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dimanche, 17 janvier 2021

Arctique : Douche froide pour les ambitions - nucléaires - des Etats-Unis

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Arctique : Douche froide pour les ambitions - nucléaires - des Etats-Unis

Ex: https://zebrastationpolaire.over-blog.com

L'un des derniers foyers de tension allumés par l'administration Etasunienne sortante a été de développer des " stratégies pour l'Actique " avec en autres avatars la publication de doctrines pour l' Us Navy   [ pdf ] ,  l'USCG et même une doctrine pour le Département de la Sécurité Intérieure [ pdf ] . Ces doctrines ont pour ambition , on s'en doute un peu , de lutter contre l'influence de la Russie mais aussi désormais de la Chine dans cette région . L'un des objectifs affichés de cette stratégie est de contrer la montée en puissance de la " Route de la soie Polaire " " Polar Silk Road "  que j'ai évoqué ce blogue dans le cadre d'un article sur le concept d' Arcto-Pacifique .

Si l'ex-Sénatrice  Sarah PALIN pouvait " garder un oeil sur la Russie " de la fenêtre de sa maison dans l'Alsaka , le Secrétaire d'Etat sortant Mike POMPEO pouvait lui "voir les traces des bottes Russes" dans l'Arctique ! 

L'un des axes majeurs de cette stratégie de " containment " et même de " roll-back " de la Russie mais aussi de la Chine dans l'Arctique était de doter l' USCG de brise-glaces à propulsion nucléaire . C'était du moins la situation au courant de l'été 2020 . Ces brise-glaces devaient même être armés selon certain projets . Cette flotte de brise-glaces se devait aussi d'être un " couteau suisse " des intérêts Etasuniens dans l'Arctique puisqu'ils devaient être capables à la fois d'assurer la surveillance des pêches dans le détroit de Béring , d'aider à la pose de câbles sous-marins , d'assurer leur intégrité et de servir de plateformes à drones aériens et sous-marins .  Le déploiement de cette flotte de brise-glaces était prévue pour 2029 avec en plus la construction d'un port en eau profonde pour l'abriter .  Certains analystes Etasuniens comme Dan GOURE voient dans la construction de cette infrastructure la possibilité d'un " effet de levier " stratégique qui obligerait la Russie à divertir des ressources militaires d'autres théâtres d'opération pour contrer cette nouvelle menace . 

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Un coup de froid vient d'être donné à cette stratégie ambitieuse avec l'annonce faite par le commandant de l'USCG ,  l'amiral Karl Leo SCHULTZ le 13 janvier 2021 : L'USCG renonce à équiper sa flotte de brise-glaces à propulsion nucléaire . L'amiral Karl SCHULTZ a affirmé qu'il se concentrait sur la stratégie " Six - Trois - Un " . " Nous avons besoin de six brise-glaces . Parmi eux trois doivent être des brise-glaces lourds ou Polar Security Cutters comme nous les appellons . Et nous en avons besoin d'un tout de suite "  La construction du premier Polar Security Cutter aux chantiers VT Halter Marine est censée commencer cette année pour des essais à la mer en .... 

Pour effectuer le " tuilage " des capacités opérationnelles de l' USCG dans l'Arctique l'amiral SCHULZ a évoqué l'idée de louer des brise-glaces ( au Canada , à la Finlande , à la Norvège , ... Voir tableau ci-dessous ) mais à rejeté l'idée de renforcer - " briseglaciser " des navires garde-côtes existants !

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Ceux-ci ont d'ailleurs d'autres lièvres de mer à courir : Traquer les " narcos " au large du bouchon de Darien , traquer les pêcheurs Pékinois au large de l'île de Guam et même dans l'Atlantique-Sud . La premiére option quand à elle peut engendrer des limitations quand à la nature des missions , en particulier si elles ont un caractère sécuritaire , d'exercice de souveraineté de l'état en mer ou militaire et non plus seulement logistique ou scientifique . Le cas peut se compliquer encore lorsqu'il s'agit de données scientifiques destinées à un usage militaire comme ce fut le cas avec la mission de l' USCGC Healy au cours de l'été 2020 . L'USCG ne dispose que de deux brise-glaces de type " slush-breaker "™© , l'un d'entre eux , l' USCGC Healy est resté indiponible pendant des semaines suite à un incendie survenu en aout 2020 et l'autre , l' USCGC Polar Star , est agé de 44 ans ... 

Il est fort probable que pour la décennie qui s'ouvre la Russie restera la seule nation à disposer de brise-glaces à propulsion nucléaire ; capacité qu'elle partagera peut-être au cours ou à la fin de cette période  avec la Chine ?  

Pour comprendre l'utilité d'un brise-glace à propulsion nucléaire comme l'Arktika qui vient d'être lancé par la Russie au mois de septembre 2020 dans la maîtrise de l'Arctique il faut regarder la mésaventure survenue au navire de ravitaillement Russe Sparta III en décembre 2020-janvier 2021  

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Ce navire dont la mission est de ravitailler les bases militaires Russes de l'Arctique s'est retrouvé prisonnier des glaces le 13 décembre dernier dans l'embouchure du fleuve Iénissei au cours d'un trajet Dudinka -Arkhangelsk . Son capitaine avait très probablement refusé de se conformer à l'ordre d'interdiction de naviguer émis par l'administration de la Route Maritime Nord en raison des conditions de glace . Au bout de trois semaines ce porte-conteneurs chargé du ravitaillement des bases militaires Russes dans l'Arctique a été délivré par le brise-glace à propulsion nucléaire Vaygach envoyé par la compagnie Rosatomflot  Le Sparta III navigue désormais vers la mer de Barents escorté par le brise-glace Amiral Makarov .

On peut analyser - et même polémiquer sans raisons comme le fait la feuille de chou électronique Otanienne The Barents Observer - de diverses manières cette odyssée . Voici mon analyse : Une mission  logistique de ravitaillement de bases mlilitaires dans l'Arctique a été remplie grâce à au déploiement d'un brise glace à propulsion nucléaire même si elle a été annulée au départ en raison de conditions de banquise extrêmes !

Rédigé par DanielB

vendredi, 15 janvier 2021

Quel est l'avenir de l'Afghanistan après l'échec de Trump ?

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Quel est l'avenir de l'Afghanistan après l'échec de Trump ?

par Andrew Korybko

Ex: https://oneworld.press

Le représentant spécial du président russe pour l'Afghanistan, Zamir Kabulov, est quasi certain que le président élu Biden ne fera pas grand-chose pour inverser la tendance au retrait d’Afghanistan du président sortant Trump, malgré la nouvelle législation promulguée qui entrave la perspective de nouvelles réductions, mais il craint également que les troupes américaines soient remplacées par des entrepreneurs militaires privés dans un scénario dont il a averti qu'il serait une erreur.

Les prévisions de la Russie pour l'Afghanistan

De nombreuses questions demeurent en suspens sur la politique étrangère du président élu Biden, à l'occasion de son investiture imminente la semaine prochaine, mais l'une des questions les plus pertinentes pour toute l'Eurasie est la position qu'il adoptera face à la guerre apparemment sans fin des États-Unis contre l'Afghanistan. Le représentant spécial du président russe pour l'Afghanistan, Zamir Kabulov, est quasi certain que le président élu Biden ne fera pas grand-chose pour inverser le cours des choses concernant le retrait d’Afghanistan préconisé par le président sortant Trump, malgré la législation qui entrave la perspective de nouvelles réductions, mais il craint également que les troupes américaines soient remplacées par des entrepreneurs militaires privés dans un scénario qui, selon lui, serait une erreur. Il s'agit d'une prévision assez sérieuse qui mérite d'être approfondie afin de mieux comprendre la logique qui la sous-tend.

La nouvelle stratégie américaine en Asie centrale

J’ai expliqué l'année dernière que "la stratégie américaine en Asie centrale n'est pas aberrante, mais cela ne signifie pas qu'elle va réussir". Il a été souligné que la vision officielle de Trump pour la région, telle qu'elle est articulée par le document "Stratégie pour l'Asie centrale 2019-2025" de son administration, contraste fortement avec celle, non déclarée, de ses prédécesseurs. Au lieu de se concentrer sur la guerre hybride, qui consiste à « diviser pour régner », menée contre les terroristes, elle se concentre principalement sur un projet de connectivité régionale pacifique afin d'étendre calmement l'influence américaine dans le cœur géostratégique de l'Eurasie. Il convient de saluer la volonté de mettre en œuvre des moyens non violents, avec lesquels on peut compter dans le cadre du soft power, même s'il ne faut pas exclure la possibilité que certains éléments des anciennes stratégies informelles restent en place, en particulier après l'inauguration de Biden.

L'argument contre une autre « avancée violente »

L'ancien vice-président ramène à la Maison-Blanche un groupe de fonctionnaires influents de l'ère Obama, d'où la crainte, chez bon nombre d’observateurs, qu'il envisage sérieusement de répéter la fameuse "avancée" de l'ancienne administration, qui a finalement échoué. La donne géopolitique a cependant beaucoup changé depuis lors, et il ne semble pas y avoir de réel intérêt à la réitérer dans les conditions actuelles. Non seulement la planète est en train de se remettre de ce que l'auteur a décrit comme la "guerre mondiale C" - qui fait référence aux processus de changement de paradigme à grande échelle déclenchés par les efforts non coordonnés de la communauté internationale pour contenir le COVID-19 - mais l'Amérique est sur le point de lancer une version nationale de sa "guerre contre le terrorisme" en réponse à la prise d'assaut du Capitole la semaine dernière et les États-Unis doivent également s'adapter au rôle croissant de la Chine dans le monde. Ces deux tâches ont la priorité sur les Talibans.

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L'amélioration des liens entre les États-Unis et le Pakistan est de bon augure pour l'Afghanistan

J’ai évoqué ces derniers développements ainsi que le manque de confiance de l'administration Biden dans le gouvernement de Modi perceptible dans l'analyse qu'il a faite en début de semaine pour le Pakistan Tribune Express sur "Les trois facteurs qui vont façonner l'avenir des relations américano-pakistanaises". Cette analyse conclut que les relations bilatérales s'amélioreront à la suite de ces pressions, ce qui réduira encore la possibilité de voir les États-Unis augmenter leur participation à la guerre contre l'Afghanistan, qui, de toute façon, a d’ores et déjà échoué. Le processus de paix dansle dossier des Talibans, aussi imparfait soit-il, a véritablement donné des résultats notables au cours de l'année écoulée. Non seulement ce serait du gâchis pour Biden d'abandonner tout cela juste pour faire le contraire de ce que fit son prédécesseur, mais cela ne servirait pas à grand chose de toute façon, vu les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la stratégie de l'administration Trump pour l'Asie centrale.

Trump & Biden : des visions différentes, des intérêts partagés

En fait, c'est en Asie centrale que Trump et Biden ont une confluence d'intérêts unique. La politique d'engagement économique du premier s'accorde bien avec les projets du second de créer, dans cette région du monde, une "Alliance des démocraties". Les deux projets sont des moyens non militaires d'étendre l’influence américaine et se complètent parfaitement. S'il est probable que Biden maintiendra la présence des troupes américaines en Afghanistan ou même qu'il l'augmentera légèrement pour des raisons de politique intérieure s'il le juge opportun, il est peu probable qu'il consacre autant de temps et d'efforts militaires à ce conflit qu'Obama ne l'a fait pour les raisons mentionnées plus haut. Si les républiques d'Asie centrale ne pratiquent pas des formes occidentales de démocratie, les États-Unis les considèrent néanmoins comme étant différentes en substance des modèles de gouvernement de la Russie et de la Chine, et donc comparativement plus "légitimes",ce qui leur permettra de s'associer à elles.

L'influence pernicieuse du complexe militaro-industriel

Malgré cela, le puissant complexe militaro-industriel des États-Unis n'acceptera pas que ses intérêts les plus directs soient menacés dans la région par la décision du gouvernement civil de maintenir les troupes à un niveau historiquement bas. Compte tenu de cela, il est logique que Biden exécute la proposition de l'administration Trump de privatiser le conflit par l'intermédiaire d'entrepreneurs militaires privés (PMC), car ces derniers constituent une partie importante, avant-gardiste, du complexe militaro-industriel, surtout parce qu'ils permettent à Washington de conserver un degré de "déni plausible". De nombreux anciens militaires passent des forces armées aux PMC après leur démobilisation parce que cela paie beaucoup mieux, faisant ainsi de ces entités pratiquement une seule et même entité, sauf au sens juridique, les deux remplissant la tâche importante de garder le trillion de dollars de minéraux et de terres rares de l'Afghanistan.

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Réflexions finales

Pour l'avenir, Biden (ou plutôt, la structure du pouvoir qui se profile derrière lui) ne fera peut-être pas beaucoup de progrès politiques dans la résolution de la guerre américaine contre l'Afghanistan, mais il n'aggravera probablement pas les choses non plus. Au contraire, cette "guerre sans fin" pourrait continuer à persister, mais devenir simplement de plus en plus "oubliable" dans les médias. S'il estime qu'il serait politiquement commode de le faire au niveau national, il pourrait alors soit augmenter légèrement le niveau des troupes, soit annoncer publiquement que certaines des troupes existantes seront remplacées par des PMC. Ses services de renseignement continueront probablement à fomenter des scénarios de déstabilisation de faible intensité dans toute la région, mais ils ne concentreront probablement pas trop d'efforts sur ce point, car la grande orientation stratégique des États-Unis se déplace ailleurs, à la lumière des nouvelles conditions nationales et internationales dans lesquelles l'hégémonie unipolaire en déclin est forcée de s'adapter.

mercredi, 13 janvier 2021

L'UE et les États-Unis - Entretien avec Tiberio Graziani

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L'UE et les États-Unis

Entretien avec Tiberio Graziani, président de Vision & Global Trends. Institut international pour les analyses globales

Ex : https://en.interaffairs.ru/article/eu-and-usa/

Quelle est l'attitude de l'Union européenne face aux événements aux États-Unis, y compris la prise du Capitole américain par les partisans de Donald Trump ?

En ce qui concerne la récente attaque du Capitole américain par les partisans de Trump, les dirigeants européens ont publiquement exprimé leur stupéfaction et critiqué cette action.

Au niveau national, les dirigeants politiques des principaux partis, même ceux considérés comme eurosceptiques, nationalistes et/ou populistes, ont crié au scandale, affirmant que l'attaque du Capitole américain était une attaque contre la démocratie tout court.

Une telle déclaration - attaque du Capitole = attaque de la démocratie - de la part des dirigeants européens et des hommes politiques, issus des différentes nations membres de l'Union européenne, mérite au moins deux réflexions.

L'une de ces réflexions a un caractère général : les dirigeants européens sont incapables de concevoir un type de démocratie différent du modèle démocratique libéral, c'est-à-dire du modèle que les États-Unis ont répandu et exporté depuis 1945 dans une grande partie de la planète et qui constitue la superstructure - à la fois idéologique et opérationnelle - du système occidental dirigé par les États-Unis. Du point de vue de la culture politique, cette incapacité fait que les positions et les intérêts exclusifs de Washington sont automatiquement privilégiés dans les décisions prises par les classes dirigeantes européennes et par leurs hommes politiques en matière de politique économique et sociale intérieure et en politique étrangère. Tout cela se traduit par des choix politiques qui - outre la non prise en compte des diverses identités culturelles propres et des intérêts spécifiques du Vieux Continent - à moyen et long terme pourraient s'avérer très négatifs pour la mise en œuvre de l'intégration européenne elle-même et l'évolution de l'UE dans un sens unitaire.

Une autre réflexion - plus attentive aux circonstances actuelles - concerne plutôt l'intérêt pratique de l’eurocratie de Bruxelles et des classes dirigeantes européennes en général qui ne cherchent qu’à plaire à la nouvelle administration qui sera dirigée à partir du 20 janvier par le démocrate Joe Biden.

Quelles seront les conséquences de la situation politique aux États-Unis sur les relations entre l'UE et les États-Unis ?

À long terme, il n'y aura pas de conséquences notables, à moins qu'il n'y ait des changements - actuellement non prévisibles - dans la direction actuelle de l'Union européenne. La politique de Bruxelles, par ailleurs, pourrait être influencée par le positionnement de certains gouvernements nationaux. En particulier, en ce qui concerne l'Europe centrale et occidentale, il faudra accorder une grande attention à la France, et dans une certaine mesure à l'Allemagne, pour ce qui est de la mise en œuvre des politiques étrangères individuelles de ces deux pays à l'égard de la Chine, de la Russie et de l'Iran. L'harmonie manifestée en certaines occasions entre Paris et Berlin, concernant leurs intérêts nationaux vis-à-vis de la Chine et de la Russie, pourrait aussi se refléter dans certaines décisions futures de Bruxelles à l'égard des deux puissances eurasiennes, décisions qui s’avèreront dès lors stratégiques pour son évolution : les États-Unis, évidemment, n'entraveraient pas de telles éventualités. Quant à l'Europe de l'Est, la situation semble moins claire, en raison des effets que les initiatives ambiguës et conflictuelles de Budapest et de Varsovie et leurs relations spéciales avec les États-Unis pourraient avoir sur Bruxelles. La Hongrie d'Orban, rhétoriquement critique de la vision libérale et démocratique de Bruxelles et, dans une certaine mesure, plus proche de la "doctrine de Trump", pourrait subir de lourdes "représailles" de la part de la nouvelle administration américaine, compte tenu de certaines "sympathies" existant entre Budapest et Moscou. En cas de "représailles", des processus qui pourraient conduire à une sorte de "révolution de couleur" sur le modèle de ce qui a été vécu en Ukraine, visant à éliminer Orban, ne peuvent être exclus. La Pologne, tout aussi critique de Bruxelles que de la Hongrie, reste cependant le "meilleur ami" des États-Unis en Europe : c'est pourquoi je ne pense pas qu'elle subira de "représailles" de la part de Biden. Au contraire, la fonction anti-russe et pro-ukrainienne de la Pologne sera renforcée par le nouvel occupant de la Maison Blanche.

Les relations bilatérales entre l'Union européenne et les États-Unis changeront-elles sous la présidence de Joe Biden et si oui, dans quelle mesure ?

Les États-Unis, même sous la présidence démocratique de Biden, ne changeront pas leur stratégie désormais séculaire à l'égard de l'Europe. Dans le cadre de la stratégie américaine, l'Europe est considérée comme une tête de pont jetée sur la masse eurasienne et sur le continent africain, notamment par l'intermédiaire de l'Italie : l'administration Biden restera donc fidèle à cette perspective, vitale pour la survie des États-Unis en tant que puissance mondiale. Dans cette perspective, il faut s'attendre à ce que la nouvelle administration soit encore plus affirmatrice que la précédente, qui était républicaine, à l'égard de Bruxelles et des États membres de l’UE. Il est probable que Biden prendra des mesures encore plus résolues que Trump pour contrer le projet russo-allemand North Stream 2 ou d'autres initiatives de partenariat similaires entre Moscou et Berlin mais aussi entre Moscou et Paris. Il est également réaliste de prévoir que Biden fera obstacle à tout type d'initiatives de partenariat euro-chinois, centrées, de diverses manières, sur le projet de la nouvelle route de la soie. À la lumière de cela, la contradiction entre les véritables intérêts européens et américains ne peut cesser d’exister que si l'Allemagne et la France mènent une bataille commune au nom de la refondation de l'Union européenne en tant qu'acteur indépendant dans le nouveau scénario mondial, apparemment polycentrique.

Aspects de la stratégie maritime américaine

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Aspects de la stratégie maritime américaine

Par Giuseppe Gagliano

Ex : https://moderndiplomacy.eu

Partons d'une prémisse qui devrait être tout à fait évidente d'un point de vue stratégique : toute stratégie maritime, qu'elle soit anglaise - du XVIIIe siècle à la Seconde Guerre mondiale - ou américaine, est nécessairement une stratégie à long terme et nécessite donc des investissements à long terme tout en cherchant où il est possible d'anticiper les défis futurs. Nous pensons à cet égard aux porte-avions nucléaires de la classe Gerald Ford dont la première série devrait être mise en place l'année prochaine. Si les États-Unis ont décidé d'investir des ressources importantes pour la projection de leur puissance maritime, cela résulte de la nécessité de consolider leur puissance navale, consolidation qui est possible à la fois grâce à la puissance économique et financière dont ils disposent au moins jusqu'à aujourd'hui et grâce à l'innovation technologique. (pensons par exemple au fait que les Etats-Unis sont le seul pays à construire des catapultes pour les porte-avions à pont plat et au fait qu'avec la nouvelle classe de porte-avions Ford, la marine va se doter de catapultes électromagnétiques qui pourront augmenter d'environ un tiers les capacités actuelles des catapultes).

Bien entendu, des investissements aussi importants pour les porte-avions ne sont certainement pas accidentels, car ceux-ci jouent un rôle fondamental dans la dissuasion traditionnelle - à la fois dans le sens où ils peuvent menacer d'une intervention armée en cas de crise - et de la dissuasion nucléaire, dans la mesure où les avions qui quittent les porte-avions sont équipés d'armes nucléaires, bien qu'à faible potentiel. Ils jouent donc un rôle dissuasif très important. En bref, le porte-avions permet de recourir à une dissuasion graduelle ou souple.

Mais pour que la puissance navale américaine soit effectivement consolidée - notamment dans le cadre de l'espace indo-pacifique donc en fonction de l'endiguement de la Chine - aujourd'hui comme hier (on fait allusion à la guerre froide), les infrastructures militaires américaines présentes dans les principaux carrefours stratégiques au niveau mondial lui permettent d'exercer efficacement sa puissance navale : le renforcement du partenariat militaire avec le Japon, la Corée du Sud, Taiwan et les Philippines doit être lu comme un intérêt renouvelé de la part des Américains pour le rôle fondamental de la puissance navale. Toutes ces raisons réunies ne peuvent que nous amener à définir les États-Unis comme une véritable thalassocratie moderne.

Ce n'est pas un hasard, en revanche, si l'administration Obama a tourné son attention vers l'Asie de l'Est et du Sud à partir du constat que l'avenir du monde se joue dans ces environnements géopolitiques.

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En effet, sur le front de la concurrence économique avec la Chine, le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) a été signé en 2016, un traité auquel ont adhéré - entre autres - Brunei, le Japon, la Malaisie, Singapour, le Vietnam, à l'exclusion de la Chine. Barack Obama a défini son programme de politique étrangère, appelé "La doctrine Obama", en rejetant l'isolationnisme et en soutenant le multilatéralisme. En d'autres termes, Obama a explicitement poursuivi la tradition de réalisme incarnée par Bush "senior" et par Scowcroft : les interventions militaires, trop souvent soutenues par le Département d'Etat, le Pentagone et les think tanks, ne devraient être utilisées que lorsque l'Amérique est sous une menace imminente et directe. Dans un environnement où les plus grands dangers sont désormais climatiques, financiers ou nucléaires, il appartient aux alliés des États-Unis d'assumer leur part du fardeau commun. Tout en convenant que les relations avec la Chine seront les plus critiques de toutes, son programme politique souligne que tout dépendra de la capacité de Pékin à assumer ses responsabilités internationales dans un environnement pacifique. Si elle ne le fait pas et se laisse conquérir par le nationalisme, l'Amérique devra être résolue et prendre toutes les initiatives visant à renforcer son multilatéralisme dans la fonction d'endiguement anti-chinois. Il est donc très probable que l'actuel président américain Biden mène une stratégie de cette nature.

dimanche, 10 janvier 2021

Coup dur pour les intrigues américaines : le gazoduc « Turkish Stream » bientôt achevé

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Coup dur pour les intrigues américaines : le gazoduc « Turkish Stream » bientôt achevé

Belgrade/Moscou : Dans le Sud-Est de l’Europe aussi la politique gazière russe progresse. Le Président de la Serbie, Vucic, vient officiellement d’annoncer la mise en fonction du tronçon serbe du gazoduc Tuikish Stream lors d’une cérémonie tenue dans le village de Gospodinci dans le nord du pays. L’ambassadeur de Russie Bozan Tchartchenko et le directeur de l’entreprise de l’Etat serbe, « Serbiagaz », Dusan Bajatovic, participaient tous deux à la cérémonie.

Dans le cadre de ces manifestations officielles, le Président Vucic, a rendu visite aux postes de distribution de gaz dans la localité et, dans une allocution, a souligné l’importance cruciale de ce gazoduc pour la Serbie.

Le gazoduc, d’une longueur de 930 km passe par la Mer Noire depuis la ville littorale d’Anapa, dans le sud de la Russie, pour aboutir d’abord sur la côte turque. En janvier 2020, le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, et le Président turc Erdogan ont inauguré officiellementle gazoduc Turkish Stream. Le premier embranchement de ce gazoduc fournira du gaz russe à la Turquie. Le deuxième embranchement amènera le gaz russe vers la Bulgarie, la Serbie et la Hongrie, donc vers l’Europe.

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Le gazoduc « Turkish Stream », tout comme son équivalent en Mer Baltique, la gazoduc Nord Stream 2, participe d’un projet géopolitique ambitieux, qui doit désormais être défendu bec et ongle contre l’oppressante tentative américaine de le saboter. Lors d’une visite qu’il a rendue à Budapest en février 2019, le ministre américain des affaires étrangères, Pompeo, a sermonné son hôte hongrois et lui a fait savoir qu’il y avait là coopération trop étroite avec la Russie. Il a critiqué avec véhémence les livraisons de gaz russe à l’Europe.

Texte issu de https://zuerst.de

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L'idée impériale japonaise chez Karl Haushofer

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L'idée impériale japonaise chez Karl Haushofer

Outre la géopolitique, la plus grande passion intellectuelle du professeur et général bavarois était l’Empire du Soleil Levant

par Riccardo Rosati

Ex: https://www.barbadillo.it

haushofer-sviluppo-idea-imperiale-nipponica.jpgLa maison d'édition de Parme, méritante et courageuse, All’Insegna del Veltro, dirigée par l'excellent traditionaliste Claudio Mutti, a publié, il y a déjà quelques années, plusieurs textes fondamentaux du savant et yamatologue (= japonologue) allemand Karl Haushofer (1869-1946), fondateur en 1924 de la prestigieuse Zeitschrift für Geopolitik ("Revue de géopolitique") et auteur de nombreux ouvrages liés à la géopolitique. Il était un défenseur tenace de la nécessité d’unir la masse continentale eurasienne. Dénoncé comme un idéologue du soi-disant expansionnisme d'Hitler, Haushofer était au contraire authentiquement anti-impérialiste. D'ailleurs, son plus grand connaisseur dans notre mouvance, le Belge Robert Steuckers, est profondément convaincu que la Géopolitique de Haushofer était précisément "non hégémonique", en opposition aux intrigues des puissances thalassocratiques anglo-saxonnes voulant une domination totale sur le monde, puisque ces dernières empêchaient le développement harmonieux des peuples qu'elles soumettaient et divisaient inutilement les continents.

GiuseppeTucci1.jpgOutre la géopolitique, la plus grande passion intellectuelle du professeur et général bavarois était le Japon, qu'il a analysé, à son époque, avant la première guerre mondiale, d'un point de vue absolument original. Pour démontrer l’excellence et l'utilité des écrits de Haushofer sur le Pays du Soleil Levant, il faut mentionner un fait : il a été impliqué par le grand orientaliste italien Giuseppe Tucci (1894 - 1984) (photo) dans les activités de l'IsMEO (Institut italien pour le Moyen-Orient et l'Extrême-Orient). En effet, il a été invité à Rome par cet institut pour donner deux conférences. Son texte, Le développement de l'idée impériale japonaise, n'est qu’un extrait de la deuxième conférence donnée par Haushofer, le 6 mars 1941, en pleine Seconde Guerre mondiale ! Le texte est à insérer, historiquement, comme le souligne l'éditeur du "Cahier", le regretté Carlo Terracciano, dans le contexte des activités culturelles promues par Tucci lui-même.Celui-ci visait à informer et à sensibiliser l'intelligentsia italienne sur les opportunités et les nécessités, ainsi que sur les problèmes, de l'unité géopolitique de l'Eurasie, afin d'orienter la politique nationale vers la promotion d'une vision culturelle géopolitiquement centrée sur les relations entre l'Europe et le continent asiatique.

Les intuitions brillantes et toujours d'actualité de Tucci

Lorsque nous parlons de Giuseppe Tucci, nous devons nous rappeler que nous faisons référence à l'homme qui est considéré par de nombreux spécialistes du domaine de l’orientalisme comme le plus grand expert de l'Asie au 20ème siècle, et donc, avec le Père Matteo Ricci (1552-1610), qui fut missionnaire jésuite en Chine à la cour des Ming et le fondateur de l'orientalisme, une voix essentielle pour traiter des civilisations de ce continent complexe et archaïque. Comme par hasard, ils étaient tous deux originaires de Macerata, et nous ne pouvons pas nous empêcher de reprocher à cette ville de ne pas abriter un musée qui leur soit consacré ! Cela révèle la "cécité culturelle" contre laquelle Tucci s'est constamment battu. Son approche, cependant, n'était pas seulement académique et soutenait parfois la politique proactive du nouvel empire italien, mais elle était également encline à nourrir ces ‘’collaborations cruciales’’, comme le disait Haushofer, qui les qualifiait de pan-continentales ou de pan-impériales. Nous pensons sincèrement qu'il est limitatif de définir le professeur italien uniquement comme un tibétologue. Il doit être considéré à tous égards comme un eurasianiste, et son IsMEO a été créé afin de fonctionner comme un "agent culturel", capable de faire en sorte que notre Italie dialogue avec les peuples asiatiques de la manière la plus profitable qui soit. Pour ce faire, il a fait appel à des experts valables, parmi lesquels Haushofer. Malheureusement, c'est l'échec de cette alliance aristocratique et de cette sodalité entre orientalistes et japonologues préconisée dans les années 1930 par ces deux superbes chercheurs qui a fait tomber le monde entier sous l'emprise de la politique néocolonialiste des thalassocraties anglo-saxonnes. En fait, le Japon impérial dont parle Haushofer visait à créer une zone de coopération panasiatique qui exclurait enfin de compte les Américains et les Britanniques de toute ingérence dans le destin de l'Orient.

haj_co10.jpgL'Allemand, dans le rapport qu’il a exposé à Rome, propose un parallélisme continu entre l'histoire européenne et japonaise : "[...] les luttes sauvages entre Taira et Minamoto, semblables à la guerre des Deux Roses, [...]" (18). Il souligne ainsi ce destin commun de l'histoire européenne et japonaise. (18), destin commun auquel il croyait obstinément. Tucci a été très impressionné par le caractère non fictionnel de la spéculation de Haushofer, par le fait que le géopolitologue a reconnu la primauté de Rome et de l'Italie en général, afin de construire une alliance avec le Japon qui ne soit pas seulement politique, mais spirituelle ; par exemple, lorsqu'il compare Kitabatake Chikafusa (1293-1354) à Dante (19), puisque tous deux ont été les auteurs de grands "poèmes politiques". Cela l'amène à déclarer que la Divine Comédie a trouvé une grande résonance dans le Jinnoshiki contemporain (神皇正統記, "Jinnō shōtōki", ca. 1339) de Kitabatake, qui peut raisonnablement être considéré comme un classique de la pensée politique japonaise, où les principes de légitimité de la lignée impériale ont été établis, conformément à la tradition shintoïste. Un tel texte, dans son ancrage de la "légitimité politique" à une matrice religieuse, ne pouvait qu'attirer l'intérêt des Allemands, qui en appréciaient les valeurs, ce qui aurait pu être une inspiration pour les nations occidentales non asservies à l'Economie et à la recherche de formules éthico-politiques sur lesquelles modeler une nouvelle forme de société, tournée vers le passé, certes, mais non nostalgique.

Les références à l'Italie dans le rapport de Haushofer sont diverses et variées, ce qui confirme sa connaissance et son admiration pour l’Italie. Dans son analyse de la structure politique du Japon, ses pensées se tournent plusieurs fois vers la grande culture et la beauté de notre nation, et il va même jusqu'à mentionner le trésor qu'est le musée du Bargello à Florence (21), inauguré en 1865, qui conserve la plus importante collection de sculptures de la Renaissance au monde. Dans les travaux du géopolitologue, dont celui-ci, il tente de proposer un canon occidental à comparer avec celui de l'Orient, notamment en ce qui concerne le Soleil Levant, et il l'identifie avec grande sagesse à la Ville Éternelle. Sa célèbre définition de Kyoto comme "la Rome japonaise" n'est donc pas un hasard. Malgré son nationalisme marqué, qui l'a convaincu de collaborer avec le Troisième Reich de Hitler, sur les conseils de son ami et étudiant Rudolf Walter Richard Heß (1894-1987), le professeur et général n'a jamais eu de doutes sur la primauté culturelle italienne, qui, selon lui, était indispensable pour réorganiser dans une perspective traditionnelle un Occident, mutilé parce que dominé par le mercantilisme des pouvoirs "démocratiques". C'est l'une des principales raisons qui ont poussé Tucci à divulguer la pensée de Haushofer en Italie. Hier comme aujourd'hui, Haushofer suscite plus d'attention en Italie que dans sa propre patrie ; bien que, comme nous le répéterons à la fin, elle souffre d'une diffusion et d'une exégèse rares.

KH-pacifique.jpgUne synthèse inestimable sur la ‘’japonicitié’’

Le texte de Haushofer se distingue par sa clarté et sa précision, et en ce sens, il représente un document "didactique" d'une importance énorme pour les spécialistes de la géopolitique. Sa contribution à la recherche et, surtout, à la yamatologie (= japonologie) est unique dans le secteur, même si, comme nous l'avons mentionné, il est apriori et factieusement qualifié d'idéologue de l'expansionnisme national-socialiste.

Il faut rappeler que le séjour de Haushofer au Japon a duré de 1908 à 1910, pendant les toutes dernières années de la période Meiji (1868-1912), avec la Restauration qui a revigoré l'Archipel, en l'ouvrant aux meilleurs esprits étrangers, les Oyatoi Gaikokujin (お雇い外国人, littéralement : "les honorables employés étrangers"), parmi lesquels trois éminents Italiens : Edoardo Chiossone, Antonio Fontanesi et Vincenzo Ragusa, qui ont jeté les bases de l'art moderne au pays du Soleil Levant. Le voyage d'étude de Haushofer au Japon s'inscrit dans ce climat culturel florissant, lui fournissant des informations de première main qui seront plus tard développées dans son importante et peut-être encore inégalée analyse de l'essence du concept impérial au Japon.

L'archipel s'est unifié selon un modèle "ethno-politique" précis. À cet égard, Haushofer ne cache pas sa conviction que l'Occident n'a jamais vraiment compris la puissance particulière du Tennō (天皇, l'Empereur) dans l'histoire du Japon. À cette figure de l'homme déifié sur Terre, il associe celle du pape ; même si alors, en accord avec de nombreux penseurs traditionalistes illustres, tout d'abord Julius Evola, l'Allemand identifie dans le christianisme ce que Terracciano définit caustiquement comme "l'infection spirituelle" (9). Dans le cas du Japon, pour Haushofer, cette contamination allogène était représentée par la diffusion du bouddhisme à partir du VIe siècle après J.-C., qui a généré un danger mortel pour le sens de l’Empire au Japon. En fait, il pense que la spécificité de l'impérialité japonaise réside dans le concept de "survie" (13), totalement différent de celui de koming ("Retrait du mandat céleste"), auquel il fait allusion dans son discours, et qui a toujours connoté le régime dynastique en Chine. Nous pensons qu'il est fondamental de comprendre que c'est exactement là que réside la différence substantielle entre l'idée du Souverain en Chine et son homologue au Japon, une différence d'une importance cruciale et que de nombreux orientalistes contemporains, trop habitués aux lectures stéréotypées de matrice américaine, donc structurellement incapables de déchiffrer les codes profonds de l'Asie, ne se rendent pas compte que si le Souverain dans l'Archipel est éternel, dans ce que nous appelons encore le Céleste Empire, il ne l'est pas.

kh-jap.jpgIl convient maintenant de proposer une petite clarification linguistique. En transcrivant le terme chinois susmentionné, Haushofer utilise étrangement, pour un Allemand, le système de transcription de l'EFEO (École française d'Extrême-Orient), au lieu du Wade-Giles alors plus populaire. Dans ce système de romanisation phonétique, "Ko" correspond au "Ge" de l'actuel pinyin, le mot devient donc "gémìng" (革命, "revolt/revolt"), terme également utilisé pour désigner la grande révolution culturelle maoïste (文化大革命, "Wénhuà dà gémìng"). Cela nous fait comprendre comment certains concepts enracinés en Chine depuis l'Antiquité ont survécu aux bouleversements politiques les plus dramatiques. Dans l'Empire du Milieu, en effet, lorsqu'une famine ou toute autre catastrophe naturelle se produisait, l'Empereur lui-même était responsable, puisqu'il avait perdu la bienveillance des Déités, et le Peuple se sentait autorisé à se rebeller contre lui et à le déposer de force. Cela explique l'alternance de tant de dynasties dans le pays. Tout le contraire, comme on l'a dit, pour le Japon traditionnel, où l'empereur est un Dieu intouchable.

Haushofer parle également de la nature intrinsèquement "bicellulaire" (14) du Japon, en précisant comment : "De la conjonction de la cellule maritime (Naikai) et de la cellule continentale (Kamigata) est ainsi né l'empire primitif "Yamato", qui a absorbé les autres petits États et était sur le point de compléter l'empire insulaire, s'étendant vers le nord-ouest et le nord" (16). Dans son interprétation de la structure politique du Japon, il tient à souligner qu'en dépit du fait que le Japon, pendant ce que l'historiographie occidentale conventionnelle appelle le militarisme des années 1930 et 1940, a agi comme une thalassocratie, se déplaçant par mer, afin d'imposer ses intérêts économiques et stratégiques, principalement en Chine, pour exploiter ces matières premières qui ont toujours fait défaut au Soleil Levant, il a cependant conservé son âme "tellurique". En d'autres termes, le Japon ne devrait jamais être confondu avec l'Empire britannique ou les États-Unis, puisque ces puissances étaient mues par de simples intérêts mercantiles, sans apporter une vision "supérieure" au monde. Voici donc l'"idée impériale japonaise" chère à Haushofer : cette ‘’japonicité’’ qui s'exprime dans le sang et la terre d'un Peuple qui s'identifie au Dieu incarné, l'Empereur, qui n'est pas investi d'un "mandat", comme dans le cas chinois, mais qui est lui-même un descendant direct de la principale Déité du shintoïsme, Amaterasu-Ōmikami (天照大御神). Ce lien sacré n'a été rompu que par l'occupation américaine, à l'époque de laquelle Tennō a dû se déclarer "humain", au mépris d'une tradition millénaire.

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Version française du volume dont question dans cet article.

En analysant le récit de sa conférence romaine, nous comprenons comment Haushofer a vécu dans le monde réel. Il avait, à notre avis, sagement compris que les Puissances (religieuses et temporelles) doivent nécessairement trouver une forme de coexistence au sein de la société occidentale, au mieux si c'est dans un seul individu, comme dans le cas du Tennō précité, qu'il juge une synthèse parfaite et harmonieuse entre le divin et le politique. Ce faisant, les Allemands s'inscrivent parfaitement dans ce courant de penseurs européens qui ont poussé le Vieux Continent à redécouvrir les anciennes valeurs perdues du fait d'une constante dé-spiritualisation, qui a commencé avec la Révolution française et a été immédiatement incarnée par la figure infâme de Napoléon B(u)onaparte. 

La voie géopolitique dans la tradition

Une caractéristique de Haushofer, qui est très rare même chez les traditionalistes les plus raffinés, est son honnêteté intellectuelle, qui consiste à ne pas vouloir forcer le raisonnement pour soutenir à tout prix certaines positions. Une comparaison utile en ce sens peut se faire avec Julius Evola (1898-1974). Si, pour le grand philosophe romain, les frontières d'un Peuple sont essentiellement spirituelles, pour Haushofer ce sont au contraire les frontières tangibles du territoire ; tout part de la Géographie dans le système traditionnel élaboré par l'Allemand. Ce n'est pas pour rien qu'en revenant au Japon, dans cette Nation complexe, il a reconnu et précisément illustré le sacré dans la relation entre les deux pôles que sont "le sang et la terre". Il y a cependant des affinités entre la pensée évolienne et celle de Haushofer, c'est-à-dire une perception négative du christianisme. Au Japon, pendant le shogunat Tokugawa (1603 - 1868), la nouvelle religion importée par les missionnaires portugais au milieu du XVIe siècle se répandait silencieusement, allant jusqu'à convertir certains seigneurs locaux (les Daimyō, 大名) du sud du pays. Cela a déclenché de fortes persécutions de la part du pouvoir central. Haushofer, également dans ce texte, souligne le fait que le christianisme est entré en conflit avec une idée impériale renaissante et bénéfique, et a finalement été interdit en 1636. Le géopolitologue allemand va jusqu'à définir la religion chrétienne comme une "doctrine dangereuse" (23). En fait, Evola était du même avis en ce qui concerne l'Occident, considérant le message de l'Evangile comme la cause principale de la décadence de ce sentiment héroïque qui avait caractérisé l'Europe sous l'égide de Rome. La critique, parfois sévère, de Haushofer à l'égard de la présence chrétienne dans l'archipel doit être encadrée par l'importance qu'il accorde à l'unité raciale (24) du peuple japonais : un aspect fondamental dans sa vision du Japon, résumé dans sa fréquente répétition de l'expression "sang et terre" mentionnée ci-dessus. Par conséquent, tout facteur étranger/imparfait pourrait mettre en péril cette spécificité ethnique, à la base de l'âme impériale de l'archipel. 

51YnYZ37omL._SX358_BO1,204,203,200_.jpgQuoi qu'il en soit, il faut préciser que le penseur allemand n'a pas simplement posé les prémisses d'une géopolitique qui n'était pas eurocentrique, c'est-à-dire encline à protéger les intérêts des puissances occidentales oppressives habituelles. Haushofer est allé beaucoup plus loin, à l'autre bout du globe, jusqu'au lointain Japon, en essayant de saisir des éléments structurels de valeur universelle. Comprenant que, pour déchiffrer ce Peuple, il est nécessaire de ne jamais séparer le politique du sacré, il nous apparaît comme le meilleur yamatologue (japonologue) du 20ème siècle, avec notre Père Mario Marega - missionnaire salésien très cultivé, auteur d'une indispensable traduction de Kojiki, publiée par Laterza en 1938 - et Fosco Maraini. Il faut également rappeler le principe très clair de Haushofer selon lequel le gouvernement du territoire doit être garanti par une appartenance éthico-politique dont le souverain est le symbole vivant, représentant la "dimension interne" : le kokoro (心) (21), son "cœur". Et cette frontière spirituelle - pas seulement dans le cas du Japon - doit être défendue à tout prix. Ce n'est pas pour rien qu'il utilise à plusieurs reprises le terme "marca", qui à l'époque des Carolingiens indiquait un territoire frontalier.

Les Japonais ne comprenaient pas entièrement ses enseignements

Haushofer, dans son discours, met en garde le Japon contre l'attrait d'un désir expansionniste excessif, et lui conseille plutôt de suivre l'exemple fondateur (660 av. J.-C.) du Jinmu Tennō, consolidant le noyau de l'Empire (26-27). Malheureusement, les choix politiques du régime militaire, qui a dirigé le pays à partir des années 1930, ont été très différents.

Il est intéressant de noter comment Carlo Tracciando reconnaît une continuité de la Tradition japonaise dans les temps récents chez l'écrivain Yukio Mishima, qu'il considère comme le dernier représentant de la royauté japonaise : "En quelques mots, la sensibilité traditionnelle et moderne de Yukio Mishima saisit l'essence même du Japon éternel, l'idée impériale, synthèse et symbole vivant du pays compris comme une seule famille dirigée par le Souverain-Père ; [...]" (6). (6). Non seulement ce grand auteur et cet intellectuel prodigieux n'a pas été écouté par ses compatriotes, mais les soldats se sont même moqués de lui lorsqu'il a récité sa poignante Proclamation, avant de commettre un suicide rituel (seppuku) le 25 novembre 1970, lorsqu'avec ses fidèles compagnons du Tatenokai, il a pris d'assaut le quartier général des Jieitai (自衛隊, "Forces d'autodéfense") à Ichigaya (Tōkyō).

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Deux numéros de le revue ''Vouloir'' sur le Japon.

Sommaire (5 articles en ligne): http://www.archiveseroe.eu/vouloir-50-51-a48784108

Sommaire (5 articles en ligne + l'itinéraire): http://www.archiveseroe.eu/vouloir-101-104-a48797738

Tout aussi stimulante, et en parfaite harmonie avec la méthodologie du professeur et général, est la comparaison effectuée par Terracciano entre le Japon et l'Europe, en particulier avec notre pays. "Et le géopolitologue bavarois suit pas à pas l'histoire de la formation du Japon en établissant des comparaisons continues entre des épisodes de l'histoire japonaise et des épisodes similaires de l'histoire européenne : la Renaissance japonaise du XVIe siècle et la Renaissance italienne, la destruction de Kamakura et le sac de Rome, etc. En fait, l'approche comparative est récurrente chez Haushofer, en ce qui concerne sa tentative de créer des "ponts" entre les moments les plus élevés et les plus glorieux du Vieux Continent européen et ce qui pourrait leur être plus semblable et qui s’est produit dans l'Archipel nippon. De plus, il remet en question les racines mêmes des mythes japonais, identifiant une surprenante matrice indo-iranienne, comme le soutient Castrese Cacciapuoti dans l'annexe : "À titre d'exemple, nous citons la coïncidence symbolique des trois trésors célestes de la famille royale scythe avec les trois trésors impériaux sacrés du Japon (le miroir d'Amaterasu Yataka no kagami, l'épée de Susanowo Ame no Murakumo no Kurugi, et le joyau courbe d'Okuninishi Yasakani no Magatama), qui [...] représentent respectivement les trois fonctions - magico-religieuse, guerrière, productive - du pouvoir" (48) ; juste pour confirmer, s'il en était encore besoin pour un yamatologue de formation solide et honnête, combien le Japon raconté par Haushofer est quelque chose de riche et de profond, jamais un pays banal. Autrement dit, nous n’avons pas eu affaire aux habituelles "conférences" imprégnées de l'arrogance des professeurs d'aujourd'hui, surtout ceux d'orientation américaine, qui sont arides, s’imaginent toujours être des fins en soi. Au contraire, dans la langue allemande, les faces les plus cachées du Soleil Levant se rencontrent sans interruption, ce qui permet de pénétrer profondément dans son essence souvent inintelligible.  

Ci-dessous, l'étude du Prof. Spang, la plus complète sur le rapport Haushofer/Japon

41UXi4f7dSL._SX333_BO1,204,203,200_.jpgLe concept nodal de Lebensraum ("Espace de vie"), linteau de toute la géopolitique haushoférienne, ne pouvait pas manquer dans ce document. Cependant, dans l'exemple singulier du Japon, il est représenté par la mer, qui permet l'isolement, par lequel s'est développé le facteur ethnique du Japon spécifique : "Le simple fait que, contrairement à ce qui s'est passé pour toutes les autres émergences nationales, les migrations des peuples n'ont pas exercé d'influence sur l’émergence nationale japonaise : celle-ci est née indépendamment des migrations des tribus et suffirait à caractériser de façon absolue la genèse de l'État japonais" (14). Nous comprenons donc que l'expansionnisme voulu par le gouvernement militaire, et qui a conduit le pays à la guerre contre la Grande-Bretagne et les États-Unis, était à sa manière une trahison de cette doctrine que le scientifique allemand avait donnée aux nombreux officiers japonais qui furent ses étudiants : jeter une influence sur l'Asie pourrait également être une solution équitable pour le Japon, à condition toutefois de ne pas affaiblir ce chapelet d'identité et d'autodéfense qui, des siècles auparavant, à deux reprises, avec la force du vent et de l'eau, avait sauvé l'archipel de l'invasion mongole. Dit d'une manière plus "technico-militaire", l'armée japonaise était dispersée dans tout l'Extrême-Orient, laissant, après le désastre de Midway (3-6 juin 1942), le Peuple chez lui, pratiquement sans défense.

Encore peu d'Haushofériens parmi les traditionalistes

En conclusion, il faut laisser la place aux deux grands exégètes de Haushofer, que nous avons largement cités dans cet article. Commençons par Terracciano, dont les mots nous paraissent tout à fait appropriés pour identifier le Tennō comme "[...] le dernier survivant de la fin du kali-yuga"(8). Jamais cet érudit italien n'aurait imaginé que même cette figure, échappant partiellement à la fureur iconoclaste des Américains, aurait un jour cédé aux maux du tangible, ce qui s'est produit avec l'abdication d'Akihito, le 30 avril 2019. Tout aussi excellente est la synthèse de Terracciano qui nous parle d'une parfaite unité entre "tradition vivante et modernité opérationnelle" (10) au Japon, mettant correctement en évidence la capacité, pour la plupart constamment réussie, de ce pays à absorber, de manière fonctionnelle, les usages, les coutumes et la technologie occidentale, sans que ceux-ci n'affectent profondément l'âme. Et c'est précisément la thèse de Haushofer : les Japonais ont exploité les connaissances scientifiques venant de l'étranger, tout en maintenant intact un sentiment sacré d'unité nationale. Franchement, on ne peut s'empêcher de noter que la Bibliographie à la fin du livre montre combien peu d'études visent encore à valoriser et à diffuser la pensée du géopolitologue allemand.

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Carlo Terracciano, un ami très cher, disparu trop tôt. Il saisissait les enjeux géopolitiques avec une acuité sans pareille.

Pour en venir maintenant à Robert Steuckers, toujours dans l'essai inclus ici, il décrit l'anti-impérialisme dans la perspective de Haushofer, puisqu'il s'oppose aux intrigues visant une domination globale, manigancées par les puissances thalassocratiques anglo-saxonnes. Ces dernières empêchaient le développement harmonieux des peuples qu'ils soumettaient et isolaient cyniquement les continents. Fasciné par les idées panasiatiques et paneuropéennes, Haushofer espérait le dépassement des nationalismes et voulait contribuer, par ses écrits, à l'apparition de "grands espaces continentaux" distincts, mais unis, comme lorsqu'il prônait la collaboration entre Européens, Russes et Japonais pour former une grande alliance eurasienne à l'abri des influences britanniques et américaines (32-33). Steuckers rappelle que Haushofer avait une conception vivante du concept de frontière (34), dans lequel l'eau (mers et rivières) unit et ne divise pas, mettant en place une interprétation en totale antithèse avec celle de la thalassocratie, pour laquelle le vecteur mer sert à asservir et à piller. En fait, le chercheur belge reproche aux Britanniques et aux Américains d'asphyxier le monde et, citant Haushofer, il souligne que ces nations : "[...] pratiquent la politique de l'anaconda : elles s'agrippent à leur proie et l'étouffent lentement" (41). Il explique en outre comment Haushofer, paradoxalement, s'inspire du courant "petit-eurasiste" de la matrice russe, peut-être la meilleure école de géopolitique, même si sur des positions antagonistes par rapport à la vision spécifiquement européenne.

La grandeur de Haushofer réside dans le fait qu'il a souligné les lacunes de la vision paneuropéenne de Richard Nikolaus von Coudenhove-Kalergi (1894-1972), le partisan de l'idée de "métissage mondial", ainsi que le patron de l'Europe technocratique actuelle. Le professeur et général ne s'est toutefois pas limité à la critique, mais a proposé une alternative, dans laquelle les peuples devaient être inclus dans un espace de vie en harmonie avec leur ethnicité et leur histoire, sous la bannière de la coopération entre les civilisations. Si nous saisissions aujourd'hui les nombreuses et précieuses idées formulées il y a des années par le géopolitologue, japonologue et général d’artillerie bavarois, la mondialisation trouverait enfin un adversaire redoutable.

*Le développement de l'idée impériale japonaise, par Karl Haushofer (Parme, all'insegna del Veltro, 2004)

@barbadilloit

Riccardo Rosati

samedi, 09 janvier 2021

USA: Qui a vraiment trahi la démocratie?

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Cafe Noir N.05

USA: Qui a vraiment trahi la démocratie?

Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde. Émission du Vendredi 08 Janvier 2021 avec Pierre Le Vigan et Gilbert Dawed.
 

mercredi, 06 janvier 2021

Robert Steuckers: entretien au journal slovène "Demokracija"

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Robert Steuckers: entretien au journal slovène "Demokracija"

Sur la révolution conservatrice, la géopolitique et l'état de la Belgique

Propos recueillis par Andrej Sekulovic

Vous avez écrit deux volumes d’articles et d’essais sur le mouvement allemand de l’entre-deux-guerres que l’on a appelé la « Révolution conservatrice ». Pourriez-vous nous brosser un bref survol de ce mouvement et de ses principaux penseurs et dites-nous de quelles façons ce mouvement a influencé la « nouvelle droite » et vous-mêmes ?

Même si je brossais un « bref survol », comme vous dites, de la révolution conservatrice ou du mouvement folciste (= völkisch), j’aurais besoin d’une bonne centaine de page. Au moins. Cela excéderait le cadre de notre entretien. Mais pour faire bref, il faut tout de même rappeler que Theodor W. Adorno, l’une des figures de proue les plus emblématiques de l’Ecole de Francfort, laquelle est considérée, à juste titre, comme le contraire philosophique absolu de la « révolution conservatrice », a admis, un jour, que les critiques incisives, formulées par les meilleurs auteurs de cette « révolution conservatrice » à l’encontre des systèmes politiques wilhelminiens et weimariens et à l’encontre des philosophies implicites qui les sous-tendaient, étaient souvent plus pertinentes, plus profondes, que les critiques de la gauche, dans l’orbite de laquelle Adorno entendait inscrire son combat. Adorno ajoutait qu’il fallait impérativement se demander pourquoi ces critiques étaient plus percutantes que tout l’attirail para-marxiste des gauches, saupoudré ou non d’élucubrations psychanalytiques ou de spéculations zozo-sexuelles.

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Georg Simmel.

La « révolution conservatrice », en règle générale, car il ne faut pas omettre de penser l’extrême hétérogénéité de cet impressionnant ensemble d’auteurs, repose sur un sentiment aigu du déclin de notre civilisation, devenue trop matérialiste, trop procédurière, trop affectée par des routines devenues incapacitantes au fil du temps : cette idée se retrouve chez un sociologue/philosophe un peu oublié dans la mouvance néo-droitiste actuelle, Georg Simmel. Celui-ci insistait sur l’ossification inéluctable des « procédures » et des « procédés » nés dans la foulée de l’industrialisation généralisée de l’Europe à partir de la seconde moitié du 19ème siècle. Ces procédures et procédés avaient tous eu des départs fulgurants et prometteurs, constituaient l’annonce d’une modernité heureuse et rationnelle en advenance, mais avaient fini par s’enliser dans des routines qui empêchaient l’éclosion de nouvelles forces régénératrices. Les productions juridiques, institutionnelles et administratives de l’idéologie libérale progressiste finissaient donc par produire des encrôutements délétères, qui bloquaient tout progrès, toute décision, toute résolution des problèmes accumulés et engendraient, volens nolens, une régression généralisée, posant par là même un sérieux problème de légitimité (démocratique ou non).

Les sociétés, d’abord la wilhelminienne ou l’austro-hongroise avant 1914, ensuite la République de Weimar après le Traité de Versailles de 1919, en étaient arrivées à vivre sous une croûte étouffante de règles et de rigidités, de lourdeurs conceptuelles économicistes et déculturantes, de faux principes politiques et d’engouements faussement moralisateurs, croûte in fine parfaitement bloquante, qui empêchait de résoudre les terribles problèmes de l’heure, l’inflation galopante et l’obligation de nourrir la France par les réparations pharamineuses exigées à Versailles. Ces idées de Simmel, sur les blocages de la société dite « rationnelle », ont précisément influencé l’Ecole de Francfort, à partir de sa fondation en 1926. Consolidée par la vision noire et tragique de Spengler, penseur du déclin de l’Europe et de l’Occident tout entier, les « révolutionnaires conservateurs » vont cesser de croire à toutes les idéologies du progrès et à concevoir leurs actions (politiques ou métapolitiques) comme « kathékoniques » (prenant pour modèle le Kathekon de l’Apocalypse qui combat sans cesse pour retarder la chute finale). Les tenants de l’Ecole de Francfort vont, eux, chercher à sauver le progrès et à imaginer des formes de combat métapolitiques et politiques alternatives, basées sur d’autres agents révolutionnaires que les masses ouvrières. Leurs dernières émules enclencheront le processus de déliquescence à la fin des années 1960, processus que nous voyons se parachever aujourd’hui avec les folies festivistes et gendéristes que refusent aujourd’hui de traduire en pratiques sociales obligatoires les gouvernements polonais et hongrois. La modernité progressiste a donc eu deux chances historiques qu’elle a galvaudées : la première avant 1914 ; la seconde en deux temps, après 1945 et surtout après les révoltes des années 1967-68, annonçant l’ère du festivisme, que l’on espérait vecteur d’un bonheur inusable et éternel. Nous déchantons aujourd’hui, d’autant plus que ces fadaises idéologiques se sont couplées à une monstruosité socio-économique, le néolibéralisme, tout aussi antipolitique que les obsessions, sexuelles et autres, d’un Cohn-Bendit. Nous voyons aujourd’hui à l’œuvre la collusion catastrophique de ces fadaises et de cette monstruosité.

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L’idée spenglérienne de déclin sera accentuée par la défaite militaire allemande de 1918, par les conditions humiliantes du Traité de Versailles de juin 1919 et par l’incapacité des gouvernements successifs de la République de Weimar d’assurer l’ordre dans les rues, de protéger le peuple contre les effets des crises économiques et financières, etc. Parallèlement à la sinistrose que généraient, dans la société allemande, l’idée de déclin, de plus en plus répandue, et l’effondrement de la monnaie dû en grande partie à l’obligation de payer des réparations à la France, les groupes où oeuvrait notamment Arthur Moeller van den Bruck acquièrent l’idée que la défaite n’était pas seulement le résultat des actions lancées par les armées alliées occidentales contre l’armée impériale allemande mais aussi à l’inadéquation des institutions wilhelminiennes, une inadéquation que répètent les démocrates libéraux de la République de Weimar, quoiqu’au nom d’autres inepties idéologiques. Dans ses articles, Moeller van den Bruck va alors vulgariser ses idées en maniant les catégories de « jeune » (jung) et de « vieux/vieille » (alt). Est « jeune », ce qui recèle encore en soi des potentialités, de la fécondité créatrice sur le plan politique. Est « vieux » ce qui demeure passif sous la croûte des institutions figées, de ce qui répète des « ritournelles » infécondes. Transposée aujourd’hui, cette distinction, utilisée jadis par Moeller van den Bruck dans ses polémiques, décrèterait « vieux » le fatras libéral et soixante-huitard, qui conduit à l’impasse et à la crise permanente (comme sous la République de Weimar), et « jeune », tout ce qui se coagulerait dans un « pôle de rétivité » hostile à cet insupportable fatras.

carl_schmitt.jpgCarl Schmitt, dans le contexte de la République de Weimar plutôt que dans, celui, plus idéologique et polémique, de la révolution conservatrice, forge deux concepts à retenir : celui de la « décision » (Entscheidung), de la capacité et de la volonté de décider la politique à suivre (et même la guerre à mener) ; la « décision », avec la désignation de l’ennemi, sont dès lors les fondements même du politique, de l’essence du politique. La politique dans l’optique de Schmitt n’est constituée que par la gestion quotidienne et les débats sans grand relief des assemblées plus ou moins représentatives, en temps normaux. Quand il y a « état d’exception » ou « état d’urgence », quand la Cité est menacée, il faut décider, vite, sans débat, sans perte de temps. Ensuite, après avoir été sévèrement critiqué par des instances nationales-socialistes et s’être retiré de certains postes auxquels il avait été nommé, Schmitt a théorisé sa notion de « Grand Espace » (Grossraum), parallèlement à celles que formulaient à la même époque les diverses écoles de géopolitique actives en Allemagne, dont celle de Karl Haushofer. L’Europe, autour de son centre allemand, autour du territoire qui fut jadis celui du Saint-Empire Romain de la Nation Germanique, devait s’unir, gérer de concert son très grand appendice colonial africain et en interdire l’accès à toute puissance extérieure à ce double espace européen et africain. Pour Schmitt, c’était la notion de « Interventionsverbot raumfremder Mächte », visant à interdire toute intervention de puissances extérieures à l’espace européen dans l’espace européen et dans les espaces adjacents contrôlés par les Européens. Le modèle historique du raisonnement de Carl Schmitt, modèle en quelque sorte a contrario, était la proclamation en 1823 du Président américain Monroe qui posait comme axiome de la politique étrangère nord-américaine l’interdiction systématique de toute intervention européenne dans le Nouveau Monde, suite à l’éviction de l’Espagne hors de son empire ibéro-américain. Ne restaient présents en Amérique que les Russes en Alaska et en Californie (jusqu’en 1842) et les Britanniques au Canada. L’européisme grand-spatial de Schmitt complétait la vision triadique (Allemagne + Union Soviétique + Chine) des nationaux-révolutionnaires et nationaux-bolcheviques allemands. J’ai souligné, dans le principal essai du deuxième volume que j’ai consacré à la « révolution conservatrice », l’importance de cette volonté nationale-révolutionnaire de créer une vaste synergie germano-soviéto-chinoise dans les années 20 du siècle passé, jusqu’en 1933, année où les nationaux-socialistes s’installent dans tous les rouages du pouvoir. Le principal exposant de cette triade, eurasiste avant la lettre et avant la réanimation de ce concept par Alexandre Douguine en Russie actuelle, fut Richard Scheringer, dont la revue Aufbruch, disponible en facsimile, nous révèle des options géopolitiques et géostratégiques intéressantes qui ont, tout compte fait, un impact sur l’actualité. Les nationaux-révolutionnaires allemands entendaient prendre le pouvoir en Allemagne suite aux crises récurrentes que connaissait la République de Weimar ; pour eux, ces crises annonçaient une fin inévitable et catastrophique, générant un chaos passager auquel les anciens soldats de la Grande Guerre allaient mettre un terme, en renvoyant les politiciens falots dans leurs foyers ou… en règlant définitivement leur compte...

479.jpgLe Général H.  von Seeckt.

Les communistes, qu’ils percevaient au départ comme leurs alliés, étaient au pouvoir en URSS. Le parti dominant en Chine était le Kuo Min Tang de Tchang Kai Tchek, visant l’établissement d’un pouvoir militaire moderniste. Le Kuo Min Tang recevait l’appui de militaires allemands, dont le célèbre Général von Seeckt et le futur gouverneur militaire de la Belgique occupée von Falkenhausen. La Reichswehr résiduaire s’entraînait en URSS. Scheringer et aussi les frères Jünger, Hielscher et Niekisch souhaitaient la constitution de cette grande Triade eurasienne, capable d’attirer dans son orbite la Turquie kémaliste, l’Iran du premier Shah de la dynastie Pahlavi et les nationalistes indiens en révolte contre le colonialisme britannique. Aujourd’hui, l’inféodation de l’Allemagne (et du reste de l’Europe) dans l’américanosphère est un échec, ne peut plus conduire qu’à l’enlisement de notre continent et de notre civilisation. Le système Merkel conduit l’Allemagne à l’implosion et au ressac économique, face auxquels les crises de Weimar seront bientôt considérées comme des vaguelettes sans grande ampleur. Mais les principaux clients de l’Allemagne, qui la maintiennent à flot de nos jours, sont la Russie de Poutine, qui lui fournit le gros de son énergie, et la Chine de Xi Jinping, qui est son principal partenaire commercial. Inéluctablement, la Triade, eurasisme potentiel, est de retour. Scheringer avait vu juste.

La « nouvelle droite », surtout dans son expression parisienne, n’a pas vraiment embrayé sur les questions géopolitiques. En fait, c’est une de ces sectes intellectuelles parisiennes, avec tout ce que cela comporte de ridicule et de déplaisant. Je ne peux plus m’identifier à ce type de cénacle. Guillaume Faye déplore d’ailleurs cette situation expressis verbis, dans son livre intitulé L’archéofuturisme, ce qui ne lui fut pas pardonné : jusqu’à sa mort, il a été poursuivi par la haine de ses anciens compagnons de combat aux réflexes plus sectaires que métapolitiques. Stefano Vaj, ami de Faye, juriste et penseur milanais, théoricien d’une nouvelle droite italienne dissidente, est du même avis : ses textes caustiques sur les réflexes sectaires et l’art d’agiter sa sébile, pour mendier de l’argent pour nourrir le gourou et satisfaire ses caprices, sont très savoureux. Dans les rangs de la secte néo-droitiste parisienne, bien rares sont ceux qui comprennent un minimum d’allemand pour saisir l’importance des théories de la « révolution conservatrice » et surtout pour comprendre le contexte, éminemment germanique, dans lequel elles ont germé. Le résultat final de cette agitation bizarre, c’est une cacophonie où tous braillent des tirades issues des œuvres traduites de « conservateurs-révolutionnaires » sans jamais rien comprendre, dans le fond, au contexte compliqué de l’Allemagne de Weimar, où les acteurs politiques passaient parfois d’un camp à l’autre, en justifiant leurs choix par des argumentations complexes, très allemandes dans le sens où, derrière elles, se profilaient souvent un héritage philosophique hégélien ou des filons politiques originaux, inexportables, nés dans la seconde moitié du 19ème siècle.

Charles_Andler.jpgFinalement, dans le contexte de la nouvelle droite française, ce seront surtout Ernst Jünger et Oswald Spengler qui seront sollicités, parce qu’ils ont été très tôt et abondamment traduits en langue française. A cette réception de Spengler et, principalement, de Jünger, il faut ajouter un impact très important du filon nietzschéen français, né avant la première guerre mondiale, sous la notable impulsion de Charles Andler (1866-1933), Strasbourgeois de naissance, auteur de trois volumes sur la réception de Nietzsche en France. Charles Andler était socialiste, membre fondateur du Parti Ouvrier Socialiste Révolutionnaire, fondé en 1889. Il avait correspondu avec Engels, définissait sa position comme « humaniste et travailliste » mais, comme la référence à Nietzsche avant 1914 était davantage socialiste que conservatrice, il se rend en Allemagne en 1904 pour rencontrer la sœur de Nietzsche et en Suisse, à Bâle, en 1907 pour prendre conseil auprès du premier grand spécialiste de la pensée nietzschéenne, Carl Albrecht Bernoulli (1868-1937), élève de l’ami de Nietzsche, Franz Camille Overbeck (1837-1905). Son triple positionnement politique, socialiste, dreyfusard et nietzschéen, suscite l’hostilité virulente de l’Action Française, principale porte-voix de la droite nationaliste à l’époque. Pourtant, Andler n’était pas un Alsacien germanophile : pendant la première guerre mondiale, il crée diverses structures visant la réintégration de l’Alsace dans la République française.

Andler, socialiste, campe toutefois une image de Nietzsche qui n’est nullement frelatée, qui est complète et synoptique. Avec méthode, avec un regard encyclopédique, il dresse la liste de toutes les sources de la pensée de Nietzsche et les commente sans jamais jargonner. Il explore bien évidemment les sources allemandes de cette pensée aphoristique et non systématique (contrairement à la mode hégélienne) mais il n’omet pas de signaler les sources françaises : Montaigne, Pascal, La Rochefoucauld, Fontenelle, Chamfort ou encore Stendhal. Bon nombre d’idées, toujours actuelles, de Nietzsche sont issues de ses lectures françaises : la volonté de démasquer les mensonges sociaux, l’idée d’un regard qui doit être nécessairement « perspectiviste » sur le réel, le naturalisme moral, le pessimisme intellectuel, la critique de l’esprit grégaire, la glorification du solitaire qui se dégage de la foule des ignorants, l’idée stendhalienne que la civilisation se mesure à l’énergie et que tout déclin d’énergie annonce une chute de civilisation, le primat du beau, etc. Mais nous sommes là en présence d’un hiatus dans l’histoire des idées en France, dès que l’on évoque la figure et l’œuvre d’Andler : les gauches françaises et allemandes ne le retiennent pas parce qu’elles ont nié, à un certain moment de leur histoire, tant en France qu’en Allemagne, sa forme de socialisme, qui était humaniste, travailliste et nietzschéenne. Il y a dans les gauches, surtout à l’heure actuelle, une dénonciation des stratégies démasquantes préconisées par Nietzsche, surtout dans La généalogie de la morale. Tout simplement parce que la gauche tient le haut du pavé dans le « paysage intellectuel français », ses intellos formant une nouvelle cléricature intolérante, hystérique, arcboutée sur ses slogans, qui craint évidemment l’émergence d’un contre-pouvoir culturel polisson, annexant à son profit les stratégies démasquantes préconisées par Nietzsche dans une partie significative de son œuvre philosophique. Ensuite, nos gauches contemporaines rejettent toute approche « perspectiviste », c’est-à-dire toute approche plurielle des phénomènes à l’œuvre dans l’histoire et sur les scènes politiques, au nom du « politiquement correct ». Toute critique de l’esprit grégaire ou toute référence à une énergie vitale est assimilée à l’ « extrême-droite », soit au mal absolu.

A droite, Andler est tout aussi délibérément oublié car son socialisme l’assimile aux gauches, ce qui est in fine une analyse à très courte vue, qui se contente d’ânonner des étiquettes, celle qu’exigent de nous tous le politiquement correct actuel et la paresse intellectuelle induite par le système politico-médiatique. Les positions dreyfusardes d’Andler ne lui sont pas pardonnées à droite du spectre politique. L’hostilité qui lui a vouée l’Action Française s’est maintenue en quelque sorte dans les cénacles de droite, qui, comme leurs adversaires de gauche, font de l’apologétique figée et ne procèdent pas à la généalogie des idées en général et de leurs propres corpus en particulier. Quant aux fractions germanophiles et/ou ethnistes/régionalistes dans le petit monde des droites françaises, elles ne comprennent pas son engagement pour réintégrer l’Alsace ethniquement et/ou linguistiquement germanophone dans le cadre d’une « Troisième République », honnie pour ses options maçonniques et bourgeoises.

md22543237156.jpgNous nous trouvons dès lors devant quelques beaux paradoxes : la « nouvelle droite », qui se revendique « nietzschéenne » par hostilité au christianisme en général et au catholicisme tiers-mondiste en vogue depuis Vatican II en particulier, ne prend pas en compte le nietzschéisme français (et allemand) original qui se situait à gauche de l’échiquier politique de la Troisième République et du Reich wilhelminien, alors que les positions prises en son temps par Andler sur l’œuvre de Nietzsche correspondent presque exactement à celles que la « nouvelle droite » entend défendre aujourd’hui, parce qu’elle a abandonné ses options premières anti-égalitaristes et favorables aux droites giscardiennes et chiraquiennes des années 1970 et 1980.

Pour revenir à votre question, quant à savoir dans quelle mesure la vaste mouvance de la « révolution conservatrice » (allemande ou autre) m’a influencé ou a influencé la « nouvelle droite » française, je dirais que mes démarches, et celles de mes condisciples au temps où nous étions à l’école secondaire, ont été entamées bien avant de connaître la « nouvelle droite » parisienne. Chez moi, elle a commencé par une lecture, très tôt, de deux livres de Nietzsche, L’Antéchrist et La Généalogie de la morale. Nous étions en 1971. Ensuite, les bougres de petits cornichons de collégiens bruxellois, que nous étions, ont tâtonné pendant quatre ans avant de découvrir la revue Nouvelle école, qui ne parlait pas encore de « révolution conservatrice », sauf au détour d’une recension par Giorgio Locchi, excellent germaniste italien, du livre d’Armin Mohler, Die konservative Révolution in Deutschland 1918-1932. Nous étions bien conscients que le « foutoir » en place dans notre pays (et ailleurs) devait être balayé, jeté au dépotoir de l’histoire comme on jette au dépotoir communal les vieux meubles gangrénés par l’insatiable voracité des xylophages. Même gamins, nous savions qu’il fallait une révolution culturelle, reposant sur le savoir classique (nous étions dans les classes latines), mais aussi sur ce qui avait été refoulé suite aux deux grandes conflagrations fratricides qui avaient ruiné l’Europe entre 1914 et 1945. Pour nous, ce refoulement était surtout celui qui avait évacué la culture germanique, qui avait été déterminante en Belgique avant 1914, quand tous voulaient penser autrement que dans les insupportables schémas de la révolution française et du « machin république », dont on nous rabat encore les oreilles aujourd’hui, au point de nous donner des envies de vomir lorsqu’un sbire de cette république mitée, qu’il soit de droite ou de gauche, ose encore parler de « valeurs républicaines », alors que tout ce qui touche à cette république n’a aucune valeur, constitue même les pires des « antivaleurs ».

51WYZjNjSuL._SX195_.jpgLa nécessité de l’ancrage classique, je la dois au professeur de latin, l’Abbé Simon Hauwaert, qui avait bien conscience que les humanités gréco-latines, auxquelles il tenait comme à la prunelle de ses yeux, devait être consolidées par un savoir mythologique et archéologique sur les mondes germaniques et celtiques. C’est ainsi que j’ai lu le celtologue Jean Markale sur les matières irlandaises, galloises et bretonnes. Pour l’initiation du collégien au monde mythologique germanique, je la dois à un petit livre que je conseille toujours vivement, dû à la plume de l’Argentin Jorge Luis Borgès, Essai sur les anciennes littératures germaniques. Ce petit savoir initial, complété par un bref cours scolaire sur les origines de la littérature néerlandaise, nous posait, dans les années 70, comme des contestataires inébranlables du désordre officiel qui s’installait en effaçant tous les legs de notre histoire et de notre culture.

Vous êtes également l’auteur d’un livre en anglais, The European Enterprise: Geopolitical Essays. Parlez-nous quelque peu de cet ouvrage et dites-nous quels événements et quels faits nous devrions prendre en considération quand nous jetons un regard sur la situation géopolitique actuelle de l’Europe et du reste du monde?

Je n’ai jamais reçu ce livre que j’ai écrit. Je ne sais pas à quoi il ressemble. Le thème de cet ouvrage, la géopolitique, est présent de longue date dans mes préoccupations : je me suis toujours intéressé à l’histoire et aux cartes depuis mon enfance. Dans la version allemande de son petit ouvrage didactique et programmatique sur la « nation européenne », Jean Thiriart évoquait la géopolitique et avait inséré quelques cartes suggestives dans les pages de ce petit volume de 192 pages. Plus tard, j’ai découvert le travail de Jordis von Lohausen, Mut zur Macht (1978), qui a donné une véritable impulsion géopolitique à mes travaux métapolitiques, non pas, de prime abord, dans le cadre d’une organisation politique ou métapolitique quelconque mais bien dans le cadre de mes études de traducteur-interprète, où nous avions, pendant les deux dernières années, un cours très important sur les relations internationales.

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De même, les cours d’anglais et d’allemand prévoyaient un volet « culturel/historique », impliquant l’étude des littératures mais aussi et surtout des « structures politiques, économiques, sociales et culturelles » (SPESC) des pays étudiés. Cette série de cours m’ont permis de comprendre l’histoire institutionnelle de l’Allemagne de Guillaume II à la République Fédérale assise sur la constitution de 1949. Pour les pays anglo-saxons, les cours étaient moins concis et moins cohérents vu qu’il s’agissait d’aborder et le Royaume-Uni et les Etats-Unis, voire d’autres pays anglophones comme le Canada ou l’Australie, dans un même cours, dans le même nombre de périodes.

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C’est dans le cadre de ce cours que je découvre les atlas historiques de Colin McEvedy qui aborde l’histoire européenne dès la protohistoire et l’envisage de manière dynamique, en la posant comme le choc permanent et/ou récurrent de matrices civilisationnelles indo-européennes avec les matrices d’autres groupes ethniques, plus ou moins homogènes aux débuts de leur émergence sur le théâtre eurasien (car McEvedy ne limite pas l’Europe ou l’aire d’expansion des matrices indo-européennes à ce qu’il est convenue de définir aujourd’hui comme notre continent ; McEvedy y englobe les deux rives de la Méditerranée et un espace steppique s’étendant jusqu’au Pamir). Les phases d’expansion et de recul de l’européanité se succèdent face à des matrices autres, notamment celle qui formera, au cours de l’histoire, le trinôme hostile regroupant les matrices hamitique/asianique, arabo-sémitique et turco-hunnico-mongole, dont les territoires initiaux sont le vaste espace nord-africain, l’espace péninsulaire arabique et l’espace steppique d’Asie centrale. La présence hamitique/asianique en Espagne à partir de 711, l’expansion arabo-sémitique après Mohamed, sous les premiers califats, la longue occupation des Balkans par l’Empire turco-ottoman sont autant de phases de recul, qui ont été compensées par des reconquistas sur une durée longue ; le ressac de l’Europe, son effondrement démographique face aux autres matrices, qui, elles, ne connaissent pas ce phénomène involutif de déclin, constituent une nouvelle et inquiétante phase de recul, accentuée par le fait qu’il n’y a plus vraiment de frontière nettement tracée, un limes ou une redoute de « graniçar » ou de « haidouks », où l’européanité pouvait s’arcbouter, l’européanité assiégée. La lutte pour la domination finale se déroule au sein même des villes d’Europe, jusqu’en Scandinavie.

Le livre en langue anglaise, et ma trilogie intitulée Europa, parue en France aux éditions Bios, abordent en long et en large ces processus de maîtrise de l’espace. A cette influence initiale de Thiriart, de von Lohausen et de McEvedy, s’ajouteront plus tard une découverte des travaux du géopolitologue allemand Karl Haushofer, grâce à de multiples impulseurs, et de la notion de « Grand Espace » (Grossraum) chez Carl Schmitt, grâce notamment à des débats avec l’avocat strasbourgeois Jean-Louis Feuerbach qui avait abordé minutieusement cet aspect de l’œuvre de Schmitt.

Tout cela implique que la survie de l’Europe en tant que civilisation particulière, différente de celle de l’Occident anglais, français et américain, passe par les nécessités suivantes :

  • Penser conjointement les dynamiques impériales présentes sur le continent européen (soit les dynamiques impériales d’Espagne (en Méditerranée notamment), d’Allemagne et d’Autriche, de Russie, dans la perspective de la restaurer pour faire face à tout environnement hostile, orchestré principalement par l’hegemon d’Outre-Atlantique. Une cohérence pluri-impériale mettrait rapidement un holà à tout défi de seconde main, c’est-à-dire à tout défi hamitique, sémitique ou turco-ottoman. Cela implique que ce qui a été défendu jadis et/ou conquis par l’un de ces empires, du moins dans l’orbite européen, doit être maintenu/consolidé et aucune tentative pour changer la donne ne peut être tolérée, ni dans les Canaries ni à Ceuta ni à Melilla ni dans les Balkans ni dans l’Egée ni en Méditerranée orientale ni dans le Caucase (où le gouvernement arménien a eu tort de se rapprocher de l’OTAN et le pouvoir azerbaïdjanais a eu tort de s’allier à la Turquie).
  • Cette position pluri-impériale doit s’étendre à l’espace iranien, à l’Inde (en tant qu’Etat-civilisation), à la Chine et au Japon, en dépit des hostilités héréditaires qui opposent ces entités les unes aux autres, au plus grand profit de l’hegemon du Nouveau Monde.

Dans le passé, on a pu observer des tendances séparatistes en Belgique, surtout émanant des droites flamandes. Ces tendances sont-elles encore à l’œuvre et comment voyez-vous les choses ? Dans la foulée, pouvez-vous nous brosser un survol de la situation politique en Belgique et nous parler des rapports actuels entre Flamands et Wallons ?

Parler des problèmes institutionnels de la Belgique implique d’élucider des mécanismes terriblement compliqués. Nos interlocuteurs étrangers décrochent très rapidement dès qu’on les esquisse. La Belgique possède plusieurs niveaux de pouvoir : le fédéral, le régional et le communautaire.

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La différence entre le régional et le communautaire déroute nos interlocuteurs étrangers. La région est un concept géographique, territorial. La communauté se fonde sur une base linguistique et traite de tout ce qui relève de la « personne » (enseignement, travail, etc.). La région et la communauté flamandes ont fusionné. La Wallonie est une région géographique, comprenant toutefois le territoire de la communauté germanophone. Ce qui en fait une entité bilingue (français/allemand). La communauté Wallonie-Bruxelles est représentée par des élus de la région wallonne et des élus francophones de la région de Bruxelles-Capitale. Je ne vais pas entrer davantage dans les détails, sinon vos lecteurs devront avaler tout un tube d’aspirines.

Les tendances séparatistes en Flandre s’expliquent surtout par la différence du comportement électoral dans les deux communautés du pays. La Flandre vote traditionnellement plus à droite que la Wallonie ou Bruxelles. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas un socialisme flamand bien profilé, notamment dans les zones industrielles autour de Gand. En Wallonie, territoire jadis densément industrialisé depuis la révolution industrielle du 19ème siècle, un socialisme militant s’est constitué qui conserve une certaine résilience politique, en dépit d’une désindustrialisation de grande ampleur, à l’œuvre depuis près d’un demi-siècle. Mais le socialisme officiel, celui du parti qui porte le nom de PS (Parti Socialiste) a changé profondément depuis sa fondation en 1885. Au départ de sa trajectoire, ce socialisme avait toute sa raison d’être et, avant 1914, était porteur d’une révolution culturelle intéressante, dont les productions littéraires, artistiques ou architecturales fascinent encore.

AVT_Hendrik-de-1885-1953Man_4227.jpgAprès 1918 et jusqu’à la débâcle belge de mai 1940, une figure intellectuelle de haut niveau a donné au socialisme belge ses lettres de noblesse en la personne de Hendrik de Man, théoricien d’un socialisme personnaliste qui a inspiré considérablement les théoriciens et activistes français que l’on regroupe, par commodité, sous l’étiquette de « non-conformistes des années 30 ». D’aucuns font de ces « non-conformistes » les équivalents des « révolutionnaires conservateurs » allemands. Après 1945, le socialisme, comme partout en Europe occidentale, a servi de cheval de Troie aux stratégies de l’OTAN, les Américains, dans les années 40 et 50, préférant miser sur les sociaux-démocrates plutôt que sur les chrétiens-démocrates ou sur les conservateurs. Plus tard, sous l’influence des « nouvelles gauches » et de l’esprit soixante-huitard, le socialisme, comme en France et ailleurs, a préféré parier sur de nouvelles strates sociales, posées  comme défavorisées ou discriminées, et a adopté les modes que feu le philosophe Philippe Muray nommait « festivistes ». Il a délaissé la classe ouvrière et, même, plus largement, l’ensemble des familles actives dans des fonctions sociales concrètes. Avec les engouements LGBT (etc.), les combats concrets pour la classe ouvrière ont été oubliés, provoquant une hémorragie électorale au bénéfice des rigolos qui se disent écologistes et surtout d’un néo-communisme plus virulent, celui du PTB (« Parti du Travail de Belgique »), qui entend, à juste titre, défendre les acquis sociaux des classes travailleuses, acquis qui avaient été exemplaires dans la Belgique d’antan. En Flandre, la classe ouvrière a généralement (mais pas complètement) préféré le nationalisme classé à droite mais aux discours plus populistes.

Depuis une quinzaine d’années, les blocs électoraux sont très différents en Flandre et en Wallonie, compliquant derechef la constitution de gouvernements fédéraux (centraux) équilibrés. Le dosage électoral n’est plus possible dans la mesure où demeure la pratique de dresser un « cordon sanitaire » autour des formations nationalistes flamandes. Ce « cordon sanitaire » s’appliquait d’abord à la formation la plus radicale (VB – Vlaams Belang).Il s’applique aussi depuis les dernières élections fédérales de 2019 à la formation plus modérée que constitue la NVA (Nieuwe Vlaamse Alliantie), alors que ce parti, largement vainqueur des élections, avait été au pouvoir (fédéral) dans la législation précédente (2014-2019). La pratique du double « cordon sanitaire » fait qu’entre 45% et 50% des électeurs flamands n’ont aucune représentation au niveau fédéral. Cette discrimination implicite, durement ressentie comme telle, accentue bien entendu les tendances séparatistes, alors qu’elle avait pour intention première de les combattre ou, du moins, de les contenir ! Voilà, en gros, ce qui explique les velléités séparatistes des droites modérées et musclées en Flandre. Si les démocrates-chrétiens avaient adopté une ligne pareille à celle d’Orban en Hongrie et si les libéraux avaient opté pour un populisme à la façon de Haider en Autriche, jamais le séparatisme n’aurait eu autant le vent en poupe. Il aurait certes gardé toute sa résilience aux niveaux culturel et métapolitique mais n’aurait pas eu une représentation aussi forte dans les assemblées régionales et fédérales.

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Sièges au Parlement Fédéral après les élections de juin 2019.

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Sièges du Parlement Flamand  après les élections de juin 2019.

Aucune instance métapolitique correctrice du discours gaucho-festiviste dominant n’existe dans le paysage politique francophone. Une telle instance pourrait corriger les tendances délétères qu’adopte un personnel politique généralement composé d’incultes et de dévoyés, incapables, par ignorance crasse, de saisir les enjeux à l’œuvre dans le monde et tous occupés à bricoler des combines juteuses, qui tissent la réputation bien établie de la corruption francophone dans le royaume (où la belle ville de Liège a été surnommée « Palerme-sur-Meuse »). L’électorat flamand ne veut plus dépendre de cette ignorance et de cette corruption, ce qui n’exclut pas, bien évidemment, que l’ignorance et la corruption existent aussi dans le paysage politique flamand. Quant à ceux que le cordon sanitaire exclut du pouvoir, ils n’ont pu bien évidemment étaler leurs travers comme ceux qui sont ancrés dans les arcanes du pouvoir depuis de longues décennies. Ma vision pessimiste est corroborée par les faits : l’effondrement de la culture classique, la prolifération des savoirs bidon due à cet effondrement empêcheront tout nouvel envol à court et moyen terme, indépendamment des étiquettes dont s’affublent les militants qui se présentent aux suffrages des électeurs. Un exemple patent et récent : après de très longs mois de négociations, un gouvernement fédéral a pu se former vaille que vaille en 2020. Les parlementaires fédéraux ont dû prêter serment dans deux langues de leur choix, en français, en néerlandais ou en allemand. Ils devaient prononcer cette phrase simple : « Je jure d’observer la constitution », « Ik zweer de grondwet na te leven », « Ich schwöre die Verfassung zu befolgen ». Dans ce ramassis de tristes sires et de tristes bonnes femmes, presqu’aucun n’a été capable de dire correctement ces phrases simples (sujet, verbe, complément !), ni dans sa langue maternelle, ni dans l’autre langue choisie. Le spectacle à la télévision et sur « youtube » était hallucinant autant qu’affligeant. Cela en dit long pour l’avenir! 

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La Belgique fait face au problème de l’islamisation et de l’immigration de masse, ce qui conduit à l’installation de sociétés parallèles, proclamant la « sharia », à un taux de criminalité élevé et même au terrorisme. Quelle est la situation actuelle en ce qui concerne l’immigration de masse et quelles sont vos vues sur la question ?

La Belgique fait face à ces problèmes comme tous les autres pays de l’Europe occidentale. L’islamisation du paysage quotidien se perçoit surtout à Bruxelles, dans certains quartiers alors que d’autres sont exempts de toute trace d’islamisation. Pour moi, personnellement, et pour mon épouse, l’indice le plus patent d’une islamisation rampante est la disparition, dans les magasins, de certains produits alimentaires traditionnels, notamment le pain au sucre (le « craquelin ») et le pain aux raisins (le « cramique ») qui a priori ne sont pourtant pas haram. Pour être sûr de trouver tous les ingrédients de notre alimentation traditionnelle, il faut faire ses emplettes en dehors de la région de Bruxelles-Capitale, en territoire flamand ou wallon. Sinon, on est condamné à bouffer les mêmes insipidités que nos nouveaux concitoyens venus de partout et de nulle part, qui, eux, se délectent aussi désormais de malbouffe très grasse arrosée de cet infâme liquide brunâtre que l’on appelle le « Coca-Cola » : la facture « santé » sera très lourde, déjà à court terme ! Pour les citoyens qui n’ont pas de voiture, la frustration est énorme et le ressentiment grossit jour après jour.

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Le problème de l’immigration, et des diasporas qui en résultent, est surtout la constitution d’économies parallèles et de criminalités diasporiques, vivant de trafics de toutes sortes, dont surtout le trafic de drogues. Les instances officielles de l’UE et aussi de l’ONU ont créé des bureaux chargés de lutter contre ces phénomènes déplaisants ; ces bureaux ont produit une littérature intéressante qui dresse correctement le bilan de la situation. Mais comme pour l’Agence Frontex, ces constats ne sont nullement suivis d’effets ! Des mots, des débats, des bavardages, mais pas de décision, pas d’action. La grande presse, dont le principal journal du royaume, Het Laatste Nieuws, avait cartographié avec précision les divers réseaux mafieux à l’œuvre en Belgique, suite à l’arrestation d’un personnage politique de la ville de Malines qui appartenait à la mafia araméenne (classée comme « turque »). Sa neutralisation avait été suivie du démantèlement d’un réseau couvrant notamment l’exploitation des simples cafés de la capitale (par blanchiment d’argent), le trafic de véhicules d’occasion et l’alliance avec les narcotrafiquants colombiens grâce à un infiltré dans les docks du port d’Anvers. L’affaire avait démontré à l’envi que l’on avait chaque fois affaire, pour chaque réseau en particulier (qu’il soit araméen, turc, marocain, albanais, nigérian ou italien) à de la polycriminalité. Rien n’est toutefois entrepris pour assainir le pays. Et rien ne le sera vu les jojos qui siègent en nos assemblées et qui sont même incapables de prononcer les petites phrases simples de leur serment !

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Les six djihadistes belges qui ont perdu leur nationalité récemment. Les autres touchaient tranquillement leurs allocations diverses pendant qu'ils étaient en Syrie: preuve qu'ils ont agi en service commandé? Pour le compte de l'OTAN?

Quant au terrorisme, il s’agit surtout d’une famille française, celle du fameux Abdeslam, co-auteur des attentats de Paris. Finalement, ce terrorisme islamique n’est qu’un tout petit fragment de la partie émergée de l’iceberg que constitue la polycriminalité en place. Ce fameux terrorisme djihadiste ne m’alarme pas outre-mesure : il est clair, vu la clémence évidente de nos tribunaux qui font tout pour nous ramener les rescapés de l’Etat islamique en Syrie, leurs compagnes et leur progéniture, que ces oiseaux de vilain augure sont allés faire leur sale guerre, là-bas au Levant, parce que les services spéciaux de l’OTAN, de l’armée américaine, des réseaux pétromonarchiques saoudiens ou qataris les ont recrutés pour abattre le régime baathiste syrien qui ne dansait pas au son de leurs flûtes ou n’imposait pas à sa population un régime de type salafiste, wahhabite ou frériste.

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Quelle est votre opinion sur les récentes élections américaines ? Quelles conséquences les retombées de cette élection auront-elles sur l’Europe et le reste du monde ? Doit-on s’attendre à de nouvelles guerres au Moyen-Orient si Biden finit par emporter le morceau ? Enfin, que pensez-vous des accusations que Trump a émises en disant que les démocrates « ont volé les élections » ?

La principale chose à retenir de cette élection, c’est que les médias, tenus par la prêtraille fanatisée du système, veulent que leurs desiderata deviennent réalité envers et contre l’avis du gros de la population. Si celle-ci rejette les dogmes et les idées farfelues de la prêtraille médiatique, elle est considérée comme une masse méprisable de « déplorables », dont les opinions et les aspirations ne doivent pas être prises en compte. Nous avons là un phénomène relativement nouveau depuis 1945 : la population avait été flattée et gâtée au nom de la « démocratie » ; ce n’est plus le cas, ce qui permet d’évoquer un déni de démocratie dans l’américanosphère. Trump dit évidemment que l’élection lui a été volée : cette accusation est plausible vu que les manipulations sont bien plus aisées à parfaire avec le vote électronique. Ceci dit, que ce soit Trump qui reste à la Maison Blanche ou Biden qui y accède, l’agenda géopolitique et globalitaire est déterminé à l’avance par des instances du Deep State ou des responsables militaires, qui gouvernent au-delà du jeu démocratique. Avec Trump, et en dépit de la crise du Covid-19, les fronts ouverts par les Bush ou par Obama sont demeurés en place même s’ils ont été un petit peu moins « chauds » qu’auparavant. D’autres se sont ouverts, au Caucase notamment. Les tensions avec la Chine se sont accrues dans le Pacifique. L’alliance de facto entre le Maroc et Israël permet aux Etats-Unis de contrôler toute la côte atlantique de l’Afrique, depuis Tanger jusqu’aux confins de la Mauritanie et du Sénégal. En décembre 2020, les forces conjuguées de la marine américaine ont publié le mémorandum « Advantage at Sea » qui répète les grandes lignes de la politique maritime et navale des Etats-Unis depuis les thèses de l’Amiral Mahan et qui ajoute, subrepticement, un nouveau front dans l’Arctique, où la Russie dispose d’atouts solides pour appuyer l’idée russe et chinoise d’une « route de la soie arctique ». Cet espace, jadis an-écouménique et dépourvu de voies de communication maritimes, devient hautement stratégique. Et deviendra dès lors, sur le flanc septentrional/boréal de l’Europe, une zone de turbulences géopolitiques. L’ère Trump n’a donc pas réellement apaisé les confrontations en cours dans le monde d’aujourd’hui.

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Merci de nous avoir accordé cet entretien. Pour le terminer, dites-nous ce que vous croyez qu’il adviendra de l’Europe dans un futur proche ?

Il y a actuellement deux Europe : celle qui est dominée par les idéologies libérales (au sens anglo-saxon du terme) et celle, hélas minoritaire, qui expriment des tendances contraires, fustigées en Europe occidentale comme « illibérales ». Les nuisances idéologiques libérales sont mortifères et plongeront les pays qui s’en réclament pour façonner leur mode de gouvernance dans un chaos indescriptibles dont nous vivons d’ores et déjà les prémisses. Les autres ont une chance de se maintenir dans le chaos et de participer à des synergies géopolitiques positives. Inutile de vous préciser que je vis dans la partie de l’Europe qui connaîtra un effondrement dramatique et vivra un abominable chaos.

Pour se procurer les livres mentionnés dans cet entretien:

La révolution conservatrice allemande, tome 1:

http://www.ladiffusiondulore.fr/documents-essais/552-la-revolution-conservatrice-allemande-biographies-de-ses-principaux-acteurs-et-textes-choisis.html?search_query=steuckers&results=10

La révolution conservatrice allemande, tome 2:

http://www.ladiffusiondulore.fr/home/690-la-revolution-conservatrice-allemande-tome-deuxieme-sa-philosophie-sa-geopolitique-et-autres-fragments.html?search_query=steuckers&results=10

Cinq livres de Robert Steuckers pour 99,00 euros:

http://www.ladiffusiondulore.fr/home/857-pack-steuckers-5-livres-a-prix-reduit-.html?search_query=steuckers&results=10

La "Trilogie" EUROPA:

https://editionsbios.fr/editions

The European Enterprise: 

https://manticore.press/product/the-european-enterprise-geopolitical-essays/

Sinergias Identitarias:

https://editorialeas.com/producto/sinergias-identitarias-2/

 

mardi, 05 janvier 2021

Le Moyen-Orient entre Trump et Biden

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Le Moyen-Orient entre Trump et Biden

par Alberto Negri

Sources : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it

Le pacte abrahamique entre Israël et les monarchies arabes, plus qu'une stabilisation, est un moyen d'annuler les droits des peuples et s'applique négativement aux Iraniens, Palestiniens, Kurdes, Libanais, Irakiens, Yéménites, et à tous ceux qui n'ont pas l'intention d'obéir. Au Moyen-Orient, Biden est déjà sous le poids des décisions de Trump.

La nouvelle année s'ouvre alors que l'année de la pandémie se termine. Les Américains peuvent faire ce qu'ils veulent contre l'Iran et les Israéliens aussi peuvent faire tout ce que les autres ne peuvent jamais faire : agir contre le droit international. Une synthèse du double standard qui, en négatif, s'applique aux Iraniens, Palestiniens, Kurdes, Libanais, Irakiens, Yéménites, et à tous ceux qui n'ont généralement pas l'intention d'obéir. Ces peuples, au mieux, peuvent obtenir des "concessions" mais ne sont pas titulaires de "droits". L'Alliance Abrahamique a sanctionné cet état de fait.

Au milieu se trouvent Erdogan et Poutine : le premier s’avère fonctionnel pour le second. Non seulement parce que le sultan de l'OTAN s'oppose à Moscou et traite en même temps avec la Russie en Libye et en Syrie, mais aussi parce qu'il sert les États-Unis en endiguant l'influence russe, comme en témoigne la guerre du Haut-Karabakh contre les Arméniens soutenue par les Turcs et les armes israéliennes. Biden déteste Erdogan (il l'a également attaqué quand il était l’adjoint d'Obama) mais l'affrontera non pas sur la base de ses aversions ou de ses références démocratiques mais sur son utilité sur le flanc oriental de l'Alliance atlantique.

Un an après l'assassinat du général iranien Qassem Soleimani et de son lieutenant irakien Al Muhandis à Bagdad le 3 janvier dernier par les Américains, nous pouvons aujourd’hui en mesurer pleinement les conséquences. 2020 était l'année de l'attaque contre l'Iran - illustrée également par le meurtre en novembre du scientifique Mohsen Fakhrizadeh, attribué au Mossad – et celle du Pacte d'Abraham concocté dans une optique hostile à Téhéran, et scellé entre Israël et les monarchies du Golfe, suivies rapidement par le Soudan et le Maroc. Plus qu'une stabilisation, c'est un bond en avant vers de nouvelles annulations de droits des peuples : au Moyen-Orient, l'administration Biden, qui entrera en fonction le 20 janvier, pèse déjà sous le poids des décisions de Trump.

L'héritage contrasté d'Obama au printemps 2011 dans le monde arabe - soutien en Égypte aux Frères musulmans, guerre contre Kadhafi et soutien à la déstabilisation de la Syrie - avait eu comme issue positive le 14 juillet 2015 l'accord nucléaire avec l'Iran qui avait exaspéré Israël et jeté la panique en l'Arabie saoudite et dans les monarchies du Golfe. Trump est sorti unilatéralement de ce traité international et a établi de nouvelles règles de jeu qui n'étaient finalement pas si nouvelles que cela car elles remontent au président démocrate Roosevelt et à l’année 1945 : les monarchies devaient payer "cash" et par le truchement d’achats d'armes américaines pour la protection des intérêts des Etats-Unis ; s’ajoutait à la facture la normalisation avec Israël, la vente aux Arabes de pétrodollars comme artifice de survie face à la menace réelle ou présumée de l'Iran.

C'est ainsi que sont apparues les "incitations". Nétanyahou, qui se prépare à de nouvelles élections en mars, a profité de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les Américains de Trump et de l'annexion du plateau du Golan. En 2020, l’Israélien n'a eu besoin que d'un coup de pouce pour l'annexion annoncée de la Cisjordanie et pour concrétiser les nouvelles alliances avec les Arabes. Le pacte abrahamique a été rejoint par les Emirats et le Bahreïn, puis est venue la normalisation entre Israël et le Soudan, puis celle avec le Maroc.

L'Égypte d'Al Sisi fait déjà partie du jeu : elle reçoit l'argent des Émirats et des Saoudiens ayant comme tâche idéologique et répressive d'éliminer les Frères musulmans. Même le général Haftar en Cyrénaïque, s'il adhère au Pacte Abrahamique, serait entièrement recyclé.

Le souverain Mohammed VI a obtenu des incitations financières mais surtout il a obtenu la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. L'occupation marocaine des territoires sahraouis comme l'occupation israélienne de la Palestine est contraire au droit international et à toutes les résolutions de l'ONU sur l'autonomie et l'autodétermination des peuples. Ce sont là les deux mots que la philosophie lapidaire du pacte abrahamique fait oublier aux Kurdes, ainsi qu'aux Yéménites.

L'autonomie des Kurdes irakiens s’est désormais réduite à une peau de chagrin : le Premier ministre Al Khadimi préfère rencontrer Erdogan dans le cadre d'opérations anti-Pkk que "ses" Kurdes d'Erbil ou de Suleimanya. Ceux de Rojava, alliés des Occidentaux contre l’Etat islamique, avaient déjà payé le prix du sang en 2019, en subissant le retrait américain du nord de la Syrie. La réalité est que tant les Américains que les Européens sont prêts à sacrifier les Kurdes à tout moment si Erdogan garde trois millions de réfugiés chez lui et modère ses revendications en Méditerranée orientale où il se heurte à l'axe France-Grèce-Chypre-Egypte-Israël-Emirats.

Le pacte d'Abraham a également divisé les Yéménites en bons et en mauvais. Selon le Financial Times, avant le 20 janvier, le Département d'Etat américain se préparait à inclure les alliés houthis de l'Iran dans la liste des organisations terroristes. C'est l'une des conditions que l'Arabie saoudite demande, avec le protectorat sur le Yémen, pour la reconnaissance d'Israël, objectif recherché par le prince meurtrier Mohammed bin Salman et jusqu'ici rejeté par le roi Salman.

Mais c'est probablement encore en Irak qu'il faudra s'attendre à de nouvelles opérations des milices pro-américaines et pro-israéliennes anti-iraniennes et anti-chiites. Un récent rapport du Monde le prétend, tout comme le ministre iranien des affaires étrangères Javad Zarif hier. L'année à venir ressemble déjà beaucoup, trop, à celle qui vient de s'écouler.

 

lundi, 04 janvier 2021

Le soft power américain comme instrument d'hégémonie mondiale

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Le soft power américain comme instrument d'hégémonie mondiale

Par Giuseppe Gagliano

Ex: https://moderndiplomacy.eu

Christian Harbulot, directeur et fondateur de l'Ecole de guerre économique de Paris, a consacré une grande partie de ses travaux à l'étude de la guerre économique et du rôle qu'elle a joué dans la dynamique des conflits de ce siècle. Mais à côté de la guerre économique, un instrument d'une importance similaire, qui a permis l'obtention de l'hégémonie américaine dans le monde dit multipolaire, est certainement le soft power.

En se posant comme le pays phare de la libre concurrence, les États-Unis ont réalisé la meilleure opération d'influence du XXe siècle. Ils ont réussi à déguiser leur agression économique en attirant l'attention sur la dénonciation des empires coloniaux européens. Ce tour de passe-passe rhétorique a bien fonctionné. La stigmatisation des grandes puissances dirigeantes leur a permis de déguiser leurs propres initiatives de conquête, comme cela s'est produit avec la colonisation d'Hawaï. C'est dans le même esprit qu'elles ont pu banaliser leurs multiples interventions militaires extérieures en les décrivant comme des opérations de protection de leurs citoyens durant la période cruciale entre le XIXe et le XXe siècle.

51oIV87oqdL._AC_SY400_.jpgLa puissance économique douce de l'Amérique s'est construite autour de cette idée fausse. Les États-Unis ont soutenu l'émancipation des peuples vis-à-vis de l'oppression coloniale et, en même temps, ont soutenu les notions de "porte ouverte" et de libre-échange. Une de leurs principales critiques à l'égard des empires coloniaux européens était les échanges privilégiés entre ces empires et leurs métropoles. Le Commonwealth a été particulièrement visé lors des négociations du GATT (1947) et Washington a refusé de signer la Charte de La Havane (1948) qu'il avait souhaitée mais qui maintenait le principe des "préférences impériales" entre les pays européens et leurs colonies.

En se présentant comme le garant du discours sur la libre concurrence et l'ouverture des marchés, les États-Unis se sont construit une image de "juge de paix" dans le commerce international. Cet avantage cognitif leur a permis de masquer leurs initiatives de conquête. L'emprise américaine sur les champs pétroliers du Moyen-Orient et de l'Iran a été l'illustration la plus visible de la machine de guerre économique américaine. Le département d'État, les agences de renseignement et les compagnies pétrolières ont travaillé ensemble pour imposer leur volonté aux pays intéressés et aux concurrents potentiels. Les moyens d'action utilisés étaient souvent basés sur l'usage de la force (participation indirecte puis directe à des conflits armés au Moyen-Orient, coups d'État comme le renversement de Mossadegh en Iran en 1953, déstabilisation de régimes qui soutenaient le nationalisme arabe).

Le "soft power" économique des États-Unis a pris forme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Forts de leur supériorité militaire décisive, les États-Unis cherchent à établir un processus de domination sur certains marchés vitaux. Les planificateurs du plan Marshall encouragent l'agriculture européenne à acheter du soja américain pour l'alimentation animale. Cette volonté d'établir une relation de dépendance vis-à-vis des États-Unis s'étendra par la suite à d'autres secteurs clés tels que l'industrie informatique, puis les technologies de l'information. Le stockage de données (Big Data) est l'un des domaines dans lesquels le système américain est le plus déterminé à maintenir sa primauté et sa domination. Pour "masquer" ces logiques de domination et de dépendance, les élites américaines ont eu recours à deux types d'actions.

1) Le formatage des connaissances. Les grandes universités américaines ont progressivement imposé leurs vues sur le fonctionnement du commerce mondial, en prenant bien soin de ne pas parler de luttes de pouvoir géoéconomiques. Cette omission a été lourde de conséquences car elle a privé les élites européennes d'un regard critique sur la nature de l'agression des entreprises américaines sur les marchés étrangers. Des disciplines académiques telles que les sciences de la gestion ou l'économie ont banni de leur champ de vision toute analyse du phénomène de la guerre économique, que les États-Unis ont pourtant pratiquée avec discrétion.

2) La captation de la connaissance. Pour éviter d'être submergés par des dynamiques d'innovation concurrentes, les Etats-Unis ont développé au fil du temps un système de veille très sophistiqué pour identifier les sources d'innovation dans le monde afin de contacter au plus vite les chercheurs et ingénieurs étrangers et leur proposer des solutions d'expatriation ou de financement par le biais de fonds privés. Si ce type d'acquisition de connaissances échoue, l'utilisation de l'espionnage n'est pas exclue.

3) La désinformation et la manipulation

La montée en puissance des économies européennes et asiatiques depuis les années 1970 a obligé les défenseurs des intérêts économiques américains à adapter leurs techniques de guerre économique au contexte de l'après-guerre froide. Les alliés et les principaux opposants ont dû faire face à l'émergence décisive de l'économie chinoise.

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Dans les années 1990, les États-Unis ont ouvert plusieurs fronts. Le plus visible a été la politique de sécurité économique mise en œuvre par Bill Clinton sous prétexte que les entreprises américaines à l’étranger étaient victimes de "concurrence déloyale". Les Européens ont été les premières cibles. La dénonciation de la corruption est devenue une arme favorite de la diplomatie économique américaine. Mais derrière ce principe, il y avait des opérations beaucoup plus offensives. En 1998, le groupe Alcatel a subi une série d'attaques informatiques sur Internet, par le biais de rumeurs médiatiques sur le manque de transparence financière de la direction générale. Cette campagne a conduit à la chute historique d'une action à la Bourse de Paris. Pour agir dans cedomaine, les industriels américains ont soutenu financièrement la création d'ONG telles que Transparency International. Ces partisans de la moralisation des affaires ont stigmatisé les pays qui ne respectaient pas les règles mondiales. En revanche, aucun acteur de ce mouvement ne s'est intéressé à l'opacité des modes de paiement chez les principaux protagonistes des grands cabinets d'audit, fortement impliqués dans la signature des grands contrats internationaux. L'exploitation d'un discours moralisateur connaît aujourd'hui son apogée opérationnel avec l'extra-territorialité du droit.

Mais la principale transformation du soft power américain au cours des vingt dernières années est l'exploitation totale de la société de l'information. Chacun se souvient de l'importance du système Echelon ou des déclarations de Snowden sur l'ampleur de l'espionnage américain par le biais d'Internet et des médias sociaux. En revanche, les techniques de guerre de l'information appliquées à l'économie sont encore mal connues du grand public. Les États-Unis sont aujourd'hui en guerre pour savoir comment utiliser les acteurs de la société civile pour déstabiliser ou affaiblir leurs adversaires.

samedi, 02 janvier 2021

Le Grand Khorasan : un modèle géopolitique dans le cadre de la multipolarité

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Le Grand Khorasan : un modèle géopolitique dans le cadre de la multipolarité

Un point de vue tadjik

Karim Nazriev

Ex : https://www.geopolitica.ru

À différents moments et dans différents espaces, les forces dirigeantes de la société ont soulevé des questions liées au développement de l'État et ont présenté diverses propositions pour le développement de celui-ci. Chaque État peut se développer à sa manière, et il doit trouver et mettre en œuvre sa propre voie vers le développement et vers la réalisation de ses grands projets. Les stratégies pour les développement à suivre (obligatoirement) pendant le prochain millénaire sont proposées par les superpuissances et les organisations internationales, qui ne prennent pas en compte le développement de tous les pays du monde, et ne sont spécifiques qu’à un petit nombre d'États qui façonnent la politique mondiale et déterminent le processus politique du globe.

Tout le monde croit que les grandes puissances mondiales et les puissances en voie de développement veulent également le développement des autres États, ce qui est en fait tout à fait contradictoire dans la réalité. La réalité, c’est que, dans les conditions modernes, il y a un dilemme entre la sécurité et le développement. Le développement d'un État est susceptible de poser problème à un autre, ou l'affaiblissement d'un État déjà faible peut aussi poser un problème grave pour un grand pays. Il est dans l'intérêt des grandes puissances mondiales de maintenir une inégalité générale dans les processus de développement à l’œuvre dans le monde car, ainsi, elles conservent leur statut. À cet égard, tous les pays du monde n'ont pas les mêmes intérêts, d'une part, ils essaient de prendre le contrôle de la plus grande partie du monde, et, d'autre part, d'autres essaient de ne pas être détruits dans les affrontements entre les superpuissances. La disparition de certaines nations de la carte politique du monde, ces dernières années, est le résultat des actions menées par les superpuissances. Dans de nombreux cas, le développement de tout État se traduit par son expansion, et en fait, tout empire sera détruit s'il n'est pas élargi. La voie de l'expansion dans les conditions modernes ne passe pas par l'expansion proprement dite, mais par l’application de nouvelles méthodes. Par conséquent, le rôle géopolitique qui se profile derrière tout développement d’un État se révèle très important. Les intérêts géopolitiques ont été un facteur important pour les États dans le passé, le restent dans le présent et le resteront l'avenir, car ils sont un vecteur de la politique étrangère et contribuent de ce fait au développement de l'État.

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Dans les conditions modernes, les intérêts géopolitiques du Tadjikistan sont débattus dans différents cercles. Mais il s'agit d'intérêts qui ne sont pas essentiellement géopolitiques. D'une part, il est très difficile d'exprimer un point de vue géopolitique propre au Tadjikistan, car les possibilités et le potentiel du pays sont limités et son champ d'action est très restreint. Bien sûr, dans une telle situation, une expertise géopolitique est nécessaire pour saisir la moindre opportunité d'atteindre de plus grands objectifs. Étant donné que les intérêts géopolitiques du Tadjikistan doivent être pris en considération dans le cadre imposé par les superpuissances et par les environnements politiques particuliers de la région du monde où se situe le Tadjikistan, il est important de savoir que, de prime abord, on peut dire que ces intérêts n'existent pas sur le plan géopolitique. En fait, il est illogique de considérer les intérêts géopolitiques du Tadjikistan par rapport aux superpuissances mondiales et régionales, car nous sommes une sorte de pur objet géopolitique passif pour ces pays.

Dans ce cas, seul et isolé, le Tadjikistan ne cherche qu’à obtenir son propre statut particulier et à acquérir une certaine importance mineure dans les conflits d'intérêts opposant les grands États. Le Tadjikistan n'a aucun intérêt géopolitique bien profilé dans une telle situation, mais il est cependant possible d'y avoir des aspirations géopolitiques.

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Dans l'histoire de la politique mondiale, le rôle des Tadjiks et des Perses dans la formation des empires et des États, ainsi que dans la civilisation a été très important. C'est une réalité objective qui ne peut être niée par aucun sujet actuel de l’échiquier international ou par un quelconque parti pris. Le grand continent de l'Antiquité était sous la domination de l'Empire perse. Au fil du temps, le changement d'acteurs dans le processus politique, les tournants de l'histoire et les facteurs objectifs et subjectifs ont supprimé la sphère d'influence des Tadjiks et des Perses. D'autres forces sont devenues les déterminants du destin des sociétés et des communautés qui leur étaient voisines. Le processus politique a trouvé de nouveaux maîtres ; les conséquences de ce changement de donne ont changé le cours de l'histoire. Afin de ne pas répéter le cycle historique, une grande communauté sociale - les Tadjiks - a été éparpillée dans différents pays, afin de ne pas recréer le potentiel précédent. Cette pratique a commencé après l'effondrement de l'État samanide, comme en témoigne l'émergence de trois pays persanophones au cours des siècles suivants sur la scène historique. Les forces qui ont réalisé ce paysage géopolitique avec trois pays différents pour les Tadjiks dans cette région et qui ont pratiqué la même politique dans d'autres parties du monde, en appliquant le principe de "diviser pour régner", sont les États impérialistes de la nouvelle étape de l’histoire.

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Le nouvel impérialisme, ou néo-impérialisme, a limité les possibilités de ses anciennes colonies au point d'éliminer toutes les caractéristiques de leur indépendance dans le plein sens du terme, à l'exception du nom, ce qui fait de leur pseudo-indépendance une indépendance purement formelle. Dans ces conditions, le phénomène de l'indépendance politique va diminuer et l'État deviendra une simple province du nouvel ordre mondial. La conquête et l'expansion dans leur sens classique, ne sont plus d’actualité, mais dans les conditions déterminées par le néo-impérialisme, la conquête des terres des États « provinciaux » se fait d'une manière nouvelle. Les conditions en vigueur dans la modernité sont la suite logique de l'impérialisme classique. Il convient de noter que s'il y a un changement de sujets dans d'autres strates politiques, les néo-impérialistes modernes sont les mêmes que les anciens colonisateurs. Rien n'a changé dans le paysage cratopolitique du monde, et l'élite mondiale dirigeante n’a fait que changer de nom sur la scène mondiale. La colonisation qualitativement nouvelle est la politique des néo-impérialistes du monde, qui ont pris le contrôle de certaines régions géopolitiques et luttent pour étendre leur sphère d'influence. La division du monde entre les néo-impérialistes et le redécoupage des frontières s'est traditionnellement poursuivie sous une forme ou une autre. Le néo-impérialisme n'est pas un phénomène complètement nouveau, il est guidé par les lois de l'impérialisme classique. Avec le progrès de la civilisation, de la science et des réalisations spirituelles des peuples, l'accent mis sur les éléments matériels de la géopolitique, tels que les ressources souterraines, la terre, l'eau, etc. n'a pas diminué. La tâche principale du néo-impérialisme est d'utiliser les États comme source de matières premières et de les maintenir dans une dépendance sectorielle. Chaque puissance néo-impérialiste a ses propres méthodes pour traiter avec les pays qui n’appartiennent pas directement à leur sphère d’influence. Aucun pays néo-impérialiste n'a intérêt à ce que les Etats non impérialistes parviennent à l'autarcie. D'autre part, la dépendance de tout État non impérialiste à l'égard d'autres pays et l’obligation à suivre un mouvement indiqué par d’autres sont une preuve évidente des lacunes de l'indépendance formelle. Pour trouver une solution appropriée à ce problème, il faut avant tout faire preuve d'indépendance d'esprit, car l'idée d'appartenance n'a pas la capacité de créer une alternative.

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La force du néo-impérialisme a érodé le sentiment de confiance dans les États soi-disant indépendants, qui croient qu'il n'y a pas d'autre solution que la subordination à ce nouveau système. Dans la plupart des pays, il n'est pas question d'envisager un nouveau système mondial, différent du néo-impérialisme. L'esprit d'impuissance imprègne la communauté scientifique dans ces pays qui ne cesse plus de répéter qu’il est nécessaire de s'adapter au nouveau système et non de penser à des alternatives. Le débat sur l'indépendance n'est pas une question triviale, il doit être renforcé et amélioré en fonction de l'espace et du temps.

Il est nécessaire de s'appuyer sur la géopolitique pour renforcer l'indépendance de la République du Tadjikistan.

Dans le temps et l'espace d'aujourd'hui, il est important de s'appuyer sur les connaissances géopolitiques. La géopolitique ne doit pas être utilisée à des fins cognitives, mais à des fins pratiques et empiriques, et doit être mise en œuvre en articulant des concepts concis. À cet égard, il est nécessaire de présenter la géopolitique intérieure, celle de la voie vers le développement du Tadjikistan dans un avenir proche et lointain. Le renforcement de l'indépendance du Tadjikistan est impossible sans un développement intérieur, et celui-ci doit prendre de l'élan. Il doit y avoir une impulsion pour le développement basée sur le potentiel national, car si l’on place l'espoir en un avenir meilleur, qui ne dépendrait que des seules actions entreprises par d’autres États, cela ne nous mènera qu’à la destruction de l'indépendance du pays. Par conséquent, le processus de décision doit être rationnel et stratégique. Les intérêts géostratégiques et géopolitiques du Tadjikistan devraient être formés sur la base des capacités existantes. Naturellement, il n'y a pas suffisamment de potentiel intérieur pour le développement du Tadjikistan et on ne peut pas compter sur lui seul sur le plan stratégique. À cet égard, il est nécessaire de trouver un moyen stratégique de protéger et de renforcer l'indépendance du Tadjikistan. Le Tadjikistan doit se constituer en un bouclier géopolitique basé sur un "Lebensraum".

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Le "Lebensraum" du Tadjikistan est le "Grand Khorasan". Le projet du Grand Khorasan a pour but le développement du Tadjikistan, la protection du Tadjikistan et l'avenir du Tadjikistan. Dans le nouvel ordre mondial et les divers processus mondiaux, le Tadjikistan n'a pas d'autre voie de développement. Il existe d'autres plans, mais dans ceux-ci, le Tadjikistan perd son essence d'État indépendant. La doctrine et les projets mis en œuvre en Asie centrale sont considérés comme peu intéressants pour le Tadjikistan. En fait, ces doctrines ne prennent pas en compte le statut propre du Tadjikistan. Les concepts et les projets du "Grand Turan", de la "Grande Asie centrale" et de la "Sinicisation" ne peuvent être dans l'intérêt du Tadjikistan. Le projet du Grand Khorasan est une alternative à ces concepts et une réponse géopolitique et géostratégique à ceux-ci.

Le "Grand Khorasan" est la correction des erreurs et des injustices historiques et l'application de la justice historique. Le "Grand Khorasan" est l'aspiration géopolitique de chaque Tadjik, et ce concept devrait contribuer à l'éducation géopolitique de toute individualité tadjik et à la formation de la pensée géopolitique tadjik. Nous devons savoir que l'avenir du Tadjikistan est impossible sans le projet du Grand Khorasan. Il devrait être suivi dans les milieux scientifiques et dans la politique actuelle.

La sagesse géopolitique et la géophilosophie constituent la base du projet du Grand Khorasan. Le Tadjikistan mène une politique de paix dans une nouvelle ère historique. Cela signifie que le Tadjikistan n'a pas d'objectifs expansionnistes, ne veut usurper aucun pays, ne vise pas la conquête de territoires : tout cela n'est pas le but vectoriel de la politique étrangère du Tadjikistan. La question de savoir comment nous allons obtenir le projet du Grand Khorosan est donc importante. La première étape est franchie, c'est-à-dire que les fondateurs ressentent le besoin de créer un "Grand Khorasan", il y a une renaissance du Grand Orion, une mémoire historique entre en scène ou un cycle historique se répète, le projet du "Grand Khorasan" est lancé. En effet, l'Iran et l'Afghanistan, tout comme le Tadjikistan, ont besoin d'un "Grand Khorasan".

La mise en œuvre du projet du Grand Khorasan intervient à un moment où la lutte pour le pouvoir en Asie centrale s'intensifie. Les États-Unis font tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger le "cœur de l'Asie" et pour maintenir longtemps leurs troupes sur le sol afghan. L'erreur géopolitique de la Russie, de la Chine et de l'Iran a été de faciliter et non d'empêcher les États-Unis de venir en Afghanistan. Cependant, cette erreur ne pourra pas être corrigée dans les années à venir. Les États-Unis, s'appuyant sur l'Afghanistan, cherchent à libérer les États d'Asie centrale de la subordination russe et à mettre en œuvre la doctrine de la grande Asie centrale avec l'Afghanistan et d'autres États de la région. À cet égard, il convient de noter que le chaos qui règne sur le territoire de l'Afghanistan et les intérêts divergents des pays de la région compliquent la mise en œuvre du projet "Grand Khorasan".

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Le projet du Grand Khorasan, une fois mis en œuvre dans les pays de langue persane et ayant atteint ses objectifs stratégiques, ouvrira la porte aux pays voisins. C'est une renaissance historique qui remet tout à sa place. Ailleurs en Asie centrale, il existe un potentiel et une opportunité similaires pour l'unification des peuples et des nations. Cependant, une telle possibilité s’offre aux États du "Grand Khorasan". Il est important de noter que l'intégration et les processus d'intégration sont une question de temps. Les pays du monde, sous une forme ou une autre, forment des associations visant toujours plus d’intégration dans une zone distincte. L'intégration est considérée comme un phénomène propre au nouvel âge : on l’ignore souvent mais, dans la plupart des cas, on est inconscient qu'il s'agit là de la première étape vers la formation du système mondial et du nouveau gouvernement mondial. La plupart des États et des chefs d'État du monde n'ont pas compris les secrets du processus d'intégration et n'ont pas su créer les conditions d’autres processus intégrateurs. Cependant, l'intégration dans le cadre du Grand Khorasan prend une forme complètement différente, montrant un élément d'intégration différent car il est centrifuge par rapport à la conception d’un gouvernement mondial et s’éloigne du nouveau système et du nouvel ordre mondial. En effet, la formation d'un nouvel ordre mondial basé sur une conception atlantiste n'est pas dans l'intérêt des pays du Grand Khorasan.

L'indépendance politique du Tadjikistan n'interviendra que si le pays est autosuffisant. Cependant, les conditions mondiales et régionales, d'une part, et les intérêts des superpuissances, d'autre part, entravent l'autarcie du pays. C'est pourquoi il faut tout d'abord influencer la situation locale. L'influence ne vient que lorsque nous disposons d’un grand potentiel et d’un grand pouvoir. C'est pourquoi le projet "Grand Khorasan" est le reflet de l'énorme potentiel des acteurs régionaux et un moyen d'influencer d’abord les conditions en place de la région et, deuxièmement, d’influencer la formation des processus politiques mondiaux.

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Dans les conditions modernes, il n'y a pas d'autre moyen de proposer un nouvel ordre en dehors du nouvel ordre mondial, qui est le projet exclusif de l'élite politique mondiale. Dans un tel ordre mondial, seul un petit nombre d'États ont acquis l'indépendance politique et ont donné aux autres pays l'indépendance dont ils avaient besoin. L'indépendance politique des pays du monde, dont le Tadjikistan, est mesurée dans le cadre du nouvel ordre mondial. Dans ce cas, la volonté tadjike de l'État tadjik ne peut pas se réaliser, car les conditions mondiales ne le permettent pas. La mesure de l'indépendance politique du Tadjikistan dans le cadre du nouvel ordre mondial nécessite un examen par des experts, qui déterminera le phénomène de la volonté politique et de la détermination politique, et la mesure dans laquelle le Tadjikistan est souverain. Le projet du Grand Khorasan vise également à renforcer l'indépendance politique du Tadjikistan, à poursuivre son développement et son amélioration, et à protéger le pays. Comprendre l'essence de ce projet, définir la souveraineté politique du Tadjikistan, les conséquences du nouvel ordre mondial pour le pays, les intérêts des superpuissances et son impact sur le Tadjikistan, les conséquences et les perspectives pour le futur proche et lointain, tend inévitablement à un mégaprojet – celui du "Grand Khorasan".

vendredi, 01 janvier 2021

« Avantage en mer » : la nouvelle stratégie navale des Etats-Unis

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« Avantage en mer » : la nouvelle stratégie navale des Etats-Unis

Par Marco Ghisetti

Ex: https://www.eurasia-rivista.com

La marine américaine, le corps des Marines et les garde-côtes ont publié conjointement le 17 décembre 2020 un document intitulé Advantage at Sea. Soit le prédominance de la puissance navale intégrée, tous domaines confondus "1

La publication de tels documents est un événement assez rare (l'avant-dernier a été publié en 2015, avec le document qui a officiellement lancé la stratégie du "multilatéralisme" suivie par Obama et Trump). De telles publications ne se produisent que sous les auspices des chefs d'état-major conjoints des États-Unis, c'est-à-dire l'institution qui rassemble les chefs d'état-major de toutes les branches de l'armée américaine. La divulgation de ce document signifie que les chefs des différentes institutions militaires américaines se sont mis d'accord sur le type de stratégie à suivre "pour la prochaine décennie" - une stratégie qui fournira donc la directive générale aux forces armées américaines, indépendamment des locataires de la Maison Blanche. La prochaine décennie, comme l'écrit l'exergue du document, "façonnera l'équilibre de la puissance maritime pour le reste du siècle".

Le raisonnement cardinal du document peut être résumé comme suit :

(1) "Les États-Unis sont une nation maritime. Notre sécurité et notre prospérité dépendent des mers".

(2) La Chine et la Russie (en particulier la Chine) constituent des menaces pour la sécurité nationale des États-Unis, car en raison de leurs "développements et modernisations navales agressives", sur le plan militaire, elles pourraient tenter d’expulser et de réussir à expulser les États-Unis de certaines mers et de la gestion de certains "points stratégiques clés" (détroits, isthmes), faisant perdre aux États-Unis "l'avantage en mer" qu'ils ont acquis par leur victoire lors de la Seconde Guerre mondiale et dont ils tirent toujours leur superpuissance. L'Iran et la Corée du Nord sont également définis comme des "rivaux".

(3) En conséquence, le document expose les principales directives visant à maintenir "l'avantage en mer" des États-Unis et à le refuser aux autres pays. Essentiellement : intégration accrue des différentes divisions armées, amélioration technologique de l'appareil de guerre (également dans le domaine de la guerre hybride et de l'intelligence artificielle), demande d'une plus grande collaboration de la part des "alliés", gestion directe des routes commerciales, de transport et de navigation, obstruction ferme et décisive de toute tentative de fermeture des zones maritimes dominées jusqu’ici par les États-Unis ou d’abandon de celles-ci aux pays rivaux surtout dans la gestion des "points focaux", défense de la suprématie navale américaine dans les mers traditionnelles (en particulier le Pacifique) et obtention de la supériorité dans l'Arctique.

***

Plus précisément, la déclaration commune commence par souligner la nature "maritime" de la puissance globale des États-Unis, une nature qui a été établie grâce à la "domination au-dessus et au-dessous des vagues et dans les cieux" obtenue après la "victoire de la Seconde Guerre mondiale" et maintenue "pendant 75 ans" depuis lors. Grâce à cette domination, affirme le document, les États-Unis ont pu promouvoir la sécurité, le bien-être et la prospérité non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour tous les pays qui ont décidé de participer aux règles du jeu.

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Aujourd'hui comme hier, dit le secrétaire de la marine Kenneth J. Braithwaite dans un appel lancé dans l'exergue au "peuple des États-Unis", "l'ordre international fondé sur le droit est à nouveau attaqué". La menace à laquelle sont confrontés les États-Unis et d'autres pays est due au fait qu'en raison de "développements technologiques importants et d'une modernisation militaire agressive", ainsi que d'une tendance générale au "révisionnisme", la Chine et la Russie menacent l'ordre mondial actuel en "contestant l'équilibre des pouvoirs dans des régions clés et en cherchant à saper l'ordre mondial existant".

Cette menace est due au fait que "les États-Unis ne peuvent plus supposer que l'accès aux océans du monde", c'est-à-dire la condition sine qua non de la mondialisation centrée sur les États-Unis, "reste illimité [sans entraves] en cas de conflit". Si, en fait, les États-Unis ont rendu possible leur propre prospérité et celle des autres grâce à l'ouverture et à la sécurité des océans qu'ils ont assurée pour eux-mêmes et pour les autres par leur suprématie maritime, cet avantage militaire "s'érode à un rythme alarmant", menaçant par conséquent "cette ère de paix et de prospérité". "Le rapport de force", en fait, dans certaines régions, penche en faveur de ces deux acteurs révisionnistes, qui montrent des signes non seulement qu'ils ne veulent pas agir en tant qu'acteurs respectueux de l'ordre mondial établi, mais plutôt qu'ils veulent utiliser leur pouvoir pour poursuivre des "intérêts autoritaires".

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"En cas de conflit, la Chine et la Russie essaieront probablement de s'emparer d'un territoire avant que les États-Unis et leurs alliés ne préparent une réponse efficace - ce qui aboutira à un fait accompli." De plus, ces deux États ont le potentiel de causer des dommages massifs à l'économie mondiale par des cyberattaques et des attaques cinétiques ou en s'attaquant aux câbles sous-marins. Quoi qu'il en soit, le principal ennemi à "long terme" est la Chine, car elle "a mis en œuvre une stratégie et une approche révisionnistes qui visent le cœur de la puissance maritime américaine [c'est-à-dire] cherche à corroder la gouvernance maritime internationale, à refuser l'accès aux centres logistiques traditionnels, à entraver la liberté des mers, à gérer l'utilisation des goulets d'étranglement névralgiques, à dissuader notre engagement dans les différends régionaux et à remplacer les États-Unis comme collaborateur privilégié dans les pays du monde entier". De plus, alors que la flotte américaine est dispersée dans le monde entier, celle de la Chine est concentrée dans le Pacifique, où elle "cherche à établir sa propre hégémonie régionale [et] étend également sa portée mondiale [avec la] nouvelle route de la soie", devenant ainsi capable de se projeter aussi loin de ses propres côtes qu'elle n'a jamais pu le faire auparavant.

Selon la déclaration commune, l'importance traditionnelle de la domination sur les mers et les océans n'a pas diminué en raison des récents développements technologiques et de l'approfondissement de la mondialisation ; en fait, ce n'est pas seulement la domination des mers qui a rendu ces développements possibles, mais c'est en intégrant la puissance navale dans les différents domaines qu'il est possible de "multiplier l'influence traditionnelle de la puissance maritime afin de produire une force totale plus compétitive et plus meurtrière". En ce sens, on comprend l'impératif catégorique de la stratégie commune, consistant à réaffirmer et à défendre la domination maritime américaine sur les anciens et les nouveaux théâtres maritimes, à faire en approfondissant le niveau d'intégration des différents départements militaires : intégration qui doit également englober des domaines qui, à première vue, pourraient sembler sans rapport avec la fonction de "préservation de la sécurité maritime", notamment "la diplomatie, l'application des lois, l'habileté politique", ainsi que la gestion plus ou moins directe des "navires marchands, des infrastructures portuaires, des constructeurs de navires". Toutes ces relations sont d'une importance capitale pour garantir l'utilisation sans restriction du domaine maritime, assurer notre sécurité et protéger notre prospérité".

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En tout état de cause, le fait que la stratégie décrite dans "Avantage en mer" ne constitue pas un changement fondamental de la stratégie de domination américaine est confirmé par le document lui-même, qui indique que "les objectifs de sécurité des États-Unis sont restés constants depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les États-Unis ont cherché à protéger leur territoire et à assurer des conditions mondiales favorables à la liberté, au commerce et à la paix. Nous avons déjoué les tentatives de nos rivaux de soumettre des régions ou d'empêcher l'accès aux océans du monde. Chaque fois que ces intérêts durables ont été menacés, les États-Unis ont agi de concert avec des nations partageant les mêmes idées pour protéger nos objectifs communs et changer le comportement des nations qui opèrent en dehors des normes internationales établies".

1400867965078.jpgEn effet, la doctrine maritime américaine a fait preuve d'une constance de plusieurs siècles depuis qu'elle a été élaborée pour la première fois par Alfred Thayer Mahan, l'influent amiral qui a systématisé les bases théoriques de l'influence de la puissance maritime sur l'histoire, fournissant aux États-Unis l'étoile polaire qui a guidé leur politique navale dans le monde entier depuis la fin du XIXe siècle. Pour Mahan, en effet, les États-Unis étaient les héritiers nécessaires de l'empire maritime britannique, un héritage qui les a élevés au rang de "véritable île contemporaine", d'"île majeure" et qui, après être devenu le seul État à avoir atteint une hégémonie régionale complète, sûrs de leur "caractère insulaire" à l'échelle du continent, ont projeté leur puissance navale dans le monde entier grâce à leur domination sur la puissance maritime. Et dans cette optique, les États-Unis empêchent tout autre acteur de devenir hégémonique dans sa propre région, ce qui impliquerait l'expulsion de la marine américaine des eaux de cette région.

Ce qui constitue plutôt, d'une certaine manière, une nouveauté dans le cas qui nous préoccupe aujourd’hui, c'est l'importance accordée à la région arctique, une zone inaccessible à l'époque de Mahan mais désormais ouverte à l'influence de la puissance maritime. Et en fait d'une ouverture à la concurrence maritime que la stratégie énonce lorsqu'elle affirme que "nous ne pouvons pas renoncer à notre influence [...]. Les prochaines décennies apporteront des changements dans la région arctique qui auront un impact significatif" sur l'équilibre mondial des pouvoirs ; une région où, cependant, la marine américaine souffre de lourds retards technologiques et stratégiques par rapport à la Russie et à la Chine.

Cela signifie que le besoin perçu de contenir la Russie et la Chine dans l'Arctique, associé à leur retard général par rapport à ces deux acteurs, conduira probablement les États-Unis à une course à la militarisation de la macro-région arctique dans une tentative de saboter, en particulier, la branche polaire de la nouvelle route de la soie. En tout cas, depuis quelques années, les stratèges américains insistent sur l'importance stratégique que prend l'Arctique : l'idée avancée en 2019 d'acheter le Groenland au Danemark n'est que l'exemple le plus frappant mais, malgré ces tentatives, la Russie et la Chine avancent plus vite que les États-Unis dans leurs projets arctiques.

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Si l'on tient bien compte des idées énoncées dans la stratégie de l'"avantage en mer", le fait majeur à retenir est que la sécurité des États-Unis dépend essentiellement de leur supériorité maritime et qu’ils doivent dès lors agir pour réaffirmer cette supériorité qu'"ils perdent à un rythme alarmant". L'idée-force est énoncée dès la première ligne de l'introduction du document, qui stipule que "nos actions au cours de cette décennie façonneront l'équilibre des pouvoirs pour le reste du siècle". Par conséquent, il est difficile de ne pas conclure qu'une telle stratégie entraînera une course aux armements impulsée par les États-Unis pour imposer leur suprématie dans l'Arctique en militarisant la macro-région et, en outre, pour empêcher la Chine d'obtenir l'hégémonie dans la Méditerranée asiatique, avec des risques énormes pour la sécurité internationale. 

  1. 1) Ce document peut être consulté ici: https://media.defense.gov/2020/Dec/16/2002553074/-1/-1/1/...

 

Marco Ghisetti

Marco Ghisetti est titulaire d'un doctorat en politique mondiale, en relations internationales et en philosophie. Il a travaillé et étudié en Europe, en Russie et en Australie. Il s'occupe principalement de géopolitique, tant pratique que théorique, de théorie politique et de philosophie politique. Parmi les différents centres d'études ou revues qui ont publié ses articles, outre Eurasia, figurent Osservatorio Globalizzazione et Geopolitical News PR.

La Turquie pivote vers le centre du nouveau grand jeu

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La Turquie pivote vers le centre du nouveau grand jeu

Pepe Escobar

Ex: https://www.unz.com

Lorsqu'il s'agit de semer la zizanie et de profiter de la division des autres, la Turquie d'Erdogan est une véritable superstar.

Sous le délicieux nom de Countering America's Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA), l'administration Trump a dûment imposé des sanctions à Ankara pour avoir osé acheter des systèmes russes de défense anti-missiles sol-air S-400. Les sanctions visaient l'agence turque d'acquisition de matériel de défense, la SSB.

La réponse du ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a été rapide : Ankara ne reculera pas - et réfléchit en fait à la manière de réagir.

Les caniches européens ont inévitablement dû assurer le suivi. Ainsi, après le proverbial et interminable débat à Bruxelles, ils se sont contentés de sanctions "limitées" - ajoutant une nouvelle liste pour un sommet en mars 2021. Pourtant, ces sanctions se concentrent en fait sur des individus non encore identifiés, impliqués dans des forages en mer au large de Chypre et de la Grèce. Elles n'ont rien à voir avec les S-400.

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L'UE a en fait proposé un régime de sanctions très ambitieux, inspiré du Magnitsky Act américain, qui vise à protéger les droits de l'homme dans le monde entier. Cela implique l'interdiction de voyager et le gel des avoirs de personnes considérées unilatéralement comme responsables de génocide, de torture, d'exécutions extrajudiciaires et de crimes contre l'humanité.

La Turquie, dans ce cas, n'est qu'un cobaye. L'UE hésite toujours fortement lorsqu'il s'agit de sanctionner un membre de l'OTAN. Ce que les eurocrates de Bruxelles veulent vraiment, c'est un outil supplémentaire et puissant pour harceler surtout la Chine et la Russie.

Nos jihadistes, pardon, les "rebelles modérés"

Ce qui est fascinant, c'est qu'Ankara sous Erdogan semble toujours faire preuve d'une sorte d'attitude consistant à dire, "le diable peut s'en soucier".

Prenez la situation apparemment insoluble dans le chaudron d'Idlib, au nord-ouest de la Syrie. Jabhat al-Nusra - alias Al-Qaida en Syrie - est maintenant impliqué dans des négociations "secrètes" avec des gangs armés soutenus par la Turquie, comme Ahrar al-Sharqiya, sous l’oeil des officiels turcs. L'objectif : augmenter le nombre de jihadistes concentrés dans certaines zones clés. L'essentiel : un grand nombre d'entre eux proviendront de Jabhat al-Nusra.

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Ankara reste donc, à toutes fins pratiques, entièrement derrière les djihadistes purs et durs du nord-ouest de la Syrie - déguisés sous le label "innocent" de Hayat Tahrir al-Sham. Ankara n'a absolument aucun intérêt à laisser ces gens disparaître. Moscou, bien sûr, est pleinement consciente de ces manigances, mais les stratèges rusés du Kremlin et du ministère de la défense préfèrent laisser faire pour le moment, en supposant que le processus d'Astana partagé par la Russie, l'Iran et la Turquie puisse être quelque peu fructueux.

Erdogan, en même temps, donne magistralement l'impression qu'il est bel et bien impliqué dans le pivotement de son pays vers Moscou. Il entre en effervescence quand il parle de "son collègue russe Vladimir Poutine" et quand il soutient l'idée - initialement présentée par l'Azerbaïdjan - d'une plateforme de sécurité régionale unissant la Russie, la Turquie, l'Iran, l'Azerbaïdjan, la Géorgie et l'Arménie. M. Erdogan a même déclaré que si Erevan fait partie de ce mécanisme, "une nouvelle page pourrait s'ouvrir" dans les relations Turquie-Arménie, jusqu'ici inextricables.

Il sera bien sûr utile que, même sous la prééminence de Poutine, Erdogan ait un siège très important à la table de cette organisation de sécurité putative.

La vue d'ensemble est encore plus fascinante, car elle présente divers aspects de la stratégie d'équilibre eurasiatique de Poutine, qui implique comme principaux acteurs la Russie, la Chine, l'Iran, la Turquie et le Pakistan.

À la veille du premier anniversaire de l'assassinat du général Soleimani, Téhéran est loin d'être intimidé et "isolé". À toutes fins utiles, elle contraint lentement mais sûrement les États-Unis à quitter l'Irak. Les liens diplomatiques et militaires de l'Iran avec l'Irak, la Syrie et le Liban restent solides.157191553.jpg

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Et avec moins de troupes américaines en Afghanistan, le fait est que l'Iran, pour la première fois depuis l'ère où l’on ne cesse plus de parler de l'"axe du mal", sera moins entouré par le Pentagone. La Russie et la Chine - les nœuds clés de l'intégration eurasienne - l'approuvent pleinement.

Bien sûr, le rial iranien s'est effondré par rapport au dollar américain, et les revenus pétroliers sont passés de plus de 100 milliards de dollars par an à quelque 7 milliards. Mais les exportations non pétrolières dépassent largement les 30 milliards de dollars par an.

Tout est sur le point de changer pour le mieux. L'Iran est en train de construire un oléoduc ultra-stratégique reliant la partie orientale du golfe Persique au port de Jask dans le golfe d'Oman - en contournant le détroit d'Ormuz ; ainsi, l’Iran est prêt à exporter jusqu'à 1 million de barils de pétrole par jour. La Chine sera le premier client.

Le président Rouhani a déclaré que l'oléoduc sera prêt d'ici l'été 2021, ajoutant que l'Iran prévoit de vendre plus de 2,3 millions de barils de pétrole par jour l'année prochaine - avec ou sans sanctions américaines, que celles-ci soient allégées par le tandem Biden-Harris ou non.

L'anneau d'or

L'Iran est bien relié à la Turquie à l'ouest et à l'Asie centrale à l'est. Un élément supplémentaire important de l'échiquier qui se met en place est l'entrée des trains de marchandises qui relient directement la Turquie à la Chine via l'Asie centrale - en contournant la Russie.

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Au début de ce mois, le premier train de marchandises a quitté Istanbul pour un voyage de 8.693 km en 12 jours, passant sous le Bosphore via le tout nouveau tunnel Marmary, inauguré il y a un an, puis le long du couloir moyen Est-Ouest via la ligne ferroviaire Bakou-Tbilissi-Kars (BTK), à travers la Géorgie, l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan.

En Turquie, il est connu sous le nom de "chemin de fer de la soie". C'est la BTK qui a permis de réduire le transport de fret de la Turquie vers la Chine d'un mois à seulement 12 jours. L'ensemble du trajet entre l'Asie de l'Est et l'Europe occidentale peut désormais être parcouru en 18 jours seulement. Le BTK est le nœud clé du "couloir du milieu" de Pékin à Londres et de la "route ferroviaire de la soie" du Kazakhstan à la Turquie.

Tous ces projets s'inscrivent parfaitement dans le programme de l'Union européenne, en particulier celui de l'Allemagne : mettre en place un corridor commercial stratégique reliant l'Union européenne à la Chine, en contournant la Russie.

Cela permettrait à terme de consolider l'une des alliances clés des années folles : l’alliance Berlin-Beijing.

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Pour accélérer cette alliance présumée, on dit à Bruxelles que les eurocrates profiteraient du nationalisme turkmène, du pan-turquisme et de la récente entente cordiale entre Erdogan et Xi en ce qui concerne les Ouïgours. Mais il y a un problème : beaucoup d’Etats turcophones préfèrent une alliance avec la Russie.

De plus, la Russie est incontournable lorsqu'il s'agit d'autres corridors. Prenez, par exemple, un flux de marchandises japonaises allant à Vladivostok, puis via le Transsibérien à Moscou et ensuite vers l'UE.

La stratégie de contournement de la Russie par l'UE n'a pas vraiment été un succès en Arménie-Azerbaïdjan : ce que nous avons eu, c'est un recul relatif de la Turquie et une victoire russe de facto, Moscou renforçant sa position militaire dans le Caucase.

Entrons maintenant dans un nouveau jeu encore plus intéressant : le partenariat stratégique Azerbaïdjan-Pakistan, désormais en surrégime dans les domaines du commerce, de la défense, de l'énergie, de la science et de la technologie, et de l'agriculture. Islamabad a d'ailleurs soutenu Bakou sur le Haut-Karabakh.

L'Azerbaïdjan et le Pakistan entretiennent tous deux de très bonnes relations avec la Turquie : une question d'héritage culturel turco-persan très complexe et interdépendant.

Et ils pourraient se rapprocher encore davantage, avec le corridor international de transport nord-sud (INTSC) qui relie et reliera plus sûrement encore non seulement Islamabad à Bakou, mais aussi les deux à Moscou.

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D'où la dimension supplémentaire du nouveau mécanisme de sécurité proposé par Bakou, qui unit la Russie, la Turquie, l'Iran, l'Azerbaïdjan, la Géorgie et l'Arménie : tous les quatre veulent ici des liens plus étroits avec le Pakistan.

L'analyste Andrew Korybko l'a joliment surnommée "l'anneau d'or" - une nouvelle dimension de l'intégration de l'Eurasie centrale, avec la Russie, la Chine, l'Iran, le Pakistan, la Turquie, l'Azerbaïdjan et les "stans" d'Asie centrale. Tout cela va donc bien au-delà d'une éventuelle Triple Entente : Berlin-Ankara-Beijing.

Ce qui est certain, c'est que la relation Berlin-Moscou, si importante, restera forcément froide comme de la glace. L'analyste norvégien Glenn Diesen a résumé le tout : "Le partenariat germano-russe pour la Grande Europe a été remplacé par le partenariat sino-russe pour la Grande Eurasie".

Ce qui est également certain, c'est qu'Erdogan, un maître du pivotement, trouvera des moyens de profiter simultanément et de l'Allemagne et de la Russie.

mardi, 29 décembre 2020

Le colonel de réserve Richard Black révèle les vraies raisons de la survie de l'OTAN

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L'OTAN doit être dissoute

Le colonel de réserve Richard Black révèle les vraies raisons de la survie de l'OTAN

Par le Colonel Richard Black

Ex : https://www.tradicionviva.es

SEN. RICHARD BLACK : Je suis très heureux d'être ici à la tribune de l'Institut Schiller, et je veux que vous sachiez à l'avance que j'y viens en tant que « superpatriote américain ». J'ai risqué ma vie des centaines de fois au combat.

Je suis donc très patriote, mais je suis très préoccupé par l'OTAN.

L'OTAN, à mon avis, représente une menace très sérieuse pour la paix mondiale. En fait, c'est la pièce maîtresse de l'état profond. En 1949, l'OTAN a été créée en tant qu'alliance défensive contre l'Union soviétique, qui avait une forte puissance nucléaire. L'Union soviétique, en réponse, a formé le Pacte de Varsovie, six ans plus tard, en 1955. De nombreuses années de guerre froide ont passé. Heureusement, il n'y a pas eu de guerre nucléaire ni de guerre conventionnelle.

La guerre froide a pris fin en 1991, lorsque l'Union soviétique a été dissoute et que le communisme a été définitivement discrédité. Le pacte de Varsovie a été dissous la même année.

Or, en 1991, l'OTAN n'avait aucun but pratique et aurait dû être dissoute. Sa dissolution aurait été une grande chose pour la paix dans le monde. Les perspectives de paix permanente sont très prometteuses.

Col. Richard H. Black (USA Ret.), former head of the Army’s Criminal Law Division of The Pentagon, former State Senator (Va.) Delivered to the Schiller Institute conference December 12, 2020 https://bit.ly/2KMogqn

La distance entre l'Allemagne et le cœur de la Russie était de plus de 3.000 miles, une grande zone tampon contre tout type de lancement accidentel de missile ou d'invasion hostile, d'une manière ou d'une autre. Ainsi, à cette époque, les perspectives d'une troisième guerre mondiale étaient extrêmement éloignées et c'était un très bon moment de l’histoire récente.

Un an plus tôt, en 1990, le président George H. W. Bush et la direction de l'OTAN avaient garanti que si laRussie n'intervenait pas dans la réunification de l'Allemagne, l'OTAN ne se déplacerait pas d'un pouce vers l'est, en direction de la Russie, et celle-ci a accepté cet accord et l'a fidèlement respecté. Mais, l'OTAN a menti, et ils ont menti démesurément. Au lieu de tenir sa promesse, l'OTAN a agi rapidement, jusqu'à aujourd'hui, ils sont à 20 miles de la frontière russe. L'OTAN a donc avancé à peu près sur la même distance que d'un océan à l'autre aux États-Unis, de New York à San Francisco.

Au lieu de dissoudre l'OTAN, l'Alliance est passée de 16 à 30 membres, et ils l'ont fait en présentant faussement la Russie comme la réincarnation de l'Union soviétique, ce qu'elle n'était pas du tout.

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Maintenant, il est important de réaliser que la population de la Russie représente la moitié de celle des États-Unis et que son économie n'a que la taille de celle de l'Italie. Une bonne mesure du risque réel pour la Russie est que l'Allemagne, qui est la plus grande puissance industrielle de l'Europe, a évalué la menace d'une invasion russe comme étant si peu probable qu'elle a réduit le nombre de ses chars de 5000 pendant la guerre froide à 200 aujourd'hui. Presque rien.

Aujourd'hui, Donald Trump a fait campagne pour se retirer de l'OTAN, parce qu'elle était obsolète, et il s'est engagé à normaliser les relations avec la Russie et la Syrie ; cependant, le problème est que cela aurait détruit la {raison d'être}, la raison même de l'existence de l'OTAN et de l'état profond.

Et c'est cette raison principale, à mon avis, qui a fait subir au président Trump des coups continus, qui ont commencé avant son élection et qui ont culminé dans la fraude électorale massive à laquelle nous venons d’assister.

La fausse nouvelle d’une intervention russe dans les processus électoraux américains a mis le président Trump dos au mur. Il a été forcé de changer sa rhétorique anti-OTAN en une demande d'achat d'armes supplémentaires par l'OTAN. Ils l'ont fait et, bien sûr, cela n'a fait qu'exacerber la course aux armements entre l'OTAN et la Russie.

L'OTAN et le complexe militaro-industriel, tout l'État profond, qui emploie des millions de bureaucrates influents, dépendent de la perception par le public de menaces imminentes à leur existence. Des millions d'emplois liés à la défense sont concernés. Mais le fait est que, à l'exception de quelques escarmouches mineures à la frontière avec le Mexique, les États-Unis n'ont jamais été envahis par une nation étrangère depuis la guerre de 1812. À l'époque, nous étions une petite nation faible, et aujourd'hui, nous sommes un gros monolithe dans le monde. Le budget de la défense des États-Unis est si important qu'il dépasse aujourd'hui les dix plus gros budgets de défense de toutes les autres nations. Nous avons trois fois le budget de la Chine, quinze fois celui de la Russie et quarante fois celui de l'Iran. La marine américaine a un tonnage trois fois supérieur à celui de la Russie ou de la Chine. Leurs marines sont primitives : pourtant, nous disposons de 11 énormes forces opérationnelles autour de porte-avions pour projeter notre puissance dans le monde.

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Les troupes de la marine, l'infanterie de marine, sont une indice très parlant de la puissance d'une nation, de sa capacité à envahir d'autres pays par la mer.

Les États-Unis ont quinze fois plus de troupes navales que la Russie et huit fois plus que la Chine.

Ainsi, quiconque imagine que nous pourrions être menacés par une sorte d'invasion n'a qu'à regarder la taille du Corps des marines américains. Et la taille de leurs forces navales et, par suite, de constater que c'est un fantasme.

Avec les États-Unis aux commandes, l'OTAN a opté imprudemment pour des mesures provocatrices contre la Russie, pour augmenter délibérément les tensions, faisant déployer à plusieurs reprises des missions aériennes avec des capacités nucléaires aux abords immédiats de la frontière russe, et juste avant d'atteindre celle-ci, ils décollent et se dirigent dans leur direction. Rien qu'au mois d'août 2020, elle a obligé la Russie à faire décoller ses propres avions pour intercepter ces bombardiers et ce, à 27 occasions différentes.

Les provocations, tant navales qu'aériennes, sont devenues si provocatrices et si risquées qu'en 2019, le président Poutine a pris la décision de révéler son programme d'armes nucléaires hypersoniques, jusqu'alors secret.

Il l'a fait, non pas pour se vanter et impressionner le monde, mais pour éviter toute éventuelle action offensive contre la Russie. Il a ensuite annoncé qu'il allait armer la marine russe et la force sous-marine russe avec des missiles hypersoniques.

En l'absence quasi totale de zone tampon entre l'OTAN et la Russie, ces missiles, qui ne peuvent être interceptés, peuvent atteindre Washington ou New York depuis la Russie en une heure, et pour les missiles tirés par les sous-marins russes en haute mer, en quelques minutes. Ils peuvent littéralement anéantir toute la population de Washington ou de New York.

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Il s'agit d'un danger extraordinaire auquel le peuple américain est exposé à cause de l’OTAN et de l’Etat profond. Il y a une chose qu'il faut comprendre : {la Russie ne veut pas la guerre.} Ils ne veulent certainement pas d'une guerre nucléaire. Et ils ne peuvent pas combattre les États-Unis et l'OTAN de manière conventionnelle. Mais les États-Unis ont démantelé tous les accords nucléaires, presque tous les traités de désarmement nucléaire.

Ils avaient été péniblement négociés pendant des décennies, et maintenant nous développons des armes nucléaires à petite échelle dont le seul but est de faire de la guerre nucléaire une réalité plus pratique.

Ainsi, l'OTAN, qui défendait autrefois l'Europe, mène maintenant des guerres agressives au Moyen-Orient et est sollicitée pour affronter la Chine et se joindre à cette entreprise, ce qui risque fort de se produire.

Chacune de ces expansions de l'OTAN soulève le spectre d'une guerre nucléaire. Si la troisième guerre mondiale éclate, elle tuera un grand nombre de citoyens américains, et l'OTAN sera tenue pour responsable. Le nombre de morts dépassera celui de toutes les guerres qui ont été menées dans l’histoire ! Il empoisonnerait la Terre avec des radiations. Cela provoquerait un effondrement total du commerce, des transports et de la production alimentaire. Cela pourrait anéantir complètement la civilisation.

Maintenant, il est important pour les Américains de comprendre la géographie du monde. Les États-Unis ont eu la chance d'avoir des océans de dimensions immenses sur leurs deux côtes : le Pacifique, l'Atlantique, qui s'étend sur plusieurs milliers de miles.

Nous ne sommes donc pas menacés. Aucune nation ne peut envahir les États-Unis, et à moins de menacer les autres, il n'y a absolument aucune crainte réaliste de voir éclater une guerre. Les Américains ordinaires ne tirent aucun profit des guerres sans fin que nous menons, sous l'égide de l'OTAN et de nos alliés. Et il est important de comprendre que lorsque le monde sera précipité dans une conflagration nucléaire, les hauts fonctionnaires et les oligarques mondiaux se réfugieront dans des villes souterraines préparées depuis longtemps. Mais le reste d'entre nous sera incinéré à cause de leur folie. Nous devrons alors remercier l'OTAN pour la disparition de la civilisation occidentale.

Merci beaucoup.

Etat du monde: Rétrospective 2020

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Etat du monde: Rétrospective 2020

par

Ex: https://www.polemia.com

En cette fin d’année, retour sur les 10 articles les plus lus en 2020 sur le site de Polémia. Neuvième article le plus consulté cette année, un texte d’analyse géopolitique de Michel Geoffroy, contributeur bien connu de nos lecteurs.
Merci à tous pour votre fidélité et rendez-vous en 2021 pour une nouvelle année de résistance.
Polémia

Par Michel Geoffroy, auteur de La Super-classe mondiale contre les peuples ♦ L’assassinat du général iranien Qassem Soleimani, revendiqué par les Etats-Unis, apporte une nouvelle preuve que la quatrième guerre mondiale a bien commencé. Nous sommes en effet entrés dans la quatrième guerre mondiale, qui a succédé à la troisième – la guerre froide. C’est une véritable guerre des mondes car elle voit s’opposer différentes représentations du monde et aussi parce qu’elle a la stabilité du monde pour enjeu.

Le monde unipolaire contre le monde polycentrique

Cette guerre oppose avant tout les Etats-Unis, de plus en plus souvent alliés à l’islamisme, qui ne comprennent pas que le monde unipolaire a cessé de fonctionner, aux civilisations émergentes de l’Eurasie – principalement la Chine, l’Inde et la Russie – qui contestent de plus en plus leur prétention à diriger le monde.

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Les Etats-Unis, bras armé de la super classe mondiale, veulent en effet maintenir leur rôle dirigeant mondial, acquis après la chute de l’URSS, car ils continuent de se voir comme une « nation unique », comme n’avait pas hésité à l’affirmer encore le président Obama devant une assemblée générale des Nations Unies stupéfaite !

Même affaiblis, ils entendent conserver leur hégémonie par n’importe que moyen, y compris militaires. Avec leurs alliés occidentaux transformés en valets d’armes, ils font donc la guerre au monde polycentrique, c’est-à-dire aux cultures, aux civilisations et aux peuples qui ne veulent pas d’un monde unidimensionnel.

Monde unipolaire versus monde polycentrique, voilà la matrice de la quatrième guerre mondiale.

La dé-civilisation occidentale

Ce que l’on nomme aujourd’hui l’Occident, correspond à un espace dominé et formaté par les Etats-Unis, et n’a plus qu’un rapport lointain avec la civilisation qui l’a vu naître, la civilisation européenne.

L’Occident aujourd’hui correspond à l’espace qu’occupe l’idéologie de l’américanisme : le matérialisme, l’individualisme fanatique, le culte de l’argent, le multiculturalisme, le féminisme hystérique, le messianisme, l’idéologie libérale/libertaire, et une certaine appétence pour la violence, principalement.

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Cet Occident fait la guerre aux autres civilisations, y compris à la civilisation européenne, car les « valeurs » qu’il se croit en droit de promouvoir partout par la force, sont en réalité des antivaleurs, des valeurs mortelles de dé-civilisation. Pour cette raison aussi, la civilisation européenne entre en décadence, alors que la plupart des autres civilisations renaissent au 21ème siècle

La quatrième guerre mondiale recouvre donc un affrontement civilisationnel : le choc entre les civilisations renaissantes de l’Eurasie et la culture de mort véhiculée par l’américanisme.

Et ce choc contredit la croyance cosmopolite en l’émergence d’une unique civilisation mondiale.

Le mythe américain de la paix démocratique

Depuis la chute de l’URSS, les Etats-Unis sont passés d’une stratégie d’endiguement du communisme à une stratégie d’élargissement de leur modèle de société à tous les peuples, comme l’a annoncé sans détour Bill Clinton devant l’Assemblée générale des Nations Unies en 1993 : « Notre but premier doit être d’étendre et de renforcer la communauté mondiale des démocraties fondées sur le marché »[1].

Cette stratégie expansive correspond à la croyance dans la « paix démocratique » selon laquelle les Etats démocratiques seraient pacifiques par nature et parce que le modèle américain serait profitable à tous.

Mais, comme le souligne Christopher Layne[2], il s’agit d’une illusion : car rien ne vient confirmer que l’instauration de la démocratie au niveau d’un Etat annule les effets structuraux de la pluralité contradictoire des puissances et des intérêts au plan international.

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Mais, surtout, la croyance dans la paix démocratique conduit nécessairement à souhaiter le renversement des Etats « non démocratiques » – les Etats-voyous selon le langage imagé nord-américain contemporain – pour que des démocraties leur succèdent. Mais cette présomptueuse volonté de changement de régime[3] – qui a beaucoup de points communs avec l’islamisme implique une ingérence conflictuelle dans les affaires intérieures des autres Etats.

L’impérialisme de la démocratie n’a donc rien à envier au plan belliqueux à tous les autres impérialismes et ce n’est pas un hasard si dans leur courte histoire, les Etats-Unis ont été si souvent en guerre[4] !

La guerre chaotique occidentale

La quatrième guerre mondiale se déroule pour le moment principalement dans l’ordre géoéconomique : elle a pour enjeu la maîtrise des ressources énergétiques mondiales et celle des flux économiques et financiers et notamment la remise en cause de la domination du dollar, instrument de la domination globale des Etats-Unis puisqu’il leur permet de financer facilement leur arsenal militaire démesuré.

Mais elle se déroule aussi sur le terrain des guerres infra-étatiques et des « guerres civiles » internationalisées car commanditées de l’extérieur.

Depuis la fin du bloc soviétique, les Occidentaux, emmenés par les Etats-Unis, n’ont eu de cesse en effet d’encourager la destruction chaotique des puissances susceptibles de contrer leur projet de domination mondiale. Il s’agit de créer partout des poussières d’Etats impuissants et rivaux en application du vieux principe « diviser pour régner » !

La destruction de la Yougoslavie (1989-1992), suivi de la guerre illégale de l’OTAN au Kossovo (1998-1999) a constitué le coup d’envoi de la quatrième guerre mondiale.

Ces conflits ont contribué à affaiblir la périphérie de la Russie et aussi, par contre coup, à déstabiliser l’Union Européenne : désormais ingouvernable à 28 ou à 27 états et dirigée de fait par une Allemagne atlantiste, l’Union Européenne, ne compte quasiment pas sur la scène internationale comme acteur indépendant !

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Encercler la Russie

De même, la fin de l’URSS n’a nullement mis fin à la politique américaine d’encerclement de la Russie. Comme on le dit parfois avec humour : « la preuve que la Russie est menaçante : elle à mis ses frontières exprès à côté des bases de l’OTAN ! »

Car il s’agit de programmer l’émiettement de la puissance russe : notamment en encourageant la sécession Tchétchène (guerre de 1994 à 2000) et en soutenant les révolutions de couleur[5] qui organisent à chaque fois la mise en place de nouvelles équipes politiques anti-russes. Et bien sûr en s’efforçant de satelliser l’Ukraine grâce à la « révolution » d’Euromaïdan (hiver 2013 à février 2014), ayant, par un heureux hasard, abouti à la destitution illégale du président Yanoukovytch qui souhaitait le maintien des relations privilégiées avec la Russie[6]. Et aussi, par contre coup, à la séparation de la Crimée et à la guerre dans le Donbass.

Le scénario Euromaïdan s’est d’ailleurs aussi reproduit en Amérique Latine : avec le renversement en 2017 du président de l’Equateur, le radical Rafael Correa en 2017 et son remplacement par un pro-occidental, Lenin Moreno ; la tentative de déstabilisation du président du Venezuela, Nicolàs Maduro en fin 2018 ; les menaces contre Ortéga Président du Nicaragua et contre Cuba [7], présentés comme « la troïka de la tyrannie » par les Etats-Unis ; le renversement du président de la Bolivie Evo Morales en 2019, suite à un coup d’état institutionnel ayant conduit à… annuler sa réélection.

La guerre civile partout !

Mais c’est au Moyen et au Proche-Orient que la stratégie chaotique occidentale est la plus aboutie.

Avec la « guerre contre le terrorisme » en Afghanistan qui dure depuis… 18 ans, la seconde guerre d’Irak (2003) ; la déstabilisation de la Lybie, menée par la France (opération Harmattan), la Grande Bretagne et l’OTAN de mars à octobre 2011 – qui a provoqué par contrecoup la « crise migratoire » de 2015 en Europe et un chaos civil qui n’en finit pas[8]– et enfin la « guerre civile » en Syrie à partir de 2011, qui se termine en 2019 avec la défaite totale de l’Etat Islamique, suite à l’intervention décisive de la Russie à partir de 2015 ; sans oublier la guerre au Yemen.

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Les uns après les autres, les Etats susceptibles de constituer un pôle de puissance et de stabilité, dans une région qui représente un enjeu énergétique majeur, mais aussi une mosaïque de peuples, de religions et où aucune frontière n’est jamais sûre, ont ainsi été attaqués et durablement déstabilisés. Avec toujours le même résultat : non pas la « démocratie », mais le chaos, la guerre civile, des milliers de morts civils et la voie ouverte à l’islamisme radical. Et la mainmise américaine sur les ressources énergétiques comme en Syrie.

Comme l’écrit le géopoliticien Alexandre Del Valle, il « suffit pour s’en convaincre de voir ce que sont devenus les Etats afghan, irakien, libyen, ou même l’ex-Yougoslavie, aujourd’hui morcelée en mille morceaux «multiconflictuels» comme la Macédoine, la Bosnie-Herzégovine ou le Kossovo, autant de pays déstabilisés durablement par les stratégies cyniques pro-islamistes et ou anti-russes et anti-bassistes des stratèges étatsuniens [9]».

Et toujours selon le même scénario : des bobards médiatiques à répétition (soutien du terrorisme, épuration ethnique, armes de destruction massive, utilisation de gaz contre la populationetc…) servent à présenter à l’opinion occidentale l’agression contre des Etats souverains, en violation des principes des Nations Unies, comme une opération humanitaire !

L’Iran prochaine victime ?

Les Etats-Unis n’ont jamais caché que l’Iran était le prochain sur la liste du « changement de régime ». L’assassinat du général Qassem Soleimani, revendiqué par les Etats-Unis , venant après la récusation américaine du Traité sur le nucléaire iranien et le soutien américain ostensible aux manifestations en Iran, s’inscrivent à l’évidence dans une stratégie de changement de régime en devenir.

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Même s’il s’agit d’un très gros morceau à avaler.

L’Iran, avec plus de 82 millions d’habitants en 2019, retrouve en effet progressivement son rôle de puissance régionale, héritière lointaine de l’empire Perse, qu’il jouait au temps du Shah. Il dispose aussi des 4èmes réserves prouvées de pétrole et des 1ères réserves de gaz mondiales….

L’Iran chiite développe son influence politique et religieuse sur un arc qui part de sa frontière afghane pour rejoindre l’Irak, la Syrie et le Liban. Il concurrence l’islam sunnite sous domination Saoudienne et soutenu par les Etats-Unis, qui regroupe, lui, l’Egypte, la Jordanie, les Etats du Golfe et la péninsule arabique. La confrontation avec l’Iran constitue un enjeu majeur pour l’Arabie Saoudite, d’autant que sa minorité chiite se concentre dans sa région pétrolifère et aussi pour Israël.

Dans un tel contexte, un conflit, direct ou indirect, entre les Etats-Unis et l’Iran ne pourrait qu’avoir de très graves répercussions mondiales.

Les Etats-Unis, véritable Etat-voyou

Le président Trump, qu’une certaine droite adule curieusement alors qu’il embarque allègrement les Européens dans la quatrième guerre mondiale, adopte à l’évidence un comportement qui tranche avec la relative prudence de ses prédécesseurs. Même si la ligne politique de cette nation messianique reste la même.

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En fait, les Etats-Unis se croient désormais tout permis, en véritable Etat-voyou : récuser les traités qu’ils ont signé, relancer la course aux armements nucléaires[10], imposer des « sanctions » unilatérales à toute la planète sans aucun mandat du conseil de sécurité des Nations Unies, espionner les communications mondiales y compris celles de leurs « alliés », s’ingérer dans les affaires intérieures des Etats, taxer arbitrairement les importations, tuer des responsables politiques et militaires étrangers sans aucune déclaration de guerre etc…

Et l’on s’étonne encore que l’image de marque des Etats-Unis et de leurs « croisés » occidentaux, décline dans le monde, en particulier dans le monde musulman ?

Comme le souligne Alexeï Pouchkov[11] , ancien président de la commission des affaires étrangères de la Douma, la présidence Trump incarne une Amérique fiévreuse et nerveuse car elle a pris conscience de sa fragilité croissante dans le monde polycentrique qui vient. Une Amérique qui se tourne aussi de plus en plus vers elle-même pour faire face à ses problèmes intérieurs croissants.

Make America Great Again – rendre l’Amérique de nouveau grande -, le slogan de campagne du candidat Trump, revient à reconnaître que, justement, l’Amérique a perdu de sa superbe alors qu’elle ne se résout pas à abandonner sa suprématie.

Une contradiction dangereuse pour la paix du monde !

Michel Geoffroy
Initialement publié le 07/01/2020

Notes:

[1] Le 27 septembre 1993

[2] Christopher Layne « Le mythe de la paix démocratique » in Nouvelle Ecole N° 55, 2005

[3] Regime change en anglais

[4] On dénombre pas moins de 140 conflits et interventions américaines dans le monde depuis le 18ème siècle même s’ils sont évidemment d’ampleur très variables

[5] Révolution des roses en Géorgie (2003), révolution orange en Ukraine (2004) et révolution des tulipes au Kirghizstan (2005); sans oublier la deuxième guerre d’Ossétie du Sud opposant en août 2008 la Géorgie à sa province « séparatiste » d’Ossétie du Sud et à la Russie ; un conflit étendu ensuite à une autre province géorgienne , l’Abkhazie.

[6] Une Ukraine dans l’UE et dans l’OTAN provoquerait le contrôle américain de la mer Noire

[7] Après «l’empire du mal», qui désignait l’URSS dans les années 1980 et «l’axe du mal», qui qualifiait les pays réputés soutenir le terrorisme dans les années 2000, un nouveau concept est venu de Washington pour identifier les ennemis des États-Unis: c’est la «troïka de la tyrannie».Dans un discours sur la politique de Washington concernant l’Amérique latine, John Bolton, conseiller à la sécurité du Président américain a désigné en novembre 2018 : le Venezuela bolivarien de Nicolas Maduro, le Nicaragua de Daniel Ortega et Cuba, où Miguel Diaz-Canel a succédé aux frères Castro.

[8]Le pays est actuellement secoué par le conflit armé entre les forces du maréchal Khalifa Haftar, et son rival installé à Tripoli, le Gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par l’ONU

[9] RT France du 10 avril 2019

[10] Les Etats -Unis se sont retirés le 1er février 2019 du traité sur les armes nucléaires de portée intermédiaire (en anglais : intermediate-range nuclear force treaty INF) – signé en 1987 par Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev, et l’un des grands symboles de la fin de la guerre froide – Ils se montrent déjà réticents à prolonger pour cinq ans le traité New Start – ou Start III – sur les armements nucléaires stratégiques qui, signé en 2011, arrive à échéance en 2021.Les Etats-Unis se sont aussi retirés du traité ABM en 2001

[11] Conférence de présentation de son ouvrage « Le Jeu Russe sur l’Echiquier Global » le 14 novembre 2019

 
Michel Geoffroy, ENA. Essayiste, contributeur régulier à la Fondation Polémia ; a publié en collaboration avec Jean-Yves Le Gallou différentes éditions du “Dictionnaire de Novlangue”.

samedi, 26 décembre 2020

L'influence de Carl Schmitt en Chine

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L'influence de Carl Schmitt en Chine

Par Daniele Perra

Ex: https://www.eurasia-rivista.com

"πόλεμος πάντων μὲν πατήρ ἐστι, πάντων δὲ βασιλεύς, καὶ τοὺς μὲν θεοὺς ἔδειξε τοὺς δὲ ἀνθρώπους, τοὺς μὲν δούλους ἐποίησε τοὺς δὲ ἐλευθέρους."

"Conflit, de toutes choses père, de toutes choses roi, de quelques-uns il a fait des dieux, d’autres il a fait des mortels, d'autres des serviteurs, d'autres encore, il a fait des hommes libres"

(Héraclite, fragment 53)

Dans une lettre datée de 1933, Martin Heidegger, félicitait le juriste Carl Schmitt, son compatriote, pour le succès de l'ouvrage La notion du politique, qui en était alors à sa troisième édition. Heidegger le félicitait pour la citation que Schmitt avait faite du fragment 53 d'Héraclite et de l'interprétation correcte qu'il avait donnée des concepts fondamentaux de πόλεμος (polemos) et βασιλεύς (basileus). Dans le même temps, Heidegger a non seulement révélé à Schmitt qu'il préparait sa propre interprétation du fragment héraclitéen, directement lié au concept de ἀλήθεια (aletheia), mais aussi qu'il traversait lui-même une forme de "conflit".

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Heidegger et Schmitt étaient tous deux bien conscients que le Superbe d'Ephèse, avec le terme "conflit", ne voulait pas indiquer uniquement et exclusivement une lutte armée. En fait, cela devait être compris également dans le sens de conflit interne. Ce πόλεμος, pour Heidegger, n'était autre que ce "travail de l'ego" qui l'a conduit à ce qu'il a lui-même défini comme un "combat au corps à corps avec son propre moi", à abandonner l'enseignement pendant plusieurs années, mais aussi à produire par la suite quelques ouvrages fondamentaux comme la volumineuse étude sur Nietzsche et Holzwege (Les chemins qui ne mènent nulle part) [1].

Le choix de commencer par le fragment 53 d'Héraclite pour cette réflexion sur l'influence de la pensée de Carl Schmitt en Chine n'est pas fortuit. Le conflit dont s'occupe le penseur grec, et dont Heidegger a compris l'essence, appartient à juste titre à la liste de ces concepts théologiques qui, selon Schmitt, ont été "sécularisés" par la doctrine moderne de l'État.

photo-rabbin-daniel-farhi-héraclite.jpgDans le contexte islamique, puisque la révélation y est à la fois prophétie et loi, le sens réel du terme conflit utilisé par Héraclite apparaît avec toute sa force perturbatrice dans le concept théologique de djihad. Cela, rappelons-le, signifie littéralement "effort" et indique l'engagement de l'homme à s'améliorer, à devenir un "vrai" être humain, paraphrasant l'interprétation qu'en donne l'imam Khomeiny [2].

Le djihad, tel que rapporté dans un hadith bien connu du prophète Muhammad, peut être de deux types : majeur (ou intérieur) et mineur (ou extérieur). Le djihad majeur consiste en la lutte intérieure, comme nous venons de le dire, pour devenir un véritable homme ; tandis que le djihad mineur indique en fait la lutte armée contre un ennemi extérieur au dar al-Islam (maison de l'Islam). Donc, contre quelqu'un qui se trouve dans le dar al-harb (maison de la guerre).

Ce concept se retrouve déjà dans la civilisation chinoise traditionnelle. Au-delà des frontières impériales, en effet, se trouvait l'espace des "barbares" : une région "inculte", un royaume de la guerre et un espace purement quantitatif dans lequel les vertus de jen (solidarité de groupe) et de yi (équité) n'étaient pas pleinement réalisées.

En termes de théorie géopolitique classique, les concepts de conflit interne et externe peuvent facilement être appliqués à l'idée organique de l'État (une entité vivante qui est à la fois morale et spirituelle) développée par Friedrich Ratzel [3]. Ainsi, si l'État est considéré comme un organisme, son conflit intérieur est son effort pour devenir une entité forte, unie et pleinement souveraine, capable d'agir indépendamment et sur un pied d'égalité avec les autres acteurs internationaux dans un théâtre régional ou mondial. Et il est clair que cet effort interne représente la condition préalable essentielle de l'effort externe et, par rapport à ce dernier, joue un rôle primordial.

Maintenant, en voulant transposer l'idée, que nous venons de reconstruire dans le présent texte, à l'actualité géopolitique de la République populaire de Chine, il apparaît évident que les concepts schmittiens de la politique comme "conflit" et de l'opposition dichotomique ami/ennemi ont connu une diffusion notable (et peut-être même inconsciente) à Pékin.

La politique de la "Chine unique" menée par la République populaire se traduit en effet ouvertement par un effort interne dont l'objectif est la réalisation d'une unité nationale complète non seulement en termes territoriaux (rétablissement de la souveraineté sur Taiwan, par exemple), mais aussi en termes idéologiques, en luttant contre cet "ennemi interne" qui se présente sous les différentes formes de séparatisme soutenu par l'Occident : du modèle terroriste du Mouvement islamique du Turkestan oriental (qui a été supprimé récemment de la liste des organisations terroristes par les États-Unis par pure coïncidence) à la rébellion "sorosienne" à Hong Kong, jusqu'à l'influence exercée par des sectes anti-traditionnelles comme le Falun Gong, aujourd'hui revigorée par l'alliance avec le phénomène des QAnon.

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Le chercheur chinois Liu Xiaofeng (profondément influencé par Schmitt), dans son recueil d'essais Sino-Théologie et philosophie de l'histoire, souligne les différences entre le concept européen d'État-nation et le substrat idéologique dans lequel s'est développé l'État chinois actuel. Les meilleurs penseurs politiques chinois, dit le professeur de l'université de Renmin, ont parfaitement compris que l'impérialisme européen moderne était loin de l'ancien concept d'Empire (plus proche, à certains égards, de celui des Perses et des Chinois). Et ils ont réalisé qu'à l'époque moderne, il n'y avait pas qu'un seul impérialisme, mais plusieurs formes d'impérialisme contradictoires, une pour chaque État-nation[4].

coverimage.jpgDans ce contexte, selon l'historien et homme politique Liang Qichao, qui a vécu au tournant des XIXe et XXe siècles à l'époque du déclin inexorable et de la partition impérialiste de l'espace chinois, la solution ne pouvait être que la création d'une forme de nationalisme chinois. Cependant, ce que Qichao considérait comme du nationalisme était une forme de conscience politique et culturelle nationale, mais pas du nationalisme au sens européen du terme. En fait, ce concept est resté complètement étranger à la forme impériale traditionnelle qui, même aujourd'hui, dans son expression modernisée et influencée par le marxisme-léninisme, ressemble davantage au modèle achéménide qu'à l'idée européenne de l'État-nation et de ses impulsions impérialistes. Et, en tant que telle, elle s'est imposée dès son origine comme un dépassement en nuance de cette idée.

L'historiographie occidentale, à travers ce qu'on appelle l'histoire globale, a tenté de dépasser le système eurocentrique basé sur l'État-nation, en le remplaçant par une idée de l'histoire axée sur le changement des structures sociales. Liu Xiaofeng, contrairement à certains de ses collègues et compatriotes, a eu le mérite de réaliser que cette histoire mondiale n'est pas née avec l'essai de William H. McNeill de 1963, The Rise of the West. A History of Human Community [6]. Il a également compris que le désir de surmonter l'eurocentrisme a simplement abouti à une forme assez paradoxale de cosmopolitisme qui cache un impérialisme naturel de matrice anglo-américaine (celui qui est sorti vainqueur du choc avec les autres formes d'impérialisme européen). Ce cosmopolitisme, en effet, continue de considérer le canon "occidental", inspiré des valeurs du capitalisme libéral, comme le meilleur modèle dans l’absolu. Cependant, ce cosmopolitisme occidental examine d'autres modèles avec la bienveillance due au bon sauvage que l’on étudie selon les canons de l’anthropologie et, peut-être, que l’on éduquera à terme (même par le biais du "bombardement humanitaire") pour l'émanciper de lui-même.

81Oe29BuvPL.jpgAinsi, l'histoire mondiale n'a été que la superstructure historiographique du libéralisme occidental à l'époque de la guerre froide et de l'instant unipolaire.

Bien avant l'essai de McNeill, comme le rappelle à nouveau Xiaofeng, Carl Schmitt a publié Le Nomos de la Terre, un ouvrage qui, plutôt que de subvertir l'eurocentrisme aujourd'hui disparu, a pleinement réalisé qu'il avait déjà été remplacé par un système centré sur l'Amérique [7]. Mais Schmitt, contrairement aux prophètes de l'histoire mondiale, utilisait encore un modèle historiographique centré sur les entités étatiques. L'idée fondamentale de Schmitt était de comprendre que les affrontements entre États resteraient fréquents et intenses, indépendamment du mythe cosmopolite de la citoyenneté mondiale, et que cela deviendrait même extrême dans certains cas.

Schmitt, en effet, a compris que la création et la croissance/le développement des États-Unis se sont déroulés dans un contexte où le jus publicum europaeum (celui qui régissait la guerre entre les monarchies chrétiennes européennes sur le sol du Vieux Continent) n'avait aucune valeur.

31V21xQ3hSL._SX327_BO1,204,203,200_.jpgLes États-Unis sont nés dans un "espace libre" où prévalait la loi du plus fort, celle de l'état de nature et sur le fond idéologico-religieux du thème biblique de l'Exode et de la conviction messianique de la construction du "Nouvel Israël" et de la "Jérusalem sur terre" : des principes qui sont à la base de l'idée puritaine de supériorité morale et de prédestination et qui représentent les fondements existentiels de l'américanisme. Les États-Unis sont nés en totale opposition au modèle européen. Leur entrée sur le Vieux Continent marque le passage de la guerre "légale" à la guerre "idéologique" : l'ennemi doit non seulement être vaincu, mais diabolisé, criminalisé et donc anéanti. Ce que les États-Unis ont fait, c'est ramener en Europe la loi du plus fort, en la considérant, comme les Européens l'avaient fait avec l'hémisphère occidental à l'époque moderne, comme un "espace libre" à soumettre à la simple conquête.

Xiaofeng applique ces idées schmittiennes à la situation géopolitique actuelle en Extrême-Orient et en Chine en particulier. La Chine, à un moment où la « lutte intérieure », que nous évoquions, n'avait pas encore abouti à la formation d'un État fort et pleinement souverain qui lui permettrait de participer pleinement (et équitablement) au forum international, a dû opter pour un accès "technique" au système, par l'entrée dans les institutions internationales. Cette méthode était opposée à celle purement politico-militaire utilisée par le Japon au tournant des XIXe et XXe siècles, lorsque le processus de modernisation endogène réalisé par l'Empire nippon lui a permis de s'affirmer comme une puissance mondiale.

Cependant, l'erreur fondamentale de la classe politique chinoise dans la première moitié du XXe siècle a été de croire que le droit international s'appliquait avec équité à tous les membres de la communauté qui acceptaient ses normes. Xiaofeng rappelle que Tchang Kaï-chek restait fermement convaincu, malgré l'avertissement du conseiller militaire allemand Alexander von Falkenhausen, que les puissances européennes (France et Grande-Bretagne) et les États-Unis viendraient au secours de la Chine face à l'agression japonaise à la fin des années 1930 [8]. De toute évidence, rien de tout cela ne s'est produit et ce n'est qu'avec le début de la Seconde Guerre mondiale et l'entrée des États-Unis dans le conflit que la situation a commencé à changer. 

La nature réelle du droit international a été bien décrite au délégué en URSS de la République de Chine de l'époque, Chiang Ching-kuo, par Joseph Staline. Le "Vozhd", très franchement, lui a dit : "tous les traités sont des chiffons de papier, ce qui compte, c'est la force" [9].

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En effet, la méthode "technique" décrite par Xiaofeng, par laquelle la Chine a d'abord essayé de se garantir une participation au système des relations internationales, ne lui a pas permis d'atteindre pleinement un équilibre des pouvoirs avec les puissances européennes ou avec les Etats-Unis. Ce n'est qu'avec la révolution maoïste et la victoire dans la guerre de Corée que la possibilité de cet objectif a commencé à se manifester.

Il est bon de rappeler que les États-Unis ont historiquement appliqué à la Chine, avant et après Mao (et bien qu'en phases alternées), une stratégie appelée "politique de la porte ouverte". Dans la période unipolaire, cette politique stratégique a pris la forme d'une sorte d'accord (théoriquement parfait) selon lequel la Chine, exportateur de biens et importateur de liquidités, prenait en charge les titres de la dette américaine, tandis que les États-Unis, consommateur et débiteur, pouvaient compter sur une suprématie militaire durable en se concentrant sur une nouvelle révolution technologique, pour laquelle la concurrence chinoise n'était même pas prise en considération. Comme le dit l'historien Aldo Giannuli : "Dans la vision néo-libérale, l'ouverture mondiale des marchés aurait dû faire de la Chine le principal centre manufacturier du système mondial, mais à condition que le fossé technologique reste constant, voire s'élargisse, et que la balance commerciale ne penche pas trop vers l'Est" [10].

Cependant, avec la crise de 2008, cette entente s'est rapidement fissurée et s'est détériorée déjà sous l'administration Obama qui, dans une tentative de se mettre à l'abri, a opté pour la stratégie géopolitique du « Pivot vers l'Asie » en relation avec le déplacement rapide du centre du commerce mondial vers l'Extrême-Orient. Une stratégie que l'administration Trump a tenté de pousser à l'extrême par une militarisation constante des mers adjacentes aux côtes chinoises et en incitant aux opérations de sabotage le long des voies de communication de la nouvelle route de la soie.

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L'erreur de jugement américaine a donc une origine beaucoup plus lointaine que ce qui est constamment proposé dans les analyses géopolitiques actuelles. Avec la traversée du fleuve Yalu et l'entrée des volontaires chinois en Corée, Pékin avait déjà envoyé un signal assez clair aux États-Unis : vous n'êtes pas les bienvenus de l'autre côté du 38e parallèle. Avec les réformes et les politiques d'ouverture de Deng Xiaoping au début des années 1980 et l'échec du soulèvement de la place Tienanmen, Pékin a envoyé un autre signal aux États-Unis : la Chine n'est plus un "espace libre" où l'on peut opérer à volonté (comme l'a fait Washington en Europe) ou divisible par des moyens économiques et des politiques d'infiltration culturelle.

L'ascension rapide de la Chine hors du "contexte libéral" et en vertu d'un système "illibéral", profondément étatiste et bien décrit également dans le nouveau plan quinquennal du PCC centré sur le principe de la double circulation (demande interne/demande externe), a envoyé un nouveau signal: la fin du système mondial centré sur les États-Unis est proche.

L'accord de libre-échange RCEP - Regional Comprehensive Economic Partnership est le premier pas vers la construction d'une sphère de coopération asiatique libérée de la présence déstabilisatrice de l'Amérique du Nord.

Il est clair qu'une telle éventualité ne sera pas acceptée de plein gré par les États-Unis. Mais aujourd'hui, Pékin, consciente de la nécessité d'un État fort, y compris en termes d'homogénéité idéologique et d'objectifs, est également bien préparée à la lutte contre l'ennemi extérieur.

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[1] J’ai traité ce sujet dans mon livre Essere e Rivoluzione. Ontologia heideggeriana e politica di liberazione, NovaEuropa, Milano 2018.

[2]Cf. R. Khomeini, La più grande lotta. Per liberarsi dalla prigione dell’ego ed ascendere verso Dio, Irfan Edizioni, Roma 2008.

[3]Cf. F. Ratzel, Lo Stato come organismo, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici” 3/2018.

[4]L. Xiaofeng, Sino-Theology and the philosophy of history. A collection of essays by Liu Xiaofeng, Brill, Boston 2015, p. 99.

[5]Ibidem.

[6]L. Xiaofeng, New China and the end of the international American law, www.americanaffairsjournal.org.

[7]Cf. C. Schmitt, Il nomos della terra, Adelphi Edizioni, Milano 1991.

[8]New China and the end of the international American law, ivi cit.

[9]Ibidem.

[10]A. Giannuli, Coronavirus. Globalizzazione e servizi segreti, Ponte alle Grazie, Milano 2020, p. 236.

 

 

mercredi, 23 décembre 2020

Le Sahara occidental est extrêmement important pour la cause anti-impérialiste

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Le Sahara occidental est extrêmement important pour la cause anti-impérialiste

Andrew Korybko

Ex : https://www.geopolitica.ru

La plupart des gens n'ont jamais entendu parler du Sahara occidental jusqu'à ce que Trump reconnaisse unilatéralement les revendications du Maroc sur cette région contestée du Maghreb, début décembre 2020, en échange de l'acceptation d'un accord de paix avec "Israël". En réalité la question du Sahara occidental est extrêmement importante pour la cause anti-impérialiste car sa position est similaire à celle de la Palestine et du Cachemire aux yeux du droit international.

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La reconnaissance unilatérale par Trump des revendications du Maroc sur cette région contestée du Maghreb qu’est le Sahara occidental en échange de la formalisation par Rabat de ses liens anciens et pas si secrets avec Tel-Aviv a pris par surprise de nombreux observateurs peu familiers avec ce conflit non résolu. La Palestine et le Cachemire occupent une place beaucoup plus importante dans le monde en raison de l'implication de puissances nucléaires et des efforts de certains pour se concentrer davantage sur l'angle interreligieux de ces conflits que sur leurs origines juridiques internationales. Le Sahara occidental ne répond à aucun de ces deux critères "passionnants", et a donc été largement oublié dans le vaste monde depuis que la question est apparue pour la première fois dans la politique internationale au milieu des années 1970.

Le processus de "décolonisation" dans l'Espagne de Franco a vu le pays caudilliste refuser d'accorder l'indépendance au Sahara occidental, le divisant plutôt entre le Maroc et la Mauritanie voisins contre la volonté du peuple sahraoui indigène représenté par le Front Polisario. Ce groupe a à son tour proclamé la République arabe sahraouie démocratique avec le soutien de l'Algérie voisine, qui entretient une rivalité historique avec le Maroc et a également sympathisé avec des causes socialistes comme celle des Sahraouis durant l'ancienne guerre froide. La Mauritanie a fini par abandonner ses revendications sur la région contestée et, après plus d'une décennie de lutte, le Maroc et le Sahara occidental ont conclu en 1991 un accord soutenu par l'ONU pour organiser un référendum sur le statut politique de la région.

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Le vote n'a jamais eu lieu car les deux parties impliquées dans le conflit n'ont pas pu se mettre d'accord sur qui pouvait voter, le principal problème étant l'insistance du Maroc à laisser les colons marocains participer au scrutin. Le Sahara occidental a été divisé de facto par « un mur de sable » que l'armée d'occupation marocaine a construit pour consolider son contrôle sur environ 80 % du territoire. Avec la reconnaissance unilatérale par Trump de la revendication de Rabat sur l'ensemble de la région (qui pourrait éventuellement être suivie par d'autres comme "Israël"), ainsi que la décision ultérieure de son gouvernement d'aller de l'avant avec un accord sur les armes d'un milliard de dollars, il est extrêmement peu probable que la fin, le mois dernier, du cessez-le-feu, qui a duré 29 ans, se traduise par des progrès sérieux pour le Front Polisario.

La Russie a dénoncé la décision politique américaine comme illégale au regard du droit international, ce qui est tout à fait exact, mais cela ne devrait avoir aucun effet tangible sur la modification de la dynamique du conflit. Seule l'Algérie pourrait avoir un impact potentiel, mais ses problèmes politiques internes permanents depuis presque deux ans l'ont forcée à se replier soudainement sur elle-même au lieu de poursuivre sa politique traditionnelle consistant à se présenter comme un leader régional. En outre, le projet d'accord sur les armes avec les États-Unis pourrait en fin de compte modifier de manière décisive l'équilibre régional des puissances, en particulier si "Israël" s'implique également, ou du moins déclencher une nouvelle course aux armements entre le Maroc et l'Algérie, cette dernière se tournant vers la Russie et la Chine pour obtenir un soutien militaire plus important en réponse.

Au milieu de tout cela, les anti-impérialistes ne devraient jamais oublier l'importance juridique internationale de la cause du Sahara occidental. Quoi que l'on pense de la légitimité des revendications de l'une ou l'autre des parties impliquées dans ce conflit, il s'agit néanmoins d'un différend reconnu par le Conseil de sécurité des Nations unies qui est censé être résolu par un référendum. Le précédent de l'abandon unilatéral par les États-Unis de leurs obligations juridiques internationales est inquiétant et peut-être aussi déstabilisant, bien qu'ils le fassent manifestement pour leurs propres intérêts nationaux tels qu'ils les comprennent subjectivement. Le problème, cependant, est que cela pourrait encourager d'autres demandeurs sur différents territoires contestés reconnus par le Conseil de sécurité des Nations unies dans le monde entier à doubler leurs positions maximalistes, rendant ainsi beaucoup plus difficile la résolution de ces questions.

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Un autre point important est que le droit international existe non seulement pour des raisons "morales", comme le prétendent ses partisans les plus passionnés (puisqu'il est manifestement imparfait), mais aussi pour des raisons pratiques liées à la nécessité de disposer de moyens prévisibles pour résoudre les différends internationaux afin d'éviter une escalade involontaire qui pourrait rapidement évoluer vers des conflits plus vastes et plus incontrôlables. Les revendications maximalistes unilatérales d'une partie sont problématiques, mais sont encore aggravées lorsqu'elles sont soutenues par des acteurs extérieurs intéressés qui peuvent également avoir une arrière-pensée pour diviser et gouverner la région en question, comme le font clairement les États-Unis au Maghreb, au Moyen-Orient et en Asie du Sud en ce qui concerne le Sahara occidental, la Palestine et le Cachemire.

La cause du Sahara occidental est donc inextricablement liée à la cause de la Palestine et du Cachemire aux yeux du droit international, c'est pourquoi les partisans de ces deux causes doivent être solidaires de leurs homologues sahraouis. La question ne peut être légalement résolue que par un référendum selon les critères définis par le Conseil de sécurité des Nations unies, indépendamment des opinions personnelles que l’on pourrait avoir sur le conflit, mais comme cela ne s'est pas encore produit et pourrait bien ne jamais se produire, après que le soutien diplomatique et militaire combiné de Trump aux revendications du Maroc, n'ait pas incité Rabat à se conformer aux règles, les observateurs ne peuvent s'empêcher d'être inquiets. La seule façon de rester cohérent avec le soutien à la Palestine et au Cachemire est de soutenir le droit à un référendum reconnu par le Conseil de sécurité de l'ONU au Sahara occidental.

Traduit en espagnol pour Geopolitica.ru

Source originale : http://oneworld.press/

 

L'Arctique est le prochain théâtre de l'Amérique pour le double endiguement de la Russie et de la Chine

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L'Arctique est le prochain théâtre de l'Amérique pour le double endiguement de la Russie et de la Chine

Par Andrew Korybko

Ex : http://oneworld.press

L'Arctique, c'est l'Amérique

La doctrine "Avantage en mer" récemment dévoilée par la marine américaine identifie l'océan Arctique comme le prochain théâtre de la tentative américaine de double endiguement de la Russie et de la Chine. À cette fin, le document propose que Washington recoure à des moyens désespérés tels que le déploiement délibéré de ses forces navales à des fins supposées de "désescalade" qui risquent en fait de provoquer une guerre nucléaire.

La doctrine de « Avantage en mer » de l'Amérique

La date du 17 décembre 2020 a été un jour très important pour plus d'une raison. Alors que le monde entier regardait la conférence de presse de fin d'année du président Poutine, la marine américaine a dévoilé sa doctrine "Avantage en mer". Cette dernière a attiré l'attention de la RT pour avoir identifié la Russie et la Chine comme les principaux rivaux des Etats-Unis, mais n'a depuis lors pas réussi à générer une réponse significative dans la Communauté Alt-Media. C'est une erreur, car le document est un must pour tous ceux qui veulent mieux comprendre la stratégie navale américaine pour le siècle à venir. Après tout, les tout premiers mots de son avant-propos se lisent de façon inquiétante : "Nos actions au cours de cette décennie vont façonner l'équilibre des forces maritimes pour le reste de ce siècle", soulignant ainsi la signification stratégique suprême de cette doctrine. De nombreux aspects de cette doctrine peuvent et doivent être analysés, mais le plus prometteur d'entre eux concerne peut-être la tentative américaine de double endiguement de la Russie et de la Chine dans l'océan Arctique.

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La concurrence polaire

Le texte ne dit pas grand-chose à ce sujet, mais il est tout à fait clair que cette région deviendra le prochain théâtre de cette stratégie jusqu'ici vouée à l'échec. Les deux grandes puissances multipolaires y ont des intérêts quasi identiques en ce qui concerne l'utilisation de ce que la Russie considère comme la route maritime du Nord et que la Chine considère comme la « route polaire de la soie » comme un raccourci pour faciliter le commerce maritime avec l'Europe. Elles sont également toutes deux très intéressées par les énormes gisements d'hydrocarbures de la région. L'Amérique est donc naturellement obligée d'interférer avec ces deux objectifs afin de retarder le plus longtemps possible la disparition de son hégémonie unipolaire. Elle rend son intention transparente en écrivant ce qui suit dans le texte :

"Nous ne pouvons pas céder notre influence dans des domaines où la concurrence quotidienne se fait jour, y compris dans les eaux régionales américaines et dans l'Arctique. Les décennies à venir apporteront des changements dans la région arctique qui auront un impact significatif sur l'économie mondiale, étant donné l'abondance de ses ressources naturelles et sa situation stratégique. La Chine considère cette région comme un maillon essentiel de son initiative "One Belt One Road". Les nations arctiques rouvrent d'anciennes bases, déplacent des forces et revigorent les exercices régionaux. Ces tendances vont persister dans les décennies à venir. Nous devons continuer à aller de l’avant et à positionner nos forces de manière appropriée".

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Les autres très rares références à la région concernent l'impact géostratégique du recul des glaces océaniques dans cette région, la construction par la Chine de brise-glaces polaires et d'autres navires "à une vitesse alarmante", et les prétendues ambitions de Pékin d'exploiter son initiative "Belt & Road" (BRI) dans le but de "permettre à ses forces d'opérer au plus loin de ses côtes que jamais, y compris dans les régions polaires". Il y a aussi une brève mention de l'acquisition prévue du "Polar Security Cutter" par les garde-côtes, mais ce sont les seules fois où l'Arctique ou les régions polaires sont mentionnés dans la doctrine. Néanmoins, elles sont suffisantes pour prouver qu'il s'agit d'un théâtre émergent de la rivalité entre grandes puissances.

Proposition provocatrice

Ce qui est particulièrement inquiétant dans tout cela, c'est que la doctrine "Avantage en mer" fait une proposition très provocante sur le positionnement naval des Etats-Unis dans le monde, y compris dans l'Arctique, en envisageant son inclusion dans le document. La plus inquiétante concerne l'observation selon laquelle "les activités qui ne sont pas des guerres peuvent avoir des effets stratégiques", qui est utilisée comme base pour affirmer que "le fait de déployer nos forces navales loin en avant - au péril de la vie et dans des environnements contestés - augmente les risques pour les rivaux qui envisagent la voie de l'escalade et empêche la crise de dégénérer en guerre". Cette affirmation est censée contrecarrer de manière préventive la "tentative probable de la Russie et de la Chine de s'emparer d'un territoire avant que les États-Unis et leurs alliés ne puissent mettre en place une réponse efficace, ce qui les mettrait devant le fait accompli", mais elle crée en réalité les conditions d'une guerre nucléaire dans le pire des cas, c'est-à-dire dans le cas où cette manœuvre imprudente conduirait à une guerre nucléaire par erreur de calcul.

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Biden : une politique de la corde raide

Le président élu Biden héritera donc de ce qui pourrait bien être la doctrine militaire la plus dangereuse que les États-Unis aient jamais connue, à savoir celle de mettre délibérément leurs forces navales en danger dans le but supposé d'"empêcher qu'une crise ne dégénère en guerre". En d'autres termes, il cherche à insérer de manière provocante les forces navales américaines au centre d'une crise en espérant que personne n'osera tirer sur elles, sinon elles risqueraient de déclencher une guerre nucléaire. Cette stratégie est extrêmement dangereuse et peut théoriquement se jouer n'importe où dans l'océan, mais son apparition potentielle dans l'Arctique pourrait très facilement impliquer les deux rivaux nucléaires des États-Unis, étant donné que c'est le seul endroit au monde où leurs intérêts se chevauchent de très près, comme cela a été expliqué précédemment. Comme certains pensent que les États-Unis sont déjà très en retard sur ce front, ils pourraient donc recourir à des mesures aussi désespérées dans le but de forcer leurs rivaux à faire des concessions ou de risquer une guerre nucléaire.

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Réflexions finales

La doctrine "Avantage en mer" de la marine américaine n'est pas de bon augure pour la paix mondiale, surtout si l'on considère le fait qu'elle propose une politique de ce que l'on ne peut qualifier que de « bravade nucléaire de facto », en insérant délibérément ses forces au centre d'une crise avec la Russie et/ou avec la Chine dans un but supposé de "désescalade". L'océan Arctique est le point de convergence des intérêts navals des trois parties, ce qui en fait donc le théâtre où cette politique pourrait avoir l'effet le plus déstabilisant. S'il est vrai que les États-Unis pourraient l'employer dans la mer Baltique, la mer Noire ou la mer de Chine méridionale, aucun de ces endroits ne risquerait d'impliquer ses autres rivaux eurasiens, donc de provoquer une véritable crise mondiale, comme si cela se produisait dans l'Arctique. L'Amérique pourrait même donner la priorité à cette question si elle pense que son bluff de guerre nucléaire pourrait conduire à la régulation des forces militaires dans l’Arctique, puisque, là, sur ce théâtre, les Etats-Unis sont si loin derrière la Russie et ont donc le plus à gagner d'une rétro-ingénierie belliciste dans ces eaux glacées.

dimanche, 20 décembre 2020

La Turquie s'associe à Israël

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La Turquie s'associe à Israël

Ex : https://aurorasito.altervista.org

Rédigé le 14 décembre 2020     

Vladimir Odintsov

Ces dernières années, on trouve de plus en plus d'articles sur l'apparente volonté de la Turquie de développer et de renforcer des liens de diverses nature avec Israël. Le New Eastern Outlook a abordé à plusieurs reprises la question des relations existant entre ces deux pays, en soulevant une question en particulier : la Turquie et Israël sont-ils des ennemis ou des alliés ? Les relations entre les deux pays se sont développées par vagues successives au cours des dernières décennies, déclenchant notamment une crise en 2010 après que les Israéliens aient tué 10 militants turcs qui tentaient d'atteindre la bande de Gaza assiégée, à bord du navire Mavi Marmara pour apporter un soutien aux Palestiniens. Finalement, en mai 2018, la Turquie a expulsé l'ambassadeur d'Israël et a rappelé le sien en raison des attaques israéliennes contre Gaza et de la décision américaine de déplacer son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem.

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Mais en même temps, ce n'est un secret pour personne que des liens économiques se maintiennent entre les deux pays et, parmi les entreprises engagées dans la construction de bâtiment pour les colonies juives sur les terres palestiniennes depuis les années 1990 figurent des sociétés turques, comme le groupe de construction Yilmazlar, qui renouvelle régulièrement ses contrats avec Israël depuis 2002. Quant à Israël, il considère la Turquie comme un pays générant d'importants flux financiers et comme l'un des centres du commerce mondial, un lieu clé et stratégiquement important pour la domination sur le Moyen-Orient. Cela explique les démarches de Tel Aviv pour accepter des contacts secrets avec la Turquie, dont une communication entre le chef du service national de renseignement turc, Hakan Fidan, et les responsables israéliens dans le cadre des efforts de normalisation des relations avec la Turquie. Ces derniers contacts, selon les sources, impliquent, entre autres, le rétablissement des relations entre la Turquie et Israël au niveau des diplomates.

Comme l'a noté le Jerusalem Post, la Turquie espère non seulement faire preuve d'une attitude amicale envers Israël et les Juifs, mais aussi obtenir des dividendes de l'administration Biden. Dans le même temps, la publication souligne que "c'est un modus operandi qui a déjà été utilisé.... Cependant, il n'est pas encore clair si Israël fera réellement la cour à la Turquie et, par suite, ignorera son soutien au Hamas. L'autre jour, Ankara a fait une autre offre de réconciliation avec Israël pour mettre fin au conflit bilatéral. Cihat Yayci, ancien amiral et professeur de sciences politiques, proche d'Erdogan, a publié un article dans le numéro de décembre de Turkeyscope, un magazine mensuel du centre Moshe Dayan de l'université de Tel-Aviv, proposant une solution au problème constitué par la frontière maritime et économique entre Israël et la Turquie. Il y envisage notamment une réduction des eaux territoriales de Chypre, avec laquelle les relations d'Ankara se sont gravement détériorées depuis les dernières tentatives d'expansion turque en Méditerranée orientale. Il est vrai que dans les commentaires de l'article, le rédacteur en chef de Turkeyscope, le Dr Hay Eytan Cohen Yanarocak, docteur en études orientales, a observé : "Afin d'accroître les relations entre Israël et la Turquie, menant à la normalisation, il est nécessaire de rétablir la confiance mutuelle, et donc, par-dessus tout, il est nécessaire de ramener ambassadeurs et consuls. L'essentiel des propositions turques consiste à établir une frontière dans la zone économique maritime entre la Turquie et Israël au détriment de Chypre et, en redessinant les zones économiques maritimes, à transférer de nombreux lots chypriotes à Israël. En annonçant de telles propositions, Ankara essayait de jouer sur le fait que les zones frontalières maritimes entre Israël et Chypre ont toujours été contestées, malgré les accords signés. Et comme il s'agit d'eaux à hauts rendements économiques potentiels, où, du côté chypriote, se trouve le gisement de gaz d'Aphrodite, d'une valeur de 9 milliards de dollars, avec 100 milliards de mètres cubes de gaz, la nouvelle délimitation de la frontière maritime est présentée par Ankara comme un cadeau précieux à Tel-Aviv, mais à une seule condition : Israël n'aura d'accords qu'avec la Turquie et absolument aucun avec Chypre, dont l'avis n'intéresse pas le moins du monde Erdogan. En même temps, Ankara ne cache pas qu'elle a des "revendications" sur Chypre, suggérant ainsi qu'Israël devrait avoir un "échange d'intérêts" en signant l'accord.

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L'amiral Cihat Yayci a conseillé à Israël de ne pas construire le coûteux gazoduc EastMed vers la Grèce via Chypre, mais de se connecter au gazoduc turc pour envoyer du gaz vers l'Europe, ce qui est plus pratique et moins cher, en faisant clairement référence au "corridor gazier sud" de l'Azerbaïdjan, qui passe par la Turquie. Il convient de noter que la Turquie avait déjà signé un accord similaire, au détriment de la Grèce, avec le gouvernement de Tripoli, ce qui a provoqué la colère non seulement d'Athènes, mais aussi de Bruxelles, du Caire et de Tel-Aviv. D'ailleurs, c'est l'ancien amiral Yaycì qui a suggéré l'idée d'un tel accord avec la Libye.

Comme les médias israéliens ont commenté la proposition de Yaycì, c'est la deuxième fois au cours des quatre derniers mois qu'Ankara a utilisé l'argument énergétique pour tenter de négocier une trêve avec Israël. Le rapprochement clairement souhaité par la Turquie est attesté non seulement par la fréquence croissante des contacts entre les représentants des services de renseignement des deux États, mais aussi par le fait qu'Erdogan lui-même n'a pas ouvertement offensé Israël ces derniers mois.

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Amiral Cihat Yayci.

Concernant l'accord sur la frontière maritime proposé à Israël par la Turquie, les observateurs israéliens l'ont qualifié de "coup turc", dans lequel Erdogan entend sacrifier une autre pièce deson jeu... Chypre, avec qui Israël doit encore se mettre d'accord sur une frontière maritime. L'accord proposé par Ankara sur la délimitation mutuellement avantageuse de la zone économique maritime a jusqu'à présent été plutôt mal accueilli par les experts israéliens. En particulier, il y a un avertissement clair que, s'il est accepté, il pourrait opposer Israël non seulement à Chypre et à la Grèce, mais aussi à son nouveau partenaire, les Émirats arabes unis, dont le souverain officiel, le prince héritier Muhamad bin Zayad, a récemment signé un traité de défense avec la Grèce. Dans le même temps, il n'est pas exclu que les tensions entre les EAU, d’une part, et Erdogan et ses partenaires au Qatar, d’autre part, puissent également conduire à un grave conflit entre Tel Aviv et Abu Dhabi. Dans ces conditions, les experts estiment qu'Israël n'acceptera certainement pas l'accord proposé par Ankara et ne trahira pas son allié Chypre, ce qui jette à son tour un doute sur le succès de la "démarche turque". Quant à la Turquie, Tel-Aviv insiste sur le fait qu'elle doit d'abord changer d'attitude envers Israël, cesser de le délégitimer aux yeux de la population turque et mettre fin à ses relations avec le Hamas. De cette façon, Israël montre que si Erdogan continue, l'État juif trouvera un moyen de restaurer la relation formelle et mutuellement bénéfique entre les deux pays qui existait dans le passé.

Vladimir Odintsov, observateur politique, en exclusivité pour le magazine en ligne "New Eastern Outlook".

La Grèce s’arme contre Erdogan

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La Grèce s’arme contre Erdogan

par Alberto Negri

Source : The Southern Daily & https://www.ariannaeditrice.it

Athènes dépense 5,5 milliards d'euros en armements, dont 18 avions de chasse français Rafale. La tension est élevée en Méditerranée orientale avec la Turquie sur les frontières maritimes de la Grèce, avec le gaz offshore mais il y a beaucoup plus : nous assistons à un jeu géopolitique impliquant la France, l'Egypte, Israël, les Emirats. L'Italie, l'Allemagne et l'Espagne sont les abonnés absents.

Un vent de guerre souffle-t-il à l'ère du Covid ? Seul l’éventualité très plausible d’un affrontement avec la Turquie peut pousser la Grèce - en pleine crise économique à cause de la pandémie - à dépenser 5,5 milliards d'euros en armements, dont les 18 Rafale français. Cela signifie que la tension dans l'est de la Méditerranée a atteint un niveau très élevé.

Le point de non-retour avec la Turquie d'Erdogan a été franchi depuis longtemps, mais les opinions publiques font comme si de rien n'était.  En Europe, elles espèrent que sous la menace de sanctions européennes, Ankara fera marche arrière. En réalité, il est difficile d'imaginer que le sultan, membre de l'OTAN, ne l’oublions pas, renoncera à ses provocations comme il le fait périodiquement en envoyant d'autres navires dans la zone économique exclusive des Chypriotes grecs, tracée selon des conventions qu'Ankara n'a jamais signées.

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Les dirigeants de l'Union européenne réunis à Bruxelles pour le sommet des 10 et 11 décembre ont décidé de sanctionner les actions "illégales et agressives" de la Turquie en Méditerranée dans les eaux territoriales de la Grèce et de Chypre. En réalité Ankara ne semble pas du tout troublé par cette menace de sanctions. Celles-ci ne sont pour l'instant que cosmétiques et Erdogan s'en est déjà moqué, comme de celles imposées par les Américains à cause de l'achat par la Turquie de systèmes antimissiles russes S-400.

Le front des sanctions dures et pures semble en fait plutôt minoritaire si l'on considère que l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie sont favorables à une ligne plus souple, tandis que la France, la Grèce et Chypre voudraient plutôt imposer des sanctions économiques sévères et un embargo sur les ventes d'armes à la Turquie. Les divisions dépendent évidemment de la prévalence des intérêts nationaux sur les intérêts communautaires.

Le cas de l'Italie en est un exemple clair. Selon l'expert turc Michael Tanchum, analyste à l'Institut autrichien d'études européennes et de sécurité, "la priorité de l'Italie en termes de politique énergétique est la Libye. L'Eni, une société détenue en grande partie par l'État italien, contrôle 45 % de la production italienne de pétrole et de gaz. Tout le gaz de la Libye, tout son gaz naturel va en Italie". Par conséquent, l'ENI et l'Italie ont tout intérêt à s'aligner sur les positions de la Turquie en Libye puisque nos intérêts nationaux en Tripolitaine sont désormais sous protectorat turc. Quant à l'Espagne, les liens avec Ankara sont plutôt économiques. L'Espagne a acheté une grande partie de la dette turque, son engagement s'élève à 63 milliards de dollars, ce qui est plus que la France, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni réunis.

Pour la France, le discours en Méditerranée orientale est différent. Macron a forgé une alliance anti-turque avec la Grèce, Chypre, l'Égypte, Israël et les Émirats, c'est-à-dire avec les partenaires de l'éventuel gazoduc est-méditerranéen qui devrait amener les ressources gazières offshore de l'Égypte, d'Israël et de Chypre de la côte hellénique vers l'Europe.

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Cette alliance a ensuite son prolongement idéologique et géopolitique avec le pacte signé entre la France et le général Al Sisi, récemment décoré à Paris de la Légion d'honneur. Les Français sont les plus grands fournisseurs d'armes au Caire, ont soutenu le général Haftar, allié à Al Sisi en Libye, et, tout comme le général égyptien, sont sur une trajectoire de collision avec Erdogan à propose de son soutien aux Frères musulmans et à l'Islam politique. Un jeu stratégique où Israël fait partie du pacte d'Abraham alors que les monarchies du Golfe soutiennent pleinement, c'est-à-dire avec des dollars en espèces, le régime égyptien qui s'est engagé à combattre les Frères musulmans sur tous les fronts.

C'est pourquoi ce conflit entre Grecs et Turcs est si vaste et incandescent. Avec des racines historiques qui, depuis cent ans, forment, avec les intérêts économiques, un mélange explosif. 

C'est effectivement un conflit qui dure depuis près d'un siècle, depuis la naissance de la Turquie moderne après le traité de Lausanne en 1923. Entre 1958 et 1982, la Convention de Genève sur le droit de la mer (UNCLOS), signée par Athènes, mais pas par Ankara, a donné lieu à une succession de tensions presque continue entre les deux États, qui sont aujourd'hui devenues encore plus explosives. La Grèce a ratifié le traité en 1994 et a depuis lors le droit d'augmenter la limite de ses eaux nationales de 6 à 12 milles nautiques, la Turquie allant jusqu'à menacer de déclarer la guerre si Athènes appliquait ce qui avait été décidé par la CNUDM (= Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer). En fait, la Grèce n'a jamais mis en œuvre la convention. Si la limite de ses eaux territoriales était réellement augmentée de 6 à 12 milles nautiques, 71% de la mer Égée ferait partie des eaux nationales grecques et les eaux internationales seraient réduites de 48% à moins de 20%.

solgr.jpgEt, forcément, Ankara considère cela inacceptable, surtout après avoir adopté la doctrine stratégique du "Mavi Vatan", de la « Patrie Bleue », qui a un objectif fondamental et apparemment indéniable : contrôler la mer afin de maîtriser les ressources énergétiques et d'imposer son influence. Un objectif politique qui a aussi une signification économique : ce sera la mer, la "patrie bleue", pour soutenir les plans d’hégémonie et de leadership d'une Turquie qui veut renaître après un siècle depuis les traités de Sèvres et de Lausanne.

La Grèce craint un affrontement avec la Turquie et a donc affecté 5,5 milliards d'euros à son programme de réarmement militaire : cela représente une augmentation de 57 % par rapport à 2019 et reflète la nécessité pour Athènes d'assurer sa sécurité dans le contexte de plus en plus tendu de la Méditerranée orientale. C'est un chiffre énorme vu le contexte de la crise déclenchée par la pandémie du Covid-19 qui, cependant, n'a pas arrêté les plans du gouvernement de centre-droit. L'une des premières démarches concrètes sera l'achat de 18 avions Rafale, produits par la société française Dassault mais aussi de chasseurs F-16 américains et de frégates françaises et américaines. La Grèce a également renforcé ses relations militaires avec d'autres pays de la région, tels que les Émirats arabes unis, l'Égypte et Israël, toujours dans le but de consolider une alliance régionale contre la Turquie.

C'est ainsi que la mer, dans notre maison commune méditerranéenne, change de configuration géopolitique. C'est une des raisons pour lesquelles la fourniture d'armes italiennes à l'Égypte - deux frégates pour 1,2 milliard d'euros et d'autres contrats pour un total de 10 milliards - est importante et doit être évaluée avec beaucoup d’attention. Pas seulement à cause de la barbarie de l'affaire Regeni et des gifles assénées par le général contre notre État de droit.

mardi, 15 décembre 2020

Variations géopolitiques

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Variations géopolitiques

par Georges FELTIN-TRACOL

Décédé des suites d’une longue maladie en 2012, Hervé Coutau-Bégarie n’a jamais pu tenir entre ses mains cet ouvrage réunissant vingt-cinq contributeurs et composé de vingt-huit articles, achevé sous la houlette de son élève et ami, Martin Motte. Celui-ci ne cache pas les insuffisances du recueil. Il déplore l’absence de Nicholas J. Spykman ou des « géopolitiques “ exotiques ” – la Chiseigaku japonaise, les écoles latino-américaines […], la géopolitique “ gondwanienne ” du Gabonais Marc-Louis Ropivia… (p. 14) ». Il le regrette alors que Hervé Coutau-Bégarie n’ignorait rien de l’extraordinaire foisonnement des courants géopolitiques en Amérique du Sud, en Afrique et en Extrême-Orient (1).

Un exemple en digression

Né en 1951, Marc-Louis Ropivia est un géographe. L’ancien recteur de l’université Omar-Bongo de Libreville fut détenu politique de 1972 à 1975 avant de devenir plus tard ministre gabonais de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur. Il travaille dès 2007 sur la notion d’« écocide ».

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En géopolitique, il contredit la conception « verticaliste » des écoles géopolitiques occidentales. Il théorise très tôt un autre système international « horizontal » celui-là. Le monde selon Ropivia se divise entre une « aire boréale » (Amérique du Nord, Europe, Afrique du Nord, Proche – et Moyen-Orient, Sibérie), une « aire australe » (Antarctique et Afrique du Sud), un immense « Bassin Pacifique » (dont la côte Ouest des Amériques, de la Colombie britannique au Chili en passant par la Californie et le Pérou) et deux ensembles géopolitiques qui se partagent le continent africain. L’« Amérafrique » réunit le Brésil, le bassin hydrographique du Congo et le golfe de Guinée. L’« Indo-Afrique » rassemble autour de l’Inde, la Péninsule arabique méridionale, la Corne de l’Afrique, la côte orientale de l’Afrique, l’Indochine et l’Ouest de l’Insulinde). À l’intersection de l’« Amérafrique » et l’« Indo-Afrique » se situe le Gabon dont la situation centrale pourrait susciter une nouvelle dynamique géopolitique continentale dans l’Hémisphère Sud en s’appuyant sur les projections conjointes ultra-marines de l’Inde et du Brésil, un Brésil retrouvant un double tropisme africain et lusophone. La réalisation d’un axe dynamique Brésil – Afrique centrale « gabonocentrée » – Inde (« impérialisme tropical gondwanien ») reconstituerait le continent perdu du Gondwana (2).

Il faut par ailleurs relever que Marc-Louis Ropivia soutient une forme particulière de fédéralisme : le « fédéralisme nucléaire ». Il conçoit une pluralité d’États fédéraux régionaux fondés sur les différentes aires culturelles de l’Afrique reposant elles-mêmes sur les différents milieux biophysiques de l’espace négro-africain. Dès le début des années 1980, Marc-Louis Ropivia théorise dans un cadre géopolitique un panafricanisme sensé et l’esquisse des « bio-régions ».

Un manuel original

Approches de la géopolitique s’organise en quatre parties au nombre inégal d’articles. « Épistémologie de la géopolitique » en comprend deux; « Préhistoire de la géopolitique » sept; « La première géopolitique » onze et « La géopolitique après la seconde Guerre mondiale » six. Il revient enfin à Martin Motte de signer les introduction et conclusion générales.

Le recueil entend néanmoins offrir au public francophone une meilleure connaissance du vaste champ géopolitique, en particulier de son histoire et de ses enjeux théoriques. Si le terme façonné par le politologue conservateur suédois Rudolf Kjellén est assez récent, « le fondement géographique de la politique et de la stratégie est connu de toute éternité, il était déjà affirmé par Sun Zi [Sun Tzu] au IVe siècle avant notre ère et on retrouve le thème tant chez les théoriciens politiques, avec la justification des guerres de conquête, que chez les géographes militaires (p. 21) ».

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Nombreuses sont les perceptions de la géopolitique que d’aucuns assimilent parfois à la « géostratégie », à la « géo-histoire » ou à la « géo-économie »… Pour Olivier Kempf, il s’agit principalement d’« une lutte d’intérêts de puissance sur des territoires (p. 142) ». On peut compléter cette définition en y intégrant des données humaines, culturelles, religieuses, médiatiques, sociales, voire psychologiques.

L’ouvrage ne cache pas son intention : dépasser les travaux géopolitiques du général Gallois, de Paul Claval, de Claude Raffestin, de Michel Korinman et de Pascal Lorot qui datent « tous des années 1990, ils manquent de recul sur la pensée géopolitique de l’après-Guerre froide; [… or] la recherche sur les origines de la géopolitique a progressé depuis lors (p. 14) », car sa genèse remonte au début du XXIe siècle. L’ampleur de la tâche, les diverses activités des participants ainsi que les inévitables contretemps expliquent sa sortie une douzaine d’années plus tard. Le recueil prend date par rapport à l’autre école géopolitique hexagonale, celle d’Yves Lacoste autour de la revue Hérodote et de l’Institut français de géopolitique (IFG) rattaché à l’université de Paris – VIII – Saint-Denis.

Géopolitiques politisées

Rédacteur aux Cahiers de l’indépendance de Paul-Marie Coûteaux, Hervé Coutau-Bégarie n’a jamais caché sa fibre souverainiste nationale. Il se permet de donner quelques piques bien senties à l’ancien marxiste Yves Lacoste, auteur en 1997 chez Fayard d’un Vive la nation. Destin d’une idée géopolitique, au dessein nationiste-républicain crypto-chevénementiste. Exégète des écrits de l’amiral – géopoliticien Raoul Castex (1878 – 1968) (3), Hervé Coutau-Bégarie envisage la géopolitique en « pensée déterministe. Elle établit une relation privilégiée entre l’espace et la politique (p. 30) ».

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Contrairement à Yves Lacoste et à ses « disciples », souvent de formation universitaire géographique, Hervé Coutau-Bégarie, spécialiste internationalement reconnu de stratégie navale, provient de l’ENA. Souvent réticents à l’égard du concept même de géopolitique, bien des géographes de profession n’ont jamais goûté son intrusion brillante dans leur « pré carré »… Le courant « lacostien » et sa postérité intellectuelle charrie aujourd’hui un étrange mélange de conformisme post-gauchiste, perceptible à travers des études parues dans Hérodote ou soutenues par l’IFG souvent hostiles à la Droite nationale, et de néo-atlantisme belliciste (chercheur associé à l’Institut Thomas-More, l’eurosceptique et « russophobe » – dans son acception étymologique – Jean-Sylvestre Mongrenier collabore régulièrement à Hérodote). La collection « Bibliothèque stratégique », prolongement éditorial de l’Institut de Stratégie comparée, défend une vision à la fois realpolitik et conservatrice – souverainiste.

La revue Conflits peut être vue sous un angle polémique comme une tentative ratée de concilier ces deux sensibilités rivales avant de se perdre, avec le retrait de son fondateur, Pascal Gauchon, dans les méandres du (géo)politiquement correct.

Par-delà Terre et Mer

Suivant l’enseignement de l’amiral Castex qui approfondit et développe les analyses de l’amiral étatsunien Alfred Thayer Mahan, Hervé Coutau-Bégarie rappelle que « la puissance maritime reste à l’abri des entreprises de son adversaire tant qu’elle conserve la maîtrise de son élément et il en va de même pour la puissance terrestre (p. 519) ». La puissance maîtresse de la mer peut tour à tour exercer le blocus, constituer un réseau insulaire et établir un dispositif océanique de maîtrise des flux. Toutefois, « la terre n’est pas totalement désarmée devant l’ennemi marin. Elle peut d’abord, en contrôlant le littoral, ôter à la puissance maritime ses bases et points d’appui. Le maintien d’une flotte ainsi privée de tout contact terrestre devient difficile (p. 516) ». Il faut donc se défier de toute dichotomie simpliste et de tout réductionnisme géopolitique autour de l’opposition « géopolitiste » Terre – Mer d’autant que les actions militaires s’effectuent dorénavant aussi bien en mode amphibie que dans le ciel, l’espace interplanétaire et même dans le cybermonde.

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Dans ce refus « dualiste », Martin Motte se réfère bien sûr à Carl Schmitt, auteur dans le classique Terre et Mer de la notion fondamentale à la fois géographique, historique, politique et psychologique de « révolution spatiale ». Celle-ci « ne se limite pas à la dilatation des phénomènes économiques, politiques et culturels, elle est avant tout une nouvelle perception de l’espace (p. 38) ». La géopolitique aide à prendre en compte cette nouvelle appréhension multidimensionnelle des territoires.

Si le texte de Marlène Laruelle, « De l’eurasisme au néo-eurasisme : à la recherche du troisième continent », annonce ses livres à venir sur ce sujet passionnant, Christian Malis évoque la personnalité, la carrière et les idées du général souverainiste français Pierre Gallois. Amaël Cattaruzza sort de l’ombre le très méconnu Jean Gottmann tandis que Frédéric Le Moal s’attarde sur la pensée géopolitique fasciste du géographe italien Paolo Orsini d’Agostino, « connu pour être un des pères du concept d’Eurafrique (p. 471) ». L’amiral Mahan, Rudolf Kjellén, Friedrich List, Montesquieu, le général Giacomo Durando ou Zbigniew Brzezinski font l’objet de monographies pertinentes. Antoine Schülé de Villalba s’intéresse pour sa part au général et baron autrichien Jordis von Lohausen, auteur de l’essai magistral Les Empires et la Puissance. Le collaborateur à Nation Europa offre un regard continental européen tourné vers l’Eurasie hors des œillères faciles des idéologies modernes.

AVT_Olivier-Kempf_3685.jpgVauban et le chemin de fer

Signalons aussi l’excellente contribution d’Olivier Kempf (photo) consacré à Sébastien Le Prestre, maréchal de Vauban qui serait « le père de la géopolitique française (p. 129) ». Toujours en déplacements du fait de ses fonctions d’ingénieur militaire, Vauban se trouve « au croisement de la pratique et de la représentation géographique (p. 130) ». Ce catholique suggère le retour des Huguenots fuyant la révocation de l’édit de Nantes de 1685. Curieux des affaires navales et des colonies d’Amérique, ce mercantiliste « avancé » se veut réformateur fiscal avec son Projet de dîme royale. Il vante par ailleurs la réalisation des voies de communication, dont les canaux. Il comprend en effet que « les voies de communication apportent une cohérence à un territoire et contribuent autant à l’homogénéité des populations que des postes-frontières (p. 133) ».

Son intuition se confirme bien plus tard avec l’essor du chemin de fer, phénomène géopolitique étudiée par Anne et Martin Motte. Ces derniers rappellent que les saint-simoniens en France et Friedrich List outre-Rhin théorisèrent des treillages ferroviaires qui, pour List, structureraient le Zollverein. Il est avéré qu’avec la Révolution industrielle, « le développement des chemins de fer bouleversait le rapport entre puissance continentale et puissance maritime. Depuis Christophe Colomb, la seconde l’avait emporté sur la première parce qu’elle pouvait acheminer marchandises et troupes avec une célérité inaccessible aux transports terrestres; mais la “ mobilité ferroviaire ” était en passe de déclasser la mobilité maritime (p. 249) ». Malgré tout un pan dédié au transport maritime, l’ambitieux projet eurasiatique de « Nouvelles routes de la soie » porté par la Chine repose principalement sur des voies ferrées. Et si les trains intercontinentaux (ou tricontinentaux Asie – Europe – Afrique) détrônaient enfin les navires porte-conteneurs transocéaniques de la mondialisation ? Les auteurs expliquent pourquoi « la puissance ferroviaire n’a pas fait l’objet d’une théorisation aussi poussée que la puissance maritime ou la puissance aérienne (p. 303) », à l’exception notable de Guillaume Faye, fervent partisan de l’aérotrain de Jean Bertin, victime d’un autre ratage spectaculaire du septennat de VGE. Serge Gadal décrit la puissance aérienne à travers « L’aviation et la géopolitique : l’apport de George Renner ».

Approches de la géopolitique est une formidable et brillante somme qu’il importe de posséder. Ce livre prouve l’ancienneté, le dynamisme et la très grande variété d’une discipline toujours mal comprise et bien trop critiquée.

Georges Feltin-Tracol

Notes

1 : Sur ces écoles géopolitiques méconnues en Europe, cf. l’excellent Vouloir, « Panorama théorique de la géopolitique », n° 9, printemps 1997.

2 : Le terme de Gondwana revient au géophysicien allemand Alfred Wegener, père de la « dérive des continents ».

3 : L’actuel Premier ministre français Jean Castex n’a pas de lien de parenté avec le célèbre amiral français.

• Hervé Coutau-Bégarie et Martin Motte (sous la direction de), Approches de la géopolitique. De l’Antiquité au XXIe siècle, Économica – Institut de Stratégie comparée – Écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan, coll. « Bibliothèque stratégique », 2013, 725 p., 39 €.

vendredi, 11 décembre 2020

De la géographie sacrée à la géopolitique : une influence souvent ignorée par les analystes

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De la géographie sacrée à la géopolitique : une influence souvent ignorée par les analystes

Un essai la révèle !

Par Cristiano Puglisi

Ex: https://blog.ilgiornale.it/puglisi

geografiaperra_copertina_ok300-scaled-1-200x300.jpgCinabro Edizioni estune maison d'édition "militante" qui présente un catalogue intéressant de textes raffinés. Elle a récemment mis sous presse un essai qu’il convient de recenser pour nos lecteurs. Il est intitulé Dalla geografia sacra alla geopolitica (208 pages, 16 euros) ; c’est le dernier ouvrage de Daniele Perra, un jeune analyste et essayiste sarde qui a déjà écrit Essere e rivoluzione. Ontologia heideggeriana e politica di liberazione, publié par Nova Europa. Le livre, préfacé par le directeur de la revue d'études géopolitiques Eurasia, Claudio Mutti, aborde le thème du lien entre la géopolitique et la "géographie sacrée", dans le sillage de la conception que l'ésotériste et savant français René Guénon en avait donnée. Deux réalités qui, en fait et comme le révèle l'œuvre, sont intimement liées.

Oui, mais qu'est-ce que la "géographie sacrée" ? Ce que René Guénon a défini comme une "géographie sacrée" - explique l'auteur - fait partie des sciences traditionnelles. En elle, la géographie physique (ou matérielle) et la géographie visionnaire se chevauchent. La géographie sacrée relève donc de la sphère de la métaphysique, avec le sens du supersensible qui imprègne et domine tout le sensible. La géographie visionnaire est ce que le grand iranien français Henry Corbin a défini en termes de mundus imaginalis : c'est l’aire des visions célestes, des expériences prophétiques et théophanes. La perte de cet "inter-monde", considéré dans la modernité comme un simple produit de l'imagination et donc comme quelque chose d'irréel, a donné lieu à cette dépuissance de l'Esprit qui a conduit à l'actuelle négation "occidentale" du sacré".

imageportraitDP.jpgLa corrélation susmentionnée entre la géographie sacrée et la géopolitique est le sujet principal du livre. "En partant de la déclaration bien connue de Carl Schmitt - poursuit Daniele Perra - selon laquelle les concepts les plus prégnants de la doctrine de l'État moderne ne sont rien d'autre que des concepts théologiques sécularisés, j'essaie de démontrer comment la géopolitique (science profane) descend directement de la géographie sacrée et comment il existe encore aujourd'hui une influence secrète, le plus souvent ignorée (ou niée) par les analystes géopolitiques actuels, de cette science traditionnelle sur l'imaginaire collectif. Ainsi, il y a un profond impact résiduel des archétypes de la géographie sacrée qui détermine et influence la structure même de la pensée géopolitique. Pensez aux conflits autour des centres spirituels (ces lieux capables de libérer des influences qui ne peuvent être attribuées uniquement et exclusivement à la sphère "matérielle") : de Jérusalem à Constantinople, jusqu'au Kosovo et à la Metohija. Et pensez aux concepts géopolitiques de "pôle" et de "centre" qui sont les avatars évidents de la géographie sacrée. Après tout, toute orientation géopolitique est avant tout une orientation spirituelle. Il reste à savoir si cette spiritualité est authentique ou contrefaite".

87067861_133845621217385_4188084462153629696_n-310x438.jpgMais si donc à toute orientation géopolitique correspond, comme l'explique l'auteur lui-même, une orientation spirituelle, que représentent les deux pôles géopolitiques actuels, fondamentaux, que sont l'Occident et l'Eurasie, du point de vue de la géographie sacrée ? "Dernièrement - conclut Perra - il m'est arrivé de trouver des références claires à une vision géographique sacrée dans la pensée heideggerienne. L'analyse que Martin Heidegger fait du poème L'Ister de Hölderlin est pleine de références à une forme de géographie sacrée qui peut nous aider à comprendre l'actualité géopolitique (Ister est le nom grec du Danube). Il est bon de rappeler que pour le philosophe allemand, les concepts géographiques de l'Ouest et de l'Est peuvent également s'appliquer à la pensée. Il existe donc un "Orient de la pensée" (la Grèce antique à comprendre comme la "lande du matin") et un "Occident de la pensée" (l'Europe actuelle, la "lande du soir"). Mais Heidegger, lorsqu'il parle de l'Ouest et de l'Est, se réfère exclusivement à l'espace eurasien. L'Ouest de l'Eurasie, l'Europe, est aujourd'hui prisonnier d'un autre "Occident" géopolitique. Cet "autre" Occident, extérieur et étranger à l'Eurasie, avant d'être un espace géographique, est un concept idéologique né en contraste total avec la culture européenne authentique. C'est un concept qui a anéanti cette culture au profit d'une forme de "démocratisme" dans laquelle l'espace politique est disputé pour, d'une part, le bénéfice d’un progressisme de plus en plus grossier et, d'autre part, pour le bénéfice d’un conservatisme construit autour de prétendues valeurs judéo-chrétiennes de matrice et de contrefaçon nord-américaine qui n'ont rien de commun avec la civilisation européenne. En fait, l'Europe est aujourd'hui prisonnière d’une formidable contrefaçon idéologique. La seule façon de se libérer de cette imposition est d'établir une plus grande coopération géopolitique avec les civilisations anciennes et combatives de l'Eurasie et, en même temps, de redécouvrir notre propre pensée initiale authentique.

Une redécouverte que, sur le plan individuel, ceux qui le souhaitent peuvent faire à partir de la lecture de cet essai remarquable et nécessaire. Un essai qui, dans un panorama éditorial qui présente trop souvent des œuvres qui ne sont que la photocopie délavée d'autres pensums, sans fournir d'éléments de réflexion originaux, faisait franchement défaut.

mercredi, 09 décembre 2020

Le pan-turquisme et son impact en géopolitique

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Le pan-turquisme et son impact en géopolitique

Dimitrios Aristopoulos

Du 27 septembre au 10 novembre, une guerre entre l'Azerbaïdjan et les troupes arméniennes sur le territoire du Haut-Karabakh (Artsakh) a retenu l'attention de toute la communauté internationale. Nous avons non seulement été témoins du grand soutien de la Turquie et du président Recep Tayyip Erdogan au président azerbaïdjanais Ilham Aliyev pour l'effort de guerre, mais en même temps, d'autres membres du Conseil turc, composé du Kazakhstan, du Kirghizstan et de l'Ouzbékistan, ainsi que de la Hongrie en tant qu'État observateur, ont déclaré leur soutien à la cause azerbaïdjanaise. Il s'agit là de manifestations évidentes de l'idéologie panturque qui est fortement répandue dans ces pays.

Qu'est-ce que le panturquisme ?

Le panturquisme est une idéologie nationaliste, née au XIXe siècle, notamment chez les peuples turcophones vivant en Russie tsariste dans les années 1880, et qui s'est ensuite développée en Asie mineure. Sans jamais s’être établie comme l'idéologie officielle de l'État turc, elle a toujours été soutenue par les dirigeants d’Ankara, qu'ils l'aient admise ou non.

La base de l'idéologie panturque est l'émancipation des peuples turcophones, visant ensuite à leur union. Les peuples turcophones sont ceux que l'on trouve en Crimée, en Azerbaïdjan, dans le Caucase, au Turkménistan, au Kazakhstan, en Ouzbékistan, au Kirghizstan, en Sibérie, en Afghanistan, en Iran, en Irak, en Syrie, en Bulgarie, en Yougoslavie, en Thrace occidentale, à Chypre et ailleurs avec, chapeautant le tout, la "Mère Turquie" pour créer un grand État turc de plus de 100 millions d'habitants.

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Les slogans utilisés par les panturcs sont les suivants:

- "Là où il y a des Turcs, il y a une Turquie".

- "Le monde des Turcs est un tout".

- "Tous les Turcs sont une seule armée."

- "Le panturquisme en tant qu'idéal est une nourriture morale pour la nation."

- "Chypre est aussi turque que l'Asie Mineure et la Thrace occidentale."

Quelle est la différence entre les idéologies néo-ottomane et panturque ?

L'ottomanisme est en fait plus un mouvement politique ethno-religieux qu'un mouvement ethno-racial. Les ottomanistes déclarent leur foi en la sainteté et la pérennité de l'Empire ottoman et de son sultan, en cherchant l'idée d'un "empire" pour remplacer le nationalisme et l'ordre politique des États-nations dans lesquels ils vivent. Bien qu'ils reconnaissent l'existence de différentes ethnies parmi eux, ils pensent que les différences culturelles et locales doivent être laissées de côté lorsqu'il s'agit d'une unification politique religieuse.

En revanche, le panturquisme ne se concentre pas tant sur la religion que sur la tradition ethnique des peuples et des nations. Il cherche à s’unifier, politiquement et culturellement, sous un "grand" État-nation turc, car ils partagent une tradition turque commune. Le panturquisme s'associe généralement aux pays qui ont un "héritage culturel turc" et une langue turque comme idiome officiel. Les pays/régions qui peuvent être inclus dans cette liste sont la Crimée, l'Azerbaïdjan, le Caucase, le Turkestan, le Kazakhstan, le Xinjiang en Chine occidentale, le Kirghizstan, le Tatarstan, la Sibérie, l'Afghanistan, l'Iran, l'Irak, la Syrie, la Bulgarie, Chypre et des régions de la Grèce du Nord et des îles orientales de l’archipel hellénique.

Comment l'idéologie panturque s'applique-t-elle dans notre géopolitique actuelle ?

Le panturquisme a toujours été la base idéologique du fonctionnement politique de la Turquie. Il a été le fondement idéologique sur lequel l'idéologie politique kémaliste s'est appuyée pour construire une grande Turquie. L’éradication de l'hellénisme en Asie Mineure en 1922, le génocide arménien de 1915-18 ainsi que celui des Assyriens, la persécution des Grecs de Constantinople en 1955, l'invasion de Chypre en 1974 ont tous été des effets de la doctrine panturque et de la politique expansionniste de la Turquie.

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Dans le monde multipolaire actuel, où l'Occident a perdu ses valeurs et où l'Orient revendique son rôle historique conquérant, les acteurs traditionnellement importants sur l'échiquier international doivent faire face à leurs propres problèmes internes. Dans ce contexte, Erdogan place la dynamique du nationalisme panturquiste afin de créer une grande alliance des groupes ethniques turcs. Et le conflit actuel dans le Caucase, à un moment où aucune grande puissance n'est du côté des Azéris, est une autre occasion d’asseoir sa présence dans la région. L'intervention de la Turquie en Libye, ainsi qu'en Syrie et ses revendications sur les zones économiques de la Grèce et de Chypre en Méditerranée orientale, fait également partie de l'agenda politique panturc, bien que ce soit l'ottomanisme qui soit utilisé comme arme idéologique dans ces cas.

Exemples de politiques panturques dans la Turquie moderne

Bien que la Turquie, sous le règne d'Erdogan, ait théoriquement abandonné la rhétorique panturque au profit du néo-ottomanisme, dans la pratique, c'est toujours l'idéologie panturque qui détermine la géopolitique turque. De son soutien aux Frères musulmans et de son invasion du nord de la Syrie à son implication dans la guerre civile libyenne, en passant par les menaces de lâcher à nouveau l’immigration illégale sur sol de la Grèce et de l'Europe, et la guerre en Artsakh (Nagorno Karabakh), combinée à la persécution des Kurdes, ne sont rien d'autre que des éléments à l’ordre du jour dans la doctrine panturque et qui affectent la politique expansionniste de la Turquie. Lors de l'anniversaire de la mort de Kemal Ataturk, le 10 novembre 2016, Erdogan a ouvertement déclaré que "la Turquie est plus grande que la Turquie", tout en parlant de sa doctrine sur les "frontières de son cœur", déclarant en même temps que "nous ne pouvons pas être emprisonnés dans 780 000 km². Nos frères qui vivent dans les régions de Mossoul, Kirkuk, Humus, Skopje, sont peut-être au-delà des frontières naturelles de la Turquie, mais ils seront toujours présents en nos cœurs. Le plan visant à soutenir les Azéris dans la guerre de l'Artsakh n'était pas spontané, mais une partie de la doctrine de l'ancien ministre des affaires étrangères, devenu le rival politique d'Erdogan, Ahmet Davutoglu. Celui-ci avait publié en 2001 un livre intitulé Strategic Depth ; Turkey's International Position. Dans ce livre, Davutoglu déclarait : "À moins que l'Azerbaïdjan n'acquière une position régionale stable et forte dans le Caucase et l'Albanie dans les Balkans, il ne sera pas possible pour la Turquie d'accroître son poids dans l'une ou l'autre région ni de développer des politiques à l'égard de l'Adriatique et de la mer Caspienne, qui sont dans son voisinage immédiat et dans sa sphère d'influence.

Article original de Dimitrios Aristopoulos:

https://www.geopolitica.ru/en/article/pan-turkism-and-its...

De la "Mare Nostrum" à l'Arctique, en passant par la Baltique, l'importance des "Méditerranéens" d'Eurasie

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De la "Mare Nostrum" à l'Arctique, en passant par la Baltique, l'importance des "Méditerranéens" d'Eurasie

Un nouveau numéro d’Eurasia, la revue géopolitique de Claudio Mutti

Par Cristiano Puglisi

Ex: https://blog.ilgiornale.it/puglisi

Un précieux cadeau de Noël pour les passionnés de géopolitique ! En effet, le nouveau numéro (n° 61) d’Eurasia, Magazine d'études géopolitiques, vient d’être publié ces jours-ci (et est donc disponible à la vente). Le titre intrigue : "Les Méditerranéens d'Eurasie". Le volume traite du thème de la domination sur les mers, où de plus en plus de facteurs défient les grandes puissances de l'époque actuelle. Il parle bien sûr des États-Unis, de la Chine et de la Russie, mais aussi d'acteurs régionaux ambitieux comme la Turquie, engagée dans la Méditerranée orientale, théâtre, comme le disent les chroniques, d'un différend avec la Grèce, Chypre et la France. Mais pourquoi décliner le terme "Méditerranée" au pluriel ? Y a-t-il d'autres mers qui peuvent être définies de cette manière, d’être « entre les terres », en dehors de la Méditerranée éponyme ?

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La Méditerranée - explique le directeur d’Eurasia, le professeur Claudio Mutti - est un bassin maritime qui, comme le dit le mot lui-même, est "au milieu des terres", étant presque entièrement circonscrit par elles. Si la mer Méditerranée par excellence est celle qui sépare les côtes de l'Europe, de l'Asie occidentale et de l'Afrique du Nord, Yves Lacoste a identifié deux autres mers que l'on peut également définir comme "méditerranéennes", car elles sont entourées de terres : une "Méditerranée" américaine, formée par le golfe du Mexique et la mer des Antilles, ainsi qu'une "Méditerranée" extrême orientale, formée par la mer Jaune, la mer de Chine orientale et la mer de Chine méridionale. En appliquant le critère de la géopolitique française à la masse continentale eurasienne, il en résulte que les rivages de notre grand continent sont baignés, outre la Méditerranée éponyme, par trois autres mers "méditerranéennes" : l'océan Arctique, la Baltique et la Méditerranée extrême-orientale".

On parle de réalités géographiques au centre du présent et de l'avenir du monde : si les États-Unis d'Amérique sont considérés comme l'archétype d'une puissance thalassocratique, il n'en va pas de même pour la Chine, pourtant le défi entre les deux géants géopolitiques semble destiné à devenir de plus en plus réel sur les mers.

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La stratégie terrestre des Etats-Unis - poursuit Claudio Mutti - après avoir tenté en vain d'attaquer la République populaire de Chine en déstabilisant ses provinces les plus intérieures (Tibet et Xinjiang), vise à saboter les projets d'infrastructure de la Nouvelle Route de la Soie. Mais plus que la terre, c'est la mer qui s'impose comme le théâtre du conflit sino-américain. Déjà à l'époque d'Obama, les États-Unis, alarmés par la suprématie productive que la Chine était en train d'acquérir, ont déplacé leur axe géostratégique vers la zone indo-pacifique, où s'installait le nouveau centre du commerce mondial. D'où l'importance géostratégique de la "Méditerranée" extrême-orientale et, en particulier, de la mer de Chine méridionale, une zone qui, en plus d'être riche en ressources naturelles, est le centre des activités économiques mondiales. Ici, dans cette zone contestée entre les deux superpuissances, la présence militaire des États-Unis vise à exercer une action d’ "endiguement" contre la Chine qui pourrait retarder le déclin de l'hégémonie américaine".

Mais, comme on l'a dit, il existe aussi une série de puissances régionales qui définissent leur vision stratégique avec bien plus qu'un simple regard sur le contexte maritime. Parmi celles-ci, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, auquel, dans ce numéro d'Eurasia, de nombreuses réflexions sont consacrées.

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Cem Gürdeniz.

La projection maritime actuelle de la Turquie - explique Mutti - est codifiée dans la désormais célèbre doctrine du "Pays bleu" (Mavi Vatan) formulée par l'amiral Cem Gürdeniz. On peut dire que cette doctrine affine la vision géopolitique "néo-ottomane", qui a été révisée à la lumière de la nature péninsulaire de l'Anatolie et de l'importance fondamentale des mers qui baignent ses côtes. Les stratèges d'Ankara sont convaincus que le jeu de la suprématie mondiale se jouera sur les mers et les océans du monde. L'avenir de la Turquie dépendra donc de son enracinement dans la Méditerranée. C'est dans cette perspective qu'Ankara a ouvert plusieurs fronts sur les rives de la Méditerranée, de Chypre à la Libye, au risque de provoquer une levée de boucliers de tous côtés.

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Fascinant, ne serait-ce que par la puissance qu'il exerce sur les fantasmes de l'imaginaire collectif, habitué à le relier aux souvenirs des expéditions historiques et héroïques, est la course pour la maîtrise de l'Océan Arctique...

Vous pouvez vous faire une idée de l'importance de l'océan Arctique (ou « Océan Glacial Arctique », selon le nom utilisé par les géographes italiens) - conclut M. Mutti - si vous considérez que l'année dernière, l'administration américaine a tenté d'acheter le Groenland, la plus grande île du monde, qui appartient politiquement au Danemark, l'un des huit États côtiers de la "Méditerranée" arctique. L'Arctique a pris une importance croissante non seulement pour les ressources naturelles présentes dans ses fonds marins, mais aussi pour les nouvelles routes maritimes qui le traversent, plus courtes et plus sûres que le canal de Suez, le canal de Panama ou le détroit de Magellan, même si les routes arctiques (dont l'utilisation est principalement saisonnière et liée au pétrole et au gaz naturel) sont encore loin de dépasser en importance les routes commerciales habituelles".

Pour commander ce numéro exceptionnel: https://www.eurasia-rivista.com/negozio/lxi-i-mediterranei-delleurasia/

La Crise du Haut-Karabagh avec Pierre Le Vigan & Gilbert Dawed

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Cafe Noir N.00

La Crise du Haut-Karabagh

avec Pierre Le Vigan & Gilbert Dawed

Ce qui compte n''est pas la guerre des civilisations c'est la géopolitique. Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde. Émission du Vendredi 4 décembre 2020 avec Pierre Le Vigan et Gilbert Dawed.