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mardi, 10 juin 2008

T. Sunic: homo americanus, homo sovieticus

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Homo sovieticus, homo americanus ?

Entretien avec Tomislav Sunic

Tomislav Sunic, essayiste croate et traducteur, ayant longuement séjourné aux États-Unis où il a enseigné la science politique, vit actuellement dans son pays d’origine. Il a récemment publié un ouvrage intitulé Homo Americanus. Child of the Postmodern Age, BookSurge, Charleston 2007, 15.99 $, avec une préface de l’historien Kevin MacDonald. L’auteur a accepté de s’expliquer sur le parallèle suggéré par son titre, de prime abord audacieux, avec l’homo sovieticus de Zinoviev.


Catholica : Vous effectuez une longue comparaison entre le système soviétique et le système américain, et entre les types humains qui les caractérisent. Dans la description de la culture sociale américaine, vous notez une sorte de phobie de l’autorité, sous l’effet de l’égalitarisme. Peut-on vraiment établir un parallèle avec le communisme ?

Tomislav Sunic : Un mot tout d’abord au sujet du titre de mon livre. J’ai d’abord été tenté par l’expression boobus americanus, inventée par le grand écrivain américain, H. L Mencken. Mais le boobus a une connotation limitée, restreinte au cadre provincial des États-Unis ; cette expression décrit plutôt un Américain un peu bête et d’esprit provincial (on dirait en France un plouc) ne reflétant guère le système-monde comme le font si bien les expressions homo sovieticus et homo americanus.

À propos de l’autorité, de laquelle parle-t-on ? On n’a pas forcément besoin de la police et de l’armée pour imposer son autorité. En dehors des grandes métropoles américaines et en dehors de quelques cercles clos qui partagent les mêmes intérêts intellectuels, l’Amérique est un pays très autoritaire au sens large du terme. C’est la fameuse autocensure américaine relevant de l’esprit calviniste et vétérotestamentaire qui rend la vie difficile dans les petites villes américaines pour un intellectuel européen. Rien à voir avec le vrai individualisme civique et spirituel dont, malgré l’américanisation outrancière, on perçoit encore les signes en Europe. Le prétendu individualisme américain est une contradiction en soi ; partout règne l’esprit grégaire qui se manifeste, bien sûr, en fonction de la tribu, du lobby politique, ou de la chapelle religieuse à laquelle on appartient. Tocqueville en parle dans son livre, De la démocratie en Amérique. Or le problème inquiétant, c’est que les Américains se perçoivent et se posent devant le monde entier comme des individualistes et des libertaires modèles alors qu’en réalité, tout véritable individualisme est incompatible avec l’esprit de l’homo americanus. À l’instar de l’Union Soviétique, la réussite professionnelle en Amérique exige qu’on « joue le jeu » et qu’on ne « fasse pas de vagues ». Cette fausse convivialité œcuménique est surtout visible aujourd’hui dans l’Amérique multiculturelle où il faut être extrêmement prudent dans le choix des mots. Même le terme « multiculturalisme » que l’on utilise abondamment en Occident est un tic de la langue de bois américaine dont la naissance remonte aux années 1970. Multi-ethnisme conviendrait mieux pour décrire la situation atomisée du système américain… et occidental.

Quant au système ex-soviétique et à sa prétendue structure pyramidale et hiérarchique il nous faut nous débarrasser des demi- vérités relayées par les ex-soviétologues et autres kremlinologues occidentaux. Le système communiste fut parfaitement démocratique au vrai sens du terme. Une fois terminés les grands massacres et achevée l’élimination des élites russes et est- européennes dans les années 1950, de larges masses purent jouir, en Russie comme en Europe orientale, et dans le moule communiste, d’une qualité de vie dont on ne pouvait que rêver en Occident. La vie sans soucis, quoique spartiate, assurait à tous une paresse facile - pourvu qu’on ne touchât pas au mythe fondateur communiste. Alexandre Zinoviev fut l’un des rares écrivains à bien saisir l’attraction phénoménale et la pérennité de l’homo sovieticus. En fait, si le communisme a disparu à l’Est, comme l’a dit Del Noce, c’est parce qu’il s’est encore mieux réalisé à l’Ouest, notamment en Amérique multi-ethnique et égalitaire.

Catholica : Dans votre livre, vous procédez à l’analyse du décor et de l’envers du décor, si je puis m’exprimer ainsi. Par exemple, vous relevez que les grands médias, dans l’image qu’ils cultivent sans cesse d’eux-mêmes, se présentent comme des contestataires du pouvoir, alors qu’en réalité ils en constituent l’un des principaux piliers. Vous vous intéressez ainsi non seulement aux représentations conceptualisées, mais également au langage et à sa transformation. Pouvez-vous dire ce qui a attiré votre attention sur ces points, et en particulier quelle fonction vous attribuez à la « gestion de la langue » ?

T. S. : En Amérique, les grands médias ne constituent aucunement un contre-pouvoir. Ils sont le pouvoir eux-mêmes et ce sont eux qui façonnent le cadre et le dénouement de tout événement politique. Les politiciens américains sondent au préalable le pouls des médias avant de prendre une décision quelle qu’elle soit. Il s’agit d’une synthèse politico- médiatique qui règne partout en Occident. Quant au langage officiel utilisé par les faiseurs de l’opinion américaine tout discours politico-médiatique est censé recourir aux phrases au conditionnel ; les politiciens et les medias, et même les professeurs d’université, abordent toujours les thèmes politiques avec une grande circonspection. Ils recourent de plus en plus à des locutions interrogatives telles que « Pourrait-t-on dire ? » ou « Le gouvernement serait-il capable de … ? », etc. Ici, nous voyons à nouveau l’auto-abnégation chère au calvinisme mais transposée cette fois dans le langage châtré de la communication officielle. Les phrase lourdes, à connotation négative, où on exprime un jugement de valeur, disons sur Israël, l’Irak, ou un autre problème politique grave, sont rares et prudemment feutrées par l’usage d’adjectifs neutres.

Cette « langue de coton », de provenance américaine, on la voit se propager de plus en plus en France et en Allemagne. On est témoin de locutions américaines très en vogue et soft en Europe qui disent tout et rien à la fois : je pense notamment aux adverbes neutres de provenance américaine tels que considerably, apparently, etc. – dont l’usage fréquent permet à tout homme public d’assurer ses arrières.

Catholica : Pouvez-vous, en tant que vous-même avez été professeur dans une université américaine bien représentative, indiquer quelle couche de l’intelligentsia possède un pouvoir réel, et de quelle manière concrète elle l’exerce au quotidien, en particulier dans le contrôle du langage, et pour quelle raison il en va ainsi ?

T. S. : Contrairement à ce qu’on dit en Europe, les universités américaines, surtout les départements de sciences sociales, jouent un rôle fort important dans la fabrication de l’opinion publique. On lit régulièrement dans la grande presse américaine les editorials écrits par des professeurs connus. Quoique l’Amérique se targue de son Premier Amendement, et notamment de sa totale liberté d’expression, les règlements universitaires témoignent d’une véritable police de la pensée. La haute éducation est une chasse gardée des anciens gauchistes et trotskistes recyclés, où toute recherche indépendante allant à l’encontre des mythes égalitaires et multi-ethnique peut aboutir à de sérieux ennuis (jusques et y compris le licenciement) pour les esprits libres. Nombreux sont les cas où de grands spécialistes en histoire contemporaine ou en anthropologie doivent comparaître devant des « Comités de formation à la sensibilité interethnique universitaires » (Committees for ethnic sensitivity training) pour se disculper d’accusations de « fascisme » et de « racisme ». Malgré la prétendue fin de tous les grands récits, il y a, dans notre postmodernité, un champ de thèmes tabous où il vaut mieux ne pas se hasarder. Très en vogue depuis dix ans, l’expression hate speech (« discours de haine ») n’est que le dernier barbarisme lexical américain grâce auquel on cherche à faire taire les mal-pensants. Le vrai problème commence quand cette expression s’introduit dans le langage juridique du code pénal, comme ce fut le cas récemment avec une proposition législative du Sénat américain (HR 1955). Je ne vois aucune différence entre le lexique inquisitorial américain et celui de l’ex-Yougoslavie ou de l’ex-Union soviétique, sauf que le langage de l’homo americanus est plus insidieux parce que plus difficile à déchiffrer.

Catholica : À propos du pouvoir (au sens générique), le système américain d’aujourd’hui est-il, ou n’est-il pas le prototype, ou l’aile avancée de la « démocratie » postmoderne, dans laquelle tout le monde est censé contribuer à la « gouvernance » globale sans que personne soit réellement identifiable comme responsable des décisions qu’il prend ?

T. S. : Voilà la mystique démocratique qui sert toujours d’appât pour les masses déracinées ! Dans le système collectiviste de l’ex-Union soviétique, et aujourd’hui de façon similaire en Amérique, on vivait dans l’irresponsabilité collective. Rien d’étrange. L’irresponsabilité civique n’est que la conséquence logique de l’égalitarisme parce que selon les dogmes égalitaires libéralo-communistes, tout homme est censé avoir sa part du gâteau. À l’époque de la Yougoslavie communiste, tout le monde jouait le double jeu de la chapardise et de la débrouillardise, d’une part, et du mimétisme avec le brave homo sovieticus, d’autre part, du fait même que toute propriété et tout discours appartenaient à un État-monstre. Par conséquent, tout le monde, y compris les apparatchiks communistes, se moquait de cet État-monstre dont chacun, à son niveau social, cherchait à tirer un maximum d’avantages matériels.

Le vocable gouvernance n’est qu’un piège supplémentaire du langage technoscientifique tellement cher à l’homo americanus. D’une manière inédite, les classes qui nous gouvernent, en recourant à ce nouveau vocable, conviennent qu’il en est fini de cette ère libéralo-parlementaire, et que c’est aux « experts » anonymes de nous tirer hors du chaos.

Catholica : On a largement étudié les États-Unis comme nouvelle forme d’empire, une forme appelée à périr à force d’étendre ses conquêtes au-delà de ses capacités, selon une sorte de loi inexorable d’autodestruction. Mais au-delà de cette perspective – que l’on supposera ici fondée, par hypothèse – ne peut-on pas voir dans l’américanisme postmoderne la fin de la modernité, fin à la fois comme achèvement et comme épuisement ?

T. S. : Le paradoxe de l’américanisme et de son pendant l’homo americanus consiste dans le fait qu’il peut fonctionner à merveille ailleurs dans le monde et même mieux que dans sa patrie d’origine. Même si un de ces jours, l’Amérique en tant qu’entité politique se désagrège (ce qui n’est pas du tout exclu) et même si l’Amérique disparaît de la mappemonde, l’homo americanus aura certainement encore de beaux jours devant lui dans différentes contrées du monde. Nous pouvons tracer un parallèle avec l’esprit de l’homo sovieticus, qui malgré la fin de son système d’origine est bel et bien vivant quoique sous une forme différente. Oublions les signifiants – regardons plutôt les signifiés postmodernes. À titre d’exemple, prenons le cas des nouvelles classes politiques en Europe orientale y compris en Croatie, où quasiment tout l’appareil étatique et soi-disant non-communiste se compose d’anciens fonctionnaires communistes suivis par des masses anciennement communisées. L’héritage communiste n’empêche pas les Croates d’adopter aujourd’hui un américanisme à outrance et de se montrer aux yeux des diplomates des États-Unis plus américanisés que les Américains eux-mêmes ! Il y a certes une généalogie commune entre le communisme et l’américanisme, notamment leur esprit égalitaire et leur histoire linéaire. Mais il y a également chez les ex-communistes croates, lituaniens ou hongrois, un complexe d’infériorité conjugué à une évidente servilité philo-américaine dont le but est de plaire aux politiciens américains. Après tout, il leur faut se disculper de leur passé douteux, voire même criminel et génocidaire. Il n’y a pas si longtemps que les ex-communistes croates faisaient encore leurs pèlerinages obligatoires à Belgrade et à Moscou ; aujourd’hui, leurs nouveaux lieux saints sont Washington et Tel-Aviv. Malgré l’usure de l’expérience américaine aux U.S.A., l’Amérique peut toujours compter sur la soumission totale des classes dirigeantes dans tous les pays est-européens.

Catholica : L’anti-américanisme de beaucoup de marxistes européens s’est fréquemment mué depuis plusieurs décennies en admiration pour la société américaine. Au-delà du retournement opportuniste, ne croyez-vous pas qu’il puisse s’agir d’une adhésion intellectuelle, de quelque chose comme l’intuition que l’Amérique postmoderne représente une certaine incarnation de l’utopie socialiste, alors même que le capitalisme y domine de manière criante ?

T. S. : Après l’effondrement de son repoussoir dialectique qu’était l’Union soviétique, il était logique que beaucoup d’anciens marxistes européens et américains se convertissent à l’américanisme. Regardons l’entourage néo-conservateur du président George W. Bush ou de la candidate présidentielle Hillary Clinton : il se compose essentiellement d’anciens trotskistes et d’anciens sympathisants titistes dont le but principal est de parachever le grand rêve soviétique, à savoir l’amélioration du monde et la fin de l’histoire. Il n’y a aucune surprise à voir le Double devenir le Même ! L’ancien rêve calviniste de créer une Jérusalem nouvelle, projetée aux quatre coins de monde, se conjugue avec les nouvelles démarches mondialistes de nature mercantiles. Or au moins pour un esprit critique, il y a aujourd’hui un avantage épistémologique ; il est plus facile de s’apercevoir maintenant des profondes failles du système américain. L’anticommunisme primaire de l’époque de la guerre froide qui donnait une légitimité à l’Amérique par à rapport à son Autre n’est plus de mise. On ne peut plus cacher, même aux masses américaines incultes, que le système américain est fragile et qu’il risque d’éclater à tout moment. N’oublions jamais la fin soudaine du système soviétique qu’on croyait invincible. Le capitalisme sauvage et la pauvreté grandissante en Amérique ne vont pas de pair avec le prêchi-prêcha sur les droits de l’homme et les matins qui chantent.

Catholica : Il se dégage de l’ensemble de votre ouvrage, dont le titre pourrait être traduit L’homo americanus, ce rejeton de l’ère postmoderne, que les phénomènes que vous décrivez conduisent à produire en masse un type d’humanité dégradé, sans repères, sans racines, sans idéal. Dans la mesure où ce diagnostic est fondé (même s’il ne concerne pas également la totalité des Américains), n’est-ce pas la preuve de l’échec, non seulement du projet de régénération qui était à l’origine des États-Unis, mais de l’humanisme tout entier, tel qu’il a été affirmé au début de la période moderne ?

T. S. : Soyons honnêtes. Nous sommes tous plus ou moins des homini americani. L’américanisme, à l’instar du communisme, est parfaitement compatible avec l’état de nature cher aux plus bas instincts de tout homme. Mais donner dans un anti-américanisme primaire, comme celui que revendique l’extrême droite européenne et surtout française, ne repose pas sur une bonne analyse du système américain. En Amérique, surtout chez les Sudistes, il y a des couches populaires, quoique très rares, qui préservent le concept d’honneur largement perdu en Europe.

On a tort de nourrir des fantasmes au sujet des prétendues visées impérialistes des Américains sur l’Europe et l’Eurasie, comme c’est le cas chez de nombreux droitiers européens victimes de leur propre manie du complot. À part son délire biblique et son surmoi eschatologique incarné dans l’État d’Israël – qui représentent tous deux un danger pour la paix mondiale – l’engagement américain en Europe et ailleurs n’est que le résultat du vide géopolitique causé par les incessantes guerres civiles européennes. Il est fort possible que la guerre balkanique ait eu un bel avenir sanguinaire sans l’intervention militaire des Américains. Qu’ont-ils donc à offrir, les fameux communautarismes européens, hormis les fantasmes sur un empire européen et euroasiatique ? Au moins, les Américains de souche européenne ont réussi à se débarrasser des querelles de chapelles identitaires qui font toujours le bagage des peuples européens.

Le sens prométhéen, l’esprit d’entreprise et le goût du risque sont toujours plus forts en Amérique qu’en Europe. L’Amérique pourrait offrir, dans un proche avenir, encore de belles surprises à la civilisation européenne.

Propos recueillis par Bernard Dumont.

Paru dans Catholica, n° 98, hiver 2007 - 2008.

00:20 Publié dans Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, croatie, entretiens | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Erdogan et les kémalistes

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Erdogan et les kémalistes

 

En Turquie, aujourd’hui, la lutte qui oppose kémalistes et fondamentalistes se perpétue et on n’en voit pas la fin. Récemment, une procédure a opposé la deuxième instance judiciaire turque au gouvernement d’Erdogan. Les juges reprochent au premier ministre turc actuel de porter atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire; celui-ci, dans le cadre de la procédure d’interdiction lancée contre le principal parti gouvernmental, l’AKP d’Erdogan (ou “Parti de la Justice et du Progrès”), fait pression sur le tribunal constitutionnel pour qu’il mène cette procédure à terme et prononce la dissolution de l’AKP. Le parti d’Erdogan a réagi en lançant insultes et imprécations contre les juges. Le procureur suprême de l’Etat veut que l’on lance une procédure visant à examiner le comportement récent du parti. Le quotidien suisse alémanique, la “Neue Zürcher Zeitung” (NZZ) résume la situation comme suit: “Le pouvoir judiciaire dispose de trois possibilités: il peut refuser l’interdiction du parti; il peut se contenter d’un avertissement ou il peut considérer que le parti constitue le noyau dur des activités tramées contre l’ordre laïque et, subséquemment, le faire interdire. Une telle interdiction peut se contourner en procédant à la fondation d’un nouveau parti, appelé à être derechef le successeur de l’AKP. Mais, cette fois-ci, la procédure de dissolution, qui a été engagée, vise également à interdire tout activité politique à 71 personnes parmi lesquelles le président de l’Etat turc, Abdullah Gül, et le premier ministre Erdogan. Le mandat parlementaire d’Erdogan serait alors automatiquement suspendu, ce qui aurait pour effet de provoquer obligatoirement sa démission du poste de premier ministre”. Pour s’assurer malgré tout un avenir politique, Erdogan ne se préoccupe pas seulement de travailler à la fondation d’un nouveau parti politique mais aussi de renforcer son influence personnelle à l’étranger. En Allemagne, le nouvel ouvrage de Peter Winkelvoss, “Die türkische Frage” (“La question turque”), nous montre comment Erdogan cherche à instrumentaliser les Turcs d’Allemagne (et d’Europe) pour en faire l’avant-garde d’une politique étrangère turque selon ses voeux et pour influencer le destin de la République Fédérale, en manoeuvrant une fraction de l’électorat allemand, constituée de Turcs de souche. Son discours à Cologne en février dernier atteste de ce projet, dangereux pour l’ensemble de nos pays.

 

(Source: DNZ, Munich, 23/30 mai 2008; Peter Winkelvoss, Die türkische Frage, 17,90 Euro).

lundi, 09 juin 2008

Hommage et entretien avec Gustave Thibon

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Hommage à Gustave Thibon

Le philosophe catholique Gustave Thibon est décédé. Dans un éditorial de la presse italienne, nous avons lu ce vibrant hommage (notre correspondant ne nous a malheureusement pas transmis les coordonnées du journal): «L'écrivain et phi­losophe français Gustave Thibon, un des penseurs chré­tiens les plus controversés de la seconde moitié du 20ième siè­cle, est décédé récemment, âgé de 97 ans, à Saint-Mar­cel, dans son pays natal de l'Ardèche. Catholique de droite, sympathisant monarchiste mais aussi ami et premier édi­teur de la philosophe d'origine juive Simone Weil, Thibon doit sa célébrité à ses aphorismes sur la foi. Certaines de ses brèves maximes font désormais partie du patrimoine ca­tholique: de «Celui qui refuse d'être l'image de Dieu sera son singe pour l'éternité» à «Pour unir les hommes, il ne suf­­fit pas de jeter des ponts, il faut construire des échel­les. Celui qui ne monte pas vers Dieu ne pourra rencontrer son frère», en passant par «La vérité est aussi une blessure, quasiment jamais un baume» et «Aime ceux qui te rendent heureux, mais n'aime pas ton bonheur». Thibon était animé par une veine mystique particulière, mais, en même temps, restait attaché à la campagne (il aimait se présenter com­me un "écrivain-paysan"). Il a affronté dans une vingtaine de livres les grandes questions de l'existence d'un point de vue chrétien: la présence de Dieu, l'amour, la foi et la grâ­ce, la domination de la technique sur l'homme. Parmi ses ou­vrages les plus connus, citons: Le destin de l'homme (1941), L'échelle de Jacob (1942) et Retour au réel (1943). En juillet 1941, Thibon rencontre Simone Weil dans son usine, alors qu'elle avait été chassée de l'université en tant qu'intellectuelle d'origine juive. Elle lui confie le manuscrit d'un de ses livres les plus célèbres, L'ombre et la grâce, que Thibon publiera en 1947, faisant ainsi connaître au monde la jeune philosophe morte de tuberculose en Angleterre en août 1943. Thibon avait été influencé par Pascal et par Pé­guy, mais aussi par Nietzsche et par Maurras. Dans tous ses livres, il a dénoncé la marginalisation des "exigences de l'es­prit" dans la société contemporaine. De concert avec Jean Guitton, il est aujourd'hui considéré comme l'un des pha­res de la pensée catholique française du 20ième siècle, mais il avait choisi de vivre en retrait, refusant toute char­ge académique».

C'est bien entendu la dimension paysanne de Thibon, l'in­fluen­ce du vitalisme (qu'il reliait à la doctrine catholique de l'incarnation), de Nietzsche et de Péguy sur sa pensée, qui nous inté­res­se dans son œuvre. De même que cette pro­­xi­mité entre le paysan monarchiste et Simone Weil, théo­­ri­cienne de l'en­racinement, à la suite de sa lecture at­tentive de Péguy, chantre des "petites et honnêtes gens", qui font la solidité des peuples. Mieux: l'œuvre de Thibon dé­marre avec une réflexion approfondie sur l'œuvre de Lud­­wig Klages, figure cardinale de la "révolution conser­va­trice" et des premières années du Cercle de Stefan George (les Cosmiques de Munich), un Klages pourtant fort peu sus­pect de complaisance avec le christianisme. Marc. Eemans, lecteur attentif de Thibon, parce que celui-ci était juste­ment le premier exégète français de Klages, reliait la pen­sée de ce catholique de l'Ardèche à celle de toutes les for­mes de catholicisme organique, liées en ultime instance à la mystique médiévale, résurgence d'un paganisme fonda­men­tal. Thibon, exégète de Klages, donne le coup d'envoi post­hume à Simone Weil, théoricienne audacieuse de l'en­ra­cinement. Lier le paganisme de Klages, le catholicisme pay­san de Thibon et le plaidoyer pour l'enracinement de Si­mone Weil permettrait de ruiner définitivement les mani­chéis­mes incapacitants et les simplismes binaires qui domi­nent l'univers médiatique et qui commencent dangereu­se­ment à déborder dans le champs scientifique (Robert Steuckers).

Gustave Thibon a accordé à notre colla­bora­teur occasionnel Xavier Cheneseau, sans nul doute l'un de ses tous derniers entretiens. Son décès le rend d'autant plus émouvant.

Entretien avec Gustave Thibon

Vous avez écrit un jour: "Le vrai traditionaliste n'est pas conservateur". Pouvez-vous expliquer ces propos. Est-ce à dire qu'un traditionaliste est révolutionnaire ?

GTh: Le vrai traditionaliste n'est pas conservateur dans ce sens qu'il sait dans la tradition distinguer les éléments ca­ducs des éléments essentiels, qu'il veille sans cesse à ne pas sacrifier l'esprit à la lettre et qu'il s'adapte à son épo­que, non pour s'y soumettre servilement mais pour en adop­ter les bienfaits en luttant contre ses déviations et ses a­bus. Telle fut l'œuvre de la monarchie française au long des siècles. Tout tient dans cette formule de Simone Weil: " La vraie révolution consiste dans le retour à un ordre éter­nel momentanément perturbé".

Ne pensez-vous pas que la tradition exclut la liberté créatrice ?

GTh: La réponse est la même que la précédente. La tra­di­tion favorise la liberté créatrice et ne s'oppose qu'à la li­ber­té destructrice. Traditionalisme ne signifie pas fixisme mais orientation du changement. Ainsi, un corps vivant renou­vel­le indéfiniment ses cellules, mais reste identique à lui-mê­me à travers ces mutations. Le cancer, au contraire, se ca­rac­té­rise par la libération anarchique des cellules.

Pour vous, la démocratie, le socialisme, le libéralisme sont-ils des systèmes anti-traditionnels ?

GTh: Il faudrait préciser le sens qu'on donne à ces mots. La démocratie s'oppose à la tradition dans la mesure où elle s'appuie uniquement sur la loi abstraite du nombre et des fluctuations de l'opinion. De même, au socialisme en tant que mainmise du pouvoir central sur la liberté des indi­vi­dus, de même, au libéralisme "sauvage", dans la mesure où il ne souffre aucun correctif à la loi de l'offre et de la de­man­de.

Est-il possible d'affirmer aujourd'hui la primauté de l'esprit sur le monde matérialiste ?

GTh: Il faudrait d'abord s'entendre sur le sens qu'on donne aux mots esprit et matière. De toute façon, il y a primauté de l'esprit sur la matière même chez les matérialistes, dans ce sens que c'est l'esprit "lumière" qui modifie la matière et l'aménage en fonction de sa puissance et de ses désirs. Mais, si l'on entend par matérialisme cet usage de l'esprit qui privilégie les conquêtes et les jouissances matérielles au détriment des choses proprement spirituelles (art, philo­so­phie, religion, etc...), il est bien certain que notre épo­que se fige dans un matérialisme destructeur.

Que signifie pour vous la notion de "culture populaire" ? N'y a-t-il pas une opposition entre ces deux termes ?

GTh: Il n'y a aucune opposition entre ces deux termes. La vraie culture n'est pas l'apanage des "intellectuels". Dans tou­te civilisation digne de ce nom, elle imprègne toutes les couches de la population par les traditions, les arts, les cou­tumes, la religion. Et c'est un signe grave de décadence que la disjonction entre l'instruction livresque et la culture populaire.

La notion d'ordre ne s'oppose-t-elle pas à une grande idée de l'homme ?

GTh: Là aussi, tout dépend de ce qu'on appelle l'ordre. Il y a l'ordre social, l'ordre moral, l'ordre divin etc... Et il arrive souvent que ces ordres entrent en conflit dans les faits. Exem­ple: Antigone représente le désordre par rapport à Créon, ignorant de la loi des Dieux, le Christ devant les Pha­risiens attachés à la lettre de la loi. Et la toute pre­mière idée de l'homme, sans rien négliger des formes infé­rieures de l'ordre, s'attache avant tout à l'ordre suprême où comme dit l'Apôtre: "On obéit à Dieu plutôt qu'aux hom­mes."

(Propos recueillis par © Xavier Cheneseau).

dimanche, 08 juin 2008

Systèmes satellitaires

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Systèmes satellitaires: la problématique dépendance de l'Europe

 

Les derniers modèles de voitures de rêve, les plus coûteux et les plus luxueux, exhibent, bien en vue, le plus sophi­sti­qué des accessoires jamais installés sur un tableau de bord d'automobile: le navigateur satellitaire GPS, qui permet de voir sur une carte électronique la position du véhicule et le parcours à suivre pour rejoindre la destination. Le marché prometteur des appareillages GPS pour applications civiles est solidement dominé aujourd'hui par les Etats-Unis et pour­rait rapporter quelque 50 milliards de dollars dans les sept prochaines années.

 

Mais ces appareils pourraient tout aussi bien apporter des avantages dans bon nombre d'autres secteurs. Cela va de la sécurité et de l'efficacité des systèmes de transport à l'agri­culture (épandage d'engrais), de la prospection de gise­ments de pétrole et de gaz à la détermination de l'heure exacte. Il y a bien sûr d'autres utilisations possibles, par exemple dans les activités de loisir (voile, excursions, alpi­nisme), dans la pêche (récupérations des filets, localisation des bancs de poissons, surveillance des opérations) et dans l'orientation des mal voyants. Le tout, bien entendu, aura des retombées bénéfiques sur le plan de l'emploi.

 

Peu d'observateurs ont réellement compris les aspects poli­ti­ques et militaires qui se profilent derrière ce Global Po­si­tion­ning System (ou: GPS). Ce système est le fruit d'une tech­nologie militaire américaine, basée sur une con­stel­la­tion de 24 satellites en orbite géostationnaire, ou en rota­tion à la verticale de l'Equateur avec la même vitesse an­gu­laire que la Terre, si bien qu'ils paraissent fixes à ceux qui les observent depuis celle-ci. Ces satellites sont équipés d'é­metteurs-récepteurs et d'horloges atomiques, qui trans­mettent des signaux précis et cryptés permettant aux utili­sa­teurs autorisés, dotés de récepteurs adéquats, de fixer leur position sur la Terre par rapport à au moins trois sa­tel­lites.

 

Ce système a été réalisé vers la moitié des années 70 par le Département de la Défense des Etats-Unis pour permettre aux navires, aux avions et aux véhicules terrestres de ses forces armées de déterminer leur propre position en tous points du globe. Par la suite, ce système a été mis gratui­te­ment à la disposition de tous les utilisateurs qui le souhai­taient, y compris dans les pays européens. Mais ils devaient se contenter de signaux standards volontairement dégra­dés, donc insuffisamment précis pour la plus grande part des applications; au lieu de précisions au mètre près, dont disposent les militaires, les utilisateurs civils peuvent comp­ter sur une précision légèrement inférieure à cent mè­tres. Dans de telles conditions, il est possible, par exem­ple, de localiser un véhicule volé ou un voyageur perdu dans le désert, mais non pas de fournir une assistance à des opérations telles l'atterrissage d'un avion ou l'accostage d'un navire, ni, a fortiori, le ciblage d'un objectif militaire avec toute la précision voulue pour l'éliminer.

 

Qui plus est, le GPS n'offre pas les garanties voulues de con­tinuité et d'intégrité du service, vu que douze heures ou plus peuvent passer avant que les utilisateurs ne soient aver­tis de l'envoi de signaux non corrects. Ensuite, la cou­verture des zones urbaines et des latitudes septentrionales est nettement insuffisante. Comme le système est gratuit ac­tuellement, il ne risque pas d'être tarifé outre mesure dans l'avenir. Par ailleurs, le contrôle du système, que les Etats-Unis n'entendent partager avec personne, peut revê­tir une importance fondamentale pour la sécurité mon­dia­le: le scénario esquissé dans un film récent, Il domani non muore mai, dans lequel une manipulation du système GPS amène le monde au seuil d'un nouveau conflit, ne relève plus tout à fait de la science-fiction.

 

La réponse des militaires russes

 

Face à cette situation d'extrême dépendance vis-à-vis des struc­tures de commandement militaires américaines, la pre­­mière puissance qui a commencé à chercher une répon­se est la Fédération de Russie, qui, en 1996, s'est doté d'un système global de positionnement et de navigation satel­li­taire, similaire en substance à celui mis en œuvre par les A­méricains. Ce système russe s'appelle le GLONASS, et se trou­ve actuellement  sous le contrôle direct des plus hautes sphères de l'armée.

 

Les Européens, au contraire, sont restés nettement à la traî­ne. Ce n'est qu'en 1998 que la Commission des com­mu­nautés européennes a formulé une proposition en vue d'éla­borer une stratégie européenne en matière de systèmes globaux de navigation via satellites; ce programme est des­ti­né à recevoir à terme la même importance que le projet Aria­ne, mis sur pied il y a une trentaine d'années.

 

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Cinq sigles à connaître:

EGNOS: European Geostationary Navigation Overlay Service

GLONASS: Global Navigation Satellite System (équivalent russe du GPS)

GNSS: Global Navigation Satellite System (système global s'articulant en deux phases; cf. texte)

GPS: Global Positioning System (USA)

WAAS: Wide-Area Augmentation System (le système de potentialisation régionale du GPS, en cours de développement sous l'impulsion de l'aviation américaine)

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Pendant la première phase, il est prévu la mise au point d'un élément fonctionnant, appelé EGNOS, intégré dans le sy­stème mondial de première génération, GNSS-1 (plei­ne­ment compatible avec le GPS). Cela présuppose la néces­si­té de s'appuyer sur des signaux de base fournis par les Etats-Unis et par la Russie, mais en en augmentant la pré­ci­sion et l'intégrité par le truchement d'éléments supplé­men­taires installés sur la Terre et dans l'espace. Ce système pour­rait devenir opérationnel en 2001.

Dans la seconde phase, l'UE collaborerait au dévelop­pe­ment du GNSS-2, le système mondial pour les objectifs ci­vils, destiné à remplacer les systèmes militaires existants. La contribution européenne au GNSS-2, qui n'en est encore qu'au stade de projet, sera constituée du système GALILÉE (que l'on ne confondra pas avec le véhicule spatial homo­nyme envoyé sur Jupiter). Ce système GALILÉE se basera sur une constellation de satellites en orbite terrestre mo­yenne, c'est-à-dire située à environ 23.000 km d'altitude. Il s'agit d'une orbite intermédiaire entre celle des satellites géostationnaires (36.000 km) et celle des satellites en or­bi­te terrestre basse, entre 700 et 2000 km.

L'abaissement de l'orbite, par rapport aux satellites ac­tuels, permettra l'utilisation de dispositifs au sol de moin­dre puissance, c'est-à-dire plus petits, moins coûteux et moins polluants. La constellation est liée à une infra­struc­ture et à des systèmes terrestres de façon à fournir un ser­vice intégré, nécessaire pour les réseaux transeuropéens de positionnement et de navigation. GALILÉE devra fournir des prestations tri-dimensionnelles sur les masses continentales avec une précision meilleure de 10 m et rendra disponible sur toute la planète des signaux pour la détermination du temps universel et indépendant.

Le calendrier du programme prévoyait la définition du pro­jet pour 2000, la fin de la phase de développement en 2005, sa réalisation pendant les années 2006 et 2007 et le dé­but de sa mise en œuvre réelle en 2009. Le programme se­ra administré par la Commission européenne, par l'Agen­ce spatiale européenne et par les diverses agences natio­na­les (pour l'Italie: l'Agenzia spaziale italiana).

Le coût exact du programme dépendra du panachage choisi des satellites, ceux à orbite moyenne (MEO) et ceux qui sont géostationnaires (GEO). Le budget s'élève d'environ 1,6 milliard d'euro pour une constellation de 21 MEO et de 3 GEO à environ 2,2 milliards d'euro pour 36 MEO et 9 GEO. A ces sommes, il faut ajouter entre 600 et 750 millions d'euro pour la fourniture d'un service d'accès contrôlé, ga­ran­tis­sant sécurité et certification. Les financements seront par­tiellement publics, via le budget de l'UE, et partielle­ment is­sus d'un partenariat entre le public et le privé, qui pourra obtenir des entrées importantes grâce à un système de tarification, qui sera d'autant plus justifié si la qualité de ser­vice offerte se montre meilleure par rapport à celle, gra­­­tuite, fournie par les Etats-Unis.

GALILÉE apportera des avantages fondamentaux à l'Europe sur les plans stratégique, politique, industriel et écono­mi­que. Les avantages se répartiront entre l'industrie et les uti­lisateurs. Selon des estimations formulées par les com­mu­nautés européennes, le volume des affaires, relatif à la vente des appareillages et des services, en valeur ajoutée sur le marché de la navigation satellitaire, pourrait montrer une augmentation de l'ordre de 80 milliards d'euro pour la période de 2005 à 2023. Ces bénéfices découlent soit d'une amplification du marché, soit d'un accroissement des quo­tas pour l'industrie européenne. En particulier, celle-ci de­vrait passer de 15% en 2005  —dans un scénario où seul le GPS entre en jeu—  à 30%, dans un scénario où le GPS et GA­LILÉE sont couplés. Le pourcentage augmentera de 30% à 60% en 2023. Les autres bénéfices indirects, plus diffi­cile­ment quantifiables, sont, par exemple, une diminution de la densité du trafic, dont un accroissement de la mobilité, dans le domaine de la téléphonie mobile, ce qui apporte, en plus, d'autres avantages d'ordre écologique, pour l'hom­me et l'environnement.

Angelo GALLIPI.

(article paru dans Area, décembre 2000).

samedi, 07 juin 2008

Chatov, personnage de Dostoïevski

Robert Steuckers:

Chatov, personnage de Dostoïevski

Dans l'œuvre de Dostoïevski, plus particulièrement dans Les Possédés, le personnage de Chatov, selon la plupart des exégètes, serait le porte-parole de l'écrivain lui-même et de l'idéologie nationaliste/racialiste russe. Le slaviste allemand Reinhard Lauth conteste cette interprétation classique, qui fait de Dostoïevski un idéologue génial de la "slavophilie" voire du panslavisme. Sur quoi repose ce soupçon et/ou cette affirmation ? Telle est la question que se pose Lauth. Pour nier le fait de la slavophilie de Dostoïevski, Lauth nous révèle, dans un chapitre de son livre consacré à "Dostoïevski et son siècle", l'essentiel de cette idéologie nationale russe sous-tendue par une conception du "peuple", dérivée de la matrice herdérienne mais rendue terriblement originale par l'apport d'une religiosité orthodoxe slave.

La Russie "corps de Dieu" face à l'Occident cupide

L'idéologie populo-centrée défendue par le personnage Chatov apparaît dans le chapitre intitulé "La Nuit" des Possédés. Chatov dialogue avec le Prince Stavroguine, devenu presque athée, au contact de la civilisation occidentale. Chatov affirme que le peuple est la plus haute des réalités, notamment le peuple russe qui, à l'époque où il pose ses affirmations, serait le seul peuple réellement vivant. En Europe occidentale, l'Église de Rome n'a pas résisté à la "troisième tentation du Christ dans le désert", c’est-à-dire à la "tentation d'acquérir un maximum de puissance terrestre". Cette cupidité a fait perdre à l'Occident son âme et a disloqué la cohésion des peuples qui l'habitent. En Russie, pays non affecté par les miasmes "romains", le peuple est toujours le "corps de Dieu" et Dieu est l'âme du peuple, l'esprit qui anime et valorise le corps-peuple.

L'idéologie de Chatov, écrit Lauth, se trouve en quelque sorte à une croisée de chemins : entre un christianisme orthodoxe et une sorte de "feuerbachisme" qui interprète le christianisme comme une sublimation de l'esprit du peuple, exactement comme Feuerbach avait interprété la Trinité chrétienne comme une sublimation de la famille sociologique. Dieu ne serait-il plus qu'une projection du Peuple, l'extériorisation d'un "collectif" repérable empiriquement ?

La puissance de l'esprit qui anime le peuple détermine son existence historique. Cet esprit est une force affirmatrice de l’Être et, partant, d'existence, qui nie la mort. Puissance religieuse, cet esprit s'exprime dans la morale, l'esthétique, etc. Il est recherche de Dieu et, par rapport à lui, science et raison ne sont que des forces de 2nd rang, qui ne sont jamais parvenues, dans l'histoire, à constituer un peuple.

Le Volksgeist est Dieu

Chaque peuple cherche un esprit divin qui lui est spécifique. Chaque peuple génère son Dieu particulier qu'il considère comme seul vrai et juste. Et tant qu'un peuple vénère son Dieu particulier et rejette avec force, implacablement, tous les autres dieux du monde, il demeure vivant et sain. Une pluralité de peuples ne peut se partager un seul et même Dieu, dit Chatov, car le Volksgeist est Dieu. S'ils possédaient le même Dieu, ils seraient un seul et unique peuple, composé de plusieurs tribus. Ou, pire, ils seraient des peuples en déclin, devenus incapables d'affirmer avec force leur Dieu, des peuples dont les Dieux viendraient, sous les coups insidieux d'une décadence délétère, à se confondre en une soupe insipide de valeurs dévoyées, et dont l'esprit aurait capitulé devant toute tâche historique pour adopter un esprit étranger ou, dans le meilleur des cas, pour recréer un Dieu nouveau.

Chaque peuple déploie ses propres conceptions du bien et du mal. Et si certains peuples ont élaboré des conceptions universalistes et des religions mondialisables, ils se réservent toujours, dans ce programme, le 1er rôle. Quand un peuple perd cette idée de détenir seul l'unique vérité du monde ou quand il doute du rôle premier qu'il a à jouer dans l'histoire, il dégénère en "matériel ethnographique".

Slavophilie et panslavisme

Cette vision du peuple "théophore" (= porteur de Dieu ou, si l'on veut être plus juste en désignant l'idéologie de Chatov, porteur d'un Dieu) reflète les idées de Danilevski, celles exprimées dans son ouvrage principal La Russie et l'Europe, paru en 1869. Danilevski inaugure une nouvelle slavophilie, postérieure à la slavophilie des Kireïevski, Khomiakov et Axakov, décédés entre 1856 et 1860. Avec Danilevski la slavophilie fusionne partiellement avec le panslavisme. L'auteur de La Russie et l'Europe allie des idées du temps (les influences de Pogodine, Herzen et Bakounine y sont présentes) à une typologie des cultures historiques qui annonce Spengler. Dans l'orbite des slavophiles/panslavistes, l'originalité de Danilevski réside précisément dans cette "organologie" qui pose une doctrine des types de cultures, postulant qu'il n'existe pas de développement culturel unique de l'humanité, comme Hegel avait tenté de le démontrer. Pour Danilevski, comme plus tard pour Spengler et Toynbee, il n'existe que des cultures vivant chacune un développement (ou un déclin) séparé. Pour Danilevski, les peuples qui n'appartiennent pas à une culture bien spécifique sont soit des "agents négatifs de l'histoire" comme les Huns soit du "matériel ethnographique" comme les Finnois ou les Celtes voire même des "réserves de puissance historique". Dans ce dernier cas, il s'agit de peuples qui, longtemps, demeurent à l'écart de l'histoire et qui, soudain, font irruption sur le théâtre des événements et fondent des cultures nouvelles et originales.

Celui qui n'a pas de peuple, n'a pas de Dieu

Toute culture vit une vie organique : elle croît, atteint son apogée (période relativement courte), épuise ses forces vitales et sombre finalement dans la sénilité. Seules subsistent alors la science rationnelle, la technique et un art technicisé qui seront transposés dans et repris par une culture ultérieure. Danilevski, en tant que nationaliste russe, affirmait que les Slaves représentaient une culture jeune et montante face à une culture germano-romaine atteinte de sénilité (postulat hérité des vieux slavophiles Odoïevski et Kireïevski). Les Slaves sont un peuple "élu", pense Danilevski, qui triomphera prochainement dans l'histoire.

Chatov, le personnage de Dostoïevski, lui, va plus loin. Il accepte le pluralisme des peuples affirmé par Danilevski mais prétend qu'il n'existe qu'une seule et unique vérité. Donc il ne peut y avoir dans l'histoire qu'un seul et unique peuple porteur de cette vérité. En l'occurrence, pour les slavophiles et les panslavistes, c'est le peuple russe. Ce peuple russe porte en lui la vérité révélée par Dieu, la vérité de Jésus Christ telle quelle, non falsifiée. Face à lui, les autres peuples sont porteurs d'idoles. Si ces autres peuples se disent chrétiens, ils portent la caricature d'un Christ "ré-idolisé". Conclusion de cette foi : celui qui n'appartient pas au peuple russe ne peut croire au vrai Dieu et celui qui, en Russie, n'a pas de peuple, n'a pas de Dieu.

Messianisme de Chatov, pluralisme de Danilevski

Le messianisme slave de Chatov diffère donc fondamentalement, sur ce plan du moins, de l'idéologie danilevskienne. En effet, Danilevski s'oppose résolument à toute forme d'universalisme ; son système, par suite, refuse l'idée d'une mission universelle des Slaves car une mission de ce type n'existe ni en acte ni en puissance. Simplement, pour Danilevski, les Slaves inaugureront une ère nouvelle, débarrassée de tous les miasmes d'obsolescence que véhicule la civilisation germano-romaine (occidentale-catholique).

Lauth repère les conséquences de cette distinction : Dostoïevski identifiait le peuple russe aux Chrétiens orthodoxes, si bien qu'un Russe ethnique non orthodoxe ou athée n'était pas "russe" à ses yeux, tandis qu'un non slave "orthodoxe" (un Roumain ou un Grec) était "russe". Pour Dostoïevski, l'essentiel, c'est la religion. Pour Danilevski, c'est la substance ethnique, la synthése bio-culturelle. Mais cette substance, en géné-rant un type de culture, se transmet partiel-lement à d'autres substrats ethniques, si bien qu'en fin de compte, c'est l'adhésion au type de Culture, synthèse entre la sphère bio-culturelle originelle et la transmis-sion/assimilation à d'autres peuples, qui est déterminante.

Les personnages de l'univers dostoïevskien se divisent en personnages substantiels et en nullités. Les personnages substantiels peuvent aussi bien incarner le bien que le mal tandis que les nullités n'incarnent rien, puisqu'elles sont nulles. Chatov n'est pas une nullité ; il incarne donc une substance, un type humain chargé de potentialités. Mais ce type incarné par Chatov n'est pas nécessairement la représentation du bien, selon la conviction intime de Dostoïevski. Chatov avance l'idée du primat de la religion sur le politique mais, en dernière instance, il politise le religieux à outrance. De ce privilège accordé indirectement au politique, naît un exclusivisme nationalitaire, à fortes connotations messianiques, qui ne correspond pas à l'idéal Dostoïevskien de fraternité et de solidarisme, pierre angulaire de la foi orthodoxe.

"Chatov" = Dostoïevski ?

Le "déviationnisme" de Chatov a des raisons sociales : la slavophilie, puis le panslavisme, ont été, sur le plan théorique, passe-temps des membres oisifs des classes dirigeantes russes. Or ces classes dirigeantes sont coupées du peuple et ne font qu'interpréter erronément ses desiderata, ses pulsions, sa foi. Coupés du peuple, les dirigeants théoriciens, inventant tour à tour la slavophilie ou le panslavisme, sont en réalité des incroyants, des philosophes en chambre qui ânonnent des slogans en dehors de toute expérience existentielle concrète.

Pour Lauth, réfuter la thèse qui pose l'équation "Chatov = Dostoïevski" signifie soustraire l'univers dostoïevskien aux spéculations des nationalistes de tous horizons (surtout les Russes et tes Allemands qui, à la suite de Niekisch et de Moeller van den Bruck, "dostoïevskisent" quelques fois leur nationalisme). Néanmoins, malgré l'impossibilité de poser abruptement l'équation "Chatov = Dostoïevski", on ne saurait nier une certaine dose de nationalisme russe/slave chez l’auteur des Fréres Karamazov, même si, dans son optique, cet enthousiasme nationaliste doit se limiter aux "jeunes nations" qui, lorsqu'elles auront atteint l'âge mûr, devront adopter et pratiquer des idées plus réfléchies.

Le livre de Lauth, recueil d'articles sur Dostoïevski parus entre 1949 et 1984, n'aborde pas que l'influence des slavophiles et de Danilevski ; il nous fait découvrir, entre autres choses :

  1. l'apport de Tchadaïev, qui avait amorcé, dans la Russie du XIXe, la fameuse discussion sur l'opportunité ou l'inopportunité de s'ouvrir au catholicisme romain,
  2. l'apport de Soloviev dans la genèse de la parabole du Grand Inquisiteur,
  3. la critique de Dostoïevski à l'encontre de Fichte* et Rousseau.

Au total, le recueil que nous offre Lauth constitue un tour d'horizon particulièrement intéressant pour comprendre la réalité russe pré-bolchévique, à travers l'œuvre du plus grand de ses écrivains.

* : cf. Hegel, Critique de la Doctrine de la Science de Fichte de Reinhard Lauth (2005) et Fichte, la science de la liberté de Xavier Tilliette (2004), tous 2 chez Vrin

vendredi, 06 juin 2008

De la "révolution orange" à la déconfiture amère

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De la Révolution Orange à la déconfiture amère

Fin 2004, le monde et l’Europe ont vibré autour du soulèvement démocratique et pacifique de la nouvelle Ukraine et de sa « Révolution Orange ». Actuellement on déchante en Ukraine et l’actuel président Viktor Iouchtchenko, héros de la Révolution, semble, selon les analystes politiques ukrainiens bloquer le fonctionnement politique du pays. Retour sur quelques évènements… fort peu médiatisés.

A l’est rien de nouveau dit-on, pourtant si rien ne se passe dans l’espace public ukrainien et que tout arrive dans les cabinets ministériels ukrainiens, les récents événements ont fait beaucoup de bruit en Ukraine. En effet, la semaine dernière les députés du BJuT, le parti de Julia Timoshenko, majoritaire au gouvernement, ont bloqué l’accès à la Verkhovna Rada Oukraïny, le Parlement unicaméral d’Ukraine, au président qui devait rendre un discours. Motif à demi-avoué, Timoshenko actuel Premier ministre, ancienne égérie de la « Révolution Orange » devenue depuis la bête noire du président, souhaite le précipiter à l’abandon à la course présidentielle de 2009. Pour comprendre les motifs il faut revoir les récents agissements de l’entourage présidentiel…

Le chat et la souris

Depuis quelques temps, le président Iouchtchenko rend impossible le travail mené par le gouvernement BJuT en bloquant systématiquement la majorité des décisions du parlement. Loin d’être populaire il commence à s’enfermer comme disent certains journaux locaux dans sa tour d’ivoire. Sa cote de popularité est au plus bas, alors que celle de la « princesse du gaz » [1] est en constante croissance. Si les élections devaient avoir lieu demain, Iouchtchenko serait crédité du pénible score de 8% ! La « femme à la tresse » serait créditée de 36%, Ianoukovytch leur ancien grand rival, proche de l’ancien président Koutchma serait crédité quand à lui de 29% des intentions de vote.

Ces résultats confirment la tendance constatée depuis plusieurs mois. La plupart des observateurs politiques considèrent qu’il est lui-même responsable de sa déconfiture, de par son comportement de plus en plus agressif, comme sa tentative de forcer les portes du parlement lors du blocage, alors même qu’il devait prononcer un discours. Ces récents agissements le décrédibilise de plus en plus aux yeux de l’opinion publique. Récemment Iouchtchenko a contraint le Premier ministre Timoshenko (alors qu’il ne dispose pas de ce pouvoir) de faire voter un amendement à la Constitution, afin de rétablir la Constitution de Koutchma… Celle-là même qu’il contestait en 2004 ( !) pour se garantir certaines prérogatives. Evidemment Timoshenko n’a pas cédé, ne serait ce que parce que la population y est formellement opposée… Le cabinet présidentiel et le parti Notre Ukraine de Iouchtchenko sont actuellement très affaiblis.

Blocage du fonctionnement gouvernemental

Depuis que le président ukrainien vit une crise, ce dernier essaye par tous les moyens de serrer la vis au gouvernement. Par exemple, depuis quatre mois il bloque le « paquet anti inflation », et freine les privatisations pour que le gouvernement ne puisse avoir les fonds nécessaires pour mener à bien sa politique sociale. Ces agissements sont logiquement considérés par le gouvernement comme une tentative de sabotage. Par ailleurs, il commence à prendre des accents « koutchmaniens » depuis qu’il a obligé les gouverneurs des régions à ne pouvoir assister aux réunions du gouvernement qu’avec son accord personnel.

Du coup, Timoshenko s’est décidé à la contre-offensive en préparant également des amendements à la Constitution, qui conduirait au renforcement du Parlement ukrainien. Dans un système de type parlementaire, le président ne jouerait plus vraiment de rôle, ne nommerait plus le gouvernement et n’aurait plus du droit de veto…

Si le Parlement acceptait, ce dernier concentrerait les pouvoirs en son sein, et pour le BJuT ce serait également une excellente manière de se placer en pole position pour les prochaines législatives. Cependant pour que ce projet soit accepté, il faut le soutien des parlementaires du Parti des Régions de Victor Ianoukovytch, leur ancien rival. Pour l’instant Ianoukovytch n’a pas fait de déclaration mais en homme politique pragmatique cela serait dans son intérêt. En effet, la nouvelle Constitution renforcerait le poids des partis du gouvernement. Le Parti des Régions étant la seconde force politique dans le pays du Dniepr’ celui ci deviendrait un acteur de premier plan dans certains votes.

Quel meilleur scénario ?

Si l’on souhaite la stabilisation politique de l’Ukraine, le scénario proposé par Timoshenko pourrait résoudre quelque peu la situation car les fonctions politiques redéfinies seraient plus précises. En effet, actuellement le système ukrainien est hybride et très fragile, propice aux conflits. Lors de la conférence de l’OTAN à Bucarest, l’Ukraine a été considéré comme un Etat instable. Ainsi cette mauvaise image lui fait perdre sa compétitivité et son prestige international. Selon de nombreux observateurs politiques ukrainiens la situation idéale serait la retraite politique de Victor Iouchtchenko par un départ digne [2]. En mentionnant qu’il ne souhaite pas participer à la prochaine élection présidentielle de 2009, la situation se détendrait et permettrait peut être de créer un climat de débat démocratique entre partis et programmes. Quelle que soit sa décision, ses chances d’être élu sont très minces, bien qu’il cherche toujours la recette magique. Ses détracteurs pro-russes disent avec véhémence qu’il est capable d’aller lécher les bottes de l’UE pour avoir des appuis… Il est vrai qu’en se retirant dignement le président resterait un héros dans l’histoire politique de l’Ukraine comme celui qui a symbolisé la Révolution Orange, accompagné le réveil de la société civile ukrainienne et appelé au réveil des sentiments démocratiques et des libertés. Dans le cas contraire, il risque de faire vite partie de ces hommes d’Etat qui ont utilisé la démocratie pour satisfaire leur propre égoïsme… Les prochains évènements nous le diront.


[1] Personnage controversé de la politique ukrainienne. Les opposants critiquent sa carrière fulgurante par ses méthodes contestables minées par de nombreuses affaires de corruption. En effet, JuT s’est enrichie à travers l’industrie gazière notamment par la KOuB (КУБ), entreprise énergétique ukrainienne, devenue IEESOu (ЄЕСУ).

[2] On pourra se référer particulièrement au éditoriaux de mi mai des journaux de toutes tendances en particulier de l’Oukraïnska Pravda, Українська правда, le Kievski Telegraf Київська телегра́ф, ou encore Politchna Dumka Політична думка.

"Animal Farm" naar het boek van G. Orwell

Animal Farm naar het boek van George Orwell

De neo-Belgische (Vlaamse) regering heeft een werkstukje in pure Kafka-stijl opgesteld. Als trouwe uitvoerders van wetten die de Europese dictatuur ons via de plaatselijke elite (Vlaamse ministers) door de strot moet duwen hebben zij gemeend om de EU-richtlijnen inzake antidiscriminatie met de nodige onzin te moeten aanvullen. Het werkstuk is nu een complete operettetekst geworden die men zal kunnen gebruiken als burleske opvoering om de kruiperigheid van de kruideniers die zich Vlaamse staatslieden noemen aanschouwelijk weer te kunnen geven.

De gezamenlijke Vlaamse elite kruipt en wentelt zich in het stof om toch maar het predikaat van zuivere gelovige binnen te kunnen halen. De zuivere gelovigen van de non-discriminatie, welteverstaan. Waar de Europese volkscommissarissen in hun richtlijn alleen maar non-discriminatie in verband met werk en beroep voor ogen hadden en niet discriminatie op basis van leeftijd, godsdienst, overtuiging, taal, gezondheidstoestand en sociale positie, daar hebben de lolbroeken van de middenstandsregering Peeters nu nog een lijstje aan toegevoegd. De kruideniersmentaliteit en het paternalisme druipt van deze toevoegingen af, zoals stroop uit de handjes van een kleuter. Het is een vuile boel en het plakt geweldig. Maar toch moet je uiteindelijk in lachen uitbarsten, want kleuters die een plakboel van je huishouden maken blijven toch altijd kinderen. Zo ook de Vlaamse kleuterregering.

De non-discriminatie die de Vlaamse afdeling van de Belgische machtselite proclameert gaat zo ver en is zo ongelooflijk tegenstrijdig dat het eigenlijk zal uitdraaien op een groot speelplein voor pesttechnieken. Wat houden de Vlaamse decreten die discriminatie verbieden dan in?

Het is verboden te discrimineren in de gezondheidszorg;
Het is verboden te discrimineren in het onderwijs;
Het is verboden om mensen te discrimineren in verband met het leveren van goederen en diensten (deze vind ik persoonlijk de leukste);
Het is verboden te discrimineren op basis van bezit en kapitaal;
Het is verboden om mensen uit te sluiten van sociale voordelen.

Verder moet er voor iedereen toegang zijn tot economische, sociale culturele en politieke activiteiten.

Laat ons eens aftoetsen hoe we deze wonderbaarlijke wereld of - beter gezegd - de Vlaamse uitgave van The Animal Farm creatief kunnen toepassen. Iedereen moet gezondheidszorg kunnen krijgen ongeacht zijn status. Als je weet dat je nu al meer dan 25% van alle medische kosten uit eigen zak mag betalen, dan is de vraag maar hoe je de mensen die dat steeds minder kunnen ophoesten gaat tegemoetkomen. Als je nu naar een hospitaal of naar de dokter gaat, dan moet je eerst in dat hospitaal een voorschot geven en bij de dokter moet je zelf alles eerst voorschieten. Als het einde van de maand nadert, zullen de hospitalen en de dokters verplicht worden om je toch te verzorgen, zelfs zonder geld op zak. Anders is dat discriminatie tegenover mensen die wel kunnen betalen. De Witte Woede zal weer losbarsten!

In het onderwijs moet alles gratis zijn en als er toch kosten zijn voor het een of het ander, dan moeten de ouders van de kinderen die geld genoeg hebben maar betalen voor diegenen die geen geld meer hebben. Zullen die ouders leuk vinden! Lekkere antidiscriminatieblues op het schoolplein zal het gevolg zijn. Mijn voorkeurvoorstel van antidiscriminatie is het verbod op weigering van het leveren van goederen en diensten aan mensen. En het daarbij aansluitende verbod om mensen te discrimineren op basis van kapitaal. Hoe dat de volkscommissarissen van de Eurodictatuur daar niet zelf op gekomen zijn en deze primeur moeten laten aan de middenstandersregering van Vlaanderen is ronduit beschamend.

In de grond zijn deze twee antidiscriminatievoorstellen natuurlijk niet nieuw. In Brussel en in grote Vlaamse steden zijn er al hele groepen die zich kosteloos bedienen van goederen en diensten en andermans geld (die ambachtsgroep noemt men rondtrekkende dadergroepen). Sommigen hebben hier een permanente verblijfplaats (maar dat is een detail). Nu wil de Vlaamse regering dat institutionaliseren: als mensen goederen en diensten willen en ze kunnen dat niet betalen, dan mogen ze niet weerhouden worden om zich de begeerde goederen en diensten zelf te gaan halen. Anders is zoiets discriminatie. Gebeuren er in het vervolg inbraken of autodiefstallen in Vlaanderen, dan is dat het gevolg van het gratis leveren van goederen en diensten aan benadeelde medeburgers. Je hoeft dan niet bij de politie te gaan klagen (dat is ook niet nieuw), want dan kun je nog een discriminatieklacht aan je broek krijgen. De mensen die je spullen meenamen hadden dat immers nodig en konden zich dat niet zelf aanschaffen. Maar jij wel blijkbaar. Foei, foei van jou!

Hoe Peeters en zijn sinterklaasregering dat aan hun middenstandsachterban zullen verkopen dat mensen in winkels gewoon de boel meenemen zonder betaling, zal nog door een bevriend consultancybureau onderzocht moeten worden. Als iemand toch van plan is om zelf te gaan discrimineren, dan kunnen we enkele tips geven. Als je een homo discrimineert (door bijvoorbeeld te weigeren om op zijn avances in te gaan) en die pipo dient klacht tegen jou in, dan moet je als de bliksem klacht tegen hem indienen met als argument dat je een gelovige moslim bent en dat je geloof je verplicht om hem te discrimineren. Als je dat niet mag, dan discrimineert men jou en dat is verboden op grond van non-discriminatie op basis van geloof. Mooi toch? Als je een vreemdeling discrimineert of een vreemdeling discrimineert je vrouw of dochter door ze te verkrachten, dan kun je elkaar beschuldigen op basis van vrijheid van overtuiging. Jij vindt die allochtoon maar een kafir vanuit je overtuiging en hij vindt je vrouw of dochter maar een hoer op basis van zijn geloof. Er is geen discriminatie van één partij. Het is gewoon de werkelijke wereld zoals ze is! Als je baas of manager weer eens veel meer poen pakt dan jijzelf dan moet je hem aanklagen op grond van loondiscriminatie! Het is niet omdat je niet gestudeerd hebt of niet de moeite hebt genomen om zelf een bedrijf te starten dat je gediscrimineerd mag worden via je loon en loonverschillen. Als iemand ziek is op je werk en hij ontvangt een ziekte-uitkering en zelf heb je geen zin om elke dag naar je werk te komen, dan kun je klacht indienen tegen je baas. Het is discriminerend om alleen zieken thuis te laten en te betalen. Gezonde mensen hebben ook dat recht, want is het niet verboden om iemand te discrimineren op basis van zijn gezondheidstoestand.

Ach ja, je moet creatief zijn in die dingen. Ik zou nog een tijdje door kunnen gaan met goede raad te geven, maar het zal nu al duidelijk zijn voor iedereen dat de toekomst van Vlaanderen verzekerd is. Het is een “schitterende” toekomst. Jeronimus Bosch zou er nooit in geslaagd zijn om het geheel op doek te krijgen. En hij heeft veel gekken geschilderd in zijn tijd. Om de Vlaamse ministers te portretteren en hun maatregelen adequaat te schilderen heb je een geestesgestoorde nodig. Die zal de antidiscriminatielobby misschien in zijn volle waarde kunnen schilderen en portretteren. Nog een geluk dat onze ministers kunnen rekenen op de morele steun van AFF en Blokbuster. Zij kunnen dienen als ezels, zoals die op de schilderijen van Jeronimus veelvuldig voorkwamen. Een beetje “mismeesterd”, maar toch herkenbaar. Alle morele steun is welkom bij een acute geestesziekte en gedeelde pijn is halve pijn zegt een Vlaams spreekwoord.

E. Hermy
Algemene coördinator

En souvenir d'un soldat politique de la Bundeswehr

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En souvenir d'un soldat politique de la Bundeswehr: le Général-Major Hans-Joachim Löser

 

La Bundeswehr n'a jamais connu de généraux politisés à la fa­çon latino-américaine. Elle a eu la chance, cependant, d'a­voir eu, dans ses rangs, quelques généraux capables de combiner leurs compétences militaires à un instinct politi­que sûr et à une intelligence aiguë des conséquences di­rectes de la politique de sécurité pour leur peuple. Ces officiers reconnaissaient le primat du politique, c'est-à-dire la responsabilité des hommes politiques démocratiquement élus, mais se réservaient toutefois la liberté d'exposer aux responsables politiques leurs convictions politiques solide­ment étayées par un savoir factuel et technique éprouvé, surtout lorsque ces convictions ne concordaient pas avec les idées des politiques, ce que ceux-ci n'aiment guère en­ten­dre. Parmi ces officiers allemands, capables de penser politiquement au meilleur sens du terme, il y avait le Gé­néral-Major e.r. Hans-Joachim (Jochen) Löser, qui vient de nous quitter, ce 13 février 2001, dans sa 83ième année.

 

Jochen Löser était issu d'une famille de Thuringe et de Sa­xe, bien ancrée dans les traditions. Après avoir passé son Abitur  en 1936 dans une école NAPOLA de Berlin-Spandau, il rejoint comme aspirant (Fahnenjunker) le 68ième Régi­ment d'Infanterie du Brandebourg. Au début de la guerre, il est Adjudant de Bataillon, plus tard, lors de la campagne des Balkans et de la campagne de Russie, il est promu Ad­judant régimentaire auprès du 230ième Régiment d'In­fan­terie. Quand commence la terrible bataille de Stalingrad, il la vit et l'endure avec le grade de commandant de ba­tail­lon. Il est grièvement blessé et reçoit la Croix de Chevalier. A­près avoir reçu une formation d'officier d'état-major et avoir servi à ce titre dans les Carpathes et sur le Front de l'Arctique, il évite en avril 1945, face aux troupes amé­ricaines, la bataille de défense de sa ville natale, Weimar, mission impossible et désormais dépourvue de sens. Après la guerre, il gère pendant dix ans une entreprise qui occupe des invalides de guerre. En 1956, il entre au service de la Bundeswehr. Il y exerce les fonctions de maître de confé­ren­ce à l'école militaire de Hardthöhe, de chef d'état-major d'une Division puis d'un Corps d'armée, finalement il accède au grade de commandeur d'une Brigade et d'une Division. En 1974, de son propre chef, il décide de quitter le service des armes et reçoit la Grande Croix du Mérite de la RFA.

 

Quand la FDP proposait une vraie alternative

 

J'ai connu Jochen Löser en 1967, quand je dirigeais le "Cer­cle de travail I" de la fraction FDP du Bundestag, qui s'oc­cupait également des questions de défense. A l'époque, le noyau de la politique de défense de la FDP était le suivant: il nous paraissait inutile d'équiper les troupes allemandes pla­cées sous le commandement de l'OTAN d'armes atomi­ques coûteuses, alors que les munitions ad hoc ne seraient jamais placées entre des mains allemandes. Nous nous po­sions la question: ne serait-il pas plus intelligent de con­centrer nos moyens pour améliorer la défense convention­nelle de l'Allemagne et de laisser la dissuasion nucléaire aux puissances qui pourrait l'utiliser en cas d'urgence? C'est donc surtout grâce aux conseils de Jochen Löser que la FDP, guidée par son expert en questions de défense, Fritz-Rudolf Schultz, a pu présenter une alternative en politique de sécurité, face à la Grande Coalition de l'époque; c'était une alternative inattaquable sur le plan des faits, qui te­nait nettement mieux compte des intérêts du peuple alle­mand divisé en cas de guerre que les plans habituels de l'OTAN.

 

Après 1969, la FDP, malheureusement, a abandonné ses pré­occupations en matières de défense et n'a plus ma­ni­festé d'intérêt pour ces réflexions. En tant que comman­deur, Jochen Löser ne voyait plus aucune possibilité de diffuser ses compétences techniques. Cela a sans doute mo­tivé son départ de la Bundeswehr. Il a alors commencé une fructueuse carrière d'écrivain politique, où il a couché sur le papier ses réflexions en matières de défense, qui, chaque fois, tenaient compte des intérêts de l'adversaire po­tentiel. Des ouvrages comme Gegen den Dritten Welt­krieg (Contre la Troisième Guerre mondiale), Weder rot noch tot (Ni rouges ni morts), Neutralität für Mitteleuropa (Neutralité pour l'Europe centrale), Kämpfen können, um nicht kämpfen zu müssen (Savoir combattre pour ne pas a­voir à combattre), puis, finalement, cette magnifique his­toire de la 76ième Division d'Infanterie de Berlin-Brande­bourg, intitulée Bittere Pflicht (Notre amer devoir), où Jo­chen Löser, le soldat qui défendait les intérêts de son peu­ple, rassemblait tous ses souvenirs, sans perdre de vue les in­térêts des autres peuples.

 

Detlef KÜHN.

(Hommage rendu dans l'hebdomadaire Junge Freiheit, http://www.jungefreiheit.de ).

jeudi, 05 juin 2008

Adieu au Général-Major Jochen Löser

 

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Adieu au Général-Major Jochen Löser

Le Général Major Jochen Löser est décédé le 13 février 2001, à l'âge de 83 ans. J'ai rencontré Jochen Löser le 6 octobre 1984, lors de ma toute première visite à la Foire de Francfort. J'arpentais ses immenses corridors à la recher­che de livres pertinents, capables d'ouvrir à mes lecteurs des horizons nouveaux, en prenant appui sur des faits tan­gibles, capables aussi de crever la croûte des ronrons de la pensée imposée par les médias. Dans le grand stand de Ber­telsmann, mon vœu a été exaucé. Bien en vue, plusieurs di­zaines d'exemplaires de Neutralität für Mitteleuropa s'a­li­gnaient sur les présentoirs. J'ai tendu la main, saisi un de ces exemplaires, que j'ai compulsé un peu fébrilement, pour découvrir une démarche qui était la mienne depuis la lecture du fameux ouvrage de Jacques Droz sur l'Europe cen­trale (paru chez Payot) et du livre collectif de Helmut Be­ring (Wirtschaftliche und politische Integration in Eu­ropa im 19. und 20. Jahrhundert, Vandenhoek & Ru­precht, Göttingen, 1984), où les auteurs abordaient éga­lement les questions relatives à la "Mitteleuropa". Jochen Lö­ser repla­çait la question de l'Europe centrale dans l'ac­tua­lité la plus brûlante, sur le fond d'une contestation gé­nérale de l'in­stal­lation des missiles américains sur le ter­ri­toire de la RFA. L'ouvrage que je tenais entre les mains é­tait un traité ra­tion­nel, réclamant l'élargissement de la zo­ne neutre en Eu­rope centrale. Les non-alignés n'auraient plus été seule­ment la Yougoslavie, l'Autriche, la Suisse, la Suède et la Fin­lande, mais tous ces pays soustraits à la lo­gique binaire de Yalta, plus les deux Allemagnes, le Béné­lux, le Da­ne­mark, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hon­grie. Ce que je découvrais là était enfin une alternative co­hérente au sta­tu quo, qui correspondait à notre volonté de dépasser le duopole mis en place à Téhéran, à Yalta et à Postdam, entre 1943 et 1945.

J'ai aussitôt demandé un exemplaire de presse à la prépo­sée du stand, qui m'a dit: «Si ce livre vous intéresse, re­passez cet après-midi, l'auteur sera présent sur le stand». C'est ainsi que j'ai rencontré Jochen Löser et que nous a­vons tout de suite sympathisé. Le Général Löser était un hom­me affable, doux, d'une extrême gentillesse, avec un sou­rire extraordinaire. Une sorte de complicité est née dans ce stand, où œuvrait également le frère de la mili­tan­te écologiste radicale, Jutta von Ditfurth, fille du biologiste Hoimar von Ditfurth.

Notre visite chez le Dr. Otto Zeller

Nous avons travaillé ensemble pendant deux ans, en ten­tant de diffuser au maximum des alternatives au statu quo imposé par l'OTAN en matières de défense. Les réunions de tra­vail se déroulaient principalement à Bonn, au domicile de Jochen Löser, à proximité du Rhin et d'une falaise ma­gni­fique, couverte de vignobles en terrasse depuis l'époque des Romains. Un jour, pour finaliser l'édition des souvenirs de guerre du Général Löser, nous nous sommes rendus à Os­nabrück chez l'éditeur Otto Zeller. Un personnage extra­or­dinaire, dont je garderai éternellement le souvenir. Le Dr. Zeller, aujourd'hui décédé, était un grand linguiste, tra­duc­teur d'Homère et des Védas, auteur d'une fresque brossant l'histoire indo-européenne depuis les plus lointaines origi­nes. Une fois la version définitive du manuscrit du Général acceptée sans discussion et la remise des dernières photo­graphies de l'épopée de Löser et de ses soldats, Otto Zeller nous a invités chez lui, où il vivait seul  —et très triste—  de­puis le décès de son épouse, un être qui lui avait été très cher. Le Dr. Zeller habitait une vieille ferme nord-alle­man­de de type traditionnel, dont il avait scrupuleusement res­pecté l'aménagement, axé sur le foyer central. L'ar­chi­tec­tu­re tra­ditionnelle —repérable depuis la culture danubien­ne du Michelsberg (entre -4500 et -2750 av. J. C.)— de cet­te bâ­tisse m'a profondément impressionné. Nos plus loin­tains ancêtres avaient un sens de l'espace  —un feng shui oc­cidental—  beaucoup plus développé que nos modernistes en quête perpétuelle de sensationnel. Après une visite de cette superbe ferme, nous nous sommes retrouvés à trois, Lö­ser, Zeller et moi, autour de deux seaux, en train de pe­ler les pommes de terre pour le repas du soir, comme si nous étions en bivouac. Scène d'une extrême simplicité et d'une grande chaleur humaine. Car mes deux aînés, le mi­li­taire et le philologue, hommes façonnés et ciselés par des expériences extraordinaires, ont profité de ce moment pour se raconter leurs souvenirs. Et j'ai écouté.

Les souvenirs du Dr. Zeller

Le Dr. Zeller était juriste et philologue-linguiste; j'avais été le lecteur attentif de son ouvrage Problemgeschichte der ver­­gleichenden (indogermanischen) Sprachwissenschaft (1967; Histoire de la problématique des sciences linguisti­ques indo-européennes comparées), où il retraçait avec pré­­­cision l'évolution de la recherche linguistique des huma­nistes de la Renaissance à Hirt, en passant par Leibniz, Bopp, Rask, les frères Grimm, Schleicher, Schrader, etc. Autour de nos deux seaux, le Dr. Zeller a encore évoqué d'au­­tres souvenirs: j'en ai retenu trois. Sanskritologue, il a­vait été chargé d'accompagner dans Berlin le fils d'un Ma­ha­radjah, volontaire dans le bataillon indien de la Wehr­macht, qui sera stationné à Bordeaux. Il nous a brossé avec humour les anecdotes de cette visite, véritable choc entre deux civilisations. Ensuite, prisonnier de guerre, Zeller a dû servir d'interprète dans un tribunal militaire anglais, qui condamnait à la chaîne de pauvres diables de Polonais, de Russes et d'Ukrainiens, cherchant à rentrer à pied dans leur pays, mourant de faim sur les routes du Reich dévasté et chapardant des victuailles dans les casernes britanniques; des rixes éclataient parfois avec les gardes, à qui il arrivait de prendre un coup fatal. Inévitablement, ces bougres af­fa­més, qui avaient tué pour pouvoir manger, étaient con­dam­nés à la corde d'un gibet de sa Très Gracieuse Ma­jesté. Cette fonction d'interprète, imposée par la con­train­te, a­vait été pour notre philologue particulièrement hor­rible. Enfin, le début de sa carrière d'éditeur; le pouvoir com­mu­niste est-allemand vidaient les bibliothèques publi­ques et privées et vendait à l'Ouest des wagons entiers d'ou­vrages rares et anciens. Zeller les rachetait au kilo, sé­lectionnait les meilleurs titres pour en faire des réim­pres­sions, amorce de sa "Biblio Verlag".

Le lendemain, Zeller m'offrait le livre qu'il venait d'écrire pour ses enfants et ses petits-enfants, Am Nabel und im Auf­trag der Geschichte. Où les titres des chapitres étaient déjà une grande leçon: «Vouloir vivre sans histoire, est une utopie»; «Seul ce qui a une histoire est réel». Deux pré­cep­tes à retenir en toutes circonstances. Am Nabel und im Auf­trag der Geschichte est ensuite un vaste synopsis de l'é­popée indo-européenne dans l'histoire, depuis les méga­lithes jusqu'à la conquête spatiale.

Cette journée à Osnabrück m'a dévoilé l'extrême modestie de deux hommes exceptionnels, sur des plans différents. Une grande leçon. Que je n'oublierai jamais.

Stratégie du hérisson et défense civile

Sur le plan politique, ce bout de chemin fait avec Jochen Löser au beau milieu des années 80 m'a permis de déve­lop­per des idées originales en matières de défense, diamé­tra­le­ment différentes des doctrines officielles de l'OTAN et des thèses pacifistes maniées par une certaine gauche de con­viction donc d'irresponsabilité. Juste avant d'avoir écrit Neutralität für Mitteleuropa, Jochen Löser, avec le con­cours d'Harald Anderson, avait apporté une réponse ori­ginale aux conférences de Genève entre l'Est et l'Ouest, qui avaient débouché sur un échec (cf. Antwort auf Genf. Sicherheit für West und Ost, Olzog Verlag, Munich, 1984). Demeurant dans la logique théorique qui avait toujours été la sienne, y compris dans les coulisses de la FDP qui cher­chait une position originale au temps où elle était isolée dans l'opposition, Jochen Löser préconisait une "stratégie du hérisson", calquée sur les modèles helvétique et you­go­slave, permettant de rendre un territoire hermétique, im­pre­nable, par recours à des moyens strictement con­ven­tionnels. Cette stratégie avait ensuite pour corollaire d'as­surer une protection maximale des populations civiles (a­bris anti-atomiques, etc.), exposées aux opérations aérien­nes et terrestres de tout conflit susceptible d'éclater.

Löser nommait "Raumdeckende Verteidigung" ("Défense couvrant l'espace"), ce système de défense efficace, de ty­pe traditionnel, inspiré du modèle suisse, que d'autres, com­me le Général français Brossolette, appelaient "défense par maillage territorial". L'adoption d'un tel mode de dé­fense impliquait l'organisation d'une armée de citoyens, une milice territoriale (Löser: "Friedensmiliz", "Heimat­dienst" & "Heimatschutz"), appelée à couvrir les tâches non directe­ment combattantes, de même qu'à assurer les missions de soutien logistique, de protection des installations militaires sur les arrières du front, les transports et la surveillance des côtes. In fine, un maillage complet du territoire per­met d'assurer la suprématie du feu sur le mouvement, donc des systèmes de défense sur les stratégies d'attaque fron­tale.

Neutralité, finlandisation et Blockfreiheit

Une telle vision de la défense du territoire allemand per­mettait effectivement de le verrouiller contre toute atta­que venant de l'Est soviétisé, parce qu'à partir du Bran­de­bourg le territoire européen devient plus densément peuplé et structuré, donc moins ouvert comme l'est en revanche la plaine de l'Est, qui, elle, permettait hier le déploiement de masses de cavaliers et permet aujourd'hui celui de divisions de chars d'assaut. La densité du territoire allemand et ouest-européen permet de doter les défenseurs d'armes an­ti-chars très performantes, filoguidées ou à guidage élec­tro­nique, descendant en droite ligne des Panzerfäuste et des Panzerschrecke de la Wehrmacht. Simultanément, ce ver­rouillage et ce maillage militaire du territoire centre-eu­ropéen induisaient une remise en question de l'inféo­da­tion de la RFA aux structures de l'OTAN et de l'Alliance at­lan­tique. Le statut de neutralité  —décrié par les services de Washington maniant le (faux) spectre de la "finlan­di­sa­tion"—  redevenait une option possible.

Du terme polémique "finlandisation"

Neutralität für Mitteleuropa contient justement une criti­que serrée de ce concept de "finlandisation" que cri­ti­quaient et rejetaient les atlantistes. Löser commençait par po­ser les termes "neutre" et "neutralité" comme des con­cepts positifs du droit international, même s'il admettait que "neutraliste" et "neutralisme" recelaient une connota­tion propagandiste, qui n'était ni positive ni objective. La neutralité est un droit des Etats, garanti par l'art. 2, §2, de la Charte des Nations Unies. La neutralité est assortie d'ob­ligations: ne pas faire partie d'une alliance constitué à des fins de belligérance, ne pas céder la moindre parcelle du ter­ritoire national pour en faire un point d'appui pour une puissance voisine belligérante, armer le pays de façon à dis­suader tout ennemi de pénétrer sur son territoire. La neu­tralité implique donc, ipso facto, d'armer la nation et de choyer l'armée, qui l'incarne. La neutralité, au sens juri­dique du terme, n'est donc pas un pacifisme, un anti-mi­li­tarisme, que ceux-ci se camouflent ou non derrière le ter­me "neutralisme". La Finlande n'échappait pas à cette rè­gle, même si cette neutralité devait tenir compte de ses re­lations conflictuelles avec l'URSS entre 1917 et 1945.

Le projet de Löser était donc d'élargir le statut de neutra­li­té de l'Autriche à un espace centre-européen plus vaste, per­mettant de le dégager de la logique bellogène des blocs. Cette logique n'est donc pas celle d'une "finlandisa­tion", comme le proclament et l'entendent les défenseurs de l'OTAN; parce que les Etats concernés n'ont pas les mê­mes rapports de voisinage que ceux de la Finlande et de l'URSS. Elle est plutôt une "austrialisation" ou une "helvé­ti­sa­tion", donc un renforcement de souveraineté par désen­ga­gement vis-à-vis d'une alliance téléguidée par une seule su­per-puis­sance, de surcroît étrangère à l'espace européen ("eine raum­fremde Macht", auraient dit Carl Schmitt et Karl Haus­hofer).

Droits de l'homme et Armageddon 

Autre atout majeur de Neutralität für Mitteleuropa: la cri­tique du néo-machiavélisme occidental, camouflé derrière les discours sur les droits de l'homme. Avec la forte et élé­gante concision du militaire qui se consacre à l'écriture, Jo­chen Löser, dans le chapitre IV de cet ouvrage, critique vertement la volonté américaine de se poser comme l'in­car­nation du "bien" absolu, en lutte contre le "mal" absolu. Un bien qui proclame et défend les "droits de l'homme" et un mal qui les nie. Une telle attitude, explique-t-il, est une incongruité à l'âge des armes nucléaires. La puissance de des­truction de ces armes est telle qu'on ne peut, dans un pa­reil contexte, tenir un langage d'apocalypse, car déclen­cher l'apocalypse devient possible mais n'est évidemment pas souhaitable, puisque la riposte de l'adversaire reste tout de même en mesure de réduire les bases territoriales du vainqueur à néant, le ramenant ipso facto à l'âge de la pierre. Contrairement à Reagan qui parlait d'Armageddon, Löser raisonne au départ de Clausewitz: les intentions de la politique doivent correspondre aux moyens mis en œuvre; l'objectif politique souhaité ne peut être un despote; il doit s'adapter à la nature des moyens. A l'âge des armes nu­cléaires, les moyens sont théoriquement absolus, en prati­que, les puissances atomiques ont une marge de manœuvre très réduite. Le règlement des différends passe donc par la di­plomatie et les négociations.

Clausewitz et Bismarck

Cette perspective clausewitzienne interdit de placer la po­li­ti­que internationale sous le diktat des émotions, comme celles qu'éveillait dans les médias le nouveau culte des droits de l'homme, annoncé dès le discours inaugural de Car­ter en 1977.  La politique internationale ne peut fonc­tion­ner que si l'on jauge objectivement, avec sérénité, les faits, les intérêts, les divergences entre Etats. Löser rap­pelait une parole forte de Bismarck: «Agir selon des prin­cipes est une attitude qui, selon moi, revient à courir dans la forêt en tenant en bouche une barre de fer dans le sens de la longueur». Par conséquent, le diplomate ne peut agir sous la dictée de ses sympathies ou de ses antipathies pour des situations en vigueur dans le territoire d'une puissance voisine ou adverse, ou pour des personnes y exerçant une fonction souveraine. Les émotions suscitées par les antipa­thies ou les sympathies n'ont pas leur place dans la sphère du politique. Les juristes extrémistes et les moralistes é­chevelés n'ont pas de rôle à jouer dans la sphère austère du po­litique.

Certes, les dissidents d'une puissance voisine ont droit à l'a­si­le politique, à écrire et à œuvrer chez nous s'ils y sont ac­cueil­lis, mais leur sort ou leur sécurité ne doit pas troubler le jeu subtil de la diplomatie classique. Si l'enga­ge­ment des moralistes ou des juristes pour la liberté d'ex­pres­sion est un devoir moral, que personne ne va leur con­tester, les diplo­ma­tes ont, eux, le devoir politique et la res­ponsabilité de ne pas déclencher d'apocalypse ou de con­flit au nom de doc­trines éthiques vagues ou instables.

Voilà donc les thématiques que nous avons abordées entre 1984 et 1986. Mon discours à Versailles, lors du colloque du GRECE du 16 novembre 1986, est le résultat (succinct) de ces travaux. Pourquoi notre chemin s'est-il arrêté là? Tout simplement parce que l'accession de Mikhaïl Gorbatchev à la fonction suprême en URSS, remettait tout en question: et le duopole en place et l'ordre né de Yalta. Avec la pe­restroïka, les événements vont se précipiter: les accords "4 + 2", la réunification allemande, le dégel à Moscou, les manifestations de Prague, le démantèlement du Rideau de fer le long de la frontière austro-hongroise. Löser et moi avions l'intention de sortir, avec d'autres, un livre manifes­te, mais chaque jour apportait sa part d'innovations ou de changements, si bien que toutes nos planifications étaient réduites à néant. De l'accession de Gorbatchev au pouvoir à Moscou en 1985 jusqu'au triomphe d'Eltsine en août 1991, l'Europe a vécu une succession de bouleversements aux­quels nous n'étions pas préparés. Impossible dans de telles conditions d'achever un livre collectif, un tant soit peu sub­stantiel. Il a fallu abandonner. Et nos relations se sont in­terrompues. A mon vif regret.

De la vieille leçon du Taciturne

Quinze ans ont passé depuis nos derniers échanges épisto­laires ou téléphoniques. Quinze années de bouleversements inimaginables au jour de notre première rencontre, le 6 oc­tobre 1984. Mais quinze années où l'Europe n'a pas été ca­pable de trouver une solution rationnelle à ses problèmes de défense, comme nous le préconisions. Cet échec, dû à la piètre qualité intellectuelle et morale du personnel politi­que en place, est une tragédie. Notre civilisation s'est dé­li­bérément engagée dans une impasse. Le politique est mort. La citoyenneté, dont on parle à grands renforts de trémolos dans la voix, est devenue une illusion sinon une farce. Mais ce n'est pas une raison pour abandonner le combat: «Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer». Vieille leçon du Taciturne. En souvenir du Général-Major Jochen Löser, nous allons continuer le com­bat. Pour une Europe libre et forte, bien à l'abri de pi­quants, pareils à ceux du hérisson.

Robert STEUCKERS.

L'eurocrate, le souverainiste et le plombier polonais

L’eurocrate, le souverainiste et le plombier polonais Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Écrit par Ecrit par Olivier JAROSZ et Gilles Emmanuel JACQUET   
28-06-2007

Retour sur 50 ans de « Construction »

L’Europe a toujours puisé ses origines et sa force dans différents mythes qui se sont confondus avec un idéal de la civilisation européenne façonné par la Grèce antique (Eurôpé), développé par l’empire romain (Auguste), répandu par la chrétienté, (Papauté, Saint Empire…) réapproprié par la Renaissance (Pétrarque), l’Humanisme (Erasme), l’age classique (Abbé de Saint Pierre) les Lumières (Montesquieu, Rousseau), puis par les visionnaires (Victor Hugo, Coudenhove-Kalergi) sans jamais vraiment se concrétiser [Villain-Gandossi].  Il aura fallu attendre le XXéme siècle pour voir une coopération des différentes Nations. 

Après la tragédie de la seconde guerre mondiale qui a séparé des peuples aux racines communes, l’idée d’une construction européenne se devait de répondre à une nécessité concrète, une idée économique qui devait répondre à des impératifs de reconstruction marqué par la prospérité et une forte productivité. Les Etats-Unis connaissant également une croissance importante de la production (taylorisme et fordisme), l’URSS étant encore dans sa machine de guerre (stakhanovisme) et se transformant peu à peu dans une économie civile planifiée qui contraignit les européens à s’allier.

Les idées qui circulent parmi les citoyens européens sont propices à une création d’un espace commun qui puisse rivaliser avec ces deux blocs. Jean Monnet fortement influencé par les idées libérales et fédérales du modèle américain va jeter les bases concrètes d’une communauté. Au coté de Schumann les fondateurs de la CECA (18 avril 1951) seront motivés par un souci profondément économique à savoir la reconstruction de l’Europe par le libre échange, le marché économique, la standardisation… cherchant à dépasser les modèles obsolètes des Etats nations protectionnistes. Cette combinaison des méthodes fonctionnalistes et des idées fédérales aboutira à la création de cette Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. Face à une situation internationale tendue avec le début de la guerre de Corée (25 juin 1950) le projet d’une communauté européenne de défense va apparaître. L’échec de celle-ci face au caractère récalcitrant de la France de se voir avec l'Allemagne sous un uniforme commun, sera la première fracture entre la société et la politique française sur un sujet européen. 

Le traité de Rome signé il y a 50 ans va relancer l’idée d’une communauté. Conscient des premières velléités des pays, la construction se fera à travers une libéralisation progressive du marché européen et d’un marché commun du nucléaire. (Euratom).

La CEE se construit de l’extérieur cumulant élargissements successifs (6 élargissements) et approfondissements institutionnelles (en 15 ans il y aura 4 traités). Le déficit démocratique apparaissant de plus en plus, les élections au parlement européen tendent à légitimer les institutions de la communauté. La volonté d’une création d’une identité commune européenne au sein du parlement qui ne reflétait plus les pays mais les partis approuve une idée fonctionnaliste se souciant de moins en moins des identités nationales. Malgré un taux moyen de participation (barre symbolique des 50%), l’Acte unique européen (17 et 28 février 1986) de la Commission Delors manifestait la détermination d’édifier un espace commun sans frontières avec l’instauration des quatre libertés fondamentales de circulation: marchandises, services, capitaux et personnes. Le traité de Maastricht du 7 février 1992 souhaitait relancer les idées fédéralistes en réorganisant la Communauté économique européenne en Communauté européenne sous forme des trois piliers. Cette nouvelle perspective marquée par la création de l'Union économique et monétaire, instituant une monnaie unique cherche avant tout à freiner le monopole du Deutsche Mark qui faisait sourciller les français mécontent de leur franc faible ainsi qu’une pseudo citoyenneté européenne n’étant finalement qu’une coquille vide. Ce traité prévoyant déjà sa propre révision au traité d’Amsterdam le 2 octobre 1997 augmentait l’interdépendance entre les pays membres. Les accords de Schengen intégrés, « communautarisaient » une des libertés fondamentales. L’entrée de l’Euro marque l’aboutissement dans la forme de l’UEM. Le polémique traité de Nice du 26 février 2001 est appelé à connaître une forme de longévité suite à l’échec du Traité Etablissant une Constitution pour l’Europe rejeté par deux pays fondateurs mais également mal accepté par d’autres gouvernements. Ce traité faisant suite à une volonté de refonte des institutions en accroissant sa légitimité démocratique a semble t-il raté son coche. Le choix d’une Europe espace sans frontière au détriment d’une Europe puissance, le doute quant à la représentativité du parlement (moyenne de 45% de taux de participations aux dernières élections européennes), l’absence de critères culturels et identitaires pourtant si fondamentaux, ont conduit à un échec de cette construction imposée par un fonctionnalisme sans racine. 

L’Europe inachevée 

Aujourd’hui les Nations se diluent dans l'Union européenne, précisément lorsque les Etats membres ont des visions parfois très contradictoires. Le problème de la Turquie étant à lui seul symptomatique. 

On peut considérer que la construction européenne apparaît moins comme la clé de la prospérité du vieux continent que comme une tentative, à ce jour infructueuse, d’enrayer le déclin bientôt séculaire de ce qui fut le foyer de la civilisation occidentale. Le rattrapage des USA s’est poursuivi dans les années 60 et 70 mais s’est brutalement interrompu depuis une quinzaine d’année et depuis l’Europe est dans une forme de déclin.

Si les Etats européens ont eu la faiblesse de concéder leur puissance à une superstructure, cela n’a pu être que dans l’espoir que celle-ci serait en mesure d’apporter de façon efficace tout ce qui est demandé à la structure de l’Etat. Or, dans tous les principaux domaines, qu’il s’agisse de l’emploi, de prospérité, de sécurité, de démographie, de culture, de langue, le bilan est somme toute modeste.  

L’Union européenne qui se revendique être un leader dans plusieurs domaines fait hélas grand défaut sur certains  grands enjeux. Sur la question de l’environnement, le budget colossal de la PAC finance à la hauteur de 1/3 les produits pesticides et chimiques nocifs pour la nature. Quant à la recherche, le projet Galileo a du plomb dans l’aile, sur la santé publique la grippe aviaire a démontré que elle n’était ni coordonnée ni  efficace… 

L'opinion est que l'Union européenne devrait se concentrer sur les seules politiques où elle est à l'évidence plus efficace que les Etats membres comme la concurrence, le commerce extérieur, l'immigration, la monnaie, la défense, la diplomatie, l’environnement, l’innovation, l’éducation universitaire, l'aide au développement. Il est évident que dans une négociation, une UE27 et plus importante au sein des institutions que chaque pays individuellement, mais il faut surtout éviter d’approfondir une Europe à plusieurs vitesses. En revanche, à l’instar de nombreux eurodéputés et face aux multiples inégalités en Europe, l'agriculture devrait être nationalisée, tout comme les politiques sociales qui  devraient être laissées à la responsabilité des Etats.

L’Europe se doit de respecter ses multiples valeurs et cet héritage ne peut être que bénéfique pour la construction de son identité et de son futur, un monde de l’innovation de la nouvelle technologie… L’Europe chose inachevée doit être un système de réflexes face aux menaces extérieures et aux défis de la globalisation et s’adapter sans chercher toujours à vouloir centraliser, homogénéiser et déformer. L’Europe ne peut qu’exister par une unité morale, culturelle, par une connivence entre nations. 

Pourquoi tant de réticences ? 

Si l’Union européenne rencontre toujours des résistances malgré sa longue évolution, il est intéressant de s’interroger sur ce que ces oppositions traduisent. Cette construction progressive bâtie par des élites et par moments légitimée par les peuples, reste toujours aussi lointaine et complexe dans l’opinion des citoyens européens. La logique économique qui a prévalu - et qui prévaut encore étant donné qu’elle semble être moins sensible que la logique politique et identitaire - n’a su créer de véritable communauté et en est resté à une expression minimale et matérialiste du sentiment européen. Les institutions qui ont été modelées suivant cette logique ont aussi abouti à une situation de déficit démocratique renforçant ainsi du même coup un sentiment d’éloignement vis-à-vis de ces institutions dont le caractère semble être de plus en plus technocratique et bureaucratique. Ce type de situation est tout autant un frein à l’affirmation d’une identité européenne qu’à la construction d’une véritable Europe politique dont l’essence se manifesterait plus dans un désir clair de partager un destin commun (en plus d’une Histoire commune) plutôt que dans des débats sans fins portant sur l’opportunité d’adopter telle ou telle structure.  

En ce sens, les mouvements politiques souverainistes et leur argumentaire peuvent être vus comme des symptômes traduisant l’existence de failles ou de dysfonctionnements propres à l’Union Européenne et à sa construction. En janvier 2007, la création du groupe parlementaire « Identité, Tradition, Souveraineté » regroupant des eurodéputés venant de Grande-Bretagne, France, Roumanie, Belgique, Italie, Autriche et Bulgarie a été vue avec stupéfaction par les autres groupes du Parlement Européen. Il est intéressant de noter que ce groupe de tendance nationaliste n’est pas le seul à s’être formé au sein de l’hémicycle, on compte aussi l’Union pour l’Europe des Nations (constitué du RPF français, d’Alleanza Nazionale italien, du Fianna Fáil irlandais, du Prawo i Sprawiedliwość et de la Ligue des Familles polonaise, du Dansk Folkeparti danois, du CDS-partido popular portugais, d’Eestimaa Rahvaliit estonien, du Tēvzemei un Brīvībai/LNNKletton, de Ludová Únia de Slovaquie ou d’Ordre et Justice de Lituanie) ou à un niveau plus informel le réseau Euronat. Perçus comme des mouvements insidieux dont le rôle consisterait à détruire l’édifice européen de l’intérieur, ces groupes parlementaires peuvent aussi être vus comme un révélateur des faiblesses de la construction européenne. Au-delà de l’étiquette « souverainiste » ou « eurosceptique », ces mouvements ne partagent pas une vision monolithique de ce que devrait être l’Europe et ont des spécificités. Vus comme radicalement antieuropéens, ces groupes politiques veulent en fait pour la plupart une « autre Europe » qu’on désigne souvent sous le concept d’Europe des Nations.  

L’opposition de ces mouvements se base bien plus sur des peurs et ressentiments populaires concrets (travailleurs dont les conditions de travail se durcissent et dont les entreprises connaissent de nombreuses délocalisations, paysans confrontés à la concurrence étrangère et forcés de devenir des managers) que sur un soi-disant fantasme ou de pseudo pulsions xénophobes. De nombreux européens ont le sentiment que l’Union de l’Europe se réduit de plus en plus aux institutions de Bruxelles et ne reflète plus ce continent aux cultures et langues diverses dont l’unité s’était faite au gré d’expériences communes (racines Indo-européennes, Hellade et Rome antiques, Chrétienté, Renaissance). La construction européenne peine à s’imposer auprès des gens en tant que grand récit politique et historique tout comme de nombreux mouvements politiques peinent à créer à notre époque de nouveaux mythes politiques mobilisateurs. Le terme Union européenne renvoie de plus en plus à des questions budgétaires, juridiques ou techniques et non plus à une vision de l’Histoire et du destin des peuples d’Europe. Certaines décisions communautaires sont vues comme des mesures d’uniformisation ne respectant pas la spécificité des nations, de leurs traditions et productions (des variétés de fromages sont vouées à disparaître). En Pologne, le projet de panneaux indiquant l’entrée dans une commune représentait la silhouette de l’agglomération ainsi que le clocher de l’église avec sa traditionnelle croix. Jugeant que ce dernier détail heurtait les principes de laïcité, la Commission décida l’interdiction de faire figurer la croix du clocher de l’église sur ces panneaux signalétiques. A vrai dire, il se peut que la représentation de la croix du clocher ait choqué les membres de la Commission mais il est peu probable que cette même représentation ait choqué le peuple polonais.  

Alors que l’idée d’une Europe à deux vitesses dans le domaine économique (ce qui est optimal du point de vue des élites financières notamment pour la dynamique du système capitaliste) est devenue une sombre réalité (le budget destiné au soutien des derniers Etats ayant adhéré est comparable à celui qui avait été destiné au Portugal ou à la Grèce) et montre ainsi que la convergence économique (qui était accompagnée à l’origine d’un développement socio-économique positif) n’est plus que l’ombre d’elle-même. D’un autre côté, les élites européennes semblent vouloir combler la lacune identitaire de leur projet par une uniformisation culturelle qui créera une identité européenne artificielle, détachée d’un long passé et dont la raison d’être était une diversité harmonieuse. On s’étonne du niveau d’ignorance des citoyens sur les institutions européennes mais l’ignorance la plus grave est celle touchant la connaissance des pays européens, de leurs cultures et de leur Histoire. De vieux schémas mentaux hérités de la guerre froide ne semblent pas avoir totalement disparu et au-delà de l’idée de convergence, Bruxelles semble vouloir ériger les vieux Etats membres en modèles à suivre. D’un côté les européens de l’Ouest doivent arrêter de raisonner avec des clichés culturels « occidentalocentrés » (comme celui du « plombier polonais ») et d’un autre côté, on doit comprendre qu’il est risqué (pour la construction européenne) de vouloir à tout prix faire danser le sirtaki sous la pluie bruxelloise.  

Références : 

DAVIES Norman, Europe a history, Pimlico, (1997).

SAKWA Richard, STEVENS Anne, Contemporary Europe, Palgrave MacMillan, (2006).

Villain-Gandossi, C, L’Europe à la recherche de son identité. Comité des travaux historiques et scientifiques 2002.

VERLUISE Pierre, Géopolitique de l’Europe, Ellipses (2005). 

AVRIL Pierre, L’Extrême droite s’organise au Parlement européen, Le Figaro, (10 janvier 2007).

QUATREMER Jean, L'Europe brune serre les rangs au Parlement, Le Monde, (11 janvier 2007).

Rechts anarchist zijn

Jean-Marc Goglin:

(Nsalternatief.wordpress.com)

Door Jean-Marc Goglin

De anarchist verschijnt op het einde van de 19de eeuw. Hij wijst in naam van de individuele vrijheden het hem opgelegde begrip vooruitgang af van de industriële maatschappij, die bezig is zich te vormen.

De rechtse anarchist is geen simpele individualist. Hij verankert zijn waarden in de afwijzing van de democratie. Hij protesteert tegen de starre denknormen en -houdingen geboren uit de industriële revolutie en wil doorgaan voor de verdediger van de traditionele aristocratische waarden van Frankrijk.

I. De democratie afwijzen

De rechtse anarchist wijst de filosofische erfenis van 1789 af. Hij wijst het egalitaire postulaat af nagelaten door de Franse Revolutie en ontkent de legitimiteit van de meerderheid. Volgens hem kan het kwantitatieve criterium geen enkele legitimiteit aan de keuze geven. De keuze kan alleen maar tot stand komen door enkelen. De vrijheid definiëren als een collectief principe lijkt incoherent voor de rechtse anarchist. De vrijheid is individueel en is slechts het bezit van enkelen. Een revolutionaire regering kan in geen enkel geval de vrijheid officialiseren en de rechten die eruit voortvloeien.

Inderdaad, de vrijheid wordt gekozen en gemaakt dankzij wil en energie. De rechtse anarchist wijst de legitimiteit van de Republiek af. Volgens hem vertegenwoordigt zij de decadentie, zowel moreel als politiek. Hij vindt het politieke systeem instabiel, corrupt en inefficiënt. Volgens hem heeft eigenlijk de burgerij de macht in handen en vermomt zij haar heerschappij onder een democratische schijn die tot een collectieve tirannie leidt.

De rechtse anarchist haat de intellectueel, die de uitvinder van de democratie is. Hij vindt hem onrealistisch en onverantwoordelijk. Hij verwijt hem zijn zin van de geschiedenis, die onvermijdelijk gaat in de richting van vooruitgang. Hij wijst zowel de geschiedenisopvatting van Auguste Comte als die van Karl Marx af.

De illusie die de intellectueel koestert om de grote politieke zienswijzen te definiëren komt voor de rechtse anarchist dus over als een gevaar. Niet enkel is de intellectueel geen gids, maar hij verziekt ook de fundamenten van de maatschappij. Hij theoretiseert slecht en is niet in staat om zelf te handelen volgens zijn ideeën, die trouwens niet toepasbaar zijn. De rechtse anarchist vindt dus in navolging van Friedrich Nietzsche dat de 19de eeuw een eeuw is van decadentie, zowel individueel als collectief. Volgens hem verdwijnt de spiritualiteit onder de illusie van de technische vooruitgang.

II. Een ideaal bieden dat zowel libertair als aristocratisch is

De rechtse anarchist vindt dat hij de intellectuele en morele plicht heeft om in opstand te komen. Dat verzet leidt de rechtse anarchist dikwijls tot geweld: in zijn woorden, zijn geschriften, maar ook in zijn daden.

Hij verzet zich in de eerste plaats tegen de instellingen die onder het mom van democratie de individuele vrijheden gevangen houden. Hij bekritiseert eveneens de futloosheid van de blinde collectiviteit. Het begrip volk komt hem over als een mythe, want niet in staat om te denken en te handelen. Hij bekritiseert niet de machtigen, maar de middelmatigen die laten begaan, ja zelfs de machtigen voortbrengen.

De anarchist verdedigt de idee dat men de mensen verantwoordelijk moet maken. De rechtse anarchist stelt een filosofie van het “ik” voor. Dat “ik” hoort gewelddadig, veeleisend, scherpzinnig en scheppend te zijn. In navolging van Arthur de Gobineau vindt hij dat het oorspronkelijke “ik” primordiaal is en dat men het trouw moet zijn. De waarden verworven tijdens de kindertijd structureren het individu voor altijd en moeten worden gevrijwaard. De anarchist verdedigt het aristocratisme dat voor hem de eeuwige zoektocht is naar de uitmuntendheid doorheen waarden als eer, trouw, heldendom… De aristocraat is hij die de kracht van zijn verlangens kan harmoniseren met de strengheid van hun verplichtingen.

De anarchist ontdekt in zichzelf gemeenschappelijke waarden met het Ancien Régime. Hij is ondanks dat alles geen monarchist. Eigenlijk is hij meer nostalgisch naar de idealen van het ridderwezen dan naar de institutionele organisatie.

De rechtse anarchist tracht een synthese te bieden tussen de uitdrukking van de meest totale vrijheid en de erkenning van de verheven waarden van het individu. Hij behoort tot een denkstroming die het 19de-eeuwse politieke leven kenmerkt in zijn verzet tegen de grote stromingen van de eeuw: de democratie, het marxisme, het socialisme, het bonapartisme en het liberalisme.

Bron: nsalternatief

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mercredi, 04 juin 2008

Jeunesses identitaires/Lille: "Nous ne sommes pas Ch'tis"

Communiqué des Jeunesses Identitaires Lille/Rijsel

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Jeunesses Identitaires Lille/Rijsel
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:: Nous ne sommes pas Ch’tis ! ::

Depuis la sortie du film « bienvenue chez les ch’tis », notre région connaît un phénomène pour le moins délicat. D’un coté, un « comique » non-originaire de la région, avide de succès et d’argent, qui surf aisément sur nos particularités locales, de l’autre, un peuple qui sent enfin qu’il est un peuple particulier avant d’être français, mais qui rattache sa fierté sur une fausse culture qui n’est pas la sienne.

Les Jeunesses Identitaires Rijsel/Lille n’ont jamais voulu se prononcer sur le sujet, car critiquer cette vague « ch’ti » aurait été mal perçu et nous ne souhaitons pas casser cet élan d’identité, maladroit s’il en est.

Cependant, trop c’est trop, nous ne pouvons subir plus longtemps une telle honte, surtout après les évènements d’hier soir.

En effet, ce vendredi 30 mai était organisée la fête des « ch’ti s ». Au programme : divers stands, animations pour les enfants, et enfin un concert sur la « grand’place » de la ville. Jusque là tout semblait disposé à passer une fête bien de chez nous.

Mais c’était sans compter la liste des groupes invités à jouer (entres autres : Magic System, Marcel et son orchestre, groupe ouvertement d’extrême gauche, DJ Fabio, les danseurs d’Eric Koloko) et le véritable lynchage anti-blanc qui s’en ai suivit dans les rues du vieux-lille et qui a poussé les organisateurs à arrêter le concert plus tôt que prévu. Au passage, nous rappelons que ces incidents ont été totalement occultés par les médias qui dès le lendemain se sont félicités de l’ambiance festive qui régnait en ville ce soir là. En plus d’avoir écouté des groupes médiocres et pas vraiment représentatifs de la région, les spectateurs ont subi violences et brimades de la part de « jeunes » qui, semble t-il, ne se sentaient pas concernés par la fête.

D’après des sympathisants sur place : 30 cars de CRS, des rues bloquées par les grilles de sécurité de la police, des groupes de Lillois voulant en découdre avec les « jeunes » en question afin de venger l’affront. Bref, on se croyait plus dans les rues d’Anderlecht que dans une fête populaire.

Nous ne pouvons plus rester sans rien dire et il nous fait rétablir certaines vérités. Non, nous ne sommes pas Ch’tis, pas plus que Nordistes. Nous sommes Flamands. Non, nous ne sommes pas ces imbéciles heureux que le businessman Dany Boon essaie de nous faire passer aux yeux du monde. Nous sommes un peuple fier, armé d’une culture ancienne et riche. Non le Ch’ti n’est pas une culture, mais bien une sous-culture inventée en 14-18 dans les tranchées française par la République pour casser l’élan régionaliste en Flandre Française. Non, cette fête n’avait rien de régionale, contrairement à ce qu’avançait la « Voix du Nord ». Elle a été la représentation d’une société malade et ce n’est pas le mélange des cultures et des genres sur scène qui aura eu raison de la haine anti-blancs qui s’exprimait dans les rues voisines.

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Jeunesses Identitaires Lille/Rijsel
www.jirijsel.com
Contact : lille@jeunesses-identitaires.com
Adresse postale : 144, rue Flament Reboux 59 130 Lambersart

Les Hindous comme "païens indiens"

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SYNERGIES EUROPéENNES – BRUXELLES – MAI 2004
COMMISSION “TRADITIONS”

Les hindous comme "païens indiens"

Par Koenraad Elst

Définition historique de « Hindou »

Dans les écritures hindoues, le mot « hindou » est introuvable. Pourtant, longtemps avant que les spécialistes occidentaux s’assoient pour inventer des définitions de « hindou », le terme était déjà porteur d’un sens déterminé. La procédure normale devrait être d’entendre cette version originale en premier. Elle fut apportée en Inde par les envahisseurs islamiques, et signifiait : « païen indien ».

Le terme « Hindou » est l’équivalent persan du terme indo-aryen « sindhu », « rivière », « l’Indus ». L’équivalence est une simple application de la relation phonétique régulière entre les branches indo-aryenne et iranienne de la famille linguistique indo-européenne : l’initiale [s] est conservée en indo-aryen mais se transforme en [h] en iranien, alors que les terminaisons aspirées comme [dh] sont conservées en indo-aryen mais perdent leur aspiration en iranien. Les Iraniens utilisaient le mot Hindu pour désigner la rivière Sindhu et les pays et populations situées autour et au-delà du Sindhu. Aux Perses, les Grecs empruntèrent le nom de la rivière et en firent Indos et le nom des gens et en firent Indoi, d’où l’anglais Indus, India, Indian.

Les Indiens de l’Asie du Sud-Est ne furent jamais connus sous le nom d’« hindous », mais les Arabes, les Turcs, les Mongols et les autres étrangers du nord et de l’ouest adoptèrent le nom perse pour désigner l’« Inde » et les « Indiens », c’est-à-dire Hind en arabe, Hindistan en turc. Xuan Zang (Huen Tsang, 7ème siècle apr. JC), qui était entré en Inde en passant par l’Asie Centrale de langue perse, mentionne à de nombreuses reprises que le nom Xin-du (chinois régulier venant du perse Hindu [1]) ou, comme il le corrige, Yin-du, est utilisé en-dehors de l’Inde mais est inconnu à l’intérieur du pays, parce que les natifs l’appellent Aryadesh ou Brahmarashtra [2]. Comme le dit Sita Ram Goel : « On peut donc dire que le mot ‘Hindu’ a acquis une connotation nationale, depuis l’époque de l’Avesta, bien que cela le fut seulement aux yeux des étrangers » [3]. Dans les prochains paragraphes, nous résumons ses découvertes concernant la préhistoire de l’actuel terme hindu.
Quand le bouddhisme s’implanta en Asie Centrale, et que les temples bouddhistes furent construits pour le culte des statues de Bouddha, les mazdéens donnèrent aux fidèles de cette religion indienne le nom de but-parast, « adorateurs de Bouddha », par opposition au mazdéen âtish-parast ou « adorateurs du feu ». Le terme but-parast en arriva à signifier plus généralement « adorateur d’idole », car à l’époque des invasions musulmanes, but était devenu le terme générique pour « idole », d’où but-khana, « temple à idole », et but-shikan, « briseur d’idole ». Ils ne faisaient aucune distinction entre les différentes sectes basées en Inde, et à l’époque où les Arabes et les Turcs persianisés envahirent l’Inde, le mot but-parast était appliqué au hasard à tous les incroyants indiens. Voyant que les brahmanes avaient des cérémonies du feu tout comme les mazdéens, les musulmans incluaient occasionnellement les païens indiens aussi dans la catégorie âtish-parast, à nouveau sans se préoccuper des distinctions entre les différentes sectes.

Les envahisseurs musulmans donnaient parfois aux païens d’Inde le nom de « Kafirs », incroyants en général, c’est-à-dire la même désignation religieuse qui fut utilisée pour les polythéistes d’Arabie ; mais souvent ils les appelaient « hindous », habitants de l’Hindoustan, c’est-à-dire une désignation ethno-géographique. Ainsi, ils donnèrent un contenu religieux précis à ce terme géographique : un hindou est tout Indien qui n’est pas juif, chrétien, musulman ou zoroastrien. En d’autres mots : tout Indien « païen », c’est-à-dire un Indien qui n’est ni un croyant des religions abrahamiques ni un païen iranien, est un hindou. Dans sa définition de « paganisme indien », l’hindouisme inclut toute la gamme depuis le culte animal jusqu’à la philosophie moniste des Upanishads, et depuis le sacrifice sanglant de la Shakti jusqu’à la non-violence extrême des jaïns.

Le terme Hindu était utilisé pour tous les Indiens qui étaient incroyants ou adorateurs d’idoles, incluant les bouddhistes, les jaïns, les « animistes » et plus tard les Sikhs, mais en les distinguant des Indiens chrétiens (ahl-i Nasâra ou Isâî), juifs (ahl-î-Yahûd ou banû Isrâîl), mazdéens (ahl-i Majûs ou âtish-parast) et bien sûr des musulmans eux-mêmes. De cette manière, au moins à l’époque de Al Biruni (début du 11ème siècle), le mot Hindu avait une signification religieuse-géographique distincte : un hindou est un Indien qui n’est ni musulman, ni juif, ni chrétien, ni zoroastrien [4].

Un critère sans ambiguïté

Les hindous ne s’appelèrent jamais eux-mêmes « hindous » avant que les envahisseurs musulmans n’arrivent et ne les désignent par ce terme persan [5]. Il ne s’ensuit pas que ceux que nous appellerions hindous par rétrospective n’avaient aucun sens de leur unité culturelle pan-hindoue, comme certains pourraient le conclure hâtivement ; simplement que le terme hindou n’était pas encore en usage. De même, les hindous appelaient ces nouveaux-venus des Turcs, mais cela n’exclut pas la reconnaissance de leur spécificité religieuse en tant que musulmans. Au contraire, même Timur, qui déclara très clairement dans ses mémoires qu’il venait en Inde pour mener une guerre religieuse contre les Incroyants, et qui libérait les captifs musulmans d’une cité conquise avant de passer les hindous survivants au fil de l’épée, parlait de ses propres forces comme des « Turcs », une désignation ethnique, plutôt que comme des « musulmans » [6]. Il ne faut pas confondre le terme avec le concept : l’absence du terme hindou ne prouve pas la non-existence d’un concept énoncé plus tard comme « Dharma hindou ».

D’autre part, pour ceux qui maintiennent qu’il n’y avait pas d’identité hindoue auparavant, la genèse du label hindou devrait suggérer une analogie avec le récit séculariste de la genèse de la nationalité indienne : les Indiens n’existent pas, mais la nationalité indienne fut forgée dans le creuset de la lutte commune contre les Britanniques [7]. De même, si l’hindouisme n’avait pas existé auparavant, alors rien n’aurait été plus efficace pour créer un sens commun de l’hindouité que d’être attaqués ensemble par le même ennemi, britannique ou musulman. Comme l’écrivit Veer Savarkar : « Les ennemis [islamiques] nous haïssaient en tant qu’hindous, et toute la famille de peuples et de races, de sectes et de croyances qui florissaient d’Attock à Cuttack fut soudain individualisée en un seul Etre » [8]. Ce n’est pas historique dans ses détails, mais c’est néanmoins en accord avec une vision largement répandue de la manière dont les nations sont créées : par une expérience commune, comme l’expérience profondément impliquante d’une guerre contre un ennemi commun.

Ainsi, un hindou n’était par définition ni un membre des religions abrahamiques, ni du paganisme quasi-monothéiste perse (le mazdéisme, mieux connu sous le nom de zoroastrisme). Mais un bouddhiste, un jaïn, un membre d’une tribu, étaient tous inclus dans le domaine sémantique du terme hindou. Bien que les premiers écrivains musulmans en Inde notèrent une différence superficielle entre brahmanes et bouddhistes, appelant ces derniers les « brahmanes au crâne rasé », ils ne virent pas d’opposition entre « hindous et bouddhistes » ou entre « hindous et membres des tribus », et plus tard les souverains musulmans ne virent pas non plus d’opposition entre « hindous et sikhs ». Au contraire, Al Biruni classe les bouddhistes parmi les sectes hindoues idolâtres : il décrit comment les idoles de Vishnou, de Surya, de Shiva, des « huit mères » et du Bouddha sont adorées par les Bhagavatas, c’est-à-dire les mages, les sadhous, les brahmanes et les chamans [9].
Tous les Indiens qui n’étaient ni des parsis, ni des juifs, ni des chrétiens ni des musulmans, étaient automatiquement des hindous. Ainsi, la définition originelle de hindou est : un Indien païen. Depuis le premier usage du terme hindou en Inde, une définition claire en a été donnée, et pour chaque communauté on peut facilement décider si elle cadre avec cette définition ou non. Tant pis si vous n’aimez pas l’étiquette : si vous cadrez avec la définition, vous tombez dans la catégorie hindoue. Les hindous n’ont pas choisi d’être appelés hindous : d’autres ont conçu le terme et sa définition, et les hindous se trouvèrent simplement porter ce label et l’acceptèrent progressivement.

Comme dans les manipulations de catégories de recensement de E.A. Gait, cette définition implique un « test » par lequel nous pouvons décider si quelqu’un est un hindou, sans s’occuper de savoir s’il utilise ou accepte lui-même le label. La différence est qu’ici le test ne fut pas conçu ad hoc pour prouver un point. C’est une authentique définition, générée par la rencontre, dans la vie réelle, des envahisseurs musulmans avec leur Autre : les Indiens païens natifs.

Qu’est-ce que le paganisme ?

Le terme païen est généralement utilisé pour les gens n’appartenant pas aux religions abrahamiques: le judaïsme, le christianisme et l’islam. Mais mieux qu’une simple convention, il pourrait y avoir une définition du terme païen. Et cette définition est facilement suggérée par la signification basique du mot. Comme son équivalent germanique Heathen, le mot latin paganus signifie littéralement : rural. Le christianisme commença comme un mouvement strictement urbain, et c’est seulement après avoir pris le pouvoir dans l’Empire Romain en 313 apr. JC qu’il commença à conquérir les campagnes [10].

L’association de chrétien avec urbain, de païen avec rural, est plus qu’un simple accident historique. Il est parfaitement logique que le paganisme soit né dans un environnement naturel, longtemps avant que l’homme ne vive dans des cités, et que le christianisme se répande dans les cités, où une grande population était concentrée. La raison est que le paganisme est basé sur la réalité immédiate, sur l’expérience humaine de la vie cyclique, des puissances de la nature, des phénomènes célestes : n’importe qui vivant n’importe où peut être frappé d’émerveillement devant ces réalités. Par contraste, le christianisme est quelque chose qui n’a jamais été découvert par quiconque : vous devez en avoir entendu parler par quelqu’un, par des prédicateurs qui allaient sur la place du marché où ils pouvaient trouver une large audience.

Les systèmes de croyance basés sur la « Révélation divine » se répandirent d’abord dans les centres de population, où un message pouvait être communiqué. Dans les campagnes européennes, les croyances et les pratiques païennes (bien que n’étant pas les plus sophistiquées, celles-ci ayant disparu en même temps que les élites païennes, souvent les premières à être converties) continuèrent, parfois sous un habillage chrétien, jusqu’à ce qu’elles soient rendues démodées durant les deux derniers siècles, non par le christianisme mais par la modernité.

Dans une certaine mesure, la même relation a existé entre le bouddhisme et l’hindouisme : le bouddhisme prosélyte fut un phénomène urbain, en grande partie parce qu’il était dépendant du patronage des marchands, des princes et de la charité ordinaire, et des concentrations humaines pour le recrutement de nouveaux moines. Le bouddhisme est un peu un cas hybride. C’est une « religion naturelle » en ce que tout individu pouvait s’asseoir sous un arbre et découvrir le processus de méditation par lui-même. De cette manière, le paganisme en tant que « religion naturelle » ou « spiritualité cosmique » s’étend des rituels orientés vers la nature aux hauteurs de la méditation, excluant seulement les révélations exclusives du monothéisme prophétique.

D’un autre coté, l’expérience de l’Illumination est une expérience beaucoup plus rare que l’expérience du cycle de vie ou du cycle de l’année, et dans cette mesure, le bouddhisme devait être prêché et propagé. Pour ce trait missionnaire, et pour son désintérêt basique envers les panthéons (ni à vénérer ni à rejeter), le bouddhisme est souvent traité comme séparé du paganisme ; les auteurs chrétiens hésitent aujourd’hui à l’appeler païen [11].

Le paganisme peut ainsi être défini comme tout le spectre de la religion « cosmique » (ou « universalisme ») par opposition aux religions « révélées », dont le message n’est pas intrinsèque à l’ordre du monde. Le monothéisme prophétique désacralise le cosmos en concentrant exclusivement le sacré dans une déité extra-cosmique : « N’adorez pas le soleil et la lune, mais adorez Allah qui les a créés » [12]. Le paganisme voit le sacré dans des manifestations d’ordre cosmique, de puissance cosmique, de beauté cosmique. Si la religion est définie comme une question de croyance en une révélation divine, alors on devrait dire qu’il existe une culture hindoue, mais pas de religion hindoue. En effet, des indologues perspicaces comme Frits Staal ont remarqué qu’à la différence du christianisme et de l’islam, l’hindouisme n’est en aucune manière une « religion » dans le sens d’un « système de croyance » [13].

Le point a aussi été fait par de nombreux représentants du renouveau hindou et sera répété plusieurs fois dans ces pages, mais pour l’instant nous citerons une formulation de quelqu’un qui était un rénovateur hindou dans le sens le plus constructif tout en restant éloigné des polémiques : le regretté Ekkirala Krishnamacharya, physicien, éducateur et Kulapati (recteur) du World Teacher Trust de Visakhapatnam, centre lié à la Théosophie. A une question sur « l’ancienne religion de l’Inde », il répondit :
« Il n’y avait pas de religion dans ce pays, et les Indiens n’avaient pas non plus besoin d’une religion. Les anciens Indiens avaient un code de lois à suivre. Il était établi en accord avec diverses vérités à l’œuvre dans la nature. La loi d’existence de la nature et de sa création était observée dans tous ses détails et la loi à suivre était copiée en accord avec elle. Cela était appelé Dharma. Le terme signifie ce qui porte et protège. C’est ce qui porte et protège quand nous le suivons. L’homme est honoré quand il l’honore. Il reçoit protection quand il le protège. Cela fut transformé en une constitution appelée Bharata Dharma. C’était le chemin de vie communément accepté dans tout le pays. Toute tentative de religion est naturellement limitée et étroite si on la compare à cela » [14].
Ainsi, le Dharma est ici défini comme le simple fait de vivre en accord avec les lois de la nature. Nous pouvons accepter cela comme une définition générale même avant de discuter ce que ces lois pourraient être précisément.

Néanmoins, le terme général païen ne doit pas être pris pour indiquer une seule « religion naturelle » : à l’intérieur du champ des traditions païennes, il y a aussi d’importantes différences, par ex. du végétarisme au cannibalisme. La différence réside dans la perception grossière ou subtile de ce qui constitue précisément les lois de la nature, l’ordre cosmique (ce que les Vedas appellent Rita). A un niveau très primitif, on pourrait dire que la « survie du meilleur » ou « le gros poisson mange le petit poisson » est la loi de la nature devant être suivie : cela donne au paganisme une forme caricaturale [15]. A un niveau plus civilisé, disons celui de la philosophie grecque, une compréhension convenablement plus raffinée des lois de la nature et de l’éthique humaine concomitante est développée. La distinction à laquelle prétend l’hindouisme est que par le yoga il a affiné la sensibilité humaine et rendu l’homme réceptif aux lois cosmiques plus subtiles, telles que l’unité ultime de tous les êtres sensibles, d’où la nécessité de la dayâ ou karunâ, la compassion.

Païens et hindous

En tant que concept, le paganisme est une corne d’abondance avec des phénomènes très divergents. Quand nous faisons un survol de la scène « néo-païenne » dans l’Occident moderne, nous trouvons un vaste champ de tendances : depuis les imitations carnavalesques des druides et des sorcières jusqu’aux efforts intellectuels à l’authenticité historique certifiée, et s’étendant sur tout le spectre politique, des néo-nazis et des rénovateurs ethniques aux féministes, aux écologistes et aux anarchistes hippies, tout autour d’un noyau principal de chercheurs apolitiques [16]. La grande finesse de la philosophie du Védanta, ou de la philosophie grecque « païenne », n’est en aucune façon un héritage commun de toutes les traditions païennes.

Pourtant, on pourrait dire que toutes ont une inspiration commune, et certains penseurs hindous ont développé la position selon laquelle l’hindouisme devrait tendre la main aux autres cultures et mouvements païens. Ram Swarup appelle les peuples qui ont perdu leur héritage païen à cause de l’invasion chrétienne ou islamique à « faire un pèlerinage à travers le temps » pour redécouvrir leurs anciens dieux [17]. A la différence de la plupart des nationalistes hindous dont l’horizon est limité aux frontières de l’Inde, il montre aussi une certaine connaissance des mouvements en Occident explorant réellement une renaissance de la spiritualité pré-chrétienne [18]. Ces dernières années, le VHP [Vishva Hindu Parishad, Union Mondiale Hindoue] a tenté d’établir des contacts avec le néo-paganisme organisé, mais il est trop tôt pour parler de résultats solides.

Il semblerait que pour une coopération réelle, les eaux entre le néo-paganisme occidental et l’hindouisme soient encore très profondes. De nombreux néo-païens rejettent des éléments du christianisme qui se trouvent être chers aux hindous sérieux, comme la sobriété et la retenue en matière de moralité sexuelle, et connaissent souvent très mal les traditions hindoues d’ascèse et de méditation. Les néo-païens racistes ne seraient de toute façon pas très intéressés à rencontrer des immigrés hindous à la peau sombre, et les néo-païens de gauche sont découragés par les reportages de journaux sur les pratiques obscurantistes et les conditions non-féministes dans la société hindoue. Mais le rapprochement hindou-païen a certainement un potentiel et pourrait bien s’épanouir dans un futur pas trop éloigné.

Polythéisme et monothéisme

Le livre de Ram Swarup : The Word as Revelation : Names of Gods [La parole en tant que révélation: les noms des dieux] est ce que vous pouvez trouver de plus proche d’une apologie du polythéisme, bien qu’il fasse aussi une place au monothéisme. Dans certains écrits « néo-païens » occidentaux, nous trouvons un rejet explicite du monothéisme en faveur du polythéisme [19]. En plus de cela, les auteurs néo-païens acceptent la vision chrétienne selon laquelle le christianisme est monothéiste alors que le paganisme est polythéiste ; ils acceptent les termes d’un débat dans lequel le christianisme proclame sa supériorité.

Par contraste, les philosophes hindous qui connaissent leur tradition ne tombent pas dans cette dichotomie du « mono-poly » : « Dans cette approche plus profonde, la distinction n’est pas entre un Vrai Dieu Unique et de Nombreux Faux Dieux ; elle est entre une voie de culte véridique et une voie de culte erronée. Partout où il y a de la sincérité, de la vérité et du don de soi dans le culte, ce culte atteint le vrai autel, quel que soit le nom que nous pouvons lui donner et quelle que soit la manière dont nous pouvons le concevoir. Mais s’il n’est pas sans désir, s’il y a de l’ego, de la fausseté, de la vanité et de la tromperie en lui, alors il est inutile même s’il est offert au Vrai Dieu, théologiquement parlant » [20].

Ce n’est pas soit « un » soit « beaucoup », c’est les deux à la fois : « comme le monothéisme, le polythéisme aussi a son motif spirituel. Si le monothéisme représente l’intuition de l’homme pour l’unité, le polythéisme représente son besoin de différenciation. La vie spirituelle est une mais elle est vaste et riche dans son expression (…) seule une certaine forme de polythéisme peut rendre justice à cette variété et à cette richesse (…) Un pur Dieu monothéiste, sans le soutien d’éléments polythéistes, tend à devenir sans vie et abstrait » [21]. Ram Swarup argue que cela est implicitement admis par les religions monothéistes, qui réintroduisent la diversité dans leur Dieu unique en donnant 101 noms différents à Allah, en Le laissant « émaner » dans la création à travers les étapes de « l’Arbre de Vie » dans la Kabbale juive, ou en percevant en lui une Trinité, ou en l’entourant d’une Vierge Mère et d’une foule céleste d’anges et de saints.

Cependant, « le monothéisme n’est pas complet sans un motif spirituel. L’Esprit est une unité. Il n’adore rien de moins que le Suprême. Le monothéisme exprime, bien que d’une manière inadéquate, cette intuition de l’homme pour le Suprême. » [22]. Une partie de la critique monothéiste envers le polythéisme est aussi bien prise : « De même, des dieux purement polythéistes sans aucun principe d’unité parmi eux perdent leur cohérence interne. Ils se désagrègent et ne servent aucun but spirituel » [23].

Mais d’après Ram Swarup, l’hindouisme a depuis longtemps dépassé les maladies d’enfance du polythéisme, dont des panthéons plus faibles sont affligés : « L’approche védique est probablement la meilleure. Elle apporte l’unité sans sacrifier la diversité. En fait, elle apporte une unité et une diversité plus profondes hors de la portée du monothéisme et du polythéisme ordinaires. Elle ne fait qu’un avec l’approche yogique ou mystique » [24].

De même, Sri Aurobindo avait déjà écrit : « Le polythéisme indien n’est pas le polythéisme populaire de l’ancienne Europe ; car ici l’adorateur de nombreux dieux sait toujours que toutes ses divinités sont des formes, des noms, des aspects et des pouvoirs de l’Unique ; ses dieux viennent de l’unique Purusha, ses déesses sont des énergies de l’unique Force divine ». Il ajoute une brève défense de l’« idolâtrie » : « Le culte indien des images n’est pas l’idolâtrie venant d’un esprit barbare ou sous-développé, car même le plus ignorant sait que l’image est un symbole et un support et qu’on peut la jeter quand on a fini de l’utiliser » [25]. Des dévots de dieux non-hindous diraient probablement la même chose pour leur propre tradition. En tous cas, dans le cas d’une renaissance païenne à l’échelle mondiale, l’hindouisme peut prétendre à un rôle de leadership naturel.

Le paganisme en danger, l’hindouisme à la rescousse

En même temps que d’autres représentants du renouveau hindou, Shrikant Talageri place l’hindouisme dans un continuum mondial du paganisme : « L’hindouisme est le nom de la forme territoriale indienne du Sanâtanism [religion éternelle] mondial (appelons-le paganisme). L’idéologie de l’Hindutva devrait donc être une idéologie universelle », et les représentants du renouveau hindou devraient être « le fer de lance d’une renaissance, d’un rajeunissement et d’une résurgence mondiale du spiritualisme, et de toutes les religions et cultures du monde qui existaient dans le monde entier avant l’arrivée d’idéologies impérialistes comme le christianisme, l’islam, le fascisme, le marxisme, etc. » [26]. Un peu comme Moscou pour le mouvement communiste mondial, l’Inde deviendrait le centre mondial de la renaissance païenne.

Pour mettre cette solidarité païenne en pratique, les rédacteurs du journal Young India suggèrent de créer deux, trois ou de nombreux Ayodhyas : « Il y a quelque 600 ans il y avait un grand temple païen au pied d’une colline sacrée à Vilnius, la capitale de la Lituanie. Il fut démoli, le grand prêtre fut banni (certains disent, tué), et une cathédrale fut construite à la place. Nous appelons le pape à rendre le lieu aux païens de Lituanie qui sont les possesseurs originels et historiques légaux de ce site sacré. Nous appelons aussi le pape à ne pas approuver plus longtemps cette profanation. Cela ne peut pas plaire à son Seigneur, Jésus Christ dans les Cieux, qui abhorrait la profanation et l’occupation des lieux saints des autres » [27]. Ce n’est peut-être pas le genre de renaissance religieuse que le monde attend ; ce n’est du moins pas le centre d’intérêt de Talageri dans le paganisme mondial.

Par « paganisme », les représentants du renouveau hindou ne désignent pas seulement les formes indo-européennes (donc liées au Veda) de la religion pré-chrétienne : « Les aborigènes d’Australie, les Indiens Rouges d’Amérique, les païens pré-islamiques d’Arabie, les Nègres d’Afrique regardent vers la société hindoue avec attente et espoir. Ils sont pleins d’espoir parce que seule la société hindoue de l’Inde a pu survivre aux tueries conjointes de l’islam, du christianisme et du marxisme » [28].
Un article remarquable dans cette liste est « les païens pré-islamiques d’Arabie ». Ils n’existent plus depuis le 7ème siècle, et à la différence de l’Europe, on ne connaît aucun mouvement de renouveau païen en Arabie. Ce n’est donc peut-être rien de plus qu’un exercice symbolique, mais les rénovateurs hindous veulent rendre justice au paganisme disparu d’Arabie.

Il est très commun de mentionner les païens d’Arabie, les ennemis du prophète Mahomet, en termes purement péjoratifs. Que cela soit fait dans des écrits islamiques est prévisible ; que des sécularistes indiens en fassent autant n’est guère surprenant. Mais c’est aussi très commun dans les publications spécialisées occidentales, par ex. un célèbre islamologue hollandais écrit : « La religion arabe était un polythéisme primitif, pauvre en religiosité réelle » [29]. De plus, il prend aussi pour argent comptant l’affirmation islamique selon laquelle la religion arabe était une dégénérescence de ce qui était originellement un monothéisme prophétique fondé par Abraham à la Mecque, une forme originelle de l’islam : « A travers le temps, parmi les Arabes, ce monothéisme originel a dégénéré en paganisme : la vraie connaissance a été perdue » [30].

Face à ce quasi-monopole de la version islamique de la nature du paganisme arabe du passé, quelques rénovateurs hindous, en particulier Sita Ram Goel, ont tenté de reconstruire le point de vue des païens arabes. Le sujet est digne d’un traitement détaillé, car c’est incontestablement l’une des contributions les plus originales du renouveau hindou, d’une importance universelle pour toute compréhension de la carrière du prophète et de l’islam ; cependant, je me limiterai ici à quelques points généraux.

Loin d’être à l’origine une forme du monothéisme abrahamique, le paganisme arabe était une religion cosmique, se concentrant largement sur le ciel étoilé, tout comme sa religion-sœur « sémitique » de Babylone, ou comme la religion védique [31]. Les Arabes avaient un panthéon comparable à celui des anciens Grecs ou Hindous, incarnant des notions métaphysiques, cosmologiques et éthiques. Tout comme l’Inde, « la totalité de leur pays était recouvertes de temples et de sanctuaires abritant des centaines de divinités avec de nombreux noms et formes » [32]. Après avoir énuméré ce qu’on connaît réellement du paganisme arabe, ainsi qu’une liste des déités arabes, Goel conclut : « Les déités énumérées dans les pages précédentes pourront sembler trop nombreuses aux esprits sous le charme du monothéisme. Le fait, cependant, est qu’elles sont bien trop peu nombreuses et qu’elles représentent seulement ce qui a été sauvé par l’érudition moderne à partir des immenses ruines causées par l’islam » [33].

La déité principale de la Kaaba, le lieu saint national arabe, était une déité mâle de la lune, Hubal, qui présente de nombreuses similarités avec Shiva ; en particulier le fait que dans les temples de ces deux déités, la mûrti (idole) centrale est une pierre non-sculptée. S’il serait exagéré de dire que la Kaaba était un temple de Shiva (une position prise par l’historien excentrique P.N. Oak), il y a une indéniable parenté typologique entre l’hindouisme et le paganisme arabe.

Si nous considérons les Grecs et les Hindous polythéistes comme des civilisés, Goel, qui rejette la description aujourd’hui classique des païens arabes comme étant une « populace querelleuse s’adonnant au culte des idoles », nous enjoint d’y réfléchir à deux fois avant de considérer les païens arabes comme des sauvages ayant un besoin urgent de la mission civilisatrice de Mahomet : « Ce n’est rien de moins qu’une calomnie de dire que les Arabes pré-islamiques étaient des barbares dépourvus de religion et de culture, à moins d’entendre par religion et culture ce que les théologiens musulmans entendent » [34].

Les Arabes païens eux-mêmes, pour le moins, se considéraient eux-mêmes comme très religieux, bien que pas au sens de « croyants ». Goel cite la réponse d’un prince arabe au roi de Perse qui lui avait dit à quel point il considérait les Arabes comme inférieurs : « Quelle nation pourrait-elle être mise avant les Arabes pour la force ou la beauté ou la piété, le courage, la générosité, la sagesse, la fierté ou la fidélité ? (…) Il était si généreux qu’il aurait tué le chameau qui était sa seule richesse pour donner un repas à l’étranger qui venait à lui la nuit. Aucun autre peuple n’avait une poésie si élaborée ou un langage si expressif que les leurs (…) Ils étaient si fidèles aux ordonnances de leur religion que si un homme rencontrait le meurtrier de son père, sans armes pendant l’un des mois sacrés, il ne lui faisait aucun mal. Un signe ou un regard de leur part constituait un engagement qui était absolument inviolable » [35].

Encore une fois, nous ne pouvons pas entrer ici dans les détails, mais il est important de noter que cette tendance non-nationaliste à l’intérieur du mouvement du renouveau hindou pense en termes mondiaux. L’un de ses objectifs, bien que pour l’instant conçu comme éloigné et théorique, est la restauration en Arabie, sinon de son ancienne religion, du moins d’une certaine forme de religion non-prophétique pluraliste. Il faut noter à quel point cette tendance ambitieuse est éloignée de la psychologie défensive et sombre de « l’hindouisme assiégé », bien qu’elle soit largement exprimée par les mêmes individus.

Notes:

 

[1] La transcription chinoise , aujourd’hui prononcée comme un [sh] cérébral, vient souvent d’un /h/ fortement aspiré, /x/. En chinois moderne, le nom de l’Inde est devenu Yin-du, sur la base de la prononciation non-aspirée proposée par Xuan Zang lui-même.
[2] Surendranath Sen: India though Chinese Eyes, p.59.
[3] S.R. Goel: Hindu Temples, vol.2 (2nd ed.), p.396. Le chapitre concerné a aussi été publié séparément : Hindus and Hinduism, Manipulation of Meanings (1993).
[4] L’existence pré-moderne du terme « hindou » fut reconnue, devant une audience déçue d’indologues (qui enseignent et écrivent habituellement que l’hindouisme est une « construction orientaliste » récente) par le Prof. David Lorenzen, dans un article sur la définition de « hindou », lu lors de la Conférence sur l’Asie du Sud en 1995 à Madison, Wisconsin.
[5] Je renonce à discuter des diverses propositions excentriques par des hindous pour expliquer Hindu comme un mot sanscrit, à savoir que Hindu serait dérivé du sanscrit hîna, « humble » (comme dans Hînayâna, le « petit véhicule »), ou la petite idée de Xuan Zang selon laquelle il serait dérivé de indu, « lune ».
[6] Une traduction anglaise de l’autobiographie de Timur, Malfuzat-i-Timuri, est donnée dans Elliott & Dowson: History of India, vol-3, 389-477. De même, durant la guerre civile yougoslave, les Serbes appelaient les musulmans les « Turcs », bien qu’ils ne parlaient pas de gens parlant le turc mais de gens professant l’islam.
[7] Non que je croie à ce récit. Que la nationalité indienne soit née ailleurs que dans la lutte pour la liberté est impliqué par le fait que la nation indienne ne fut en aucun cas unie dans cette lutte : de nombreux Indiens collaborèrent de tout cœur avec les Britanniques. Mais cela ne nie pas non plus leur nationalité commune, tout comme la division des Français en collaborateurs et en résistants sous l’occupation allemande (1940-44) ne prouve pas la non-existence de la nation française.
[8] V.D. Savarkar: Hindutva, p.45.
[9] Al Biruni : India, vol. 1, p. 121. Il attribue la division des hommes en sectes à nul autre que Rama. Les « Mages » sont les Maga Brahmanes, qui sont en effet des adorateurs de Surya, le soleil ; les « huit mères » sont les ashta-Lakshmî, habituellement décrites en même temps que le Sri Yantra (quatre triangles avec la pointe en haut et cinq avec la pointe en bas, entrelacés), et adorées par ex. dans le temple de Kanchi Shankaracharya.
[10] Un autre sens parfois donné à paganisme, et pas approfondi ici, est l’attachement religieux à des éléments « matériels » comme les prescriptions rituelles, par opposition à l’accent mis par les chrétiens sur « l’esprit » (en morale, sur « l’intention ») ; selon ce critère, le pur bouddhisme Theravada n’est pas païen, alors que le judaïsme orthodoxe l’est ; l’hindouisme du Védanta n’est pas païen, alors que l’hindouisme tantrique l’est ; les formes les plus austères du protestantisme ne sont pas païennes, alors que le catholicisme l’est avec ses sacrements.
[11] Par un exemple typique, Karen Armstrong, ancienne nonne catholique et aujourd’hui fidèle de l’islam, s’appelle elle-même une « monothéiste free-lance avec une influence bouddhiste » (parlant avec Ludo Abicht à la radio flamande, 1996).
[12] Coran 41:37.
[13] F. Staal: Een Wijsgeer in bet Oosten, p. 107-108. De même, dans son livre Le Corps Taoïste, Kristofer Schipper a fait la même remarque sur le taoïsme.
[14] E. Krishnamacharya: Our Heritage, p. 16.
[15] Dans ce sens, le communisme et le nazisme pourraient tous deux être considérés comme des formes (séculières, pseudo-scientifiques) de « paganisme », comme cela est fréquemment fait dans les textes chrétiens, par ex. dans le document du Vatican sur la responsabilité chrétienne pour l’Holocauste, mars 1998. Je trouve cet usage déroutant et donc indésirable, mais le point valable est que les deux idéologies se basaient elle-mêmes sur les « lois de la nature » (comprises d’un point de vue séculier), plus précisément comme les « lois de l’histoire » dans le cas du communisme.
[16] See e.g. G. Harvey & C. Hardman: Paganism Today, Vivianne Crowley: Principles of Paganism; G. Harvey: Speaking Earth, Listening People.
[17] Ram Swarup: The Word as Revelation: Names of Gods, p. 132.
[18] Ram Swarup correspondait avec Prudence Jones, deux fois présidente de la Pagan Federation, et avec Gudrun Kristin Magnusdottir, païenne islandaise auteur du livre Odsmal, qui relie la religion Asatru germanique à la méditation transcendantale et à d’autres traditions orientales. Son article « Of Hindus, Pagans and the Return of the Gods » (Hinduism Today, oct. 1991) a été reproduit dans le magazine anarcho-païen californien Green Egg, Noël 1991 et à nouveau en mars 1998.
[19] Par ex. Alain de Benoist : Comment peut-on être païen ?, un aspect de la polémique « mono-poly » qui anima les salons parisiens autour de 1980, où Bernard-Henry Lévy défendait le monothéisme, bien qu’un « monothéisme sans Dieu » : Le Testament de Dieu.
[20] Ram Swarup: Word as Revelation, p. 129.
[21] Ram Swarup: Word as Revelation, p. 128.
[22] Ram Swarup: Word as Revelation, p. 126.
[23] Ram Swarup: Word as Revelation, p. 128.
[24] Ram Swarup: Word as Revelation, p. 128.
[25] Sri Aurobindo: Foundations of Indian Culture, p. 135.
[26] S. Talageri dans S.R. Goel: Time for Stock-Taking, p.227. Sanâtanism : d’après Sanâtana Dharma, la religion « éternelle », l’auto-dénomination de l’hindouisme.
[27] Young India, April 1998, dernière page ; souligné dans l’original.
[28] Mayank Jain: "Let us fulfil the Sardar’s mission", Organiser, 21-12-1997.
[29] J.H. Kramers: De Koran (Dutch), p.viii.
[30] J.H. Kramers: De Koran, p.x.
[31] S.R. Goel: Hindu Temples, vol.2, p.266 et p.273-296, avec référence à F. Hommel dans The First Encyclopaedia of Islam, vol.1, p.377 ff., et à Shaikh Inayatullah: "Pre-Islamic Arabian Thought", dans M.M. Sharif, ed.: A History of Muslim Philosophy, Lahore 1961.
[32] S.R. Goel: Hindu Temples, vol.2, p.294.
[33] S.R. Goel: Hindu Temples, vol.2, p.294.
[34] S.R. Goel: Hindu Temples, vol.2, p.272.
[35] Cité dans D.S. Margoliouth: Mohammed and the Rise of Islam, p. 2-3, et dans Goel: Hindu Temples, vol. 2, p. 270
Cet article constitue le chapitre II du livre de Koenraad Elst : « Who is a Hindu ? »
   

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mardi, 03 juin 2008

Therapeutic Totalitarianism

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From the January 2003 issue of Chronicles:

Therapeutic Totalitarianism

by H.A. Scott Trask

[ http://www.chroniclesmagazine.org/Chronicles/January2003/0103Trask.html ]

Review :  Multiculturalism and the Politics of Guilt: Toward a Secular Theocracy

by Paul Edward Gottfried

Columbia, Missouri: University of Missouri Press; 158 pp., $29.95
 

Paul Gottfried has spent a useful career shining his lantern of truth into the dark corners of America's political consciousness. In After Liberalism: Mass Democracy in the Managerial State (1999), he examined the rise and consolidation of centralized managerial regimes across the Western world. Gottfried documented what should have been obvious to every educated man: Modern mass democracy was characterized not by popular participation or informed consent but by mass socialization, public apathy, and rule by public administrators.

In Multiculturalism and the Politics of Guilt, Gottfried examines "the turning of the administrative state . . . away from purely material programs, such as expanded entitlements, toward behavior control." This turning, he emphasizes, has not been preceded by any abandonment or shrinking of the welfare state. The triumphant managerial regime simply assumed an additional mission: the revolutionary transformation of society. There was no turn to freedom, much less to the right, after the Cold War. "What actually occurred was that the Left turned in a multicultural direction, toward the 'Marxist vulgate' of political correctness"--in other words, cultural Marxism.

Gottfried is one of the few scholars to notice that the social democratic left won the Cold War. Neoconservatives have been strutting about for a decade, pronouncing the "death of socialism," the triumph of democratic capitalism, the ascendancy of conservatism, and the dawn of universal freedom. Gottfried makes it clear, in painstaking detail, that all this is fantasy. While Soviet-style communism has failed and has been repudiated by everyone except Castro and Kim Jong Il, the Western form of democratic socialism--the mixed economy, the welfare state, redistributive taxation, government regulation of business--stands unchallenged. While the left has accepted private property, capital investment, entrepreneurialism, economic inequality, and market-generated pricing, it has not relinquished regulatory control over the private economy, nor has it reduced the proportion of taxes it extorts from private enterprise. Meanwhile, it has grown obsessed with other kinds of equality.

The left has exchanged the dream of a universal society without classes for the dream of a collectivity without cultural or ethnic differences. Leftists have learned that, by allowing for a semiprivate economy, they can command more financial resources for their revolution than they could by outright confiscation, nationalization, and centralized planning. They have also learned that corporations can be enlisted as enthusiastic allies. The result has been a kind of revolutionary left-wing corporatism. Gottfried describes it as an alliance between "the managerial state and the forces of capital accumulation." Here is the essence of Clinton's New Democracy, Tony Blair's New Labour, and George W. Bush's "compassionate conservatism"--the latter phrase signifying the GOP commitment to the welfare state, multiculturalism, and the therapeutic regime.

The therapeutic state is now firmly entrenched, and the multicultural left controls all of our cultural institutions. How did this happen? Gottfried is at his best in answering this question. He sees two causes of the disaster. The first is the power of the state in forcing social and demographic change. Western elites have initiated, promoted, and subsidized Third World immigration as a method of social control and as an instrument of cultural revolution. They have employed antidiscrimination law and affirmative action to break communities and regions. They have wielded the coercive powers of the state to intimidate the majority population, and they have garnered the support of "aggrieved individuals," "unconventional lifestyle groupings," and "Third World minorities." The managerial class seems to have an instinctive grasp of divide et impera. Gottfried observes that

Selective recognition of collective identities serves the same political end as maximizing individual autonomy. Both weaken the established loyalties of nonvictim groups, particularly those that flow from kinship patterns and vigorous majority culture, and thereby enhance the state's social control.

The second cause is the regime's successful appeal to "the politics of guilt" and a "theology of victimization" as a means to demoralize and enervate Western majority populations. Gottfried believes that the foundations of the therapeutic state are to be found in Protestant Christianity, specifically Calvinism. He is not arguing that p.c. doctrines are somehow Christian--far from it. Rather, they are the products of a "deformed Protestant culture." Gottfried makes a compelling case that political correctness has become a substitute for Christianity, "a misplaced quest for religious redemption that takes the form of worshiping at the multicultural shrine." He believes that long-standing and widespread biblical illiteracy, theological confusion, and historical ignorance turned the "the past into a tabula rasa" and thus prepared the ground for the inculcation of politically correct doctrine as a new morality. So powerful is this anti-Western religion that its doctrines have penetrated even seemingly orthodox Christian churches, both Protestant and Catholic. (Gottfried cites numerous p.c. statements by prominent leaders of the American "Christian Right" to support his case.)

Sin is no longer a violation of God's law but merely insensitivity toward designated "minorities." Redemption is to be found in confessing that you belong to a wicked race (the Europeans) and paying penance to non-Western peoples. Penance takes many forms--foreign aid, reparations, liberal immigration laws, generous asylum policies, affirmative action, quotas, self-debasement, and general confessions of sinfulness. As a result, Europeans now believe that the path to righteousness and acceptance before God requires repudiating their people and civilization. An "act of rejection by the non-victim group directed against their civilization, gender [sic], race, or ancestors indicates sanctified living in a world or society held to be reprobate." There is even a "secular version of the end times": Francis Fukuyama has declared that the triumph of the American model of democratic capitalism and racial diversity signifies the "end of history" and the "final form" of human society.

Gottfried believes that the new faith assuages the pervasive social guilt that lingers as a vestige from the Christian era. Of course, it is more; the guilt is real. It results from man's sinful rebellion against God. It is not surprising that a people that is no longer Christian is ready to grasp at a pseudofaith that offers them relief from their guilt and fear of God's deserved wrath. In other words, the grip of p.c. upon the population may be even stronger than Gottfried thinks.

The religious character of the ideology accounts for the fanaticism of its supporters, their eagerness to persecute opponents, their hysterical reactions to reasoned dissent, and the lack of resistance from Western populations to the hostile and ethnocidal policies imposed on them by their governments. Cultural and political authorities defend multiculturalism and political correctness as the essence of morality, in a manner that appeals to the lingering Christian heritage of the population. Opposition thus appears as evil, and elites resort to demonization whenever they or their policies are challenged.

Such methods work. Gottfried cites former president Bill Clinton's wildly applauded and well-received address to the student body at Georgetown University just eight weeks after September 11, 2001 (in which he declared that America was "paying the price" for African slavery, Indian genocide, and the Crusades), as an example of the new faith in action. He points out that Western politicians (Clinton, Blair, Chirac, Schröder, and Bush) who support Third World immigration and embrace multicultural platitudes have been rewarded by voters with election and reelection to office.

Gottfried ends his book on a pessimistic note, speculating that the managerial-therapeutic revolution "may be irreversible." "Where regional loyalties and powers have broken down and individual self-fulfillment remains the highest ideal" (as in the United States), "it is unlikely that much resistance can be generated to the therapeutic ends pursued by public administration." Only on the Continent, the cradle of Western culture, where relatively cohesive national cultures still exist, does there appear any serious opposition to therapeutic government. In the more "fluid cultures" that characterize the anglophone West, the "malleability" of public opinion and the servility of the majority population cause Gottfried to consider whether "a core culture exists there at all."

The events of September 11 led many to wonder whether Western elites would realize the dangers inherent in their policies. Nothing of the kind happened. Gottfried explains that such hopes did not take into account the "fantasy aspect" of the managerial vision. He is no doubt right. However, he fails to note that the chief beneficiary of those events proved to be the managerial regime itself. Fantasy and calculation are driving the Managerial Revolution.
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H.A. Scott Trask has a Ph.D. in American history, is finishing a study of antebellum political economist Condy Raguet of Philadelphia, and is writing a book on the Northern antiwar movement during the War Between the States.

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Morts malfaisants dans le droit et les croyances des Romains

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Morts malfaisants dans le droit et les croyances des Romains

Les éditions Exergue viennent de rééditer une œuvre de ré­férence pour tous les folkloristes et depuis longtemps in­trou­vable: Les Morts malfaisants d'après le droit et les cro­yances populaires des Romains écrit en 1924 par Emile Job­bé-Duval. L'éditeur écrit: «Pour cette nouvelle édition, une préface de Claude Lecouteux, spécialiste renommé du fol­klore européen pré-chrétien et médiéval, vient rappeler l'im­portance de cet ouvrage, qui n'a rien perdu de sa fraî­cheur et de sa pertinence. De plus, toutes les citations lati­nes sont maintenant accompagnées de leur traduction fran­çaise. En revanche, les éditeurs ont jugé bon d'abréger cet ou­vrage d'un immense appendice qui ne traitait que de sub­ti­lités du droit romain, sans rien apporter de nouveau sur le plan de l'ethnohistoire proprement dite. Ce livre constitue une étude précise et exhaustive sur les croyances et cou­tu­mes des Romains relatives aux morts qui, par besoin de ven­geance ou tout autre attachement émotionnel, erraient près des vivants, menaçant en permanence leur santé et leur équilibre» (JdB).

Emile JOBBÉ-DUVAL, Les morts malfaisants d'après le droit et les croyances populaires des Romains, 2000, Edi­tions Exergur (298 rue Nicolas Parent, F-73.000 Chambéry), 206 p., 115 FF. A la même enseigne est paru Sauvages et velus. Yéti, Sasquash, Almasty, Barmanou, Bigfoot... En­quête sur des êtres que nous ne voulons pas voir de Jean Roche. Le livre est dédié à la mémoire de Vladimir Pouch­karev, disparu en 1978 dans une expédition solitaire au nord-ouest de la Sibérie pour tenter d'approcher ce qui fait l'objet du présent ouvrage. 222 pages. 129 FF.

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lundi, 02 juin 2008

G. FAye: Preparing for WW3

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Dear Friends, here a US-American analysis of Faye’s last book.
Beste vrienden, hier een Amerikaanse analyse van het laatste boek van Faye.
Liebe Freunde, Hier eine US-amerikanische Analyse von Fayes letztes Buch.
Chers amis, voici une analyse américaine du dernier livre de Faye.

Preparing for World War III

ex: http://theoccidentalquarterly.com/vol3no2/mo-worldwara.html

 

Avant-Guerre: Chronique d’un cataclysme annoncé

(Pre-War: Account of an Impending Cataclysm)

Guillaume Faye, Paris: L’ Æncre, 2002, 24 Euros, 382 pp.

Reviewed by Michael O’Meara

Readers of The Occidental Quarterly are probably unfamiliar with the work of Guillaume Faye, but his ideas are increasingly those of Europe’s nationalist vanguard.

An early associate of Alain de Benoist and one of the architects of the European New Right, the young Faye left politics in the late 1980s to pursue a career in media.  In 1998 he returned, instantly re-establishing himself as the intellectual force on the nationalist right.

He has since published five books, each of which has had a major impact on the struggle against multiculturalism, Third World immigration, and globalization.
1 Unlike Benoist and other New Right theoreticians, whose defense of the European ethnos is waged almost exclusively on the cultural terrain, and unlike Le Pen's National Front, which favors the assimilation rather than the forced repatriation of non-Europeans, Faye claims that race is not only primary to cultural identity, but that race and culture are, at root, inseparable.  For this reason he argues that the struggle to preserve Europe's cultural patrimony is no less a struggle to defend its genetic heritage and the ethnic integrity of its Lebensraum.(2)

His latest work—Avant-Guerre: Chronique d’un cataclysme annoncé (Pre-War: Account of an Impending Cataclysm)—is reminiscent of Spengler’s Hour of Decision.  Like Spengler, Faye looks at the storm clouds on the horizon and predicts that within ten years a coming era of world-altering tempests will descend on the white race, determining if it is to have a future or not.

In his view, these cataclysms will be neither ideological nor economic in character, but (à la Huntington) racial and civilizational, involving clashing continental blocs and warring ethno-racial groups. They are thus likely to engender unprecedented violence and destruction, forcibly shaking white people from the stupor that is leading them toward extinction.  Although presently unprepared to fight such wars and alienated from all that is distinct to their race and heritage, the struggles of the twenty-first century, he believes, will give Europeans on both sides of the Atlantic a final chance to throw off the forces that have denatured and debilitated then over the last half century.

Europe and America

Like most "nationalists" who fight in Europe’s name, Faye is extremely critical of the American government and the role it has played in repressing the worldwide forces of white solidarity. But unlike many on the anti-American right, Faye does not believe the U.S. is Europe’s principal enemy, even if its Judeo-liberal New Class has been responsible for eroding European autonomy and demonizing its culture. An enemy, he contends, does more than corrupt and intimidate, it threatens one’s biological existence. Taking his cue from Carl Schmidt, he thinks it is more accurate to characterize the U.S. as Europe’s "adversary"—an adversary that needs to be opposed if Europeans are ever to re-assert the Faustian project distinct to their ethos—but nevertheless one with whom a life-and-death struggle is not at all inevitable.

The real enemy threatening the white homelands comes, he claims, from the Third World.  Accordingly, the terror attack of "9/11" suggests one form his predicted cataclysm will take. But while Islam is Europe’s principal enemy, it is not, paradoxically, America’s. Based on the work of General Gallois, Alexandre Del Valle, and a new generation of European geopoliticists, Faye argues that Islam has long served the U.S. in furthering the hegemonic ambitions of its global village, specifically in dividing Europe and weakening Russia. That its recruitment and arming of Islamic fanatics to fight in Afghanistan and Chechnya and in Bosnia and Kosovo at last boomeranged ought not to detract from the fact that for a quarter century the U.S. systematically incited Islamic insurgencies for the sake of its strategic aims.

In Faye’s view, America’s principal Third World enemy, and thus the power it will face in World War III, comes not from the Middle East (even if militant Islam continues to target it), but from a rapidly developing and technologically armed China bent on contesting its dominance in the Pacific. In this potential Sino-American conflict, Faye believes the future lies entirely on the Chinese side. Unlike the Middle Kingdom, the U.S.’s disparate mix of race and cultures has left it without a coherent heritage and thus a destining project worth dying for. This makes it not a nation in the European sense, but simply une symbiose étatico-entrepreneuriale. Because such an entity is likely to fly apart if challenged by a determined enemy, in the great cataclysms to come it will be Europe (and Russia), not the U.S., that will stand at the center of the struggle to defend the white West from a hostile non-white world.

Islam

While America’s future holds out the prospect of an interstate war with China, Faye believes Europe faces an intrastate war with the forces of an insurgent Islam—a war, to repeat, that will resemble 9/11 more than the conventional military engagement the U.S. can expect in the Pacific.

In the four decades since 1962, when Africa broached Europe’s southern frontier, the continent, especially France and Belgium, has been inundated by successive waves of Third World immigrants. The amplitude of this immigration, involving masses not individuals, is such that not a few demographers contend that it is more accuratelydescribed as "colonization." Due to disproportional birthrates, the unrelenting influx of non-white, unassimilable, and largely Muslim immigrants has already begun to "de-Europeanize" Europe. For example, virtually everywhere they have settled in France they have succeeded in "ethnically cleansing" former neighborhoods, establishing not ghettos, but conquered territories, from which future conquests are being prepared. With their seven to eight million inhabitants, these territories have become, in effect, hostile African/Middle Eastern encampments within an increasingly besieged France.3

This immigration is creating an extremely volatile situation, for Europe lacks the massive police apparatus and vast geographical expanses that have kept ethnoracial tensions ‘manageable’ in the U.S. Typically, in urban areas where neighborhoods have been lost to Islamic civilization, Europeans have come to experience not only escalating levels of violence and insecurity, but the loss of their laws and institutions. There are now more than 1400 zones de non-droit in France (including eleven towns), and in nearly a hundred of these, republican jurisdiction has been supplanted by the shari`a (Islamic law).4

Within such zones, whose deteriorating conditions politically correct public officials persist in describing in socioeconomic rather than biocultural terms, it is nearly impossible for a Frenchman to reside in the public housing estates (HLM) built for the French working class, to find a café serving wine or ham, or for his wife to dress or behave in public as do European women. In contrast to the Little Italies and Germantowns arising in many American cities in the last century, these non-European enclaves have not the slightest intention of assimilating into the dar-al-Harb (the "impious" non-Islamic world, which Muslims view as the "world of war"), and have, in fact, begun to assert their autonomy vis-à-vis it. In recent years, hardly a week passes without a newspaper report of a riotor bloody incident provoked by clashes between police and Muslim gangs.

Since 1990, urban violence has grown five percent annually—since 2000, by ten percent—as the anomie, violence, and disintegration associated with America’s inner cities becomes an increasingly familiar European reality. In fact, in 2000, for the first time in history, French criminality, whose ethnoracial character is overwhelmingly non-European, surpassed that of the U.S. crime rate; and Paris, once the City of Lights, became the least safe of the major European cities.

In the face of these threats to the continent’s demographic, cultural, and institutional foundations, the media, the academy, and the established "anti-racist" organizations (mostly controlled by Zionists) attempt to silence whoever criticizes such changes, all the while making the term "multiculturalism" emblematic of the mobile postmodern society of optional values and fashionable identities that comes with globalization. Instead, then, of mobilizing the Christian West against such threats, these New Class forces preach cowardice, resignation, escapism, and a self-destructive humanitarianism.

An ethno-masochistic response of this kind has naturally emboldened the more militant members of France’s Muslim community, who now call for jihad against the "white cheese." Public authorities, though, persist in distinguishing between violent fundamentalists (who number perhaps 40,000) and the "peace-loving" Muslim community, unable or unwilling to acknowledge Islam’s inherent hostility to Europe’s secular society.  Between orthodox and fundamentalist Islam, Faye, though, claims there is solely a difference in temperament. And even this is increasingly compromised by fundamentalist aggressions. Years before the 9-11 attack on the symbols of U.S. hegemony, this "monstrous offshoot of Judaism" had already begun its third great offensive against the dar-al-Harb, targeting Europe as a future Muslim homeland.5

Buoyed up by U.S.-protected strongholds in Southeast Europe (Albania, Bosnia, Kosovo), U.S. pressure to admit Muslim Turkey to the EU, and large stockpiles of sophisticated arms, Islamists have already begun organizing for a new conquest.

It is not surprising, then, that Faye interprets the growth of European Islam as the opening salvo in a larger struggle for the continent’s future.
6 Faye’s militant opposition to Islam does not, however, bear a resemblance to that of President Bush’s handlers. The struggle against Islam, he insists, is a struggle to free Europe from a dire threat to existence—not a justification for further Zionist aggression.

What War Will Bring

In the coming cataclysms—likely to involve street battles between rival racial communities, guerrilla skirmishes, mega-terrorism, perhaps even small-scale nuclear exchanges with "dirty bombs," along with conventional-style invasions from neighboring Islamic armies—Faye believes Europe will either perish or experience a rebirth. In any case, the confrontations ahead will create a situation in which the present politically correct delusions are impossible to sustain.

For like every great struggle affecting human’s natural selection, war privileges the elemental and the vital. With it, the subtleties and distractions that sophists and simulators have used to misdirect Europeans cannot but cease to count, as will those minor differences that have historically divided them. Then, as "money and pleasure" cede to the imperatives of "blood and soil," only the traditions, the way of life, and the genetic principles defining them as a people will matter.

The situation the white race finds itself in today may therefore be unconditionally bleak, but in that hour when everything risks being lost, Faye believes a final opportunity for renaissance will present itself.

In this vein, he predicts that the dominant musical theme of the twenty-first century will be neither an orchestral ode to joy nor the doggerel of an urban savage, but rather a solemn military march based on ancient hymns. Europeans on both sides of the Atlantic, he advises, would do well to keep step with its strong, marked rhythm.
 

Michael O’Meara is a scholar who resides and teaches on the West Coast of the United States. He is the author of numerous articles and book reviews.

End Notes


1. L’archéofuturisme (1998); Nouveau discours à la nation européenne, 2nd ed. (1999);  La colonisation de l’Europe (2000); Pourquoi nous combattons (2001). All these works have been published by L’Æncre and can be purchased at the Librairie Nationale, 12 rue de la Sourdière, 75001 Paris, or on the Internet at www.librairienationale.com/.

2. See Michael Torigian, New Right, New Culture: Anti-Liberalism in Postmodern Europe (Lanham, MD: University Press of America, 2003).

3. The number of non-Europeans in France is not officially known. The cited figure is the estimate of one of the country’s leading demographers. See “L’avenir démographique: Entretien avec Jacques Dupâquier,” in Krisis 20-21 (November 1997). Another academic (J. P. Gourevich) claims it is closer to 9 million. Some put the figure as high as 14 million, while the media usually refer to 4, 5, or 6 million. But more alarming than these figures is the fact that one-third of the population under 30 is now of non-European origins and has a birth rate four or five times higher than the European one.

4. Jeremy Rennher, “L’Occident ligoté par l’imposture antiraciste,” in Écrit de Paris 640 (February 2002). Even the politically correct editor of Violences en France (Paris: Seuil, 1999), Michael Wieviorka, acknowledges that the explosion of violence and criminality since 1990 is an outgrowth of Islamic power. Because the French government keeps most data on immigrant crime and racial terror securely under wraps, the little that is known has been surreptiously leaked by frustrated officials. The publication with the best access to these leaks is the monthly J’ai tout compris! Lettre de désintoxification, edited, not coincidentally, by Guillaume Faye.

5. The first, Arab wave of the seventh century brought the Muslims to Poitiers, and the second, Turkish wave of the twelth through the seventeenth centuries led to the destruction of Christian Byzantium and the seige of Vienna. The third wave, in the form of the present colonization, is stealthy in character, but potentially even more catastrophic.

6. Accordingly, the more militant Europeanists now invoke the need for a new reconquista. This is especially evident in Philippe Randa’s novel Poitiers demain (Paris: Denoël, 2000) and the album Reconquista by the group Fraction (Heretik Records).
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Heidegger et son temps (2)

Conception de l'Homme et révolution conservatrice: Heidegger et son temps

par Robert Steuckers

Deuxième partie

"L'américanisme", poursuivait Rilke, produit des objets amorphes où rien de l'homme n’est décelable, où aucun espoir ni aucune méditation n’est passée. Ces réflexions poétiques rilkéennes sur les objets de notre civilisation ont été souvent considérées comme des vers écrits par pur esthétisme, comme de l'art pour l'art. Rien n’est plus faux. Rilke a aussi participé à la redécouverte de la religiosité européenne. Pour le Dieu de Rilke, il y a une aspiration à "habiter" en l'homme et dans la terre. Comme Maître Eckart, la lumineuse figure du Moyen Age rhénan, Rilke voulait voir le divin, la Gottheit naître dans l’intériorité même de l’homme. Dieu "devient" (wird) en nous. Il ne devient lui-même que dans et par l'homme. L'Adam de Rilke, modèle de sa conception anthropologique, accepte la vie difficile de l’après-Eden ; il dit "oui" à la mort qui clôt une existence où le travail signifie plus que le bonheur satisfaisant d’une existence répétitive. Aussi est-il possible, avec Jean-Michel Palmier [23], de comparer le Zarathoustra de Nietzsche au Travailleur de Jünger et à l'Ange de Rilke. Métaphysiquement, ils sont les mêmes. Ils indiquent le passage où l'intensité (l'être) surgit dans un monde où l' "amorphe" a tout banalisé.

L’évocation de ces quelques contemporains de Heidegger ne se veut nullement exhaustive. Il était cependant nécessaire de présenter ces auteurs pour avoir une idée des courants idéologiques qui ont formé l’arrière-plan sur lequel Sein und Zeit s'est élaboré. Dans ses arguments, la Révolution Conservatrice mêle en effet une aspiration à retrouver un monde stable, philosophiquement marqué d’un certain substantialisme, et une aspiration à détruire, à extirper révolutionnairement les derniers restes du monde substantialiste. On a parfois pu dire que le nazisme montant a repris à son compte quelques-uns des arguments de la Révolution Conservatrice. Toute propagande a toujours fait feu de tout bois. La Russie soviétique, par ex., a toléré, au début de son existence, toutes les formes de modernisme. Quelques années plus tard, il n'en restait plus rien. La situation fut analogue, en Allemagne, pour la Konservative Revolution. Hitler n’a pas hésité à utiliser à son profit tout argument dirigé contre le libéralisme ou le marxisme, mais, en fait, les éléments philosophiques ou idéologiques qui pouvaient contribuer à révolutionner la philosophie occidentale lui étaient profondément indifférents. Sa praxis politique restait liée à une Realpolitik d’inspiration impérialiste commune à tout le XIXe siècle finissant. Sa vision du monde n’était qu’un mélange confus de darwinisme primaire et de nietzschéisme banalisé [24].

medium_weinhe.jpgEn Allemagne, les représentants de ce qu’il convient d’appeler le "réalisme héroïque" ont été principalement Josef Weinheber, Ernst Jünger et Gottfried Benn. Ces auteurs se sont mis à la recherche d’un nouvel "impératif catégorique", dégagé de tous les reliquats du bourgeoisisme de 2 derniers siècles. Radikal "unbürgerlich" : tel était pour eux le programme du XXe siècle. L'anti-bourgeoisisme avait pour but de tirer les peuples européens de leur "indolence" ontologique - cette indolence dans laquelle les actes des hommes sont incapables de s’accomplir de façon strictement "formelle", d’être en eux-mêmes et par eux-mêmes une "structure", une "forme" ou une "attitude" (Struktur, Gestalt, Haltung). Cela revenait à dire que le monde se "justifie" par l'esthétique et non par l'éthique. Dans cette perspective, même si l’attitude héroïque peut se comprendre comme dotée d’une valeur éthique, c’est surtout pour la beauté du geste qu’elle se trouve appréciée. Dès lors, toute "substantialité" se dissout. Le geste porte sa valeur en lui-même et ne se justifie plus au départ d'un système ou d’une ontologie. Le réalisme héroïque, selon Walter Hof [25], se définit comme un existentialisme esthétique ou comme un esthétisme existentiel. Le terme "esthétisme" a pourtant une mauvaise réputation. On croit trop souvent qu'il exprime une sorte de fuite hors du monde, "dans la tour d’ivoire de la beauté ésotérique". Mais en réalité, ce n'est pas hors du monde que veulent se placer les contemporains de Heidegger. Ils veulent au contraire percevoir le monde, mais exclusivement sous l'angle esthétique.

Josef Weinheber, Ernst Jünger et Gottfried Benn

Comment Weinheber, Jünger et Benn ont-ils, chacun, "arraisonné" l’existence ? Des 3, Josef Weinheber est le plus "conservateur". L'élan vers l’avant, le Durchbruch nach vorne, est jugé par lui trop dynamique et, partant, trop instable. L’intensité existentielle que déploie l’ "homme sur la brèche", l’unité totale avec le monde immanent qu’il acquiert en ces rares moments, lui semblent trop fugaces. L'art est pour lui la seule valeur indubitable, le seul impératif catégorique. L’art se saisit des choses, des douleurs, pour les transformer en "chants" (Lieder). Weinheber, dans son œuvre, chante la fierté du créateur solitaire, la tragique folie quelque peu titanique de l’idéaliste qui poursuit, sans espoir, ce qui lui restera inaccessible. La création, elle, dure. Comme Heidegger, Weinheber déplore la disparition du monde hellénique archaïque, l'éviction des dieux hors du monde, le dessèchement des forces démoniques, la chute de l’inauthentique où aucune "forme" n’est plus perceptible.

Contrairement à Weinheber, le jeune Ernst Jünger, lui, ne déplore pas le nihilisme. Dans ses premiers écrits, aucune mélancolie ne transparaît - mais aucun sentiment de joie non plus. L'action des "aventuriers", des hommes qui vivent dangereusement en s’imposant une implacable discipline personnelle est, à ses yeux, un modèle. Le réalisme héroïque de Jünger peut s’énoncer en quelques maximes : faire face à l'épreuve, s'endurcir à la douleur, vivre dangereusement. En dictant de tels préceptes de conduite, Jünger montre sa volonté de poser les bases d’un nouveau nihilisme qui sera révolutionnaire et actif. À son sujet, Marcel Decombis écrit : "Le travail de destruction s’achève par la découverte d’une réalité capable de servir de base à l’édification d’un système. Il a eu pour effet de mettre en évidence l’existence des forces élémentaires, contenues aussi bien dans le monde physique que dans le cœur de l’homme..." [26]. Mais Jünger constate que les forces élémentaires de l’enthousiasme ne suffisent plus. La Ière Guerre mondiale a démontré qu’un simple servant de mitrailleuse pouvait décimer une troupe entière d’hommes héroïquement convaincus de leur cause. L’expérience militaire de Jünger lui a fait constater le rôle implacable de la machine. L’homme, cependant, ne peut plus reculer. Il faut aller de l’avant, obliger la machine à vivre, à son tour, l’aventure. L’idéal vitaliste doit s’incarner dans le militant politique moderne. La "substantialité" doit se re-découvrir dans le dynamisme déployé par les existences les plus fortes. Dans Der Arbeiter (1932), ouvrage que Walter Hof considère comme la "Bible" du réalisme héroïque, Ernst Jünger entend précisément tracer l’ébauche de l’homme de l’époque à venir. Cet homme doit incarner l’unité des contraires. L’ordre absolu de l’avenir dépassera les types d’ordre bourgeois en ceci qu’il n’exclura pas le risque ; il sera, dit Jünger, le fruit des nouvelles épousailles de la vie avec le danger. La tâche de l’homme nouveau ne sera pas de lutter contre le monde en marche, avec la nostalgie des stabilités perdues, mais d’être le Vabanquespieler, le "joueur qui risque le tout pour le tout", du nouvel âge. Jünger transpose ainsi, dans l’arène politico-idéologique, la philosophie de l’acte et de la décision.

medium_benn.jpgJünger extériorise dans la politique son dépassement du nihilisme passif et du substantialisme, et ce dépassement réside dans l’action. Gottfried Benn, lui, choisit une voie intérieure (Weg nach Innen), une voie vers le spirituel et l’artistique. Inaccessible à la décadence, le monde des formes artistiques permet de penser et de vivre une restitutio du vieux monde précapitaliste et du cosmos antique. Ce monde peut être vécu grâce au travail qu’opère l’esprit constructivement par le moyen de l’art ; en tant qu’univers intérieurement re-créé, il doit transmettre au monde purement présent de l’extérieur l’idée d' "attitude maintenante" (Haltung), laquelle correspond à une impulsion de résistance, à un refus de fuite, que ce soit vers la sécurité ou vers l’action désespérée. L’image anthropologique qui ressort de l’œuvre de Benn est celle d’un homme qui reste stoïque au milieu des ruines. On connaît à ce propos le livre du penseur traditionaliste italien Julius Evola, Les hommes au milieu des ruines [27]. Écrit en 1960, cet ouvrage n’a pas été connu de Benn, qui, par contre, a préfacé en 1935 l’édition allemande d’un autre livre d'Évola, Révolte contre le monde moderne [28].

On constate, à lire cette préface, que le nihilisme désespéré de l’Allemand diffère fondamentalement de la confiance que, malgré tout, conserve l’Italien. Le rejet de tout substantialisme au profit des "formes" créés par l’artiste traduit d’ailleurs, chez Benn, un oubli du facteur "temps" que Heidegger avait découvert dans tout étant, dans tout phénomène. Benn, comme Évola, déplore l’usure que le temps impose à toutes choses. Ce qui le rend mélancolique ou pessimiste, c'est l’impossibilité de contrecarrer la fatale érosion des formes. Julius Évola, on le sait, s’est d’abord jeté dans l’aventure dadaïste, avant de rêver, dans Révolte contre le monde moderne, à une très problématique restauration des idéaux médiévaux. La révolte d’Évola, comme celle de Benn, est principalement dirigée contre le monde bourgeois. Mais cette révolte est ambiguë. Elle prône l’existence de 2 règnes : chez Benn, le règne de l’art et celui de la puissance ; chez Évola, le règne de la transcendance et celui de l’immanence. Chez l’un comme chez l’autre, cette ambiguïté reste toutefois postérieure à une saisie fougueusement polymorphe, typique de cette époque où l’esprit oscillait dans tous les sens. Les poètes des années 30 décidaient de se faire communistes, fascistes, nationalistes. Certains descendaient même dans la rue. Benn, lui, choisit simplement de rester artiste. Il exige, pour l’Allemagne, l’abandon des motifs épuisés de l’époque théiste et le report de toute la charge de nihilisme dans les forces constructives et formelles de l’esprit, afin d’instituer une sévère morale et une métaphysique de la forme. On repère ici, immédiatement, les similitudes et les dissemblances par rapport à Heidegger.

Au mépris de toute vraisemblance, certains adversaires acharnés de la Révolution Conservatrice n’ont pas hésité à prétendre que celle-ci avait, en quelque sorte, "préparé le terrain" au national-socialisme. Les mêmes ont fait reproche à Heidegger d’avoir accepté, en avril 1933, la responsabilité du rectorat de l’université de Fribourg - tout en se gardant bien d’évoquer le contexte dans lequel cette nomination est intervenue, et en passant sous silence, notamment, l'hostilité que le régime hitlérien, en la personne de ses philosophes "officiels", Ernst Krieck et Alfred Baeumler, n’ont cesse, dès 1934, de témoigner à l’auteur de Sein und Zeit. Ce dernier, on le sait, s’est expliqué de façon très précise sur cette question dans un célèbre entretien publié après sa mort par Der Spiegel [29]. Figure de proue de la Konservative Revolution, Heidegger partage en fait, dans une large mesure, le jugement critique de ce vaste mouvement d’idées à l’endroit du national-socialisme. Mais quel fut ce jugement critique ? C’est ce qu'il vaut la peine d’examiner.

le "fascisme" de la catholicité latine

Ce jugement, tout d’abord, n’est pas monolithique. La Konservative Revolution n’est pas un mouvement dans lequel une seule direction est jugée "bonne". Elle réunit plutôt, de façon informelle, un ensemble de penseurs qui ont constaté l'échec du type libéral et bourgeois de société et qui, se dispersant dans différentes directions, ont entrepris de rechercher des solutions de rechange. Les alternatives proposées varient selon les itinéraires individuels, les amitiés, les provenances idéologiques. Le national-socialisme, qui mit fin brutalement au foisonnement intellectuel du mouvement, est tantôt critiqué comme "plébéien", tantôt comme "réactionnaire" et "catholique".

Cette dernière opinion est exprimée not. par le "national-bolchevik" Ernst Niekisch. Sans aucune nuance, Niekisch se fait l’avocat de l’alliance germano-russe contre un Occident jugé en "décomposition", et prône la formation d’un bloc germano-slave ayant pour objectif la "liquidation" de l’héritage "roman". Dans le feu de la polémique, il écrit dans Widerstand (n° 3, 1930) : "Nous sommes la génération du tournant du monde... Si nous nous pénétrons de la conscience de ce tournant, nous aurons le courage de l’exceptionnel, de l’extraordinaire, de l’inouï... Le monde ne peut tourner sans que bien des choses ne volent en éclats..." [30].

Or, pour Niekisch, ce qui doit voler en éclats, c’est le "fascisme" de la catholicité latine, si ancrée en Bavière et en Autriche, ces terres qui ont vu naître Hitler. "Qui est nazi sera bientôt catholique..." : par ces mots, Niekisch veut dire qu’il considère comme romain, catholique et fasciste le fait de flatter les bas instincts des masses, de leur dispenser l’illusion de la facilité, de répandre, enfin, une véritable "croyance aux miracles", s’opposant en tous points à l'attitude de l’Homo politicus prussien et protestant. Pour Niekisch, le retour au "giron catholique" est un gâchis des énergies allemandes, une voie de garage, qui ne vaut pas mieux que la torpeur politique propagée par les idées illuministes et bourgeoises de l’Occident libéral. Chez lui, l’expression d' "Occident libéral" est presque synonyme de l'Alltäglichkeit heideggérienne. Le libéralisme ne veut rien de grand. Il est une idéologie d’esclaves, en ce sens qu'il endort les énergies et refoule tout grand sentiment. Le catholicisme fasciste allemand est une idéologie de la distraction, visant à réaliser un homme moyen, qui habitera des immeubles préfabriqués, roulera en Volkswagen et, après une période difficile, finira par mener une vie dégagée de tout souci. Pour Niekisch - comme pour certains historiens qui, aujourd’hui, font profession d’antifascisme, tel Reinhard Kühnl [31] - l’hitlérisme se borne à vouloir réaliser vite les idéaux de bonheur de l’humanitarisme libéral. De telles positions ont certes aujourd'hui de quoi étonner. Cependant, même si elles ne correspondent pas entièrement aux realia, on peut y voir éventuellement l'indication de tendances qui auraient peut-être pu se révéler effectivement.

À l'inverse, "l’extraordinaire", "l’inouï" dont parlait Niekisch dans l’article cité plus haut pourrait bien correspondre à l'existence authentique dont parle Heidegger. Le tournant du monde n’inaugurerait-il pas l’ère ou les hommes s’apercevraient de l’inanité des idéaux libéraux, et n’y verraient que de pâles émanations des principes substantialistes ? Il est certes hardi de comparer le langage polémique et simplifié d’un théoricien politique au langage philosophique si rigoureux (mais passionné tout de même) de Heidegger. Néanmoins, l'objet essentiel de la critique de Niekisch est bien la mortelle tiédeur de l'Alltäglichkeit. Et quant à la hargne parfois obsessionnelle de Niekisch envers la latinité catholique, avec sa valorisation corrélative de la liberté individuelle protestante, elle s’explique, au moins en partie, quand on met en parallèle la persistance, dans les idéologies politiques imprégnées de catholicisme (Maurras, Salazar, Franco, etc.), du vieux substantialisme, et l'édulcoration, par le luthéranisme et les idées de Herder, de ce même substantialisme dans la sphère protestante. Les slogans jetés dans le débat politique par Niekisch démontrent en tout cas l’originalité si pertinente de son antifascisme. Heidegger aurait-il en secret souscrit à des vues de ce genre ? Cela pourrait expliquer certains silences. Mais en fin de compte, c’est un exercice assez vain que de vouloir donner une étiquette partisane à Heidegger. L’auteur de Sein und Zeit a été un iconoclaste pour les philosophes qui entendaient en rester à la métaphysique occidentale classique. Niekisch, lui, a conjugué les paradoxes et interpellé tous les mouvements politiques. Il fut ce qu’on appellerait aujourd’hui un "extrémiste" tandis que Heidegger nous apprend à être sereinement radical. Soyons, donc, comme ce dernier, des radicaux sereins.

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Notes :

  1. P. Bouts, Modernité et enracinement. Nécessaire Heidegger, in Artus n°7, 1981.
  2. JP Resweber, La pensée de Martin Heidegger, Privat, Toulouse, 1971.
  3. M. Heidegger, Holzwege, V. Klostermann, Frankfurt/M., 1949 (tr. fr. : Chemins qui ne mènent nulle part, 1962).
  4. M. Heidegger, Frühe Schriften, V. Klostermann, Frankfurt/M., 1972.
  5. Cf. Arion L. Kelkel et René Schérer, Husserl, PUF, 1971 ; Henri Arvon, La philosophie allemande, Seghers, 1970, pp. 139-149 et 160-169 ; Jean-Paul Resweber, op. cit., pp. 59-63.
  6. Pierre Trotignon, Heidegger, PUF, 1974, pp. 9-12.
  7. André Malet, Mythos et logos. La pensée de Rudolf Bultmann, Labor et Fides, Genève, 1962 et 1971, p. 277-311.
  8. A. Malet, op. cit., p. 305-306.
  9. Cf. Heidegger, Wegmarken, Klostermann, Frankfurt/M., 1967-1978 (et not. Vom Wesen des Grundes, p. 123-175).
  10. A. Malet, op. cit., p. 311.
  11. Heidegger, Albin Michel, 1981. Cf. aussi Lucien Goldmann, Lukàcs et Heidegger, Denoël, 1973.
  12. André Malet, op. cit., p. 75.
  13. Cf. E.W.F. Tomlin, R.G. Collingwood, Longmans, London, 1953 et 1961.
  14. Cf. R.G. Collingwood, The Idea of History  (1946) et An Autobiography (1939) p.96-100, Oxford University Press.
  15. Cf. F. Guibal, ...Et combien de dieux nouveaux. Approches contemporaines I, Heidegger, Aubier-Montaigne, 1980.
  16. Wegmarken, op. cit. (cf. Phänomenologie und Théologie, pp. 45-79).
  17. Cf. V. Horia, Der neue Odysseus. Studie über den Verfall der Autorität in Criticon, IV, 25, sept-oct 1974, 233-236.
  18. Peter Gay, Weimar Culture. The Outsider as Insider, Penguin, Harmondsworth, 1968, p. 79-106.
  19. Walter Hof, Der Weg zum heroischen Realismus. Pessimismus und Nihilismus in der deutschen Literatur von Hamerling bis Benn, Lothar Rotsch, 1974.
  20. Introduction à la métaphysique, Gal., 1967, p. 49.
  21. Cf. Walter Hof, op. cit., p. 235. On consultera aussi Gerd-Klaus Kaltenbrunner (Hrsg.), Konservatismus International, Seewald, Stuttgart, 1973 (et plus particulièrement le texte d'Otto Mann, Dandysmus als konservative Lebensform, p. 156-170).
  22. Cf. Sigrid Hunke, Europas andere Religion. Die Ueberwindung der religiösen Krise, Econ, Düsseldorf, 1969.
  23. Les écrits politiques de Heidegger, L'Herne, 1968.
  24. Les historiens des idées se sont maintes fois penchés sur le problème de la vision du monde d’Adolf Hitler. Parmi quelques ouvrages récemment parus, signalons celui de William Carr, Adolf Hitler, Persönlichkeit und politisches Handeln, Kohlhammer, Stuttgart, 1980. Le 4ème chapitre de ce volume (Hitlers geistige Welt) évoque principalement l’influence des vulgates darwinistes qui avaient cours au début du siècle. Malheureusement, l’auteur applique trop souvent et à mauvais escient les stéréotypes freudiens. En français, on peut consulter l’étude du professeur Franco Cardini, de l’université de Florence : Le joueur de flûte enchantée (messianisme hitlérien, mythopoiétique national-socialiste et angoisse contemporaine), in Totalité, 12, été 1981.
  25. Walter Hof, op. cit., p. 240.
  26. E. Jünger, L’homme et l’œuvre jusqu’en 1936, Aubier-Montaigne, 1943.
  27. Les hommes au milieu des ruines, Sept Couleurs, 1972.
  28. Erhebung wider die moderne Welt, Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart, 1935.
  29. Trad. fr. : M. Heidegger, Réponses et questions sur l’histoire et la politique, Mercure de France, 1977.
  30. Sur E. Niekisch, voir la monumentale étude de Louis Dupeux, Stratégie communiste et dynamique conservatrice. Essai sur les différents sens de l’expression "national-bolchevisme" en Allemagne, sous la République de Weimar (1919-1933), Honoré Champion, 1976. Plus récent et plus "militant" est le livre d’Uwe Sauermann, Ernst Niekisch zwischen allen Fronten, Herbig, München, 1980.
  31. Reinhard Kühnl, Formen bürgerlicher Herrschaft. Liberalismus-Faschismus, Rowohlt, Rein beckbei Hamburg, 1971. Cet ouvrage se fonde surtout sur la "littérature secondaire" et va rarement aux sources. Ce qui lui confère de l’intérêt, c’est l’intention de l’auteur.

dimanche, 01 juin 2008

Heidegger et son temps

CONCEPTION DE L’HOMME ET REVOLUTION CONSERVATRICE : HEIDEGGER ET SON TEMPS

Source : Robert STEUCKERS, revue Nouvelle Ecole n°37 (printemps 1982).

 

Dans l’œuvre de Heidegger, 2 types de vocabulaires se juxtaposent. D’une part, il y a celui, très concret, qui exalte la glèbe, le sol, la forêt, le travail du bûcheron, et, d’autre part, le plus apparemment rébarbatif des jargons philosophiques. Heidegger réalise donc ce tour de force d’être à la fois un doux poète bucolique et un philosophe universitaire excessivement rigoureux, auquel aucun concept n’échappe. Comment ces 2 attitudes ont-elles pu cohabiter dans un seul individu ? Y aurait-il 2 Heidegger ? L’article qui suit entend répondre à ces questions.

Il peut paraître banal de dire que Martin Heidegger est né le 26 septembre 1889 à Messkirch. C’est qu'une appréciable part de son œuvre sera déterminée par ce "quelque part". Heidegger reste, en effet, très attaché à son enracinement alémanique. L'enracinement, pour lui, est une des conditions essentielles de l'être-homme. "L'homme véridique ne sera pas enraciné par accident et provisoirement (en attendant mieux) ; il l’est essentiellement. L'homme qui perd ses racines se perd en même temps" [1]. Il ne serait pas arbitraire de résumer la pensée anthropologique de Heidegger en quelques mots : être homme, c'est bâtir (fonder) et habiter un monde (s'y enraciner). De fait, toute l’œuvre de Heidegger porte l’empreinte du terroir natal, de cette Souabe qui vit naître Schiller, Schelling, Hegel et Hölderlin. Le murmure, les palpitations de ce pays de forêts, silencieusement présents dans la philosophie heideggérienne, différencieront Heidegger de Sartre, le disciple parisien qui s'est efforcé d'utiliser à son profit le même outillage conceptuel. Sartre, a remarqué Jean-Paul Resweber, subira toujours l’influence anonyme ou frénétique des cités bourdonnantes, où il est impossible de saisir la densité et l’unité originelles des choses et de la nature [2].

le jeu de l’enracinement et de la désinstallation

La terre, lieu de notre séjour, est aussi le miroir de notre finitude, le signe d’un impossible dépassement. Elle rappelle à l'homme qu'il est irrémédiablement situé dans le monde de l’existant. Elle est le sol même sur lequel prend pied (Bodennehmen) notre liberté. L’acte libre, poursuit Resweber, n’est pas un pur jaillissement créateur ; le dépassement qu'il inaugure est, en fait, une reprise de notre être enraciné dans le monde, à la manière de possibilités nouvellement découvertes. Toute œuvre d’art est un resurgissement, une transfiguration de la terre ; celle-ci est l’élément primordial à partir duquel toute création (Schaffen) devient un "puiser" (Schöpfen). Dans L’origine de l’œuvre d’art (texte repris dans le recueil intitulé Holzwege) [3], Heidegger écrit que l’art fait jaillir la vérité. Si l’œuvre sauvegarde une vérité, c’est celle de l’étant : l’art est la "conclusion" de l’étant. Mais l’art ne se manifeste aussi que par la médiation de l’artiste, c-à-d. de l'homme. "L'existence humaine, ce lieu de ressourcement poétique, est essentiellement tragique, parce qu’elle est tendue entre un donné irréductible (la terre) et une exigence de dépassement jamais satisfaite, déchirée entre l'appel de la terre et celui du monde… L'homme humanise la terre avant de la dominer, et l'horizon qu'il déploie pour la pénétrer, c’est le monde. La réflexion philosophique est précisément la mise en dialogue de ces 2 pôles complémentaires de l’existence qui, dans une expérience unique, se découvre à la fois enracinée dans la terre et dépassée vers le monde" (Resweber, op. cit.).

C’est ce double jeu de l’enracinement et de la désinstallation que Heidegger nomme la transcendance. Le rôle de l’homme sera d’amener sa terre à l’éclosion d’un monde. Ce geste, cette tâche sont éminemment poétiques parce que le mystère profond de la terre reste toujours inépuisable et présent, parce qu'il s’exprime en mythes et en images, mais surtout parce que c’est l’homme, par son intelligence et son action, qui fait surgir (poïeïn) le monde. Avec un vocabulaire différent, on dira que l’homme est un être qui inaugure la dimension culturelle tout en restant lié à la nature. La tension qu’implique cette tâche de construire un monde est tragique, car jamais il n’y aura totale adéquation entre l’origine tellurique et le monde instauré par la geste humaine. La finitude que nous assigne la terre nous condamne à rester "inachevé". A nous d’accepter joyeusement cette destinée !

Si, pour Heidegger, l’enracinement dans le pays de la Forêt noire constitue la dimension spatiale primordiale, nous devons aussi nous intéresser au contexte historique de son œuvre de philosophe, réponse aux interrogations de ses contemporains. Heidegger - nous l’avons vu - est indubitablement l’homme d’un espace ; il est également l’homme d’une époque. Un grand nombre des questions que se posent les philosophes trouvent leur origine dans l’œuvre d’Aristote. Heidegger lui-même reconnaît cette dette [4]. Au Gymnasium de Constance et à celui de Fribourg, où il étudia de 1903 à 1909, le futur archevêque de Fribourg, le Dr Conrad Gröber, l’incita à lire la dissertation de Franz Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, publiée en 1862 et consacrée aux multiples significations du mot "étant" chez Aristote. Cette 1ère initiation à la philosophie produisit, dans l’esprit du jeune étudiant, une interrogation encore imprécise : si l’étant a tant de significations, qu’est-ce qui en fait l’unité ? A partir de cette interrogation, Heidegger apprit à manier les concepts du langage philosophique et put percevoir toutes les potentialités de la méthode scolastique.

La période qui va de 1916 à 1927 constitue, dans la biographie de Heidegger, un silence de maturation. Rien, pendant ces 11 années, n’est très clair. On tâchera néanmoins de repérer quels furent les contacts personnels et intellectuels qui influeront sur l’élaboration de Sein und Zeit (L’être et le temps, 1927) d’abord, des cours, des essais et des conférences ensuite. C’est à cette époque, notamment, que Heidegger a travaillé avec Edmund Husserl (1859-1938), ce qui lui a permis d’acquérir complètement la discipline mentale et le vocabulaire de la phénoménologie. Cette discipline philosophique avait été investie, au XIXe siècle, d’un sens nouveau. Auparavant, elle désignait la simple description des phénomènes. Husserl, lui, eut la volonté de faire de la phénoménologie une science philosophique universelle. Le principe fondamental de cette "science" était ce que Husserl a appelé la réduction phénoménologique ou eïdétique. Cette réduction a pour but de concentrer l’attention du philosophe sur les expériences fondamentales qui n’ont jamais reçu d’interprétation, sur la description des vécus de conscience, sur la découverte des racines des idées logiques et sur la nécessité de rechercher les essences des choses. Husserl partira donc de ces idées logiques pour montrer leur enracinement dans la conscience vécue et, ensuite, découvrir dans l’ego transcendantal le fondement ultime du réel. L’influence de cette démarche philosophique se retrouvera dans le vocabulaire de Heidegger.

Husserl a commis le péché du géomètre

Pourtant, la 1ère œuvre magistrale de Heidegger, Sein und Zeit, marque un tournant radical par rapport à l’héritage husserlien. Heidegger reproche à son maître de réinstituer une métaphysique dégagée de tout vécu. L’ego transcendantal, à l’instar du modèle cartésien, se pense objectivement en face du monde. Ce face-à-face implique un arrachement du sujet au non-sens du monde. L’humanité réelle, seul sujet historique, devient l’ego trans-cendantal. Vicissitudes, événements, enracine-ments, histoire se voient donc dépouillés de tou-te validité. Pour échapper à cet idéalisme ratio-naliste, Heidegger propose une phénoménologie postulant qu’il n’y a pas, à la racine des phénomènes, une réalité dont ils dérivent. Il écrit : "Au-dessus de la réalité, il y a la possibilité. Comprendre la phénoménologie veut dire saisir ses possibilités". Ces possibilités présentes dans l’immanence, c’est ce que Heidegger appelle l’être de l’étant. Pour lui, ontologie et phénoménologie ne sont pas 2 disciplines différentes : il est impossible de sortir du plan des phénomènes, car ce serait s’exclure de la sphère de la révélation de l’être. En d’autres termes, refuser de tenir compte des phénomènes, c’est s’interdire l’accès à l’essentiel. Heidegger renverse la perspective de la philosophie traditionnelle : il voit l’essentiel dans l’intervention sur la trame des phénomènes et non dans une position de distance prise vis-à-vis d’eux.

Le moi transcendantal, chez Husserl, s’érige contre la phénoménalité des phénomènes, exactement comme dans la plupart des perspectives philosophiques classiques. II est la cause qui explique les phénomènes, le lieu à partir duquel ceux-ci sont dominés et justifiés. L’homme, dans une telle perspective, est un découvreur et non un créateur de sens. Sa position est contemplative et non active. Pour Heidegger, au contraire, la réflexion philosophique ne doit pas se borner à expliquer (à décrire ou à recenser) la réalité statique des phénomènes, mais elle doit en expliquer, par le moyen de l’herméneutique, les possibilités, c-à-d. ce qui, en eux, est susceptible de se développer, d’évoluer vers la production de nouveauté. On ne décrit complètement et avec assurance que ce qui est statique, figé, sûr. De ces choses statiques, les philosophes avaient déduit les essences. Hélas pour eux, les essences étaient rarement adéquates aux existences. De cette inadéquation naissent tant le pessimisme, qui s’en désole, que bon nombre de totalitarismes qui veulent, coûte que coûte, réaliser l’adéquation définitive. Heidegger pense que la possibilité est le mode d’être propre à l’existant parce qu’on ne peut reconnaître aucune entité métaphysique comme fondement de l’existence, et parce qu’il faut -enraciner l’être dans les phénomènes, dans la "facticité" [5]. Résolument, Heidegger affirme que c’est le néant qui sous-tend l’existence. Il ne remet rien à la place des anciens absolus métaphysiques.

Husserl, avec son moi transcendantal, a fini par commettre le péché du géomètre : la nature qu’il postule est préalablement posée, en dehors de toute limitation spatiale et temporelle, derrière l’écran des contingences et des particularités. Cette nature est comme créée ex nihilo. Où faut-il alors placer le travail de l’homme ? Le moi transcendantal travaille-t-il ? Le moi transcendantal produit-il ce que recèlent les possibilités ? Ces questions, Heidegger y répond dans son œuvre, en une sorte de dialogue inavoué avec Husserl.

Le monde de l'existence, ce chantier où œuvre l'homme, est, sans pour autant être nié, mis "entre parenthèses" par Husserl. L'herméneutique heideggérienne voudra, elle, décrire la facticité pour, ensuite, la retourner vers son sens ontologique, ce sens qui annonce l’être dans le monde. La description ne vise ici qu’à repérer ce qui peut être actualisé - ce qui peut se manifester dans le monde, ce que nous pouvons faire surgir. Le savoir a toujours été conçu comme un "voir" passif ; un tel point de départ trahit un platonisme tenace. Or Heidegger veut dépasser toute les attitudes passives qu'impliquent les enseignements des vieux philosophes. C’est pourquoi il juge que l'ego (le moi) transcendantal de Husserl reste, lui aussi, "un pur regard, assuré de son immortalité, glissant à travers l'éther du sens pur" [6]. Husserl n'a pas perçu que toute présence, jetée au regard de l’observateur, montre au philosophe attentif une temporalité dissimulée, oubliée ou déformée. Toute présence est à la fois spatiale (l’opposition de l’absence) et temporelle (son caractère d’instant). L’être et le temps sont liés dans la présence, et la reconnaissance de cette naïve évidence est la condition sine qua non pour échapper à l’illusion métaphysique.

Cette découverte de l’imbrication être-temps, Heidegger la doit à l’intérêt qu’il porte à la théologie depuis 1923. Cet intérêt a de multiples aspects. Sa rencontre avec l’œuvre de Rudolf Bultmann (1884-1976), philosophe connu pour s’être assigné la tâche de "-mythologiser" le Nouveau Testament en l’interprétant à la lumière de l’existentialisme, est, sur ce plan, capitale [7]. Bultmann a voulu dégager le message du Nouveau Testament en expliquant le contenu éthique des expressions mythiques employées dans la rédaction des textes évangéliques. Pour la Bible, l’homme est, d’une certaine manière (et de façon provisoire), historicité. Heidegger a scruté, avec la plus grande attention, la tradition chrétienne pour comprendre le rôle que joue la temporalité dans le phénomène humain. Il a médité Kierkegaard et, selon Bultmann, "ne s’est jamais caché d’avoir été influencé par le Nouveau Testament, spécialement par Paul, ainsi que par Augustin et particulièrement par Luther" [8]. "L’homme, écrit Bultmann, existant historiquement dans le souci de lui-même, sur le fond de l’angoisse, est chaque fois, dans l’instant de la décision, entre le passé et le futur : veut-il se perdre dans le monde du donné, du "on" ou veut-il atteindre son authenticité dans l’abandon de toute assurance et dans le don sans réserve au futur ?" (Kerygma und Mythos, I, 33).

Chez Paul, le terme kosmos ou monde n’est pas un état de choses cosmique, mais l’état et la situation de l’être humain, la façon dont celui-ci prend position envers le cosmos, la façon dont il en apprécie les biens. Chez Augustin, mundus signifie la totalité du créé, mais aussi, et surtout, habitatores mundi ou encore, plus péjorativement, dilectores mundi (ceux qui chérissent le monde), impii (les impies) ou carnales (les charnels) [9]. Au Moyen Age, Thomas d’Aquin reprendra cette distinction et fera du terme mundanus l’antonyme de spiritualis. Pourtant, malgré cette perception post-évangélique du monde, où celui-ci n’est pas appréhendé dans sa stabilité ontique, la tradition occidentale est restée prisonnière du vieux substantialisme immobiliste platonicien. Le protestantisme luthérien, toutefois, a eu le mérite de -actualiser le dynamisme propre à la saisie existentielle du Nouveau Testament. En ce sens, la révolution noologique amorcée par la Réforme constitue une 1ère étape dans la sortie hors de ce que Heidegger appelle l’oubli de l’être. L’homme ne vit authentiquement que s’il projette des possibilités, s’il s’extrait du monde de la banalité quotidienne.

L’existence, selon Heidegger, ne doit plus se comprendre à partir de l’étant, mais de l’être. Or, écrit André Malet [10], l’être n’est jamais une possession ; il est un destin historique qui rencontre l’homme d’une manière toujours nouvelle. L’homme est en définitive sa propre œuvre. En cela, Heidegger dépasse et refuse l’eschatologie vétérotestamentaire : il ne reconnaît pas la totale impuissance de l’homme à l’endroit de son ipséité.

chaque génération doit réécrire l’histoire

Pour l’historien grec Thucydide, l'élément permanent de l’histoire, c’est l’ambition et la recherche du pouvoir, dont le but est de donner des instructions utiles pour les décideurs à venir. Thucydide perçoit le mouvement de l’histoire comme analogue à celui du cosmos, de la nature. Plus tard, Giambattista Vico (1668-1744) a repris le thème antique du mouvement cyclique de l'histoire en le complétant : il y inclut l'idée d’une progression en spirale, grâce à laquelle la phase première du cycle I est autre que la phase première du cycle II. En Allemagne, Herder relativisera aussi l’histoire grâce au thème romantique du Volksgeist : chaque peuple, chaque époque a son éthique propre, ce qui implique en corollaire que ce ne sont ni la permanence ni l’éternité des choses qui importent, mais l’Erlebnis (le vécu).

medium_0.gif Au XXe siècle, enfin, Oswald Spengler systématisera cette perspective organique de l’histoire. Les civilisations, pour lui, seront isolées les unes des autres et leurs productions (scientifiques, mathématiques, philosophiques, théologiques, etc.) leur seront absolument propres. De Thucydide à Spengler, on a donc interprété l'histoire sur le modèle des faits naturels ; l’événement historique est considéré, selon cette perspective, comme une réalité finie, comme une chose. Nul ne songerait, bien évidemment, a nier la validité épistémologique de cette démarche. Mais Heidegger nous exhorte à ne pas en rester là. Il veut nous faire saisir l’événement historique comme un événement qui n’est jamais achevé. Dans la perspective antérieure, l’invasion des Gaules par César ou l'acte de rébellion de Luther étaient des faits définitivement morts. En fait, ils ne l’étaient que du strict point de vue spatio-temporel. Leur sens, lui, n’est nullement "mort". Il n'a pas été encore déployé dans toute son étendue ni toute sa profondeur. Ces sens subsistent à l’état de latence et restent susceptibles de se manifester dans notre existence. Les conséquences d’un événement constituent le futur de l’acte jadis posé tout autant que le présent qui appelle nos décisions pour forger l’avenir.

Bultmann écrit à ce propos : "Les phénomènes historiques ne sont pas ce qu’ils sont dans leur pur isolement individuel, mais seulement dans leur relation au futur pour lequel ils ont une importance". L'être se voit ainsi historicisé, et les hommes se retrouvent responsables de l'à-venir du passé. Les hommes, autrement dit, doivent décider hic et nunc de la signification de leur "avant" et de leur "après". (Malheureusement, la plupart des hommes s'attachent aux soucis du monde et, quand ils sont appelés à la décision, ils s'y refusent).

Faisant abstraction des idéologèmes misérabilistes et intéressés du christianisme, d’autres penseurs tels que Dilthey, Croce, Jaspers et Collingwood, se sont également efforcés de souligner l'originalité des faits historiques par rapport aux faits naturels, et, ipso facto, celle de l’histoire au regard des sciences de la nature. Heidegger a beaucoup réfléchi, en particulier, sur la tentative de Dilthey de définir les relations véritables entre la conscience humaine et les faits historiques. C’est de Dilthey, par ex., qu'il tire sa distinction fondamentale entre les vérités techniques (ontiques), propres aux sciences exactes et appliquées, et les intuitions authentiques, visées par les sciences historiques et humaines (Geisteswissenschaften). Sein und Zeit reprend d’ailleurs le contenu de la dispute philosophique entre Dilthey et Yorck von Wartenburg. Ce dernier reprochait à Dilthey de ne pas rejeter de manière suffisamment radicale une vision de l’histoire basée sur l’enchaînement causal. Heidegger insiste, lui aussi, sur la détermination temporelle de l’homme : l’identité humaine, dit-il, se découvre dans l’histoire. George Steiner, dans le bref ouvrage qu’il a consacré à Heidegger [11], rapproche cette position de celle du marxisme hégélien et révolutionnaire. De fait, comme le philosophe marxiste hongrois Georg Lukàcs, Heidegger insiste sur l’engagement des actes humains dans l’existence historique et concrète. Cette perspective conduit à adopter une attitude strictement immanentiste.

Pour le Britannique R.G. Collingwood (1889-1943), chaque génération doit réécrire l’histoire, chaque nouvel historien doit donner des réponses originales à de vieilles questions et réviser les problèmes eux-mêmes. Cette pensée est résolument anti-substantialiste. Elle pose la pensée comme effort réfléchi, comme réalisation d’une chose dont nous avons une conception préalable. La pensée, pour Collingwood, est intention et volonté. Elle doit être perçue comme une décision qui met en jeu tout l’être [12]. La plupart des conceptions de l’histoire jusqu’ici, fait fausse route. La raison de ces échecs réside dans une mauvaise compréhension de ce que on entendait autrefois par "science de la nature humaine" ou "sciences des affaires humaines". Au XVIIIe siècle, l’étude de la "nature humaine" s’est bornée à élaborer une série de types, s’apparentant ainsi à une recherche de caractère statique et analytique. Au XIXe siècle, l’étude des "affaires" humaines a provoqué la naissance des "sciences humaines", que Herbert Spencer appela plus justement social statics ; on catalogua alors toutes les forces irrationnelles à l’œuvre dans la société [13].

Mais la nature humaine, qui, selon Collingwood, est historique, ne peut s’appréhender à la manière d’un donné, par perception empirique. L’historien n’est jamais le témoin oculaire de l’événement qu’il souhaite connaître. La connaissance du passé ne peut être que médiat : Comment la connaissance historique est-elle alors possible ? La réponse de Collingwood est simple : l’historien doit -actualiser le passé dans son propre esprit [14]. Cette attitude a d’importantes conséquences. Lorsqu’un homme pense historique-ment, il a devant lui des documents ou des reliques du passé. Il doit re-découvrir la démarche qui a abouti à la création de ces documents. L’étude historique n’est possible que parce qu’il reste des survivances de l’époque où les documents ont été fabriqués ou rédigés. Dès lors, le passé qu’étudie un historien n’est jamais un passé complètement mort. L’histoire, écrit Collingwood, ne doit donc pas se préoccuper d’ "événements" mais de "processus". Se préoccuper de processus fait découvrir que les choses n’ont ni commencement ni fin, mais qu’elles "glissent" d’un stade à un autre. Ainsi, si le processus P1 se mue en processus P2, on ne pourra pas déceler de ligne séparant l’endroit, le moment où P1 finit et où P2 commence. P1 ne s’arrête pas, il se perpétue sous la forme de P2 - et P2 ne débute jamais, car il a été en gestation dans P1. L’historien qui vit dans le processus P2 devra savoir que P2 n’est pas un événement clos sur lui-même, pur et simple, mais un P2 mâtiné des survivances de P1.

Comme Collingwood, Heidegger sait que les gestes passés persistent, soit en tant que structures établies (avec le danger de sclérose), soit, après un échec, en tant que possibilités refoulées. Penser les événements historiques comme finis, comme confinés dans un "espace" temporel limité, revient, selon lui, à "objectiver" l’histoire à la manière dont les platoniciens et les scolastiques avaient "objectivé" la nature. Par opposition aux métaphysiciens, Heidegger entend donc expérimenter la vie dans son historicité, c-à-d. la vie non pas figée dans le "présent-constant", mais bien plutôt comme essentiellement "kaïrologique", ce qui signifie à la façon d’une mise en jeu, d’un engagement, d’une "folie". Ce jeu d’engagement et de "folie" constitue l’authenticité, dans la mesure même où il échappe aux petits aménagements de ceux qui souhaitent que le monde corresponde a leurs calculs. Les hommes qui souhaitent un tel monde sont déclarés inauthentiques. L’homme intégral ou celui qui vise l’intégralité est toujours menacé par les mystifications idéologiques et doit toujours demeurer vigilant pour se maintenir dans une attitude de liberté et d’ouverture véritables. Les mystifications idéologiques pétrifient le temps - ce temps toujours susceptible d’ébranler leurs certitudes réconfortantes. La "réalité" n’est pas, chez Heidegger, donnée une fois pour toutes, depuis toujours et de toute éternité. Elle est "question" & "jeu" ; elle "joue" à ouvrir et à relancer sans fin le jeu inépuisable de l’être et du temps, de la présence et de l’ "ouvert", de l’enracinement et de la désinstallation. Le jeu de l’être est sans justification ni raison, il se déploie à travers le destin, l’errance et les combats du temps. II est sans origine ni fin(s), sans référence aucune à un centre fixe et substantiel qui commanderait et garantirait son déploiement [15]. Ce rejet de toute pensée figée implique l’acceptation joyeuse de la pluri-dimensionnalité du cosmos, une pluri-dimensionnalité que le "penser" et le "dire" n’auront jamais fini d’explorer et de célébrer en toutes ses dimensions.

L’attitude de celui qui a fait sienne cette conception du monde est la Gelassenheit : impassibilité, sang-froid, sérénité. La Gelassenheit permet de supporter une existence privée de totalité rassurante. La finitude de l’homme nous place en effet dans (et non devant) un mystère inépuisable, qui ne cesse d’interpeller la pensée pour l’empêcher de se clore sur ses représentations.

un remplacement radical de toutes les ontologies

Heidegger nous propose donc son histoire de la philosophie, sa perspective sur l’œuvre des philosophes qui se sont succédés depuis Platon jusqu’à Nietzsche. Platon est celui qui a inauguré le règne de la métaphysique. Tandis que les Présocratiques concevaient l’être comme une unité harmonieuse qui conjugue stabilité, mouvance et jaillissement, Platon, brisant l’harmonie originelle de la nature, distingue la pensée de la réalité. Désormais, seul l’être saisissable par la pensée se verra attribuer la qualité d’être. Seul ce qui est non devenu, ce que le devenir ne corrode pas, ce qui est stable, limité dans l’espace, qui ne change pas, qui persiste, est. Tout ce qui est polymorphe, saisissable par les sens, tout ce qui devient et s’évanouit dans la temporalité et la spatialité, tout cela n’est, pour la tradition platonicienne, que du paraître. Cette radicale césure implique que l’esprit (noûs) ne fasse plus un avec la phusis. Au domaine de la vérité -limité par le champ de vision de l’esprit, Platon oppose le règne du sensible atteint par la perception (aïsthêsis). Chez les Présocratiques, le langage exprimait le surgissement de la réalité. Après Socrate et Platon, le langage devra ajuster la pensée à l’expression d’une proposition logique, "épurée" sémantiquement de toute trace de devenir. La démarche logique qui résulte de cette involution produit également la naissance de l’axiologie, de la morale. En effet, s’il faut rechercher toujours l’ajustement, il est évident que l’on finira par postuler un Ajustement suprême, que l’on nommera le Souverain Bien, l’Agathon. Sous l’influence de théologèmes pro-che-orientaux, ce divorce platonicien entre l’in-complétude du monde immanent et la complé-tude du monde des idées, recevra progressi-vement la coloration morale du bien et du mal.

Le monde a mis longtemps à triompher de la maladie dualiste. Heidegger le constate en interrogeant les grands philosophes qui l’ont précédé : Aristote, qui nuance, par sa théorie de l’acte et de la puissance, la pensée de Platon, mais qui ne le dépasse pas ; Thomas d’Aquin, qui personnalise le moteur premier sous les traits d’un Dieu chrétien déjà différent du Iahvé biblique ; Descartes, qui cherche une garantie en Dieu et n’analyse que les rapports "logiques" entre l’homme, coupé de la phusis, et cette même phusis, conçue comme étendue (res extensa) ; Leibniz et Kant, qui tentent difficilement de sortir de l’impasse ; Hegel, qui ne réhabilite que très partiellement le devenir, et enfin Nietzsche. De ce dernier Heidegger dit qu’il est le plus débridé des platoniciens, parce qu’à la place du trône désormais vacant de Dieu, il hisse la Volonté de puissance. Ce renversement (Umkehrung) n’est pas, pour Heidegger, un dépassement (Ueberwindung). La puissance remplace seulement la raison. Nietzsche, autrement dit, n’a pas suffisamment réfléchi à la façon d’extirper les illusions qui rejettent l’homme dans le règne du "on". Nietzsche a été un pionnier. Il faut le continuer et le compléter.

La Fundamentalontologie (ontologie fondamentale) de Heidegger se veut, elle, un remplacement radical de toutes les ontologies. Elle veut répondre à la question : Was ist das Seiende in seinem Sein ? (Qu’est-ce que l’étant en son être ?) Das Seiende, c’est l’agrégat "ontique", c-à-d. l’agrégat des étants, des phénomènes constituant le fond-de-monde. Un seul de ces étants est manifestement privilégié : l’homme. L’homme cherche l’être, la signification fondamentale de cet étant qui rassemble tous les étants. C’est pourquoi l’homme, seul étant a poser cette cruciale question de l’être, est un Da-Sein, un "être-là". Qu’est-ce que ce "là" ? La métaphysique occidentale avait placé l’essence de l’homme en dehors de la vie - alors que Heidegger veut remettre cette essence "là", c’est-à-dire replonger la vie dans l’immanence, dans le monde des expériences existentielles. Le résultat concret de cette "négligence" de la métaphysique occidentale avait été d’abandonner l’étude de l’homme aux social statics évoqués par Spencer. L’homme, objet d’investigations utiles et pratiques, s’était alors vu "compartimenté". Sa perception faisait l’objet de la psychologie ; son comportement faisait réfléchir la morale ou la sociologie ; enfin, la politique et l’histoire abordaient sa condition de citoyen, de membre d’une communauté organisée. Aucune de ces disciplines ne prenait en compte l’homme complet, intégral. Le "là" impliqué dans le Dasein, c’est au contraire le monde réel, actuel. Être humain, c’est être immergé, implanté, enraciné dans la terre. (Dans homo, "homme" en latin, il y a humus, "la terre").

In-der-Welt-Sein : telle est l’expression par laquelle Heidegger exprime la radicale nouveauté de sa philosophie. Depuis Platon, il s’agit, pour la 1ère fois, d’être vraiment dans ce monde. Nous sommes jetés (geworfen) dans le monde, proclame Heidegger. Notre être-au-monde est une Geworfenheit, un être-jeté-là, une déréliction. Cette banalité primordiale nous est imposée sans choix personnel, sans connaissance préalable. Elle était là avant que nous n’y soyons ; elle y sera après nous. Notre Dasein est inséparable de cette déréliction. Nous ne savons pas quel en est le but - si toutefois but il y a. La seule chose dont nous soyons sûrs, c’est qu’au bout, il y a, inéluctable, la mort. Dès lors, notre tâche est d’assumer la Faktizität (facticité) au milieu de laquelle nous avons été jetés. Si l’angoisse est bien ce qui manifeste le lien entre la dimension de l’être-jeté et le projet, le Dasein doit le reprendre dans l’horizon de sa finitude, ouvert sur l’avenir.

La philosophie traditionnelle s’est bornée à considérer le monde comme Vorhandenes, comme être-objet. La pierre, par exemple, est un être-objet pour le géologue : la pierre est jetée devant lui et il la décrit ; il reste détaché d’elle. La science de la nature détermine d’avance, a priori, ce que l’étant doit être pour être objet de savoir. Mais l’homme est plus qu’un spectateur-descripteur. En tant qu’être-au-monde, il sollicite les choses relevant, de prime abord, du Vorhandensein : l’ouvrage projeté oriente la découverte de l’outil et l’inclut en un complexe ustensilier. En les sollicitant, il les inclut dans son Dasein, il en fait des outils (Werkzeuge). Devenant "outils", ces choses acquièrent la qualité de Zuhandensein, d’être-en-tant-qu’objet-fonctionnant. Tout artiste, tout artisan, tout sportif saura ce que Heidegger veut dire : que l’homme, grâce à l’outil qu’il s’est approprié, devient un plus, ajoute "quelque chose" au "là", façonne ce "là" ; dans cette perspective, l’outil fait moins sens par son utilité que par son inscription dans un complexe de relations qui le rend bon pour tel usage, renvoyant en définitive à ce quoi le Dasein aspire. La vision strictement théorique de la philosophie platonicienne et post-platonicienne (Heidegger étant, lui, plutôt "transplatonicien", car il dépasse radicalement cet ensemble de prémisses) se concentrait sur l’élaboration de méthodes, sans percevoir ou sans vouloir percevoir le type immédiat de relation aux choses que constitue le Vorhandensein. Le Vorhandensein implique qu’il y ait d’infinies manières d’agir dans le monde. Quand il n’y a pas un modèle unique, tous les modèles peuvent être jetés dans le monde. L’homme devient créateur de formes et le nombre de formes qu’il peut créer n’est pas limité.

Jeté dans un monde qui était là avant lui et qui subsistera après lui, l’homme se trouve donc face à une sorte de "stabilité", face à ce que les philosophes classiques nommaient l’être, le stable, le non-devenu et le non-devenant. Heidegger, nous l’avons vu, reproche à cette démarche de ne pas percevoir la temporalité sous-jacente au sein même de tout phénomène. Vouloir "sortir" du temps est, de ce fait, une aberration. L’ontologie fondamentale postule que l’être est inséparable de la temporalité (Zeitlichkeit). L’être sans temporalité ne peut être expérimenté. Le souci (Sorge), qui est ce mode existentiel dans et par lequel l’être saisit son propre lieu et sa propre imbrication dans le monde comme être-en-avant-de-soi, devant utiliser le temps pour aborder les étants, car ce n’est que dans l’horizon du temps qu’une signification peut être attribuée aux réalités ontiques, aux choses de la quotidienneté. Heidegger dit : "La temporalité constitue la signification primordiale de l’être du Dasein". C’est là une position résolument anti-platonicienne et anti-cartésienne, car, tant chez Platon que chez Descartes, le temps et l’espace sont idéalisés, géométrisés. En revanche, cette position semble évoquer l’idée chrétienne d’incarnation de Dieu dans le temps. Dans un texte contemporain de Sein und Zeit, écrit lui aussi en 1927 et intitulé Phänomenologie und Theologie, Heidegger explique effectivement l’intérêt de la théologie pour comprendre ce qu’est le temps [16].

Mais l’imperfection humaine posée dans la théologie augustinienne se mue, chez lui, en une incomplétude, en un "pas-encore" (noch-nicht) qui oblige à vivre mobilisé, comme pour une croyance. L’homme doit se construire dans une perpétuelle tension, à l’instar du croyant qui vit pour mériter son salut. Mais ici, il n’y a pas de récompense au bout de cet effort ; il n’y a que la mort. Heidegger refuse donc totalement les espoirs consolateurs de la praxis chrétienne. L’augustinisme postulait que l’homme devait vivre de manière irréprochable, morale, dans l’histoire momentanée. Pour Heidegger, l’histoire s’écoule, mais cet écoulement n’est pas momentané. L’écoulement (panta rhei) s’écoulait avant nous et s’écoulera après nous. L’intérêt que porte Heidegger au temps des théologiens n’est pas du christianisme. Il est resté disciple d’Héraclite : son temps "coule", mais nullement pour, un jour, s’arrêter. Quel intérêt, d’ailleurs, y aurait-il à vivre hors de cette tension qu’implique la temporalité ? Le souci est antérieur à toute détermination biologique et rompt avec la définition de l’homme comme animal rationale car la conscience de réalité n’est jamais qu’une modalité de l’être-au-monde et non un complexe hétérogène d’âme et de corps.

les trois modes d’être selon Heidegger

Penchons-nous maintenant sur la "déréliction" personnelle de Heidegger. Né en 1889, Heidegger passe son enfance et son adolescence dans ce que l’écrivain Robert Musil, parlant de l’Autriche-Hongrie de la Belle époque, appelait la "Cacanie" (Kakanien). Qu’entendait-il par là ? Simplement l’incarnation de la décadence : une société affectée par un bourgeoisisme à bout de souffle. Pour Musil, l’Autriche-Hongrie du début du siècle incarnait la fin de toutes les valeurs. Le philosophe Max Scheler, plus optimiste, écrivait : "Là où il n’y a pas de place pour les valeurs, il n’y a pas de tragédie. Ce n’est qu’où il y a du "haut" et du "bas", du "noble" et du "vulgaire", qu’existe quelque chose qui laisse deviner des événements tragiques" [17]. C’est dans un climat analogue que Nietzsche avait placé ces mots lourds de signification dans la bouche de son Zarathoustra : "Inféconds êtes-vous ! C’est pourquoi il vous manque de la foi". Par là, il voulait signifier que le manque de foi menait à la stérilité des connaissances et de la création. Mais de quelle foi s’agissait-il ? Heidegger nous apprend que la foi post-chrétienne ou, pour être plus précis, l’intérêt pour le temps (valorisé par les chrétiens dans la mesure où il conduit à Dieu) et pour l’histoire (eschatologique chez les chrétiens) doit se retrouver demain dans la philosophie après la longue éclipse que fut l’oubli de l’être en tant qu’imbrication de la terre et du temps. Dans la mesure où les espoirs eschatologiques déçoivent, où l’objectivation implique une norme immuable, les sociétés sombrent dans le nihilisme. Les hommes, pour paraphraser le titre du roman de Robert Musil (Der Mann ohne Eigenschaften), deviennent sans qualités.

Dans quel monde vit alors l’homme sans qualités ? Comment Heidegger va-t-il cerner, par son propre langage philosophique, ce monde où gisent les cadavres des valeurs ? Dans quel paysage idéologique Sein und Zeit va-t-il éclore ? Quels rapports sommes-nous autorisés à découvrir entre Sein und Zeit et le Zeitgeist (l’esprit du temps) qui échappe, dans le tourbillon des événements et des défis, à la rigueur philosophique et au regard pénétrant de cet éveilleur que fut Martin Heidegger ?

La philosophie heideggérienne de l’existence se veut une ontologie. Mais une ontologie qui a pour particularité de poser la question de l’être après plusieurs siècles d’ "oubli". La métaphysique, on l’a vu, a été l’expression de cet oubli depuis Platon. L’oubli est la racine même du nihilisme qui afflige la société européenne, et notamment la société allemande après la première Guerre mondiale. Or, tout le mouvement de ce que l’on a dénommé Konservative Révolution (Révolution Conservatrice) est marqué par une recherche de la totalité, de la globalité perdue. L’essayiste anglais Peter Gay parle de Hunger for wholeness [18], ce que nous traduirons par "soif de totalité", une soif qui implique un jugement très sévère à l’encontre de la modernité. Le chaos social et spirituel provoque alors une recherche fébrile de "substantialité" ou, plutôt, d’ "intensité". Cette volonté de donner une réponse à la quiddité est corrélative d’un questionnement sur le "comment", sur le mode d’être qui se traduira dans la réalité tangible.

Il y a, pour Heidegger, 3 modes d’être : l’être-objet (Vorhandenes), l’être-en-tant-qu’objet-fonctionnant (Zuhandenes), l’être comme Dasein, c-à-d. comme être-conscient, être-qui-s’autodétermine, être-homme. Or, on ne peut parler de "substantialité" pour les 2 premiers de ces modes. Seul l’homme en tant que Dasein est susceptible d’acquérir de la "substantialité". Sa spécificité l’oblige à être ce qu’il est de manière complète, effective et totale. Cependant, le Dasein en tant qu’existence court toujours le risque de sombrer dans le non-spécifique (Uneigentlichkeit), c-à-d. dans un type de situation caractérisée par l’ "anodinité" de ce que Heidegger appelle l’Alltäglichkeit (la banalité quotidienne).

De telles situations évacuent de l’existence des hommes et des communautés politiques l’impératif des décisions, nécessaires pour répondre aux défis qui surgissent. La banalité quotidienne est fuite dans le règne du "on" (Man-Sein). L’homme, souvent inconsciemment, se perçoit alors comme objet soumis à des règles banalement générales. Il trahit sa véritable spécificité, dans la mesure où il refuse d’admettre ce qui, d’emblée, le jette dans une situation. Comme un navire privé de gouvernail, il n’est plus maître de la situation, mais se laisse entraîner par elle. Heidegger distingue ici deux aspects dans le mode d’être qu’il attribue au concept d’existence : l’aspect individuel (propre à un seul homme ou à une seule communauté politique) et l’aspect ontologique stricto sensu qui est l’être-effectif, l’être-qui-n’est-pas-que-pensé. Ces 2 aspects diffèrent de ce que la philosophie occidentale qualifiait du concept d’essentia. L’essence, depuis le platonisme, était perçue comme ce qui est au-delà des particularités et des spécificités. Cette volonté d’ "alignement" sur des normes non nécessairement dites, constituait précisément la structure mentale qui a permis l’avènement du nihilisme, où les personnalités individuelles et collectives se noient dans le règne du "on". Nier les particularités, c’est oublier l’être qui est fait de potentialités. Le culte métaphysique de l’essentia chasse l’être du monde. Le monde dont l’être est banni vit à l’heure du nihilisme. Et c’est un tel monde que les contemporains de Heidegger observaient dans l’Allemagne de Weimar.

La révolution philosophique du XXe siècle se réalisera lorsque les Européens s’apercevront que l’être n’est pas, mais qu’il devient. Heidegger, pour exprimer cette idée, recourt à la vieille racine allemande wesen, dont il rappelle qu’elle a donné naissance à un verbe. II écrit : Das Sein an sich "ist" nicht, es "west". L’être est pure potentialité et non pure présence. Il est toujours à appeler. L’homme doit travailler pour que quelque chose de lui se manifeste dans le prisme des phénomènes. Une telle vocation constitue son destin, et c’est seulement en l’acceptant qu’il sortira de ce que Kant nommait son "immaturité". L’impératif catégorique ne sera plus alors la simple constatation des phénomènes figés dans leur présence (en tant que non-absence), la reconnaissance pure et simple des objets et/ou des choses produits par la création "divine" des monothéistes. Il sera le travail qui fait surgir les phénomènes. L’attitude de demain, si l’on veut trouver des mots pour la définir, sera le réalisme héroïque [19], sorte de philosophie de la vigilance qui nous exhorte à éviter tout "déraillement" de l’ "être" dans l’Alltäglichkeit.

seul l’homme authentique opère des choix décisifs

Si une règle, une norme s’applique impérativement à tous les hommes, à toutes les collectivités, dans tous les lieux et en tous les temps, l’homme ne peut qu’être empêché de poser de nouveaux choix, d’élaborer de nouveaux projets (Entwürfe), de faire face à des défis auxquels ces normes (qui ne prévoient, dans la plupart des cas, que la plus générale des normalités) ne peuvent répondre. Pour Heidegger, la possibilité de choisir - et donc de faire aussi des non-choix - se voit donc investie d’une valorisation positive. La marque du temps se perçoit très clairement dans ces réflexions. L’Allemagne, en effet, se trouve alors devant un choix. Par ce choix, elle doit clarifier sa situation et rendre possible le "projeter" (Entwerfen) et le "déterminer" (Bestimmen) d’une nouvelle "facticité".

On a qualifié cette démarche heideggérienne de philosophie de Berserker, ces personnages de la mythologie scandinave, compagnons d’Odin, qui avaient le pouvoir de commettre des actes habituellement défendus. De fait, les détracteurs de la conception heideggérienne de l’existence prétendent souvent qu’elle constitue une justification de tous les excès du subjectivisme. A cette abusive simplification, on peut répondre en constatant que la volonté de légitimer l’éternité des normes traduit un simple "désir" de régner sur une humanité dégagée de toute responsabilité, sur une humanité noyée dans le monde du "on".

Pour Heidegger, l’homme, en réalité, ne choisit pas d’agir pour ses propres intérêts ou pour ses caprices, mais choisit, dans le cadre de la situation où il est jeté ou enraciné, ce que l’urgence commande. Une action ainsi absoluisée n’a rien d’égoïste ; elle a vocation d’exemplarité. Qualifier une telle conception de l’existence d’ "ontologique", comme le fit Heidegger, a peut-être constitué un défi philosophique. Il n’empêche qu’une telle conception de la décision représente un dépassement radical du fixisme métaphysique issu du platonisme. On a alors raison de faire de Heidegger le philosophe par excellence de la Révolution Conservatrice. Loin d'être une fuite dans le pathétique, la philosophie de Heidegger cherche à comprendre sereinement l'ensemble des potentialités qui s'offrent à l'existence humaine. Cette philosophie est révolutionnaire, parce qu'elle cherche à fuir le monde du "on", marqué par le répétitif et l’uniformité. Elle est conservatrice, parce qu’elle refuse d’exclure la totalité des potentialités qui restent à l’état de latence. Autrement dit, ce que la pensée heideggérienne conserve, ce sont précisément les possibilités de révolution, que l’ontologie traditionnelle avait refoulées.

Les contemporains ont fortement perçus ce que cette philosophie leur proposait. Sans apporter de remèdes consolateurs, Heidegger affirme que l'inéluctabilité finale de la mort oblige les hommes à agir pour ne pas simplement passer du "on" au néant. La mort nous commande l'action. En cela, réside un dépassement du nietzschéisme. Chez Nietzsche, en effet, la "vie" reste quelque chose en quoi l'on peut se dissoudre ; la "puissance", quelque chose par quoi l’on peut se laisser emporter. La décision face au néant est totalement non-objet, non-substance, non-produit. Elle est pure attitude jetée dans le néant, pure attitude privée de sens objectif. Dans une telle perspective, l’adversaire n’est jamais absolu. Néanmoins, l'ennemi désigné est le monde bourgeois du "on". L'idéologie conservatrice acquiert ainsi, avec Heidegger, la tâche de gérer l'aventureux. Elle prend en charge le dynamisme qu’auparavant on attribuait aux seuls négateurs. La négativité n'est plus l'apanage des penseurs de l'École de Francfort.

La négativité heideggérienne se fixe pour objectif de mettre un terme au déclin des valeurs, résultat de l’ "oubli de l’être". Face au monde banal qui s’offre à nos regards, Heidegger affirme que la mise en doute constitue un moyen pour tirer l’humanité de l’indolence dans laquelle elle se trouve, et pour lui dire qu’il y a urgence. Heidegger est aussi l’héritier de la tradition pessimiste allemande, mais il se rend parfaitement compte que le pessimisme constitue une attitude insuffisante. "La décadence spirituelle de la terre, écrit-il, est déjà si avancée que les peuples sont menacés de perdre la dernière force spirituelle, celle qui leur permettrait du moins de voir et d’estimer comme telle cette décadence (conçue dans sa relation au destin de l’ "être"). Cette simple constatation n’a rien à voir avec un pessimisme concernant la civilisation, rien non plus, bien sûr, avec un optimisme ; car l’obscurcissement du monde, la fuite des dieux, la destruction de la terre, la grégarisation de l’homme, la suspicion haineuse envers tout ce qui est créateur et libre, tout cela a déjà atteint, sur toute la terre, de telles proportions, que des catégories aussi enfantines que pessimisme et optimisme sont depuis longtemps devenues ridicules" [20].

Pour Heidegger, il n'y a pas évolution historique, mais involution. Ce sont les origines des mondes culturels qui sont les plus riches, les plus mystérieuses, les plus enthousiasmantes. L’être-homme, aux âges primordiaux, connaît son intensité maximale. Cet être-homme consiste à être sur la brèche, là où l’être fait irruption dans le monde de l’immanence. Mais c’est bien l’homme qui reste le maître du processus. Les époques de décadence sont à cet égard capitales, car elles appellent les hommes à remonter sur la brèche, à ressortir de l’abîme où l’oubli de l’être les a conduits. Dans cette perspective, le succès ou l’échec sont secondaires. Le héros qui échoue peut être quand même exemplaire. Rien n’est réellement définitif. Rien n’arrête la nécessité de l’action. Rien ne démobilise définitivement - car une démobilisation définitive impliquerait de retomber dans le nihilisme.

Cette conception heideggérienne de l’existence renoue avec une éthique présente dans la vieille mythologie nordique. Évoquant la claire perception de sa situation éprouvée par le héros de l’épopée germanique, Hans Naumann (Germanische Schicksalsglaube) a montré, par ex., que celui-ci est très conscient de sa propre déréliction. Le héros sait qu’il est jeté dans une appartenance temporelle, spatiale, sociale, politique et familiale ; il sait qu’il appartient à un peuple. La figure d’Odhinn-Wotan est l’exemple divinisé de l’attitude qu’adopte celui qui n’hésite pas à affronter son destin. Le concept heideggérien de Sorge (repris de Kierkegaard), voire celui d’Entschlossenheit (détermination, résolution), correspond au contenu psycho-éthique investi dans le personnage d’Odhinn. Naumann perçoit même, dans cette "danse avec le destin" un élément d’esthétisme, de "dandysme" qui échappe à Heidegger, malgré son indéniable présence dans les cercles de la Konservative Revolution et surtout chez Ernst Jünger [21].

De son côté, le professeur G. Srinivasan, de l’université de Mysore, en Inde, a publié un ouvrage (The Existentialist Concepts and The Hindu Philosophical Systems, Udayana, Allahabad, 1967) dans lequel il souligne les analogies existant entre la religion indienne et les traditions existentialistes européennes du XXe siècle. L’analyse existentialiste du choix, notamment, peut être comparée au récit d’Arjuna dans la Bhagavad-Gîta, ou encore à celui de Sri Rama dans le Ramayana. La mystique indienne permet aux hommes, elle aussi, de choisir entre une existence monotone et mondaine et une saisie plus "héroïque" du monde. Le mode de vie nommé dukha est l’équivalent indien de l’Alltäglichkeit heideggérienne. Le sage est invité à ne pas se laisser emporter par les séductions sécurisantes de cette situation et à "contrôler", à "transcender" l’existentialité inauthentique. Comme chez Heidegger, l’inévitabilité de la mort ne saurait empêcher l’homme authentique d’opérer, en cas d’urgence, un choix décisif. Une étude approfondie des analogies existant entre l’éthique indienne et celle de l’Edda d’une part, les enseignements de la philosophie heideggérienne d’autre part, serait d’ailleurs, probablement, des plus enrichissantes. Un trait commun est certainement la saisie unitaire (non dualiste) de l’existence.

Heidegger se trouve donc en rupture avec la conception dualiste du monde liée à l’idée biblique du péché originel et à la façon dont certains Grecs assignaient des limites au cosmos, posant ainsi, dans l’histoire des idées, l’avènement du substantialisme. Cette Grèce-là était elle-même en rupture avec une saisie de l’univers conçu comme épiphanie du divin. Pour Thalès de Milet, par ex., l’élément primordial "eau" est l’Urbild de tout ce qui s’écoule, de tout ce qui se transforme inlassablement, de tout ce qui ne cesse de vivre, de tout ce qui crée et maintient la vie. "Tout est plein de dieux" : cette sentence de Thalès constitue l’affirmation de l’unité totale cosmique. L’apeiron d’Anaximandre, qui est l’ "illimité", la solitude tragique de Héraclite, cherchant à tirer ses contemporains d’un sommeil qui les rendait aveugles à l'unité du monde, comptent aussi parmi les 1ères manifestations conscientes de la "vraie religion de l’Europe" et elles ne s'embarrassent d'aucun dualisme [22].

La lecture de ces Présocratiques, conjuguée à celle du poète romantique Friedrich Hölderlin, a fait comprendre à Heidegger quelle nostalgie est demeurée sous-jacente dans toutes les interrogations philosophiques, y compris celle de la tradition substantialiste occidentale : un désir d’unité à la totalité cosmique. "Être un avec le tout, voilà la vie du divin, voilà le ciel de l’homme, écrit Hölderlin. Être un avec tout ce qui vit, dans un saint oubli de soi, retourner au sein de la totalité de la nature, voilà le sommet des idées et de la joie, voilà les saintes cimes, le lieu du repos éternel où la chaleur de midi n’accable plus et où l’orage perd sa voix, où le tumulte de la mer ressemble au bruissement du vent dans les champs de blé... Mais hélas, j’ai appris à me différencier de tout ce qui m’environne, je suis isolé au sein du monde si beau, je suis exclu du jardin de la nature où je croîs, fleuris et dessèche au soleil de midi" (Hypérion). Ce texte ne doit toutefois pas faire passer Hölderlin pour le chantre d’un idéal d’harmonie ou d’une unité cosmique qui se résumerait dans un pastoralisme douceâtre. Les souffrances que Hölderlin a endurées ont permis chez lui l’éclosion d’une terrible volonté, qui refuse de fermer les yeux devant les réalités. La force de l’âme qui dit "oui" au monde, même devant l’abîme où aucune idéologie sécurisante ne saurait être un recours, est bien évidemment déterminante pour les réflexions ultérieures de Heidegger, dont l’anthropologie dynamique et tragique restitue de façon radicale une religiosité que l’Europe, depuis 3 millénaires, n’avait jamais vraiment perdue.

le "réalisme héroïque" de la Révolution conservatrice

En 1922, sous la direction de Moeller van den Bruck, paraissait un ouvrage collectif intitulé Die neue Front, dans lequel il était fait mention d’une attitude héroïco-tragique nécessaire au dépassement de la situation qui régnait alors en Allemagne. L’idée heideggérienne de connaissance claire de la situation y était déjà présente. L’expression "réalisme héroïque" ne faisant pas encore partie du vocabulaire, on y employait l’expression d’ "enthousiasme sceptique". Toutefois, s’il y avait convergence, dans l’analyse de la situation politico-culturelle, entre les amis de Moeller van den Bruck et Heidegger, en qui germaient alors les concepts de Sein und Zeit, les 1ers avaient le désir affiché d’intervenir dans le fonctionnement de la cité, tandis que Heidegger se préparait seulement à scruter les textes philosophiques traditionnels afin d’offrir au monde une philosophie de l’urgence - la philosophie d’un "être" qui se confondrait avec l’intensité du vécu. Le discours de Moeller van den Bruck et de ses amis, plus politisé, désignait le libéralisme comme l’idéologie incarnant le plus parfaitement l’Alltäglichkeit, postulée par ce que, quelques années plus tard, Heidegger nommera le monde hypothético-répétitif. Ernst Bertram, auteur de Michaelsberg, estimait, lui, que l’esthétique du monde à venir ressemblerait à l’architecture romane, avec sa clarté, sa sobriété, sa formalité sans luxuriance. De son côté, le poète Rainer Maria Rilke déplorait que le monde moderne ne possédât plus cette simplicité toute tangible qui offrait à l’esprit (Geist, équivalent, dans le langage de Rilke, à l’Être de Heidegger) une assise stable.

(A SUIVRE...)

El desencantamiento del mundo

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SINERGIAS EUROPEAS – BRUXELLES / BUENOS AIRES – MARZO de 2004

Chers amis,
Le Prof. Buela, spécialiste de philosophie grecque  antique à Buenos Aires en Argentine est l’un de nos amis de longue date. Le texte qu’il nous a envoyé aujourd’hui est CAPITAL et mérite une lecture très attentive. Il est également idéal pour les travaux des cellules de l’école des cadres,dans  la mesure où la clarté limpide (et hispanique) des arguments et des thèses de Buela nous permet de cerner une notion aussi capitale que celle de “désenchantement”, théorisée en son temps par Max Weber. Bon travail !
 

Liebe Freunde,
Dieser Text ueber den Weberschen Begriff der “Entzauberung”  scheint uns aeusserst wichtig, weil glasklar formuliert und deshalb fantastisch didaktisch, und  verdient eine deutsche Uebersetzung. Er stammt von Prof. Dr. Alberto Buela, Dozent altgriechischer Philosophie in Argentinien. Wir fragen deshalb an unseren deutschen Korrespondenten, alles in Bewegung zu setzen, diese Uebersetzungsarbeit zu  erledigen. Wir danken Ihnen im voraus !

El desencantamiento del mundo
Prof. Dr. Alberto Buela (Buenos Aires)

La idea de desencanto ha sido utilizada modernamente en sociología por Max Weber y Ernst Troeltsch para interpretar el paso de una etapa a otra en el proceso socio-cultural de la historia del mundo.

El término contiene en sí la idea de “encanto”, bajo su forma negativa y está vinculado a las categorías de secularización o “desdivinización”.

No hay que olvidar al respecto que mundo se dice en griego cosmos (
kosmoV)
que significa primariamente “limpio o bello”. En nuestros días quedó la cosmética como la ciencia del embellecimiento. Las mujeres la utilizan sobre todo para “encantar a los hombres”. Las ideas de mundano y mundanal nos indican una inserción extralimitada en el mundo. Una sobrecarga de cosméticos, para seguir con el ejemplo, que termina, en general desencantando.

Por otra parte la idea de “encanto” que viene de incanto y que significa en latín pronunciar fórmulas mágicas, hechizar, someter a poderes mágicos indica con el sufijo in aquello que está dentro del canto que en latín significaba cantar para ensalzar acompañándose de un instrumento musical. La idea de encanto tiene dos vertientes, una compuesta por el sometimiento a poderes mágicos, donde el mito está detrás y otra por el sometimiento de los sentidos a la hermosura, la gracia, la simpatía o el talento. Pero además, no debemos olvidar que el encanto encierra también, y este es su aspecto negativo, la idea de aducir razones aparentes y engañosas, pues encanto también significa vender en pública subasta, que como es sabido por todos, es el lugar propicio para el engaño.  

Y el mundo, nuestro mundo, es todo esto, el lugar donde nos gozamos y también donde nos padecemos unos a otros.

Observamos, al menos etimológicamente, como la idea de encanto está estrechamente vinculada a la de mundo.

Nosotros vemos cuatro etapas en el desencantamiento del mundo, que marcan a su vez cuatro períodos bien determinados de nuestra historia socio-político-cultural.

1.- El desencantamiento del mundo arcaico    

El mundo hasta el surgimiento de la filosofía griega en Mileto hacia el siglo VI a.C. estaba considerado por las cosmologías de los pueblos antiguos – India, Egipto, Caldea, Grecia – como un conjunto de fuerzas de la naturaleza que se personificaban en divinidades.

El salto cualitativo, y nunca acabado de estudiar sobre qué produjo el surgimiento de la filosofía griega, consistió en que ésta reemplazó esas divinidades por elementos naturales- agua, aire, fuego, tierra- y por explicaciones racionales de condensación-dilatación, frío y calor.

Los primeros filósofos buscaron, dentro del mundo y no fuera de él, un principio, un arjé, como causa primera de todas las cosas y a la que debían retornar. Todo salía de los elementos y volvía a ellos en un proceso cíclico de cierta duración (el gran año). Anaximandro (610-546 a.C.)el tercero de los milesios, en el texto más antiguo de la filosofía occidental nos dice: “De donde los entes
(toiV ousi)tienen su origen, hacia allí tienen también su perecer según la necesidad. Pues se pagan pena y castigo unos a otros por su injusticia según el orden del tiempo”
Y agrega Teofrastro de quién nos llega el fragmento: “diciendo estas cosas con palabras un tanto poéticas”.

Los dioses siguieron formando parte del mundo pero ya no lo explican, son los distintos principios y sus combinaciones los que lo hacen.

El mundo antiguo, aquel de la sabiduría primordial, sufre el primer desencanto: El mundo puede ser explicado no ya por los dioses sino por los hombres, a través del estudio de las causas y los principios de las cosas.

Se ha producido el paso del mito al logos, aún cuando perduran en los presocráticos, sobre todo en Empédocles y Pitágoras, muchos elementos de las antiguas cosmogonías.

2.- El desencantamiento del mundo pagano

La plenitud de la filosofía griega lograda con Platón y Aristóteles comienza a descender en nuevas y limitadas escuelas filosóficas como el epicureísmo, el estoicismo, el escepticismo y el eclecticismo. Roma recibe así sólo retazos de la gran filosofía griega. El hombre que para el griego es “ánthropos=
anqrwpoV”, que proviene de “anathrón ha hopopé= anaqron   a  opwph
”, investigador de lo que ha visto, es decir, el que contempla, pasa, en el mundo romano,  a ser considerado como “homo” que proviene de “humus”, esto es, aquél que tiene los pies en la tierra porque con ella está constituido. La filosofía termina limitándose al derecho y a su arte supremo la eloquentia u oratoria ciceroniana.

Es en este momento que aparece el cristianismo, con la “novedad histórica” de un Dios único y trascendente al mundo y con ello produce el segundo gran desencantamiento del mundo. Éste deja de estar habitado por dioses de todo tipo y espíritus de todo pelaje, para ser considerado como otra cosa distinta de Dios, incluso lo opuesto a Él.

El cristianismo primitivo no sólo rompe con la cohabitación  en el mundo pagano entre hombres, dioses y espíritus, sino que incluso rechaza por boca de San Pablo la filosofía como acceso al saber: “Mirad que nadie os engañe con filosofías falaces y vanas, fundadas en tradiciones humanas, en elementos del mundo y no en Cristo”(Col.2,8)

Así, la única vez que aparece en el Nuevo Testamento la palabra filosofía es bajo un acepción negativa.

Ahora bien, la ruptura de la unidad dioses-mundo producida por el cristianismo con su propuesta de un Dios trascendente al mundo y su consecuente desencantamiento, la intenta salvar con un nuevo “encantamiento”. Esto es, poblando la distancia que hay entre Dios y el mundo con seres espirituales, ángeles, arcángeles y criaturas espirituales que median entre unos y otros. Ejemplo de ello nos dejó San Dionisio Areopagita en su tratado Sobre la Jerarquía Celeste.

El cristianismo posterior recupera la gran tradición de la filosofía griega y vuelca en sus categorías la teología cristiana. Las figuras emblemáticas de Platón y Aristóteles son asumidas respectivamente por San Agustín y Santo Tomás que son los grandes expositores teológico-filosóficos del misterio teándrico, del Dios hecho hombre.

3.- El desencantamiento del mundo cristiano

El mundo cristiano se desarrolla sin sobresaltos hasta finales del siglo XVII en que aparece un nuevo orden de cosas. Finis saeculi novam rerum faciem aperuit, afirmará Leibniz, el último filósofo que concentró en sí todo el saber de su tiempo(1). Comenzaba, pues, la entronización del  culto a la “diosa razón”. Hasta ese momento se sucede un período, casi mil años, de gran expansión misional y, al mismo tiempo, de gran acumulación del saber antiguo. Caballeros, misioneros y monjes realizan el trabajo más pesado de la Alta edad media, también denominado peyorativamente período oscuro. Viene luego la denominada Baja edad media que tiene su plenitud en el siglo XIII, siglo de las grandes Summas –Alberto Magno, Tomás de Aquino, San Buenaventura, Duns Escoto, etc.-. Nace, en el siglo siguiente con el nominalismo, lo que justamente se denominó la vía moderna, que es proseguida por el Renacimiento en el XV,  la Reforma en el XVI y el Racionalismo del siglo XVII. Estos grandes movimientos  aún son y pertenecen mutatis mutandi  al mundo cristiano. El desencantamiento de éste mundo se produce en el siglo XVIII con la propuesta del racionalismo, ahora, Iluminista y con el movimiento de la Ilustración enciclopédica.

Se inaugura la época de la razón calculadora como acertadamente la denominó Heidegger. Dios deja de ser el centro del universo, el productor de sentido para convertirse en un capítulo de la filosofía denominado teodicea. Aún cuando ya hace dos siglos que los métodos han cambiado, se privilegia el método experimental al especulativo, el desancantamiento del mundo se produce cuando, al decir de Hegel, el bosque sagrado de toda la tradición medieval y premoderna se transforma en “mera leña”. El objeto ya no es lo bello sino que degradándose a objeto material es sólo lo calculable, lo mensurable, lo dominable por la razón.

Sin embargo la razón iluminista intenta su propio “encantamiento” del mundo a través de cinco o seis relatos universales: el progreso indefinido, el poder omnímodo de la razón, la democracia como forma de vida, la subjetivización del cristianismo, la manipulación de la naturaleza por la técnica, la libertad como capricho subjetivo.

4.- El desencantamiento del mundo moderno

La modernidad que a través de otro de sus relatos, el igualitarismo, creyó construir un mundo igual para todos y con validez universal se fue percatando poco a poco que aquellos principios sobre los cuales había sido edificada se derrumbaban irremisiblemente.

Ahora bien, el fracaso estruendoso de estos principios sagrados de la modernidad ilustrada – el progreso fue en muchos aspectos un retroceso; la razón no pudo explicar todo; la democracia ha sido sólo porcedimental o formal, el cristianismo subjetivado se partió en infinitas sectas, la técnica terminó en Hiroshima y la libertad en un mito. Todas estas contradicciones hicieron de la conciencia postmoderna, conciencia desencantada de la modernidad.

Y aquí llegamos a nuestros días en donde observamos que la postmodernidad pasa a ser en definitiva mera conciencia desilusionada de la modernidad. El publicitado filósofo J. Habermas sostiene, en síntesis, que estamos mal porque no acabó de plasmarse el proyecto moderno. Con esta afirmación el filósofo de la Escuela de Frankfurt sigue manteniendo el enfoque particular propio de la modernidad y su propuesta política en una visión aggiornada de la socialdemocracia europea. Y en estos términos no hay salida posible que no sea el desencanto, el nihilismo, el pensamiento débil, lo políticamente correcto. En el fondo el hombre resignado y en desazón, como gustaba decir Gonzalo Fernández de la Mora.

El desencantado nihilismo se expresa, en los mejores, como un crítica ácida de la situación en que vivimos. Ejemplo de ello es Emile Ciorán. Pero en una crítica simplemente fenomenológica, descriptiva, y no metafísica como debiera  ser. Porque nuestros mejores hombres hoy son, también ellos, producto de la modernidad. Hace casi un siglo el filósofo alemán Georg Simmel (1858-1918) en Philosophie des Geldes   decía que la causa de nuestro estado era: “La falta de algo nítido en el núcleo del espíritu, y es ello lo que nos impulsa a buscar la satisfacción momentánea en estímulos, sensaciones y actividades siempre nuevas. Así es como nos enmarañamos en los tumultos de las metrópolis, en la manía de viajar, en la salvaje competencia y en la típicamente moderna infidelidad con respecto a los gustos, estilos, opiniones y a las relaciones personales”. Esta carencia de algo nítido en el núcleo del espíritu, de convicciones profundas, arraigadas y permanentes es la marca a fuego de la postmodernidad.

Llegamos así al final de los  distintos desencantamientos del mundo. Hoy éste no es otra cosa que una sucesión de imágenes truncas, una especie de zapping  político-cultural en donde todo vale y nada tiene valor, y entonces nos preguntamos:

¿Es otro mundo posible o diferente?

Nosotros consideramos que la única crítica válida, total, eficaz y superadora de la modernidad es la crítica premoderna. Así, es desde las ecúmenes premodernas como la eslava, la iberoamericana o la china desde donde se puede llevar a cabo más genuinamente esta crítica, porque aún habemos términos de comparación. Fuimos menos zapados por la modernidad porque la nuestra fue una tardomodernidad.

En cuanto al método optamos por el disenso como el único capaz de crear teoría crítica, pues pensar, y sobre todo pensar desde América, es disentir. Disentir ante el pensamiento único y políticamente correcto, pero disentir también ante la normalidad filosófica impuesta por el pensamiento europeo.

El disenso consiste, desde nuestro genius locci en expresar la opinión de los menos, de los diferentes ante el discurso homogeneizador de la ética discursiva o comunicativa de los Habermas y los Apel, que solo otorga valor moral al consenso.

Es que la ética comunicativa viene, en definitiva, a fundamentar el mensaje globalizante y homogeneizador de los productores de sentido que son siempre los dueños del poder.

Esta ética discursiva e ilustrada viene en tanto que “discursiva”, como un nuevo nominalismo a zanjar las diferencias con palabras i.e. la democracia discursiva(Bohman-Avritzer) de las asambleas populares, y no a través de la preferencia o postergación de valores. Y en cuanto “ilustrada” sólo permite la crítica de aquellas situaciones sociales que no encarnen los ideales ilustrados de igualdad y postilustrados de democracia. Así su crítica nunca va dirigida a los regímenes socialdemocratas sino a los que decididamente no lo son, como en Iberoamérica, Castro o Chávez.

La ética de la comunicación es así heredera directa de las sociedades de ideas de la Revolución Francesa y estas sociedades – corazón del jacobinismo- por definición no pensaban sino hablaban. La ideología no se piensa porque puede correr el riesgo de ser criticada, sino que ella habla a través de su intérpretes como verdad socializada a través del asambleísmo y se expresa en la religión del consenso (2).

En realidad, este modelo discursivo, que en criollo debería denominarse modelo conversado, muestra la gran contradicción del pensamiento progresista de estos primeros años del siglo XXI, que consiste en creer que se puede reformar la sociedad recurriendo a los mismos instrumentos que la han llevado a su situación actual.

Hoy el dios monoteísta del libre mercado ha llegado a privatizar la opinión pública ya que sólo existe la opinión publicada. Los agentes mediáticos se han quedado hoy día con la representación exclusiva del pueblo que ellos han transformado en “gente”. La patria locutora y escribidora viene reemplazando a los políticos quienes ante la furia privatizadora de los activos fijos estatales se han quedado sin aparatos del Estado para ejercer el poder y han cedido su iniciativa al periodismo y los tecnócratas.

Así como la imagen televisiva ha reemplazado al concepto escrito, de la misma manera los massmedia han desplazado a los partidos políticos en el manejo del poder. No es ya el Estado quien tiene el monopolio del poder como gustaba decir Max Weber, sino que el poder ha deslizado su centralidad hacia un ciberespacio inasible y siempre cambiante como lo es el mundo de las redes informáticas que son la que determinan que países como el en caso de Malasia, México, Brasil o Argentina entren, de la noche a la mañana, en crisis financieras tremendas, gestadas por operadores anónimos que especulan desde terminales a miles de kilómetros de distancia.

Unos pocos políticos y escasísimos pensadores se dan cuenta que esto no va más. Y si nosotros y nuestras sociedades están mal no es  porque el proyecto moderno no se completó como piensa Habermas, sino porque doscientos años de pertinaz liberalismo nos ha llevado a tal extremo.

Sin un cambio en los grandes campos de actividad del hombre en sociedad,  todo no será otra cosa que gatopardismo, cambiar algo para que nada cambie.

Nosotros debemos reinventar una nueva representación política, la democracia postmoderna no propone valores a intentar sino que en tanto conciencia política desengañada ha quedado reducida a democracia procedimental. Y si bien hoy , se ha extendido a casi todo el mundo, lo ha hecho sin profundidad, como en el caso de las democracias africanas o sudcentroamericanas. La modificación de régimen de representatividad política de la democracia liberal implica el dejar de lado de una vez para siempre la falsa ecuación “un hombre un voto”, pues el hombre es más que un voto y tiene, por respeto a su propia dignidad, que ser representado en la totalidad de lo que es. Hay que intentar una democracia de carácter participativo donde el hombre se manifieste también como trabajador, profesional, comerciante, docente, cura o milico.

En el campo económico modificar el régimen de propiedad de la economía liberal, que entiende a aquella como valor absoluto en sí misma. Debemos pasar del sentido de propiedad, hoy reducido a cada vez menos propietarios,  para ir a la difusión de la propiedad al mayor número posible de ciudadanos. Así mismo  se debe quebrar el monopolio de la ley de la oferta y la demanda, recuperando la vieja ley de la reciprocidad de los cambios de la que ya hablara el viejo Aristóteles en la Etica Nicomaquea (1132b 33) nos dice: “la reciprocidad debe ser según la proporción y no según la igualdad”. Lo justo en las transacciones económicas es que uno de “proporcionalmente” a lo que recibe y no “igualmente”. No se trasmuta una casa por un zapato. La proporción del cambio de un producto por otro, más allá de la razón de necesidad, está dada por la diversidad de trabajo(la acción) que uno u otro ha requerido. La cuestión del justo precio se ubica aquí.

En el ámbito de la cultura dejar de lado la versión liberal de la misma que nos viene desde la época de la Enciclopedia francesa con su idea del valor universal de la cultura racional-occidental e ir al rescate del principio de identidad, no solo como afirmación de nosotros mismos sino también como defensa de la diversidad cultural, que se expresa en el reconocimiento del otro, del diferente a nosotros. Rechazar la nefasta teoría del multiculturalismo y proponer el pluralismo intercultural. Esto es, un pluralismo sin relativismo que hace que el mundo sea en realidad un pluriverso y no un universo como ha pretendido  el pensamiento moderno-ilustrado desde la época de su nacimiento.(3)


1.- Cfr. Hazard, Paul: La crisis de la conciencia europea 1680-1715, Madrid, Ed.Pegaso, 1975.-
2.- Cfr. Furet, Francois: Pensar la Revolución Francesa, Barcelona, Ed. Petrel, 1980. Especialmente el capítulo: Agustín Cochin: La teoría del jacobinismo.-
3.-El desarrollo pormenorizado de las razones que justifican las medidas propuestas en estos tres campos puede encontrarse en nuestros libros: Hispanoamérica contra Occidente, Madrid, Barbarroja, 1996;  Ensayos de Disenso, Barcelona, Nueva República, 1999 y en Metapolítica y Filosofía, Buenos Aires, Theoría, 2002.-  

 

 

 

 

 

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