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lundi, 19 septembre 2022

Le monde multipolaire esquissé par Xi, Poutine et Modi à Samarkand

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Le monde multipolaire esquissé par Xi, Poutine et Modi à Samarkand

Source: https://piccolenote.ilgiornale.it/mondo/il-mondo-multipolare-delineato-da-xi-putin-e-modi-a-samarcanda

L'assemblée de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Samarkand, en Ouzbékistan, a fait la une des journaux en raison de la rencontre entre Poutine et Xi Jinping, duo désormais identifié comme l'actuel axe du mal (avec différentes modulations).

Et il a été dit que Poutine a subi un nouveau camouflet à cette occasion, car il n'a pas bénéficié du soutien inconditionnel du président chinois, qui le condamnerait même à un abandon imminent du pouvoir.

Poutine - Xi : simul stabunt simul cadent

Cela fait partie de l'art de la guerre de présenter les adversaires comme des perdants et cette technique a été adoptée avec beaucoup d'effet dans la guerre d'Ukraine. Il suffit de penser à l'époque où, au début du conflit, tous les médias parlaient de la prétendue maladie incurable du tsar, ce qui a été démenti, mais seulement quelques mois plus tard, par le chef de la CIA.

Pourtant, malgré tout, il n'est pas courant de transformer ses espoirs en nouvelles certaines, comme c'est le cas ici. Mais, pour en revenir aux faits, il faut répéter que Xi et Poutine ont désormais un lien indissoluble, grâce aussi à la politique étrangère américaine qui les a longtemps mis tous les deux dans le collimateur, favorisant ainsi leur proximité, sachant bien que simul stabunt simul cadent.

À tel point que les deux présidents ont désormais modelé un horizon commun : renforcer l'élan vers un monde multipolaire, sortant ainsi de la sphère étroite de l'unipolarisme actuel, né après 1989 et alimenté par des guerres sans fin, qui soumet la planète à l'hégémonie et aux caprices cruels des États-Unis. Un horizon ouvertement déclaré même à Samarkand.

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Pour donner une idée plastique de la proximité entre les deux pays, il y a eu aussi l'exercice conjoint des marines respectives dans le Pacifique, commencé, sous l'œil attentif de Poutine, dans la semaine précédant le sommet et poursuivi pendant la réunion de Samarcande.

L'Inde à l'OCS dans un monde polarisé par le conflit ukrainien

Mais, au-delà des relations entre la Chine et la Russie, il convient de souligner certains aspects de cette rencontre d'une certaine pertinence.

Tout d'abord, il s'agit certainement de la réunion la plus importante depuis sa création, comme en témoigne le fait que Xi y a assisté en personne, quittant son pays pour la première fois depuis le début de la pandémie.

Il convient également de noter que la présence de Narendra Modi est apparue plus importante à cette occasion qu'aux précédentes, précisément parce que la guerre d'Ukraine, qui polarise le monde, semble indiquer que la présence du président indien constitue une sorte de choix de camp.

Pas tant un choix pro-russe, mais un choix décisif - et on pourrait dire inébranlable (à moins d'une révolution de couleur à l'indienne) - en faveur de la perspective multipolaire soutenue par la Chine et la Russie.

Pas seulement : la présence indienne renforce cet apaisement avec la Chine qui avait déjà été mis en évidence avec le terme mis aux escarmouches entre les deux pays à la frontière himalayenne, qui avaient fait des dizaines de victimes des deux côtés. Un apaisement dans lequel les deux géants asiatiques acceptent de contenir leur rivalité - fondée sur le chevauchement de leurs projections géopolitiques respectives en Asie - afin de travailler ensemble sur la perspective multipolaire.

La relation entre l'Inde et la Chine est une question géostratégique cruciale pour le destin du monde, comme le montre la prudence avec laquelle l'Occident aborde les démentis de l'Inde à ses diktats sur l'Ukraine et autres, l'Amérique ne peut tout simplement pas risquer d'effilocher ses relations avec New Delhi, car cela jetterait les Indiens dans les bras de la Chine, ce qui ouvrirait la voie au "siècle asiatique", au détriment de l'hégémonie mondiale américaine/occidentale.

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L'équidistance de la Russie par rapport aux grands rivaux asiatiques est également propice à l'apaisement, ce qui lui a permis de jouer un rôle de médiateur lorsque des problèmes sont survenus entre les deux pays (ce qui explique également le détachement apparent entre Xi et Poutine, qui est fonctionnel dans une perspective plus large).

La portée de l'OCS et l'Iran

Un autre point à souligner est la portée de l'OCS, qui, dans les médias grand public, est normalement abordée comme un organe géopolitique de faible importance mondiale.

Les différents participants donnent pourtant une idée de sa portée. Ses membres sont l'Inde, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Chine, la Russie, le Tadjikistan, le Pakistan et l'Ouzbékistan. Les États observateurs sont l'Afghanistan, le Belarus, l'Iran et la Mongolie, les partenaires de dialogue sont l'Azerbaïdjan, l'Arménie, le Cambodge, le Népal, la Turquie et le Sri Lanka. Et lors du sommet de 2021, la procédure a également été lancée pour accorder le statut de partenaire de dialogue à l'Égypte, au Qatar et à l'Arabie saoudite...

Un autre aspect important du sommet de Samarkand a été la signature de l'adhésion officielle de l'Iran à l'OCS, une nouvelle qui a fait le tour du monde, comme s'il s'agissait de quelque chose de sensationnel, alors qu'il ne s'agissait que d'une étape formelle, puisqu'en fait Téhéran était déjà un participant à part entière.

Téhéran avait jusqu'à présent évité cette étape, craignant qu'elle ne donne en quelque sorte à ses adversaires américains matière à renforcer leur pression contre le rétablissement de l'accord sur le nucléaire iranien. Maintenant que les États-Unis ont clairement fait savoir qu'une telle mesure n'est plus à l'ordre du jour, ils ont fait ce qu'ils voulaient faire depuis longtemps (nous reviendrons sur l'échec de la signature de l'accord nucléaire dans une autre note).

L'OCS et la détente dans l'espace post-soviétique

Aucune importance n'a cependant été accordée à trois aspects tout à fait positifs du sommet. Tout d'abord, au cours de la réunion, le Kirghizistan et le Tadjikistan ont convenu de mettre un terme aux désaccords qui avaient provoqué certains affrontements frontaliers entre les deux pays.

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La seconde est qu'avant le sommet, l'Arménie et l'Azerbaïdjan ont trouvé le moyen de mettre fin aux affrontements entre les deux pays, notamment parce qu'Erdogan, qui soutient la position de l'Azerbaïdjan, ne pouvait pas venir à la réunion, où Poutine était présent, avec ce conflit non résolu, le Tsar étant irrité par la déstabilisation qu'il produit aux frontières de son pays (ce dont se réjouissent, en revanche, les néoconservateurs américains, comme l'écrit Responsible Statecraft et comme le souligne l'annonce par Pelosi de son prochain voyage dans la région, la présidente de la Chambre étant un vecteur délirant dans la propagation de conflits).

Le dernier aspect important du sommet concerne toujours Erdogan, qui, avant de partir pour Samarkand, avait exprimé son souhait de rencontrer Assad, si le président syrien se rendait à l'assemblée, ce qu'il n'a pu faire pour des raisons de sécurité.

Ceci a été rapporté par Reuters dans une note d'agence reprise par Haaretz, qui conclut de manière significative: "Toute forme de normalisation entre Ankara et Damas remodèlerait la guerre de Syrie qui dure depuis des décennies".

En effet, la Turquie a été l'un des parrains du changement de régime en Syrie et a été utilisée comme plaque tournante par des puissances étrangères qui l'ont alimenté en envoyant des miliciens, des armes et de l'argent par son territoire (un peu comme ce qui se passe en Ukraine, où les plaques tournantes sont plus dispersées et sous le contrôle total de l'OTAN).

La Russie et le dégel syrien

Mais à Samarkand, Erdogan a apparemment réitéré son intention, disant même qu'il était prêt à se rendre en Syrie pour rencontrer Assad. Et ce serait un coup fatal pour les partisans des guerres sans fin, qui ont rencontré leur premier échec en Syrie, après leurs succès en Libye et en Irak, Assad ayant survécu à l'assaut.

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Ce qui est encore plus significatif, c'est ce qui est rapporté ailleurs dans la note, qui donne une idée de la façon dont une telle perspective n'est en aucun cas aléatoire : "Le rapport [sur l'intention d'Erdogan] a été publié après que quatre sources différentes ont déclaré à Reuters que le chef des services de renseignement turcs avait eu plusieurs réunions avec son homologue syrien à Damas ces dernières semaines, un signe des efforts russes pour encourager un dégel entre les États qui se sont opposés dans la guerre en Syrie".

Un tel dégel ne serait pas de trop pour le peuple syrien, qui souffre encore des conséquences de la dévastation et des deuils causés par la guerre et par les sanctions occidentales, qui pèsent encore tragiquement et de manière tout à fait arbitraire sur lui.

Malheureusement, beaucoup (qui sont puissants) de ceux qui s'arrachent aujourd'hui les cheveux pour le salut de la pauvre Ukraine ont participé - et participent - à la légion étrangère qui a alimenté la boucherie syrienne. Et ils feront tout pour empêcher le dégel susmentionné. Nihil sub sole novum.

Ps. Alors que le Kazakhstan accueillait l'assemblée de l'OCS, le pape François se trouvait également dans ce pays asiatique, en visite apostolique. Une simple coïncidence dans le temps, bien sûr, mais qui suscite autant de curiosité que d'intérêt.

dimanche, 18 septembre 2022

La Russie se tourne vers l'Asie

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La Russie se tourne vers l'Asie

par Leonid Savin

Source: https://www.ideeazione.com/volgersi-ad-est/

La Russie est le pays du Soleil Levant, a déclaré le président russe Vladimir Poutine le 5 septembre lors d'une rencontre avec des militants au forum environnemental du Kamtchatka. Le même jour, le gouvernement russe a décidé de se retirer des accords jadis conclus avec le Japon sur la procédure des visites réciproques et des facilités sur les îles de Kunashir, Iturup et de la Petite Crête des Kouriles accordées aux citoyens japonais vivant sur ces îles et les membres de leur famille. Cet accord était en vigueur depuis 1999.

Le même jour, le Forum économique oriental s'est ouvert à Vladivostok, auquel ont participé de nombreux délégués non seulement de Russie, mais aussi d'autres pays, y compris des fonctionnaires de haut rang. Au même moment, les exercices militaires Vostok-2022 étaient en cours, impliquant cinq camps d'entraînement et les eaux de deux mers, la mer d'Okhotsk et la mer du Japon. Deux pays pourtant ennemis de longue date, la Chine et l'Inde, étaient impliqués.

Même isolés, ces événements semblent assez impressionnants. Et les décisions prises seront lourdes de conséquences. Bien que ce soit habituellement une façon de s'exprimer par des actions hostiles, dans ce contexte, il est possible de parler d'aspects positifs de la politique russe. La perspective s'ouvre de créer une autre ville en Extrême-Orient avec une zone économique libre. Des mesures de stimulation financière et économique sont mises en œuvre. D'autres perspectives s'ouvrent également pour l'activité économique à l'étranger.

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Le Myanmar (dont les dirigeants étaient présents au forum de Vladivostok) prévoit d'acheter du pétrole russe. Dans le contexte de la diversification des approvisionnements énergétiques, le nouvel accord entre la Russie et la Chine sur le passage complet au rouble et au yuan dans les règlements mutuels est une nouvelle importante. La quantité totale de gaz naturel fournie passera à 48 milliards de mètres cubes par an. En comparaison, la capacité des deux pipelines Nord Stream est de 55 milliards de mètres cubes par an. Même si le volume total des approvisionnements de l'Europe et de la Turquie s'élève à 135,75 milliards de mètres cubes (chiffres pour 2020).

Ainsi, la Chine pourra acheter à elle seule plus de 30 % du volume de gaz européen. Cela indique un véritable virage vers l'Est. Plus précisément, vers l'Asie du Sud-Est, qui est en train de devenir le moteur de l'économie mondiale.

Uhtomsky_Esper.jpgIl convient de noter que le concept de se tourner vers les pays asiatiques remonte à l'époque de l'Empire russe. La doctrine de l'"orientalisme" a été proposée par le prince Esper Ukhtomsky (photo). Dans son petit mais perspicace ouvrage intitulé "On Events in China: On the Relations of the West and Russia with the East", Ukhtomsky a noté l'importance de l'interaction avec les pays de cette région, les tentatives des puissances occidentales d'y semer la méfiance à l'égard de la Russie, et une incompréhension générale du potentiel de ces pays de la part des politiciens européens. Déjà à l'époque, Esper Ukhtomsky notait que la Chine ne dormait pas, comme le croyaient les impérialistes d'Europe occidentale, mais qu'elle s'éveillait au mouvement ; le pays était "si puissant et énorme qu'il est difficile d'imaginer ce qu'il deviendra dans quelques décennies" (ndt: le Prince Ukhtomsky est en quelque sorte un précurseur d'Alain Peyrefitte qui écrivit en français un livre qui fit, à l'époque, beaucoup de bruit, Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera...).

Comme nous pouvons le constater, les prédictions d'Ukhtomsky sont devenues réalité. Tout comme l'eurasisme, un autre mouvement idéologique né il y a un siècle parmi les émigrants blancs, est en train de devenir une réalité. Les Eurasistes ont critiqué la culture et la politique européennes décadentes pour leur nature explicitement raciste et ont proposé le concept de Russie-Eurasie en tant qu'unité culturelle et historique distincte, séparée à la fois de l'Europe et des cultures asiatiques uniques ayant leur propre identité.

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Le renforcement de la souveraineté de la Russie, comme l'a noté Vladimir Poutine lors du Forum économique oriental, fait partie du concept d'eurasisme, d'autant plus que la Russie est le fleuron de l'Union économique eurasienne, qui vise à réintégrer l'espace post-soviétique. En tant qu'État souverain, la Russie souhaite renforcer ses relations avec les États également souverains sur la base du principe du respect mutuel. Les vassaux et les satellites des États-Unis ne veulent pas d'un tel scénario, car ils veulent que ces Etats se contentent du statut et du rôle de client qui leur a été imposé. Par conséquent, s'ils adhèrent encore et toujours aux mirages occidentalistes, ils continueront à perdre leur souveraineté, cette fois sous le prétexte de renforcer la défense collective contre la Russie (ou la Chine).

À cet égard, le président Poutine a déclaré que "l'épidémie a été remplacée par d'autres défis, également de nature globale, qui menacent le monde entier. Je fais référence à la frénésie des sanctions qui agite l'Occident, à ses tentatives flagrantes et agressives d'imposer des modèles spécifiques de comportement aux autres pays, de les priver de leur souveraineté et de les soumettre à sa volonté. Il n'y a rien d'inhabituel à cela: c'est une politique que l'Occident collectif mène depuis des décennies. Le catalyseur de ces processus a été le déclin de la domination mondiale des États-Unis en politique et en économie, associé au refus obstiné et à l'incapacité des élites occidentales à voir et à reconnaître les réalités objectives...

Des changements irréversibles, on pourrait dire tectoniques, se sont récemment produits dans le système des relations internationales... Nous n'avons rien perdu et nous ne perdrons rien. En termes de ce que nous avons gagné, je peux dire que le principal gain a été le renforcement de notre souveraineté, et c'est le résultat inévitable de ce qui se passe maintenant. Bien sûr, une certaine polarisation a lieu, tant dans le monde qu'au sein du pays, mais je crois que cela ne sera que bénéfique, car tout ce qui est inutile, nuisible et qui nous empêche d'avancer sera rejeté. Nous allons accélérer le rythme du développement car le développement moderne ne peut être fondé que sur la souveraineté. Toutes nos démarches visent à renforcer la souveraineté".

Enfin, tout ceci se déroule sur fond d'aggravation de la crise énergétique en Europe et d'une hausse significative de l'inflation aux États-Unis. Il est déjà clair que si la confrontation géopolitique collective de l'Occident avec la Russie se poursuit, il ne sera pas en mesure d'obtenir des ressources énergétiques bon marché, comme c'était le cas auparavant. L'absence de réserves suffisantes de gaz naturel détruira des secteurs économiques importants, tels que la métallurgie, les machines-outils, la transformation, la pétrochimie, réduira considérablement le secteur agricole en raison des prix élevés de l'électricité et des engrais, et affectera directement le bien-être des ménages. Il semble que l'Occident va bientôt sombrer dans le chaos et les ténèbres. Et la Russie continuera à se tourner vers l'Est, au sens large du terme.

Publié initialement dans Oriental Review.

lundi, 12 septembre 2022

L'alternative eurasienne: la vision d'Alexandre Douguine pour l'ère post-américaine

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L'alternative eurasienne

Lectures à méditer : la vision d'Alexandre Douguine pour l'ère post-américaine

A propos de l'édition allemande de "Mission Eurasie"

Karl Richter

Il y a quelques semaines, le journaliste, philosophe et géopoliticien russe Alexandre Douguine s'est brièvement retrouvé sous les feux de l'actualité dans son pays, lorsque sa fille Daria a été victime d'un attentat à la bombe non loin de Moscou en août.

Dans ce contexte, les médias occidentaux ont qualifié à plusieurs reprises Douguine, né en 1962, d'homme qui murmure à l'oreille des puissants, voire qui serait le "cerveau de Poutine" ("Putin's brain"). C'est sans aucun doute exagéré. Ce qui est vrai, c'est que Douguine, qui s'était déjà fait un nom dans la Russie post-soviétique dans les années 1990 en tant que penseur patriotique et révolutionnaire, était au tournant du millénaire le conseiller de Gennady Selesnov, alors porte-parole de la Douma.

Dans les années qui ont suivi la fin de l'Union soviétique, il a été l'un des premiers à évoquer le concept d'un ordre mondial "multipolaire" comme alternative au "One World" dominé par les États-Unis, concept que la politique étrangère russe a également adopté à l'époque. Au fil des années, Douguine a élargi son approche à la philosophie, voire à la spiritualité, et il est considéré aujourd'hui en Russie comme un éminent inspirateur d'idées. Il est également vrai que la politique étrangère russe suit depuis quelques années un cours de plus en plus "impérial", qui tient compte des nécessités géopolitiques. Douguine, qui a publié une douzaine de livres et d'innombrables articles dans des revues depuis les années 1990, a sans aucun doute contribué à cette évolution.

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Son dernier livre, intitulé Eurasische Mission, vient de paraître en traduction allemande et se veut une "introduction au néo-eurasisme". Il est déjà clair que l'"eurasisme" ou la "pensée eurasienne" n'est pas vraiment une nouveauté. Douguine fait référence à une poignée de penseurs et de scientifiques russes du siècle dernier comme étant ses fondateurs, tels le philologue et linguiste Nikolai S. Troubetskoï (1890 - 1938), l'historien Lev Nikolaevitch Gumilev (1912 - 1992) ou l'historien de la culture et philosophe Ivan A. Ilyine (1893 - 1954) ; ce dernier a été honoré il y a des années par Poutine lors d'une petite cérémonie ; il est considéré comme une sorte de "philosophe maison" par le chef du Kremlin.

Selon Douguine, l'eurasisme a été formulé très tôt comme une idée reflétant les origines "multiculturelles" et supranationales de la Russie, c'est-à-dire l'oblitération par les Mongols et les Tatars pendant des siècles. L'idée eurasienne est donc également en certaine contradiction avec le concept de nationalisme occidental et bourgeois: "Cette originalité de la culture et de l'État russes (qui présente des traits à la fois européens et asiatiques) définit (...) la voie historique particulière de la Russie et son programme national et étatique, qui ne coïncide pas avec celui de la tradition d'Europe occidentale".

D'un autre côté, cela représente une grande chance, surtout aujourd'hui: car l'idée eurasienne montre une voie praticable pour que de grands espaces culturels et géographiques puissent trouver un ordre intérieur pacifique, fondé sur le respect et la diversité, même sans guerres d'extermination (USA!) ni nivellement culturel (One World!).

C'est la thèse centrale de Douguine : si le monde veut survivre à l'effondrement inévitable de l'ordre mondial américano-capitaliste, il doit se mettre d'accord sur un contre-projet radical qui permette fondamentalement une coexistence pacifique: "Le mouvement eurasianiste est un lieu de dialogue multilatéral égalitaire pour des sujets souverains. (...) Nous devons unir nos efforts pour dessiner une carte accessible pour les peuples d'Eurasie pour le nouveau millénaire".

Remarquable : même l'UE, avec sa tendance à la formation d'États supranationaux, semble utile dans cette voie - elle pourrait contribuer à ce que l'Europe retrouve un rôle autonome, indépendant des États-Unis, dans son propre environnement géopolitique.

Mais en fin de compte, Douguine ne se fait pas d'illusions : il n'y aura pas de coexistence pacifique avec l'hégémon mondial américain. Car celui-ci, suivant sa logique capitaliste libérale, ne tolère pas de cultures, de peuples et d'espaces économiques autonomes à côté de lui. Les États-Unis sont le "pays du mal absolu". "L'empire américain devrait être détruit, et tôt ou tard, il le sera".

4cf3b1bcfbc588bb5646b3a5f78a9fdaea992c10-00-03.jpegFace au cancer de la mondialisation occidentale, le contre-projet "eurasiatique" a la fonction d'un message révolutionnaire qui peut encore tout changer pour le mieux à la douzième heure : "L'idée eurasiatique est un concept révolutionnaire au niveau mondial qui doit servir de nouvelle plate-forme de compréhension mutuelle et de coopération pour un grand conglomérat de puissances différentes : États, nations, cultures et religions qui rejettent la version atlantiste de la mondialisation".

La guerre en Ukraine, que Douguine voit comme une conséquence inévitable des provocations atlantistes continues, n'a fait qu'accélérer cette évolution. La guerre se joue en fin de compte sur le visage futur du monde. Douguine ne cache pas que la Russie est ici "destinée à prendre la tête d'une nouvelle alternative globale, eurasienne, à la vision occidentale de l'avenir du monde".

Pour certains lecteurs de "droite", tout cela est très fort de tabac - d'autant plus que Douguine déclare explicitement que l'État-nation classique est dépassé. Les droitiers occidentaux peuvent ne pas être d'accord. D'un autre côté, l'Allemagne dispose, avec le Saint Empire romain germanique, d'une vision d'empire vieille de plusieurs siècles, qui présente de nombreux points communs avec le concept eurasien de Douguine.

Au final, son livre - dont Constantin von Hoffmeister a assuré une traduction fluide et agréable - est une lecture captivante et inspirante pour tous ceux qui en ont assez de l'Occident, de l'OTAN, des gay prides et de l'obsession du genre. Certes, Douguine n'est pas un "homme de droite", encore moins un "nationaliste". Mais c'est un penseur visionnaire du 21ème siècle. Tout porte à croire qu'il aura raison. L'ère "multipolaire" n'en est qu'à ses débuts.

Karl Richter

lundi, 22 août 2022

L'interconnexion de la BRI et de l'INSTC complètera le puzzle eurasien

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L'interconnexion de la BRI et de l'INSTC complètera le puzzle eurasien

Pepe Escobar

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/un-puzzle-eurasiatico-linterconnettivita-bri-e-instc-completera-il-puzzle

Interconnecter l'Eurasie intérieure est un acte d'équilibre taoïste : ajouter une pièce à la fois, patiemment, à un puzzle géant. Cela demande du temps, des compétences, une vision et, bien sûr, de grandes découvertes.

Récemment, en Ouzbékistan, une pièce essentielle a été ajoutée au puzzle en renforçant les liens entre l'initiative "Belt and Road" (BRI) et le corridor international de transport Nord-Sud (INSTC).

Le gouvernement de Mirzoyev à Tachkent est profondément engagé à stimuler un autre corridor de transport d'Asie centrale : un chemin de fer Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan-Afghanistan.

Cette question était au centre d'une réunion entre le président du conseil d'administration de Temir Yullari - les chemins de fer nationaux ouzbeks - et ses homologues du Kirghizstan et d'Afghanistan, ainsi que des cadres de la société logistique chinoise Wakhan Corridor.

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En ce qui concerne l'intersection complexe du Xinjiang avec l'Asie centrale et du Sud, il s'agit d'une initiative révolutionnaire, qui fait partie de ce que j'appelle la guerre du corridor économique.

Les Ouzbeks ont présenté de manière pragmatique le nouveau corridor comme essentiel pour le transport de marchandises à des tarifs réduits - mais cela va bien au-delà de simples calculs commerciaux.

Imaginez, en pratique, des conteneurs de marchandises arrivant par train de Kashgar, dans le Xinjiang, à Osh, au Kirghizstan, puis à Hairatan, en Afghanistan. Le volume annuel devrait atteindre 60.000 conteneurs rien que la première année.

Cela serait crucial pour développer le commerce productif de l'Afghanistan, loin de l'obsession de l'"aide" comme au temps de l'occupation américaine. Les produits afghans pourraient enfin être facilement exportés vers les voisins d'Asie centrale et aussi vers la Chine, par exemple vers le marché dynamique de Kashgar.

Et ce facteur de stabilisation renforcerait les coffres des talibans, maintenant que les dirigeants de Kaboul sont très intéressés par l'achat de pétrole, de gaz et de blé russes à des prix très avantageux.

Comment faire revenir l'Afghanistan dans le jeu

Cette voie ferrée pourrait également donner lieu à un projet routier qui traverserait le corridor ultra-stratégique de Wakhan, ce que Pékin envisage depuis quelques années déjà.

Le Wakhan est partagé par le nord de l'Afghanistan et la région autonome de Gorno-Badakhshan au Tadjikistan: une longue bande géologique aride et spectaculaire qui s'étend jusqu'au Xinjiang.

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Il est désormais clair non seulement pour Kaboul, mais aussi pour les membres de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), que les Américains humiliés ne rendront pas les milliards de dollars "confisqués" des réserves de la Banque centrale afghane - ce qui permettrait au moins d'atténuer la crise économique actuelle et la famine de masse imminente en Afghanistan.

Le plan B consiste donc à renforcer les chaînes d'approvisionnement et de commerce de l'Afghanistan, actuellement dévastées. La Russie prendra en charge la sécurité de l'ensemble du carrefour de l'Asie du Sud et du Centre. La Chine fournira la majeure partie du financement. Et c'est là qu'intervient le chemin de fer Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan-Afghanistan.

La Chine voit la route à travers le Wakhan - une proposition très compliquée - comme un autre corridor BRI, se connectant au Pamir Highway au Tadjikistan, repavée par la Chine, et aux routes du Kirghizstan, reconstruites par la Chine.

L'Armée populaire de libération (APL) a déjà construit une route d'accès de 80 km depuis la section chinoise de la route du Karakoram - avant qu'elle n'atteigne la frontière avec le Pakistan - jusqu'à un col de montagne dans le Wakhan, actuellement accessible uniquement aux voitures et aux jeeps.

La prochaine étape pour les Chinois serait de continuer sur cette route pendant 450 km jusqu'à Fayzabad, la capitale provinciale du Badakhshan afghan. Cela constituerait le couloir routier de réserve pour le chemin de fer Chine-Asie centrale-Afghanistan.

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Le point essentiel est que les Chinois, ainsi que les Ouzbeks, comprennent parfaitement la position extrêmement stratégique de l'Afghanistan: non seulement en tant que carrefour entre l'Asie centrale et l'Asie du Sud, relié aux principaux ports maritimes du Pakistan et de l'Iran (Karachi, Gwadar, Chabahar) et à la mer Caspienne via le Turkménistan, mais aussi en aidant l'Ouzbékistan enclavé à se connecter aux marchés d'Asie du Sud.

Tout ceci fait partie du labyrinthe des couloirs de la BRI; et en même temps, il se croise avec l'INSTC en raison du rôle clé de l'Iran (lui-même de plus en plus lié à la Russie).

Téhéran est déjà engagé dans la construction d'une voie ferrée vers Herat, dans l'ouest de l'Afghanistan (il a déjà reconstruit la route). De cette façon, l'Afghanistan sera inclus à la fois dans la BRI (dans le cadre du Corridor économique Chine-Pakistan, CPEC) et dans l'INSTC, ce qui donnera une impulsion à un autre projet: un chemin de fer Turkménistan-Afghanistan-Tadjikistan (TAT), qui sera relié à l'Iran et donc à l'INSTC.

Du Karakoram à Pakafuz

La route du Karakoram - dont la partie nord a été reconstruite par les Chinois - pourrait tôt ou tard avoir une consœur ferroviaire. Les Chinois y réfléchissent depuis 2014.

En 2016, une voie ferrée reliant la frontière Chine-Pakistan à Gilgit, dans les régions du nord, et descendant ensuite jusqu'à Peshawar, avait été incluse dans le projet de corridor économique Chine-Pakistan (CPEC). Mais rien ne s'est passé: le chemin de fer n'a pas été inclus dans le plan à long terme 2017-2030 du CPEC.

Cela pourrait se produire au cours de la prochaine décennie : l'ingénierie et la logistique constituent un énorme défi, comme ce fut le cas pour la construction de la route du Karakorum.

Et puis il y a l'aspect "suivre l'argent". Les deux principales banques chinoises qui financent les projets de l'IRB - et donc le CPEC - sont la China Development Bank et l'Export Import Bank. Même avant la crise sanitaire, ils réduisaient déjà leurs prêts. Et avec la crise sanitaire, ils doivent maintenant équilibrer les projets étrangers avec les prêts nationaux pour l'économie chinoise.

Au lieu de cela, la priorité en matière de connectivité s'est déplacée vers le chemin de fer Pakistan-Afghanistan-Ouzbékistan (Pakafuz).

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La section clé de Pakafuz relie Peshawar (la capitale des zones tribales) à Kaboul. Une fois achevé, nous verrons la ligne Pakafuz interagir directement avec le futur chemin de fer Chine-Asie centrale-Afghanistan : un nouveau labyrinthe BRI directement relié à l'INSTC.

Tous ces développements révèlent leur réelle complexité lorsque nous voyons qu'ils font simultanément partie de l'interaction entre la BRI et l'INSTC et de l'harmonisation entre la BRI et l'Union économique eurasienne (UEEA).

En substance, en termes géopolitiques et géoéconomiques, la relation entre les projets BRI et EAEU permet à la Russie et à la Chine de coopérer à travers l'Eurasie, tout en évitant une course à la domination dans le Heartland.

Par exemple, Pékin et Moscou sont tous deux d'accord sur la nécessité primordiale de stabiliser l'Afghanistan et de l'aider à gérer une économie durable.

Parallèlement, certains membres importants de la BRI - comme l'Ouzbékistan - ne font pas partie de l'EAEU, mais cela est compensé par leur adhésion à l'OCS. Dans le même temps, l'entente BRI-EEA facilite la coopération économique entre les membres de l'UEE tels que le Kirghizstan et la Chine.

Pékin a en effet obtenu l'approbation totale de Moscou pour investir en Biélorussie, au Kazakhstan, au Kirghizstan et en Arménie, tous membres de l'UEE. L'EAEU, dirigée par Sergei Glazyev, et la Chine discutent conjointement d'une future devise ou d'un panier de devises excluant le dollar américain.

La Chine se concentre sur l'Asie centrale et occidentale

Il ne fait aucun doute que la guerre par procuration qui se déroule en Ukraine entre les États-Unis et la Russie crée de sérieux problèmes pour l'expansion de la BRI. Après tout, la guerre des États-Unis contre la Russie est aussi une guerre contre le projet BRI.

Les trois principaux corridors de l'IRB du Xinjiang vers l'Europe sont le Nouveau pont terrestre eurasien, le Corridor économique Chine-Asie centrale-Asie occidentale et le Corridor économique Chine-Russie-Mongolie.

Le nouveau pont terrestre eurasien utilise le chemin de fer transsibérien et une deuxième liaison qui traverse le Xinjiang-Kazakhstan (via le port continental de Khorgos) puis la Russie. Le corridor qui traverse la Mongolie est en fait deux corridors : l'un va de Beijing-Tianjin-Hebei à la Mongolie intérieure puis à la Russie ; l'autre va de Dalian et Shenyang puis à Chita en Russie, près de la frontière chinoise.

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Actuellement, les Chinois n'utilisent pas le pont terrestre et le corridor mongol autant que par le passé, principalement en raison des sanctions occidentales contre la Russie. L'accent actuel de la BRI est mis sur l'Asie centrale et l'Asie occidentale, avec une branche bifurquant vers le golfe Persique et la Méditerranée.

Et c'est ici que nous voyons un autre niveau d'intersection très complexe se développer rapidement: la manière dont l'importance croissante de l'Asie centrale et de l'Asie occidentale pour la Chine se mêle à l'importance croissante de la CIST pour la Russie et l'Iran dans leur commerce avec l'Inde.

Appelons-le le vecteur amical de la guerre des couloirs de transport.

Le vecteur dur - la guerre réelle - a déjà été mis en place par les suspects habituels. Ils sont, comme on peut s'y attendre, déterminés à déstabiliser et/ou à détruire tout nœud d'intégration BRI/INSTC/EAEU/SCO en Eurasie, par tous les moyens nécessaires: en Ukraine, en Afghanistan, au Baloutchistan, dans les "stans" d'Asie centrale ou au Xinjiang.

En ce qui concerne les principaux acteurs eurasiens, il s'agit d'un train anglo-américain qui ne mène nulle part.

Publié dans The Craddle

dimanche, 21 août 2022

Hommage à Darya Douguine par Maurizio Murelli, éditeur italien d'Alexandre Douguine

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Hommage à Darya Douguine par Maurizio Murelli, éditeur italien d'Alexandre Douguine

Une grande partie de notre vie est marquée par la rencontre. Sur le chemin que nous parcourons depuis la matrice où nous étions en gestation jusqu'à l'instant de notre dernier souffle, le Destin, au fil des rencontres, façonne notre âme. Des rencontres tragiques, des rencontres porteuses de chagrins, des rencontres terrifiantes qui mettent nos démons en duel, mais aussi des rencontres avec des personnes solaires qui vous enrichissent, vous élèvent et éclairent votre chemin même lorsque tout devient sombre, tellement leur lumière nous illumine. Sur mon chemin, j'ai rencontré Daria, qui est la fille de celui que je considère comme l'un des plus grands penseurs de ce siècle, la réincarnation d'un philosophe antique, mais Daria était une femme qui ne vivait pas d'une lumière réfléchie. Philosophe elle-même, intellectuelle raffinée, journaliste et militante qui, pour cette seule raison, a été sanctionnée par les Anglo-Saxons, elle était dotée d'une grâce incomparable, d'un sourire désarmant. Une beauté intégrale, physique et spirituelle. Je suis donc reconnaissant à ma Destinée de me l'avoir fait connaître.

Sa mort m'a rappelé un beau poème cher à une autre personne que j'ai rencontrée il y a des années, une personne qui était ma compagne et qui, depuis plus de vingt ans, habite dans l'autre monde où j'aime à penser qu'elle attend constamment de recevoir, de "poétiser" et de "philosopher" des âmes comme celle de Daria. 

Voici cette poésie.

Vous aurez la transparence
de la lumière, votre voix aura de la place 
dans l'univers, votre visage sera clair.

Vous allez voler 
serein du paradis parmi les mortes 
choses, dans la mort 
qui nous a séparés.

Nous reviendrons parmi les rêves 
de nous rejoindre, parmi les lacs 
au coucher du soleil, parmi les lumières 
sépulcrales.

Nous allons percer
les nuages, nous violerons les horizons. 
Nous écouterons les mots,
les palpitations brisées; nous nous connaîtrons 
vivant dans la vie qui meurt.

La mort nous a séparés. 
Mais des mots silencieux nous ont unis. 

* * *

Quant à l'attentat lui-même, je pense que personne parmi les êtres humains n'est plus abject, plus répugnant et ne mérite aucune pitié que ceux qui attaquent la vie des poètes et des philosophes. Et je dis que si le démon de l'abandon prenait le dessus en moi, me poussant à m'isoler, à me retirer, à me mettre au repos, ce soir ce démon a été transpercé par l'arme la plus tranchante en ma possession. Mon sac à dos est rempli d'instruments recueillis en cours de route. Il y a tant de croix sur le bord de mon chemin que j'ai dû affronter, mais celle qui se dresse aujourd'hui sur le corps de Daria est la plus ardente. Ils ont attaqué la Grâce, la Beauté, et j'ai le devoir de l'honorer en assumant une part de son héritage. Je suis vieux, mais je suis toujours en armes... et le serai d'autant plus pour Daria que le destin m'a fait connaître.

******

 

Quand Darya Douguina se présentait elle-même...

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Quand Darya Douguina se présentait elle-même...

Merci à Pietro Missiaggia d'avoir mis ce texte sur les réseaux sociaux

"Je suis diplômée en histoire de la philosophie de la faculté de philosophie de l'université d'État de Moscou. Mes recherches ont porté sur la philosophie politique du néo-platonisme tardif, un sujet d'un intérêt infini. La principale ligne de pensée de la philosophie politique du néo-platonisme tardif est le développement de l'idée d'une homologie de l'âme et de l'État et de l'existence d'un ordre triple similaire dans les deux. De même que dans l'âme il y a trois bases, de même dans l'État (et les platoniciens décrivent le modèle indo-européen, plus tard parfaitement théorisé dans l'œuvre de Dumezil), il y a aussi trois domaines - ce modèle se manifeste dans l'Antiquité et au Moyen Âge. La compréhension existentielle et psychique de la politique est en fait perdue à bien des égards aujourd'hui, car nous sommes habitués à ne voir la politique que comme une technique; mais le platonisme révèle un lien profond entre les processus politiques et psychiques. Aujourd'hui, il est urgent de rétablir une vision globale des processus politiques, c'est-à-dire d'examiner la "politique existentielle".

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Je suis une observatrice politique du "Mouvement international eurasien" et une experte en relations internationales. Mon domaine d'activité est l'analyse de la politique et de la géopolitique européennes. À ce titre, j'apparais sur des chaînes de télévision russes, pakistanaises, turques, chinoises et indiennes, présentant une vision mondiale multipolaire des processus politiques. Mes centres d'intérêt sont à la fois l'espace de la civilisation européenne et le Moyen-Orient, où une sorte de révolution conservatrice est en train de se produire - de la confrontation constante de l'Iran avec l'hégémonie américaine ou de la lutte de la Syrie contre l'impérialisme occidental à la Turquie, qui montre maintenant des tendances intéressantes à s'éloigner de l'OTAN et du bloc géopolitique anglo-saxon et tente de construire sa politique étrangère sur une base multipolaire, en dialogue avec la civilisation eurasienne. Je pense qu'il est important de suivre les processus dans la région du Moyen-Orient, c'est l'une des étapes de la lutte contre l'impérialisme. D'autre part, je suis également très intéressée par les pays africains; ils représentent "l'autre" pour l'Europe et la Russie, dont l'analyse nous permet de mieux comprendre leur civilisation. L'Afrique a toujours été un élément de rêve pour les Européens et les Russes - rappelons-nous le Voyage en Abyssinie et à Harare d'Arthur Rimbaud, ou le poète russe Nikolaï Gumilev qui s'est inspiré de Rimbaud ("Journal africain") et d'une série de poèmes sur l'Afrique, dans lesquels il révèle en fait l'Afrique comme une civilisation inexplorée et pleine de sens que le colonialisme occidental a cruellement essayé de défaire et de détruire.

Aujourd'hui, des changements tectoniques ont lieu sur le continent africain, et la comparaison entre les civilisations, l'occidentale et l'authentiquement africaine (si différente et si unique) est extrêmement intéressante.

Pour moi, une question particulièrement importante est le développement de la théorie du monde multipolaire. Il est clair que le moment mondialiste est terminé, la fin du libéralisme est arrivée, la fin de l'histoire libérale. En même temps, il est extrêmement important de comprendre qu'une nouvelle phase pleine de défis, de provocations et de complexités a commencé. Le processus de création du multipolarisme, de structuration des blocs civils et de dialogue entre eux est la tâche principale de tous les intellectuels aujourd'hui. Samuel Huntington, en tant que réaliste des relations internationales, a mis en garde à juste titre contre les risques d'un choc des civilisations. Fabio Petito, spécialiste des relations internationales, a souligné que la construction d'un "dialogue des civilisations" est la tâche centrale et "la seule façon d'avancer". Par conséquent, pour consolider le monde multipolaire, les zones frontalières (intermédiaires) entre les civilisations doivent être traitées avec soin. Tous les conflits ont lieu aux frontières (dans les zones intermédiaires) des civilisations, là où les attitudes s'affrontent. Il est donc essentiel de développer une mentalité de "frontière" (d'entre-deux) si l'on veut que le monde multipolaire fonctionne pleinement et passe du "choc" au "dialogue" des civilisations. Sans cela, il y a un risque de "clash".

Les sanctions anti-russes commencent à affecter l'économie européenne. Marine Le Pen, dans son débat avec Macron, les a qualifiés à juste titre de "harakiri" pour l'économie française. Mais réfléchissons: qui a besoin d'une Europe affaiblie ? Plombée par les mesures de la pandémie, affaiblie par les sanctions anti-russes, l'Europe va devoir concentrer toutes ses forces pour sauver son économie; dans une telle situation, les bénéficiaires de tous ces revers sont les Etats-Unis, qui peuvent rétablir leur contrôle sur le continent. Un Rimland indépendant est inacceptable pour la civilisation anglo-saxonne, le sentiment anti-américain et anti-OTAN croissant (en France, il faut le noter, Mélanchon, Le Pen, Zemmour et de nombreux autres candidats ont activement critiqué l'adhésion de la France à l'OTAN et quasiment prôné la réédition du scénario gaulliste de 1966) est une menace pour la domination mondiale des États-Unis. Par conséquent, l'idée de sanctions anti-russes a été mise en œuvre dans le but égoïste d'affaiblir la région. Les élites de l'UE ont agi comme des intermédiaires, des mandataires des mondialistes dans cette entreprise, et ont porté un coup sévère au bien-être des peuples et des nations européennes.

Je demande instamment à tous les lecteurs de faire preuve d'esprit critique et de remettre en question les reportages des médias. Si les élites libérales occidentales insistent tant pour soutenir Kiev et diaboliser Moscou, c'est qu'il y a une logique de profit derrière tout cela. Tout doit être remis en question. Il s'agit d'un principe important qui nous permet de garder une vision sobre. Dans la société du spectacle, de la propagande et de la nature totalitaire des systèmes occidentaux, le doute est une étape essentielle pour sortir de la caverne..."

Que Darya Douguina repose en paix.

Nécrologie pour Darya Douguina

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Nécrologie pour Darya Douguina

Par Alexander Markovics

Source: https://alexandermarkovics.at/2022/08/21/nachruf-auf-darya-dugina/

Le soir du 20 août 2022, Darya Douguina est morte à l'âge de 29 ans dans un lâche attentat terroriste près de Moscou. Mais qui était-elle ? Darya était tout d'abord une philosophe qui s'engageait en paroles et en actes pour sa patrie, la Russie, et pour un monde meilleur. Adepte de la Quatrième Théorie Politique, elle s'est battue pour un monde plus juste et multipolaire et pour mettre fin à la domination infligée par l'Occident mondialiste.

Pour y parvenir, Darya a milité sans relâche pour le Mouvement eurasien, fondé par son père Alexandre Douguine - à travers de nombreuses conférences, interviews et événements qu'elle a largement contribué à organiser, elle s'est engagée non seulement pour la libération de la Russie et de l'Eurasie du joug mondialiste, mais aussi pour la liberté de l'Europe, dont elle a toujours su séparer les peuples et la culture traditionnelle de ses élites décadentes actuelles - qu'elle connaissait bien en tant que spécialiste de la France et de la culture française - elle parlait couramment le français et a interviewé, entre autres, des personnalités du monde entier. Alain de Benoist à Paris - lui tenait à cœur.

En tant qu'universitaire - Darya avait obtenu un doctorat sur le néoplatonisme dans l'Empire romain - elle s'est intéressée aux racines de la tradition indo-européenne et a donné d'excellentes conférences non seulement sur des sujets géopolitiques, mais aussi sur des représentants de la Révolution conservatrice comme Julius Evola, Ernst Jünger et Martin Heidegger. Son activité de journaliste a non seulement culminé avec de nombreuses apparitions à la télévision russe, où elle a notamment défié avec succès les mondialistes russes, mais elle est également toujours allée là où cela s'embrasait, que ce soit en Syrie ou dans le Donbass, où elle a récemment effectué un reportage à Marioupol, libérée des fascistes ukrainiens. Il était impressionnant de voir comment cette jeune femme, qui avait vu l'enfer déclenché par l'OTAN en Syrie, pouvait à la fois parler avec empathie de la souffrance de la population locale et avec confiance de la victoire dans la lutte contre le mondialisme.

Au cours des dernières années, j'ai eu l'occasion de rencontrer Darya personnellement, à plusieurs reprises, et j'ai toujours trouvé à Vienne, Moscou et Sotchi, ainsi qu'à Kichinev, une femme jeune et sage, mais aussi très humoristique et courageuse, dont l'attitude correspondait à l'idéal de la guerrière indo-européenne-touranienne, comme on en rencontre malheureusement trop peu aujourd'hui. Pour un observateur extérieur superficiel, elle a peut-être été éclipsée par son père, mais pour ceux qui l'ont connue, il est clair qu'elle fut également une femme exceptionnelle à elle seule. Le temps de Darya dans ce monde est peut-être terminé, que Dieu ait pitié de son âme, mais sa mémoire continue de vivre en nous tous !

Ses assassins ont voulu nous intimider, nous tous qui défendons une Europe et une Russie libres dans un monde multipolaire, par leur acte lâche. Mais les bombes ne peuvent tuer que des hommes, pas des idées ! Le mal ne peut que s'opposer à nous, mais jamais vaincre ! Par les actes de ses détracteurs, elle est devenue une martyre du monde multipolaire, de la quatrième théorie politique et de la lutte de tous ceux qui s'opposent aux forces des ténèbres. En restant fidèles aux idéaux de Darya et en poursuivant son combat, nous perpétuerons la mémoire de cette héroïne de l'Eurasie ! Son sacrifice est notre mission !

Mémoire éternelle !

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Une courte biographie de Darya

Darya Platonova Dugina, la fille du philosophe russe d'Eurasie Alexandre Douguine, tuée dans l'explosion de sa voiture près de Moscou, avait un engagement intellectuel intense dans le sillage de son père. Dans une récente interview accordée au journal en ligne geopolitika.ru en mai, elle s'était exprimée sur l'agression russe contre l'Ukraine. Sans surprise, elle a épousé les positions de son père et la ligne du Kremlin.

"La situation en Ukraine est vraiment un exemple de choc des civilisations ; elle peut être vue comme un choc entre les civilisations mondialiste et eurasienne", avait-il déclaré. "Après 'la grande catastrophe géopolitique' (comme le président russe a appelé l'effondrement de l'URSS), les territoires de l'ancien pays uni sont devenus des 'frontières' (des zones intermédiaires) - ces espaces sur lesquels l'attention des voisins s'est rapidement focalisée, l'OTAN et surtout les États-Unis étant intéressés à déstabiliser la situation aux frontières de la Russie."

Et Darya Dugina d'ajouter : "Si les élites libérales occidentales insistent autant pour soutenir Kiev et diaboliser Moscou, c'est qu'il y a une logique de profit derrière tout cela. Tout doit être remis en question. Il s'agit d'un principe important qui nous permet de garder l'œil ouvert. Dans la société du spectacle, de la propagande, et de la nature totalitaire des systèmes occidentaux, le doute est une étape essentielle pour sortir de la caverne...'.

La femme avait la trentaine, était diplômée en philosophie de l'université d'État de Moscou et avait étudié en profondeur le néo-platonisme, mais revendiquait également Antonio Gramsci, Martin Heidegger et le sociologue français Jean Baudrillard comme références culturelles. Le 4 juin, elle avait été incluse dans la liste des personnes sanctionnées par le gouvernement britannique (parmi lesquelles le magnat Roman Abramovic) pour avoir exprimé son soutien ou promu des politiques favorables à l'agression russe en Ukraine.

Elle figure au numéro 244 de la liste des 1331 personnes physiques sanctionnées, en tant qu'"fautrice très connue de désinformation à propos de l'Ukraine et l'invasion russe de l'Ukraine sur diverses plateformes en ligne", ainsi que responsable du soutien et de la promotion de politiques ou d'initiatives visant à déstabiliser l'Ukraine afin de porter atteinte ou de menacer son "intégrité territoriale, sa souveraineté et son indépendance".

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vendredi, 12 août 2022

Vladimir Poutine et la multipolarité

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Vladimir Poutine et la multipolarité

Shahzada Rahim

Source: https://katehon.com/en/article/vladimir-putin-and-multipolarity?fbclid=IwAR2UMAT3P9gJ-xk1DsIX1ZtybNBUUbMA4QjJUpUcClnSER6KfmUO4_tFCEA

Depuis son accession à la présidence russe, Vladimir Poutine a attiré l'attention des grands médias mondiaux pour deux raisons majeures. Premièrement, dans sa jeunesse, il a servi dans les services de renseignement soviétiques (KGB) et pendant la désintégration de l'Union soviétique, il était colonel au siège du KGB à Dresde, en Allemagne de l'Est. Cela signifie que le jeune dirigeant russe a des souvenirs éléphantesques de l'époque soviétique. Deuxièmement, après la chute de l'Union soviétique, le jeune Vladimir Poutine, qui est diplômé en droit et ancien officier du KGB, s'est retrouvé sans emploi pendant une brève période jusqu'à ce que le maire de Saint-Pétersbourg, Anatoly Sobchak, le nomme au bureau, où il a d'abord servi en tant qu'officier junior avant de devenir maire adjoint. Ces deux expériences sont devenues la raison principale qui a attiré l'attention des grands médias mondiaux sur la personnalité obscure, mystérieuse et incompréhensible du jeune leader russe.

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Au lendemain de l'attaque terroriste de septembre 2001, Vladimir Poutine est devenu le premier dirigeant mondial à se rendre aux États-Unis et a rencontré le président américain de l'époque, George W. Bush. Après une brève rencontre avec le jeune dirigeant russe, le président Bush a déclaré publiquement : "J'ai regardé l'homme dans les yeux. Je l'ai trouvé très franc et digne de confiance". Peut-être que la tentative du président Bush de sonder l'âme de Vladimir Poutine n'était pas une gaffe géopolitique, car dans ses décisions et sa défense des intérêts de la Russie, Vladimir Poutine s'est toujours montré franc et digne de confiance.

Néanmoins, ce n'est pas seulement dans la sphère politique que Vladimir Poutine a été mal compris et mal interprété, mais aussi dans la sphère géopolitique. Selon les mots du célèbre animateur de télévision russe et icône des médias mondiaux Vladimir Pozner, "Au cours des vingt dernières années, les dirigeants occidentaux ont mal compris Vladimir Poutine et, par conséquent, au cours de la même période, la façon dont Vladimir Poutine s'est présenté était le reflet même de la mentalité politique occidentale.

Si nous analysons la personnalité du dirigeant russe d'un point de vue géopolitique, il apparaît sans aucun doute comme un réaliste pragmatique complet qui considère toujours la "sécurité" de la Russie comme sa priorité absolue. Au cours des premières années de sa présidence, Vladimir Poutine a établi des relations étroites tant avec les États-Unis qu'avec ses voisins européens. Pour obtenir les garanties de sécurité des États-Unis et de ses alliés européens, la Russie a collaboré avec l'OTAN pour créer le Conseil OTAN-Russie en 2002. La tâche principale du Conseil OTAN-Russie était la recherche d'un consensus, la coopération et la consultation mutuelle sur les questions de sécurité. Il ne faut peut-être pas oublier ce geste pragmatique de Vladimir Poutine.

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En outre, depuis les premiers jours de son mandat, Vladimir Poutine n'a cessé de partager les lignes rouges de la sécurité de la Russie avec les États-Unis et ses alliés de l'OTAN en Europe. Les experts en politique étrangère ont qualifié le pragmatisme de la politique étrangère de Poutine, celle d'une approche de la Russie face à son étranger proche,  d'efficace jusqu'en 2004. Les préoccupations de la Russie en matière de sécurité ont commencé à s'aggraver lorsqu'un grand nombre d'États post-soviétiques d'Europe baltique et orientale ont rejoint l'Union européenne. Néanmoins, dès le début, la Russie a perçu l'expansion vers l'est de l'UE sous l'angle du dilemme de la sécurité et, par conséquent, lors de plusieurs rencontres internationales, Vladimir Poutine a remis en question la politique d'expansion vers l'est de l'UE. Ici, la montée en flèche des préoccupations sécuritaires de Poutine peut être mise en parallèle avec l'analyse du célèbre auteur géopolitique Tim Marshall. Selon Marshall, tout au long de l'histoire, la Russie a été prisonnière de sa géographie plate, vaste et trop étendue, où la "sécurité" est toujours restée l'obsession de ses dirigeants.

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De même, la politique d'expansion vers l'est de l'UE, qui a débuté en 2004, est devenue le principal sujet de débat et de discussion parmi les élites politiques et sécuritaires russes. Les élites russes de la sécurité, en particulier, pensaient que l'expansion vers l'est de l'UE visait à ouvrir la voie à l'OTAN pour atteindre les frontières russes. Ainsi, de cette discussion est né un nouveau phénomène de sécurité, celui de "l'encerclement de la Russie", qui a fini par dominer la politique étrangère russe pour les années à venir. La plupart des élites politiques et de sécurité russes ont directement blâmé les États-Unis pour l'américanisation des politiques étrangères et de défense européennes. À cet égard, si quelqu'un veut comprendre le contexte du conflit actuel entre la Russie et l'Ukraine, il doit étudier la transformation de la politique étrangère russe après 2004. En outre, l'année 2004 est importante pour deux raisons majeures.

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Premièrement, 2004 a marqué le début de l'expansion de l'UE vers l'est et donc des avancées de l'OTAN vers les frontières russes. Deuxièmement, au cours de ces mêmes années, les révolutions de couleur ont commencé dans l'espace post-soviétique, en commençant par l'Ukraine, dont la Russie pense qu'elles étaient parrainées par l'OTAN pour renverser les régimes favorables à la Russie. Ainsi, dans le sillage des révolutions de couleur, le terme "Sécurité de la sphère d'influence de la Russie" est devenu l'obsession majeure des élites politiques et sécuritaires russes.

Dans ce dernier contexte, si nous révisons la pensée géopolitique du président russe, alors, selon Poutine, la chute de l'Union soviétique a été la plus grande catastrophe géopolitique du vingtième siècle qui a mis en péril la sécurité géopolitique de la Russie. C'est peut-être la raison pour laquelle, dès les premiers jours de son mandat, Vladimir Poutine a spéculé sur les problèmes de sécurité de la Fédération de Russie. Même, concernant les lignes rouges de la Russie, il a lancé un avertissement clair aux États-Unis et à ses alliés européens de l'OTAN lors de son discours à la Conférence sur la sécurité de Munich en 2007. Vladimir Poutine a déclaré : "le fait que nous soyons prêts à ne pas placer l'armée de l'OTAN en dehors du territoire allemand donne à l'Union soviétique une solide garantie de sécurité" - où sont ces garanties ? Ainsi, du point de vue géopolitique de Poutine, les Américains et leurs alliés européens ont éclipsé et méprisé les garanties de sécurité données à la Russie et ont permis à l'OTAN d'encercler la Russie, ce qu'il considère comme une promesse non tenue.

En tant que réaliste pragmatique, Vladimir Poutine estime que puisque l'Amérique et ses alliés européens ont rompu la promesse, la Russie a le droit naturel d'assurer sa sécurité dans l'espace post-soviétique. Par conséquent, les événements tels que la guerre avec la Géorgie (2008) et l'annexion de la Crimée (2014) n'étaient qu'un calme avant la tempête. À mon avis, ces événements ont été le signal d'alarme pour que l'OTAN abandonne son expansionnisme le long des frontières russes. Malheureusement, à l'Ouest, ces deux événements majeurs n'ont pas été reçus comme des avertissements majeurs ; au contraire, l'Ouest les a considérés comme une agression russe et un néo-impérialisme, ce qui est complètement hors de toute logique.

Selon Poutine, l'Occident doit respecter la Russie en tant que pôle distinct dans l'ordre international, aux côtés d'autres puissances mondiales émergentes comme la Chine et l'Inde. Selon Poutine, le moment unipolaire est terminé et l'état de droit international ne peut être renforcé et mis en œuvre que si l'Occident respecte la "sphère d'influence" de chaque pôle. En outre, la multipolarité émergente est réelle et l'Occident doit comprendre ce fait, s'il est un tant soit peu sérieux en matière de paix et de sécurité internationales.

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L'Auteur:

Shahzada Rahim est l'auteur du livre Beyond Civilization and History et un expert en géopolitique. Il est le rédacteur en chef du portail d'information The Eurasian Post.

samedi, 30 juillet 2022

Deux axes qui modifient la géopolitique mondiale : Russie-Chine-Iran et Russie-Iran-Inde

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Deux axes qui modifient la géopolitique mondiale: Russie-Chine-Iran et Russie-Iran-Inde

Alfredo Jalife-Rahme,

Analyste géopolitique, auteur et conférencier

Source: https://geopol.pt/2022/07/24/dois-eixos-que-deslocam-a-ge...

L'Iran se positionne désormais comme un centre (une intersection) entre deux axes futuristes, l'un de nature géopolitique (avec la Chine) et l'autre de nature géoéconomique (avec l'Inde) et entre trois superpuissances convergentes (le RIC : Russie-Inde-Chine)

Dans sa sombre oraison funèbre, au lieu de donner une conférence à la Ditchley Foundation, l'ancien Premier ministre britannique méga-polémique Tony Blair (TB), au bord de la dépression mentale et dans le cadre de son schéma bipolaire simpliste entre les États-Unis et la Chine - sans la Russie - a exposé le partenariat stratégique du binôme désormais indissoluble de la Chine et de la Russie, auquel s'ajouterait l'Iran (bit.ly/3vvn3Zl).

Tony Blair a laissé l'Inde et l'Indonésie (la plus grande population islamique du monde) flotter dans le vague, ce qui n'augure rien de bon pour eux de la part de la perfide Albion.

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On pourrait arguer que l'axe Russie-Chine-Iran est plus géostratégique, lorsque l'Iran entretient simultanément des relations optimales avec la Chine et la Russie - sans parler de l'Inde - malgré l'épée de Damoclès tranchante des sanctions américaines et la menace permanente d'une attaque d'Israël qui, avec l'appui de Washington, exerce unilatéralement un monopole sur 250 bombes nucléaires au Moyen-Orient.

La récente visite de haut niveau du président russe Vladimir Poutine à Téhéran (sa cinquième visite, ce qui est significatif) - pour assister au sommet trilatéral avec le sultan Erdogan de Turquie dans le cadre du "format Astana (bit.ly/3czsIXB)" destiné à résoudre le conflit syrien - a marqué un accord historique de 40 milliards de dollars sur les hydrocarbures (bit.ly/3oks42G).

Le Global Times de Chine rapporte que la visite de Poutine à Téhéran est un revers majeur pour le camp occidental qui fait suite au voyage de Biden, qui est revenu du Moyen-Orient les mains vides - incapable de créer une OTAN arabe, c'est-à-dire un front contre l'Iran, et pire, incapable d'augmenter la production de pétrole des six pétromonarchies du Conseil de coopération du Golfe, dirigé par l'Arabie saoudite (bit.ly/3B9lDHi).

L'Iran vient de rejoindre le Groupe géostratégique de Shanghai (bit.ly/3IYrKQz) et a demandé à adhérer aux BRICS à l'initiative du chef suprême de la théocratie chiite, l'ayatollah Khamenei, et de son président Ebrahim Raisi.

Le très médiocre conseiller à la sécurité nationale de Biden, Jake Sullivan, affirme que l'Iran prévoit de livrer des centaines de drones de combat à la Russie (bit.ly/3yUBnLE), tandis qu'un autre conseiller accro à la russophobie incoercible, Anshel Pfeffer, exagère en affirmant que "Poutine a perdu la guerre des drones" et en expliquant "comment l'Iran peut l'aider en Ukraine (bit.ly/3yYZZ3i6)".

Deux points saillants qui ont attiré mon attention sont 1. le déclassement progressif de la Turquie, toujours membre de l'OTAN, et de l'Iran, et 2. le très importantes corridor de transport géoéconomique Nord-Sud - par terre, rail et mer (INSTC), de 7200 km reliant la Russie et l'Inde à travers l'Iran et l'Azerbaïdjan en passant par la mer Caspienne (bit.ly/3oj19EB).

Selon les évaluations du PIB nominal posées par le FMI, l'Iran se classe désormais au 14e rang, malgré les sanctions américaines dévastatrices, avec 1,74 trillion de dollars, devant l'Espagne et derrière l'Australie, tandis que la Turquie est tombée au 23e rang avec 692,38 milliards de dollars, ce qui a nui à la valeur de la livre turque.

Selon Bloomberg, la Türkye (son nouveau nom) cherche à abandonner le dollar dans ses paiements pour l'énergie russe, ce qui "pourrait ralentir le déclin de ses réserves (bloom.bg/3BbITok)".

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La nouvelle route de l'Inde vers la Russie, via l'Iran et l'Azerbaïdjan, réduira de moitié le poids de la logistique actuelle.

L'INSTC (bit.ly/3Pqzqxn) offre la connectivité la plus courte entre l'Inde et la Russie, ce qui réduira leurs coûts logistiques et le temps de transport.

L'Azerbaïdjan et l'Iran ont également conclu un nouvel accord de transport (bit.ly/3v6nfxC) qui permettra de relier la Russie et l'Inde et fait donc partie de l'INSTC.

L'Iran se positionne ainsi comme un centre (un carrefour) de deux axes futuristes, l'un géopolitique (avec la Chine) et l'autre géoéconomique (avec l'Inde), avec trois superpuissances convergentes (le RIC : Russie-Inde-Chine), tandis que la Turquie, membre de l'OTAN, réfléchit à son dilemme existentiel : rester dans un bloc occidental qui la dédaigne ou renouer avec son glorieux passé de Moyen-Orient-Asie centrale.

mardi, 26 juillet 2022

A l'aube de l'eurasisme: un nouveau regard sur la pensée russe pré-révolutionnaire

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A l'aube de l'eurasisme: un nouveau regard sur la pensée russe pré-révolutionnaire

Maxim Medovarov

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/alla-vigilia-delleurasiatismo-un-nuovo-sguardo-sul-pensiero-prerivoluzionario-russo

bc5954bdb690d165bbcfa3009d700fb28c731d169f652f0077dc9f4e10973837.jpgLa traduction russe de la monographie de Marlène Laruelle intitulée Mythe aryen et rêve impérial dans la Russie di XIXème siècle  [1] est désormais disponible. La chercheuse française est connue des lecteurs russes pour son impressionnant ouvrage sur l'eurasisme dans les années 1920 et 1930 [2], dont une sorte de prologue est désormais disponible. Malheureusement, son nouveau livre est très désordonné, plein de coquilles et d'inexactitudes, même dans les noms. Cependant, il est clair que le traducteur expérimenté, qui a récemment eu 85 ans, était fasciné par le sujet et a écrit quelques commentaires personnels. Cependant, nous devons tenir compte de l'édition dont nous disposons. Il mérite sans aucun doute d'être décrit à la lumière de l'étude de l'histoire de la pensée sociale russe et de la science historique du début du 19ème au début du 20èùe siècle.

L'une des positions méthodologiques clés de Laruelle consiste à étudier l'espace intellectuel de la Russie par rapport à l'Allemagne et à la France au XIXème siècle en relation avec les différentes étapes de la perception du problème indo-européen, de la patrie et de la langue originelles des Indo-Européens et des Slaves en particulier, de l'interprétation du terme "aryen" ou "aryenne". Tout au long de l'ouvrage, l'auteur s'efforce de présenter le plus large éventail possible d'interprétations russes de l'"arianisme", qui reposent toutes, cependant, sur la répulsion et la polémique à l'égard de la compréhension romano-germanique du terme. Les Européens ont exclu les Russes de l'"arianisme" - les érudits nationaux ont défendu avec véhémence leur identité "aryenne". Les Européens se sont tournés vers le racisme et la recherche anthropologique - les universitaires russes ont catégoriquement rejeté toute allusion à une compréhension raciale de l'"aryanisme". La dualité de la position de la Russie entre l'Europe et l'Asie a obligé les idéologues russes du 19ème siècle à chercher une formule correspondant à la version russe et anti-occidentale de l'"orientalisme", se considérant souvent comme les représentants d'une "Europe non-occidentale" contre l'Occident, ou comme les représentants de l'"iranisme" contre le "cushitisme" et le touranisme. Ce sont les conclusions de Laruelle, basées sur l'étude de centaines de travaux d'historiens et de publicistes russes (bien que, peut-être, avec des recherches plus approfondies, on pourrait trouver des exemples isolés qui ne correspondent pas à ce schéma).

Le livre volumineux est rempli de centaines de noms, de prénoms et de titres d'œuvres. L'auteur n'a pas réussi à les trier : elle revient souvent sur les mêmes noms et répète les mêmes thèses. Cependant, la monographie accorde une attention particulière à la conception de l'histoire mondiale d'Alexei Khomyakov, aux doctrines asiatiques d'Esper Ukhtomsky et, au début du 20ème siècle, au Cercle des amateurs d'archéologie du Turkestan.

Apparemment, Laruelle considère ces trois exemples comme les plus éloquents, regroupant tous les autres selon le principe de la comparaison avec eux. Le deuxième chapitre, consacré à la comparaison des différentes opinions dans la Russie du 19ème siècle sur la patrie des Vikings (Scandinavie, Lituanie, Baltique slave, mer d'Azov, côte de la mer Noire...) et la patrie ancestrale des Slaves (Scythie, Sarmatie, Sibérie, Asie centrale, Crimée, Rome, Grèce, Troie...) - opinions, une fois de plus, qualifiables de "merveilleuses". Cependant, c'est dans la rivalité féroce qui les opposait qu'une slavistique véritablement scientifique, d'une part, et une historiographie russe sérieuse, d'autre part, se sont progressivement cristallisées. Une branche latérale de cet effort, parmi d'autres, était la fantastique historiographie ukrainienne, de Mykhailo Hrushevsky à Agafangel Krymsky.

En essayant de trouver les racines de l'identité russe et slave dans la Bactriane, ou sur les côtes de la mer Noire, ou en commun avec les peuples italiques, et parfois même avec les Huns et les Turcs proto-bulgares et les Khazars, des historiens russes tels que Evers, Moroshkin, Venelin, Gedeonov, Zabelin et Ilovajsky ont formé la "soupe" dans laquelle une compréhension véritablement eurasienne de l'identité russe allait se développer, en écartant les fantasmes, au début du 20ème siècle.  Et Laruelle estime que l'eurasisme est, en quelque sorte, l'entéléchie de la pensée russe, vers laquelle les esprits du siècle précédent s'étaient dirigés.

xJPEfk5utzra.jpgLes troisième et quatrième chapitres sont consacrés à l'"asiatisme" dans la pensée russe. Dans ces documents, Laruelle examine systématiquement le changement de la perception de l'Inde et du sanskrit, qui est passée du romantisme et de la mythologie à l'érudition, l'émergence de l'iranisme scientifique russe et l'exploration des parallèlismes alano-slaves dans l'épopée et la culture (Vsevolod Miller / Photo). La théosophie de Blavatsky et Roerich, Vladimir et Vsevolod Solovyov, Leo Tolstoy et d'autres ont également leur part d'attention. Aux côtés des conservateurs russes, on trouve également dans le travail de Laruelle quelques narodniki et libéraux qui ont élaboré les mythes "iranien" et "aryen" de la russéité et les ont peints aux couleurs "démocratiques" de l'utopie de l'égalité et de la fraternité des peuples de la Grande Steppe (Sergei Yuzhakov, Mikhail Venyukov). Bien sûr, l'auteur ne pouvait pas ignorer ceux qui, aujourd'hui, seraient classés parmi les historiens populaires, ou même simplement les "bizarres", à savoir le cosmologiste Nikolai Fyodorov, qui rêvait de trouver le corps d'un ancêtre aryen dans le Pamir, et le fondateur de l'université de Tomsk, Vasily Florinsky, qui recherchait fanatiquement des Slaves parmi les Scythes, les Sarmates et les Saces (Sakas) de l'ancienne Sibérie et de l'Altaï.

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Il n'est pas surprenant que le vecteur de recherche se soit ensuite déplacé vers les idées de la mission russe de conquête de l'Asie centrale et la recherche, sous les strates turco-mongoles du Turan, de traces de l'ancienne culture touranienne, iranienne ou "tokharienne". C'est là qu'entrent en action non seulement les penseurs, mais aussi les administrateurs, les politiciens et les professionnels tels que Nikolay Przhevalsky, Agvan Dorzhiev, Pyotr Badmaev, Esper Ukhtomsky et les archéologues du Turkestan. Ensemble, ils ont formé une vision du monde résolument "eurasienne" et "orientaliste" sous l'empereur Nicolas II et ont déterminé le vecteur asiatique de la géopolitique russe au tournant des 19ème et 20ème siècles, avec des rêves fervents et des visions ésotériques du Tibet, de la Mandchourie, des Pamirs et au-delà.

Ainsi, on nous présente une vaste toile historique, riche en faits et en exemples. Avec un niveau approprié de conceptualisation et de réflexion théorique sur les cas cités dans le livre, nous pouvons élargir de manière significative notre compréhension de la manière dont la pensée russe du XIXe siècle s'est cherchée et trouvée, et comment le Logos russe caché a fait son chemin. En agissant dans l'esprit de la méthodologie de la Noomachie [3 ; 4 ; 5 ; 6] [Note de l'éditeur : la "méthodologie" n'est pas tant celle de la Noomachie, qui est la "bataille du Nous", que celle de la Noologie, codifiée par Douguine], nous pouvons élargir notre perspective et réévaluer les concepts examinés par Laruelle, en clarifiant leur place dans le développement de la conscience de soi russe.

2738482589b.jpgComme nous le savons déjà par le précédent ouvrage de Laruelle sur l'eurasisme, on ne peut soupçonner chez elle une tendance particulière à faire l'apologie de la géopolitique russe. Mais on ne peut pas non plus l'accuser de partialité. Les conclusions finales de la monographie de Laruelle sur le parcours tortueux de l'idée d'"aryanisme" en Russie de 1810 à 1917 sont encore plus précieuses. Cela revient à dire que la conception de l'"aryanisme" en Russie était très éloignée de celle de l'Occident. Elle était dépourvue de racisme et d'antisémitisme (même si elle sombrait parfois dans la "touranophobie") et reposait sur le culte invariable de l'Empire et de sa grande mission en Asie centrale (qui était le plus souvent considérée, avec la Grande Steppe, comme la patrie ancestrale des Aryens, ou du moins des Slaves). Malgré les divergences entre les penseurs russes, qui cherchaient les Slaves et les Varègues dans des endroits complètement différents, privilégiant l'Iran, l'Inde, le Tibet, les Germains et les Gréco-Romains, ils étaient tous des maillons de la même chaîne, des participants à la même discussion séculaire, se référant régulièrement les uns aux autres.

L'impulsion pour ce développement du "mythe aryen" en Russie (qui, au début du 20ème siècle, prenait de plus en plus la forme d'un mythe valorisant les "Scythes") était la menace constante du discours occidental, qui percevait la Russie comme l'Asie, la discréditant et forçant ainsi la Russie à se définir dans son propre mythe mutuel de l'Asie. D'une manière ou d'une autre, la pensée russe a parcouru un long chemin en un siècle, passant de son berceau romantique et slavophile à un "aryophilisme" (N. P. Peterson), un "scythianisme" (A. A. Blok) ou un "asiatisme" (A. A. Blok) plus intégral. A. A.Blok) ou "l'asiatisme" (E. E. Ukhtomsky), à la perception de la Russie comme le "monde intermédiaire du continent Asie-Europe" (V. I. Lamansky) et un membre de la "Grande Union de l'Est" (K. N. Leontiev). Il ne manquait qu'une étape pour compléter cette tendance. En 1920-1921, Nikolai Trubetskoy et Pyotr Savitsky ont porté la pensée russe vers l'étendue eurasienne tant désirée.

Littérature

Laruelle M., Mythe aryen et rêve impérial dans la Russie du XIXème siècle. M. : Totenburg, 2022.

Notes:

    1) Laruelle M., L'idéologie de l'eurasianisme russe, ou Pensées sur la grandeur de l'empire. M. : Natalis, 2004.

    2) Dugan A.G. Noomachia : Les guerres de l'esprit. Le logos de Turan : idéologie indo-européenne de la verticalité. Moscou : Projet académique, 2017.

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3) Dugin A.G. Noomachia : Les guerres de l'esprit. Logos russes I. Royaume de la Terre. La structure de l'identité russe. Moscou: Projet académique, 2019.

    4) Dugin A.G. Noomachie : les guerres de l'esprit. Logos russes II. Historien russe. Le peuple et l'État à la recherche d'un sujet. Moscou : Projet académique, 2019.

    5) Dugin A.G. Nooma Noomachia khiya : les guerres de l'esprit. Logos russes III. Images de la pensée russe. Le tsar solaire, la lueur de Sophia et la Russie souterraine. Moscou : Projet académique, 2020.

 

dimanche, 24 juillet 2022

La troïka bat Biden en Asie occidentale

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La troïka bat Biden en Asie occidentale

Pepe Escobar

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/la-troika-del-potere-batte-biden-asia-occidentale

Le sommet de Téhéran réunissant l'Iran, la Russie et laTurquie a été un événement fascinant à plus d'un titre. Concernant ostensiblement le processus de paix d'Astana en Syrie, lancé en 2017, la déclaration commune du sommet a dûment noté que l'Iran, la Russie et la Turquie (récemment renommée) continueront à "coopérer pour éliminer les terroristes" en Syrie et "n'accepteront pas de nouveaux faits en Syrie au nom de la défaite du terrorisme".

Il s'agit d'un rejet total de l'unipolarisme exceptionnaliste de la "guerre contre le terrorisme" qui régnait autrefois en Asie occidentale.

S'opposer au shérif mondial

Le président russe Vladimir Poutine a été encore plus explicite dans son discours. Il a insisté sur "des mesures spécifiques pour promouvoir un dialogue politique inclusif en Syrie" et, surtout, a appelé un chat un chat : "Les États occidentaux, menés par les États-Unis, encouragent fortement le sentiment séparatiste dans certaines régions du pays et pillent ses ressources naturelles dans le but de détruire l'État syrien".

Il y aura donc "davantage de mesures dans notre format trilatéral" visant à "stabiliser la situation dans ces régions" et, surtout, à "rendre le contrôle au gouvernement légitime de la Syrie". Pour le meilleur ou pour le pire, l'époque du pillage impérial sera révolue.

Les rencontres bilatérales en marge du sommet - Poutine/Raisi et Poutine/Erdogan - étaient encore plus intrigantes. Le contexte est crucial : la réunion de Téhéran a eu lieu après la visite de Poutine au Turkménistan fin juin pour le 6ème sommet de la Caspienne, où tous les pays riverains, y compris l'Iran, étaient présents, et après les voyages du ministre des affaires étrangères Sergei Lavrov en Algérie, au Bahreïn, à Oman et en Arabie saoudite, où il a rencontré tous ses homologues du Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Le moment de Moscou

Nous voyons ainsi la diplomatie russe tisser soigneusement sa tapisserie géopolitique de l'Asie occidentale à l'Asie centrale - avec chacun de ses voisins désireux de parler et d'écouter Moscou. À l'heure actuelle, l'entente cordiale Russie-Turquie tend à pencher vers la gestion des conflits et est forte en matière de relations commerciales. Le jeu Iran-Russie est complètement différent: il s'agit d'un partenariat stratégique.

Ce n'est donc pas une coïncidence si la National Oil Company of Iran (NIOC) a annoncé, en marge du sommet de Téhéran, la signature d'un accord de coopération stratégique de 40 milliards de dollars avec la société russe Gazprom. Il s'agit du plus grand investissement étranger de l'histoire de l'industrie énergétique iranienne, qui en avait cruellement besoin depuis le début des années 2000. Sept accords, d'une valeur de 4 milliards de dollars, concernent le développement de champs pétrolifères ; d'autres portent sur la construction de nouveaux pipelines d'exportation et de projets de GNL.

Le conseiller du Kremlin, Youri Ouchakov, a délicieusement révélé que Poutine et le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, ont "discuté de questions conceptuelles" lors de leur rencontre privée. Traduction : il veut dire grande stratégie comme dans le processus complexe d'intégration de l'Eurasie en évolution, dans lequel les trois nœuds clés sont la Russie, l'Iran et la Chine, qui intensifient maintenant leur interconnexion. Le partenariat stratégique Russie-Iran reprend en grande partie les points essentiels du partenariat stratégique Chine-Iran.

L'Iran dit "non" à l'OTAN

Concernant l'OTAN, Khamenei a dit les choses telles qu'elles sont : "Si la voie est ouverte pour l'OTAN, alors l'organisation ne voit pas de frontières. Si elle n'avait pas été arrêtée en Ukraine, après un certain temps, l'alliance aurait déclenché une guerre sous le prétexte de la "Crimée".

Il n'y a pas eu de fuites sur l'impasse du Plan d'action global conjoint (JCPOA) entre les États-Unis et l'Iran - mais il est clair, sur la base des récentes négociations à Vienne, que Moscou n'interférera pas dans les décisions nucléaires de Téhéran. Non seulement Téhéran-Moscou-Pékin savent parfaitement qui empêche le JCPOA de se remettre sur les rails, mais ils voient aussi comment ce blocage contre-productif empêche l'Occident collectif d'accéder au pétrole iranien dont il a tant besoin.

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Ensuite, il y a le front des armes. L'Iran est l'un des leaders mondiaux de la production de drones : Pelican, Arash, Homa, Chamrosh, Jubin, Ababil, Bavar, drones de reconnaissance, drones d'attaque, et même drones kamikazes, bon marché et efficaces, déployés pour la plupart à partir de plates-formes navales en Asie occidentale.

La position officielle de Téhéran est qu'elle ne fournit pas d'armes aux nations en guerre - ce qui, en principe, invaliderait les "informations" peu claires des États-Unis concernant leur fourniture à la Russie en Ukraine. Mais cela pourrait toujours se passer en catimini, étant donné que Téhéran est très intéressé par l'achat de systèmes de défense aérienne russes et d'avions de chasse ultramodernes. Après la fin de l'embargo du Conseil de sécurité de l'ONU, la Russie pourra vendre à l'Iran autant d'armes conventionnelles qu'elle le souhaite.

Les analystes militaires russes sont fascinés par les conclusions auxquelles les Iraniens sont arrivés lorsqu'il a été établi qu'ils n'auraient aucune chance contre une armada de l'OTAN ; en substance, ils ont opté pour une guérilla de niveau professionnel (une leçon tirée de l'Afghanistan). En Syrie, en Irak et au Yémen, ils ont déployé des formateurs pour guider les villageois dans la lutte contre les salafistes-djihadistes ; ils ont produit des dizaines de milliers de fusils de sniper de gros calibre, d'ATGM et de thermiques ; et bien sûr, ils ont perfectionné leurs chaînes de montage de drones (dotés d'excellentes caméras pour surveiller les positions américaines).

Sans oublier qu'au même moment, les Iraniens construisaient des missiles à longue portée plutôt performants. Il n'est pas étonnant que les analystes militaires russes pensent qu'il y a beaucoup à apprendre tactiquement des Iraniens - et pas seulement sur le front des drones.

Le ballet Poutine-Erdogan

Passons maintenant à la rencontre Poutine-Erdogan - un ballet géopolitique qui attire toujours l'attention, surtout si l'on considère que le sultan n'a pas encore décidé de monter dans le train à grande vitesse de l'intégration eurasienne.

Poutine a diplomatiquement "exprimé sa gratitude" pour les discussions sur les questions alimentaires et céréalières, réaffirmant que "toutes les questions relatives à l'exportation de céréales ukrainiennes depuis les ports de la mer Noire n'ont pas été résolues, mais des progrès ont été réalisés".

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Poutine faisait référence au ministre turc de la Défense, Hulusi Akar (photo), qui a assuré en début de semaine que la création d'un centre d'opérations à Istanbul, l'établissement de contrôles conjoints aux points de sortie et d'arrivée des ports et la surveillance étroite de la sécurité des navires sur les routes de transfert sont des questions qui pourraient être résolues dans les jours à venir.

Apparemment, Poutine-Erdogan ont également discuté du Nagorno-Karabakh (sans détails).

Ce que certaines fuites n'ont certainement pas révélé, c'est que sur la Syrie, à toutes fins utiles, la situation est dans l'impasse. Cela favorise la Russie, dont la principale priorité est le Donbass. Le rusé Erdogan le sait, c'est pourquoi il a peut-être essayé d'arracher quelques "concessions" sur la "question kurde" et le Nagorno-Karabakh. Quoi que Poutine, le secrétaire du Conseil de sécurité russe Nikolaï Patrouchev et le vice-président Dmitri Medvedev pensent réellement d'Erdogan, ils apprécient certainement à quel point il est précieux de cultiver un partenaire aussi erratique qui peut rendre l'Occident collectif fou.

Cet été, Istanbul s'est transformée en une sorte de troisième Rome, du moins pour les touristes russes expulsés d'Europe : ils sont partout. Mais le développement géo-économique le plus crucial de ces derniers mois est que l'effondrement par l'Occident des lignes de commerce/approvisionnement le long des frontières entre la Russie et l'UE - de la Baltique à la Mer Noire - a finalement mis en évidence la sagesse et le sens économique du Corridor international de transport Nord-Sud (INTSC) : une grande réussite d'intégration géopolitique et géo-économique entre la Russie, l'Iran et l'Inde.

Lorsque Moscou parle à Kiev, elle parle par l'intermédiaire d'Istanbul. L'OTAN, comme le Sud global le sait bien, ne fait pas de diplomatie. Par conséquent, toute possibilité de dialogue entre les Russes et certains Occidentaux éduqués a lieu en Turquie, en Arménie, en Azerbaïdjan et aux Émirats arabes unis. L'Asie occidentale et le Caucase n'ont d'ailleurs pas rejoint l'hystérie des sanctions occidentales contre la Russie.

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Dites adieu au "téléprompteur"

Comparez maintenant cela avec la récente visite dans la région du soi-disant "leader du monde libre", qui alterne joyeusement entre des poignées de main avec des personnes invisibles et la lecture - littéralement - de tout ce qui tourne sur un téléprompteur. Nous parlons du président américain Joe Biden, bien sûr.

Fait : Biden a menacé l'Iran de frappes militaires et, en tant que simple suppliant, a supplié les Saoudiens de pomper plus de pétrole pour compenser les "turbulences" sur les marchés énergétiques mondiaux causées par l'hystérie des sanctions de l'Occident. Le contexte : l'absence flagrante d'une vision ou de quoi que ce soit qui ressemble ne serait-ce qu'à un projet de plan de politique étrangère pour l'Asie occidentale.

Les prix du pétrole ont donc grimpé en flèche après le voyage de Biden : le Brent a augmenté de plus de quatre pour cent pour atteindre 105 dollars le baril, ramenant les prix au-dessus de 100 dollars après une interruption de plusieurs mois.

Le nœud du problème est que si l'OPEP ou l'OPEP+ (qui comprend la Russie) décident un jour d'augmenter leurs approvisionnements en pétrole, ils le feront sur la base de leurs délibérations internes, et non pas sous la pression de l'exceptionnalisme américain.

Quant à la menace impériale d'attaques militaires contre l'Iran, c'est de la pure démence. L'ensemble du golfe Persique - sans parler de toute l'Asie occidentale - sait que si les États-Unis/Israël attaquaient l'Iran, une riposte féroce ferait tout simplement s'évaporer la production énergétique de la région, avec des conséquences apocalyptiques, notamment l'effondrement de milliers de milliards de dollars de produits dérivés.

Biden a ensuite eu le culot de dire : "Nous avons fait des progrès dans le renforcement de nos relations avec les États du Golfe. Nous ne laisserons pas un vide que la Russie et la Chine pourront remplir au Moyen-Orient".

Eh bien, dans la vraie vie, c'est la "nation indispensable" qui s'est transformée en vide. Seuls les vassaux arabes achetés et payés - pour la plupart des monarques - croient en la construction d'une "OTAN arabe" (copyright du roi Abdullah de Jordanie) pour affronter l'Iran. La Russie et la Chine sont déjà présentes en Asie occidentale et au-delà.

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La dédollarisation, pas seulement l'intégration eurasienne

Ce n'est pas seulement le nouveau corridor logistique de Moscou et Saint-Pétersbourg à Astrakhan, puis à travers la Caspienne à Enzeli en Iran et à Mumbai qui bouleverse les choses. Il s'agit d'augmenter le commerce bilatéral qui n'implique pas le dollar américain. Il s'agit des BRICS+, dont la Turquie, l'Arabie saoudite et l'Égypte ont hâte de faire partie. Il s'agit de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), qui, en septembre prochain, accueillera officiellement l'Iran comme membre à part entière (et bientôt le Belarus). Il s'agit des BRICS+, de l'OCS, de l'ambitieuse initiative chinoise "Belt and Road" (BRI) et de l'Union économique eurasienne (UEE), interconnectés dans leur cheminement vers un partenariat de la Grande Eurasie.

L'Asie occidentale abrite peut-être encore un petit groupe de vassaux impériaux à souveraineté zéro dépendant de l'"assistance" financière et militaire de l'Occident, mais c'est du passé. L'avenir est maintenant, avec les trois principaux BRICS (Russie, Inde, Chine) qui coordonnent lentement mais sûrement leurs stratégies qui se chevauchent à travers l'Asie occidentale, avec l'Iran impliqué dans toutes ces stratégies.

Et puis il y a la grande image globale : indépendamment des circonvolutions et des stupides plans de "plafonnement des prix du pétrole" inventés par les États-Unis, le fait est que la Russie, l'Iran, l'Arabie saoudite et le Venezuela - les principaux et puissants pays producteurs d'énergie - sont absolument en phase : sur la Russie, sur l'Occident collectif et sur les besoins d'un véritable monde multipolaire.

mercredi, 20 juillet 2022

La "perspective eurasienne" de Franz Altheim

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Claudio Mutti:

La "perspective eurasienne" de Franz Altheim

Source: http://www.4pt.su/it/content/la-%E2%80%9Cprospettiva-eurasiatica%E2%80%9D-di-franz-altheim

indexaltheim.jpgLe lecteur italien non spécialiste n'a pris connaissance d'une partie de la production de Franz Altheim (1898-1976) - latiniste, historien du monde antique, archéologue - qu'au début des années 1960, lorsque Der unbesiegte Gott (1) et Gesicht vom Abend und Morgen : Von der Antike zum Mittelalter (2) ont été traduits. En fait, très peu de choses étaient parues en Italie au cours des années précédentes au sujet de ce savant. Et pourtant, Franz Altheim, élève de Walter F. Otto et compagnon de Leo Frobenius et de Károly (Karl) Kerényi, a été l'un des "premiers et des plus autorisés interprètes des inscriptions rupestres du Val Camonica, datables entre le 4e et le 1er siècle avant J.-C.", mais témoignant de la présence d'une culture indo-européenne plus ancienne " (3), il aurait donc été normal que soient rendues accessibles dans notre pays des études dans lesquelles les résultats de ses recherches sur ces gravures, document de la migration transalpine des Latins, étaient également exposés : Vom Ursprung der Runen (4), Italien und die dorische Wanderung (5,) Italien und Rom (6), Geschichte der lateinischen Sprache (7).

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Julius Evola, qui a chroniqué Italien und die dorische Wanderung de manière opportune et "enthousiaste " (8), s'est intéressé à Altheim à partir des années 1940, recommandant également l'auteur pour son "Histoire de la religion romaine extrêmement précieuse et organique " (9) et l'a fait collaborer au "Diorama Filosofico", la page culturelle du journal de Crémone Il Regime Fascista (10). Evola lui-même, qui avait rencontré l'auteur de Italien und die dorische Wanderung à l'époque où celui-ci collaborait avec le Deutsches Ahnenerbe - probablement à Halle, où l'une de ses conférences "a certainement rencontré la sympathie immédiate du prof. Altheim" (11) - au milieu des années 1950, il publie à nouveau un ouvrage de l'érudit allemand (12) et inclut Römische Religionsgeschichte (13) dans le plan d'édition de Fratelli Bocca, qui ne paraîtra toutefois qu'en italien, chez un autre éditeur, quarante ans plus tard (14).

Pour en revenir à l'étude sur les gravures de la vallée de la Camonica, il faut noter qu'Altheim leur avait trouvé des similitudes formelles avec l'art rupestre de Bohuslän, dans le sud de la Suède, qui avait fait l'objet en 1936 d'une étude par une mission du Deutsches Ahnenerbe (15) dirigée par Herman Wirth (1885-1981). Commentant certains passages de Italien und Rom traduits par lui-même, Adriano Romualdi (1940-1973) résume la thèse d'Altheim en ces termes : "Altheim tient à souligner le lien stylistique qui lie le Nord et le Sud selon un axe qui marque la direction des champs d'urnes. C'est un axe qui lie le monde germanique et le monde latin d'une part, mais qui, d'autre part, est relié à la Grèce dorique" (16).

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Mais les graffitis de Val Camonica renvoient à des horizons plus larges: la figure du char à cheval à quatre roues et à un ou plusieurs niveaux est un produit de ce qu'Altheim appelle "le monde chevaleresque eurasien" (17), puisqu'un type de char similaire est également attesté en Crimée et dans la Perse des Achéménides. D'autres éléments qui apparaissent en Italie en même temps que la technique équestre proviennent également de la même sphère culturelle, tels que "les hochets et les plaquettes de bronze, les pendentifs et les cloches (dont l'origine, à travers la civilisation Halstatt, remonte au chamanisme des tribus chevaleresques d'Eurasie) (...) Même le mythe des enfants-loups, incarné à Rome par Romulus et Remus, dérive finalement du monde chamanique" (18).

Il est évident que les recherches historiques d'Altheim sont orientées vers un "élargissement des horizons dans la perspective eurasienne" (19), un objectif qu'il énonce explicitement dans un essai en 1939 : "Nous devons nous habituer à penser non pas à une culture, mais à des cultures, des empires et des grands espaces" (20). D'autre part, si l'investigation de la protohistoire européenne nous renvoie déjà à un scénario géographique plus large, la nécessité de se référer à la dimension eurasienne devient encore plus évidente si nous voulons considérer les processus historiques qui ont marqué la transition de l'âge antique à l'âge médiéval. Ainsi, Altheim, comme d'autres chercheurs, tels que le Hongrois András (Andreas) Alföldi (1895-1991), nous invite à "regarder au-delà des frontières de l'empire, vers ces tribus nomades d'origine non germanique - Sarmates, Huns, Slaves - qui ont contribué directement ou indirectement à changer le mode de vie en Europe après le IIIe siècle de notre ère" (21). Le monde antique a en effet été investi par un seul grand mouvement qui "est parti des cavaliers nomades des steppes euro-asiatiques, a embrassé en même temps des empires de civilisation ancienne comme le Siam et la Chine et a entraîné derrière lui les Germains de l'Est ; il a envahi la péninsule arabique et a pris sa forme définitive en Afrique du Nord, jusqu'à atteindre finalement l'Empire romain" (22).

Les études d'Altheim sur les Huns (23) font référence à cette période de crise, dans laquelle "le visage du soir et du matin" apparaît. Après la publication de Hunnische Runen, dans lequel les inscriptions runiques d'objets en or pur trouvés en 1791 dans la localité hongroise de Nagyszentmiklós (aujourd'hui Sânnicolau Mare, en Roumanie, au sud du cours du Maros et au nord de Viminacium) sont identifiées comme des Huns, le livre Attila und die Hunnen a vu le jour.

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Rappelant explicitement la perspective historiographique de Polybe, qui embrasse l'écoumène unifié politiquement par Rome - "tout l'espace compris entre les piliers d'Hercule et les portes de l'Inde ou les steppes de l'Asie centrale" (24) -, Altheim signale à l'historiographie d'aujourd'hui la nécessité de prendre en compte l'unité substantielle du continent eurasien, paradoxalement mise en évidence par les récents événements de la Seconde Guerre mondiale. Cette dernière en effet, "avec ses fronts en Europe, en Afrique, dans le Pacifique et en Asie, a singulièrement mis en évidence à tous l'unité sans barrières de tout dans cet espace qui fait partie du devenir historique" (25). Ainsi les Huns, protagonistes d'une cavalcade transeurasienne qui partait des rives du lac Baïkal pour s'achever aux Champs Catalauniques, s'ils ont conditionné en Asie le destin de l'Empire du Milieu pendant des siècles, ils ont ouvert en Europe la voie aux invasions et à l'installation de toute une série de peuples apparentés : Avars, Hongrois, Bulgares, Khazars, Coumans, Petchénègues. "Le couronnement a été l'avancée des Mongols. L'histoire des Huns préfigure de manière exemplaire les destins des autres peuples turcs" (26). Quoi qu'il en soit, la Volkerwanderung hunnique a déclenché toute une chaîne d'événements historiques : "le début des invasions, la chute de l'Empire romain d'Occident, la tentative de fusionner les peuples de cavaliers et de Germains nouvellement arrivés en une unité politique et culturelle, les débuts de l'épopée germanique et la renaissance d'un ensemble romano-germanique" (27).

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À la figure d'Attila, le chef d'origine asiatique qui a fondé un empire en Europe, fait écho celle d'Alexandre le Grand, le descendant d'Achille qui a porté la civilisation grecque jusqu'à l'Indus, le Syr-Darya, Assouan et le golfe d'Aden, inaugurant une nouvelle phase de l'histoire de l'Eurasie.

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La monographie sur Alexandre (28) commence ainsi : "Alexandre et l'Asie représentent, dans l'histoire universelle, deux pôles qui, en apparence, n'ont rien en commun. (...) Pourtant, Alexandre est inconcevable sans l'Asie. L'homme d'action avait besoin d'un champ d'activité ; la matière était nécessaire à l'homme qui était né pour façonner. Le plus important, c'est que l'Asie n'a jamais oublié le conquérant qui s'est emparé d'elle d'un geste passionné : (...) la graine qu'il a semée dans le sol fertile de ce continent devait continuer à vivre" (29). Le livre d'Altheim ne se limite donc pas à rappeler la campagne de conquête du souverain macédonien, mais esquisse surtout l'histoire d'un héritage spirituel transmis à l'Orient. Car "l'hellénisme asiatique ne signifie pas seulement une nouvelle étape, plus importante, dans la marche triomphale de l'hellénisme: il signifie aussi l'hellénisation des peuples d'Asie centrale. (...) Jusqu'au Moyen Âge, l'écriture et les formes grecques sont des éléments constitutifs des civilisations asiatiques qui naîtront sur un sol aussi fertile. Aucune intervention extérieure n'a jamais pénétré aussi profondément dans la vie de l'Est" (30).

Altheim ne néglige pas non plus le point de vue géopolitique, présentant l'empire d'Alexandre comme une tentative de relier les pays bordant la Méditerranée orientale à ceux bordant le golfe Persique et l'océan Indien : "Comme les califes plus tard, Alexandre était confronté à la nécessité d'unir un empire maritime sud-européen à un empire maritime sud-asiatique au moyen d'un pont terrestre : l'Irak" (31).

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Alors que le livre sur Attila et celui sur Alexandre n'ont jamais été traduits en Italie, Der unbesiegte Gott a eu deux éditions italiennes différentes à ce jour. Le premier, celui de Feltrinelli, a été précédé d'une critique de l'édition allemande écrite par Evola pour "Roma" en 1957, pendant une période de contact intense entre les deux savants (32). Evola voit dans l'étude d'Altheim (parue la même année dans la série encyclopédique de l'éditeur hambourgeois Rowohlt) la démonstration du fait que "l'irruption d'un élément étranger à Rome", en l'occurrence la pénétration progressive d'un culte solaire "déjà répandu parmi les peuples de la Méditerranée orientale, surtout en Syrie", ne signifie pas que Rome "a abandonné ses traditions les plus strictes pour accueillir et adopter des cultes, des coutumes et des dieux étrangers". Au contraire : après avoir été purgé de ses traits les plus fallacieux et équivoques, le culte né chez les peuples nomades d'Arabie est devenu un culte d'État romain et le dieu Soleil "a fusionné avec le dieu le plus caractéristique de la pure tradition romaine, Jupiter Capitolin" (33). Ce fait, que René Guénon aurait pu définir en termes d'"une intervention providentielle de l'Orient" en faveur de Rome, pourrait se produire pour la raison que le culte du soleil de l'Antiquité romaine tardive représentait la réémergence d'un héritage primordial commun.

Mais la théologie solaire élaborée par les néo-platoniciens n'est pas sans rapport, selon Altheim, avec le monothéisme islamique. "Le message de Mahomet, écrit-il, était en fait centré sur le concept d'unité et excluait que la divinité puisse avoir un "compagnon", suivant ainsi les traces de ses antécédents et confrères néoplatoniciens et monophysites. L'élan religieux du Prophète a ainsi réussi à faire ressortir avec une force accrue ce que d'autres avant lui avaient ressenti et désiré ardemment (34).

Notes:

  1. 1) F. Altheim, Der unbesiegte Gott, Rowohlt Verlag GmbH, Reinbek bei Hamburg 1957. Première éd. it.: Il dio invitto, Feltrinelli, Milano 1960. Seconde édition: Deus invictus. Le religioni e la fine del mondo antico, Introduzione di Giovanni Casadio, Postfazione di Luciano Albanese, Edizioni Mediterranee, Roma 2007.

 

  1. 2) F. Altheim, Gesicht vom Abend und Morgen. Von der Antike zum Mittelalter, Fischer Bücherei, Frankfurt am Main – Hamburg 1955. Ed. it.: Dall’Antichità al Medioevo. Il volto della sera e del mattino, Sansoni, Firenze 1961.

 

  1. 3) E. Montanari, Introduzione a Storia della religione romana, Settimo Sigillo, Roma 1996, p. 15. (Chez le même éditeur: F. Altheim, Romanzo e decadenza, Settimo Sigillo, Roma 1995).

 

  1. 4) F. Altheim – E. Trautmann, Vom Ursprung der Runen, Klostermann, Frankfurt am Main 1939.

 

  1. 5) F. Altheim – E. Trautmann, Italien und die dorische Wanderung, Pantheon, Amsterdam 1940.

 

  1. 6) F. Altheim, Italien und Rom (réédition de: Italien und die dorische Wanderung de 1940), 2 voll., Pantheon, Amsterdam-Leipzig 1941; 2ème ed. 1943; 3ème ed. 1944.

 

  1. 7) F. Altheim, Geschichte der lateinischen Sprache, Klostermann, Frankfurt am Main 1951.

 

  1. 8) A. Branwen, Ultima Thule. Julius Evola e Herman Wirth, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2007, p. 89.

 

  1. 9) J. Evola, recension de: Italien und die dorische Wanderung, “Bibliografia Fascista”, XVI, 2, Febbraio 1941; disponible aujourd'hui in: J. Evola, Esplorazioni e disamine. Gli scritti di “Bibliografia Fascista”, vol. II, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 1995, p. 108. Outre cette recension, une autre était déjà parue l'année précédente: J. Evola, Ricerche sulle origini. La migrazione “dorica” in Italia, “Il Regime Fascista”, XV, 1 novembre 1940, p. 3; disponible aujourd'hui in: J. Evola, Il “mistero iperboreo”. Scritti sugli Indoeuropei 1934-1970, Fondazione Julius Evola, Roma 2002, pp. 53-55.

 

  1. 10) F. Altheim, Sulla concezione romana del divino, “Il Regime Fascista”, 26 luglio 1942.

 

  1. 11) G. Casadio, Franz Altheim: dalla storia di Roma alla storia universale, introduzione a F. Altheim, Deus invictus, cit., p. 28.

 

  1. 12) Par exemple: F. Altheim, Cesare, “Monarchia”, 1, Aprile 1956; texte disponible aujourd'hui in: J. Evola – F. Altheim, La religione di Cesare, “Quaderni del Veltro”, Edizioni di Ar, Padova 1977.

 

  1. 13) " (...) de cette oeuvre majeure (de Altheim), une trauction est en préparation auprès de l'éditeur Bocca" (J. Evola, “Italia” volle dire la “terra dei tori”?, “Roma”, 17 giugno 1955; article lisible aujourd'hui dans: J. Evola, I testi del Roma, Edizioni di Ar, Padova 2008, pp. 238-239).

 

  1. 14) F. Altheim, Storia della religione romana, Settimo Sigillo, Roma 1996 (éd. allemande: Walter de Gruyter, Berlin 1956). L'édition signalée par Evola dans “Bibliografia Fascista” est celle en trois volumes, parue à Berlin entre 1931 et 1933; l'édition en cours de traduction en 1955 était vraisembablement celle en deux volumest, parue à Baden-Baden entrte 1951 et 1953.
  2. 15) Sur les activités de l’Ahnenerbe, cfr. C. Mutti, Le SS in Tibet, Effepi, Genova 2011, pp. 5-9. En ce qui concerne plus particulièrement le soutien apporté par l'Ahnenerbe aux recherches d'Altheim, cf. V. Losemann, I “Dioscuri”: Franz Altheim e Karl Kerényi. Tappe di una amicizia, in: AA. VV., Károly Kerényi: incontro con il divino, a cura di L. Arcella, Settimo Sigillo, Roma 1999, pp. 17-28. Sur les rapports d'Altheim avec l'Ahnenerbe, plusieurs pages existent dans une monographie ad hoc, de nature plutôt journalistique, destinée au départ à un public nord-américain: H. Pringle, Il piano occulto. La setta segreta delle SS e la ricerca della razza ariana, Lindau, Torino 2007.

 

  1. 16) A. Romualdi, Franz Altheim e le origini di Roma, in: Gli Indoeuropei. Origini e migrazioni, Edizioni di Ar, Padova 2004, p. 165.

 

  1. 17) F. Altheim, Storia della religione romana, cit., p. 30.

 

  1. 18) F. Altheim, Storia della religione romana, cit., pp. 29-30.

 

  1. 19) G. Casadio, Franz Altheim: dalla storia di Roma alla storia universale, cit., p. 15.

 

  1. 20) F. Altheim, Die Soldatenkaiser, Klostermann, Frankfurt am Main, 1939, p. 12.

 

  1. 21) A. Momigliano, Il cristianesimo e la decadenza dell’Impero romano, introduzione a: AA. VV., Il conflitto tra paganesimo e cristianesimo nel secolo IV, Einaudi, Torino 1968, p. 8.

 

  1. 22) F. Altheim, Dall’Antichità al Medioevo. Il volto della sera e del mattino, cit., p. 10.

 

  1. 23) F. Altheim, Hunnische Runen, Niemeyer, Halle 1948. Attila und die Hunnen, Verlag für Kunst und Wissenschaft, Baden-Baden 1951. F. Altheim – R. Stiehl, Das erste Auftreten der Hunnen. Das Alter der Jesaja-rolle. Neue Urkunde aus Dura-Europos, Verlag für Kunst und Wissenschaft, Baden-Baden 1953. F. Altheim – H. W. Haussig, Die Hunnen in Osteuropa, Verlag für Kunst und Wissenschaft, Baden-Baden 1958. F. Altheim et alii, Geschichte der Hunnen, 5 voll., De Gruyter, Berlin 1959-1962.

 

  1. 24) F. Altheim, Attila et les Huns, Payot, Paris 1952, p. 5.

 

  1. 25) F. Altheim, Attila et les Huns, cit., p. 6.

 

  1. 26) F. Altheim, Attila et les Huns, cit., p. 225.

 

  1. 27) F. Altheim, Attila et les Huns, cit., p. 6.

 

  1. 28) F. Altheim, Alexander und Asien. Geschichte eines geistigen Erbes, Niemeyer, Tübingen 1953.

 

  1. 29) F. Altheim, Alexandre et l’Asie. Histoire d’un legs spirituel, Payot, Paris 1954, p. 5.

 

  1. 30) F. Altheim, Alexandre et l’Asie. Histoire d’un legs spirituel, cit., p. 9.

 

  1. 31) F. Altheim, Alexandre et l’Asie. Histoire d’un legs spirituel, cit., p. 157.

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  1. 32) Entre 1954 et 1958, Evola a envoyé à Altheim dix-huit lettres, aujourd'hui conservées en des archives privées.

 

  1. 33) J. Evola, Nuove esplorazioni della Romanità. Il Dio invitto, “Roma”, 24 giugno 1957; disponible aujourd'hui in: J. Evola, I testi del Roma, cit., pp. 317-319.

 

  1. 34) F. Altheim, Deus invictus. Le religioni e la fine del mondo antico, cit., pp. 115-116.

mardi, 19 juillet 2022

En Eurasie, la guerre des corridors économiques bat son plein

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En Eurasie, la guerre des corridors économiques bat son plein

Pepe Escobar

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/eurasia-la-guerra-dei-corridoi-economici-e-pieno-svolgimento

La guerre des corridors économiques bat son plein, avec l'entrée en vigueur du premier flux de marchandises de la Russie vers l'Inde via le corridor international de transport Nord-Sud (INSTC).

Peu de gens, à l'Est comme à l'Ouest, savent qu'il s'agit d'une initiative de longue date : l'accord Russie-Iran-Inde visant à mettre en place une route commerciale eurasienne plus courte et moins chère à travers la mer Caspienne (par opposition au canal de Suez) a été signé pour la première fois en 2000, à l'époque d'avant le 11 septembre.

L'INSTC en pleine activité est un puissant symbole de l'intégration eurasienne, au même titre que l'initiative "Belt and Road" (BRI), l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), l'Union économique eurasienne (UEE) et, enfin et surtout, ce que j'ai décrit il y a deux décennies comme le "Pipelineistan".

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La Caspienne est la clé

Voyons d'abord comment ces vecteurs interagissent.

La genèse de l'accélération actuelle réside dans la récente visite du président russe Vladimir Poutine à Achgabat, la capitale du Turkménistan, pour le 6e sommet de la Caspienne. Cet événement a non seulement permis d'approfondir l'évolution du partenariat stratégique entre la Russie et l'Iran, mais, élément crucial, les cinq États bordant la mer Caspienne ont convenu qu'aucun navire de guerre ou base de l'OTAN n'y serait autorisé.

Cela configure essentiellement la Caspienne comme un lac virtuel russe et, dans une moindre mesure, iranien, sans compromettre les intérêts des trois "stans", l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan. À toutes fins utiles, Moscou a resserré son emprise sur l'Asie centrale.

La mer Caspienne étant reliée à la mer Noire par des canaux de la Volga construits par l'ex-URSS, Moscou peut toujours compter sur une flotte de réserve de petits navires - invariablement équipés de puissants missiles - qui peuvent être transférés en un rien de temps vers la mer Noire si nécessaire.

Le renforcement des liens commerciaux et financiers avec l'Iran va désormais de pair avec le rattachement des trois "stans" à la matrice russe. Pour sa part, la république turkmène, riche en gaz, s'est historiquement montrée idiosyncrasique - si ce n'est qu'elle a engagé la plupart de ses exportations vers la Chine.

Sous la direction d'un nouveau leader, le président Serdar Berdimuhamedow, sans doute plus pragmatique, Ashgabat pourrait choisir de devenir membre de l'OCS et/ou de l'EAEU.

L'Azerbaïdjan, un État bordant la mer Caspienne, présente quant à lui un cas complexe : un producteur de pétrole et de gaz que l'Union européenne (UE) envisage de transformer en fournisseur d'énergie alternatif à la Russie, même si ce n'est pas pour tout de suite.

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Le lien avec l'Asie occidentale

La politique étrangère iranienne du président Ebrahim Raisi est clairement orientée vers une trajectoire eurasienne et le Sud mondial. Téhéran sera officiellement incorporé à l'OCS en tant que membre à part entière lors du prochain sommet à Samarkand en septembre, tandis que la demande officielle d'adhésion aux BRICS a été soumise.

Purnima Anand, responsable du Forum international des BRICS, a déclaré que la Turquie, l'Arabie saoudite et l'Égypte sont également très intéressées par une adhésion aux BRICS. Si cela se produit, d'ici 2024, nous pourrions voir un puissant pôle d'Asie occidentale et d'Afrique du Nord fermement installé au sein de l'une des institutions clés du monde multipolaire.

Alors que Poutine se rendra à Téhéran la semaine prochaine pour des pourparlers trilatéraux entre la Russie, l'Iran et la Turquie, ostensiblement sur la Syrie, le président turc Recep Tayyip Erdogan devrait aborder le sujet des BRICS.

Téhéran opère sur deux vecteurs parallèles. Si le Plan d'action global conjoint (JCPOA) devait être réactivé - une possibilité assez éloignée, compte tenu des derniers remous à Vienne et à Doha - cela représenterait une victoire tactique. Cependant, le rapprochement avec l'Eurasie se situe sur un tout nouveau plan stratégique.

Dans le cadre de l'INSTC, l'Iran utilisera au maximum le port de Bandar Abbas, crucial sur le plan géostratégique - à cheval sur le golfe Persique et le golfe d'Oman, au carrefour de l'Asie, de l'Afrique et du sous-continent indien.

Toutefois, même si cela peut être présenté comme une victoire diplomatique majeure, il est clair que Téhéran ne pourra pas tirer pleinement parti de son adhésion aux BRICS si les sanctions occidentales - et en particulier américaines - ne sont pas totalement levées.

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Gazoducs et "stans"

On peut affirmer que la Russie et la Chine pourraient combler le vide technologique occidental dans le processus de développement de l'Iran. Mais les plates-formes comme l'INSTC, l'EAEU et même les BRICS peuvent faire beaucoup plus.

Grâce au "Pipelineistan", la guerre des couloirs économiques devient encore plus complexe. La propagande occidentale ne peut admettre que l'Azerbaïdjan, l'Algérie, la Libye, les alliés russes de l'OPEP et même le Kazakhstan ne sont pas exactement disposés à augmenter leur production de pétrole pour aider l'Europe.

Le Kazakhstan est un cas délicat : il est le plus grand producteur de pétrole d'Asie centrale et est en passe de devenir un important fournisseur de gaz naturel, juste après la Russie et le Turkménistan. Plus de 250 champs pétroliers et gaziers sont exploités au Kazakhstan par 104 sociétés, dont les géants occidentaux de l'énergie tels que Chevron, Total, ExxonMobil et Royal Dutch Shell.

Alors que les exportations de pétrole, de gaz naturel et de produits pétroliers représentent 57% des exportations du Kazakhstan, le gaz naturel représente 85% du bilan du Turkménistan (dont 80% des exportations sont destinées à la Chine). Il est intéressant de noter que Galkynysh est le deuxième plus grand champ de gaz de la planète.

Par rapport aux autres "stans", l'Azerbaïdjan est un producteur relativement mineur (bien que le pétrole représente 86% de ses exportations totales) et essentiellement une nation de transit. Les aspirations de Bakou à la super-richesse se concentrent sur le corridor gazier méridional, qui comprend pas moins de trois gazoducs : Bakou-Tblisi-Erzurum (BTE) ; le gazoduc transanatolien (TANAP) dirigé par la Turquie ; et le gazoduc transadriatique (TAP).

Le problème avec ce festival d'acronymes - BTE, TANAP, TAP - est qu'ils ont tous besoin d'investissements étrangers massifs pour augmenter la capacité, ce dont l'UE manque cruellement, car chaque euro est engagé par les eurocrates non élus de Bruxelles pour "soutenir" le trou noir qu'est l'Ukraine. Les mêmes problèmes financiers s'appliquent à un éventuel gazoduc transcaspien, qui se connecterait ensuite au TANAP et au TAP.

Dans la guerre des corridors économiques - le chapitre "Pipelineistan" - un aspect crucial est que la plupart des exportations de pétrole du Kazakhstan vers l'UE passent par la Russie, via le consortium des pipelines de la Caspienne (CPC). Alternativement, les Européens réfléchissent à une route de transport international transcaspienne encore confuse, également connue sous le nom de Corridor du milieu (Kazakhstan-Turkménistan-Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie). Ils en ont discuté activement à Bruxelles le mois dernier.

La conclusion est que la Russie conserve le contrôle total de l'échiquier des gazoducs d'Eurasie (et nous ne parlons pas des gazoducs Power of Siberia 1 et 2 exploités par Gazprom vers la Chine).

Les dirigeants de Gazprom ne savent que trop bien qu'une augmentation rapide des exportations d'énergie vers l'UE est hors de question. En outre, ils considèrent que la Convention de Téhéran - qui contribue à prévenir et à contrôler la pollution et à maintenir l'intégrité environnementale de la mer Caspienne - a été signée par les cinq membres riverains.

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La rupture de la BRI par la Russie

La Chine, pour sa part, est persuadée que l'un de ses principaux cauchemars stratégiques pourrait finir par disparaître. La fameuse "échappée de Malacca" est sur le point de se concrétiser, en collaboration avec la Russie, grâce à la route maritime du Nord, qui raccourcira le corridor de commerce et de connectivité entre l'Asie de l'Est et l'Europe du Nord de 11 200 miles nautiques à seulement 6 500 miles nautiques. C'est le jumeau polaire de l'INSTC.

Cela explique également pourquoi la Russie s'est engagée dans la construction d'une large gamme de brise-glace à la pointe de la technologie.

Voici donc une interconnexion entre les Nouvelles Routes de la Soie (l'INSTC fonctionne en parallèle avec la BRI et l'EAEU), le Pipelineistan et la Route maritime du Nord, sur le point de bouleverser complètement la domination commerciale occidentale.

Bien sûr, les Chinois ont planifié cela depuis un certain temps. Le premier Livre blanc sur la politique arctique de la Chine, de janvier 2018, montrait déjà comment Pékin vise, "conjointement avec d'autres États" (c'est-à-dire la Russie), à établir des routes commerciales maritimes dans l'Arctique dans le cadre de la Route de la soie polaire.

Et comme une horloge, Poutine a ensuite confirmé que la route maritime du Nord devrait interagir avec la route de la soie maritime de la Chine et la compléter.

La coopération économique entre la Russie et la Chine évolue à tant de niveaux complexes et convergents que le simple fait d'en garder la trace donne le tournis.

Une analyse plus détaillée révélera certains des points les plus fins, comme la manière dont la BRI et l'OCS interagissent, et comment les projets de la BRI devront s'adapter aux conséquences entêtantes de l'opération Z de Moscou en Ukraine, en mettant davantage l'accent sur le développement des corridors d'Asie centrale et occidentale.

Il est toujours crucial de considérer que l'un des principaux objectifs stratégiques de Washington dans sa guerre hybride implacable contre la Russie a toujours été de perturber les corridors de l'IRB traversant le territoire russe.

À l'heure actuelle, il est important de réaliser que des dizaines de projets BRI dans le domaine de l'industrie, de l'investissement et de la coopération interrégionale transfrontalière finiront par consolider le concept russe du partenariat de la Grande Eurasie, qui tourne essentiellement autour de l'établissement d'une coopération multilatérale avec un large éventail de nations appartenant à des organisations telles que l'EAEU, l'OCS, les BRICS et l'ANASE.

Bienvenue au nouveau mantra eurasien : créer des corridors économiques, pas des guerres.

vendredi, 15 juillet 2022

L'UE dans le régime des sanctions

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L'UE dans le régime des sanctions

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/lue-nel-regime-delle-sanzioni

Dans le cadre de l'opération militaire spéciale en Ukraine, l'Occident collectif a imposé une série de sanctions non seulement à la Russie, mais aussi à la République du Belarus. Par conséquent, la question qui en découle est la suivante : comment les sanctions, liées à l'opération militaire spéciale (OMS), affectent-elles l'Union économique eurasienne (UEEA) et quels scénarios sont possibles pour l'Union elle-même ?

L'UEEA est la première expérience d'intégration économique complète dans l'espace post-soviétique. Il repose sur l'unification d'économies qui diffèrent en taille et en structure, mais avec un processus décisionnel égal. La rapidité de l'intégration dépend de l'accord de tous les participants sur les questions controversées. Aujourd'hui, il s'agit du seul instrument visant à rationaliser les échanges entre les principaux partenaires et à stimuler la production intérieure dans l'intérêt des économies nationales des pays de l'EEE.

Il n'y a pas si longtemps, il était sérieusement question d'établir des zones de libre-échange avec des pays développés, comme la Corée du Sud. Aujourd'hui, même soulever une telle question semble utopique. L'imposition de sanctions à l'encontre de la Russie par Singapour ruine tous les projets de conclusion d'accords sur la libre circulation des services et des investissements avec les pays de l'UEE, du moins avec la Russie et le Belarus (ces accords sont conclus séparément par chaque membre de l'UE).

Ce que les pays de l'UEEA produisent

Après le durcissement du régime de sanctions et l'isolement partiel de la Russie, le choix des partenaires étrangers de l'UE sera de plus en plus déterminé par des facteurs politiques. Il est peu probable que cela plaise aux partenaires russes de l'UE, qui espéraient initialement un scénario complètement différent pour l'intégration eurasienne.

"Le problème des céréales est l'un des indicateurs de la sécurité alimentaire, tant dans l'Union économique eurasienne dans son ensemble que dans chaque pays. L'ensemble du marché agricole mondial est également confronté à ce problème. Le niveau global d'autosuffisance dans l'UEEA a atteint 93 %. L'augmentation de l'autosuffisance est l'un des objectifs d'une politique agro-industrielle coordonnée et de la régulation du marché agricole commun.

La spécialisation des produits de chaque pays joue un rôle important, en tenant compte des traditions historiques et des conditions climatiques. Cela permet aux États membres de l'UEEA d'être compétitifs et d'exporter avec succès à la fois des matières premières et des produits hautement transformés. Le Belarus, par exemple, est un fournisseur de longue date de lait et de produits laitiers. L'Arménie répond aux besoins de la population en matière de fruits frais. La Russie produit des céréales et des produits transformés, de la viande et du poisson, du sucre et de l'huile végétale.

Le deuxième problème est l'autosuffisance insuffisante de certains produits. Par exemple, dans les fruits et les baies. La Commission économique eurasienne (CEE) élabore des propositions de mesures de soutien de l'État qui permettraient d'augmenter la production de fruits et de baies dans les pays de l'EE. Le niveau d'autosuffisance en ressources matérielles, techniques et de production est également important. L'UEEA importe activement des technologies génétiques, du matériel végétal et des semences. Pour augmenter la production locale, la Commission économique eurasienne travaille sur des mesures de soutien à la production de semences.

Le développement de la coopération en matière de production joue un rôle important pour assurer la sécurité alimentaire dans l'UEEA. Le Belarus produit deux fois plus de sucre qu'il n'en consomme et exporte le reste vers les pays de l'Union. Dans le même temps, les semences de betteraves sucrières à haut rendement ne peuvent être produites au Belarus en raison du climat inadapté. Cependant, selon la CEE, l'Arménie et le Kirghizstan peuvent produire ces semences, assurant ainsi une véritable coopération avec un effet de synergie prononcé. Les États membres de l'UE ne seront plus dépendants des pays tiers pour l'approvisionnement en semences de betteraves et les importations de sucre.

Contourner les sanctions économiques

La portée des sanctions contre l'économie russe est bien plus grande aujourd'hui qu'en 2014. Les partenaires étrangers de l'UEEA risquent désormais d'être frappés par les sanctions américaines et européennes. Cela ne signifie pas que les autres pays abandonneront complètement les négociations avec les États membres de l'UEEA, bien que ce scénario ne soit pas à écarter. Les partenaires potentiels seront désormais plus diligents pour examiner les termes des négociations et calculer soigneusement les risques encourus.

En raison des sanctions à grande échelle contre la Russie et le Belarus, l'Union économique eurasienne est confrontée à la question de la poursuite de son intégration. L'UEEA a déjà adopté un certain nombre de mesures douanières pour garantir la fluidité des importations de biens critiques. Ces mesures ont été réformées à la suite de la pandémie du coronavirus. Leurs monnaies nationales commencent à être utilisées. En Arménie, il existe un fort potentiel de substitution des importations dans la production alimentaire. Cela est dû aux fournitures coopératives des pays de l'UEEA, qui sont estimées à 110,5 millions USD, tandis que la substitution des importations de la Russie peut s'élever à plus de 112 millions USD.

Même en présence de pressions et de sanctions extérieures, les participants à l'intégration eurasienne peuvent manœuvrer au sein de l'UEE, résoudre les différends dans un format multilatéral et, s'ils le souhaitent, approfondir l'intégration sur la voie d'un marché commun.

Il s'ensuit que l'UEEA poursuivra son développement planifié, en tenant compte des facteurs externes, comme ce fut le cas à la fois en 2014, lorsque les premières vagues de sanctions contre la Russie ont commencé, et en 2020, lorsque la menace de l'infection par le coronavirus a frappé le monde. En outre, les pays participants se concentreront sur le développement des marchés, des industries et des services nationaux. Les pays développeront également une logistique nationale et reconstruiront les outils hérités de l'ère soviétique.

jeudi, 07 juillet 2022

La souveraineté intégrale

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La souveraineté intégrale

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/integral-sovereignty?fbclid=IwAR1icCds9syXd6Sn55-AB03SFAfHFoqj9RI9MsE0UGH5Hv56Psr6kbg7vMI

Le pays [ndlr : la Russie] se trouve aujourd'hui dans un état très particulier. Il est comme ballotté entre un passé qui a déjà pris fin et un avenir qui n'a pas encore commencé, ou plutôt qui a commencé mais qui n'a pas encore été réalisé ou accepté. Ce sont des questions fondamentales : l'attitude de la Russie vis-à-vis des processus mondiaux et, surtout, de l'Occident collectif.

Après l'effondrement de l'URSS, nous avons traversé deux phases :

    - Dans les années 1990, nous avons tenté désespérément de nous intégrer au monde occidental, quelles que soient les conditions, mais nous n'y sommes pas parvenus et un système de contrôle extérieur a été établi dans le pays ;

    - Après l'arrivée au pouvoir de Poutine, nous avons également essayé de nous intégrer au monde occidental, mais à la condition que la Russie conserve sa souveraineté ; nous n'avons jamais réussi, mais nous avons réussi à renforcer notre souveraineté.

Pourquoi avons-nous lancé l'Opération militaire spéciale? Trump ne prêtait pas beaucoup d'attention à la croissance de la souveraineté russe, il n'était pas un atlantiste convaincu et jugeait les performances modestes de l'économie russe qui, de son point de vue, ne constituait pas une menace sérieuse pour les États-Unis ; il ne se souciait pas de la Crimée, il était beaucoup plus préoccupé par la Chine. Biden, en revanche, est un atlantiste et un mondialiste convaincu, et il est bien conscient que toute réussite de la Russie à étendre son influence remet en question la mondialisation, le monde unipolaire et l'hégémonie américaine. C'est pourquoi, après avoir mis de côté le monde islamique, elle a déplacé son attention vers la confrontation avec la Russie, sans oublier la Chine, bien sûr.

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Dès l'été 2021, les États-Unis et l'OTAN ont commencé à préparer une opération militaire pour conquérir le Donbass et mener une attaque contre la Crimée. Ainsi, le Donbass aurait été transformé en un puissant centre de la future agression militaire contre la Russie elle-même. Cette organisation belliciste impliquait l'engagement d'instructeurs et de mercenaires étrangers.

Poutine n'a pas attendu le début du mois de mars, date à laquelle l'opération ukraino-otanesque a été planifiée, et a frappé le premier. D'où la prépondérance initiale dans la première phase de l'opération, qui a prédéterminé le résultat en notre faveur. Mais laissons de côté l'aspect militaire de l'opération militaire spéciale. Après son lancement, la deuxième phase des relations de la Russie avec l'Occident dans la période post-soviétique a pris fin. L'idée de s'intégrer au monde occidental s'est estompée pour des raisons objectives. Il ne restait à la Russie que sa propre souveraineté, dont la protection, la préservation et le renforcement se sont avérés totalement incompatibles avec la complicité de la Russie dans les processus mondiaux sur une base idéologique occidentale.

Nous avons irrémédiablement et radicalement rompu avec l'Occident, mais cela n'a pas encore été compris. La deuxième phase est terminée, la troisième n'a pas encore commencé.

Quelle est cette troisième phase que les yeux et les oreilles de l'élite russe ne veulent absolument pas percevoir ? Elle représente une période indéfiniment longue d'existence de la Russie dans son isolement par rapport à l'Occident et sous sa pression dure et purement négative. Si l'on accepte comme un fait accompli que cette direction nous est à jamais coupée, les horizons de l'avenir deviennent tout à fait clairs. De même, le peuple soviétique ne pouvait pas croire que l'URSS et le communisme s'étaient effondrés, et les libéraux des années 1990 croyaient que Poutine était temporaire, pas sérieux, et que tout reviendrait à la case départ. Il est difficile de croire au nouveau. Toujours. Y compris maintenant.

Être sans l'Occident et, de surcroît, dans une confrontation claire et quasi militaire avec lui, c'est mettre en œuvre deux vecteurs à la fois :

    - Le russe et

    - l'Eurasien.

Ils ne se contredisent pas, il n'y a pas lieu de choisir entre eux. Mais ils n'en sont pas moins différents.

Le premier signifie un renforcement rapide et spectaculaire de la souveraineté de la Russie, en veillant à ce qu'elle ne puisse compter que sur ses propres forces en cas de besoin. Et nous ne parlons pas d'une conception limitée de la souveraineté, qui est déjà reconnue - bien que nominalement - par chaque État indépendant, mais d'une souveraineté à l'échelle intégrale, englobant

    la civilisation,

    la culture,

    l'éducation,

    la science,

    l'économie,

    les finances,

    les valeurs,

    l'identité,

    le système politique.

    et surtout l'idéologie.

Jusqu'à présent, à part la souveraineté politique et militaire, toutes les autres sphères que nous avons sont partiellement occidentales ou totalement occidentales, et il n'y a pas d'idéologie propre. Par conséquent, la construction d'une Russie véritablement souveraine, d'une Russie pleinement souveraine, exige une transformation profonde de toutes ces sphères, leur libération des paradigmes libéraux mondialistes profondément ancrés dans notre société et notre establishment au cours des première et deuxième phases de l'histoire post-soviétique.

Cela nécessitera une institutionnalisation de la ligne de conduite de Poutine, et pas seulement une loyauté envers lui personnellement. Cela impliquerait l'établissement d'une nouvelle idéologie, une sorte de "poutinisme" dans lequel les principes de base de la souveraineté intégrale seraient consacrés, puis d'autres mécanismes politiques et administratifs devraient également y être intégrés.

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La Russie entre inévitablement dans une phase idéologique. Nous ne pouvons pas tenir tête à l'Occident sans notre propre idéologie. C'est un fait tout à fait objectif, que cela nous enthousiasme ou nous exaspère. L'idéologisation de la Russie est inévitable, on ne peut l'empêcher.

La Russie doit renforcer son identité à plusieurs reprises pour résister non seulement sans l'Occident, mais malgré l'Occident. Il y a vingt-deux ans, ayant parié sur la souveraineté, Poutine a prédéterminé l'inévitabilité de ce moment. Aujourd'hui, il est là, il est arrivé.

Soit la souveraineté, soit l'Occident. Et ce choix est irréversible.

Il ne s'agit pas du tout d'isoler la Russie du monde, comme le voudrait l'Occident. L'Occident, malgré ses prétentions à l'hégémonie et à l'universalisme, n'est pas le monde entier. La Russie devra donc chercher de nouveaux partenaires et amis en dehors de l'Occident. C'est ce qu'on devrait appeler une politique eurasienne, un virage vers l'Est.

En découvrant le non-Occident mondial, la Russie découvrira qu'elle a affaire à des civilisations complètement différentes: chinoise, indienne, islamique, latino-américaine, africaine. Et chacune d'entre elles est différente de nous-mêmes, des autres et de l'Occident. Autrefois, nous nous y intéressions, nous étudiions l'Orient, et le grand poète russe Nikolaï Gumilev composait des hymnes inspirés par la gloire de l'Afrique. Mais ensuite, l'Occident s'est emparé de nos esprits. C'est une intoxication occidentalisée, une addiction à l'Occident. Le philosophe heideggérien iranien Ahmad Fardid a donné un nom à ce phénomène, gharbzadegi, westoxification.

Les Eurasiens russes ont été les premiers à se rebeller contre ce tournant occidentaliste de la culture russe, exigeant, comme les slavophiles, de se tourner vers leur propre identité russe et les cultures et civilisations non occidentales. C'est désormais la seule issue pour la Russie. Seuls les BRICS+, l'OCS, le développement des relations avec les nouveaux pôles du monde, avec les civilisations qui ont émergé, apparemment oubliées depuis longtemps, mais qui reviennent maintenant dans l'histoire.

Là où l'Occident se termine, le monde et l'humanité ne se terminent pas du tout. Au contraire, c'est un nouveau départ. Et la place de la Russie est en Eurasie, pas en Occident. Autrefois, c'était une question de choix. Aujourd'hui, c'est tout simplement inévitable. Aujourd'hui, tout dépend de la manière dont nous construisons nos relations avec la Chine, l'Inde, la Turquie, l'Iran, les pays arabes, les États africains ou l'Amérique latine.

C'est l'avenir qui vient/ne vient pas. Il existe déjà, mais l'élite refuse de l'accepter. Et elle n'a pas d'issue ni de choix. Même la trahison, qui est peu probable, ne changera rien. De plus, elle ruinera la Russie d'un seul coup. Il n'y a même plus cette possibilité: la place des traîtres et des libéraux est prédéterminée par les lois de la guerre et de l'urgence. Les purges inévitables et absolument nécessaires, qui n'ont cependant pas encore commencé, mais qui vont certainement commencer, ne sont pas la chose principale ni même secondaire. En vain, notre élite s'inquiète des démissions et des arrestations. Quiconque n'est pas d'accord avec la souveraineté et l'eurasisme est déjà mort. C'est incontestable.

Mais la question est autre : comment défendre et reconstruire la nouvelle Russie, la Russie de la troisième phase ? Que faire, la vie le dicte. Mais ce qu'il faut faire, comment le faire, par où commencer et quelles sont les priorités sont des questions ouvertes. Tout est plus compliqué ici.

Je pense que nous devons commencer par l'essentiel, à savoir l'idéologie. Tout le reste est secondaire. Quelque chose me dit que ceux d'entre nous qui sont au pouvoir et qui sont réellement responsables du sort du pays et du peuple pensent exactement de la même manière.

samedi, 02 juillet 2022

Naissance d'une route commerciale historique

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Naissance d'une route commerciale historique

Parth Satam

Source: https://katehon.com/ru/article/znakovyy-torgovyy-marshrut

L'Inde, la Russie et l'Iran font des affaires par le biais du corridor INSTC alors que New Delhi continue d'échapper à la pression américaine

Essais de transport de marchandises russes depuis Astrakhan vers un port du sud de l'Iran jusqu'à leur destination au port Jawaharlal Nehru de Mumbai. L'Autorité portuaire Jawaharlal Nehru à Mumbai (JNPA), qui fait partie du Corridor international de transport Nord-Sud (INSTC), marque les premiers pas de l'Inde, qui rejoint l'axe émergent Russie-Iran-Inde.

Ceci intervient dans un contexte de fissures dans les relations entre l'Inde et les Etats-Unis à propos du commerce croissant du pétrole avec la Russie et du refus de rejoindre le camp occidental pour critiquer Moscou ; en même temps, l'Inde est sur la même longueur d'onde que la Chine à propos de ce qui est perçu comme une pression unilatérale des Etats-Unis forçant le pays à prendre parti dans la rivalité géopolitique russo-américaine.

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Le processus a débuté après la visite du ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian (photo), en Inde le 8 juin et une conversation téléphonique entre le président russe Vladimir Poutine et le président iranien Ebrahim Raisi le même jour.

Une partie du corridor international de transport Nord-Sud (INSTC) reliant les marchés de la Russie, de la Perse et de l'Asie peut être considérée dans le contexte plus large de changements d'alliances et d'arrangements pragmatiques, motivés principalement par les aléas économiques de l'ère Covid et les sanctions anti-russes.

Les cargaisons sortantes sont deux conteneurs de 40 pieds de lamelles de bois, d'un poids total de 41 tonnes, qui ont été chargés à Saint-Pétersbourg et sont destinés à Astrakhan, où ils seront rechargés dans le port de Solyanka.

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Ensuite, en traversant la mer Caspienne, ils atteindront le port iranien d'Enzeli avant de se diriger vers Bandar Abbas au sud et la dernière étape du voyage vers JNPA (ou Nhava Sheva), selon Dariush Jamali, directeur du terminal commun irano-russe à Astrakhan.

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Dans le même temps, l'Iran semblait promouvoir son propre projet régional parallèle sous la forme du chemin de fer Khaf-Herat.

La réduction du voyage de 40 à 25 jours, car elle permet d'éviter le trajet plus long par le canal de Suez et de réduire les frais de transport maritime de 25 %, est importante dans le contexte actuel de forte inflation.

Le pragmatisme consistant à mettre de côté des positions différentes pour une raison plus substantielle a pu être observé dans la touche très sensible d'Amir-Abdollahan sur les questions de minorités en Inde.

"Téhéran et New Delhi s'accordent sur la nécessité de respecter les religions divines et les sanctuaires islamiques", a-t-il tweeté, ajoutant : "L'Iran et l'Inde sont déterminés à porter leurs relations à un niveau supérieur."

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Heureux de rencontrer le Premier ministre Modi, le ministre des Affaires étrangères Jaishankar (photo) et d'autres responsables indiens pour faire progresser notre dialogue stratégique bilatéral. Téhéran et New Delhi s'accordent sur la nécessité de respecter les religions divines et les sanctuaires islamiques et d'éviter les déclarations controversées. Nous sommes déterminés à porter les relations à un niveau supérieur.

Le même jour, lors d'un appel téléphonique entre Poutine et Raisi, des accords ont été conclus sur la mise en œuvre de "projets communs dans le domaine de l'économie et du commerce", a indiqué le Kremlin dans un communiqué.

Auparavant, l'Inde avait cherché de manière contre-productive à construire des coalitions régionales. Étant à l'apogée de son alliance stratégique avec les États-Unis en 2020, elle n'a pas pu obtenir les conditions financières du projet Chabahar en raison des sanctions américaines contre l'Iran concernant l'accord nucléaire sous l'administration de Donald Trump. Cela a conduit l'Iran à exclure le pays du projet en juin 2020.

Ainsi, l'objectif déclaré de l'Inde d'atteindre l'Asie centrale (via Chabahar) n'a pu être atteint en raison de la pression occidentale. Il y a 73 ans, les Britanniques sortants ont partitionné le sous-continent, divisant l'Asie centrale, du Sud et de l'Ouest pour limiter l'influence de l'Union soviétique dans la région.

L'Inde avait une frontière terrestre avec l'Iran et l'Afghanistan, et un plan élaboré pour pénétrer en Asie centrale aurait été dangereux pour les puissances maritimes. L'intégration des terres par la continuité naturelle de la vaste masse terrestre eurasienne a sapé les routes commerciales maritimes, qui, selon les historiens, étaient un outil majeur de la domination coloniale occidentale.

Aujourd'hui, l'Inde maintient ses relations avec le Pakistan à un niveau acceptable, et la rhétorique de son soutien aux militants du Cachemire et aux acteurs terroristes non étatiques est presque absente chez ses dirigeants politiques.

Cela fait également intervenir les Talibans (interdits en Russie - Ndlr), un signe que l'Inde se rapproche des vues régionales de l'Asie centrale, de la Russie, de l'Iran et de l'Asie occidentale et accepte l'existence des Talibans comme une réalité politique. Il appelle à ignorer la doctrine ultra-conservatrice et orthodoxe du groupe au nom d'un véritable intérêt pour la stabilité en Afghanistan.

Pendant ce temps, les alliés des États-Unis considèrent que Washington développe un projet de plus en plus protectionniste, indépendamment des convictions idéologiques, républicaines ou démocrates, qui ne leur viendra pas en aide en cas de conflit et évitera toute nouvelle intervention militaire.

Le changement d'alliances mondiales provoqué par le conflit Russie-Ukraine est visible dans les positions changeantes d'Israël et de l'Iran, qui se sont déplacés entre les camps russe et américain.

Par exemple, Israël est passé du statut d'intermédiaire privilégié de Poutine, transmettant les pensées de ce dernier à l'Europe, aux États-Unis et à l'Ukraine dans les premiers jours du conflit, à celui de critique le plus sévère de Moscou en échange du blocage par les États-Unis des négociations sur le programme nucléaire iranien.

En mars, les États-Unis ont désespérément tenté de conclure l'accord pour s'assurer des approvisionnements supplémentaires en pétrole iranien et faire baisser les prix mondiaux du pétrole.

L'Iran a alors vu une opportunité et a flirté avec les États-Unis pendant un certain temps, s'éloignant de sa doctrine d'"économie de résistance" et de "pivot vers l'Est" - résister aux sanctions dévastatrices des États-Unis au détriment d'une coopération accrue avec les principales puissances eurasiennes - pour engager l'Occident dans des négociations nucléaires et obtenir un certain soulagement économique. Il est revenu à une position dure après que les États-Unis ont fait pression sur l'Iran et ont bloqué l'accord sous la pression israélienne.

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L'Iran et l'Inde ont également constaté que les commentaires du président Joe Biden et de son secrétaire à la défense Lloyd Austin ("cet homme ne peut pas rester au pouvoir", "l'objectif est d'affaiblir la Russie") visaient davantage à affronter Moscou qu'à défendre l'Ukraine dans la guerre par procuration soutenue par les États-Unis.

Les succès de la Russie à Marioupol, où plus de 2000 combattants néonazis se sont rendus dans l'aciérie Azovstal, et la perte actuelle de "100 soldats ukrainiens chaque jour" dans le Donbass, selon le président Vladimir Zelensky lui-même, augurent d'un probable triomphe de la Russie.

Par ailleurs, l'Inde n'a pas encore pleinement soutenu l'axe Russie-Iran-Chine, comme le prouve son adhésion au groupement Israël-Inde-États-Unis-Émirats arabes unis (I2U2), où Israël et les EAU partagent une méfiance mutuelle à l'égard de l'Iran.

Les liens renforcés de l'Inde avec les Émirats, où ces derniers ont suscité l'indignation avec les commentaires controversés de Nupur Sharma, porte-parole suspendu du BJP, les relations tendues des Émirats avec Israël après les Accords d'Abraham de 2020, et l'apaisement désespéré de Washington envers Abu Dhabi pour augmenter la production de pétrole après qu'il ait été indigné par l'échec du premier à condamner les attaques de Husi soutenues par l'Iran, rendent la perspective plus sérieuse.

jeudi, 23 juin 2022

La volte-face eurasienne de la Russie

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La volte-face eurasienne de la Russie

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/evraziyskiy-razvorot-rossii

La Russie est très grande. Un énorme navire continental. Il est difficile de le déplacer rapidement vers un autre parcours en raison de sa lourdeur. Mais continuer à suivre l'inertie pour courir à l'abîme n'est pas non plus une option. Il y a donc un problème très compliqué de calendrier pour parfaire des réformes eurasiennes (or d'autres sont impossibles dans notre situation).

Jusqu'en 1991, l'Union soviétique a suivi une voie. Elle allait dans une direction inconnue.

Un dilemme s'est alors posé : changer de cap

- et prendre un cours atlantiste (occidental) ou

- passer à un cours eurasien (un cours anti-occidental, mais qui n'était plus strictement et orthodoxement soviétique, plutôt impérial).

Les autorités ont décidé de prendre le cours vers l'ouest.

Le vaisseau s'est effondré en morceaux. Par miracle, le noyau a survécu. Mais dans les années 1990, il s'est avéré que la voie occidentale était également fatale. Pour la Russie aussi.

Puis Poutine est apparu, d'abord brusquement, puis, au contraire, il a avancé au rythme d'une cuillère à café par heure, et la Russie a de nouveau changé de cap. Mais cette fois-ci, pas de 180 degrés par rapport à la trajectoire occidentale, mais de 90 degrés. Il est passé à la perpendiculaire. Quelque chose était resté accroché dans l'Ouest et quelque chose n'y était plus. L'eurasisme a commencé à se transformer: il n'était qu'une possibilité théorique et est devenu quelque chose de plus. Mais de manière incohérente et fragmentaire. C'est-à-dire que le cours est devenu à moitié eurasiste.

Et c'est ainsi que le grand navire-continent russe navigue depuis 22 ans encore - parfois par à-coups, mais le plus souvent de manière relativement fluide par l'inertie, c'est-à-dire l'inertie de la manœuvre initiale de Poutine (de 90 degrés seulement par rapport à la précédente).

Sous Medvedev, de 2008 à 2012, il y a eu une tentative de correction de trajectoire en direction de l'Occident (d'où la visite de Medvedev au siège du CFR avec la médiation du magnat du porc Friedman, la première réinitialisation - ratée - avec Hillary Clinton, les perfides Igor Jurgens et Arkadi Gontmakher (INSOR), la visite de Brzezinski promettant son soutien à un second mandat de Medvedev, et bien d'autres choses désagréables). Medvedev aujourd'hui est un "Eurasien systémique", à l'époque il était un "Atlantiste systémique".

Poutine est de retour, et la tentative de correction libérale est terminée. Le navire de la Russie est revenu à un strict 90 degrés. Ni l'Atlantisme ni l'Eurasianisme, ou à la fois l'Atlantisme et l'Eurasianisme. La métaphore du verre à moitié vide/à moitié plein s'adapte parfaitement ici.

En 2014, Maidan, le Printemps russe, le mouvement "La Crimée est à nous" et la Novorossiya ont fait tanguer le navire brutalement en direction de l'eurasisme. Mais pas pour longtemps, et le parcours a été désespérément corrigé pour revenir aux 90 degrés habituels. Les accords de Minsk, le Gref (Sberbank ne travaillant pas en Crimée, le pervers Danya Milokhin), les mesures pas particulièrement réussies pour faire face au Covid et toutes les choses malsaines que nous avons vues au cours des huit dernières années.

Le 24 février 2022, le début de l'Opération militaire spéciale - nous avons expérimenté à nouveau une forte embardée vers l'eurasisme. Ce n'est plus un angle de 90 degrés car l'Atlantisme se retrouve cette fois en opposition directe et frontale avec la Russie. L'Occident bombarde des villes russes par procuration. Ils peuvent dire que "nous avons commencé nous-mêmes". Cela n'a pas d'importance du tout (pour la géopolitique). Vérification des faits: les villes russes sont bombardées et pilonnées par ceux que l'Occident soutient, équipe et pousse à le faire, c'est-à-dire ceux qui fixent la politique habituelle de l'Atlantisme. C'est tout ce qui compte. Il n'est plus possible de naviguer de cette façon, mais une déviation de 90 degrés n'est plus suffisante. Le cours a déjà été poussé dans la direction de l'eurasisme et, cette fois-ci, de manière irréversible. Et pas seulement par rapport à l'atlantisme, comme au début de l'ère Poutine: on ne peut plus retourner à ces 90 degrés, même théoriquement.

Mais le navire Russie est très grand, trop grand. Il ne sera pas facile de l'inverser en un eurasisme complet, c'est-à-dire opérer un virage à 180 degrés par rapport au vecteur le plus fondamental de la civilisation occidentale. On ne sait pas combien de temps cela peut prendre; cela pourra être très long. Il se peut qu'il soit à nouveau bloqué. C'est imprévisible. Le calendrier est, en un sens, arbitraire. C'est l'échelle gigantesque du navire qui peut être un argument pour le faire aussi lentement que possible. Mais faites-le quand même, puisque vous ne pouvez pas ne pas le faire. Un virage à 90 degrés vers l'Ouest est déjà totalement inacceptable - tout aussi inacceptable que le parcours purement occidental des libéraux russes dans les années 1990.

Mais voici le plus important : le Nouvel Ordre Mondial a créé une nouvelle inertie, a donné l'impulsion à une nouvelle trajectoire historique. La Russie, elle, a pris une autre direction - une direction différente de celle des années 2000, par rapport au verre à moitié vide/à moitié plein de toutes les années précédentes du règne de Poutine.

Personne n'est jamais prêt pour le changement. Mais les changements surviennent de temps en temps. Le triomphe de l'eurasisme à part entière dans la Russie contemporaine peut être reporté, mais ne peut être empêché.

L'Opération militaire spéciale est précisément l'événement sur lequel la théologie politique authentiquement russe a été construite par anticipation. L'Opération militaire spéciale est le début de la renaissance de l'Empire, du dernier Royaume, qui resurgira de ses cendres.

A partir de maintenant, c'est un nouveau vecteur. Probablement le dernier dans l'histoire de la Russie, étant donné le contexte eschatologique de la civilisation de l'apostasie mondiale.

Nous approchons du moment pour lequel le peuple russe a été créé par Dieu.

samedi, 28 mai 2022

Forum économique eurasien: l'Occident sur une trajectoire de collision avec les économies émergentes

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Forum économique eurasien: l'Occident sur une trajectoire de collision avec les économies émergentes

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2022/05/26/euraasian-talousfoorumi-lansi-tormayskurssilla-nousevien-maiden-kanssa/

L'Union économique eurasienne (qui comprend actuellement la Russie, le Belarus, l'Arménie, le Kirghizstan et le Kazakhstan) organise pour la première fois cette année son propre forum économique. Le coup d'envoi de l'événement, qui se déroulera du 26 au 27 mai, a été donné dans la capitale kirghize, Bishkek.

Le thème du Forum est "L'intégration économique eurasienne à l'ère du changement mondial". Nouvelles opportunités d'investissement".

Plus de 2500 participants de 15 pays de l'Union économique eurasienne et de pays désireux d'approfondir leurs relations avec l'Organisation - la Chine, le Vietnam, d'autres pays asiatiques et l'Amérique latine - prendront part au Forum économique. Plusieurs pays africains et européens ont également exprimé leur intérêt pour la réunion.

Le Forum comprendra une session plénière avec la participation des chefs d'État de l'Union par vidéoconférence, et 21 sessions thématiques pour discuter du "développement des infrastructures de transport et d'énergie, de la politique financière et bancaire, de la coopération industrielle, du commerce électronique, de l'agenda de la jeunesse et des nouveaux domaines de coopération au sein du Conseil économique eurasien".

En ouvrant l'événement, le Premier ministre kirghize Akylbek Žaparov estime que l'Union économique eurasienne "pourra devenir une destination majeure pour l'économie mondiale et contribuer à éliminer les distorsions et les déséquilibres qui se sont développés dans les relations économiques mondiales au cours des dernières décennies".

Le Forum économique se penchera également sur "la promotion et la popularisation de l'idée d'eurasisme". Ceci est lié au "programme jeunesse, qui est l'un des nouveaux domaines de l'intégration eurasienne en termes de large participation des jeunes aux processus de l'Union économique eurasienne".

Lors d'un débat sur l'interaction et la coopération internationales, le représentant de la Biélorussie, le vice-ministre des Affaires étrangères Yuri Ambrazevich, a déclaré que "l'essor de l'Eurasie a lieu au milieu des changements mondiaux". "L'Occident, défendant sa position dominante, se heurtera inévitablement aux pays émergents", a-t-il déclaré.

De nombreux analystes estiment qu'à moyen terme, nous nous dirigeons déjà vers un "monde macro-régional". Ce scénario est soutenu par de nombreux facteurs, et le concept de mondialisation n'est plus défini uniquement en fonction de l'Occident.

"La transition vers un monde multipolaire sera perturbatrice. Les affrontements entre l'Occident défendant sa position dominante et les leaders émergents définissant de nouveaux pôles sont inévitables", confirme M. Ambrazevich.

Selon lui, le conflit actuel en Ukraine est l'une de ces perturbations. "Il est encourageant que le vote de l'ONU [au cours duquel de nombreux pays ont refusé de participer aux sanctions anti-russes] ait montré que de plus en plus de pays non occidentaux décident de poursuivre leurs propres intérêts. Cependant, les nouveaux centres de développement devront travailler dur pour prouver leur droit à l'existence."

"Avant que le monde macro ne voie la lumière du jour, l'ordre mondial subira de nombreux changements. Par exemple, les chaînes de production et de logistique seront raccourcies et confinées à d'énormes clusters régionaux", prédit M. Ambrazevich.

"L'industrie manufacturière jouera à nouveau le rôle principal dans l'économie, avec l'importance croissante de la spécialisation industrielle, qui dépend de la disponibilité des ressources naturelles", a conclu le diplomate biélorusse.

Il a souligné qu'"en se concentrant sur l'autosuffisance, une plus grande résilience aux chocs extérieurs" et "une gouvernance efficace par des gouvernements forts", les macrorégions ont le potentiel de "fournir une alternative à la mondialisation occidentale, d'assurer une distribution plus équitable des ressources et des biens et l'inclusion de tous dans le développement".

"L'ordre mondial libéral rend impossible pour le tiers monde d'atteindre le même niveau de vie que le milliard d'or [la population totale des pays développés]. Le concept occidental de mondialisation cimente ce fossé", a déclaré M. Ambrazevich, qui s'attend à un changement de la situation.

La réunion du Forum économique eurasien est un autre signe que les institutions de l'Occident sont déjà remises en question. Espérons que le souhait du Premier ministre kirghize Zhaparov se réalisera et que la Communauté économique eurasienne deviendra également une union politique, s'enrichissant de nouveaux membres.

samedi, 30 avril 2022

Les peuples d'Europe se soulèveront contre les élites mondialistes

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Les peuples d'Europe se soulèveront contre les élites mondialistes

Entretien avec Alexandre Douguine pour Nexus

Propos recueillis par Lorenzo Maria Pacini

1) Alexander Goulievitch, le conflit actuel entre la Russie et l'Ukraine modifie l'ordre géopolitique mondial de manière multipolaire. À votre avis, à quoi ressemblera l'architecture internationale - disons, dans les cinq prochaines années - lorsque les combats seront terminés ? Qu'est-ce qui va changer exactement, quels équilibres de pouvoir sur l'échiquier mondial vont émerger et/ou être configurés ? 

Tout d'abord, un système de trois pôles s'est clairement formé. Chacun d'entre eux a son propre domaine de responsabilité, sa propre monnaie de réserve, son propre ensemble de valeurs culturelles, sa propre stratégie indépendante.

Ce n'est pas une seule humanité normative qui émergera (en tant que projection de l'Occident libéral et de ses normes et règles), mais trois. Pas un seul ordre libéral basé sur les règles occidentales, mais trois ordres civilisationnels différents - avec des idéologies différentes. Ce sera un coup dur pour le mondialisme.

Suite à cet effondrement du monde global, d'autres civilisations se joindront à cette multipolarité. Tout d'abord, je pense, l'Inde. Elle a son propre système, une démographie énorme, un potentiel économique puissant.  Le monde peut devenir quadripolaire assez rapidement. Puis viendra le temps du monde islamique, où l'Iran, le Pakistan, la Turquie, et aussi la Syrie, sont déjà des entités souveraines. 

L'Amérique latine et l'Afrique graviteront dans le même sens.

Et parallèlement à cela, je pense qu'une guerre civile va commencer en Europe - les peuples d'Europe se soulèveront contre les élites mondialistes. Lorsque les continentalistes auront gagné, l'Europe se sera organisée en un autre pôle.

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Et enfin, sous les coups de toutes parts, la dictature mondialiste aux États-Unis elle-même s'effondrera, et les Trumpistes comme les continentaux américains créeront un nouvel État. Peut-être le plus fort, peut-être pas.

2) La lutte géopolitique est aussi un "choc des civilisations", selon l'expression de Huntington, qui contraste avec la "fin de l'histoire" prônée par Fukuyama. Plusieurs fois dans vos discours, vous avez parlé d'une "guerre de l'esprit" quand vous évoquiez ce qui se passe. Pourriez-vous expliquer plus clairement votre vision métaphysique de ce conflit ?

C'est une longue histoire. Je suis un traditionaliste, et je crois que le monde moderne est l'opposé du monde de la Tradition. L'Occident moderne a détruit sa propre tradition, la tradition médiévale, la tradition antique, et détruit la tradition chez les autres peuples. En bref, l'Occident moderne est le Satan collectif, l'Antéchrist. À la fin des temps, et nous vivons à la fin des temps, Satan l'emporte sur ceux qui restent fidèles à Dieu, à l'ordre sacré. Mais cela ne dure pas longtemps. Dans la bataille finale, les armées de l'archange Michel, c'est-à-dire nous, sont victorieuses. C'est là l'essentiel : c'est le combat de la Tradition contre le monde moderne, le monde de la Révolution conservatrice. Pour les chrétiens, c'est une guerre contre l'Antéchrist, pour les musulmans contre Dajjal, pour les hindous contre le Kali Yuga, pour les Chinois contre le capitalisme et l'impérialisme occidentaux.

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3) En Italie, vous avez été appelé à plusieurs reprises "l'idéologue de Poutine" et "le Raspoutine du Kremlin". Une grande partie de la presse italienne vous associe politiquement à l'extrême-droite, vous qualifiant de "fasciste" ou de "néo-nazi". Et cela - comme pour toute personne qui reçoit une "étiquette idéologique" de la part des médias - a en tout cas contribué à changer les perceptions des Italiens, intellectuels ou simples citoyens. À votre avis, qu'est-ce qui a suscité des étiquettes aussi peu judicieuses ?

Je suis une personne assez courageuse, et si j'étais un fasciste ou un nazi, je le dirais. Et je me moque de ce que les autres en pensent. De même, si j'étais communiste. Mais je ne suis pas un nazi, un fasciste ou un communiste, et je détaille ma critique de ces visions du monde dans La quatrième théorie politique et dans mes autres écrits. Je suis contre l'Occident moderne et toutes ses idéologies - libéralisme, communisme et fascisme. Pour moi, les sujets normatifs de ces trois visions - l'individu, la classe et la nation (et encore moins la race) ne sont pas acceptables. Je crois que le sujet de la politique devrait être le Dasein ou le peuple compris existentiellement, non pas une nation politique, mais l'unité historique et culturelle d'un tout organique - toujours ouvert et sans rapport avec la citoyenneté ou l'ethnicité. Une nation est une unité de destin.

Mais le libéralisme qui prévaut aujourd'hui ne permet pas la possibilité même d'une critique à partir de la position de la Quatrième théorie politique. Tout ce qui s'y oppose doit être considéré soit comme du fascisme, soit comme du communisme. Les libéraux ne discutent donc pas avec moi, ils se contentent de me diaboliser, de me bannir, puis de colporter une caricature qu'ils ont eux-mêmes créée et qui n'a absolument rien à voir avec moi ou avec mes idées.

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Il en va de même pour Poutine. Il n'est clairement pas un libéral, mais pas non plus un communiste et encore moins un nationaliste. Comment le définissez-vous en Occident? Comme un mélange de Staline et d'Hitler, il ne faut pas longtemps aux libéraux pour se décider. Et il n'est ni l'un ni l'autre. Les libéraux ne sont pas des nazis, mais ils se comportent comme des nazis. Et leur comportement rappelle également les procès staliniens, même s'ils ne sont pas communistes. 

Je sais tout cela depuis ma jeunesse soviétique : le libéralisme est devenu si totalitaire qu'il ne tolère pas la dissidence et est incapable de polémiquer. Il s'agit d'un monologue. Un tel monologue narcissique sans cervelle est la chose la plus désagréable du fascisme et du communisme. C'est la méthode privilégiée du libéralisme aujourd'hui : si vous n'êtes pas un libéral, vous êtes un ennemi de la société ouverte, c'est-à-dire un "fasciste" Cela ne peut être modifié selon les vicissitudes du moment. Le camp de concentration idéologique en Occident et dans le monde disparaîtra en même temps que le libéralisme, tout comme les autres idéologies totalitaires occidentales ont disparu. 

4) Dites-nous, s'il vous plaît, pour notre public italien, qui est de plus en plus intéressé par vos idées, mais qui, en même temps, n'écoute souvent que ce qui est diffusé par les grands médias : quelle est votre relation avec Vladimir Poutine ?

Poutine et moi sommes inspirés par la logique du destin russe, défendons l'identité russe, sommes dévoués à la civilisation russe et sommes conscients des règles du grand jeu géopolitique. Je pense que cette coïncidence est spontanée.

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5) Votre quatrième théorie politique est un dépassement des trois grandes doctrines politiques, et elle fascine aussi les Européens, y compris les Italiens. Y a-t-il, en fait, un élément nouveau qui offre des possibilités pour l'avenir - y compris pour notre pays ? Et, à votre avis, quel rôle joue l'Italie dans la renaissance de l'Europe ? Et dans quelle mesure votre Quatrième théorie politique peut-elle être une voie à suivre ?

Je ne peux pas dire que je suis particulièrement impressionné par le patriotisme italien. Je ne suis pas non plus impressionné par aucun État-nation bourgeois créé à l'époque moderne. J'admire Rome et l'Empire romain. Je suis fasciné par la Renaissance italienne. J'aime beaucoup les régions italiennes - la Sicile, le Nord, etc. Et je suis très impressionné par les travaux et les idées du traditionaliste italien Julius Evola.

La quatrième théorie politique en Italie doit se fonder logiquement sur le Dasein italien. Mais qu'est-ce que c'est ? Chaque nation a son propre Dasein. Ce n'est pas une catégorie formelle - pas la citoyenneté, pas l'ethnicité, pas la langue... C'est la structure de la vie et la relation à la mort, c'est la profondeur d'une culture métaphysique et existentielle. Parfois, je pense que je ressens le Dasein italien et que je l'admire. Mais cela nécessite une sérieuse philosophie là. Dans ma série de livres, Noomachia, l'un des volumes est consacré au Logos latin. Je me penche sur l'histoire de l'Italie, de la Rome antique à nos jours. Mais il ne s'agit encore que d'une approche préliminaire. Décrire et explorer le Dasein italien est l'affaire des Italiens eux-mêmes. C'est également le point sur lequel doit être construite la version italienne spécifique de la Quatrième théorie politique. D'ailleurs, de telles études ont déjà été lancées en Espagne, au Brésil, en Argentine et dans d'autres pays.

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6) En raison des sanctions (passées et présentes), la Russie est et sera contrainte d'accroître son indépendance vis-à-vis de la finance occidentale. Et selon certains, la possibilité d'un retour à l'étalon-or, surmontant la monnaie fiduciaire qui prévaut depuis les années 1970, lorsque les États-Unis ont imposé au monde une monnaie abstraite sans valeur, est proche. En outre, l'or a une signification symbolique précise que les traditions spirituelles ont toujours prise en compte. Pensez-vous qu'un tel scénario n'aurait qu'une signification économique, ou aurait-il également une signification plus large ?

Je m'en tiens ici plutôt à la théorie économique développée par Ezra Pound dans ses Cantos. L'étalon-or est une catégorie associée à quelque chose d'étranger à une économie particulière et porte déjà en elle, bien que modifiée, la référence à la caisse d'émission. Une monnaie nationale ne devrait être liée qu'au volume du produit national. L'émission est l'affaire de la banque centrale souveraine sans aucune référence à une quelconque mesure étrangère, qu'il s'agisse d'une monnaie de réserve mondiale ou d'un étalon-or. Et pour éviter de déclencher l'inflation, les investissements stratégiques doivent être acheminés par une deuxième boucle, distincte de celle du consommateur de masse. Ce modèle ne dépend pas de l'idéologie - le New Deal de Roosevelt, l'économie de Staline de 1928-1953 et l'économie de HJalmar Schacht ont été toutes aussi efficaces, tandis que le libéralisme, le communisme ou le nazisme dans d'autres versions auraient pu se conjuguer avec stagnation, effondrement et dégradation. La souveraineté économique, que Pound vantait et que le brillant Silvio Gesell a tenté d'incarner, est la solution optimale. 

samedi, 16 avril 2022

Le carrefour de l'histoire au cœur de l'Asie

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Le carrefour de l'histoire au cœur de l'Asie

Un carrefour de peuples et d'histoires, l'Ouzbékistan au centre de l'Eurasie. Et avant l'épopée de Samarcande, c'était grâce aux exploits d'Alexandre le Grand

Andrea Muratore

Source: https://www.ilgiornale.it/news/cultura/alessandro-magno-oggi-luzbekistan-crocevia-storia-2023581.html

D'Alexandre le Grand à aujourd'hui, l'Ouzbékistan au carrefour de l'histoire

Au cœur de l'Eurasie se trouve une nation qui a été un carrefour de peuples, d'armées, de cultures, de religions et d'identités tout au long de son histoire : l'Ouzbékistan. L'Ouzbékistan est un pays qui vit encore comme un kaléidoscope d'identités après la mort du "père du pays" Islam Karimov, à la frontière entre l'ancien espace soviétique, l'Afghanistan, la Chine et le cœur de l'Asie centrale, et qui a eu une histoire tout aussi riche dans son passé.

L'Ouzbékistan est en fait le pays de Samarcande, le "rêve turquoise", le carrefour des caravanes des anciennes Routes de la soie, des routes commerciales sur lesquelles circulaient les hommes, les marchandises et les idées. Mais c'est aussi un pays qui a eu un très noble père dans son histoire: Alexandre le Grand. C'est le Macédonien qui a été le premier à labourer les étendues sablonneuses, les plateaux et les terres aujourd'hui gouvernées par l'ancienne république soviétique, pour faire de l'Ouzbékistan d'aujourd'hui le pôle d'attraction des hommes, des peuples et des identités qui en feront un élément constitutif de la civilisation humaine.

Vittorio Russo le rappelle bien dans son livre intitulé L'Uzbekistan di Alessandro Magno (L'Uzbekistan d'Alexandre le Grand), un essai publié par Sandro Teti dans lequel, entre histoire et mythe, présent et antiquité, se dessine une véritable radiographie de ces terres. Vittorio Russo, capitaine et navigateur au long cours depuis des décennies, a également travaillé de manière intensive en tant que journaliste et essayiste. Dans son essai sur l'Ouzbékistan, il entreprend un voyage à travers la géographie historique d'un pays où passé et présent se confrontent. Notamment parce que ce sont les Grecs menés par le Macédonien au 4e siècle avant J.-C. qui ont donné leur nom à de nombreux points de repère de l'Ouzbékistan.

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Les régions de Khwarizim, note Russo, "les Grecs et les Macédoniens d'Alexandre les appelaient Corasmia. Ces terres se trouvent sur les bords méridionaux de la mer d'Aral, le long du cours du fleuve-mer Amu Darya, appelé ainsi depuis les temps anciens parce qu'il était autrefois aussi illimité qu'une mer. C'est aussi la terre où les auteurs anciens ont placé le royaume des Amazones tueuses d'hommes. Le fleuve est également le même que l'ancien Oxus, dont Plutarque a écrit au premier siècle de notre ère qu'il avait "des eaux douces qui oignent la peau". La guerre d'Alexandre contre les Perses, l'Anabasis d'Alexandre racontée par Arrien, s'est déroulée sur l'Oxus, et le projet de "fusionner les peuples et les civilisations dans un destin commun, de mélanger les vies, les coutumes, les mariages et les habitudes" a été réalisé sur ses rives. Une idée unificatrice qui a favorisé un syncrétisme des civilisations, comme en témoignent le lien profond entre les cultures grecque, bouddhiste et sogdienne de l'ère post-macédonienne et le profond attrait qu'exercera, dès l'époque macédonienne, la terre de l'actuel Ouzbékistan. Selon Russo, "l'objectif d'Alexandre" était bien plus pragmatique au départ, "gouverner les peuples soumis à l'aide des structures administratives qu'il avait trouvées", tandis que "cet unitarisme harmonieux" des cultures auquel la vision classique fait référence était essentiellement un dérivé.

En fait, dans un voyage qui se déroule entre les villes contemporaines, de Tachkent à Boysun, le souvenir de la catastrophe de la mer d'Aral à l'époque soviétique et les pensées du passé, l'Alexandre le Grand qui émerge du livre de Russo est très loin de l'image oléographique véhiculée par les nombreux ouvrages, souvent pseudo-historiques, écrits à son sujet : le héros invincible immortalisé dans les marbres de Lysippe cède la place à l'ivrogne meurtrier, au fanfaron, à l'exterminateur de peuples superstitieux et cynique, mais c'est précisément dans l'actuel Ouzbékistan qu'il a vu la difficile réduction de ses diverses natures à une seule entité. Le guerrier féroce, qui a détruit l'Empire perse ; le souverain attentif au respect de l'ennemi, qui a vaincu et tué l'usurpateur Bessus, qui avait fait assassiner le Roi des Rois, et ennemi des Macédoniens, Darius III, le dernier souverain de la Perse ; le chef qui s'est imaginé comme un nouvel Ulysse, se déplaçant à travers des terres labourées plus tard par d'autres conquérants, des mers et des montagnes.

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Et ce n'est que grâce à la centralité dans l'histoire donnée à la terre, étudiée par Russo, par le passage d'Alexandre, cause de l'essor ultérieur de Samarcande, que l'Ouzbékistan d'aujourd'hui a pu être un centre d'attraction humain et culturel pour le futur: le centre de la philosophie de la civilisation islamique médiévale avec la pensée d'Avicenne ; la capitale des sciences grâce à la promotion du souverain Ulugh Beg ; et surtout, le pôle politique de rayonnement d'un pouvoir qui aimait se penser universel avec l'épopée de Timur, "Tamerlan" pour nous, qui depuis Samarcande a voulu construire un empire qui entre les XIVe et XVe siècles entendait se donner des connotations universelles. Faisant référence dans la lettre à l'empire mongol de Gengis Khan mais, en fait, regardant surtout le Macédonien et son objectif de construire l'unité dans la complexité. Faire revivre et transformer par l'art, l'architecture, la culture et la force politique les terres de l'actuel Ouzbékistan en un véritable "empire" de Samarkand. C'est toujours l'un des points de repère pour comprendre la civilisation antique et le carrefour des routes des peuples d'Europe et d'Asie. L'Ouzbékistan, qui a été le théâtre des raids macédoniens, est un carrefour décisif.

Un autre ouvrage de Vittorio Russo:

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mercredi, 06 avril 2022

La Stratégie du Heartland à l'Est : un aperçu des objectifs et des priorités

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La Stratégie du Heartland russe à l'Est: un aperçu des objectifs et des priorités

Alexandre Douguine

Source: https://www.ideeazione.com/la-strategia-orientale-dellheartland-una-panoramica-degli-obiettivi-e-delle-priorita/

Axe Moscou-New Delhi

Déplaçons-nous vers l'est. Nous voyons ici l'Inde comme un "grand espace" à part entière, qui, à l'époque du Grand Jeu, était la principale tête de pont de la domination britannique en Asie. À cette époque, la nécessité de maintenir le contrôle de l'Inde et d'empêcher d'autres puissances, notamment l'Empire russe, d'empiéter sur le contrôle britannique de la région était essentielle pour la "civilisation de la mer". À cela s'ajoutent les épopées afghanes des Britanniques, qui ont cherché à plusieurs reprises à affirmer leur contrôle sur la structure complexe de la société afghane non gouvernée, précisément pour bloquer les Russes dans une éventuelle campagne en Inde. Une telle perspective est théorisée depuis l'époque de l'empereur Paul Ier, qui a virtuellement lancé une campagne cosaque (organisée et planifiée de manière quelque peu naïve) en Inde (en alliance avec les Français), ce qui pourrait être la raison de son assassinat (qui, comme le montrent les historiens, a été organisé par l'ambassadeur britannique en Russie, Lord Whitworth).

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L'Inde mène actuellement une politique de neutralité stratégique, mais sa société, sa culture, sa religion et son système de valeurs n'ont rien en commun avec le projet mondialiste ou le mode de vie de l'Europe occidentale. La structure de la société hindoue est entièrement terrestre, basée sur des constantes qui ont très peu changé au cours des millénaires. Par ses paramètres (démographie, niveau de développement économique moderne, culture intégrale), l'Inde représente un "grand espace" complet, qui est organiquement inclus dans la structure multipolaire. Les relations russo-indiennes après la libération de l'Inde des Britanniques ont traditionnellement été très cordiales. Dans le même temps, les dirigeants indiens ont souligné à plusieurs reprises leur engagement en faveur d'un ordre mondial multipolaire. En même temps, la société indienne elle-même illustre la multipolarité où la diversité des groupes ethniques, des cultes, des cultures locales, des courants religieux et philosophiques s'entendent parfaitement bien malgré leurs profondes différences et même leurs contradictions. L'Inde est certainement une civilisation qui, au vingtième siècle, après la fin de la phase de colonisation, a acquis - pour des raisons pragmatiques - le statut d'"État-nation".

Dans ces circonstances favorables au projet multipolaire, qui font de l'axe Moscou-New Delhi une autre structure de soutien pour l'expression spatiale de la pan-idée eurasienne, un certain nombre de circonstances compliquent ce processus. Par inertie historique, l'Inde continue à entretenir des liens étroits avec le monde anglo-saxon, qui, pendant la période de domination coloniale, a réussi à influencer de manière significative la société indienne et à projeter sur elle ses attitudes sociologiques formelles (notamment l'anglophilie). L'Inde est étroitement intégrée aux États-Unis et aux pays de l'OTAN dans le domaine militaro-technique et les stratèges atlantistes apprécient énormément cette coopération, car elle s'inscrit dans la stratégie de contrôle de la "zone côtière" de l'Eurasie. En même temps, la mentalité même de la société indienne rejette la logique des alternatives rigides de l'une ou l'autre, et il est difficile pour la mentalité hindoue de comprendre la nécessité d'un choix irréversible entre la Mer et la Terre, entre la mondialisation et la préservation d'une identité civilisée.

Au niveau régional, cependant, dans les relations avec ses voisins immédiats - en particulier la Chine et le Pakistan - la pensée géopolitique indienne fonctionne beaucoup mieux et cela devrait être utilisé pour intégrer l'Inde dans la construction multipolaire de la nouvelle architecture stratégique eurasienne.

La place naturelle de l'Inde est en Eurasie, où elle pourrait jouer un rôle stratégique comparable à celui de l'Iran. Mais le format de l'axe Moscou-New Delhi devrait être très différent, en tenant compte des spécificités de la stratégie et de la culture régionales de l'Inde. Dans le cas de l'Iran et de l'Inde, différents paradigmes d'intégration stratégique devraient être impliqués.

La structure géopolitique de la Chine

La structure géopolitique de la Chine est la question la plus importante. Dans le monde d'aujourd'hui, la Chine a si bien développé son économie, trouvant les proportions optimales entre le maintien du pouvoir politique d'un parti communiste réformé, les principes d'une économie libérale et l'utilisation mobilisatrice d'une culture chinoise commune (dans certains cas sous la forme d'un "nationalisme chinois"), que beaucoup lui attribuent le rôle d'un pôle mondial indépendant à l'échelle planétaire et préfigurent un futur "nouvel hégémon". En termes de potentiel économique, la Chine a été classée deuxième parmi les cinq premières économies du monde avec le PIB le plus élevé. Avec les États-Unis, l'Allemagne et le Japon, le pays a formé une sorte de club des principales puissances commerciales du monde. Les Chinois eux-mêmes appellent la Chine "Zhongguo", littéralement "le pays central, du milieu".

La Chine est une entité géopolitique complexe qui peut être divisée en plusieurs composantes principales :

- Chine continentale : les zones rurales pauvres et mal irriguées situées entre les fleuves Huanghe et Yangtze, habitées principalement par des groupes ethniques indigènes réunis par le terme "Han" ;

- les zones côtières de l'Est, qui sont des centres de développement économique et commercial national et des points d'accès au marché mondial.

- les zones tampons habitées par des minorités ethniques (région autonome de Mongolie intérieure, région autonome ouïghoure du Xinjiang, région autonome du Tibet)

- les États voisins et les zones administratives insulaires spéciales dont la population est majoritairement chinoise (Taïwan, Hong Kong, Macao).

Le problème de la géopolitique chinoise est le suivant : pour développer son économie, la Chine manque de demande intérieure (la pauvreté de la Chine continentale). L'accès au marché international par le développement de la zone côtière du Pacifique augmente considérablement le niveau de vie, mais crée des inégalités sociales entre la "côte" et le "continent", et favorise un plus grand contrôle extérieur par le biais des liens économiques et des investissements, ce qui menace la sécurité du pays. Au début du 20e siècle, ce déséquilibre a conduit à l'effondrement de l'État chinois, à la fragmentation du pays, à l'établissement virtuel d'un "contrôle externe" par la Grande-Bretagne et, enfin, à l'occupation des zones côtières par le Japon.

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Mao Tse-tung (1893-1976) a choisi une autre voie : la centralisation du pays et sa fermeture complète. Cela a rendu la Chine indépendante, mais l'a condamnée à la pauvreté. À la fin des années 1980, Deng Xiaoping (1904-1997) a entamé un autre cycle de réformes, qui consistait à équilibrer le développement ouvert de la "zone côtière" et l'attraction des investissements étrangers dans cette région avec le maintien d'un contrôle politique strict de l'ensemble du territoire chinois aux mains du Parti communiste, afin de préserver l'unité du pays. C'est cette formule qui définit la fonction géopolitique de la Chine contemporaine.

L'identité de la Chine est double : il y a une Chine continentale et une Chine côtière. La Chine continentale est tournée vers elle-même et la préservation du paradigme social et culturel ; la Chine côtière est de plus en plus intégrée au "marché mondial" et, par conséquent, à la "société mondiale" (c'est-à-dire qu'elle adopte progressivement les traits de la "civilisation de la mer"). Ces contradictions géopolitiques ont été aplanies par le Parti communiste chinois (PCC), qui doit fonctionner dans le cadre du paradigme de Deng Xiaoping - l'ouverture assure la croissance économique, le centralisme rigide de l'idéologie et du parti, s'appuyant sur les zones rurales pauvres du continent, maintient l'isolement relatif de la Chine par rapport au monde extérieur. La Chine cherche à prendre de l'atlantisme et de la mondialisation ce qui la renforce, et à détacher et écarter ce qui l'affaiblit et la détruit. Jusqu'à présent, Pékin a réussi à maintenir cet équilibre, ce qui l'amène au leadership mondial, mais il est difficile de dire dans quelle mesure il est possible de combiner l'incompatible : mondialisation d'un segment de la société et préservation d'un autre segment sous le mode de vie traditionnel. La solution de cette équation extrêmement complexe prédéterminera le destin de la Chine dans le futur et, par conséquent, construira un algorithme pour son comportement.

En tout état de cause, la Chine d'aujourd'hui insiste fermement sur un ordre mondial multipolaire et s'oppose à l'approche unipolaire des États-Unis et des pays occidentaux dans la plupart des confrontations internationales. La seule menace sérieuse qui pèse aujourd'hui sur la sécurité de la Chine provient uniquement des États-Unis - la marine américaine dans le Pacifique pourrait à tout moment imposer un blocus sur l'ensemble du littoral chinois et ainsi faire s'effondrer instantanément l'économie chinoise, qui dépend entièrement des marchés étrangers. À cela s'ajoute la tension autour de Taïwan, un État puissant et prospère avec une population chinoise mais une société purement atlantiste intégrée dans un contexte mondial libéral.

Dans un modèle d'ordre mondial multipolaire, la Chine se voit attribuer le rôle du pôle Pacifique. Ce rôle serait une sorte de compromis entre le marché mondial dans lequel la Chine existe et se développe aujourd'hui, fournissant une part énorme de ses biens industriels, et sa fermeture totale. Ceci est globalement cohérent avec la stratégie de la Chine qui consiste à essayer de maximiser son potentiel économique et technologique avant l'inévitable affrontement avec les États-Unis.

Le rôle de la Chine dans un monde multipolaire

Il existe un certain nombre de problèmes entre la Russie et la Chine qui pourraient entraver la consolidation des efforts visant à construire une construction multipolaire. L'une d'elles est l'expansion démographique des Chinois dans les territoires peu peuplés de Sibérie, qui menace de modifier radicalement la structure sociale même de la société russe et constitue une menace directe pour la sécurité. Sur cette question, une condition préalable à un partenariat équilibré devrait être un contrôle strict par les autorités chinoises des flux migratoires vers le nord.

La deuxième question concerne l'influence de la Chine en Asie centrale, une zone stratégique proche de la Russie, riche en ressources naturelles et en vastes territoires, mais plutôt faiblement peuplée. L'avancée de la Chine en Asie centrale pourrait également constituer un obstacle. Ces deux tendances violent un principe important de la multipolarité : l'organisation de l'espace sur un axe nord-sud et non l'inverse. La direction dans laquelle la Chine a toutes les raisons de se développer est celle du Pacifique, au sud de la Chine. Plus la présence stratégique de la Chine dans cette région sera forte, plus la structure multipolaire sera forte.

Le renforcement de la présence de la Chine dans le Pacifique entre directement en collision avec les plans stratégiques de l'Amérique pour l'hégémonie mondiale, car dans une perspective atlantiste, la sécurisation du contrôle des océans du monde est la clé de l'ensemble du tableau stratégique du monde vu des États-Unis. La marine américaine dans le Pacifique et le déploiement de bases militaires stratégiques dans différentes parties du Pacifique et sur l'île de San Diego dans l'océan Indien afin de contrôler l'espace maritime de toute la région sera le principal enjeu de la réorganisation de la zone Pacifique sur le modèle d'un ordre mondial multipolaire. La libération de cette zone des bases militaires américaines peut être considérée comme une tâche d'importance planétaire.

La géopolitique du Japon et son éventuelle implication dans le projet multipolaire

La Chine n'est pas le seul pôle dans cette partie du monde. Le Japon est une puissance régionale asymétrique mais économiquement comparable. Société terrestre et traditionnelle, le Japon est passé sous occupation américaine après 1945 à la suite de la Seconde Guerre mondiale, dont les conséquences stratégiques se font encore sentir aujourd'hui. Le Japon n'est pas indépendant dans sa politique étrangère ; il y a des bases militaires américaines sur son territoire, et son importance militaire et politique est négligeable par rapport à son potentiel économique. Pour le Japon, d'un point de vue théorique, la seule voie organique de développement serait de rejoindre le projet multipolaire, ce qui implique :

- L'établissement d'un partenariat avec la Russie (avec laquelle aucun traité de paix n'a encore été conclu - une situation soutenue artificiellement par les États-Unis, qui craignent un rapprochement entre la Russie et le Japon) ;

- restaurer sa puissance militaire et technique en tant que puissance souveraine ;

- une participation active à la réorganisation de l'espace stratégique dans le Pacifique ;

- devenant le deuxième pôle, avec la Chine, de l'ensemble de l'espace Pacifique.

Pour la Russie, le Japon était le partenaire optimal en Extrême-Orient car, démographiquement, contrairement à la Chine, il n'a pas de problèmes de ressources naturelles (ce qui permettrait à la Russie d'accélérer l'équipement technologique et social de la Sibérie au Japon) et il dispose d'une énorme puissance économique, y compris dans le domaine de la haute technologie, qui est stratégiquement important pour l'économie russe. Mais pour qu'un tel partenariat soit possible, le Japon doit faire le pas décisif de se libérer de l'influence américaine.

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Sinon (comme dans la situation actuelle), les États-Unis considéreront le Japon comme un simple outil dans leur politique visant à contenir le mouvement potentiel de la Chine et de la Russie dans le Pacifique. Brzezinski plaide à juste titre en ce sens dans son livre The Grand Chessboard, où il décrit la stratégie américaine optimale dans le Pacifique. Ainsi, cette stratégie prône un rapprochement commercial et économique avec la Chine (parce que la Chine est entraînée dans la "société mondiale" par son intermédiaire), mais insiste pour construire un bloc stratégico-militaire contre elle. Avec le Japon, au contraire, Bzezinski propose de construire un "partenariat" militaro-stratégique contre la Chine et la Russie (en fait, il ne s'agit pas d'un "partenariat", mais d'une utilisation plus active du territoire japonais pour le déploiement d'installations militaro-stratégiques américaines) et de se livrer à une concurrence acharnée dans la sphère économique, car les entreprises japonaises sont capables de relativiser la domination économique américaine à l'échelle mondiale.

L'ordre mondial multipolaire évalue légitimement la situation de manière exactement inverse : l'économie libérale de la Chine ne vaut rien en soi et ne fait qu'accroître la dépendance de la Chine à l'égard de l'Occident, tandis que sa puissance militaire - surtout dans le segment naval - est au contraire précieuse car elle crée les conditions préalables pour débarrasser à l'avenir les océans Pacifique et Indien de la présence américaine. Le Japon, au contraire, est surtout attrayant en tant que puissance économique qui rivalise avec les économies occidentales et qui a maîtrisé les règles du marché mondial (on espère qu'à un moment donné, le Japon pourra utiliser cela à son avantage), mais il est moins attrayant en tant que partenaire dans un monde multipolaire, en tant qu'instrument passif de la stratégie américaine. Dans tous les cas, le scénario optimal serait que le Japon se libère du contrôle américain et entre dans une orbite géopolitique indépendante. Dans ce cas, il serait difficile d'imaginer un meilleur candidat pour construire un nouveau modèle d'équilibre stratégique dans le Pacifique.

Actuellement, compte tenu du statu quo, la place du "pôle" Pacifique peut être réservée à deux puissances - la Chine et le Japon. Tous deux ont de solides arguments pour être le leader ou l'un des deux leaders, substantiellement supérieur à tous les autres pays de la région d'Extrême-Orient.

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La Corée du Nord comme exemple de l'autonomie géopolitique d'un État terrestre

Il convient de souligner le facteur de la Corée du Nord, un pays qui n'a pas succombé à la pression occidentale et qui continue à rester fidèle à son ordre sociopolitique très spécifique (juché) malgré toutes les tentatives de le renverser, de le discréditer et de le diaboliser. La Corée du Nord illustre la résistance courageuse et efficace à la mondialisation et à l'unipolarité par un peuple assez petit, et c'est là que réside sa grande valeur. Une Corée du Nord nucléaire qui maintient une identité sociale et ethnique et une réelle indépendance, avec un niveau de vie modeste et un certain nombre de restrictions à la "démocratie" (comprise dans le sens libéral et bourgeois), contraste fortement avec la Corée du Sud. La Corée du Sud perd rapidement son identité culturelle (la plupart des Sud-Coréens appartiennent à des sectes protestantes, par exemple) et est incapable de faire un seul pas en politique étrangère sans se référer aux États-Unis, mais sa population est plus ou moins prospère (financièrement, mais pas psychologiquement). Le drame moral du choix entre indépendance et confort, dignité et bien-être, fierté et prospérité se joue dans deux parties d'un peuple historiquement et ethniquement unifié. La partie nord-coréenne illustre les valeurs du Sushi. Celui de la Corée du Sud illustre les valeurs de la mer. Rome et Carthage, Athènes et Sparte. Béhémoth et Léviathan dans le contexte de l'Extrême-Orient moderne.

Les principaux défis au Heartland russe à l'Est

Le vecteur oriental (Extrême-Orient, Asie) du Heartland russe peut être réduit aux tâches principales suivantes :

- Assurer la sécurité stratégique de la Russie sur la côte Pacifique et en Extrême-Orient ;

- Intégrer les territoires sibériens dans le contexte social, économique, technologique et stratégique global de la Russie (en tenant compte de l'état désastreux de la démographie de la population russe)

- développer le partenariat avec l'Inde, y compris dans le domaine militaro-technique (l'axe Moscou-New Delhi)

- construire une relation équilibrée avec la Chine, en soutenant ses politiques multipolaires et ses aspirations à devenir une puissante puissance navale, mais en prévenant les conséquences négatives de l'expansion démographique de la population chinoise dans le nord et de l'infiltration de l'influence chinoise au Kazakhstan ;

- Encourager par tous les moyens possibles l'affaiblissement de la présence navale américaine dans le Pacifique en démantelant les bases navales et autres installations stratégiques ;

- Encourager le Japon à se libérer de l'influence américaine et à devenir une puissance régionale à part entière, établissant ainsi un partenariat stratégique sur l'axe Moscou-Tokyo ;

- Soutenir les puissances régionales d'Extrême-Orient qui défendent leur indépendance vis-à-vis de l'atlantisme et de la mondialisation (Corée du Nord, Vietnam et Laos).

vendredi, 01 avril 2022

Comment l'Inde entend aider la Russie à échapper aux sanctions

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Comment l'Inde entend aider la Russie à échapper aux sanctions

L'Inde devrait ignorer les avertissements occidentaux en créant un mécanisme d'échange roupie-rouble qui pourrait démarrer dès la semaine prochaine

par Anil Sharma 

Source: https://asiatimes.com/2022/03/how-india-intends-to-help-russia-evade-sanctions/?mc_cid=1fc3f2de80&mc_eid=19c604030d

L'Inde aide de facto la Russie à échapper aux sanctions occidentales imposées suite à son invasion de l'Ukraine.

JAIPUR - L'Inde envisage de conclure un accord commercial roupie-rouble avec la Russie, une proposition de Moscou qui mettra New Delhi sur la voie de la confrontation avec l'Occident, mais qui pourrait contribuer à protéger l'économie indienne contre les vents contraires mondiaux qui se rassemblent, notamment la flambée des prix du pétrole. 

L'Inde tient à poursuivre son commerce bilatéral avec la Russie malgré la forte pression exercée par les États-Unis et l'UE pour qu'elle s'aligne sur son régime de sanctions. L'Inde dépend fortement de la Russie pour ses armes et voit la perspective d'importer du pétrole moins cher à un moment où les prix ont flambé depuis l'invasion de l'Ukraine.

Les responsables de l'organisme commercial indien affirment que l'accord de paiement bilatéral pourrait être mis en œuvre dès la semaine prochaine, bien que la banque centrale et le ministère des finances indiens aient jusqu'à présent évité de faire des commentaires officiels sur la question.

Le principal quotidien économique indien, Economic Times, a rapporté que les responsables de la banque centrale russe devraient rencontrer la semaine prochaine leurs homologues de la Reserve Bank of India (RBI) pour discuter de la création d'un cadre réglementaire qui aidera à soutenir le commerce bilatéral et les opérations bancaires face aux sanctions occidentales imposées contre la guerre de Moscou en Ukraine.

rbi.jpgDes rapports locaux citant des fonctionnaires anonymes du ministère indien des finances suggèrent que les modalités du commerce roupie-rouble n'ont pas encore été élaborées en détail, mais une possibilité pourrait être, selon un rapport du journal Business Standard, "l'échange de la roupie par la banque russe contre le renminbi d'une succursale bancaire chinoise en Inde."

Le renminbi, contrairement à la roupie, peut être utilisé par les Russes. Pendant ce temps, les banques chinoises peuvent utiliser les roupies pour acheter des dollars, car elles ne font face à aucune sanction, selon le rapport.

D'autres rapports ont suggéré que le plan pourrait impliquer des paiements libellés en roupies et en renminbis par le biais du système de messagerie russe SPFS, une alternative au système SWIFT, plus largement utilisé, que sept banques russes sont désormais interdites d'utiliser à titre punitif.

Selon un rapport de CNBC, une méthode plus simple pourrait être adoptée, dans laquelle une banque russe n'aura qu'à ouvrir un compte dans une banque indienne et une banque indienne devra ouvrir un compte en Russie par lequel les exportateurs indiens seront payés dans la monnaie locale plutôt qu'en dollars ou en euros pour leurs exportations vers la Russie.

Dans ce cas, New Delhi et Moscou devront se mettre d'accord sur la valeur d'échange et disposer également d'une valeur d'équivalence théorique, très probablement en dollars ou en euros, à laquelle la valeur des monnaies indienne et russe sera rattachée.  

Le rouble s'échange à environ 85 pour un dollar, à peu près là où il se trouvait avant que la Russie ne commence son invasion il y a un mois. La monnaie russe était tombée jusqu'à 150 pour un dollar le 7 mars à la nouvelle que l'administration Biden allait interdire les importations américaines de carburant russe, mais elle a rebondi avec la hausse des taux d'intérêt à 20 % et l'imposition de contrôles des capitaux par Moscou.

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La Russie souhaite également que l'Inde se branche sur son interface de paiement unifiée avec son système de paiement MIR pour une utilisation sans faille des cartes émises par les banques indiennes et russes après la suspension des opérations de Visa Inc. et Mastercard Inc., indique un rapport de Bloomberg citant une source gouvernementale indienne. 

Michael Kugelman, associé principal pour l'Asie du Sud au Wilson Center, un groupe de réflexion basé à Washington, a déclaré à Asia Times : "La décision de l'Inde de rechercher des accords commerciaux non basés sur le dollar avec la Russie peut en irriter certains à Washington, mais elle n'est pas du tout surprenante et s'inscrit parfaitement dans la politique indienne passée."

"New Delhi entretient une relation spéciale avec Moscou qui implique une amitié de longue date. Cela incite l'Inde à trouver des moyens de continuer à travailler avec la Russie tout en veillant à ne pas se mettre en travers des sanctions imposées par les États-Unis, un partenaire de plus en plus proche pour l'Inde", a déclaré M. Kugelman.

Il pense qu'un accord commercial entre la roupie et le rouble est un moyen possible de sortir de l'impasse diplomatique dans laquelle se trouve actuellement l'Inde, qui cherche à équilibrer ses relations avec Moscou et Washington.

M. Kugelman a également noté que l'Inde a une forte dépendance à l'égard des armes russes, à un moment où elle est confrontée à des défis de sécurité à deux volets, à savoir le Pakistan et la Chine. Et elle a un fort désir de pétrole russe bon marché à un moment où les prix mondiaux augmentent rapidement.

"En effet, les intérêts immédiats de l'Inde, tant sur le plan de la sécurité que sur le plan économique, l'incitent fortement à élaborer un accord commercial roupie-rouble avec Moscou", a-t-il déclaré.

Brahma Chellaney, éminent penseur stratégique, auteur et commentateur, s'est fait l'écho de ces opinions dans un récent tweet en déclarant : "La neutralité de l'Inde dans l'impasse Russie-OTAN à propos de l'Ukraine a attiré plus d'attention que la neutralité d'Israël. De même, alors que l'Europe dépend toujours de l'énergie russe, un éventuel accord pétrolier indien avec Moscou attire l'attention, bien que, comme le signale [le porte-parole de la Maison Blanche] Psaki, il ne violera pas les sanctions."

Les échanges commerciaux entre la Russie et l'Inde entre avril 2020 et mars 2021 se sont élevés à 8,1 milliards de dollars, selon les chiffres officiels du commerce indien. Ventilé, l'Inde a exporté 2,6 milliards de dollars vers la Russie, tandis qu'elle en a importé 5,48 milliards.

L'amélioration des relations économiques et commerciales était une priorité bilatérale essentielle avant la guerre en Ukraine, les deux parties ayant déclaré leur intention de porter le commerce bilatéral à 30 milliards de dollars et les investissements bilatéraux à 50 milliards de dollars d'ici 2025. Actuellement, les exportations de l'Inde vers la Russie sont principalement constituées de produits agricoles, de produits marins et de produits pharmaceutiques, tandis que les importations en provenance de Russie sont principalement constituées de pétrole brut.

Pendant ce temps, les commentateurs et experts américains et européens ont commencé à fustiger l'Inde pour avoir aidé la Russie à esquiver les sanctions et demandent aux États-Unis d'imposer des sanctions à New Delhi.

Trish Regan, l'éditrice primée de TrishIntel.com, a écrit dans un récent tweet au ton ferme: "Si l'INDE achète du pétrole brut russe, elle doit s'attendre à être sanctionnée par les États-Unis. Et, croyez-moi, cela ne marchera pas très bien pour l'économie indienne. En ce moment : vous êtes avec les États-Unis ou vous êtes contre nous. Simple."

Jamie Jenkins, un commentateur de l'actualité basé au Royaume-Uni, a écrit dans un tweet similaire : "L'Inde cherche à renflouer la Russie en achetant du pétrole brut à prix réduit. L'Inde est un pays auquel nous accordons une aide étrangère. Si nous sommes sérieux au sujet des sanctions, alors le budget de l'aide doit aussi être examiné."

Son tweet est intervenu après la parution de rapports selon lesquels l'Inde pourrait acheter du brut à un prix réduit à la Russie dans le cadre de l'accord d'échange de devises.

Suivez Anil Sharma sur Twitter à @anilsharma45

mercredi, 30 mars 2022

New Delhi peut être soit le sauveur, soit le bourreau du complexe militaro-industriel russe

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New Delhi peut être soit le sauveur, soit le bourreau du complexe militaro-industriel russe

Sergey Atamanov

Source: https://katehon.com/ru/article/nyu-deli-mozhet-vystupit-v-roli-spasitelya-vpk-rossii-libo-v-roli-ego-palacha

Face aux sanctions mondiales, l'Inde devient un partenaire prioritaire de la Russie en matière de développement militaire et technique en ce qui concerne la production d'armements et d'équipements militaires avancés.

L'Inde est le premier importateur d'armes russes depuis des décennies. L'année dernière, la part totale des armes russes dans les forces armées indiennes a atteint 70% et celle de l'aviation 80%. Outre les exportations, les chasseurs T-90S ont été localisés, les chasseurs de quatrième génération Su-30MKI sont assemblés sous licence et le missile hypersonique BraMos-2 est en cours de développement conjoint avec la Russie. Des coentreprises ont été établies avec Rostec pour produire des fusils d'assaut Kalashnikov AK-203 et des hélicoptères Ka-226T. Il est prévu d'accorder une licence pour la production des systèmes de missiles anti-aériens portables Igla-S. Outre la production conjointe, la formation de spécialistes militaires et le transfert de technologies connexes sont en cours. Une "relance" de l'accord visant à créer un FGFA (Fifth Generation Fighter Aircraft) de cinquième génération basé sur le Su-57 est possible.

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La liste est impressionnante. Sachant que l'Inde compte 1,5 million de militaires, l'armée indienne pourrait avoir une force globale comparable à celle de la Russie si l'industrie militaire est financée de manière adéquate. La politique de l'Inde vise le développement intérieur, contrairement à celle de la Chine, qui aspire à une domination économique non seulement dans la région, mais aussi à l'échelle mondiale. Au moins, les gens du pays des épices ne sont pas nos adversaires. Nous avons des racines linguistiques et philosophiques communes. Ici, l'Inde est beaucoup plus proche de nous que tout autre pays, à l'exception des Slaves.

La seule question est sa volonté de poursuivre la coopération. Les pays occidentaux ont toujours utilisé l'Inde comme un satellite pour s'enrichir et siphonner des ressources. En revanche, la Russie et ses prédécesseurs historiques ont toujours soutenu le peuple indien en toute amitié.

Il existe également des différences dans la nature de l'interaction. La Chine ne travaille avec nous qu'en termes d'acquisition d'armes et d'équipements militaires. La coopération avec New Delhi est orientée vers la recherche conjointe et sa mise en œuvre ultérieure.

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Dans de nombreux domaines de la politique étrangère et intérieure, les positions de Pékin, New Delhi et Moscou sont similaires, il existe des différences dans certains domaines. Cependant, à l'heure où l'Occident collectif nous désigne clairement comme l'ennemi numéro un, la Chine comme l'ennemi numéro deux et l'Inde est toujours considérée comme "le joyau de la couronne", une consolidation basée sur de nouveaux principes est possible grâce à des efforts conjoints. L'un d'entre eux est le rôle de premier plan joué par l'Inde dans le développement du complexe industriel de défense de la Russie. Premièrement, l'Inde est le plus grand importateur d'armes nationales ; deuxièmement, la localisation établie des armements nationaux nous permet d'obtenir l'équipement dont nous avons besoin pour l'armée sans le produire en Russie (dans les situations d'urgence) ; troisièmement, New Delhi fait partie des leaders en matière de technologie numérique, ce qui nous permet d'étendre considérablement nos capacités d'armement grâce à des projets communs. L'éducation militaire ne doit pas non plus être oubliée. Un grand nombre d'officiers indiens ont été et sont formés par nous. Le renforcement de l'éducation militaire bilatérale crée une condition préalable à l'approfondissement de la coopération militaire, déjà en termes de création d'alliances ou d'alliances et de renforcement des capacités de défense et d'offensive. Un facteur important est que l'Inde peut devenir pour nous un certain "équilibreur" dans les relations avec la Chine, en offrant les conditions les plus favorables comme alternative.

Le programme "Make in India", qui consiste à augmenter la production locale d'armes et d'équipements militaires, pourrait créer certains problèmes. Ce qui peut être résolu en proposant de créer de tels équipements, qu'il serait impossible de produire sans une participation mutuelle.

Nous pouvons alimenter l'intérêt de l'Inde pour le développement mutuel de l'industrie de la défense par le biais des besoins de New Delhi en équipements vieux de plusieurs années ou en termes de caractéristiques tactiques et techniques :

    - le développement de chars légers, tels que le Sprut-SDM1 ;
    - la production de véhicules aériens sans pilote (pour l'instant, bien que l'Inde ait commencé à produire ses drones, par exemple Rustom, Rustom II, dans tous les cas, la "gamme" est extrêmement étroite et ne permet pas de répondre à tous les besoins militaires). Ici, nous pouvons proposer Orion-E, Cub-E et même Okhotnik ;
    - la production de systèmes de défense aérienne basés sur les S-400 et S-500 ;
    - la production d'armes légères de diverses modifications, y compris des armes de sniper ;
    - l'expansion de la constellation orbitale nationale et conjointe.

La deuxième option, l'inverse de celle mentionnée et la plus défavorable pour nous, est également possible. Ici, l'Inde pourrait refuser de poursuivre la coopération militaro-technique. Dans ce cas, non seulement nous perdrions de l'argent sur la fourniture et la maintenance des armes, mais notre propre technologie pourrait également être utilisée contre les développeurs. Jusqu'à présent, rien n'indique que l'Inde ait l'intention de suivre cette voie.

À ce stade, il faut supposer que si l'Inde ne rejoint pas nos adversaires, elle a toutes les chances de devenir notre ressource pour le développement de l'industrie de la défense avec une perspective de transformation en une alliance militaire à part entière. Naturellement, nous prendrons également des mesures réciproques. Toutes les conditions préalables sont réunies pour cela, notamment : les volumes disponibles d'importations d'armes russes, la localisation de la production et le besoin de certains types d'armes et d'équipements militaires dont dispose la Russie. La similitude des visions du monde entre les Russes et les Indiens et le fait que l'Occident considère nos pays comme ses colonies contribuent à ce qui précède.

lundi, 28 mars 2022

L'Inde et la Chine se rapprochent. Si elles parviennent à un accord, l'Europe paiera cher la trahison des majordomes de Biden!

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L'Inde et la Chine se rapprochent. Si elles parviennent à un accord, l'Europe paiera cher la trahison des majordomes de Biden!

Augusto Grandi

Source: https://electomagazine.it/india-e-cina-si-incontrano-se-trovano-unintesa-leuropa-paghera-a-caro-prezzo-il-tradimento-dei-maggiordomi-di-biden/

Des représentants de l'Inde et de la Chine se sont rencontrés et ont appelé à la fin de la guerre en Ukraine. Fondamentalement une "non-nouvelle" car, en termes journalistiques, la nouvelle aurait été une réunion pour souhaiter une intensification des opérations militaires. Cependant, les médias italiens en ont profité pour souligner que Pékin et New Delhi avaient en fait largué Moscou et Poutine. Quand les espoirs se transforment en analyses commodes.

Car il est vrai que la réunion s'est concentrée sur le conflit en Ukraine, que personne ne souhaite prolonger, mais l'aspect beaucoup plus intéressant est l'harmonie - au moins temporaire - entre les deux pays perpétuellement au bord de l'affrontement. Au lieu de cela, cette fois, l'Inde et la Chine ont mis de côté leur rivalité traditionnelle et se sont tournées vers l'avenir. Elle ne sont pas tant préoccupées du présent, car il est clair pour tout le monde que la guerre en Ukraine ne durera pas trop longtemps. Mais elles ont concentré leurs attentions sur l'avenir.

L'avenir que les majordomes européens de Biden ont donné à l'Asie. L'accord gazier américano-canadien est une effroyable ignominie qui portera préjudice en premier lieu à l'Italie et à l'Allemagne avec la complicité de Sa Divinité Mario Draghi et des journalistes du régime. Grâce à cette ignominie, les ménages italiens paieront plus cher leur énergie et les entreprises seront encore moins compétitives. D'autre part, les entreprises nord-américaines bénéficieront de nouveaux avantages, outre les énormes bénéfices tirés de la vente du gaz, qui sera extrait, liquéfié, transporté depuis l'autre rive de l'Atlantique, regazéifié en Europe et enfin introduit dans les réseaux de distribution. Entre autres, il ne suffira même pas à répondre aux besoins européens et, bien sûr, il remplacera la dépendance au méthane russe par une dépendance au méthane nord-américain. Un véritable coup de maître.

La Russie détournera donc le gaz et le pétrole vers l'Inde et la Chine, qui paieront moins que ce qu'il en coûte à l'Europe. Les deux pays vont donc accroître leur compétitivité. Et la Russie, chassée vers l'Asie par la folle politique européenne au service (payant ?) de Washington, sera incluse dans les stratégies asiatiques établies par New Delhi et Pékin. En d'autres termes, par deux des trois premières économies du monde d'ici quelques petites années.

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Si Pékin, face aux nouvelles perspectives, renonçait à ses politiques expansionnistes et agressives, l'axe Inde-Chine-Russie deviendrait un pôle de très forte agrégation. Des anciens pays soviétiques d'Asie centrale (le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et tous les autres) à l'Iran, mais avec la possibilité d'impliquer également la Turquie et les pays liés à Ankara comme l'Azerbaïdjan. Entre-temps, la Chine a déjà demandé à l'Arabie de payer son pétrole en yuan, commençant ainsi le travail de démolition du pouvoir du dollar. Et la Russie a renforcé sa présence dans le sud de la Méditerranée, où se situe la confrontation avec la Turquie. Avec la Chine de plus en plus impliquée en Afrique, où l'Inde est également présente, mais aussi la Turquie et les Émirats.

En pratique, la seule chance pour l'Europe est que l'Inde et la Chine ne parviennent pas à se mettre d'accord sur une stratégie de collaboration. Mais si les deux grandes puissances asiatiques réalisent qu'il est dans leur intérêt de mettre fin aux tensions, les Européens paieront cher la trahison des majordomes de Biden.

 

mardi, 01 mars 2022

Modèles géopolitiques comparés

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Modèles géopolitiques comparés

Par Daniele Perra

Source: https://www.eurasia-rivista.com/modelli-geopolitici-a-confronto/

L'article suivant est la suite idéale d'une autre contribution intitulée "L'ennemi de l'Europe", parue sur le site "Eurasia" ( https://www.eurasia-rivista.com/il-nemico-delleuropa/ - version française: http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/02/10/l-ennemi-de-l-europe-6365403.html ).  Dans le cas présent, nous tenterons de mettre en évidence les principales différences entre deux modèles contrastés d'application de la science géopolitique à la lumière de la recrudescence actuelle de la crise ukrainienne: le modèle russe "traditionnel" (ou classique) et le modèle "moderne" (ou peut-être serait-il plus correct de dire "techno-financier") des États-Unis et de l'OTAN.

Le théoricien chinois Wang Huning (photo, ci-dessous) a été l'un des premiers à avancer la thèse selon laquelle pour comprendre la stratégie nationale américaine, il faut d'abord comprendre la façon dont les Américains sont une nation: c'est-à-dire observer attentivement leur mode de vie avant d'accorder du crédit à ce qui apparaît dans les publications "géopolitiques" de leurs groupes de réflexion [1].

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Lors de son séjour aux États-Unis dans la seconde moitié des années 1980, Huning est arrivé à la conclusion que le fondement du mode de vie américain est l'idée de richesse ou de prospérité. Cette prospérité (apparente ou réelle) n'est maintenue que par le flux continu de capitaux internationaux dans les coffres américains. Et, pour que ce flux de capitaux reste constant, il est nécessaire que la position hégémonique du dollar ne soit pas ébranlée de quelque manière que ce soit. C'est la véritable source de pouvoir qui maintient les États-Unis forts et prospères pour le moment.

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Cela soulève bien sûr la question suivante : comment a-t-il été possible d'atteindre une telle position ? La réponse se trouve dans l'histoire contemporaine. Au début de la Première Guerre mondiale, les États-Unis sont l'un des pays les plus endettés au monde. À la fin du conflit, cependant, les États-Unis étaient un créancier mondial. En 1917, l'Entente reçoit une ligne de crédit de 2,3 milliards de dollars de Washington. Au cours de la même période, l'Allemagne, vaincue à la bataille navale du Jutland (1916) et déjà soumise à un blocus naval britannique, a reçu un peu plus de 27 millions de marks d'aide étrangère.

En fait, les États-Unis ont été parmi les premiers à comprendre la guerre exclusivement comme une entreprise économique à une époque où les empires européens traditionnels, toujours convaincus que la victoire serait déterminée uniquement et exclusivement par la force des armées sur le terrain (ce qui n'était possible que dans le cas de la "Blitzkrieg"), étaient devenus incompatibles avec la base économique du capitalisme. La Première Guerre mondiale est donc également le premier conflit dans lequel le flux de capitaux a joué un rôle plus important que le flux de sang au sens littéral du terme. Les États-Unis eux-mêmes ne sont intervenus que lorsqu'il était certain qu'il n'y aurait pas de différence substantielle entre les vainqueurs et les vaincus (qui sont tous sortis du conflit avec les os brisés).

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En effet, le véritable objectif était d'évincer la Grande-Bretagne de son rôle de puissance thalassocratique hégémonique au niveau mondial. Cet objectif ne sera atteint qu'après la Seconde Guerre mondiale et après que la Grande-Bretagne elle-même (grâce à celui que l'on définit peut-être à tort comme un grand politicien et stratège, Winston Churchill) ait contribué de manière décisive à son suicide et à celui de l'Europe.

Le 15 août 1971 est une autre date clé dans l'histoire contemporaine et, surtout, pour les besoins de cette analyse. Ce jour-là, le président Richard Nixon a annoncé la fermeture de la "fenêtre dorée", rompant ainsi le lien entre le dollar et l'or et trahissant ainsi délibérément le système créé à Bretton Woods. Depuis cette date, les États-Unis ont acquis le pouvoir théorique d'imprimer des dollars à volonté. De plus, à la suite du conflit israélo-arabe de 1973 et d'un accord avec l'OPEP, les États-Unis ont ancré le dollar dans le commerce mondial du pétrole, faisant de leur monnaie la seule monnaie de règlement international du commerce du pétrole. Ce faisant, ils ont imposé au monde le principe selon lequel il faut des dollars pour acheter du pétrole. Ainsi, si un pays a besoin de pétrole, il a également besoin de dollars pour l'acheter. La mondialisation économique, dans ce sens, a été le résultat inévitable de la mondialisation du dollar.

En ce sens, les États-Unis, selon l'ancien général de l'armée de l'air de l'Armée de libération du peuple, Qiao Liang, ont créé la première "civilisation financière" en transformant toutes les monnaies du monde en accessoires du dollar [2]. De plus, depuis les années 1970, ils délocalisent les industries manufacturières de bas et moyen niveau vers les pays en développement (encourageant la consommation et la dégradation de l'environnement et des ressources), ne gardant sur leur territoire que celles à haute valeur ajoutée technologique.

Les effets néfastes de ces politiques se sont reflétés dans l'économie américaine elle-même lorsque la crise de 2007 a mis en évidence sa nature exclusivement "virtuelle" face à la mise à zéro du secteur manufacturier. Une tendance que les administrations Obama et Trump ont toutes deux tenté (et échoué) à contrebalancer. Par conséquent, la fortune des États-Unis reposera encore longtemps sur la capacité de Washington à concentrer les flux de capitaux internationaux sur son territoire, générant des crises géopolitiques et éliminant les concurrents potentiels.

En d'autres termes, les États-Unis ont créé un "empire vide" totalement parasitaire (en 2001, 70% de la population américaine travaillait dans le secteur financier et les services connexes) basé sur la production de dollars, tandis que le reste du monde produit les biens qui sont échangés contre des dollars. "La mondialisation", dit Qiao Liang (photo, ci-dessous), "n'est rien d'autre qu'une lubie financière prise en otage par le dollar américain" [3].

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Dans l'article précédent, que je cite ci-dessus et intitulé L'ennemi de l'Europe, il était largement fait référence à la guerre du Kosovo comme à un "conflit américain au cœur de l'Europe" visant à polluer le climat d'investissement sur le Vieux Continent et à tuer dans l'œuf un rival potentiellement dangereux : l'euro. En fait, avant la guerre du Kosovo, rapporte l'ancien général chinois, 700 milliards de dollars erraient en Europe sans pouvoir être investis nulle part [4]. Une fois la guerre commencée avec le soutien des gouvernements collaborationnistes européens (celui de l'Italie en particulier), 400 milliards de dollars ont été immédiatement retirés du sol européen. 200 milliards sont retournés directement aux États-Unis. Une autre tranche de 200 milliards est allée à Hong Kong, où certains spéculateurs optimistes visaient à utiliser la ville comme tremplin pour accéder au marché de la Chine continentale. C'est à ce moment précis qu'a eu lieu le bombardement "accidentel" de l'ambassade de Chine à Belgrade par des "missiles intelligents" de l'OTAN. Le résultat final : les 400 milliards ont tous coulé dans les caisses américaines.

En novembre 2000, Saddam Hussein a annoncé que les exportations de pétrole irakien seraient réglementées en euros. Le premier décret du gouvernement irakien établi par (et sous) les bombes américaines stipulait le retour immédiat à l'utilisation du dollar pour le commerce du pétrole brut.

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Le même argument peut facilement être appliqué à la crise ukrainienne de 2014, qui a éclaté à un moment où les États-Unis (comme aujourd'hui) ne souhaitaient en aucun cas que les capitaux restent ou soient investis en Europe. La meilleure façon d'empêcher cela était de créer une crise régionale. Une crise qui a également contraint l'Europe à se joindre aux États-Unis pour imposer des sanctions à la Russie.

À ce jour, le seul pays qui a contré ce jeu nord-américain en essayant d'intercepter le flux de capitaux est la Chine. Cela devrait expliquer en partie pourquoi il y a eu une intensification substantielle des crises régionales autour du géant asiatique, de Hong Kong à Taiwan.

Cependant, la recrudescence actuelle de la crise ukrainienne appelle également un autre type de réflexion. En effet, indépendamment de la volonté occidentale d'exacerber au maximum la crise par les provocations (et les opérations "false flag"/"fausse bannière"), la propagande et le non-respect des accords de Minsk, nous assistons à la confrontation de deux modèles opposés d'interprétation de la géopolitique. Dans l'article déjà mentionné, L'ennemi de l'Europe, il était fait référence à l'utilisation des crises géopolitiques par les États-Unis comme instruments subordonnés à la politique monétaire.  Par conséquent, dans le cas ukrainien, nous sommes confrontés à un double niveau de manipulation : géographique/idéologique et financier. La crise géopolitique n'a pas seulement la tâche (cachée) de faire circuler les capitaux vers Washington en affaiblissant la reprise économique de l'Europe post-pandémique, mais elle est également utilisée comme un outil pour maintenir l'Europe dans une condition de "captivité géopolitique" au sein de l'invention géographique/idéologique de l'Occident.

Or, étant donné que la mise en œuvre des stratégies globales des grandes puissances dépend toujours de la force (c'est Staline qui a déclaré "tous les traités sont des vieux papiers, ce qui compte c'est la force"), il faudra faire la distinction entre un modèle de géopolitique subordonné à la finance (il ne faut pas oublier que l'abattage d'un avion russe grâce aux systèmes de l'OTAN en Turquie a également entraîné une fuite des capitaux qui ont quitté Moscou et Ankara en 2015) et un modèle classique ou traditionnel qui reste (volontairement ou non) lié à l'idée d'Élisée Reclus selon laquelle la géographie n'est rien d'autre que l'histoire dans l'espace [5] et à la notion de Lebensraum développée par Friedrich Ratzel (photo).

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Ce concept mérite un bref développement, étant donné l'interprétation erronée dont il a fait l'objet afin de présenter la géopolitique comme une sorte de pseudo-science nazie (une opération qui n'a déjà pas beaucoup de sens si l'on considère que Ratzel est mort en 1904) (ndt: et ne développait nullement des théories qualifiables de "racistes", cf. http://robertsteuckers.blogspot.com/2013/10/friedrich-ratzel.html ). Le Lebensraum (espace de vie) est profondément lié à la relation entre l'homme/les gens et le sol/l'espace. L'espace de vie, dans la théorie de Ratzel, se développe selon deux lignes de croissance (Wachstum) qui incluent tous les phénomènes détectables dans l'espace : une croissance verticale et une croissance horizontale. Les phénomènes sont les signes vitaux du lien entre l'homme et le sol : champs cultivés, mais aussi lieux de culte, écoles, œuvres d'art et industries. Cette connexion génère l'idée politique, le ciment spirituel de l'État et l'expression la plus élevée de la croissance verticale, c'est-à-dire de l'État lui-même en tant qu'organisme spirituel. La croissance horizontale, en revanche, est liée à la pure expansion militaire et à l'État en tant qu'organisme biologique. Toutefois, cette expansion doit suivre les phénomènes sur le territoire, dans le sens de préférer la direction qui permet une plus grande continuité entre le centre et la périphérie [6]. Il est évident qu'une telle élaboration théorique se traduit directement par une condamnation de l'impérialisme moderne, qui ne connaît pas de frontières mais uniquement et exclusivement des zones de sécurité.

La géopolitique subordonnée à la finance, en fait, est fondée non pas sur la sauvegarde du limes, mais sur le contrôle et la gestion des flux de capitaux (même en recourant à la force militaire pour les manipuler) comme moyen de contrôler le flux des ressources à travers les carrefours géopolitiques (par exemple, le canal de Suez ou le détroit de Malacca). La géopolitique classique, au contraire, est basée sur le contrôle logistique du voisin immédiat comme espace de projection et d'influence. En ce sens, par exemple, on pourrait interpréter la colonisation grecque de l'espace autour de la mer Noire (qui était crucial pour l'accès aux céréales produites par les Scythes et les Sarmates) dans l'Antiquité [7].

Aujourd'hui, l'annexion de la Crimée par la Russie (alors qu'elle n'a été incluse dans les frontières ukrainiennes que dans les années 1950), outre le fait que le droit international est souvent interprété toujours à l'avantage de la puissance hégémonique qui l'a créé, peut et doit également être interprété dans un sens traditionnel. Empêcher que cet avant-poste (après la réduction progressive de la marge de manœuvre suite à l'effondrement de l'URSS) ne passe sous le contrôle de l'OTAN a à la fois un sens purement stratégique et une valeur en termes de lien spirituel entre la terre et les gens et, par conséquent, de réaffirmation de l'espace vital russe. La Russie a également besoin de transporter ses ressources naturelles vers le marché et de promouvoir son économie. La coupure des gazoducs et des oléoducs (ce que les États-Unis tentent de faire par le biais de la crise ukrainienne elle-même) aurait (et a) donc un impact non seulement sur l'économie russe mais aussi (et peut-être même de manière plus décisive) sur le destinataire final : l'Europe occidentale [8].

Ici, une autre considération entre également en jeu. La reconnaissance russe des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk (qui en soi ne peut être critiquée par ceux qui, par exemple, ont créé de toutes pièces le Kosovo ou le Sud-Soudan par simple opportunisme géopolitique) a une double valeur. Ceci est lié à la fois au discours précédent sur la réaffirmation de l'espace vital russe (et comme l'achèvement d'un processus commencé en 2014 après le coup d'État atlantiste à Kiev), et à un projet plus large d'accélération vers la reconstruction de l'ordre mondial. Il semble clair que le choix russe s'impose également comme un défi ouvert au modèle unipolaire. Le Kremlin, en effet, à l'heure où la coopération eurasiatique ne cesse de se renforcer (grâce surtout au travail diplomatique de la Chine et de l'Iran), montre qu'il ne craint absolument pas un nouveau régime de sanctions (principal instrument de l'unipolarité) qui, comme déjà prévu (et malgré les timides efforts du président français Emmanuel Macron pour sauver le Vieux Continent du resserrement de l'étau atlantique), se ferait surtout au détriment du seul vrai perdant de cette crise : une Europe incapable de sauvegarder son propre intérêt et de devenir un pôle autonome et indépendant.

À cet égard, une dernière considération s'impose pour tous ceux qui, en Europe occidentale, regardent la Russie avec un espoir excessif. Bien que la Russie soit un exemple d'opposition à l'idée unipolaire, elle poursuit naturellement son propre intérêt national. Ce n'est pas la Russie (également beaucoup trop patiente à cet égard) qui sauvera l'Europe. Toutefois, dans le cas ukrainien, Moscou a le mérite de mettre l'Europe devant le fait accompli et de souligner davantage le rôle néfaste de l'Alliance atlantique en tant qu'instrument de coercition du Vieux Continent.

NOTES:

[1] Voir Wang Huning America against America, Shanghai Arts Press, Shanghai 1991.

[2] Qiao Liang, L’arco dell’impero con la Cina e gli Stati Uniti alle estremità, LEG Edizioni, Gorizia 2021, p. 101.

[3] Ibidem, p. 63.

[4] Ibidem, p. 109.

[5] "La géographie n'estrien d'autre que l'histoire dans l'espace, tout comme l'histoire est la géographie dans le temps". Cette phrase apparaît, mise en exergue, dans chacun dessix volumes de l'oeuvre monumzentale du géographe français, L’homme et la terre (Hachette, Parigi 1906-1908).

[6] Voir F. Ratzel, Politische Geographie, R. Oldenbourg, Monaco-Lipsia 1897.

[7] Il ne faut pas oublier le fait qu'aujourd'hui encore, la Russie et l'Ukraine sont parmi les principaux exportateurs de blé au monde. 50% du  blé importé par Israël, par exemple, vient d'Ukraine.

[8] De la même façon, la Chine, avec la Nouvelle Route de la Soie, cherche à construire un modèle eurasien de coopération et de développement, aussi pour donner une force propulsante à sa propre production économique intérieure. Le fait de fomenter des crises le long du parcours de cette route de la soie nuit non seulement à l'économie chinoise mais aussi à tous les pays d'Asie centrale et méridionale qui, via ce projet infrastructurel, visent à améliorer leurs propres capacités de développement.