Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 20 décembre 2008

Erwin Guido Kolbenheyer

kolbenheyer_erwin_guido_1826305,property=zoom.jpg

Erwin Guido Kolbenheyer (1878-1962)

 

Robert Steuckers

Né le 30 décembre 1878 à Budapest, Erwin Guido Kolbenheyer, poète, dramaturge et philosophe, voit le jour dans le foyer d'un célèbre architecte austro-hongrois. Orphelin dès 1881, il s'installe avec sa mère à Karlsbad, dans le pays des Sudètes, où il fréquente le Gymnasium. En 1900, il part à Vienne pour y étudier la zoologie et la philosophie, notamment sous la tutelle des professeurs Hatschek et A. Stöhr. C'est avec l'appui de ce dernier qu'il acquiert son titre de docteur en philosophie en 1904. Mais il renonce à toute carrière universitaire pour se consacrer entièrement à sa poésie, ses drames et ses romans. En 1925, il fait paraître une première version de son ouvrage philosophique majeur, Die Bauhütte, qui sera définitivement achevé en 1940. Honoré de plusieurs prix, il continuera à ¦uvrer jusqu'à sa mort, survenue le 12 avril 1962. Dans toute sonoeuvre, tant philosophique que poétique ou romanesque, Kolbenheyer pose des héros qui incarnent l'être le plus profond de l'homme germanique, caractérisé par un élan vital sans repos; partant, ses héros recherchent, infatigables et tragiques, une connaissance, une puissance, un absolu, un idéal, un dieu, eux-mêmes. Son Paracelse, par exemple, est toujours en errance, toujours à la recherche de la connaissance suprême; dans ce cheminement interminable, Paracelse, précurseur de Faust, s'éloigne toujours davantage de l'Eglise et de ses lois. Il cherche, dans la foi, une liberté totale et, en Dieu, le repos éternel, sans jamais trouver ni l'une ni l'autre. Chacun des volumes de sa trilogie paracelsienne est précédé d'un dialogue entre le Christ et Wotan et contient plusieurs dialogues entre Paracelse et un représentant de la "vieille culture" classique, désormais incapable d'étancher la "soif métaphysique" des hommes. A un représentant de la Curie romaine, venu en Allemagne pour enquêter sur les progrès de la Réforme, Paracelse reproche de défendre des formes, figées et raidies, sans contenu, sans substance. Le Réforme est, aux yeux de Kolbenheyer, le retour de l'humanité germanique à la substance vitale, au-delà des formes figées, imposées par l'Eglise de Rome. Dans l'¦uvre de Kolbenheyer, resurgissent tous les débats de la réforme et de la renaissance, de l'humanisme et de la nouvelle vision du cosmos (celle d'un Giordano Bruno notamment), autant de Schwellenzeiten,   d'époques-seuil, où il est impératif d'adapter l'esprit au temps. Pour notre auteur, l'histoire de la pensée européenne est marquée par l'opposition entre, d'une part, un dynamisme adaptatif/mouvant/plastique, ancré dans un humus populaire précis, et un statisme absolu rigide, immobile et planant au-dessus de l'oikos  des hommes. Spinoza, Paracelse, Giordano Bruno, le personnage de Kolbenheyer Meister Joachim Pausewang, sont des représentants du dynamisme. Les églises et les dogmes, religieux ou laïques, sont des éléments de statisme, des cangues dont il faut sortir.

L'atelier. Eléments pour une métaphysique des temps présents (Die Bauhütte. Grundzüge einer Metaphysik der Gegenwart)  1925-1952

Idée centrale de cet ouvrage philosophique de Kolbenheyer: l'humanité, fascinée par les absolus postulés par les métaphysiques désincarnées, ne parvient plus à s'adapter aux impératifs des temps présents. Ceux-ci exigent une métaphysique souple, plastique, sans forme systématique définitive. L'homme a besoin de métaphysique pour s'orienter dans l'avalanche de données que lui communique le monde. La métaphysique lui sert de fil d'Ariane. Sans elle, il tâtonne. Les métaphysiques classiques ont toutes été des systèmes qui se voulaient définitifs et absolus, qui avaient pour but d'ordonner les idées, les connaissances et les valeurs humaines selon une idée centrale, généralement une conception de Dieu ou du monde, issue d'un état particulier d'adaptation de l'homme au monde dans un contexte spatio-temporel déterminé mais révolu. Mais quand le monde change sous la pression des événements, quand le changement provoque à l'échelle européenne une "crise de conscience", les métaphysiques classiques, de Pascal à Leibniz et à Rousseau, s'effondrent. On tente de les remplacer par l'idée du Moi, l'idée de la matière ou l'idée de l'esprit, l'idée de la collectivité ou l'idée du rien (nihilisme), sans se rendre compte que ces idées n'ont pas de contenu réel correspondant au nouvel état d'adaptation de l'humanité. Pire: ces idées sans contenu réel ont servi à construire des systèmes que l'on a posé comme définitifs, alors que la vitesse des changements, donc la nécessité vitale d'adaptations rapides successives, impliquait de se débarrasser de toute espèce de rigidité.
Question majeure que pose Kolbenheyer: qu'est-ce que la pensée? Elle est 1) l'intégration consciente de tout ce que nous vivons dans le monde de la conscience et 2) le fait de compléter, de classer et de construire sans cesse ces diverses sensations. Le siège de ce processus d'intégration, de complétement, de classification et de construction est le cerveau humain, conditionné par une biologie et une hérédité précises. Ce site, différent d'une multitude d'autres sites analogues, exclut la croyance naïve et dépassée en un esprit d'essence indépendante. Ces déterminations du siège de la pensée, c'est-à-dire du cerveau, lié à d'autres cerveaux par le jeu infini et kaléidoscopique du code génétique, se heurtent à des résistances continuelles qu'il faut vaincre, dépasser ou contourner. Les communautés de cerveaux unies par un même code génétique, lequel est variable à l'infini, produisent des idées directrices qui font montre d'une certaine durée dans l'histoire. Ces idées directrices sont métaphysiques, selon Kolbenheyer, car elles transcendent les individualités qui les incarnent plus ou moins bien. La métaphysique, de cette façon, est descendue de l'au-delà dans le monde réel. Les données du problème de la métaphysique sont les hommes, les hommes dans la vie et la vie dans les hommes et non pas un au-delà quelconque auquel il s'agit d'arriver, non pas un absolu fixé d'avance, indéterminé et indéterminable auquel l'homme doit adapter sa vie. La métaphysique est de ce fait "un point parfait d'adaptation intérieure et extérieure de l'homme" qui, nécessairement, diffère d'un individu à l'autre, d'un peuple à l'autre. De cette définition différenciée à l'infini de la métaphysique découle un dépassement de l'idéalisme et du rationalisme; ces systèmes faisaient de la pensée un "cadre" sans contenu. Pour Kolbenheyer, la pensée est et cadre et contenu en interaction ininterrompue. La pensée est ainsi à la foi force absorbante et force créatrice et n'a de valeur et d'importance que si elle remplit ce double rôle.
L'horizon de la pensée est, chez Kolbenheyer, celui de la "vie plasmatique", qui n'est pas un être en soi supérieur auquel les formes d'individuation sont subordonnées; il n'existe pas d'être plasmatique en dehors des formes d'individuation, ce qui n'empêche pas de penser à un rapport originel et générateur entre les formes d'individuation sur le plan de l'évolution générale. Ce qui existe en tant que vie, est de la vie différenciée, de la vie en train de s'adapter. Kolbenheyer dégage les lois de la "plasmogénèse" c'est-à-dire de l'individuation du plasma et de sa conservation dans les individus; le plasma adapté (c'est-à-dire l'individu) ne peut être ramené à un degré d'individuation par lequel il a passé précédemment; la part de plasma dont les capacités ne résistent pas par l'adaptation au changement des époques géologiques cosmiques disparaît. La substance vitale, le plasma, est répartie entre tous les peuples de la terre. Pour parfaire leur rôle historique, pour créer des formes culturelles viables et sublimes, pour exprimer les potentialités de ce plasma qui leur est échu, les peuples épuisent graduellement leur capital en plasma. Les peuples jeunes sont ceux qui disposent encore d'une grande quantité de plasma non transformé en formes. Plus la quantité de plasma résiduel est importante, plus la vitalité du peuple est intense. Les peuples trop encombrés de formes ont terminé leur cycle et se retirent petit à petit de la scène du monde.
De cette vision biologico-mystique, Kolbenheyer déduit une éthique individuelle répondant à une maxime paraphrasant Kant: "Agis toujours de façon telle, que tu puisses être convaincu d'avoir fait par tes actions le meilleur et le maximum pour que le type humain, dont tu es issu, puisse être maintenu et se développer". L'individualité est, dans cette optique, "exposant de fonction"; il est une modalité de l'adaptation au réel du donné plasmatique. Par conséquent, ne sont immortelles que les prestations de l'individualité qui ont accru les capacités adaptatives du plasma. De la maxime énoncée ci-dessus et de cette notion d'immortalité des prestations, découle une éthique du devoir. L'individualité doit maintenir et développer la vie, au-delà de sa propre existence individuelle, et mettre en ¦uvre, dans ce but, toutes ses énergies. L'individu en soi, dans la perspective kolbenheyerienne, n'existe pas car tous les hommes sont reliés au paracosmos, et ont ainsi en commun bon nombre de traits supra-individuels; de plus, l'individualité, au cours de son existence, change et est appelée à jouer des rôles différents: celui de l'enfant, puis celui de l'époux, du père, celui que postule sa fonction sociale, etc. Il y a différenciation constante, ruinant toute rigidité posée comme en soi. On a parlé de l'¦uvre philosophique de Kolbenheyer comme d'un "naturalisme métaphysique" (R. König) ou d'un "matérialisme biologique" (E. Keller).
(Robert Steuckers).

- Bibliographie non exhaustive; nous ne reprenons que les ouvrages littéraires de Kolbenheyer ayant un intérêt philosophique; une bibliographie complète, établie par Kay Nieschling, se trouve dans Peter Dimt (cf. infra); par ailleurs, le lecteur pourra s'adresser à la Kolbenheyer-Gesellschaft e. V., Schnieglinger Straße 244, D-8500 Nürnberg, pour tout renseignement sur l'auteur. Cette société édite également un périodique d'exégèse de l'¦uvre d'EGK, intitulé Der Bauhütten-Brief.
Giordano Bruno, 1903 (tragédie); Die sensorielle Theorie der optischen Raumempfindung, 1905 (thèse); Amor Dei, 1908 (roman sur Spinoza); Meister Joachim Pausewang, 1910 (roman où intervient la figure de Jakob Böhme); Montsalvach, 1912; Die Kindheit des Paracelsus, 1917 (premier tome de la trilogie paracelsienne); Wem bleibt der Sieg?, 1919; Das Gestirn des Paracelsus, 1922 (tome 2); Die Bauhütte. Grundzüge einer Metaphysik der Gegenwart, 1925 (première version); Das dritte Reich des Paracelsus, 1926 (tome 3); Heroische Leidenschaften, 1929 (nouvelle mouture de Giordano Bruno); Aufruf an die Universitäten, 1930 (discours); Das Gesetz in dir, 1931 (théâtre); Die volksbiologischen Grundlagen der Freiheitsbewegung, 1933 (essai); Gregor und Heinrich, 1934 (pièce de théâtre mettant en scène le Pape et l'Empereur et les valeurs qu'ils incarnent); Unser Befreiungskampf und die deutsche Dichtung, 1934 (discours); Der Lebensstand der geistig Schaffenden und das neue Deutschland, 1934 (discours); Arbeitsnot und Wirtschaftskrise biologisch gesehen, 1935 (article); Das gottgelobte Herz, 1938 (roman avec pour thème la mystique allemande); Der Einzelne und die Gemeinschaft, 1939 (discours); Goethes Denkprinzipien und der biologischen Naturalismus, 1939 (discours); Die Bauhütte, 1940 (nouvelle version); Das Geistesleben in seiner volksbiologischen Bedeutung, 1942 (discours); Menschen und Götter, 1944 (tétralogie dramatique); Die Bauhütten-Philosophie, 1952 (troisième édition, complétée de textes nouveaux); Sebastian Karst über sein Leben und seine Zeit, I, 1957 (autobiographie); Sebastian Karst über sein Leben und seine Zeit, II & III, 1958 (autobiographie, suite); Metaphysica viva, 1960; éditions posthumes: Wem bleibt der Sieg?, 1966 (anthologie comprenant le texte de 1919 portant le même titre); Vorträge, Aufsätze, Reden, 1966 (‘uvres complètes, 2/VII); Die Bauhütte, 1968 (4ième éd.); Mensch auf der Schwelle, 1969; Du sollst ein Wegstück mit mir gehn, 1973 (anthologie); Gesittung. Ihr Ursprung und Aufbau, 1973; Kämpfer und Mensch. Theoretischer Nachlaß, 1978; Rationalismus und Gemeinschaftsleben, 1982. Les ‘uvres complètes, publiées à l'initiative de la Kolbenheyer-Gesellschaft, sont parues entre 1956 et 1969.
- Sur Kolbenheyer:  Conrad Wandrey, Kolbenheyer. Der Dichter, der Philosoph, Langen/Müller, Munich, 1934; Franz Westhoff, E.G. Kolbenheyers Paracelsus-Trilogie - eine Metaphysik des deutschen Menschen,  Thèse, Münster, 1937; Ernst Heinrich Reclam, Die Gestalt des Paracelsus in der Dichtung. Studien zu Kolbenheyers Trilogie, Thèse, Leipzig, 1938; H. Vetterlein, "Kolbenheyer-Bibliographie", in Dichtung und Volkstum (Euphorion), 40, 1939, pp. 94-109; E. Fuchs, Das Individuum und die überindividuelle Individualität in Kolbenheyers historischen Romanen, 1940; Franz Koch, "E.G. Kolbenheyers Bauhütte und die Geisteswissenschaften", in Dichtung und Volkstum (Euphorion), 41, 1941, pp. 269-296; H. Seidler, "Kolbenheyer über die Dichtkunst", in Dichtung und Volkstum (Euphorion), 41, 1941, pp. 296-321;   Paul Lespagnard, "Erwin Guido Kolbenheyer", in Bulletin de l'Ouest, Bruxelles, 15 avril 1942, 2, pp. 18-20; Paul Lespagnard, "L'oeuvre de E.G. Kolbenheyer. La "Bauhuette"", in Bulletin de l'Ouest,  Bruxelles, 15 nov. 1943, 20, pp. 230-233 et 30 nov. 1943, 21, pp. 241-244; St. R; Townsend, Kolbenheyers Conception of the German Spirit and the Conflict with Christianity, 1947; H.D. Dohms, Die epische Technik in Kolbenheyers Roman "Das gottgelobte Herz", 1948; Franz Koch, Kolbenheyer,  Göttinger Verlagsanstalt, Göttingen, 1953; Robert König, Von Giordano Bruno zu E.G. Kolbenheyer, Kolbenheyer-Gesellschaft, Nuremberg, 1961; A.D. White, The Development of the Thought of E.G. Kolbenheyer from 1901 to 1934, 1967; Otto Schaumann, Die Triebrichtungen des Gewissens,  Orion-Heimreiter, Francfort s.M., 1967; Ernst Frank, Jahre des Glücks. Jahre des Leids. Eine Kolbenheyer-Biographie,  blick + bild, Velbert, 1969 (principale biographie de l'auteur; avec 95 ill.); Ernst Keller, "Der Weg zum deutschen Gott: E.G. Kolbenheyer", in Ernst Keller, Nationalismus und Literatur, Francke, Berne/Munich, 1970; Robert König, Der metaphysische Naturalismus E.G. Kolbenheyers, Kolbenheyer-Gesellschaft, Nuremberg, 1971; Robert König, Ein Gedenkblatt zu seinem 10. Todestag am 12. April 1972,  Kolbenheyer-Gesellschaft, Nuremberg, 1972; Alain de Benoist, "Paracelsus: roman d'Erwin Guido Kolbenheyer", in Nouvelle Ecole,   29, 1976, pp. 126-131; Robert Steuckers, "Le centenaire de Kolbenheyer", in Pour une renaissance européenne, Bruxelles, 27/28, 1979, pp. 270-276; Herbert Seidler, "Erwin Guido Kolbenheyer", in Neue Deutsche Biographie,   Band 12, Duncker u. Humblot, Berlin, 1980;  Peter Dimt, Schlederloher Teestunde. Vierzig Anekdoten um Erwin Guido Kolbenheyer,  Türmer, Berg, 1985 (avec bibliographie complète des ¦uvres de EGK); Hedwig Laube, Von Erwin Guido Kolbenheyers Ethos aus Naturerkenntnis,  Kolbenheyer-Gesellschaft, Nuremberg, 1985; Hedwig Laube, Religion in Kolbenheyers Werk,  tiré à part édité par la Kolbenheyer-Gesellschaft, Nuremberg, 1989; Karl Hein, "Er hieß Kolbenheyer und schuf den biologischen Sozialismus für das 21. Jahrhundert", in Elemente, Kassel, 4, 1990.

vendredi, 19 décembre 2008

Leben aus den Wurzeln

thoreau2.jpg

 

Leben aus den Wurzeln - Ein Aussteigerbuch aus dem neunzehnten Jahrhundert wurde neu aufgelegt

Die Zivilisationskritik erscheint auch heute nicht unzeitgemäß

von Martin Lohmann (http://konservativ.de )

 

Am 4. Juli 1845, dem amerikanischen Unabhängigkeitstag, zog sich der amerikanische Schriftsteller Henry David Thoreau (1817–1862) für zwei Jahre in eine selbstgezimmerte Hütte am Walden-See bei der Ortschaft Concord zurück. Umgeben von der Einsamkeit der Wälder Massachusetts’ versuchte Thoreau in einem radikalen Selbstexperiment herauszufinden, was die wahren Grundbedürfnisse des Menschen sind. Spartanisch ausgestattet lebte er in Askese und kontemplativer Einkehr ein „Leben aus den Wurzeln“ im Einklang mit der Natur, der er nur das allernötigste abrang. Seine Einsichten und Reflexionen fanden ihren Niederschlag in dem Erfahrungsbericht „Walden oder Leben in den Wäldern“, das zu den bedeutendsten Klassikern der amerikanischen Literatur zählt. Seine in Symbolik übersetzten Naturbeobachtungen wie die vom See als „das Auge der Erde“ gelten als meisterhafte Darstellungen der Naturdichtung.

Oft wird Thoreaus Werk auf das Niveau von Naturprosa reduziert. Thoreau ging in seinem Anspruch jedoch viel weiter. Sein Selbstexperiment war seine Reaktion auf den durch die beginnende Industrialisierung einsetzenden Materialismus seiner neuenglischen Landsleute, die ihr vermeintliches Heil in der Wohlstandsmehrung durch technischen Fortschritt sahen. Thoreau verwarf diesen Irrglauben, weil die moderne Technik keinesfalls die innere Natur des Menschen zu bessern vermag. Vielmehr sah er die Gefahr, daß die Menschen zu Sklaven der Technik würden und sich die Menschen durch ihre Habgier von ihren geistigen Bedürfnissen entfremden. Allerdings wich seine kompromißlose Ablehnung der Technik in späteren Jahren der altermilden Einsicht, daß technischer Fortschritt durchaus auch Vorteile bietet, solange er für positive Ziele eingesetzt wird.

In der aufkommenden Industriegesellschaft sah er den einzelnen Menschen als Bestandteil einer anonymen Maschinerie auf einen Marktwert herabgesetzt, dem menschliche Beziehungen fremd sind. Statt dem Menschen zu dienen, nimmt der technische Fortschritt nur wenige mit und überrollt viele. Auch mehr als 150 Jahre später findet seine Zivilisationskritik ihre Entsprechung in der Gegenwart: Die Dynamik und Komplexität moderner Arbeitsprozesse, so der Arbeitspsychologe Michael Kaster, führen zu einer persönlichen Überforderung des Menschen, der in seinem Entwicklungstempo nicht mehr Schritt halten kann und infolgedessen zu dem krankmachenden Schluß gelangt, den Anforderungen modernen Lebens dauerhaft nicht gewachsen zu sein. Am Ende des technischen Fortschritts steht heute nicht das Paradies auf Erden, sondern die Depression als Volkskrankheit Nummer eins.

Thoreaus Gegenentwurf bestand in einer „Ökonomie des Lebens“, in deren Mittelpunkt er die Frage stellte, ob der Mensch nicht auch mit weniger materiellen Besitz glücklich werden könnte. Seine Antwort darauf lautete: „Ein Mensch ist so reich wie die Anzahl der Dinge, auf die er verzichten kann.“ Das Ideal seiner Vorstellungen fand er in der Vollkommenheit der Natur verwirklicht, zu der der Mensch in einem engen Verhältnis steht und auf die er sich zurückbesinnen sollte, anstatt sie gedankenlos auszubeuten. In einer vereinfachten Lebensweise sah er den Schlüssel für die Fähigkeit des Menschen, über sich hinauszuwachsen und glücklich zu werden.

Nicht Weltflucht des Aussteigers, sondern Eigenverantwortung des Menschen; nicht Fremdbestimmung in Unmündigkeit, sondern Selbstbewußtsein – das waren die Prinzipien, die der Nonkonformist Thoreau in seinem Experiment vorleben wollte. Damit griff er, der maßgeblich von Immanuel Kant und vom deutschen Idealismus beeinflußte „Romantiker Amerikas“, die wichtigsten Motive der europäischen Aufklärung auf.

Es besteht kein Zweifel, daß der materielle Lebensstandard unseres Landes durch die Folgen der Globalisierung und der demographischen Entwicklung künftig spürbar schrumpfen wird. Wie man in diesen Zeiten dennoch ein erfülltes Leben führen kann, dazu bietet Thoreaus „Walden“ auch heute noch wertvolle Orientierungshilfe und Inspiration.

Henry David Thoreau: Walden oder Leben in den Wäldern, Diogenes,2004,512 Seiten, gebunden, Leinen, 15,90 Euro

Entretien avec A. Murcie et L. O. d'Algange

 

T040578A.jpg

Entretien avec André Murcie et Luc-Olivier d'Algange, éditeurs de Jean Parvulesco


propos recueillis par Hugues RONDEAU


Amateurs de prose et de vers ajourés, André Murcie et Luc-Olivier d'Algange ne partagent cependant pas l'éthylique détachement de Rimbaud ou la talentueuse indifférence d'Hölderlin.

Pour eux, la poésie est le flambeau de leur combat. Courageux ou téméraires, ils se dépensent sans compter pour la survie d'une petite maison d'édition, les Nouvelles Littératures Européennes. Sous ce label sont déjà parus une revue au parfum de la grande littérature, un roman de Luc-Olivier d'Algange (Le Secret d'or) et surtout un cahier d'hommage à Jean Parvulesco.

Trois cent quarante-quatre pages de témoignages et d'articles inédits font de ce volume, l'indispensable lexique de l'œuvre de l'auteur de La Servante portugaise.

Editer Parvulesco ou avoir opté pour la subversion par le talent.



- En prenant la décision d'éditer Jean Parvu­lesco, génial trublion du la littérature franco­phone, vous avez pris un risque certain. Poête et essayiste, géopoéticien aurait dit Kenneth White, écrivain re­belle et ésotériste inspiré, Parvulesco ouvre les yeux des prédestinés mais demeure inconnu du grand public. Votre initiative avait-elle pour but de le rendre populaire ?


- Luc-Olivier d'Algange: Je dois avouer que mon engouement pour les écrits de Jean Parvulesco est né de la lecture en 1984 de son Traité de la chasse au faucon. Il m'apportait la preuve attendue qu'une haute poésie était possible —et même né­ces­saire— dans cette époque pénombreuse où nous avons disgrâce de vivre. La dis­grâce, mais aussi, dirai-je, la chance ex­traordi­naire, car, en vertu de la loi des contrastes, c'est dans l'époque la plus déré­lictoire et la plus vaine que l'espoir nous est offert de connaître la joie la plus laborieuse et, dans sa splendeur absolue (Style), l'exaucement de la volonté divine.

Tel était le message que me semblait appor­ter la poésie de Jean Parvulesco. Or, sa­chant qu'André Murcie poursuivait une quête pa­rallèle à la mienne et qu'il envisa­geait en outre de lancer la revue Style, il m'a semblé utile de lui faire part de ma dé­couverte. C'est ainsi que dès le premier numéro, avec un poême intitulé Le Privi­lège des justes se­crets, Jean Parvulesco de­vint une voie es­sentielle de la revue Style. Celle-ci devait encore publier le vaste et fa­meux poème, Le Pacifique , nouvel axe du monde ainsi que le Rapport secret à la nonciature, qui est un admirable récit visionnaire sur les appari­tions de Medjugorge et de nombreux autres poèmes. Tout cela avant d'élargir encore son dessein, en créant les éditions des Nou­velles Littératures Européennes, et de pu­blier un Cahier Jean Parvulesco, récapitu­lation en une succession de plans de l'univers de Parvulesco, en ses divers as­pects, poétiques, philosophiques, esthé­tiques, architecturaux, cinématogra­phiques ou politiques.


- André Murcie: En effet et ceci répond de façon plus précise à votre question, il est clair que Parvulesco va à contre-courant de ses contemporains. Jean Parvulesco n'est en aucune façon un spécialiste. Il est, au con­traire, de cette race d'auteurs qui font une œuvre, embrassement de l'infinité des appa­rences et de cette autre infini qui est der­rière les apparences. C'est là la diffé­rence soulignée par Evola entre «l'opus», l'œuvre, et le «labor», le labeur. Avec Par­vulesco, nous sommes aux antipodes d'un quelconque «travail du texte», c'est à dire que nous sommes au cœur de l'œuvre et même du Grand œuvre, ainsi que l'illustre d'ailleurs le premier essai, publié dans le Cahier dans la série des dévoilements: Al­chimie et grande poésie.

Ce texte est sans doute, depuis les De­meures philosophales de Fulcanelli, l'approche la plus lumineuse de ces ar­canes et tous ceux qui cherchent à préciser les rapports qui unissent la création litté­raire et la science d'Hermès trouveront, sans nul doute, en ces pages, des informa­tions précieuses et, mieux que des informa­tions, des traces - au sens où Heidegger di­sait que nous devions mainte­nant nous in­terroger sur la trace des Dieux enfuis.

Pour Jean Parvulesco, il ne fait aucun doute que la lettre est la trace de l'esprit. C'est ainsi que son œuvre nous délivre des idolâ­tries du Nouveau Roman et autres lit­téra­tures subalternes qui réduisent les mots à leur propre pouvoir dans une sorte de res­sassement narcissique. Pour Jean Parvu­les­co, la littérature n'a de sens que parce qu'el­le débute avant la page écrite et s'achève a­près elle.


- Il est signicatif que ces propos sur l'alchimie soient, dans le même chapitre du Cahier, sui­vis par un essai intitulé: «La langue fran­çaise, le sentier de l'honneur»...


- Luc-Olivier d'Algange: Trace de l'esprit, trace du divin, la langue française retrouve en effet, dans la prose ardente et limpide de Jean Parvulesco, sa fonction oraculaire. Ses écrits démentent l'idée reçue selon la­quelle la langue française serait celle de la com­mune mesure, de la tiédeur, de l'anecdote futile. Jean Parvulesco est là pour nous rap­peler que dans la tradition de Scève, de Nerval, de Rimbaud, de Lautréa­mont ou d'Artaud, la langue française est celle du plus haut risque métaphysique.

«Langue de grands spirituels et de mys­tiques, écrit Jean Parvulesco, charitable­ment emportés vers le sacrifice permanent et joyeux, d'aristocrates et de rêveurs pré­destinés, faiseurs de nouveaux mondes et parfois même de mondes nouveaux, langue surtout, de paysans, de forestiers conspi­ra­teurs et nervaliens, engagés dans le chemi­nement de leurs obscures survi­vances trans­cendantales, occultes en tout, langue de la poésie absolue...».

C'est exactement en ce sens qu'il faudra comprendre le dessein littéraire qui est à l'origine du Cahier - véritable table d'orien­tation d'un monde nouveau, d'une autre cul­ture, qui n'entretient plus aucun rapport, même lointain, avec ce que l'on en­tend or­dinairement sous ce nom. Car il va sans dire que la «Culture» selon Parvu­lesco n'est cer­tes pas ce qui se laisse asso­cier à la «Com­mu­nication» mais un prin­cipe, à la fois sub­versif et royal, qui n'a pas d'autre but que d'ou­trepasser la condition humaine.

Tel est sans doute le sens du chant intitulé Les douzes colonnes de la Liberté Absolue que l'on peut lire vers la fin du Cahier: «...que nous chantons, que nous chantons, par ces volumes conceptuels d'air s'appelant étangs, ou blancs corbeaux, au­tour de l'im­maculation des Douzes Co­lonnes, ver­tiges s'ou­vrant sur les Portes d'Or et indigo de l'At­lantis Magna, chu­chotement circu­laire et lent, je suis la Li­berté absolue».

L'œuvre doit ainsi accomplir, par une in­time transmutation, cette vocation surhu­maniste, qui, dans la pensée de Jean Par­vulesco, ne contredit point la Tradition, mais s'y inscrit, de façon, dirai-je, clandes­tine; toute vérité n'é­tant pas destinée à n'importe qui. Mais c'est là, la raison d'être de l'ésotérisme et du secret, qui, de fait, est un secret de nature et non point un secret de convention.


- Vous avez donné une large place dans le Cahier aux rêves et prémonitions métapoli­tiques de Jean Parvulesco.


- André Murcie: En ce qui concerne le do­maine politique, nous avons republié dans le Cahier, un ensemble d'articles de géopo­li­tique que Parvulesco publia naguère dans le journal Combat et qui eurent à l'époque un rententissement tout à fait extraodi­naire. Ce fut, à dire vrai, une occasion de polé­mi­ques furieuses. A la lumière d'évènements récents, concernant la réuni­fication de l'Alle­magne, les change­ments intervenus à l'Est, ces articles re­trouvent brusquement une actualité brû­lante. Il semblerait que seul ce­lui qui expé­rimente les avènements de l'âme soit des­tiné à comprendre les évè­nements du monde. Ainsi des études comme L'Allemagne et les destinés actuelles de l'Europe ou en­co­re Géopolitique de la Mé­diterranée occiden­tale donnent à relire les évènements ulté­rieurs dans une perspec­tive différente.


- Le Cahier s'enrichit aussi des reflexions peu banales de Parvulesco sur le cinéma.


- Luc-Olivier d'Algange: Je crois que nous mesurons encore mal l'influence de Jean Par­vulesco sur le cinéma français et euro­péen. On sait qu'il fut personnage dans cer­tains films de Jean-Luc Godard - en parti­cu­lier dans A bout de souffle, et qu'il fut aussi, par ailleurs, acteur et scénariste. A cet égard, le Cahier contient divers témoi­gnages passionnants concernant, plus par­ticulière­ment, Jean-Pierre Melville et Wer­ner Schrœ­ter dont nul, mieux que l'auteur des Mystères de la villa Atlantis, ne connait les véritables motivations.

Il nous propose là une relecture cinémato­graphique dans une perspective métapoli­ti­que qui dépasse de toute évidence les niai­se­ries que nous réserve habituellement la cri­tique cinématographique.


- André Murcie: L'intérêt extrême des té­moignages de Jean Parvulesco concernant l'univers du cinéma est d'être à la fois en pri­se directe et prodigieusement lointain. C'est à dire, en somme, de voir le cinéma de l'in­térieur, comme une vision, en sympa­thie pro­fonde avec le cinéaste lui-même, et non point telle la glose inapte d'un quel­conque cinéphile. C'est ainsi que Nietzsche ou Tho­mas Mann parlèrent de Wagner.


- D'autres textes, publiés dans ce Cahier ont également cette vertu du témoignage direct, qui nous donne à pressentir une réalité sin­gulière. Ainsi en est-il des récits portant sur Arno Brecker et Ezra Pound.


- Luc-Olivier d'Algange: J'ai été pour ma part très sensible à l'hommage que Jean Par­vulesco sut rendre à Ezra Pound dont Dominique de Roux disait qu'il n'était rien moins que «le représentant de Dieu sur la terre». Hélas, cette recherche de la poésie absolue était jusqu'alors mal comprise, li­vrée aux maniaques du «travail du texte» et autres adeptes du lit de Procuste, acharnés à faire le silence sur les miroitements ita­liens de l'œuvre de Pound.

Cette italianité fit d'alilleurs d'Ezra Pound une sorte d'apostat, alors que, par cette fidé­lité essentielle, il rejoignait au contraire, au-delà des appartenances spéci­fiantes, sa véri­table patrie spirituelle qui, en aucun cas ne pouvait être cette contrée où Edgard Poe et Lovecraft connu­rent les affres du plus impi­toyable exil.

Mais je laisse la parole à Jean Parvulesco lui-même: «Ce qu'Ezra Pound, l'homme sur qui le soleil est descendu, cherchait en Italie, on l'a compris, c'est le Paradis. Tos­cane, Om­brie, Ezra Pound avait accédé à la certi­tude inspirée, initiatique, abyssale, que le Para­dis était descendu, en Italie, pen­dant le haut moyen âge et que, très occul­tement, il s'y trouvait encore. Pour en trou­ver la passe in­terdite, il suffisait de se lais­ser conduire en avant, aveuglément - et nuptialement aveu­glé - par la secretissima, par une cer­taine lu­mière italienne de tou­jours ».


Propos recueillis

par Hugues Rondeau.


Cahier Jean Parvulesco, 350 pages, Nouvelles Littératures Européennes, 1989.


Luc-Olivier d'Algange, né en 1955 à Göttingen (Allemagne) a publié :


Le Rivage, la nuit unanime (épuisé)

Médiances du Prince Horoscopale (Cééditions 1978)

Manifeste baroque (Cééditions, 1981)

Les ardoises de Walpurgis (Cahiers du lo­sange, 1984)

Stances diluviennes (Le Jeu des T, 1986)

Heurs et cendres d'une traversée lysergique (Le Jeu des T, 1986)


Co-fondateur, avec F.J Ossang, de la revue CEE (Christian Bourgois éditeur)

Rédacteur de PICTURA EDELWEISS et PIC­TURA MAGAZINE


Textes parus dans :

Recoupes; Erres; L'Ether Vague; CEE; Encres Vives; Phé; Libertés; Sphinx; Evasion; Le Mi­roir du Verbe; Dismisura; Bunker; Le Cheval rouge; Devil-Paradis; Anthologie de la poésie initiatique vivante; Claron; Le Jeu des Tombes; Question de; Vers la Tradition; La Poire d'Angoisse; Camouflage; Strass-Polymorphe; Phréatique, Asturgie-Onirie; Pictura; Mensuel 25; Matulu, Place royale, L'Autre Monde.


André Murcie né en 1951


- Poèmes de poésie (1967-1985)

- Poème pour la démesure d'André Murcie

- Poèmes de la démesure (Work in progress).

lundi, 15 décembre 2008

Th. Carlyle en het mammonisme

Thomas Carlyle en het mammonisme

 

Geplaatst door yvespernet 

In deze ingewikkelde tijd [...] is geld de enige schakel tussen de mensen [...]. Geld is de enige schakel, maar er zijn zoveel zaken die met geld niet te koop zijn! Geld is een groot wonder, maar het bezit niet alle macht in het uitspansel, en zelfs niet op Aarde…

Thomas Carlyle in Chartism (1840)

Het evangelie van het mammonisme [...] heeft ook zijn eigen hemel. Want te midden van alle verzinselen is er één werkelijkheid, er is één zaak die we buitengewoon serieus nemen: het verdienen van geld [...]. We zijn helemaal vergeten dat geld niet de enige schakel tussen mensen is.

Thomas Carlyle in Past and present (1843)

dimanche, 14 décembre 2008

L'itinerario di Knut Hamsun

 

hamsun2.jpg

L’itinerario di Knut Hamsun

di Robert Steuckers

Knut Hamsun: una vita che attraversa circa un secolo intero, che si estende dal 1859 al 1952, una vita che ha camminato tra le prime manifestazioni dei ritmi industriali in Norvegia e l’apertura macabra dell’era atomica, la nostra, che comincia a Hiroshima nel 1945. Hamsun è dunque il testimone di straordinari cambiamenti e, soprattutto un uomo che insorge contro l’inesorabile scomparsa del fondo europeo, del Grund in cui si sono poggiati tutti i geni dei nostri popoli: il mondo contadino, l’umanità che è cullata dalle pulsazioni intatte della Vita naturale.

una fibra nervosa che mi unisce all’universo

Questo secolo di attività letteraria, di ribellione costante, ha permesso allo scrittore norvegese di brillare in ogni maniera: di volta in volta, egli è stato poeta idilliaco, creatore di epopee potenti o di un lirismo di situazione, critico audace delle disfunzioni sociali dello “stupido XIX secolo”. Nella sua opera multi-sfaccettata, si percepiscono pertanto al primo sguardo alcune costanti principali: un’adesione alla Natura, una nostalgia dell’uomo originario, dell’uomo di fronte all’elementare, una volontà di liberarsi dalla civilizzazione moderna essenzialmente meccanicista. In una lettera che egli scrive all’età di ventinove anni, scopriamo questa frase così significativa: “Il mio sangue intuisce che ho in me una fibra nervosa che mi unisce all’universo, agli elementi”.

Hamsun nasce a Lom-Gudbrandsdalen, nel sud della Norvegia, ma trascorre la sua infanzia e la sua adolescenza a Hammarøy nella provincia del Nordland, al largo delle Isole Lofoten e al di là del Circolo Polare Artico, una patria da lui mai rinnegata e che sarà lo sfondo di tutta la sua immaginazione romanzesca. È una vita rurale, in un paesaggio formidabile, impressionante, unico, con gigantesche falesie, fiordi grandiosi e luci boreali; sarà anche l’influenza negativa di uno zio pietista che condurrà assai presto il giovane Knut a condurre una vita di simpatico vagabondo,di itinerante che esperimenta la vita in tutte le sue forme.

Il destino di un “vagabondo”

Knut Pedersen (vero nome di Knut Hamsun) è figlio di un contadino, Per Pedersen che, a quarant’anni, decide di abbandonare la fattoria che appartiene alla sua famiglia da più generazioni, per andare a stabilirsi a Hammarøy e diventare sarto. Questo cambiamento, questa uscita fuori dalla tradizione familiare, fuori da un contesto pluricentenario, provoca l’indigenza e la precarietà in questa famiglia scossa e il giovane Knut, a nove anni, si vede affidato a questo zio severo, di cui abbiamo appena parlato, uno zio duro, puritano, che detesta i giochi, anche quelli dei figli e picchia duro per farsi obbedire. È dunque a Vestfjord, presso questo zio puritano, predicatore, cultore della teologia moralizzante, che Knut Hamsun incontrerà il suo destino di vagabondo.

Per sfuggire alla rudezza ed alla brutalità di questo predicatore evangelico che picchia per il bene di Dio, che interrompe le risate che, senza dubbio, sono ai suoi occhi l’anticamera del peccato, il giovane Knut si chiude in se stesso e si rivolge alla foresta del Grande Nord, così spoglia, ma circondata da paesaggi talmente fiabeschi… La dialettica hamsuniana dell’io e della natura prende corpo nei rari momenti in cui lo zio non fa sgobbare il ragazzo per recuperare la spesa di qualche uovo e di un pezzo di pane nero.

La prima opera: Misteri

Questa vita, tra la Bibbia e i ceffoni, Knut la vivrà cinque anni; a quattordici anni in effetti egli fa le valige e ritorna a Lom, nel natale sud, dove diviene impiegato di commercio. Comincia la vita itinerante: Hamsun acquisisce la sua “caratteristica”, quella di essere un “vagabondo”. Dai quindici ai diciassette anni, egli errerà nel Nord e venderà agli autoctoni ogni tipo di mercanzie, come Edevart, personaggio del suo celebre romanzo I Vagabondi. A diciassette anni, egli impara il mestiere di calzolaio e scrive la sua prima opera: Misteri. Diventa una celebrità locale e passa al grado di impiegato, poi di istitutore. Un ricco commerciante lo prende sotto la sua protezione e gli procura una somma di denaro perché possa continuare a scrivere. Così nasce nel 1879, una seconda opera, Frida, che gli editori rifiutano. La speranza di diventare scrittore svanisce, malgrando un tentativo di entrare in contatto con Björnson…

Comincia allora un nuovo periodo di vagabondaggio: Hamsun è sterratore, cantastorie, capomastro in una cava, etc…, e le sue sole gioie sono i balli del sabato sera. Nel 1882, a 23 anni, parte per l’America dove la vita sarà assai più difficile che in Norvegia e dove Hamsun sarà di volta in volta guardiano di porci, impiegato di commercio, aiuto muratore e commerciante di legname. A Minneapolis, egli vivrà giorni migliori in una comunità di predicatori “unitariani”, di Norvegesi, immigrati come lui in America. Questa posizione gli permette di tenere regolarmente conferenze su diversi temi letterari: là il suo stile si afferma e questo giovane, di bell’aspetto, energico e forte, trasforma le sue delusioni e i suoi rancori in sarcasmo ed in uno humour feroce, colorito, in cui emerge quel genio che non sarà riconosciuto che alcuni anni dopo.

La fame in una mansarda di Copenaghen

Dopo un breve ritorno in Norvegia, egli ritorna in America e vive a Chicago dove fa il bigliettaio di tram. Questo secondo soggiorno americano non dura che qualche anno e, definitivamente deluso, rientra in Scandinavia. Si installa a Copenaghen, in una squallida mansarda, con la fame che gli attanaglia le viscere. Questa fame, questa miseria che gli attacca alla pelle, lo renderà celebre in un batter d’occhio. Dimagrito, mezzo barbone, egli presenta una bozza di romanzo, scritto nella sua mansarda danese, a Edvard Brandes, fratello di Georg Brandes, amico danese ed ebreo di Nietzsche, grande critico del cristianesimo pauliniano, presentato come antenato del comunismo livellatore. Georg Brandes fa uscire questo abbozzo anonimamente nella rivista Ny Jord (”Terra Nuova”) ed il pubblico si entusiasma, i giornali reclamano testi di questo autore sconosciuto e così affascinante. L’era delle vacche magre è definitivamente terminata per Hamsun, a 29 anni. Fame descrive le esperienze dell’autore confrontate con la fame, i fantasmi che essa fa nascere, i nervosismi che essa suscita… Questo scritto d’introspezione colpisce le tecniche letterarie in voga. Esso coniuga romanticismo e realismo. E Hamsun scrive: “Quello che mi interessa è l’infinita varietà di movimenti della mia piccola anima, l’estraneità originale della mia vita mentale, il mistero dei nervi in un corpo affamato!…”. Quando Fame esce in forma di libro nel 1890, il pubblico scopre una nuova giovinezza dello scrivere, uno stile completamente nuovo, impulsivo, capriccioso, di un’infinita finezza psicologica, trasmesso da una scrittura viva, abbellita dalle forme sorprendenti in cui si esprime lo humour sarcastico, vitale, costruito di audaci paradossi, che Hamsun aveva già palesato nelle sue prime conferenze americane. Fame rivela anche un individualismo nuovo, giovanile e fresco. Hamsun scrive che i libri ci devono insegnare “i mondi segreti che si fanno, fuori dalla vista, nelle pieghe nascoste dell’anima, … quei meandri del pensiero e del sentimento; quegli andirivieni estranei e fugaci del cervello e del cuore, gli effetti singolari dei nervi, i morsi del sangue, le preghiere delle nostre midolla, tutta la vita inconscia dell’anima”. La fine del secolo deve lasciare posto all’individualità e alle sue originalità, alle complessità che non corrispondono ai sentimenti e all’anima dell’uomo moderno. Complessità che non sono stereotipate in abitudini gravose, nelle routine borghesi ma vagabondano e vedono, grazie al loro completo distacco, le cose nella loro nudità. Questo rapporto diretto con le cose, questo aggiramento delle convenzioni e delle istituzioni, permette l’audacia e la libertà di aggrapparsi all’essenziale, alle grandi forze telluriche e vieta il ricorso ai piccoli piaceri stereotipati, al turismo convenzionale. L’individuo che vagabonda tra se stesso e la Terra onnipresente non è l’individuo-numero, perduto in una massa amorfa, privo di ogni legame carnale con gli elementi.

In Fame, l’affamato si distacca dunque totalmente dalla comunità degli uomini; la sua interiorità ripiega su se stessa come quella del bambino Hamsun che vagabondava nella foresta, errava nel cimitero o si piazzava in cima ad una collina per assorbire le bellezze del paesaggio. L’affamato non sviluppa alcun rancore né rivendicazione contro la comunità degli uomini; egli non l’accusa. Si limita a constatare che il dialogo tra sé e questa comunità è divenuto impossibile e che solo l’introspezione è arricchimento.

Da queste impressioni di affamati, dall’impossibilità del dialogo individuo/comunità, decolla tutta l’antropologia che ci suggerisce Hamsun. Perché è senza dubbio inutile passare in rassegna la sua biografia, enumerare tutti i libri da lui scritti, se si passa a lato di questa implicita antropologia, onnipresente in tutta la sua opera. Se si trascura di darne una traccia, sia pure fugace, non si comprende nulla del suo messaggio metapolitico né del suo successivo impegno militante accanto a Quisling.

La società urbana, industriale, meccanizzata, pensa e afferma Hamsun, ha distrutto l’uomo totale, l’uomo intero, l’odalsbonde della tradizione scandinava. Essa ha distrutto i legami che uniscono ogni uomo totale agli elementi. Risultato: il contadino, strappato alla sua gleba e scagliato nelle città perde la sua dimensione cosmica, acquisisce sterili manie, i suoi nervi non sono più in comunione con l’immanenza cosmica e si agitano sterilmente. Se si parla in linguaggio heideggeriano, si può dire che il senso di abbandono urbano, modernista, precipita l’uomo nell’”inautenticità”. Sul piano sociale, la rottura dei legami diretti e immediati, che l’uomo rimasto integro mantiene con la natura, conduce ad ogni sorta di comportamento aberrante o all’errare, al vagabondaggio febbrile dell’affamato.

Gli eroi hamsuniani, Nagel di Misteri, soprannominato lo “straniero dell’esistenza”, e Glahn di Pan, sono delle comete, delle stelle strappate alle loro orbite. Glahn vive in comunione con la natura, ma dei capricci urbani, incarnati dall’immagine di Edvarda, donna fatale, gli fanno perdere questa armonia e lo portano al suicidio, dopo un viaggio nelle Indie, cerca assai febbrile quanto inutile. Entrambi vivono il destino di questi vagabondi che non hanno la forza di ritornare definitivamente alla terra o che, per stupidità, lasciano la foresta che li aveva accolti, come aveva fatto Hamsun all’epoca del suo breve sogno americano.

Il vero modello antropologico di Hamsun è Isak, l’eroe centrale de Il Risveglio della Gleba: Isak vive nei suoi campi, spinge il suo aratro, sviluppa la sua attività, persegue il suo compito, nonostante le elucubrazioni della sua sposa, le sciocchezze di suo figlio Eleseus che vegeta in città, si rovina e sparisce in America, nonostante l’impianto temporaneo di una miniera vicino al suo podere. Il mondo delle illusioni moderne turbina attorno ad Isak che resiste imperturbabile e vince. La sua impermeabilità naturale, tellurica, nei confronti delle manie moderne, gli permette di lasciare a suo figlio Sivert, il solo figlio che gli rassomigli, una fattoria ben organizzata e con un avvenire sicuro. Né Isak né Sivert sono “morali” nel senso puritano e religioso del termine. La natura che dà loro forza e consistenza non è una natura ideale, costruita, alla moda di Rousseau, ma una compagna dura; essa non è un modello etico, ma la sorgente primaria verso la quale ritorna il vagabondo che il modernismo ha distaccato dalla sua comunità e condannato alla fame nei deserti urbani.

E’ dunque nel vagabondaggio, nelle innumerevoli esperienze esistenziali che il vagabondo Hamsun ha vissuto tra i 14 e i 29 anni, nella coscienza che questo vagabondaggio è stato causato da queste illusioni moderniste che perseguitano i cervelli umani dell’età moderna e li spingono scioccamente a costruire dei sistemi sociali che escludono totalmente gli uomini originali; è in tutto questo che si è forgiata l’antropologia di Hamsun.

Prima di far uscire Fame, Hamsun aveva pubblicato una requisitoria contro l’America, paese dell’errare infruttuoso, paese che non racchiude alcuna terra in cui ritornare quando pesa l’erranza. Questo antiamericanismo, esteso ad un’ostilità generale verso il mondo anglosassone, rimarrà una costante nei sentimenti para-politici di Hamsun. La sua successiva critica del turismo di massa, principalmente anglo-americano, è un’eco di questo sentimento, abbinato all’umiliazione del fiero norvegese che vede il suo popolo trasformato in una popolazione di cameriere e di baristi.

Se questo pamphlet antiamericano, Fame, Pan, Victoria, Sotto la stella d’autunno, Benoni, ecc., sono le opere del primo Hamsun, del vagabondo ribelle e impetuoso, dello sradicato anche se conosce la propria intima ferita, il romanzo Un vagabondo suona in sordina (1909), che esce quando Hamsun raggiunge i cinquant’anni, segna una transizione. Il vagabondo di mezzo secolo guarda al suo passato con tenerezza e rassegnazione; egli ormai sa che è passata l’epoca dei sentimenti ardenti e adotta uno stile meno folgorante e meno lirico, più posato, più contemplativo. In compenso, il soffio epico e la dimensione sociale acquisiscono un’importanza maggiore. L’ambiente sofferto di Fame, il lirismo di Pan cedono il posto ad una critica sociale acuta, priva di ogni concessione.

E pure a 50 anni, nel 1909, che Hamsun si sposa per la seconda volta (un primo matrimonio era fallito) con Marie Andersen, di 24 anni più giovane, che gli darà numerosi figli e rimarrà al suo fianco fino alla fine. Il vagabondo diviene sedentario, ritorna contadino (Hamsun acquista diverse fattorie, prima di stabilirsi definitivamente a Nörholm), ritrova il suo angolo di terra e vi si attacca. L’avvenimento biografico si ripercuote nell’opera e l’innocente anarchico si spoglia dei suoi eccessi e si colloca nel suo “ideale”, quello incarnato da Isak. La trama de Il Risveglio della Gleba, è la coniugazione del passato vagabondo e del reintrecciarsi in un territorio, la dialettica tra l’individualità errante e l’individualità che fonda una comunità, tra l’individualità che si lascia sedurre dalle chimere urbane e moderne, dagli artifici ideologici e disincarnati, e l’individualità che porta a compimento il suo impegno, imperturbabilmente, senza lasciare la Terra degli occhi. La potenza di questi paradossi, di queste opposizioni, vale ad Hamsun il Premio Nobel della Letteratura. Il Risveglio della Gleba, con il suo personaggio centrale, il contadino Isak, costituisce l’apoteosi della prosa hamsuniana.

Vi si ritrova quella volontà di ritorno all’elementare che sostenevano specialmente Friedrich-Georg Jünger e Jean Giono.

Il modello antropologico hamsuniano corrisponde anche all’ideale contadino del “movimento nordico” che muove la Germania e i paesi scandinavi dalla fine del XIX secolo e che, in seguito, i nazionalsocialisti Darré e von Leers incarnano nella sfera politica. Negli anni 20 si affermano dunque in Hamsun tre opinioni politicizzabili:

1) il suo antiamericanismo e la sua anglofobia,

2) il suo astio nei confronti dei giornalisti, propagatori delle illusioni moderniste (Cf. Il redattore Lynge) e

3) la sua implicita antropologia, rappresentata da Isak.

A questa si aggiunge una frase, tratta dai Vagabondi: “Nessun uomo su questa terra vive di banche e industria. Nessuno. Gli uomini vivono di tre cose e di nient’altro: del grano che spunta nei campi, del pesce che vive nel mare e degli animali ed uccelli che crescono nella foresta. Di queste tre cose”. Qui è facile tracciare il parallelo con Ezra Pound ed il suo maestro, l’economista anarchizzante Silvio Gesell, per quel che concerne l’ostilità nei confronti delle banche. L’odio verso il meccanicismo industriale lo ritroviamo in Friedrich-Georg Jünger. E Hamsun non anticipa Baudrillard nello stigmatizzare i “simulacri”, che costituiscono la caratteristica delle nostre società dei consumi?

Davanti a questa offensiva del modernismo, bisogna, scrive Hamsun a 77 anni, in Il cerchio si chiude (1936), stare ai margini, essere un enigma costante per coloro che aderiscono alle seduzioni del mondo mercantile.

I quattro temi ricorrenti del discorso hamsuniano e la presenza ben ancorata nel pensiero norvegese dei miti romantici e nazionalisti del contadino e del vikingo, conducono Hamsun ad aderire al Nasjonal Sammlung di Vidkun Quisling, il leader populista norvegese. Questi opta nel 1940 per un’alleanza con il Reich che occupa fulmineamente il paese con la campagna d’aprile, in quanto la Francia e l’Inghilterra sono sul punto di sbarcare a Narvik e di violare simultaneamente la neutralità norvegese al fine di tagliare la strada del ferro svedese. Durante tutta la guerra, Quisling vuole formare un governo norvegese indipendente, incluso in una confederazione grande-germanica, alleata con una Russia sbarazzata dal sovietismo, in seno ad un’Europa in cui l’Inghilterra e gli Stati Uniti non avranno più alcun diritto d’intervento.

La “collaborazione” di Hamsun consiste nel difendere con la penna quella politica, quella versione del nazionalismo norvegese, e nello spiegare il suo impegno durante un congresso di scrittori nel 1943 a Vienna. Hamsun viene arrestato nel 1945, internato in un istituto per alienati, poi in un ospizio per anziani e infine portato davanti alla giustizia. Nel corso di questo penoso periodo, il nonagenario Hamsun redige la sua ultima opera, Sui sentieri dove ricresce l’erba (1946). Una lettera di Hamsun al Procuratore Generale del Regno merita ancora la nostra attenzione perché il tono che egli vi adotta è altero, beffardo, condiscendente: prova che lo spirito, le letteratura, il genio letterario, trascendono, anche nella peggiore avversità, il lavoro spregevole e mediocre dell’inquisitore. Hamsun il Ribelle, vecchio e prigioniero, rifiuta ancora di inchinarsi davanti a un Borghese, sia pure il supremo magistrato del regno. Un esempio…

Robert Steuckers

Fonte:http://www.centrostudilaruna.it/knuthamsunitinerario.html

 

mercredi, 10 décembre 2008

L'univers de G. K. Chesterton

L’univers de G.K. Chesterton

L’univers de G.K. Chesterton

petit dictionnaire raisonné
Philippe Maxence
24,00 €

Auteur de plus de cent livres, maître du suspense, de l’humour et de la polémique, le romancier et poète Gilbert Keith Chesterton (1874-1936) a bâti une œuvre qui a vite traversé les frontières de son Angleterre natale.
En dépit de sa série des “Father Brown”, son héros de prêtre détective, aujourd’hui traduite dans le monde entier, il manquait cependant un aperçu audacieux de ses thèmes et de ses bons mots.

Voici le libre abécédaire de cet univers étoilé de bonheur, de bon sens, de paradoxe et d’excentricité : une occasion unique de découvrir l’homme de cœur et de conviction.
“Chesterton est l’un des premiers écrivains de notre temps et ceci non seulement pour son heureux génie de l’invention, pour son imagination visuelle et pour la félicité enfantine ou divine que laisse entrevoir chaque page de son œuvre, mais aussi pour ses vertus rhétoriques, pour sa pure virtuosité technique.”
Jorge Luis Borge

Passionné par le monde anglo-saxon, Philippe Maxence est notamment l’auteur de Baden-Powell, éclaireur de légende et fondateur du scoutisme (Perrin, 2003), du Monde de Narnia décrypté (Presses de la Renaissance, 2005), et de Pâques 1916, renaissance de l’Irlande. Il est rédacteur en chef du bimensuel L’Homme Nouveau.

 

http://www.librairiecatholique.com

lundi, 08 décembre 2008

Le retour de J. d'Arribehaude

Retour%20du%20gaucho.jpg

Le retour de Jacques d’Arribehaude

Dans la nouvelle livraison de son journal, qui englobe la première moitié des années 80, Jacques d’Arribehaude écrit ceci qui mérite d’être relevé : « En fin de compte, je n’aimerais pas être considéré, uniquement, pour les propos, si remarquables soient-ils, que j’enregistrais à Meudon auprès de Céline peu avant sa mort. Je sais ma dette envers Céline, j’admire son génie visionnaire et pamphlétaire, mais mon vrai modèle est Saint-Simon. Je ne prétends évidemment pas me situer à son niveau,  et loin de moi l’idée d’établir une quelconque échelle de valeurs artistiques et littéraires, mais Saint-Simon, en décalage complet avec son siècle comme je le suis avec mon époque, avait résolu de s’adresser à d’autres générations que la sienne, et de s’en remettre à la providence pour être lu et  reconnu bien après sa mort. »  Et de préciser : « Je m’attache à cet exemple parce qu’il m’offre un espoir, qu’il me reste une œuvre à écrire, susceptible de quelque intérêt par la suite, et que je garde obstinément au fond du cœur, moi aussi, la foi de mon enfance. » S’il est vrai que Jacques d’Arribehaude n’est connu de la plupart des céliniens que pour les entretiens que le grand homme voulut bien lui accorder, à lui et à son complice Jean Guenot, il est aussi apprécié de quelques amateurs d’écrits intimes pour cette somme foisonnante composée de plusieurs opus aux titres évocateurs : Une saison à Cadix, L’encre du salut, Complainte mandingue, Le royaume des Algarves, Un Français libre et, à présent, S’en fout la vie. L’auteur nous apprend que ces mots figuraient sur de grands écriteaux pavoisant certains véhicules surchargés pour défier l’adversité le long des pistes d’Afrique noire. Cette expression correspond aussi, on l’aura compris, à la manière aventureuse et désinvolte avec laquelle l’auteur a mené sa propre existence.

À défaut de rencontrer au moment de sa sortie un succès de librairie,  cette œuvre a été saluée par la critique. Ainsi, Pol Vandromme : « Ce journal est d’un homme libre. Libre devant les intimidations du siècle comme devant celle des mantes religieuses et des benêts pâmés. Libre comme on a désappris à l’être aujourd’hui : en esprit fort et en vivant magnifique. »  On peut parier que,  dans quelques années, il se trouvera de  fervents lecteurs de  Jacques d’Arribehaude  comme aujourd’hui  on en compte de Paul Léautaud, même si leur univers n’est en rien comparable. Le premier, grand voyageur, fut un amoureux impénitent ; le second, sédentaire résolu, se révéla un sentimental refoulé, prônant avec conviction le seul amour sensuel. Rien de commun avec Arribehaude, chantre de l’amour absolu : « Je ne suis sensible, qu’au naturel du désir – et du plaisir – librement partagés dans la simplicité et la pureté d’une émotion réciproque, entre deux êtres qui s’aiment vraiment ». Impossible, quand on le lit, de ne pas trouver attachant ce diariste sensitif. Surtout lorsqu’il nous confie avec une franche ingénuité ses désarrois sentimentaux ou son refus du carriérisme dans ce monde de la télévision qui en est l’exemplaire illustration. Comme Léautaud, c’est un rêveur épris d’indépendance et de liberté.  Autre point commun : le style, superbe et délié, d’un naturel parfait. Au risque de contrarier l’auteur – mais la nature de ce bulletin a ses contraintes –, comment ne pas constater que Céline occupe, une fois encore, une place de choix dans ce volume alors qu’il est bien éloigné le temps où l’auteur gravissait la route des Gardes pour recueillir les propos désabusés du génial anachorète. Nulle complaisance envers lui dans ce journal ; il relève ses propos très durs envers Robert Brasillach et l’équipe de Je suis partout. « Même attitude rageuse de Céline à l’égard de Drieu, mis par lui dans le même sac que Brasillach, coupable de n’avoir songé qu’à se livrer ou au suicide », ajoute-t-il. Lisant le journal de Jünger, il note que « le Paris où il lui était si plaisant de flâner à sa guise avec le plus grand détachement, de rencontrer un petit nombre de merveilleux amis, de garder, malgré la guerre, sa fidélité à cet idéal chrétien et chevaleresque que je m’obstine moi-même à respecter depuis l’enfance, tout cela me touche. Mais il n’a manifestement pas compris Céline et l’a rejeté, ce qui surprend quand on le voit par ailleurs sensible à l’œuvre de Léon Bloy qui fut un écorché et un imprécateur de même espèce. »

Ne dédaignant pas les propos politiquement (très) incorrects, il relate un déjeuner chez Jean et Monette Guenot, en compagnie de Pierre Monnier et de Maurice Ciantar. À propos de celui-ci, il souligne que « rien, dans son apparence, sa tenue stricte et soignée, qui puisse déceler la bohème anarchique et désordonnée de ses premiers textes, et voilà que, l’âge venu, nous aboutissons aux mêmes conclusions. La décomposition de l’Occident est conforme aux visions prophétiques de Céline et justifie ses pamphlets sur l’impuissance des démocraties, leur niaiserie bénisseuse dans l’incapacité d’admettre la pérennité du mal et la nécessité de s’en préserver pour que le progrès technique cesse d’être un leurre et un instrument de crétinisation définitive de l’espèce humaine ». La maîtresse de maison n’est pas en reste qui « confie, en souriant que, de tout Céline, elle  admirait  par-dessus tout  la puissance et la verve des pamphlets. »  Revenant sur le sujet peu de temps après, celui qui rallia à dix-huit ans les « Forces Françaises Libres » écrit : « Je ne dissimule pas l’horreur du nazisme, mais je comprends que, dans le chaos économique, la corruption et la misère des années 20 en Allemagne, il ait pu naître, faire illusion, et séduire par ses réformes sociales non seulement le peuple, mais aussi la fine fleur de grands esprits, philosophes, artistes, savants, intellectuels de tous bords célèbres dans le monde entier, et dont l’énumération serait longue. Et je comprends mieux les hurlements de Céline contre une guerre que nous ne pouvions que perdre et que nous aurions pu et dû éviter, l’objectif d’Hitler étant essentiellement l’espace russe, son fameux Lebensraum, où il était voué à l’usure et à l’échec. » Comparant Céline à Drieu, il relève, après avoir relu Gilles, qu’il y avait « une belle naïveté dans les attitudes de Drieu devant la guerre. Il est très loin ici de Céline, qui a osé rire et faire rire à propos de sa frousse éperdue face aux boucheries inconcevables de 14-18, et sa volonté forcenée de s’y soustraire. C’est cela, qui a manqué à Drieu. La vraie distance qui permet l’humour et peut faire de toute tragédie une farce. Du moins admirait-il Céline et lui rendait-il hommage, là où, on y revient, un autre combattant de 14-18, Jünger, n’a ressenti devant Céline que roide incompréhension, aversion spontanée, haine viscérale. »  Certains diraient que ce fut sans doute réciproque. S’il n’a jamais rencontré Jünger, l’auteur a bien connu Dominique de Roux qui « se plaisait à croire que ce monde n’est fait que d’apparence et que, très loin de l’apparence, la réalité du pouvoir appartient à un petit nombre d’initiés très secrets, qu’il se piquait de découvrir. À la source de la puissance créatrice et visionnaire de Céline, il voyait une importance démesurée dans l’appartenance aussi fugitive que superficielle de l’auteur du Voyage aux services secrets durant son séjour à Londres en 1916. Il en rêvait tout haut. Il aurait pu en parler des heures. » À mettre en parallèle avec cette interview télévisée que Dominique de Roux fit de Marcel Brochard ; la période londonienne l’intriguait de toute évidence. Mais Brochard, n’ayant connu Louis Destouches  qu’à partir de l’époque rennaise,  soit quatre ans plus tard,  laissa le  fondateur des cahiers de L’Herne sur sa faim…

On a parfois commenté sur un ton désapprobateur le refus de Céline, à la fin de sa vie, de voir ses petits-enfants. Nul blâme ici : « Je comprends Céline d’avoir concentré ses faibles forces et ses émotions jusqu’au refus de tout contact avec sa fille et ses petits-enfants. Il n’avait d’autre choix que de les sacrifier à son œuvre, s’il voulait l’achever. Même chose pour Proust, qui fut le vide autour de lui pour terminer fébrilement avant de mourir les ultimes pages de la Recherche et du Temps retrouvé. » Comme on le voit, les résonances de l’œuvre célinienne sont nombreuses dans ce journal. Mais celui-ci vaut surtout par sa peinture acerbe du milieu télévisuel ébranlé par l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981.  Sa valeur  tient aussi au fait que Jacques d’Arribehaude n’enjolive jamais, ne dissimule rien du mal-être qui l’étreint, des joies intenses mais éphémères, des déboires sans cesse renouvelés  et de cette quête si difficile de la sérénité.

Marc LAUDELOUT

 

Jacques d’ARRIBEHAUDE, S’en fout la vie, The Book Edition, 2008, 418 pages (25 €, franco). On peut commander ce livre sur Internet : www.thebookedition.com  ou auprès de Pierre-Vincent Guitard, 76 bd Saint-Marcel, 75005 Paris.

Les volumes précédents du journal ont été édités à L’Age d’homme, où l’on trouve aussi la réédition de ses deux plus beaux romans, Semelles de vent (1959) et Adieu Néri (Prix Cazes, 1978).

 

samedi, 06 décembre 2008

Bulletin célinien n°303/Déc. 2008

 Le Bulletin célinien

Sommaire du Bulletin célinien n°303 de décembre 2008 :

* Marc Laudelout : Bloc-notes
* Marc Laudelout : Hans et Arletty
* Robert Le Blanc : Face à Céline : BHL, Houellebecq, Stéphane Denis...
* Jessie Aitken : Un aspect inattendu de Guy de Girard de Charbonnières
* Marc Laudelout : Enivrante Corona (Jeanne Loviton)
* Dossier : Elisabeth Porquerol et Céline
* Pol Vandromme : "Une allégresse amère et sauvage" (1969)
* Marc Laudelout : Hommage à Pascal Pia
* Marc Laudelout : Céline et Carco
* Marc Laudelout : Le Paris de la Collaboration


Un numéro de 24 pages, 5 illustrations, 6 € franco de port.



Le Bulletin célinien
BP 70
B1000 Bruxelles
http://louisferdinandceline.free.fr
celinebc@skynet.be

Autolâtre et stupide

flaubert.jpg

Autolâtre et stupide

 

 

« C’est une chose curieuse comme l’humanité, à mesure qu’elle se fait autolâtre, devient stupide ».

 

Gustave FLAUBERT, Lettre à Louise Colet, 26 mai 1853.

vendredi, 05 décembre 2008

De l'illusion à la fidélité


« Ce fut une soirée remarquable, un tournant. Inger s'était écartée longtemps du droit chemin, et il avait suffi de la soulever un instant pour l'y faire rentrer. Ils ne parlèrent pas de ce qui s'était passé. Isak s'était senti honteux d'avoir agi de la sorte à cause d'un thaler, qu'il finirait par donner parce qu'il serait lui-même content de l'envoyer à Eleseus. Et puis, cet argent, n'était-il pas à Inger aussi bien qu'à lui ? Au tour d'Isak de se sentir humble !

Inger avait encore changé. Elle renonçait à ses manières raffinées et redevenait sérieuse : une femme de paysan, sérieuse et réfléchie, comme elle était auparavant. Penser que la rude poigne d'un homme pouvait accomplir de telles métamorphoses ! Il devait en être ainsi ! Une femme robuste et saine, mais gâtée par un long séjour dans une atmosphère artificielle, s'était heurtée à un homme qui se tenait solidement sur ses pieds. Il ne s'était pas laissé écarter un instant de sa place naturelle sur la terre, de son lopin. »

Knut Hamsun, « L'éveil de la glèbe »

samedi, 29 novembre 2008

Céline dans la presse: approximations et légendes

celine.jpg

Céline dans la presse : approximations et légendes

 

 

C’est naturellement la foisonnante actualité éditoriale sur Céline qui suscite à chaque fois un important dossier de presse. Ainsi, le livre Céline à Bezons a encore récolté quelques articles, dont un signé de l’historien de cinéma, Philippe d’Hugues. Il relève que « l’activité du docteur Destouches a occupé dans la vie de l’écrivain un temps plus important que celui qu’il consacra à son œuvre littéraire » ¹. Pas tellement plus important en fait, car, pratiquant une médecine de dispensaire, il bénéficiait de pas mal de temps libre. Ainsi, à Clichy, il officiait tous les jours une heure et demie en fin d’après-midi et à Bezons, il ne consultait que trois après-midi par semaine. Les contraintes de l’exil firent qu’il dût abandonner la profession dès l’âge de 50 ans. Il ne la reprit très épisodiquement que pour quelques années, de 1953 à 1959 afin de pouvoir bénéficier d’une pension de retraite. Tout cela est bien connu des céliniens...

 

Frédéric Saenen note que « David Alliot semble avoir trouvé un juste milieu entre approche littéraire de pointe et de proximité. Son travail, cela devient coutume, ravira les amateurs comme les spécialistes. Qui se grattent déjà le crâne en  se demandant  quelle surprise  leur est  réservée pour la prochaine fois... » ². Entre-temps, on la connaît : cet album iconographique  sur Céline  au Danemark, réalisé en collaboration avec François Marchetti, dont nous reproduisons ci-contre la préface de Claude Duneton qui situe bien le climat politique de l’immédiat après-guerre.

 

Le recueil d’articles de Philippe Alméras, Sur Céline, a suscité un dossier de presse nettement moins consistant. On y relève une erreur d’ordre biographique commise par Joël Prieur : « Contrairement à ce que montre l’image d’Épinal, l’essentiel de la carrière médicale de Céline s’effectue à Genève, en Amérique et en Afrique, dans le cadre de missions officielles pour ce qui deviendra l’OMS » ³. Or, chaque lecteur de ce bulletin sait que le docteur Destouches ne travailla que quatre ans pour la Société des Nations.   En fait, on n’en finirait pas de relever toutes les erreurs ou approximations relatives à Céline dans la presse.  Ainsi, la revue Europe, au  glorieux passé stalinien, rendant compte de la énième réédition de Nausée de Céline, conclut en l’estimant « indispensable pour contribuer à démystifier le discours trompeur des hagiographes inconditionnels de l’auteur du Voyage (qui fut aussi, faut-il le rappeler, le délateur de Robert Desnos…) » 4. Jean-Paul Louis a naguère fait litière de cette accusation. Rappelons seulement que la polémique Desnos-Céline, dans le journal collaborationniste Aujourd’hui (qui employait RD), date de février 1941 et que Desnos fut arrêté trois ans plus tard.

 

Commentant l’éviction de Céline de la médiathèque André-Malraux de Strasbourg (voir en page 3), Claude Lorne note avec ironie que ces actes de censure « ne sauraient concerner Louis Aragon qui, dans ses poèmes, célébrait “le Guépéou nécessaire de France” (…) ni Jean-Paul Sartre qui professait que “tout anticommuniste est un chien” 5.

Marc LAUDELOUT

 

1. Philippe d’Hugues, « Céline-Destouches, 1940-1944 », La Nouvelle Revue d’Histoire, septembre-octobre 2008.

2. Frédéric Saenen, « “Chanter Bezons, voici l’épreuve !” », La Presse littéraire, septembre-octobre-novembre 2008.

3. Joël Prieur, « Céline ou la politique des chromosomes », Minute, 30 juillet 2008.

4. Ménaché, « Notes de lecture. Jean-Pierre Richard : “Nausée de Céline” », Europe, mai 2008. Voir Jean-Paul Louis, « Desnos et Céline, le pur et l’impur », Histoires littéraires, janvier-février-mars 2001 & Marc Laudelout, « D comme diffamation », Le Bulletin célinien, novembre 2002.

5. Claude Lorne, « Chronique de la censure citoyenne », Rivarol, 3 octobre 2008.

 

Citaat van Dostojevski

dostoievski-02.jpg
Citaat van Dostojevski

“’Om de wereld te hervormen moeten de mensen zelf psychisch een andere weg inslaan. Wanneer je zelf ook niet echt ieders broeder wordt, dan zal de broederschap niet aanbreken. […] Iedereen zal vinden dat hij te weinig heeft, mopperen, afgunstig zijn en de anderen naar het leven staan. U vraagt wanneer dat werkelijkheid zal worden. Dat zal werkelijkheid worden, maar eerst moeten we door een periode van menselijke vereenzaming heen’. ‘Wat voor vereenzaming’, vraag ik hem. ‘De vereenzaming die nu overal heerst, vooral in onze eeuw, maar ze is nog niet helemaal definitief, nog is haar tijd niet gekomen. Want een ieder streeft er nu naar zijn persoon zo mogelijk af te scheiden, een ieder wil in zichzelf de volheid van het leven ervaren, maar intussen leiden al zijn inspanningen in de verste verte niet tot de volheid des levens, maar tot regelrechte zelfmoord, want in plaats van te komen tot volheid van inzicht in het eigen wezen geraken zij slechts volledig vereenzaamd. In onze tijd zijn allen namelijk verdeeld in individuen, ieder zondert zich af in zijn hol, ieder mijdt de ander, houdt zich schuil, verbergt zelfs wat hij heeft en eindigt ermee dat hij door de mensen verstoten wordt en zelf de mensen verstoot. In eenzaamheid vergaart hij rijkdom en denkt: nu ben ik sterk en onafhankelijk, maar de dwaas weet niet dat hoe meer rijkdom hij vergaart, des te dieper hij wegzinkt in zelfvernietigende onmacht. Want hij is gewoon geraakt om alleen zichzelf te vertrouwen en zichzelf als een individu van het geheel af te scheiden, hij heeft zijn ziel aangeleerd niet te geloven in menselijke hulp, de mensen en de mensheid, hij siddert enkel bij de gedachte dat hij zijn geld en zijn verworven rechten kan kwijtraken.’”

(DOSTOJEVSKI, Fiodor M., De broers Karamazov, G.A. van Oorschot, Amsterdam, 2005, 369)

mercredi, 26 novembre 2008

Yukoku: un film de Mishima

Yukoku : un film de Mishima

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Yukoku, l'unique film réalisé par l'écrivain japonais Yukio Mishima sur la base de sa nouvelle intitulée Patriotisme, et qui était jusqu'à présent introuvable, fait l'objet d'une édition en DVD chez Montparnasse.

Yukoku.jpg
Yukoku (Patriotisme) : un film extraordinaire laissé par l'un des plus grands écrivains du siècle. Maudit, détruit, pratiquement oublié dans son propre pays, ce film produit en 1966 est ressorti au Japon grâce à une copie miraculeusement retrouvée en 2005. La présente édition réintroduit en Europe des images quasi inédites, qui font partie intégrante de la construction mythique de soi-même à laquelle Mishima a dévoué sa vie. Suivant exactement la narration d'une nouvelle écrite quelques années plus tôt, Patriotisme, ce film montre de façon stylisée la dernière étreinte amoureuse et le seppuku d'un jeune lieutenant entièrement dévoué à l'honneur samouraï, le Bushido : répétition de la mort spectaculaire que l'écrivain choisira, le 25 novembre 1970, à Tokyo. Film ultra-esthétique, cinéma wagnérien, prolongement filmique du théâtre Nô ou encore document historique, Yukoku occupe une place unique dans l'art cinématographique du XXè siècle.

lundi, 24 novembre 2008

La Fontaine: le savetier et le financier

Jean de la Fontaine : Le savetier et le financier

Un savetier chantait du matin jusqu'au soir:
C'était merveille de le voir,
Merveille de l'ouïr: il faisait des passages,
Plus content qu'aucun des sept sages.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or,
Chantait peu, dormait moins encore.
C'était un homme de finance.
Si sur le point du jour parfois il sommeillait,
Le Savetier alors en chantant l'éveillait;
Et le Financier se plaignait
Que les soins de la Providence
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.
En son hôtel il fait venir
Le chanteur, et lui dit: or, ça, sire Grégoire,
Que gagnez-vous par an ? Par an ? ma foi, monsieur,
Dit avec un ton de rieur
Le gaillard Savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte; et je n'entasse guère
Un jour sur l'autre: il suffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année:
Chaque jour amène son pain.
Et bien, que gagnez-vous, dites-moi, par journée?
Tantôt plus, tantôt moins: le mal est que toujours,
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes)
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'ils faut chommer: on nous ruine en Fêtes.
L'une fait tort à l'autre: et monsieur le Curé,
De quelque nouveau Saint charge toujours son prône.
Le Financier riant de sa naïveté,
Lui dit: je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône.
Prenez ces cent écus: gardez-les avec soin,
Pour vous en servir au besoin.
Le Savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avait, depuis plus de cent ans,
Produit pour l'usage des gens.
Il retourne chez lui: dans sa cave il enserre
L'argent et sa joie à la fois.
Plus de chant: il perdit la voix
Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis,
Il eut pour hôtes les soucis,
Les soupçons, les alarmes vaines.
Tout le jour il avait l'oeil au guet: et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit;
Le chat prenait l'argent. A la fin le pauvre homme
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus.
Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus.

Jean de la Fontaine, Le savetier et le financier, Fable II, Livre Huitième.

jeudi, 20 novembre 2008

Paganisme et philosophie de la Vie chez Knut Hamsun et D. H. Lawrence

Knut_Hamsun_painting_by_Alfredo_Andersen_(1860-1935).jpg

Paganisme et philosophie de la vie chez Knut Hamsun et David Herbert Lawrence

 

Robert STEUCKERS

Conférence prononcée lors de la quatrième université d'été de la F.A.C.E., Lombardie, juillet 1996

 

Analyse: Akos DOMA, Die andere Moderne. Knut Hamsun, D.H. Lawrence und die lebensphilosophische Strömung des literarischen Modernismus, Bouvier, Bonn, 1995,

284 p., DM 82, ISBN 3-416-02585-7.

 

Le philologue hongrois Akos Doma, formé en Allemagne et aux Etats-Unis, vient de sortir un ouvrage d'exégèse littéraire, mettant en parallèle les œuvres de Hamsun et de Lawrence. Leur point commun est une “critique de la civilisation”, concept qu'il convient de remettre dans son contexte. En effet, la civilisation est un processus positif aux yeux des “progressistes” qui voient l'histoire comme une vectorialité, pour les tenants de la philosophie de l'Aufklärung et les adeptes inconditionnels d'une certaine modernité visant la simplification, la géométrisation et la cérébralisation. Mais la civilisation apparaît comme un pro­cessus négatif pour tous ceux qui entendent préserver la fécondité incommensurable des matrices culturelles, pour tous ceux qui constatent, sans s'en scandaliser, que le temps est plurimorphe, c'est-à-dire que le temps de telle culture n'est pas celui de telle autre (alors que les tenants de l'Aufklärung affirment un temps monomorphe, à appliquer à tous les peuples et toutes les cultures de la Terre). A chaque peuple donc son propre temps. Si la modernité refuse de voir cette pluralité de formes de temps, elle est illusion.

 

Dans une certaine mesure, explique Akos Doma, Hamsun et Lawrence sont héritiers de Rousseau. Mais de quel Rousseau? Celui qui est stigmatisé par la tradition maurrassienne (Maurras, Lasserre, Muret) ou celui qui critique radicalement l'Aufklärung sans se faire pour autant le défenseur de l'Ancien Régime? Pour ce Rousseau critique de l'Aufklärung, cette idéologie moderne est précisément l'inverse réel du slogan idéal  qu'elle entend généraliser par son activisme politique: elle est inégalitaire et hostile à la liberté, même si elle revendique l'égalité et la liberté. Avant la modernité du XVIIIième siècle, pour Rousseau et ses adeptes du pré-romantisme, il y avait une “bonne communauté”, la convivialité règnait parmi les hommes, les gens étaient “bons”, parce que la nature était “bonne”. Plus tard, chez les romantiques, qui, sur le plan politique, sont des conservateurs, cette notion de “bonté” est bien présente, alors qu'aujourd'hui on ne l'attribue qu'aux seuls activistes ou penseurs révolutionnaires. L'idée de “bonté” a donc été présente à “droite” comme à “gauche” de l'échiquier politique.

 

Mais pour le poète romantique anglais Wordsworth, la nature est “le théâtre de toute véritable expérience”, car l'homme y est confronté réellement et immédiatement avec les éléments, ce qui nous conduit implicitement au-delà du bien et du mal. Wordsworth est certes “perfectibiliste”, l'homme de sa vision poétique atteindra plus tard une excellence, une perfection, mais cet homme, contrairement à ce que pensaient et imposaient les tenants de l'idéologie des Lumières, ne se perfectionnera pas seulement en développant les facultés de son intellect. La perfection de l'homme passe surtout par l'épreuve de l'élémentaire naturel. Pour Novalis, la nature est “l'espace de l'expérience mystique, qui nous permet de voir au-delà des contingences de la vie urbaine et artificielle”. Pour Eichendorff, la nature, c'est la liberté et, en ce sens, elle est une transcendance, car elle nous permet d'échapper à l'étroitesse des conventions, des institutions.

DH%20Lawrence%20painting.jpg

 

 

 

Avec Wordsworth, Novalis et Eichendorff, les thématiques de l'immédiateté, de l'expérience vitale, du refus des contingences nées de l'artifice des conventions, sont en place. A partir des romantiques se déploie en Europe, surtout en Europe du Nord, une hostilité bien pensée à toutes les formes modernes de la vie sociale et de l'économie. Un Carlyle, par exemple, chantera l'héroïsme et dénigrera la “cash flow society”. C'est là une première critique du règne de l'argent. John Ruskin, en lançant des projets d'architecture plus organiques, assortis de plans de cités-jardins, vise à embellir les villes et à réparer les dégâts so­ciaux et urbanistiques d'un rationalisme qui a lamentablement débouché sur le manchestérisme. Tolstoï propage un natura­lisme optimiste que ne partagera pas Dostoïevski, brillant analyste et metteur en scène des pires noirceurs de l'âme humaine. Gauguin transplantera son idéal de la bonté de l'homme dans les îles de la Polynésie, à Tahiti, au milieu des fleurs et des va­hinés.

 

Hamsun et Lawrence, contrairement à Tolstoï ou à Gauguin, développeront une vision de la nature sans téléologie, sans “bonne fin”, sans espace paradisiaque marginal: ils ont assimilé la double leçon de pessimisme de Dostoïevski et de Nietzsche. La nature, pour eux, ce n'est plus un espace idyllique pour excursions, comme chez les poètes anglais du Lake District. Elle n'est pas non plus un espace nécessairement aventureux ou violent, ou posé a priori comme tel. La nature, chez Hamsun et Lawrence, est avant tout l'intériorité de l'homme, elle est ses ressorts intérieurs, ses dispositions, son mental (tripes et cerveau inextricablement liés et confondus). Donc, a priori, chez Hamsun et Lawrence, cette nature de l'homme n'est ni intellectualité ni pure démonie. C'est bien plutôt le réel, le réel en tant que Terre, en tant que Gaïa, le réel comme source de vie.

 

Face à cette source, l'aliénation moderne nous laisse deux attitudes humaines opposées: 1) avoir un terroir, source de vitalité; 2) sombrer dans l'aliénation, source de maladies et de sclérose. C'est entre les deux termes de cette polarité que vont s'inscrire les deux grandes œuvres de Hamsun et de Lawrence: L'éveil de la glèbe pour le Norvégien, L'arc-en-ciel  pour l'Anglais.

 

Dans L'éveil de la glèbe de Hamsun, l'espace naturel est l'espace du travail existentiel où l'Homme œuvre en toute indépen­dance, pour se nourrir, se perpétuer. La nature n'est pas idyllique, comme celle de certains pastoralistes utopistes, le travail n'est pas aboli. Il est une condition incontournable, un destin, un élément constitutif de l'humanité, dont la perte signifierait dés-humanisation. Le héros principal, le paysan Isak est laid de visage et de corps, il est grossier, simple, rustre, mais inébran­lable, il est tout l'homme, avec sa finitude mais aussi sa détermination. L'espace naturel, la Wildnis, est cet espace qui tôt ou tard recevra la griffe de l'homme; il n'est pas l'espace où règne le temps de l'Homme ou plus exactement celui des horloges, mais celui du rythme des saisons, avec ses retours périodiques. Dans cet espace-là, dans ce temps-là, on ne se pose pas de questions, on agit pour survivre, pour participer à un rythme qui nous dépasse. Ce destin est dur. Parfois très dur. Mais il nous donne l'indépendance, l'autonomie, il permet un rapport direct avec notre travail. D'où il donne sens. Donc il y a du sens. Dans L'arc-en-ciel (The Rainbow)  de Lawrence, une famille vit sur un sol en toute indépendance des fruits de ses seules récoltes.

 

Hamsun et Lawrence, dans ces deux romans, nous lèguent la vision d'un homme imbriqué dans un terroir (ein beheimateter Mensch), d'un homme à l'ancrage territorial limité. Le beheimateter Mensch se passe de savoir livresque, n'a nul besoin des prêches des médias, son savoir pratique lui suffit; grâce à lui, il donne du sens à ses actes, tout en autorisant la fantaisie et le sentiment. Ce savoir immédiat lui procure l'unité d'avec les autres êtres participant au vivant.

 

Dans une telle optique, l'aliénation, thème majeur du XIXième siècle, prend une autre dimension. Généralement, on aborde la problématique de l'aliénation au départ de trois corpus doctrinaux:

1. Le corpus marxiste et historiciste: l'aliénation est alors localisée dans la seule sphère sociale, alors que pour Hamsun ou Lawrence, elle se situe dans la nature intérieure de l'homme, indépendemment de sa position sociale ou de sa richesse maté­rielle.

2. L'aliénation est abordée au départ de la théologie ou de l'anthropologie.

3. L'aliénation est perçue comme une anomie sociale.

Chez Hegel, puis chez Marx, l'aliénation des peuples ou des masses est une étape nécessaire dans le processus d'adéquation graduelle entre la réalité et l'absolu. Chez Hamsun et Lawrence, l'aliénation est plus fondamentale; ses causes ne résident pas dans les structures socio-économiques ou politiques, mais dans l'éloignement par rapport aux ra­cines de la nature (qui n'est pas pour autant une “bonne” nature). On ne biffera pas l'aliénation en instaurant un nouvel ordre socio-économique. Chez Hamsun et Lawrence, constate Doma, c'est le problème de la coupure, de la césure, qui est es­sentiel. La vie sociale est devenue uniforme, on tend vers l'uniformité, l'automatisation, la fonctionalisation à outrance, alors que nature et travail dans le cycle de la vie ne sont pas uniformes et mobilisent constamment les énergies vitales. Il y a im­médiateté, alors que tout dans la vie urbaine, industrielle et moderne est médiatisé, filtré. Hamsun et Lawrence s'insurgent contre ce filtre.

 

Dans la “nature”, surtout selon Hamsun et, dans une moindre mesure selon Lawrence, les forces de l'intériorité comptent. Avec l'avènement de la modernité, les hommes sont déterminés par des facteurs extérieurs à eux, tels les conventions, l'agitation politicienne, l'opinion publique qui leur donnent l'illusion de la liberté, alors qu'elles sont en fait l'espace de toutes les manipulations. Dans un tel contexte, les communautés se disloquent: chaque individu se contente de sa sphère d'activité auto­nome en concurrence avec les autres. Nous débouchons alors sur l'anomie, l'isolation, l'hostilité de tous contre tous.

 

Les symptômes de cette anomie sont les engouements pour les choses superficielles, pour les vêtements raffinés (Hamsun), signes d'une fascination détestable pour ce qui est extérieur, pour une forme de dépendance, elle-même signe d'un vide in­térieur. L'homme est déchiré par les effets des sollicitations extérieures. Ce sont là autant d'indices de la perte de vitalité chez l'homme aliéné.

 

Dans le déchirement et la vie urbaine, l'homme ne trouve pas de stabilité, car la vie en ville, dans les métropoles, est rétive à toute forme de stabilité. Cet homme ainsi aliéné ne peut plus non plus retourner à sa communauté, à sa famille d'origine. Pour Lawrence, dont les phrases sont plus légères mais plus percutantes: “He was the eternal audience, the chorus, the spectator at the drama; in his own life he would have no drama” (Il était l'audience éternelle, le chorus, le spectateur du drame; mais dans sa propre vie, il n'y avait pas de drame). “He scarcely existed except through other people” (Il existait à peine, sauf au travers d'autres gens). “He had come to a stability of nullification” (Il en était arrivé à une stabilité qui le nullifiait).

 

Chez Hamsun et Lawrence, l'Ent-wurzelung et l'Unbehaustheit, le déracinement et l'absence de foyer, de maison, cette façon d'être sans feu ni lieu, est la grande tragédie de l'humanité à la fin du XIXième et au début du XXième. Pour Hamsun, le lieu est vital pour l'homme. L'homme doit avoir son lieu. Le lieu de son existence. On ne peut le retrancher de son lieu sans le mutiler en profondeur. La mutilation est surtout psychique, c'est l'hystérie, la névrose, le déséquilibre. Hamsun est fin psychologue. Il nous dit: la conscience de soi est d'emblée un symptôme d'aliénation. Déjà Schiller, dans son essai Über naive und sentimen­talische Dichtung (= De la poésie naïve et sentimentale), notait que la concordance entre le sentir et le penser était tangible, réelle et intérieure chez l'homme naturel mais qu'elle n'est plus qu'idéale et extérieure chez l'homme cultivé («La concor­dance entre ses sensations et sa pensée existait à l'origine, mais n'existe plus aujourd'hui qu'au seul niveau de l'idéal. Cette concordance n'est plus en l'homme, mais plane quelque part à l'extérieur de lui; elle n'est plus qu'une idée, qui doit encore être réalisée, ce n'est plus un fait de sa vie»).

 

Schiller espère une Überwindung (= un dépassement) de cette césure, par une mobilisation totale de l'individu afin de combler cette césure. Le romantisme, à sa suite, visera, la réconciliation de l'Etre (Sein) et de la conscience (Bewußtsein),  combattra la réduction de la conscience au seul entendement rationnel. Le romantisme valorisera et même survalorisera l'“autre” par rapport à la raison (das Andere der Vernunft): perception sensuelle, instinct, intuition, expérience mystique, enfance, rêve, vie pastorale. Wordsworth, romantique anglais, exposant “rose” de cette volonté de réconciliation entre l'Etre et la conscience, plaidera pour l'avènement d'“un cœur qui regarde et reçoit” (A Heart that watches and receives). Dostoïevski abandonnera cette vision “rose”, développera en réaction une vision très “noire”, où l'intellect est toujours source du mal qui conduit le “possédé” à tuer ou à se suicider. Sur le plan philosophique, dans le même filon, tant Klages que Lessing reprendront à leur compte cette vision “noire” de l'intellect, tout en affinant considérablement le romantisme naturaliste: pour Klages, l'esprit est l'ennemi de l'âme; pour Lessing, l'esprit est la contre-partie de la vie, née de la nécessité («Geist ist das notgeborene Gegenspiel des Lebens»).

 

Lawrence, fidèle en un certain sens à la tradition romantique anglaise de Wordsworth, croit à une nouvelle adéquation de l'Etre et de la conscience. Hamsun, plus pessimiste, plus dostoïevskien (d'où son succès en Russie et son impact sur les écrivains ruralistes comme Belov et Raspoutine), n'a cessé de croire que dès qu'il y a conscience, il y a aliénation. Dès que l'homme commence à réfléchir sur soi-même, il se détache par rapport au continuum naturel, dans lequel il devrait normalement rester imbriqué. Dans les écrits théoriques de Hamsun, on trouve une réflexion sur le modernisme littéraire. La vie moderne, écrit-il, influence, transforme, affine l'homme pour l'arracher à son destin, à son lieu destinal, à ses instincts, par-delà le bien et le mal. L'évolution littéraire du XIXième siècle trahit une fébrilité, un déséquilibre, une nervosité, une complication extrême de la psychologie humaine. «La nervosité générale (ambiante) s'est emparée de notre être fondamental et a déteint sur notre vie sentimentale». D'où l'écrivain se définit désormais comme Zola qui se pose comme un “médecin social” qui doit décrire des maux sociaux pour éliminer le mal. L'écrivain, l'intellectuel, développe ainsi un esprit missionnaire visant une “correction po­litique”.

 

Face à cette vision intellectuelle de l'écrivain, Hamsun rétorque qu'il est impossible de définir objectivement la réalité de l'homme, car un “homme objectif” serait une monstruosité (ein Unding), construite à la manière du meccano. On ne peut ré­duire l'homme à un catalogue de caractéristiques car l'homme est changeant, ambigu. Même attitude chez Lawrence: «Now I absolutely flatly deny that I am a soul, or a body, or a mind, or an intelligence, or a brain, or a nervous system, or a bunch of glands, or any of the rest of these bits of me. The whole is greater than the part»  (Voilà, je dénie absolument et franchement le fait que je sois une âme, ou un corps, ou un esprit, ou une intelligence, ou un cerveau, ou un système nerveux, ou une série de glandes, ou tout autre morceau de moi-même. Le tout est plus grand que la partie). Hamsun et Lawrence illustrent dans leurs œuvres qu'il est impossible de théoriser ou d'absoluiser une vision claire et nette de l'homme. L'homme, ensuite, n'est pas le véhicule d'idées préconçues. Hamsun et Lawrence constatent que les progrès dans la conscience de soi ne sont donc pas des processus d'émancipation spirituelle, mais une perte, une déperdition de vitalité, de tonus vital. Dans leurs romans, ce sont toujours des figures intactes, parce qu'inconscientes (c'est-à-dire imbriquées dans leur sol ou leur site) qui se maintiennent, qui triomphent des coups du sort, des circonstances malheureuses.

 

Il ne s'agit nullement là, répétons-le, de pastoralisme ou d'idyllisme. Les figures des romans de Hamsun et de Lawrence sont là: elles sont traversées ou sollicitées par la modernité, d'où leur irréductible complexité: elles peuvent y succomber, elles en souffrent, elles subissent un processus d'aliénation mais peuvent aussi en triompher. C'est ici qu'interviennent l'ironie de Hamsun et la notion de “Phénix” chez Lawrence. L'ironie de Hamsun sert à brocarder les idéaux abstraits des idéologies mo­dernes. Chez Lawrence, la notion récurrente de “Phénix” témoigne d'une certaine dose d'espoir: il y aura ressurection. Comme le Phénix qui renaît de ses cendres.

 

Le paganisme de Hamsun et de Lawrence

 

Si cette volonté de retour à une ontologie naturelle est portée par un rejet de l'intellectualisme rationaliste, elle implique aussi une contestation en profondeur du message chrétien.

 

Chez Hamsun, nous trouvons le rejet du puritanisme familial (celui de son oncle Hans Olsen), le rejet du culte protestant du livre et du texte, c'est-à-dire un rejet explicite d'un système de pensée religieuse reposant sur le primat du pur écrit contre l'expérience existentielle (notamment celle du paysan autarcique, dont le modèle est celui de l'Odalsbond  des campagnes norvégiennes). L'anti-christianisme de Hamsun est plutôt a-chrétien: il n'amorce pas un questionnement religieux à la mode de Kierkegaard. Pour lui, le moralisme du protestantisme de l'ère victorienne (en Scandinavie, on disait: de l'ère oscarienne) exprime tout simplement une dévitalisation. Hamsun ne préconise aucune expérience mystique.

 

Lawrence, lui, perçoit surtout la césure par rapport au mystère cosmique. Le christianisme renforce cette césure, empêche qu'elle ne se colmate, empêche la cicatrisation. Pourtant, la religiosité européenne conserve un résidu de ce culte du mystère cosmique: c'est l'année liturgique, le cycle liturgique (Pâques, Pentecôte, Feux de la Saint-Jean, Toussaint et Jour des Morts, Noël, Fête des Rois). Mais celui-ci a été frappé de plein fouet par les processus de désenchantement et de désacralisation, entamé dès l'avènement de l'église chrétienne primitive, renforcé par les puritanismes et les jansénismes d'après la Réforme. Les premiers chrétiens ont clairement voulu arracher l'homme à ces cycles cosmiques. L'église médiévale a cher­ché au contraire l'adéquation, puis, les églises protestantes et l'église conciliaire ont nettement exprimé une volonté de retour­ner à l'anti-cosmisme du christianisme primitif. Lawrence: «But now, after almost three thousand years, now that we are al­most abstracted entirely from the rhythmic life of the seasons, birth and death and fruition, now we realize that such abstraction is neither bliss nor liberation, but nullity. It brings null inertia» (Mais aujourd'hui, après près de trois mille ans, maintenant que nous nous sommes presque complètement abstraits de la vie rythmique des saisons, de la naissance, de la mort et de la fé­condité, nous comprenons enfin qu'une telle abstraction n'est ni une bénédiction ni une libération, mais pure nullité. Elle ne nous apporte rien, si ce n'est l'inertie). Cette césure est le propre du christianisme des civilisations urbaines, où il n'y a plus d'ouverture sur le cosmos. Le Christ n'est dès lors plus un Christ cosmique, mais un Christ déchu au rôle d'un assistant so­cial. Mircea Eliade parlait, lui, d'un «Homme cosmique», ouvert sur l'immensité du cosmos, pilier de toutes les grandes reli­gions. Dans la perspective d'Eliade, le sacré est le réel, la puissance, la source de la vie et la fertilité. Eliade: «Le désir de l'homme religieux de vivre une vie dans le sacré est le désir de vivre dans la réalité objective».

 

La leçon idéologique et politique de Hamsun et Lawrence

 

Sur le plan idéologique et politique, sur le plan de la Weltanschauung,  les œuvres de Hamsun et de Lawrence ont eu un im­pact assez considérable. Hamsun a été lu par tous, au-delà de la polarité communisme/fascisme. Lawrence a été étiquetté “fasciste” à titre posthume, notamment par Bertrand Russell qui parlait de sa “madness” («Lawrence was a suitable exponent of the Nazi cult of insanity»;  Lawrence était un exposant typique du culte nazi de la folie). Cette phrase est pour le moins simpliste et lapidaire. Les œuvres de Hamsun et de Lawrence s'inscrivent dans un quadruple contexte, estime Akos Doma: celui de la philosophie de la vie, celui des avatars de l'individualisme, celui de la tradition philosophique vitaliste, celui de l'anti-utopisme et de l'irrationalisme.

 

1. La philosophie de la vie (Lebensphilosophie)  est un concept de combat, opposant la “vivacité de la vie réelle” à la rigidité des conventions, jeu d'artifices inventés par la civilisation urbaine pour tenter de s'orienter dans un monde complètement dé­senchanté. La philosophie de la vie se manifeste sous des visages multiples dans la pensée européenne et prend corps à partir des réflexions de Nietzsche sur la Leiblichkeit  (la corporéité).

2. L'individualisme. L'anthropologie de Hamsun postule l'absolue unicité de chaque individu, de chaque personne, mais re­fuse d'isoler cet individu ou cette personne hors de tout contexte communautaire, charnel ou familial: il place toujours l'individu ou la personne en interaction, sur un site précis. L'absence d'introspection spéculative, de conscience, d'intellectualisme abs­trait font que l'individualisme hamsunien n'est pas celui de l'anthropologie des Lumières. Mais, pour Hamsun, on ne combat pas l'individualisme des Lumières en prônant un collectivisme de facture idéologique. La renaissance de l'homme authentique passe par une réactivation des ressorts les plus profonds de son âme et de son corps. L'enrégimentement mécanique est une insuffisance calamiteuse. Par conséquent, le reproche de “fascisme” ne tient pas, ni pour Lawrence ni pour Hamsun.

 

3. Le vitalisme tient compte de tous les faits de vie et exclut toute hiérarchisation sur base de la race, de la classe, etc. Les oppositions propres à la démarche du vitalisme sont: affirmation de la vie/négation de la vie; sain/malsain; orga­nique/mécanique. De ce fait, on ne peut les ramener à des catégories sociales, à des partis, etc. La vie est une catégorie fondamentalement a-politique, car tous les hommes sans distinction y sont soumis.

4. L'“irrationalisme” reproché à Hamsun et à Lawrence, de même que leur anti-utopisme, procèdent d'une révolte contre la “faisabilité” (feasability: Machbarkeit),  contre l'idée de perfectibilité infinie (que l'on retrouve sous une forme “organique” chez les Romantiques de la première génération en Angleterre). L'idée de faisabilité se heurte à l'essence biologique de la nature. De ce fait, l'idée de faisabilité est l'essence du nihilisme, comme nous l'enseigne le philosophe italien contemporain Emanuele Severino. Pour Severino, la faisabilité dérive d'une volonté de compléter le monde posé comme étant en devenir (mais non un devenir organique incontrôlable). Une fois ce processus de complétion achevé, le devenir arrête forcément sa course. Une stabilité générale s'impose à la Terre et cette stabilité figée est décrite comme un “Bien absolu”. Sur le mode lit­téraire, Hamsun et Lawrence ont préfiguré les philosophes contemporains tels Emanuele Severino, Robert Spaemann (avec sa critique du fonctionalisme), Ernst Behler (avec sa critique de la “perfectibilité infinie”) ou Peter Koslowski (cf. NdSE n°20), etc. Ces philosophes, en dehors d'Allemagne ou d'Italie, sont forcément très peu connus du grand public, d'autant plus qu'ils criti­quent à fond les assises des idéologies dominantes, ce qui est plutôt mal vu, depuis le déploiement d'une inquisition sournoise, exerçant ses ravages sur la place de Paris. Les cellules du “complot logocentriste” sont en place chez les éditeurs, pour refu­ser les traductions, maintenir la France en état de “minorité” philosophique et empêcher toute contestation efficace de l'idéologie du pouvoir.

 

Nietzsche, Hamsun et Lawrence, les philosophes vitalistes ou “anti-faisabilistes”, en insistant sur le caractère ontologique de la biologie humaine, s'opposent radicalement à l'idée occidentale et nihiliste de la faisabilité absolue de toute chose, donc de l'inexistence ontologique de toutes les choses, de toutes les réalités. Bon nombre d'entre eux  —et certainement Hamsun et Lawrence—  nous ramènent au présent éternel de nos corps, de notre corporéité (Leiblichkeit).  Or nous ne pouvons pas fabri­quer un corps, en dépit des vœux qui transparaissent dans une certaine science-fiction (ou dans certains projets délirants des premières années du soviétisme; cf. les textes qu'ont consacrés à ce sujet Giorgio Galli et Alexandre Douguine; cf. NdSE n°19).

 

La faisabilité est donc l'hybris poussée à son comble. Elle conduit à la fébrilité, la vacuité, la légèreté, au solipsisme et à l'isolement. De Heidegger à Severino, la philosophie européenne s'est penchée sur la catastrophe qu'a été la désacralisation de l'Etre et le désenchantement du monde. Si les ressorts profonds et mystérieux de la Terre ou de l'homme sont considérés comme des imperfections indignes de l'intérêt du théologien ou du philosophe, si tout ce qui est pensé abstraitement ou fabri­qué au-delà de ces ressorts (ontologiques) se retrouve survalorisé, alors, effectivement, le monde perd toute sacralité, toute valeur. Hamsun et Lawrence sont les écrivains qui nous font vivre avec davantage d'intensité ce constat, parfois sec, des phi­losophes qui déplorent la fausse route empruntée depuis des siècles par la pensée occidentale. Heidegger et Severino en phi­losophie, Hamsun et Lawrence au niveau de la création littéraire visent à restituer de la sacralité dans le monde naturel et à revaloriser les forces tapies à l'intérieur de l'homme: en ce sens, ils sont des penseurs écologiques dans l'acception la plus profonde du terme. L'oikos et celui qui travaille l'oikos recèlent en eux le sacré, des forces mystérieuses et incontrôlables, qu'il s'agit d'accepter comme telles, sans fatalisme et sans fausse humilité. Hamsun et Lawrence ont dès lors annoncé la di­mension géophilosophique de la pensée, qui nous a préoccupés tout au long de cette université d'été. Une approche succincte de leurs œuvres avait donc toute sa place dans le curriculum de 1996.

 

Robert STEUCKERS.

mercredi, 19 novembre 2008

De meerwaarde van mythologie: Ovidius

220px-Ovide_auteur.jpg

 

De meerwaarde van mythologie : Ovidius

lundi, 17 novembre 2008

E. Diederichs: grand éditeur, romantique et universaliste

Diederichs,%20Eugen_jpg_3841.jpg

Eugen Diederichs: grand éditeur, romantique et universaliste

 

Michael MORGENSTERN

 

«S'il y avait des conspirateurs parmi nous, des conspirateurs rassemblés dans un cénacle à la fois ouvert et secret, qui mé­dite et œuvre pour forger le grand avenir et auquel peuvent se joindre tous ceux à qui il peut donner la parole pour exprimer leur aspirations et qui disent: “nous sommes las de nous satisfaire de choses achevées et préfabriquées”»: ce texte figurait en exergue sur le papier à en-tête des éditions Eugen Diederichs d'Iéna au début du siècle. Son auteur était Paul de Lagarde, qu'Eugen Diederichs vénérait et qu'il considérait comme l'un de ses principaux inspirateurs à côté de Nietzsche et de Julius Langbehn (l'auteur de Rembrandt als Erzieher,  = Rembrandt comme éducateur). Avec ces trois grandes figures de la pensée allemande de la fin du XIXième siècle, l'éditeur Diederichs partageait la conviction que tout véritable renouveau ne proviendrait que de la jeunesse. C'est la raison pour laquelle le nom de l'éditeur d'Iéna apparaissait à l'époque partout où surgissait de la nouveauté.

 

Ses intérêts le portait tout particulièrement à valoriser et à diffuser les linéaments idéologiques véhiculés par les mouvements réformateurs néo-romantiques et “alternatifs” nés au tournant du siècle: la FKK (la “culture des corps libres”, soit le natu­risme), les méthodes nouvelles en pédagogie, le mouvement végétarien, les tentatives de généraliser l'homéopathie, le mou­vement des cités-jardins en urbanisme, les compagnonnages de travailleurs, etc. Pour promouvoir toutes ses innovations, Diederichs proposait aussi une nouvelle esthétique du livre, où textes, couvertures, lettrages, etc. reflétaient les idées et pul­sions nouvelles dans le domaine de l'art. En effet, Diederichs était avant tout un éditeur.

 

Né en 1867 dans la propriété foncière d'une lignée de chevaliers près de Naumburg, Diederichs a d'abord voulu perpétuer la tradition familiale et devenir agriculteur. Mais très rapidement, son penchant à dévorer des livres a pris le dessus et le jeune homme a choisi une profession qui ne mettrait aucun frein à son insatiable fringale de lectures. Diederichs n'était pas qu'un rêveur passionné et un romantique perdu dans ses songes: il était doué d'un solide sens pratique des affaires, qu'il a étayé au cours de quelques années d'apprentissage en Allemagne du Sud. Pendant un voyage en Italie, il décide à Rimini, en août 1896, de s'engager totalement “et tout seul dans un combat contre son époque”. Avec pour atouts les poèmes d'un ami et un héritage, il fonde sa maison d'édition à Florence, puis la transplante rapidement à Leipzig. Elle connaître son apogée à Iéna quelques années plus tard.

 

Dès ses premiers mois d'activités en Italie, le jeune éditeur avait noué des contacts avec toute une série d'auteurs et leur avait fait part de ses intentions. Pour Diederichs, le néo-romantisme du tournant du siècle n'était nullement un tissu de rêveries dé­sincarnées, mais “après l'âge des spécialistes, après l'ère d'une culture ne reposant que sur la seule raison raisonnante, ce néo-romantisme veut regarder le monde et en jouir dans son intégralité. Dans la mesure où ce néo-romantisme saisit à nou­veau le monde par le truchement de l'intuition, il dépasse aussitôt ces phénomènes que sont le matérialisme et le naturalisme qui procèdent tous deux de cette culture de la raison raisonnante”. A cette intention de Diederichs correspond l'œuvre des philosophes de la Vie qui critiquent le morcellement conceptuel du monde, dû à un excès d'analytisme, et revalorisent la pen­sée holiste, tout en déplorant les dégâts de l'industrialisme et en appelant à un retour à la nature. Cette option holiste et “écologique” (avant la lettre) conduit Diederichs à éditer les travaux de Henri Bergson, qui deviendra rapidement le philosophe le plus emblématique de la maison.

 

Diederichs était un universaliste, dans le sens où il ne voulait rester étranger à rien de ce que les cultures humaines avaient produit, et ambitionnait d'éditer dans sa maison le meilleur de ce que l'esprit des hommes avait généré. Ainsi, Diederichs a publié les sagas, les légendes et les contes de tous les peuples de la Terre, de même que les chroniques de la Renaissance, la poésie vieille-norroise (dans la collection “Thule”), les textes des philosophes chinois et indiens. Ensuite, Diederichs a soutenu les efforts des nouvelles orientations religieuses en Allemagne, les religiosités libres, qui critiquaient les églises ser­vant de piliers à l'Etat, en publiant les écrits des mystiques allemands  —Diederichs estimait que Maître Eckehart était de loin supérieur à Luther—  et l'œuvre de Kierkegaard.

 

Dans les années qui ont immédiatement précédé la première guerre mondiale, les intérêts de Diederichs glissent du religieux au politique. Il suscite tout de suite l'intérêt général du public en éditant des autobiographies d'ouvriers comme la Lebensgeschichte eines modernen Fabrikarbeiters  (Histoire de la vie d'un ouvrier des fabriques moderne) de William Bromme. Son objectif était de “déprolétariser le socialisme” et d'“approfondir l'idée nationale”. Diederichs se positionnait comme un héritier spirituel de Herder et s'intéressait dès lors à la culture des héritages populaires, dans une perspective au­thentiquement ethnopluraliste: «Nous n'aurons le droit de nous affirmer nationalistes que lorsque nous aurons com­pris et respecté la spécificité des autres peuples. Car c'est en cela que réside la richesse de la Vie, qui est une poly­symphonie; il n'y a aucun peuple qui puisse s'ériger en exemple absolu et il n'y a pas d'idéologie qui puisse pré­tendre à la domination absolue». Cette phrase, Diederichs l'a faite inscrire dans le catalogue de sa maison d'édition en 1912. Pour détenir un organe de presse capable de véhiculer sa vision du monde et de la politique, il rachète une revue fondée auparavant par le “mouvement religieux libre”, Die Tat, qu'il transforme en un mensuel de culture et de politique. Elle devien­dra ultérieurement, sous la direction de Hans Zehrer, l'organe majeur de la “Konservative Revolution”.

 

Diederichs, homme d'âge mûr, s'est d'abord montré assez réservé face au mouvement de jeunesse “Wandervogel”, dont le style était franchement bohème, rustaud et anarchisant au début. Ses premiers contacts avec les jeunes contestataires du tournant du siècle eurent lieu par l'intermédiaire du Cercle “Sera”, qu'il avait lui-même contribué à lancer. Ce Cercle “Sera” devait son nom à une danse festive dont le refrain était “Sera, sera, sancti Domine”). En organisant des solstices, en réhabili­tant les danses populaires, en relançant le théâtre en plein air et les randonnées des Vaganten  médiévaux, ce Cercle Sera entendait expérimenter de “nouvelles formes de socialité sur l'herbe des prairies”. Diederichs a évoqué ses raisons: «Ce qui m'a amené à soutenir de telles initiatives, est tout simplement ma propre nostalgie des fêtes dans la nature, où il n'y avait pas de spectateurs, mais où tous participaient».

 

L'enthousiasme de l'éditeur pour ces fêtes champêtres ne manquait pas de comique, se souvient l'un de ses auteurs les plus en vue, Hans Blüher. Celui-ci se remémore dans ses souvenirs le temps “où ce monsieur vieillissant, vêtu d'un costume res­semblant à celui d'un paysan balkanique, avec un bâton de Thyros à la main et du lierre dans les cheveux, traversait les rues d'Iéna pour s'en aller dans les collines autour de la ville, juché sur une calèche branlante, entouré de toute une jeunesse, de préférence de sexe féminin, afin de sacrifier à des cultes de nature dionysiaque». En compagnie de son Cercle Sera, Diederichs a participé à la grande fête de la jeunesse Wandervogel qui eut lieu en 1913 sur le Hoher Meissner. Il édita le livre consacré à cette rencontre historique avec, en frontispice, la célèbre gravure de l'artiste Fidus, intitulée Hohe Wacht.

 

Diederichs a développé une véritable critique de l'Etat autoritaire wilhelminien, en s'insurgeant principalement contre la rigidi­fication des églises, de l'école et de la science. Très logiquement, il devait aboutir à une théorisation du Volksstaat, qui aurait parfaitement pu se passer du parlementarisme à l'occidentale et aurait dû être construit selon des principes “organiques et dé­centralisés”. Diederichs parlait de “conservatisme social”. Quand éclate la révolution socialiste des conseils d'ouvriers et de soldats en 1918, il est gonflé d'espoir mais cet enthousiasme s'effondre rapidement, dès que l'élan révolutionnaire s'enlise dans le plus plat et le plus vulgaire des matérialismes. Alors l'“Eugen aux yeux de spectre” (dixit Julius Hart), qui n'avait ja­mais perdu sa mélancholie, fond de sa personnalité, se retira de toute vie publique, mais s'engagea résolument dans la dé­fense de la culture populaire allemande, contre l'“américanisation et l'atomisation [sociale]”.

 

En 1930, Eugen Diederichs meurt. Quelques années avant de quitter ce monde, il avait encouragé la création des “Cellules pour la Reconstruction Spirituelle de l'Allemagne” (Zellen zum geistigen Neuaufbau Deutschlands), émanations du mouve­ment de jeunesse Wandervogel d'avant la guerre: «Il est bon que ces cellules demeurent encore discrètes pendant quelque temps, car la psyché du peuple n'a pas à défiler dans les rues: elle doit se reconstituer et croître dans le si­lence et la tranquillité. Tous ceux qui vivent pour maintenir, conserver et développer leur psyché spécifique, sentent qu'ils appartiennent à un Cénacle secret, où tous se sont juré fidélité, en attendant le Grand Matin. Car il viendra ce Grand Matin. Mais il ne viendra pas tout seul, car il faut d'abord labourer la terre avant de pouvoir la semer».

 

Michael MORGENSTERN.

(article tiré de Junge Freiheit,  n°4/1995; trad. franç. : Robert Steuckers).

samedi, 15 novembre 2008

Le nationalisme russe contre les idées de 1789

428pxpyotrstolypinloc07je9.jpg

 

 

Soljénitsyne, Stolypine:le nationalisme russe contre les idées de 1789

 

Wolfgang STRAUSS

 

Soljénitsyne a réalisé son rêve: être lu par ses compatriotes. En juillet 1989, Alexandre Soljénitsyne déclare à un journaliste du Time-Magazine:  «Je ne doute pas que mon roman historique La Roue rouge  sera un jour édité dans son entièreté en Union Soviétique». Et quand l'auteur du Pavillon des Cancéreux  dit “dans son entièreté”, cela signifie avec le troisième tome de la trilogie, intitulé Mars 1917.  Soljénitsyne n'avait pas répondu aux journalistes depuis des années, arguant que son devoir pre­mier était d'achever son œuvre littéraire. La raison qui l'a poussé à rompre le silence réside dans un chapitre complémen­taire, épais de 300 pages, décrivant le “jacobin Lénine” comme “un homme d'une incroyable méchanceté, dépourvu de toute humanité”. Lénine serait ainsi un Robespierre ou un Saint-Just russe, qui aurait précipité son peuple et son pays dans le dé­nuement le plus profond, dans une tragédie sans précédent, car Lénine aurait haï sans limites tout ce qui touchait à la Russie.

 

Lénine voulait détruire l'identité russe. Ce “terroriste génial” était tout à la fois le tentateur et le destructeur de la Russie. «Je suis un patriote», écrit aujourd'hui celui qui démasque Lénine et révèle sa folie. «J'aime ma patrie qui est malade depuis 70 ans, détruite, au bord de la mort. Je veux que ma Russie revienne à nouveau à la vie».

 

Stolypine haï par les libéraux et les “Cadets”

 

Pour Soljénitsyne, l'anti-Lénine était Piotr Stolypine (1862-1911). Après la révolution de 1905, ce conservateur non inféodé à un parti, cet expert agricole, devient tout à la fois ministre de l'intérieur et premier ministre. En engageant la police à fond, en créant des tribunaux d'exception, en dressant des gibets, en bannissant les récalcitrants, il met un terme à la terreur des anar­chistes, des sociaux-révolutionnaires et des bolcheviques; dans la foulée, il introduit les droits civils et jette les bases d'une monarchie constitutionnelle. Son principal mérite consiste en une réforme agraire radicale visant à remplacer le “mir” (c'est-à-dire la possession collective du village), tombé en désuétude, par une large couche de paysans indépendants et efficaces, générant un marché des biens agricoles: Stolypine avait voulu résoudre ainsi la question paysanne par des moyens pacifiques, grâce à une révolution d'en haut. Mais ce réformateur russe refusait d'introduire en Russie le démocratisme à la mode occi­dentale, pour des raisons d'ordre spirituel et moral. Stolypine, en effet, était un adversaire philosophique des idées de 1789. En cela, il s'attira la haine des libéraux de gauche, qu'on appelait alors les “Cadets” en Russie, des sociaux-démocrates et des marxistes, c'est-à-dire la haine de toute la fraction “progressiste” de la Douma. Le 18 septembre 1911, il meurt victime d'un attentat perpétré contre lui dans l'opéra de Kiev, sous les balles du revolver d'un étudiant anarchiste, Mordekhaï Bogrov, qui était aussi un indicateur de la police.

 

Réhabilitation de Stolypine par la Pravda

 

Six ans après la rédaction du chapitre consacré à Stolypine dans Août 1914, le parti communiste opère un revirement sensa­tionnel en ce qui concerne Stolypine. Depuis 1917, le nom de Stolypine avait été maudit par les bolcheviques qui en avaient fait l'exemple paradigmatique de l'homme d'Etat mu par la haine des socialistes et des marxistes et pariant sur la terreur poli­cière et sur l'oppression du peuple.

 

Cette caricature de Stolypine n'a plus cours désormais. Le 3 août 1989, la Pravda  annonçait sa réhabilitation. Le maudit d'hier devenait un réformateur politique sans peur ni reproche, l'ancêtre direct de la perestroïka! Il est enfin temps, expliquait l'organe du parti, de “rendre justice historiquement” à ce Russe qui aurait pu, par sa réforme agraire, donner vie à des fermes auto­nomes, économiquement saines et viables. Peu de temps auparavant, la Literatournaïa Gazeta  avait publié un entretien avec le fils de Stolypine, qui vit à Paris, tandis que le journal Literatournaïa Rossiya  annonçait la publication d'une courte biographie du ministre et réformateur tsariste. Ce revirement aurait-il été possible sans Soljénitsyne?

 

Un programme non encore réalisé

 

Ce formidable chapitre d'Août 1914,  consacré à Stolypine, n'a pas qu'une valeur purement littéraire, c'est une leçon doctri­nale, où se reflète toute l'idéologie de Soljénitsyne, tout son projet d'ordre nouveau. Soljénitsyne parle d'une “réforme histo­rique”, glorifie le “plan global et complet [de Stolypine] pour modifier de fond en comble la Russie”. Suppression des bannis­sements et de la gendarmerie, mise sur pied d'une justice locale, proche des citoyens, avec des juges de paix élus, raccour­cissement des périodes de détention, constitution d'un système d'écoles professionnelles, réduction de l'impôt pour les per­sonnes sans trop de ressources, diminution du temps de travail, interdiction du travail de nuit pour les femmes et les enfants, introduction du droit de grève et autonomisation des syndicats, sécurité sociale étatisée pour les personnes incapables de tra­vailler, les malades, les invalides, les vieillards: c'était bel et bien la perestroïka d'un conservateur révolutionnaire inacces­sible à la corruption, ascétique, dont les idées sont toujours actuelles, et qui n'ont pas été réalisées dans l'Etat des bolche­viques, où n'a régné que la pauvreté, n'a dominé que l'appareil policier et dans lequel, finalement, nous avions une version moderne, étatisée et centralisée du servage et/ou du despotisme asiatique. Soljénitsyne écrit à ce propos: «Il semble que pen­dant toute la durée du 20ième siècle, rien de tout cela n'a été réalisé dans notre pays, et c'est pour cela que ces plans ne sont pas encore dépassés».

 

Mais en quoi consistait la philosophie réformiste de Stolypine? Qu'est ce qui distinguait ce modernisateur et ce monarchiste des adeptes idolâtres des Lumières occidentales, c'est-à-dire l'intelligentsia de gauche? Eh bien, ce qui le distingue, c'est une autre vision de la liberté, une autre anthropologie, le refus absolu d'une solution reposant sur les “pogroms et les incendies volontaires”. Empêcher l'“effondrement de la Russie” ne pourra se faire, d'après Stolypine (et d'après Soljénitsyne!), que par une “restauration d'un ordre et d'un droit correspondant à la conscience du peuple russe”. Les thèses centrales de Stolypine sont les suivantes: «Entre l'Etat russe et l'Eglise chrétienne existe un lien vieux de plusieurs siècles. Adhérer aux principes que nous lègue l'histoire russe sera la véritable force à opposer au socialisme déraciné».

 

Des hommes solides issus du terroir

 

«Pour être viable, notre réforme doit puiser sa force dans des principes propres à la nationalité russe, c'est-à-dire en dévelop­pant l'idée et la pratique de la semstvo.  Dans les couches inférieures, des hommes solides, inébranlables, issus du terroir doivent pouvoir croître et se développer, tout en étant liés à l'Etat. Plusieurs millions d'êtres humaines en Russie appartiennent à ces couches inférieures de la population: elles sont la puissance démographique qui rendent notre pays fort... L'histoire nous enseigne, qu'en certaines circonstances, certains peuples négligent leurs devoirs nationaux, mais ces peuples-là sont destinés à sombrer dans le déclin». «Le besoin de propriété personnelle est tout aussi naturel que le sentiment de la faim, que l'instinct de conservation de l'espèce, que tout autre instinct de l'homme». «L'Etat russe s'est développé à partir de ses propres racines, et il est impossible de greffer une branche étrangère sur notre tronc russe». «La véritable liberté prend son envol sur les liber­tés citoyennes, au départ du patriotisme et du sentiment d'être citoyen d'un Etat... L'autocratie historique et la libre volonté du monarque sont les apanages précieux de la “statalité” russe, car seuls ce pouvoir absolu et cette volonté ont vocation, dans les moments de danger, où chavire l'Etat, de sauver la Russie, de la guider sur la voie de l'ordre et de la vérité historique».

 

Contre la guerre contre l'Autriche

 

Quant à Soljénitsyne, il écrit: «Pour nous, la guerre signifierait la défaite et surtout la révolution. Cet aveu pouvait en soi susci­ter bien de l'amertume, mais il était moins dur à formuler pour un homme qui, dès le départ, n'a pas eu la moindre intention de faire la guerre et ne s'est jamais enthousiasmé pour le messianisme panslaviste. Egratigner légèrement la fierté nationale russe n'est rien, finalement, quand on étudie le gigantesque programme de rénovation intérieure que proposait Soljénitsyne pour sauver la Russie. Stolypine ne pouvait pas exprimer ses arguments ouvertement, mais il a pu faire changer l'avis du Tsar, qui venait de se décider à mobiliser contre l'Autriche: une guerre avec Vienne aurait entraîné une guerre avec l'Allemagne et mis la dynastie en danger (Ce jour-là, Stolypine a dit dans son cercle familial restreint: “Aujourd'hui, j'ai sauvé la Russie!”). Dans des conversations personnelles, il se plaignait des chefs de la majorité militante de la Douma. Les Cadets voulaient la guerre et le hurlaient sans retenue (tant qu'ils ne devaient pas mettre leur propre peau en jeu!)».

 

Plus de “Février” libéral!

 

Tout comme cet assassiné, cet homme qui a connu l'échec de sa réforme agraire radicale, qui n'a pas pu humaniser socia­lement la majorité du peuple, —ce qu'il considérait comme le devoir de son existence sur les plans moral, religieux, national et spirituel—, l'ancien officier d'artillerie Soljénitsyne a décidé de s'engager pour son peuple asservi en cherchant à l'éduquer politiquement, à lui redonner une éthique nationale, à préparer sa renaissance. S'il vivait aujourd'hui en URSS, s'il était revenu d'exil, il ne trouverait pas sa place dans les partis d'opposition “radicaux de gauche” de Boris Eltsine, dont les partisans sou­haitent l'avènement d'une sociale-démocratie. L'histoire russe serait-elle condamnée à errer d'un février libéral-démocrate à un octobre bolchevique puis à retourner à un février, tenu par ceux-là même qui avaient failli jadis devant les léninistes? C'est contre cette éventualité d'un retour à la sociale-démocratie que Soljénitsyne lance ses admonestations. Jamais de second fé­vrier!

 

Soljénitsyne voit dans le communisme  —dont il considère les variantes “réformistes” comme un mal—  un avatar abomi­nable de l'“humanisme rationaliste” des Lumières, comme le produit d'une “conscience a-religieuse”. Il a été imposé à la Russie par l'Occident, avec l'aide d'“étrangers”, alors qu'il n'avait aucun terreau pour croître là-bas. «Le peuple russe est la première victime du communisme». Pour Soljénitsyne donc, le communisme est l'enfant légitime de l'“humanisme athée”, un phénomène fondamentalement étranger à la russéité, un traumatisme qui doit être dépassé, donc annihilé (“au cours d'une ré­volution sans effusion de sang”). Avec des arguments tout aussi tranchés, Soljénitsyne condamne à l'avance toute restauration du système des partis, comme celui que les mencheviks avaient installé en février 1917. Il considère que la démocratie parti­tocratique est une forme étatique spécifiquement occidentale, est le fondement du mode de vie occidental né dans le giron de l'idéologie des Lumières.

 

Sakharov, Eltsine: nouveaux “Cadets”

 

La querelle entre slavophiles et occidentalistes a repris de plus belle. Andreï Sakharov, tête pensante de la fraction d'Eltsine au congrès des députés, plaide pour une convergence entre l'Est et l'Ouest, entre le capitalisme libéral et le “capitalisme mono­polistique d'Etat”, pour un rapprochement entre les systèmes, qui ont des racines idéologiques communes: celles des Lumières. Les “radicaux de gauche” déclarent ouvertement aujourd'hui qu'ils veulent réintroduire le système pluripartite du modèle occidental.

 

Il y a six ans pourtant, Soljénitsyne avait rétorqué que c'était plutôt l'Occident décadent qui avait besoin d'être sauvé: «C'est presque tragi-comique de constater comment nos pluralistes, c'est-à-dire nos dissidents démocrates, soumettent à l'approbation bienveillante de l'Occident leurs plaintes et leurs espoirs, sans voir que l'Occident lui-même est à deux doigts de son déclin définitif et n'est même plus capable de s'en prévenir».

 

Dés-humanisation sous le masque de la “liberté”

 

C'est en faveur de tout gouvernement “qui se donnera pour devoir de garantir l'héritage historique de la Russie” (Stolypine), et se montrera conscient de cette mission, que Soljénitsyne prend position dans les débats à venir. Il a résolument rompu les ponts, tant sur le plan intellectuel que sur le plan historique, avec ce processus de dés-humanisation qui a avancé sous le signe d'une “liberté” qui n'est que liberté de faire le mal, d'écraser son prochain, de se pousser en avant sans tenir compte d'aucune forme de communauté ou de solidarité.

 

«L'“humanité” comme internationalisme humanitaire, la “raison” et la “vertu” comme fondements d'une république extrême, l'esprit réduit à de purs discours creux virevoltant entre les clubs jacobins et les loges du Grand Orient, l'art réduit à un pur jeu sociétaire ou à une rhétorique dissolvante, hargneuse, au service de la “faisabilité sociale”: tels sont les ingrédients de ce nou­veau pathos sans racines, de cette nouvelle politique “illuministe” à l'état pur...».

 

Cette dernière phrase pourrait être de Soljénitsyne, mais elle a été écrite par Thomas Mann en 1914. “Que penses-tu de la ré­volution française?”. Question banale mais qui révèle toujours les positions politiques de celui qui y répond, surtout en cette année du bicentenaire. Le Russe Soljénitsyne y répond et donne par là même, à son propre peuple et à l'humanité toute en­tière, une réponse tout-à-fait dépourvue d'ambigüités.

 

Wolfgang STRAUSS.

(texte tiré de Criticón, n°115, sept.-oct. 1989; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

vendredi, 14 novembre 2008

Os novos deuses

Os novos deuses

ex: http://inconformista.info/

«Envelhecemos, e como os velhinhos gostamos das nossas comodidades. Tornou-se um crime ser-se mais e ter-se mais do que os outros. Devidamente privados dos entusiasmos fortes, tomámos em horror tudo o que seja poder e virilidade; a massa e o igualitarismo, são estes os nossos novos deuses. Uma vez que a massa não pode modelar-se pela minoria, que pelo menos o pequeno número se modele pela massa. A política, o drama, os artistas, os cafés, os sapatos envernizados, os cartazes, a imprensa, a moral, a Europa de amanhã, o Mundo de depois de amanhã: explosão de massa. Monstro de mil cabeças à beira dos grandes caminhos, espezinhando o que não pode engolir, invejosa, nova-rica, má. Uma vez mais, o indivíduo sucumbiu, mas não foram os seus defensores naturais os primeiros a traí-lo?»

Ernst Jünger
in “A Guerra como Experiência Interior”, Ulisseia (2005).

mercredi, 12 novembre 2008

Février 1917 dans "La Roue Rouge" de Soljénitsyne

Soljenit01.jpg

 

 

Février 1917 dans «La Roue Rouge»

de Soljénitsyne

 

Wolfgang STRAUSS

 

Un jeudi, il y a 79 ans, le 23 février du calendrier julien, la roue de la révolution s'est mise à tourner à Petrograd. La première partie du récit de Soljénitsyne, intitulé «Mars 1917» (dans sa version définitive, ce récit compte quatre parties), raconte les événements qui se sont déroulés entre les 8 et 12 mars 1917. Ces cinq jours n'ont pas ébranlé le monde, seulement la ville de Petrograd, site du roman de Soljénitsyne. Une grève spontanée des ouvrières du textile éclate le jour de la fête internationale des femmes; le manque de pain noir (il y a suffisamment de pain blanc) provoque des meetings où affluent non seulement des “gamins de rue” et toute une “plèbe”, mais aussi un “public de notables”. Les unités de réserve des régiments de la Garde, chargé de mater cette révolte, refusent d'obéir aux ordres. Les dragons et les cosaques du Don nettoient alors la Perspective Nevski, mais en gardant leurs lances hautes, sans charger sabre au clair. Pour la première fois dans l'histoire du tsarisme, une confrontation entre l'armée et le peuple ne se termine pas dans un bain de sang. Le soir du 12 mars, un lundi, tout Petrograd est aux mains des révoltés. Personne ne parle encore de révolution.

 

Le 8 mars, quand les premières réserves de pain sont pillées, la Tsarine Alexandra écrit à son mari: «Olga et Alexis ont la rougeole. Bébé tousse fort... Les deux enfants reposent dans des chambres occultées. Nous mangons dans la chambre rouge... Ah, mon chéri, comme c'est triste d'être sans toi  — comme je me sens seule, comme j'ai soif de ton amour, de tes baisers, mon cher trésor, je ne cesse de penser à toi. Prend ta petite croix quand tu dois prendre de graves décisions, elle t'aidera». Quelques jours plus tôt, la Tsarine, issue de la maison des grands-ducs de Hesse-Darmstadt, avait envoyé des conseils à son impérial époux: «Reste ferme, montre que tu as de la poigne. Les Russes en ont besoin. Tu n'as jamais man­qué une occasion de prouver ta bonté et ton amour, montre-leur maintenant ta poigne. Eux-mêmes le demandent. Récemment beaucoup sont venus me le dire: “Nous avons besoin du knout!”. Ce genre d'encouragement est rare, mais la nature slave est ainsi faite: la plus grande fermeté, même la dureté et un amour chaleureux. Ils doivent apprendre à te craindre - l'amour seul est insuffisant...».

 

Nicolas II tremble “en sentant anticipativement le malheur qui va s'abattre sur son pays, en pressentant les misères qui s'approchent”. «Le knout? Ce serait affreux. On ne peut ni l'imaginer ni le dire. Il ne faut pas lever la main pour frapper... Mais, oui, il faut être ferme. Montrer une forte poigne  -  oui, il le faut, enfin». Le Tsar change de ministres et les membres de son conseil d'Etat, ne rate plus un seul office religieux et n'oublie pas de jeûner, songe à dissoudre la Douma pour ne la convoquer qu'à la fin de l'année 1917. «Mais aussitôt après, l'Empereur est à nouveau tenaillé par le doute, comme d'habitude, un doute qui le paralyse: est-il bien nécessaire, d'aller aussi loin? Est-il bien utile de risquer une explosion? Ne vaudrait-il pas mieux choisir l'apaisement, laisser libre cours aux choses et ne pas porter attention aux coqs qui veulent le conflit? Une révolution? C'est là un bavardage vide de sens. Pas un Russe ne planifiera une révolution au beau milieu d'une guerre... au fond de leur âme tous les Russes aiment la Russie. Et l'armée de terre est fidèle à son Empereur. Il n'y a pas de danger réel». Ces ré­flexions ont été émises quelques jours avant le jeudi 8 mars. Quand le révolte de la foule éclate, le Tsar ne comprend pas. Jamais il n'a appris à avoir de l'énergie, de l'esprit de décision, de la confiance en soi, du sang froid.

 

Le 8 mars pourtant n'était pas fatum, explique Soljénitsyne, mais seulement un avertissement. L'histoire n'avait pas encore atteint un point de non-retour, elle ne venait que de lancer un défi. Constamment, cet autocrate n'avait eu sous les yeux que de mauvais exemples, auquel on le comparait: à son père Alexandre III qui avait freiné les réformes initiées par Alexandre II, le «libérateur des paysans», puis les avait annulées, tout en renforçant l'autocratie par des mesures policières brutales. A son arrière-grand-père Nicolas I que l'on avait surnommé le “gendarme de l'Europe” et que les paysans et les bourgeois appe­laient, en le maudisant, “Nicolaï Palkine”, c'est-à-dire “Nicolas le Gourdin”. Hélas Nicolas II avait refoulé un autre exemple, l'avait chassé de son esprit: Piotr Stolypine, l'autre “libérateur des paysans”, le vrai. Il fut le plus grands de tous les réforma­teurs sociaux, de tous les rénovateurs de l'Etat, dans l'histoire russe. Il avait réussi à extirper le terrorisme, il avait liquidé la révolution de 1905 et il avait fondé la monarchie constitutionnelle, assortie des droits de l'homme et de libertés ouvrières. En septembre 1911 il est assassiné à l'âge de 49 ans en plein opéra de Kiev, abattu par l'anarchiste et espion de la police Mordekhaï Bogrov. Non, cet homme remarquable que fut Stolypine, n'aurait pas apprécié les hésitations. La fermeté et l'art de réaliser des compromis, dresser des gibets et concrétiser l'émancipation, comme le faisait Stolypine, Nicolas II n'en était pas capable. Soljénitsyne ne laisse planer aucun doute: si Stolypine avait été Premier Ministre ce jeudi-là, quand la foule s'est ré­voltée, la révolution de février et la révolution léniniste d'octobre n'auraient pas eu lieu. L'histoire ne se fait pas, ce sont les rudes, les durs, les décidés qui la poussent en avant, qui la façonnent, la corrigent et la guident.

 

Le fossoyeur de la dynastie des Romanov, ce n'est pas le pauvre Nicolas II, explique Soljénitsyne, les responsables, ce sont les incapables et les corrompus: les généraux, les ministres, les grands serviteurs de l'Etat, les parlementaires, et non pas les révolutionnaires radicaux qui vivaient exilés ou bannis (car le 8 mars a surpris les permanents des partis anti-tsaristes en place à Petrograd). Les véritables coupables sont, d'après Soljénitsyne, les libéraux de gauche qui répandaient haine et nihi­lisme, en s'agitant dans la Douma, dans les médias, dans la “société éclairées”; à leur tête, les “démocrates constitutionnels” (les “Cadets”), avec leur “bloc progressiste” sur les bancs de la Douma. Ceux qui entreront comme les bourreaux de la Russie en ce siècle, ce ne sont pas les bolcheviques, mais les libéraux.

 

Soljénitsyne est resté fidèle à ses idées, depuis son discours de Harvard jusqu'au chapitre consacré à Stolypine dans Août 1914. Les 764 pages de son roman constituent une accusation très actuelle: le Sage du Vermont se dresse contre un spectre bien réel, qui surgit de la tombe des Cadets. Sociale-démocratie ou libéralisme? C'est l'alternative que suggèraient les parti­sans d'Eltsine en 1990-91. Mais il n'y a pas qu'un seul nouveau parti des “Cadets”. Du ventre de ce monstre que fut le PCUS, aujourd'hui paralysé, en agonie, jaillissent des parasites politiques, qui se font concurrence, en espérant provoquer une “nouvelle révolution de février”. Un système pluripartite selon le modèle libéral-capitaliste est vendu aux foules russes comme la panacée, l'ordre nouveau paradisiaque du XXIième siècle. Des “plates-formes démocratiques” aux “communistes démocrates”, de “Russie démocratique” à l'“Association sociale-démocrate”, tous ces nouveaux “Cadets” veulent un retour à février 1917. Mais, pour Soljénitsyne, cela signifie un retour au point de départ de la grande catastrophe russe de ce siècle, un retour pour recommencer l'horreur.

 

Mais cette volonté de revenir à février 1917 ne correspond par à la volonté de tout le peuple russe. L'appel au retour de Soljénitsyne indique qu'une partie de l'opinion russe ne souhaite pas qu'un second 8 mars se produise. Mais Soljénitsyne est déjà revenu en Russie: ses ouvrages n'y sont plus interdits. «Ce solitaire qui appelle à la réconciliation nationale, au repentir, est sans doute le seul qui puisse apaiser les passions», pense Alla Latynina, la plus célèbre des critiques littéraires russes d'aujourd'hui. Son retour implique aussi un retour à la prise de position directe, assurait en janvier 1990 Vadim Borissov, un connaisseur de l'œuvre de Soljénitsyne, collaborateur de la revue Novy Mir. En effet, Soljénitsyne prendra position face aux tentatives des néo-Cadets qui veulent imposer à la Russie en effervescence un régime libéral-socialiste, soit un système de valeur hostile par essence à la Russie. C'est d'ores et déjà ce qui transparait clairement dans son dernier livre.

 

Wolfgang STRAUSS.

(recension parue dans Criticón, n°118, mars-avril 1990; trad. franç.: Robert Steuckers; à cette époque Strauss fondait encore quelque espoir en Eltsine; depuis que celui-ci a pris une orientation nettement néo-cadette, en livrant la Russie corps et âme au libéralisme le plus outrancier, Strauss est devenu un critique acerbe du régime eltsinien).

lundi, 10 novembre 2008

André Malraux ou la quête de sens

malraux.jpg

 

Laurent SCHANG:

André Malraux ou la quête de sens

 

Pour ceux qui aujourd'hui encore ne verraient en André Malraux que l'agent littéraire le plus talentueux de la IIIième Internationale, les éditions Gallimard ont eu l'heureuse idée de publier dans la collection “Folio” le texte longtemps inexploité de l'enfant chéri des lettres françaises, Les Noyers de l'Altenburg. Généreuse intention s'il en est, qui présente l'extrême intérêt pour les passionnés de l'auteur de L'espoir d'éclairer d'un jour nouveau le passage radical et trop longuement resté confiné dans les ténèbres de sa biographie, de son militantisme communiste à son action de protecteur des Arts gaulliste, évolution frappée du sceau impitoyable de la seconde guerre mondiale, dont le tourbillon déprédateur aura au moins eu l'effet salutaire de révéler Malraux à lui-même. De fait, Les Noyers de l'Altenburg  constituent, plus qu'une étape, un tournant dans l'œuvre de l'écrivain. Ecrit en 1941, cet «anti-rornan», tant Malraux semble y avoir abandonné tout projet romanesque, peut à bon droit se présenter comme le bilan d'une vie avant la mue définitive vers une autre dimension, spirituelle et métaphysique. D'une structure relati­vement lâche, touffue, sans unité marquée, la fascination opérée par Les Noyers...  ne provient pas tant du récit intrinsèque que de la métamorphose et de la mise à nu de son auteur, transfiguration nourrie, comme à l'habitude, par l'immensité des ré­flexions, que celles-ci soient religieuses, intellectuelles, politiques, historiques ou personnelles. De La Condition Humaine aux Anti-Mémoires, il n'y avait qu'un pas. Le voici franchi par Les Noyers de l'Altenburg.

 

Un appel à l'homme, à la civilisation, à l'esprit

 

Dans sa courte introduction, Marius-François Guyard note avec raison: «La vraie leçon des Noyers,  c'est la mort de toute idéo­logie qui refuse le mystère de l'homme et ignore les realités «charnelles», pour parler comme Péguy. Une référence au maître des Cahiers de la Quinzaine  fort à propos, pour ce roman inauguré dans la cathédrale de Chartres, en ce 21 juin 1940 de de­bâcle française. Prisonnier détenu dans ce vaisseau de pierre, abattu, écrasé par la fulgurance de la défaite, le narrateur (un Alsacien derrière lequel se dissimule à peine Malraux) se détache de sa sordide condition d'humilié pour se remémorer vingt-cinq ans plus tôt l'expérience parallèle de son père et trouver de nouvelles raisons d'espérer devant le chaos existentiel provo­qué par la soudaine réalité du vrombissement des colonnes blindées allemandes.

 

Les préoccupations essentielles de le pensée de Malraux ressurgissent au milieu de ses congénères que ne préoccupent que l'instinct de survie, plus prégnants que jamais: l'Homme, la pensée, l'action. «Je sais maintenant qu'un intellectuel n'est pas seulement celui à qui les livres sont nécessaires, mais tout homme dont une idée, si élémentaire soit-elle, engage et ordonne toute la vie. Ceux qui m'entourent, eux, vivent au jour le jour depuis des millénaires». Ce père, Vincent Berger, l'éminence grise du jeune colonel Enver Pacha délégué par le Ministère des Affaires Etrangères allemand à Constantinople en pleine déca­dence ottomane, c'est aussi Malraux. Diplômé en langues orientales, pétri de références nietzschéennes, «dans sa philosophie de l'action  —l'action passait avant la philosophie»— mais converti au socialisme, sorte d'anti-Lawrence d'Arabie germano-turc parti en croisade pour le mirage touranien, joué par la duplicité du IIième Reich, tout chez lui rappelle le passé communiste et militant du «premier» Malraux, engagé dans la guerre d'Espagne, propagan­diste infatigable mais peu considéré de l'Internationale, pour qui son appel à l'Homme, à la civilisation, à l'esprit n'était que “verbiage petit-bourgeois”. «Il avait pris son parti d'une erreur qui avait tant engagé de lui-même; mais avec le retour de la santé la haine venait: comme s'il eût été trompé, non par lui-même, mais par cette Asie centrale menteuse, idiote et qui se refusait à son propre destin —et par tous ceux dont il avait partagé sa foi». Eloquent.

 

Le sens de la vie se trouve au-delà de la dialectique

 

Et puis toujours, obsessionnelle, fatale, la quête de sens, la marche vers une civilisation spirituelle autre, sacrée mais sans dogme ni rituel, transcendante. La fin de sa révolte, Malraux l'imagine puissamment par la traversée du désert du père de son héros, perdu sous la voûte des nuages caucasiens, se ruinant la santé sur les pistes qui mènent à Samarcande, mais élevant son âme vers l'infini, le divin. Antoine de Saint Exupéry, autre Perceval saharien, ne formulera pas autrement ce face-à-face dépouillé avec l'éternité dans le gigantisme des mers de sable. Cette révélation universelle, «un secret qui était bien moins ce­lui de la mort que celui de la vie —un secret qui n'eût pas été moins poignant si l'homme eût été immortel», le mythe primordial qui confèrerait à l'homme un sens à sa vie bien supérieur au péché originel, Nietzsche s'y est brûlé les yeux, qui devint fou d'avoir percé le mystère... Descente aux Enfers magnifiquement retranscrite à laquelle a assisté Walter Berger, l'oncle de Vincent, ami du prophète de Sils-Maria et maître de céremonie des colloques de l'Altenburg, prieuré cerné de noyers où l'on disserte à l'envi sous l'égide des grands penseurs de ce monde: Nietzsche (bien sûr), Weber, Freud, George, Durckheim, mais aussi Pascal, Tacite, Mommsen, Platon. Dans les discours fumeux, gavés de la vaniteuse connaissance universitaire de pen­seurs par procuration n'écoutant qu'eux-mêmes, Vincent, revenu étranger dans un monde moderne qui le rebute en cette veille d'août 14, comprend, lui l'intellectuel, que le sens de la vie se trouve au-delà de la dialectique.

 

«Une civilisation n'est pas un ornement, mais une structure»

 

Si «l'homme est (toujours) ce qu'il fait» (cf Tchen dans La Condition Humaine), André Malraux sait désormais qu'une dimension infiniment supérieure l'habite, qu'il discerne sous les traits de la civilisation, évoquée comme annonciation du Nous universel par la transcendance du Moi. «Autrement dit, sous les croyances, les mythes, et surtout sous la mutiplicité des structures mentales, peut-on isoler une donnée permanente, valable à travers les lieux, valable à travers l'bistoire, sur quoi puisse se fonder la notion d'homme?» Approche qui défère au livre de Malraux une connotation éminemment contemplative, traditionnelle et guénonienne. L'immortalité, thème qui revient avec insistance («les millénaires n'ont pas suffi à l'homme pour apprendre à mourir», «On ne s'habitue pas à mourir»), Vincent la découvrira en juin 1915, les genoux et les mains plongés dans la terre gluante des plaines des bords de la Vistule irrémédiablement putréfiée par les gaz asphyxiants. Le progrès scientifique n'est qu'un leurre, «l'homme fondamental est un mythe, un rêve d'intellectuels», l'homme n'existe, vérité insoutenable pour le pen­seur, que parce qu'il est peuple de chair, non d'idée, un être pauvre, nu, sans force mais riche de sa communion magique avec la nature. Si pour l'intellectuel «la culture est une religion», le sens de la vie pour le commun des mortels réside dans sa ca­pacité à ordonner la civilisation en harmonie avec les forces de la terre, seule part d'éternité où l'homme-shaman (un terme qui revient lancinant au fil du récit) trouve sa place dans la joie et la grandeur originelle recouvrées. «Une civilisation n'est pas un ornement, mais une structure». Vincent sera emporté par les gaz, seuls résisteront sur le champ de mort aux vapeurs des combats, hiératiques, les noyers...

 

Le colonel Berger pouvait dès lors apparaître

 

Le roman s'achèvera sur le retour au narrateur, et ses souvenirs de chef de blindés devant la ruée de mai-juin 1940, son attente, pleine de pitié, de dénuement et d'acceptation sereine d'une mort qu'il croit certaine: «Ainsi, peut-être, Dieu regarda le premier homme».

 

Roman charnière dans l'ouvre et la vie d'André Malraux, Les Noyers de l'Altenburg  devait inaugurer une quadrilogie intitulée La Lutte avec l'Ange, projet inachevé, les manuscrits ayant été saisis par la Gestapo en 1943. Aux questions existentielles po­sées par le tout jeune Malraux de La Tentation de l'Occident, ce livre répond tout en annonçant chez l'auteur la transition d'avec les trois dates-clés de son «adolescence»: 1923, 1936 et 1940. Le colonel Berger (pseudonyme guerrier du Malraux de la bri­gade Alsace-Lorraine) pouvait dès lors apparaître.

 

Laurent SCHANG.

 

Les Noyers de l'Altenburg, Folio Gallimard, cat. 3, n°2997.

 

dimanche, 09 novembre 2008

Knut Hamsun de volta

Knut Hamsun de volta

ex: http://penaeespada.blogspot.com/

Knut Hamsun de volta

Knut Hamsun, galardoado com o Prémio Nobel da Literatura em 1920, volta ao panorama editorial português pela mão da Cavalo de Ferro, com a publicação de “Fome”, traduzido do norueguês por Liliete Martins, com prefácio de Paul Auster e com a coragem de afirmar no breve texto de apresentação sobre o escritor: “figura social controversa, acusado de ser simpatizante nazi aquando da ocupação do seu país, tal como L.-F. Céline será, também ele, perseguido pela justiça depois da II Guerra Mundial e os seus livros queimados na praça pública”. Sim, porque nem só os regimes considerados “malditos” hoje queimaram livros, como alguns nos querem impingir. E, já agora — porque nunca é demais dizê-lo —, para mim, queimar livros é um crime hediondo.

No prefácio à edição portuguesa de “Pan”, publicada em 1955 pela Guimarães, o tradutor da obra, César de Frias, escreve: “Não poucas críticas hão proclamado esta obra de Knut Hamsun como a culminante no seu avultado e precioso legado literário. Se hesitamos em assentir nisso é porque nos merece também, embora por diferentes atributos, franca admiração o romance Fome — que, diga-se por tangência, sofre do equívoco de muitos lhe atribuírem, antes de o lerem e tocados apenas pelo tom angustioso do título, o carácter de obra de intuitos panfletários, grito de revolta contra as desigualdades e injustiças sociais, quando é somente, mas em elevado grau de originalidade, um singular documento humano e como tal considerado único nos anais do género. Não há burguês, por mais egoísta e cioso de sua riqueza, que, ao lê-lo, perca o apetite e o sono, por se lhe afigurar que de aquelas páginas vão surdir acerbas invectivas e punhos cerrados contra o que mais estima no Mundo. A ordem pública não corre ali o risco de uma beliscadura sequer, nem erra por lá o acusador fantasma da miséria do povo, convocado por tantos outros romancistas. A tal respeito não se poderia exigir coisa mais inócua e mansarrona. Assim o juramos à fé de quem somos.
Agora o que Pan tem mais a seu favor, o que lhe requinta a sedução, é o facto de ser um livro trasbordante de claridade e de poéticas intuições. Tutela-o, inspira-o de lés a lés — e isso conduziu o autor a denominá-lo de tal jeito — essa divindade grotesca mas amável, simplória e prazenteira como nenhuma outra, da arraia miúda das velhas teogonias mas tão imortal como os deuses da alta, que, em se pondo a tanger a sua frauta, faz andar tudo num rodopio. Baila ele, bailam à sua volta as ninfas, não há nada que não baile. E assim também cada um de nós se sente irresistivelmente levado na alegre ronda, pois do seu teor se desprende uma sugestão optimista e festiva. E a despeito de lhe sombrear o desfecho a morte do herói, a cujo convívio nos habituára-mos e se entranhara na nossa afeição — morte que é nota esporádica da novelística do autor, um dos que menos “assassinaram” as suas personagens, preferindo deixá-las de pé e empenhadas em prosseguir sempre na grande aventura da Vida —, termina-se a leitura com o espírito deliciosamente impregnado de um súbtil, inefável sabor a Primavera.
Referências blogosféricas para saber mais sobre Hamsun:

In Pena e Espada, 01 de Novembro de 2008

Ecrits de guerre, mobilisation totale et "Travailleur": Jünger, penseur politique radical

ernst_juenger.jpg

 

Ecrits de guerre, mobilisation totale et «Travailleur»: Jünger, penseur politique radical

 

 

Wolfgang HERRMANN

 

Toutes les idées que le nationalisme révolutionnaire a développé pendant les dix premières années qui ont suivi la Grande Guerre ont trouvé leur apex dans l'œuvre d'Ernst Jünger. Les résidus du Mouvement de Jeunesse —qui avait littéralement “fondu” au cours des hostilités—  les éternels soldats par nature, les putschistes, les révolutionnaires et les combattants du Landvolk  ont toujours trouvé en Jünger l'homme qui exposait leurs idées. Mais Ernst Jünger est allé beaucoup plus loin qu'eux tous, ce qu'atteste le contenu du Travailleur. Il n'en est pas resté à une simple interprétation des événements de la Guerre, ce qui fut son objet dans Der Kampf als inneres Erlebnis,  résumé de ces impressions de soldat. Ce mince petit volume sonde les sensations du soldat de la première guerre mondiale, en explore la structure. Et ce sondage est en même temps l'expression d'une nouvelle volonté politique, la première tentative de fonder ce “réalisme héroïque”, devenu, devant les limites de la vie, sceptique, objectif et protestant. En revenant de la guerre, Jünger a acquis une connaissance: l'empreinte que ce conflit a laissé en lui et dans l'intériorité de ses pairs, est plus mobilisatrice, plus revendicatrice et plus substantielle que le message des idéologies dominantes de son époque. Voilà pourquoi la Guerre a été le point de départ de ses écrits ultérieurs, dont Le Travailleur et La mobilisation totale.  Ces deux livres pénètrent dans une nouvelle “couche géologique” de la conscience humaine et modifient la fonction de celle-ci dans le monde moderne. Les deux livres partent du principe de la mobilisation totale, que la Guerre a imposé aux hommes. D'un point de vue sociologique, la guerre moderne est un processus de travail, de labeur, immense, gigantesque, effroyable dans ses dimensions; elle mobilise l'ensemble des réserves des peuples en guerre. Les pays se transforment en fabriques géantes qui produisent à la chaîne pour les armées. Par ailleurs, la guerre de matériel devient pour les troupes combattantes elles-mêmes une sorte de processus de travail, que les techniciens de la guerre ont la volonté de mener à bien. Le nouveau type d'homme qui est formé dans un tel contexte est celui du Travailleur-Soldat, chez qui il ne reste rien de la poésie traditionnelle du Soldat et qui ne jette plus son enthousiasme mais son assiduité dans la redoute qu'il est appelé à occuper. Jünger sait désormais que “la mobilisation totale, en tant que mesure de la pensée organisatrice, n'est qu'un reflet de cette mobilisation supérieure, que le temps accomplit en nous”. Et cette mobilisation-là est inéluctable, la volonté consciente de l'individu ne peut rien y changer. La mobilisation totale des dernières énergies prépare, même si elle est en elle-même un processus de dissolution, l'avènement d'un ordre nouveau. La figure qui forgera cet ordre nouveau est celle du Travailleur. L'image de ce Travailleur, de ce phénomène qui fait irruption dans notre XXième siècle, nous la trouvons dans l'éducation et les arts modernes; Jünger l'a conçue d'après les caractéristiques du Soldat du Front et d'après le modèle russe où le Travailleur devient le Soldat de la Révolution. Jünger ne conçoit pas la catégorie du Travailleur comme un “état” (Stand)  de la société, comme le veut la science bourgeoise, ou comme une classe, à l'instar du marxiste, mais voit dans le Travailleur un nouveau type humain en advenance, une nouvelle mentalité en gestation, qui réussira la fusion de la liberté et du pouvoir. Seul le Travailleur entretient encore une “relation illimitée avec les forces élémentaires”, qui ont pénétré dans l'espace bourgeois, en opérant leur œuvre de destruction. Conservateurs traditionnels et Chrétiens ont attaqué ce livre radical avec une véhémence affirmée. Le Travailleur  reste néanmoins un ouvrage difficile à lire: il recèle une indubitable dimension philosophique; il aborde la problématique en changeant constamment de point de vue, ce qui exige de la part du lecteur une communauté de pensée et une capacité à se remettre perpétuellement en question. (...).

 

Wolfgang HERRMANN.

(extrait de Der neue Nationalismus und seine Literatur,  San Casciano Verlag, Postfach 1306, D-65.533 Limburg; trad. franç.: Robert Steuckers).

jeudi, 06 novembre 2008

L'aristocrate et le baron: parallèles entre Jünger et Evola

280px-Ernst_Junger_drawing.jpg

L'aristocrate et le baron: parallèles entre Jünger et Evola

 

Quel effet aurait eu Le recours aux forêts d'Ernst Jünger s'il avait été traduit vingt ans plus tôt, soit en 1970 plutôt qu'en 1990, avec son titre actuel, Traité du Rebelle? On l'aurait sans doute vendu à des dizaines de milliers d'exemplaires et serait devenu l'un des livres de chevet des contestataires, et puis sans doute aussi des terroristes italiens des “années de plomb”, les rouges comme les noirs. Et aujourd'hui, nous verrions sans doute un jeune essayiste ou un fonctionnaire besogneux des services secrets se pencher et théoriser le rapport direct, encore que non mécanique, entre les thèses exposées par Jünger dans ces quelque cent trente pages d'une lecture peu facile, et la lutte armée des Brigades Rouges ou des NAR...

 

Pas de doute là-dessus. En fait, le petit volume de Jünger, publié en 1951, s'adresse explicitement à ses compatriotes, mais aussi à tous ceux qui se trouve dans une situation identique, celle de la soumission physique et spirituelle à des puissances étrangères. Dans cet ouvrage, Jünger fait aussi directement et indirectement référence à la situation mondiale de 1951: division de la planète en deux blocs antagonistes, guerre de Corée, course aux armements, danger d'un conflit nucléaire. Mais en même temps, il nous donne des principes qui valent encore aujourd'hui et qui auraient été intéressants pour les années 70. Enfin, ce livre nous donne également une leçon intéressante sur les plans symboliques et métaphysiques, sans oublier le plan concret (que faire?). En conséquence, le lecteur non informé du contexte court le danger de ne pas comprendre les arguments du livre, vu son ambiguité voulue (je crois que Jünger a voulu effectivement cette ambiguité, à cause du contexte idéologique et international dans lequel il écrivait alors). L'éditeur Adelphi s'est bien gardé d'éclairer la lanterne du lecteur. Il a réduit ses commentaires et ses explications aux quelques lignes de la quatrième de couverture. Les multiples références de Jünger aux faits, événements et personnalités des années 50 restent donc sans explications dans l'édition italienne récente de cet ouvrage important. Dans l'éditorial, on ne trouve pas d'explication sur ce qu'est la figure de l'Arbeiter, à laquelle Jünger se réfère et trace un parallèle. Adelphi a traduit Arbeiter par Lavoratore et non pas Operaio  qui est le terme italien que les jüngeriens ont choisi pour désigner plus spécifiquement l'Arbeiter dans son œuvre. Même chose pour le Waldgänger que l'on traduit simplement par Ribelle.

 

Sua habent fata libelli.  Le destin de ce petit livre fait qu'il n'a été traduit en italien qu'en 1990, ce qui n'a suscité aucun écho ou presque. Il a été pratiquement ignoré. Pourtant, si l'on scrute bien entre les lignes, si l'on extrait correctement le noyau de la pensée jüngerienne au-delà de toutes digressions philosophiques, éthiques, historiques et finalement toutes les chroniques qui émaillent ce livre, on repèrera aisément une “consonance” entre Der Waldgang (1951) et certains ouvrages d'Evola, comme Orientations (1950), Les hommes au milieu des ruines (1953) et Chevaucher le tigre  (1961). On constatera que c'est le passage des années 40 aux années 50 qui conduisent les deux penseurs à proposer des solutions assez similaires. Certes, on sait que les deux hommes avaient beaucoup d'affinités mais que leurs chemins ne se sont séparés sur le plan des idées seulement quand Jünger s'est rapproché de la religion et du christianisme et s'est éloigné de certaines de ses positions des années 30. Tous deux ont développé un regard sur le futur en traînant sur le dos un passé identique (la défaite) qui a rapproché leurs destins personnels et celui de leurs patries respectives, l'Allemagne et l'Italie.

 

Pour commencer, nous avons soit l'Anarque, soit celui qui entre dans la forêt, deux figures de Jünger qui possèdent plusieurs traits communs avec l'apolitieia évolienne. Cette apolitieia  ne signifie pas se retirer de la politique, mais y participer sans en être contaminé et sans devenir sot. Il faut donc rester intimement libre comme celui qui se retire dans une “cellule monacale” ou dans la “forêt” intérieure et symbolique. Il faut rester intimement libre, ne rien concéder au nouveau Léviathan étatique, tout en assumant une position active, en résistant intellectuellement, culturellement. “La forêt est partout” disait Jünger, “même dans les faubourgs d'une métropole”. Il est ainsi sur la même longueur d'onde qu'Evola, qui écrivait, dans Chevaucher le Tigre que l'on pouvait se retirer du monde même dans les endroits les plus bruyants et les plus aliénants de la vie moderne.

 

Face à une époque d'automatismes, dans un monde de machines désincarnées, Evola comme Jünger proposaient au début des années 50 de créer une élite: “des groupes d'élus qui préfèrent le danger à l'esclavage”, précisait l'écrivain allemand. Ces groupes élitaires, d'une part, auront pour tâche de critiquer systématiquement notre époque et, d'autre part, de jeter les bases d'une nouvelle “restauration conservatrice” qui procurera force et inspiration aux “pères” et aux “mères” (au sens goethéen du terme). En outre, le Waldgänger,  le Rebelle, “ne se laissera pas imposer la loi d'aucune forme de pouvoir supérieur”, “il ne trouvera le droit qu'en lui-même”, tout comme la “souveraineté” a abjuré la peur en elle, prenant même des contacts “avec des pouvoirs supérieurs aux forces temporelles”. Tout cela amène le Rebelle de Jünger très près de l'“individu absolu” d'Evola. Etre un “individu absolu”, cela signifie “être une personne humaine qui se maintient solide”. Le concept et le terme valent pour les deux penseurs. Contre qui et contre quoi devront s'opposer les destinataires de ce Traité  et de ces Orientations?  L'ennemi est commun: c'est la tenaille qui enserre l'Europe, à l'Est et à l'Ouest (pour utiliser une image typique d'Evola): «Les ennemis sont aujourd'hui tellement semblables qu'il n'est pas difficile de déceler en eux les divers travestissements d'un même pouvoir», écrivait Jünger. Pour résister à de tels pouvoirs, Jünger envisage l'avènement d'un “nouveau monachisme”, qui rappelle le “nouvel ordre” préconisé par Evola, qui n'a pas de limites nationales; le rebelle doit défendre “la patrie qu'il porte dans son cœur”, patrie à laquelle il veut “restituer l'intégrité quand son extension, ses frontières viennent à être violées”. Ce concept va de paire avec celui de la “patrie qui ne peut jamais être violée” d'Evola, avec son invitation impérative de bien séparer le superflu de l'essentiel, d'abandonner le superflu pour sauver l'essentiel dans les moments dangereux et incertains que vivaient Allemands et Italiens en 1950-51. Mais cette option reste pleinement valide aujourd'hui...

 

Le Zeitgeist,  l'esprit du temps, était tel à l'époque qu'il a conduit les deux penseurs à proposer à leurs contemporains des recettes presque similaires pour résister à la société dans laquelle ils étaient contraints de vivre, pour échapper aux conditionnements, aux mutations et à l'absorption qu'elle imposait (processus toutefois indubitable, malgré Evola, qui, à la fin des années 50, a émis un jugement négatif sur Der Waldgang).  «Entrer en forêt» signifier entrer dans le monde de l'être, en abandonnant celui du devenir. «Chevaucher le Tigre», pour ne pas être retourné par le Zeitgeist; devenir “anarque”, maître de soi-même et de sa propre “clairière” intérieure; pratiquer l'apolitéia  sans aucune compromission. Regarder l'avenir sans oublier le passé. S'immerger dans la foule en renforçant son propre moi. Affronter le monde des machines et du nihilisme en se débarrassant de cette idée qui veut que la fatalité des automatismes conduit nécessairement à la terreur et à l'angoisse. Entreprendre “le voyage dans les ténèbres et l'inconnu” blindé par l'art, la philosophie et la théologie (pour Julius Evola: par le sens du sacré). Tous ces enseignements sont encore utiles aujourd'hui. Mieux: ils sont indispensables.

 

Gianfranco de TURRIS.

(article paru dans Area,  avril 98; trad. franç. : Robert Steuckers).

mercredi, 05 novembre 2008

L'aréopostale ou l'esprit du désert

kessel02.jpg

L'AéROPOSTALE OU L'ESPRIT DU DéSERT

 

Une figure littéraire et intellectuelle telle que celle de Joseph Kessel a trop peu souvent abordée, sauf, hélas, pour des commentaires trop conventionnels. Et pour cause, ce personnage, juif russe né en Argentine en 1898, ayant pris part dans le camp français lors du prernier conflit mondial, volontaire pour l'expédition française en Sibérie, grand-reporter lors de l'insurrection irlandaise de 1920, gaulliste aviateur dans les FFL à la carrière d'écrivain couronnée par sa réception à l'Académie Française en novembre 62, et mort en 1979 célébré dans toutes les écoles pour son Lion,  laisse perplexe et désoriente. Et pourtant...

 

Et pourtant la récente réédition chez Gallimard (collection Folio) du document Vent de Sable, histoire d'une rencontre avec l'excellence humaine, incarnée par l'héroïsme au quotidien des pilotes à tout à faire de l'Aéropostale, totalise un éclatant message de nietzschéisme ordinaire, aisément assimilable et à la méditation fort profitable pour tous.

 

un éclatant message de nietzschéisme ordinaire

 

L'Aéropostale, une aventure française (la dernière peut-être...) inaugurée le 25 décembre 1918 par le projet apparemment fou pour l'époque de M. Latécoëre de rallier Toulouse au Maroc puis à Dakar afin d'acheminer le courrier vital à la liaison métropole- empire saharien. Il faudra quatre années et des souffrances indescriptibles pour assurer enfin le raccord tant espéré. C'est cette histoire que nous retrace Kessel, un voyage entre Casablanca et Dakar, auquel il prit part et qui lui fit rencontrer, pour mieux se révéler à lui-même, la phalange exceptionnelle des héros qu'étaient les «gars» de l'Aéro, anonymes pour la plupart: Lécrivain, Reine, Serre, Daurat, Riguelle, Nubade et tant d'autres, célébrissimes pour quelques rares élus: Mermoz, Saint-Exupéry. Traversant le Sahara, passant successivement par Casa, Agadir, Fort Luby, Villa Cisneros, Nouakchott, Kessel fera la découverte d'une véritable armée de chefs, mécanos, pilotes, ingénieurs, relais dans le désert, traducteurs, tous régis par la même discipline cruciale qu'impose le désert aveugle, guerriers sans armes, aventuriers mystiques menés par l'élan de la jeunesse et les souvenirs des «cadavres sacrés» des hommes disparus pour la ligne.

 

Des hommes dont la seule noblesse est le service

 

De fait, Kessel s'attache plus à immortaliser le style de ces hommes héritiers des Guynemer, Fonck ou Nungesser, qu'user sa plume à célébrer les charmes cruels des sables brûlants de l'Ouest Saharien. Des hommes, tout au plus âgés de trente ans, presque des enfants, emplis d'un lyrisme simple, purs, vierges de l'influence néfaste des villes surpeuplées, animés par un sentiment de devoir quasi-religieux d'acheminer à bon port les précieux sacs postaux. Une foi dénuée de toute réflexion, nourrie par l'expérience, la fascination des espaces immaculés que saura si justement restituer Saint-Exupéry dans Terre des hommes  ou Vol de Nuit  (un prochain portrait littéraire de NdSE sera consacré à la figure d'Antoine de Saint-Exupéry), et que Kessel ressentira comme une catharsis fiévreuse imposée par la peur de la panne, la mise à mort par les rebelles maures, la soif étouffante, le soleil implacable, l'immensité désertique, le Rio de Oro («fleuve d'or») chanté par les garnisons espagnoles du Sahara Occidental.

 

Dans cette nudité absolue, détaché du monde moderne, Kessel redécouvre les vertus nées de 14 qu'il avait déjà relatées dans son livre L'Equipage, la fraternité exempte d'intérêt, «la camaraderie immédiate qui est le propre des hommes qui vivent dans le danger», le charme des risque-tout «pour le coup», la franche gaieté de ceux qui en reviennent, le souvenir recueilli mais sans voyeurisme de ceux qui sont tombés. Une philosophie de l'être excluant tout sens du tragique car vécu par des hornmes dont la seule noblesse est le service, et le destin, si capricieux pourtant, sans cesse nargué, méprisé.

 

Certains passages, dans un esprit éminemment proche de celui de Saint-Ex (qui à l'époque venait de publier Courrier Sud), percent à jour dans un style fluide et épuré l'intimité de cette caste nouvelle ayant dormé une âme à la mécanique, à l'inconnu qui ne connaîtra jamais les mille périls encourus par ces postiers de l'impossible.

 

«Ici le vertige de la vitesse et, surtout, le magnétisme, le sens du danger troublent ceux qui sont attirés sur des sables ou des fleuves inconnus, par le jeu éternel de la vie et de la mort (...) Ils ne portaient pas d'uniforme, chacun était vêtu à son goût et selon ses propres moyens. Ils n'avaient pas à risquer le bombardement ou le combat aérien. Mais les différences avec ceux qui vécurent en escadrilles les armées de guerre étaient toutes superficielles_ Le même signe était sur eux, la même insouciance, la même habitude du danger et la même simplicité (...) S'ils n'avaient pas d'ennemis humains à combattre, ils affrontaient chaque jour les sierras d'Espagne, les brumes nocturnes, les vents de sable, la chaleur, le désert. S'ils menaient une apparence de vie civile, une discipline tout aussi rigoureuse que celle de l'armée les régissait (...) Ce qui les rendaient surtout pareils à ceux que j'avais connus au front, c'était leur étonnante liberté d'allure et d'esprit, leur quiétude morale».

 

Une belle et intemporelle leçon d'humanisme

 

Ce texte, court reflet d'une époque et d'une mentalité en finalité analogue à celle des corps-francs transfigurés par les frères Jünger ou Ernst von Salomon dans des circonstances bien plus troubles, peut aujourd'hui paraître désuet et Kessel le savait qui prévoyait dejà le perfectionnement exponentiel et oublieux de l'aéronautique moderne.Il nous lègue néanmoins une belle et intemporelle leçon d'humanisme, écrivant en hommage posthume à l'écrivain, qui devait bientôt disparaître englouti par l'Atlantique, cet appel sans réserve à la jeunesse: «sans cette flamme intérieure qui le brûle et le dépasse  —qu'elle s'applique à une croyance, à une patrie, à un amour fou ou à leur métier— l'homme n'est qu'une mécanique indigne ou désespérée».

 

Laurent SCHANG.

 

Joseph KESSEL, Vent de Sable, Folio Gallimard, cat. 2, n°3004.