zones classées comme aires marines de conservation. 

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Le 13 juin 2007, face aux préoccupations écologiques, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a déclaré que "la Russie respecte pleinement le désir d'assurer la durabilité environnementale à 100 % du projet et soutient entièrement cette approche, et toutes les préoccupations environnementales seront traitées dans le cadre du processus d'évaluation de l'impact environnemental" (https://www.upstreamonline.com/online/russia-backs-green-... ).

Le gazoduc devait être inauguré le 8 novembre 2011 lors d'une cérémonie dans la municipalité de Lubmin (Mecklembourg-Poméranie occidentale) par la chancelière Angela Merkel et le président russe Dmitri Medvedev ; étaient également présents le Premier ministre français François Fillon et le Premier ministre néerlandais Mark Rutte.

Il était également prévu de construire South Stream, un gazoduc qui devait relier la Russie à la Bulgarie en traversant la mer Noire jusqu'à la Grèce et l'Italie. Mais il a finalement été annulé au profit de Blue Stream, qui transporte du gaz naturel du sud de la Russie vers la Turquie via la mer Noire. Grâce à ce gazoduc, la Turquie est le deuxième plus grand importateur de gaz russe, juste derrière l'Allemagne.

Alors que l'Allemagne a pu réaliser le projet Nord Stream 1, la Grèce et l'Italie ont vu leur projet South Stream mis au rebut. C'est un signe de qui a le plus de pouvoir dans la prétentieuse Union européenne. Mais Nord Stream 2 n'est pas allé aussi loin et - comme nous le verrons - les Allemands se sont pliés aux diktats des Américains.

Nord Stream 1 se compose de deux pipelines allant de Vyborg (nord-ouest de la Russie) à Greifswald (nord-est de l'Allemagne). Il a la capacité de transporter 55 milliards de mètres cubes par an, même si en 2021, il était capable de transporter 59,2 milliards de mètres cubes. Il s'agit du gazoduc par lequel transite le plus grand volume de gaz à destination de l'UE. 

Les travaux sur le gazoduc Nord Stream 2 ont duré de 2018 à 2021, et on estime que le matériau du gazoduc peut durer environ 50 ans. Le pipeline part de la station de compression Slavyanskaya, près du port d'Ust-Luga (dans le district Kingiseppsky de l'Oblast de Leningrad), et va jusqu'à Greifswald (Poméranie occidentale). En 2019, la société suisse Allsea, qui était chargée de poser le gazoduc, a abandonné le projet et Gazprom a dû le mener à bien par ses propres moyens. La première ligne a été achevée en juin 2021 et la seconde en septembre. Son ouverture était prévue pour le milieu de l'année 2022, ce qui devait permettre de doubler le gaz transporté pour atteindre 110 milliards de mètres cubes par an. Outre Gazprom, les partenaires pour la construction de Nord Stream 2 ont été Uniper, Wintershall, OMV, Engie et Shell plc.

Le gouvernement allemand a approuvé le projet en mars 2018, afin d'éloigner l'Allemagne du nucléaire et du charbon (c'est-à-dire pour des raisons environnementales, toujours aussi sensibles en Allemagne, déjà depuis des temps pas particulièrement démocratiques). Les coûts du gazoduc sont estimés à 9,9 milliards d'euros, Gazprom apportant 4,75 milliards d'euros et ses partenaires le reste.  

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Nord Stream 2 aurait complété les troisième et quatrième lignes (par rapport aux première et deuxième lignes de Nord Stream 1). À travers la Baltique, Nord Stream 1 et 2 suivent fondamentalement le même itinéraire. Les deux pipelines tirent leur gaz des gisements de la péninsule de Yamal et des baies d'Ob et de Taz. Avec ces deux gazoducs (avec quatre lignes au total), l'Allemagne fournirait du gaz russe à d'autres pays, ce qui améliorerait sans aucun doute la situation sur le marché européen et permettrait de surmonter la crise énergétique. Les Allemands sont allés jusqu'à affirmer que le Nord Stream 2 serait plus rentable que les livraisons terrestres via l'Europe de l'Est. La Russie a fourni 35,4 % du gaz arrivant en Allemagne (et avec Nord Stream 2, elle aurait doublé cette quantité) et 34 % du pétrole.

Les principaux opposants à Nord Stream 2 ont été les pays baltes, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie ( ?), la Roumanie, la Croatie, la Moldavie et principalement la Pologne et l'Ukraine, tous soutenus par la Commission européenne et les États-Unis. Ces pays se sont opposés à Nord Stream 2 au motif qu'un gazoduc direct vers l'Allemagne pourrait entraîner l'arrêt de leur approvisionnement en énergie et les priver des lucratifs frais de transit.

Chronologie de la politique américaine contre Nord Stream 2

Les plaintes américaines contre le gazoduc ne sont pas propres à l'administration Biden (qui a subi la pression de ses collègues démocrates pour adopter une ligne dure contre la Russie, qualifiant ainsi Poutine de "meurtrier" - comme si l'administration Obama dont il était le vice-président n'avait pas commis d'innombrables crimes de guerre, bien plus que la Russie ne l'a jamais fait : mais le premier président afro-américain est un démon qui "ne sent pas le soufre"). Déjà sous Obama, les protestations ont commencé alors que le projet n'avait pas encore totalement pris forme (l'idée du projet a commencé à prendre forme en octobre 2012).

Sous l'administration Trump, les plaintes se sont poursuivies et n'ont jamais cessé, même si Trump a d'abord affirmé qu'il n'appliquerait pas la loi contre les ennemis de l'Amérique par le biais de sanctions sur les exportations énergétiques russes, mais il a rapidement changé d'avis. M. Trump a même menacé d'imposer des droits de douane aux pays de l'UE et a proposé de rouvrir les négociations en vue de conclure un accord commercial entre les États-Unis et l'UE si le projet était annulé.

Le 27 janvier 2018, coïncidant avec le 73e anniversaire de la libération du camp de concentration d'Auschwitz, le secrétaire d'État Rex Tillerson (un ancien PDG d'Exxon Mobil, c'est-à-dire un homme de Rockefeller infiltré dans l'administration Trump, qui sera finalement évincé par le plus loyal Mike Pompeo) a fait valoir que les États-Unis et la Pologne s'opposaient à Nord Stream 2 en raison du danger qu'il représente pour la sécurité et la stabilité énergétiques de l'Europe, "tout en donnant à la Russie un outil supplémentaire pour politiser le secteur de l'énergie" ( https://www.expansion.com/economia/politica/2018/01/27/5a... ).

Les sénateurs américains des deux partis se sont inquiétés en mars 2018, lorsque le gouvernement allemand a approuvé le projet, et ont écrit que "en contournant l'Ukraine, Nord Stream II éliminera l'une des principales raisons pour lesquelles la Russie évite un conflit à grande échelle dans l'est de l'Ukraine, comme le Kremlin le sait bien" (https://www.cfr.org/in-brief/nord-stream-2-germany-captiv... ).

Le transit ukrainien fournissait autrefois 44 % du gaz russe à l'UE, ce qui permettait aux caisses de l'État (de plus en plus corrompu) d'empocher quelque 3 milliards de dollars par mois. Mais avec Nord Stream 2, cela devait changer et le transit par le sous-sol ukrainien devait être encore décuplé. Cela aurait fait perdre à l'Ukraine 3 % de son PIB. L'Ukraine y voyait une atteinte à sa souveraineté, mais aussi à la sécurité énergétique collective de l'Europe dans son ensemble, car le transit du gaz par l'Ukraine dissuade l'agression russe. L'ouverture de Nord Stream 2, qui aurait fait de l'Allemagne la première plaque tournante du gaz en Europe, aurait mis fin à cette situation.  

En janvier 2019, l'ambassadeur américain en Allemagne, Richard Grenell, a envoyé une lettre aux entreprises qui construisent le gazoduc, les exhortant à abandonner le projet et les menaçant de sanctions si elles le poursuivent. En décembre de la même année, les sénateurs républicains Ted Cruz et Ron Johnson ont également fait pression sur les entreprises impliquées dans le projet.

Le président du Conseil européen Donald Tusk, le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki et le ministre britannique des Affaires étrangères de l'époque Boris Johnson ont protesté contre la construction de Nord Stream 2. Tusk a clairement indiqué que le gazoduc n'était pas dans l'intérêt de l'Union européenne. Les fonctionnaires de la Commission européenne ont déclaré que "Nord Stream 2 n'améliore pas la sécurité énergétique [de l'UE]" (https://euobserver.com/world/141584 ).

Nord Stream 2 est quelque chose qui a divisé l'UE. Bien que lorsque Donald Trump était dans le bureau ovale de la Maison Blanche, le projet ne semblait pas si mauvais, et la France, l'Autriche et l'Allemagne, plus la Commission européenne, ont critiqué les États-Unis (c'est-à-dire l'administration Trump) pour les nouvelles sanctions contre la Russie au sujet du pipeline, se plaignant que les États-Unis menaçaient l'approvisionnement énergétique de l'Europe.

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Le chancelier autrichien Christian Kern et le ministre allemand des Affaires étrangères Sigman Gabriel se sont plaints dans une déclaration commune : "L'approvisionnement énergétique de l'Europe est l'affaire de l'Europe, pas celle des États-Unis d'Amérique" (https://www.usnews.com/news/business/articles/2017-06-15/... ). Et ils ajoutent : "Menacer les entreprises d'Allemagne, d'Autriche et d'autres États européens de sanctions sur le marché américain si elles participent ou financent des projets de gaz naturel comme Nord Stream 2 avec la Russie introduit une qualité complètement nouvelle et très négative dans les relations entre l'Europe et les États-Unis" (https://www.politico.eu/article/germany-and-austria-warn-... ). Mais - comme nous le verrons - les politiciens allemands, avec un gouvernement social-démocrate, n'ont pas été aussi audacieux avec l'administration Biden.

Isabelle Kocher, PDG du groupe ENGIE (un groupe local français qui distribue de l'électricité, du gaz naturel, du pétrole et des énergies renouvelables), a critiqué les sanctions américaines et a affirmé qu'elles tentaient de promouvoir le gaz américain en Europe (ce qui est la clé de toute l'affaire). Olaf Scholz, lorsqu'il était ministre des finances dans le gouvernement de coalition dirigé par Merkel, a rejeté les sanctions comme "une intervention sévère dans les affaires intérieures allemandes et européennes". Un porte-parole de l'UE a critiqué "l'imposition de sanctions contre des entreprises de l'UE faisant des affaires légitimes" (https://www.dw.com/en/germany-eu-decry-us-nord-stream-san... ).

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Mass, a déclaré sur Twitter que "la politique énergétique européenne se décide en Europe, pas aux États-Unis". M. Lavrov a affirmé que le Congrès américain "est littéralement submergé par le désir de tout faire pour détruire" les relations avec la Russie (https://www.cnbc.com/2019/12/16/ukraine-and-russia-look-t... ). Toutefois, il convient de noter que l'Allemagne a fortement soutenu les sanctions contre la Russie suite à l'annexion de la Crimée en 2014.

L'Association allemande des entreprises orientales a déclaré dans un communiqué que "les États-Unis veulent vendre leur gaz liquéfié en Europe, pour lequel l'Allemagne construit des terminaux. Si nous arrivons à la conclusion que les sanctions américaines visent à chasser les concurrents du marché européen, notre enthousiasme pour les projets bilatéraux avec les États-Unis se refroidira considérablement" (https://www.dw.com/en/nord-stream-2-gas-pipeline-faces-sa... ).

Le 21 décembre 2019, Trump a signé une loi imposant des sanctions aux entreprises ayant contribué à la construction de l'oléoduc, qui a été interrompue après la signature de Trump, mais reprendrait en décembre 2020, après l'élection de Joe Biden à la présidence. Mais immédiatement, le 1er janvier 2021, un projet de loi annuel sur la politique de défense adopté par le Congrès américain prévoyait des sanctions pour les entreprises travaillant sur le pipeline ou le sécurisant. Le 26 janvier, la Maison Blanche a annoncé que le nouveau président estime également que "Nord Stream 2 est une mauvaise affaire pour l'Europe", et que son administration va donc "revoir" les nouvelles sanctions (https://www.reuters.com/article/us-usa-biden-nord-stream-... ).

Ainsi, le bipartisme au Capitole s'est prononcé contre l'achèvement du gazoduc Nord Stream 2, non pas parce que c'est "une mauvaise affaire pour l'Europe", mais parce que c'est une mauvaise affaire pour les États-Unis. Sur ce point, les "mondialistes" et les "patriotes" sont d'accord.

Le 30 juillet 2020, le secrétaire d'État Mike Pompeo s'est adressé au Sénat en critiquant la construction de Nord Stream 2 : "Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer que ce gazoduc ne menace pas l'Europe. Nous voulons que l'Europe dispose de ressources énergétiques réelles, sûres, stables, sûres et non convertibles". C'est comme s'il disait : "Nous ferons tout ce que nous pouvons pour nous assurer que ce pipeline ne menace pas les États-Unis. Nous voulons que l'Europe dispose de ressources énergétiques qu'elle achète aux États-Unis". Il a ajouté que le département d'État et le département du Trésor "ont très clairement indiqué, dans nos conversations avec ceux qui ont des équipes sur place, la menace expresse que représente pour eux la poursuite des travaux d'achèvement du pipeline" (https://www.rferl.org/a/pompeo-u-s-will-do-everything-to-... ).

Le 20 avril 2021, on pouvait lire sur le site Web du Conseil européen des relations étrangères (think tank de Soros) : "Ce serait mauvais pour l'Europe si la pression américaine devait forcer l'annulation du gazoduc et laisser l'Allemagne et les autres États membres dont les entreprises participent à sa construction amers et meurtris. Ce serait également mauvais pour l'Europe si le gazoduc finissait par balayer les réticences de la Pologne et par dépeindre l'Allemagne comme un acteur égoïste qui ne se soucie pas de ses partenaires. L'un ou l'autre résultat affaiblirait également l'alliance transatlantique et, plus ou moins directement, profiterait à Moscou... si Washington arrête le projet, Moscou trouvera une autre raison de rejeter l'Europe comme un acteur politique qui manque de crédibilité. Bien sûr, cela ne doit pas signifier que l'Europe doit sauver Nord Stream 2 juste pour impressionner la Russie. Le raisonnement de l'UE devrait avoir des racines plus profondes que cela". Il s'agit donc d'un "problème de gestion des relations" (https://ecfr.eu/article/the-nord-stream-2-dispute-and-the... ). 

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Cependant, le 19 mai 2021, le gouvernement américain a levé les sanctions contre Nord Stream AG, mais a imposé des sanctions contre quatre banques russes et cinq sociétés russes. Sergueï Ryabkov, vice-ministre russe des Affaires étrangères, a salué cette démarche et y a vu "une opportunité pour une transition progressive vers la normalisation de nos liens bilatéraux" (https://www.bbc.com/news/world-us-canada-57180674 ).

Le sénateur républicain Jim Risch a déclaré qu'une telle démarche était "un cadeau à Poutine et ne fera qu'affaiblir les États-Unis" (https://www.reuters.com/business/energy/us-waive-sanction...).

Yurity Vitrenko de Naftogaz (la compagnie pétrolière et gazière d'État ukrainienne) s'opposerait à cette démarche et affirmerait que l'Ukraine fait pression sur les États-Unis pour qu'ils réimposent des sanctions afin d'empêcher l'ouverture du pipeline. Biden prétendrait qu'il a mis fin aux sanctions parce que le pipeline était presque terminé et parce que les sanctions avaient nui aux relations entre les États-Unis et l'Union européenne.

Le président ukrainien, alors inconnu en Occident, Volodymyr Zelensky, s'est dit "surpris et déçu" par la décision de l'administration Biden, qui a également refusé de sanctionner le PDG de Nord Stream AG, Mathias Warning, un allié de Poutine.

Cependant, en juin 2021, la pose des deux lignes de pipelines a été entièrement achevée. Le 20 juillet 2021, Biden et une Angela Merkel sortante ont convenu que les États-Unis pourraient sanctionner la Russie si elle utilisait Nord Stream 2 comme une "arme politique", dans le but d'empêcher la Pologne et l'Ukraine de manquer de gaz russe.

Mme Merkel est une atlantiste avouée et n'était pas exactement enthousiaste à l'égard du projet Nord Stream 2, mais elle ne voyait aucun moyen de faire marche arrière. Pour elle, c'était une situation très délicate.

L'Ukraine obtiendrait un prêt de 50 millions de dollars pour investir dans les technologies vertes jusqu'en 2024, et l'Allemagne créerait un fonds d'un milliard de dollars pour la transition de l'Ukraine vers l'énergie verte, afin de compenser la perte de droits de douane due au fait que tout le gaz russe qui devait passer par le gazoduc Nord Stream 2 ne passerait pas par son sous-sol.

Après cette étrange hésitation, le département d'État américain prendra une décision complète et imposera, en novembre 2021, de nouvelles sanctions financières aux entreprises russes liées à Nord Stream 2.

Le 9 décembre 2021, le Premier ministre polonais Mateusz Marawiecki a fait pression sur le nouveau chancelier allemand, le social-démocrate Olaf Scholz, pour qu'il n'inaugure pas le Nord Stream 2 et ne cède pas à la pression russe, et donc "ne permette pas que le Nord Stream 2 soit utilisé comme un instrument de chantage contre l'Ukraine, comme un instrument de chantage contre la Pologne, comme un instrument de chantage contre l'Union européenne" (https://www.metro.us/polish-pm-tells-germanys/ ).

Après avoir détecté des troupes russes à la frontière orientale de l'Ukraine, le secrétaire d'État Antony Blinken a annoncé de nouvelles sanctions le 23 décembre.

Olaf Scholz serait pressé d'arrêter l'ouverture du pipeline lors du sommet de l'UE. Le 7 février 2022, il rencontrera Biden à la Maison Blanche et, lors de la conférence de presse, il déclarera que les États-Unis et l'Allemagne sont "absolument unis et nous ne prendrons pas de mesures différentes". Nous prendrons les mêmes mesures et elles seront très, très dures pour la Russie et ils doivent le comprendre. Toutes les mesures que nous prendrons, nous les prendrons ensemble. Comme l'a dit le président [Biden], nous nous y préparons. Vous pouvez comprendre et vous pouvez être absolument sûrs que l'Allemagne sera de concert avec tous ses alliés et surtout les États-Unis, que nous prendrons les mêmes mesures. Il n'y aura aucune différence dans cette situation. Je dis à nos amis américains que nous serons unis. Nous agirons ensemble et nous prendrons toutes les mesures nécessaires et toutes les mesures nécessaires que nous prendrons ensemble" (https://edition.cnn.com/2022/02/07/politics/biden-scholz-... ).

On peut voir qu'il ne se plaignait plus de l'intervention des États-Unis "dans les affaires intérieures allemandes et européennes", comme on l'a vu dire lorsqu'il était ministre des finances dans le gouvernement de coalition avec Merkel, alors que Trump était à la Maison Blanche.

Pour sa part, Joe Biden a averti que si la Russie envahit l'Ukraine, avec "des chars et des troupes", comme cela finirait par arriver, "alors il n'y aura plus de Nord Stream 2 : nous y mettrons fin" (https://edition.cnn.com/2022/02/07/politics/biden-scholz-... ).

Face aux menaces de Biden envers la Russie, Scholz a gardé un silence timide, ne disant absolument rien sur l'ingérence flagrante des États-Unis dans les relations économiques de l'Allemagne avec la Russie. Il s'est plié aux diktats de Washington. 

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Le 15 février, Scholz devait rencontrer Poutine à Moscou, où le dirigeant russe a affirmé que le gazoduc renforcerait la sécurité énergétique européenne et qu'il s'agissait d'une question "purement commerciale" (https://www.reuters.com/business/energy/putin-says-nord-s... ). Comme si l'économie n'était pas une économie-politique et une question géopolitique de la plus haute importance et, comme nous l'avons vu, d'une transcendance vitale.

Scholz a affirmé que les négociations avaient été intenses mais confiantes et a supplié la Russie d'éviter toute interprétation dans le conflit avec l'Ukraine.

Lors de la conférence de presse, Poutine est allé jusqu'à dire : "L'Allemagne est l'un des principaux partenaires de la Russie. Nous nous sommes toujours efforcés de favoriser l'interaction entre nos États. L'Allemagne est le deuxième partenaire commercial extérieur de la Russie, après la Chine. Malgré la situation difficile causée par la pandémie de coronavirus et la volatilité des marchés mondiaux, à la fin de 2021, les échanges mutuels ont augmenté de 36 % et ont atteint près de 57 milliards. Dans les années 1970, nos pays ont mis en œuvre avec succès un projet historique. Il s'appelait "Gaz pour les tuyaux". Et depuis lors, les consommateurs allemands et européens sont approvisionnés en gaz russe de manière fiable et sans interruption. Aujourd'hui, la Russie satisfait plus d'un tiers des besoins de l'Allemagne en matière de transport d'énergie" (https://1prime.ru/exclusive/20220220/836108179.html ).

Le projet "Gaz pour les pipelines" a été possible malgré la guerre froide. Les États-Unis ont tenté d'empêcher la construction du gazoduc Urengoy-Pomary-Uzhgorod et ont également essayé d'empêcher les entrepreneurs allemands de participer au projet, bien qu'il ait finalement été construit en 1982-1984 et officiellement ouvert en France, complétant le système de transport transcontinental de gaz Sibérie occidentale-Europe occidentale qui était en place depuis 1973. Ce gazoduc traverse l'Ukraine, pompant du gaz vers la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. À cette époque, l'URSS n'avait pas la capacité de produire les pipelines nécessaires. Après la construction, d'importantes livraisons de gaz en provenance de Russie ont commencé, depuis le gigantesque champ de Vengoyskoye vers l'Allemagne et d'autres pays européens. Les conséquences d'une telle quantité de gaz ont été le remplacement du charbon américain sur le marché européen, et la RFA a bénéficié d'un énorme élan économique. Nous constatons que les accords gaziers entre la Russie et l'Europe (alors l'URSS) n'ont pas profité aux États-Unis, où ils en prendraient acte.  

Scholz a ensuite rencontré Zelensky, accusé d'avoir utilisé le "livre de jeu de Merkel" en évitant les questions sur le gazoduc lors de la conférence de presse qu'il a donnée avec le président ukrainien (https://www.telegraph.co.uk/news/2022/02/14/olaf-scholz-f... ).

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a affirmé que l'avenir du pipeline dépendrait du comportement de la Russie en Ukraine. Le 19 février, elle a déclaré à la Conférence sur la sécurité de Munich que l'Europe ne pouvait pas être aussi dépendante de la Russie pour ses besoins énergétiques (peut-être veut-elle qu'elle soit dépendante des États-Unis, et pas seulement sur le plan énergétique mais aussi sur le plan géopolitique, ce qui est la conséquence logique). "Une Union européenne forte ne peut pas être aussi dépendante d'un fournisseur d'énergie qui menace de déclencher une guerre sur notre continent. Nous pouvons imposer des coûts élevés et des conséquences graves sur les intérêts économiques de Moscou. La pensée bizarre du Kremlin, qui découle directement d'un passé sombre, pourrait coûter à la Russie un avenir prospère. Nous espérons encore que la diplomatie n'a pas dit son dernier mot" (https://www.dw.com/en/natos-jens-stoltenberg-urges-russia... ).

Le 22 février, le lendemain de la reconnaissance par la Russie des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, Olaf Scholz, qui a toujours été favorable au projet mais qui venait de voir Biden (alors qu'il devait rendre visite à Poutine immédiatement après), a suspendu la certification de Nord Stream 2. <...> Il s'agit d'une étape nécessaire pour que la certification du pipeline ne puisse avoir lieu maintenant. Sans cette certification, Nord Stream 2 ne peut être lancé" (https://www.vedomosti.ru/economics/articles/2022/02/22/91... ). La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Berbock, a déclaré aux journalistes que le gouvernement allemand avait "gelé" le projet.

Le 23 février, M. Biden a ordonné des sanctions contre l'exploitant du gazoduc, Nord Stream 2 AG, ainsi que contre des responsables de la société. "Ces mesures sont une autre partie de notre tranche initiale de sanctions en réponse aux actions de la Russie en Ukraine. Comme je l'ai dit clairement, nous n'hésiterons pas à prendre de nouvelles mesures si la Russie poursuit l'escalade." Ces sanctions ont été imposées après des "consultations étroites" entre les gouvernements américain et allemand. Et il a remercié Scholz pour son "étroite coopération et son engagement inébranlable à tenir la Russie responsable de ses actions" ; en d'autres termes, il l'a remercié pour sa soumission aux États-Unis. En reconnaissant les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, Poutine, a déclaré Biden, "a donné au monde une incitation irrésistible à abandonner le gaz russe et à passer à d'autres formes d'énergie" (https://www.rbc.ru/politics/23/02/2022/621684c49a794730b4... ). 

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Le jour suivant, la Russie commencera une "opération militaire spéciale" en Ukraine. Les États-Unis avaient donc déjà la guerre qu'il leur fallait pour empêcher l'ouverture du gazoduc Nord Stream 2 et la rupture des relations germano-russes ; même si Nord Stream 1 continuerait à transporter du gaz vers l'Allemagne, fonctionnant comme les autres gazoducs approvisionnant l'Europe, dont la Russie empoche quelque 800 millions d'euros par jour, plus 260 millions d'euros pour l'exportation de pétrole.

Le 8 mars, les États-Unis ont interdit toute importation de pétrole et de gaz en provenance de Russie, établissant un record historique pour le prix de l'essence (7 % du pétrole consommé aux États-Unis est russe).

Le 9 mars, le secrétaire de presse du président russe, Dmitry Preskov, a répondu à la sous-secrétaire d'État américaine aux affaires politiques, Victoria Nuland - la femme qui a dit "fuck the EU" (https://www.youtube.com/watch?v=dO80WVMy5E4&ab_channe...  ), en déclarant que Nord Stream 2 est "mort et ne sera pas ressuscité" (un jour plus tôt, devant le Congrès américain, elle avait déclaré que le gazoduc n'est qu'"un tas de métal au fond de la mer") - en lui disant que le gazoduc est prêt à être utilisé, en ajoutant que les États-Unis déclarent la guerre économique à la Russie.

Un différend géo-économique et donc géopolitique

Plutôt qu'un projet d'infrastructure dans le pouvoir fédérateur (ou le commerce international) des couches corticales des États concernés, Nord Stream 2 ressemble davantage à un symbole de discorde dans le pouvoir diplomatique, voire militaire, que l'on observe en Ukraine. Il ne fait aucun doute que Nord Stream 2 et tous les gazoducs et oléoducs entraînent des problèmes géopolitiques, car les ressources de base sont intégrées dans les problèmes corticaux de la dialectique des États (l'économie est toujours l'économie-politique ; c'est-à-dire que les deux ne peuvent être compris comme des sphères mégaréales mais comme des concepts conjugués : conceptuellement dissociables, existentiellement inséparables).

Sans aucun doute, comme on l'accuse à juste titre, la Russie utilise sa puissance énergétique comme une arme géopolitique et géostratégique, tout comme les États-Unis. En effet, cette puissance russe est énorme. En additionnant les exportations de pétrole, de gaz et de charbon, la Russie serait le premier exportateur mondial de ces produits.

Si Nord Stream 2 avait été mis en œuvre, les États-Unis auraient perdu leur influence sur l'UE et aussi sur l'Ukraine. Cela rendrait les pays européens, notamment l'Allemagne, encore plus dépendants des ressources énergétiques russes. Certains de ces pays et bien sûr le meneur de la bande, les États-Unis, ont pris position contre la construction de ce pipeline. L'Ukraine est considérée comme l'une des économies les plus touchées si le Nord Stream 2 est mis en service, car une grande quantité de matières premières en provenance de Russie ne passerait plus par son sous-sol (bien que cela affecte également le Belarus, allié plutôt vassal de la Russie).

Les Russes affirment qu'avec Nord Stream 2, le prix du gaz baisserait, car quelque 55 milliards de mètres cubes de gaz seraient transportés par an (plus ou moins la même quantité que Nord Stream 1). Il ne faut pas oublier qu'un peu plus d'un tiers du gaz qui atteint l'Europe provient de Russie.

En Espagne, seulement 10 % du gaz que nous recevons est russe. L'Algérie (alliée historique de la Russie) est notre principal exportateur de gaz (30 % de son gaz finit en Espagne), et le gouvernement de Pedro Sánchez ne fait pas vraiment preuve de tact diplomatique avec ce pays ; il le traite même avec une extrême insouciance, cédant le Sahara au Maroc (abandonnant pour la deuxième fois les pauvres Sahraouis). C'est peut-être la récompense que le sultanat a reçue pour avoir reconnu Israël. Mais puisqu'en Espagne, depuis plusieurs décennies, la politique étrangère est une trahison continue plutôt qu'une politique étrangère ?

Regardez ce que dit le rapport 2019 de l'important groupe de réflexion américain RAND Corporation : "Augmenter la capacité de l'Europe à importer du gaz de fournisseurs autres que la Russie pourrait étirer la Russie sur le plan économique et protéger l'Europe de la coercition énergétique russe. L'Europe avance lentement dans cette direction en construisant des usines de regazéification de gaz naturel liquéfié (GNL). Mais pour être vraiment efficace, cette option nécessiterait que les marchés mondiaux du GNL deviennent plus flexibles qu'ils ne le sont déjà et que le GNL devienne plus compétitif en termes de prix par rapport au gaz russe" (https://www.rand.org/pubs/research_briefs/RB10014.html ).

L'Allemagne verrait sa sécurité énergétique menacée si Nord Stream 2 n'est pas mis en service. Et il ne faut pas oublier que ce projet a été construit à l'initiative de Berlin et non de Moscou. Et pourtant, l'Allemagne s'est rangée du côté de l'Ukraine (se pliant ainsi aux diktats de l'empire de Washington).

Mais il faut garder à l'esprit qu'avec Nord Stream 2, la relation entre la Russie et l'Allemagne ne serait pas exclusivement une relation de dépendance de la seconde vis-à-vis de la première, puisque la Russie dépendrait également de l'Allemagne, c'est-à-dire qu'une relation de coopération serait établie, ce que les États-Unis ne veulent pas. Et l'Allemagne distribuerait à son tour le gaz qui arrive de Russie aux autres pays. 

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Le problème serait que si ce gazoduc commence à pomper du gaz, les États-Unis pourraient alors perdre la vassalité de l'Allemagne et d'autres pays européens. Les États-Unis ont toujours essayé d'empêcher les relations commerciales entre l'Allemagne et la Russie de s'épanouir (comme ils l'ont fait lorsqu'il s'agissait de la RFA et de l'URSS, comme nous l'avons vu).

D'où les plaintes de Biden (ainsi que celles de Trump, et déjà celles d'Obama), car les États-Unis veulent à tout prix empêcher l'ouverture de Nord Stream 2. Ce gazoduc n'aiderait-il pas la Russie à consolider le leadership allemand dans l'UE ? Bien qu'historiquement, malgré Napoléon, la Russie a eu de meilleures relations avec la France. Et les Russes n'oublient certainement pas les deux guerres mondiales, en particulier la Grande Guerre patriotique.

L'Allemagne a fait valoir que Nord Stream 1 n'empêchait pas le Reich d'adopter une ligne dure contre l'expansionnisme russe. Et, élément crucial, que les États-Unis se sont opposés au projet parce qu'ils voulaient vendre davantage de gaz naturel liquéfié sur les marchés européens (cela résume l'intrigue). 

Près d'un quart de la consommation énergétique de l'UE est constituée de gaz naturel, dont un tiers provient de Russie, les pays de l'Est étant évidemment plus dépendants de ce gaz. L'UE obtient 40 % de son gaz de la Russie, ainsi que 27 % de son pétrole. Les États-Unis ne reçoivent pas de gaz russe, bien que - comme nous l'avons déjà dit - ils reçoivent 7 % de leur pétrole (qu'ils ont maintenant l'intention de remplacer par du pétrole vénézuélien). Le 25 mars 2022, l'UE a signé un accord dans lequel les États-Unis fourniront 15 milliards de mètres cubes de gaz liquéfié au marché européen cette année. Et entre maintenant et 2030. Mission accomplie : l'Europe courbe la tête devant son serviteur.

Et comment les États-Unis peuvent-ils se permettre de freiner un projet entre deux nations souveraines derrière un chantier pharaonique à des milliers de kilomètres de distance ? Se pourrait-il que l'Allemagne, qui avec la France dirige l'UE, ne soit rien d'autre qu'un vassal des États-Unis, même si elle a maintenant l'intention de se réarmer ? Et si l'axe franco-allemand est un vassal des États-Unis, l'Espagne, l'Espagne délaissée, ne sera-t-elle pas un vassal des vassaux ? Quoi qu'il en soit, les États-Unis se sont comportés envers l'Allemagne comme le gangster extorqueur : celui qui oblige les commerçants sous la menace d'une arme à acheter ses marchandises. Puis, armés d'un visage en diborure de titane, ils appellent cela un "marché libre".

Selon un rapport de la Commission européenne intitulé "EU-US LNG trade", en 2021, le record d'approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL) des États-Unis vers l'UE a été battu, dépassant les 22 milliards de mètres cubes. En janvier 2022, elle a déjà atteint 4,4 milliards de mètres cubes (si elle continue à ce rythme, elle atteindra plus de 50 milliards). Mais cela ne suffit pas pour les États-Unis. Bien que la Commission européenne soit favorable à ce que les Yankees soient les principaux fournisseurs de gaz naturel sur le marché européen.

Au vu de tout cela, on pourrait dire que les États-Unis ont fomenté une guerre en Ukraine afin de restreindre la coopération économique de l'UE avec la Russie, ce qui va à l'encontre des intérêts de l'Union, qui s'est comportée dans cette crise comme un ensemble d'États vassaux de Washington ; ce qui est le cas depuis longtemps, pratiquement depuis la Seconde Guerre mondiale, sauf que cela apparaît maintenant de manière embarrassante. 

Dans une interview avec Jacques Baud, colonel de l'armée suisse, expert en renseignement militaire et député à l'OTAN et à l'ONU, il a déclaré : "Je suis sûr que Poutine ne voulait pas attaquer l'Ukraine, il l'a dit à plusieurs reprises. De toute évidence, les États-Unis ont exercé des pressions pour déclencher la guerre. Les États-Unis ont peu d'intérêt pour l'Ukraine elle-même. Ce qu'ils voulaient, c'était augmenter la pression sur l'Allemagne pour qu'elle ferme Nord Stream II. Ils voulaient que l'Ukraine provoque la Russie, et si la Russie réagissait, Nord Stream II serait gelé" (https://www.lahaine.org/mundo.php/militar-suizo-experto-d... ).

Le Royaume-Uni semble également devoir bénéficier de son statut de pays de "transit" pour l'approvisionnement en gaz naturel de l'Europe, via le gazoduc traversant la Belgique et les Pays-Bas, qui tentera de se sevrer de sa dépendance au gaz russe, comme le prévoit pour cet été le seul opérateur énergétique britannique qui collecte le gaz de la mer du Nord en Norvège : National Grid. Selon le Daily Telegraph, National Grid pense pouvoir exporter environ 5,1 milliards de m3 vers l'Europe cet été. Elle envisage également d'importer du gaz liquéfié des États-Unis au Royaume-Uni pour le transformer en gaz normal et l'exporter en Europe.

En raison de l'opération militaire russe dans la marine des pays de l'OTAN (pas tous) en Ukraine, la non-ouverture de Nord Stream 2 n'a pas divisé les pays européens, comme ce fut le cas en 2003 avec la guerre en Irak, même si le Royaume-Uni a quitté l'UE. Il semble y avoir un consensus anti-russe (la Hongrie anti-sorosienne est peut-être l'exception, quoique de manière ambiguë).

Pour gagner l'alliance de la Russie contre la Chine, ni l'administration Trump (ce qui était son intention) ni l'administration Biden (qui a montré au monde sa russophobie exacerbée, dans la lignée du trilatéraliste-rockefellerien polonais et américain Zbigniew Brzezinski) n'ont su agir avec tact diplomatique. Et ils devraient savoir que les alliances sont aussi importantes que les forces elles-mêmes. C'est pourquoi la Russie a conquis l'allié chinois, mais toujours avec la crainte que ce dernier ne l'absorbe ou ne la trahisse à un moment donné (l'hypocrisie est notre pain quotidien dans les relations internationales).

L'humiliation du président allemand par Zelensky

Pendant des années, le président allemand Frank-Walter Steinmeier a entretenu une relation cordiale avec Vladimir Poutine, dont il a fait l'éloge en tant que chancelier sous Gerhard Schröder, puis en tant que ministre des affaires étrangères sous Angela Merkel. Et il a également montré son plus grand soutien au projet Nord Stream 2 pendant ces années, jusqu'à juste avant la guerre, ce que, après l'entrée des troupes russes en Ukraine, le chef d'État allemand a admis comme une "erreur manifeste". Une erreur qu'il a entretenue pendant des années, presque une décennie ? Après la diffusion sur Twitter de photos de M. Steinmeier embrassant le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, le président a exprimé ses remords. Pour cela, il ne serait pas le bienvenu à Kiev, et a dû annuler sa visite : "Il semble que ma présence ne soit pas souhaitée" (https://www.elmundo.es/internacional/2022/04/12/6255a91f2... ).  "Nous n'avons pas réussi à créer une maison européenne commune qui inclut la Russie. Nous n'avons pas réussi à inclure la Russie dans l'architecture de sécurité globale. Nous nous sommes accrochés à des ponts auxquels la Russie ne croyait plus, comme nos partenaires nous en avaient avertis" (https://ria.ru/20220404/evropa-1781787894.html ). Tout cela montre la honteuse servilité de l'Allemagne envers les États-Unis.

L'ambassadeur ukrainien à Berlin, Andriy Melnyk, poursuit en soulignant que l'Allemagne a "trop d'intérêts particuliers" en Russie et que Steinmeier est en grande partie à blâmer, car il a passé des décennies à tisser une toile d'araignée de contacts avec la Russie (tout comme Merkel, avec qui Poutine a parlé en russe et en allemand). "Beaucoup de ceux qui sont maintenant en charge dans la coalition (allemande) sont impliqués dans cette affaire" (https://www.elmundo.es/internacional/2022/04/12/6255a91f2... ).

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Le porte-parole adjoint du gouvernement allemand, Wolfgang Büchner, a calmé les esprits en comprenant "la situation exceptionnelle" que traverse l'Ukraine. Il a déclaré que "l'Allemagne a été et est l'un des plus ardents défenseurs de l'Ukraine... et continuera de l'être. Le président a une position claire et sans équivoque en faveur de l'Ukraine" (https://www.elespanol.com/mundo/europa/20220413/zelenski-... ).

Dans le magazine allemand Spiegel, Steinmeier a rappelé qu'en 2001, Poutine avait prononcé un discours en allemand au Bundestag même : "Le Poutine de 2001 n'a rien à voir avec le Poutine de 2022, que nous voyons maintenant comme un fauteur de guerre brutal et retranché" (https://www.elespanol.com/mundo/europa/20220413/zelenski-... ). Et qu'il attendait toujours "un reste de rationalité de la part de Vladimir Poutine" (https://www.spiegel.de/politik/frank-walter-steinmeier-ue... ).

Mais nous avons déjà montré de manière assez puissante dans les pages du Postmodernisme, en réfléchissant contre l'hystérie des politiciens et des journalistes, que Poutine n'est pas fou : https://posmodernia.com/putin-esta-loco/ .    

vendredi, 22 avril 2022

Incendie en Europe - Intérêts géopolitiques et défi à l'ordre libéral

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Incendie en Europe

Par Andrés Berazategui*

Source: https://nomos.com.ar/2022/04/19/fuego-en-europa/?fbclid=IwAR1-F33Lt9hPuz8XmKAezJvqzASFrI9ihsVdoDidWu4IH2x8f1_TtUa6SkM

Intérêts géopolitiques et défi à l'ordre libéral

Lorsque l'intervention de la Russie en Ukraine a débuté le 24 février, la principale raison invoquée par Vladimir Poutine pour lancer les opérations était le conflit vieux de huit ans au Donbass. Nous ne nous attarderons pas sur les faits, étant donné l'importante couverture médiatique en cours. Depuis quelques années, la situation dans la région semblait se calmer en raison de l'impasse qui a créé une frontière de facto entre les territoires contrôlés par les forces loyales au gouvernement ukrainien et ceux sous le contrôle des insurgés des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. Il est donc clair que la décision du président russe de lancer une telle opération ne peut être uniquement liée au conflit dans le Donbass. Le différend entre la Russie et l'Ukraine doit être placé dans un cadre plus large dans lequel nous soulignerons deux aspects: d'une part, des considérations géopolitiques liées aux questions de sécurité et à la lutte pour l'hégémonie en Eurasie; et, d'autre part, un défi plus large où une Russie revigorée remet en question l'ordre international en déclin dirigé par les États-Unis.

La Russie et la géopolitique eurasienne

En stratégie, un "intérêt vital" est défini comme un intérêt pour lequel un acteur est déterminé à faire la guerre afin de le défendre. Dans la politique interétatique, la vie de la population, la possession ou l'accès à des ressources critiques, ou le territoire lui-même peuvent être identifiés comme des facteurs d'intérêt vital pour un État. Les États élaborent des stratégies pour neutraliser les menaces, c'est pourquoi les politiques de sécurité et de défense figurent souvent en bonne place dans les agendas publics. Il n'est pas surprenant que les puissances aient tendance à consacrer d'importantes ressources à cet effet. L'ex-URSS ne faisait pas exception, bien au contraire, et sa désintégration a laissé un grand nombre de conflits potentiels qui pourraient être très problématiques pour son principal État, la Russie d'aujourd'hui. Vladimir Poutine considère que l'effondrement de l'URSS est la plus grande catastrophe géopolitique du 20e siècle. Il a toutes les raisons de le croire. Mais le plus grave, au vu des événements qui ont suivi cet automne, était la menace que la Russie percevait dans une OTAN avançant vers l'est. Historiquement, le principal défi de la Russie a été de défendre son espace national contre une multitude de voisins actifs et souvent instables. Il n'est donc pas surprenant que l'avancée de l'alliance atlantique ait mis les dirigeants russes mal à l'aise. La raison est classique: aucune puissance ne veut de menaces près de ses frontières. Les Américains toléreraient-ils une alliance militaire chinoise incluant, par exemple, des pays des Caraïbes, le Canada ou même le Mexique ? Comment les États-Unis ont-ils réagi lorsque les Soviétiques ont envoyé des missiles à Cuba ? Pourtant, une Russie encore faible ne pouvait rien faire en 1999 lorsque la première expansion de l'OTAN de l'ère post-soviétique a eu lieu, la République tchèque, la Hongrie et la Pologne rejoignant l'alliance.

Selon certains analystes, la Russie ne s'inquiétait guère, au début des années 1990, de la capacité de l'OTAN à contenir une Allemagne nouvellement unifiée. Il n'y avait pas non plus de signe public de la volonté de l'OTAN de "marcher vers l'est", sans parler du fait que beaucoup en Russie estimaient que la propagation de la démocratie ne nécessitait pas l'expansion parallèle d'une alliance militaire. Mais plus d'un Occidental a considéré l'élargissement de l'OTAN comme une grave erreur, y compris le stratège George Kennan, celui-là même qui a conçu la politique d'endiguement de l'URSS pendant la guerre froide, dans un article du New York Times d'aujourd'hui intitulé "A fateful error" [1].

Cependant, d'autres voix se sont fait entendre et la géostratégie finalement conçue avait réservé à l'OTAN et à l'Union européenne le rôle fondamental d'être la "tête de pont démocratique" des Etats-Unis sur l'Eurasie, comme le soutenait Zbigniew Brzezinski en 1997 [2]. Il a écrit une stratégie séduisante pour Washington avec une relecture néo-mackinderienne de la géopolitique, car il voyait l'Eurasie comme le principal échiquier dans la lutte pour l'hégémonie mondiale et où il était nécessaire d'opérer sur trois fronts : L'Europe de l'Est, où l'UE et l'OTAN (deux architectures institutionnelles qui allaient de pair) devaient s'étendre; les "Balkans eurasiens", une région qui s'étend de l'est de la Turquie et d'une grande partie de l'Iran à l'Asie centrale, où régnait une grande instabilité qui devait être gérée par la diplomatie et l'équilibre; et enfin l'Extrême-Orient, où une Chine en pleine expansion devait être contenue afin de demeurer uniquement une puissance régionale.

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La plus grande crainte de Brzezinski était qu'une alliance anti-hégémonique prenne forme, qui contesterait la suprématie mondiale des Etats-Unis et finirait par chasser les Etats-Unis d'Eurasie. Une telle alliance, selon le stratège, pourrait se faire entre la Russie, la Chine et éventuellement l'Iran. Brzezinski avait des craintes particulières au sujet de la Russie, car son territoire lui permet d'opérer à la fois en Europe et en Extrême-Orient, mais aussi parce qu'elle est une puissance nucléaire.

Les universitaires libéraux ont joué leur rôle dans la politique d'expansion vers l'est de l'UE et de l'OTAN : ils étaient profondément ancrés dans l'idée que les États-Unis étaient destinés à apporter la liberté, la démocratie et la prospérité au monde entier. Le modèle américain de capitalisme et de démocratie avait réussi à résoudre les contradictions de l'histoire, ce n'était donc qu'une question de temps avant que ce modèle puisse être apporté au monde entier. C'est du moins ainsi que Francis Fukuyama l'a formulé, et beaucoup l'ont cru.

Ce n'est pas ce que pensaient les dirigeants russes ou de nombreux autres dirigeants dans le monde. Très tôt, Poutine a clairement indiqué que l'expansion de l'OTAN constituait une menace pour la sécurité de la Russie et il n'était pas disposé à tolérer la présence de membres de l'OTAN parmi les pays voisins. Cependant, la Russie ne pouvait rien faire non plus en 2004, lorsqu'un nouveau cycle d'élargissement est arrivé: cette fois, la Bulgarie, la Slovaquie, la Slovénie, la Roumanie et pas moins de trois pays voisins, la Lettonie, l'Estonie et la Lituanie (qui jouxte Kaliningrad), ont rejoint l'alliance. Mais la goutte d'eau qui a fait déborder le vase est arrivée en avril 2008 lorsque l'OTAN a déclaré sa volonté d'intégrer l'Ukraine et la Géorgie. Comme si cela ne suffisait pas, le mois suivant a vu le lancement officiel du Partenariat oriental, une initiative visant à établir des relations communes avec les pays d'Europe de l'Est sur la base de la promotion de valeurs, d'institutions et d'intérêts communs proclamés entre cette région et l'UE. Suite à une action militaire géorgienne dans deux régions séparatistes, la Russie est intervenue dans la zone et a soutenu les régions d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie contre la Géorgie. Cette intervention russe aurait dû faire comprendre aux Occidentaux ce que Poutine pense de ses voisins qui ont manifesté leur décision de rejoindre l'OTAN.

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À l'Ouest, cependant, les politiciens n'ont pas changé de cap et ont soutenu une "révolution colorée" en Ukraine qui a réussi à évincer le président pro-russe Ianoukovitch en 2014, tournant une fois de plus l'Ukraine vers l'Ouest. Le conflit a alors éclaté au Donbass, mais pas seulement là, mais dans presque toutes les régions russophones. Profitant de l'escalade, une Russie déterminée et active s'empare de la péninsule de Crimée. Malgré tout cela, loin de s'orienter vers une politique de négociations qui établirait la fin de la marche de l'OTAN vers l'est et définirait la neutralité de l'Ukraine, cette dernière a insisté sur l'intégration à l'Occident et l'OTAN a déclaré avec insistance que chaque pays pouvait décider de ce qu'il voulait faire. Les événements se sont radicalisés lorsque le Kremlin a pressenti l'intégration imminente de l'Ukraine dans l'alliance et que des missiles seraient déployés sur son territoire.

Le défi de l'ordre libéral international

Aussi important qu'il soit d'analyser la concurrence géopolitique sur l'échiquier eurasien, ce fait à lui seul n'explique pas entièrement les intentions de la Russie, car dans un aspect plus vaste, Vladimir Poutine remet en question l'ordre international libéral dirigé par les États-Unis. Le président russe a critiqué à plusieurs reprises les valeurs incarnées par l'Occident, notamment dans ses discours au Club Valdai. En outre, le défi est même logique, étant donné que la Russie, en tant qu'État revigoré, vise à revenir au pouvoir en proposant ouvertement la fin de l'ordre international actuel pour donner naissance à un ordre qui lui serait plus favorable. Poutine souhaite qu'un tel ordre lui permette d'avoir son mot à dire sur les questions importantes de politique internationale, en particulier les questions de sécurité. En outre, le Kremlin ne souhaite pas simplement adapter les changements à l'ordre international actuel, mais les dirigeants russes veulent en construire un qui tienne compte des nouvelles réalités de la répartition mondiale du pouvoir. Au fil du temps, il semble devenir évident que le monde évolue vers la multipolarité. Un commentaire sur ce point. La polarité du système international est donnée par sa structure, c'est-à-dire par la forme que prend le système international. C'est-à-dire que même si le système international est toujours un et le même, il peut prendre différentes formes en fonction des différentes répartitions des capacités matérielles: avec une seule puissance hégémonique, il sera unipolaire; avec deux puissances, bipolaire; avec trois puissances ou plus, multipolaire...

Cependant, après la fin de la bipolarité et la chute de l'URSS, le "moment unipolaire" est né lorsque les États-Unis sont devenus la seule superpuissance.  Ainsi, ce pays s'est consacré à étendre ses propres valeurs et institutions au monde entier, dans ce qui semblait être le triomphe du libéralisme à l'échelle mondiale. C'est dans ce contexte de triomphalisme qu'est née la théorie de la paix démocratique, une théorie qui affirme que les démocraties ne se font pas la guerre, de sorte que le modèle démocratique et capitaliste occidental devait être élargi afin de parvenir à la paix internationale. Et cette expansion de la démocratie libérale était positive pour les États-Unis pour deux raisons. D'une part, s'il est vrai que les démocraties ne se font pas la guerre, quelle meilleure contribution à la paix internationale que de faire de tous les États des pays démocratiques ? Mais d'un autre côté, étant un ordre pacificateur, il a été interprété que les Américains eux-mêmes seraient plus en sécurité chez eux, puisqu'ils ne seraient pas "forcés" de s'impliquer à l'étranger et pourraient s'occuper de leur propre politique intérieure. Les libéraux américains des années 1990 ont défendu l'expansionnisme de leur propre modèle d'ordre, identifiant l'intérêt international pour la paix à leur propre intérêt national. Il se trouve que les puissances ont tendance à rechercher des ordres internationaux qui leur profitent, et ces ordres naissent comme une expression de la façon dont chaque peuple conçoit la réalité. C'est-à-dire que de chaque esprit national naît une vision du monde à partir de laquelle est projetée une manière de comprendre comment le monde devrait être ; appliquée à la politique internationale, c'est le substrat sur lequel sont conçus les ordres internationaux, et ce sont les puissances qui ont la volonté et les capacités matérielles de les construire et de les maintenir.

Mais les Russes n'ont pas la même vision du monde que les Américains. L'ordre international actuel repose sur une philosophie libérale, une philosophie qui considère l'individu comme l'alpha et l'oméga de tout ordre social. Fondée sur une confiance aveugle dans le pouvoir de la raison, cette philosophie part du principe que, tôt ou tard, toute l'humanité atteindra le même objectif dans le futur; le progrès est inéluctable. Mais alors que le progrès avance, il est évident que les individus ont des religions, des idées ou des intérêts différents, alors comment résoudre le problème de la coexistence tout en atteignant le but final de l'histoire? Avec un contrat né de volontés libres, rationnelles et suffisamment informées. C'est ainsi que sont nés le contractualisme, la pensée "sociétale" et les régimes démocratiques modernes. Transposez ce même raisonnement à la politique interétatique et vous obtenez l'ordre libéral international, un ordre fondé sur la promotion des droits de l'homme, de la libre économie et de la démocratie.

Bien sûr, le créateur, le soutien et le garant de cet ordre était et est toujours les États-Unis, qui ont leur propre façon de comprendre ces facteurs. Ainsi, avec l'ascension des États-Unis au sommet de la puissance mondiale, les droits de l'homme sont interprétés de manière individualiste, en prenant pour acquis l'existence d'atomes rationnels et libres guidés par l'intérêt personnel. L'économie de marché implique la déréglementation, la limitation de l'interventionnisme de l'État et la recherche acharnée du profit. Enfin, la démocratie se comprend non pas en termes de "volonté du peuple", mais dans l'articulation d'un système de contrepoids entre des pouvoirs équivalents, avec un système politique dont la représentation est monopolisée par les partis politiques et où l'alternance dans l'exercice du pouvoir est recherchée. Pour les États-Unis, toutes ces choses étaient positives lorsqu'ils ont décidé de les étendre dans les années 1990, car lorsqu'elles sont appliquées à la politique internationale, elles créent "un monde basé sur des règles". Mais bien sûr, les organisations et les institutions qui étaient censées faire respecter ces règles ont été largement créées et façonnées par les États-Unis eux-mêmes... il en a été de même pour l'ONU, le FMI, l'OMS, l'OTAN et ainsi de suite.

C'est cette situation que la Russie conteste et veut changer. Ses valeurs ne conçoivent pas les individus repliés sur eux-mêmes en marge de la vie collective, ni l'État comme un acteur secondaire de l'économie. Et quelle valeur peut avoir la démocratie de type occidental dans la tradition autocratique de la Russie ? Il est inacceptable pour le Kremlin de continuer à participer à un monde fondé sur l'expansion d'un ordre qui, selon lui, ne les représente pas adéquatement. C'est pourquoi nous affirmons que l'Ukraine ne concerne pas seulement le sort des territoires. Il est certain que la géopolitique est la première clé pour comprendre les intérêts de l'État russe. Mais le point principal à noter est le défi lancé par Vladimir Poutine à l'ordre libéral international.

Une perspective américaine

L'Argentine doit calibrer ses décisions de politique étrangère à la lumière des deux aspects que nous avons évoqués : le retour de la politique de puissance entre les puissances, avec son cortège de tensions géopolitiques, et l'évolution vers un nouvel ordre international qui est en cours. Avant d'analyser l'impact de ces réalités, disons quelques mots sur la construction du pouvoir national. Quel que soit le scénario qui se dessine, notre pays doit profiter des tensions et des réalignements internationaux à venir pour renforcer sa puissance nationale et accroître sa liberté d'action. La question est simple: peu de pouvoir, peu d'options; trop de pouvoir, trop d'options. Tous les scénarios sont mauvais pour un État faible. Et la puissance nationale se construit en renforçant des attributs matériels tels que le territoire, la population, l'économie ou la capacité militaire; mais aussi en renforçant des attributs immatériels tels que la volonté nationale, l'éducation de la société, la qualité des institutions ou la professionnalisation des élites dirigeantes. Vient ensuite, bien sûr, la capacité de ceux qui dirigent un État à traduire ce pouvoir en stratégies efficaces et efficientes pour atteindre les objectifs nationaux.

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Passons maintenant aux deux questions prioritaires que nous avons identifiées. En ce qui concerne les tensions géopolitiques actuelles, un point est évident, mais mérite d'être souligné: l'échiquier fondamental de la compétition entre les puissances continuera d'être l'Eurasie, et notre pays et l'Amérique du Sud n'y sont pas. Les pays de notre région (et nous faisons expressément référence à l'Amérique du Sud) devraient avoir une politique cohérente et unifiée par rapport à ce scénario. Il est encore plus important de comprendre que l'Argentine ne doit pas adopter une stratégie d'alignement automatique sur l'un des acteurs du conflit. Il n'y a aucune raison de s'impliquer en "prenant parti" définitivement pour l'un ou l'autre des concurrents, car leurs principaux intérêts stratégiques se situent précisément là-bas en Eurasie, et non ici en Amérique du Sud. Par conséquent, il peut être commode pour eux de nous avoir comme alliés aujourd'hui, mais pas demain.

Un autre point, en rapport avec la concurrence sur l'échiquier eurasien, est qu'il n'est pas dans l'intérêt des États de notre région qu'une alliance anti-hégémonique expulse définitivement les États-Unis d'Eurasie, si cela peut se produire un jour. Une puissance nord-américaine expulsée du plateau de jeu principal (ou dont l'influence serait réduite à un niveau secondaire) se retirerait du grand continent eurasien, réévaluerait le concept de l'hémisphère occidental et tournerait ses principales ressources diplomatiques et militaires vers notre région ; dans cette nouvelle réorganisation, les États-Unis chercheraient à créer une nouvelle architecture de sécurité hémisphérique afin de protéger leurs intérêts et nos gouvernements seraient certainement confrontés à une pression encore plus forte de la part des États-Unis.  Le meilleur scénario, pour les pays de notre Amérique, est celui d'une Amérique retirée de notre région, constamment et principalement impliquée dans l'Eurasie luttant pour l'hégémonie contre d'autres puissances.

En ce qui concerne l'émergence potentielle d'un nouvel ordre international, le fait que la Russie - ou toute autre puissance - défie les États-Unis est en soi une bonne nouvelle. Pour l'Argentine et les pays de notre région, les politiques interventionnistes américaines ont presque toujours laissé de mauvais souvenirs et, dans notre cas, seulement de mauvaises nouvelles. Nous n'avons pas bénéficié de l'alignement automatique dans les années 1990, bien au contraire. Et les architectures sécuritaires et économiques que les États-Unis ont créées, telles que la TIAR, le FMI, la BM, par exemple, ont été inefficaces ou ont rendu notre situation bien pire. Un ordre international dans lequel il y a plus d'acteurs importants sera plus positif pour des pays comme l'Argentine, car il y aura plus d'alternatives pour rassembler des intérêts ou chercher des ressources.  Tout cela tient également compte du fait que la Russie tient tête à l'OTAN, une alliance militaire dont l'un des membres usurpe une partie de notre territoire, ce qui devrait faire réfléchir les politiciens argentins sur la manière de planifier la diplomatie et la défense nationale en ce qui concerne l'Atlantique Sud.

Mettons tout de suite les choses au clair : les États-Unis pensent aussi à l'évolution vers un monde multipolaire [3]. À Washington, on accepte de plus en plus le déclin des États-Unis en tant que puissance hégémonique, qui est perçu comme le produit d'une nouvelle répartition des capacités au niveau mondial. Il faut donc comprendre que nous ne sommes pas face à une compétition entre des Etats-Unis qui veulent revenir à l'unipolarité et une Russie ou une Chine qui promeuvent la multipolarité : nous sommes en présence de différentes manières de vouloir organiser un système international avec plus d'une puissance dans un futur proche; il se peut même qu'à long terme il n'y en ait que deux. On ne sait pas encore exactement à quoi ressemblera la nouvelle répartition du pouvoir.

Maintenant, pour revenir à notre pays et à notre région: nous devons construire une puissance nationale qui soit également orientée vers l'intégration avec le reste des pays d'Amérique du Sud. Le grand espace sud-américain doit devenir un acteur significatif reconnu et qui obtient une représentation adéquate et équitable dans l'ordre international à venir. En ce qui concerne la lutte qui se déroule en Eurasie, il convient d'élaborer des stratégies visant à tirer le meilleur parti de la marge de manœuvre qui subsiste toujours dans la politique internationale lorsqu'il y a plus d'une puissance. Lorsqu'il n'y a qu'une seule puissance hégémonique, comme ce fut le cas dans les années 1990, les options de politique étrangère sont considérablement réduites. Pour un pays comme l'Argentine, un monde multipolaire est en soi plus bénéfique qu'un monde unipolaire. Non pas parce qu'un système international avec plusieurs "pôles" est plus juste et plus pacifique qu'un système avec une seule puissance au sommet du pouvoir ; en effet, un monde multipolaire est peut-être plus instable et insécurisé, précisément parce que c'est un monde avec plusieurs acteurs concurrents. Non seulement cela, mais sous cette compétition, il y aurait une multiplicité d'États qui se disputeraient l'avantage. C'est pourquoi, pour notre pays, la neutralité active est la meilleure solution : une position qui évite de s'aligner automatiquement et en permanence sur un seul acteur, mais qui cherche activement à maximiser le pouvoir et à obtenir des ressources en profitant des tensions entre les grandes puissances. C'est un monde en transition où plusieurs alternatives vont émerger. Il s'agit d'en tirer parti.

*Andrés Berazategui, membre de Nomos, est titulaire d'une licence en relations internationales de l'Universidad Argentina John F. Kennedy, et d'un master en stratégie et géopolitique de l'Escuela Superior de Guerra del Ejército (ESGE).

Notes:

[1] Voir George Kennan, "A fateful error", dans The New York Times, 5 février 1997.

[2] Dans son livre The Great World Chessboard. La supremacía estadounidense y sus imperativos geoestratégicos, Paidem

Impératifs géostratégiques, Paidós, Barcelone, 1998.

[3] Voir, par exemple, l'article "Le nouveau concert des puissances. Comment prévenir les catastrophes et promouvoir la stabilité dans un monde multipolaire", publié le 23 mars 2021 dans Foreign Affairs, par Richard N. Haass et Charles A. Kupchan. Haass est président du Council on Foreign Relations.

jeudi, 21 avril 2022

Le brouillard de la guerre et le changement de paradigme mondial

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Le brouillard de la guerre et le changement de paradigme mondial

Fabio Reis Vianna*

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/tribuna-libre/37413-la-niebla-de-la-guerra-y-el-cambio-de-paradigma-global

La maxime du penseur brésilien José Luís Fiori selon laquelle "l'expansionnisme et la guerre sont deux parties essentielles de la machine à produire du pouvoir et de la richesse dans le système interétatique" n'a peut-être jamais été aussi pertinente et semble se confirmer dans le moment historique exact auquel nous assistons.

Les événements extraordinaires résultant de l'intervention russe en Ukraine, qui a débuté le 24 février, laissent des traces indélébiles et confirment certaines des perceptions que nous avons déjà mentionnées dans d'autres de nos articles.

L'ordre international dirigé par l'Occident est clairement remis en question dans sa hiérarchie de pouvoir, et la guerre en Ukraine est un symptôme clair de ce défi.

Ce qui est vraiment frappant, cependant, c'est la perception que cette guerre pointe vers quelque chose de beaucoup plus grand qu'il n'y paraît à première vue, car il ne s'agirait pas d'une guerre régionale, mais d'une guerre aux proportions mondiales: une guerre hégémonique.

Le changement de paradigme représenté par l'intervention de la Russie en Ukraine consolide ainsi la voie d'un nouveau système international plus fragmenté, dans lequel la puissance occidentale est affaiblie. Dans ce scénario, les plaques tectoniques du système international se déplacent lentement face au monde nouveau et sans précédent qui s'ouvre.

Par conséquent, qu'on le veuille ou non, les élites de pays comme le Brésil, si inféodées à la stratégie de sécurité américaine, sont poussées vers une solution consensuelle en direction de l'expérience eurasienne par le biais des BRICS. Ainsi, les militaires brésiliens, si réactionnaires et obéissants à Washington, sont confrontés à un nouveau monde, apparemment déjà compris par la tradition diplomatique de l'"Itamaraty"(palais du ministère des affaires étrangères au Brésil - photo, ci-dessous), et même par le puissant lobby brésilien de l'agrobusiness.

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Le palais d'Itamaraty à Brasilia, oeuvre de l'architecte Oscar Niedermeyer.

A l'inverse, l'aveuglement des élites européennes provoque la stupeur en alimentant un jeu qui plonge l'Europe dans ce qu'elle a toujours été: la grande arène de la compétition militaire interétatique depuis 500 ans.

Par conséquent, en tenant compte de cette terrible prémisse, l'armistice qui a rendu possible la création de l'Union européenne, ainsi que la monnaie commune, n'aurait été qu'un simple interrègne de paix, jusqu'à la prochaine guerre.

Reprenant sa place tragique dans le système international classique, l'Europe est à nouveau la scène du vieux théâtre de la mort, et la maxime selon laquelle "la paix est presque toujours une trêve qui dure le temps imposé par la contrainte expansive des vainqueurs et le besoin de vengeance des perdants" n'a jamais été aussi appropriée.

Dans ce contexte, l'humiliation allemande suite au veto américain à l'encontre du gazoduc Nord Stream 2 est paradigmatique. Le 7 février, en pleine Maison Blanche, et avant même l'intervention russe en Ukraine, Joe Biden désavoue publiquement le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz, en déclarant catégoriquement que le gazoduc Nord Stream 2 sera arrêté.

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Cela pourrait être considéré comme le déclencheur de l'intervention russe et l'ouverture de la boîte de Pandore pour le nouveau monde qui s'ouvre. En plus de représenter, en termes symboliques, l'humiliation de l'Allemagne en tant que pays souverain, il consolide le "coup d'État" définitif dans le projet d'intégration européenne.

Le président ukrainien Vladimir Zelensky étant une sorte de porte-parole d'un scénario écrit à Washington - ou, qui sait, à Hollywood - les attaques répétées contre les dirigeants européens qui ont travaillé si dur pour normaliser les relations russo-européennes, comme la récente attaque contre l'ancienne chancelière Angela Merkel, indiquent que les instruments de la guerre de quatrième génération, déjà utilisés par les États-Unis dans d'autres régions de la planète, s'intensifient au sein de l'alliance occidentale.

Non seulement le maintien, mais l'approfondissement de la reproduction et de l'expansion continues et illimitées de l'empire militaire américain est une réalité qui est devenue encore plus claire après l'entrée du premier char russe sur le territoire ukrainien, quitte à déstabiliser, voire à détruire des alliés fidèles et de longue date.

En ce sens, le vieux postulat soutenu par de nombreux spécialistes de l'école "réaliste" des relations internationales, ainsi que par les grands penseurs du Système mondial, selon lequel la concentration du pouvoir mondial dans un seul État serait une condition essentielle à une paix mondiale durable, tombe à l'eau.

Le "Paradoxe de l'hyperpuissance" est confirmé comme une gifle au visage de l'énorme consensus théorique développé depuis le milieu des années 1970.

En d'autres termes, depuis la première minute du bombardement américain de l'Irak en 1991, qui a précédé les 48 interventions militaires des années 1990, et les 24 interventions des deux premières décennies du XXIe siècle, qui ont à leur tour abouti à 100.000 bombardements dans le monde - le système international est plongé dans un sinistre processus de guerre permanente, ou infinie, qui contredit l'utopie kantienne de la paix perpétuelle reflétée dans l'idée de stabilité hégémonique.

Ainsi, c'était une erreur de considérer que la puissance mondiale unipolaire qui a émergé avec la victoire de la guerre froide pouvait exercer son hégémonie au nom de la paix et de la stabilité mondiale, assumant ainsi un leadership responsable et au nom de la grande gouvernance.

Au lieu de cela, ce à quoi nous avons assisté au cours des 30 dernières années, c'est à l'escalade de la concurrence interétatique, les autres États réagissant au processus insensé et sans conséquence d'expansion du pouvoir de l'empire militaire américain.

En conséquence, nous sommes confrontés à un monde qui semblait n'appartenir qu'aux livres d'histoire ; où les intérêts nationaux des grandes puissances reviennent avec la force que, finalement, ils n'ont jamais cessé d'avoir, mais qui est seulement restée en sommeil.

Cette nouvelle (ancienne) géopolitique des nations laisse donc sa marque la plus nette avec ce que la Russie impose dans son intervention en Ukraine: la remise en cause du primat selon lequel seuls les Occidentaux ont la légitimité d'imposer leur volonté par la guerre.

C'est la nouveauté qui ébranle les structures du système international.

Face à cette guerre imminente aux proportions mondiales, résultant de la défiance russe et de l'intensification de la course aux armements - avec le retour alarmant de l'Allemagne et du Japon dans le jeu - nous nous dirigeons inexorablement vers une aggravation du chaos systémique interétatique, ainsi que vers l'escalade du conflit social systémique, notamment en Europe.

Comme à d'autres moments de l'histoire du système mondial, l'Europe est à nouveau le centre névralgique de la lutte mondiale pour le pouvoir. Et comme dans d'autres moments tragiques de l'histoire, le comportement des dirigeants européens est une fois de plus irrationnel; au milieu d'un jeu à somme négative. Les Européens sont largement perdants.

* LL.B., étudiant en master de relations internationales à l'Université d'Évora (Portugal), écrivain et analyste géopolitique.

mardi, 19 avril 2022

La Russie, les Etats-Unis et la Chine dans une conjoncture de conflit. Quels sont les objectifs prioritaires de la "nouvelle guerre froide"?

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La Russie, les Etats-Unis et la Chine dans une conjoncture de conflit. Quels sont les objectifs prioritaires de la "nouvelle guerre froide"?
 
Politique internationale ou Macht-Welt-Politik

 

Puisque la politique internationale a été tenue depuis toujours comme politique de puissance, Macht-Politik dans la culture allemande et Power politics dans le monde anglo-saxon, la conversion idéaliste des Etats en porteurs d'avenirs pacifiés n'a concerné que l'Europe post-moderne, héritière du droit des gens, des empires universels du passé et du cosmopolitisme des élites intellectuelles des XVIIIème  et XIXème siècles.

La morphologie triadique du système multipolaire actuel distingue toujours entre objectifs historiques et objectifs éternels et accorde à la géopolitique et à dialectique de l'antagonisme la tâche de distinguer entre types de paix et types de guerres. En fonction des rôles joués par les grands acteurs historiques nous passerons en revue  - et à des seules finalités de connaissance,-  les différents types de paix, car ils déterminent non seulement les types de guerre, mais également les stratégies générales des acteurs majeurs du système.

Pour l'Europe l’Idéal-type de paix dans un système planétaire est une paix d'équilibre entre l'Amérique et la Russie, puisque le continent est situé à la jonction du Rimland et du Heartland, entre la terre centrale et la grande île du monde ; pour la Russie une paix d'empire, fédératrice de plusieurs peuples, de plusieurs terres et de multiples confessions religieuses. Une paix d'Hégémonie est celle qui convient au choix de l'Amérique, vouée, par sa mission universelle, à exercer son pouvoir sur les trois Océans, Indien, Pacifique et Atlantique, en respectant la souveraineté des pays de la bordure des terres. Pour l'Empire du milieu, le mandat du ciel situe le meilleur type de paix entre une architecture régionale équilibrée et une vision planétaire à long terme, déterminée en partie par sa position géopolitique et en partie par la rivalité qui découle de sa culture et du système mondial des forces. Quant à la crise ukrainienne et à son issue, la superposition de trois types d'hostilité et donc d'insécurité alimentera un conflit de longue durée. S'y entremêlent de manière contrastée:

- Une hostilité/insécurité de la Russie vis-à-vis l'Otan et des Etats-Unis.
- Une inimitié de l'Union européenne vis-à-vis de la Russie. Une ambiguïté de la Chine quant à la pression américaine sur les sanctions occidentales, concernant l'économie russe et ses conséquences et ces incertitudes influent sur le dilemme de fond de notre époque, "affrontement ou condominium" sino-américain, auquel est subordonnée la paix mondiale.

Dans cette conjoncture de changement, le continent européen, sans hauteur symbolique et historique devient  le reflet du type d'ordre qui règne dans le monde selon  la formule d'une "Nouvelle guerre froide", contestée par certains (G. H. Soutou).

Les objectifs prioritaires de la "Guerre Froide" de l'âge de la bipolarité. Une approche comparée

Le conflit entre les deux blocs de l'époque de la bipolarité n'était qu'un aspect du processus de transformation et de passage du capitalisme au socialisme, qui se voulait révolutionnaire. Il conjuguait tous les aspects de la vie collective des peuples et des nations et excluait des accords durables comme celui d'une coexistence pacifique entre les deux systèmes. Tout devait se passer suivant le primat du conflit et guère de la paix, selon les lois inexorables et objectives de l'histoire.  

51qBxbAKe9L.jpgCependant l’objectif stratégique de l'Occident, selon un courant de pensée américain offensif, représenté par Robert Strausz-Hupé, William R. Kintner et Stefan T. Possony  et exposé dans le livre "A forward strategy for America", devait exiger comme "objectif prioritaire, la préservation et la consolidation de notre système politique, plutôt que le maintien de la paix". Selon ce courant, la survie du régime politique des Etats-Unis, n'autorisait "d'autre choix qu'une stratégie à la Caton": "Carthago delenda est !". La coexistence de deux empires rivaux était conçue comme une cause d'instabilité profonde, qui devait déboucher fatalement sur une guerre inexpiable. La situation multipolaire d'aujourd'hui est-elle comparable à celle de l'époque? Change-t-elle sur le fond, à l'essence de la rivalité et à la structure de l'hostilité déclarée? La précarité apportée à la sécurité de la Russie est-elle le premier pas d'une stratégie générale d'élimination d'un adversaire, pour qu'il ne s'allie au troisième, en vue d'un guerre totale, difficile à gagner ?

Le triple rôle de la Russie, national, eurasien et mondial

La rivalité est-elle compatible avec la paix, indépendamment du rôle historique d'un acteur de l'importance de la Russie ? Cet immense pays remplit aujourd'hui un triple rôle, national ou de régime, régional ou eurasien, et mondial ou de système. En fonction du premier, il constitue un modèle spécifique d'autocratie, porteuse d'une Weltanchauung anti-occidentale, qui doit résoudre en permanence le problème de la légitimité du pouvoir et du consensus des opinions; en rapport au deuxième, un facteur de stabilité et d'équilibre en Eurasie, convoité par le grand Turc. Par référence au système planétaire, un type d'ordre, de meneur du jeu et de leadership, qui apparaît indispensable contre l'entreprise multipolaire et désagrégeante de l'hégémonie américaine. Sur sa face européenne la menace d'une alliance germano-russe ferait de Moscou une candidate moderne à l'empire universel, ôtant la liberté des pays d'Europe centrale; sur l'échiquier de la jonction du Rimland planétaire et du Heartand continental, la Turquie et l'Iran se disputeraient le rôle d'alliés privilégiés pour un condominium, excluant l'hégémon de la terre centrale et agrégeant l'Inde à une entreprise de long terme. Et, dans la profondeur des espaces et du temps, vers les bordures des deux océans, indien et pacifique, la Russie se joindrait à l'Empire du milieu pour donner vie à une civilisation renouvelée et non décadente s'imposant sur la multiplicité des centres asiatiques de décision. Ce rôle de la Russie est à la fois ambivalent, entrainant et dangereux, pour l'Est et pour l’Ouest. Pour l'ensemble des menaces actuelles, politiques, idéologiques et militaires, la stratégie de Caton, définie dans les années soixante, demeure-t-elle toujours valable. "Carthago delenda est!". L'Occident et l'Otan recommandent l'asphyxie de l’économie russe, en pratiquant au même temps la stratégie de la provocation, de l'usure et de l'escalade militaire.

Se faire justice soi même

Puisque la théorie des relations internationales part de l'idée que chaque unité politique a le droit, en dernier recours, de se faire justice d'elle -même, l'enjeu de la décision finale sur la paix et la guerre est défini par le Chef de l'Etat- Chef de guerre. Comment les opérations militaires engagées sur le terrain des combats, peuvent-elles être reconduite à la logique de la négociation et du compromis? Et, faute d'univocité et d'objectifs communs, qui peut jouer, à une échelle diplomatique, le rôle du médiateur et de l’arbitre?

Qui peut juger enfin de la pertinence et satisfaction des objectifs atteints? La stratégie du Blitz initial imputée au Chef d'Etat-Chef de guerre du pouvoir perturbateur part du principe de la primauté du système interétatique, ce qui exclut la prédominance explicative du facteur économique. En effet la guerre d'Ukraine est une guerre politique et pas une guerre personnelle, d'homme à homme, soumise à l'idée d’une punition ou d'un crime.

Le système interétatique est un système dans lequel s'intègrent les Etats, dont aucun n'est soumis à un pouvoir central de contrôle et qui s'organise autour du principe de survie. En ce sens le recours à des fictions comme celles de la paix par la morale ou de la paix par le droit, voilent les relations d'inimitié, idéologiques ou géopolitiques. A ce propos, le changement de stratégie opérationnelle pratiquée par l'Etat major russe, après l'attaque initiale et le siège des métropoles, a été de consolider l'emprise sur la mer d'Azov et de lier plus étroitement la Russie à la Crimée, soustrayant celle-ci et l'intégralité de la Mer Noire, au contrôle de l'Otan. Par ailleurs et à propos de la conduite de terrain, tactique ou stratégique, le principe de solidarité des Etats-nucléaires face au risque paroxystique de l'atome, se fonde sur le principe du concept "d'acteur rationnel" et exclut toute notion d'effets pervers, par vice mental ou par égarement de la raison, qui constitue un des sujets de prédilection de la communication psycho-politique occidentale.

Inimitié et hostilité

Or, l'enjeu du conflit ukrainien, de nature géopolitique et sécuritaire, oppose deux frères-ennemis, qui ont beaucoup de choses en commun (ethnie, religion, histoire) et appartiennent à une même zone de civilisation, se réclamant des mêmes principes, poursuivis alternativement par le dialogue ou par le combat. Le dialogue a donné lieu à l'intérieur de l'aire culturelle de l'ancienne Byzance à l'antithèse classique de l'Etat et de l'Eglise sous la forme du césaro-papisme, come subordination du pouvoir idéologico-religieux au pouvoir étatique et à l'hybridation bicéphale de la souveraineté encore effective sous le régime soviétique. Le combat a marqué la division de l'Ukraine en deux zones culturelles, lors de la deuxième guerre mondiale, exploitées intensément par les médias mainstream et par leurs efforts de propagande.

Persuasion et subversion à l'heure du conflit ukrainien

L'effort constamment entretenu pour dresser les opinions contre leurs élites, (oligarques à l'Est, et anti-souverainistes à l'Ouest), désigne un mode d'action qui a pour but une conversion des esprits au profit de la cause défendue par l'un ou l'autre des deux belligérants. En l'absence d'un objectif commun d'ordre et de stabilité, visant à délimiter des zones d'influence légitimes, la mobilisation mondiale autour du conflit, acquiert la signification d'un choix entre globalisme occidental et souverainisme oriental (Russie et Chine) et cette signification a pour origine l'hétérogénéité des intérêts et des cultures des deux camps, démocratique en Occident et autocratique en Eurasie. L'objet de dispute demeure cependant la sécurité, et, en amont, la préservation d'une certaine conception de l'aire civilisationnelle, de la société et de ses mœurs. La propagande forcée du temps de la bipolarité est devenue guerre de l'information, brouillard de Fake news et théâtre de cyberwars. L'un et l'autre camps considèrent cette propagande comme une entreprise de subversion et tiennent la sienne propre pour persuasion.

Homogénéité et hétérogénéité des deux camps

Du point de vue des régimes constitutionnels pluralistes, l'hétérogénéité des structures politiques et sociales des pays de l'Ouest, favorise la liberté d'expression et la compétition des idées, tandis que l'homogénéité organisée, entretenue par les régimes autocratiques, de Russie ou de Chine, décourage la critique ou l'opposition et la propagande apparaît  comme l'une des armes de l'arsenal politique du pouvoir en place. Les campagnes multiples contre les maux de la société post-moderne, par lesquels les opposants aux régimes occidentaux, s'efforcent de gagner des adeptes, sont amplifiés par une militance plus au moins déguisée, mais présentés comme des infiltrations intellectuelles du camp d'en face. Cette infiltration ne réussit pas à éliminer l'engagement du camp adverse, se situant entre le pouvoir et le peuple.

Dans le cadre du conflit ukrainien ces infiltrations sont emphatisées ou suscitées de toute pièce pour dénigrer le régime adverse. Ainsi les trois voix de la Triade (Chine, Occident et Russie), sont différemment audibles, car elles sont différemment ostracisées et  l'adhésion intellectuelle et morale aux régimes du Heartland (Chine, Russie et Iran), ou du Rimland (Amérique, Europe, Grande Bretagne et Indopacifique ), est exaspérée et poussée aux extrêmes par la dialectique de la subversion et de la persuasion des deux camps, qui se rejettent réciproquement l'accusation d'agresseurs, de dangers publics et de criminels de guerre. Chacun des deux justifie son combat au nom de deux conceptions de la géopolitique actuelle qui oppose l'eurasisme au globalisme et donc le souverainisme du premier à l'individualisme démocratique du deuxième. Or, si , dans ce dialogue péremptoire et confus, la persuasion  consiste à convaincre, la subversion et le langage de la passion attisent la flamme du mécontentement et incitent à la rébellion et à la révolte. Cependant la subversion suppose l'existence d'agents dormants et de structures opérationnelles, aptes à la transformation du mécontentement en rébellion et de la rébellion en révolte, puis, de celle-ci en révolution, de couleur ou pas et, à l'extrême en coup d'Etat de Palais  A ce point, ce qui est décisif, ce sont la prise de pouvoir et le changement de régime, effectués grâce aux alliances militaires, supportées de l'extérieur par le pouvoir en place.

Les Etats-Unis et le "Regime change"

Une des finalités de l'action politique contemporaine est de mettre en œuvre la démocratie, de dénigrer le pouvoir autoritaire et d'assurer la stabilité du pouvoir. Une dégradation des conditions de vie ou un affaiblissement du soutien conscient et intentionnel du gouvernement peuvent inverser très rapidement les bases sociales ou le socle idéologique du pouvoir établi. Pour rappel, la politique américaine du "regime change" a été le cadre théorique de l'interventionnisme militaire dans plusieurs pays jugés faibles, au nom des intérêts stratégiques des Etats-Unis et de politiques d'incitation à des réformes politiques. Or, dans le cadre de sa visite à Varsovie du 27 mars dernier, le Président J. Biden, n'a pas hésité à proclamer, dès son arrivée, que le départ de Poutine du pouvoir, n'était pas un but de guerre pour les Etats-Unis, pendant que la presse anglaise formulait l'hypothèse qu'un insuccès militaire de l'armée russe condamnerait le Chef du Kremlin à quitter le pouvoir dans les deux ans. Ainsi dans une campagne orchestrée autour des résultats obtenus par l'invasion de l'Ukraine, de sa surprise stratégique  et de son enlisement présumé, l'ex-oligarque et opposant russe Mikhail Khodorkovski, après 10 ans de prison, purgés en Sibérie pour "fraude fiscale", en appelle à l'histoire, pour prophétiser une chute prochaine de Poutine, comme une constante de l'histoire russe, en cas d'échec politique ou militaire. La guerre prochaine,- dit-il - dans une interview accordée au Figaro du 29 mars dernier, contre la Pologne ou un pays balte, scellera une prise de risque supplémentaire, marquant un décalage entre la vision des occidentaux et celle de Poutine.

A titre de rappel la politique d'Obama/Bush de "regime change", recherchant une ligne directrice pour résoudre le dilemme entre démocratie et stabilité, ou de l'actuelle administration démocrate pour articuler une stratégie globale et définir une doctrine pour le paix en Europe et dans le monde, a été  de construire un ordre international pacificateur, en incitant les régimes en place à des réformes politiques et socio-économiques. Cependant, en partant de perspectives historiques antagonistes, les objectifs opposés de l'Occident et des puissances de l'Eurasie et du Pacifique, peuvent-ils trouver une conciliation dans leurs intérêts et stratégies divergentes? Ou bien, en revanche, ne contribuent-ils pas à frayer la voie des seules puissances montantes, visant à définir un nouvel ordre international plus adapté à l'époque de la multipolarité et, à l'aide de celui-ci, à définir un système post-wesphalien plus stable et une conception plus conséquente de la démocratie?

Bruxelles le 31 mars 2022.

Unipolarité, bipolarité, multipolarité et la guerre d'Ukraine

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Unipolarité, bipolarité, multipolarité et la guerre d'Ukraine

Vers une multipolarité de plus en plus complexe: scénario pour l'avenir

Enric Ravello Barber

Source: https://www.enricravellobarber.eu/2022/04/unipolaridad-bipolaridad-multipolaridad.html#.Yl5zFNPP2Uk

Derrière la prétendue fin de l'histoire proclamée par le publiciste du Pentagone Francis Fukuyama, se cachait une aberration philosophique : sortir l'homme de son habitat, celui de l'Histoire, entendue comme son "faire-dans-le-monde", et ouvrir la porte au post-humanisme qui nous apparaît déjà aujourd'hui comme une réalité de fait. Cette entorse à l'histoire a signifié la mise en œuvre urbi et orbi de ce que les occupants successifs de la Maison Blanche, sans la moindre dissimulation, ont appelé le Nouvel Ordre Mondial - nous insistons sur le mot "Monde" - : c'est-à-dire l'unification du monde sous la direction des Etats-Unis, ou, en d'autres termes, un monde unipolaire, c'est-à-dire avec un seul centre de pouvoir : Washington.

Les erreurs stratégiques des administrations américaines successives, toujours sous inspiration néo-con unipolaire, ont donné à la Russie le temps nécessaire pour se reconstruire en tant que puissance militaire et la Chine a émergé comme une puissance mondiale de premier ordre, non seulement en tant que puissance militaire mais aussi en tant que puissance globale (économique, stratégique, industrielle, technologique et diplomatique).

La Chine est devenue le principal acteur de la deuxième vague de mondialisation. Ce n'était qu'une contradiction apparente pour une puissance communiste de prôner la réduction de tous les obstacles au commerce mondial, puisque la vente de ses produits manufacturés sur les marchés mondiaux était la principale cause de sa croissance en tant que puissance.

L'essor de la Chine annonce en quelque sorte la fin du rêve unipolaire des Etats-Unis et montre une nouvelle réalité bipolaire. Quelques décennies après la chute de l'URSS, le monde vit à nouveau la lutte pour l'hégémonie planétaire entre deux puissances: les États-Unis et la Chine.

La Russie, devenue le troisième acteur mondial, propose un pas en avant, une nouvelle correction au Nouvel Ordre Mondial de Washington: le monde multipolaire. La Russie constituerait un troisième pôle géopolitique, une situation qui se conjuguerait également avec l'émergence de puissances régionales qui fragmenteraient davantage le plan de domination mondiale de la Maison Blanche: la Turquie, l'Iran et l'Inde joueraient ce rôle.

Dans cette réalité, l'Europe, le non-sujet géopolitique par excellence, pourrait cependant jouer un rôle décisif - comme l'ont constaté certains de ses dirigeants. Dans ce contexte multipolaire, l'Europe devrait s'émanciper de sa soumission aux États-Unis et devenir un autre centre de pouvoir, capable d'agir sur la scène internationale selon ses propres dynamiques et intérêts, de plus en plus opposés et divergents de ceux de la métropole colonisatrice Stars and Stripes. Et pour cela, l'une des conditions nécessaires - de la culture à l'énergie - serait une synergie entre l'Europe et la Russie, qui renforcerait le rôle de ces deux réalités et, partant, remettrait en question et diminuerait celui des États-Unis.

Aujourd'hui, tous ces scénarios sont en jeu dans la guerre d'Ukraine. Les États-Unis, qui provoquent depuis des années des situations inacceptables pour Moscou, voient dans cette guerre la possibilité ultime de couper le rapprochement et la collaboration croissante entre la Russie et l'Allemagne - dont le gaz est l'un des éléments clés - et de détruire ainsi l'option de ce troisième pôle et la construction d'un monde multipolaire: son premier objectif est d'isoler Moscou de ses partenaires géopolitiques potentiels, le second est de détruire la Russie en tant que puissance et de réduire encore l'UE au statut de colonie. C'est pourquoi elle est aujourd'hui la principale intéressée à prolonger la guerre en Ukraine, afin que Washington regagne du terrain dans une logique unipolaire. La Chine joue une fois de plus son grand atout diplomatique, la patience, l'objectif est aussi un affaiblissement progressif de la Russie et son éloignement de l'Europe, une Russie faible et isolée dépendrait de plus en plus de sa relation avec Pékin, ce qui ferait de la Chine à nouveau la seule puissance disputant la domination du monde aux Etats-Unis (logique bipolaire). Une Russie renforcée, confortée dans son prestige diplomatique et militaire, renforcerait la logique multipolaire, une logique que certains dirigeants européens tentent de soutenir dans le peu de marge de manœuvre dont ils disposent ; le refus d'inclure le gaz et l'énergie dans les sanctions contre la Russie est la preuve de cette réalité.

En bref, l'issue finale de la guerre en Ukraine marquera le scénario mondial des prochaines décennies, et surtout pour les Européens. Deux options s'offrent à eux : soit la non-existence géopolitique et la soumission absolue à l'atlantisme américain, soit l'émancipation géopolitique et l'articulation en tant qu'acteur international dans une réalité multipolaire, et nous le répétons, cette dernière pour une synergie - et non une soumission - avec une Russie puissante et antagoniste à l'unipolarisme de Washington et au bipolarisme de Pékin.

lundi, 18 avril 2022

La mémoire sélective de Robert Kagan

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La mémoire sélective de Robert Kagan

Andrew Bacevich

Source: https://katehon.com/ru/article/izbiratelnaya-pamyat-roberta-kagana

Selon un journaliste de Foreign Affairs, la Russie est entrée en Ukraine parce que les Etats-Unis ne sont pas suffisamment impliqués dans les conflits mondiaux.

Récemment, dans les pages de Foreign Affairs, l'infatigable Robert Kagan a fait un autre plaidoyer enflammé au nom de l'empire. En véritable Américain, Kagan évite bien sûr d'utiliser le mot "I(mperium)", qui est offensant. Il préfère le terme "hégémonie", qui, explique-t-il, est doux et n'implique ni domination ni exploitation, mais une soumission volontaire - "une condition plutôt qu'un objectif". En grattant la surface, cependant, vous verrez que The Price of Hegemony offre une variation sur le thème standard de Kagan : l'impératif de la domination mondiale militarisée des États-Unis, quel qu'en soit le prix et sans trop se soucier de qui paie.

Peu de gens accuseraient Kagan d'être un penseur profond ou original. En tant qu'écrivain, il est moins un philosophe qu'un pamphlétaire, bien qu'il ait un véritable don pour formuler ses pensées. Considérez, par exemple, sa célèbre déclaration selon laquelle "les Américains viennent de Mars et les Européens de Vénus". Cette phrase "les guerriers contre les faibles", autrefois considérée comme exprimant la vérité du fond de la pensée de Lippmann, a depuis perdu beaucoup de son attrait persuasif, notamment parce que les guerriers, également connus sous le nom de "troupes", ne se sont pas particulièrement bien débrouillés lorsqu'ils ont été envoyés pour libérer, soumettre ou renverser qui que ce soit.

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Ainsi, Kagan est susceptible de partager le sort non seulement de Walter Lippmann, mais aussi de Scotty Reston ou de Joe Olsop, autrefois éminents chroniqueurs de Washington, aujourd'hui complètement oubliés. Bien sûr, le même sort attend toute la foule de commentateurs (y compris l'auteur de ces lignes) qui fulminent sur le rôle de l'Amérique dans le monde, croyant à tort que des responsables de haut rang à la Maison Blanche, à Foggy Bottom ou au Pentagone leur demandent conseil. Ils le font rarement.

Néanmoins, Kagan se distingue des autres sur un point : sa capacité à combiner cohérence et flexibilité est inégalée. Il est lui-même tout à fait agile. Quoi qu'il arrive dans le monde réel, il est prêt à expliquer comment les événements confirment le caractère indispensable d'un leadership américain affirmé. À Washington (et dans les pages de Foreign Affairs), cela est toujours bienvenu.

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Cette dextérité se manifeste de manière éclatante dans son dernier essai, dont le sous-titre pose la question suivante : "L'Amérique peut-elle apprendre à utiliser sa puissance?". Kagan arrive à sa propre réponse - les États-Unis non seulement peuvent apprendre, mais ils doivent le faire - même s'il ignore complètement ce qu'ils ont finalement obtenu avec le vigoureux déploiement de la puissance américaine au cours des deux dernières décennies et à quel prix.

Ainsi, son essai contient diverses références sinistres au mauvais comportement de la Russie, ainsi que des allusions à quelques actions indésirables de la Chine. Peut-être inévitablement, Kagan jette aussi quelques allusions tout aussi sinistres à l'Allemagne et au Japon à l'approche de la Seconde Guerre mondiale, la source d'enseignement historique faisant autorité dans les cercles de Washington. Cependant, il est silencieux sur les guerres américaines en Afghanistan et en Irak après le 11 septembre. Ils n'ont pas reçu la moindre mention - aucune, zéro.

Selon Kagan, la guerre russo-ukrainienne en cours s'est produite au moins en partie à cause de la passivité américaine. Les administrations américaines successives depuis la fin de la guerre froide ont refusé de faire leur travail. En termes simples, ils n'ont fait aucun effort pour garder la Russie sous contrôle. Alors qu'il serait "obscène de blâmer les États-Unis pour l'attaque inhumaine de Poutine contre l'Ukraine", écrit Kagan, "insister sur le fait que l'invasion n'était absolument pas provoquée est trompeur". Les États-Unis "ont mal joué la carte de la puissance". Ce faisant, ils ont donné à Vladimir Poutine une raison de penser qu'il pouvait s'en tirer avec une agression. Ainsi, Washington, comme si elle était restée les bras croisés pendant les deux premières décennies de ce siècle, a provoqué Moscou.

"En gérant l'influence des États-Unis de manière plus cohérente et plus efficace", les présidents, à commencer par Bush père, auraient pu empêcher la dévastation dont ont souffert les Ukrainiens. Du point de vue de Kagan, les États-Unis ont été trop passifs. Aujourd'hui, écrit-il, "la question est de savoir si les États-Unis continueront à commettre leurs propres erreurs" - des erreurs d'omission, selon lui - "ou si les Américains apprendront à nouveau qu'il vaut mieux dissuader les autocraties agressives avant qu'elles ne s'emparent de la puissance".

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La référence précoce à l'endiguement des autocraties agressives doit être déchiffrée. Kagan fait semblant de le faire. Ce qu'il suggère en fait, c'est de poursuivre l'expérimentation de la guerre préventive, qui est devenue un élément central de la politique de sécurité nationale américaine depuis le 11 septembre. Kagan, bien sûr, a soutenu la doctrine Bush de la guerre préventive. Il était pleinement préparé à l'invasion de l'Irak. Mise en œuvre en 2003 sous la forme de l'opération Iraqi Freedom, la doctrine Bush a eu des résultats désastreux.

Aujourd'hui, même deux décennies plus tard, Kagan ne peut se résoudre à reconnaître l'immensité et le grotesque de cette erreur, ni ses effets secondaires, notamment la montée du Trumpisme et tous les maux qui en découlent.

"L'Amérique peut-elle apprendre à utiliser sa puissance ?" - Que cette question soit évaluée comme une question urgente est certainement vrai. Cependant, penser que Robert Kagan est qualifié pour donner une réponse cohérente est trompeur.

Que nous réserve la région Asie-Pacifique ?

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Que nous réserve la région Asie-Pacifique ?

Un rapport de l'ONU révèle une baisse de la croissance économique

Source: https://katehon.com/ru/article/chto-zhdet-aziatsko-tihookeanskiy-region

La reprise économique dans la région Asie-Pacifique après la pandémie et d'autres chocs mondiaux devrait être basée sur un "nouveau pacte social" complet pour protéger les personnes vulnérables dans les années à venir, selon un rapport publié mardi 12 avril par la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l'Asie et le Pacifique (CESAP).

Outre la pandémie, le rapport montre que les économies régionales sont confrontées à "plusieurs risques baissiers" liés à une chaîne d'approvisionnement mondiale non durable, à "des pressions inflationnistes croissantes, à la perspective d'une hausse des taux d'intérêt, au rétrécissement de l'espace fiscal" et aux conséquences économiques mondiales émergentes de la crise en cours en Ukraine.

La croissance économique des pays en développement de cette vaste région devrait se contracter à 4,5 % en 2022 et à 5 % en 2023, en baisse par rapport à un taux de croissance antérieur de 7,1 % en 2021.

La perte de production cumulée due à la pandémie pour les économies en développement de la région est estimée à près de 2000 milliards de dollars de 2020 à ce jour.

L'étude met en garde contre les réductions des dépenses publiques dans les domaines de la santé, de l'éducation et de la protection sociale "afin de protéger les acquis du développement des dernières décennies et d'empêcher un nouveau creusement des inégalités dans la région".

Le rapport note que la pandémie a privé plus de 820 millions de travailleurs informels dans la région de la CESAP et plus de 70 millions d'enfants issus de familles à faibles revenus d'un accès adéquat aux revenus et à la scolarité. "Ce résultat aura un impact négatif sur le potentiel de gain futur de ces personnes et sur la croissance globale de la productivité", indique le communiqué de presse de l'ESCAP, alors que 85 autres millions de personnes dans la région Asie-Pacifique ont déjà été poussées dans l'extrême pauvreté en 2021.

"Alors que les pays en développement de la région vont de l'avant, apprenant à vivre avec le virus, en trouvant un équilibre entre la protection de la santé publique et les moyens de subsistance, il est temps de jeter les bases d'un avenir plus équitable avec des chances égales et des résultats inclusifs", a déclaré Armida Salcia Alisjahbana, Secrétaire exécutive de la CESAP, dans un communiqué.

La Commission recommande un "programme politique à trois volets" visant à construire une économie inclusive pour la région. Tout d'abord, au lieu de procéder à des réductions, les pays en développement de la région devraient orienter les dépenses publiques vers les soins de santé universels de base, continuer à progresser vers l'éducation primaire et secondaire universelle et étendre la couverture de la protection sociale. La Commission fait valoir qu'une politique fiscale "intelligente" peut améliorer l'efficacité et l'efficience globales des dépenses publiques et de la perception des recettes. Dans le même temps, il convient d'explorer de nouvelles sources de revenus, comme la taxation de l'économie numérique, et de déplacer la charge fiscale vers les ménages à hauts revenus.

Deuxièmement, l'étude 2022 soutient que les banques centrales de la région peuvent et doivent modifier leurs politiques monétaires traditionnelles pour promouvoir un développement inclusif. Tout en restant concentrées sur le maintien d'une inflation faible et stable, les banques centrales peuvent investir une partie de leurs réserves officielles dans des obligations sociales, étudier comment la monnaie numérique d'une banque centrale peut élargir l'accès aux services financiers, et encourager des instruments financiers plus innovants pour assurer la protection sociale.

Troisièmement, les gouvernements peuvent également guider, façonner et gérer activement la transformation économique structurelle de plus en plus induite par la révolution numérique de la robotique et de l'intelligence artificielle pour obtenir des résultats plus inclusifs. Cela comprend le soutien au développement de technologies à forte intensité de main-d'œuvre, l'accès inclusif à une éducation de qualité, le recyclage, le renforcement des capacités dans les négociations du travail et les planchers de protection sociale.

L'Étude économique et sociale de l'Asie et du Pacifique, publiée pour la première fois en 1947, est l'enquête économique et sociale annuelle la plus ancienne et la plus complète des Nations Unies, qui sert de base à l'élaboration des politiques dans la région.

Quelle leçon la Russie peut-elle en tirer, compte tenu de sa confrontation avec l'Occident? Seule une poignée d'États de la région nous ont imposé des sanctions. Les autres sont favorables à la coopération, d'où la possibilité d'ouvrir de nouvelles niches de coopération, compte tenu des risques mentionnés et de la baisse des taux de croissance. Les pays d'Asie-Pacifique peuvent tirer parti de l'évolution de l'environnement mondial et offrir des biens et services de substitution identiques à ceux que nous recevions auparavant de l'Occident collectif. À son tour, la région a un besoin constant de ressources énergétiques, que la Russie possède en abondance. Tout compte fait, une réorientation vers l'Est est nécessaire à long terme en raison de la croissance de la technologie, de la main-d'œuvre et de l'accumulation de richesses dans cette partie du monde.

dimanche, 17 avril 2022

Le corridor de transport nord-sud (NSTC) est un projet d'intégration trans-civilisationnelle

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Le corridor de transport nord-sud (NSTC) est un projet d'intégration trans-civilisationnelle

Andrew Korybko

Source: https://katehon.com/en/article/north-south-transport-corridor-trans-civilizational-integration-project

Le NSTC représente la convergence physique des grands plans stratégiques de la Russie, axés sur le sud, qui visent à équilibrer les ancrages irano-pakistanais de son pivot de l'Oumma dans cette partie particulière du supercontinent avec le Néo-NAM qu'elle poursuit conjointement avec l'Inde. L'optique trans-civilisationnelle est extrêmement importante car elle montre que la prédiction du soi-disant "choc des civilisations" de Huntington n'était qu'un exemple de vœu pieux mal intentionné (si ce n'est une proposition politique provocante) et qu'elle a été incontestablement remise en question par la convergence des civilisations entre le christianisme oriental, l'islam et l'hindouisme incarnée par le NSTC.

L'émergence de l'ordre mondial multipolaire (ou "nouvel ordre mondial" comme l'appelle le président américain Joe Biden) a été accélérée par les conséquences induites par la réponse sans précédent et dûment planifiée depuis longtemps par l'Occident dirigé par les États-Unis dès qu'a commencé l'opération militaire spéciale en cours de la Russie en Ukraine, que l'Amérique a elle-même provoquée. L'une des tendances les plus importantes de cette transition systémique mondiale est la montée des civilisations en tant qu'acteurs internationaux, qui a été prédite en détail par l'universitaire russe Leonid Savin dans son livre de 2020 Ordo Pluriversalis : The End Of Pax Americana And The Rise Of Multipolarity que l'auteur a chroniqué ici peu après sa sortie. Le corridor de transport nord-sud (NSTC) entre la Russie, l'Azerbaïdjan, l'Iran et l'Inde - et qui peut aussi facilement s'étendre au Pakistan voisin pour renforcer le commerce bilatéral croissant avec la Russie - jouera un rôle irremplaçable à cet égard.

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Ce projet ambitieux relie la civilisation chrétienne orthodoxe orientale de la Russie aux civilisations musulmanes de l'Azerbaïdjan, de l'Iran et du Pakistan, ainsi qu'à la civilisation majoritairement hindoue de l'Inde. Étant donné que l'Inde, l'Iran et le Pakistan sont devenus plus importants que jamais pour la Russie en raison de leur neutralité de principe qui leur permet de lui servir de soupape de pression économique stratégique, il ne fait aucun doute que le NSTC, auquel les deux premiers pays participent et le troisième pourrait éventuellement le faire aussi, deviendra un projet phare multipolaire aux côtés du gazoduc Pakistan Stream (PSGP) et du PAKAFUZ. Ce que tous ces projets ont en commun, c'est qu'il s'agit de projets de connectivité Nord-Sud, ce qui prouve que la grande réorientation stratégique de la Russie vers le Sud après 2014 n'était pas purement axée sur la Chine comme beaucoup le pensaient, mais que Moscou a équilibré son "pivot vers l'Oumma" et sa vision "néo-NAMienne" avec l'Inde.

Cela ne veut pas dire que la Chine ne joue pas un rôle crucial dans la grande stratégie russe - en vérité, ces deux grandes puissances servent de double moteur à l'ordre mondial multipolaire émergent - mais simplement que le Kremlin a sagement cherché à éviter de manière préventive toute dépendance disproportionnée potentielle vis-à-vis de la République populaire par le biais de ces initiatives complémentaires axées sur le Sud. Le "pivot de l'Oumma" fait référence à la priorité qu'il accorde à des partenaires non traditionnels à majorité musulmane comme l'Iran et le Pakistan, tandis que le Neo-NAM est le plan officieux des relations russo-indiennes, par lequel ces deux pays cherchent conjointement à créer un troisième pôle d'influence dans la phase de transition bimultipolaire entre unipolarité et multipolarité. Le Pivot de l'Oumma et le Néo-NAM s'équilibrent l'un l'autre, ce qui équilibre à son tour la Chine dans cette grande stratégie kissingerienne post-moderne poursuivie par la Grande Puissance eurasienne.

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Le NSTC représente la convergence physique des plans stratégiques de la Russie axés sur le sud, qui visent à équilibrer les ancrages irano-pakistanais de son pivot de l'Oumma dans cette partie particulière du supercontinent avec le Néo-NAM qu'elle poursuit conjointement avec l'Inde. L'optique trans-civilisationnelle est extrêmement importante car elle montre que la prédiction du soi-disant "choc des civilisations" de Huntington n'était qu'un exemple de vœu pieux mal intentionné (si ce n'est une proposition politique provocante) et a été indiscutablement remise en question par la convergence des civilisations entre le christianisme oriental, l'islam et l'hindouisme incarnée par le NSTC. Cela constitue un exemple puissant pour la communauté internationale (qui, dans ce contexte, fait également référence à la société civile mondiale) à deux égards : premièrement, cela réfute l'"inévitabilité" du choc des civilisations ; et deuxièmement, cela montre que la Chine n'en a pas le monopole.

Pour développer ce dernier point, on a considéré jusqu'à présent que l'initiative Belt & Road (BRI) de la Chine était le seul moyen physique de rassembler diverses civilisations à travers l'objectif commun d'un commerce, d'un investissement et d'un développement socio-économique mutuellement bénéfiques, mais l'existence même du NSTC montre que la Russie et ses partenaires azerbaïdjanais, iraniens, indiens et peut-être même bientôt pakistanais peuvent tous s'unir pour poursuivre ce même objectif. En fait, la Chine a également un rôle crucial à jouer dans le NSTC puisque le pacte de partenariat stratégique conclu au printemps dernier avec l'Iran aurait vu la République populaire accepter d'investir plus de 400 milliards de dollars dans la République islamique au cours du prochain quart de siècle, ce qui se traduira probablement par des investissements impressionnants dans les infrastructures pour faciliter le NSTC à certains égards, notamment en termes de connectivité irano-pakistanaise du fait que ce dernier accueille le CPEC.

"La quête de souveraineté économique de la Russie n'est pas synonyme d'isolationnisme", contrairement à ce que certains observateurs occidentaux ont faussement prétendu, car personne ne peut nier la vision transcivilisationnelle et transcontinentale avancée par le NSTC dans lequel Moscou joue un rôle clé. "Le coup de judo géo-économique de Poutine vient de renverser les tables financières de l'Occident" après que le dirigeant russe a décrété que tous les contrats de gaz avec les pays nouvellement conçus comme inamicaux, tels que ceux de l'UE, doivent être payés en roubles, ce qui aura pour conséquence soit de soutenir le rouble s'ils s'y conforment, soit de risquer une crise économique totale en Occident s'ils refusent, les deux résultats étant bénéfiques à Moscou à leur manière. Dans le contexte de la présente analyse, ces derniers développements signifient que l'importance stratégique du NSTC va continuer à augmenter pour toutes ses parties prenantes, qui pourraient prospectivement s'étendre pour inclure également leurs autres partenaires du Sud.

La fin de la domination mondiale des États-Unis & Ce qui est en jeu

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La fin de la domination mondiale des États-Unis & Ce qui est en jeu

Karl Richter

Source: https://www.facebook.com/karl.richter.798

Depuis quelques heures, nous y voyons plus clair. Les pièces du puzzle s'assemblent pour nous former une image globale. Le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov a annoncé cet après-midi sur la chaîne de télévision russe "Russia 24", à la surprise générale, un autre objectif de guerre de la Russie en Ukraine, sans que les médias occidentaux n'en soufflent un mot : "Notre opération spéciale doit mettre fin à l'expansion inconsidérée, à la domination totale des Etats-Unis dans le monde, une domination qui s'accompagne de violations du droit international". (Source : https://m.ura.news/news/1052544901 )

Lavrov a cité les actions américaines au Kosovo et en Irak comme exemples de telles violations du droit international par les Etats-Unis.

Les cartes sont désormais sur la table et chacun sait désormais de quel côté il faudra se situer. Chacun doit assumer la responsabilité de ses choix et de leurs conséquences. Nous assistons actuellement à la poursuite de l’objectif poursuivi suite à la crise sanitaire : si quelqu'un se fait piquouzer, sans que l’on ait à demander le pourquoi, on en concluera que chacun décide lui-même et en assume également les conséquences. Je vous renvoie à mon post d'hier ("Ce qui est en jeu", cf. infra). Depuis cet après-midi, c'est officiel et plus personne ne peut se soustraire à la décision : soit on est du côté de l’instance criminelle mondiale qu'est l'Amérique, soit on ne l'est pas. Il n'est plus nécessaire d'en débattre.

***

Ce qui est en jeu

Ces dernières semaines, des militants bien intentionnés ne cessent de répéter que la guerre en Ukraine n'est pas la nôtre et que nous devrions plutôt nous occuper de l'Allemagne. Mais ce n'est pas suffisant.

En Ukraine, c'est l'avenir du monde qui est en jeu, indépendamment de la durée de la guerre et de la possibilité qu'elle se termine par une solution négociée qui ne ferait que retarder le conflit en soi. Mais les "masterminds", qu'ils s'appellent Alexandre Douguine ou Francis Fukuyama, sont tout à fait d'accord sur le fait que l'issue du conflit ukrainien sera déterminante pour l'orientation future de la situation mondiale. Soit l'Occident l'emporte, soit ce n'est pas le cas : la Russie, la Chine et l'Eurasie en formation auront alors acquis la maîtrise de la situation. Dans ce sens, l'issue de la guerre est très importante pour notre propre avenir. Comme l'Allemagne n'a actuellement ni les moyens ni même la volonté d'adopter une position neutre, elle participe inévitablement à la confrontation entre les blocs et en subira les conséquences, dans un sens ou dans l'autre. Face à cela, chacun devra d'une manière ou d'une autre se positionner et expliquer quelles sont les conséquences du jeu en acte qu'il préfère et quelles sont celles qu'il préfère épargner à notre pays.

Celui qui ne fait rien - de même que celui qui soutient l'Ukraine - soutient la poursuite de l'hégémonie américaine, des "valeurs dites occidentales", du pillage du monde par Big Money. Il soutient le fait que l'Allemagne reste une plaque tournante pour les guerres d'agression américaines dans le monde entier et devienne la cible d'éventuelles attaques militaires de toute partie adverse. Il soutient aussi le suicide économique de l'Europe qui a soutenu une politique énergétique délirante et des sanctions absurdes. Il soutient le programme satanique des élites occidentales, qui se résume à la destruction de la famille, à la destruction de notre santé et de notre intégrité physique, à l'effacement de l'identité personnelle (via le transhumanisme !).

En supposant que la Russie ne fasse PAS partie du Great Reset : la Russie, la Chine et l'Eurasie représentent au contraire la fin de la domination mondiale du dollar américain, l'avènement d'un véritable ordre mondial multipolaire, le respect des valeurs traditionnelles telles que la famille, la patrie et l'identité, et le rejet de toutes les formes de décadence libérale occidentale, qui est de facto une "culture de mort". Au printemps 2020, Poutine a déclaré que tant qu'il serait au pouvoir, il n'y aurait pas de "mariage homosexuel" en Russie - une déclaration parmi d'autres.

Oui, il y a des nuances de gris et des nuances intermédiaires : des pays comme la Russie et la Hongrie ont également mis en œuvre cette mise en scène mondiale que fut le « confinement sanitaire », parfois en adoptant des mesures drastiques ; la Chine l’a pratiqué de manière encore plus coercitive. La Chine en particulier, avec son système de crédit social et l'un des régimes sanitaires les plus rigides au monde, et, là, ce n'est pas nécessairement un modèle pour nous. Personne ne devrait non plus être naïf en ce qui concerne la Russie : personne ne s'attend à ce que la Russie nous "libère". Mais si elle poussait les Américains hors d'Europe, ce serait déjà un saut quantique pour notre partie du monde, dont les conséquences seraient difficilement prévisibles ; encore plus pour la répartition globale du pouvoir.

Au fond, c'est très simple. Les Américains ont encore du mal à accepter le fait qu'ils ne jouent plus dans la cour des grands. La Chine a remplacé les Etats-Unis en tant que championne du monde des exportations, le dollar perd du terrain à grande échelle (ce qui explique la course folle à la guerre de l'Occident, qui utilisent les malheureux Ukrainiens pour arriver à ses fins) ; l'Inde et l'Arabie saoudite sont en train de passer au paiement en roubles, et en Europe, Orbán fait ses premiers pas en ce sens. Et, enfin, la Russie et la Chine disposent d'armes hypersoniques, mais non les Américains. Ce qui signifie que les Américains sont en train de passer en deuxième division. Pour l'instant, ils ont encore du mal à l'accepter. Quelques coups sensibles, de nature militaire mais aussi monétaire, pourraient éventuellement leur faire comprendre qu'ils n'ont plus rien à faire en Europe. Biden ne sera pas assez fou pour risquer une guerre nucléaire à cause de l'Ukraine - ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aura pas d'utilisation d'armes nucléaires tactiques en Europe.

L'Europe, l'UE, va passer à l'état de décomposition active dans les prochains mois, dans un an ou dans trois ans au maximum. Poutine n'a même pas encore commencé à fermer le robinet du gaz et tend toujours la main à l'Occident. L’eurocratie de Bruxelles est assez folle pour se tirer une balle dans le pied. L'Europe s'apprête à vivre un interrègne sanglant et agité : elle pourrait échanger un hégémon contre un autre, et le retour à sa propre force est loin d'être visible. Mais la catastrophe peut ouvrir de nouvelles voies qui ne sont pas encore perceptibles aujourd'hui. En attendant, il se peut que les valeurs de l'Europe - les vraies - soient mieux conservées à Moscou qu'à Bruxelles et à Washington.

vendredi, 15 avril 2022

Coup d'Etat contre Imran Khan, guerre en Ukraine et initiative chinoise "Belt & Road"

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Coup d'Etat contre Imran Khan, guerre en Ukraine et initiative chinoise "Belt & Road"

Shaban Syed

Source: https://www.geopolitika.ru/es/article/golpe-de-estado-contra-imran-khan-guerra-de-ucrania-e-iniciativa-de-la-ruta-y-cinturon

On pourrait se demander quelle est la corrélation entre le coup d'État de changement de régime au Pakistan, la guerre en Ukraine et l'initiative "Belt and Road" de la Chine. La réponse est assez simple pour les analystes et observateurs proches des manœuvres politiques américaines, comme le journaliste américain Caleb Maupin, qui explique la corrélation en quelques lignes. "Les monopolistes de Wall Street veulent briser le Corridor économique Chine-Pakistan et stopper le développement dans toute l'Asie centrale. Le retrait de Khan fait partie de cette stratégie".

Cependant, la corrélation est peut-être visible pour la plupart, mais apparemment pas au Pakistan. La controverse se poursuit avec les partis d'opposition, les éléments des médias et même le pouvoir judiciaire qui réfutent avec véhémence les affirmations de Khan selon lesquelles les États-Unis ont fomenté une opération de changement de régime contre lui. Même après que Khan ait présenté une lettre envoyée par le sous-secrétaire d'État pour le Sud, Donald Lu (photo, ci-dessous), qui résume que "les relations américaines avec le Pakistan ne s'amélioreront pas tant que Khan ne sera pas démis de ses fonctions".

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Les affirmations de Khan n'ont sans doute pas été réfutées par la majorité de la population pakistanaise, consciente qu'il n'y a pas si longtemps, sous le président Bush, le premier ministre pakistanais Pervez Musharraf s'était entendu dire que les États-Unis bombarderaient le Pakistan pour le ramener "jusqu'à l'âge de pierre" si le pays ne coopérait pas à la guerre américaine contre l'Afghanistan ; le public n'a pas non plus oublié les crimes de guerre qui ont suivi et que les États-Unis et leurs alliés ont perpétrés au nom de la lutte contre la "terreur", avec des rapports horribles sur les tortures subies à Abu Gharib, par exemple, où des mères irakiennes emprisonnées ont été forcées de regarder leurs enfants se faire violer par des soldats américains.

Pourtant, ceux qui réfutent les allégations de changement de régime de Khan ne se préoccupent pas des crimes de guerre de l'OTAN, principalement la Ligue musulmane du Pakistan (PML) et le Parti du peuple pakistanais (PPP), qui ont tous deux un passé dûment documenté de scandales financiers, de détournement de fonds publics et d'acquisitions de penthouses à Londres et à New York. On peut affirmer que même les médias pakistanais sont complices, car beaucoup ont des intérêts particuliers, comme l'Express Tribune, par exemple, qui est affilié au New York Times et dont on attend qu'il projette le point de vue des États-Unis. Son principal argument est que, depuis que les États-Unis se sont retirés d'Afghanistan, ils n'ont pas besoin du Pakistan pour mener leurs opérations et ne s'intéressent donc pas à ses affaires intérieures.

Les réfractaires semblent être sur la même longueur d'onde que Washington, la fonctionnaire américaine Lisa Curtis, qui a servi sous les présidents Bush et Trump, déclarant : "Il est hautement improbable qu'un fonctionnaire américain s'implique dans la politique interne du Pakistan. Je pense qu'Imran Khan essaie de jouer la 'carte de l'Amérique' pour obtenir le soutien de sa base".

Il est difficile de prendre cette observation au sérieux si l'on considère que depuis la Seconde Guerre mondiale, la CIA s'est immiscée dans les affaires intérieures de nombreux pays et a financé quelque quatre-vingt-dix opérations de changement de régime depuis la Seconde Guerre mondiale dans le but d'installer un gouvernement favorable aux États-Unis.

La question à examiner est de savoir pourquoi la lettre indique que les relations américano-pakistanaises ne s'amélioreront pas si Imran Khan n'est pas destitué.

Se pourrait-il que sous le mandat de Khan, le Pakistan soit devenu moins un État client des États-Unis et ait rejoint l'ordre mondial multipolaire émergent dirigé par la Chine et la Russie, qui s'oppose à l'ordre du jour mondial hégémonique unipolaire des États-Unis ? Pour Washington, qui en était venu à dépendre du Pakistan en tant qu'État vassal doté d'un système judiciaire et d'une politique faibles et flexibles, Khan, autrefois considéré comme un "chouchou de l'Occident", était devenu un dangereux handicap.

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Après l'expulsion des États-Unis d'Afghanistan, Khan, avec le soutien de l'armée, a refusé d'autoriser les bases militaires américaines au Pakistan. Il a établi une politique étrangère indépendante en refusant de devenir un pion des États-Unis comme les dirigeants précédents, établissant des alliances stratégiques avec l'Iran, la Russie et la Chine, que les États-Unis décrivent continuellement comme une "menace mondiale".

Toutefois, ce qui a peut-être été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase pour les États-Unis et l'UE, c'est le fait que Khan soit allé rendre visite à Poutine pour discuter de questions commerciales à un moment où la Russie avait commencé ses opérations en Ukraine et avait également refusé de se plier à la pression des États-Unis et de l'UE pour condamner les actions russes.

Tout cela à un moment où Washington ralliait ses alliés pour qu'ils rejoignent l'OTAN et condamnent les opérations russes en Ukraine et où l'armée américaine se préparait à affronter la Russie et la Chine. Récemment, le président des chefs d'état-major interarmées, le général Mark Milley, a demandé un budget énorme de 773 milliards de dollars car, a-t-il dit, "la Chine et la Russie, qui disposent chacune d'importantes capacités militaires... cherchent à changer fondamentalement l'ordre mondial actuel fondé sur des règles" et doivent être affrontées.

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Outre un budget énorme, le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, a également fait valoir que les États-Unis "doivent faire beaucoup plus" pour "tendre la main aux alliés de l'Amérique".  Un exemple de cette "main tendue" a été illustré récemment lorsque l'Autriche a lancé un ultimatum à l'Inde pour lui dire que son achat continu de systèmes d'armes russes n'est "pas dans son intérêt" et qu'il y aura une "demande" pour que les dirigeants de New Delhi échangent certains de ces systèmes contre des armes américaines et alliées.

Afin d'exercer un "effet de levier" sur les dirigeants mondiaux pour qu'ils se rallient à la guerre fomentée par les États-Unis et l'OTAN en Ukraine, où l'OTAN déverse des millions de dollars en armes, installe des bases militaires et des laboratoires d'armes biologiques, Washington n'a jusqu'à présent pas réussi à "mettre la main" sur Khan.

Contrairement aux réfractaires qui affirment que les États-Unis n'ont pas procédé à un changement de régime au Pakistan parce que ce pays n'est pas assez important, on peut affirmer qu'il est plus important et la raison en est simple, l'initiative "Belt and Road" de la Chine, dans laquelle le Pakistan joue un rôle clé.

L'ambitieuse initiative "Belt and Road" (BRI) de la Chine et le corridor économique Chine-Pakistan (CECP) vont transformer le paysage géopolitique mondial, en reliant de nombreux pays à travers le monde, en créant des corridors de connectivité pour renforcer le développement par le commerce et l'investissement. Les États-Unis sont particulièrement mécontents du projet de chemin de fer Pakistan-Afghanistan-Ouzbékistan (PAKAFUZ), qui reliera les pays enclavés d'Asie centrale et l'Afghanistan au Pakistan et à la mer d'Oman et, à l'horreur des États-Unis, facilitera l'accès terrestre de la Russie à l'Asie du Sud.

Washington sait que les économistes prédisent l'ascension fulgurante des économies asiatiques et le nouveau siècle asiatique et ont déjà mis en place une stratégie visant à provoquer un "chaos fabriqué" dans la région et à entraver les projets de développement économique.

Selon la doctrine Rumsfeld/Cebrowski et le rapport RAND de 2016, intitulé "Le chaos fabriqué", l'équilibre changeant des forces sera réajusté, la BRI sera détruite et toute menace de la Chine, de la Russie, du Pakistan et de l'Iran sera neutralisée. Dans le même ordre d'idées, le document de 2019 de RAND intitulé "Extending Russia : Competing from Advantageous Ground" se concentre sur l'engagement de la Russie dans les conflits de souveraineté et l'exploitation des tensions dans le Caucase du Sud, ce qui explique l'échec de l'opération de changement de régime de la CIA au Kazakhstan au début de cette année.

La même politique est évidente en Ukraine, où les États-Unis et leurs alliés ont financé une révolution de couleur, où Victoria Nuland, qui était sous-secrétaire d'État aux affaires européennes et eurasiennes, distribuait visiblement des "rafraîchissements" et encourageait le coup d'État. Aujourd'hui, les groupes néo-nazis soutenus par l'Occident causent des atrocités indicibles avec des armes occidentales, déstabilisent la région et fabriquent le "chaos".

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Le plus gros problème auquel est confronté le Pakistan est que si Khan ne remporte pas les prochaines élections, le pays pourrait redevenir un État vassal que les États-Unis peuvent contrôler et soumettre à leurs diktats. Même si l'"État profond" du Pakistan ne le permet pas, dans le passé, ils n'ont pas pu empêcher le détournement de fonds publics et la remise d'un trésor presque vide au gouvernement PTI lorsqu'il est arrivé au pouvoir.

Selon Andrew Korbyko, un analyste géopolitique qui a beaucoup écrit sur l'IRB et les questions connexes liées à l'Asie du Sud et à l'Asie centrale, avait averti : "Le retour du Pakistan au statut de vassal des États-Unis en cas de réussite de la campagne américaine de changement de régime contre le Premier ministre Khan pourrait donc déstabiliser l'Asie du Sud". Il souligne que non seulement le développement économique du Pakistan fera un pas en arrière, mais qu'un dirigeant pakistanais installé par les États-Unis pourrait politiser le CPEC et PAKAFUZ et ainsi compliquer les liens avec la Chine et la Russie.

"En d'autres termes", affirme-t-il, "le Pakistan pourrait être exploité" par l'empire américain en déclin dans sa quête de domination hégémonique "pour porter un coup sévère aux processus de connectivité multipolaire dans le cœur géostratégique de l'Eurasie".

Le chemin à parcourir s'annonce difficile. Toutefois, une lueur d'espoir réside dans le fait que le Pakistan n'a jamais eu de leader aussi populaire et respecté qu'Imran Khan. Les médias occidentaux se sont bien gardés de montrer les millions de personnes qui sont sorties pour le soutenir alors que le coup d'État contre lui se déroulait. Selon les observateurs de l'histoire, avec ce type de soutien, Khan reviendra au pouvoir ou connaîtra le sort de Zulfikar Ali Bhutto et de ces dirigeants qui ont refusé d'être les pions des États-Unis et des puissances occidentales.

jeudi, 14 avril 2022

La guerre en Ukraine, la myopie eurocentrique et le reste du monde

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La guerre en Ukraine, la myopie eurocentrique et le reste du monde. "Quelque chose" ne colle pas...

par Clement Ultimo

Source: https://www.destra.it/home/la-guerra-ducraina-la-miopia-delleurocentrismo-e-il-resto-del-mondo-qualcosa-non-torna/

La guerre en Ukraine est-elle un problème mondial ou européen ? Une question apparemment superflue, étant donné que les implications de la crise actuelle se font sentir à l'échelle planétaire, mais peut-être moins superflue qu'il n'y paraît à première vue, surtout si vous lisez des opinions et des considérations provenant de sources non euro-occidentales.

Si la guerre russo-ukrainienne est présentée aux opinions publiques européennes et occidentales comme un conflit total entre des visions opposées du monde et de l'histoire (une réédition actualisée et corrigée de l'affrontement entre le "monde libre" et le "monde socialiste" auquel les médias se sont généreusement prêtés avec une voix presque unanime), donc comme un conflit qui, pour sa portée "idéologique" - la démocratie contre l'autoritarisme - ne peut être confiné à une zone géographique spécifique, l'appréciation que le reste du monde porte sur l'affaire est tout autre.

La question des sanctions a clairement montré comment l'unanimité dans la marginalisation de la Russie dans le domaine économique n'est vraie que si l'on se réfère aux pays européens et à ceux du bloc atlantique (USA, évidemment, Australie, Japon, Corée du Sud). Plus de la moitié du monde n'adopte aucune mesure pour bloquer les échanges économiques avec la Russie, et parmi les nations qui refusent les sanctions, on trouve non seulement des pays marginaux - en termes de poids politique et économique, évidemment - mais aussi les économies émergentes des BRICS. Et s'il est trop facile pour la Chine d'expliquer son non-alignement sur les souhaits de Washington, il est plus complexe de le faire pour la "plus grande démocratie du monde", comme s'appelle avec emphase l'Inde, ou pour le Brésil ou l'Afrique du Sud.

Sont-ils tous des "États voyous", amis du "fou" Poutine ? De toute évidence, non. La guerre en Ukraine peut donc être présentée non pas comme un affrontement mondial, mais plutôt comme la nécessité de trouver "des solutions européennes à des problèmes européens", comme le souligne l'universitaire kenyane Martha Bakwesegha-Osula dans son article pour le magazine allemand Internationale Politik und Gesellschaft.

Une thèse développée et relancée dans les pages de la revue italienne de géopolitique Limes par Hu Chunchun, selon qui: "D'une part, l'Europe se dresse comme un phare de la civilisation moderne ; d'autre part, elle a à plusieurs reprises amené l'humanité au bord de la ruine et de la destruction. La culture européenne moderne semble donc posséder les traits d'un Janus à deux visages: un visage hideux de barbarie, masqué par une façade sacrée de valeurs et d'idées absolues. Dans l'histoire européenne, il est rare que nous acceptions les critiques non européennes de notre propre sens inébranlable du messianisme universel. En tant qu'universitaire qui, bien qu'enraciné dans la culture chinoise, a toujours admiré la grande entreprise de civilisation européenne, permettez-moi de lancer un appel à l'Europe. Le conflit actuel ne concerne pas la liberté contre la répression et la tyrannie; il s'agit de la perpétuation d'une logique historique intrinsèque à l'Europe moderne. Il est temps pour les citoyens européens de mettre un terme à ce jeu insensé à somme nulle, qui est perçu avec angoisse et horreur par les cultures hors d'Europe. Après un siècle de catastrophes, le Vieux Continent n'a pas le droit de forcer le monde entier à choisir une fois de plus entre la guerre et la paix, entre la destruction et la survie".

En bref, le moment est peut-être vraiment venu pour l'Europe d'essayer de regarder la réalité historique avec des yeux différents. Non seulement parce que la "fin de l'histoire" hypothéquée par Fukuyama n'était qu'une confortable illusion dans laquelle les sociétés européennes - sénescentes et incapables de projection extra-domestique - se sont bercées depuis des décennies, mais surtout parce que, aujourd'hui plus que jamais, une vision strictement occidentalo-centrée (l'eurocentrisme est un fantôme depuis au moins 80 ans) est irréaliste et trompeuse. Elle est donc un signe avant-coureur de problèmes.

mercredi, 13 avril 2022

Interrègne au Pakistan

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Interrègne au Pakistan

par Leonid Savin

Source: https://www.ideeazione.com/interregno-in-pakistan/

Le 9 avril 2022, une majorité de l'Assemblée nationale du Pakistan a voté pour démettre le Premier ministre Imran Khan de ses fonctions. Bien que la chambre haute du parlement ait été précédemment dissoute par le président Arif Alvi, la Cour suprême a jugé cette action inconstitutionnelle, permettant aux parlementaires de se réunir à nouveau pour un vote de défiance. Suite à la démission du premier ministre, le procureur général du pays, Khalid Javed Khan, a démissionné.

L'opposition a applaudi, tandis que les partisans d'Imran Khan sont descendus dans les rues d'Islamabad, Lahore, Karachi, Peshawar et d'autres grandes villes. Imran Khan a promis de lancer une lutte contre le coup d'État orchestré par des puissances étrangères. Les forces armées et la police ont été mises en état d'alerte, les mesures de sécurité ont été renforcées et les contrôleurs d'aéroport ont reçu l'ordre de ne pas permettre aux fonctionnaires et aux politiciens de quitter le pays sans autorisation appropriée.

Le 10 avril, lors d'une réunion de l'Assemblée nationale, l'opposition a désigné Shahbaz Sharif comme nouveau chef du gouvernement. Un autre candidat à la tête du gouvernement, issu du parti Mouvement pour la justice, a été désigné par le désormais ancien ministre des Affaires étrangères, Shah Mahmood Qureishi. Le vote à l'Assemblée nationale a eu lieu le 11 avril. Cependant, le parti Mouvement pour la justice a boycotté le choix du premier ministre, qui a néanmoins obtenu le quorum nécessaire. Cette procédure annule les élections anticipées annoncées précédemment, qui auront désormais lieu comme prévu en 2023.

Pour une image complète du terrain de jeu politique, des précisions supplémentaires sont nécessaires.

Le leader de la Ligue musulmane-N, Nawaz Sharif, et sa fille Maryam ont été condamnés pour corruption sous le règne d'Imran Khan, qui s'est montré particulièrement zélé dans la lutte contre la corruption, le copinage et autre corruption politique (bien que Nawaz Sharif ait auparavant démissionné pour cette raison, ce qui a conduit à des élections anticipées dans lesquelles le parti de Khan, Movement for Justice, a gagné). Alors qu'il était déjà condamné et qu'il purgeait sa peine (sept ans et une lourde amende), Nawaz Sharif a été autorisé à se rendre à Londres pour un traitement médical, mais n'est jamais rentré dans le pays pour continuer à purger sa peine. Lui-même, comme ses proches, représente un important clan oligarchique au Pendjab, ce qui a amené certains médias à dire que le frère de Nawaz, Shahbaz Sharif, deviendra le nouveau Premier ministre. Comme son frère, Shahbaz Sharif a un passé criminel et fait l'objet d'une enquête depuis 2018 pour corruption dans des contrats de construction et blanchiment d'argent.

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Nawaz Sharif et sa fille

La capitale de ce clan se trouve en Grande-Bretagne. Il est intéressant de noter que l'une des initiatives d'Imran Khan était une tentative de retour des fonds qui ont été exportés vers son pays d'origine. Une amnistie a même été déclarée, bien que peu de riches aient fait preuve d'un quelconque esprit de patriotisme. Et lorsque les ambassadeurs de l'UE ont tenté de faire pression sur Imran Khan pour qu'il condamne les actions de la Russie, le refus instinctif du Premier ministre Shahbaz Sharif a été qualifié d'insulte, aggravant les relations avec l'Europe, et il a donc dû démissionner.

L'autre grande force d'opposition, le Parti du peuple pakistanais, qui a sa circonscription dans le Sindh, s'est également opposé au départ aux réformes d'Imran Khan et l'a critiqué de toutes les manières possibles. L'ancien président et co-président du parti, Asif Ali Zardari, qui représente également l'oligarchie, a été accusé de corruption en 1990 et a passé deux ans en prison. Il a étudié en Grande-Bretagne et y a également ses centres. Corruption mise à part, il a été accusé de trafic de drogue et a des problèmes mentaux.

Feu Benazir Bhutto, son épouse et première femme chef d'État, était activement engagée auprès des États-Unis même lorsqu'elle était dans l'opposition au gouvernement du général Musharraf.

C'est par son intermédiaire que les idées visant à saper l'establishment militaire pakistanais ont été transmises et que la Maison Blanche en a repris les graines en commençant à faire pression sur Islamabad pour qu'il organise des élections démocratiques.

Selon certaines rumeurs, Bilawal Bhutto-Zardari (fils de feu Benazir Bhutto et de Zardari) pourrait prendre le poste de ministre des Affaires étrangères dans le nouveau gouvernement. Étant donné la succession entre les clans familiaux du parti, cela est tout à fait possible malgré son jeune âge (33 ans). Entre-temps, il a déclaré que cette décision serait prise par son parti.

Quant aux évaluations des raisons de l'intervention, on dit généralement qu'elles résident dans la position indépendante d'Imran Khan, ainsi que dans ses liens avec la Chine et la Russie. Imran Khan, en effet, s'est révélé être une figure remarquable qui, peu après son arrivée au pouvoir, a déclaré que le Pakistan ne serait pas une monnaie d'échange dans les jeux des autres pays et ne soutiendrait pas l'Occident dans ses guerres régionales. Khan a refusé de condamner les actions de la Russie et se trouvait à Moscou en visite officielle lorsque l'opération spéciale en Ukraine a commencé. Mais on ne peut pas dire qu'il ait adopté une position pro-russe. Bien sûr, sous lui, la question de la dette du Pakistan, qui était "en suspens" depuis l'Union soviétique et empêchait nos pays [NDLR : l'auteur est russe] d'intensifier leur coopération commerciale et économique, a été résolue. La fin de la question a permis à la partie russe de participer au projet de gazoduc Pakistan Stream, bien qu'avec certaines restrictions dues aux sanctions. Le Pakistan, quant à lui, a augmenté ses achats de céréales à la Russie et prévoit d'augmenter les volumes en 2022.

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Quant à la Chine, la coopération entre les deux pays a commencé à se renforcer au début des années 1970. C'est le Pakistan qui a servi d'intermédiaire entre la Chine et les États-Unis, ce qui a conduit à la visite du président Richard Nixon à Pékin en 1972 et au début d'une coopération active entre les anciens ennemis (Washington s'était fixé pour objectif d'arracher la Chine à l'influence de l'URSS, ce qu'il a effectivement fait). Depuis, la Chine est devenue non seulement le partenaire politique du Pakistan, mais aussi son bailleur de fonds économique, en finançant un projet clé de son "initiative Belt and Road", le corridor économique Chine-Pakistan, qui comprend la gestion par Pékin du port en eau profonde de Gwadar. La dépendance à l'égard de la Chine est trop importante. Il est donc peu probable que le futur gouvernement prenne la peine de détériorer les relations avec son principal donateur. En tant que gouverneur du Punjab, Shahbaz Sharif a conclu des accords directs avec la Chine, qui ont permis le lancement de grands projets d'infrastructure, tout en évitant les clameurs politiques. Par conséquent, pour Pékin, sa candidature serait tout à fait acceptable. L'ambassade de Chine au Pakistan a officiellement déclaré que, quelle que soit la personne au pouvoir, les relations entre les deux pays resteront amicales.

Le règlement en Afghanistan reste une question importante. Imran Khan a fait d'importants progrès dans l'intégration des Pachtounes des zones frontalières du nord-ouest, qui, sous sa direction, ont été rebaptisées Khyber Pakhtunkhwa. Pour la même raison, les Talibans (interdits en Russie), dont l'épine dorsale est constituée de Pachtounes, causaient une certaine anxiété à Islamabad, anxiété qui a conduit à une série de négociations et d'accords nécessaires. Mais il convient également de mentionner que les États-Unis ont presque ouvertement accusé le gouvernement d'Imran Khan d'aider les talibans, ce qui allait conduire à la chute de Kaboul et à la fuite honteuse de l'armée américaine d'Afghanistan. Selon la partie américaine, le Qatar a joué un bon rôle de médiateur et les Américains n'auront donc pas besoin des services du Pakistan. Dans le contexte du gel des avoirs en Afghanistan et du refus américain de continuer à financer le programme d'aide au Pakistan, on peut supposer que Washington agira désormais envers Islamabad avec un bâton plutôt qu'une carotte.

De manière générale, la crise politique actuelle touche avant tout le Pakistan. Les gouverneurs du Pendjab, du Sind et de Khyber Pakhtunkhwa sont susceptibles de démissionner. Une autre division des portefeuilles conduira à un examen des projets et initiatives en cours (par exemple, Imran Khan a soutenu activement les initiatives environnementales et les programmes sociaux). Le choix de Shahbaz Sharif comme premier ministre indique la victoire d'une oligarchie aux connexions étrangères. Son frère Nawaz pourra certainement revenir dans le pays et les charges contre lui seront abandonnées, ce qui soulèvera des questions sur l'état du droit dans ce pays.

Dans son article intitulé "Le masochisme comme politique", un chroniqueur d'un grand quotidien pakistanais, qui tente de saisir les détails des procès en cours, écrit qu'"aujourd'hui, nous fantasmons sur ceux qui peuvent offrir la plus grande "surprise" en faisant dévier nos adversaires et sur la façon dont l'État de droit sera sacrifié à notre propre ego la prochaine fois."

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Il y a un "mais". La principale force politique au Pakistan, malgré l'apparence de démocratie, est l'armée. C'est auprès d'eux qu'Imran Khan a reçu un soutien lors des élections de 2018. Il est tout à fait possible que le soutien tacite des militaires à la candidature de Shahbaz Sharif soit dû au fait qu'ils ont un dossier sur lui, et qu'il ne fera donc pas de gestes drastiques qui pourraient nuire à leurs intérêts.

Après tout, le mot "crise" d'origine grecque reflète bien la situation actuelle : c'est une rupture ou une phase de transition. Le Pakistan peut opter pour la souveraineté et une voie vers la multipolarité, comme cela a été fait sous Imran Khan, ou revenir au niveau d'un satellite des puissances occidentales.

L'héritage multipolaire d'Imran Khan ne pourra jamais être complètement démantelé

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L'héritage multipolaire d'Imran Khan ne pourra jamais être complètement démantelé

par Andrew Korybko

Source: https://www.ideeazione.com/leredita-multipolare-di-imran-khan-non-potra-mai-essere-completamente-smantellata/

Il est difficile de prédire ce qui va se passer au Pakistan, un pays qui a toujours été caractérisé par des intrigues politiques et des changements radicaux soudains qui en prennent souvent beaucoup au dépourvu, mais il est clair que l'héritage multipolaire d'Imran Khan ne pourra jamais être complètement démantelé. Aussi imparfait que soit son premier mandat, on ne peut nier qu'il a eu un impact immense en termes de remodelage des perceptions au pays et à l'étranger, notamment grâce à sa politique de sécurité nationale multipolaire.

Le succès de l'opération de changement de régime orchestrée par les États-Unis au Pakistan a fait craindre que l'école de pensée pro-américaine au sein de l'establishment de ce pays ne tente de démanteler certaines des réalisations de leurs pairs multipolaires sous le gouvernement de l'ancien Premier ministre Imran Khan. Bien qu'il reste à voir si une tentative sera faite dans ce sens, il ne fait aucun doute qu'il est impossible de démanteler complètement son héritage multipolaire. C'est parce que le PTI, autrefois au pouvoir, est devenu depuis un mouvement véritablement multipolaire qui exprime clairement cette vision du monde prometteuse aux masses, contrairement à ses concurrents qui n'ont pas de vision du monde cohérente (si tant est qu'ils en aient une, à part être pro-US). Cette évolution aura des conséquences considérables sur l'avenir politique intérieur du Pakistan.

Bien que les relations du pays avec la Russie aient commencé à s'améliorer sous plusieurs gouvernements, ce n'est que sous le PTI qu'elles sont devenues stratégiques après avoir gagné en substance grâce à une coopération étroite sur l'Afghanistan, le pipeline Pakistan Stream (PSGP) et le PAKAFUZ. En fait, c'est en raison du voyage de l'ancien premier ministre à Moscou fin février, contre la volonté déclarée des États-Unis, que l'hégémonie unipolaire en déclin a déclenché son coup d'État de facto contre lui, exploitant les différences politiques préexistantes au sein du pays ainsi que son processus constitutionnel pour le renverser à titre de sanction. Cela signifie que le bilan de la politique étrangère de son gouvernement avec cette grande puissance eurasienne sera toujours inextricablement lié à l'héritage de l'ancien Premier ministre Khan.

Bien que cela reste à jamais l'aspect le plus dramatique de son mandat en matière de politique étrangère, pour des raisons évidentes liées à la manière scandaleuse dont son mandat s'est terminé, ce n'était pas la seule réalisation multipolaire à son actif. D'une importance similaire, son refus courageux d'accueillir des bases américaines après l'évacuation chaotique des États-Unis d'Afghanistan en août dernier, sacrifiant ainsi ce qu'il considérait sincèrement comme les intérêts nationaux objectifs de son pays. L'ancien Premier ministre Khan a également défié les pressions occidentales dirigées par les États-Unis en demandant sans ménagement aux quelque deux douzaines d'ambassadeurs européens à Islamabad qui ont enfreint le protocole diplomatique en condamnant publiquement la Russie : "Sommes-nous vos esclaves ? Ce message facilement compréhensible incarnait la vision pro-souveraineté qui a défini son mandat.

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En outre, il a fait plus que tout autre dirigeant pakistanais avant lui pour attirer l'attention du monde sur la position de son pays à l'égard du conflit non résolu du Cachemire : son discours de 2019 devant l'Assemblée générale des Nations unies, un peu plus d'un mois après l'abrogation unilatérale de l'article 370 par New Delhi, est considéré comme l'une des marques de fabrique de son premier mandat. Il ne fait aucun doute que la perception mondiale de l'Inde a progressivement commencé à changer pour le pire en raison de la mise du Cachemire au centre de la politique étrangère du Pakistan. Étant donné le caractère patriotique de cette question pour le Pakistanais moyen, on peut dire qu'elle a galvanisé les masses sous sa direction, ce qui contribue à expliquer son immense popularité et celle de son parti.

On peut en dire autant de la passion avec laquelle il a mené sa campagne anti-islamophobie. L'ancien Premier ministre Khan ne tolérait aucun manque de respect envers le prophète Mahomet ou ses adorateurs, où que ce soit dans le monde. Cela a été aussi globalement associé à son premier mandat que son soutien au Cachemire. Bien que ni l'un ni l'autre n'ait obtenu beaucoup de résultats tangibles, ils étaient hautement symboliques et poursuivis avec une sincérité incontestable par la force de ses convictions personnelles. Ils ont rallié les masses et généré beaucoup d'attention positive pour le Pakistan dans le monde entier. Ces campagnes ont également permis aux Pakistanais moyens de se sentir très fiers de leur pays.

Il convient également de mentionner que c'est sous l'ancien Premier ministre Khan que le Pakistan a finalement promulgué sa première politique de sécurité nationale en janvier. Ce document peut être objectivement décrit comme l'articulation d'une vision véritablement multipolaire par son interdiction de la politique des blocs et son accent sur la géo-économie au lieu de la géopolitique. Cette double rupture avec le passé a été provoquée par l'école multipolaire de l'establishment de son pays qui soutenait ces politiques en contraste avec la vision supposée différente de leurs collègues pro-US. Malgré le départ de ce leader multipolaire, on s'attend à ce que ceux qui, au sein de l'Establishment, partagent sa vision du monde et ont contribué à la mettre en œuvre dans la politique, fassent de leur mieux pour maintenir cette vision multipolaire.

Ces observations expliquent pourquoi dimanche, le lendemain de son éviction du pouvoir et juste avant l'annonce du nouveau gouvernement lundi, des rassemblements en sa faveur ont eu lieu dans tout le pays. Contrairement au PMLN et au PPP, les deux autres grands partis du pays qui se sont donné la main pour le déposer, le PTI n'est pas considéré comme un parti régional. Il jouit également d'une réputation de lutte contre la corruption, ce qui le distingue des deux autres pays qui ont été victimes de l'impression d'être corrompus jusqu'à la moelle. Ils sont également considérés par beaucoup comme des représentants de l'ancien système de gouvernement que beaucoup accusent d'être à l'origine des problèmes persistants du Pakistan, que même l'ancien Premier ministre Khan n'a pas pu résoudre malgré tous ses efforts au cours des dernières années de son mandat. Une autre observation importante est que de larges segments de la jeunesse et de l'intelligentsia soutiennent l'ancien premier ministre.

En effet, il a exprimé de manière convaincante sa vision du "Naya (nouveau) Pakistan" et a pris des mesures tangibles pour la mettre en pratique, tant au niveau des messages puissants associés à ses campagnes en faveur du Cachemire et contre l'islamophobie que des résultats associés au rapprochement rapide avec la Russie qu'il a supervisé. La vision géo-économique de la politique de sécurité nationale et l'interdiction de la politique des blocs ont rempli les Pakistanais d'espoir que leur pays changeait enfin pour le mieux avec son temps. De nombreuses personnes méprisaient la façon dont leur allié américain officiel avait profité d'elles pendant la "guerre mondiale contre la terreur". Elles ont donc vu dans les politiques de l'ancien Premier ministre Khan une alternative pro-pakistanaise aux politiques pro-US de ses prédécesseurs qui avaient causé tant de souffrances.

Résister aux États-Unis n'était pas considéré comme "anti-américain" mais comme pro-Pakistan, ou plus simplement, comme une expression longtemps attendue du respect de soi et de la souveraineté que ce peuple fier désire depuis des décennies voir ses dirigeants afficher publiquement. La célèbre déclaration de leur ancien premier ministre "absolument pas" en réponse à une question sur l'accueil de bases américaines les a remplis de fierté car il a fait ce qu'aucun dirigeant précédent n'avait jamais pu faire, même si cela a finalement contribué à lui coûter son poste. Quels que soient les efforts de l'école pro-américaine de l'Establishment, elle ne pourra pas effacer l'impression dans le cœur de nombreux Pakistanais qu'Imran Khan représente vraiment le "Naya Pakistan" qu'ils ont le sentiment d'avoir enfin mérité de connaître de leur vivant, tandis que l'opposition soutenue par les États-Unis représente un retour au passé honteux.

Les perceptions sont la réalité, comme certains l'ont prétendu de manière provocante, et elles constituent également une puissante force de mobilisation, comme en témoignent les rassemblements nationaux de soutien à l'ancien premier ministre dimanche. Son PTI a commencé comme un mouvement anti-corruption qui s'est transformé en un mouvement véritablement multipolaire qui a impressionné la conscience politique et de classe du peuple, y compris la conscience des affaires étrangères et l'importance d'une approche équilibrée de la transition systémique mondiale en cours vers la multipolarité. Pour ces raisons, on peut en quelque sorte qualifier son mandat de "révolutionnaire" pour les changements sociopolitiques qu'il a déclenchés parmi les masses. Le fait qu'il ait rassemblé derrière lui de larges segments de l'intelligentsia, ainsi que de nombreux Pakistanais d'outre-mer, est également un exploit.

Il est difficile de prédire ce qui se passera au Pakistan, un pays qui a toujours été caractérisé par des intrigues politiques et des changements radicaux soudains qui en prennent souvent beaucoup au dépourvu, mais il est clair que l'héritage multipolaire d'Imran Khan ne pourra jamais être complètement démantelé. Il a laissé son empreinte sur son peuple, qui s'inspire aujourd'hui de l'exemple qu'il a donné pendant son mandat, notamment pour restaurer sa fierté et le respect du monde pour son pays. Aussi imparfait que soit son premier mandat, on ne peut nier qu'il a eu un impact immense en termes de remodelage des perceptions au pays et à l'étranger, notamment grâce à sa politique de sécurité nationale multipolaire. Il s'agit d'une réalité que l'école de l'establishment pro-américain et l'opposition soutenue par les États-Unis ne peuvent effacer de la conscience publique et sont donc obligées d'accepter.

Publié par Idee e Azione en partenariat avec OneWorld

lundi, 11 avril 2022

L'auto-sabotage de l'Union européenne en 8 points

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L'auto-sabotage de l'Union européenne en 8 points

Source: https://jornalpurosangue.com/2022/03/13/a-autossabotagem-da-uniao-europeia-em-8-pontos/

De GPOShorts

Ce court article examine les perspectives immédiates de l'Europe en huit points, à la lumière de l'opération spéciale de la Russie en Ukraine.

1) Tout événement majeur provoque des spasmes dans le monde entier ; les événements actuels en Europe provoquent des ravages sur tous les marchés mondiaux. Sans surprise, c'est en Europe que les conséquences de l'action du Kremlin se font le plus sentir et ce, pour une multitude de raisons. Confrontée à la flambée des prix du carburant, à un tsunami d'immigrants et à un nouveau rideau de fer, l'Europe est au cœur des plus grandes transformations depuis 70 ans. Malgré toute la sympathie que l'on peut avoir à première vue, un regard sur l'histoire récente nous aide à comprendre comment les événements mondiaux ont amené la situation là où elle est aujourd'hui.

2) Autant le conflit qui balaie actuellement ce qui était il y a quelques décennies la puissance industrielle et agricole du sud de l'Union soviétique est le résultat de la malfaisance des États-Unis et de l'Ukraine, autant il est aussi en partie la faute de l'Europe occidentale. Un coup d'État mené par les États-Unis et huit années de guerre ont été largement ignorés par les gouvernements européens et leurs peuples, étant perçus comme "la guerre des autres", mais cela signifiait simplement que, pour l'essentiel, les États-Unis, Bruxelles et les autres centres politiques fermaient les yeux sur un problème croissant à leurs frontières. Le fait que les faits connus aient été ignorés au profit des relations avec Washington s'est avéré être une très mauvaise décision géopolitique, mais malgré toutes les preuves, les dirigeants européens ont continué non seulement à soutenir aveuglément huit années de "fausse paix", mais aussi à supprimer toute voix qui remettait en question leur soutien continu non seulement à un gouvernement fantoche, mais aussi à tout ce qu'il représente.

3) Cet article ne porte pas sur le contrôle de la politique européenne par Washington, mais on ne peut ignorer le fait que les Européens restent absolument à l'écoute des États-Unis, à leur détriment absolu. En 2002, des centaines de millions d'Européens ont subi un bouleversement majeur lorsque l'Union européenne a mis en place l'euro à la place des monnaies nationales, mais 20 ans plus tard, au lieu d'utiliser l'euro, le bloc européen négocie toujours en dollars. Cette situation n'ayant pas été assez mauvaise, elle permet encore à la Maison Blanche et à l'OTAN de dicter la politique étrangère de toute nation qui finit par irriter Washington, ce qui a culminé avec la guerre qui ravage actuellement l'Ukraine. Alors qu'aux États-Unis, les répercussions de la guerre poussent les automobilistes américains à se plaindre des prix de l'essence, en Europe, elles représentent un véritable tsunami, les prix des carburants augmentant aussi vite que le nombre d'immigrants. Il est connu que beaucoup de ceux qui ont conduit l'Europe sur cette voie ont des affiliations étroites avec "l'establishment" du continent, mais les questions quant à savoir où cette voie mènera sont actuellement sans réponse. Cette absence de réponses entraîne toutefois une nouvelle vague de questions très urgentes, des questions auxquelles l'Europe occidentale doit répondre le plus rapidement possible.

4) Pendant près d'une décennie, l'Europe occidentale a soutenu les États-Unis dans leurs efforts pour tenir tête aux Russes, mais contrairement à l'affirmation de John McCain selon laquelle la Russie n'est que la "station-service d'un pays", une rupture soudaine des relations Ouest-Est s'avère être un véritable casse-tête pour les Occidentaux à bien des égards. Nous savons tous à quel point la Fédération de Russie joue un rôle important sur le marché mondial de l'énergie, mais comme elle est aussi (et surtout) un grand exportateur agricole, les prix d'un certain nombre de produits alimentaires importants vont également monter en flèche dans les mois à venir. En soi, ce n'est pas un problème si grave, car les nations occidentales sont capables d'adapter leurs propres industries agricoles pour compenser, du moins en partie, le déficit. Ce qui est grave, en revanche, c'est que la Russie est également un acteur clé du marché mondial des engrais. Même si l'Occident devait restructurer son secteur agricole, il a toujours besoin de matières premières, en l'occurrence des engrais, pour le faire et les prix élevés des engrais aggravent considérablement une situation déjà assez mauvaise. Cerise sur le gâteau, avec la pénurie mondiale, la Russie pourra toujours vendre ce qu'elle peut produire, mais à des prix beaucoup plus élevés. Washington voit peut-être la Russie comme la station-service du monde, mais les dirigeants européens sauront-ils calmer l'ire de leurs consommateurs face à l'explosion des prix et au début d'une période de stagflation ?

5) Comme nous l'avons examiné précédemment, la situation des matières premières devient beaucoup plus aiguë d'un côté de l'Atlantique que de l'autre, mais malgré cela, les figures de proue de Bruxelles veulent restreindre davantage leurs échanges avec la Russie. Outre le carburant, les denrées alimentaires et les engrais, la Russie est également un acteur majeur dans le domaine des minéraux. Le fer, le nickel et le titane sont plus importants en tant que matières premières pour l'Occident qu'en tant qu'exportations pour la Russie, mais l'UE a tout fait pour rendre de plus en plus difficile l'accès aux biens requis par ses industries nationales. Bien que les économies européennes soient différentes, la fabrication de produits finis de qualité est importante dans plusieurs États membres de l'UE et les pénuries de matériaux pourraient à terme entraîner la disparition de nombreuses entreprises. La raison pour laquelle Bruxelles voudrait se tirer une balle dans le pied est une question sans réponse, mais il est certain que cette démarche fait le bonheur de nombreuses personnes à Washington.

6) Il ne fait aucun doute que les mesures actuelles appliquées contre la Russie affectent l'Europe beaucoup plus profondément que les États-Unis, ce qui est reconnu depuis longtemps par les experts en affaires mondiales. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis représentaient plus de la moitié des exportations mondiales, mais au cours des huit dernières décennies, la Chine et l'Europe ont érodé l'avantage antérieur de Washington, la "ceinture d'acier" des États-Unis ayant rouillé, obligeant l'Oncle Sam à compter sur d'autres pays pour fournir une grande partie de ce qui est consommé dans le pays. La rivalité entre Washington et Pékin n'est pas examinée ici, mais la situation actuelle, si elle ne favorise pas Washington, a certainement un effet très négatif sur l'Europe, ce n'est pas la première fois que les États-Unis tentent de prendre le dessus en repoussant les autres. Pour toutes les affaires entre Washington et Bruxelles, et entre l'Est et l'Ouest, il y a néanmoins un assez gros éléphant - soit un problème délibérément ignoré en dépit de sa lourde évidence-  dans la pièce qui ne fera que grossir en raison des circonstances actuelles.

7) Alors que les Occidentaux se plaignent de la Russie en Ukraine, la véritable douleur économique est encore à venir. Sauf, bien sûr, en Chine, où des contrats à long terme entre Moscou et Pékin permettront de minimiser les pics de courant. Les relations entre Moscou et Pékin ayant atteint un sommet historique, le commerce entre les deux se poursuivra sans entrave. Les contrats précédemment conclus sur toute une série de matières premières sont toujours en vigueur, mais si la Chine a besoin de plus, elle sera certainement gratifiée. Le gouvernement chinois payant les prix convenus pour tout cela, la Chine se trouve désormais dans une position très avantageuse par rapport au commerce mondial, les économies liées au marché occidental voyant leurs prix s'envoler. Avec cette alliance qui se renforce d'année en année, l'amitié mutuelle signifie à son tour un avenir mutuellement assuré, et dans le climat actuel, à des prix qui n'ont jamais été aussi compétitifs. N'oubliez jamais que si cela favorise l'Est d'une manière jamais vue auparavant, cette situation est absolument un produit de la politique occidentale.

8) Malgré toutes les jérémiades des Occidentaux, le conflit en Ukraine et ses conséquences dans le monde entier ont été créés par ce même Occident. Une décennie à essayer de mettre le plus grand pays d'Europe hors jeu en faveur des intérêts américains aboutit à une situation de plus en plus désagréable pour le monde occidental. Avec la coupure de tous les approvisionnements en carburant vers l'Europe, Bruxelles fait face au canon d'un pistolet économique avec son propre doigt sur la gâchette. Si la situation devait encore se détériorer, la Russie pourrait bien fermer le Nord Stream 1, ce qui aggraverait encore une situation déjà désespérée. Malgré toute l'ampleur des mesures prises contre Moscou, la Russie a prouvé qu'elle avait un éventail tout aussi large d'exportations à proposer sur le marché international. Le fait que le jeu de Washington nuit à l'Europe autant qu'à la Russie n'est pas passé inaperçu pour certains, mais tant que les consommateurs européens ne s'en rendront pas compte, il faudra s'attendre à peu de changements. En attendant, le soleil de l'Est semble effectivement se raffermir dans le ciel, les économies chinoise et russe se réjouissant des conditions imposées par Washington. Il est fort probable qu'à l'avenir, l'Europe se rende enfin compte qu'elle a été manipulée pour se saboter elle-même.

L'empire américain s'autodétruit

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L'empire américain s'autodétruit

Par Michael Hudson

Source: https://jornalpurosangue.com/2022/03/09/o-imperio-americano-autodestroi-se/

Les empires suivent souvent le cours d'une tragédie grecque, provoquant précisément le sort qu'ils cherchaient à éviter. C'est certainement le cas de l'Empire américain, qui se démantèle en un mouvement qui n'est pas très lent.

L'hypothèse de base des prévisions économiques et diplomatiques est que chaque pays agira dans son propre intérêt. Un tel raisonnement n'est pas utile dans le monde d'aujourd'hui. Les observateurs de tout le spectre politique utilisent des expressions comme "se tirer une balle dans le pied" pour décrire la confrontation diplomatique des États-Unis avec la Russie et ses alliés. Mais personne ne pensait que l'empire américain s'autodétruirait aussi rapidement.

Pendant plus d'une génération, les plus éminents diplomates américains ont mis en garde contre ce qu'ils considéraient comme la menace extérieure ultime : une alliance entre la Russie et la Chine dominant l'Eurasie. Les sanctions économiques et la confrontation militaire de l'Amérique ont rapproché ces deux pays et poussent d'autres pays dans leur orbite eurasienne émergente.

La puissance économique et financière américaine était censée éviter ce destin eurasien. Pendant le demi-siècle qui a suivi l'abandon de l'étalon-or par les États-Unis en 1971, les banques centrales du monde entier ont fonctionné selon l'étalon-dollar, en détenant leurs réserves monétaires internationales sous forme de bons du Trésor américain, de dépôts bancaires américains et d'actions et d'obligations américaines. Le standard des bons du Trésor qui en a résulté a permis à l'Amérique de financer ses dépenses militaires à l'étranger et la prise de contrôle d'autres pays simplement en créant des billets à ordre (IOU) libellés en dollars. Les déficits de la balance des paiements des États-Unis finissent dans les banques centrales des pays ayant des excédents de paiement comme réserves, tandis que les débiteurs du Sud ont besoin de dollars pour payer leurs partenaires et effectuer leur commerce extérieur.

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Michael Hudson.

Ce privilège monétaire - le seigneuriage [NT] du dollar - a permis à la diplomatie américaine d'imposer des politiques néolibérales au reste du monde sans avoir à utiliser beaucoup de force militaire propre, sauf pour capturer le pétrole du Proche-Orient.

La récente escalade des sanctions américaines qui empêchent l'Europe, l'Asie et d'autres pays de commercer et d'investir avec la Russie, l'Iran et la Chine a imposé d'énormes coûts d'opportunité - le coût des occasions perdues - aux alliés des États-Unis. Et la récente confiscation de l'or et des réserves étrangères du Venezuela, de l'Afghanistan et maintenant de la Russie [1] [NT], ainsi que la capture sélective des comptes bancaires de riches étrangers (dans l'espoir de gagner leurs cœurs et leurs esprits, attirés par l'espoir du retour de leurs comptes séquestrés), a mis fin à l'idée que les avoirs en dollars - ou maintenant aussi les avoirs en livres sterling et en euros des satellites de l'OTAN en dollars - sont un refuge d'investissement sûr lorsque les conditions économiques mondiales deviennent instables.

Je suis donc quelque peu dégoûté d'observer la vitesse à laquelle ce système financé centré sur les États-Unis s'est déprécié en quelques années seulement. Le thème de base de mon livre Super Impérialisme était la façon dont, au cours des cinquante dernières années, l'étalon des bons du Trésor américain a canalisé l'épargne étrangère vers les marchés financiers et les banques américaines, donnant libre cours à la diplomatie du dollar. Je pensais que la "dédollarisation" serait menée par la Chine et la Russie qui prendraient le contrôle de leurs économies pour éviter le type de polarisation financière qui impose l'austérité aux États-Unis [2]. Mais les responsables américains obligent la Russie, la Chine et d'autres nations à se déverrouiller de l'orbite américaine pour se rendre à l'évidence et surmonter toute hésitation qu'ils avaient à "dédollariser".

J'avais espéré que la fin de l'économie impériale dollarisée se produirait grâce à l'effondrement d'autres pays. Mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Les diplomates américains ont eux-mêmes choisi de mettre fin à la dollarisation internationale, tout en aidant la Russie à construire ses propres moyens de production agricoles et industriels autosuffisants. Ce processus de fracturation mondiale est en effet en cours depuis quelques années, à commencer par les sanctions qui empêchent les alliés de l'OTAN et autres satellites économiques de l'Amérique de commercer avec la Russie. Pour la Russie, ces sanctions ont eu le même effet que celui qu'auraient eu des tarifs protectionnistes.

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La Russie est restée trop fascinée par l'idéologie néolibérale du marché libre pour prendre des mesures visant à protéger sa propre agriculture et son industrie. Les États-Unis ont apporté l'aide nécessaire en imposant à la Russie l'autosuffisance intérieure. Lorsque les États baltes ont obéi aux sanctions américaines et ont perdu le marché russe pour leurs fromages et autres produits agricoles, la Russie a rapidement créé sa propre industrie fromagère et laitière - tout en devenant le premier exportateur mondial de céréales.

La Russie découvre (ou est sur le point de découvrir) qu'elle n'a pas besoin de dollars américains pour soutenir le taux de change du rouble. Sa banque centrale peut créer les roubles nécessaires pour payer les salaires nationaux et financer la formation de capital. Les confiscations par les États-Unis de leurs réserves en dollars et en euros pourraient finalement amener la Russie à mettre fin à son adhésion à la philosophie monétaire néolibérale, Sergei Glaziev plaidant depuis longtemps en faveur de la "Théorie monétaire moderne" (MMT).

La même dynamique de réduction des cibles ostensibles des États-Unis s'est produite avec les sanctions américaines contre les principaux multimillionnaires russes. La thérapie de choc néolibérale et les privatisations des années 1990 n'ont laissé aux kleptocrates russes qu'un seul moyen de s'approprier les actifs qu'ils avaient arrachés au domaine public. Il s'agissait d'incorporer leurs acquisitions et de vendre leurs actions à Londres et à New York. L'épargne intérieure avait été décimée et les conseillers américains ont persuadé la banque centrale russe de ne pas créer sa propre monnaie en roubles.

Le résultat est que les actifs pétroliers, gaziers et minéraux nationaux de la Russie n'ont pas été utilisés pour financer une rationalisation de l'industrie et du logement russes. Au lieu d'être investis dans la création de nouveaux moyens de protection de la population russe, les revenus de la privatisation ont été dilapidés dans de nouvelles acquisitions d'actifs nouveaux-riche, d'immobilier de luxe en territoire britannique, de yachts et d'autres actifs de la fuite mondiale des capitaux. Mais l'effet des sanctions qui ont pris en otage les avoirs en dollars, en livres sterling et en euros des multimillionnaires russes a été de faire de la City de Londres un endroit trop risqué pour eux de détenir leurs actifs - et pour les riches de toute autre nation potentiellement soumise aux sanctions américaines. En imposant des sanctions aux Russes les plus riches et les plus proches de Poutine, les responsables américains espéraient les inciter à s'opposer à leur rupture avec l'Occident et ainsi servir efficacement d'agents d'influence de l'OTAN. Mais pour les multimillionnaires russes, leur propre pays commence à paraître plus sûr.

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Pendant de nombreuses décennies, la Réserve fédérale américaine et le Trésor ont lutté contre [la possibilité que] l'or retrouve son rôle dans les réserves internationales. Mais comment l'Inde et l'Arabie saoudite considéreront-elles leurs avoirs en dollars lorsque Biden et Blinken tenteront de les forcer à suivre l'"ordre fondé sur des règles" des États-Unis plutôt que leur propre intérêt national ? Les récents diktats américains ne leur laissent guère d'autre choix que de commencer à protéger leur propre autonomie politique en convertissant leurs avoirs en dollars et en euros en or, un actif libre de la responsabilité politique d'être pris en otage par des exigences américaines de plus en plus coûteuses et perturbatrices.

La diplomatie américaine a frotté le nez de l'Europe dans sa servilité abjecte, en disant à ses gouvernements d'obliger leurs entreprises à se débarrasser de leurs actifs pour quelques centimes de dollars après le blocage des réserves étrangères de la Russie et la chute du taux de change du rouble. Blackstone, Goldman Sachs et d'autres investisseurs américains se sont empressés d'acheter ce dont Shell Oil et d'autres sociétés étrangères se débarrassaient.

Personne ne pensait que l'ordre mondial d'après-guerre 1945-2020 céderait aussi rapidement. Un véritable nouvel ordre économique international est en train d'émerger, même si la forme qu'il prendra n'est pas encore claire. Mais les confrontations résultant de la "montée de l'ours" avec l'agression US/OTAN contre la Russie ont dépassé le niveau de la masse critique. Il ne s'agit plus seulement de l'Ukraine. Celle-ci n'est que le déclencheur, un catalyseur pour éloigner une grande partie du monde de l'orbite USA/OTAN.

La prochaine confrontation pourrait venir de l'intérieur même de l'Europe, alors que les politiciens nationalistes cherchent à mener une rupture avec le super-impérialisme américain qui agit à l'encontre des intérêts de ses propres alliés européens et autres, afin de les maintenir dans la dépendance du commerce et des investissements basés aux Etats-Unis. Le prix de leur obéissance continue est d'imposer une inflation des coûts à leur industrie tout en subordonnant leur politique électorale démocratique aux proconsuls américains de l'OTAN.

Ces conséquences ne peuvent pas vraiment être considérées comme "involontaires". De nombreux observateurs ont indiqué exactement ce qui allait se passer - à commencer par le président Poutine et le ministre des Affaires étrangères Lavrov lorsqu'il a expliqué quelle serait leur réponse si l'OTAN insistait pour les coincer tout en attaquant les Russophones de l'Est de l'Ukraine et en déplaçant des armes lourdes vers la frontière occidentale de la Russie. Les conséquences étaient prévues. Les néoconservateurs qui contrôlent la politique étrangère américaine s'en fichaient tout simplement. Reconnaître les préoccupations des Russes était considéré comme du Putinverstehen (compréhension de Poutine) comme on dit en Allemagne.

Les responsables européens n'étaient pas mal à l'aise pour parler au monde de leurs inquiétudes quant au fait que Donald Trump était fou et déstabilisait les bénéficiaires de la diplomatie internationale. Mais ils semblent avoir été pris de court par la résurgence de la haine viscérale de la Russie par l'administration Biden via le secrétaire d'État Blinken et Victoria Nuland-Kagan. La façon de s'exprimer et les manières de Trump ont peut-être été vulgaires et incongrues, mais la bande des néocons américains a des obsessions bien plus menaçantes risquant de déclencher une confrontation mondiale. L'enjeu pour eux était de savoir de quelle réalité ils sortiraient victorieux : la "réalité" qu'ils pensaient pouvoir fabriquer, ou la réalité économique hors du contrôle des États-Unis.

Ce que les pays étrangers n'ont pas fait de leur propre chef pour remplacer le FMI, la Banque mondiale et les autres bras forts de la diplomatie américaine, les politiciens américains les obligent maintenant à le faire. Au lieu que les pays d'Europe, du Proche-Orient et du Sud s'éloignent en calculant leurs propres intérêts économiques à long terme, c'est l'Amérique qui les repousse, tout comme elle l'a fait avec la Russie et la Chine. De plus en plus d'hommes politiques cherchent à obtenir le soutien des électeurs en leur demandant si leurs pays seraient mieux servis par de nouveaux accords monétaires pour remplacer le commerce, les investissements et même le service de la dette étrangère en dollars.

L'effondrement des prix de l'énergie et des denrées alimentaires frappe particulièrement les pays du Sud, ce qui coïncide avec leurs propres problèmes de Covid-19 et l'imminence du service de la dette dollarisée qui arrive à échéance. Quelque chose doit céder. Pendant combien de temps ces pays vont-ils imposer l'austérité pour rembourser les détenteurs d'obligations étrangers ?

Comment les économies américaine et européenne vont-elles faire face à leurs sanctions contre les importations de gaz et de pétrole russes, de cobalt, d'aluminium, de palladium et d'autres matériaux de base. Les diplomates américains ont dressé une liste de matières premières dont leur économie a désespérément besoin et qui sont donc exemptées des sanctions commerciales imposées. Cela fournit-il à M. Poutine une liste utile de points de pression américains à utiliser pour remodeler la diplomatie mondiale et aider les pays européens et autres à se libérer du rideau de fer que l'Amérique a imposé afin d'enfermer ses satellites dans la dépendance des fournitures américaines à prix élevé ?

L'inflation de Biden

Mais la rupture définitive avec l'aventurisme de l'OTAN doit venir de l'intérieur même des États-Unis. À l'approche des élections du Congrès de cette année, les politiciens trouveront un terrain fertile pour montrer aux électeurs américains que l'inflation des prix entraînée par l'essence et l'énergie est un sous-produit politique du blocage des exportations de pétrole et de gaz par l'administration Biden (mauvaise nouvelle pour les propriétaires de gros SUV gourmands en essence !). Le gaz est nécessaire non seulement pour le chauffage et la production d'électricité, mais aussi pour la production d'engrais, dont il y a déjà une pénurie mondiale. Cette situation est exacerbée par le blocus des exportations de céréales russes et ukrainiennes vers les États-Unis et l'Europe, qui provoque déjà une hausse des prix alimentaires.

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Il y a déjà une déconnexion frappante entre la vision de la réalité du secteur financier et celle promue par les grands médias de l'OTAN. Les marchés financiers européens ont plongé à l'ouverture le lundi 7 mars, tandis que le pétrole Brent a atteint 130 dollars le baril. Le journal télévisé "Today" de la BBC a présenté ce matin le député conservateur Alan Duncan, un négociant en pétrole, qui a averti que le quasi-doublement des prix des contrats à terme sur le gaz naturel menaçait de mettre en faillite les entreprises engagées à fournir du gaz à l'Europe aux anciens tarifs. Mais revenons aux nouvelles militaires des "Deux minutes de haine". La BBC a continué à applaudir les courageux combattants ukrainiens et les politiciens de l'OTAN ont demandé un plus grand soutien militaire. À New York, l'indice Dow Jones a plongé de 650 points et l'or est passé à plus de 2000 dollars l'once - ce qui reflète l'opinion du secteur financier sur la façon dont la partie américaine est susceptible de se dérouler. Les prix du nickel ont encore augmenté - de 40 pour cent.

Tenter de forcer la Russie à répondre militairement et à faire mauvaise figure aux yeux du reste du monde s'avère être un coup monté visant simplement à garantir que l'Europe contribue davantage à l'OTAN, achète plus de matériel militaire aux États-Unis et s'enferme davantage dans une dépendance commerciale et monétaire vis-à-vis des États-Unis. L'instabilité ainsi provoquée a pour effet de faire passer les États-Unis pour aussi menaçants que l'OTAN/l'Occident prétend que la Russie l'est.

Source : Portal Resist Info.

Références :

[1] L'or de la Libye a également disparu après le renversement de Mouammar Kadhafi par l'OTAN en 2011.

[2] Voir plus récemment Radhika Desai et Michael Hudson (2021), "Beyond Dollar Creditocracy : A Geopolitical Economy", Valdai Club Paper No. 116. Moscou : Valdai Club, 7 juillet, repris dans Real World Economic Review (97), https://rwer.wordpress.com/2021/09/23.

[NT]

[1] Seignorage : Bénéfice résultant du différentiel entre le coût de production de la monnaie et sa valeur nominale.

[2] Hudson aurait pu ajouter le vol des propres réserves d'or de la Banque centrale d'Ukraine.

dimanche, 10 avril 2022

L'homme habite géopolitiquement la Terre

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L'homme habite géopolitiquement la Terre

par Gennaro Scala 

Source : Gennaro Scala & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/geo-politicamente-abita-l-uomo

0-15116.jpgLe livre en question est une réflexion "métapolitique" sur la géopolitique, c'est-à-dire qu'il dépasse les questions spécifiques que traite cette discipline pour s'interroger sur le "pourquoi", sur les questions fondamentales dont découlent les questions géopolitiques et politiques tout court. Pourquoi s'occuper de géo-politique ? D'un point de vue immédiat, chaque État ne peut ignorer les questions géopolitiques, sous peine de graves conséquences. Un certain niveau de connaissances géopolitiques, c'est-à-dire des relations entre les États, est nécessaire à la classe politique de chaque État. Cependant, tous les États n'en ont pas besoin et ne peuvent pas l'utiliser de la même manière, cela dépend de la capacité d'action, qui dépend à son tour de la puissance d'un État. Un État qui est totalement subordonné aux politiques internationales d'un autre État, et il en existe, il faut le savoir, n'a guère besoin de connaissances géopolitiques puisque la décision sur les politiques internationales sera dictée par d'autres. Mais ce peu ne signifie pas zéro, un certain degré de connaissances géopolitiques est toujours nécessaire, une marge de manœuvre subsiste toujours, même si elle est devenue beaucoup plus étroite que la "souveraineté limitée" dont a bénéficié l'Italie de l'après-guerre jusqu'à l'effondrement de l'URSS. Mais si c'est le niveau immédiat d'où découle le besoin de connaissances géopolitiques, on ne peut s'y arrêter, sinon nous aurions une géopolitique purement nationaliste.

Ce n'est pas le cas de Fabio Falchi pour qui la géopolitique découle de notre "être au monde" et d'une certaine manière d'"habiter la terre". En tant que mortels, nous habitons "poétiquement" la terre, le mot étant la "maison de l'être" et concernant donc notre être chez nous dans le monde, mais nous sommes des êtres situés entre le ciel et la terre, donc le poétique présuppose l'impoétique, autant l'homme habite poétiquement la terre, autant il l'habite géo-politiquement. Ce "poétique vs. impoétique" se traduit philosophiquement dans l'opposition "Heidegger vs. Schmitt" (chapitre II), Schmitt venant rappeler que l'occupation de la terre par l'homme se fait à partir d'une partition, et la géopolitique s'en occupe, mais c'est donner la prévalence à "l'être-contre-les-autres". En jouant dialectiquement Heidegger contre Schmitt et vice versa, cependant, la priorité "ontologique" de "l'être-avec-les-autres" est rétablie (p.52), tout en reconnaissant l'être contre une possibilité toujours présente dans les relations humaines.

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Fabio Falchi veut retrouver l'opposition terre-mer de Schmitt, tout en rejetant, avec Heidegger, l'opposition ami-ennemi comme opposition ultime, ontologique, fondatrice de la politique. Je pense plutôt qu'il s'agit d'un mythe taillé dans le conflit Allemagne-Angleterre, l'histoire n'est pas marquée par cette éternelle opposition entre les puissances terrestres et maritimes (à ces dernières s'ajoutent, avec la technologie moderne, des puissances qui s'appuient sur le contrôle du ciel), cette opposition ne s'applique guère à l'histoire ancienne, comme le reconnaît aussi Falchi, et même avec la "révolution spatiale" qui a eu lieu avec la découverte des Amériques et la navigation sur l'ensemble du globe, elle ne devient pas plus valable. Le problème est plutôt de surmonter le mondialisme, le rêve de domination mondiale, qui est né de l'expansion mondiale des puissances européennes. L'Allemagne du siècle dernier était certes une puissance qui s'appuyait davantage sur des forces terrestres, mais elle a hérité du rêve de la domination mondiale anglo-saxonne, qu'elle a finalement voulu réaliser "par voie terrestre" par l'invasion de la Russie, pour laquelle elle s'est inspirée de la "conquête de l'Ouest".

Ainsi, s'il est juste de rétablir le fondement universaliste de l'appartenance humaine commune, tout en reconnaissant que c'est précisément le fait d'être ensemble qui peut aboutir à être contre, ou à la possibilité toujours présente d'un conflit, comment l'appartenance commune peut-elle prévaloir sur la tendance également inhérente au conflit ? Ce qui, traduit en termes géopolitiques universels, signifie pour moi aujourd'hui: comment éviter le choc des civilisations ? À cette fin, il est notamment essentiel de rétablir le sens de la limitation humaine par rapport à la volonté illimitée de puissance qui a donné naissance à la technologie. Et à cet égard, Heidegger est si utile, étant parmi ceux qui se sont le plus concentrés sur le problème, si trompeur car la différence ontologique et l'oubli de l'être sont à mon avis de mauvaises réponses. Le concept de différence ontologique de Heidegger est celui qu'il faut le plus dépasser; il crée une fracture entre l'être et le devenir, reproduisant les anciens dualismes. Identifier l'être à tout ce qui n'est pas l'être signifie une dé-substantiation de l'Être, qui est au contraire ce qu'il y a de plus réel, c'est l'ens realissimus. Pensé à travers la différence ontologique, l'être est la non-entité, la ni-entité. Identité donc de l'être et du néant. Et nous revenons ici au célèbre début de la Science de la Logique, d'où partent les réflexions de Heidegger. Il y aurait un discours à faire sur la nature problématique de la dialectique hégélienne que nous ne pouvons pas faire ici, sur lequel Enrico Berti a écrit des pages fondamentales. Certes, l'être ne peut être réduit à une entité déterminée, mais c'est ce que nous faisons dans la mesure où nous parlons de l'être avec l'article déterminatif.

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L'être ne peut être oublié car, en tant qu'êtres humains limités, nous ne pouvons pas l'embrasser, mais ce que nous ne pouvons pas oublier, c'est que notre connaissance de la nature, et notre capacité à connaître et à contrôler certains phénomènes naturels, est toujours petite comparée à la puissance infinie de la Nature qui nous a engendrés. L'Être est le monde infini qui a également engendré l'homme; il ne peut être embrassé par un être fini tel que l'être humain, mais seulement pensé comme un au-delà. Nous n'approchons l'être qu'à travers l'être de manière finie et déterminée, mais il s'agit toujours d'une réduction, car, et c'est l'une des acquisitions les plus importantes de la science moderne, même le grain de sable a des déterminations infinies si on l'analyse en profondeur. Réfléchir sur l'être, c'est réfléchir sur les limites de la connaissance humaine, mais aussi sur le caractère merveilleux de cette connaissance. Que serait un monde s'il ne présentait pas plus de défis et de mystères à l'homme?

Fabio Falchi conclut son ouvrage en rappelant que le rétablissement du sens de l'émerveillement envers la Physis est fondamental face à un appareil technocratique qui voudrait réduire le monde à quelque chose d'entièrement manipulable et contrôlable. Une "question métaphysique" que la pensée faible (pensiero debole) d'un Vattimo voudrait plutôt effacer, montrant une convergence fondamentale avec la pensée néo-libérale à laquelle il dit vouloir s'opposer. Cacciari saisit entre autres un point crucial lorsqu'il rappelle le double sens du terme grec Thauma, qui désigne un rapport au monde dans lequel la terreur et l'émerveillement ont la même origine. D'autre part, Heidegger (et Severino lui-même) n'a privilégié que l'aspect de l'angoisse inhérente à la finitude de l'être humain, qui est "in-éradicable", mais c'est précisément cela qui peut être transformé en émerveillement devant le monde, qui transforme le court voyage de la vie en quelque chose qui a un sens et une valeur.

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Cependant, si nous devons rétablir l'idée de la subordination inévitable de l'être humain à la Nature, nous ne pouvons pas rétablir le "sens du sacré" des anciens, qui découlait du sens naturel, pour ainsi dire, de la subordination de l'être humain à la Nature. L'être humain s'est libéré de sa dépendance à l'égard de certains phénomènes naturels, ce qui a été un chemin positif et, dans l'ensemble, obligatoire, puisque l'"animal nu" appelé homme, qui n'a pas de griffes pour se défendre ni de membres rapides pour courir, a dû développer la technologie. Cette voie a toutefois abouti à la domination de la Technique, qui est une forme d'hybris, l'illusion de pouvoir contrôler et manipuler le monde à volonté. Dans cette voie, le sentiment de subordination de l'être humain à la Nature doit être reconstitué sur une nouvelle base.

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Établir une relation adéquate avec la transcendance de la Nature, avec l'Être, avec Dieu, ou quelle que soit la façon dont on souhaite désigner le monde infini qui nous a engendrés, est également fondamental pour la géopolitique. Car établir une relation adéquate avec la transcendance signifie rétablir le sens de la limite pour l'être humain. En termes géopolitiques, cela signifie une inversion de l'absurdité du projet occidental de contrôle total des êtres humains sur la Terre. Il y a des limites à ne pas franchir, et celles-ci devraient être les nouveaux Hercules de demain, qui ne sont plus géographiques mais politiques.

Une limite à ne pas franchir au-delà de laquelle il existe un risque de déclencher un conflit de civilisations, qui pourrait avoir des conséquences imprévisibles. Il convient de rappeler l'extraordinaire pertinence du Canto XXVI de Dante, qui commence par la condamnation de l'impérialisme de Florence qui "per mare e per terra batte l'ale", son désir d'expansion sans limites. Dans "l'in-éliminabilité" de la dimension conflictuelle, qui est une dimension in-éliminable de l'habitation de la terre, comme le souligne à juste titre Falchi, se révèle à mon avis la subordination de l'être humain à la nature. C'est la même conclusion à laquelle Tolstoï est parvenu lorsqu'il a voulu raconter "la guerre et la paix". Cela ne signifie pas que le conflit est inévitable, cela signifie que le conflit doit être "façonné" (pour utiliser la terminologie de Tolstoï), il doit être régi et orienté vers des formes qui ne sont pas destructrices pour tous les prétendants.

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Je considère que celui de Fabio Falchi est un travail de réflexion méritoire et assez rare dans le panorama intellectuel italien asphyxié, pour la profondeur et l'ampleur des vues, sur les fondements de la (géo)politique, cependant, un effort devrait être fait pour surmonter ce bloc de la culture européenne, dont parle Pierluigi Fagan, selon lequel "la philosophie occidentale pratique, sa politique et son éthique sont arrêtées au 19ème siècle". En effet, nous ballottons entre Heidegger, Nietzsche et Marx, souvent dans un mélange de ceux-ci. La philosophie italienne d'après-guerre a fait des pas en avant qu'il faut valoriser par rapport à la philosophie allemande, je pense à la critique de Heidegger par Severini, mais aussi à la critique de la dialectique par Enrico Berti. Heidegger a été "sacralisé" par une certaine intellectualité européenne, surtout de gauche, comme l'écrit Dominique Janicaud dans Heidegger en France, car "la destruction de la métaphysique" correspondait à la nécessité de se débarrasser des "récits" progressistes, une opération certes nécessaire mais qui a ensuite conduit à une adhésion nihiliste aux valeurs fondamentales du néolibéralisme, même si elle était ensuite assaisonnée d'un anarchisme inoffensif, comme l'observe Fabio Falchi à propos de Vattimo. Je ne connais pas suffisamment la philosophie de Vattimo, je ne peux donc exprimer qu'un jugement consciemment sommaire, mais je peux dire qu'en première lecture, le "nihilisme libérateur" de Vattimo ne me convainc pas du tout. Je ne crois pas que "ce qui rend libre est vrai", mais plutôt que la communauté ne peut être fondée que sur une base de vérité. La vérité n'est pas l'imposition du discours dominant. Une formulation qui n'échappe pas à l'objection classique du relativisme, puisqu'elle aussi voudrait être une vérité. Heidegger doit être "dépassé", selon le sens hégélien du terme, sinon notre critique de ses élèves "gauchistes" est nécessairement faible. Le concept de vérité de Vattimo doit être rejeté.

Le problème est que cette faiblesse envers un certain nihilisme découle d'un problème précis qui est un vide difficilement surmontable. Heidegger a pensé et agi du point de vue de la défense de la civilisation européenne, pour laquelle il a pensé utiliser le nihilisme produit par la décadence de cette même civilisation, un court-circuit qui l'a conduit à rejoindre le nazisme, qui a fonctionné comme un accélérateur de la décadence européenne. Pour nous, cependant, cet effondrement est déjà un fait accompli, en effet il n'y a plus rien à défendre, seulement les décombres. Bien que cette question ne soit pas mentionnée dans le livre, je sais bien, connaissant un peu la pensée de l'auteur, qu'elle est en arrière-plan. Il n'est pas mentionné parce qu'il ne s'agit pas d'un problème soluble, mais il reste un problème classé sans être surmonté. La "racine terrestre" ne peut se trouver que dans sa propre culture. Notre culture d'appartenance aurait dû être cette civilisation européenne dans laquelle s'inscrit l'État-nation individuel. Cependant, elle s'est effondrée avec la Première et la Deuxième Guerre mondiale, nous laissant dans l'étrange hybride qu'est la "civilisation occidentale", un non-lieu destiné à se dissoudre. Mais si nous ne pouvons pas penser dans la perspective d'une appartenance à la civilisation européenne, quand bien même cette appartenance n'épuiserait pas ou ne serait pas l'horizon ultime de notre " être au monde ", nous pouvons penser dans la perspective d'une renaissance, dans la conviction d'une renaissance, puisque la civilisation est ce qui renaît toujours des germes laissés par la précédente. Même si cette renaissance ne signifie pas que la civilisation européenne renaîtra comme avant. Je me rends compte qu'il s'agit d'une solution idéale au problème, appartenir à une véritable civilisation est autre chose, mais je ne pense pas que nous puissions faire mieux pour le moment. Je pense donc que l'approche à dominante universaliste du livre est fondée, nous ne pouvons traiter que des "problèmes universels" sachant qu'ils restent déconnectés de l'ancrage à une véritable civilisation. Cet universalisme dans lequel l'intellectualité italienne a déjà dû se confiner en d'autres occasions, comme Gramsci l'a déjà noté. Mais je crois que préserver la perspective de la renaissance nous permet de considérer les problèmes nationaux en perspective, en ayant une direction, dans la collation d'un potentiel futur grand espace européen qui est le sujet et non seulement l'objet de la politique des autres "grands espaces" existant actuellement sur Terre.

samedi, 09 avril 2022

La guerre américaine en Ukraine est en réalité une guerre contre l'Allemagne

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La guerre américaine en Ukraine est en réalité une guerre contre l'Allemagne

Valentin Katasonov

Source: http://geoestrategia.es/index.php/noticias/politica/37335-la-guerra-estadounidense-en-ucrania-es-en-realidad-una-guerra-contra-alemania

Il est connu que toute sanction économique s'accompagne d'un effet boomerang (conséquences négatives pour l'État à l'origine des sanctions). La force de l'impact d'un boomerang varie fortement d'un pays à l'autre. L'effet boomerang est beaucoup plus fort pour l'Europe que pour les États-Unis. Et au sein de l'UE, la propagation des effets négatifs est également très importante.

Les sanctions de 2014 ("pour la Crimée") ont varié considérablement quant à la force de l'effet boomerang. Une étude de Matthieu Crozet et Julian Hinz a tenté de calculer les pertes subies par l'Occident du fait de la réduction des exportations de marchandises vers la Russie jusqu'à la mi-2015. Les pertes se sont élevées à 60,2 milliards de dollars et seulement 17,8 % de ces pertes étaient dues à l'introduction de contre-sanctions par Moscou. Les 82,2 pour cent restants sont des pertes que l'on peut qualifier de "tir dans le pied". 76,7 % de ces pertes (plus de 46 milliards de dollars) ont été subies par les pays de l'UE. Et seulement 23,3% correspondaient au reste des pays occidentaux (USA, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Suède, Suisse, etc.).

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Au sein de l'UE, le résultat négatif de la première vague de sanctions est également très différent. L'étude "Les leçons des sanctions de l'UE contre la Russie en 2014-2015" fournit des estimations des dommages subis par les différents États membres de l'UE jusqu'à la mi-2015. Voici la liste des pays ayant subi les plus grosses pertes (en millions d'euros) : Allemagne - 2 566 ; Italie - 668 ; France - 612 ; Pays-Bas - 591 ; Pologne - 521. Si l'on prend des indicateurs relatifs, il s'avère que pour l'Allemagne (première économie de l'UE), ils sont trois fois plus sensibles que pour la France et l'Italie.

Aujourd'hui, dans le contexte d'une nouvelle guerre de sanctions contre la Russie, nous voyons une image similaire. Début mars, le Kiel Institute for World Economics (Allemagne) et l'Institut autrichien de recherche économique (WIFO) ont préparé un rapport opportun sur les conséquences économiques des sanctions prévues par l'Occident. Selon ce document, les pertes pour les économies de tous les pays initiant des sanctions sont estimées à 0,17 % du PIB total. L'Allemagne et l'Autriche subiront des pertes de 0,4 et 0,3 pour cent du PIB annuel respectivement, tandis que les États-Unis ne subiront que des pertes de 0,04 pour cent. Parmi les alliés, la Lituanie (2,5 pour cent dans le scénario simulé), la Lettonie (2,0 pour cent) et l'Estonie (2,0 pour cent) subiront la plupart des pertes.

Les médias occidentaux affirment que les coûts de la guerre de sanctions contre la Russie sont inévitables, mais pour obtenir la victoire dans cette guerre, il faut résister, ce qui démontrerait l'unité de l'Occident. Cependant, il n'y a pas d'unité. On le voit clairement dans l'exemple des achats de gaz naturel à la Russie. On sait que les fournitures russes à l'UE en 2021 représentaient 45 % des importations de gaz naturel et 40 % de la consommation. Il s'agit d'une moyenne. Pour des pays comme la Bulgarie, la République tchèque, la Lettonie, l'Autriche, la Roumanie et la Slovénie, la dépendance vis-à-vis de la Russie pour les importations de gaz se situe entre 75 et 100 %. Dépendance supérieure à la moyenne de l'UE vis-à-vis de la Russie pour les importations de gaz naturel et de l'Allemagne à hauteur de 49 %. L'Italie en est à 46%.

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Le tableau est également mitigé en ce qui concerne la dépendance à l'égard des importations de pétrole en provenance de Russie. À la fin de 2020, la Russie représentait 24,9 % des importations d'or noir de l'UE. Les pays suivants ont la plus forte dépendance vis-à-vis des importations de pétrole russe (%) : Slovaquie - 78,4 ; Lituanie - 68,8 ; Pologne - 67,5 ; Finlande - 66,8 ; Hongrie - 44,6. Significativement plus élevé que la moyenne de l'UE, l'indicateur de dépendance dans ces autres pays (%) : Roumanie - 32. 8 ; Estonie - 32,0 ; Allemagne - 29,7 ; République tchèque - 29,1 ; Grèce - 26,3. Et la dépendance à l'égard des importations de pétrole russe est nettement inférieure à la moyenne de la deuxième plus grande économie de l'UE : la France (13,3 %), de la troisième économie : l'Italie (12,5 %), des Pays-Bas (21,0 %). Au Royaume-Uni, la Russie ne représentait que 12,2 % des importations de pétrole. Vous pouvez imaginer que les positions de la Hongrie ou de la Finlande sur les restrictions ou les interdictions d'importation d'or noir en provenance de Russie peuvent être très différentes des positions des Pays-Bas ou de la France. Et ils ne coïncident pas vraiment.

Il existe de grandes différences entre les 27 pays de l'UE en termes de dépendance aux importations d'engrais, de céréales, de métaux et d'autres biens. D'où les grandes différences politiques dans l'évaluation par les dirigeants de ces pays de l'opportunité des sanctions de l'UE contre la Russie.

Les États-Unis ne sont pas un participant, mais un initiateur et un organisateur de la guerre des sanctions. Le commerce extérieur entre les États-Unis et la Russie n'a jamais été excellent. L'année dernière, les États-Unis ne représentaient que 4,4 % du chiffre d'affaires du commerce extérieur de la Russie. L'Union européenne a représenté 35,9 %. Même si Washington mettait à zéro ses échanges avec Moscou, cette dernière ne ressentirait pas grand-chose. Mais réduire à zéro le commerce de l'UE avec la Russie pourrait porter un coup tangible et même écrasant. Ainsi, la guerre des sanctions contre la Russie ressemble à ceci : Washington planifie une guerre, introduit de nouvelles sanctions "infernales" contre Moscou, et l'exécution est confiée à Bruxelles, qui transmet les ordres de Washington aux 27 États membres de l'UE.

Toutefois, plus Washington fait pression sur Bruxelles, plus la structure de l'UE se fissure.

Trois camps ont été clairement identifiés en Europe. La première comprend la Hongrie, la Serbie (un pays non membre de l'UE) et plusieurs autres États. Ils indiquent clairement que pour eux, les intérêts nationaux sont au-dessus des intérêts de l'Occident collectif. L'autre camp est représenté par les États baltes et la Pologne. Ils se caractérisent par un fanatisme russophobe. Le troisième camp est représenté par l'Allemagne et la France. Ils essaient de manœuvrer et de se mettre progressivement d'accord sur quelques points avec Moscou. Berlin et Paris comprennent tous deux que si l'UE ne s'effondre pas à la suite de la guerre des sanctions, ce sont eux qui devront payer les dégâts de l'effet boomerang.

Cependant, certains experts prédisent qu'il n'y a aucune chance de sauver l'UE. L'opportunisme de Bruxelles, Berlin et Paris, succombant à la pression de Washington, pourrait aboutir à l'effondrement de l'UE.

Il existe également des lignes de fracture au sein des États membres. Ceci est particulièrement évident dans l'exemple de l'Allemagne. L'équipe du chancelier Olaf Scholz fait tout son possible pour mettre en œuvre les idées de sanctions de Washington. Et des millions d'Allemands protestent contre les sanctions. Les entreprises allemandes protestent également. Le 10 mars, l'Association allemande des petites et moyennes entreprises a exprimé ses craintes que l'apparition de la hausse des prix de l'énergie n'entraîne des faillites massives d'entreprises. Le directeur général de l'association, Markus Jerger, a déclaré : "L'association fédérale des petites et moyennes entreprises craint les faillites d'entreprises et les pertes d'emplois dues aux prix élevés de l'énergie. Les prix de l'énergie sont devenus un problème existentiel pour de nombreux entrepreneurs".

Le fardeau disproportionné de la guerre des sanctions, qui pèse sur l'Europe, est largement évoqué dans les médias. Cependant, la plupart des auteurs décrivent cela comme un coût inévitable dans toute guerre. "Dites, la guerre est la guerre, ce n'est pas le moment de se déguiser, Sue".

Mais certains experts soupçonnent que la Russie n'est pas la seule cible de la guerre de sanctions américaine. A en juger par les pertes que subit l'Europe, il s'avère qu'elle n'est pas considérée comme un allié par Washington, mais bien plutôt comme une cible. C'est l'avis de Yakov Kedmi, qui a déclaré le 30 mars : "Je suis intéressé de voir ce qui se passe en Europe en ce moment. Rappelez-vous comment s'appelait l'Union européenne à l'origine ? C'est ça, la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Où sont le charbon et l'acier maintenant ? Les Européens eux-mêmes oublient ce sur quoi cette union était fondée. Maintenant, l'Europe risque de manquer de charbon et d'acier. Qui applaudit à cela ? Les États-Unis. Il n'y a pas de moyen plus efficace pour affaiblir et mettre à genoux l'industrie européenne que des sanctions contre la Russie. Et les Européens ont obéi. Seule l'industrie américaine en profitera... Les Américains gagnent deux fois : ils vendront leurs ressources énergétiques à l'Europe à des prix exorbitants, rendant son industrie non rentable, et en parallèle, ils développeront leur propre industrie. C'est très simple".

Ce regard, certes nouveau, sur la guerre des sanctions peut être exprimé comme suit : Les États-Unis, après avoir déclenché une guerre, veulent faire d'une pierre deux coups. Non seulement la Russie, mais aussi l'Europe. De plus, Washington a de bien meilleures chances de tuer le deuxième lièvre.

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Et voici un regard sur ce qui se passe par le célèbre économiste américain Michael Hudson. À son avis, ceux qui ont planifié la guerre des sanctions à Washington ne sont pas du tout des imbéciles. Ils ont sérieusement compris que les sanctions ne feraient pas tomber Moscou. Mais l'Europe, elle, est facile à "soumettre". "Abaisser", se débarrasser d'un concurrent dans l'Ancien Monde et prendre sa place. Michael Hudson sur les opérations militaires en Ukraine: "C'est une guerre pour enfermer nos alliés afin qu'ils ne puissent pas commercer avec la Russie. Ils ne peuvent pas acheter de pétrole russe. Ils doivent compter sur le pétrole américain, pour lequel ils devront payer trois à quatre fois plus cher. Ils devront dépendre du gaz naturel liquéfié américain pour les engrais. S'ils n'achètent pas de gaz américain pour les engrais, et si nous ne leur permettons pas d'en acheter en Russie, ils ne pourront pas fertiliser la terre, et sans engrais, les rendements seront réduits de 50 %...".

Et le principal concurrent de l'Amérique, selon Hudson, est l'Allemagne. Si l'Allemagne est "déclassée", le reste de l'Europe s'effondrera tout seul. Hudson conclut: "La guerre américaine en Ukraine est en réalité une guerre contre l'Allemagne... L'Allemagne et l'Europe sont les ennemis. La guerre américaine en Ukraine est en réalité une guerre contre l'Allemagne, et les États-Unis l'ont fait savoir clairement".

jeudi, 07 avril 2022

Les 5 principales tendances géostratégiques du nouvel ordre mondial selon Biden

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Les 5 principales tendances géostratégiques du nouvel ordre mondial selon Biden

Andrew Korybko 

Source: https://novaresistencia.org/2022/04/06/as-5-principais-tendencias-geoestrategicas-da-nova-ordem-mundial-de-biden/?amp=1#.Yk5vPxViPhU.twitter

Quiconque pense que les États-Unis ont tout simplement été vaincus dans le scénario actuel et qu'ils se retireront en Amérique du Nord se trompe. L'élite américaine est déjà en train de calculer ses pertes et de se réorganiser pour prendre la direction du monde post-Ukraine et post-pandémie.

Le président américain Joe Biden a déclaré lundi : "Il va y avoir un nouvel ordre mondial, et nous devons le diriger, et nous devons unir le reste du monde libre pour le faire". Jusqu'à ce moment-là, l'expression même de "Nouvel Ordre Mondial" (NOM) était traitée comme une supposée "théorie du complot" et impitoyablement supprimée dans le discours médiatique hégémonique, bien que l'ancien président américain George H.W. Bush soit responsable de l'introduction du concept vers la fin de l'ancienne guerre froide. Cependant, maintenant que Biden a publiquement prononcé cette phrase, il n'est plus "politiquement incorrect" d'en parler. En effet, elle pourrait même faire partie du récit officiel dans un avenir proche. L'objectif de cet article est d'identifier les cinq principales tendances géostratégiques du Nouvel Ordre Mondial de Biden et de prédire sa trajectoire future.

Le bloc occidental dirigé par les États-Unis s'est consolidé

La réaction sans précédent et planifiée à l'avance de l'Occident dirigé par les États-Unis à l'opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine a servi à consolider ce bloc sous l'hégémonie américaine. L'UE a sacrifié sa souveraineté stratégique à son mécène transatlantique sous le prétexte de "se défendre contre la menace russe", bien que cela entraîne d'énormes conséquences économiques, lesquelles sont auto-infligées. Ce résultat sera exploité par l'Axe anglo-américain pour chasser les concurrents de leurs entreprises, racheter certaines de celles qui restent et endommager définitivement la compétitivité globale du bloc dans un avenir prévisible. Le modèle hégémonique activement mis en œuvre par les États-Unis ces jours-ci pourrait également être utilisé pour réduire et finalement rompre les relations entre la Chine et l'UE.

La Russie accélérera sa réorientation stratégique majeure

La grande puissance eurasienne a réorienté son principal axe stratégique vers le Sud depuis le début des sanctions occidentales orchestrées par les États-Unis en 2014, mais elle va accélérer cette tendance car elle n'a littéralement plus le choix. À son crédit, cependant, la Russie a fait des progrès impressionnants dans la région non-occidentale au cours des huit dernières années. En bref, elle se coordonne avec la Chine en tant que moteurs jumeaux de l'ordre mondial multipolaire (OMM) émergent ; elle s'appuie sur la combinaison de son Pivot Oumma avec des pays à majorité musulmane comme le Pakistan et de son partenariat stratégique réaffirmé avec l'Inde, co-leader du Neo-NAM, pour éviter de manière préventive une dépendance disproportionnée vis-à-vis de la République populaire ; elle est devenue un faiseur de roi en Asie occidentale en raison de son rôle irremplaçable en Syrie ; et elle étend rapidement son influence en Afrique et en Amérique latine également.

La neutralité renaît

Le fait que la grande majorité de la communauté internationale ait refusé de sanctionner la Russie, malgré l'immense pression américaine en ce sens, témoigne de sa volonté de rester neutre sur le théâtre de la nouvelle guerre froide en Eurasie occidentale entre la Russie et les États-Unis. De grands pays comme la Chine, l'Inde, l'Iran et le Pakistan n'ont pas non plus voté contre la Russie à l'Assemblée générale des Nations Unies, tout comme certains pays africains. Le renouveau de la neutralité de principe dans les relations internationales, qui sera également pratiqué de manière prévisible lorsque le théâtre eurasien oriental de la nouvelle guerre froide entre l'Amérique et la Chine s'échauffera inévitablement sur le modèle eurasien occidental avec la Russie, prouve que les États-Unis ne sont plus en mesure d'exercer unilatéralement leur volonté sur tous les autres comme dans les années 1990 et au début des années 2000.

Les alternatives non occidentales seront privilégiées

L'armement des plates-formes et systèmes occidentaux contre la Russie dans le cadre de la guerre hybride à spectre complet menée par les États-Unis contre ce pays encouragera le reste du monde qui se trouve encore en dehors de la "sphère d'influence" américaine nouvellement formalisée (c'est-à-dire les pays non occidentaux) à donner la priorité au développement rapide d'alternatives non occidentales. En effet, ils craignent, à juste titre, de finir par devenir "la prochaine Russie" s'ils continuent à affirmer de manière indépendante leurs intérêts nationaux et à rester stratégiquement autonomes. L'effet à long terme de cette tendance est que la domination des États-Unis sur les plates-formes, les systèmes et les normes disparaîtra inévitablement, ce qui pourrait les inciter à initier la "balkanisation" du système international jusqu'ici largement mondialisé avant que cela ne se produise, dans une tentative désespérée d'instrumentaliser le chaos.

Les dimensions idéologiques et systémiques de la nouvelle guerre froide

La dernière tendance qui se dégage des quatre précédentes est la division incontestée du monde entre l'Occident du "milliard d'or", dirigé par les États-Unis, et le Sud global non occidental, qui s'efforce de réaffirmer l'hégémonie unipolaire déclinante de l'Amérique sur les relations internationales ou de mettre enfin en œuvre le Nouvel ordre mondial qui était inscrit dans la Charte des Nations unies mais n'a jamais eu la chance de se concrétiser en raison de l'ancienne guerre froide, puis du bref "moment unipolaire". Actuellement, l'ordre mondial transitoire peut être décrit comme bi-multipolaire selon le modèle introduit par Sanjaya Baru, qui place les superpuissances américaine et chinoise au sommet du système, suivies des grandes puissances comparativement plus petites de l'époque, mais on ne sait pas quelle sera sa forme future.

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Les cinq tendances géostratégiques majeures identifiées dans cette analyse se manifestent également de manière importante dans le cadre de la "Grande Réinitialisation"/"Quatrième Révolution Industrielle" (GR/4IR) en cours, dont les processus de changement de paradigme à large spectre ont été accélérés par les efforts non coordonnés de la communauté internationale pour contenir la COVID-19 ("Guerre mondiale C"), que même la Russie a embrassée dans une certaine mesure conformément à ses propres intérêts tels que ses dirigeants les comprennent. Les observateurs ne doivent pas oublier ce contexte socio-économique, même si les questions géopolitiques et militaires priment aujourd'hui dans la conscience publique. Pris ensemble, ces facteurs vont tout remodeler et constitueront donc sans aucun doute le noyau du Nouvel Ordre Mondial dont Biden a parlé en début de semaine.

Source : Revue Orientale

mercredi, 06 avril 2022

Sur la procrastination géopolitique

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Sur la procrastination géopolitique

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitica.ru/article/o-geopoliticheskoy-prokrastinacii

La formule de Carl von Clausewitz, selon laquelle la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens, a été renforcée au XXIe siècle par la géoéconomie, où les chaînes d'approvisionnement, les technologies prometteuses et le contrôle des actifs financiers et autres ne firent qu'obliger à une prise de décision rapide et à des effets en cascade qui pouvaient survenir dans une situation complexe. L'opération spéciale en Ukraine est une bonne preuve de cette thèse. Si la Russie n'avait pas lancé cette opération, les forces ukrainiennes soutenues par l'OTAN auraient lancé une attaque massive sur le Donbass et même la péninsule de Crimée dans un avenir très proche. Le conflit n'aurait pu être évité, mais la Russie a devancé l'Ukraine et ses sponsors occidentaux. Entre-temps, ce scénario se préparait depuis des mois, mais certains des actifs de la Russie continuaient à être détenus en Occident. Maintenant, ils ont été gelés et seront probablement confisqués. Je concède que l'on aurait pu commencer à les retirer dès décembre, lorsque des propositions sur le reformatage de l'architecture de sécurité européenne ont été envoyées aux États-Unis et à l'OTAN par la partie russe. Cependant, cela n'a pas été fait. On peut difficilement imaginer que l'Occident collectif aurait approuvé l'opération en Ukraine, ou du moins serait resté à l'écart. Des signaux de soutien à Kiev (et par conséquent des menaces indirectes contre Moscou) provenaient de Washington et de Bruxelles depuis huit ans. Les forces armées russes ont été suffisamment préparées, mais il faut admettre que sur certaines questions, la Russie a pris du retard. Elle doit maintenant rattraper son retard, ce qui est beaucoup plus difficile dans le climat actuel.

Cette procrastination n'est pas propre à la Russie. De nombreux États, en Occident et dans d'autres parties du monde, souffrent souvent d'attentes prolongées, de promesses non tenues de la part de leurs partenaires et d'espoirs irréalistes, comme le culte du karma, selon lequel quelqu'un de l'extérieur résoudra leurs problèmes et les rendra heureux dans un avenir très proche. Certains pouvoirs politiques s'appuient sur leurs ressources naturelles, qui peuvent être précieuses et attrayantes. D'autres misent sur la technologie, comme le Salvador, qui a même converti certaines de ses réserves nationales en crypto-monnaies. D'autres s'appuient sur une position géopolitique exceptionnelle, comme dans le cas du Panama. Et la quatrième, comme de nombreux pays occidentaux, sur le statu quo sans fin de leur propre hégémonie, qui s'érode maintenant rapidement.

La crise actuelle exacerbe de nombreuses nuances et nous permet de voir comment les autres acteurs agissent en fonction de leurs intérêts et de leurs capacités. L'Inde a décidé d'augmenter fortement ses achats de pétrole russe, en profitant d'énormes rabais, ce qui démontre son indépendance dans le choix des décisions qui ont une connotation politique claire. Certains pays arabes sont actifs, réagissant avec souplesse aux changements économiques mais ne prenant pas définitivement parti. Dans l'ANASE, il s'agit de manœuvres pragmatiques et calculatrices, conscientes de la puissance croissante de la Chine. Les États-Unis tentent de maintenir la solidarité au sein de l'OTAN et essaient même de projeter des instruments politico-militaires dans la région asiatique, plus proche du Céleste Empire. Les pays de l'UE vacillent, calculant rationnellement les pertes futures mais craignant de prendre des décisions souveraines contraires aux directives américaines et aux affirmations de la bureaucratie de Bruxelles. La Grande-Bretagne semble compter sur une confrontation à long terme avec la Russie, c'est pourquoi elle prend déjà des mesures pour son approvisionnement énergétique. Elle a décidé d'abandonner la construction d'éoliennes, qui étaient prévues comme une transition vers l'énergie verte. Au lieu de cela, de nouvelles centrales nucléaires seront construites. Jusqu'à un quart de l'électricité totale devrait provenir de centrales nucléaires d'ici 2050. Une telle décision est logique, car les approvisionnements en gaz de la Russie pourraient être interrompus.

Mais on ne peut pas dire que l'absence de réponse visible soit une procrastination géopolitique. Il y a aussi le facteur de la culture stratégique, comme dans le cas de la Chine. Bien que les analystes et les observateurs occidentaux aient tiré des conclusions hâtives sur le rôle et la fonction de la Chine dans le conflit entre la Russie et l'Ukraine (soutenu par l'Occident), en pointant nécessairement Taïwan comme une sorte de parallèle, cette affaire est bien plus complexe et intéressante qu'il n'y paraît à première vue. Les stratagèmes de Sun Tzu et de Wu Tzu sont peu compliqués, mais ils font référence à des événements historiques spécifiques et sont donc associés au passé dans l'esprit des Chinois. Lorsque les auteurs occidentaux établissent un lien entre ces stratagèmes ou d'autres stratagèmes chinois et certains événements actuels, ils commettent une erreur typique de mauvaise perception de la culture orientale, superposée à leur propre hubris. La stratégie chinoise est beaucoup plus multi-couches et ses dirigeants politiques plus patients. Mais leur agilité fait l'envie des pays les plus agiles.

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Les îles Salomon en sont un bon exemple. En 2019, les dirigeants des îles ont rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan. Des liens ont rapidement été établis avec la Chine. Parallèlement aux tensions diplomatiques, un vieux conflit interethnique s'est rallumé sur les îles. Comme aucune aide n'était apportée par les pays voisins, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, en matière de contre-insurrection (et que le Premier ministre avait fait appel à ces nations), la Chine a été choisie comme futur protecteur. Un traité prévu entre la RPC et les îles Salomon permettrait aux navires chinois de faire escale dans les ports et d'effectuer des réapprovisionnements logistiques. L'Australie et la Nouvelle-Zélande ont immédiatement piqué une sainte colère, accusant la Chine d'établir une base militaire dans leur voisinage, bien qu'aucune disposition de ce type ne figure dans le projet de traité.

Mais si nous parlons de confrontation entre la Russie et l'Occident, l'urgence actuelle serait de couper complètement les livraisons aux pays inamicaux de ces produits, qui sont critiques pour leurs industries ou qui sont impliqués dans les chaînes de production. Pourquoi faire de la procrastination géopolitique et attendre qu'ils trouvent eux-mêmes une solution alternative et imposent avec arrogance de nouvelles sanctions sur ces produits ? Mieux vaut être proactif. La Russie n'est pas aussi centrée sur la consommation que l'Occident. Les restrictions temporaires ne constitueront donc pas une menace pour l'État russe. Au contraire, elle contribuera à mobiliser et à consolider la population et les autorités face aux défis extérieurs.