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mardi, 02 février 2021

De l'Allemagne à la Turquie : tout le monde est fou de l'Albanie

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De l'Allemagne à la Turquie : tout le monde est fou de l'Albanie

Emanuel Pietrobon

https://it.insideover.com

L'Albanie est la clé de voûte de l'hégémonisation de la péninsule balkanique. Exercer une influence décisive sur cette ancienne nation euro-balkanique revient à hypothéquer le contrôle de ce qu’il est convenu d’appeler la "ceinture des Aigles" – soit le triangle Tirana-Pristina-Skopje -, qui équivaut à un tremplin géographique multidirectionnel, capable de projeter le joueur en service simultanément vers la Grèce, la Bulgarie, la Serbie, la Bosnie et l'Adriatique.

L'Albanie est d'ailleurs une économie florissante et en fort développement, une terre ouverte aux investissements étrangers, mais elle est aussi et surtout en attente d'adhésion à l'Union européenne et à l'Alliance atlantique. L'Allemagne, en raison de son rôle de première puissance européenne et à cause des éléments factuels et géographiques mentionnés ci-dessus, fait un pari important sur l'avenir du cœur territorial de la « ceinture des Aigles ».

Rome se retire, Berlin avance

L'Italie reste le premier marché de référence de l'Albanie en termes d'import-export, mais la position de domination commerciale, résultat de la proximité géographique et du passé historique, s'effrite au fil du temps au profit d'une situation plus variée reflétant l'émergence de nouvelles polarités et de nouveaux équilibres entre les Balkans et l'Adriatique.

Les chiffres sont éloquents : le tandem italo-albanais est en déclin constant depuis 2017, tandis que la présence de la Turquie et de la Chine augmente de façon ininterrompue, sans intervalles, pauses ou ralentissements, depuis 2005. Entre 2018 et 2019, alors que les importations en provenance de Rome ont diminué de 6,3 %, celles en provenance d'Ankara et de Pékin ont augmenté respectivement de 14 % et 11 %. Si la tendance se poursuit et se cristallise, d'ici le milieu des années 20, l'Italie pourrait perdre son titre de premier collaborateur commercial de l'Albanie.

L'Allemagne joue un rôle clé dans ce processus d'érosion : elle est entrée dans le classement des cinq premiers collaborateurs commerciaux de l'Albanie en 2015, occupant la quatrième position, et, depuis lors, elle a montré sa volonté de défendre avec ténacité ce statut de domination ascendante. L'année dernière, ce fut le tournant : l'augmentation exceptionnelle des exportations de produits albanais vers le marché allemand - +12,8% par rapport à 2019 ; la plus forte augmentation jamais enregistrée parmi tous les partenaires commerciaux de Tirana - accélère l'inéluctable ascension de Berlin, qui passe de la quatrième à la troisième place.

Investissements

Outre les échanges commerciaux, l'Allemagne utilise les investissements et la diplomatie culturelle pour accroître son poids sur la scène albanaise. En termes d'importance, Berlin est le onzième investisseur direct dans le système du pays des Aigles, où il est particulièrement présent dans l'énergie, les infrastructures et le tourisme, trois secteurs qui, le 27 janvier, ont fait l'objet d'une série d'accords.

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A la fin du mois, en effet, une réunion bilatérale a eu lieu à Tirana entre l'ambassadeur allemand in loco, Peter Zingraf, et la ministre albanaise de l'énergie et des infrastructures, Belinda Balluku, au cours de laquelle trois documents importants ont été signés dans les domaines de l'énergie - la restauration de la centrale hydroélectrique de Fierza, la plus grande du pays, par des spécialistes allemands -, l'investissement allemand de cinquante millions d'euros sur quatre ans pour promouvoir le développement régional intégré et le tourisme par le renforcement du réseau d'infrastructures - et pour conserver l'environnement - c'est-à-dire le soutien à la "gestion durable des déchets".

A Tirana, on parle allemand (de plus en plus)

Enfin, il y a la culture, un domaine sur lequel l'Allemagne parie beaucoup. Complice du mouvement migratoire de Tirana vers Berlin, à partir de 2018, les universités allemandes reconnaissent officiellement les diplômes du système d'enseignement supérieur albanais et la mobilité des étudiants a été renforcée par des programmes d'échange.

La promotion de la langue allemande : celle-ci est devenue une matière d'enseignement officielle dans six écoles participant à l'initiative "Partenaires pour l'avenir" ; elle est désormais une branche qui suscite un intérêt croissant chez les jeunes Albanais. Cette promotion est liée à la nouvelle donne économique/géopolitique. Pour donner une idée de l'ampleur du phénomène, considérons que le Goethe-Institut de Tirana en 2016 a dû transférer ses activités dans un bâtiment plus grand pour faire face de manière adéquate à une demande en pleine explosion : quatre mille étudiants se sont inscrits à l'époque, soit une augmentation de 22 % par rapport à l'année précédente.

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Il est fondamental de traiter le facteur linguistique avec toute l’attention voulue : en matières géopolitiques, les sphères d'influence sont également préservées par des travaux de conditionnement et de contagion culturelle, et l'intérêt et la fascination d'un peuple pour une langue sont révélateurs de la santé d'un lien entre les nations. La situation actuelle, une fois de plus, devrait inquiéter Rome : alors que des langues telles que l'anglais, l'allemand et le turc gagnent en popularité et en crédit, ces dernières années ont vu les étudiants protester contre l'imposition de l'enseignement obligatoire de l'italien.

L'importance de l'Albanie

L'Albanie est la clé de voûte pour asseoir toute stratégie d'hégémonisation de la péninsule balkanique. Exercer une influence décisive sur cette ancienne nation signifie hypothétiquement prendre le contrôle de la "ceinture des Aigles" – soit le triangle Tirana-Pristina-Skopje -, le tremplin géographique multidirectionnel, capable de projeter le joueur en service simultanément vers la Grèce, la Bulgarie, la Serbie, la Bosnie et l'Adriatique.

Celui qui contrôle la « ceinture des Aigles » décuple la probabilité de pouvoir construire une position hégémonique dans les Balkans qui, à leur tour, étant le talon d'Achille historique de l'Europe, sont fondamentaux pour conditionner la dynamique politique du Vieux Continent. C'est pour cette raison, souvent et volontairement incomprise et/ou négligée dans le monde de l'analyse géopolitique, que les grandes puissances régionales et extra-régionales s'intéressent au sort de Tirana, et de sa sœur Pristina, depuis la fin de la guerre froide, profitant des événements en Yougoslavie et de la perte de pouvoir et d'influence du garant historique qu’était l'Italie.

La Turquie et les États-Unis sont les acteurs qui ont su tirer parti de la dynamique des guerres post-yougoslaves, la première dans le cadre de l'expansion néo-ottomane dans les Balkans et la seconde dans le cadre de l'élargissement de l'Alliance atlantique et de l'endiguement de la Serbie (c'est-à-dire de la Russie), mais la compétition pour le contrôle du cœur géographique de la ceinture des Aigles est l’intention d'une multitude de nouveaux acteurs : la Chine, Israël, l’Iran, les pétromonarchies du Golfe, la France, l’Allemagne, le Vatican.

L'avenir du peuple albanais ne semble pas parler italien, aussi et surtout, à cause de mauvais choix, de négligence et de manque de clairvoyance de la part de la classe dirigeante du Bel Paese ; le fait est, cependant, que négliger de courtiser Tirana, c'est perdre un précieux avant-poste dans l'Adriatique et dans les Balkans occidentaux : Rome est avertie.

lundi, 01 février 2021

Joe Biden et l’avenir du Moyen-Orient

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Joe Biden et l’avenir du Moyen-Orient

Par Daniele Perra

Ex : https://www.lintellettualedissidente.it

Plusieurs médias ont décrit le début de l'ère Biden comme le retour de l'Amérique sur la scène internationale. En réalité, la prétendue discontinuité géopolitique entre les deux administrations (sauf exceptions stratégiques spécifiques) ne semble être qu'une construction journalistique.

Le début de l'ère Biden a été marqué par un certain nombre de mesures de politique étrangère en hypothétique contradiction avec les derniers coups de gueule de l'administration Trump. Ces mesures concernaient en particulier la région du Proche et du Moyen-Orient. Une région sur laquelle s'est construite, au moins au cours des vingt dernières années, la perception globale des États-Unis comme une puissance "impérialiste" ou comme un "exportateur de démocratie et de liberté" qui défend l'"Occident" et ses "valeurs" contre la barbarie orientale.

Le prétendu isolationnisme de l'administration Trump entrecoupait des démonstrations extrêmes de force (l'assassinat du général iranien Qassem Soleimani, le lancement de la "Mère de toutes les bombes" en Afghanistan) avec des actions diplomatiques unilatérales (la sortie de l'accord nucléaire iranien et l'imposition de nouvelles sanctions contre Téhéran et Damas, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l'État d'Israël et de la souveraineté israélienne sur le Golan occupé),y ajoutant des déclarations à la dérive plus propagandiste que realpolitisch sur le retrait progressif des États-Unis de la région. Ce prétendu isolationnisme a sans doute jeté la confusion dans les médias "occidentaux" qui continuent à construire leur système de communication sur les apparences et sur une étude des sources plutôt pauvre. Depuis 2016, je soutiens que l'administration Trump ne ferait rien d'autre que de montrer le vrai visage de l'Amérique jusqu'alors caché par le voile humanitaire du double mandat démocrate de Barack Obama. Cependant, si précisément les peuples du Proche et du Moyen-Orient ont pu regarder cette réalité en face (l'imposition de sanctions à la Syrie par le Caesar Act, par exemple, a fait plus de morts que le terrorisme), en "Occident", également grâce à une information complice, on a préféré, d'une part, soutenir la thèse isolationniste et, d'autre part, critiquer les aspects aussi grotesques qu'essentiellement inoffensifs de l'administration Trump, qui appartient désormais au passé.

Biden à Bagdad

Maintenant, dans ce contexte, nous n'entrerons pas dans le détail du mouvement des troupes nord-américaines entre la Syrie et l'Irak ou de l'entrée des navires de guerre dans la mer de Chine méridionale. Ces opérations se déroulent dans le silence des médias occidentaux depuis plusieurs années. C'est pourquoi, sur cette base, quelques jours après l'entrée en fonction de la nouvelle administration, il n'est en aucun cas possible de tracer des lignes de discontinuité avec le passé. Il suffit de dire que dans l'instant qui a suivi l'annonce du retrait de Syrie par Donald J. Trump, plusieurs colonnes de véhicules blindés américains sont entrées dans ce pays du Levant via l'Irak pour "sécuriser" les puits de pétrole. En fait, le retrait susmentionné n'a jamais eu lieu et, selon toute probabilité, la nouvelle administration ne fera que renforcer les positions nord-américaines sur la rive orientale de l'Euphrate pour empêcher également toute reconstruction éventuelle du pays par l'exploitation de ses ressources.

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On pensait qu'il y avait une ligne de discontinuité avec l'ère Trump dans la relance du programme d'aide à la Palestine coupé par le précédent locataire de la Maison Blanche. À cet égard, le discours devient, du moins en théorie, plus complexe. Yara Hawari, chercheuse au centre de recherche palestinien Al-Shabaka, a expliqué qu'il est pour le moins optimiste d'espérer un changement de la politique nord-américaine à l'égard de la question israélo-palestinienne. La position extrémiste de l'administration Trump, une fois de plus, ne serait rien d'autre que la position américaine traditionnelle sans les fioritures de l'hypocrisie humanitaire. En fait, les deux principaux camps politiques nord-américains n'ont jamais manqué d'apporter un soutien inconditionnel à Israël. Joe Biden lui-même, en son temps, a eu l'occasion de souligner que l'aide américaine à Israël était le meilleur investissement pour la politique étrangère de Washington et que s'il n'y avait pas d'État juif, les États-Unis auraient dû en créer un pour garantir leurs propres intérêts dans la région. Le vice-président Kamala Harris et le nouveau secrétaire d'État, le "faucon" Antony Blinken, sont plus ou moins du même avis. Ce dernier, déjà partisan convaincu de l'agression contre la Syrie sous l'ère Obama, a également garanti que l'administration Biden suivrait les traces de ses prédécesseurs, tant en ce qui concerne la volonté de maintenir l'ambassade américaine à Jérusalem (un autre choix imaginé même sous l'ère Clinton et concrétisé par Trump) que les accords dits "Abrahamiques". Ceux-ci sont en effet fondamentaux pour la stratégie géopolitique américaine de construction de blocs d'interposition entre l'Est (Russie, Iran et Chine notamment) et l'Europe, qui comprend également l'Initiative des trois mers dans la partie orientale du Vieux continent.

Par conséquent, le "retour aux affaires" entre Washington et les institutions palestiniennes (entre autres choses largement corrompues et corruptibles lorsqu'elles ne sont pas directement otages des monarchies du Golfe) ne peut être considéré comme essentiellement positif. Si, d'une part, elle peut apporter un soulagement à au moins une minorité de la population palestinienne, d'autre part, elle continuera à fonctionner sur le mode de l'échange entre l'argent et de nouvelles concessions politiques unilatérales visant toujours à favoriser les revendications sionistes au détriment des revendications palestiniennes. Un discours similaire peut facilement être appliqué à l'accord nucléaire avec l'Iran. Les théoriciens des relations internationales comme le "réaliste" John Mearsheimer ont réitéré la nécessité pour les États-Unis de tenter un hypothétique retour à l'accord ou, du moins, une nouvelle approche de Téhéran. Il va sans dire que, dans ce cas également, les concessions économiques garanties à l'Iran par l'accord ont été étudiées à la fois pour empêcher le développement de la capacité de dissuasion nucléaire et antimissile de Téhéran, et pour garantir une pénétration occidentale dans le pays qui aurait pu permettre (au moins, à long terme) une déconstruction depuis l'intérieur de la République islamique. Il n'est pas surprenant que, déjà avant la signature de cet accord, un centre de recherche stratégique israélien ait produit un plan de déstabilisation interne de l'Iran, exploitant les minorités ethniques et religieuses : en d'autres termes, une sorte de plan Yinon appliqué à la République islamique, avec le titre emblématique "Comment faire mal à l'Iran sans frappes aériennes".

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Les renseignements selon Joe Biden

Maintenant, outre le fait que les termes de l'accord n'ont déjà pas été respectés dans les dernières périodes de l'administration Obama, il sera important de comprendre comment Joseph Biden peut tenter un rapprochement avec l'Iran. Pour la stratégie américaine, cela serait fondamental en premier lieu pour pouvoir se concentrer sur les principaux ennemis : la Russie (l'accélération soudaine du cirque d'information atlantiste sur l'affaire Navalny est en ce sens emblématique) et la Chine avec ses projets de coopération eurasienne qui doivent être constamment sabotés. Et, deuxièmement, garantir une plus grande concentration des forces de renseignement également sur la dynamique interne aux Etats-Unis mêmes, dynamique devenue plutôt turbulente. Cette tentative de rapprochement ne peut donc être que progressive. Toutefois, un signe important dans ce sens a déjà été lancé avec la réduction partielle du régime de sanctions imposé dans les derniers jours de la présidence Trump aux forces yéménites d'Ansarullah (proches de Téhéran) et avec la promesse d'interrompre le soutien logistique à l'agression saoudienne contre le Yémen lui-même et de réduire la vente d'armes aux monarchies du Golfe (un autre héritage des précédentes administrations Obama et Trump). Il faut dire qu'il est difficile (et à juste titre) pour l'Iran, quelle que soit la pression exercée, d'accepter sans garanties réelles de suppression complète du régime de sanctions à son encontre un accord avec un homologue qui s'est avéré largement peu fiable. Par conséquent, il ne serait pas du tout surprenant que des opérations de guerre hybride contre la République islamique soient également menées de manière constante par la nouvelle administration, bien que de manière moins ouverte et moins ouvertement propagandiste que dans le cas de Trump.

Face à une situation intérieure plutôt instable, de nombreux théoriciens et stratèges nord-américains ont souligné la nécessité d'une reconstruction interne à travers le seul ciment idéologique de la société américaine : l'idée exceptionnaliste de "destin manifeste", de supériorité morale par rapport aux autres nations du globe. Cependant, pour raviver ce sentiment, il faut un ennemi (ou la création d'un ennemi). Cet ennemi est et reste (comme pour l'administration Trump) la Chine : la seule puissance réellement capable de représenter une menace et une alternative au système mondial décadent de l'Amérique du Nord. En fait, même parmi les démocrates, le parti de ceux qui ont commencé à considérer la Russie comme un "allié" stratégique potentiel dans une perspective anti-chinoise se développe, si Poutine et son entourage devaient quitter la scène à court terme, laissant la place à une "cinquième colonne" occidentale assez importante composée d'oligarques et de politiciens de diverses orientations libérales (une solution qui reste peu probable à court terme).

Ne pouvant cependant pas se permettre un affrontement militaire direct avec la Chine, il reste à comprendre quelle solution sera adoptée pour contenir et éviter la projection géopolitique de cette dernière. L'une des caractéristiques fondamentales du projet d'infrastructure de la nouvelle route de la soie est le corridor sino-pakistanais. Les relations entre les États-Unis et le Pakistan se sont rapidement détériorées ces dernières années, également en raison d'un engagement américain notable dans le renforcement technologique et militaire de l'Inde, déjà considérée à l'époque d'Obama comme un "partenaire majeur en matière de défense". Joseph Biden, alors qu'en 2007 il était encore candidat aux primaires du parti démocrate, a déclaré que le Pakistan est l'État le plus dangereux du monde. Toujours à la lumière de la tentative de détente avec l'Iran, il ne serait pas du tout surprenant qu'une guerre sur commande soit préparée précisément dans une région qui reste la jonction cruciale entre les axes Nord-Sud et Ouest-Est du continent eurasiatique.

Le Grand Jeu en Méditerranée orientale

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Giusepppe Gagliano:

Le Grand Jeu en Méditerranée orientale

Ex : https://moderndiplomacy.eu

Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, la découverte de grands gisements de gaz au large des côtes d'Israël, de Chypre, d'Égypte et du Liban, a fait que la Méditerranée orientale joue désormais un rôle beaucoup plus important dans la géopolitique de l'énergie. Dans les eaux de l’offshore profond, elle n'est rentable qu'à long terme et présente des défis techniques et économiques importants. De plus, le pouvoir politique qui régit cette zone de la Méditerranée orientale repose sur trois autorités avec lesquelles il est nécessaire de traiter, dont les intérêts économiques peuvent diverger dans le temps. Cette réalité pèse sur les perspectives d'avenir de cette zone, du moins jusqu'à ce que la dimension politique soit résolue de manière sûre.

D'importants gisements de gaz naturel ont été découverts dans les ZEE de l'Égypte, d'Israël et de Chypre. Les ZEE plus petites de la Syrie et du Liban doivent encore être explorées ou confirmées. Ces découvertes en Méditerranée orientale seraient constituées de réserves potentielles de l'ordre de 3,5 milliards de mètres cubes de gaz, dont la moitié environ sont des réserves prouvées équivalentes à celles encore disponibles pour la Norvège après trente ans d'approvisionnement par l'Union européenne. En particulier, presque à la même distance des côtes de leur pays, se trouvent les trois gisements de Zohr (Egypte), Leviathan (Israël) et Aphrodite (Chypre) avec respectivement des réserves prouvées de 850, 450 et 140, pour un total de 1.440 milliards. de mètres cubes. Les dirigeants de ces trois pays se sont réunis pour envisager une solution commune afin de commercialiser ce gaz pour l'exportation. Il a été question de la construction d'un gazoduc sous-marin vers la Grèce et l'Italie, qui serait un concurrent direct du gaz azerbaïdjanais qui traverse la Turquie.

Dans le même temps, les gouvernements de Turquie et de Libye ont délimité les frontières de leurs ZEE, envahissant les ZEE des pays cités ci-dessus, créant ainsi des sources supplémentaires d'incertitude et de complications juridiques. Enfin, la démonstration de force de la Turquie en envoyant des navires sismiques en préparation des opérations d'exploration dans la ZEE grecque n'a fait qu'ajouter à un climat géopolitique déjà tendu. Tous ces facteurs d'incertitude et de conflits potentiels ne sont pas propices au développement de la production de gaz dans cette zone de la Méditerranée orientale. Cette situation n'empêche pas l'Égypte et Israël de produire, de consommer et d'exporter du gaz provenant de gisements proches de leurs côtes, dont la propriété n'est pas remise en question.

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Nous en venons maintenant à la Turquie. Il faut souligner qu'il existe un malentendu géographique : la grande découverte annoncée le 21 août 2020 par le président Erdogan ne se situe pas en Méditerranée, mais en mer Noire. Il s'agit du champ de Sakarya, situé à environ 170 kilomètres au nord de la côte turque. Il a une profondeur d'eau de 2 110 mètres et une profondeur totale de 4 775 mètres. Selon les informations publiques, il a été découvert en forant un seul puits, le Tuna-1, réalisé par le navire d'exploration Fatih ("le conquérant", en turc). Les réserves, initialement annoncées à 800 milliards de mètres cubes, ont été réévaluées par l'opérateur TPAO (Turkish Petroleum Corporation) à 320 puis à 405 milliards de mètres cubes le 17 octobre 2020. Un second forage de Turkali 1 est prévu en novembre. Un deuxième navire d'exploration, le Kanuni ("le législateur" en turc) est sur le point d'atteindre la mer Noire.

Le Sakarya a l'avantage d'être proche du marché turc. S'il est produit, son gaz approvisionnera le marché turc, renforcera la sécurité d'approvisionnement du pays et améliorera sa balance commerciale.

Cependant, la mise en production de Sakarya en 2023 est un objectif qui ne tient pas compte du calendrier de l'industrie gazière. Cette constatation devra être confirmée avant de passer à la conception et à la construction des installations de la phase de production du projet.

N'oublions pas que les ambitions de la Turquie sont multidimensionnelles et à multiples facettes. Elles ont un impact direct sur l'Europe, de l'Atlantique au Caucase en passant par la Méditerranée et le Moyen-Orient. Il est évident que les dimensions géopolitiques et religieuses priment sur les autres et il n'est pas clair si elles ont leur propre dimension stratégique ou si elles sont simplement tactiques. Cela dit, les ambitions énergétiques sont très légitimes pour tout pays, surtout lorsqu'il s'agit de la sécurité de l'approvisionnement en gaz.

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L'approvisionnement en gaz de la Turquie se situe entre 45 et 50 milliards de mètres cubes par an ; il est bien diversifié. Le gaz arrive à l'ouest par le Turk Stream, qui remplacera progressivement l'itinéraire historique à travers l'Ukraine, la Roumanie et la Bulgarie, au nord par le Blue Stream à travers la mer Noire à une profondeur de 2 000 mètres, à l'est par la frontière avec l'Iran et au nord-est par la frontière avec la Géorgie pour le gaz azerbaïdjanais. En outre, deux terminaux GNL terrestres (Izmir Aliaga, Marmara Ereglesi) et deux terminaux GNL flottants (Etki et Dörtyol) ont une capacité de réception totale d'environ 25 milliards de mètres cubes, dont la moitié seulement est utilisée, ce qui laisse une grande flexibilité ; ils reçoivent du gaz naturel liquéfié (GNL) d'Algérie, du Nigeria, du Qatar et d'autres sources, en dernier lieu du gaz de schiste des États-Unis.

Quant au TANAP (Trans Anatolian Pipeline) récemment mis en service, 6 milliards de mètres cubes par an de gaz azerbaïdjanais transiteront dans une première phase vers la Grèce, ce qui représente un peu plus de 1% des besoins de l'Union européenne. C'est ce qui reste du projet "Corridor Sud", autrefois étudié sous le nom de "Nabucco", promu par l'Union européenne pour réduire l'influence russe dans l'approvisionnement en gaz.

En bref, ces découvertes de grands gisements de gaz naturel ont déterminé un conflit évident, exacerbant les problèmes géopolitiques déjà existants dans une région qui n'est certainement pas simple d'un point de vue géopolitique.

Nous pensons au fait qu'Israël est en guerre avec le Liban et que les deux pays ne s'accordent pas sur le tracé de leurs zones économiques exclusives (ZEE) respectives ; la Syrie est en ruine, le conflit israélo-palestinien se poursuit et la question d'une éventuelle ZEE pour Gaza demeure ; la Turquie occupe toujours la partie nord de Chypre, refuse à l'île le droit d'avoir une ZEE et remet en cause le traité de Lausanne qui a établi, en 1923, les frontières gréco-turques et enfin, la Libye est déstabilisée et en guerre civile, avec des interventions étrangères qui compliquent encore la stabilité de la région.

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Ces découvertes modifient considérablement le destin énergétique des Etats riverains du bassin du Levant. Israël devient une puissance exportatrice de gaz naturel, l'Égypte répond dans un premier temps à ses besoins et envisage de devenir un pôle énergétique régional, Chypre s'appuie sur ses ressources naturelles pour réaliser la réunification de l'île. De même, le Liban et la Syrie pourraient envisager d'exploiter leurs ressources respectives ; le Liban a accordé les premières licences de recherche/exploitation et la Syrie a fait de même au profit, sans surprise, des entreprises russes. Et une fois de plus, la Turquie joue un rôle décisif dans ce jeu.

Mais pour revenir à la Turquie, l'occupation de la partie nord de Chypre (depuis 1974) est l'une des composantes de la question. La nouveauté vient de la réaction de la Turquie face à la possibilité pour Chypre d'exploiter les ressources naturelles situées dans sa ZEE. Rappelons que Chypre a délimité sa ZEE avec l'Égypte et Israël, a signé un traité avec le Liban et était en pourparlers avec la Syrie (avant le conflit) sur la base de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). L'île a ensuite accordé des accords de recherche/exploitation à diverses entreprises. La société américaine Noble Energy, le consortium italo-coréen ENI-Kogas, le français Total, seul ou en joint-venture avec ENI, et l'américain ExxonMobil allié de Qatar Petroleum ont obtenu les licences.

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La Turquie, pour sa part, affirme que Chypre, comme toutes les îles de la Méditerranée, n'a pas de ZEE. Ankara, qui ne reconnaît pas la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, a une position arbitraire sur le sujet, une position qui lui est propre : elle estime que les îles n'ont pas de ZEE dans les mers fermées ou semi-fermées. .

Malgré les menaces turques à l'encontre des compagnies pétrolières travaillant avec Chypre, de nombreux forages exploratoires ont été réalisés dans la ZEE du pays et d'importantes découvertes de gaz naturel en quantités exploitables ont été faites : Noble Energy (découverte d'un champ contenant 100 à 170 milliards de mètres cubes de gaz naturel dans le bloc 12), ExxonMobil avec Qatar Petroleum (de 170 à 230 milliards de mètres cubes dans le bloc 10) et ENI avec Total (grand champ non encore quantifié dans le bloc 6).

Face à ces constats, la Turquie est devenue encore plus agressive, envoyant des navires d'exploration et de forage dans les eaux chypriotes, accompagnés de navires de guerre. La Turquie a effectué huit sondages illégaux dans la ZEE de Chypre. Appliquer la tactique d'encerclement à Chypre en maintenant constamment la pression sur cet Etat insulaire, avec, en fin de compte, le contrôle total de l'île. Sa dernière provocation, outre l'invasion quasi constante de sa ZEE, a été l'ouverture à l'exploitation et enfin la colonisation, le 8 octobre, du quartier fermé de Famagouste, ville portuaire vidée de sa population en 1974 et laissée auparavant pour une ville fantôme.

Parallèlement à la menace qui pèse sur Chypre, une menace croissante pèse sur la Grèce. Depuis le 10 août 2020, la Turquie a déployé son navire sismique Oruç Reis, accompagné de forces militaires navales, dans l'espace maritime grec, jusqu'aux côtes de Crète, obligeant la Grèce à faire de même. La Grèce, la France, l'Italie et Chypre ont mené un exercice militaire conjoint en Méditerranée orientale du 26 au 28 août, envoyant ainsi un message clair sur la volonté de ces pays de faire respecter le droit international.

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Selon une déclaration du ministère français des forces armées, "Chypre, la Grèce, la France et l'Italie ont décidé de déployer une présence commune en Méditerranée orientale dans le cadre de l'initiative de coopération quadripartite". La ministre française des forces armées, Florence Parly, a en outre précisé que la Méditerranée "ne doit pas être un terrain de jeu pour les ambitions de certains, c'est un bien commun".

Le président turc a précisé de sa part : "Nous ne ferons absolument aucune concession sur ce qui nous appartient. Nous invitons nos homologues à [...] se méfier de toute erreur qui pourrait ouvrir la voie à leur perte. Il a ensuite ajouté : "La Turquie prendra ce qui lui revient de droit dans la mer Noire, la mer Égée et la Méditerranée [...]. Pour cela, nous sommes déterminés à faire tout ce qui est nécessaire politiquement, économiquement et militairement". Le discours a été prononcé lors d'une cérémonie commémorant la bataille de Manzikert en 1071, qui marque l'entrée des Turcs en Anatolie, suite à la victoire du sultan seldjoukide Alp Arslan sur les Byzantins. Les marines des deux pays sont sur le point de s'affronter. Août : un navire grec entre en collision avec un navire turc.

A la situation déjà compliquée, la Turquie a ajouté un nouvel élément lié au conflit libyen. Depuis la chute du colonel Kadhafi, la Libye est entrée dans une zone d'instabilité dans laquelle de nombreux acteurs aux intérêts divergents se sont immergés. L'Egypte, soutenue par les Emirats et l'Arabie Saoudite, soutient le maréchal Haftar, qui contrôle la Cyrénaïque. La Russie est également présente dans cette région. Au contraire, la Turquie, soutenue par le Qatar, soutient le gouvernement de Sarraj, qui contrôle la région de Tripoli. Profitant de ce soutien, la Turquie a signé deux accords (le 27 novembre 2019) avec le maître de Tripoli. L'un militaire, l'autre maritime. L'accord de délimitation du plateau continental maritime entre les deux pays ignore complètement l'existence de Chypre, de la Crète et d'autres îles grecques de la mer Égée. De plus, la volonté d'Erdogan de prendre pied sur le continent africain et de changer la situation géopolitique dans cette région bouleverse de nombreux autres acteurs internationaux. La Libye est pour la Turquie, une des "entrées" de cet espace, d'où son désir d'établir des bases permanentes dans ce pays.

Cette situation géopolitique explosive montre la nécessité de développer la coopération dans cette région troublée. La coopération entre Chypre, la Grèce et Israël a rapidement pris forme. D'autres ont suivi, impliquant l'Égypte et la Jordanie, toujours avec la participation de Chypre et de la Grèce. L'Italie et la France sont également très présentes pour l'implication de l'ENI et de Total, mais aussi pour protéger cet espace vital commun qu'est la Méditerranée.

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La signature, début janvier 2020, d'un accord interétatique entre Israël, Chypre et la Grèce, pour la construction du pipeline sous-marin EastMed, est l'un des projets ambitieux de cette coopération. D'un coût d'environ 7 milliards d'euros, ce gazoduc permettrait d'acheminer le gaz chypriote et israélien vers la Grèce continentale, via la Crète, et au-delà vers l'Italie et l'Europe occidentale (entre 9 et 11 milliards de mètres cubes/an, ce qui correspond à environ 15 % de la consommation européenne de gaz naturel). Bien que ce projet soit coûteux sur le plan économique, il est de la plus haute importance sur le plan géopolitique pour la construction de l'indépendance énergétique de l'Europe. Il convient également de noter qu'en janvier 2019, les pays de la région ont créé le Forum du gaz de la Méditerranée orientale, qui vise à gérer le futur marché du gaz - une coalition qui comprend Chypre, la Grèce, Israël, l'Égypte, l'Italie, la Jordanie et la Palestine. La Turquie dénonce le fait que cela pourrait menacer ses intérêts. Toutefois, trois autres développements positifs sont intervenus au cours de l'été 2020 : La Grèce a procédé à la délimitation de sa ZEE avec l'Italie et l'Égypte et cette délimitation, basée sur la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, reconnaît évidemment une ZEE pour les îles.

Enfin, le Conseil européen réaffirme dans ses conclusions du 2 octobre 2020 sa solidarité avec Chypre et la Grèce, en précisant que des sanctions seraient adoptées contre la Turquie si cette dernière continuait à violer les ZEE des deux pays membres de l'UE ; Ankara a immédiatement rejeté cette décision, déclarant que son programme de recherche en Méditerranée orientale se poursuivrait. D'autant plus que l'Oruç Reis est toujours dans les eaux chypriotes et que la Turquie a décidé d'ouvrir le district fermé de Famagouste à l'exploitation, certainement dans le but d'une colonisation imminente, et ce en violation de toutes les résolutions des organisations internationales. Non seulement la pression continue de la Turquie sur Chypre s'intensifie dangereusement, mais la Turquie s'engage dans une projection politique lucide de la puissance maritime.

vendredi, 29 janvier 2021

Les grands défis et enjeux géostratégiques du monde multipolaire plein d’incertitudes qui vient...

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Les grands défis et enjeux géostratégiques du monde multipolaire plein d’incertitudes qui vient...

Entretien avec Caroline Galactéros

Propos recueillis par Alexandre del Valle

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien accordé par Caroline Galactéros à Valeurs Actuelles, consacré aux enjeux et aux défis géostratégiques de l'année 2021 dans le monde complexe et incertain qui nous entoure, que nous avons cueilli sur Geopragma.

Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

Les grands défis et enjeux géostratégiques de 2021… et du monde multipolaire plein d’incertitudes qui vient

Alexandre del Valle : La rivalité croissante-économique, technologique et stratégique- entre les deux superpuissances du nouveau monde multipolaire, la Chine et les Etats-Unis, est-elle une tendance lourde, que la crise sanitaire n’a fait que révéler un peu plus ?

Caroline Galactéros : En effet, l’affrontement de tête entre Washington et Pékin, qui structure la nouvelle donne stratégique planétaire, va bon train sur le front commercial, mais aussi sur tous les autres terrains (militaire, sécuritaire, diplomatique, normatif, politique, numérique, spatial, etc…). La planète entière est devenue le terrain de jeu de ce pugilat géant, en gants de boxe ou à fleurets mouchetés : l’Europe bien sûr, l’Eurasie, mais aussi l’Afrique (où Pékin nous taille des croupières), l’Amérique latine, la zone indo-pacifique (bien au-delà de la seule mer de Chine), et naturellement le Moyen-Orient. Le président chinois Xi Jing Ping a d’ailleurs saisi l’occasion de la curée américaine sur Téhéran pour lancer une contre-offensive redoutable et plus puissante qu’un droit de véto, à la manœuvre américaine de « pression maximale » qui ne fait que renforcer les factions dures à Téhéran. La Chine a en effet volé au secours de Téhéran en nouant cet été un accord de partenariat stratégique de 400 milliards de dollars d’aide et d’investissements (infrastructures, télécommunications et transports) assortis de la présence de militaires chinois sur le territoire iranien pour encadrer les projets financés par Pékin, contre une fourniture de pétrole à prix réduit pour les 25 prochaines années et un droit de préemption sur les opportunités liées aux projets pétroliers iraniens. Cet accord, véritable « Game changer », est passé quasi inaperçu en Europe. Ses implications sont pourtant cardinales : s’il est mis en œuvre, toute provocation militaire occidentale orchestrée pour plonger le régime iranien dans une riposte qui lui serait fatale, reviendra à défier directement la Chine… En attaquant Téhéran, Washington attaquera désormais Pékin et son fournisseur de pétrole pour 25 ans à prix doux. Un parapluie atomique d’un nouveau genre… Pékin se paie d’ailleurs aussi le luxe de mener parallèlement des recherches avec Ryad pour l’exploitation d’uranium dans le sous-sol saoudien…. Manifeste intrusion sur les plates-bandes américaines et prolégomène d’un équilibre stratégique renouvelé.

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ADV : Quel est votre regard sur l’outsider chinois depuis la crise sanitaire ? Doit-on combattre l’exemple anti-démocratique chinois qui séduit de plus en plus de pays du monde en voie de polarisation, donc de désoccidentalisation ?

CG : 2020 aura été l’année d’une accélération de la « guerre des capitalismes » qui fait rage désormais entre le capitalisme libéral occidental et son adversaire déclaré, le capitalisme politique chinois. Au grand dam de l’Occident, Pékin est en passe de résoudre la contradiction propre au système capitaliste occidental, qui détruit de l’intérieur la liberté des individus à force de l’exacerber, pour proposer une synthèse efficace et séduisante pour bien des pays, entre nation, développement collectif et prospérité individuelle. C’est du dirigisme, c’est une pratique autoritaire du pouvoir, c’est une restriction manifeste des « droits de l’homme », c’est le contrôle social direct grandissant des populations, oui. Mais c’est aussi la parade du pouvoir de Pékin à la déstabilisation extérieure ou au débordement intérieur par la multitude, c’est une réponse à la nécessité de sortir encore de la pauvreté des centaines de millions de personnes, et c’est le moyen de projeter puissance et influence à l’échelle du monde au bénéfice ultime des dirigeants mais aussi du peuple chinois. Au lieu de crier à la dictature, nous ferions mieux d’observer cette synthèse très attentivement et d’analyser sa force d’attraction. Les modèles de puissance et de résilience collective au mondialisme (tout en l’exploitant à son avantage) ont bougé depuis 30 ans. L’ethnocentrisme occidental et le moralisme dogmatique ne passent plus la rampe et brouillent le regard.

ADV : Sur le terrain des accords de libre-échanges en Asie, peut-on dire que la Chine a rempli le vide provoqué par le relatif désengagement américain sous l’ère Trump ? 

CG : Dans cette guerre « hors limites », et sans même parler ici de l’enjeu cardinal du contrôle – étatique ou via des GAFAM ou BATX (dans la version chinoise) complaisants – des données personnelles de centaines de millions de consommateurs-clients, Pékin vient de prendre magistralement l’avantage sur Washington avec la conclusion, le 15 novembre, du RECP (Regional Comprehensive Economic Partnership) avec quinze pays d’Asie. Cet accord constitue une bascule stratégique colossale et inquiétante dont ni les médias ni les politiques français ne pipent mot. Voilà le plus grand accord de libre-échange du monde (30 % de la population mondiale et 30 % du PIB mondial) conclu entre la Chine et les dix membres de l’ASEAN (Brunei, la Birmanie, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam), auxquels s’ajoutent quatre autres puissantes économies de la région : le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Cette nouvelle zone commerciale gigantesque se superpose en partie au TPP (Trans-Pacific Partnership) conclu en 2018 entre le Mexique, le Chili, le Pérou et sept pays déjà membres du RCEP : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Brunei, le Japon, la Malaisie, Singapour et le Vietnam. Un TPP dont les Etats-Unis s’étaient en effet follement retirés en 2017. Ainsi se révèle et s’impose soudainement une contre manœuvre offensive magistrale de Pékin face à Washington.  Où est l’UE là-dedans ? Nulle part ! Même l’accord commercial conclu en juin 2019 entre l’Union européenne et le Mercosur doit encore être ratifié par ses 27 parlements… Seule la Grande-Bretagne, libérée de l’UE grâce au Brexit, en profitera car elle vient habilement de sa rapprocher du Japon signataire du RCEP et du TPP…

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ADV : Passons à notre voisin continental : les relations Occident – Russie sont-elles irréparablement endommagées ? L’Europe est-elle condamnée à rester une “impuissance volontaire”, prise en tenailles entre Chine, empire américain et Turquie néo-ottomane ?

CG : Rien n’est irréparable mais le temps a passé, la Russie a évolué et compris qu’elle n’était ni désirée ni attendue. Aujourd’hui, Moscou ne croit plus en l’Europe. Quant à la France, elle parle beaucoup mais n’agit pas. Trop de d’espérances, trop d’illusions sans doute, et bien trop de déceptions.  La Russie n’a plus le choix et pivote décisivement vers l’Est et la Chine par dépit et nécessité.

Nous avions pourtant en commun tant de choses, et a minima, la commune crainte d’un engloutissement / dépècement chinois. Comme la Russie, l’Europe est en effet prise entre USA et Chine. Le point de rencontre -et de concurrence- Russo-chinois est l’Asie centrale. Certes, il existe depuis 2015 un accord d’intégration de l’UEE (Union économique eurasiatique) dans les projets des Nouvelles Routes de la Soie conclu entre les présidents Poutine et Xi Jing Ping. Mais c’est un accord très inégal, du fait des masses économiques et financières trop disparates entre Moscou et Pékin qui avance à grands pas avec l’OBOR et au sein de l’OCS (Organisation de Coopération de Shangaï) pour contrôler l’Asie centrale, pré-carré russe, puis se projeter vers l’UE. Moscou sait combien l’étreinte chinoise peut se transformer en un « baiser de la mort » si l’UE et la Russie ne se rapprochent pas autour d’enjeux économiques industriels et sécuritaires notamment. La Russie est en conséquence, n’en déplaise à tous ceux qui la voient encore comme une pure menace, l’alliée naturelle de l’UE dans cette résistance qui ne se fera ni par le conflit, ni par l’intégration stricte, mais par la coopération multilatérale et multisectorielle. C’est une évidence géopolitique, et il suffit de lire les stratèges anglo-saxons pour comprendre le piège dans lequel nous nous sommes laissés enfermés à notre corps consentant depuis bien trop longtemps. L’Europe est une courtisane sans grande ambition. Servile, soumise, paresseuse, ignorante de ses intérêts profonds qui auraient dû la porter à considérer la Russie comme un morceau d’Europe et d’Occident, un atout d’équilibre face à la domination américaine et un bouclier contre la vampirisation chinoise.

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ADV : Nous voilà revenus aux fondamentaux de la géopolitique de Mackinder et Spykman, du Russe Danilevski à l’Américain Brezinski : L’Eurasie et le Heartland, “pivot géographique de l’Histoire”…

CG : L’Eurasie est en tout cas sans équivoque l’espace naturel du maintien de la puissance économique européenne et de son renforcement stratégique à court, moyen et long terme. C’est le socle du futur dynamique de l’Europe. Nous devrions donc nous projeter vers cet espace plutôt que de nous blottir frileusement en attendant que Washington, qui poursuit à nos dépens ses objectifs stratégiques et économiques propres, consente à nous libérer de nos menottes. Les parties orientale et occidentale du continent eurasiatique sont en effet les deux plus grandes économies mondiales : l’UE et la Chine. Pour ne parler que de l’UEE -pendant de l’UE-, c’est un marché de plus de 180 millions d’habitants (sans parler de tous les accords de partenariat en cours de négociation). L’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS) rassemble quant à elle 43% de la population mondiale mais est dominée par la Chine. La force de l’Eurasie tient à son capital en matières premières et ressources minérales. 38% de la production mondiale d’uranium sont notamment concentrés au Kazakhstan. 8% du gaz et 4% du pétrole aussi, pour les seuls pays d’Asie centrale, sans compter naturellement la Russie. La construction d’infrastructures gigantesques à l’échelle continentale de l’Eurasie est la grande affaire du XXIème siècle. Avec le passage des corridors et routes de transit, on est face à un gigantesque hub de transit eurasiatique. 

ADV : Un rapprochement avec la Russie a-t-il vocation à être durablement bloqué par les sanctions contre une Russie (à cause de l’Ukraine) et la question de l’opposition “persécutée” par le pouvoir de Vladimir Poutine que beaucoup qualifient de « Démocrature » ?

CG : Si l’UE (et ses acteurs économiques petits ou grands) se rendait compte du potentiel économique, géopolitique et sécuritaire qu’un dialogue institutionnel et une coopération étroite avec l’Eurasie au sens large (Asie centrale plus Russie) recèle, elle sortirait ipso facto de sa posture si inconfortable entre USA et Chine, et constituerait une masse stratégico-économique considérable qui compterait sur la nouvelle scène du monde. Il faut en conséquence ne pas craindre d’initier des coopérations économiques, politiques, culturelles, scientifiques et évidemment sécuritaires entre ces deux espaces. Or, ce sujet n’est quasiment jamais abordé dans son potentiel véritable et est quasi absent des radars de l’UE et de celle de la plupart de nos entreprises. Par anti-russisme primaire, inhibition intellectuelle, autocensure, aveuglement.  L’UE veut certes bien collaborer avec l‘Asie centrale, mais en en excluant la puissance centrale et stratégiquement pivot ! Elle voit l’Eurasie à moitié. Ce n’est évidemment pas un hasard, mais c’est une erreur stratégique lourde qui procède d’un aveuglement atlantique. Encore une fois, nous faisons le jeu américain sans voir que nous en sommes la cible. 

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On me retorquera que rien n’est possible sans le règlement des questions de l’Ukraine et de la Crimée et surtout sans le règlement de « la grande affaire » fondamentale qui agite les chancelleries occidentales : le sort de l’opposant Alexei Navalny ? C’est ridicule ! Ce sont des « freins » largement artificiels et gonflés pour les besoins d’une cause qui n’est pas la nôtre et nous paralyse, pour justifier les sanctions interminables, pour limiter les capacités économiques et financières russes face à Pékin et neutraliser le potentiel économique européen. Ce sont aussi des prétextes que l’on se trouve pour se défausser de notre seule responsabilité véritable : reprendre enfin notre sort en main ! Tout cela saute aux yeux. Pourquoi, pour qui se laisser faire ? Il nous faut prendre conscience de l’urgence vitale qu’il y a à changer drastiquement d’approche en y associant des partenaires européens parfois contre-intuitifs, tels la Pologne, pont logistique idéal entre les deux espaces.

L’intégration continentale eurasiatique en tant que coopération des sociétés et des économies à l’échelle du continent eurasiatique tout entier doit donc devenir LA priorité pour l’UE et la nouvelle Commission européenne. La modernisation et la puissance économique sont en train de changer de camp. L’Europe s’aveugle volontairement par rapport à cette révolution. Ses œillères géopolitiques et l’incompréhension dans laquelle elle demeure face à la Russie qui est pourtant son partenaire naturel face à la Chine comme face aux oukases américains extraterritoriaux, l’empêchent de tirer parti des formidables opportunités économiques, énergétiques, industrielles, technologiques, intellectuelles culturelles et scientifiques qu’une participation proactive aux projets d’intégration eurasiatique lui permettrait. Il faut en être, projeter nos intérêts vers cet espace d’expansion et de sens géopolitique si proche et si riche, et cesser de regarder passer les trains en attendant Godot.

ADV : Passons au changement de pouvoir aux Etats-Unis. Le bilan de la présidence Trump est-il aussi horrible qu’on le dit ?  L’arrivée de Joe Biden est-elle une bonne nouvelle pour la France et l’UE ?

CG : Trump a été un président honni comme probablement aucun de ses prédécesseurs par « l’Establishment » au sens large qu’il avait défié par sa victoire et dont il a révélé sans tabou les turpitudes. En dépit de la curée politico-médiatique haineuse et sans trêve qui aura pourri toute sa présidence, avec un « Etat profond » à la manœuvre et des médias hystériques, il a réussi à remettre l’économie américaine en très bonne posture, à mener à bien (quoi qu’on en pense sur le fond), la grande manœuvre anti-iranienne de consolidation du front sunnite pétrolier contre Téhéran, sans pour autant céder à la guerre (en dépit de tous les efforts des bellicistes “néocons” emmenés par le très dangereux John Bolton). Sans la pandémie et son approche désinvolte et toute concentrée sur la nécessité de ne pas enrayer le moteur économique du pays, il aurait remporté un second mandat, ayant même réussi à séduire des franges de l’électorat noir et latino et à gagner près de 75 millions de voix (4 millions de voix de plus qu’en 2016) dans ce contexte de cabale permanente et jusqu’au-boutiste contre lui. 

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Avec Biden, on est repartis comme en l’an 40…. De mon point de vue, Joe Biden, quelles que soient ses qualités, est évidemment une très mauvaise nouvelle pour l’Europe et la France, qui voient se refermer la fenêtre d’opportunité inespérée que le discours trumpien – ouvertement humiliant et sans équivoque – nous avait offert pour enfin sortir de l’enfance stratégique, nous réveiller, faire nous aussi notre « Shift towards Asia » et nous projeter vers notre espace naturel de croissance économique et de densité géopolitique et sécuritaire que constitue l’Eurasie. Une projection qui passe évidemment par une complète révision de notre relation avec la Russie mais qui pourra seule nous permettre d’échapper à la double dévoration sino-américaine qui nous attend.

Ce sursaut salutaire, qui, aujourd’hui, en France ou en Europe, est capable d’en donner l’impulsion ? Je ne sais pas. Mais il est certain qu’avec Biden, ce n’est pas « un ami » que l’on a retrouvé (Les Etats n’ont pas d’amis) mais notre « doudou » ! Joe Biden est notre bon papa américain qui est enfin revenu pour nous protéger et nous rassurer. Atteints d’un syndrome de Stockholm géant, nous nous sentions depuis quatre ans stupidement orphelins de la férule américaine en gants de velours. Le problème est que ce président ne nous apportera rien d’autre qu’une excuse pour rester à jamais piégés dans une servitude consentie. Bref, je crains fort que nous ne sortions plus, sinon au forceps et sous l’impulsion d’un visionnaire courageux, de notre vassalité stratégique suicidaire vis-à-vis de Washington. L’Allemagne a d’ailleurs pris les devants des retrouvailles avec le puissant « oncle d’Amérique », et ce faisant, elle prend aussi le lead de l’Europe, là encore avec l’aval américain. C’est « le chouchou » de Washington et elle fera tout, y compris contre nous, pour le rester en donnant des gages… jusqu’à vendre des sous-marins à la Turquie ou affirmer que l’OTAN est à jamais l’alpha et l’oméga de la défense européenne. On est très loin de la « mort cérébrale » de l’Alliance ! Avec Biden c’est donc la méthode, non le fond qui va changer, et Berlin a clairement saisi la balle au bond, en réaffirmant sans états d ’âme sa soumission consentie aux oukases américains, enfonçant un dernier clou dans le cercueil de « l’Europe puissance », trop heureuse de rabattre leur caquet à ces Français qui rêvent mollement de ruer dans les brancards, de recouvrer leur souveraineté et osent même prétendre à l’ascendant politique sur elle, première puissance économique de l’Union. Le « couple franco-allemand » est un rêve de midinette française. L’alliance de la carpe et du lapin.

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ADV : L’accusation de tentative de “coup d’Etat” imputée au camp Trump est-elle sérieuse ? Trump a-t-il fracturé l’Amérique ?

CG : Ce qui s’est passé au Capitole n’est en tout cas pas une tentative de coup d’Etat. Le contresens politique et médiatique délibéré entonné sur tous les canaux d’information là-bas comme ici, est tellement énorme et rabâché comme une évidence qu’on finit par le croire pour ne pas devoir accuser nos journalistes de complaisance avérée ou d’aveuglement gravissime. Pour ma part, j’y vois la révolte d’un électorat qui a subitement compris qu’il devait rentrer dans sa boîte et ne s’y est pas résolu. Les insurgés du Capitole sont en fait nos gilets jaunes. Ils auront souffert le même déni et le même mépris. Cette intrusion aura incarné la très profonde crise de la démocratie américaine, c’est-à-dire de la représentativité du système politique existant qui est en lambeaux. Le divorce entre les élites et le peuple est profond et Trump s’en est fait le héraut. Ce n’est pas lui qui a fracturé la société américaine. Les fractures sont anciennes, grandissantes mais désormais béantes. Le « coup d’Etat », c’est en revanche le refus même du DOJ (Department of Justice) d’examiner les recours pour fraude, c’est le double « impeachment », ce fut l’interminable « Russia Gate », c’est l’exploitation sans vergogne du système institutionnel et médiatique et du juridicisme américains par les Démocrates pour étouffer à tout prix, via Trump, une menace populaire montante, perçue comme illégitime et dangereuse par les élites qui confisquent le pouvoir depuis des décennies dans ce pays.

ADV : Voit-on se confirmer la “vraie” nouvelle fracture idéologique qui oppose non plus gauche et droite mais “Patriotes” (terme cher à Trump) et mondialistes”, clivage visible aussi en Europe occidentale ?

CG : Les Européens, et singulièrement les gouvernants et médias français qui avalent cette pâtée ridicule sans une once d’esprit critique, hurlent avec les loups et assènent délibérément des contresens, montrent leur servitude mais aussi leur peur panique de voir cela leur arriver et bousculer leurs Landernau établis. Ils sont plus inquiets que jamais devant les éruptions démocratiques populaires au sein de l’UE, car elles menacent leurs positions acquises. C’est pourquoi ils vouent aux mêmes Gémonies que Trump ses avatars européens (hongrois, polonais ou tchèque), qui, comme lui, écoutent leurs peuples et essaient de faire entendre leurs voix. L’anathème contre le « populisme » est infiniment plus confortable que d’admettre que ce sont là des réflexes de survie des peuples européens qui ne veulent pas succomber à l’arasement identitaire et culturel et à la décadence politique et stratégique. Des peuples qui ne veulent pas d’avantage être noyés dans la « Cancel culture » ravageuse qui est en train d’instaurer, à coups d’excommunications rageuses et au nom de la morale et du progrès, une bien-pensance débilitante qui détruit les individus en prétendant protéger leur liberté narcissique débridée et en faisant sauter les ultimes verrous du bon sens et de la nature, au profit d’une terrifiante dictature des minorités et de tous leurs fantasmes déconstructeurs.

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ADV : Enfin, quelles perspectives pour le Moyen-Orient en 2021 ? Le possible retour des Etats-Unis de Biden dans l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, dont Trump s’était retiré, et le rapprochement entre Israël et plusieurs Etats arabes dans le cadre des accords d’Abraham sont-elles des bonnes nouvelles ? 

CG : L’année a débuté de façon à mon sens dangereuse avec l’assassinat en Irak, le 2 janvier 2020, du général iranien Qassem Soleimani, chef de la force al Qods des Gardiens de la Révolution. Figure héroïque et fer de lance de la politique d’influence régionale de l’Iran, il est assassiné alors même qu’il était chargé de transmettre via Bagdad un message d’apaisement à Ryad, notamment à propos de la sinistre et folle guerre du Yémen initiée par le prince Héritier Mohamed Ben Salman (MBS). Il fallait donc qu’il meurt, puisque la paix ou même le simple apaisement ne semble résolument pas une option séduisante à ceux que le conflit nourrit, et à leur puissant parrain d’outre Atlantique qui vit de et par la guerre, inépuisable source d’influence et de prospérité. Sans parler du fait qu’il fallait sans plus attendre, mettre un frein à l’influence iranienne en Irak que le général Soleimani consolidait activement via les milices chiites locales.

A l’autre bout de l’année, les « Accords d’Abraham », patronnés par Washington et signés en septembre 2020 entre Israël et son « protégé/obligé » saoudien d’une part, les EAU et Bahreïn désormais rejoints par le Soudan et le Maroc d’autre part, au nom de la normalisation des pays de la région avec l’Etat Hébreu, donnent une idée de la vaste manœuvre d’enveloppement et de récupération stratégique imaginée à Tel Aviv et à Washington. Judicieuse réunion de toutes les monarchies pétrolières sunnites contre l’Iran accusé de tous les maux, mais, bien au-delà de la question nucléaire, avant tout redouté en Israël pour sa ressemblance et non sa différence avec l’Etat hébreu en termes de profondeur culturelle et civilisationnelle, mais aussi de niveau intellectuel industriel, technologique. Bref, pour Tel Aviv, le jour où le marché iranien sera ouvert au monde, ce sera un concurrent redoutable dans le coeur de Washington. Tout n’est évidemment pas à jeter dans cette « manip » des Accords d’Abraham, notamment l’influence croissante des EAU qui sont sans doute les partenaires les plus avisés du coin. Mais la ficelle est grosse, la marginalisation définitive de la question palestinienne en est clairement l’un des effets indirects attendus, et la poursuite de la déstabilisation active des Etats récalcitrants (Liban Syrie, Libye) l’une des compensations manifestes. Même le Qatar semble désormais tenté de rejoindre cet attelage hétéroclite présenté comme « progressiste et moderne », ne serait-ce que pour porter financièrement secours au Hamas à Gaza …avec la bénédiction d’Israël. Il reste néanmoins probable que cette « coordination » sous tutelle n’apaisera pas la lutte pour le leadership du monde sunnite qui oppose Ryad à Ankara, mais aussi à Téhéran, Aman, Doha ou Casablanca, tout en faisant les affaires de Washington que la fragmentation régionale sert par construction. On voit par ailleurs que l’échec des interventions américaines directes ou par « proxys » occidentaux en Irak, Libye, Syrie, qui a permis à la Russie de revenir dans la région depuis 2015, doit être contrecarré en jetant la Turquie dans les pattes de Moscou en Libye, en Syrie et dans le sud Caucase notamment, et qu’il s’agit donc aussi, en polarisant au maximum l’affrontement avec l’Iran, de reprendre la main dans la région contre la Russie, mais aussi contre la Chine dont les diplomaties subtiles et très actives deviennent préoccupantes pour Washington.

ADV : Vous connaissez bien la Russie et le Caucase : que répondre à ceux qui estiment qu’en Libye et dans le Caucase, la Russie s’est humiliée devant Erdogan qui aurait freiné Haftar à Tripoli et aidé l’Azerbaïdjan à vaincre les Arméniens du Haut Karabakh en plein « étranger proche russe » … 

CG : Je ne crois pas qu’il faille psychologiser ainsi l’interprétation des événements. La Russie a fait son grand retour sur la scène internationale depuis 2015 et a démontré qu’en dépit de toute la diabolisation, les permanentes manœuvres et les pressions de tous ordres dont elle fait l’objet, elle est toujours une puissance globale dotée d’un pouvoir incarné et populaire, qui se bat pour sa stabilité, son développement et son influence sur l’ensemble de la planète.  

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Quant à l’émergence tonitruante de la Turquie comme puissance déstabilisatrice aux ambitions débridées, ce n’est pas un phénomène sui generis. Le président Erdogan ne pourrait se permettre un dixième de ses foucades et provocations sans le blanc-seing direct ou complaisant de Washington. L’irruption turque dans les affaires mondiales manifeste l’indifférence américaine pour la stabilité de l’Europe et son hostilité paléolithique pour Moscou. Les Etats-Unis utilisent et continueront d’utiliser Ankara comme « proxy » en Syrie, en Libye, dans le sud Caucase et en Asie centrale contre Moscou, en Méditerranée orientale contre les Européens, qu’il s’agit depuis toujours de diviser et d’empêcher de pouvoir jamais atteindre une quelconque forme de puissance collective.

ADV : Quel est le jeu de l’Allemagne dans cet échiquier mondial de plus en plus polycentrique ?

CG : Dans ce marché de dupes, Berlin est en convergence tactique (et évidemment stratégique) avec Washington contre Paris, et nous savonne aimablement la planche en se désolidarisant ouvertement de nos postures et gesticulations sur la souhaitable « souveraineté européenne » afin d’assurer la finalisation de Northstream2 en dépit de l’hostilité américaine. La Chancelière allemande fait sans vergogne payer à l’Europe la note du chantage migratoire turc tout en vendant des sous-marins au néo sultan qui exulte d’une telle inconscience. Pourquoi d’ailleurs s’en priver puisque nous ne disons rien ? Le Président Erdogan joue donc sur tous les tableaux car il se sait indispensable à chacun. Il achète des anti-missiles S400 à Moscou et fait fi du courroux américain. La Russie en joue, elle aussi, et manie habilement la carotte et le bâton envers Ankara, selon les zones et les sujets, y compris dans le Haut Karabakh en dépit des apparences. Chacun a besoin de l’autre notamment en Syrie, même si la poche d’Idlib devient bien étroite pour le jeu d’influence des uns et des autres. Sans doute Joe Biden goûtera-il moins que Trump la grossièreté du président turc et ses crises mégalomaniaques. Mais ne nous y trompons pas. Au-delà de probables « condamnations » médiatiques – que nous boirons comme du petit lait, naïfs chatons que nous sommes-, cela ne devrait malheureusement pas modifier en profondeur l’attitude américaine envers la Turquie, puissance majeure du flanc sud de l’Alliance atlantique et très utile caillou dans la chaussure russe, ni envers l’Europe, éternelle vassale appelée à prendre « ses responsabilités », c’est-à-dire, à tout sauf à l’autonomie ne serait-ce que mentale. Être « des Européens responsables » signifiera toujours, pour Washington, être des Européens dociles, obéissants et inconditionnellement alignés sur les prescriptions et intérêts ultimes de l’Amérique.

ADV : Et celui de la France ? 

CG : Quant à la France, que son suivisme abscons a plongée dans un discrédit global lourd depuis le milieu des années 2000 (quelles que soient nos épisodiques gesticulations martiales pour nous rassurer), elle est désormais clairement hors-jeu au Moyen Orient. Plus personne ne la prend au sérieux ni ne supporte ses leçons de morale hors sol. Notre incapacité à définir enfin les lignes simples d’une politique étrangère indépendante et cohérente nous coupe les ailes, sape notre crédibilité résiduelle et nous rend parfaitement incapables de constituer un contrepoids utile pour les « cibles » américaines qui ne sont pourtant pas les nôtres et dont la diabolisation ne sert en rien nos intérêts nationaux, qu’ils soient économiques ou stratégiques. Il faut sortir, et très vite, de cet aveuglement.

Pendant ce temps, la France plonge dans une diplomatie décidément calamiteuse qui l’isole et la déconsidère partout. Elle vient d’abandonner le Franc CFA pour complaire au discours débilitant sur la repentance et les affres de la Françafrique. On continue sur l’Algérie. On expie bruyamment. On ne sait pas vraiment quoi à vrai dire… Mais on se vautre dans les délices masochistes du renoncement. On laisse la place à Pékin, Washington, Moscou et même à Ankara. Il ne sert à rien de geindre sur « l’entrisme » de ceux-là en Afrique, quand on leur pave ainsi la voie. Il faudrait vraiment arrêter avec « le sanglot de l’homme blanc ». Il faut refondre notre diplomatie et aussi d’ailleurs remettre la tête à l’endroit de nombre de nos diplomates au parcours brillant mais incapables de sortir d’un prêt-à-penser pavlovien (anti russe, anti iranien, anti syrien, anti turc même !) qui nous paralyse et nous expulse du jeu mondial. Il faut enfin apprendre à répondre à l’offense ou à la provocation, et à ne pas juste se coucher dès que l’on aboie ou que l’on n’apprécie pas nos initiatives souvent maladroites ou sans consistance, mais aussi parfois courageuses. « Tendre l’autre joue » n’est tout simplement pas possible sur la scène du monde. On s’y fait vite piétiner. Pour être pris au sérieux, il ne faut pas toujours « calmer le jeu ». Il faut montrer les dents avec des « munitions », donc une vision, une volonté et des moyens affectés aux priorités régaliennes.

ADV : Quel enseignement tirez-vous de la crise sanitaire qui va être également une grave crise économique en 2021 et même socio-politique ? Quel bilan pour la France ?

CG : Je ne peux éluder ce qui fait cauchemarder les peuples et les dirigeants du monde entier et singulièrement ceux d’Occident depuis un an : la pandémie du COVID 19. Le premier enseignement est que fut initialement démontrée l’inanité de la solidarité et de la lucidité européennes, avec un lamentable retard à l’allumage dans la coordination des politiques. On laissa piteusement tomber les Italiens, on se vola des cargaisons de masques, bref le chacun pour soi a la vie dure, surtout quand certains Etats ferment intelligemment leurs frontières et que d’autres les laissent béantes « par principe ». J’en conclue tout d’abord que ce sont les Etats les plus décisifs, les plus « agiles », les plus pragmatiques et les plus capables de contraindre des franges de leurs populations – tout en maintenant leur économie active – qui s’en sortent le mieux économiquement et même sanitairement. En France, le bilan est lourd. Nous aurons démontré urbi et orbi non seulement la faillite de notre système de soins, autrefois excellent et toujours très généreux mais exsangue, mais plus encore celle de l’armature étatique et administrative de notre pays, embolisée par une bureaucratie en roue libre qui n’obéit plus. Il faut dire que l’autorité est un gros mot, l’esprit d’Etat un fossile et l’obéissance une vertu démonétisée du fait de la certitude de l’impunité en ce domaine comme en bien d’autres.

L’amateurisme politique, l’incurie logistique, et l’arrogance satisfaite de nos gestionnaires au petit pied, rien ne nous aura été épargné. Notre pays est moralement et économiquement à terre. Dès que nous serons sortis de la phase critique de la pandémie qui fait écran et permet au pouvoir de remplir à seaux le tonneau des Danaïdes au nom de l’urgence sanitaire, la déroute économique et sociale et le déclassement seront massifs. Les Français, à force d’infantilisation et de matraquage médiatique angoissant, en ont perdu leur latin et moutonnent en grommelant. Nos « responsables », dans un déni sidérant, se gargarisent indécemment de leur prétendue bonne gestion. Le réel est définitivement déconnecté de la perception, grâce à une communication quasi totalitaire et à un entêté « tout va très bien Madame la Marquise ! » qui veut rassurer le Français désabusé. Il sait pourtant bien, lui, que tout va très mal, mais il cherche protection jusque dans l’illusion et le renoncement. La politique ce n’est pas de la « com », de l’image, encore moins de la gestion à la petite semaine et au doigt mouillé. C’est une vision, du courage, l’acceptation du risque et de l’impopularité, de la planification, de la logistique implacable… et de l’autorité ancrée dans l’exemplarité. Pas du caporalisme ni de l’infantilisation de masse. De l’autorité, qui produit de la confiance et oblige chacun à l’effort.

Caroline Glactéros, propos recueillis par Alexandre del Valle (Geopragma, 22 janvier 2021)

Comment la Russie et la Chine remodèlent le Caucase du Sud

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Salman Rafi Sheikh

Comment la Russie et la Chine remodèlent le Caucase du Sud

Ex : https://journal-neo.org

La fin du conflit du Haut-Karabakh, négociée avec l'aide de la Russie, a jeté les bases d'une transformation géopolitique majeure du Caucase du Sud. Si le rôle joué par la Russie pour mettre fin au conflit militaire et maintenir le cessez-le-feu lui a permis de prendre en charge le Caucase du Sud, les développements ultérieurs montrent comment la Russie a élargi son rôle et consolidé sa position dans son arrière-cour. Son importance première réside dans le fait qu'aucune puissance extra-régionale et occidentale n'était ou n'est encore impliquée dans cette partie du monde, ce qui est l'une des raisons pour lesquelles le cessez-le-feu n'a pas été violé. Bien que la Turquie et l'Iran aient été impliqués dans la négociation du cessez-le-feu, la question a toujours été globalement une affaire russe. En outre, la Russie a négocié la paix et le cessez-le-feu aux dépens du Groupe de Minsk. Il a permis à la Russie d'éroder massivement la capacité des États-Unis à utiliser cette région pour allumer des feux à sa périphérie afin de créer les conditions nécessaires à l'expansion de l'OTAN vers l'Est.

Le contrôle de la région est important pour les États-Unis également parce qu'elle est apparue comme l'une des voies les plus appropriées pour l'extension de l'initiative chinoise "Belt & Road" (IRB) en Europe. Les États-Unis, en tentant de s’arcbouter au Sud du Caucase, voudraient contrôler une artère importante de l'IRB. Mais le Caucase du Sud, sous l'influence politique russe et les investissements économiques chinois, se transforme rapidement en un territoire très éloigné de la portée des tentacules américains.

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Comme le montrent les dernières données de la Banque mondiale, l'empreinte économique de la Chine a massivement augmenté ces dernières années. L'Azerbaïdjan est largement considéré comme un maillon important des nouvelles routes de la soie reliant la Chine à l'Europe. Depuis 2005, le chiffre d'affaires du commerce chinois avec l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie a augmenté d'environ 2070 %, 380 % et 1885 %, respectivement.

L'Azerbaïdjan revêt une importance particulière pour le corridor économique Chine - Asie centrale - Asie occidentale, principalement le corridor de transit transcaucasien (TCTC), qui relie la Chine à l'Europe par un réseau de chemins de fer, de ports maritimes, de routes et éventuellement de pipelines.

Si le volume actuel des échanges commerciaux entre la Chine et l'Azerbaïdjan n'est pas élevé, les tendances récentes montrent un important bond en avant. Selon les données de la Banque mondiale, "le volume des échanges commerciaux entre les deux pays était de 1,3 milliard de dollars US en 2018, soit environ 6 % du total des échanges commerciaux de l'Azerbaïdjan, et la moitié de ce montant en 2013". La Banque mondiale estime que le parachèvement de l'IRB dans la région est susceptible de transformer la capacité géoéconomique de l'Azerbaïdjan et que le PIB du pays pourrait augmenter de 21 % à long terme. La participation de l'Azerbaïdjan à la BRI pourrait lui permettre d'exploiter les chaînes de valeur mondiales et de diversifier son économie.

Le Haut-Karabakh étant désormais effectivement sous contrôle azéri et géré sous supervision russe, et la Chine ayant récemment signé un accord d'investissement avec l'UE, on doit s’attendre à ce que la Chine accorde une attention toute particulière à la construction d'une route de transit à travers cette région. La Chine développe une route commerciale via le Kazakhstan qui traverse la Caspienne depuis le port kazakh d'Aktau pour aboutir à Bakou. Les universitaires chinois ont décrit cette route comme étant la plaque tournante de l'IRB donc elle est absolument essentielle au succès de l'accord que Pékin vient de signer avec l'UE.

Les possibilités de connectivité et de création d'entreprises qu'offre la Chine sont également liées aux projets de la Russie visant à établir une nouvelle géographie du commerce entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. C'est ce qui est apparu clairement lors de la dernière réunion entre les dirigeants russe, azéri et arménien à Moscou. La réunion a été suivie par l'annonce de la mise en œuvre de "mesures impliquant la restauration et la construction de nouvelles infrastructures de transport nécessaires à l'organisation, la mise en œuvre et la sécurité du trafic international effectué à travers la République d'Azerbaïdjan et la République d'Arménie, ainsi que des transports effectués par la République d'Azerbaïdjan et la République d'Arménie, qui nécessitent de traverser les territoires de la République d'Azerbaïdjan et de la République d'Arménie".

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Le plan, tel qu'il se présente, est de réactiver les anciennes "Routes de la soie du Caucase" qui permettraient aux principaux pays de la région de se connecter avec la Russie et d'ouvrir ainsi des voies pour stimuler le commerce, ne laissant ainsi aucune marge de manœuvre, même minimale, aux puissances extrarégionales comme les États-Unis et la France pour jouer leur vieille politique du "diviser pour régner".

Tous ces développements indiquent également un recul de la présence et du rôle des États-Unis dans la région. Mais les États-Unis, sous l'administration Biden, dominée par les interventionnistes libéraux, vont probablement mettre de l'ordre dans leurs affaires intérieures d’abord et, ensuite, tenter un retour sous une forme ou une autre. En fait, les États-Unis sont déjà en train de faire leurs calculs de retour.

Le Congrès américain a récemment autorisé le directeur du renseignement national à présenter un rapport identifiant les principaux intérêts stratégiques des États-Unis dans la région, y compris l'assistance militaire américaine à l'Azerbaïdjan et à l'Arménie et la manière dont celle-ci pourrait être utilisée efficacement pour servir les intérêts américains.

En l'état actuel des choses, Washington se prépare déjà à une lutte géopolitique dans la région du Haut-Karabakh. En octobre 2020, le chef de la commission du renseignement de la Chambre des représentants à Washington, Adam Schiff, a "exhorté" les États-Unis à reconnaître le Haut-Karabakh ou la "République de l'Artsakh" comme un État indépendant. L'appel à la reconnaissance d'un "État indépendant" reflète la manière dont les États-Unis entendent s'insérer dans la région pour jouer leur politique habituelle de division.

Cependant, comme le montrent les détails donnés ci-dessus, de nombreuses politiques de connectivité sont planifiées et mises en œuvre pour contrer la politique de division que les États-Unis se préparent à mener.

Par conséquent, en l'état actuel des choses, les accords politiques et économiques qui sont conclus et mis en œuvre réduiront massivement la possibilité qu'un conflit réapparaisse et déstabilise la région. Ce n'est qu'à ce moment-là que les États-Unis pourront intervenir et faire pression pour réactiver le groupe de Minsk.

Salman Rafi Sheikh

Salman Rafi Sheikh, est analyste des relations internationales et des affaires étrangères et intérieures du Pakistan ; en exclusivité pour le magazine en ligne "New Eastern Outlook".

samedi, 23 janvier 2021

L'importance stratégique de l'accord entre Israël et le Maroc

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L'importance stratégique de l'accord entre Israël et le Maroc

Par Marco D'Attoma

Ex: http://osservatorioglobalizzazione.it

2020 sera l'année qui restera historiquement dans les mémoires pour la pandémie du Covid-19, mais pour les études de la diplomatie internationale, ce sera sans doute une année fondamentale pour les développements au Moyen-Orient, en particulier dans les relations établies entre l'État d'Israël et le monde arabe. Les accords d'Abraham, signés le 15 septembre dernier pour normaliser les relations entre les Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn et Israël, marquent un tournant historique dans le contexte du Moyen-Orient, au même titre que les accords de Camp David ou les accords d'Oslo. Cette stratégie diplomatique de l'État d'Israël a trouvé un parrain pertinent dans l'administration Trump, qui s'est révélée être le principal interlocuteur pour la paix entre le monde arabe et Israël. La dernière étape de cette politique d'apaisement a été l'accord entre Israël et le Maroc, la plus ancienne monarchie arabe.

L'approche de la présidence américaine est définie comme transnationale, car pour les Etats qui promeuvent les relations diplomatiques avec Israël, il y a une sorte d'avantage, par exemple pour les Emirats Arabes il y avait l'avantage de pouvoir acheter des avions militaires aux Etats-Unis. Pour le Maroc, cependant, l'avantage consiste en la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, un territoire peu connu au niveau international, qui selon les parties, pourrait être défini comme un État ou comme une province marocaine.

Cette concession américaine pourrait cependant raviver un conflit historique entre le Maroc et le Sahara occidental, qui a commencé en 1975 lorsque, suite aux accords de Madrid, le gouvernement franquiste a décidé de se retirer du Sahara espagnol (aujourd'hui Sahara occidental) et d'accorder la souveraineté territoriale sur ce territoire à la Mauritanie et au Maroc. Cependant, le contrôle du territoire en question appartenait au Front Polisario (Frente Popular de Liberación de Saguía el Hamra y Río de Oro), une organisation politique qui s'est opposée à la partition du Sahara espagnol entre la Mauritanie et le Maroc, déclarant la guerre sur les deux fronts pour prendre le contrôle du territoire. La Mauritanie s'est presque immédiatement retirée du conflit, tandis qu'avec le Maroc un conflit a été amorcé qui sera gelé en 1991 grâce à une résolution des Nations unies qui établira un cessez-le-feu, mais sans résoudre définitivement la question. Le Front Polisario ne contrôle actuellement que 20 % du territoire du Sahara occidental, alors que le Maroc considère ce territoire comme une province du Royaume. Au niveau international, le Sahara occidental a un statut d'observateur aux Nations unies et est classé comme territoire non autonome, tandis qu'au sein de l'Union africaine, il est compté parmi les États membres.

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La résolution du Conseil de sécurité de 1991, en plus d'établir un cessez-le-feu, a promis au Front Polisario de soutenir la tenue d’un référendum sur l'autodétermination, processus prévu par la Charte des Nations unies, et ce vote serait contrôlé par les Nations unies et l'Union africaine.

Depuis 1991, cependant, les choses n'ont pas changé, la situation s'est même à nouveau détériorée. Ces dernières années, le gouvernement marocain a essayé d'entraver de toutes les manières possibles un référendum, et a également essayé de repeupler sa partie du Sahara occidental en accordant des avantages économiques et des incitations fiscales à ceux qui s’y installaient, afin d'influencer un éventuel vote. Ces derniers mois, les affrontements ont officiellement repris en raison de l'entrée de l'armée marocaine dans la zone démilitarisée. L'armée marocaine était intervenue parce que des manifestants sahraouis bloquaient une route très importante pour le commerce vers l'Afrique subsaharienne, une région vers laquelle de nombreuses marchandises marocaines sont exportées. Le territoire sous contrôle du Maroc est le plus prospère au niveau économique car il est riche en ressources et en gisements, tandis que le territoire sous contrôle du Front Polisario est un territoire aride mais, en même temps, important car il représente pour le Maroc la porte d'entrée du commerce vers l'Afrique occidentale et subsaharienne, riche en phosphates et important pour l'abondance de poissons dans ses eaux.

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Pour diviser les deux territoires, il existe une muraille fortifiée, mais pas n'importe laquelle car c'est la plus longue du monde (si l'on exclut la muraille de Chine), longue d'environ 2700 kilomètres, avec des fortifications, des bunkers et des mines au sol. Ce n'est pas pour rien qu'on l'appelle "Le Mur de la Honte".

La décision de Trump de reconnaître la souveraineté marocaine sur l'ensemble du Sahara occidental a certainement beaucoup contribué à raviver la volonté du gouvernement marocain de prendre le contrôle de l'ensemble du territoire.

Si les actions de Trump ont temporairement apporté un climat de paix au Moyen-Orient, il n'en va pas de même pour le Sahara occidental. Le mur, les droits de l'homme bafoués et les relations avec les États-Unis et Israël ne peuvent que faire penser à un lien entre le peuple sahraoui et le peuple palestinien.

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La géopolitique qui sous-tend l’accord d’investissement UE-Chine

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La géopolitique qui sous-tend l’accord d’investissement UE-Chine

Par Salman Rafi Sheikh

Source: New Eastern Outlook

L’accord d’investissement UE-Chine récemment annoncé est un moment décisif, marquant le premier accord d’investissement UE-Chine de ce type, qui ouvrirait les portes de la Chine à l’UE, pour y réaliser des investissements directs. La Chine aura de son côté la possibilité d’étendre son influence sur le marché européen. Si l’accord présente de nombreux avantages pour les parties concernées, il est également assorti de facteurs géopolitiques très visibles, qui concernent non seulement l’UE et la Chine, mais aussi les États-Unis. L’accord UE-Chine est considéré aux États-Unis par l’administration Trump (qui est déjà en « guerre commerciale » avec la Chine) et l’administration Biden comme contraire à leur politique déclarée de suivre une approche « dure » à l’égard de la Chine. L’expansion de la Chine en Europe permettra à la première d’échapper en grande partie à l’impact de la « guerre commerciale » en cours et donnera à son économie une marge de manœuvre importante. Pour les États-Unis, cet accord doit donc être revu à la lumière de leur propre politique de confrontation calculée avec la Chine. Les États-Unis entendent exercer leur influence pour que l’UE s’aligne sur la politique américaine.

Jake Sullivan, le choix du président élu Joe Biden comme conseiller pour la sécurité nationale, a demandé « des consultations rapides avec nos partenaires européens sur nos préoccupations communes concernant les pratiques économiques de la Chine ». Le tweet reflète une inquiétude croissante parmi les responsables de l’administration Biden, qui craignent que la formalisation de l’accord UE-Chine, sans les États-Unis, ne compromette sérieusement la capacité de ces derniers à non seulement modeler la dynamique générale des liens bilatéraux entre l’UE et la Chine, mais aussi à obtenir le soutien de l’UE pour former un front commun contre la Chine. L’administration Biden cherche donc à maintenir une position politique vis-à-vis de la Chine similaire à celle que l’administration Trump a largement suivie au cours des quatre dernières années. Il est donc peu probable que les relations entre les États-Unis et la Chine sous l’administration Biden reviennent à la normale. Elles devraient, dans l’état actuel des choses, s’exacerber en raison de la concurrence militaire croissante.

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Pour les États-Unis, la principale préoccupation n’est pas l’accord en soi, mais la manière dont cet accord ferait de l’UE un acteur indépendant dans ses relations avec la Chine. Après l’accord, l’UE sera en mesure de façonner et de déterminer ses politiques vis-à-vis de la Chine en tant qu’acteur égal et indépendant, ce qui donnera au bloc européen le poids politique qu’il a essayé d’établir pour équilibrer ses relations avec les États-Unis. Il y a des tensions au sein de l’OTAN, et les États-Unis, sous l’administration Trump, ont libéré des forces qui ont poussé l’UE de plus en plus vers une politique étrangère indépendante, et envisagent même un système de sécurité interne européen, indépendant de l’OTAN.

Le fait que la Chine ait récemment offert des concessions massives à l’UE indique également comment la Chine essaie de tirer pleinement parti des clivages existants entre les États-Unis et l’UE, en offrant des incitations que l’UE pourrait trouver trop attrayantes pour les rejeter. Les concessions chinoises ont déjà abouti à un accord de principe, obligeant la France et l’Allemagne à passer imperceptiblement de leur politique dite « indo-pacifique » de « gestion » de la montée en puissance de la Chine à une coexistence avec cette dernière qui donnerait à l’UE un accès très recherché au marché chinois.

En facilitant l’accès à son industrie manufacturière, la Chine a répondu à l’une des principales préoccupations de l’UE. Alors que presque tous les pays de l’UE ont leurs accords bilatéraux avec la Chine, cet accord est le premier « accord autonome sur les investissements couvrant à la fois l’accès au marché et la protection des investissements. Il remplacerait les 25 accords bilatéraux existants par un cadre juridique uniforme doté de normes de protection modernes et de mécanismes de règlement des différends ».

En conséquence, alors que l’UE et la Chine s’efforcent de plus en plus de surmonter leurs divergences mutuelles [l’UE modifiant ses mesures de sécurité et les Chinois assouplissant leurs règles], le fossé entre l’UE et les États-Unis s’élargit.

La loi européenne sur les services numériques (DSA) et la loi sur les marchés numériques (DMA) récemment introduites sont susceptibles d’approfondir encore la fracture transatlantique en matière de commerce numérique. Les divergences sur le marché des services numériques viendront s’ajouter aux tensions déjà existantes en ce qui concerne l’OTAN, le changement climatique et les relations économiques entre l’UE et les États-Unis.

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Les lois européennes auront un impact négatif sur les États-Unis. En 2019, les États-Unis ont exporté vers l’UE pour 196 milliards de dollars de services liés aux technologies de l’information et des communications (TIC). Google a déjà déclaré que cet ensemble de lois vise à entraver les entreprises américaines. La Chambre de commerce américaine a déclaré que « l’Europe a l’intention de punir les entreprises prospères qui ont fait des investissements importants dans la croissance et la reprise économique de l’Europe ».

L’accord d’investissement UE-Chine est donc autant ancré dans la volonté d’expansion de la Chine que dans la recherche croissante par l’UE de sa propre place, indépendante des États-Unis, dans un monde de plus en plus multipolaire.

L’UE réagit à la manière dont les États-Unis sont passés au nationalisme économique sous l’administration Trump. Bien que Joe Biden ait qualifié la politique « America First » de Trump de mauvaise, le fait que cette politique soit restée en place pendant 4 ans signifie qu’elle a été capable d’infliger des changements substantiels à la façon dont l’alliance transatlantique s’engagerait et se réunirait face à des ennemis communs. L’UE, dans sa forme actuelle, ne se contente pas de s’associer aux États-Unis pour « gérer » la Chine ; elle définit plutôt une ligne de conduite qui correspond à ses intérêts et à ses besoins. Comme l’ont déclaré les diplomates européens, si les entreprises européennes peuvent obtenir un meilleur accès à la Chine et y trouver des conditions de concurrence raisonnablement équitables, il n’y a aucune raison qu’elles n’en profitent pas.

Salman Rafi Sheikh

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

vendredi, 22 janvier 2021

Le défi géostratégique de l'Arctique

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Le défi géostratégique de l'Arctique

par Daniele Perra

Ex : https://osservatorioglobalizzazione.it

Le grand juriste allemand Carl Schmitt a dit que l'histoire des peuples est toujours une histoire d'appropriation de la terre. La conquête/acquisition de nouveaux espaces a toujours une influence décisive sur la position géopolitique des États. En effet, une acquisition de terres implique toujours le risque de déstabiliser un statut hégémonique précis ou un ordre établi. Sur une surface terrestre presque entièrement occupée par l'homme, il existe encore deux zones de compétition entre les grandes puissances : la région arctique et l'espace extérieur entourant le globe. Dans cet article, nous aborderons la première.

La proposition du président américain Donald J. Trump d'acheter le Groenland, et l'annulation subséquente de la réunion de Copenhague avec les dirigeants politiques danois une fois l'offre refusée, ont fait sensation en 2019.

Cependant, ce qui semblait être une déclaration impromptue d'un "président peu orthodoxe" avait en fait des raisons géopolitiques très spécifiques. Et afin de mieux comprendre ces motivations, il sera utile d'examiner en détail les déclarations de Mark T. Esper (secrétaire d'État à la défense) au Royal United Services Institute de Londres et le rapport du ministère américain de la défense sur la stratégie arctique au Congrès de juin 2019.

Les déclarations d'Esper sont particulièrement éloquentes. En effet, le secrétaire à la défense a mentionné à plusieurs reprises la menace que l'agressivité russe et la puissance économique chinoise feraient peser sur la sécurité et l'ordre mondial actuels.

"La concurrence entre les grandes puissances" - a déclaré M. Esper au public londonien - "est la principale préoccupation pour la sécurité nationale des États-Unis". Les États-Unis, selon l'ancien étudiant de West Point, s'occupent déjà de cette question, mais il devient nécessaire que les "nations aimant la liberté" reconnaissent cette menace et jouent leur rôle pour assurer la sécurité du monde.

En outre, la Chine et la Russie feraient peser des menaces spécifiques sur la "prospérité américaine" : des menaces qui pourraient s'aggraver à l'avenir si elles ne sont pas traitées rapidement.

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En conclusion, M. Esper, en pleine conformité avec la ligne de conduite de Trump, a suggéré que les alliés des États-Unis, et en particulier les États membres de l'OTAN, augmentent leurs dépenses militaires.

Les déclarations du secrétaire à la Défense font parfaitement écho à la substance du rapport susmentionné, remis au Congrès et consacré à la stratégie arctique, rapport qui mentionne explicitement le comportement "malveillant et coercitif" de la Russie et de la Chine, une "approche holistique" de la protection des intérêts nationaux américains dans la région arctique et la croissance de l'influence de Washington dans la région. Ce rapport, à son tour, fait écho à la stratégie de sécurité nationale de 2017 dans laquelle un accent particulier est mis sur "la protection du mode de vie américain" et, une fois de plus, sur "la promotion de la prospérité américaine, à préserver même par la force".

En outre, le rapport présenté au Congrès en juin fait écho presque intégralement au document de stratégie pour l'Arctique de 2013, publié sous l'administration Obama, prouvant, s'il en était besoin, qu'indépendamment des aspects extérieurs, des spectacles politiques de M. Trump, il existe une ligne de continuité substantielle entre les deux présidences.

À cet égard, il est également indéniable que les États-Unis avaient déjà commencé à ignorer l'accord nucléaire iranien bien avant l'élection de Trump.

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J'ai souvent soutenu que le trumpisme n'est rien d'autre qu'une tentative (plus ou moins) désespérée de sauver la "mondialisation américaine", et que la devise électorale "Make America Great Again" a simplement entraîné une nouvelle course aux armements et la militarisation plus ou moins forcée des régions soumises à la concurrence stratégique entre les grandes puissances.

Le regain d'intérêt pour l'Arctique s'inscrit dans ce contexte. Limiter ou empêcher l'expansion sino-russe dans la région signifie avant tout éviter l'une de ces "acquisitions de nouveaux espaces" qui pourraient mettre en crise l'hégémonie mondiale nord-américaine.

La valeur de l'Arctique

Situé à l'intersection de 3 plateaux continentaux, avec 14 millions de kilomètres carrés, 13% des réserves mondiales de pétrole et 30% des réserves de gaz encore à exploiter, l'Arctique est une zone d'une énorme valeur géostratégique. L'exploitation d'une telle richesse, également en termes de routes commerciales et militaires, aurait pour conséquence soit la conservation inchangée de l'hégémonie nord-américaine, soit son dépassement définitif si Washington devait perdre le défi lancé à ses concurrents.

Il n'est donc pas surprenant que le rapport susmentionné au Congrès sur la stratégie arctique mentionne clairement l'objectif de "limiter la capacité de la Chine et de la Russie à exploiter la région comme un corridor de concurrence stratégique, visant à limiter la projection mondiale de la puissance américaine".

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En fait, l'ouverture de la route arctique, en évitant le canal de Suez, réduirait de dix jours la durée du voyage de l'Asie vers l'Europe et compromettrait sérieusement le contrôle américain sur les flux énergétiques. En outre, en ce qui concerne les objectifs géostratégiques sino-russes, la route arctique serait plus sûre et plus stable que les couloirs terrestres de l'initiative "Belt and Road", qui sont susceptibles de passer par des zones de turbulences, à forte présence de groupes terroristes largement alimentés et exploités par les services de renseignement des forces hostiles à l'évolution de l'ordre mondial dans un sens multipolaire.

En effet, la route arctique joue un rôle majeur dans le projet Belt and Road. La Chine, qui est un observateur permanent au Conseil de l'Arctique, a déjà investi pas mal de ressources dans la région. Et l'intérêt de l'Amérique du Nord à acheter le Groenland fait partie du plan visant à contrer l'expansion économique chinoise dans la région. Cette expansion suit les lignes tracées par la vision chinoise de la coopération maritime dans le cadre de l'initiative "Belt and Road", où l'esprit du projet d'infrastructure chinois est interprété en termes de "coopération, ouverture, inclusion, apprentissage et bénéfice mutuel". Dans cette déclaration de 2017, la relation entre l'homme et les océans est interprétée comme une exploitation des routes maritimes visant à réaliser un développement commun.

La valeur stratégique du Groenland

Le Groenland est au cœur du défi pour l'Arctique car on estime que son sous-sol abrite la sixième plus grande réserve de terres rares au monde : un élément clé dans la construction d'équipements technologiques et militaires. En outre, il existe d'autres ressources clés (or, uranium, diamants, pétrole). À cet égard, un projet visant à extraire ces ressources est déjà cogéré par une société chinoise : la Shenghe Resources Holding LTD.

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Les terres rares sont le principal facteur d'attractivité pour les États-Unis. Grâce à elles, la Chine (qui contrôle entre 85% et 95% de leur production mondiale) est en train de gagner la guerre commerciale contre les Etats-Unis. Ce n'est pas un hasard si elles sont l'un des rares produits chinois que les États-Unis ont exclus des droits de douane et des restrictions.

Prendre possession du Groenland et commencer l'exploitation définitive de cette immense ressource dans son sous-sol permettrait sans aucun doute aux États-Unis de réduire leur dépendance vis-à-vis des terres rares de la Chine et d'obtenir un contrôle total sur les deux extrémités arctiques du continent nord-américain : l'Alaska à l'ouest et l'île dite "verte" à l'est.

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Il va sans dire que dès 1860, avant même l'achat de l'Alaska à la Russie, William H. Seward (futur secrétaire d'État d'Abraham Lincoln) avait prédit que l'Arctique deviendrait l'avant-poste septentrional des États-Unis.

Comme mentionné au début de cet article, la proposition des trumpistes, comme celle avancée par l'administration Truman à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a rencontré une réponse négative. Cependant, la sujétion presque totale de la classe politique de l'île envers Washington est bien connue. Et on ne peut exclure la possibilité que Washington profite de cette influence pour empêcher une expansion chinoise excessive dans le protectorat danois.

Le défi dans le Grand Nord entre la Chine et les États-Unis

Mais le Groenland n'est pas le seul souci des États-Unis. Outre la mise en service de sept brise-glaces, la Chine a également montré un intérêt considérable pour la construction du tunnel sous-marin Helsinki-Tallin, qui permettrait à la Chine de compléter un réseau d'infrastructures couvrant l'ensemble du continent eurasiatique.

Paradoxalement, dans cette course à l'Arctique, les États-Unis se sont retrouvés avec un lourd retard technologique par rapport à leurs principaux concurrents. La Russie, en effet, outre la création d'un Strategic Interforce Command pour l'Arctique dès 2014, dispose de la plus grande flotte pour la navigation en eaux froides (39 brise-glaces dont 6 à propulsion nucléaire) et vient d'achever la construction de la première centrale atomique flottante. Cette centrale, après un voyage de 5000 km le long de l'Arctique russe, a été rapidement placée à Pevek, à l'extrême nord-est, où elle fournira de l'énergie aux usines industrielles et minières de la région.

En outre, si les "prévisions géologiques" devaient être confirmées par les faits, l'exploitation du plateau arctique occidental de la Russie donnerait à Moscou une projection de puissance énergétique encore plus élevée que celle des États-Unis. Il n'est donc pas surprenant que la Russie ait également installé des batteries de missiles S-400 sur les péninsules de Kola et du Kamtchatka pour assurer la défense de la région.

Il est clair que les États-Unis vont une fois de plus répondre à ce double défi géostratégique et technologique en militarisant la région arctique et en faisant porter les coûts sur les épaules de leurs alliés. Et il est tout aussi clair que la course à l'Arctique peut être interprétée comme un nouveau chapitre de la lutte entre les puissances terrestres et maritimes qui a caractérisé l'histoire des peuples depuis l'antiquité. Cependant, au moins à cette occasion, la puissance thalassocratique nord-américaine semble être réellement obligée de se défendre.

 

L'administration Biden : ses projets pour le Groenland et le gazoduc Nord Stream 2

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L'administration Biden : ses projets pour le Groenland et le gazoduc Nord Stream 2

par Giuseppe Gagliano

Ex : https://www.startmag.it

Comment Biden va-t-il agir à la fois sur la question de l'Arctique (l'intérêt américain pour le Groenland) et sur celle, non moins complexe, du Nord Stream 2. Des différences vraiment pertinentes par rapport à Trump ? L'analyse de Giuseppe Gagliano.

Au-delà de la rhétorique évidente - et prévisible - liée à l'investiture du nouveau président américain Biden, considéré comme le nouveau messie par l'intelligentsia des gauches européennes, il est légitime de se demander comment le nouvel occupant de la Maison Blanche va évoluer par rapport à la fois à la question de l'Arctique (que nous avons abordée à plusieurs reprises dans ces pages) et à celle non moins complexe du Nord Stream 2.

Commençons par la première question et les positions prises jusqu'à présent par l'administration Trump.

À la mi-2019, le président américain Donald Trump et Mike Pompeo devaient se rendre au Danemark pour discuter de questions principalement liées aux investissements militaires et commerciaux américains au Groenland et à la présence croissante des États-Unis, de la Russie et de la Chine dans la région.

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La base américaine de Thulé au Groenland.

Les États-Unis ont l'intention d'acheter le Groenland et de concrétiser ainsi leur revendication sur cette région et ses ressources. Le Danemark a rejeté toute proposition de vente du Groenland et le gouvernement américain a annulé toutes les réunions prévues. La visite de Pompeo au Groenland a été annulée après que la Chine ait fait des efforts pour investir dans une série d'aéroports et une base militaire abandonnée sur l'île. L'objectif des États-Unis est de contrer l'influence de Pékin, qui a proposé en 2018 d'établir une "route de la soie polaire". L'objectif est d’empêcher les Chinois de prendre pied sur l'île en leur réservant toutefois la possibilité de faire de lourds investissements pour militariser le Groenland.

Outre la coopération économique entre la Chine et la Russie dans l'Arctique, Mike Pompeo a déclaré que le Pentagone avait averti que la Chine pourrait utiliser sa présence civile en matière de recherche dans l'Arctique pour renforcer sa présence militaire, notamment en déployant des sous-marins dans la région comme moyen de dissuasion contre les attaques nucléaires. "Nous devons examiner attentivement ces activités et garder à l'esprit l'expérience des autres nations. Le comportement agressif de la Chine dans d'autres régions influencera la manière dont elle traitera l'Arctique". Ces commentaires sur les éventuelles capacités militaires stratégiques de la Chine dans l'Arctique soulèvent légitimement la question des plans américains pour le Groenland.

Malgré le différend diplomatique de l'année dernière, l'administration Trump semble avoir fait marche arrière par rapport à son projet d'achat du Groenland. Le 22 juillet 2020, Mike Pompeo et Jeppe Kofod ont organisé une conférence commune à Copenhague. L'actuel ministre des affaires étrangères a déclaré que les États-Unis sont "l'allié le plus proche" du Danemark et qu'ils travaillent ensemble pour assurer une "société internationale fondée sur des règles". Par conséquent, tous les pays que les États-Unis considéreraient comme des adversaires se présentent comme des menaces pour l'économie mondiale (comme la Chine) ou comme nuisibles à l'environnement, comme le montre la tentative de régulation du trafic maritime dans l'Arctique par des navires battant pavillon russe. Pompeo a souligné : "Je suis venu ici parce que le Danemark est un partenaire solide. Il ne s'agit pas seulement de nous unir contre la Chine qui sape et menace notre sécurité nationale". Pompeo et Kofod se sont mis d'accord sur un front commun contre la Chine au Groenland et les États-Unis ont promis que le Groenland serait financièrement récompensé pour la présence, là-bas, de la base aérienne américaine de Thulé. Le secrétaire d'État américain a déclaré que le Danemark se verrait offrir de nouveaux liens commerciaux plus solides en échange de l'opposition aux investissements chinois et russes sur leur territoire.

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L'intention des États-Unis d'accroître leur influence dans les régions de l'Atlantique Nord et de l'Arctique par des moyens financiers a été clairement exprimée par Pompeo. Une approche économique de soft power est utilisée par les États-Unis pour assurer le contrôle du Groenland et des îles Féroé. Entre-temps, l'influence américaine sur le Groenland s'accroît déjà depuis qu'elle a ouvert un consulat sur l'île en juin avec l'approbation du gouvernement danois, fournissant une aide de 12,1 millions de dollars en avril.

Outre les facteurs économiques, il y a aussi un aspect stratégico-militaire puisque l'ambassadrice américaine au Danemark, Carla Sands, s'est rendue dans les îles Féroé pour demander la possibilité d'ouvrir un consulat diplomatique et de permettre à la marine américaine d'utiliser ses ports pour des opérations dans l'Arctique.

Un tel accord permettrait aux États-Unis de créer un corridor d'importance militaire s'étendant du Groenland, de l'Islande et des îles Féroé à la Norvège, qui pourrait servir d'outil géopolitique puissant contre les activités chinoises et russes dans la région.

Lors de sa visite au Danemark, Pompeo avait également réussi à organiser une rencontre avec Anders Fogh Rasmussen à l'ambassade des États-Unis à Copenhague. Rasmussen est membre du parti politique libéral "Venstre". Il dirige actuellement sa propre société de conseil politique appelée "Rasmussen Global" et est conseiller principal à la banque américaine Citigroup. Il est important de noter que Rasmussen est un fervent défenseur de l'hégémonie américaine dans le monde et qu'il a été personnellement responsable de la participation du Danemark à la guerre en Irak en 2003.

Après leur rencontre, M. Rasmussen a révélé que le sujet de son entretien avec Pompeo portait sur la manière d'empêcher "des régimes autocratiques comme la Russie et la Chine" d'investir au Groenland et dans les îles Féroé. Rasmussen a conseillé à Pompeo que "si nous voulons empêcher les nombreux investissements chinois au Groenland et dans les îles Féroé, nous avons besoin d'une plus grande participation américaine en termes d'argent. [...] C'est pourquoi j'ai proposé d'aider à soutenir les investissements américains au Groenland et dans les îles Féroé".

L'implication est claire : les États-Unis utilisent également des groupes de pression locaux pour faire avancer leur programme dans les régions de l'Atlantique Nord et de l'Arctique. La prochaine étape est la poursuite de la militarisation de la région, qui pourrait devenir, avec le temps, un futur champ de bataille entre les États-Unis, la Chine et la Russie.

Il semble que les États-Unis, en établissant des consulats au Groenland et dans les îles Féroé, tentent d'influencer directement les acteurs locaux de la région, notamment par des incitations financières telles qu'une subvention de 11 millions d'euros.

Le fait que des acteurs politiques appellent à la sécession du Groenland et des îles Féroé, qui abandonneraient ainsi leurs liens anciens avec le Danemark, est certainement quelque chose que Washington utilisera à son avantage.

Si le Danemark exprime son refus, les États-Unis pourraient commencer à soutenir activement ces mouvements sécessionnistes afin de "diviser pour régner". Les États-Unis n'hésiteront pas à recourir à de telles actions s'ils estiment que leur propre hégémonie est ainsi préservée au détriment de la Chine et de la Russie. Nous doutons que la nouvelle administration américaine modifie ce choix, d'autant plus que la Chine et la Russie sont et restent les principaux antagonistes des États-Unis.

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Passons maintenant à la question complexe du Nord Stream.

Bien que le ministre allemand des affaires étrangères, Heiko Maas, ait espéré pouvoir résoudre la question des sanctions mises en place par Trump, la coopération sino-allemande a été consolidée avec la signature d'un nouvel accord sur les investissements réciproques, accord signé avec la Chine pendant la présidence allemande du Conseil européen. Cet accord a été lu comme une posture offensive anti-américaine par Washington.

Ce n'est pas une coïncidence si Antony Blinken, le nouveau secrétaire d'État, a clairement indiqué que non seulement l'Amérique n'a pas l'intention de permettre l'achèvement du Nord Stream 2, mais que la Chine reste le principal adversaire. Ces menaces discrètes ne rappellent-elles pas les positions de Mike Pompeo ?

En dernière analyse - au-delà des discours tonitruants et creux de la gauche italienne en faveur de la nomination de Biden - nous sommes persuadés - comme l'ont fait valoir Arduino Paniccia et Alberto Negri - que les lignes de force mises en place par l'administration Trump ne différeront pas en substance de celles qui seront appliquées par la nouvelle administration américaine. Si une différence devait apparaître, nous pensons qu'elle se situerait uniquement au niveau des accents et non au niveau de la substance des choix de politique étrangère.

mercredi, 20 janvier 2021

Géopolitique du Brésil : entre Terre et Mer

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Géopolitique du Brésil : entre Terre et Mer

Par Raphael Machado, dirigeant de « Nôva Resistencia » (Brésil)

Ex: https://therevolutionaryconservative.com

Selon Carl Schmitt, l'essence de la politique est la distinction ami-ennemi. Nous trouvons également, chez Schmitt, une opposition fondamentale dans la géopolitique. En l'occurrence, l'opposition Terre-Mer, à laquelle Schmitt lui-même a consacré d'innombrables pages, mais dont la première formulation se perd dans le brouillard de l'histoire. Cicéron déjà, dans son De Re Publica, fustigeait les thalassocraties de Carthage et de Corinthe pour leur propension à la décadence, associée à une nature "aquatique" selon lui qui s'exprimait concrètement dans leurs stratégies respectives d'expansion coloniale, alors qu'il tenait en haute estime la vertu de la majorité des peuples enracinés dans la terre.

Il pourrait sembler qu'il s'agisse ici d'un sujet extrêmement métaphysique, voire d'un délire symbolique, mais la question de l'opposition terre-mer est si classique qu'elle devient universelle chez les penseurs géopolitiques, indépendamment de leurs orientations idéologiques. En fait, il a été possible de trouver une réciprocité entre les différentes formes d'expressions classiques du pouvoir (terrestre - aquatique) et une sorte de caractère ou de psyché des peuples.

En résumé, les civilisations de la Terre, généralement caractérisées par la présence d'une capitale et de provinces dans les terres voisines, seraient délimitées, en même temps, par un plus grand sens de la continuité, des frontières et des distinctions claires, par une plus grande propension à l'ascétisme et à la guerre ouverte. Les civilisations de la mer, pour la plupart, généralement organisées dans le cadre des relations entre métropole et colonies étrangères, seraient propices à l'indifférenciation, avec une relativisation des concepts et des frontières, avec une tendance psychologique à l'individualisme, à l'utilitarisme et au commerce.

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Ce dualisme évident pourrait avoir des résonances intéressantes et pourrait aussi exprimer avec clarté notre perception des inimitiés historiques telles celles de Rome et de Carthage, de Sparte et d’Athènes, de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne ou des États-Unis et de la Russie. Cependant,  nous sommes également confrontés à des exemples historiques plus complexes, plus prompts à générer de la confusion, exemples que sont le Portugal et l'Espagne, qui devraient nous intéresser grandement en tant qu'Ibéro-Américains.

Après tout, les États ibériques ont effectivement construit de grands empires coloniaux à l'étranger, organisés selon la logique des relations entre les métropoles qui commandent et les colonies dont on extrait des biens matériels. Alors, ces puissances ibériques étaient-elles des empires thalassocratiques ? Le Portugal et l'Espagne sont-ils liés par la symbolique de la mer ? Le problème est que, d'un point de vue spirituel, psychologique ou sociologique, ce qui signifie que, dans le contexte de l'examen de l'âme d'un peuple, il semble évident que le Portugal et l'Espagne sont liés par la symbolique de la Terre, ils étaient des empires tellurocratiques. Comment résoudre cette contradiction qui implique les patries ibéro-américaines ?

Le professeur André Martin, dont les analyses sont très pertinentes, affirme que le Brésil a une nature "amphibie", c'est-à-dire qu'il est délimité par un mélange entre terre et mer, et que cela devrait déterminer sa géopolitique. Avec tout le respect que je lui dois, nous osons ne pas être d'accord avec cette vision du Brésil. Cela nous semble être une tentative d'échapper à la contradiction fondamentale au lieu d'essayer de la résoudre. En fait, le Brésil a des éléments liés à ces deux symbolismes, mais cela est vrai pour tous les autres peuples, surtout aujourd'hui.

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L'élite brésilienne, concentrée sur la côte, incarne les valeurs commerciales et cosmopolites de la mer. Alors que les masses brésiliennes, qui vivent à l'intérieur des terres, incarnent les valeurs conservatrices et enracinées de la Terre. Ce choc, dans lequel les intérêts conservateurs et collectifs d'une masse populaire font face aux intérêts libéraux et individualistes d'une élite cosmopolite, explique en grande partie les phénomènes et les événements politiques au Brésil.

Quelle est l'importance de tout cela ? Si, en dépit de leurs élites, la nature du Brésil est tellurocratique, alors sa géopolitique doit être orientée vers l'autarcie continentale, vers la rencontre civilisationnelle avec ses voisins, et non par la recherche de partenaires commerciaux à l'étranger.

Le Brésil, qui s'est éloigné de nos frères ibéro-américains et s'est rapproché de l'Atlantique, doit retrouver son chemin.

Source :

MACHADO, Raphaël. "Columna de Opinión Internacional (Brasil) del 15.07.2020". Diario La Verdad. Lima, Pérou.

Disponible à l'adresse suivante :

https://comitecentralameri.wixsite.com/ccla/post/la-geopolítica-brasileña-entre-tierra-y-mar

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lundi, 18 janvier 2021

La politique russe en Libye

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La politique russe en Libye

Une étude de Can Acun (revue de presse: TRT en français – 16/1/21)*

Ex: http://www.france-irak-actualite.com

Si la Libye est un pays important par sa position géopolitique dans le contexte de l'Afrique du Nord, de la Méditerranée orientale et de l'Europe du Sud, c'est aussi un pays très riche en ressources énergétiques. Dans ce contexte, les puissances régionales et mondiales cherchent à être efficaces dans la lutte pour le pouvoir en cours dans le pays et à avoir leur mot à dire dans la construction de l'avenir de la Libye. La Russie vient en tête de ces pays.

Avant le renversement de Kadhafi en 2011, la Libye a suivi une politique indépendante de Moscou bien qu’elle soit un pays socialiste. Malgré cela, les relations entre la Libye et la Russie incluaient une coopération militaire et économique très profonde. Cependant, après la dissolution de l'Union soviétique, cette coopération a pris fin avec notamment le soutien politique de Moscou aux sanctions internationales imposées à la Libye. Cependant, la Russie, qui a commencé à se renforcer sous Poutine, a rétabli ses relations avec la Libye en revenant sur la scène politique mondiale.

Elle a commencé à être efficace en Libye en concluant des accords importants sur les armes et l'énergie jusqu'à la révolution et l'intervention étrangère qui ont commencé dans le pays avec l’impact du printemps arabe. Lorsque l'intervention dirigée par l'OTAN a renversé Kadhafi, la Russie a été mise à l'écart en Libye. Alors que la Russie a longtemps été indifférente aux conflits internes en Libye, elle a finalement recommencé à devenir active en 2017 en profitant du vide de pouvoir dans le pays.

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En se rapprochant du général insurgé Haftar, elle a gagné en influence notamment dans l'est du pays en déployant ses forces militaires mercenaires comme Wagner et a préféré parvenir à un compromis avec des pays comme les Emirats Arabes Unis (EAU). Aujourd'hui, la politique russe en Libye vise à amener officiellement le Gouvernement d’entente nationale (GNA) et l'Armée nationale libyenne (ANL) à la table des négociations. Essayant d'assumer le rôle d ‘ « arbitre neutre », Moscou se présente comme le défenseur d'une solution politique à la crise. Cependant, la situation sur le terrain montre le contraire.

Moscou est connue pour fournir un soutien non seulement politique mais aussi militaire à l'armée de Haftar. Les armes russes sont souvent retrouvées entre les mains des combattants de l’ANL et des mercenaires sont présents dans les zones de conflit. Cependant, le Kremlin continue de nier la présence de mercenaires et la vente d'armes.

Ces dernières années, Moscou a tendance à appliquer des « méthodes non traditionnelles » comme les mercenaires et le Groupe de contact dans sa politique en Libye. Dans ce contexte, le cours de la politique étrangère de la Russie en Libye est marqué par le président de la République tchétchène, Ramazan Kadirov, qui joue le rôle de représentant de la Russie au Moyen-Orient. En outre, Ramazan Kadirov et ses conseillers Adam Delimkhanov et Lev Dengov, forment le Groupe de contact russe pour la Libye, créé en 2015.

Par conséquent, la Russie a été efficace sur le terrain en profitant du vide de pouvoir en Libye, elle a commencé à soutenir militairement Haftar et amélioré ses relations avec la famille Kadhafi, en particulier avec Saïf al-Islam. En s'engageant avec des pays comme les Émirats arabes unis et l'Égypte, elle a placé Wagner en Libye et acquis une influence significative, en particulier à l'est. À l’heure actuelle, elle souhaite principalement garder son influence pertinente.

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L'un des objectifs de la Russie en Libye est d'essayer de devenir un acteur efficace sur le marché énergétique méditerranéen en créant une atmosphère politique appropriée pour ouvrir des espaces aux entreprises énergétiques russes telles que « Rosneft », « Tatneft » et « Gazprom ». En outre, la participation de Moscou à la lutte pour le pouvoir en Libye est déterminée par son désir d’obtenir certains gains politiques qui stabiliseront sa présence dans le pays.

En outre, Moscou vise à étendre sa présence sur le continent africain, en particulier dans la région de la Méditerranée orientale. Ainsi, la Libye, qui est riche en énergie et qui possède le plus long littoral méditerranéen de la « région », a gagné une place dans l'agenda de politique étrangère russe. Malgré son importance économique, la résolution du conflit libyen n'est pas l'un des problèmes les plus vitaux pour Moscou. Malgré cela, la Russie entend montrer son influence auprès d'autres acteurs régionaux en s’impliquant dans la crise libyenne.

Can Acun est chercheur sur la politique de la Russie en Libye à la Fondation des études politiques, économiques et sociales (SETA), un think tank proche de l'AKP.

*Source : TRT en français

dimanche, 17 janvier 2021

Arctique : Douche froide pour les ambitions - nucléaires - des Etats-Unis

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Arctique : Douche froide pour les ambitions - nucléaires - des Etats-Unis

Ex: https://zebrastationpolaire.over-blog.com

L'un des derniers foyers de tension allumés par l'administration Etasunienne sortante a été de développer des " stratégies pour l'Actique " avec en autres avatars la publication de doctrines pour l' Us Navy   [ pdf ] ,  l'USCG et même une doctrine pour le Département de la Sécurité Intérieure [ pdf ] . Ces doctrines ont pour ambition , on s'en doute un peu , de lutter contre l'influence de la Russie mais aussi désormais de la Chine dans cette région . L'un des objectifs affichés de cette stratégie est de contrer la montée en puissance de la " Route de la soie Polaire " " Polar Silk Road "  que j'ai évoqué ce blogue dans le cadre d'un article sur le concept d' Arcto-Pacifique .

Si l'ex-Sénatrice  Sarah PALIN pouvait " garder un oeil sur la Russie " de la fenêtre de sa maison dans l'Alsaka , le Secrétaire d'Etat sortant Mike POMPEO pouvait lui "voir les traces des bottes Russes" dans l'Arctique ! 

L'un des axes majeurs de cette stratégie de " containment " et même de " roll-back " de la Russie mais aussi de la Chine dans l'Arctique était de doter l' USCG de brise-glaces à propulsion nucléaire . C'était du moins la situation au courant de l'été 2020 . Ces brise-glaces devaient même être armés selon certain projets . Cette flotte de brise-glaces se devait aussi d'être un " couteau suisse " des intérêts Etasuniens dans l'Arctique puisqu'ils devaient être capables à la fois d'assurer la surveillance des pêches dans le détroit de Béring , d'aider à la pose de câbles sous-marins , d'assurer leur intégrité et de servir de plateformes à drones aériens et sous-marins .  Le déploiement de cette flotte de brise-glaces était prévue pour 2029 avec en plus la construction d'un port en eau profonde pour l'abriter .  Certains analystes Etasuniens comme Dan GOURE voient dans la construction de cette infrastructure la possibilité d'un " effet de levier " stratégique qui obligerait la Russie à divertir des ressources militaires d'autres théâtres d'opération pour contrer cette nouvelle menace . 

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Un coup de froid vient d'être donné à cette stratégie ambitieuse avec l'annonce faite par le commandant de l'USCG ,  l'amiral Karl Leo SCHULTZ le 13 janvier 2021 : L'USCG renonce à équiper sa flotte de brise-glaces à propulsion nucléaire . L'amiral Karl SCHULTZ a affirmé qu'il se concentrait sur la stratégie " Six - Trois - Un " . " Nous avons besoin de six brise-glaces . Parmi eux trois doivent être des brise-glaces lourds ou Polar Security Cutters comme nous les appellons . Et nous en avons besoin d'un tout de suite "  La construction du premier Polar Security Cutter aux chantiers VT Halter Marine est censée commencer cette année pour des essais à la mer en .... 

Pour effectuer le " tuilage " des capacités opérationnelles de l' USCG dans l'Arctique l'amiral SCHULZ a évoqué l'idée de louer des brise-glaces ( au Canada , à la Finlande , à la Norvège , ... Voir tableau ci-dessous ) mais à rejeté l'idée de renforcer - " briseglaciser " des navires garde-côtes existants !

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Ceux-ci ont d'ailleurs d'autres lièvres de mer à courir : Traquer les " narcos " au large du bouchon de Darien , traquer les pêcheurs Pékinois au large de l'île de Guam et même dans l'Atlantique-Sud . La premiére option quand à elle peut engendrer des limitations quand à la nature des missions , en particulier si elles ont un caractère sécuritaire , d'exercice de souveraineté de l'état en mer ou militaire et non plus seulement logistique ou scientifique . Le cas peut se compliquer encore lorsqu'il s'agit de données scientifiques destinées à un usage militaire comme ce fut le cas avec la mission de l' USCGC Healy au cours de l'été 2020 . L'USCG ne dispose que de deux brise-glaces de type " slush-breaker "™© , l'un d'entre eux , l' USCGC Healy est resté indiponible pendant des semaines suite à un incendie survenu en aout 2020 et l'autre , l' USCGC Polar Star , est agé de 44 ans ... 

Il est fort probable que pour la décennie qui s'ouvre la Russie restera la seule nation à disposer de brise-glaces à propulsion nucléaire ; capacité qu'elle partagera peut-être au cours ou à la fin de cette période  avec la Chine ?  

Pour comprendre l'utilité d'un brise-glace à propulsion nucléaire comme l'Arktika qui vient d'être lancé par la Russie au mois de septembre 2020 dans la maîtrise de l'Arctique il faut regarder la mésaventure survenue au navire de ravitaillement Russe Sparta III en décembre 2020-janvier 2021  

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Ce navire dont la mission est de ravitailler les bases militaires Russes de l'Arctique s'est retrouvé prisonnier des glaces le 13 décembre dernier dans l'embouchure du fleuve Iénissei au cours d'un trajet Dudinka -Arkhangelsk . Son capitaine avait très probablement refusé de se conformer à l'ordre d'interdiction de naviguer émis par l'administration de la Route Maritime Nord en raison des conditions de glace . Au bout de trois semaines ce porte-conteneurs chargé du ravitaillement des bases militaires Russes dans l'Arctique a été délivré par le brise-glace à propulsion nucléaire Vaygach envoyé par la compagnie Rosatomflot  Le Sparta III navigue désormais vers la mer de Barents escorté par le brise-glace Amiral Makarov .

On peut analyser - et même polémiquer sans raisons comme le fait la feuille de chou électronique Otanienne The Barents Observer - de diverses manières cette odyssée . Voici mon analyse : Une mission  logistique de ravitaillement de bases mlilitaires dans l'Arctique a été remplie grâce à au déploiement d'un brise glace à propulsion nucléaire même si elle a été annulée au départ en raison de conditions de banquise extrêmes !

Rédigé par DanielB

vendredi, 15 janvier 2021

Quel est l'avenir de l'Afghanistan après l'échec de Trump ?

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Quel est l'avenir de l'Afghanistan après l'échec de Trump ?

par Andrew Korybko

Ex: https://oneworld.press

Le représentant spécial du président russe pour l'Afghanistan, Zamir Kabulov, est quasi certain que le président élu Biden ne fera pas grand-chose pour inverser la tendance au retrait d’Afghanistan du président sortant Trump, malgré la nouvelle législation promulguée qui entrave la perspective de nouvelles réductions, mais il craint également que les troupes américaines soient remplacées par des entrepreneurs militaires privés dans un scénario dont il a averti qu'il serait une erreur.

Les prévisions de la Russie pour l'Afghanistan

De nombreuses questions demeurent en suspens sur la politique étrangère du président élu Biden, à l'occasion de son investiture imminente la semaine prochaine, mais l'une des questions les plus pertinentes pour toute l'Eurasie est la position qu'il adoptera face à la guerre apparemment sans fin des États-Unis contre l'Afghanistan. Le représentant spécial du président russe pour l'Afghanistan, Zamir Kabulov, est quasi certain que le président élu Biden ne fera pas grand-chose pour inverser le cours des choses concernant le retrait d’Afghanistan préconisé par le président sortant Trump, malgré la législation qui entrave la perspective de nouvelles réductions, mais il craint également que les troupes américaines soient remplacées par des entrepreneurs militaires privés dans un scénario qui, selon lui, serait une erreur. Il s'agit d'une prévision assez sérieuse qui mérite d'être approfondie afin de mieux comprendre la logique qui la sous-tend.

La nouvelle stratégie américaine en Asie centrale

J’ai expliqué l'année dernière que "la stratégie américaine en Asie centrale n'est pas aberrante, mais cela ne signifie pas qu'elle va réussir". Il a été souligné que la vision officielle de Trump pour la région, telle qu'elle est articulée par le document "Stratégie pour l'Asie centrale 2019-2025" de son administration, contraste fortement avec celle, non déclarée, de ses prédécesseurs. Au lieu de se concentrer sur la guerre hybride, qui consiste à « diviser pour régner », menée contre les terroristes, elle se concentre principalement sur un projet de connectivité régionale pacifique afin d'étendre calmement l'influence américaine dans le cœur géostratégique de l'Eurasie. Il convient de saluer la volonté de mettre en œuvre des moyens non violents, avec lesquels on peut compter dans le cadre du soft power, même s'il ne faut pas exclure la possibilité que certains éléments des anciennes stratégies informelles restent en place, en particulier après l'inauguration de Biden.

L'argument contre une autre « avancée violente »

L'ancien vice-président ramène à la Maison-Blanche un groupe de fonctionnaires influents de l'ère Obama, d'où la crainte, chez bon nombre d’observateurs, qu'il envisage sérieusement de répéter la fameuse "avancée" de l'ancienne administration, qui a finalement échoué. La donne géopolitique a cependant beaucoup changé depuis lors, et il ne semble pas y avoir de réel intérêt à la réitérer dans les conditions actuelles. Non seulement la planète est en train de se remettre de ce que l'auteur a décrit comme la "guerre mondiale C" - qui fait référence aux processus de changement de paradigme à grande échelle déclenchés par les efforts non coordonnés de la communauté internationale pour contenir le COVID-19 - mais l'Amérique est sur le point de lancer une version nationale de sa "guerre contre le terrorisme" en réponse à la prise d'assaut du Capitole la semaine dernière et les États-Unis doivent également s'adapter au rôle croissant de la Chine dans le monde. Ces deux tâches ont la priorité sur les Talibans.

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L'amélioration des liens entre les États-Unis et le Pakistan est de bon augure pour l'Afghanistan

J’ai évoqué ces derniers développements ainsi que le manque de confiance de l'administration Biden dans le gouvernement de Modi perceptible dans l'analyse qu'il a faite en début de semaine pour le Pakistan Tribune Express sur "Les trois facteurs qui vont façonner l'avenir des relations américano-pakistanaises". Cette analyse conclut que les relations bilatérales s'amélioreront à la suite de ces pressions, ce qui réduira encore la possibilité de voir les États-Unis augmenter leur participation à la guerre contre l'Afghanistan, qui, de toute façon, a d’ores et déjà échoué. Le processus de paix dansle dossier des Talibans, aussi imparfait soit-il, a véritablement donné des résultats notables au cours de l'année écoulée. Non seulement ce serait du gâchis pour Biden d'abandonner tout cela juste pour faire le contraire de ce que fit son prédécesseur, mais cela ne servirait pas à grand chose de toute façon, vu les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la stratégie de l'administration Trump pour l'Asie centrale.

Trump & Biden : des visions différentes, des intérêts partagés

En fait, c'est en Asie centrale que Trump et Biden ont une confluence d'intérêts unique. La politique d'engagement économique du premier s'accorde bien avec les projets du second de créer, dans cette région du monde, une "Alliance des démocraties". Les deux projets sont des moyens non militaires d'étendre l’influence américaine et se complètent parfaitement. S'il est probable que Biden maintiendra la présence des troupes américaines en Afghanistan ou même qu'il l'augmentera légèrement pour des raisons de politique intérieure s'il le juge opportun, il est peu probable qu'il consacre autant de temps et d'efforts militaires à ce conflit qu'Obama ne l'a fait pour les raisons mentionnées plus haut. Si les républiques d'Asie centrale ne pratiquent pas des formes occidentales de démocratie, les États-Unis les considèrent néanmoins comme étant différentes en substance des modèles de gouvernement de la Russie et de la Chine, et donc comparativement plus "légitimes",ce qui leur permettra de s'associer à elles.

L'influence pernicieuse du complexe militaro-industriel

Malgré cela, le puissant complexe militaro-industriel des États-Unis n'acceptera pas que ses intérêts les plus directs soient menacés dans la région par la décision du gouvernement civil de maintenir les troupes à un niveau historiquement bas. Compte tenu de cela, il est logique que Biden exécute la proposition de l'administration Trump de privatiser le conflit par l'intermédiaire d'entrepreneurs militaires privés (PMC), car ces derniers constituent une partie importante, avant-gardiste, du complexe militaro-industriel, surtout parce qu'ils permettent à Washington de conserver un degré de "déni plausible". De nombreux anciens militaires passent des forces armées aux PMC après leur démobilisation parce que cela paie beaucoup mieux, faisant ainsi de ces entités pratiquement une seule et même entité, sauf au sens juridique, les deux remplissant la tâche importante de garder le trillion de dollars de minéraux et de terres rares de l'Afghanistan.

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Réflexions finales

Pour l'avenir, Biden (ou plutôt, la structure du pouvoir qui se profile derrière lui) ne fera peut-être pas beaucoup de progrès politiques dans la résolution de la guerre américaine contre l'Afghanistan, mais il n'aggravera probablement pas les choses non plus. Au contraire, cette "guerre sans fin" pourrait continuer à persister, mais devenir simplement de plus en plus "oubliable" dans les médias. S'il estime qu'il serait politiquement commode de le faire au niveau national, il pourrait alors soit augmenter légèrement le niveau des troupes, soit annoncer publiquement que certaines des troupes existantes seront remplacées par des PMC. Ses services de renseignement continueront probablement à fomenter des scénarios de déstabilisation de faible intensité dans toute la région, mais ils ne concentreront probablement pas trop d'efforts sur ce point, car la grande orientation stratégique des États-Unis se déplace ailleurs, à la lumière des nouvelles conditions nationales et internationales dans lesquelles l'hégémonie unipolaire en déclin est forcée de s'adapter.

mercredi, 13 janvier 2021

L'UE et les États-Unis - Entretien avec Tiberio Graziani

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L'UE et les États-Unis

Entretien avec Tiberio Graziani, président de Vision & Global Trends. Institut international pour les analyses globales

Ex : https://en.interaffairs.ru/article/eu-and-usa/

Quelle est l'attitude de l'Union européenne face aux événements aux États-Unis, y compris la prise du Capitole américain par les partisans de Donald Trump ?

En ce qui concerne la récente attaque du Capitole américain par les partisans de Trump, les dirigeants européens ont publiquement exprimé leur stupéfaction et critiqué cette action.

Au niveau national, les dirigeants politiques des principaux partis, même ceux considérés comme eurosceptiques, nationalistes et/ou populistes, ont crié au scandale, affirmant que l'attaque du Capitole américain était une attaque contre la démocratie tout court.

Une telle déclaration - attaque du Capitole = attaque de la démocratie - de la part des dirigeants européens et des hommes politiques, issus des différentes nations membres de l'Union européenne, mérite au moins deux réflexions.

L'une de ces réflexions a un caractère général : les dirigeants européens sont incapables de concevoir un type de démocratie différent du modèle démocratique libéral, c'est-à-dire du modèle que les États-Unis ont répandu et exporté depuis 1945 dans une grande partie de la planète et qui constitue la superstructure - à la fois idéologique et opérationnelle - du système occidental dirigé par les États-Unis. Du point de vue de la culture politique, cette incapacité fait que les positions et les intérêts exclusifs de Washington sont automatiquement privilégiés dans les décisions prises par les classes dirigeantes européennes et par leurs hommes politiques en matière de politique économique et sociale intérieure et en politique étrangère. Tout cela se traduit par des choix politiques qui - outre la non prise en compte des diverses identités culturelles propres et des intérêts spécifiques du Vieux Continent - à moyen et long terme pourraient s'avérer très négatifs pour la mise en œuvre de l'intégration européenne elle-même et l'évolution de l'UE dans un sens unitaire.

Une autre réflexion - plus attentive aux circonstances actuelles - concerne plutôt l'intérêt pratique de l’eurocratie de Bruxelles et des classes dirigeantes européennes en général qui ne cherchent qu’à plaire à la nouvelle administration qui sera dirigée à partir du 20 janvier par le démocrate Joe Biden.

Quelles seront les conséquences de la situation politique aux États-Unis sur les relations entre l'UE et les États-Unis ?

À long terme, il n'y aura pas de conséquences notables, à moins qu'il n'y ait des changements - actuellement non prévisibles - dans la direction actuelle de l'Union européenne. La politique de Bruxelles, par ailleurs, pourrait être influencée par le positionnement de certains gouvernements nationaux. En particulier, en ce qui concerne l'Europe centrale et occidentale, il faudra accorder une grande attention à la France, et dans une certaine mesure à l'Allemagne, pour ce qui est de la mise en œuvre des politiques étrangères individuelles de ces deux pays à l'égard de la Chine, de la Russie et de l'Iran. L'harmonie manifestée en certaines occasions entre Paris et Berlin, concernant leurs intérêts nationaux vis-à-vis de la Chine et de la Russie, pourrait aussi se refléter dans certaines décisions futures de Bruxelles à l'égard des deux puissances eurasiennes, décisions qui s’avèreront dès lors stratégiques pour son évolution : les États-Unis, évidemment, n'entraveraient pas de telles éventualités. Quant à l'Europe de l'Est, la situation semble moins claire, en raison des effets que les initiatives ambiguës et conflictuelles de Budapest et de Varsovie et leurs relations spéciales avec les États-Unis pourraient avoir sur Bruxelles. La Hongrie d'Orban, rhétoriquement critique de la vision libérale et démocratique de Bruxelles et, dans une certaine mesure, plus proche de la "doctrine de Trump", pourrait subir de lourdes "représailles" de la part de la nouvelle administration américaine, compte tenu de certaines "sympathies" existant entre Budapest et Moscou. En cas de "représailles", des processus qui pourraient conduire à une sorte de "révolution de couleur" sur le modèle de ce qui a été vécu en Ukraine, visant à éliminer Orban, ne peuvent être exclus. La Pologne, tout aussi critique de Bruxelles que de la Hongrie, reste cependant le "meilleur ami" des États-Unis en Europe : c'est pourquoi je ne pense pas qu'elle subira de "représailles" de la part de Biden. Au contraire, la fonction anti-russe et pro-ukrainienne de la Pologne sera renforcée par le nouvel occupant de la Maison Blanche.

Les relations bilatérales entre l'Union européenne et les États-Unis changeront-elles sous la présidence de Joe Biden et si oui, dans quelle mesure ?

Les États-Unis, même sous la présidence démocratique de Biden, ne changeront pas leur stratégie désormais séculaire à l'égard de l'Europe. Dans le cadre de la stratégie américaine, l'Europe est considérée comme une tête de pont jetée sur la masse eurasienne et sur le continent africain, notamment par l'intermédiaire de l'Italie : l'administration Biden restera donc fidèle à cette perspective, vitale pour la survie des États-Unis en tant que puissance mondiale. Dans cette perspective, il faut s'attendre à ce que la nouvelle administration soit encore plus affirmatrice que la précédente, qui était républicaine, à l'égard de Bruxelles et des États membres de l’UE. Il est probable que Biden prendra des mesures encore plus résolues que Trump pour contrer le projet russo-allemand North Stream 2 ou d'autres initiatives de partenariat similaires entre Moscou et Berlin mais aussi entre Moscou et Paris. Il est également réaliste de prévoir que Biden fera obstacle à tout type d'initiatives de partenariat euro-chinois, centrées, de diverses manières, sur le projet de la nouvelle route de la soie. À la lumière de cela, la contradiction entre les véritables intérêts européens et américains ne peut cesser d’exister que si l'Allemagne et la France mènent une bataille commune au nom de la refondation de l'Union européenne en tant qu'acteur indépendant dans le nouveau scénario mondial, apparemment polycentrique.

Aspects de la stratégie maritime américaine

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Aspects de la stratégie maritime américaine

Par Giuseppe Gagliano

Ex : https://moderndiplomacy.eu

Partons d'une prémisse qui devrait être tout à fait évidente d'un point de vue stratégique : toute stratégie maritime, qu'elle soit anglaise - du XVIIIe siècle à la Seconde Guerre mondiale - ou américaine, est nécessairement une stratégie à long terme et nécessite donc des investissements à long terme tout en cherchant où il est possible d'anticiper les défis futurs. Nous pensons à cet égard aux porte-avions nucléaires de la classe Gerald Ford dont la première série devrait être mise en place l'année prochaine. Si les États-Unis ont décidé d'investir des ressources importantes pour la projection de leur puissance maritime, cela résulte de la nécessité de consolider leur puissance navale, consolidation qui est possible à la fois grâce à la puissance économique et financière dont ils disposent au moins jusqu'à aujourd'hui et grâce à l'innovation technologique. (pensons par exemple au fait que les Etats-Unis sont le seul pays à construire des catapultes pour les porte-avions à pont plat et au fait qu'avec la nouvelle classe de porte-avions Ford, la marine va se doter de catapultes électromagnétiques qui pourront augmenter d'environ un tiers les capacités actuelles des catapultes).

Bien entendu, des investissements aussi importants pour les porte-avions ne sont certainement pas accidentels, car ceux-ci jouent un rôle fondamental dans la dissuasion traditionnelle - à la fois dans le sens où ils peuvent menacer d'une intervention armée en cas de crise - et de la dissuasion nucléaire, dans la mesure où les avions qui quittent les porte-avions sont équipés d'armes nucléaires, bien qu'à faible potentiel. Ils jouent donc un rôle dissuasif très important. En bref, le porte-avions permet de recourir à une dissuasion graduelle ou souple.

Mais pour que la puissance navale américaine soit effectivement consolidée - notamment dans le cadre de l'espace indo-pacifique donc en fonction de l'endiguement de la Chine - aujourd'hui comme hier (on fait allusion à la guerre froide), les infrastructures militaires américaines présentes dans les principaux carrefours stratégiques au niveau mondial lui permettent d'exercer efficacement sa puissance navale : le renforcement du partenariat militaire avec le Japon, la Corée du Sud, Taiwan et les Philippines doit être lu comme un intérêt renouvelé de la part des Américains pour le rôle fondamental de la puissance navale. Toutes ces raisons réunies ne peuvent que nous amener à définir les États-Unis comme une véritable thalassocratie moderne.

Ce n'est pas un hasard, en revanche, si l'administration Obama a tourné son attention vers l'Asie de l'Est et du Sud à partir du constat que l'avenir du monde se joue dans ces environnements géopolitiques.

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En effet, sur le front de la concurrence économique avec la Chine, le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) a été signé en 2016, un traité auquel ont adhéré - entre autres - Brunei, le Japon, la Malaisie, Singapour, le Vietnam, à l'exclusion de la Chine. Barack Obama a défini son programme de politique étrangère, appelé "La doctrine Obama", en rejetant l'isolationnisme et en soutenant le multilatéralisme. En d'autres termes, Obama a explicitement poursuivi la tradition de réalisme incarnée par Bush "senior" et par Scowcroft : les interventions militaires, trop souvent soutenues par le Département d'Etat, le Pentagone et les think tanks, ne devraient être utilisées que lorsque l'Amérique est sous une menace imminente et directe. Dans un environnement où les plus grands dangers sont désormais climatiques, financiers ou nucléaires, il appartient aux alliés des États-Unis d'assumer leur part du fardeau commun. Tout en convenant que les relations avec la Chine seront les plus critiques de toutes, son programme politique souligne que tout dépendra de la capacité de Pékin à assumer ses responsabilités internationales dans un environnement pacifique. Si elle ne le fait pas et se laisse conquérir par le nationalisme, l'Amérique devra être résolue et prendre toutes les initiatives visant à renforcer son multilatéralisme dans la fonction d'endiguement anti-chinois. Il est donc très probable que l'actuel président américain Biden mène une stratégie de cette nature.

dimanche, 10 janvier 2021

Coup dur pour les intrigues américaines : le gazoduc « Turkish Stream » bientôt achevé

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Coup dur pour les intrigues américaines : le gazoduc « Turkish Stream » bientôt achevé

Belgrade/Moscou : Dans le Sud-Est de l’Europe aussi la politique gazière russe progresse. Le Président de la Serbie, Vucic, vient officiellement d’annoncer la mise en fonction du tronçon serbe du gazoduc Tuikish Stream lors d’une cérémonie tenue dans le village de Gospodinci dans le nord du pays. L’ambassadeur de Russie Bozan Tchartchenko et le directeur de l’entreprise de l’Etat serbe, « Serbiagaz », Dusan Bajatovic, participaient tous deux à la cérémonie.

Dans le cadre de ces manifestations officielles, le Président Vucic, a rendu visite aux postes de distribution de gaz dans la localité et, dans une allocution, a souligné l’importance cruciale de ce gazoduc pour la Serbie.

Le gazoduc, d’une longueur de 930 km passe par la Mer Noire depuis la ville littorale d’Anapa, dans le sud de la Russie, pour aboutir d’abord sur la côte turque. En janvier 2020, le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, et le Président turc Erdogan ont inauguré officiellementle gazoduc Turkish Stream. Le premier embranchement de ce gazoduc fournira du gaz russe à la Turquie. Le deuxième embranchement amènera le gaz russe vers la Bulgarie, la Serbie et la Hongrie, donc vers l’Europe.

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Le gazoduc « Turkish Stream », tout comme son équivalent en Mer Baltique, la gazoduc Nord Stream 2, participe d’un projet géopolitique ambitieux, qui doit désormais être défendu bec et ongle contre l’oppressante tentative américaine de le saboter. Lors d’une visite qu’il a rendue à Budapest en février 2019, le ministre américain des affaires étrangères, Pompeo, a sermonné son hôte hongrois et lui a fait savoir qu’il y avait là coopération trop étroite avec la Russie. Il a critiqué avec véhémence les livraisons de gaz russe à l’Europe.

Texte issu de https://zuerst.de

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L'idée impériale japonaise chez Karl Haushofer

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L'idée impériale japonaise chez Karl Haushofer

Outre la géopolitique, la plus grande passion intellectuelle du professeur et général bavarois était l’Empire du Soleil Levant

par Riccardo Rosati

Ex: https://www.barbadillo.it

haushofer-sviluppo-idea-imperiale-nipponica.jpgLa maison d'édition de Parme, méritante et courageuse, All’Insegna del Veltro, dirigée par l'excellent traditionaliste Claudio Mutti, a publié, il y a déjà quelques années, plusieurs textes fondamentaux du savant et yamatologue (= japonologue) allemand Karl Haushofer (1869-1946), fondateur en 1924 de la prestigieuse Zeitschrift für Geopolitik ("Revue de géopolitique") et auteur de nombreux ouvrages liés à la géopolitique. Il était un défenseur tenace de la nécessité d’unir la masse continentale eurasienne. Dénoncé comme un idéologue du soi-disant expansionnisme d'Hitler, Haushofer était au contraire authentiquement anti-impérialiste. D'ailleurs, son plus grand connaisseur dans notre mouvance, le Belge Robert Steuckers, est profondément convaincu que la Géopolitique de Haushofer était précisément "non hégémonique", en opposition aux intrigues des puissances thalassocratiques anglo-saxonnes voulant une domination totale sur le monde, puisque ces dernières empêchaient le développement harmonieux des peuples qu'elles soumettaient et divisaient inutilement les continents.

GiuseppeTucci1.jpgOutre la géopolitique, la plus grande passion intellectuelle du professeur et général bavarois était le Japon, qu'il a analysé, à son époque, avant la première guerre mondiale, d'un point de vue absolument original. Pour démontrer l’excellence et l'utilité des écrits de Haushofer sur le Pays du Soleil Levant, il faut mentionner un fait : il a été impliqué par le grand orientaliste italien Giuseppe Tucci (1894 - 1984) (photo) dans les activités de l'IsMEO (Institut italien pour le Moyen-Orient et l'Extrême-Orient). En effet, il a été invité à Rome par cet institut pour donner deux conférences. Son texte, Le développement de l'idée impériale japonaise, n'est qu’un extrait de la deuxième conférence donnée par Haushofer, le 6 mars 1941, en pleine Seconde Guerre mondiale ! Le texte est à insérer, historiquement, comme le souligne l'éditeur du "Cahier", le regretté Carlo Terracciano, dans le contexte des activités culturelles promues par Tucci lui-même.Celui-ci visait à informer et à sensibiliser l'intelligentsia italienne sur les opportunités et les nécessités, ainsi que sur les problèmes, de l'unité géopolitique de l'Eurasie, afin d'orienter la politique nationale vers la promotion d'une vision culturelle géopolitiquement centrée sur les relations entre l'Europe et le continent asiatique.

Les intuitions brillantes et toujours d'actualité de Tucci

Lorsque nous parlons de Giuseppe Tucci, nous devons nous rappeler que nous faisons référence à l'homme qui est considéré par de nombreux spécialistes du domaine de l’orientalisme comme le plus grand expert de l'Asie au 20ème siècle, et donc, avec le Père Matteo Ricci (1552-1610), qui fut missionnaire jésuite en Chine à la cour des Ming et le fondateur de l'orientalisme, une voix essentielle pour traiter des civilisations de ce continent complexe et archaïque. Comme par hasard, ils étaient tous deux originaires de Macerata, et nous ne pouvons pas nous empêcher de reprocher à cette ville de ne pas abriter un musée qui leur soit consacré ! Cela révèle la "cécité culturelle" contre laquelle Tucci s'est constamment battu. Son approche, cependant, n'était pas seulement académique et soutenait parfois la politique proactive du nouvel empire italien, mais elle était également encline à nourrir ces ‘’collaborations cruciales’’, comme le disait Haushofer, qui les qualifiait de pan-continentales ou de pan-impériales. Nous pensons sincèrement qu'il est limitatif de définir le professeur italien uniquement comme un tibétologue. Il doit être considéré à tous égards comme un eurasianiste, et son IsMEO a été créé afin de fonctionner comme un "agent culturel", capable de faire en sorte que notre Italie dialogue avec les peuples asiatiques de la manière la plus profitable qui soit. Pour ce faire, il a fait appel à des experts valables, parmi lesquels Haushofer. Malheureusement, c'est l'échec de cette alliance aristocratique et de cette sodalité entre orientalistes et japonologues préconisée dans les années 1930 par ces deux superbes chercheurs qui a fait tomber le monde entier sous l'emprise de la politique néocolonialiste des thalassocraties anglo-saxonnes. En fait, le Japon impérial dont parle Haushofer visait à créer une zone de coopération panasiatique qui exclurait enfin de compte les Américains et les Britanniques de toute ingérence dans le destin de l'Orient.

haj_co10.jpgL'Allemand, dans le rapport qu’il a exposé à Rome, propose un parallélisme continu entre l'histoire européenne et japonaise : "[...] les luttes sauvages entre Taira et Minamoto, semblables à la guerre des Deux Roses, [...]" (18). Il souligne ainsi ce destin commun de l'histoire européenne et japonaise. (18), destin commun auquel il croyait obstinément. Tucci a été très impressionné par le caractère non fictionnel de la spéculation de Haushofer, par le fait que le géopolitologue a reconnu la primauté de Rome et de l'Italie en général, afin de construire une alliance avec le Japon qui ne soit pas seulement politique, mais spirituelle ; par exemple, lorsqu'il compare Kitabatake Chikafusa (1293-1354) à Dante (19), puisque tous deux ont été les auteurs de grands "poèmes politiques". Cela l'amène à déclarer que la Divine Comédie a trouvé une grande résonance dans le Jinnoshiki contemporain (神皇正統記, "Jinnō shōtōki", ca. 1339) de Kitabatake, qui peut raisonnablement être considéré comme un classique de la pensée politique japonaise, où les principes de légitimité de la lignée impériale ont été établis, conformément à la tradition shintoïste. Un tel texte, dans son ancrage de la "légitimité politique" à une matrice religieuse, ne pouvait qu'attirer l'intérêt des Allemands, qui en appréciaient les valeurs, ce qui aurait pu être une inspiration pour les nations occidentales non asservies à l'Economie et à la recherche de formules éthico-politiques sur lesquelles modeler une nouvelle forme de société, tournée vers le passé, certes, mais non nostalgique.

Les références à l'Italie dans le rapport de Haushofer sont diverses et variées, ce qui confirme sa connaissance et son admiration pour l’Italie. Dans son analyse de la structure politique du Japon, ses pensées se tournent plusieurs fois vers la grande culture et la beauté de notre nation, et il va même jusqu'à mentionner le trésor qu'est le musée du Bargello à Florence (21), inauguré en 1865, qui conserve la plus importante collection de sculptures de la Renaissance au monde. Dans les travaux du géopolitologue, dont celui-ci, il tente de proposer un canon occidental à comparer avec celui de l'Orient, notamment en ce qui concerne le Soleil Levant, et il l'identifie avec grande sagesse à la Ville Éternelle. Sa célèbre définition de Kyoto comme "la Rome japonaise" n'est donc pas un hasard. Malgré son nationalisme marqué, qui l'a convaincu de collaborer avec le Troisième Reich de Hitler, sur les conseils de son ami et étudiant Rudolf Walter Richard Heß (1894-1987), le professeur et général n'a jamais eu de doutes sur la primauté culturelle italienne, qui, selon lui, était indispensable pour réorganiser dans une perspective traditionnelle un Occident, mutilé parce que dominé par le mercantilisme des pouvoirs "démocratiques". C'est l'une des principales raisons qui ont poussé Tucci à divulguer la pensée de Haushofer en Italie. Hier comme aujourd'hui, Haushofer suscite plus d'attention en Italie que dans sa propre patrie ; bien que, comme nous le répéterons à la fin, elle souffre d'une diffusion et d'une exégèse rares.

KH-pacifique.jpgUne synthèse inestimable sur la ‘’japonicitié’’

Le texte de Haushofer se distingue par sa clarté et sa précision, et en ce sens, il représente un document "didactique" d'une importance énorme pour les spécialistes de la géopolitique. Sa contribution à la recherche et, surtout, à la yamatologie (= japonologie) est unique dans le secteur, même si, comme nous l'avons mentionné, il est apriori et factieusement qualifié d'idéologue de l'expansionnisme national-socialiste.

Il faut rappeler que le séjour de Haushofer au Japon a duré de 1908 à 1910, pendant les toutes dernières années de la période Meiji (1868-1912), avec la Restauration qui a revigoré l'Archipel, en l'ouvrant aux meilleurs esprits étrangers, les Oyatoi Gaikokujin (お雇い外国人, littéralement : "les honorables employés étrangers"), parmi lesquels trois éminents Italiens : Edoardo Chiossone, Antonio Fontanesi et Vincenzo Ragusa, qui ont jeté les bases de l'art moderne au pays du Soleil Levant. Le voyage d'étude de Haushofer au Japon s'inscrit dans ce climat culturel florissant, lui fournissant des informations de première main qui seront plus tard développées dans son importante et peut-être encore inégalée analyse de l'essence du concept impérial au Japon.

L'archipel s'est unifié selon un modèle "ethno-politique" précis. À cet égard, Haushofer ne cache pas sa conviction que l'Occident n'a jamais vraiment compris la puissance particulière du Tennō (天皇, l'Empereur) dans l'histoire du Japon. À cette figure de l'homme déifié sur Terre, il associe celle du pape ; même si alors, en accord avec de nombreux penseurs traditionalistes illustres, tout d'abord Julius Evola, l'Allemand identifie dans le christianisme ce que Terracciano définit caustiquement comme "l'infection spirituelle" (9). Dans le cas du Japon, pour Haushofer, cette contamination allogène était représentée par la diffusion du bouddhisme à partir du VIe siècle après J.-C., qui a généré un danger mortel pour le sens de l’Empire au Japon. En fait, il pense que la spécificité de l'impérialité japonaise réside dans le concept de "survie" (13), totalement différent de celui de koming ("Retrait du mandat céleste"), auquel il fait allusion dans son discours, et qui a toujours connoté le régime dynastique en Chine. Nous pensons qu'il est fondamental de comprendre que c'est exactement là que réside la différence substantielle entre l'idée du Souverain en Chine et son homologue au Japon, une différence d'une importance cruciale et que de nombreux orientalistes contemporains, trop habitués aux lectures stéréotypées de matrice américaine, donc structurellement incapables de déchiffrer les codes profonds de l'Asie, ne se rendent pas compte que si le Souverain dans l'Archipel est éternel, dans ce que nous appelons encore le Céleste Empire, il ne l'est pas.

kh-jap.jpgIl convient maintenant de proposer une petite clarification linguistique. En transcrivant le terme chinois susmentionné, Haushofer utilise étrangement, pour un Allemand, le système de transcription de l'EFEO (École française d'Extrême-Orient), au lieu du Wade-Giles alors plus populaire. Dans ce système de romanisation phonétique, "Ko" correspond au "Ge" de l'actuel pinyin, le mot devient donc "gémìng" (革命, "revolt/revolt"), terme également utilisé pour désigner la grande révolution culturelle maoïste (文化大革命, "Wénhuà dà gémìng"). Cela nous fait comprendre comment certains concepts enracinés en Chine depuis l'Antiquité ont survécu aux bouleversements politiques les plus dramatiques. Dans l'Empire du Milieu, en effet, lorsqu'une famine ou toute autre catastrophe naturelle se produisait, l'Empereur lui-même était responsable, puisqu'il avait perdu la bienveillance des Déités, et le Peuple se sentait autorisé à se rebeller contre lui et à le déposer de force. Cela explique l'alternance de tant de dynasties dans le pays. Tout le contraire, comme on l'a dit, pour le Japon traditionnel, où l'empereur est un Dieu intouchable.

Haushofer parle également de la nature intrinsèquement "bicellulaire" (14) du Japon, en précisant comment : "De la conjonction de la cellule maritime (Naikai) et de la cellule continentale (Kamigata) est ainsi né l'empire primitif "Yamato", qui a absorbé les autres petits États et était sur le point de compléter l'empire insulaire, s'étendant vers le nord-ouest et le nord" (16). Dans son interprétation de la structure politique du Japon, il tient à souligner qu'en dépit du fait que le Japon, pendant ce que l'historiographie occidentale conventionnelle appelle le militarisme des années 1930 et 1940, a agi comme une thalassocratie, se déplaçant par mer, afin d'imposer ses intérêts économiques et stratégiques, principalement en Chine, pour exploiter ces matières premières qui ont toujours fait défaut au Soleil Levant, il a cependant conservé son âme "tellurique". En d'autres termes, le Japon ne devrait jamais être confondu avec l'Empire britannique ou les États-Unis, puisque ces puissances étaient mues par de simples intérêts mercantiles, sans apporter une vision "supérieure" au monde. Voici donc l'"idée impériale japonaise" chère à Haushofer : cette ‘’japonicité’’ qui s'exprime dans le sang et la terre d'un Peuple qui s'identifie au Dieu incarné, l'Empereur, qui n'est pas investi d'un "mandat", comme dans le cas chinois, mais qui est lui-même un descendant direct de la principale Déité du shintoïsme, Amaterasu-Ōmikami (天照大御神). Ce lien sacré n'a été rompu que par l'occupation américaine, à l'époque de laquelle Tennō a dû se déclarer "humain", au mépris d'une tradition millénaire.

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Version française du volume dont question dans cet article.

En analysant le récit de sa conférence romaine, nous comprenons comment Haushofer a vécu dans le monde réel. Il avait, à notre avis, sagement compris que les Puissances (religieuses et temporelles) doivent nécessairement trouver une forme de coexistence au sein de la société occidentale, au mieux si c'est dans un seul individu, comme dans le cas du Tennō précité, qu'il juge une synthèse parfaite et harmonieuse entre le divin et le politique. Ce faisant, les Allemands s'inscrivent parfaitement dans ce courant de penseurs européens qui ont poussé le Vieux Continent à redécouvrir les anciennes valeurs perdues du fait d'une constante dé-spiritualisation, qui a commencé avec la Révolution française et a été immédiatement incarnée par la figure infâme de Napoléon B(u)onaparte. 

La voie géopolitique dans la tradition

Une caractéristique de Haushofer, qui est très rare même chez les traditionalistes les plus raffinés, est son honnêteté intellectuelle, qui consiste à ne pas vouloir forcer le raisonnement pour soutenir à tout prix certaines positions. Une comparaison utile en ce sens peut se faire avec Julius Evola (1898-1974). Si, pour le grand philosophe romain, les frontières d'un Peuple sont essentiellement spirituelles, pour Haushofer ce sont au contraire les frontières tangibles du territoire ; tout part de la Géographie dans le système traditionnel élaboré par l'Allemand. Ce n'est pas pour rien qu'en revenant au Japon, dans cette Nation complexe, il a reconnu et précisément illustré le sacré dans la relation entre les deux pôles que sont "le sang et la terre". Il y a cependant des affinités entre la pensée évolienne et celle de Haushofer, c'est-à-dire une perception négative du christianisme. Au Japon, pendant le shogunat Tokugawa (1603 - 1868), la nouvelle religion importée par les missionnaires portugais au milieu du XVIe siècle se répandait silencieusement, allant jusqu'à convertir certains seigneurs locaux (les Daimyō, 大名) du sud du pays. Cela a déclenché de fortes persécutions de la part du pouvoir central. Haushofer, également dans ce texte, souligne le fait que le christianisme est entré en conflit avec une idée impériale renaissante et bénéfique, et a finalement été interdit en 1636. Le géopolitologue allemand va jusqu'à définir la religion chrétienne comme une "doctrine dangereuse" (23). En fait, Evola était du même avis en ce qui concerne l'Occident, considérant le message de l'Evangile comme la cause principale de la décadence de ce sentiment héroïque qui avait caractérisé l'Europe sous l'égide de Rome. La critique, parfois sévère, de Haushofer à l'égard de la présence chrétienne dans l'archipel doit être encadrée par l'importance qu'il accorde à l'unité raciale (24) du peuple japonais : un aspect fondamental dans sa vision du Japon, résumé dans sa fréquente répétition de l'expression "sang et terre" mentionnée ci-dessus. Par conséquent, tout facteur étranger/imparfait pourrait mettre en péril cette spécificité ethnique, à la base de l'âme impériale de l'archipel. 

51YnYZ37omL._SX358_BO1,204,203,200_.jpgQuoi qu'il en soit, il faut préciser que le penseur allemand n'a pas simplement posé les prémisses d'une géopolitique qui n'était pas eurocentrique, c'est-à-dire encline à protéger les intérêts des puissances occidentales oppressives habituelles. Haushofer est allé beaucoup plus loin, à l'autre bout du globe, jusqu'au lointain Japon, en essayant de saisir des éléments structurels de valeur universelle. Comprenant que, pour déchiffrer ce Peuple, il est nécessaire de ne jamais séparer le politique du sacré, il nous apparaît comme le meilleur yamatologue (japonologue) du 20ème siècle, avec notre Père Mario Marega - missionnaire salésien très cultivé, auteur d'une indispensable traduction de Kojiki, publiée par Laterza en 1938 - et Fosco Maraini. Il faut également rappeler le principe très clair de Haushofer selon lequel le gouvernement du territoire doit être garanti par une appartenance éthico-politique dont le souverain est le symbole vivant, représentant la "dimension interne" : le kokoro (心) (21), son "cœur". Et cette frontière spirituelle - pas seulement dans le cas du Japon - doit être défendue à tout prix. Ce n'est pas pour rien qu'il utilise à plusieurs reprises le terme "marca", qui à l'époque des Carolingiens indiquait un territoire frontalier.

Les Japonais ne comprenaient pas entièrement ses enseignements

Haushofer, dans son discours, met en garde le Japon contre l'attrait d'un désir expansionniste excessif, et lui conseille plutôt de suivre l'exemple fondateur (660 av. J.-C.) du Jinmu Tennō, consolidant le noyau de l'Empire (26-27). Malheureusement, les choix politiques du régime militaire, qui a dirigé le pays à partir des années 1930, ont été très différents.

Il est intéressant de noter comment Carlo Tracciando reconnaît une continuité de la Tradition japonaise dans les temps récents chez l'écrivain Yukio Mishima, qu'il considère comme le dernier représentant de la royauté japonaise : "En quelques mots, la sensibilité traditionnelle et moderne de Yukio Mishima saisit l'essence même du Japon éternel, l'idée impériale, synthèse et symbole vivant du pays compris comme une seule famille dirigée par le Souverain-Père ; [...]" (6). (6). Non seulement ce grand auteur et cet intellectuel prodigieux n'a pas été écouté par ses compatriotes, mais les soldats se sont même moqués de lui lorsqu'il a récité sa poignante Proclamation, avant de commettre un suicide rituel (seppuku) le 25 novembre 1970, lorsqu'avec ses fidèles compagnons du Tatenokai, il a pris d'assaut le quartier général des Jieitai (自衛隊, "Forces d'autodéfense") à Ichigaya (Tōkyō).

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Deux numéros de le revue ''Vouloir'' sur le Japon.

Sommaire (5 articles en ligne): http://www.archiveseroe.eu/vouloir-50-51-a48784108

Sommaire (5 articles en ligne + l'itinéraire): http://www.archiveseroe.eu/vouloir-101-104-a48797738

Tout aussi stimulante, et en parfaite harmonie avec la méthodologie du professeur et général, est la comparaison effectuée par Terracciano entre le Japon et l'Europe, en particulier avec notre pays. "Et le géopolitologue bavarois suit pas à pas l'histoire de la formation du Japon en établissant des comparaisons continues entre des épisodes de l'histoire japonaise et des épisodes similaires de l'histoire européenne : la Renaissance japonaise du XVIe siècle et la Renaissance italienne, la destruction de Kamakura et le sac de Rome, etc. En fait, l'approche comparative est récurrente chez Haushofer, en ce qui concerne sa tentative de créer des "ponts" entre les moments les plus élevés et les plus glorieux du Vieux Continent européen et ce qui pourrait leur être plus semblable et qui s’est produit dans l'Archipel nippon. De plus, il remet en question les racines mêmes des mythes japonais, identifiant une surprenante matrice indo-iranienne, comme le soutient Castrese Cacciapuoti dans l'annexe : "À titre d'exemple, nous citons la coïncidence symbolique des trois trésors célestes de la famille royale scythe avec les trois trésors impériaux sacrés du Japon (le miroir d'Amaterasu Yataka no kagami, l'épée de Susanowo Ame no Murakumo no Kurugi, et le joyau courbe d'Okuninishi Yasakani no Magatama), qui [...] représentent respectivement les trois fonctions - magico-religieuse, guerrière, productive - du pouvoir" (48) ; juste pour confirmer, s'il en était encore besoin pour un yamatologue de formation solide et honnête, combien le Japon raconté par Haushofer est quelque chose de riche et de profond, jamais un pays banal. Autrement dit, nous n’avons pas eu affaire aux habituelles "conférences" imprégnées de l'arrogance des professeurs d'aujourd'hui, surtout ceux d'orientation américaine, qui sont arides, s’imaginent toujours être des fins en soi. Au contraire, dans la langue allemande, les faces les plus cachées du Soleil Levant se rencontrent sans interruption, ce qui permet de pénétrer profondément dans son essence souvent inintelligible.  

Ci-dessous, l'étude du Prof. Spang, la plus complète sur le rapport Haushofer/Japon

41UXi4f7dSL._SX333_BO1,204,203,200_.jpgLe concept nodal de Lebensraum ("Espace de vie"), linteau de toute la géopolitique haushoférienne, ne pouvait pas manquer dans ce document. Cependant, dans l'exemple singulier du Japon, il est représenté par la mer, qui permet l'isolement, par lequel s'est développé le facteur ethnique du Japon spécifique : "Le simple fait que, contrairement à ce qui s'est passé pour toutes les autres émergences nationales, les migrations des peuples n'ont pas exercé d'influence sur l’émergence nationale japonaise : celle-ci est née indépendamment des migrations des tribus et suffirait à caractériser de façon absolue la genèse de l'État japonais" (14). Nous comprenons donc que l'expansionnisme voulu par le gouvernement militaire, et qui a conduit le pays à la guerre contre la Grande-Bretagne et les États-Unis, était à sa manière une trahison de cette doctrine que le scientifique allemand avait donnée aux nombreux officiers japonais qui furent ses étudiants : jeter une influence sur l'Asie pourrait également être une solution équitable pour le Japon, à condition toutefois de ne pas affaiblir ce chapelet d'identité et d'autodéfense qui, des siècles auparavant, à deux reprises, avec la force du vent et de l'eau, avait sauvé l'archipel de l'invasion mongole. Dit d'une manière plus "technico-militaire", l'armée japonaise était dispersée dans tout l'Extrême-Orient, laissant, après le désastre de Midway (3-6 juin 1942), le Peuple chez lui, pratiquement sans défense.

Encore peu d'Haushofériens parmi les traditionalistes

En conclusion, il faut laisser la place aux deux grands exégètes de Haushofer, que nous avons largement cités dans cet article. Commençons par Terracciano, dont les mots nous paraissent tout à fait appropriés pour identifier le Tennō comme "[...] le dernier survivant de la fin du kali-yuga"(8). Jamais cet érudit italien n'aurait imaginé que même cette figure, échappant partiellement à la fureur iconoclaste des Américains, aurait un jour cédé aux maux du tangible, ce qui s'est produit avec l'abdication d'Akihito, le 30 avril 2019. Tout aussi excellente est la synthèse de Terracciano qui nous parle d'une parfaite unité entre "tradition vivante et modernité opérationnelle" (10) au Japon, mettant correctement en évidence la capacité, pour la plupart constamment réussie, de ce pays à absorber, de manière fonctionnelle, les usages, les coutumes et la technologie occidentale, sans que ceux-ci n'affectent profondément l'âme. Et c'est précisément la thèse de Haushofer : les Japonais ont exploité les connaissances scientifiques venant de l'étranger, tout en maintenant intact un sentiment sacré d'unité nationale. Franchement, on ne peut s'empêcher de noter que la Bibliographie à la fin du livre montre combien peu d'études visent encore à valoriser et à diffuser la pensée du géopolitologue allemand.

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Carlo Terracciano, un ami très cher, disparu trop tôt. Il saisissait les enjeux géopolitiques avec une acuité sans pareille.

Pour en venir maintenant à Robert Steuckers, toujours dans l'essai inclus ici, il décrit l'anti-impérialisme dans la perspective de Haushofer, puisqu'il s'oppose aux intrigues visant une domination globale, manigancées par les puissances thalassocratiques anglo-saxonnes. Ces dernières empêchaient le développement harmonieux des peuples qu'ils soumettaient et isolaient cyniquement les continents. Fasciné par les idées panasiatiques et paneuropéennes, Haushofer espérait le dépassement des nationalismes et voulait contribuer, par ses écrits, à l'apparition de "grands espaces continentaux" distincts, mais unis, comme lorsqu'il prônait la collaboration entre Européens, Russes et Japonais pour former une grande alliance eurasienne à l'abri des influences britanniques et américaines (32-33). Steuckers rappelle que Haushofer avait une conception vivante du concept de frontière (34), dans lequel l'eau (mers et rivières) unit et ne divise pas, mettant en place une interprétation en totale antithèse avec celle de la thalassocratie, pour laquelle le vecteur mer sert à asservir et à piller. En fait, le chercheur belge reproche aux Britanniques et aux Américains d'asphyxier le monde et, citant Haushofer, il souligne que ces nations : "[...] pratiquent la politique de l'anaconda : elles s'agrippent à leur proie et l'étouffent lentement" (41). Il explique en outre comment Haushofer, paradoxalement, s'inspire du courant "petit-eurasiste" de la matrice russe, peut-être la meilleure école de géopolitique, même si sur des positions antagonistes par rapport à la vision spécifiquement européenne.

La grandeur de Haushofer réside dans le fait qu'il a souligné les lacunes de la vision paneuropéenne de Richard Nikolaus von Coudenhove-Kalergi (1894-1972), le partisan de l'idée de "métissage mondial", ainsi que le patron de l'Europe technocratique actuelle. Le professeur et général ne s'est toutefois pas limité à la critique, mais a proposé une alternative, dans laquelle les peuples devaient être inclus dans un espace de vie en harmonie avec leur ethnicité et leur histoire, sous la bannière de la coopération entre les civilisations. Si nous saisissions aujourd'hui les nombreuses et précieuses idées formulées il y a des années par le géopolitologue, japonologue et général d’artillerie bavarois, la mondialisation trouverait enfin un adversaire redoutable.

*Le développement de l'idée impériale japonaise, par Karl Haushofer (Parme, all'insegna del Veltro, 2004)

@barbadilloit

Riccardo Rosati

samedi, 09 janvier 2021

USA: Qui a vraiment trahi la démocratie?

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Cafe Noir N.05

USA: Qui a vraiment trahi la démocratie?

Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde. Émission du Vendredi 08 Janvier 2021 avec Pierre Le Vigan et Gilbert Dawed.
 

mercredi, 06 janvier 2021

Robert Steuckers: entretien au journal slovène "Demokracija"

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Robert Steuckers: entretien au journal slovène "Demokracija"

Sur la révolution conservatrice, la géopolitique et l'état de la Belgique

Propos recueillis par Andrej Sekulovic

Vous avez écrit deux volumes d’articles et d’essais sur le mouvement allemand de l’entre-deux-guerres que l’on a appelé la « Révolution conservatrice ». Pourriez-vous nous brosser un bref survol de ce mouvement et de ses principaux penseurs et dites-nous de quelles façons ce mouvement a influencé la « nouvelle droite » et vous-mêmes ?

Même si je brossais un « bref survol », comme vous dites, de la révolution conservatrice ou du mouvement folciste (= völkisch), j’aurais besoin d’une bonne centaine de page. Au moins. Cela excéderait le cadre de notre entretien. Mais pour faire bref, il faut tout de même rappeler que Theodor W. Adorno, l’une des figures de proue les plus emblématiques de l’Ecole de Francfort, laquelle est considérée, à juste titre, comme le contraire philosophique absolu de la « révolution conservatrice », a admis, un jour, que les critiques incisives, formulées par les meilleurs auteurs de cette « révolution conservatrice » à l’encontre des systèmes politiques wilhelminiens et weimariens et à l’encontre des philosophies implicites qui les sous-tendaient, étaient souvent plus pertinentes, plus profondes, que les critiques de la gauche, dans l’orbite de laquelle Adorno entendait inscrire son combat. Adorno ajoutait qu’il fallait impérativement se demander pourquoi ces critiques étaient plus percutantes que tout l’attirail para-marxiste des gauches, saupoudré ou non d’élucubrations psychanalytiques ou de spéculations zozo-sexuelles.

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Georg Simmel.

La « révolution conservatrice », en règle générale, car il ne faut pas omettre de penser l’extrême hétérogénéité de cet impressionnant ensemble d’auteurs, repose sur un sentiment aigu du déclin de notre civilisation, devenue trop matérialiste, trop procédurière, trop affectée par des routines devenues incapacitantes au fil du temps : cette idée se retrouve chez un sociologue/philosophe un peu oublié dans la mouvance néo-droitiste actuelle, Georg Simmel. Celui-ci insistait sur l’ossification inéluctable des « procédures » et des « procédés » nés dans la foulée de l’industrialisation généralisée de l’Europe à partir de la seconde moitié du 19ème siècle. Ces procédures et procédés avaient tous eu des départs fulgurants et prometteurs, constituaient l’annonce d’une modernité heureuse et rationnelle en advenance, mais avaient fini par s’enliser dans des routines qui empêchaient l’éclosion de nouvelles forces régénératrices. Les productions juridiques, institutionnelles et administratives de l’idéologie libérale progressiste finissaient donc par produire des encrôutements délétères, qui bloquaient tout progrès, toute décision, toute résolution des problèmes accumulés et engendraient, volens nolens, une régression généralisée, posant par là même un sérieux problème de légitimité (démocratique ou non).

Les sociétés, d’abord la wilhelminienne ou l’austro-hongroise avant 1914, ensuite la République de Weimar après le Traité de Versailles de 1919, en étaient arrivées à vivre sous une croûte étouffante de règles et de rigidités, de lourdeurs conceptuelles économicistes et déculturantes, de faux principes politiques et d’engouements faussement moralisateurs, croûte in fine parfaitement bloquante, qui empêchait de résoudre les terribles problèmes de l’heure, l’inflation galopante et l’obligation de nourrir la France par les réparations pharamineuses exigées à Versailles. Ces idées de Simmel, sur les blocages de la société dite « rationnelle », ont précisément influencé l’Ecole de Francfort, à partir de sa fondation en 1926. Consolidée par la vision noire et tragique de Spengler, penseur du déclin de l’Europe et de l’Occident tout entier, les « révolutionnaires conservateurs » vont cesser de croire à toutes les idéologies du progrès et à concevoir leurs actions (politiques ou métapolitiques) comme « kathékoniques » (prenant pour modèle le Kathekon de l’Apocalypse qui combat sans cesse pour retarder la chute finale). Les tenants de l’Ecole de Francfort vont, eux, chercher à sauver le progrès et à imaginer des formes de combat métapolitiques et politiques alternatives, basées sur d’autres agents révolutionnaires que les masses ouvrières. Leurs dernières émules enclencheront le processus de déliquescence à la fin des années 1960, processus que nous voyons se parachever aujourd’hui avec les folies festivistes et gendéristes que refusent aujourd’hui de traduire en pratiques sociales obligatoires les gouvernements polonais et hongrois. La modernité progressiste a donc eu deux chances historiques qu’elle a galvaudées : la première avant 1914 ; la seconde en deux temps, après 1945 et surtout après les révoltes des années 1967-68, annonçant l’ère du festivisme, que l’on espérait vecteur d’un bonheur inusable et éternel. Nous déchantons aujourd’hui, d’autant plus que ces fadaises idéologiques se sont couplées à une monstruosité socio-économique, le néolibéralisme, tout aussi antipolitique que les obsessions, sexuelles et autres, d’un Cohn-Bendit. Nous voyons aujourd’hui à l’œuvre la collusion catastrophique de ces fadaises et de cette monstruosité.

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L’idée spenglérienne de déclin sera accentuée par la défaite militaire allemande de 1918, par les conditions humiliantes du Traité de Versailles de juin 1919 et par l’incapacité des gouvernements successifs de la République de Weimar d’assurer l’ordre dans les rues, de protéger le peuple contre les effets des crises économiques et financières, etc. Parallèlement à la sinistrose que généraient, dans la société allemande, l’idée de déclin, de plus en plus répandue, et l’effondrement de la monnaie dû en grande partie à l’obligation de payer des réparations à la France, les groupes où oeuvrait notamment Arthur Moeller van den Bruck acquièrent l’idée que la défaite n’était pas seulement le résultat des actions lancées par les armées alliées occidentales contre l’armée impériale allemande mais aussi à l’inadéquation des institutions wilhelminiennes, une inadéquation que répètent les démocrates libéraux de la République de Weimar, quoiqu’au nom d’autres inepties idéologiques. Dans ses articles, Moeller van den Bruck va alors vulgariser ses idées en maniant les catégories de « jeune » (jung) et de « vieux/vieille » (alt). Est « jeune », ce qui recèle encore en soi des potentialités, de la fécondité créatrice sur le plan politique. Est « vieux » ce qui demeure passif sous la croûte des institutions figées, de ce qui répète des « ritournelles » infécondes. Transposée aujourd’hui, cette distinction, utilisée jadis par Moeller van den Bruck dans ses polémiques, décrèterait « vieux » le fatras libéral et soixante-huitard, qui conduit à l’impasse et à la crise permanente (comme sous la République de Weimar), et « jeune », tout ce qui se coagulerait dans un « pôle de rétivité » hostile à cet insupportable fatras.

carl_schmitt.jpgCarl Schmitt, dans le contexte de la République de Weimar plutôt que dans, celui, plus idéologique et polémique, de la révolution conservatrice, forge deux concepts à retenir : celui de la « décision » (Entscheidung), de la capacité et de la volonté de décider la politique à suivre (et même la guerre à mener) ; la « décision », avec la désignation de l’ennemi, sont dès lors les fondements même du politique, de l’essence du politique. La politique dans l’optique de Schmitt n’est constituée que par la gestion quotidienne et les débats sans grand relief des assemblées plus ou moins représentatives, en temps normaux. Quand il y a « état d’exception » ou « état d’urgence », quand la Cité est menacée, il faut décider, vite, sans débat, sans perte de temps. Ensuite, après avoir été sévèrement critiqué par des instances nationales-socialistes et s’être retiré de certains postes auxquels il avait été nommé, Schmitt a théorisé sa notion de « Grand Espace » (Grossraum), parallèlement à celles que formulaient à la même époque les diverses écoles de géopolitique actives en Allemagne, dont celle de Karl Haushofer. L’Europe, autour de son centre allemand, autour du territoire qui fut jadis celui du Saint-Empire Romain de la Nation Germanique, devait s’unir, gérer de concert son très grand appendice colonial africain et en interdire l’accès à toute puissance extérieure à ce double espace européen et africain. Pour Schmitt, c’était la notion de « Interventionsverbot raumfremder Mächte », visant à interdire toute intervention de puissances extérieures à l’espace européen dans l’espace européen et dans les espaces adjacents contrôlés par les Européens. Le modèle historique du raisonnement de Carl Schmitt, modèle en quelque sorte a contrario, était la proclamation en 1823 du Président américain Monroe qui posait comme axiome de la politique étrangère nord-américaine l’interdiction systématique de toute intervention européenne dans le Nouveau Monde, suite à l’éviction de l’Espagne hors de son empire ibéro-américain. Ne restaient présents en Amérique que les Russes en Alaska et en Californie (jusqu’en 1842) et les Britanniques au Canada. L’européisme grand-spatial de Schmitt complétait la vision triadique (Allemagne + Union Soviétique + Chine) des nationaux-révolutionnaires et nationaux-bolcheviques allemands. J’ai souligné, dans le principal essai du deuxième volume que j’ai consacré à la « révolution conservatrice », l’importance de cette volonté nationale-révolutionnaire de créer une vaste synergie germano-soviéto-chinoise dans les années 20 du siècle passé, jusqu’en 1933, année où les nationaux-socialistes s’installent dans tous les rouages du pouvoir. Le principal exposant de cette triade, eurasiste avant la lettre et avant la réanimation de ce concept par Alexandre Douguine en Russie actuelle, fut Richard Scheringer, dont la revue Aufbruch, disponible en facsimile, nous révèle des options géopolitiques et géostratégiques intéressantes qui ont, tout compte fait, un impact sur l’actualité. Les nationaux-révolutionnaires allemands entendaient prendre le pouvoir en Allemagne suite aux crises récurrentes que connaissait la République de Weimar ; pour eux, ces crises annonçaient une fin inévitable et catastrophique, générant un chaos passager auquel les anciens soldats de la Grande Guerre allaient mettre un terme, en renvoyant les politiciens falots dans leurs foyers ou… en règlant définitivement leur compte...

479.jpgLe Général H.  von Seeckt.

Les communistes, qu’ils percevaient au départ comme leurs alliés, étaient au pouvoir en URSS. Le parti dominant en Chine était le Kuo Min Tang de Tchang Kai Tchek, visant l’établissement d’un pouvoir militaire moderniste. Le Kuo Min Tang recevait l’appui de militaires allemands, dont le célèbre Général von Seeckt et le futur gouverneur militaire de la Belgique occupée von Falkenhausen. La Reichswehr résiduaire s’entraînait en URSS. Scheringer et aussi les frères Jünger, Hielscher et Niekisch souhaitaient la constitution de cette grande Triade eurasienne, capable d’attirer dans son orbite la Turquie kémaliste, l’Iran du premier Shah de la dynastie Pahlavi et les nationalistes indiens en révolte contre le colonialisme britannique. Aujourd’hui, l’inféodation de l’Allemagne (et du reste de l’Europe) dans l’américanosphère est un échec, ne peut plus conduire qu’à l’enlisement de notre continent et de notre civilisation. Le système Merkel conduit l’Allemagne à l’implosion et au ressac économique, face auxquels les crises de Weimar seront bientôt considérées comme des vaguelettes sans grande ampleur. Mais les principaux clients de l’Allemagne, qui la maintiennent à flot de nos jours, sont la Russie de Poutine, qui lui fournit le gros de son énergie, et la Chine de Xi Jinping, qui est son principal partenaire commercial. Inéluctablement, la Triade, eurasisme potentiel, est de retour. Scheringer avait vu juste.

La « nouvelle droite », surtout dans son expression parisienne, n’a pas vraiment embrayé sur les questions géopolitiques. En fait, c’est une de ces sectes intellectuelles parisiennes, avec tout ce que cela comporte de ridicule et de déplaisant. Je ne peux plus m’identifier à ce type de cénacle. Guillaume Faye déplore d’ailleurs cette situation expressis verbis, dans son livre intitulé L’archéofuturisme, ce qui ne lui fut pas pardonné : jusqu’à sa mort, il a été poursuivi par la haine de ses anciens compagnons de combat aux réflexes plus sectaires que métapolitiques. Stefano Vaj, ami de Faye, juriste et penseur milanais, théoricien d’une nouvelle droite italienne dissidente, est du même avis : ses textes caustiques sur les réflexes sectaires et l’art d’agiter sa sébile, pour mendier de l’argent pour nourrir le gourou et satisfaire ses caprices, sont très savoureux. Dans les rangs de la secte néo-droitiste parisienne, bien rares sont ceux qui comprennent un minimum d’allemand pour saisir l’importance des théories de la « révolution conservatrice » et surtout pour comprendre le contexte, éminemment germanique, dans lequel elles ont germé. Le résultat final de cette agitation bizarre, c’est une cacophonie où tous braillent des tirades issues des œuvres traduites de « conservateurs-révolutionnaires » sans jamais rien comprendre, dans le fond, au contexte compliqué de l’Allemagne de Weimar, où les acteurs politiques passaient parfois d’un camp à l’autre, en justifiant leurs choix par des argumentations complexes, très allemandes dans le sens où, derrière elles, se profilaient souvent un héritage philosophique hégélien ou des filons politiques originaux, inexportables, nés dans la seconde moitié du 19ème siècle.

Charles_Andler.jpgFinalement, dans le contexte de la nouvelle droite française, ce seront surtout Ernst Jünger et Oswald Spengler qui seront sollicités, parce qu’ils ont été très tôt et abondamment traduits en langue française. A cette réception de Spengler et, principalement, de Jünger, il faut ajouter un impact très important du filon nietzschéen français, né avant la première guerre mondiale, sous la notable impulsion de Charles Andler (1866-1933), Strasbourgeois de naissance, auteur de trois volumes sur la réception de Nietzsche en France. Charles Andler était socialiste, membre fondateur du Parti Ouvrier Socialiste Révolutionnaire, fondé en 1889. Il avait correspondu avec Engels, définissait sa position comme « humaniste et travailliste » mais, comme la référence à Nietzsche avant 1914 était davantage socialiste que conservatrice, il se rend en Allemagne en 1904 pour rencontrer la sœur de Nietzsche et en Suisse, à Bâle, en 1907 pour prendre conseil auprès du premier grand spécialiste de la pensée nietzschéenne, Carl Albrecht Bernoulli (1868-1937), élève de l’ami de Nietzsche, Franz Camille Overbeck (1837-1905). Son triple positionnement politique, socialiste, dreyfusard et nietzschéen, suscite l’hostilité virulente de l’Action Française, principale porte-voix de la droite nationaliste à l’époque. Pourtant, Andler n’était pas un Alsacien germanophile : pendant la première guerre mondiale, il crée diverses structures visant la réintégration de l’Alsace dans la République française.

Andler, socialiste, campe toutefois une image de Nietzsche qui n’est nullement frelatée, qui est complète et synoptique. Avec méthode, avec un regard encyclopédique, il dresse la liste de toutes les sources de la pensée de Nietzsche et les commente sans jamais jargonner. Il explore bien évidemment les sources allemandes de cette pensée aphoristique et non systématique (contrairement à la mode hégélienne) mais il n’omet pas de signaler les sources françaises : Montaigne, Pascal, La Rochefoucauld, Fontenelle, Chamfort ou encore Stendhal. Bon nombre d’idées, toujours actuelles, de Nietzsche sont issues de ses lectures françaises : la volonté de démasquer les mensonges sociaux, l’idée d’un regard qui doit être nécessairement « perspectiviste » sur le réel, le naturalisme moral, le pessimisme intellectuel, la critique de l’esprit grégaire, la glorification du solitaire qui se dégage de la foule des ignorants, l’idée stendhalienne que la civilisation se mesure à l’énergie et que tout déclin d’énergie annonce une chute de civilisation, le primat du beau, etc. Mais nous sommes là en présence d’un hiatus dans l’histoire des idées en France, dès que l’on évoque la figure et l’œuvre d’Andler : les gauches françaises et allemandes ne le retiennent pas parce qu’elles ont nié, à un certain moment de leur histoire, tant en France qu’en Allemagne, sa forme de socialisme, qui était humaniste, travailliste et nietzschéenne. Il y a dans les gauches, surtout à l’heure actuelle, une dénonciation des stratégies démasquantes préconisées par Nietzsche, surtout dans La généalogie de la morale. Tout simplement parce que la gauche tient le haut du pavé dans le « paysage intellectuel français », ses intellos formant une nouvelle cléricature intolérante, hystérique, arcboutée sur ses slogans, qui craint évidemment l’émergence d’un contre-pouvoir culturel polisson, annexant à son profit les stratégies démasquantes préconisées par Nietzsche dans une partie significative de son œuvre philosophique. Ensuite, nos gauches contemporaines rejettent toute approche « perspectiviste », c’est-à-dire toute approche plurielle des phénomènes à l’œuvre dans l’histoire et sur les scènes politiques, au nom du « politiquement correct ». Toute critique de l’esprit grégaire ou toute référence à une énergie vitale est assimilée à l’ « extrême-droite », soit au mal absolu.

A droite, Andler est tout aussi délibérément oublié car son socialisme l’assimile aux gauches, ce qui est in fine une analyse à très courte vue, qui se contente d’ânonner des étiquettes, celle qu’exigent de nous tous le politiquement correct actuel et la paresse intellectuelle induite par le système politico-médiatique. Les positions dreyfusardes d’Andler ne lui sont pas pardonnées à droite du spectre politique. L’hostilité qui lui a vouée l’Action Française s’est maintenue en quelque sorte dans les cénacles de droite, qui, comme leurs adversaires de gauche, font de l’apologétique figée et ne procèdent pas à la généalogie des idées en général et de leurs propres corpus en particulier. Quant aux fractions germanophiles et/ou ethnistes/régionalistes dans le petit monde des droites françaises, elles ne comprennent pas son engagement pour réintégrer l’Alsace ethniquement et/ou linguistiquement germanophone dans le cadre d’une « Troisième République », honnie pour ses options maçonniques et bourgeoises.

md22543237156.jpgNous nous trouvons dès lors devant quelques beaux paradoxes : la « nouvelle droite », qui se revendique « nietzschéenne » par hostilité au christianisme en général et au catholicisme tiers-mondiste en vogue depuis Vatican II en particulier, ne prend pas en compte le nietzschéisme français (et allemand) original qui se situait à gauche de l’échiquier politique de la Troisième République et du Reich wilhelminien, alors que les positions prises en son temps par Andler sur l’œuvre de Nietzsche correspondent presque exactement à celles que la « nouvelle droite » entend défendre aujourd’hui, parce qu’elle a abandonné ses options premières anti-égalitaristes et favorables aux droites giscardiennes et chiraquiennes des années 1970 et 1980.

Pour revenir à votre question, quant à savoir dans quelle mesure la vaste mouvance de la « révolution conservatrice » (allemande ou autre) m’a influencé ou a influencé la « nouvelle droite » française, je dirais que mes démarches, et celles de mes condisciples au temps où nous étions à l’école secondaire, ont été entamées bien avant de connaître la « nouvelle droite » parisienne. Chez moi, elle a commencé par une lecture, très tôt, de deux livres de Nietzsche, L’Antéchrist et La Généalogie de la morale. Nous étions en 1971. Ensuite, les bougres de petits cornichons de collégiens bruxellois, que nous étions, ont tâtonné pendant quatre ans avant de découvrir la revue Nouvelle école, qui ne parlait pas encore de « révolution conservatrice », sauf au détour d’une recension par Giorgio Locchi, excellent germaniste italien, du livre d’Armin Mohler, Die konservative Révolution in Deutschland 1918-1932. Nous étions bien conscients que le « foutoir » en place dans notre pays (et ailleurs) devait être balayé, jeté au dépotoir de l’histoire comme on jette au dépotoir communal les vieux meubles gangrénés par l’insatiable voracité des xylophages. Même gamins, nous savions qu’il fallait une révolution culturelle, reposant sur le savoir classique (nous étions dans les classes latines), mais aussi sur ce qui avait été refoulé suite aux deux grandes conflagrations fratricides qui avaient ruiné l’Europe entre 1914 et 1945. Pour nous, ce refoulement était surtout celui qui avait évacué la culture germanique, qui avait été déterminante en Belgique avant 1914, quand tous voulaient penser autrement que dans les insupportables schémas de la révolution française et du « machin république », dont on nous rabat encore les oreilles aujourd’hui, au point de nous donner des envies de vomir lorsqu’un sbire de cette république mitée, qu’il soit de droite ou de gauche, ose encore parler de « valeurs républicaines », alors que tout ce qui touche à cette république n’a aucune valeur, constitue même les pires des « antivaleurs ».

51WYZjNjSuL._SX195_.jpgLa nécessité de l’ancrage classique, je la dois au professeur de latin, l’Abbé Simon Hauwaert, qui avait bien conscience que les humanités gréco-latines, auxquelles il tenait comme à la prunelle de ses yeux, devait être consolidées par un savoir mythologique et archéologique sur les mondes germaniques et celtiques. C’est ainsi que j’ai lu le celtologue Jean Markale sur les matières irlandaises, galloises et bretonnes. Pour l’initiation du collégien au monde mythologique germanique, je la dois à un petit livre que je conseille toujours vivement, dû à la plume de l’Argentin Jorge Luis Borgès, Essai sur les anciennes littératures germaniques. Ce petit savoir initial, complété par un bref cours scolaire sur les origines de la littérature néerlandaise, nous posait, dans les années 70, comme des contestataires inébranlables du désordre officiel qui s’installait en effaçant tous les legs de notre histoire et de notre culture.

Vous êtes également l’auteur d’un livre en anglais, The European Enterprise: Geopolitical Essays. Parlez-nous quelque peu de cet ouvrage et dites-nous quels événements et quels faits nous devrions prendre en considération quand nous jetons un regard sur la situation géopolitique actuelle de l’Europe et du reste du monde?

Je n’ai jamais reçu ce livre que j’ai écrit. Je ne sais pas à quoi il ressemble. Le thème de cet ouvrage, la géopolitique, est présent de longue date dans mes préoccupations : je me suis toujours intéressé à l’histoire et aux cartes depuis mon enfance. Dans la version allemande de son petit ouvrage didactique et programmatique sur la « nation européenne », Jean Thiriart évoquait la géopolitique et avait inséré quelques cartes suggestives dans les pages de ce petit volume de 192 pages. Plus tard, j’ai découvert le travail de Jordis von Lohausen, Mut zur Macht (1978), qui a donné une véritable impulsion géopolitique à mes travaux métapolitiques, non pas, de prime abord, dans le cadre d’une organisation politique ou métapolitique quelconque mais bien dans le cadre de mes études de traducteur-interprète, où nous avions, pendant les deux dernières années, un cours très important sur les relations internationales.

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De même, les cours d’anglais et d’allemand prévoyaient un volet « culturel/historique », impliquant l’étude des littératures mais aussi et surtout des « structures politiques, économiques, sociales et culturelles » (SPESC) des pays étudiés. Cette série de cours m’ont permis de comprendre l’histoire institutionnelle de l’Allemagne de Guillaume II à la République Fédérale assise sur la constitution de 1949. Pour les pays anglo-saxons, les cours étaient moins concis et moins cohérents vu qu’il s’agissait d’aborder et le Royaume-Uni et les Etats-Unis, voire d’autres pays anglophones comme le Canada ou l’Australie, dans un même cours, dans le même nombre de périodes.

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C’est dans le cadre de ce cours que je découvre les atlas historiques de Colin McEvedy qui aborde l’histoire européenne dès la protohistoire et l’envisage de manière dynamique, en la posant comme le choc permanent et/ou récurrent de matrices civilisationnelles indo-européennes avec les matrices d’autres groupes ethniques, plus ou moins homogènes aux débuts de leur émergence sur le théâtre eurasien (car McEvedy ne limite pas l’Europe ou l’aire d’expansion des matrices indo-européennes à ce qu’il est convenue de définir aujourd’hui comme notre continent ; McEvedy y englobe les deux rives de la Méditerranée et un espace steppique s’étendant jusqu’au Pamir). Les phases d’expansion et de recul de l’européanité se succèdent face à des matrices autres, notamment celle qui formera, au cours de l’histoire, le trinôme hostile regroupant les matrices hamitique/asianique, arabo-sémitique et turco-hunnico-mongole, dont les territoires initiaux sont le vaste espace nord-africain, l’espace péninsulaire arabique et l’espace steppique d’Asie centrale. La présence hamitique/asianique en Espagne à partir de 711, l’expansion arabo-sémitique après Mohamed, sous les premiers califats, la longue occupation des Balkans par l’Empire turco-ottoman sont autant de phases de recul, qui ont été compensées par des reconquistas sur une durée longue ; le ressac de l’Europe, son effondrement démographique face aux autres matrices, qui, elles, ne connaissent pas ce phénomène involutif de déclin, constituent une nouvelle et inquiétante phase de recul, accentuée par le fait qu’il n’y a plus vraiment de frontière nettement tracée, un limes ou une redoute de « graniçar » ou de « haidouks », où l’européanité pouvait s’arcbouter, l’européanité assiégée. La lutte pour la domination finale se déroule au sein même des villes d’Europe, jusqu’en Scandinavie.

Le livre en langue anglaise, et ma trilogie intitulée Europa, parue en France aux éditions Bios, abordent en long et en large ces processus de maîtrise de l’espace. A cette influence initiale de Thiriart, de von Lohausen et de McEvedy, s’ajouteront plus tard une découverte des travaux du géopolitologue allemand Karl Haushofer, grâce à de multiples impulseurs, et de la notion de « Grand Espace » (Grossraum) chez Carl Schmitt, grâce notamment à des débats avec l’avocat strasbourgeois Jean-Louis Feuerbach qui avait abordé minutieusement cet aspect de l’œuvre de Schmitt.

Tout cela implique que la survie de l’Europe en tant que civilisation particulière, différente de celle de l’Occident anglais, français et américain, passe par les nécessités suivantes :

  • Penser conjointement les dynamiques impériales présentes sur le continent européen (soit les dynamiques impériales d’Espagne (en Méditerranée notamment), d’Allemagne et d’Autriche, de Russie, dans la perspective de la restaurer pour faire face à tout environnement hostile, orchestré principalement par l’hegemon d’Outre-Atlantique. Une cohérence pluri-impériale mettrait rapidement un holà à tout défi de seconde main, c’est-à-dire à tout défi hamitique, sémitique ou turco-ottoman. Cela implique que ce qui a été défendu jadis et/ou conquis par l’un de ces empires, du moins dans l’orbite européen, doit être maintenu/consolidé et aucune tentative pour changer la donne ne peut être tolérée, ni dans les Canaries ni à Ceuta ni à Melilla ni dans les Balkans ni dans l’Egée ni en Méditerranée orientale ni dans le Caucase (où le gouvernement arménien a eu tort de se rapprocher de l’OTAN et le pouvoir azerbaïdjanais a eu tort de s’allier à la Turquie).
  • Cette position pluri-impériale doit s’étendre à l’espace iranien, à l’Inde (en tant qu’Etat-civilisation), à la Chine et au Japon, en dépit des hostilités héréditaires qui opposent ces entités les unes aux autres, au plus grand profit de l’hegemon du Nouveau Monde.

Dans le passé, on a pu observer des tendances séparatistes en Belgique, surtout émanant des droites flamandes. Ces tendances sont-elles encore à l’œuvre et comment voyez-vous les choses ? Dans la foulée, pouvez-vous nous brosser un survol de la situation politique en Belgique et nous parler des rapports actuels entre Flamands et Wallons ?

Parler des problèmes institutionnels de la Belgique implique d’élucider des mécanismes terriblement compliqués. Nos interlocuteurs étrangers décrochent très rapidement dès qu’on les esquisse. La Belgique possède plusieurs niveaux de pouvoir : le fédéral, le régional et le communautaire.

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La différence entre le régional et le communautaire déroute nos interlocuteurs étrangers. La région est un concept géographique, territorial. La communauté se fonde sur une base linguistique et traite de tout ce qui relève de la « personne » (enseignement, travail, etc.). La région et la communauté flamandes ont fusionné. La Wallonie est une région géographique, comprenant toutefois le territoire de la communauté germanophone. Ce qui en fait une entité bilingue (français/allemand). La communauté Wallonie-Bruxelles est représentée par des élus de la région wallonne et des élus francophones de la région de Bruxelles-Capitale. Je ne vais pas entrer davantage dans les détails, sinon vos lecteurs devront avaler tout un tube d’aspirines.

Les tendances séparatistes en Flandre s’expliquent surtout par la différence du comportement électoral dans les deux communautés du pays. La Flandre vote traditionnellement plus à droite que la Wallonie ou Bruxelles. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas un socialisme flamand bien profilé, notamment dans les zones industrielles autour de Gand. En Wallonie, territoire jadis densément industrialisé depuis la révolution industrielle du 19ème siècle, un socialisme militant s’est constitué qui conserve une certaine résilience politique, en dépit d’une désindustrialisation de grande ampleur, à l’œuvre depuis près d’un demi-siècle. Mais le socialisme officiel, celui du parti qui porte le nom de PS (Parti Socialiste) a changé profondément depuis sa fondation en 1885. Au départ de sa trajectoire, ce socialisme avait toute sa raison d’être et, avant 1914, était porteur d’une révolution culturelle intéressante, dont les productions littéraires, artistiques ou architecturales fascinent encore.

AVT_Hendrik-de-1885-1953Man_4227.jpgAprès 1918 et jusqu’à la débâcle belge de mai 1940, une figure intellectuelle de haut niveau a donné au socialisme belge ses lettres de noblesse en la personne de Hendrik de Man, théoricien d’un socialisme personnaliste qui a inspiré considérablement les théoriciens et activistes français que l’on regroupe, par commodité, sous l’étiquette de « non-conformistes des années 30 ». D’aucuns font de ces « non-conformistes » les équivalents des « révolutionnaires conservateurs » allemands. Après 1945, le socialisme, comme partout en Europe occidentale, a servi de cheval de Troie aux stratégies de l’OTAN, les Américains, dans les années 40 et 50, préférant miser sur les sociaux-démocrates plutôt que sur les chrétiens-démocrates ou sur les conservateurs. Plus tard, sous l’influence des « nouvelles gauches » et de l’esprit soixante-huitard, le socialisme, comme en France et ailleurs, a préféré parier sur de nouvelles strates sociales, posées  comme défavorisées ou discriminées, et a adopté les modes que feu le philosophe Philippe Muray nommait « festivistes ». Il a délaissé la classe ouvrière et, même, plus largement, l’ensemble des familles actives dans des fonctions sociales concrètes. Avec les engouements LGBT (etc.), les combats concrets pour la classe ouvrière ont été oubliés, provoquant une hémorragie électorale au bénéfice des rigolos qui se disent écologistes et surtout d’un néo-communisme plus virulent, celui du PTB (« Parti du Travail de Belgique »), qui entend, à juste titre, défendre les acquis sociaux des classes travailleuses, acquis qui avaient été exemplaires dans la Belgique d’antan. En Flandre, la classe ouvrière a généralement (mais pas complètement) préféré le nationalisme classé à droite mais aux discours plus populistes.

Depuis une quinzaine d’années, les blocs électoraux sont très différents en Flandre et en Wallonie, compliquant derechef la constitution de gouvernements fédéraux (centraux) équilibrés. Le dosage électoral n’est plus possible dans la mesure où demeure la pratique de dresser un « cordon sanitaire » autour des formations nationalistes flamandes. Ce « cordon sanitaire » s’appliquait d’abord à la formation la plus radicale (VB – Vlaams Belang).Il s’applique aussi depuis les dernières élections fédérales de 2019 à la formation plus modérée que constitue la NVA (Nieuwe Vlaamse Alliantie), alors que ce parti, largement vainqueur des élections, avait été au pouvoir (fédéral) dans la législation précédente (2014-2019). La pratique du double « cordon sanitaire » fait qu’entre 45% et 50% des électeurs flamands n’ont aucune représentation au niveau fédéral. Cette discrimination implicite, durement ressentie comme telle, accentue bien entendu les tendances séparatistes, alors qu’elle avait pour intention première de les combattre ou, du moins, de les contenir ! Voilà, en gros, ce qui explique les velléités séparatistes des droites modérées et musclées en Flandre. Si les démocrates-chrétiens avaient adopté une ligne pareille à celle d’Orban en Hongrie et si les libéraux avaient opté pour un populisme à la façon de Haider en Autriche, jamais le séparatisme n’aurait eu autant le vent en poupe. Il aurait certes gardé toute sa résilience aux niveaux culturel et métapolitique mais n’aurait pas eu une représentation aussi forte dans les assemblées régionales et fédérales.

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Sièges au Parlement Fédéral après les élections de juin 2019.

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Sièges du Parlement Flamand  après les élections de juin 2019.

Aucune instance métapolitique correctrice du discours gaucho-festiviste dominant n’existe dans le paysage politique francophone. Une telle instance pourrait corriger les tendances délétères qu’adopte un personnel politique généralement composé d’incultes et de dévoyés, incapables, par ignorance crasse, de saisir les enjeux à l’œuvre dans le monde et tous occupés à bricoler des combines juteuses, qui tissent la réputation bien établie de la corruption francophone dans le royaume (où la belle ville de Liège a été surnommée « Palerme-sur-Meuse »). L’électorat flamand ne veut plus dépendre de cette ignorance et de cette corruption, ce qui n’exclut pas, bien évidemment, que l’ignorance et la corruption existent aussi dans le paysage politique flamand. Quant à ceux que le cordon sanitaire exclut du pouvoir, ils n’ont pu bien évidemment étaler leurs travers comme ceux qui sont ancrés dans les arcanes du pouvoir depuis de longues décennies. Ma vision pessimiste est corroborée par les faits : l’effondrement de la culture classique, la prolifération des savoirs bidon due à cet effondrement empêcheront tout nouvel envol à court et moyen terme, indépendamment des étiquettes dont s’affublent les militants qui se présentent aux suffrages des électeurs. Un exemple patent et récent : après de très longs mois de négociations, un gouvernement fédéral a pu se former vaille que vaille en 2020. Les parlementaires fédéraux ont dû prêter serment dans deux langues de leur choix, en français, en néerlandais ou en allemand. Ils devaient prononcer cette phrase simple : « Je jure d’observer la constitution », « Ik zweer de grondwet na te leven », « Ich schwöre die Verfassung zu befolgen ». Dans ce ramassis de tristes sires et de tristes bonnes femmes, presqu’aucun n’a été capable de dire correctement ces phrases simples (sujet, verbe, complément !), ni dans sa langue maternelle, ni dans l’autre langue choisie. Le spectacle à la télévision et sur « youtube » était hallucinant autant qu’affligeant. Cela en dit long pour l’avenir! 

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La Belgique fait face au problème de l’islamisation et de l’immigration de masse, ce qui conduit à l’installation de sociétés parallèles, proclamant la « sharia », à un taux de criminalité élevé et même au terrorisme. Quelle est la situation actuelle en ce qui concerne l’immigration de masse et quelles sont vos vues sur la question ?

La Belgique fait face à ces problèmes comme tous les autres pays de l’Europe occidentale. L’islamisation du paysage quotidien se perçoit surtout à Bruxelles, dans certains quartiers alors que d’autres sont exempts de toute trace d’islamisation. Pour moi, personnellement, et pour mon épouse, l’indice le plus patent d’une islamisation rampante est la disparition, dans les magasins, de certains produits alimentaires traditionnels, notamment le pain au sucre (le « craquelin ») et le pain aux raisins (le « cramique ») qui a priori ne sont pourtant pas haram. Pour être sûr de trouver tous les ingrédients de notre alimentation traditionnelle, il faut faire ses emplettes en dehors de la région de Bruxelles-Capitale, en territoire flamand ou wallon. Sinon, on est condamné à bouffer les mêmes insipidités que nos nouveaux concitoyens venus de partout et de nulle part, qui, eux, se délectent aussi désormais de malbouffe très grasse arrosée de cet infâme liquide brunâtre que l’on appelle le « Coca-Cola » : la facture « santé » sera très lourde, déjà à court terme ! Pour les citoyens qui n’ont pas de voiture, la frustration est énorme et le ressentiment grossit jour après jour.

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Le problème de l’immigration, et des diasporas qui en résultent, est surtout la constitution d’économies parallèles et de criminalités diasporiques, vivant de trafics de toutes sortes, dont surtout le trafic de drogues. Les instances officielles de l’UE et aussi de l’ONU ont créé des bureaux chargés de lutter contre ces phénomènes déplaisants ; ces bureaux ont produit une littérature intéressante qui dresse correctement le bilan de la situation. Mais comme pour l’Agence Frontex, ces constats ne sont nullement suivis d’effets ! Des mots, des débats, des bavardages, mais pas de décision, pas d’action. La grande presse, dont le principal journal du royaume, Het Laatste Nieuws, avait cartographié avec précision les divers réseaux mafieux à l’œuvre en Belgique, suite à l’arrestation d’un personnage politique de la ville de Malines qui appartenait à la mafia araméenne (classée comme « turque »). Sa neutralisation avait été suivie du démantèlement d’un réseau couvrant notamment l’exploitation des simples cafés de la capitale (par blanchiment d’argent), le trafic de véhicules d’occasion et l’alliance avec les narcotrafiquants colombiens grâce à un infiltré dans les docks du port d’Anvers. L’affaire avait démontré à l’envi que l’on avait chaque fois affaire, pour chaque réseau en particulier (qu’il soit araméen, turc, marocain, albanais, nigérian ou italien) à de la polycriminalité. Rien n’est toutefois entrepris pour assainir le pays. Et rien ne le sera vu les jojos qui siègent en nos assemblées et qui sont même incapables de prononcer les petites phrases simples de leur serment !

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Les six djihadistes belges qui ont perdu leur nationalité récemment. Les autres touchaient tranquillement leurs allocations diverses pendant qu'ils étaient en Syrie: preuve qu'ils ont agi en service commandé? Pour le compte de l'OTAN?

Quant au terrorisme, il s’agit surtout d’une famille française, celle du fameux Abdeslam, co-auteur des attentats de Paris. Finalement, ce terrorisme islamique n’est qu’un tout petit fragment de la partie émergée de l’iceberg que constitue la polycriminalité en place. Ce fameux terrorisme djihadiste ne m’alarme pas outre-mesure : il est clair, vu la clémence évidente de nos tribunaux qui font tout pour nous ramener les rescapés de l’Etat islamique en Syrie, leurs compagnes et leur progéniture, que ces oiseaux de vilain augure sont allés faire leur sale guerre, là-bas au Levant, parce que les services spéciaux de l’OTAN, de l’armée américaine, des réseaux pétromonarchiques saoudiens ou qataris les ont recrutés pour abattre le régime baathiste syrien qui ne dansait pas au son de leurs flûtes ou n’imposait pas à sa population un régime de type salafiste, wahhabite ou frériste.

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Quelle est votre opinion sur les récentes élections américaines ? Quelles conséquences les retombées de cette élection auront-elles sur l’Europe et le reste du monde ? Doit-on s’attendre à de nouvelles guerres au Moyen-Orient si Biden finit par emporter le morceau ? Enfin, que pensez-vous des accusations que Trump a émises en disant que les démocrates « ont volé les élections » ?

La principale chose à retenir de cette élection, c’est que les médias, tenus par la prêtraille fanatisée du système, veulent que leurs desiderata deviennent réalité envers et contre l’avis du gros de la population. Si celle-ci rejette les dogmes et les idées farfelues de la prêtraille médiatique, elle est considérée comme une masse méprisable de « déplorables », dont les opinions et les aspirations ne doivent pas être prises en compte. Nous avons là un phénomène relativement nouveau depuis 1945 : la population avait été flattée et gâtée au nom de la « démocratie » ; ce n’est plus le cas, ce qui permet d’évoquer un déni de démocratie dans l’américanosphère. Trump dit évidemment que l’élection lui a été volée : cette accusation est plausible vu que les manipulations sont bien plus aisées à parfaire avec le vote électronique. Ceci dit, que ce soit Trump qui reste à la Maison Blanche ou Biden qui y accède, l’agenda géopolitique et globalitaire est déterminé à l’avance par des instances du Deep State ou des responsables militaires, qui gouvernent au-delà du jeu démocratique. Avec Trump, et en dépit de la crise du Covid-19, les fronts ouverts par les Bush ou par Obama sont demeurés en place même s’ils ont été un petit peu moins « chauds » qu’auparavant. D’autres se sont ouverts, au Caucase notamment. Les tensions avec la Chine se sont accrues dans le Pacifique. L’alliance de facto entre le Maroc et Israël permet aux Etats-Unis de contrôler toute la côte atlantique de l’Afrique, depuis Tanger jusqu’aux confins de la Mauritanie et du Sénégal. En décembre 2020, les forces conjuguées de la marine américaine ont publié le mémorandum « Advantage at Sea » qui répète les grandes lignes de la politique maritime et navale des Etats-Unis depuis les thèses de l’Amiral Mahan et qui ajoute, subrepticement, un nouveau front dans l’Arctique, où la Russie dispose d’atouts solides pour appuyer l’idée russe et chinoise d’une « route de la soie arctique ». Cet espace, jadis an-écouménique et dépourvu de voies de communication maritimes, devient hautement stratégique. Et deviendra dès lors, sur le flanc septentrional/boréal de l’Europe, une zone de turbulences géopolitiques. L’ère Trump n’a donc pas réellement apaisé les confrontations en cours dans le monde d’aujourd’hui.

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Merci de nous avoir accordé cet entretien. Pour le terminer, dites-nous ce que vous croyez qu’il adviendra de l’Europe dans un futur proche ?

Il y a actuellement deux Europe : celle qui est dominée par les idéologies libérales (au sens anglo-saxon du terme) et celle, hélas minoritaire, qui expriment des tendances contraires, fustigées en Europe occidentale comme « illibérales ». Les nuisances idéologiques libérales sont mortifères et plongeront les pays qui s’en réclament pour façonner leur mode de gouvernance dans un chaos indescriptibles dont nous vivons d’ores et déjà les prémisses. Les autres ont une chance de se maintenir dans le chaos et de participer à des synergies géopolitiques positives. Inutile de vous préciser que je vis dans la partie de l’Europe qui connaîtra un effondrement dramatique et vivra un abominable chaos.

Pour se procurer les livres mentionnés dans cet entretien:

La révolution conservatrice allemande, tome 1:

http://www.ladiffusiondulore.fr/documents-essais/552-la-revolution-conservatrice-allemande-biographies-de-ses-principaux-acteurs-et-textes-choisis.html?search_query=steuckers&results=10

La révolution conservatrice allemande, tome 2:

http://www.ladiffusiondulore.fr/home/690-la-revolution-conservatrice-allemande-tome-deuxieme-sa-philosophie-sa-geopolitique-et-autres-fragments.html?search_query=steuckers&results=10

Cinq livres de Robert Steuckers pour 99,00 euros:

http://www.ladiffusiondulore.fr/home/857-pack-steuckers-5-livres-a-prix-reduit-.html?search_query=steuckers&results=10

La "Trilogie" EUROPA:

https://editionsbios.fr/editions

The European Enterprise: 

https://manticore.press/product/the-european-enterprise-geopolitical-essays/

Sinergias Identitarias:

https://editorialeas.com/producto/sinergias-identitarias-2/

 

mardi, 05 janvier 2021

Le Moyen-Orient entre Trump et Biden

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Le Moyen-Orient entre Trump et Biden

par Alberto Negri

Sources : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it

Le pacte abrahamique entre Israël et les monarchies arabes, plus qu'une stabilisation, est un moyen d'annuler les droits des peuples et s'applique négativement aux Iraniens, Palestiniens, Kurdes, Libanais, Irakiens, Yéménites, et à tous ceux qui n'ont pas l'intention d'obéir. Au Moyen-Orient, Biden est déjà sous le poids des décisions de Trump.

La nouvelle année s'ouvre alors que l'année de la pandémie se termine. Les Américains peuvent faire ce qu'ils veulent contre l'Iran et les Israéliens aussi peuvent faire tout ce que les autres ne peuvent jamais faire : agir contre le droit international. Une synthèse du double standard qui, en négatif, s'applique aux Iraniens, Palestiniens, Kurdes, Libanais, Irakiens, Yéménites, et à tous ceux qui n'ont généralement pas l'intention d'obéir. Ces peuples, au mieux, peuvent obtenir des "concessions" mais ne sont pas titulaires de "droits". L'Alliance Abrahamique a sanctionné cet état de fait.

Au milieu se trouvent Erdogan et Poutine : le premier s’avère fonctionnel pour le second. Non seulement parce que le sultan de l'OTAN s'oppose à Moscou et traite en même temps avec la Russie en Libye et en Syrie, mais aussi parce qu'il sert les États-Unis en endiguant l'influence russe, comme en témoigne la guerre du Haut-Karabakh contre les Arméniens soutenue par les Turcs et les armes israéliennes. Biden déteste Erdogan (il l'a également attaqué quand il était l’adjoint d'Obama) mais l'affrontera non pas sur la base de ses aversions ou de ses références démocratiques mais sur son utilité sur le flanc oriental de l'Alliance atlantique.

Un an après l'assassinat du général iranien Qassem Soleimani et de son lieutenant irakien Al Muhandis à Bagdad le 3 janvier dernier par les Américains, nous pouvons aujourd’hui en mesurer pleinement les conséquences. 2020 était l'année de l'attaque contre l'Iran - illustrée également par le meurtre en novembre du scientifique Mohsen Fakhrizadeh, attribué au Mossad – et celle du Pacte d'Abraham concocté dans une optique hostile à Téhéran, et scellé entre Israël et les monarchies du Golfe, suivies rapidement par le Soudan et le Maroc. Plus qu'une stabilisation, c'est un bond en avant vers de nouvelles annulations de droits des peuples : au Moyen-Orient, l'administration Biden, qui entrera en fonction le 20 janvier, pèse déjà sous le poids des décisions de Trump.

L'héritage contrasté d'Obama au printemps 2011 dans le monde arabe - soutien en Égypte aux Frères musulmans, guerre contre Kadhafi et soutien à la déstabilisation de la Syrie - avait eu comme issue positive le 14 juillet 2015 l'accord nucléaire avec l'Iran qui avait exaspéré Israël et jeté la panique en l'Arabie saoudite et dans les monarchies du Golfe. Trump est sorti unilatéralement de ce traité international et a établi de nouvelles règles de jeu qui n'étaient finalement pas si nouvelles que cela car elles remontent au président démocrate Roosevelt et à l’année 1945 : les monarchies devaient payer "cash" et par le truchement d’achats d'armes américaines pour la protection des intérêts des Etats-Unis ; s’ajoutait à la facture la normalisation avec Israël, la vente aux Arabes de pétrodollars comme artifice de survie face à la menace réelle ou présumée de l'Iran.

C'est ainsi que sont apparues les "incitations". Nétanyahou, qui se prépare à de nouvelles élections en mars, a profité de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les Américains de Trump et de l'annexion du plateau du Golan. En 2020, l’Israélien n'a eu besoin que d'un coup de pouce pour l'annexion annoncée de la Cisjordanie et pour concrétiser les nouvelles alliances avec les Arabes. Le pacte abrahamique a été rejoint par les Emirats et le Bahreïn, puis est venue la normalisation entre Israël et le Soudan, puis celle avec le Maroc.

L'Égypte d'Al Sisi fait déjà partie du jeu : elle reçoit l'argent des Émirats et des Saoudiens ayant comme tâche idéologique et répressive d'éliminer les Frères musulmans. Même le général Haftar en Cyrénaïque, s'il adhère au Pacte Abrahamique, serait entièrement recyclé.

Le souverain Mohammed VI a obtenu des incitations financières mais surtout il a obtenu la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. L'occupation marocaine des territoires sahraouis comme l'occupation israélienne de la Palestine est contraire au droit international et à toutes les résolutions de l'ONU sur l'autonomie et l'autodétermination des peuples. Ce sont là les deux mots que la philosophie lapidaire du pacte abrahamique fait oublier aux Kurdes, ainsi qu'aux Yéménites.

L'autonomie des Kurdes irakiens s’est désormais réduite à une peau de chagrin : le Premier ministre Al Khadimi préfère rencontrer Erdogan dans le cadre d'opérations anti-Pkk que "ses" Kurdes d'Erbil ou de Suleimanya. Ceux de Rojava, alliés des Occidentaux contre l’Etat islamique, avaient déjà payé le prix du sang en 2019, en subissant le retrait américain du nord de la Syrie. La réalité est que tant les Américains que les Européens sont prêts à sacrifier les Kurdes à tout moment si Erdogan garde trois millions de réfugiés chez lui et modère ses revendications en Méditerranée orientale où il se heurte à l'axe France-Grèce-Chypre-Egypte-Israël-Emirats.

Le pacte d'Abraham a également divisé les Yéménites en bons et en mauvais. Selon le Financial Times, avant le 20 janvier, le Département d'Etat américain se préparait à inclure les alliés houthis de l'Iran dans la liste des organisations terroristes. C'est l'une des conditions que l'Arabie saoudite demande, avec le protectorat sur le Yémen, pour la reconnaissance d'Israël, objectif recherché par le prince meurtrier Mohammed bin Salman et jusqu'ici rejeté par le roi Salman.

Mais c'est probablement encore en Irak qu'il faudra s'attendre à de nouvelles opérations des milices pro-américaines et pro-israéliennes anti-iraniennes et anti-chiites. Un récent rapport du Monde le prétend, tout comme le ministre iranien des affaires étrangères Javad Zarif hier. L'année à venir ressemble déjà beaucoup, trop, à celle qui vient de s'écouler.

 

lundi, 04 janvier 2021

Le soft power américain comme instrument d'hégémonie mondiale

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Le soft power américain comme instrument d'hégémonie mondiale

Par Giuseppe Gagliano

Ex: https://moderndiplomacy.eu

Christian Harbulot, directeur et fondateur de l'Ecole de guerre économique de Paris, a consacré une grande partie de ses travaux à l'étude de la guerre économique et du rôle qu'elle a joué dans la dynamique des conflits de ce siècle. Mais à côté de la guerre économique, un instrument d'une importance similaire, qui a permis l'obtention de l'hégémonie américaine dans le monde dit multipolaire, est certainement le soft power.

En se posant comme le pays phare de la libre concurrence, les États-Unis ont réalisé la meilleure opération d'influence du XXe siècle. Ils ont réussi à déguiser leur agression économique en attirant l'attention sur la dénonciation des empires coloniaux européens. Ce tour de passe-passe rhétorique a bien fonctionné. La stigmatisation des grandes puissances dirigeantes leur a permis de déguiser leurs propres initiatives de conquête, comme cela s'est produit avec la colonisation d'Hawaï. C'est dans le même esprit qu'elles ont pu banaliser leurs multiples interventions militaires extérieures en les décrivant comme des opérations de protection de leurs citoyens durant la période cruciale entre le XIXe et le XXe siècle.

51oIV87oqdL._AC_SY400_.jpgLa puissance économique douce de l'Amérique s'est construite autour de cette idée fausse. Les États-Unis ont soutenu l'émancipation des peuples vis-à-vis de l'oppression coloniale et, en même temps, ont soutenu les notions de "porte ouverte" et de libre-échange. Une de leurs principales critiques à l'égard des empires coloniaux européens était les échanges privilégiés entre ces empires et leurs métropoles. Le Commonwealth a été particulièrement visé lors des négociations du GATT (1947) et Washington a refusé de signer la Charte de La Havane (1948) qu'il avait souhaitée mais qui maintenait le principe des "préférences impériales" entre les pays européens et leurs colonies.

En se présentant comme le garant du discours sur la libre concurrence et l'ouverture des marchés, les États-Unis se sont construit une image de "juge de paix" dans le commerce international. Cet avantage cognitif leur a permis de masquer leurs initiatives de conquête. L'emprise américaine sur les champs pétroliers du Moyen-Orient et de l'Iran a été l'illustration la plus visible de la machine de guerre économique américaine. Le département d'État, les agences de renseignement et les compagnies pétrolières ont travaillé ensemble pour imposer leur volonté aux pays intéressés et aux concurrents potentiels. Les moyens d'action utilisés étaient souvent basés sur l'usage de la force (participation indirecte puis directe à des conflits armés au Moyen-Orient, coups d'État comme le renversement de Mossadegh en Iran en 1953, déstabilisation de régimes qui soutenaient le nationalisme arabe).

Le "soft power" économique des États-Unis a pris forme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Forts de leur supériorité militaire décisive, les États-Unis cherchent à établir un processus de domination sur certains marchés vitaux. Les planificateurs du plan Marshall encouragent l'agriculture européenne à acheter du soja américain pour l'alimentation animale. Cette volonté d'établir une relation de dépendance vis-à-vis des États-Unis s'étendra par la suite à d'autres secteurs clés tels que l'industrie informatique, puis les technologies de l'information. Le stockage de données (Big Data) est l'un des domaines dans lesquels le système américain est le plus déterminé à maintenir sa primauté et sa domination. Pour "masquer" ces logiques de domination et de dépendance, les élites américaines ont eu recours à deux types d'actions.

1) Le formatage des connaissances. Les grandes universités américaines ont progressivement imposé leurs vues sur le fonctionnement du commerce mondial, en prenant bien soin de ne pas parler de luttes de pouvoir géoéconomiques. Cette omission a été lourde de conséquences car elle a privé les élites européennes d'un regard critique sur la nature de l'agression des entreprises américaines sur les marchés étrangers. Des disciplines académiques telles que les sciences de la gestion ou l'économie ont banni de leur champ de vision toute analyse du phénomène de la guerre économique, que les États-Unis ont pourtant pratiquée avec discrétion.

2) La captation de la connaissance. Pour éviter d'être submergés par des dynamiques d'innovation concurrentes, les Etats-Unis ont développé au fil du temps un système de veille très sophistiqué pour identifier les sources d'innovation dans le monde afin de contacter au plus vite les chercheurs et ingénieurs étrangers et leur proposer des solutions d'expatriation ou de financement par le biais de fonds privés. Si ce type d'acquisition de connaissances échoue, l'utilisation de l'espionnage n'est pas exclue.

3) La désinformation et la manipulation

La montée en puissance des économies européennes et asiatiques depuis les années 1970 a obligé les défenseurs des intérêts économiques américains à adapter leurs techniques de guerre économique au contexte de l'après-guerre froide. Les alliés et les principaux opposants ont dû faire face à l'émergence décisive de l'économie chinoise.

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Dans les années 1990, les États-Unis ont ouvert plusieurs fronts. Le plus visible a été la politique de sécurité économique mise en œuvre par Bill Clinton sous prétexte que les entreprises américaines à l’étranger étaient victimes de "concurrence déloyale". Les Européens ont été les premières cibles. La dénonciation de la corruption est devenue une arme favorite de la diplomatie économique américaine. Mais derrière ce principe, il y avait des opérations beaucoup plus offensives. En 1998, le groupe Alcatel a subi une série d'attaques informatiques sur Internet, par le biais de rumeurs médiatiques sur le manque de transparence financière de la direction générale. Cette campagne a conduit à la chute historique d'une action à la Bourse de Paris. Pour agir dans cedomaine, les industriels américains ont soutenu financièrement la création d'ONG telles que Transparency International. Ces partisans de la moralisation des affaires ont stigmatisé les pays qui ne respectaient pas les règles mondiales. En revanche, aucun acteur de ce mouvement ne s'est intéressé à l'opacité des modes de paiement chez les principaux protagonistes des grands cabinets d'audit, fortement impliqués dans la signature des grands contrats internationaux. L'exploitation d'un discours moralisateur connaît aujourd'hui son apogée opérationnel avec l'extra-territorialité du droit.

Mais la principale transformation du soft power américain au cours des vingt dernières années est l'exploitation totale de la société de l'information. Chacun se souvient de l'importance du système Echelon ou des déclarations de Snowden sur l'ampleur de l'espionnage américain par le biais d'Internet et des médias sociaux. En revanche, les techniques de guerre de l'information appliquées à l'économie sont encore mal connues du grand public. Les États-Unis sont aujourd'hui en guerre pour savoir comment utiliser les acteurs de la société civile pour déstabiliser ou affaiblir leurs adversaires.

samedi, 02 janvier 2021

Le Grand Khorasan : un modèle géopolitique dans le cadre de la multipolarité

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Le Grand Khorasan : un modèle géopolitique dans le cadre de la multipolarité

Un point de vue tadjik

Karim Nazriev

Ex : https://www.geopolitica.ru

À différents moments et dans différents espaces, les forces dirigeantes de la société ont soulevé des questions liées au développement de l'État et ont présenté diverses propositions pour le développement de celui-ci. Chaque État peut se développer à sa manière, et il doit trouver et mettre en œuvre sa propre voie vers le développement et vers la réalisation de ses grands projets. Les stratégies pour les développement à suivre (obligatoirement) pendant le prochain millénaire sont proposées par les superpuissances et les organisations internationales, qui ne prennent pas en compte le développement de tous les pays du monde, et ne sont spécifiques qu’à un petit nombre d'États qui façonnent la politique mondiale et déterminent le processus politique du globe.

Tout le monde croit que les grandes puissances mondiales et les puissances en voie de développement veulent également le développement des autres États, ce qui est en fait tout à fait contradictoire dans la réalité. La réalité, c’est que, dans les conditions modernes, il y a un dilemme entre la sécurité et le développement. Le développement d'un État est susceptible de poser problème à un autre, ou l'affaiblissement d'un État déjà faible peut aussi poser un problème grave pour un grand pays. Il est dans l'intérêt des grandes puissances mondiales de maintenir une inégalité générale dans les processus de développement à l’œuvre dans le monde car, ainsi, elles conservent leur statut. À cet égard, tous les pays du monde n'ont pas les mêmes intérêts, d'une part, ils essaient de prendre le contrôle de la plus grande partie du monde, et, d'autre part, d'autres essaient de ne pas être détruits dans les affrontements entre les superpuissances. La disparition de certaines nations de la carte politique du monde, ces dernières années, est le résultat des actions menées par les superpuissances. Dans de nombreux cas, le développement de tout État se traduit par son expansion, et en fait, tout empire sera détruit s'il n'est pas élargi. La voie de l'expansion dans les conditions modernes ne passe pas par l'expansion proprement dite, mais par l’application de nouvelles méthodes. Par conséquent, le rôle géopolitique qui se profile derrière tout développement d’un État se révèle très important. Les intérêts géopolitiques ont été un facteur important pour les États dans le passé, le restent dans le présent et le resteront l'avenir, car ils sont un vecteur de la politique étrangère et contribuent de ce fait au développement de l'État.

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Dans les conditions modernes, les intérêts géopolitiques du Tadjikistan sont débattus dans différents cercles. Mais il s'agit d'intérêts qui ne sont pas essentiellement géopolitiques. D'une part, il est très difficile d'exprimer un point de vue géopolitique propre au Tadjikistan, car les possibilités et le potentiel du pays sont limités et son champ d'action est très restreint. Bien sûr, dans une telle situation, une expertise géopolitique est nécessaire pour saisir la moindre opportunité d'atteindre de plus grands objectifs. Étant donné que les intérêts géopolitiques du Tadjikistan doivent être pris en considération dans le cadre imposé par les superpuissances et par les environnements politiques particuliers de la région du monde où se situe le Tadjikistan, il est important de savoir que, de prime abord, on peut dire que ces intérêts n'existent pas sur le plan géopolitique. En fait, il est illogique de considérer les intérêts géopolitiques du Tadjikistan par rapport aux superpuissances mondiales et régionales, car nous sommes une sorte de pur objet géopolitique passif pour ces pays.

Dans ce cas, seul et isolé, le Tadjikistan ne cherche qu’à obtenir son propre statut particulier et à acquérir une certaine importance mineure dans les conflits d'intérêts opposant les grands États. Le Tadjikistan n'a aucun intérêt géopolitique bien profilé dans une telle situation, mais il est cependant possible d'y avoir des aspirations géopolitiques.

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Dans l'histoire de la politique mondiale, le rôle des Tadjiks et des Perses dans la formation des empires et des États, ainsi que dans la civilisation a été très important. C'est une réalité objective qui ne peut être niée par aucun sujet actuel de l’échiquier international ou par un quelconque parti pris. Le grand continent de l'Antiquité était sous la domination de l'Empire perse. Au fil du temps, le changement d'acteurs dans le processus politique, les tournants de l'histoire et les facteurs objectifs et subjectifs ont supprimé la sphère d'influence des Tadjiks et des Perses. D'autres forces sont devenues les déterminants du destin des sociétés et des communautés qui leur étaient voisines. Le processus politique a trouvé de nouveaux maîtres ; les conséquences de ce changement de donne ont changé le cours de l'histoire. Afin de ne pas répéter le cycle historique, une grande communauté sociale - les Tadjiks - a été éparpillée dans différents pays, afin de ne pas recréer le potentiel précédent. Cette pratique a commencé après l'effondrement de l'État samanide, comme en témoigne l'émergence de trois pays persanophones au cours des siècles suivants sur la scène historique. Les forces qui ont réalisé ce paysage géopolitique avec trois pays différents pour les Tadjiks dans cette région et qui ont pratiqué la même politique dans d'autres parties du monde, en appliquant le principe de "diviser pour régner", sont les États impérialistes de la nouvelle étape de l’histoire.

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Le nouvel impérialisme, ou néo-impérialisme, a limité les possibilités de ses anciennes colonies au point d'éliminer toutes les caractéristiques de leur indépendance dans le plein sens du terme, à l'exception du nom, ce qui fait de leur pseudo-indépendance une indépendance purement formelle. Dans ces conditions, le phénomène de l'indépendance politique va diminuer et l'État deviendra une simple province du nouvel ordre mondial. La conquête et l'expansion dans leur sens classique, ne sont plus d’actualité, mais dans les conditions déterminées par le néo-impérialisme, la conquête des terres des États « provinciaux » se fait d'une manière nouvelle. Les conditions en vigueur dans la modernité sont la suite logique de l'impérialisme classique. Il convient de noter que s'il y a un changement de sujets dans d'autres strates politiques, les néo-impérialistes modernes sont les mêmes que les anciens colonisateurs. Rien n'a changé dans le paysage cratopolitique du monde, et l'élite mondiale dirigeante n’a fait que changer de nom sur la scène mondiale. La colonisation qualitativement nouvelle est la politique des néo-impérialistes du monde, qui ont pris le contrôle de certaines régions géopolitiques et luttent pour étendre leur sphère d'influence. La division du monde entre les néo-impérialistes et le redécoupage des frontières s'est traditionnellement poursuivie sous une forme ou une autre. Le néo-impérialisme n'est pas un phénomène complètement nouveau, il est guidé par les lois de l'impérialisme classique. Avec le progrès de la civilisation, de la science et des réalisations spirituelles des peuples, l'accent mis sur les éléments matériels de la géopolitique, tels que les ressources souterraines, la terre, l'eau, etc. n'a pas diminué. La tâche principale du néo-impérialisme est d'utiliser les États comme source de matières premières et de les maintenir dans une dépendance sectorielle. Chaque puissance néo-impérialiste a ses propres méthodes pour traiter avec les pays qui n’appartiennent pas directement à leur sphère d’influence. Aucun pays néo-impérialiste n'a intérêt à ce que les Etats non impérialistes parviennent à l'autarcie. D'autre part, la dépendance de tout État non impérialiste à l'égard d'autres pays et l’obligation à suivre un mouvement indiqué par d’autres sont une preuve évidente des lacunes de l'indépendance formelle. Pour trouver une solution appropriée à ce problème, il faut avant tout faire preuve d'indépendance d'esprit, car l'idée d'appartenance n'a pas la capacité de créer une alternative.

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La force du néo-impérialisme a érodé le sentiment de confiance dans les États soi-disant indépendants, qui croient qu'il n'y a pas d'autre solution que la subordination à ce nouveau système. Dans la plupart des pays, il n'est pas question d'envisager un nouveau système mondial, différent du néo-impérialisme. L'esprit d'impuissance imprègne la communauté scientifique dans ces pays qui ne cesse plus de répéter qu’il est nécessaire de s'adapter au nouveau système et non de penser à des alternatives. Le débat sur l'indépendance n'est pas une question triviale, il doit être renforcé et amélioré en fonction de l'espace et du temps.

Il est nécessaire de s'appuyer sur la géopolitique pour renforcer l'indépendance de la République du Tadjikistan.

Dans le temps et l'espace d'aujourd'hui, il est important de s'appuyer sur les connaissances géopolitiques. La géopolitique ne doit pas être utilisée à des fins cognitives, mais à des fins pratiques et empiriques, et doit être mise en œuvre en articulant des concepts concis. À cet égard, il est nécessaire de présenter la géopolitique intérieure, celle de la voie vers le développement du Tadjikistan dans un avenir proche et lointain. Le renforcement de l'indépendance du Tadjikistan est impossible sans un développement intérieur, et celui-ci doit prendre de l'élan. Il doit y avoir une impulsion pour le développement basée sur le potentiel national, car si l’on place l'espoir en un avenir meilleur, qui ne dépendrait que des seules actions entreprises par d’autres États, cela ne nous mènera qu’à la destruction de l'indépendance du pays. Par conséquent, le processus de décision doit être rationnel et stratégique. Les intérêts géostratégiques et géopolitiques du Tadjikistan devraient être formés sur la base des capacités existantes. Naturellement, il n'y a pas suffisamment de potentiel intérieur pour le développement du Tadjikistan et on ne peut pas compter sur lui seul sur le plan stratégique. À cet égard, il est nécessaire de trouver un moyen stratégique de protéger et de renforcer l'indépendance du Tadjikistan. Le Tadjikistan doit se constituer en un bouclier géopolitique basé sur un "Lebensraum".

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Le "Lebensraum" du Tadjikistan est le "Grand Khorasan". Le projet du Grand Khorasan a pour but le développement du Tadjikistan, la protection du Tadjikistan et l'avenir du Tadjikistan. Dans le nouvel ordre mondial et les divers processus mondiaux, le Tadjikistan n'a pas d'autre voie de développement. Il existe d'autres plans, mais dans ceux-ci, le Tadjikistan perd son essence d'État indépendant. La doctrine et les projets mis en œuvre en Asie centrale sont considérés comme peu intéressants pour le Tadjikistan. En fait, ces doctrines ne prennent pas en compte le statut propre du Tadjikistan. Les concepts et les projets du "Grand Turan", de la "Grande Asie centrale" et de la "Sinicisation" ne peuvent être dans l'intérêt du Tadjikistan. Le projet du Grand Khorasan est une alternative à ces concepts et une réponse géopolitique et géostratégique à ceux-ci.

Le "Grand Khorasan" est la correction des erreurs et des injustices historiques et l'application de la justice historique. Le "Grand Khorasan" est l'aspiration géopolitique de chaque Tadjik, et ce concept devrait contribuer à l'éducation géopolitique de toute individualité tadjik et à la formation de la pensée géopolitique tadjik. Nous devons savoir que l'avenir du Tadjikistan est impossible sans le projet du Grand Khorasan. Il devrait être suivi dans les milieux scientifiques et dans la politique actuelle.

La sagesse géopolitique et la géophilosophie constituent la base du projet du Grand Khorasan. Le Tadjikistan mène une politique de paix dans une nouvelle ère historique. Cela signifie que le Tadjikistan n'a pas d'objectifs expansionnistes, ne veut usurper aucun pays, ne vise pas la conquête de territoires : tout cela n'est pas le but vectoriel de la politique étrangère du Tadjikistan. La question de savoir comment nous allons obtenir le projet du Grand Khorosan est donc importante. La première étape est franchie, c'est-à-dire que les fondateurs ressentent le besoin de créer un "Grand Khorasan", il y a une renaissance du Grand Orion, une mémoire historique entre en scène ou un cycle historique se répète, le projet du "Grand Khorasan" est lancé. En effet, l'Iran et l'Afghanistan, tout comme le Tadjikistan, ont besoin d'un "Grand Khorasan".

La mise en œuvre du projet du Grand Khorasan intervient à un moment où la lutte pour le pouvoir en Asie centrale s'intensifie. Les États-Unis font tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger le "cœur de l'Asie" et pour maintenir longtemps leurs troupes sur le sol afghan. L'erreur géopolitique de la Russie, de la Chine et de l'Iran a été de faciliter et non d'empêcher les États-Unis de venir en Afghanistan. Cependant, cette erreur ne pourra pas être corrigée dans les années à venir. Les États-Unis, s'appuyant sur l'Afghanistan, cherchent à libérer les États d'Asie centrale de la subordination russe et à mettre en œuvre la doctrine de la grande Asie centrale avec l'Afghanistan et d'autres États de la région. À cet égard, il convient de noter que le chaos qui règne sur le territoire de l'Afghanistan et les intérêts divergents des pays de la région compliquent la mise en œuvre du projet "Grand Khorasan".

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Le projet du Grand Khorasan, une fois mis en œuvre dans les pays de langue persane et ayant atteint ses objectifs stratégiques, ouvrira la porte aux pays voisins. C'est une renaissance historique qui remet tout à sa place. Ailleurs en Asie centrale, il existe un potentiel et une opportunité similaires pour l'unification des peuples et des nations. Cependant, une telle possibilité s’offre aux États du "Grand Khorasan". Il est important de noter que l'intégration et les processus d'intégration sont une question de temps. Les pays du monde, sous une forme ou une autre, forment des associations visant toujours plus d’intégration dans une zone distincte. L'intégration est considérée comme un phénomène propre au nouvel âge : on l’ignore souvent mais, dans la plupart des cas, on est inconscient qu'il s'agit là de la première étape vers la formation du système mondial et du nouveau gouvernement mondial. La plupart des États et des chefs d'État du monde n'ont pas compris les secrets du processus d'intégration et n'ont pas su créer les conditions d’autres processus intégrateurs. Cependant, l'intégration dans le cadre du Grand Khorasan prend une forme complètement différente, montrant un élément d'intégration différent car il est centrifuge par rapport à la conception d’un gouvernement mondial et s’éloigne du nouveau système et du nouvel ordre mondial. En effet, la formation d'un nouvel ordre mondial basé sur une conception atlantiste n'est pas dans l'intérêt des pays du Grand Khorasan.

L'indépendance politique du Tadjikistan n'interviendra que si le pays est autosuffisant. Cependant, les conditions mondiales et régionales, d'une part, et les intérêts des superpuissances, d'autre part, entravent l'autarcie du pays. C'est pourquoi il faut tout d'abord influencer la situation locale. L'influence ne vient que lorsque nous disposons d’un grand potentiel et d’un grand pouvoir. C'est pourquoi le projet "Grand Khorasan" est le reflet de l'énorme potentiel des acteurs régionaux et un moyen d'influencer d’abord les conditions en place de la région et, deuxièmement, d’influencer la formation des processus politiques mondiaux.

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Dans les conditions modernes, il n'y a pas d'autre moyen de proposer un nouvel ordre en dehors du nouvel ordre mondial, qui est le projet exclusif de l'élite politique mondiale. Dans un tel ordre mondial, seul un petit nombre d'États ont acquis l'indépendance politique et ont donné aux autres pays l'indépendance dont ils avaient besoin. L'indépendance politique des pays du monde, dont le Tadjikistan, est mesurée dans le cadre du nouvel ordre mondial. Dans ce cas, la volonté tadjike de l'État tadjik ne peut pas se réaliser, car les conditions mondiales ne le permettent pas. La mesure de l'indépendance politique du Tadjikistan dans le cadre du nouvel ordre mondial nécessite un examen par des experts, qui déterminera le phénomène de la volonté politique et de la détermination politique, et la mesure dans laquelle le Tadjikistan est souverain. Le projet du Grand Khorasan vise également à renforcer l'indépendance politique du Tadjikistan, à poursuivre son développement et son amélioration, et à protéger le pays. Comprendre l'essence de ce projet, définir la souveraineté politique du Tadjikistan, les conséquences du nouvel ordre mondial pour le pays, les intérêts des superpuissances et son impact sur le Tadjikistan, les conséquences et les perspectives pour le futur proche et lointain, tend inévitablement à un mégaprojet – celui du "Grand Khorasan".

vendredi, 01 janvier 2021

« Avantage en mer » : la nouvelle stratégie navale des Etats-Unis

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« Avantage en mer » : la nouvelle stratégie navale des Etats-Unis

Par Marco Ghisetti

Ex: https://www.eurasia-rivista.com

La marine américaine, le corps des Marines et les garde-côtes ont publié conjointement le 17 décembre 2020 un document intitulé Advantage at Sea. Soit le prédominance de la puissance navale intégrée, tous domaines confondus "1

La publication de tels documents est un événement assez rare (l'avant-dernier a été publié en 2015, avec le document qui a officiellement lancé la stratégie du "multilatéralisme" suivie par Obama et Trump). De telles publications ne se produisent que sous les auspices des chefs d'état-major conjoints des États-Unis, c'est-à-dire l'institution qui rassemble les chefs d'état-major de toutes les branches de l'armée américaine. La divulgation de ce document signifie que les chefs des différentes institutions militaires américaines se sont mis d'accord sur le type de stratégie à suivre "pour la prochaine décennie" - une stratégie qui fournira donc la directive générale aux forces armées américaines, indépendamment des locataires de la Maison Blanche. La prochaine décennie, comme l'écrit l'exergue du document, "façonnera l'équilibre de la puissance maritime pour le reste du siècle".

Le raisonnement cardinal du document peut être résumé comme suit :

(1) "Les États-Unis sont une nation maritime. Notre sécurité et notre prospérité dépendent des mers".

(2) La Chine et la Russie (en particulier la Chine) constituent des menaces pour la sécurité nationale des États-Unis, car en raison de leurs "développements et modernisations navales agressives", sur le plan militaire, elles pourraient tenter d’expulser et de réussir à expulser les États-Unis de certaines mers et de la gestion de certains "points stratégiques clés" (détroits, isthmes), faisant perdre aux États-Unis "l'avantage en mer" qu'ils ont acquis par leur victoire lors de la Seconde Guerre mondiale et dont ils tirent toujours leur superpuissance. L'Iran et la Corée du Nord sont également définis comme des "rivaux".

(3) En conséquence, le document expose les principales directives visant à maintenir "l'avantage en mer" des États-Unis et à le refuser aux autres pays. Essentiellement : intégration accrue des différentes divisions armées, amélioration technologique de l'appareil de guerre (également dans le domaine de la guerre hybride et de l'intelligence artificielle), demande d'une plus grande collaboration de la part des "alliés", gestion directe des routes commerciales, de transport et de navigation, obstruction ferme et décisive de toute tentative de fermeture des zones maritimes dominées jusqu’ici par les États-Unis ou d’abandon de celles-ci aux pays rivaux surtout dans la gestion des "points focaux", défense de la suprématie navale américaine dans les mers traditionnelles (en particulier le Pacifique) et obtention de la supériorité dans l'Arctique.

***

Plus précisément, la déclaration commune commence par souligner la nature "maritime" de la puissance globale des États-Unis, une nature qui a été établie grâce à la "domination au-dessus et au-dessous des vagues et dans les cieux" obtenue après la "victoire de la Seconde Guerre mondiale" et maintenue "pendant 75 ans" depuis lors. Grâce à cette domination, affirme le document, les États-Unis ont pu promouvoir la sécurité, le bien-être et la prospérité non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour tous les pays qui ont décidé de participer aux règles du jeu.

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Aujourd'hui comme hier, dit le secrétaire de la marine Kenneth J. Braithwaite dans un appel lancé dans l'exergue au "peuple des États-Unis", "l'ordre international fondé sur le droit est à nouveau attaqué". La menace à laquelle sont confrontés les États-Unis et d'autres pays est due au fait qu'en raison de "développements technologiques importants et d'une modernisation militaire agressive", ainsi que d'une tendance générale au "révisionnisme", la Chine et la Russie menacent l'ordre mondial actuel en "contestant l'équilibre des pouvoirs dans des régions clés et en cherchant à saper l'ordre mondial existant".

Cette menace est due au fait que "les États-Unis ne peuvent plus supposer que l'accès aux océans du monde", c'est-à-dire la condition sine qua non de la mondialisation centrée sur les États-Unis, "reste illimité [sans entraves] en cas de conflit". Si, en fait, les États-Unis ont rendu possible leur propre prospérité et celle des autres grâce à l'ouverture et à la sécurité des océans qu'ils ont assurée pour eux-mêmes et pour les autres par leur suprématie maritime, cet avantage militaire "s'érode à un rythme alarmant", menaçant par conséquent "cette ère de paix et de prospérité". "Le rapport de force", en fait, dans certaines régions, penche en faveur de ces deux acteurs révisionnistes, qui montrent des signes non seulement qu'ils ne veulent pas agir en tant qu'acteurs respectueux de l'ordre mondial établi, mais plutôt qu'ils veulent utiliser leur pouvoir pour poursuivre des "intérêts autoritaires".

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"En cas de conflit, la Chine et la Russie essaieront probablement de s'emparer d'un territoire avant que les États-Unis et leurs alliés ne préparent une réponse efficace - ce qui aboutira à un fait accompli." De plus, ces deux États ont le potentiel de causer des dommages massifs à l'économie mondiale par des cyberattaques et des attaques cinétiques ou en s'attaquant aux câbles sous-marins. Quoi qu'il en soit, le principal ennemi à "long terme" est la Chine, car elle "a mis en œuvre une stratégie et une approche révisionnistes qui visent le cœur de la puissance maritime américaine [c'est-à-dire] cherche à corroder la gouvernance maritime internationale, à refuser l'accès aux centres logistiques traditionnels, à entraver la liberté des mers, à gérer l'utilisation des goulets d'étranglement névralgiques, à dissuader notre engagement dans les différends régionaux et à remplacer les États-Unis comme collaborateur privilégié dans les pays du monde entier". De plus, alors que la flotte américaine est dispersée dans le monde entier, celle de la Chine est concentrée dans le Pacifique, où elle "cherche à établir sa propre hégémonie régionale [et] étend également sa portée mondiale [avec la] nouvelle route de la soie", devenant ainsi capable de se projeter aussi loin de ses propres côtes qu'elle n'a jamais pu le faire auparavant.

Selon la déclaration commune, l'importance traditionnelle de la domination sur les mers et les océans n'a pas diminué en raison des récents développements technologiques et de l'approfondissement de la mondialisation ; en fait, ce n'est pas seulement la domination des mers qui a rendu ces développements possibles, mais c'est en intégrant la puissance navale dans les différents domaines qu'il est possible de "multiplier l'influence traditionnelle de la puissance maritime afin de produire une force totale plus compétitive et plus meurtrière". En ce sens, on comprend l'impératif catégorique de la stratégie commune, consistant à réaffirmer et à défendre la domination maritime américaine sur les anciens et les nouveaux théâtres maritimes, à faire en approfondissant le niveau d'intégration des différents départements militaires : intégration qui doit également englober des domaines qui, à première vue, pourraient sembler sans rapport avec la fonction de "préservation de la sécurité maritime", notamment "la diplomatie, l'application des lois, l'habileté politique", ainsi que la gestion plus ou moins directe des "navires marchands, des infrastructures portuaires, des constructeurs de navires". Toutes ces relations sont d'une importance capitale pour garantir l'utilisation sans restriction du domaine maritime, assurer notre sécurité et protéger notre prospérité".

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En tout état de cause, le fait que la stratégie décrite dans "Avantage en mer" ne constitue pas un changement fondamental de la stratégie de domination américaine est confirmé par le document lui-même, qui indique que "les objectifs de sécurité des États-Unis sont restés constants depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les États-Unis ont cherché à protéger leur territoire et à assurer des conditions mondiales favorables à la liberté, au commerce et à la paix. Nous avons déjoué les tentatives de nos rivaux de soumettre des régions ou d'empêcher l'accès aux océans du monde. Chaque fois que ces intérêts durables ont été menacés, les États-Unis ont agi de concert avec des nations partageant les mêmes idées pour protéger nos objectifs communs et changer le comportement des nations qui opèrent en dehors des normes internationales établies".

1400867965078.jpgEn effet, la doctrine maritime américaine a fait preuve d'une constance de plusieurs siècles depuis qu'elle a été élaborée pour la première fois par Alfred Thayer Mahan, l'influent amiral qui a systématisé les bases théoriques de l'influence de la puissance maritime sur l'histoire, fournissant aux États-Unis l'étoile polaire qui a guidé leur politique navale dans le monde entier depuis la fin du XIXe siècle. Pour Mahan, en effet, les États-Unis étaient les héritiers nécessaires de l'empire maritime britannique, un héritage qui les a élevés au rang de "véritable île contemporaine", d'"île majeure" et qui, après être devenu le seul État à avoir atteint une hégémonie régionale complète, sûrs de leur "caractère insulaire" à l'échelle du continent, ont projeté leur puissance navale dans le monde entier grâce à leur domination sur la puissance maritime. Et dans cette optique, les États-Unis empêchent tout autre acteur de devenir hégémonique dans sa propre région, ce qui impliquerait l'expulsion de la marine américaine des eaux de cette région.

Ce qui constitue plutôt, d'une certaine manière, une nouveauté dans le cas qui nous préoccupe aujourd’hui, c'est l'importance accordée à la région arctique, une zone inaccessible à l'époque de Mahan mais désormais ouverte à l'influence de la puissance maritime. Et en fait d'une ouverture à la concurrence maritime que la stratégie énonce lorsqu'elle affirme que "nous ne pouvons pas renoncer à notre influence [...]. Les prochaines décennies apporteront des changements dans la région arctique qui auront un impact significatif" sur l'équilibre mondial des pouvoirs ; une région où, cependant, la marine américaine souffre de lourds retards technologiques et stratégiques par rapport à la Russie et à la Chine.

Cela signifie que le besoin perçu de contenir la Russie et la Chine dans l'Arctique, associé à leur retard général par rapport à ces deux acteurs, conduira probablement les États-Unis à une course à la militarisation de la macro-région arctique dans une tentative de saboter, en particulier, la branche polaire de la nouvelle route de la soie. En tout cas, depuis quelques années, les stratèges américains insistent sur l'importance stratégique que prend l'Arctique : l'idée avancée en 2019 d'acheter le Groenland au Danemark n'est que l'exemple le plus frappant mais, malgré ces tentatives, la Russie et la Chine avancent plus vite que les États-Unis dans leurs projets arctiques.

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Si l'on tient bien compte des idées énoncées dans la stratégie de l'"avantage en mer", le fait majeur à retenir est que la sécurité des États-Unis dépend essentiellement de leur supériorité maritime et qu’ils doivent dès lors agir pour réaffirmer cette supériorité qu'"ils perdent à un rythme alarmant". L'idée-force est énoncée dès la première ligne de l'introduction du document, qui stipule que "nos actions au cours de cette décennie façonneront l'équilibre des pouvoirs pour le reste du siècle". Par conséquent, il est difficile de ne pas conclure qu'une telle stratégie entraînera une course aux armements impulsée par les États-Unis pour imposer leur suprématie dans l'Arctique en militarisant la macro-région et, en outre, pour empêcher la Chine d'obtenir l'hégémonie dans la Méditerranée asiatique, avec des risques énormes pour la sécurité internationale. 

  1. 1) Ce document peut être consulté ici: https://media.defense.gov/2020/Dec/16/2002553074/-1/-1/1/...

 

Marco Ghisetti

Marco Ghisetti est titulaire d'un doctorat en politique mondiale, en relations internationales et en philosophie. Il a travaillé et étudié en Europe, en Russie et en Australie. Il s'occupe principalement de géopolitique, tant pratique que théorique, de théorie politique et de philosophie politique. Parmi les différents centres d'études ou revues qui ont publié ses articles, outre Eurasia, figurent Osservatorio Globalizzazione et Geopolitical News PR.

La Turquie pivote vers le centre du nouveau grand jeu

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La Turquie pivote vers le centre du nouveau grand jeu

Pepe Escobar

Ex: https://www.unz.com

Lorsqu'il s'agit de semer la zizanie et de profiter de la division des autres, la Turquie d'Erdogan est une véritable superstar.

Sous le délicieux nom de Countering America's Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA), l'administration Trump a dûment imposé des sanctions à Ankara pour avoir osé acheter des systèmes russes de défense anti-missiles sol-air S-400. Les sanctions visaient l'agence turque d'acquisition de matériel de défense, la SSB.

La réponse du ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a été rapide : Ankara ne reculera pas - et réfléchit en fait à la manière de réagir.

Les caniches européens ont inévitablement dû assurer le suivi. Ainsi, après le proverbial et interminable débat à Bruxelles, ils se sont contentés de sanctions "limitées" - ajoutant une nouvelle liste pour un sommet en mars 2021. Pourtant, ces sanctions se concentrent en fait sur des individus non encore identifiés, impliqués dans des forages en mer au large de Chypre et de la Grèce. Elles n'ont rien à voir avec les S-400.

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L'UE a en fait proposé un régime de sanctions très ambitieux, inspiré du Magnitsky Act américain, qui vise à protéger les droits de l'homme dans le monde entier. Cela implique l'interdiction de voyager et le gel des avoirs de personnes considérées unilatéralement comme responsables de génocide, de torture, d'exécutions extrajudiciaires et de crimes contre l'humanité.

La Turquie, dans ce cas, n'est qu'un cobaye. L'UE hésite toujours fortement lorsqu'il s'agit de sanctionner un membre de l'OTAN. Ce que les eurocrates de Bruxelles veulent vraiment, c'est un outil supplémentaire et puissant pour harceler surtout la Chine et la Russie.

Nos jihadistes, pardon, les "rebelles modérés"

Ce qui est fascinant, c'est qu'Ankara sous Erdogan semble toujours faire preuve d'une sorte d'attitude consistant à dire, "le diable peut s'en soucier".

Prenez la situation apparemment insoluble dans le chaudron d'Idlib, au nord-ouest de la Syrie. Jabhat al-Nusra - alias Al-Qaida en Syrie - est maintenant impliqué dans des négociations "secrètes" avec des gangs armés soutenus par la Turquie, comme Ahrar al-Sharqiya, sous l’oeil des officiels turcs. L'objectif : augmenter le nombre de jihadistes concentrés dans certaines zones clés. L'essentiel : un grand nombre d'entre eux proviendront de Jabhat al-Nusra.

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Ankara reste donc, à toutes fins pratiques, entièrement derrière les djihadistes purs et durs du nord-ouest de la Syrie - déguisés sous le label "innocent" de Hayat Tahrir al-Sham. Ankara n'a absolument aucun intérêt à laisser ces gens disparaître. Moscou, bien sûr, est pleinement consciente de ces manigances, mais les stratèges rusés du Kremlin et du ministère de la défense préfèrent laisser faire pour le moment, en supposant que le processus d'Astana partagé par la Russie, l'Iran et la Turquie puisse être quelque peu fructueux.

Erdogan, en même temps, donne magistralement l'impression qu'il est bel et bien impliqué dans le pivotement de son pays vers Moscou. Il entre en effervescence quand il parle de "son collègue russe Vladimir Poutine" et quand il soutient l'idée - initialement présentée par l'Azerbaïdjan - d'une plateforme de sécurité régionale unissant la Russie, la Turquie, l'Iran, l'Azerbaïdjan, la Géorgie et l'Arménie. M. Erdogan a même déclaré que si Erevan fait partie de ce mécanisme, "une nouvelle page pourrait s'ouvrir" dans les relations Turquie-Arménie, jusqu'ici inextricables.

Il sera bien sûr utile que, même sous la prééminence de Poutine, Erdogan ait un siège très important à la table de cette organisation de sécurité putative.

La vue d'ensemble est encore plus fascinante, car elle présente divers aspects de la stratégie d'équilibre eurasiatique de Poutine, qui implique comme principaux acteurs la Russie, la Chine, l'Iran, la Turquie et le Pakistan.

À la veille du premier anniversaire de l'assassinat du général Soleimani, Téhéran est loin d'être intimidé et "isolé". À toutes fins utiles, elle contraint lentement mais sûrement les États-Unis à quitter l'Irak. Les liens diplomatiques et militaires de l'Iran avec l'Irak, la Syrie et le Liban restent solides.157191553.jpg

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Et avec moins de troupes américaines en Afghanistan, le fait est que l'Iran, pour la première fois depuis l'ère où l’on ne cesse plus de parler de l'"axe du mal", sera moins entouré par le Pentagone. La Russie et la Chine - les nœuds clés de l'intégration eurasienne - l'approuvent pleinement.

Bien sûr, le rial iranien s'est effondré par rapport au dollar américain, et les revenus pétroliers sont passés de plus de 100 milliards de dollars par an à quelque 7 milliards. Mais les exportations non pétrolières dépassent largement les 30 milliards de dollars par an.

Tout est sur le point de changer pour le mieux. L'Iran est en train de construire un oléoduc ultra-stratégique reliant la partie orientale du golfe Persique au port de Jask dans le golfe d'Oman - en contournant le détroit d'Ormuz ; ainsi, l’Iran est prêt à exporter jusqu'à 1 million de barils de pétrole par jour. La Chine sera le premier client.

Le président Rouhani a déclaré que l'oléoduc sera prêt d'ici l'été 2021, ajoutant que l'Iran prévoit de vendre plus de 2,3 millions de barils de pétrole par jour l'année prochaine - avec ou sans sanctions américaines, que celles-ci soient allégées par le tandem Biden-Harris ou non.

L'anneau d'or

L'Iran est bien relié à la Turquie à l'ouest et à l'Asie centrale à l'est. Un élément supplémentaire important de l'échiquier qui se met en place est l'entrée des trains de marchandises qui relient directement la Turquie à la Chine via l'Asie centrale - en contournant la Russie.

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Au début de ce mois, le premier train de marchandises a quitté Istanbul pour un voyage de 8.693 km en 12 jours, passant sous le Bosphore via le tout nouveau tunnel Marmary, inauguré il y a un an, puis le long du couloir moyen Est-Ouest via la ligne ferroviaire Bakou-Tbilissi-Kars (BTK), à travers la Géorgie, l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan.

En Turquie, il est connu sous le nom de "chemin de fer de la soie". C'est la BTK qui a permis de réduire le transport de fret de la Turquie vers la Chine d'un mois à seulement 12 jours. L'ensemble du trajet entre l'Asie de l'Est et l'Europe occidentale peut désormais être parcouru en 18 jours seulement. Le BTK est le nœud clé du "couloir du milieu" de Pékin à Londres et de la "route ferroviaire de la soie" du Kazakhstan à la Turquie.

Tous ces projets s'inscrivent parfaitement dans le programme de l'Union européenne, en particulier celui de l'Allemagne : mettre en place un corridor commercial stratégique reliant l'Union européenne à la Chine, en contournant la Russie.

Cela permettrait à terme de consolider l'une des alliances clés des années folles : l’alliance Berlin-Beijing.

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Pour accélérer cette alliance présumée, on dit à Bruxelles que les eurocrates profiteraient du nationalisme turkmène, du pan-turquisme et de la récente entente cordiale entre Erdogan et Xi en ce qui concerne les Ouïgours. Mais il y a un problème : beaucoup d’Etats turcophones préfèrent une alliance avec la Russie.

De plus, la Russie est incontournable lorsqu'il s'agit d'autres corridors. Prenez, par exemple, un flux de marchandises japonaises allant à Vladivostok, puis via le Transsibérien à Moscou et ensuite vers l'UE.

La stratégie de contournement de la Russie par l'UE n'a pas vraiment été un succès en Arménie-Azerbaïdjan : ce que nous avons eu, c'est un recul relatif de la Turquie et une victoire russe de facto, Moscou renforçant sa position militaire dans le Caucase.

Entrons maintenant dans un nouveau jeu encore plus intéressant : le partenariat stratégique Azerbaïdjan-Pakistan, désormais en surrégime dans les domaines du commerce, de la défense, de l'énergie, de la science et de la technologie, et de l'agriculture. Islamabad a d'ailleurs soutenu Bakou sur le Haut-Karabakh.

L'Azerbaïdjan et le Pakistan entretiennent tous deux de très bonnes relations avec la Turquie : une question d'héritage culturel turco-persan très complexe et interdépendant.

Et ils pourraient se rapprocher encore davantage, avec le corridor international de transport nord-sud (INTSC) qui relie et reliera plus sûrement encore non seulement Islamabad à Bakou, mais aussi les deux à Moscou.

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D'où la dimension supplémentaire du nouveau mécanisme de sécurité proposé par Bakou, qui unit la Russie, la Turquie, l'Iran, l'Azerbaïdjan, la Géorgie et l'Arménie : tous les quatre veulent ici des liens plus étroits avec le Pakistan.

L'analyste Andrew Korybko l'a joliment surnommée "l'anneau d'or" - une nouvelle dimension de l'intégration de l'Eurasie centrale, avec la Russie, la Chine, l'Iran, le Pakistan, la Turquie, l'Azerbaïdjan et les "stans" d'Asie centrale. Tout cela va donc bien au-delà d'une éventuelle Triple Entente : Berlin-Ankara-Beijing.

Ce qui est certain, c'est que la relation Berlin-Moscou, si importante, restera forcément froide comme de la glace. L'analyste norvégien Glenn Diesen a résumé le tout : "Le partenariat germano-russe pour la Grande Europe a été remplacé par le partenariat sino-russe pour la Grande Eurasie".

Ce qui est également certain, c'est qu'Erdogan, un maître du pivotement, trouvera des moyens de profiter simultanément et de l'Allemagne et de la Russie.

mardi, 29 décembre 2020

Le colonel de réserve Richard Black révèle les vraies raisons de la survie de l'OTAN

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L'OTAN doit être dissoute

Le colonel de réserve Richard Black révèle les vraies raisons de la survie de l'OTAN

Par le Colonel Richard Black

Ex : https://www.tradicionviva.es

SEN. RICHARD BLACK : Je suis très heureux d'être ici à la tribune de l'Institut Schiller, et je veux que vous sachiez à l'avance que j'y viens en tant que « superpatriote américain ». J'ai risqué ma vie des centaines de fois au combat.

Je suis donc très patriote, mais je suis très préoccupé par l'OTAN.

L'OTAN, à mon avis, représente une menace très sérieuse pour la paix mondiale. En fait, c'est la pièce maîtresse de l'état profond. En 1949, l'OTAN a été créée en tant qu'alliance défensive contre l'Union soviétique, qui avait une forte puissance nucléaire. L'Union soviétique, en réponse, a formé le Pacte de Varsovie, six ans plus tard, en 1955. De nombreuses années de guerre froide ont passé. Heureusement, il n'y a pas eu de guerre nucléaire ni de guerre conventionnelle.

La guerre froide a pris fin en 1991, lorsque l'Union soviétique a été dissoute et que le communisme a été définitivement discrédité. Le pacte de Varsovie a été dissous la même année.

Or, en 1991, l'OTAN n'avait aucun but pratique et aurait dû être dissoute. Sa dissolution aurait été une grande chose pour la paix dans le monde. Les perspectives de paix permanente sont très prometteuses.

Col. Richard H. Black (USA Ret.), former head of the Army’s Criminal Law Division of The Pentagon, former State Senator (Va.) Delivered to the Schiller Institute conference December 12, 2020 https://bit.ly/2KMogqn

La distance entre l'Allemagne et le cœur de la Russie était de plus de 3.000 miles, une grande zone tampon contre tout type de lancement accidentel de missile ou d'invasion hostile, d'une manière ou d'une autre. Ainsi, à cette époque, les perspectives d'une troisième guerre mondiale étaient extrêmement éloignées et c'était un très bon moment de l’histoire récente.

Un an plus tôt, en 1990, le président George H. W. Bush et la direction de l'OTAN avaient garanti que si laRussie n'intervenait pas dans la réunification de l'Allemagne, l'OTAN ne se déplacerait pas d'un pouce vers l'est, en direction de la Russie, et celle-ci a accepté cet accord et l'a fidèlement respecté. Mais, l'OTAN a menti, et ils ont menti démesurément. Au lieu de tenir sa promesse, l'OTAN a agi rapidement, jusqu'à aujourd'hui, ils sont à 20 miles de la frontière russe. L'OTAN a donc avancé à peu près sur la même distance que d'un océan à l'autre aux États-Unis, de New York à San Francisco.

Au lieu de dissoudre l'OTAN, l'Alliance est passée de 16 à 30 membres, et ils l'ont fait en présentant faussement la Russie comme la réincarnation de l'Union soviétique, ce qu'elle n'était pas du tout.

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Maintenant, il est important de réaliser que la population de la Russie représente la moitié de celle des États-Unis et que son économie n'a que la taille de celle de l'Italie. Une bonne mesure du risque réel pour la Russie est que l'Allemagne, qui est la plus grande puissance industrielle de l'Europe, a évalué la menace d'une invasion russe comme étant si peu probable qu'elle a réduit le nombre de ses chars de 5000 pendant la guerre froide à 200 aujourd'hui. Presque rien.

Aujourd'hui, Donald Trump a fait campagne pour se retirer de l'OTAN, parce qu'elle était obsolète, et il s'est engagé à normaliser les relations avec la Russie et la Syrie ; cependant, le problème est que cela aurait détruit la {raison d'être}, la raison même de l'existence de l'OTAN et de l'état profond.

Et c'est cette raison principale, à mon avis, qui a fait subir au président Trump des coups continus, qui ont commencé avant son élection et qui ont culminé dans la fraude électorale massive à laquelle nous venons d’assister.

La fausse nouvelle d’une intervention russe dans les processus électoraux américains a mis le président Trump dos au mur. Il a été forcé de changer sa rhétorique anti-OTAN en une demande d'achat d'armes supplémentaires par l'OTAN. Ils l'ont fait et, bien sûr, cela n'a fait qu'exacerber la course aux armements entre l'OTAN et la Russie.

L'OTAN et le complexe militaro-industriel, tout l'État profond, qui emploie des millions de bureaucrates influents, dépendent de la perception par le public de menaces imminentes à leur existence. Des millions d'emplois liés à la défense sont concernés. Mais le fait est que, à l'exception de quelques escarmouches mineures à la frontière avec le Mexique, les États-Unis n'ont jamais été envahis par une nation étrangère depuis la guerre de 1812. À l'époque, nous étions une petite nation faible, et aujourd'hui, nous sommes un gros monolithe dans le monde. Le budget de la défense des États-Unis est si important qu'il dépasse aujourd'hui les dix plus gros budgets de défense de toutes les autres nations. Nous avons trois fois le budget de la Chine, quinze fois celui de la Russie et quarante fois celui de l'Iran. La marine américaine a un tonnage trois fois supérieur à celui de la Russie ou de la Chine. Leurs marines sont primitives : pourtant, nous disposons de 11 énormes forces opérationnelles autour de porte-avions pour projeter notre puissance dans le monde.

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Les troupes de la marine, l'infanterie de marine, sont une indice très parlant de la puissance d'une nation, de sa capacité à envahir d'autres pays par la mer.

Les États-Unis ont quinze fois plus de troupes navales que la Russie et huit fois plus que la Chine.

Ainsi, quiconque imagine que nous pourrions être menacés par une sorte d'invasion n'a qu'à regarder la taille du Corps des marines américains. Et la taille de leurs forces navales et, par suite, de constater que c'est un fantasme.

Avec les États-Unis aux commandes, l'OTAN a opté imprudemment pour des mesures provocatrices contre la Russie, pour augmenter délibérément les tensions, faisant déployer à plusieurs reprises des missions aériennes avec des capacités nucléaires aux abords immédiats de la frontière russe, et juste avant d'atteindre celle-ci, ils décollent et se dirigent dans leur direction. Rien qu'au mois d'août 2020, elle a obligé la Russie à faire décoller ses propres avions pour intercepter ces bombardiers et ce, à 27 occasions différentes.

Les provocations, tant navales qu'aériennes, sont devenues si provocatrices et si risquées qu'en 2019, le président Poutine a pris la décision de révéler son programme d'armes nucléaires hypersoniques, jusqu'alors secret.

Il l'a fait, non pas pour se vanter et impressionner le monde, mais pour éviter toute éventuelle action offensive contre la Russie. Il a ensuite annoncé qu'il allait armer la marine russe et la force sous-marine russe avec des missiles hypersoniques.

En l'absence quasi totale de zone tampon entre l'OTAN et la Russie, ces missiles, qui ne peuvent être interceptés, peuvent atteindre Washington ou New York depuis la Russie en une heure, et pour les missiles tirés par les sous-marins russes en haute mer, en quelques minutes. Ils peuvent littéralement anéantir toute la population de Washington ou de New York.

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Il s'agit d'un danger extraordinaire auquel le peuple américain est exposé à cause de l’OTAN et de l’Etat profond. Il y a une chose qu'il faut comprendre : {la Russie ne veut pas la guerre.} Ils ne veulent certainement pas d'une guerre nucléaire. Et ils ne peuvent pas combattre les États-Unis et l'OTAN de manière conventionnelle. Mais les États-Unis ont démantelé tous les accords nucléaires, presque tous les traités de désarmement nucléaire.

Ils avaient été péniblement négociés pendant des décennies, et maintenant nous développons des armes nucléaires à petite échelle dont le seul but est de faire de la guerre nucléaire une réalité plus pratique.

Ainsi, l'OTAN, qui défendait autrefois l'Europe, mène maintenant des guerres agressives au Moyen-Orient et est sollicitée pour affronter la Chine et se joindre à cette entreprise, ce qui risque fort de se produire.

Chacune de ces expansions de l'OTAN soulève le spectre d'une guerre nucléaire. Si la troisième guerre mondiale éclate, elle tuera un grand nombre de citoyens américains, et l'OTAN sera tenue pour responsable. Le nombre de morts dépassera celui de toutes les guerres qui ont été menées dans l’histoire ! Il empoisonnerait la Terre avec des radiations. Cela provoquerait un effondrement total du commerce, des transports et de la production alimentaire. Cela pourrait anéantir complètement la civilisation.

Maintenant, il est important pour les Américains de comprendre la géographie du monde. Les États-Unis ont eu la chance d'avoir des océans de dimensions immenses sur leurs deux côtes : le Pacifique, l'Atlantique, qui s'étend sur plusieurs milliers de miles.

Nous ne sommes donc pas menacés. Aucune nation ne peut envahir les États-Unis, et à moins de menacer les autres, il n'y a absolument aucune crainte réaliste de voir éclater une guerre. Les Américains ordinaires ne tirent aucun profit des guerres sans fin que nous menons, sous l'égide de l'OTAN et de nos alliés. Et il est important de comprendre que lorsque le monde sera précipité dans une conflagration nucléaire, les hauts fonctionnaires et les oligarques mondiaux se réfugieront dans des villes souterraines préparées depuis longtemps. Mais le reste d'entre nous sera incinéré à cause de leur folie. Nous devrons alors remercier l'OTAN pour la disparition de la civilisation occidentale.

Merci beaucoup.