Rédacteur en chef de la revue Le Débat, le philosophe Marcel Gauchet est l’auteur d’ouvrages majeurs de la pensée contemporaine: Le Désenchantement du monde, L’Avènement de la démocratie ou plus récemment, Robespierre, l’homme qui nous divise le plus.
Dans cet entretien, il dresse le constat d’une Union européenne qui, faute de stratégie politique, se montre incapable de répondre à la déstabilisation identitaire engendrée par la mondialisation et par l’émergence de nouveaux rapports de force à l’échelle mondiale.
Le Grand Continent : Vous portez un discours assez critique vis-à-vis de l’Union européenne. Que lui reprochez-vous ? Pensez-vous qu’elle affaiblit les États nations ?
Marcel Gauchet : Je crois que c’est une mauvaise manière de prendre le problème que de se focaliser sur l’affaiblissement des États-nations. Il faut parler du résultat global du processus. S’il y avait affaiblissement des États-nations au profit de la collectivité des États-nations réunis dans l’Union européenne, il s’agirait d’un indéniable succès politique.
La bonne question est celle de l’efficacité globale du processus européen. La construction européenne promettait une efficacité supérieure à celle des États-nations, or, tel qu’elle fonctionne aujourd’hui, l’Union européenne affaiblit la créativité européenne en général, plus encore qu’elle n’affaiblit les États-nations en tant que tels. Qu’est-ce que l’Europe ? Le continent de l’invention de la modernité – politique, intellectuelle et scientifique, économique et technique (1) . Je sais que c’est pécher par « eurocentrisme » que de le rappeler, mais je n’ai pas de complexe à braver cette fatwa grotesque. Le problème fondamental de l’Europe est celui de sa capacité à continuer de contribuer à cette invention devenue désormais un bien commun planétaire, au-delà des catastrophes suicidaires du XXe siècle Or il me semble que l’Union européenne, loin de relever ce défi, a anesthésié ce qui a été le ressort de cette créativité, à savoir la dialectique de la coopération et de la concurrence entre les nations qui la composent. Voilà la critique majeure qu’on peut lui faire.
Le vice fondamental de l’Union européenne est d’avoir construit une entité apolitique et a-stratégique.
Le problème de l’Union européenne est l’inversion de l’idée selon laquelle l’union fait la force. Or je dirais, dans le cas précis : l’union fait la faiblesse. Et ce sur tous les plans.
Le vice fondamental de l’Union européenne est d’avoir construit une entité apolitique et a-stratégique, qui ne permet pas aux Européens de se situer dans le monde. Je précise que la dimension stratégique n’implique pas nécessairement une dimension militaire. La puissance aujourd’hui n’a plus primordialement un sens militaire. La puissance militaire des États-Unis ne lui sert pas à grand chose, on pourrait même soutenir qu’elle est devenue contre-productive, en revanche les dépenses militaires américaines servent à fabriquer une industrie très puissante. Le keynésianisme militaire américain est très efficace ! Cela éclaire une autre erreur stratégique des Européens, qui se sont empressés d’empocher après 1991 les dividendes de la paix, en sacrifiant leurs dépenses militaires. Pendant ce temps, on voit que les dépenses militaires américaines, avec leurs ramifications multiples, ont servi à fabriquer une industrie numérique, qui est aujourd’hui le vrai secret de la puissance américaine. En la matière, les européens ont complètement raté le coche, faute d’une réflexion stratégique, et c’est une des raisons de leur affaiblissement durable.
L’un des échecs de l’Union européenne est justement d’avoir été incapable, au moment de l’effondrement de l’URSS, de définir une stratégie vis-à-vis de l’Europe de l’Est.
Dans cette perspective, que pensez-vous du projet d’armée européenne défendu par Emmanuel Macron ?
C’est une erreur politique grossière, en plus d’un vœu inconsistant ! Aujourd’hui, l’affichage de cette volonté de créer une armée européenne revient à entrer dans le jeu américain, qui consiste à faire de Poutine le repoussoir qui justifie des dépenses militaires servant à tout autre chose qu’à des buts militaires. Certes, dans l’abstrait, on ne peut que soutenir l’idée que les européens doivent être capables de se défendre par leurs propres moyens . Mais en pratique à quoi servirait cette armée européenne ? Nous ne sommes pas menacés par la Turquie ou par les pays du Maghreb ! Le seul adversaire sérieux serait éventuellement la Russie, mais est-il réaliste de la regarder comme une menace militaire directe ?
L’un des échecs de l’Union européenne est justement d’avoir été incapable, au moment de l’effondrement de l’URSS, de définir une stratégie vis-à-vis de l’Europe de l’Est. On a laissé faire les Américains, qui ont multiplié les erreurs, alors qu’il s’agissait de notre voisinage vital vis-à-vis duquel nous devions arrêter une ligne de conduite claire. Les États-Unis sont et doivent demeurer des alliés, mais cela ne doit pas empêcher les Européens de développer une réflexion indépendante sur leur environnement et leurs priorités, et de faire valoir leurs conclusions auprès de leur grand allié. Au lieu de quoi les Européens se laissent passivement mener par les États-Unis, qui poursuivent des buts qui leurs sont propres.
« Ce n’est pas l’Europe qui a bâti la paix, mais l’inverse : l’Europe s’est bâtie grâce à la paix assurée par la Guerre froide » écrivez-vous dans Comprendre le malheur français. Vous semblez ainsi remettre en question l’idée, chère aux europhiles, selon laquelle l’Union serait un rempart contre les conflits armés.
Cette idée est une vulgate propagandiste d’une telle absurdité historique que sa longévité me stupéfie. Soyons sérieux : une possible guerre européenne aurait concerné trois pays : la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Or de 1945 à 1948, aucune de ces trois nations n’était en mesure de mener une guerre quelconque, avec une armée américaine omniprésente et une armée rouge stationnant à trois cents kilomètres de Strasbourg.
Je ne suis pas sûr que sans la Guerre froide l’impératif de la construction européenne aurait eu la même vigueur.
Avec la guerre froide, cette pression s’est encore accentuée. Même en imaginant un retour sur le devant de la scène politique de bellicistes, qui n’étaient pas au rendez-vous, et pour cause, comment auraient-ils pu mener une guerre ? Le projet européen est d’abord bâti comme un moyen de résister à l’URSS en renforçant la cohésion de l’Ouest. Un des points trop souvent oubliés est le rôle majeur des États-Unis dans la construction européenne. Le plan Marshall n’était pas un geste philanthropique et désintéressé des Américains. Il avait une finalité très précise : renforcer l’Europe de l’Ouest à un moment où elle semblait menacée. La paix s’imposait donc aux Européens. Dans l’ensemble, ils étaient alignés sur les États-Unis, et il était parfaitement raisonnable de l’être. Il y avait une évidence stratégique du renforcement de l’Union à l’intérieur de l’OTAN.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la politique gaullienne ; Elle fut une tentative de desserrer l’étreinte que représentait la Guerre froide. Elle fut rendue possible seulement par les débuts de la Détente.
Je ne suis pas sûr que sans la Guerre froide l’impératif de la construction européenne aurait eu la même vigueur. Il n’aurait pas eu de ressort suffisant pour rompre avec les politiques institutionnelles propres à chaque pays.
Les nouveaux mouvements néo-nationalistes européens peuvent être définis comme des nationalistes internationalistes en ce qu’ils n’ont pas de visées expansionnistes, mais bien plutôt tissent des alliances avec leurs voisins. Pour ce faire, des pays comme la Hongrie s’appuient de plus en plus sur une rhétorique imprégnée de références eschatologiques. Quel regard portez-vous sur le renouveau de la spiritualité en politique ?
Premièrement, il y a une grande difficulté à définir une nébuleuse, elle-même très confuse. C’est une grande différence avec les totalitarismes du vingtième siècle, qui avaient une dimension idéologique très marquée, notamment le communisme.
Les « néo-nationalistes » appartiennent à des mouvements plus affectivo-identitaires que politiques […] Ils sont à peine politiques, au sens où ils sont plus réactifs que programmatiques.
Que dire sur le discours d’Orban ? C’est un potage démagogique qui agite classiquement des motivations très fortes : le sentiment d’un danger et la nécessité d’un pouvoir fort pour s’en défendre. C’est un discours décourageant sur le plan de l’analyse idéologique, mais qui met le doigt là où ça fait mal ! Il ne réussit pas par hasard. De manière générale, vos « néo-nationalistes » appartiennent à des mouvements plus affectivo-identitaires que politiques, au sens classique du terme, avec des programmes et des visées bien identifiables.
Deuxièmement, l’élément religieux que vous pointez existe effectivement à l’échelle globale, mais il concerne essentiellement le continent américain, avec l’électorat évangéliste. Quand Trump déplace l’ambassade américaine à Jérusalem, c’est pour plaire à une fraction bien déterminée de l’électorat. Plus largement, l’eschatologie est inscrite dans l’identité américaine avec l’idée de Destinée manifeste (2). Ce qui est nouveau, c’est la percée de l’eschatologie au sud du continent américain. Cette dimension pourrait jouer un rôle très important pour la suite, je n’en disconviens pas.
Le christianisme d’Orban me semble beaucoup moins eschatologique qu’identitaire.
En revanche, quand Orban parle de la Hongrie chrétienne, son christianisme me semble beaucoup moins eschatologique qu’identitaire. La perspective qu’il mobilise, c’est la défense de la culture chrétienne contre la culture musulmane. Tous les électeurs comprennent que quand on parle de culture chrétienne, on parle d’une culture sans-les-musulmans ! Si vous parlez d’eschatologie aux électeurs de Salvini, je doute même qu’ils sachent de quoi il est question.
En somme, il me semble que les mouvements « néo-nationalistes » sont à peine politiques, au sens où ils sont plus réactifs que programmatiques. Trump et Bolsonaro n’ont pas de projet, mais réagissent à une situation, la globalisation, avec ses traductions locales particulières.
La déstabilisation identitaire provoquée par la mondialisation est un ressort tout à fait nouveau qui est le vrai cœur des mouvements qualifiés un peu vite de populistes.
La mondialisation constitue un double défi identitaire pour l’ensemble des sociétés du monde, plus ou moins ressenti selon le degré de cohésion identitaire et culturel qu’elles ont. En effet, elle les oblige à se définir par rapport à l’extérieur comme elles n’ont jamais eu à le faire dans le passé. La réponse à la question : « qui sommes-nous ? » passait essentiellement par l’histoire, par l’héritage, par la continuité d’une tradition et dans une moindre mesure par la comparaison avec ses voisins immédiats. Cette réponse classique est balayée par l’inscription obligée dans une géographie globale. Cette exigence de redéfinition interne sous la pression de l’extérieur est un élément qui joue diversement selon le degré où les gens se sentent atteints dans leur définition traditionnelle.
Les ex-puissances coloniales ont une certaine habitude du monde. Pour des Hongrois ou des Polonais, en revanche, il s’agit d’un choc brutal. Même les États-Unis sont concernés, car s’ils jouent un rôle dans le monde depuis un siècle, ils l’ont toujours fait par projection à l’extérieur. Avec le 11 septembre, le monde arrive sur le sol américain. À la limite, au fond de l’Iowa on pouvait pratiquement ignorer qu’il y avait eu des guerres mondiales. En tout cas, si on le savait, cela ne faisait que conforter la définition interne de l’Amérique dans sa vocation providentielle. La nouveauté, c’est cette irruption du monde extérieur avec ce qu’elle appelle de redéfinition en profondeur.
Quand on parle de définition stratégique, cela ne concerne donc plus seulement des diplomates ou des militaires, mais n’importe qui œuvrant, en tant que citoyen, dans un champ culturel et politique. J’ajoute que dans cette mondialisation technico-économique il y a un phénomène d’uniformisation qui ébranle gravement les manières de faire locales. Elle introduit une norme très contraignante à tous les niveaux qui s’impose à tous les acteurs en rupture avec des coutumes, des façons de faire, de penser qui étaient très établies.
La déstabilisation identitaire provoquée par la mondialisation me paraît le grand facteur méconnu par la plupart des analyses politiques. On est là dans un ressort tout à fait nouveau qui est le vrai cœur de ces mouvements qualifiés un peu vite de populistes.
Vous parlez de puissances qui ne sont pas habituées au monde et qui vivent un bouleversement identitaire face à la globalisation. Dès lors, il peut sembler étonnant que le Royaume-Uni ait voté majoritairement le Brexit, alors même qu’il s’agit d’une puissance habituée au monde, par son empire passé, et son ouverture économique et culturelle internationale.
Le peuple anglais fait partie des quelques peuples politiques de la planète. Tous les peuples ne sont pas politiques, au sens où ils n’ont pas tous une forme de tradition historique, nourrie par une longue réflexion collective, sur la manière de se conduire à l’égard du monde extérieur. Or en la matière, la tradition anglaise est très déterminée : elle a consisté à tirer les ficelles de la politique continentale tout en se tenant à l’écart. Cette tradition a été ébranlée par les deux guerres mondiales mais elle reste ancrée profondément. Elle a encore présidé à l’entrée dans la communauté européenne, après une expectative prolongée. Elle y a très bien fonctionné, d’ailleurs, jusqu’à ce que l’inertie de la machine ne finisse par la digérer. D’où le réveil brutal le jour où cette absorption est devenue palpable. Le refus de se diluer dans une politique européenne collégiale me paraît le ressort fondamental pour comprendre la diversité des rejets qui se sont coalisés, des déclassés de Birmingham aux conservateurs les mieux nantis, dont on ne voit pas en quoi l’Union a pu les léser en quoi que ce soit !
L’appartenance à l’Union a ébranlé quelque chose de la vision que les Britanniques avaient d’eux-mêmes.
Une des erreurs d’analyse courante est de douter de leur sincérité et d’attribuer leur euroscepticisme à des manœuvres politiciennes. C’est ne pas voir comment l’appartenance à l’Union a fini par ébranler quelque chose de la vision qu’ils avaient d’eux-mêmes, surtout depuis son élargissement. Cette classe dominante avait l’habitude d’un monde qu’elle avait le sentiment de maîtriser et la voilà confrontée à un monde qui lui échappe, même si elle en profite.
Ne peut-on aussi penser que l’accueil des migrants a renforcé la méfiance contre l’Union européenne ?
C’est en effet un facteur qui a joué un rôle important, manifestement, mais pas forcément celui qu’on croit – la simple xénophobie. Il y a là une bizarrerie qui doit faire réfléchir. L’immigration ex coloniale ne posait de problèmes particuliers. Ce qui a posé un problème, ce sont les polonais ! Comment peut-il se faire que l’immigration polonaise, bien que plus proche géographiquement et culturellement que l’immigration pakistanaise ou indienne, ait représenté un défi plus grand pour les Britanniques ? C’est le signe que ce ne sont pas des spécificités culturelles inassimilables qui ont fait la question, mais le mécanisme politique non maîtrisé qui a présidé à cette immigration et la signification que cela lui a donné. Au contraire, quand on bâtit un empire, on conçoit que le contrôle de certaines régions entraîne en retour une certaine immigration.
Ce ne sont pas des spécificités culturelles inassimilables qui ont fait la question migratoire, mais le mécanisme politique non maîtrisé qui a présidé à cette immigration et la signification que cela lui a donné.
Faites-vous la même analyse concernant l’Union européenne ?
De manière générale, oui. Pour ses peuples, l’Union se présente comme un ensemble qui n’a aucun contrôle direct de son environnement direct, au Sud. L’absence de maîtrise de cet environnement est mise en évidence par des flux migratoires incontrôlés.
La population européenne représente 7 % de la population mondiale. Les Européens sont en train de se rendre compte confusément de la petitesse de leur « Grand continent », comme vous dites, à l’échelle globale. Ils sont comparativement très riches, mais leur poids relatif est mince et ils sont faibles. C’est un élément crucial de leur perception d’eux-mêmes et des perspectives que cela dessine quant à leur destin. Ajoutez-y cet élément culturel, qui prend les Européens à contre-pied par rapport à leur propre éloignement de la religion, que constitue l’effervescence de l’Islam et vous n’avez pas de peine à comprendre l’inquiétude qui les travaille. Le problème de l’Union, désormais, c’est qu’elle ne paraît pas faite pour répondre à cette inquiétude.
Pour ses peuples, l’Union se présente comme un ensemble qui n’a aucun contrôle direct de son environnement direct, au Sud.
L’Union s’est absorbée dans un processus interne alors que la demande des peuples, dans le contexte de la mondialisation, est, très logiquement, une demande de réponse à la pression de l’extérieur. Dans ce contexte-là, le libre-échange tel qu’il est conçu à Bruxelles et tel qu’il est pratiqué, apparaît comme un irénisme naïf. Non que des accords de libre-échange ne puissent être une arme stratégique de première importance. Encore faut-il qu’ils s’inscrivent dans un cadre intellectuel solidement pensé comme une manière de défendre et d’affirmer sa position dans le monde.
À terme les mouvements affectivo-identitaires ne risquent-ils pas de gagner sur les positionnements européistes ? Comment renverser la tendance, si ce n’est en développant, comme vous le suggérez, une vision stratégique de ce que doit être l’Union européenne ?
L’histoire est ouverte, mais si on continue sans rien faire, les mouvements affectivo-identitaires l’emporteront – encore qu’ils aient un problème de crédibilité politique évident – ou constitueront un facteur de blocage insurmontable, ce qui n’est pas beaucoup mieux. C’est une course de vitesse à beaucoup d’égards. Tout tient dans la réponse qu’on peut leur apporter. Je vous avoue que je suis tristement sceptique sur cette capacité : nous n’avons pas de dirigeants politiques qui ont une vraie conscience de ces enjeux, je ne vois pas dans la technocratie européenne telle qu’elle fonctionne des gens qui aient des idées sur la question. L’Europe est aussi tragiquement somnambulique en 2019 que ses milieux dirigeants pouvaient l’être en 1914.
Si on continue sans rien faire, les mouvements affectivo-identitaires l’emporteront ou constitueront un facteur de blocage insurmontable.
Je vous recommande le livre de Luuk Van Middelaar : Quand l’Europe improvise (3). C’est un livre passionnant mais accablant par rapport à cet autisme situation bureaucratique. Il le résume en disant en substance : « L’UE ne sait pratiquer qu’une politique de la règle, alors que ce qui lui est demandé est une politique de l’événement ». Ma différence avec lui, qui me rend plus pessimiste, serait que la politique de l’événement ne suffit pas. Elle se contente de faire face à des situations qui s’imposent, alors qu’une politique stratégique est celle qui permet d’anticiper ces événements et de parer à toute éventualité. A ce jour nous n’en avons aucune. Et je ne vois pas par quelles voies le Conseil des chefs d’État qui s’est imposé comme l’instance la moins inadéquate de riposte aux crises, Van Middelaar le montre bien, pourrait en élaborer une.
Ce qui est un peu vivant en Europe, ce sont les mouvements protestataires. Mais sur l’Europe ils sont prisonniers d’une contradiction paralysante. Les politiques redistributives qu’ils préconisent supposent pour être acceptées un cadre politique arrêté et reconnu. Or, leur idéologie universaliste s’oppose à la définition d’un tel cadre. Ce qui fait que c’est le plus petit dénominateur commun qui l’emporte : un petit peu de social, un petit peu d’Europe mais pas trop. Le statu quo l’emporte de tous les côtés.
Il y a eu en Europe l’invention d’un modèle politique, social, intellectuel et culturel préférable à celui qui règne partout ailleurs dans le monde : c’est ce que pense l’immense majorité des Européens, mais ils n’ont pas le droit de le dire !
« On a inventé la modernité », dîtes-vous. Pourquoi ne pas mettre en avant, pour renforcer notre soft power, l’invention de la démocratie libérale, afin de faire (re)naître une forme d’orgueil européen ?
Ce devrait être en effet notre ligne de conduite. Mais cette histoire n’est pas assumée par les Européens, ou du moins par leurs élites. C’est la folie de la situation que nous connaissons. Le discours académique dominant s’emploie en sens inverse à dénoncer l’eurocentrisme et son prolongement pratique, la domination coloniale. Ce n’est pas ce que l’Europe a fait de plus glorieux, c’est évident – mais le visage de notre passé qui en épuise le sens.
Qu’il y ait une invention de la modernité, d’un modèle politique, social, intellectuel et culturel préférable à celui qui règne partout ailleurs dans le monde, c’est ce que pense l’immense majorité des Européens in petto, mais ils n’ont pas le droit de le dire ! Il s’agit pourtant d’un sentiment sur lequel il serait essentiel de s’appuyer, si l’on souhaitait mener une construction européenne vivante. Qui sommes-nous ? Certainement plus les maîtres du monde ! Au fond, tout le monde est très content de ne plus l’être. Personne ne rêve de recommencer la grande aventure impérialiste. Tout cela est derrière nous. Mais il y a un legs de notre histoire qui est tout à fait avouable et dont le sens d’une construction européenne digne de ce nom serait de le porter à un plus grand degré d’achèvement.
Il faut trouver une manière d’assumer cette qualité spécifique de l’invention européenne, dont les Européens n’ont pas à rougir, en commençant par nouer un rapport critique intelligent avec le passé. Ce rapport des Européens à leur histoire, c’est en quelque sorte le vrai défi, car c’est la clef de la réponse à la question « Qui sommes-nous par rapport au reste du monde ? ».
C’est sur cette base là que l’on pourrait, par exemple, développer une vraie politique d’accueil, en sachant ce qu’on veut obtenir dans cet accueil, en ayant à l’esprit des raisons d’accueillir. Ce n’est pas seulement parce que nous disposons d’un niveau de vie par habitant plus élevé que nous devons accueillir des réfugiés. Si l’on commence à réfléchir de la sorte, on est rapidement entraîné à mettre les victimes en concurrence : les défavorisés de chez nous contre les défavorisés de la planète. On ne s’en sort pas ! En revanche, si le sens collectif de l’accueil est déterminé par une fierté civique, pourquoi pas ? Cela change tout : nous savons que c’est un comportement sensé d’avoir envie de venir chez nous et de s’y installer pour contribuer à cette qualité européenne, et pas simplement pour venir profiter des allocations familiales ou d’un cadre économique plus favorable.
Les défenseurs d’une politique d’accueil élargie invoquent régulièrement les droits de l’homme. Or, vous êtes assez critique des droits de l’homme, dès lors qu’on essaie de les ériger en une politique (4). Pouvez-vous développer ce thème ?
Droits de l’homme et politique : toute la question est celle de l’alliance des deux termes et du passage de l’un à l’autre. Je ne suis pas critique à l’égard de l’idée des droits de l’homme en elle-même. La question porte sur les conditions de leur utilisation et de leur application : qu’en fait-on ? J’ai assez écrit sur lesdits droits de l’homme pour qu’on ne me suspecte pas de penser qu’il y a mieux à côté ! Qu’on les aime ou non, il faut faire avec. C’est le principe de légitimité inventé par la modernité et qui est en train de devenir planétaire. J’ai bien dit : en train.
Les droits de l’homme sont le principe de légitimité qui se substitue au principe de légitimité religieux : c’est le cœur de l’invention européenne.
Si j’ai consacré beaucoup de temps à cette problématique des droits de l’homme, c’est d’abord pour identifier ce qu’elle représente et ce qui s’y joue. Le grand problème des droits de l’homme, c’est que ceux qui s’en réclament avec le plus de véhémence ne s’interrogent pas sur ce qu’ils veulent dire, sur ce qu’est leur fonction. Les droits de l’homme sont le principe de légitimité qui se substitue au principe de légitimité religieux : c’est le cœur de l’invention européenne (5).
Puisque les droits de l’homme sont la source du pouvoir au sein des États européens, ne suffit-il pas de les respecter pour mettre en oeuvre une politique cohérente ?
Les droits de l’homme peuvent-ils à eux seuls fournir la clef de construction d’une cité juste ? L’histoire et l’analyse me semblent établir que non, car les droits de l’homme sont faits pour s’appliquer à une matière politique et à une réalité sociale qui leur est hétérogène. Le problème politique de nos régimes, dès lors, réside dans la composition de ces impératifs distincts. C’est là le vrai pluralisme des sociétés modernes. Il y a le principe de légitimité, il y a un cadre politique dont on voit bien qu’il ne répond pas spontanément, de manière nécessaire, aux dits droits de l’homme. S’enfermer dans la politique des droits de l’homme, c’est s’interdire de penser ce qu’il y a en-dehors d’eux, qui conditionne pourtant leur expression.
Peut-on honnêtement espérer retrouver la maîtrise de l’économie par un programme tiré des droits de l’homme ?
L’économie est un élément de cette politique, elle est même devenue son principal objet, puisque l’économie a pris le pas sur la politique. Le problème de la politique est de retrouver la maîtrise sur l’économie. Peut-on honnêtement espérer retrouver la maîtrise de l’économie par un programme tiré des droits de l’homme ? Il définira à la rigueur l’objectif, et encore, mais certainement pas les moyens. Les normes d’efficacité du monde économique sont extrinsèques à la problématique des droits de l’homme. Elles ont leur parfaite justification dans leur ordre, une économie se doit d’être efficace ou elle est dépourvue de sens. Le problème est l’ajustement de ces réalités : comment rendre le salariat compatible avec les droits des individus, qui sont par principe menacés dans la relation salariale. Mais on voit bien qu’il ne peut y avoir d’économie sans organisation hiérarchique au sein des entreprises. Donc il faut trouver les moyens de rendre compatible la structure de commandement que suppose une entreprise avec le respect de la dignité de ses salariés.
Le problème est analogue dans le champ politique avec la structure de commandement qu’est un État, qu’il s’agit d’ajuster avec l’impératif de liberté des citoyens. Or la politique des droits de l’homme escamote ce problème en posant comme postulat que tout doit s’aligner ou découler dans la vie collective de ses normes premières. Certes, elles sont une indispensable source de légitimité mais elles ne définissent pas le cadre politique. Au nom des droits de l’homme, comment voulez-vous justifier la représentation politique ? Si l’on pose au départ des individus également libres, pourquoi certains auraient-ils plus de capacités normatives que d’autres ? C’est insoluble. De la même façon, les droits de l’homme permettent-ils de choisir un système électoral, dont on sait pourtant qu’il est la pièce déterminante d’un régime ? Pourquoi plutôt la proportionnelle ou le scrutin majoritaire ? La réponse est d’un autre ordre.
L’enjeu de la question des droits de l’homme est de circonscrire leur domaine d’application et de comprendre la fonction qu’ils jouent, ce qu’on peut en tirer et comment s’en servir. C’est cette démarche nécessaire que la notion de politique des droits de l’homme escamote complètement.![]()
Propos recueillis par Pierre Ramond et Uriel Gadessaud.
Suite à lire sur : Le Grand Continent, Pierre Ramond et Uriel Gadessaud, 06-02-2019
NOTES
1. Marcel Gauchet définit la modernité européenne comme le passage à la structuration sociale autonome, en fonction du processus de sortie de la religion et de la structuration hétéronome à laquelle elle est associée. Lire « Pourquoi l’avènement de la démocratie ? », Le Débat, n°193 (2017)
2. Dans le contexte de la sécession texane du Mexique puis de son rattachement aux Etats-Unis en 1845, à la fin du mandat de John Tyler, le journaliste John O’Sullivan publie un article dans le Democratic review où il défend l’idée d’une “Destinée manifeste”. Une vingtaine d’années après la doctrine Monroe (1823), il réaffirme le lien unissant les Etats-Unis et le continent américain. Elus par Dieu, les premiers auraient pour mission de s’étendre sur le continent américain pour y implanter leurs institutions.
3. Luuke Van Middelaar, Quand l’Europe improvise, Gallimard, 2018. Lire aussi Dieter Grimm « L’Europe par le droit: jusqu’où », Le Débat, n°187 (2015) et Dieter Grimm « Quand le juge dissout l’électeur », Le Monde diplomatique (juillet 2017)
4. Lire « Les Droits de l’homme ne sont pas une politique », Le Débat, n°3 (1980) et « Quand les droits de l’homme deviennent une politique », Le Débat, n°110 (2000)
5. Ici, Marcel Gauchet s’intéresse à la religion non comme croyance individuelle mais comme mode de structuration des communautés humaines fondées sur l’hétéronomie, ou pour ainsi dire, déterminées du dehors. Parler de « fin de la religion » revient alors non à postuler l’avènement d’un monde sans croyant, mais l’émergence de sociétés fonctionnant en dehors du religieux comme principe régulateur, dans un double mouvement d’autonomisation de l’ici-bas et d’internalisation de l’au-delà. Lire « Fin de la religion » , Le Débat, n°28 (1984).
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]




del.icio.us
Digg
Les traces du totalitarisme
Car si l’on est dans une ère post-vérité, c’est donc qu’on est dans une ère post-langage. Certes, déjà les sophistes usaient du langage comme d’un simple outil de pouvoir, au demeurant fort rémunérateur (cf. Les Zemmour qui en font profession et gagnent très bien leur vie, à proportion de leurs outrances – l’outrance est aujourd’hui économiquement rentable) – ce qui tendrait à relativiser le préfixe de « post ».







Among such concessions would be that it is unscientific to form a research community around sociobiology, or to explore the possibility that the individual selection model of evolution may not capture all aspects of natural selection, and that group-level fitness may play a role. After all, this remains the official view of mainstream science, which is a testament to the success of the Left-wing Sociobiological Study Group. This scientific research community arose in response to E. O. Wilson’s Harvard-based sociobiological research circle, and it functioned with the sole purpose of preventing sociobiology ever becoming a scientific discipline.







Growing up in France, I was never attracted to Emil Cioran’s nihilist and pessimistic aesthetic as a writer. Cioran was sometimes presented to us as unflinchingly realistic, as expressing something very deep and true, but too dark to be comfortable with. I recently had the opportunity to read his De l’inconvénient d’être né (On the Trouble with Being Born) and feel I can say something of the man.
As literally an apatride metic (he would lose his Romanian citizenship in 1946), Cioran, then, did not have much of a choice if he wished to exist a bit in postwar French intellectual life, which went from the fashionable Marxoid Jean-Paul Sartre on the left to the Jewish liberal-conservative Raymond Aron on the right. (I actually would speak highly of Aron’s work on modernity as measured, realistic, and empirical, quite refreshing as far as French writers go. Furthermore he was quite aware of Western decadence and made a convincing case for
My initial response to De l’inconvénient was annoyance that it had been written (I can quite understand 
En un trabajo anterior ya quisimos hacer una aproximación antropológica al concepto spengleriano de la Técnica[i] . El presente trabajo quiere ser una prolongación del mismo, profundizando en los conceptos spenglerianos sobre la tecnicidad y lo hacemos por medio de un comentario detenido de las páginas de su pequeña obra El Hombre y la Técnica.[ii] Este breve texto spengleriano aclara muchos aspectos de la filosofía, poco sistemática y, a veces, impresionista, del gran pensador alemán, el creador de la magna obra La Decadencia de Occidente. Este breve libro traza un cuadro evolutivo de la técnica en la historia natural y cultural del hombre. Pero hace algo más: esboza de una manera dialéctica el destino fatal de los pueblos de Occidente, pueblos que han desarrollado toda su tecnicidad hasta ponerla en manos de sus enemigos. Este examen detenido de los párrafos enérgicos y vibrantes del librito puede ayudar a comprender la peculiar dialéctica pesimista –a diferencia de la optimista hegeliana- del pensador alemán Oswald Spengler. En vez de alcanzar un progresivo dominio técnico del mundo, encaminado a su mayor comodidad y salud, el hombre y sus antepasados simplemente han ido diferenciando cualidades sensitivo-etológicas desde hace millones de años, cualidades en las que ya está presente la tecnicidad, aun cuando todavía nuestros antepasados no era capaces de fabricar herramientas, o sólo empleaban órganos y partes sensomotoras de su cuerpo para ejercer su dominio. Por ello, en nuestro comentario empleamos el término tecnicidad, contrapuesto a "técnica" para hacer referencia a esas capacidades generales implícitas a la hora de ejercer dominio, control o alteración del propio medio envolvente, con independencia de la existencia de herramientas, armas u otros objetos extra-somáticos. La tecnicidad es la cualidad o el carácter técnico de algo o alguien, y no se debe circunscribir a los productos de las artes humanas o proto-humanas ni al aspecto normativo o envolvente del Espíritu Objetivo. Nuestro comentario, pues, se enmarca en el espacio antropológico. Queremos ahondar en la antropología spengleriana, tal y como llevamos haciendo desde hace unos años. [iii]
Das ist der andre Fehler, der hier vermieden werden muß: Technik ist nicht vom Werkzeug her zu verstehen. Es kommt nicht auf die Herstellung von Dingen an, sondern auf das Verfahren mit ihnen, nicht auf die Waffe, sondern auf den Kampf
"La planta vive; aunque sólo en sentido limitado, es un ser viviente. En realidad, más que vivir puede decirse que en ella y en torno a ella está la vida. “Ella” respira, “ella” se alimenta, “ella” se multiplica; y, sin embargo, no es propiamente más que el escenario de esos procesos, que constituyen una unidad con los procesos de la naturaleza circundante, con el día y la noche, con los rayos del sol y la fermentación del suelo; de suerte que la planta misma no puede ni querer ni elegir. Todo acontece con ella y en ella. Ella no busca ni su lugar propio, ni su alimento, ni las demás plantas con quienes engendra su sucesión. No se mueve, sino que son el viento, el calor, la luz, quienes la mueven." [x]
Esa mirada poderosa, unida a ese sentimiento de poder, es el germen de la Historia. Y la Historia se individualiza. No se trata de una historia de las masas. Las masas no poseen la historia. Antes de alzarse culturas individualizadas, en la fase zoológica y pre-cultural, la Historia la hacen los individuos. El animal de presa destaca y se recorta ante el animal de rebaño. El herbívoro precisa de muchos como él, y entre ellos (como luego, en las sociedades de masas) una muchedumbre de iguales constituye ya el individuo. Ha de verse aquí, en El Hombre y la Técnica, no una teoría, en el sentido riguroso o científico, sino una analogía. Spengler discurre por analogías, y esas analogías presiden toda su filosofía de la historia. Si una Cultura es, toda ella, un ser vivo dotado de su morfología propia y de su propio ciclo vital, un herbívoro es un análogo de un "hombre masa". El hombre masa del siglo XIX y XX es un retroceso hacia la animalización, pero hacia la animalización del escalón inferior, la de la presa, la del cobarde herbívoro.
El hombre es artífice de su táctica vital [Der Mensch ist der Schöpfer seiner Lebenstaktik geworden]. Esta palabra, "táctica", es crucial para comprender la gran analogía belicista que recorre por igual la filosofía de la naturaleza y la filosofía de la historia spenglerianas. De esa creación libre brota, no obstante, un plano nuevo de coacción y de condena sobre los aprendices de brujo que son los humanos. El Espíritu Objetivo podrá verse, hegelianamente, como un fruto de la libertad esencial de los hombres, pero, a la par, se alza como envoltorio determinante y coactivo que canaliza y bloquea los cursos en principio libres de los sujetos. Es una libertad que se auto-restringe al devenir objetivo. La cultura no es ya, sin más, el Reino de la Libertad confrontado al Reino de la Necesidad (material y físico-química). La optimista dualidad kantiana, como en general la optimista y felicitaría dualidad teológico-cristiana de la que partía, ya ha quedado atrás. De la cultura también procede un destino, una fatalidad [Verhängnis].
La forma o figura [Gestalt] de la mano determina la de la herramienta, y viceversa. La garra no precisa de herramientas. Cuando la garra del simio comienza a tomar palos y emplearlos, inicial y esencialmente como armas, ésta garra ya deviene mano. Y en este momento ya nace un nuevo tipo de depredador: no es sólo el depredador de los ojos, con un pensamiento ocular, sino un pensar de la mano. Ojo y manos, en el plano sensomotor, representan por analogía la doble faceta del pensar humano, el plano cognoscitivo: el pensar intelectual (relaciones causa-efecto) y el pensar práctico (relaciones medio-fin).
Der ursprüngliche Zweck des Sprechens ist die Durchführung einer Tat nach Absicht, Zeit, Ort, Mitteln. Die klare, eindeutige Fassung derselben ist das Erste, und aus der Schwierigkeit, sich verständlich zu machen, den eigenen Willen anderen aufzuerlegen, ergibt sich die Technik derGrammatik, die Technik der Bildung von Sätzen und Satzarten, des richtigen Befehlens, Fragens, Antwortens, der Ausbildung von Wortklassen auf Grund der praktischen, nicht der theoretischen Absichten und Ziele. Das theoretische Nachdenken hat am Entstehen des Sprechens in Sätzen so gut wie gar keinen Anteil. Alles Sprechen ist praktischer Natur und geht vom »Denken der Hand« aus.
Spengler se sitúa resueltamente entre los filósofos anti-igualitarios, en la misma línea de los clásicos Platón y Aristóteles y seguida por Nietzsche. La diferencia entre los hombres es un "hecho" [Tatsache] acerca del cual cabe poca o nula discusión. La vida práctica de los individuos sólo empieza a comprenderse en el seno de una organización, cuya decadencia civilizada es "masa", pero cuya existencia "en forma" se denomina Estado. El origen del Estado estriba en esa tecnicidad devenida en forma de organización militar. En la milicia existe ya un Estado in nuce. La organización de la empresa humana, especialmente ante enemigos potenciales exteriores, es el Ejército, la institución que encarna la tecnicidad elevada al plano institucional, objetivo-espiritual: […] der Staat ist die innere Ordnung eines Volkes für den äußeren Zweck. Der Staat ist als Form, als Möglichkeit, was die Geschichte eines Volkes als Wirklichkeit ist. Geschichte aber ist Kriegsgeschichte, damals wie heute. Politik ist nur der vorübergehende Ersatz des Krieges durch den Kampf mit geistigeren Waffen. Und die Mannschaft eines Volkes ist ursprünglich gleichbedeutend mit seinem Heer. Der Charakter des freien Raubtieres ist in wesentlichen Zügen vom einzelnen auf das organisierte Volk übergegangen, das Tier mit einer Seele und vielen Händen. Regierungs-, Kriegs- und diplomatische Technik haben dieselbe Wurzel und zu allen Zeiten eine tief innerliche Verwandtschaft.
La decadencia de Occidente se ilumina plenamente mirando esta civilización bajo el aspecto de la técnica. La técnica, nacida en toda cultura humana básicamente como arma y como potenciación del ojo y la mano depredadora, ya en fase mecanista pasa a ser la tumba de la civilización que con más energía y saña la desarrolló, la civilización europea de Occidente. Otros pueblos se beneficiarán de aquellos logros de la cultura fáustica. Los frailes escolásticos europeos, en torno a los siglos XII y XIII introdujeron el verdadero Renacimiento[xxvi]. Spengler no duda en llamarlos "vikingos del espíritu". Sin miedo a navegar todo lo lejos posible, y con el mismo afán dominador de sus antecedentes piráticos y navegantes, fueron aquellos escolásticos de la cultura fáustica quienes sentaron las bases de la ciencia moderna, mucho tiempo antes de Galileo, Copérnico, Descartes o Newton. Un Mundo y un Dios entendidos en términos de fuerza, energía, y una naturaleza entendida como botín y campo para la conquista. Los vikingos del espíritu, los escolásticos medievales, impulsaron el verdadero Renacimiento y la primera fase científico-técnica de la cultura fáustica. Ellos prepararon el terreno para la segunda oleada de descubrimientos, y con los descubrimientos, las conquistas. Los conquistadores españoles fueron, a ojos de Spengler, los nuevos vikingos, los herederos de la "sangre nórdica", destinados a revolucionar el mundo, como hicieran, unos siglos antes, sus antepasados.
The third reason Fukuyama gives for emulating the Star Wars cantina comes from biology. Diversity, he informs us, is “crucial to [biological] resilience” and “the motor of evolution itself.” Amazingly, Fukuyama does not see that this is actually an argument for racial and cultural homogeneity and separatism. For when two distinct species occupy the same ecological niche, the result is the destruction of biological diversity through extinction or hybridization. If human biological and cultural diversity are values, then ethnonationalism follows as a matter of course, for ethnonationalism creates barriers to the chief causes of biological extinction, namely habitat loss, competition from invasive species, hybridization, and predation.
Putnam studied 41 communities in the United States, ranging from highly diverse to highly homogeneous, and found that social trust was strongly correlated with homogeneity and social distrust with diversity. Putnam eliminated other possible causes for variations in social trust and concluded that “diversity per se has a major effect.”
These are the mechanisms preferred by civic nationalists like Fukuyama.
Some aspects of the intellectual heritage of German legal philosopher Carl Schmitt (1888-1985) have already been dealt with by the author in general terms
Et c’est en regardant la question de la religion que l’on peut commencer à comprendre la Weltanschauung russe, l’Idée russe. L’Occident, pendant les derniers siècles, a lentement apostasié le christianisme, cette apostasie s’accélérant à partir des années 60. Aujourd’hui l’Occident souligne l’étendue de sa rébellion contre Dieu en célébrant des choses comme l’homosexualité, en appelant bien ce qui est mal et mal ce qui est bien.
Berdiaev reproche à Nietzsche d’être une métonymie de l’Occident :

Lucian, in response to the poet’s fancy, intends to compose an account in which there is no pretense at truth, and which will surpass the work of the poets because he, at least, has openly declared himself a liar. His goal is to provide a pleasant literary spectacle for the entertainment of his highly educated audience, not unlike the various gladiatorial matches that took place in his own day. But, by describing “myth-making” (mythologeo) in this way, he has misunderstood and therefore, unjustly butchered the goal of the poet, the historian, and the philosopher. For the goal of the ancient myth-maker is not to create an entertaining story or a perfectly accurate description, but to explore and explain aspects of the human experience.
