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mercredi, 15 octobre 2008

Henry Bauchau dans la tourmente du XX siècle

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Henry Bauchau dans la tourmente du XXe siècle

Geneviève Duchenne, Vincent Dujardin et Myriam Watthee-Delmotte publient "Henry Bauchau dans la tourmente du XXe siècle. Configurations historiques et imaginaires" aux éditions Le Cri. 
Né en 1913, Henry Bauchau a traversé le siècle. Il ne publie son premier recueil poétique qu’en 1958. Pourtant, il y a un poète qui s’ignore dans le chroniqueur d’avant-guerre, dans le combattant de 1940, dans le citoyen engagé dans l’action sociale sous l’Occupation ; il y a un être d’action dissimulé dans l’écrivain. Ce sont ces deux pans de la vie de Bauchau qui sont abordés dans ce travail, fruit des efforts conjugués de deux historiens et d’une spécialiste de la littérature contemporaine. Le travail des premiers, – bâti sur la base d’archives pour une bonne part inédites –, trouve son prolongement naturel dans l’analyse de la seconde : aucun des deux objets, historique et imaginaire, n’est indépendant, et leur corrélation permet d’éclairer un parcours certes singulier, mais inscrit dans une dynamique générationnelle.

L'ouvrage sera lancé le jeudi 6 mars 2008 au Musée de Louvain-la-Neuve, lors du vernissage de l'exposition "L'atelier d'Henry Bauchau".

Ce qu'on en dit

"De quels chemins ombrés a surgi la vocation tardive d'Henry Bauchau et de quelle expérience, de quel traumatisme en l'occurrence, s'est nourrie la substance de ses livres ? Deux historiens, Geneviève Duchenne et Vincent Dujardin, tous deux historiens et professeurs à l'UCL, ainsi que Myriam Watthee-Delmotte, professeur de littérature à l'UCL et spécialiste de l'oeuvre d'Henry Bauchau, apportent à ces questions l'éclairage d'une enquête rigoureusement documentée à partir de lettres, d'archives, d'entretiens, de mémoires, de témoignages et faite dans un esprit de collaboration où, aux recherches des premiers, répond en écho l'analyse des textes de la troisième."

Monique Verdussen, "Bauchau avant Bauchau", La Libre Belgique, 18 avril 2008 (article accessible via le site de La Libre)

SYNERGIES EUROPEENNES - Ecole des cadres/Wallonie - Lectures - Octobre 2008

samedi, 11 octobre 2008

Renaud Camus: la grande déculturation

Trouvé sur: http://ettuttiquanti.blogspot.com

Renaud Camus - La grande déculturation

Présentation de l'éditeur

Amis du Désastre et Niveau-montistes sont formels : la culture s'est répandue dans toutes les couches de la population. Ce livre soutient le contraire. Si la culture s'est répandue, selon lui, c'est comme le lait de Perette : plus la culture est diffusée, moins il y en a pour chacun et moins elle a de consistance. Lorsque les trois-quarts d'une génération accèdent au baccalauréat, le niveau de connaissance et de maturité qu'implique ce diplôme est à peu près celui qu'atteignaient au même âge les trois-quarts d'une autre génération, quand personne ne songeait à nommer cela baccalauréat, à peine certificat d'études. L'université fait le travail des lycées, les lycées celui des écoles primaires, les classes maternelles celui que les parents ne font pas, ayant eux-mêmes été élevés par l'école de masse, qui a formé la plupart des nouveaux enseignants. Arte, France Culture ou France Musique se consacrent aux tâches jadis dévolues aux chaînes généralistes, celles-ci imitent les postes et stations de divertissement.

Tout a baissé d'un cran. C'est la grande déculturation. Et si les journaux n'ont plus de lecteurs, c'est en grande partie parce que leur public potentiel ne sait plus lire, même des phrases de plus en plus simples et de plus en plus fautives, avec de moins en moins de mots. Le paradoxe est que l'objectif quantitatif, qui est au cœur de l'ambition démocratique en sa transposition culturelle, fait partout le lit de l'argent, par le biais de la publicité, des taux d'audience et des lois du marché. C'est ainsi que le Louvre devient une marque, etc.

Renaud Camus,
La grande déculturation, Fayard, 2008.

00:05 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : lettres françaises, lettres, littérature française, france | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 10 octobre 2008

Céline, la danse et les danseuses

Trouvé sur: http://ettuttiquanti.blogspot.com

Céline, la danse et les danseuses

"Il n'était pas évident que cet écrivain qui semble ou prétend n'écrire que pour se délivrer de souvenirs insupportables et décharger sa bile soit sensible à d'autres arts qu'à cette prose narrative dans laquelle il s'est lancé comme malgré lui.

Or sa relation avec plusieurs de ces arts a à voir, quoique pas toujours de la même manière, avec sa pratique de romancier, et tout se passe même comme si ses attirances premières avaient été tournées vers des arts qu'il passe ensuite sous silence, en tout cas dans ce Voyage au bout de la nuit qui dessine pour longtemps son image dans l'opinion.

Aucun ne le hante plus continûment et sous des formes plus diverses que la danse, cette mise en forme et en valeur du corps, pour lui avant tout du corps féminin. Sans doute fait-il cette découverte de la danse, comme il le dit, dans le music-hall londonien au cours de son séjour de 1915-1916. Il le retrouvera plus tard à Paris, dans les intermèdes dansés de séances de cinéma au temps du muet. L'épisode du Tarapout dans Voyage au bout de la nuit se souvient de ces expériences. « Ce que je trouve remarquable, dit Céline d'une des danseuses à un journaliste à qui il a donné rendez-vous dans un de ces cinémas, c'est que l'esprit ne cesse pas de dominer les muscles et le métier.» L'instant d'après, il lui parle de « l'infini de la danse ».



L'émerveillement durable dans lequel le plonge Elizabeth Craig quand il la rencontre en 1926 ne tient pas seulement aux qualités de corps et d'esprit de la jeune femme, mais aussi au fait qu'elle fait entrer la danse dans sa vie. À partir de ce moment, il n'aura plus de relation intime durable qu'avec des danseuses, comme s'il avait besoin d'avoir en permanence auprès de lui ce témoignage d'un accomplissement de la vie. Il en a besoin comme d'un contrepoids aux aspects négatifs de cette vie dont son imaginaire fait la matière des romans qu'il écrit. Il s'intéresse au travail intense auquel se plient ses compagnes pour se maintenir au niveau qu'exige leur art; il fréquente les cours qu'elles suivent pour bénéficier de l'expérience de leurs aînées. C'est à l'un d'entre eux, celui de Mme d'Alessandri, qu'en 1935 il rencontre Lurette Almansor, qui se spécialise dans les danses de caractère, d'inspiration espagnole ou orientale. Il vivra avec elle jusqu'à sa mort.

Ce choix n'est pas seulement affaire de relations féminines, il n'est pas exagéré de le dire existentiel, tant il est enraciné au plus profond de sa sensibilité et de son imaginaire. Dans la danseuse, Céline admire une lutte de chaque jour contre les effets que le temps fait subir au corps humain, en le soumettant toujours plus à la pesanteur et en ne lui laissant plus accomplir que des mouvements de moins en moins harmonieux - lutte donc, au repos, contre l'avachissement, l'affaissement, la perte des formes, lorsque les muscles ne suffisent plus à remplir et à tendre la peau qui auparavant les dessinait à la surface,- dans le mouvement, lutte contre la perte de souplesse qui désaccorde les parties du corps dans leur relation les unes avec les autres danseuse est l'être humain qui mène avec le plus d'évidence contre cette mort avant la mort une action perdue d'avance mais glorieuse.

Il est donc logique que Céline s'intéresse autant, et peut-être plus, au travail à la barre et aux répétitions qu'au spectacle final, et qu'à côté de l'envol et des pointes de la danseuse classique il fasse place dans son empyrée à la danseuse de music-hall.
Les circonstances ont fait que le développement le plus long et le plus lyrique que lui ait inspiré la danse soit situé à l'orée des trois cents pages de fureurs et d'éructations de Bagatelles pour un massacre: « Dans une jambe de danseuse le monde, ses ondes, tous ses rythmes, ses folies, ses voeux sont inscrits!... jamais écrits!... Le plus nuancé poème du monde!... émouvant! [ ... ] Le poème inouï, chaud et fragile comme une jambe de danseuse en mouvant équilibre est en ligne, [ ... ] aux écoutes du plus grand secret, c'est Dieu! C'est Dieu lui-même! Tout simplement! [ ... ] La vie les saisit, pures... les emporte... au moindre élan, je veux aller me perdre avec elles... toute la vie... frémissante, onduleuse... » (Bagatelles pour un massacre)

C'est explicitement la raison pour laquelle il insère trois arguments de ballet (« bagatelles ») dans le texte de ce pamphlet, les deux premiers avant de se déchaîner, le troisième pour terminer le livre dans le calme après tant de violences. Il en attend la possibilité, s'ils étaient mis en musique et dansés, de « se rapprocher des danseuses » et, grâce à elles, de mourir « par une onde... la plus dansante... la plus émue... » (Bagatelles). À l'époque où il écrit ces lignes, il ne manque pas de relations personnelles avec des danseuses. Depuis qu'Elizabeth Craig l'a quitté, il voit régulièrement lors de leurs passages à Paris la Danoise Karen Marie Jensen et ses amies américaines, qui se produisent notamment au Radio City Hall de New York. Mais assister aux répétitions d'un ballet dont il aurait écrit l'argument serait être associé aux danseuses dans leur travail, et même accéder à leur saint des saints, si cela pouvait avoir lieu avec le corps de ballet de l'opéra de Paris.

Auparavant, à l'époque où il vivait avec Elizabeth, il avait tenté de mêler autrement danse et écriture. Ses deux pièces de 1926 et 1927, L'Église et Progrès, qui préfigurent, la première Voyage au bout de la nuit, la seconde Mort à crédit, comprenaient des personnages de danseuses et les faisaient danser sur scène, afin, disait Céline au même journaliste (voir p. 83), qu'en elles «sex-appeal» ou encore «attirance biologique » s'imposent directement au spectateur. Ils agiraient sur lui non, comme habituellement dans les pièces, à travers compliments et commentaires, mais comme des évidences ressenties.

Il est cependant significatif que, lorsqu'à deux reprises Céline reprend sous forme romanesque une histoire dont la plupart des éléments subsistent, en revanche la danse et la danseuse disparaissent. Grâce à son intimité avec des danseuses, il parvient, dans sa vie personnelle, à faire contrepoids à tout ce qui le rebute et le fait souffrir dans la réalité. Mais il n'est pas si facile de juxtaposer le positif et le négatif dans une création artistique fondée sur une représentation de cette réalité. Alors, c'est l'imaginaire qui commande et peut seul, par sa cohérence propre et sa correspondance avec le style, faire la valeur de l'œuvre dans l'ordre de la littérature. En Céline, le sens et le désir de la création littéraire, de même que l'intuition sinon la conscience de ses lois, ne sont pas moins forts que l'attachement à la danse. Rien n'est plus éloquent dans ce domaine que les transformations qu'il fait subir à l'histoire des aventures de Bardamu quand il passe du théâtre au roman : il les fait commencer par l'évocation de la guerre, qui devient la clé du roman tout entier. En revanche, il supprime de l'épisode new-yorkais les danseuses et leurs exercices sur scène.

[Photo : Le cours de Mme d'Alessandri avec Lucette Almansor (au milieu)] Quand L'Église fut jouée dans une mise en scène qui lui rendait justice, en 1992, les spectateurs qui gardaient le roman présent à l'esprit découvraient à quel point le choix d'une danseuse professionnelle pour tenir le rôle d'Elizabeth Craig suffisait à lui seul à déplacer le centre de gravité de l'histoire. Sa présence et les mouvements qu'elle exécutait devant Bardamu - et donc devant les spectateurs -, si ces scènes avaient été maintenues dans le roman, auraient fait perdre au reste des expériences du narrateur une partie de l'impact qu'elles ont à la lecture. La note de violence et de noirceur qui était destinée, pour le meilleur et pour le pire, à devenir la marque de Céline dans la littérature de son temps n'était pas compatible avec l'évidence physique de la danse. Quel que soit le secours que Céline tirait personnellement de celle-ci, dont il n'est pas exagéré de dire qu'elle l'aidait à vivre, il était trop écrivain-né pour ne pas en tirer les conclusions qui s'imposaient."

Source : Henri Godard, Un autre Céline, de la fureur à la féerie, Textuel, 2008.

jeudi, 09 octobre 2008

Bulletin célinien, n°301

Le Bulletin célinien

Sommaire du n° 301, octobre 2008 :

Marc Laudelout : « Sur Céline » de Philippe Alméras
Jean-Pierre Doche : Céline parmi nous
Alain Ajax : Céline au bout du communisme
Marc Laudelout : Céline dans la presse
Tomohiro Hikoe : « Progrès » et le music-hall
Michel P. Schmitt : Toujours à propos du 300ème numéro du BC

Le Bulletin célinien
B P 70
1000 Bruxelles 22
Belgique

http://louisferdinandceline.free.fr
celinebc@skynet.be




Numéro disponible contre 6 € (en timbres-poste ou par chèque à l'ordre de M. Laudelout)

dimanche, 28 septembre 2008

Sur "Gobalia" de Jean-Christophe Rufin

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Ecole des cadres - Synergies Européennes - septembre 2008

Sur "Golbalia" de Jean-Christophe Rufin

http://users.skynet.be/pierre.bachy/rufin-globalia.html...

A lire à la suite de nos travaux sur George Orwell et Aldous Huxley

vendredi, 19 septembre 2008

Jünger et l'Allemagne secrète

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Jünger et l'Allemagne secrète

 

Antonio GIGLIO

 

La polémique qui s'est déclenchée à propos d'Ernst Jünger, remet à l'avant-plan, une fois de plus, les fan­tasmes nés de la guerre civile européenne et du passé qui ne passe pas, mais, pire encore, les fan­tasmes plus insidieux générés par l'incompréhension totale de nos contemporains face à l'histoire poli­tique et culturelle de ce siècle. A Jünger qui est aujourd'hui, à 100 ans, le plus grand écrivain européen vi­vant, on a reproché d'être, dans le fond, un complice des nazis. Pour clarifier cette question, il nous appa­raît opportun de récapituler, depuis le début, l'histoire des activités politiques et culturelles de Jünger, le héros de la Première Guerre mondiale, un des rares soldats de l'armée impériale, avec Rommel, à avoir reçu la plus haute décoration militaire allemande, l'Ordre “Pour le Mérite”. Le thème des premières œuvres littéraires de Jünger est l'expérience de la guerre, dont témoigne notamment son célèbre roman Orages d'acier.  Ces livres de guerre lui ont permis de devenir en peu de temps l'un des écrivains les plus lus et les plus fameux de l'Allemagne. En outre, Jünger est rapidement devenu l'un des chefs de file du nouveau nationalisme, suscité par les conditions de paix très dures imposées à l'Allemagne. Il réussit à forger une série de mythes politiques représentant la synthèse ultra-révolutionnaire de tout ce que la droite alle­mande avait produit à cette époque.

 

L'écrivain évoluait entre les bureaux d'études de l'armée, les groupes paramilitaires et nationaux-révolu­tionnaires, et réussissait à fusionner plusieurs projets politiques: celui du philologue Wilamowitz visant la création d'un Etat régi par un Ordre ascétique ou une caste sélectionnée d'hommes de culture et de science, celui de Spengler visant le contrôle et la domination des nouvelles formes technologiques en train de transformer le monde, celui du poète Stefan George chantant une nouvelle aristocratie, celui de Moeller van den Bruck axé sur la nécessité de rénover de fond en comble le “conservatisme” ou plutôt sur la nécessité de lancer une “révolution conservatrice”, formule inventée par le poète Hugo von Hoff­mann­sthal et traduite par Jünger en termes ultra-nationalistes et guerriers. Pourtant, Jünger, in­fluencé par la fu­rie iconoclaste de Nietzsche, propose à l'époque de détruire totalement la société bour­geoise, ce qui lui permet d'utiliser aussi les mythes politiques de la gauche, dont l'idée bolchévique sug­gérée par Lénine, soit la mobilisation totale et militaire de l'Etat, utilisée auparavant en Allemagne par le Général Erich Ludendorff; chez Jünger, cette mobilisation totale deviendra la mobilisation totale de tout ce qui est allemand. Enfin, il utilise le mythe du travailleur-soldat, déjà loué par Trotsky; Jünger l'adopte et le pro­po­se, transformé par la pensée du philosophe Hugo Fischer. Cette synthèse de Lénine, Trotsky et Fischer deviendra Le Travailleur, au moment même où Jünger est l'allié du national-bolchévique Ernst Niekisch. Il faut encore noter que la pensée philosophique et politique de Heidegger a été profondément influencée par ce célébrissime essai de Jünger, qui moule audacieusement en une puissante unité philo­sophique la technique, le nihilisme et la volonté de puissance.

 

Parallèlement, l'écrivain se propose d'unifier tous les mouvements nationalistes allemands; c'est cette in­tention qui explique sa tentative initialement favorable à Hitler; il suffit de penser à la dédicace rédigée de son livre de 1925, Feuer und Blut  (= Feu et Sang) à l'intention du “Führer national” Adolf Hitler, même si l'année précédente, il avait désapprouvé la décision des nazis d'adopter des méthodes légales et craint une trahison nationale-socialiste à l'égard de la pureté des idéaux nationaux-révolutionnaires. Quoi qu'il en soit, en 1927, Hitler propose à Jünger un siège au Parlement, mais l'écrivain ne l'accepte pas parce qu'il refuse le parlementarisme et toute forme de parti. Après 1933, Jünger se retire complètement de la politique parce qu'il est trop élitaire, aristocratique et révolutionnaire pour accepter qu'un mouvement de masse s'accapare de ses idées; par ailleurs, il se sent trop impliqué dans bon nombre d'idées nationa­listes pour pouvoir critiquer ouvertement le nouveau régime. En 1939, cependant, Jünger semble vouloir inter­venir directement, de manière critique, dans le régime nazi, en publiant son roman Sur les falaises de marbre. Selon un philosophe allemand contemporain, Hans Blumenberg, Jünger a rassemblé dans ce ro­man toutes les allusions aux événements de l'époque dans un scénario mythique, surtout après l'élimi­na­tion des opposants à Hitler lors de la “nuit des longs couteaux”, décidant ainsi de n'opposer plus qu'une résistance animée par la pure force de l'esprit. Un spécialiste plus connu du nazisme, George L. Mosse affirme que Jünger, dans ce roman, rejette les idées de sa jeunesse et retourne au protestan­tisme. En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes.

 

De fait, Jünger, en 1938, dans la seconde version de son livre Le cœur aventureux,  fait allusion pour la première fois au mystérieux Ordre des Maurétaniens, une élite mystique de mages savants et guerriers, qui deviendra le protagoniste collectif du roman Sur les falaises de marbre, et, par la suite, de tous les autres romans de l'auteur. En premier lieu, nous devons souligner que Jünger et les révolutionnaires na­tionalistes de sa génération sont obsédés par le mythe politique d'un Ordre qui régit l'Etat et guide les masses. Les Maurétaniens sont à mi-chemin entre les Templiers et les Chevaliers Teutoniques, ils sont l'incarnation de ce mythe.

 

Donc, en 1938, Jünger écrit qu'au lieu de rester coincé dans ses chères études, il va s'introduire dans le milieu des Maurétaniens, qu'il définit comme des polytechniciens subalternes du pouvoir, parmi lesquels il nomme Goebbels et Heydrich, un des chefs de la SS. Ce n'est dès lors pas un hasard si Carl Schmitt écrit, dans son journal, que les Maurétaniens sont une allégorie des SS. Jünger, en outre, ajoute textuel­lement qu'«une équipe sélectionnée des nôtres est au travail dans les lieux secrets du plus secret Thibet». Effectivement, à cette époque, existait une organisation culturelle liée à la SS et dénommé l'Ahnenerbe  (= l'Héritage des Ancêtres), qui organisait entre autres choses des expéditions plus ou moins secrètes au Thibet, et était reçue par le Dalaï Lama en personne. Par ailleurs, il faut signaler que cette structure avait été mise sur pied, au départ, par un ami de Jünger, Friedrich Hielscher, le chef spiri­tuel des jeunes nationalistes allemands, avant d'être incluse par Himmler dans les institutions SS. Mais quand paraît le roman-pamphlet Sur les falaises de marbre, certains nazis, ignorant ces faits, réclament la tête de Jünger, qui sera défendu par le “Maurétanien” Goebbels, et ensuite par Hitler lui-même, qui, ne l'oublions pas, avait confessé à Rauschning, stupéfait et attéré, avoir fondé un Ordre mystérieux. Nous sommes donc en présence d'un mystère historiographique et politique du 20ième siècle.

 

Le roman de Jünger est probablement le témoignagne d'un conflit politique et culturel qui se déroulait à l'intérieur du noyau dirigeant national-socialiste, et aussi, sans doute, à l'intérieur même de cet Ordre mystérieux, pour savoir comment imposer et diriger la politique intérieure et extérieure du IIIième Reich. Jünger, qui plus est, considère que l'un des protagonistes du roman, le Maurétanien Braquemart, est semblable à Goebbels, et que la figure démoniaque et destructive du Forestier peut être ramenée à Staline. Ensuite, en 1940, il attribue la victoire fulgurante des troupes allemandes en France à la Figure du Travailleur, décrite dans son livre Der Arbeiter.  En 1942, il fait rééditer son essai sur la mobilisation totale, au moment même où Hitler mobilise totalement et désespérément tout ce qui est allemand. Ce conflit in­terne entre les Maurétaniens, dans lequel Jünger entendait bel et bien intervenir en publiant son roman-pamphlet, s'est avivé pendant la durée du conflit, à cause des conséquences catastrophiques de la guerre voulue par Hitler et non par les autres membres de l'Ordre des Maurétaniens. Voilà pourquoi Jünger et son ami Hielscher en sont arrivés à comploter contre le Führer: ils voulaient désespérément éviter le destin tragique qui allait frapper l'Allemagne, ou au moins l'atténuer.

 

Jünger, en effet, fut l'un des organisateurs de la tentative de coup d'Etat du 20 juillet 1944, qui aurait dû avoir lieu après l'attentat contre Hitler. A Paris, où il est officier d'état-major dans le Haut Commandement des troupes d'occupation, centre du complot contre Hitler, Jünger écrit l'essai La Paix  qui est, en fait, le texte politique essentiel de ce complot, et dont le manuscrit avait été lu et approuvé par Rommel, le seul officier supérieur capable de mettre un terme à la guerre sur le front occidental et à affronter la guerre ci­vile. Mais le complot échoue, Rommel est contraint au suicide parce qu'il est condamné à mort. Le Maurétanien Hielscher est arrêté à son tour. Jünger semble vouloir nous dire que le Prince Sunmyra, un des auteurs malchanceux de l'attentat contre le Forestier dans le roman-pamphlet, peut être comparé au Colonel von Stauffenberg, l'auteur malchanceux de l'attentat contre Hitler. Claus von Stauffenberg, héros de la “Résistance allemande”, était un disciple de Stefan George, donc un représentant de ces Maurétaniens qui s'étaient donné le devoir de préserver l'Allemagne secrète. Et Hitler ne pouvait pas con­damner à mort l'Allemagne secrète, incarnée dans l'œuvre et la personne de Jünger.

 

Antonio GIGLIO.

(article extrait de l'Italia settimanale, n°13/1995; trad. franç.: Robert Steuckers).

jeudi, 18 septembre 2008

J. Evola: Jünger et l'irruption de l'élémentaire dans l'espace bourgeois

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Julius EVOLA:

 

Jünger et l'irruption de l'élémentaire dans l'espace bourgeois

 

Il est visible et il nous paraît évident qu'à travers l'économie se sont réveillées des forces «élémentaires», qui, en de nombreux domaines, échappent au contrôle du bourgeois et, ainsi, deviennent le substrat d'une nouvelle unité, collective cette fois.

 

Ce constat nous amène effectivement à certains aspects de la crise du monde bourgeois et à les étudier; selon Jünger, il faut tourner notre attention vers quelques traits caractéristiques du bourgeois qui correspondent à son idéal de sécurité commode et d'exclusion de toute force élémentaire hors de sa vie.

 

Le concept d'élémentaire joue un rôle central dans le livre de Jünger. Comme chez d'autres auteurs allemands, le terme «élémentaire» n'est pas utilisé chez Jünger dans le sens de “primitif”; il désigne bien plutôt les puissances les plus profondes de la réalité qui échappent aux structures intellectuelles et moralistes et qui sont caractérisées par une transcendance, positive ou négative selon l'individu: c'est comme si l'on parlait des forces élémentaires de la nature. Dans le monde intérieur, il existe des puissance qui peuvent faire irruption dans la vie, tant la vie personnelle que la vie collective, en venant d'une strate psychique plus profonde. Quand Jünger parle de l'exclusion de l'élémentaire dans le monde bourgeois, il est évident qu'il s'associe à la polémique développée par plusieurs courants d'idées contemporains, depuis l'irrationalisme, l'intuitionnisme, la religion de la vie (ou vitaliste) jusqu'à la psychanalyse et à l'existentialisme; il s'insurge contre la vision rationaliste-moraliste de l'homme, prédominante hier encore. Mais nous allons voir que la position de Jünger est originale dans ce contexte, car il conçoit des formes actives, lucides, non régressives des rapports de l'homme à l'élémentaire, ce qui le distingue de l'orientation problématique, propre à la grande majorité des courants que nous venons de mentionner.

 

La préoccupation constante du monde bourgeois est donc «de fermer hermétiquement l'espace vital à tout irruption de l'élémentaire», de «se créer une ceinture de sécurité face à l'élémentaire». De ce fait, la sécurité dans la vie est donc l'exigence de ce monde, que devra consolider et légitimer le culte de la raison: une raison «pour laquelle tout ce qui est élémentaire équivaut à l'absurde et à l'insensé». Inclure l'élémentaire dans l'existence, avec tous les problèmes et les risques que cela peut impliquer, voilà ce qui apparaît inconcevable au bourgeois; pour lui, c'est une aberration qu'il faut prévenir par le truchement de techniques pédagogiques adéquates. Jünger écrit: «Le bourgeois ne se sent jamais assez hardi pour se mesurer au destin en luttant et en s'exposant aux dangers, parce que l'élémentaire réside en dehors de son monde idéal; pour lui, l'élémentaire est l'irrationnel voire l'immoral. Il cherchera donc à le tenir toujours à distance, que celui-ci lui apparaisse sous le mode de la puissance ou de la passion, ou se manifeste dans les forces de la nature, dans le feu, l'eau, la terre ou l'air. De ce point de vue, les grandes villes du début du siècle apparaissaient comme les citadelles de la sécurité, comme le triomphe des murs qui, à ce moment-là, cessaient d'être les murs antiques des enceintes fortifiées et se manifestaient désormais comme pierres, asphalte et vitres encerclant la vie, similaires à la structure des rayons d'une ruche, pénétrant jusqu'à la trame la plus intime de la vie. Dans ce sens, toute conquête de la technique est un triomphe de la commodité et toute apparition de l'élémentaire est régulée par l'économie».

 

Pour Jünger, le caractère anomal de l'ère bourgeoise ne réside pas tant dans la recherche de la commodité «que dans ce trait spécifique qui s'associe à ces tendances: c'est-à-dire dans le fait que l'élémentaire se présente comme l'absurde et, partant, que les murs d'enceinte de l'ordre bourgeois se présentent simultanément comme les murs d'enceinte de la rationalité». Tel est donc bien le point d'ancrage de la polémique anti-bourgeoise de Jünger. Il distingue bien la rationalité du culte de la raison et conteste l'idée qui veut qu'un ordre et une mise en forme rigoureuse de la vie soient possibles et concevables seulement selon le schéma rationaliste, partant d'une imperméabilisation de l'existence face à l'élémentaire. Parmi les tactiques utilisées par le bourgeois, il y a celle qui consiste à «présenter toute attaque contre le culte de la raison comme une attaque contre la raison en elle-même, afin de pouvoir bannir cette attaque dans l'aire de l'irrationnel». En vérité, toute attaque peut s'identifier à une autre, mais seulement selon la vision bourgeoise, c'est-à-dire seulement sur base de «la conception spécifiquement bourgeoise de la raison, caractérisée par une “inconciliabilité” avec l'élémentaire». Cette antithèse ne peut être retenue comme valide par un nouveau type humain: du reste, cette antithèse est dépassée de fait par des figures «comme, par exemple, celles du croyant, du guerrier, de l'artiste, du navigateur, du chasseur, du travailleur et, aussi, finalement, du délinquant»; pour toutes ces figures, à l'exception de la dernière, le bourgeois nourrit une aversion plus ou moins ouverte, parce que «pour ainsi dire, elles portent déjà à l'intérieur même des cités, par leurs apparences, l'odeur du danger, parce que déjà leur simple présence représentent une instance dirigée contre le culte de la raison».

 

Mais «pour le guerrier la bataille est un événement dans lequel se réalise un ordre suprême, pour le poète les conflits les plus tragiques sont des situations où le sens de la vie peut se condenser en un mode particulièrement net»; la délinquence elle-même peut être expliquée par une rationalité lucide; quant au croyant, «il participe à la sphère plus vaste d'une vie pleine de signification. Soit par le malheur ou le danger ou le miracle, le destin l'englobe directement dans un tissu d'événements plus puissants. Les dieux aiment se manifester dans les éléments, dans les astres enflammés et dans la foudre, dans les ronces que la flamme ne consume pas». L'élément décisif qu'il s'agit surtout de reconnaître ici est que «l'homme peut demeurer en rapport avec l'élément(aire) sur un plan supérieur ou sur un plan inférieur et qu'en conséquence, multiples sont les plans sur lesquels tant la sécurité que le danger retournent dans l'ordre. Au contraire, dans le bourgeois, on perçoit un homme qui ne reconnaît comme valeur suprême que la sécurité, et détermine sa conduite de vie sur base de cet idéal de sécurité». «Les conditions pour promouvoir cette sécurité, que le progrès cherche à réaliser, sont corollaires de la domination universelle de la raison bourgeoise, laquelle devrait non seulement limiter, mais, en bout de course, détruire, toutes les sources de danger. Et, comme à la lumière de cette raison, le danger est présenté comme étant l'irrationnel, on ôte à celui-ci tout droit de faire partie de la réalité. Il est fort important, dès lors, dans un tel mode de penser, de voir l'absurde dans tout danger: celui-ci semble éliminé dès le moment où, dans le miroir de la raison, il apparait comme une erreur».

 

«Dans les ordonnancements tant spirituels qu'objectifs du monde bourgeois, on peut constater tout cela», poursuit Jünger. «En grand, on peut le voir dans la tendance à concevoir l'Etat  —lequel, normalement, se base pour l'essentiel sur la hiérarchie, en termes de société—  comme une forme ayant pour principe fondamental l'égalité et se constituant par le truchement d'un acte de la raison. Cette vision révèle la volonté d'imposer une organisation complexe, un système de sécurité devant ventiler et atténuer toutes les formes de risques, non seulement dans le domaine de la politique intérieure et extérieure, mais aussi dans celui de la vie individuelle, ce qui constitue une tendance à dissoudre le destin par un calcul de probabilités. Cette vision révèle enfin, dans ses multiples et complexes tentatives de ramener la vie de l'âme à des rapports de cause à effet, dans sa volonté de transférer la vie de l'âme du domaine de l'imprévisible à celui du calculable, et puis de l'insérer dans la sphère “éclairée” de la conscience extérieure». Dans tous les domaines, la tendance est d'éviter les conflits et de démontrer leur “évitabilité”. Mais vu que les conflits surviennent malgré tout, pour le bourgeois, «l'important est de démontrer qu'ils sont une erreur que l'éducation et une pédagogie “éclairée” des esprits devront empêcher la répétition».

 

Mais un tel monde ne serait qu'un monde d'ombres, où l'idéologie des Lumières surévaluerait ses propres forces, en croyant qu'il puisse tenir vraiment debout. En réalité, «le danger est toujours présent; comme un élément de la nature, il cherche continuellement à briser la digue que l'ordre a construit pour l'enserrer; et, par l'effet des lois d'une mathématique occulte mais infaillible, il se fait d'autant plus menaçant et mortel que l'ordre cherche à l'exclure. En fait, le danger veut être non seulement un élément de cet ordre mais, en plus, le principe d'une sécurité supérieure, que jamais le bourgeois ne pourra connaître». En règle générale, si l'on peut exclure l'élémentaire dans un type donné d'existance, cette exclusion «doit être soumise à certaines lois, parce que l'élémentaire n'existe pas seulement dans le monde externe mais est aussi inséparable de la vie de chaque individu». L'homme vit dans l'“élémentarité” dans la mesure où il est un être naturel, un être mu spirituellement par des forces profondes. «Aucun syllogisme ne pourra jamais se substituer au battement du cœur ou à l'activité des reins; il n'existe aucune grandeur qui puisse naître de la seule raison, qui, de temps en temps, doit bien se soumettre aux passions, nobles ou ignobles». Enfin, se référant au monde économique, Jünger note que «s'il est beau le mode par lequel nous nous voyons imposer des calculs, et si l'unique résultat de ceux-ci doit être le bonheur, il restera toujours un résidu qui se soutraira à toute analyse et l'être humain aura le sentiment d'être appauvri, de vivre une désespérance croissante».

 

Mais l'élémentaire a une double source. «D'une part, il a sa source dans un monde qui est toujours dangereux, comme la mer recèle en elle le danger même quand elle n'est pas troublée par le moindre ventelet. D'autre part, il a d'autres sources dans l'âme humaine, qui a soif de jeu et d'aventure, d'amour et de haine, de triomphe et de chute, qui ressent tant le besoin du risque que de la sécurité; et donc, pour cette âme humaine, un Etat absolument sécurisé apparaît comme un Etat d'incomplétude». En prononçant d'aussi audacieuses paroles, Jünger se réfère implicitement à un type humain différent de celui véhiculé par le monde bourgeois, mais que ce monde génère malgré lui.

 

La domination des valeurs bourgeoises peut donc se mesurer «à la distance que l'élémentaire semble avoir prise en se retirant de l'existence». Jünger dit “semble”, parce que l'élémentaire se sert de multiples masques et trouve toujours un moyen de se nicher au centre même du monde bourgeois, pour en miner les ordonnancements rationalisants et émerger dès que survient une crise. Par exemple, Jünger rappelle comme déjà dans le passé, sous le signe de la Révolution française, quelles noces cruelles furent celles qui unirent la bourgeoisie et le pouvoir. Le dangereux et l'élémentaire se sont réaffirmés «face aux astuces les plus subtiles par lesquelles on a cherché à les circonvenir; ils s'introduisent de façon imprévue dans les rouages mêmes de ces astuces, en prennent les travestissements, ce qui fait que tout ce qui est civilisation [au sens bourgeois] présente un visage ambigu; nous connaissons tous les rapports qui existent entre les idéaux de fraternité universelle et les gibets, entre les droits de l'homme et les massacres». Non que ce soit le bourgeois lui-même qui veuille imposer de telles circonstances contradictoires: car quand il parle de rationalité et de moralité, il se prend terriblement au sérieux: «tout cela est plutôt un terrible rire sarcastique qu'adresse la nature aux masques se présentant sous le visage de la moralité, une exultation frénétique du sang dirigée contre l'intellect, après que se soit achevé le prélude des beaux discours». En revanche, ce qui mérite d'être remarqué, c'est «le jeu ingénieux des concepts par lequel le bourgeois cherche à faire ressortir ces vertus et à ôter aux mots tout ce qu'ils ont de dur et de nécessaire, afin que transparaisse seulement une moralité que tous sont tenus de reconnaître». Par exemple, cette attitude est bien visible sur le plan international, «quand on cherche à présenter la conquête d'une colonie comme étant une pénétration pacifique ou comme une opération civilisatrice, ou l'incorporation d'une province appartenant à un pays voisin comme un effet de la libre auto-décision des peuples, ou, enfin, les rapines perpétrées par les vainqueurs comme des réparations». Il est évident qu'à ces exemples avancés par Jünger on pourrait facilement ajouter des faits plus récents. Parmi les cas les plus typiques, nous pourrions ajouter les «nouvelles croisades», les tribunaux de vainqueurs, les «aides aux pays sous-développés», etc.

 

Dans ce même ordre d'idées, est exact ce que dit Jünger quand il relève que c'est justement à l'époque où se sont officiellement et bruyamment propagées les valeurs bourgeoises de “civilisation” que l'on a assisté à des événements que l'on n'aurait plus cru possibles dans un monde éclairé: des phénomènes de violence et de cruauté, de délinquence organisée, de déchaînements d'instincts, de massacres. Tous ces événements représentent «la réduction à l'absurde de l'utopie bourgeoise de la sécurité». En guise de bon exemple, Jünger signale les conséquences qu'a déjà eues le prohibitionnisme aux Etats-Unis: il constitue une tentative moralisatrice, promise par une littérature faite d'utopisme social, et qui semble avoir été conçue comme une mesure de sécurité; elle n'a cependant réussi qu'à attiser des forces élémentaires du plus bas niveau. Ainsi, l'Etat, en suivant rigidement le principe bourgeois, se réfère à des catégories abstraites, rationnelles et moralisantes, et exclut l'élémentaire; mais, en réalité, cet Etat fait en sorte que cet élémentaire s'active en dehors du cadre qu'il installe. «Le moral et le rationnel n'étant pas des liens primordiaux mais seulement des liens propres à l'esprit abstrait, dit Jünger, toute autorité ou tout pouvoir qui veulent se baser sur eux, ne seront qu'autorité ou pouvoir apparents, et, simultanément, la sécurité bourgeoise ne tardera pas à manifester son caractère utopique et éphémère». Il serait bien difficile de contester la réalité de cette dialectique, surtout dans la période qui a suivi la rédaction du Travailleur. C'est effectivement à cette dialectique que se rapportent, d'une part, l'un des facteurs principaux de la crise du monde bourgeois, et, d'autre part, cette autre face, informe, obscure et dangereuse des structures sociétaires modernes, ordonnées et régulées seulement en surface, mais privées tant d'un sens supérieur que de racines dans les strates psychiques les plus profondes.

 

Déjà au moment de la rédaction du Travailleur,  après la première guerre mondiale, il était clair qu'un phénomène analogue de contre-coup allait se produire quand on allait appliquer de tels principes, notamment celui qui se profile derrière le concept bourgeois de liberté abstraite: dans la mesure où l'on reconnaît au principe de la démocratrie nationale une validité universelle, sans opérer la moindre discrimination, on aboutit automatiquement à un état d'anarchie mondiale, suscitant de nouvelles causes de crise au sein de l'ordre ancien, telle la révolte des peuples colonisés et de toutes les forces auxquelles, en Europe et ailleurs, le principe d'auto-détermination des peuples a donné une souveraineté politique même quand il s'agissait de tribus ou de populations, explique Jünger, «dont le nom n'était pas connu de l'histoire politique mais seulement, à la rigueur, des manuels d'ethnologie. Cet état de choses a pour conséquence naturelle la pénétration dans l'espace politique de courants purement élémentaires, de forces appartenant moins à l'histoire qu'à l'histoire naturelle». Aujourd'hui, ce constat est encore plus exact qu'hier.

 

Pour nous, il est cependant plus important d'examiner la crise du système dans ses aspects spirituels. Jünger parle surtout de formes de défense et de compensation qui se sont déjà manifestées en marge de la société bourgeoise, avec le phénomène du romantisme. «Il y a des périodes où les relations de l'homme avec l'élémentaire se manifestent sous l'aspect de propensions au romantisme, lesquelles constituent déjà en soi un point de fracture. Selon les circonstances cette fracture se fera visible: on se perdra dans le lointain (l'exotique), dans l'ivresse, la folie, la misère ou la mort. Ce sont là toutes des formes de fuite où l'homme isolé, après avoir cherché en vain une voie de sortie dans tout l'espace du monde spirituel ou matériel, met bas les armes. Mais, en tant que telle, la capitulation, peut aussi revêtir les apparences d'une attaque, comme quand un navire de guerre, en sombrant, tire encore une ultime bordée à l'aveuglette».

 

«Nous avons su reconnaître la valeur de la sentinelle tombée sur sa position perdue, continue Jünger. Nombreuses sont les tragédies auxquelles se lient de grands noms, mais il y a aussi beaucoup de tragédies anonymes, où des groupes entiers, des strates sociales entières, qui subissent une raréfaction de l'air nécessaire à la vie, comme s'ils avaient été pris par un vent de gaz toxiques». Ce que Jünger ajoute ensuite a une base autobiographique et reflète ses propres expériences de jeunesse, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler: «Le bourgeois a presque réussi à persuader le cœur aventureux que le danger n'existe pas, qu'une loi économique gouverne le monde et l'histoire. Mais les jeunes gens qui dans la nuit et le brouillard abandonnent la maison de leur père ont le sentiment intime de devoir aller très loin à la recherche du danger, au-delà de l'océan, en Amérique, à la Légion Etrangère, dans des pays où poussent les arbustes qui donnent le poivre. Mais surgissent aussi des figures qui n'auront pas le courage de s'exprimer dans ce langage propre et supérieur, comme celle du poète qui se sent pareil au pétrel dont les ailes puissantes, créées pour la tempête, ne deviennent, hélas, plus qu'un objet de curiosité inopportune dans un milieu étranger, sans vent, ou comme celle du guerrier né, qui semble n'être qu'un bon à rien, parce que la vie du marchand le remplit de dégoût».

 

Pour Jünger, le point décisif de fracture a eu lieu pendant la première guerre mondiale. «Dans la joie, les volontaires l'ont saluée (écrit Jünger en se souvenant visiblement de ce qu'il a lui-même vécu) parce qu'elle leur procurait un sentiment de libération des cœurs et que, d'un trait, se révélait à eux une vie nouvelle, plus dangereuse. Dans cette joie, se cachait aussi, tapie, une protestation révolutionnaire contre les valeurs anciennes, tombées irrémédiablement en désuétude. A partir de ce moment-là, dans tous les courants de pensée, dans tous les sentiments et dans tous les événements, s'est infusé une couleur nouvelle, élémentaire». L'important, ici, est de voir comment, par la force même des choses, un nouveau mode d'être a commencé à se différencier. Jünger relève aussi le rôle qu'ont joué dans la jeunesse combattante, entraînée dans la complexité de cette guerre, les enthousiasmes, les idéaux et les valeurs du patriotisme conventionnel lié au monde bourgeois. Mais, bien vite, il est apparu clairement que cette guerre réclamait des réserves de forces bien différentes de celles nourries à ces sources bourgeoises: et cette différence est celle qui distingue les sentiments d'enthousiasme des troupes quittant les gares, d'une part, et «leur action entre les cratères, sous le fer et le feu d'une bataille de matériel», d'autre part. Alors, dans cette épreuve du feu, disparait le contexte qui justifiait la protestation romantique. Cette protestation-là, écrit Jünger, «est condamnée au nihilisme, là où elle est fuite, simple polémique contre un monde qui sombre, or en tant que telle, elle reste conditionnée par lui. Elle ne devient force que quand elle donne lieu à un type spécial d'héroïsme». Là s'annonce le thème central du Travailleur:  traverser une zone de destruction sans être soi-même détruit. La même expérience aura des effets totalement opposés chez des hommes d'une même génération: «les uns se sont sentis déchirés par elle, les autres ont participé à un vécu jamais expérimenté auparavant, grâce à l'extrême proximité de la mort, avec le feu et le sang». La discordance découle de l'ambigüité d'avoir eu comme uniques béquilles les valeurs bourgeoises qui se basaient sur l'individu et sur l'exclusion de l'élémentaire, et d'avoir été capables de vivre une nouvelle liberté. S'il avait été déchiré, brisé, par la guerre, Jünger aurait pu se référer aux mots qu'Erich Maria Remarque a mis en exergue de son fameux livre A l'Ouest rien de nouveau:  «Ce livre ne veut ni accuser ni démontrer une thèse; il veut seulement dire quelle fut une génération, déchirée par la guerre même quand les obus l'ont épargnée». Mais comme Jünger est de ceux qui savent intimement qu'ils ont vécu une expérience unique, il voit en ses compagnons de combat ceux qui anticipativement ont constitué le «type»: c'est-à-dire un homme qui se tient debout parce qu'il veut se rendre capable d'un rapport actif avec l'élémentaire, et, parallèlement, développer des formes supérieures de lucidité, de conscience et de maîtrise de soi, parce qu'il veut se dés-individualiser et accepter un réalisme absolu, parce qu'il connaît le plaisir des prestations absolues, de la plénitude maximale de l'action, assortie d'un minimum de “pourquoi?” et de “dans quel but?”. C'est là que «les lignes de la force pure et celles de la mathématique se rencontrent»; dans l'aire d'une conscience accrue, «il est possible de potentialiser les moyens et les énergies premières de la vie, dans un sens inattendu, jamais encore expérimenté».

 

«Dans les centres occultes de la force, par laquelle on domine la sphère de la mort, on rencontre une humanité nouvelle, qui se forme par le biais d'exigences nouvelles», écrit Jünger. «Dans un tel paysage, on ne peut plus apercevoir l'individu qu'avec beaucoup de difficultés; le feu a calciné tout ce qui n'a pas un caractère objectif». Les processus en plein développement sont tels que toute tentative de la raccorder encore au romantisme et à l'idéalisme de l'individu finissent par sombrer irrémédiablement dans l'absurde. Pour dépasser victorieusement «quelques centaines de mètres où règne la mort mécanique», on n'a nul besoin des valeurs abstraites, morales ou spirituelles, de la libre volonté, de la culture, de l'enthousiasme ou de l'ivresse aveugle qui méprise le danger. Pour cela, il faut une énergie nouvelle et précise, tandis que «la force combattive du milieu dans son ensemble assume un caractère moins individuel que fonctionnel». En outre, on découvre des correspondances entre le point de destruction et l'apogée spirituelle d'une existence; c'est là que se déchaînent les prémisses de la personne absolue. Les rapports avec la mort se transforment et «la destruction peut surprendre l'homme singulier dans ces instants précieux où on lui demande un maximum d'engagement vital et spirituel». Alors, «à la fin, on peut aussi reconnaître la liberté la plus élevée». Tout cela devient, finalement, un part naturelle, voulue d'avance, d'un nouveau style de vie. Finalement se présentent «des figures d'une suprême discipline du cœur et des nerfs, indices d'une froideur quasi métallique, extrême et lucide, où la conscience héroïque se montre capable d'utiliser le corps comme un pur instrument, en lui imposant une série d'actions complexes, au-delà de l'instinct de conservation. Entre les flammes d'un avion touché, dans les chambres d'air d'un submersible qui coule, on accomplit encore un travail qui, au sens propre, transcende la sphère de la vie et dont jamais aucun communiqué ne signalera». Les deux termes qui s'unissent dans ce «type» sont donc l'élémentaire en acte, en soi et en dehors de soi, d'une part, et la discipline, l'extrême rationalité, l'extrême objectivité, c'est-à-dire un contrôle abstrait et absolu de l'activation totale de son être propre, d'autre part.

 

C'est ainsi, d'après Jünger, que déjà au cours de la première guerre mondiale, s'annonçait l'avènement d'une nouvelle «forme intérieure», et nous avons déjà eu l'occasion de dire qu'en elle, il voyait ce qui allait devenir décisif pour l'humanité en devenir, c'est-à-dire les culminations exceptionnelles, à l'image des extériorisations guerrières. La crise finale du monde bourgeois et de toutes les valeurs anciennes, pour Jünger, découle de la civilisation de la technique et de la machine, et de toutes les formes d'élémentarité qui leur sont consubstantielles. Et substantiellement identique serait le type d'homme qui, spirituellement, n'est pas le vaincu mais le vainqueur, que ce soit sur les champs de bataille modernes ou dans un monde absolument technicisé. Substantiellement identique serait le type de dépassement et de formation intérieure qui serait requis dans les deux cas. C'est ainsi que s'ébauche la figure de l'homme que Jünger nomme le “Travailleur”, qu'une continuité idéale unirait «au soldat vrai, invaincu, de la Grande Guerre».

 

Julius EVOLA.

(Chapitre extrait de L'«Operaio» nel pensiero di Ernst Jünger,  éd. Volpe, Rome, 1974; trad. franç.: Robert Steuckers).

Julius EVOLA

mercredi, 17 septembre 2008

E. Jünger: 70 s'efface, IV

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70 s'efface, IV

 

 

Karlheinz SCHAUDER

 

Il a largement dépassé le grand âge de Goethe: Ernst Jünger, le Patriarche de Wilflingen, vient de fêter ses 100 ans le 29 mars 1995. L'écrivain se sent comme l'Ahasver de la légende et s'étonne d'avoir atteint cet âge après toutes ses “tribulations”. Lui, l'auteur d'une œuvre exemplaire dans la littérature contemporaine, respectée par ses adversaires, remarque, à ce propos: «Depuis des années, l'âge avance, se place à l'avant-scène, se mue en une qualité que je n'avais pas prévue. Je suis frappé, comme toujours, par le nombre impressionnant de perspectives différentes par lesquelles je suis passé, depuis que je suis capable de penser. Cela a l'avantage de donner plus de poids à mes assertions, mais je n'en suis pas responsable».

 

Cette phrase se trouve dans le quatrième volume des Journaux qu'écrit Jünger depuis son 70ième anniversaire sous le titre de Siebzig verweht, traduit en français par Soixante-dix s'efface. Ce quatrième volume constitue, une fois de plus, une collection impressionnante de notules personnelles, rédigées entre janvier 1986 et décembre 1990. Avec les sens toujours en éveil, avec une force expressive intacte, Jünger enregistre ainsi toutes ses rencontres et ses conversations, ses lectures et ses réflexions. Une fois de plus, on est fasciné de voir comment cet écrivain et ce contemporain parvient à tirer l'essentiel d'une journée, à y goûter: «Parmi mes bonnes œuvres, il y a le fait que j'incite beaucoup de mes contemporains à tenir un journal. Quelle qu'en soit la teneur, il demeurera une prestation qui aura une valeur personnelle et documentaire. Ensuite, cette rédaction satisfait une pulsion: notre cheminement est balisé. Le sacré peut advenir; l'homme est seul avec lui-même. Il est bon qu'un Journal commence tôt dans la vie; mieux: qu'il se poursuive jusqu'à la fin, jusqu'à proximité de la mort».

 

En ce siècle, quelques écrivains et philosophes ont choisi d'écrire des notes quotidiennes, pour refléter leur temps et transmettre une pensée vraiment vivante. Ce sont particulièrement Léon Bloy et André Gide, Julien Green et Paul Léautaud qui ont veillé à ce que le Journal ne soit pas une simple habitude privée, mais un genre littéraire, permettant de communiquer des impressions ou des idées, créant un espace où l'on peut raconter et rêver. Chez Ernst Jünger également, les notes quotidiennes occupent une place essentielle dans l'œuvre complète. Lorsqu'il écrit ses Journaux, il ne néglige pas les autres formes de création littéraire, mais hisse tout simplement ses notes au rang d'une forme littéraire significative.

 

Dans ses notes de voyage et ses souvenirs, ses anecdotes et ses considérations, il s'exprime tout à la fois comme écrivain et comme penseur. Cette démarche n'autorise aucune dissipation ni aucun bavardage, comme c'est parfois le cas chez Thomas Mann. Les notes sont séparées par des dates ou des astérisques; souvent pendant plusieurs jours, voire pendant toute une semaine, on ne trouve rien. Sans nul doute, Jünger stylise et rédige ces notes pour qu'elles soient publiées ultérieurement. Il choisit et sélectionne celles qui lui paraissent les plus significatives, les plus chargées de sens, les plus précieuses. Ce qu'il veut communiquer est dit avec précision et concision. Certes, ces qualités-là ôtent quelque lambeaux de spontanéité et d'authenticité à l'écriture immédiate. La construction des phrases est objective et distanciée, souvent certains thèmes s'y répètent, ou un ton docte s'y insinue.

 

Les impressions de l'environnement le plus proche, du paysage des alentours de Wilflingen occupent un vaste espace dans ces annotations. Le très vieil écrivain vit intensément au rythme de la nature, note les observations qu'il glâne dans son jardin ou au cours de ses promenades. Il consigne les transformations saisonnières que subissent plantes et animaux, s'occupe d'ornithologie et de botanique, et surtout d'entomologie. Jünger est d'ailleurs devenu un entomologiste célèbre qui s'est fait un nom dans l'univers scientifique, si bien que quelques espèces portent son nom. C'est avec joie qu'il commente les envois d'insectes que des amis du monde entier lui expédient. C'est pour se livrer aux «chasses subtiles» que le nonagénaire entreprend encore de longs voyages vers les pays exotiques: en Malaisie par exemple où il a pu observer la comète de Halley qu'il avait vu pour la première fois il y a 76 ans avec ses parents, ses frères et ses sœurs; enfin, à Sumatra, dans les Seychelles et à l'Ile Maurice.

 

L'envie de voyager de l'écrivain, sa curiosité envers le monde, sont demeurées intactes. Sans cesse, il prend des vacances en compagnie de sa femme Liselotte, qu'il appelle affectueusement «Petit Taureau», et séjourne dans les pays européens, où il visite les bouquinistes et flâne dans les musées. Ou il circule en France, est reçu par les Chevaliers du Taste-Vin, visite en compagnie de Rolf Hochhuth les grottes de Lascaux et revient, en bout de course, dans l'appartement de Paris. L'octroi de prix ou de doctorats honoris causa le conduit à Palerme, à Rome ou à Bilbao, ce qui lui rappelle de nombreux souvenirs, ravive en lui des impressions anciennes. Jünger rencontre à Berne ou à Munich des amis et des collègues, participe aux jubilés et aux fêtes villageoises de Wilflingen. Dans la gestion quasi ménagère de son œuvre, Jünger consigne dans ses Journaux le meilleur de son courrier et les messages de remerciement. En dépit de tous les honneurs qu'on lui accorde, il conserve une distance par rapport à la gloire: «Les étapes de la gloire et leur mi-temps: depuis le moment où l'on arrive dans le dictionnaire jusqu'au moment où on en est radié. Un chapitre en soi: le rapport entre la gloire et l'après-gloire, riche en déceptions et en surprises, sans intérêt pour la personne concernée».

 

Outre les impressions de voyage, l'auteur honore les moments qu'il a vécu avec ses contemporains et ses compagnons de route: il nous évoque ainsi une visite du dramaturge allemand Heiner Müller, une virée avec Ionesco, une correspondance avec Wolf Jobst Siedler ou avec Rainer Hackel, d'anciennes rencontres avec Ernst Niekisch et Ernst von Salomon, des souvenirs d'Alfred Kubin et de Valeriu Marcu. Le nonagénaire relit ses anciennes lettres, se souvient de son père, de sa première femme, se rappelle avec chagrin de son frère Friedrich Georg, qui, lui aussi, fut un grand écrivain, et avec douleur de son fils Ernstel, tombé au champ d'honneur en Italie pendant la seconde guerre mondiale. Quand Jünger rumine tous ses souvenirs douloureux, il ne pense presque jamais à sa propre mort, mais surtout à la présence des disparus. Les défunts sont tout particulièrement présents dans les rêves du vieil homme.

 

Jünger accorde aux rêves une grande importance: ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ce quatrième volume de Soixante-Dix s'efface commence et se termine par la description d'un rêve. Dans un cas précis, Jünger raconte pendant quatorze pages en détails et avec minutie une de ses visions nocturnes. A côté du monde bizarre des rêves, il nous décrit une manifestation de l'inconscient, qu'il désigne comme “troisième voie”. Les Journaux offrent ainsi matière à réflechir pour les psychanalystes. Pour les jeux et joutes d'idées pendant l'éveil, la lecture est indispensable; on ne peut y renoncer et Jünger écrit: «Même si la journée d'hier a été fatigante, j'ai encore lu, la nuit tombée, quelques pages du Journal de Renard. Je ne peux imaginer un jour sans lecture et je me demande souvent si, au fond, je n'ai pas vécu la vie d'un lecteur. Le monde des livres serait ainsi le monde réel, et le vécu n'en serait que la confirmation —et cet espoir serait toujours déçu. Ce qui pourrait avoir pour effet que les auteurs présentent la matière sur un plan supérieur et que cette matière s'inscrusterait mieux que le tissu des hasards biographiques. Nous ne voyons que le dos du gobelin. Voilà pourquoi je m'y retrouve mieux dans un bon roman que dans ma propre biographie».

 

Jünger se préoccupe ensuite, dans ce quatrième volume de Soixante-Dix s'efface, des célèbres cas juridiques de Pitaval, se penche encore sur Montaigne, Léon Bloy et Léautaud, relit les œuvres de Tourgueniev, Dostoïevski et Tolstoï. Il note encore le texte d'antiques sagesses d'Egypte, des proverbes chinois dans ses chroniques quotidiennes et fait référence à des versets de l'Ancien et du Nouveau Testament. Pour ce qui concerne la littérature contemporaine, il a été séduit par un roman de Gabriel Garcia Márquez et sait apprécier les poèmes de Helena Paz, la fille d'Octavio Paz.

 

En guise d'anticipation à la publication prochaine de sa correspondance, Jünger reprend de nombreux extraits de lettres dans son Journal. Il cite des parties de lettres qui lui ont été adressées, note des salutations originales issues de cartes postales, nous révèle des réponses à ses traducteurs Henri Plard et Pierre Morel, qu'il consulte toujours en cas de litige. Avec des remarques bien étayées, il commente la préface qu'a rédigée Julien Hervier pour l'édition française du Travailleur, ou il reproduit le texte d'un interview téléphoné qu'il a accordé au Figaro. Il nous parle du travail qu'il a effectué dans le texte des Ciseaux,  où il tente de nous léguer une théodicée, et introduit dans son Journal un passage qu'il a ôté du texte définitif. Il s'occupe de subtilités grammaticales et stylistiques avec une telle intensité que cette précision lui apparaît comme un phénomène de vieillissement! Autrement, il n'a que de petits tracas, constate-t-il: le principal, c'est qu'ils ne se répercutent pas sur sa prose.

 

En tant qu'anarque —c'est ainsi qu'il s'“auto-désigne”—  il a l'impression de vivre davantage dans les livres que dans “notre misérable réalité”. Les rencontres immédiates avec la réalité, avec les événements politiques et culturels, sont quasiment absentes de cette partie du Journal, elles ne sont pas transposées dans l'écriture. Ainsi, les visites répétées à Wilflingen du Chancelier fédéral et du Président Mitterrand ou du Premier Ministre espagnol Gonzales. Ainsi, ses vols en hélicoptère vers Bonn, à l'invitation du Chancelier ou sa participation aux fêtes du jubilé du Traité d'amitié franco-allemand à Paris. Quand on a dépassé 100 ans, les événements du jour n'ont plus trop d'importance, car on a déjà vécu tout et le contraire de tout. Pourtant, deux événements l'ont touché: la fête en l'honneur de son 95ième anniversaire dans le Neuer Schloß de Stuttgart et le nuit de la réunification allemande en novembre 1989.

 

Le Journal de Jünger n'est nullement un “journal intime”, qui, en première instance, sert à exprimer les sentiments du moi qui écrit. Tout, dans les notices de ce Journal, semble être parfaitement maîtrisé, soupesé; la prose admirablement ciselée de ce monologue mis en écriture montre que le Journal de Jünger, en fait, est un moyen de prendre distance et non pas de rester trop proche du vécu. Il s'agit des visions et des expériences d'un homme qui, sans mélancolie, se meut dans la sphère du très grand âge, avec froideur, comme s'il n'était pas concerné. La propre vie et la propre œuvre de l'auteur lui servent à relier et à rapprocher les événements immédiats et lointains, le proche et l'éloigné, le rêve et l'imprimé. Les remarques philosophiques, culturelles, sociologiques et critiques de Jünger, les idées qu'il exprime sur l'histoire et la civilisation ne sont nullement des plaintes pessimistes. Il se borne à enregistrer les évolutions et les bouleversements, il décrit la destruction de la nature due à l'avancée de la technique. Sur notre situation globale, il écrit: «Ce que notre situation a de particulier et peut-être d'unique, c'est que nous sommes plongés non pas seulement dans une révolution mondiale mais aussi et surtout dans une révolution tellurique. Ainsi culmine la résistance qui s'oppose tant à l'artiste qu'au philosophe. Leur œuvre sera soit insuffisante soit provisoire. L'insuffisant sera détruit par les événements, mais le provisoire pourra se révéler si significatif que les événements ne le rattraperont pas».

 

Malgré des observations contrariantes et des détails effrayants, Jünger cherche la loi secrète, l'ordre caché, qui régit tout cela. Qu'il formule des observations sur une couleur ou sur une spirale, qu'il examine un insecte ou décrit une floraison, il s'efforcera toujours de déchiffrer l'«écriture imagée immédiate», de se rapprocher de la plénitude et de l'harmonie du tout cosmique. Il demeure animé par une volonté inconditionnelle de sens et ne se montrera jamais prêt à abandonner la foi en ce sens. Un jour, il s'est demandé: «Qu'est-ce qui est le plus important pour un écrivain? La redécouverte de l'impassable dans le temps passé: l'Etre dans l'existence».

 

Pour Jünger, l'écrivain est une personne morale qui s'est extraite de la quotidienneté sociale, qui, par la force de son imagination, peut reconnaître les rapports entre les choses. Ce quatrième volume de Soixante-Dix s'efface  est lui aussi un outil idéal et sublime pour pénétrer, avec son «regard stéréoscopique», dans le monde pour le révéler, pour pénétrer dans sa pensée qui est un “voir” dans l'espace et dans les profondeurs. Cette collection de notices et de témoignages, de souvenirs et de lettres est un document littéraire de tout premier rang, une chambre aux trésors où l'on trouve les plans et les analyses les plus fines sur notre temps. Une lecture indispensable, captivante, fécondante.

 

Karlheinz SCHAUDER.

(recension tirée de Criticón,  n°146/1995; adresse: Criticón Verlag, Knöbelstrasse 36/0, D-80.538 München; abonnement: DM 64; étudiants: DM 42; trad. franç. : Robert Steuckers).

dimanche, 14 septembre 2008

Il volto ambiguo della Rivoluzione Conservatrice tedesca

Il volto ambiguo della Rivoluzione Conservatrice tedesca

Autore: Luca Leonello Rimbotti

La Rivoluzione Conservatrice - fenomeno essenzialmente tedesco, ma non solo - era un bacino di idee, un laboratorio, in cui vennero ad infusione tutti quegli ideali che da una parte rifiutavano il progressismo illuministico dell’Occidente, mentre dall’altra propugnavano il dinamismo di una rivoluzione in grande stile: ma nel senso di un re-volvere, di un ritornare alla tradizione nazionale, all’ordine dei valori naturali, all’eroismo, alla comunità di popolo, all’idea che la vita è tragica ma anche magnifica lotta.

Detlev J.K. Peukert, La Repubblica di Weimar Tra il 1918 e il 1932, questi ideali ebbero decine di sostenitori di alto spessore intellettuale, lungo un ventaglio di variazioni ideologiche molto ampio: dalla piccola minoranza di quanti vedevano nel bolscevismo l’alba di una nuova concezione comunitaria, alla grande maggioranza di coloro che invece si battevano per l’estrema affermazione del destino europeo nell’era della tecnica di massa, mantenendo intatte, anzi rilanciandole in modo rivoluzionario, le qualità tradizionali legate alle origini del popolo: identità, storia, stirpe, terra-patria, cultura. Tra questi ultimi, di gran lunga i più importanti, figuravano personaggi del calibro di Jünger, Schmitt, Moeller van den Bruck, Heidegger, Spengler, Thomas Mann, Sombart, Benn, Scheler, Klages, e molti altri. In quella caotica Sodoma che era la Repubblica di Weimar - dove la crisi del Reich fu letta come la crisi dell’intero Occidente liberale - tutti questi ingegni avevano un denominatore comune: impegnare la lotta per opporsi al disfacimento della civiltà europea, restaurando l’ordine tradizionale su basi moderne, attraverso la rivoluzione. Malauguratamente, nessuno di loro fu mai un politico. E pochi ebbero anche solo cultura politica. Quest’assenza di sensiblerie fu il motivo per cui, al momento giusto, spesso la storia non venne riconosciuta. E, tra i più famosi, solo alcuni capirono che il destino non sempre può avere il volto da noi immaginato nel silenzio dei nostri studi, ma che alle volte appare all’improvviso, parlando il linguaggio semplice e brutale degli eventi.

I proscritti Scrivevano di una Germania da restaurare nella sua potenza, favoleggiavano di un tipo d’uomo eroico e coraggioso, metallico, che avrebbe dominato il nichilismo dell’epoca moderna; descrivevano la civilizzazione occidentale come il più grande dei mali, il progresso come un dèmone, il capitalismo come una lebbra di usurai, l’egualitarismo e il comunismo come incubi primitivi … e riandavano alle radici del germanesimo, alle fonti dell’identità. Armato di Nietzsche e di antichi miti dionisiaci, c’era persino chi riaccendeva i fuochi di quelle notti primordiali in cui era nato l’uomo europeo… Eppure, quando tutto questo prese vita sotto le loro finestre, quando i miti e le invocazioni assunsero la forma di uomini, di un partito, di una volontà politica, di una voce, quando “l’uomo d’acciaio” descritto nei libri bussava alla loro porta nelle forme stilizzate della politica, molti sguardi si distolsero, molte orecchie cominciarono a non sentirci più… La vecchia sindrome del sognatore, che non vuol essere disturbato neppure dal proprio sogno che si anima… La Rivoluzione Conservatrice tedesca espresse spesso la tragica cecità di molti suoi epigoni dinanzi al prender forma di non poche delle loro costruzioni teoriche.

Giuseppe A. Balistreri, Filosofia della Konservative Revolution: Arthur Moeller van den Bruck Non vollero riconoscere il suono di una campana, i cui rintocchi uscivano in gran parte dai loro stessi libri. Allora, improvvisamente, tutto diventò troppo “demagogico”, troppo “plebeo”. L’intellettuale volle lasciare la militanza, la lotta vera, a quanti accettarono di sporcarsi le mani con i fatti. Alcune derive del Nazionalsocialismo si possono anche storicamente ascrivere alla renitenza di intellettuali e ideologhi, che non parteciparono alla “lotta per i valori” e che, dopo aver lungamente predicato, nel momento dell’azione si appartarono in un piccolo mondo fatto di romanzi e divagazioni. Mentalità da club: “esilio interno” o piuttosto diserzione davanti ai propri stessi ideali? Eppure, un certo spazio critico dovette esistere, poi, anche tra le maglie del regime totalitario, se gli storici riportano di serrate lotte ideologiche intestine durante il Terzo Reich, di polemiche, di divergenze di vedute: Rosenberg non la pensava certo come Klages; Heidegger e Krieck erano avversari politici attestati su sponde lontane… Prendiamo Jünger. Ancora nel 1932, aveva parlato del Dominio, della Gerarchia delle Forme, della Sapienza degli Avi, del Guerriero, del Realismo Eroico, della Forza Primigenia, del Soldato Politico, della “Massa che vede riaffermata la propria esistenza dal Singolo dotato di Grandezza”… Ricordiamo di passata che Jünger negli anni venti collaborò, oltre che con le più note testate del nazionalismo radicale, anche col Völkischer Beobachter, il quotidiano nazionalsocialista e che nel 1923 inviò a Hitler una copia del suo libro Tempeste d’acciaio, con tanto di dedica… Alla luce dei fatti, è forse giunto il momento di considerare quelle proclamazioni solo come buoni esercizi letterari? Nell’infuriare della lotta vera per il Dominio che si ingaggiò di lì a poco, durante gli anni decisivi della Seconda guerra mondiale, noi troviamo Jünger non già nella trincea dove era stato da giovane, ma ai tavoli dei caffè parigini. Qui lo vediamo intento ad irridere Hitler nel segreto del proprio diario, sulle cui paginette si dilettava a chiamarlo col nomignolo di Knièbolo: un po’ poco. Tutto questo fu “fronda” esoterica o immiserimento del talento ideologico? Storico esempio di altèra dissidenza aristocratica o patetico esaurimento di un antico coraggio di militanza?

Oswald Spengler, Il tramonto dell'Occidente E uno Spengler? Anch’egli, dopo aver vaticinato il riarmo del germanesimo e della civiltà bianca, non appena questi postulati ebbero il contorno di un partito politico, che pareva proprio prenderli sul serio, oppose uno sdegnoso distacco. E Gottfried Benn? Dopo aver cantato i destini dell’”uomo superiore che tragicamente combatte”, dopo aver celebrato la “buona razza” dell’uomo tedesco che ha “il sentimento della terra nativa”, come vide che tutto questo diventava uno Stato, una legge, una politica, lasciò cadere la penna…

Ma la Rivoluzione Conservatrice, per la verità, non fu solo questo. Fu anche il socialismo di Moeller, l’antieconomicismo di Sombart, l’idea nazionale e popolare di Heidegger, il filosofo-contadino vicino alle SA. In effetti, la gran parte degli affiliati ai diversi schieramenti rivoluzionario-conservatori confluì nella NSDAP, contribuendo non poco a solidificarne il pensiero politico e, in alcuni casi, diventandone uomini di punta: da Baeumler a Krieck. Secondo Ernst Nolte - il maggiore storico tedesco - la Rivoluzione Conservatrice ebbe l’occasione di essere più una rivoluzione che non una conservazione, soltanto perché si incrociò con la via politica nazionalsocialista: un partito di massa, una moderna propaganda, un capo carismatico in grado di puntare al potere. Tutte cose che ai teorici mancavano. “Non fu il nazionalsocialismo - si è chiesto Nolte -, in quanto negazione della Rivoluzione francese e di quella bolscevico-comunista, una contro-Rivoluzione tanto rivoluzionaria, quanto la Rivoluzione conservatrice non potrà mai essere?”.

Dopo tutto, come ha affermato il più esperto studioso di questi argomenti, Armin Mohler, “il nazionalsocialismo resta pur sempre un tentativo di realizzazione politica delle premesse culturali presenti nella Rivoluzione conservatrice”. Il tentativo postumo di sganciare la RC dalla NSDAP è obiettivamente antistorico: provate a sommare i temi ideologici dei vari movimenti nazional-popolari dell’epoca weimariana, ed avrete l’ideologia nazionalsocialista.

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Tratto da Linea del 25 luglio 2004.


Luca Leonello Rimbotti

samedi, 13 septembre 2008

Comprendere il radicalismo nazionalista di Ernst Jünger

Comprendere il radicalismo nazionalista di Ernst Jünger

Autore: Luca Leonello Rimbotti

Ernst Jünger, Scritti politici e di guerra. 1919-1933. Vol. 3: 1929-1933 La pubblicazione del terzo e ultimo volume degli Scritti politici e di guerra di Ernst Jünger, relativi agli anni 1929-1933, da parte della Libreria Editrice Goriziana, ci permette di mettere a posto, una volta per tutte, la controversa questione del nazionalismo dello scrittore tedesco e dei suoi rapporti con il Nazionalsocialismo. Se, già nel 1923, Jünger aveva scritto parole di apprezzamento per Hitler, cui aveva anche inviato una copia con dedica autografa del suo celebre volume Im Stahlgewittern, e se in quel medesimo periodo aveva anche collaborato al quotidiano della NSDAP Völkischer Beobachter, diretto da Alfred Rosenberg, negli anni a seguire i suoi rapporti con il Partito nazionalsocialista diventeranno più complessi. Ma mai di rottura. Anzi, di cameratesca solidarietà. A volte di critica su questo o quel punto, ma condotta sempre all’interno della galassia nazionalista e con i toni amichevoli del consapevole alleato di lotta.

Uno dei motivi contingenti dell’incomprensione tra alcuni ambienti nazionalisti e NSDAP fu alla fine degli anni venti la situazione dei contadini. Specialmente nella regione settentrionale dello Schleswig-Holstein, a seguito delle misure punitive dei trattati di pace, fortemente penalizzanti l’economia tedesca nel suo complesso, ed anche a seguito della crisi economica, si era avuto il progressivo collasso del ceto rurale, sempre più gravemente scivolato nel gorgo del debito, nella crisi produttiva e nella perdita crescente della piccola proprietà. Da questa situazione era andata prendendo forza una forma di protesta, gestita dalla potente Landvolkbewegung, il movimento contadino a forti tinte nazionaliste ed antisemite che, dal 1928, si rese protagonista anche di alcuni attentati dinamitardi contro la sede del Reichstag. Era una protesta nei confronti dello Stato e del governo, incapaci di garantire agli agricoltori quei sussidi e quelle protezioni dalla concorrenza estera, senza i quali l’economia agricola andava incontro alla rovina. Il movimento contadino trovò immediata sponda negli ambienti nazionalisti. Jünger stesso ne giustificò il terrorismo, prendendo le distanze da Hitler che, invece, pur alleato della protesta, condannò apertamente il ricorso alla violenza. Cosa che non impedì, di lì a poco, che l’intero movimento contadino confluisse nel Partito nazionalsocialista, costituendone anzi uno dei punti di forza sia politici che ideologici: basta pensare al ruolo svolto da Walther Darré.

Condannando la stampa borghese, compattamente ostile ai contadini del Nord, Jünger scrisse frasi pesanti: “È in atto un terrore mediatico di gran lunga più considerevole del terrore generato da qualsiasi bomba”. E condannò ugualmente il moderatismo di Hitler che, come tutti sanno, dopo il Putsch del 1923 era molto attento a marciare lungo i binari della legalità, operando, per tutto il periodo del Kampfzeit, cioè della lotta per il potere, come l’inflessibile elemento moderato che doveva sedare le spinte radicali della sua ala sinistra.

Jünger rimproverava Hitler anche di non essere abbastanza deciso a prendere le distanze da Hugenberg – il capo del Partito Nazionaltedesco – e da tutti gli ambienti reazionari e borghesi. Il fatto sorprendente, che esce a chiare lettere dai suoi scritti di questo periodo, è dunque che Jünger criticava la NSDAP non da “destra”, come si era abituati a pensare e come farà in seguito, bensì da “sinistra”. Ma, in ogni caso, si trattava pur sempre di critiche che non mettevano mai in discussione la consapevolezza che nazionalisti e nazionalsocialisti appartenevano al medesimo schieramento, con i medesimi ideali e i medesimi obiettivi. Si trattava, però, di arrivare al potere non con intermediazioni moderate o conservatrici, ma radicali. Parola di Jünger: “Le risoluzioni prese nell’ambito del partito nazionalsocialista – scrisse su “Wiederstand” dell’ottobre 1929 - non hanno affatto un’importanza esclusiva per questo partito. Dal momento, infatti, che esso attualmente rappresenta l’arma più forte e temibile della volontà nazionale, ogni sua azione o rinuncia andrà necessariamente a colpire tutte le forze che vogliono contribuire all’affermazione di questa volontà in Germania […] ma come ci si può assumere la responsabilità di suscitare la parvenza di un fronte comune con forze la cui vicinanza è intollerabile per un partito intitolato ai lavoratori tedeschi?”.

Domande che, certo, saranno suonate musica alle orecchie delle SA o di un Goebbels, e che non rappresentavano affatto le posizioni del nazionalismo conservatore, ma di quel nazionalismo radicale cui Jünger si era avvicinato tramite Ernst Niekisch, cui lo scrittore era stato presentato dal filosofo Alfred Baeumler. Ma Jünger venne presto accontentato: se si pensa alla rottura, voluta da Hitler, del “fronte di Harzburg” del 1931 – cioè l’alleanza tattica del Nazionalsocialismo con il nazionalismo conservatore, del tipo dello Stahlhelm –, oppure alla liquidazione di tutti gli ambienti conservatori dopo la presa del potere, o alla “purga” del 1934 (che non colpì solo la “sinistra” di Roehm, ma anche la “destra” di Schleicher), se pensiamo poi a come Hitler stesso pose brutalmente fine nel 1944 al conservatorismo junker – e all’esistenza storica della loro casta -, dovremmo riportarne la sensazione che Jünger avesse di che compiacersi dell’operato di Hitler. La storia vuole, invece, che proprio nella lotta di vertice dei conservatori contro il Nazionalsocialismo, Jünger si trovasse – beninteso, in accorta retroguardia - non dalla parte della “sinistra”, bensì della “destra”. Enigmi dell’aristocraticismo…

Jünger era apertamente a-partitico: “rinunciamo a qualsiasi appartenenza partitica…”, aveva scritto, e concepiva romanticamente il nazionalismo come un insieme di centri di lotta, sperando di “veder crescere tutti questi legami in maniera possente, serrata e unitaria, così da raggiungere le dimensioni necessarie al grande confronto…”. La storia ha dimostrato che, in Germania, il nazionalismo di partito non aveva la capacità di crescere fino al punto di diventare egemone. Nei primi anni trenta era chiaro che né Hugenberg né Seldte né tantomeno Niekisch sarebbero andati lontano. Figurarsi semplici ambienti sparsi. Vi andò invece Hitler, ma per vie politiche e non romantiche, e unificando per l’appunto tutti quei movimenti – da quello dei giovani, la Jugendbewegung, a quello contadino sopra ricordato – che, pur essendo nazionalisti, non erano reazionari, ma anzi rivoluzionari.

Ernst Jünger, L'operaio. Dominio e forma Questo, Jünger non lo comprese mai. Non comprese l’identità di un movimento che trovò troppo conservatore nel ’29 e troppo rivoluzionario dal ’33 in poi… mentre la storiografia ha largamente dimostrato – da Nolte a Kershaw – che fu entrambe le cose contemporaneamente, dal 1923 al 1945. Gli amichevoli rimproveri di Jünger agli “amici del partito nazionalsocialista” miravano a scuoterne ciò che allo scrittore pareva eccessiva moderazione, ma che invece, semplicemente, era accortezza politica. Riferendosi ai movimenti nazionalisti intransigenti, Jünger formulò un’esortazione: “speriamo anche che il nazionalsocialismo, anziché combattere quelle forze, ne accetti e riconosca la parentela di fondo”. La parentela di fondo: questa esplicita definizione la dedichiamo a quanti, anche recentemente, non solo hanno negato ogni effusione jüngeriana nei confronti del Nazionalsocialismo, ma persino una sua ideologia nazionalista… E infine leggiamo l’auspicio rivoluzionario: “Al nazionalsocialismo – scrisse nel 1929 Jünger, in pagine che certo provocheranno terribile sconcerto nei suoi attuali ammiratori letterari – auguriamo di cuore la vittoria: conosciamo le sue forze migliori, dal cui entusiasmo trae sostegno e della cui volontà di sacrificio può al di là di ogni dubbio menare vanto. Sappiamo anche, però, che esso potrà combattere per vincere se le sue armi saranno forgiate nel più puro dei metalli, e se rinuncerà al supporto dei fragili resti di un’epoca passata”. Possiamo ribadire che, in questo, Jünger venne accontentato di brutto. I “fragili resti” non solo vennero ignorati, ma proprio distrutti. Il “realismo eroico” propugnato da Jünger altro non era che un radicalismo nazionalista privo di connotati politici. Il suo programma era semplicemente la Germania: “Vogliamo una Germania esattamente com’è”, scrisse nel marzo 1930. Egli conosceva solo un fine, “l’eterna realtà di un Reich che, in questo Paese, non mancò mai di entusiasmare la gioventù”. E un solo progetto: “Qui non c’è niente da augurarsi, allora, vi è piuttosto il rigoroso riconoscimento di un dovere, che trova ora espressione: allora come oggi, essere tedeschi significa essere in lotta”. La differenza tra il nazionalismo di Jünger e il Nazionalsocialismo è insomma la stessa differenza che corre tra il pensiero di un’associazione combattentistica e l’ideologia di un partito rivoluzionario, inteso a ribaltare i rapporti di forza tra le classi e tra le nazioni. Ma il milieu culturale, le aspettative ideali, i fini nazionali, appaiono fratelli: tali, comunque, da non giustificare i continui tentativi di sottrarre Jünger al suo mondo, volendolo ridurre ad agnostico e compassato letterato fine a se stesso.

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Tratto da Linea del 29 maggio 2005.


Luca Leonello Rimbotti

Réflexions sur la figure esthétique et littéraire du dandy

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Réflexions sur la figure esthétique et littéraire du “dandy”

 

Intervention de Robert Steuckers au séminaire de “SYNERGON-Deutschland”, Basse-Saxe, 6 mai 2001

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais formuler trois remarques préliminaires:

◊ 1. J’ai hésité à accepter votre invitation à parler de la figure du dandy, car ce type de problématique n’est pas mon sujet de préoccupation privilégié.

 

◊ 2. J’ai finalement accepté parce que j’ai redécouvert un essai aussi magistral que clair d’Otto Mann, paru en Allemagne il y de nombreuses années (i. e. : Dandysmus als konservative Lebensform) (*). Cet essai mériterait d’être à nouveau réédité, avec de bons commentaires.

 

◊ 3. Ma troisième remarque est d’ordre méthodologique et définitionnel. Avant de parler du “dandy”, et de rappeler à ce sujet l’excellent travail d’Otto Mann, il faut énumérer les différentes définitions du “dandy”, qui ont cours, et qui sont contradictoires. Ces définitions sont pour la plupart erronées, ou superficielles et insuffisantes. D’aucuns définissent le dandy comme un “pur phénomène de mode”, comme un personnage élégant, sans plus, soucieux de se vêtir selon les dernières modes vestimentaires. D’autres le définissent comme un personnage superficiel, qui aime la belle vie et pérégrine, oisif, de cabaret en cabaret. Françoise Dolto avait brossé un tableau psychologique du dandy. D’autres encore soulignent, quasi exclusivement, la dimension homosexuelle de certains dandies, tel Oscar Wilde. Plus rarement on assimile le dandy à une sorte d’avatar de Don Juan, qui meuble son ennui en collectionnant les conquêtes féminines. Ces définitions ne sont pas celles d’Otto Mann, que nous faisons nôtres.

 

L’archétype: George Bryan Brummell

 

Notre perspective, à la suite de l’essai d’Otto Mann, est d’attribuer au dandy une dimension culturelle plus profonde que toutes ses superficialités “modieuses”, épicuriennes, hédonistes, homosexuelles ou donjuanesques. Pour Otto Mann, le modèle, l’archétype du dandy, reste George Bryan Brummell, figure du début du 19ième siècle qui demeurait équilibrée. Brummell, contrairement à certains pseudo-dandies ultérieurs, est un homme discret, qui ne cherche pas à se faire remarquer par des excentricités vestimentaires ou comportementales. Brummell évite les couleurs criardes, ne porte pas de bijoux, ne se livre pas à des jeux sociaux de pur artifice. Brummell est distant, sérieux, digne; il n’essaie pas de faire de l’effet, comme le feront, plus tard, des figures aussi différentes qu’Oscar Wilde, que Stefan George ou Henry de Montherlant. Chez lui, les tendances spirituelles dominent. Brummell entretient la société, raconte, narre, manie l’ironie et même la moquerie. Pour parler comme Nietzsche ou Heidegger, nous dirions qu’il se hisse au-dessus de l’«humain, trop humain» ou de la banalité quotidienne (Alltäglichkeit).

 

Brummell, dandy de la première génération, incarne une forme culturelle, une façon d’être, que notre société contemporaine devrait accepter comme valable, voire comme seule valable, mais qu’elle ne génère plus, ou plus suffisamment. Raison pour laquelle le dandy s’oppose à cette société. Les principaux motifs qui sous-tendent son opposition sont les suivants : 1) la société apparaît comme superficielle et marquée de lacunes et d’insuffisances; 2) le dandy, en tant que forme culturelle, qu’incarnation d’une façon d’être, se pose comme supérieur à cette société lacunaire et médiocre; 3) le dandy à la Brummell ne commet aucun acte exagéré, ne commet aucun scandale (par exemple de nature sexuelle), ne commet pas de crime, n’a pas d’engagement politique (contrairement aux dandies de la deuxième génération comme un Lord Byron). Brummell lui-même ne gardera pas cette attitude jusqu’à la fin de ses jours, car il sera criblé de dettes, mourra misérablement à Caen dans un hospice. Il avait, à un certain moment, tourné le dos au fragile équilibre que réclame la posture initiale du dandy, qu’il avait été le premier à incarner.

 

Un idéal de culture, d’équilibre et d’excellence

 

S’il n’y a dans son comportement et sa façon d’être aucune exagération, aucune originalité flamboyante, pourquoi la figure du dandy nous apparaît-elle quand même importante, du moins intéressante? Parce qu’elle incarne un idéal, qui est en quelque sorte, mutatis mutandis, celui de la paiedeia grecque ou de l’humanitas romaine. Chez Evola et chez Jünger, nous avons la nostalgie de la magnanimitas latine, de l’hochmüote des chevaliers germaniques des 12ième et 13ième siècles, avatars romains ou médiévaux d’un modèle proto-historique perse, mis en exergue par Gobineau d’abord, par Henry Corbin ensuite. Le dandy est l’incarnation de cet idéal de culture, d’équilibre et d’excellence dans une période plus triviale de l’histoire, où le bourgeois calculateur et inculte, et l’énergumène militant, de type hébertiste ou jacobin, a pris le pas sur l’aristocrate, le chevalier, le moine et le paysan.

 

A la fin du 18ième siècle, avec la révolution française, ces vertus, issues du plus vieux fond proto-historique de l’humanité européenne, sont complètement remises en question. D’abord par l’idéologie des Lumières et son corrolaire, l’égalitarisme militant, qui veut effacer toutes les traces visibles et invisibles de cet idéal d’excellence. Ensuite, par le Sturm und Drang et le romantisme, qui, par réaction, basculent parfois dans un sentimentalisme incapacitant, parce qu’expression, lui aussi, d’un déséquilibre. Les modèles immémoriaux, parfois estompés et diffus, les attitudes archétypales survivantes disparaissent. C’est en Angleterre qu’on en prend conscience très vite, dès la fin du 17ième, avant même les grands bouleversements de la fin du 18ième : Addison et Steele dans les colonnes du Spectator et du Tatler, constatent qu’il est nécessaire et urgent de conserver et de maintenir un système d’éducation, une culture générale, capables de garantir l’autonomie de l’homme. Une valeur que les médias actuels ne promeuvent pas, preuve discrète que nous avons bel et bien sombré dans un monde orwellien, qui se donne un visage de “bon apôtre démocratique”, inoffensif et “tolérant”, mais traque impitoyablement toutes les espaces et résidus d’autonomie de nos contemporains. Addison et Steele, dans leurs articles successifs, nous ont légué une vision implicite de l’histoire culturelle et intellectuelle de l’Europe.

 

L’idéal de Goethe

 

Le plus haut idéal culturel que l’Europe ait connu est bien entendu celui de la paideia grecque antique. Elle a été réduite à néant par le christianisme primitif, mais, dès le 14ième siècle, on sent, dans toute l’Europe, une volonté de faire renaître les idéaux antiques. Le dandy, et, bien avant son émergence dans le paysage culturel européen, les deux journalistes anglais Steele et Addison, entendent incarner cette nostalgie de la paideia, où l’autonomie de chacun est respectée. Ils tentent en fait de réaliser concrètement dans la société l’objectif de Goethe: inciter leurs contemporains à se forger et se façonner une personnalité, qui sera modérée dans ses besoins, satisfaite de peu, mais surtout capable, par cette ascèse tranquille, d’accéder à l’universel, d’être un modèle pour tous, sans trahir son humus originel (Ausbildung seiner selbst zur universalen und selbstgenugsamen Persönlichkeit). Cet idéal goethéen, partagée  anticipativement par les deux publicistes anglais puis incarné par Brummell, n’est pas passé après les vicissitudes de la révolution française, de la révolution industrielle et des révolutions scientifiques de tous acabits. Sous les coups de cette modernité, irrespectueuse des Anciens, l’Europe se retrouve privée de toute culture substantielle, de toute épine dorsale éthique. On en mesure pleinement les conséquences aujourd’hui, avec la déliquescence de l’enseignement.

 

A partir de 1789, et tout au long du 19ième siècle, le niveau culturel ne cesse de s’effondrer. Le déclin culturel commence au sommet de la pyramide sociale, désormais occupé par la bourgeoisie triomphante qui, contrairement aux classes dominantes des époques antérieures, n’a pas d’assise morale (sittlich) valable pour maintenir un dégré élevé de civilisation; elle n’a pas de fondement religieux, ni de réelle éthique professionnelle, contrairement aux artisans et aux gens de métier, jadis encadrés dans leurs gildes ou corporations (Zünfte). La seule réalisation de cette bourgeoisie est l’accumulation méprisable de numéraire, ce qui nous permet de parler, comme René Guénon, d’un “règne de la quantité”, d’où est bannie toute qualité. Dans les classes défavorisées, au bas de l’échelle sociale, tout élément de culture est éradiqué, tout simplement parce que chez les pseudo-élites, il n’y a déjà plus de modèle culturel; le peuple, aliéné, précarisé, prolétarisé, n’est plus une matrice de valeurs précises, ethniquement déterminées, du moins une matrice capable de générer une contre-culture offensive, qui réduirait rapidement à néant ce que Thomas Carlyle appelait la “cash flow mentality”. En conclusion, nous assistons au déploiement d’une barbarie nantie, à haut niveau économique (eine ökonomisch gehobene Barbarei), mais à niveau culturel nul. On ne peut pas être riche à la mode du bourgeois et, simultanément, raffiné et intelligent. Cette une vérité patente : personne de cultivé n’a envie de se retrouver à table, ou dans un salon, avec des milliardaires de la trempe d’un Bill Gates ou d’un Albert Frère, ni avec un banquier ou un fabricant de moteurs d’automobile ou de frigidaires. Le véritable homme d’esprit, qui se serait égaré dans le voisinage de tels sinistres personnages, devrait sans cesse réprimer des baillements en subissant le vomissement continu de leurs bavardages ineptes, ou, pour ceux qui ont le tempérament plus volcanique, réprimer l’envie d’écraser une assiette bien grasse, ou une tarte à la façon du Gloupier, sur le faciès blet de ces nullités. Le monde serait plus pur —et sûrement plus beau— sans la présence de telles créatures.

 

La mission de l’artiste selon Baudelaire

 

Pour le dandy, il faut réinjecter de l’esthétique dans cette barbarie. En Angleterre, John Ruskin (1819-1899), les Pré-Réphaélites avec Dante Gabriel Rossetti et William Morris, vont s’y employer. Ruskin élaborera des projets architecturaux, destinés à embellir les villes enlaidies par l’industrialisation anarchique de l’époque manchesterienne, qui déboucheront notamment sur la construction de “cités-jardins” (Garden Cities). Les architectes belges et allemands de l’Art Nouveau ou Jugendstil, dont Henry Vandervelde et Victor Horta, prendront le relais. A côté de ces réalisations concrètes  —parce que l’architecture permet plus aisément de passer au concret—  le fossé ne cesse de se creuser entre l’artiste et la société. Le dandy se rapproche de l’artiste. En France, Baudelaire pose, dans ses écrits théoriques, l’artiste comme le nouvel “aristocrate”, dont l’attitude doit être empreinte de froideur distante, dont les sentiments ne doivent jamais s’exciter ni s’irriter outre mesure, dont l’ironie doit être la qualité principale, de même que la capacité à raconter des anecdotes plaisantes. Le dandy artiste prend ses distances par rapport à tous les dadas conventionnels et habituels de la société. Ces positions de Baudelaire se résument dans les paroles d’un personnage d’Ernst Jünger, dans le roman Héliopolis : «Je suis devenu le dandy, qui prend pour important ce qui ne l’est pas, qui se moque de ce qui est important » («Ich wurde zum Dandy, der das Unwichtige wichtig nahm, das Wichtige belächelte»). Le dandy de Baudelaire, à l’instar de Brummell, n’est donc pas un personnage scandaleux et sulfureux à la Oscar Wilde, mais un observateur froid (ou, pour paraphraser Raymond Aron, un “spectateur désengagé”), qui voit le monde comme un simple théâtre, souvent insipide où des personnages sans réelle substance s’agitent et gesticulent. Le dandy baudelérien a quelque peu le goût de la provocation, mais celle-ci reste cantonnée, dans la plupart des cas, à l’ironie.

 

Les exagérations ultérieures, souvent considérées à tort comme expressions du dandysme, ne correspondent pas aux attitudes de Brummell, Baudelaire ou Jünger. Ainsi, un Stefan George, malgré le grand intérêt de son œuvre poétique, pousse l’esthétisme trop loin, à notre avis, pour verser dans ce qu’Otto Mann appelle l’«esthéticisme», caricature  de toute véritable esthétique.Pour Stefan George, c’est un peu la rançon à payer à une époque où la “perte de tout juste milieu” devient la règle (Hans Sedlmayr a explicité clairement dans un livre célèbre sur l’art contemporain, Verlust der Mitte, cette perte du “juste milieu”). Sedlmayr mettait clairement en exergue cette volonté de rechercher le “piquant”. Stefan George le trouvera dans ses mises en scène néo-antiques. Oscar Wilde ne mettra rien d’autre en scène que lui-même, en se proclamant “réformateur esthétique”. L’art, dans sa perspective, n’est plus un espace de contestation destiné à investir totalement, à terme, le réel social, mais devient le seule réalité vraie. La sphère économique, sociale et politique se retrouve dévalorisée; Wilde lui dénie toute substantialité, réalité, concrétude. Si Brummell conservait un goût tout de sobriété, s’il gardait la tête sur les épaules, Oscar Wilde se posait d’emblée comme un demi-dieu, portait des vêtements extravagants, aux couleurs criardes, un peu comme les Incroyables et les Merveilleuses au temps de la révolution française. Provocateur, il a aussi amorcé un processus de mauvaise “féminisation/dévirilisation”, en se promenant dans les rues avec des fleurs à la main. A l’heure des actuelles “gay prides”, on peut le considérer comme un précurseur. Ses poses constituent tout un théâtre, assez éloigné, finalement, de ce sentiment tranquille de supériorité, de dignité virile, de “nil admirari”, du premier Brummell.

 

Auto-satisfaction et sur-dimensionnement du “moi”

 

Pour Otto Mann, cette citation de Wilde est emblématique : « Les dieux m’ont presque tout donné. J’avais du génie, un nom illustre, une position sociale élevée, la gloire, l’éclat, l’audace intellectuelle ; j’ai fait de l’art une philosophie et de la philosophie un art; j’ai appris aux hommes à penser autrement et j’ai donné aux choses d’autres couleurs... Tout ce que j’ai touché s’est drapé dans de nouveaux effets de beauté; à la vérité, je me suis attribué, à juste titre, le faux comme domaine et j’ai démontré que le faux, tout comme le vrai, n’est qu’une simple forme d’existence postulée par l’intellect. J’ai traité l’art comme la vérité suprême, et la vie comme une branche de la poésie et de la littérature. J’ai éveillé la fantaisie en mon siècle, si bien qu’il a créé, autour de moi, des mythes et des légendes. J’ai résumé tous les systèmes philosophiques en un seul épigramme. Et à côté de tout cela, j’avais encore d’autres atouts». L’auto-satisfaction, le sur-dimensionnement du “moi” sont patents, vont jusqu’à la mystification.

 

Ces exagérations iront croissant, même dans l’orbite de cette virilité stoïque, chère à Montherlant. Celui-ci, à son tour, exagère dans les poses qu’il prend, en pratiquant une tauromachie fort ostentatoire ou en se faisant photographier, paré du masque d’un empereur romain. Le risque est de voir des adeptes minables verser dans un “lookisme” tapageur et de mauvais goût, de formaliser à l’extrême ces attitudes ou ces postures du poète ou de l’écrivain. En aucun cas, elles n’apportent une solution au phénomène de la décadence. En matière de dandysme, la seule issue est de revenir calmement à Brummell lui-même, avant qu’il ne sombre dans les déboires financiers. Car ce retour au premier Brummell équivaut, si l’on se souvient des exhortations antérieures d’Addison et Steele, à une forme plus moderne, plus civile et peut-être plus triviale de paideia ou d’humanitas. Mais, trivialité ou non, ces valeurs seraient ainsi maintenues, continueraient à exister et à façonner les esprits. Ce mixte de bon sens et d’esthétique dandy permettrait de dégager un objectif politique pratique : défendre l’école au sens classique du terme, augmenter sa capacité à transmettreles legs de l’antiquité hellénique et romaine, prévoir une pédagogie nouvelle et efficace, qui serait un mixte d’idéalisme à la Schiller, de méthodes traditionnelles et de méthodes inspirées par Pestalozzi.

 

Retour à la religion ou “conscience malheureuse”?

 

La figure du dandy doit donc être replacée dans le contexte du 18ième siècle, où les idéaux et les modèles classiques de l’Europe traditionnelle s’érodent et disparaissent sous les coups d’une modernité équarissante et arasante. Les substances religieuses, chrétiennes ou pré-chrétiennes sous vernis chrétien, se vident et s’épuisent. Les Modernes prennent le pas sur les Anciens. Ce processus conduit forcément à une crise existentielle au sein de l’écoumène civilisationnel européen. Deux pistes s’offrent à ceux qui tentent d’échapper à ce triste destin : 1) Le retour à la  religion, ou à la tradition, piste importante mais qui n’est pas notre propos aujourd’hui, tant elle représente un continent de la pensée, fort vaste, méritant un séminaire complet à elle seule. 2) Cultiver ce que les romantiques appelaient la Weltschmerz, la douleur que suscitait ce monde désenchanté, ce qui revient à camper sur une position critique permanente à l’endroit des manifestations de la modernité, à développer une conscience malheureuse, génératrice d’une culture volontairement en marge, mais où l’esprit politiquepeut puiser des thématiques offensives et contestatrices.

 

Pour le dandy et le romantique, qui oscille entre le retour à la religion et le sentiment de Weltschmerz, cette dernière est surtout ressentie de l’intérieur. C’est dans l’intériorité du poète ou de l’artiste que ce sentiment va mûrir, s’accroître, se développer. Jusqu’au point de devenir dur, de dompter le regard et d’éviter ainsi les langueurs ou les colères suscitées par la conscience malheureuse. En bout de course, le dandy doit devenir un observateur froid et impartial, qui a dominé ses sentiments et ses émotions. Si le sang a bouillonné face aux “horreurs économiques”, il doit rapidement se refroidir, conduire à l’impassibilité, pour pouvoir les affronter efficacement. Le dandy, qui a subi ce processus, atteint ainsi une double impassibilité : rien d’extérieur ne peut plus l’ébranler; mais aucune émotion intérieure non plus. Pierre Drieu La Rochelle ne parviendra jamais à un tel équilibre, ce qui donne une touche très particulière et très séduisante à son œuvre, tout simplement parce qu’elle nous dévoile ce processus, en train de se réaliser, vaille que vaille, avec des ressacs, des enlisements et des avancées. Drieu souffre du monde, s’essaie aux avant-gardes, est séduit par la discipline et les aspects “métalliques” du fascisme “immense et rouge”, en marche à son époque, accepte mentalement la même discipline chez les communistes et les staliniens, mais n’arrive pas vraiment à devenir un “observateur froid et impartial” (Benjamin Constant). L’œuvre de Drieu La Rochelle est justement immortelle parce qu’elle révèle cette tension permanente, cette crainte de retomber dans les ornières d’une émotion inféconde, cette joie de voir des sorties vigoureuses hors des torpeurs modernes, comme le fascisme, ou la gouaille d’un Doriot.

 

Blinder le mental et le caractère

 

En résumé, le processus de deconstruction des idéaux de la paideia antique, et de déliquescence des substantialités religieuses immémoriales, qui s’amorce à la fin du 18ième siècle, équivaut à une crise existentielle généralisée à tous les pays occidentaux. La réponse de l’intelligence à cette crise est double : ou bien elle appelle un retour à la religion ou bien elle suscite, au fond des  âmes, une douleur profondément ancrée, la fameuse Weltschmerz des romantiques. La Weltschmerz se ressent dans l’intériorité profonde de l’homme qui fait face à cette crise, mais c’est aussi dans son intériorité qu’il travaille silencieusement à dépasser cette douleur, à en faire le matériel premier pour forger la réponse et l’alternative à cette épouvantable déperdition de substantialité, surplombée par un économicisme délétère. Il faut donc se blinder le mental et le caractère, face aux affres qu’implique la déperdition de substantialité, sans pour autant inventer de toutes pièces des Ersätze plus ou moins boîteux à la substantialité de jadis. Baudelaire et Wilde pensent, tous deux à leur manière, que l’art va offrir une alternative, plus souple et plus mouvante que les anciennes substantialités, ce qui est quasiment exact sur toute la ligne, mais, dans ce cas, l’art ne doit pas être entendu comme simple esthétisme. Le blindage du mental et du caractère doit servir, in fine, à combattre l’économicisme ambiant, à lutter contre ceux qui l’incarnent, l’acceptent et mettent leurs énergies à son service. Ce blindage doit servir de socle moral et psychologique dur aux idéaux de combat politique et métapolique. Ce blindage doit être la carapace de ce qu’Evola appelait l’«homme différencié», celui qui “chevauche le tigre”, qui erre, imperturbé et imperturbable, “au milieu des ruines”, ou que Jünger désignait sous le vocable d’«anarque». “L’homme différencié qui chevauche le tigre au milieu des ruines” ou “l’anarque” sont posés d’emblée comme des observateurs froids, impartiaux, impassibles. Ces hommes différenciés, blindés, se sont hissés au-dessus de deux catégories d’obstacles : les obstacles extérieurs et les obstacles générés par leur propre intériorité. C’est-à-dire les barrages dressés par les “hommes de moindre valeur”  et les alanguissements de l’âme en détresse.

 

Figures tchandaliennes de la décadence

 

La crise existentielle, qui débute vers le milieu du 18ième siècle, débouche donc sur un nihilisme, très judicieusement défini par Nietzsche comme un “épuisement de la vie”, comme “une dévalorisation des plus hautes valeurs”, qui s’exprime souvent par une agitation frénétique sans capacité de jouir royalement de l’otium, agitation qui accélère le processus d’épuisement. La mise en schémas de l’existence est l’indice patent que nos “sociétés”ne forment plus des “corps”, mais constituent, dit Nietzsche, des “conglomérats de Tchandalas”, chez qui s’accumulent les maladies nerveuses et psychiques, signe que la puissance défensive des fortes natures n’est plus qu’un souvenir. C’est justement cette “puissance défensive” que l’homme “différencié” doit, au bout de sa démarche, de sa quête dans les arcanes des traditions, reconstituer en lui. Nietzsche énumère très clairement les vices du Tchandala, figure emblématique de la décadence européenne, issue de la crise existentielle et du nihilisme: le Tchandala est affecté de pathologies diverses, sur fond d’une augmentation de la criminalité, de célibat  généralisée et de stérilité voulue, d’hystérie, d’affaiblissement constant de la volonté, d’alcoolisme (et de toxicomanies diverses ajouterions-nous), de doute systématique, d’une destruction méthodique et acharnée des résidus de force. Parmi les figures tchandaliennes de cette décadence et de ce nihilisme, Nietzsche compte ceux qu’il appelle les “nomades étatiques” (Staatsnomaden) que sont les fonctionnaires, sans patrie réelle, serviteurs du “monstre froid”, au mental mis en schémas et, subséquemment, générateurs de toujours davantage de schémas, dont l’existence parasitaire engendre, par leur effroyable pesanteur en progression constante, le déclin des familles, dans un environnement fait de diversités contradictoires et émiettées, où l’on trouve

 

-         le “disciplinage” (Züchtung) des caractères pour servir les abstractions du monstre froid,

-         la lubricité généralisée comme forme de nervosité et comme expression d’un besoin insatiable et compensatoire de stimuli et d’excitations,

-         les névroses en tous genres,

-         les fascinations morbides pour les mécanismes et pour les enchaînements, limités, de sèches causalités sans levain,

-         le présentisme politique (Augenblickdienerei) où ne dominent plus, souverainement, ni longue mémoire ni perspectives profondes ni sens naturel et instinctif du bon droit,

-         le sensibilisme pathologique,

-         les doutes inféconds procédant d’un effroi morbide face aux forces impassables qui ont fait et feront encore l’histoire-puissance,

-         une peur d’arraisonner le réel, de saisir les choses tangibles de ce monde.

 

Victor Segalen en Océanie, Ernst Jünger en Afrique

 

Dans ce complexe de froideur, d’immobilisme agité, de frénésies infécondes, de névroses, une première réponse au nihilisme est d’exalter et de concrétiser le principe de l’aventure, où le contestataire quittera le monde bourgeois tissé d’artifices, pour s’en aller vers des espaces vierges, intacts, authentiques, ouverts, mystérieux. Gauguin part pour les îles du Pacifique. Victor Segalen, à sa suite, chante l’Océanie primordiale et la Chine impériale qui se meurt sous les coups de l’occidentalisme. Segalen demeure breton, opère ce qu’il appelait le “retour à l’os ancestral”, dénonce l’envahissement de Tahiti par les “romances américaines”, ces “parasites immondes”, rédige un “Essai sur l’exotisme” et “Une esthétique du divers”. Le rejet des brics et brocs sans passé profond ont valu à Segalen un ostracisme injustifié dans sa patrie : il reste un auteur à redécouvrir, dans la perspective qui est nôtre.

 

Le jeune Jünger, encore adolescent, rêve de l’Afrique, du continent où vivent les éléphants et d’autres animaux fabuleux, où les espaces et les paysages ne sont pas meurtris par l’industrialisation, où la nature et les peuples indigènes ont conservé une formidable virginité, permettant encore tous les possibles. Le jeune Jünger s’engage dans la Légion Etrangère pour concrétiser ce rêve, pour pouvoir débarquer dans ce continent nouveau, perclus de mystères et de vitalité. 1914 lui donnera, à lui et à toute sa génération, l’occasion de sortir d’une existence alanguissante. Dans la même veine, Drieu La Rochelle parlera de l’élan de Charleroi. Et plus tard, Malraux, de “Voie Royale”. A “gauche” (pour autant que cette dichotomie politicienne ait un sens), on parlera plutôt d’ “engagement”, où ce même enthousiasme se retrouvera surtout lors de la Guerre d’Espagne, où Hemingway, Orwell, Koestler, Simone Weil s’engageront dans le camp des Républicains, et Campbell dans le camp des Nationalistes, qui fut aussi, comme on le sait, chanté par Robert Brasillach. L’aventure et l’engagement, dans l’uniforme du soldat ou des milices phalangistes, dans les rangs des brigades internationales ou des partisans, sont perçus comme antidotes à l’hyperformalisme d’une vie civile sans couleurs. “I was tired of civilian life, therefore I joined the IRA”), est-il dit dans un chant nationaliste irlandais, qui, dans son contexte particulier, proclame, avec une musique primesautière, cette grande envolée existentialiste du début du 20ième siècle avec toute la désinvolture, la verdeur, le rythme et la gouaille de la Verte Eirinn.

 

Ivresses? Drogues? Amoralisme?

 

Mais si l’engagement politique ou militaire procure, à ceux que le formalisme d’une vie civile, sans plus aucun relief ni équilibre traditionnel, ennuie, le supplément d’âme recherché, le rejet de tout formalisme peut conduire à d’autres attitudes, moins positives. Le dandy, qui quitte la pose équilibrée de Brummell ou la critique bien ciselée de Baudelaire, va vouloir expérimenter toujours davantage d’excitations, pour le seul plaisir stérile d’en éprouver. La drogue, la toxicomanie, la consommation exagérée d’alcools vont constituer des échappatoires possibles: la figure romanesque créée par Huysmans, Des Esseintes, fuira dans les liqueurs. Thomas De Quincey évoquera les “mangeurs d’opium” (“The Opiumeaters”). Baudelaire lui-même goûtera l’opium et le haschisch. Ce basculement dans les toxicomanies s’explique par la fermeture du monde, après la colonisation de l’Afrique et d’autres espaces jugés vierges; l’aventure réelle, dangereuse, n’y est plus possible. La guerre, expérimentée par Jünger, quasi en même temps que les “drogues et les ivresses”, cesse d’attirer car la figure du guerrier devient un anachronisme quand les guerres se professionnalisent, se mécanisent et se technicisent  à outrance.

 

Autre échappatoire sans aucune positivité : l’amoralisme et l’anti-moralisme. Oscar Wilde fréquentera des bars louches, exhibera de manière très ostentatoire son homosexualité. Son personnage Dorian Gray devient criminel, afin de transgresser toujours davantage ce qui a déjà été transgressé, avec une sorte d’hybris pitoyable. On se souviendra de la fin pénible de Montherlant et on gardera en mémoire l’héritage douteux que véhicule encore aujourd’hui son exécuteur testamentaire, Gabriel Matzneff, dont le style littéraire est certes fort brillant mais dans le sillage duquel de bien tristes scénarios se déroulent, montés en catimini, dans des cercles fermés et d’autant plus pervers et ridicules que la révolution sexuelle des années 60 permet tout de même de goûter sans moralisme étriqué à beaucoup de voluptés gaillardes et goliardes. Ces drogues, transgressions et sexomanies bouffonnes constituent autant d’apories, de culs-de-sac existentiels où aboutissent lamentablement quelques détraqués, en quête d’un “supplément d’âme”, qu’ils veulent “transgresseur”, mais qui, pour l’observateur ironique, n’est rien d’autre que le triste indice d’une vie ratée, d’une absence de grand élan véritable, de frustrations sexuelles dues à des défauts ou des infirmités physiques. Décidément, ne “chevauche pas le  Tirgre” qui veut et on ne voit pas très bien quel “Tigre” il y a à chevaucher dans les salons où le vieux beau Matzneff laisse quelques miettes de ses agapes sexuelles à ses admirateurs un peu torves...

 

Ascèse religieuse

 

L’alternative véritable, face au monde bourgeois, des “petits jobs” et des “petits calculs”, moqués par Hannah Arendt, dans un monde désormais fermé, où aventures et découvertes ne sont plus que répétitions, où la guerre est “high tech” et non plus chevaleresque, réside dans l’ascèse religieuse, dans un certain retour au monachisme de méditation, dans le recours aux traditions (Evola, Guénon, Schuon). Drieu la Rochelle évoque cette piste dans son “Journal”, après ses déceptions politiques, et rend compte de sa lecture de Guénon. Les frères Schuon sont exemplaires à ce titre : Frithjof part à la Légion Etrangère, arpente le Sahara, fait connaissance avec les soufis et les marabouts du désert ou de l’Atlas, adhère à une mystique soufie islamisée, part ensuite dans les réserves de Sioux aux Etats-Unis, laisse une œuvre picturale étonnante et époustouflante. Son frère, nommé le “Père Galle”, arpente les réserve améridiennes d’Amérique du Nord, traduit les évangiles en langue sioux, se retire dans une trappe wallonne, y dresse des jeunes chevaux à la mode indienne, y rencontre Hergé et se lie d’amitié avec lui. Des existences qui prouvent que l’aventure et l’évasion totale hors du monde frelaté de l’occidentisme (Zinoviev) demeure possible et féconde.

 

Car la rébellion est légitime, si elle ne bascule pas dans les apories ou ne débouche pas sur un satanisme de mauvais aloi, comme dans certaines sectes néo-païennes, plus ou moins inspirées par les faits et gestes d’un Alistair Crowley. Ce dérapage s’explique : la rébellion, faute de cause, devient hélas service à Satan, lorsque le mal en soi  —ou ce qui passe pour le “mal en soi”—  est devenu l’excitation existentielle considérée comme la plus osée. Dans un monde désenchanté, comme le nôtre, livré aux plaisirs stupides et passifs fournis par les médias, ce satanisme, avec son cortège sinistre de gesticulations absurdes et infécondes, séduit des esprits faibles, comme ceux qui traînent, par puritanisme mal digéré et mal surmonté, dans les salons où agit Matzneff et “passivent” ses voyeurs d’admirateurs. Ce n’est en tout cas pas l’attitude que souhaitait généraliser Brummell.

 

Robert STEUCKERS,

Forest/Flotzenberg, Vlotho im Weserbergland, mai 2001.

 

Note:

(*) : Otto MANN, “Dandysmus als konservative Lebensform” in: Gerd-Klaus KALTENBRUNNER (Hrsg.), Konservatismus International, Seewald Verlag, Stuttgart, 1973, ISBN 3-51200327-3, pp.156-170.

vendredi, 12 septembre 2008

Hermann Hesse: Le jeu des perles de verre

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Laurent SCHANG :

 

HERMANN HESSE (1877-1962): «Le jeu des perles de verre»

Essai de biographie du Magister Ludi  Joseph Valet accompagné de ses écrits posthumes

 

Mis en chantier à l'avènement du IIIième Reich mais édité dans sa version finale en 1943, Le jeu des perles de verre  est de l'aveu même de Hermann Hesse le chef-d'œuvre de sa carrière d'écrivain.

 

Situé à une époque mal définie, estimée à 2500 ans après J.C., «2000 ans après la fondation de l'Ordre de Saint-Benoît et postérieurement à la mort de Pie XV», dans un monde utopique, la Castalie, province pédagogiaque réservée au seul talent et à l'expression élitiste du savoir, le “jeu des perles de verre”  est la pierre philosophale qui ouvre l'humanité à un nouveau champ de perception. Alignement de perles multicolores sur un boulier rustique, le Jeu consiste en un système élaboré de combinaisons savantes maniées par une caste d'élus, synthèse suprême des arts et des sciences dont les clefs sont autant d'ouvertures à la catharsis et l'intégration dans le “Grand Tout” chanté par Hermann Hesse. Du monde castalien il dira: «Je n'eus pas besoin de l'inventer ni de le construire: sans que je m'en rendisse compte, il était préfiguré en moi depuis longtemps. Et du même coup j'avais trouvé ce que je cherchais: un lieu où respirer librement» (correspondance-lettre à Rudolf Pannwitz, 1955).

 

A travers le personnage central du roman, Joseph Valet, Hermann Hesse invite le lecteur à le suivre dans son initiation de jeune promu aux plus hautes responsabilités de l'Ordre, jusque son accession à la dernière marche: Maître du Jeu des Perles de Verre. Doté des meilleures dispositions, brillant intellectuel, humaniste raisonné, désintéressé et charismatique, Valet, au terme de sa progression dans les échelons castaliens, se détournera pourtant du pouvoir suprême pour ne plus se consacrer qu'à la méditation solitaire en simple précepteur.

 

Le jeu des perles de verre  est l'occasion pour Hermann Hesse de rappeler les principes essentiels de sa conception de la place de l'Homme dans l'univers, qui le rapproche incontestablement des Ernst Jünger et autres Knut Hamsun, à savoir l'inopérance du pur intellect, le primat de l'âme et de l'irrationnel, la critique de toute collectivité et de l'étatisation des sociétés, l'éternel dilemme nature/culture. Sa quête de la réconciliation du piétisme mystique de son enfance et du rationalisme éclairé de l'Aufklärung s'effectuant sous les auspices des textes bouddhiques, de Lao Tse et de Nietzsche.

 

Un “Tolstoï” allemand?

 

Considéré par ses contemporains comme le Tolstoï allemand, précurseur de Kerouac et des écologistes, admiré de Mann, Gide et Rolland, Hermann Hesse, rebelle aristocrate et solitaire retiré dans le Tessin suisse dès avant 1914, a laissé à la postérité une œuvre dense, riche, à l'écriture musicale et au style ciselé où court de pages en pages la critique fondamentale de la société moderne qu'exprime avec le plus d'acuité le renforcement jusque dans les structures sociales les plus privées de la prégnance de l'Etat. De sa méfiance envers une démocratie, «cet Etat inconsistant, vide d'esprit et issu du vide et de l'épuisement qui ont suivi la guerre mondiale»,  dont il ne perçoit la déviance totalitaire  —à l'instar de son compatriote Ernst von Salomon— qu'en tant que son expression la plus aboutie, prendra progressivement forme la Castalie.

 

Mais l'exemplarité du Jeu ne provient pas tant de son alternative que de la profonde sincérité de Hesse, qui dans son scepticisme rigoureux, se défie de son propre idéalisme et conserve à l'égard de sa création une position distante, n'omettant pas, après exposition des qualités de l'institution de Celle-les-Bois, d'en mentionner les tares inhérentes à tout corps administrativement constitué, mécanique bureaucratique parfaitement huilée qui, fonctionnant en roue libre, court le risque fatal de s'enliser dans sa routine scientifique, poussiéreuse et déshumanisante.

 

Moins sombre que George Orwell et Aldous Huxley mais davantage perspicace que Thomas More, Hesse, en orientaliste distingué, ne sépare jamais le yin du yang. Son Jeu des perles de verre  vient ainsi parachever une vie de labeur littéraire où perce une image originale de la société occidentale, pour laquelle ses mots ne sont jamais assez durs: «La “société”, laquelle n'a plus qu'un semblant d'existence depuis que notre humanité s'est ou bien transformée en une masse uniforme et sans visage, ou bien fragmentée en des milliers d'individus isolés que rien ne rattache plus les uns aux autres, .sauf la peur de l'avenir et le regret du passé».

 

“Réfractaire au “tu dois”» selon la formule de Linda Lê, lecteur de Schopenhauer, Dostoïevski mais aussi Spengler, Klages ou encore Keyserling, le chemin vers les étoiles de Hermann Hesse est celui de la quête de toute une vie d'une spiritualité différente, éloignée de tous les dogmes incapacitants, ultime résonance d'un Age d'Or oublié. «...Je n'accorde qu'une place restreinte au temporel dans le compartiment supérieur de mes pensées», «il m'est impossible de vivre sans témoigner de la vénération à quelque chose, sans consacrer ma vie à un dieu», «Je n'ai jamais vécu sans religion et ne pourrais vivre un seul jour sans religion mais je m'en suis tiré pendant toute ma vie sans Eglise» (Mein Glaube).

 

Apoliteia

 

De nature rebelle, sa détestation de la bourgeoise Allemagne wilhelminienne le confirme dans sa soif de solitude et sa conscience d'artiste, si magistralement rendues dans sa nouvelle Le Choucas, extraite du recueil Souvenirs d'un Européen, où l'oiseau n'est autre que son double animalier: «Il vivait seul, n'appartenait à aucune communauté, n'obeissait à aucune coutume, à aucun ordre, à aucune loi (...) Bouffon pour les uns, obscur avertissement pour les autres (...)». Imprégné de l'idée du cycle naturel et cosmique, il se fait prophète, un demi-siecle avant Guénon et Evola, du Kali-Yuga, équivalent indien de l'Apocalypse dont il pressent tous les signes annonciateurs dans la décadence de l'Occident. En 1926, Hesse, répondant à une sollicitation de l'Ostwart-Jahrbuch, leur écrit: «J'estime que notre tâche est de consommer notre ruine et non pas de proposer pour modèles des œuvres et des discours dans lesquels nous tenterions de sauver quelque reste de la culture agonisante (...). Notre devoir est de disparaître dans les profondeurs, de nous en remettre à la nécessité et non pas d'en tirer des commentaires ingénieux. La façon dont Nietzsche, des dizaines d'années avant tous, a suivi le rude et solitaire chemin de l'abîme constitue un véritable exploit».

 

Apoliteia convaincu, opposant au titre d'“écrivain engagé” alors si abondamment représenté de par l'Europe (citons pour l'exemple Mann, Drieu, Malraux, Aragon, Shaw et Brecht) celui d'“auteur dégagé”, c'est dans le Moyen-Age, un Moyen-Age enchanteur et mythologique, et l'Orient, un Orient de lecture et de méditation, que Hesse puise l'essence de son art, et son attitude, toute de hauteur d'esprit et d'humilité, pourrait se résumer par ce livre de Romain Rolland: Au-dessus de la mêlée.

 

Ses ouvrages, du premier, Peter Camenzind,  écrit en 1903, évocation de la communion intime de l'homme et de la nature accueillante une fois libérée du poids de la civilisation, à Siddharta en 1922, où Hesse expose toute sa passion pour l'hindouisme, sont un pas supplémentaire franchi dans l'élaboration progressive de sa foi profonde et intime. Anticipant sur le personnalisme d'Emmanuel Mounier, Hesse, dans une lettre envoyée à un admirateur, précise: «Chacun de vous doit tirer au clair la nature de sa propre personnalité, de ses dons, de ses possibilités et de ses particularités, il doit consacrer sa vie à se perfectionner moralement et à devenir ce qu'il est. Si nous accomplissons cette tâche, nous servons en même temps la cause de l'humanité (...) l'“indiviclualisme”, si souvent décrié, devient le serviteur de la communauté et perd le caractère odieux de l'égoïsme».  Son roman le plus fameux, Le Loup des Steppes  (l927), tirera toute sa substance de cette profession de foi.

 

Sollicité de toutes parts, collaborant a moultes revues littéraires, partageant son temps entre l'écriture et la peinture, c'est dans l'art et la culture que Hesse discernera finalement la dernière, et peut-être la seule trace de Dieu sur Terre, expression la plus pure et parfaite de la part de génie qui réside en tout homme, dès lors que celui-ci est à même de se développer en harmonie avec l'Univers, Alpha et Omega de son maître-roman, Le Jeu des perles de verre.

 

Laurent SCHANG.

 

indices bibliographiques:

- Le Jeu des Perles de Verre, Calmann-Lévy, 1996.

- Lettres (1900-1962), Calmann-Lévy, 1981.

- Souvenirs d'un Européen, Livre de Poche, 1994.

 

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mardi, 02 septembre 2008

A. J. Langbehn: le prophète solitaire de la simplicité

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August Julius Langbehn: le prophète solitaire de la simplicité

Hommage à l'Allemand qui aimait Rembrandt à l'occasion du 90ième anniversaire de sa mort

 

Dans les années 90 du siècle passé, la bourgeoisie cultivée allemande, la Bildungsbürgertum, a été saisie par un malaise culturel, qui s'était lentement insinué dans les esprits à partir de la fondation du IIième Reich et avait atteint son point culminant dans l'atmosphère “fin-de-siècle” vers 1900. Dans cette époque de désorientement culturel où l'on recherchait de nouvelles voies, un nouveau livre est paru avec un titre tout aussi prophétique que mystérieux: Rembrandt als Erzieher - Vom einen Deutschen (= Rembrandt comme éducateur. Par un Allemand). L'auteur restait en effet anonyme. Mais son livre deviendra vite l'un des plus gros succès de librairie du siècle. Edité pour la première fois en 1890, il connaîtra 43 éditions rien que dans les trois années suivantes.

 

L'auteur, August Julius Langbehn, est pratiquement tombé dans l'oubli aujourd'hui. Né en 1851 dans le Nord du Slesvig/Schleswig dans la famille d'un vice-recteur de Gymnasium, Langbehn sombra vite dans la détresse matérielle après la mort prématurée de son père, ce qui ne l'empêcha pas, à terme, de s'inscrire dans les universités de Kiel et de Munich dès 1869, où il termina des études de philologie et de science naturelle. Après un long voyage en Italie, il se tourna finalement vers l'archéologie des premiers âges de la Grèce antique. Il termine ces études en 1880 et rédige un mémoire. Pendant et après ses études, qui ont duré dix ans, Langbehn a vécu une existence nomade, instable et très précaire. Mais jamais il n'a exercé de profession parallèle; pendant longtemps, il n'a vécu que de petites publications ou des dons de quelques mécènes comme le peintre Wilhelm Leibl et Hans Thoma.

 

Le livre Rembrandt als Erzieher  est le reflet de la conception que Langbehn se faisait de la vie. En plein milieu d'un siècle scientifique, perclus de positivisme et de modernité, d'un siècle qui voit émerger partout des mégapoles où croît démesurément l'importance de l'économie et du capital, Langbehn voulait annoncer et préfigurer une ère nouvelle placée sous l'enseigne de cet esprit prémoderne que fut l'idéalisme, un esprit qu'il espérait capable de propulser dans l'avenir le meilleur de la culture allemande. En écrivant ce livre, Langbehn était l'un des premiers en Allemagne à affirmer ouvertement, dans un langage clair, ce qu'une grande partie des bourgeois cultivés allemands ressentait confusément. Langbehn écrivait ainsi avec ses propres mots  —et portés par d'autres intentions—  ce qu'avant lui Nietzsche et Paul de Lagarde avaient exprimé dans leurs critiques de la culture européenne: à l'effondrement du système des valeurs qui avait dominé jusque là, il fallait répondre par un retour conscient aux valeurs spécifiques de son propre peuple. Pour Langbehn, outre le retour aux sources de la paysannerie allemande, il fallait aussi s'adonner totalement à l'art. Un art véritable, pensait-il, ne pouvait émerger et s'amplifier qu'au départ de cette force intacte du paysannat allemand, non encore appauvri dans ses instincts. C'est la raison pour laquelle les attaques critiques de Langbehn contre la culture dominante concernaient en première instance le scientisme. Par haine contre toutes les formes d'intellectualisme, il avait déchiré son propre diplôme de doctorat et l'avait renvoyé chez le doyen de l'université de Munich, afin d'être rayé de la liste des diplômés. A une culture trop savante et trop compilatoire, il opposait la simplicité comme “médicament pour les maux du présent”.

 

Bien que Langbehn se soit considéré comme un aristocrate, il était un défenseur véhément de la “communauté populaire” (Volksgemeinschaft). Très tôt, il souleva la question sociale et voulut dépasser les clivages entre classes. Peu sensible aux contradictions, il réclamait l'avènement d'un Ständestaat  et un retour de l'aristocratie au pouvoir, de façon “à ce que chacun puisse conserver sa dignité à sa place et faire valoir sa personnalité”, et “se soumettre volontairement à ceux qui sont au-dessus de lui”.

 

Le catholicisme d'un éternel enfant

 

A juste titre, on a reproché à Langbehn d'avoir produit un mauvais livre à l'écriture trop pathétique, un livre illisible véhiculant dans ses idées beaucoup trop de contradictions: une “rhapsodie d'irrationalisme” (Fritz Stern). D'autres en revanche le nommaient un “visionnaire”, un “homme à la quête de Dieu” ou un “héraut dans le désert”. C'est un fait: pendant toute sa vie, Langbehn a cherché. Issu d'un foyer au protestantisme strict, il se convertit en 1900 au catholicisme, dans l'espoir d'y trouver l'“holicité originelle perdue”. A ce propos, il a dit: “J'ai toujours été enfant et c'est en tant qu'enfant que je me sens attiré par la nature maternelle de l'église catholique”. C'est justement parce que le nationalisme et l'idée grande-allemande chez Langbehn ont pris ultérieurement des formes plus catholiques et que sa critique de la culture dominante s'en ressentait, que les nationaux-socialistes ont pris leurs distances par rapport à son œuvre. Son ouvrage principal, Rembrandt als Erzieher, a encore connu une édition en 1943  —sans doute parce qu'il avait des connotations antisémites—  mais depuis longtemps déjà la diffusion de ses ouvrages ne recevait plus aucun soutien.

 

Mais c'est essentiellement dans le mouvement de jeunesse que l'influence de Langbehn a duré le plus longtemps sans fléchir. Le fondateur du mouvement Wandervogel, Karl Fischer, le pédagogue et réformateur Ludwig Gurlitt, de même que Hans Blüher, étaient des disciples de Langbehn. Après la mort de Langbehn lors de son voyage à Rosenheim en 1907, il fut, selon ses vœux, enterré dans le village de Puch, près de Fürstenfeldbruck, sous un tilleul qui avait servi de toit à Sainte-Edigna au moyen-âge. Les garçons et les filles du mouvement de jeunesse ont fait de cette tombe un lieu de pélérinage. Ils voulaient honorer le “Rembrandtdeutscher” et se souvenir de lui.

 

Frank LISSON.

(texte paru dans Junge Freiheit, n°18/1997; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

jeudi, 28 août 2008

Brève note sur Heimito von Doderer

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Brève note sur Heimito von Doderer

Né le 5 septembre 1896, sous le nom de Franz Carl Heimito, Chevalier von Doderer, à Hadersdorf-Weidlingau et mort à Vienne le 23 décembre 1966, Heimito von Doderer fut un é­crivain autrichien, fils d'un architecte et entrepreneur de tra­vaux de construction. Il a servi comme aspirant dans un régiment de dragons pendant la première guerre mondiale. Il a été prisonnier pendant quatre ans en Russie [ndt: plus exac­tement, en Sibérie]. En 1920, il revient en Autriche, où il étudie l'histoire à Vienne, notamment sous la férule du Che­valier Heinrich von Srbik [ndt: et obtient son diplôme en 1925]. Sous la forte influence d'Albert Paris Gütersloh, il tente de s'initier au difficile métier d'écrivain. Il a com­men­cé, ainsi, mais sans grand succès, par publier des poèmes, de brèves nouvelles et des romans. En 1933, il adhère à la NSDAP, qui est interdite en Autriche à l'époque, mais la quit­te en 1938. Cette année-là, il accède enfin à une plus vaste notoriété grâce au roman Ein Mord den jeder begeht. En 1940, après sa conversion, il est accepté au sein de l'E­glise catholique. Pendant la seconde guerre mondiale, il sert en tant qu'officier de la force aérienne. Finalement, il acquiert la gloire par la publication de deux grands romans à thématique sociale, Die Strudlhofstiege (1951) et Die Dä­monen (1956).

La prose de Doderer se caractérise par une langue imagée, totalement inédite. Une série de motifs revient sans cesse dans son écriture, dont une critique systématique du pro­grès technique et de la civilisation moderne des grandes mé­tropoles; Doderer rejette aussi tous les linéaments de l'è­re des masses, qui empêchent, dit-il, le déploiement op­ti­mal de l'individualité personnelle. Il écrit, à ce propos: «Ce­lui qui appartient aux "masses", a d'ores et déjà perdu la liberté et peut s'installer où il veut».

Une adhésion à la plénitude complète du réel

[ndt: Le style littéraire de Doderer est largement influencé par Marcel Proust et Robert Musil, dans la mesure où, tout entier, il part, lui aussi, à la "recherche du temps perdu"; chez lui, cette recherche vise à retrouver les innombrables fractions de bonheur de l'Autriche-Hongrie d'avant 1914, en replongeant dans l'histoire sociale des hommes et des familles. Pour Doderer, le chaos de la société moderne ex­prime la crise de l'universalité, raison pour laquelle la tâ­che de l'écrivain doit être d'esquisser une nouvelle univer­salité, qui n'est évidemment pas un universalisme idéolo­gique à côté d'autres universalismes idéologiques, mais une adhésion à la plénitude complète du réel, comme on l'é­prou­vait généralement sans détours dans l'ancien empire da­nubien austro-hongrois. L'homme universel n'est pas un mo­dèle abstrait, taillé sur mesure une fois pour toutes, mais un être qui se manifeste sous des "variations multi­ples". En revanche, plongé dans le carcan étroit d'une "réa­lité seconde", faite de restrictions mutilantes de nature idéo­logique, il perd et son universalité et ses variations pour n'être plus qu'un instrument au service des pires bar­baries politisées de l'histoire. Heimito von Doderer dénonce l'idiotie immanente de toutes les positions doctrinaires, quel­les qu'elles soient. En cela, Doderer est disciple de Hoff­mansthal, qui disait: «L'idiotie, comme l'indique l'éty­mologie de ce mot étranger, n'est rien d'autre que l'auto-li­mitation de l'homme par lui-même». Une telle posture im­pli­que de revaloriser les communautés humaines, avec leurs échelles variables de formes sociales et de classes, contre l'uniformité grise des sociétés totalitaires, plaide si­mul­tanément pour une restauration des qualités humaines contre les affres de la quantité (Musil, Guénon). Uni­ver­sa­lité, variété et qualité impliquent de ce fait de respecter et de conserver le jeu des interpénétrations créatrices entre les éléments contradictoires du réel prolixe pour unir l'esprit conservateur et l'esprit émancipateur dans une quê­te permanente de la "totalité" (Ganzheit) ou, comme on le dit plus justement aujourd'hui en philosophie, l'"holicité" - RS].

Dans les ouvrages de Doderer, nous trouvons donc trois con­cepts centraux, présentés sous des facettes diverses: celui d'"aperception" (Apperzeption), celui de "seconde réalité" (zweite Wirklichkeit) et celui du "devenir-homme" (Mensch­werdung). Celui qui refuse de percevoir la réalité (telle qu'elle est), c'est-à-dire la réalité première, dit Doderer, fait éclore en lui, justement par ce refus de l'aperception, une seconde réalité, sous la forme d'une représentation fi­xiste (fixe Vorstellung) ou d'une idée-corset ou idée-cangue (Zwangsidee), ce qui correspond à une image du donné vi­ciée par l'idéologie. Doderer considère que l'Etat totalitaire constitue une "seconde réalité" de ce type, de même que ces volontés révolutionnaires et fébriles de vouloir tout changer, que le primat accordé névrotiquement à la politi­que, que les complexes d'ordre sexuel, que les névroses et que l'attachement forcené à certains systèmes et ordres.

La vie telle qu'elle est

Une bonne partie des personnages de l'univers romanesque de Doderer sont en lutte contre les formes de "seconde réa­lité". Les dépasser n'est possible que par un processus de "de­venir-homme", soit par le fait que l'homme revient ainsi à sa véritable destination, en s'ouvrant, de manière incon­ditionnelle, à la première réalité, la seule vraie, qui, pour Do­derer, est la vie civile naturelle, sans fard et sans exci­tations artificielles. Dans ce contexte, Doderer se réclame "de la vie telle qu'elle est" et nous enjoint de l'accepter. Il faut dès lors se détourner des fixismes idéologiques —qu'il désigne comme les "hémorroïdes de l'esprit"— des convic­tions et des idéaux qui sont soi-disant sublimes, pour s'a­don­ner à l'aperception pleine et entière du réel. Cette a­per­ception est essentiellement conservante  —ici, Doderer ar­ticule clairement sa position—  car celui qui adopte cette po­sition ne souhaite pas voir modifier ce qu'il aime ré­cep­tionner par "aperception" et se trouve autour de lui. Raison pour laquelle Doderer dit: «L'attitude fondamentale de l'hom­me apercevant est conservatrice».

Dr. Ulrich E. ZELLENBERG.

(extrait de "Lexikon des Konservatismus" - Caspar v. Schrenck-Notzing /Hrsg. - Leopold Stocker Verlag, Graz, 1996 - ISBN 3-7020-0760-1; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

vendredi, 22 août 2008

Brèves réflexions sur l'oeuvre de H. G. Wells

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Werner OLLES:

 

Brèves réflexions sur l’oeuvre de H. G. Wells

 

Incontestablement,  Herbert George Wells est l’un des plus intéressants écrivains du 20ème siècle, à facettes multiples. Son oeuvre complète comprend près de cent volumes et va de la théorie (en biologie, en histoire contemporaine, en philosophie et en politique) à ces romans et récits devenus si célèbres dans le monde entier. Toutes ces créations littéraires sont des exemples de perfection en matière de littérature fantastique et utopique: de véritables classiques de la narration contemporaine. Wells est entré dans l’histoire intellectuelle de notre monde comme le père fondateur de la littérature de science-fiction et comme l’un des plus géniaux écrivains de ce genre.

 

H. G. Wells est né le 21 septembre 1866 dans la petite ville de Bromley dans le Comté de Kent en Angleterre. Son père était jardinier; plus tard, ses économies lui permirent d’ouvrir un petit commerce d’étoffes mais sa carrière de commerçant ne fut guère brillante. Le foyer parental était petit bourgeois, bigot, ce qui limitait les perspectives du jeune Wells. De cette époque de jeunesse date également son antipathie profonde à l’encontre du catholicisme qu’il abhorrait véritablement, l’accusant d’être une pensée pré-bourgeoise. La haine intense qu’il cultivait pour le culte “romain”, accusé d’être contre-révolutionnaire et médiéval, hostile à la modernité, l’amena même à plaider, pendant la seconde guerre mondiale, pour une destruction complète de Rome par les bombardiers alliés. Cette violente position anti-catholique le mettait pourtant en porte-à-faux par rapport à de nombreux intellectuels et écrivains anglais de son époque mais ne le dérangeait pas outre mesure: beaucoup d’écrivains anglicans en effet, comme Graham Greene, Evelyn Waugh, G. K. Chersterton ou Julien Green se convertirent au catholicisme.

 

Déjà dans ses premiers ouvrages, comme “La machine à remonter le temps”, un récit fantastique où un inventeur s’envole vers le futur, il se percevait lui-même en héros. De manière parfaitement prosaïque, il décrit un petit paradis où débarque son “voyageur à travers le temps”; y vivent les “Eloïs”, des créatures affables qui vivent en dehors de tous soucis. Mais bien vite, l’inventeur et voyageur remarque que cette société, en apparence si paisible, est pourtant soumise à la terreur le plus brutale. Les “Eloïs”, en effet, sont rançonnés et exploités par les Morloks, des monstres souterrains qui les massacrent sans pitié.

 

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Dans “L’Ile du Dr. Moreau”, le héros est un scientifique expulsé d’Angleterre qui mène des  expériences dans une île du Pacifique Sud, afin de transformer des animaux en demi-êtres à la suite d’opérations chirurgicales précises. Moreau, vivisectionniste démoniaque, est simultanément un Prométhée et un dieu punisseur. Les parallèles avec le récit de la Genèse sont flagrants: l’homme est toujours menacé de glisser à nouveau vers l’état de la bête et, à l’instar des créatures fabriquées par Moreau, les hommes, eux aussi, sont condamnés à la souffrance.

 

Wells s’était engagé dans la “Fabian Society”, une association de socialistes britanniques mais ce ne fut que pour une courte durée. Ses rêves sociaux-révolutionnaires se sont assez rapidement évanouis et il se tourne alors vers la métaphysique. Dans “La guerre des mondes”, il décrit comment des extra-terrestres réduisent l’Angleterre en cendres. Dans les années 30, Orson Welles fit de ce récit un reportage radiophonique qui semblait si vrai que des dizaines de milliers  d’Américains prirent la fuite, en panique devant cette invasion imminente de Martiens. Dans “Les géants arrivent”, il pose la question: les hommes, comme jadis les dinosaures, sont-ils condamnés à disparaître?

 

A la fin de sa vie, l’évolution de la politique et le développement des technologies firent de lui un pessimiste (voir son essai: “L’esprit est-il au bout de ses possibilités?”). H. G. Wells meurt le 13 août 1946 à l’âge de 79 ans à Londres.

 

Werner OLLES.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°33/2006; trad. franç.: Robert Steuckers).

jeudi, 07 août 2008

Révolution conservatrice et "fondamentalisme esthétique"

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Révolution conservatrice et "fondamentalisme esthétique"

Qu'est-ce que le “fondamentalisme esthétique”? Il convient de répondre d'emblée à cette question, pour comprendre ce que l'on entend par là. Le “fondamentalisme esthétique”, d'après Stefan Breuer, est une attitude d'opposition contre la culture et la technique modernes, c'est une critique pure et dure de la civilisation. En ce sens, il est part intégrante d'une tradition intellectuelle qui n'a pas cessé d'être active depuis le romantisme jusqu'aux critiques contemporaines du “pan-technicisme”. Le “fondamentalisme esthétique” a connu son apogée entre 1890 et 1910. Dans son livre consacré à ce filon de l'histoire intellectuelle allemande, Breuer aborde surtout les auteurs de cette époque.

Au centre de son enquête figurent essentiellement le poète Stefan George et sa revue Blätter für die Kunst. Ensuite, il aborde d'autres personnalités importantes et d'autres cercles de la fin du XIXième et du début du XXième: Hugo von Hofmannsthal, les “Cosmiques”, le philosophe-écologue Ludwig Klages, le “théoricien de la sagesse” Georg Simmel et l'“anti-roi” par rapport à George, Rudolf Borchardt, pour n'en citer que quelques-uns. Breuer analyse la personnalité des “maîtres” et des “disciplnes” et examine les structures de domination qui en découlent, de même que l'impact extérieur de ces groupes.

Au centre de cette enquête, nous trouvons un questionnement sur la signification politique de ces poètes et penseurs. Breuer lui-même souligne qu'il serait faux de voir dans ce “fondamentalisme esthétique” un courant parallèle à la “révolution conservatrice”. Hugo von Hofmannsthal a certes forgé le concept de “révolution conservatrice”, mais il entendait par là un “conservatisme culturel” dirigé contre la civilisation moderne, c'est-à-dire quelque chose “de totalement différent du néo-nationalisme qui opérait sous la même étiquette” et qui “rien que pour mener jusqu'au bout sa politique d'expansion devait exploiter à fond les atouts de la civilisation moderne” (p. 5). Les “esthètes fondamentaux” de ce conservatisme n'ont dès lors pas été en 1914 des adeptes du patriotisme belliciste, car des “esprits pertinents comme George ou Klages ne se sont jamais fait d'illusion: cette guerre allait être menée avec les moyens de la civilisation et même dans le cas d'une victoire improbable de l'Allemagne, la question fondamentale n'aurait pas reçu de réponse décisive: que faire de la civilisation et de ses effets dans notre pays même...?” (p. 212).

 

Nous avons donc affaire à des esthètes conservateurs, dont l'hostilité à la modernité doit éveiller l'attention des écologistes. La vision du monde de Klages représente en effet un fondamentalisme écologique radical et tout-à-fait pur, souligne Breuer: «Pour Klages, les choses étaient claires: les sciences exactes, et l'idée de “progrès” qui en dérivait, dépendaient étroitement d'un ordre économique centré sur l'argent et le capital... Comme en témoignent ses écrits posthumes, c'est dans son œuvre que, longtemps avant que n'existe le cercle de George, Klages s'était intensément préoccupé des relations entre le christianisme, le capitalisme et le rationalisme; c'est également dans cette œuvre de Klages que le désavantage majeur des Allemands, leur “barbarité” (Barbarentum), a été inversé en une positivité” (pp. 196 et ss.).

 

La pire des barbarités n'était pas pour ces esthètes fondamentaux l'“arriération culturelle” mais la sur-exploitation moderne du monde: c'est la raison pour laquelle les cercles tournant autour des personnalités de George et de Klages ont salué l'“instinctuel” et le “tellurique” comme les qualités essentielles des Allemands, tandis que le protestantisme et le prussianisme étaient radicalement dévalorisés au titre d'expressions de la modernité rationaliste. George, en se référant à Max Weber, soulignait qu'il existait un lien étroit entre le protestantisme et le capitalisme: «Partout où la forme protestante du christianisme trouve accès, elle capitalise, industrialise et modernise les peuples» (p. 200).

 

Il m'apparait particulièrement intéressant de suivre la tentative de Breuer de classer ces penseurs et poètes dans le paysage politique de la première moitié du XXième siècle: «Le fondamentalisme esthétique, empiriquement parlant, comme le montre l'exemple de la “république des poètes” de Bavière en 1919, peut parfaitement se manifester sous une forme de “gauche”. Mais nous voyons alors éclore une tension entre les orientations universalistes-éthiques et les orientations esthétiques, où les premières finissent par avoir le dessus, si bien que les formes de gauche sont le plus souvent des formes de transition, tandis que la qualité spécifiquement esthétique et a-éthique postule une attitude particulariste, laquelle, traduite en option politique, révèle une affinité avec la droite politique» (p. 226).

 

Breuer examine de ce fait les intersections possibles entre le fondamentalisme esthétique et les prémisses de droite de la “révolution conservatrice”, du nationalisme et du national-socialisme. Mais dans l'enquête de Breuer manque (ndlr: comme d'habitude serait-on tenté de dire...) la référence aux diverses formes du fédéralisme qui, au début du XXième siècle, n'était nullement un phénomène marginal en Allemagne du Sud. La “version populaire” de l'esthétisme des cercles conservateurs, le “Heimatkunst” (l'art du terroir), cultivait de fortes sympathies pour ce fédéralisme. Ni George ni Hofmannsthal n'ont été actifs dans les mouvements régionalistes, mais ce non-engagement ne constitue pas une preuve, car ils ne se sont pas engagés davantage dans les formations nationalistes.

 

Ensuite, on peut affirmer sans se tromper que leur vision du monde était en opposition très nette avec celle de la “révolution conservatrice”. Quand Ernst Jünger manifestait une ivresse de technophilie et quand Moeller van den Bruck, dans le but de construire une Allemagne puissante, acceptait sans hésitation et sans a priori des phénomènes tels la croissance exponentielle de la population, les mégapoles, l'industrie et le prolétariat, “dans les cercles du fondamentalisme esthétique, ces phénomènes étaient jugés purement et simplement comme les expressions du ‘contre-monde‘” (p. 230).

 

En bref: «L'objectif (de la révolution conservatrice) était de voir éclore une autre modernité ou plutôt une modernité autre» (p. 230). Tandis que les fondamentalistes esthétiques exigeaient la “négation totale de la modernité”, allant jusqu'à postuler, avec Borchardt, “de réduire en poussière les mégapoles allemandes”.

 

Dans cette hostilité de principe contre toutes les manifestations et les phénomènes de la modernité, nous trouvons, clairement exprimée, la différence qui oppose ce fondamentalisme esthétique au national-socialisme, car, écrit Breuer, “le national-socialisme se distingue du fondamentalisme esthétique par le fait qu'il accepte pleinement l'esprit du temps. Le national-socialisme ne procède pas, comme l'ont répété sur le mode du moulin à prière tibétain Thomas Mann et Georges Lukacs, d'une vulgarisation de l'anti-rationalisme ou de l'irrationalisme, mais, bien au contraire, d'une vulgarisation du rationalisme; il ne nie pas fondamentalement la modernité, mais ne la nie que sectoriellement” (p. 237).

 

Ce constat posé par Breuer est très important: il campe clairement les véritables clivages politiques de notre époque contemporaine, où nous avons, d'un côté, des progressistes et des rationalistes de droite et de gauche et, de l'autre, des conservateurs. Raison pour laquelle les “esthètes” peuvent être considérés non pas comme les précurseurs des bruns, mais comme les précurseurs des verts. “Avec le national-socialisme, nous avons un mouvement qui accède au pouvoir, en poursuivant en bien des points celui du XIXième siècle, dont les adeptes voulaient frapper George à mort et faisaient de cette intention l'une de leurs missions les plus urgentes. Ce mouvement comprenait les goûts artistiques petits-bourgeois de Hitler et, plus encore, sa conception positiviste des sciences, son enthousiasme pour la technique moderne et, en tout premier lieu, son obsession pour les idées d'eugénisme et d'hygiène raciale” (p. 233).

 

En même temps, cette critique fondamentale du progressisme chez les “esthètes” les distinguent des pires manifestations que l'on observe dans le camp conservateur, notamment cette propension à croire que la technique, le rationalisme et la politique de puissance ne sont pas mauvais en soi, mais qu'il importe qu'ils tombent dans de bonnes mains (c'est-à-dire dans des mains allemandes).

 

Ce qui rapproche les esthètes des fascistes, pense Breuer, “c'est la grande valorisation de la dimension charismatique” (p. 238). Mais les preuves qu'il avance pour soutenir ce point de vue laissent à désirer et son argumentation est nébuleuse. Elle semble cadrer avec cette douteuse tradition intellectuelle qui fait miroiter à l'horizon une “ligne” au-delà de laquelle se situerait le “malheur”, le “mal”, l'“innommable”. Type de raisonnement que les scientifiques feraient bien d'oublier...

 

La conclusion de Breuer, toutefois, est pertinente: le fondamentalisme esthétique est effectivement le concept qui s'oppose le plus “purement” et le plus radicalement à toutes les tendances progressistes, cherchant à imposer la modernisation (p. 241). Breuer admet qu'à une époque comme la nôtre où la crise écologique est d'une indéniable évidence, où les ressources se raréfient, où le prix à payer pour survivre est de plus en plus élevé, pour maintenir à flot cette foi déraisonnable dans les progrès techniques et autres, l'idée progressiste se grève de lourds paradoxes. Raison pour laquelle, nous devons reconnaître que les œuvres de Klages, George et Hofmannsthal “ont reconnu bien avant le mouvement écologiste les dangers que recelait cette idée” (p. 242).

 

Heinz-Siegfried STRELOW.

 

(article paru dans Ökologie, n°1/1997; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

Stefan BREUER, Ästhetischer Fundamentalismus. Stefan George und der deutsche Antimodernismus, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1995.

 

vendredi, 25 juillet 2008

Tolkien over financierders

Tolkien over financierders

 

“De ware vergelijking is: “democratie” = regering door wereldfinancierders… Het hoofdkenmerk van moderne regeringen is dat wij niet weten wie regeert, zowel de facto als de jure. Wij zien de politicus en niet zijn beschermheer; nog minder de beschermheer van de beschermheer of wat het belangrijkste van allemaal is: de bankier van de beschermheer. Getroond boven allen, op een manier zonder gelijke in heel het verleden, is de versluierde profeet van de financiën. Hij beheerst alle levende mensen door een soort van magie en levert orakels in een taal niet begrepen door de mensen”.

J.R.R. Tolkien,
Candour Magazine, 13 July 1956, p. 12

J. Parvulesco: Dans la Forêt de Fontainebleau

Dans la forêt de Fontainebleau
Sur "Dans la Forêt de Fontainebleau" de Jean Parvulesco
D’origine roumaine, Jean Parvulesco, né en 1929, est un écrivain français, catholique de Tradition. Il fut l’ami de Raymond Abellio, Mircea Eliade, Jacques Bergier, Dominique de Roux, Guy Dupré et de nombreux autres. Il eut des contacts avec Martin Heidegger, Ezra Pound et Julius Evola. Réfléchir et Agir ainsi que Le Libre Journal ont publié de remarquables papiers sur lui dont, dans le premier, Vladimir Poutine et l’Eurasie et, dans le second, le papier de Nicolas Bonnal[1] : Jean Parvulesco : Le Sentier perdu.
           
Dans le n° 26 de la revue Rebellion (septembre-octobre 2007), sous le titre « La troisème guerre mondiale est commencée » que vous trouverez en archives 2007 (octobre) sur le site : http://rebellion.hautetfort.com , vous trouverez la citation suivante de Jean Parvulesco : « En même temps, il ne faut au aucun cas oublier que, mystérieusement, c’est en France et à partir de la France que la partie finale va devoir se jouer, parce que c’est ainsi qu’il en a été décidé ‘depuis les ultimes hauteurs des cieux’. Ce sera donc dans les soubassements inconscients d’une certaine France profonde, dissimulée, que réside la décisions salvatrice, et peu importe alors l’état d’abominable dégénérescence spirituelle et politico-historique de la France, parce que des puissances d’un autre ordre vont avoir à y mener la ‘bataille finale’. Il est donc urgent que les nôtres – quelque soit leur nombre – se rassemblent déjà, et ce tiennent prêts à se saisir de la grande vague montante ».
           
C’est cette phrase que Jean Parvulesco développe en 430 pages dans cet onzième grand roman métaphysique La forêt de Fontainebleau, l’escatologie se rencontre de chapitre en chapitre. Le style est à mi chemin entre celui de Raymond Abellio et de Maurice G.Dantec : curieux, désorientant, occulte, empli de ce que Jean Pauwels nommait des coincidences troublantes.
           
J’avoue que les cent premières pages m’ont été difficiles à lire et je comprends que certains lecteurs en restent là. Ils ont tort. La suite devient, peu à peu, d’abord captivante, ensuite passionnante.
           
Ce que n’avait pas vu Francis Parker Yockey[2], et que souligne Parvulesco, c’est que l’Imperium grand continental (auquel j’aspire tout comme Jean Parvulesco) dépendra toujours de la situation suprahistorique de la France. Il faut que la France retrouve le fil de « sa propre histoire profonde » crimellement interrompue par la décapitation de Louis XVI et de Marie-Antoinette.
           
Le roman imagine Marie-Antoinette et Louis XVII rescuscités en notre temps et cachés dans la forêt de Fontainebeau jusqu’à ce que « le jour vienne ». Or le jour est venu. Il n’était pas dans les vues de l’auteur de nous conter de quelle manière la Renaissance de l’Impérium se passera mais de nous conter les fort nombreuses traces qui permettent, souterrainement, d’y accéder. Et, pour cela, bravo l’artiste !
           
« … je ne parle pas de certeins rêves prophétiques, dont on doit comprendre qu’ils ne sont pas des rêves mais de visions commandées depuis l’au-delà, qui n’ont que l’apparence du rêve, dont ils ne font qu’emprunter les voies, à des fins autres, entièrement différentes ».
           
« Là, je ferai un rapprochement. Avec un fragment d’un roman qui n’a pas été publié, et qui risque de ne jamais l’être, Les Chats Bottés de Nicolas Bonnal, fragment qui fait état de l’apprentissage spirituel de Bérénice par Frantz l’initiant au langage des oiseaux, au mystérieux carmina galli, ‘langue angélique ou des états supérieurs de l’être’. »
« Le secret de tout n’est-il pas là ? À travers les noires broussailles, il y a un sentier oublié y menant. »
           
« … mais encore faudrait-il avoir au moins pressenti, si ce n’est déjà su comprendre en profondeur, quel est l’ultime mystère arthurien[3] du roman, de la ‘romance occidentale’ ; tâche gigantesque, suprahumaine, dévastatrice ; qu’l s’agit de poursuivre sur les confins glaciaires de la ligne de partage d’être et du non-être. »
«  (Je tiens de ‘Laurence de Saint-Germain’ que, pareille à un tumulus de la steppe cachant les restes d’un prince scythe anonyme, la ‘colline’ en pleine terre s’élevant au milieu de la belle cour intérieure de la ‘mason d’édition’ hantant mes rêves, garde secrètement de la jeune maîtresse française d’un général allemand violéee et assassinée, cher elle, par la ‘résistance’, l’été de 1943 ; celle-ci, fille des anciens propriétaires de l’immeuble, se serait appelée Marie-Christine, et l’on dit une messe en sa mémoire, à l’église Saint Thomas d’Aquin, toute proche, chaque 26 juillet[4], jour anniversaire de son supplice et de sa mort ; quand, parfois, se laissant surprendre à dessein, elle ‘apparaît’) »
           
« La littérature en action, arme occulte de la Parousie[5] »
           
« Cependant, aujourd’hui, ce 26 juillet, la canicule semblait avoir quelque peu cédé. J’y pressens un signe menteur, le pire est sans doute encore à venir. Dans toute ma vie, ce qui m’est arrivé d’extraordinaire, c’est à chaque fois en juillet que cela s’était passé. Sans aucune exception, toujours en juillet. »
           
C’est  ainsi qu’en 2007, ma maman est morte le 19 juillet, a été enterrée le 22 juillet (et je tiens ici à remercier mes amis Jacqueline De Beukelaer, Michel Cuykens et que le 26 juillet, jour de mon
           
« … je l’avais chérie comme une Yvonne de Galais[6] ‘glissant près des étangs’, comme l’ombre d’une jeune princesse du haut moyen-âge réincarnée clandestinement en ce temps de dépravation sans bornes, de misère et de honte abjectissimes ».
           
« Par rapport au non-être, lêtre sera toujours en situation de ‘camp retranché’. Ce n’est qu’en se reournant sur lui-même, séparé de tout ce qu’il n’est pas, que lêtre peut faire face à l’encerclement du non-être. Car l’être se trouve en permanece encerclé par le non-être[7] ».
           
Après, comme je l’ai dit, avoir dépassé les cent premières pages, « … je commençais à pouvoir mieux déchiffrer les arrangements occultes qui s’étaient mis en marche aurour de moi à partir de l’instant où je m’étais trouvé brusquement happé dans la ‘voie sans retour’ de l’allégeance à la centrale conspirative inconnue qui, depuis ‘l’autre monde’, menait si étroitement le jeu dans lequel je me voyais à présent engagé : tout à fait malgré moi, au départ ; mais, depuis,m’étant de plus en plus laissé prendre. » Exactement comme moi.
            « Des ‘portes induites’[8] il y en a, certainement, d’autres au monde ; mais pas autant qu’on pourrait le croire, et même bien moins, la plupart s’étant refermées avec l’obscurcissement accéléré des temps actuels ; et quand il n’y en aura plus aucune, c’est que la fin sera imminente, et sans doute déjà là. »
           
« L’amiral avait raison, avec l’apparition de ‘Régine’ et de Louis au ‘Manoir des Roses’, apparition imprévue, et soudaine s’il en fut, notre combat entrait vraiment dans sa « phase finale’. Ce qui impliquait que, désormais, il nous faudra de plus en plus agir, ou faire agir à visage découvert, accepter toutes les conditions de l’action politique directe, action d’encadrement idéologico-organisationnel et de sur-activation permanente des groupes disposés – que nous allions prédisposer nous-mêmes – à s’engager à nos côtés, totalement. Car à nouveau la dialectique tragique destinée à ramener les masses sous l’influence irrésistible des minorités agissantes viendra à battre son plein, sans trêve ni aucune échappatoire. Aucune. »
           
« Mais une reine de France est faite pour être adorée, et celle-ci plus que n’importe quelle autre. Il faut aussi, pour que l’on puisse mieux comprendre les choses, que l’âge qui paraissait être celui de ‘Régine’ n’était pas du tout celui qu’elle avait la veille de la date fatale du 16 octobre 1793, mais celui de ses 25 ou 28 ans. »
Dans ce roman, qui est, en réalité, plus un Journal qu’un Roman, Jean Parvulesco nous promène de lieu en lieu, de Suisse, en Vaucluse, en Berry, à Paris, en Vendée, en Italie. Il nous parle de plusieurs personnages, il est, en réalité un fabuleux metteur en scène, connaissant à merveille l’art du play back. Jugez-en :
           
Coire[9], « ville chère, très chère à mon cœur, avit été la première ville impériale qui avait reçu et salué Frédéric II Hohenstaufen, ses étendards et ses oriflammes, avec une ardeur annonçant les sommets lumineux, enflammés du bref Regnum Sacrum qui allait venir, et qui restera dans l’immémoire abyssale des nôtres comme la dernière grande saison d’ensoleillement cosmique de l’histoire occidentale du monde (…) Oui, je souviens de la ville de Coire, de la secrète ville de Coire, comme si j’y étais encore, où pour la première fois j’avais respiré l’air vivifiant et bûlant, le très limpide air d’une ‘zone libérée’. L’air de la ‘Citadelle de l’Ardente Foi’. »
           
« … je l’ai traversée, moi aussi, ma ‘Saison aux Enfers’, je les ai connus, les Enfers, et j’ai vu que ce n’était quand même pas grand-chose ; la Foi sera toujours plus forte que tous les Enfers ; il suffit d’avoir la vraie Foi, ou que la Foi vous ait vraiment… ».
La Foi chrétienne et le rêve d’un Impérium sont les points forts de ce livre.
           
« Pour nous autres, l’Impérium Ultimum devra être constitué, dans sa première phase historique, par l’intégration impériale finale de l’Europe de l’Ouest, de l’Europe de l’Est, de la Russie, du Tibet, de l’Inde e du Japon. Impérium Ultimum axé également – il n’y a pas ‘dEmpire Final’ sans une nouvelle ‘Religion Finale’ – sur la réintégration des deux grandes religions européennes, le catholicisme et l’orthodoxie, le protestantisme ne comptant pas, en une seule ‘Religion Impériale Finale’, à laquelle viendront s’adjoindre – dans le cadre de ‘l’Empire Eurasiatique de la Fin’ – d’une manière ou d’une autre, le ‘grand shintoïsme japonais et le ‘grand hindouisme’ indien de la fin. »
Jean Parvulesco n’hésite pas à faire figurer le pape Jean-Paul II dans son Journal :
           
« D’une voix toute basse, et lente, mais sans aucune interruption, le Saint-Père en vint ensuite à dresser, devant nous, la vision du ministère occulte, du ministère eschatologique final de la France, d’une certine ‘France Secrète’, ministère concernat les destinées de l’ensemble de la civilisation chrétienne européenne, Russie y comprise, à part entière. (…) afin que l’Europe puisse revenir à son identité totale retrouvée – à la fois antérieure et ultime, ‘finale’ – à sa double identité ontologique, sacrée et impériale.»
           
« Et j’ai retenu aussi, entre bien d’autres, une fort saisissante confidence du cardinal A.T. sur Jean-Paul II, lequel, miraculeusement échappé à la mort lors de l’attentat contre sa personne de la Place Saint-Pierre, le 13 mai 1981, et croyant intraitablement à une intervention, ce jour-là, en sa faveur, de Notre-Dame de Fatima, aurait proposé aussitôt à la Vierge un ‘pacte de survivance commandé’, pour qu’Il soit ‘maintenu en vie’ jusqu’à ce qu’Il finisse par vraiment pouvoir ‘accomplir sa mission’ ; ‘jusqu’au bout’. Mais de quelle mission s’agissait-il ? Peut-être celle de la réintégration finale du catholocisme et de l’orthodoxie dans une seule ‘religion impériale’, faisant suite à une future œuvre de ‘nouvelle évangélisation’ du contient européen dans son ensemble, œuvre poursuivie, en profondeur, et qu’il faudra totalement achever, tant en Europe de l’Ouest qu’en Europe de l’Est. »
           
« Et tout cela pour qu’il finisse par me confier en continuité que Jean-Paul II ne déserpérait pas de nourrir, au fond de Lu-Même l’ardent désir – toujours, pour le moment, profondément caché – d’arriver, un jour, à pouvoir procéder, personnellement, à la canonisation finale de Louis XVI et de la famille martyre de celui-ci. La mystérieuse ‘réapparition’ de ‘Marie’ et de son fils ‘Louis’ ayant, cependant, suspendu le processus de cette canonisation secrètement en cours d’émergence à la lumière du jour ».
           
« Et il y avait même bien plus encore : à ce qu’il semblerait, le Saint-Père commençait à se laisser convaincre par deux de ses ‘conseillers secrets’ -- un espagnol et un ukrainien – de l’éventualité à envisager, un jour, de la canonisation de Corneliu Codreanu, le chef de la Légion de l’Archange Michel. »
De Rome, nous passons, sans transition, dans le Cher :
           
« Jusqu’à ce que nous rencontrâmes, devant nous, soudain le cours de la Louque, et que je ne sais pas comment nous escaladâmes, ensuite – mais comment avions-nous pu passer la Louque – la haute pente abrupte remontant vers le village de Lignière. »
« Ne jamais croire aux apparences, au grand jamais. Toutes les apparences, même les plus apparentes, sont fausses ; toujours. »
« … dans les ténèbres cosmologiques immenses d’un monde réduit actuellement à la totale mainmise subversive, sur lui, du non-être, une ‘toute petite flamme’ persiste donc néanmoins à luire, qui est celle du feu sacré de l’être qu’entretiennent encore les derniers groupements engagés à perpétuer clandestinement le souffle vivant de ce qui n’est déjà plus… or, c’est bien de cette perpétuation disqualifiée, à peine symbolique, de ces restes sacrés, de ce qui n’est déjà plus, ou déjà presque plus, que devront surgir les avancées abyssales du futur renouvellement cosmologique, s’affirmer le mystèreagissant d’un prochain retour de l’être, et de ce futur surgissement de l’être c’est à nous autres qu’il appartient d’assurer, de mener et de conduire en avant la marche révolutionnaire de son avènement souterrain… et cela en reconstruisant, dans l’invisible,une ‘nouvelle centrale de l’être’, une ‘forteresse ontologique occulte’ devant fournir le ‘lieu-même’ du futur achèvement de celui-ci, le ‘lieu même’ de sa propre émergence, d’où tout recommancera (…) il nous faudra donc faire œuvre de surhommes… or je pense que, secrètement, nous sommes déjà des surhommes à l’œuvre…(…) in nous revient à nous autres d’instituer, révolutionnairement, le Règne à venir, le Regnum Sanctum.»
           
« Et si, quelque part, le double domaine du visible et de l’invisible n’en faisait qu’un? »
Comme l’écrit si justement Frederick van Eeden : Le soleil accepte bien de passer par de petites fenêtres.  Et Jean Parvulesco d’affirmer : « À la fin, ce qui commande tout, c’est l’héraldique. »
           
« Pour des raisons que j’ignore, Manuel de Richter semblerait s’intéresser beaucoup aux Bourbons-Parme. Il est par contre animé, et à juste titre, je crois, d’une véritable haine à l’égard des Orléans. »
           
« Si le supérieur commande à l’inférieur, par le retour sur nous-mêmes et le ‘changement de régime’ que ce retour implique, nous fournirons, Marie et moi, au combat actuel des nôtres pour la promotion impériale finale du ‘Grand Continent’ eurasiatque, ses dimensions trnzdcendantales suprêmes,’polaires. (…) Car c’est l’actuelle ‘conspiration cosmique’ (…) qui décidera du prochain renversement de ce monde et de l’avènement du Regnum Sanctum, de son établissement imépérial révolutionnaire (…) Désormais, tout est renversement, même si celui-ci n’apparît pas encore en pleine lumière du jour. »
           
« …je me demandais (…) ce qu’il fallait penser (…) de la récente escapade à l’hôtel Le Coq de Bruyère, chez Julie Landrève, au village de Lignières, sur la frontière secrète du Vieux Pays[10] (…) à l’intérieur même du Vieux Pays, de l’autre monde. »
           
« Une certaine littérature agit par en dessous sur les développements de la ‘grande histoire’ dans sa marche en avant, détient un pouvoir propre d’irradiation transcendantale qui intervient à part entière dans les plus secrets combats de l’être contre les conspirations du non-être. »
Me vient ici en mémoire cette citation de Cicéron : L’histoire est le témoin des temps, la lumière de la vérité, la vie de la mémoire, l’institutrice de la vie, la messagère de l’antiquité.
           
« À l’heure présente, le Vaucluse se trouve travaillé par en dessous par des forces tout à fait considérables, encore inconnues – non identifiables encore, mais, qui, bientôt, le seront pleinement – dont le tumulte à couvert annonce des redoutables orages, des rensversements à la fois inattendus et suprêmement décisifs. »
           
Je me permets, ici, une citation de Guy Rommand, 10 octobre 2007 dans : www.lesmanantsduroi.com
 « … la Bléone qui rejoint à Digue le cours moins trouble de la Durance »
Revenons à Jean Parvulesco et à ses mots sur le Vaucluse où je troovais il y a deux mois à peine.
           
« Mais je n’y ai pas coupé, je me suis quand même mis à étudier le dossier en cours de constitution du ‘nouveau pouvoir du Vaucluse’ (…) {qui} s’appuierait fondamentalement sur une action révolutionnaire métapolitique occulte, action déjà en cours dans la région (…) ‘conspiration des Bories’, du nom du village ‘archaïque’, ‘paléolitique’ des Bories, situé à quatre kilomètres de Gordes[11]. (…) Ce ‘nouveau pouvoir du Vaucluse’ contrôle donc la totalité du Midi de la France, l’ensemble de sa côte méditerranéenne ; un contrôle pour le moment encore souterrain, et qui entend le rester ; mais jusqu’à une certaine date seulement, que l’on ignore, nous autres. »
           
« L’apparition, pour le moment encore spectrale, de ce que nous appelons à présent le ‘nouvel ordre du Vaucluse’ serait ainsi un signe avant-coureur de la prochaine émergence historique -- et de toutes les façons suprahistorique aussi – de notre propre Imperium Ultimum, du Regnum Sacrum de la nouvelle Grande Europe impériale continentale, ‘eurasiatique’. »
           
«  (…) au ‘nouveau pouvoir du Vaucluse’ devant répondre, en temps dû, l’établissement analogued’un ‘nouveau pouvoir en Alsace’, ou en Vendée, ou dans le ‘Grand Paris et la région parisienne. »
           
« C’est dans le Vaucluse que, aujourd’hui, se forgent secrètement les prochaines destinées millénaires de la plus Grande Europe continentale, eurasiatique (…) alors qu’ (…) à Avignon, une association fort active, ‘Les étudiants du Vaucluse pour le Tibet Libre’[12]  (…) ce qui se passe dans le Vaucluse est une forme tout à fait nouvelle de la dialectique essentiellement révolutionnaire des ‘minorités agissantes’. (…) Et tout cela comme si de rien n’ééétait ; dans le Vaucluse, l’invisible intervient directement. Cela par une relation particulière entre les cieux et les humains. »
           
« La voûte étoilée au-dessus du Vaucluse a certainement quelque chose de particulier, des arrangements chiffrés, des figures théurgiquement actives ayant un ministère secret, aux répondants cosmiques inouïs. Toute rencontre faite dans le Vaucluse, n’est-elle pas réputée définitive ? Et cela depuis des temps immémoriaux ? »
           
« Et j’ai aussi l’impression que tôt ou tard, il faudra que l’on se résigne à envisager l’intégration des deux zones de problèmes qui nous mobilisent tous actuellement : celle de nos survivants royaux, ‘Marie-Antoinette’ et son fils ‘Mgr[13] Louis’, et celle du ‘nouveau pouvoir du Vaucluse’ ».
« Dionysos serait-il en train de renaître dans le Vaucluse ? »
           
« … dans le Vaucluse le Groupement d’Action et de Recherche Géopolitiques Avancées, organisation contre-stratégique supranationale engagée à promouvoir l’intégration impériale révolutionnaire de la plus Grande Europe continentale, ‘eurasiatique’, suivant la doctrine g éopolitique d’avant-garde de l’axe ParisBerlin-Moscou- New Delhi – Tokio ». Mon ami Robert Steuckers appréciera.
           
Puis, Jean Parvulesco étend son réseau à la France entière :
           
« Or, dans l’état actuel de la situation politique de la France, Jean d’Altavilla savait pouvoir compter sur environ treize instances opérationnelles actives, ou plut^to activées, qu’il s’avouait en état de tout de suite intégrer au Projet l’Archipel : compter, donc, sur le ‘Manoir des Roses’, tout comme sur le ‘nouveau pouvoir du Vaucluse[14]’, et la ‘Vendée souterraine’ ; sur les organisations national-révolutionnaires en place en Bretagne et en Alsace ; sur la ‘forteresse’ du Coq de Bruyère, le village de Lgnières ainsi que, à travers celui-ci, sur le ‘Vieux Pays’[15], sur le point, peut-être, d’émerger à l’histoire visible ; sur la centrale de Rennes-le-Château, qui n’est pas celle que l’on pense : sur la nébuleuse du ‘groupe’ de l’Étoile Vénisienne dirigée par Armando Weill ; sur des ‘groupes’ secrètement organisés de paras, de nageurs de combat, des ‘forces spéciales’ ; et, enfin, dur des fractions activistes secrètes avancées de la police, RG et DST ; sur d’importants élémentys de la gendarmerie, dont un nombre considérable[16] de cadres supérieurs. La France, à l’heure actuelle, se trouve en fait, dans un état de révolution immédiat et avancé, tout en l’ignorant complètement : c’est ainsi que ces choses-là se passent, toujours.De chacune de ces instances déjà en action, mais en action, pour le moment, séparément, chacune plus ou moins pour son propre compte, Jean d’Altavilla allait donc s’efforcer, dans un premier temps, de dégager des dirigeants spécifiques de la trempe d’un Richard Kitaeff, d’un Hubert de Salm, d’un Armando Weill et, une fois ceux-ci identifiés sur place, les intégrer dans un ‘conseil unitaire de commandement’ devant constituer l’ infrastructure opérationnelle spéciale du projet l’Archipel. Avant de passer réellement à l’action, le ‘Manoir des Roses’ entedait établir un réseau souterrain d’influences et de contacts lui garantissant le contrôle à couvert de l’ensemble de l’espace sur lequel il allait avoir à exercer son pouvoir révolutionnaire nouveau, avant que le projet l’Archipel ne soit à même de pouvoir prendre les choses en main pour son propre compte. Avant la tombée définitive des marsques et sachant que l’espace sur lequel le ‘Manoir des Roses’ comptait exercer complètement son pouvoir était celui de la France. Pour commencer, parce que le but final concernait l’espace géopolitique[17] propre de la plus Grande Europe à l’ordre de la ligne impériale Paris-Berlin-Moscou[18]-New Delhy[19]-Tokyo. Pour la plus grand Europe, il fallait enclencher le travail à faire par la mise en œuvre du processus d’intégration politique otale de la France et de l’Allemagne, qui ne devront plus constituer qu’un seul État, en attendant aussi, que celui-ci vienne se trouver intégré dans la plus Grande Europe continentale impériale, ‘eurasiatique. »
Le samedi 1er décembre 2007, au Château Coloma, Alain Soral, Eddy Hermie, Pierre Vial, Hervé Van Lathem, Alian Escada, Robert Steuckers et Kris Romans ont, les uns et les autres, différemment, parlé dans ce sens à l’invitation de Georges Hupin. Au solstice d’hiver, le vendredi 21 décembre 2007 au Cercle des Renards, Pierre-Émile Blairon ajoutait sa pierre à cet édifice. Le samedi 22 décembre 2007 au pied du Mont des Cats, Robert Steuckers en évoquant l’histoire et l’actualité de l’Iran évoquait Alexandre le Grand et son Emprie.
           
« Les Richter croyaient que seul le rétablissement ontologique, révolutionnaire et nuptial, d’un ‘centre polaire absolu’ – d’un nouveau ‘centre polaire absolu’ – du monde et de l’histoire permettrait que l’on retrouvât le souffle, la lumière vive et le règne reconnu pour ce qu’il est à travers ce qu’il n’est pas. »e originel de lêtre, ce qui ferait alors que le sens de l’histoire en sera renversé, et le monde changé dans son entier, définitivement. Alors que Jean d’Altavilla, lui, pense, au contraire, qu’il fallait commencer par renverser révolutionnairement le sens de l’histoire, changer la face du monde et jusqu’aux états mêmes de la condition humaine ; et qu’ensuite seulment pourrait se poser effectivement le problème du retour à l’être. Autrement dit, les Richter entendaient agir nuptialement sur l’Esprit pour changer l’histoire, et Jean d’Altavilla changer l’histoire pour aboutir au retour de l’Esprit, pour qu’un accès nous soit à nouveau donné vers le Règle de l’esprit, vers le Regnum Sanctum. Quant à moi {Jean Parvulesco}, je suis persuadé que pour arriver au Sanctum, il faut que le ‘Manoir des Roses’ ait simultanément recours aux deux positions antagonistes : utiliser l’Esprit pour changer l’histoire, et changer l’histoire pour retrouver l’Esqprit. »
           
« Quel est le ‘signe de feu’ selon lequel on doit pouvoir reconnaître la véritable identité du ‘prince providentiel’, de son émergence de l’au-delà ? C’est que, lors de son apparition – lors de sa présentation – tout le monde doit se rendre, comme par miracle à l’évidence incontournable de son ‘identité providentielle’. Il sera donc ‘celui que l’on attendait’, parce qu’il apparaîtra d’emblée et tout à fait indéniablement, comme ‘celui que l’on attendait’, et que personne ne pourra en aucun cas douter de cela. Et ce sera, alors, précisément le cas de celui qui apparaîtra comme le ‘prince de la Forêt de Fontainebeau’, et qui sera, en réalité, Mgr Louis, gardant en lui, occultement, l’identité providentielle du ‘sauveur attendu’ et qui, comme tel, sera reconnu pour ce qu’il est à travers ce qu’il n’est pas. »
Ici, une citation de Bernard Werber : Nous ne sommes que des grains de sable mais nous sommes ensemble. Nous sommes comme les grains de sable sur la plage mais sans les grains de sable la plage n’existerait pas.
           
« Une chose m’apparaît, et d’affirme comme absolument certaine : il n’y a pas, il ne se peut en aucun casqu’il y ait un ‘Nouvel Empire’ total –l’Imperium Novissimum – sans une ‘Nouvelle Religion’ impériale, émanation et fondation active de celui-ci. »
           
« … épousailles (…) se trouvant ainsi orientées non pas vers un certain passé révolu, mais, au contraire, vers un certain avenir non encorte advenu ; mais qu’il faut quand même tenir, désormais, pour imminent. C’est ce j’appelle, moi, le ‘décalage en avant du Vaucluse ». »
           
« Louis voit en lady Laura l’incarnation providentielle du Regnum, le soleil rayonnant de la conclusion eschatologique de ‘histoire, de ‘l’histoire à sa fin’ … il faut que vous sachiez reconnaître en Louis le ‘concept absolu’ de la révolution impériale grand-européenne, l’homme du Regnum Christi… il est un héros mystique, la réincarnation – en quelque sorte – d’un chevalier du haut Moyen-Âge, un homme secrètement transmuté, e qui le mystère transcendantal, ‘divin’, de sa race est parvenu à définitivement s’accomplir… il a été fait par la Divine Providence pour être ce qu’il est… pour vos ‘grands desseins conspirationnels suprahistoriques’, vous ne pouvez pas trouver mieux, et là tout est dit… »
Alphonse II, n’a-t-il pas déclaré  le 18 avril 1986 : Je n'ai pas choisi d'être l'aîné, mais je dois conserver allumée une flamme qui vient du fond des âges, c'est-à-dire du baptême de Clovis, du couronnement de Charlemagne et de l'élection d'Hugues Capet, il y a pour ainsi dire mille ans. C'est une flamme qui a éclairé le monde et qui pourrait rendre bien des services à nos contemporains.
Et Parvulesco de préciser sa pensée :
            « Et comment aurais-je pu ne pas me laisser convaincre par un être qui, en réalité, est une ‘Étoile’ ? Je le sais, une étoile limpide et scintillante, logée au cœur même du firmament qui se tient au dessus de nous (je dévoile là un grand secret).[20] »
           
« Ils ne savent pas ce qui les attend les détenteurs en place de l’actuel pouvoir politico-historique de ce monde, les ‘puissants du jour’. Mais nous autres, déjà, nous le savons. Parce que c’est bien à nous autres qu’il revient d’agir à présent, d’assumer opérativement l’immense tournant politico-historique, culturel et spirituel, religieux qu’il faut déjà tenir pour imminent, et qui représente le renversement révolutionnaire total de l’actuelle conjoncture planétaire finale. Le monde rt son histoire en cours devront changer jusqu’à ce que leur contraire suraffirmé vienne à s’installer inconditionnellement à la place de ce qu’ils avaient été jusqu’à présent, l’héritahe de la soi-disant Révolution Française définitivement anéanti. Attention donc : pour nous autres, l’heure de l’action est venue, l’heure de l’action révolutionnaire ‘ultime et totale’. Désormais, pour nous autres, c’est une question de jours, voire même une question d’heures. »
           
« … je peux même me charger personnellement à organiser votre visite dans le Vaucluse, et je peux également vous dévoiler que l’on m’a effectivemment demandé de le faire… et par la même occasion, je vous livre aussi l’information -- à mon avis extraordinairement significative – selon laquelle l’actuel Père Abbé de Sénanque est le demi-frère cadet du ‘Tono’, du ‘Seigneur’ de la grande confrérie initiatique ultra-secrète japonaise de la ‘Cime Polaire Resplandissante’, la Hokkayoko no mabushii ch_oj_o … et que bien c’est l’actuel ‘Tono’ de la Hokkayoko no mabushii ch_oj_o (…) qui l’a instruit dans les doctrines opératives de la confrérie, et lui a fait confier les pouvoirs occultes considérables qui s’y attachent… vous voyez donc comme tout se tient… »
           
« … celui-ci est sur le point d’établir l’emprise révolutionnaire souterraine sur l’ensemble du Vaucluse. »
           
« Dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler le ‘Vieux Pays’, Hubert de Salm vient de réussir non seulement à établir d’une manière inconditionnelle son propre dispositif d’emprise souterraine politico-historique sur place, tant dans le ‘Vieux Pays’ lui-même qu’outre Louque, dans le village libre et les bois de Lignières, mais aussi à obtenir la reconnaissance implicite de cette situation de fait de la part de certaines puissances politiques européennes. »
           
« En même temps, en Vendée – en ‘Vendée Libre’[21] – les choses prennent de plus en plus une allure ouvertement ‘insurrectionnelle’. Le 21 janvier 2005, (…) huit cents personnes ont manifesté, à midi, sous un vaste déploiement de drapeaux blancs à l’effigie du Sacré Cœur Rouge (…) manifestation placée sous le signe du retour en force de la vendée – de la Vendée Secrète – à la monarchie catholique et traditionnelle, intégrée dans la plus Grande Europe engagée autour de l’axe géopolitique Paris-Berlin-Moscou. « 
           
« Tout est en place, tout est prêt, tout se tient : il ne manquera donc plus que seule l’apparition du ‘prince providentiel’ pour que la super-déferante révolutionnaire finale des nôttres l’emporte. Définitivement.(…)  Finalement, l’heure est là, le piège se referme, le piège cosmique tendu par les nôtres. Le ‘prince providentiel’ se trouve déjà dans la Forêt de Fontinebleau. Tout comme l’Étoile du Nord dans la Grande Ourse. »
           
« Quand l’heure viendra, le ‘prince providentiel’ se déclarera comme tel, ouvertement, et de par cela même il sera immédiatement reconnu, par tout le monde, pour ce qu’il est, et la déferlante révolutionnaire des places-fortes constituant l’Archipel contre-stratégique européen grand-continental souterrainement mis en place par nous autres l’emportera sur tout, balayant tout devant elle, et l’Empire Européen de la Fin se trouvera ainsi installé, dans la grande histoire ainsi que dans dans l’histoire d’au-delà de l’histoire. Ensuite ‘d’autres temps viendront’. »
           
« Mais il se fit aussi que, à force de le regarder, moi aussi, de mon côté, attiré avec force par son visage, il commença à m’apparaître de plus en plus comme si je le connaissais déjà, comme s’il eût pu m’être en quelque sorte familier, je ne sais pas d’où ; ni comment ; pour qu’à un certain moment d’un seul coup, j’ai su voir qu’il ‘avait la tête de César‘ ; que lui-même, c’était César ; que c’était bien une apparition de Khaesar qui se tenait là devant moi ; c’était donc ça le secret de sa personnalité, du trouble provoqué par sa présence, par son extraordinaire prédestination pressentie ; par ses pouvoirs magnétiques voilés, par son aura si insoutenablement intense. Difficilement croyable que tout cela. Nous attendions secrètement un César, et maintenant il était là, à table, devant nous. C’est ainsi que j’avais compris que les temps étaient venus. »
J’avoue que je suis impressionné : César, Arthur, les grands parmi les grands, et maintenant Louis (celui de Sire de Jean Raspail ou celui de Jean Parvulesco, peu importe). Quel bonheur !
Ivan de Duve, 30 décembre 2007
Jean Parvulesco
Dans la forêt de Fontainebeau
Alexipharmaque
ISBN : 978-2-9525875-6-3
EAN : 9782952587563

De Nicolas Bonnal, lire, entre autres, Le voyageur éveillé, Les Belles Lettres, 2002 (ISBN 978-2251442235)
Francis Parker Yockey Le prophète de l’Imperium Éditions Avatar, ISBN 0-9544652-3-7
Sur le grand roi Arthur, voir notamment :
Jean Mabire
Thulé
Robert Laffont
Réédition : Pardès
Jean Mabire
Godefroy de Harcourt
Les éditions du Lore
Jeanne Bourin
Le grand feu
La Table Ronde
Anne Dudant
Le Cycle d’Harold, Chevalier de la Table Ronde et Guerrier Impie
Édition Nox, Vielsam, Belgique
Gillian Bradshaw
La légende arthurienne
Nestiveqnen

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vendredi, 18 juillet 2008

Saint-Exupéry: donner un sens à l'homme

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Klaus HORNUNG :

 

Antoine de Saint-Exupéry: donner un sens à l’homme

Où est donc passé le temps, désormais lointain, où les ouvrages de Saint-Exupéry remplissaient les vitrines des libraires et que leurs tirages atteignaient les centaines de milliers d’exemplaires, notamment la trilogie des romans d’aviation: “Courrier Sud”, “Vol de nuit”, “Terre des hommes” ; et aussi “Pilote de guerre”. “Le Petit Prince”, édité en français en 1946 et seulement en 1952 en allemand, avec son tirage de plus de quatre millions d’exemplaires, trouve encore des lecteurs aujourd’hui, surtout dans les maisons où souffle encore l’esprit de la “Bildungsbürgertum”, de la bourgeoisie lettrée et cultivée, et chez les adolescents. “ La Citadelle ” (1948) paraît en Allemagne en 1951 et est demeuré une lecture incontournable pour ceux qui aiment la réflexion et pour les conservateurs éthiques parmi nos contemporains. La figure centrale de cette oeuvre, le Grand Caïd (*), le Prince des sables sahariens, a reçu quelques fois le sobriquet de “Zarathoustra du désert”.

Saint-Ex’, comme l’appelaient ses amis, appartenait à la génération dite de l’  « éveil spirituel » qu’ont connu nos voisins français après la Grande Guerre. Cette génération comptait notamment Jacques Maritain, Georges Bernanos, François Mauriac, Gabriel Marcel, André Malraux et Emmanuel Mounier. Ce fut un courant intellectuel fort fertile, interrompu seulement par le nihilisme sans consistance du mouvement de mai 68. Aujourd’hui, deux générations après Saint-Exupéry, né le 29 juin 1900, le caractère indépassable de son œuvre et de sa pensée réémerge à la conscience de quelques-uns de nos contemporains.

Marqué par les bouleversements de son époque, Saint-Exupéry appartient à la grande tradition de l’humanisme occidental, à cette chaîne qui part de Platon pour aboutir à Pascal et à Kierkegaard, en passant par Saint Augustin ; il est, lui aussi, un de ces grands chercheurs de Dieu en Occident, même si l’on peut considérer que sa pensée ne débouche jamais sur les certitudes et la tranquillité des églises traditionnelles. Sa biographie indique la juxtaposition de deux attitudes divergentes: d’une part, il y a l’homme extraverti, qui est pilote ou reporter, qui relate ses impressions du Moscou de Staline ou de la guerre civile espagnole dans les années 30, et, d’autre part, il y a l’homme introverti, proche de la mélancolie, qui produit des méditations et des maximes à la façon des grands moralistes de son pays.

Sans poésie, sans couleur, sans amour et sans foi

Au moment où éclate la seconde guerre mondiale en septembre 1939, le pilote de l’aéropostale, déjà mondialement connu, qui amenait le courrier en Afrique occidentale et en Amérique du Sud, est mobilisé dans la force aérienne française. Son unité, après l’armistice, est repliée sur Alger. Pendant l’automne de l’année 1940, il revient en métropole. Il visite Paris occupé en compagnie de Pierre Drieu la Rochelle , pour se faire une idée de la situation nouvelle.

En décembre 1940, il se rend en bateau à New York, où il écrit « Pilote de Guerre », qui deviendra bien vite un best-seller aux Etats-Unis et en France, du moins jusqu’à son interdiction par les autorités d’occupation. Le départ de Saint-Exupéry pour les Etats-Unis fut sans conteste une décision patriotique contre l’occupation allemande et, plus encore, contre le totalitarisme national-socialiste.

En mai 1943, Saint-Exupéry se remet à voler, d’abord dans une escadrille américaine, équipée de Lightning et basée en Afrique du Nord, puis dans une escadrille de la « France Libre », basée en Sardaigne puis en Corse. Âgé de 44 ans, le 31 juillet 1944, il ne revient pas de son dernier vol de reconnaissance.

A Alger, il écrit, fin 1942, sa fameuse « Lettre aux Français », qui montre bien qu’il ne se considérait pas comme un simple « partisan » du gaullisme. A ce moment-là du conflit, alors que Vichy est déjà politiquement mort, il en appelle à la réconciliation des deux Frances, celle du Général de Gaulle et celle du Maréchal Pétain. Il ne s’agit pas de se poser en juge de la situation, écrivait-il, mais de dépasser les clivages politiques et intellectuels de la nation, ceux posés par les royalistes et les conservateurs, par tous les autres jusqu’aux socialistes et aux communistes,  par tous les partis et cénacles cherchant à obtenir des postes politiques après la guerre. L’ennemi commun, pour Saint-Exupéry, s’incarnait dans les deux systèmes totalitaires : le marxisme, qui entendait rabaisser l’homme au statut de producteur et de consommateur et voyait dans la distribution du produit social le problème politique central ; et le nazisme « qui enferme hermétiquement les non-conformistes dans un camp de concentration », qui considère les masses comme un « troupeau de bétail à sa disposition », qui élimine le grand art par la diffusion de « chromos de couleurs » et ruine la culture humaine.

Dans sa « Lettre à un général », paru en juillet 1943 à Tunis, Saint-Exupéry affiche une fois de plus son indépendance d’esprit, lorsqu’il dit déceler du « totalitarisme » également dans la coalition anti-hitlérienne et le dénonce ouvertement : dans le monde industriel occidental, l’humanité « des robots et des termites » se répand, oscillant entre la chaîne de production et le jeu de skat ou de cartes aux moments de loisir.

Saint-Exupéry avait en horreur cette tendance de l’homme à la « vie grégaire », à cette existence vouée à l’éphémère, se réduisant à se préoccuper de « frigidaires, de bilans et de mots croisés », « sans poésie, sans couleurs, sans amour et sans foi » : c’est en effet un monde de décadence qui soumet, via la radio, les robots « propagandifiés » de l’ère moderne. Par des remarques d’une très grande pertinence, Saint-Exupéry critiquait le système capitaliste, pour la façon dont il s’était développé au 19ième siècle, générant ouvertement le « doute spirituel ». Ses critiques s’adressent également au système des « valeurs cartésiennes » qui induit une seule forme de raison rationaliste, étroite et unilatérale, se développant au détriment de toute véritable vie spirituelle. Celle-ci ne commence que « si l’on reconnaît un être unique par-dessus la matière et par le truchement de l’amour et que l’on prend, pour cette être, une responsabilité ».

Deux ans avant la fin de la guerre, le penseur et moraliste Saint-Exupéry, dans son uniforme de pilote, se demandait pourquoi l’on combattait, finalement, et quelles allures prendrait l’avenir. Il se demandait si, après la guerre, tout tournerait autour de la « question de l’estomac », autour de l’aide alimentaire américaine comme en 1918-19. Le vieux continent connaîtra-t-il, sous la pression du communisme soviétique avançant vers l’Europe centrale, une crise de cent ans sous le signe d’une « épilepsie révolutionnaire » ? Ou bien une myriade de néo-marxismes se combattront-ils les uns les autres, comme il l’avait vu pendant la guerre civile espagnole ? Cette Europe retrouvera-t-elle un « courant puissant de renouveau spirituel » ou bien « trente-six sectes émergeront-elles comme des champignons pour se scinder immédiatement », ? Saint-Exupéry dénonçait ainsi anticipativement ce monde dépourvu d’orientation que le Pape Benoit XVI, aujourd’hui, désigne sous le terme de « dictature du relativisme ».

Des communautés dans les oasis et près des sources

La quintessence de sa pensée, Saint-Exupéry nous la livre dans son ouvrage posthume, «  La Citadelle  ». Il avait vécu très concrètement le désert, lors de ses longs vols et de ses nombreux atterrissages forcés, comme un espace de dangers imprévisibles ou comme un lieu d’où vient le salut. Il avait connu sa dimension menaçante tout comme les points d’ancrage que sont ses oasis avec leur culture humaine. Le désert, dans cette œuvre littéraire et philosophique, devient l’équivalent de la vie de l’individu et de la communauté des hommes, pour les défis lancés à l’homme par un monde ennemi de la Vie , un monde où il faut se maintenir grâce à des vertus comme la bravoure et le sens de la responsabilité, à l’instar du soldat dans le fort isolé en plein dans ce désert, où, en ultime instance, il s’agit de construire des villes et des communautés viables, dans les oasis et près des sources.

Un scepticisme conservateur contre le monde moderne des masses

«  La Citadelle  » équivaut, sur le plan méditatif, à l’existence de l’homme en communauté et au  sein d’un Etat. A la tête de cette « Citadelle » se trouve le Caïd, avatar du philosophe-roi de Platon, qui mène le combat éternel contre le relâchement et le déclin, qui appelle à ce combat, qui l’organise. Il a besoin de la communauté de beaucoup. Saint-Exupéry le décrit, ce Grand Caïd, non comme un dictateur mais comme un Prince empreint de sagesse, comme un père rigoureux, moins César qu’Octave/Auguste. A la vérité, Antoine de Saint-Exupéry est proche du scepticisme des conservateurs face au monde moderne des masses et de leurs formes démocratiques dégénérescentes. Ces formes nous conduisent assez facilement au danger qui nous guette, celui de l’entropie et de l’anarchie. Les masses verront alors un sauveur en la personne du prochain dictateur, exactement selon le schéma cyclique de l’histoire et de la vie politique que nous avait révélé Platon ; la prétendue « libération » de l’individu débouche rapidement sur le déclin et l’effondrement de la culture et de l’homme. La direction politique ne peut donc se limiter à viser des objectifs matériels ou à gérer des processus prosaïques : elle doit essentiellement travailler à consolider la culture et la religion.

Le mot d’ordre récurrent de Saint-Exupéry dans ses méditations, réflexions et maximes est le suivant : « Donner un sens à l’homme », un objectif qui le hisse au-dessus de son « moi », afin qu’il puisse résister aux éternels dangers de l’appauvrissement intérieur, du relâchement et de l’abandon de tous liens (Arnold Gehlen disait : l’ Abschnallen »), tant au niveau de l’individu qu’à celui de la communauté.

Klaus HORNUNG.

(article paru dans « Junge Freiheit », Berlin, n°27/2008 ; trad. Franç. : Robert Steuckers).

(*) Dans la version originale française, Antoine de Saint-Exupéry évoque non pas un « Grand Caïd », mais « le Chef ». La version allemande d’après-guerre ne retient évidemment pas ce terme de « Chef », trop connoté, et préfère le terme berbère « Kaid » alors qu’il aurait peut-être fallu dire le «Kadi », comme Abd-El-Krim fut honoré de ce titre. Nous avons préféré reprendre le terme « Caïd », car, aujourd’hui, parler comme Saint-Exupéry risquerait d’être mal interprété par les tenants de la « rectitude politique », comme on dit au Québec, et nous risquerions de récolter, une fois de plus, force noms d’oiseau et de quolibets.

A relire :

 

Jean-Claude IBERT, « Saint-Exupéry », coll. « Classiques du XXe siècle », Editions Universitaires, Paris, 1960.

 

samedi, 28 juin 2008

L'hallucination du monde d'après Antonin Artaud

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L'hallucination du monde d'après Antonin Artaud

 

Si notre fin de siècle est si avide de commémorations d'évé­nements de toutes natures, c'est bien la preuve que, gavée de progrès technologique, incapable de la moindre inno­va­tion politique et sociale, la société moderne s'enfonce dans un marasme irrémédiable qu'elle aura beau jeu de travestir en une improbable incarnation de la Fin de l'histoire. Pour­tant, c'est presque en vain que l'on cherchera parmi ces in­nombrables remémorations un éventuel hommage rendu à l'oc­casion du centième anniversaire de la naissance ou du cinquantenaire de la mort d'Antonin Artaud (1896-1948). Mais il faut croire que l'œuvre atypique et inclassable du poè­te-acteur-dramaturge ne peut faire les frais de cette in­sidieuse tendance largement répandue dans le marigot gou­vernemental qui consiste à ne regarder le monde qu'au tra­vers des œillères manichéennes à bipolarité droite/gauche, al­pha et oméga de toute pensée moderne; preuve s'il en é­tait que nous avons depuis longtemps atteint les grandes pro­fondeurs abyssales de l'inculture et de la démagogie po­li­ticienne. Cette impossibilité du recyclage de l'œuvre du «crucifié de la modernité » (cf. Xavier Rihoit, in Le Choc, n°11) tient pour beaucoup dans le fait qu'il est un des rares au­teurs à véritablement répondre à la volonté nietzschéen­ne de «briser les fenêtres et sauter au dehors» des in­sti­tutions de la société «où le long suicide de tous s'appelle la vie».

 

Antonin Artaud, né à Marseille en 1896 était de cette gé­né­ration conçue pour le grand sacrifice de la première guerre, période charnière entre un 19ème siècle qui s'était clos sur le constat de «la mort de Dieu » et un 20ème siècle, né dans la violence et le sang d'une civilisation européenne à l'agonie. Mais s'il fut rapidement démobilisé pour raisons médicales (les premiers troubles nerveux, issus d'une mé­nin­gite contractée à l'âge de cinq ans ou d'une syphilis hé­ré­ditaire, coïncident avec le début de la guerre), il n'é­chappa pas pour autant, par le biais de la maladie, au lot de souffrances physiques et morales dévolu à ceux de sa clas­se d'âge, à ceci près que, dans son cas, le combat dura toute sa vie, avec pour seule trêve le refuge dans l'opium.

 

Des simulacres sans force que l'Europe prend pour des pensées…

 

De son état de maladie permanente, de l'irrépressible dé­ca­dence de son corps naît une extrême sensibilité aux ma­nifestations de la Puissance vitale de l'esprit exprimée par la culture ainsi qu'une révolte radicale contre ses cari­ca­tu­res car «jamais, quand c'est la vie elle-même qui s'en va, on n'a autant parlé de civilisation et de culture. Et il y a un étrange parallélisme entre cet effondrement généralisé de la vie qui est à la base de la démoralisation actuelle et le souci d'une culture qui n'a jamais coïncidé avec la vie, et qui est faite pour régenter la vie». C'est tout le simulacre de la fausse culture européenne qui est en cause et qu'il faut reformer, conformément aux aspirations profondes d'une volonté de retour aux sources de la vie: «Une tête d'Européen d'aujourd'hui est une cave où bougent des simu­lacres sans forces que l'Europe prend pour ses pensées».

 

Pour retrouver sa nature profonde, pour se sentir vivre dans ses pensées, la vie repousse l'esprit d'analyse où l'Eu­ro­pe s'est égarée. Comme cette tâche incombera à une jeunesse plus idéale que réelle, il écrit aux recteurs des académies de l'Education Nationale, vrais faux prophètes de la nouvelle idole jadis dénoncée par Nietzsche: «Assez de jeu de langue, d'artifice, de syntaxe, de jongleries, de for­mules, il y a à trouver maintenant la grande Loi du cœur, la Loi qui ne soit pas une loi, une prison mais un gui­de pour l'Esprit perdu dans son propre labyrinthe. A travers le crible de vos diplômes, passe une jeunesse efflanquée, perdue. Vous êtes la plaie d'un monde, Messieurs, et c'est tant mieux pour ce monde mais qu'il se pense un peu moins la tête de l'humanité». Dans les filigranes de la pensée d'Ar­taud, c'est bien sûr encore Nietzsche que l'on retrouve dans son rejet de la piètre érudition des pharisiens de la pensée. Car la réalité du monde est que «toute vraie culture s'ap­puie sur la race et sur le sang. Le sang [...] garde un an­ti­que secret de race, et avant que la race se perde, je pense qu'il faut lui demander la force de cet antique secret».

 

Le “Théâtre de la Cruauté”

 

C'est par le théâtre qu'Artaud expérimentera sa vision d'une culture vraie. Il est engagé dans la troupe de Charles Dul­lin, avant de fonder avec Roger Vitrac et Robert Aron le Théâ­tre Alfred Jarry en 1927. Dans le même temps, il mè­ne­ra une carrière cinématographique qui lui fera privilégier les rôles d'illuminés fanatiques comme celui de Marat dans Napoléon et de Savonarole dans Lucrèce Borgia d'Abel Gan­ce et surtout celui du moine Frère Massieu dans La passion de Jeanne d'Arc de Carl Theodor Dreyer. Mais le théâtre est encore l'occasion pour un Artaud influencé par le théâtre oriental et le théâtre antique, de redéfinir et de perfec­tion­ner un art véritable, débarrassé de tout esthétisme gra­tuit, du psychologisme creux de la réalité quotidienne, de la suprématie de la parole pour redevenir la pure mani­festation de la vie elle-même dans sa dimension la plus sa­crée, où la parole, les cris, les sons sont recherchés d'abord pour leur qualité vibratoire et retrouvent le pouvoir de l'in­cantation, où les personnages ne sont plus considérés com­me des hommes mais comme «des êtres qui sont chacun comme des grandes forces qui s'incarnent». Ce théâtre sera baptisé “Théâtre de la Cruauté”, la cruauté signifiant, ici, «rigueur, application et décision implacable, détermination irréversible, absolue».

 

Une révolution personnelle

 

En des temps historiquement troublés, la référence révolu­tion­naire devient obligatoire pour tous ceux qui penchent du côté de la vie intense mais elle prendra tout son sens dans la volonté vitale d'Artaud. Un temps rallié au premier mouvement surréaliste et à ses tentatives spiritualistes, il opposera rapidement sa révolution personnelle, conçue com­me un véritable retour sur soi-même au ralliement des André Breton et Louis Aragon au bolchevisme et à la révo­lution matérialiste qu'il accusera plus tard de donner nais­san­ce à une idolâtrie de nature  religieuse «parce qu'elle in­tro­duit une mystique de l'esprit». Mais la liberté incon­di­tion­nelle d'Artaud ne s'embarrasse d'aucun préjugé idéolo­gique et c'est dans le même état d'esprit qu'il rejettera avec le matérialisme, la république, la démocratie, le so­cia­lisme, le communisme, le marxisme, etc. ... et toutes les formules creuses gravées au fronton des palais institu­tionnels mais sans pour autant s'exclure du monde car: «Il y a une manière d'entrer dans le temps, sans se vendre aux puissances du temps, sans prostituer ses forces d'action aux mots d'ordre de propagande... Il y a des idoles d'abêtis­se­ment qui servent au jargon de propagande. La propagande est la prostitution de l'action, et [...] les intellectuels qui font de la littérature de propagande sont des cadavres perdus pour la force de leur propre action ».

 

A la recherche de sa propre révolution, Artaud, qui con­nais­sait déjà l'œuvre du métaphysicien «traditionaliste» René Guénon va se plonger de plus en plus dans l'étude des textes sacrés des cultures orientales et aryennes et s'em­bar­quera pour le Mexique, à la recherche d'une civilisation authentique, constatant à la suite d'Oswald Spengler, l'irré­mé­diable décadence de l'Occident. Cet aspect de la déca­den­ce, il l'avait déjà mis en scène par la figure historique de l'empereur d'une Rome déliquescente, Héliogabale, dans ses débordements chaotiques de prostitution du Rite et de sa­cralisation de l'obscène. Mais il n'y a «rien de gratuit dans la magnificence d'Héliogabale, ni dans cette merveilleuse ar­deur au désordre qui n'est que l'apparition d'une idée mé­taphysique et supérieure de l'ordre, c'est à dire de l'unité».

 

L'anarchiste couronné

 

A Jean Paulhan, son éditeur qui s'inquiétait de la véracité historique des faits décrits par Artaud, il répondit «vrai ou non, le personnage d'Héliogabale vit, je crois, jusque dans ses profondeurs, que ce soient celles d'Héliogabale person­nage historique ou celles d'un personnage qui est moi». C'est donc Artaud qui est le véritable «anarchiste couron­né», contempteur de la décadence et de l'unité perdue du monde et qui vient annoncer sa définition de l'anarchiste: «C'est celui qui aime tellement l'ordre qu'il n'en accepte pas de parodie».

 

Automythographie

 

En fait, si le théâtre doit être pour Artaud la repré­sen­tation de la réalité, la réalité est également un théâtre où Artaud va toute sa vie durant s'efforcer de mettre en scène Artaud, ce qui lui vaudra d'être qualifié d'homme-théâtre par Jean-Louis Barrault. La totalité de son œuvre est d'es­sen­ce autobiographique —Camille Dumoulié dans son essai intitulé simplement Antonin Artaud parle d'automytho­gra­phie—  et est ainsi résumée par l'auteur: «Entre le réel et moi, il y a moi, et ma déformation personnelle des fantô­mes de la réalité».

 

Antonin Artaud, littéralement possédé par son état de fu­reur permanente est celui qui aura poussé au plus haut point la logique de la subjectivité, liberté d'esprit totale garante d'une vision du monde entièrement débarrassée des conformismes, conventions et idéologies qui réduisent l'homme à être un simple rouage de l'Etat, pour retrouver l'Intuition de sa Puissance vitale. Maître de son propre mon­de et dieu de sa propre foi, cette âme écorchée vive plutôt que simplement désincarnée payera pourtant le prix fort de sa quête par neuf années d'internement en maison psy­chiatrique. En 1948, deux années après sa libération —mais en ces temps on libérait les Antonin Artaud des asi­les d'aliénés seulement pour y enfermer les Ezra Pound et les Knut Hamsun—  il allait s'éteindre, juste après une ulti­me vocifération contre l'homme civilisé, justement symbo­lisé par l'Amérique qui a cru vaincre la nature mais s'est en­tièrement soumis et enchaîné à la technologie. Ce qui reste aujourd'hui de «l'étendard calciné de la jeunesse » (selon Bre­ton) est l'essentiel; ainsi pour Roger Blin, un des com­pa­gnons de ses derniers instants «je ne connais Artaud que par sa trajectoire en moi, qui n'aura pas de fin » et pour le bio­graphe Dumoulié «le legs d'Artaud n'est ni un savoir, ni une méthode, mais une puissance de contagion qui voue le corps et l'esprit au travail d'une perpétuelle genèse».

 

Frédéric SCHRAMME.

 

Bibliographie :

 

Antonin Artaud :

◊ Le théâtre et son double, folio, essais, n°14.

◊ Messages révolutionnaires, folio, essais, n°20.

◊ Pour en finir avec le jugement de Dieu, document sonore.

◊ Œuvres complètes, Gallimard.

◊ Camille Dumoulié: Antonin Artaud, coll. “Les contem­po­rains”, Seuil.

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jeudi, 26 juin 2008

Entretien avec Jean Dutourd

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Entretien avec Jean Dutourd,

Membre de l'Académie française

 

Membre de l'Académie française, Officier de la Légion d'hon­neur, Commandeur de l'ordre national du mérite, Officier des Arts et Lettres, Jean Dutourd est redouté pour ses propos anticonformistes, et, généralement, ad­miré pour sa liberté de ton. Il a bien voulu nous accor­der un entretien dans lequel il se livre en partie, cela à l'occasion de la parution de ses mémoires.

 

Q.: Aujourd'hui, quelle est la situation de la culture française ?

 

JD: Comme toujours en péril. Un peu moins qu'il y a cent ans, quand même.

 

Q.: Quels sont les principaux périls que rencontre notre culture ?

 

JD: Les mêmes que rencontre toute culture: la paresse in­tel­lectuelle, laquelle marche du même pas que l'indiffé­ren­ce pour la patrie.

 

Q.: Et l'américanisation, dans tout cela ?

 

JD: L'Europe se renie depuis trente ou quarante ans. On a le sentiment que toute son ambition est de devenir une co­lonie américaine, avec ce que cela signifie de docilité po­li­tique, d'adoration idiote, de mimétisme. Le comble du chic en Europe est de copier servilement la métropole, c'est-à-dire New York. Lorsque la France cessera de se conduire com­me une colonie, jusqu'à parler petit-nègre, elle rede­vien­dra ce qu'elle était naguère.

 

Q.: C'est-à-dire ?

 

JD: Le contraire de ce qu'elle est aujourd'hui. Qu'elle rêve d'ima­giner qu'elle sera de nouveau gaie et insouciante, com­me en 1860 ou 1913!

 

Q.: Avec l'Europe que l'on nous prépare, pensez-vous que la France puisse disparaître ?

 

JD: Je crois que la France a été, au cours de son histoire ex­posée à des périls ou des tentations pires. Ce n'est pas "croi­re au miracle" que de croire à la persévérance du génie fran­çais, lequel, en mille ans, a démontré plusieurs fois qu'il était insubmersible.

 

Q.: Avez-vous l'impression que les Français veulent le rester ?

 

JD: Pour le moment, non, mais, il faut se garder de con­fon­dre la France et les Français. Ceux-ci sont une peuplade chan­geante, tantôt sublime, tantôt abjecte... La France est une œuvre d'art dont l'accomplissement a pris mille ans. Les Français changent de génération en génération, mais No­tre-Dame ne bouge pas, ni le Louvre, ni même la Tour Eiffel.

 

Q.: On a pourtant l'impression que certains politiques veulent que la France disparaisse au sein de l'Europe...

 

JD: On a surtout l'impression que les hommes politiques sont épouvantés par l'idée de prendre des responsabilités, de s'engager dans des voies irréversibles, de regarder le destin en face, et, lorsqu'il le faut, s'opposer a lui. L'Europe est un excellent alibi pour ces gens-là. Elle leur donne le pouvoir sans les obligations du pouvoir. Comme disait Péguy des politiciens de son temps :"lls ne veulent pas se salir les mains, mais ils n'ont pas de mains".

 

Q.: A quand remonte le fait que nos dirigeants poli­ti­ques refusent les responsabilités, qui pourtant leur in­combent ?

 

JD: Je crois que cela remonte à l'entre-deux guerres? La Fran­ce était fatiguée de la guerre de 14  —et il y avait lieu de l'être. Elle en était sortie exsangue. A ce moment-là nos po­litiques ont étés atteints d'une espèce de crise de vo­lon­té. Toutefois, à cette époque, les vieilles armatures exis­taient encore et on ne voyait pas les âmes nues (ou le man­que d'âmes). Tout s'est effondré en 1940.

 

Q.: Pensez-vous que les imbéciles soient nuisibles ?

 

JD: La terre est peuplée d'une infinité d'imbéciles, lesquels choisissent dans leur sein quelques-uns d'entre eux pour les con­duire, ce qui explique la plupart des tragédies ou "dra­mes nationaux" dont l'histoire des démocraties est jalon­née. Au principe de ces drames, on trouve à peu près in­failliblement la bêtise, c'est-à-dire les vues courtes des di­rigeants, leur absence d'imagination et de prévoyance, leur défaut d'audace allant jusqu'à la pusillanimité, leurs chi­mères puériles, toute chose qui ne déplaise pas au peuple souverain...

 

Q.: C'est plutôt tragique, ce que vous nous dites là...

 

JD: Lorsque la tragédie s'abat sur la nation, elle n'apporte pas avec elle que de la désolation et des souffrances, mais aussi une espèce de contentement mystérieux. La tragédie est la justification de la bêtise, sa sublimation; elle la sanc­tifie, elle la transforme en légende...

 

Q.: Etes-vous d'accord avec Maurras, lorsqu'il affirme que "vivre, c'est réagir" ?

 

JD: Bien sûr, mais cette pensée n'est pas une des plus ori­gi­nales de Maurras...

 

Q.: Vous gardez donc espoir ?

 

JD: Forcément, je ne peux pas faire autrement, je suis homme de lettres. Alors, j'ai besoin qu'il existe toujours des Français afin qu'on lise mes livres après que je sois mort.

 

Q.: N'avez-vous pas l'impression que votre discours soit "ringard" ?

 

JD: Léautaud avait une phrase magnifique, que je me suis empressé d'adopter dès que je l'ai découverte: "On dit que je suis un homme d'un autre âge, tant mieux, c'est plus chic". Dans la France actuelle, qui mange du pain industriel et du poulet à la dioxine, qui baragouine un sabir vague­ment américain, qui ne connaît plus rien de son passé et de ses grands écrivains, qui est pleine de voleurs et d'assas­sins, je crois qu'il est essentiel d'être ringard, attardé, vieille lune, bref, disciple de Mallarmé et de Flaubert.

 

Q.: Quel est le message que vous souhaitez donner aux jeunes ?

 

JD: J'attendrai qu'ils aient un peu vieilli et lu quelques bou­quins avant de le leur transmettre.

 

Q.: Vous étes toujours monarchiste ?

 

JD: Plus que jamais. C'est le seul régime commode que les hom­mes aient jamais trouvé.

 

(propos recueillis par © Xavier Cheneseau).

 

L'invité en quelques dates:

1944-1947 - Il est administrateur adjoint de Libération.

1947-1950 - Jean Dutourd est directeur de deux program­mes de la BBC à Londres.

1957-1959 - Il est Président du syndicat des écrivains fran­çais.

1950-1966 - Il est conseiller littéraire aux Editions Galli­mard.

1963-1970 - Jean Dutourd est critique dramatique de Fran­ce-soir.

1978 - Jean Dutourd est élu à l'Académie française.

 

L'invité en quelques livres:

1946 - Le complexe de César (Prix Stendhal)

1948 - Le déjeuner du Lundi

1949 - L'Arbre, Une tête de chien (Prix Courteline)

1950 - Le petit Don Juan

1952 - Au bon beurre (Prix Interallié)

1955 - Doucin

1956 - Les taxis de la Marne

1958 - Le fond et la forme

1959 - Les dupes, L'Ame sensible

1961 - Le fond et la forme (tome II), Rivarol

1963 - Les horreurs de l'amour

1964 - Le demi-Solde, La fin des peaux-rouges

1965 - Le fond et la forme (tome lll)

1967 - Pluche ou l'Amour de l'art, Petit journal

1971 - Le paradoxe du critique, Le crépuscule des loups

1972 - Le printemps de la vie

1973 - Carnet d'un émigré

1975 - 2024

1977 - Cinq ans chez les sauvages

1977 - Mascareigne

1978 - Les matinées de Chaillot

1978 - Les choses comme elles sont

1980 - Le bonheur et autres idées, Mémoire de Mary Watson

1982 - De la France considérée comme une maladie

1983 - Henri ou l'éducation nationale

1983 - Le socialisme à tête de linotte

1984 - Le septennat des vaches maigres

1985 - La gauche la plus bête du monde

1986 - Contre les dégoûts de la vie, Le spectre de la rose

1987 - Le séminaire de Bordeaux

1989 - Ça bouge dans le prêt à porter

1990 - Conversation avec le Général, Les Pensées, Loin d'Edimbourg

1991 - Portraits de femmes

1992 - Vers de circonstance

1993 - L'assassin

1996 - Le feld-maréchal von Bonaparte

1999 - Que vive le Peuple Serbe (ouvrage collectif)

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mardi, 24 juin 2008

Céline musicien

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Céline musicien

Chez Nizet est paru Céline musicien de Michael Donley. L'é­di­teur écrit: «La petite musique de Céline? Quelque chose qui va de soi, serait-on tenté de dire. De nos jours, aucun lecteur informé n'ignore la façon hautement poétique dont l'écrivain a su maîtriser les aspects sonores et rythmiques du français, surtout du français parlé. Pourtant, on a ten­dan­ce à oublier que Céline emploie le mot "musique" non seu­lement pour désigner le style de ses livres, mais aussi en se référant à ce qu'il essaie de capter: "la musique inté­rieu­re", "la musique de l'âme". De fait, la musique —cette "ca­ta­lyse de toute grâce", comme il l'a définie—  est la matrice de son œuvre entière. Mais qu'est-ce que la musique? En es­sa­yant de répondre à cette question, l'auteur démontre que la petite musique de Céline —loin d'un maniérisme synta­xi­que ou d'un bricolage cosmétique— n'est autre que la mise à jour du véritable contenu de ses livres» (JdB).

Michael DONLEY, Céline musicien, 2000, Librairie Nizet, F-37.510 Saint-Genouph, 338 pages, 190 FF.

 

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mercredi, 18 juin 2008

J. Parvulsco parle à "Synthesis"

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Entretien avec Jean Parvulesco pour Synthesis, journal du “Cercle de la Rose Noire” (Angleterre)

Propos recueillis par Troy Southgate

 

Voudriez-vous bien parler à nos lecteurs de vo­tre vie en Roumanie et leur expliquer pour­quoi vous avez été contraint de quitter votre patrie?

 

A 70 ans passés, j'ai vécu au moins trois ou quatre vies entières, à la fois différentes et séparées, et que ne relient ensemble qu'une sorte d'auto-transmigration obscure, très obscure. Je n'ai plus aucun souvenir vivant de la Roumanie, c'est pour moi des temps infiniment lointains, comme s'il s'agissait de je ne sais quel XVIIIe siècle à la cour des Habsbourg, dans Vienne sous la neige. L'effort de la marche arrière m'est trop pénible, trop difficile, je n'y pense plus jamais. Mes plus proches souvenirs actuels, mais qui, eux aussi, se font déjà brumeux, sont ceux des temps de l'OAS dans Madrid ensoleillé par les certitudes agissantes du ré­gime politico-militaire franquiste au sommet de son pou­voir. Avant, c'est brusquement la nuit noire, la vie de quel­qu'un d'autre que moi, une sorte de théâtre d'ombres aux re­présentations illégales, effacées, oniriques. Vous m'en vo­yez donc bien désolé: ma réponse à la première de vos questions s'avère être en fait une non-réponse; poussée dans ses derniers retranchements, ma propre existence ap­pa­raît comme une non-réponse, ou plutôt comme une ré­pon­se dissimulée, comme une réponse codée. De par la si­tua­tion qui est à présent la mienne, je suis tenu de me re­garder moi-même comme à travers la grille secrète d'un co­dage en profondeur, agent confidentiel jusque par rapport à moi-même. Ce sont les temps qui l'exigent, ces temps de la subversion totale qui sont nôtres.

 

Vous avez connu Julius Evola personnelle­ment. Que pensez-vous de son œuvre? Et que pensez-vous de l'homme Julius Evola?

 

Je m'étais en effet senti fort proche de Julius Evola. Et cela pour une raison fort précise: tout comme Miguel Serrano, Julius Evola ne s'était pas vu arrêter dans son devenir in­té­rieur par la sombre défaite européenne de 1945. Tous les grands créateurs de culture européens —Ezra Pound, Knut Hamsun, Pierre Drieu la Rochelle, Louis-Ferdinand Céline, Raymond Abellio, Mircea Eliade, et tant d'autres—  s'étaient retrouvés, à la fin de la dernière guerre mondiale, comme dépossédés d'eux-mêmes, mortellement blessés par l'effon­drement apocalyptique de l'histoire européenne qu'il leur avait ainsi fallu connaître, et dont ils avaient intérieu­re­ment eu à éprouver le désastre irréversible. Ainsi que je viens de le dire, je n'ai connu, depuis, que seuls deux grands penseurs européens qui n'aient pas accepté cet effondrement et qui, au contraire, n'avaient fait que con­ti­nuer, avec le même acharnement héroïque, le même com­bat en continuation, le même combat ininterrompu: Julius Evola et Miguel Serrano.

 

Julius Evola: un être à contre-courant

 

Il y aurait bien sûr une infinité de choses importantes à dire sur Julius Evola. Je me contenterai de vous faire part, ici, de son extraordinaire charisme aristocratique, patricien, de la dépersonnalisation initiatique parfaitement atteinte et maîtrisée de son propre être, qui n'était déjà plus rien d'au­tre qu'un concept d'action engagé dans le devenir provi­den­tiel de la "grande histoire" en marche, dont tous les ef­forts combattants tentaient, pourtant, d'en renverser le cou­rant. Car Julius Evola était, en effet, un être à contre-courant, une négation ontologiquement active de l' actuel cours crépusculaire d'une histoire du monde devenue, fina­le­ment, en elle-même, une instance de la grande conspi­ration subversive du non-être au pouvoir. Je prétendrai donc qu'une certaine lumière émanait, supérieure, mais en même temps dissimulée de sa personne, et que le simple fait de fréquenter Julius Evola, de se trouver même indi­rec­tement sous son influence active, impliquait déjà un avan­cement spirituel significatif, majeur, voire secrè­te­ment transfigurant. Il était là, mais caché derrière sa pro­pre présence refermée sur elle-même, hors d'atteinte.

 

Et je pense qu'il me sera également permis d'affirmer que la vision doctrinale personnelle et ultime, secrète, de Ju­lius Evola, sa vision de ce monde et de l'action en ce mon­de, se trouvait polarisée sur les destinées suprahistoriques occultes de Rome, qu'il considérait, et cela jusque dans sa continuité historique actuelle  —j'entends jusque dans son actuelle identité catholique— comme le véritable centre spi­rituel impérial, polaire  —dans le visible et dans l'in­visible—  de l'actuel grand cycle historique finissant. Julius Evola ne s'était en effet jamais considéré lui-même que sous l'identité d'"agent secret", dans le siècle, de la Roma Ae­terna.

 

Je pourrais aussi livrer bien de révélations décisives —voire étourdissantes, en fin de compte— à partir de mes propres souvenirs des longs entretiens confidentiels que j'avais eu avec Julius Evola, à Rome, chez lui, Corso Vittorio Em­ma­nuele, l'été et l'automne de 1968. Mais je m'interdis de le faire dans la mesure où je n'ignore pas qu'un profond secret opératoire en recouvre encore le contenu, qu'il serait infi­ni­ment dangereux  —et à présent bien plus que pour le pas­sé— de porter abruptement à la lumière du jour. Car l'heu­re n'en est pas encore tout à fait venue pour cela.

 

La "centrale polaire" du Corso Vittorio Emmanuele

 

Je peux néanmoins vous signaler que dans mon roman Le gué des Louves, Paris 1995, pages 20-31, je m'étais quand même permis de faire certains aveux d'une extrême impor­tance, d'une haute gravité spirituelle et philosophique —je devrais sans doute dire "philosophale", comme la "pierre philosophale"— sur certains événements de mon séjour ro­main auprès de Julius Evola, en 1968, et sur mes fréquen­tations confidentielles d'une "centrale polaire" occulte, ou­verte toute la nuit, Corso Vittorio Emmanuele, presque en bas de chez Julius Evola, le Daponte Blu.

 

Les réverbérations encore souterrainement agissantes de la doc­trine traditionnelle de Julius Evola, ainsi que son en­sei­gnement politico-révolutionnaire à contre-courant, tracent derrière lui un profond sillon ardent, un sillon d'incan­des­cence vive auquel devraient s'abreuver ceux des nôtres qui portent cachée en eux une prédestination spéciale, qui ont accédé à la différence. Car Julius Evola avait lui-mê­me en quelque sorte dépassé la condition humaine, il avait fait émerger en lui le surhomme qui reste à venir. Loin d'être un homme du passé, Julius Evola était un hom­me de l'avenir d'au-delà du plus lointain avenir. L'homme de la surhumanité solaire du Regnus Novissimum qu'avait entrevu Virgile.

 

L'un de vos premiers romans était La Mi­sé­ri­cor­dieuse Couronne du Tantra. Pouvez-vous nous expliquer comment vous voyez le con­cept de Tantra?

 

La Miséricordieuse Couronne du Tantra n'était pas un ro­man, mais un recueil de poèmes initiatiquement opéra­toi­res. Le tantrisme  —ce que l'on devrait appeler l'Aedificium Tantricum— est un ensemble doctrinal comptant une série d'étagements intérieurs de plus en plus occultes, de plus en plus prohibés, visant à porter l'être humain à sa libération  —ou à sa délivrance— ultime par les moyens d'une certaine expérience personnelle intime du "mystère de l'amour", du mystère de l'Incendium Amoris.

 

Si la substance vivante du cosmos dans sa totalité ultime n'est constituée que du feu, que de l'embrasement amou­reux se retournant indéfiniment sur lui-même et surcentré, polarisé sur la relation nuptiale abyssale régnant à l'in­té­rieur de l'espace propre, de l'espace unitaire du Couple Di­vin, l'accélération intensificatrice, superactivante d'une cer­taine expérience amoureuse de limite, portée à ses états paroxystiques tout derniers, fait  —peut faire— qu'une identification à la fois symbolique en même temps qu'on­tologique avec le Couple Divin apparaisse —à la limite— possible, qui dépersonnalise, éveille et livre les pouvoirs su­pra­humains de celui-ci aux amants tantriquement en­ga­gés corps et âmes dans les voies dévastatrices de l'In­cen­dium Amoris.

 

Or ce sont précisément les traces encore brûlantes d'une ex­périence de pénétration clandestine du mystère de l'In­cen­dium Amoris que La Miséricordieuse Couronne du Tan­tra est appelé à livrer, à travers son témoignage chif­fré. Car c'est bien de cela qu'il s'agit: La Miséricordieuse Cou­ronne du Tantra, mon premier livre, portait déjà en lui, comme une annonciation chiffrée, les germes surac­ti­vés de ce qui, par la suite, allait devenir l'ensemble de mon œuvre et, dans ce sens-là, était un livre essentiellement prophétique  —ou auto-prophétique— tout comme l'avait été, pour l'ensemble de l'œuvre de Raymond Abellio, son premier essai, Pour un nouveau prophétisme. Il y avait eu comme cela des mystérieuses structures d'accointance entre l'œuvre de Raymond Abellio et la mienne, dont les si­gnifications ultimes resteraient encore éventuellement à élucider.

 

Parlez-nous donc de votre ami Raymond Abel­lio, sur qui vous avez écrit une biographie, intitulée Le soleil rouge de Raymond Abel­lio…

 

Dans Le soleil rouge de Raymond Abellio, j'avais essayé de rassembler les conclusions essentielles d'une approche en raccourci de l'ensemble de son œuvre et de sa propre vie, car l'œuvre de Raymond Abellio et sa vie ne font qu'un: il avait voulu vivre sa vie comme une œuvre, et son œuvre comme sa vraie vie.

 

En prise directe sur la "grande histoire" en marche

 

Cependant, au contraire d'un Julius Evola, d'un Miguel Ser­rano, Raymond Abellio avait eu à subir, lui, de plein fouet la catastrophe de la destitution politico-historique de l'Europe vouée, en 1945, ainsi que le Général de Gaulle l'avait alors compris sur le moment même, à la double do­mination antagoniste des Etats-Unis et de l'URSS. Desti­tu­tion dont, consciemment ou inconsciemment, Raymond Abellio avait porté en lui, jusqu'à la fin de sa vie, l'in­gué­rissable brûlure dévorante, la stupéfaction secrète, irrémé­diable. Et cela d'autant plus qu'il avait eu à connaître, pen­dant les années mêmes de la guerre l'expérience exaltante de l'action politico-révolutionnaire en prise directe sur la "grande histoire" en marche.

 

En effet, en tant que secrétaire général du "Mouvement Social Révolutionnaire" (MSR), Raymond Abellio se trouvait personnellement à l'origine de la première tentative de mi­se en chantier —en pleine guerre— du grand projet con­ti­nental européen de l'axe politico-stratégique Paris-Berlin-Moscou, qui, à l'heure actuelle, plus de cinquante ans a­près, redevient de la plus extrême actualité en tant que pre­mière étape du prochain avènement de l'"Empire Eura­siatique de la Fin" dont on sait que, suivant le "grand dessein" européen en cours, il va devoir procéder à l'inté­gra­tion finale de l'Europe de l'Ouest et de l'Est, de la Russie et de la Grande Sibérie, du Tibet, de l'Inde et du Japon. Une même histoire profonde, un même destin supratem­porel, une même civilisation et un même ethos nordique, un même sang et un même souffle de vie originelle, an­té­rieure, archaïque en train de revenir à son centre polaire de départ.

 

Lui-même détaché, après 1945, de la marche de l'histoire mondiale, l'œuvre philosophique et littéraire de Raymond Abellio tend précisément au dépassement de l'histoire en cours, qu'elle transcende par une prise de conscience supé­rieure de soi-même, extatique, la "conscience de la cons­cience" dira-t-il. Prise de conscience libératrice et qui, de par cela même, livrera en retour les clefs opératives d'une puissance absolue exercée sur la marche de l'histoire, la puissance opérative de la "conscience occidentale de la fin parvenue à l'occident de la conscience" devenant ainsi l'ar­me métastratégique suprême, l'arme de la "domination fi­na­le du monde". Ainsi l'"homme nouveau" de la révolution européenne grand-continentale, de la nouvelle Totale Welt­­revolution actuellement en cours d'affirmation clan­destine, sera-t-il l'homme du "soi libéré", instruit par Ray­mond Abellio, car c'est l'homme libéré de l'histoire qui fera l'"histoire d'après la fin de l'histoire". La conscience ainsi exhaussée au-dessus d'elle-même, dédoublée, parviendra donc à intervenir directement dans l'histoire.

 

Ainsi, de toutes les façons, Raymond Abellio sera-t-il donc présent au rendez-vous, sur la "ligne de passage" du grand cycle finissant et du grand cycle du renouveau.

 

Je voudrais que vous nous parliez de votre ro­man, L'étoile de l'Empire invisible, et du com­bat apocalyptique qui a lieu entre les forces du "Verseau" et celles de l'"Atlantis Mag­na"…

 

Je peux dire qu'à la parution de mon roman L'étoile de l'Empire Invisible, j'avais eu beaucoup de chance. Norma­lement, j'aurais dû avoir les pires ennuis, je pense même que j'avais bien risqué d'y laisser ma peau, et déjà à ce mo­ment-là je le sentais. Etais-je confidentiellement protégé, je n'en sais toujours rien. Mais il faudrait le croire. En ef­fet, ce qui dans L'étoile de l'Empire Invisible se dissi­mu­lait sous la double dénomination chiffrée de la conspiration du "Verseau" et de la contre-conspiration de l'"Atlantis Mag­na" n'était en réalité que la confrontatio, faisant s'opposer alors, au plus haut niveau suprahistorique, pour la domi­na­tion finale de la plus Grande Europe et des espaces d'in­fluen­ce de celle-ci, la conspiration mondialiste de la "Su­per­puissance Planétaire des Etats-Unis" et la contre-conspi­ration du Pôle Carolingien franco-allemand s'appuyant se­crètement sur l'URSS. Les fort dangereuses révélations, à pei­ne codées, qui s'y trouvaient faites à ce sujet dans L'é­toile de l'Empire Invisible eussent largement pu justifier le coup en retour de représailles extrêmes contre l'auteur de ce roman, révélations dont celui-ci portait l'entière res­ponsabilité.

 

Seul un petit nombre connaissait le dernier mot

 

J'avais estimé, quant à moi, qu'à travers un roman de l'im­portance de L'étoile de l'Empire Invisible, une prise de cons­cience en profondeur devait marquer, pour les plus avan­cés des nôtres, le tournant historique  ­—et suprahisto­rique— suprêmement décisif de la conjoncture du moment, où la confrontation de deux mondes irréductiblement anta­go­nistes s'apprêtait à trouver sa conclusion, qui s'avérera com­me totalement imprévue. Car c'est bien ce qui en vint alors à se faire, avec l'auto-dissolution politique de l'URSS, événement infiniment mystérieux, où des puissances abys­sales étaient occultement intervenues dans le jeu, d'une ma­nière tout à fait providentielle, et dont seul un petit nom­bre connaissait le dernier mot.

 

Aussi l'ossature fondationnelle de L'étoile de l'Empire In­visible  —la dialectique de sa démarche intérieure— cor­res­pond-elle entièrement à la réalité effective des situations qui s'y trouvent décrites, à la réalité des personnages en ac­tion, des tensions, des conflits et des passions, des se­crets à l'œuvre et des dessous conspirationnels et amou­reux, de la réalité précise des lieux et jusqu'à l'identité mê­me  —jusqu'aux noms propres, parfois—  de certains person­na­ges que j'ai tenu à utiliser sans ne rien y changer. Une mince part de fiction y fera fonction de liant, ou servira à des dissimulations nécessaires. Cette exhibition de la réa­lité des choses dans le corps littéraire d'un roman re­pré­sentera, au moment de la parution de ce livre, un pari des plus risqués, une assez dangereuse option de provo­cation à froid, dont on ne comprenait pas la raison. Mais tren­te ans sont passés depuis que ces événements étaient censés avoir eu lieu: bien de choses se sont effacées de­puis, les tensions à ce moment-là paroxystiques ne signi­fient à présent plus rien, ou presque plus rien. Le temps a totalement dévore la chair vivante des choses, desséché les souffles.

 

Imposer à la réalité un statut de rêve

 

Aujourd'hui, la réalité de toutes ces choses là a fini par devenir une fiction, tout comme, au moment de la parution de ce livre, c'est la fiction qui était en train de devenir réalité. Or c'est précisément ce double échange entre réa­lité et fiction, entre fiction et réalité que j'avais voulu or­ga­niser: m'introduire moi-même dans la réalité à travers le ro­man. Ayant imposé à la réalité un statut de rêve, j'avais fait que le rêve lui-même devienne réalité.

 

Et je viens ainsi de répondre à votre sixième question:

«Serait-il correct de dire que ce roman con­tient un élément de réalité?»   Votre septième question est la suivante:

Pensez-vous que ce livre puisse être comparé à d'autres romans conspirationnels comme celui de Robert Shea et de Robert Anton Wil­son, Illuminatus Trilogy, ou celui d'Umberto Eco, Le pendule de Foucault?

 

Non, je suis infiniment désolé, mais je ne connais pas le li­vre de Robert Shea et Robert Anton Wilson, Illuminatus Trilogy.

 

Quant à Umberto Eco, je le tiens, tout comme son compère Paulo Coelho, pour des faiseurs subalternes, dont les litté­ratures ne concernent que les minables petites convulsions pseudo-initiatiques du New Age: leurs tirages pharamineux ne font que dénoncer le degré de dégénérescence mentale qui est aujourd'hui celui des masses occidentales hébétées, menées, à demi-consentantes aux abattoirs clandestins de l'histoire dont on nous impose les dominations, et qui n'est pas notre histoire.

 

Quelles sont les visions que vous développez sur a) le marxisme et b) le fascisme?

 

L'humanité est divisée, d'après ce que je crois savoir sui­vant des sources certaines archaïques, légitimes, secrètes, en deux grandes parties: celle d'origine "animale" qui "des­cend des grands singes", correspondant plus ou moins aux doctrines soutenues par l'évolutionnisme darwinien, et la par­tie d'origine "divine", en provenance du "foyer ardent de l'Incendium Amoris", de la "planète Venus", constituée d'hom­mes éveillés, destinés à rejoindre, "à la fin de ces temps", la patrie de leurs origines sidérales, "métagalacti­ques".

 

Happée vers le bas, vers les régions ontologiques du non-être, par le matérialisme révolutionnaire marxiste, la part "animale", "bestiale", de l'humanité avait sombré dans le dé­lire sanglant de la "révolution mondiale du communisme" animée par l'URSS et exacerbée par le marxisme-léninisme et par le stalinisme. Alors que la partie "divine", "métaga­lactique" de l'humanité s'est trouvée spirituellement ex­haus­sée par ce qui, dans la première moitié du XX° siècle, avait donné naissance à la grande aventure révolutionnaire suprahistorique européenne connue sous la dénomination gé­nérique de "fascisme", qui, vers sa fin, avait subi des dé­viations aliénantes et que l'antihistoire des autres s'est char­gée d'anéantir.

 

Raymond Abellio fait dire à un de ses personnages de son ro­man Les yeux d'Ezéchiel sont ouverts: "Aujourd'hui je le sais. Aucun homme ayant un peu le goût de l'absolu ne peut plus s'accrocher à rien. La démocratie est un dévergondage sentimental, le fascisme un dévergondage passionnel, le com­munisme un dévergondage intellectuel. Aucun camp ne peut plus gagner. Il n'y a plus de victoire possible".

 

Il nous faudra donc qu'à partir de la ligne actuelle du néant, nous recommencions, à nouveau, tout, que nous re­mettions tout en branle par le miracle suprahistorique d'une nouvelle immaculée conception révolutionnaire. C'est la tâche secrète de nous autres.

 

Que pensez-vous de l'«eurasisme»? Est-ce une alternative viable et acceptable au "Nou­vel Ordre Mondial”?

 

La vision de l'unité géopolitique et de destin grand-con­ti­nental eurasiatique représente le stade décisif, fonda­men­tal, de la conscience historique impériale et révolution­nai­re des nôtres, l'accomplissement final de l'histoire et de la ci­vilisation européennes dans leur marche ininterrompue vers l'intégration de ses nations constitutives au sein de no­tre prochain "Empire Eurasiatique de la Fin".

 

Les actuelles doctrines impériales de l'intégration euro­péen­ne grand-continentale de la fin trouvent leurs origines à la fois dans la géopolitique combattante de Karl Hausho­fer, dont le concept de Kontinentalblock reste tout à fait pertinent, et dans les continuations présentes de celle-ci à travers les doctrines confidentielles du "grand gaullisme", ainsi qu'à travers les positions révolutionnaires de certains jeunes penseurs russes de la nouvelle génération poutinien­ne, dont le plus représentatif me paraît être très certai­ne­ment Alexandre Douguine.

 

Un grand dessein final qui nous mobilise totalement

 

 

C'est sur le concept géopolitique, sur la vision suprahisto­rique fondamentale de l'"Empire Eurasiatique de la Fin" que va donc devoir se constituer le grand mouvement révolu­tion­naire européen continental appelé à livrer les dernières batailles décisives du camp retranché de l'être contre l'en­cer­clement subversif de la conspiration mondialiste actuel­le du non-être. Et ce sera aussi la tâche révolutionnaire pro­pre de notre génération prédestinée que de pouvoir me­ner à son terme prévu ce "grand dessein final" qui nous ha­bite secrètement, qui nous mobilise, à nouveau, tota­le­ment. Comme avant.

 

Finalement, comme quelqu'un qui a vécu une longue vie féconde, quel conseil pourriez-vous offrir aux générations qui montent, aux jeu­nes gens qui viennent, pour qu'ils rejet­tent les pièges du libéralisme et de la société de masse?

 

Le conseil que vous voudriez que je puisse donner aux jeunes générations qui montent, ce serait alors le suivant: si au tréfonds de votre sang, vous sentez l'appel irrésistible des hauteurs enneigées de l'être, l'appel des "chemins galactiques de la Frontière Nord", n'hésitez pas un seul in­stant à y répondre, et que toute votre vie ne soit qu'un long engagement éveillé envers vos propres origines occultes, en­vers la part qui en vous n'est pas de ce monde.

 

Quant aux engagements politiques présents ou immé­diate­ment à venir qui se doivent d'être nôtres, tout, à mon avis, doit se trouver désormais polarisé, mobilisé incondition­nel­lement sur le concept géopolitique et suprahistorique révo­lu­tionnaire de l'unité impériale européenne grand-con­tinen­tale, concept révolutionnaire auquel l'émergence à terme d'une nouvelle superpuissance planétaire russe, la "Russie Nou­velle" de Vladimir Poutine  —car les profondes ou­ver­tures spirituelles, ainsi que les positions européennes grand-continentales de Vladimir Poutine sont à présent con­nues— vient d'assurer une base politique absolument dé­cisive, notre "dernière chance".

 

Pour la civilisation européenne, pour l'être et la conscience européennes du monde, la formidable montée en puissance actuelle de la conspiration mondialiste menée par la "su­perpuissance Planétaire des Etats-Unis" constitue, et dé­sor­mais à très brève échéance, un vrai danger de mort, une me­nace terrifiante, inqualifiable. Les groupements géopoli­tiques national-révolutionnaires agissant partout dans le mon­de, à demi clandestinement, doivent donc intensifier au maximum leur travail idéologique et d'unité, leur travail de terrain: c'est exclusivement sur l'action souterraine des nôtres que reposent les dernières chances de survie qui nous restent face au gigantesque bloc mondialiste que tient par en dessous l'ennemi ontologique de tout ce que nous sommes nous autres, les "derniers combattants de l'être" fa­ce à l'assaut final des puissances négatives du non-être et du chaos, face à l'Empire du Néant, face au mystérieux Im­perium Iniquitatis qui s'annonce à l'horizon assombri de no­tre plus proche avenir. L'heure de l'Imperium Iniquitatis sem­ble en effet être venue.

 

Le régisseur dans l'ombre du grand dessein en action de la subversion mondialiste actuellement en marche, se trouve à présent sur le point d'achever la mise en place de son dispositif planétaire d'ensemble: les mâchoires d'acier de l'inéluctable se referment sur nous, si nous n'agissons pas tout de suite, bientôt il n'y aura plus rien à faire. Les der­nières élections aux Etats-Unis en fournissent la preuve, tout est prêt pour que la trappe se referme. Nous autres, qui depuis toujours jouons la parti de l'invisible, nous n'at­ten­dons plus notre salut que de l'invisible. Attention.

 

Jean PARVULESCO, Paris, le 19 novembre 2000, in nomine Domini.

dimanche, 15 juin 2008

Le gaullisme de Dominique de Roux

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Le gaullisme de Dominique de Roux

 

«La réalité historique est que le temps travaille pour un autre homme, l'homme dune seule idée, celui qui se fout que la zone libre soit occupée ou non. Il n'aime pas les Français, il les trouve moyens, il n'aime que la France dont il a une certaine idée, une idée terminale qui ne s'embarrasse pas des péripéties.»

Pascal Jardin, La guerre à neuf ans.

 

Dominique de Roux s'était fait une certaine idée de de Gaulle comme de Gaulle (première phrase de ses Mé­moi­res) s'était toujours fait une certaine idée de la France. On était en 1967, la subversion ne s'affichait pas encore au grand jour, mais déjà l'on sentait sourdre la révolte sou­terraine, la faille entre les générations aller s'élar­gis­sant. L'Occident à deux têtes (libéral-capitaliste  à l'Ouest,  marxiste-léniniste à l'Est) paissait paisiblement, inconscient d'être bientôt débordé sur sa gauche par ses éléments bour­geois les plus nihilistes et, on ne s'en apercevra que plus tard, les plus réactionnaires. Dominique de Roux lui aussi cherchait l'alternative. La littérature jusqu'ici n'avait été qu'un appui-feu dans la lutte idéologique. Qu'à cela ne tienne, de Roux inventerait la littérature d'assaut, porteuse de sa propre justification révolutionnaire, la dé-poétisation du style en une mécanique dialectique offensive. Le sens plus que le plaisir des sens, la parole vivante plutôt que la lettre morte. De Roux, qui résumait crise du politique et cri­­se de la fiction en une seule et même crise de la poli­ti­que-fiction, avait lu en de Gaulle l'homme prédestiné par qui enfin le tragique allait resurgir sur le devant de la scè­ne historique après vingt ans d'éviction. Le cheminement de de Gaulle homme d'Etat tel qu'il était retracé dans ses Mémoires, n'indiquait-il pas «l'identification tragique de l'ac­tion rêvée et du rêve en action»? (1) .

 

Un message révolutionnaire qui fusionne et transcende Mao et Nehru, Tito et Nasser

 

En 67, de Roux publie L'écriture de Charles de Gaulle. L'es­sai, cent cinquante pages d'un texte difficile, lorgne osten­siblement vers le scénario. A rebours du mouvement géné­ral de lassitude qui s'esquisse, de l'extrême-droite à l'ex­trê­me-gauche de l'opinion, et qui aboutira dans quelques mois à la situation d'insurrection du pays qu'on connaît, Domi­ni­que de Roux veut croire en l'avenir planétaire du gaullisme. Ni Franco ni Salazar, ni l'équivalent d'un quelconque dicta­teur sud-américain, dont les régimes se caractérisent par leur repli quasi-autistique de la scène internationale et leur allégeance au géant américain, de Gaulle apporte au mon­de un message révolutionnaire qui, loin devant ceux de Mao, Nehru, Tito et Nasser, les fusionne et les transcende.

 

Révolutionnaire, de Gaulle l'est une première fois lorsqu'il ré­invente dans ses Mémoires le rapport entre les mots et la réa­lité historique. Sa tension dialectique intérieure, entre des­tinée gaullienne et vocation gaulliste, son être et sa cons­cience d'être, dédouble cette réalité par l'écriture, la mé­moire, la prophétie.

 

La volonté de puissance du génie prédestiné en butte aux vicissitudes historiques que sa prédestination exige et dont dépend la résolution tragique de l'Histoire, modifie sa rela­tion aux mots, libérant l'écriture du style, subordination ex­térieure au sens des mots, mécanique des choses dites qui l'en­ferme et contient sa charge explosive. Le discours n'est plus reproduction esthétisante, rétrécissement du champ de vision pour finir sclérose, mais expression et incarnation de la dialectique parole vivante et langage qui le porte.

 

«A une histoire vivante ne sied pas la lettre morte du style, mais les pouvoirs vivants de la réalité d'une écriture de la réalité agissante dans un but quelconque». Quand de Gaul­le parle, déjà il agit et fait agir l'Histoire. L'écriture devient ac­te politique. Ses mots charrient et ordonnent l'histoire en marche.

 

Point de théologie gaulliste mais la foi individuelle d'un homme seul

 

Qu'est-ce que le gaullisme dans ces conditions ? Réponse de Do­minique de Roux: «Le dialogue profond que de Gaulle pour­suit sans trêve avec l'histoire se nomme gaullisme, dès lors que d'autres veulent en faire leur propre destin.» Point de théologie gaulliste mais la foi individuelle d'un homme seul qui considère la France, non les Français, comme la finalité de son action. La rencontre de la France en tant qu'idée d'une nation métaphysique et transcendante, et de la parole vive de de Gaulle, intelligence de la grandeur d'âme chez Chateaubriand, de la vocation pour Malraux, doit déboucher sur l'idéal de la Pax Franca.

 

La dialectique gaulliste de l'histoire rejaillit sur la stratégie gaulliste de lutte contre tous les impérialismes, au nom de la prédestination intérieure qui fait de l'assomption de la France l'avènement de celle de l'Europe et au-delà de l'or­dre universel: la Pax Franca. «De Gaulle ne sert ni l'Eglise avec Bossuet, ni la Contre-Révolution avec Maurras, mais la monarchie universelle, cette monarchie temporelle, visible et invisible, qu'on appelle Empire. Dante exaltait dans son De Monarchia cette principauté unique s'étendant, avec le temps, avec les temps, sur toutes les personnes. Seul l'Em­pire universel une fois établi il y a la Paix universelle.»

 

Ainsi posée, la géopolitique gaulliste s'affirme pour ce qu'elle est, une géopolitique de la fin (l'Empire de la Fin énoncé par Moeller van den Bruck), dépassement de la géopolitique occidentale classique, de Haushofer, Mackin­der, contournement de la structure ternaire Europe-USA-URSS.

 

Pour être efficace, le projet gaulliste aura à cœur de trans­former la géopolitique terrienne en géopolitique transcen­dan­tale, «tâche politico-stratégique suprême de la France, plaque tournante, axe immobile et l'Empire du Milieu d'une unité géopolitique au-delà des frontières actuelles de notre déclin, unité dont les dimensions seraient à l'échelle de l'Occident total, dépassant et surpassant la division du mon­de blanc entre les Etats-Unis, l'Europe et l'Union sovié­tique.» Car la France est, selon le statut ontologique que de Gaulle lui fixe, accomplissement et mystère, l'incarna­tion vivante de la vérité, la vérité de l'histoire dans sa mar­che permanente.

 

La nouvelle révolution française menée par de Gaulle doit conduire à la révolution mondiale

 

Une révolution d'ordre spirituel autant que temporel ne se conçoit pas sans l'adhésion unilatérale du corps national. Toute révolution qui n'est que de classe ne peut concerner la totalité nationale. Toute révolution nationale doit penser à l'œcuménité sociale. La révolution, l'action révolutionnai­re totale enracinée dans une nation donnée, à l'intérieur d'une conjecture donnée, n'existe que si l'ensemble des struc­tures sociales de la nation s'implique. Là où le so­cia­lisme oublie le national, le nationalisme occulte le social sans lequel il n'y a pas de révolution nationale. De Gaulle annule cette dialectique par l'«idée capétienne», reprise à Michelet et Péguy, de nation vivante dans la société vivan­te. Le principe participatif doit accompagner le mouve­ment de libération des masses par la promotion historico-sociale du prolétariat. Ce faisant la révolution gaulliste, dans l'idée que s'en fait Dominique de Roux, supprime la théo­rie formulée par Spengler de guerre raciale destruc­trice de l'Occident. Car la nouvelle révolution française me­née par de Gaulle ne peut que conduire à la révolution mon­diale.

 

De Gaulle super-Mao

 

L'époque, estime Dominique de Roux, réclame un nouvel ap­pel du 18 juin, à résonance mondiale, anti-impérialiste, démocratique et internationaliste à destination de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique latine, dont la précédente déclaration de Brazzaville deviendrait, au regard de la postérité, l'annonce. Un tel acte placerait de Gaulle dans la position d'un super-Mao —ambition partagée pour lui par Malraux— seul en mesure d'ébranler la coalition nihiliste des impérialismes américano-soviétiques, matérialistes ab­solus sous leur apparence d'idéalisme. La grande mission pacificatrice historique de dimension universelle assignée à la France passe, en prévision d'une conflagration thermo­nuc­léaire mondiale alors imminente —la troisième guerre mon­diale—, par le lancement préventif d'une guerre révo­lutionnaire mondiale pour la Paix, vaste contre-stratégie visible et invisible, subversion pacifique qui neutraliserait ce risque par l'agitation révolutionnaire, la diplomatie sou­ter­raine, le chantage idéologique. L'objectif, d'envergure planétaire, réclame pour sa réalisation effective la mise en œuvre d'une vaste politique subversive de coalitions et de renversements d'alliances consistant à bloquer, dans une dou­ble logique de containment, la progression idéologico-territoriale des empires américain et soviétique sur les cinq continents.

 

Le plan d'ensemble du gaullisme géopolitique s'articule en cinq zones stratégiques plus une d'appui et de manœuvre, en place ou à créer:

-renforcement du bloc franco-allemand, selon la fidélité historique au devenir éternel de l'Europe;

-dégager le Sud-Est européen de l'empire soviétique, afin de stopper l'action de l'URSS sur son propre axe de clivage et l'obliger à composer pour se mouvoir stratégiquement;

-dégager le Sud-Est asiatique de l'empire américain, afin de stopper l'action des USA sur leur propre axe de clivage et les obliger à composer pour se mouvoir stratégiquement;

-faire jouer à l'Amérique latine le rôle de lien entre la conscience occidentale et le Tiers-Monde par l'action des for­ces révolutionnaires sur le terrain;

-empêcher que le Canada ne devienne une base impériale extérieure de rechange des USA;

-soutenir secrètement l'Inde contre la Chine pour des rai­sons d'ordre spirituel théurgique, la Chine représentant la matérialisation de l'esprit quand l'Inde incarne depuis tou­jours le primat du spirituel sur la matière.

 

La consolidation du front idéologique mondial lancé par le gaullisme requérant que soient attisés par ses agents le ma­ximum de foyers, il apparaît nécessaire dans un premier temps que partout où se trouvent les zones de con­fron­ta­tion idéologique et d'oppression des minorités, l'on sou­tien­ne la révolution au nom du troisième pôle gaulliste. Six zo­nes de friction retiennent l'attention de Dominique de Roux, en raison de leur idéal nationaliste-révolutionnaire con­forme aux aspirations gaullistes et pour leur situation géostratégique de déstabilisation des blocs (de Roux ne le sait pas encore, mais viendront bientôt s'ajouter à sa liste le Portugal et les possessions lusitaniennes d'Afrique: Ango­la, Guinée-Bissau, Mozambique):

«1) le combat pour la libération nationale et sociale de la Pa­lestine, clef de voûte de la paix au Moyen-Orient et de la présence pacifique de la France en Méditerranée.

2) la mise en marche immédiate de la Conférence Pan-eu­ro­péenne pour la Sécurité et la Coopération Continentale.

3) le combat pour la libération nationale et sociale de l'Ir­lande catholique.

4) la relance du soutien international aux combattants du Québec libre pour la sauvegarde de son être national pro­pre.

5) appui inconditionnel au Bangladesh.»

6) insistance sur la tâche prioritaire des enclaves de langue française comme relais de la subversion pacifique mondia­le.

 

Il conviendra donc d'intensifier les contacts avec toutes les forces révolutionnaires en présence sur le terrain. Ainsi seu­lement la vocation gaullienne accomplie rejoindra sa des­tinée, celle du libérateur contre les internationales exis­tantes —capitaliste et communiste, ouvertement impé­rialistes—, qui soutient et permet toutes les luttes de li­bération nationale et sociale, toutes les révolutions iden­titaires et économiques. «Aujourd'hui, la tâche révolution­naire d'avant-garde exige effectivement, la création de deux, trois quatre Vietnam gaullistes dans le monde.» (Ma­gazine Littéraire n°54, juillet 1971) Sa force contre les a priori idéologique, apporter une solution qui s'inspire de l'histoire, des traditions nationales de chaque pays, de sa spécificité sociale: socialisme arabe, troisième voie péru­vienne, participation gaulliste.

 

L'après-gaullisme représente l'échéance d'une ère

 

De Gaulle a mené un combat entre la vérité historique ulti­me et les circonstances historiques de cette vérité.

 

A l'époque, Jean-Jacques Servan-Schreiber a cherché à per­suader les Français que le républicanisme gaullien était un régime à peine plus propre que la Grèce des colonels. Puis vint mai 68. «Aujourd'hui, ce même grand capital, qui pour mater les syndicats permit (...) Mussolini (...), qui inventa le nazisme pour la mobilisation maoïste des ouvriers alle­mands en vue de l'expansion économique, qui donna sa pe­tite chance à Franco l'homme des banques anglaises, nous invente morceaux par morceaux la carrière française de Jean-Jacques Servan-Schreiber et les destinées euro­péen­nes du schreibérisme.» La vérité fut que de Gaulle, na­tionaliste et révolutionnaire, annula dialectiquement et re­jeta dos à dos Hitler et Staline. L'après-gaullisme repré­sente l'échéance d'une ère. L'avenir de l'Occident ne pourra plus se définir que par rapport à l'action personnelle de de Gaulle. Si le gaullisme est le fondement de l'histoire nou­velle, l'après-gaullisme est la période à partir de laquelle se confronteront ceux qui poursuivent son rêve et ses oppo­sants, ceux qui refusent sa vision. Pas d'après-gaullisme donc, seulement le face à face gaullistes contre anti-gaul­listes. «Il n'y a de gaullisme qu'en de Gaulle, de Gaulle lui-mê­me devient l'idée dans l'histoire vivante ou même au-de­là de l'histoire.» Pour préserver l'authenticité de la geste gaul­liste, il faut conserver le vocabulaire de l'efficacité gaul­lienne. «Qu'importe alors la défaite formelle du gaul­lisme en France et dans le monde, écrit Dominique de Roux dans Ouverture de la chasse en juillet 1968, si, à sa fin, le gaullisme a fini par l'emporter au nom de sa propre vérité in­térieure, à la fois sur l'histoire dans sa marche dialectique et sur la réalité même de l'histoire ?»

 

Dominique de Roux victime de sa vision ?

 

Trente ans après, quel crédit accorder aux spéculations géo-poétiques du barde impérial de Roux ? Lui-même re­con­naissait interpréter la pensée gaullienne, en révéler le sens occulte. Des réserves d'usage, vite balayées par les mi­rages d'un esprit d'abord littéraire (littérature d'abord), sujet aux divagations les plus intempestives. Exemple, la France, «pôle transhistorique du milieu» «dont Charles de Gaulle ne parle jamais, mais que son action et son écriture sous-entendent toujours.»

 

Quand il parle de la centrale d'action internationale gaul­liste, qu'il évoque en préambule du premier numéro d'une collection avortée qui devait s'intituler Internationale gaul­liste sa contribution à la propagation du message gaulliste, c'est un souhait ardent que de Roux émet avant d'être une réalité. De Roux victime de sa vision ?

 

Hier figure du gauchisme militaire, aujourd'hui intellectuel souverainiste, Régis Debray dans A demain de Gaulle fait le mea culpa de sa génération, la génération 68, coupable selon lui de n'avoir pas su estimer la puissance visionnaire du grand homme, dernier mythe politique qu'ait connu la France.

 

Au regard de l'Histoire dont il tenta sa vie durant de percer les arcanes, Dominique de Roux s'est peut-être moins four­voyé sur l'essentiel, qui est l'anti-destin, que la plupart des intellectuels de son temps. «Par l'acte plus encore que par la doctrine, Charles de Gaulle a amorcé une Révolution Mon­diale. Celle-ci, connue par lui à l'échelle du monde, ap­pelle ontologiquement une réponse mondiale.»

 

Dans Les chênes qu'on abat, Malraux fait dire à de Gaulle: «J'ai tenté de dresser la France contre la fin d'un monde. Ai-je échoué ? D'autres verront plus tard.»

 

De Gaulle, troisième homme, troisième César.

 

Laurent SCHANG.

 

Bibliographie:

 

De Dominique de Roux:

-Ouverture de la chasse, L'Age d'Homme, 1968.

-Contre Servan-Schreiber, Balland, 1970.

-Politique de Dominique de Roux, Portugal, Angola, In­ternationale gaulliste, Au signe de la Licorne, 1998.

-L'écriture de Charles de Gaulle, Editions du Rocher, 1999.

 

André Malraux, Les chênes qu'on abat, NRF Gallimard, 1971.

 

samedi, 14 juin 2008

Les châteaux en Espagne de Rémi Soulié

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Les châteaux en Espagne de Rémi Soulié

 

Entretien

 

A quelques jours de la parution de son nouvel essai, Le vrai-mentir d'Aragon, Aragon et la France, aux éditions du Bon Albert, Rémi Soulié a accepté de nous entretenir de son précédent ouvrage, publié chez L'Age d'Homme, Les Châteaux de glace de Dominique de Roux

 

«De Roux a renouvelé notre façon de lire. Là encore, c'est révolutionnaire»

 

Pourquoi, aujourd'hui, écrire sur Dominique de Roux? Son nom, qui reste sulfureux (on se souvient du mot: «A force d'être traité de fasciste, j'ai envie de me présenter ainsi: moi, Dominique de Roux, déjà pendu à Nurem­berg»), n'a laissé aucun chef-d'œuvre impérissable. Ses livres sont pour la plupart des collages d'idées anarchi­ques, anarchiquement assemblées pour former une pâte de textes indigestes jetée sans autre souci à la figure d'un lecteur qui n'est pas habitué à être reçu ainsi. Mis à part une poignée d'irréguliers, personne ne le réclame. Seuls quelques éditeurs hors du sérail ont relevé le pari de publier les fulgurances et les formules bancales de ce styliste épileptique, qui se voulut tour à tour et en mê­me temps géométaphysicien, poète dissident du monde, impérialiste pacifique infiltré à la solde d'une Interna­tio­nale révolutionnaire gaulliste qui n'exista jamais ailleurs que dans son esprit enfiévré. Sa vie brusquement écour­tée ressemble à l'image finale de ce film de Werner Her­zog, Aguirre, où l'on voit Klaus Kinski dériver seul sur un radeau au milieu dune multitude de petits singes jaunes à têtes noires, debout dans son armure rouillée de con­qui­stador renégat, défiant Dieu, le regard halluciné, dé­voré par son rêve d'empire d'au-delà de la jungle amazo­nienne, avec la caméra qui s'éloigne. Pourquoi en effet, quand on s'appelle Rémi Soulié, écrire une biographie de Dominique de Roux, sinon pour tout ce qui vient d'être dit ?

 

Dès la première page des Châteaux de glace le ton est donné: «Rêvons un peu à une France vomissant ses tièdes et ses mous! Plus de sociaux-démocrates ni de démocrates-chrétiens, plus de libéraux sociaux ni de sociaux libéraux! La politique enfin restaurée en mystique par quelques ro­yalistes, des gaullistes métaphysiques aussi et des révo­lu­tion­naires intacts à la Fajardie! "Heureux comme Dieu en France", cette neuvième béatitude sortirait de la morgue où la science épigraphique congèle les anciennes senten­ces!» Soulié, maurrassien c'est sûr, n'aime pas son époque, aux songes creux et à la bouche pleine de gargouillis («droits de l'homme», «citoyenneté», «démocratie»...), et encore moins sa littérature. La gauche, hier insurgée, s'a­bîme dans la social-démocratie. La droite a trahi de Gaulle —c'était quand? Les écrivains se regardent le nombril et les éditeurs jouent les barbouzes. Lui voudrait un écrivain qui soit à la fois un idéologue et un aventurier, de droite et un peu à gauche, un militant et un esthète, Lawrence et Rim­baud, Monfreid et Malraux. Sa rencontre avec de Roux était fatale.

 

Ecrire une biographie c'est aussi, c'est surtout, écrire sur soi-même, retracer les étapes d'une vie étrangère pour mieux comprendre son propre cheminement intérieur. Rémi Soulié a donc mis ses pas dans ceux du Don Quichotte avey­ronnais, ce qui nous vaut de jolis passages, rencontré des témoins, nourri une abondante correspondance avec ses pro­ches. Son livre est riche de citations, et dans sa relation intime avec de Roux, il lui parle autant qu'il nous parle de lui. Raison pour laquelle Soulié ne craint pas de se montrer par endroit hermétique, voire ésotérique.

 

De Roux, la littérature et la droite. C'eût été un parfait sous-titre si Rémi Soulié avait jugé bon d'en ajouter un. En­core faut-il, avec un aussi subtil dialecticien, s'entendre sur les mots. De quelle droite parlons-nous ? En politique, de Roux honnissait le nationalisme et la propriété privée. En France, ce voyageur infatigable se considérait en territoire ennemi. Côté littérature, de Roux méprisait les hussards, qu'il qualifiait dédaigneusement de «chevaux-légers de la bourgeoisie». La Droite selon Dominique de Roux, Droite avec un grand "D" (comme Evola l'écrivait du reste, et Sou­lié ne manque pas de faire le lien), est partout où domine le tragique, donc le sens du sacré, dans la marche de l'His­toire. Héroïsme et folie sont valeurs de droite, qui définis­sent en littérature le Grand Art. Sont de droite Claudel, Hei­degger, Gombrowicz, Lawrence, Jünger, Benn, Céline, Artaud, Biely, Blanchot, Cummings, Pound, Genet, Nizan, Yeats, Joyce, Ungaretti, Gadda, Michaux. Une droite re­con­nue par lui seul, qu'il réinvente et redessine au gré de ses illuminations.

 

«Je soupçonne Dominique de Roux d'avoir lâché la corde avant terme pour ne pas assister à l'ultime désastre. Pro­phète comme il l'était, il aura préféré la vision béatifique à la société du spectacle.» Certains doutent de sa mort et préfèrent croire qu'il dort, roi du monde pétrifié dans la ro­che, sous un glacier, attendant son heure. D'autres pen­cheraient plutôt pour un repli stratégique dans une faille tel­lurique, quelque part entre Thulé et l'île de Pâques. Plus disert, Rémi Soulié conclut par l'impérieuse nécessité de sa relecture. «Dominique de Roux (...) desperado sudiste di­gne de notre piété.»

 

Entretien.

 

Q: Rémi Soulié, on sort de votre essai, Les Châteaux de glace de Dominique de Roux, converti. Il émane de cha­cune de ses pages une attraction mystérieuse que j'attri­buerai autant aux révélations que vous nous apportez sur ce personnage extraordinaire que fut Dominique de Roux qu'à l'inexplicable envoûtement de votre style, touché par une sorte de grâce qui le transfigure. Parfois, je me suis surpris à lire des paragraphes pour leur seule poésie, incapable «au réveil» de me souvenir de ce qu'ils disaient. Ce livre est celui d'un mystique. Au reste, son titre est déjà porteur d'un sens initiatique, comme s'il fal­lait entrer dans son œuvre comme on part en pè­le­rinage.

 

Rémi Soulié: Dans Immédiatement, Dominique de Roux évoque sa grand-mère et son «château de glaces». J'ai donc choisi ce titre parce que c'était une formule de Dominique de Roux lui-même, quelle renvoyait métaphoriquement à une demeure familiale  —et je me suis attaché à montrer ce que de Roux devait aux vacances passées en Aveyron, pen­dant son enfance— mais aussi parce que le château et la glace sont lourds de sens: ils évoquent à la fois l'en­ra­cinement profond, aristocratique, dans l'histoire de France, dans l'ancienne France, un «palais des glaces» où se réflé­chissent une image de soi fragmentée, une identité plu­riel­le, et, enfin, la mort. Dominique de Roux était hanté par la mort. Etait-ce pressentiment d'une fin prématurée, tro­pis­me romantique ? Sans doute les deux à la fois, et sans dou­te plus encore.

 

Q.: Dominique de Roux écrivain révolutionnaire -écrivain ET révolutionnaire, il ne viendrait plus aujourd'hui à l'i­dée de personne d'en douter. Mais dans quel camp était-il ? Droite-gauche-gaulliste-anar de droite ?

 

R.S.: Certainement pas révolutionnaire de gauche. Cela n'au­rait aucun sens. Son intérêt pour la Chine de Mao était esthétique, poétique —en ceci, il n'est pas très éloigné de Sol­lers, mutatis mutandis. Révolutionnaire de droite suppo­serait de sa part une adhésion doctrinale à un système par­ticulier également, or, même si l'on trouve dans son œuvre, surtout dans le Contre Servan-Schreiber, un jeu intellectuel sur le lexique maurrassien, Dominique de Roux ne saurait être réductible à une seule pensée politique. Il fut un hom­me d'action, certes, au service de la France gaullienne, en Angola, mais son gaullisme était mystique, non politique, selon la distinction de Péguy. Je vois en de Roux un poète de l'action, comme le colonel Lawrence ou Mishima. Il était attaché, sans doute, à une «certaine idée de la France», mais à une idée poétique, littéraire. Son anticommunisme, néanmoins, est évident. La catégorie d'anar de droite, si in­téressante soit-elle, François Richard la bien montré, est un peu un fourre-tout. On y «case» les irréductibles, ceux qui sont allergiques aux conneries puritaines de la bigoterie contemporaine et éternelle, à la figure increvable du «bour­geois», celle que Baudelaire, Flaubert, Bloy, Barbey ont décrit. Un Dictionnaire des idées reçues serait d'ailleurs impubliable de nos jours. Les hérauts socialistes et émi­nem­ment bourgeois de la liberté nous en empêcheraient. De Roux, en définitive, était bien révolutionnaire, parce que c'était un écrivain, et que tous les écrivains dignes de ce nom le sont. Pound, Borgès, Jouve, Céline, Gombrowicz, c'est aussi lui, c'est souvent d'abord lui.

 

Q.: Dominique de Roux nous a quitté il y a un quart de siècle. Selon vous, qui le connaissiez bien, qui peut pré­tendre aujourd'hui avoir pris sa place ? Ce qui m'amène à vous poser une deuxième question: quel apport à la lit­térature française fut le sien ?

 

R.S.: Personne n'a pris sa place, car personne ne prend ja­mais la place d'un écrivain —surtout un autre écrivain. Do­minique de Roux a néanmoins des admirateurs, par exem­ple certains jeunes collaborateurs de la revue Immédia­te­ment, placée sous son patronage. Marc-Edouard Nabe est un excellent connaisseur de de Roux. De Roux a marqué l'his­toire littéraire française, comme écrivain et comme édi­teur. Les Dossiers H de L'Age d'Homme, dirigés par Jac­que­line de Roux, sa femme, n'existeraient pas sans les Ca­hiers de l'Herne. Les auteurs dont je parlais précédemment sont entrés dans notre bibliothèque grâce à lui. Il a renou­velé notre façon de lire. Là encore, c'est révolutionnaire.

 

Q.: Au fond, que représente-t-il pour vous ?

 

R.S.: C'est un intercesseur, pour reprendre le mot de Bar­rès. Il donne des leçons de style, de courage, de vitesse, de passion, d'absolu, de colère; de Roux est un esprit libre, un homme seul qui a suivi sa vocation. C'est un «littéraire in­tégral», un homme pour qui la littérature était une vision du monde.

 

Q.: Le romancier Dominique de Roux m'a toujours in­trigué...

 

R.S.: Quoi qu'il écrive, Dominique de Roux était un styliste doué, d'emblée maître de son écriture et de son univers. Il est donc difficile, et sans doute réducteur, de comparti­men­ter son œuvre. Plus que pour d'autres écrivains, la ques­tion du genre, à mon avis, ne se pose pas vraiment chez lui. Je suis sensible à tous ses «romans» de Mademoi­selle Anicet au Cinquième Empire en passant par Harmo­nika-Zug et Maison jaune. Avec Mademoiselle Anicet, il a montré qu'il pouvait écrire, très jeune, un roman de fac­tu­re classique, «à la française», comme Une curieuse solitude de Sollers, avec lequel un parallèle s'impose à nouveau; à l'autre bout de l'œuvre, Le Cinquième Empire se lit comme un poème, lui aussi parfaitement maîtrisé. La beauté du Por­tugal éternel, mythique, celui du Roi caché, transparaît dans l'évocation dune situation exceptionnelle de crise. L'écriture de Dominique de Roux est limpide, et il a assi­milé Rimbaud.

 

Q.: Avant de lire Les Châteaux de glace votre nom m'é­tait inconnu. Force est de constater que votre livre se montre d'une grande discrétion à ce sujet. Rien ne filtre, ni sur vous ni sur vos antécédents. Quelques mots de votre part seraient les bienvenus à présent.

 

R.S.: J'ai trente-deux ans. Avant ce Dominique de Roux, j'ai publié un traité sur la promenade (*); j'avais alors une acti­vité d'enseignant-chercheur en littérature française, à l'U­ni­versité de Toulouse. J'ai collaboré à différentes revues, pu­blié plusieurs articles, universitaires ou non.

 

Q.: Et quels sont vos projets désormais ?

 

R.S.: Je corrige en ce moment les épreuves d'un essai sur Aragon, à paraître en janvier 2001 aux Editions du Bon Al­bert: Le vrai-mentir d'Aragon, Aragon et la France. J'es­père également publier dans les mois à venir une étude sur Jean Boudou, immense écrivain occitan, traduit en fran­çais, qui est l'égal de Jean Genet ou Mishima, pas moins! Je me suis attaché à le lire avec les lunettes de Freud et de Lacan —une écriture de la perversion, en bordure de la psy­chose. Je n'ai pas la religion de la psychanalyse, loin s'en faut, mais pour qui sait lire, surtout l'œuvre de Lacan, l'éclairage analytique, philosophiquement, est passionnant. Je publie en janvier 2001 une nouvelle, dans un recueil col­lectif, aux côtés de Georges-Olivier Châteaureynaud, Ho­meric, Victor Martin, Marie-Hélène Lafon et Denitza Ban­tcheva.

(propos recueillis par Laurent SCHANG).

(*) De la promenade, Editions du Bon Albert, 1997.

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