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mercredi, 02 décembre 2009

Saint Mishima, ou le pèlerin aux Trois Montagnes

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Saint Mishima, ou le pèlerin aux Trois Montagnes

 

Au soleil couchant la lumière sous les auvents passe et disparaît Mais sur les fleurs de cerisier un instant s'est attardée.

Eifuku Monin, 1270-1342

 

Pour peu qu'on puisse encore parler de controverse au sujet de l'homosexualité présumée ou avérée de Mishima Yukio, débat relancé en ce début d'année par l'interdiction au Japon sur pression de son épouse des mémoires de Fukushima Jiro, amant de jeunesse du littérateur maudit, Le Sabre et le Piment rouge (Bungei Shunju, Tokyo), l'ami intime du prix Nobel de littérature Kawabata Yasunari, frère en Ourania du dramaturge Henry de Montherlant, n'a jamais fait silence de ses préfé­rences. Son œuvre, pour éclatée dans ses formes et ses thèmes, n'en demeure pas moins, du Pavillon d'Or à Cinq Nôs Modernes, mue par ce fil conducteur, tout de sensualité et d'appétit retenu. L'esthète romantique Mishima, le romancier apollinien, le polémiste samurai ne sont jamais que les trois visages du même Janus, chez qui le tragique naît, non de son désespoir feint, mais de la pleine acceptation de sa «différence», qui le voue à l'unique. Confession d'un masque, Une soif d'amour, Les amours interdites, L'école de la chair sont les quatre Evangiles canoniques de sa révélation, près desquelles Le Soleil et l'Acier figure le cinquième apocryphe. L'Evangile selon Saint Sébastien?

 

L'Evangile selon Saint Sébastien

 

Sans doute le tabou toujours en vigueur au Japon autour de l'homme tient-il en ce que Mishima, à travers son propre exor­cisme littéraire, a mis à nu l'essence même de l'âme nippone, socialisation du Beau viril et, par jeu de miroirs, aveu de ce que Karl Heinrich Ulrichs, écrivain homosexuel allemand du XIXième, déclarait déjà au milieu du siècle: «Nous sommes tous des femmes dans l'âme». Incarnation paroxystique du dualisme ontologique de Nihon, symbolisé par l'omniprésence du disque solaire, mâle incarnation de la chaleur divine répandue par Amaterasu, déesse-mère originelle, Mishima reste la mauvaise conscience d'un Japon qui n'en finit pas de se noyer dans les affres du consumérisme à l'occidentale, ou le por­table du self-made man a supplanté le sabre du Bushi (v. NdSE n°29, Mishima: l'homme, l'œuvre, la mort).

 

N'ayant laissé à la postérité aucune autobiographie digne de ce nom (tout juste peut-on considérer Le Soleil et l'Acier comme ses très partielles mémoires), c'est donc dans son œuvre qu'il convient de quester une vérité par-delà la réalité. Rendons grâce aux éditions Gallimard d'avoir par conséquent publié dans leur collection Folio le recueil de sept nouvelles composant Le Pèlerinage aux Trois Montagnes (initialement publié en NRF), Jets d'eau sous la pluie, Pain aux raisins, Ken, La Mer et le Couchant, La Cigarette, Martyre, Pèlerinage aux Trois Montagnes.  De valeur inégale, ces nouvelles n'en présentent pas moins dans leur ensemble le fascinant spectrographe d'une vie, tableau impressionniste où se dévoilent par petites touches les contours d'une existence en mouvement dans ses travers, ses fluctuations, ses fantasmes. Déroutante, parfois agaçante, souvent dérangeante, sa plume livre le fond d'une pensée profonde, qui s'interroge sur son homosexualité, la spiritualité orientale confrontée aux dogmes occidentaux, l'éthique martiale, la valeur de l'art. Yukio par Mishima.

 

L'apprentissage de soi et des autres, hostiles

 

«Traversée çà et là de brillants soleils, ainsi que le chante Baudelaire, ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage». C'est par ces mots que s'engage l'action de La Cigarette (Tabako), nouvelle autobiographique qui révéla le jeune Kimitake Hiraoka à Kawabata, où le jeune Nagasaki, qui n'est pas encore Mishima Yukio, fait l'apprentissage de soi et des autres, hostiles. Solitaire, mélancolique, romantique, l'adolescent maladif découvre sa sexualité auprès du champion de rugby de l'école, Imura, cependant que s'affirme sa détestation de son propre corps, sa volonté de se perdre: «Instants bénis où, moi qui avais toujours voulu m'y fondre, je crus enfin ne plus faire qu'un avec ce calme (...) cette sérénité qui me semblait couler tout droit d'une vie antérieure et dont je gardais la nostalgie». Sentiments qui se précisent et s'exacerbent dans Martyre (Junkyo). Jamais l'image du «Saint Sébastien» de Guido Reni n'aura été plus obsessionnelle. Mishima y conte les amours sado-masochistes de Watari et Hatakeyama, deux garçons pensionnaires de la même institution. Le premier, Mishima, refusant tout contact avec ses camarades, «d'une entêtante séduction», le second, projection du même quelques années plus tard, «nu, son corps d'athlète (...) modèle même de la jeunesse (...) sa silhouette et une lueur telle qu'on eût dit la statue antique d'un jeune dieu». Ces «relations particulières» aiguiseront la haine de leurs camarades, et dans un simulacre de pendaison, Watari-Saint Sébastien, les yeux plongés dans l'azur du ciel infini, subira le douloureux rituel social du passage du même au même: «un adolescent qui prétend rester lui-même sera martyrisé par les autres. L'adolescence a toujours été un effort pour se rendre semblable, ne fut-ce qu'un instant, à quelque chose d'autre». Confession (d'un masque)...

 

Se purifier dans le suicide et rejoindre l'éther

 

Composer un personnage qui puisse soutenir le regard fondamentalement détestable de l'Autre devient la préoccupation fondamentale de Mishima dans Jets d'eau sous la pluie (Ame No Naka No Funsui): «Je n'ai jamais été l'esclave de mes désirs...». La rupture entre Akio et Masako, «Mots talismans que seul un homme, un vrai, un être humain enfin, pouvait s'autoriser à prononcer... Ces mots: «Séparons-nous!», marque, dans son grotesque sordide, l'initiation à l'âge adulte et au monde d'un jeune être désespérément sensible, intérieurement réprouvé, en arrêt devant la chair. «Le monde était un parfait non-sens. Les hommes complètement stupides». Pain aux raisins (Budopan) résonne lourdement de cette chétivité tant physique que morale. Jack, l'anti-héros de la nouvelle, est de cette jeunesse de l'après-1945 gavée de références améri­caines: «(...) taillé dans une sorte de cristal transparent. N'avait-il pas eu toujours en tête de devenir un homme invisible? (...) un beau visage comme sculpté dans un ivoire immaculé (...). Pour se garantir une liberté totale et une transparence ab­solue, le jeune homme bannissait muscles et graisse superflus».

 

En proie au nihilisme surgi des décombres du grand rêve impérial, Jack ressent un jour l'impérieux besoin de quitter l'univers étouffant des villes, «pour qui les enseignes au néon les affiches des films sales et déchirés, les gaz d'échappement des voitures, les phares tenaient lieu de lumière naturelle, de parfum des champs, de parterre moussu, d'animaux domestiques, de fleurs des prés». «Pour pallier la stupidité du monde, il fallait d'abord procéder en quelque sorte à un véritable lessivage de cette stupidité, à une sanctification passionnée de ce que les moutons considéraient comme ridi­cule».

 

Se purifier dans le suicide et rejoindre l'éther. Mais l'acte fatal, d'abandon à l'occidentale, échouera. «Jack était guéri main­tenant. Il s'était trompé en pensant que son propre suicide entraînerait automatiquement la destruction de cet univers de moutons endormis». Mishima, de retour de Grèce, a reçu l'illumination. Nietzsche, les rayons du soleil en Apollon ont res­suscité l'enfant pâle. Le corps et l'âme ne font qu'un et l'entretien de l'un favorise l'expression de l'autre. Cet état d'esprit nouveau, véritable révolution culturelle dans l'univers mental du jeune littérateur, Ken le magnifie. Placée sous le signe du soleil, astre de l'éternel recommencement, cette nouvelle nietzschéenne exalte le sacrifice de Kokubu Jirô, jeune étudiant quatrième dan de kendo, entièrement dévoué à son art. «Violence pure», Jirô rejette toute émotivité, mollesse, mépris, tous les «j'aimerais bien...» pour ne s'infliger que des «je dois...». «L'homme n'a en fait que deux possibilités: être fort et droit, ou se donner la mort». L'exigence de sa règle de conduite, la pression psychologique qu'impose l'excellence, transfigurent Jirô, ultime affirmation d'une pureté millénaire désormais anachronique. «Dans son dôjô, il était tel un dieu furieux: toute l'énergie et l'ardeur de l'entraînement semblaient venir de lui, rayonner et comme se propager autour de lui. Cette chaleur et cette passion, il les tenait sans doute du soleil, de cette boule de feu qu'il avait contemplée lorsqu'il était enfant».

 

Art et spiritualité, défis lancés à la mort

 

Entrevu dans La Cigarette, le soleil irradie Jirô de sa force, le nimbe de son évidence divine: «Mais seul Jirô était là, trans­parent. Au milieu de ce monde troublé, il gardait une évidence cristalline (...) regard calme et vierge de tout sentiment». Image sublime: «Inondé du soleil qui perçait à travers les arbres, sabre au côté (...). Du sang tombé de l'aile blessée se ré­pandit sur la joue de Jirô». Héros tragique de théâtre Nô, Jirô, tout tendu vers la perfection du geste et de la pensée, sera vaincu par la médiocrité des siens. Trahi par la désinvolture de ses élèves, Jirô mesure le néant de sa tâche. Insupportable. «La lumière de la lampe de poche fit apparaître l'éclat de l'armure de laque noire, fit briller l'or du blason, les deux cotylé­dons dorés. Jirô, serrant son sabre de bambou entre ses bras vêtus d'indigo, était couché sur le dos, mort». Le fil de soie qui le retenait toutes ces années à la vie s'était rompu.

 

Jumelle de la nouvelle Patriotisme, publié dans le recueil La Mort en été, Ken préfigure, «antitestament», le crépuscule de Mishima. Le culte de la plénitude de l'instant, Mishima le découvre à l'époque dans la lecture des textes bouddhiques. «Ayant bien compris l'enseignement du Maître, il savait qu'il n'y avait pas à prier en vain pour un monde futur, ni à désirer un pays encore inconnu. Mais lorsque le soleil du soir colorait le ciel d'été, lorsque la mer n'était plus qu'un immense hori­zon pourpre, ses jambes d'elles-mêmes le conduisaient irrésistiblement au sommet du mont Shôjôgatake. «Placés dans la bouche du moine Anri (Henri), personnage central de La Mer et le Couchant (Umi To Yukake), disciple français du grand Maître Rankei Dôryù (1213-1278), ces propos reflètent le dernier tournant de son œuvre.

 

Art et spiritualité, défis lancés à la mort, sont au centre de la dernière nouvelle, la plus longue aussi, Pélérinage aux Trois Montagnes (Mikumano Mode). Histoire d'amour étouffée et complexée entre un vieux maître en poésie tanka, professeur Fujimiya, et sa dévouée servante Tsuneko, Mishima tire de sa nouvelle le prétexte, convenons-en très scolaire, de résumer mille ans de littérature nippone, à la manière de La Mer de la Fertilité, où la démonstration académique des préceptes bouddhistes et shinto prenaient le pas sur l'ardeur de la conviction. Mais, écrites sous la double tutelle de la poétesse Eifuku Monin et des Nihon Shoki (Annales du Japon, fondement du nationalisme impérial), ses pistes littéraires portent en elles l'idéal frontispice de son œuvre: «Pour soutenir l'idée que, quelle que soit l'époque ou la société, c'est en regardant de beaux paysages que l'on compose de beaux poèmes, ne fallait-il pas, du moins pour une femme, posséder comme Monin, richesse, pouvoir et prestige, ou, si l'on était un homme, préserver une pensée ferme, inébranlable dans l'adversité? (...) Eh bien, la leçon que l'on peut tirer des tankas d'Eifuku Monin, c'est précisément que la faculté de dissimuler fait partie de l'art lui-même, qu'elle en est même une des composantes des plus importantes».

 

L'adolescence est un état qui devrait se poursuivre éternellement

 

Confessions d'un masque, Watari, Nagasaki, Jirô, Anri sont les multiples facettes de la même personne, réunies en un précieux document «auto-bibliographique» où perce la nostalgie de la jeunesse, jeunesse du monde, des hommes, des sen­timents. N'écrivait-il pas dans La Cigarette, phrase qui transperça le cœur de Kawabata: «L'adolescence est un état qui de­vrait se poursuivre éternellement».

 

Laurent SCHANG.

 

mardi, 01 décembre 2009

Yukio Mishima et le Jieitai

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Yukio Mishima et le Jieitai

 

«Quand le tonnerre gronde dans le lointain, le temps qui passe à travers la lumière de la lampe, qui frappe à travers la fenêtre, et le son sourd qui s’en­­­­suit paraissent incroyablement long. Dans mon cas particulier, il a duré vingt ans. La voix des héros disparus est la voix de la lampe. Dans un futur proche, la rumeur nostalgique du tonnere fera vibrer nos ventres virils et avec la promesse de fécondités sauvages fera vibrer aussi le cœur du Ja­pon».

 

Cette phrase, Mishima l’a écrite dans la préface à Vie et mort de Hasuda Zenmei de la Kodakane Jirô. Il m’apparait superflu de souligner que Hasuda Zenmei a contribué durablement à la formation spirituelle et idéologique de l’adolescent Mishima. On le sait aujourd’hui: Hasuda, le 19 août 1945, peu de jours avant la défaite du Japon, servait encore l’Empire au titre de commandant de compagnie dans une base proche de Singapour. Hasuda apprend que le commadant du régiment avait lu lui-même à la troupe la déclaration de reddition de l’Empereur et avait demandé à ses hommes de donner le drapeau à l’enne­mi. Hasuda le tue à coups de revolver et puis se suicide.

 

La signification de la mort de Hasuda est restée longtemps obscure, y com­pris pour Mishima: «Quand j’ai compris son geste, j’étais proche de la qua­ran­taine: un âge peu éloigné de celui du Disparu... La signification d’une tel­le façon de mourir, comme une fulguration improvisée, a soudain éclairé les ténèbres épais qui assombrissaient mon propre long cheminement...». Cette fameuse préface nous explique quels sont les rapports entre Hasuda et Mishima, mais elle nous livre aussi, pour la première fois, explicitement,  la clef de voûte qui explique le propre suicide de Mishima et révèle l’arriè­re-plan politique, historique et culturel qui l’a justifié.

 

Cependant, si l’on jette un regard plus attentif, derrière les allégories de la “lampe” et du “tonnerre”, on repère, cachées, les étapes de l’iter spiritua­lis de Mishima. Pour beaucoup de citoyens dont les années d’adolescence et de jeunesse se sont passées pendant la guerre, l’expérience guerrière est devenue a posteriori un point de référence existentiel et politique in­dé­passable.  En particulier, pour tous les Japonais, qu’ils soient de droite ou de gauche, la défaite de 1945 est une expérience communément partagée et le turning point le plus significatif du siècle. Yukio Mishima se souvient de cette expé­rience comme d’un sentiment de bonheur indicible, désor­mais perdu: «... Mis à part toute autre considération, il n’était pas étrange, à cette époque, pour les pilotes kamikaze, d’écrire: Tenno Heika Banzai (= Vi­ve l’Empereur!).  Admettons que cette époque puisse revenir, ou revenir sous une autre for­me ou ne jamais revenir. Et pourtant, moi, cette époque où il n’était pas é­trange d’écrire [cette parole], je l’ai connue, et le fait de l’avoir connue, en y pensant, me donne une incroyable sensation de bonheur. Mais quelle fut cette expérience? Quelle fut cette sensation de bon­heur?» (Débats sur les Japonais).

 

Plus tard, cependant, cette “sensation de bonheur”, ressentie par l’adoles­cent Mishima, qui avait entrevu la guerre sous la forme de la “lumière d’une lampe”, chavire misérablement avec la défaite. La “sensation du ton­nerre”, qui s’ensuivit, et qui aurait apporté ce bonheur, n’a plus jamais été ressentie.  Yukio Mishima va vivre le temps de l’après-guerre (“une époque faite de fictions”, “un veillissement en toute harmonie”), pendant vingt-cinq années “terriblement longues” pour se retrouver lui-même transfor­mé en “lampe”, pour faire vibrer par son propre “tonnerre”, d’acier et de sang, le cœur des hommes, le flux de l’histoire.

 

Les banderoles qu’il a fait claquer au vent sur la terrasse du Quartier Géné­ral d’Ichigaya le 25 novembre 1970 proclamaient: «Nous, les hommes du TATE-NO-KAI (= Secte des Boucliers/“Shield Society” selon la propre traduction anglaise de Mishima) avons été élevé par le Jieitai (le “Corps d’Auto-Défense”, soit l’actuelle armée japonaise, ndlr). En d’autres morts, le Jieitai a été pour nous un père, un frère aîné. Alors pourquoi avons-nous été pous­sés à commettre une telle action? Moi, depuis quatre ans, les autres membres étudiants de notre société, depuis trois ans, avons été acceptés dans le Jieitai à titre de quasi-officiers, nous avons reçu une instruction sans autre fin. Par ailleurs, nous aimons le Jieitai profondément, nous avons rêvé du véritable Japon, de ce Japon qui n’existe plus désormais en dehors de ces murs d’enceinte. C’est justement ce Japon que nous avons pleuré pour la première fois, nous, hommes nés après la guerre. La sueur que nous avons dépensée est pure. Tous ensemble, nous avons couru et marché à travers les champs aux pieds du Fukuyama, nous étions des camarades unis par l’esprit de la patrie. Nous n’avons aucun doute. Pour nous, le Jieitai est comme un pays natal. Dans la sordidité du Japon actuel, nous avons réussi à respirer seulement en ce lieu, où l’air est excitant. L’esprit qui nous a été communiqué par les officiers et les instructeurs est indépassable. Alors pourquoi avons-nous posé un acte aussi extrême? Cela peut paraître un paradoxe, mais j’affirme que nous l’avons posé parce que nous aimions le Jieitai» .

 

Vingt-sept ans se sont écoulés depuis le suicide de Mishima et le Jieitai, qu’il avait tant aimé, a changé lentement. Il avait été une sorte de “Cen­drillon” des institutions japonaises; il s’est transformé en une armée quasi normale et respectée. Dernièrement, il a participé (ironie de l’histoire!) pour la première fois aux activités de “pacification” sous la bannière de l’ONU au Cambodge, à Madagascar et au Liban. Désormais, le Parti Socialiste (social-démocrate) japonais le “reconnaît”. Deux occasions ont permis au Jieitai de se placer sous les feux de la rampe: l’action humanitaire menée à la suite du tremblement de terre de Kobe et l’aide technique apportée aux forces de police lors de l’attaque au gaz neurotoxique perpétré par la secte Aum Shinri-kio, il y a deux ans.

 

Le problème fondamental pour le Japon demeure toutefois la constitution pacifiste imposée par les Alliés après 1945. L’article 9 de cette constitution interdit au pays de façon unilatérale l’usage de la force (militaire). C’est le plus gros obstacle à la restauration complète des droits de l’Etat japonais.  Mishima, dans un bref essai intitulé Le Tate-no-kai, publié dans la revue anglaise Queen, écrivait à propos de la constitution pacifiste: «Je suis las de l’hypocrisie de l’après-guerre japonais: par là, je ne veux pas dire que le pacifisme est une hypocrisie, mais vu que la Constitution pacifiste est utilisée comme excuse politique tant par la gauche que par la droite, je ne crois pas qu’il existe un pays au monde, mis à part le Japon, où le pacifisme est autant synonyme d’hypocrisie. Dans notre pays, le mode de vie que tous honorent est celui d’une existence définitivement soustraite à tout danger, un mode de vie tout compénétré de sinistrose, celui des pacifistes et des adeptes de la non-violence. En soi, cette chose n’est pas criticable, mais le conformisme exagéré des faux intellectuels m’a convaincu que tous les conformismes sont une calamité et que les intellectuels, au contraire, devraient mener une vie dangereuse. D’autre part, l’influence des intellectuels et des salons socialistes s’est développée de manière absurde et ridicule. Ils conseillent aux mères de ne pas donner à leurs garçons des jouets imitant des armes à feu et considèrent que c’est du militarisme d’aligner les enfants sur des files à l’école et de leur demander de se nommer et d’énoncer leur numéro... ce qui a pour résultat que les enfants se rassemblent de manière éparpillée et mollement comme une bande de députés».

 

L’action de Mishima, de Morita et des autres membres du Tate-no-kai au Quartier Général d’Ichigaya fut pour l’essentiel un acte symbolique, destiné à donner le coup d’envoi à une révision de la constitution et à la transformation du Jieitai en une armée nationale légitime. Dans un certain sens, l’échec apparent de cette tentative a toutefois été le point de césure entre les deux droites japonaises: la droite contre-révolutionnaire des années 60 et la nouvelle droite radicale des années 70 (Shin-Uyoku).

 

Giuseppe FINO.

(article issu de Marginali, n°22, avril 1998). 

vendredi, 27 novembre 2009

Giuseppe Berto, écrivain proscrit et oublié

berto3.jpgRoberto ALFATTI APPETITI:

Giuseppe Berto, écrivain proscrit et oublié

 

Malgré une biographie, remarquable de précision, publiée en 2000 et due à la plume de Dario Biagi, l’établissement culturel italien ne pardonne toujours pas à Giuseppe Berto, l’auteur d’ Il cielo è rosso, d’avoir attaqué avec férocité le pouvoir énorme que le centre-gauche résistentialiste s’est arrogé en Italie. C’est donc la conspiration du silence contre cette “vie scandaleuse”.

 

Quand, en l’an 2000, l’éditeur Bollati Boringhieri a publié la belle biographie de Dario Biagi, La vita scandalosa di Giuseppe Berto, nous nous sommes profondément réjouis et avons espéré que le débat se réamorcerait autour de la figure et de l’oeuvre du grand écrivain de Trévise et que d’autres maisons d’édition trouveraient le courage de proposer à nouveau au public les oeuvres désormais introuvables de Berto, mais, hélas, après quelques recensions fugaces et embarrassées, dues à des journalistes, le silence est retombé sur notre auteur.

 

Du reste, ce n’est pas étonnant, car à la barre d’une bonne partie des maisons d’édition italiennes, nous retrouvons les disciples et les héritiers de cet établissement culturel de gauche que Berto avait combattu avec courage, quasiment seul, payant le prix très élevé de l’exclusion, de l’exclusion hors des salons reconnus de la littérature, et d’un ostracisme systématique qui se poursuit jusqu’à nos jours, plus de vingt ans après la mort de l’écrivain. La valeur littéraire et historique du travail biographique de Biagi réside toute entière dans le fait d’avoir braqué à nouveau les feux de la rampe sur la vie tumultueuse d’un personnage véritablement anti-conformiste, d’un audacieux trouble-fête. Biagi nous a raconté son histoire d’homme et d’écrivain non aligné, ses triomphes et ses chutes. Il nous en a croqué un portrait fidèle et affectueux: “Berto avait tout pour faire un vainqueur: le talent, la fascination, la sympathie; mais il a voulu, et a voulu de toutes ses forces, s’inscrire au parti des perdants”.

 

bertodddd.jpgGiuseppe Berto, natif de Mogliano près de Trévise, surnommé “Bepi” par ses amis, avait fait la guerre d’Abyssinie comme sous-lieutenant volontaire dans l’infanterie et, au cours des quatre années qu’a duré la campagne, il a surmonté d’abord une attaque de la malaria, où il a frôlé la mort, et ensuite a pris une balle dans le talon droit. L’intempérance et l’exubérance de son caractère firent qu’il ne se contenta pas de ses deux médailles d’argent et du poste de secrétaire du “Fascio”, obtenu à l’âge de 27 ans seulement… Il cherchait encore à faire la guerre et, au bout de quelques années, passant sous silence un ulcère qui le tenaillait, réussit à se faire enrôler une nouvelle fois pour l’Afrique où, pendant l’été 1942, l’attendait le IV° Bataillon des Chemises Noires. Avec l’aile radicale des idéalistes rangés derrière la figure de Berto Ricci, il espérait le déclenchement régénérateur d’une seconde révolution fasciste. Il disait: “Avoir participé avec honneur à cette guerre constituera, à mes yeux, un bon droit à faire la révolution”.

 

Mais la guerre finit mal pour Berto et, en mai 1943, il est pris prisonnier en Afrique par les troupes américaines et est envoyé dans un camp au Texas, le “Fascist Criminal Camp George E. Meade” à Hereford, où, à peine arrivé, il apprend la chute de Mussolini. Dans sa situation de prisonnier de guerre, il trouve, dit-il, “les conditions extrêmement favorables” pour écrire et pour penser. Il apprend comment trois cents appareils alliés ont bombardé et détruit Trévise le 7 avril 1944, laissant dans les ruines 1100 morts et 30.000 sans abri. Aussitôt, il veut écrire l’histoire de ces “gens perdus”, en l’imaginant avec un réalisme incroyable. Il l’écrit d’un jet et, en huit mois, son livre est achevé. Juste à temps car les Américains changent d’attitude envers leurs prisonniers “non coopératifs”, les obligeant, par exemple, à déjeuner et à rester cinq ou six heures sous le soleil ardent de l’après-midi texan, pour briser leur résistance. Et Berto demeurera un “non coopératif”. Après de longs mois de tourments, il est autorisé à regagner sa mère-patrie.

 

L’éditeur Longanesi accepte de publier le livre de cet écrivain encore totalement inconnu et, après en avoir modifié le titre, “Perduta gente” (“Gens perdus”), considéré comme trop lugubre, le sort de presse, intitulé “Il sole è rosso”, vers la Noël 1946. Berto a confiance en son talent mais sait aussi quelles sont les difficultés pratiques que recèle une carrière d’écrivain; il commence par rédiger des scénarios de film, ce qu’il considère comme un “vil métier”, afin de lui permettre, à terme, de pratiquer le “noble métier” de la littérature. “Il sole è rosso” connaît un succès retentissant, les ventes battent tous les records en Italie et à l’étranger, en Espagne, en Suisse, en Scandinavie, aux Etats-Unis (20.000 copies en quelques mois) et en Angleterre (5000 copies en un seul jour!). On définit le livre comme “le plus beau roman issu de la seconde guerre mondiale”. En 1948, c’est la consécration car Berto reçoit le prestigieux “Prix Littéraire de Florence”. En 1951, toutefois sa gloire décline en Italie. Son roman “Brigante” demeure ignoré de la critique, alors qu’aux Etats-Unis, il connaît un succès considérable (avec “Il sole è rosso” et “Brigante”, Berto vendra Outre Atlantique deux millions de livres) et le “Time” juge le roman “un chef-d’oeuvre”. Les salons littéraires italiens, eux, ont décidé de mettre à la porte ce “parvenu”, en lui collant l’étiquette de “fasciste nostalgique” et en rappellant qu’il avait refusé de collaborer avec les alliés, même quand la guerre était perdue pour Mussolini et sa “République Sociale”. Biagi nous rappelle cette époque d’ostracisme: “Berto, homme orgueilleux et loyal, refuse de renier ses idéaux et contribue à alimenter les ragots”. Berto ne perd pas une occasion pour manifester son dédain pour ceux qui, subitement, ont cru bon de se convertir à l’antifascisme et qu’il qualifie de “padreterni letterari”, de “résignés de la littérature”. Il s’amuse à lancer des provocations goliardes: “Comment peut-on faire pour que le nombre des communistes diminue sans recourir à la prison ou à la décapitation?”. Il prend des positions courageuses, à contre-courant, à une époque où “le brevet d’antifasciste était obligatoire pour être admis dans la bonne société littéraire” (Biagi).

 

ilcieloerosso1.jpgEn 1955, avec la publication de “Guerra in camicia nera” (“La guerre en chemise noire”), une recomposition de ses journaux de guerre, il amorce lui-même sa chute et provoque “sa mise à l’index par l’établissement littéraire”. Berto déclare alors la guerre au “Palazzo” et se mue en un véritable censeur qui ne cessait plus de fustiger les mauvaises habitudes littéraires. La critique le rejette, comme s’il n’était plus qu’une pièce hors d’usage, ignorant délibérément cet homme que l’on définira plus tard comme celui “qui a tenté, le plus honnêtement qui soit, d’expliquer ce qu’avait été la jeunesse fasciste”. Et la critique se mit ensuite à dénigrer ses autres livres. Etrange destin pour un écrivain qui, rejeté par la critique officielle, jouissait toutefois de l’estime de Hemingway; celui-ci avait accordé un entretien l’année précédente à Venise à un certain Montale, qui fut bel et bien interloqué quand l’crivain américain lui déclara qu’il appréciait grandement l’oeuvre de Berto et qu’il souhaitait rencontrer cet écrivain de Trévise. Ses activités de scénariste marquent aussi le pas, alors que, dans les années antérieures, il était l’un des plus demandés de l’industrie cinématographique. Le succès s’en était allé et Berto retrouvait la précarité économique. Et cette misère finit par susciter en lui ce “mal obscur” qu’est la dépression. L’expérience de la dépression, il la traduira dans un livre célèbre qui lui redonne aussitôt une popularité bien méritée.

 

Mais il garde l’établissement culturel dans son collimateur et ne lâche jamais une occasion pour attaquer “l’illustre et omnipotent Moravia”, grand prêtre de cette intelligentsia, notamment en 1962 lorsqu’est attribué le second Prix Formetor. Ce prix, qui consistait en une somme de six millions de lire, et permettait au lauréat d’être édité dans treize pays, avait été conféré cette fois-là à une jeune femme de vingt-cinq ans, Dacia Maraini, que Moravia lui-même avait appuyée dans le jury; Moravia avait écrit la préface du livre et était amoureux fou de la jeune divorcée et vivait avec elle. Au cours de la conférence de presse, qui suivit l’attribution du Prix, Berto décide de mettre le feu aux poudres, prend la parole et démolit littéralement le livre primé, tout en dénonçant “le danger de corruption que court la société littéraire, si ceux qui jugent de la valeur des oeuvres relèvent désormais d’une camarilla”; sous les ovations du public, il crie à tue-tête “qu’il est temps d’en finir avec ces monopoles culturels protégés par les journaux de gauche”. Toute l’assemblée se range derrière Berto et applaudit, crie, entame des bagarres, forçant la jeune Dacia Maraini à fuir et Moravia à la suivre. Berto n’avait que mépris pour celui qu’il considérait comme “un chef mafieux dans l’orbite culturelle” (comme le rappelle Biagi), comme un “corrupteur”, comme un “écrivain passé de l’érotisme à la mode au marxisme à la mode”. En privé, une gand nombre de critiques reconnaissaient la validité des jugements lapidaires posés par Berto, mais peu d’entre eux osèrent s’engager dans un combat contre la corruption de la littérature et Moravia, grâce à ces démissions, récupéra bien rapidement son prestige.

 

Entretemps, Berto avait surmonté sa crise existentielle et était retourné de toutes ses forces à l’activité littéraire, sans pour autant abandonner ses activités journalistiques où il jouait le rôle de père fouettard ou de martin-bâton, en rédigeant des articles littéraires et des pamphlets incisifs, décochés contre ses détracteurs. “Male oscuro” a connu un succès inimaginable: en quelques mois, on en vend 100.000 copies dans la péninsule et son auteur reçoit le Prix Strega. Berto a reconquis son public, ses lecteurs le plébiscitent mais, comme il fallait s’y attendre, “la critique radicale de gauche le tourne en dérision, minimise la valeur littéraire de ses livres et dénature ses propos”. Ainsi, Walter Pedullà met en doute “l’authenticité du conflit qui avait opposé Berto à son père” et la sincérité même de “Male oscuro” alors que la prestigieuses revue américaine “New York Review of Books” avait défini ce livre comme l’unique ouvrage d’avant-garde dans l’Italie de l’époque. “Mal oscuro”, de plus, gagne deux prix en l’espace d’une semaine, le Prix Viareggio et le Prix Campiello.

 

Berto a retouvé le succès mais, malgré cela, il ne renonce pas au ton agressif qui avait été le sien dans ses années noires, notamment dans les colonnes du “Carlino” et de la “Nazione” et, plus tard, du “Settimanale” de la maison Rusconi, tribune du haut de laquelle il s’attaque “aux hommes, aux institutions et aux mythes”. En 1971, Berto publie un pamphlet “Modesta proposta per prevenire” qui, malgré les recensions négatives de la critique, se vend à 40.000 copies en quelques mois. Si on relisait ce pamphlet aujourd’hui, du moins si un éditeur trouvait le courage de le republier, on pourrait constater la lucidité de Berto lorsqu’il donnait une lecture anticonformiste et réaliste de la société italienne de ces années-là. On découvrirait effectivement sa clairvoyance quand il repérait les mutations de la société italienne et énonçait les prospectives qu’elles rendaient possibles. Déjà à l’époque, il dénonçait notre démocratie comme une démocratie bloquée et disait qu’au fascisme, que tous dénonçaient, avait succédé un autre régime basé sur la malhonnêteté. Il stigmatisait aussi la “dégénérescence partitocratique et consociative de la vie politique italienne” et, toujours avec le sens du long terme, annonçait l’avènement du fédéralisme, du présidentialisme et du système électoral majoritaire. Il jugeait, et c’était alors un sacrilège, la résistance comme “un phénomène minoritaire, confus et limité dans le temps, … rendu possible seulement par la présence sur le sol italien des troupes alliées”. Pour Berto, c’était le fascisme, et non la résistance, “qui constituait l’unique phénomène de base national-populaire observable en Italie depuis le temps de César Auguste”.

 

Lors d’une intervention tenue pendant le “Congrès pour la Défense de la Culture” à Turin, sous les auspices du MSI, Berto se déclare “a-fasciste” tout en affirmant qu’il ne tolérait pas pour cela l’antifascisme car, “en tant que pratique des intellectuels italiens, il est terriblement proche du fascisme… l’antifascisme étant tout aussi violent, sinon plus violent, coercitif, rhétorique et stupide que le fascisme lui-même”. Berto désignait en même temps les coupables: “les groupes qui constituent le pouvoir intellectuel... tous liés les uns aux autres par des principes qu’on ne peut mettre en doute car, tous autant qu’ils sont, se déclarent démocratiques, antifascistes et issus de la résistance. En réalité, ce qui les unit, c’est une communauté d’intérêt, de type mafieux, et la RAI est entre leurs mains, de même que tous les périodiques et les plus grands quotidiens… Si un intellectuel ne rentre pas dans un de ces groupes ou en dénonce les manoeuvres, concoctées par leurs chefs, il est banni, proscrit. De ses livres, on parlera le moins possible et toujours en termes méprisants… On lui collera évidemment l’étiquette de ‘fasciste’, à titre d’insulte”. Dans son intervention, Berto conclut en affirmant “qu’en Italie, il n’y a pas de liberté pour l’intellectuel”.

 

On se doute bien que la participation à un tel congrès et que de telles déclarations procurèrent à notre écrivain de solides inimitiés. Aujourd’hui, plus de vingt ans après sa mort, il continue à payer la note: son oeuvre et sa personne subissent encore et toujours une conspiration du silence, qui ne connaît aucun précédent dans l’histoire de la littérature italienne.

 

Roberto ALFATTI APPETITI.

(article paru dans le magazine “Area”, Rome, Anno V, n°49, juillet-août 2000; trad. franç.: Robert Steuckers, novembre 2009).

jeudi, 26 novembre 2009

Le Bulletin célinien n°313

Sortie du Bulletin célinien n°313, novembre 2009 :

Au sommaire :
- Marc Laudelout :
Bloc-notes (Céline à l’I.N.A.)
- Jacques Francis Rolland : Roger Vailland l’affabulateur
- M. L. : « Céline & Cie » : une nouvelle collection célinienne
- Eugène Fabre : Justice rendue à Céline (décembre 1961)
- Frédéric Saenen : Incorrect (au sens premier du terme). « Une histoire politique de la littérature ».
- M. L. : Pol Vandromme (« Une famille d’écrivains »)
- M. L. : Le souvenir de Robert Denoël
- M. L. : Louis-Albert Zbinden
- Michel Bergouignan : L.-F. Céline contradictoire et passionné (II)
- François Marchetti : Mort d’un éditeur courageux (Kay Holkenfeldt)
- Céline sur Internet

Le numéro 6€



Le Bulletin célinien
B.P. 70

B 1000 Bruxelles 22

L'art et la guerre: de Céline à H. G. Wells

Paul MODAVE :

L’art et la guerre : de Céline à H. G. Wells

 

Article paru dans « Le Soir », Bruxelles, le 18 juillet 1944

 

Au moment où l’invasion et les bombardements aériens dévastent les cités d’art de l’Occident, l’hebdomadaire français « la gerbe » vient d’ouvrir une enquête auprès des personnalités représentatives des lettres françaises afin d’offrir à celles-ci l’occasion de manifester leur réaction devant le saccage du pays.

 

eglisestjulienenruines.jpgCe qui frappe dans beaucoup de ces réponses, c’est leur réticence. Ainsi M. de Montherlant ne voit dans cette enquête qu’une « recherche académique ». M. Georges Ripert, doyen de la Faculté de Droit de Paris, regrette que « dirigeant une maison où il y a beaucoup de jeunes gens, il lui soit impossible d’accorder d’interview » ; quant à Ferdinand Céline, il répond sans ambages « qu’il donnerait toutes les cathédrales du monde pour arrêter la tuerie », ce qui est une plaisante façon de ne rien dire.

 

Commentant cette enquête dans « L’Echo de la France », M. Robert Brasillach s’exprime en ces termes : « Les professionnels de l’art savent bien, Céline aussi bien entendu, que la destruction des cathédrales ou des palais n’arrêtera pas pour cela la tuerie. Mais voilà, dire qu’on désapprouve  —ce serait bien timide cependant—  la destruction inutile de la beauté du monde, c’est donner des gages à l’Allemagne, paraît-il ! On a passé trente, quarante ans à discuter sur l’art et à plaindre nos civilisations mortelles, mais lorsque les trésors de cet art sont renversés par le souffle des machines à détruire, on se tait. On dira ce que l’on pense après la guerre, bien sûr, nuancé à la couleur du vainqueur, s’il y a un vainqueur et s’il y a une après-guerre ».

 

Et après avoir constaté que le dernier témoignage de liberté d’esprit aura été fourni par les cardinaux de France et de Belgique, M. Brasillach conclut par ses mots : « Aujourd’hui, la parole est aux forces et à leurs rapports. Tout s’est simplifié. Mais on pense seulement que la beauté du monde est chaque jour assassinée, et qu’un univers où risquent de manquer demain, Rouen, Caen, Pérouse, Sienne, Florence, n’est pas un univers dont les artistes, fût-ce par leur silence, aient le droit de se dire fiers. Si le « saint Augustin bouclé », de Benozzo Gozzoli, est détruit, dans ses fresques dorées de San-Gimignano, si la « Charité » ne rayonne plus sur les murailles d’Assise, si, de même qu’on ne peut plus errer au pied des plus nobles façades médiévales de Rostock ou de Hambourg, demain c’est le quai aux Herbes de Gand, qui s’effondre dans le néant où sont déjà les rues rouennaises et les églises de Caen ; et si l’on trouve cela tout naturel et si l’on ne souffre pas dans son cœur de civilisé, alors il me semble qu’on perd le droit de parler de culture et de barbarie, qu’on perd le droit, dans l’avenir, d’affirmer que l’on aime l’Italie, l’art roman, la sculpture française si tendre et si virile, il me semble que le silence qui sert aujourd’hui d’alibi devrait être le silence de toute une vie ».

 

On ne peut pas mieux dire. Mais dans le même moment où les artistes français se montrent si discrets ou si réticents, l’écrivain anglais H.-G. Wells, dans un article paru dans « Sunday Dispatch », bientôt repris dans le périodique « World Review », exprime ainsi son opinion sur la destruction des monuments d’art de l’Italie : « Dans tout ce territoire, il n’y a pas une seule œuvre d’art, à l’exception peut-être de manuscrits pouvant être mis facilement à l’abri, qui ne puisse être entièrement détruite, et l’héritage de l’humanité n’en éprouvera pas la moindre perte en beauté. Nous possédons notamment les maquettes de toutes ces statues qui peuvent être copiées, y compris leur patine ».

 

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J’espère que nos lecteurs auront savouré comme il convient l’humour  —hélas ! inconscient—  de M. H.-G. Wells. Mais il ne s’agit pas d’une boutade. Pour l’auteur, auteur particulièrement sérieux mais aussi évidemment privé du sens de l’art que l’aveugle du sens des couleurs, ne comptent que les statues cataloguées dont on possède les maquettes ! La qualité originale d’une œuvre, le milieu spirituel dont elle fait partie intégrante, lui échappe avec une certitude indiscutable. Et il le prouve bien lorsqu’il déclare plus loin, avec autant de pédantisme béat que de solennelle bêtise : « L’art et le goût de l’art sont de suprêmes offenses au charme inépuisable des créations de la nature ».

 

 

Alors qu’il n’est que trop évident que l’art est exactement le contraire, c’est-à-dire une action de grâce, un cri d’amour et de reconnaissance devant la beauté de la vie !

 

Au pays basque, au déclin d’une belle journée, il n’est pas rare que des couples de paysans se mettent, en pleine campagne, à danser et à chanter, pour rien, pour personne, pour la joie de vivre. L’art n’est pas autre chose, à l’origine, que ce chant et cette danse. Mais revenons à M. Wells, qui se hâte d’ajouter : « L’œil embrasse plus de beauté en contemplant un oiseau qui plane, un poisson qui s’ébat dans l’eau, les reflets dans une chute d’eau ou toutes les ombres qui se dessinent sous les branches d’un arbre éclairé par le soleil que nous, misérables gâcheurs, puissions espérer imaginer ou imiter ».

 

Certes. Mais selon le mot de Debussy : « Les gens n’admettent jamais que la plupart d’entre eux n’entendent ni ne voient » et c’est le rôle de l’artiste de leur ouvrir les oreilles et les yeux à la beauté du monde. Il est trop facile, presque élémentaire, d’énumérer ici ce que chaque artiste nous enseigne au premier coup d’œil : Rubens, la joie triomphante de vivre ; Renoir, la beauté rayonnante de la créature humaine ; Vermeer de Delft, le charme profond des intérieurs où se jouent les lumières et les ombres ; Chardin, la secrète poésie qui vit au cœur des plus humbles objets, des plus usuels. Tout cela et bien davantage encore…

 

Je sais, hélas ! qu’il n’en est plus ainsi : que ces échanges permanents entre la vie et l’art ne nous sont plus sensibles ; que l’art, né spontanément de la vie, a cessé de nous y ramener avec des facultés plus vives et plus aigües. Les esthètes restent confinés dans un étouffant esthétisme qui n’a d’autre fin que lui-même. Les « viveurs », si je puis les appeler ainsi, ceux qui « vivent leur vie » comme ils disent, m’apparaissent aussi peu soucieux de la beauté des oiseaux qui planent que de la grâce des poissons qui s’ébattent, n’en déplaise à M. Wells. Qu’est-ce que cela veut dire sinon que l’homme a cessé de mettre en jeu toutes ses facultés, de vivre pleinement ? C’est là une des raisons les plus profondes de notre décadence. 

 

Céline, contempteur du monde moderne, pas plus que Wells qui s’en fait l’apologiste, n’y ont trouvé de remède. C’est que l’un et l’autre appartiennent à différents égards, à cette décadence que le Docteur Carrel a si bien diagnostiquée : « Nous cherchons à développer en nous l’intelligence. Quant aux activités non intellectuelles de l’esprit, telles que le sens moral, le sens du beau et surtout le sens du sacré, elles sont négligées de façon presque complète. L’atrophie de ces qualités fondamentales fait de l’homme moderne un être spirituellement aveugle ».

 

Et, pour revenir au sujet de cet article, cela explique bien des erreurs de jugement, bien des réticences, bien des silence…

 

Paul Modave.

Hommage à Maurice Bardèche

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

bardeche.jpgHommage à Maurice Bardèche

 

Maurice Bardèche est décédé à 91 ans. Il était l’un des derniers survivants de cette génération de Français qu’on peut qualifier, sans hésitation, de formidables. Mais qui connaît encore son nom aujourd’hui. Qui connaît encore son œuvre?

 

A une époque tranquille, ce professeur, cet historien de la littérature au regard acéré, cet anatomiste subtil et cet homme de synthèses percutantes avait jeté son regard personnel sur chacun des sujets qu’il abordait; sans nul doute et sans difficulté, il a gravi tous les échelons et est devenu un intellectuel de premier rang dans son pays, la France. On peut dire que l’Académie Française se serait levée pour lui, pour l’accueillir en son sein et que des décorations comme la Légion d’Honneur lui auraient été attribuées... Si...

 

Car l’œuvre de Bardèche témoigne de son excellence: les livres de référence qu’il a écrits, sur Proust, Bloy, Balzac, Flaubert et Céline, sont encore reconnus aujourd’hui comme tels. De même, son Histoire du Cinéma, rédigée en collaboration avec Robert Brasillach, est reconnue au niveau international. Ce livre a été édité et réédité, y compris dans une série de poche. On n’oubliera pas non plus son Histoire des femmes. Et, à une époque plus troublée, il a aussi écrit, toujours avec Brasillach, un classique, son Histoire de la Guerre d’Espagne, chronique de la guerre civile espagnole qui a immédiatement précédé la seconde guerre mondiale.

 

Ce fut une époque cruciale dans sa longue vie, un moment d’histoire agité. Les horreurs de la seconde guerre mondiale (que Bardèche n’a jamais niées ou ignorées, contrairement à ce que d’aucuns osent affirmer) ont été suivies par les horreurs de l’après-guerre. Maurice Bardèche, apolitique, a été privé du droit d’exercer sa profession, il a été arrêté, simplement parce qu’il était le beau-frère de Robert Brasillach, son meilleur ami. L’exécution de Brasillach  —un assassinat judiciaire—  a profondément blessé Bardèche, une blessure si intense qu’elle l’a marquée pour le reste de ses jours.

 

Bardèche devient éditeur. Il fonde les éditions «Les Sept Couleurs». Pendant de longues années, il publie le mensuel Défense de l’Occident. Et il écrit des livres politiques (ce qui lui vaudra des poursuites).

 

Quarante ou cinquante ans ont passé depuis la rédaction de ces ouvrages. Qu’en reste-t-il? Indubitablement, certains passages ont été dépassés par les événements, que personne ne pouvait prévoir. Mais on ne pourra pas mettre en doute son souci de maintenir une Europe européenne, de conserver l’identité de ses peuples, de ne pas livrer ceux-ci aux affres d’une américanisation calamiteuse. Surtout, une chose demeure, et c’est son option personnelle: «Etre le dernier tirailleur défendant la liberté et la douceur de vivre».

 

C’est un polémiste virulent qui écrit Nuremberg ou la Terre promise  dans l’immédiat après-guerre (son avocat et ami Jacques Isorni a tenté en vain de le dissuader de publier ce brûlot mais Bardèche était trop profondément touché par la mort de Brasillach pour entendre ce bon conseil). Quelques années plus tard sort Suzanne et le taudis, préfiguration, non, illustration, de cette chère “douceur de vivre”, même dans les circonstances les plus difficiles et les plus dures de la vie. Ce livre est un chef-d’œuvre dans le sens où il est un hommage à la douceur, à l’humour, au sourire qui dit aussi: on ne tuera pas cette belle petite plante.

 

Mais Bardèche est conscient qu’elle est en danger de mort, cette petite plante. Et quand au printemps de 1998, on m’offre un liber amicorum, cette conscience est très nette, car Bardèche écrit à mon intention: «Le drame de notre temps est celui de la dépossession. Nous ne sommes plus maîtres de nos vies, mais pas davantage de nos pensées, de nos goûts, de notre sensibilité —enfin de notre âme. Par la désinformation, la publicité, le mensonge, par la démission des éducateurs et la démission des consciences».

 

En dépit de toutes les différences qui peuvent séparer un Flamand d’un Français, un Européen d’un autre Européen, un homme de droite d’un autre homme de droite, son témoignage m’a donné une fierté modeste, une fierté humble: «Avons-nous été, cher Karel Dillen, les derniers défenseurs de l’arbre de vie contre son triste dépérissement? En défendant votre terre flamande et les hommes de votre race, c’est toutes les autres plantes humaines de toutes les autres races que vous défendez aussi... De même quiconque défend son peuple défend tous les autres peuples, tous les autres hommes. Car la liberté et la vie qu’il demande pour les siens, il les demande en même temps pour les autres par les idées qu’il répand. Par là, votre combat n’est pas seulement pour la Flandre, il est pour tous les peuples de l’Europe, et même au-delà des frontières de l’Europe pour tous les peuples qui ne veulent pas de la prison idéologique».

 

Ensuite vient une phrase qui équivaut à un ordre, puisque Bardèche n’est plus parmi nous: «Et cette aspiration à la vie, elle ne disparaîtra pas avec nous, mais elle nous survivra et même elle sera ressentie un jour comme un combat vital et vos enfants, nos enfants, la reprendront».

 

Vaarwel, Bardèche, Bonne route!

Que lit-on encore de ton œuvre, qu’en lira-t-on demain? Je ne sais pas.

 

Mais ce que je sais, c’est que demeure l’exemple, durable, ineffaçable, indéracinable, comme nous le révèle cette parole de Nietzsche:

«Was er lehrte, ist abgetan;

Was er lebte, wird bleiben stehn:

Seht ihn nur an —

Niemanden war er untertan!».

(Ce qu’il a enseigné a subi l’usure du temps;

Ce qu’il a vécu demeurera debout:

Regardez-le —

De personne jamais il n’a été le valet!).

 

Voilà, Bardèche, ce qu’il reste de l’exemple que nous a donné. Pendant toute ta vie!

 

Karel DILLEN.

(Hommage paru dans Vlaams Blok Magazine, n°9/98).

mercredi, 25 novembre 2009

Le Magazine des livres n°20

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En kiosque

Le Magazine des Livres n°20, Novembre/Décembre 2009

Sommaire

Georg Trakl: "Triumph des Todes"

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Triumph des Todes

Peter Brueghel d. Ä. pinxit, ca. 1562 -
cf.: http://rezistant.blogspot.com

O der Seele nächtlicher Flügelschlag:
Hirten gingen wir einst an dämmernden Wäldern hin
Und es folgte das rote Wild, die grüne Blume und der lallende Quell
Demutsvoll. O, der uralte Ton des Heimchens,
Blut blühend am Opferstein
Und der Schrei des einsamen Vogels über der grünen Stille des Teichs.

O, ihr Kreuzzüge und glühenden Martern
Des Fleisches, Fallen purpurner Früchte
Im Abendgarten, wo vor Zeiten die frommen Jünger gegangen,
Kriegsleute nun, erwachend aus Wunden und Sternenträumen.
O, das sanfte Zyanenbündel der Nacht.

O, ihr Zeiten der Stille und goldener Herbste,
Da wir friedliche Mönche die purpurne Traube gekeltert;
Und rings erglänzten Hügel und Wald.
O, ihr Jagden und Schlösser; Ruh des Abends,
Da in seiner Kammer der Mensch Gerechtes sann,
In stummem Gebet um Gottes lebendiges Haupt rang.

O, die bittere Stunde des Untergangs,
Da wir ein steinernes Antlitz in schwarzen Wassern beschaun.
Aber strahlend heben die silbernen Lider die Liebenden:
Ein Geschlecht. Weihrauch strömt von rosigen Kissen
Und der süsse Gesang der Auferstandenen.

Georg Trakl, Abendländisches Lied.

samedi, 14 novembre 2009

Trois critiques de Gus Bofa sur Céline

celine-et-arletty.jpgTrois critiques de Gus Bofa sur Céline

Article paru dans "Le Bulletin célinien", n°297, mai 2008

Gustave Blanchot, dit Gus Bofa (1883-1968), fut un illustrateur et un affichiste français de grand talent, bien oublié aujourd’hui. Grâce à la brève mais florissante vogue du livre de luxe dans la France des années 20, il parvint à réaliser la synthèse entre le dessin et l’écriture, laissant une œuvre singulière qu’il faudrait redécouvrir. Entre les deux guerres, il collabora, comme critique littéraire, au mensuel Le Crapouillot de Jean Galtier-Boissière. Son ami Pierre Mac Orlan a dit de lui : « Gus Bofa est avant tout un écrivain qui a choisi le dessin pour atteindre ses buts. Un texte de Bofa, un dessin de Bofa sont construits dans la même matière et l'un et l'autre sont animés de ce même rayon de poésie humoristique qui comprend tout ce qui tient une place entre la vie et la mort. ». Nous reproduisons ici les trois notes de lecture qu’il consacra à Céline en 1933 et 1937.

 

Voyage au bout de la nuit[

 

L'autre roman-dreadnought. Autant le livre de M. Mazeline est habilement construit et armé de tous les perfectionnements les plus récents, autant celui-ci est désobligeant, non-conforme aux règles, en quelque sorte difforme. Et pourtant il flotte. Et il y a là-dedans le meilleur et le pire : des pages d'humour excellentes, un très grand souffle de vérité profonde, émouvante, sous ce vagabondage délirant qui n'en finit plus, et surtout une rogne persistante, obstinée, souvent puissante, qui réjouira ou navrera le lecteur, dès l'abord, selon son goût et son tempérament. Ce mélange un peu chaotique, ce choix délibéré d'être sincère avec soi, au prix même d'être déplaisant, peuvent bien signifier le génie, dans le cas de M. Céline. Il est bien vrai qu'il y a, dans ce trop gros bouquin, quelque chose de considérable, d'anormal, d'inquiétant, mais de neuf, qui rebute d'abord et séduit ensuite, d'un attrait bien étonnant. Par une sorte de perversité inexplicable, l'auteur a adopté, pour rendre plus difficile la lecture de cette confession, une sorte de langue nouvelle, mêlée de péquenot et d'argot, que rien dans le personnage de son héros ne peut justifier et que lui-même oublie parfois pour parler en français. L'effet en est curieux, mais sans charme.

(Le Crapouillot, 1er février 1933)

 

L'Église

 

Cette pièce énigmatique n'a pas été jouée encore, et, malgré le succès du Voyage au bout de la nuit, ne le sera probablement jamais.

C'est dommage d'ailleurs, car elle ne prendrait son véritable sens qu'à la scène.

L'audace de certaines scènes y trouverait sa valeur de scandale possible, qui passe iaperçue à la lecture.

Le livre de Céline nous a étonné surtout par sa masse, aggravée d'un argot fanriqué exprès, plus encore que par la qualité ou la violence des idées de l'auteur.

La pièce, plus schématique, moins travaillée et surchargée, ne nous fournit plus cette sorte d'inquiétude qui donnait au roman sa qualité.

Céline n'est pas un pamphlétaire né. toute son énergie satirique est artificielle. c'est un effort brutal et vite vulgaire, pour sortir de soi-même, qui est timide, passif, bon et pitoyable.

Cet effort apparaît constamment à la lecture de ces cinq actes. il serait insensible au théâtre.

L'acte de la S.D.N., qui est un excellent sketch de revue, y serait amusant. Et certaines scènes – si la censure les laissait passer – y prendraient un caractère d'obscénité, capable d'émouvoir sûrement le public difficile de bourgeois moyens, que l'auteur veut atteindre d'abord.

Les fidèles de cette fameuse Eglise, qu'il renie si énergiquement.

 

(Le Crapouillot, 15 novembre 1933)

 

NDLR : Cette pièce fut jouée pour la première fois, par une troupe d’amateurs, le 4 décembre 1936, au Théâtre des Célestins, à Lyon.

 

Mea culpa suivi de La vie et l'œuvre de Semmelweis

 

La déconvenue parallèle de Céline s'exprime plus vertement que celle de Gide.

Elle est aussi plus totale et définitive.

Ecoeuré de l'Etat bourgeois, Céline a voulu croire au communisme russe. Déçu à nouveau, sa haine et son dégoût du monde occidental se doublent désormais d'une haine et d'un dégoût semblables pour l’U.R.S.S.

il exprime ce double sentiment – à son ordinaire – par un feu d'artifice d'imprécations choisie, pleines de force et de couleur, qui, étant cette fois admirablement en situation, prennent toute leur valeur littéraire. le morceau me paraît atteindre au chef-d'oeuvre du genre et mérite de figurer dans les anthologies.

Au point de vue critique, on pourrait trouver à y reprendre. Il détaille et précise mal ses griefs et ses reproches. Mais il n'est pas dans la nature de Céline de spéculer, non plus que dans celle d'une mitrailleuse de faire des cartons à la foire.

Parmi les éclats de tonnerre de son style, on discerne à peu près la solution que Céline propose au problème social.

Il voudrait abattre sommairement la moitié des humains, et massacrer sans façon l'autre moitié.

Ce remède, radical au moins en ce qui concerne le chômage, me semble mériter d'être longuement pesé.

Dans la seconde partie de Mea culpa (sans prendre sa part du titre, j'imagine!) il publie une réédition de sa thèse de doctorat sur la vie douloureuse et méconnue de Semmelweiss, "l'inventeur" de l'antisepsie.

Cet essai, écrit (pour un tas de raisons excellentes) dans une langue plus sévère et réservée que le Voyage ou Mort à crédit, n'en laisse pas moins apparaître l'ardeur, l'exubérance de son tempérament littéraire, comprimé comme la vapeur d'essence dans un moteur d'avion où chaque étincelle provoque une explosion et actionne les pistons dans les cylindres.

A l'état de prime jeunesse qu'il nous montre dans cette thèse d'examen, il rappelle par plusieurs points le tempérament d'un autre écrivain qui eut son heure de célébrité : Joseph Delteil.

Il y eut même un précurseur à l'un et à l'autre, oublié aujourd'hui, qui ne pouvait lui aussi écrire qu'à coups de canon et de hache, et qui avait nom : Georges d'Esparbès.

Mais c'étaient de pauvres petits canons de l'époque, qui paraissent risibles à côté de l'artillerie de dreadnought de Céline !

(Le Crapouillot, 15 février 1937)

 

 

jeudi, 12 novembre 2009

Dmitri Merezkovskij

Merezhkovsky.jpgDmitri Merezkovskij

Antonio Rossiello / http://www.italiasociale.org/


Lo scrittore e critico letterario Dmitri Sergèyevich Merezkovskij nacque a San Pietroburgo nella Russia zarista il 14 agosto 1865, ovvero il 2 agosto 1865 del calendario Giuliano allora in uso in Russia. Dmitri era figlio di un modesto funzionario, ufficiale di Corte a San Pietroburgo. Dal 1884 al 1889 studiò storia e filologia all'Università di San Pietroburgo, laureandosi in storia e filosofia con una tesi di dottorato in filologia su Montaigne. Merezhkovskij esordì in letteratura, essendo discepolo del poeta simbolista S. Nadon, con ''Stichotvorenija (1883 -1887)'', ( Poesie), nel 1888. Incontrò Zinaida Nikolevna Gippius, (nata il 20 novembre, ovvero l'8 novembre 1869 del calendario Giuliano, a Belyov in Russia), sua futura moglie, nel maggio 1888 durante una permanenza nel Borhoni / Borzhom in Caucaso; si sposarono nel gennaio 1889, all'età di 23 anni lui e di 19 lei. La coppia si stabilì a San Pietroburgo, dove nelle decadi seguenti il loro matrimonio, divennero animatori di un salotto, varando una società religiosa, ospitante intellettuali ed artisti, punto d'incontro del giro del secolo della scena intellettuale della capitale. Nel 1891 Dmitri fu in viaggio a Vienna ed a Venezia. Le sue fonti di reddito erano dovute ad un mantenimento da parte dei suoi familiari, nei primi anni, specie quando si assunse la responsabilità di sostenere dei viaggi per ragioni mediche relative a sua moglie. Nel 1892 uscì la sua seconda raccolta ''Simvoly, pesni i poemy''(Poemi, Simboli), che può essere considerata una sorta di ''manifesto'' poetico della nuova sensibilità decadente e simbolista.

In essa Merezhkovsky fu influenzato da Poe e da Baudelaire, introducendo temi e motivi che poi ricorsero nell'opera di altri simbolisti: cupo pessimismo, orgogliosa affermazione del proprio individualismo, condizione dell'uomo ''figlio della notte'', che è prigioniero di questo mondo e anela all'''altro'', dicotomia tra culto pagano della bellezza terrena e aspirazioni mistico-religiose. Merezhkovsky pubblicò una raccolta di articoli, ''O pricinach upadka i o novych tecenijach sovremennoj russkoj literatury'' ( Sulle cause della decadenza e sulle nuove correnti della letteratura russa contemporanea), del 1893, che è la prima ''dichiarazione d'intenti'' del decadentismo russo. In essa Merezhkovsky auspicava la creazione di ''una nuova arte ideale'', che avrebbe sostituito in Russia ''il volgare realismo utilitaristico''. Alla luce di tale concezione idealistica, che nel tempo assumerà connotazioni accentuatamente metafisiche e religiose, Merezhkovsky sentì l'esigenza di ''rivisitare'' l'eredità letteraria dei grandi scrittori del passato e si dedicò alla critica letteraria. Fu pensatore mistico cristiano ed ottenne delle entrate dai compensi dei suoi scritti filosofici, storici, religiosi e biografici, oltre che dalle sue poesie. Pubblicò novelle, poesie ed articoli su periodici di letteratura e di arte; libri dai quali percepì royalties e diritti d'autore. Fu uno scrittore sempre conosciuto, da quando pubblicava in Russia guadagnando molto.

Per le traduzioni, ricevette i diritti d'autore occasionalmente, dato che in Russia mancava un corrispondente accordo internazionale, gli editori stranieri erano liberi di rimunerare o meno le loro traduzioni degli autori russi. Queste considerazioni valgono per il periodo in cui visse all'estero. Zinaida descrisse nelle sue epistole le condizioni di vita non sempre facili. Le loro riserve erano limitate. La giovane coppia condusse una vita in condizioni più elevate in San Pietroburgo grazie agli scritti. Non ebbero figli per ragioni sconosciute. Il loro matrimonio burrascoso divenne apertamente una relazione a tre dal 1901 in avanti con Dmitri Vladimirovich Filosofov (1872-1940) che visse con loro nella stessa casa. Dmitri Filosofov e Vladimir Zlobin (1894-1967) furono i suoi segretari, editori e coautori. Merezhkovskij ammirò molto Dostoievsky e Soloviev, che incontrò. Negli anni seguenti al 1890 popolarizzò il simbolismo francese in Russia. La tradizione naturalista da Tolstoj a Dostoevskij era allora decadente, soppiantata dalla tendenza mistico/religiosa, verso cui Merezhkovskij si orientava. Arguì che gli autori naturalisti non erano stati tali, ma mistici. Merezhkovskij si accreditò iniziando il Simbolismo russo e l'età d'oro russa. Il Simbolismo era una reazione al naturalismo ed al realismo. Un grido della spiritualità contro il pensiero materialistico consecutivo russo. La pittura simbolista russa favorì le misteriose figure in cui raffigurò suggestivamente una sorta di spiritualità cui fu interessata. Giunsero ad una sorta di melanconia elegiaca.

I Simbolisti avocarono a sé una visione spirituale del mondo. Essi intrapresero una guerra contro il generale utilitarismo ed una concezione del mondo positivista, fra cui non inclusero né l'arte né la filosofia, sostituite da nuove istanze per i valori eterni. I primi simbolisti russi compresero che una sintesi tra il mondo corrotto e materiale e gli eterni valori non era possibile. Essi rigettarono la credenza che l'arte potesse servire il progresso sociale. Posizionarono l'artista come una figura libera divina in cui la vita ed il lavoro potevano puntare verso una vita elevata e spirituale. Essi videro l'artista come un mediatore di forze tra i mondi fenomenali e noumenali (intellettuali). Merezhkovski rappresentò gli scrittori come sé stesso quali veggenti di due differenti mondi, la carne e lo spirito. Questo tipo di pensiero si sviluppo in ''Cristo e l'Anticristo''. I Merezhkovski erano figure preminenti dell'età argentea. Zinaida Gippius fu una poetessa prolifica, scrittrice di romanzi e saggi, memorie, critiche, commedie; scrisse molti saggi critici di letteratura, religione e politica. Essi furono pubblicati su riviste letterarie di Mosca e San Pietroburgo e sui quotidiani sotto vari pseudonimi incluso Anton Krajny e Roman Arensky.

''L'anima è religiosa dalle origini, il sentimento di solitudine nel mondo è intollerabile se non c'è Dio'' e (Zinaida Gippius). La religione si connette con ogni sorta di Chiesa, inclusa la Chiesa Ortodossa, non si adeguò ad essa ed a suo marito. Dmitri cercava la sua via verso il divino come Fiodor Dostoevsky. Stimolò l'idea di una nuova Cristianità; una nuova Chiesa, dove la persona e Dio sono eguali. Espressero la loro neocristianità nelle parole e nei fatti di una vita scandalosa. La loro triplice unione con il filosofo Dimitri Filosofov, pubblicista e critico giocò un ruolo importante nell'unione artistica del mondo delle arti. Questa unione o famiglia allargata, mostrò assolutamente la nuova unione spirituale, ma la società considerava ciò con arroganza, come la continuazione della sua scandalosa poesia: ''Io non posso obbedire a Dio se io amo Dio...Non siamo schiavi ma figli di Dio, ed i bambini sono liberi come Lui''.

Nel 1900 l'enorme impero russo si era industrializzato con l'indebitamento finanziario estero tramite i prestiti monetari, senza una modernizzazione della sua struttura sociale. Nessuna prospettiva era data all'indicibile miseria della sua popolazione contadina, entrambi senza terra sotto la mercè dei proprietari terrieri, o indipendenti ma schiacciati dalle gigantesche tasse destinate a provvedere ai pagamenti dell'indebitamento russo ( i proprietari non pagavano le tasse). L'immensa sottoclasse proletaria viveva in condizioni miserevoli e si riversava nelle città e nei centri industriali. La crescita enorme della popolazione supplì ai soldati dell'esercito, ai lavoratori dell'industria, ai lavoratori siberiani coloni e nelle campagne. L'Impero fu scosso da una politica disordinata. Scioperi, dimostrazioni, scontri con la polizia occorsero in parecchie città. I radicali di sinistra ripreso il terrorismo politico. Le strutture rigide autoritarie dell'autocrazia sembrarono inabili a rispondere o ad afferrare ciò che stava accadendo.

Tolstoj veniva scomunicato dalla Chiesa Ortodossa. Dopo il 1900, Merezhkovsky propagò attivamente una ''nuova coscienza religiosa'', animò un gruppo di ''Cristiani spirituali'' che chiamò i cercatori di Dio (Hogoiskateli), o i decadenti. I Bogoiskatjeli o cercatori di Dio, erano una corrente che riunivano i personaggi noti come Società Russa del 1900. Tal gruppo incluse sua moglie Zinaida Gippius e Dimitri Filosofov, Vasilij Rozanov, V. Ternavcev ed altri. Fu direttore del movimento spiritualizzato, con al suo fianco nella direzione la poetessa Zinaida Kippius, Balmont, Brjusou, Sollogub. Dal novembre 1901 Merezhkovsky proiettò le discussioni tra ''i cristiani spirituali'' ed ''i cristiani ufficiali'' (rappresentativi della Chiesa Ortodossa). Nel 1901, entrambi i Merezhkovsky e l'amico Dmitri V. Filosofov, diventarono gli animatori di un movimento religioso filosofico, il cui scopo era promuovere in Russia una ''nuova coscienza religiosa'', fondando la Società Filosofico - Religiosa, il cui strumento di divulgazione fu la rivista ''Novyi put''(La Nuova via), che rifletteva le loro idee metafisiche. Questi incontri regolari erano conosciuti come le assemblee religiose di San Pietroburgo e durarono dal 1901 al 1903. Pensatore religioso e mistico, prospettò l'avvento di un mondo nuovo di libertà e compimento cristiano a cui si giungerebbe con l'attuarsi del regno dello spirito, invocato da Gioacchino da Fiore. L'attesa del Terzo Regno gli impose la necessità di svolgere un'azione pratica, che tentò a più riprese, in convegni religiosi e filosofici nel 1901 memorabili nella storia della cultura contemporanea russa. Nell'aprile 1903, queste assemblee filosofico-religiose furono proibite dalla Chiesa (da Pobedonoscev, procuratore del Sinodo Sacro, Ministro russo della Chiesa Ortodossa).

Perse molti lettori ed ebbe problemi finanziari dopo il moto ostile della Chiesa dall'aprile 1903. Merezhkovsky cercò altri contribuenti, i nuovi idealisti. Nel 1904 ''Novy Put'' fu sospesa. Merezhkovsky e sua moglie viaggiarono in profondità nella Russia oltre il fiume Volga, per visitare i mistici russi appartati nei monasteri. Si incontrarono con i rappresentanti di diverse sette mistiche. Merezhkovsky mantenne una corrispondenza con alcuni di questi Gnostici russi. Gippius scrisse una storia, descrivendo, con un grande percorso all'interno della conoscenza, i riti segreti della comunità Gnostica Khlystic. Gli autori da lui presi in esame vengono analizzati seguendo un procedimento ''antitetico'' che prende origine da un'opposizione fondamentale, che secondo Merezhkovsky ha determinato l'intera storia umana: l'antitesi tra religione della carne e religione dello spirito, tra paganesimo e cristianesimo. E nella storia letteraria russa gli ''archetipi'', le perfette incarnazioni di questi due principi contrapposti sarebbero state Tolstoj (''veggente della carne'') e Dostoevsky (''veggente dello spirito''). Su tale antitesi è basata anche una delle opere più significative di Merezhkovsky, pubblicata tra il 1896 ed il 1905 intitolata la trilogia di racconti storici ''Christos i Antichrist'', ''Christo e Antichristo'', un best- sellers europeo, formata dai romanzi ''Smert' bogov. Yulian Otstupnik'', (La morte degli dei. Giuliano l'Apostata) del 1896, ''Voskressie bogi. Leonardo da Vinchi (1899-1900)'', (La Resurrezione degli Dei. Leonardo da Vinci)'' nel 1901, e ''Antikhrist: Pyotr i Aleksej'', (L'Anticristo: Pietro ed Alessio) nel 1905 .

In quest'opera, costruita secondo un preciso, quanto ambizioso disegno filosofico, Merezhkovsky concentrò la propria attenzione su tre momenti storici nei quali più forte è stato, a suo parere, il presentimento del Terzo Regno, di quell'età aurea in cui l'umanità saprà giungere ad una conciliazione e ad una sintesi tra paganesimo e cristianesimo. Con questa trilogia fece rivivere il romanzo storico in Russia. Le sue tre parti, ambientate nelle separate epoche e aree geografiche, rivelarono l'erudizione storica, e servirono come veicoli per autori di idee storiche e teologiche. Sui problemi scottanti della Russia contemporanea, coloro che cercavano Dio non ebbero una chiara risposta o atteggiamento. Il loro misticismo era solo romantico, mostrarono poche potenzialità nel sollevare domande politiche e provvedere con soluzioni politiche. La sua trilogia fu contemporanea ai suoi viaggi a Roma e Costantinopoli. Fu il suo periodo più lucido, intellettualmente, in cui la forza espressiva del linguaggio raggiunse l'acme.

In Giuliano si ebbe lo slancio vivificante di numerose immagini, la fredda bianca Afrodite Amaudiomane, nata dalla spuma, non vergognosa nella sua medità, davanti a cui il futuro imperatore, nelle vesti del monaco cristiano, l'animo macerato dal dubbio, si inchina, stordito della luce improvvisa che lo risveglia alla vita - è l'attivo del trionfo pagano. Attivo oppositore del positivismo, predominante nella cultura russa, mosse la sua speculazione nei termini dell'antinomicità e della popolarizzazione; al pathos di Tolstoj, geniale veggente della carne pagano e panteista, oppose l'opera dell'eccelso veggente dello spirito che fu Dostoevskij, rivelatore dello spirito cristiano in senso vero. Antinomica è la trilogia del romanzo storico ''Cristo e l'anticristo'', opera modernista, dove alla storia di ''Giuliano l'Apostata, o la morte degli dei'', del 1896, è contrapposta ''Leonardo da Vinci, o la resurrezione degli dei'', del 1901 ; ''Pietro e Alessio'', nel 1905, la cui idea centrale è l'opposizione fra concezione greca della santità della carne e la concezione cristiana dello spirito, l'urto fra Cristo e l'anticristo.

L'anticristo acquisisce una terribile evidenza drammatica nella lotta narrata in un terzo romanzo ''Pietro e Alessio'' del 1905, a tal trilogia seguì un'altra storica, che rappresenta la lotta storica tra gli stessi principi (Cristo e anticristo) in rapporto ai futuri destini della Russia: composta dal dramma ''Pavel I'', (La morte di Paolo I) del 1908; e dai romanzi ''Aleksandr I (1911-'12) Pervyj'', (I segreti di Alessandro I) del 1911; ''Perventsy svobody. Istorija vosstanija 14 - go Dekabrja 1825'', (La congiura dei decabristi) del 1917. Allargò tale visione antinomica e la ripropose, come rivelatrice, in altre sue prospettazioni di storia e di critica. La storia fu pensata come processo che si compie in opposizione antinomica tra Regno del padre, nel Vecchio Testamento, e Regno del figlio, attuato nel cristianesimo.

Non riuscì a conferire a questa antinomicità una vera funzionalità dialettica, ad avvalorarla come il principio dell'interiore dinamismo di vita e della storia. Un ordine esteriormente immutato ed immutabile era effettivamente corroso, mentre piomba sulla Santa Russia - la Russia dello Zar, della visione messianica dell'Impero, della Terza Roma - la mannaia della rivoluzione sovietica. La missione implicita nella scritta scolpita nel salone dello zar ''il sole conobbe il suo ponente, e fu notte'' passò in mani che invertirono il significato e che l'agitarono fino al 1989, anno della caduta del comunismo sovietico. In seguito Merezhkovsky scrisse altre opere storiche, dove la storia risultava sempre più artificiosamente ''interpretata'' e finalizzata a precisi intenti dimostrativi da parte dello scrittore.

Pubblicò nel 1896 ''Novyj e stijkhotvorenija. (1891 - '95)''; nel 1897 ''Vechnye sputniki. Portrety iz vsemirnoj literatury'', ( Eterni compagni), raccolta di saggi su vari scrittori, e nel 1901-'03 ''Tolstoj i Dostoevskij'', (Tolstoj come uomo e artista: con un saggio su Dostoevsky), Il saggio critico ''Tolstoj e Dostoevskij ( 1901 - '03)'' segue la maturazione e l' inserimento di Merezhkovsky nel gran filone Dostoevskiano di fine ottocento, con un suo personale apporto. Fu pubblicato a puntate sul periodico ''Mondo dell'arte'' dal 1901 in avanti. Vladimir Pozner scrisse che era il libro di Merezhkovsky più profondo e vivo nella storia della critica letteraria russa. Delineò una sua prospettiva metafisica, una sua visione degli eventi umani fondata sull'avvento del Regnum, superiore armonia in cui si risolveva l'eterna lotta tra il Bene ed il Male attraverso la risoluzione degli estremi opposti - quando le due metà della verità, la cristiana e la pagana, saranno mature per integrarsi o ricongiungersi.

Piotr Kogan scrisse che la storia dell'umanità è da Merezhkovsky presentata come un presentimento del futuro Regno che unirà il principio pagano ed il principio cristiano. Merezhkovsky apprezzava i momenti in cui il presentimento del futuro si manifestava, quando in mezzo al cristianesimo trionfante o al paganesimo trionfante, cioè in mezzo al trionfo di una delle due metà della verità integrale, comparivano i cercatori di Dio, gli insoddisfatti, incapaci di scoprire le verità interna e incapaci di appagarsi ad una verità incompleta. Cercò la verità totale, integrale, assoluta. Sull'interpretazione antitetica fra Tolstoj, poeta della carne, e Dostoevsky, poeta dello spirito. Seguirono nel 1904 ''Sobranie stikhov. 1883-1903'', ( Collezione poetica); ''Gogol' i chort. Isledovanie.'', ( Gogol' e il diavolo) del 1906; ''Probok russkoj revoljatsii. Kjubileja Dostoevskogo'', ( Il profeta della rivoluzione russa) del 1906 di nuovo su Dostoevskij; i saggi di ''Grjaduscij Cham'', (Il veniente Cam) del 1906; nel 1906 ''Grjadushij kham. Chekhov i Gorkij''; nel 1908 ''Ne mir, no mech''; nel 1910 ''Bol'naja rossija'', (L Russia malata) ''Lermontov poet sverkhchelovechestvagogol, tvorchestvo, hizo, religija'', (Lermontov, il poeta della superumanità) del 1909 su Lermontov. Nel 1911 -'15 ''Polnoc sobranie sochinenij''; nel 1904 ''Dafnis i chloa. Povest-lotusa'', nel 1904 ''Ljubov' sil'nee smerti-ital'janskaja novella XV veka'', nel 1915 ''Bylo i budet. Dnevnik 1910-1914'', nel 1915''Dve tajny russkoj poezii. Nekrasov i tjutchev''; nel 1916 ''Budet radost, p'esa''; nel 1917 ''Nevoennyj dnevnik. 1914-1916''; nel 1917 ''Romantiki. P'esa''; se le opere in russo precedenti al 1915 erano state edite a San Pietroburgo, quelle successive fino al 1917 furono edite con il nuovo nome della medesima città capitale, ovvero Pietrogrado.

Merezhkovsky sostenne la monarchia russa, cui attribuiva una istituzione divina. Resistette al severo criticismo degli scrittori progressisti. Fu schernito in un articolo stampato in ''Osvobozhdenie'' nel 1902, un periodico underground pubblicato all'estero, in relazione al suo paragonare l'autocrazia russa ad un mistico ordine nel suo libro su Dostoevsky, riportava che il dipartimento di polizia, le regolazioni sui controlli fossero intensificati; sul ''Moskovskie vedomosti'', sul ''Grazhdanin'', sul ''Cossack'', si fece sarcasmo sulla convocazione e le forche ed altri attributi di protezione: erano anche oggetti dell'ordine mistico? Contenevano l'indescrivibile segreto di Dio. Il misticismo obbliga. Se l'idea di Monarchia è solo mistica e promossa, non come una frase sonora, ma con rispetto e timore, tale convinzione obbliga a combattere con furia contro l'ordine di polizia russo. L'autocrazia è un'idea religiosa, ma la difesa di tale idea è un argomento per Dio, e non per il dipartimento di Polizia. Qualunque sofferenza e miseria del popolo, il regime zarista manteneva il suo prestigio attraverso l'espansione dell'impero russo. Il Caucaso, l'Asia centrale ed il lontano est, province assorbite nel XIX secolo. All'inizio del XX secolo, la situazione mutò brutalmente. Nella guerra dell'est, l'imperialismo russo e il modernizzato Giappone si scontrarono.
Una guerra scoppiò circa l'influenza di zona in Corea e Manciuria.

merej9785699219971.jpgGli attacchi giapponesi alla flotta Russa di Porth Arthur nel febbraio 1904 assediarono la città ed inflissero una severa sconfitta all'esercito russo in battaglie gigantesche e spietate coinvolgenti più di 500.000 soldati ed annunciando i combattimenti di trincea della prima guerra mondiale. Porth Arthur divenne giapponese nel gennaio 1905 e la notizia della sua caduta scosse la Russia. I successi militari fornirono la giustificazione all'autocrazia dello Zar. Nel gennaio 1905, una folla di 200.000 persone si avvicinò al Palazzo di San Pietroburgo per portare una petizione allo zar. Fu crudelmente colpita dalle guardie, lasciando centinaia di morti e proruppe la via delle proteste e degli scioperi. La liberazione della Russia si ebbe con lo scoppio di una guerra contro il Giappone che attraversò metà del globo dal Mar Baltico al Mar di Giappone e per una controffensiva, fu affondata la flotta russa dall'armata navale giapponese nel maggio 1915, vicino all'isola di Tsushima.

Questo aggravò l'insurrezione popolare. Nell'agosto 1905, lo zar sotto la pressione della strada concesse un'assemblea parlamentare Duma al popolo, affossandola nei due anni successivi. Merezhkovsky, che era stato sostenitore della monarchia russa, cambiò opinione durante la rivoluzione del 1905, che apertamente sostenne. Sua moglie e lui divennero zelanti rivoluzionari, e scrisse molti versi politici. Con il fallimento della rivoluzione, la coppia emigrò a Parigi. Vissero due anni lì tra il 1906 ed il 1907, poi ritornarono. Dmitri mostrò l'insurrezione del 1905 come un evento religioso, rivelante una rivoluzione religiosa di cui divenne un fidato profeta.

Nel 1907, Dmitri e Zinaida Gippius, con l'aiuto di un circolo di amici ( Ern, Pavel Florenskii, Sergei Bulgakov Brikhnichev) fondarono in Mosca un giornale chiamato ''Zhivaia Zhizn''. Merezhkovsky e Gippius divisero la storia dell'umanità ed il suo futuro in tre fasi. Il regno di Dio Padre, il regno del Vecchio Testamento; il regno di Gesù Cristo, il regno del Nuovo Testamento, la presente fase che era chiusa, e il regno dello Spirito Santo o l'era del Terzo Testamento, che stava ora albeggiando, gradualmente rivelando un messaggio all'umanità. In queste rivelazioni, gli eventi del 1905 furono un messaggio di trasformazioni. Il Regno del Vecchio Testamento ebbe l'autorità divina come suprema; il Regno del Nuovo Testamento ebbe l'amore come autorità suprema; e il Regno del Terzo Testamento poteva rivelare un inno di libertà come suprema autorità. Questa felice via mondiale rispecchiò la felicità nella vita di Merezhkovsky, giovane importante, autore, famoso in Europa, sufficientemente ricco per disporre della sua vita liberamente.

I previsti Regni simboleggiavano un cambiamento nella coscienza umana; così il regno finale del Terzo Testamento annunciava una nuova coscienza religiosa, la genesi di una Nuova Umanità. Il Terzo Testamento doveva risolvere le presenti antitesi - sesso e ascetismo, individualismo e società, schiavitù e libertà, ateismo e religiosità, odio e amore. L'enigma della terra e del cielo, la carne e lo spirito poteva essere risolto nello Spirito Santo. Lo Spirito Santo avrebbe potuto redimere il mondo, dando all'umanità una nuova vita di pace, armonia e amore. Il Trino si realizzava nell'Uno, e la Cristianità Spirituale poteva essere condotta all'apertura.

Nel propagare la loro Causa del Trino nell'Uno Gippius e Merezhkovsky speravano in una rivoluzione religiosa, una metamorfosi spirituale dell'uomo per prepararlo al Terzo Regno. Gippius accordò lo scopo dello sviluppo di tutto l'universale storico, nella dell'umanità e del mondo nella loro forma presenti attraverso l'Apocalisse. Solo la venuta di Cristo potrebbe unire l'umanità nell'amore fraterno e nell'armonia della vita familiare. Nell'evoluzione spirituale della umanità la Chiesa apocalitticamente potrebbe essere instaurata non come un tempo, ma come una nuova esperienza di Dio nell'umana coscienza e nell'animo umano. Quando scoppiò la prima guerra mondiale nell'agosto 1914, le truppe russe entrarono in Germania. Merezhkovsky vide nella I guerra mondiale una battaglia per la cultura, che era, per la Russia, contro il militarismo tedesco. Dopo le iniziali vittorie l'offensiva russa tornò a scontrarsi per San Pietroburgo. Le truppe russe persero tutto il territorio tedesco che avevano guadagnato, poi la Polonia e la Lituania.

Nel 1916, l'esercito russo, interamente demoralizzato, malamente comandato perse costantemente terreno. La popolazione si lamentava contro l'imperatrice nata tedesca e contro il suo favorito guaritore Grigori Rasputin. San Pietroburgo si stava sgretolando sotto il peso dei rifugiati di guerra e della miseria dell'enormi classi inferiori. La società si stava lentamente disintegrando. Nella classe elevata, gli uomini erano attratti dalle ragazze giovani impoverite ed il numero dei divorzi salì. All'inizio della guerra, la città capitale era stata ribattezzata con il nome non tedesco di Pietrogrado. Zinaida Gippius la soprannominò Chertograd, città del diavolo, perché lo stato d'animo era nella città spaventoso. Successivamente la catastrofe militare della sconfitta e la seguente perdita finale del prestigio dello zar, la disintegrazione dello stato, la rivoluzione rovesciò lo zar nel marzo 1917.

Un regime democratico fu eretto, Merezhkovsky fu un forte sostenitore della giovane democrazia russa. La nuova Russia andò a combattere la Germania. San Pietroburgo fu messa in ginocchio, Berlino giocò la carta delle sollevazioni popolari interne alla Russia. Quivi si spandé un piccolo gruppo sovversivo, i Bolscevichi, con mezzi finanziari con la missione di prendere il potere, dopo la resa, per cui fu ceduto un'enorme territorio all'impero tedesco. Il leader bolscevico ebreo Vladimir Ilijc Ulianov, detto Lenin fu spedito in Russia in un treno militare tedesco, al fine di indebolire la difesa russa, dato che i rivoluzionari comunisti stavano adempiendo alla loro missione. Infatti organizzarono un colpo di stato e prendendo il potere nel novembre 1917 (la Rivoluzione d'Ottobre), firmarono l'armistizio con la Germania nel dicembre 1917. Sottoscrissero il trattato di pace di Brest - Litovsk con la Germania nel marzo 1918, con il quale essi rinunciavano all'Ucraina, alla Bielorussia, alla Finlandia, che entrarono nella sfera d'influenza della Germania.

In seguito i Bolscevichi edificarono un regime totalitario mostruoso, governando con il terrore, giustiziando migliaia di persone nei primi mesi della sua esistenza. Stabilirono la presa dell'industria con la nazionalizzazione delle fabbriche ( spesso estere) e denunciando tutto il debito estero. Si assicurarono il controllo dell'esercito con l'assegnazione di un ''guardiano'' comunista per ogni ufficio. Quando l'impero tedesco cadde, nel novembre 1918, sconfitto dagli U.S.A., il regime bolscevico abilmente sopravvisse in Russia in regime di autarchia, basandosi sulle proprie forze secondo i principi del marxismo leninismo del compagno Stalin. Merezhkovsky rigettò la nuova dittatura comunista come una caricatura diabolica del governo di Dio, come egli lo definiva, e fece un'attiva opposizione. I poteri democratici occidentali (Francia ed Inghilterra) sostennero, opportunisticamente come stati capitalistici, le truppe oppositrici al Bolscevismo con lo scopo di recuperare il loro patrimonio - debiti e facilitazioni già concesse al regime corrotto degli zar - e restaurare un governo eletto democraticamente.

Durante il 1919, le ''armate bianche'' per la democrazia si spinsero intensamente nella profondità della Russia. Le ''armate rosse'' vittoriosamente contrattaccarono nell'ottobre 1919 ed assicurarono il controllo di Pietrogrado. Nel dicembre 1919, Merezhkovsky abbandonò la vicina Polonia. Già sostenitore dei moti del 1905, in cui volle vedere l'inizio di quella ''rivoluzione religiosa'' che avrebbe preceduto l'avvento del Regno dello spirito in Russia, appoggiò anche la rivoluzione di febbraio 1917 ma le speranze di rinnovamento crollarono definitivamente con la successiva rivoluzione d'ottobre 1917, che egli considerava controrivoluzionaria, e con la presa del potere da parte dei bolscevichi.

Nell'aprile 1920, le truppe bolsceviche attaccarono l'esercito polacco ( per cui si avventurarono lontano dal Dniepr), raggiunsero la Vistola ed andarono vicino alla conquista di Varsavia nell'agosto 1920. Grazie all'intervento dell'Occidente, le armate russe furono sconfitte, mantenendo in uno stato di sopravvivenza la Polonia.

Nel 1919 i Merezhkovsky lasciarono la Russia e nell'ottobre 1920 emigrarono in esilio a Parigi in Francia, descrivendo il Bolscevismo nel 1920 ''Tsarevich Aleksej'', (Lo zarevic Aleksej) e nel 1921 ''Tsarstvo antikhrista'', edita a Monaco di Baviera, (Il Regno dell'Anticristo. Russia e il Bolscevismo) ed altri lavori poi tradotti in varie lingue. Fu autore di alcuni feroci pamphlet contro il regime comunista sovietico. Dmitri pubblicò due racconti storici sotto l'universale titolo di ''Rozhdenie Bogoy'' tra il 1924 - '25, (Nascita degli Dei), una bilogia ''Rozhdenie Bogov. Tutankhamon na krite'', ( Nascita degli Dei. Tutankhamon in Creta), edita a Praga e nel 1925 ?: ''Messija'' ( Il Messia o Akhenaton, re dell'Egitto o''Akhenaton, gioia del sole'', del 1927), edito a Parigi. ''La nascita degli Dei'',(romanzo onnicomprensivo dell'opera di Merezhkovsky, anche come tempo d'azione era situato all'origine delle tre trilogie).

Pozner riassunse il senso dell'impegno letterario di Merezhkovsky: ''Dopo anni di positivismo ricco di mediocrità e tracotanza, il tono profetico di Merezhkovsky, la sua erudizione, il suo interesse per i fenomeni della vita spirituale e religiosa, gli assicurarono i primi posti nella sua generazione, facendone uno scrittore la cui importanza oltrepassò le frontiere di un Paese. Nel 1925 ''Tajna trekh. Egipet i vavilon'', (I misteri d'Oriente), edito a Praga, romanzo di argomento egiziano, ambientato nell'Egitto faraonico. I racconti si concentrarono attorno al faraone egiziano Akhenaton, il fondatore ed uno dei primi conosciuti, vita breve, religione monoteista. Raffiguravano Akhenaton come un Messia, nel senso cristiano, come un'antica manifestazione di Cristo. Entrambe le novelle condivisero l'idea centrale di continuità ed integrità del mondo pre-cristiano e cristiano.

Il punto di volta del 1919-'20 fu la prova critica per i Merezhkovsky. Da allora, Gippius produsse lavori furibondi contro i bolscevichi, molto amareggiata. Il suo ultimo lavoro fu così soggettivo e capriccioso che si fece notare più per la forma che per il contenuto. Merezhkovsky divenne molto pessimista. Emerse il futuro felice di una Terza Età di libertà e lo Spirito Santo della sua vita dandy ed elegante in San Pietroburgo. Divenne il profeta di un destino funesto, prevedendo una fine imminente del mondo in ''Atlantis -Europa. Il segreto dell'Occidente'' del 1930. I Merezhkovsky ebbero successo nell'animare un salotto letterario russo nella loro casa, durante il loro esilio parigino. ''Tajna zapada. Atlantica - Evropa'', (Il mistero dell'Occidente: Atlantide - Europa), edito a Belgrado e tradotto in italiano come ''Atlantida'', edizione Hoepli nel 1937 a Milano. Nel 1932 - '34 ''Iisus neizvestnyj'', ( Gesù sconosciuto), edito a Belgrado; nel 1934''Jesus, der kommende'', edito a Frauenfeld; nel 1935 ''Tod und auferstehung; nel 1936 ''Pavel, Augustin''; nel 1938 ''Franz von Assisi'', edito a Monaco; nel 1938 ''Zanna d'Ark'', edito a Berlino; nel 1939 ''Dante'', edito a Parigi; nel 1942 ''Calvin'', edito a Parigi; nel 1933 ''Napoleone'', edito a Belgrado; ''Nirvana''. Le sue opere corsero di pari passo con la sua vita. La tristezza slava fu segnata da una aspirazione alla trascendenza.

La Terza Trilogia in cui, superati i momenti amari dei primi anni dell'esilio, la sua penna riprese ad essere lo strumento fervido della sua religiosità, della sua spiritualità inesausta - dei suoi tentativi di piegare gli uomini e gli avvenimenti per ricondurli più docili nel solco della sua visione profetica. Tale fu il suo limite, come sostenne Prampolini: ''l'ideologo ricorse al romanzo per illustrare il proprio pensiero, e la creazione artistica ne soffrì per i dominanti intendimenti sociali. I quadri sono arbitrari, perché preconcetti, l'arte del narratore soggiace alle intenzioni del teorico''. Merezhkovsky svolse l'attività di ''cercatore'' del divino sincero ed appassionato; a metà anni '20 era il più celebre degli scrittori russi del '900, mentre la cultura degli esuli russi antibolscevichi oppure nei Gulag, si era dispersa. Per Jean Chuzeville era divenuto disconosciuto. Merezhkovsky orientò l'attenzione di un settore di intellettuali russi verso il dominio della religiosità e dell'etica, contribuendo a riannodare le tradizioni letterarie russe abbandonate dopo la morte di Dostoevsky. La storia è considerata come titanomachia, e le personalità geniali al centro dei suoi romanzi sono in assoluto solipsismo.

Nell'agosto 1927, fondarono un circolo letterario chiamato ''Il lume verde'' con sue riunioni con giovani e vecchi scrittori russi ed un rispettabile numero di membri. Nel 1933 Merezhkovsky ricevette la nomina per il Premio Nobel per la letteratura grazie ai favori che riscontrò la sua trilogia ''Cristo e Anticristo''. ''Profeta'' ormai inascoltato, Merezhkovsky continuò a scrivere fino alla morte, limitandosi a divulgare, in maniera stanca e fumosa, le concezioni filosofiche e critiche elaborate nei decenni precedenti. Nella tarda età, Merezhkovsky stimò Benito Mussolini e Adolf Hitler, quali leaders capaci di sradicare il comunismo. Morì a Parigi il 09 dicembre 1941 a Parigi in Francia ovvero il 26 novembre 1941 del calendario Giuliano fu tumulato nel cimitero di Saint-Geneviève-des-Bois, lo stesso in cui fu inumata sua moglie, che morì il 09 settembre 1945 a Parigi. Nell'editoria italiana è stato dimenticato, infatti si reperiscono in librerie antiquarie solo ''Giuliano l'Apostata.

La morte degli Dei'', solo rare copie di ''Leonardo'' (La resurrezione degli Dei), introvabile il terzo volume della trilogia ''L'Anticristo'', (Pietro e Alessio). Altri scritti pubblicati in Italia negli anni '30 sui santi Agostino, Paolo e Francesco sono introvabili. L'editoria di estrema destra rivoluzionaria o radicale ha sempre trasmesso oralmente, mirando al nostalgico. Il militante nazionalrivoluzionario o nazionalpopolare rimaneva nel 1968 un sensitivo, senza una base dottrinaria, legata agli stati di animo ed influenzata dalla televisione e dai giochi senza ecologia, sociologia ed etologia, con una totale inadeguatezza. Il '68 con la sua sconfitta generazionale fece sì che, tale cultura per gli ostacoli finanziarii, fu ristretta ad un ambiente chiuso, che ha fatto ristagnare il mercato, frenando la programmazione editoriale a lungo termine. La cultura diversa e differente da quella marxista o anarcosettecentesco fece il resto. Merezhkovsky rappresenta la coscienza del progresso o avvicinamento dopo la contestazione giovanile del '68 per favorire il progressivo compimento di una organica formazione politico / culturale. Scrittore inattuale nell'Italia odierna, col suo misticismo fiammeggiante e il suo impegno sociale e politico antibolscevico. L'impegno traslato nella sua collaborazione alla rivista in lingua russa ''Sovremennyja Zapiski'' ( Annali Contemporanei ) negli anni d'esilio a Parigi. I suoi richiami amari e pressanti ai contemporanei, espressi nelle lettere aperte a Wells, Nansen e Hauptmann, assunsero valore profetico. Occorreva schiacciare il Regno della Belva che aveva la sua tana tra le mura dal Cremino: né la fede né le armi sarebbero serviti. Nel solco mistico ed esistenziale di Dostoevsky e Solov'ev. Lo sforzo intellettuale di rinnovamento lo fece assurgere a massimo esponente mistico corrente.


Antonio Rossiello  

 

15/04/2007

lundi, 09 novembre 2009

Promotie over Heidegger en Jünger

Promotie over Heidegger en Jünger  bereidt nieuw soort denken voor

Voorsprong na techniek

Thomas Blondeau / http://www.vincentblok.nl/


Afgelopen week promoveerden twee filosofen aan wat gekscherend wel eens de ‘Leidse Heideggerschool’ genoemd wordt.  Mare sprak met één van hen. Dr. Vincent Blok over zijn proefschrift dat in een confrontatie tussen schrijver Ernst Jünger en filosoof Martin Heidegger een omwenteling van de menselijke bestaanswijze voorbereidt.

martin-heidegger_1207721773.pngDe Duitse filosoof Martin Heidegger (1889 – 1976) zag zich vanaf het allereerste begin van zijn denken, geconfronteerd met de alomtegenwoordigheid van de techniek. Zijn inzet is geweest om een antwoord op het wezen ervan te formuleren.

De Duitse schrijver Ernst Jünger (1895 – 1998) formuleerde in zijn boek Der Arbeiter hoe het mensenslag van de arbeider in een technische wereld nihilisme kan overwinnen en de ontdekker kan zijn van nieuwe filosofische horizonten.

In zijn proefschrift Rondom de vloedlijn. Filosofie en kunst in het machinale tijdperk, een confrontatie tussen Heidegger en Jünger dat verleden week verdedigd werd, betoogt dr. Vincent Blok in navolging van Heidegger dat techniek alomtegenwoordig is en geen uitzondering toelaat. Ook protest tegen deze heerschappij is doortrokken van techniciteit. Wil de mens kunnen nadenken over techniek zonder ermee samen te vallen, dan moet worden gevraagd naar onze methode van spreken. Hier komt de filosofie van Heidegger en het dichten van Jünger om de hoek kijken. Hoewel het stellen van vragen in techniek gemarineerd is, toch een paar vragen aan Blok.

Wat heeft u bewogen tot het schrijven van dit proefschrift?

‘Vroeger begreep ik mijn eigen doen en laten in termen van het anti-imperialisme. Ik zat in de kraakbeweging en hielp mee met acties tegen de Zuid-Afrikaanse apartheid. Aan mijn anti-imperialistische houding lag de ervaring van de principiële “onwaarheid” van het imperialisme ten grondslag, en het ideaal van een alternatieve bestaanswijze die niet aan machtsuitoefening gebonden was. Als je op een gegeven moment bemerkt dat het imperialisme van bedrijven en staten een politiek-economische vertaling is van de struggle for existence als aard van het leven, dan is het anti-imperialisme geen reële optie meer. Ook het anti-imperialistisch verzet is dan doortrokken van de struggle for existence, dus van imperialisme. De ‘onwaarheid’ van het imperialisme kan dan alleen nog worden getoetst door de filosofische vraag naar het wezen van de macht. Zo ben ik tot mijn bezinning op het wezen van het imperialisme in het proefschrift gekomen.’

Martin Heidegger
Kun je de vraag van het proefschrift samenvatten in hoe men in het tijdperk van de techniek nog kan denken en dichten?

‘Als je vraagt naar het wezen van de macht, dan is niet duidelijk hoe je spreekt. Een uitspraak over het wezen van de macht die zelf van machtswellust doortrokken is, heeft haar onderwerp al in de rug. Ik kan dit misschien illustreren aan de hand van een voorbeeld.

‘Als ik zeg: “de huidige tijd is van een diepe slaap doortrokken”, dan heb ik twee mogelijkheden. Ofwel mijn uitspraak behoort tot de slaperige tijd, waarmee ze het risico loopt zelf slaperig en daarmee onwaar te zijn. Ofwel mijn uitspraak behoort niet tot de slaperige tijd, wat de uitspraak daarover ondermijnt. Klaarblijkelijk is de tijd niet zo slaperig, want deze uitspraak erover staat er buiten.

‘Hier ligt dan ook de grond om aan te sluiten bij het denken van Heidegger. Hij pretendeert een methode van denken te hebben gevonden die kan nadenken bij de techniek zonder ermee samen te vallen en zonder een alternatief of uitweg te zoeken. Het zijn de Leidse filosofen van Dijk en Oudemans geweest, die dit methodische karakter van het denken van Heidegger hebben opgenomen en tot zwaartepunt van het hedendaagse filosofisch nadenken hebben verklaard. Dat wordt dan wel eens gekscherend de Leidse Heideggerschool genoemd.’

Rondom de vloedlijn is de titel van het proefschrift. Waarom? Vanwege de ambiguïteit die het uitdrukt?

‘Het vervelende van een methodisch denken is dat het ook direct voor dit interview opgaat. Ik bemerk bij mijzelf de tendens om verhaaltjes op te hangen. Daar kan de filosofie natuurlijk niet in bestaan. Ik zal toch iets proberen te zeggen.

‘Uw vraag is welke ambiguïteit het woord ‘vloedlijn’ uitdrukt. Een antwoord op die vraag stelt die ambiguïteit voor, dat wil zeggen dat ze present wordt gesteld voor de lezer. Daarmee is de ambiguïteit zelf bij voorbaat al vernietigd en opgeheven. Wat is dat voor tendens in al onze vraag- en probleemstellingen, dat ze erop zijn aangelegd de zaken te verhelderen en beschikbaar te stellen? In die zucht tot presentie – en dat is wat techniek is - onttrekt zich de ambiguïteit, zo zou je kunnen zeggen.

‘Precies die verhouding tussen presentie en onttrekking speelt bij een vloedlijn. Een vloedlijn markeert niet de hoogste lijn van het water op het strand. In de vloedlijn onttrekt de vloed zich door achterlating van een lijn van schelpen en strandresten. Aan de vloedlijn kun je het afscheid van de vloed bemerken, zonder dat je daarover uitspraken kunt doen. Vandaar dat je alleen kunt verkeren in de nabijheid, rondom de vloedlijn. Daarmee is de aard van het methodische denken bij de techniek aangeduid.’

In uw proefschrift noemt u het werk van Jünger ‘dichten’? Zijn werk bestaat toch niet uit gedichten?

‘Jünger noemt zijn eigen manier van spreken Dichtung in zijn hoofdwerk Der Arbeiter. Ik benadruk dit omdat in zijn spreken een ambiguïteit schuilgaat. Heidegger zegt dat Jünger van voor tot achter schatplichtig is aan de metafysica van de wil tot macht bij Nietzsche.

‘Hoewel hij gelijk heeft in zijn plaatsbepaling van Jünger, ziet hij daarmee de andere zijde van Der Arbeiter over het hoofd, namelijk het dichterlijke van de gestalte van de arbeider. Waarom zou dit dichten niet thuishoren in het voor- en daarmee presentstellen?

j%C3%BCnger+heidegger.JPG‘Jünger zegt bijvoorbeeld dat de gestalte van de arbeider zoals die in het boek naar voren komt, niet is en ook niet van deze wereld is. Daarmee wordt duidelijk dat Jünger in Der Arbeiter de gestalte niet voorstelt. Hoe spreekt Jünger dan wel? Op een gegeven moment zegt Jünger dat “de heerschappij van de gestalte in wezen al is gerealiseerd maar nog uit haar anonimiteit te voorschijn moet worden gehaald”.

‘Daarmee wordt duidelijk waar het in Der Arbeiter om draait, namelijk het dichten als naamgeving. Dat is een mogelijke weg van de kunst in ons technisch tijdperk.’

U zegt dat het dichten en denken van Jünger en Heidegger in het teken van een overgang van de menselijke bestaanswijze bestaat. Waarin bestaat die overgang? En zag Heidegger die niet op een gegeven moment in het nationaal-socialisme?

‘Heidegger zegt dat wij de vanzelfsprekende bepaling van de mens als het denkende subject moeten verlaten, willen wij oog krijgen voor ‘onze verhouding tot het wedervarende’, de betrekking die altijd al bij voorbaat onze omgang met de dingen structureert. Voor het subject is elke bepaling subjectief of objectief, terwijl hij geen oog heeft voor de subject-objectverhouding die zijn bestaanswijze bij voorbaat altijd al heeft getekend.

‘Deze omwenteling van de menselijke bestaanswijze is niet zondermeer door te voeren. Ze is niet een beslissing van de mens als het denkende subject, maar vergt volgens Heidegger een ‘Anspruch’ (=appel, TB) die door het denken alleen kan worden voorbereid.’

In de jaren dertig dacht hij dat het moment van de omwenteling aangebroken was. Nadat hij rond 1938 inzag dat de nationaal-socialistische revolutie van Hitler niets te maken had met de door hemzelf beoogde omwenteling, verschoof hij haar naar een übernächste Generation. In dat opzicht is ook mijn eigen denken in het proefschrift voorbereidend van aard.’

Gaat u ervan uit dat in deze ‘tijd van onbehagen’ een absoluut nihilisme heerst? Probeert u op deze toestand een antwoord te formuleren?

‘U wijst met deze zinsnede op de titel van het boek van Ad Verbrugge. Wat hij cultuurverlies noemt en de heerschappij van het consumentisme, wijst op de ervaring van het nihilisme als onze ‘Normalzustand’. Ik deel zijn intuïtie van de ‘onwaarheid’ van de mens als consument van harte. Voor mij is evenwel de vraag waar in de wereld je bevestiging voor deze intuïtie kunt vinden. Ik ervaar geen tijd van onbehagen, want het nihilisme reikt zo ver dat het de cultuurkritiek evoceert en ook de oplossing voor elk onbehagen aanreikt. Voor mij speelt hier primair het methodische vraagstuk hoe ik kan nadenken bij het nihilisme.

‘Ik mag dat misschien illustreren aan de hand van het boek van Verbrugge. Hij wijst op onze wereld van de consumentistische behoeftebevrediging en zegt tezelfdertijd dat ‘in de mens de behoefte leeft aan een ‘zin’ die groter is dan hijzelf. Mijn vraag is dan of deze behoefte aan zin nu weer onderdeel uitmaakt van de behoeftebevrediging? ‘Is die gemeenschapszin als gedeelde dimensie er, of is het een bevredigde consumentistische behoefte? Volgens mij zou het verschil tussen zijn authentieke vraagstelling en de consumentistische behoeftebevrediging daarin moeten bestaan, dat hij uitziet naar een zin die als zodanig verre is, om zo de nabijheid ervan te ontberen. ‘Dit ontberen kent de consumentistische behoeftebevrediging niet. Die blijft nimmer onbevredigd achter en slokt alles op in een alomtegenwoordige beschikbaarheid.

Ik hoop dat hiermee duidelijk wordt waar voor mij het zwaartepunt ligt. Het is jammer dat die titel op de achterflap van mijn boek is gekomen, want ik wil mijn eigen denken helemaal niet in oppositie met Verbrugge gedefinieerd zien.’

Dit boek is een must voor kunstenaars, filosofen en anderen die vragen wat de mens vermag in ons machinale tijdperk.’ Dat staat te lezen in de perstekst die uw promotie begeleidt. Waarom is het boek een must?

‘Ik verwees net naar het nihilisme als onze ‘Normalzustand’. Ik geloof niet dat de vraag daarnaar minder speelt in de kunsten dan in de filosofie. Mijn boek onderscheidt zich doordat het geen alternatieven zoekt maar een nuchtere confrontatie zoekt met de techniek. Het laat zien wat filosofie en kunst vermag in ons technisch tijdperk en schetst daartoe een weg van het denken en een weg van de kunst en confronteert die met elkaar.’

In uw nawoord schrijft u dat de Amerikaanse bombardementen op Irak en de Al-Qaida aanslagen secundair zijn ten opzichte van de vraag naar het filosofische principiële, de semantische grond ervan. Is het niet schizofreen om dat te moeten zeggen, terwijl u tegelijkertijd in uzelf de neiging bespeurt om zich af te vragen of dergelijke aanslagen niet het teken zijn van ‘een breuk tussen de Westerse beschaving en een nieuw barbarendom’?

‘Een schizofrenie duidt op een gespletenheid, waarbij de remedie gevonden wordt in de opheffing ervan. Daardoor ontstaat eenheid en helderheid. In de filosofie gaat het erom empirisch te blijven, dat wil zeggen dat ik bij die gespletenheid zelf blijf zonder hem op te willen heffen. Nu is de vraag of ik niet evengoed de gespletenheid ophef door de aanslagen van Al-Qaida tot een secundair verschijnsel te reduceren. Voor mij is volstrekt duidelijk dat de heftigheid van de aanslagen van 11 september slechts aangeven hoezeer de islamitische samenleving wordt bedreigd – uiteindelijk wil ook elke Afghaan een televisie en een koelkast. Maar afgezien van dit voorbeeld heeft u wel een punt. Het is de vraag of het filosofisch principiële noodzakelijkerwijze de reductie van de ‘zijnden’ tot secundaire verschijnselen impliceert. Ik herinner mij dat Heidegger ergens spreekt van een aanval op het wezen van de mens door de middelen van de techniek, dat wil zeggen technische instrumenten. Daar zouden we ons verder op moeten bezinnen.’

Van dit stuk verscheen een kortere versie in de papieren versie van Mare 29.

Vincent Blok
Rondom de vloedlijn, Uitgeverij Aspekt. € 22,95
Te bestellen via
www.vincentblok.nl
Promotie was 20 april

samedi, 07 novembre 2009

L.-F. Céline et Jacques Doriot

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L.-F. Céline et Jacques Doriot

Textes parus dans "Le Bulletin célinien", n°297, mai 2008

 

Durant l’Occupation, deux grands partis étaient en concurrence : le PPF de Jacques Doriot et le RNP de Marcel Déat.  Les collaborationnistes, eux, se partageaient tout naturellement en deux camps : ainsi, au sein de la rédaction de l’hebdomadaire Je suis partout, Lucien Rebatet était un partisan de Déat alors que Pierre-Antoine Cousteau, lui, soutenait Doriot. La parution d’une monographie consacrée au chef du PPF nous donne l’occasion de revenir sur les relations entre lui et Céline.

 

   Une chose est certaine : même s’il lui reconnaissait du talent, Céline estimait Marcel Déat suspect en raison de ses anciennes fréquentations maçonniques et de ses liens étroits avec le parlementarisme de la IIIe République.

Ainsi, dans sa correspondance à Lucien Combelle, Céline n’a que sarcasmes  pour le chef du Rassemblement National Populaire ¹. Avant-guerre, Céline ne réservait d’ailleurs pas un sort plus enviable à Doriot, le raillant comme tous ceux (La Rocque, Maurras,…) qu’il qualifiait ironiquement de « redresseurs nationaux » ou de « simples divertisseurs » : « Alors avec quoi il va l’abattre Hitler, Doriot ? (…) Il veut écraser Staline en même temps ? Brave petit gars ! Pourquoi pas ? D’une pierre deux coups !... (…) Nous sommes en pleine loufoquerie » ². Céline, chantre d’une alliance continentale censée prévenir une guerre fratricide, voyait naturellement d’un mauvais œil les menées qu’il estimait bellicistes.

 

   Mais, sous l’Occupation, son appréciation de Doriot évolue,  celui-ci ayant adopté le tournant radical que l’on sait après la rupture du pacte germano-soviétique. Le chef du PPF lui-même s’engage en septembre 1941 dans la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme qui vient de se créer. Dans un entretien que Céline accorde peu de temps après à l’hebdomadaire doriotiste L’Émancipation nationale, il déclare : « Doriot s’est comporté comme il a toujours fait. C’est un homme. Eh oui, il n’y a rien à dire. Il faut travailler, militer avec Doriot. (…) Chacun de notre côté, il faut accomplir ce que nous pourrons. Cette légion si calomniée, si critiquée, c’est la preuve de la vie. J’aurais aimé partir avec Doriot là-bas, mais je suis plutôt un  homme de mer, un Breton. Ça m’aurait plu d’aller sur un bateau, m’expliquer avec les Russes. » ³. Pour les besoins de sa défense, Céline démentira après-guerre avoir tenu ces propos. Mais, dans une lettre adressée au même moment à Karen Marie Jensen, il écrivait : « J’irai peut-être tout de même en Russie pour finir. Si les choses deviennent trop graves, il faudra bien que tout le monde participe – ce sera question de vie ou de mort – si cela est vivre ce que nous vivons ! 4 »

 

   Quelques mois plus tard, le dimanche 1er février 1942, a lieu au Vélodrome d’Hiver un meeting organisé par la LFV sous la présidence de Déat avec Doriot comme invité vedette.  Céline y assiste en compagnie de Lucette Destouches. Une photographie en atteste, légendée de la sorte dans L’Émancipation nationale : « Le grand écrivain Louis-Ferdinand Céline a assisté à la réunion du Vél’d’Hiv’. Le voici suivant avec attention l’exposé de Jacques Doriot,  “Ce  que j’ai vu  en  U.R.S.S.“ » 5 .

   Alors que Doriot a regagné le front de l’Est, Céline lui adresse une lettre qui sera publiée dans le mensuel de doctrine et de documentation du PPF, les Cahiers de l’émancipation nationale. Céline y préconise notamment l’instauration d’un parti unique, « L’Aryen Socialiste Français, avec Commissaires du Peuple, très délicats sur la doctrine, idoines et armés » 6. Un passage vilipendant l’Église ayant été caviardé, il critiquera vivement « Doriot, formel et devant témoins, [qui avait juré]  de  tout  imprimer » 7. On observera que, durant toute l’Occupation, aucune lettre de Céline n’est publié dans L’Œuvre, le quotidien de Marcel Déat.

 

   Après une permission, Doriot rejoint à nouveau le Front de l’Est en mars 1943. Occasion pour son journal Le Cri du peuple de solliciter, durant une quinzaine de jours, les réactions de personnalités, dont Céline qui, laconique,  aurait déclaré : « Je n’ai pas changé d’opinion depuis août  [en fait, septembre] 1941, lorsque Doriot est parti pour la première fois » 8.

 

   Comme on le sait, toutes les lettres que Céline adressa aux journaux de l’occupation n’ont pas été publiées. Un exemple fameux : la lettre sur la France du nord et du sud adressée de Bretagne à Je suis partout (juin 1942). Jugée impubliable par la rédaction, elle fut conservée par le secrétaire de rédaction, Henri Poulain, pour n’être exhumée qu’un demi-siècle plus tard 9.

Apparemment, une autre lettre – adressée en août 1943 à Jacques Doriot – aurait subi le même sort car elle mettait en cause des cadres du PPF. Elle n’était d’ailleurs peut-être pas destinée à la publication, celle-là, encore que Céline l’aurait remise personnellement à Doriot. Voici ce qu’en écrit Victor Barthélemy, secrétaire général du parti et familier des réunions dominicales à Montmartre  : « Un dimanche de septembre [1943], je profitai de l’occasion pour dire deux mots à Céline à propos d’une lettre qu’il avait adressée, ou plutôt portée lui-même à Doriot, après l’affaire Fossati [NDLR : cadre du PPF exclu pour avoir entamé, sans l’aval de Doriot, des négociations avec le RNP en vue de la création d’un parti unique]. Céline affirmait qu’il n’était pas étonnant que Fossati « fût un traître », car avec ce nom en i et son origine « maltaise » c’était couru d’avance… D’ailleurs  il était  urgent que Doriot se débarrasse de ces Méditerranéens douteux (toujours les noms en i ou en o) tels que Sabiani, Canobbio, etc., et aussi de ce Barthélemy, dont le patronyme commençant par « Bar » pouvait à bon droit laisser supposer des origines juives. (À l’époque, on prétendait volontiers que les préfixes Ben, Bar, Ber pouvaient constituer présomption d’origines juives.) Cette lettre, Doriot me l’avait fait lire, en riant à gorge déployée : “Ce Ferdinand, il est impayable !”, avait lancé Doriot. J’en étais, pour ma part, un peu irrité, et bien décidé à dire à Ferdinand ce que j’en pensais. Il prit lui aussi la chose en riant et l’affaire fut « noyée » comme il convenait » 10. Maurice-Ivan Sicard, autre cadre du PPF, écrira, de son côté, que « les lettres que [leur] envoyait Céline étaient délirantes, difficilement publiables » 11.

 

   Plus tard, lorsque les jeux seront faits, Céline daubera sur le jusqu’au-boutisme des ultras et fera, dans D’un  château l’autre, un portrait sans complaisance des rescapés de la collaboration échoués dans le Bade-Wurtemberg. Quand on lui reprochera d’avoir fréquenté Doriot  à  plusieurs reprises, il écrira : « Il n’était point bête et mon métier de médecin et de romancier est de connaître tout  le monde » 12.  Manière de dire que seule sa curiosité était coupable…

Marc LAUDELOUT

Notes

1. « 43 lettres à Lucien Combelle (1938-1959) » in L’Année Céline 1995, Du Lérot-Imec Éditions, 1996, pp. 68-156. Relevons que ce sentiment n’était pas réciproque :

 « Céline, cette source vivante du verbe, qui,  après des livres prophétiques et macabres, rabelaisiens et pessimistes, avait publié Les Beaux draps, ceux-là mêmes que les bien-pensants vichyssois n’auraient pas voulu qu’on lave à la fontaine, et que, justement, il fallait blanchir avant de refaire le lit de la France » (Marcel Déat, Mémoires politiques, Denoël, 1989, p. 774).  Voir aussi cette relation d’un dîner chez le docteur Auguste Bécart, ami doriotiste de Céline : «  On arrive ainsi à 8 h moins le quart. Lecourt et le Dr Bécart viennent nous prendre. Nous dînons chez celui-ci avec Céline, etc. Très intéressant. Pluie de vérités truculentes sur tout le monde. Attaques raciales contre Laval “nègre et juif”, etc. Au demeurant très sympathique. » (« Journal de guerre de Marcel Déat », note du 23 décembre 1942, Archives nationales. Extrait cité par Philippe Alméras in Les idées de Céline, Berg International, coll. « Pensée Politique et Sciences Sociales », 1992, p. 172.)

2. L’École des cadavres, Denoël, 1938, p. 257. Doriot est également évoqué pages 84 et 174. Voir aussi Bagatelles pour un massacre, Denoël, 1937, p. 310.

3. Lettre inédite à Karen Marie Jensen, 8 décembre [1941], citée par François Gibault in Céline. Délires et persécutions (1932-1944), Mercure de France, 1985, p. 288.

4. Ivan-M. Sicard, « Entretien avec Céline. Ce que l’auteur du Voyage au bout de la nuit “pense de tout ça...” », L’Émancipation nationale, 21 novembre 1943. Repris dans Cahiers Céline 7 (« Céline et l’actualité, 1933-1961 »), Gallimard, 1986, pp. 128-136.

5. Albert Laurence, « Le Meeting », L’Émancipation nationale, 7 février 1942.

6. « Lettre à Jacques Doriot », Cahiers de l’Émancipation nationale, mars 1942, repris dans Cahiers Céline 7, op. cit., pp. 155-161.

7. Lettre à Lucien Combelle, 17 mars [1942] in L’Année Céline 1995, op. cit., p. 117.

8. « Le Départ de Doriot, Céline a dit... », Le Cri du peuple de Paris, 31 mars 1943,  repris dans Cahiers Céline 7, op. cit., p. 185.

9. Louis-Ferdinand Céline, Lettres des années noires, Berg International, coll. « Faits et Représentations », 1994, pp. 29-35.

10. Victor Barthélemy, Du communisme au fascisme. L’histoire d’un engagement politique, Albin Michel, 1978, pp. 365-366.

11. Saint-Paulien, Histoire de la collaboration, L’Esprit nouveau, 1964, p. 257.

12. Lettre à Thorvald Mikkelsen, 2 juillet 1946 in Louis-Ferdinand Céline, Lettres de prison à Lucette Destouches et à Maître Mikkelsen, Gallimard, 1998, p. 257.

 

 

 

Jacques Doriot

DoriotLaFrance.jpgFormé dans les écoles du Komintern à Moscou, député communiste à 25 ans, maire de Saint-Denis à 32, Jacques Doriot fut au sein du PCF le grand rival de Maurice Thorez. Pour avoir refusé de se plier aux exigences de Staline et prôné trop tôt un rapprochement avec les socialistes, il est exclu du Parti en 1934.

Deux ans plus tard, il fonde le Parti populaire français (PPF), qui n’est pas encore un parti fasciste au sens strict du terme, mais qui le deviendra pendant l’Occupation. Rallié prudemment à la Collaboration tant qu’a subsisté l’hypothèque du pacte germano-soviétique, Doriot ne brûlera vraiment ses vaisseaux qu’en juin 1941, lorsque les divisions allemandes se lanceront à l’assaut de l’URSS. Il réclame alors la création d’une Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) et, de tous les dirigeants des grands partis collaborationnistes, il sera le seul à combattre sur le front de l’Est, à plusieurs reprises.

Alors que les Allemands se méfient de lui, il affiche désormais sa volonté de faire du PPF « un parti fasciste et totalitaire » (novembre 1942) et finit par trouver auprès des SS le soutien que lui a refusé Otto Abetz sur instruction d’Hitler. Il trouvera la mort en Allemagne, le 22 février 1945, mitraillé sans doute au hasard par des avions alliés.

Ainsi disparaissait l’une des figures les plus énigmatiques de l’histoire politique française du XXe siècle. Le livre de Jean-Claude Valla retrace le destin singulier d’un personnage dont Pierre Pucheu, qui ne l’aimait guère, a pu écrire : « À vrai dire, je n’ai pas connu dans notre génération d’homme ayant reçu à tel point du ciel des qualités d’homme d’État. »

 

Jean-Claude Valla, Doriot,  Éd. Pardès, coll. « Qui suis-je ? », 2008, 128 pages, ill. (12 €).

vendredi, 06 novembre 2009

"Ernst Jünger " de Dominique Venner

Le livre que Dominique Venner vient de publier aux Editions du Rocher (ici) sur Ernst Jünger fera date. Cet essai du Directeur de La Nouvelle Revue d’Histoire sur le monumental écrivain allemand n’est ni une biographie, ni une étude littéraire proprement dites.


Dans cet essai Dominique Venner tente d’expliquer comment un des penseurs de la droite radicale de l’après Grande Guerre, auteur de La guerre notre mère est devenu un adversaire du nazisme qu’il avait, avant son avènement, espéré voir donner à l’Allemagne vaincue une renaissance attendue et à quel point sa pensée peut être intemporelle


L’auteur est bien placé pour comprendre l’émetteur d’idées allemand, sensible comme un sismographe aux évolutions du temps. Car comme lui il a connu l’épreuve du feu. Jünger sous les orages d’acier de la Grande Guerre, Venner en tant que soldat perdu de la guerre d’Algérie.


Ceux de ma génération qui n’ont pas connu de guerres du tout ont du mal à comprendre réellement, profondément, que les guerres puissent féconder ainsi les vies intérieures des hommes, être de véritables expériences fondatrices, avec des résultats bien différents d’ailleurs selon les tempéraments :  


Si l’on compare deux témoignages de guerre parmi les plus marquants, écrits par deux auteurs souvent rapprochés, on découvre que La Comédie de Charleroi, de Pierre Drieu la Rochelle, malgré la victoire française de 1918, ressemble fort à un livre de vaincu, alors que Le Boqueteau 125, écrit [par Jünger] après la défaite allemande de 1918, semble plutôt un livre de vainqueur.


Ce qui fait d’Ernst Jünger un soldat et un écrivain hors normes c’est qu’il [vise] plus haut que le but qu’il s’est assigné et qu’il a une constante « tenue » au moral et au physique. Un tel homme, qui est un écrivain né, ne peut pas être un doctrinaire et ne l’est d’ailleurs pas. C’est un écrivain qui a des idées, mais :


Ces idées sont soumises à variation sans souci de cohérence idéologique.


En réalité :


Jünger vivait pour l’idée et non par l’idée. L’idée était sa raison de vivre, mais elle ne lui rapportait rien sinon des tracas. Jünger était un penseur idéaliste et profond. Il ne fut jamais un politicien pratique, tout en s’adonnant au romantisme politique plus qu’il n’en a convenu.


Si les œuvres de jeunesse semblent contredire celles de la maturité qui commencent avec Sur les falaises de marbre, Jünger considère ses œuvres comme des périodes et non pas comme des contradictions. Pour lui il y a continuité dans ses œuvres de jeunesse et de maturité comme le Nouveau Testament prolonge l’Ancien :


Seule la conjugaison [des parties de mon œuvre] déploie la dimension au sein de laquelle je souhaite qu’on me comprenne.


Jünger en dépit de son nationalisme originel ne pouvait que s’opposer à Hitler. Dominique Venner en fin d’ouvrage résume les idées qui ont nourri cette opposition :


Son refus de l’antisémitisme et du darwinisme racial, son opposition à la russophobie, lui-même souhaitant l’alliance de l’Allemagne et de la Russie, même bolchevique.


Et souligne :


[Sa] répugnance toujours plus grande […] à l’égard des dirigeants d’un parti brutal, indignes d’incarner la nouvelle Allemagne.


Il y a plus :


[Jünger] a pris […] la mesure de ses vraies aptitudes, finissant par détester en Hitler ce qu’il n’était pas. Il avait commis l’erreur fréquente des idéalistes perdus en politique. Il n’avait pas compris à temps que celle-ci appartient au monde de Machiavel et non à celui de Corneille.


Une fois comprise cette opposition l’œuvre de Jünger s’éclaire d’un tout autre jour, surtout quand on sait que :


Dans toute son œuvre, Jünger montre qu’il ne pense pas de façon historique, mais à travers des mythes intemporels.


Jünger, dans Le Nœud gordien, paru initialement en 1953, explique que l’essence de l’antinomie dans chaque débat entre l’Est et l’Ouest se trouve dans la notion de liberté qui a deux significations majeures pour l’Occidental : liberté spirituelle d’abord et :


Liberté politique ensuite, refus de l’arbitraire, dont Jünger perçoit tout à la fois les limites et la nécessité.


En héritier de cette conception de la liberté typiquement occidentale Venner est convaincu :


Que l’Europe, en tant que communauté millénaire de peuples, de culture et de civilisation, n’est pas morte, bien qu’elle ait semblé se suicider. Blessée au cœur entre 1914 et 1945 par les dévastations d’une nouvelle guerre de Trente Ans, puis par sa soumission aux utopies et systèmes des vainqueurs, elle est entrée en dormition.


Cette intime conviction repose sur ce que l’étude historique lui a appris, mais aussi sur l’exemple insigne donné par l’attitude et la pensée d’un Ernst Jünger.


Pour ma part je reconnais qu’il y a en moi de l’anarque, figure tardive de l’univers jüngerien, qui m’est contemporaine et est décrite dans Eumeswil, roman publié en 1977 par Jünger à l’âge de 82 ans :


Sa mesure lui suffit ; la liberté n’est pas son but ; elle est sa propriété.


Francis Richard


Pour l'internaute intéressé, Dominique Venner a depuis peu un blog : (ici).

jeudi, 05 novembre 2009

Paganisme et nature chez Hermann Löns

loensp1.jpgPaganisme et nature chez Hermann Löns

 

Recension: Martin ANGER, Hermann Löns. Schicksal und Werk aus heutiger Sicht, G.J.Holtzmeyer Verlag, Braunschweig, 1986, 190 p., 32 ill., ISBN 3-923722-20-6.

- Thomas DUPKE, Mythos Löns. Heimat, Volk und Natur im Werk von Hermann Löns, DUV/Deutscher Universitäts-Verlag, Wiesbaden, 1993, 381 p., DM 64,

ISBN 3-8244-4140-3.

- Thomas DUPKE, Hermann Löns. Mythos und Wirklichkeit, Claasen, Hildesheim, 1994, 224 p., 20 ill., DM 38, ISBN 3-546-00086-2.

 

Dans sa thèse de doctorat sur Löns, Dupke récapitule toutes les thématiques qui font de Löns un précurseur des mouvements naturalistes allemands (Wandervögel, écologistes, adeptes de l'amour libre). La thématique de l'amour libre procède d'une volonté de sensualiser la vie, d'échapper à la rationalité bureaucratique et industrielle. Amour libre et sentiment de la nature vont de paire et s'opposent à la Ville, réceptacle de toutes les laideurs. Löns fuit dans un espace sans société, où les règles de l'urbanité n'ont pas de place.

 

Le rapport paganisme/christianisme transparaît clairement: les paysans de la Lande de Lünebourg sont certes devenus de “bons chrétiens”, mais en surface seulement; dans leur intériorité, ils sont restés les mêmes, “ils secouent les liens que leur avait imposés la religion des chrétiens”. Mais, chez Löns, qui n'est pas à proprement parler un auteur néo-païen Dieu n'est pas remis en question, mais, face aux marodeurs qui écument la région, il devient, pour les paysans armés (les Wehrwölfe) un Dieu de la vengeance, comme dans l'Ancien Testament, mais aussi comme dans l'idéal païen-germanique de la Feme. Löns expose un conglomérat païen et vétéro-testamentaire, où il n'y a aucune séparation nette entre les deux héritages.

 

Pour Löns, le paysan de la Lande est un être éternel, sans histoire, inamovible face aux changements: il est l'Urtyp (le type originel) de l'“être du Volk”. Le paysan selon Löns est l'idéal d'un homme de communauté qui sélectionne sans état d'âme les plus forts, pour que survive sa communauté, matrice du peuple. L'idée dérive du projet eugéniste d'Otto Ammon, cherchant à préserver et à valoriser les classes rurales dans l'Allemagne en voie d'industrialisation et d'urbanisation. Cet idéal dérive également, constate Dupke, d'une triple lecture de Nietzsche, Lagarde et Langbehn. De Nietzsche, Löns a retenu les tirades contre les “Philistins”, imbus de leur “culture”. De Lagarde, l'idée d'une renaissance germanique, d'un retour aux valeurs originelles de la Germanie et des rites païens, capables de fortifier un christianisme régénéré et germanisé (Lagarde n'est pas païen!). De Langbehn, l'idée du paysan comme “meilleur Allemand”, par sa simplicité, sa frugalité et sa forte capacité d'intuition.

 

Le contexte dans lequel évolue Löns, qui est celui de toute la contestation allemande de 1890 à 1914, débouche sur deux perspectives pratiques: l'Heimatkunstbewegung (= le mouvement de l'art du terroir) et sur la fondation de “parcs naturels”. Le 30 mars 1898, le parlement prussien vote une mention préconisant la création de réserves naturelles sur le modèle de la loi américaine de 1872 (pour le “Yellowstone Park”). Löns a soutenu cette initiative, avec le botaniste Hugo Conwentz, mais était sceptique; les parcs ne deviendront-ils pas zones récréatives pour citadins, les dimanches ensoleillés? Pour Löns, la protection de la nature et du patrimoine rural ne devait pas se limiter à ces parcs, mais être généralisée à tout le pays, en tous domaines (Robert Steuckers).

mercredi, 04 novembre 2009

Trece poetas argentinos y un homenaje a Ezra Pound

Trece poetas argentinos y un homenaje a Ezra Pound

“ARGENTARIUM”, UNA ANTOLOGIA BILINGÜE DE LOS POEMAS CORTOS DEL ESCRITOR

En 1885, en una cabaña de Idaho, en la norteamerica profunda, nacía un bebé de nombre Ezra y de apellido Pound. A poco de crecer, Ezra fue expulsado por conductas indecorosas como ayudante universitario, emigró a Europa y desde allí fue el padre maldito de la poesía norteamericana contemporánea, promotor e influjo de las vanguardias literarias en el mundo. Hoy el sello Ediciones en Danza le rinde tributo con “Argentarium”.

El título corresponde a un libro bilingüe que, bajo la mirada atenta del poeta Jorge Aulicino, reúne las traducciones que 13 poetas argentinos de distintas generaciones hicieron sobre la obra de Pound a lo largo del último siglo. Desde la versión que en 1946 Rodolfo Wilcock publicó sobre La Primavera, hasta los recientes trabajos de Ezequiel Zaidenwerg. Los créditos de las traducciones no están debajo de cada uno de los 47 poemas incluidos, sino al terminar el libro. El fin buscado es el de exaltar la obra poética y poner en segundo plano la intervención de los traductores.

Esta decisión produce un segundo efecto, curioso. Porque si, efectivamente, una voz homogénea parece recorrer los textos, hay una segunda voz que, si bien prudente, por momentos emerge del Pound universal: es la voz de un Pound rioplatense.


A pesar de su presencia intermitente, el uso del voceo, la incorporación de términos coloquiales o locales como “chicos” en vez de “niños”, y hasta la decisión que Aulicino toma al elegir -con todo lo que connota en estas tierras- la palabra “asado” para referirse a la carne asada al horno en el poema Versos gnómicos, son rasgos que diferencian a “Argentarium” de cualquier otra antología del poeta en lengua castellana. Decisiones que, cuando se toman, armonizan con la idea que el propio Pound tenía de la traducción: traducir lenguas, épocas, situaciones culturales, generar textos autónomos respecto de los originales e, incluso, a veces, rubricarlos con la firma del traductor.

Cuenta Javier Cófreces, poeta y director de Ediciones en Danza, que hacía más de 20 años que no se publicaban libros con traducciones argentinas de Pound. La decisión de “Argentarium” es, en cierto modo, una toma de posición en el campo intelectual.

Pound es un padre incómodo para la literatura norteamericana y para la poesía contemporánea en general. “Está claro que su genio y figura resultan más conocidos por los escándalos políticos, que por la lectura profunda y minuciosa de su obra” opina Cófreces.

“Argentarium” comienza con las traducciones que ya habían sido publicadas. Son los trabajos de Alfredo Weiss, Rodolfo Wilcock, Carlos Viola Soto, Marcelo Covian, E.L. Revol, Jorge Perednik y Gerardo Gambolini.

A continuación aparecen las traducciones inéditas hasta el momento. Son las de Jorge Aulicino, Jorge Fondebrider, Javier Cófreces-Matías Mercuri, Jonio González, Ezequiel Zaidenwerg y Silvia Camerotto.

En uno y otro caso, la mitad de los poemas elegidos por traductores y poetas, corresponden a “Lustra”, un libro en que Pound experimenta cabalmente con la utilización del verso libre. Una práctica que marcó a fuego los últimos cien años de poesía.

Gabriel Reches

Extraído de Clarín.

~ por LaBanderaNegra en Octubre 22, 2009.

lundi, 02 novembre 2009

Statthalter des Geheime Deutschlands

StefanGeorge.jpgJanuar 2004

 

Statthalter des Geheimen Deutschlands

Mit Stefan George verschied vor 70 Jahren eine elitäre Jahrhundertpersönlichkeit der deutschen Dichtung

 

In der Person Stefan Georges (1868-1933) erwuchs zuerst dem literarischen Naturalismus, der sich dem Häßlichen und Gewöhnlichen zuwandte, und dann der modernen Massendemokratie ein Kritiker von unerbittlicher Strenge. Georges Kontrastprogramm zielte in gemeißelter Sprache auf eine Vergöttlichung der Kunst und die Überwindung des liberalkapitalistischen Dekadenzsystems durch die Vision eines Geistesadels und eines mythenumrankten neuen Reiches. Bis heute hat der George-Kreis und dessen Kraftquell des Geheimen Deutschlands nichts von seiner Faszinationskraft eingebüßt.

Als Ausdruck der europäischen Zeitkrise hatte sich im letzten Drittel des 19. Jahrhunderts der Naturalismus zu einer machtvollen Kunstströmung entwickelt. Mit der drastischen Wiedergabe des Lebens und seiner Spannungen und Schattenseiten verbanden viele Naturalisten eine Anklage der Verhältnisse im Zeitalter der Hochindustrialisierung. Aus dem Widerwillen gegen die Elendsschilderungen des Naturalismus mit ihrer gewollt glanzlosen und alltagsnahen Sprache erwuchs die Gegenbewegung der Symbolisten und Neuromantiker. Ein neues Kunstwollen in Sprache und Motivik sollte die Alltagsniedrigkeit hinter sich lassen und in einer symbolhaltigen Sakralsprache die Ehre der Kunst und der Kultur wiederherstellen.

 

Anreger Nietzsche

 

Bedeutender Anreger der Symbolisten und Neuromantiker war kein Geringerer als Friedrich Nietzsche (1844-1900). Mit seinem Hauptwerk »Also sprach Zarathustra« (1883/84) schlug der Künder des Übermenschen seine Zeitgenossen in den Bann. Auch der junge Stefan George ließ sich von der religiös-erhabenen, kunstvoll durchformten Dichtersprache gefangennehmen. Über das Ästhetische hinaus faszinierten der seherische Gestus und die Ankündigung einer Zeitenwende, in der ein neuer Adel über die »letzten Menschen« triumphieren und den Nihilismus zu Grabe tragen werde. Als Nietzscheaner griff George zum Federkiel und sollte als weihevoller Sprach- und Ideenschöpfer selber einmal einen stattlichen Kreis von Jüngern um sich sammeln.

In Büdesheim bei Bingen wurde George am 12. Juli 1868 geboren. Mit 18 Jahren begann der Sohn eines Weinbauern mit dem Dichten, das sich noch weitgehend im Kosmos jugendlicher Gefühle bewegte; auffällig ist allenfalls die häufige Beschwörung von Dunkelheit und Vergänglichkeit. Gesichtsausdruck und Gebaren hatten bereits in den jungen Jahren etwas Melancholisches, Kühles und Erstarrtes, zu dem dann mit zunehmendem Alter das Abweisende und Imperatorische hinzutrat.

In betonter Abschottung vom verachteten Gesellschaftstreiben setzte George seine Dichtung ins Werk. Der deutschen Sprache sollte Würde, Glanz und Zucht wiedergegeben werden. Die Zeilen prunken mit einer feierlichen, mythischen und dräuenden Stimmung. Streng geformte Verse, bisweilen schimmernd wie schwarze Perlen, wurden durch eine eigene Rechtschreibung und Zeichensetzung mit der Aura des Exklusiven versehen.

Der Rheinhesse verachtete den Markt und dessen Reklamehaftigkeit und Nutzendenken; seine hochgezüchtete Lyrik, die bisweilen übertrieben und gekünstelt wirkt, sollte deshalb auch einem schnellen Kunstkonsum und billiger Marktgängigkeit entgegenwirken. Ganz Symbolist, Sinnbilder (Symbole) zur Errichtung einer autonomen Welt der Schönheit und Reinheit zu verwenden, baute er am Tempel einer zweckfreien Kunst. Für sich selbst sah er die Aufgabe als Tempelwächter, ja als Tempelherr. Später, nach seiner Hinwendung zu einem neuen Reich als Dach einer veredelten deutschen Gemeinschaft, umschrieb er seinen Sendungsauftrag mit den Worten: »Ich bin gesandt mit Fackeln und mit Stahl, daß ich euch härte.«

Nach dem Abschluß der Schule 1888 bereiste George als unruhiger Schönheitssucher Europa, erlernte Sprachen und unternahm weitere Bildungsanstrengungen. Mit den »Hymnen«, den »Pilgerfahrten« und dem Ludwig II. geweihten »Algabal« erschienen die ersten Gedichtbände. Als Forum für einzelne Dichtungen dienten die »Blätter für die Kunst«. In der zweiten Hälfte der neunziger Jahre hatte sich der Dichter bereits größere Anerkennung erworben und einen Kreis von Freunden und Bewunderern um sich versammelt.

Mit der Zeit entwickelte sich aus dem losen Gesinnungskreis um die »Blätter für die Kunst« der George-Kreis als strenge und hierarchische Gemeinschaft. George fungierte als unangefochtener dichterischer Meister, geistiger Ideenformer und sozialer Gesetzgeber. Noch heute widmen Literaturwissenschaftler, Historiker und Sozialpsychologen dem Faszinosum des George-Kreises Aufsätze und Bücher. Um den Meister als Zentralinstanz dieses »Staates« sammelten sich Jünger, von denen einige Spuren in der Geistesgeschichte hinterließen, so Max Kommerell, Friedrich Gundolf, Ernst Kantorowicz und Claus von Stauffenberg. Der Versuch Georges, den Symbolisten Hugo von Hofmannsthal und den Lebensphilosophen Ludwig Klages in sein Herrschaftsgebilde einzubinden, scheiterten, wie generell die eigentümlichen Sozialbeziehungen des Kreises höchst zerbrechlich waren. Hinzu kamen bizarre Blüten wie der Göttlichkeitskult, den George um den Knaben Max (»Maximin«) Kronberger veranstaltete, und skurrile Maskenfeste, die den Verdacht eines homoerotischen Männerbundes nährten.

 

Geheimes Deutschland

 

Tragende Idee des George-Kreises war das Geheime Deutschland, ein Mythos, der in der Herrlichkeit und geistigen Strahlkraft des staufischen Kaisertums Friedrich Barbarossas und Friedrichs II. seinen Wurzelgrund hat und von Hölderlin verschlüsselt in die Dichtung eingeführt wurde. Im November 1933 sprach der Georgianer Ernst Kantorowicz in einer Vorlesung vom Geheimen Deutschland als dem teutonischen Olymp, dem ewigen deutschen Geisterreich:

»Es ist die geheime Gemeinschaft der Dichter und Weisen, der Helden und Heiligen, der Opferer und Opfer, welche Deutschland hervorgebracht hat und die Deutschland sich dargebracht haben. (…) Es ist ein Seelenreich, in welchem immerdar die gleichen deutschesten Kaiser eigensten Ranges und eigenster Artung herrschen und thronen, unter deren Zepter sich zwar noch niemals die ganze Nation aus innerster Inbrunst gebeugt hat, deren Herrentum aber dennoch immerwährend und ewig ist und in tiefster Verborgenheit gegen das jeweilige Außen lebt und dadurch für das ewige Deutschland.«

Das Geheime Deutschland ist danach zugleich ein Reich von dieser und nicht von dieser Welt, ein Reich der Toten und Lebenden. Eine solch metaphysische Reichsidee wies eine natürliche Distanz zu den politischen Realitäten mit ihrem schnöden Tagesgeschäft auf. Den Kriegsausbruch 1914 wertete deshalb auch George als reinigendes Gewitter, das in eine morsche Zivilisation fahre und einem gehärteten Menschenschlag aus überlegenem Geist das Feld bereite. Im dritten Buch des »Stern des Bundes« von 1914 entwirft George das Bild eines Adels, der vom überlebten Blutadel strikt abgegrenzt wird: »Neuen adel den ihr suchet/ Führt nicht her von schild und krone!/ Aller stufen halter tragen/ Gleich den feilen blick der sinne/ Gleich den rohen blick der spähe…/ Stammlos wachsen im gewühle/ Seltne sprossen eigenen ranges/ Und ihr kennt die mitgeburten/ An der Augen wahrer Glut.«

George verstand sich als »Dichter in Zeiten der Wirren«, der von seinem Schwabinger Hochsitz den Weimarer Demokratismus voller Verachtung anprangerte und durch die Rangordnung eines führergeleiteten neuen Reiches ersetzt sehen wollte. Voll Gegenwartshaß und in raunendem Prophetenton erklingt diese Vision in dem bekannten Gedicht, das er dem Andenken des Grafen Bernhard Uxkull widmete.

Das Dritte Reich Adolf Hitlers erfüllte die hohen Erwartungen des elitären Dichters aber nicht und löste Distanzreaktionen aus. Zu seinem Geburtstag am 12. Juli 1933 gratulierte Joseph Goebbels dessen ungeachtet in einem Telegramm: »Dem Dichter und Seher, dem Meister des Wortes, dem guten Deutschen zum 65. Geburtstag ergebenste Grüße und Glückwünsche.« Kurz darauf fuhr George in die Schweiz, wo er seit Jahren die Wintermonate verbrachte und im Dezember 1933 verstarb.

Kurz darauf hielt der Expressionist Gottfried Benn eine Rede, in der er den verstorbenen Dichterherrscher als das »großartigste Durchkreuzungs- und Ausstrahlungsphänomen« der deutschen Geistesgeschichte feierte. Der Laudator, der seinen elitären Ordnungswillen von der Kunst auf die Politik übertragen hatte und so zum Faschisten geworden war, destillierte die beiden Begriffe heraus, die wie keine sonst das Wesen von Georges »imperativer Kunst« erfassen: »Form und Zucht«. Dem Geist der neuen Zeit entsprechend, die demokratische Formlosigkeit durch Form, libertäre Anarchie durch Ordnung ersetzte, würdigte Benn das Formgefühl Georges aus dem Geist des Griechentums und Friedrich Nietzsches: »Form, das ist für weite Kreise Dekadenz, Ermüdung, substantielles Nachlassen, Leerlauf, für George ist es Sieg, Herrschaft, Idealismus, Glaube. Für weite Kreise tritt die Form ,hinzu‘, ein gehaltvolles Kunstwerk und nun ,auch noch eine schöne Form‘; für George gilt: die Form ist Schöpfung; Prinzip, Voraussetzung, tiefstes Wesen der Schöpfung; Form schafft Schöpfung.«

 

Jürgen W. Gansel

Ernst Jünger est mort: entretien avec Heimo Schwilk

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

 

 

Ernst Jünger est mort

 

Entretien avec Heimo Schwilk

 

Heimo Schwilk, né en 1952 à Stuttgart, a étudié la philosophie, la philologie germanique et l'histoire à Tübingen. De 1986 à 1991, il a été rédacteur au Rheinischer Merkur. Depuis 1991, Schwilk dirige la rédaction de la rubrique “Berlin und neue Bundesländer” du Welt am Sonntag. Pour ses reportages sur la Guerre du Golfe, il a reçu le célèbre prix “Theodor Wolff” en 1991. En 1988, il a édité chez Klett-Cotta un remarquable album de photographies sur la vie d'Ernst Jünger.

 

Q.: Quel vide laissera derrière lui l'écrivain Ernst Jünger qui vient de mourir ce mardi 17 février 1998?

 

HS: Tout d'abord, ils vont enfin pousser un soupir de soulagement, tous ceux qui ont voulu contester à Jünger la modeste place qu'il occupait encore dans cette société désarticulée qu'est la RFA. Lui, Jünger, l'homme que l'on ne pouvait pas utiliser, l'homme qui s'était volontairement soustrait au “discours” dominant, l'homme qui se désintéressait de la politique, est définitivement parti, se lançant dans sa dernière grande aventure, celle de la mort. Jünger nous a enseigné que la vie était mystère, que l'homme était un être merveilleux dans un monde merveilleux. Ce fondement romantique de la pensée de Jünger a en quelque sorte ouvert une faille dans le mur, faille qui le séparait, dès son vivant, de tous ceux qui travaillaient, opiniâtres, à la profanation et à la banalisation de notre existence. Jünger ne nous laisse aucun vide, mais un océan d'instants accomplis, qui sont devenus poésie dans un monde qui n'est plus que bavard-communicatif.

 

Q.: Bon nombre d'individus pressaient encore Ernst Jünger dans ses dernières années à prendre la parole en tant qu'“écrivain politique”. Il a toujours refusé. Mais entre les lignes, dans des remarques en marges, ne s'est-il pas mêlé subtilement au tumulte du monde, à sa manière?

 

HS: Ernst Jünger, immédiatement après l'accession au pouvoir des nationaux-socialistes a exprimé dans de nombreuses lettres jusqu'ici impubliées son sentiment: les discours sur la politique qui sont teintés d'opinions et de convictions équivalent à une auto-mutilation pour l'homme amoureux de la musique. Jünger avait derrière lui cinq années d'immixtion polémique dans des revues ou des ouvrages collectifs. Après 1945, il s'en est tenu à son verdict sur la politique. Les défenseurs de la littérature engagée se sont dressés contre lui et Benn disait de ses tristes sires, avec mépris: “ils rampent comme des chiens devant les concepts de la politique”. De fait, Jünger n'avait que bien peu de choses à apporter à ce discours qui se disait “démocratique”. En revanche, il avait énormément de choses à dire sur ce que Heidegger nommait les “existentiaux”: la temporalité, la déréliction (Geworfenheit), la mort. Il estimait que pontifier de la philosophie à côté des urnes électorales n'était pas une activité fort productive.

 

Q.: Pourquoi Ernst Jünger est-il tant apprécié de nos voisins, en particulier les Français, alors que chez nous, en Allemagne, il est demeuré un écrivain “contesté”?

 

HS: Etre contesté n'est en soi nullement répréhensible, pour autant que l'affrontement ait vraiment lieu et qu'on ne perpétue pas à l'infini, comme en Allemagne, une procédure de tribunal d'épuration. Les Français apprécient en premier lieu, chez Jünger, le fait qu'il a tant aimé leur pays  —et cela c'est sympathique—  qu'il le connaît parfaitement et qu'il le regarde dans ce qu'il a de spécifique. Ils paient tribut à sa moralité, celle avec laquelle il a mené à bien sa mission fort délicate d'officier des troupes d'occupation et d'écrivain en poste à Paris entre 1940 et 1944, sans jamais nuire à son intégrité. Ils aiment la clarté de sa langue, la force qu'elle met à nous éclairer. Ils considèrent que cette langue de Jünger exprime ce que vivent les sens, tout en restant typiquement allemande. François Mitterand remarquait, dans sa laudatio  pour le centième anniversaire de l'écrivain, que Jünger était resté un “homme libre”. Cela voulait dire qu'il cultivait une pensée détachée de tout poncif, une pensée pour laquelle les applaudissements des masses n'avaient aucune signification.

 

Q.: Ernst Jünger a-t-il suivi l'actualité politique jusqu'à son dernier jour?

 

HS: Ernst Jünger lisait régulièrement la presse, y compris Junge Freiheit, mais il passait rapidement sur les rubriques politiques, comme il me l'a dit plusieurs fois. Il était bien au courant de la marche du monde et plus d'une remarque moqueuse dans ses journaux atteste qu'il observait avec attention le déclin de la politique politicienne à Bonn, surtout celle des “ grands partis populaires” dont les différences ne sont qu'apparences. Mais il s'intéressait surtout aux processus généraux d'uniformisation, que toute observation fine de notre époque révèle et que son Travailleur  a exposé. Ensuite, il attendait du XXIième siècle l'avènement d'une nouvelle spiritualité, dont les prémisses sont justement les processus de déblaiement que décrivent ses essais et journaux.

 

Q.: Quelle est la signification de l'œuvre d'Ernst Jünger pour l'avenir?

 

HS: Elle réside dans sa foi en l'Etre, dans sa “nouvelle théologie”, qui refuse de laisser le dernier mot à la destructivité et à la petitesse de l'homme moderne.

 

Q.: L'une des figures les plus importantes dans la pensée de Jünger est l'anarque. Que devons-nous en penser aujourd'hui?

 

HS: L'anarque est, au contraire de l'anarchiste, ne cultive pas d'idées politiques, n'est pas une personnalité qui cherche le changement radical. Le politique est pour lui une chose extérieure, une dérivation, un phénomène secondaire. L'anarque  —comme l'homme qui recourt aux forêts—  demeure souverain et dispose librement de soi. Il joue son propre rôle dans la société. Service et liberté ne sont pas des contraires chez lui; le sacrifice, mais aussi le suicide, appartiennent à son capital. Dans Le recours aux forêts,  Jünger a décrit cette attitude: «Celui qui recourt aux forêts possède un rapport originel avec la liberté, qui, vu sur le plan temporel, s'exprime par une résistance à tous les automatismes, ce qui implique qu'il n'ait pas à tirer la conséquence que dicte généralement l'éthique, c'est-à-dire adopter le fatalisme». L'anarque n'est pas un missionnaire, armé de ses connaissances, il vit comme l'unique et sa spécificité (Der Einzige und sein Eigentum), c'est-à-dire avec l'ensemble de ses expériences, mais il brille devant tous les autres, à titre d'exemple. Peut-on dire quelque chose de plus pertinent sur la personne d'Ernst Jünger?

(entretien paru dans  Junge Freiheit,  n°9/1998; propos recueillis par Dieter Stein).

samedi, 31 octobre 2009

Dominique de Roux et L.-F. Céline

derouxceline2.jpgDominique de Roux et L.-F. Céline

Textes parus dans "Le Bulletin célinien", n°286, mai 2007

 

 

Passionnante correspondance que  celle de  Dominique de Roux.  Les lettres du début des  années  soixante  intéresseront  particulièrement les lecteurs de ce Bulletin.  On y voit  un  jeune homme  de vingt-sept ans préparer activement un monument qui éblouira plusieurs générations de céliniens.  Comme l’écrit Jean-Luc Barré, l’éditeur de cette correspondance, « Dominique de Roux prend conscience de l’ostracisme qui pèse, depuis la fin de la guerre,  sur  une  génération de poètes et d’écrivains frappés d’interdit en raison de leurs prises de position politiques, nonobstant le génie de quelques-uns dont Céline. Cette prise de conscience sera à l’origine, en 1961, de la création des Cahiers de l’Herne, précisément conçus pour réhabiliter ou faire mieux connaître l’œuvre des “grands réprouvés” de la création contemporaine, française et étrangère. » 

 

   Quelques mois avant la mort de Céline, en mars 1961, Dominique de Roux songe à lui écrire afin de solliciter son témoignage sur Bernanos auquel sera consacré le deuxième « Cahier de l’Herne » (le premier fut centré sur René-Guy Cadou). Le 10 juillet, il écrit à Robert Vallery-Radot : « Je devais aller le voir pour notre Cahier Bernanos, saisir une interview sur votre ami. C’est à Bernanos mort qu’on a demandé un témoignage sur le Céline enterré. Le Figaro a ressorti un article qui traite du Voyage au bout de la nuit»

Comment ne pas rêver à cette rencontre Céline – de Roux ¹ et regretter que le premier n’ait pas pu prendre connaissance de cette somme à lui consacrée ?

   Pour ce cahier, il rencontre, au début de l’année suivante, Lucien Rebatet qui lui donnera un intéressant témoignage : « L’homme m’a reçu très gentiment, avec une gentillesse dont je ne doutais pas ; mais vous le connaissez, petit, nerveux, robuste, avec des muscles longs, des muscles sur les mains, une tête carrée, des yeux vifs, une voix grave, de la gorge, un peu capitaine de la marine en bois, s’exclamant, riant, s’enquérant tour à tour, violent parfois et avide de se renseigner. (…) Ce que je regrette le plus en cet homme courageux dont le premier abord m’a pris, c’est son esprit antisémite, toujours, et  une certaine méchanceté encore, qui fait des Décombres un livre insupportable malgré des pages magnifiques et un chapitre sur Maurras, Pujot, l’A. F. de la rue du Boccador qui est un portrait d’anthologie. » Et de conclure le portrait par cette formule tranchante comme un couperet : « Rebatet, c’est Robespierre ».

   En août, on le voit travaillant à ce numéro qui sortira de presse au début de l’année suivante : « J’émerge de plusieurs semaines de travail consacrés entièrement à Céline. Je n’ai pas levé les yeux de kilos de documents : revues, coupures de presse, etc.,  les classant, les relevant en une bibliographie précise. J’ai remonté de la nuit à l’aurore. Quel poète énorme, quel lyrisme ! Quelle pitié ! »

   derouxceline3.jpgEn octobre, il rencontre deux autres témoins importants : Marcel Brochard, qui lui fera des confidences (dont certaines absentes de son témoignage), et Évelyne Pollet qui vint le voir à Paris : « Céline disait : une ville pour moi est une femme. Étreintes rapides dans les hôtels du bord de l’Escaut, détails croustillants (il faisait vite et une fois lavé interdisait qu’on lui parle amour). Évelyne, cinquante-cinq ans, belle encore, haute stature flamande, blonde, yeux bleus, de beaux restes, pleure sur son amant. »

   Bien entendu, Dominique de Roux se rendit à plusieurs reprises à Meudon : « Cet après-midi, le jour tombant, je l’ai passé assis sur des nattes dans le bureau de Céline à Meudon, sa femme Lucette si fine, si aérienne, si gracieuse, parlant de Louis, de Saint-Malo… »

Portrait sensible qui ne sera pas payé de retour : Lucette le qualifia de « brillant avorton, visqueux à force d’être brillant », lui reconnaissant tout de même une « belle énergie littéraire » ² — et pour cause.

   Alors que ce premier cahier de l’Herne consacré à Céline est sorti de presse, il songe déjà à « un livre (…) qui ne serait pas une vie de Céline, mais comme Bernanos a écrit sa vie de Drumont. ». En juin 1965, il est aux prises avec cet ouvrage : « Cela m’épuise. L’écriture est comme l’amour fou, une obsession, un penchant morbide et l’effort m’éreinte. »

On regrette évidemment que, dans cette correspondance choisie, il n’y ait aucun écho de la réception critique tumultueuse de son livre La mort de L.-F. Céline et notamment de la polémique avec l’équipe de Tel Quel. Il faut surtout regretter que l’éditeur de cette correspondance n’ait pas pris contact avec Marc Hanrez, autre pionnier célinien, auquel Dominique de Roux adressa une centaine de lettres dont, on s’en doute, beaucoup concernent précisément Céline.

 

Marc LAUDELOUT

 

1. Elle eut lieu néanmoins (voir ci-contre).

2. Marc-Édouard Nabe, Lucette, Gallimard, 1995, pp. 66-67.

 

 

 

Chronologie de Roux / Céline

Janvier 1963.  Parution  du premier numéro des  Cahiers de l’Herne consacré à Céline. Grand succès. Dominique de Roux y annonce la création d’une « Société des Amis de Céline ». Le siège de la société est fixé à Meudon, route des Gardes. Cette association, dont l’un des buts était de réunir de la documentation sur Céline, eut une existence éphémère, d’autant qu’elle fut rapidement désavouée par Lucette Destouches. « J’ai trop fréquenté un moment les “amis” de Céline pour vous dire qu’une telle association était impossible, tant les querelles, mesquineries, jalousies éclatent et fusent sans cesse. Madame Destouches n’avait fait que jeter de l’huile sur ce feu tremblant. Alors à quoi bon ? Mieux vaut continuer de défendre sa mémoire et son œuvre en en parlant, en écrivant sur Céline et nous retrouver comme aujourd’hui amis, grâce à l’auteur du Voyage » (lettre de Dominique de Roux à Edmond Gaudin, 1968).

 

deroux.jpgMars 1962 : Dominique de Roux souhaite la réédition de Bagatelles pour un massacre. Refus en mai de Gallimard. « Je le trouve révulsé. Il me montre une lettre qui vient de lui arriver de la maison Gallimard, en réponse au vœu qu’il exprimait de savoir, avant Cahier, si seraient rééditées Bagatelles pour un massacre. Non, lui dit-on, en aucune façon il ne sera procédé à cette réédition, ni dans l’immédiat ni dans un futur volume de Céline en Pléiade. C’est définitif. Paulhan bien d’accord là-dessus lui aussi. Dominique de Roux râle, frappe la lettre de son coupe-papier, conchie  les lâchetés éditoriales ! »  (Christian Dedet,  Sacrée  jeunesse,  op.  cit., p. 385). Deux ans plus tard, le projet d’une « anthologie » des pamphlets de Céline, par les éditions de L’Herne, ne sera pas davantage couronné de succès.

 

Mars 1965. Second numéro spécial des Cahiers de l’Herne consacrés à Céline.

 

Hiver 1966 : Parution de La mort de L.-F. Céline aux éditions Christian Bourgois. Violente polémique  entre  Dominique de Roux et  la revue Tel quel,  dirigée par Philippe Sollers, suivie d’un non moins violent réquisitoire de Jean-Pierre Faye dans Le Nouvel Observateur. Le livre obtient le « Prix Combat » au début de l’année suivante.

 

Mars 1968 : Première réédition (partielle) des « Cahiers de l’Herne » sur Céline en format de poche (Éd. Pierre Belfond). La seconde paraîtra en 1987 (Le Livre de poche).

 

Avril 1969 : Participation de Dominique de Roux à l’émission « Bibliothèque de poche » de Michel Polac consacrée à Céline. Déprogrammée, cette émission sera finalement diffusée en deux parties, les 2 et 18 mai, sur la 2ème chaîne de la télévision française.

 

1972 : Réédition en un volume, sans l’iconographie mais avec la bibliographie mise à jour, des deux Cahiers de l’Herne.

 

Mars 1997 : La revue Exil (H) publie un numéro spécial « Dominique de Roux / Louis-Ferdinand Céline » sous la direction de Pascal Sigoda.

Hommage de Günter Rohrmoser à Ernst Jünger

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

 

 

Hommage de Günter Rohrmoser, philosophe et socio­logue conservateur

 

Mon rapport à Ernst Jünger a plutôt été celui de la distance. Je ne suis pas, me semble-t-il, la personne appropriée pour lui rendre hommage à l'occasion de son décès, ni pour prendre position à l'endroit de l'ensemble de son œuvre. Dieu merci, Ernst Jünger n'est pas resté toujours le même homme. L'Ernst Jünger de la première guerre mondiale, l'Ernst Jünger du temps de la République de Weimar, l'Ernst Jünger du temps du Troisième Reich et l'Ernst Jünger d'après la seconde guerre mondiale sont autant de fa­cettes très différentes d'une œuvre qui embrasse l'ensemble du siècle. C'est incontestable: il appartient à l'aréopage des plus grands écrivains de ce siècle. Et si le socialiste Mitterrand ne s'était pas affirmé comme un très bon connaisseur et un admirateur de l'œuvre de Jünger, la querelle stérile entre la gauche et la droite à propos de sa personne aurait continué bon train. Pour moi, aujourd'hui comme hier, l'œuvre principale de Jünger reste Der Arbeiter.  Ce livre a été interprété comme une contribution de l'auteur au national-socialisme, ce qui est complètement faux. Der Arbeiter  est l'une des plus grandes descriptions physiogno­miques de notre siècle; les paysages terrifiants du “cœur aventureux” en sont le complément. Certes, le Travailleur est un mythe: il n'a pas grand' chose à voir avec la réalité ouvrière du 20ième siècle. Mais, depuis, le monde s'est transformé et ressemble dé­sormais à un paysage d'ateliers et de fabriques; tout est devenu travail et, comme auparavant, nous luttons pour faire advenir ce que Jünger nommait une “construction organique”, c'est-à-dire une nouvelle fusion entre l'homme et la technique. Avec ces pa­roles, il a touché notre siècle en plein cœur. Ensuite, ce n'est nullement un hasard si, avec cet ouvrage, il a plus profondément in­fluencé Heidegger que celui-ci n'a bien voulu l'admettre. Personnellement, je ne trouve guère d'inspiration dans le Jünger d'après la seconde guerre mondiale. Je me souviens que Carl Schmitt annonçait, tout étonné, mais aussi à moitié amusé, qu'Ernst Jünger pensait que l'éon chrétien s'achevait. La spéculation qui calcule l'âge de la Terre et qui, dans une certaine mesure, dérive des tra­vaux d'Oswald Spengler, ne sont pas du goût de tout le monde. Jünger a certes été un homme pie(ux), mais il était très éloigné du christianisme, plus éloigné sans doute que d'un païen de l'antiquité.

 

Günter ROHRMOSER.

(texte paru dans Junge Freiheit,  n°9/98).

vendredi, 30 octobre 2009

Les "Ailleurs" d'Henri Michaux

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Les Ailleurs d'Henri Michaux

 

Sous le titre Les Ailleurs d'Henri Michaux, la revue belge Sources  a publié les actes d'un colloque consacré au grand poète à Namur en 1995. Des nombreuses interventions, nous citerons un passage de Sylviane Gora; intitulée «Henri Michaux: sur la Voie orientale»: «Ce par quoi Michaux va être fasciné, d'une manière indiscutable, est cette possibilité pour un Oriental d'accepter et d'assumer tout sentiment d'incomplétude de soi. Michaux se détourne de la civilisation judéo-chrétienne dans laquelle il se sent si mal, s'expatrie au moins le temps d'un voyage, s'exile vers des pays autres, pays différents qui ne considèrent pas forcément la Raison comme une faculté universelle, qui font voler en éclats le principe d'identité et d'unité du sujet. L'Occidental décentré va trouver une autre orientation en Orient. Plusieurs principes spirituels ou principes philosophiques vont, dans une certaine mesure, le fasciner ou le séduire. Mais ces éléments vont ou non se couler subtilement dans son œuvre littéraire et picturale pour former ce fameux “alliage” dont parlait René Bertelé. Mais au fait, de quel Orient s' agit-il, de quelle religion en l'occurrence: le bouddhisme chinois ou tibétain, le taoïsme, le shintoïsme, etc.? De quelle peinture orientale s'agit-il? Ne risque-t-on pas de ressasser de belles généralités en tentant de la sorte de pointer du doigt tel ou tel aspect typiquement oriental chez Michaux? Ceci est beaucoup plus qu'une précaution oratoire. A mes yeux, le piège est réel. La seule manière de s'en sortir est de signaler, çà et là, et dans les limites de cette étude, d'étranges et de troublants accords entre cet Occidental par force et cet Orient à la fois réel et mythique. Ce que l'on peut dire, sans trop se tromper je crois, c'est que Michaux a été fasciné par l'art oriental (la peinture et la musique) ainsi que par la religion orientale, en particulier par la pensée hindoue en raison de son caractère foncièrement prométhéen. Dans sa longue quête de la connaissance, Michaux a été attiré par cette manière dont les Hindous considèrent la perte. Il constate en lui cette béance ontologique qui, dans le cadre européen, est perçue comme une faiblesse difficilement réparable. Il va être étonné par le renversement de perspective qu'opèrent les Orientaux dans ce domaine. Lui, le dépouillé, le pauvre hère, le désorienté va considérer la souffrance et le dépouillement de l'être comme des éléments nécessaires, vitaux, révélateurs de la condition humaine, en premier lieu parce que ces éléments donnent à l'être une conscience corporelle. François Trotet, dans «Henri Michaux ou la sagesse du vide», démontre combien la souffrance, notion centrale dans le bouddhisme, à la fois physique et intérieure chez le poète, est utile car elle permet à l'être d'acquérir une conscience corporelle dégagée de tout dualisme». A signaler aussi les bons textes de Jean-Luc Steinmetz («Le démon de Henri Michaux») et de Madeleine Fondo-Valette («Michaux lecteur des mystiques») (J. de BUSSAC).

 

Les ailleurs de Henri Michaux, Sources, Maison de la Poésie, (rue Fumal 28, B-5000 Namur),1996, 250 pages, 100 FF.

jeudi, 29 octobre 2009

Hommage de Günter Maschke à Ernst Jünger

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

EJnger.jpgL'hommage de Günter Maschke

 

«L'intelligence se soumet dès qu'elle accepte une question, indépendamment du fait qu'on y répondra oui ou non», notait Ernst Jünger après la première guerre mondiale. A cette époque, après 1918, il y avait encore assez d'intellectuels dans l'Allemagne vaincue qui avaient la force de rejeter l'impudence des puissances victorieuses et de leurs valets allemands qui voulaient impo­ser au pays leurs recettes libérales-démocratiques. Aujourd'hui, la situation est devenue beaucoup plus difficile, et c'est la raison pour laquelle il nous faut apprendre le désinvolture jüngerienne. Tel est notre devoir supérieur.

 

Günter MASCHKE.

(hommage publié par Junge Freiheit, n°9/98).

mercredi, 28 octobre 2009

Le Japon d'André Malraux

4154TYPFYKL__SL500_AA240_.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Le Japon d'André Malraux

 

Michel Temman consacre un remarquable livre au Japon d'André Malraux. André Brincourt écrit dans sa préface: «N'oublions pas que, devant ce que ses contemporains appelèrent “Le déclin de l'Occident” ou “La crise de l'Esprit”, alors que le surréalisme naissant faisait table rase des valeurs, le jeune Malraux voulait, lui, chercher d'autres valeurs, un “autre” monde. Cet autre monde, ce fut l'Asie. N'oublions pas que l'une des dernières approches avant la mort fut d'aller contempler la cascade de Nachi pour y rejoindre la “lumière” dans tous ses symboles, pour y nourrir une dernière fois ses rêves de spiritualité. Il nous l'avait dit: l'appel de l'Asie était celui de l'âme  —cette surréalité en marge de l'apparence, ce dépassement promis à notre “solitude sinistre”, l'une des formes possibles de l'Anti-destin... Notre chance est que Michel Temman, par cette lumière même, éclaire pour nous l'essentiel d'une œuvre, et, se distinguant de maintes biographies trop complaisamment tournées vers l'Aventurier, y trouve le fondement même d'une pensée qui révèle plus que jamais son orientation métaphysique. “L'Occident veut comprendre par l'analyse, l'Orient veut vivre le divin”, disait Malraux». André Malraux s'était intéressé au seppuku de Mishima. M. Temman écrit à ce propos: «Yukio Mishima ne s'est pas suicidé. André Malraux est catégorique: son acte n'était pas un suicide car le seppuku  est d'abord un rite qui ignore l'idée de la mort. Il y avait donc surtout dans l'acte de l'écrivain japonais, outre une portée politique et idéologique très nette, une charge rituelle forte chargée du poids du passé. Aussi Malraux pense-t-il qu'il faut distinguer “la mort romaine” et rituelle de Mishima et ce que l'on croit être une “mort romantique”. “Pour Mishima, expliqua-t-il à Tadao Takemoto, la mort en tant qu'acte, a une réalité très forte”. “Il me semble que l'acte de Mishima a été le moyen de posséder sa mort”. En tout cas, ajoute-t-il, “je me sens plus à l'aise avec le “suicide” de Mishima (qui n'est pas un suicide) qu'avec le tuyau à gaz”. Pourquoi “l'acte Mishima” ne choque-t-il pas outre mesure André Malraux? D'abord parce que, comme il le précise encore à Tadao Takemoto, il n'a jamais vraiment compris ce “besoin” de faire du suicide “une faute ou une valeur”. Ensuite parce qu'il “serait normal de rencontrer une civilisation tout entière où il n'y aurait pas de “mort”!» (P. MONTHÉLIE).

 

Michel TEMMAN, Le Japon d'André Malraux, 1997, 266 pages,135 FF (Editions Philippe Picqier, Mas de Vert, F-13.200 Arles).

lundi, 26 octobre 2009

La Guerre comme expérience intérieure

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Kampf_als_inneres_Erlebnis,1922.jpgLa Guerre comme Expérience Intérieure

Analyse d'une fausse polémique

 

«Pour le soldat, le véritable combattant, la guerre s'identifie à d'étranges associations, un mélange de fascination et d'horreur, d'humour et de tristesse, de tendresse et de cruauté. Au combat, l'homme peut manifester de la lâcheté ou une folie sanguinaire. Il se trouve alors écartelé entre l'instinct de vie et l'instinct de mort, pulsions qui peuvent le conduire au meurtre le plus abject ou à l'esprit de sacrifice» (Philippe Masson, L'Homme en Guerre 1901-2001, Editions du Rocher, 1997).

 

Voici quelques mois paraissait, dernière publication française du vivant de Ernst Jünger, La Guerre comme Expérience Intérieure, préfacée par le philosophe André Glucksmann, chez Christian Bourgois éditeur, maison qui depuis des années s'est fait une spécialité des traductions jüngeriennes. Un texte d'importance, qui vient utilement compléter les écrits de guerre déjà parus de l'écrivain allemand, Orages d'Acier, Boqueteau 125, et Lieutenant Sturm, ouvrages de jeunesse que les spécialistes de son oeuvre polymorphe considèrent à la fois comme les plus vindicatifs, initiateurs de ses prises de position politique ultérieures, et parallèlement déjà annonciateurs du Jünger métaphysique, explorateur de l'Etre, confident de l'intimité cosmique.

 

Engagé volontaire au premier jour des hostilités en 1914, quatorze fois blessé, titulaire de la Croix de Fer Première Classe, Chevalier de la Maison des Hohenzollern, de l'Ordre «Pour le Mérite», distinction suprême et rarissime pour un homme du rang, Ernst Jünger publie dès 1920, à compte d'auteur et, comme il se plaira à dire par la suite, «sans aucune intention litté­raire», In Stahlgewittern (Les Orages d'Acier), qui le révèlent d'emblée au milieu des souvenirs tous larmoyants des Barbusse, Remarque, von Unruh ou Dorgelès, comme un rescapé inclassable, un collectionneur tant de révélations onto­logiques que de blessures physiques et morales. André Gide et Georges Bataille crieront au génie.

 

Une théorie du guerrier émancipé

 

Estimant ne pas avoir épuisé son sujet, il surenchérit en 1922 par la publication de Der Kampf als inneres Erlebnis (La Guerre comme Expérience intérieure), qu'il dédie à son jeune frère Friedrich Georg Jünger, lui aussi combattant émérite de la guerre mondiale et talentueux publiciste: «A mon cher frère Fritz en souvenir de notre rencontre sur le champ de ba­taille de Langemarck». Il découpe son manuscrit en treize courts tableaux, autant de souvenirs marquants de SA guerre, qu'il intitule sans fard Sang, Honneur, Bravoure, Lansquenets, Feu  ou encore Veillée d'armes. Nulle trace d'atermoiement dans la plume de Jünger, nul regret non plus: «Il y a davantage. Pour toute une partie de la population et plus encore de la jeunesse, la guerre apparaît comme une nécessité intérieure, comme une recherche de l'authenticité, de la vérité, de l'accomplissement de soi (...) une lutte contre les tares de la bourgeoisie, le matérialisme, la banalité, l'hypocrisie, la ty­rannie». Dans ces quelques mots tirés de W. Deist, extraits de son article Le moral des troupes allemandes sur le front occidental à la fin de 1916 (in Guerre et Cultures, Armand Colin, 1994), transparaît l'essentiel du Jünger de l'immédiat après-guerre.

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Préambule au récit, la lecture de la préface d'André Glucksmann laisse bien sceptique quant à sa légitimité. «Le manifeste, ici réédité, est un texte fou, mais nullement le texte d'un fou. Une histoire pleine de bruit, de fureur et de sang, la nôtre». En s'enferrant dans les classiques poncifs du genre, le philosophe relègue la pensée de Jünger à une simple préfiguration du national-socialisme, fait l'amalgame douteux entre Der Kampf... et Mein Kampf.  Et s'il note avec justesse que le Lansquenet du présent ouvrage annonce le Travailleur de 1932, il n'en restreint pas moins l'œuvre de Jünger à la seule exaltation de la radicalité, du nihilisme révolutionnaire (citant pêle-mêle Malraux, Breton et Lénine), à l'union du prolétariat et de la race sans distinguer la distance jüngerienne de la soif de sang et de haine qui nourriront fascisme, national-socia­lisme et bolchévisme. A vouloir moraliser un essai par essence situé au-delà de toute morale, Glucksmann dénature Jünger et passe à coté de son message profond.

 

L'ennemi, miroir de sa propre misère

 

Là où Malraux voit le «fondamental», Jünger perçoit «l'élémentaire». L'adversaire, l'ennemi n'est pas le combattant qui se recroqueville dans le trou d'en face mais l'Homme lui-même, sans drapeau, l'Homme seul face à ses instincts, à l'irrationnel, dépouillé de tout intellect, de tout référent religieux. Jünger prend acte de cette cruelle réalité et la fait sienne, s'y conforme et retranscrit dans ces pages quelles purent être les valeurs nouvelles qui en émergèrent, terribles et salva­trices, dans un esprit proche de celui de Teilhard de Chardin écrivant: «L'expérience inoubliable du front, à mon avis, c'est celle d'une immense liberté». Homo metaphysicus,  Jünger chante la tragédie du front et poétise l'empire de la bestialité, champ-clos où des siècles de civilisation vacillent et succombent sous le poids des assauts répétés et du fracas des bom­bardements. «Et les étoiles alentour se noient en son brasier de feu, les statues des faux dieux éclatent en tessons d'argile, et de nouveau toute forme forgée se fond en mille fourneaux ardents, pour être refondue en des valeurs nouvelles». Et dans cet univers de fureur planifiée, le plus faible doit «s'effacer», sous les applaudissements d'un Jünger darwiniste appliqué qui voit l'homme renouer avec sa condition originelle de guerrier errant. «C'est ainsi, et depuis tou­jours». Dans la lutte paroxystique que se livrent les peuples sous l'emprise hypnotique des lois éternelles, le jeune lieute­nant des Stoßtruppen discerne l'apparition d'une nouvelle humanité dont il commence à mesurer la force, terrible: «une race nouvelle, l'énergie incarnée, chargée jusqu'à la gueule de force».

 

Jünger lègue au lecteur quelques-uns des plus beaux passages sur ces hommes qui, comme lui, se savent en sursis, et rient de se constater encore vivants une aube après l'autre: «Tout cela imprimait au combattant des tranchées le sceau du bestial, l'incertitude, une fatalité toute élémentaire, un environnement où pesait, comme dans les temps primitifs, une me­nace incessante (...) Dans chaque entonnoir du no man's land, un groupe de chuchoteurs aux fins de brusques carnages, de brève orgie de feu et de sang (...) La santé dans tout cela? Elle comptait pour ceux qui s'espéraient longue vieillesse (...) Chaque jour où je respire encore est un don, divin, immérité, dont il faut jouir à longs traits enivrés, comme d'un vin de prix». Ainsi entraîné dans le tourbillon d'une guerre sans précédent, totale, de masse, où l'ennemi ne l'est plus en tant que défenseur d'une patrie adverse mais qu'obstacle à la réalisation de soi —miroir de sa propre misère, de sa propre grandeur—  le jeune Jünger en vient de facto à remettre en cause l'héritage idéologique de l'Aufklärung, son sens de l'Histoire, son mythe du progrès pour entrevoir un après-guerre bâti sur l'idéal de ces quelques-uns, reîtres nietzschéens fils des hoplites de Salamines, des légions de Rome et des Ligues médiévales appliquant l'éthique de la chevalerie mo­derne, «le marteau qui forge les grands empires, l'écu sans quoi nulle civilisation ne tient».

 

Un sens de l'Homme plus élevé que celui de la nation

 

L'horreur au quotidien, Jünger la connaît, qui la côtoie sans répit et la couche sans concession aucune sur le papier  —«On reconnaît entre toutes l'odeur de l'homme en putréfaction, lourde, douceâtre, ignoblement tenace comme une bouillie qui colle (...) au point que les plus affamés en perdaient l'appétit»—  mais, à la grande différence des bataillons qui compose­ront les avant-gardes fascistes des années vingt et trente, il n'en retire ni haine ni nationalisme exacerbé, et rêve bien plutôt d'un pont tendu au-dessus des nations entre des hommes forgés sur le même moule implacable des quatre années de feu et de sang, répondant aux mêmes amours viriles: «Le pays n'est pas un slogan: ce n'est qu'un petit mot modeste, mais c'est aussi la poignée de terre où leur âme s'enracine. L'Etat, la nation sont des concepts flous, mais ils savent ce que pays veut dire. Le pays, c'est un sentiment que la plante est capable d'éprouver». Loin de toute xénophobie, vomissant la propa­gande qui attise des haines factices, le «gladiateur» Jünger, amoureux de la France et que touche plus qu'un éclat d'obus de s'entendre qualifié de “boche”, se déclare ainsi proche des pacifistes, «soldats de l'idée» qu'il estime pour leur hauteur d'esprit, leur courage pour ceux qui ne craignent pas seulement de mourir au feu, et leur sens de l'Homme plus élevé que celui de la nation. Aussi peut-il songer lors des accalmies, tapi dans son repli de tranchée, à l'union nouvelle des lansque­nets et des pacifistes, de D'Annunzio et Romain Rolland. Effet des bombes ou prophétisme illuminé, toujours est-il que La Guerre comme Expérience intérieure  prend ici une dimension et une résonance largement supérieures à celles des autres témoignages publiés après-guerre, et que se dessine déjà en filigrane le Jünger de l'autre conflit mondial, celui de La Paix.

 

Ce qui fait la beauté de l'existence, son illusoire

 

«La guerre m'a profondément changé, comme elle l'a fait, je le crois, de toute ma génération» et si elle n'est plus «son es­prit est entré en nous, les serfs de sa corvée, et jamais plus ne les tiendra quittes de sa corvée». L'oeuvre intégrale d'Ernst Jünger sera imprégnée de la sélection dérisoire et arbitraire du feu qui taillera dans le vif des peuples européens et laissera des séquelles irréparables sur la génération des tranchées. On ne peut comprendre Le Travailleur, Héliopolis, Le Traité du Rebelle sans se pénétrer du formidable (au sens originel du terme) nettoyage culturel, intellectuel et philosophique que fut la «guerre de 14», coupure radicale d'avec tous les espoirs portés par le XXème siècle naissant.

 

Ce qui fait la force de Jünger, son étrangeté au milieu de ce chaos est que jamais il ne se résigne et persiste à penser en homme libre de son corps et de son esprit, supérieur à la fatalité —«qui dans cette guerre n'éprouva que la négation, que la souffrance propre, et non l'affirmation, le mouvement supérieur, l'aura vécue en esclave. Il l'aura vécue en dehors et non de l'intérieur». Tandis qu'André Glucksmann se noie dans un humanisme béat et dilue sa pensée dans un moralisme déplacé, Jünger nous enseigne ce qui fait la beauté de l'existence, son illusoire.

 

«De toute évidence, Jünger n'avait jamais été fasciné par la guerre, mais bien au contraire, par la paix (...) Sous le nom de Jünger, je ne vois qu'une devise: «Sans haine et sans reproche» (...) On y chercherait en vain une apologie de la guerre, l'ombre d'une forfanterie, le moindre lieu commun sur la révélation des peuples au feu, et  —plus sûr indice— la recherche des responsabilités dans les trois nombreux conflits qui de 1870 à 1945, ont opposé la France à l'Allemagne». (Michel Déon, de l'Académie Française)

 

Laurent SCHANG.

 

Ernst JÜNGER, La Guerre comme Expérience Intérieure, préface d'André Glucksmann, Christian Bourgois éditeur, 1997.

 

dimanche, 25 octobre 2009

L'instant brûlant

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L'instant brûlant

 

Quand meurt un homme, le chant de sa vie est joué dans l'éther. Il a le droit d'écouter jusqu'à ce qu'il passe au silence. Il prête alors une oreille si attentive au milieu des souffrances, de l'inquiétude. En tout cas, celui qui imagina le chant était un grand maître. Cependant, le chant ne peut être perçu dans la pureté du son que là où disparaît la volonté, là où elle cède à l'abnégation (1).

 

Ernst Jünger s'est avancé, ce 17 février 1998, vers des régions où les ciseaux de la Parque ne tranchent pas.

 

Les réactions lorsque fut annoncé ce deuil dans le monde des Lettres et de la pensée furent tristement coutumières. En ces temps où prévaut le “politiquement conforme”, certains critiques se sont distingués par des analyses sinon élogieuses (comme l'excellent article de Dominique Venner paru dans Enquête sur l'Histoire) du moins pertinentes (dans un magazine allemand inattendu, Focus). D'autres, zélés contempteurs inféodés à une idéologie qu'ils servent dans les organes de la presse française et allemande, se sont empressés de diffamer une œuvre qu'ils ne se sont jamais donnés la peine de lire et l'avouent parfois. Diable! Le personnage est agaçant: doté tout à la fois d'un esprit d'une rare fécondité et d'une vigueur phy­sique non moins surprenante qui lui a permis de traverser la presque totalité du XX° siècle, ce plus que centenaire n'a eu de cesse d'aimer son pays, de ne se rétracter en rien: écrits bellicistes à l'issue de la Première Guerre mondiale, vision éli­tiste, contemplation douloureuse lors de l'entre-deux guerres... Il n'a rien renié; seul parfois l'angle de la perspective devait changer, mais faut-il forcer un homme à n'être qu'un bloc monolithique? Toutefois, est-il décent, en cette période, de s'irriter des réactions coutumières quand on prononce le nom de Jünger, de dresser dès à présent le bilan de l'œuvre? Les lecteurs fidèles préféreront encore se tourner vers cet Eveilleur qui a su nous offrir une élégante méditation philosophique et poétique sur les maux qui rongent notre civilisation.

 

Les ciseaux de la Parque... Par respect pour ce “passage” qui intriguait tant Ernst Jünger, nous évoquerons dans ces co­lonnes sa métaphysique de la mort, qui apparaît dès 1928 dans la première version du Cœur aventureux. Car à force d'avoir voulu préciser les choix politiques souvent au sens large de Jünger, on a souvent oublié que cet auteur, s'il avait voulu agir sur l'histoire, ne s'intéressait pas moins aux questions d'ordre spirituel. Or, parler de la mort consiste justement à se plonger dans les eaux régénératrices de la spiritualité. Reportons-nous à un texte révélateur de 1928

 

La vie est un nœud qui se noue et se dénoue dans l'obscurité. Peut-être la mort sera-t-elle notre plus grande et plus dange­reuse aventure, car ce n'est pas sans raison que l'aventurier recherche ses bords enflammés (2).

 

Le symbole de l'entortillement

 

Procréation et mort marquent la fin du lacet, de ce noeud coulant qui, relié à son principe du domaine éternel, pénètre dans le règne terrestre. Pour Jünger, vie et mort sont intimement liées. Dans sa seconde version du Cœur aventureux qui paraît en 1938, Jünger recourt une nouvelle fois au symbole de l'entortillement. La théorie du lacet fait alors partie intégrante de l'initiation de Nigromontanus, maître mystérieux et charismatique. Le principe qu'il explique suppose une manière supé­rieure de se soustraire aux circonstances empiriques.

 

Il [Nigromontanus] nommait la mort le plus étrange voyage que l'homme puisse faire, un véritable tour de passe, la capuche de camouflage par excellence, aussi la plus ironique réplique dans l'éternelle controverse, l'ultime et l'imprenable citadelle de tous les êtres libres et vaillants (3).

 

Cet aspect nous ramène aux liens qu'entretiennent la mort et la liberté pour Jünger. Qui craint la mort doit renoncer à sa liberté. Le renforcement puissant de cette dernière n'est possible que si l'on part de la certitude que l'homme, en mourant, ne disparaît pas dans le néant, mais se voit élevé dans un être éternel. Aussi la pensée de Jünger tourne-t-elle sans cesse autour de la mort, parce qu'il veut infiniment fortifier la position de la liberté et assurer l'essence éternelle de l'homme. Ces idées acquises sur les champs de bataille, il les émet encore dans Heliopolis  en 1949 et dans l'essai Le Mur du Temps, paru en 1959.

 

Celui qui ne connaît pas la crainte de la mort est l'égal des dieux (4).

 

Une conception grecque et platonicienne de la mort

 

La conception jüngerienne de la mort, en rien chrétienne, est influencée par la pensée grecque, notamment platonicienne. Les lectures attentives des dialogues Phédon, Gorgias, La République (notamment le X° chapitre) ont laissé leur trace dans l'œuvre jüngerienne. L'anamnèse  platonicienne, nous la retrouvons formulée dans la deuxième version du Cœur aventu­reux et plus précisément dans “La mouche phosphorescente”. Jünger rapporte de la conversation de deux enfants qu'il sur­prit un jour cette phrase qui fusa, telle une illumination intellectuelle:

 

Et sais-tu ce que je crois? Que ce que nous vivons ici, nous le rêvons seulement; mais quand nous serons morts, nous vi­vrons la même chose en réalité (5).

 

ej1930cg.jpgLa vie semble se réduire à n'être que le reflet de cette vie véritable, impérissable, qui ne jaillit qu'au-delà de la mort. Voyons-y une fois encore le triomphe de l'être intemporel sur l'existence terrestre, qui est déterminée par le temps qui s'écoule perpétuellement!

 

Nous trouvons chez Jünger une inversion de la mort, comme si cette dernière signifiait en fait le réveil d'un rêve étrange, peut-être même mauvais. Cela n'est pas sans évoquer la métaphysique de la mort, telle que l'avait formulée le romantique Novalis dans les Hymnes à la Nuit et le roman Heinrich von Ofterdingen.

 

Le monde devient rêve, le rêve devient monde [...]

Mélancolie et volupté, mort et vie

Sont ici en intime sympathie (6)

 

Idéalisation de la nuit et goût de l'outre-tombe

 

L'idéalisation de la nuit qui apparaît au cours du XIX° siècle dans le culte lamartinien de l'automne, le goût de l'outre-tombe, l'attraction de la mort sur Goethe, sur Novalis et sur Nodier, la nécrophilie de Baudelaire, jette encore des feux de vie dans la pensée de Jünger. Le procès intenté à la raison comme nous l'avons perçu au XIX° siècle se poursuit au XX° siècle contre l'idéologie positiviste; cette véritable offensive vient des horizons les plus variés: citons R. von Hartmann et sa Métaphysique de l'Inconscient, Barrès et le Culte du Moi, Bergson et l'Evolution créatrice ou l'Essai sur les données im­médiates de la conscience. La redécouverte de l'inconscient des psychanalystes est aussi certainement liée à cette révolte.

 

La mort apparaît comme l'ultime libération de l'esprit du monde de la matière. A cet égard, la nouvelle “Liebe und Wiederkunft” —“amour et retour”—, très révélatrice, traduit une philosophie de l'histoire où des événements similaires se produisent sans cesse dans le même ordre, un retour de l'identique sous des formes différentes. L'histoire déjà parue dans la première version du Cœur aventureux  localise à Leisnig le passage à l'écriture et se voit dotée d'un titre une décennie plus tard. Jünger s'est alors contenté de préciser ici une image, d'affiner une idée ou de changer là l'emploi d'un temps ver­bal; il n'a en rien touché le contenu de l'histoire.

 

La trame est simple. Le narrateur, un officier, est tout d'abord naufragé sur une île de l'Océan Atlantique. Recueilli par une vertueuse femme qui prit le voile, il se rend peu à peu à l'évidence qu'une relation séculaire les lie l'un à l'autre. La fonction de cette femme consiste à soigner et à veiller les hommes qui, pour avoir goûté une belle plante narcotique, dorment le lourd sommeil du coma. Malgré les injonctions de la religieuse, le narrateur n'y résiste pas non plus et devient lui-même la proie du sommeil et du rêve. Pourtant, le voilà de nouveau sur l'île, menacée cette fois par l'inimitié d'une flotte espagnole! Hôte d'une généreuse famille pirate, amoureux de la fille de la maison, le narrateur se prépare, chevaleresque, à livrer combat. Or, n'aperçoit-il pas soudain une fleur merveilleuse, ne succombe-t-il pas encore à l'impérieux désir de la goûter?

 

Dans la dernière lueur du crépuscule, j'eus le temps encore de pressentir que je vivrais d'innombrables fois pour rencon­trer cette même jeune fille, pour manger cette même fleur, pour m'abîmer de cette même manière, tout comme d'innombrables fois déjà ces choses avaient été mon lot (7).

 

Une fleur aux couleurs du danger: le rouge, le jaune

 

Cette singulière histoire nous permet de mieux cerner la double nature de l'homme, ce qui fonde son originalité et son drame: son âme est immortelle et son corps périssable. Il est certain que la présence de cette fleur ne peut qu'évoquer le symbole le plus connu de toute l'œuvre de Novalis, la fleur bleue qui enchante le roman Heinrich von Ofterdingen et qui marque, de par ses racines et la couleur céleste de ses pétales, l'union de la terre et du ciel. La fleur jüngerienne n'est pas parée du bleu spirituel et bienfaisant. Ses pétales arborent les teintes de la vie et du danger, le jaune et le rouge (8); tout comme Goethe, rappelons-le, Jünger devait conférer une signification particulière aux couleurs. La fleur, belle et mena­çante, figure l'instabilité essentielle de l'être , qui est voué à une évolution perpétuelle. Ernst Jünger semble admettre que la mort n'est pas un fait définitif, mais une simple étape de la série des transformations auxquelles tout être est soumis. La réminiscence d'un état antérieur, telle qu'elle semble affecter l'imagination nocturne de Jünger et que nous venons d'évoquer, soulève le délicat problème de l'incarnation successive des âmes et dramatise ainsi la notion d'un éternel retour. Ne soyons donc pas surpris de trouver dans Le Cœur aventureux les très célèbres vers de Goethe:

 

Ah, tu étais ma sœur ou ma femme, en des temps révolus (9).

 

Ces vers impliquent la reconnaissance des choses entre elles, de leurs liens, une conscience de leur parenté qui peut dé­passer le cadre restreint de l'espèce humaine; d'ailleurs Jünger, dans le même passage, se fait écho de Byron:

 

Les monts, les vagues, le ciel ne font-ils partie de moi et de mon âme, et moi-même d'eux? (10).

 

La mort est le “souvenir le plus fort”

 

Finalement, la mort est pour Jünger un souvenir enfoui au plus profond de la mémoire, “le souvenir le plus fort” “der Tod ist unsere stärkste Erinnerung”  (aHl, 75). L'homme qui, pour Jünger, représente infiniment plus que le corps physique, est doté d'une mémoire qui semble survivre à la destruction de la matière. Le dualisme de la vision anthropologique que nous décelons ici évoque celui de Platon, qui stipula la primauté de l'âme sur le corps. Fidèle à ses influences pythagoriciennes, Platon reprit à son compte l'idée de l'immortalité de l'âme; dans sa préexistence ou postexistence, l'âme voit les idées, mais en s'incarnant dans sa prison de chair, elle les oublie. Rappelons-nous que celui qui, chez Hadès, conserve la mé­moire transcende la condition mortelle, échappe au cycle des générations. D'après Platon, les âmes assoiffées doivent éviter de boire l'eau du Léthé car l'oubli, qui constitue pour l'âme sa maladie propre, est tout simplement l'ignorance. Voilà peut-être la raison pour laquelle les Grecs prêtaient à Mnémosyne “mémoire”, la mère des Muses, de grandes vertus! L'histoire que chante la Titanide est déchiffrement de l'Invisible; la mémoire est fontaine d'immortalité. Nous pensons trouver ici un lointain écho de cette sagesse antique chez Jünger car, dans son œuvre, le contact avec l'autre monde est permis grâce à la mémoire. Celle-ci joue donc un rôle fondamental dans l'affirmation de l'identité personnelle et nous ne pouvons que souligner cette faveur qu'elle trouve auprès de Jünger, si l'on se réfère à ses journaux intimes, ces voyages entrepris dans les profondeurs du moi et d'où surgissent à la conscience des aspects nouveaux de l'être, mêlé parfois à toute une tonalité poétique.

 

L'aspect orphique de Jünger

 

Le roman philosophique Eumeswil  (1977), à cet égard très révélateur, montre l'aspect orphique de Jünger. La mémoire, par l'intermédiaire du Luminar, fait tomber la barrière qui sépare le présent du passé. Que ce soit par le biais du Luminar ou par l'évocation des morts dans le jardin de Vigo, un pont est jeté entre le monde des vivants, au-delà duquel retourne tout ce qui a quitté la lumière du soleil. Cette évocation des morts n'est pas sans éveiller à notre mémoire le rituel homérique, qui connaît deux temps forts: d'une part, l'appel chez les vivants et, d'autre part, la venue au jour, pour un bref moment, d'un défunt remonté du monde infernal. Le voyage d'un vivant au pays des morts semble également possible, ainsi le chamane Attila qui s'aventura dans les forêts.

 

La place centrale que les mythes de type eschatologique accordèrent à la mémoire indique l'attitude de refus à l'existence temporelle. Si Jünger exalte autant la mémoire, nous pouvons nous demander s'il n'est pas mû par la tentation d'en faire une puissance qui lui permette de réaliser la sortie du Temps et le retour du divin.

 

Qu'en est-il du vieil homme? Dans l'attente de l'ultime rendez-vous, habitué à la mort pour l'avoir côtoyée sur les fronts, dans les deuils et les déchirements qu'elle causa, il ne peut abandonner une inquiétude, qu'il exprime Deux fois Halley:

 

Au contraire, ce qui me préoccupe depuis longtemps, c'est la question du franchissement; une coupe en terre est trans­formée en or, puis en lumière. A cela une seule chose m'inquiète: c'est de savoir si l'on prend encore connaissance de cette élévation, si l'on s'en rend encore compte (11).

 

Parques, Moires, Nornes

 

Quelques années plus tard paraît le journal Les Ciseaux, que Jünger écrivit de 1987 à 1989. L'outil bien anodin dont il est ici question appartient aux sœurs filandières des Enfers qui filent et tranchent le fil de nos destinées. Etrangères au monde olympien, ces Parques ou Moires du monde hellénique sont les déesses de la Loi. Lachésis tourne le fuseau et enroule le fil de l'existence, Clotho, la fileuse, tient la quenouille et file la destinée au moment de la naissance. La fatale Atropos coupe le fil et détermine la mort. La représentation ternaire des fileuses, également présente dans le religieux germanique où les Nornes filent la destinée des dieux et celle des hommes, évoque la trinité passé, présent et futur et nous permet d'entrer dans la temporalité. Ce fil est le lien qui nous attache à notre destinée humaine, nous lie à notre mort. Ce qui importe ici, c'est que, d'une part, l'outil retenu par Jünger ne soit ni le fuseau ni la quenouille mais bien les ciseaux de la divinité morti­cole et que, d'autre part, Jünger valorise non le fil ou le tissage mais la coupure par les ciseaux.

 

Le titre de l'essai et les discrètes allusions aux Moires, à ces divinités du destin, intègrent l'écrit dans l'ensemble de la ré­flexion jüngerienne sur le temps et la temporalité. Quoi d'étonnant à ce qu'il établisse des correspondances secrètes avec ses écrits antérieurs et jongle avec des idées abondamment traitées dans le passé! Les allusions au Travailleur, au Mur du temps sont nombreuses; sans grande peine, nous retrouvons Le Traité du Sablier, Le Problème d'Aladin, Eumeswil et même la théorie du “lacet” propre au Cœur aventureux. Cette œuvre de continuité qui n'est certes pas l'écrit le plus origi­nal de Jünger, prend l'aspect d'une récapitulation. Dans cet écrit tout en nuances, à défaut d'avoir énoncé des théories véri­tablement nouvelles, Jünger a composé une série d'accords d'accompagnements, s'attaquant à des problèmes essentiels de notre temps. Les Ciseaux sont en cela une méditation sur les aventures de notre siècle qu'ils posent, sur un fond de dua­lisme entre races divines, le problème crucial de l'éthique dans un monde où la science et le progrès technique repoussent les frontières d'une science morale désormais dépassée. Nous reconnaissons cette volonté d'ordonner le monde à d'autres fins que matérialistes.

 

Jünger considère le Temps sous la loi de deux règnes, d'une part celle du temporel où les ciseaux d'Atropos ne coupent pas et annoncent cet infini comme nous pouvons déjà le percevoir dans les rêves et l'extase. L'essai parle donc de la cons­cience jüngerienne de la mort et de cette douloureuse et inquiétante question du passage, de l'ultime franchissement.

 

Du comportement psychologique des agonisants

 

Cette curiosité incite l'auteur à s'interroger sur l'état de mort temporelle et sur les souvenirs des rares patients qui, rappe­lés à la vie, reprochent à leur médecin de les avoir empêchés de passer le tunnel de la mort (Schere, 73 sq). Sensible peut-être à cette vague déferlante de littérature occultiste qui aborde depuis quelques années la vie postmortelle, (est-là un pré­sage de l'ère du Verseau?) ne va-t-il pas jusqu'à citer Elisabeth Kübler-Ross (12), cette femme d'origine suisse aléma­nique, installée aux Etats-Unis d'Amérique? En sa qualité de médecin, elle édita de nombreux ouvrages portant sur le com­portement psychologique des agonisants; elle examina les récits des patients qu'avaient ressuscités les nouvelles tech­niques médicales de la réanimation, c'est-à-dire des injections d'adrénaline dans le cœur ou des électrochocs. Certains “revenants” que la médecine avait considérés cliniquement morts après avoir préalablement constaté un arrêt cardiaque, une absence de respiration et d'activité cérébrale, confièrent les expériences étranges qui leur étaient alors advenues pen­dant ces instants.

 

Or, la similitude des descriptions, l'exactitude des récits excluaient tout rêve ou toute hallucination. C'est ce qui incita le médecin à voir là une preuve d'existence post-mortelle. Voilà un sujet épineux où l'on se heurte tant aux théologiens horri­fiés à l'idée d'un éventuel blasphème qu'aux doctes gardiens de la Science! Le raisonnement scientifique ne saurait rien admettre qui ne soit entièrement évident et ne forme un tout cohérent; la pensée qui en résulte, disciplinée par la rigoureuse volonté d'ordonner selon une méthode la plupart du temps linéaire et déductive, va par étapes successives de la simplicité à la complexité dans un ordre logique et chronologique. Or, dans le présent cas, la finalité du témoignage peut être sujette au même doute que son contenu. Il est donc bien évident que les thèses alléguées par E. Kübler-Ross ne peuvent, dans le meilleur des cas, remporter l'unanimité du monde scientifique et, dans le pire, ne peuvent qu'être rejetées car la science accueille avec méfiance des assertions qu'elle juge a priori insanes.

 

Toutefois, comme si Jünger voulait imposer le silence aux contempteurs de théories qu'il semble lui partager, comme s'il doutait aussi de cette méthode scientifique dont on aperçoit les limites, il cite des autorités médicales, aussi ambiguës soient-elles, ou nous livre les réflexions d'un ami, Hartmut Blersch, médecin lui aussi de son état. Ce dernier, traitant des personnes âgées, a écrit une étude non éditée: “Die Verwandlung des Sterbens durch den Descensus ad infernos” [La transformation de l'agonie par la Descente aux Enfers] (13) et a permis à Jünger d'en inclure quelques extraits dans Les Ciseaux. Jünger a tourné le dos à l'intelligence rationnelle du discours et à certaines acquisitions du savoir scientifique il y a longtemps déjà. De nos jours, une telle approche, qualifiée d'irrationnelle invite ses représentants à douter de la validité, du sérieux que l'on pourrait accorder à une telle pensée, à voir dans cette réaction antimatérialiste une régression vers un nou­vel obscurantisme. Il n'en est pas moins vrai que Jünger, s'inscrivant déjà dans toute une tradition, reflète les angoisses qui oppressent son temps. Car cette mythologie d'une vie post-mortelle exerce sur nos contemporains une fascination qui dé­passe le simple divertissement.

 

Placidité et sagesse où la mort devient conquête

 

Les conceptions irrationnelles de Jünger ont toujours damé le pion à la divine raison. Ainsi avait-il conclu son ouvrage Approches, drogues et ivresse:

 

L'approche est confirmée par ce qui survient, ce qui est présent est complété par ce qui est absent. Ils se rencontrent dans le miroir qui efface temps et malaise. Jamais le miroir ne fut aussi vide, dépourvu ainsi de poussière et d'image —deux siècles se sont chargé de cela. En plus, le cognement dans l'atelier  —le rideau devient transparent; la scène est libre (14).

 

C'est peut-être justement dans cette irrationalité que Jünger puise cette placidité et cette sagesse où la mort elle-même devient conquête. Esprit téméraire, Jünger s'est avancé, vigilant, vers ces régions où les ciseaux de la Parque ne tranchent pas.

 

Tout comme jadis où, jeune héros incontesté, il glorifiait l'instant dangereux, le vieil homme avait renoncé à l'histoire, à percevoir le temps de manière continue; il est demeuré fasciné par cette seconde brûlante où tout se joue, ce duel sans merci où la vie et la mort s'affrontent:

 

L'histoire n'a pas de but; elle est. La voie est plus importante que le but dans la mesure où elle peut, à tout instant, en parti­culier à celui de la mort devenir le but (15).

 

Isabelle FOURNIER.

 

Notes:

 

(1) Sgraffitti, [première parution, Antaios, 1960, Stuttgart] in Jüngers Werke, Bd. VII, Essays III, p. 354: «Wenn ein Mensch stirbt, wird sein Lebenslied im Äther gespielt. Er darf es mithören, bis er ins Schweigen übergeht. Er lauscht dann so aufmerksam in­mitten der Qualen, der Unruhe. In jedem Fall war es ein großer Meister, der das Lied ersann. Doch kann es in seinem reinen Klange nur vernommen werden, wo der Wille erlischt, wo er der Hingabe weicht».

(2) Das abenteurliche Herz 1, Berlin, 1928 [1929], p. 76: «Das Leben ist eine Schleife, die sich im Dunkeln schürzt und löst. Vielleicht wird der Tod unser größtes und gefährlichstes Abenteuer sein, denn nicht ohne Grund sucht der Abenteurer immer wieder seine flammenden Ränder auf».

(3) Das abenteurliche Herz 2, Berlin, 1938 [1942], p. 38: «Er nannte den Tod die wundersamste Reise, die der Mensch ver­möchte, ein wahres Zauberstück, die Tarnkappe aller Tarnkappen, auch die ironische Replik im ewigen Streit, die letzte und un­greifbare Burg aller Freien und Tapferen».

(4) An der Zeitmauer, [première parution Antaios, 1, 209-226], Stuttgart, 1959, p. 159: «Wer keine Todesfurcht kennt, steht mit Göttern auf vertrautem Fuß».

(5) Das abenteureliche Herz 2, ibid., p. 102: «[...] und weißt du, was ich glaube? Was wir hier leben, ist nur geträumt; wir erleben aber nach dem Tode dasselbe in Wirklichkeit».

(6) Novalis, Hymnen an die Nacht, Heinrich von Ofterdingen. Goldmann Verlag, Stuttgart, 1979, p. 161-162: «Die Welt wird Traum, der Traum wird Welt[...]/Wehmuth und Wollust, Tod und Leben/ Sind hier in innigster Sympathie».

(7) Das abenteureliche Herz 2, ibid. p. 83: «Im letzten Schimmer des Lichtes ahnte ich noch: Ich würde unzählige Male leben, demselben Mädchen begegnen, dieselbe Blume essen und daran zugrunde gehen, ebenso wie dies bereits unzählige Male geschehen war».

(8) voir à ce propos le symbolisme des couleurs dans le Cœur aventureux.

(9) Das abenteurliche Herz 1, ibid., p. 74: «Ach, du warst in abgebten Zeiten/ Meine Schwester oder meine Frau».

(10) Das abenteurliche Herz 1, ibid., p. 74: «Sind Berge, Wellen, Himmel nicht ein Teil von mir und meiner Seele, ich von ih­nen?».

(11) Zwei Mal Halley, Stuttgart, 1987, p. 33: «Mich beschäftigt vielmehr seit langem die Frage des Überganges; ein irdener Becher wird in Gold verwandelt und dann in Licht. Daran beunruhigt nur eines: ob diese Erhöhung noch zur Kenntnis genommen wird, noch ins Bewußtsein fällt».

(12) Die Schere, Stuttgart, 1989, p. 173 sq.

(13)Schere,  p. 173.

(14) Annäherungen, Drogen und Rausch, Stuttgart, 1970, [Ullstein, 1980], p. 348: «Annäherung wird durch Eintretendes bestätigt, Anwesendes durch Abwesendes ergänzt. Sie trefen sich im Spiegel, der Zeit und Unbehagen löscht. Nie war der Spiegel so leer, so ohne Staub und bildlos —dafür haben zwei Jahrhunderte gesorgt. Dazu das Klopfen in der Werkstatt— der Vorhang wird durchsichtig; die Bühne ist frei».

(15) Die Schere, ibid., p. 120: «Die Geschichte hat kein Ziel; sie existiert. Der Weg ist wichtiger als das Ziel, insofern, als er in jedem Augenblick vor allem in dem des Todes Ziel werden kann».

 

vendredi, 23 octobre 2009

Gabriele d'Annunzio: "Entre la lumière d'Homère et l'ombre de Dante"

GabrieleD_Annunzio.jpgGabriele D’Annunzio :« Entre la lumière d’Homère et l’ombre de Dante »

« En quelque sorte, un dialogue d'esprit, une provocation, un appel... »

Friedrich Nietzsche

Ex: http://scorpionwind.hautetfort.com/

Né en 1863, à Pescara, sur les rivages de l'Adriatique, D'Annunzio sera le plus glorieux des jeunes poètes de son temps. Son premier recueil paraît en 1878, inspiré des Odes Barbares de Carducci. Dans L'Enfant de volupté, son premier roman, qu'il publie à l'âge de vingt-quatre ans, l'audace immoraliste affirme le principe d'une guerre sans merci à la médiocrité. Chantre des ardeurs des sens et de l'Intellect, D'Annunzio entre dans la voie royale de l'Art dont l'ambition est de fonder une civilisation neuve et infiniment ancienne.

Le paradoxe n'est qu'apparent. Ce qui échappe à la logique aristotélicienne rejoint une logique nietzschéenne, toute flamboyante du heurt des contraires. Si l'on discerne les influences de Huysmans, de Baudelaire, de Gautier, de Flaubert ou de Maeterlinck, il n'en faut pas moins lire les romans, tels que Triomphe de la Mort ou Le Feu, comme de vibrants hommages au pressentiment nietzschéen du Surhomme.

Il n'est point rare que les toutes premières influences d'un auteur témoignent d'une compréhension plus profonde que les savants travaux qui s'ensuivent. Le premier livre consacré à Nietzsche (celui de Daniel Halévy publié en 1909 ) est aussi celui qui d'emblée évite les mésinterprétations où s'embrouilleront des générations de commentateurs. L'écrivain D'Annunzio, à l'instar d'Oscar Wilde ou de Hugues Rebell, demeurera plus proche de la pensée de Nietzsche,- alors même qu'il ignore certains aspects de l'œuvre,- que beaucoup de spécialistes, précisément car il inscrit l'œuvre dans sa propre destinée poétique au lieu d'en faire un objet d'études méthodiques.

On mesure mal à quel point la rigueur méthodique nuit à l'exactitude de la pensée. Le rigorisme du système explicatif dont usent les universitaires obscurcit leur entendement aux nuances plus subtiles, aux éclats brefs, aux beaux silences. « Les grandes idées viennent sur des pattes de colombe » écrivait Nietzsche qui recommandait aussi à son ami Peter Gast un art de lire bien oublié des adeptes des « méthodes critiques »: « Lorsque l'exemplaire d'Aurores vous arrivera en mains, allez avec celui-ci au Lido, lisez le comme un tout et essayez de vous en faire un tout, c'est-à-dire un état passionnel ».

L'influence de Nietzsche sur D'Annunzio, pour n'être pas d'ordre scolaire ou scolastique, n'en est pas pour autant superficielle. D'Annunzio ne cherche point à conformer son point de vue à celui de Nietzsche sur telle ou telle question d'historiographie philosophique, il s'exalte, plus simplement, d'une rencontre. D'Annunzio est « nietzschéen » comme le sera plus tard Zorba le Grec. Par les amours glorieuses, les combats, les défis de toutes sortes, D'annunzio poursuit le Songe ensoleillé d'une invitation au voyage victorieuse de la mélancolie baudelairienne.

L'enlèvement de la jeune duchesse de Gallese, que D'Annunzio épouse en 1883 est du même excellent aloi que les pièces de l'Intermezzo di Rime, qui font scandale auprès des bien-pensants. L'œuvre entière de D'Annunzio, si vaste, si généreuse, sera d'ailleurs frappée d'un interdit épiscopal dont la moderne suspicion, laïque et progressiste est l'exacte continuatrice. Peu importe qu'ils puisent leurs prétextes dans le Dogme ou dans le « Sens de l'Histoire », les clercs demeurent inépuisablement moralisateurs.

Au-delà des polémiques de circonstance, nous lisons aujourd'hui l'œuvre de D'Annunzio comme un rituel magique, d'inspiration présocratique, destiné à éveiller de son immobilité dormante cette âme odysséenne, principe de la spiritualité européenne en ses aventures et créations. La vie et l'œuvre, disions-nous, obéissent à la même logique nietzschéenne,- au sens ou la logique, désentravée de ses applications subalternes, redevient épreuve du Logos, conquête d'une souveraineté intérieure et non plus soumission au rationalisme. Par l'alternance des formes brèves et de l'ampleur musicale du chant, Nietzsche déjouait l'emprise que la pensée systématique tend à exercer sur l'Intellect.

De même, D'Annunzio, en alternant formes théâtrales, romanesques et poétiques, en multipliant les modes de réalisation d'une poésie qui est , selon le mot de Rimbaud, « en avant de l'action » va déjouer les complots de l'appesantissement et du consentement aux formes inférieures du destin, que l'on nomme habitude ou résignation.

Ce que D'Annunzio refuse dans la pensée systématique, ce n'est point tant la volonté de puissance qu'elle manifeste que le déterminisme auquel elle nous soumet. Alors qu'une certaine morale « chrétienne » - ou prétendue telle - n'en finit plus de donner des lettres de noblesse à ce qui, en nous, consent à la pesanteur, la morale d’annunzienne incite aux ruptures, aux arrachements, aux audaces qui nous sauveront de la déréliction et de l'oubli. Le déterminisme est un nihilisme. La « liberté » qu'il nous confère est, selon le mot de Bloy « celle du chien mort coulant au fil du fleuve ».

Cette façon d’annunzienne de faire sienne la démarche de Nietzsche par une méditation sur le dépassement du nihilisme apparaît rétrospectivement comme infiniment plus féconde que l'étude, à laquelle les universitaires français nous ont habitués, de « l'anti-platonisme » nietzschéen,- lequel se réduit, en l'occurrence, à n'être que le faire valoir théorique d'une sorte de matérialisme darwiniste, comble de cette superstition « scientifique » que l'œuvre de Nietzsche précisément récuse: « Ce qui me surprend le plus lorsque je passe en revue les grandes destinées de l'humanité, c'est d'avoir toujours sous les yeux le contraire de ce que voient ou veulent voir aujourd'hui Darwin et son école. Eux constatent la sélection en faveur des êtres plus forts et mieux venus, le progrès de l'espèce. Mais c'est précisément le contraire qui saute aux yeux: la suppression des cas heureux, l'inutilité des types mieux venus, la domination inévitable des types moyens et même de ceux qui sont au-dessous de la moyenne... Les plus forts et les plus heureux sont faibles lorsqu'ils ont contre eux les instincts de troupeaux organisés, la pusallinimité des faibles et le grand nombre. »

Le Surhomme que D'Annunzio exalte n'est pas davantage l'aboutissement d'une évolution que le fruit ultime d'un déterminisme heureux. Il est l'exception magnifique à la loi de l'espèce. Les héros du Triomphe de la Mort ou du Feu sont des exceptions magnifiques. Hommes différenciés, selon le mot d'Evola, la vie leur est plus difficile, plus intense et plus inquiétante qu'elle ne l'est au médiocre. Le héros et le poète luttent contre ce qui est, par nature, plus fort qu'eux. Leur art instaure une légitimité nouvelle contre les prodigieuses forces adverses de l'état de fait. Le héros est celui qui comprend l'état de fait sans y consentir. Son bonheur est dans son dessein. Cette puissance créatrice,- qui est une ivresse,- s'oppose aux instincts du troupeau, à la morale de l'homme bénin et utile.

Les livres de D'Annunzio sont l'éloge des hautes flammes des ivresses. D'Annunzio s'enivre de désir, de vitesse, de musique et de courage car l'ivresse est la seule arme dont nous disposions contre le nihilisme. Le mouvement tournoyant de la phrase évoque la solennité, les lumières de Venise la nuit, l'échange d'un regard ou la vitesse physique du pilote d'une machine (encore parée, alors, des prestiges mythologiques de la nouveauté). Ce qui, aux natures bénignes, paraît outrance devient juste accord si l'on se hausse à ces autres états de conscience qui furent de tous temps la principale source d'inspiration des poètes. Filles de Zeus et de Mnémosyne, c'est-à-dire du Feu et de la Mémoire, les Muses Héliconiennes, amies d'Hésiode, éveillent en nous le ressouvenir de la race d'or dont les pensées s'approfondissent dans les transparences pures de l'Ether !

« Veut-on, écrit Nietzsche, la preuve la plus éclatante qui démontre jusqu'où va la force transfiguratrice de l'ivresse ?- L'amour fournit cette preuve, ce qu'on appelle l'amour dans tous les langages, dans tous les silences du monde. L'ivresse s'accommode de la réalité à tel point que dans la conscience de celui qui aime la cause est effacée et que quelque chose d'autre semble se trouver à la place de celle-ci,- un scintillement et un éclat de tous les miroirs magiques de Circé... »

Cette persistante mémoire du monde grec, à travers les œuvres de Nietzsche et de D'Annunzio nous donne l'idée de cette connaissance enivrée que fut, peut-être, la toute première herméneutique homérique dont les œuvres hélas disparurent avec la bibliothèque d'Alexandrie. L'Ame est tout ce qui nous importe. Mais est-elle l'otage de quelque réglementation morale édictée par des envieux ou bien le pressentiment d'un accord profond avec l'Ame du monde ? « Il s'entend, écrit Nietzsche, que seuls les hommes les plus rares et les mieux venus arrivent aux joies humaines les plus hautes et les plus altières, alors que l'existence célèbre sa propre transfiguration: et cela aussi seulement après que leurs ancêtres ont mené une longue vie préparatoire en vue de ce but qu'ils ignoraient même. Alors une richesse débordante de forces multiples, et la puissance la plus agile d'une volonté libre et d'un crédit souverains habitent affectueusement chez un même homme; l'esprit se sent alors à l'aise et chez lui dans les sens, tout aussi bien que les sens sont à l'aise et chez eux dans l'esprit. » Que nous importerait une Ame qui ne serait point le principe du bonheur le plus grand, le plus intense et le plus profond ? Evoquant Goethe, Nietzsche précise : « Il est probable que chez de pareils hommes parfaits, et bien venus, les jeux les plus sensuels sont transfigurés par une ivresse des symboles propres à l'intellectualité la plus haute. »

La connaissance heureuse, enivrée, telle est la voie élue de l'âme odysséenne. Nous donnons ce nom d'âme odysséenne, et nous y reviendrons, à ce dessein secret qui est le cœur lucide et immémorial des œuvres qui nous guident, et dont, à notre tour, nous ferons des romans et des poèmes. Cette Ame est l'aurore boréale de notre mémoire. Un hommage à Nietzsche et à D'Annunzio a pour nous le sens d'une fidélité à cette tradition qui fait de nous à la fois des héritiers et des hommes libres. Maurras souligne avec pertinence que « le vrai caractère de toute civilisation consiste dans un fait et un seul fait, très frappant et très général. L'individu qui vient au monde dans une civilisation trouve incomparablement davantage qu'il n'apporte. »

Ecrivain français, je dois tout à cet immémorial privilège de la franchise, qui n'est lui-même que la conquête d'autres individus, également libres. Toute véritable civilisation accomplit ce mouvement circulaire de renouvellement où l'individu ni la communauté ne sont les finalités du Politique. Un échange s'établit, qui est sans fin, car en perpétuel recommencement, à l'exemple du cycle des saisons.

La philosophie et la philologie nous enseignent qu'il n'est point de mouvement, ni de renouvellement sans âme. L'Ame elle-même n'a point de fin, car elle n'a point de limites, étant le principe, l'élan, la légèreté du don, le rire des dieux. Un monde sans âme est un monde où les individus ne savent plus recevoir ni donner. L'individualisme radical est absurde car l'individu qui ne veut plus être responsable de rien se réduit lui-même à n'être qu'une unité quantitative,- cela même à quoi tendrait à le contraindre un collectivisme excessif. Or, l'âme odysséenne est ce qui nous anime dans l'œuvre plus vaste d'une civilisation. Si cette Ame fait défaut, ou plutôt si nous faisons défaut à cette âme, la tradition ne se renouvelle plus: ce qui nous laisse comprendre pourquoi nos temps profanés sont à la fois si individualistes et si uniformisateurs. La liberté nietzschéenne qu'exigent les héros des romans de D’annunzio n'est autre que la liberté supérieure de servir magnifiquement la Tradition. Ce pourquoi, surtout en des époques cléricales et bourgeoises, il importe de bousculer quelque peu les morales et les moralisateurs.

L'âme odysséenne nomme cette quête d'une connaissance qui refuse de se heurter à des finalités sommaires. Odysséenne est l'Ame de l'interprétation infinie,- que nulle explication « totale » ne saurait jamais satisfaire car la finalité du « tout » est toujours un crime contre l'esprit d'aventure, ainsi que nous incite à le croire le Laus Vitae:

« Entre la lumière d'Homère

et l'ombre de Dante

semblaient vivre et rêver

en discordante concorde

ces jeunes héros de la pensée

balancés entre le certitude

et le mystère, entre l'acte présent

et l'acte futur... »

Victorieuse de la lassitude qui veut nous soumettre aux convictions unilatérales, l'âme odysséenne, dont vivent et rêvent les « jeunes héros de la pensée », nous requiert comme un appel divin, une fulgurance de l'Intellect pur, à la lisière des choses connues ou inconnues.

Luc-Olivier d'Algange

source: Le cygne noir numéro 1 >> Intentions 5