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mercredi, 25 novembre 2009

Georg Trakl: "Triumph des Todes"

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Triumph des Todes

Peter Brueghel d. Ä. pinxit, ca. 1562 -
cf.: http://rezistant.blogspot.com

O der Seele nächtlicher Flügelschlag:
Hirten gingen wir einst an dämmernden Wäldern hin
Und es folgte das rote Wild, die grüne Blume und der lallende Quell
Demutsvoll. O, der uralte Ton des Heimchens,
Blut blühend am Opferstein
Und der Schrei des einsamen Vogels über der grünen Stille des Teichs.

O, ihr Kreuzzüge und glühenden Martern
Des Fleisches, Fallen purpurner Früchte
Im Abendgarten, wo vor Zeiten die frommen Jünger gegangen,
Kriegsleute nun, erwachend aus Wunden und Sternenträumen.
O, das sanfte Zyanenbündel der Nacht.

O, ihr Zeiten der Stille und goldener Herbste,
Da wir friedliche Mönche die purpurne Traube gekeltert;
Und rings erglänzten Hügel und Wald.
O, ihr Jagden und Schlösser; Ruh des Abends,
Da in seiner Kammer der Mensch Gerechtes sann,
In stummem Gebet um Gottes lebendiges Haupt rang.

O, die bittere Stunde des Untergangs,
Da wir ein steinernes Antlitz in schwarzen Wassern beschaun.
Aber strahlend heben die silbernen Lider die Liebenden:
Ein Geschlecht. Weihrauch strömt von rosigen Kissen
Und der süsse Gesang der Auferstandenen.

Georg Trakl, Abendländisches Lied.

samedi, 14 novembre 2009

Trois critiques de Gus Bofa sur Céline

celine-et-arletty.jpgTrois critiques de Gus Bofa sur Céline

Article paru dans "Le Bulletin célinien", n°297, mai 2008

Gustave Blanchot, dit Gus Bofa (1883-1968), fut un illustrateur et un affichiste français de grand talent, bien oublié aujourd’hui. Grâce à la brève mais florissante vogue du livre de luxe dans la France des années 20, il parvint à réaliser la synthèse entre le dessin et l’écriture, laissant une œuvre singulière qu’il faudrait redécouvrir. Entre les deux guerres, il collabora, comme critique littéraire, au mensuel Le Crapouillot de Jean Galtier-Boissière. Son ami Pierre Mac Orlan a dit de lui : « Gus Bofa est avant tout un écrivain qui a choisi le dessin pour atteindre ses buts. Un texte de Bofa, un dessin de Bofa sont construits dans la même matière et l'un et l'autre sont animés de ce même rayon de poésie humoristique qui comprend tout ce qui tient une place entre la vie et la mort. ». Nous reproduisons ici les trois notes de lecture qu’il consacra à Céline en 1933 et 1937.

 

Voyage au bout de la nuit[

 

L'autre roman-dreadnought. Autant le livre de M. Mazeline est habilement construit et armé de tous les perfectionnements les plus récents, autant celui-ci est désobligeant, non-conforme aux règles, en quelque sorte difforme. Et pourtant il flotte. Et il y a là-dedans le meilleur et le pire : des pages d'humour excellentes, un très grand souffle de vérité profonde, émouvante, sous ce vagabondage délirant qui n'en finit plus, et surtout une rogne persistante, obstinée, souvent puissante, qui réjouira ou navrera le lecteur, dès l'abord, selon son goût et son tempérament. Ce mélange un peu chaotique, ce choix délibéré d'être sincère avec soi, au prix même d'être déplaisant, peuvent bien signifier le génie, dans le cas de M. Céline. Il est bien vrai qu'il y a, dans ce trop gros bouquin, quelque chose de considérable, d'anormal, d'inquiétant, mais de neuf, qui rebute d'abord et séduit ensuite, d'un attrait bien étonnant. Par une sorte de perversité inexplicable, l'auteur a adopté, pour rendre plus difficile la lecture de cette confession, une sorte de langue nouvelle, mêlée de péquenot et d'argot, que rien dans le personnage de son héros ne peut justifier et que lui-même oublie parfois pour parler en français. L'effet en est curieux, mais sans charme.

(Le Crapouillot, 1er février 1933)

 

L'Église

 

Cette pièce énigmatique n'a pas été jouée encore, et, malgré le succès du Voyage au bout de la nuit, ne le sera probablement jamais.

C'est dommage d'ailleurs, car elle ne prendrait son véritable sens qu'à la scène.

L'audace de certaines scènes y trouverait sa valeur de scandale possible, qui passe iaperçue à la lecture.

Le livre de Céline nous a étonné surtout par sa masse, aggravée d'un argot fanriqué exprès, plus encore que par la qualité ou la violence des idées de l'auteur.

La pièce, plus schématique, moins travaillée et surchargée, ne nous fournit plus cette sorte d'inquiétude qui donnait au roman sa qualité.

Céline n'est pas un pamphlétaire né. toute son énergie satirique est artificielle. c'est un effort brutal et vite vulgaire, pour sortir de soi-même, qui est timide, passif, bon et pitoyable.

Cet effort apparaît constamment à la lecture de ces cinq actes. il serait insensible au théâtre.

L'acte de la S.D.N., qui est un excellent sketch de revue, y serait amusant. Et certaines scènes – si la censure les laissait passer – y prendraient un caractère d'obscénité, capable d'émouvoir sûrement le public difficile de bourgeois moyens, que l'auteur veut atteindre d'abord.

Les fidèles de cette fameuse Eglise, qu'il renie si énergiquement.

 

(Le Crapouillot, 15 novembre 1933)

 

NDLR : Cette pièce fut jouée pour la première fois, par une troupe d’amateurs, le 4 décembre 1936, au Théâtre des Célestins, à Lyon.

 

Mea culpa suivi de La vie et l'œuvre de Semmelweis

 

La déconvenue parallèle de Céline s'exprime plus vertement que celle de Gide.

Elle est aussi plus totale et définitive.

Ecoeuré de l'Etat bourgeois, Céline a voulu croire au communisme russe. Déçu à nouveau, sa haine et son dégoût du monde occidental se doublent désormais d'une haine et d'un dégoût semblables pour l’U.R.S.S.

il exprime ce double sentiment – à son ordinaire – par un feu d'artifice d'imprécations choisie, pleines de force et de couleur, qui, étant cette fois admirablement en situation, prennent toute leur valeur littéraire. le morceau me paraît atteindre au chef-d'oeuvre du genre et mérite de figurer dans les anthologies.

Au point de vue critique, on pourrait trouver à y reprendre. Il détaille et précise mal ses griefs et ses reproches. Mais il n'est pas dans la nature de Céline de spéculer, non plus que dans celle d'une mitrailleuse de faire des cartons à la foire.

Parmi les éclats de tonnerre de son style, on discerne à peu près la solution que Céline propose au problème social.

Il voudrait abattre sommairement la moitié des humains, et massacrer sans façon l'autre moitié.

Ce remède, radical au moins en ce qui concerne le chômage, me semble mériter d'être longuement pesé.

Dans la seconde partie de Mea culpa (sans prendre sa part du titre, j'imagine!) il publie une réédition de sa thèse de doctorat sur la vie douloureuse et méconnue de Semmelweiss, "l'inventeur" de l'antisepsie.

Cet essai, écrit (pour un tas de raisons excellentes) dans une langue plus sévère et réservée que le Voyage ou Mort à crédit, n'en laisse pas moins apparaître l'ardeur, l'exubérance de son tempérament littéraire, comprimé comme la vapeur d'essence dans un moteur d'avion où chaque étincelle provoque une explosion et actionne les pistons dans les cylindres.

A l'état de prime jeunesse qu'il nous montre dans cette thèse d'examen, il rappelle par plusieurs points le tempérament d'un autre écrivain qui eut son heure de célébrité : Joseph Delteil.

Il y eut même un précurseur à l'un et à l'autre, oublié aujourd'hui, qui ne pouvait lui aussi écrire qu'à coups de canon et de hache, et qui avait nom : Georges d'Esparbès.

Mais c'étaient de pauvres petits canons de l'époque, qui paraissent risibles à côté de l'artillerie de dreadnought de Céline !

(Le Crapouillot, 15 février 1937)

 

 

jeudi, 12 novembre 2009

Dmitri Merezkovskij

Merezhkovsky.jpgDmitri Merezkovskij

Antonio Rossiello / http://www.italiasociale.org/


Lo scrittore e critico letterario Dmitri Sergèyevich Merezkovskij nacque a San Pietroburgo nella Russia zarista il 14 agosto 1865, ovvero il 2 agosto 1865 del calendario Giuliano allora in uso in Russia. Dmitri era figlio di un modesto funzionario, ufficiale di Corte a San Pietroburgo. Dal 1884 al 1889 studiò storia e filologia all'Università di San Pietroburgo, laureandosi in storia e filosofia con una tesi di dottorato in filologia su Montaigne. Merezhkovskij esordì in letteratura, essendo discepolo del poeta simbolista S. Nadon, con ''Stichotvorenija (1883 -1887)'', ( Poesie), nel 1888. Incontrò Zinaida Nikolevna Gippius, (nata il 20 novembre, ovvero l'8 novembre 1869 del calendario Giuliano, a Belyov in Russia), sua futura moglie, nel maggio 1888 durante una permanenza nel Borhoni / Borzhom in Caucaso; si sposarono nel gennaio 1889, all'età di 23 anni lui e di 19 lei. La coppia si stabilì a San Pietroburgo, dove nelle decadi seguenti il loro matrimonio, divennero animatori di un salotto, varando una società religiosa, ospitante intellettuali ed artisti, punto d'incontro del giro del secolo della scena intellettuale della capitale. Nel 1891 Dmitri fu in viaggio a Vienna ed a Venezia. Le sue fonti di reddito erano dovute ad un mantenimento da parte dei suoi familiari, nei primi anni, specie quando si assunse la responsabilità di sostenere dei viaggi per ragioni mediche relative a sua moglie. Nel 1892 uscì la sua seconda raccolta ''Simvoly, pesni i poemy''(Poemi, Simboli), che può essere considerata una sorta di ''manifesto'' poetico della nuova sensibilità decadente e simbolista.

In essa Merezhkovsky fu influenzato da Poe e da Baudelaire, introducendo temi e motivi che poi ricorsero nell'opera di altri simbolisti: cupo pessimismo, orgogliosa affermazione del proprio individualismo, condizione dell'uomo ''figlio della notte'', che è prigioniero di questo mondo e anela all'''altro'', dicotomia tra culto pagano della bellezza terrena e aspirazioni mistico-religiose. Merezhkovsky pubblicò una raccolta di articoli, ''O pricinach upadka i o novych tecenijach sovremennoj russkoj literatury'' ( Sulle cause della decadenza e sulle nuove correnti della letteratura russa contemporanea), del 1893, che è la prima ''dichiarazione d'intenti'' del decadentismo russo. In essa Merezhkovsky auspicava la creazione di ''una nuova arte ideale'', che avrebbe sostituito in Russia ''il volgare realismo utilitaristico''. Alla luce di tale concezione idealistica, che nel tempo assumerà connotazioni accentuatamente metafisiche e religiose, Merezhkovsky sentì l'esigenza di ''rivisitare'' l'eredità letteraria dei grandi scrittori del passato e si dedicò alla critica letteraria. Fu pensatore mistico cristiano ed ottenne delle entrate dai compensi dei suoi scritti filosofici, storici, religiosi e biografici, oltre che dalle sue poesie. Pubblicò novelle, poesie ed articoli su periodici di letteratura e di arte; libri dai quali percepì royalties e diritti d'autore. Fu uno scrittore sempre conosciuto, da quando pubblicava in Russia guadagnando molto.

Per le traduzioni, ricevette i diritti d'autore occasionalmente, dato che in Russia mancava un corrispondente accordo internazionale, gli editori stranieri erano liberi di rimunerare o meno le loro traduzioni degli autori russi. Queste considerazioni valgono per il periodo in cui visse all'estero. Zinaida descrisse nelle sue epistole le condizioni di vita non sempre facili. Le loro riserve erano limitate. La giovane coppia condusse una vita in condizioni più elevate in San Pietroburgo grazie agli scritti. Non ebbero figli per ragioni sconosciute. Il loro matrimonio burrascoso divenne apertamente una relazione a tre dal 1901 in avanti con Dmitri Vladimirovich Filosofov (1872-1940) che visse con loro nella stessa casa. Dmitri Filosofov e Vladimir Zlobin (1894-1967) furono i suoi segretari, editori e coautori. Merezhkovskij ammirò molto Dostoievsky e Soloviev, che incontrò. Negli anni seguenti al 1890 popolarizzò il simbolismo francese in Russia. La tradizione naturalista da Tolstoj a Dostoevskij era allora decadente, soppiantata dalla tendenza mistico/religiosa, verso cui Merezhkovskij si orientava. Arguì che gli autori naturalisti non erano stati tali, ma mistici. Merezhkovskij si accreditò iniziando il Simbolismo russo e l'età d'oro russa. Il Simbolismo era una reazione al naturalismo ed al realismo. Un grido della spiritualità contro il pensiero materialistico consecutivo russo. La pittura simbolista russa favorì le misteriose figure in cui raffigurò suggestivamente una sorta di spiritualità cui fu interessata. Giunsero ad una sorta di melanconia elegiaca.

I Simbolisti avocarono a sé una visione spirituale del mondo. Essi intrapresero una guerra contro il generale utilitarismo ed una concezione del mondo positivista, fra cui non inclusero né l'arte né la filosofia, sostituite da nuove istanze per i valori eterni. I primi simbolisti russi compresero che una sintesi tra il mondo corrotto e materiale e gli eterni valori non era possibile. Essi rigettarono la credenza che l'arte potesse servire il progresso sociale. Posizionarono l'artista come una figura libera divina in cui la vita ed il lavoro potevano puntare verso una vita elevata e spirituale. Essi videro l'artista come un mediatore di forze tra i mondi fenomenali e noumenali (intellettuali). Merezhkovski rappresentò gli scrittori come sé stesso quali veggenti di due differenti mondi, la carne e lo spirito. Questo tipo di pensiero si sviluppo in ''Cristo e l'Anticristo''. I Merezhkovski erano figure preminenti dell'età argentea. Zinaida Gippius fu una poetessa prolifica, scrittrice di romanzi e saggi, memorie, critiche, commedie; scrisse molti saggi critici di letteratura, religione e politica. Essi furono pubblicati su riviste letterarie di Mosca e San Pietroburgo e sui quotidiani sotto vari pseudonimi incluso Anton Krajny e Roman Arensky.

''L'anima è religiosa dalle origini, il sentimento di solitudine nel mondo è intollerabile se non c'è Dio'' e (Zinaida Gippius). La religione si connette con ogni sorta di Chiesa, inclusa la Chiesa Ortodossa, non si adeguò ad essa ed a suo marito. Dmitri cercava la sua via verso il divino come Fiodor Dostoevsky. Stimolò l'idea di una nuova Cristianità; una nuova Chiesa, dove la persona e Dio sono eguali. Espressero la loro neocristianità nelle parole e nei fatti di una vita scandalosa. La loro triplice unione con il filosofo Dimitri Filosofov, pubblicista e critico giocò un ruolo importante nell'unione artistica del mondo delle arti. Questa unione o famiglia allargata, mostrò assolutamente la nuova unione spirituale, ma la società considerava ciò con arroganza, come la continuazione della sua scandalosa poesia: ''Io non posso obbedire a Dio se io amo Dio...Non siamo schiavi ma figli di Dio, ed i bambini sono liberi come Lui''.

Nel 1900 l'enorme impero russo si era industrializzato con l'indebitamento finanziario estero tramite i prestiti monetari, senza una modernizzazione della sua struttura sociale. Nessuna prospettiva era data all'indicibile miseria della sua popolazione contadina, entrambi senza terra sotto la mercè dei proprietari terrieri, o indipendenti ma schiacciati dalle gigantesche tasse destinate a provvedere ai pagamenti dell'indebitamento russo ( i proprietari non pagavano le tasse). L'immensa sottoclasse proletaria viveva in condizioni miserevoli e si riversava nelle città e nei centri industriali. La crescita enorme della popolazione supplì ai soldati dell'esercito, ai lavoratori dell'industria, ai lavoratori siberiani coloni e nelle campagne. L'Impero fu scosso da una politica disordinata. Scioperi, dimostrazioni, scontri con la polizia occorsero in parecchie città. I radicali di sinistra ripreso il terrorismo politico. Le strutture rigide autoritarie dell'autocrazia sembrarono inabili a rispondere o ad afferrare ciò che stava accadendo.

Tolstoj veniva scomunicato dalla Chiesa Ortodossa. Dopo il 1900, Merezhkovsky propagò attivamente una ''nuova coscienza religiosa'', animò un gruppo di ''Cristiani spirituali'' che chiamò i cercatori di Dio (Hogoiskateli), o i decadenti. I Bogoiskatjeli o cercatori di Dio, erano una corrente che riunivano i personaggi noti come Società Russa del 1900. Tal gruppo incluse sua moglie Zinaida Gippius e Dimitri Filosofov, Vasilij Rozanov, V. Ternavcev ed altri. Fu direttore del movimento spiritualizzato, con al suo fianco nella direzione la poetessa Zinaida Kippius, Balmont, Brjusou, Sollogub. Dal novembre 1901 Merezhkovsky proiettò le discussioni tra ''i cristiani spirituali'' ed ''i cristiani ufficiali'' (rappresentativi della Chiesa Ortodossa). Nel 1901, entrambi i Merezhkovsky e l'amico Dmitri V. Filosofov, diventarono gli animatori di un movimento religioso filosofico, il cui scopo era promuovere in Russia una ''nuova coscienza religiosa'', fondando la Società Filosofico - Religiosa, il cui strumento di divulgazione fu la rivista ''Novyi put''(La Nuova via), che rifletteva le loro idee metafisiche. Questi incontri regolari erano conosciuti come le assemblee religiose di San Pietroburgo e durarono dal 1901 al 1903. Pensatore religioso e mistico, prospettò l'avvento di un mondo nuovo di libertà e compimento cristiano a cui si giungerebbe con l'attuarsi del regno dello spirito, invocato da Gioacchino da Fiore. L'attesa del Terzo Regno gli impose la necessità di svolgere un'azione pratica, che tentò a più riprese, in convegni religiosi e filosofici nel 1901 memorabili nella storia della cultura contemporanea russa. Nell'aprile 1903, queste assemblee filosofico-religiose furono proibite dalla Chiesa (da Pobedonoscev, procuratore del Sinodo Sacro, Ministro russo della Chiesa Ortodossa).

Perse molti lettori ed ebbe problemi finanziari dopo il moto ostile della Chiesa dall'aprile 1903. Merezhkovsky cercò altri contribuenti, i nuovi idealisti. Nel 1904 ''Novy Put'' fu sospesa. Merezhkovsky e sua moglie viaggiarono in profondità nella Russia oltre il fiume Volga, per visitare i mistici russi appartati nei monasteri. Si incontrarono con i rappresentanti di diverse sette mistiche. Merezhkovsky mantenne una corrispondenza con alcuni di questi Gnostici russi. Gippius scrisse una storia, descrivendo, con un grande percorso all'interno della conoscenza, i riti segreti della comunità Gnostica Khlystic. Gli autori da lui presi in esame vengono analizzati seguendo un procedimento ''antitetico'' che prende origine da un'opposizione fondamentale, che secondo Merezhkovsky ha determinato l'intera storia umana: l'antitesi tra religione della carne e religione dello spirito, tra paganesimo e cristianesimo. E nella storia letteraria russa gli ''archetipi'', le perfette incarnazioni di questi due principi contrapposti sarebbero state Tolstoj (''veggente della carne'') e Dostoevsky (''veggente dello spirito''). Su tale antitesi è basata anche una delle opere più significative di Merezhkovsky, pubblicata tra il 1896 ed il 1905 intitolata la trilogia di racconti storici ''Christos i Antichrist'', ''Christo e Antichristo'', un best- sellers europeo, formata dai romanzi ''Smert' bogov. Yulian Otstupnik'', (La morte degli dei. Giuliano l'Apostata) del 1896, ''Voskressie bogi. Leonardo da Vinchi (1899-1900)'', (La Resurrezione degli Dei. Leonardo da Vinci)'' nel 1901, e ''Antikhrist: Pyotr i Aleksej'', (L'Anticristo: Pietro ed Alessio) nel 1905 .

In quest'opera, costruita secondo un preciso, quanto ambizioso disegno filosofico, Merezhkovsky concentrò la propria attenzione su tre momenti storici nei quali più forte è stato, a suo parere, il presentimento del Terzo Regno, di quell'età aurea in cui l'umanità saprà giungere ad una conciliazione e ad una sintesi tra paganesimo e cristianesimo. Con questa trilogia fece rivivere il romanzo storico in Russia. Le sue tre parti, ambientate nelle separate epoche e aree geografiche, rivelarono l'erudizione storica, e servirono come veicoli per autori di idee storiche e teologiche. Sui problemi scottanti della Russia contemporanea, coloro che cercavano Dio non ebbero una chiara risposta o atteggiamento. Il loro misticismo era solo romantico, mostrarono poche potenzialità nel sollevare domande politiche e provvedere con soluzioni politiche. La sua trilogia fu contemporanea ai suoi viaggi a Roma e Costantinopoli. Fu il suo periodo più lucido, intellettualmente, in cui la forza espressiva del linguaggio raggiunse l'acme.

In Giuliano si ebbe lo slancio vivificante di numerose immagini, la fredda bianca Afrodite Amaudiomane, nata dalla spuma, non vergognosa nella sua medità, davanti a cui il futuro imperatore, nelle vesti del monaco cristiano, l'animo macerato dal dubbio, si inchina, stordito della luce improvvisa che lo risveglia alla vita - è l'attivo del trionfo pagano. Attivo oppositore del positivismo, predominante nella cultura russa, mosse la sua speculazione nei termini dell'antinomicità e della popolarizzazione; al pathos di Tolstoj, geniale veggente della carne pagano e panteista, oppose l'opera dell'eccelso veggente dello spirito che fu Dostoevskij, rivelatore dello spirito cristiano in senso vero. Antinomica è la trilogia del romanzo storico ''Cristo e l'anticristo'', opera modernista, dove alla storia di ''Giuliano l'Apostata, o la morte degli dei'', del 1896, è contrapposta ''Leonardo da Vinci, o la resurrezione degli dei'', del 1901 ; ''Pietro e Alessio'', nel 1905, la cui idea centrale è l'opposizione fra concezione greca della santità della carne e la concezione cristiana dello spirito, l'urto fra Cristo e l'anticristo.

L'anticristo acquisisce una terribile evidenza drammatica nella lotta narrata in un terzo romanzo ''Pietro e Alessio'' del 1905, a tal trilogia seguì un'altra storica, che rappresenta la lotta storica tra gli stessi principi (Cristo e anticristo) in rapporto ai futuri destini della Russia: composta dal dramma ''Pavel I'', (La morte di Paolo I) del 1908; e dai romanzi ''Aleksandr I (1911-'12) Pervyj'', (I segreti di Alessandro I) del 1911; ''Perventsy svobody. Istorija vosstanija 14 - go Dekabrja 1825'', (La congiura dei decabristi) del 1917. Allargò tale visione antinomica e la ripropose, come rivelatrice, in altre sue prospettazioni di storia e di critica. La storia fu pensata come processo che si compie in opposizione antinomica tra Regno del padre, nel Vecchio Testamento, e Regno del figlio, attuato nel cristianesimo.

Non riuscì a conferire a questa antinomicità una vera funzionalità dialettica, ad avvalorarla come il principio dell'interiore dinamismo di vita e della storia. Un ordine esteriormente immutato ed immutabile era effettivamente corroso, mentre piomba sulla Santa Russia - la Russia dello Zar, della visione messianica dell'Impero, della Terza Roma - la mannaia della rivoluzione sovietica. La missione implicita nella scritta scolpita nel salone dello zar ''il sole conobbe il suo ponente, e fu notte'' passò in mani che invertirono il significato e che l'agitarono fino al 1989, anno della caduta del comunismo sovietico. In seguito Merezhkovsky scrisse altre opere storiche, dove la storia risultava sempre più artificiosamente ''interpretata'' e finalizzata a precisi intenti dimostrativi da parte dello scrittore.

Pubblicò nel 1896 ''Novyj e stijkhotvorenija. (1891 - '95)''; nel 1897 ''Vechnye sputniki. Portrety iz vsemirnoj literatury'', ( Eterni compagni), raccolta di saggi su vari scrittori, e nel 1901-'03 ''Tolstoj i Dostoevskij'', (Tolstoj come uomo e artista: con un saggio su Dostoevsky), Il saggio critico ''Tolstoj e Dostoevskij ( 1901 - '03)'' segue la maturazione e l' inserimento di Merezhkovsky nel gran filone Dostoevskiano di fine ottocento, con un suo personale apporto. Fu pubblicato a puntate sul periodico ''Mondo dell'arte'' dal 1901 in avanti. Vladimir Pozner scrisse che era il libro di Merezhkovsky più profondo e vivo nella storia della critica letteraria russa. Delineò una sua prospettiva metafisica, una sua visione degli eventi umani fondata sull'avvento del Regnum, superiore armonia in cui si risolveva l'eterna lotta tra il Bene ed il Male attraverso la risoluzione degli estremi opposti - quando le due metà della verità, la cristiana e la pagana, saranno mature per integrarsi o ricongiungersi.

Piotr Kogan scrisse che la storia dell'umanità è da Merezhkovsky presentata come un presentimento del futuro Regno che unirà il principio pagano ed il principio cristiano. Merezhkovsky apprezzava i momenti in cui il presentimento del futuro si manifestava, quando in mezzo al cristianesimo trionfante o al paganesimo trionfante, cioè in mezzo al trionfo di una delle due metà della verità integrale, comparivano i cercatori di Dio, gli insoddisfatti, incapaci di scoprire le verità interna e incapaci di appagarsi ad una verità incompleta. Cercò la verità totale, integrale, assoluta. Sull'interpretazione antitetica fra Tolstoj, poeta della carne, e Dostoevsky, poeta dello spirito. Seguirono nel 1904 ''Sobranie stikhov. 1883-1903'', ( Collezione poetica); ''Gogol' i chort. Isledovanie.'', ( Gogol' e il diavolo) del 1906; ''Probok russkoj revoljatsii. Kjubileja Dostoevskogo'', ( Il profeta della rivoluzione russa) del 1906 di nuovo su Dostoevskij; i saggi di ''Grjaduscij Cham'', (Il veniente Cam) del 1906; nel 1906 ''Grjadushij kham. Chekhov i Gorkij''; nel 1908 ''Ne mir, no mech''; nel 1910 ''Bol'naja rossija'', (L Russia malata) ''Lermontov poet sverkhchelovechestvagogol, tvorchestvo, hizo, religija'', (Lermontov, il poeta della superumanità) del 1909 su Lermontov. Nel 1911 -'15 ''Polnoc sobranie sochinenij''; nel 1904 ''Dafnis i chloa. Povest-lotusa'', nel 1904 ''Ljubov' sil'nee smerti-ital'janskaja novella XV veka'', nel 1915 ''Bylo i budet. Dnevnik 1910-1914'', nel 1915''Dve tajny russkoj poezii. Nekrasov i tjutchev''; nel 1916 ''Budet radost, p'esa''; nel 1917 ''Nevoennyj dnevnik. 1914-1916''; nel 1917 ''Romantiki. P'esa''; se le opere in russo precedenti al 1915 erano state edite a San Pietroburgo, quelle successive fino al 1917 furono edite con il nuovo nome della medesima città capitale, ovvero Pietrogrado.

Merezhkovsky sostenne la monarchia russa, cui attribuiva una istituzione divina. Resistette al severo criticismo degli scrittori progressisti. Fu schernito in un articolo stampato in ''Osvobozhdenie'' nel 1902, un periodico underground pubblicato all'estero, in relazione al suo paragonare l'autocrazia russa ad un mistico ordine nel suo libro su Dostoevsky, riportava che il dipartimento di polizia, le regolazioni sui controlli fossero intensificati; sul ''Moskovskie vedomosti'', sul ''Grazhdanin'', sul ''Cossack'', si fece sarcasmo sulla convocazione e le forche ed altri attributi di protezione: erano anche oggetti dell'ordine mistico? Contenevano l'indescrivibile segreto di Dio. Il misticismo obbliga. Se l'idea di Monarchia è solo mistica e promossa, non come una frase sonora, ma con rispetto e timore, tale convinzione obbliga a combattere con furia contro l'ordine di polizia russo. L'autocrazia è un'idea religiosa, ma la difesa di tale idea è un argomento per Dio, e non per il dipartimento di Polizia. Qualunque sofferenza e miseria del popolo, il regime zarista manteneva il suo prestigio attraverso l'espansione dell'impero russo. Il Caucaso, l'Asia centrale ed il lontano est, province assorbite nel XIX secolo. All'inizio del XX secolo, la situazione mutò brutalmente. Nella guerra dell'est, l'imperialismo russo e il modernizzato Giappone si scontrarono.
Una guerra scoppiò circa l'influenza di zona in Corea e Manciuria.

merej9785699219971.jpgGli attacchi giapponesi alla flotta Russa di Porth Arthur nel febbraio 1904 assediarono la città ed inflissero una severa sconfitta all'esercito russo in battaglie gigantesche e spietate coinvolgenti più di 500.000 soldati ed annunciando i combattimenti di trincea della prima guerra mondiale. Porth Arthur divenne giapponese nel gennaio 1905 e la notizia della sua caduta scosse la Russia. I successi militari fornirono la giustificazione all'autocrazia dello Zar. Nel gennaio 1905, una folla di 200.000 persone si avvicinò al Palazzo di San Pietroburgo per portare una petizione allo zar. Fu crudelmente colpita dalle guardie, lasciando centinaia di morti e proruppe la via delle proteste e degli scioperi. La liberazione della Russia si ebbe con lo scoppio di una guerra contro il Giappone che attraversò metà del globo dal Mar Baltico al Mar di Giappone e per una controffensiva, fu affondata la flotta russa dall'armata navale giapponese nel maggio 1915, vicino all'isola di Tsushima.

Questo aggravò l'insurrezione popolare. Nell'agosto 1905, lo zar sotto la pressione della strada concesse un'assemblea parlamentare Duma al popolo, affossandola nei due anni successivi. Merezhkovsky, che era stato sostenitore della monarchia russa, cambiò opinione durante la rivoluzione del 1905, che apertamente sostenne. Sua moglie e lui divennero zelanti rivoluzionari, e scrisse molti versi politici. Con il fallimento della rivoluzione, la coppia emigrò a Parigi. Vissero due anni lì tra il 1906 ed il 1907, poi ritornarono. Dmitri mostrò l'insurrezione del 1905 come un evento religioso, rivelante una rivoluzione religiosa di cui divenne un fidato profeta.

Nel 1907, Dmitri e Zinaida Gippius, con l'aiuto di un circolo di amici ( Ern, Pavel Florenskii, Sergei Bulgakov Brikhnichev) fondarono in Mosca un giornale chiamato ''Zhivaia Zhizn''. Merezhkovsky e Gippius divisero la storia dell'umanità ed il suo futuro in tre fasi. Il regno di Dio Padre, il regno del Vecchio Testamento; il regno di Gesù Cristo, il regno del Nuovo Testamento, la presente fase che era chiusa, e il regno dello Spirito Santo o l'era del Terzo Testamento, che stava ora albeggiando, gradualmente rivelando un messaggio all'umanità. In queste rivelazioni, gli eventi del 1905 furono un messaggio di trasformazioni. Il Regno del Vecchio Testamento ebbe l'autorità divina come suprema; il Regno del Nuovo Testamento ebbe l'amore come autorità suprema; e il Regno del Terzo Testamento poteva rivelare un inno di libertà come suprema autorità. Questa felice via mondiale rispecchiò la felicità nella vita di Merezhkovsky, giovane importante, autore, famoso in Europa, sufficientemente ricco per disporre della sua vita liberamente.

I previsti Regni simboleggiavano un cambiamento nella coscienza umana; così il regno finale del Terzo Testamento annunciava una nuova coscienza religiosa, la genesi di una Nuova Umanità. Il Terzo Testamento doveva risolvere le presenti antitesi - sesso e ascetismo, individualismo e società, schiavitù e libertà, ateismo e religiosità, odio e amore. L'enigma della terra e del cielo, la carne e lo spirito poteva essere risolto nello Spirito Santo. Lo Spirito Santo avrebbe potuto redimere il mondo, dando all'umanità una nuova vita di pace, armonia e amore. Il Trino si realizzava nell'Uno, e la Cristianità Spirituale poteva essere condotta all'apertura.

Nel propagare la loro Causa del Trino nell'Uno Gippius e Merezhkovsky speravano in una rivoluzione religiosa, una metamorfosi spirituale dell'uomo per prepararlo al Terzo Regno. Gippius accordò lo scopo dello sviluppo di tutto l'universale storico, nella dell'umanità e del mondo nella loro forma presenti attraverso l'Apocalisse. Solo la venuta di Cristo potrebbe unire l'umanità nell'amore fraterno e nell'armonia della vita familiare. Nell'evoluzione spirituale della umanità la Chiesa apocalitticamente potrebbe essere instaurata non come un tempo, ma come una nuova esperienza di Dio nell'umana coscienza e nell'animo umano. Quando scoppiò la prima guerra mondiale nell'agosto 1914, le truppe russe entrarono in Germania. Merezhkovsky vide nella I guerra mondiale una battaglia per la cultura, che era, per la Russia, contro il militarismo tedesco. Dopo le iniziali vittorie l'offensiva russa tornò a scontrarsi per San Pietroburgo. Le truppe russe persero tutto il territorio tedesco che avevano guadagnato, poi la Polonia e la Lituania.

Nel 1916, l'esercito russo, interamente demoralizzato, malamente comandato perse costantemente terreno. La popolazione si lamentava contro l'imperatrice nata tedesca e contro il suo favorito guaritore Grigori Rasputin. San Pietroburgo si stava sgretolando sotto il peso dei rifugiati di guerra e della miseria dell'enormi classi inferiori. La società si stava lentamente disintegrando. Nella classe elevata, gli uomini erano attratti dalle ragazze giovani impoverite ed il numero dei divorzi salì. All'inizio della guerra, la città capitale era stata ribattezzata con il nome non tedesco di Pietrogrado. Zinaida Gippius la soprannominò Chertograd, città del diavolo, perché lo stato d'animo era nella città spaventoso. Successivamente la catastrofe militare della sconfitta e la seguente perdita finale del prestigio dello zar, la disintegrazione dello stato, la rivoluzione rovesciò lo zar nel marzo 1917.

Un regime democratico fu eretto, Merezhkovsky fu un forte sostenitore della giovane democrazia russa. La nuova Russia andò a combattere la Germania. San Pietroburgo fu messa in ginocchio, Berlino giocò la carta delle sollevazioni popolari interne alla Russia. Quivi si spandé un piccolo gruppo sovversivo, i Bolscevichi, con mezzi finanziari con la missione di prendere il potere, dopo la resa, per cui fu ceduto un'enorme territorio all'impero tedesco. Il leader bolscevico ebreo Vladimir Ilijc Ulianov, detto Lenin fu spedito in Russia in un treno militare tedesco, al fine di indebolire la difesa russa, dato che i rivoluzionari comunisti stavano adempiendo alla loro missione. Infatti organizzarono un colpo di stato e prendendo il potere nel novembre 1917 (la Rivoluzione d'Ottobre), firmarono l'armistizio con la Germania nel dicembre 1917. Sottoscrissero il trattato di pace di Brest - Litovsk con la Germania nel marzo 1918, con il quale essi rinunciavano all'Ucraina, alla Bielorussia, alla Finlandia, che entrarono nella sfera d'influenza della Germania.

In seguito i Bolscevichi edificarono un regime totalitario mostruoso, governando con il terrore, giustiziando migliaia di persone nei primi mesi della sua esistenza. Stabilirono la presa dell'industria con la nazionalizzazione delle fabbriche ( spesso estere) e denunciando tutto il debito estero. Si assicurarono il controllo dell'esercito con l'assegnazione di un ''guardiano'' comunista per ogni ufficio. Quando l'impero tedesco cadde, nel novembre 1918, sconfitto dagli U.S.A., il regime bolscevico abilmente sopravvisse in Russia in regime di autarchia, basandosi sulle proprie forze secondo i principi del marxismo leninismo del compagno Stalin. Merezhkovsky rigettò la nuova dittatura comunista come una caricatura diabolica del governo di Dio, come egli lo definiva, e fece un'attiva opposizione. I poteri democratici occidentali (Francia ed Inghilterra) sostennero, opportunisticamente come stati capitalistici, le truppe oppositrici al Bolscevismo con lo scopo di recuperare il loro patrimonio - debiti e facilitazioni già concesse al regime corrotto degli zar - e restaurare un governo eletto democraticamente.

Durante il 1919, le ''armate bianche'' per la democrazia si spinsero intensamente nella profondità della Russia. Le ''armate rosse'' vittoriosamente contrattaccarono nell'ottobre 1919 ed assicurarono il controllo di Pietrogrado. Nel dicembre 1919, Merezhkovsky abbandonò la vicina Polonia. Già sostenitore dei moti del 1905, in cui volle vedere l'inizio di quella ''rivoluzione religiosa'' che avrebbe preceduto l'avvento del Regno dello spirito in Russia, appoggiò anche la rivoluzione di febbraio 1917 ma le speranze di rinnovamento crollarono definitivamente con la successiva rivoluzione d'ottobre 1917, che egli considerava controrivoluzionaria, e con la presa del potere da parte dei bolscevichi.

Nell'aprile 1920, le truppe bolsceviche attaccarono l'esercito polacco ( per cui si avventurarono lontano dal Dniepr), raggiunsero la Vistola ed andarono vicino alla conquista di Varsavia nell'agosto 1920. Grazie all'intervento dell'Occidente, le armate russe furono sconfitte, mantenendo in uno stato di sopravvivenza la Polonia.

Nel 1919 i Merezhkovsky lasciarono la Russia e nell'ottobre 1920 emigrarono in esilio a Parigi in Francia, descrivendo il Bolscevismo nel 1920 ''Tsarevich Aleksej'', (Lo zarevic Aleksej) e nel 1921 ''Tsarstvo antikhrista'', edita a Monaco di Baviera, (Il Regno dell'Anticristo. Russia e il Bolscevismo) ed altri lavori poi tradotti in varie lingue. Fu autore di alcuni feroci pamphlet contro il regime comunista sovietico. Dmitri pubblicò due racconti storici sotto l'universale titolo di ''Rozhdenie Bogoy'' tra il 1924 - '25, (Nascita degli Dei), una bilogia ''Rozhdenie Bogov. Tutankhamon na krite'', ( Nascita degli Dei. Tutankhamon in Creta), edita a Praga e nel 1925 ?: ''Messija'' ( Il Messia o Akhenaton, re dell'Egitto o''Akhenaton, gioia del sole'', del 1927), edito a Parigi. ''La nascita degli Dei'',(romanzo onnicomprensivo dell'opera di Merezhkovsky, anche come tempo d'azione era situato all'origine delle tre trilogie).

Pozner riassunse il senso dell'impegno letterario di Merezhkovsky: ''Dopo anni di positivismo ricco di mediocrità e tracotanza, il tono profetico di Merezhkovsky, la sua erudizione, il suo interesse per i fenomeni della vita spirituale e religiosa, gli assicurarono i primi posti nella sua generazione, facendone uno scrittore la cui importanza oltrepassò le frontiere di un Paese. Nel 1925 ''Tajna trekh. Egipet i vavilon'', (I misteri d'Oriente), edito a Praga, romanzo di argomento egiziano, ambientato nell'Egitto faraonico. I racconti si concentrarono attorno al faraone egiziano Akhenaton, il fondatore ed uno dei primi conosciuti, vita breve, religione monoteista. Raffiguravano Akhenaton come un Messia, nel senso cristiano, come un'antica manifestazione di Cristo. Entrambe le novelle condivisero l'idea centrale di continuità ed integrità del mondo pre-cristiano e cristiano.

Il punto di volta del 1919-'20 fu la prova critica per i Merezhkovsky. Da allora, Gippius produsse lavori furibondi contro i bolscevichi, molto amareggiata. Il suo ultimo lavoro fu così soggettivo e capriccioso che si fece notare più per la forma che per il contenuto. Merezhkovsky divenne molto pessimista. Emerse il futuro felice di una Terza Età di libertà e lo Spirito Santo della sua vita dandy ed elegante in San Pietroburgo. Divenne il profeta di un destino funesto, prevedendo una fine imminente del mondo in ''Atlantis -Europa. Il segreto dell'Occidente'' del 1930. I Merezhkovsky ebbero successo nell'animare un salotto letterario russo nella loro casa, durante il loro esilio parigino. ''Tajna zapada. Atlantica - Evropa'', (Il mistero dell'Occidente: Atlantide - Europa), edito a Belgrado e tradotto in italiano come ''Atlantida'', edizione Hoepli nel 1937 a Milano. Nel 1932 - '34 ''Iisus neizvestnyj'', ( Gesù sconosciuto), edito a Belgrado; nel 1934''Jesus, der kommende'', edito a Frauenfeld; nel 1935 ''Tod und auferstehung; nel 1936 ''Pavel, Augustin''; nel 1938 ''Franz von Assisi'', edito a Monaco; nel 1938 ''Zanna d'Ark'', edito a Berlino; nel 1939 ''Dante'', edito a Parigi; nel 1942 ''Calvin'', edito a Parigi; nel 1933 ''Napoleone'', edito a Belgrado; ''Nirvana''. Le sue opere corsero di pari passo con la sua vita. La tristezza slava fu segnata da una aspirazione alla trascendenza.

La Terza Trilogia in cui, superati i momenti amari dei primi anni dell'esilio, la sua penna riprese ad essere lo strumento fervido della sua religiosità, della sua spiritualità inesausta - dei suoi tentativi di piegare gli uomini e gli avvenimenti per ricondurli più docili nel solco della sua visione profetica. Tale fu il suo limite, come sostenne Prampolini: ''l'ideologo ricorse al romanzo per illustrare il proprio pensiero, e la creazione artistica ne soffrì per i dominanti intendimenti sociali. I quadri sono arbitrari, perché preconcetti, l'arte del narratore soggiace alle intenzioni del teorico''. Merezhkovsky svolse l'attività di ''cercatore'' del divino sincero ed appassionato; a metà anni '20 era il più celebre degli scrittori russi del '900, mentre la cultura degli esuli russi antibolscevichi oppure nei Gulag, si era dispersa. Per Jean Chuzeville era divenuto disconosciuto. Merezhkovsky orientò l'attenzione di un settore di intellettuali russi verso il dominio della religiosità e dell'etica, contribuendo a riannodare le tradizioni letterarie russe abbandonate dopo la morte di Dostoevsky. La storia è considerata come titanomachia, e le personalità geniali al centro dei suoi romanzi sono in assoluto solipsismo.

Nell'agosto 1927, fondarono un circolo letterario chiamato ''Il lume verde'' con sue riunioni con giovani e vecchi scrittori russi ed un rispettabile numero di membri. Nel 1933 Merezhkovsky ricevette la nomina per il Premio Nobel per la letteratura grazie ai favori che riscontrò la sua trilogia ''Cristo e Anticristo''. ''Profeta'' ormai inascoltato, Merezhkovsky continuò a scrivere fino alla morte, limitandosi a divulgare, in maniera stanca e fumosa, le concezioni filosofiche e critiche elaborate nei decenni precedenti. Nella tarda età, Merezhkovsky stimò Benito Mussolini e Adolf Hitler, quali leaders capaci di sradicare il comunismo. Morì a Parigi il 09 dicembre 1941 a Parigi in Francia ovvero il 26 novembre 1941 del calendario Giuliano fu tumulato nel cimitero di Saint-Geneviève-des-Bois, lo stesso in cui fu inumata sua moglie, che morì il 09 settembre 1945 a Parigi. Nell'editoria italiana è stato dimenticato, infatti si reperiscono in librerie antiquarie solo ''Giuliano l'Apostata.

La morte degli Dei'', solo rare copie di ''Leonardo'' (La resurrezione degli Dei), introvabile il terzo volume della trilogia ''L'Anticristo'', (Pietro e Alessio). Altri scritti pubblicati in Italia negli anni '30 sui santi Agostino, Paolo e Francesco sono introvabili. L'editoria di estrema destra rivoluzionaria o radicale ha sempre trasmesso oralmente, mirando al nostalgico. Il militante nazionalrivoluzionario o nazionalpopolare rimaneva nel 1968 un sensitivo, senza una base dottrinaria, legata agli stati di animo ed influenzata dalla televisione e dai giochi senza ecologia, sociologia ed etologia, con una totale inadeguatezza. Il '68 con la sua sconfitta generazionale fece sì che, tale cultura per gli ostacoli finanziarii, fu ristretta ad un ambiente chiuso, che ha fatto ristagnare il mercato, frenando la programmazione editoriale a lungo termine. La cultura diversa e differente da quella marxista o anarcosettecentesco fece il resto. Merezhkovsky rappresenta la coscienza del progresso o avvicinamento dopo la contestazione giovanile del '68 per favorire il progressivo compimento di una organica formazione politico / culturale. Scrittore inattuale nell'Italia odierna, col suo misticismo fiammeggiante e il suo impegno sociale e politico antibolscevico. L'impegno traslato nella sua collaborazione alla rivista in lingua russa ''Sovremennyja Zapiski'' ( Annali Contemporanei ) negli anni d'esilio a Parigi. I suoi richiami amari e pressanti ai contemporanei, espressi nelle lettere aperte a Wells, Nansen e Hauptmann, assunsero valore profetico. Occorreva schiacciare il Regno della Belva che aveva la sua tana tra le mura dal Cremino: né la fede né le armi sarebbero serviti. Nel solco mistico ed esistenziale di Dostoevsky e Solov'ev. Lo sforzo intellettuale di rinnovamento lo fece assurgere a massimo esponente mistico corrente.


Antonio Rossiello  

 

15/04/2007

lundi, 09 novembre 2009

Promotie over Heidegger en Jünger

Promotie over Heidegger en Jünger  bereidt nieuw soort denken voor

Voorsprong na techniek

Thomas Blondeau / http://www.vincentblok.nl/


Afgelopen week promoveerden twee filosofen aan wat gekscherend wel eens de ‘Leidse Heideggerschool’ genoemd wordt.  Mare sprak met één van hen. Dr. Vincent Blok over zijn proefschrift dat in een confrontatie tussen schrijver Ernst Jünger en filosoof Martin Heidegger een omwenteling van de menselijke bestaanswijze voorbereidt.

martin-heidegger_1207721773.pngDe Duitse filosoof Martin Heidegger (1889 – 1976) zag zich vanaf het allereerste begin van zijn denken, geconfronteerd met de alomtegenwoordigheid van de techniek. Zijn inzet is geweest om een antwoord op het wezen ervan te formuleren.

De Duitse schrijver Ernst Jünger (1895 – 1998) formuleerde in zijn boek Der Arbeiter hoe het mensenslag van de arbeider in een technische wereld nihilisme kan overwinnen en de ontdekker kan zijn van nieuwe filosofische horizonten.

In zijn proefschrift Rondom de vloedlijn. Filosofie en kunst in het machinale tijdperk, een confrontatie tussen Heidegger en Jünger dat verleden week verdedigd werd, betoogt dr. Vincent Blok in navolging van Heidegger dat techniek alomtegenwoordig is en geen uitzondering toelaat. Ook protest tegen deze heerschappij is doortrokken van techniciteit. Wil de mens kunnen nadenken over techniek zonder ermee samen te vallen, dan moet worden gevraagd naar onze methode van spreken. Hier komt de filosofie van Heidegger en het dichten van Jünger om de hoek kijken. Hoewel het stellen van vragen in techniek gemarineerd is, toch een paar vragen aan Blok.

Wat heeft u bewogen tot het schrijven van dit proefschrift?

‘Vroeger begreep ik mijn eigen doen en laten in termen van het anti-imperialisme. Ik zat in de kraakbeweging en hielp mee met acties tegen de Zuid-Afrikaanse apartheid. Aan mijn anti-imperialistische houding lag de ervaring van de principiële “onwaarheid” van het imperialisme ten grondslag, en het ideaal van een alternatieve bestaanswijze die niet aan machtsuitoefening gebonden was. Als je op een gegeven moment bemerkt dat het imperialisme van bedrijven en staten een politiek-economische vertaling is van de struggle for existence als aard van het leven, dan is het anti-imperialisme geen reële optie meer. Ook het anti-imperialistisch verzet is dan doortrokken van de struggle for existence, dus van imperialisme. De ‘onwaarheid’ van het imperialisme kan dan alleen nog worden getoetst door de filosofische vraag naar het wezen van de macht. Zo ben ik tot mijn bezinning op het wezen van het imperialisme in het proefschrift gekomen.’

Martin Heidegger
Kun je de vraag van het proefschrift samenvatten in hoe men in het tijdperk van de techniek nog kan denken en dichten?

‘Als je vraagt naar het wezen van de macht, dan is niet duidelijk hoe je spreekt. Een uitspraak over het wezen van de macht die zelf van machtswellust doortrokken is, heeft haar onderwerp al in de rug. Ik kan dit misschien illustreren aan de hand van een voorbeeld.

‘Als ik zeg: “de huidige tijd is van een diepe slaap doortrokken”, dan heb ik twee mogelijkheden. Ofwel mijn uitspraak behoort tot de slaperige tijd, waarmee ze het risico loopt zelf slaperig en daarmee onwaar te zijn. Ofwel mijn uitspraak behoort niet tot de slaperige tijd, wat de uitspraak daarover ondermijnt. Klaarblijkelijk is de tijd niet zo slaperig, want deze uitspraak erover staat er buiten.

‘Hier ligt dan ook de grond om aan te sluiten bij het denken van Heidegger. Hij pretendeert een methode van denken te hebben gevonden die kan nadenken bij de techniek zonder ermee samen te vallen en zonder een alternatief of uitweg te zoeken. Het zijn de Leidse filosofen van Dijk en Oudemans geweest, die dit methodische karakter van het denken van Heidegger hebben opgenomen en tot zwaartepunt van het hedendaagse filosofisch nadenken hebben verklaard. Dat wordt dan wel eens gekscherend de Leidse Heideggerschool genoemd.’

Rondom de vloedlijn is de titel van het proefschrift. Waarom? Vanwege de ambiguïteit die het uitdrukt?

‘Het vervelende van een methodisch denken is dat het ook direct voor dit interview opgaat. Ik bemerk bij mijzelf de tendens om verhaaltjes op te hangen. Daar kan de filosofie natuurlijk niet in bestaan. Ik zal toch iets proberen te zeggen.

‘Uw vraag is welke ambiguïteit het woord ‘vloedlijn’ uitdrukt. Een antwoord op die vraag stelt die ambiguïteit voor, dat wil zeggen dat ze present wordt gesteld voor de lezer. Daarmee is de ambiguïteit zelf bij voorbaat al vernietigd en opgeheven. Wat is dat voor tendens in al onze vraag- en probleemstellingen, dat ze erop zijn aangelegd de zaken te verhelderen en beschikbaar te stellen? In die zucht tot presentie – en dat is wat techniek is - onttrekt zich de ambiguïteit, zo zou je kunnen zeggen.

‘Precies die verhouding tussen presentie en onttrekking speelt bij een vloedlijn. Een vloedlijn markeert niet de hoogste lijn van het water op het strand. In de vloedlijn onttrekt de vloed zich door achterlating van een lijn van schelpen en strandresten. Aan de vloedlijn kun je het afscheid van de vloed bemerken, zonder dat je daarover uitspraken kunt doen. Vandaar dat je alleen kunt verkeren in de nabijheid, rondom de vloedlijn. Daarmee is de aard van het methodische denken bij de techniek aangeduid.’

In uw proefschrift noemt u het werk van Jünger ‘dichten’? Zijn werk bestaat toch niet uit gedichten?

‘Jünger noemt zijn eigen manier van spreken Dichtung in zijn hoofdwerk Der Arbeiter. Ik benadruk dit omdat in zijn spreken een ambiguïteit schuilgaat. Heidegger zegt dat Jünger van voor tot achter schatplichtig is aan de metafysica van de wil tot macht bij Nietzsche.

‘Hoewel hij gelijk heeft in zijn plaatsbepaling van Jünger, ziet hij daarmee de andere zijde van Der Arbeiter over het hoofd, namelijk het dichterlijke van de gestalte van de arbeider. Waarom zou dit dichten niet thuishoren in het voor- en daarmee presentstellen?

j%C3%BCnger+heidegger.JPG‘Jünger zegt bijvoorbeeld dat de gestalte van de arbeider zoals die in het boek naar voren komt, niet is en ook niet van deze wereld is. Daarmee wordt duidelijk dat Jünger in Der Arbeiter de gestalte niet voorstelt. Hoe spreekt Jünger dan wel? Op een gegeven moment zegt Jünger dat “de heerschappij van de gestalte in wezen al is gerealiseerd maar nog uit haar anonimiteit te voorschijn moet worden gehaald”.

‘Daarmee wordt duidelijk waar het in Der Arbeiter om draait, namelijk het dichten als naamgeving. Dat is een mogelijke weg van de kunst in ons technisch tijdperk.’

U zegt dat het dichten en denken van Jünger en Heidegger in het teken van een overgang van de menselijke bestaanswijze bestaat. Waarin bestaat die overgang? En zag Heidegger die niet op een gegeven moment in het nationaal-socialisme?

‘Heidegger zegt dat wij de vanzelfsprekende bepaling van de mens als het denkende subject moeten verlaten, willen wij oog krijgen voor ‘onze verhouding tot het wedervarende’, de betrekking die altijd al bij voorbaat onze omgang met de dingen structureert. Voor het subject is elke bepaling subjectief of objectief, terwijl hij geen oog heeft voor de subject-objectverhouding die zijn bestaanswijze bij voorbaat altijd al heeft getekend.

‘Deze omwenteling van de menselijke bestaanswijze is niet zondermeer door te voeren. Ze is niet een beslissing van de mens als het denkende subject, maar vergt volgens Heidegger een ‘Anspruch’ (=appel, TB) die door het denken alleen kan worden voorbereid.’

In de jaren dertig dacht hij dat het moment van de omwenteling aangebroken was. Nadat hij rond 1938 inzag dat de nationaal-socialistische revolutie van Hitler niets te maken had met de door hemzelf beoogde omwenteling, verschoof hij haar naar een übernächste Generation. In dat opzicht is ook mijn eigen denken in het proefschrift voorbereidend van aard.’

Gaat u ervan uit dat in deze ‘tijd van onbehagen’ een absoluut nihilisme heerst? Probeert u op deze toestand een antwoord te formuleren?

‘U wijst met deze zinsnede op de titel van het boek van Ad Verbrugge. Wat hij cultuurverlies noemt en de heerschappij van het consumentisme, wijst op de ervaring van het nihilisme als onze ‘Normalzustand’. Ik deel zijn intuïtie van de ‘onwaarheid’ van de mens als consument van harte. Voor mij is evenwel de vraag waar in de wereld je bevestiging voor deze intuïtie kunt vinden. Ik ervaar geen tijd van onbehagen, want het nihilisme reikt zo ver dat het de cultuurkritiek evoceert en ook de oplossing voor elk onbehagen aanreikt. Voor mij speelt hier primair het methodische vraagstuk hoe ik kan nadenken bij het nihilisme.

‘Ik mag dat misschien illustreren aan de hand van het boek van Verbrugge. Hij wijst op onze wereld van de consumentistische behoeftebevrediging en zegt tezelfdertijd dat ‘in de mens de behoefte leeft aan een ‘zin’ die groter is dan hijzelf. Mijn vraag is dan of deze behoefte aan zin nu weer onderdeel uitmaakt van de behoeftebevrediging? ‘Is die gemeenschapszin als gedeelde dimensie er, of is het een bevredigde consumentistische behoefte? Volgens mij zou het verschil tussen zijn authentieke vraagstelling en de consumentistische behoeftebevrediging daarin moeten bestaan, dat hij uitziet naar een zin die als zodanig verre is, om zo de nabijheid ervan te ontberen. ‘Dit ontberen kent de consumentistische behoeftebevrediging niet. Die blijft nimmer onbevredigd achter en slokt alles op in een alomtegenwoordige beschikbaarheid.

Ik hoop dat hiermee duidelijk wordt waar voor mij het zwaartepunt ligt. Het is jammer dat die titel op de achterflap van mijn boek is gekomen, want ik wil mijn eigen denken helemaal niet in oppositie met Verbrugge gedefinieerd zien.’

Dit boek is een must voor kunstenaars, filosofen en anderen die vragen wat de mens vermag in ons machinale tijdperk.’ Dat staat te lezen in de perstekst die uw promotie begeleidt. Waarom is het boek een must?

‘Ik verwees net naar het nihilisme als onze ‘Normalzustand’. Ik geloof niet dat de vraag daarnaar minder speelt in de kunsten dan in de filosofie. Mijn boek onderscheidt zich doordat het geen alternatieven zoekt maar een nuchtere confrontatie zoekt met de techniek. Het laat zien wat filosofie en kunst vermag in ons technisch tijdperk en schetst daartoe een weg van het denken en een weg van de kunst en confronteert die met elkaar.’

In uw nawoord schrijft u dat de Amerikaanse bombardementen op Irak en de Al-Qaida aanslagen secundair zijn ten opzichte van de vraag naar het filosofische principiële, de semantische grond ervan. Is het niet schizofreen om dat te moeten zeggen, terwijl u tegelijkertijd in uzelf de neiging bespeurt om zich af te vragen of dergelijke aanslagen niet het teken zijn van ‘een breuk tussen de Westerse beschaving en een nieuw barbarendom’?

‘Een schizofrenie duidt op een gespletenheid, waarbij de remedie gevonden wordt in de opheffing ervan. Daardoor ontstaat eenheid en helderheid. In de filosofie gaat het erom empirisch te blijven, dat wil zeggen dat ik bij die gespletenheid zelf blijf zonder hem op te willen heffen. Nu is de vraag of ik niet evengoed de gespletenheid ophef door de aanslagen van Al-Qaida tot een secundair verschijnsel te reduceren. Voor mij is volstrekt duidelijk dat de heftigheid van de aanslagen van 11 september slechts aangeven hoezeer de islamitische samenleving wordt bedreigd – uiteindelijk wil ook elke Afghaan een televisie en een koelkast. Maar afgezien van dit voorbeeld heeft u wel een punt. Het is de vraag of het filosofisch principiële noodzakelijkerwijze de reductie van de ‘zijnden’ tot secundaire verschijnselen impliceert. Ik herinner mij dat Heidegger ergens spreekt van een aanval op het wezen van de mens door de middelen van de techniek, dat wil zeggen technische instrumenten. Daar zouden we ons verder op moeten bezinnen.’

Van dit stuk verscheen een kortere versie in de papieren versie van Mare 29.

Vincent Blok
Rondom de vloedlijn, Uitgeverij Aspekt. € 22,95
Te bestellen via
www.vincentblok.nl
Promotie was 20 april

samedi, 07 novembre 2009

L.-F. Céline et Jacques Doriot

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L.-F. Céline et Jacques Doriot

Textes parus dans "Le Bulletin célinien", n°297, mai 2008

 

Durant l’Occupation, deux grands partis étaient en concurrence : le PPF de Jacques Doriot et le RNP de Marcel Déat.  Les collaborationnistes, eux, se partageaient tout naturellement en deux camps : ainsi, au sein de la rédaction de l’hebdomadaire Je suis partout, Lucien Rebatet était un partisan de Déat alors que Pierre-Antoine Cousteau, lui, soutenait Doriot. La parution d’une monographie consacrée au chef du PPF nous donne l’occasion de revenir sur les relations entre lui et Céline.

 

   Une chose est certaine : même s’il lui reconnaissait du talent, Céline estimait Marcel Déat suspect en raison de ses anciennes fréquentations maçonniques et de ses liens étroits avec le parlementarisme de la IIIe République.

Ainsi, dans sa correspondance à Lucien Combelle, Céline n’a que sarcasmes  pour le chef du Rassemblement National Populaire ¹. Avant-guerre, Céline ne réservait d’ailleurs pas un sort plus enviable à Doriot, le raillant comme tous ceux (La Rocque, Maurras,…) qu’il qualifiait ironiquement de « redresseurs nationaux » ou de « simples divertisseurs » : « Alors avec quoi il va l’abattre Hitler, Doriot ? (…) Il veut écraser Staline en même temps ? Brave petit gars ! Pourquoi pas ? D’une pierre deux coups !... (…) Nous sommes en pleine loufoquerie » ². Céline, chantre d’une alliance continentale censée prévenir une guerre fratricide, voyait naturellement d’un mauvais œil les menées qu’il estimait bellicistes.

 

   Mais, sous l’Occupation, son appréciation de Doriot évolue,  celui-ci ayant adopté le tournant radical que l’on sait après la rupture du pacte germano-soviétique. Le chef du PPF lui-même s’engage en septembre 1941 dans la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme qui vient de se créer. Dans un entretien que Céline accorde peu de temps après à l’hebdomadaire doriotiste L’Émancipation nationale, il déclare : « Doriot s’est comporté comme il a toujours fait. C’est un homme. Eh oui, il n’y a rien à dire. Il faut travailler, militer avec Doriot. (…) Chacun de notre côté, il faut accomplir ce que nous pourrons. Cette légion si calomniée, si critiquée, c’est la preuve de la vie. J’aurais aimé partir avec Doriot là-bas, mais je suis plutôt un  homme de mer, un Breton. Ça m’aurait plu d’aller sur un bateau, m’expliquer avec les Russes. » ³. Pour les besoins de sa défense, Céline démentira après-guerre avoir tenu ces propos. Mais, dans une lettre adressée au même moment à Karen Marie Jensen, il écrivait : « J’irai peut-être tout de même en Russie pour finir. Si les choses deviennent trop graves, il faudra bien que tout le monde participe – ce sera question de vie ou de mort – si cela est vivre ce que nous vivons ! 4 »

 

   Quelques mois plus tard, le dimanche 1er février 1942, a lieu au Vélodrome d’Hiver un meeting organisé par la LFV sous la présidence de Déat avec Doriot comme invité vedette.  Céline y assiste en compagnie de Lucette Destouches. Une photographie en atteste, légendée de la sorte dans L’Émancipation nationale : « Le grand écrivain Louis-Ferdinand Céline a assisté à la réunion du Vél’d’Hiv’. Le voici suivant avec attention l’exposé de Jacques Doriot,  “Ce  que j’ai vu  en  U.R.S.S.“ » 5 .

   Alors que Doriot a regagné le front de l’Est, Céline lui adresse une lettre qui sera publiée dans le mensuel de doctrine et de documentation du PPF, les Cahiers de l’émancipation nationale. Céline y préconise notamment l’instauration d’un parti unique, « L’Aryen Socialiste Français, avec Commissaires du Peuple, très délicats sur la doctrine, idoines et armés » 6. Un passage vilipendant l’Église ayant été caviardé, il critiquera vivement « Doriot, formel et devant témoins, [qui avait juré]  de  tout  imprimer » 7. On observera que, durant toute l’Occupation, aucune lettre de Céline n’est publié dans L’Œuvre, le quotidien de Marcel Déat.

 

   Après une permission, Doriot rejoint à nouveau le Front de l’Est en mars 1943. Occasion pour son journal Le Cri du peuple de solliciter, durant une quinzaine de jours, les réactions de personnalités, dont Céline qui, laconique,  aurait déclaré : « Je n’ai pas changé d’opinion depuis août  [en fait, septembre] 1941, lorsque Doriot est parti pour la première fois » 8.

 

   Comme on le sait, toutes les lettres que Céline adressa aux journaux de l’occupation n’ont pas été publiées. Un exemple fameux : la lettre sur la France du nord et du sud adressée de Bretagne à Je suis partout (juin 1942). Jugée impubliable par la rédaction, elle fut conservée par le secrétaire de rédaction, Henri Poulain, pour n’être exhumée qu’un demi-siècle plus tard 9.

Apparemment, une autre lettre – adressée en août 1943 à Jacques Doriot – aurait subi le même sort car elle mettait en cause des cadres du PPF. Elle n’était d’ailleurs peut-être pas destinée à la publication, celle-là, encore que Céline l’aurait remise personnellement à Doriot. Voici ce qu’en écrit Victor Barthélemy, secrétaire général du parti et familier des réunions dominicales à Montmartre  : « Un dimanche de septembre [1943], je profitai de l’occasion pour dire deux mots à Céline à propos d’une lettre qu’il avait adressée, ou plutôt portée lui-même à Doriot, après l’affaire Fossati [NDLR : cadre du PPF exclu pour avoir entamé, sans l’aval de Doriot, des négociations avec le RNP en vue de la création d’un parti unique]. Céline affirmait qu’il n’était pas étonnant que Fossati « fût un traître », car avec ce nom en i et son origine « maltaise » c’était couru d’avance… D’ailleurs  il était  urgent que Doriot se débarrasse de ces Méditerranéens douteux (toujours les noms en i ou en o) tels que Sabiani, Canobbio, etc., et aussi de ce Barthélemy, dont le patronyme commençant par « Bar » pouvait à bon droit laisser supposer des origines juives. (À l’époque, on prétendait volontiers que les préfixes Ben, Bar, Ber pouvaient constituer présomption d’origines juives.) Cette lettre, Doriot me l’avait fait lire, en riant à gorge déployée : “Ce Ferdinand, il est impayable !”, avait lancé Doriot. J’en étais, pour ma part, un peu irrité, et bien décidé à dire à Ferdinand ce que j’en pensais. Il prit lui aussi la chose en riant et l’affaire fut « noyée » comme il convenait » 10. Maurice-Ivan Sicard, autre cadre du PPF, écrira, de son côté, que « les lettres que [leur] envoyait Céline étaient délirantes, difficilement publiables » 11.

 

   Plus tard, lorsque les jeux seront faits, Céline daubera sur le jusqu’au-boutisme des ultras et fera, dans D’un  château l’autre, un portrait sans complaisance des rescapés de la collaboration échoués dans le Bade-Wurtemberg. Quand on lui reprochera d’avoir fréquenté Doriot  à  plusieurs reprises, il écrira : « Il n’était point bête et mon métier de médecin et de romancier est de connaître tout  le monde » 12.  Manière de dire que seule sa curiosité était coupable…

Marc LAUDELOUT

Notes

1. « 43 lettres à Lucien Combelle (1938-1959) » in L’Année Céline 1995, Du Lérot-Imec Éditions, 1996, pp. 68-156. Relevons que ce sentiment n’était pas réciproque :

 « Céline, cette source vivante du verbe, qui,  après des livres prophétiques et macabres, rabelaisiens et pessimistes, avait publié Les Beaux draps, ceux-là mêmes que les bien-pensants vichyssois n’auraient pas voulu qu’on lave à la fontaine, et que, justement, il fallait blanchir avant de refaire le lit de la France » (Marcel Déat, Mémoires politiques, Denoël, 1989, p. 774).  Voir aussi cette relation d’un dîner chez le docteur Auguste Bécart, ami doriotiste de Céline : «  On arrive ainsi à 8 h moins le quart. Lecourt et le Dr Bécart viennent nous prendre. Nous dînons chez celui-ci avec Céline, etc. Très intéressant. Pluie de vérités truculentes sur tout le monde. Attaques raciales contre Laval “nègre et juif”, etc. Au demeurant très sympathique. » (« Journal de guerre de Marcel Déat », note du 23 décembre 1942, Archives nationales. Extrait cité par Philippe Alméras in Les idées de Céline, Berg International, coll. « Pensée Politique et Sciences Sociales », 1992, p. 172.)

2. L’École des cadavres, Denoël, 1938, p. 257. Doriot est également évoqué pages 84 et 174. Voir aussi Bagatelles pour un massacre, Denoël, 1937, p. 310.

3. Lettre inédite à Karen Marie Jensen, 8 décembre [1941], citée par François Gibault in Céline. Délires et persécutions (1932-1944), Mercure de France, 1985, p. 288.

4. Ivan-M. Sicard, « Entretien avec Céline. Ce que l’auteur du Voyage au bout de la nuit “pense de tout ça...” », L’Émancipation nationale, 21 novembre 1943. Repris dans Cahiers Céline 7 (« Céline et l’actualité, 1933-1961 »), Gallimard, 1986, pp. 128-136.

5. Albert Laurence, « Le Meeting », L’Émancipation nationale, 7 février 1942.

6. « Lettre à Jacques Doriot », Cahiers de l’Émancipation nationale, mars 1942, repris dans Cahiers Céline 7, op. cit., pp. 155-161.

7. Lettre à Lucien Combelle, 17 mars [1942] in L’Année Céline 1995, op. cit., p. 117.

8. « Le Départ de Doriot, Céline a dit... », Le Cri du peuple de Paris, 31 mars 1943,  repris dans Cahiers Céline 7, op. cit., p. 185.

9. Louis-Ferdinand Céline, Lettres des années noires, Berg International, coll. « Faits et Représentations », 1994, pp. 29-35.

10. Victor Barthélemy, Du communisme au fascisme. L’histoire d’un engagement politique, Albin Michel, 1978, pp. 365-366.

11. Saint-Paulien, Histoire de la collaboration, L’Esprit nouveau, 1964, p. 257.

12. Lettre à Thorvald Mikkelsen, 2 juillet 1946 in Louis-Ferdinand Céline, Lettres de prison à Lucette Destouches et à Maître Mikkelsen, Gallimard, 1998, p. 257.

 

 

 

Jacques Doriot

DoriotLaFrance.jpgFormé dans les écoles du Komintern à Moscou, député communiste à 25 ans, maire de Saint-Denis à 32, Jacques Doriot fut au sein du PCF le grand rival de Maurice Thorez. Pour avoir refusé de se plier aux exigences de Staline et prôné trop tôt un rapprochement avec les socialistes, il est exclu du Parti en 1934.

Deux ans plus tard, il fonde le Parti populaire français (PPF), qui n’est pas encore un parti fasciste au sens strict du terme, mais qui le deviendra pendant l’Occupation. Rallié prudemment à la Collaboration tant qu’a subsisté l’hypothèque du pacte germano-soviétique, Doriot ne brûlera vraiment ses vaisseaux qu’en juin 1941, lorsque les divisions allemandes se lanceront à l’assaut de l’URSS. Il réclame alors la création d’une Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) et, de tous les dirigeants des grands partis collaborationnistes, il sera le seul à combattre sur le front de l’Est, à plusieurs reprises.

Alors que les Allemands se méfient de lui, il affiche désormais sa volonté de faire du PPF « un parti fasciste et totalitaire » (novembre 1942) et finit par trouver auprès des SS le soutien que lui a refusé Otto Abetz sur instruction d’Hitler. Il trouvera la mort en Allemagne, le 22 février 1945, mitraillé sans doute au hasard par des avions alliés.

Ainsi disparaissait l’une des figures les plus énigmatiques de l’histoire politique française du XXe siècle. Le livre de Jean-Claude Valla retrace le destin singulier d’un personnage dont Pierre Pucheu, qui ne l’aimait guère, a pu écrire : « À vrai dire, je n’ai pas connu dans notre génération d’homme ayant reçu à tel point du ciel des qualités d’homme d’État. »

 

Jean-Claude Valla, Doriot,  Éd. Pardès, coll. « Qui suis-je ? », 2008, 128 pages, ill. (12 €).

vendredi, 06 novembre 2009

"Ernst Jünger " de Dominique Venner

Le livre que Dominique Venner vient de publier aux Editions du Rocher (ici) sur Ernst Jünger fera date. Cet essai du Directeur de La Nouvelle Revue d’Histoire sur le monumental écrivain allemand n’est ni une biographie, ni une étude littéraire proprement dites.


Dans cet essai Dominique Venner tente d’expliquer comment un des penseurs de la droite radicale de l’après Grande Guerre, auteur de La guerre notre mère est devenu un adversaire du nazisme qu’il avait, avant son avènement, espéré voir donner à l’Allemagne vaincue une renaissance attendue et à quel point sa pensée peut être intemporelle


L’auteur est bien placé pour comprendre l’émetteur d’idées allemand, sensible comme un sismographe aux évolutions du temps. Car comme lui il a connu l’épreuve du feu. Jünger sous les orages d’acier de la Grande Guerre, Venner en tant que soldat perdu de la guerre d’Algérie.


Ceux de ma génération qui n’ont pas connu de guerres du tout ont du mal à comprendre réellement, profondément, que les guerres puissent féconder ainsi les vies intérieures des hommes, être de véritables expériences fondatrices, avec des résultats bien différents d’ailleurs selon les tempéraments :  


Si l’on compare deux témoignages de guerre parmi les plus marquants, écrits par deux auteurs souvent rapprochés, on découvre que La Comédie de Charleroi, de Pierre Drieu la Rochelle, malgré la victoire française de 1918, ressemble fort à un livre de vaincu, alors que Le Boqueteau 125, écrit [par Jünger] après la défaite allemande de 1918, semble plutôt un livre de vainqueur.


Ce qui fait d’Ernst Jünger un soldat et un écrivain hors normes c’est qu’il [vise] plus haut que le but qu’il s’est assigné et qu’il a une constante « tenue » au moral et au physique. Un tel homme, qui est un écrivain né, ne peut pas être un doctrinaire et ne l’est d’ailleurs pas. C’est un écrivain qui a des idées, mais :


Ces idées sont soumises à variation sans souci de cohérence idéologique.


En réalité :


Jünger vivait pour l’idée et non par l’idée. L’idée était sa raison de vivre, mais elle ne lui rapportait rien sinon des tracas. Jünger était un penseur idéaliste et profond. Il ne fut jamais un politicien pratique, tout en s’adonnant au romantisme politique plus qu’il n’en a convenu.


Si les œuvres de jeunesse semblent contredire celles de la maturité qui commencent avec Sur les falaises de marbre, Jünger considère ses œuvres comme des périodes et non pas comme des contradictions. Pour lui il y a continuité dans ses œuvres de jeunesse et de maturité comme le Nouveau Testament prolonge l’Ancien :


Seule la conjugaison [des parties de mon œuvre] déploie la dimension au sein de laquelle je souhaite qu’on me comprenne.


Jünger en dépit de son nationalisme originel ne pouvait que s’opposer à Hitler. Dominique Venner en fin d’ouvrage résume les idées qui ont nourri cette opposition :


Son refus de l’antisémitisme et du darwinisme racial, son opposition à la russophobie, lui-même souhaitant l’alliance de l’Allemagne et de la Russie, même bolchevique.


Et souligne :


[Sa] répugnance toujours plus grande […] à l’égard des dirigeants d’un parti brutal, indignes d’incarner la nouvelle Allemagne.


Il y a plus :


[Jünger] a pris […] la mesure de ses vraies aptitudes, finissant par détester en Hitler ce qu’il n’était pas. Il avait commis l’erreur fréquente des idéalistes perdus en politique. Il n’avait pas compris à temps que celle-ci appartient au monde de Machiavel et non à celui de Corneille.


Une fois comprise cette opposition l’œuvre de Jünger s’éclaire d’un tout autre jour, surtout quand on sait que :


Dans toute son œuvre, Jünger montre qu’il ne pense pas de façon historique, mais à travers des mythes intemporels.


Jünger, dans Le Nœud gordien, paru initialement en 1953, explique que l’essence de l’antinomie dans chaque débat entre l’Est et l’Ouest se trouve dans la notion de liberté qui a deux significations majeures pour l’Occidental : liberté spirituelle d’abord et :


Liberté politique ensuite, refus de l’arbitraire, dont Jünger perçoit tout à la fois les limites et la nécessité.


En héritier de cette conception de la liberté typiquement occidentale Venner est convaincu :


Que l’Europe, en tant que communauté millénaire de peuples, de culture et de civilisation, n’est pas morte, bien qu’elle ait semblé se suicider. Blessée au cœur entre 1914 et 1945 par les dévastations d’une nouvelle guerre de Trente Ans, puis par sa soumission aux utopies et systèmes des vainqueurs, elle est entrée en dormition.


Cette intime conviction repose sur ce que l’étude historique lui a appris, mais aussi sur l’exemple insigne donné par l’attitude et la pensée d’un Ernst Jünger.


Pour ma part je reconnais qu’il y a en moi de l’anarque, figure tardive de l’univers jüngerien, qui m’est contemporaine et est décrite dans Eumeswil, roman publié en 1977 par Jünger à l’âge de 82 ans :


Sa mesure lui suffit ; la liberté n’est pas son but ; elle est sa propriété.


Francis Richard


Pour l'internaute intéressé, Dominique Venner a depuis peu un blog : (ici).

jeudi, 05 novembre 2009

Paganisme et nature chez Hermann Löns

loensp1.jpgPaganisme et nature chez Hermann Löns

 

Recension: Martin ANGER, Hermann Löns. Schicksal und Werk aus heutiger Sicht, G.J.Holtzmeyer Verlag, Braunschweig, 1986, 190 p., 32 ill., ISBN 3-923722-20-6.

- Thomas DUPKE, Mythos Löns. Heimat, Volk und Natur im Werk von Hermann Löns, DUV/Deutscher Universitäts-Verlag, Wiesbaden, 1993, 381 p., DM 64,

ISBN 3-8244-4140-3.

- Thomas DUPKE, Hermann Löns. Mythos und Wirklichkeit, Claasen, Hildesheim, 1994, 224 p., 20 ill., DM 38, ISBN 3-546-00086-2.

 

Dans sa thèse de doctorat sur Löns, Dupke récapitule toutes les thématiques qui font de Löns un précurseur des mouvements naturalistes allemands (Wandervögel, écologistes, adeptes de l'amour libre). La thématique de l'amour libre procède d'une volonté de sensualiser la vie, d'échapper à la rationalité bureaucratique et industrielle. Amour libre et sentiment de la nature vont de paire et s'opposent à la Ville, réceptacle de toutes les laideurs. Löns fuit dans un espace sans société, où les règles de l'urbanité n'ont pas de place.

 

Le rapport paganisme/christianisme transparaît clairement: les paysans de la Lande de Lünebourg sont certes devenus de “bons chrétiens”, mais en surface seulement; dans leur intériorité, ils sont restés les mêmes, “ils secouent les liens que leur avait imposés la religion des chrétiens”. Mais, chez Löns, qui n'est pas à proprement parler un auteur néo-païen Dieu n'est pas remis en question, mais, face aux marodeurs qui écument la région, il devient, pour les paysans armés (les Wehrwölfe) un Dieu de la vengeance, comme dans l'Ancien Testament, mais aussi comme dans l'idéal païen-germanique de la Feme. Löns expose un conglomérat païen et vétéro-testamentaire, où il n'y a aucune séparation nette entre les deux héritages.

 

Pour Löns, le paysan de la Lande est un être éternel, sans histoire, inamovible face aux changements: il est l'Urtyp (le type originel) de l'“être du Volk”. Le paysan selon Löns est l'idéal d'un homme de communauté qui sélectionne sans état d'âme les plus forts, pour que survive sa communauté, matrice du peuple. L'idée dérive du projet eugéniste d'Otto Ammon, cherchant à préserver et à valoriser les classes rurales dans l'Allemagne en voie d'industrialisation et d'urbanisation. Cet idéal dérive également, constate Dupke, d'une triple lecture de Nietzsche, Lagarde et Langbehn. De Nietzsche, Löns a retenu les tirades contre les “Philistins”, imbus de leur “culture”. De Lagarde, l'idée d'une renaissance germanique, d'un retour aux valeurs originelles de la Germanie et des rites païens, capables de fortifier un christianisme régénéré et germanisé (Lagarde n'est pas païen!). De Langbehn, l'idée du paysan comme “meilleur Allemand”, par sa simplicité, sa frugalité et sa forte capacité d'intuition.

 

Le contexte dans lequel évolue Löns, qui est celui de toute la contestation allemande de 1890 à 1914, débouche sur deux perspectives pratiques: l'Heimatkunstbewegung (= le mouvement de l'art du terroir) et sur la fondation de “parcs naturels”. Le 30 mars 1898, le parlement prussien vote une mention préconisant la création de réserves naturelles sur le modèle de la loi américaine de 1872 (pour le “Yellowstone Park”). Löns a soutenu cette initiative, avec le botaniste Hugo Conwentz, mais était sceptique; les parcs ne deviendront-ils pas zones récréatives pour citadins, les dimanches ensoleillés? Pour Löns, la protection de la nature et du patrimoine rural ne devait pas se limiter à ces parcs, mais être généralisée à tout le pays, en tous domaines (Robert Steuckers).

mercredi, 04 novembre 2009

Trece poetas argentinos y un homenaje a Ezra Pound

Trece poetas argentinos y un homenaje a Ezra Pound

“ARGENTARIUM”, UNA ANTOLOGIA BILINGÜE DE LOS POEMAS CORTOS DEL ESCRITOR

En 1885, en una cabaña de Idaho, en la norteamerica profunda, nacía un bebé de nombre Ezra y de apellido Pound. A poco de crecer, Ezra fue expulsado por conductas indecorosas como ayudante universitario, emigró a Europa y desde allí fue el padre maldito de la poesía norteamericana contemporánea, promotor e influjo de las vanguardias literarias en el mundo. Hoy el sello Ediciones en Danza le rinde tributo con “Argentarium”.

El título corresponde a un libro bilingüe que, bajo la mirada atenta del poeta Jorge Aulicino, reúne las traducciones que 13 poetas argentinos de distintas generaciones hicieron sobre la obra de Pound a lo largo del último siglo. Desde la versión que en 1946 Rodolfo Wilcock publicó sobre La Primavera, hasta los recientes trabajos de Ezequiel Zaidenwerg. Los créditos de las traducciones no están debajo de cada uno de los 47 poemas incluidos, sino al terminar el libro. El fin buscado es el de exaltar la obra poética y poner en segundo plano la intervención de los traductores.

Esta decisión produce un segundo efecto, curioso. Porque si, efectivamente, una voz homogénea parece recorrer los textos, hay una segunda voz que, si bien prudente, por momentos emerge del Pound universal: es la voz de un Pound rioplatense.


A pesar de su presencia intermitente, el uso del voceo, la incorporación de términos coloquiales o locales como “chicos” en vez de “niños”, y hasta la decisión que Aulicino toma al elegir -con todo lo que connota en estas tierras- la palabra “asado” para referirse a la carne asada al horno en el poema Versos gnómicos, son rasgos que diferencian a “Argentarium” de cualquier otra antología del poeta en lengua castellana. Decisiones que, cuando se toman, armonizan con la idea que el propio Pound tenía de la traducción: traducir lenguas, épocas, situaciones culturales, generar textos autónomos respecto de los originales e, incluso, a veces, rubricarlos con la firma del traductor.

Cuenta Javier Cófreces, poeta y director de Ediciones en Danza, que hacía más de 20 años que no se publicaban libros con traducciones argentinas de Pound. La decisión de “Argentarium” es, en cierto modo, una toma de posición en el campo intelectual.

Pound es un padre incómodo para la literatura norteamericana y para la poesía contemporánea en general. “Está claro que su genio y figura resultan más conocidos por los escándalos políticos, que por la lectura profunda y minuciosa de su obra” opina Cófreces.

“Argentarium” comienza con las traducciones que ya habían sido publicadas. Son los trabajos de Alfredo Weiss, Rodolfo Wilcock, Carlos Viola Soto, Marcelo Covian, E.L. Revol, Jorge Perednik y Gerardo Gambolini.

A continuación aparecen las traducciones inéditas hasta el momento. Son las de Jorge Aulicino, Jorge Fondebrider, Javier Cófreces-Matías Mercuri, Jonio González, Ezequiel Zaidenwerg y Silvia Camerotto.

En uno y otro caso, la mitad de los poemas elegidos por traductores y poetas, corresponden a “Lustra”, un libro en que Pound experimenta cabalmente con la utilización del verso libre. Una práctica que marcó a fuego los últimos cien años de poesía.

Gabriel Reches

Extraído de Clarín.

~ por LaBanderaNegra en Octubre 22, 2009.

lundi, 02 novembre 2009

Statthalter des Geheime Deutschlands

StefanGeorge.jpgJanuar 2004

 

Statthalter des Geheimen Deutschlands

Mit Stefan George verschied vor 70 Jahren eine elitäre Jahrhundertpersönlichkeit der deutschen Dichtung

 

In der Person Stefan Georges (1868-1933) erwuchs zuerst dem literarischen Naturalismus, der sich dem Häßlichen und Gewöhnlichen zuwandte, und dann der modernen Massendemokratie ein Kritiker von unerbittlicher Strenge. Georges Kontrastprogramm zielte in gemeißelter Sprache auf eine Vergöttlichung der Kunst und die Überwindung des liberalkapitalistischen Dekadenzsystems durch die Vision eines Geistesadels und eines mythenumrankten neuen Reiches. Bis heute hat der George-Kreis und dessen Kraftquell des Geheimen Deutschlands nichts von seiner Faszinationskraft eingebüßt.

Als Ausdruck der europäischen Zeitkrise hatte sich im letzten Drittel des 19. Jahrhunderts der Naturalismus zu einer machtvollen Kunstströmung entwickelt. Mit der drastischen Wiedergabe des Lebens und seiner Spannungen und Schattenseiten verbanden viele Naturalisten eine Anklage der Verhältnisse im Zeitalter der Hochindustrialisierung. Aus dem Widerwillen gegen die Elendsschilderungen des Naturalismus mit ihrer gewollt glanzlosen und alltagsnahen Sprache erwuchs die Gegenbewegung der Symbolisten und Neuromantiker. Ein neues Kunstwollen in Sprache und Motivik sollte die Alltagsniedrigkeit hinter sich lassen und in einer symbolhaltigen Sakralsprache die Ehre der Kunst und der Kultur wiederherstellen.

 

Anreger Nietzsche

 

Bedeutender Anreger der Symbolisten und Neuromantiker war kein Geringerer als Friedrich Nietzsche (1844-1900). Mit seinem Hauptwerk »Also sprach Zarathustra« (1883/84) schlug der Künder des Übermenschen seine Zeitgenossen in den Bann. Auch der junge Stefan George ließ sich von der religiös-erhabenen, kunstvoll durchformten Dichtersprache gefangennehmen. Über das Ästhetische hinaus faszinierten der seherische Gestus und die Ankündigung einer Zeitenwende, in der ein neuer Adel über die »letzten Menschen« triumphieren und den Nihilismus zu Grabe tragen werde. Als Nietzscheaner griff George zum Federkiel und sollte als weihevoller Sprach- und Ideenschöpfer selber einmal einen stattlichen Kreis von Jüngern um sich sammeln.

In Büdesheim bei Bingen wurde George am 12. Juli 1868 geboren. Mit 18 Jahren begann der Sohn eines Weinbauern mit dem Dichten, das sich noch weitgehend im Kosmos jugendlicher Gefühle bewegte; auffällig ist allenfalls die häufige Beschwörung von Dunkelheit und Vergänglichkeit. Gesichtsausdruck und Gebaren hatten bereits in den jungen Jahren etwas Melancholisches, Kühles und Erstarrtes, zu dem dann mit zunehmendem Alter das Abweisende und Imperatorische hinzutrat.

In betonter Abschottung vom verachteten Gesellschaftstreiben setzte George seine Dichtung ins Werk. Der deutschen Sprache sollte Würde, Glanz und Zucht wiedergegeben werden. Die Zeilen prunken mit einer feierlichen, mythischen und dräuenden Stimmung. Streng geformte Verse, bisweilen schimmernd wie schwarze Perlen, wurden durch eine eigene Rechtschreibung und Zeichensetzung mit der Aura des Exklusiven versehen.

Der Rheinhesse verachtete den Markt und dessen Reklamehaftigkeit und Nutzendenken; seine hochgezüchtete Lyrik, die bisweilen übertrieben und gekünstelt wirkt, sollte deshalb auch einem schnellen Kunstkonsum und billiger Marktgängigkeit entgegenwirken. Ganz Symbolist, Sinnbilder (Symbole) zur Errichtung einer autonomen Welt der Schönheit und Reinheit zu verwenden, baute er am Tempel einer zweckfreien Kunst. Für sich selbst sah er die Aufgabe als Tempelwächter, ja als Tempelherr. Später, nach seiner Hinwendung zu einem neuen Reich als Dach einer veredelten deutschen Gemeinschaft, umschrieb er seinen Sendungsauftrag mit den Worten: »Ich bin gesandt mit Fackeln und mit Stahl, daß ich euch härte.«

Nach dem Abschluß der Schule 1888 bereiste George als unruhiger Schönheitssucher Europa, erlernte Sprachen und unternahm weitere Bildungsanstrengungen. Mit den »Hymnen«, den »Pilgerfahrten« und dem Ludwig II. geweihten »Algabal« erschienen die ersten Gedichtbände. Als Forum für einzelne Dichtungen dienten die »Blätter für die Kunst«. In der zweiten Hälfte der neunziger Jahre hatte sich der Dichter bereits größere Anerkennung erworben und einen Kreis von Freunden und Bewunderern um sich versammelt.

Mit der Zeit entwickelte sich aus dem losen Gesinnungskreis um die »Blätter für die Kunst« der George-Kreis als strenge und hierarchische Gemeinschaft. George fungierte als unangefochtener dichterischer Meister, geistiger Ideenformer und sozialer Gesetzgeber. Noch heute widmen Literaturwissenschaftler, Historiker und Sozialpsychologen dem Faszinosum des George-Kreises Aufsätze und Bücher. Um den Meister als Zentralinstanz dieses »Staates« sammelten sich Jünger, von denen einige Spuren in der Geistesgeschichte hinterließen, so Max Kommerell, Friedrich Gundolf, Ernst Kantorowicz und Claus von Stauffenberg. Der Versuch Georges, den Symbolisten Hugo von Hofmannsthal und den Lebensphilosophen Ludwig Klages in sein Herrschaftsgebilde einzubinden, scheiterten, wie generell die eigentümlichen Sozialbeziehungen des Kreises höchst zerbrechlich waren. Hinzu kamen bizarre Blüten wie der Göttlichkeitskult, den George um den Knaben Max (»Maximin«) Kronberger veranstaltete, und skurrile Maskenfeste, die den Verdacht eines homoerotischen Männerbundes nährten.

 

Geheimes Deutschland

 

Tragende Idee des George-Kreises war das Geheime Deutschland, ein Mythos, der in der Herrlichkeit und geistigen Strahlkraft des staufischen Kaisertums Friedrich Barbarossas und Friedrichs II. seinen Wurzelgrund hat und von Hölderlin verschlüsselt in die Dichtung eingeführt wurde. Im November 1933 sprach der Georgianer Ernst Kantorowicz in einer Vorlesung vom Geheimen Deutschland als dem teutonischen Olymp, dem ewigen deutschen Geisterreich:

»Es ist die geheime Gemeinschaft der Dichter und Weisen, der Helden und Heiligen, der Opferer und Opfer, welche Deutschland hervorgebracht hat und die Deutschland sich dargebracht haben. (…) Es ist ein Seelenreich, in welchem immerdar die gleichen deutschesten Kaiser eigensten Ranges und eigenster Artung herrschen und thronen, unter deren Zepter sich zwar noch niemals die ganze Nation aus innerster Inbrunst gebeugt hat, deren Herrentum aber dennoch immerwährend und ewig ist und in tiefster Verborgenheit gegen das jeweilige Außen lebt und dadurch für das ewige Deutschland.«

Das Geheime Deutschland ist danach zugleich ein Reich von dieser und nicht von dieser Welt, ein Reich der Toten und Lebenden. Eine solch metaphysische Reichsidee wies eine natürliche Distanz zu den politischen Realitäten mit ihrem schnöden Tagesgeschäft auf. Den Kriegsausbruch 1914 wertete deshalb auch George als reinigendes Gewitter, das in eine morsche Zivilisation fahre und einem gehärteten Menschenschlag aus überlegenem Geist das Feld bereite. Im dritten Buch des »Stern des Bundes« von 1914 entwirft George das Bild eines Adels, der vom überlebten Blutadel strikt abgegrenzt wird: »Neuen adel den ihr suchet/ Führt nicht her von schild und krone!/ Aller stufen halter tragen/ Gleich den feilen blick der sinne/ Gleich den rohen blick der spähe…/ Stammlos wachsen im gewühle/ Seltne sprossen eigenen ranges/ Und ihr kennt die mitgeburten/ An der Augen wahrer Glut.«

George verstand sich als »Dichter in Zeiten der Wirren«, der von seinem Schwabinger Hochsitz den Weimarer Demokratismus voller Verachtung anprangerte und durch die Rangordnung eines führergeleiteten neuen Reiches ersetzt sehen wollte. Voll Gegenwartshaß und in raunendem Prophetenton erklingt diese Vision in dem bekannten Gedicht, das er dem Andenken des Grafen Bernhard Uxkull widmete.

Das Dritte Reich Adolf Hitlers erfüllte die hohen Erwartungen des elitären Dichters aber nicht und löste Distanzreaktionen aus. Zu seinem Geburtstag am 12. Juli 1933 gratulierte Joseph Goebbels dessen ungeachtet in einem Telegramm: »Dem Dichter und Seher, dem Meister des Wortes, dem guten Deutschen zum 65. Geburtstag ergebenste Grüße und Glückwünsche.« Kurz darauf fuhr George in die Schweiz, wo er seit Jahren die Wintermonate verbrachte und im Dezember 1933 verstarb.

Kurz darauf hielt der Expressionist Gottfried Benn eine Rede, in der er den verstorbenen Dichterherrscher als das »großartigste Durchkreuzungs- und Ausstrahlungsphänomen« der deutschen Geistesgeschichte feierte. Der Laudator, der seinen elitären Ordnungswillen von der Kunst auf die Politik übertragen hatte und so zum Faschisten geworden war, destillierte die beiden Begriffe heraus, die wie keine sonst das Wesen von Georges »imperativer Kunst« erfassen: »Form und Zucht«. Dem Geist der neuen Zeit entsprechend, die demokratische Formlosigkeit durch Form, libertäre Anarchie durch Ordnung ersetzte, würdigte Benn das Formgefühl Georges aus dem Geist des Griechentums und Friedrich Nietzsches: »Form, das ist für weite Kreise Dekadenz, Ermüdung, substantielles Nachlassen, Leerlauf, für George ist es Sieg, Herrschaft, Idealismus, Glaube. Für weite Kreise tritt die Form ,hinzu‘, ein gehaltvolles Kunstwerk und nun ,auch noch eine schöne Form‘; für George gilt: die Form ist Schöpfung; Prinzip, Voraussetzung, tiefstes Wesen der Schöpfung; Form schafft Schöpfung.«

 

Jürgen W. Gansel

Ernst Jünger est mort: entretien avec Heimo Schwilk

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

 

 

Ernst Jünger est mort

 

Entretien avec Heimo Schwilk

 

Heimo Schwilk, né en 1952 à Stuttgart, a étudié la philosophie, la philologie germanique et l'histoire à Tübingen. De 1986 à 1991, il a été rédacteur au Rheinischer Merkur. Depuis 1991, Schwilk dirige la rédaction de la rubrique “Berlin und neue Bundesländer” du Welt am Sonntag. Pour ses reportages sur la Guerre du Golfe, il a reçu le célèbre prix “Theodor Wolff” en 1991. En 1988, il a édité chez Klett-Cotta un remarquable album de photographies sur la vie d'Ernst Jünger.

 

Q.: Quel vide laissera derrière lui l'écrivain Ernst Jünger qui vient de mourir ce mardi 17 février 1998?

 

HS: Tout d'abord, ils vont enfin pousser un soupir de soulagement, tous ceux qui ont voulu contester à Jünger la modeste place qu'il occupait encore dans cette société désarticulée qu'est la RFA. Lui, Jünger, l'homme que l'on ne pouvait pas utiliser, l'homme qui s'était volontairement soustrait au “discours” dominant, l'homme qui se désintéressait de la politique, est définitivement parti, se lançant dans sa dernière grande aventure, celle de la mort. Jünger nous a enseigné que la vie était mystère, que l'homme était un être merveilleux dans un monde merveilleux. Ce fondement romantique de la pensée de Jünger a en quelque sorte ouvert une faille dans le mur, faille qui le séparait, dès son vivant, de tous ceux qui travaillaient, opiniâtres, à la profanation et à la banalisation de notre existence. Jünger ne nous laisse aucun vide, mais un océan d'instants accomplis, qui sont devenus poésie dans un monde qui n'est plus que bavard-communicatif.

 

Q.: Bon nombre d'individus pressaient encore Ernst Jünger dans ses dernières années à prendre la parole en tant qu'“écrivain politique”. Il a toujours refusé. Mais entre les lignes, dans des remarques en marges, ne s'est-il pas mêlé subtilement au tumulte du monde, à sa manière?

 

HS: Ernst Jünger, immédiatement après l'accession au pouvoir des nationaux-socialistes a exprimé dans de nombreuses lettres jusqu'ici impubliées son sentiment: les discours sur la politique qui sont teintés d'opinions et de convictions équivalent à une auto-mutilation pour l'homme amoureux de la musique. Jünger avait derrière lui cinq années d'immixtion polémique dans des revues ou des ouvrages collectifs. Après 1945, il s'en est tenu à son verdict sur la politique. Les défenseurs de la littérature engagée se sont dressés contre lui et Benn disait de ses tristes sires, avec mépris: “ils rampent comme des chiens devant les concepts de la politique”. De fait, Jünger n'avait que bien peu de choses à apporter à ce discours qui se disait “démocratique”. En revanche, il avait énormément de choses à dire sur ce que Heidegger nommait les “existentiaux”: la temporalité, la déréliction (Geworfenheit), la mort. Il estimait que pontifier de la philosophie à côté des urnes électorales n'était pas une activité fort productive.

 

Q.: Pourquoi Ernst Jünger est-il tant apprécié de nos voisins, en particulier les Français, alors que chez nous, en Allemagne, il est demeuré un écrivain “contesté”?

 

HS: Etre contesté n'est en soi nullement répréhensible, pour autant que l'affrontement ait vraiment lieu et qu'on ne perpétue pas à l'infini, comme en Allemagne, une procédure de tribunal d'épuration. Les Français apprécient en premier lieu, chez Jünger, le fait qu'il a tant aimé leur pays  —et cela c'est sympathique—  qu'il le connaît parfaitement et qu'il le regarde dans ce qu'il a de spécifique. Ils paient tribut à sa moralité, celle avec laquelle il a mené à bien sa mission fort délicate d'officier des troupes d'occupation et d'écrivain en poste à Paris entre 1940 et 1944, sans jamais nuire à son intégrité. Ils aiment la clarté de sa langue, la force qu'elle met à nous éclairer. Ils considèrent que cette langue de Jünger exprime ce que vivent les sens, tout en restant typiquement allemande. François Mitterand remarquait, dans sa laudatio  pour le centième anniversaire de l'écrivain, que Jünger était resté un “homme libre”. Cela voulait dire qu'il cultivait une pensée détachée de tout poncif, une pensée pour laquelle les applaudissements des masses n'avaient aucune signification.

 

Q.: Ernst Jünger a-t-il suivi l'actualité politique jusqu'à son dernier jour?

 

HS: Ernst Jünger lisait régulièrement la presse, y compris Junge Freiheit, mais il passait rapidement sur les rubriques politiques, comme il me l'a dit plusieurs fois. Il était bien au courant de la marche du monde et plus d'une remarque moqueuse dans ses journaux atteste qu'il observait avec attention le déclin de la politique politicienne à Bonn, surtout celle des “ grands partis populaires” dont les différences ne sont qu'apparences. Mais il s'intéressait surtout aux processus généraux d'uniformisation, que toute observation fine de notre époque révèle et que son Travailleur  a exposé. Ensuite, il attendait du XXIième siècle l'avènement d'une nouvelle spiritualité, dont les prémisses sont justement les processus de déblaiement que décrivent ses essais et journaux.

 

Q.: Quelle est la signification de l'œuvre d'Ernst Jünger pour l'avenir?

 

HS: Elle réside dans sa foi en l'Etre, dans sa “nouvelle théologie”, qui refuse de laisser le dernier mot à la destructivité et à la petitesse de l'homme moderne.

 

Q.: L'une des figures les plus importantes dans la pensée de Jünger est l'anarque. Que devons-nous en penser aujourd'hui?

 

HS: L'anarque est, au contraire de l'anarchiste, ne cultive pas d'idées politiques, n'est pas une personnalité qui cherche le changement radical. Le politique est pour lui une chose extérieure, une dérivation, un phénomène secondaire. L'anarque  —comme l'homme qui recourt aux forêts—  demeure souverain et dispose librement de soi. Il joue son propre rôle dans la société. Service et liberté ne sont pas des contraires chez lui; le sacrifice, mais aussi le suicide, appartiennent à son capital. Dans Le recours aux forêts,  Jünger a décrit cette attitude: «Celui qui recourt aux forêts possède un rapport originel avec la liberté, qui, vu sur le plan temporel, s'exprime par une résistance à tous les automatismes, ce qui implique qu'il n'ait pas à tirer la conséquence que dicte généralement l'éthique, c'est-à-dire adopter le fatalisme». L'anarque n'est pas un missionnaire, armé de ses connaissances, il vit comme l'unique et sa spécificité (Der Einzige und sein Eigentum), c'est-à-dire avec l'ensemble de ses expériences, mais il brille devant tous les autres, à titre d'exemple. Peut-on dire quelque chose de plus pertinent sur la personne d'Ernst Jünger?

(entretien paru dans  Junge Freiheit,  n°9/1998; propos recueillis par Dieter Stein).

samedi, 31 octobre 2009

Dominique de Roux et L.-F. Céline

derouxceline2.jpgDominique de Roux et L.-F. Céline

Textes parus dans "Le Bulletin célinien", n°286, mai 2007

 

 

Passionnante correspondance que  celle de  Dominique de Roux.  Les lettres du début des  années  soixante  intéresseront  particulièrement les lecteurs de ce Bulletin.  On y voit  un  jeune homme  de vingt-sept ans préparer activement un monument qui éblouira plusieurs générations de céliniens.  Comme l’écrit Jean-Luc Barré, l’éditeur de cette correspondance, « Dominique de Roux prend conscience de l’ostracisme qui pèse, depuis la fin de la guerre,  sur  une  génération de poètes et d’écrivains frappés d’interdit en raison de leurs prises de position politiques, nonobstant le génie de quelques-uns dont Céline. Cette prise de conscience sera à l’origine, en 1961, de la création des Cahiers de l’Herne, précisément conçus pour réhabiliter ou faire mieux connaître l’œuvre des “grands réprouvés” de la création contemporaine, française et étrangère. » 

 

   Quelques mois avant la mort de Céline, en mars 1961, Dominique de Roux songe à lui écrire afin de solliciter son témoignage sur Bernanos auquel sera consacré le deuxième « Cahier de l’Herne » (le premier fut centré sur René-Guy Cadou). Le 10 juillet, il écrit à Robert Vallery-Radot : « Je devais aller le voir pour notre Cahier Bernanos, saisir une interview sur votre ami. C’est à Bernanos mort qu’on a demandé un témoignage sur le Céline enterré. Le Figaro a ressorti un article qui traite du Voyage au bout de la nuit»

Comment ne pas rêver à cette rencontre Céline – de Roux ¹ et regretter que le premier n’ait pas pu prendre connaissance de cette somme à lui consacrée ?

   Pour ce cahier, il rencontre, au début de l’année suivante, Lucien Rebatet qui lui donnera un intéressant témoignage : « L’homme m’a reçu très gentiment, avec une gentillesse dont je ne doutais pas ; mais vous le connaissez, petit, nerveux, robuste, avec des muscles longs, des muscles sur les mains, une tête carrée, des yeux vifs, une voix grave, de la gorge, un peu capitaine de la marine en bois, s’exclamant, riant, s’enquérant tour à tour, violent parfois et avide de se renseigner. (…) Ce que je regrette le plus en cet homme courageux dont le premier abord m’a pris, c’est son esprit antisémite, toujours, et  une certaine méchanceté encore, qui fait des Décombres un livre insupportable malgré des pages magnifiques et un chapitre sur Maurras, Pujot, l’A. F. de la rue du Boccador qui est un portrait d’anthologie. » Et de conclure le portrait par cette formule tranchante comme un couperet : « Rebatet, c’est Robespierre ».

   En août, on le voit travaillant à ce numéro qui sortira de presse au début de l’année suivante : « J’émerge de plusieurs semaines de travail consacrés entièrement à Céline. Je n’ai pas levé les yeux de kilos de documents : revues, coupures de presse, etc.,  les classant, les relevant en une bibliographie précise. J’ai remonté de la nuit à l’aurore. Quel poète énorme, quel lyrisme ! Quelle pitié ! »

   derouxceline3.jpgEn octobre, il rencontre deux autres témoins importants : Marcel Brochard, qui lui fera des confidences (dont certaines absentes de son témoignage), et Évelyne Pollet qui vint le voir à Paris : « Céline disait : une ville pour moi est une femme. Étreintes rapides dans les hôtels du bord de l’Escaut, détails croustillants (il faisait vite et une fois lavé interdisait qu’on lui parle amour). Évelyne, cinquante-cinq ans, belle encore, haute stature flamande, blonde, yeux bleus, de beaux restes, pleure sur son amant. »

   Bien entendu, Dominique de Roux se rendit à plusieurs reprises à Meudon : « Cet après-midi, le jour tombant, je l’ai passé assis sur des nattes dans le bureau de Céline à Meudon, sa femme Lucette si fine, si aérienne, si gracieuse, parlant de Louis, de Saint-Malo… »

Portrait sensible qui ne sera pas payé de retour : Lucette le qualifia de « brillant avorton, visqueux à force d’être brillant », lui reconnaissant tout de même une « belle énergie littéraire » ² — et pour cause.

   Alors que ce premier cahier de l’Herne consacré à Céline est sorti de presse, il songe déjà à « un livre (…) qui ne serait pas une vie de Céline, mais comme Bernanos a écrit sa vie de Drumont. ». En juin 1965, il est aux prises avec cet ouvrage : « Cela m’épuise. L’écriture est comme l’amour fou, une obsession, un penchant morbide et l’effort m’éreinte. »

On regrette évidemment que, dans cette correspondance choisie, il n’y ait aucun écho de la réception critique tumultueuse de son livre La mort de L.-F. Céline et notamment de la polémique avec l’équipe de Tel Quel. Il faut surtout regretter que l’éditeur de cette correspondance n’ait pas pris contact avec Marc Hanrez, autre pionnier célinien, auquel Dominique de Roux adressa une centaine de lettres dont, on s’en doute, beaucoup concernent précisément Céline.

 

Marc LAUDELOUT

 

1. Elle eut lieu néanmoins (voir ci-contre).

2. Marc-Édouard Nabe, Lucette, Gallimard, 1995, pp. 66-67.

 

 

 

Chronologie de Roux / Céline

Janvier 1963.  Parution  du premier numéro des  Cahiers de l’Herne consacré à Céline. Grand succès. Dominique de Roux y annonce la création d’une « Société des Amis de Céline ». Le siège de la société est fixé à Meudon, route des Gardes. Cette association, dont l’un des buts était de réunir de la documentation sur Céline, eut une existence éphémère, d’autant qu’elle fut rapidement désavouée par Lucette Destouches. « J’ai trop fréquenté un moment les “amis” de Céline pour vous dire qu’une telle association était impossible, tant les querelles, mesquineries, jalousies éclatent et fusent sans cesse. Madame Destouches n’avait fait que jeter de l’huile sur ce feu tremblant. Alors à quoi bon ? Mieux vaut continuer de défendre sa mémoire et son œuvre en en parlant, en écrivant sur Céline et nous retrouver comme aujourd’hui amis, grâce à l’auteur du Voyage » (lettre de Dominique de Roux à Edmond Gaudin, 1968).

 

deroux.jpgMars 1962 : Dominique de Roux souhaite la réédition de Bagatelles pour un massacre. Refus en mai de Gallimard. « Je le trouve révulsé. Il me montre une lettre qui vient de lui arriver de la maison Gallimard, en réponse au vœu qu’il exprimait de savoir, avant Cahier, si seraient rééditées Bagatelles pour un massacre. Non, lui dit-on, en aucune façon il ne sera procédé à cette réédition, ni dans l’immédiat ni dans un futur volume de Céline en Pléiade. C’est définitif. Paulhan bien d’accord là-dessus lui aussi. Dominique de Roux râle, frappe la lettre de son coupe-papier, conchie  les lâchetés éditoriales ! »  (Christian Dedet,  Sacrée  jeunesse,  op.  cit., p. 385). Deux ans plus tard, le projet d’une « anthologie » des pamphlets de Céline, par les éditions de L’Herne, ne sera pas davantage couronné de succès.

 

Mars 1965. Second numéro spécial des Cahiers de l’Herne consacrés à Céline.

 

Hiver 1966 : Parution de La mort de L.-F. Céline aux éditions Christian Bourgois. Violente polémique  entre  Dominique de Roux et  la revue Tel quel,  dirigée par Philippe Sollers, suivie d’un non moins violent réquisitoire de Jean-Pierre Faye dans Le Nouvel Observateur. Le livre obtient le « Prix Combat » au début de l’année suivante.

 

Mars 1968 : Première réédition (partielle) des « Cahiers de l’Herne » sur Céline en format de poche (Éd. Pierre Belfond). La seconde paraîtra en 1987 (Le Livre de poche).

 

Avril 1969 : Participation de Dominique de Roux à l’émission « Bibliothèque de poche » de Michel Polac consacrée à Céline. Déprogrammée, cette émission sera finalement diffusée en deux parties, les 2 et 18 mai, sur la 2ème chaîne de la télévision française.

 

1972 : Réédition en un volume, sans l’iconographie mais avec la bibliographie mise à jour, des deux Cahiers de l’Herne.

 

Mars 1997 : La revue Exil (H) publie un numéro spécial « Dominique de Roux / Louis-Ferdinand Céline » sous la direction de Pascal Sigoda.

Hommage de Günter Rohrmoser à Ernst Jünger

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

 

 

Hommage de Günter Rohrmoser, philosophe et socio­logue conservateur

 

Mon rapport à Ernst Jünger a plutôt été celui de la distance. Je ne suis pas, me semble-t-il, la personne appropriée pour lui rendre hommage à l'occasion de son décès, ni pour prendre position à l'endroit de l'ensemble de son œuvre. Dieu merci, Ernst Jünger n'est pas resté toujours le même homme. L'Ernst Jünger de la première guerre mondiale, l'Ernst Jünger du temps de la République de Weimar, l'Ernst Jünger du temps du Troisième Reich et l'Ernst Jünger d'après la seconde guerre mondiale sont autant de fa­cettes très différentes d'une œuvre qui embrasse l'ensemble du siècle. C'est incontestable: il appartient à l'aréopage des plus grands écrivains de ce siècle. Et si le socialiste Mitterrand ne s'était pas affirmé comme un très bon connaisseur et un admirateur de l'œuvre de Jünger, la querelle stérile entre la gauche et la droite à propos de sa personne aurait continué bon train. Pour moi, aujourd'hui comme hier, l'œuvre principale de Jünger reste Der Arbeiter.  Ce livre a été interprété comme une contribution de l'auteur au national-socialisme, ce qui est complètement faux. Der Arbeiter  est l'une des plus grandes descriptions physiogno­miques de notre siècle; les paysages terrifiants du “cœur aventureux” en sont le complément. Certes, le Travailleur est un mythe: il n'a pas grand' chose à voir avec la réalité ouvrière du 20ième siècle. Mais, depuis, le monde s'est transformé et ressemble dé­sormais à un paysage d'ateliers et de fabriques; tout est devenu travail et, comme auparavant, nous luttons pour faire advenir ce que Jünger nommait une “construction organique”, c'est-à-dire une nouvelle fusion entre l'homme et la technique. Avec ces pa­roles, il a touché notre siècle en plein cœur. Ensuite, ce n'est nullement un hasard si, avec cet ouvrage, il a plus profondément in­fluencé Heidegger que celui-ci n'a bien voulu l'admettre. Personnellement, je ne trouve guère d'inspiration dans le Jünger d'après la seconde guerre mondiale. Je me souviens que Carl Schmitt annonçait, tout étonné, mais aussi à moitié amusé, qu'Ernst Jünger pensait que l'éon chrétien s'achevait. La spéculation qui calcule l'âge de la Terre et qui, dans une certaine mesure, dérive des tra­vaux d'Oswald Spengler, ne sont pas du goût de tout le monde. Jünger a certes été un homme pie(ux), mais il était très éloigné du christianisme, plus éloigné sans doute que d'un païen de l'antiquité.

 

Günter ROHRMOSER.

(texte paru dans Junge Freiheit,  n°9/98).

vendredi, 30 octobre 2009

Les "Ailleurs" d'Henri Michaux

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Les Ailleurs d'Henri Michaux

 

Sous le titre Les Ailleurs d'Henri Michaux, la revue belge Sources  a publié les actes d'un colloque consacré au grand poète à Namur en 1995. Des nombreuses interventions, nous citerons un passage de Sylviane Gora; intitulée «Henri Michaux: sur la Voie orientale»: «Ce par quoi Michaux va être fasciné, d'une manière indiscutable, est cette possibilité pour un Oriental d'accepter et d'assumer tout sentiment d'incomplétude de soi. Michaux se détourne de la civilisation judéo-chrétienne dans laquelle il se sent si mal, s'expatrie au moins le temps d'un voyage, s'exile vers des pays autres, pays différents qui ne considèrent pas forcément la Raison comme une faculté universelle, qui font voler en éclats le principe d'identité et d'unité du sujet. L'Occidental décentré va trouver une autre orientation en Orient. Plusieurs principes spirituels ou principes philosophiques vont, dans une certaine mesure, le fasciner ou le séduire. Mais ces éléments vont ou non se couler subtilement dans son œuvre littéraire et picturale pour former ce fameux “alliage” dont parlait René Bertelé. Mais au fait, de quel Orient s' agit-il, de quelle religion en l'occurrence: le bouddhisme chinois ou tibétain, le taoïsme, le shintoïsme, etc.? De quelle peinture orientale s'agit-il? Ne risque-t-on pas de ressasser de belles généralités en tentant de la sorte de pointer du doigt tel ou tel aspect typiquement oriental chez Michaux? Ceci est beaucoup plus qu'une précaution oratoire. A mes yeux, le piège est réel. La seule manière de s'en sortir est de signaler, çà et là, et dans les limites de cette étude, d'étranges et de troublants accords entre cet Occidental par force et cet Orient à la fois réel et mythique. Ce que l'on peut dire, sans trop se tromper je crois, c'est que Michaux a été fasciné par l'art oriental (la peinture et la musique) ainsi que par la religion orientale, en particulier par la pensée hindoue en raison de son caractère foncièrement prométhéen. Dans sa longue quête de la connaissance, Michaux a été attiré par cette manière dont les Hindous considèrent la perte. Il constate en lui cette béance ontologique qui, dans le cadre européen, est perçue comme une faiblesse difficilement réparable. Il va être étonné par le renversement de perspective qu'opèrent les Orientaux dans ce domaine. Lui, le dépouillé, le pauvre hère, le désorienté va considérer la souffrance et le dépouillement de l'être comme des éléments nécessaires, vitaux, révélateurs de la condition humaine, en premier lieu parce que ces éléments donnent à l'être une conscience corporelle. François Trotet, dans «Henri Michaux ou la sagesse du vide», démontre combien la souffrance, notion centrale dans le bouddhisme, à la fois physique et intérieure chez le poète, est utile car elle permet à l'être d'acquérir une conscience corporelle dégagée de tout dualisme». A signaler aussi les bons textes de Jean-Luc Steinmetz («Le démon de Henri Michaux») et de Madeleine Fondo-Valette («Michaux lecteur des mystiques») (J. de BUSSAC).

 

Les ailleurs de Henri Michaux, Sources, Maison de la Poésie, (rue Fumal 28, B-5000 Namur),1996, 250 pages, 100 FF.

jeudi, 29 octobre 2009

Hommage de Günter Maschke à Ernst Jünger

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

EJnger.jpgL'hommage de Günter Maschke

 

«L'intelligence se soumet dès qu'elle accepte une question, indépendamment du fait qu'on y répondra oui ou non», notait Ernst Jünger après la première guerre mondiale. A cette époque, après 1918, il y avait encore assez d'intellectuels dans l'Allemagne vaincue qui avaient la force de rejeter l'impudence des puissances victorieuses et de leurs valets allemands qui voulaient impo­ser au pays leurs recettes libérales-démocratiques. Aujourd'hui, la situation est devenue beaucoup plus difficile, et c'est la raison pour laquelle il nous faut apprendre le désinvolture jüngerienne. Tel est notre devoir supérieur.

 

Günter MASCHKE.

(hommage publié par Junge Freiheit, n°9/98).

mercredi, 28 octobre 2009

Le Japon d'André Malraux

4154TYPFYKL__SL500_AA240_.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Le Japon d'André Malraux

 

Michel Temman consacre un remarquable livre au Japon d'André Malraux. André Brincourt écrit dans sa préface: «N'oublions pas que, devant ce que ses contemporains appelèrent “Le déclin de l'Occident” ou “La crise de l'Esprit”, alors que le surréalisme naissant faisait table rase des valeurs, le jeune Malraux voulait, lui, chercher d'autres valeurs, un “autre” monde. Cet autre monde, ce fut l'Asie. N'oublions pas que l'une des dernières approches avant la mort fut d'aller contempler la cascade de Nachi pour y rejoindre la “lumière” dans tous ses symboles, pour y nourrir une dernière fois ses rêves de spiritualité. Il nous l'avait dit: l'appel de l'Asie était celui de l'âme  —cette surréalité en marge de l'apparence, ce dépassement promis à notre “solitude sinistre”, l'une des formes possibles de l'Anti-destin... Notre chance est que Michel Temman, par cette lumière même, éclaire pour nous l'essentiel d'une œuvre, et, se distinguant de maintes biographies trop complaisamment tournées vers l'Aventurier, y trouve le fondement même d'une pensée qui révèle plus que jamais son orientation métaphysique. “L'Occident veut comprendre par l'analyse, l'Orient veut vivre le divin”, disait Malraux». André Malraux s'était intéressé au seppuku de Mishima. M. Temman écrit à ce propos: «Yukio Mishima ne s'est pas suicidé. André Malraux est catégorique: son acte n'était pas un suicide car le seppuku  est d'abord un rite qui ignore l'idée de la mort. Il y avait donc surtout dans l'acte de l'écrivain japonais, outre une portée politique et idéologique très nette, une charge rituelle forte chargée du poids du passé. Aussi Malraux pense-t-il qu'il faut distinguer “la mort romaine” et rituelle de Mishima et ce que l'on croit être une “mort romantique”. “Pour Mishima, expliqua-t-il à Tadao Takemoto, la mort en tant qu'acte, a une réalité très forte”. “Il me semble que l'acte de Mishima a été le moyen de posséder sa mort”. En tout cas, ajoute-t-il, “je me sens plus à l'aise avec le “suicide” de Mishima (qui n'est pas un suicide) qu'avec le tuyau à gaz”. Pourquoi “l'acte Mishima” ne choque-t-il pas outre mesure André Malraux? D'abord parce que, comme il le précise encore à Tadao Takemoto, il n'a jamais vraiment compris ce “besoin” de faire du suicide “une faute ou une valeur”. Ensuite parce qu'il “serait normal de rencontrer une civilisation tout entière où il n'y aurait pas de “mort”!» (P. MONTHÉLIE).

 

Michel TEMMAN, Le Japon d'André Malraux, 1997, 266 pages,135 FF (Editions Philippe Picqier, Mas de Vert, F-13.200 Arles).

lundi, 26 octobre 2009

La Guerre comme expérience intérieure

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Kampf_als_inneres_Erlebnis,1922.jpgLa Guerre comme Expérience Intérieure

Analyse d'une fausse polémique

 

«Pour le soldat, le véritable combattant, la guerre s'identifie à d'étranges associations, un mélange de fascination et d'horreur, d'humour et de tristesse, de tendresse et de cruauté. Au combat, l'homme peut manifester de la lâcheté ou une folie sanguinaire. Il se trouve alors écartelé entre l'instinct de vie et l'instinct de mort, pulsions qui peuvent le conduire au meurtre le plus abject ou à l'esprit de sacrifice» (Philippe Masson, L'Homme en Guerre 1901-2001, Editions du Rocher, 1997).

 

Voici quelques mois paraissait, dernière publication française du vivant de Ernst Jünger, La Guerre comme Expérience Intérieure, préfacée par le philosophe André Glucksmann, chez Christian Bourgois éditeur, maison qui depuis des années s'est fait une spécialité des traductions jüngeriennes. Un texte d'importance, qui vient utilement compléter les écrits de guerre déjà parus de l'écrivain allemand, Orages d'Acier, Boqueteau 125, et Lieutenant Sturm, ouvrages de jeunesse que les spécialistes de son oeuvre polymorphe considèrent à la fois comme les plus vindicatifs, initiateurs de ses prises de position politique ultérieures, et parallèlement déjà annonciateurs du Jünger métaphysique, explorateur de l'Etre, confident de l'intimité cosmique.

 

Engagé volontaire au premier jour des hostilités en 1914, quatorze fois blessé, titulaire de la Croix de Fer Première Classe, Chevalier de la Maison des Hohenzollern, de l'Ordre «Pour le Mérite», distinction suprême et rarissime pour un homme du rang, Ernst Jünger publie dès 1920, à compte d'auteur et, comme il se plaira à dire par la suite, «sans aucune intention litté­raire», In Stahlgewittern (Les Orages d'Acier), qui le révèlent d'emblée au milieu des souvenirs tous larmoyants des Barbusse, Remarque, von Unruh ou Dorgelès, comme un rescapé inclassable, un collectionneur tant de révélations onto­logiques que de blessures physiques et morales. André Gide et Georges Bataille crieront au génie.

 

Une théorie du guerrier émancipé

 

Estimant ne pas avoir épuisé son sujet, il surenchérit en 1922 par la publication de Der Kampf als inneres Erlebnis (La Guerre comme Expérience intérieure), qu'il dédie à son jeune frère Friedrich Georg Jünger, lui aussi combattant émérite de la guerre mondiale et talentueux publiciste: «A mon cher frère Fritz en souvenir de notre rencontre sur le champ de ba­taille de Langemarck». Il découpe son manuscrit en treize courts tableaux, autant de souvenirs marquants de SA guerre, qu'il intitule sans fard Sang, Honneur, Bravoure, Lansquenets, Feu  ou encore Veillée d'armes. Nulle trace d'atermoiement dans la plume de Jünger, nul regret non plus: «Il y a davantage. Pour toute une partie de la population et plus encore de la jeunesse, la guerre apparaît comme une nécessité intérieure, comme une recherche de l'authenticité, de la vérité, de l'accomplissement de soi (...) une lutte contre les tares de la bourgeoisie, le matérialisme, la banalité, l'hypocrisie, la ty­rannie». Dans ces quelques mots tirés de W. Deist, extraits de son article Le moral des troupes allemandes sur le front occidental à la fin de 1916 (in Guerre et Cultures, Armand Colin, 1994), transparaît l'essentiel du Jünger de l'immédiat après-guerre.

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Préambule au récit, la lecture de la préface d'André Glucksmann laisse bien sceptique quant à sa légitimité. «Le manifeste, ici réédité, est un texte fou, mais nullement le texte d'un fou. Une histoire pleine de bruit, de fureur et de sang, la nôtre». En s'enferrant dans les classiques poncifs du genre, le philosophe relègue la pensée de Jünger à une simple préfiguration du national-socialisme, fait l'amalgame douteux entre Der Kampf... et Mein Kampf.  Et s'il note avec justesse que le Lansquenet du présent ouvrage annonce le Travailleur de 1932, il n'en restreint pas moins l'œuvre de Jünger à la seule exaltation de la radicalité, du nihilisme révolutionnaire (citant pêle-mêle Malraux, Breton et Lénine), à l'union du prolétariat et de la race sans distinguer la distance jüngerienne de la soif de sang et de haine qui nourriront fascisme, national-socia­lisme et bolchévisme. A vouloir moraliser un essai par essence situé au-delà de toute morale, Glucksmann dénature Jünger et passe à coté de son message profond.

 

L'ennemi, miroir de sa propre misère

 

Là où Malraux voit le «fondamental», Jünger perçoit «l'élémentaire». L'adversaire, l'ennemi n'est pas le combattant qui se recroqueville dans le trou d'en face mais l'Homme lui-même, sans drapeau, l'Homme seul face à ses instincts, à l'irrationnel, dépouillé de tout intellect, de tout référent religieux. Jünger prend acte de cette cruelle réalité et la fait sienne, s'y conforme et retranscrit dans ces pages quelles purent être les valeurs nouvelles qui en émergèrent, terribles et salva­trices, dans un esprit proche de celui de Teilhard de Chardin écrivant: «L'expérience inoubliable du front, à mon avis, c'est celle d'une immense liberté». Homo metaphysicus,  Jünger chante la tragédie du front et poétise l'empire de la bestialité, champ-clos où des siècles de civilisation vacillent et succombent sous le poids des assauts répétés et du fracas des bom­bardements. «Et les étoiles alentour se noient en son brasier de feu, les statues des faux dieux éclatent en tessons d'argile, et de nouveau toute forme forgée se fond en mille fourneaux ardents, pour être refondue en des valeurs nouvelles». Et dans cet univers de fureur planifiée, le plus faible doit «s'effacer», sous les applaudissements d'un Jünger darwiniste appliqué qui voit l'homme renouer avec sa condition originelle de guerrier errant. «C'est ainsi, et depuis tou­jours». Dans la lutte paroxystique que se livrent les peuples sous l'emprise hypnotique des lois éternelles, le jeune lieute­nant des Stoßtruppen discerne l'apparition d'une nouvelle humanité dont il commence à mesurer la force, terrible: «une race nouvelle, l'énergie incarnée, chargée jusqu'à la gueule de force».

 

Jünger lègue au lecteur quelques-uns des plus beaux passages sur ces hommes qui, comme lui, se savent en sursis, et rient de se constater encore vivants une aube après l'autre: «Tout cela imprimait au combattant des tranchées le sceau du bestial, l'incertitude, une fatalité toute élémentaire, un environnement où pesait, comme dans les temps primitifs, une me­nace incessante (...) Dans chaque entonnoir du no man's land, un groupe de chuchoteurs aux fins de brusques carnages, de brève orgie de feu et de sang (...) La santé dans tout cela? Elle comptait pour ceux qui s'espéraient longue vieillesse (...) Chaque jour où je respire encore est un don, divin, immérité, dont il faut jouir à longs traits enivrés, comme d'un vin de prix». Ainsi entraîné dans le tourbillon d'une guerre sans précédent, totale, de masse, où l'ennemi ne l'est plus en tant que défenseur d'une patrie adverse mais qu'obstacle à la réalisation de soi —miroir de sa propre misère, de sa propre grandeur—  le jeune Jünger en vient de facto à remettre en cause l'héritage idéologique de l'Aufklärung, son sens de l'Histoire, son mythe du progrès pour entrevoir un après-guerre bâti sur l'idéal de ces quelques-uns, reîtres nietzschéens fils des hoplites de Salamines, des légions de Rome et des Ligues médiévales appliquant l'éthique de la chevalerie mo­derne, «le marteau qui forge les grands empires, l'écu sans quoi nulle civilisation ne tient».

 

Un sens de l'Homme plus élevé que celui de la nation

 

L'horreur au quotidien, Jünger la connaît, qui la côtoie sans répit et la couche sans concession aucune sur le papier  —«On reconnaît entre toutes l'odeur de l'homme en putréfaction, lourde, douceâtre, ignoblement tenace comme une bouillie qui colle (...) au point que les plus affamés en perdaient l'appétit»—  mais, à la grande différence des bataillons qui compose­ront les avant-gardes fascistes des années vingt et trente, il n'en retire ni haine ni nationalisme exacerbé, et rêve bien plutôt d'un pont tendu au-dessus des nations entre des hommes forgés sur le même moule implacable des quatre années de feu et de sang, répondant aux mêmes amours viriles: «Le pays n'est pas un slogan: ce n'est qu'un petit mot modeste, mais c'est aussi la poignée de terre où leur âme s'enracine. L'Etat, la nation sont des concepts flous, mais ils savent ce que pays veut dire. Le pays, c'est un sentiment que la plante est capable d'éprouver». Loin de toute xénophobie, vomissant la propa­gande qui attise des haines factices, le «gladiateur» Jünger, amoureux de la France et que touche plus qu'un éclat d'obus de s'entendre qualifié de “boche”, se déclare ainsi proche des pacifistes, «soldats de l'idée» qu'il estime pour leur hauteur d'esprit, leur courage pour ceux qui ne craignent pas seulement de mourir au feu, et leur sens de l'Homme plus élevé que celui de la nation. Aussi peut-il songer lors des accalmies, tapi dans son repli de tranchée, à l'union nouvelle des lansque­nets et des pacifistes, de D'Annunzio et Romain Rolland. Effet des bombes ou prophétisme illuminé, toujours est-il que La Guerre comme Expérience intérieure  prend ici une dimension et une résonance largement supérieures à celles des autres témoignages publiés après-guerre, et que se dessine déjà en filigrane le Jünger de l'autre conflit mondial, celui de La Paix.

 

Ce qui fait la beauté de l'existence, son illusoire

 

«La guerre m'a profondément changé, comme elle l'a fait, je le crois, de toute ma génération» et si elle n'est plus «son es­prit est entré en nous, les serfs de sa corvée, et jamais plus ne les tiendra quittes de sa corvée». L'oeuvre intégrale d'Ernst Jünger sera imprégnée de la sélection dérisoire et arbitraire du feu qui taillera dans le vif des peuples européens et laissera des séquelles irréparables sur la génération des tranchées. On ne peut comprendre Le Travailleur, Héliopolis, Le Traité du Rebelle sans se pénétrer du formidable (au sens originel du terme) nettoyage culturel, intellectuel et philosophique que fut la «guerre de 14», coupure radicale d'avec tous les espoirs portés par le XXème siècle naissant.

 

Ce qui fait la force de Jünger, son étrangeté au milieu de ce chaos est que jamais il ne se résigne et persiste à penser en homme libre de son corps et de son esprit, supérieur à la fatalité —«qui dans cette guerre n'éprouva que la négation, que la souffrance propre, et non l'affirmation, le mouvement supérieur, l'aura vécue en esclave. Il l'aura vécue en dehors et non de l'intérieur». Tandis qu'André Glucksmann se noie dans un humanisme béat et dilue sa pensée dans un moralisme déplacé, Jünger nous enseigne ce qui fait la beauté de l'existence, son illusoire.

 

«De toute évidence, Jünger n'avait jamais été fasciné par la guerre, mais bien au contraire, par la paix (...) Sous le nom de Jünger, je ne vois qu'une devise: «Sans haine et sans reproche» (...) On y chercherait en vain une apologie de la guerre, l'ombre d'une forfanterie, le moindre lieu commun sur la révélation des peuples au feu, et  —plus sûr indice— la recherche des responsabilités dans les trois nombreux conflits qui de 1870 à 1945, ont opposé la France à l'Allemagne». (Michel Déon, de l'Académie Française)

 

Laurent SCHANG.

 

Ernst JÜNGER, La Guerre comme Expérience Intérieure, préface d'André Glucksmann, Christian Bourgois éditeur, 1997.

 

dimanche, 25 octobre 2009

L'instant brûlant

651.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

L'instant brûlant

 

Quand meurt un homme, le chant de sa vie est joué dans l'éther. Il a le droit d'écouter jusqu'à ce qu'il passe au silence. Il prête alors une oreille si attentive au milieu des souffrances, de l'inquiétude. En tout cas, celui qui imagina le chant était un grand maître. Cependant, le chant ne peut être perçu dans la pureté du son que là où disparaît la volonté, là où elle cède à l'abnégation (1).

 

Ernst Jünger s'est avancé, ce 17 février 1998, vers des régions où les ciseaux de la Parque ne tranchent pas.

 

Les réactions lorsque fut annoncé ce deuil dans le monde des Lettres et de la pensée furent tristement coutumières. En ces temps où prévaut le “politiquement conforme”, certains critiques se sont distingués par des analyses sinon élogieuses (comme l'excellent article de Dominique Venner paru dans Enquête sur l'Histoire) du moins pertinentes (dans un magazine allemand inattendu, Focus). D'autres, zélés contempteurs inféodés à une idéologie qu'ils servent dans les organes de la presse française et allemande, se sont empressés de diffamer une œuvre qu'ils ne se sont jamais donnés la peine de lire et l'avouent parfois. Diable! Le personnage est agaçant: doté tout à la fois d'un esprit d'une rare fécondité et d'une vigueur phy­sique non moins surprenante qui lui a permis de traverser la presque totalité du XX° siècle, ce plus que centenaire n'a eu de cesse d'aimer son pays, de ne se rétracter en rien: écrits bellicistes à l'issue de la Première Guerre mondiale, vision éli­tiste, contemplation douloureuse lors de l'entre-deux guerres... Il n'a rien renié; seul parfois l'angle de la perspective devait changer, mais faut-il forcer un homme à n'être qu'un bloc monolithique? Toutefois, est-il décent, en cette période, de s'irriter des réactions coutumières quand on prononce le nom de Jünger, de dresser dès à présent le bilan de l'œuvre? Les lecteurs fidèles préféreront encore se tourner vers cet Eveilleur qui a su nous offrir une élégante méditation philosophique et poétique sur les maux qui rongent notre civilisation.

 

Les ciseaux de la Parque... Par respect pour ce “passage” qui intriguait tant Ernst Jünger, nous évoquerons dans ces co­lonnes sa métaphysique de la mort, qui apparaît dès 1928 dans la première version du Cœur aventureux. Car à force d'avoir voulu préciser les choix politiques souvent au sens large de Jünger, on a souvent oublié que cet auteur, s'il avait voulu agir sur l'histoire, ne s'intéressait pas moins aux questions d'ordre spirituel. Or, parler de la mort consiste justement à se plonger dans les eaux régénératrices de la spiritualité. Reportons-nous à un texte révélateur de 1928

 

La vie est un nœud qui se noue et se dénoue dans l'obscurité. Peut-être la mort sera-t-elle notre plus grande et plus dange­reuse aventure, car ce n'est pas sans raison que l'aventurier recherche ses bords enflammés (2).

 

Le symbole de l'entortillement

 

Procréation et mort marquent la fin du lacet, de ce noeud coulant qui, relié à son principe du domaine éternel, pénètre dans le règne terrestre. Pour Jünger, vie et mort sont intimement liées. Dans sa seconde version du Cœur aventureux qui paraît en 1938, Jünger recourt une nouvelle fois au symbole de l'entortillement. La théorie du lacet fait alors partie intégrante de l'initiation de Nigromontanus, maître mystérieux et charismatique. Le principe qu'il explique suppose une manière supé­rieure de se soustraire aux circonstances empiriques.

 

Il [Nigromontanus] nommait la mort le plus étrange voyage que l'homme puisse faire, un véritable tour de passe, la capuche de camouflage par excellence, aussi la plus ironique réplique dans l'éternelle controverse, l'ultime et l'imprenable citadelle de tous les êtres libres et vaillants (3).

 

Cet aspect nous ramène aux liens qu'entretiennent la mort et la liberté pour Jünger. Qui craint la mort doit renoncer à sa liberté. Le renforcement puissant de cette dernière n'est possible que si l'on part de la certitude que l'homme, en mourant, ne disparaît pas dans le néant, mais se voit élevé dans un être éternel. Aussi la pensée de Jünger tourne-t-elle sans cesse autour de la mort, parce qu'il veut infiniment fortifier la position de la liberté et assurer l'essence éternelle de l'homme. Ces idées acquises sur les champs de bataille, il les émet encore dans Heliopolis  en 1949 et dans l'essai Le Mur du Temps, paru en 1959.

 

Celui qui ne connaît pas la crainte de la mort est l'égal des dieux (4).

 

Une conception grecque et platonicienne de la mort

 

La conception jüngerienne de la mort, en rien chrétienne, est influencée par la pensée grecque, notamment platonicienne. Les lectures attentives des dialogues Phédon, Gorgias, La République (notamment le X° chapitre) ont laissé leur trace dans l'œuvre jüngerienne. L'anamnèse  platonicienne, nous la retrouvons formulée dans la deuxième version du Cœur aventu­reux et plus précisément dans “La mouche phosphorescente”. Jünger rapporte de la conversation de deux enfants qu'il sur­prit un jour cette phrase qui fusa, telle une illumination intellectuelle:

 

Et sais-tu ce que je crois? Que ce que nous vivons ici, nous le rêvons seulement; mais quand nous serons morts, nous vi­vrons la même chose en réalité (5).

 

ej1930cg.jpgLa vie semble se réduire à n'être que le reflet de cette vie véritable, impérissable, qui ne jaillit qu'au-delà de la mort. Voyons-y une fois encore le triomphe de l'être intemporel sur l'existence terrestre, qui est déterminée par le temps qui s'écoule perpétuellement!

 

Nous trouvons chez Jünger une inversion de la mort, comme si cette dernière signifiait en fait le réveil d'un rêve étrange, peut-être même mauvais. Cela n'est pas sans évoquer la métaphysique de la mort, telle que l'avait formulée le romantique Novalis dans les Hymnes à la Nuit et le roman Heinrich von Ofterdingen.

 

Le monde devient rêve, le rêve devient monde [...]

Mélancolie et volupté, mort et vie

Sont ici en intime sympathie (6)

 

Idéalisation de la nuit et goût de l'outre-tombe

 

L'idéalisation de la nuit qui apparaît au cours du XIX° siècle dans le culte lamartinien de l'automne, le goût de l'outre-tombe, l'attraction de la mort sur Goethe, sur Novalis et sur Nodier, la nécrophilie de Baudelaire, jette encore des feux de vie dans la pensée de Jünger. Le procès intenté à la raison comme nous l'avons perçu au XIX° siècle se poursuit au XX° siècle contre l'idéologie positiviste; cette véritable offensive vient des horizons les plus variés: citons R. von Hartmann et sa Métaphysique de l'Inconscient, Barrès et le Culte du Moi, Bergson et l'Evolution créatrice ou l'Essai sur les données im­médiates de la conscience. La redécouverte de l'inconscient des psychanalystes est aussi certainement liée à cette révolte.

 

La mort apparaît comme l'ultime libération de l'esprit du monde de la matière. A cet égard, la nouvelle “Liebe und Wiederkunft” —“amour et retour”—, très révélatrice, traduit une philosophie de l'histoire où des événements similaires se produisent sans cesse dans le même ordre, un retour de l'identique sous des formes différentes. L'histoire déjà parue dans la première version du Cœur aventureux  localise à Leisnig le passage à l'écriture et se voit dotée d'un titre une décennie plus tard. Jünger s'est alors contenté de préciser ici une image, d'affiner une idée ou de changer là l'emploi d'un temps ver­bal; il n'a en rien touché le contenu de l'histoire.

 

La trame est simple. Le narrateur, un officier, est tout d'abord naufragé sur une île de l'Océan Atlantique. Recueilli par une vertueuse femme qui prit le voile, il se rend peu à peu à l'évidence qu'une relation séculaire les lie l'un à l'autre. La fonction de cette femme consiste à soigner et à veiller les hommes qui, pour avoir goûté une belle plante narcotique, dorment le lourd sommeil du coma. Malgré les injonctions de la religieuse, le narrateur n'y résiste pas non plus et devient lui-même la proie du sommeil et du rêve. Pourtant, le voilà de nouveau sur l'île, menacée cette fois par l'inimitié d'une flotte espagnole! Hôte d'une généreuse famille pirate, amoureux de la fille de la maison, le narrateur se prépare, chevaleresque, à livrer combat. Or, n'aperçoit-il pas soudain une fleur merveilleuse, ne succombe-t-il pas encore à l'impérieux désir de la goûter?

 

Dans la dernière lueur du crépuscule, j'eus le temps encore de pressentir que je vivrais d'innombrables fois pour rencon­trer cette même jeune fille, pour manger cette même fleur, pour m'abîmer de cette même manière, tout comme d'innombrables fois déjà ces choses avaient été mon lot (7).

 

Une fleur aux couleurs du danger: le rouge, le jaune

 

Cette singulière histoire nous permet de mieux cerner la double nature de l'homme, ce qui fonde son originalité et son drame: son âme est immortelle et son corps périssable. Il est certain que la présence de cette fleur ne peut qu'évoquer le symbole le plus connu de toute l'œuvre de Novalis, la fleur bleue qui enchante le roman Heinrich von Ofterdingen et qui marque, de par ses racines et la couleur céleste de ses pétales, l'union de la terre et du ciel. La fleur jüngerienne n'est pas parée du bleu spirituel et bienfaisant. Ses pétales arborent les teintes de la vie et du danger, le jaune et le rouge (8); tout comme Goethe, rappelons-le, Jünger devait conférer une signification particulière aux couleurs. La fleur, belle et mena­çante, figure l'instabilité essentielle de l'être , qui est voué à une évolution perpétuelle. Ernst Jünger semble admettre que la mort n'est pas un fait définitif, mais une simple étape de la série des transformations auxquelles tout être est soumis. La réminiscence d'un état antérieur, telle qu'elle semble affecter l'imagination nocturne de Jünger et que nous venons d'évoquer, soulève le délicat problème de l'incarnation successive des âmes et dramatise ainsi la notion d'un éternel retour. Ne soyons donc pas surpris de trouver dans Le Cœur aventureux les très célèbres vers de Goethe:

 

Ah, tu étais ma sœur ou ma femme, en des temps révolus (9).

 

Ces vers impliquent la reconnaissance des choses entre elles, de leurs liens, une conscience de leur parenté qui peut dé­passer le cadre restreint de l'espèce humaine; d'ailleurs Jünger, dans le même passage, se fait écho de Byron:

 

Les monts, les vagues, le ciel ne font-ils partie de moi et de mon âme, et moi-même d'eux? (10).

 

La mort est le “souvenir le plus fort”

 

Finalement, la mort est pour Jünger un souvenir enfoui au plus profond de la mémoire, “le souvenir le plus fort” “der Tod ist unsere stärkste Erinnerung”  (aHl, 75). L'homme qui, pour Jünger, représente infiniment plus que le corps physique, est doté d'une mémoire qui semble survivre à la destruction de la matière. Le dualisme de la vision anthropologique que nous décelons ici évoque celui de Platon, qui stipula la primauté de l'âme sur le corps. Fidèle à ses influences pythagoriciennes, Platon reprit à son compte l'idée de l'immortalité de l'âme; dans sa préexistence ou postexistence, l'âme voit les idées, mais en s'incarnant dans sa prison de chair, elle les oublie. Rappelons-nous que celui qui, chez Hadès, conserve la mé­moire transcende la condition mortelle, échappe au cycle des générations. D'après Platon, les âmes assoiffées doivent éviter de boire l'eau du Léthé car l'oubli, qui constitue pour l'âme sa maladie propre, est tout simplement l'ignorance. Voilà peut-être la raison pour laquelle les Grecs prêtaient à Mnémosyne “mémoire”, la mère des Muses, de grandes vertus! L'histoire que chante la Titanide est déchiffrement de l'Invisible; la mémoire est fontaine d'immortalité. Nous pensons trouver ici un lointain écho de cette sagesse antique chez Jünger car, dans son œuvre, le contact avec l'autre monde est permis grâce à la mémoire. Celle-ci joue donc un rôle fondamental dans l'affirmation de l'identité personnelle et nous ne pouvons que souligner cette faveur qu'elle trouve auprès de Jünger, si l'on se réfère à ses journaux intimes, ces voyages entrepris dans les profondeurs du moi et d'où surgissent à la conscience des aspects nouveaux de l'être, mêlé parfois à toute une tonalité poétique.

 

L'aspect orphique de Jünger

 

Le roman philosophique Eumeswil  (1977), à cet égard très révélateur, montre l'aspect orphique de Jünger. La mémoire, par l'intermédiaire du Luminar, fait tomber la barrière qui sépare le présent du passé. Que ce soit par le biais du Luminar ou par l'évocation des morts dans le jardin de Vigo, un pont est jeté entre le monde des vivants, au-delà duquel retourne tout ce qui a quitté la lumière du soleil. Cette évocation des morts n'est pas sans éveiller à notre mémoire le rituel homérique, qui connaît deux temps forts: d'une part, l'appel chez les vivants et, d'autre part, la venue au jour, pour un bref moment, d'un défunt remonté du monde infernal. Le voyage d'un vivant au pays des morts semble également possible, ainsi le chamane Attila qui s'aventura dans les forêts.

 

La place centrale que les mythes de type eschatologique accordèrent à la mémoire indique l'attitude de refus à l'existence temporelle. Si Jünger exalte autant la mémoire, nous pouvons nous demander s'il n'est pas mû par la tentation d'en faire une puissance qui lui permette de réaliser la sortie du Temps et le retour du divin.

 

Qu'en est-il du vieil homme? Dans l'attente de l'ultime rendez-vous, habitué à la mort pour l'avoir côtoyée sur les fronts, dans les deuils et les déchirements qu'elle causa, il ne peut abandonner une inquiétude, qu'il exprime Deux fois Halley:

 

Au contraire, ce qui me préoccupe depuis longtemps, c'est la question du franchissement; une coupe en terre est trans­formée en or, puis en lumière. A cela une seule chose m'inquiète: c'est de savoir si l'on prend encore connaissance de cette élévation, si l'on s'en rend encore compte (11).

 

Parques, Moires, Nornes

 

Quelques années plus tard paraît le journal Les Ciseaux, que Jünger écrivit de 1987 à 1989. L'outil bien anodin dont il est ici question appartient aux sœurs filandières des Enfers qui filent et tranchent le fil de nos destinées. Etrangères au monde olympien, ces Parques ou Moires du monde hellénique sont les déesses de la Loi. Lachésis tourne le fuseau et enroule le fil de l'existence, Clotho, la fileuse, tient la quenouille et file la destinée au moment de la naissance. La fatale Atropos coupe le fil et détermine la mort. La représentation ternaire des fileuses, également présente dans le religieux germanique où les Nornes filent la destinée des dieux et celle des hommes, évoque la trinité passé, présent et futur et nous permet d'entrer dans la temporalité. Ce fil est le lien qui nous attache à notre destinée humaine, nous lie à notre mort. Ce qui importe ici, c'est que, d'une part, l'outil retenu par Jünger ne soit ni le fuseau ni la quenouille mais bien les ciseaux de la divinité morti­cole et que, d'autre part, Jünger valorise non le fil ou le tissage mais la coupure par les ciseaux.

 

Le titre de l'essai et les discrètes allusions aux Moires, à ces divinités du destin, intègrent l'écrit dans l'ensemble de la ré­flexion jüngerienne sur le temps et la temporalité. Quoi d'étonnant à ce qu'il établisse des correspondances secrètes avec ses écrits antérieurs et jongle avec des idées abondamment traitées dans le passé! Les allusions au Travailleur, au Mur du temps sont nombreuses; sans grande peine, nous retrouvons Le Traité du Sablier, Le Problème d'Aladin, Eumeswil et même la théorie du “lacet” propre au Cœur aventureux. Cette œuvre de continuité qui n'est certes pas l'écrit le plus origi­nal de Jünger, prend l'aspect d'une récapitulation. Dans cet écrit tout en nuances, à défaut d'avoir énoncé des théories véri­tablement nouvelles, Jünger a composé une série d'accords d'accompagnements, s'attaquant à des problèmes essentiels de notre temps. Les Ciseaux sont en cela une méditation sur les aventures de notre siècle qu'ils posent, sur un fond de dua­lisme entre races divines, le problème crucial de l'éthique dans un monde où la science et le progrès technique repoussent les frontières d'une science morale désormais dépassée. Nous reconnaissons cette volonté d'ordonner le monde à d'autres fins que matérialistes.

 

Jünger considère le Temps sous la loi de deux règnes, d'une part celle du temporel où les ciseaux d'Atropos ne coupent pas et annoncent cet infini comme nous pouvons déjà le percevoir dans les rêves et l'extase. L'essai parle donc de la cons­cience jüngerienne de la mort et de cette douloureuse et inquiétante question du passage, de l'ultime franchissement.

 

Du comportement psychologique des agonisants

 

Cette curiosité incite l'auteur à s'interroger sur l'état de mort temporelle et sur les souvenirs des rares patients qui, rappe­lés à la vie, reprochent à leur médecin de les avoir empêchés de passer le tunnel de la mort (Schere, 73 sq). Sensible peut-être à cette vague déferlante de littérature occultiste qui aborde depuis quelques années la vie postmortelle, (est-là un pré­sage de l'ère du Verseau?) ne va-t-il pas jusqu'à citer Elisabeth Kübler-Ross (12), cette femme d'origine suisse aléma­nique, installée aux Etats-Unis d'Amérique? En sa qualité de médecin, elle édita de nombreux ouvrages portant sur le com­portement psychologique des agonisants; elle examina les récits des patients qu'avaient ressuscités les nouvelles tech­niques médicales de la réanimation, c'est-à-dire des injections d'adrénaline dans le cœur ou des électrochocs. Certains “revenants” que la médecine avait considérés cliniquement morts après avoir préalablement constaté un arrêt cardiaque, une absence de respiration et d'activité cérébrale, confièrent les expériences étranges qui leur étaient alors advenues pen­dant ces instants.

 

Or, la similitude des descriptions, l'exactitude des récits excluaient tout rêve ou toute hallucination. C'est ce qui incita le médecin à voir là une preuve d'existence post-mortelle. Voilà un sujet épineux où l'on se heurte tant aux théologiens horri­fiés à l'idée d'un éventuel blasphème qu'aux doctes gardiens de la Science! Le raisonnement scientifique ne saurait rien admettre qui ne soit entièrement évident et ne forme un tout cohérent; la pensée qui en résulte, disciplinée par la rigoureuse volonté d'ordonner selon une méthode la plupart du temps linéaire et déductive, va par étapes successives de la simplicité à la complexité dans un ordre logique et chronologique. Or, dans le présent cas, la finalité du témoignage peut être sujette au même doute que son contenu. Il est donc bien évident que les thèses alléguées par E. Kübler-Ross ne peuvent, dans le meilleur des cas, remporter l'unanimité du monde scientifique et, dans le pire, ne peuvent qu'être rejetées car la science accueille avec méfiance des assertions qu'elle juge a priori insanes.

 

Toutefois, comme si Jünger voulait imposer le silence aux contempteurs de théories qu'il semble lui partager, comme s'il doutait aussi de cette méthode scientifique dont on aperçoit les limites, il cite des autorités médicales, aussi ambiguës soient-elles, ou nous livre les réflexions d'un ami, Hartmut Blersch, médecin lui aussi de son état. Ce dernier, traitant des personnes âgées, a écrit une étude non éditée: “Die Verwandlung des Sterbens durch den Descensus ad infernos” [La transformation de l'agonie par la Descente aux Enfers] (13) et a permis à Jünger d'en inclure quelques extraits dans Les Ciseaux. Jünger a tourné le dos à l'intelligence rationnelle du discours et à certaines acquisitions du savoir scientifique il y a longtemps déjà. De nos jours, une telle approche, qualifiée d'irrationnelle invite ses représentants à douter de la validité, du sérieux que l'on pourrait accorder à une telle pensée, à voir dans cette réaction antimatérialiste une régression vers un nou­vel obscurantisme. Il n'en est pas moins vrai que Jünger, s'inscrivant déjà dans toute une tradition, reflète les angoisses qui oppressent son temps. Car cette mythologie d'une vie post-mortelle exerce sur nos contemporains une fascination qui dé­passe le simple divertissement.

 

Placidité et sagesse où la mort devient conquête

 

Les conceptions irrationnelles de Jünger ont toujours damé le pion à la divine raison. Ainsi avait-il conclu son ouvrage Approches, drogues et ivresse:

 

L'approche est confirmée par ce qui survient, ce qui est présent est complété par ce qui est absent. Ils se rencontrent dans le miroir qui efface temps et malaise. Jamais le miroir ne fut aussi vide, dépourvu ainsi de poussière et d'image —deux siècles se sont chargé de cela. En plus, le cognement dans l'atelier  —le rideau devient transparent; la scène est libre (14).

 

C'est peut-être justement dans cette irrationalité que Jünger puise cette placidité et cette sagesse où la mort elle-même devient conquête. Esprit téméraire, Jünger s'est avancé, vigilant, vers ces régions où les ciseaux de la Parque ne tranchent pas.

 

Tout comme jadis où, jeune héros incontesté, il glorifiait l'instant dangereux, le vieil homme avait renoncé à l'histoire, à percevoir le temps de manière continue; il est demeuré fasciné par cette seconde brûlante où tout se joue, ce duel sans merci où la vie et la mort s'affrontent:

 

L'histoire n'a pas de but; elle est. La voie est plus importante que le but dans la mesure où elle peut, à tout instant, en parti­culier à celui de la mort devenir le but (15).

 

Isabelle FOURNIER.

 

Notes:

 

(1) Sgraffitti, [première parution, Antaios, 1960, Stuttgart] in Jüngers Werke, Bd. VII, Essays III, p. 354: «Wenn ein Mensch stirbt, wird sein Lebenslied im Äther gespielt. Er darf es mithören, bis er ins Schweigen übergeht. Er lauscht dann so aufmerksam in­mitten der Qualen, der Unruhe. In jedem Fall war es ein großer Meister, der das Lied ersann. Doch kann es in seinem reinen Klange nur vernommen werden, wo der Wille erlischt, wo er der Hingabe weicht».

(2) Das abenteurliche Herz 1, Berlin, 1928 [1929], p. 76: «Das Leben ist eine Schleife, die sich im Dunkeln schürzt und löst. Vielleicht wird der Tod unser größtes und gefährlichstes Abenteuer sein, denn nicht ohne Grund sucht der Abenteurer immer wieder seine flammenden Ränder auf».

(3) Das abenteurliche Herz 2, Berlin, 1938 [1942], p. 38: «Er nannte den Tod die wundersamste Reise, die der Mensch ver­möchte, ein wahres Zauberstück, die Tarnkappe aller Tarnkappen, auch die ironische Replik im ewigen Streit, die letzte und un­greifbare Burg aller Freien und Tapferen».

(4) An der Zeitmauer, [première parution Antaios, 1, 209-226], Stuttgart, 1959, p. 159: «Wer keine Todesfurcht kennt, steht mit Göttern auf vertrautem Fuß».

(5) Das abenteureliche Herz 2, ibid., p. 102: «[...] und weißt du, was ich glaube? Was wir hier leben, ist nur geträumt; wir erleben aber nach dem Tode dasselbe in Wirklichkeit».

(6) Novalis, Hymnen an die Nacht, Heinrich von Ofterdingen. Goldmann Verlag, Stuttgart, 1979, p. 161-162: «Die Welt wird Traum, der Traum wird Welt[...]/Wehmuth und Wollust, Tod und Leben/ Sind hier in innigster Sympathie».

(7) Das abenteureliche Herz 2, ibid. p. 83: «Im letzten Schimmer des Lichtes ahnte ich noch: Ich würde unzählige Male leben, demselben Mädchen begegnen, dieselbe Blume essen und daran zugrunde gehen, ebenso wie dies bereits unzählige Male geschehen war».

(8) voir à ce propos le symbolisme des couleurs dans le Cœur aventureux.

(9) Das abenteurliche Herz 1, ibid., p. 74: «Ach, du warst in abgebten Zeiten/ Meine Schwester oder meine Frau».

(10) Das abenteurliche Herz 1, ibid., p. 74: «Sind Berge, Wellen, Himmel nicht ein Teil von mir und meiner Seele, ich von ih­nen?».

(11) Zwei Mal Halley, Stuttgart, 1987, p. 33: «Mich beschäftigt vielmehr seit langem die Frage des Überganges; ein irdener Becher wird in Gold verwandelt und dann in Licht. Daran beunruhigt nur eines: ob diese Erhöhung noch zur Kenntnis genommen wird, noch ins Bewußtsein fällt».

(12) Die Schere, Stuttgart, 1989, p. 173 sq.

(13)Schere,  p. 173.

(14) Annäherungen, Drogen und Rausch, Stuttgart, 1970, [Ullstein, 1980], p. 348: «Annäherung wird durch Eintretendes bestätigt, Anwesendes durch Abwesendes ergänzt. Sie trefen sich im Spiegel, der Zeit und Unbehagen löscht. Nie war der Spiegel so leer, so ohne Staub und bildlos —dafür haben zwei Jahrhunderte gesorgt. Dazu das Klopfen in der Werkstatt— der Vorhang wird durchsichtig; die Bühne ist frei».

(15) Die Schere, ibid., p. 120: «Die Geschichte hat kein Ziel; sie existiert. Der Weg ist wichtiger als das Ziel, insofern, als er in jedem Augenblick vor allem in dem des Todes Ziel werden kann».

 

vendredi, 23 octobre 2009

Gabriele d'Annunzio: "Entre la lumière d'Homère et l'ombre de Dante"

GabrieleD_Annunzio.jpgGabriele D’Annunzio :« Entre la lumière d’Homère et l’ombre de Dante »

« En quelque sorte, un dialogue d'esprit, une provocation, un appel... »

Friedrich Nietzsche

Ex: http://scorpionwind.hautetfort.com/

Né en 1863, à Pescara, sur les rivages de l'Adriatique, D'Annunzio sera le plus glorieux des jeunes poètes de son temps. Son premier recueil paraît en 1878, inspiré des Odes Barbares de Carducci. Dans L'Enfant de volupté, son premier roman, qu'il publie à l'âge de vingt-quatre ans, l'audace immoraliste affirme le principe d'une guerre sans merci à la médiocrité. Chantre des ardeurs des sens et de l'Intellect, D'Annunzio entre dans la voie royale de l'Art dont l'ambition est de fonder une civilisation neuve et infiniment ancienne.

Le paradoxe n'est qu'apparent. Ce qui échappe à la logique aristotélicienne rejoint une logique nietzschéenne, toute flamboyante du heurt des contraires. Si l'on discerne les influences de Huysmans, de Baudelaire, de Gautier, de Flaubert ou de Maeterlinck, il n'en faut pas moins lire les romans, tels que Triomphe de la Mort ou Le Feu, comme de vibrants hommages au pressentiment nietzschéen du Surhomme.

Il n'est point rare que les toutes premières influences d'un auteur témoignent d'une compréhension plus profonde que les savants travaux qui s'ensuivent. Le premier livre consacré à Nietzsche (celui de Daniel Halévy publié en 1909 ) est aussi celui qui d'emblée évite les mésinterprétations où s'embrouilleront des générations de commentateurs. L'écrivain D'Annunzio, à l'instar d'Oscar Wilde ou de Hugues Rebell, demeurera plus proche de la pensée de Nietzsche,- alors même qu'il ignore certains aspects de l'œuvre,- que beaucoup de spécialistes, précisément car il inscrit l'œuvre dans sa propre destinée poétique au lieu d'en faire un objet d'études méthodiques.

On mesure mal à quel point la rigueur méthodique nuit à l'exactitude de la pensée. Le rigorisme du système explicatif dont usent les universitaires obscurcit leur entendement aux nuances plus subtiles, aux éclats brefs, aux beaux silences. « Les grandes idées viennent sur des pattes de colombe » écrivait Nietzsche qui recommandait aussi à son ami Peter Gast un art de lire bien oublié des adeptes des « méthodes critiques »: « Lorsque l'exemplaire d'Aurores vous arrivera en mains, allez avec celui-ci au Lido, lisez le comme un tout et essayez de vous en faire un tout, c'est-à-dire un état passionnel ».

L'influence de Nietzsche sur D'Annunzio, pour n'être pas d'ordre scolaire ou scolastique, n'en est pas pour autant superficielle. D'Annunzio ne cherche point à conformer son point de vue à celui de Nietzsche sur telle ou telle question d'historiographie philosophique, il s'exalte, plus simplement, d'une rencontre. D'Annunzio est « nietzschéen » comme le sera plus tard Zorba le Grec. Par les amours glorieuses, les combats, les défis de toutes sortes, D'annunzio poursuit le Songe ensoleillé d'une invitation au voyage victorieuse de la mélancolie baudelairienne.

L'enlèvement de la jeune duchesse de Gallese, que D'Annunzio épouse en 1883 est du même excellent aloi que les pièces de l'Intermezzo di Rime, qui font scandale auprès des bien-pensants. L'œuvre entière de D'Annunzio, si vaste, si généreuse, sera d'ailleurs frappée d'un interdit épiscopal dont la moderne suspicion, laïque et progressiste est l'exacte continuatrice. Peu importe qu'ils puisent leurs prétextes dans le Dogme ou dans le « Sens de l'Histoire », les clercs demeurent inépuisablement moralisateurs.

Au-delà des polémiques de circonstance, nous lisons aujourd'hui l'œuvre de D'Annunzio comme un rituel magique, d'inspiration présocratique, destiné à éveiller de son immobilité dormante cette âme odysséenne, principe de la spiritualité européenne en ses aventures et créations. La vie et l'œuvre, disions-nous, obéissent à la même logique nietzschéenne,- au sens ou la logique, désentravée de ses applications subalternes, redevient épreuve du Logos, conquête d'une souveraineté intérieure et non plus soumission au rationalisme. Par l'alternance des formes brèves et de l'ampleur musicale du chant, Nietzsche déjouait l'emprise que la pensée systématique tend à exercer sur l'Intellect.

De même, D'Annunzio, en alternant formes théâtrales, romanesques et poétiques, en multipliant les modes de réalisation d'une poésie qui est , selon le mot de Rimbaud, « en avant de l'action » va déjouer les complots de l'appesantissement et du consentement aux formes inférieures du destin, que l'on nomme habitude ou résignation.

Ce que D'Annunzio refuse dans la pensée systématique, ce n'est point tant la volonté de puissance qu'elle manifeste que le déterminisme auquel elle nous soumet. Alors qu'une certaine morale « chrétienne » - ou prétendue telle - n'en finit plus de donner des lettres de noblesse à ce qui, en nous, consent à la pesanteur, la morale d’annunzienne incite aux ruptures, aux arrachements, aux audaces qui nous sauveront de la déréliction et de l'oubli. Le déterminisme est un nihilisme. La « liberté » qu'il nous confère est, selon le mot de Bloy « celle du chien mort coulant au fil du fleuve ».

Cette façon d’annunzienne de faire sienne la démarche de Nietzsche par une méditation sur le dépassement du nihilisme apparaît rétrospectivement comme infiniment plus féconde que l'étude, à laquelle les universitaires français nous ont habitués, de « l'anti-platonisme » nietzschéen,- lequel se réduit, en l'occurrence, à n'être que le faire valoir théorique d'une sorte de matérialisme darwiniste, comble de cette superstition « scientifique » que l'œuvre de Nietzsche précisément récuse: « Ce qui me surprend le plus lorsque je passe en revue les grandes destinées de l'humanité, c'est d'avoir toujours sous les yeux le contraire de ce que voient ou veulent voir aujourd'hui Darwin et son école. Eux constatent la sélection en faveur des êtres plus forts et mieux venus, le progrès de l'espèce. Mais c'est précisément le contraire qui saute aux yeux: la suppression des cas heureux, l'inutilité des types mieux venus, la domination inévitable des types moyens et même de ceux qui sont au-dessous de la moyenne... Les plus forts et les plus heureux sont faibles lorsqu'ils ont contre eux les instincts de troupeaux organisés, la pusallinimité des faibles et le grand nombre. »

Le Surhomme que D'Annunzio exalte n'est pas davantage l'aboutissement d'une évolution que le fruit ultime d'un déterminisme heureux. Il est l'exception magnifique à la loi de l'espèce. Les héros du Triomphe de la Mort ou du Feu sont des exceptions magnifiques. Hommes différenciés, selon le mot d'Evola, la vie leur est plus difficile, plus intense et plus inquiétante qu'elle ne l'est au médiocre. Le héros et le poète luttent contre ce qui est, par nature, plus fort qu'eux. Leur art instaure une légitimité nouvelle contre les prodigieuses forces adverses de l'état de fait. Le héros est celui qui comprend l'état de fait sans y consentir. Son bonheur est dans son dessein. Cette puissance créatrice,- qui est une ivresse,- s'oppose aux instincts du troupeau, à la morale de l'homme bénin et utile.

Les livres de D'Annunzio sont l'éloge des hautes flammes des ivresses. D'Annunzio s'enivre de désir, de vitesse, de musique et de courage car l'ivresse est la seule arme dont nous disposions contre le nihilisme. Le mouvement tournoyant de la phrase évoque la solennité, les lumières de Venise la nuit, l'échange d'un regard ou la vitesse physique du pilote d'une machine (encore parée, alors, des prestiges mythologiques de la nouveauté). Ce qui, aux natures bénignes, paraît outrance devient juste accord si l'on se hausse à ces autres états de conscience qui furent de tous temps la principale source d'inspiration des poètes. Filles de Zeus et de Mnémosyne, c'est-à-dire du Feu et de la Mémoire, les Muses Héliconiennes, amies d'Hésiode, éveillent en nous le ressouvenir de la race d'or dont les pensées s'approfondissent dans les transparences pures de l'Ether !

« Veut-on, écrit Nietzsche, la preuve la plus éclatante qui démontre jusqu'où va la force transfiguratrice de l'ivresse ?- L'amour fournit cette preuve, ce qu'on appelle l'amour dans tous les langages, dans tous les silences du monde. L'ivresse s'accommode de la réalité à tel point que dans la conscience de celui qui aime la cause est effacée et que quelque chose d'autre semble se trouver à la place de celle-ci,- un scintillement et un éclat de tous les miroirs magiques de Circé... »

Cette persistante mémoire du monde grec, à travers les œuvres de Nietzsche et de D'Annunzio nous donne l'idée de cette connaissance enivrée que fut, peut-être, la toute première herméneutique homérique dont les œuvres hélas disparurent avec la bibliothèque d'Alexandrie. L'Ame est tout ce qui nous importe. Mais est-elle l'otage de quelque réglementation morale édictée par des envieux ou bien le pressentiment d'un accord profond avec l'Ame du monde ? « Il s'entend, écrit Nietzsche, que seuls les hommes les plus rares et les mieux venus arrivent aux joies humaines les plus hautes et les plus altières, alors que l'existence célèbre sa propre transfiguration: et cela aussi seulement après que leurs ancêtres ont mené une longue vie préparatoire en vue de ce but qu'ils ignoraient même. Alors une richesse débordante de forces multiples, et la puissance la plus agile d'une volonté libre et d'un crédit souverains habitent affectueusement chez un même homme; l'esprit se sent alors à l'aise et chez lui dans les sens, tout aussi bien que les sens sont à l'aise et chez eux dans l'esprit. » Que nous importerait une Ame qui ne serait point le principe du bonheur le plus grand, le plus intense et le plus profond ? Evoquant Goethe, Nietzsche précise : « Il est probable que chez de pareils hommes parfaits, et bien venus, les jeux les plus sensuels sont transfigurés par une ivresse des symboles propres à l'intellectualité la plus haute. »

La connaissance heureuse, enivrée, telle est la voie élue de l'âme odysséenne. Nous donnons ce nom d'âme odysséenne, et nous y reviendrons, à ce dessein secret qui est le cœur lucide et immémorial des œuvres qui nous guident, et dont, à notre tour, nous ferons des romans et des poèmes. Cette Ame est l'aurore boréale de notre mémoire. Un hommage à Nietzsche et à D'Annunzio a pour nous le sens d'une fidélité à cette tradition qui fait de nous à la fois des héritiers et des hommes libres. Maurras souligne avec pertinence que « le vrai caractère de toute civilisation consiste dans un fait et un seul fait, très frappant et très général. L'individu qui vient au monde dans une civilisation trouve incomparablement davantage qu'il n'apporte. »

Ecrivain français, je dois tout à cet immémorial privilège de la franchise, qui n'est lui-même que la conquête d'autres individus, également libres. Toute véritable civilisation accomplit ce mouvement circulaire de renouvellement où l'individu ni la communauté ne sont les finalités du Politique. Un échange s'établit, qui est sans fin, car en perpétuel recommencement, à l'exemple du cycle des saisons.

La philosophie et la philologie nous enseignent qu'il n'est point de mouvement, ni de renouvellement sans âme. L'Ame elle-même n'a point de fin, car elle n'a point de limites, étant le principe, l'élan, la légèreté du don, le rire des dieux. Un monde sans âme est un monde où les individus ne savent plus recevoir ni donner. L'individualisme radical est absurde car l'individu qui ne veut plus être responsable de rien se réduit lui-même à n'être qu'une unité quantitative,- cela même à quoi tendrait à le contraindre un collectivisme excessif. Or, l'âme odysséenne est ce qui nous anime dans l'œuvre plus vaste d'une civilisation. Si cette Ame fait défaut, ou plutôt si nous faisons défaut à cette âme, la tradition ne se renouvelle plus: ce qui nous laisse comprendre pourquoi nos temps profanés sont à la fois si individualistes et si uniformisateurs. La liberté nietzschéenne qu'exigent les héros des romans de D’annunzio n'est autre que la liberté supérieure de servir magnifiquement la Tradition. Ce pourquoi, surtout en des époques cléricales et bourgeoises, il importe de bousculer quelque peu les morales et les moralisateurs.

L'âme odysséenne nomme cette quête d'une connaissance qui refuse de se heurter à des finalités sommaires. Odysséenne est l'Ame de l'interprétation infinie,- que nulle explication « totale » ne saurait jamais satisfaire car la finalité du « tout » est toujours un crime contre l'esprit d'aventure, ainsi que nous incite à le croire le Laus Vitae:

« Entre la lumière d'Homère

et l'ombre de Dante

semblaient vivre et rêver

en discordante concorde

ces jeunes héros de la pensée

balancés entre le certitude

et le mystère, entre l'acte présent

et l'acte futur... »

Victorieuse de la lassitude qui veut nous soumettre aux convictions unilatérales, l'âme odysséenne, dont vivent et rêvent les « jeunes héros de la pensée », nous requiert comme un appel divin, une fulgurance de l'Intellect pur, à la lisière des choses connues ou inconnues.

Luc-Olivier d'Algange

source: Le cygne noir numéro 1 >> Intentions 5

samedi, 17 octobre 2009

Le Bulletin célinien n°312

Le Bulletin célinien n°312

Sortie du Bulletin célinien n° 312, octobre 2009.

Au sommaire :
* Marc Laudelout :
Bloc-notes
* Emmanuel Caloyanni : Ralph Soupault et Céline
* Serge Joncour & Camille Laurens : "Voyage" sur l'île déserte
* Omar Merzoug : Hommage à Philippe Bonnefis
* Alexandre Junod : Du "Voyage au bout de la nuit" à "End of the night"
* Roger Nimier : "Nord" de L.-F. Céline (1960)
* Michel Bergouignan : L.-F. Céline, contradictoire et passionné (I)


Un numéro de 24 pages, illustrations. Disponible contre un chèque de 6 € franco à l'ordre de M. Laudelout.

Le Bulletin célinien

B. P. 70

B 1000 Bruxelles 22

Balzac, révolutionnaire conservateur?

HBalzac.jpgDr. Hans-Christof KRAUS:

 

Balzac, révolutionnaire-conservateur?

 

Honoré de Balzac, écrivain français, est né le 20 mai 1799 à Tours et mort le 18 août 1850 à Paris. Après avoir fréquenté l’école à Vendôme, Tours et Paris, Balzac étudie de 1816 à 1820 le droit dans la capitale française. Après avoir obtenu son “Baccalauréat de droit”, il n’exercera finalement que le métier d’écrivain et de publiciste, la plupart du temps sans succès. Bref intermède: il fut éditeur et imprimeur de 1825 à 1827, ce qui se termina par une faillite catastrophique qui l’endetta jusqu’à la fin de ses jours. A partir de 1830, son oeuvre principale, “La Comédie humaine”, cycle de romans, parait à intervalles réguliers. Elle le rendra célèbre et lui procurera le succès. Désormais écrivain en vue, il s’engage politiquement dans le camp des légitimistes à partir de 1832. Mais sa candidature pour le Parlement, qu’on avait prévue, ne fut toutefois pas retenue. En tant qu’éditeur et rédacteur de revues telles “Chronique de Paris” (1836) et “Revue de Paris” (1840), il ne connut aucun succès. A partir de 1841, il dut affronter de sérieux problèmes de santé, parce qu’il travaillait trop mais cela ne l’empêcha pas d’oeuvrer inlassablement à la “Comédie”. Entre deux longs séjours en Russie (en 1847 et en 1849), chez celle qui deviendra  plus tard sa femme, la Comtesse polonaise Hanska, il prit une dernière fois position en politique française en 1848. Peu après son retour à Paris, il mourut d’épuisement, écrasé par le travail.

 

Dans la “Comédie humaine”, Balzac a mis sous une forme romanesque un panorama quasi complet de la vie politique et de l’histoire françaises entre 1789 et 1840. Il subdivisa son oeuvre en “Scènes”: “Scènes de la vie privée”, “Scènes de la vie provinciale”, “Scènes de la vie parisienne”, “Scènes de la vie politique”, “Scènes de la vie militaire”, “Scènes de la vie rurale”. Les figures principales de ces “scènes” sont, notamment, l’écrivain Lucien de Rubempré, qui se surestime et atteint l’hybris, Vautrin, criminel notoire, Rastignac, le carriériste et le courageux écrivain légitimiste d’Arthez. Sous l’influence d’écrits alchimiques, mystiques et magiques, Balzac développa une curieuse “doctrine de l’énergie”, qu’il nous faut comprendre si nous voulons saisir le sens de son oeuvre. Cette doctrine conçoit l’individu mais aussi les Etats, les peuples et les cultures comme des instances porteuses d’énergies. Elle postule dès lors que les plus hautes valeurs sont celles qui maintiennent ou augmentent cette énergie, en faisant preuve de mesure et en assurant les continuités. Dans ce sens, nous pouvons dire que la pensée politique de Balzac  est “un conservatisme énergisant” (comme le remarquera Curtius).

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Les convictions politiques fondamentales de Balzac, d’essence conservatrice et légitimiste, se révèlent tout entières dans l’avant-propos de sa “Comédie” (rédigé en juillet 1842). Le christianisme, en l’occurrence le catholicisme, est pour lui “un système achevé pour refouler les tendances les plus perverses de l’homme et constitue de la sorte l’élément le plus puissant dans l’ordre social”, à condition qu’il soit associé au monarchisme. En toute logique, Balzac rejette ainsi le droit de vote illimité et la domination des masses qui en résulte (il dit qu’elles sont “tyranniques sans limite aucune”). Il écrit: “La famille et non l’individu est le véritable élément social”; expressis verbis, il se range “du côté de Bossuet et de Bonald au lieu de courir derrière les innovateurs modernes”.

 

Déjà dans ses premières brochures politiques de 1824, le jeune Balzac avait brisé une lance pour conserver et consolider le “droit d’aînesse” (in: “Du droit d’aînesse”) et avait défendu l’ordre des Jésuites  (“Histoire impartiale des Jésuites”). En 1830, il se prononce pour une monarchie de constitutionalisme modéré, qu’il dépeint comme un “heureux mélange” de despotisme extrême et de démocratie, bien qu’il voulût plutôt rénover la royauté patriarcale du moyen âge; en 1832, il se range du côté du légitimisme d’opposition, le plus rigoureux, et finit par défendre aussi l’absolutisme pré-révolutionnaire. En 1843, il avait prévu d’écrire un ouvrage politique, glorifiant la monarchie, mais ce projet ne se réalisa pas. Dans les dernières années de sa vie, Balzac se fit l’avocat d’une dictature légitimiste, appelée à rétablir l’ordre traditionnel. Ses orientations politiques demeurèrent constantes: il voulait le retour d’un ancien régime transfiguré.

 

Balzac constatait que les pathologies qui affligeaient son pays, la France, résidaient principalement dans le centralisme et dans le rôle calamiteux du “Moloch” parisien. Bon nombre d’interprètes marxistes de l’oeuvre balzacienne n’ont pas tenu compte des principes éminemment conservateurs de ses idées politiques ni ne les ont compris; en revanche, ils ont bien capté les descriptions et la dénonciation du capitalisme bourgeois des débuts (Lukacs, Wurmser). La critique sévère et pertinente de la modernité, que l’on découvre dans les analyses précises de Balzac sur l’effondrement du vieil ordre européen, reste à étudier et à découvrir.

 

Dr. Hans-Christof KRAUS.

(entrée parue dans: Caspar von Schrenck-Notzing, “Lexikon des Konservatismus”, Leopold Srocker Verlag, Graz, 1996; trad. franç.: Robert Steuckers, 2009).

 

 

"La Mâove" de Jean Mabire vue par Robert Poulet

“La Mâove” de Jean Mabire vue par Robert Poulet (alias “Pangloss”)

 

La mode (relancée) du roman historique coïncide cette fois avec la commémoration biséculaire de la Révolution Française. Il y a donc de la guillotne dans l’air chez tous les libraires et des plumes sur le chapeau de tous les héros qui ne sont pas coiffés de carmagnoles, dans les bibliothèques de gare.

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Evidemment, les “Chouans” de Balzac ont depuis longtemps devancés tout le monde. La véritable histoire, c’est maintenant, dès que le public des figurants, des bourreaux et des victimes s’est réveillé de l’espèce de stupeur somnolente qui accompagne les événements importants. Voir “L’Homme qui n’avait pas compris...”. Jean Mabire, spécialiste français des Paras, des Panzers, des légions antibolcheviques et des chasseurs alpins, n’a pas manqué, tout de suite après les massacres gigantesques et stupides de la dernière Mondiale, plus le grand bâillement hébété qui a suivi comme d’habitude, d’y aller de son intarrisable “il était une fois” accompagné de parabellums et de kalachnikovs.

 

Mais ça ne l’empêche pas, aujourd’hui, puisque tout le monde s’y met, de remonter au Bloc cimenté, par Clémenceau. Et ça se combine pour lui avec “Je veux revoir ma Normandie”, car c’est un Viking très convaincu.

 

Alors tout y est: le Blanc qui vire au Bleu, le Bleu qui blanchit dès que Guillotin sort sa machine, le baron un peu traître et le marquis un tantinet espion, le prêtre assermenté et le chanoine maquisard, la demoiselle en culotte de chasseur du roi qui fait allègrement le coup de feu et sa soeur qui va tuer Marat dans sa baignoire, les méchants hussards qui violent en passant la  grand-mère du châtelain, les généraux qui se mettent la main sur le coeur et ceux qui ont trois chevaux tués sous eux, les fourches, les piques, les volontaires de l’An-Deux, les tricoteuses, les discours où il est question d’Armodius ou du Sacré-Coeur de Jésus, la grande rigolade jacobine, sur laquelle dégoulinent des flots d’hémoglobine. Et ça finit par du Napoléon.

 

Dans “La Mâove”, dont la voilure introduit un peu de fraîcheur au sein de cette histoire éminemment fantassine, vous aurez tout ça ou l’équivalent; plus les couples qui se rejoignent naturellement, dans les granges ou dans les arrière-boutiques. Un tel aime une telle à la folie, tel autre passe d’un camp à l’autre pour plaire à sa dulcinée en bonnet phrygien, telle cinquième reste de glace, malgré les feux qui brûlent tel sixième à l’endroit que je pense.

 

La révolution française, c’est une alternative d’idylles patriotiques et de ferveurs loyalistes. Pour le lecteur qui n’a pas lu Gaxotte, le pendard, et qui ne sait donc pas qu’en réalité ce fut une époque assomante.

 

Dans les provinces normandes, où notre Mabire ne manque pas de mener, fabuleusement, Hoche, Frotté, Cadoudal, Charlotte Corday, toute la figuration ressuscitée et revernie à neuf des bandes dessinées pour grandes personnes médiocrement instruites, ce fut assez confus. Mais  l’auteur des “Samouraï” connaît son métier. C’est le prince des narrateurs dialoguistes et des épisodistes bien renseignés, qui n’a pas perdu un mot de ce que Barras et Sieyès se sont dit en déjeunant ensemble le douze fructidor.

 

Seules réserves: il y a toujours trop de personnages, on s’embrouille et ils parlent trop pour ne pas dire toujours grand-chose. A part ça, un auteur furieusement imaginatif. Ecrivant proprement, sans plus; pas le temps d’être artiste. Il faut que la chose bouge et, en l’occurrence, qu’elle s’achève par le sacre de Bonaparte.

 

Les bateaux, dans les ports normands, hissent le grand pavois, le canon tonne, les amours irrégulières se révèlent, avec de l’anneau-de-ma-mère, les cloches de Notre-Dame sonnent à toute volée. Quel triomphe!

 

Sauf les quinze ans de guerre extérieure qui vont suivre, et les deux siècles de mauvaise paix et de bonne littérature.

 

Celle de Jean Mabire n’est qu’honnête et vivante. L’un des meilleurs échantillons du roman commémoratif. Prenez celui-là, sinon vous allez vous perdre dans la masse. Et la masse, comme toujours, ne vaut rien.

 

Quant à la “Mâove”, elle coule, pavillon haut. Le pavillon danois!...

 

Les Vikings retournent chez eux, faut croire!

 

PANGLOSS

(extrait de “Pan”, Bruxelles, n°2322, 28 juin 1989).

 

vendredi, 16 octobre 2009

50. Todestag Arnolt Bronnen

600191ddef.jpg50. Todestag Arnolt Bronnen

Ex: http://www.sezession.de/

Widersprüchlich, faszinierend, abstoßend: Arnolt Bronnen, der 64jährig am 12. Oktober 1959 in Ost-Berlin starb und seine Laufbahn als Kaufhausangestellter begann, war Anarchist, katholischer Konvertit, Nationalsozialist, Kommunist, ein Mitstreiter Brechts, Goebbels‘ Günstling beim Rundfunk, Widerstandskämpfer in Österreich, Nachkriegsbürgermeister.

So ist Bronnen mehr als nur die Personifizierung der Wirrnisse der Intellektuellen im 20. Jahrhundert. Seine jüdische Herkunft ließ er gerichtlich widerlegen. Den Haß auf den jüdischen Zieh- oder Zeugevater brachte er 1920/22 auf Papier und Bühne. Er war Renegat, Opportunist und Provokateur, der „faschistische Piccolo“ und die „Hyäne im Kinderzoo“. Er schockierte mit expressionistischen Theaterstücken und sexualneurotischen Exzessen, störte mit SA-Männern Thomas Manns Deutsche Ansprache in Berlin, ließ weiße Mäuse während der Kino-Premiere von Im Westen nichts Neues auf das Publikum los und fand in der DDR sein Gnadenbrot als Theaterkritiker.

Er veröffentlichte 1929 den wohl wichtigsten rechten Agitprop-Roman Deutschlands, O.S. (zuletzt Klagenfurt 1995), über die Kämpfe der Freikorps in Oberschlesien. Tucholsky schrieb einen berühmten Verriß. Und noch heute läßt sich über dieses Buch trefflich streiten. Und seine Kinder – Tochter Barbara ist Schriftstellerin, Franziska Schauspielerin (Schwarzwaldklinik), Sohn Andreas Unternehmer – sind sich bis heute uneins über ihren Vater, den Chaoten und Grenzgänger (B. Bronnen: Das Monokel, München 2000) .

Réflexions sur l'oeuvre de Hans Grimm (1875-1959)

grimm-hans.jpgHans-Georg MEIER-STEIN:

 

Réflexions sur l’oeuvre de Hans Grimm (1875-1959)

 

Le nom et l’oeuvre de Hans Grimm sont quasiment oubliés aujourd’hui. On ne se rappelle plus, à l’occasion, que du titre de son roman à succès, “Volk ohne Raum” (= “Peuple sans espace”), un titre que l’on mésinterprète presque toujours en répétant à satiété l’allusion perfide qu’il correspondrait mot pour mot à une formule propagandiste des nationaux-socialistes; on évoque dès lors son oeuvre sur le ton moralisateur, en prenant “ses distances”. Les rares tentatives de réhabiliter l’oeuvre littéraire de Hans Grimm, de lui témoigner une reconnaissance méritée, ont échoué car Grimm, représetnant d’une bourgeoisie allemande cultivée et conservatrice, demeure “persona non grata”.

 

Grimm, en effet, est issu du milieu de la grande bourgeoisie cultivée (la “Bildungsbürgertum”), où, rappelle-t-il dans ses souvenirs de jeunesse, “on écoutait de la  bonne musique et lisait de bons livres, en cultivant les belles et nobles formes”. Le père de sa mère avait été "Juror"  dans plusieurs expositions universelles; son grand-père paternel avait été inspecteur général des écoles de Hesse et homme de confiance du Prince électeur.

 

Le père de notre écrivain, né en 1821, avait étudié le droit jurisprudentiel, était d’abord devenu professeur à Bâle puis secrétaire général de la “Südbahngesellschaft” (= la société des chemins de fer du sud), un consortium franco-autrichien, ce qui lui avait permis de mener une existence princière dans les environs de Vienne. Il se consacrait très intensément à ses penchants littéraires et à sa galerie d’art, exposant les peintures qu’il collectionnait. Quand il a quitté la “Südbahngesellschaft”, il a pris la direction du “Nassauischer Kunstverein” (= “L’association artistique de Nassau”) à Wiesbaden, tout en déployant d’intenses activités politiques: il devint ainsi le fondateur de la “Burschenschaft” (= Corporation étudiante) Frankonia à Marbourg et du “Deutscher Kolonialverein” (= L’association coloniale allemande), avec le concours de Lüderitz et du jeune Carl Peters. Parmi ses amis, on comptait Andreas Heusler (l’Ancien), Julius Ficker, le philologue classique Karl Simrock et Karl von Etzel, le constructeur du chemin de fer du Brenner.

 

Hans Grimm nait le 22 mars 1875. Il étudie à Lausanne et à Berlin les sciences littéraires mais  se retrouve assez rapidement à l’Institut Colonial de Hambourg et, de là, se rend en 1895 à Londres, pour parfaire une formation commerciale. En 1897, il s’installe en Afrique du Sud. A Port Elizabeth, il travaille d’abord, pendant quelques temps, comme employé auprès du comptoir d’une entreprise allemande, mais, bien vite, il devient négociant indépendant, ce qui lui permettra de vivre d’intéressantes aventures  dans la Province du Cap et dans le Sud-Ouest africain allemand. En 1911, il revient en Allemagne, pour étudier les sciences politiques et mettre en chantier, pour un éditeur, son journal de voyage et ses “Nouvelles sud-africaines”.

 

Pendant la première guerre mondiale, il sert d’abord comme artilleur sur le front occidental, ensuite comme expert colonial auprès du département “étranger” du commandement suprême de l’armée de terre. Il y travaillera avec Waldemar Bonsels, Friedrich Gundolf, Arthur Moeller van den Bruck et Börries von Münchhausen. En 1918, Grimm s’achète une très belle propriété, située dans un ancien cloître bénédictin, dans la magnifique région de Lippoldsberg, dans la vallée de la Weser. C’est là qu’il résidera jusqu’à sa mort en 1959, interrompant ce séjour par de très nombreux voyages. 

 

La critique littéraire a toujours précisé que les récits, que Grimm a écrits sur ses expériences africaines, constituaient le meilleur de toute son oeuvre. Et, de fait, ils le sont: leur qualité est incontestable, même s’ils sont oubliés aujourd’hui. Même Tucholsky trouva un jour quelques paroles louangeuses pour les vanter: sous le pseudonyme d’Ignaz Wrobel, en 1928 dans la revue “Weltbühne”, il écrit qu’ils nous procurent “une douce rêverie, celle que cet homme, si expérimenté et si grand voyageur, porte remarquablement sur son visage”.

 

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Quelles qualités littéraires rendent-elles les récits de Grimm si originaux, si précieux, si agréables à lire? D’abord les descriptions si vivantes et si réalistes de peuples et d’environnements de types très différents: nous y rencontrons des fermiers et des colons blancs; des marchands, des négociants et leurs employés; des noirs travailleurs agricoles ou ouvriers sur les routes; des chasseurs, des policiers allemands et des soldats britanniques casernés dans des forts isolés; des Cafres, des Héréros et des Hottentots. Les affrontements entre Boers et Britanniques forment souvent l’arrière-plan de ces scénarios à strates multiples. Grimm se révèle virtuose dans l’art de camper des caractères humains, avec leurs désirs puissants ou secrets, leurs nostalgies et leurs aspirations, leurs humeurs et leurs ambitions, leurs ressentiments et leurs besoins.

 

Grimm décrit également, avec une réelle puissance d’expression, des paysages africains impressionnants ou pittoresques, avec leurs brousses sauvages où l’on se perd, leurs savanes, leurs steppes abandonnées de Dieu et leurs déserts silencieux, leur faune exotique qui pousse des  milliers de cris et de rugissements. Le lecteur part ainsi en randonnées ou en expéditions d’explorateurs et est pris dans l’atmosphère unique du continent noir.

 

L’écriture de Grimm est épique, dense, elle puise dans des expériences vécues mais, malgré tout, elle recèle une mélancolie, une tristesse inexprimée parce que les destinées qu’il décrit finissent pas échouer, parce que les grands espoirs restent sans lendemain. Destinées et accomplissements des désirs ne se rejoignent pas. Grimm jette un regard tout empreint de sériosité sur les événements de ce monde africain et sait qu’il y a, derrière ce théâtre, une unité qui englobe tout ce qui existe. Tout cela nous est expliqué par un style léger, qui rappelle surtout celui des chroniqueurs. Les formes, par lesquelles Grimm s’exprime et écrit, sont simples mais dépourvues des rudesses et des épaisseurs des naturalistes et des modernistes; en cela, Grimm exprime un conservatisme pratique qui s’accroche aux réalités de la vie quotidienne, mélange d’un sens aigu et clair du réel et de fantastique.

 

La grande popularité des récits de Grimm s’explique aisément: ils paraissent à une époque qui était fascinée par les mondes exotiques, qui s’engouait pour les pays lointains, peu visités par les Européens, comme l’Inde, le Mexique ou les Iles d’extrême-Orient ou du Pacifique. Beaucoup de poètes et d’écrivains allemands carressaient le projet un peu fou de commencer une nouvelle vie idéale sous les tropiques. Emile Strauss partit quelques temps au Brésil. Max Dauthendey périt tragiquement à Java. Hermann Hesse n’a jamais cessé de s’enthousiasmer pour l’Inde. Et Bernhard Förster, le beau-frère de Nietzsche, installa une colonie “lebensreformisch” au Paraguay (ndt: le mouvement “lebensreformisch”, “réformateur de la vie”, mouvement à facettes multiples, entendait, en gros, renouer avec une existence naturelle, débarrassée de tout le ballast de la modernité urbaine et de l’industrialisme).

 

Dans ses romans également, Grimm prouve son talent exceptionnel d’observateur, par ses descriptions d’une grande exactitude et d’un réalisme parfait; cependant, la masse considérable de matériaux, que traite Grimm, le force, malgré lui, à échapper aux règles de l’art de la composition littéraire et aux formes requises. Son oeuvre romanesque s’inscrit trop dans une tradition littéraire spécifiquement allemande, celle du “Bildungsroman” ou de l’ “Entwicklungsroman” (= le roman qui narre une formation intellectuelle, spirituelle ou pratique, qui recense l’évolution d’une personnalité dans son environnement et face à lui). Les figures principales de ces romans sont donc conçues selon le leitmotiv d’une personnalité qui se construit et, par suite, fait appel au lecteur, pour qu’il acquière lui-même une même rigueur, une même volonté d’action, assorties d’un courage, d’un enthousiasme et d’une auto-discipline qui forment et consolident la personnalité.

 

“Der Ölsucher von Duala” est un roman de 1918, que Grimm écrit à la demande de Solf, Ministre des Colonies du Reich. Il y décrit les souffrances endurées par les civils allemands dans les colonies perdues. Le roman protocole littéralement les événements survenus dans ces colonies car Grimm a travaillé exclusivement sur des documents réels. Son intention était de tendre un miroir aux Alliés, qui accusaient les Allemands d’atrocités, et de leur montrer les effets  de leur propre fanatisme. “Volk ohne Raum” de 1926 est un ouvrage qui se veut programme: il constitue une vision romantique d’avenir, celle d’une vie idéale dans les immensités de l’Afrique.

 

Grimm, dans un premier temps, a salué l’avènement du national-socialisme, en le considérant comme une grande insurrection révolutionnaire et comme un mouvement populaire impulsif, comparable à la Réforme protestante en Allemagne. Les potentialités destructives et la radicalité perverse du mouvement lui ont échappé au début. Pourtant, bien vite après la prise du pouvoir, il s’est trouvé lui-même confronté aux effets du système totalitaire. Les manipulations électorales et les nombreux dérapages l’ont choqué. Il n’a jamais cessé de se plaindre auprès des hautes instances du parti et du gouvernement, notamment auprès du Ministre de l’Intérieur Wilhelm Frick, contre les brutalités perpétrées contre les travailleurs socialistes et un dentiste d’origine israélite dans sa région. Ses origines bourgeoises lui conféraient un sens des normes et de la responsabilité éthique; il croyait pouvoir contrer les dérapages et les déviances du national-socialisme, justement parce qu’il avait salué son avènement. Il imaginait que, par sa grande notoriété, personne ne pouvait ignorer ses admonestations ni le battre froid.

 

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Grimm s’est surtout engagé pour défendre un écrivain juif patriote, historien de l’art et érudit, Paul Landau, qui avait été son supérieur hiérarchique en tant que chef de section du département “presse” auprès du “service étranger” de l’OHL (Haut Commandement de l’Armée de Terre) pendant la première guerre mondiale. Indubitablement, Grimm a été mu par des sentiments de camaraderie: il a aidé un homme menacé dans son existence.

 

Un homme comme Grimm, qui prenait des initiatives morales aussi tranchées et sur le ton du défi, devait forcément s’attendre à éprouver des difficultés, surtout s’il proclamait de plus en plus haut et de plus en fort qu’il n’appartenait pas au parti. Cette attitude finit par provoquer une rupture avec Goebbels, Ministre de la Propagande, qui détenait désormais en ses mains toutes les arcanes de la vie culturelle allemande et considérait que ses directives devaient être suivies à la lettre, comme si elles étaient des décisions qui engageaient la patrie entière.

 

Grimm, sommé contre son gré d’avoir une entrevue avec Goebbels à Berlin, finit par reconnaître que l’intelligence du démagogue, entièrement fixée sur l’exercice du pouvoir, ne cultivait plus  aucun respect pour les principes d’humanité: lui, Grimm, dans un tel contexte, n’avait plus la possibilité d’obtenir quoi que ce soit. La tentative méprisable de l’intimider n’eut aucun effet sur lui, elle ne l’a pas impressionné; impavide, il a même déclaré à son interlocuteur, médusé et perplexe, qu’il n’était pas prêt à faire les petits exercices de soumission et d’obéissance qu’on attendait de lui. La fierté bourgeoise de Grimm, le poids de sa personnalité, l’empêchaient de renoncer à son indépendance d’esprit et à sa liberté de jugement.

 

A partir de cette entrevue orageuse, Grimm devint l’objet d’une surveillance méfiante et les rencontres entre écrivains qu’il organisait chez lui à Lippoldsberg pour d’autres auteurs et pour ses admirateurs, furent observées par des agents soupçonneux. Ce fut pire encore, après le cinquantième anniversaire de Hitler; à cette occasion, avec d’autres figures de proue du monde des lettres, on lui demanda de rédiger une contribution hagiographique; il refusa, car une telle démarche, dit-il, relève de la “pure flagornerie”. Grimm était insensible à la corruption.

 

Cette indépendance d’esprit et ce refus d’obéissance au pouvoir en place, il les a conservés après la seconde guerre mondiale, à l’époque de la “rééducation” voulue par les Américains, une époque où l’on ne comptait plus les “retournements de veste”; Grimm se heurtait alors aux fonctionnaires mesquins de la “nouvelle culture”. Avec l’entêtement qui le caractérisait,  en basculant parfois dans la “psycho-rigidité”, quand le nombre des ennemis croissait, Grimm a combattu l’amnésie et la conspiration du silence qui recouvraient les souffrances endurées par les Allemands; il a lutté aussi contre le fait “que des garnisons étrangères exercent désormais un pouvoir sur nos idéaux de vie, sur nos âmes mêmes, et qu’elles ont créé cette situation parce qu’elles sont un jour arrivées chez nous les armes à la main” (comme l’écrivit à cette époque-là un Friedrich Sieburg). Grimm a tenu à répondre aux accusations que le monde portait contre l’Allemagne et aux tirades haineuses d’un Thomas Mann (qui avait diffamé Carl Schmitt en le traitant “d’exploiteur de la défaite”). Pour contrer ces “légendes noires”, Grimm rédigea quantité de contre-pamphlets et plaidoyers en défense.

 

Au début des années cinquante, Grimm s’est engagé dans le SRP (= “Sozialistische Reichspartei”), une formation politique bientôt interdite, en tant que porte-paroles de l’aile national-conservatrice. Grimm avait toujours refusé l’hitlérisme et ses violences mais n’avait jamais renoncé à l’idéal d’une communauté populaire socialiste et nationale. Il  meurt le 27 septembre 1959.

 

Hans-Georg MEIER-STEIN.

(article paru dans  “Junge Freiheit”, Berlin, n°40/2009; trad. franç.: Robert Steuckers).

jeudi, 15 octobre 2009

Entretien avec Mary de Rachewiltz, fille d'Ezra Pound

ezra_pound.jpgARCHIVES DE SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

Entretien avec Mary de Rachewiltz, fille d'Ezra Pound et gardienne d'un mythe

 

BRUNNENBURG (Bozen). Près du village de Tyrol (cette fois il s'agit du village et non de la région) se trouve le château de Brunnenburg, ensemble composé de deux constructions bizarres: d'un côté le Musée Agricole, qui abrite les reliques de la culture paysanne, et de l'autre, le corps de logis parsemé d'escaliers en colimaçon aussi raides que nombreux. Mary de Rachewiltz, la fille d'Ezra Pound, est une dame divinement courtoise qui aime étudier ses interlocuteurs de ses grands yeux un peu scrutateurs. Au deuxième étage, nous pénétrons dans un salon bien aéré, décoré de dizaines de masques africains, de papyrus patiemment collectionnés par le prince Boris, le fameux égyptologue, mari de notre hôtesse, et de précieux petits livres de poèmes alignés minutieusement dans des vitrines.

 

«Au printemps  —explique Mme de Rachewiltz—  l'étage inférieur est le siège de l'Association Temps Réel, qui organise des expositions d'art. Par contre, pour les expositions consacrées un peu partout à Pound, je mets toujours à disposition les documents, les livres et les portraits. Voulez-vous voir la tête de Pound sculptée par Henri Gaudier-Brzeska?». Nous revenons au rez-de-chaussée. Dans une vaste salle tapissée de livres et de photos, avec les escabeaux et les supports que le poète construisait lui-même à l'aide d'équerres et de colle, nous pouvons admirer la tête du poète. Gaudier est mort en l915, à 23 ans. Pound est mort à 87 ans en 1972.

 

Madame, dans votre très bel ouvrage intitulé Discrétions, publié il y a quelques années chez Rusconi, votre mémoire s'arrête subitement quand paraît à l'horizon le monsieur qui est devenu votre mari, et vous ne nous racontez plus rien de la période la plus terrible de la vie de Pound, quand il fut interné à l'asile criminel de Saint-Elisabeths pendant plus de douze ans, entre 1945 et 1957. Pourquoi?

 

Dans la version italienne, il manque ce que j'appelle la queue, le Happy End de l'odyssée de la famille. Je ne l'ai pas incluse simplement parce que j'en avais assez de m'auto-traduire et peut-être aussi parce que je n'avais pas compris le message de Pound jusqu'au bout.

 

C'est-à-dire?

 

Voyez-vous, quand mon mari et moi achetâmes cette maison nous étions deux jeunes gens de vingt ans, complètement sans le sou, riches seulement de rêves et de fantaisies, des espoirs et des mythes de notre génération. Combien de fois n'avais-je pas entendu mon père parler de la Tour de Yeats! Pendant combien de temps n'avais-je pas espéré, tout comme lui, reconstruire le monde, avec les bras et le cerveau en syntonie, pour venir à bout de ce mystère qu'est la vie? Mais Brunnenburg, à la fin de la guerre, n'était plus qu'un tas de ruines inhospitalières et il absorbait tout notre temps.

 

En d'autres mots, vous êtes en train de me dire que...

 

Je veux simplement dire que pendant plusieurs années nous ne pûmes pas nous offrir le luxe d'aller aux Etats-Unis pour rendre visite à mon père. Cela nous fut possible seulement en 1953.

 

Quel genre d'établissement était le Saint Elisabeths?

 

Ce n'était pas un asile. C'était plutôt un enfer qui suscitait l'angoisse à chaque pas. Mais cela n'était pas grave pour mon père.

 

Comment cela?

 

Il avait trouvé l'équilibre intérieur des sages, celui dont parle Confucius que, comme vous devez le savoir, mon père traduisait lors de son arrestation par les partisans, le 3 mai 1945. Dans sa cellule, en plus du lit, on lui avait concédé une table où il pouvait écrire; on lui donnait les livres qu'il demandait à lire, et il écrivait, il écrivait... Cela faisait huit ans que je ne l'avais pas vu, et j'étais extrêmement troublée. Mais lui, étrangement, par son comportement savait redonner l'espoir, il savait consoler. Il nous invita, assez péremptoirement, à lire l'“Epître au Grand Khan”, de Dante Alighieri, et, avant de le quitter, il m'admonesta en se servant des mots de Brancusi qui, dans ses moments de désespoir, rappelait à ses parents que, certains jours, il n'aurait pour rien au monde donné ne fût-ce que cinq minutes de son temps.

 

Que fîtes-vous dès votre retour en Italie?

 

A l'aide de mon mari et de ma mère, j'étudiai la possibilité de transformer Brunnenburg en un lieu extraterritorial, une espèce de petit Etat, pour garantir à mon père, une fois sorti de l'horreur, toute la tranquillité dont il avait tant besoin.

 

Craigniez-vous que les persécutions auraient continué même après la “Libération”?

 

Je ne vous dis que ceci: aujourd'hui la cellule d'Ezra Pound au Saint-Elisabeths a été complètement rénovée... depuis que l'intérêt pour ses études et pour son œuvre se sont multipliés, cette cellule est devenue un paradis! Peinte en azur, elle est devenue un but de pèlerinage dans un lieu voué à un culte.

 

Quelle aurait été la réaction de Pound?

 

Je pense que rien ne l'aurait moins intéressé: figurez-vous que dès son arrivée ici il ne fit qu'insister fermement pour transformer la maison en un espace assez vaste à la fois pour l'échange d'idées et pour l'Usine.

 

Pour l'Usine?

 

Le Musée Agricole devait devenir le creuset d'où surgiraient simultanément “un morceau de pain et un verre de vin”. Il était hanté par l'idée que tout pouvait lentement tomber en ruine et que les mots, comme les objets, pourraient être oubliés. Pour cette raison la maison prit soudain une grande importance. Elle était pour lui une petite forteresse obstinée et tenace, le témoignage de l'amour pour la terre qu'il partageait avec les Tyroliens et l'endroit idéal de toute expérience, depuis l'amalgame des sons jusqu'à la culture du maïs avec des graines importées des Etats-Unis.

 

Si Pound était un citoyen du monde, vous, qui avez passé toute votre enfance au milieu des pics et des prairies du Haut-Adige, qui avez appris le dialecte de la Val Pusterie avant l'Allemand, l'Anglais et l'Italien, ne vous êtes-vous jamais sentie en conflit avec des cultures si opposées?

 

Allons donc! Grâce à Dieu, j'ai vécu dans une époque pré-freudienne. Le passage d'une langue à l'autre, dans mon cas, a représenté une nécessité et certainement pas un problème de conscience.

 

Le mot “conscience” se rencontre souvent dans l'œuvre de Pound.

 

Il disait toujours qu'il fallait vivre en harmonie avec cet hôte qui ne nous abandonne jamais. Sa conscience l'empêcha toujours de divorcer de sa femme Dorothy qui, telle une bizarre Pénélope le seconda pendant les années où l'Amérique, le marquant du sceau de “traître”, l'enferma à l'asile. C'est dommage que les choses se soient passées ainsi. Je pense que si à la place de Dorothy qui était une créature douce, il y avait eu Olga Rudge, ma mère, avec sa dialectique inflexible, Pound aurait été libéré beaucoup plus tôt.

 

Quand Pound arriva ici, au début des années 60, dans une société complètement différente de celle qu'il avait connu, comment réagit-il?

 

Il se plaignait du manque de relation, de plus en plus évident, entre le langage et la réalité. L'Europe, pour qui il avait combattu en incitant, à travers les micros de la Radio italienne, l'Amérique à ne pas intervenir dans le conflit européen, n'existait plus, au contraire, elle se désagrégeait sous ses yeux. Mais il s'intéressa à la question tyrolienne et puis, sous l'influence de mon mari, il étudia profondément l'esthétique et la civilisation des Pharaons, tant et si bien que dans les Cantos  on retrouva une section égyptienne qui n'y était pas auparavant.

 

Qui, aujourd'hui, poursuit le chemin que Pound a tracé?

 

Parmi les artistes qui étaient ses contemporains, tous ont subi, d'une façon ou d'une autre, son influence: depuis un poète comme Montale jusqu'à un peintre comme Marco Rotelli qui, dans ses tableaux, déclare avoir pris l'inspiration de la lumière qui règne dans les Cantos.  Parmi les autres, je voudrais rappeler en particulier l'Américain Robinson Jeffers, tellement éloigné de Pound mais en même temps si proche. Ce fut le seul poète qui prit position contre l'intervention des Etats-Unis pendant la dernière Guerre Mondiale, et de ce fait il fut censuré et interdit.

 

En changeant de sujet, avez-vous un souhait particulier?

 

Oui. Je souhaite voir représentée Cavalcanti, l'opéra en musique que Pound écrivit en 1932. C'est un vrai chef-d'œuvre. Croyez-moi, les sons ne vous abandonnent jamais.

 

(Entretien paru dans le quotidien Il Giornale de Milan, 1997. Propos recueillis par Enrico GROPPALI).

mercredi, 14 octobre 2009

Gilbert K. Chesterton, la ironia hecha inocencia

chesterton.jpgGilbert K. Chesterton, la ironía hecha inocencia

Un escritor y pensador ameno en él que incluso sus novelas más ligeras tienen un mensaje

Ex: http://www.arbil.org/

Gilbert K. Chesterton fue uno de los más famosos y polémicos escritores ingleses de este siglo.

Este periodista británico nació en el seno de una familia pudiente de mentalidad liberal y protestante.

Sin embargo, su búsqueda de la verdad le llevó a ser después de Newman uno de los casos más llamativos de conversión al catolicismo en la Inglaterra victoriana.

Nacido el 29 de mayo de 1874 en el barrio londinense de Kensington, en una familia de corredores de fincas.

A los cinco años nació su hermano Cecil, con quien discutiría de temas intelectuales.

Ya en la escuela demuestra su interés por la polémica y forma parte de un club de debate.

De joven, su padre le hace inscribirse en Bellas Artes, es más fácil que el joven Gilbert viva del dibujo, que de escritor.

Pero desde 1895, Gilbert abandona el dibujo y decide dedicarse a escribir para una pequeña editorial.

Con ingresos mínimos se enamora de Frances, una anglocatólica de pobres recursos, menuda y tímida, con la cual iniciará un largo noviazgo que les llevará al matrimonio en 1901.

Como era natural, a Gilbert se le perdió la corbata, perdieron luego el tren y finalmente llegaron tarde al hotel donde les esperaban para la luna de miel.

Por cuestiones de salud de élla nunca pudieron tener hijos lo que les unió más en una simbiosis platónica castigada por la ausencia de descendencia.

A pesar de todo, su casa se convirtió en lugar de reunión deescritores y periodistas, donde siempre encontraban cerveza y salchichas.

Gilbert recorría las tabernas vecinas y polemizaba aficionado al borgoña y al jerez.

Sin embargo, de su excesivo trabajo, acompañado de la bebida le llevó a tener problemas cardiacos.


Gilbert K. Chesterton, con un descomunal físico y maneras de sabio despistado, fue un gran literato en la lengua inglesa con Un hombre llamado jueves, Las historias del P. Brown, La esfera y la cruz, La balada del caballo blanco, Magia, Ortodoxia, San Francisco de Asís, Santo Tomás de Aquino y otras más.

No obstante, no pasará a la historia únicamente por su labor literaria, al haberse cruzado en su camino un escritor anglofrancés de firme carácter católico, Hilarie Belloc.

Belloc era un defensor a ultranza de la justicia social frente al liberalismo capitalista y al socialismo marxista.

Pronto el anglofrancés convenció a Cecil Chesterton, hermano del novelista, para que colaborase con él en varias revistas, donde difundieron sus teorías inspiradas en las ideas que León XIII había desarrollado en la Encíclica Rerum Novarum.

Estas ideas que fomentaban la formación de una sociedad orgánica como mejor sistema para evitar las desigualdades sociales fue conocido en Inglaterra como distribucionalismo.

Pero, cuando en la Primera Guerra Mundial falleció Cecil en Francia, su hermano Gilbert decidió ocupar su puesto y colaborar con Belloc en la difusión del corporativismo católico.

Del mismo modo, en que Cecil se había convertido al catolicismo, Gilbert aceptó la Fe romana en julio de 1922, ya que había llegado al convencimiento de que las diferentes formas anglicanas eran pálidos reflejos de la verdadera Iglesia encabezada por el Papa.

El P. O`Connor, un sacerdote irlandés, con el cual tuvo sus polémicas y una antigua amistad, sirviéndole el clérigo de inspiración para su personaje literario el P. Brown


La conversión de Gilbert K. Chesterton fue tomada como la máxima provocación.

Pero Frances, su esposa, le acompañará en 1926 en su entrada en la Iglesia Católica, como su secretaria Dorothy Collins poco después.

Gilbert mantiene una gran intensidad de trabajo con conferencias que le lleva por Canada, Estados Unidos, Polonia y España.

Al mismo tiempo que publica "El retorno del Quijote" y "La vida de Santo Tomás de Aquino", Chesterton fue un periodista crítico y contracorriente que defendió el nacionalismo británico en contra del imperialismo victoriano dominante, lo que le llevó a posicionarse a favor de los böers en la guerra sudafricana y de los fascistas italianos en su toma de Abisinia.

Pero su lucha principal fue contra el parlamentarismo, al que acusaba de representar a la plutocracia política que dirigía el país y oprimía a la mayoría de la población.

Para Chesterton y Belloc, las elecciones no tenían importancia al no variar substancialmente la política.

Los resultados producían alternancias del poder entre miembros de una élite política entrelazada en intereses comunes, pero que no representaban los de la sociedad.

En cambio, el corporativismo representaría más fielmente los intereses de la sociedad real.

Chesterton y Belloc creían que esta forma política se había dado ya en la historia con éxito en la Edad Media y había que readaptarla a la época contemporanea.

El organicismo natural de la sociedad se había perdido definitivamente con la aparición del protestantismo.

Al ser la Iglesia católica la inspiradora de esa tercera alternativa al capitalismo y al socialismo.

No es raro ver como los hermanos Chesterton decidieron dar el paso hacia el catolicismo después de su lucha política por la justicia social

Su último viaje le lleva de peregrinación a Lourdes y Lisieux, pero a su vuelta debe guardar descanso.

Frances le cuida con esmero y únicamente el P. O`Connor es recibido por el obeso escritor.

Los problemas económicos se mantienen, las ganancias obtenidas por los éxitos publicados y las conferencias dadas suplen las deudas que proporciona la revista que mantiene con Hilaire Belloc.

Sin embargo, en junio empeora su estado, el P. Vincent Mc Nabb O.P. le reza el Salve Regina, costumbre que tiene la orden con sus miembros moribundos.

El 14 de junio de 1936 murió Gilbert, su mujer Frances, únicamente le sobrevivivó dos años

J.L.O.