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samedi, 16 mars 2019

Sénèque et la mondialisation malheureuse

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Sénèque et la mondialisation malheureuse

par Nicolas Bonnal

Ex: https://nicolasbonnal.wordpress.com

Le monde moderne n’est qu’un monde usé jusqu’à la corde, et qui se croit nouveau parce qu’il a tout oublié.

L’actualité de Sénèque est toujours extraordinaire, jusques et y compris dans le domaine de la médecine (lettre XCV, voyez ce qu’en dit De Maistre) ou de la géographie ; son théâtre ignoré fourmille aussi de traits de génie et c’est dans sa tragédie Médée que Sénèque médite les limites de la science, de la navigation…et de la mondialisation, deux mille ans avant les rédacteurs fatigués de Zerohedge.com

On écoute l’universitaire Jean-Noël Michaud sur ce monologue du chœur de Médée :

« Les vers 374-379 sont célèbres car on y a vu l’annonce de la découverte du Nouveau Monde. Et en fait on a eu raison : depuis que la science grecque et les savants d’Alexandrie ont établi que la terre était ronde et que le monde connu des Grecs et des Romains ne représentait tout au plus qu’un quart de la surface terrestre, l’Océan a cessé, dans la pensée des savants, d’être uinculum rerum, on a supposé qu’au-delà de l’Océan, comme au sud de l’équateur, il y avait d’autres terres, nouos orbes. »

Michaud ajoute :

« L’Amérique existait donc, dans la pensée des astronomes et des gens cultivés qui connaissaient leurs travaux, 1500 ans avant qu’on ne la découvre. »

Ce monde techniquement et géographiquement maîtrisé est spirituellement rétréci. Michaud :

« Naviguer n’est plus une entreprise héroïque qui requiert l’aide des dieux et un équipage de princes, n’importe qui peut sillonner la mer, sans l’aide d’un vaisseau magique. On construit des villes partout, l’univers s’ouvre à toutes les routes, on voit des Perses au bord de l’Elbe et des Indiens au bord de l’Araxe. La terre est le village planétaire de nos modernes internautes. Comme il nous est difficile aujourd’hui de ne pas donner à ces vers un sens positif, puisque même les adversaires de la mondialisation nous expliquent qu’en réalité ils sont pour ! »

Car l’empire romain est une mondialisation, est une matrice très consciente :

« Ce que disent ces vers, c’est bien ce que l’empire est en train de réaliser à l’échelle de l’orbis Romanus : assurer la permanence des relations maritimes, civiliser des régions sauvages en y établissant des villes, envoyer sur le Rhin des auxiliaires syriens et sur l’Euphrate des Espagnols. »

Et c’est la fin de la poésie dans le monde (je sais, on va nous traiter de ringards, de retardataires…) :

jasonbateau.jpg« Les Argonautes ont fait tomber la première barrière et ce premier écroulement a provoqué de proche en proche la chute de toutes les barrières qui séparaient les peuples les uns des autres, le monde civilisé du monde barbare, le cosmos de tous les au-delà, merveilleux ou épouvantables. »

Très belle envolée de l’universitaire sur le vieillissement du monde (si visible aujourd’hui mais pensez au grand remplacement de la démographie romaine…) :

« Peut-être Sénèque se souvient-il de la version hésiodique de la fin des temps : quand aux derniers temps de la cinquième race, la race de fer, tout sera vieux, les enfants viendront au monde avec des tempes blanches. On a l’impression que le chœur annonce aussi que le cosmos finira par s’éteindre dans la sénilité. »

La quête de la toison d’or précipite la fin d’un monde qui sera vieux et médiocre :

« En allant la chercher dans un espace où l’homme n’a pas sa place, Jason a libéré dans le monde des hommes les forces déchaînées d’un monde qu’un dieu ne domine plus. Le choeur Audax nimium donne à Médée sa dimension cosmique mais la réalisation de sa vengeance marquera aussi l’épuisement du cosmos et la fin du tragique. »

Un peu de Sénèque maintenant, inspiré auteur de théâtre :

« Il fut hardi, le premier navigateur qui osa fendre les flots perfides sur un fragile vaisseau, et laisser derrière lui sa terre natale, confier sa vie au souffle capricieux des vents, et poursuivre sur les mers sa course aventureuse, n’ayant pour barrière entre la vie et la mort que l’épaisseur d’un bois mince et léger ! On ne connaissait point alors le cours des astres, et l’on ne savait point encore se régler sur la position des étoiles qui brillent dans l’espace. »

Comme Hésiode, Rousseau ou Kierkegaard, Sénèque célèbre l’innocence ignorante de nos pères :

« Nos pères vivaient dans des siècles d’innocence et de pureté. Chacun alors demeurait tranquille sur le rivage qui l’avait vu naître, et vieillissait sur la terre de ses aïeux, riche de peu, ne connaissant de trésors que ceux du pays natal. »

Ensuite le vaisseau de Thessalie met fin aux enchantements des origines (les lucifériens bien sûr préfèreront ce qu’ils croient un progrès) ; et il y a un prix à payer (le réchauffement climatique ?) :

« Le vaisseau de Thessalie rapprocha les mondes que la nature avait sagement séparés, soumit la mer au mouvement des raines, et joignit à nos misères les périls d’un élément étranger. Ce malheureux navire paya chèrement son audace par cette longue suite de dangers qu’il lui fallut courir, entre les deux montagnes qui ferment rentrée de l’Euxin, et qui se heurtaient l’une contre l’autre, avec le retentissement de la foudre, tandis que la mer, prise lançait jusqu’aux nues ses vagues écumantes. »

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Le prix à payer ? Sénèque en parle tel quel – c’est la fin des limites (mais dans un monde devenu petit, cela sonne comme une cour de prison abandonnée pour prisonniers…) :

« Quel fut le prix de ce hardi voyage ? Une toison d’or, et Médée plus cruelle que les flots mêmes, digne récompense des premiers navigateurs. Maintenant la mer est soumise, et se courbe sous nos lois : plus n’est besoin d’un navire construit par Minerve, et monté par des rois ; la moindre barque peut s’aventurer sur les flots : les bornes antiques sont renversées, et les peuples vont bâtir les villes sur des terres nouvelles. »

 Les derniers vers sont fantastiques :

« Le monde est ouvert en tout sens, et rien plus n’est à sa place…L’Indien boit l’eau glacée de l’Araxe, le Perse boit celle de l’Elbe et du Rhin. Un temps viendra, dans le cours des siècles, où l’Océan élargira la ceinture du globe, pour découvrir à l’homme une terre immense et inconnue ; la mer nous révélera de nouveaux mondes, et Thulé ne sera plus la borne de l’univers. »

Sources

Sénèque, Médée Traduit par Eugène Greslou,  1834

Jean-Noël Michaud Le chœur Audax nimium (Sénèque, Médée, 301-379) (Persée, via latina)

samedi, 16 février 2019

PROMETEO Y LA ELPIS COMO PROGNÓSIS

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PROMETEO Y LA ELPIS COMO PROGNÓSIS

 
 
Ex: http://www.geopolitica.ru 

Prometeo, el astuto, es hijo de uno de los primeros siete titanes, Jápeto, que junto con Cronos lucharon contra Zeus, y Clímene, la de los bellos tobillos. Tuvo tres hermanos: Epimeteo, el torpe, esposo de Pandora; Atlas, el intrépido, condenado a sostener el cielo con su espalda y Menecio, el temerario que fue muerto por el rayo de Zeus y enviado al Tártaro. Prometeo y Epimeteo lucharon a favor de Zeus y Atlas y Menecio lo hicieron en su contra.

Desde siempre Prometeo ha sido el más estudiado por las riquezas interpretativas que ofrecen los textos de Hesíodo en la Teogonía y en los Trabajos=Erga.

Es sabido que los griegos a diferencia de los cristianos y judíos no han tenido textos sagrados, pero los que más se le aproximan son los de Homero, la Ilíada y la Odisea, y los mencionados de Hesíodo.[1]

Los griegos los conocían como “los poetas más divinos”(Certamen, ab ovo) y como tales los trataron y los citaron ad nauseam.

Ambos fueron coetáneos y vivieron en el último cuarto del siglo VIII a.C. y es imposible entender la cultura occidental tanto griega, latina como cristiana sin ellos dos. Homero porque la sitúa respecto Oriente y Hesíodo porque abre la puerta a la conciencia individual del hombre antiguo. Ellos aparecen en el momento en que los griegos pasan de la tribu a la polis, momento propiciado por las colonizaciones y el comercio marítimo y el reconocimiento de un derecho sancionado por las divinidades griegas.

Es digno de notar que para esa misma época se produce un cambio en la forma de combate, se pasa del combate individual a la aparición de las formaciones de hoplitas y de la caballería lo que crea una conciencia de pertenencia a una comunidad o polis.

El mito de Prometeo está compuesto por dos momentos:[2] la picardía de Prometeo que engaña a Zeus con la grasa y los huesos de un toro y el robo del fuego en un momento de distracción de Zeus. Éste lo castiga creando a Pandora=toda regalo o la que da todo, y encadenádolo a un peñasco.

Prometeo, el previsor, como dijimos es uno de los siete titanes encabezados por Cronos que enfrentaron y fueron derrotados por Zeus. En esa lucha estuvo del lado de vencedor, pero Zeus siempre desconfió de él por su astucia e inteligencia.

Un día se produjo una discusión acerca de que partes de un toro debían ofrecer a los dioses y cuales reservar a los hombres, entonces Prometeo carneo al toro y guardó la carne en una parte del cuero y los huesos y la grasa en otra que resultó más grande, y ofreció a Zeus que eligiera. Éste, naturalmente, tomó el saco mayor y cuando cayó en la cuenta del engaño exclamó: “que coman carne cruda” y los privó del fuego. Desde entonces los hombres queman grasa o prenden velas en honor a los dioses.

Prometeo se puso a al búsqueda del fuego, pues intuía que estaba en el Olimpo y no en la creencia que estaba en el interior de los árboles como se pensaba entonces, pues ya se barruntaba que se podía conseguirlo por la fricción de dos maderas.

Pidió a Atenea que lo dejara ingresar secretamente al Olimpo y allí robó el fuego de Zeus en un carbón encendido dentro de la médula de una cañaheja y entregó el fuego a los hombres, quienes a partir de entonces pudieron comer carne asada.

Zeus montó en cólera y “ordenó al muy ilustre Hefesto mezclar cuanto antes tierra y agua, infundirle voz y vida humana y hacer una linda y encantadora figura de doncella…luego encargó a Atenea que le enseñara sus labores, a tejer la tela de finos encajes. A la dorada Afrodita mandó rodear su cabeza de gracia, irresistible sensualidad y halagos cautivadores y a Hermes le encargó dotarle de una mente cínica y un carácter voluble”(Erga, 60-70). Y así nació Pandora, “de donde desciende la funesta estirpe y la tribu de las mujeres”(Teogonía, 591, que fue enviada inmediatamente como regalo a Epimeteo, quien no haciendo caso el consejo de su hermano de no aceptar nunca un regalo de Zeus, la aceptó como su esposa.

Pandora, poseedora de una curiosidad insaciable, andando por la casa observó una gran jarra donde, trabajosamente Prometeo había encerrado todos los males que podían perjudicar al hombre, y quitó con sus manos la tapa de la jarra dejando escapar todos los males menos uno: ElpiV=Elpis, término que ha sido traducido equivocadamente por esperanza. Pero pensándolo bien no tiene ningún sentido que se encontrara junto a todos los males dentro de la jarra, pues la esperanza no es un mal. Se produce una contradicción flagrante dado que la esperanza no es un mal para el hombre sino mas bien un bien.

La mejor versión que tenemos de elpis es nuestra propuesta de traducir el término por “espera”. Así lo hacen varios mitólogos contemporáneos (Verdenius, Pérez Jiménez, etc.) Así, si la espera queda dentro de la jarra, los hombres recibirán los males sin advertirlo. Los eruditos llegan hasta acá y para allí, no siguen razonando o especulando.

Pero la espera de suyo tampoco es un mal. Es un simple estar a la expectativa de algo que puede suceder. Pero, sí es un mal la causa de la espera que es la capacidad de precognición o prognosis.

En este último sentido tiene que entenderse la elpis de Hesíodo. En ese estar a la expectativa de algo por venir, porque para el hombre es un mal la prognosis o prospectiva, porque ¿qué humanidad tendríamos si supiéramos cuando nos vamos a morir, dónde radicaría nuestra libertad si supiéramos de antemano qué nos va a suceder?

La prognosis y no la esperanza es el mal que quedó encerrado en la jarra donde lo introdujo Prometeo, el previsor y no Zeus, como erróneamente confunden muchos mitólogos.

Este es nuestro pequeño aporte al comentario de un mito que ya tiene 2800 años.

El segundo momento del mito se produce cuando Prometeo le roba, escondido en el hueco de una cañaheja,  el fuego que Zeus tenía oculto a los hombres. Percatado Zeus del robo manda encadenar a Prometeo desnudo a un peñasco en las montañas del Cáucaso, donde durante el día un buitre le comía el hígado que luego crecía por la noche. Viendo su excesivo sufrimiento Heracles mata al buitre y lo libera de las cadenas, pero, si bien Zeus le concedió el perdón, para que Prometeo siguiese pareciendo un prisionero le impuso llevar un anillo realizado con un eslabón de su cadena con una piedra caucásica engarzada. Desde entonces la humanidad comenzó a llevar anillos en homenaje a Prometeo y recordar que el hombre es, en cierta media, un prisionero en esta tierra.

Lo que llama la atención de este segundo momento es el conocimiento de medicina que ya tenían los griegos del siglo VIII a.C. en el sentido que sabían que el hígado de reponía a sí mismo. Este dato se confirma científicamente recién en el siglo XVIII.

Como son casi infinitas las conclusiones que se han sacado de este mito: a) se lo comparó con Cristo, en tanto liberador de la humanidad. b) las consecuencias morales de la teoría de la culpa. c) los dioses no son tales sino solo proyecciones de los hombres. d) Pandora como nueva Eva y la introducción del mal en el mundo y un sin número de alii. Nosotros dejamos libre el campo de las múltiples interpretaciones y nos inclinamos por la apertura de la conciencia individual del hombre antiguo.

 


[1] Los trabajos que nos llegaron de Hesíodo son: Teogonía, Trabajos y días, Fragmentos, y Certamen.

[2] Para los eruditos el mito está formado por mitos etiológicos: a) por qué los hombres se reservan la carne y dan a los dioses la grasa y los huesos. b) cómo encontraron el fuego y c) el origen de la mujer como ruina para los hombres.

mardi, 06 novembre 2018

Revenir à Sparte

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Revenir à Sparte

par Achille BALDURE

Lorsque l’on pense à une cité grecque, Athènes vient immédiatement à l’esprit. Cela est bien normal puisque celle-ci s’est illustrée à travers les âges grâce à des figures désormais intemporelles telles Platon ou Périclès. Malheureusement, un vilain bourdonnement résonne aussi dans nos oreilles à l’évocation du nom de la ville de la déesse Athéna, un bourdonnement pénible : l’invocation de la démocratie. Cette nuisance auditive et cognitive émane le plus souvent du camp du bien, celui des guimauves post-modernes. Ces idiots incultes seraient cependant horrifiés s’ils se penchaient cinq minutes sur ce modèle de démocratie. Par contre, les réactions sont généralement toutes différentes dès que l’on parle de la ville de Sparte. Bien que Robespierre admirait la politique de la cité-État lacédémonienne, les Bisounours de combat du Système l’assimilent volontiers au totalitarisme, donc in extensio, au fascisme.

spartericher.jpgDepuis le film 300, inspiré par le comics de Frank Miller, Sparte a refait son apparition dans l’imaginaire collectif en tant que cité proto-fasciste et génératrice du modèle du mâle blanc hétérosexuel oppresseur (du moins pour les Bisounours de combat du Système). Nous nous souvenons encore de la critique toute partisane d’un pseudo-éducateur de la jeunesse (c’est-à-dire un dresseur de futurs consommateurs cosmopolites) : « C’est un film raciste qui magnifie la pseudo-supériorité des Blancs sur les Perses qui représentent en fait les émigrés et les peuples de couleur en général. » Il est certain que le film a déchaîné les passions. Il aura au moins eu le mérite de remettre un épisode de leur histoire à maints jeunes Européens.

Au-delà du prisme déformant de Hollywood, il faut étudier sérieusement cette cité « de Grecs en Grèce », militariste certes, mais qui ne se résume pas à un rassemblement des pires bourrins de l’Europe méridionale – le comics de Miller, en ce sens, ne rend pas justice à la culture spartiate. Le livre Sparte de Nicolas Richer remet les pendules à l’heure et constitue un ouvrage définitif concernant la cité lacédémonienne. Il faut dire que l’auteur maîtrise parfaitement son sujet. Agrégé d’histoire, c’est un spécialiste de la Grèce antique (il a entre autre rédigé une thèse sur les éphores, les magistrats de la cité de Léonidas).

L’intérêt premier de l’ouvrage est qu’il aborde tous les aspects de la vie des Spartiates : histoire, art, système politique, religiosité, éducation, batailles connues et moins connues… Tous ces thèmes sont développés sur des bases archéologiques, mais surtout écrites. En effet, un grand nombre d’informations nous est parvenu sur les Lacédémoniens, si bien que le portrait de Sparte se dessine parfaitement bien au fil des pages. En dépit de la formation pour le moins académique de l’auteur, l’ouvrage demeure très accessible et ne devrait rebuter que les seuls réfractaires à la lecture en général.

Le deuxième intérêt de l’ouvrage, est de dresser le portrait d’un type d’homme, hélas ! aujourd’hui disparu, qui incarnait pleinement l’homme au sens de Vir. La notion de Polemos (chère à Héraclite), c’est-à-dire de conflit, était constitutive de la vie de ces hommes. La notion d’honneur prenait ainsi tout son sens. À titre d’exemple, revenir de captivité après une guerre, c’était s’assurer l’opprobre et le fait d’être rejeté par toute la communauté, à tel point que l’exil ou la mort devenaient les seules portes de sortie. Le livre fourmille d’exemples de virilité authentique; l’inspiration pour redevenir ce que nous sommes se cache bel et bien derrière l’histoire de cette citée devenue mythique. L’esprit légionnaire prôné par Julius Evola dans son livre Orientations trouve assurément l’une de ses sources dans ce que fut Sparte.

En conclusion, le travail de Nicolas Richer nous plonge dans une cité-État dont le nom évoque encore aujourd’hui la grandeur. Très complet, l’ouvrage, nous le répétons, constitue une somme définitive sur le sujet. Il est aussi un témoignage important sur le fait d’être un Homme-Vir, un exemple du passé qui doit nous guider pour retrouver le plus qui est en nous.

Achille Baldure

• Nicolas Richer, Sparte, Perrin, 2018, 400 p., 25 €.

• D’abord mis en ligne sur La nouvelle Sparte, le 24 octobre 2018.

07:47 Publié dans Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : antiquité, sparte, antiquité grecque, hellénisme, livre | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 23 mars 2018

The Black Sun: Dionysus, Nietzsche, and Greek Myth

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The Black Sun: Dionysus, Nietzsche, and Greek Myth

Gwendolyn Taunton

Ex: https://manticorepress.net


Affirmation of life even it its strangest and sternest problems, the will to life rejoicing in its own inexhaustibility through the sacrifice of its highest types – that is what I call the Dionysian…Not so as to get rid of pity and terror, not so as to purify oneself of a dangerous emotion through its vehement discharge – it was thus Aristotle understood it – but, beyond pity and terror, to realize in oneself the eternal joy of becoming – that joy which also encompasses joy in destruction…And with that I again return to that place from which I set out –The Birth of Tragedy was my first revaluation of all values: with that I again plant myself in the soil out of which I draw all that I will and can – I, the last disciple of the philosopher Dionysus – I, the teacher of the eternal recurrence(Nietzsche, “What I Owe to the Ancients”)

It is a well known fact that most of the early writings of the German philosopher, Friedrich Nietzsche, revolve around a prognosis of duality concerning the two Hellenic deities, Apollo and Dionysus. This dichotomy, which first appears in The Birth of Tragedy, is subsequently modified by Nietzsche in his later works so that the characteristics of the God Apollo are reflected and absorbed by his polar opposite, Dionysus. Though this topic has been examined frequently by philosophers, it has not been examined sufficiently in terms of its relation to the Greek myths which pertain to the two Gods in question. Certainly, Nietzsche was no stranger to Classical myth, for prior to composing his philosophical works, Nietzsche was a professor of Classical Philology at the University of Basel. This interest in mythology is also illustrated in his exploration of the use of mythology as tool by which to shape culture. The Birth of Tragedy is based upon Greek myth and literature, and also contains much of the groundwork upon which he would develop his later premises. Setting the tone at the very beginning of The Birth of Tragedy, Nietzsche writes:[spacer height=”20px”]

We shall have gained much for the science of aesthetics, once we perceive not merely by logical inference, but with the immediate certainty of vision, that the continuous development of art is bound up with the Apollonian and Dionysian duality – just as procreation depends on the duality of the sexes, involving perpetual strife with only periodically intervening reconciliations. The terms Dionysian and Apollonian we borrow from the Greeks, who disclose to the discerning mind the profound mysteries of their view of art, not, to be sure, in concepts, but in the intensely clear figures of their gods. Through Apollo and Dionysus, the two art deities of the Greeks, we come to recognize that in the Greek world there existed a tremendous opposition…[1]

Initially then, Nietzsche’s theory concerning Apollo and Dionysus was primarily concerned with aesthetic theory, a theory which he would later expand to a position of predominance at the heart of his philosophy. Since Nietzsche chose the science of aesthetics as the starting point for his ideas, it is also the point at which we shall begin the comparison of his philosophy with the Hellenic Tradition.

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The opposition between Apollo and Dionysus is one of the core themes within The Birth of Tragedy, but in Nietzsche’s later works, Apollo is mentioned only sporadically, if at all, and his figure appears to have been totally superseded by his rival Dionysus. In The Birth of Tragedy, Apollo and Dionysus are clearly defined by Nietzsche, and the spheres of their influence are carefully demarcated. In Nietzsche’s later writings, Apollo is conspicuous by the virtue of his absence – Dionysus remains and has ascended to a position of prominence in Nietzsche’s philosophy, but Apollo, who was an integral part of the dichotomy featured in The Birth of Tragedy, has disappeared, almost without a trace. There is in fact, a simple reason for the disappearance of Apollo – he is in fact still present, within the figure of Dionysus. What begins in The Birth of Tragedy as a dichotomy shifts to synthesis in Nietzsche’s later works, with the name Dionysus being used to refer to the unified aspect of both Apollo and Dionysus, in what Nietzsche believes to the ultimate manifestation of both deities. In early works the synthesis between Apollo & Dionysus is incomplete – they are still two opposing principles – “Thus in The Birth of Tragedy, Apollo, the god of light, beauty and harmony is in opposition to Dionysian drunkenness and chaos”.[2] The fraternal union of Apollo & Dionysus that forms the basis of Nietzsche’s view is, according to him, symbolized in art, and specifically in Greek tragedy.[3] Greek tragedy, by its fusion of dialogue and chorus; image and music, exhibits for Nietzsche the union of the Apollonian and Dionysian, a union in which Dionysian passion and dithyrambic madness merge with Apollonian measure and lucidity, and original chaos and pessimism are overcome in a tragic attitude that is affirmative and heroic.[4]

The moment of Dionysian “terror” arrives when […] a cognitive failure or wandering occurs, when the principle of individuation, which is Apollo’s “collapses” […] and gives way to another perception, to a contradiction of appearances and perhaps even to their defeasibility as such (their “exception”). It occurs “when [one] suddenly loses faith in […] the cognitive form of phenomena. Just as dreams […] satisfy profoundly our innermost being, our common [deepest] ground [der gemeinsame Untergrund], so too, symmetrically, do “terror” and “blissful” ecstasy…well up from the innermost depths [Grunde] of man once the strict controls of the Apollonian principle relax. Then “we steal a glimpse into the nature of the Dionysian”.[5]

apollonooooooo.jpgThe Apollonian and the Dionysian are two cognitive states in which art appears as the power of nature in man.[6] Art for Nietzsche is fundamentally not an expression of culture, but is what Heidegger calls “eine Gestaltung des Willens zur Macht” a manifestation of the will to power. And since the will to power is the essence of being itself, art becomes “die Gestaltung des Seienden in Ganzen,” a manifestation of being as a whole.[7] This concept of the artist as a creator, and of the aspect of the creative process as the manifestation of the will, is a key component of much of Nietzsche’s thought – it is the artist, the creator who diligently scribes the new value tables. Taking this into accord, we must also allow for the possibility that Thus Spake Zarathustra opens the doors for a new form of artist, who rather than working with paint or clay, instead provides the Uebermensch, the artist that etches their social vision on the canvas of humanity itself.  It is in the character of the Uebermensch that we see the unification of the Dionysian (instinct) and Apollonian (intellect) as the manifestation of the will to power, to which Nietzsche also attributes the following tautological value “The Will to Truth is the Will to Power”.[8] This statement can be interpreted as meaning that by attributing the will to instinct, truth exists as a naturally occurring phenomena – it exists independently of the intellect, which permits many different interpretations of the truth in its primordial state. The truth lies primarily in the will, the subconscious, and the original raw instinctual state that Nietzsche identified with Dionysus. In The Gay Science Nietzsche says:

For the longest time, thinking was considered as only conscious, only now do we discover the truth that the greatest part of our intellectual activity lies in the unconscious […] theories of Schopenhauer and his teaching of the primacy of the will over the intellect. The unconscious becomes a source of wisdom and knowledge that can reach into the fundamental aspects of human existence, while the intellect is held to be an abstracting and falsifying mechanism that is directed, not toward truth but toward “mastery and possession.” [9]

Thus the will to power originates not in the conscious, but in the subconscious. Returning to the proposed dichotomy betwixt Dionysus and Apollo, in his later works the two creative impulses become increasingly merged, eventually reaching a point in his philosophy wherein Dionysus refers not to the singular God, but rather a syncretism of Apollo and Dionysus in equal quantity. “The two art drives must unfold their powers in a strict proportion, according to the law of eternal justice.”[10] For Nietzsche, the highest goal of tragedy is achieved in the harmony between two radically distinct realms of art, between the principles that govern the Apollonian plastic arts and epic poetry and those that govern the Dionysian art of music.[11] To be complete and  to derive ultimate mastery from the creative process, one must harness both the impulses represented by Apollo and Dionysus – the instinctual urge and potent creative power of Dionysus, coupled with the skill and intellectualism of Apollo’s craftsmanship – in sum both natural creative power from the will and the skills learnt within a social grouping. This definition will hold true for all creative ventures and is not restricted to the artistic process; ‘will’ and ‘skill’ need to act in harmony and concord.

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In Nietzsche’s philosophy, Apollo and Dionysus are so closely entwined as to render them inseparable. Apollo, as the principle of appearance and of individuation, is that which grants appearance to the Dionysian form, without for Apollo, Dionysus remains bereft of physical appearance.

That [Dionysus] appears at all with such epic precision and clarity is the work of the dream interpreter, Apollo […] His appearances are at best instances of “typical ‘ideality,’” epiphanies of the “idea” or “idol”, mere masks and after images (Abbilde[er]). To “appear” Dionysus must take on a form.[12]

In his natural state, Dionysus has no form, it is only by reflux with Apollo, who represents the nature of form that Dionysus, as the nature of the formless, can appear to us at all. Likewise, Apollo without Dionysus becomes lost in a world of form – the complex levels of abstraction derived from the Dionysian impulse are absent. Neither god can function effectively without the workings of the other.  Dionysus appears, after all, only thanks to the Apollonian principle. This is Nietzsche’s rendition of Apollo and Dionysus, his reworking of the Hellenic mythos, forged into a powerful philosophy that has influenced much of the modern era. Yet how close is this new interpretation to the original mythology of the ancient Greeks, and how much of this is Nietzsche’s own creation? It is well known that Nietzsche and his contemporary Wagner both saw the merit in reshaping old myths to create new socio-political values. To fully understand Nietzsche’s retelling of the Dionysus myth and separate the modern ideas from that of the ancients, we need to examine the Hellenic sources on Dionysus.

apolyre.jpgMyths of Dionysus are often used to depict a stranger or an outsider to the community as a repository for the mysterious and prohibited features of another culture. Unsavory characteristics that the Greeks tend to ascribe to foreigners are attributed to him, and various myths depict his initial rejection by the authority of the polis – yet Dionysus’ birth at Thebes, as well as the appearance of his name on Linear B tablets, indicates that this is no stranger, but in fact a native, and that the rejected foreign characteristics ascribed to him are in fact Greek characteristics.[13] Rather than being a representative of foreign culture what we are in fact observing in the character of Dionysus is the archetype of the outsider; someone who sits outside the boundaries of the cultural norm, or who represents the disruptive element in society which either by its nature effects a change or is removed by the culture which its very presence threatens to alter. Dionysus represents as Plutarch observed, “the whole wet element” in nature – blood, semen, sap, wine, and all the life giving juice. He is in fact a synthesis of both chaos and form, of orgiastic impulses and visionary states – at one with the life of nature and its eternal cycle of birth and death, of destruction and creation.[14]  This disruptive element, by being associated with the blood, semen, sap, and wine is an obvious metaphor for the vital force itself, the wet element, being representative of “life in the raw”. This notion of “life” is intricately interwoven into the figure of Dionysus in the esoteric understanding of his cult, and indeed throughout the philosophy of the Greeks themselves, who had two different words for life, both possessing the  same root as Vita (Latin: Life) but present in very different phonetic forms: bios and zoë.[15]

Plotinos called zoë the “time of the soul”, during which the soul, in its course of rebirths, moves on from one bios to another […] the Greeks clung to a not-characterized “life” that underlies every bios and stands in a very different relationship to death than does a “life” that includes death among its characteristics […] This experience differs from the sum of experiences that constitute the bios, the content of each individual man’s written or unwritten biography. The experience of life without characterization – of precisely that life which “resounded” for the Greeks in the word zoë – is, on the other hand, indescribable.[16]

Zoë is Life in its immortal and transcendent aspect, and is thus representative of the pure primordial state. Zoëis the presupposition of the death drive; death exists only in relation to zoë. It is a product of life in accordance with a dialectic that is a process not of thought, but of life itself, of the zoë in each individual bios.[17]

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The other primary association of Dionysus is with the chthonic elements, and we frequently find him taking the form of snakes. According to the myth of his dismemberment by the Titans, a myth which is strongly associated with Delphi, he was born of Persephone, after Zeus, taking snake form, had impregnated her. [18] In Euripides Bacchae, Dionysus, being the son of Semele, is a god of dark and frightening subterranean powers; yet being also the son of Zeus, he mediates between the chthonic and civilized worlds, once again playing the role of a liminal outsider that passes in transit from one domain to another.[19] Through his association with natural forces, a description of his temple has been left to us by a physician from Thasos: “A temple in the open air, an open air naos with an altar and a cradle of vine branches; a fine lair, always green; and for the initiates a room in which to sing the evoe.”[20] This stands in direct contrast to Apollo, who was represented by architectural and artificial beauty. Likewise his music was radically different to that of Apollo’s; “A stranger, he should be admitted into the city, for his music is varied, not distant and monotone like the tunes of Apollo’s golden lyre”. (Euripides Bacchae 126-134, 155-156)[21]

Both Gods were concerned with the imagery of life, art, and as we shall see soon, the sun. Moreover, though their forces were essentially opposite, they two Gods were essentially representative of two polarities for the same force, meeting occasionally in perfect balance to reveal an unfolding Hegelian dialectic that was the creative process of life itself and the esoteric nature of the solar path, for just as Dionysus was the chthonic deity (and here we intentionally use the word Chthon instead of the word Gē  – Chthon being literally underworld and Gē being the earth or ground) and Apollo was a Solar deity; but not the physical aspect of the sun as a heavenly body, this was ascribed by to the god Helios instead. Rather Apollo represented the human aspect of the solar path (and in this he is equivalent to the Vedic deity Savitar), and its application to the mortal realm; rather than being the light of the sky, Apollo is the light of the mind: intellect and creation. He is as bright as Dionysus is dark – in Dionysus the instinct, the natural force of zoë is prevalent, associated with the chthonic world below ground because he is immortal, his power normally unseen. He rules during Apollo’s absence in Hyperborea because the sun has passed to another land, the reign of the bright sun has passed and the time of the black sun commences – the black sun being the hidden aspect of the solar path, represented by the departure of Apollo in this myth.

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Apollo is frequently mentioned in connection to Dionysus in Greek myth. Inscriptions dating from the third century B.C., mention that Dionysos Kadmeios reigned alongside Apollo over the assembly of Theben gods.[22] Likewise on Rhodes a holiday called Sminthia was celebrated there in memory of a time mice attacked the vines there and were destroyed by Apollo and Dionysus, who shared the epithet Sminthios on the island.[23] They are even cited together in the Odyssey (XI 312-25), and also in the story of the death of Koronis, who was shot by Artemis, and this at Apollo’s instigation because she had betrayed the god with a mortal lover.[24] Also, the twin peaks on Parnassos traditionally known as the “peaks of Apollo and Dionysus.”[25] Their association and worship however, was even more closely entwined at Delphi, for as Leicester Holland has perceived:

(1) Dionysus spoke oracles at Delphi before Apollo did; (2) his bones were placed in a basin beside the tripod; (3) the omphalos was his tomb. It is well known, moreover, that Dionysus was second only to Apollo in Delphian and Parnassian worship; Plutarch, in fact, assigns to Dionysus an equal share with Apollo in Delphi[26]

A Pindaric Scholiast says that Python ruled the prophetic tripod on which Dionysus was the first to speak oracles; that then Apollo killed the snake and took over.[27] The association of Apollo and Dionysus in Delphi, moreover, was not limited to their connection to the Delphic Oracle. We also find this relationship echoed in the commemoration of the Great flood which was celebrated each year at a Delphian festival called Aiglē, celebrated two or three days before the full moon of January or February, at the same time as the Athenian Anthesteria festival, the last day of which was devoted to commemorating the victims of the Great Flood; this was the same time of the year when Apollo was believed at Delphi to return from his sojourn among the Hyperboreans. Moreover, Dionysus is said to have perished and returned to life in the flood.[28] Apollo’s Hyperborean absence is his yearly death – Apollonios says that Apollo shed tears when he went to the Hyperborean land; thence flows the Eridanos, on whose banks the Heliades wail without cease; and extremely low spirits came over the Argonauts as they sailed that river of amber tears.[29]

This is the time of Dionysus’ reign at Delphi in which he was the center of Delphic worship for the three winter months, when Apollo was absent. Plutarch, himself a priest of the Pythian Apollo, Amphictyonic official and a frequent visitor to Delphi,  says that for nine months the paean was sung in Apollo’s honour at sacrifices, but at the beginning of winter the paeans suddenly ceased, then for three months men sang dithyrambs and addressed themselves to Dionysus rather than to Apollo.[30] Chthonian Dionysus manifested himself especially at the winter festival when the souls of the dead rose to walk briefly in the upper world again, in the festival that the Athenians called Anthesteria, whose Delphian counterpart was the Theophania. The Theophania marked the end of Dionysus’ reign and Apollo’s return; Dionysus and the ghosts descended once more to Hades realm.[31] In this immortal aspect Dionysus is very far removed from being a god of the dead and winter; representing instead immortal life, the zoë, which was employed in Dionysian cult to release psychosomatic energies summoned from the depths that were discharged in a physical cult of life.[32]

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Dionysus is the depiction of transcendent primordial life, life that persists even during the absence of Apollo (the Sun) – for as much as Apollo is the Golden Sun, Dionysus is the Black or Winter Sun, reigning in the world below ground whilst Apollo’s presence departs for another hemisphere, dead to the people of Delphi, the Winter Sun reigns in Apollo’s absence. Far from being antagonistic opposites, Apollo and Dionysus were so closely related in Greek myth that according to Deinarchos, Dionysus was killed and buried at Delphi beside the golden Apollo.[33] Likewise, in the Lykourgos tetralogy of Aischylos, the cry “Ivy-Apollo, Bakchios, the soothsayer,” is heard when the Thracian bacchantes, the Bassarai, attacks Orpheus, the worshipper of Apollo and the sun. The cry suggests a higher knowledge of the connection between Apollo and Dionysus, the dark god, whom Orpheus denies in favour of the luminous god. In the Lykymnios of Euripides the same connection is attested by the cry, “Lord, laurel-loving Bakchios, Paean Apollo, player of the Lyre.”[34] Similarly, we find anotherpaean by Philodamos addressed to Dionysus from Delphi: “Come hither, Lord Dithyrambos, Backchos…..Bromios now in the spring’s holy period.”[35] The pediments of the temple of Apollo also portray on one side Apollo with Leto, Artemis, and the Muses, and on the other side Dionysus and the thyiads, and a vase painting of c.400 B.C. shows Apollo and Dionysus in Delphi holding their hands to one another.[36]

An analysis of Nietzsche’s philosophy concerning the role of Apollo and Dionysus in Hellenic myth thus reveals more than even a direct parallel. Not only did Nietzsche comprehend the nature of the opposition between Apollo and Dionysus, he understood this aspect of their cult on the esoteric level, that their forces, rather than being antagonistic are instead complementary, with both Gods performing two different aesthetic techniques in the service of the same social function, which reaches its pinnacle of development when both creative processes are elevated in tandem within an individual. Nietzsche understood the symbolism of myths and literature concerning the two gods, and he actually elaborated upon it, adding the works of Schopenhauer to create a complex philosophy concerning not only the interplay of aesthetics in the role of the creative process, but also the nature of the will and the psychological process used to create a certain type, which is exemplified in both his ideals of the Ubermensch and the Free Spirit. Both of these higher types derive their impetus from the synchronicity of the Dionysian and Apollonian drives, hence why in Nietzsche’s later works following The Birth of Tragedy only the Dionysian impulse is referred to, this term not being used to signify just Dionysus, but rather the balanced integration of the two forces. This ideal of eternal life (zoë) is also located in Nietzsche’s theory of Eternal Reoccurrence – it denies the timeless eternity of a supernatural God, but affirms the eternity of the ever-creating and destroying powers in nature and man, for like the solar symbolism of Apollo and Dionysus, it is a notion of cyclical time. To Nietzsche, the figure of Dionysus is the supreme affirmation of life, the instinct and the will to power, with the will to power being an expression of the will to life and to truth at its highest exaltation – “It is a Dionysian Yea-Saying to the world as it is, without deduction, exception and selection…it is the highest attitude that a philosopher can reach; to stand Dionysiacally toward existence: my formula for this is amor fati”’[37]  Dionysus is thus to both Nietzsche and the Greeks, the highest expression of Life in its primordial and transcendent meaning, the hidden power of the Black Sun and the subconscious impulse of the will.

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Endnotes:

[1]James I. Porter, The Invention of Dionysus: An Essay on the Birth of Tragedy, (California: Stanford University Press, 2002), 40

[2]Rose Pfeffer, Nietzsche: Disciple of Dionysus, (New Jersey: Associated University Presses, Inc. 1977), 31

[3] Ibid.,31

[4] Ibid., 51

[5] James I. Porter, The Invention of Dionysus: An Essay on the Birth of Tragedy, 50-51

[6] Ibid., 221

[7] Ibid., 205-206

[8] Rose Pfeffer, Nietzsche: Disciple of Dionysus, 114

[9] Ibid, 113

[10] James I. Porter, The Invention of Dionysus: An Essay on the Birth of Tragedy, 82

[11] Rose Pfeffer, Nietzsche: Disciple of Dionysus, 32

[12] James I. Porter, The Invention of Dionysus: An Essay on the Birth of Tragedy, 99

[13]Dora C. Pozzi, and John M. Wickerman, Myth & the Polis, (New York: Cornell University 1991), 36

[14]Rose Pfeffer, Nietzsche: Disciple of Dionysus,  126

[15] Carl Kerényi, Dionysos Archetypal Image of Indestructible Life, (New Jersey: Princeton university press,  1996), xxxxi

[16] Ibid., xxxxv

[17] Ibid., 204-205

[18] Joseph Fontenrose, Python: A Study of Delphic Myth and its Origins (Berkeley: University of California Press, 1980), 378

[19]Dora C. Pozzi, and John M. Wickerman, Myth & the Polis,  147

[20]Marcel Detienne, trans. Arthur Goldhammer Dionysos At Large, (London: Harvard Univeristy Press 1989), 46

[21]Dora C. Pozzi, and John M. Wickerman, Myth & the Polis,   144

[22] Marcel Detienne, trans. Arthur Goldhammer Dionysos At Large, 18

[23] Daniel E. Gershenson, Apollo the Wolf-God in Journal of Indo-European Studies, Mongraph number 8 (Virginia: Institute for the Study of Man 1991), 32

[24]Carl Kerényi, Dionysos Archetypal Image of Indestructible Life, (New Jersey: Princeton university press,  1996), 103

[25] Dora C. Pozzi, and John M. Wickerman, Myth & the Polis,  139

[26] Joseph Fontenrose, Python: A Study of Delphic Myth and its Origins (Berkeley: University of California Press, 1980), 375

[27] Ibid., 376

[28]Daniel E. Gershenson, Apollo the Wolf-God in Journal of Indo-European Studies, Monograph number 8, 61

[29] Joseph Fontenrose, Python: A Study of Delphic Myth and its Origins (Berkeley: University of California Press, 1980), 387

[30] Ibid., 379

[31] Ibid., 380-381

[32] Ibid., 219

[33] Ibid., 388

[34] Carl Kerényi, Dionysos Archetypal Image of Indestructible Life, (New Jersey: Princeton university press,  1996), 233

[35] Ibid.,217

[36] Walter F. Otto, Dionysus: Myth and Cult, (Dallas: Spring Publications, 1989) 203

[37] Rose Pfeffer, Nietzsche: Disciple of Dionysus,  261

vendredi, 19 janvier 2018

THUCYDIDES ON WAR: TO BE STUDIED BY THE MOST ABLE OF MILITARY THEORISTS

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THUCYDIDES ON WAR: TO BE STUDIED BY THE MOST ABLE OF MILITARY THEORISTS

Ex: https://www.geopolitica.ru
 
To be able to wage modern warfare cannot be merely defeating the enemy through a series of military engagements as being witnessed in the early twenty-first century, for the so-called vanquished enemy will often times return, as we have  seen in the infested battle regions of Iraq and Syria.  Without the understanding that the most pragmatic and final assault on any enemy in combat, on the battle field, can only be achieved through a scientific military theory based both on a strategic objective and studied analysis of when to wage war, there can be no lasting success to the end of a political crisis which was only abated but not ended by the means of war. Then there will be no end to such conflict but only lulls and a general repeat of an unsatisfied stand-off of no peace and no war. But to strike against an enemy in the first place, allowing for no way out for the enemy to survive under any circumstance, is the heart of the matter in the first place, and in studying the various small battles and large battles in the work the History of the Peloponnesian War by the ancient Greek historian, Thucydides, we come to grips with all the various nuances that make up the character of warfare.
 
What is lacking in the various theaters of conflicts in these modern times is a balance between a fluid scientific analysis of how and when to enter into a conflict or war situation, and how to understand and engage the spatial art of war or conflict conception of such an endeavor which must cause human suffering in which the various actors, their armies and citizens realize why they must fight and die in such a human conflict when it arises.   
 
What we have instead in our time, are the various protagonists such as the United States with its imperialist hegemonic desires, not yet abated even as the country is in its decline with its Fascist regime kept alive by millions of submissive Americans ignorant of their own proto-Fascistic behavior. 
 
Then on the other side, we have the emerging Russian state coming out of the great Soviet era, with its own desire to again regain its world influence upon those countries arising from a colonial past, these countries not only in the Middle- Eastern region, but also in regions of Africa  stretching from the Democratic Republic of Congo to Yemen down to South America in such places as Venezuela, Ecuador and the former Soviet ally, Cuba.  However, what both the United States and Russia lack is the understanding where the center of gravity is in pursuing the defeat of an enemy - one must  not only assess the military strengths and weakness of the enemy, but also objectively analyze  the culture and spiritual qualities or lack of regarding the overall political will of the people at the central core of the conflict.  
 
Instead,  both the United States and the Russians regimes make their great mistake in that in their ceaseless propaganda war and intermediate cyber-space conflict, including their various proxy wars, in their attempt to manipulate wars of liberation. They offer no alternative revolutionary theory, no modern release for a liberation of political, spiritual and culture way of life that the common man, the ordinary citizen craves for and would be willing to die for in a just cause.  
 
As Thucydides posited, “History is Philosophy teaching by example,”  one could also enlarge upon that singular statement and say  a country which claims to have the means  to better the situation of a people in all ways of living and dying, must set an example through leadership mirroring political ethics which teach or exemplify how to live without exploiting the people during a period of egregious economic suffering, and thus maintaining a quality of life that although not rich in material gain, is rich in human creative endeavors, even if those endeavors are limited within the human condition. 
 
What we are faced with is an emerging Fascist regime in the United States which the American people willingly or unwilling cloak with a ‘Democratic’ spirit, while in Russia, they have an oligarchy pulled towards a need to become a so-called superpower on the world’s stage, while its people long to re-establish a Soviet way of life. Thus, we have two opposing political forces  locked in a deadly struggle in which the citizens of both countries, including the  peoples allied with the two countries, are part of the human tragedy playing out day by day within the borders and outside the borders of the United States and Russia.  
 
With this view in mind of the polarization of these two belligerent systems of political and economic powers that hold sway over much of the world, it is imperative for the ablest of modern military theorists not only re-study the account of the Peloponnesian War by Thucydides, but also study in very careful detail the various tactical battles which the great Greek historian recounts.
 
The psychology and methodology of how both opposing forces of Athens and Sparta went after each other  is instructive even in modern times, to better understand how an enemy might seek out in either an impulsive behavior or a calculated behavior to destroy an enemy position, or to politically intimidate an enemy at the first hint of weakness. 
 
In our time, I recommend astute generals and heads of state peruse  Thucidides' visionary “Melian Dialogue” pertaining to the surrender terms offered by the invading Athenian force to the military officers and citizens of Melos during the fighting of the Peloponnesian war, which the Melians rejected for what they believed was a Casus belli  or as the French would say “une guerre juste” ending in the butchery and enslavement of the citizens of Melos, something we even see today among ISIS (known also as Daesh) terrorists, as well as among the American armed forces with their proxy Saudi Arab ally killing thousands of Yemenis peoples  occurring in the country of Yemen. 
 
Clearly, slaughter is now manifested as a way of life not only in the Middle East, but among the cartel fights in Mexico with thousands of innocent Mexican citizens killed outright, as well in the deepest regions of Colombia and Brazil where the poor, working class and indigenous peoples are protesting their right not be used as slave labor nor their land defiled in the most horrendous  ecological destruction. All these examples, the modern military theorist must take into account if he or she  is to justify interest and ability to instruct others how to wage war scientifically and efficiently, beyond merely waging war for profit and nihilistic slaughter. It is through studying the written history of Thucydides that the art of war achieves its most coveted accomplishment - waging war to limit the excesses of war.
 
When Thucydides  asserted  “Wars spring from unseen and generally insignificant causes, the first outbreak being often but an explosion of anger,” he was proclaiming to those who would listen - and those who would listen being the few even to this day - that war even among the most sophisticated and shrewd, whether they be government leaders, diplomats or the most aware intellectuals, are not cognizant that war ignited in ancient times, and wars coming seemingly spontaneously out of economic and political repression in modern times, are the result of a particular “explosion of anger” - that anger being in the people’s  desire to have a healthy and sane life, even if that life is short lived, and for this reason alone, that anger is infused in all of us, to our dying days.  
 

mercredi, 17 janvier 2018

Stoic Spiritual Hygiene with Regard to Normies

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Stoic Spiritual Hygiene with Regard to Normies

Ancient philosophy, as Pierre Hadot has argued, was not merely a set of ideas but meant to include something far more practical: the leading of a good life in the pursuit of truth. In the case of Stoicism, as with Cynicism, the notion of leading a philosophical way of life is particularly explicit and central.[1] [2]

The philosopher is interested in living a life according to purpose and principle, as opposed to the frivolous or the popular. This necessarily can make him seem a bit of a kill-joy and can make interacting with what we call “normies” problematic. This is not a new problem. Here is Epictetus’ advice on avoiding gossip, chit-chat about the ball-game, and other small talk:

Lay down from this moment a certain character and pattern of behavior for yourself, which you are to preserve both when you’re alone and when you’re with others.

Remain silent for the most part, or say only what is essential, and in few words. Very infrequently, however, when the occasion demands, do speak, but not about any of the usual topics, not about gladiators, not about horse-races, not about athletes, not about food and drink, the subjects of everyday talk; but above all, don’t talk abut people, either to praise or criticize them, or to compare them. If you’re able to so, then, through the manner of your own conversation bring that of your companions round to what is fit and proper. But if you happen to find yourself alone among strangers, keep silent. (Handbook, 33)

stoique.jpg“Show, don’t tell,” besides being good writing advice, is then an important Stoic principle concerning philosophy. One will always be tempted to make a philosophical and political point in order to show off or best another in argument, which of course defeats the whole purpose. Epictetus reiterates the point:

Never call yourself a philosopher, and don’t talk among laymen for the most part about philosophical principles, but act in accordance with those principles. At a banquet, for example, don’t talk about how one ought to eat, but eat as one ought. . . . And accordingly, if any talk should arise among laymen about some philosophical principle, keep silent for the most part, for there is great danger that you’ll simply vomit up what you haven’t properly digested. (Handbook, 46)

Epictetus is quite explicit that adoption of the Stoic way of life means a radical change, perhaps analogous to religious conversion. The change is so radical that one must be careful who one associates with. Obviously, one’s own spiritual practice will be all the greater insofar as one associates with like-minded people. Conversely, this also means one may have to abandon boorish old friends:

This is a point to which you should attend before all others, that you should never become so intimately associated with any of your former friends and acquaintances that you sink down to the same level as them; for otherwise, you’ll destroy yourself. But if this thought worms its way into your mind, that “I’ll seem churlish to him, and he won’t be as friendly to me as before,” remember that nothing is gained without cost, and that it is impossible for someone to remain the same as he was if he is no longer acting the same way. Choose, then, which you prefer: to be held in the same affection as before by your former friends by remaining as you used to be, or else become better than you were and no longer meet with the same affect . . . if you’re caught between two paths, you’ll incur a double penalty, since you’ll neither make progress as you ought nor acquire the things that you used to enjoy. (Discourses, 4.2.1-5).

Epictetus_Enchiridion_1683_page1.jpgThe message is clear: the low spiritual and intellectual condition of “normies” is highly contagious, one must exercise the utmost caution. No doubt this bad condition has been severely aggravated and magnified by television and pop culture.

By these metrics, I observe that the modern university experience is something of an anti-education: the stupidities of youth are exaggerated and made fashionable, rather than curtailed. The soul grows obese with pleasure and pride, rather than being moderated and cultivated. (I note in passing that Plato would no doubt be surprised, to not say worse, to learn that “academia” would grant degrees to 40 percent of the population.)

The Stoic will manage his social relations with moderation. He will economically support himself, honor his parents, and find a wife and raise of family of his own. Nonetheless, to the extent possible within the web of relations implied by his social role, he will live a philosophical life, and raise his peers by his example. In this, I should think, a shared spiritual practice with the wife and other immediate family is a great aid, to not say fundamental: by prayer, meditation, readings, song, and other rituals in common, one can lift up souls away from the sensuous and the frivolous, and towards principle.

References

Epictetus, Discourses, Fragments, Handbook, trans. Robin Hard (Oxford: Oxford University Press, 2014).

[1] [3] Epictetus scolds those who adopt the name Stoic but prefer to talk about philosophical principles than live them:

What difference does it make, in fact, whether you expound these teachings or those of another school? Sit down and give a technical account of the teachings of Epicurus, and perhaps you’ll give a better account than Epicurus himself! Why call yourself a Stoic, then; why mislead the crowd; why act the part of a Jew when you’re Greek? Don’t you know why it is that a person is called a Jew, Syrian, or Egyptian? And when we see someone hesitating between two creeds, we’re accustomed to say, “He is no Jew, but is merely acting the part.” But when he assumes the frame of mind of one who has been baptized and has made his choice, then he really is a Jew, and is called by that name. And so we too are baptized in name alone, while in fact being someone quite different, since we’re not in sympathy with our own doctrines, and are far from making any practical application of the principles we express, even though we take pride in knowing them. (Discourses, 2.9.19-22)

Epictetus repeatedly contrasts Middle-Eastern “Jews, Syrians, and Egyptians” with “Romans,” as culturally and perhaps ethnically others.

 

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

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[2] [1]: #_ftn1

[3] [1]: #_ftnref1

 

dimanche, 14 janvier 2018

Jerarquía de saberes: más Aristóteles y menos pedagogía

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Carlos X. Blanco:
 
Jerarquía de saberes: más Aristóteles y menos pedagogía
 
Ex: https://www.latribunadelpaisvasco.com

Extraño animal es el hombre. Hay en él un impulso, una fuerza que, por naturaleza, le lleva al saber, le fuerza a escapar de los recintos de la sensación y la fantasía.

Πάντες ἂνθροποι τοῦ εἰδέναι ὀρέγονται φύσει (980ª 21). [Aristóteles, Metafísica. En este artículo cito según la edición de García Yebra, editorial Gredos, segunda edición, 1982]

El saber y el comprender entran de lleno en el ámbito del deseo humano. Se trata de una apetencia (ὀρέγω). Las cosas dignas de ser amadas son objeto de aspiración. El animal humano, aun cuando nada necesite en un instante dado, y más allá de la necesidad concreta, es un animal que extiende su alma –por así decir- hasta los objetos de su interés.

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Al margen de cualquier enfoque evolutivo, desde luego, Aristóteles señala una gradación en la escala zoológica. Ciertos animales viven sólo de imágenes (φαντασία), otros, le añaden el recuerdo a sus vidas (μνήμη), lo cual ya es semilla de experiencias, auque en escaso grado. Pero el hombre, como nos señala el Estagirita en el Libro I de la Metafísica, “participa del arte y del razonamiento” (980b 26).

La experiencia brota de múltiples recuerdos, que son “anudados”, por así decir. Y, análogamente, las experiencias son a su vez anudadas a un nivel superior en el “arte” (τέχνη). Ningún otro animal, más allá de la simple prevención ante peligros, es “astuto” y capaz de hacer uso de las experiencias múltiples anudadas: sólo el hombre.

Entiende aquí el Filósofo que la τέχνη surge y se apoya en lo empírico. El concepto (ὑπόληψις) es universal siempre que haya nacido (γίγνομαι) de múltiples experiencias (981ª). Nacer o llegar a ser: este es el sentido del verbo γίγνομαι: nunca se habla de un resultado mecánico o constructivo. Estas últimas acepciones las hemos de reservar a los modernos psicólogos cognitivos, imbuidos ya de un espíritu enteramente mecanicista. Desde la experiencia, el hombre con τέχνη puede volver a lo singular. Así, al médico, cuyo saber le capacita para curar a Calias, como hombre individual, como enfermo singular. Sólo de manera “no esencial” diríamos que el médico cura al hombre y no a éste hombre en singular llamado Calias. El médico exclusivamente teórico no es un verdadero médico.

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Extendamos la analogía al campo educativo o a cualquier otro ámbito profesional (“técnico”) del ser humano. Esos “científicos de la educación” que nunca han dado clase a unos niños, esos pedagogos que, si bien son conocedores profundos de la legislación y de las teorías didácticas más a la moda, jamás han pisado más aulas que las universitarias... ¿qué “arte” poseen? ¿Cuál habrá de ser su τέχνη, en un sentido en el que verdaderamente posean autoridad y efectividad? Toda τέχνη hunde sus raíces en experiencias artesanales, que a su vez son sistemas de sensaciones “anudadas”. Pero hemos de distinguir al “técnico” (perito, entendido en una materia, τεχνιτης), del empírico (ἔμπειπος). La diferencia viene dada por el conocimiento de la causa. El técnico es el sabio profesional que se encuentra en posesión de una teoría nacida de sus experiencias, teoría que “devuelve” a su vez a ese fondo empírico en orden a comprenderlas mejor y actuar sobre ellas. Por el contrario, el artífice manual (χειροτέχνης) solamente conoce el qué, no el por qué. El operario se adiestra, contrae hábitos que le hacen capaz, y esto es así por costumbre (δι᾽ ἔθος) [981b].

Sólo puede enseñar aquel que sabe, aquel que posee el arte y no simplemente la habilidad de un oficio.

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La pedagogía oficialmente impuesta en España, de manera especial a raíz de la L.O.G.S.E (1991), se inspira en una serie de teorías de linaje marxista y pragmatista. En tales teorías, no hay distingo entre el “saber qué” y el “saber por qué”, y además se pretende reducir todo conocimiento al “saber cómo”. Por esto, y en una dirección completamente anti-aristotélica, los oficios (formación profesional, “ciclos formativos”, “módulos profesionales”) han entrado de lleno en los institutos de Enseñanza Media, bajo un mismo techo, bajo una única dirección y gestión. Incluso en la educación secundaria obligatoria, la más generalista, la terminología “obrerista” ha calado de lleno en el nombre de las asignaturas y de las actividades (“talleres” de lengua o matemáticas, “recursos” para el aprendizaje, “tecnología”, etc.).

El enfoque aristotélico no ha de ser visto de manera ineludible como una teoría despectiva hacia los oficios manuales, si bien en la sociedad helena del siglo IV a. d. C. eran tratados como “serviles”. Los oficios son absolutamente necesarios para la vida, y el ser experto en los mismos es alzarse por encima del nivel medio en una vida digna y civilizada. Las sociedades infracivilizadas desconocen la importancia del oficio y del conocimiento empírico. Pero solamente nuestra sociedad de consumo de masa ha querido disfrazar las diferencias de clase, ocupación, preparación y talento (diferencias inevitables en toda cultura humana) por medio de una amalgama pedagógica, como es la amalgama entre el aprendizaje de oficios y la formación intelectual y moral de las personas. De manera parasitaria, el aprendizaje de los oficios se aloja bajo los mismos techos institucionales y en los mismos capítulos presupuestarios que la enseñanza media de corte intelectual y preparatoria para la Universidad. Hacer de los Institutos y de las Universidades unos “talleres” de ambiente cada vez más obrerista, así como pensar la ciencia, el conocimiento, en términos exclusivos de producción, son los rasgos que caracterizan la pedagogía impuesta hoy, tanto en su hebra marxista como en la más próxima al pragmatismo americano. El estudiante es un obrero que “maneja herramientas”, con lo cual, se ha asesinado lo más precioso en el hombre: su curiosidad, su capacidad de admiración, su ansia de conocimiento. En esas escuelas que quieren preparar a los púberes a la fábrica, a todos por igual, se animaliza al hombre, se le adiestra y se le instruye, si hay un poco de suerte, mas no se le educa.

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Aristóteles señala en el Libro I de la Metafísica cómo la ciencia nace del ocio, y recuerda que fue posible gracias a la existencia de una clase sacerdotal en Egipto (981b 25). Fácil resulta caer en un reduccionismo sociológico y trasladar a hoy todo el contexto de una civilización esclavista, con todas las consideraciones precedentes. Consideraciones sobre una sabiduría separada del trabajo manual y utilitario, un conocimiento supremo, jerárquicamente alzado sobre los oficios y las técnicas. Las ideologías, que no la filosofía auténtica, trataron en tiempos modernos de extender un continuum entre la práctica utilitaria y la contemplación desinteresada. Al no poder o no querer abolirse la división en clases sociales, todo un público cándido y “mediano” (pues es un sector de la sociedad que vive de labores que no son manuales del todo ni del todo intelectuales) se engaña a sí mismo, “naturalizando” y, por ende, negando el salto entre la praxis y la teoría (invocando a Gramsci, Dewey, Piaget o a algún otro santo de su devoción), negando el hiato entre conocimientos subordinados y conocimientos supremos. Ya que no pudieron abolir las clases sociales (igualitarismo, comunismo), decretaron abolir la jerarquía gnoseológica.

En términos de política educativa, se nos ha querido presentar como “progresista” la amalgama de saberes traducida en una imagen horizontal de los docentes: en un I.E.S. (Instituto de Enseñanza Secundaria) coexisten maestros de primera enseñanza, catedráticos de bachillerato, técnicos de Formación Profesional, maestros de taller, peluquería, mecánica, profesores de gimnasia, etc. Todos, reciben el mismo trato, casi el mismo salario, y desde luego idéntica consideración social. Los docentes en peluquería, gimnasia, tecnología y cocina comparten ya sus prerrogativas como educadores con los profesores de matemáticas, filosofía o griego. Que no se trata [la sabiduría, la ciencia primera] de una ciencia productiva, es evidente ya por los primeros que filosofaron. Pues los hombres comienzan y comenzaron siempre a filosofar movidos por la admiración...” (982b 11).

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Esta homologación, y el intento de ofrecernos toda esa mezcolanza como “educación” es el signo de nuestros tiempos. Es difícil luchar contra ese signo pues muy pronto el debate se interpreta como una lucha ideológica entre igualitaristas y reaccionarios. Que entre los saberes hay jerarquías fue algo ya firmemente sostenido por los filósofos clásicos (Platón, Aristóteles, Santo Tomás), La sabiduría está destinada a mandar, y no a obedecer. El sabio ha de ser obedecido por el menos sabio. La ciencia universal, el saber sobre el todo, impera sobre los saberes particulares, presos de la necesidad y la urgencia. Ya los primeros filósofos, dice Aristóteles, fueron hombres libres que crearon una ciencia libre: “

Ὄτι δ'οὐ ποιητική, δῆλον καὶ ἐκ τῶν πρώτων φιλοσοφησάντων· δὰι γὰρ τὸ θαυμάζειν οἱ ἄνθροποι καὶ νῦν καὶ τὸ πρῶτον ἤρζαντο φιλοσοφεῖν.

El sabio desinteresado, al igual que el amante de los mitos, emprende su búsqueda movido por la admiración.

διὸ καì ὁ φιλόμυθος θιλόσοφός πώς έστιν· ὁ γὰρ μῦθος σύγκειtαι ἐκ θαυμαγίων· [982b 18].

Todas las ciencias son más necesarias que la filosofía (entendida ésta como sabiduría y ciencia de los primeros principios y causas) pero mejor, ninguna.

ἀνακαιότεραι μὲν οὖν πᾶσαι ταύτης, ἀμεινων δ' οὐδεμία [983a 10].

mardi, 26 décembre 2017

Zum 300. Geburtstag des »ersten Kunsthistorikers«: Johann Joachim Winckelmann

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Ikone des Klassizismus

Revolutionäre Kunst-»Gedanken« – Zum 300. Geburtstag des »ersten Kunsthistorikers«: Johann Joachim Winckelmann

Harald Tews

Ex: http://www.preussische-allgemeine.de

Die Griechen als Vorbild für Europa? Diese Vorstellung käme heute einem Witz gleich. Im 17. Jahrhundert aber konnte Johann Joachim Winckelmann die Kunst der alten Griechen noch unbekümmert zum Kunstideal erklären. Er setzte damit die Stilrichtung des deutschen Klassizismus in Gang und machte sich zum ersten Kunstwissenschaftler überhaupt.

Kleines Literaturquiz: Wie heißt der französische Autor solcher berühmter Romane wie „Rot und Schwarz“ oder „Die Kartause von Parma“? Richtige Antwort: Sten­dhal. Es war das Pseudonym von Marie-Henri Beyle, der sich in der französisierten Form nach der Stadt in der Altmark nannte, aus der sein großes Vorbild stammte.


In Stendal wurde am 9. Dezember 1717 Johann Joachim Winckelmann geboren, der mit einer einzigen Phrase schlagartig be­rühmt wurde und der einen nicht zu un­terschätzenden Einfluss auf eine Kunstepoche hatte, die von Deutschland aus ganz Europa erfassen sollte und das Rokoko ablöste.


Das Winckelmannsche Idiom von der „edlen Einfalt und stillen Größe“ als Merkmal alter Kunst war bald ähnlich in aller Munde, so wie heute rätselhafte Werbebotschaften zum Allgemeingut geworden sind: „Haribo macht Kinder froh“ oder „Yes, we can“. Man muss Slogans nur oft genug wiederholen, damit sie sich ins kollektive Gedächtnis einprägen.

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Winckelmann verstand es aus der Not heraus, Werbung in eigener Sache zu machen. Sein kurzes Traktat „Gedanken über die Nachahmung der griechischen Werke in der Malerei und Bildhauerkunst“, in dem er seinen originellen Einfall von der „edlen Einfalt“ wie ein Leitmotiv wiederholte, war im Prinzip ein Bewerbungsschreiben für eine Bibliothekarsstelle beim Kardinal Ar­chinto in Rom. Den päpstlichen Nuntius hatte Winckelmann in der Bibliothek eines Gönners bei Dresden kennengelernt. Nachdem ihm der Kardinal die Stelle schmackhaft gemacht hatte, konvertierte Winckelmann sogar zum Katholizismus.


Für den Sohn eines Flickschusters, der erst ziellos Theologie, dann Medizin studiert hatte und sich als mittelloser Hauslehrer durchschlug, war Rom eine einmalige Chance. Das Interesse für die Kunst nahm er womöglich nur als Vorwand. Nachdem einer seiner Schüler ihm untreu geworden war, hoffte er, in Rom seine ho­moerotischen Neigungen, die ihm später zum Verhängnis werden sollten, frei ausleben zu können.
Doch das Stellenangebot zog sich hin. Um seinem Wunsch Nachdruck zu verleihen, schrieb er 1755 seine kurzen „Gedanken über die Nachahmung“, veröffentlichte es in nur 50 Exemplaren, fügte ein „Sendschreiben“ hinzu, in dem er unter der Maske eines Kritikers sein eigenes Werk an­greift, um mit den kurz danach erschienenen „Erläuterungen“ seine Thesen zu verteidigen.


Mit Erfolg. In Windeseile verbreitete sich die Kunstauffassung von der „edlen Einfalt und stillen Größe“, die der Autor als das „allgemeine vorzügliche Kennzeichen der griechischen Meisterstücke“ hält, und zwar „sowohl in der Stellung als im Ausdrucke“. „Einfalt“ hat hier noch die positive Bedeutung von „einfach“, „ge­radlinig“. Dieses Ideal der klaren Formen, das Winckelmann vor allem in der Figurengruppe des mit einer Riesenschlange kämpfenden Laokoons sah, empfahl er allen Künstlern zur Nachahmung.


JJJW-83310255.jpgDas war insofern revolutionär, da noch im Barock die Gelehrten und Dichter am Latein festhielten und die römische Antike als Vorbild sahen. Winckelmann kam zugute, dass er, aus einfachsten Verhältnissen kommend, nicht „verbildet“ war, als er die Kunstschätze am barocken Dresdener Hof be­trachtete. Statt in schwärmerische Verzückung zu geraten, richtete er einen idealisierenden Blick auf die ihm rätselhaften mythologischen Heldenfiguren, von deren nackten, muskulösen Körpern er sich wohl auch erotisch angezogen fühlte.


Die unbekümmerte Sicht des Autors, der nicht Nachbildung im Sinne von simplen Kopien forderte, sondern freie künstlerische Nachahmung, setzte unter Künstlern enorme Kräfte frei. Der Klassizismus in der Architektur und die Klassik in der Dichtkunst waren das Resultat. Die Dichter nahmen sich wie Klopstock be­reits im „Messias“, Johann H. Voss in seiner Homer-Übersetzung oder Hölderlin in vielen Oden das griechische Versmaß Hexameter vor. Der Winckelmann-Biograf Goethe wandte sich wie im Drama „Iphigenie auf Tauris“ griechischen Mythen ebenso zu wie Wieland in seinen Romanen. Und Lessing verfasste mit der ästhetischen Abhandlung „Laokoon“ eine Art Anti-Winckelmann, in der er als einer der Ersten die Thesen des Aufklärers aus Stendal zur Vergleichbarkeit von Ma­lerei und Poesie in Frage stellte.


Winckelmanns „Gedanken“ brachten ihn letztlich nach Rom, wo er sich gewissenhaft mit antiker Kunst und mit Archäologie beschäftigte. In seinem Hauptwerk „Geschichte der Kunst des Altertums“ erfasste er 1764 erstmals systematisch antike Kunstschätze. Das Werk gilt als Ge­burtsstunde der Kunstwissenschaft. Biografien von Künstlern wie durch Vasari gab es schon seit der Renaissance. Doch Winckelmann schrieb jetzt quasi eine Biografie der Kunst, die für eine ganze Epoche Maßstäbe gesetzt hat, da er darin den klassischen Stilbegriff ge­prägt hat. Das ist so, als würde einer in der Musik mit einer überzeugenden Botschaft wie „edle Eintönigkeit und große Stille“ die Peking-Oper zum idealen Stilprinzip erklären und damit die Abkehr vom dominanten angelsächsischen Pop einleiten. Es wäre ein Paradigmenwechsel.


Winckelmann wurde mit seinem bahnbrechenden Werk europaweit wie ein Rockstar gefeiert. 1768 erwartete man ihn von Rom kommend zu Besuch in der frischen Klassik-Metropole Weimar. Doch in Regensburg brach er seine Reise ab. Die deutsche Kultur deprimierte ihn. Er machte noch einen Abstecher nach Wien, wo er von Maria Theresia empfangen wurde, die ihm ein paar Gold- und Silber-Medaillen schenkte. Auf dem Rückweg nach Rom endete seine Reise am 8. Juni 1768 in einem Gasthaus in Triest. Winckelmann ließ einen hübschen Koch in sein Zimmer, der dessen Wiener Preziosen rauben wollte und ihn nach dessen Gegenwehr erdolchte.
Der gewaltsame Tod verbreitete sich wie ein Lauffeuer. „Wie ein Donnerschlag bei klarem Himmel fiel die Nachricht von Winckelmanns Tode zwischen uns nieder“, schrieb Goethe später über den von vielen empfundenen Schock. Heute erinnert die Stadt Stendal mit einer jährlich vergebenen Winckelmann-Medaille an den großen Sohn. Außerdem gibt es dort das Winckelmann-Mu­seum, das aber ausgerechnet im Jubiläumsjahr geschlossen ist und erst am 26. März wiedereröffnet werden soll. Die edle Einfalt erwacht dann endlich wieder in stiller Größe.    

Harald Tews

Ausstellungstipp: In der Vertretung des Landes Sachsen-Anhalt beim Bund, Luisenstraße 18, 10117 Berlin, präsentiert die Stendaler Winckelmann-Gesellschaft noch bis zum 30. Juni 2018 die Schau Johann Joachim Winckelmann Archäologe – Aufklärer – Wissenschaftsbegründer. Zwei Lektüretipps: Zum Jubiläumsjahr sind bei J.B. Metzler von Martin Disselkamp und Fausto Testa das Winckelmann-Handbuch: Leben, Werk, Wirkung (374 Seiten, 99,95 Euro) und im Verlag Philipp von Zabern der von Friedrich-Wilhelm von Hase herausgegebene Band Die Kunst der Griechen mit der Seele suchend: Winckelmann in seiner Zeit (144 Seiten, 39,95 Euro) erschienen.

lundi, 04 décembre 2017

L’esclave-expert et le citoyen

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L’esclave-expert et le citoyen

À propos de : Paulin Ismard, La Démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne, Seuil


Ex: http://www.laviedesidees.fr

À Athènes, dans l’Antiquité, les tâches d’expertise étaient confiées à des esclaves publics, que l’on honorait mais qu’on privait de tout pouvoir de décision. C’est ainsi, explique P. Ismard, que la démocratie parvenait à se préserver des spécialistes.

PI-couv.jpgRecensé : Paulin Ismard, La Démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne, Paris, Seuil, 2015, 273 p., 20 €.

Dans la démocratie athénienne, avec la rotation de ses magistrats et de ses conseillers choisis pour un an, ceux qui, « à l’occasion », tenaient lieu d’experts stables, étaient, selon Paulin Ismard, les esclaves publics, mais ils n’incarnaient l’État que comme « pure négativité » (p. 30), car ils étaient, en tant qu’esclaves, exclus de la sphère politique. D’où le sous-titre du livre : Les esclaves publics en Grèce ancienne. Qui étaient ces esclaves publics (dêmosioi) et quel était leur rôle ? C’est le premier objet du livre.

Esclavages publics antiques et modernes

On lit d’abord de brillantes et utiles analyses sur l’historiographie de l’esclavage, que Paulin Ismard résume de façon extrêmement claire et convaincante, avec ses différentes « vagues » de comparaisons très idéologiques entre l’Antiquité et l’esclavage en Amérique, tantôt pour opposer l’humanité des Anciens à la cruauté des Modernes, tantôt pour légitimer l’esclavage moderne, tantôt pour le condamner comme on condamnait l’esclavage antique. Moses I. Finley y a ajouté la distinction entre sociétés à esclaves et les véritables sociétés esclavagistes (qui seraient apparues à dans l’Athènes classique). Cette historiographie laissait de côté de nombreux aspects du si divers et si massif « phénomène esclavagiste ». Les travaux des anthropologues permettent maintenant de mieux comprendre les différents types d’esclaves royaux, et plus généralement « les esclaves publics » qui sont l’objet du livre.

Mais la genèse des dêmosioi dans la Grèce archaïque est problématique. Paulin Ismard tente d’abord de suggérer (« un fil ténu », p. 32, « un sentier étroit », p. 42) une sorte de continuité entre les artisans (dêmiourgoi) de l’époque archaïque et les dêmosioi de l’âge classique. Il conduit agréablement le lecteur des aèdes et des héros attachés aux rois chez Homère à l’ingénieux Dédale, que son savoir a conduit à l’esclavage auprès des rois qui voulaient l’avoir à son service, selon un schéma traditionnel (attesté par exemple chez Hérodote pour le médecin Démocédès, au service du roi Darius) : sa mention par Xénophon, selon Paulin Ismard, « loin d’être innocente », ferait de Dédale « l’emblème du mal que le régime démocratique fait à celui qui sait » — une conclusion qui peut sembler faiblement étayée (p. 46-47). Quelques contrats conservés entre une cité et un dêmiourgos à l’époque archaïque dans diverses cités non démocratiques permettent de mieux observer les conditions concrètes de leur emploi : un archiviste en Crète, un scribe près d’Olympie. Dans un « constat » dont il reconnaît qu’il est « hypothétique », Paulin Ismard y voit « le statut de dêmosios confusément défini » (p. 53). Il est difficile cependant d’adhérer à la notion d’un « passage progressif du dêmiourgos de l’archaïsme au dêmosios de l’époque classique » : l’âge classique, bien sûr, et particulièrement à Athènes, continue d’avoir des dêmiourgoi libres et citoyens en abondance. Pour Aristote, il est vrai, dans une petite cité, on pourrait à la rigueur concevoir une équivalence entre esclaves publics et artisans effectuant des travaux publics (Politique, II, 7, 1267b15 : un texte difficile, qui pourrait être examiné). L’hypothèse traditionnelle lie le développement des esclaves publics aux progrès de la démocratie athénienne, avec ses institutions complexes et la rotation des charges qui limitait la continuité de l’action publique, et au développement, « main dans la main » (selon une célèbre formule de Finley associant démocratie et société esclavagiste, p. 58), de l’esclave-marchandise à Athènes.

Platon, dans un texte étonnant du Politique (290a), évoque « le groupe des esclaves et des serviteurs » dont on pourrait imaginer qu’ils constituent le véritable savoir politique de la cité. L’étude des esclaves publics éclaire la volonté platonicienne de séparer ceux que Paulin Ismard appelle joliment « les petites mains des institutions civiques » (p. 66) et le véritable homme politique. Pourtant, assistance aux juges, archivage, inventaires, comptabilité, surveillance de la monnaie, des poids et mesures, police, tout cela, que décrit très clairement et très utilement Paulin Ismard dans son chapitre « Serviteurs de la cité », était confié aux esclaves publics. Certaines tâches, rémunérées, attribuées le cas échéant par vote des citoyens, donnaient accès à des privilèges civiques ou religieux, comme la prêtrise de certains cultes. D’autres esclaves en revanche étaient affectés à divers chantiers, en grand nombre, si l’on pense à ceux qui exploitaient les mines du Laurion en Attique, qui ne sont pas examinés dans le livre, car ils ne rentrent guère dans la perspective adoptée. Par rapport à d’autres types d’esclaves publics, l’originalité grecque tiendrait à l’absence d’esclaves publics travaillant la terre (mais la documentation est limitée) ou enrôlés dans les armées (cela est corrigé p. 118 : il y avait de nombreux esclaves, en tout cas, dans la marine). Au total, les dêmosioi constituaient donc un ensemble extrêmement disparate, qui n’a jamais formé un corps, d’esclaves acquis surtout par achat.

Dans une inscription de la fin du IIe siècle, bien après la démocratie classique, à propos d’un préposé aux poids et mesures à Athènes, il est question d’une eleutheria (qu’il faudrait corriger en el[euth]era) leitourgia, un « service libre » : pour Paulin Ismard, un « service public » au sens où il assure la liberté des citoyens. Cette formule restituée, tardive et unique condenserait « le paradoxe qui réside au cœur du ‘miracle grec’, celui d’une expérience de la liberté politique dont le propre fut de reposer sur le travail des esclaves » (p. 92). Les esclaves publics grecs, bien que « corps-marchandises », étaient (ajoutons : parfois) d’« étranges esclaves » (chapitre 3), jouissant de certains privilèges des citoyens, dont l’accès à la propriété et peut-être à une certaine forme de parenté, ce qui pose quelquefois le problème de la distinction entre esclave et citoyen libre. L’emploi du mot dêmosios suffit-il en effet à établir la qualité servile ? L’épigraphiste Louis Robert mentionne un édit déplorant que des hommes libres exercent « une fonction d’esclaves publics », ainsi qu’une épitaphe commune à Imbros pour un citoyen de Ténédos et son fils qualifié de dêmosios, et conclut qu’un dêmosios avec patronyme doit désigner un homme libre exerçant des tâches publiques (BE 1981, 558). Le sens de ce type de patronyme est incertain. Pour le corpus assez comparable des actes d’affranchissements delphiques, où se pose aussi cette question, Dominique Mulliez observe que le nom au génitif renvoie au père naturel de l’affranchi, sans préjuger du statut juridique de la personne ainsi désignée ; il s’agit parfois de l’ancien maître de l’affranchi, lequel peut ou non se confondre avec le prostates. En ce qui concerne les dêmosioi, Paulin Ismard estime, lui, que « l’ensemble de la littérature antique (…) associe invariablement le statut de dêmosios au statut d’esclave » (p. 109). Il propose en ce sens une analyse nouvelle du statut d’un certain Pittalakos mentionné dans un plaidoyer d’Eschine, un dêmosios qu’il ne juge assimilé à un homme libre dans une procédure que faute d’un propriétaire individualisable. En Grèce, les esclaves publics pouvaient même recevoir des honneurs publics, ce qui interdit, note très justement Paulin Ismard, de faire de l’honneur une ligne de partage universelle entre liberté et esclavage (contrairement aux thèses de certains anthropologues).

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Expertise, esclavage et démocratie

Paulin Ismard se situe résolument dans la perspective du « malheur politique » contemporain, la séparation entre le règne de l’opinion et le gouvernement des experts : un savoir politique utile ne peut plus naître « de la délibération égalitaire entre non-spécialistes ». L’État, défini comme « organisation savante » (p. 11), exclut le peuple. C’est le second objet du livre que de situer la démocratie athénienne (et non plus « la Grèce ancienne ») par rapport à cette perspective. « L’expertise servile » y serait « le produit de l’idéologie démocratique », « qui refusait que l’expertise d’un individu puisse légitimer sa prétention au pouvoir » et cantonnait donc les experts hors du champ politique (p. 133, répété avec insistance).

Mais la documentation ne permet d’atteindre que quelques experts esclaves : des vérificateurs des monnaies, ayant seuls le pouvoir et la capacité d’en garantir la validité, un greffier dans un sanctuaire. Le cas de Nicomachos, chargé par Athènes de la transcription des lois pendant plusieurs années consécutives, est différent : on le connaît par des sources hostiles, qui insistent sur le fait que c’est un fils de dêmosios, mais c’est un citoyen athénien, qui n’a un « statut incertain » que dans la polémique judiciaire : voici donc un citoyen expert. Ce n’est pas le seul. Paulin Ismard lui-même évoque une page plus tôt les cas célèbres d’Eubule et de Lycurgue en matière financière ; et que dire, en matière militaire et diplomatique, de Périclès, réélu 14 fois stratège consécutivement ? Ajoutons, à un moindre niveau, les secrétaires mentionnés par la Constitution d’Athènes aristotélicienne : leur contrôle ne peut guère avoir été seulement « formel ».

Sur le plan idéologique, le fameux mythe de Protagoras, dans le Protagoras de Platon, explique que, contrairement aux compétences techniques réservées chacune à un spécialiste (à un dêmiourgos), une forme de savoir politique, par l’intermédiaire des notions de pudeur (ou respect) et de justice, a été donnée à tous les hommes. On y trouverait donc « une épistémologie sociale qui valorise la circulation de savoirs, même incomplets, entre égaux », « une théorie associationniste de la compétence politique », comme celle que développe l’historien américain Josiah Ober dans ses ouvrages récents sur la démocratie athénienne. Protagoras veut pourtant montrer — c’est le raisonnement qui explique ensuite le mythe dans le dialogue de Platon — que si tous les citoyens doivent partager une compétence minimale, il y a des gens plus compétents que d’autres en politique, et des maîtres, comme lui, pour leur enseigner cette expertise. Signalons à ce propos la virulence de ce débat dans le libéralisme radical anglais du XIXe siècle. John Stuart Mill, rendant compte en 1853 de l’History of Greece du banquier et homme politique libéral George Grote, cite avec enthousiasme ses pages sur le régime populaire :

« The daily working of Athenian institutions (by means of which every citizen was accustomed to hear every sort of question, public and private, discussed by the ablest men of the time, with the earnestness of purpose and fulness of preparation belonging to actual business, deliberative or judicial) formed a course of political education, the equivalent of which modern nations have not known how to give even to those whom they educate for statesmen / Le fonctionnement journalier des institutions athéniennes (qui habituaient chaque citoyen à entendre la discussion de toute sorte de question publique ou privée par les hommes les plus capables de leur temps, avec le sérieux et la préparation que réclamaient les affaires politiques et judiciaires) formait un cursus d’éducation politique dont les nations modernes n’ont pas su donner un équivalent même à ceux qu’elles destinent à la conduite de l’État ».

En revanche, lorsqu’un peu plus tard, en 1866, il commente un autre livre célèbre de Grote, Plato and the other Companions of Socrates, il condamne le relativisme qui est selon lui la conséquence inéluctable de sa position, et affirme avec Platon « the demand for a Scientific Governor » (« l’exigence d’un gouvernant possédant la science »), c’est-à-dire, dans les conditions modernes du gouvernement représentatif, « a specially trained and experienced Few » (« Un petit nombre de spécialistes éduqués et entraînés »).

« La figure de l’expert, dont le savoir constituerait un titre à gouverner, (…) était inconnue aux Athéniens de l’époque classique » (p. 11, 16) : c’est la thèse centrale. Le mot « expert » est ambigu. Le « gouvernement » des Athéniens s’exerçait principalement par l’éloquence, sous le contrôle des citoyens, dans une démocratie directe : c’est donc dans la maîtrise de l’éloquence que se logeait pour une part l’expertise de ceux que Mill appelle « the ablest men of the time ». La question de la rhétorique, qui est sans cesse débattue à l’époque, est absente dans le livre de Paulin Ismard, car aucun esclave n’a accès à la tribune. Or, comme Aristote l’écrit (et comme Platon le pensait), même la formation technique de certains citoyens à la rhétorique devait inclure une expertise politique extérieure à la technique du langage : « les finances, la guerre et la paix, la protection du territoire, les importations et les exportations, la législation » (Rhétorique I, 4, 1359b).

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« Polis », Cité, État

Le dernier chapitre aborde un autre point central de la réflexion sur l’Athènes classique, la notion de « Cité-État ». Après Fustel de Coulanges et sa « cité antique », a été inventé pour décrire les formes grecques d’organisation politique le concept de « Polis », ce « dummes Burckhardtsches Schlagwort » [1] (Wilamowitz), qu’on traduit ordinairement par « Cité-État ». Paulin Ismard, lui, prend ses distances à l’égard des travaux récents de l’historien danois Mogens H. Hansen, qui aboutissent à distinguer polis et koinônia, « cité » et « société » : il n’y a pas, selon lui, de polis distincte qui correspondrait peu ou prou à l’État moderne, la communauté athénienne « se rêvait transparente à elle-même » (p. 172). Dans cette perspective, confier l’administration, la bureaucratie (Max Weber est évoqué) aux esclaves publics permettait de « masquer l’écart inéluctable entre l’État et la société », dans une « tension irrésolue ».

L’esclave royal qui déclenche la tragédie d’Œdipe dans l’Œdipe-Roi de Sophocle détient le savoir qui met à bas les prétentions au savoir du Roi : voilà l’image que le « miroir brisé » de la tragédie tend pour finir, par l’intermédiaire de Michel Foucault, à Paulin Ismard. Le Phédon lui offre mieux encore : un dêmosios, le bourreau officiel d’Athènes, apportant le poison à Socrate, est accueilli par le philosophe comme le signe de l’effet qu’il suscite bien au-delà d’Athènes et des Athéniens, si bien que cet esclave se trouve placé dans la « position éminente » du « témoin ». De façon un peu étrange, le baptême du premier des Gentils, l’eunuque éthiopien des Actes des Apôtres complète ce « fil secret » (une métaphore récurrente) de « l’altérité radicale », « un ailleurs d’où peut se formuler la norme » (p. 200).

En fin de compte, la figure de l’esclave public, dont cet ouvrage remarquablement écrit propose une analyse très fouillée et neuve, sans toujours entraîner la conviction, permet à Paulin Ismard de mettre à distance le rêve de transparence qu’incarne pour beaucoup (par exemple pour Hannah Arendt) la démocratie athénienne classique.

Aller plus loin

On pourra lire la controverse, brièvement évoquée dans ce compte rendu, entre Christophe Pébarthe (Revue des Etudes Anciennes, 117, 2015, p. 241-247) et Paulin Ismard).

Sur George Grote et John Stuart Mill, voir Malcolm Schofield, Plato. Political Philosophy, Oxford, 2006, 138-144.

Sur la question de la science politique et de la rhétorique, voir une première approche dans Paul Demont, « Y a-t-il une science du politique ? Les débats athéniens de l’époque classique », L’Homme et la Science, Actes du XVIe Congrès international de l’Association Guillaume Budé, Textes réunis par J. Jouanna, M. Fartzoff et B. Bakhouche, Paris, Les Belles Lettres, 2011, p. 183-193.

Pour citer cet article :

Paul Demont, « L’esclave-expert et le citoyen », La Vie des idées , 25 novembre 2015. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/L-esclave-expert-et-le-citoyen.html

jeudi, 01 juin 2017

Les Héros et les Saints - La mythologie grecque selon Paul Diel

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Les Héros et les Saints

La mythologie grecque selon Paul Diel

par Georges Hupin

Président de la Bannière Terre & Peuple Wallonie

Ceci est un condensé de l'ouvrage 'Le symbolisme dans la mythologie grecque' du philosophe et psychologue français d'origine autrichienne Paul Diel (1893-1972). Il est également l'auteur de 'Psychologie de la motivation', de 'Le symbolisme dans la Bible' et de 'Le symbolisme dans l'évangile de Jean'.

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Notre travail n'a d'autre objet que d'inviter à lire ce livre important (éd. Payot 1960-1980-2002, ISBN 9782228896061).
Dans sa préface, Gaston Bachelard (voir le dictionnaire) remarque, à propos des mythes, que « la fonction de symbolisation est une fonction psychique naturelle » et qu'on retrouve dans les mythes la force évolutive sans cesse active du psychisme humain. Il cite Ortega y Gasset : « L'homme n'a pas une nature, mais une histoire. Sa vie est un gérondif, faciendum (qui doit être fait), et non un participe passé, factum (un fait). »

LES HEROS ET LES SAINTS

Comme les saints, les héros mythologiques sont des modèles édifiants, des images proposées à notre réflexion. A la différence des saints, les héros ne sont pas parfaits. Animés d'une notable vitalité, ils ont un objectif, mais ils ne l'atteignent pas toujours, ou pas parfaitement. Ces images sont mythique en ce qu'elles prennent en compte le mystère de l'illimité : l'immensité de l'univers, incommensurable par rapport à l'observateur humain, et l'insondabilité du temps, passé comme à venir.

Plutôt que considérer que ces réalités illimitées, qui sont hors de sa portée, ne concernent pas l'être humain, puisqu'il nous paraît ne rien pouvoir y changer (ce qui n'est d'ailleurs qu'une apparence à nos sens limités), la mythologie, la grecque, comme les autres, a choisi de les approcher quand même, par des images symboliques intuitives. Ces symboles se révèlent d'une subtilité étonnamment pénétrante. Tant pour ce qui est de l'origine de l'univers et de la vie que pour le sens évolutif de celle-ci et pour l'aspiration de l'être humain vers sa perfection, dans la poursuite d'un accomplissement qui trouve sa confirmation dans la joie. Laquelle parvient même à sublimer l'effroi devant la mort, le mystère de la vie incluant le mystère de la mort.

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Pour ce qui concerne cette perfectibilité, indéfinie et peut-être infinie, il est apparu aux Grecs (confrontés à cette 'métaphysique de l'illimité', comme l'appelle un de nos maîtres et amis Dominique Venner) comme une évidence pour l'entendement humain que la prépondérance ne doit pas nécessairement aller à la masse des immensités gigantesques, influences indubitablement considérables. Ils se sont sentis encore plus directement impliqués dans l'illimité dans l'infinitésimal, dans le grouillement vibrionnant de l'infiniment minuscule, complexe et différencié, dont l'organicité préfigure la vie. Il leur était évident que c'est le principe qui gouverne cette métaphysique qui est le ferment de l'appétit de connaissance de leur intelligence et qui lui inspire les images intuitives les plus pénétrantes et subtiles.

Paul Diel s'applique à découvrir que, derrière les images de la symbolique mythologique, il y a, même lorsqu'elles apparaissent curieusement fantaisistes et excessives jusqu'au fabuleux (les ailes de cire qui permettent à Icare de s'envoler si haut qu'il approche trop le soleil; les oreilles d'âne du roi Midas, qui cache dans un trou sa honte que des roseaux soufflent à tous les vents...)  une signification d'une rigoureuse cohérence.

L'origine métaphysique d'un univers généré par l'esprit n'est pas figurée par les Grecs à partir d'un point de vue géocentrique, dans l'acte de l'Esprit divin flottant sur les eaux comme dans la figuration biblique, acte accompli alors en six étapes journalières. L'image de cet esprit divin est celle de la loi de la vie. La justice qui lui est inhérente s'exprime dans une théogonie, récit de l'émanation de cette légalité divine qui se dégage progressivement du chaos initial, big bang avant la lettre. Dans cette théogonie, les Grecs transposent sur le plan de la création cosmique, titanique, surhumaine, la même résistance que celle que l'être humain va opposer ensuite à la loi du sens de la vie. Les contraventions aux lois de la vie, qui sur le plan de la psychologie, voire de la psychopathologie humaine, vont se trouver décrites dans les exploits et les échecs des héros de leur mythologie, les Grecs vont les replacer dans leur représentation de la création du monde par l'esprit divin.

Chez les héros grecs, les infractions qu'ils commettent à la légalité de la vie sont sanctionnées par leur banalisation grossière dans la débauche ou par la nervosité lamentable du refoulement de leur remord. Ces mêmes dépravations vont se retrouver dans la confrontation des forces de la nature, souvent désordonnées par rapport à l'ordre naturel. Il y a une parfaite concordance dans l'évolution de la genèse du monde terrestre et dans celle de la vie de l'humanité, consciente, responsable en fonction de sa capacité de choisir.

Le chaos originel n'est toutefois pas le monde préexistant. Il figure la déroute que rencontre l'intelligence humaine lorsqu'elle cherche à sonder le mystère. Le chaos, c'est l'au-delà non seulement de la matière à analyser, mais également de l'esprit analysateur. La mythologie grecque propose comme image du sens évolutif de la vie une confrontation entre le principe matériel (Titan) et le principe spirituel (Divin). Toutefois, Paul Diel souligne : « Qu'on dise Esprit ou Matérialité, ou en s'exprimant mythiquement Ouranos et Zeus, d'une part, et Gaia et Titans, d'autre part, ce ne sont que des idées et des images représentatives. Ce qui importe, ce sont les images grâce auxquelles le mythe parvient à exprimer la relation entre ces idées fondamentales. Les Titans, fils de Gaia, symbolisent la matérialité et Zeus, descendant d'Ouranos, figure la spiritualité. Mais Zeus est lui-même fils d'un Titan: les Titans deviennent divinité, la matière se spiritualise. Dans ces figures symboliques se trouve condensée toute la légalité évolutive du monde apparent.  ». Le Mystère-Chaos demeurant distinct de ses images symboliques, on peut dire que la mythologie grecque est un monothéisme qui s'exprime par une symbolisation polythéiste et que le mythe grec est un précurseur du mythe judéo-chrétien.

De ce mystère-chaos émergent donc la Matière-Mère, personnifiée en Gaia, et l'esprit-Père, personnifié en Ouranos. Ravagée par les flots diluviens que le ciel déverse sur elle, mais fécondée par eux, Gaia ne se soumet pas volontairement aux principes d'Ouranos. Dans cette union-opposition entre le principe élémentaire et le principe formateur, la prévalence de l'esprit finira par générer la matière animée, et finalement la conscience clairvoyante. Cette opposition évolution-involution, sous la forme de spiritualisation-pervertissement, est le thème commun à toutes les mythologies, dans une alternance de régression vers le préconscient ou de progression vers le surconscient.

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Gaia est la Terre-Matière non encore maculée de vie par Ouranos, le Ciel-Père. Leurs enfants sont les forces cosmiques élémentaires et leurs déchaînements : les perturbations atmosphériques (les Cyclones), la séparation des eaux (les Océans), les éruptions et les cataclysmes par lesquels la terre se prépare à devenir propice à la vie. Les Cyclopes et les Titans sont hostiles au principe de régularité de l'esprit ordonnateur. Ouranos se dresse contre eux pour jeter ces enfants ennemis dans le Tartare, mais Gaïa libère ses enfants et les incite à la révolte ouverte. Chronos (le Temps), le plus indomptable des enfants d'Ouranos, détrônera enfin son père et lui tranchera les organes génitaux avec la faucille (emblème et espérance des moissons) et les jettera dans la mer, expression de l'inconstance et du désordre.

Du sang d'Ouranos naissent les Erinyes, divinités qui président aux châtiments. Chronos symbolise le désir insatiable de la vie grâce auquel s'établit le temporel, durée entre l'appétit et sa satisfaction. De l'écume marine qui entoure le sexe de Chronos naît Aphrodite, symbole de l'amour physique recherché pour la seule prime de jouissance physique que la nature y attache. C'est encore de la mer que proviennent les premiers vibrionnements de vie. Rhéa, l'épouse de Chronos, symbolise ce foisonnement dans la joie de vivre. Rhéa est la Terre-Mère de la vie animale, une vie jubilante que célèbrent les Corybantes. Chronos dévore ce grouillement que son épouse génère. Mais parmi ses rejetons va naître Zeus, fils divin qui saura trouver la voie de la spiritualisation, la voie de l'esprit de vie. Pour sauver ce fils préféré, Rhéa inspirée par l'esprit d'Ouranos va présenter à Chronos une pierre, à engloutir en lieu et place de l'enfant Zeus.

Devenu adulte, Zeus saura contraindre son père de rendre la vie à ses frères et soeurs : le règne de la vie soumise à l'esprit peut s'établir au niveau de la vie consciente. Celle-ci demeure toutefois capable, bien que sensible à l'esprit harmonisateur, de discordances coupables. Le règne de Zeus, symbole des qualités sublimes et de la légalité, continuera de subir l'assaut des Titans, les frères de Chronos. A présent, ils ne figurent plus seulement les forces indomptées de la nature, mais également celles de l'âme, qui anime la matière, mais est réfractaire à la spiritualisation.

Transposant la symbolisation cosmique, le mythe donne au feu la valeur symbolique de l'intellect, par opposition à la lumière-esprit. L'intellect s'attache de préférence à la satisfaction des désirs terrestres, par l'épanouissement de techniques utilitaires, notamment de l'agriculture. Les Cyclopes symbolisent l'intellect qui se met au service de l'esprit, par opposition aux Titans, qui symbolisent l'intellect révolté contre la légalité de l'esprit. Le Titan Prométhée, qui va créer l'homme, en le façonnant dans de la boue, animera celle-ci avec le feu de l'intellect qu'il a dérobé dans l'Olympe. A l'opposé, les Cyclopes vont forger dans le feu de l'intellect l'arme victorieuse de Zeus, l'éclair de la lumière spirituelle intuitive. Toutefois, l'éclair de l'intuition ne peut se produire que par le travail de l'intellect.

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Chronos et les autres Titans vaincus par Zeus seront ensevelis sous les volcans, lesquels expriment leur rage toujours indomptée. Car, malgré la victoire de l'esprit, la révolte est toujours présente dans l'être humain. Sorti de l'animalité, il risque toujours d'y revenir, en sombrant dans la banalisation. Le mythe symbolise cette menace par le monstre Typhon, que Gaia a créé dans une ultime tentative. Son nom signifie 'feu dévorant'. Il est si affreux que, d'horreur, les dieux fuient sa vue. Seul un esprit combattant peut l'affronter et Zeus est le seul à l'oser. Mais Typhon le terrasse et lui coupe les tendons des pieds, lesquels dans la symbolique du mythe représentent le mouvement libre de l'âme. Esprit nullement invulnérable, mais combattant, Zeus guérit de sa blessure et, s'armant de l'éclair lumineux, foudroie Typhon.

Les six enfants de Chronos, vainqueurs de leur père, sont Zeus, Poséidon et Hadès, Hestia, Déméter et Héra. Les trois soeurs symbolisent les étapes de l'évolution du désir humain et les trois frères la légalité qui gouverne l'opposition entre les désirs sublimes et les désirs pervers. On relèvera cette opposition chez les héros, qui sont régulièrement dévoyés de leurs aspirations sublimes vers des banalités grossières ou des refoulements vaniteux et nerveux.

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Hestia, l'aînée des filles de Rhéa, figure la joie de vivre. Elle symbolise la pureté du désir végétatif. Elle a juré de rester vierge et elle refuse la main d'Apollon (idéal spirituel trop élevé) et celle de Poséidon (multiplicité et insatiabilité des désirs). Hestia figure l'idéal élémentaire de modération. Elle est la gardienne de la flamme sacrée du foyer familial. Déméter figure, à la différence de Gaia-terre maculée de vie, la terre peuplée d'humains. Elle symbolise les désirs terrestres légitimes, la terre féconde et labourée par l'homme. Elle est la protectrice de la communauté. Héra, épouse de Zeus-Esprit, symbolise la sublimation parfaite du désir, le don de soi, l'amour, le juste choix sexuel, exclusif et durable. Elle est la protectrice de la loyauté, notamment celle de la monnaie.

Zeus symbolise la légalité qui gouverne la spiritualisation. Poséidon, qui règne sur la mer, symbolise la légalité de la banalisation et de la satisfaction désordonnée des désirs. Hadès, divinité souterraine, figure la légalité qui gouverne le subconscient et l'inhibition des désirs pervers refoulés. Mais cette trinité ne constitue toutefois qu'une essence divine unique, qui gouverne une seule matière : la spiritualisation ou, à son défaut, la banalisation ou la perversion des désirs humains.

DIVERSES FIGURES DE HEROS

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Midas
Plutôt qu'un héros, le roi Midas est un anti-héros. Il avait célébré Dionysos, dieu de la jouissance effrénée et insatiable, dans une dévotion si complète que celui-ci, connaissant le point faible de son adulateur, lui a accordé une faveur de son choix. Midas a choisi de pouvoir acquérir des richesses sans limite, en transformant en or tout ce qu'il touche. Menacé de mourir de faim, Midas reconnaît sa stupidité qu'il regrette. Pardonné, Dionysos lui donne à se prononcer entre la musique sublime de la lyre d'Apollon et la musique orgiaque de la flûte de Pan. Midas, peu sensible à la beauté, dédaigne Apollon, lequel se venge en lui faisant pousser des oreilles d'âne, consacrant sa bêtise à vouloir se faire valoir par des choix vaniteux. Midas cache sa honte sous un bonnet phrygien (symbole de la lubricité levantine). Découvert par son barbier, il prétend refouler son secret en l'enfouissant dans la terre (subconscience) : il le chuchote dans un trou qu'il a creusé : « Le roi Midas a des oreilles d'âne. » Mais un roseau qui a poussé à cet endroit s'est mis a publier à tout vent la malédiction du lucre et de la lubricité vainement refoulés.

Eros et Psyché
Eros est le dieu qui exprime la légalité de la sexualité, aussi bien dans sa forme banalisée de liaison passagère que dans sa forme sublime d'union durable. Psyché, qui symbolise l'âme, s'est laissé subjuguer par l'attrait banal d'un Eros déchaîné, qui la tient prisonnière dans un palais où il ne la rejoint que dans l'obscurité de la nuit, afin de ne pas lui découvrir sa hideur. Enfreignant l'interdit de la lumière, Psyché allume une torche qui lui révèle le vrai visage de la perversion. Elle implore Héra, personnification de la pureté de l'amour du foyer. Celle-ci lui impose des travaux de purification, qui lui restituent sa clairvoyance : Eros lui réapparaît alors sous sa forme olympienne. Héra prend soin d'unir Eros et Psyché.

Mis à part Midas, modèle de banalisation inguérissable, la mythologie grecque représente l'état de banalité plate et sans combat par la figure de l'homme-animal, le Centaure. Les Centaures n'ont guère d'importance personnelle (à l'exception de Chiron, le Centaure médecin) et apparaissent en troupeau avec les Ménades dans la Thiase, le cortège orgiaque de Dionysos. Ils symbolisent le déchaînement dans les facilités de la chute. Celle-ci porte en elle-même son châtiment, dans l'écartèlement entre la multiplicité des désirs contradictoires et dans le déchirement nerveux entre la vanité exaltée et la culpabilité refoulée. Car la frénésie dionysiaque n'est accessible qu'aux sujets de grande envergure qui se sont laissé dévoyer de leurs aspirations sublimes.

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Orphée
Le mythe attribue à ce héros la réforme des Mystères d'Eleusis, par la superposition du culte de Dionysos au rite ancien. Il exprime l'inconstance de l'artiste devant la splendeur de l'art, hésitant entre la dimension sublime d'Apollon et celle perverse de Dionysos. Son chant, qu'il accompagne sur la lyre que lui a prêtée Apollon, émeut jusqu'aux arbres et aux rochers de l'Olympe, mais flatte parfois des pervers et charme des monstres. Son épisode avec Eurydice n'est pas une aventure sentimentale, mais exprime le déchirement entre des désirs contradictoires : l'inconstance de l'artiste, nourri de la vanité de créer des images sublimes multipliées, à laquelle il sacrifie son désir d'aimer la femme de son âme. Eurydice meurt de la morsure du serpent, sinueux et souterrain symbole de la banalité infernale et du refoulement. Hadès, qui règne sur les enfers, cède à l'imploration de l'artiste : Orphée pourra faire revivre Eurydice à condition que son amour nouveau rompe avec les regrets qu'il a chantés. Orphée, au lieu de concentrer sublimement son amour sur le salut d'Eurydice, à l'exclusion de toute autre préoccupation, renoue avec la vanité typique de l'artiste, qui ne peut renoncer aux promesses de son imagination éparpillée ni aux jouissances qui pourraient lui échapper s'il s'attardait à aimer Eurydice. Une version du mythe représente Orphée déchiré par les Ménades de Dionysos. Zeus n'en placera pas moins la lyre d'Apollon parmi les constellations, consacrant le niveau sublime de l'art apollinien, par distinction avec les penchants dionysiaques de nombreux artistes. Malgré une fin peu héroïque, Orphée représente une dimension surhumaine. L'erreur dionysiaque d'Orphée est nourrie par des forces démoniaques et son échec à le sens d'un combat héroïque suivi d'une défaite. Son chant illustre le conflit qui figure dans tous les mythes entre le divin et le démoniaque. Dans une version complémentaire, Orphée, reconnaissant son aberration, se voue à Apollon et ressuscite ainsi une Eurydice symbole de son aspiration au sublime, ce qui pour Paul Diel préfigure dans le mythe chrétien Jésus vainqueur de Satan.

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Icare
Icare est le fils de Dédale, l'architecte qui sur l'ordre du roi de Crète Minos a construit le Labyrinthe, symbole d'une confusion mentale dont le sujet ne peut plus sortir. Dédale est un virtuose ingénieux de l'intellect, faculté propre à échafauder des solutions utilitaires, mais impropre à discerner le sens profond de la vie. Le sage Minos lui a commandé la construction du Labyrinthe pour y enfermer le Minotaure, un monstre mi-homme mi-taureau, né des amours de la reine Pasiphaé qu'a séduite Poséidon, le dieu qui gouverne la légalité de l'inconstance et de l'insatiabilité. Découvrant que Dédale et Icare ont conspiré contre lui avec Poséidon, Minos les fait enfermer dans le Labyrinthe. L'ingénieux Dédale conçoit alors un artifice, imparfait, mais suffisant pour s'échapper : des ailes de plumes qu'il assemble avec de la cire. Il sait que son stratagème est faillible et recommande la prudence à Icare. Mais celui-ci se laisse exalter par son imagination vaniteuse. Tout au plaisir adolescent de surpasser ses pairs, il s'élève trop près du soleil. La cire fond et, tombant dans la mer, Icare, devient la proie de Poséidon : on n'atteint pas la lucidité sublime par des subterfuges astucieux.

Tantale
Grâce à la profondeur de son repentir dans le processus élévations-chutes, Tantale s'approche de la région sublime de l'esprit et devient 'l'aimé des dieux', symboles des qualités idéalisées de l'homme chez qui leur accomplissement s'accompagne de la joie. Toutefois, l'homme parvenu dans la sphère sublime ne peut abdiquer sa condition terrestre. A la différence du mythe chrétien et de son idéal du saint, le mythe grec contraint le héros sublime à 'redescendre sur terre', dans un idéal de juste harmonie des pulsions tant corporelles que spirituelles. Le mythe de Tantale décrit ce héros admis à la table des dieux. Cédant à l'exaltation, il s'imagine leur égal. Il les invite à sa propre table et leur sacrifie le fils de sa chair terrestre, Pélops, qu'il leur sert à manger. Mais les dieux ne sont pas dupes, à la seule exception de Déméter, la mère des fruits de la terre. Zeus ressuscite Pélops et condamne Tantale pour cette exaltation ascétique qui l'a fait s'imaginer à la portée de l'Olympe : il est enchaîné sous un arbre, dont les fruits se retirent quand il veut en manger, les pied dans une source dont l'eau se retire quand il veut en boire.

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Phaéton
Il est le fils d'une mortelle et d'Hélios, l'astre solaire, qui fait mûrir les fruits terrestres, à la différence d'Apollon qui fait mûrir les fruits de l'esprit. Défié par des camarades qui mettent en doute cette filiation, Phaéton part à la recherche de son père. Celui-ci, tout à la joie de voir son fils, lui promet d'exaucer ses souhaits. Préoccupé de confondre ses détracteurs, Phaéton choisit de guider un jour durant les chevaux du char solaire et de jouer le rôle du dieu, au lieu de se contenter d'en être le fils mythique. Pour cette vaniteuse ambition, il sera puni car, s'acharnant, il a mené le char solaire hors de sa carrière régulière et s'est approché trop de la terre. Zeus doit intervenir, en foudroyant le coupable, qui est trop stupide pour reconnaître sa coulpe.

Ixion
Ce héros avait commis d'abominables forfaits, tant contre les dieux que contre les hommes qu'il a dû fuir. Mais il a reconnu ses errements et s'en est repenti. Zeus accueille amicalement le fugitif dans l'Olympe, ce qui incite celui-ci à se croire un modèle. Il s'oublie jusqu'à s'éprendre d'Héra, idéal de l'amour sublimé jusqu'à la bonté. Il veut la posséder et les dieux, ironiquement, lui façonnent un nuage à l'image d'Héra. Au lieu de revenir à la réalité, Ixion exalte son impudicité et abuse de l'image. Zeus reste indulgent tant que l'égaré ne commet pas la faute décisive : il se vante d'avoir séduit Héra et trompé l'esprit, ce qui réveille la colère du dieu, lequel précipite Ixion dans le Tartare, où il sera supplicié : attaché par les serpents de la vanité à une roue de feu qui tourne à la verticale, lui mettant perpétuellement la tête en haut puis en bas, symbolisant la folie de ses élévations et de ses rechutes incessantes.

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Bellérophon
Bellérophon, qu'on ne représente guère que chevauchant Pégase, est le type du héros jeune et innocent, prince charmant, qui surgit à point nommé pour régler son compte au monstre qui désole une contrée. Et pour épouser ensuite sous les vivats la fille du vieux roi fainéant, qui n'a effectivement rien fait pour protéger les siens. Bellérophon est le fils mythique (symbolique) du dieu de la mer, Poséidon. Celui-ci n'est pas, comme son frère Zeus, une divinité de l'Olympe, lieu de la légalité stable et lumineuse. La mer, lieu de la fécondité d'où va naître Aphrodite, est aussi celui d'une légalité mouvante, trouble et souvent perverse.

Débarquant à Argos, Bellérophon qui a éveillé la jalousie du vieux roi local, est envoyé par celui-ci se faire pendre ailleurs : il ira porter un pli fermé au roi de Lycie Jobatès. Le message recommande rien moins que de tuer le messager ! Répugnant à violer ainsi les lois de l'hospitalité, Jobatès, pour que soit quand même accomplie sa mission, obtient du héros qu'il accepte d'affronter le monstre qui dévaste son pays, la Chimère. L'issue ne lui laisse aucun doute. Animal fabuleux composite avec trois têtes, de bouc, de lion et de serpent, la Chimère est à ce titre une triple dévergondeuse d'âmes. Dans le dévoiement sexuel du bouc, consommateur débridé. Dans le dévoiement social du lion, dominateur par la force. Dans le dévoiement, à l'endroit de la lumière de la vérité, du serpent, animal souterrain et tortueux. Face à la Chimère, cancer psychique, le jeune Bellérophon, pur et innocent, ne fait en effet pas le poids.

Choqués par l'inégalité disproportionnée de ce duel, les divinités de l'Olympe décident de fournir au héros le renfort de Pégase, le cheval ailé, source de l'inspiration poétique née du sang de la Méduse décapitée par Persée. Par la vertu de ses ailes, Pégase ne procure pas seulement une position stratégiquement dominante. Il inspire surtout une vision spirituellement élevée, face à quoi la Chimère lubrique, violente et rampante est insignifiante. Bellérophon va la percer de flèches qui figurent les rayons lumineux de la pénétration spirituelle. Mais Bellérophon n'a pas hérité de Poséidon la stabilité et la luminosité nécessaire pour digérer correctement un tel événement. Sa victoire va exalter son imagination vaniteuse et il va se croire maintenant assez fort, avec l'aide de Pégase, pour conquérir l'Olympe, siège de l'esprit. Les dieux ne rient plus : le héros sera précipité dans le Tartare, attaché par les serpents de sa vanité à une roue de feu !

Paul Diel souligne à ce sujet : « L'élévation sublime n'est qu'un état passager de l'âme humaine. L'homme doit redescendre sur terre. Ses désirs corporels exigent qu'il s'en préoccupe. C'est pourquoi il se trouve menacé par le danger chimérique qui l'incite à les exalter. Le vrai héros est celui qui sait résister dans ce combat continuel, qui sait vivre alternativement sur les deux plans : le plan de l'élévation spirituelle et le plan de la vie concrète. C'est l'idéal grec de l'harmonie des désirs. Mais combien grand est le danger que l'homme, ayant atteint la sublimité dans des moments d'élévation, se croie un être sublime à l'abri de toute séduction perverse. C'est par là même qu'il redevient la proie de l'exaltation chimérique. Aussi le mythe grec ne se lasse-t-il pas d'exprimer que la victoire spirituelle -l'élévation, si parfaite semble-t-elle- porte en soi le danger le plus insidieux. L'esprit vainqueur, justement à cause de sa victoire, se trouve menacé de se transformer à nouveau en esprit vaincu, en vanité. Et même en vanité d'autant plus grande que la victoire était éclatante. »

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Persée
Persée est le fils de Zeus et de la mortelle Danaé, mythiquement fécondée, comme dans le mythe chrétien, par une nuée dont est tombée une pluie dorée, symbole de l'esprit divin. Acrise, le père de Danaé et l'ancêtre terrestre de Persée, que l'oracle avait averti qu'il serait tué par son petit-fils, expose la mère et l'enfant, qui sont sauvés par le Zeus, père mythique de Persée. Zeus patronne la puissance sublimante de ce fils-de-Dieu (dont les penchants au pervertissement sont fils-de-l'homme). Comme Bellérophon, Persée est appelé à monter Pégase afin de délivrer Andromède, une vierge qui, s'étant vantée d'être plus belle que les Néréides (notamment Amphitrite, Thétis et Galatée), a été enchaînée par elles à un rocher où la menace un monstre marin envoyé par Poséidon. Celui-ci la juge vaniteuse, asservie aux désirs terrestres et la destine au pervertissement par sa créature monstrueuse. Persée, à la différence de bien d'autres héros (Thésée, Ulysse), n'a pas besoin de la femme pour se tirer des périls. Il sauve Andromède et l'amène à la sublimité en l'épousant. Mais cette victoire n'est encore que passagère et il doit ensuite affronter Méduse, la reine des Gorgones. Méduse, avec ses soeurs Euryale et Sthéno, symbolise la perversion des trois pulsions essentielles (sociale, sexuelle et spirituelle) par la tyrannie, la lubricité et la banalisation de l'esprit ou le refoulement nerveux du regret des erreurs. D'une hideur effroyable (ou d'une séduction magique), Méduse, qui comme les Erinyes du remord a une chevelure faite de serpents, a le pouvoir de pétrifier (psychiquement) ceux qui se laissent méduser en cédant à son invitation à la regarder. Le moyen de vaincre Méduse réside dans la juste mesure (dont Apollon est le modèle) et dans la reconnaissance exacte de ses errements. Car l'exagération de sa propre culpabilité inhiberait l'effort réparateur. Méduse symbolise le désespoir qui envahit l'âme vaniteuse dans ses éclairs de lucidité. Il s'agit de ne pas céder à l'horreur de sa propre culpabilité, mais de capter sa juste image dans le miroir de la vérité. C'est d'Athéna que Persée recevra l'arme du combat, son 'bouclier luisant' qui reflète la vérité, invite à l'amour combatif pour le vrai et à la connaissance véridique de soi-même. Avec le glaive de la force lucide de l'esprit, Persée décapite Méduse. Du sang du monstre jaillit Pégase, le cheval des Muses qui figure l'élévation sublime et ses trois manifestations : le vrai, le beau, le bon. D'un coup de sabot dont Pégase frappe l'Hélicon, jaillit la source de l'inspiration poétique. Euryale et Sthéno veulent venger leur soeur, mais Pégase met Persée hors de leur portée. Cependant, le combat n'est jamais terminé, car la victoire sur la vanité peut se transformer en vanité de la victoire. C'est la lutte inlassable de toute une vie, aussi Persée emporte-t-il avec lui la tête de Méduse, rappel de vérité. Au géant Atlas, symbole de la résistance terrestre à l'esprit qui lui a refusé l'hospitalité, il montre la Méduse et le pétrifie. Toutefois, cette victoire ne se situe qu'au plan de l'essence et le monde terrestre titanique pervertissant survivra à Persée. Lorsque le héros mourra, il léguera la tête de Méduse à Athéna, qui la placera sur son égide, le bouclier lucide que lui a confié Zeus. Persée, champion vainqueur de la vie, sera immortalisé symboliquement sous la forme d'une étoile brillante, image de l'idéal. L'analogie avec le mythe chrétien est frappante : Persée et Jésus, fils mythiques de l'esprit divin, triomphent du principe de perversion.

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Oedipe
L'oracle avait averti qu'Oedipe, fils du roi de Thèbes Laïos, allait tuer son père et épouser sa mère Jocaste. Aussi Laïos fait-il exposer son fils, après avoir pris la précaution de lui faire couper les tendons des chevilles (d'où son nom qui signifie Pieds enflés), infirmité qui souligne symboliquement les faibles ressources d'une âme qui chancèle entre banalité et nervosité. Contrairement à Zeus, esprit combatif s'il en est, qui se guérit de sa mutilation, Oedipe restera estropié. Il compense cette infériorité par une ambition de pouvoir. Eduqué par un berger qui l'a recueilli et qu'il prend pour son père, Oedipe le quitte adolescent par crainte de réaliser l'oracle. Il se rend à Thèbes, qui est alors terrorisée par un monstre, le Sphinx, situation symbolique désastreuse propre aux villes gérée par un prince dévoyé. Moitié femme et moitié lion, le Sphinx dévore ceux qui, dans l'espoir de libérer la ville, l'affrontent, lorsqu'ils se révèlent incapables de résoudre l'énigme qu'il leur pose. Laïos a promis une récompense à qui vaincrait le monstre. A la différence d'un vrai héros libérateur, Oedipe convoite la récompense et, pour vaincre le mal, il ne compte pas sur sa vaillance spirituelle, mais sur la subtilité de son intellect. Dans un chemin creux qui mène à Thèbes, la voie lui est obstruée par un vieil homme qui mène un char et qui le somme de céder le passage. C'est Laïos qui se déplace sans ses insigne royaux. Injurié par ce qu'il croit être n'importe qui, le héros fort peu héroïque perd tout contrôle et tue ignominieusement le vieillard à coup de béquille. Bien loin du rôle de libérateur qu'il se croit appelé à jouer, c'est un comportement d'une banalité consternante. La fameuse énigme que lui pose le Sphinx est symbolique de la aspiration de l'homme à s'élever au-dessus de son animalité. Elle se formule comme suit : Quel est l'animal qui le matin marche à quatre pattes, le midi à deux et le soir à trois ? Oedipe, dont l'énigme décrit précisément le parcours, peut répondre : l'homme. Et le sphinx s'écroule de son rocher pour s'écraser dans l'abîme. Oedipe est acclamé comme roi et il épouse Jocaste. Désireux de compenser sa déficience physique (et spirituelle) par la domination, il n'est pas moins dévoyé dans la perversion de l'esprit que Laïos et un nouveau fléau accable bientôt Thèbes : la peste. Les prêtres affirmant que la calamité n'est que l'effet d'une culpabilité, Oedipe ordonne qu'on découvre le coupable, démontrant ainsi ses lacunes à se connaître lui-même. Le devin Tirésias, porte-voix de l'esprit, accuse Oedipe, à qui il enjoint de reconnaître ses déviances. Oedipe chasse le révélateur. Jocaste, horrifiée, se tue, mais Oedipe continue de se refuser à tout aveu. Cependant, par regret sublime d'avoir tué en lui l'esprit-père pour épouser la terre-mère, il s'arrache les yeux et se fait conduire par sa fille Antigone au sanctuaire des Euménides, à Colonne. Les Euménides sont des Erinyes bienfaisantes qui dispensent, non pas le tourment du remord, mais le regret libérateur de la coulpe reconnue dans la lucidité à l'égard de soi-même. Entraîné dans la chute par sa faiblesse, il puise dans cette chute les ressources de son élévation.
L'erreur de la psychanalyse dans la définition du complexe d'Oedipe est de réduire le moteur de celui-ci à sa seule pulsion sexuelle, qui l'aurait poussé à ne tuer son père que pour épouser sa mère.

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Jason
Chef de la confrérie des Argonautes, au nombre desquels on compte Héraclès, Thésée et Orphée, Jason embarque ses compagnons dans une entreprise commune de libération sur l'Argo (ce qui signifie 'vaisseau blanc'), à la conquête de leur purification : la Toison d'Or. La couleur dorée de la lumière solaire figure la spiritualisation et l'innocence du bélier la sublimation, à la différence de l'or métal qui représente le pervertissement alourdissant de la matière. Les déficiences des Argonautes ne se situent certes pas dans la banalité, mais dans leur tendance perverse à la domination abusive et dans leur incapacité d'une liaison sexuelle durable. La Toison d'Or est gardée par un dragon. L'objet initial de l'expédition est la domination : Jason n'accédera au trône du roi son père, tué par l'usurpateur Pélias, que s'il conquiert le Trésor sous sa signification sublime. S'il réalise l'exploit de manière purifiante, son règne sera bénéfique, tant pour lui-même que pour tout le pays (symboliquement pour le monde entier). A défaut, il ne sera lui-même qu'un usurpateur. Rescapé du massacre, Jason a été recueilli par le Centaure Chiron (ce qui est un indice de banalité). L'oracle a averti Pélias contre « un homme qui ne porte qu'une sandale », indication de la déficience spirituelle que Jason doit compenser. Pélias est disposé à abdiquer si Jason prouve sa légitimité en réalisant l'exploit de rapporter la Toison d'Or. Fait exceptionnel pour un héros libérateur, Jason ne se sent pas de force à accomplir seul l'exploit. Il convainc des compagnons de qualité, qui l'aident à construire l'Argo et à se rendre à Colchos où se trouve la Toison d'Or. En passant les Symplégades, deux rochers qui se rapprochent pour écraser l'Argo, le gouvernail est avarié, ce qui est une indication néfaste. Aétès, roi de Colchos, n'est toutefois disposé à céder la Toison qu'à la condition préalable que Jason attelle à une charrue des taureaux indomptés, dont le souffle est de feu et les pieds d'airin (indice d'une âme vaillante), pour labourer un champ et y semer les dents d'un dragon qu'a tué un autre héros libérateur. Jason y parvient, mais des dents qu'il a semées naissent des hommes de fer qu'il lui faut vaincre. Plutôt que les vaincre par la pureté de son esprit, Jason use d'un stratagème : il ramasse des pierres et les jette tantôt sur les uns et tantôt sur les autres, de sorte que les uns se croient attaqués par les autres et qu'ils s'entre-tuent. Cette victoire, qui n'est pas celle de la vaillance de l'esprit, est une trahison à la mission essentielle de justice des Argonautes. Et c'est une fois encore avec les armes de la ruse que Jason va affronter le dragon. Il séduit la magicienne Médée, fille du roi de Colchos. Héros défaillant, il ne tue pas le dragon au combat : il l'endort avec un philtre préparé par Médée et subtilise la Toison. Il a esquivé le travail intérieur de purification. Poursuivi par Aétès, il ne lui échappe que parce que Médée tue son propre frère Absyrtos et le découpe en morceaux qu'elle jette à la mer. Elle retarde ainsi Aétès qui s'applique à repêcher les lambeaux de son fils, sacrifié à la coulpe du faux héros. Celui-ci rapporte la Toison à Pélias et accède enfin au trône. Victime d'intrigues, il sera bientôt chassé du pays. Pour se soustraire à l'envoûtement de Médée, il l'abandonne. Devenue une Erynie, Médée tue leurs enfants. Désespéré, Jason se repose à l'ombre de l'Argo où il sera écrasé comme par une massue (poids mort des matérialités inanimées) par une poutre qui s'est détachée du navire, en sanction de sa banalité.

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Thésée
Fils mythique de Poséidon, Thésée est le fils corporel d'Egée, roi d'Athènes qui, en voyage loin de son pays, a séduit Actia, mère de Thésée. Obligé de rentrer à Athènes, Egée cache sous un rocher une épée (arme du combattant de l'esprit) et des sandales (arme du pied, expression de la matière animée par l'âme). Adolescent, Thésée est assez fort pour soulever le rocher. Armé et chaussé, il part à la recherche de son père. Sur le chemin d'Athènes, il tue les cruels brigands Procruste et Sinis. Il vainc le géant Sciron qui, assis au bord d'une falaise, humilie les voyageurs en exigeant qu'ils lui lavent les pieds. Alors qu'ils y sont absorbés, Sciron les pousse dans la mer où une tortue géante les dévore. Thésée fait subir le même sort à Sciron. Il s'empare de la massue du géant Péripéthès (qui est lui aussi fils mythique de Poséidon), péripétie qui marque toutefois le début de son déclin. Parvenu à Athène, il se distingue par une bravade superflue. Raillé par les Athéniens pour sa tenue barbare, sa réaction est disproportionnée : il saisit un char à boeufs et le jette par dessus un temple ! Fêté par Egée, il suscite la jalousie de Médée, répudiée par Jason et qu'Egée a épousée entre temps. Convaincue d'avoir tenté d'empoisonner Thésée, Médée est chassée de la cour d'Egée, lequel est délivré de son emprise. Ayant tué le Taureau de Marathon, Thésée a été jugé digne de partager le trône royal avec Egée. Athènes devait alors au roi de Crète Minos un tribut abominable, que son épouse Pasiphaé lui avait suggéré d'imposer: sept jeunes garçons et sept jeunes filles innocents qui sont sacrifiés en pâture au Minotaure, le monstre mi-homme mi-taureau, né des amours de Pasiphaé avec Poséidon. Minos, réputé pourtant pour sa sagesse, a honte du monstre enfanté par son épouse. Il le cache dans le Labyrinthe (figurant le subconscient), oeuvre de l'intellect de l'ingénieux Dédale. Thésée décide de neutraliser son monstrueux frère mythique. Il s'embarque avec les futures victimes du Minotaure sur un navire aux voiles noires ; il a promis de hisser des voiles blanches en cas de victoire. Fils de Poséidon, il est vulnérable à la tentation de céder à la banalité. Il doit surmonter deux périls : le monstre, qu'il doit éliminer, et le Labyrinthe, dont il doit retrouver l'issue. C'est le camp de l'injustice qui va lui fournir l'aide décisive dans la personne d'Ariane, une des filles de Minos, vierge à conquérir qui s'est éprise de lui. Elle lui apporte la pureté de son amour, afin de l'empêcher de s'égarer dans les détours du mensonge, grâce à la pelote de fil conducteur qu'elle lui prête. Vainquant le monstre par la force d'un amour vrai, il aurait suffi à Thésée, pour que sa mission soit parfaitement accomplie, qu'il remplisse sa promesse d'amour en épousant Ariane. C'est là qu'il échoue. Il tue le Minotaure, mais avec la massue du brigand (et non avec le glaive de son esprit). Exploitant l'amour d'Ariane, sa victoire est le fruit d'une trahison, l'exploit d'un pervers qui séduit ensuite Phèdre, la soeur d'Ariane, une nerveuse hystérique, que le mythe présente sous l'image de l'amazone qui combat l'homme pour en tuer l'âme. Thésée quitte ensuite la Crète comme un brigand : il rapte Phèdre et Ariane et abandonne cette dernière à Naxos, où elle va céder à Dionysos et former avec lui un couple infernal orgiaque. Dans cette trahison du héros se retrouve tant la domination abusive que la perversion sexuelle. A l'approche d'Athènes, Thésée oublie de hisser la voile blanche et Egée, le croyant tué par le Minotaure, se suicide. La défaite du héros libérateur est consommée dans la banalité : s'armant contre Pirithos, un aventurier qui pille la contrée, Thésée se lie d'amitié avec lui. Ensemble, ils vainquent les Centaures, mais à seule fin de s'emparer de leur butin et de prendre leur place au festin. Ils enlèvent Hélène, la soeur de Castor et de Pollux et la jouent aux dés. Thésée l'emporte et, pour dédommager son compagnon, il accepte de l'aider à enlever Perséphone, l'épouse de Hadès. Thésée en est arrivé à chercher le dépassement dans l'ignominie, par crânerie cynique absurde. Ce n'est qu'une fausse libération qui va sceller son sort : la chute dans le Tartare, d'où Héraclès, vainqueur de la banalisation, l'arrachera de la pierre à laquelle il a été rivé, mais n'en ramènera que l'âme morte. Son élan héroïque sera ensuite définitivement anéanti par l'emprise de son épouse, Phèdre, qui s'éprend d'Hippolyte, le fils de Thésée. Ulcérée d'être dédaignée par Hippolyte, Phèdre accuse celui-ci de projeter de tuer son père pour régner à sa place. Thésée chasse son fils qui est dévoré par un monstre marin envoyé par Poséidon. La mesure est alors comble et Thésée regagne le Tartare à jamais.

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Héraclès
Héraclès, dont le nom signifie 'gloire d'Héra', est un descendant de Persée et donc de Zeus, qui a fécondé sa mère Alcmène, en prenant les traits de son époux, Amphitryon. Héra, jalouse d'Alcmène, est hostile à Héraclès. L'image de la fécondation spirituelle évacue toutefois toute allusion à une union charnelle. Héra, qui préside à l'amour sublime, sera sanctionnée pour cette mesquinerie possessive : elle sera suspendue par une chaîne d'or entre ciel et terre, attachée à la sphère spirituelle tout en en étant exclue. Cette opposition entre la force de l'esprit et le don de l'amour va déterminer le destin d'Héraclès. Héritier de la puissance d'élan spirituel de son père mythique, il n'est pas fils d'Héra et il devra lutter dans le voie tracée par Héra contre son penchant à la dispersion sexuelle perverse. Zeus, qui souhaite former pour le monde entier un souverain juste et fort, avait décrété que ce serait l'enfant réunissant la force de l'esprit et l'équilibre de l'âme qui naîtrait à la date qu'il avait choisie (celle prévue pour la délivrance d'Alcmène). Pour déjouer ce dessein, Héra est parvenue à retarder la naissance d'Héraclès et c'est Eurystée, sujet ordinaire, qui naît à la date arrêtée par Zeus. Comme dans le mythe chrétien, le sauveur du monde ne régnera pas sur le monde, mais sur l'esprit. Héraclès devra accepter d'être le serviteur d'un médiocre, ce qui le gardera de laisser pervertir sa pulsion sociale par l'usage abusif de sa position dominante. Apollon lui enseignera à dominer sa propre faiblesse, laquelle est son ennemi essentiel. C'est dans un statut de servitude qu'il accomplira ses travaux de purification. Il ne doit pas exalter vaniteusement son élan spirituel combattif et l'oracle du dieu lui commande de se réconcilier avec Héra. Héros purificateur, ses propres faiblesses, fréquentes, ne sont que des épisodes qui, entre les victoires, lui rappellent sa propre faiblesse qu'il doit parvenir à vaincre. Il va étouffer le Lion de Némée, dompter le Taureau de Crète, capturer vivant le Sanglier d'Erymanthe, symbole de débauche effrénée, vaincre les Amazones-tueuses d'homme (auquel elles veulent se substituer au lieu de le compléter = tueuses d'âme). Dans ce combat contre la banalisation, Héraclès nettoie les Ecuries d'Augias, en y faisant passer le fleuve Alphée et en libérant les Boeufs luisants. Il tue l'Hydre de Lerne, serpent aux têtes multiples qui repoussent aussitôt coupées (il en cautérise les blessures avec son flambeau). Il affronte Géryon, un géant à trois têtes (les trois perversions : banalisation, tyrannie, débauche luxurieuse). Il vainc le géant Antée, anti-dieu qui reprend force chaque fois que son pied touche terre, ce dont l'empêchera Héraclès en le soulevant du sol. Il tue Diomède qui jetait ses victimes en pâture à ses chevaux. Il abat de ses flèches les oiseaux du Lac Stymphale, qui obscurcissaient le ciel. Il poursuit une année durant, pour la capturer vivante, la Biche aux Pieds d'airain, figure de sensibilité sublime et de force d'âme. Il va jusqu'au bout du monde pour en rapporter les Pommes d'or des Hespérides et, enfin, il dompte le chien Cerbère, gardien du Tartare, pour en ramener Thésée. En regard de ces exploits héroïques, il y a ses déficiences : Eros, profitant de son sommeil, lui dérobe ses armes ; séduit par Dionysos, il défie le dieu de résister plus longtemps que lui à la beuverie et, vaincu, il est contraint par lui de suivre sa Thiase. Il outrage ses épouses successives. Adolescent, il a épousé Mégare, mais les liens conjugaux le rendent furieux, au point qu'il saccage leur maison et tue leurs enfants avant d'abandonner sa femme. Toute sa vie sera l'expiation de ce crime. Il devient ensuite l'esclave de son épouse Omphale, acceptant de s'avilir en filant et en se parant de robes orientales. Après maintes aventures futiles, il épouse Déjanire qu'il a dû disputer à Achéloos, qui avait pris d'abord la forme d'un serpent et ensuite d'un taureau. Mais Déjanire n'est qu'une femme banale qui, pour traverser un fleuve (celui de la vie quotidienne), accepte l'aide du centaure Nessus, qui tente de la violer. Héraclès parvient à tuer Nessus par les flèches (de son esprit), mais Nessus mourant offre à Déjanire sa tunique trempée de son sang, lui garantissant l'amour de son mari si elle la lui fait porter. Déjanire accepte le présent. Mais le sang du centaure est un venin de débauche et Héraclès tombe amoureux d'Iole. La tunique lui colle à la peau et le brûle. Comprenant enfin qu'il ne parviendra jamais à se purifier de sa tendance à la débauche luxurieuse pour se réconcilier avec Héra, le héros décide de se sacrifier à elle en holocauste. Il dresse un bûcher sur lequel Zeus accepte de lancer son éclair illuminant. Surmontant son penchant dionysiaque, Héraclès renaît, comme le Phénix, en état d'élévation. Zeus accueille son fils préféré et le héros, devenu une divinité de l'Olympe, épouse Hébé, qui sert aux dieux le nectar et l'ambroisie qui leur conservent leur qualité d'âme et d'esprit.

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Asclépios
A l'inverse de l'adage 'mens sana in copore sano', qui affirme que la santé de l'esprit est conditionnée par celle du corps, la médecine à laquelle préside Apollon professe qu'il n'y a pas de vraie santé du corps sans grande santé préalable de l'esprit. Il existe toutefois une technique pour remédier aux défectuosités de la mécanique corporelle et pour permettre de la relancer provisoirement. C'est le centaure Chiron qui en conserve les formules. Cette médecine profane se préoccupe de s'affranchir, par une intellectualisation radicale, des pratiques magiques suggestives de purification. Le mythe veut que Chiron, qui s'obstine à ne soigner que les corps, souffre d'une blessure inguérissable que lui a faite au pied une flèche d'Apollon. Le mythe complète la représentation de la médecine par une troisième divinité, Asclépios, qui considère que tout être vivant est un organisme psycho-somatique. Seul l'intellect de l'homme est assez vaniteux pour concevoir l'idée, pseudo-scientifique, qu'il n'est que soma. Toutefois, la réalité des maladies de l'esprit le contraindra tôt ou tard à la prendre en compte : c'est le rôle d'Asclépios, fils d'Apollon et initiateur de la science médicale. La maladie met le patient dans un état mineur : elle le replace subconsciemment dans le monde magique de l'enfance, vis à vis du médecin dans la position de dépendance qu'il avait vis à vis de son père et, dans bien des cas, l'investit des pouvoirs d'un magicien. Mais Asclépios n'a rien d'une idole. Il figure chaque homme destiné à se purifier, à se 'diviniser' en se guérissant de sa tendance à la banalisation. Est significatif à cet égard le Gorgoneion, qui est porté comme un talisman. Les prêtres d'Asclépios invitaient les malades à venir dormir dans le temple d'Apollon et s'appliquaient ensuite à expliquer leurs rêves. La tentation d'Asclépios est d'ériger en but ultime la nécessité de prendre en compte les contingences. C'est alors la mort de l'âme de la médecine, la banalisation dont le châtiment est la foudre de Zeus. L'effort intellectuel d'Asclépios n'est légitime que tant qu'il est orienté sur les exigences de l'esprit.

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Prométhée
Au contraire du mythe d'Asclépios, qui figure l'effort intellectuel salutaire lorsqu'il est orienté sur l'exigence de l'esprit et le sens évolutif de la vie, le mythe de Prométhée figure l'effort de l'intellect pour se passer de l'esprit. Alors que Zeus a conçu l'homme comme être spirituel, animé du désir essentiel de l'élan évolutif vers le surconscient, Prométhée va le créer conscient et individué, capable de faux choix, qui le font régresser vers le préconscient animal, vers la Terre-mère. Pour modeler sa créature, Prométhée utilise le comble de la banalité : la glaise boueuse. Pour animer celle-ci, il ne prétend pas emprunter la lumière de l'Olympe, mais le feu, qui n'est que sa forme utilitaire. Et il en est réduit à le dérober. Facteur de production, l'intellect démultiplie les désirs et distrait les hommes du désir essentiel. Ils en oublient le sens de la vie et l'intellect est dès lors, bien qu'ingénieux, insensé. Prométhée, dont le nom signifie prévoyant, a un frère, Epiméthée, qui ne réfléchit pas avant d'agir, mais au contraire seulement après coup. Ce qui va l'amener à se laisser séduire par Pandore, qu'il va épouser. Elle lui offre un coffret fermé, symbole du subconscient, qui renferme tous les vices. Comme le fera Eve dans le mythe judaïque, elle va initier l'humanité au pervertissement de la banalisation ou de l'exaltation de l'imagination. Prométhée, bien qu'il ait résisté à Pandore, n'est pas sauvé pour autant, car il est toujours en opposition avec le sens de l'esprit. Il subira le châtiment de la banalisation : il sera enchaîné à la matière-rocher. Il ne sera sauvé que par le sacrifice du Centaure Chiron, principe de la guérison banale qui va céder sa place à la guérison essentielle, acquise par l'évolution de l'intellect dans l'orientation de l'esprit. Chiron va faire don à Zeus de son immortalité afin que Prométhée, revenu de sa révolte, la reçoive enfin. On notera que, Noé avant la lettre, c'est le fils de Prométhée, Deucalion, qui se charge de repeupler la terre après le déluge, en jetant derrière lui des pierres dont naissent les hommes. Compris dans toute son ampleur significative, Prométhée est la représentation symbolique de l'humanité.

lundi, 26 décembre 2016

«Des héros et des dieux»

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Luc-Olivier d'Algange:

«Des héros et des dieux»

Ex: http://frontdelacontre-subversion.hautetfort.com 

Toute science politique qui s'écarte ostensiblement de l'humanitas suscite en nous une juste aversion. Nous redoutons et nous repoussons les théories dont nous devinons qu'elles peuvent abonder dans le sens de la barbarie. Mais sommes-nous pour autant à même de comprendre ce qu'est au juste cette humanitas dont nous nous réclamons ? Pourrons-nous encore longtemps tirer les conséquences d'une idée dont l'origine s'assombrit dans un oubli de plus en plus profond ? Que savons-nous, par exemple, du dessein de la Grèce archaïque et classique qui fut à l'origine des sciences et des arts que l'on associe habituellement à la notion d'humanitas ?

Il est fort probable que cette notion d'humanitas, telle qu'elle fut comprise autrefois diffère bien davantage encore que nous ne pouvons l'imaginer de l'humanité, de l'humanitarisme voire de l'humanisme tels que nous les envisageons depuis deux siècles. Peut-être même notre « humanité » est-elle devenue plus étrangère à l'humanitas que ne le sont aux modernes occidentaux les chamanismes et les rites archaïques des peuplades étrangères. La médiocrité à laquelle nous consentons, le dédain que nous affichons à l'égard de notre littérature, de notre philosophie et de notre style, ne sont-ils point le signe d'une incompétence croissante à faire nôtre une notion telle que l'humanitas ? Quelques-uns d'entre nous, certes, font encore leurs humanités, d'autres entreprennent de louables actions « humanitaires » mais il n'est pas certain que les uns et les autres fussent encore fidèles, si peu que ce soit à l'humanitas.

Que fut au juste pour les Grecs des périodes archaïques et classiques, être humain ? Quel était le site propre de cette pensée de l'humain ? Était-ce, comme dans nos modernes sciences humaines, la réduction du monde à hauteur d'homme ? Certes non ! Il suffit de quelques vagues remémorations de l'épopée homérique pour convenir qu'il n'est de destinée humaine qu'orientée par l'exemplarité divine. Les dieux sont des modèles, quelquefois faillibles mais non moins impérieux et ils entraînent l'aventure humaine dans un jeu de ressemblance où le visible et l'invisible, le mortel et l'immortel s'entremêlent : et c'est ainsi qu'est formée la trame du monde.

L'humanitas pour les anciens n'excluait donc nullement quelque oubli de soi, en tant que pure existence immanente. S'il était donné à l'humain de côtoyer le monde divin et ses aléas prodigieux et parfois indéchiffrables, ce n'était certes point pour s'imaginer seul au monde ou réduit à quelque déterminisme subalterne. L’Épopée nous renseigne mieux que tout autre témoignage : l'aventure humaine, l'humanitas, obéit à la prédilection pour l'excellence conquise, au dépassement de soi-même, au défi lancé sous le regard des dieux, à la condition humaine. Être humain, dans l’Épopée, se mesure moins  en termes d'acquis que de conquête. La conscience elle-même est pur dépassement. Cette verticalité seule, issue des hautes splendeurs divines, nous laisse une chance de comprendre le monde en sa profondeur, d'en déchiffrer la trame auguste.

Ulysse est l'exemple du héros car son âme songeuse, éprise de grandeur est à l'écoute des conseils et des prédictions de Pallas-Athéna. Âme orientée, l’Âme d'Ulysse est elle-même car elle ne se contente point du déterminisme humain. Elle discerne plus loin et plus haut les orées ardentes de l'invisible d'où les dieux nous font parvenir, si nous savons être attentifs, leurs messages diplomatiques.

Le Bouclier d'Achille, ─ sur lequel Héphaïstos a gravé la terre, la mer, le ciel et le soleil ─, est le miroir du monde exemplaire. Par lui, le héros qu'il défend sait comment orienter son attention. L'interprétation du monde est l'objet même du combat, car il n'est point de connaissance sans vertu héroïque. Toute Gnose est aristéia, récit d'un Exploit où le héros est en proie à des forces qui semblent le dépasser. La vertu héroïque est l’areté, la noblesse essentielle qui confère la maîtrise, celle-là même dont Homère donne l'exemple dans son récit. C'est aussi grâce à cette maîtrise, que, selon l'excellente formule de l'éminent helléniste Werner Jaeger, « Homère tourne le dos à l'histoire proprement dite, il dépouille l'événement de son enveloppe matérielle et factuelle, il le crée à nouveau. »

Cette recréation est l'essence même de l'art d'être. L'histoire n'est faite en beauté que par ceux qui ne se soumettent pas aux lois d'un plat réalisme. Il n'est rien de moins « naturaliste » que l'idéologie grecque. La Nature pour Homère témoigne d'un accord qui la dépasse, et le nom de cet accord n'est autre que l'Art. L'aristéia, l'éthique chevaleresque ne relèvent en aucune façon de cette morale naturelle à laquelle nos siècles modernes s'efforcent en vain de nous faire croire.  « Pour Homère et pour les Grecs en général,poursuit Werner Jeager, les limites ultimes de l'éthique ne représentent pas de simples règles d'obligation morale : ce sont les lois fondamentales de l’Être. C'est à ce sens des réalités dernières, à cette conscience profonde de la signification du monde, ─ à côté de laquelle tout "réalisme" paraît mince et partiel ─ que la poésie homérique doit son extraordinaire pouvoir ».

Échappant au déterminisme de la nature par les profonds accords de l'Art qui dévoilent certains aspects des réalités dernières, le héros grec, figure d'exemplarité, confère aussi à sa propre humanité un sens tout autre que celui que nous lui donnons dans notre modernité positiviste. L'humanité, pour Homère, pas davantage que pour Platon, n'est une catégorie zoologique. L'homme n'est pas un animal amélioré. Il est infiniment plus ou infiniment moins selon la chance qu'il se donne d'entrer ou non dans le Songe de Pallas.

Il n'est pas certain que l'anthropologie moderne fût à même de saisir au vif de son éclat poétique et héroïque cette idée de l'humain dont l'âme est tournée vers un message divin. Cette idée récuse à la fois les théories de l'inné et les théories de l'acquis qui se partagent la sociologie moderne, ─ et ne sont que deux aspects d'un même déterminisme profane ─, pour ouvrir la conscience à de plus glorieux appels. L'homme n'est la mesure que par les hauteurs et les profondeurs qu'il conquiert et qui appartiennent à d'autres préoccupations que celles qui prévalent dans l'esprit bourgeois.

Or, celui qui ne règne que par la force brute de l'argent a fort intérêt à nier toute autre forme de supériorité et d'autorité. Nul ne profite mieux de la disparition des hiérarchies traditionnelles que l'homme qui exerce dans l'ordre du pouvoir de l'état de fait. Il n'en demeure pas moins que, dans la médiocratie, il y a d'une part ceux qui profitent de l'idéologie de la médiocrité et d'autre part ceux qui y consentent et la subissent, faute de mieux. Mais dans un cas comme dans l'autre chacun tient pour fondamentalement juste et moral de dénigrer toute autorité spirituelle, artistique ou poétique, tout en subissant de façon très-obséquieuse le pouvoir dont il dépend immédiatement. Il n'y a là au demeurant rien de surprenant ni de contradictoire, la soumission au pouvoir étant, par définition, inversement proportionnelle à la fidélité à l'autorité.

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Soumis au pouvoir, jusqu'à idolâtrer ses représentations les plus dérisoires, le moderne se fait du même coup une idéologie dominante de son aversion pour l'autorité. Cette aversion n'est autre que l'expression de sa honte et de son ressentiment ; honte à subir sans révolte l'état de fait humiliant, ressentiment contre d'autres formes de liberté, plus hautes et plus dangereuses.

L'autorité légitime, légitimée par la vertu noble, l'areté au sens grec, est en effet l'apanage de celui qui s'avance le plus loin dans les lignes ennemies, le plus loin au-delà des sciences connues et des notions communément admises. Au goût de l'excellence dans le domaine du combat et des arts correspond l'audace inventive dans les sciences et dans la philosophie. Si nous voyons le moderne, ─ peu importe qu'il soit « libéral » ou « socialiste », « démocrate » ou « totalitaire », dévot de l'inné ou de l'acquis ─, si peu inventif, hormis dans le domaine des applications techniques et utilitaires, il faudra admettre que le modèle sur lequel il calque son idée d'humanité le prédispose à une certaine passivité et à une indigence certaine.

Le simple bon sens suffit à s'en convaincre : une idéologie déterministe ne peut que favoriser les comportements de passivité et de soumission chez les individus et entraîner la civilisation à laquelle ils appartiennent vers le déclin. L'individu qui se persuade que la destinée est essentiellement déterminée par le milieu dont il est issu ou par son code génétique se rend sourd aux vocations magnifiques. Il se condamne à la vie médiocre et par cela même se rend inapte à servir le Pays et sa tradition. Seule l'excellence profite à l'ensemble. Le médiocre, lui, ne satisfait que lui-même dans ses plus basses complaisances.

Les principes aristocratiques de la plus ancienne culture grecque nous donnent ainsi à comprendre en quoi nos alternatives, coutumières en sciences politiques, entre l'individualisme et le collectivisme ne valent que dans une science de l'homme qui ignore tout de l’au-delà du déterminisme, si familier aux héros de Homère dans leur exemplarité éducative et politique. Les Exploits, les actions qui témoignent de la grandeur d'âme rompent avec l'enchaînement des raisons médiocres et peuvent seuls assurer en ce monde une persistance du Beau, du Vrai et du Bien.

La Grèce archaïque et la Grèce classique, Homère et Platon, s'accordent sur cette question décisive : le Beau, le Vrai et le Bien sont indissociables. Les circonstances malheureuses qui prédisposaient Ulysse à faillir à l'honneur sont mises en échec par l'intervention de la déesse. Pallas-Athénée est, dans l'âme du héros, la liberté essentielle, héroïque, divine, qui échappe aux déterminismes, et guide sa conscience vers la gloire, vers l'ensoleillement intérieur.

Dans cette logique grecque archaïque l'individu ne s'oppose pas à la collectivité, de même que celle-ci n'est pas une menace pour l'individu (ce qui dans le monde moderne est presque devenu la règle). La valeur accordée à l'amour-propre et au désir de grandeur, la recherche de la gloire et de l'immortalisation du nom propres aux héros de la Grèce ancienne excluent toute possibilité de l'écrasement de l'individu par la collectivité, d'autant plus qu'inspirés par le monde des dieux, l'éclat et la gloire du héros le portent dans l'accomplissement même de ses plus hautes ambitions à être le plus diligent serviteur de la tradition dont il est l'élu.

L'Aède hausse la gloire humaine jusqu'à l'illustrer de clartés divines et lui forger une âme immortelle dont d'autres de ses semblables seront dépourvus, ─ mais dans cette inspiration heureuse, il honorera son Pays avec plus d'éclat et de façon plus durable que s'il se fût contenté d'un rôle subalterne ou indiscernable. L'individu ne sert avec bonheur sa communauté que s'il trouve en lui la connaissance qui lui permettra d'exceller en quelque domaine. Le rapide déclin des sociétés collectivistes modernes montre bien que l'individu conscient de lui-même en son propre dépassement est la source de toutes les richesses de la communauté. Mais le déclin des sociétés individualistes montre, quant à lui, que l'individu qui croit se suffire à lui-même, qui dédaigne le Songe de Pallas et ne conçoit plus même recevoir les biens subtils des anciens avec déférence, amène à un nivellement par le bas, une massification plus redoutable encore que ceux des sociétés dites « totalitaires ».

Ce monde moderne où nous vivons, ─ est-il seulement nécessaire de formuler quelque théorie pour en révéler l'aspect sinistre ? La médiocrité qui prévaut, hideux simulacre de la Juste Mesure, n'est pas seulement l'ennemie des aventures prodigieuses, elle est aussi, et de façon de plus en plus évidente, le principe d'une inhumanité auprès de laquelle les pires désastres de l'histoire antique paraissent anecdotiques et bénins. Si l'humanitas des anciens fut en effet une création de l'idéal aristocratique, tel que l'illustre l'épopée d'Homère, la médiocrité moderne, elle, engendre une inhumanité placée sous le signe de l'homme sans visage, de l'extermination de masse, du pouvoir absolu et de la haine absolue pour laquelle la fin justifie les moyens dans le déni permanent des fondements mêmes de toute morale chevaleresque. Au Dire, au Logos, et à l'areté qui en est l'expression humaine, le monde moderne oppose le Dédire universel.

De nos jours, les philosophes ne cherchent plus la sagesse ; ils « déconstruisent ». Les poètes ne hantent que les ruines d'un édifice d'où l'être a été chassé. Les « artistes » s'acharnent à ce que leurs œuvres ne fussent que « matière » et « travail » : et certes, elles ne sont plus en effet que cela. Et tout cela serait de peu d'importance si l'art de vivre et les sources mêmes de l'existence n'en étaient atteints, avec la grâce d'être.

Les œuvres grecques témoignent de cette grâce qui semble advenir à notre entendement comme dans une ivresse ou dans un rêve. Le royal Dionysos entraîné dans la précise légèreté de son embarcation, dans l'immobilité rayonnante d'un cosmos aux limites exactes, la Korê hautaine et rêveuse, l'intensité victorieuse du visage d'Athéna, nous donnent un  pressentiment de ce que pourrait être une vie dévouée à la grandeur. Mais de même que le concept d'humanité diffère selon que l'envisage un poète homérique ou un sociologue moderne, l'idée de grandeur, lorsqu'elle en vient à prendre possession d'une destinée collective prend des formes radicalement différentes selon qu'elle exprime la démesure technocratique de l'agnostique ou la Sapience du visionnaire.

Les œuvres de la Grèce archaïque nous apprennent ainsi qu'il n'est de grâce que dans la grandeur : celle-ci étant avant tout la conscience des hauteurs, des profondeurs et des latitudes de l'entendement humain et du monde. Les actions et les œuvres des hommes atteignent à la grâce lorsqu'elles témoignent d'un accord qui les dépasse. Alors que le moderne ne croit qu'à la puissance colossale, à la pesanteur, à la masse, à la matière, la Grèce dont il se croit vainement l'héritier, nous donne l'exemple d'une fidélité à l'Autorité qui fonde la légitimité supérieure de la légèreté ouranienne, de la mesure vraie, musicale et mathématique, du Cosmos qui nous accueille dans une méditation sans fin. C'est par la grâce de la grandeur que nous pouvons être légers et aller d'aventure, avec cette désinvolture aristocratique qui prédispose l'âme aux plus belles inspirations de Pallas.

La lourdeur presque invraisemblable de la vie moderne, tant dans ses travaux que dans ses loisirs, la solitude absurde dans laquelle vivent nos contemporains entassés les uns sur les autres et dépourvus de toute initiative personnelle, l'évanouissement du sentiment de la réalité immanente, à laquelle se condamnent les peuples qui ne croient qu'en la matière, l'inertie hypnagogique devant les écrans à laquelle se soumettent les ennemis acharnés de toute déférence attentive, ne doit nous laisser ni amers ni indignés : il suffit que demeure en nous une claire résolution à inventer, d'abord pour quelques-uns, une autre civilisation.

her3.jpgDe quelle nature est cette claire résolution ? Aristocratique, certes, mais de façon originelle, c'est-à-dire n'excluant à priori personne de son aventure. La clarté où se déploie cette résolution ne l'exempte pas pour autant du mystère dont elle est issue, qui se confond avec les tonalités essentielles de la pensée grecque telle que sut la définir Nietzsche : le rêve et l'ivresse. Rien, jamais, en aucune façon ne saurait se faire sans l'intervention de l'Inspiratrice qui surgit des rêves les plus profonds et les plus lumineux et des ivresses les plus ardentes. Cet au-delà de l'humain, qui fonde l'humanitas aristocratique, en nous permettant d'échapper au déterminisme et au nihilisme, fait de nous, au sens propre des créateurs, des poètes ; et chacun voit bien qu'aujourd'hui, il ne saurait plus être de chance pour la France  que de se rendre à nouveau créatrice en suivant une inspiration hautaine !

Grandeur d'âme et claires résolutions

Sur les ailes de l'ivresse et du rêve, Pallas est l'inspiratrice hautaine qui appelle en nous de claires résolutions.

Le Songe d'une nouvelle civilité naît à l'instant où nous cessons d'être emprisonnés dans la fausse alternative de l'individu et de la collectivité. Pallas-Athéna, qui délivre Ulysse de sa faiblesse, nous donne l'audace de concevoir la possibilité d'une existence plus légère, plus grande et plus gracieuse, ─ délivrée de la pesanteur dont le médiocre écrase toute chose belle et bonne.

L'Utilité, qui n'est ni vraie, ni belle, ni bonne, est l'idole à laquelle le médiocre dévoue son existence. L'utilitaire se moque de la recherche du Vrai et de l'Universel et, d'une façon plus générale, de toute métaphysique. Ce faisant, il s'avère aussi radicalement étranger au Beau et au Bien. Conformant son existence au modèle le plus mesquin, le médiocre est le principe du déclin des civilisations. La grandeur d'âme que chante Homère, l'ascendance philosophique vers l'Idée que suscite l'œuvre de Platon, ont pour dessein de délivrer l'homme de la soumission aux apparences et de le lancer à la conquête de l'excellence. L'idéal aristocratique de la Gloire, dont les Grecs étaient si farouchement épris, est devenu si étranger à l'immense majorité de nos contemporains que son sens même et sa vertu créatrice échappent au jugement, toujours dépréciateur, que l'on porte sur sa conquête.

Tel est pourtant, le secret même du génie grec d'avoir su, par la recherche de la gloire exalter la personne, lui donner la plus vaste aire d'accomplissements qui seront la richesse de la civilisation toute entière. Alors que le médiocre, subissant le déterminisme limite son existence à ses proches et n'apporte rien à quiconque d'autre, l'homme à la conquête de la gloire, à l'écoute des plus exigeantes injonctions de la déesse, va s'élever et, de sa pensée et de ses actions, être un dispensateur de bienfaits bien au-delà du cercle étroit auquel l'assignent les circonstances immanentes.

L'idéal aristocratique de la Grèce archaïque, ─ que la philosophie de la Grèce classique va universaliser ─, unit ainsi en un même dessein créateur les exigences de l'individu et celles de la communauté, dépassant ainsi la triste et coutumière alternative « politologique » des modernes. Cet idéal dépasse aussi, du même coup, l'opposition entre les tenants de l'universalisme et ceux de l'enracinement. La hauteur ou le faîte éblouissant de l'Universel qui se balance au vent garde mémoire des racines et de l'humus.

Nous reviendrons, dans la suite de notre ouvrage sur la question des racines et du droit du sol lorsque le moment sera venu d'établir la filiation entre l'idée grecque et la tradition française dans l'immense songe de Pallas qui les suscite avec le pressentiment d'une civilisation ouranienne et solaire. Pour lors, il importe de garder présente à l'esprit cette nécessaire amplitude du regard propre à la poésie homérique et sans laquelle tout dessein poétique et politique demeure incompréhensible. Quelques-uns hasarderont que ces considérations relèvent bien davantage de la poésie que du politique, sans voir qu'il n'est point de politique digne de ce nom, qui ne fût, pour l'ancienne Grèce, ordonnée à la poésie.

Dès lors que la politique prétend se suffire à elle-même et ne cherche plus dans la poésie la source de son dessein, elle se réduit, comme nous y assistons depuis des décennies, à n'être plus qu'une gestion d'un ensemble d'éléments qui relèvent eux-mêmes exclusivement du monde sensible. Gérer est le maître-mot de nos temps mesquins où l'esprit bourgeois est devenu sans rival, alors que le héros homérique, tout au contraire n'existe que par le refus de cette mesquinerie et l'audace fondatrice à se rebeller contre les « réalités », à se hausser et à hausser sa destinée dans la région resplendissante du Mythe et du Symbole. Alors que le moderne croit faire preuve de pertinence politique en se limitant à « gérer » une réalité dont il peut reconnaître le cas échéant, le caractère déplaisant, le héros d'Homère, obéissant à une autorité supérieure à tous les pouvoirs et toutes les réalités, va s'aventurer en d'imprévisibles épreuves et conquêtes. Tout se joue à la fois dans le visible et l'Invisible, celui-là n'étant que la répercussion esthétique de celui-ci. L'amplitude du regard épique ouvre l'angle de l'entendement jusqu'aux deux horizons humains et divins, qu'il embrasse, disposant ainsi l'âme à reconnaître la grandeur.

Nul ne méconnaît l'importance des modèles dans la formation des hommes. Le génie grec fut de proposer un modèle exaltant, toujours mis en péril par l’Éris qui nous incite à nous dépasser nous-même. Le moderne qui se fait de la médiocrité un modèle se condamne à devoir céder sans résistance à l’Éris malfaisante, la Querelle inutile, qui traduit toute puissance en moyen d'anéantissement, alors que l’Éris bienfaisante s'exprime en œuvres d'art, en civilités subtiles et ferventes apologies de la beauté.

Le moderne qui ne tarit pas en déclarations d'intention, pacifistes ou « humanitaires » ne connaît en matière d'expression de puissance que l'argent qui fait les armes et peut-être qu'en dernière analyse, au-delà des confusions nationales et idéologiques, les guerres modernes ne sont-elles rien d'autre que des guerres menées par des hommes armés contre des hommes, des femmes et des enfants désarmés, selon des finalités purement instinctives et commerciales. Telle est la conséquence de la négation de l'idéal chevaleresque, que l'on récusait naguère encore pour avoir partie liée à la violence !  Or, les codes d'honneur de l’Épopée et des Chansons de Geste furent précisément une tentative de subjuguer la brutalité à des fins plus nobles, de changer autant que possible l’Éris néfaste, destructrice, en Eris généreuse, prodigue de dons et de protections à l'égard des plus faibles. Nier cet idéal chevaleresque, sous prétexte qu'il traitât de la violence, revenait à se livrer à l'hybris de la violence pure.

La persistance à méconnaître cette erreur d'interprétation ne fut point sans verser les sciences humaines « démocratiques » dans l'ornière où nous les trouvons. La méditation de la source grecque nous préservera déjà d'interpréter les notions politiques à rebours de leur étymologie. La démocratie, que peut-elle être d'autre sinon très-exactement le pouvoir du Démos ? Le respect de la personne humaine, de ses libertés de penser et d'être, auxquels on associe, fort arbitrairement, le mot de démocratie n'est pas davantage inscrit dans l'étymologie que dans l'histoire de la démocratie. Croire que le pouvoir du plus grand nombre est par nature exempt d'abominations est une superstition ridicule que ne cesse de démentir, hélas, la terrible histoire du vingtième siècle. Mais les hommes en proie aux superstitions ont ceci de particulier que le plus éclatant démenti ne change en rien leur façon de voir, ou, plus exactement, de ne pas voir. La forme moderne de la superstition est l'opinion que l'on possède et que l'on exprime, entre collègues, au café ou le jour des élections un peu partout, et dont il va sans dire qu'elle est, du point de vue qui nous intéresse ici, sans aucune valeur.

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Insignifiante par définition, l'opinion relève de la croyance mais d'une croyance imposée de l'extérieur et d'ordre presque mécanique. L'individu moderne possède l'opinion précise qui le dispensera le mieux d'être livré à l'exercice difficile de la pensée. Nous savons, ou nous devrions savoir, depuis Platon, qu'avoir ses opinions c'est ne pas penser. Ce n'est pas même commettre une erreur, se fourvoyer, succomber à quelque maladresse fatale, ─ c'est tout simplement consentir à ne pas tenter l'aventure de la pensée. On peut à bon droit reprocher à certaines formes de démocratie d'avoir favorisé de façon démesurée cette outrecuidance de l'opinion, cette prétention de la non-pensée à s'ériger en doctrine. Et il n'y a pas lieu de s'étonner outre mesure que la plus ancienne démocratie connue fît condamner Socrate, auteur de tant de subtiles maïeutiques ! Si la formulation, et la mesure quantitative des « opinions » suffisent à créer une légitimité, toute autre forme de pensée ne saurait en effet apparaître que rivale et dangereuse.

Le système parlementaire a ses vertus mais l'idéologie démocratique demeure, elle, singulièrement menaçante à l'endroit de toute pensée qui prétend à trouver sa légitimité non point en quelque fin utile mais dans son propre parcours infini. Le Voyage d'Ulysse accompagne dans l'invisible celui qui tente d'échapper à la tyrannie de l'Opinion. L'interprétation infinie du monde, héroïque et poétique, débute avec cette délivrance. L'idéologie démocratique se propose à travers ses sciences humaines, positivistes ou matérialistes, comme une explication totale du monde et de l'homme, ─ explication totale d'autant plus facile à formuler, et à promouvoir, qu'elle se fonde sur la négation du haut et du profond et réduit le monde à la platitude de quelques schémas. A cette outrecuidance de l'explication, l'épopée oppose le génie de l'interprétation infinie, la science d'Hermès-Thot : l'herméneutique. Il n'est pas vain de redonner à ce terme passablement galvaudé sa consonance mythique, sans quoi il se réduit à ne recouvrir que d'assez fastidieuses gloses universitaires ! Or, on ne saurait concevoir de philosophie politique dans la méconnaissance de la forme d'intelligence qu'elle tend à favoriser.

L'humanitas, en politique, consiste d'abord à tenir pour important ce qu'il advient de la nature humaine, quels types d'hommes tendent à apparaître ou disparaître et dans quelles circonstances. Autant de questions que les gestionnaires modernes refusent en général de se poser. Les modèles n'en demeurent pas moins opératoires, et particulièrement, les pires d'entre eux. Les modèles du moderne sont à la fois dérisoires et inaccessibles ; ils ne mobilisent son énergie que pour l'illusion : la copie d'une réalité sensible qui elle-même n'advient à l'entendement que sous la forme d'une opinion : d'où l'extraordinaire prolifération des écrans, avec leurs imageries publicitaires. A cet assujettissement au degré le plus inférieur du réel, à savoir la copie de l'immanence, l'areté homérique, tout comme l'Idée platonicienne, ─ qui n'est autre que sa formulation philosophique ─, oppose le désir du Haut, de l'Ardent et du Subtil. A ces grandes âmes le monde sensible ne suffit pas. Au-delà des représentations, des ombres, des copies, des simulacres, l'âme héroïque entrevoit une présence magnifique, victorieuse de toute temporalité et de tout déterminisme, et de laquelle elle désire amoureusement s'emparer.

La veulerie, la laideur, la lourdeur, ─ tout ce qui rend impossible la résistance au Mal ─, que sont-elles sinon ces qualités négatives qui indiquent l'absence de la grandeur d'âme ? Celui qui ne désire plus s'élever vers les régions resplendissantes de l'Idée, c'est à la lourdeur qu'il s'adonne. L'individualité vertigineusement égocentrique des modernes, dont témoigne la disparition de l'art de la conversation, ne change rien au fait que, par leur matérialisme, qui n'est rien d'autre qu'un abandon à la lourdeur, et leurs opinions qui ne considèrent que les représentations du monde sensible, ─ qu'ils s'abusent à croire « objectives » ─, les modernes s'éloignent de la possibilité même de l'Art.

Morose, brutal, mécanique et lourd, le moderne ne laisse d'autre choix à celui qui veut être de son temps qu'entre l'hybris technologique ou l'intégrisme religieux ou écologique qui ne sont que l'avers et l'envers d'un même nihilisme. Après avoir perdu toute foi et toute fidélité et, par voie de conséquence, la force créatrice nécessaire au dessein artistique, le moderne ressasse ses dévotions à l'idole morne de l'Utile. Que la personne humaine eût une vertu propre et qu'il fût de son devoir  de l'illustrer en œuvres de beauté, ces notions-là sont devenues à tel point étrangères que toutes les idéologies récentes peuvent se lire comme des tentatives, à l'encontre de la philosophie platonicienne, de maintenir le plus grand éloignement possible entre la morale et l'esthétique. Tout conjure en cette fin de siècle pénombreux où nous nous trouvons à faire de nous de simples objets d'une volonté elle-même sans objet. L'idolâtrie de la prouesse technique, réduite à elle-même dans une souveraineté dérisoire n'est pas sans analogie avec la morale puritaine qui prétend se suffire à elle-même, en dehors de toute référence au Beau et au Vrai.

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Le moralisme intégriste, dont l'expression directe est le crime, rejoint le moralisme technocratique qui profane le monde de fond en comble. Le monde moderne qui tant voulut confondre la juste mesure avec la tiédeur, se trouve désormais en proie au pouvoir exclusif des profanateurs. Loin d'être un quelconque retour aux temps anciens, l'intégrisme serait bien plutôt un des accomplissements ultimes de la modernité.

L'éloignement du Songe de Pallas et de l'idéal aristocratique, nous livre à ces irrationalités farouches. Certains s'effarent de l'extension, dans nos univers urbains et bourgeois, des superstitions les plus aberrantes. Le New-Age, les marabouts, les pratiques occultes les plus répugnantes, gagnent un nombre croissant d'adeptes dont les existences bourgeoises, impliquant l'usage quotidien de techniques dites « avancées » paraissent livrées sans défense à de monstrueuses déraisons. Telles sont quelques-unes des conséquences de la « déconstruction » du Logos platonicien. La haine de la métaphysique, quand bien même elle use à ses débuts d'arguments « rationalistes » a pour conséquence fatale la destruction de la Raison, ─ celle-ci n'étant qu'une réfraction de l'Idée et du Logos. La réfutation de toute hiérarchie métaphysique, la volonté acharnée de réduire l'angle de l'entendement humain au seul domaine du sensible, la négation de l'objectivité du monde métaphysique, la réduction des royaumes de l'âme à quelque « inconscient » psychanalytique contribuèrent de façon décisive à saper le fondement même de la Raison qui n'est jamais que l'instrument de la métaphysique en tant que science de l'Universel. Les généticiens nazis, les informaticiens qui font « marabouter » leurs entreprises expriment la déraison d'une modernité scientifique qui est à l'origine des plus abominables possibilités de manipulation de l'être humain. Désormais les Titans règnent sans partage. Mais à quelques-uns d'entre nous les dieux dissimulés dans les profondeurs vertigineuses et éblouissantes de l'Ether font signe.

Nous sommes de ceux qui croient qu'un Grand Songe peut seul nous sauver de cette terrible déraison qui envahit tout. Seule la célébration d'un Mystère nous rendra aux sagesses sereines du Logos, ─ et nous montrerons, dans la suite de cet ouvrage, que ce Mystère ne saurait plus être qu'un Mystère français. Que la philosophie politique, selon la terminologie française, fût d'étymologie grecque suffit à justifier notre déférence pieuse au Songe de Pallas. La « polis » grecque contient ces deux notions de Cité et d’État que la Monarchie saura concilier avec les bonheurs et les malheurs que l'on sait.

Pallas n'en doutons pas veille sur les beaux accomplissements de la Monarchie française. L'alliance du mystère et de la raison, la beauté propre à cette double clarté qui donne aux choses leur relief et leur profondeur me paraît du privilège des cultures grecques et françaises. Les exégètes modernes, qui vantent la clarté française et la raison grecque semblent ignorer avec application les prodigieuses arborescences métaphysiques dont elles sont issues. Ils ne veulent gloser que sur certains effets et dédaignent le rêve immense où ils prennent place.

Redisant l'importance de la beauté du geste et l'éternité irrécusable du plus fugace lorsqu'il illustre la fidélité à une souveraineté qui le dépasse, le Songe de Pallas nous rend la Raison en nous délivrant du rationalisme. La distinction entre la raison et le rationalisme paraîtra spécieuse à certains. Elle n'en tombe pas moins sous le sens. Car la raison digne de ce nom s'interroge sur elle-même : elle est Raison de la raison, quête infinie alors que le rationalisme n'est qu'un système qui soumet la pensée à une opinion. Le rationalisme est le sépulcre de la haute raison apollinienne qui ordonne les bienfaits, établit d'heureuses limites et œuvre en ce monde sensible selon la Norme intelligible. Or, Apollon qui, selon la thèse de Nietzsche est le dieu de la mesure est aussi le dieu de la sculpture et du rêve. La forme de la beauté qui s'inscrit dans le paysage qui définit l'espace par ses figures mythiques et ses orientations symboliques, affermit la raison alors même qu'elle invite au rêve.

Mais de quelle nature est au juste ce rêve qui nous délivre ? A quel règne appartient-il ? Quels sont ses privilèges et ses vertus ? Le consentement à une pensée qui n'exclut point les hiérarchies du visible et de l'Invisible, les imageries poétiques de la hauteur et les mathématiques subtiles des lois célestes nous inclinent à voir dans le sentiment qu'éveille en nous le Songe de Pallas, un assentiment primordial à la légèreté.  Il serait bien vain de se référer aux mythologies anciennes si nous n'étions plus à même d'en éveiller en nous d'intimes résonances. Le seul nom de Pallas-Athéna intronise dans notre âme un règne victorieux de la pesanteur. L'exactitude intellectuelle que requiert la déesse nous ôte la possibilité de l'abandon à la veulerie de l'informe. Tel est sans doute le secret de l'euphorie rêveuse qu'éveille sa présence en nous. Car le Songe que Pallas éveille en nous est tout d'abord un envol, et de cet envol nous tiendrons, jusqu'aux étincelantes armes de la raison, la connaissance de la dimension verticale du monde qui est le principe même de toute connaissance métaphysique.

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La limite du pouvoir qu'exercent les utilitaires et les puritains est la limite de tout pouvoir. Le pouvoir aussi hypertrophié soit-il n'a de pouvoir que sur le pouvoir : l'autorité lui échappe, qui incombe elle, de la résolution que suscite en nous l'intervention de Pallas. Autant dire, d'ores et déjà, que nous n'aurons de cesse d'avoir redonné à notre résolution les formes que lui mérite son inspiratrice ! Qu'il soit bien entendu qu'il ne sera plus jamais question de céder si peu que ce soit de ce qui nous appartient aux Barbares. Face à la permanente apologie de l'informe nous ne serons pas sans fierté de paraître quelquefois intolérants. Que l'on renonce à nous vouloir bienveillants à l'égard du vulgaire ou du lourd ou disposés à leur trouver quelque excuse ! Nous voyons en l'idéologie de l'équivalence du tout avec n'importe quoi le signe de cette confusion qui, si nous n'y prenons garde, nous asservira aux pires idoles.

C'est au plus bas que les choses bonnes et mauvaises se confondent et c'est au plus haut qu'elles s'unissent après être passées par l'équateur des plus nettes distinctions. Feindre de croire que les distractions de masse et la publicité puisse être équivalentes de quelque façon aux poèmes de Scève ou de Mallarmé revient à donner aux premières une insupportable éminence. L'état de fait qui, dans nos sociétés de masse revient à accorder plus d'importance aux expressions rudimentaires et barbares, est-il encore nécessaire de s'y soumettre au point de leur trouver, par surcroît quelque légitimation « intellectuelle » ? Faut-il toujours ajouter au pouvoir déjà abusif par lui-même l'abus incessant de nos obséquiosités de vaincus ? Telle est pourtant l'attitude d'une grande majorité de nos intellectuels qui assistent de leurs applaudissements l'extinction progressive de toute intellectualité. Nous sommes sans hésiter de ces élitistes affreux qui tiennent en mépris les amusements du plus grand nombre. Nous sommes avec enthousiasme les ennemis des « intellectuels », ─ que Péguy sut traiter comme il convient, ─ dont le parti pris démocratique n'est autre qu'une lâche approbation de la force effective du plus grand nombre.  

Ces gens-là, ayant pris le parti de la force la plus massive s'imaginent à l'abri de tout revers et de toute vindicte, et il est vrai qu'en cet Age Noir où nous sommes, le cours des choses, que les cuistres nomment l'Histoire, semble en effet aller à leur avantage, ─ mais nous ne sommes pas non plus de ceux qui trouvent leur plus grande satisfaction à suivre le chemin le plus avantageux. Notre joie s'accroît à la conscience que nous prenons de la nécessité de résister ; telle est exactement la différence qui existe entre l'idéologie collaboratrice et l'idéologie résistante. L'une se targue du réalisme et du caractère irrécusable de l'état de fait, l'autre augure et s'aventure pour l'honneur, qui est fidélité au Bien et au Beau universels. Si les conditions immanentes sont défavorables au triomphe du Juste, ─ comment saurait-t-il être question, pour un homme d'honneur, de « s'adapter »?

Toute la ruse de la modernité consiste à faire en sorte que nous nous trompions de combat et que les sentiments nobles qui n'ont pu être anéantis fussent employés à mauvais escient, en des combats douteux et de fausses espérances. D'où l'importance de la remémoration religieuse des mythes et de la poésie fondatrice de la Cité. L'exercice du discernement et l'exercice de la poésie ne sont point exclusifs l'un de l'autre. Quiconque sut dévouer son attention à une œuvre de poésie au point d'y fondre ses propres intuitions et états d'âme, sait bien qu'une des vertus les moins rares du poème est d'ajouter à l'entendement des modes opératoires un discernement qui gagne en finesse à mesure que l'on s'abandonne à l'euphorie des rythmes et des rimes. Une politique radicalement séparée de la poésie, ainsi que l'envisagent les « démocrates » modernes, revient à assujettir la Cité à la dictature d'une science utilitaire dont les ressorts irrationnels, les soubassements de volonté de puissance ne peuvent nous entraîner que vers les désastres de l'Hybris.

Or, sinon la mesure musicale, l'attention portée aux nuances et la fervente exactitude de la pensée, que reste-t-il pour résister à l'Hybris ? La poésie seule est le recours. La poésie est la seule chance pour échapper aux parodies, mi-cléricales, mi-technocratiques, qui se substituent désormais  aux défuntes autorités. Bientôt nous n'aurons plus le droit de dire un mot plus haut que l'autre. Et tout se joue dans la hauteur divine des mots, ─ qui certes les accorde en musique mais leur donne aussi une couleur différente selon leur élévation plus ou moins grande dans les secrets d'azur des états multiples de l'être. Selon leur hauteur sur la gamme des nues, les mots chantent et brillent de façon différente. Les divines gradations exaltent en nous le meilleur : le plus délié et le plus intemporel.

L'anamnésis, le seuil éblouissant, la Cité inspiratrice

La véritable anamnésis emporte ainsi le meilleur de nous-même sur les chevaux ailés de la poésie. Notre ressouvenir est l'essor. Il nous élève vers des nues de plus en plus transparentes : au sens exact, nous gagnons les hauteurs. Toute connaissance est élévation et réminiscence. « Ainsi, l’âme, est-il dit dans le Ménon, immortelle et plusieurs fois renaissante, ayant contemplé toutes choses, et sur la terre et dans l'Hadès, ne peut manquer d'avoir tout appris. Il n'est donc pas surprenant qu'elle ait, sur la vertu et le reste, des souvenirs de ce qu'elle en a su précédemment. La nature entière étant homogène et l'âme ayant tout appris, rien n'empêche qu'un seul ressouvenir (c’est ce que les hommes appellent savoir) lui fasse retrouver tous les autres, si l'on est courageux et tenace dans la recherche ; car la recherche et le savoir ne sont au total que réminiscence ». Tout dans le monde moderne conspire à nous livrer à l'oubli morose. Ceux que la réminiscence ne ravit plus sont condamnés à n'être que des écorces mortes. Il faut encore que l'expérience du ressouvenir soit en nous un ravissement intense pour que nous devenions dignes d'œuvrer aux retrouvailles avec les origines poétiques et politiques de notre civilisation.

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Du poétique et du politique, aussi indissociables que l'âme et le corps qu'elle anime, la concordance fonde les hautes civilisations. Mais cette concordance est elle-même la preuve de l'advenue de la réminiscence sans laquelle ce qui unit le plus lointain et le plus proche tombe dans l'oubli. Ceux qui, dans notre triviale modernité, se distinguent par quelque inclinaison à l'héroïsme se caractérisent ainsi par leur vif désir d'aller en amont des idées dont il ne subsiste, en effet, de nos jours, que des formes vides. En amont des définitions scolaires, il y eut l'appel du Large, et les aventures prodigieuses, le voisinage des dieux, les enchantements et les dangers.

Les discussions vétilleuses qui supposent que le Bien, le Beau et le Vrai puissent être considérés séparément tombent à la seule évidence de l'areté grecque qui proclame que le Beau est mon seul Bien et qu'il ne saurait être de Vérité qui nous contraigne à subir la loi de la laideur. Chercher le Vrai au détriment du Beau et du Bien, le Beau au détriment du Vrai et Bien ou encore le Bien au détriment du Beau et Vrai procède d'une aberration semblable à celle qui chercherait à s'approprier la dureté du diamant au détriment de sa transparence. Le Vrai, le Beau et le Bien ne sont pas des réalités distinctes mais des aspects d'une vertu unique que l'on conquiert par un incessant dépassement de soi-même.

Dans le visible, ni dans l'invisible, il n'est rien d'acquis. Tout se joue, toujours, dans la mise en péril donatrice qui, privilégiant l'audace, nous éloigne de nos semblables et nous rapproche du seuil éblouissant que la raison corrobore. L'acte du raisonnement, loin d'y contredire, nous invite au voyage du dieu.

« Il faut en effet, écrit Platon, que l'homme saisisse le langage des Idées lequel part d'une multiplicité de sensations et trouve l'unité dans l'acte du raisonnement. Or, il s'agit là d'une réminiscence des réalités jadis vues par notre âme, quand elle suivait le voyage du dieu et que dédaignant ce que nous appelons à présent des êtres réels, elle levait la tête pour contempler l'être véritable. Aussi bien il est juste que seule la pensée du philosophe ait des ailes car les objets auxquels elle se cesse de s'appliquer par son souvenir, autant que ses forces le lui permettent, sont justement ceux auxquels un dieu, parce qu’il s'y applique doit sa divinité. »

Le plus haut modèle invite ainsi la divinité à se reconnaître elle-même, à trouver le secret de la source de toute divinité. Le plus haut modèle, que Platon nomme l'Idée, est la forme formatrice de toute poésie et de toute politique, et son ressouvenir, par la Source qu'elle désempierre en nous, nous montre la voie de la déification. Pour l'esprit héroïque, la condition humaine n'est point telle que nous devions nous y soumettre. Aux ailes de la pensée de nous porter au-delà de toute condition, au grand scandale des esclaves non-promus qui passeront leur vie à jalouser les esclaves promus. « L'homme, écrit Platon, qui se sert correctement de tels moyens de se souvenir, toujours parfaitement initié aux mystères parfaits, est seul à devenir vraiment parfait. Détaché des objets qui suscitent les passions humaines et occupé de ce qui est divin, il subit les remontrances de la foule, on dit qu'il a perdu la tête mais en fait la divinité l'inspire, et c'est cela qui échappe à la foule. »

« Initié aux mystères parfaits » est celui qui, au-delà des conditions humaines s'aventure dans l'espace de l'Inconditionné. L'areté grecque, à cet égard, ne diffère pas fondamentalement de la noblesse spirituelle telle qu'elle s'illustre dans le Vedanta ou la tradition chevaleresque soufie, au demeurant grandement influencée par les néoplatoniciens.

L'amour de la beauté, le consentement à être subjugué ou bouleversé par la beauté, unissent ces diverses branches d'une même Tradition dont l'origine se perd dans les profondeurs primordiales de l'Age d'Or. Mais de l'extase visionnaire qui accueille l'apparition de l'Idée dans l'entendement humain, encore faut-il pouvoir tirer un enseignement précis, ─ ce qui est précisément la fonction des œuvres. Distinctes, échappant dans une certaine mesure aux ravages du temps, les œuvres font servir le génie de l'illimité à concevoir des limites salutaires. Elles puisent à la source du Sans-limite la transparence intellectuelle par laquelle nous distinguerons les contours à bon escient.

La précision de l'Art reflète l'exactitude de la Loi, de même que l'harmonie des formes, leur élégance avenante présagent du bon cours de la justice. De nos jours où toute inégalité est perçue comme injuste, de telles notions sont devenues incompréhensibles, mais à quiconque s'abreuve à la Source grecque on ne saurait faire accroire la confusion passablement volontaire de l'équité et de l'égalité qui est devenue le véritable lieu commun de toutes les sociologies modernes. Il s'en faut de beaucoup, pourtant, que l'équitable et l'égalitaire se confondent. La juste mesure prescrit-elle de considérer également l'homme de mérite, qui œuvre avec talent pour le bien de la Cité, et l'accapareur abruti ? L'homme qui dédaigne les pouvoirs de l'argent n'a-t-il pas droit à quelque supériorité compensatrice ? Est-il équitable de tenir pour  si peu les manifestations de l'excellence des individus qu'elles demeurent irrémédiablement sans recours devant les pouvoirs effectifs de l'or et du fer ? L'égalité et l'équité non seulement se confondent plus rarement qu'il n'y paraît ; elles ne cessent, dans les requêtes les plus pertinentes de l'intelligence politique, de s'opposer. Au vrai, dans le monde sans principes où nous vivons, l'égalité ne cesse de bafouer l'équité. Aussi bien nous revient-il désormais de prendre le droit d'en appeler à un principe d'équité contre les égalités qui nous oppriment et entravent dans notre Pays, l'advenue du meilleur.

La prétentieuse morale abstraite du moderne qui condamne les traditions de tous les peuples et de tous les temps, ne saurait plus davantage faire illusion face aux conséquences que nous lui voyons et qui nous privent, dans les faits, de cela même que cette morale nous offrit en théorie. La dignité de la personne humaine, la liberté individuelle, le bien partagé, l'éducation, le loisir, ─ on chercherait en vain, sous toutes les latitudes, un siècle qui, plus que le vingtième siècle leur fut cruel.

Lorsque les idéologues modernes inclinent vers la gauche et ne cèdent pas directement à l'odieuse morale darwiniste propre à l'idéologie dite « libérale », leur référence à l'antique se borne à la louange de la « république » sans bien voir que la France monarchique fut, au sens strict, bien davantage une « res publica » que les « républiques » numérotées qui s'ensuivirent de la Révolution. Une autre erreur, commise, elle, plus souvent par les gens de « droite » consiste à confondre la morale abstraite avec la morale transcendante et à récuser celle-ci au nom des vices de celle-là. Mais la morale abstraite se définit par sa prétention à se suffire à elle-même, et c'est précisément en quoi elle est abstraite, alors que la morale transcendante se relie, elle, verticalement, à l'esthétique et à la métaphysique : et c'est en quoi elle est transcendante. Favorable à l'égalité, la morale abstraite s'opposera à la morale transcendante qui, elle, en tient pour l'équité, laquelle, n'étant jamais atteinte dans sa perfection, demeure une quête infinie. Toujours au totalitaire de la morale abstraite s'opposera de façon plus ou moins clandestine, l'herméneutique infinie de la morale transcendante qui ne cesse de relier le visible et l'invisible dans l'embrasement matutinal de l'âme odysséenne.

Constructrice mais non « édifiante » au sens moralisateur, Pallas-Athéna définit par son rêve sculptural les limites imparties au génie de la Cité inspiratrice. Et là devrait être l'enjeu de toute politique digne de ce nom : faire en sorte que la Cité demeurât inspiratrice. Tout le génie des anciens se prodigue à cet aboutissement magnifique où l'individu doit bien reconnaître qu'il reçoit de la Cité infiniment plus qu'il ne peut lui apporter. Dans ces circonstances heureuses, l’Éris bienfaisante pousse l'individu à donner le meilleur de lui-même pour conquérir cette gloire personnelle qui ajoutera à la splendeur de la Cité. Telle est la Cité inspiratrice qu'elle s'enrichit de la force de l'amour-propre magnanime des individus au lieu d'en prendre ombrage. C'est bien que la Cité et sa morale propre ne se confondent point avec les sentiments de la foule, toujours envieuse et nivellatrice, et fort entraînée par ce fait à donner naissance aux tyrannies, étapes habituellement précédentes ou successives des démocraties. Faire de la Cité inspiratrice, née de la légèreté architecturale du Songe de Pallas, le principe poétique de toute philosophie politique,  cette ambition, nous éloigne déjà, pour le moins, des travaux d'érudition. Aussi ces écrits sont-ils écrits de combats qui n'hésitent pas à donner au pessimisme lucide la part qui lui revient.

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Il est vrai que la dictature du vulgaire triomphe sur tous les fronts, que toute chose est pensée en termes de gestion et de publicité, que le réalisme plat semble en tout domaine s'être substitué aux vocations un peu hardies. Le Pays se décompose en clans et factions qui ne revendiquent plus que des formes vides et il devient fort difficile de trouver encore quelque trace de civilité ancienne dans la sourde brutalité qui nous environne. La « nostalgie des origines » dont parlait Mircea Eliade existe bel et bien mais, par défaut de civilité, et dans le déclin de la Cité inspiratrice, elle prend des formes dérisoires ou monstrueuses. Engoncés dans leurs folklores ou livrés aux élucubrations du « New Age », les nostalgiques de l'Origine contribuent activement à la déroute des ultimes  hiérarchies traditionnelles. L'Art de vivre, avec la politesse et la tempérance, n'est plus qu'un souvenir que l'on cultive pieusement dans quelques milieux universellement décriés ou moqués.

Tout cela porterait à la désespérance si notre caractère y était de quelque façon prédisposé ; ne l'étant pas, il ne peut s'agir là que d'un pessimiste état des lieux. Le pessimisme interdit de se réjouir en vain, il nous porte à ne pas détourner les yeux aux spectacles déplaisants ; il n'implique pas pour autant que nous cédions à quelque état d'âme défavorable au redressement. A la fois pessimistes, fidèles et actifs : tels nous veut la songeuse Pallas dont nous sommes les espoirs humains.

Luc-Olivier d'Algange ─ Extrait de Le Songe de Pallas, éditions Alexipharmaque

dimanche, 11 décembre 2016

ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC MAURIZIO BETTINI Auteur d'Eloge du polythéisme

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ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC MAURIZIO BETTINI

Auteur d'Eloge du polythéisme

Ex: http://www.laviedesclassiques.fr 

Entretien avec Maurizio Bettini, à l'occasion de l'Éloge du polythéisme: ce que peuvent nous apprendre les religions antiques qui vient de paraître en français (Les Belles Lettres, 2016). 

LVDC. — Comment vous présenter ? historien ? latiniste ? philologue ? anthropologue ou classiciste ?

Eh bien, se définir soi-même est toujours difficile ! Pour ce qui concerne ma position universitaire, je suis professeur de philologie classique (à l’université de Sienne) et je donne aussi des cours d’anthropologie du monde classique. Je me sens un classiciste, latiniste plus qu’helléniste, qui pratique la philologie et la linguistique mais qui s’est tourné de plus en plus vers l’anthropologie.

bettiniPoly.jpgLVDC. — Êtes-vous par ailleurs un homme engagé ?

Engagé ? Un mot qu’il serait peut-être difficile d’expliquer à mes étudiants d’aujourd’hui… Mais qui a eu du sens dans ma formation humaine et intellectuelle. Oui, je dirais que dans mon travail il y a une dimension « civique » que je considère comme importante. Par ailleurs, elle l’est devenue de plus en plus depuis les années 2000, en raison de la collaboration avec des collègues modernistes (Marcello Flores in primis) sur des thèmes comme les droits de l’homme, la réconciliation, l’identité. Les derniers ouvrages de Marcel Detienne m’ont aussi invité à suivre cette perspective. Il s’agit d’utiliser l’Antiquité classique, et l’expérience de mes études en particulier, pour mettre en lumière des aspects « civiques » de notre culture qui faisaient et font partie du débat contemporain. Un de mes derniers ouvrages, pas encore traduit en français, s’appelle « Contre les racines » et est dédié à l’un des mythes les plus puissants et les plus controversés du monde contemporain : les prétendues « racines culturelles » qui nous identifieraient indépendamment de notre choix ou de notre volonté. Il s’agit d’un mythe que l’Antiquité a bien connu.

LVDC. — Que vous apporte la culture classique dans votre quotidien ?

Un point d’observation privilégié, un regard distancié. Dans une époque souvent aveuglée par le provincialisme du temps, comme l’appelait T. S. Eliot ‒ c’est-à-dire une époque qui ne sait plus voir au-delà et au dehors du présent ‒, la culture classique me permet d’observer la contemporanéité d’un regard plus libre et plus original.

LVDC. — Plus généralement que nous apprennent les Anciens ?

Qu’il n’y a pas seulement une manière de mener sa vie – la « nôtre », la « mienne »… ‒ mais qu’il y en a dix, cent, mille, qui sont toutes différentes et qui toutes nous offrent des modèles intéressants. Les Anciens ont élaboré une culture aussi riche que complexe, non seulement au niveau de leurs grandes créations philosophiques ou littéraires, mais aussi dans leur expérience quotidienne, disons « mineure », qui cependant mérite d’être connue.

LVDC. — Étudier l’Antiquité est-ce regarder en arrière, comme Orphée ?

Oui, d’une certaine manière. Parce que les Anciens sont une partie de nous, de notre culture, qui s’est bâtie pour une bonne part sur les bases qu’ils ont jetées dans le passé, à savoir leur langue (le latin vit encore dans l’italien comme dans le français, ainsi que dans les autres langues romanes, et en particulier dans le langage intellectuel), mais aussi les modèles de pensée qui nous ont été transmis par la lecture ininterrompue, à travers les siècles, de leurs textes, entre autres choses. Mais de l’autre côté il y a toujours l’altérité qui caractérise divers aspects de l’expérience humaine propre aux Anciens (leurs « mille façons de vivre » qui sont différentes des nôtres), qui ont le pouvoir de détourner notre regard du passé, de ce qui est derrière, pour le projeter en avant – ce qu’Orphée n’a pas voulu ni pu faire !

LVDC. – Quelle est votre attitude par rapport au passé ? au présent ? au futur ?

S’il faut croire Augustin, se situer dans le temps serait une tâche impossible. « Ces deux temps, disait-il, le passé et le futur, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus et que le futur n’est pas encore ? Et le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé. »

Mais Augustin était peut-être trop pessimiste, d’ailleurs il s’intéressait plutôt à l’éternité qu’au temps des hommes. Donc je dirais que le passé m’intéresse pour les raisons que j’ai déjà essayé d’expliquer : sortir du provincialisme du temps ; le présent c’est moi, donc il faut le vivre au mieux, pourvu qu’on puisse se soustraire à son « provincialisme » ; quant au futur, j’ai déjà cité Augustin, mais il faudrait citer aussi le Cicéron de Sur la divination :

« Pour César, écrivait-il, s’il avait lu dans l’avenir que, dans ce Sénat peuplé principalement d’hommes choisis par lui-même[…], il serait […] frappé à mort par les plus nobles citoyens […] puis que son corps resterait gisant sans qu’aucun de ses amis ni seulement de ses esclaves voulût s’en approcher, dans quelle torture morale n’eût-il pas vécu ? Certes l’ignorance du mal futur vaut mieux que sa connaissance. » Voilà encore une leçon qui nous vient des Anciens : avoir le courage de connaître mais aussi la patience d’ignorer.

LVDC. — Comment avez-vous rencontré la culture classique ?

Mon grand-père était latiniste lui aussi, professeur à l’université de Rome. Quand il est mort, très âgé, ma famille a hérité d’une bonne partie de sa bibliothèque. À ce moment, j’étais étudiant au liceo classico, et la beauté, la richesse de ses livres me ravissaient. Feuilleter les éditions des Belles Lettres (voilà ! on y est), explorer des travaux de linguistique historique, de philologie… Le destin avait déjà tissé sa trame, je l’ignorais encore. L’année suivante, je suis allé à l’université, à Pise, à la faculté des lettres. En vérité, au début, je ne voulais pas devenir classiciste, je voulais plutôt devenir italianisant, travailler sur Dante, Pétrarque, Arioste, mais, comme l’enseigne la tragédie grecque, l’homme ne peut pas résister à sa moira, à sa « part assignée », à son destin…

bettiniclass.jpegLVDC. — Racontez votre parcours intellectuel. Quels en sont les moments marquants ? les rencontres (de chair ou de papier) déterminantes ?

M’a marqué avant tout la rencontre avec mon professeur de latin, Marino Barchiesi, un classiciste exceptionnel, très ouvert. J’ai écrit ma thèse avec lui, sur Plaute. Pour être accepté par Barchiesi, il fallait bien connaître le latin, la grammaire historique, la métrique, etc., mais aussi la critique littéraire la plus récente, le théâtre de Shakespeare, et ainsi de suite. C’était un conférencier extraordinaire et un professeur magnifique, très clair et fascinant en même temps. Depuis, j’ai eu la chance de suivre des séminaires d’Émile Benveniste, à Pise. Il était venu invité par le professeur de linguistique de l’université, Tristano Bolelli, un homme plutôt difficile mais qui avait d’excellents contacts internationaux. Je suis resté littéralement ébloui par Benveniste. Je connaissais très peu le français, mais j’ai eu l’impression de tout comprendre ! La clarté, l’originalité de ces séminaires – dont le sujet depuis quelques années était devenu un fragment du Vocabulaire des institutions indo-européennes – m’avait même donné le courage de poser une question à Benveniste ! Moi, un jeune étudiant classiciste italien qui posait une question au maître… Quelques mois plus tard, Benveniste est tombé malade, j’ai eu la grande chance de le rencontrer avant que sa vie change dramatiquement. Je pense que cette expérience a marqué mon développement intellectuel. En écoutant Benveniste, j’ai découvert que la linguistique, l’analyse de textes et l’anthropologie pouvaient travailler ensemble, de nouveaux horizons intellectuels s’ouvraient devant moi. J’étais jeune, il était admirable. Après la mort de Barchiesi, qui nous a laissés trop tôt, j’ai poursuivi mes études de philologie et de linguistique latines en suivant le modèle des philologues plus âgés que moi comme Scevola Mariotti, Sebastiano Timpanaro – qui était aussi un grand intellectuel –, Alfonso Traina, Cesare Questa pour la métrique de Plaute (un sujet assez « abstrait » mais qui, en tant que tel, me passionnait) ; après, tous ces maîtres sont devenus pour moi des amis très chers. Entre-temps, l’anthropologie devenait de plus en plus importante pour moi, surtout après la lecture (vraiment passionnée) des Structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss, ce qui m’emmenait à écrire quelques contributions sur la parenté à Rome. Les ouvrages de Lévi-Strauss ont été fondamentaux dans ma formation non classiciste, pour ainsi dire. À partir des années 1980, je suis entré en relation avec « les Français », Jean-Pierre Vernant, Marcel Detienne, les plus jeunes Françoise Frontisi et François Lissarrague, qui sont aussi devenus des amis et qui m’ont beaucoup appris. Ensuite ç’a été l’Amérique, Berkeley en particulier, où j’ai enseigné et où j’enseigne encore : en Californie j’ai eu la chance de découvrir des approches de l’Antiquité qui auparavant m’étaient inconnues. Les parcours intellectuels sont toujours compliqués, sinueux, même ceux des antiquisants ! 

LVDC. — Vos livres traduits en français traitent surtout de mythologie (sauf le dernier) : pourquoi d’abord la mythologie ?

La mythologie m’a toujours passionné parce que dans les mythes classiques on trouve les deux aspects ou, mieux, les deux composantes de l’Antiquité, que je considère comme fondamentales : d’un coté sa permanence, parce que les mythes ont été repris, racontés de nouveau, modifiés, cités, etc. une infinité de fois jusqu’à présent – donc ils sont avec nous, ils sont nous ; de l’autre son altérité, que les mythes ont aussi le pouvoir de révéler : des mœurs oubliées, parfois bizarres à nos yeux, des inventions narratives extraordinaires, ou des solutions existentielles inattendues.

LVDC. — Votre dernier ouvrage a « fait débat » : pourquoi ?

L’Italie est un pays très catholique, même s’il l’est moins que par le passé. Le seul fait de comparer la religion « païenne » avec les monothéismes, de mettre sur le même plan une religion révélée (la vraie, la seule, la bonne) avec un ensemble d’institutions et de croyances considéré dans le meilleur des cas comme un objet de curiosité « mythologique » ou d’intérêt érudit, et, surtout, de soutenir que les monothéismes contemporains pourraient tout à fait apprendre quelque chose des religions « païennes », ça a fait débat, naturellement.

LVDC. — S’il fallait en retenir une phrase ou une idée, ce serait laquelle ?

Mettre en lumière les potentialités (réprimées) du polythéisme, donner voix aux réponses que son mode spécifique d’organisation du rapport avec le divin pourrait fournir à certains problèmes auxquels les religions monothéistes – comme nous les connaissons dans le monde occidental ou à travers lui – peinent à trouver une solution ou qu’elles ont souvent générés elles-mêmes : en particulier, le conflit religieux et, avec lui, le large spectre de l’hostilité, de la désapprobation, de l’indifférence qui entoure encore, aux yeux des « uns », les divinités honorées par les « autres ».

Les livres de Maurizio Bettini en français

aux éditions Belin

aux éditions Les Belles Lettres

 

dimanche, 04 décembre 2016

The Prehistoric Origins of Apollo

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The Prehistoric Origins of Apollo

By Prof. Fritz Graf, PhD.
Ex: http://sciencereligionmyth.blogspot.com 

Apollo’s name has no clear parallels in other Indo-European languages, and he is the only Olympian god whose name does not figure on the Linear B tablets (a word fragment on a Cnossus tablet has been read as a form of his name, but the reading is highly conjectural and has convinced few scholars). The absence may well be significant. We possess well over a thousand texts that come from the palaces of Thebes in Boeotia, Mycenae, and Pylus in the Peloponnese, Cnossus and Chania on Crete, that is from practically the entire geographical area of the Mycenaean world, with the exception of the west coast of Asia Minor. Only a fraction contains information on religion, not only the names of gods and their sanctuaries, but also month names that preserve a major festival and personal names that contain a divine name (so-called theophoric names); but the sample is large enough to preserve almost all major Greek divine names. Thus, there is enough material to make an omission seem statistically significant and not just the result of the small size of the sample. But the absence creates a problem: if Apollo did not exist in Bronze Age Greece, where did he come from?

Scholars have attempted several answers. None has remained uncontested. There are four main possibilities: Apollo could be an Indo-European divinity, present although not attested in Bronze Age Greece, or introduced from the margins of the Mycenaean world after its collapse; or he was not Greek but Near Eastern, with again the options of a hidden presence in Bronze Age Greece or a later introduction. Scholars who accepted the absence of Apollo from the Mycenaean pantheon had two options. If he had no place in Mycenaean Greece, he had to come from elsewhere, at some time between the fall of this world and the epoch of Homer and Hesiod, that is during the so-called “Dark Age” and the following Geometric Epoch. During most of this period, Greece had isolated itself from Near Eastern influences but was internally changed by population movements, especially the expansion of the Dorians from the mountains of Northwestern Greece, outside the Mycenaean area, into what had constituted the core of the Mycenaean realm, the Peloponnese, Crete, and the Southern Aegean. Thus, a Dorian origin of Apollo was an almost obvious hypothesis; but since the Dorians were Greeks, albeit with a different dialect, one had to come up with a Greek or at least an Indo-European etymology for his name to make this convincing. If, however, scholars could find no such etymology, they assumed an Anatolian or West Semitic origin: in Western Anatolia, Greeks had already settled during Mycenaean times but arrived again in large numbers during the Dark Age, and contacts with Phoenicia became frequent well before Homer, as the arrival of the alphabet around 800 BCE shows. Finally, if one did not accept Apollo’s absence in the Linear B texts as proof of his historical absence in the Mycenaean world (after all, the argument was based on statistics only), or if one accepted the one fragment from Cnossus, there was even more occasion for Anatolian or Near Eastern origins, in the absence of an Indo-European etymology.

A Bronze Age Apollo of whatever origin could find corroboration in Apollo’s surprising and early presence on the island of Cyprus. Excavations have found several archaic sanctuaries, some being simple open-air spaces with an altar, others as complex as the sanctuary of Apollo Hylatas at Kourion that may have contained a rectangular temple as early as the sixth or even late seventh century BCE. Inscriptions in the local Cypriot writing system attest several cults of Apollo with varying epithets, from Amyklaios to Tamasios, and a month whose name derives from Apollo Agyieus.

apollon2.jpgIn a way, Apollo should not exist on Cyprus, or only in later times, if he was Dorian or entered the Greek world after the collapse of the Bronze Age societies. Cyprus, the large island that bridged the sea between Southern Anatolia and Western Syria, was inhabited by a native population; Greeks arrived at the very end of the Mycenaean period. They must have been Mycenaean Greeks who were displaced by the turmoil at the time when their Greek empire was crumbling. They brought with them their language, a dialect that was akin to the dialect of Arcadia in the Central Peloponnese to where Mycenaeans retreated from the invading Dorians, and they brought with them their writing system, a syllabic system closely connected with Linear A and B that quickly developed its own local variation and survived until Hellenistic times; then it was ousted by the more convenient Greek alphabet. The long survival of this system shows that, after its importation in the eleventh century BCE, Cypriot culture was very stable and only slowly became part of the larger Greek world. There was no later Greek immigration, either large-scale or modest, during the Iron Age: when Phoenicians immigrated in the eighth century, Cypriot culture, if anything, turned to the Near East. It is only plausible to assume that the Mycenaean settlers also brought their cults and gods with them: thus, the gods and festivals attested in the Cypriot texts are likely to reflect not Iron Age Greek religion but the Mycenaean heritage imported at the very end of the Bronze Age.

This leaves room for many theories and ideas that followed the pattern I outlined above. Only two attempts have commanded more than passing attention, a derivation from the Hittite pantheon in Bronze Age Anatolia and a Dorian hypothesis that made Apollo the main divinity of the Dorians who pushed south from their original home in Northwestern Greece, once the fall of the Mycenaean Empire let them do so.

Apollo and the Hittites
 
In 1936, Bedřich Hrozný, the Czech scholar who deciphered the Hittite language, claimed to have read the divine name Apulunas on several late Hittite altars inscribed in Hittite hieroglyphs, together with the name Rutas. He immediately understood them as antecedents of Apollo and Artemis and defined Apulunas’ function as that of a protector of altars, sacred areas, and gates. He thus added, as he thought, proof to the idea that Apollo, his sister, and, implicitly, their mother Leto were Anatolian divinities: after all, had not Homer insisted on their protection of Troy, and did not all three have a close conection with Lycia? The reading has been rejected by other specialists – but Hittite Apollo did not disappear: he surfaced as Appaliunas, a divinity in a (damaged) list of oath divinities invoked by the Hittite king Muwattalis and king Alaksandus of Wilusa; the text immediately preceding Appaliunas is broken. Since scholars identify Wilusa with Ilion, Apollo seems to appear in Troy, and Manfred Korfmann, the German archaeologist who impressively changed the accepted archaeological image of Bronze Age Troy, immediately adopted the idea and helped popularize it: Homer’s Apollo, the protector of the Trojans, seemed well established in Aegean prehistory, in the very city Homer was singing about.

Problems remain, besides Apollo’s absence from Linear B and the thorny question of how the Iliad relates to Bronze Age history, even after the rejection of Hrozný’s reading. Contemporary proponents of an Anatolian Apollo still follow Hrozný and point to Apollo’s Lycian connection that is already present in Homer; they feel encouraged by Wilamowitz, the most influential classicist in Hrozný’s time, who had concurred. But Lycian inscriptions found since then in Xanthus, where Leto had her main shrine, have cast severe doubts on whether Wilamowitz was right. Neither Leto’s nor Apollo’s name is attested in the indigenous texts, among which pride of place belongs to a text dated to 358 BCE, written in Lycian, Greek, and Aramaic. As in a few other indigenous texts, Leto is “The Mother of the Sanctuary” (meaning the one in Xanthus), without a proper name. Only in the Aramaic text has what one would call the Apolline triad, Lato (l’tw’), Artemus (’rtemwš) and a god called Hšatrapati, the Iranian Mitra Varuna as the equivalent of the young powerful god whom Greeks called Apollo. In the Lycian text, the Greek personal name Apollodotus, “given by Apollo” was rendered in Lycian in way that made clear that the Lycian equivalent of Apollo was Natr-, a name of uncertain etymology but one that has no linguistic relation whatsoever with Apollo. No member of the Apolline triad, then, had a Lycian name that sounded like Leto, Apollo, or Artemis: the names were Greek, not indigenous to Lycia. Lycia may have been Apollo’s country in myth (and in Homer), but not in history. The sanctuary of Xanthus does not transform Hittite cults into the Iron Age, and a Bronze Age Anatolian Apollo seems far-fetched, to say the least. This directs our quest back to Greece.

Apollo and the Dorian Assembly 
 
In different Greek dialects, Apollo’s name took several forms. Ionians and Athenians called him Apollōn, Thessalians syncopated this to Aploun; many Dorians used the form Apellōn that resonated with the Cypriot Apeilōn. Several scholars, most authoritatively Walter Burkert, pointed out that there was a Greek dialectal word with which the Dorian form of the god’s name, Apellōn, was already connected in antiquity: whereas most Greeks called their assembly ekklesia, the Spartans used the term apella. In their dialect, then, Apellon would be “the Assembly God.” In the Dorian states, the assembly of all free adult men was the supreme political instrument: at least once a year, these men assembled to decide on all central matters of politics. Apollo as its god would fit his role in the archaic city-states that I worked out in the last chapter. To make this work, we have to assume that apella was already the term for this institution among the early Northwestern Greeks, before the Dorians entered the Peloponnese. This assumption can be backed by the fact that most Dorian cities had a month named Apellaios. Greek month names derive from the names of festivals, not from the names of gods: Apellaios leads to a festival named Apellai. Such a festival is attested in Delphi, outside the Dorian dialectal area but within the West Greek area: it is the main festival of a Delphian brotherhood, a phratry. As we saw in the last chapter, phratries are closely connected with Apollo as their protector and with citizenship: this again connects the god and the festival with the same archaic political and cultic nexus.

Apollon-Piombino.jpgIn this reading, Apollo arrived in Greece with the Dorians who slowly moved into the Peloponnese and from there took over the towns of Crete, after the fall of Mycenaean power. Four centuries later, at the time of Homer and Hesiod, the god had become an established divinity in all of Greece, and a firm part of the narrative tradition of epic poetry. Such an expansion presupposes some degree of religious and cultural interpenetration and exchange throughout Greece during the Dark Ages. This somewhat contradicts the traditional image of this period as a time when the single communities of Greece were mostly turned towards themselves, with little connection with each other. But such a picture is based mainly on the rather scarce archaeological evidence; communication between people, even migration, does not always leave archaeological traces, and cults are based on myths and narratives, not on artifacts. And well before Homer, communications inside Greece opened up again, as shown by the rapid spread of the alphabet or of the so-called Proto-Geometric pottery style that both belong to the ninth or early eighth centuries BCE.

The main obstacle to this hypothesis is Apollo’s well-attested presence on Cyprus, in a form, Apeilon, that is very close to the Dorian Apellon: would not Apollo then be a Cypriot? Burkert removed this obstacle with the assumption of a very early import to Cyprus from Dorian Amyclae; Amyclae, we remember, had an important and old shrine of the god. Another scenario is possible as well: the Mycenaean lords who fled to Cyprus did so only after their society integrated a part of the Dorian intruders and their tutelary god Apollo. After all, the pressure of the Dorians must have been felt for quite a while, and their bands that were organized around the cult of Apollo could have started to trickle south even before the fall of the kingdoms, and blended in with the Mycenaeans.

Overall, then, I am still inclined to follow Burkert’s hypothesis that is grounded in social and political history, rather than to accept somewhat vague Anatolian origins – even if I am aware that the neat coincidence of etymology and function might well be yet another of these circular mirages of which the history of etymologizing divine names is so full. And it needs to be stressed that the picture of a simple diffusion from the invading Dorians to the rest of Greece is somewhat too neat. Things, as often, are messier, for two reasons: there are clear traces of Near Eastern influence in Apollo’s myth and cult, and there are vestiges of a Mycenaean tradition that cannot be overlooked.

Mycenaean Antecedents
 
The most obvious Mycenaean antecedent of Apollo is the god Paiawon who is attested in two Linear B texts from Cnossus on Crete. One text is too fragmentary to teach us much, the other is rather laconic and presents a list of recipients of offerings: “to Atana Potinija, Enyalios, Paiawon, Poseidaon” – that is “Lady Athana” (the Mycenaean form of Athena), Enyalios (a name that Homer uses as a synonym of Ares, whereas local cult distinguishes the two war gods), Paean, and Poseidon. The list cannot inform us on any function besides the fact that Paiawon seems to be a major divinity, on the same level as the other three who from Homer onwards appear among the twelve Olympian gods. In the language of Homer, the Mycenaean Paiawon develops to Paiēōn; in other dialects this double vowel is simplified to Paiān or Paiōn. All three forms are attested in extant Greek texts; and we dealt with the problem that, in Homer, Paeon seems an independent mythological person, the physician of Olympus, whereas in later Greek, Paean is an epithet of Apollo the Healer to whom the paean was sung and danced. It should be pointed out that the refrain of any paean always was “ie Paean,” regardless whether it was sung for Apollo or Asclepius or even, in a rare case, to Dionysus. I feel tempted to see this as a vestige of the god Paean’s former independence and even to imagine that the paean as a ritual form goes back to the Bronze Age as well. Proof, of course, is impossible. But maybe it is no coincidence that Cretan healers and purifiers were famous in later Greece: Bronze Age remnants survived better in Crete, and the paean was connected with healing and purification. This does not mean that Apollo as such was a Mycenanean god; if anything, it rather suggests the contrary, that a non-Mycenaean Apollo absorbed the formerly independent Mycenaean healing god Paiawon, perhaps including one of his rituals, the song-and-dance paean. 

Near Eastern Influences
 
Greece was always at the margins of the ancient Near Eastern world; it has always been tempting to look for Oriental influences in Greek culture and religion. In the case of Apollo, theories went from partial influences to wholesale derivation. Wilamowitz, at one time the leading classical scholar in Germany, derived Apollo from Anatolia, stirring up a controversy whose ideological resonances are unmistakable; after all, from the days of Winckelmann, Apollo seemed the most Greek of all the gods. Others went even further, stressing the god’s absence in Linear B, and made him come from Syria or Phoenicia. This is wildly exaggerated; but there can be no doubt that partial influences exist. They are best visible in two areas: healing and the calendar.

In the past, arguments from the calendar were paramount. In the calendar of the Greeks, a month coincides with one cycle of the moon: the first day thus is the day when the moon will just be visible, the seventh day is the day when the moon is half full and as such clearly visible. Apollo is connected with both days. The seventh day is somewhat more prominent: every month, Apollo receives a sacrifice on the seventh day, all his major festivals are held on a seventh, and his birthday is on the seventh day of a specific month. But already in Homer, he is also connected with new moon, noumēnía: he is Noumenios, and his worshippers can be organized in a group of noumeniastai. Long ago, Martin P. Nilsson, the leading scholar on Greek religion in the first half of the last century, connected this with the Babylonian calendar where the seventh day is very important. He went even further. Every lunar calendar will, rather fast, get out of step with the solar cycle that defines the seasonal year; to remedy this, all systems invented intercalation, the insertion of additional days. Greek calendars introduced an extra month every ninth year, to cover the gap between the solar and the lunar cycle. According to Nilsson, they did so under Babylonian influence that was mediated through Delphi: Delphi’s main festivals were originally held every ninth year, and only Delphi would have enough influence in the Archaic Epoch to impose such a system upon all Greek states. However, this is very speculative; Nilsson certainly was wrong in his additional assumption that Delphi also introduced the system of months: month names are already attested in the Greek Bronze Age. Still, the connection of Apollo’s seventh day with the prominence of the same day in the Mesopotamian calendar is interesting.

As to healing, it seems by now established that itinerant Near Eastern healers visited Greece during the Archaic Age and left their traces. The most tangible trace is the role the dog plays in the cult of Asclepius: the dog is central to the Mesopotamian goddess of healing, Gula, two of whose statuettes were dedicated in seventh-century Samos. In Akkadian, Gula is also called azugullatu, “Great Physician”: the word may be at the root of Asclepius’ name, and it resonates in a singular cult title of Apollo on the island of Anaphe, Asgelatas. Later, Greeks turned the epithet into Aiglatas, from aigle “radiance,” and told the story that Apollo appeared to the Argonauts as a radiant star to save them from shipwreck. This looks like the later rationalization of a word that nobody understood anymore and that may be a trace of an Oriental healer who instituted this specific cult. Another Oriental detail is the plague arrows Apollo shoots in Iliad 1, as we saw, and his role as an armed gatekeeper to keep away pestilence that is attested in several Clarian oracles.

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Yet another area of Oriental influence is Apollo’s role in divine genealogy. To Hesiod and, to a lesser degree, to Homer, Apollo is the oldest son of Zeus: Zeus is the god who controls the present social, moral, and natural order, Apollo is his crown prince and, so to speak, designated successor, if Zeus were ever to step back. This explains, among other things, Apollo’s direct access to Zeus’ plans and knowledge. A similar constellation recurs in West Semitic and Anatolian mythologies. Here, the god most closely resembling Zeus in function and appearance is the Storm God in his different local forms; he is also the god of kings and of the present political and moral world order. In Hittite mythology, his son is Telepinu, a young god whose mythology talks about his disappearance in anger and whose rituals may have been be connected with the New Year’s festival to secure the continuation of the social and natural order. In some respects, the young and tempestuous Telepinu reminds one of Apollo.

In narratives from Ugarit in Northern Syria, the Storm God is accompanied by Reshep, the plague god or “Lord of the Arrow.” In bilingual inscriptions from Cyprus, his Phoenician equivalent, also called Reshep, becomes Greek Apollo. In iconography, Reshep is usually represented as a warrior with a helmet and a very short tunic, walking and brandishing a weapon with his raised right arm; these images are attested in the Eastern Mediterranean from the late Bronze Age to the Greek Archaic Age. In Cyprus, such a god appears in a famous bronze image from the large sanctuary complex at Citium; since he wears a helmet adorned with two horns, some scholars understood him as the Bronze Age version of the later Cypriot Apollo Keraïtas, “Horned Apollo.”

Greek Apollo, most of the time, looks very different. But a very similar statuette has been found in Apollo’s sanctuary at Amyclae in Southern Sparta. Here, it must reflect Apollo’s archaic statue in this sanctuary that we know from Pausanias’ description:

"I know nobody who might have measured its size, but I guess it must be about thirty cubits high. It is not the work of Bathycles [the sculptor who made the base for the image], but old and not worked with artifice. It has no face, and its hands and feet are added from stone, the rest looks like a bronze column. On its head, it has a helmet, in its hands a lance and a bow."
(Description of Greece, 3.10.2)

An image on a coin shows not only that the body could be dressed in a cloak to soften the strangeness of its shape but also that it brandished the lance with its raised right hand: the coincidence with the Reshep iconography seems perfect, and the Oriental influence almost obvious. It has even been suggested that the place name Amyclae is Near Eastern: there is a Phoenician Reshep Mukal, “Mighty Reshep,” whom the Cypriot Greeks translated as Apollo Amyklos. The Greek epithet cannot derive from the place name (it would have to be Amyklaîos), but it shares the same verbal root; its basic phonetic structure is the same as that of mukal. Thus, one wonders whether it was Phoenician or Cypriot sailors who first founded a sanctuary on this lonely promontory on one of the trade routes to the west.

Summary 
 
Apollo’s origins are complex and not fully explained. He is not attested in the Mycenaean Linear B texts (with a very uncertain exception), but well established in Greek religion at the time of Homer and Hesiod, and central in fundamental political and social institutions of the Archaic Epoch. There are obvious Near Eastern influences in his myths and even in some aspects of his cult; but neither a West Semitic origin nor an Anatolian origin of the god are convincing, and his protection of the Trojans needs not to reflect such an origin. The absence of Linear B documents is intriguing and puzzling; but his early presence in Cyprus does not necessarily invalidate the conclusion drawn from this absence, that he was unknown in Mycenaean religion. It is possible that he was not present here, whereas the Northwestern Greeks worshipped him already in the Bronze Age as the protector of their apéllai, the warriors’ assemblies. As protector of warriors, he entered, with them, the former Mycenaean area at the very beginning of the Transitional Period between the Bronze and the Iron Age (the Greek “Dark Age”): this allows for several centuries of transformations and adaptations, and it is not inconceivable that Apolline warriors even sailed to Cyprus among the Mycenaean refugees and settlers.

dimanche, 30 octobre 2016

Zeus et Europe, une hiérogamie cachée et l'annonce d'un destin européen

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Zeus et Europe, une hiérogamie cachée et l'annonce d'un destin européen

par Thomas Ferrier

Ex: http://thomasferrier.hautetfort.com

Zeus est qualifié d’Eurôpos, c'est-à-dire « au large regard », chez Homère. En sanscrit, dans le Rig-Veda, le dieu suprême Varuna est décrit comme Urucaksas, forme parallèle de sens exactement identique. De longue date, non sans raison, Varuna et le grec ont été comparés, l’un et l’autre venant alors de la forme originelle indo-européenne *Werunos, au sens de « dieu de l’espace » (c'est-à-dire le dieu vaste). En Inde comme en Grèce, ce surnom du dieu céleste *Dyeus est devenu une divinité en tant que telle.

Les Grecs, sous l’influence probable de la théogonie hourrite ou hatti, influence indirecte due vraisemblablement aux Hittites, ont multiplié les divinités jouant le même rôle. On peut ainsi souligner qu’Hypérion, Hélios et Apollon sont redondants, de même que Phébé, Séléné et Artémis (sans oublier Hécate). C’est aussi le cas du dieu suprême qui est ainsi divisé en trois dieux séparés que sont Ouranos, Cronos et Zeus. En réalité, tout porte à croire que Zeus est le seul et unique dieu du ciel, malgré Hésiode, et qu’Ouranos n’a jamais été à l’origine qu’une simple épiclèse de Zeus. De même, Varuna a sans doute été un des aspects de Dyaus Pitar, avant de se substituer à lui, et de ne plus laisser à son nom d’origine qu’un rôle très effacé dans la mythologie védique.

Ce Zeus Eurôpos, ce « Dyaus Urucaksas », a selon la tradition grecque de nombreuses épouses. Or une déesse est qualifiée d’Eurôpê à Lébadée en Béotie et à Sicyone dans le Péloponnèse. Ce nom d’Eurôpê, dont le rattachement à une racine phénicienne ‘rb est purement idéologique, et ne tient pas une second d’un point de vue étymologie, est nécessairement la forme féminine d’Eurôpos. Or ce n’est pas n’importe quelle déesse qui est ainsi qualifiée, elle et uniquement elle, de ce nom d’Eurôpê, indépendamment de la princesse phénicienne, crétoise ou thrace qu’on appelle ainsi, et qui n’est alors qu’une vulgaire hypostase. C’est Dêmêtêr, mot à mot la « Terre-mère », version en mode olympien de Gaia (ou Gê) et peut-être déesse d’origine illyrienne, même si non nom apparaît vraisemblablement dès l’époque mycénienne.

Il existe en effet en Albanie moderne une déesse de la terre, qui est qualifiée de Dhé Motë, ce qui veut dire la « tante Terre » car le sens de motë, qui désignait bien sûr la mère, a pris ensuite le sens de tante. De même, le nom albanais originel de la tante, nënë, a pris celui de la mère. Cela donne aussi une déesse Votrë Nënë, déesse du foyer analogue à la déesse latine Vesta et à la grecque.

Le nom de Dêmêtêr, qu’il soit purement grec ou illyrien, a le sens explicite de « Terre-mère » et remonte aux temps indo-européens indivis, où elle portait alors le nom de *Đγom (Dhghom) *Mater. Ce n’était pas alors n’importe quelle divinité mais sous le nom de *Diwni [celle de *Dyeus], elle était ni plus ni moins l’épouse officielle du dit *Dyeus (le « Zeus » indo-européen). L’union du ciel et de la terre, de Zeus Patêr et de Dêô (Δηώ) Matêr donc, remonte ainsi à une époque antérieure même aux Grecs mycéniens.

Il est donc logique qu’à un Zeus Eurôpôs soit unie une Dêmêtêr Eurôpê, l’un et l’autre étant des divinités « au large regard », l’un englobant l’ensemble du ciel et la seconde l’ensemble de la terre, à une époque où celle-ci était encore considérée comme large et plate, d’où ses deux noms divins en sanscrit, à savoir Pŗthivi (« la plate »), c'est-à-dire Plataia en grec et Litavis en gaulois, et Urvi (« la large »).

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L’union de Zeus sous la forme d’un taureau avec Europe est donc une hiérogamie, une union sacrée entre le ciel et la terre, union féconde donnant naissance à trois enfants, Minos, Eaque et Rhadamanthe, chacun incarnant l’une des trois fonctions analysées par Georges Dumézil. La tradition grecque évoque d’autres unions de même nature, ainsi celle de Poséidon en cheval avec Dêmêtêr en jument, cette déesse ayant cherché à lui échapper en prenant la forme de cet animal. Dans le cas d’Europe, on devine qu’elle aura elle-même pris la forme d’une vache.

Le nom d’Europe qui désigne le continent qui porte son nom indique qu’elle est la Terre par excellence, mère nourricière du peuple grec vivant sur un continent béni par Zeus lui-même. Lui donner une origine phénicienne, à part pour des raisons poétiques bien étranges, est donc un contre-sens auquel même certains mythographes antiques se firent prendre.

Et que son premier fils se soit nommé Minôs, là encore, ne doit rien au hasard. Bien loin d’être en vérité un ancien roi de Crète, il était surtout un juge infernal et le plus important. Or Minôs n’est en réalité que le premier homme, celui que les Indiens appellent Manu, d’où les fameuses lois qui lui sont attribuées, et les Germains Manus. L’idée que le premier homme devienne à sa mort le roi des Enfers n’est pas nouvelle. Le dieu infernal Yama et son épouse Yami ayant été par exemple le premier couple mortel. Minôs est le « Manus » des Grecs, bien avant qu’Hésiode invente Deucalion. Et s’il juge les hommes au royaume d’Hadès, la seule raison en est qu’il est celui qui a établi les anciennes lois.

Ainsi l’Europe est-elle non seulement la Terre par excellence, l’épouse de Zeus en personne, dont Héra n’est qu’un aspect, celui de la « belle saison » et de la « nouvelle année » (sens de son nom latin Junon), mais elle est la mère des hommes, la matrice de la lignée des éphémères, ou du moins d’une partie d’entre eux.

Europa est ainsi la mère de Gallia et de Germania, de Britannia et d’Italia, d’Hispania et d’Hellas et désormais mère aussi de nouvelles nations comme la Polonia, la Suecia et la Ruthenia (Russie), depuis les fjords de Thulé jusqu’à Prométhée sur sa montagne, depuis la Lusitania jusqu’aux steppes profondes de Sarmatia.

Thomas FERRIER (Le Parti des Européens)

dimanche, 25 septembre 2016

Le Manuel d'Épictète

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Le Manuel d'Épictète

Ex: http://lesocle.hautetfort.com 

EPI-0.gifParmi les philosophies antiques, le stoïcisme tient une grande place. Traversant l'antiquité grecque et l'antiquité romaine sur près de six siècles, symbole du sérieux et de l'abnégation de tout un peuple, l'école du Portique apprend à ses disciples à vivre en harmonie avec l'univers et ses lois. Maîtrise de soi, courage, tenue, éthique, ce sont là quelques mots clés pour comprendre le stoïcisme. Le Manuel 1 d'Epictète, condensé de cette sagesse, permet à chaque Européen de renouer avec les plus rigoureuses racines de notre civilisation. Brillant exemple de ce que pouvait produire l'univers mental propre au paganisme européen, le stoïcisme continuera d'irriguer la pensée européenne sur la longue durée (avec notamment le mouvement du néo-stoïcisme de la Renaissance). Et au delà de la longue durée, il est important de souligner l'actualité de la philosophie stoïcienne. Philosophie de temps de crise comme le souligne son histoire, le stoïcisme redirige l'homme vers l'action.

Structure de l’œuvre: Le Manuel est volontairement court. Il s'agit d'un condensé des leçons données par Epictète. Si court qu'il soit, on pourrait s'attendre à une idée différente à chaque aphorisme. Et pourtant les idées centrales ne sont que quelques-unes. Le lecteur ne doit donc pas s'étonner de voir répétées sous des formes différentes, à partir d'observations différentes, les mêmes idées. Ce manuel est un précis de gymnastique, une gymnastique de l'âme. Quelques mouvements y sont codifiés. Ce qui importe n'est pas le nombre mais bien la perfection dans l'exécution. Que chacun puisse donc y voir une porte d'entrée vers une métaphysique de l'absolu, celle de nos origines et qui s'oppose à la métaphysique de l'illimité dans laquelle nous nous perdons aujourd'hui.

Gwendal Crom, pour le SOCLE

La critique positive du Manuel d’Épictète au format .pdf

Le Manuel est l’œuvre attribué à Epictète la plus célèbre. Attribué car tout comme Socrate, il n'écrit rien de son vivant. C'est le disciple d'Epictète, Arrien qui consigna les pensées du maître dans huit à douze œuvres (les Entretiens) dont seuls quatre nous sont parvenus. Le Manuel consiste en un condensé de ces entretiens. Disciple de l'école stoïcienne fondée par Zénon en 301 avant notre ère, Epictète fut par la suite abondamment cité par l'empereur Marc-Aurèle. Epictète forme avec Sénèque (qui le précéda) et Marc-Aurèle la triade du stoïcisme impérial (ou latin). Esclave affranchi né aux alentours de l'an 50 de notre ère, il put suivre durant sa servitude les leçons de Musonius Rufus, grande figure du stoïcisme romain. Une fois libre, il devint un philosophe porté en haute estime par ses contemporains. Epictète vécut dans la pauvreté toute sa vie en ayant pour principale préoccupation de répondre à la question « Comment doit-on vivre sa vie ? ». Il mourut selon toutes vraisemblances aux alentours de l'an 130.

EPI-2.pngLa pensée stoïcienne dégage à ses origines trois grands axes d'étude: la physique (l'étude du monde environnant), la logique et l'éthique (qui concerne l'action). La pensée d'Epictète a ceci de particulier qu'elle ne s'intéresse pas à l'étude de la physique et ne s'attarde que peu sur celle de la logique, même si Epictète rappelle la prééminence de cette dernière dans l'un de ses aphorismes: Le Manuel, LII, 1-2. Car en effet, toute éthique doit être démontrable.

Et si la pensée d'Epictète peut être considérée comme une pensée de l'action alors son Manuel est un manuel de survie, comme le considérait selon la légende Alexandre le Grand. Le Manuel est dénommé en Grec : Enkheiridion qui signifie également « que l'on garde sous la main » et désigne communément le poignard du soldat. Voilà pourquoi Alexandre le Grand gardait sous son oreiller nous dit-on, un poignard et Le Manuel d'Epictète.

Le stoïcisme a pour tâche de nous faire accéder au divin. Il n'est pas une illumination une révélation. C'est une voie d'accès au bonheur par l'exercice et la maitrise rigoureuse de la (froide) raison. C'est une constante gymnastique de l'esprit, une méditation à laquelle on doit se livrer en permanence pour redresser son esprit, redresser toute son âme vers un seul but : être en harmonie avec les lois de l'univers et accepter la marche de celui-ci sans s'en émouvoir. Ainsi, dans ses Pensées pour moi-même 2 (Livre I, VII), l'Empereur Marc-Aurèle remercie son maitre Julius Rusticus (qui fut vraisemblablement un élève d'Epictète) en ces termes: « De Rusticus : avoir pris conscience que j'avais besoin de redresser et surveiller mon caractère... [et] avoir pu connaître les écrits conservant les leçons d'Epictète, écrits qu'il me communiqua de sa bibliothèque ».

On ne saurait de fait évoquer la pensée d'Epictète sans évoquer la notion de tenue. Car la tenue est une manière d'être, un exemple pour soi et pour les autres comme le souligne Epictète. Ainsi pour le philosophe, il ne faut point attendre pour mettre en pratique ce qui a été appris. La perfection théorique n'a aucune valeur si elle n'est pas suivie d'effets. De plus, le stoïcisme croit aux effets retours du comportement sur l'âme humaine. C'est en effet en s'astreignant chaque jour à la discipline, à la méditation, au maintien d'une tenue que l'âme peut tendre vers la perfection. Simplement théoriser cette perfection ou pire, l'attendre, est vain et puéril. Il faut chaque jour trouver de nouvelles confirmations des enseignements du stoïcisme. Il faut chaque jour méditer cet enseignement comme on pratiquerait un art martial, pour que chaque mouvement appris se fasse naturellement, instinctivement.

Mais avant de pénétrer plus avant la pensée stoïcienne, il convient d'emblée de préciser qu'il ne faut pas confondre la philosophie stoïcienne avec le caractère « stoïque » qui désigne quelqu'un de résigné, faisant preuve d'abnégation et affrontant les coups du sort sans broncher. La philosophie stoïcienne est avant tout une recette du bonheur visant à se libérer totalement de l'emprise des émotions pour atteindre un état dit d'ataraxie, calme absolu de l'âme. Néanmoins, ce bonheur ne sera accessible qu'en étant « stoïque » : l'abnégation étant la base nécessaire pour accéder à la philosophie stoïcienne. De fait, cette recherche du calme absolu, de la maîtrise de soi intégrale ne put que plaire aux Romains comme le souligne Dominique Venner dans Histoire et Tradition des Européens 3. Peuple droit et rigoureux, cette philosophie enseignait entre autres à bien mourir, c'est-à-dire à affronter la mort en face, et au besoin, de se l'administrer soi-même lorsque l'honneur le commandait. Il sera d'ailleurs tentant de remarquer que la philosophie stoïcienne, par son rapport aux émotions, rappelle le bouddhisme là où le sérieux des Romains n'hésitant pas à se donner la mort rappelle étrangement celui des Samouraïs s'infligeant le seppuku. Que serait devenu une Europe où le stoïcisme aurait remplacé la morale chrétienne ? Qu'en serait-il également d'une noblesse européenne qui telle la noblesse japonaise aurait répondu de son honneur sur sa vie ? Ce sont là des pistes que l'historien méditatif saura explorer à bon escient. Mais avant d'entreprendre tel voyage, examinons comme dirait Epictète ses antécédents et ses conséquents.

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Le philosophe Epictète représenté avec une canne. Durant sa servitude, son maître lui mit la jambe dans un instrument de torture. Selon la légende, Epictète le prévint en ces mots: «Attention. Cela va casser ». Lorsque la jambe céda, Epictète dit alors « Ne t'avais-je point prévenu que cela allait casser ». Boiteux toute sa vie, il montra que l'on pouvait nuire à son corps mais pas à son âme.

Car le stoïcisme est une voie dure et qui n'est pas sans risques. Le rejet des émotions et donc de la subjectivité de l'existence expose celui qui s'y livre à une vie terne (car sans émotions) et tourmentée (tourmentée car on ne souffre jamais plus que de ce que l'on cherche à fuir, à nier ou à absolument contrôler). Celui qui recherche le bonheur et la suprême sagesse à travers la philosophie stoïcienne se devra de s'y livrer totalement. Il serrera alors conte lui ses enfants comme des êtres mortels, que l'univers peut à tout moment lui prendre sans que cela ne l'émeuve. Le Manuel, III: « Si tu embrasses ton enfant ou ta femme, dis-toi que c'est un être humain que tu embrasses ; car s'il meurt, tu n'en seras pas troublé ». Mais celui qui ne peut ou ne veut s'engager sur la voie de la philosophie mais recherche un exemple de tenue, une manière de redresser son âme tel l'empereur Marc-Aurèle aura alors à sa disposition les outils d'une puissante et européenne méditation. Tel Marc-Aurèle, il sera en moyen de faire le bien et de s'acquitter de sa tâche en ne cédant pas aux fastes et distractions que la vie pourrait lui offrir. Car c'est également cela la force de la pensée stoïcienne : elle offre deux voies. Une pour le philosophe et une autre pour le citoyen. C'est également en cela qu'elle est une pensée de l'action car elle n'est pas uniquement destinée à un corpus d'intellectuel mais constitue une manière de vivre que chaque Européen, que chaque citoyen peut faire sien. Philosophe et citoyen, tous deux seront en mesure de vivre selon ce qui est élevé. Qu'est ce qui est élevé ? La Sagesse. Que fait l'homme sage ? Le Bien. Comment se reconnaît-il ? Il vit dans l'Honneur.

Epi-1.jpgEt c'est cet Honneur au-dessus de tout, au-dessus de la vie elle-même qui est invoqué par la pensée d'Epictète. Car rappelons-le, la tenue est la base de la pensée stoïcienne. Sans Honneur, point de tenue. Sans tenue, point de voie d'accès à la Sagesse. Et sans Sagesse, on ne saurait faire le Bien. Il faut d'abord et avant tout vivre dans l'honneur et savoir quitter la scène le jour où notre honneur nous le commandera. C'est ce que ce grand Européen que fut Friedrich Nietzsche rappelle dans Le Crépuscule des Idoles 4 (Erreur de la confusion entre la cause et l'effet, 36): Il faut « Mourir fièrement lorsqu'il n'est plus possible de vivre fièrement ». Et s'exercer à contempler la mort jusqu'à ne plus la craindre, jusqu'à lui être supérieur est une des principales méditations stoïciennes : Le Manuel, XXI: « Que la mort, l'exil et tout ce qui paraît effrayant soient sous tes yeux chaque jour ; mais plus que tout, la mort. Jamais plus tu ne diras rien de vil, et tu ne désireras rien outre mesure ». Celui qui se délivrera de l'emprise de la mort sur son existence pourra alors vivre dans l'Honneur jusqu'à sa dernière heure.

Pour bien comprendre Le Manuel, il convient de rappeler les trois disciplines du stoïcisme selon Epictète. Selon lui, toute philosophie se répartie entre ces trois disciplines que sont : la discipline du discernement (le jugement que l'on porte sur soi et le monde environnant), la discipline du désir et des passions (celle qui régit l'être) et la discipline de l'éthique (c'est-à-dire celle qui régit l'action). Et par l'usage de la raison, on part de la première pour arriver à la troisième. Ce qui importe, c'est de pouvoir porter un jugement sûr permettant de régler tout notre être de la meilleure manière qui soit pour pouvoir enfin agir avec sagesse et donc ainsi faire le Bien. La première tâche qui nous incombe est donc de focaliser notre attention (et donc notre jugement) sur les choses qui importent.

Toute la démarche de celui qui s'engage sur la voie du stoïcisme consiste donc d'abord à pouvoir déterminer la nature de l'univers et à pouvoir se situer par rapport à lui. Et le stoïcisme nous enseigne que la première caractéristique de l'univers est qu'il est indifférent à notre sort. Tout est éphémère et n'est que changement. Nous ne pouvons rien contre cela. La marche de l'univers est inéluctable et nous ne sommes qu'une partie d'un grand Tout. Si les Dieux existent, ont prise sur notre existence et doivent être honorés, ils ne sont eux aussi qu'une partie d'un grand Tout et soumis au fatum. Il devient dès lors inutile de pester contre les coups du sort, de maudire les hommes et les Dieux face au malheur. La véritable Sagesse consiste à accepter tout ce qui peut nous arriver et à aller à la rencontre de notre destin le cœur serein. Voilà entre autres pourquoi on ne saurait craindre la mort qui forcément un jour viendra à nous. Prenant l'exemple des bains publiques pour illustrer les torts que notre environnement ou nos contemporains peuvent nous causer, Epictète nous dit (Le Manuel, IV) : « Ainsi, tu seras plus sûr de toi en allant te baigner si tu te dis aussitôt : « Je veux me baigner, mais je veux encore maintenir ma volonté dans un état conforme à la nature ». Et qu'il en soit ainsi pour toutes tes actions. Ainsi s'il te survient au bain quelque traverse, tu auras aussitôt présent à l'esprit : « Mais je ne voulais pas me baigner seulement, je voulais encore maintenir ma volonté dans un état conforme à la nature. Je ne la maintiendrais pas, si je m'irritais de ce qui arrive » ». C'est l'un des pivots de la pensée stoïcienne. Tout comme l'univers est indifférent à notre sort, nous devons être indifférents à sa marche. Mieux encore, épouser la marche du monde, accueillir le destin d'un cœur résolu, c'est faire acte de piété car c'est avoir fait sien le principe directeur qui guide l'univers lui-même. Et l'univers est par définition parfait donc divin. Ce sont ces considérations métaphysiques qui nous amènent à la raison. Et c'est par la raison que nous accéderons en retour au divin.

EPI-4.jpgNous devons donc ne nous préoccuper que de ce qui ne dépend que de nous car selon Epictète, l'une des plus grandes dichotomies à réaliser c'est celle existante entre les choses qui dépendent de nous et celles qui n'en dépendent pas. Parmi les choses qui dépendent de nous, le jugement que l'on se fait de soi et de l'univers qui nous entoure. Ce qui dépend de nous, c'est tout ce qui a trait à notre âme et à notre libre-arbitre. Et parmi les choses qui ne dépendent pas de nous : la mort, la maladie, la gloire, les honneurs et les richesses, les coups du sort tout comme les actions et pensées de nos contemporains. L'homme sage ne s'attachera donc qu'à ce qui dépend de lui et ne souciera point de ce qui n'en dépend point. C'est là la seule manière d'être libéré de toute forme de servilité. Car l'on peut courir après richesses et gloires mais elles sont par définition éphémères. Elles ne trouvent pas leur origine dans notre être profond et lorsque la mort viendra nous trouver, à quoi nous serviront-elles ? Pour être libre, il convient donc de d'abord s'attacher à découvrir ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas. C'est bel et bien la première discipline du stoïcisme : celle du discernement. En se plongeant dans Le Manuel d'Epictète, on apprendra vite qu'il faut d'abord et avant tout s'attacher à ce que l'on peut et au rôle dont le destin nous a gratifié. Le rôle qui nous est donné l'a été par l'univers (que ce soit par l'entremise des Dieux ou par la voie des causes et des conséquences) et c'est donc avec ferveur que nous devons le remplir. C'est en faisant ainsi, cheminant aux côtés de ses semblables, modeste et loyal, que l'on sera le plus utile aux siens et à sa patrie. C'est bel et bien une vision fataliste de l'existence, un amor fati très européen. Rappelons-nous qu'aller à l'encontre du destin, c'est défier les Dieux et l'univers. Et pourtant... cela nous est bel et bien permis à nous Européens. La Sagesse consiste à savoir que cela ne peut se faire que lorsque tel acte est commandé par l'absolue nécessité et en étant prêt à en payer le prix. On se replongera dans l'Iliade pour se le remémorer. Mais comme il est donné à bien peu d'entre nous de connaître ce que le destin leur réserve, notre existence reste toujours ouverte. Il n'y a pas de fatalité, seulement un appel à ne jamais se dérober lorsque l'histoire nous appelle. Voici une autre raison de s'exercer chaque jour à contempler la mort. Car si nous ne nous livrons pas quotidiennement à cette méditation, comment réagirons-nous le jour où il nous faudra prendre de véritables risques, voir mettre notre peau au bout de nos idées ? Lorsque le Destin frappera à notre porte, qu'il n'y aura d'autre choix possible qu'entre l'affrontement et la soumission, le stoïcien n'hésitera pas. Que seul le premier choix nous soit accessible, voici le présent que nous fait le stoïcisme. Le Manuel, XXXII, 3: « Ainsi donc, lorsqu'il faut s'exposer au danger pour un ami ou pour sa patrie, ne va pas demander au devin s'il faut s'exposer au danger. Car si le devin te déclare que les augures sont mauvais, il est évident qu'il t'annonce, ou la mort, ou la mutilation de quelque membre du corps, ou l'exil. Mais la raison prescrit, même avec de telles perspectives, de secourir un ami et de s'exposer au danger pour sa patrie. Prends garde donc au plus grand des devins, à Apollon Pythien, qui chassa de son temple celui qui n'avait point porté secours à l'ami que l'on assassinait ».

Qu'en est-il à présent des trois disciplines du stoïcisme. Comme il a été dit précédemment, être et action découlent du discernement et l'on peut ainsi affiner la définition des trois disciplines du stoïcisme:

  • Discernement: On s'attachera à déterminer les choses qui dépendent de nous et celles qui n'en dépendent pas.
  •  Être: On se bornera à ne point désirer ce qui ne dépend pas de nous et inversement à désirer ce qui en dépend.
  • Action: On pourra alors agir selon ce que notre être nous commande et ne pas aller vers ce qui nous en détournerait.

EPI-3.jpgIl convient de s'attarder maintenant sur ces définitions de l'être et de l'action. Comme nous le voyons, non seulement nous devons aller dans la bonne direction mais qui plus est nous interdire tout ce qui pourrait nous en détourner. Vivre en stoïque, c'est vivre de manière radicale. Que l'on vive le stoïcisme en philosophe ou en citoyen ne change rien à cela. Il n'y a pas de place pour la demi-mesure. Une droite parfaitement rectiligne, c'est ce qui doit symboliser le chemin parcouru par l'homme antique, l'homme stoïque. Il a été dit plus haut que tout était éphémère, que tout n'était que changement. A partir de cette constatation, sachant que nous ne devons point désirer et accorder d'importance à ce qui ne dépend point de nous, il devient dès lors impossible de s'attacher à ses possessions, à ses amis, à sa famille. Ceux-ci ne nous appartiennent pas et rien de ces choses et de ces personnes ne sont une extension de nous-même. Hommes ou objets, nous n'en jouissons que temporairement. Et cela ne doit pas être vu comme un appel à l'indifférence et à l'égoïsme. L'enseignement qui doit en être retiré est que la vérité et l'exigence de tenue ne doivent pas tenir compte de ces que nos contemporains, si proches soient-ils de nous, peuvent en penser. De même, l'argent et les biens matériels ne sont que des outils. Des outils au service du bien, de la cité, de la patrie. Celui qui se laisse posséder par ce qui est extérieur à lui-même ne mérite pas le titre de stoïcien, le qualificatif de stoïque. Et à ceux qui verront le stoïcisme comme trop dur, Epictète répond que la Sagesse a un prix. Nous ne pouvons désirer la paix de l'âme et les fruits d'une vie de servitude. A vrai dire, à vouloir les deux à la fois, on n'obtient bien souvent ni l'un ni l'autre. Et à ceux qui se décourageront en chemin, Epictète rappelle que nous pouvons trouver en nous tous les outils pour persévérer. Face à l'abattement, invoquons la ferveur, face à la fatigue, invoquons l'endurance, face aux insultes et aux coups, invoquons le courage.

Quelles sont alors les valeurs qui doivent être invoquées en toutes circonstances par l'Européen sur la voie du stoïcisme ? Puisque tout n'est qu'éthique, puisque tout n'est que tenue, que doit-on se dire inlassablement pour être prêt le jour où le destin nous appellera ?

  • Méprise mort, maladie, honneurs, richesses
  • Ne te lamente de rien qui puisse t'arriver
  • Maîtrise-toi car tu es le seul responsable de tes actes
  • Joue à fond le rôle qui t'es donné
  • Agis ou lieu de décréter
  • Respecte les liens du sang, de hiérarchie et les serments
  • Ne te détourne jamais de ton devoir
  • Ne te justifie jamais, ris des éloges que tu reçois
  • Ne parle que lorsque cela est nécessaire
  • Ne commet rien d'indigne
  • Par ta conduite, amène les autres à la dignité
  • Ne fréquente pas ceux qui sont souillés
  • Modération en tout. Accepte les bonnes choses de la vie sans les rechercher. Enfin, ne les désire plus
  • Les Dieux gouvernent avec sagesse et justice :

« Sache que le plus important de la piété envers les Dieux est d'avoir sur eux de justes conceptions, qu'ils existent et qu'ils gouvernent toutes choses avec sagesse et justice, et par conséquent, d'être disposé à leur obéir, à leur céder en tout ce qui arrive, et à les suivre de bon gré avec la pensée qu'ils ont tout accompli pour le mieux. Ainsi, tu ne t'en prendras jamais aux Dieux et tu ne les accuseras point de te négliger »

Epictète, Le Manuel, XXXI

epi-6.jpgAller au-devant du monde le cœur serein. Rester droit face aux pires menaces et affronter la mort sans faillir, voilà la grande ambition du stoïcisme. En des temps troublés, l'Européen, quel que soit son rang, trouvera dans le Manuel tous les outils pour y arriver. Par la méditation, la raison et la maîtrise de soi il pourra se forger jour après jour une antique et véritable tenue. Le stoïcisme est également l'une des traditions par laquelle on peut se rapprocher du divin puis enfin mériter soi-même ce qualificatif. Devenir « pareil au Dieux » fut l'une des grandes inspirations de nos plus lointains ancêtres au sein de toute l'Europe. Germains et Celtes aux ancêtres divins ou Latins et Hellènes rêvant de prendre place à la table des Dieux, tous étaient habités par cette métaphysique de l'absolu qui guide nos âmes depuis nos origines. Une métaphysique de l'absolu qui les poussait à rechercher la perfection, l'harmonie, la beauté. Avec la raison menant au divin et le divin menant à la raison, le stoïcisme réussit un syncrétisme que beaucoup ont cherché à réaliser en vain pendant des siècles. Et cette sagesse n'est nullement incompatible avec les fois chrétiennes comme avec nos antiques fois européennes. Le libre penseur, l'incroyant lui-même n'en est pas exclu. Voilà pourquoi celui qui ouvre Le Manuel aura alors pour horizon l'Europe toute entière et ce, à travers toutes ses époques. Que celui qui contemple alors notre histoire se rappelle ces paroles d'Hector dans L'Iliade 5 (XII, 243) : « Il n'est qu'un bon présage, celui de combattre pour sa patrie ».

Pour le SOCLE :

De la critique positive du Manuel, les enseignements suivants peuvent être tirés :

                    - Le Manuel dicte la tenue idéale à tenir pour un certain type d'Européen.

                    - C'est un devoir sacré pour chacun d'être utile là où il est.

                    - Il ne saurait y avoir de réflexion sans action.

                    - L'honneur est au-dessus de la vie.

                    - L'hubris doit être condamné.

                    - On doit être guidé par une métaphysique de l'absolu.

                    - Le divin mène à la raison. La raison mène au divin.

Bibliographie

  1. Le Manuel. Epictète. GF-Flammarion.
  2. Pensées pour moi-même. Marc-Aurèle. GF-Flammarion.
  3. Histoire et tradition des Européens. 30 000 ans d'identité. Dominique Venner. Editions du Rocher.
  4. Le crépuscule des idoles. Friedrich Nietzsche. Folio Essais.
  5. L'Iliade. Homère. Traduit du grec par Fréréric Mugler. Babel.

samedi, 24 septembre 2016

La Théogonie d'Hésiode

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La Théogonie d'Hésiode

 
Ex: http://lesocle.hautetfort.com 

Si nous devons remonter aux sources premières de notre mémoire, quel sont nos plus anciens textes sacrés ? Aux côtés de l'Iliade et de l'Odyssée, piliers premiers de notre tradition, on trouvera immanquablement la Théogonie d'Hésiode. Décrivant la naissance des Dieux, la Théogonie nous rappelle notre véritable nature, celle d'enfants des Dieux à qui nous devons nous efforcer de ressembler. Pour y parvenir, Hésiode nous chante l'ordre cosmique incarné par les Dieux et le premier d'entre eux: Zeus. Comprendre cet ordre, c'est ce qui nous permet de méditer notre métaphysique: la métaphysique de l'Absolu, élément indispensable d'une nouvelle Renaissance européenne.  

Structure de l’œuvre: La Théogonie est un hymne aux Dieux. L'appréhension par le lecteur de sa dimension lyrique et religieuse est donc fondamentale pour faire vivre l'hommage d'Hésiode aux Muses et aux souverains de notre monde.

Gwendal Crom, pour le SOCLE

La critique positive de la Théogonie au format .pdf

H-1.jpgLa Théogonie 1 d'Hésiode s'ouvre par l'honneur rendu aux Muses, filles de Zeus, celles qui font les grands rois et les grands poètes en rendant leurs paroles plus douces que le miel. Hésiode tient son pouvoir d'elles, filles de la Mémoire (Mnémosyne), merveilleuses créatures baignant leur corps dans la Fontaine du Cheval (l'Hippocrène), en la montagne Hélicon, « grandiose et inspirée ». Ces rires et ces chants que perçoit le poète, ce sont ceux de la mémoire, dont les échos rebondissent sans fin sur l'onde de la source pérenne.

Ainsi se dessine la volonté des Dieux, tel est le devoir religieux des poètes (les aèdes) : transmettre la mémoire des hommes et de ceux qui ne meurent pas. Citons Diodore de Sicile : « Parmi les Titanides, on attribue à Mnémosyne l'art du raisonnement : elle imposa des noms à tous les êtres, ce qui nous permet de les distinguer et de converser entre nous ; mais ces inventions sont aussi attribuées à Mercure. On doit aussi à Mnémosyne les moyens de rappeler la mémoire des choses passées dont nous voulons nous ressouvenir, ainsi que son nom l'indique déjà » 2. Car nommer, c'est-à-dire, donner une vie, une signification, c'est ce qui permet de donner un sens à la Vie elle-même. Une Vie que l'on met en relation avec la Vie d'hier et la Vie de demain par les flots de la destinée. Une Vie, un Cosmos que les Muses célèbrent et que l'on célèbre à travers elles.

Filles de Zeus, les Muses inspirent poètes et rois. Elles illuminent l'accord passé entre les hommes et les Dieux. Les Rois guident les hommes quand Zeus guide les Dieux mais toujours existe un incessant échange entre ces deux mondes, et ce, par le biais du poète. Parler de deux mondes est d'ailleurs une erreur. Il n'en existe qu'un et c'est au travers de la personne du poète que se fait jour cette vérité. Plus prosaïquement, le fait que les Muses inspirent ces deux types d'homme illustre parfaitement la dualité de la première fonction dans la tripartition indo-européenne : un versant politique et un versant sacré 3,4 ainsi que leur intrication.

I. Une généalogie

Cet hommage rendu, commençons par le commencement. Au commencement se trouve Faille (Chaos) dont naissent Gaïa (la Terre), Nyx (Nuit), Erèbe (Ténèbres) et enfin Eros (Amour), le principe d'union des contraires. Nuit et Ténèbres donnent naissance à Feu d'en haut (Ether) et lumière du jour (Héméra). Puis Gaïa donne naissance à Ouranos (Ciel) et Pontos (Océan infertile, dît le Flot). Enfin, Ciel et Terre donnent naissance à Océan. Ciel engrosse ensuite Terre continuellement. Mais Ouranos est un Dieu jaloux qui refuse de partager avec ses enfants. Il enferme sa progéniture dans les replis de la Terre. Tous ces enfants nés de lui, Ouranos les appelle « Titans ». Le dernier-né parmi eux, c'est Cronos Pensées-Retorses. Malgré la haine farouche que tous les enfants du Ciel éprouvent pour leur père, lui seul a le courage de répondre à l'appel de sa mère outragée (vers 170):

« Mère, moi, je l'ai promis ;

et je saurais l'exécuter, l'acte.

Je n'ai aucun respect pour ce père

indigne de son nom, le nôtre.

Il a, le premier, inventé des méfaits écœurants ».

Une nuit, alors que Ciel vient s'étendre sur Terre pour l'engrosser à nouveau, Cronos suit le plan élaborée par sa mère. Il saisit la longue serpe qu'elle a confectionnée et il émascule ce père tyrannique. Il jette les testicules au loin dans la mer. De l'écume bouillonnante en sort alors Aphrodite, déesse de l'amour, celle qui a Eros pour compagnon et que Désir suit partout. Avant que les testicules n'atteignent la mer, elles laissent échapper quelques gouttes de sang sur le sol dont jailliront après quelques années les Géants, les Erinyes et les Nymphes.

Avant d'aller plus avant vers la naissance de Zeus, Hésiode nous entretient de la descendance de la Nuit et des Ténèbres. Elle compte « le triste Destin et la noire Tueuse, et la Mort » mais aussi le Sommeil et les Rêves. Parmi ses enfants, on trouve les trois Moires qui donnent à leur naissance, leur part à chaque être, homme comme Dieu. Nuit enfanta également Indignation, Tromperie et Bonne Amitié, Vieillesse et Jalousie. Jalousie enfanta à son tour Travail, Oubli et Faim ainsi que Souffrances, Querelles et Combats, Assassinats et Massacres d'Hommes. Jalousie encore enfanta Réclamations, Mépris des lois et Démence (« qui s'accordent ensemble » nous dit Hésiode) et enfin Serment « qui plus que tout autre fait souffrir sur la terre les hommes, lorsque l'un d'eux, sachant ce qu'il fait, se parjure ».

Vient ensuite la progéniture de Pontos et de Gaïa : Nérée, Thaumas, Porkys, Kètô et Eurybiè. Ce sont là des divinités marines primordiales. De nombreuses créatures mythologiques (Sirènes, Harpies, Gorgones...) les ont pour parents. Naissent les Vents, les Fleuves, le Soleil, l'Aurore, la Lune et les Etoiles. On voit ici que chaque élément du Cosmos est sacré, divin. Les concepts eux-mêmes sont divins tels Vouloir-être-premier, Victoire, Pouvoir et Force, qui partout accompagneront Zeus et obéiront à lui seul. Enfin, une place de choix est accordée à la déesse Hécate qui conservera ses prérogatives après la prise de pouvoir du puissant Cronide.

De Zeus enfin il est question. Rhéïa, forcée par Cronos, donne naissance à plusieurs Dieux immédiatement avalés par Cronos. Car lui aussi ne veut pas partager son pouvoir, lui aussi sombre dans l'hubris (soit le fait d'avoir voulu plus que sa juste part, d'avoir sombré dans la démesure). Et ses parents Terre et Ciel lui avaient prédit qu'il serait détrôné par l'un de ses enfants. Rhéïa demande donc conseil à ses parents (Ciel et Terre également) et elle lange une pierre qu'elle donne à Cronos pour qu'il la mange à la place de Zeus. Zeus grandit ensuite sur la montagne Aïgaïôn puis au moyen de la ruse, revient faire vomir ses frères et sœurs à Cronos.

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Figure I: Roi des Dieux et Dieu des Rois, Zeus incarne la première fonction et l'ordre cosmique des Indo-européens.

Alors se déclenche la guerre entre les Dieux Olympiens commandés par Zeus et les Titans fidèles à Cronos. Zeus reçoit le Foudre des trois cyclopes ouraniens, arme et symbole de celui qui commande aux Dieux et aux hommes. Mais pendant dix longues années, les Titans et les Olympiens se combattent sans que ne se dessine un vainqueur. Zeus délivre alors les puissants Hécatonchires prisonniers du Tartare où Cronos les avait enfermés. L'un d'eux (ils sont trois comme les Cyclopes), Kottos le parfait, lui répond en ces termes (vers 655):

        « Ô puissant, ce que tu révèles, nous le savons.

        Mais aussi savons que ton esprit est fort et plus forte ta pensée.

        Tu as sauvé les Immortels du froid des malédictions.

        Grâce à ta sagesse échappant au brouillard obscur,

        Echappant aux entraves cruelles, nous sommes revenus ici,

        Prince fils de Cronos, quand nous n'espérions plus.

        Maintenant l'esprit tendu, avec réflexion, nous nous battrons pour vous

        Dans la dure bataille nous affronterons les Titans en un combat Terrible ».

La guerre qui suit est apocalyptique. Les Hécatonchires (ils ont cent bras) font pleuvoir un déluge de roche sur les Titans pendant que Zeus fait s'abattre sans répit la foudre sur eux (vers 700).

        « Un brûlure monstrueuse atteignit la Faille.

        C'était pour qui voyait avec ses yeux, entendait avec ses oreilles,

        Comme si la terre, comme si le ciel immense par-dessus se heurtaient ».

Les Titans sont vaincus. Ils sont enfermés dans le Tartare, gardés pour l'éternité par les puissants Hécatonchires. Furieuse du sort réservé à ses enfants, Gaïa couche avec le Tartare et enfante alors Typhôeus, la plus puissante entité jamais engendrée par la Terre. De ses épaules jaillissent cent têtes de serpents dont les yeux crachent le feu et sa voix fait trembler les montagnes. Zeus se lève alors et après un combat tout aussi apocalyptique que le précédent, il détruit Typhon, et sa dépouille enflammée fait fondre la Terre. Zeus sera le seul maître, l'Univers jusqu'à Faille elle-même en fut le témoin. La Terre devra donc s'y plier.

II. Un ordre nouveau

Généalogie des Dieux et des concepts, la Théogonie porte en elle est une conception de l'univers et des hommes. L'ordre et les conflits qui règnent chez les Dieux sont un reflet des combats qui animent le monde des hommes ainsi que de l'ordre idéal qui doit y régner. Comme le dit Alain de Benoist 5, il y a toujours un échange, une incessante réciprocité entre le monde des Dieux et celui des hommes mangeurs de pain. Comme l'illustre l'acte du sacrifice (vers 555), les hommes et les Dieux partagent, les hommes et les Dieux communient ensemble. Ils évoluent dans un monde sacré comme nous l'avons vu dans la partie précédente. Le Cieux et la Terre, les Vents et les Flots, le Soleil et la Lune sont tout aussi divins que Zeus et Héra. Ils dessinent un monde où l'enchantement va de pair avec le respect. Qui oserait piller une Terre divine, qui oserait polluer une nature sacrée ?

Mais cela va au-delà des considérations sur la simple nature. L'enseignement principal, c'est que l'homme ne saurait se rendre maître du Cosmos. Comme dans les autres traditions indo-européennes, le mythos grec donne naissance à un homme libre (dont l'aboutissement est le héros) mais contenu dans les limites de la mesure sans quoi il aura à en payer le prix. Et les Moires qui ont donné leur part à chaque homme et chaque Dieu veilleront à punir celui qui se sera montré coupable d'hubris. D'hubris il est question lorsque Cronos engloutit un à un ses enfants ou quand Ouranos enferme les siens dans les replis de leur mère la Terre. Pleins d'hubris, ils refusent de partager, de laisser à chacun sa juste part. Ouranos, Gaïa et leurs descendants Titans sont prompts à sombrer dans l'hubris par nature. Ces Dieux anciens personnifient les forces primitives, chaotiques de la Nature. Ils sont la Terre, le Ciel, forces brutes qui ignorent la notion d'ordre et d'harmonie, ils détruisent immédiatement ce qu'ils ont créé et ne laissent subsister qu'un monde bouillonnant, fertile mais sans forme ni sens. Ce sont des forces du passé (sans doute représentent-elles les divinités pré-indo-européennes) que remplacèrent les forces nouvelles des Dieux indo-européens. On pensera notamment au panthéon nordiques où les Dieux Vanes (liés à la fécondité) après un temps en lutte avec les Dieux Ases (liés à a souveraineté et à la guerre) conclurent une trêve avec ces derniers 6. Les divinités de la nature ne sont pas exclues (pas plus que l'homme en deviendrait le maître) mais elles ne sont plus prépondérantes (les Titans sont exilés dans le Tartare pendant que Perséphone et Aphrodite sont vénérées par les hommes).

D'un point de vue terrestre, il semble inéluctable dans l'histoire des hommes, nécessaire pour ces derniers, de passer d'une société tributaire des aléas de la nature à une société où l'homme se trace un destin et où la société dans son ensemble s'organise autour de cette idée. Telle est l'essence des Dieux Olympiens et des hommes qui les suivent : le pouvoir de rentrer dans l'histoire et de la faire.

Tel est donc le nouvel ordre olympien. Un panthéon où Zeus est le maître incontesté mais où il agit en souverain et non en tyran. Il compose avec les autres Dieux et leur demande leur avis. On pensera aux honneurs que Zeus accorde à Hécate (vers 410), à l'aide qu'il requiert de la part des Hécatonchires (vers 640) et à la reconnaissance qu'il accorde à Styx (vers 400). Préfigurant l'ordre régnant dans les sociétés indo-européennes, Zeus est le souverain des Dieux tout comme le roi est le souverain des hommes libres. Et si c'est en invoquant Zeus que les hommes prêtent serment 7, ce n'est pas par son nom que jure les autres Dieux (comme nous le verrons par la suite). La tyrannie d'un seul sur tous les autres n'existe pas et comme le montre la Théogonie, tout ceux qui s'y essayent (Ouranos, Cronos) finissent immanquablement par chuter.

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Figure II: Les remords d'Oreste par William Bouguereau. Chez les hommes comme chez les Dieux, malheur au parjure, malheur à celui qui attente au sacré !

Tout comme la société humaine, la société divine est régie par les mêmes fondements (respect de l'ordre cosmique, vision tripartite du monde) et les mêmes codes. L'un de ceux-ci, le plus remarquable, est le rituel du serment. Ce Serment que la Théogonie présente comme l'enfant de la Nuit et qui « plus que tout autre fait souffrir sur la terre les hommes, lorsque l'un d'eux, sachant ce qu'il fait, se parjure » (vers 230). Remarquable en effet de constater que selon la Théogonie, la plus grande cause de souffrance pour les hommes est le parjure. Remarquable enfin de trouver naturellement en écho à la souffrance des hommes qui parjurent, un écho dans le rituel du serment chez les Dieux. Nous parlions précédemment de la reconnaissance qu'a accordée Zeus à Styx. Ce qu'il lui a donné en récompense c'est d'être celle par laquelle les Dieux jureront (vers 780). Lorsque la parole d'un Immortel est mise en doute, alors l'on envoie quérir l'eau du Styx et l'Immortel la verse à terre en prêtant serment. Comme chez les hommes, malheur au parjure ! (vers 790)

        « Si l'un de ceux qui ne meurt pas, seigneur des neiges de l'Olympe,

        La verse à terre pour faire un serment qui n'a pas de vérité,

        Il cesse de respirer, reste à terre pendant toute une année.

        Il ne peut pas s'approcher de l'ambroisie ni du nectar qui nourrissent ;

        Il est étendu sur un lit qu'on lui a fait,

        Sans souffle et sans paroles, dans un coma dangereux.

        Quand, après une longue année sa maladie se termine,

        Il subit une épreuve nouvelle, qui vient après l'autre.

        Pendant neuf ans il reste à l'écart des Dieux qui vivent sans fin.

        On ne le laisse se mêler ni aux conseils, ni aux fêtes,

        Pendant neuf années entières.

     A la dixième année il revient se mêler aux Immortels qui ont leur maison sur l'Olympe ».

Telle est la sanction pour l'Immortel qui a failli : la perte de son immortalité. Cela montre à quel point la société des Dieux est le reflet idéal de celle des hommes, à quel point les hommes sont donc capables en retour de divinité s'ils se montrent « pareils aux Dieux ». On ne s'étonnera donc pas de remarquer que le qualificatif le plus accordé aux héros dans l'antiquité hellénique est « divin ». Plus qu'une capacité d'ascension pour les hommes, la divinité est un idéal, une tenue que les meilleurs représentants de la race se doivent d'atteindre. Le poète est entre autres là pour rappeler cette évidence aux hommes et aux rois, que la Théogonie appelle à juste titre les « élèves de Zeus » (vers 80). La frontière est pourtant claire entre les hommes et les Dieux. De démesure, il ne saurait être question. Il faut le rappeler, l'hubris est la pire faute que puisse commettre un homme. Le « Connais-toi toi-même » gravé sur le fronton du temple de Delphes n'est pas un appel à l'introspection. Il enjoint chacun à connaitre sa place dans l'univers. A chacun, homme comme Dieu de remplir son rôle, et de la manière la plus parfaite qui soit. C'est la condition de l'harmonie.

III. Une métaphysique de l’Absolu

L'harmonie : c'est ce qui se dessine au sein de la Théogonie. C'est un « cosmos », soit étymologiquement un « monde ordonné » et non un chaos. La Théogonie c'est l'arrivée de l'ordre dans la création afin de lui donner un sens, une harmonie. L'ordre n'est pas seulement amené par l'accession de Zeus au trône divin et qui n'en est que le parachèvement. L'ordre, ce sont aussi des règles métaphysiques intangibles, comme le peut être la gravitation dans notre monde. Ces règles naissent avec le Cosmos lui-même et se diversifient, se complexifient en même temps que lui.

Nous avions déjà parlé des Muses, filles de la Mémoire et de Zeus. Remontons encore une fois au tout début. De Faille survint Gaïa, Nyx (la Nuit), Erèbe (Ténèbres) et Eros (Amour). De Nuit et de Ténèbres viendront Feu d'en haut (Ether) et Lumière du jour (Héméra). On retiendra de ce Fiat Lux la survenue depuis le quasi-Néant (Nuit et Ténèbres sont un peu plus que l'absence de toute chose), de l'énergie et de la matière. Mais surtout, notre attention est attirée par Eros. L'un des quatre premiers principes/concepts/Dieux est celui de l'Amour. Il est le Dieu de la puissance créatrice, il est l'incarnation de « l'union des contraires » si cher aux Hellènes. Il est important de préciser qu'Eros n'est pas le Désir qui est une entité distincte. C'est précisément ici qu'intervient le génie de l'antique paganisme. Les Anciens n'ignoraient pas la dualité des principes régissant l'existence mais ils en recherchaient le dépassement. Ils ne faisaient pas un choix qui verrait magnifier un principe aux dépens de celui qui lui était associé. Ils ne choisissaient pas non plus une voie qui amènerait les deux principes à se neutraliser, sorte de juste milieu. Non. Pour nos ancêtres, la solution résidait dans l'union des contraires par leur dépassement dialectique. Prenons la figure d'Aphrodite. Née des testicules d'Ouranos tranchées et jetées à la mer par Cronos, il est dit d'elle que partout où elle allait (vers 195) :

        « Eros fut son compagnon,

        Et le beau Désir la suivit,

        Dès le moment de sa naissance,

        Puis quand elle monta chez les Dieux »

Aphrodite est le dépassement dialectique de l'Amour et du Désir. Elle permet le dépassement du concept de perpétuation, d'union que constitue Eros et de celui du simple désir amoureux que constitue Désir. Aphrodite, c'est l'écume (la semence) née du Ciel venue fertiliser la Terre et ses habitants. A la fois violente comme le peut être le désir et douce comme la tendresse, Aphrodite a pour époux Arès, le Dieu des fureurs guerrières. De par ses prérogatives et les relations qu'elle noue avec les autres entités, elle montre l'étendue et les limites de son champ d'action. Elle montre également qu'il ne saurait y avoir de concept agissant seul, isolé, sans conséquences sur le monde extérieur. La plupart d'entre nous préfèrerons la compagnie d'Aphrodite à celle d'Arès mais nous ne devons pas nous faire d'illusion sur le risque toujours existant de le voir faire irruption quand nous frayons avec elle.

On pensera alors à l'Iliade 8. C'est à cause du désir de Pâris pour la belle Hélène que la guerre de Troie eut lieu.

Ce n'est l'un qu'un exemple parmi d'autre, et parmi les plus simples à comprendre. Toute la Théogonie est construite selon cette logique. Elle dessine une totalité dialectique où chaque divinité, chaque concept, chaque homme a son importance dans la perfection, dans l'ordre de l'univers.

athbor2141_small_1.jpgFigure III: Athéna à la borne. Comme pour la déesse, nos méditations doivent porter sur la notion de limite, d'absolu, de perfection.

Poursuivons maintenant avec la progéniture de la Nuit. Tout d'abord, les trois Moires qui accordent leur part de bien et de mal à chaque homme (de bonheur et de malheur) et qui soulignent de par leur naissance, que la destinée n'est que l'enchainement des causes et des conséquences que chaque homme se doit d'assumer. S'accorde à la divinité celui qui (homme comme Dieu) saura rester à la place qui lui est due. Cela ne doit pas laisser penser que la société des Hellènes est fataliste comme pouvait l'être celle des Etrusques. Non, la part qui revient à chacun peut émerger après une longue lutte. Ce que nous dit l'existence des trois Destinées, c'est que la vie ne peut être appréhendée sans sa dimension tragique, que l'on ne peut vouloir toujours plus sans en avoir à en payer le prix un jour ou l'autre et que l'homme sage ne maudira point les Dieux et l'Univers quand il sera frappé par les coups du sort (des conceptions que l'on retrouve bien exprimée dans le stoïcisme 9,10).

Et ces coups du sort sont également enfants de la Nuit. La Mort bien évidemment mais également la Misère qui fait mal, la Tromperie et la Vieillesse effroyable, la Jalousie qui enfanta à son tour bien des maux. Ce sont l'Oubli et les Souffrances, les Querelles et les Combats et, nous dit la Théogonie, le Mépris des lois et la Démence qui « s'accordent ensemble ». C'est enfin, rappelons-le une dernière fois, ce Serment qui fait tant souffrir les hommes quand ils se parjurent. Même les maux participent à l'ordre du monde et sont sacrés, incarnés par des divinités. Un monde sans souffrance ne serait plus le monde tout comme il est insensé de s'étonner de la présence de la Mort, nécessaire au renouvellement perpétuel des générations.

Nous avons évoqué précédemment la figure de la déesse Styx, fille d'Océan et fleuve des Enfers. Elle accouru la première à l'appel de Zeus pour combattre les Titans. Le fait que parmi les enfants de Styx se trouvent Vouloir-être-premier, Victoire aux belles chevilles, Pouvoir et Force ne devra donc étonner personne, surtout lorsque l'on sait que depuis cet appel (vers 385):

        « Ils n'ont pas de maison, où ils seraient loin de Zeus,

        Pas de lieu, pas de route, où ils iraient sans l'ordre du Dieu ;

        Toujours ils occupent un siège près de Zeus Fracas-de-Foudre ».

Nous le voyons encore une fois. Tout est sacré, même les sentiments et les idées, les concepts comme les sensations. Les Dieux sont les forces profondes animant l'univers et que l'homme sage se doit de vénérer. Car le but de l'homme sage est de vivre en harmonie avec l'univers. Donc de connaître les lois qui l'animent. Les stoïciens arrivèrent à la même conclusion par l'usage de la raison. Ceci n'est pas étonnant, car quand bien même un philosophe utilise uniquement la logique pour arriver à ses conclusions, ce sont les mythes qui ont façonné l'âme de son peuple et dont il est l'un des dépositaires qui déterminent ses représentations fondamentales. Les penseurs hellènes n'étaient pas de joyeux athées accessoirement doués pour la philosophie et les sciences. Toute leur âme répondait à une métaphysique bien précise. Cette métaphysique est celle de la borne, de la limite. C'est la métaphysique de l'Absolu. C'est une métaphysique dictée par le rejet d'une faute majeure : l'hubris. Savoir trouver sa place, la mesure en tout, l'intrication du beau et du bien, la sacralité de l'univers, la perfection comme horizon... ce sont là quelques manifestations de cette métaphysique de l'Absolu contenue dans la Théogonie. On est loin de la métaphysique de l'illimité qui gouverne aujourd'hui nos existences. Un monde de la consommation, de la croissance sans fin. Un monde où la nature (aujourd'hui circonscrite à la Terre mais demain extensible à l'Univers entier) est une vaste réserve de matière première. Un monde où l'homme est devenu la démesure de toute chose pour prendre à rebours les propos de Protagoras. Une sécularisation du « Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre » de la Genèse 11.

Invoquons de nouveau l'Iliade et la description du bouclier d'Achille dont nous parlions dans une précédente critique positive 12 :

« Dans ce texte sacré de notre continent, le plus ancien écrit d'Europe, composé au VIIIe siècle avant notre ère, nous pouvons trouver la figuration de la cité sur le bouclier d'Achille (chant XVIII de l'Iliade). Forgé et décoré par Héphaïstos, le bouclier montre la société antique, représentée par deux cités, l'une en paix, l'autre en guerre mais toutes deux inscrites dans l'ordre cosmique (symbolisé par la voute céleste) défini par la tri-fonctionnalité européenne. La première ville représente le 1er ordre (cérémonies, justice, cercle sacré). La seconde ville représente le 2nd ordre (guerre). En plus des deux villes est représenté le monde agricole (3ème ordre), joyeux et opulent. A l'extrême bord du bouclier est placé l'Océan (notion de limite, de borne). Ici, le monde agricole est richesse et joie, il permet l'émergence des villes et en garantie l'harmonie. La séquence nature-surnature-civilisation est une continuité et non une rupture. Non seulement le divin les englobe mais ces trois composantes participent également au divin ».

Cette métaphysique est notre bien le plus précieux. Malmenée depuis des siècles, oubliée par bien des nôtres, il n'appartient qu'à nous d'y revenir. Comment ? En nous laissant traverser par la perfection des sculptures antiques de Praxitèle et de Phidias dont Rodin fut l'un des plus dignes descendants. En s'imposant une plus grande frugalité sans sombrer dans l'ascétisme, comme le recommandait Dominique Venner, pour se concentrer sur les choses fondamentales. En cultivant l'esprit (l'exigence) d'excellence dans nos travaux. En renouant avec le sentiment de la nature comme nous l'enseignent et nous l'ont enseigné tant de nos maîtres. Toutes ces choses que Dominique Venner nous a enjoint de retrouver, d'entretenir en nous et parmi les nôtres 13. La Théogonie est avec l'Iliade une des sources majeures de ce grand ressourcement. Les autres sources immémoriales de l'Europe partageant les mêmes eaux, chacun pourra y trouver cette métaphysique de l'Absolu. Du cycle arthurien aux Eddas, de la figure de Cúchulainn à celle de Siegfried, de la sagesse des druides à celle des stoïciens, nous avons à portée de main de quoi renouer avec notre véritable relation au cosmos, celle de nos origines.

Pour le SOCLE 

L'enseignement fondamental de la Théogonie est de revenir à une métaphysique de l'Absolu. Ce que nous percevons à travers ce témoignage d'Hésiode pour y parvenir, c'est:

  • La condamnation de l'hubris
  • Le Cosmos est sacré
  • Tout est partie du Cosmos : hommes, Dieux, forces, concepts, idées...
  • Hommes et Dieux doivent être guidés par les mêmes principes
  • L'importance du serment
  • L'ordre est voulu, le chaos est permanent

Bibliographie

  1. Théogonie. Hésiode. Folio Classique
  2. Bibliothèque historique, V, LXVII. Diodore de Sicile
  3. Jupiter, Mars, Quirinus. Georges Dumézil. NRF Gallimard
  4. Vu de droite. Alain de Benoist. Le labyrinthe
  5. Comment peut-on être païen ? Alain de Benoist. Albin Michel
  6. Les religions de l'Europe du nord. Régis Boyer, Evelyne Lot-Falck. Fayard-Delanoël
  7. Dictionnaire de la mythologie gréco-romaine. Annie Collognat. Omnibus
  8. L'Iliade. Homère. Traduit du grec par Frédéric Mugler. Babel
  9. Le Manuel. Epictète. GF-Flammarion
  10. Pensées pour moi-même. Marc-Aurèle. GF-Flammarion
  11. Genèse 1:28
  12. Critique positive de « Comment peut-on être païen». Gwendal Crom. Le SOCLE
  13. Un samouraï d'Occident. Dominique Venner. Editions Pierre-Guillaume de Roux

vendredi, 01 juillet 2016

Le christianisme a dérobé le «logos» philosophique grec

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Le christianisme a dérobé le «logos» philosophique grec

Ecrivain et enseignant

Ex: http://www.slate.fr

index.jpgRecension:

Les enfants d'Héraclite. Une brève histoire politique de la philosophie des Européens, par Gérard Mairet

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Ne s’agissant pas d’une étude nouvelle sur la philosophie d’Héraclite, il convient d’attirer l’attention du lecteur sur le titre et sous-titre complets de l’ouvrage. C’est toute la philosophie politique, appliquée à la question de l’Europe, qui y est en jeu, centrée sur une grande affaire qui regarde, justement, les Européennes et les Européens. En effet, Gérard Mairet, philosophe et professeur émérite des universités, s’attaque à la notion d’Europe chrétienne et de racines chrétiennes de l’Europe (on présuppose même toujours qu’il y en a!).

C’est l’illusion complaisante d’une «philosophie chrétienne» (de la soumission de la raison et de la nature à la foi) qui a permis la fabrication de cette légende des «racines» chrétiennes de l’Europe. Le fait de faire remonter «ce qu’on appelle Europe» aux doctrines de l’Église, c’est faire comme si les conciles avaient fondé l’Europe –d’où les racines!

La question, il est vrai, concerne non le christianisme, à l’évidence un des éléments constitutifs de la culture européenne, mais ce qu’on entend par Europe. Car, insiste Mairet, l’Europe a son origine dans le Logos et non dans la religion, mais on veut l’oublier. Cette idéologie des racines de l’Europe a son fondement dans un vol, celle du Logos philosophique (grec) par le christianisme, vol qui aboutit à de nombreux drames contemporains, et à l’injonction qui nous est encore faite par beaucoup: on ne badine pas avec les dieux!

Vaste larcin

 - Le temps grec: de Héraclite, conçu comme un héros de la pensée humaine, Mairet dit qu’il fut le premier philosophe et surtout qu’il le fut parce qu’il a posé le Logos: le discours à l’écoute de la raison des choses, le discours qui pose l’unité des opposés. Avec Héraclite, le raisonnement (logos) s’émancipe du divin et des poètes. C’est la raison qui ordonne la pensée du monde, non les récits héroïques, non les allégories poétiques. C’est là une attitude théorique radicale. D’autant plus que ce Logos est associé à la démocratie. Il passe de la nature à l’homme, c’est-à-dire à la polis. Passer à l’homme veut dire se mettre à l’écoute de l’homme dans la cité. Le Logos passe au citoyen et à la démocratie:

«En effet, si elle est bien le pouvoir du peuple, la force du grand nombre, c’est parce que la démocratie est le régime politique où la multitude prend la parole. D’où la meilleure et la plus simple définition de la démocratie; elle est le régime où la parole politique appartient au peuple, le peuple y prend la parole.»Délibérer, cela suppose une technique de l’argumentation, une capacité démonstrative visant à faire valoir la justesse de son opinion, et à refuser les dogmes.

Le corpus philosophique des Grecs est relégué sous la catégorie de doxa (opinion païenne)

photo-rabbin-daniel-farhi-héraclite.jpg- Le temps chrétien: donc le Moyen Âge, et la subtile déstructuration du Logos Grec au profit de Dieu, du Christ et de l’empereur, donc l’invention du théologicopolitique. Dès lors que le logos-raison (répétons-le: inventé par les Grecs et notamment Héraclite) passe au logos-foi, la philosophie change de figure, ou plutôt elle est disqualifiée en faveur de la «théologie du Logos». Ainsi les chrétiens ont-ils opéré un vaste larcin sur le dos d’Héraclite et de quelques autres. Désormais, le logos-foi ne tolère pas le logos-raison. Ce n’est que lorsque les philosophes s’emploieront à faire resurgir le logos-raison du fonds théologique du logos-foi, que la philosophie renaîtra au détriment de la théologie.

Voici le larcin chrétien (vers 150 de notre ère):

«Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu.»

(Évangiles)

On sait que le mot «parole» ou le mot «Verbe» traduisent logos; dans l’original grec, logos et theos (dieu) sont sans majuscule. Grâce aux majuscules, l’énoncé «le Verbe était Dieu» induit l’idée que le texte dit autre chose que «la parole était dieu». Originairement, c’est l’auteur de l’évangile (ou plutôt de son prologue), Jean, qui opère l’identification du Logos à Jésus en faisant de celui-ci le Christ. La révolution en question consiste en effet à faire passer le logos, de la philosophie à ce qui sera quelques décennies plus tard une «religion».

Coup de génie

C’est la révolution par la fin: Jésus achève la philosophie car il l’accomplit en atteignant le but que celle-ci s’était donné (la Vérité), d’Héraclite au logos spermatikos des stoïciens. Du coup, Jésus-Christ-Logos l’achève en y mettant aussi un terme définitif. Si vous dites que le Logos est le Messie (Christos), vous sortez de la philosophie pour entrer dans la mystique et le religieux.

Tel est le tour de force –surtout le coup de génie– de Justin qui, probablement, ne pouvait pas savoir la portée de ce qu’il venait de faire! Il sous-entend que la vérité ne pouvant être qu’une, ce n’est pas dans la philosophie des Grecs qu’on la trouve. Justin se sent fondé à reléguer le corpus philosophique des Grecs sous la catégorie de doxa (opinion païenne). Lui qui cherchait la vérité, dès lors qu’il la trouve, ne peut faire autrement que d’en décréter l’avènement définitif et absolu. Définitif et absolu, c’est bien de cela qu’il s’agit car, contrairement au logos philosophique du paganisme, le logos philosophique des chrétiens n’émane pas des hommes ni des meilleurs d’entre eux, mais de Dieu même. Il y a un logos humain qui s’efface devant le Logos divin. Le montage du larcin chrétien est défini par Justin qui ouvre l’ère d’une police de la pensée. La philosophie chrétienne opère la mutation de la philosophie tout court en théologie et se met en situation de faire de celle-là la servante de celle-ci.

- L’époque moderne: elle est rendue possible par la transmission arabe de la science grecque (entre 650 et 750, les Arabes recueillent le legs scientifique et philosophique de l’Antiquité grecque qui leur est transmis notamment par les écoles d’Alexandrie, et d’Antioche). Ce retour du logos philosophique allait produire le retrait du logos chrétien. Un retrait qui ne s’est pas fait dans la bonne humeur mais dans le rapport de force, dans et par la guerre (jusqu’aux Saints-Barthélémy(s)). L’Europe se substitue à la chrétienté. On enterre le Moyen Âge. On découvre d’autres mondes (entrent en scène les Indiens et le cortège colonial)... Défilent alors La Boétie, Machiavel, Spinoza, Descartes (heureusement défendu contre les mauvais lecteurs), Hegel...

Pensée de l’altérité

Mairet poursuit alors en se demandant si nous n’avons pas gardé de la religion une forme de pensée de l’altérité dommageable. On le voit à notre rapport aux Indiens: leur extermination ou, dans le meilleur des cas, leur totale marginalisation vient de ce que les nations indiennes possèdent, par définition et par nature, l’identité américaine que sont venus chercher les Européens.

Ce qui revient exactement au raisonnement tenu sur les Indiens par les chrétiens. La preuve? Le raisonnement déployé par les chrétiens à l’égard des Indiens, et réutilisé récemment par le pape Benoît XVI: ceux qui n’adhèrent pas à la foi sont simplement en puissance d’y adhérer sans le savoir encore. À l’évidence (de la papauté), les Indiens n’ont pas été massacrés par les occidentaux, mais finalement heureusement convertis d’autant plus qu’ils attendaient le christianisme sans le savoir! Si l’âme est naturellement chrétienne, qui peut échapper au Christ?

Ne peut-on renverser le propos, en forme de reprise laïque: si les Indiens sont reconnus comme étant les Américains, alors les immigrants n’ont pas d’identité. En d’autres termes, ou bien ce sont les Indiens qui sont les Américains, ou bien les Européens ont l’espoir de devenir des Américains. Ceux-ci en quittant l’Europe cessent d’être européens et veulent être américains. C’est d’ailleurs ce que nous racontent les westerns: le western raconte l’introduction de la loi et de l’ordre dans l’étendue sauvage, par l’extermination des Indiens et de la canaille (essentiellement bandits, tueurs à gage et grands propriétaires terriens faisant régner leur loi privée) pour laisser place au fermier, cet individu moral entrepreneur, et bientôt à l’ingénieur (télégraphe, chemin de fer, etc.).

Que reste-t-il de l'Europe si elle n'est pas capable de se défaire des raisonnements qui conduisent indéfiniment à la guerre?Alors que reste-t-il de l’Europe si elle n’est pas capable de se défaire des raisonnements qui conduisent indéfiniment à la guerre?

Mairet écrit :

«Les multiples transfigurations et translations du logos n’ont heureusement pas toujours pris la tournure sinistre du génocide.»

Elles ont cependant toujours accompagné les soubresauts de l’histoire, à commencer par l’histoire de l’Europe et, par extension, celle de la planète. Si l’antienne rebattue des «racines chrétiennes de l’Europe» est à inscrire au registre mièvre de l’apologétique, il n’en reste pas moins que la pensée et les traditions chrétiennes sont évidemment constitutives de la culture européenne, comme le sont le judaïsme et l’islam, qui ne peuvent en être séparés. Or, ces piliers constitutifs de ce que nous sommes, nous autres Européens, ne seraient ni reconnaissables, ni compréhensibles en leur état sans l’élément intellectuel qui les pense, la philosophie.

mardi, 21 juin 2016

The Four Elements of National Identity in Herodotus

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The Four Elements of National Identity in Herodotus

The Western Classical notion of identity comes to us from Herodotus’ Histories, written in the 5th century B.C. It’s from Herodotus that we have the story of the 300 Spartans at Thermopylae, told in the broader context of the entire Hellenic world’s successful resistance of the Persian invasion. In order to do that, the Spartans (Dorians) and Athenians (Ionians) had to overcome their differences and join together to defend what was common to both of them as Greeks. 

In Book VIII, there is a scene in which the Athenians explain to a messenger from Sparta why the Spartans should side with the Athenians and not the Persians. (It should be remembered that both the ancient Greeks and ancient Persians were Indo-European peoples.)

“First and foremost of these is that the images and buildings of the gods have been burned and demolished, so that we are bound by necessity to exact the greatest revenge on the man who performed these deeds, rather than to make agreements with him. And second, it would not be fitting for the Athenians to prove traitors to the Greek people, with whom we are united in sharing the same kinship and language, with whom we have established shrines and conduct sacrifices to the gods together, and with whom we also share the same way of life.” (VIII:144.2)

In this passage are no less than four criteria for being a Greek, or Hellene: common religion, common blood, common language, and common customs. (One could argue that customs are almost entirely derivative of religion and blood, but we will stick to the four-part formulation in the text.) That was 2500 years ago, but in my opinion this is still the best and most comprehensive working definition of national identity. This is because one can extract it fro m this particular situation in ancient history and apply it to virtually anywhere in the world at any time.  The four elements of identity are either present or absent, to varying degrees, and a people are correspondingly either strong or weak.

The story of the Greek resistance to Persian tyranny is the story of the self-realization and self-actualization of a people. When the four elements of identity are in place, they work together synergistically to form a kind of collective body, capable of functioning as an organic whole. The Persian army was numerically much stronger than the Greek, but most of their soldiers were conscripts from conquered territories who were forced into service. They were Persians in name only.

It’s interesting to note that the Athenians tell the Spartan messenger that the most important reason for opposing the Persians is their desecration of Greek religious shrines. (It should be remembered that the Spartans were known as both the fiercest warriors of the ancient world and also the most pious, dividing their time more or less equally between military training and religious ritual. How Evolian.) The Classical notion of identity is thus supportive of the Traditionalist view of the primacy of religious faith — that “culture comes from the cult,” as Russell Kirk put it — but it also checks it by including the other criteria. Common faith alone will not suffice, even if it is ultimately the most important unifying factor of a culture.

It should also be noted that the Classical definition of identity comes to us from a time prior to the reign of Homo economicus. (Though even then, Herodotus has the Persian king Cyrus mocking the Athenians for having “a place designated in the middle of their city [the agora, marketplace] in which they gather to cheat each other.”) It is a formula for the cohesion of a people and the health of a culture. It is not necessarily a formula for dominance in the world, particularly economic dominance.

Finally, the Classical definition of identity represents an ideal, a standard. As with other standards, there are bound to be deviations and variations. Elsewhere in The Histories, Herodotus tells us that the Athenians were originally Pelasgians — pre-Indo-European inhabitants of Greece — who “learned a new language when they became Hellenes.” (I:57.3 – I:58) The dominant influence on Classical Greek culture and identity was probably Dorian, the Indo-Europeans who conquered Greece from the north. But these Pelasgians were apparently able to assimilate and “become Hellenes,” although history shows us that Athens was always culturally and spiritually different from Sparta. Still, at the time of the Greco-Persian war, the Athenians and Spartans must have had enough in common for the Athenians to cite the four elements of their common identity to the Spartan messenger.

But the further one moves from the quadripartite Classical definition of identity, the more the strength and cohesion of a people is diluted. This is so because the elements which give rise to feelings of otherness gain in power, and consequently the elements of commonality diminish. Classical identity works because it’s based on nature, both human psychological nature and larger biological nature.

Applying this model to the history of Western civilization, we can see that the peak of Western identity in terms of cohesion and strength was probably the Middle Ages. Despite the diversity of European customs and languages, Latin was the lingua franca that united the educated peoples of every European country, and Christianity was the faith of the whole continent. One could go to any church in Western Europe and partake in the same Latin mass. The racial identity of Europeans was, I think, a given — an obvious fact of nature that need not even be dwelt upon. This entire scenario stands in stark contrast to contemporary Europe and North America, where racial, linguistic, religious and cultural diversity are pushed to further and further extremes, with predictable consequences.

The coming together of the greater Hellenic world to resist the Persian invasion offers an inspiration and a model for contemporary Western people who value their identity and heritage. However, it should also be remembered that ultimately, the differences between Athens and Sparta proved greater than their commonalities, and the two city-states destroyed each other in the Peloponnesian War, a mere fifty years or so after their shared victory over the Persians.

Perhaps the unspoken fifth element of identity is a common enemy.

Source: https://martinaurelio.wordpress.com/2016/06/11/four-eleme... [2]

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

URL to article: http://www.counter-currents.com/2016/06/the-four-elements-of-national-identity-in-herodotus/

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[2] https://martinaurelio.wordpress.com/2016/06/11/four-elements-of-identity/: https://martinaurelio.wordpress.com/2016/06/11/four-elements-of-identity/

mercredi, 15 juin 2016

The Ancient Greeks: Our Fashy Forefathers

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The Ancient Greeks:
Our Fashy Forefathers

Nigel Rodgers
The Complete Illustrated Encyclopedia of Ancient Greece [2]
Lorenz Books, 2014

“Western civilization” is certainly not fashionable in mainstream academia these days. Nonetheless, the ancient Greek and Roman heritage remains quietly revered in the more thoughtful and earnest circles. Quite simply, virtually all of our social and political organization, to the extent these are thought out, ultimately go back to Greek forms, reflected in the invariably Greek words for them (“philosophy,” “economy,” “democracy” . . .). Those who still have that instinctive pride of being European or Western always go back to the Greeks, to find the means of being worthy of that pride.

Thus I came to the Illustrated Encyclopedia produced by Nigel Rodgers. Life is short, and lots of glossy pictures certainly do help one get the gist of something. Rodgers does not limit himself to pictures of ancient Greek art, though that of course forms the bulk. There are also photos of the sites today, to better imagine the scene, and many paintings from later epochs imagining Greek scenes, the better show Greece’s powerful influence throughout Western history. The Encyclopedia is divided into two parts: First a detailed chronological history of the Greek world, second a thematic history showing different facets of Greek life.

GST2.jpgThe ancient Greeks are more than strange beings so far as post-60s “liberal democracy” is concerned. Certainly, the Greeks had that egalitarian and individualist sensitivity that Westerners are so known for.

Many Greek cities imagined that their legendary founders had equally distributed land among all citizens. As inequality and wealth concentration gradually rose over time, advocates of redistribution would cite these founding myths. (Rising inequality and revolutionary equality seems to be a recurring cycle in human history.)

Famously, Athens and various other Greek cities were full-fledged direct democracies, a kind of regime which is otherwise astonishingly rare. This was of course limited to only full male citizens, about 10 percent of the population of this “slave state.” (Alain Soral, that eternal mauvaise langue, once noted that the closest modern state to democratic Athens was . . . the Confederate States of America.)

The Greeks were individualists too, but not in the sense that Americans are, let alone post-60s liberals. Their “kings” seem more like “chiefs,” with a highly variable personal authority, rather than absolute monarchs or oriental despots.

In all other respects, the Greeks were extremely “fash”: misogynistic, authoritarian, warring, enslaving, etc. One could say that, by the standards of the United Nations, the entire Greek adventure was one ceaseless crime against humanity.

The most proto-fascistic were of course the Spartans, that famous militaristic and communal state, often idealized, as most recently in the popular film 300. Sparta would be a model for many, cited notably by Jean-Jacques Rousseau and Adolf Hitler (who called the city-state “the first Volksstaat). Seven eighths of Sparta’s population was made of helots, subjects dominated by the Spartiate full-time warriors.

The Greeks generally were enthusiastic practitioners of racial citizenship. Leftists have occasionally (rightly) pointed to the fact that the establishment of democracy in Athens was linked to the abolition of debt. But one should also know that Pericles, the ultimate democratic politician, paired his generous social reforms with a tightening of citizenship criteria to having two Athenian parents by blood. (The joining of more “progressive” redistribution with more “exclusionary” citizenship makes sense: The more discriminating one is, the more generous one can be, having limited the risk of free-riding.)

In line with this, the Greeks practiced primitive eugenics so as to improve the race. The most systematic in this respect was Sparta, where newborns with physical defects were left in the wilderness to die. By this cruel “post-natal abortion” (one can certainly imagine more human methods), the Spartans thus made individual life absolutely secondary to the well-being of the community. This is certainly in stark contrast to the maudlin cult of victimhood and personal caprice currently fashionable across the West.

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Athenian democracy was also known for the systematic exclusion of women, who seemed to have had lives almost as cloistered and private as that of pious Muslims. The stark limitations on sex (arranged marriages, the death penalty for adultery) may have also contributed to the similar Greek penchant for pederasty and bisexuality. Homosexuals were not a discrete social category (how sad for anyone to make their sexual practices the center of their identity!). Homosexual relationships, in parallel to wives, were often glorified as relations of the deepest friendship and entire regiments of male lovers were organized (e.g. the Sacred Band of Thebes [3]), with the idea that by such bonds they would fight to the death.

To this day, it is not clear if we have ever matched the intellectual and moral level of the Greeks (and I do not confuse morality with sentimentality, the recognition of apparently unpleasant truths is one of the greatest markers of genuine moral courage). Considering the education, culture (plays), and politics that a large swathe of the Greek public engaged in, their IQs must have been very high indeed.

Some argue we have yet to surpass Homer in literature or Plato in philosophy. (In my opinion, our average intellectual level is clearly much lower and our educated public probably peaked in consciousness and morality between the 1840s and 1920s. Our much superior science and technology is of no import in this respect, we’ve simply acquired more means of being foolish, something which could well end in the extinction of our dear human race.)

Homer’s influence over the Greeks was like “that of the Bible and Shakespeare combined or to Hollywood plus television today” (29). (Surely another marker of our catastrophic moral and intellectual decline. Of course, in a healthy culture, audiovisual media like cinema and television would be propagating the highest values, including the epic tales of our Greek heritage, among the masses.)

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Homer glorified love of honor (philotimo) and excellence (areté), a kind of individualism wholly unlike what we have come to know. This was a kind of competitive individualism in the service of the community. They did not glorify individual irresponsibility or fleeing one’s community (which, to some extent, is the American form of individualism). If the hoplite citizen-soldiers did not fight with perfect cohesion and discipline, then the city was lost.

Dominique Venner has argued [4] that Homer’s Iliad and Odyssey should again be studied and revered as the foundational “sacred texts” of European civilization. (I don’t think the Angela Merkels and the Hillary Clintons would last very long in a society educated in “love of honor” and “excellence.”)

Plato, often in the running for the greatest philosopher of all time, was an anti-democrat, arguing for the rule of an enlightened elite in the Republic and becoming only more authoritarian in his final work, the Laws. Athenian democracy’s chaos, defeat in war with Sparta, and execution of his mentor Socrates for thoughtcrime no doubt contributed to this. Karl Popper argued Plato, the founder of Western philosophy, paved the way for modern totalitarianism, including German National Socialism.

The Greek city-states were tiny by our standards: Sparta with 50,000, Athens 250,000. One can see how, in a town like Sparta, one could through daily ritual and various practices (e.g. all men eating and training together) achieve an incredible degree of social unity. (Of course, modern technology could allow us to achieve similar results today, as indeed the fascists attempted and to some extent succeeded.) Direct democracy was similarly only possible in a medium-sized city at most.

The notion of citizenship is something that we must retain from the Greeks, a notion of mutual obligation between state and citizen, of collective responsibility rather than the selfish tyranny of ethnic and plutocratic mafias. Rodgers argues that polis may be better translated as “citizen-state” rather than “city-state.” The polis sometimes had a rather deterritorialized notion of citizenship, emigrants still being citizens and in a sense accountable to the home city. This could be particularly useful in our current, globalizing age, when technology has so eliminated cultural and economic borders, and our people are so scattered and intermingled with foreigners across the globe.

The ancient Greeks are also a good benchmark for success and failure: Of repeated rises and falls before ultimate extinction, of successful unity in throwing off the yoke of the Persian Empire (with famous battles at Thermopylae and Marathon . . .), and of fratricidal warfare in the Peloponnesian War.

The sheer brutality of the ancient world, as with the past more generally, is difficult for us cosseted moderns to really grasp. Conquered cities often (though not always) faced the extermination of their men and the enslavement of their women and children (often making way for the victors’ settlers). Alexander the Great, world-conqueror and founder of a still-born Greco-Persian empire, was ruthless, with frequent preemptive murders, hostage-taking, the razing of entire cities, the crucifixion of thousands, etc. He seems the closest the Greeks have to a universalist. (Did Diogenes’ “cosmopolitanism” extend to non-Greeks?) The Greeks thought foreigners (“barbarians”) inferior, and Aristotle argued for their enslavement.

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The Greeks’ downfall is of course relevant. The epic Spartans gradually declined into nothing due to infertility and, apparently, wealth inequality and female emancipation. Alexander left only a cultural mark in Asia upon natives who wholly failed to sustain the Hellenic heritage. One Indian work of astronomy noted: “Although the Yavanas [Greeks] are barbarians, the science of astronomy originated with them, for which they should be revered like gods.”

One rare trace of the Greeks in Asia is the wondrous Greco-Buddhist statues [5] created in their wake, of serene and haunting otherworldly beauty.

The Jews make a late appearance upon the scene, when the Seleucid Hellenic king Antiochus IV made a fateful faux pas in his subject state of Judea:

Not realizing that Jews were somehow different form his other Semitic subjects, Antiochus despoiled the Temple, installed a Syrian garrison and erected a temple to Olympian Zeus on the site. This was probably just part of his general Hellenizing programme. But the furious revolt that broke out, led by Judas Maccabeus the High Priest, finally drove the Seleucids from Judea for good. (241)

No comment.

There is wisdom: “Nothing in excess,” “Know thyself.”

So all that Alt Right propaganda using uplifting imagery from Greco-Roman statues and history, and films like Gladiator and 300, and so on, is both effective and completely justified.

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

URL to article: http://www.counter-currents.com/2016/06/the-ancient-greeks-our-fashy-forefathers/

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[1] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2016/06/WarriorStele.jpg

[2] The Complete Illustrated Encyclopedia of Ancient Greece: http://amzn.to/1tfxVr3

[3] Sacred Band of Thebes: https://en.wikipedia.org/wiki/Sacred_Band_of_Thebes

[4] Dominique Venner has argued: http://www.theoccidentalobserver.net/2016/04/the-testament-of-a-european-patriot-a-review-of-dominique-venners-breviary-of-the-unvanquished-part-1/

[5] Greco-Buddhist statues: https://www.google.be/search?q=greco-buddhist+art&client=opera&hs=eHN&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=0ahUKEwiyte7tipvNAhWKmBoKHfcVCaAQ_AUICCgB&biw=1177&bih=639

[6] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2016/06/IdentityEuropa.jpg

lundi, 16 mai 2016

Heraclitus, change, and flow

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Heraclitus, change, and flow

The ancient philosopher Heraclitus of Ephesus (530-470 BC) is one of the most important thinkers in history. Heraclitus’ views on change and flow stand in stark contradition to the picture of the static universe presented by his predecessor Parmenides (5th century BCE), and fed into the work of untold philosophers from Marcus Aurelius (121 AD–180 AD) to Friedrich Nietzsche (1844-1900 AD).

Heraclitus’ philosophy is a good starting point for anyone concerned with change in life. Heraclitus said that life is like a river. The peaks and troughs, pits and swirls, are all are part of the ride. Do as Heraclitus would – go with the flow. Enjoy the ride, as wild as it may be.

Heraclitus was born into a wealthy family, but he renounced his fortune and went to live in the mountains. There, Heraclitus had plenty of opportunity to reflect on the natural world. He observed that nature is in a state of constant flux. ‘Cold things grow hot, the hot cools, the wet dries, the parched moistens’, Heraclitus noted. Everything is constantly shifting, changing, and becoming something other to what it was before.

Heraclitus concluded that nature is change. Like a river, nature flows ever onwards. Even the nature of the flow changes.

Heraclitus’ vision of life is clear in his epigram on the river of flux:

‘We both step and do not step in the same rivers. We are and are not’ (B49a).

One interpretation of this passage is that Heraclitus is saying we can’t step into the same river twice. This is because the river is constantly changing. If I stroll down the banks of the Danube, the water before my eyes is not the same water from moment to moment. If the river is this water (which is a debatable point – the river could be its banks, the scar it carves in the landscape, but let’s leave this aside), it follows that the Danube is not the same river from moment to moment. We step into the Danube; we step out of it again. When we step into it a second time, we step into different water and thus a different river.

Moreover, we step into and out of the river as different beings.

Most interpretations of Heraclitus’s river fragment focus on the idea of the river in a state of flux. But Heraclitus says more than this in this fragment: ‘We are and are not’.

The river changes and so do you.

We are familiar with the principle of biological generation and corruption. Heraclitus puzzled over this principle two thousand years before the birth of the modern biological sciences and drew the ultimate lesson for the human condition. As material beings, we live in a world of flux. Moreover, we are flux. As physical bodies, we are growing and dying all the time, consuming light and resources to replicate our structure, while shedding matter continuously.

Change and death are ubiquitous features of the natural world. Maybe this is what Heraclitus meant when he said, in his inimitable way:

‘Gods are mortal, humans immortal, living their death, dying their life’.

Or maybe not. With Heraclitus we can’t be sure. What we know of Heraclitus comes from his commentators (nothing survives of his original work), and so Heraclitean epigrams can seem dubious in provenance, attributable to other authors. Everything changes, and history has changed a dozen times since Heraclitus’ time; yet I believe we can still take value from Heraclitus, particularly in a time like today, which is so clearly calling out for deep institutional and infrastructural change (I am speaking to people who are looking to make deep changes in our environmental and energy systems; our political, representative and regulatory systems; in our economic system – market capitalism – which is intrinsically indebted to the kind of society we really don’t want to be, an industrial society).

I think that Heraclitus gets it right. Reality is change and flow.

jeudi, 21 janvier 2016

Aristote: Le maître de ceux qui savent

Aristote: Le maître de ceux qui savent

France Culture - Une Vie, Une Oeuvre

du 23 novembre 1995 par Catherine Paoleti
http://www.franceculture.fr

lundi, 24 août 2015

Iliad Book 23 - Read by Dr. Stanley Lombardo

The Iliad Book 23 (62-107)

Read by Dr. Stanley Lombardo

A reading of Iliad Book 23, Lines 62-107 in Greek, by Dr. Stanley Lombardo, University of Kansas. Achilles is visited in a dream by the dead Patroclus. This is a particularly beautiful reading by Dr. Lombardo of a beautiful and emotional passage. To read along in Greek: http://www.perseus.tufts.edu/hopper/t...

Dr. Lombardo's translation of this passage:

When sleep finally took him, unknotting his heart
And enveloping his shining limbs—so fatigued
From chasing Hector to windy Ilion—
Patroclus' sad spirit came, with his same form
And with his beautiful eyes and his voice
And wearing the same clothes. He stood
Above Achilles' head, and said to him:
"You're asleep and have forgotten me, Achilles.
You never neglected me when I was alive,
But now, when I am dead! Bury me quickly
So I may pass through Hades' gates.
For the spirits keep me at a distance, the phantoms
Of men outworn, and will not yet allow me
To join them beyond the river. I wander
Aimlessly through Hades' wide-doored house.
And give me your hand, for never again
Will I come back from Hades, once you burn me
In my share of fire. Never more in life
Shall we sit apart from our companions and talk.
The fate I was born to has swallowed me,
And it is your destiny, though you are like the gods,
Achilles, to die beneath the wall of Troy.
And one more thing, Achilles. Do not lay my bones
Apart from yours, but let them be together,
Just as we were reared together in your house
After Menoetius brought me, still a boy,
From Opoeis to your land because I had killed
Amphidamas' son on that day we played dice
And I foolishly became angry. I didn't mean to,
Peleus took me into his house then and reared me
With kindness, and he named me your comrade.
So let one coffer enfold the bones of us both,
The two-handled gold one your mother gave you."
And Achilles answered him, saying:
"Why have you come to me here, dear heart,
With all these instructions? I promise you
I will do everything just as you ask.
But come closer. Let us give in to grief,
However briefly, in each other's arms."
Saying this, Achilles reached out with his hands
But could not touch him. His spirit vanished like smoke,
Gone under the earth, with a last, shrill cry.
Awestruck, Achilles leapt up, clapping
His palms together, and said lamenting:
"Ah, so there is something in Death's house,
A phantom spirit, although not in a body.
All night long poor Patroclus' spirit
Stood over me, weeping and wailing,
And giving me detailed instructions
About everything. He looked so like himself."
(Full book: http://www.amazon.com/Iliad-Homer/dp/...)

vendredi, 24 avril 2015

Jean Soler rend son sourire à Homère

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Bernard Revel:

Photo Bernard Revel

« Le Sourire d’Homère » de Jean Soler, Editions de Fallois, 236 pages, 18 euros.

jean-soler-couv.jpgAuteur d’ouvrages éclairants sur les origines du Dieu unique, le Roussillonnais Jean Soler avait consacré dans « La violence monothéiste » un chapitre au « modèle grec », véritable livre dans le livre et magistrale synthèse qu’il met en parallèle avec son exploration du « modèle hébraïque ». On devine sans peine sa préférence pour une civilisation que deux vers de Pindare résument admirablement : « N’aspire pas, chère âme, à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible ». Aussi n’est-il pas étonnant qu’après avoir consacré tant d’années à démonter sans les œillères de la foi les « vérités » de la Bible, il se soit à nouveau tourné avec plaisir vers sa chère Grèce antique dont il enseigna jadis la langue injustement délaissée aujourd’hui. Avec une évidente jubilation, il s’est lancé dans la relecture des œuvres d’Homère qui, il y a 2.900 ans « ont inauguré la littérature occidentale ». Jean Soler a le rare talent de dépoussiérer les textes anciens pour en tirer la signification profonde. Si la Bible n’est pas sortie grandie de l’exercice, il n’en est pas de même de l’Iliade et l’Odyssée, ces deux épopées bien connues mais peu lues, auxquelles son livre donne une résonance actuelle qui rend tout son sens au mot de Charles Péguy : « Homère est nouveau ce matin ».

D’une œuvre comptant 28.000 vers, Jean Soler extrait une douzaine de thèmes qui illustrent la pensée grecque. Son point de départ est le bouclier d’Achille sur lequel le dieu forgeron Héphaïstos a ciselé des tableaux qui sont une représentation complète de l’univers grec. Un univers circonscrit dans la voûte céleste et le fleuve mythique Océanos. « La pensée grecque est une pensée des limites », relève Jean Soler. « L’aspiration à l’infini n’est pas grecque ». Dans les illustrations du bouclier apparaissent les valeurs essentielles de la Grèce : la démocratie en germe dans l’agora, le théâtre dans le chœur, le goût du travail dans des scènes montrant des ouvriers, des paysans, des artisans. Dans la Bible, au contraire, le travail est un châtiment infligé par le Créateur. Voilà qui ne viendrait pas à l’esprit des dieux grecs puisqu’ils travaillent eux aussi. Ils habitent l’Olympe situé dans le monde terrestre. Ils sont immortels mais ils ont les qualités et les défauts des humains. « Le monde réel des hommes prime sur le monde imaginaire des dieux », affirme Jean Soler constatant qu’Homère ne prend pas ceux-ci au sérieux. Ils ne sont qu’une divinisation, « plus poétique que religieuse », de phénomènes naturels. « Un dieu qui possède sur la terre une île où il élève du bétail : nous sommes là plus près d’un conte pour enfant que d’une doctrine religieuse. Et nous restons de grands enfants, comme le public d’Homère, quand nous aimons entendre des contes pareils ».

Les Grecs pourraient goûter sans souci le bonheur de vivre en Méditerranée s’il n’y avait la guerre. Elle est au cœur de l’Iliade. Homère montre les hommes tels qu’ils sont, cruels, violents, sanguinaires. Ceux qui l’écoutent sont avides de récits de batailles, de combats, et la guerre de Troie qui dure dix ans en fournit à profusion. Les scènes réalistes d’Homère évoquent pour Jean Soler « les désastres de la guerre » peints pas Goya. « Il n’y a pas de belle mort, de mort glorieuse dans l’Iliade », note-t-il. Ni Achille ni Ulysse ne rêvent de mourir en héros. Ils rêvent d’une vieillesse heureuse dans leur chère patrie. « Il ne faudrait pas me forcer beaucoup pour me faire dire, dans le langage d’aujourd’hui, qu’Homère est un auteur antimilitariste », commente-t-il malicieusement.

Car rien ne vaut le plaisir de la vie. C’est pourquoi les Grecs ont fait « le choix de la clairvoyance ». Et notamment vis-à-vis des dieux qui, bien que partout chez Homère, n’existent que dans l’imaginaire. Donc, pas de lois tombées du ciel (commandements, interdits sexuels ou alimentaires, paradis perdu, peuple élu, etc.). Mais cela n’empêche pas d’aimer le bien et le beau. Jean Soler met en avant, dans les œuvres homériques, les liens du sang et de la patrie, l’importance de la parole, du jeu, l’amitié, le sens de l’honneur, l’hospitalité. Et surtout, cela n’empêche pas d’être curieux, de vouloir comprendre. Les Grecs sont de grands penseurs, des découvreurs, des inventeurs, cherchant toujours, comme le préconisait Pindare, à épuiser le champ du possible. Aucun dieu ne leur a interdit l’arbre de la connaissance. Ce qui caractérise Homère et qu’exprime ce « sourire » dont l’éclaire Jean Soler, c’est « l’amour de la vie ». Il est donc urgent de le lire et de le relire en dépit de ses traducteurs français qui ont trop tendance à rendre pompeux son style « simple et naturel ». Jean Soler trouve le procédé inadmissible : « Quand Homère écrit bateau, pourquoi traduire par nef ? Pourquoi dire, au lieu d’épée, glaive ? au lieu de bronze, airain ? au lieu d’eau, onde ? au lieu de maison, manoir. Au lieu d’entendre ouïr ? etc. » Avis aux futurs traducteurs. En attendant, suivons la prescription du bon docteur Soler. Contre le fanatisme et l’extrémisme, pour l’amour de la vie et de l’intelligence, il nous souffle la recette : « Faire des cures d’Homère ».

Bernard Revel

mercredi, 25 février 2015

Kairós, the brief moment in which things are possible…

Kairós, the brief moment in which things are possible…

Ex: http://hellenismo.wordpress.com

“Running swiftly, balancing on the razor’s edge, bald but with a lock of hair on his forehead, He wears no clothes; if you grasp him from the front, you might be able to hold him, but once He has moved on not even Zeus Himself can pull him back: this is a symbol of Kairós, the brief moment in which things are possible.”

 

 

10) Know opportunity (Καιρον γνωθι)

“Kairós” is a very important and interesting word, that has a plurality of meanings. First, it means “the right measure, what is convenient, what is suitable and right”, as in the expression “kairós charitos”, right measure in honoring. It has also a strong temporal value,  and as such, it means often “the right/appropriate moment, the good occasion, the propitious moment”. Thus the expression “kairòn echei” is “it is the propitious time/moment”, “kairoŷ tycheîn” means “meet the favorable occasion, to succeed at the right time”. In a extensive way, it means generally the occasion, the circumstance, as in “ho paròn kairós”, present time or present occasion- “hoi kairoí” are the present circumstances. It has a positive character, because it can indicate all that is useful, helpful and convenient. The two Hellenic words to indicate time are chronos and kairós: the first has a quantitative nature, while the second has a qualitative nature and is employed when something special happens. Kairós is indeed a God, the youngest child of Zeus, and He brings about what is convenient, appropriate, and comes in the right moment. He is  represented as a young and beautiful God; there was a bronze statue of Him in Sikyon on which a epigram was carved:

“Who and whence was the sculptor? From Sikyon.

And his name? Lysippo.

And who are you? Time who subdues all things.

Why do you stand on tip-toe? I am ever running.

And why you have a pair of wings on your feet? I fly with the wind.

And why do you hold a razor in your right hand? As a sign to men that I am sharper than any sharp edge.

And why does your hair hang over your face? For him who meets me to take me by the forelock.

And why, in Heaven’s name, is the back of your head bald? Because none whom I have once raced by on my winged feet will now, though he wishes it sore, take hold of me from behind.

Why did the artist fashion you? For your sake, stranger, and he set me up in the porch as a lesson.”

About this statue, here follows the description of Callistratus, Descriptions 6:

“Kairos was represented in a statue of bronze, in which art vied with nature. Kairos was a youth, from head to foot resplendent with the bloom of youth. He was beautiful to look upon as he waved his downy beard and left his hair unconfined for the south wind to toss wherever it would; and he had a blooming complexion, showing by its brilliancy the bloom of his body. He closely resembled Dionysos; for his forehead glistened with graces and his cheeks, reddening to youthful bloom, were radiantly beautiful, conveying to the beholder’s eye a delicate blush. And he stood poised on the tips of his toes on a sphere, and his feet were winged. His hair did not grow in the customary way, but its locks, creeping down over the eyebrows, let the curl fall upon his cheeks, while the back of the head of Kairos was without tresses, showing only the first indications of sprouting hair.


We stood speechless at the sight when we saw the bronze accomplishing the deeds of nature and departing from its own proper province. For though it was bronze it blushed; and though it was hard by nature, it melted into softness, yielding to all the purposes of art; and though it was void of living sensation, it inspired the belief that it had sensation dwelling within it; and it really was stationary, resting its foot firmly on the ground, but though it was standing, it nevertheless gave evidence of possessing the power of rapid motion; and it deceived your eyes into thinking that it not only was capable of advancing forward, but that it had received from the artist even the power to cleave with its winged, if it so wished, the aerial domain.


Such was the marvel, as it seemed to us; but a man who was skilled in the arts and who, with a deeper perception of art, knew how to track down the marvels of craftsmen, applied reasoning to the artist’s creation, explaining the significance of Kairos as faithfully portrayed in the statue: the wings on his feet, he told us, suggested his swiftness, and that, borne by the seasons, he goes rolling on through all eternity; and as to his youthful beauty, that beauty is always opportune and that Kairos is the only artificer of beauty, whereas that of which the beauty has withered has no part in the nature of Kairos; he also explained that the lock of hair on his forehead indicated that while he is easy to catch as he approaches, yet, when he has passed by, the moment of action has likewise expired, and that, if opportunity is neglected, it cannot be recovered.”

dimanche, 22 février 2015

Hellenismo

Rivista Hellenismo Trentesimo numero

 

Trentesimo numero della rivista online ‘Hellenismo’

Link documento pdf

Indice

Dalle scorse Lenaia ad Anthesterion …
Tre scritti sulla Giustizia: Dike, Nomos e Dikaiosyne
Hermes: cenni teologici e culto
Romano Ritu: Libagioni, I parte – Torte dolci e salate
Per un latino vivo e parlato – I parte
Il Dramma Sacro del mito di Horus dal Tempio di Behdet
Il regno di Baal. Alcune considerazione sui Ba’alin fenici nell’Africa punica

Appendice PDF
Proclo,Commento al Timeo

Appendice Iconografica
Per il mese dei Misteri Minori…

 

Calendario Religioso

Anthesterion

 

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Principali celebrazioni del mese

– II Δευτέρα Ἱσταμένου
Sacrificio a Dioniso (Erchia)

– III Τρίτη Ἱσταμένου
Incontro dei Thiasotai di Bendis a Salamina

– XI Ἑνδεκάτη
Anthesteria- Pithoigia, ‘apertura delle botti’

–  XII Δωδεκάτη
Anthesteria- Khoes, ‘boccali’
Sacrificio a Dioniso (Torico)

– XIII Τρίτη Μεσοῦντος
Anthesteria- Khytroi, ‘pentole'; Aiora/Aletis

– Dal XX Εἰκὰς a XXVI Πέμπτη Φθίνοντος
En Agrais Mysteria

– XXIII Ὀγδόη Φθίνοντος
Diasia

*** LINK DOCUMENTO ONLINE PDF ***

Ex: http://hellenismo.wordpress.com

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