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mardi, 23 février 2021

Extraterritorialité du droit américain: que doit faire l’Europe?

par Christopher Coonen, Secrétaire général de Geopragma

Ex: https://geopragma.fr

Alors que l’administration Biden s’installe au pouvoir aux Etats-Unis, un sujet stratégique revient au centre des relations transatlantiques : l’extraterritorialité du droit américain et de fait, son illégitimité. 

Ironiquement, cette histoire commence en 1977, lorsque le Congrès vote la loi du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) pour combattre et sanctionner les pratiques frauduleuses de certaines sociétés américaines dans l’attribution de marchés ou contrats internationaux. Depuis, cette loi a évolué pour définir des standards internationaux en conférant aux USA la possibilité de définir des normes applicables à des personnes, physiques ou morales, non américaines, sur leur propre territoire. Cette pratique a été enrichie au fil du temps par les lois Helms-Burton et D’Amato-Kennedy ou encore l’International Traffic in Arms Regulations (ITAR).

Celles-ci permettent aux autorités américaines, notamment le Department of Justice (DOJ) et la Securities and Exchange Commission (SEC), de sanctionner des entreprises ayant commis, véritablement ou non, des faits de corruption internationale pouvant se rattacher au pouvoir juridictionnel des Etats-Unis. Le lien peut être une cotation de l’entreprise sur les places boursières new-yorkaises du NYSE ou du NASDAQ, le transit d’emails ou de données via des serveurs situés aux USA, ou même un simple paiement en dollars direct ou même par effet de change subreptice au cours d’un transfert de fonds. 

Chacun mesure bien aujourd’hui que l’extraterritorialité est un outil juridique mais surtout géopolitique, diplomatique et économique sans commune mesure, dont seuls les Américains sont détenteurs jusqu’à présent, en l’utilisant à des fins purement hégémoniques et d’interdiction d’accès à certains marchés, l’imposition de l’extraterritorialité du droit américain jouant ici le rôle d’un redoutable avantage concurrentiel. Car ils possèdent aussi une arme redoutable au travers du dollar : à l’échelle planétaire, la moitié des échanges commerciaux se font en USD, 85% du change de devises inclue le dollar, 75% des billets de 100 dollars en circulation le sont hors des Etats-Unis, et le dollar représente toujours 60% des réserves de devises des banques centrales ; à noter que l’euro se positionne fortement en deuxième place avec 20% de ces réserves (source : FMI).  

Les Etats-Unis décident unilatéralement et en toute impunité d’interdire aux autres Etats ou personnes, quels qu’ils soient de commercer avec un Etat tiers, comme c’est le cas avec l’Iran aujourd’hui et comme ce fut le cas pour Cuba en 1996. Avec potentiellement de lourdes amendes et l’exclusion du marché américain à la clé. Ces lois ont permis aux Etats-Unis de sanctionner abusivement plusieurs entreprises européennes : Siemens, Technip, Alstom, Daimler, ou encore BNP Paribas et son amende record de 8,9 milliards de dollars en 2015. En 2018, Sanofi a été contrainte de régler une amende de plus de 20 millions de dollars au titre du FCPA. Dernière affaire en date, Airbus a été sommé de payer une amende de 3,6 milliards de dollars en 2020.

Ces mesures prises par les Etats-Unis sont évidemment contestables au regard du droit international parce qu’elles étendent la juridiction de leurs lois à tout autre pays. C’est en fait de l’abus de position dominante, l’importance du marché américain permettant à Washington de faire du chantage politico-économique. Pour revenir à l’exemple iranien, les sanctions affectent directement la souveraineté de tous les Etats tiers. Y compris des entités supranationales comme l’Union européenne, contraintes de respecter des sanctions qu’elles n’ont pas décidées et qui sont le plus souvent contraires à leurs intérêts. Le retrait capitalistique et opérationnel de Total des champs gaziers de South-Pars au profit des Chinois en est le plus parfait exemple.

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A cet effet et en réaction à la réimposition des sanctions américaines sur l’Iran, l’Union européenne a lancé un mécanisme de paiement par compensation dit “INSTEX”. Ce montage financier isolerait tout lien avec le système monétaire américain, de manière à n’exposer aucune transaction aux sanctions américaines. En théorie, il pourrait à terme permettre aux entreprises européennes de poursuivre librement des échanges commerciaux avec l’Iran. Cependant, en pratique, il semble aujourd’hui sans grande portée, n’ayant été utilisé que très rarement et pour des opérations de troc. Afin de préserver leur rôle dans le commerce international, les entreprises européennes ont jusqu’à maintenant préféré se conformer aux sanctions américaines. Et elles redoutent aussi un désintérêt des investisseurs américains ou étrangers qui peuvent constituer une part importante de leur actionnariat.

Par contraste, les lois européennes n’opèrent des blocages visant des sociétés américaines que dans le cadre d’opérations de fusions ou d’acquisitions qui ont une influence directe sur le marché européen et sur la concurrence européenne. Ce fut le cas en 2001 entre General Electric et Honeywell. Lorsque des décisions sont rendues, elles le sont au même titre qu’à l’encontre des entreprises européennes, sans traitement différencié. Et elles ne prévoient pas de sanctions. L’effet en est donc limité, proportionné et conforme au droit international.

Sur ce sujet aussi, l’Europe doit arrêter de se laisser faire, cesser d’être la vassale des Etats-Unis et opérer un grand sursaut. Elle a plusieurs options pour le faire.

Elle peut mettre en place un arsenal juridique équivalent – un OFAC européen – qui sanctionnerait les personnes morales ou physiques américaines, et protègerait les sociétés et personnes physiques européennes d’amendes ou de sanctions extraterritoriales d’outre-Atlantique. 

Elle doit utiliser pleinement le RGPD qui protège les données de personnes morales ou physiques européennes en déjouant ainsi l’extraterritorialité des lois US, et contrecarrer les lois « Cloud Act I et II » adoptées par le Congrès qui permettent l’accès aux données des utilisateurs européens via des sociétés américaines, notamment dans le secteur numérique. Compte tenu des parts de marché écrasantes des GAFAM, et de l’importance croissante des données visées par les lois américaines, ceci est nécessaire et frappé au coin du bon sens.

Enfin, l’Europe et les groupes européens doivent mettre la pression dans le cadre de leurs échanges commerciaux en exigeant le règlement des contrats en euros et non plus en dollars.

Ce n’est donc plus une question de « pouvoir faire », mais de volonté et d’urgence, bref de « devoir faire ». L’Europe doit s’armer et démontrer sa souveraineté, en prenant notamment au pied de la lettre l’intention déclarée du 46ème président des Etats-Unis de renouer avec une politique étrangère multilatérale et équilibrée avec ses alliés transatlantiques. Si ce ne sont pas là que des déclarations d’intentions lénifiantes, alors nous pouvons légitimement invoquer la réciprocité comme première marque de respect.  

 

jeudi, 18 février 2021

Eurocrate et atlantiste : Draghi dicte la nouvelle politique étrangère de l'Italie

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Eurocrate et atlantiste : Draghi dicte la nouvelle politique étrangère de l'Italie

Par Lorenzo Vita

Ex : https://it.insideover.com

Un gouvernement eurocratique et atlantiste. Avec ces mots, Mario Draghi définit la politique étrangère de son gouvernement et envoie un message adressé non seulement aux alliés du gouvernement, mais aussi à ceux qui se trouvent hors d'Italie. Il y a un pays, l’Italie, qui, pour Draghi, doit confirmer les lignes directrices qui ont caractérisé la diplomatie de Rome depuis des décennies. Et Draghi répond aux attentes d'un exécutif qui est clairement né avec la bénédiction de Washington et de Berlin (et de Bruxelles). Les deux capitales de l'Occident politique, celle de l'Amérique et celle de l'Europe, regardent très attentivement ce qui se passe au Palazzo Chigi, conscientes que l'Italie est un pays que personne ne peut ou ne veut perdre. Les États-Unis pour des questions stratégiques, l'Allemagne pour des raisons économiques et donc politiques.

Ces dernières années, l'Italie est apparue très erratique sur les questions clés de sa politique étrangère. Ce n'est pas nécessairement un défaut, mais ce n'est pas non plus une vertu. Très souvent, le fait d'être ambigu est pris pour une forme de politique non alignée ou pour un signe d'indépendance. Cependant, ce qui semble presque être un appel à une diplomatie de type "primo-public" cache très souvent (et dissimule) l'incapacité à suivre une certaine voie qui conduirait à des avantages évidents. Giuseppe Conte, en changeant de majorité, a certes modifié profondément sa façon de faire de la politique étrangère : mais cela n'a pas suffi à donner des garanties aux pouvoirs qui se portent garants de l'Italie sur la scène internationale. Une question qui a pesé comme un roc dans la politique d'un gouvernement déjà miné par des problèmes internes.

Draghi est arrivé au Palazzo Chigi avec un arrière-plan précis. Et les lignes qu'il dicte révèlent encore plus la faveur avec laquelle il est revenu à Rome. L'axe entre le Palazzo Chigi et le Quirinal, qui a façonné ce gouvernement né des cendres de la coalition jaune-rouge, repose sur une ligne programmatique qui s'articule autour de trois éléments clés : l'OTAN, l'Union européenne et l'idée d'un pays qui représente ces blocs en tant que pilier méditerranéen. Les propos du Premier ministre confirment cette ligne par une phrase qui ne laisse aucun doute : "Dans nos relations internationales, ce gouvernement sera résolument pro-européen (eurocratique) et atlantiste, en accord avec les ancrages historiques de l'Italie : l'Union européenne, l'Alliance atlantique, les Nations unies".

Sur le front européen, il est clair que le gouvernement Draghi est né dans un système profondément lié à la vision unitaire de l'Europe. Le curriculum de Draghi, dans ce sens, ne peut certainement pas être sous-estimé étant donné qu'en tant que président de la Banque centrale européenne, il a sauvé l'euro d'une crise potentiellement explosive et a répété, dans son discours au Sénat, qu’il fallait considérer l'euro comme irréversible. Ces orientations économiques et financières vont également de pair avec une politique étrangère au sein de l'UE qui apparaît immédiatement très précise, et qui ne doit pas être sous-estimée. L'idée d'affirmer que la France et l'Allemagne sont les premiers référents au sein du continent, en distinguant clairement Paris et Berlin des autres gouvernements méditerranéens (expressément l'Espagne, Malte, la Grèce et Chypre) construit une frontière bien définie du réseau stratégique italien. Avec la France et l'Allemagne, on a l'impression qu'ils veulent créer des canaux sûrs et directs qui impliquent une entrée progressive de l'Italie dans les choix communautaires, ce que le politologue Alain Minc, conseiller de Macron, a également rappelé dans son interview au journal La Repubblica. En effet, Minc a également lancé une blague sans surprise sur la déception espagnole face à l'arrivée de Draghi, étant donné que l'objectif de Madrid est de saper la position de Rome en tant que troisième capitale de l'UE.

Ces piliers européens, ainsi que les piliers atlantiques, représentent la position diplomatique du gouvernement lancée ces dernières semaines. Des lignes rouges qui ouvrent la porte à un scénario de repositionnement également vis-à-vis de la Chine, jamais mentionnée dans le texte alors même qu’elle est un partenaire fondamental du pays. La Russie et la Turquie ont certes été mentionnées – mais une seule fois pour parler des tensions dans leurs environnements et en Asie centrale. Un choix qui ne peut pas être seulement dialectique : pour Draghi, l'Italie n'a qu'une seule appartenance, qui est celle de l'aire atlantique et de l'Europe eurocratique. La Chine est un partenaire commercial inévitable, mais en évitant d'en parler dans son discours programmatique, il montre aussi clairement qu'elle n'a aucune valeur stratégique au contraire de l'Amérique, de l’Union européenne et de pays avec lesquels l'Italie a une profonde connaissance économique, politique, d'intelligence et de contrôle de la Méditerranée.

Par conséquent, s'il est clair que, pour Rome, les relations avec Berlin et Paris restent essentielles pour renforcer un projet européen qui implique également notre gouvernement, en évitant qu'Aix-la-Chapelle ne dicte totalement la ligne sur les changements en Europe, l'Italie se tourne également vers la Méditerranée, étant donné que le Premier ministre a affirmé au Sénat qu'il voulait "consolider la collaboration avec les États avec lesquels nous partageons une sensibilité méditerranéenne spécifique".

Cette question est particulièrement importante car elle permet également de comprendre comment la géopolitique italienne évolue dans une période de transition aussi complexe dans la zone euro-méditerranéenne. Pour les États-Unis et l'Union européenne, la Méditerranée représente une ligne de faille qui divise un monde occidental affaibli par la crise et une zone de chaos (la revue géopolitique Limes la définit notamment comme Chaoslandia) qui comprend une grande partie de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient et où plusieurs puissances moyennes et grandes sont impliquées. L'Italie est au centre, la dernière bande d'un bloc en quête de sa nouvelle vocation après l'effondrement de l'URSS et avec une Amérique qui tente de se recentrer sur la Chine tout en évitant d'abandonner le théâtre européen et moyen-oriental. Cette condition implique que Rome doit choisir ses meilleurs alliés avec le plus grand soin, car il est clair que dans ce jeu il n'y a pas de tirage au sort : il y a des gagnants et des perdants, qu'ils soient entrants ou sortants. L'axe pro-européen et atlantiste défini par Draghi dirige l'Italie dans le sillage de ceux qui la considèrent comme la tranchée creusée face à cette frontière brûlante de l'ordre libéral international. Et cela implique clairement aussi un rôle précis cadrant dans ce schéma : à partir de la Méditerranée élargie elle-même. La Libye, le Levant et les Balkans sont des régions vers lesquelles l'Italie ne peut pas refuser de tourner les yeux. Et en attendant des gestes précis de l'administration Biden, qui a déjà fait savoir qu'elle appréciait les nouvelles orientations de l’Italie, on a l'impression que le Palazzo Chigi, le Quirinal et la Farnesina (qui est en fait "commandée" par la ligne Draghi-Mattarella) ont désormais un horizon parfaitement en ligne avec les mouvements de l'OTAN et de l'UE.

lundi, 15 février 2021

La guerre "off limits" des Colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui (1999) et le "rêve chinois" (2010) du Colonel Liu Mingfu

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La guerre "off limits" des Colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui (1999) et le "rêve chinois" (2010) du Colonel Liu Mingfu

Irnerio Seminatore

 

Un dépassement du concept militaire de guerre?

Si dans la tradition occidentale la guerre comme "poursuite de la politique par d'autres moyens" (Clausewitz), associe à la finalité, conçue par la politique (Zweck), des actes de violence pour imposer à l'autre notre volonté, le concept décisif de la violence étatique et de l'action guerrière sont-ils toujours essentiels à la rationalité politique du conflit belliqueux dans la pensée militaire chinoise?

Avec le concept stratégique de "guerre sans limites" et de défense active, élaboré par les deux Colonels chinois Qiao et Wang en 1999, avons nous surmonté le concept militaire de guerre? Avons nous touché au "sens" même de la guerre, comme soumission violente de l'un par l'autre? Sommes nous passés d'une civilisation de la guerre violente et sanglante, à une ère dans laquelle l'importance de l'action non guerrière influence à tel point la finalité de la guerre comme lutte (kampf) que l'esprit, dressé contre les adversités parvient à remplacer la force par la "ruse" et à atteindre ainsi le but de guerre (Zweck)? A ce questionnement il faut répondre que, dans le manuel des Colonels Qiao-Wang nous sommes restés au niveau de la méta-stratégie et donc à l'utilisation d'armes et de modalités d'action qui distinguent en Occident, la défense passive de la défense active. Une posture stratégique n'est au niveau géopolitique qu'un mode asymétrique pour ne pas céder et ne pas se soumettre et, au niveau opérationnel et doctrinal, de mettre en œuvre un stratégie anti-accès.

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Le Général Qiao Liang.

Le livre des deux colonels de l'armée de l'air a été reçu par les analystes occidentaux comme un examen des failles de la force américaine de la part des spécialistes chinois et comme la recherche de ses talons d' Achille, à traiter par les biais de la "ruse". La "guerre hors limites" inclut, dans une conception unitaire, la guerre militaire et la guerre non-militaire et comprend tout ce qu’on a pu parfois désigner sous le terme d’opérations autres que la guerre. Dans une acception très extensive, la guerre économique, financière, terroriste, présentées avec une vision prémonitoire et anticipatrice. La guerre informatique et médiatique y fait figure de champs d'innovation ouvrant à de nouveaux théâtres d’opération, qui nécessitent d'un dépassement des objectifs de sécurité traditionnels. Dans cette "guerre omnidirectionnelle", la guerre ne sera même plus la guerre classique, car "ni l’ennemi, ni les armes, ni le champ de bataille ne seront ce qu’ils furent". Le jeu politique et militaire a changé. Dans cette situation aux incertitudes multiples, il va falloir définir une nouvelle règle du jeu (…), un produit hybride…" (Qiao-Wang), seule certitude, l’incertitude. Une recommandation toutefois pour tous! Savoir combiner le champ de bataille et le champ de non bataille, le guerrier et le non guerrier. Les préceptes de cette réflexion sont-ils encore valables aujourd’hui? (février 2021)

Du point de vue général, en aucun cas les conseils dispensés à l'époque n'ont conduit à une remise en cause de la notion de pouvoir/puissance, puisque la doctrine et la stratégie militaires de la Chine demeurent, depuis la parution de ce manuel, celles de ses principaux rivaux et visent la maîtrise de secteurs-clés des technologies avancées pour acquérir la supériorité dans une guerre locale et parvenir à une solution négociée, évitant que le risque assumé ne dégénère en conflit ouvert. Or le succès de la stratégie chinoise de contrôle des "secteurs clés" d’une campagne militaire repose sur un principe décisif: l’initiative. Cependant une succincte conclusion conduit à la considération que le "concept d'asymétrie" de la pensée et du programme de modernisation militaire chinois se situe sur le plan opérationnel et se concentre sur la capacité de saisir la supériorité dans le domaine de l'information et de l'exploitation du réseaux informatique et guère au niveau de la théorie politique ou militaire. En effet le centre de gravité des interrogations repose sur la question de fond pour la défense et la sécurité chinoise. Comment faire face à la superpuissance américaine La modernisation de l'Armée Populaire de Libération n'a pas débuté après les réformes économiques de Deng Tsiao Ping et elle n'a pas concerné la dissuasion nucléaire, qui structure étroitement la relation entre stratégie et pouvoir, mais sur les réponses à donner à la modernisation des armées, en vue d'un combat conventionnel et fut conçue comme un moyen de combler le retard et les lacunes accumulés à partir de la première guerre du Golfe (1991). Ce livre reflète les idées d'un des courants, le plus radical, qui s'est imposé dans le débat sur la modernisation des forces armées comme expression d'un pouvoir unique.

Pouvoir unique et plusieurs théâtres

Il prôna l'inutilité de songer à rattraper les États-Unis dans le domaine conventionnel et il est parvenu à la conclusion de concevoir une stratégie asymétrique et sans règles (ruse conceptuelle), pour s'opposer et réagir à la supériorité des moyens et des forces des États-Unis. La multiplication des foyers de conflit, des théâtres de confrontation et des alliances militaires dans un monde à plusieurs pôles de pouvoir, assure-t-elle encore la pertinence d'une telle analyse? Le concept de défense active, jugé insuffisant, n'a t-il pas infléchi le deux notions de Soft et de Hard Power et, par voie de conséquence, la rigidité ou la souplesse interne et extérieure du régime? Par ailleurs, dans une vision non militaire du rapport mondial des forces ne faut il pas prendre en considération, comme potentiel de mobilisation, les nouvelles routes de la soie, comme extension des moyens et d'emploi d'une autonomie stratégique globale et dépendante d'un pouvoir unique, utilisant la force et la ruse, la séduction et l'autorité? Et comment une philosophie et une  culture de l'esquive à la Sun-Tzu peut elle se traduire en posture et doctrine active, de pensée et d'action dans un contexte d'hypermodernité technologique? En revenant à l'analyse des deux Colonels chinois, la modernisation de l'ALP, envisagée dans l'hypothèse d'une confrontation avec les États-Unis, a exigé une observation attentive des avancées militaires et des talons d'Achille de la superpuissance américaine. Considérant que l'évolution de l'art de la guerre s'étend bien au delà du domaine de la pure technologie et de ses applications militaires, sur lesquelles tablent les américains, le domaine de la guerre est devenu le terrain d'une complexité brownienne, qui combine plusieurs enjeux et plusieurs objectifs, différenciant ainsi les buts de guerre. La frontière entre civil et militaire s'efface, de telle sorte que les composantes et les formes non militaires de l'affrontement, sont intégrées et annexées dans un effort beaucoup plus important, qui modifie non pas le "sens" ou la "logique (politique) de la guerre, mais sa "grammaire".

Liu Mingfu et le"Rêve Chinois" (Zhongguo meng)

imagesliumingfu.pngCe livre est par ailleurs l'illustration d'un courant nationaliste, qui n'exclut aucune hypothèse, y compris une confrontation avec les États-Unis. Cette hypothèse s'inscrit d'une part dans l'analyse des tendances stratégiques contemporaines et de l'autre dans le débat sur le destin national chinois, permettant d'accorder, au moins théoriquement, la "montée pacifique" du pays, avec la conception d'un "monde harmonieux"(ou d'un ordre politique juste et bienveillant) Cependant son point d'orgue repose sur l'idée de profiter d'une grande "opportunité stratégique", à l'ère post-américaine, dont témoigne le texte le "Rêve Chinois" du Colonel Liu Mingfu, prônant la consolidation de la puissance chinoise et le rattrapage de l'Occident. En effet le rétablissement du rôle central de la Chine dans les affaires internationales, régionales et mondiales, opère dans une période d'affaiblissement des États-Unis (années 2010). Dans ce début de millénaire, l'Amérique ne serait plus "un tigre un papier", comme à l'époque de Mao Zedong, mais "un vieux concombre peint en vert" (Song Xiao JUn), de telle sorte que la Chine ne peut plus se contenter d'une "montée économique" et a besoin "d'une montée militaire".

Ainsi elle doit se tenir prête à se battre militairement et psychologiquement, dans un affrontement  pour la "prééminence stratégique". C'est "le moment ou jamais", pour le Colonel Liu Mingfu, puisque le but de la Chine est de "devenir le numéro un dans le monde", la version moderne de sa gloire ancienne, une version exemplaire, car "les autres pays doivent apprendre de la Chine- dit Liu Mingfu dans une interview en 2017 au New York Times, mais la Chine a également besoin d'apprendre d'eux. D'une certaine manière, tous les pays sont les professeurs de la Chine!

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Le Colonel Liu Mingfu.

Depuis 1840, la Chine est la meilleure élève du monde. Nous avons analysé la Révolution française ; la dynastie Qing a mené de grandes réformes en suivant l'exemple du Royaume-Uni ; nous avons étudié le marxisme de l'Occident, le léninisme et le stalinisme de l'Union soviétique ; nous avons également regardé de très près l'économie de marché des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. C'est grâce à cette soif d'apprendre que, à terme, la Chine dépassera les États-Unis. Les États-Unis, eux, ne cherchent pas à s'inspirer des autres pays... et surtout pas de la Chine. Ma conviction c'est que les États-Unis manquent d'une grande stratégie et de grands stratèges. J'ai écrit sur ce sujet, de 2017, un livre intitulé "Le Crépuscule de l'hégémonie", qui a d'ailleurs été traduit en anglais. Le New York Times m'a interviewé à ce moment-là. Voici ce que j'ai dit au journaliste qui m'interrogeait." De façon générale, la revendication d'un statut de puissance mondiale de la part de la Chine, s'accompagne, depuis le livre "La Guerre hors limites" des Colonels Quiao et Wang, jusqu'au "Rêve Chinois" du Colonel Liu Mingfu, du sentiment historique d'un "but grandiose", celui d'une grande mission à poursuivre contre un ordre politique international injuste et amoral.

Bruxelles 15 février 2021

Source: http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2021/f-vrier/la-gue...

dimanche, 14 février 2021

Pourquoi la Russie rend l’Occident fou

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Pourquoi la Russie rend l’Occident fou

 
 
par Pepe Escobar
Ex: http://www.zejournal.mobi

Le pivot de Moscou vers l’Asie pour construire la Grande Eurasie a un air d’inévitabilité historique qui met les États-Unis et l’UE à l’épreuve.

Les futurs historiens pourraient l’enregistrer comme le jour où le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, habituellement imperturbable, a décidé qu’il en avait assez :

« Nous nous habituons au fait que l’Union Européenne tente d’imposer des restrictions unilatérales, des restrictions illégitimes et nous partons du principe, à ce stade, que l’Union Européenne est un partenaire peu fiable ».

Josep Borrell, le chef de la politique étrangère de l’Union européenne, en visite officielle à Moscou, a dû faire face aux conséquences.

Lavrov, toujours parfait gentleman, a ajouté : « J’espère que l’examen stratégique qui aura lieu bientôt se concentrera sur les intérêts clés de l’Union Européenne et que ces entretiens contribueront à rendre nos contacts plus constructifs ».

Il faisait référence au sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’UE qui se tiendra le mois prochain au Conseil européen, où ils discuteront de la Russie. Lavrov ne se fait pas d’illusions : les « partenaires peu fiables » se comporteront en adultes.

Pourtant, on peut trouver quelque chose d’immensément intrigant dans les remarques préliminaires de Lavrov lors de sa rencontre avec Borrell : « Le principal problème auquel nous sommes tous confrontés est le manque de normalité dans les relations entre la Russie et l’Union Européenne – les deux plus grands acteurs de l’espace eurasiatique. C’est une situation malsaine, qui ne profite à personne ».

Les deux plus grands acteurs de l’espace eurasiatique (mes italiques). Que cela soit clair. Nous y reviendrons dans un instant.

Dans l’état actuel des choses, l’UE semble irrémédiablement accrochée à l’aggravation de la « situation malsaine ». La chef de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a fait échouer le programme de vaccination de Bruxelles. Elle a envoyé Borrell à Moscou pour demander aux entreprises européennes des droits de licence pour la production du vaccin Spoutnik V – qui sera bientôt approuvé par l’UE.

Et pourtant, les eurocrates préfèrent se plonger dans l’hystérie, en faisant la promotion des bouffonneries de l’agent de l’OTAN et fraudeur condamné Navalny – le Guaido russe.

Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, sous le couvert de la « dissuasion stratégique », le chef du STRATCOM américain, l’amiral Charles Richard, a laissé échapper avec désinvolture qu’il « existe une réelle possibilité qu’une crise régionale avec la Russie ou la Chine puisse rapidement dégénérer en un conflit impliquant des armes nucléaires, si elles percevaient qu’une perte conventionnelle menaçait le régime ou l’État ».

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Ainsi, la responsabilité de la prochaine – et dernière – guerre est déjà attribuée au comportement « déstabilisateur » de la Russie et de la Chine. On suppose qu’elles vont « perdre » – et ensuite, dans un accès de rage, passer au nucléaire. Le Pentagone ne sera qu’une victime ; après tout, affirme STRATCOM, nous ne sommes pas « enlisés dans la Guerre froide ».

Les planificateurs du STRATCOM devraient lire le crack de l’analyse militaire Andrei Martyanov, qui depuis des années est en première ligne pour expliquer en détail comment le nouveau paradigme hypersonique – et non les armes nucléaires – a changé la nature de la guerre.

Après une discussion technique détaillée, Martyanov montre comment « les États-Unis n’ont tout simplement pas de bonnes options actuellement. Aucune. La moins mauvaise option, cependant, est de parler aux Russes et non en termes de balivernes géopolitiques et de rêves humides selon lesquels les États-Unis peuvent, d’une manière ou d’une autre, convaincre la Russie « d’abandonner » la Chine – les États-Unis n’ont rien, zéro, à offrir à la Russie pour le faire. Mais au moins, les Russes et les Américains peuvent enfin régler pacifiquement cette supercherie « d’hégémonie » entre eux, puis convaincre la Chine de s’asseoir à la table des trois grands et de décider enfin comment gérer le monde. C’est la seule chance pour les États-Unis de rester pertinents dans le nouveau monde ».

L’empreinte de la Horde d’Or

Bien que les chances soient négligeables pour que l’Union européenne se ressaisisse sur la « situation malsaine » avec la Russie, rien n’indique que ce que Martyanov a décrit sera pris en compte par l’État profond américain.

La voie à suivre semble inéluctable : sanctions perpétuelles ; expansion perpétuelle de l’OTAN le long des frontières russes ; constitution d’un cercle d’États hostiles autour de la Russie ; ingérence perpétuelle des États-Unis dans les affaires intérieures russes – avec une armée de la cinquième colonne ; la guerre de l’information perpétuelle et à grande échelle.

Lavrov affirme de plus en plus clairement que Moscou n’attend plus rien. Les faits sur le terrain, cependant, continueront de s’accumuler.

Nord Stream 2 sera terminé – sanctions ou pas – et fournira le gaz naturel dont l’Allemagne et l’UE ont tant besoin. Le fraudeur Navalny, qui a été condamné – 1% de « popularité » réelle en Russie – restera en prison. Les citoyens de toute l’UE recevront Spoutnik V. Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine continuera de se renforcer.

Pour comprendre comment nous en sommes arrivés à ce gâchis russophobe malsain, une feuille de route essentielle est fournie par le Conservatisme russe, une nouvelle étude passionnante de philosophie politique réalisée par Glenn Diesen, professeur associé à l’Université de la Norvège du Sud-Est, chargé de cours à l’École supérieure d’Économie de Moscou, et l’un de mes éminents interlocuteurs à Moscou.

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Diesen commence en se concentrant sur l’essentiel : la géographie, la topographie et l’histoire. La Russie est une vaste puissance terrestre sans accès suffisant aux mers. La géographie, affirme-t-il, conditionne les fondements des « politiques conservatrices définies par l’autocratie, un concept ambigu et complexe de nationalisme, et le rôle durable de l’Église orthodoxe » – impliquant une résistance au « laïcisme radical ».

Il est toujours crucial de se rappeler que la Russie n’a pas de frontières naturelles défendables ; elle a été envahie ou occupée par les Suédois, les Polonais, les Lituaniens, la Horde d’Or mongole, les Tatars de Crimée et Napoléon. Sans parler de l’invasion nazie, qui a été extrêmement sanglante.

Qu’y a-t-il dans l’étymologie d’un mot ? Tout : « sécurité », en russe, c’est byezopasnost. Il se trouve que c’est une négation, car byez signifie « sans » et opasnost signifie « danger ».

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La composition historique complexe et unique de la Russie a toujours posé de sérieux problèmes. Oui, il y avait une étroite affinité avec l’Empire byzantin. Mais si la Russie « revendiquait le transfert de l’autorité impériale de Constantinople, elle serait forcée de la conquérir ». Et revendiquer le rôle, l’héritage et d’être le successeur de la Horde d’Or reléguerait la Russie au seul statut de puissance asiatique.

Sur la voie de la modernisation de la Russie, l’invasion mongole a non seulement provoqué un schisme géographique, mais a laissé son empreinte sur la politique : « L’autocratie est devenue une nécessité suite à l’héritage mongol et à l’établissement de la Russie comme un empire eurasiatique avec une vaste étendue géographique mal connectée ».

« Un Est-Ouest colossal »

La Russie, c’est la rencontre de l’Est et de l’Ouest. Diesen nous rappelle comment Nikolai Berdyaev, l’un des plus grands conservateurs du XXe siècle, l’avait déjà bien compris en 1947 : « L’incohérence et la complexité de l’âme russe peuvent être dues au fait qu’en Russie, deux courants de l’histoire du monde – l’Est et l’Ouest – se bousculent et s’influencent mutuellement (…) La Russie est une section complète du monde – un Est-Ouest colossal ».

Le Transsibérien, construit pour renforcer la cohésion interne de l’empire russe et pour projeter la puissance en Asie, a changé la donne : « Avec l’expansion des colonies agricoles russes à l’est, la Russie remplace de plus en plus les anciennes routes qui contrôlaient et reliaient auparavant l’Eurasie ».

Il est fascinant de voir comment le développement de l’économie russe a abouti à la théorie du « Heartland » de Mackinder – selon laquelle le contrôle du monde nécessitait le contrôle du supercontinent eurasiatique. Ce qui a terrifié Mackinder, c’est que les chemins de fer russes reliant l’Eurasie allaient saper toute la structure de pouvoir de la Grande-Bretagne en tant qu’empire maritime.

Diesen montre également comment l’Eurasianisme – apparu dans les années 1920 parmi les émigrés en réponse à 1917 – était en fait une évolution du conservatisme russe.

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L’Eurasianisme, pour un certain nombre de raisons, n’est jamais devenu un mouvement politique unifié. Le cœur de l’Eurasianisme est l’idée que la Russie n’était pas un simple État d’Europe de l’Est. Après l’invasion des Mongols au XIIIe siècle et la conquête des royaumes tatars au XVIe siècle, l’histoire et la géographie de la Russie ne pouvaient pas être uniquement européennes. L’avenir exigerait une approche plus équilibrée – et un engagement avec l’Asie.

Dostoïevski l’avait brillamment formulé avant tout le monde, en 1881 :

« Les Russes sont autant asiatiques qu’européens. L’erreur de notre politique au cours des deux derniers siècles a été de faire croire aux citoyens européens que nous sommes de vrais Européens. Nous avons trop bien servi l’Europe, nous avons pris une trop grande part à ses querelles intestines (…) Nous nous sommes inclinés comme des esclaves devant les Européens et n’avons fait que gagner leur haine et leur mépris. Il est temps de se détourner de l’Europe ingrate. Notre avenir est en Asie ».

Lev Gumilev était sans aucun doute la superstar d’une nouvelle génération d’Eurasianistes. Il affirmait que la Russie avait été fondée sur une coalition naturelle entre les Slaves, les Mongols et les Turcs. « The Ancient Rus and the Great Steppe », publié en 1989, a eu un impact immense en Russie après la chute de l’URSS – comme je l’ai appris de mes hôtes russes lorsque je suis arrivé à Moscou via le Transsibérien à l’hiver 1992.

Comme l’explique Diesen, Gumilev proposait une sorte de troisième voie, au-delà du nationalisme européen et de l’internationalisme utopique. Une Université Lev Gumilev a été créée au Kazakhstan. Poutine a qualifié Gumilev de « grand Eurasien de notre temps ».

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Diesen nous rappelle que même George Kennan, en 1994, a reconnu la lutte des conservateurs pour « ce pays tragiquement blessé et spirituellement diminué ». Poutine, en 2005, a été beaucoup plus clair. Il a souligné :

« L’effondrement de l’Union soviétique a été la plus grande catastrophe géopolitique du siècle. Et pour le peuple russe, ce fut un véritable drame (…) Les anciens idéaux ont été détruits. De nombreuses institutions ont été démantelées ou simplement réformées à la hâte. (…) Avec un contrôle illimité sur les flux d’information, les groupes d’oligarques ont servi exclusivement leurs propres intérêts commerciaux. La pauvreté de masse a commencé à être acceptée comme la norme. Tout cela a évolué dans un contexte de récession économique des plus sévères, de finances instables et de paralysie dans la sphère sociale ».

Appliquer la « démocratie souveraine »

Nous arrivons ainsi à la question cruciale de l’Europe.

Dans les années 1990, sous la houlette des atlantistes, la politique étrangère russe était axée sur la Grande Europe, un concept basé sur la Maison européenne commune de Gorbatchev.

Et pourtant, dans la pratique, l’Europe de l’après-Guerre froide a fini par se configurer comme l’expansion ininterrompue de l’OTAN et la naissance – et l’élargissement – de l’UE. Toutes sortes de contorsions libérales ont été déployées pour inclure toute l’Europe tout en excluant la Russie.

Diesen a le mérite de résumer l’ensemble du processus en une seule phrase : « La nouvelle Europe libérale représentait une continuité anglo-américaine en termes de règle des puissances maritimes, et l’objectif de Mackinder d’organiser la relation germano-russe selon un format à somme nulle pour empêcher l’alignement des intérêts ».

Pas étonnant que Poutine, par la suite, ait dû être érigé en épouvantail suprême, ou « en nouvel Hitler ». Poutine a catégoriquement rejeté le rôle pour la Russie de simple apprentie de la civilisation occidentale – et son corollaire, l’hégémonie (néo)libérale.

Il restait néanmoins très accommodant. En 2005, Poutine a souligné que « par-dessus tout, la Russie était, est et sera, bien sûr, une grande puissance européenne ». Ce qu’il voulait, c’était découpler le libéralisme de la politique de puissance – en rejetant les principes fondamentaux de l’hégémonie libérale.

411rXFGcgZL._SX310_BO1,204,203,200_.jpgPoutine disait qu’il n’y a pas de modèle démocratique unique. Cela a finalement été conceptualisé comme une « démocratie souveraine ». La démocratie ne peut pas exister sans souveraineté ; cela implique donc d’écarter la « supervision » de l’Occident pour la faire fonctionner.

Diesen fait remarquer que si l’URSS était un « Eurasianisme radical de gauche, certaines de ses caractéristiques eurasiatiques pourraient être transférées à un Eurasianisme conservateur ». Diesen note comment Sergey Karaganov, parfois appelé le « Kissinger russe », a montré « que l’Union soviétique était au centre de la décolonisation et qu’elle a été l’artisan de l’essor de l’Asie en privant l’Occident de la capacité d’imposer sa volonté au monde par la force militaire, ce que l’Occident a fait du XVIe siècle jusqu’aux années 1940 ».

Ce fait est largement reconnu dans de vastes régions du Sud global – de l’Amérique latine et de l’Afrique à l’Asie du Sud-Est.

La péninsule occidentale de l’Eurasie

Ainsi, après la fin de la Guerre froide et l’échec de la Grande Europe, le pivot de Moscou vers l’Asie pour construire la Grande Eurasie ne pouvait qu’avoir un air d’inévitabilité historique.

La logique est implacable. Les deux pôles géoéconomiques de l’Eurasie sont l’Europe et l’Asie de l’Est. Moscou veut les relier économiquement en un supercontinent : c’est là que la Grande Eurasie rejoint l’Initiative Ceinture et Route chinoise (BRI). Mais il y a aussi la dimension russe supplémentaire, comme le note Diesen : la « transition de la périphérie habituelle de ces centres de pouvoir vers le centre d’une nouvelle construction régionale ».

D’un point de vue conservateur, souligne Diesen, « l’économie politique de la Grande Eurasie permet à la Russie de surmonter son obsession historique pour l’Occident et d’établir une voie russe organique vers la modernisation ».

Cela implique le développement d’industries stratégiques, de corridors de connectivité, d’instruments financiers, de projets d’infrastructure pour relier la Russie européenne à la Sibérie et à la Russie du Pacifique. Tout cela sous un nouveau concept : une économie politique industrialisée et conservatrice.

Le partenariat stratégique Russie-Chine est actif dans ces trois secteurs géoéconomiques : industries stratégiques/plates-formes technologiques, corridors de connectivité et instruments financiers.

Cela propulse la discussion, une fois de plus, vers l’impératif catégorique suprême : la confrontation entre le Heartland et une puissance maritime.

Les trois grandes puissances eurasiatiques, historiquement, étaient les Scythes, les Huns et les Mongols. La raison principale de leur fragmentation et de leur décadence est qu’ils n’ont pas pu atteindre – et contrôler – les frontières maritimes de l’Eurasie.

La quatrième grande puissance eurasiatique était l’empire russe – et son successeur, l’URSS. L’URSS s’est effondrée parce que, encore une fois, elle n’a pas pu atteindre – et contrôler – les frontières maritimes de l’Eurasie.

Les États-Unis l’en ont empêchée en appliquant une combinaison de Mackinder, Mahan et Spykman. La stratégie américaine est même devenue connue sous le nom de mécanisme de confinement Spykman-Kennan – tous ces « déploiements avancés » dans la périphérie maritime de l’Eurasie, en Europe occidentale, en Asie de l’Est et au Moyen-Orient.

Nous savons tous à présent que la stratégie globale des États-Unis en mer – ainsi que la raison principale pour laquelle les États-Unis sont entrés dans la Première et la Seconde Guerre mondiale – était de prévenir l’émergence d’un hégémon eurasiatique par tous les moyens nécessaires.

Quant à l’hégémonie américaine, elle a été conceptualisée de façon grossière – avec l’arrogance impériale requise – par le Dr Zbig « Grand Échiquier » Brzezinski en 1997 : « Pour empêcher la collusion et maintenir la dépendance sécuritaire entre les vassaux, pour garder les affluents souples et protégés, et pour empêcher les barbares de se rassembler ». Le bon vieux « Diviser pour mieux régner », appliqué par le biais de la « domination du système ».

C’est ce système qui est en train de s’effondrer – au grand désespoir des suspects habituels. Diesen (photo) note comment, « dans le passé, pousser la Russie en Asie reléguait la Russie dans l’obscurité économique et éliminait son statut de puissance européenne ». Mais maintenant, avec le déplacement du centre de gravité géoéconomique vers la Chine et l’Asie de l’Est, c’est un tout nouveau jeu.

glenn-disen-e1581866530918.jpgLa diabolisation permanente de la Russie-Chine par les États-Unis, associée à la mentalité de « situation malsaine » des sbires de l’UE, ne fait que rapprocher la Russie de la Chine, au moment même où la domination mondiale de l’Occident, qui dure depuis deux siècles seulement, comme l’a prouvé Andre Gunder Frank, touche à sa fin.

Diesen, peut-être trop diplomatiquement, s’attend à ce que « les relations entre la Russie et l’Occident changent également à terme avec la montée de l’Eurasie. La stratégie hostile de l’Occident à l’égard de la Russie est conditionnée par l’idée que la Russie n’a nulle part où aller et qu’elle doit accepter tout ce que l’Occident lui offre en termes de « partenariat ». La montée de l’Est modifie fondamentalement la relation de Moscou avec l’Occident en permettant à la Russie de diversifier ses partenariats ».

Il se peut que nous approchions rapidement du moment où la Russie de la Grande Eurasie présentera à l’Allemagne une offre à prendre ou à laisser. Soit nous construisons ensemble le Heartland, soit nous le construisons avec la Chine – et vous ne serez qu’un spectateur de l’histoire. Bien sûr, il y a toujours la possibilité d’un axe inter-galaxies Berlin-Moscou-Pékin. Des choses plus surprenantes se sont produites.

En attendant, Diesen est convaincu que « les puissances terrestres eurasiatiques finiront par intégrer l’Europe et d’autres États à la périphérie intérieure de l’Eurasie. Les loyautés politiques se déplaceront progressivement à mesure que les intérêts économiques se tourneront vers l’Est et que l’Europe deviendra progressivement la péninsule occidentale de la Grande Eurasie ».

Voilà qui donne à réfléchir aux colporteurs péninsulaires de la « situation malsaine ».

Traduit par Réseau International

***

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«Qui veut la paix prépare la guerre»: la Russie annonce être prête en cas de rupture des relations avec l'UE

La Russie est prête à rompre ses relations diplomatiques avec l’Union européenne si cette dernière adopte des sanctions créant des risques pour les secteurs sensibles de l‘économie, a déclaré ce vendredi le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, sur la chaîne YouTube Soloviev Live.

« Nous y sommes prêts. [Nous le ferons] si nous voyons, comme nous l’avons senti plus d’une fois, que des sanctions sont imposées dans certains secteurs qui créent des risques pour notre économie, y compris dans des sphères sensibles. Nous ne voulons pas nous isoler de la vie internationale mais il faut s’y préparer. Qui veut la paix prépare la guerre ».

De nouvelles sanctions en vue

Cette semaine, le chef de la diplomatie de l’Union européenne Josep Borrell a annoncé, après sa visite à Moscou, la possibilité de nouvelles sanctions. Il s’est dit préoccupé par les « choix géostratégiques des autorités russes ».

Condamnant les autorités pour avoir emprisonné en janvier l’opposant Alexeï Navalny et les qualifiant de « sans pitié », Josep Borrell a notamment indiqué dans son blog que sa visite avait conforté son opinion selon laquelle « l’Europe et la Russie s’éloignaient petit à petit l’une de l’autre ».

Les propos tenus à Moscou

Lors de sa visite dans la capitale russe du 4 au 6 février, Josep Borrell avait vanté le vaccin Spoutnik V, le qualifiant de « bonne nouvelle pour l’humanité ». Il avait en outre espéré que l’Agence européenne pour les médicaments l’enregistrerait.

Il avait également dit qu’il y avait des domaines dans lesquels la Russie et l’UE pouvaient et devaient coopérer, et que Bruxelles était favorable au dialogue avec Moscou, malgré les difficultés.

Anastassia Verbitskaïa - Sputnik

samedi, 13 février 2021

De Mao au monde multipolaire : l'évolution de la doctrine militaire chinoise

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De Mao au monde multipolaire: l'évolution de la doctrine militaire chinoise

Par Lorenzo Ghigo

Ex : https://geopol.pt

Suite à la crise du modèle international unipolaire et à son énorme croissance économique et technologique, la République populaire de Chine (RPC) est le grand prétendant à l'hégémonie internationale aujourd’hui exercée par les États-Unis. Cette volonté chinoise s’exprime également au niveau militaire. La présence croissante des États-Unis en Asie, la crise persistante à Hong Kong et les relations avec Taïwan ont conduit le gouvernement chinois à abandonner l'isolationnisme qui caractérisait sa politique étrangère au début des années 2000, au profit d'une politique plus affirmée.

La stratégie de la Chine est basée sur la défense et la poursuite des intérêts nationaux, en assurant la sécurité intérieure et extérieure, la souveraineté nationale et le développement économique. Sous le gouvernement de Xi Jinping, le progrès technologique est considéré comme une occasion importante de relancer la nation chinoise et son rôle sur la scène internationale. Au cœur du projet du dirigeant chinois se trouve la création d'un nouvel ordre sinocentrique fondé, au moins formellement, sur des relations d'égalité avec les autres États et visant à la constitution d'"une Asie harmonieuse".

518cB6uGp7L.jpgLa nouvelle doctrine militaire chinoise est à toutes fins utiles une redécouverte et une extension des théories de L'Art de la guerre de Sun Tzu. L'objectif tactique est de conditionner l'esprit et la volonté de l'ennemi dans un cadre stratégique en constante évolution en profitant de situations favorables grâce à divers stratagèmes et tromperies. La pensée militaire chinoise se caractérise par une approche indirecte, il existe chez les Chinois une vision holistique des objectifs qui, contrairement à l'Occident, ne se concentre pas sur une cible spécifique mais sur l'ensemble du système, et le recours à la force doit être utilisé dans le cadre d'une stratégie à long terme en intégrant les sphères militaire et civile, en utilisant la guerre hybride et la cyberguerre dans la conduite des opérations de guerre traditionnelles. L'Armée populaire de libération est en effet en train de développer des capacités opérationnelles et technologiques incroyables dans le cyberespace, non seulement en ce qui concerne l'espionnage et l'acquisition d'informations sensibles, mais aussi en ce qui concerne les attaques sur les infrastructures critiques pendant les conflits armés. La RPC considère le contrôle du cyberespace comme une prérogative essentielle pour affirmer son pouvoir national.

L'armée n'est plus appelée à préparer des guerres menées à grande échelle sur le territoire chinois, mais plutôt des guerres limitées, tant sur le plan de l'entité des objectifs politiques que sur celui de l'intensité de la violence, soit des guerres à mener dans des zones périphériques et circonscrites, principalement des conflits régionaux à forte informatisation.

L'approche maoïste de la guerre semble avoir été définitivement abandonnée, les forces armées sont dépolitisées et, bien que l'influence du parti communiste chinois soit encore forte, on ne peut plus parler d'une armée populaire, mais d'une armée d’élite spécialisée et professionnelle dans les opérations militaires. De plus, en consolidant ses frontières, la Chine a renoncé à une défense stratégique en profondeur, en utilisant une stratégie de projection de forces sur les mers, et d'influence politique dans d’autres pays asiatiques.

Le texte Unristricted Warfare publié par les colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui a apporté une contribution notable à la nouvelle doctrine stratégique de la RPC. Cet ouvrage, qui dans l'édition américaine prend le sous-titre de China's Master Plan to Destroy America, prescrit les règles et les stratégies de conduite des conflits contemporains dans le but de défendre les intérêts nationaux en exploitant les nouvelles possibilités offertes par la mondialisation et l'évolution technologique. Le concept de guerre sans restriction prévoit une multiplication de nouveaux types d'armes et que chaque endroit peut devenir un champ de bataille. L'armée, pour faire face aux nouveaux conflits, doit mener des batailles adaptées à ses armes et adapter ses armes à la nouvelle bataille.

Dans le manuel Zhànlüè xué (Science de la stratégie), compilé par le département de recherche stratégique de l'Académie des sciences militaires, il est affirmé que "les champs de bataille sur terre, sur mer, dans les airs, dans l'espace extra-atmosphérique, dans l'espace électromagnétique ne font qu'un ; les combats et les opérations sur chaque champ de bataille sont des conditions pour les combats et les opérations sur les autres".

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Cette vision est basée sur des actions de guerre hybride, qui impliquent non seulement des capacités militaires mais aussi l'application d'un concept holistique de défense nationale par la coopération des secteurs civil et militaire. Les stratèges chinois développent également la doctrine Shashou Jian ("club de fer"), qui vise à dominer l'espace physique et cybernétique en désarmant l'ennemi et en l'empêchant d'être une menace pour l'intérêt national. Ce concept repose sur la nécessité de développer une capacité militaire capable de désarmer l'adversaire avant qu'il ne puisse frapper. L'utilisation d'armes hautement technologiques, de missiles, de cyberarmes, de bombes intelligentes, de drones, est finalisée pour annuler la puissance de feu ennemie.

Toujours à la lumière des conséquences dramatiques de la récente pandémie, la Chine doit se préparer à un scénario international incertain et indéterminé, caractérisé par de nouveaux types de conflits, de nouvelles menaces, de nouvelles technologies, de nouveaux champs de bataille et de nouvelles stratégies.

Publié à l'origine dans Osservatorio Globalizzazione

L'Iran, Biden sur les traces de Trump, pas d'Obama

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L'Iran, Biden sur les traces de Trump, pas d'Obama

par Alberto Negri

Sources : Il Manifesto et https://www.ariannaeditrice.it

Dans une interview télévisée, le nouveau président confirme les mesures restrictives contre Téhéran, voulues par Trump. Elles demeureront donc. Après tout, Biden a été un ardent exportateur de "démocratie" pour qui la République islamique reste le sacrifice à offrir aux Saoudiens et aux Israéliens.

Aux prises avec l'Iran, et aussi avec la Chine et la Russie (le dossier le plus épineux des affaires étrangères), Biden confirme l'ordre du jour de Trump et prend même un peu de recul par rapport à Obama. Sa recette est la suivante : d'abord, l'habituel double standard du pacte d'Abraham, hérité du tycoon malgré sa seconde mise en accusation. Nous verrons très bientôt le suite.

Dans l’échange qui a eu lieu avec le Guide suprême Khamenei, qui a demandé la levée, au moins partielle, des sanctions avant de négocier sur le nucléaire, le nouveau président américain n'a pas hésité : il a choisi de dire "non" et durement.

La médiation européenne avancée par l'omniprésent Macron semble hésitante et encore à venir. Hésitante parce que la France, qui dans ses investissements a écarté le Qatar, sponsor des Frères musulmans, au profit des Saoudiens, était la puissance européenne qui en 2015, précisément à cause de ses affaires en cours avec Riyad, a soulevé les plus grandes objections à l'accord américain avec l'Iran : il suffit de demander à Mogherini et à Zarif des informations sur les négociations qui se tinrent à l'époque.

La substance est toujours la même : les Européens vendent des armes à Israël, aux Emirats, aux Saoudiens, au Qatar, à l'Egypte et à la Turquie, et non à l'Iran des ayatollahs. Ils sont donc des membres non déclarés mais super actifs du Pacte d'Abraham et de l'"OTAN arabe" avec les États-Unis, Israël, les Émirats, Bahreïn, le Soudan et le Maroc.

Sans oublier qu'Israël vient de rejoindre le CentCom (Commandement central) avec les Arabes, c’est-à-dire le commandement militaire américain au Moyen-Orient. Avec son inclusion dans le CentCom et le déploiement d'Iron Dome sur des bases américaines, Israël devient une autorité déléguée que Washington utilisera pour gérer la région, même à distance.

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C'est pourquoi le sénateur Renzi, à qui l'on attribue des ambitions car il vise le poste de secrétaire général de l'OTAN, clame que Mohammed bin Salman est comme Laurent le Magnifique, le prince héritier d'une nouvelle renaissance dans les sables de la péninsule arabique, où, toutefois, les journalistes sont littéralement taillés en pièces et les opposants pourrissent en prison.

Nous aimerions savoir, un jour, ce que Draghi en pense. Mais nous le soupçonnons déjà : avec l'élection de Biden, la "fenêtre américaine" s'est ouverte en novembre et le bulldozer Renzi, à commencer par l'attentat contre la délégation de services aux mains de Conte, a ouvert la voie au "sauveur de l'euro", très estimé par l'establishment américain où il a été l'élève de Stanley Fisher, ancien député de la Fed et ancien directeur de la Banque centrale d'Israël.

Les Iraniens ne peuvent pas mordre à l'hameçon que constituent les propos doucereux de Biden qui se distancie de la guerre saoudienne et émiratie au Yémen et retire les Houthis de la liste noire des groupes terroristes. A Téhéran, ils se penchent sur le fond et lors de la prochaine élection présidentielle, si les choses restent en l'état, on peut imaginer que l'aile la plus dure de la République islamique pourrait prendre le dessus sur des modérés comme le président sortant Hassan Rohani.

L'année dernière, les Américains et les Israéliens ont éliminé un de leurs généraux, Qassem Soleimani, et un éminent scientifique comme Mohsen Fakrizadeh. Les États-Unis et l'État juif n'ont jamais cessé de bombarder les Pasdaran iraniens en Syrie et sont prêts à brouiller encore les eaux libanaises déjà passablement boueuses pour porter quelques coupssupplémentaires aux alliés du Hezbollah pro-iranien qu'ils voudraient expulser du Levant et du Moyen-Orient.

Sans compter que les États-Unis, dans la panoplie de leurs sanctions et par l'embargo pétrolier sur Téhéran, continuent à maintenir des dizaines de milliards de dollars gelés sur les comptes étrangers de l'Iran, au point d'empêcher la République islamique de négocier récemment un approvisionnement en vaccins anti-Covid avec la Corée du Sud.

Mais les Etats-Unis, insiste M. Biden, sont une démocratie et l'Iran n’en est pas une, donc ils peuvent punir qui ils veulent, comme ils veulent. Un argument un peu brutal, car la façade démocratique brillante des États-Unis a certainement été ternie par l'assaut contre le vénérable bâtiment du Congrès.

Mais Biden est un exportateur convaincu de la démocratie américaine, ce n'est pas pour rien qu'il a voté en 2003 en faveur de l'attaque contre l'Irak et qu'il s'est maintenant lancé dans d’agressives diatribes contre la Russie de Poutine sous prétexte de l'affaire Navalny.

Biden est un peu moins virulent contre la Chine car avec Xi Jinping, qu'il connaît bien, il est convaincu de s'entendre alors que les banques d'investissement de Wall Street, qui l'ont soutenu dans la campagne électorale, débarquent en force à Pékin. Bref, chacun a ses propres banquiers, qui ont très souvent travaillé pour le même maître.

Il est dommage que le visage démocratique de Biden, si impétueux avec l'Iran des ayatollahs, disparaisse lorsqu'il s'agit d'examiner les relations avec les satrapes du Golfe, les monarchies absolues et les ennemis des droits de l'homme, ou les dictateurs comme Al Sissi qui reçoit l'aide militaire américaine et peut faire ce qu'il veut sans la moindre objection de Washington.

Le gel temporaire des fournitures militaires américaines à Riyad vise en fait non pas tant à montrer que les États-Unis ont l'intention de s'entendre avec Téhéran qu'à convaincre les Saoudiens d'accélérer la reconnaissance d'Israël et, par suite logique, d'adhérer au Pacte d'Abraham. Puis la boucle sera bouclée avec la célébration du sanguinaire Laurent le Magnifique, Prince des sables.

 

mercredi, 10 février 2021

Le monde change, la diplomatie s'adapte

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Le monde change, la diplomatie s'adapte

Une discussion avec les experts de l'IERI et d'IMEMO RAS a eu lieu en Belgique dans le cadre des "Points de contact"

Quelques jours avant la Journée des diplomates russes, le Centre russe de Bruxelles a organisé ce 4 février une discussion intitulée « Les défis de la diplomatie au XXIe siècle » dans le cadre du projet « Точка соприкосновения » (« Totchka soprikosnovenia », littéralement « point de contact »). Plusieurs spécialistes ont participé à cette discussion, dont Irnerio Seminatore, président de l’IERI (l’Institut européen des relations internationales de Bruxelles) et Sergueï Outkine, chef du groupe d’évaluation stratégique et directeur de recherches du Centre d’analyse situationnelle de l’IMEMO (l’Institut de l’économie mondiale et des relations internationales) E. M. Primakov de l’Académie des sciences de Russie.

Vera Bounina, directrice du Centre russe de Bruxelles, a ouvert la discussion. Dans son discours, elle a parlé des origines de la Journée des diplomates russes et a souligné les dates importantes de l’histoire de la diplomatie russe. La Journée des diplomates, qui est célébrée en Russie le 10 février depuis le décret présidentiel de 2002, « témoigne de la grande reconnaissance de la profession de diplomate ». Vera Bounina a également rappelé que l’école diplomatique russe est reconnue dans le monde entier et que beaucoup de brillants diplomates, d’actuels ministres de différents pays et de présidents de gouvernements étrangers sont diplômés de l’Institut d’Etat des relations internationales de Moscou auprès des Affaires étrangères de la Fédération de Russie et de l’Académie diplomatique du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie.

Les spécialistes ont discuté des systèmes internationaux et de la fonction de la diplomatie, de la numérisation des relations internationales et des nouvelles sphères que les diplomates doivent maîtriser. Ils ont également discuté du moment opportun pour ouvrir un compte sur TikTok et du développement de leurs connaissances sur l’agenda climatique et le développement durable, des solutions pour survivre à l’époque de la guerre du numérique, de la « diplomatie publique », de Greta Thunberg, de la visite de Josep Borrell en Russie, et de bien d’autres sujets.

Irnerio Seminatore a donné un aperçu du développement de la diplomatie du point de vue des relations internationales et des intérêts nationaux. En parlant de la relation entre la diplomatie et la politique, il a rappelé que « un bon diplomate aide à prendre des décisions politiques, qui seront approuvées par les hommes politiques ». 

Le rapport de Irnerio Seminatore se trouve ci-dessous.

Sergueï Outkine a présenté les nouveaux défis auxquels la diplomatie est confrontée : la numérisation de notre espace, le besoin de nouvelles compétences pour les diplomates, la « transparence » de l’environnement diplomatique et de l’accès aux données, le rôle changeant des chefs d’Etat, qui deviennent des ministres des Affaires étrangères à part entière au vu de leur agenda international actif, ainsi que le nombre grandissant de négociations internationales et de rencontres au sommet. Sergueï Outkine a souligné « le monde change, mais la diplomatie s’adapte à ces changements. » 

En étudiant l’avenir des relations entre la Russie et l’Europe, Irnerio Seminatore a conclu que l’Europe et tous les pays indépendants de l’Europe occidentale sont intéressés par la possibilité de réaliser l’autonomie stratégique et l’indépendance politique du continent, ce qui est possible grâce à l’implication de la Russie dans ce processus.

Vera Bounina a remercié tous les participants pour cette intéressante discussion et pour la participation du public. Elle a ensuite paraphrasé les mots du patron de la diplomatie russe, le Prince Alexandre Nevski, dont nous célébrons le 200èmeanniversaire cette année : « La diplomatie non pas dans la force, mais dans la vérité ». Elle souhaité à tous de réussir dans leurs projets et a de nouveau souhaité une bonne fête à toutes les personnes concernées par la Journée des diplomates.

Le thème de cette discussion s’est révélé très populaire et a attiré un grand nombre de participants. De nombreuses personnes de Belgique et d’autres pays européens ont participé à cette discussion. Une interprétation simultanée, nouveauté importante, a été mise en place lors de cette réunion. Les événements du Centre russe sont désormais plus accessibles.

Vous pouvez visionner l’enregistrement de la réunion sur le site du Centre russe. Nous avons hâte de vous retrouver lors d’autres événements du Centre russe.

Guerre économique sur le gaz russe

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Guerre économique sur le gaz russe

par Pierre-Charles Hirson

Ex: https://www.ege.fr

Rapports de Force

Les Etats-Unis sont en train de mener une guerre économique sans merci contre la Russie sur l’approvisionnent en gaz de l’Europe, avec pour cible le projet Northstream 2 et l’Europe comme champ de bataille. Les américains n’hésitent à piétiner la souveraineté européenne en appliquant l’extraterritorialité de leur droit sur le territoire européen, aux entreprises européennes qui participent à ce projet. C’est un gazoduc reliant la Russie (Vyborg) à l’Allemagne (Greifswald) en passant par la mer Baltique traversant les eaux finlandaises, suédoises et danoises. Projet avoisinant 10 milliard d’euros. Il est financé à 51% par Gazprom et le reste entre ENGIE (France), OMV (Autriche), Shell (anglo-néerlandais), Uniper (groupe E.ON - Allemagne) et Wintershall Dea (groupe BASF - Allemagne) allant de 9% à 15%.

L’enjeu ici porte sur l’influence et l’accroissement de puissance via la dépendance de la relation Client / Fournisseur, avec l’Europe dans le rôle du client. La Russie est un partenaire incontournable car elle fournit la plus grande partie du gaz européen, presque 40% en 2018. L’Europe, entre recherche de dépendance énergétique et sécurité d’approvisionnements va tantôt pousser les américains à exporter leur gaz GNL (Gaz Naturel Liquifié) par méthanier, tantôt financer et autoriser des projets de gazoduc entre la Russie et l’Europe : Yamal-Europe, Northstream 1 et 2, Turkistream. Cependant la politique énergétique européenne est largement tributaire des choix politiques nationaux et individualistes de ses Etats membres. C’est ainsi que l’Europe se trouve divisée entre pays favorables et opposants au projet. Les acteurs européens majeurs sont l’Allemagne, seule grande bénéficiaire de ce projet, la Pologne, l’Ukraine et les Pays Baltes comme principaux opposants. Profitant des dissensions européennes, les Etats-Unis vont trouver des relais intra-européens pour justifier leur ingérence. Ils réclament l’annulation le projet Northstream 2 dans le but de protéger l’Europe et d’empêcher la Russie d’utiliser le gaz comme moyen coercitif. Nous allons voir comment se mets en place le piège américain et comment l’étau va se resserrer progressivement sur les entreprises européennes participant au projet.

Un enjeu de puissance américain

Les raisons de l’acharnement américain pour stopper le projet germano-russe Northstream 2 peut être vu de deux angles. L’un économique et l’autre sous une politique d’influence.

Economique, car rappelons-le, c’est bien L’Europe qui sollicite les Etats-Unis pour diversifier son approvisionnement. En 2015, un « paquet » de la Commission Européen lance les bases d’une « Union de l’Energie »  qui trace un axe de diversification des fournisseurs de gaz via un recourt accru au GNL. La livraison de GNL par méthanier a l’avantage d’être flexible et présente une grande diversité de fournisseur, mais est plus cher que le gaz russe par gazoduc. Le rapport préconise également que la Commission fasse son possible pour « lever les obstacles aux importations de GNL en provenance des Etats-Unis ». Cela sera réalisé en 2015 et les premières exportations de GNL américain vers l’Europe se feront en 2016. Proche de l’autosuffisance grâce la révolution du gaz et pétrole de schiste amorcée en 2007, les Etats-Unis ont détrôné en 2009 la Russie en tant que premier producteur de gaz, et l’Arabie Saoudite depuis 2018 en tant que premier producteur de pétrole. La sécurité énergétique du pays est assurée et les sociétés privées américaines peuvent maintenant se lancer à l’assaut des marchés internationaux, avec la bénédiction de leur gouvernement, quitte à leur donner quelques coups de pouce.

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Politique d’influence, car une Europe dépendante et sous emprise Russe, notamment la première puissance européenne qu’est l’Allemagne et nation cadre de l’OTAN qui plus est, serait une perte d’influence inacceptable pour Washington. La réorientation de la politique énergétique américaine se fait au service de sa politique de puissance, car livrer du gaz à l’Europe permet de réduire le déficit de la balance commerciale américaine vis-à-vis de celle-ci, de desserrer l’étau russe sur le marché du gaz européen, d’augmenter son potentiel d’influence dans la région comme fournisseur d’énergie.

Stratégie et ciblage des lois américaines à porter extraterritoriales

L’enchainement des sanctions américaines suit une gradation étonnante. Les premières datent de 2014, sous la mandature du président Obama suite à la crise de Crimée et elles se poursuivent sous le président Donald Trump notamment en 2017 avec le « Countering America's Adversaries Through Sanctions Act » (CAATSA) (contrer les adversaires de l’Amérique par des sanctions) qui visent l’Iran, la Corée du Nord et la Russie.

Le début des sanctions contre la Russie :

Les différents trains de sanctions entre 2014 et 2018 sont de portés larges en visant des hommes politiques, des hommes d’affaires, des secteurs stratégiques comme l’énergie ou la défense, des restrictions financières et l’exportation de matériel technologique. L’objectif global est de pénaliser le développement de secteurs stratégiques russes. Cependant, le projet Northstream 2 et les sociétés européennes ne sont pas encore visées directement. Comme un pied de nez à l’administration américaine, le consortium signe en avril 2017 l’accord de financement. Washington est de plus en plus critique vis-à-vis du projet et se fait menaçant envers les européens. Lors du sommet de l’OTAN en juillet 2018, le président Trump déclare que « l’Allemagne est prisonnière de la Russie » et lui demande d’abandonner le projet. La pose des premiers tuyaux commence en septembre 2018 et par cet acte les Européens montrent qu’ils n’ont pas l’intention de laisser les Américains s’ingérer dans leurs affaires.

Les contraintes américaines entravent le développement des projets gaziers russes au sens large, mais le Northstream 2 avance et le développement d’usines de liquéfaction de gaz dans l’Arctique russe se font en partie avec des financements chinois. Les sanctions américaines manquent d’efficacité. Ils doivent revoir leur stratégie en visant des objectifs précis pour torpiller le Northsteam 2. Une course contre la montre s’enclenche avant que la pose des canalisations soit complète.

L’arme extraterritoriale niveau 1 : cible européenne – la société « Allsea »

La pièce maitresse du projet Northstream 2 est son bateau de pose de canalisation, le « Pioneering Spirit » de la société Suisse Allsea. Sans bateau d’installation, pas de pose de tuyaux au fond de l’eau et le projet s’arrête. Les Américains vont appliquer l’extraterritorialité de leur droit à une société européenne, dans les eaux européennes. C’est une première et cela va marcher. Le vote en décembre 2019 dans la loi du “Protecting Europe’s Energy Security Act of 2019 (PEESA) (Protéger la sécurité énergétique européenne) vise directement la société Allsea en « imposant des sanctions sur les bâtiments de constructions sur les pipelines d’exportation russe, et pour d’autres utilisations ». La société suisse s’exécute en suspendant son activité en décembre 2019 par crainte de sanctions américianes éventuelles.

L’arme extraterritoriale niveau 2 : cibler les sociétés russes de la pose de tuyaux

Les Etats-Unis anticipent le fait que la pose de canalisation reprendra tout ou tard avec des sociétés russes, hors de portées des lois américaines actuelles. C’est la raison pour laquelle le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompéo annonce en Juillet 2020 un durcissement des sanctions en incluant le projet Northstream 2 dans le « Countering America's Adversaries Through Sanctions Act  (Caatsa) » de 2017. Cela permet de poursuivre les sociétés russes participant à la construction de ce projet. 

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Effectivement, loin de renoncer au projet, les Russes travaillent sur la modification et l’achat de bateau de pose via les sociétés russes KVT-RUS pour le « Fortuna » et Gazprom avec le « Akademik Tscherski » pour reprendre l’activité abandonnée par la société suisse. Le chantier reprendra le 11 décembre 2020, soit après un an d’arrêt, afin de finir la pose des 6% de tuyaux restant soit 120 km dans les eaux danoises et 30 km dans les eaux allemandes.

L’arme extraterritoriale niveau 3 : Cibler les activités de support à la pose de canalisation

C’est une première victoire pour les Américains et leurs alliés européens. Le projet a été retardé d’un an. Ce temps précieux gagné va permettre aux Américains de préparer la suite. En anticipant les activités de pose par des sociétés russes, il faut trouver un autre angle d’attaque pour les empêcher de travailler. La stratégie est de cibler les sociétés en assistances de ces bateaux. Depuis Juin 2020 des sénateurs américains se penchent sur le sujet. Un « Act » est préparé et sera intégré  au  « National Defense Autorization Act »  voté le 1er Janvier 2021. Celui-ci sanctionne toutes sociétés ou individus qui fourniraient des services et assurances à tout bateau de pose, des installations de soudage, des services de test et d’inspection pour les pipes du projet Northstream 2. En d’autres termes, c’est un encerclement juridique de sanction sur toutes activités et services liés aux bateaux russes. Le 13 Janvier 2021, le gouvernement américain avertit officiellement les entreprises européennes concernées en leur enjoignant de se retirer avant qu’il ne soit trop tard…. Le groupe norvégien de certification DNV GL se retire début Janvier 2021, et le groupe Zurich Insurance Group aurait lui aussi jeter l’éponge.

La stratégie américaine est pensée, redoutable, et les sanctions chirurgicales car ciblant des activités critiques à chaque fois. Les entreprises européennes abandonnent les unes après les autres de peur de sanctions, mais aussi peut-être par manque de soutien et de solutions judiciaires européennes les protégeant. Le champ des sanctions américaines s’adapte au fur et à mesure que les Russes et les Européens trouvent des solutions. Preuve pour ceux qui en doutaient de l’extraterritoriale du droit américain comme une arme de guerre économique, au service de la politique de puissance étatsunienne.

Le projet s’enlise mais continue toujours, l’Allemagne et la Russie poursuivant le projet malgré les contraintes. Mais le coup fatal pourrait bien venir d’ailleurs : de l’échiquier politique et sociétal Allemand. La nécessité du projet est de plus en plus critiquée ainsi que les violations répétées des droits de l’hommes du partenaire Russe.

Guerre informationnelle et encerclement cognitif en Allemagne

Depuis Obama en passant par Trump, les Etats-Unis n’ont fait qu’accroitre les sanctions sur la Russie en exploitant les affaires Skripal et Navalny. Il faut se remémorer qu’Alexeï Navalny, opposant au Kremlin, a été transporté de Russie en Allemagne pour y être soigné en août 2020. Cela s’est fait grâce à la médiation d’une petite ONG allemande « Cinema for peace» dont il serait intéressant d’étudier les ramifications. Cette affaire va être utilisée comme biais cognitif pour diviser la société et la classe politique allemande. Lier deux affaires visiblement sans rapport :  le projet Northstream 2 et l’affaire Navalny en y incluant son arrestation dès son retour en Russie en Janvier 2021 et la répression des manifestants qui s’ensuivit. Le biais pourrait être résumé ainsi : l’Allemagne doit-elle et peut-elle faire confiance à la Russie, qui empoissonne ses opposants et réprime avec violence ses manifestants, en lui confiant une large part de sa sécurité énergétique. L’idée fait son chemin dans la classe politique allemande, mais la chancelière refuse de lier les deux affaires pour le moment, mais n’exclut pas des sanctions européennes à l’égard de la Russie. Cependant la question a été posée, et la graine a germé : droit de l’homme contre projet politico-économique.

Un autre relais d’influence puissant en Allemagne est le lobby écologique. C’est un puissant relais d’opinion qui est mobilisé depuis le départ contre le projet, mais au nom de la protection de l’environnement. Si le projet est suffisamment retardé, le sujet sera au menu des prochaines l’élections fédérale allemande de septembre 2021, dont le parti des verts d’Annalena Baerbock, de plus en plus populaire, sera certainement un membre influent du nouveau gouvernement. Il y aura fort à parier que cela se fera au détriment du projet. Annuler le projet pour des raisons écologiques pourrait être une porte de sortie honorable pour l’Allemagne, sans remettre en cause l’autorité américaine et l’extraterritorialité de son droit.

Intérêts divergents et divisions européennes

La Russie souhaite avec ce projet pérenniser ses parts de marché en Europe face à la concurrence du GNL, et ainsi maintenir son modèle économique de rente gazière. Elle souhaite aussi se positionner sur le marché européen du gaz dont les importations sont prévues à la hausse pour faire face à la baisse de la production intra-européenne. La Russie développe également une offre GNL, avec ses champs gaziers arctiques, pour diversifier ses débouchés vers l’Asie, mais aussi pour offrir à l’Europe mode de livraison plus souple et moins contraignant qu’un tuyau physique. Cependant l’Europe, qui capte la majeure partie des exportations russes, reste son premier marché (90% en 2016), tandis que le développement vers l’Asie est très concurrentiel. C’est un projet politique pour le Kremlin, mais aussi économique car c’est une rentrée d’argent importante pour une économie russe toujours fragile.

L’Allemagne a fait le choix politique, quoi qu’en disent ses dirigeants, de réaliser ce projet malgré les réticences de ses partenaires, malgré les alternatives possibles, malgré l’intérêt économique discutable et malgré les deux récents gazoducs la reliant à la Russie : Yamal-Europe en 2006 et Northstream1 en 2012. Est-ce une conséquence de l’ « Ostpolitk » allemande, axe politique repris par le chancelier Gerald Schröder qui est à l’origine des deux projets Northstream ou une dérive d’une partie de la classe politique et industrielle allemande ? On peut se poser la question lorsqu’on retrouve à la tête de Nord Stream AG, le "reconverti" Gerald Schröder, à la tête du consortium Nord Stream AG 2 Matthias Warnig ancien de la Stasi et proche du Kremlin, et nos deux compères au comité exécutif de Rosneft. De même pour la finance et l’industrie allemande. On va retrouver la Deutsche Bank, le KfW (Établissement de crédit pour la reconstruction) et la Dresdner Bank. La Dresdner Bank avec Matthias Warnig pour conseiller Gazprom lors des grandes manœuvres de consolidation des entreprises énergétiques russes dans les années 2000. Il serait intéressant d’étudier les liens entre les sociétés allemandes E.ON, RWE, BASF et Gazprom avec le jeu des actions par filiales et les nominations à ces conseils d’administration et voir s’il existe des liens unissant ses acteurs en montrant les intérêts communs pour ces projets. Un jeu d’acteurs et d’intérêts troubles pas forcement au profit de l’Allemagne, ni de l’Europe.

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L’Allemagne a fait un choix individualiste qui pouvait paraitre stratégiquement intéressant sur le long terme. En se positionnant comme hub gazier régional avec un afflux de gaz russe pour accroitre sa puissance. Un hub, c’est une rente sur le transit gazier assurée et c’est avoir la main sur le robinet. De quoi avoir des arguments autour d’une table de négociation en face de ses partenaires européens. Cette stratégie se retourne contre elle par la force des événements, et explique certainement le manque de solidarité de ses autres partenaires.

L’Europe s’indigne, proteste et conteste, vigoureusement certes, de l’ingérence américaine. L’UE avait cru bien trouver un compromis tout technocrate pour calmer le courroux américain en Février 2019 en incluant le projet Northstream 2 dans « la réglementation européenne du gaz ». Cela oblige Gazprom et ses associées de dissocier les activités de fournisseur et producteur, et aussi de partager les installations avec d’autres fournisseurs / producteurs potentiels. C’est une perte de rentabilité énorme pour le consortium. Cependant le texte laisse la porte ouverte à des exemptions, et rien n’a été encore fait pour s’y conformer. Les Américains, ne se laissant pas noyer dans les méandres de la législation européenne, restent cohérents avec leur ligne de départ en exigeant l’arrêt pur et simple du projet. La Pologne aussi utilise son droit comme une arme économique pour infliger une amende de 6,5 milliards d’euro à Gazprom et sanctionne les cinq autres partenaires. De son côté Paris a appelé Berlin, début février à stopper le projet et ce malgré l’implication d’Engie.

Le GNL russe et sa montée en puissance dans l’arctique dans le collimateur américain

La Russie développe ses champs gaziers arctiques de Yamal et Gydan ainsi que des technologies liées au GNL. Les acteurs majeurs de ce développement sont la société privée russe Novatek, et des sociétés européennes (Total, Technip, Saipem, autres), chinoises (CNPC, Silk Road Fund, CNOOC) et japonaises. La Russie ambitionne de devenir un acteur majeur dans le GNL au vu de ses ressources, mais aussi de développer un savoir-faire de ces technologies. Cela lui permettrait de diminuer les risques de sanctions occidentales sur l’importation de technologie, car les sanctions américaines incluent déjà l’entreprise Novatek, ainsi que l’exportation de technologie et service pour des activités offshore dans l’Arctique.

Le réchauffement climatique rend possible l’exploitation de ces ressources et la navigation via la route du nord, malgré les conditions extrêmes. Cette route offre un avantage stratégique car elle est plus courte de 15 jours pour relier l’Atlantique au Pacifique sans passer par le canal de Suez. L’autre avantage stratégique est l’énorme avance russe avec ses 39 brise-glaces. Les Etats-Unis n’en possèdent qu’un en état de fonctionnement. Un volet de la stratégie américaine est de limiter le développement russe en Arctique en déployant des mesures coercitives sur la navigation via les organismes internationaux au nom de la protection de l’environnement. En novembre 2020, « L’International Maritime Organizations » (IMO) interdit la navigation des navires transportant du mazout lourd en Arctique, visant ainsi la flotte russe.

Les Etats-Unis sont devenus le troisième exportateur de GNL derrière l’Australie et le Qatar. La Russie est le quatrième et à de nombreux projets pour augmenter ses capacités, en exploitant les ressources importantes de l’Arctique qui repose sur la navigabilité de la route du nord. Les Etats-Unis essayent de contenir un compétiteur sur le marché du GNL, mais aussi la monté stratégique russe en Arctique, région qui est d’ores et déjà un enjeu géopolitique.

Implications et conséquences 

Au-delà du bien-fondé ou non du projet Northstream 2, ou de l’intérêt américain de fournir du GNL aux européens, l’enjeu s’est maintenant déplacé sur la souveraineté européenne. Les Etats-Unis ont franchi le Rubicon. C’est au cœur de l’Europe, sur le territoire européen, que les Etats-Unis veulent sanctionner les entreprises européennes grâce à l’extraterritorialité supposée de leur droit. Le changement de locataire à la Maison Blanche qui déclare que l’Amérique est de retour et qu’elle est prête à conduire le monde, ne rassure en rien. De plus, faut-il y voir un hasard du destin lorsque Joe Biden choisit Anthony Blinken comme nouveau secrétaire d’Etat, lui qui a écrit « Ally versus ally », dont le sujet est la crise de 1982 entre la France, l’Allemagne, l’URSS et les Etats-Unis au sujet … d’un gazoduc sibérien. Les Etats-Unis avaient alors infligé des mesures de rétorsions aux Européens et à leurs entreprises, mais ils avaient su réagir en prenant des contre-mesures. Les sanctions seront abandonnées et le projet se fera. Preuve que l’Europe est capable de faire plier le géant américain pour défendre ses intérêts. Les ingérences américaines dans la vie européenne ne sont pas nouvelles, y compris dans le domaine de l’énergie, mais en revanche l’utilisation de leur droit sur le territoire européen en est une. C’est une complète violation de la souveraineté européenne qu’il faut voir comme les prémices de l’affrontement Chine / Etats-Unis. Si elle est piétinée par notre allié dans une période encore relativement calme, alors quel traitement nous attendra dans les zones de turbulences à venir... De l’autre côté, la Chine ne sera certainement pas plus enclin à respecter ni la souveraineté et ni les valeurs européennes.

Pierre-Charles HIRSON
Auditeur de la 35ème promotion MSIE

dimanche, 07 février 2021

Ce qui se passe au Myanmar

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Ce qui se passe au Myanmar

Par Daniele Perra

Ex : https://www.eurasia-rivista.com

Le 1er février, le Tatmadaw (les forces armées du Myanmar) est intervenu pour destituer la direction politique du pays suite à la crise générée par les accusations d'irrégularités électorales que l'armée elle-même a formulées après les élections de novembre. Le président Win Myint et la conseillère d'État Aung San Suu Kyi (une icône démocratique pour laquelle l'"Occident", depuis le début des années 2000 et plus précisément depuis l'ère Obama, avait investi des ressources considérables pour désengager le pays de l'orbite chinoise) ont été placés en état d'arrestation avec d'autres membres de la Ligue nationale de la démocratie (parti majoritaire) et de la "société civile". Il convient de rappeler que ce qui a été décrit dans les médias occidentaux comme un "coup d'État militaire" est en fait une opération menée conformément à l'article 417 de la Constitution de 2008, qui prévoit la possibilité de déclarer un "état d'urgence" pour une période d'un an (après coordination entre le Bureau et le Conseil de défense et de sécurité nationale) si des conditions se présentent qui menacent l'intégrité de l'Union, la solidarité nationale ou la pleine souveraineté de celle-ci[1]. Dans cette analyse, on tentera de mettre en évidence les raisons qui ont conduit à l'intervention militaire, le rôle potentiel des agents extérieurs et l'importance stratégique et géopolitique du pays asiatique.

Le 12 janvier 2021, le ministre des affaires étrangères de la République populaire de Chine, Wang Yi, a rencontré le chef des forces armées du Myanmar, Min Aung Hlaing, l'homme qui a assumé le rôle de chef du gouvernement après la déclaration de l'état d'urgence. Au cours de la réunion, les deux hommes ont défini la relation entre les deux pays en utilisant le terme "pankphaw" qui indique une relation d'amitié fraternelle[2]. En plus de remercier Pékin pour le soutien apporté au Myanmar dans la crise sanitaire générée par la pandémie et de garantir le soutien birman à la cause de la "Chine unique", Min Aung Hlaing a également soutenu la nécessité d'accélérer la construction du CMEC - China Myanmar Economic Corridor : le projet d'interconnexion des infrastructures entre les deux pays qui représente l'un des carrefours cruciaux de la nouvelle route de la soie.

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Le CMEC, comme la branche sino-pakistanaise tout aussi fondamentale du projet d'infrastructure eurasien (CPEC), évite le transit commercial par les zones contestées de la mer de Chine méridionale et du détroit de Malacca, ouvrant à Pékin un accès direct à l'océan Indien et la possibilité d'établir des relations géopolitiques et géoéconomiques directes entre l'Asie et l'Afrique : c'est-à-dire le long de cet axe Sud-Sud (en opposition à l'hégémonie du Nord) déjà théorisé par le maoïsme et repris aussi, à une époque plus récente, par certains stratégistes sud-américains (comme dans le cas du "méridionalisme" du Brésilien André Martin). La valeur stratégique du CMEC est d'ailleurs donnée par la possibilité de connexion (et de contournement du rival indien) entre le port de Sittwe au Myanmar, celui de Hambantota au Sri Lanka et le port pakistanais de Gwadar[3]. C'est un projet qui inclut également la volonté de Pékin d'étendre le corridor sino-pakistanais vers l'Afghanistan. C'est pourquoi des forces multipolaires (de l'Iran au Pakistan, en passant par la Russie et la Chine) poussent à une pacification rapide du pays d'Asie centrale (par opposition à l'Inde qui continue à travailler sous le radar, non seulement pour maintenir un contingent nord-américain à Kaboul, mais aussi pour la déstabilisation de la région).

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Le rôle de l'Inde, également au Myanmar, ne peut en aucun cas être sous-estimé. S'il est vrai qu'Aung San Suu Kyi (à la déception de ses partisans "occidentaux") n'a pas particulièrement affecté les excellentes relations traditionnelles entre le pays et la Chine et le programme de coopération avec cette dernière, il est tout aussi vrai que durant ses années de gouvernement, le pays, outre l'ouverture au circuit des ONG "sorosiennes", a connu un rapprochement substantiel avec New Delhi: une relation qui s'est intensifiée ces derniers mois avec le blocage de l'achat du vaccin anti-Covid chinois, auquel a été préféré celui de l'Inde.

Par ailleurs, New Delhi, qui n'est pas étrangère à la production de fausses informations pour discréditer ses rivaux [4], affirme depuis longtemps que la Chine soutient le trafic d'armes le long de la frontière indo-birmane en apportant un soutien logistique à certains groupes armés opérant à l'intérieur du Myanmar (l'armée d'Arakam et l'armée de l'État Wa) [5] : une stratégie d'information visant non seulement à aigrir les relations entre Pékin et Naypyitaw, mais aussi, compte tenu du rôle attribué à l'Inde par les États-Unis, à accélérer la déstabilisation d'un pays déjà profondément divisé selon des lignes ethniques-sectaires.

L'une des raisons qui auraient pu pousser les militaires à intervenir directement, outre le prétexte des irrégularités électorales, est l'observation du fait que l'institutionnalisation potentielle de la division de fait de l'Union aurait pu entraîner la création de nouveaux potentats locaux, susceptibles d'être cooptés par des puissances extérieures pour des raisons ouvertement contraires à l'intérêt national. En ce sens, le Tatmadaw, une institution farouchement nationaliste, aurait agi dans le respect de la Constitution de 2008 et de la défense de l'unité nationale[6]. L'un des souhaits exprimés par Wang Yi à Min Aung Hlaing lors de la réunion susmentionnée était en fait d'œuvrer à une "revitalisation nationale" du Myanmar.

Il n'est donc pas surprenant qu'avant même l'intervention des militaires (dont les dirigeants, parmi lesquels Min Aung Hlaing, il faut le dire, ont déjà fait l'objet de sanctions de la part de Washington et de Londres suite aux actions entreprises pour réprimer les troubles dans l'Etat de Rakhine entre les bouddhistes et une minorité musulmane que le gouvernement central estime être des descendants d'immigrants bengalis), les Etats-Unis ont menacé de punition sévère le Tatmadaw [7].

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Pour être juste, certains ont avancé l'idée que la longue main des services nord-américains était à l'origine de l'action de l'armée. Cet aspect mérite une enquête plus approfondie. Tout d'abord, il faut noter que la prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, surtout après avoir échoué à prendre position en faveur de ce qui est présenté en "Occident" comme le peuple Rohingya, a perdu une partie de sa "crédibilité démocratique", construite sur des apparitions en compagnie de Barack Obama et de la famille Soros. A cela s'ajoute le fait qu'elle n'a pas pu développer une politique étrangère en totale discontinuité avec le passé, en partie à cause d'un partage du pouvoir avec des appareils militaires historiquement liés (bien qu'avec des hauts et des bas) à la Chine et à la Russie [8]. Cependant, en prétendant qu'Aung San Suu Kyi aurait été déposée en relation avec l'extension birmane de la nouvelle route de la soie, on oublie que sur les 38 projets prévus au sein du CMEC, seuls 9 ont été approuvés à l'heure actuelle et que le Tatmadaw lui-même, en tant que corps militaire, est historiquement difficile à infiltrer par des appareils extérieurs. Il est beaucoup plus probable que les militaires eux-mêmes ont considéré que la figure du "champion du pacifisme" n'était plus consommable à l'extérieur et qu'elle était considérablement nuisible à l'intérieur.

Cela ne signifie pas que l'événement (attribuable, je pense, à une dynamique interne claire) ne peut pas, cependant, être utilisé par ceux qui, au fil des décennies, ont fondé leur stratégie géopolitique sur la création du chaos. Les réactions internationales à l'intervention militaire en ce sens sont emblématiques. Si la Chine et la Russie, parfaitement conscientes du rôle crucial de l'armée au Myanmar, ont maintenu une attitude diplomatique de non-ingérence dans les processus politiques internes, l'"Occident" a immédiatement avancé des critiques, des intimidations et des menaces, étant donné le constat de l'échec du programme d'exportation de la démocratie libérale.

Le nouveau secrétaire d'État américain, le "faucon démocratique" Antony Blinken, a ordonné aux militaires de revenir immédiatement sur leurs décisions. Le nouveau président américain Joe Biden a demandé l'intervention de la "communauté internationale" pour condamner l'action militaire. "Les États-Unis, a déclaré M. Biden, ont levé les sanctions contre la Birmanie au cours de la dernière décennie sur la base des progrès réalisés en matière de démocratie [...] l'annulation de ces progrès nécessiterait, selon le nouveau président américain, un examen immédiat des lois et autorités en matière de sanctions, suivi d'une action appropriée"[9].

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Plus ou moins sur la même longueur d'onde, les déclarations du sénateur démocrate Bob Menendez, qui a appelé à l'imposition de nouvelles "sanctions économiques strictes"[10] et du diplomate Daniel Russel (l'homme qui a construit la relation entre l'administration Obama et Aung San Suu Kyi), qui a souligné que le "coup d'État" était une atteinte sérieuse portée aux intérêts régionaux des États-Unis, car cette intervention des militaires birmans a retiré le principal outil de l'Occident des leviers du pouvoir[11]. De plus, l'organe de la CIA en Asie, Radio Free Asia, a immédiatement servi de porte-voix pour la protestation d'Aung San Suu Kyi.

Il reste donc à voir comment les États-Unis peuvent exploiter la situation à leur avantage. Outre la possibilité susmentionnée d'utiliser l'Inde comme instrument de guerre hybride contre le Myanmar, une autre solution pourrait être la création d'un "scénario vénézuélien" (ou biélorusse) en ne reconnaissant pas le fait de la situation politique interne et en continuant à accorder une légitimité à un gouvernement sans pouvoir réel, dans l'espoir de déclencher un processus rapide de déstabilisation et de "balkanisation".

Dans ce contexte, le rôle de la Chine et de la Russie ne peut être que celui-ci : accompagner le Myanmar vers un processus politique qui garantisse la stabilité interne (également par le maintien des canaux commerciaux qui seront compromis par le nouveau régime de sanctions occidental éventuel) et l'absence d'intrusions extérieures non seulement à Naypyitaw mais aussi dans l'espace eurasien le plus large.

NOTES :

[1]    On peut consulter le texte de la Constitution du Myanmar sur le site :  www.constituteproject.org.

[2]    Wang Yi meets with Myanmar’s Commander in Chief of Defense Services Min Aung Hlaing, www.fmrc.gov.cn.

[3]    Le port sri-lankais d’Hambantota, fut en son temps mis en exergue comme exemple du caractère agressif du projet infrastructurel chinois dans un célèbre article de Georges Soros, publié dans la Financial Review. Le spéculateur international bien connu, dans sa contribution au titre révélateur, “Xi Jinping is the most dangerous enemy”, soutient la thèse que la Chine, par le « piège de la dette » chercherait à stranguler les pays inclus dans la « nouvelle route de la soie ». Toutefois quelques études émanant de la John Hopkins University et de l’Université de Boston ont démontré que la corrélation entre le problème de la dette des pays, dont question,  et les travaux infrastructurels proposés est ténu.

[4]    Emblématique en ce sens est la vaste campagne de désinformation produite par les médias indiens et amplement répercutée en Occident, contre le Pakistan. Voir, par exemple, The dead professor and the vast pro-India disinformation campaign, www.bbc.com; EU NGO report uncovers Indian disinformation campaign, www.aljazeera.com

[5]    India accuses China of helping rebel groups on its Myanmar border, www.scmp.com.

[6]    Il est bon de rappeler que la Constitution de 2008 prévoit que 25% des sièges au Parlement birman doivent appartenir de droit au Parti de l’Union, Solidarité et Développement, (organe politique du Tatmadaw) et qu’il faut garantir aux militaires le contrôle des affaires intérieures et, bien sûr, de la défense. Il va de soi que l’Armée (selon une modalité semblable à celle en vigueur en Egypte) jouit d’une substantielle autonomie en matière de gestion des investissements.

[7]    US warns Myanmar’s military it’all be punished for coup, www.politico.com.

[8]    Le 29 juin 1954, la Chine et la Birmanie ont scellé un Traité d’amitié basésur cinq principes de coexistence pacifique : a) le respect réciproque de l’intégrité et de la souverainté nationales ; b) non-agression mutuelle ; c) non ingérence réciproque dans les affaires intérieures des signataires ; d) avantages mutuels et égalité ; e) coexistence pacifique.De la fin des années 60 aux années70 du 20ème siècle, les rapports entre lesdeux paysse sont détériorés, suite aux révoltes antichinoises en Birmanie. Toutefois, pendant l’ère Deng, lesrapportsse sont améliorés, surtout suite à la signature de divers accords de coopération commerciale, à partir de la fin des années 80.

[9]    Si veda Myanmar’s Army Chief challenges Biden, bets big on China, www.bloomberg.com.

[10]  Ibidem.

[11]  Si veda, Myanmar Army pledges new elections after one year state of emrgency; Suu Kyi urges public to protest, www.straitstimes.com.

[12]  Aung San Suu Kyi urges protests to reject Myanmar miltary coup, 1-year state of emergency, www.rfa.org.

 

samedi, 06 février 2021

Poutine et la guerre entre différents projets mondiaux

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Poutine et la guerre entre différents projets mondiaux

Mikhail Khazin

Traduction de Juan Gabriel Caro Rivera

Ex: https://www.geopolitica.ru

A propos du capitalisme « inclusif »

Je dois dire à tous ceux qui défendent les théories du complot qu'ils ne devraient pas lire ce texte : je n'écrirai rien qui ait un rapport avec la création du capitalisme inclusif qui est promu par le pape, les Rothschild et les Rockefeller (1). Pour cela, il vaut mieux lire la presse officielle.

Mais, et il est très important de le souligner, l'existence même d'un tel projet ne nous dit rien sur son propre contenu : les déclarations officielles sont souvent faites pour ne pas révéler la vérité et visent plutôt à cacher le contenu réel du projet.

Mais les gens sont très intéressés par ce sujet et écrivent beaucoup. Nous allons donc essayer de comprendre le problème en nous basant sur la façon dont nous comprenons nous-mêmes ce problème. Mais ce que nous écrivons ici est précisément une tentative et non une réponse à la question de savoir ce qui se passe. Notre perspective est donc la suivante : il existe un système de projets mondiaux, qui sont décrits de manière très détaillée dans notre livre Bridge to the Future. Nous avons fait valoir que face à ces projets mondiaux, il existe un certain nombre de projets civilisationnels qui n'ont pas encore atteint un niveau mondial, bien qu'ils tentent parfois de devenir une alternative.

Nous avons décrit ces six projets dans notre livre. Trois de ces projets sont mondiaux :

  • Le projet juif global (le "Plan Salomon", le "Nouveau Londres") ;
  • Le projet mondial "occidental" (également connu sous le nom de Finintern, dont le centre est à New York et dont le point focal est le FMI et Wall Street) ;
  • Le projet islamique mondial (aujourd'hui défendu par la Turquie).

Et les trois autres projets sont de nature civilisationnelle et visent à prendre le pouvoir ou à devenir des projets au niveau mondial. C'est le cas :

  • L'une d'elles est la relance du projet capitaliste classique qui est coordonné par le Vatican ("L'Internationale noire", l'aristocratie européenne, les francs-maçons, etc ;)
  • Le projet chinois qui a abandonné (peut-être temporairement) le projet global "Rouge" et qui est mené par une série de clans militaires ;
  • La Russie en tant que projet de civilisation qui hésite entre plusieurs options telles que l'"Internationale noire" (suivant l'idée que "Moscou est la troisième Rome"), le retour au projet global "Rouge" ou la création d'un centre de civilisation régional avec la Chine et est connu sous le nom de "Nouvelle Horde".

Par exemple, qu'est-ce que Brexit ? C'est une alternative à 1936 (lorsque le projet global "occidental" a réussi à remplacer le roi Edward VIII par le père de l'actuelle Reine et a ainsi vaincu les groupes qui appartenaient à l'élite dirigeante de l'Angleterre), c'est-à-dire au coup d'État que les banquiers ont fini par perdre.

Très probablement, jusqu'en 1936, Londres était dirigée par des représentants du projet juif (des représentants de "l'aristocratie noire" de Venise, qui, par l'intermédiaire de la Hollande, ont réussi à prendre le pouvoir en Grande-Bretagne pendant la "Glorieuse Révolution" de 1688). Cela explique le fait que tous les empires d'Europe continentale se sont effondrés à la suite de la Première Guerre mondiale et que les Britanniques sont les seuls à être restés intacts. Eh bien, Londres a toujours eu une relation difficile avec le Vatican.

Gardons à l'esprit que la "vieille" aristocratie (c'est-à-dire l’aristocratie continentale) d'Europe occidentale a tenté de se venger après la défaite de 1918 et pour cela, elle a soutenu Hitler, car elle considérait l'Angleterre comme son principal ennemi. Mais ils ont échoué et ont été contraints de se tourner vers l'Est et nous en connaissons les résultats. Soit dit en passant, toute la campagne antisémite que le NSDAP a encouragée à ses débuts visait à chasser les Juifs de Palestine, c'est-à-dire qu'elle était dirigée contre l'Angleterre elle-même.

Signalons quelque chose d'important. Depuis les années 1920, le projet juif se sent menacé par les banquiers, c'est-à-dire par l'élite du projet "occidental" qui, après la création du système de la Réserve fédérale aux États-Unis, a fini par s'installer dans ce pays. Et c'est pourquoi, depuis la fin des années 1920, ce projet a cherché à se connecter avec la NSDAP. Eh bien, à la suite de l'Holocauste, les principales victimes ont été les Juifs d'Europe de l'Est, dont une partie importante s’était installée sur ce territoire en provenance de l'ancienne Babylone et de la Khazarie. En d'autres termes, ils n'avaient rien à voir avec l'histoire de l'Empire romain et de l'Europe médiévale et, en général, étaient porteurs d'une notion du sacré complètement différente.

Au fait, le gendre de Trump représente les Hassidim, il a des ancêtres qui viennent de Khazarie. Cela nous permettrait d'approfondir l'histoire très complexe des relations que les Juifs du monde ont avec toutes les distinctions de la judaïté, et c'est un sujet que nous n'aborderons pas ici. Je ne tirerai qu'une seule conclusion de tout cela: en général, Trump, malgré son alliance avec le Vatican contre le projet global "occidental", ne constitue pas un tout en soi, lié au seul projet juif. Il est possible que si le projet de "Nouvelle Horde" (également connu sous le nom de "Grande Eurasie") réussit, Trump se joigne à ce projet, puisque la Khazaria fait partie de la zone des Grandes Steppes.

En ce moment, l'"Internationale noire" tente de mener sa deuxième revanche (elle a sa base d'opérations en Allemagne et a également un accord avec le Vatican), mais cette deuxième offensive a une faiblesse : il lui manque un modèle économique complet et cohérent qui lui donnerait les moyens nécessaires pour un projet de grande envergure. L'Allemagne et l'UE "vivent" aujourd'hui exclusivement sur le potentiel d'émission du dollar, qui est contrôlé par l'élite qui est à la tête du projet "occidental". Et comment agir dans une telle situation ? Les modèles économiques du projet capitaliste mondial sont désespérément dépassés et personne n'est capable de les adapter à la modernité : tous les experts sur lesquels ils comptent ont été formés selon les modèles du libéralisme. Le projet capitaliste est donc entré dans la phase de création d'un réseau et est principalement soutenu par les nationalistes. Et en Europe continentale, les nationalistes ne sont au pouvoir que dans quelques très petits pays.

Gardons à l'esprit que nous, les Russes, comprenons que ces ressources existent, mais que, de leur point de vue, nous devrions, au mieux, devenir un partenaire junior (et tout cela nous a été démontré de manière très dure par la Grande guerre patriotique). En Russie, la "cinquième" colonne se développe, mais pas la libérale, mais la "troisième colonne" comme le Tsarevich Hosha, toutes sortes de princes et autres marginaux que même pas 3% de la population soutient. Mais à mesure que la situation en Russie s'aggrave et, si aucune alternative n'est créée, ils finiront par accroître leur influence.

La situation à Londres s'est améliorée ! En fait, ils ont pu placer leur candidat aux Etats-Unis en 2016 (dans le cadre de la même logique nostalgique du "vieux" capitalisme), mais, l'important, c'est que maintenant il a perdu ! Le projet "occidental" a pris sa revanche sur les États-Unis et toutes les autres forces en présence doivent d'une manière ou d'une autre décider de ce qu'elles vont faire maintenant ! Gardons à l'esprit que le projet "occidental" a ses propres problèmes, tout d'abord : son principal outil, celui avec lequel ils ont pris le contrôle du monde entier à la fin des années 80, l'émission de dollars, a complètement épuisé son utilité. Mais, pour l'instant, les dollars peuvent être imprimés en n'importe quelle quantité et Trump n'est plus en mesure de l'empêcher.

Londres a donc recommencé à jouer. Ils ont un problème : le projet "occidental" domine dans l'UE, aux États-Unis et, de plus, on ne sait pas exactement quel rôle la Russie joue dans tout cela (car la Russie est sous le contrôle du projet "occidental" sur le plan financier et économique). La Russie a besoin de ressources propres (sa propre zone monétaire) dont elle ne dispose pas encore. Et Londres (sous le contrôle du projet juif) a commencé à promouvoir l'une des nombreuses factions qui existent dans le réseau du projet islamique mondial. Non pas Daesh, qui était auparavant promu par le projet "occidental", mais un autre, que l'on peut conditionnellement appeler le "califat rouge" dont le centre se trouve en Turquie (à Istanbul). L'objectif est de créer sur la base du monde arabe une zone monétaire avec Londres comme centre.

D'où, soit dit en passant, le conflit avec Israël. Londres n'a pas besoin d'Israël dans la nouvelle version du Moyen-Orient qu'elle crée (car Israël interfère avec son projet de califat rouge). Le projet "occidental" n'a pas non plus besoin d'Israël, car dans le cadre de cette confrontation interne entre Juifs, les sionistes ne sont pas en bons termes avec le secteur financier. Mais l'aristocratie européenne et le Vatican ont réellement besoin des Juifs (tant qu'Israël existera, les intérêts séculiers de l'État juif prévaudront sur les intérêts sacrés du projet  juif). À l'époque, Clinton était prêt à capituler devant Israël et Trump y était prêt aussi.

Eh bien, maintenant, comme promis, je vais parler un peu du capitalisme "inclusif". Le pape, comme on peut le constater, fait partie de l'"Internationale noire" et est l'un des éléments moteurs de ce projet de réseau capitaliste. Les Rothschild font partie du projet juif qui a pris le pouvoir à Londres, mais ils se trouvent dans une situation extrêmement précaire : la menace d'un nouveau Trump se profile à l'horizon.

Les Rockefeller sont la partie américaine du projet qui anime ce réseau capitaliste. Et qui est l'ennemi commun de tous ? L'élite à la tête du projet "occidental". Et pourquoi ont-ils besoin d'une alliance ? Selon la logique que nous avons exposée, la réponse est évidente : ils ont besoin d'un nouveau modèle de croissance économique qui soit différent de la question du dollar ! Ils doivent d'abord détruire le projet "occidental", puis s'occuper des autres projets. Et le projet "occidental" n'a pas encore été battu.

Notons que le Pape a longtemps essayé d'aller dans cette direction, il y a quelques années un fonds spécial d'environ 100 millions a été créé qui était censé financer un certain nombre de recherches pertinentes (j'ai même publié un document sur la création de ce fonds qui existe quelque part et était ouvert aux investissements) ... Mais l'astuce n'a pas fonctionné, ils n'ont pas trouvé de spécialistes capables de mettre en œuvre un tel programme. Et maintenant, ils font la deuxième tentative. La tâche principale de cette coopération est de trouver un mécanisme de développement qui permettra de vaincre enfin le projet global "occidental".

Et tous les autres projets, où en sont-ils ? La Chine s'attend à une crise inévitable, l'arrivée de Biden lui permet de retarder cet effondrement pour un certain temps, c'est-à-dire d'accumuler toutes sortes de réserves. Xi a déjà annoncé une transition pour lancer une série d'activités étatiques (sinon la Chine ne survivra pas du tout car elle ne pourra pas s'orienter vers le marché intérieur), mais il manque à la Chine un projet global ! La Chine est mal comprise au-delà de ses propres frontières, elle ne dispose pas de ce que l'on a récemment appelé le "soft power". Elle peut essayer de revenir au projet "Rouge", mais elle doit encore former un personnel important pour pouvoir le développer et la crise n'a pas encore commencé. Dans l'ensemble, ils ont encore des options, mais ils se trouvent dans un moment assez difficile.

Le projet juif a également été réactivé après le "Brexit", mais ils ont peu de ressources et sont confrontés à une inévitable guerre éclair. Soit ils remporteront une victoire rapide, soit ils subiront une défaite inévitable. Cela explique l'activité que Londres développe en Transcaucasie : elle a choisi la Turquie comme bélier et comme instrument, j'ai déjà écrit à ce sujet. Et ils doivent remporter une victoire rapide (c'est-à-dire qu'ils pourront former leur propre zone monétaire) ou la Grande-Bretagne, dans le cadre de l'histoire mondiale, cessera d'être considérée comme une grande puissance. Certes, le projet juif peut être relancé, mais la Grande-Bretagne va disparaître.

Le projet capitaliste a déjà perdu une de ses Blitzkriege et il lui est maintenant très difficile de manœuvrer politiquement, aussi espère-t-il, par ses récentes démarches politiques, s'allier à la Russie. Le seul obstacle sur son chemin est Poutine. C'est pourquoi une attaque très agressive contre Poutine se développe, qui est non seulement soutenue par le projet "occidental" (on comprend bien pourquoi l'élite de ce projet craint tant que Poutine n'entame une purge illibérale dans leur pays), mais qui trouve également un écho auprès de toute l'élite européenne. La seule différence est que les premiers détestent totalement la Russie (avec Poutine), tandis que les seconds sont tout à fait disposés à accepter la Russie, même en tant que partenaire junior, mais sans Poutine.

En fait, j'ai presque entièrement décrit le rapport de force. Seule la Russie a été exclue de ce scénario. Mais ici, je ne dirai rien pour l'instant, puisque Poutine n'a pas encore fait son choix. Plus précisément, je veux dire que la Russie manœuvre dans un scénario très difficile sans montrer à personne son véritable plan. Ici, comme lorsque l'on fait du vélo, il est beaucoup plus facile de rouler que d'être surpris par la façon dont on le fait. On ne peut donc qu'admirer le talent de Poutine, ce sera une autre affaire quand il prendra sa décision et il ne fait aucun doute qu'à ce moment-là, les partisans des autres projets finiront par détester cette décision.

Note :

  1. https://katehon.com/ru/article/zakulisa-snimaet-maski

vendredi, 05 février 2021

Europe et Russie, Schröder parle

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Europe et Russie, Schröder parle

Par Emanuel Pietrobon

Ex : https://it.insiderover.come

Gerhard Schröder, titulaire de la chancellerie allemande de 1998 à 2005, restera dans les mémoires comme le dernier porte-drapeau de l’Ostpolitik. Architecte de Nord Stream, adepte de la thèse sur la soi-disant "Gerussia", intolérant à l’endroit de l'hégémonie américaine et l'un des plus grands critiques de la politique étrangère d'Angela Merkel, Schröder peut vraiment être considéré comme le dernier penseur politique eurasiatique résidant à Berlin.

Bien qu'il soit sorti de la politique depuis plus de quinze ans, l'ancien chancelier continue à être actif en coulisses de la scène internationale et à défendre ardemment ce qui était, et est toujours, sa Weltanschauung. Interviewé récemment par un journal allemand, le Rheinischer Post, M. Schröder a parlé de l'état actuel des relations russo-allemandes, de Nord Stream 2 et d'Aleksei Navalny, et a expliqué pourquoi il est dans l'intérêt de l'Allemagne (et de l'Europe) de traiter la Russie à l'amiable et de s'efforcer de comprendre ses aspirations et ses revendications.

Des partenaires, pas des adversaires

L'interview de l'ancien chancelier allemand a été publiée par le Rheinischer Post le 30 janvier et mérite d'être révélée au public italophone du moins dans ses parties essentielles. Schröder est catégorique et sa position intransigeante: la Russie "ne doit pas être traitée comme un adversaire, mais comme un collaborateur potentiel", et l'Allemagne doit la laisser se développer et mûrir véritablement, sans contraintes et/ou pression extérieure, "sa propre identité et sa propre force économique".

Une Russie forte suscite la crainte à première vue, en raison également de son passé historique vis-à-vis des puissances européennes et de ses immenses dimensions géographiques, mais Schröder croit fermement à la nécessité historique de transformer en réalité l’axe symbiotique entre Berlin et Moscou, un lien basé sur la parfaite complémentarité entre le complexe technologico-industriel allemand et les richesses infinies du sous-sol russe et qui aurait le potentiel de recentrer les relations internationales en faveur de l'Europe.

Les Allemands, selon l'ancien chancelier, seraient conscients de l'erreur politique et historique de Merkel d'amalgamer l'agenda étranger européen à l’égard Moscou avec celui des Etats-Unis : "Les attaques contre la Russie ne reflètent pas l'opinion de la majorité".

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Achever le Nord Stream 2

L'achèvement du Nord Stream 2 fait partie de la construction de la Gerussie, une union entre l'Allemagne et la Russie. La modernisation du gazoduc, affirme M. Schröder, doit être réalisée à tout prix, au-delà de la pression des États-Unis et d'une partie de l'Union européenne elle-même, car "elle garantira l'approvisionnement énergétique des prochaines générations" et facilitera la transition verte.

L'Allemagne "couperait la branche sur laquelle elle est assise" en se soumettant à la campagne de lobbying lancée par l'administration Trump, qui est toujours en cours ; de plus, poursuit l'ancien chancelier, l’Allemagne ferait une très mauvaise affaire si elle acceptait de remplacer le gaz russe par du gaz liquéfié américain. Ce dernier, selon M. Schröder, serait "nuisible à l'environnement, plus cher et de mauvaise qualité’’.

N'intervenez pas

L'interview s'est concentrée sur des questions d'actualité. L'ancien chancelier a donc également été interrogé sur Aleksei Navalny. Schröder se montre totalement indifférent au sujet et au personnage, se disant plus intéressé par "les questions fondamentales que par les discussions éphémères". Contournant l'obstacle, ou plutôt le traitant à sa manière, l'ancien chancelier a rappelé au public l'une des règles de base des relations internationales: le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres.

La leçon de Schröder, résumée dans cette réponse brève mais éloquente, est d'une importance fondamentale: c'est précisément à cause de ce que le politologue Samuel Huntington a appelé "l'arrogance occidentale", c'est-à-dire la propension innée du bloc euro-américain à s'immiscer dans les sphères d'influence des autres, que les relations entre l'Occident et la Russie sont au plus bas, et l'affaire Navalny en est une des nombreuses manifestations.

Si l'Allemagne et l'Europe acceptaient le caractère naturel et inévitable des différences, un redémarrage concret et durable avec la Russie serait possible. L'alternative à la reconnaissance (et à la valorisation) des différences mutuelles - c'est une évidence - est une relation articulée sur un antagonisme anti-économique, sur un endiguement éternel intrinsèquement dangereux pour la paix mondiale et, enfin, sur la perpétuation de la condition de dépendance du système européen vis-à-vis des États-Unis.

 

jeudi, 04 février 2021

Comment la Turquie, l'Iran et le Pakistan se connecteront dans le "Bri" chinois

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Comment la Turquie, l'Iran et le Pakistan se connecteront dans le "Bri" chinois

par Giuseppe Gagliano

Ex : https://www.startmag.it

La Turquie, l'Iran et le Pakistan ont annoncé qu'ils allaient relancer la ligne ferroviaire Istanbul-Téhéran-Islamabad (Iti). Une étude approfondie dusujet par Giuseppe Gagliano.

Hier comme aujourd'hui, le développement des infrastructures ferroviaires constitue un aspect fondamental pour le développement économique. Ce n'est pas un hasard si la Turquie, l'Iran et le Pakistan ont annoncé qu'ils allaient relancer la ligne ferroviaire Istanbul-Téhéran-Islamabad (Iti), un projet qui avait déjà été mis en place en 2009. Malgré de nombreux essais, la liaison ferroviaire n'était pas encore pleinement opérationnelle. En fait, certains problèmes d'infrastructure doivent encore être résolus avant que cet important axe ferroviaire puisse être mis en place dans le cadre de l'initiative chinoise "Ceinture et route" (Bri – Belt & Road Initiative).

Une fois pleinement opérationnel, le chemin de fer pourra promouvoir le commerce dans d'autres pays, notamment l'Afghanistan, l'Azerbaïdjan et cinq États d'Asie centrale, dans le cadre de l'Organisation de coopération économique, une plateforme de développement, de commerce et d'investissement fondée en 1985 par l'Iran, la Turquie et le Pakistan. Le train pourra parcourir les 6500 km qui séparent le Pakistan de la Turquie en seulement 11,5 jours, contre 45 jours habituellement par voie maritime.

Selon de récents rapports des médias, le service pourrait également être relié au Xinjiang en Chine par la ligne ferroviaire Mainline-1 du Pakistan. En fait, l'un des projets les plus importants du corridor économique Chine-Pakistan (Cpec) est le projet ML-1, dans le cadre duquel les lignes ferroviaires existantes du Pakistan seront modernisées pour permettre aux trains de circuler deux fois plus vite qu'aujourd'hui.

Ce projet, approuvé par le principal organe économique du Pakistan en août 2020, coûtera 6,8 milliards de dollars, la Chine apportant 90 % du financement. Le projet devrait être achevé à la fin de l'année 2026.

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Tout à l'heure, nous avons parlé des problèmes qui ont empêché l'achèvement de ce projet dans les délais voulus. Eh bien, premièrement, le retard de cette importante infrastructure ferroviaire a été causé par les sanctions économiques contre l'Iran ; deuxièmement, seuls les trajets de trains de marchandises ont été testés, même si l'itinéraire a été reconnu par les Nations unies comme un corridor international.

Troisièmement, les liaisons ferroviaires du Pakistan doivent être modernisées pour être reliées aux lignes internationales. Le chemin de fer pakistanais sera relié à la ligne de chemin de fer Iti via Quetta, dans la province du Baloutchistan, au sud-ouest du pays. La ligne ferroviaire Quetta-Taftan, qui sera utilisée pour le train Iti, a été construite il y a un siècle et doit être modernisée.

En août dernier, le ministre pakistanais des chemins de fer a annoncé qu'une étude de faisabilité pour la modernisation proposée avait été réalisée et que 694 millions de dollars seraient dépensés pour les réparations nécessaires. Ce processus devra être achevé rapidement afin que le train Iti puisse être mis en service dans les délais prévus.

En ce qui concerne l'Iran, cette infrastructure est très pertinente car elle peut contribuer à relancer l'économie du pays frappé par les sanctions américaines. Pour Téhéran, il s'agit d'une route commerciale alternative attrayante car les pays de l'OCDE commercent en monnaie locale et donc, en temps de crise et de guerre, ces routes commerciales alternatives sont très précieuses et rentables.

En outre, le projet ferroviaire Iti peut également promouvoir d'importants axes ferroviaires dans le cadre de l'initiative chinoise "Belt and Road". En effet, la Chine considère que les liaisons de transport iraniennes font partie de l'initiative et donc de sa projection de puissance.

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Pour se rendre compte de l'importance réelle de cette infrastructure, pensons au fait que le 4 décembre, un train d'exportation en provenance de Turquie est parti pour la Chine et est arrivé à Xian, dans la province de Shaanxi, le 19 décembre, devenant ainsi le premier train à relier la Turquie à la Chine.

Le train a suivi l'itinéraire de transit international de la mer Caspienne via la ligne ferroviaire Bakou-Tbilissi-Kars. La route Iti est désormais beaucoup moins compliquée et, en reliant Pékin à l'Iran et à la Turquie via le Pakistan, elle peut devenir un élément important de l'initiative chinoise "Belt and Road".

Bien sûr, le tracé du train ITI va également accroître l'importance stratégique et économique du Pakistan, mais cela ne sera possible que si Islamabad est en mesure de renforcer son infrastructure ferroviaire.

Avec cette nouvelle ligne ferroviaire, la Turquie, l'Iran et le Pakistan se positionneront sans aucun doute comme une plaque tournante importante entre l'Europe et l'Asie. Mais cette nouvelle ligne de fret augmentera également la connectivité et les échanges entre les trois pays. Le commerce régional est limité. Par exemple, seulement 1,26% des exportations du Pakistan sont destinées à la Turquie et moins de 0,1% à l'Iran.

Pour que cela soit rentable, le Pakistan, l'Iran et la Turquie devront nécessairement mieux coordonner leurs politiques économiques afin que les entreprises locales utilisent cette nouvelle ligne.

Cette ligne permettra aux entreprises étrangères d'accroître leurs échanges commerciaux avec la Turquie, l'Iran et le Pakistan. Les entreprises européennes pourront alors trouver de nouveaux marchés dans les trois pays afin de créer de nouvelles relations économiques.

mercredi, 03 février 2021

Karl Haushofer en het nationaal-socialisme: tijd, werk en invloed door Perry Pierik

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Bespreking van: Karl Haushofer en het nationaal-socialisme: tijd, werk en invloed door Perry Pierik

Björn Roose

Wie zich ook maar voor een uurtje in geopolitiek verdiept – en dat zijn er sinds die tak van de wetenschap de laatste decennia weer enigszins gededouaneerd is geraakt toch niet weinig –, komt hoe dan ook bij de naam Karl Haushofer terecht. Het is dan ook enigszins spijtig dat Perry Pierik het woord “geopolitiek” niet eens vernoemt op de cover van dit boek, zodanig dat wie nog nooit gehoord heeft van geopolitiek niet door dat woordje kan aangetrokken worden om het boek ter hand te nemen. Nah ja, “nationaal-socialisme” zal een belangrijker verkoopsargument geweest zijn en Pierik is per slot van rekening niet alleen schrijver, maar ook uitgever (dit boek is uitgegeven bij Aspekt, waarvan hij de eigenaar is) en boeken over het nationaal-socialisme en aanverwanten zijn zo’n beetje de specialiteit van zijn uitgeverij. “Als de nationaal-socialisten niet hadden bestaan, dan hadden ze ze moeten uitvinden”, zei een Franstalige kennis van me wel eens en hij had voor de wereld van uitgevers, documentairemakers en cineasten zeker gelijk.

frontImagesLink.jpgNu, los daarvan, dit Karl Haushofer en het nationaal-socialisme is een redelijk sterk boek. Ook voor wie meer wil weten over geopolitiek, want Pierik gaat uitgebreid op het vakgebied in in het derde hoofdstuk Geopolitik: de mores van het vak. De ideeën van Friedrich Ratzel, Rudolf Kjellén, Halford Mackinder en uiteraard Karl Haushofer en de andere geopoliticus in de familie, zijn zoon Albrecht passeren, samen met die van een aantal mindere goden, uitgeverijen, begunstigers, enzovoort, de revue. Bovendien zijn in het boek 35 bladzijden aan voetnoten opgenomen en 20 bladzijden aan literatuurregister. Daarin zit héél veel over de geopolitiek, zodat wie zich verder wil verdiepen in die wetenschap zich nog lang niet zal gaan vervelen.

Maarreuh, geopolitiek, was dat niet iets van de nationaal-socialisten? Was dat niet de semi-wetenschappelijke uitleg die ze gaven aan hun drang naar Lebensraum (en nach Osten)? Zou zoiets niet beter in de hoek blijven liggen waarin het na WOII geschopt is? Wel, dat soort vragen zal allicht ook de reden geweest zijn waarom Pierik dit boek geschreven heeft.

Mijn mening: politici (en dat zijn nationaal-socialisten net zo goed al communisten en “democraten”) maken altijd, net zoals “gewone” burgers (én een groot deel van de wetenschappelijke wereld), misbruik van die conclusies die de wetenschap (tijdelijk) trekt en stofferen er hun eigen aannames mee. Dat dat zal gebeuren, mag geen reden zijn om niet verder te streven naar kennis. En als iemand streeft naar kennis, zal hij doorgaans niet zoveel zelfbeheersing aan de dag leggen dat hij die voor zich houdt tot ze “volledig” is. Wetenschappers hebben een ego, willen niet dat een ander hen vóór is, en verdienen óók graag hun boterham.

Dat er zelfs in de definitie van geopolitiek nogal verschillen zitten van persoon tot persoon, van instelling tot instelling, maakt het er uiteraard niet makkelijker op. Dat er héél veel factoren meespelen óók niet. En dat iedereen er mee doet wat hem zint al evenmin. David Criekemans definieerde geopolitiek in 2005 als “het wetenschappelijk studieveld behorende tot zowel de Politieke Geografie als de Internationale Betrekkingen, die de wisselwerking wil onderzoeken tussen de politiek handelende mens en zijn omgevende territorialiteit (in haar drie dimensies; fysisch-geografisch, menselijk-geografisch en ruimtelijk)”, wat het wel zo’n beetje samenvat, maar ook meteen duidelijk maakt dat geopolitiek over álles kan gaan en overal heen kan.

md1367120941.jpgIs het dan eigenlijk wel een wetenschap, kan je je afvragen? En, weerom mijn mening, dat is het en dat is het niet. Is filosofie een wetenschap? Is psychologie een wetenschap? Is economie een wetenschap? Die eerste twee vragen zullen veel mensen meteen met een “nee” beantwoorden, al zullen de beoefenaars van de wetenschap in kwestie daar wellicht een andere mening over hebben, maar economie wordt algemeen gezien als wetenschap. Ik, als economist, zeg dat het dat niet is. Op basis van de economische “wetenschap” zijn systemen gevestigd die zo ver uiteenlopen als communisme en kapitalisme, verdedigt de ene een “miljardairstaks” en de andere een “flat tax”, is de ene in crisistijden voor zware overheidsinvesteringen terwijl de andere pleit voor het buiten de economie blijven van de staat. En elke politicus én elke economist heeft “wetenschappelijke” bewijzen die zijn gelijk staven. En stuk voor stuk zijn ze van oordeel dat hun tegenstanders onwetenschappelijke klungelaars zijn. Of ze negeren die tegenstanders volkomen. Ergo: als we economie als een wetenschap beschouwen, kunnen we geopolitiek óók als een wetenschap beschouwen.

Sterker nog: er is eigenlijk véél meer overeenstemming in de geopolitieke wereld dan er in de economische wereld is. Zonder dat die overeenstemming met de macht van de straat afgedwongen wordt (cfr. de zogenaamde consensus in de wetenschappelijke wereld over klimaatopwarming, afgedwongen door activistische politieke instellingen en dito van mediatieke roeptoeters voorziene burgers). Er zijn een aantal verschillende verklaringsmodellen, geen daarvan is volledig, en er is sprake van voortschrijdend inzicht, maar de voorlopige conclusies gaan geen radicaal verschillende richtingen uit. Én het is ook gewoon een razend interessant kennisdomein, zeker in tijden waarin grotendeels gedaan wordt alsof grenzen voor eeuwig vastliggen, handels- en andere oorlogen zich bedienen van flauwe excuses, en gedateerde internationale instellingen hun leven proberen te rekken.

51MI6LAnouL._SX339_BO1,204,203,200_.jpgNu, ook los van de rol van Karl Haushofer in de geopolitiek – een rol die eigenlijk nauwelijks kan overschat worden – is dit een interessant boek. De naam van Haushofer zal namelijk zelden genoemd worden zonder ook die van Rudolf Hess te noemen. Rudolf Hess, de gevangene en gehangene van Spandau, de plaatsvervanger van Adolf Hitler, de man met een vredesmissie, is ondanks alle literatuur die over hem gepleegd is nog steeds een van de enigma’s van de twintigste eeuw (daar kom ik bij een latere boekbespreking nog op terug). En hij was jaren een leerling en vriend van Karl Haushofer en diens zoon Albrecht. Hij had hun naamkaartje op zak toen hij naar Schotland vloog. De Haushofers wisten (de zoon in verschillende hoedanigheden) naar alle waarschijnlijkheid van zijn plannen. Al die zaken komen aan bod in Karl Haushofer en het nationaal-socialisme – Tijd, werk en invloed, wat toch veel meer is dan wat Wikipedia ter zake vermeldt. Dat spreekt namelijk alleen van Hess die Haushofers ideeën zou geïntroduceerd hebben bij Hitler en van Hess die Haushofers “joodse familie” (Haushofers vrouw was joods) beschermde tegen diezelfde Hitler, maar vertikt het het ook maar met een woord te hebben over de invloed die de Haushofers (zowel Karl als Albrecht) gehad hebben op zijn “vlucht”.

En dan is er natuurlijk ook nog Karl als vader van Albrecht. De twee kwamen na de “vlucht” van Hess in een neerwaartse spiraal terecht (het nationaal-socialistische regime was zich wél bewust van het feit dat er een samenhang was tussen Hess en de Haushofers die véél verder ging dan het promoten van geopolitieke ideeën), maar zelfs binnen die spiraal bleven ze een merkwaardig evenwicht bewaren. Een evenwicht tussen afkeuring en goedkeuring van de Führer, tussen conservatisme en nationaal-socialisme, tussen oost en west, tussen esoterisme en wetenschap. Een evenwicht dat kennelijk heel moeilijk te begrijpen is in hysterische tijden als de onze en dat daarom steeds weer afgedaan wordt als onzin. Een evenwicht dat Karl Haushofer niet kon redden van een gevangenschap in Dachau en Albrecht Haushofer van executie in de nasleep van het conservatieve von Stauffenberg-complot. Een evenwicht dat Karl Haushofer en zijn echtgenote Martha definitief verloren toen ze zich op 10 maart 1946 achtereenvolgens vergiftigden en ophingen (al lijkt me dat, in combinatie met het lot van Hess, sowieso ook weer een eigenaardigheid).

Voeg aan dit alles een een hoofdstuk toe over de Duitse Sonderweg, een gedegen uitleg over de revolutionaire toestand die uiteindelijk Hitler aan de macht bracht, een stavaza van de geopolitiek op het moment van publicatie (2006) en zelfs – al hoefde dat voor mij niet – een hoofdstuk over wat er van Karl Haushofer gemaakt is in de esoterische literatuur, en je weet dat dit boek van Perry Pierik een aanrader is. Lezen dus !

mardi, 02 février 2021

Vers 2030, la nouvelle OTAN sera née, l'OTAN sera l'avenir

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Vers 2030, la nouvelle OTAN sera née, l'OTAN sera l'avenir

par Manlio Dinucci

Source : Il Manifesto et https://www.ariannaeditrice.it

L'OTAN se tourne vers l'avenir. C'est pourquoi le secrétaire général Jens Stoltenberg a invité des étudiants et de jeunes dirigeants des pays de l'Alliance à proposer "de nouvelles idées pour l'OTAN 2030". Cette initiative s'inscrit dans le cadre de l'implication croissante des universités et des écoles, avec également un concours sur le thème : "Quelles seront les plus grandes menaces pour la paix et la sécurité en 2030 et comment l'OTAN devra-t-elle s'adapter pour les contrer ?

Pour réaliser ce thème, les jeunes ont déjà le manuel : "OTAN 2030 / Unis pour une nouvelle ère". Ce rapport est présenté par un groupe de dix experts nommés par le Secrétaire général. Parmi eux, Marta Dassù qui, après avoir été conseillère en politique étrangère du Premier ministre D'Alema pendant la guerre de l'OTAN contre la Yougoslavie, a occupé des postes importants dans les gouvernements successifs et a été nommée par le Premier ministre Renzi au conseil d'administration de Finmeccanica (aujourd'hui Leonardo), la plus grande industrie de défense italienne.

Quelle est la "nouvelle ère" que le groupe d'experts envisage ? Après avoir défini l'OTAN comme "l'alliance la plus réussie de l'histoire", qui a "mis fin à deux guerres" (celles contre la Yougoslavie et la Libye, mais que l'OTAN a déclenchées), le rapport brosse le tableau d'un monde caractérisé par "des États autoritaires cherchant à étendre leur pouvoir et leur influence", posant aux alliés de l'OTAN "un défi systémique dans tous les domaines de la sécurité et de l'économie".

Retournant les faits, le rapport affirme que si l'OTAN a tendu une main amicale à la Russie, celle-ci a répondu par une "agression dans la zone euro-atlantique" et, en violant les accords, a "provoqué la fin du traité sur les forces nucléaires intermédiaires". La Russie, soulignent les dix experts, est "la principale menace à laquelle l'OTAN doit faire face au cours de cette décennie".

En même temps, affirment-ils, l'OTAN est confrontée à des "défis sécuritaires croissants de la part de la Chine", dont les activités économiques et les technologies peuvent avoir "un impact sur la défense collective et la préparation militaire dans la zone de responsabilité du commandant suprême des alliés en Europe" (qui est toujours un général américain nommé par le président des États-Unis).

Après avoir tiré la sonnette d'alarme sur ces "menaces" et d'autres, qui viendraient également du Sud, le rapport des dix experts recommande de "cimenter la centralité du lien transatlantique", c'est-à-dire le lien de l'Europe avec les États-Unis dans l'alliance sous commandement américain.

Dans le même temps, il recommande de "renforcer le rôle politique de l'OTAN", en soulignant que "les Alliés doivent renforcer le Conseil de l'Atlantique Nord", le principal organe politique de l'Alliance qui se réunit au niveau des ministres de la défense et des affaires étrangères et au niveau des chefs d'État et de gouvernement. Puisque, selon les règles de l'OTAN, il prend ses décisions non pas à la majorité mais toujours "à l'unanimité et d'un commun accord", c'est-à-dire fondamentalement en accord avec ce qui est décidé à Washington ; renforcer encore le Conseil de l'Atlantique Nord signifie affaiblir encore plus les parlements européens, en particulier le parlement italien, qui sont déjà privés de réels pouvoirs de décision en matière de politique étrangère et militaire.

Dans ce cadre, le rapport propose de renforcer les forces de l'OTAN, en particulier sur le flanc Est, en les dotant de "capacités nucléaires militaires adéquates", adaptées à la situation créée par la fin du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (traité déchiré par les États-Unis). En d'autres termes, les dix experts demandent aux États-Unis d'accélérer le déploiement en Europe non seulement des nouvelles bombes nucléaires B61-12, mais aussi des nouveaux missiles nucléaires à moyenne portée similaires aux euro-missiles des années 80.

Ils demandent en particulier de "poursuivre et de revitaliser les accords de partage nucléaire", qui permettent à des pays officiellement non nucléaires, comme l'Italie, de se préparer à l'utilisation d'armes nucléaires sous le commandement des États-Unis. Les dix experts rappellent enfin qu'il est essentiel que tous les alliés maintiennent l'engagement, pris en 2014, d'augmenter leurs dépenses militaires d'ici 2024 d'au moins 2% du PIB, ce qui signifie pour l'Italie de les faire passer de 26 à 36 milliards d'euros par an. C'est le prix à payer pour profiter de ce que le rapport définit comme "les avantages d'être sous l'égide de l'OTAN".

De l'Allemagne à la Turquie : tout le monde est fou de l'Albanie

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De l'Allemagne à la Turquie : tout le monde est fou de l'Albanie

Emanuel Pietrobon

https://it.insideover.com

L'Albanie est la clé de voûte de l'hégémonisation de la péninsule balkanique. Exercer une influence décisive sur cette ancienne nation euro-balkanique revient à hypothéquer le contrôle de ce qu’il est convenu d’appeler la "ceinture des Aigles" – soit le triangle Tirana-Pristina-Skopje -, qui équivaut à un tremplin géographique multidirectionnel, capable de projeter le joueur en service simultanément vers la Grèce, la Bulgarie, la Serbie, la Bosnie et l'Adriatique.

L'Albanie est d'ailleurs une économie florissante et en fort développement, une terre ouverte aux investissements étrangers, mais elle est aussi et surtout en attente d'adhésion à l'Union européenne et à l'Alliance atlantique. L'Allemagne, en raison de son rôle de première puissance européenne et à cause des éléments factuels et géographiques mentionnés ci-dessus, fait un pari important sur l'avenir du cœur territorial de la « ceinture des Aigles ».

Rome se retire, Berlin avance

L'Italie reste le premier marché de référence de l'Albanie en termes d'import-export, mais la position de domination commerciale, résultat de la proximité géographique et du passé historique, s'effrite au fil du temps au profit d'une situation plus variée reflétant l'émergence de nouvelles polarités et de nouveaux équilibres entre les Balkans et l'Adriatique.

Les chiffres sont éloquents : le tandem italo-albanais est en déclin constant depuis 2017, tandis que la présence de la Turquie et de la Chine augmente de façon ininterrompue, sans intervalles, pauses ou ralentissements, depuis 2005. Entre 2018 et 2019, alors que les importations en provenance de Rome ont diminué de 6,3 %, celles en provenance d'Ankara et de Pékin ont augmenté respectivement de 14 % et 11 %. Si la tendance se poursuit et se cristallise, d'ici le milieu des années 20, l'Italie pourrait perdre son titre de premier collaborateur commercial de l'Albanie.

L'Allemagne joue un rôle clé dans ce processus d'érosion : elle est entrée dans le classement des cinq premiers collaborateurs commerciaux de l'Albanie en 2015, occupant la quatrième position, et, depuis lors, elle a montré sa volonté de défendre avec ténacité ce statut de domination ascendante. L'année dernière, ce fut le tournant : l'augmentation exceptionnelle des exportations de produits albanais vers le marché allemand - +12,8% par rapport à 2019 ; la plus forte augmentation jamais enregistrée parmi tous les partenaires commerciaux de Tirana - accélère l'inéluctable ascension de Berlin, qui passe de la quatrième à la troisième place.

Investissements

Outre les échanges commerciaux, l'Allemagne utilise les investissements et la diplomatie culturelle pour accroître son poids sur la scène albanaise. En termes d'importance, Berlin est le onzième investisseur direct dans le système du pays des Aigles, où il est particulièrement présent dans l'énergie, les infrastructures et le tourisme, trois secteurs qui, le 27 janvier, ont fait l'objet d'une série d'accords.

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A la fin du mois, en effet, une réunion bilatérale a eu lieu à Tirana entre l'ambassadeur allemand in loco, Peter Zingraf, et la ministre albanaise de l'énergie et des infrastructures, Belinda Balluku, au cours de laquelle trois documents importants ont été signés dans les domaines de l'énergie - la restauration de la centrale hydroélectrique de Fierza, la plus grande du pays, par des spécialistes allemands -, l'investissement allemand de cinquante millions d'euros sur quatre ans pour promouvoir le développement régional intégré et le tourisme par le renforcement du réseau d'infrastructures - et pour conserver l'environnement - c'est-à-dire le soutien à la "gestion durable des déchets".

A Tirana, on parle allemand (de plus en plus)

Enfin, il y a la culture, un domaine sur lequel l'Allemagne parie beaucoup. Complice du mouvement migratoire de Tirana vers Berlin, à partir de 2018, les universités allemandes reconnaissent officiellement les diplômes du système d'enseignement supérieur albanais et la mobilité des étudiants a été renforcée par des programmes d'échange.

La promotion de la langue allemande : celle-ci est devenue une matière d'enseignement officielle dans six écoles participant à l'initiative "Partenaires pour l'avenir" ; elle est désormais une branche qui suscite un intérêt croissant chez les jeunes Albanais. Cette promotion est liée à la nouvelle donne économique/géopolitique. Pour donner une idée de l'ampleur du phénomène, considérons que le Goethe-Institut de Tirana en 2016 a dû transférer ses activités dans un bâtiment plus grand pour faire face de manière adéquate à une demande en pleine explosion : quatre mille étudiants se sont inscrits à l'époque, soit une augmentation de 22 % par rapport à l'année précédente.

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Il est fondamental de traiter le facteur linguistique avec toute l’attention voulue : en matières géopolitiques, les sphères d'influence sont également préservées par des travaux de conditionnement et de contagion culturelle, et l'intérêt et la fascination d'un peuple pour une langue sont révélateurs de la santé d'un lien entre les nations. La situation actuelle, une fois de plus, devrait inquiéter Rome : alors que des langues telles que l'anglais, l'allemand et le turc gagnent en popularité et en crédit, ces dernières années ont vu les étudiants protester contre l'imposition de l'enseignement obligatoire de l'italien.

L'importance de l'Albanie

L'Albanie est la clé de voûte pour asseoir toute stratégie d'hégémonisation de la péninsule balkanique. Exercer une influence décisive sur cette ancienne nation signifie hypothétiquement prendre le contrôle de la "ceinture des Aigles" – soit le triangle Tirana-Pristina-Skopje -, le tremplin géographique multidirectionnel, capable de projeter le joueur en service simultanément vers la Grèce, la Bulgarie, la Serbie, la Bosnie et l'Adriatique.

Celui qui contrôle la « ceinture des Aigles » décuple la probabilité de pouvoir construire une position hégémonique dans les Balkans qui, à leur tour, étant le talon d'Achille historique de l'Europe, sont fondamentaux pour conditionner la dynamique politique du Vieux Continent. C'est pour cette raison, souvent et volontairement incomprise et/ou négligée dans le monde de l'analyse géopolitique, que les grandes puissances régionales et extra-régionales s'intéressent au sort de Tirana, et de sa sœur Pristina, depuis la fin de la guerre froide, profitant des événements en Yougoslavie et de la perte de pouvoir et d'influence du garant historique qu’était l'Italie.

La Turquie et les États-Unis sont les acteurs qui ont su tirer parti de la dynamique des guerres post-yougoslaves, la première dans le cadre de l'expansion néo-ottomane dans les Balkans et la seconde dans le cadre de l'élargissement de l'Alliance atlantique et de l'endiguement de la Serbie (c'est-à-dire de la Russie), mais la compétition pour le contrôle du cœur géographique de la ceinture des Aigles est l’intention d'une multitude de nouveaux acteurs : la Chine, Israël, l’Iran, les pétromonarchies du Golfe, la France, l’Allemagne, le Vatican.

L'avenir du peuple albanais ne semble pas parler italien, aussi et surtout, à cause de mauvais choix, de négligence et de manque de clairvoyance de la part de la classe dirigeante du Bel Paese ; le fait est, cependant, que négliger de courtiser Tirana, c'est perdre un précieux avant-poste dans l'Adriatique et dans les Balkans occidentaux : Rome est avertie.

lundi, 01 février 2021

Joe Biden et l’avenir du Moyen-Orient

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Joe Biden et l’avenir du Moyen-Orient

Par Daniele Perra

Ex : https://www.lintellettualedissidente.it

Plusieurs médias ont décrit le début de l'ère Biden comme le retour de l'Amérique sur la scène internationale. En réalité, la prétendue discontinuité géopolitique entre les deux administrations (sauf exceptions stratégiques spécifiques) ne semble être qu'une construction journalistique.

Le début de l'ère Biden a été marqué par un certain nombre de mesures de politique étrangère en hypothétique contradiction avec les derniers coups de gueule de l'administration Trump. Ces mesures concernaient en particulier la région du Proche et du Moyen-Orient. Une région sur laquelle s'est construite, au moins au cours des vingt dernières années, la perception globale des États-Unis comme une puissance "impérialiste" ou comme un "exportateur de démocratie et de liberté" qui défend l'"Occident" et ses "valeurs" contre la barbarie orientale.

Le prétendu isolationnisme de l'administration Trump entrecoupait des démonstrations extrêmes de force (l'assassinat du général iranien Qassem Soleimani, le lancement de la "Mère de toutes les bombes" en Afghanistan) avec des actions diplomatiques unilatérales (la sortie de l'accord nucléaire iranien et l'imposition de nouvelles sanctions contre Téhéran et Damas, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l'État d'Israël et de la souveraineté israélienne sur le Golan occupé),y ajoutant des déclarations à la dérive plus propagandiste que realpolitisch sur le retrait progressif des États-Unis de la région. Ce prétendu isolationnisme a sans doute jeté la confusion dans les médias "occidentaux" qui continuent à construire leur système de communication sur les apparences et sur une étude des sources plutôt pauvre. Depuis 2016, je soutiens que l'administration Trump ne ferait rien d'autre que de montrer le vrai visage de l'Amérique jusqu'alors caché par le voile humanitaire du double mandat démocrate de Barack Obama. Cependant, si précisément les peuples du Proche et du Moyen-Orient ont pu regarder cette réalité en face (l'imposition de sanctions à la Syrie par le Caesar Act, par exemple, a fait plus de morts que le terrorisme), en "Occident", également grâce à une information complice, on a préféré, d'une part, soutenir la thèse isolationniste et, d'autre part, critiquer les aspects aussi grotesques qu'essentiellement inoffensifs de l'administration Trump, qui appartient désormais au passé.

Biden à Bagdad

Maintenant, dans ce contexte, nous n'entrerons pas dans le détail du mouvement des troupes nord-américaines entre la Syrie et l'Irak ou de l'entrée des navires de guerre dans la mer de Chine méridionale. Ces opérations se déroulent dans le silence des médias occidentaux depuis plusieurs années. C'est pourquoi, sur cette base, quelques jours après l'entrée en fonction de la nouvelle administration, il n'est en aucun cas possible de tracer des lignes de discontinuité avec le passé. Il suffit de dire que dans l'instant qui a suivi l'annonce du retrait de Syrie par Donald J. Trump, plusieurs colonnes de véhicules blindés américains sont entrées dans ce pays du Levant via l'Irak pour "sécuriser" les puits de pétrole. En fait, le retrait susmentionné n'a jamais eu lieu et, selon toute probabilité, la nouvelle administration ne fera que renforcer les positions nord-américaines sur la rive orientale de l'Euphrate pour empêcher également toute reconstruction éventuelle du pays par l'exploitation de ses ressources.

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On pensait qu'il y avait une ligne de discontinuité avec l'ère Trump dans la relance du programme d'aide à la Palestine coupé par le précédent locataire de la Maison Blanche. À cet égard, le discours devient, du moins en théorie, plus complexe. Yara Hawari, chercheuse au centre de recherche palestinien Al-Shabaka, a expliqué qu'il est pour le moins optimiste d'espérer un changement de la politique nord-américaine à l'égard de la question israélo-palestinienne. La position extrémiste de l'administration Trump, une fois de plus, ne serait rien d'autre que la position américaine traditionnelle sans les fioritures de l'hypocrisie humanitaire. En fait, les deux principaux camps politiques nord-américains n'ont jamais manqué d'apporter un soutien inconditionnel à Israël. Joe Biden lui-même, en son temps, a eu l'occasion de souligner que l'aide américaine à Israël était le meilleur investissement pour la politique étrangère de Washington et que s'il n'y avait pas d'État juif, les États-Unis auraient dû en créer un pour garantir leurs propres intérêts dans la région. Le vice-président Kamala Harris et le nouveau secrétaire d'État, le "faucon" Antony Blinken, sont plus ou moins du même avis. Ce dernier, déjà partisan convaincu de l'agression contre la Syrie sous l'ère Obama, a également garanti que l'administration Biden suivrait les traces de ses prédécesseurs, tant en ce qui concerne la volonté de maintenir l'ambassade américaine à Jérusalem (un autre choix imaginé même sous l'ère Clinton et concrétisé par Trump) que les accords dits "Abrahamiques". Ceux-ci sont en effet fondamentaux pour la stratégie géopolitique américaine de construction de blocs d'interposition entre l'Est (Russie, Iran et Chine notamment) et l'Europe, qui comprend également l'Initiative des trois mers dans la partie orientale du Vieux continent.

Par conséquent, le "retour aux affaires" entre Washington et les institutions palestiniennes (entre autres choses largement corrompues et corruptibles lorsqu'elles ne sont pas directement otages des monarchies du Golfe) ne peut être considéré comme essentiellement positif. Si, d'une part, elle peut apporter un soulagement à au moins une minorité de la population palestinienne, d'autre part, elle continuera à fonctionner sur le mode de l'échange entre l'argent et de nouvelles concessions politiques unilatérales visant toujours à favoriser les revendications sionistes au détriment des revendications palestiniennes. Un discours similaire peut facilement être appliqué à l'accord nucléaire avec l'Iran. Les théoriciens des relations internationales comme le "réaliste" John Mearsheimer ont réitéré la nécessité pour les États-Unis de tenter un hypothétique retour à l'accord ou, du moins, une nouvelle approche de Téhéran. Il va sans dire que, dans ce cas également, les concessions économiques garanties à l'Iran par l'accord ont été étudiées à la fois pour empêcher le développement de la capacité de dissuasion nucléaire et antimissile de Téhéran, et pour garantir une pénétration occidentale dans le pays qui aurait pu permettre (au moins, à long terme) une déconstruction depuis l'intérieur de la République islamique. Il n'est pas surprenant que, déjà avant la signature de cet accord, un centre de recherche stratégique israélien ait produit un plan de déstabilisation interne de l'Iran, exploitant les minorités ethniques et religieuses : en d'autres termes, une sorte de plan Yinon appliqué à la République islamique, avec le titre emblématique "Comment faire mal à l'Iran sans frappes aériennes".

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Les renseignements selon Joe Biden

Maintenant, outre le fait que les termes de l'accord n'ont déjà pas été respectés dans les dernières périodes de l'administration Obama, il sera important de comprendre comment Joseph Biden peut tenter un rapprochement avec l'Iran. Pour la stratégie américaine, cela serait fondamental en premier lieu pour pouvoir se concentrer sur les principaux ennemis : la Russie (l'accélération soudaine du cirque d'information atlantiste sur l'affaire Navalny est en ce sens emblématique) et la Chine avec ses projets de coopération eurasienne qui doivent être constamment sabotés. Et, deuxièmement, garantir une plus grande concentration des forces de renseignement également sur la dynamique interne aux Etats-Unis mêmes, dynamique devenue plutôt turbulente. Cette tentative de rapprochement ne peut donc être que progressive. Toutefois, un signe important dans ce sens a déjà été lancé avec la réduction partielle du régime de sanctions imposé dans les derniers jours de la présidence Trump aux forces yéménites d'Ansarullah (proches de Téhéran) et avec la promesse d'interrompre le soutien logistique à l'agression saoudienne contre le Yémen lui-même et de réduire la vente d'armes aux monarchies du Golfe (un autre héritage des précédentes administrations Obama et Trump). Il faut dire qu'il est difficile (et à juste titre) pour l'Iran, quelle que soit la pression exercée, d'accepter sans garanties réelles de suppression complète du régime de sanctions à son encontre un accord avec un homologue qui s'est avéré largement peu fiable. Par conséquent, il ne serait pas du tout surprenant que des opérations de guerre hybride contre la République islamique soient également menées de manière constante par la nouvelle administration, bien que de manière moins ouverte et moins ouvertement propagandiste que dans le cas de Trump.

Face à une situation intérieure plutôt instable, de nombreux théoriciens et stratèges nord-américains ont souligné la nécessité d'une reconstruction interne à travers le seul ciment idéologique de la société américaine : l'idée exceptionnaliste de "destin manifeste", de supériorité morale par rapport aux autres nations du globe. Cependant, pour raviver ce sentiment, il faut un ennemi (ou la création d'un ennemi). Cet ennemi est et reste (comme pour l'administration Trump) la Chine : la seule puissance réellement capable de représenter une menace et une alternative au système mondial décadent de l'Amérique du Nord. En fait, même parmi les démocrates, le parti de ceux qui ont commencé à considérer la Russie comme un "allié" stratégique potentiel dans une perspective anti-chinoise se développe, si Poutine et son entourage devaient quitter la scène à court terme, laissant la place à une "cinquième colonne" occidentale assez importante composée d'oligarques et de politiciens de diverses orientations libérales (une solution qui reste peu probable à court terme).

Ne pouvant cependant pas se permettre un affrontement militaire direct avec la Chine, il reste à comprendre quelle solution sera adoptée pour contenir et éviter la projection géopolitique de cette dernière. L'une des caractéristiques fondamentales du projet d'infrastructure de la nouvelle route de la soie est le corridor sino-pakistanais. Les relations entre les États-Unis et le Pakistan se sont rapidement détériorées ces dernières années, également en raison d'un engagement américain notable dans le renforcement technologique et militaire de l'Inde, déjà considérée à l'époque d'Obama comme un "partenaire majeur en matière de défense". Joseph Biden, alors qu'en 2007 il était encore candidat aux primaires du parti démocrate, a déclaré que le Pakistan est l'État le plus dangereux du monde. Toujours à la lumière de la tentative de détente avec l'Iran, il ne serait pas du tout surprenant qu'une guerre sur commande soit préparée précisément dans une région qui reste la jonction cruciale entre les axes Nord-Sud et Ouest-Est du continent eurasiatique.

Le Grand Jeu en Méditerranée orientale

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Giusepppe Gagliano:

Le Grand Jeu en Méditerranée orientale

Ex : https://moderndiplomacy.eu

Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, la découverte de grands gisements de gaz au large des côtes d'Israël, de Chypre, d'Égypte et du Liban, a fait que la Méditerranée orientale joue désormais un rôle beaucoup plus important dans la géopolitique de l'énergie. Dans les eaux de l’offshore profond, elle n'est rentable qu'à long terme et présente des défis techniques et économiques importants. De plus, le pouvoir politique qui régit cette zone de la Méditerranée orientale repose sur trois autorités avec lesquelles il est nécessaire de traiter, dont les intérêts économiques peuvent diverger dans le temps. Cette réalité pèse sur les perspectives d'avenir de cette zone, du moins jusqu'à ce que la dimension politique soit résolue de manière sûre.

D'importants gisements de gaz naturel ont été découverts dans les ZEE de l'Égypte, d'Israël et de Chypre. Les ZEE plus petites de la Syrie et du Liban doivent encore être explorées ou confirmées. Ces découvertes en Méditerranée orientale seraient constituées de réserves potentielles de l'ordre de 3,5 milliards de mètres cubes de gaz, dont la moitié environ sont des réserves prouvées équivalentes à celles encore disponibles pour la Norvège après trente ans d'approvisionnement par l'Union européenne. En particulier, presque à la même distance des côtes de leur pays, se trouvent les trois gisements de Zohr (Egypte), Leviathan (Israël) et Aphrodite (Chypre) avec respectivement des réserves prouvées de 850, 450 et 140, pour un total de 1.440 milliards. de mètres cubes. Les dirigeants de ces trois pays se sont réunis pour envisager une solution commune afin de commercialiser ce gaz pour l'exportation. Il a été question de la construction d'un gazoduc sous-marin vers la Grèce et l'Italie, qui serait un concurrent direct du gaz azerbaïdjanais qui traverse la Turquie.

Dans le même temps, les gouvernements de Turquie et de Libye ont délimité les frontières de leurs ZEE, envahissant les ZEE des pays cités ci-dessus, créant ainsi des sources supplémentaires d'incertitude et de complications juridiques. Enfin, la démonstration de force de la Turquie en envoyant des navires sismiques en préparation des opérations d'exploration dans la ZEE grecque n'a fait qu'ajouter à un climat géopolitique déjà tendu. Tous ces facteurs d'incertitude et de conflits potentiels ne sont pas propices au développement de la production de gaz dans cette zone de la Méditerranée orientale. Cette situation n'empêche pas l'Égypte et Israël de produire, de consommer et d'exporter du gaz provenant de gisements proches de leurs côtes, dont la propriété n'est pas remise en question.

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Nous en venons maintenant à la Turquie. Il faut souligner qu'il existe un malentendu géographique : la grande découverte annoncée le 21 août 2020 par le président Erdogan ne se situe pas en Méditerranée, mais en mer Noire. Il s'agit du champ de Sakarya, situé à environ 170 kilomètres au nord de la côte turque. Il a une profondeur d'eau de 2 110 mètres et une profondeur totale de 4 775 mètres. Selon les informations publiques, il a été découvert en forant un seul puits, le Tuna-1, réalisé par le navire d'exploration Fatih ("le conquérant", en turc). Les réserves, initialement annoncées à 800 milliards de mètres cubes, ont été réévaluées par l'opérateur TPAO (Turkish Petroleum Corporation) à 320 puis à 405 milliards de mètres cubes le 17 octobre 2020. Un second forage de Turkali 1 est prévu en novembre. Un deuxième navire d'exploration, le Kanuni ("le législateur" en turc) est sur le point d'atteindre la mer Noire.

Le Sakarya a l'avantage d'être proche du marché turc. S'il est produit, son gaz approvisionnera le marché turc, renforcera la sécurité d'approvisionnement du pays et améliorera sa balance commerciale.

Cependant, la mise en production de Sakarya en 2023 est un objectif qui ne tient pas compte du calendrier de l'industrie gazière. Cette constatation devra être confirmée avant de passer à la conception et à la construction des installations de la phase de production du projet.

N'oublions pas que les ambitions de la Turquie sont multidimensionnelles et à multiples facettes. Elles ont un impact direct sur l'Europe, de l'Atlantique au Caucase en passant par la Méditerranée et le Moyen-Orient. Il est évident que les dimensions géopolitiques et religieuses priment sur les autres et il n'est pas clair si elles ont leur propre dimension stratégique ou si elles sont simplement tactiques. Cela dit, les ambitions énergétiques sont très légitimes pour tout pays, surtout lorsqu'il s'agit de la sécurité de l'approvisionnement en gaz.

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L'approvisionnement en gaz de la Turquie se situe entre 45 et 50 milliards de mètres cubes par an ; il est bien diversifié. Le gaz arrive à l'ouest par le Turk Stream, qui remplacera progressivement l'itinéraire historique à travers l'Ukraine, la Roumanie et la Bulgarie, au nord par le Blue Stream à travers la mer Noire à une profondeur de 2 000 mètres, à l'est par la frontière avec l'Iran et au nord-est par la frontière avec la Géorgie pour le gaz azerbaïdjanais. En outre, deux terminaux GNL terrestres (Izmir Aliaga, Marmara Ereglesi) et deux terminaux GNL flottants (Etki et Dörtyol) ont une capacité de réception totale d'environ 25 milliards de mètres cubes, dont la moitié seulement est utilisée, ce qui laisse une grande flexibilité ; ils reçoivent du gaz naturel liquéfié (GNL) d'Algérie, du Nigeria, du Qatar et d'autres sources, en dernier lieu du gaz de schiste des États-Unis.

Quant au TANAP (Trans Anatolian Pipeline) récemment mis en service, 6 milliards de mètres cubes par an de gaz azerbaïdjanais transiteront dans une première phase vers la Grèce, ce qui représente un peu plus de 1% des besoins de l'Union européenne. C'est ce qui reste du projet "Corridor Sud", autrefois étudié sous le nom de "Nabucco", promu par l'Union européenne pour réduire l'influence russe dans l'approvisionnement en gaz.

En bref, ces découvertes de grands gisements de gaz naturel ont déterminé un conflit évident, exacerbant les problèmes géopolitiques déjà existants dans une région qui n'est certainement pas simple d'un point de vue géopolitique.

Nous pensons au fait qu'Israël est en guerre avec le Liban et que les deux pays ne s'accordent pas sur le tracé de leurs zones économiques exclusives (ZEE) respectives ; la Syrie est en ruine, le conflit israélo-palestinien se poursuit et la question d'une éventuelle ZEE pour Gaza demeure ; la Turquie occupe toujours la partie nord de Chypre, refuse à l'île le droit d'avoir une ZEE et remet en cause le traité de Lausanne qui a établi, en 1923, les frontières gréco-turques et enfin, la Libye est déstabilisée et en guerre civile, avec des interventions étrangères qui compliquent encore la stabilité de la région.

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Ces découvertes modifient considérablement le destin énergétique des Etats riverains du bassin du Levant. Israël devient une puissance exportatrice de gaz naturel, l'Égypte répond dans un premier temps à ses besoins et envisage de devenir un pôle énergétique régional, Chypre s'appuie sur ses ressources naturelles pour réaliser la réunification de l'île. De même, le Liban et la Syrie pourraient envisager d'exploiter leurs ressources respectives ; le Liban a accordé les premières licences de recherche/exploitation et la Syrie a fait de même au profit, sans surprise, des entreprises russes. Et une fois de plus, la Turquie joue un rôle décisif dans ce jeu.

Mais pour revenir à la Turquie, l'occupation de la partie nord de Chypre (depuis 1974) est l'une des composantes de la question. La nouveauté vient de la réaction de la Turquie face à la possibilité pour Chypre d'exploiter les ressources naturelles situées dans sa ZEE. Rappelons que Chypre a délimité sa ZEE avec l'Égypte et Israël, a signé un traité avec le Liban et était en pourparlers avec la Syrie (avant le conflit) sur la base de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). L'île a ensuite accordé des accords de recherche/exploitation à diverses entreprises. La société américaine Noble Energy, le consortium italo-coréen ENI-Kogas, le français Total, seul ou en joint-venture avec ENI, et l'américain ExxonMobil allié de Qatar Petroleum ont obtenu les licences.

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La Turquie, pour sa part, affirme que Chypre, comme toutes les îles de la Méditerranée, n'a pas de ZEE. Ankara, qui ne reconnaît pas la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, a une position arbitraire sur le sujet, une position qui lui est propre : elle estime que les îles n'ont pas de ZEE dans les mers fermées ou semi-fermées. .

Malgré les menaces turques à l'encontre des compagnies pétrolières travaillant avec Chypre, de nombreux forages exploratoires ont été réalisés dans la ZEE du pays et d'importantes découvertes de gaz naturel en quantités exploitables ont été faites : Noble Energy (découverte d'un champ contenant 100 à 170 milliards de mètres cubes de gaz naturel dans le bloc 12), ExxonMobil avec Qatar Petroleum (de 170 à 230 milliards de mètres cubes dans le bloc 10) et ENI avec Total (grand champ non encore quantifié dans le bloc 6).

Face à ces constats, la Turquie est devenue encore plus agressive, envoyant des navires d'exploration et de forage dans les eaux chypriotes, accompagnés de navires de guerre. La Turquie a effectué huit sondages illégaux dans la ZEE de Chypre. Appliquer la tactique d'encerclement à Chypre en maintenant constamment la pression sur cet Etat insulaire, avec, en fin de compte, le contrôle total de l'île. Sa dernière provocation, outre l'invasion quasi constante de sa ZEE, a été l'ouverture à l'exploitation et enfin la colonisation, le 8 octobre, du quartier fermé de Famagouste, ville portuaire vidée de sa population en 1974 et laissée auparavant pour une ville fantôme.

Parallèlement à la menace qui pèse sur Chypre, une menace croissante pèse sur la Grèce. Depuis le 10 août 2020, la Turquie a déployé son navire sismique Oruç Reis, accompagné de forces militaires navales, dans l'espace maritime grec, jusqu'aux côtes de Crète, obligeant la Grèce à faire de même. La Grèce, la France, l'Italie et Chypre ont mené un exercice militaire conjoint en Méditerranée orientale du 26 au 28 août, envoyant ainsi un message clair sur la volonté de ces pays de faire respecter le droit international.

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Selon une déclaration du ministère français des forces armées, "Chypre, la Grèce, la France et l'Italie ont décidé de déployer une présence commune en Méditerranée orientale dans le cadre de l'initiative de coopération quadripartite". La ministre française des forces armées, Florence Parly, a en outre précisé que la Méditerranée "ne doit pas être un terrain de jeu pour les ambitions de certains, c'est un bien commun".

Le président turc a précisé de sa part : "Nous ne ferons absolument aucune concession sur ce qui nous appartient. Nous invitons nos homologues à [...] se méfier de toute erreur qui pourrait ouvrir la voie à leur perte. Il a ensuite ajouté : "La Turquie prendra ce qui lui revient de droit dans la mer Noire, la mer Égée et la Méditerranée [...]. Pour cela, nous sommes déterminés à faire tout ce qui est nécessaire politiquement, économiquement et militairement". Le discours a été prononcé lors d'une cérémonie commémorant la bataille de Manzikert en 1071, qui marque l'entrée des Turcs en Anatolie, suite à la victoire du sultan seldjoukide Alp Arslan sur les Byzantins. Les marines des deux pays sont sur le point de s'affronter. Août : un navire grec entre en collision avec un navire turc.

A la situation déjà compliquée, la Turquie a ajouté un nouvel élément lié au conflit libyen. Depuis la chute du colonel Kadhafi, la Libye est entrée dans une zone d'instabilité dans laquelle de nombreux acteurs aux intérêts divergents se sont immergés. L'Egypte, soutenue par les Emirats et l'Arabie Saoudite, soutient le maréchal Haftar, qui contrôle la Cyrénaïque. La Russie est également présente dans cette région. Au contraire, la Turquie, soutenue par le Qatar, soutient le gouvernement de Sarraj, qui contrôle la région de Tripoli. Profitant de ce soutien, la Turquie a signé deux accords (le 27 novembre 2019) avec le maître de Tripoli. L'un militaire, l'autre maritime. L'accord de délimitation du plateau continental maritime entre les deux pays ignore complètement l'existence de Chypre, de la Crète et d'autres îles grecques de la mer Égée. De plus, la volonté d'Erdogan de prendre pied sur le continent africain et de changer la situation géopolitique dans cette région bouleverse de nombreux autres acteurs internationaux. La Libye est pour la Turquie, une des "entrées" de cet espace, d'où son désir d'établir des bases permanentes dans ce pays.

Cette situation géopolitique explosive montre la nécessité de développer la coopération dans cette région troublée. La coopération entre Chypre, la Grèce et Israël a rapidement pris forme. D'autres ont suivi, impliquant l'Égypte et la Jordanie, toujours avec la participation de Chypre et de la Grèce. L'Italie et la France sont également très présentes pour l'implication de l'ENI et de Total, mais aussi pour protéger cet espace vital commun qu'est la Méditerranée.

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La signature, début janvier 2020, d'un accord interétatique entre Israël, Chypre et la Grèce, pour la construction du pipeline sous-marin EastMed, est l'un des projets ambitieux de cette coopération. D'un coût d'environ 7 milliards d'euros, ce gazoduc permettrait d'acheminer le gaz chypriote et israélien vers la Grèce continentale, via la Crète, et au-delà vers l'Italie et l'Europe occidentale (entre 9 et 11 milliards de mètres cubes/an, ce qui correspond à environ 15 % de la consommation européenne de gaz naturel). Bien que ce projet soit coûteux sur le plan économique, il est de la plus haute importance sur le plan géopolitique pour la construction de l'indépendance énergétique de l'Europe. Il convient également de noter qu'en janvier 2019, les pays de la région ont créé le Forum du gaz de la Méditerranée orientale, qui vise à gérer le futur marché du gaz - une coalition qui comprend Chypre, la Grèce, Israël, l'Égypte, l'Italie, la Jordanie et la Palestine. La Turquie dénonce le fait que cela pourrait menacer ses intérêts. Toutefois, trois autres développements positifs sont intervenus au cours de l'été 2020 : La Grèce a procédé à la délimitation de sa ZEE avec l'Italie et l'Égypte et cette délimitation, basée sur la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, reconnaît évidemment une ZEE pour les îles.

Enfin, le Conseil européen réaffirme dans ses conclusions du 2 octobre 2020 sa solidarité avec Chypre et la Grèce, en précisant que des sanctions seraient adoptées contre la Turquie si cette dernière continuait à violer les ZEE des deux pays membres de l'UE ; Ankara a immédiatement rejeté cette décision, déclarant que son programme de recherche en Méditerranée orientale se poursuivrait. D'autant plus que l'Oruç Reis est toujours dans les eaux chypriotes et que la Turquie a décidé d'ouvrir le district fermé de Famagouste à l'exploitation, certainement dans le but d'une colonisation imminente, et ce en violation de toutes les résolutions des organisations internationales. Non seulement la pression continue de la Turquie sur Chypre s'intensifie dangereusement, mais la Turquie s'engage dans une projection politique lucide de la puissance maritime.

vendredi, 29 janvier 2021

Les grands défis et enjeux géostratégiques du monde multipolaire plein d’incertitudes qui vient...

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Les grands défis et enjeux géostratégiques du monde multipolaire plein d’incertitudes qui vient...

Entretien avec Caroline Galactéros

Propos recueillis par Alexandre del Valle

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien accordé par Caroline Galactéros à Valeurs Actuelles, consacré aux enjeux et aux défis géostratégiques de l'année 2021 dans le monde complexe et incertain qui nous entoure, que nous avons cueilli sur Geopragma.

Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

Les grands défis et enjeux géostratégiques de 2021… et du monde multipolaire plein d’incertitudes qui vient

Alexandre del Valle : La rivalité croissante-économique, technologique et stratégique- entre les deux superpuissances du nouveau monde multipolaire, la Chine et les Etats-Unis, est-elle une tendance lourde, que la crise sanitaire n’a fait que révéler un peu plus ?

Caroline Galactéros : En effet, l’affrontement de tête entre Washington et Pékin, qui structure la nouvelle donne stratégique planétaire, va bon train sur le front commercial, mais aussi sur tous les autres terrains (militaire, sécuritaire, diplomatique, normatif, politique, numérique, spatial, etc…). La planète entière est devenue le terrain de jeu de ce pugilat géant, en gants de boxe ou à fleurets mouchetés : l’Europe bien sûr, l’Eurasie, mais aussi l’Afrique (où Pékin nous taille des croupières), l’Amérique latine, la zone indo-pacifique (bien au-delà de la seule mer de Chine), et naturellement le Moyen-Orient. Le président chinois Xi Jing Ping a d’ailleurs saisi l’occasion de la curée américaine sur Téhéran pour lancer une contre-offensive redoutable et plus puissante qu’un droit de véto, à la manœuvre américaine de « pression maximale » qui ne fait que renforcer les factions dures à Téhéran. La Chine a en effet volé au secours de Téhéran en nouant cet été un accord de partenariat stratégique de 400 milliards de dollars d’aide et d’investissements (infrastructures, télécommunications et transports) assortis de la présence de militaires chinois sur le territoire iranien pour encadrer les projets financés par Pékin, contre une fourniture de pétrole à prix réduit pour les 25 prochaines années et un droit de préemption sur les opportunités liées aux projets pétroliers iraniens. Cet accord, véritable « Game changer », est passé quasi inaperçu en Europe. Ses implications sont pourtant cardinales : s’il est mis en œuvre, toute provocation militaire occidentale orchestrée pour plonger le régime iranien dans une riposte qui lui serait fatale, reviendra à défier directement la Chine… En attaquant Téhéran, Washington attaquera désormais Pékin et son fournisseur de pétrole pour 25 ans à prix doux. Un parapluie atomique d’un nouveau genre… Pékin se paie d’ailleurs aussi le luxe de mener parallèlement des recherches avec Ryad pour l’exploitation d’uranium dans le sous-sol saoudien…. Manifeste intrusion sur les plates-bandes américaines et prolégomène d’un équilibre stratégique renouvelé.

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ADV : Quel est votre regard sur l’outsider chinois depuis la crise sanitaire ? Doit-on combattre l’exemple anti-démocratique chinois qui séduit de plus en plus de pays du monde en voie de polarisation, donc de désoccidentalisation ?

CG : 2020 aura été l’année d’une accélération de la « guerre des capitalismes » qui fait rage désormais entre le capitalisme libéral occidental et son adversaire déclaré, le capitalisme politique chinois. Au grand dam de l’Occident, Pékin est en passe de résoudre la contradiction propre au système capitaliste occidental, qui détruit de l’intérieur la liberté des individus à force de l’exacerber, pour proposer une synthèse efficace et séduisante pour bien des pays, entre nation, développement collectif et prospérité individuelle. C’est du dirigisme, c’est une pratique autoritaire du pouvoir, c’est une restriction manifeste des « droits de l’homme », c’est le contrôle social direct grandissant des populations, oui. Mais c’est aussi la parade du pouvoir de Pékin à la déstabilisation extérieure ou au débordement intérieur par la multitude, c’est une réponse à la nécessité de sortir encore de la pauvreté des centaines de millions de personnes, et c’est le moyen de projeter puissance et influence à l’échelle du monde au bénéfice ultime des dirigeants mais aussi du peuple chinois. Au lieu de crier à la dictature, nous ferions mieux d’observer cette synthèse très attentivement et d’analyser sa force d’attraction. Les modèles de puissance et de résilience collective au mondialisme (tout en l’exploitant à son avantage) ont bougé depuis 30 ans. L’ethnocentrisme occidental et le moralisme dogmatique ne passent plus la rampe et brouillent le regard.

ADV : Sur le terrain des accords de libre-échanges en Asie, peut-on dire que la Chine a rempli le vide provoqué par le relatif désengagement américain sous l’ère Trump ? 

CG : Dans cette guerre « hors limites », et sans même parler ici de l’enjeu cardinal du contrôle – étatique ou via des GAFAM ou BATX (dans la version chinoise) complaisants – des données personnelles de centaines de millions de consommateurs-clients, Pékin vient de prendre magistralement l’avantage sur Washington avec la conclusion, le 15 novembre, du RECP (Regional Comprehensive Economic Partnership) avec quinze pays d’Asie. Cet accord constitue une bascule stratégique colossale et inquiétante dont ni les médias ni les politiques français ne pipent mot. Voilà le plus grand accord de libre-échange du monde (30 % de la population mondiale et 30 % du PIB mondial) conclu entre la Chine et les dix membres de l’ASEAN (Brunei, la Birmanie, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam), auxquels s’ajoutent quatre autres puissantes économies de la région : le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Cette nouvelle zone commerciale gigantesque se superpose en partie au TPP (Trans-Pacific Partnership) conclu en 2018 entre le Mexique, le Chili, le Pérou et sept pays déjà membres du RCEP : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Brunei, le Japon, la Malaisie, Singapour et le Vietnam. Un TPP dont les Etats-Unis s’étaient en effet follement retirés en 2017. Ainsi se révèle et s’impose soudainement une contre manœuvre offensive magistrale de Pékin face à Washington.  Où est l’UE là-dedans ? Nulle part ! Même l’accord commercial conclu en juin 2019 entre l’Union européenne et le Mercosur doit encore être ratifié par ses 27 parlements… Seule la Grande-Bretagne, libérée de l’UE grâce au Brexit, en profitera car elle vient habilement de sa rapprocher du Japon signataire du RCEP et du TPP…

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ADV : Passons à notre voisin continental : les relations Occident – Russie sont-elles irréparablement endommagées ? L’Europe est-elle condamnée à rester une “impuissance volontaire”, prise en tenailles entre Chine, empire américain et Turquie néo-ottomane ?

CG : Rien n’est irréparable mais le temps a passé, la Russie a évolué et compris qu’elle n’était ni désirée ni attendue. Aujourd’hui, Moscou ne croit plus en l’Europe. Quant à la France, elle parle beaucoup mais n’agit pas. Trop de d’espérances, trop d’illusions sans doute, et bien trop de déceptions.  La Russie n’a plus le choix et pivote décisivement vers l’Est et la Chine par dépit et nécessité.

Nous avions pourtant en commun tant de choses, et a minima, la commune crainte d’un engloutissement / dépècement chinois. Comme la Russie, l’Europe est en effet prise entre USA et Chine. Le point de rencontre -et de concurrence- Russo-chinois est l’Asie centrale. Certes, il existe depuis 2015 un accord d’intégration de l’UEE (Union économique eurasiatique) dans les projets des Nouvelles Routes de la Soie conclu entre les présidents Poutine et Xi Jing Ping. Mais c’est un accord très inégal, du fait des masses économiques et financières trop disparates entre Moscou et Pékin qui avance à grands pas avec l’OBOR et au sein de l’OCS (Organisation de Coopération de Shangaï) pour contrôler l’Asie centrale, pré-carré russe, puis se projeter vers l’UE. Moscou sait combien l’étreinte chinoise peut se transformer en un « baiser de la mort » si l’UE et la Russie ne se rapprochent pas autour d’enjeux économiques industriels et sécuritaires notamment. La Russie est en conséquence, n’en déplaise à tous ceux qui la voient encore comme une pure menace, l’alliée naturelle de l’UE dans cette résistance qui ne se fera ni par le conflit, ni par l’intégration stricte, mais par la coopération multilatérale et multisectorielle. C’est une évidence géopolitique, et il suffit de lire les stratèges anglo-saxons pour comprendre le piège dans lequel nous nous sommes laissés enfermés à notre corps consentant depuis bien trop longtemps. L’Europe est une courtisane sans grande ambition. Servile, soumise, paresseuse, ignorante de ses intérêts profonds qui auraient dû la porter à considérer la Russie comme un morceau d’Europe et d’Occident, un atout d’équilibre face à la domination américaine et un bouclier contre la vampirisation chinoise.

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ADV : Nous voilà revenus aux fondamentaux de la géopolitique de Mackinder et Spykman, du Russe Danilevski à l’Américain Brezinski : L’Eurasie et le Heartland, “pivot géographique de l’Histoire”…

CG : L’Eurasie est en tout cas sans équivoque l’espace naturel du maintien de la puissance économique européenne et de son renforcement stratégique à court, moyen et long terme. C’est le socle du futur dynamique de l’Europe. Nous devrions donc nous projeter vers cet espace plutôt que de nous blottir frileusement en attendant que Washington, qui poursuit à nos dépens ses objectifs stratégiques et économiques propres, consente à nous libérer de nos menottes. Les parties orientale et occidentale du continent eurasiatique sont en effet les deux plus grandes économies mondiales : l’UE et la Chine. Pour ne parler que de l’UEE -pendant de l’UE-, c’est un marché de plus de 180 millions d’habitants (sans parler de tous les accords de partenariat en cours de négociation). L’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS) rassemble quant à elle 43% de la population mondiale mais est dominée par la Chine. La force de l’Eurasie tient à son capital en matières premières et ressources minérales. 38% de la production mondiale d’uranium sont notamment concentrés au Kazakhstan. 8% du gaz et 4% du pétrole aussi, pour les seuls pays d’Asie centrale, sans compter naturellement la Russie. La construction d’infrastructures gigantesques à l’échelle continentale de l’Eurasie est la grande affaire du XXIème siècle. Avec le passage des corridors et routes de transit, on est face à un gigantesque hub de transit eurasiatique. 

ADV : Un rapprochement avec la Russie a-t-il vocation à être durablement bloqué par les sanctions contre une Russie (à cause de l’Ukraine) et la question de l’opposition “persécutée” par le pouvoir de Vladimir Poutine que beaucoup qualifient de « Démocrature » ?

CG : Si l’UE (et ses acteurs économiques petits ou grands) se rendait compte du potentiel économique, géopolitique et sécuritaire qu’un dialogue institutionnel et une coopération étroite avec l’Eurasie au sens large (Asie centrale plus Russie) recèle, elle sortirait ipso facto de sa posture si inconfortable entre USA et Chine, et constituerait une masse stratégico-économique considérable qui compterait sur la nouvelle scène du monde. Il faut en conséquence ne pas craindre d’initier des coopérations économiques, politiques, culturelles, scientifiques et évidemment sécuritaires entre ces deux espaces. Or, ce sujet n’est quasiment jamais abordé dans son potentiel véritable et est quasi absent des radars de l’UE et de celle de la plupart de nos entreprises. Par anti-russisme primaire, inhibition intellectuelle, autocensure, aveuglement.  L’UE veut certes bien collaborer avec l‘Asie centrale, mais en en excluant la puissance centrale et stratégiquement pivot ! Elle voit l’Eurasie à moitié. Ce n’est évidemment pas un hasard, mais c’est une erreur stratégique lourde qui procède d’un aveuglement atlantique. Encore une fois, nous faisons le jeu américain sans voir que nous en sommes la cible. 

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On me retorquera que rien n’est possible sans le règlement des questions de l’Ukraine et de la Crimée et surtout sans le règlement de « la grande affaire » fondamentale qui agite les chancelleries occidentales : le sort de l’opposant Alexei Navalny ? C’est ridicule ! Ce sont des « freins » largement artificiels et gonflés pour les besoins d’une cause qui n’est pas la nôtre et nous paralyse, pour justifier les sanctions interminables, pour limiter les capacités économiques et financières russes face à Pékin et neutraliser le potentiel économique européen. Ce sont aussi des prétextes que l’on se trouve pour se défausser de notre seule responsabilité véritable : reprendre enfin notre sort en main ! Tout cela saute aux yeux. Pourquoi, pour qui se laisser faire ? Il nous faut prendre conscience de l’urgence vitale qu’il y a à changer drastiquement d’approche en y associant des partenaires européens parfois contre-intuitifs, tels la Pologne, pont logistique idéal entre les deux espaces.

L’intégration continentale eurasiatique en tant que coopération des sociétés et des économies à l’échelle du continent eurasiatique tout entier doit donc devenir LA priorité pour l’UE et la nouvelle Commission européenne. La modernisation et la puissance économique sont en train de changer de camp. L’Europe s’aveugle volontairement par rapport à cette révolution. Ses œillères géopolitiques et l’incompréhension dans laquelle elle demeure face à la Russie qui est pourtant son partenaire naturel face à la Chine comme face aux oukases américains extraterritoriaux, l’empêchent de tirer parti des formidables opportunités économiques, énergétiques, industrielles, technologiques, intellectuelles culturelles et scientifiques qu’une participation proactive aux projets d’intégration eurasiatique lui permettrait. Il faut en être, projeter nos intérêts vers cet espace d’expansion et de sens géopolitique si proche et si riche, et cesser de regarder passer les trains en attendant Godot.

ADV : Passons au changement de pouvoir aux Etats-Unis. Le bilan de la présidence Trump est-il aussi horrible qu’on le dit ?  L’arrivée de Joe Biden est-elle une bonne nouvelle pour la France et l’UE ?

CG : Trump a été un président honni comme probablement aucun de ses prédécesseurs par « l’Establishment » au sens large qu’il avait défié par sa victoire et dont il a révélé sans tabou les turpitudes. En dépit de la curée politico-médiatique haineuse et sans trêve qui aura pourri toute sa présidence, avec un « Etat profond » à la manœuvre et des médias hystériques, il a réussi à remettre l’économie américaine en très bonne posture, à mener à bien (quoi qu’on en pense sur le fond), la grande manœuvre anti-iranienne de consolidation du front sunnite pétrolier contre Téhéran, sans pour autant céder à la guerre (en dépit de tous les efforts des bellicistes “néocons” emmenés par le très dangereux John Bolton). Sans la pandémie et son approche désinvolte et toute concentrée sur la nécessité de ne pas enrayer le moteur économique du pays, il aurait remporté un second mandat, ayant même réussi à séduire des franges de l’électorat noir et latino et à gagner près de 75 millions de voix (4 millions de voix de plus qu’en 2016) dans ce contexte de cabale permanente et jusqu’au-boutiste contre lui. 

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Avec Biden, on est repartis comme en l’an 40…. De mon point de vue, Joe Biden, quelles que soient ses qualités, est évidemment une très mauvaise nouvelle pour l’Europe et la France, qui voient se refermer la fenêtre d’opportunité inespérée que le discours trumpien – ouvertement humiliant et sans équivoque – nous avait offert pour enfin sortir de l’enfance stratégique, nous réveiller, faire nous aussi notre « Shift towards Asia » et nous projeter vers notre espace naturel de croissance économique et de densité géopolitique et sécuritaire que constitue l’Eurasie. Une projection qui passe évidemment par une complète révision de notre relation avec la Russie mais qui pourra seule nous permettre d’échapper à la double dévoration sino-américaine qui nous attend.

Ce sursaut salutaire, qui, aujourd’hui, en France ou en Europe, est capable d’en donner l’impulsion ? Je ne sais pas. Mais il est certain qu’avec Biden, ce n’est pas « un ami » que l’on a retrouvé (Les Etats n’ont pas d’amis) mais notre « doudou » ! Joe Biden est notre bon papa américain qui est enfin revenu pour nous protéger et nous rassurer. Atteints d’un syndrome de Stockholm géant, nous nous sentions depuis quatre ans stupidement orphelins de la férule américaine en gants de velours. Le problème est que ce président ne nous apportera rien d’autre qu’une excuse pour rester à jamais piégés dans une servitude consentie. Bref, je crains fort que nous ne sortions plus, sinon au forceps et sous l’impulsion d’un visionnaire courageux, de notre vassalité stratégique suicidaire vis-à-vis de Washington. L’Allemagne a d’ailleurs pris les devants des retrouvailles avec le puissant « oncle d’Amérique », et ce faisant, elle prend aussi le lead de l’Europe, là encore avec l’aval américain. C’est « le chouchou » de Washington et elle fera tout, y compris contre nous, pour le rester en donnant des gages… jusqu’à vendre des sous-marins à la Turquie ou affirmer que l’OTAN est à jamais l’alpha et l’oméga de la défense européenne. On est très loin de la « mort cérébrale » de l’Alliance ! Avec Biden c’est donc la méthode, non le fond qui va changer, et Berlin a clairement saisi la balle au bond, en réaffirmant sans états d ’âme sa soumission consentie aux oukases américains, enfonçant un dernier clou dans le cercueil de « l’Europe puissance », trop heureuse de rabattre leur caquet à ces Français qui rêvent mollement de ruer dans les brancards, de recouvrer leur souveraineté et osent même prétendre à l’ascendant politique sur elle, première puissance économique de l’Union. Le « couple franco-allemand » est un rêve de midinette française. L’alliance de la carpe et du lapin.

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ADV : L’accusation de tentative de “coup d’Etat” imputée au camp Trump est-elle sérieuse ? Trump a-t-il fracturé l’Amérique ?

CG : Ce qui s’est passé au Capitole n’est en tout cas pas une tentative de coup d’Etat. Le contresens politique et médiatique délibéré entonné sur tous les canaux d’information là-bas comme ici, est tellement énorme et rabâché comme une évidence qu’on finit par le croire pour ne pas devoir accuser nos journalistes de complaisance avérée ou d’aveuglement gravissime. Pour ma part, j’y vois la révolte d’un électorat qui a subitement compris qu’il devait rentrer dans sa boîte et ne s’y est pas résolu. Les insurgés du Capitole sont en fait nos gilets jaunes. Ils auront souffert le même déni et le même mépris. Cette intrusion aura incarné la très profonde crise de la démocratie américaine, c’est-à-dire de la représentativité du système politique existant qui est en lambeaux. Le divorce entre les élites et le peuple est profond et Trump s’en est fait le héraut. Ce n’est pas lui qui a fracturé la société américaine. Les fractures sont anciennes, grandissantes mais désormais béantes. Le « coup d’Etat », c’est en revanche le refus même du DOJ (Department of Justice) d’examiner les recours pour fraude, c’est le double « impeachment », ce fut l’interminable « Russia Gate », c’est l’exploitation sans vergogne du système institutionnel et médiatique et du juridicisme américains par les Démocrates pour étouffer à tout prix, via Trump, une menace populaire montante, perçue comme illégitime et dangereuse par les élites qui confisquent le pouvoir depuis des décennies dans ce pays.

ADV : Voit-on se confirmer la “vraie” nouvelle fracture idéologique qui oppose non plus gauche et droite mais “Patriotes” (terme cher à Trump) et mondialistes”, clivage visible aussi en Europe occidentale ?

CG : Les Européens, et singulièrement les gouvernants et médias français qui avalent cette pâtée ridicule sans une once d’esprit critique, hurlent avec les loups et assènent délibérément des contresens, montrent leur servitude mais aussi leur peur panique de voir cela leur arriver et bousculer leurs Landernau établis. Ils sont plus inquiets que jamais devant les éruptions démocratiques populaires au sein de l’UE, car elles menacent leurs positions acquises. C’est pourquoi ils vouent aux mêmes Gémonies que Trump ses avatars européens (hongrois, polonais ou tchèque), qui, comme lui, écoutent leurs peuples et essaient de faire entendre leurs voix. L’anathème contre le « populisme » est infiniment plus confortable que d’admettre que ce sont là des réflexes de survie des peuples européens qui ne veulent pas succomber à l’arasement identitaire et culturel et à la décadence politique et stratégique. Des peuples qui ne veulent pas d’avantage être noyés dans la « Cancel culture » ravageuse qui est en train d’instaurer, à coups d’excommunications rageuses et au nom de la morale et du progrès, une bien-pensance débilitante qui détruit les individus en prétendant protéger leur liberté narcissique débridée et en faisant sauter les ultimes verrous du bon sens et de la nature, au profit d’une terrifiante dictature des minorités et de tous leurs fantasmes déconstructeurs.

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ADV : Enfin, quelles perspectives pour le Moyen-Orient en 2021 ? Le possible retour des Etats-Unis de Biden dans l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, dont Trump s’était retiré, et le rapprochement entre Israël et plusieurs Etats arabes dans le cadre des accords d’Abraham sont-elles des bonnes nouvelles ? 

CG : L’année a débuté de façon à mon sens dangereuse avec l’assassinat en Irak, le 2 janvier 2020, du général iranien Qassem Soleimani, chef de la force al Qods des Gardiens de la Révolution. Figure héroïque et fer de lance de la politique d’influence régionale de l’Iran, il est assassiné alors même qu’il était chargé de transmettre via Bagdad un message d’apaisement à Ryad, notamment à propos de la sinistre et folle guerre du Yémen initiée par le prince Héritier Mohamed Ben Salman (MBS). Il fallait donc qu’il meurt, puisque la paix ou même le simple apaisement ne semble résolument pas une option séduisante à ceux que le conflit nourrit, et à leur puissant parrain d’outre Atlantique qui vit de et par la guerre, inépuisable source d’influence et de prospérité. Sans parler du fait qu’il fallait sans plus attendre, mettre un frein à l’influence iranienne en Irak que le général Soleimani consolidait activement via les milices chiites locales.

A l’autre bout de l’année, les « Accords d’Abraham », patronnés par Washington et signés en septembre 2020 entre Israël et son « protégé/obligé » saoudien d’une part, les EAU et Bahreïn désormais rejoints par le Soudan et le Maroc d’autre part, au nom de la normalisation des pays de la région avec l’Etat Hébreu, donnent une idée de la vaste manœuvre d’enveloppement et de récupération stratégique imaginée à Tel Aviv et à Washington. Judicieuse réunion de toutes les monarchies pétrolières sunnites contre l’Iran accusé de tous les maux, mais, bien au-delà de la question nucléaire, avant tout redouté en Israël pour sa ressemblance et non sa différence avec l’Etat hébreu en termes de profondeur culturelle et civilisationnelle, mais aussi de niveau intellectuel industriel, technologique. Bref, pour Tel Aviv, le jour où le marché iranien sera ouvert au monde, ce sera un concurrent redoutable dans le coeur de Washington. Tout n’est évidemment pas à jeter dans cette « manip » des Accords d’Abraham, notamment l’influence croissante des EAU qui sont sans doute les partenaires les plus avisés du coin. Mais la ficelle est grosse, la marginalisation définitive de la question palestinienne en est clairement l’un des effets indirects attendus, et la poursuite de la déstabilisation active des Etats récalcitrants (Liban Syrie, Libye) l’une des compensations manifestes. Même le Qatar semble désormais tenté de rejoindre cet attelage hétéroclite présenté comme « progressiste et moderne », ne serait-ce que pour porter financièrement secours au Hamas à Gaza …avec la bénédiction d’Israël. Il reste néanmoins probable que cette « coordination » sous tutelle n’apaisera pas la lutte pour le leadership du monde sunnite qui oppose Ryad à Ankara, mais aussi à Téhéran, Aman, Doha ou Casablanca, tout en faisant les affaires de Washington que la fragmentation régionale sert par construction. On voit par ailleurs que l’échec des interventions américaines directes ou par « proxys » occidentaux en Irak, Libye, Syrie, qui a permis à la Russie de revenir dans la région depuis 2015, doit être contrecarré en jetant la Turquie dans les pattes de Moscou en Libye, en Syrie et dans le sud Caucase notamment, et qu’il s’agit donc aussi, en polarisant au maximum l’affrontement avec l’Iran, de reprendre la main dans la région contre la Russie, mais aussi contre la Chine dont les diplomaties subtiles et très actives deviennent préoccupantes pour Washington.

ADV : Vous connaissez bien la Russie et le Caucase : que répondre à ceux qui estiment qu’en Libye et dans le Caucase, la Russie s’est humiliée devant Erdogan qui aurait freiné Haftar à Tripoli et aidé l’Azerbaïdjan à vaincre les Arméniens du Haut Karabakh en plein « étranger proche russe » … 

CG : Je ne crois pas qu’il faille psychologiser ainsi l’interprétation des événements. La Russie a fait son grand retour sur la scène internationale depuis 2015 et a démontré qu’en dépit de toute la diabolisation, les permanentes manœuvres et les pressions de tous ordres dont elle fait l’objet, elle est toujours une puissance globale dotée d’un pouvoir incarné et populaire, qui se bat pour sa stabilité, son développement et son influence sur l’ensemble de la planète.  

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Quant à l’émergence tonitruante de la Turquie comme puissance déstabilisatrice aux ambitions débridées, ce n’est pas un phénomène sui generis. Le président Erdogan ne pourrait se permettre un dixième de ses foucades et provocations sans le blanc-seing direct ou complaisant de Washington. L’irruption turque dans les affaires mondiales manifeste l’indifférence américaine pour la stabilité de l’Europe et son hostilité paléolithique pour Moscou. Les Etats-Unis utilisent et continueront d’utiliser Ankara comme « proxy » en Syrie, en Libye, dans le sud Caucase et en Asie centrale contre Moscou, en Méditerranée orientale contre les Européens, qu’il s’agit depuis toujours de diviser et d’empêcher de pouvoir jamais atteindre une quelconque forme de puissance collective.

ADV : Quel est le jeu de l’Allemagne dans cet échiquier mondial de plus en plus polycentrique ?

CG : Dans ce marché de dupes, Berlin est en convergence tactique (et évidemment stratégique) avec Washington contre Paris, et nous savonne aimablement la planche en se désolidarisant ouvertement de nos postures et gesticulations sur la souhaitable « souveraineté européenne » afin d’assurer la finalisation de Northstream2 en dépit de l’hostilité américaine. La Chancelière allemande fait sans vergogne payer à l’Europe la note du chantage migratoire turc tout en vendant des sous-marins au néo sultan qui exulte d’une telle inconscience. Pourquoi d’ailleurs s’en priver puisque nous ne disons rien ? Le Président Erdogan joue donc sur tous les tableaux car il se sait indispensable à chacun. Il achète des anti-missiles S400 à Moscou et fait fi du courroux américain. La Russie en joue, elle aussi, et manie habilement la carotte et le bâton envers Ankara, selon les zones et les sujets, y compris dans le Haut Karabakh en dépit des apparences. Chacun a besoin de l’autre notamment en Syrie, même si la poche d’Idlib devient bien étroite pour le jeu d’influence des uns et des autres. Sans doute Joe Biden goûtera-il moins que Trump la grossièreté du président turc et ses crises mégalomaniaques. Mais ne nous y trompons pas. Au-delà de probables « condamnations » médiatiques – que nous boirons comme du petit lait, naïfs chatons que nous sommes-, cela ne devrait malheureusement pas modifier en profondeur l’attitude américaine envers la Turquie, puissance majeure du flanc sud de l’Alliance atlantique et très utile caillou dans la chaussure russe, ni envers l’Europe, éternelle vassale appelée à prendre « ses responsabilités », c’est-à-dire, à tout sauf à l’autonomie ne serait-ce que mentale. Être « des Européens responsables » signifiera toujours, pour Washington, être des Européens dociles, obéissants et inconditionnellement alignés sur les prescriptions et intérêts ultimes de l’Amérique.

ADV : Et celui de la France ? 

CG : Quant à la France, que son suivisme abscons a plongée dans un discrédit global lourd depuis le milieu des années 2000 (quelles que soient nos épisodiques gesticulations martiales pour nous rassurer), elle est désormais clairement hors-jeu au Moyen Orient. Plus personne ne la prend au sérieux ni ne supporte ses leçons de morale hors sol. Notre incapacité à définir enfin les lignes simples d’une politique étrangère indépendante et cohérente nous coupe les ailes, sape notre crédibilité résiduelle et nous rend parfaitement incapables de constituer un contrepoids utile pour les « cibles » américaines qui ne sont pourtant pas les nôtres et dont la diabolisation ne sert en rien nos intérêts nationaux, qu’ils soient économiques ou stratégiques. Il faut sortir, et très vite, de cet aveuglement.

Pendant ce temps, la France plonge dans une diplomatie décidément calamiteuse qui l’isole et la déconsidère partout. Elle vient d’abandonner le Franc CFA pour complaire au discours débilitant sur la repentance et les affres de la Françafrique. On continue sur l’Algérie. On expie bruyamment. On ne sait pas vraiment quoi à vrai dire… Mais on se vautre dans les délices masochistes du renoncement. On laisse la place à Pékin, Washington, Moscou et même à Ankara. Il ne sert à rien de geindre sur « l’entrisme » de ceux-là en Afrique, quand on leur pave ainsi la voie. Il faudrait vraiment arrêter avec « le sanglot de l’homme blanc ». Il faut refondre notre diplomatie et aussi d’ailleurs remettre la tête à l’endroit de nombre de nos diplomates au parcours brillant mais incapables de sortir d’un prêt-à-penser pavlovien (anti russe, anti iranien, anti syrien, anti turc même !) qui nous paralyse et nous expulse du jeu mondial. Il faut enfin apprendre à répondre à l’offense ou à la provocation, et à ne pas juste se coucher dès que l’on aboie ou que l’on n’apprécie pas nos initiatives souvent maladroites ou sans consistance, mais aussi parfois courageuses. « Tendre l’autre joue » n’est tout simplement pas possible sur la scène du monde. On s’y fait vite piétiner. Pour être pris au sérieux, il ne faut pas toujours « calmer le jeu ». Il faut montrer les dents avec des « munitions », donc une vision, une volonté et des moyens affectés aux priorités régaliennes.

ADV : Quel enseignement tirez-vous de la crise sanitaire qui va être également une grave crise économique en 2021 et même socio-politique ? Quel bilan pour la France ?

CG : Je ne peux éluder ce qui fait cauchemarder les peuples et les dirigeants du monde entier et singulièrement ceux d’Occident depuis un an : la pandémie du COVID 19. Le premier enseignement est que fut initialement démontrée l’inanité de la solidarité et de la lucidité européennes, avec un lamentable retard à l’allumage dans la coordination des politiques. On laissa piteusement tomber les Italiens, on se vola des cargaisons de masques, bref le chacun pour soi a la vie dure, surtout quand certains Etats ferment intelligemment leurs frontières et que d’autres les laissent béantes « par principe ». J’en conclue tout d’abord que ce sont les Etats les plus décisifs, les plus « agiles », les plus pragmatiques et les plus capables de contraindre des franges de leurs populations – tout en maintenant leur économie active – qui s’en sortent le mieux économiquement et même sanitairement. En France, le bilan est lourd. Nous aurons démontré urbi et orbi non seulement la faillite de notre système de soins, autrefois excellent et toujours très généreux mais exsangue, mais plus encore celle de l’armature étatique et administrative de notre pays, embolisée par une bureaucratie en roue libre qui n’obéit plus. Il faut dire que l’autorité est un gros mot, l’esprit d’Etat un fossile et l’obéissance une vertu démonétisée du fait de la certitude de l’impunité en ce domaine comme en bien d’autres.

L’amateurisme politique, l’incurie logistique, et l’arrogance satisfaite de nos gestionnaires au petit pied, rien ne nous aura été épargné. Notre pays est moralement et économiquement à terre. Dès que nous serons sortis de la phase critique de la pandémie qui fait écran et permet au pouvoir de remplir à seaux le tonneau des Danaïdes au nom de l’urgence sanitaire, la déroute économique et sociale et le déclassement seront massifs. Les Français, à force d’infantilisation et de matraquage médiatique angoissant, en ont perdu leur latin et moutonnent en grommelant. Nos « responsables », dans un déni sidérant, se gargarisent indécemment de leur prétendue bonne gestion. Le réel est définitivement déconnecté de la perception, grâce à une communication quasi totalitaire et à un entêté « tout va très bien Madame la Marquise ! » qui veut rassurer le Français désabusé. Il sait pourtant bien, lui, que tout va très mal, mais il cherche protection jusque dans l’illusion et le renoncement. La politique ce n’est pas de la « com », de l’image, encore moins de la gestion à la petite semaine et au doigt mouillé. C’est une vision, du courage, l’acceptation du risque et de l’impopularité, de la planification, de la logistique implacable… et de l’autorité ancrée dans l’exemplarité. Pas du caporalisme ni de l’infantilisation de masse. De l’autorité, qui produit de la confiance et oblige chacun à l’effort.

Caroline Glactéros, propos recueillis par Alexandre del Valle (Geopragma, 22 janvier 2021)

Comment la Russie et la Chine remodèlent le Caucase du Sud

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Salman Rafi Sheikh

Comment la Russie et la Chine remodèlent le Caucase du Sud

Ex : https://journal-neo.org

La fin du conflit du Haut-Karabakh, négociée avec l'aide de la Russie, a jeté les bases d'une transformation géopolitique majeure du Caucase du Sud. Si le rôle joué par la Russie pour mettre fin au conflit militaire et maintenir le cessez-le-feu lui a permis de prendre en charge le Caucase du Sud, les développements ultérieurs montrent comment la Russie a élargi son rôle et consolidé sa position dans son arrière-cour. Son importance première réside dans le fait qu'aucune puissance extra-régionale et occidentale n'était ou n'est encore impliquée dans cette partie du monde, ce qui est l'une des raisons pour lesquelles le cessez-le-feu n'a pas été violé. Bien que la Turquie et l'Iran aient été impliqués dans la négociation du cessez-le-feu, la question a toujours été globalement une affaire russe. En outre, la Russie a négocié la paix et le cessez-le-feu aux dépens du Groupe de Minsk. Il a permis à la Russie d'éroder massivement la capacité des États-Unis à utiliser cette région pour allumer des feux à sa périphérie afin de créer les conditions nécessaires à l'expansion de l'OTAN vers l'Est.

Le contrôle de la région est important pour les États-Unis également parce qu'elle est apparue comme l'une des voies les plus appropriées pour l'extension de l'initiative chinoise "Belt & Road" (IRB) en Europe. Les États-Unis, en tentant de s’arcbouter au Sud du Caucase, voudraient contrôler une artère importante de l'IRB. Mais le Caucase du Sud, sous l'influence politique russe et les investissements économiques chinois, se transforme rapidement en un territoire très éloigné de la portée des tentacules américains.

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Comme le montrent les dernières données de la Banque mondiale, l'empreinte économique de la Chine a massivement augmenté ces dernières années. L'Azerbaïdjan est largement considéré comme un maillon important des nouvelles routes de la soie reliant la Chine à l'Europe. Depuis 2005, le chiffre d'affaires du commerce chinois avec l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie a augmenté d'environ 2070 %, 380 % et 1885 %, respectivement.

L'Azerbaïdjan revêt une importance particulière pour le corridor économique Chine - Asie centrale - Asie occidentale, principalement le corridor de transit transcaucasien (TCTC), qui relie la Chine à l'Europe par un réseau de chemins de fer, de ports maritimes, de routes et éventuellement de pipelines.

Si le volume actuel des échanges commerciaux entre la Chine et l'Azerbaïdjan n'est pas élevé, les tendances récentes montrent un important bond en avant. Selon les données de la Banque mondiale, "le volume des échanges commerciaux entre les deux pays était de 1,3 milliard de dollars US en 2018, soit environ 6 % du total des échanges commerciaux de l'Azerbaïdjan, et la moitié de ce montant en 2013". La Banque mondiale estime que le parachèvement de l'IRB dans la région est susceptible de transformer la capacité géoéconomique de l'Azerbaïdjan et que le PIB du pays pourrait augmenter de 21 % à long terme. La participation de l'Azerbaïdjan à la BRI pourrait lui permettre d'exploiter les chaînes de valeur mondiales et de diversifier son économie.

Le Haut-Karabakh étant désormais effectivement sous contrôle azéri et géré sous supervision russe, et la Chine ayant récemment signé un accord d'investissement avec l'UE, on doit s’attendre à ce que la Chine accorde une attention toute particulière à la construction d'une route de transit à travers cette région. La Chine développe une route commerciale via le Kazakhstan qui traverse la Caspienne depuis le port kazakh d'Aktau pour aboutir à Bakou. Les universitaires chinois ont décrit cette route comme étant la plaque tournante de l'IRB donc elle est absolument essentielle au succès de l'accord que Pékin vient de signer avec l'UE.

Les possibilités de connectivité et de création d'entreprises qu'offre la Chine sont également liées aux projets de la Russie visant à établir une nouvelle géographie du commerce entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. C'est ce qui est apparu clairement lors de la dernière réunion entre les dirigeants russe, azéri et arménien à Moscou. La réunion a été suivie par l'annonce de la mise en œuvre de "mesures impliquant la restauration et la construction de nouvelles infrastructures de transport nécessaires à l'organisation, la mise en œuvre et la sécurité du trafic international effectué à travers la République d'Azerbaïdjan et la République d'Arménie, ainsi que des transports effectués par la République d'Azerbaïdjan et la République d'Arménie, qui nécessitent de traverser les territoires de la République d'Azerbaïdjan et de la République d'Arménie".

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Le plan, tel qu'il se présente, est de réactiver les anciennes "Routes de la soie du Caucase" qui permettraient aux principaux pays de la région de se connecter avec la Russie et d'ouvrir ainsi des voies pour stimuler le commerce, ne laissant ainsi aucune marge de manœuvre, même minimale, aux puissances extrarégionales comme les États-Unis et la France pour jouer leur vieille politique du "diviser pour régner".

Tous ces développements indiquent également un recul de la présence et du rôle des États-Unis dans la région. Mais les États-Unis, sous l'administration Biden, dominée par les interventionnistes libéraux, vont probablement mettre de l'ordre dans leurs affaires intérieures d’abord et, ensuite, tenter un retour sous une forme ou une autre. En fait, les États-Unis sont déjà en train de faire leurs calculs de retour.

Le Congrès américain a récemment autorisé le directeur du renseignement national à présenter un rapport identifiant les principaux intérêts stratégiques des États-Unis dans la région, y compris l'assistance militaire américaine à l'Azerbaïdjan et à l'Arménie et la manière dont celle-ci pourrait être utilisée efficacement pour servir les intérêts américains.

En l'état actuel des choses, Washington se prépare déjà à une lutte géopolitique dans la région du Haut-Karabakh. En octobre 2020, le chef de la commission du renseignement de la Chambre des représentants à Washington, Adam Schiff, a "exhorté" les États-Unis à reconnaître le Haut-Karabakh ou la "République de l'Artsakh" comme un État indépendant. L'appel à la reconnaissance d'un "État indépendant" reflète la manière dont les États-Unis entendent s'insérer dans la région pour jouer leur politique habituelle de division.

Cependant, comme le montrent les détails donnés ci-dessus, de nombreuses politiques de connectivité sont planifiées et mises en œuvre pour contrer la politique de division que les États-Unis se préparent à mener.

Par conséquent, en l'état actuel des choses, les accords politiques et économiques qui sont conclus et mis en œuvre réduiront massivement la possibilité qu'un conflit réapparaisse et déstabilise la région. Ce n'est qu'à ce moment-là que les États-Unis pourront intervenir et faire pression pour réactiver le groupe de Minsk.

Salman Rafi Sheikh

Salman Rafi Sheikh, est analyste des relations internationales et des affaires étrangères et intérieures du Pakistan ; en exclusivité pour le magazine en ligne "New Eastern Outlook".

samedi, 23 janvier 2021

L'importance stratégique de l'accord entre Israël et le Maroc

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L'importance stratégique de l'accord entre Israël et le Maroc

Par Marco D'Attoma

Ex: http://osservatorioglobalizzazione.it

2020 sera l'année qui restera historiquement dans les mémoires pour la pandémie du Covid-19, mais pour les études de la diplomatie internationale, ce sera sans doute une année fondamentale pour les développements au Moyen-Orient, en particulier dans les relations établies entre l'État d'Israël et le monde arabe. Les accords d'Abraham, signés le 15 septembre dernier pour normaliser les relations entre les Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn et Israël, marquent un tournant historique dans le contexte du Moyen-Orient, au même titre que les accords de Camp David ou les accords d'Oslo. Cette stratégie diplomatique de l'État d'Israël a trouvé un parrain pertinent dans l'administration Trump, qui s'est révélée être le principal interlocuteur pour la paix entre le monde arabe et Israël. La dernière étape de cette politique d'apaisement a été l'accord entre Israël et le Maroc, la plus ancienne monarchie arabe.

L'approche de la présidence américaine est définie comme transnationale, car pour les Etats qui promeuvent les relations diplomatiques avec Israël, il y a une sorte d'avantage, par exemple pour les Emirats Arabes il y avait l'avantage de pouvoir acheter des avions militaires aux Etats-Unis. Pour le Maroc, cependant, l'avantage consiste en la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, un territoire peu connu au niveau international, qui selon les parties, pourrait être défini comme un État ou comme une province marocaine.

Cette concession américaine pourrait cependant raviver un conflit historique entre le Maroc et le Sahara occidental, qui a commencé en 1975 lorsque, suite aux accords de Madrid, le gouvernement franquiste a décidé de se retirer du Sahara espagnol (aujourd'hui Sahara occidental) et d'accorder la souveraineté territoriale sur ce territoire à la Mauritanie et au Maroc. Cependant, le contrôle du territoire en question appartenait au Front Polisario (Frente Popular de Liberación de Saguía el Hamra y Río de Oro), une organisation politique qui s'est opposée à la partition du Sahara espagnol entre la Mauritanie et le Maroc, déclarant la guerre sur les deux fronts pour prendre le contrôle du territoire. La Mauritanie s'est presque immédiatement retirée du conflit, tandis qu'avec le Maroc un conflit a été amorcé qui sera gelé en 1991 grâce à une résolution des Nations unies qui établira un cessez-le-feu, mais sans résoudre définitivement la question. Le Front Polisario ne contrôle actuellement que 20 % du territoire du Sahara occidental, alors que le Maroc considère ce territoire comme une province du Royaume. Au niveau international, le Sahara occidental a un statut d'observateur aux Nations unies et est classé comme territoire non autonome, tandis qu'au sein de l'Union africaine, il est compté parmi les États membres.

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La résolution du Conseil de sécurité de 1991, en plus d'établir un cessez-le-feu, a promis au Front Polisario de soutenir la tenue d’un référendum sur l'autodétermination, processus prévu par la Charte des Nations unies, et ce vote serait contrôlé par les Nations unies et l'Union africaine.

Depuis 1991, cependant, les choses n'ont pas changé, la situation s'est même à nouveau détériorée. Ces dernières années, le gouvernement marocain a essayé d'entraver de toutes les manières possibles un référendum, et a également essayé de repeupler sa partie du Sahara occidental en accordant des avantages économiques et des incitations fiscales à ceux qui s’y installaient, afin d'influencer un éventuel vote. Ces derniers mois, les affrontements ont officiellement repris en raison de l'entrée de l'armée marocaine dans la zone démilitarisée. L'armée marocaine était intervenue parce que des manifestants sahraouis bloquaient une route très importante pour le commerce vers l'Afrique subsaharienne, une région vers laquelle de nombreuses marchandises marocaines sont exportées. Le territoire sous contrôle du Maroc est le plus prospère au niveau économique car il est riche en ressources et en gisements, tandis que le territoire sous contrôle du Front Polisario est un territoire aride mais, en même temps, important car il représente pour le Maroc la porte d'entrée du commerce vers l'Afrique occidentale et subsaharienne, riche en phosphates et important pour l'abondance de poissons dans ses eaux.

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Pour diviser les deux territoires, il existe une muraille fortifiée, mais pas n'importe laquelle car c'est la plus longue du monde (si l'on exclut la muraille de Chine), longue d'environ 2700 kilomètres, avec des fortifications, des bunkers et des mines au sol. Ce n'est pas pour rien qu'on l'appelle "Le Mur de la Honte".

La décision de Trump de reconnaître la souveraineté marocaine sur l'ensemble du Sahara occidental a certainement beaucoup contribué à raviver la volonté du gouvernement marocain de prendre le contrôle de l'ensemble du territoire.

Si les actions de Trump ont temporairement apporté un climat de paix au Moyen-Orient, il n'en va pas de même pour le Sahara occidental. Le mur, les droits de l'homme bafoués et les relations avec les États-Unis et Israël ne peuvent que faire penser à un lien entre le peuple sahraoui et le peuple palestinien.

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La géopolitique qui sous-tend l’accord d’investissement UE-Chine

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La géopolitique qui sous-tend l’accord d’investissement UE-Chine

Par Salman Rafi Sheikh

Source: New Eastern Outlook

L’accord d’investissement UE-Chine récemment annoncé est un moment décisif, marquant le premier accord d’investissement UE-Chine de ce type, qui ouvrirait les portes de la Chine à l’UE, pour y réaliser des investissements directs. La Chine aura de son côté la possibilité d’étendre son influence sur le marché européen. Si l’accord présente de nombreux avantages pour les parties concernées, il est également assorti de facteurs géopolitiques très visibles, qui concernent non seulement l’UE et la Chine, mais aussi les États-Unis. L’accord UE-Chine est considéré aux États-Unis par l’administration Trump (qui est déjà en « guerre commerciale » avec la Chine) et l’administration Biden comme contraire à leur politique déclarée de suivre une approche « dure » à l’égard de la Chine. L’expansion de la Chine en Europe permettra à la première d’échapper en grande partie à l’impact de la « guerre commerciale » en cours et donnera à son économie une marge de manœuvre importante. Pour les États-Unis, cet accord doit donc être revu à la lumière de leur propre politique de confrontation calculée avec la Chine. Les États-Unis entendent exercer leur influence pour que l’UE s’aligne sur la politique américaine.

Jake Sullivan, le choix du président élu Joe Biden comme conseiller pour la sécurité nationale, a demandé « des consultations rapides avec nos partenaires européens sur nos préoccupations communes concernant les pratiques économiques de la Chine ». Le tweet reflète une inquiétude croissante parmi les responsables de l’administration Biden, qui craignent que la formalisation de l’accord UE-Chine, sans les États-Unis, ne compromette sérieusement la capacité de ces derniers à non seulement modeler la dynamique générale des liens bilatéraux entre l’UE et la Chine, mais aussi à obtenir le soutien de l’UE pour former un front commun contre la Chine. L’administration Biden cherche donc à maintenir une position politique vis-à-vis de la Chine similaire à celle que l’administration Trump a largement suivie au cours des quatre dernières années. Il est donc peu probable que les relations entre les États-Unis et la Chine sous l’administration Biden reviennent à la normale. Elles devraient, dans l’état actuel des choses, s’exacerber en raison de la concurrence militaire croissante.

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Pour les États-Unis, la principale préoccupation n’est pas l’accord en soi, mais la manière dont cet accord ferait de l’UE un acteur indépendant dans ses relations avec la Chine. Après l’accord, l’UE sera en mesure de façonner et de déterminer ses politiques vis-à-vis de la Chine en tant qu’acteur égal et indépendant, ce qui donnera au bloc européen le poids politique qu’il a essayé d’établir pour équilibrer ses relations avec les États-Unis. Il y a des tensions au sein de l’OTAN, et les États-Unis, sous l’administration Trump, ont libéré des forces qui ont poussé l’UE de plus en plus vers une politique étrangère indépendante, et envisagent même un système de sécurité interne européen, indépendant de l’OTAN.

Le fait que la Chine ait récemment offert des concessions massives à l’UE indique également comment la Chine essaie de tirer pleinement parti des clivages existants entre les États-Unis et l’UE, en offrant des incitations que l’UE pourrait trouver trop attrayantes pour les rejeter. Les concessions chinoises ont déjà abouti à un accord de principe, obligeant la France et l’Allemagne à passer imperceptiblement de leur politique dite « indo-pacifique » de « gestion » de la montée en puissance de la Chine à une coexistence avec cette dernière qui donnerait à l’UE un accès très recherché au marché chinois.

En facilitant l’accès à son industrie manufacturière, la Chine a répondu à l’une des principales préoccupations de l’UE. Alors que presque tous les pays de l’UE ont leurs accords bilatéraux avec la Chine, cet accord est le premier « accord autonome sur les investissements couvrant à la fois l’accès au marché et la protection des investissements. Il remplacerait les 25 accords bilatéraux existants par un cadre juridique uniforme doté de normes de protection modernes et de mécanismes de règlement des différends ».

En conséquence, alors que l’UE et la Chine s’efforcent de plus en plus de surmonter leurs divergences mutuelles [l’UE modifiant ses mesures de sécurité et les Chinois assouplissant leurs règles], le fossé entre l’UE et les États-Unis s’élargit.

La loi européenne sur les services numériques (DSA) et la loi sur les marchés numériques (DMA) récemment introduites sont susceptibles d’approfondir encore la fracture transatlantique en matière de commerce numérique. Les divergences sur le marché des services numériques viendront s’ajouter aux tensions déjà existantes en ce qui concerne l’OTAN, le changement climatique et les relations économiques entre l’UE et les États-Unis.

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Les lois européennes auront un impact négatif sur les États-Unis. En 2019, les États-Unis ont exporté vers l’UE pour 196 milliards de dollars de services liés aux technologies de l’information et des communications (TIC). Google a déjà déclaré que cet ensemble de lois vise à entraver les entreprises américaines. La Chambre de commerce américaine a déclaré que « l’Europe a l’intention de punir les entreprises prospères qui ont fait des investissements importants dans la croissance et la reprise économique de l’Europe ».

L’accord d’investissement UE-Chine est donc autant ancré dans la volonté d’expansion de la Chine que dans la recherche croissante par l’UE de sa propre place, indépendante des États-Unis, dans un monde de plus en plus multipolaire.

L’UE réagit à la manière dont les États-Unis sont passés au nationalisme économique sous l’administration Trump. Bien que Joe Biden ait qualifié la politique « America First » de Trump de mauvaise, le fait que cette politique soit restée en place pendant 4 ans signifie qu’elle a été capable d’infliger des changements substantiels à la façon dont l’alliance transatlantique s’engagerait et se réunirait face à des ennemis communs. L’UE, dans sa forme actuelle, ne se contente pas de s’associer aux États-Unis pour « gérer » la Chine ; elle définit plutôt une ligne de conduite qui correspond à ses intérêts et à ses besoins. Comme l’ont déclaré les diplomates européens, si les entreprises européennes peuvent obtenir un meilleur accès à la Chine et y trouver des conditions de concurrence raisonnablement équitables, il n’y a aucune raison qu’elles n’en profitent pas.

Salman Rafi Sheikh

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

vendredi, 22 janvier 2021

Le défi géostratégique de l'Arctique

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Le défi géostratégique de l'Arctique

par Daniele Perra

Ex : https://osservatorioglobalizzazione.it

Le grand juriste allemand Carl Schmitt a dit que l'histoire des peuples est toujours une histoire d'appropriation de la terre. La conquête/acquisition de nouveaux espaces a toujours une influence décisive sur la position géopolitique des États. En effet, une acquisition de terres implique toujours le risque de déstabiliser un statut hégémonique précis ou un ordre établi. Sur une surface terrestre presque entièrement occupée par l'homme, il existe encore deux zones de compétition entre les grandes puissances : la région arctique et l'espace extérieur entourant le globe. Dans cet article, nous aborderons la première.

La proposition du président américain Donald J. Trump d'acheter le Groenland, et l'annulation subséquente de la réunion de Copenhague avec les dirigeants politiques danois une fois l'offre refusée, ont fait sensation en 2019.

Cependant, ce qui semblait être une déclaration impromptue d'un "président peu orthodoxe" avait en fait des raisons géopolitiques très spécifiques. Et afin de mieux comprendre ces motivations, il sera utile d'examiner en détail les déclarations de Mark T. Esper (secrétaire d'État à la défense) au Royal United Services Institute de Londres et le rapport du ministère américain de la défense sur la stratégie arctique au Congrès de juin 2019.

Les déclarations d'Esper sont particulièrement éloquentes. En effet, le secrétaire à la défense a mentionné à plusieurs reprises la menace que l'agressivité russe et la puissance économique chinoise feraient peser sur la sécurité et l'ordre mondial actuels.

"La concurrence entre les grandes puissances" - a déclaré M. Esper au public londonien - "est la principale préoccupation pour la sécurité nationale des États-Unis". Les États-Unis, selon l'ancien étudiant de West Point, s'occupent déjà de cette question, mais il devient nécessaire que les "nations aimant la liberté" reconnaissent cette menace et jouent leur rôle pour assurer la sécurité du monde.

En outre, la Chine et la Russie feraient peser des menaces spécifiques sur la "prospérité américaine" : des menaces qui pourraient s'aggraver à l'avenir si elles ne sont pas traitées rapidement.

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En conclusion, M. Esper, en pleine conformité avec la ligne de conduite de Trump, a suggéré que les alliés des États-Unis, et en particulier les États membres de l'OTAN, augmentent leurs dépenses militaires.

Les déclarations du secrétaire à la Défense font parfaitement écho à la substance du rapport susmentionné, remis au Congrès et consacré à la stratégie arctique, rapport qui mentionne explicitement le comportement "malveillant et coercitif" de la Russie et de la Chine, une "approche holistique" de la protection des intérêts nationaux américains dans la région arctique et la croissance de l'influence de Washington dans la région. Ce rapport, à son tour, fait écho à la stratégie de sécurité nationale de 2017 dans laquelle un accent particulier est mis sur "la protection du mode de vie américain" et, une fois de plus, sur "la promotion de la prospérité américaine, à préserver même par la force".

En outre, le rapport présenté au Congrès en juin fait écho presque intégralement au document de stratégie pour l'Arctique de 2013, publié sous l'administration Obama, prouvant, s'il en était besoin, qu'indépendamment des aspects extérieurs, des spectacles politiques de M. Trump, il existe une ligne de continuité substantielle entre les deux présidences.

À cet égard, il est également indéniable que les États-Unis avaient déjà commencé à ignorer l'accord nucléaire iranien bien avant l'élection de Trump.

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J'ai souvent soutenu que le trumpisme n'est rien d'autre qu'une tentative (plus ou moins) désespérée de sauver la "mondialisation américaine", et que la devise électorale "Make America Great Again" a simplement entraîné une nouvelle course aux armements et la militarisation plus ou moins forcée des régions soumises à la concurrence stratégique entre les grandes puissances.

Le regain d'intérêt pour l'Arctique s'inscrit dans ce contexte. Limiter ou empêcher l'expansion sino-russe dans la région signifie avant tout éviter l'une de ces "acquisitions de nouveaux espaces" qui pourraient mettre en crise l'hégémonie mondiale nord-américaine.

La valeur de l'Arctique

Situé à l'intersection de 3 plateaux continentaux, avec 14 millions de kilomètres carrés, 13% des réserves mondiales de pétrole et 30% des réserves de gaz encore à exploiter, l'Arctique est une zone d'une énorme valeur géostratégique. L'exploitation d'une telle richesse, également en termes de routes commerciales et militaires, aurait pour conséquence soit la conservation inchangée de l'hégémonie nord-américaine, soit son dépassement définitif si Washington devait perdre le défi lancé à ses concurrents.

Il n'est donc pas surprenant que le rapport susmentionné au Congrès sur la stratégie arctique mentionne clairement l'objectif de "limiter la capacité de la Chine et de la Russie à exploiter la région comme un corridor de concurrence stratégique, visant à limiter la projection mondiale de la puissance américaine".

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En fait, l'ouverture de la route arctique, en évitant le canal de Suez, réduirait de dix jours la durée du voyage de l'Asie vers l'Europe et compromettrait sérieusement le contrôle américain sur les flux énergétiques. En outre, en ce qui concerne les objectifs géostratégiques sino-russes, la route arctique serait plus sûre et plus stable que les couloirs terrestres de l'initiative "Belt and Road", qui sont susceptibles de passer par des zones de turbulences, à forte présence de groupes terroristes largement alimentés et exploités par les services de renseignement des forces hostiles à l'évolution de l'ordre mondial dans un sens multipolaire.

En effet, la route arctique joue un rôle majeur dans le projet Belt and Road. La Chine, qui est un observateur permanent au Conseil de l'Arctique, a déjà investi pas mal de ressources dans la région. Et l'intérêt de l'Amérique du Nord à acheter le Groenland fait partie du plan visant à contrer l'expansion économique chinoise dans la région. Cette expansion suit les lignes tracées par la vision chinoise de la coopération maritime dans le cadre de l'initiative "Belt and Road", où l'esprit du projet d'infrastructure chinois est interprété en termes de "coopération, ouverture, inclusion, apprentissage et bénéfice mutuel". Dans cette déclaration de 2017, la relation entre l'homme et les océans est interprétée comme une exploitation des routes maritimes visant à réaliser un développement commun.

La valeur stratégique du Groenland

Le Groenland est au cœur du défi pour l'Arctique car on estime que son sous-sol abrite la sixième plus grande réserve de terres rares au monde : un élément clé dans la construction d'équipements technologiques et militaires. En outre, il existe d'autres ressources clés (or, uranium, diamants, pétrole). À cet égard, un projet visant à extraire ces ressources est déjà cogéré par une société chinoise : la Shenghe Resources Holding LTD.

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Les terres rares sont le principal facteur d'attractivité pour les États-Unis. Grâce à elles, la Chine (qui contrôle entre 85% et 95% de leur production mondiale) est en train de gagner la guerre commerciale contre les Etats-Unis. Ce n'est pas un hasard si elles sont l'un des rares produits chinois que les États-Unis ont exclus des droits de douane et des restrictions.

Prendre possession du Groenland et commencer l'exploitation définitive de cette immense ressource dans son sous-sol permettrait sans aucun doute aux États-Unis de réduire leur dépendance vis-à-vis des terres rares de la Chine et d'obtenir un contrôle total sur les deux extrémités arctiques du continent nord-américain : l'Alaska à l'ouest et l'île dite "verte" à l'est.

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Il va sans dire que dès 1860, avant même l'achat de l'Alaska à la Russie, William H. Seward (futur secrétaire d'État d'Abraham Lincoln) avait prédit que l'Arctique deviendrait l'avant-poste septentrional des États-Unis.

Comme mentionné au début de cet article, la proposition des trumpistes, comme celle avancée par l'administration Truman à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a rencontré une réponse négative. Cependant, la sujétion presque totale de la classe politique de l'île envers Washington est bien connue. Et on ne peut exclure la possibilité que Washington profite de cette influence pour empêcher une expansion chinoise excessive dans le protectorat danois.

Le défi dans le Grand Nord entre la Chine et les États-Unis

Mais le Groenland n'est pas le seul souci des États-Unis. Outre la mise en service de sept brise-glaces, la Chine a également montré un intérêt considérable pour la construction du tunnel sous-marin Helsinki-Tallin, qui permettrait à la Chine de compléter un réseau d'infrastructures couvrant l'ensemble du continent eurasiatique.

Paradoxalement, dans cette course à l'Arctique, les États-Unis se sont retrouvés avec un lourd retard technologique par rapport à leurs principaux concurrents. La Russie, en effet, outre la création d'un Strategic Interforce Command pour l'Arctique dès 2014, dispose de la plus grande flotte pour la navigation en eaux froides (39 brise-glaces dont 6 à propulsion nucléaire) et vient d'achever la construction de la première centrale atomique flottante. Cette centrale, après un voyage de 5000 km le long de l'Arctique russe, a été rapidement placée à Pevek, à l'extrême nord-est, où elle fournira de l'énergie aux usines industrielles et minières de la région.

En outre, si les "prévisions géologiques" devaient être confirmées par les faits, l'exploitation du plateau arctique occidental de la Russie donnerait à Moscou une projection de puissance énergétique encore plus élevée que celle des États-Unis. Il n'est donc pas surprenant que la Russie ait également installé des batteries de missiles S-400 sur les péninsules de Kola et du Kamtchatka pour assurer la défense de la région.

Il est clair que les États-Unis vont une fois de plus répondre à ce double défi géostratégique et technologique en militarisant la région arctique et en faisant porter les coûts sur les épaules de leurs alliés. Et il est tout aussi clair que la course à l'Arctique peut être interprétée comme un nouveau chapitre de la lutte entre les puissances terrestres et maritimes qui a caractérisé l'histoire des peuples depuis l'antiquité. Cependant, au moins à cette occasion, la puissance thalassocratique nord-américaine semble être réellement obligée de se défendre.

 

L'administration Biden : ses projets pour le Groenland et le gazoduc Nord Stream 2

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L'administration Biden : ses projets pour le Groenland et le gazoduc Nord Stream 2

par Giuseppe Gagliano

Ex : https://www.startmag.it

Comment Biden va-t-il agir à la fois sur la question de l'Arctique (l'intérêt américain pour le Groenland) et sur celle, non moins complexe, du Nord Stream 2. Des différences vraiment pertinentes par rapport à Trump ? L'analyse de Giuseppe Gagliano.

Au-delà de la rhétorique évidente - et prévisible - liée à l'investiture du nouveau président américain Biden, considéré comme le nouveau messie par l'intelligentsia des gauches européennes, il est légitime de se demander comment le nouvel occupant de la Maison Blanche va évoluer par rapport à la fois à la question de l'Arctique (que nous avons abordée à plusieurs reprises dans ces pages) et à celle non moins complexe du Nord Stream 2.

Commençons par la première question et les positions prises jusqu'à présent par l'administration Trump.

À la mi-2019, le président américain Donald Trump et Mike Pompeo devaient se rendre au Danemark pour discuter de questions principalement liées aux investissements militaires et commerciaux américains au Groenland et à la présence croissante des États-Unis, de la Russie et de la Chine dans la région.

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La base américaine de Thulé au Groenland.

Les États-Unis ont l'intention d'acheter le Groenland et de concrétiser ainsi leur revendication sur cette région et ses ressources. Le Danemark a rejeté toute proposition de vente du Groenland et le gouvernement américain a annulé toutes les réunions prévues. La visite de Pompeo au Groenland a été annulée après que la Chine ait fait des efforts pour investir dans une série d'aéroports et une base militaire abandonnée sur l'île. L'objectif des États-Unis est de contrer l'influence de Pékin, qui a proposé en 2018 d'établir une "route de la soie polaire". L'objectif est d’empêcher les Chinois de prendre pied sur l'île en leur réservant toutefois la possibilité de faire de lourds investissements pour militariser le Groenland.

Outre la coopération économique entre la Chine et la Russie dans l'Arctique, Mike Pompeo a déclaré que le Pentagone avait averti que la Chine pourrait utiliser sa présence civile en matière de recherche dans l'Arctique pour renforcer sa présence militaire, notamment en déployant des sous-marins dans la région comme moyen de dissuasion contre les attaques nucléaires. "Nous devons examiner attentivement ces activités et garder à l'esprit l'expérience des autres nations. Le comportement agressif de la Chine dans d'autres régions influencera la manière dont elle traitera l'Arctique". Ces commentaires sur les éventuelles capacités militaires stratégiques de la Chine dans l'Arctique soulèvent légitimement la question des plans américains pour le Groenland.

Malgré le différend diplomatique de l'année dernière, l'administration Trump semble avoir fait marche arrière par rapport à son projet d'achat du Groenland. Le 22 juillet 2020, Mike Pompeo et Jeppe Kofod ont organisé une conférence commune à Copenhague. L'actuel ministre des affaires étrangères a déclaré que les États-Unis sont "l'allié le plus proche" du Danemark et qu'ils travaillent ensemble pour assurer une "société internationale fondée sur des règles". Par conséquent, tous les pays que les États-Unis considéreraient comme des adversaires se présentent comme des menaces pour l'économie mondiale (comme la Chine) ou comme nuisibles à l'environnement, comme le montre la tentative de régulation du trafic maritime dans l'Arctique par des navires battant pavillon russe. Pompeo a souligné : "Je suis venu ici parce que le Danemark est un partenaire solide. Il ne s'agit pas seulement de nous unir contre la Chine qui sape et menace notre sécurité nationale". Pompeo et Kofod se sont mis d'accord sur un front commun contre la Chine au Groenland et les États-Unis ont promis que le Groenland serait financièrement récompensé pour la présence, là-bas, de la base aérienne américaine de Thulé. Le secrétaire d'État américain a déclaré que le Danemark se verrait offrir de nouveaux liens commerciaux plus solides en échange de l'opposition aux investissements chinois et russes sur leur territoire.

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L'intention des États-Unis d'accroître leur influence dans les régions de l'Atlantique Nord et de l'Arctique par des moyens financiers a été clairement exprimée par Pompeo. Une approche économique de soft power est utilisée par les États-Unis pour assurer le contrôle du Groenland et des îles Féroé. Entre-temps, l'influence américaine sur le Groenland s'accroît déjà depuis qu'elle a ouvert un consulat sur l'île en juin avec l'approbation du gouvernement danois, fournissant une aide de 12,1 millions de dollars en avril.

Outre les facteurs économiques, il y a aussi un aspect stratégico-militaire puisque l'ambassadrice américaine au Danemark, Carla Sands, s'est rendue dans les îles Féroé pour demander la possibilité d'ouvrir un consulat diplomatique et de permettre à la marine américaine d'utiliser ses ports pour des opérations dans l'Arctique.

Un tel accord permettrait aux États-Unis de créer un corridor d'importance militaire s'étendant du Groenland, de l'Islande et des îles Féroé à la Norvège, qui pourrait servir d'outil géopolitique puissant contre les activités chinoises et russes dans la région.

Lors de sa visite au Danemark, Pompeo avait également réussi à organiser une rencontre avec Anders Fogh Rasmussen à l'ambassade des États-Unis à Copenhague. Rasmussen est membre du parti politique libéral "Venstre". Il dirige actuellement sa propre société de conseil politique appelée "Rasmussen Global" et est conseiller principal à la banque américaine Citigroup. Il est important de noter que Rasmussen est un fervent défenseur de l'hégémonie américaine dans le monde et qu'il a été personnellement responsable de la participation du Danemark à la guerre en Irak en 2003.

Après leur rencontre, M. Rasmussen a révélé que le sujet de son entretien avec Pompeo portait sur la manière d'empêcher "des régimes autocratiques comme la Russie et la Chine" d'investir au Groenland et dans les îles Féroé. Rasmussen a conseillé à Pompeo que "si nous voulons empêcher les nombreux investissements chinois au Groenland et dans les îles Féroé, nous avons besoin d'une plus grande participation américaine en termes d'argent. [...] C'est pourquoi j'ai proposé d'aider à soutenir les investissements américains au Groenland et dans les îles Féroé".

L'implication est claire : les États-Unis utilisent également des groupes de pression locaux pour faire avancer leur programme dans les régions de l'Atlantique Nord et de l'Arctique. La prochaine étape est la poursuite de la militarisation de la région, qui pourrait devenir, avec le temps, un futur champ de bataille entre les États-Unis, la Chine et la Russie.

Il semble que les États-Unis, en établissant des consulats au Groenland et dans les îles Féroé, tentent d'influencer directement les acteurs locaux de la région, notamment par des incitations financières telles qu'une subvention de 11 millions d'euros.

Le fait que des acteurs politiques appellent à la sécession du Groenland et des îles Féroé, qui abandonneraient ainsi leurs liens anciens avec le Danemark, est certainement quelque chose que Washington utilisera à son avantage.

Si le Danemark exprime son refus, les États-Unis pourraient commencer à soutenir activement ces mouvements sécessionnistes afin de "diviser pour régner". Les États-Unis n'hésiteront pas à recourir à de telles actions s'ils estiment que leur propre hégémonie est ainsi préservée au détriment de la Chine et de la Russie. Nous doutons que la nouvelle administration américaine modifie ce choix, d'autant plus que la Chine et la Russie sont et restent les principaux antagonistes des États-Unis.

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Passons maintenant à la question complexe du Nord Stream.

Bien que le ministre allemand des affaires étrangères, Heiko Maas, ait espéré pouvoir résoudre la question des sanctions mises en place par Trump, la coopération sino-allemande a été consolidée avec la signature d'un nouvel accord sur les investissements réciproques, accord signé avec la Chine pendant la présidence allemande du Conseil européen. Cet accord a été lu comme une posture offensive anti-américaine par Washington.

Ce n'est pas une coïncidence si Antony Blinken, le nouveau secrétaire d'État, a clairement indiqué que non seulement l'Amérique n'a pas l'intention de permettre l'achèvement du Nord Stream 2, mais que la Chine reste le principal adversaire. Ces menaces discrètes ne rappellent-elles pas les positions de Mike Pompeo ?

En dernière analyse - au-delà des discours tonitruants et creux de la gauche italienne en faveur de la nomination de Biden - nous sommes persuadés - comme l'ont fait valoir Arduino Paniccia et Alberto Negri - que les lignes de force mises en place par l'administration Trump ne différeront pas en substance de celles qui seront appliquées par la nouvelle administration américaine. Si une différence devait apparaître, nous pensons qu'elle se situerait uniquement au niveau des accents et non au niveau de la substance des choix de politique étrangère.

mercredi, 20 janvier 2021

Géopolitique du Brésil : entre Terre et Mer

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Géopolitique du Brésil : entre Terre et Mer

Par Raphael Machado, dirigeant de « Nôva Resistencia » (Brésil)

Ex: https://therevolutionaryconservative.com

Selon Carl Schmitt, l'essence de la politique est la distinction ami-ennemi. Nous trouvons également, chez Schmitt, une opposition fondamentale dans la géopolitique. En l'occurrence, l'opposition Terre-Mer, à laquelle Schmitt lui-même a consacré d'innombrables pages, mais dont la première formulation se perd dans le brouillard de l'histoire. Cicéron déjà, dans son De Re Publica, fustigeait les thalassocraties de Carthage et de Corinthe pour leur propension à la décadence, associée à une nature "aquatique" selon lui qui s'exprimait concrètement dans leurs stratégies respectives d'expansion coloniale, alors qu'il tenait en haute estime la vertu de la majorité des peuples enracinés dans la terre.

Il pourrait sembler qu'il s'agisse ici d'un sujet extrêmement métaphysique, voire d'un délire symbolique, mais la question de l'opposition terre-mer est si classique qu'elle devient universelle chez les penseurs géopolitiques, indépendamment de leurs orientations idéologiques. En fait, il a été possible de trouver une réciprocité entre les différentes formes d'expressions classiques du pouvoir (terrestre - aquatique) et une sorte de caractère ou de psyché des peuples.

En résumé, les civilisations de la Terre, généralement caractérisées par la présence d'une capitale et de provinces dans les terres voisines, seraient délimitées, en même temps, par un plus grand sens de la continuité, des frontières et des distinctions claires, par une plus grande propension à l'ascétisme et à la guerre ouverte. Les civilisations de la mer, pour la plupart, généralement organisées dans le cadre des relations entre métropole et colonies étrangères, seraient propices à l'indifférenciation, avec une relativisation des concepts et des frontières, avec une tendance psychologique à l'individualisme, à l'utilitarisme et au commerce.

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Ce dualisme évident pourrait avoir des résonances intéressantes et pourrait aussi exprimer avec clarté notre perception des inimitiés historiques telles celles de Rome et de Carthage, de Sparte et d’Athènes, de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne ou des États-Unis et de la Russie. Cependant,  nous sommes également confrontés à des exemples historiques plus complexes, plus prompts à générer de la confusion, exemples que sont le Portugal et l'Espagne, qui devraient nous intéresser grandement en tant qu'Ibéro-Américains.

Après tout, les États ibériques ont effectivement construit de grands empires coloniaux à l'étranger, organisés selon la logique des relations entre les métropoles qui commandent et les colonies dont on extrait des biens matériels. Alors, ces puissances ibériques étaient-elles des empires thalassocratiques ? Le Portugal et l'Espagne sont-ils liés par la symbolique de la mer ? Le problème est que, d'un point de vue spirituel, psychologique ou sociologique, ce qui signifie que, dans le contexte de l'examen de l'âme d'un peuple, il semble évident que le Portugal et l'Espagne sont liés par la symbolique de la Terre, ils étaient des empires tellurocratiques. Comment résoudre cette contradiction qui implique les patries ibéro-américaines ?

Le professeur André Martin, dont les analyses sont très pertinentes, affirme que le Brésil a une nature "amphibie", c'est-à-dire qu'il est délimité par un mélange entre terre et mer, et que cela devrait déterminer sa géopolitique. Avec tout le respect que je lui dois, nous osons ne pas être d'accord avec cette vision du Brésil. Cela nous semble être une tentative d'échapper à la contradiction fondamentale au lieu d'essayer de la résoudre. En fait, le Brésil a des éléments liés à ces deux symbolismes, mais cela est vrai pour tous les autres peuples, surtout aujourd'hui.

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L'élite brésilienne, concentrée sur la côte, incarne les valeurs commerciales et cosmopolites de la mer. Alors que les masses brésiliennes, qui vivent à l'intérieur des terres, incarnent les valeurs conservatrices et enracinées de la Terre. Ce choc, dans lequel les intérêts conservateurs et collectifs d'une masse populaire font face aux intérêts libéraux et individualistes d'une élite cosmopolite, explique en grande partie les phénomènes et les événements politiques au Brésil.

Quelle est l'importance de tout cela ? Si, en dépit de leurs élites, la nature du Brésil est tellurocratique, alors sa géopolitique doit être orientée vers l'autarcie continentale, vers la rencontre civilisationnelle avec ses voisins, et non par la recherche de partenaires commerciaux à l'étranger.

Le Brésil, qui s'est éloigné de nos frères ibéro-américains et s'est rapproché de l'Atlantique, doit retrouver son chemin.

Source :

MACHADO, Raphaël. "Columna de Opinión Internacional (Brasil) del 15.07.2020". Diario La Verdad. Lima, Pérou.

Disponible à l'adresse suivante :

https://comitecentralameri.wixsite.com/ccla/post/la-geopolítica-brasileña-entre-tierra-y-mar

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lundi, 18 janvier 2021

La politique russe en Libye

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La politique russe en Libye

Une étude de Can Acun (revue de presse: TRT en français – 16/1/21)*

Ex: http://www.france-irak-actualite.com

Si la Libye est un pays important par sa position géopolitique dans le contexte de l'Afrique du Nord, de la Méditerranée orientale et de l'Europe du Sud, c'est aussi un pays très riche en ressources énergétiques. Dans ce contexte, les puissances régionales et mondiales cherchent à être efficaces dans la lutte pour le pouvoir en cours dans le pays et à avoir leur mot à dire dans la construction de l'avenir de la Libye. La Russie vient en tête de ces pays.

Avant le renversement de Kadhafi en 2011, la Libye a suivi une politique indépendante de Moscou bien qu’elle soit un pays socialiste. Malgré cela, les relations entre la Libye et la Russie incluaient une coopération militaire et économique très profonde. Cependant, après la dissolution de l'Union soviétique, cette coopération a pris fin avec notamment le soutien politique de Moscou aux sanctions internationales imposées à la Libye. Cependant, la Russie, qui a commencé à se renforcer sous Poutine, a rétabli ses relations avec la Libye en revenant sur la scène politique mondiale.

Elle a commencé à être efficace en Libye en concluant des accords importants sur les armes et l'énergie jusqu'à la révolution et l'intervention étrangère qui ont commencé dans le pays avec l’impact du printemps arabe. Lorsque l'intervention dirigée par l'OTAN a renversé Kadhafi, la Russie a été mise à l'écart en Libye. Alors que la Russie a longtemps été indifférente aux conflits internes en Libye, elle a finalement recommencé à devenir active en 2017 en profitant du vide de pouvoir dans le pays.

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En se rapprochant du général insurgé Haftar, elle a gagné en influence notamment dans l'est du pays en déployant ses forces militaires mercenaires comme Wagner et a préféré parvenir à un compromis avec des pays comme les Emirats Arabes Unis (EAU). Aujourd'hui, la politique russe en Libye vise à amener officiellement le Gouvernement d’entente nationale (GNA) et l'Armée nationale libyenne (ANL) à la table des négociations. Essayant d'assumer le rôle d ‘ « arbitre neutre », Moscou se présente comme le défenseur d'une solution politique à la crise. Cependant, la situation sur le terrain montre le contraire.

Moscou est connue pour fournir un soutien non seulement politique mais aussi militaire à l'armée de Haftar. Les armes russes sont souvent retrouvées entre les mains des combattants de l’ANL et des mercenaires sont présents dans les zones de conflit. Cependant, le Kremlin continue de nier la présence de mercenaires et la vente d'armes.

Ces dernières années, Moscou a tendance à appliquer des « méthodes non traditionnelles » comme les mercenaires et le Groupe de contact dans sa politique en Libye. Dans ce contexte, le cours de la politique étrangère de la Russie en Libye est marqué par le président de la République tchétchène, Ramazan Kadirov, qui joue le rôle de représentant de la Russie au Moyen-Orient. En outre, Ramazan Kadirov et ses conseillers Adam Delimkhanov et Lev Dengov, forment le Groupe de contact russe pour la Libye, créé en 2015.

Par conséquent, la Russie a été efficace sur le terrain en profitant du vide de pouvoir en Libye, elle a commencé à soutenir militairement Haftar et amélioré ses relations avec la famille Kadhafi, en particulier avec Saïf al-Islam. En s'engageant avec des pays comme les Émirats arabes unis et l'Égypte, elle a placé Wagner en Libye et acquis une influence significative, en particulier à l'est. À l’heure actuelle, elle souhaite principalement garder son influence pertinente.

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L'un des objectifs de la Russie en Libye est d'essayer de devenir un acteur efficace sur le marché énergétique méditerranéen en créant une atmosphère politique appropriée pour ouvrir des espaces aux entreprises énergétiques russes telles que « Rosneft », « Tatneft » et « Gazprom ». En outre, la participation de Moscou à la lutte pour le pouvoir en Libye est déterminée par son désir d’obtenir certains gains politiques qui stabiliseront sa présence dans le pays.

En outre, Moscou vise à étendre sa présence sur le continent africain, en particulier dans la région de la Méditerranée orientale. Ainsi, la Libye, qui est riche en énergie et qui possède le plus long littoral méditerranéen de la « région », a gagné une place dans l'agenda de politique étrangère russe. Malgré son importance économique, la résolution du conflit libyen n'est pas l'un des problèmes les plus vitaux pour Moscou. Malgré cela, la Russie entend montrer son influence auprès d'autres acteurs régionaux en s’impliquant dans la crise libyenne.

Can Acun est chercheur sur la politique de la Russie en Libye à la Fondation des études politiques, économiques et sociales (SETA), un think tank proche de l'AKP.

*Source : TRT en français