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vendredi, 22 mars 2019

Quand Alexandre Zinoviev dénonçait la tyrannie mondialiste et le totalitarisme démocratique

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Quand Alexandre Zinoviev dénonçait la tyrannie mondialiste et le totalitarisme démocratique

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com 

 
Les propos « visionnaires » d’Alexandre Zinoviev, tenus en 1999, confirment la mise en place du mondialisme. Dans un monde où il n’y a plus de « garde-fou » tout peut arriver. Ça rejoint l’analyse de Vladimir Boukovski.
 
« Il me semble que dans le système de séparation des pouvoirs, il faudrait ajouter à ses trois composantes traditionnelles, le législatif, l’exécutif et le judiciaire, une quatrième : le pouvoir monétaire.» 
Alexandre Zinoviv - L’occidentisme (1995)

Avant-propos : Passionnante découverte: Alexandre Zinoviev (1922-2006), auteur russe qui décrit dans cet entretien sa vision de la réorganisation du monde devenu unipolaire et post-démocratique. 

Cet entretien a lieu en 1999 ! Vous serez surpris de la pertinence de ses réflexions presque 17 ans plus tard. Il y décrit l’évolution de l’Occident libéral vers une démocratie totalitaire.


Comme la domination planétaire est unipolaire (pas de contre-poids), on peut craindre des dérives totalitaires piégeant les peuples qui ne peuvent plus s’appuyer sur une aide venue de l’extérieur. Le détricotage des acquis sociaux est alors inéluctable. 

Nous pouvons ajouter à ce constat visionnaire et cinglant de Zinoviev, tout l’axe de la technologie, de la robotique et surtout du transhumanisme non abordé dans cet entretien et qui ne manque pas de nous inquiéter dans le cadre de l’ampleur potentielle des dérives attendues. 

Liliane Held-Khawam 

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Dernier entretien en terre d’Occident : juin 1999 

Entretien réalisé par Victor Loupan à Munich, en juin 1999, quelques jours avant le retour définitif d’Alexandre Zinoviev en Russie ; extrait de « La grande rupture », aux éditions l’Âge d’Homme. 

Victor Loupan : Avec quels sentiments rentrez-vous après un exil aussi long ? 

Alexandre Zinoviev : Avec celui d’avoir quitté une puissance respectée, forte, crainte même, et de retrouver un pays vaincu, en ruines. Contrairement à d’autres, je n’aurais jamais quitté l’URSS, si on m’avait laissé le choix. L’émigration a été une vraie punition pour moi. 

V. L. : On vous a pourtant reçu à bras ouverts ! 

A. Z. : C’est vrai. Mais malgré l’accueil triomphal et le succès mondial de mes livres, je me suis toujours senti étranger ici. 

V. L. : Depuis la chute du communisme, c’est le système occidental qui est devenu votre principal objet d’étude et de critique. Pourquoi ? 

A. Z. : Parce que ce que j’avais dit est arrivé : la chute du communisme s’est transformée en chute de la Russie. La Russie et le communisme étaient devenus une seule et même chose. 

V. L. : La lutte contre le communisme aurait donc masqué une volonté d’élimination de la Russie ? 

A. Z. : Absolument. La catastrophe russe a été voulue et programmée ici, en Occident. Je le dis, car j’ai été, à une certaine époque, un initié. J’ai lu des documents, participé à des études qui, sous prétexte de combattre une idéologie, préparaient la mort de la Russie. Et cela m’est devenu insupportable au point où je ne peux plus vivre dans le camp de ceux qui détruisent mon pays et mon peuple. L’Occident n’est pas une chose étrangère pour moi, mais c’est une puissance ennemie. 
 

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V. L. : Seriez-vous devenu un patriote ? 

A. Z. : Le patriotisme, ce n’est pas mon problème. J’ai reçu une éducation internationaliste et je lui reste fidèle. Je ne peux d’ailleurs pas dire si j’aime ou non la Russie et les Russes. Mais j’appartiens à ce peuple età ce pays. J’en fais partie. Les malheurs actuels de mon peuple sont tels, que je ne peux continuer à les contempler de loin. La brutalité de la mondialisation met en évidence des choses inacceptables. 

V. L. : Les dissidents soviétiques parlaient pourtant comme si leur patrie était la démocratie et leur peuple les droits de l’homme. Maintenant que cette manière de voir est dominante en Occident, vous semblez la combattre. N’est-ce pas contradictoire ? 

A. Z. : Pendant la guerre froide, la démocratie était une arme dirigée contre le totalitarisme communiste, mais elle avait l’avantage d’exister. On voit d’ailleurs aujourd’hui que l’époque de la guerre froide a été un point culminant de l’histoire de l’Occident. Un bien être sans pareil, de vraies libertés, un extraordinaire progrès social, d’énormes découvertes scientifiques et techniques, tout y était ! Mais, l’Occident se modifiait aussi presqu’imperceptiblement. L’intégration timide des pays développés, commencée alors, constituait en fait les prémices de la mondialisation de l’économie et de la globalisation du pouvoir auxquels nous assistons aujourd’hui. Une intégration peut être généreuse et positive si elle répond, par exemple, au désir légitime des nations-soeurs de s’unir. Mais celle-ci a, dès le départ, été pensée en termes de structures verticales, dominées par un pouvoir supranational. Sans le succès de la contre-révolution russe, il n’aurait pu se lancer dans la mondialisation. 

V. L. : Le rôle de Gorbatchev n’a donc pas été positif ? 

A. Z. : Je ne pense pas en ces termes-là. Contrairement à l’idée communément admise, le communisme soviétique ne s’est pas effondré pour des raisons internes. Sa chute est la plus grande victoire de l’histoire de l’Occident ! Victoire colossale qui, je le répète, permet l’instauration d’un pouvoir planétaire. Mais la fin du communisme a aussi marqué la fin de la démocratie. 

Notre époque n’est pas que post-communiste, elle est aussi post-démocratique. 

Nous assistons aujourd’hui à l’instauration du totalitarisme démocratique ou, si vous préférez, de la démocratie totalitaire. 

V. L. : N’est-ce pas un peu absurde ? 

A. Z. : Pas du tout. La démocratie sous-entend le pluralisme. Et le pluralisme suppose l’opposition d’au moins deux forces plus ou moins égale ; forces qui se combattent et s’influencent en même temps. Il y avait, à l’époque de la guerre froide, une démocratie mondiale, un pluralisme global au sein duquel coexistaient le système capitaliste, le système communiste et même une structure plus vague mais néanmoins vivante, les non-alignés. Le totalitarisme soviétique était sensible aux critiques venant de l’Occident. L’Occident subissait lui aussi l’influence de l’URSS, par l’intermédiaire notamment de ses propres partis communistes. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde dominé par une force unique, par une idéologie unique, par un parti unique mondialiste. La constitution de ce dernier a débuté, elle aussi, à l’époque de la guerre froide, quand des superstructures transnationales ont progressivement commencé à se constituer sous les formes les plus diverses : sociétés commerciales, bancaires, politiques, médiatiques. Malgré leurs différents secteurs d’activités, ces forces étaient unies par leur nature supranationale. Avec la chute du communisme, elles se sont retrouvées aux commandes du monde. Les pays occidentaux sont donc dominateurs, mais aussi dominés, puisqu’ils perdent progressivement leur souveraineté au profit de ce que j’appelle la « suprasociété ». Suprasociété planétaire, constituée d’entreprises commerciales et d’organismes non-commerciaux, dont les zones d’influence dépassent les nations. Les pays occidentaux sont soumis, comme les autres, au contrôle de ces structures supranationales. Or, la souveraineté des nations était, elle aussi, une partie constituante du pluralisme et donc de la démocratie, à l’échelle de la planète. Le pouvoir dominant actuel écrase les états souverains. L’intégration de l’Europe qui se déroule sous nos yeux, provoque elle aussi la disparition du pluralisme au sein de ce nouveau conglomérat, au profit d’un pouvoir supranational. 
 

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V. L. : Mais ne pensez-vous pas que la France ou l’Allemagne continuent à être des pays démocratiques ? 

A. Z. : Les pays occidentaux ont connu une vraie démocratie à l’époque de la guerre froide. Les partis politiques avaient de vraies divergences idéologiques et des programmes politiques différents. Les organes de presse avaient des différences marquées, eux aussi. Tout cela influençait la vie des gens, contribuait à leur bien-être. C’est bien fini. Parce que le capitalisme démocratique et prospère, celui des lois sociales et des garanties d’emploi devait beaucoup à l’épouvantail communiste. L’attaque massive contre les droits sociaux à l’Ouest a commencé avec la chute du communisme à l’Est. Aujourd’hui, les socialistes au pouvoir dans la plupart des pays d’Europe, mènent une politique de démantèlement social qui détruit tout ce qu’il y avait de socialiste justement dans les pays capitalistes. 

Il n’existe plus, en Occident, de force politique capable de défendre les humbles. 

L’existence des partis politiques est purement formelle. Leurs différences s’estompent chaque jour davantage. La guerre des Balkans était tout sauf démocratique. Elle a pourtant été menée par des socialistes, historiquement opposés à ce genre d’aventures. Les écologistes, eux aussi au pouvoir dans plusieurs pays, ont applaudi au désastre écologique provoqué par les bombardements de l’OTAN. Ils ont même osé affirmer que les bombes à uranium appauvri n’étaient pas dangereuses alors que les soldats qui les chargent portent des combinaisons spéciales. La démocratie tend donc aussi à disparaître de l’organisation sociale occidentale. Le totalitarisme financier a soumis les pouvoirs politiques. Le totalitarisme financier est froid. Il ne connaît ni la pitié ni les sentiments. Les dictatures politiques sont pitoyables en comparaison avec la dictature financière. Une certaine résistance était possible au sein des dictatures les plus dures. Aucune révolte n’est possible contre la banque. 

V. L. : Et la révolution ? 

A. Z. : Le totalitarisme démocratique et la dictature financière excluent la révolution sociale. 

V. L. : Pourquoi ? 

A. Z. : Parce qu’ils combinent la brutalité militaire toute puissante et l’étranglement financier planétaire. Toutes les révolutions ont bénéficié de soutien venu de l’étranger. C’est désormais impossible, par absence de pays souverains. De plus, la classe ouvrière a été remplacée au bas de l’échelle sociale, par la classe des chômeurs. Or que veulent les chômeurs ? Un emploi. Ils sont donc, contrairement à la classe ouvrière du passé, dans une situation de faiblesse. 
 

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V. L. : Les systèmes totalitaires avaient tous une idéologie. Quelle est celle de cette nouvelle société que vous appelez post-démocratique ? 

A. Z. : Les théoriciens et les politiciens occidentaux les plus influents considèrent que nous sommes entrés dans une époque post-idéologique. Parce qu’ils sous-entendent par « idéologie » le communisme, le fascisme, le nazisme, etc. En réalité, l’idéologie, la supraidéologie du monde occidental, développée au cours des cinquante dernières années, est bien plus forte que le communisme ou le national-socialisme. Le citoyen occidental en est bien plus abruti que ne l’était le soviétique moyen par la propagande communiste. Dans le domaine idéologique, l’idée importe moins que les mécanismes de sa diffusion. Or la puissance des médias occidentaux est, par exemple, incomparablement plus grande que celle, énorme pourtant, du Vatican au sommet de son pouvoir. Et ce n’est pas tout : le cinéma, la littérature, la philosophie, tous les moyens d’influence et de diffusion de la culture au sens large vont dans le même sens. A la moindre impulsion, ceux qui travaillent dans ces domaines réagissent avec un unanimisme qui laisse penser à des ordres venant d’une source de pouvoir unique. (…)

V. L. : Mais cette « supraidéologie » ne propage-t-elle pas aussi la tolérance et le respect ? 

A. Z. : Quand vous écoutez les élites occidentales, tout est pur, généreux, respectueux de la personne humaine. Ce faisant, elles appliquent une règle classique de la propagande : masquer la réalité par le discours. Car il suffit d’allumer la télévision, d’aller au cinéma, d’ouvrir les livres à succès, d’écouter la musique la plus diffusée, pour se rendre compte que ce qui est propagé en réalité c’est le culte du sexe, de la violence et de l’argent. Le discours noble et généreux est donc destiné à masquer ces trois piliers – il y en a d’autres – de la démocratie totalitaire. 

V. L. : Mais que faites-vous des droits de l’homme ? Ne sont-ils pas respectés en Occident bien plus qu’ailleurs ? 

A. Z. : L’idée des droits de l’homme est désormais soumise elle aussi à une pression croissante. L’idée, purement idéologique, selon laquelle ils seraient innés et inaltérables ne résisterait même pas à un début d’examen rigoureux. Je suis prêt à soumettre l’idéologie occidentale à l’analyse scientifique, exactement comme je l’ai fait pour le communisme. Ce sera peut-être un peu long pour un entretien. 

V. L. : N’a-t-elle pas une idée maîtresse ? 

A. Z. : C’est le mondialisme, la globalisation. Autrement dit : la domination mondiale. Et comme cette idée est assez antipathique, on la masque sous le discours plus vague et généreux d’unification planétaire, de transformation du monde en un tout intégré. C’est le vieux masque idéologique soviétique ; celui de l’amitié entre les peuples, « amitié » destinée à couvrir l’expansionnisme. En réalité, l’Occident procède actuellement à un changement de structure à l’échelle planétaire. D’un côté, la société occidentale domine le monde de la tête et des épaules et de l’autre, elle s’organise elle-même verticalement, avec le pouvoir supranational au sommet de la pyramide. 

V. L. : Un gouvernement mondial ? 

A. Z. : Si vous voulez. 

V. L. : Croire cela n’est-ce-pas être un peu victime du fantasme du complot ? 

A. Z. : Quel complot ? Il n’y a aucun complot. Le gouvernement mondial est dirigé par les gouverneurs des structures supranationales commerciales, financières et politiques connues de tous. Selon mes calculs, une cinquantaine de millions de personnes fait déjà partie de cette suprasociété qui dirige le monde. Les États-Unis en sont la métropole. Les pays d’Europe occidentale et certains anciens « dragons » asiatiques, la base. Les autres sont dominés suivant une dure gradation économico-financière. Ça, c’est la réalité. La propagande, elle, prétend qu’un gouvernement mondial contrôlé par un parlement mondial serait souhaitable, car le monde est une vaste fraternité. Ce ne sont là que des balivernes destinées aux populations. 
 

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V. L. : Le Parlement européen aussi ? 

A. Z. : Non, car le Parlement européen existe. Mais il serait naïf de croire que l’union de l’Europe s’est faite parce que les gouvernements des pays concernés l’ont décidé gentiment. L’Union européenne est un instrument de destruction des souverainetés nationales. Elle fait partie des projets élaborés par les organismes supranationaux. 

V. L. : La Communauté européenne a changé de nom après la destruction de l’Union soviétique. Elle s’est appelée Union européenne, comme pour la remplacer. Après tout, il y avait d’autres noms possibles. Aussi, ses dirigeants s’appellent-ils « commissaires », comme les Bolcheviks. Ils sont à la tête d’une « Commission », comme les Bolcheviks. Le dernier président a été « élu » tout en étant candidat unique. 

A. Z. : Il ne faut pas oublier que des lois régissent l’organisation sociale. Organiser un million d’hommes c’est une chose, dix millions c’en est une autre, cent millions, c’est bien plus compliqué encore. Organiser cinq cent millions est une tâche immense. Il faut créer de nouveaux organismes de direction, former des gens qui vont les administrer, les faire fonctionner. C’est indispensable. Or l’Union soviétique est, en effet, un exemple classique de conglomérat multinational coiffé d’une structure dirigeante supranationale. L’Union européenne veut faire mieux que l’Union soviétique ! C’est légitime. J’ai déjà été frappé, il y a vingt ans, de voir à quel point les soi-disant tares du système soviétique étaient amplifiées en Occident. 

V. L. : Par exemple ? 

A. Z. : La planification ! L’économie occidentale est infiniment plus planifiée que ne l’a jamais été l’économie soviétique. La bureaucratie ! En Union Soviétique 10 % à 12 % de la population active travaillaient dans la direction et l’administration du pays. Aux États Unis, ils sont entre 16 % et 20 %. C’est pourtant l’URSS qui était critiquée pour son économie planifiée et la lourdeur de son appareil bureaucratique ! Le Comité central du PCUS employait deux mille personnes. L’ensemble de l’appareil du Parti communiste soviétique était constitué de 150000 salariés. Vous trouverez aujourd’hui même, en Occident, des dizaines voire des centaines d’entreprises bancaires et industrielles qui emploient un nombre bien plus élevé de gens. L’appareil bureaucratique du Parti communiste soviétique était pitoyable en comparaison avec ceux des grandes multinationales. L’URSS était en réalité un pays sous-administré. Les fonctionnaires de l’administration auraient dû être deux à trois fois plus nombreux. L’Union européenne le sait, et en tient compte. L’intégration est impossible sans la création d’un très important appareil administratif. 

V. L. : Ce que vous dites est contraire aux idées libérales, affichées par les dirigeants européens. Pensez-vous que leur libéralisme est de façade ? 

A. Z. : L’administration a tendance à croître énormément. Cette croissance est dangereuse, pour elle-même. Elle le sait. Comme tout organisme, elle trouve ses propres antidotes pour continuer à prospérer. L’initiative privée en est un. La morale publique et privée, un autre. Ce faisant, le pouvoir lutte en quelque sorte contre ses tendances à l’auto-déstabilisation. Il a donc inventé le libéralisme pour contrebalancer ses propres lourdeurs. Et le libéralisme a joué, en effet, un rôle historique considérable. Mais il serait absurde d’être libéral aujourd’hui. La société libérale n’existe plus. Sa doctrine est totalement dépassée à une époque de concentrations capitalistiques sans pareil dans l’histoire. Les mouvements d’énormes masses financières ne tiennent compte ni des intérêts des États ni de ceux des peuples, peuples composés d’individus. Le libéralisme sous-entend l’initiative personnelle et le risque financier personnel. Or, rien ne se fait aujourd’hui sans l’argent des banques. Ces banques, de moins en moins nombreuses d’ailleurs, mènent une politique dictatoriale, dirigiste par nature. Les propriétaires sont à leur merci, puisque tout est soumis au crédit et donc au contrôle des puissances financières. L’importance des individus, fondement du libéralisme, se réduit de jour en jour. Peu importe aujourd’hui qui dirige telle ou telle entreprise ; ou tel ou tel pays d’ailleurs. Bush ou Clinton, Kohl ou Schröder, Chirac ou Jospin, quelle importance ? Ils mènent et mèneront la même politique. 

V. L. : Les totalitarismes du XXe siècle ont été extrêmement violents. On ne peut dire la même chose de la démocratie occidentale. 

A. Z. : Ce ne sont pas les méthodes, ce sont les résultats qui importent. Un exemple ? L’URSS a perdu vingt million d’hommes et subi des destructions considérables, en combattant l’Allemagne nazie. Pendant la guerre froide, guerre sans bombes ni canons pourtant, ses pertes, sur tous les plans, ont été bien plus considérables ! La durée de vie des Russes a chuté de dix ans dans les dix dernières années. La mortalité dépasse la natalité de manière catastrophique. Deux millions d’enfants ne dorment pas à la maison. Cinq millions d’enfants en âge d’étudier ne vont pas à l’école. Il y a douze millions de drogués recensés. L’alcoolisme s’est généralisé. 70 % des jeunes ne sont pas aptes au service militaire à cause de leur état physique. Ce sont là des conséquences directes de la défaite dans la guerre froide, défaite suivie par l’occidentalisation. Si cela continue, la population du pays descendra rapidement de cent-cinquante à cent, puis à cinquante millions d’habitants. Le totalitarisme démocratique surpassera tous ceux qui l’ont précédé. 
 

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V. L. : En violence ? 

A. Z. : La drogue, la malnutrition, le sida sont plus efficaces que la violence guerrière. Quoique, après la guerre froide dont la force de destruction a été colossale, l’Occident vient d’inventer la « guerre pacifique ». L’Irak et la Yougoslavie sont deux exemples de réponse disproportionnée et de punition collective, que l’appareil de propagande se charge d’habiller en « juste cause » ou en « guerre humanitaire ». L’exercice de la violence par les victimes contre elles-mêmes est une autre technique prisée. La contre-révolution russe de 1985 en est un exemple. Mais en faisant la guerre à la Yougoslavie, les pays d’Europe occidentale l’ont faite aussi à eux-mêmes. 

V. L. : Selon vous, la guerre contre la Serbie était aussi une guerre contre l’Europe ? 

A. Z. : Absolument. Il existe, au sein de l’Europe, des forces capables de lui imposer d’agir contre elle-même. La Serbie a été choisie, parce qu’elle résistait au rouleau compresseur mondialiste. La Russie pourrait être la prochaine sur la liste. Avant la Chine. 

V. L. : Malgré son arsenal nucléaire ? 

A. Z. : L’arsenal nucléaire russe est énorme mais dépassé. De plus, les Russes sont moralement prêts à être conquis. A l’instar de leurs aïeux qui se rendaient par millions dans l’espoir de vivre mieux sous Hitler que sous Staline, ils souhaitent même cette conquête, dans le même espoir fou de vivre mieux. C’est une victoire idéologique de l’Occident. Seul un lavage de cerveau peut obliger quelqu’un à voir comme positive la violence faite à soi-même. Le développement des mass-media permet des manipulations auxquelles ni Hitler ni Staline ne pouvaient rêver. Si demain, pour des raisons « X », le pouvoir supranational décidait que, tout compte fait, les Albanais posent plus de problèmes que les Serbes, la machine de propagande changerait immédiatement de direction, avec la même bonne conscience. Et les populations suivraient, car elles sont désormais habituées à suivre. Je le répète : on peut tout justifier idéologiquement. L’idéologie des droits de l’homme ne fait pas exception. Partant de là, je pense que le XXIe siècle dépassera en horreur tout ce que l’humanité a connu jusqu’ici. Songez seulement au futur combat contre le communisme chinois. Pour vaincre un pays aussi peuplé, ce n’est ni dix ni vingt mais peut-être cinq cent millions d’individus qu’il faudra éliminer. Avec le développement que connaît actuellement la machine de propagande ce chiffre est tout à fait atteignable. Au nom de la liberté et des droits de l’homme, évidemment. A moins qu’une nouvelle cause, non moins noble, sorte de quelque institution spécialisée en relations publiques. 

V. L. : Ne pensez-vous pas que les hommes et les femmes peuvent avoir des opinions, voter, sanctionner par le vote ? 

A. Z. : D’abord les gens votent déjà peu et voteront de moins en moins. Quant à l’opinion publique occidentale, elle est désormais conditionnée par les médias. Il n’y a qu’à voir le oui massif à la guerre du Kosovo. Songez donc à la guerre d’Espagne ! Les volontaires arrivaient du monde entier pour combattre dans un camp comme dans l’autre. Souvenez-vous de la guerre du Vietnam. Les gens sont désormais si conditionnés qu’ils ne réagissent plus que dans le sens voulu par l’appareil de propagande. 

V. L. : L’URSS et la Yougoslavie étaient les pays les plus multiethniques du monde et pourtant ils ont été détruits. Voyez-vous un lien entre la destruction des pays multiethniques d’un côté et la propagande de la multiethnicité de l’autre ? 

A. Z. : Le totalitarisme soviétique avait créé une vraie société multinationale et multiethnique. Ce sont les démocraties occidentales qui ont fait des efforts de propagande surhumains, à l’époque de la guerre froide, pour réveiller les nationalismes. Parce qu’elles voyaient dans l’éclatement de l’URSS le meilleur moyen de la détruire. Le même mécanisme a fonctionné en Yougoslavie. L’Allemagne a toujours voulu la mort de la Yougoslavie. Unie, elle aurait été plus difficile à vaincre. Le système occidental consiste à diviser pour mieux imposer sa loi à toutes les parties à la fois, et s’ériger en juge suprême. Il n’y a pas de raison pour qu’il ne soit pas appliqué à la Chine. Elle pourrait être divisée, en dizaines d’États. 

V. L. : La Chine et l’Inde ont protesté de concert contre les bombardements de la Yougoslavie. Pourraient-elles éventuellement constituer un pôle de résistance ? Deux milliards d’individus, ce n’est pas rien ! 

A. Z. : La puissance militaire et les capacités techniques de l’Occident sont sans commune mesure avec les moyens de ces deux pays. 

V. L. : Parce que les performances du matériel de guerre américain en Yougoslavie vous ont impressionné ? 

A. Z. : Ce n’est pas le problème. Si la décision avait été prise, la Serbie aurait cessé d’exister en quelques heures. Les dirigeants du Nouvel ordre mondial ont apparemment choisi la stratégie de la violence permanente. Les conflits locaux vont se succéder pour être arrêtés par la machine de « guerre pacifique » que nous venons de voir à l’oeuvre. Cela peut, en effet, être une technique de management planétaire. L’Occident contrôle la majeure partie des ressources naturelles mondiales. Ses ressources intellectuelles sont des millions de fois supérieures à celles du reste de la planète. C’est cette écrasante supériorité qui détermine sa domination technique, artistique, médiatique, informatique, scientifique dont découlent toutes les autres formes de domination. Tout serait simple s’il suffisait de conquérir le monde. Mais il faut encore le diriger. C’est cette question fondamentale que les Américains essaient maintenant de résoudre. C’est cela qui rend « incompréhensibles » certaines actions de la « communauté internationale ». Pourquoi Saddam est-il toujours là ? Pourquoi Karadzic n’est-il toujours pas arrêté ? Voyez-vous, à l’époque du Christ, nous étions peut-être cent millions sur l’ensemble du globe. Aujourd’hui, le Nigeria compte presqu’autant d’habitants ! Le milliard d’Occidentaux et assimilés va diriger le reste du monde. Mais ce milliard devra être dirigé à son tour. Il faudra probablement deux cent millions de personnes pour diriger le monde occidental. Il faut les sélectionner, les former. Voilà pourquoi la Chine est condamnée à l’échec dans sa lutte contre l’hégémonie occidentale. Ce pays sous-administré n’a ni les capacités économiques ni les ressources intellectuelles pour mettre en place un appareil de direction efficace, composé de quelque trois cent millions d’individus. Seul l’Occident est capable de résoudre les problèmes de management à l’échelle de la planète. Cela se met déjà en place. Les centaines de milliers d’Occidentaux se trouvant dans les anciens pays communistes, en Russie par exemple, occupent dans leur écrasante majorité des postes de direction. La démocratie totalitaire sera aussi une démocratie coloniale. 

V. L. : Pour Marx, la colonisation était civilisatrice. Pourquoi ne le serait-elle pas à nouveau ? 

A. Z. : Pourquoi pas, en effet ? Mais pas pour tout le monde. Quel est l’apport des Indiens d’Amérique à la civilisation ? Il est presque nul, car ils ont été exterminés, écrasés. Voyez maintenant l’apport des Russes ! L’Occident se méfiait d’ailleurs moins de la puissance militaire soviétique que de son potentiel intellectuel, artistique, sportif. Parce qu’il dénotait une extraordinaire vitalité. Or c’est la première chose à détruire chez un ennemi. Et c’est ce qui a été fait. La science russe dépend aujourd’hui des financements américains. Et elle est dans un état pitoyable, car ces derniers n’ont aucun intérêt à financer des concurrents. Ils préfèrent faire travailler les savants russes aux USA. Le cinéma soviétique a été lui aussi détruit et remplacé par le cinéma américain. En littérature, c’est la même chose. La domination mondiale s’exprime, avant tout, par le diktat intellectuel ou culturel si vous préférez. Voilà pourquoi les Américains s’acharnent, depuis des décennies, à baisser le niveau culturel et intellectuel du monde : ils veulent le ramener au leur pour pouvoir exercer ce diktat. 

V. L. : Mais cette domination, ne serait-elle pas, après tout, un bien pour l’humanité ? 

A. Z. : Ceux qui vivront dans dix générations pourront effectivement dire que les choses se sont faites pour le bien de l’humanité, autrement dit pour leur bien à eux. Mais qu’en est-il du Russe ou du Français qui vit aujourd’hui ? Peut-il se réjouir s’il sait que l’avenir de son peuple pourrait être celui des Indiens d’Amérique ? Le terme d’Humanité est une abstraction. Dans la vie réelle il y a des Russes, des Français, des Serbes, etc. Or si les choses continuent comme elles sont parties, les peuples qui ont fait notre civilisation, je pense avant tout aux peuples latins, vont progressivement disparaître. L’Europe occidentale est submergée par une marée d’étrangers. Nous n’en avons pas encore parlé, mais ce n’est ni le fruit du hasard, ni celui de mouvements prétendument incontrôlables. Le but est de créer en Europe une situation semblable à celle des États-Unis. Savoir que l’humanité va être heureuse, mais sans Français, ne devrait pas tellement réjouir les Français actuels. Après tout, laisser sur terre un nombre limité de gens qui vivraient comme au Paradis, pourrait être un projet rationnel. Ceux-là penseraient d’ailleurs sûrement que leur bonheur est l’aboutissement de la marche de l’histoire. Non, il n’est de vie que celle que nous et les nôtres vivons aujourd’hui. 

V. L. : Le système soviétique était inefficace. Les sociétés totalitaires sont-elles toutes condamnées à l’inefficacité ? 

A. Z. : Qu’est-ce que l’efficacité ? Aux États-Unis, les sommes dépensées pour maigrir dépassent le budget de la Russie. Et pourtant le nombre des gros augmente. Il y a des dizaines d’exemples de cet ordre. 

V. L. : Peut-on dire que l’Occident vit actuellement une radicalisation qui porte les germes de sa propre destruction ? 

A. Z. : Le nazisme a été détruit dans une guerre totale. Le système soviétique était jeune et vigoureux. Il aurait continué à vivre s’il n’avait pas été combattu de l’extérieur. Les systèmes sociaux ne s’autodétruisent pas. Seule une force extérieure peut anéantir un système social. Comme seul un obstacle peut empêcher une boule de rouler. Je pourrais le démontrer comme on démontre un théorème. Actuellement, nous sommes dominés par un pays disposant d’une supériorité économique et militaire écrasante. Le Nouvel ordre mondial se veut unipolaire. Si le gouvernement supranational y parvenait, n’ayant aucun ennemi extérieur, ce système social unique pourrait exister jusqu’à la fin des temps. Un homme seul peut être détruit par ses propres maladies. Mais un groupe, même restreint, aura déjà tendance à se survivre par la reproduction. Imaginez un système social composé de milliards d’individus ! Ses possibilités de repérer et d’arrêter les phénomènes autodestructeurs seront infinies. Le processus d’uniformisation du monde ne peut être arrêté dans l’avenir prévisible. Car le totalitarisme démocratique est la dernière phase de l’évolution de la société occidentale, évolution commencée à la Renaissance.
 

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Biographie d’Alexandre Zinoviev 

Alexandre Zinoviev est né dans un village de la région de Kostroma (URSS). Ses parents (le père est peintre en bâtiment) emménagent à Moscou. Alexandre qui montre de grandes capacités entre à l’Institut de philosophie, littérature et histoire de Moscou en 1939. Ses activités clandestines de critique de la construction du socialisme lui valent d’être exclu de l’Institut. Arrêté, puis évadé, il vit une année d’errance avant de s’enrôler dans l’Armée Rouge où il finit la Seconde Guerre mondiale comme aviateur et décoré de l’ordre de l’Étoile rouge. 

Entré à la faculté de philosophie de l’Université d’État de Moscou en 1946, Alexandre Zinoviev obtient en 1951 son diplôme avec mention. En 1954 il soutient une thèse de doctorat sur le thème de la logique dans Le Capital de Karl Marx, puis devient, l’année suivante, collaborateur scientifique de l’Institut de philosophie de l’Académie des sciences d’URSS. 

Alexandre Zinoviev est nommé professeur et directeur de la chaire de logique de l’Université d’Etat de Moscou en 1960. Il publie de nombreux livres et articles scientifiques de renommée internationale (ses oeuvres majeures ayant toutes été traduites à destination de l’Occident). Souvent invité à des conférences à l’étranger, il décline cependant toutes ces invitations. 

Après avoir refusé de renvoyer deux enseignants Alexandre Zinoviev est démis de son poste de professeur et de directeur de la chaire de logique. En 1976, pour avoir voulu publier Hauteurs béantes, un recueil de textes ironiques sur la vie en Union soviétique, il se voit proposer par les organes de sécurité le choix entre la prison et l’exil. Avec sa famille, il trouve refuge à Munich où il accomplit diverses tâches scientifiques ou littéraires. 

Révolté par la participation de la France et de l’Europe occidentale aux opérations de l’OTAN contre la Serbie, Alexandre Zinoviev retourne en Russie en 1999. Dans son article « Quand a vécu Aristote ? », il soutient que les récits et écrits historiques ont toujours été de tout temps détournés, effacés, falsifiés au profit d’un vainqueur. 

Source Liliane Held Khawam

samedi, 16 mars 2019

Sénèque et la mondialisation malheureuse

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Sénèque et la mondialisation malheureuse

par Nicolas Bonnal

Ex: https://nicolasbonnal.wordpress.com

Le monde moderne n’est qu’un monde usé jusqu’à la corde, et qui se croit nouveau parce qu’il a tout oublié.

L’actualité de Sénèque est toujours extraordinaire, jusques et y compris dans le domaine de la médecine (lettre XCV, voyez ce qu’en dit De Maistre) ou de la géographie ; son théâtre ignoré fourmille aussi de traits de génie et c’est dans sa tragédie Médée que Sénèque médite les limites de la science, de la navigation…et de la mondialisation, deux mille ans avant les rédacteurs fatigués de Zerohedge.com

On écoute l’universitaire Jean-Noël Michaud sur ce monologue du chœur de Médée :

« Les vers 374-379 sont célèbres car on y a vu l’annonce de la découverte du Nouveau Monde. Et en fait on a eu raison : depuis que la science grecque et les savants d’Alexandrie ont établi que la terre était ronde et que le monde connu des Grecs et des Romains ne représentait tout au plus qu’un quart de la surface terrestre, l’Océan a cessé, dans la pensée des savants, d’être uinculum rerum, on a supposé qu’au-delà de l’Océan, comme au sud de l’équateur, il y avait d’autres terres, nouos orbes. »

Michaud ajoute :

« L’Amérique existait donc, dans la pensée des astronomes et des gens cultivés qui connaissaient leurs travaux, 1500 ans avant qu’on ne la découvre. »

Ce monde techniquement et géographiquement maîtrisé est spirituellement rétréci. Michaud :

« Naviguer n’est plus une entreprise héroïque qui requiert l’aide des dieux et un équipage de princes, n’importe qui peut sillonner la mer, sans l’aide d’un vaisseau magique. On construit des villes partout, l’univers s’ouvre à toutes les routes, on voit des Perses au bord de l’Elbe et des Indiens au bord de l’Araxe. La terre est le village planétaire de nos modernes internautes. Comme il nous est difficile aujourd’hui de ne pas donner à ces vers un sens positif, puisque même les adversaires de la mondialisation nous expliquent qu’en réalité ils sont pour ! »

Car l’empire romain est une mondialisation, est une matrice très consciente :

« Ce que disent ces vers, c’est bien ce que l’empire est en train de réaliser à l’échelle de l’orbis Romanus : assurer la permanence des relations maritimes, civiliser des régions sauvages en y établissant des villes, envoyer sur le Rhin des auxiliaires syriens et sur l’Euphrate des Espagnols. »

Et c’est la fin de la poésie dans le monde (je sais, on va nous traiter de ringards, de retardataires…) :

jasonbateau.jpg« Les Argonautes ont fait tomber la première barrière et ce premier écroulement a provoqué de proche en proche la chute de toutes les barrières qui séparaient les peuples les uns des autres, le monde civilisé du monde barbare, le cosmos de tous les au-delà, merveilleux ou épouvantables. »

Très belle envolée de l’universitaire sur le vieillissement du monde (si visible aujourd’hui mais pensez au grand remplacement de la démographie romaine…) :

« Peut-être Sénèque se souvient-il de la version hésiodique de la fin des temps : quand aux derniers temps de la cinquième race, la race de fer, tout sera vieux, les enfants viendront au monde avec des tempes blanches. On a l’impression que le chœur annonce aussi que le cosmos finira par s’éteindre dans la sénilité. »

La quête de la toison d’or précipite la fin d’un monde qui sera vieux et médiocre :

« En allant la chercher dans un espace où l’homme n’a pas sa place, Jason a libéré dans le monde des hommes les forces déchaînées d’un monde qu’un dieu ne domine plus. Le choeur Audax nimium donne à Médée sa dimension cosmique mais la réalisation de sa vengeance marquera aussi l’épuisement du cosmos et la fin du tragique. »

Un peu de Sénèque maintenant, inspiré auteur de théâtre :

« Il fut hardi, le premier navigateur qui osa fendre les flots perfides sur un fragile vaisseau, et laisser derrière lui sa terre natale, confier sa vie au souffle capricieux des vents, et poursuivre sur les mers sa course aventureuse, n’ayant pour barrière entre la vie et la mort que l’épaisseur d’un bois mince et léger ! On ne connaissait point alors le cours des astres, et l’on ne savait point encore se régler sur la position des étoiles qui brillent dans l’espace. »

Comme Hésiode, Rousseau ou Kierkegaard, Sénèque célèbre l’innocence ignorante de nos pères :

« Nos pères vivaient dans des siècles d’innocence et de pureté. Chacun alors demeurait tranquille sur le rivage qui l’avait vu naître, et vieillissait sur la terre de ses aïeux, riche de peu, ne connaissant de trésors que ceux du pays natal. »

Ensuite le vaisseau de Thessalie met fin aux enchantements des origines (les lucifériens bien sûr préfèreront ce qu’ils croient un progrès) ; et il y a un prix à payer (le réchauffement climatique ?) :

« Le vaisseau de Thessalie rapprocha les mondes que la nature avait sagement séparés, soumit la mer au mouvement des raines, et joignit à nos misères les périls d’un élément étranger. Ce malheureux navire paya chèrement son audace par cette longue suite de dangers qu’il lui fallut courir, entre les deux montagnes qui ferment rentrée de l’Euxin, et qui se heurtaient l’une contre l’autre, avec le retentissement de la foudre, tandis que la mer, prise lançait jusqu’aux nues ses vagues écumantes. »

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Le prix à payer ? Sénèque en parle tel quel – c’est la fin des limites (mais dans un monde devenu petit, cela sonne comme une cour de prison abandonnée pour prisonniers…) :

« Quel fut le prix de ce hardi voyage ? Une toison d’or, et Médée plus cruelle que les flots mêmes, digne récompense des premiers navigateurs. Maintenant la mer est soumise, et se courbe sous nos lois : plus n’est besoin d’un navire construit par Minerve, et monté par des rois ; la moindre barque peut s’aventurer sur les flots : les bornes antiques sont renversées, et les peuples vont bâtir les villes sur des terres nouvelles. »

 Les derniers vers sont fantastiques :

« Le monde est ouvert en tout sens, et rien plus n’est à sa place…L’Indien boit l’eau glacée de l’Araxe, le Perse boit celle de l’Elbe et du Rhin. Un temps viendra, dans le cours des siècles, où l’Océan élargira la ceinture du globe, pour découvrir à l’homme une terre immense et inconnue ; la mer nous révélera de nouveaux mondes, et Thulé ne sera plus la borne de l’univers. »

Sources

Sénèque, Médée Traduit par Eugène Greslou,  1834

Jean-Noël Michaud Le chœur Audax nimium (Sénèque, Médée, 301-379) (Persée, via latina)

mardi, 12 mars 2019

Between Buddha & Führer: The Young Cioran on Germany

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Between Buddha & Führer:
The Young Cioran on Germany

ecioran-barbarie.pngEmil Cioran
Apologie de la Barbarie: Berlin – Bucharest (1932-1941)
Paris: L’Herne, 2015

This is a very interesting book released by the superior publishing house L’Herne: a collection of Emil Cioran’s articles published in Romanian newspapers, mostly from before the war. Besides becoming a famous aphorist in later years, before the Allied victory, Cioran was still free to be a perceptive and biting cultural critic and political analyst.

While reading the book, I was chiefly interested in understanding the motivations behind Cioran’s support for nationalism and fascism. We can identify a few recurring themes:

  • A sense of humiliation at Romania’s underdevelopment, historical irrelevance, and cultural/intellectual dependence with regard to the West: “That is why the Romanian always agrees with the latest author he has read” (22).
  • A pronounced Germanophilia, appreciating German artists’ and intellectuals’ intensity, pathos, and diagnostic of Western decadence.
  • Frustration with democratic politics as leading selfish individualism and political impotence.
  • A marked preference for belief and irrational creativity over sterile rationalism and skepticism.

Cioran, who had already been well acquainted with German high culture during his studies in Romania, really took to Hitlerian Germany when he moved in 1933 there on a scholarship from the Humboldt Foundation. He writes:

In Germany, I realized that I was mistaken in believing that one can perfectly integrate a foreign culture. I hoped to identify myself perfectly with the values of German history, to cut my Romanian cultural roots to assimilate completely into German culture. I will not comment here on the absurdity of this illusion. (100)

The influence of Cioran’s German sources clearly shines through, including Nietzsche, Spengler, and Hitler himself.[1] [2] Cioran’s infatuation proved lasting. He wrote in 1937: “I think there are few people – even in Germany – who admire Hitler more than I do” (240).

On one level, Cioran’s politics are eminently realistic, frankly acknowledging the tragic side of human existence. He admires Italian Fascism and especially German National Socialism because these political movements had restored strong beliefs and had heightened the historical level and international power of these nations. If liberties must be trampled upon and certain individuals marginalized for a community to flourish, so be it. On foreign policy, he favors national self-sufficiency and Realpolitik as against dependence upon unstable or sentimental alliances.

Cioran is extremely skeptical of pacifist and universalist movements, convinced that great nations each have their own historical direction. Human history, in his view, would not necessarily converge and ought to remain pluralistic. If Europe was to converge to one culture, this would tragically require the triumph and imposition of one culture on the others. In particular, he believed Franco-German peace would be impossible without the collapse of one nation or the other (little did he suspect both would be crushed). Diversity and a degree of tension between nations and civilizations were good, providing “the essential antinomies which are the basis of life” (98).

Alongside these rather realistic considerations, spoken in a generally detached and level-headed tone, Cioran’s politics and in particular his nationalism were powerfully motivated by a sense of despair at the state of Romania. Cioran viscerally identified with his nation and intensely felt what he considered to be its deficiencies as a bucolic and peripheral culture. He then makes an at once passionate and desperate plea a zealous nationalist and totalitarian dictatorship which could spark Romania’s spark geopolitical, historical, and cultural renewal. Only such a regime, on the German model, could organize the youth and redeem an otherwise irrelevant nation. The continuation of democracy, by contrast, would mean only the disintegration of the nation into a collection of fissiparous and spoiled individuals: “Another period of ‘democracy’ and Romania will inevitably confirm its status of historical accident” (225).

Cioran_Reichsausländer_01-200x300.jpgA rare and stimulating combination in Cioran’s writings: unsentimental observation and intense pathos.

Cioran’s nationalism was highly idiosyncratic. He writes with amusing condescension of the local tradition of nostalgic and parochial patriotic writing: “To be sure, the geographical nationalism which we have witnessed up to now, with all its literature of patriotic exaltation and its idyllic vision of our historical existence, has its merits and its rights” (150). He was also uninterested in a nationalism as merely a moralistic defensive conservatism, defined merely as the maintenance of the borders of the Greater Romania which, with the annexation of Transylvania, had been miraculously established in the wake of the First World War.

For Cioran nationalism had to serve a great political project, it had to have a set of values and ambitions enabling a great historical flourishing, rather than be merely a sentimental or selfish end in itself. He writes of A. C. Cuza, a prominent politician who made anti-Semitism his signature issue:

Nationalism, as a sentimental formula, lacking in any ideological backbone or political perspectives, has no value. The dishonorable destiny of A. C. Cuza has no other explanation than the agitations of an apolitical man whose fanaticism, which has never gone further than anti-Semitism, was never able to become a fatality for Romania. If we had had no Jews, A. C. Cuza would never have thought of his country. (214)

Similarly, Cioran argues that the embrace of nationalism is dependent on time and purpose:

One is a nationalist only in a given time, when to not be a nationalist is a crime against the nation. In a given time means in a historical moment when everyone’s participation is a matter of conscience. The demands of the historical moment also mean: one is not [only] a nationalist, one is also a nationalist. (149-50)

Cioran was also – at least in this selection of articles – uninterested in Christianity and aggressively rejected Romania’s past and traditions, in favor a revolutionary project of martial organization, planned industrialization, and national independence. For Cioran, Romania needed nothing less than a “national revolution” requiring “a long-lasting megalomania” (154).

All this seems far removed from the agrarian traditionalism and Christian mysticism of Corneliu Zelea Codreanu’s Iron Guard. Cioran did, however, hail the Guard as a Romanian “awakening” and after Codreanu’s murder wrote a moving ode to the Captain [3]. By contrast, Cioran excoriates the consensual Transylvanian politician Iulia Maniu as an ineffectual and corrosive “Balkan buddhist,” peddling “political leukemia” (220).

A friend of mine observed that at least some aspects of Cioran’s program resembles Nicolae Ceaușescu’s later formula: perhaps late Romanian communism did seek to reflect some of the nation’s deep-seated aspirations concerning its place in the world.

One is struck by the contrast between Cioran’s lyricism on Germany, his desperate call to “transfigurate” Romania, and his perfectly lucid and quite balanced assessment of Fascist Italy [4]. There is something quite unreasonable in Cioran’s revolutionary ambitions. Fascism, certainly, is an effective way of instating political stability, steady leadership, and civil peace, annihilating communism, maximizing national power and independence, and educating and systematically organizing the nation according to whatever values you hold dear.

cioranherne.jpgBut fascism cannot work miracles. Politics must work with the human material and historical trajectory that one has. That is being true to oneself. To wish for total transformation and the tabula rasa is to invite disaster. Such revolutions are generally an exercise in self-harm. Once the passions and intoxications have settled, one finds the nation stunted and lessened: by civil war, by tyranny, by self-mutilation and deformation in the stubborn in the name of utopian goals. The historic gap with the ‘advanced’ nations is widened further still by the ordeal.

In the case of Romania, I can imagine that a spirited, moderate, and progressive authoritarian regime might have been able to raise the country’s historical level, just as Fascism had in Italy. Romania could aspire to be a Balkan hegemon. Beyond this, raising Romania would have required generations of careful and steady work, not hysterical outbursts, notably concerning population policy. The country had a comparatively low population density – a territory twice the size as England, but with half the population. There was a vigorous and progressive eugenics movement in interwar Romania [5] which also sought to improve the people’s biological stock, but this came to naught.

Another very striking aspect of Cioran’s fascism and nationalism is that he does not take race seriously. He says in his first article written from Germany (November 14, 1933):

If one objects that today’s political orientation [in Germany] is unacceptable, that it is founded on false values, that racism is a scientific illusion, and that German exclusivism is a collective megalomania, I would respond: What does it matter, so long as Germany feels well, fresh, and alive under such a regime?

Reducing National Socialism’s appeal to mere emotional power, although that is important, will certainly puzzle progressive racialists and evolutionary humanists.[2] [6] In the same vein, Cioran occasionally expresses sympathy for communism, because of that ideology’s ability to inspire belief. There is something irresponsible in all this. And yet, living in an order of rot and incoherence, we can only share in Cioran’s hope: “We have no other mission than to work for the intensification of the process of fatal collapse” (51).

One wonders how Cioran’s disenchantment with Hitlerian Germany occurred. The fact that he wrote his conversion note [7]On France [7] in 1941, before the major reversals for the Axis, is certainly intriguing.

Cioran’s comments on Romania’s ineptitude are striking and sadly well in line with the current state of the Balkans. Cioran hailed from Transylvania, which though having a Romanian majority, had significant Saxon and Hungarian minorities and a tradition of Austro-Hungarian government. Cioran contrasts the stolid Saxons with the erratic Romanians, the staid Transylvanian “citizens” with the corrupt “patriots” of the old-Romanian provinces (Wallachia, Moldova). So while he rejected any idea of Romania becoming merely a respectable, prosperous “Switzerland,” Cioran also desired some good old-fashioned (bourgeois?) competence. He indeed calls Transylvania “Romania’s Prussia.”

To this day, besides Bucharest, the wealthier and more functional parts of the country are to be found in Transylvania. In the 2014 presidential elections, there was an eerie overlap [8] between the vote for the liberal-conservative candidate Klaus Iohannes and the historical boundaries of Austria-Hungary.

What I find most stimulating in Cioran is his dialectic between his concerns as a pure intellectual – lucidity, the vanity of things, universal truth – and his recognition of and desire for the intoxicating needs of Life: belief, action in the here-and-now, ruthlessness, and passion. Cioran writes:

The oscillation between preoccupations that could not be further from current events and the need to adopt, within the historical process, an immediate attitude, produces, in the mind of certain contemporary intellectuals, a strange frenzy, a constant irritation, and an exasperating tension. (117)

I was shocked to encounter the following passage and yet the thought had also occurred to me:

In Germany, I began to study Buddhism in order not to be intoxicated or contaminated with Hitlerism. But my meditation on the void brought me to understand, by the contrast, Hitlerism better than did any ideological book. Immediate positivity and the terror of temporal decision, the total lack of transcendence of politics, but especially the bowing before the merciless empire of becoming, all these grow in a dictatorship to the point of exasperation. A suffocating rhythm, alternating with a megalomaniacal breath, gives it a particular psychology. The profile of dictatorship is a monumental chiaroscuro. (233-34)

Nature, ‘red in tooth and claw,’ and the inevitable void: a fertile dialectic, from which we may hope Life with prevail.

Notes

[1] [9] E.g. Cioran observes that fears surrounding Hungary’s ambition to reconquer Transylvania from Romania only existed due to Romania’s own internal political weakness: “[There is an] unacceptable illusion among us according to which foreign relations could compensate for an internal deficiency, whereas in fact the value of these relations depends, at bottom, on our inner strength” (171). A classic Hitlerian point.

[2] [10] Elsewhere, Cioran denounces, in the name of a lucid Realpolitik, overdependence on the unreliable alliance with France and sympathy for the “Latin sister nation” Italy, which was then supporting Hungary: “Concerning affinities of blood and race, who knows how many illusions are not hidden in such beliefs?” (172). Certainly, people have often confused linguistic proximity with actual blood kinship.

 

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

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[1] Image: https://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2019/03/Cioran_Reichsausländer_01.jpg

[2] [1]: #_ftn1

[3] ode to the Captain: https://www.counter-currents.com/2016/10/ode-to-the-captain/

[4] Fascist Italy: https://www.counter-currents.com/2019/01/italy-mussolini-fascism/

[5] eugenics movement in interwar Romania: https://www.upress.pitt.edu/books/9780822961260/

[6] [2]: #_ftn2

[7] conversion note : https://www.counter-currents.com/2019/02/ciorans-on-france/

[8] eerie overlap: https://www.reddit.com/r/MapPorn/comments/8cv6cf/the_map_of_the_austrohungarian_empire_18671918/

[9] [1]: #_ftnref1

[10] [2]: #_ftnref2

lundi, 11 mars 2019

Lumière de la Tradition

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Lumière de la Tradition

par Alastair Crooke
Ex: https://echelledejacob.blogspot.com
 
Nous présentons rapidement un texte d’Alastair Crooke avant de revenir sur certaines réflexions qu’il suscite nécessairement, certes par son contenu, mais encore plus par sa chronologie qui renvoie à d’autres réflexions sur le même thème. Ce thème, c’est celui de l’interrogation fondamentale sur ce qu’on nomme la Tradition, comme orientation majeure qui pourrait nous suggérer des élans, des conceptions, des perceptions permettant d’aborder l’immense question du véritable “Grand Remplacement” qui devrait nous importer : qu’est-ce qui remplacera cette immense et infâme Système qui entend conduire la civilisation, la terre et tout le reste à un destin catastrophique anthropisation, et qui ne peut que s’effondrer lui-même, qui est d’ores et déjà en cours d’effondrement comme un s’affaisse un immense concentré de pourriture.

Alastair Crooke, qui introduit sa réflexion en faisant explicitement allusion à la Tradition et à l’un des philosophes du XXème siècle qui a illustré ce courant de pensée (Julius Evola), expose un aspect de la situation américaine (cette fois, nous écartons le qualificatif “américaniste”) où se développe une réflexion autour de cette référence qui est par définition “primordiale” et “principielle”. On voit que des esprits et des plumes sont au travail dans ce sens, éclairant une intuition qui éclaire notre temps parcouru des “Signes de la Fin des Temps”.

D’autre part, à partir de cette introduction avec ses données fondamentales, Crooke décrit, à partir d’auteurs essentiels, leurs interférences opérationnelles dans la situation politique actuelle aux USA, dans la “guerre civile en cours”. En même temps, on comprend bien la précision qui est faite selon laquelle cette interprétation essentielle de la situation US, notre “Rome postmoderne”, peut évidemment être étendue à d’autres territoires, d’autres ensembles, d’autres communautés et d’autres nations, parce qu’il s’agit du destin commun de l’effondrement d’une civilisation universelle et absolument perverse et de son remplacement. Tout cela fait une excellente illustration de l’évolution accélérée des dimensions catastrophiques de l’époque eschatologique que nous vivons.

Le titre original de Alastair Crooke sur Strategic-Culture.org du 4 mars 2019 était « US Conservatives Pursue a ‘Ben Option’ of Global Ramification ». Nous lui avons substitué la première phrase du texte.
dde.org
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« Sommes-nous Rome ? »

Sommes-nous ‘Rome’? La question prend aujourd’hui une place considérable dans l'esprit des conservateurs, des libertaires et des catholiques américains lors de leurs diverses conférences. L’Amérique suit-elle le destin de l’empire romain ? Décadence bureaucratique, dette publique massive, armée surchargée, système politique apparemment incapable de relever les défis ; « l’empire romain sur sa fin a souffert de ces maladies, et certains craignent que ce soit également le cas de l'Amérique contemporaine », note The American Conservative, une publication qui poursuit cette “ligne” éditoriale avec constance et avec un lectorat en constante augmentation depuis plusieurs années. (Notez que ce n’est pas la conception du vice-président Pence, qui argumente avec insistance à propos de ce qui est littéralement une Rédemption évangélique imminente, avec la politique dite de Rapture.)

The American Conservative choisit de façon très différente de sonner l’alarme :

« Si les libertaires de droite s'inquiètent de l’effondrement structurel, les conservateurs culturels et religieux ajoutent une dimension morale et spirituelle au débat. La montée de l'hédonisme, le déclin de l'observance religieuse, la séparation continue de la famille et la perte générale de cohérence culturelle, – pour les traditionalistes, ce sont les signes annonciateurs d’un âge des ténèbres. »

Et voici leur narrative en réponse à ces craintes : Vers l’an 500, une génération après la déposition du dernier empereur romain par les Francs, un jeune homme ombrien (originaire de la province de l’Ombrie, en Italie), fut envoyée à Rome par ses riches parents pour terminer ses études. Dégoûté par la décadence de Rome, il s’enfuit dans la forêt pour se faire ermite et choisir un destin de prière et de méditation.

Il s'appelait Benoît. Il fonda ensuite une douzaine de communautés monastiques et écrivit ses fameuses “règles” auxquelles on attribue le mérite d'avoir aidé la culture menacée et ses valeurs à survivre dans ces temps difficiles. Le professeur Russell Hittinger a résumé la leçon de Benoît dans l’âge des ténèbres : « Comment vivre la vie pleinement et complètement ? En écartant la recherche du succès dans le monde, au profit de la recherche du succès humain. »

Comment l’exemple d’un moine médiéval pourrait-il être pertinent pour notre époque laïque ? Parce que, dit le philosophe de la morale Alasdair MacIntyre, cette référence démontre qu'il est possible de construire « de nouvelles formes de communauté au sein desquelles la vie morale pourrait se maintenir » pendant un âge des ténèbres, – y compris, peut-être, un âge comme le nôtre.

MacIntyre propose la « suggestion inquiétante » selon laquelle la teneur du débat moral d'aujourd'hui (sa stridence et son interminabilité) est le résultat direct d'une catastrophe par rapport à notre passé ; une catastrophe si grande que son examen critique moral a été presque effacée de notre culture et de notre vocabulaire, exorcisé dans notre langue. Il fait référence aux “Lumières européennes”. Ce que nous possédons aujourd'hui, soutient-il, ne sont que des fragments d'une tradition plus ancienne. En conséquence, notre discours moral, qui utilise des termes tels que “bien”, “justice” et “devoir”, a été dépouillé du contexte qui le rend intelligible.

« Pour MacIntyre », écrit Rod Dreher, auteur de The Benedict Option, « Nous vivons une catastrophe semblable à celle de la chute de Rome, dissimulée par notre liberté et notre prospérité ». Dreher poursuit: « Dans son livre capital, ‘After Virtue’, publié en 1981, MacIntyre affirmait que le projet des Lumières avait coupé l’homme occidental de ses racines dans la tradition, mais il n’était pas parvenu à produire une morale contraignante fondée sur la seule raison. De plus, les Lumières vantaient l'individu autonome. Par conséquent, nous vivons dans une culture de chaos moral et de fragmentation dans laquelle de nombreuses questions sont tout simplement impossibles à régler. MacIntyre dit que notre monde contemporain est une forêt plongée dans l’obscurité et que, pour retrouver notre juste chemin, il faudrait créer de nouvelles formes de communauté ».

« L’‘option Benedict’ [‘option Benoît’] fait donc référence à [ceux] qui, dans l’Amérique contemporaine cessent d’identifier la continuation de la civilité et de la communauté morale avec le maintien de l’Empire américain et qui, par conséquent, souhaitent construire des formes de communauté locales en tant que lieux de résistance chrétienne contre ce que représente l'empire. En d’autres termes, l’option Benedict, – ‘BenOp’ – est un terme générique pour les chrétiens [et les conservateurs américains], qui acceptent la critique de MacIntyre sur la modernité ».

Le BenOp n’appelle pas le monachisme. Il est envisagé, en quelque sorte, comme un moyen plus pratique pour les Américains qui ont cette perception fondamentale de gérer la modernité d’aujourd’hui. Et… Où avons-nous entendu quelque chose comme ça auparavant ? Eh bien, dans les réflexions du philosophe politique italien Julius Evola, dans ses réflexions d’un traditionalisme radical de l’après-guerre, – L’homme au milieu des ruines, – dans lequel il plaide pour une défense et une résistance contre le désordre de notre époque. Ce sont les écrits d’Evola et d’autres auteurs du même genre [de défenseurs de la Tradition primordiale] qui ont soutenu les intellectuels russes tout au long de leur période sombre du communisme tardif, puis du néolibéralisme sauvage. Des impulsions largement similaires ont contribué à faire avancer le concept d'eurasianisme (bien que ses racines remontent aux années 1920 en Russie).

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Alastair Crooke
 
Ce dernier point reflète la tendance contemporaine, manifestée plus particulièrement par la Russie, mais allant bien au-delà de la Russie, au soutien du pluralisme (l’axe principal du “populisme” contemporain) ; autrement dit, la “diversité” qui privilégie précisément la culture, les récits nationaux, la religiosité et les liens de sang, de terre et de langue. Cette idée est tout à fait conforme à l'argument de MacIntyre, à savoir que seule la tradition culturelle donne un sens à des termes tels que “bien”, “justice”, etc. « En l'absence de traditions, le débat moral est dissocié et devient un théâtre d'illusions dans lequel la simple indignation et la simple protestation occupent le devant de la scène. »

L’idée est qu’il s'agit plutôt d'un groupe de “nations” et de “communautés”, chacune renouant avec ses cultures et ses identités primordiales, – c'est-à-dire que l'Amérique est “américaine” dans sa propre “voie culturelle” américaine (ou russe, dans sa propre voie), – et se refusant d’être absorbée et dissoute en succombant à la coercition d’un ensemble où les diversités se dissolvent, d’un empire cosmopolite.

Il est clair que cela ne va pas du tout dans le sens de la tendance générale américaine d’un ordre globaliste conforme aux règles de cette dynamique. C’est aussi un rejet catégorique de l’idée que le cosmopolitisme du “melting pot” puisse créer toute identité véritable ou tout fondement moral. En effet, « sans la notion de telos (directionnalité et détermination de la vie humaine) servant de moyen de triangulation morale, les jugements de valeur morale perdent leur caractère factuel. Et, bien sûr, si les valeurs sont privées de “faits” pour les substantiver, aucun appel à des faits ne pourra jamais régler un désaccord sur une valeur ».

Dreher est explicite à propos de cette opposition radicale. Il dit de BenOp : « Vous pourriez même dire que c’est une appréciation des possibilités progressives de la tradition et un retour aux racines, – contre une époque sans racines. »

Et pour ne laisser planer aucune ambiguïté, il est noté que les conservateurs américains qui pensent avoir trouvé un allié “facile” dans MacIntyre montrent qu’« ne parviennent pas à comprendre le type de politique nécessaire pour préserver les vertus [toute qualité requise pour se frayer un chemin dans la vie]. »

« MacIntyre précise que son problème avec la plupart des formes de conservatisme contemporain est que les conservateurs reflètent les caractéristiques fondamentales du libéralisme. L'engagement conservateur envers un mode de vie structuré par un marché libre aboutit à un individualisme, et en particulier à une psychologie morale, aussi antithétique à la tradition des vertus que le libéralisme. En outre, conservateurs et libéraux tentent tous deux d’utiliser le pouvoir de l’État moderne pour soutenir leurs positions d’une manière qui est totalement étrangère à la conception de MacIntyre des pratiques sociales nécessaires au bien commun ».

Ce qui est très intéressant pour un étranger, c’est la façon dont l'auteur de BenOp, Dreher, le situe dans le contexte politique américain :

« Beaucoup d’entre nous de droite qui avons été consternés par le Trumpening(sic) et qui ont été durement frappés par la débâcle de Kavanaugh ont conclu [néanmoins] que nous n’avions d’autre choix que de voter républicain en novembre [2018] par réflexe d’auto défense. »

benedict.jpgMais permettez-moi de citer deux passages de The Benedict Option :

« La gauche culturelle, – c'est-à-dire le courant dominant américain, – n'a pas l'intention de vivre dans la paix d’un après-guerre. Elle entend exercer une pression continue comme si elle exerçait une occupation dure et implacable du pays, aidée en cela par l’inconscience des chrétiens [i.e. ceux qui reflètent le libéralisme], qui ne comprennent rien à ce qui se passe. Ne vous laissez pas berner: la victoire à la présidentielle de Donald Trump nous a au mieux laissé un peu plus de temps pour nous préparer à l’inévitable » [souligné ajouté].

« [Ceux] qui croient que la politique seule suffira ne seront pas préparés à ce qui va se passer lorsque les républicains perdront la Maison Blanche et / ou le Congrès, ce qui est inévitable. Notre politique est devenue si furieuse qu’il y aura une surenchère vicieuse et méchante, et cette surenchère s’exercera principalement contre les conservateurs sociaux et religieux. Lorsque les démocrates reprendront le pouvoir, les chrétiens conservateurs vont connaître des temps extrêmement durs. ».

BenOp, en d’autres termes, est une autre façon de décrire de ce que le professeur Mike Vlahos a décrit comme “un regroupement” pour un prochain chapitre de la “guerre civile” non résolue de l’Amérique : « L’Amérique aujourd’hui est divisée en deux visions du mode de vie futur de la nation : le “Rouge”, dont la vertu est constituée de la continuité de famille et de la communauté au sein d'une communauté nationale affirmée publiquement. La vertu du “Bleu” envisage des communautés choisies individuellement et régies par des médiations déterminées par les relations entre l’individu et l’État. Certes, ces deux visions antagonistes de l'Amérique s’opposent depuis des décennies et contrôlent jusqu'à présent plus ou moins la violence potentielle de cette opposition mais il existe désormais [aujourd’hui] le sentiment de la nécessité de se rassembler de chaque côté pour la lutte finale ».

« Aujourd’hui, deux chemins qui se jugent également vertueux sont enchaînés dans une opposition irréversible… Rouge et Bleu représentent déjà un schisme religieux irréparable, plus profond en termes doctrinaux même que le schisme catholique-protestant du XVIe siècle. Ici, la guerre porte sur la faction qui réussit à conquérir l’étendard des médias sociaux, pour se proclamer comme le véritable héritier de la vertu américaine. Tous deux se considèrent comme des champions du renouveau national, de la purification des idéaux corrompus et de la réalisation de la promesse de l’Amérique. Tous deux croient fermement qu'ils sont les seuls à posséder la vertu. »

Nous pourrions en conclure que cette formule du BenOp n’est qu’une manifestation exclusivement américaine, d’un intérêt réduit pour le reste du monde. Nous aurions tort. Tout d'abord, MacIntyre identifie l’origine de la tradition morale dans la littérature Traditionaliste Homérique (c'est-à-dire jusqu'à ses racines présocratiques) et dans cette “société héroïque” comme dépositaire des appréciations morales liées aux valeurs éternelles. Il s’agit de Grands Récits avec la singulière vertu de s’incarner dans la vie de la communauté qui les chérit, et faisant de cette communauté “un personnage” dans un récit moral historiquement étendu.

En d'autres termes, BenOp n'est pas du tout rattaché exclusivement au christianisme. MacIntyre suggère plutôt que le récit fournit une meilleure explication de l’unité d’une vie humaine particulière. Le moi a une continuité parce qu'il a tenu le rôle du personnage unique et central dans une histoire particulière : c’est le récit de la vie d’une personne. MacIntyre exprime cela de cette façon : « En assumant ces rôles, nous devenons simultanément des sous-parcelles dans les histoires de la vie des autres, tout comme ils deviennent des sous-parcelles dans la nôtre. De cette manière, les histoires de la vie des membres d’une communauté sont enchevêtrées et imbriquées. L’enchevêtrement de nos histoires est le tissu de la vie en commun… Car l’histoire de ma vie est toujours enracinée dans l’histoire de ces communautés dont je tire mon identité. » Ici, nous sommes directement renvoyés à Homère.

Mais deuxièmement, si nous faisions de l’ethnicité et du genre un choix personnel (et par conséquent jamais définitif) il nous manquerait quelque chose d’essentiel qui lie l’impulsion de BenOp à la résistance plus large contre les globalistes millénaires d’aujourd’hui qui fondent leur “rédemption” dans un processus téléologique consistant à “dissoudre” leur identité culturelle.

Cette critique, émanant d’un importante groupe conservateur américain qui vote Trump mais qui est conscient de ses inconvénients, est susceptible de s’étendre plus largement vers d’autres groupes non américains. Comme le note Rod Dreher, qui a lancé cette campagne dès 2006, des membres de ses groupes différents comprennent déjà sa portée plus large. Dreher observe :

« Au fait, je ne suis pas catholique non plus. Et alors? Nous, les orthodoxes, réclamons [Benoît] comme l'un des nôtres, comme le sont tous les saints du pré-schisme. Mais peu importe. [Les chrétiens] doivent approfondir l'histoire de l'Église pour trouver les ressources nécessaires pour résister aux pressions de la modernité. Saint Benoît est l’un d’entre eux. En raison de la diversité de nos ecclésiologies, un BenOp catholique serait différent d'un protestant et un orthodoxe serait également différent. Cela n’importe pas. En fonction de telos de chaque interprétation du BenOp, nous devrions pouvoir travailler ensemble de manière œcuménique. » 

Alastair Crooke

dimanche, 03 mars 2019

Yockey et la machine américaine à uniformiser

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Yockey et la machine américaine à uniformiser

Les Carnets de Nicolas Bonnal

FPY-imp.jpgRené Girard a parlé de l’Amérique comme puissance mimétique. Sur cette planète de crétins en effet tout le monde veut devenir américain, y compris quand il s’agit de payer des études à quarante mille euros/an, des opérations à 200 000 euros, de devenir obèse et même abruti par la consommation de médias et d’opiacés...

L’affaire est déjà ancienne et René Guénon a bien évoqué après Tocqueville ou Beaumont la médiocrité industrielle de la vie ordinaire/américanisée qu’on nous impose depuis les bourgeoises révolutions...

Un des américains à avoir le mieux parlé de cette uniformisation, après Poe ou Hawthorne, fut Francis Parker Yockey. Je laisse de côté ses vues politiques totalement aberrantes et je prends en compte ses observations sociologiques qui, comme celles de Louis-Ferdinand Céline, sont souvent justes ou/et intéressantes. Voici ce qu’il observe à l’époque de Bogart, quand tout le monde là-bas mène une vie gris Hopper, clope sans arrêt, boit son whisky au petit-déjeuner, imite les criminels en se couvrant d’un chapeau et d’une ridicule gabardine :

« La technique pour éliminer la résistance américaine à la distorsion de la culture a été l'uniformité. Chaque Américain a été fait pour s'habiller de la même manière, vivant et discutant de la même façon, se comportant de la même manière et pensant aussi identiquement. Le principe de l'uniformité considère la personnalité comme un danger et aussi comme un fardeau. Ce grand principe a été appliqué à tous les domaines de la vie. La publicité d'un genre et à une échelle inconnue de l'Europe fait partie de cette méthode d'éradication de l’individualisme. On voit partout le même visage vide, souriant. »

La femme américaine fut plus facilement mécanisée que l’homme :

«  Ce principe a avant tout été appliqué à la femme américaine dans les vêtements, les cosmétiques et le comportement, elle a été privée de toute individualité. Une littérature, vaste et inclusive, s'est développée pour mécaniser et uniformiser tous les problèmes et toutes les situations de la vie. Des millions de livres sont vendus pour dire à l’Américain «Comment se faire des amis». D’autres livres lui expliquent comment écrire des lettres, se comporter en public, faire l’amour, jouer à des jeux, uniformiser sa vie intérieure, comment beaucoup d'enfants à avoir, comment s'habiller, même comment penser. »

FPY-lost.jpgLe cinéaste Tim Burton a bien moqué ce comportement homogénéisé/industriel dans plusieurs de ses films, par exemple Edouard aux mains d’argent. Kazan avait fait de même dans l’Arrangement. Aujourd’hui ce comportement monolithique/industriel s’applique à l’humanitaire, à la déviance, à la marginalité, au transsexualisme, au tatouage, au piercing, etc. 

Toujours dans Empire, Francis Parker Yockey ajoute :

« Un concours a récemment eu lieu en Amérique pour trouver «Mr. L'homme moyen». Des statistiques générales ont été utilisées pour trouver le centre/moyen de la population, les relations matrimoniales, la répartition de la population, le nombre de familles, la répartition rurale et urbaine, et ainsi de suite. Enfin, un homme et sa femme avec deux enfants dans une maison de taille moyenne en ville ont été choisis comme «famille moyenne». Ils ont ensuite fait un voyage à New York, ont été interviewés par la presse, fêtés, sollicités pour approuver les produits commerciaux... »

On pense aux films de Capra qui déclinaient jusqu’à l’écœurement ce modèle de l’homme moyen dont se moquent les Coen dans leur œuvre (revoyez Barton Fink ou l’Homme qui n’était pas là sous cet angle) :

Yockey : « Leurs habitudes à la maison, leurs ajustements de vie ont généralement fait l’objet d’une enquête, et puis de généraliser. Ayant trouvé l'homme moyen du haut vers le bas, les idées et les sentiments ont ensuite été généralisés sous la forme de pensées moyennes impératives et des sentiments. Dans les «universités» américaines, les maris et les femmes assistent à une conférence sur l'adaptation au mariage. L’individualisme ne doit même pas être accepté dans quelque chose d'aussi personnel que le mariage. L’uniforme civil est aussi rigoureux – pour chaque type d’occasion – en tant que vêtement militaire ou liturgique le plus strict. »

Notre rebelle dénonce la liquidation des arts : 

« Les arts ont été coordonnés dans le schéma directeur. Il n’y a en Amérique, avec ses 140 000 000 d’habitants, pas une seule compagnie d'opéra continue, ni un seul théâtre continu ; le théâtre n’y produit que des «revues» et des pièces de propagande journalistique. »

Comme Céline ou Duhamel, Yockey souligne le rôle du cinéma :

« Pour le reste, il n’y a que le cinéma et c’est, après tout, le moyen le plus puissant de l’uniformisation de l’Américain. »

La peinture et la musique sont remplacées :

« Dans un pays qui a produit West, Stuart et Copley, il n'y a pas un seul peintre de notoriété publique qui continue dans la tradition occidentale. Les «abstractions», la folie picturale et le souci de la laideur monopolisent l'art pictural.

FPY-flames.jpgLa musique est rarement entendue en Amérique, ayant été remplacée par le battement de tambour sans culture du noir. Comme le dit un musicologue américain: «Le rythme du jazz, tiré de tribus sauvages, est à la fois raffiné et élémentaire et correspond aux dispositions de notre âme moderne. Cela nous excite sans répit, comme le battement de tambour primitif du danseur de la prière. Mais il ne s'arrête pas là. Il doit en même temps tenir compte de l'excitabilité de la psyché moderne. Nous avons soif de stimuli rapides, excitants et en constante évolution. La musique est un excellent moyen d’excitation, syncopé, qui a fait ses preuves. »

Et la littérature aussi :

« La littérature américaine, qui a produit Irving, Emerson, Hawthorne, Melville, Thoreau et Poe, est aujourd'hui entièrement représentée par des distorteurs de la culture qui transforment les motifs freudiens et marxistes en pièces de théâtre et en romans. »

Famille et religion n’existent déjà plus (années de la révolution sociétale Roosevelt) :

« La vie de famille américaine a été complètement désintégrée par le régime qui déforme la culture. Dans le foyer américain habituel, les parents ont en réalité moins d'autorité que les enfants. Les écoles n'appliquent aucune discipline, pas plus que les églises. La fonction de formation des esprits des jeunes a été abdiquée par tous en faveur du cinéma. Le mariage en Amérique a été remplacé par le divorce. Ceci est dit sans intention paradoxale. Les statistiques montrent que dans les grandes villes, un mariage sur deux se termine par un divorce. Le pays dans son ensemble, le chiffre est un sur trois. »

La presse sert à manipuler, à préparer la guerre (pensons à l’Iran, au Venezuela, à la Russie, à la Chine, gros morceaux pourtant, mais rien n’arrêtera nos couillons) :

« L'uniformité est la technique de l'excitation. La presse présente chaque jour de nouvelles sensations. Que ce soit un meurtre, un enlèvement, un scandale gouvernemental ou une alerte à la guerre, peu importe la raison. Mais, à des fins politiques particulières, ces dernières sensations sont les plus efficaces. Pour nous préparer à la Seconde Guerre mondiale, le facteur de distorsion a administré tous les jours une nouvelle "crise". Le processus a augmenté jusqu'à ce que la population soit prête à se féliciter du déclenchement de la guerre comme un soulagement de la constante tension nerveuse. Lorsque la guerre est apparue, le distorteur a immédiatement appelé une "guerre mondiale" malgré le fait que seulement trois puissances politiques étaient engagées, et les plus forts pouvoirs n'étaient pas impliqués. »

On tape souvent sur les Américains ou les Anglo-Saxons en oubliant, comme me disait Jean Parvulesco peu avant sa mort, qu’ils avaient d’abord perdu le combat chez eux…

 

Source

Yockey, Imperium, world-outlook, pp. 502-506

mardi, 26 février 2019

Le progrès, une idéologie d’avenir ?...

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Le progrès, une idéologie d’avenir ?...

par Hervé Juvin

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son blog et consacré à l'idéologie du progrès, qui se trouve au cœur de la doctrine politique d'Emmanuel Macron. Économiste de formation, vice-président de Géopragma, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

juvin.jpgLe progrès, une idéologie d’avenir ?

Enrôler le progrès à son usage unique ; c’est la grande idée politique d’Emmanuel Macron. Le combat entre progressistes et conservateurs remplacerait le débat entre droite et gauche.Vieillie, dépassée, la confrontation entre socialistes et libéraux ferait place à une confrontation entre l’avenir et le passé, ceux qui avancent et ceux qui bloquent, la lumière et la nuit. On croirait entendre Jack Lang en 1981… Le simplisme a une force politique. L’avenir, qui est contre ?

La pertinence de l’opération pose pourtant question. Car tout se complique dès qu’il s’agit de définir le progrès dont l’avenir doit être porteur, cette valeur supposée positive, à laquelle s’oppose le conservatisme, si aisément jugé négatif. Sauf qu’il n’est pas certain que le progrès, celui que désignent les progressistes, soit exactement le futur ; de même qu’il n’est pas certain que la volonté de conserver, attribuée aux opposants, s’enlise dans le passé. Et si c’était le contraire ? Et si « je maintiendrai » était la formule révolutionnaire du futur ?

La belle route du progrès

L’avenir tel que La République en Marche veut y conduire la France a été écrit en 1990. Libre échange, entreprises mondiales, sociétés multiculturelles, règne du droit et uniformisation du monde sur le modèle américain. La chute de l’empire soviétique promettait l’union planétaire, la démocratie mondiale, et le libéralisme devenait la seule politique possible. C’était la fin de l’histoire, qui s’en souvient ?

Le libre-échange allait bénéficier à tous ; d’ailleurs, aucun économiste ne peut être protectionniste, affirmaient doctement des experts payés pour leurs discours par les banques et les fonds d’investissement. Les multinationales avaient carte blanche ; délocaliser, c’était l’avenir ! Les leçons du XXe siècle étaient tirées ; le nationalisme c’est la guerre, et la Nation, dans ses frontières, était une forme politique dépassée. Le sort des peuples européens se confondait avec l’intégration de l’Europe. L’euro devait donner à l’Europe sa forme fédérale, appelée à attirer toutes les Nations.

hj11.jpgLa société multiculturelle était l’avenir ; elle abolit les frontières ; elle ne connaît la diversité qu’individuelle, et elle nous promet la paix et l’amitié entre tous les hommes unis par le commerce. Ils ne formeront plus des peuples, mais une humanité dans laquelle tous font valoir les mêmes droits, partagent les mêmes désirs, bref, deviennent les mêmes. La croissance allait sauver le monde ; la Chine marchait vers la démocratie à mesure que le bol de riz se remplissait. Le droit et le marché en avaient fini avec la politique ; la puissance, la souveraineté, la Nation, autant de vestiges à mettre au grenier. Ajoutons que le monde est à nous, que nous nous levons chaque matin pour tout changer, que tous les milliardaires du monde n’aspirent qu’à construire un monde meilleur, et que la liberté oublieuse du passé assure que chacune, que chacun se construise lui-même un avenir radieux.

C’étaient les années 90. Un autre monde. C’est toujours la rengaine du progrès telle que l’entonnent celles et ceux qui n’ont rien vu, rien appris, rien compris depuis plus de vingt ans. Et c’est ce que des dirigeants européens autistes, un Président français vieilli avant l’âge, veulent continuer à nous faire croire comme progrès. Ce que la République en Marche veut faire croire à la France. Et pourtant…

L’avenir a changé de route. La zone euro est en panne ; non seulement l’Europe recule par rapport à tous les autres continents, mais en Europe, les pays de la zone euro sont derrière les pays qui ont gardé leur monnaie nationale, à commencer par la Grande-Bretagne. Le commerce international est en recul, depuis que les coûts du transport ont cessé de baisser, depuis que les entreprises redécouvrent que l’éloignement est un facteur de risque.

La part des multinationales dans l’activité mondiale baisse, pour la première fois depuis les années 1980. La dénonciation des pratiques commerciales déloyales est au cœur de tous les débats internationaux, et la hausse des tarifs douaniers, le resserrement des normes et des contrôles, est partout la réponse à des situations où la concurrence est inégale. Plus personne n’oserait dire que « le doux commerce » est la voie de la paix ! Il n’y a pas de marché quand les systèmes de valeurs, les priorités, diffèrent.

Analysant la perspective de voir les États-Unis couper Huawei de ses fournisseurs occidentaux ou taiwanais, même le très libéral The Economist reconnaît que « la technologie ne peut rien contre la politique » ! Dans les cercles internationaux, et même à Davos 2019, le constat s’impose ; la mondialisation a fait quelques milliers de milliardaires, elle a sorti de la pauvreté 1,2 milliard d’Asiatiques, elle a surtout détruit des classes moyennes occidentales qui devaient l’essentiel de leur pouvoir d’achat, non à leur performance individuelle, mais à la solidité du cadre national et des systèmes sociaux en vigueur, des politiques salariales aux mutualisations internes. Et l’individualisme progresse sur fond de désespoir, avec un Japon, une Allemagne, une Corée du Sud, qui découvrent que l’isolement est la première maladie moderne, et que la réussite économique ne donne pas l’envie de vivre.

Le nouveau signe du progrès

Le progrès aujourd’hui n’est pas ce qu’il était en 1990. Les Français l’ont bien compris. Le progrès s’appelle circuits courts, il s’appelle relocaliser, se fournir à proximité, savoir qui produit quoi, et comment. L’avenir est fait d’héritages à conserver et à transmettre, plus beaux, plus riches, plus vivants. Le progrès s’appelle lutter contre l’esclavage et le trafic d’êtres humains qui sont le vrai nom de l’immigration. Le progrès s’appelle frontière, pour ceux qui veulent choisir leurs lois, leurs voisins, et leur destin. Le progrès s’appelle renouer avec l’histoire pour se projeter sans se perdre, il signifie préférer le citoyen à l’individu, parce que lui seul rend possible l’action collective, et que citoyenneté rime avec liberté. Et le progrès s’appelle retour au territoire, retour à la famille, aux liens et aux siens, parce que nul ne survivra seul à l’effondrement de nos sociétés et de la vie.

hj1.jpgL’avenir a changé de sens, et le progrès est l’inverse de ce qu’une politique française entêtée, aveugle et autiste, fait subir aux Français. Partout, l’État Nation est la forme politique de la modernité, et partout, les États Nations cherchent à affirmer leur unité interne, pour mieux faire face aux défis extérieurs qui se multiplient. Partout, la frontière retrouve sa fonction vitale ; faire le tri entre ce qui vient de l’extérieur, qui est utile, choisi, et qui entre, et ce qui est dangereux, toxique, et qui reste à l’extérieur. Partout, l’unité nationale est une priorité.

Partout aussi, l’État est appelé à redécouvrir son rôle ; protéger, promouvoir, préférer les citoyens. Même Henry Kissinger (Le Débat, nov-déc. 2018) appelle les États à prendre le contrôle d’Internet ! Même Davos sent vaciller ses certitudes mondialistes et témoigne du malaise dans ce qui reste du monde global ! Partout, sous des formes et des contours divers, le besoin de dire « nous » l’emporte sur le « je » de l’isolement et de la détresse. Et partout, être respecté, être associé, être représenté, devient plus important que les bénéfices économiques promis par des experts méprisants, distants et absents.

Quand le progressisme se confond avec le bougisme — changer tout, tout le temps et pour rien — le progrès s’appelle demeurer. Quand le progressisme signifie sacrifier au court terme un patrimoine, des infrastructures, des traditions, le progrès s’appelle maintenir. Quand le progressisme s’attaque aux mœurs, aux institutions, aux familles, aux corps et à la vie, le progrès s’appelle préserver. Parlez-en à ceux de l’Est européen, ils savent que conserver, maintenir, défendre et préserver peut être la promesse qui fait se tenir debout et qui ouvre toutes grandes les portes de l’avenir !

Et voilà que la confusion se dissipe. N’en déplaise à Mme Nathalie Loiseau, il n’y a pas et il n’y aura pas de souveraineté européenne parce que la souveraineté est l’apanage des peuples, et qu’il n’y a pas, il n’y aura pas de peuple européen. N’en déplaise à Emmanuel Macron, le libre échange est en recul, comme le commerce mondial, parce qu’ils sont à l’origine de la plus formidable régression sociale que l’Europe ait connue. N’en déplaise à des socialistes qui ont trahi le peuple, les frontières sont de retour parce que leur ouverture détruit les acquis sociaux, le droit du travail et les solidarités nationales plus vite que n’importe quel autocrate illibéral.

N’en déplaise aux européistes de la fuite en avant fédérale, comme aux nostalgiques d’une grande Europe aux ordres du Reich, l’État Nation est la forme politique de la modernité, et les rêves du multilatéralisme, du post-national et de la démocratie mondiale ont fini dans les poubelles de l’histoire. Qu’elles y restent ! Et n’en déplaise aux donneurs de leçons, le dépassement des Droits de l’individu est en cours, des Droits qui n’ont de réalité que quand les citoyens dans une société organisée et grâce à un Etat fort, décident de les honorer.

hj2.jpgVoilà notre situation historique. Un nouvel obscurantisme nous rend prisonniers. Il s’appelle globalisme, multiculturalisme, individualisme. L’idéologie qu’il constitue est rétrograde, elle répète des refrains qui ont trente ans d’âge, et elle nous bouche l’avenir. Nous devons allumer d’autres Lumières pour faire reculer l’obscurité, et nous libérer des mensonges officiels comme des inquisiteurs qui appellent « fake news » ce qui révèle les mensonges de l’oligarchie au pouvoir. Nous devons suivre l’enseignement de Spinoza, de Kant, et nous libérer de la religion laïque de l’économie, qui a remplacé les religions divines sans rien tenir de leurs promesses ! L’avenir s’appelle Nation, s’appelle citoyen, s’appelle frontières. Le changement s’appelle sécurité, autorité, et stabilité. Et le progrès s’appelle demeurer Français, bien chez nous, bien sûr notre territoire, bien dans nos frontières, pour être à l’aise dans le monde.

Il est grand temps que la France se réveille du sommeil de plomb dans lequel le socialisme l’a plongé. Il est plus urgent encore que La République En Marche cesse de mettre la France à reculons, de vendre pour changement une rengaine que personne n’écoute plus, et de nommer progrès ce qui a provoqué un recul français manifeste, douloureux, et continuel depuis trente ans. Nous qui défendons la Nation représentons le progrès, le vrai, celui qui est partagé par tous. Nous représentons les libertés publiques, et la première d’entre elles ; la liberté de choisir qui est Français. Nous voulons que la France reprenne sa place dans le monde ; nous allons faire rentrer la France dans l’histoire ; nous allons rendre à la France son avenir, un avenir choisi, pas celui qu’on nous impose, un avenir voulu, pas celui des gérants de fonds, un avenir qui en finisse avec les vieilles recettes et les vieilles illusions, un avenir que nous aurons choisi !

Hervé Juvin (Blog d'Hervé Juvin, 18 février 2019)

lundi, 25 février 2019

Michel Onfray charge Bernard-Henri Lévy : "Il est le prototype de tout ce que je n'aime pas en philosophie

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Michel Onfray charge Bernard-Henri Lévy : "Il est le prototype de tout ce que je n'aime pas en philosophie

 
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Quand Fabrice Luchini rencontre Michel Onfray

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Quand Fabrice Luchini rencontre Michel Onfray

Le trésor transcendantal de la vérité, de la beauté et de la bienveillance s'estompe face au matérialisme et au postmodernisme

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Le trésor transcendantal de la vérité, de la beauté et de la bienveillance s'estompe face au matérialisme et au postmodernisme

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samedi, 23 février 2019

Ernst Jünger entre modernité technophile et retour au donné naturel

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Robert Steuckers :

Ernst Jünger entre modernité technophile et retour au donné naturel

Le spécialiste des phénoménologies existentialistes et des théories conservatrices et conservatrices-révolutionnaires qu’est le Prof. Michael Grossheim à Rostock a eu le mérite de rappeler, l’année où Jünger fêta son centenaire, que l’ouvrage théorique majeur de notre auteur, Der Arbeiter (= Le Travailleur) avait laissé perplexes bon nombre d’amis de l’écrivain militaire et révolutionnaire, au moment de sa parution en 1932. Pour Grossheim, Ernst Jünger a eu, à cette époque-là de sa longue vie, une attitude très particulière face à la modernité. Le camp conservateur, auquel on le rattachait en dépit de ses sympathies révolutionnaires, qu’elles aient été nationalistes ou bolchevisantes, n’était pas spécialement technophile et regrettait le passé où les moteurs ne vrombissaient pas encore et où la vie ne subissait pas le rythme trépident des machines de tous genres.

Pour Grossheim, l’attitude de Jünger face à la technique, du moins jusqu’au début des années 1930, dérive des expériences de la première guerre mondiale qui a inauguré les terribles batailles de matériels : militaire jusqu’à la moelle, Jünger refuse toute attitude capitulatrice et passéiste face à l’effroyable déchaînement de la puissance technique sur le champ de bataille. Grossheim : « Il a appris à connaître le potentiel démoniaque de la technique mais ne veut pas le fuir ; il se soumet à la réalité (nouvelle) ».

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Derrière cette volonté délibérée de se soumettre à l’implacable puissance des machines de guerre se profile aussi un débat que Grossheim met en exergue : le mouvement conservateur, tel qu’il s’articule à l’époque dans les mouvements de jeunesse issus du Wandervogel, est tributaire, depuis 1913, de la pensée écologique et vitaliste de Ludwig Klages. Celui-ci est résolument anti-techniciste et antirationaliste. Il déplore amèrement le saccage du donné naturel par la pensée hyper-rationalisée et par les pratiques technicistes : déforestation à grande échelle, disparition des peuples primitifs, extermination d’espèces animales. Ernst Jünger ne contredit pas Klages quand ce dernier pose un tel constat et, même, s’alignera bientôt sur de pareilles positions. Cependant, en 1932, au terme d’un engagement révolutionnaire (finalement plus bolchevisant que conservateur) et à la veille de la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes, Jünger raisonne sur base d’autres postulats, sans nier le caractère éminemment destructeur du technicisme dominant. Qui est destructeur et total, ce qui revient à dire que le Travail, expression de l’agir à l’ère de la technique, s’insinue en tout, jusque dans l’intimité et les moments de repos et de loisirs de l’homme.  Chez Klages et ses adeptes des mouvements de jeunesse, les âges d’avant la technique sont l’objet d’une nostalgie envahissante et, pour Jünger, incapacitante. Face à ce naturalisme biologisant, Jünger plaide, explique Grossheim, pour un « réalisme héroïque » qui ne veut rien céder aux illusions sentimentales ni demeurer en-deçà de la vitesse nouvelle et inédite que les processus en marche depuis l’hyper-technicisation de la guerre ont imposée.

ejarbeiter.jpgLa phase du « Travailleur » a toutefois été très brève dans la longue vie de Jünger. Mais même après sa sortie sereine et graduelle hors de l’idéologie techniciste , Jünger refuse tout « escapisme romantique » : il rejette l’attitude de Cassandre et veut regarder les phénomènes en face, sereinement. Pour lui, il faut pousser le processus jusqu’au bout afin de provoquer, à terme, un véritablement renversement, sans s’encombrer de barrages ténus, érigés avec des matériaux surannés, faits de bric et de broc. Sa position ne relève aucunement du technicisme naïf et bourgeois de la fin du 19ème siècle : pour lui, l’Etat, la chose politique, le pouvoir sera déterminé par la technique, par la catégorie du « Travail ». Dans cette perspective, la technique n’est pas la source de petites commodités pour agrémenter la vie bourgeoise mais une force titanesque qui démultipliera démesurément le pouvoir politique. L’individu, cher au libéralisme de la Belle Epoque, fera place au « Type », qui renoncera aux limites désuètes de l’idéal bourgeois et se posera comme un simple rouage, sans affects et sans sentimentalités inutiles, de la machine étatique nouvelle, qu’il servira comme le soldat sert sa mitrailleuse, son char, son avion, son sous-marin. Le « Type » ne souffre pas sous la machine, comme l’idéologie anti-techniciste le voudrait, il s’est lié physiquement et psychiquement à son instrument d’acier comme le paysan éternel est lié charnellement et mentalement à sa glèbe. Jünger : « Celui qui vit la technique comme une agression contre sa substance, se place en dehors de la figure du Travailleur ». Parce que le Travailleur, le Type du Travailleur, s’est soumis volontairement à la Machine, il en deviendra le maître parce qu’il s’est plongé dans le flux qu’elle appelle par le fait même de sa présence, de sa puissance et de sa croissance. Le Type s’immerge dans le flux et refuse d’être barrage bloquant, figeant.

Jünger, au nom d’une efficacité technicienne qui est somme toute militaire, combat les peurs qu’engendre la modernisation technicienne. S’immerger dans le flux technique qui s’est amplifié rapidement depuis les grandes batailles de matériels est un service à rendre à la nation, contrairement aux attitudes incapacitantes qui empêcheraient les futures générations de maîtriser les outils techniques les plus performants, ceux qui donnent la victoire ou inspirent la crainte à l’ennemi potentiel. L’homme, devenu « Type », devient alors le chef d’orchestre secret qui gère le flux technique et les machines qu’il produit : ce n’est pas un combat que gagne la machine contre l’homme mais un combat qui se gagne avec des machines. L’homme-type reste le maître final de la situation : c’est lui qui impulse à la machine son mouvement, lui donne un sens, physiquement et spirituellement. L’homme est supérieur à la machine s’il a, face à elle, une attitude altière, dominatrice, pareille à celle du soldat qui a vécu les grandes batailles de matériels. En ce sens, le combattant de la Grande Guerre est bien le prélude de l’humanité « typifiée » de l’avenir.

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Mais, malgré cette grandiloquence techno-futuriste du Jünger de 1932, font surface, dans ses réflexions, le scepticisme et la conscience qu’il est impossible d’éradiquer la force tellurique et naturelle des faits organiques.  Dès les mois qui ont suivi la parution du « Travailleur » (Der Arbeiter), Jünger glissera vers une posture ne réclamant plus l’accélération mais son contraire, la décélération. Pour son exégète actuel, Jan Robert Weber, ce glissement vers une pensée de la décélération (Entschleunigung) se fera en quatre étapes : celle de la découverte des « espaces de résilience » sous une « dictature cacocratique nihiliste » (1933-1939), la nécessité de s’accrocher aux espaces idylliques ou classiques (dont le Paris des années d’occupation) pendant les années de la seconde guerre mondiale, le recours à l’écriture à l’ère où la paix sera de longue durée (1946-1949) et, enfin, la période des refuges méditerranéens (dont la Sardaigne fut un prélude) et/ou tropicaux (visites en Amazonie, en Malaisie, en Afrique et en Indonésie – 1950-1960). Tout cela pour aboutir, écrit J. R. Weber, « au moi apaisé du voyageur de par le monde à l’ère de la posthistoire ».

Robert Steuckers.

Bibliographie :

  • Michael GROSSHEIM, « Ernst Jünger und die Moderne – Adnoten zum ‘Arbeiter’ », in : ünter FIGAL und Heimo SCHWILK, Magie der Heiterkeit – Ernst Jünger zum Hundertsten, Klett-Cotta, Stuttgart, 1995.
  • Andrea SCARABELLI, « Terra Sarda: il mediterraneo metafisico di Ernst Jünger », in : http://blog.ilgiornale.it/scarabelli (10 août 2018).
  • Jan Robert WEBER, Ästhetik der Entschleunigung – Ernst Jüngers Reisetagebücher (1934-1960), Matthes & Seitz, Berlin, 2011.

Ce texte est paru dans le numéro spécial de Livr'arbitres, n°27

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lundi, 18 février 2019

Cioran’s On France: Thriving Amidst Decay

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Cioran’s On France: Thriving Amidst Decay

Emil Cioran
De la France 
Paris: L’Herne, 2015

This is a strange, vile little book as only Emil Cioran [2] knew how to produce. It was only recently published, in both the original Romanian and in French translation,[1] [3] having been written in 1941 and left to languish for decades in some cardboard box in the Cioran archives. Cioran wrote the book in the wake of France’s pathetic defeat in 1940, inspired by his conversations in Parisian cafés and his bicycling through the villages of the French countryside. Contemporary political events are quite understated, however. For Cioran, there is no question of engaging in puerile journalism; in his view, France’s decay was many centuries in the making.

I first read the book some time ago and remembered nothing except a feeling of revulsion. I recently reread it, this time taking notes. As so often with Cioran, when I gather my notes, my initial revulsion gives way as I see the bigger picture and glimmers of hope, and the work ends up being strangely endearing to me.

I don’t know if the author ever meant for the text, which was written in pencil, to be published at all, let alone in its current form. It seems likely it was written in a few inspired bursts of Cioran’s brilliant and morbid Muse. It is a conversion note. Before 1941, Cioran thought in German, had wished he could have been German, and wrote in Romanian, oscillating between despair and the mad hope that a new barbarism could save Romania from irrelevance and Europe from decadence. After 1945, Cioran had settled into his Parisian home and would henceforth write exclusively in French, as a “lucid” aesthete of nihilism and decline.

Why would someone want such an intellectual destiny for oneself? On France explains it. This is a prolonged meditation upon France, her greatness, vanity, and decay, a book-long portrait of the past glories and the steady and pathetic decline of a great nation. Cioran has in fact fallen in love with his adoptive land; it is indeed a love letter. His prose is often overwritten, but quite insightful: “I perceive France rightly by all that is rotten within me” (40). France is decadent, lifeless, and over-intellectual, just like himself. The book opens with an apt anonymous quotation in French: “Collection d’exagérations maladives” (a collection of sickly/obsessive exaggerations). Rest assured there is a point to all of this, if one bears with it.

ecfrance.jpgCioran, like Nietzsche, writes with a kind of visceral identification with human history and the evolution of our consciousness as recorded in our literature and philosophy. For Cioran, how could one live without being part of a great nation? For him, a nation is a social, linguistic, and ethnic reality culminating in a shared psychic reality; a great nation is an agent influencing the course of human history, rather than a collection of individuals. A nation is a kind of conversation, a shared mind, extending across the centuries; at the same time, nations are equally mortal and artificial creations. Hence for Cioran, “France,” “Germany,” and “Romania” are entities which are at once conventional and whose potentialities and defects are intimately felt, about which the stakes could not be higher.

Cioran’s actual observations on France can be stereotypical or overwritten, but they are often on point and insightful. France had been the quintessential nation, a historical agent like no other, “a nation afflicted with good fortune” (28), which had known a stable and “regular” development (unlike the stagnation of the Balkans, or the erratic history of Germany and Russia). France was a nation which had never been “humiliated by comparisons,” whose people had never felt themselves to be “deracinated” by foreign influences, who had never felt the material or psychological need to emigrate (27). France was a world unto itself, psychologically self-sufficient, and in that sense strangely provincial, at the same time setting the tone for the entire world: “France – like ancient Greece – has been a universal province” (24). The nation could happily develop at her own, leisurely pace, for she was the world.

In this sense, all of Europe, and indeed much of the world, existed in France’s shadow. For all those formless populaces which wanted to be nations, France set the tone for what was “normal.” France had been the “soul of Europe,” a cultural and even political hegemon. Cioran delights in the decline of the “Grande Nation”: “From the Frenchmen of the Crusades, they have become the Frenchmen of the kitchen and the bistrot: bien-être and boredom” (53).

I recently had reason to observe that I don’t know what it is like to have been born in a second-rate or failed nation. France’s (and the West’s) standard-setting “normality” is in fact highly exceptional [4].

By the time of the Enlightenment, French confidence was also grounded in a belief in reason and progress. This was an “acosmic” culture not troubled by the sublimity and dread of metaphysics, too comfortable in reason, a formal classicism, and an “anti-Dionysian” (80) culture of the head, not of the heart,[2] [5] and committed to the “sterile perfection” of writing (24). It became the nation of self-satisfied Alexandrianism.

All that was over and done with. In the late Middle Ages, France had wavered “between the monastery and the salon” (17), before decisively opting for the latter. The French, since the Enlightenment and in particular during the Revolution, were a perfect example of the weakness of “reason” as a guide for a people. France had degenerated from a nation into a mere populace of selfish individualists, hence sterile, and long given to chatter, overrefinement, and gastronomy (one appreciates the overgeneralizations here). The French gave no place to the unconscious, they were not “deep,” and they had become skeptical and unwilling to die for any ideal (38). Because at this time Cioran seems to only have cared for intensity of feeling and belief, he sees the only remaining vitality left in France in Communism and the working class, although her “revolutionary career” was probably over, anyway (73; hence also some Slavophile sentiments, since Cioran never really distinguished between Russians and Communism, 41).

visuel-cioran.jpgCioran, a voracious reader with a vast intellectual culture, is extremely critical of French thought and culture throughout history. Cioran foresees a great convergence: France’s bourgeois decadence indicates where all the other nations are heading, and by that decadence she will also really become a “normal” country, as afflicted by doubt and inferiority complexes as all the rest (45, 49). Cioran writes implausibly, “Her decline, obvious for almost a century, has not been opposed by any of her sons with a desperate protest” (63).

By this point, one could fairly accuse the wretch Cioran of sadism. Some kids like to tear the wings off of flies, others just like to watch a once-beautiful flower slowly rot from blight.

Cioran has perhaps only one unambiguously positive thing to say about France, the embrace of fleeting beauty:

France’s divinity: Taste. Good taste.

According to which the world – to exist – must please; must be well-made; consolidate itself aesthetically; have limits; be a graspable enchantment; a sweet flowering [fleurissment] of finitude. (14-15)

He observes that France is “the country of the phenomenon in itself,” of impression, before adding, “If appearances are everything, France is right” (78). Very Zen and very true, no? If life is but a succession of fleeting moments, let them be beautiful.

Cioran luxuriates in France’s decay, and some of the passages are frankly revolting in embellishing – as Alain Soral has complained [6] – spiritual and civilizational rot:

[France] can only live up to [her past] if she accepts her end with style, by masterfully refining a crepuscular culture, by extinguishing herself with intelligence and even with splendor – not without corrupting the freshness of her neighbors or of the world through her decadent infiltrations and dangerous insinuations. (47-48)

There are fecund disintegrations and sterile ones. A great civilization which provincializes itself diminishes its spiritual volume; but, when it spreads the elements of its dissolution, when it universalizes its failure, the twilight retains some symbols of the mind and saves the appearance of nobility. (75)

He also writes, “Of France’s twilight we can only speak in aesthetic terms; we do not feel it, and the French do not feel it either” (59). Well, perhaps a metic could feel this way, but not a Frenchman raised in the knowledge that his country was a great nation among the lights of the world, passed down to us as a sacred patrimony by the sacrifice of millions of French soldiers and peasants. Let us recall Charles de Gaulle’s famous words:

All my life, I have had a certain idea of France. I am inspired in this as much by sentiment as by reason. . . . I instinctively have the impression that Providence has created her for consummate achievements or exemplary misfortunes. If mediocrity marks her deeds and actions, however, I have the feeling of an absurd anomaly, attributable to the faults of the French and not to the genius of the fatherland. But also, the positive side of my mind convinces me that France is only truly herself when she is at the first rank; that only vast enterprises can compensate for the ferments of dispersion which her people carries; that our country, as it is, among the others, as they are us, must, under penalty of death, aim high and stand tall. In short, by my lights, France cannot be France without greatness.

Let it be said that Charles de Gaulle, for all his failures [7], passed this conviction on to the more earnest and impressionable minds of the younger generation through this myth – those who only-too-naïvely took their elders’ words at face value, and who could therefore only be shocked by the nation’s decomposition and slouching into mediocrity. And are de Gaulle’s words not also true, to a great extent, for Europeans in general, who always yearn to dedicate themselves heart and soul to a great cause, without which they are prone to living like dogs? And I cannot tell you how many idealistic young Europeans I have met, who are among the best of our race, who dedicate themselves to the Third World, for there can still be found struggle, sacrifice, and emotional depth and intensity, which can only contrast with the superficiality and barrenness – a rare spiritual oblivion – of coddled life in the post-war West.

I can see a point in Cioran’s musing, but there is also something disgusting – and in some respects simply noxious – for both France and Europe. Cioran, in fact, seems torn: generally favoring belief and fanaticism as the antithesis of decadence (hence sympathy for Hitlerism and Bolshevism), but occasionally observing that perhaps Europe needs a bit of doubt, which France could bring (65).

Cioran is convinced of the catastrophic effects of the illusions of “reason” and “progress.” But if France, the pioneer-nation of the Enlightenment, would cease to believe in such follies . . . surely Western man could finally awaken from these self-satisfied, sterilizing slogans! Or, at least, Cioran believes he, as an “intellectual vampire” (60), could be a lucid and fecund writer in this context. He leapfrogs centuries of history:

Hailing from primitive lands, the Wallachian underworld, with the pessimism of youth, and then arriving in an overly ripe civilization, what a source of shivers before such a contrast! Without a past amidst an enormous past . . . From the pasture to the salon, from the shepherd to Alcibiades! (66)

Hence, Cioran loves France because she has fallen from self-assured greatness into a doubt and pessimism much like his own. Whereas he had previously loved Hitlerian Germany for its irrational faith, he now presents France as a mirror image of himself, an entire nihilist country in which he might be able to achieve the highest lucidity:

An entire country which no longer believes in anything, what an exalting and degrading spectacle! To hear them, from the lowest of citizens to the most lucid, say the obvious with detachment: “La France n’exist plus,” “Nous sommes finis,” “Nous n’avons plus d’avenir, “Nous sommes un pays en décadence,” what a reinvigorating lesson, when you are no longer a devotee of delusions! (69)

ciorantala.jpgFrance is “a consoling space” for Cioran: “With what impatience I have awaited this outcome, so fertile for melancholic inspiration!” (70). The wandering and soon-to-be stateless Cioran wants to limit himself to a particular culture and place: “He who embraces too much falsifies the world, but in the first instance, himself . . . A great soul enclosed in the French forms, what a fecund type of humanity!” (87). France’s comfortable decadence will shield Cioran from his own excesses: “Let her measure cure us of pathetic and fatal wanderings” (32), “A country’s lack of life will protect us against the dangers of life” (88). Crepuscular France will finally give Cioran the opportunity to be in harmony with his time: “Alexandrianism is erudite debauchery as a system, theoretical breathing at the twilight, a moaning of concepts – and the only moment when the soul can harmonize its darkness with the objective unfolding of the culture” (70).

In short, Cioran seizes the opportunity to join a decadent, highly intellectual nation, so as to explore the depths of nihilism and see where one emerges. I can appreciate this kind of personal and philosophical project.

Cioran carves a role out for himself as a fertilizing maggot in the corpse of French civilization. Cioran, not disinterestedly, affirms that the greatness of a nation can be measured by its ability to inspire metics to join and serve it, which I suppose is partly true (92-94). Cioran then foresees his own destiny in this new home:

What would I do if I were French? I would rest in Cynicism. (40)

France needs a pathetic and cynical Paul Valéry, an absolute artist of the void and of lucidity. (48)

My destiny is to wrap myself in the dregs of civilizations. How can I show my strength except by resisting in the midst of rot? The relationship between barbarism and neurasthenia balances this formula. An aesthete of the twilight of cultures, I turn my gaze of storm and dreams upon the dead waters of the mind . . . (65)

To refuse to go extinct, even though we have delighted in the inevitable march towards extinction. (82)

A kind of moribund fury lies in the aesthetes of decadence. (84)

Cioran affirms that decadence can only be overcome, not through sentimental nostalgia or insincere conservatism, but by uncompromisingly going deeper . . . perhaps then nihilism will be transcended? That which is falling ought to be pushed, that which doesn’t kill us, and so on.

On France seems to be a book-long philosophical exercise. There are well-established traditions in this kind of morbid meditation in both Stoicism and Buddhism, schools which strongly resonated with Cioran. In Stoic analysis, one breaks down an object to its most essential, unappetizing forms so as to overcome our desires with objectivity. As Marcus Aurelius wrote in his Meditations:

When you have savories and fine dishes set before you, you will gain an idea of their nature if you tell yourself that this is the corpse of a fish, and that the corpse of a bird or a pig; or again, that fine Falernian wine is merely grape juice, and this purple robe some sheep’s wool dipped in the blood of a shellfish; and as for sexual intercourse, it is the friction of a piece of gut and, following a sort of convulsion, the expulsion of some mucus. Thoughts such as these reach through to the things themselves and strike to the heart of them, allowing us to see them as they truly are. So follow this practice throughout your life, and where things seem most worthy of your approval, lay them naked, and see how cheap they are, and strip them of the pretenses of which they are so vain. (Marcus Aurelius, Meditations, 6.13)

The Buddhists attribute a similar meditative exercise to Gautama: contemplating the various aspects of our being (mind, body, actions, including defecation and urination), breaking down our body into parts, and indeed contemplating our body subject to various degrees of decomposition (notably in the Satipatṭhāna Sutta). By this, one attains a certain objectivity and imperviousness, one is learning to look the truth in the face without flinching.

On France appears to be the fruit of this kind of philosophical exercise. By stripping France of her pretensions and even the usual dignities necessary for a nation or an individual’s self-respect, Cioran sees his new home objectively. This is indeed one of Cioran’s “nay-saying, corrosive books,” a challenge, the overcoming of which will make us stronger.

In the 1920s and ’30s, no one denied the decadence which already afflicted the France of the Third Republic. No one today can deny that all Europe is decadent, unashamed of her impotence and dedicated to the most impoverished materialist and humanitarian principles, consecrated to the Last Man foreseen by Nietzsche, and with no end in sight. Given all this, Cioran’s observations and his challenge remain deeply relevant to us. Cioran is torn, but points to the need for decidedly modern barbarians: “I dream of a culture of oracles in logic, of lucid Pythias . . . and of a man who would control his reflexes with a supplement of life, and not through austerity” (89).

En guise de conclusion, I recall the words of the Buddha:

Just as a sweet-smelling and pleasant lotus grows on a heap of refuse flung on the high road, so a disciple of the Fully Awakened One shines resplendent in wisdom among the blind multitude, the refuse of beings. (Dhammapada, 58-59)

Some translated excerpts from this book will be published at Counter-Currents in the coming days.

Notes

[1] [8] The French edition is incidentally quite elegant and has been printed using blue ink.

[2] [9] Cioran often writes of nations having or lacking vigor “in the blood,” using this word strangely more in a psychological than hereditarian sense.

 

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[2] Emil Cioran: https://www.counter-currents.com/2019/01/cioran-germany-hitler/

[3] [1]: #_ftn1

[4] standard-setting “normality” is in fact highly exceptional: http://www.unz.com/gdurocher/the-convergence-hoax/

[5] [2]: #_ftn2

[6] Alain Soral has complained: https://www.counter-currents.com/2019/01/cioran-aesthete-of-despair/

[7] his failures: http://www.counter-currents.com/2016/04/de-gaulles-failure/

[8] [1]: #_ftnref1

[9] [2]: #_ftnref2

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samedi, 16 février 2019

PROMETEO Y LA ELPIS COMO PROGNÓSIS

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PROMETEO Y LA ELPIS COMO PROGNÓSIS

 
 
Ex: http://www.geopolitica.ru 

Prometeo, el astuto, es hijo de uno de los primeros siete titanes, Jápeto, que junto con Cronos lucharon contra Zeus, y Clímene, la de los bellos tobillos. Tuvo tres hermanos: Epimeteo, el torpe, esposo de Pandora; Atlas, el intrépido, condenado a sostener el cielo con su espalda y Menecio, el temerario que fue muerto por el rayo de Zeus y enviado al Tártaro. Prometeo y Epimeteo lucharon a favor de Zeus y Atlas y Menecio lo hicieron en su contra.

Desde siempre Prometeo ha sido el más estudiado por las riquezas interpretativas que ofrecen los textos de Hesíodo en la Teogonía y en los Trabajos=Erga.

Es sabido que los griegos a diferencia de los cristianos y judíos no han tenido textos sagrados, pero los que más se le aproximan son los de Homero, la Ilíada y la Odisea, y los mencionados de Hesíodo.[1]

Los griegos los conocían como “los poetas más divinos”(Certamen, ab ovo) y como tales los trataron y los citaron ad nauseam.

Ambos fueron coetáneos y vivieron en el último cuarto del siglo VIII a.C. y es imposible entender la cultura occidental tanto griega, latina como cristiana sin ellos dos. Homero porque la sitúa respecto Oriente y Hesíodo porque abre la puerta a la conciencia individual del hombre antiguo. Ellos aparecen en el momento en que los griegos pasan de la tribu a la polis, momento propiciado por las colonizaciones y el comercio marítimo y el reconocimiento de un derecho sancionado por las divinidades griegas.

Es digno de notar que para esa misma época se produce un cambio en la forma de combate, se pasa del combate individual a la aparición de las formaciones de hoplitas y de la caballería lo que crea una conciencia de pertenencia a una comunidad o polis.

El mito de Prometeo está compuesto por dos momentos:[2] la picardía de Prometeo que engaña a Zeus con la grasa y los huesos de un toro y el robo del fuego en un momento de distracción de Zeus. Éste lo castiga creando a Pandora=toda regalo o la que da todo, y encadenádolo a un peñasco.

Prometeo, el previsor, como dijimos es uno de los siete titanes encabezados por Cronos que enfrentaron y fueron derrotados por Zeus. En esa lucha estuvo del lado de vencedor, pero Zeus siempre desconfió de él por su astucia e inteligencia.

Un día se produjo una discusión acerca de que partes de un toro debían ofrecer a los dioses y cuales reservar a los hombres, entonces Prometeo carneo al toro y guardó la carne en una parte del cuero y los huesos y la grasa en otra que resultó más grande, y ofreció a Zeus que eligiera. Éste, naturalmente, tomó el saco mayor y cuando cayó en la cuenta del engaño exclamó: “que coman carne cruda” y los privó del fuego. Desde entonces los hombres queman grasa o prenden velas en honor a los dioses.

Prometeo se puso a al búsqueda del fuego, pues intuía que estaba en el Olimpo y no en la creencia que estaba en el interior de los árboles como se pensaba entonces, pues ya se barruntaba que se podía conseguirlo por la fricción de dos maderas.

Pidió a Atenea que lo dejara ingresar secretamente al Olimpo y allí robó el fuego de Zeus en un carbón encendido dentro de la médula de una cañaheja y entregó el fuego a los hombres, quienes a partir de entonces pudieron comer carne asada.

Zeus montó en cólera y “ordenó al muy ilustre Hefesto mezclar cuanto antes tierra y agua, infundirle voz y vida humana y hacer una linda y encantadora figura de doncella…luego encargó a Atenea que le enseñara sus labores, a tejer la tela de finos encajes. A la dorada Afrodita mandó rodear su cabeza de gracia, irresistible sensualidad y halagos cautivadores y a Hermes le encargó dotarle de una mente cínica y un carácter voluble”(Erga, 60-70). Y así nació Pandora, “de donde desciende la funesta estirpe y la tribu de las mujeres”(Teogonía, 591, que fue enviada inmediatamente como regalo a Epimeteo, quien no haciendo caso el consejo de su hermano de no aceptar nunca un regalo de Zeus, la aceptó como su esposa.

Pandora, poseedora de una curiosidad insaciable, andando por la casa observó una gran jarra donde, trabajosamente Prometeo había encerrado todos los males que podían perjudicar al hombre, y quitó con sus manos la tapa de la jarra dejando escapar todos los males menos uno: ElpiV=Elpis, término que ha sido traducido equivocadamente por esperanza. Pero pensándolo bien no tiene ningún sentido que se encontrara junto a todos los males dentro de la jarra, pues la esperanza no es un mal. Se produce una contradicción flagrante dado que la esperanza no es un mal para el hombre sino mas bien un bien.

La mejor versión que tenemos de elpis es nuestra propuesta de traducir el término por “espera”. Así lo hacen varios mitólogos contemporáneos (Verdenius, Pérez Jiménez, etc.) Así, si la espera queda dentro de la jarra, los hombres recibirán los males sin advertirlo. Los eruditos llegan hasta acá y para allí, no siguen razonando o especulando.

Pero la espera de suyo tampoco es un mal. Es un simple estar a la expectativa de algo que puede suceder. Pero, sí es un mal la causa de la espera que es la capacidad de precognición o prognosis.

En este último sentido tiene que entenderse la elpis de Hesíodo. En ese estar a la expectativa de algo por venir, porque para el hombre es un mal la prognosis o prospectiva, porque ¿qué humanidad tendríamos si supiéramos cuando nos vamos a morir, dónde radicaría nuestra libertad si supiéramos de antemano qué nos va a suceder?

La prognosis y no la esperanza es el mal que quedó encerrado en la jarra donde lo introdujo Prometeo, el previsor y no Zeus, como erróneamente confunden muchos mitólogos.

Este es nuestro pequeño aporte al comentario de un mito que ya tiene 2800 años.

El segundo momento del mito se produce cuando Prometeo le roba, escondido en el hueco de una cañaheja,  el fuego que Zeus tenía oculto a los hombres. Percatado Zeus del robo manda encadenar a Prometeo desnudo a un peñasco en las montañas del Cáucaso, donde durante el día un buitre le comía el hígado que luego crecía por la noche. Viendo su excesivo sufrimiento Heracles mata al buitre y lo libera de las cadenas, pero, si bien Zeus le concedió el perdón, para que Prometeo siguiese pareciendo un prisionero le impuso llevar un anillo realizado con un eslabón de su cadena con una piedra caucásica engarzada. Desde entonces la humanidad comenzó a llevar anillos en homenaje a Prometeo y recordar que el hombre es, en cierta media, un prisionero en esta tierra.

Lo que llama la atención de este segundo momento es el conocimiento de medicina que ya tenían los griegos del siglo VIII a.C. en el sentido que sabían que el hígado de reponía a sí mismo. Este dato se confirma científicamente recién en el siglo XVIII.

Como son casi infinitas las conclusiones que se han sacado de este mito: a) se lo comparó con Cristo, en tanto liberador de la humanidad. b) las consecuencias morales de la teoría de la culpa. c) los dioses no son tales sino solo proyecciones de los hombres. d) Pandora como nueva Eva y la introducción del mal en el mundo y un sin número de alii. Nosotros dejamos libre el campo de las múltiples interpretaciones y nos inclinamos por la apertura de la conciencia individual del hombre antiguo.

 


[1] Los trabajos que nos llegaron de Hesíodo son: Teogonía, Trabajos y días, Fragmentos, y Certamen.

[2] Para los eruditos el mito está formado por mitos etiológicos: a) por qué los hombres se reservan la carne y dan a los dioses la grasa y los huesos. b) cómo encontraron el fuego y c) el origen de la mujer como ruina para los hombres.

vendredi, 15 février 2019

Effondrement civilisationnel et Katechon

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Effondrement civilisationnel et Katechon

par Antonin Campana

Ex: http://www.autochtonisme.com 

Nous avons fait remarquer ailleurs dans ce blog que le monde était en voie d’entropisation. Pour comprendre les notions d’entropie et de néguentropie (ce qui s’oppose à l’entropie), on peut s’imaginer un jardinier aux prises avec la nature environnante. Généralement, le jardinier commence par humaniser un coin de cette nature, traçant une frontière entre le monde ordonné de son jardin et le monde extérieur, désordonné. Puis dans ce monde ordonné, son potager par exemple, il trace de nouvelles frontières : des allées, des parcelles pour les différentes variétés, un lieu pour le compost, etc. Imaginons que le jardinier décède ou soit malade. Immédiatement, les mauvaises herbes vont affluer, les ronces de l’extérieur vont pénétrer le jardin, les différentes variétés vont se mélanger ou disparaître, des nuisibles vont proliférer, etc. Bref le potager va retourner à l’état de nature. Dans notre schéma, ce processus de retour au désordre, au chaos, au mélange, à la confusion, ce processus de déstructuration et d’abolition des séparations, s’appelle l’entropie. Le jardinier, quant à lui, qui lutte pour conserver un ordre fondé sur des distinctions et qui s’oppose donc à ce processus de dissolution peut être considéré comme une force néguentropique.

Les cosmogonies de toutes les religions imaginent un dieu ou des dieux, voire des forces, qui au début des temps entrent en jeu pour ordonner le chaos (ou le Rien qui est le summum du chaos), et ainsi créer l’Univers, le monde et la vie. Ces forces ne procèdent pas autrement que notre jardinier : elles séparent les différents éléments (dans la cosmogonie biblique Dieu sépare le ciel de la terre, la lumière des ténèbres, les végétaux de la terre, la femme de l’homme….), elles distinguent et créent un ordre harmonieux que seule une force contraire et négative (Satan) cherche à contrecarrer. L’objectif de Satan est que le monde retourne au chaos originel, à la confusion et au désordre.  

A l’évidence, Satan représente l’entropie et les forces à l’origine de monde représentent la néguentropie. Ici, les religions paraissent diverger sur la manière de contrecarrer l’entropie. Imaginons une maison. Laissée à l’abandon celle-ci va subir le processus d’entropie : les tapisseries vont se décoller, les meubles vont pourrir, le toit va s’effondrer, les murs vont s’écrouler… quelques décennies plus tard, la maison n’est plus qu’un tas informe de gravats où tout se mélange dans l’indistinction : meubles, murs, toiture, matériaux… bref, la maison est devenue un chaos. Toutes les religions disent que la maison ne doit pas devenir chaos, mais elles ne le disent pas de la même façon. 

Le judaïsme et l’islam contrecarrent l’entropie par des commandements. Le propriétaire de la maison ne doit pas réfléchir à leur bien fondé, il n’est même pas utile qu’il croit en leur utilité : il doit simplement les exécuter de manière immédiate et passive. Sous peine de punition il devra refaire tous les dix ans les tapisseries et les peintures, il devra laver tous les jours les sols, il devra visiter tous les ans la toiture et tous les mois il devra racler les mousses qui s’accrochent à la façade (etc.).

Le christianisme contrecarre l’entropie par la foi dans les œuvres. Jésus ne commande pas, il ne révoque pas l’ancienne loi vétéro-testamentaire (les anciens commandements) mais il s’attend à que chacun, convaincu de l’utilité d’entretenir sa maison, le fasse naturellement et sans contrainte légale.

Le paganisme européen, quant à lui, contrecarre l’entropie par l’esthétique. Il tient en substance ce discours : « de toute manière, quoi que tu fasses, ta maison ressemblera tôt ou tard à un monticule de gravats. Maintenant, tu as deux solutions : soit vivre dans un taudis, soit entretenir ta maison. La mort nous attend tous, mais on peut être autre chose qu’une larve vivant dans de la crasse ».

En fait, les païens avaient raison : l’entropie finira par l’emporter. Quoi que fasse le jardinier, son potager  bien ordonné retournera tôt ou tard à l’état de nature désordonné. C’est ainsi. Mais les païens disent aussi que la victoire de l’entropie est temporaire car sitôt victorieuse un nouveau cycle néguentropique s’annonce. L’histoire est sans fin. Elle est faite de recommencements, comme les saisons.

Le christianisme dit presque la même chose. Il annonce la venue de l’Antéchrist, c’est-à-dire, en langage non théologique, la victoire de l’entropie. Il annonce aussi, après l’Antéchrist, la venue du Christ, c’est-à-dire la victoire définitive de la néguentropie. Au contraire de l’Histoire cyclique et sans fin des païens, l’Histoire chrétienne est linéaire, avec un début et une fin : paradis originel et règne de l’ordre néguentropique /  arrivée du Serpent et chute dans un monde où règne l’entropie : c’est le début de l’Histoire / première venue du Christ : l’entropie est contrecarrée / arrivée de l’Antéchrist et  victoire de l’entropie / retour du Christ et retour au paradis originel : c’est le règne définitif des forces néguentropiques, c’est aussi la fin de l’Histoire.

C’est dans cette histoire linéaire chrétienne que s’insère le concept de « Katechon » (prononcer Katékone). Dans le Nouveau Testament, le terme apparaît dans la seconde lettre aux Thessaloniciens (2 Thessaloniciens 2.6-7). Il signifie, en grec, « ce qui le retient » ou « celui qui le retient ». Saint Paul explique ici que l’Antéchrist ne pourra venir qu’après la suppression de « ce qui le retient ». Toutefois, il n’explique pas ce qu’est ce « quelque chose » ou ce « quelqu’un »  qui empêche la venue de l’Antéchrist. Paul tient cependant pour acquis que les Thessaloniciens le « savent » : « Et  maintenant vous savez ce qui le retient, afin qu’il ne paraisse qu’en son temps ». La tradition chrétienne a pensé trouver une indication dans l’Epître aux Romains (13.1-7) : « celui qui s'oppose à l'autorité résiste à l'ordre que Dieu a établi ». Autrement dit, l’Empire et l’empereur romains seraient le Katechon. Celui qui leur résisterait, résisterait à l’ordre établi par Dieu pour contrecarrer le désordre entropique. Mais de ce point de vue, l’Eglise et l’ordre chrétien peuvent également être vus comme le Katechon, ainsi que plus tard l’empire carolingien, le Saint Empire romain germanique, ou les monarchies européennes de droit divin.

Dans son Journal, à la date du 19 décembre 1947, Carl Schmitt, juriste et penseur politique allemand (1885-1988) écrit : «Je crois au katechon (…) Il faut pouvoir nommer le katechon pour chaque époque des 1948 dernières années. Le lieu n'a jamais été vide, sinon nous n'existerions plus.". Pour Carl Schmitt, le Katechon (Théologie politique, 1922) peut être une nation, un peuple, un Etat, un homme ou un groupe d’hommes. Par son action, l’exemple qu’il donne ou la résistance dont il fait preuve face au déclin des valeurs morales, religieuses et civiques, face à la destruction de l’ordre social, face à la déstructuration des sociétés comme des individus (anomie), le Katechon freine la satanisation du monde, l’installation du chaos et l’arrivée de l’Antéchrist.

Carl Schmitt pointe d’une part ceux qui sont les serviteurs de l’Antéchrist (ceux qui œuvrent à l’entropie du monde et à  la dissolution des sociétés) et ceux qui freinent l’arrivée du « fils de la perdition » (les forces katechoniques). Pour le philosophe catholique il ne fait aucun doute : il faut s’opposer à l’Antéchrist, il faut faire partie du Katechon ! Pour d’autres catholiques au contraire, il faut laisser faire, car il faut passer par l’Antéchrist pour retrouver le Christ. On se demande, de ce point de vue, si Vatican II n’a pas pris, par calcul diabolique, le parti des forces dissolvantes, de l’Antéchrist,  pour hâter, peut-être, le retour du Christ !

Pour illustrer l’action des forces entropiques et la résistance des forces katechoniques, prenons l’exemple de l’institution du mariage. Le mariage est un des piliers de l’ordre social.  Abattre ce pilier mettra en danger tout l’édifice. Le mariage a été institué pour que la femme puisse mettre au monde et élever ses enfants avec l’assurance qu’elle ne sera pas abandonnée mais au contraire qu’elle sera protégée par son époux. Le mariage institue un lien sacré devant Dieu. Il est énergiquement néguentropique. Néanmoins, l’entropie démoniaque va fortement et prioritairement s’attaquer à lui. La révolution “française“ va transformer le lien sacré devant Dieu en contrat devant Monsieur le Maire. Puis la République va décider que ce contrat est révocable, même pour « simple incompatibilité d’humeur ». Ensuite, la République va décider que ce contrat révocable qui  unit traditionnellement un homme et une femme, peut unir aussi, au nom de l’Amour, deux hommes ou deux femmes. Nous n’en resterons sans doute pas là et, entropie (et islam) aidant, il est probable que le mariage pourra unir un jour davantage que deux individus (trois, quatre, cinq ?). Encore un cran plus bas et nous pouvons imaginer que le mariage puisse unir des hommes à des animaux. Si j’aime ma chienne d’un amour réciproque, pourquoi ne pourrais-je pas me marier avec elle et en faire mon unique héritière ? Et pourquoi ne pourrait-on pas adjoindre à ce couple merveilleux ma voisine (déjà mariée à mon voisin) et son poney, puisque nous nous aimons tous ? Croire que l’entropie s’arrête en chemin est une illusion. L’entropie va toujours au bout de sa logique, et cette logique suppose à terme le chaos total. Nous n’avons encore rien vu !

Donc, l’épisode du mariage pour tous à mis face à face d’une part des serviteurs de l’entropie (gouvernement, lobby LGBT, journalistes…) et d’autre part des gens qui ont tenté de retenir le plus longtemps possible les forces du déclin et de la déstructuration. Ces gens, ceux qui ont freiné l’adoption de la loi, ceux qui ont « retenu » l’Antéchrist, ont été le Katechon.

Carl Schmitt dit que le Katechon s’est manifesté à chaque époque et que si tel n’avait pas été le cas l’humanité aurait disparu. Mais qui aujourd’hui retient ce Système qui dissout les peuples, déstructure les Etats, désintègre l’ordre sociétal, anéantit les cultures, mélange les lignées, standardise l’humain, éradique les religions, dévalorise les valeurs spirituelles, amoindrit les appartenances, transgresse les frontières et sème le chaos partout où il s’installe, dans les pays comme dans les esprits ? A l’évidence, face aux Etats-Unis-Système, face à l’Europe-Système,  la Russie est aujourd’hui le Katechon. Seul cet Etat est encore debout sur le rempart, défendant ouvertement des valeurs katechonique qui sont aux antipodes des valeurs entropiques du Système. L’Eglise, quant à elle, semble s’être définitivement soumises aux forces dissolvantes. Elle se tait, quand elle ne pactise pas.

Mais la Russie n’est pas seule. Tous ceux qui d’une manière ou d’une autre retiennent la progression de l’entropie-Antéchrist font partie du Katechon. Tous ceux qui défendent pied à pied les valeurs spirituelles et l’ordre social autochtone traditionnels sont le Katechon. Les serviteurs-Système de l’Antéchrist ne s’y trompent pas. La guerre est totale. Et cette guerre est moins politique qu’eschatologique : mieux vaut en être conscient pour comprendre les enjeux surhumain de cette lutte absolue.

Pour tous les hommes, le choix est donc simple : faire partie du Katechon ou servir l’entropie. Certes, démonter, casser, détruire est beaucoup plus facile qu’entretenir, conserver et rebâtir. Néanmoins, notre honneur ne se trouve pas dans la facilité, mais dans le courage de se tenir droit. Droit sur le rempart, face au mal absolu.

Antonin Campana

mercredi, 13 février 2019

Nous avons rencontré Marcel Gauchet

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Nous avons rencontré Marcel Gauchet

Par Pierre Ramond et Uriel Gadessaud

Source : Le Grand Continent, Pierre Ramond et Uriel Gadessaud
Ex: https://www.les-crises.fr

Rédacteur en chef de la revue Le Débat, le philosophe Marcel Gauchet est l’auteur d’ouvrages majeurs de la pensée contemporaine: Le Désenchantement du monde, L’Avènement de la démocratie ou plus récemment, Robespierre, l’homme qui nous divise le plus.

Dans cet entretien, il dresse le constat d’une Union européenne qui, faute de stratégie politique, se montre incapable de répondre à la déstabilisation identitaire engendrée par la mondialisation et par l’émergence de nouveaux rapports de force à l’échelle mondiale.

Le Grand Continent : Vous portez un discours assez critique vis-à-vis de l’Union européenne. Que lui reprochez-vous ? Pensez-vous qu’elle affaiblit les États nations ?

Marcel Gauchet : Je crois que c’est une mauvaise manière de prendre le problème que de se focaliser sur l’affaiblissement des États-nations. Il faut parler du résultat global du processus. S’il y avait affaiblissement des États-nations au profit de la collectivité des États-nations réunis dans l’Union européenne, il s’agirait d’un indéniable succès politique.

La bonne question est celle de l’efficacité globale du processus européen. La construction européenne promettait une efficacité supérieure à celle des États-nations, or, tel qu’elle fonctionne aujourd’hui, l’Union européenne affaiblit la créativité européenne en général, plus encore qu’elle n’affaiblit les États-nations en tant que tels. Qu’est-ce que l’Europe ? Le continent de l’invention de la modernité – politique, intellectuelle et scientifique, économique et technique (1) . Je sais que c’est pécher par « eurocentrisme » que de le rappeler, mais je n’ai pas de complexe à braver cette fatwa grotesque. Le problème fondamental de l’Europe est celui de sa capacité à continuer de contribuer à cette invention devenue désormais un bien commun planétaire, au-delà des catastrophes suicidaires du XXe siècle Or il me semble que l’Union européenne, loin de relever ce défi, a anesthésié ce qui a été le ressort de cette créativité, à savoir la dialectique de la coopération et de la concurrence entre les nations qui la composent. Voilà la critique majeure qu’on peut lui faire.

Le vice fondamental de l’Union européenne est d’avoir construit une entité apolitique et a-stratégique.

mgcpol.jpgLe problème de l’Union européenne est l’inversion de l’idée selon laquelle l’union fait la force. Or je dirais, dans le cas précis : l’union fait la faiblesse. Et ce sur tous les plans.

Le vice fondamental de l’Union européenne est d’avoir construit une entité apolitique et a-stratégique, qui ne permet pas aux Européens de se situer dans le monde. Je précise que la dimension stratégique n’implique pas nécessairement une dimension militaire. La puissance aujourd’hui n’a plus primordialement un sens militaire. La puissance militaire des États-Unis ne lui sert pas à grand chose, on pourrait même soutenir qu’elle est devenue contre-productive, en revanche les dépenses militaires américaines servent à fabriquer une industrie très puissante. Le keynésianisme militaire américain est très efficace ! Cela éclaire une autre erreur stratégique des Européens, qui se sont empressés d’empocher après 1991 les dividendes de la paix, en sacrifiant leurs dépenses militaires. Pendant ce temps, on voit que les dépenses militaires américaines, avec leurs ramifications multiples, ont servi à fabriquer une industrie numérique, qui est aujourd’hui le vrai secret de la puissance américaine. En la matière, les européens ont complètement raté le coche, faute d’une réflexion stratégique, et c’est une des raisons de leur affaiblissement durable.

L’un des échecs de l’Union européenne est justement d’avoir été incapable, au moment de l’effondrement de l’URSS, de définir une stratégie vis-à-vis de l’Europe de l’Est.

Dans cette perspective, que pensez-vous du projet d’armée européenne défendu par Emmanuel Macron ?

C’est une erreur politique grossière, en plus d’un vœu inconsistant ! Aujourd’hui, l’affichage de cette volonté de créer une armée européenne revient à entrer dans le jeu américain, qui consiste à faire de Poutine le repoussoir qui justifie des dépenses militaires servant à tout autre chose qu’à des buts militaires. Certes, dans l’abstrait, on ne peut que soutenir l’idée que les européens doivent être capables de se défendre par leurs propres moyens . Mais en pratique à quoi servirait cette armée européenne ? Nous ne sommes pas menacés par la Turquie ou par les pays du Maghreb ! Le seul adversaire sérieux serait éventuellement la Russie, mais est-il réaliste de la regarder comme une menace militaire directe ?

L’un des échecs de l’Union européenne est justement d’avoir été incapable, au moment de l’effondrement de l’URSS, de définir une stratégie vis-à-vis de l’Europe de l’Est. On a laissé faire les Américains, qui ont multiplié les erreurs, alors qu’il s’agissait de notre voisinage vital vis-à-vis duquel nous devions arrêter une ligne de conduite claire. Les États-Unis sont et doivent demeurer des alliés, mais cela ne doit pas empêcher les Européens de développer une réflexion indépendante sur leur environnement et leurs priorités, et de faire valoir leurs conclusions auprès de leur grand allié. Au lieu de quoi les Européens se laissent passivement mener par les États-Unis, qui poursuivent des buts qui leurs sont propres.

« Ce n’est pas l’Europe qui a bâti la paix, mais l’inverse : l’Europe s’est bâtie grâce à la paix assurée par la Guerre froide » écrivez-vous dans Comprendre le malheur français. Vous semblez ainsi remettre en question l’idée, chère aux europhiles, selon laquelle l’Union serait un rempart contre les conflits armés.

Cette idée est une vulgate propagandiste d’une telle absurdité historique que sa longévité me stupéfie. Soyons sérieux : une possible guerre européenne aurait concerné trois pays : la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Or de 1945 à 1948, aucune de ces trois nations n’était en mesure de mener une guerre quelconque, avec une armée américaine omniprésente et une armée rouge stationnant à trois cents kilomètres de Strasbourg.

Je ne suis pas sûr que sans la Guerre froide l’impératif de la construction européenne aurait eu la même vigueur.

mgdem.jpgAvec la guerre froide, cette pression s’est encore accentuée. Même en imaginant un retour sur le devant de la scène politique de bellicistes, qui n’étaient pas au rendez-vous, et pour cause, comment auraient-ils pu mener une guerre ? Le projet européen est d’abord bâti comme un moyen de résister à l’URSS en renforçant la cohésion de l’Ouest. Un des points trop souvent oubliés est le rôle majeur des États-Unis dans la construction européenne. Le plan Marshall n’était pas un geste philanthropique et désintéressé des Américains. Il avait une finalité très précise : renforcer l’Europe de l’Ouest à un moment où elle semblait menacée. La paix s’imposait donc aux Européens. Dans l’ensemble, ils étaient alignés sur les États-Unis, et il était parfaitement raisonnable de l’être. Il y avait une évidence stratégique du renforcement de l’Union à l’intérieur de l’OTAN.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la politique gaullienne ; Elle fut une tentative de desserrer l’étreinte que représentait la Guerre froide. Elle fut rendue possible seulement par les débuts de la Détente.

Je ne suis pas sûr que sans la Guerre froide l’impératif de la construction européenne aurait eu la même vigueur. Il n’aurait pas eu de ressort suffisant pour rompre avec les politiques institutionnelles propres à chaque pays.

Les nouveaux mouvements néo-nationalistes européens peuvent être définis comme des nationalistes internationalistes en ce qu’ils n’ont pas de visées expansionnistes, mais bien plutôt tissent des alliances avec leurs voisins. Pour ce faire, des pays comme la Hongrie s’appuient de plus en plus sur une rhétorique imprégnée de références eschatologiques. Quel regard portez-vous sur le renouveau de la spiritualité en politique ?

Premièrement, il y a une grande difficulté à définir une nébuleuse, elle-même très confuse. C’est une grande différence avec les totalitarismes du vingtième siècle, qui avaient une dimension idéologique très marquée, notamment le communisme.

Les « néo-nationalistes » appartiennent à des mouvements plus affectivo-identitaires que politiques […] Ils sont à peine politiques, au sens où ils sont plus réactifs que programmatiques.

Que dire sur le discours d’Orban ? C’est un potage démagogique qui agite classiquement des motivations très fortes : le sentiment d’un danger et la nécessité d’un pouvoir fort pour s’en défendre. C’est un discours décourageant sur le plan de l’analyse idéologique, mais qui met le doigt là où ça fait mal ! Il ne réussit pas par hasard. De manière générale, vos « néo-nationalistes » appartiennent à des mouvements plus affectivo-identitaires que politiques, au sens classique du terme, avec des programmes et des visées bien identifiables.

Deuxièmement, l’élément religieux que vous pointez existe effectivement à l’échelle globale, mais il concerne essentiellement le continent américain, avec l’électorat évangéliste. Quand Trump déplace l’ambassade américaine à Jérusalem, c’est pour plaire à une fraction bien déterminée de l’électorat. Plus largement, l’eschatologie est inscrite dans l’identité américaine avec l’idée de Destinée manifeste (2). Ce qui est nouveau, c’est la percée de l’eschatologie au sud du continent américain. Cette dimension pourrait jouer un rôle très important pour la suite, je n’en disconviens pas.

Le christianisme d’Orban me semble beaucoup moins eschatologique qu’identitaire.

mgdés.jpgEn revanche, quand Orban parle de la Hongrie chrétienne, son christianisme me semble beaucoup moins eschatologique qu’identitaire. La perspective qu’il mobilise, c’est la défense de la culture chrétienne contre la culture musulmane. Tous les électeurs comprennent que quand on parle de culture chrétienne, on parle d’une culture sans-les-musulmans ! Si vous parlez d’eschatologie aux électeurs de Salvini, je doute même qu’ils sachent de quoi il est question.

En somme, il me semble que les mouvements « néo-nationalistes » sont à peine politiques, au sens où ils sont plus réactifs que programmatiques. Trump et Bolsonaro n’ont pas de projet, mais réagissent à une situation, la globalisation, avec ses traductions locales particulières.

La déstabilisation identitaire provoquée par la mondialisation est un ressort tout à fait nouveau qui est le vrai cœur des mouvements qualifiés un peu vite de populistes.

La mondialisation constitue un double défi identitaire pour l’ensemble des sociétés du monde, plus ou moins ressenti selon le degré de cohésion identitaire et culturel qu’elles ont. En effet, elle les oblige à se définir par rapport à l’extérieur comme elles n’ont jamais eu à le faire dans le passé. La réponse à la question : « qui sommes-nous ? » passait essentiellement par l’histoire, par l’héritage, par la continuité d’une tradition et dans une moindre mesure par la comparaison avec ses voisins immédiats. Cette réponse classique est balayée par l’inscription obligée dans une géographie globale. Cette exigence de redéfinition interne sous la pression de l’extérieur est un élément qui joue diversement selon le degré où les gens se sentent atteints dans leur définition traditionnelle.

Les ex-puissances coloniales ont une certaine habitude du monde. Pour des Hongrois ou des Polonais, en revanche, il s’agit d’un choc brutal. Même les États-Unis sont concernés, car s’ils jouent un rôle dans le monde depuis un siècle, ils l’ont toujours fait par projection à l’extérieur. Avec le 11 septembre, le monde arrive sur le sol américain. À la limite, au fond de l’Iowa on pouvait pratiquement ignorer qu’il y avait eu des guerres mondiales. En tout cas, si on le savait, cela ne faisait que conforter la définition interne de l’Amérique dans sa vocation providentielle. La nouveauté, c’est cette irruption du monde extérieur avec ce qu’elle appelle de redéfinition en profondeur.

Quand on parle de définition stratégique, cela ne concerne donc plus seulement des diplomates ou des militaires, mais n’importe qui œuvrant, en tant que citoyen, dans un champ culturel et politique. J’ajoute que dans cette mondialisation technico-économique il y a un phénomène d’uniformisation qui ébranle gravement les manières de faire locales. Elle introduit une norme très contraignante à tous les niveaux qui s’impose à tous les acteurs en rupture avec des coutumes, des façons de faire, de penser qui étaient très établies.

La déstabilisation identitaire provoquée par la mondialisation me paraît le grand facteur méconnu par la plupart des analyses politiques. On est là dans un ressort tout à fait nouveau qui est le vrai cœur de ces mouvements qualifiés un peu vite de populistes.

Vous parlez de puissances qui ne sont pas habituées au monde et qui vivent un bouleversement identitaire face à la globalisation. Dès lors, il peut sembler étonnant que le Royaume-Uni ait voté majoritairement le Brexit, alors même qu’il s’agit d’une puissance habituée au monde, par son empire passé, et son ouverture économique et culturelle internationale.

Le peuple anglais fait partie des quelques peuples politiques de la planète. Tous les peuples ne sont pas politiques, au sens où ils n’ont pas tous une forme de tradition historique, nourrie par une longue réflexion collective, sur la manière de se conduire à l’égard du monde extérieur. Or en la matière, la tradition anglaise est très déterminée : elle a consisté à tirer les ficelles de la politique continentale tout en se tenant à l’écart. Cette tradition a été ébranlée par les deux guerres mondiales mais elle reste ancrée profondément. Elle a encore présidé à l’entrée dans la communauté européenne, après une expectative prolongée. Elle y a très bien fonctionné, d’ailleurs, jusqu’à ce que l’inertie de la machine ne finisse par la digérer. D’où le réveil brutal le jour où cette absorption est devenue palpable. Le refus de se diluer dans une politique européenne collégiale me paraît le ressort fondamental pour comprendre la diversité des rejets qui se sont coalisés, des déclassés de Birmingham aux conservateurs les mieux nantis, dont on ne voit pas en quoi l’Union a pu les léser en quoi que ce soit !

L’appartenance à l’Union a ébranlé quelque chose de la vision que les Britanniques avaient d’eux-mêmes.

Une des erreurs d’analyse courante est de douter de leur sincérité et d’attribuer leur euroscepticisme à des manœuvres politiciennes. C’est ne pas voir comment l’appartenance à l’Union a fini par ébranler quelque chose de la vision qu’ils avaient d’eux-mêmes, surtout depuis son élargissement. Cette classe dominante avait l’habitude d’un monde qu’elle avait le sentiment de maîtriser et la voilà confrontée à un monde qui lui échappe, même si elle en profite.

Ne peut-on aussi penser que l’accueil des migrants a renforcé la méfiance contre l’Union européenne ?

C’est en effet un facteur qui a joué un rôle important, manifestement, mais pas forcément celui qu’on croit – la simple xénophobie. Il y a là une bizarrerie qui doit faire réfléchir. L’immigration ex coloniale ne posait de problèmes particuliers. Ce qui a posé un problème, ce sont les polonais ! Comment peut-il se faire que l’immigration polonaise, bien que plus proche géographiquement et culturellement que l’immigration pakistanaise ou indienne, ait représenté un défi plus grand pour les Britanniques ? C’est le signe que ce ne sont pas des spécificités culturelles inassimilables qui ont fait la question, mais le mécanisme politique non maîtrisé qui a présidé à cette immigration et la signification que cela lui a donné. Au contraire, quand on bâtit un empire, on conçoit que le contrôle de certaines régions entraîne en retour une certaine immigration.

Ce ne sont pas des spécificités culturelles inassimilables qui ont fait la question migratoire, mais le mécanisme politique non maîtrisé qui a présidé à cette immigration et la signification que cela lui a donné.

Faites-vous la même analyse concernant l’Union européenne ?

mglib.jpgDe manière générale, oui. Pour ses peuples, l’Union se présente comme un ensemble qui n’a aucun contrôle direct de son environnement direct, au Sud. L’absence de maîtrise de cet environnement est mise en évidence par des flux migratoires incontrôlés.

La population européenne représente 7 % de la population mondiale. Les Européens sont en train de se rendre compte confusément de la petitesse de leur « Grand continent », comme vous dites, à l’échelle globale. Ils sont comparativement très riches, mais leur poids relatif est mince et ils sont faibles. C’est un élément crucial de leur perception d’eux-mêmes et des perspectives que cela dessine quant à leur destin. Ajoutez-y cet élément culturel, qui prend les Européens à contre-pied par rapport à leur propre éloignement de la religion, que constitue l’effervescence de l’Islam et vous n’avez pas de peine à comprendre l’inquiétude qui les travaille. Le problème de l’Union, désormais, c’est qu’elle ne paraît pas faite pour répondre à cette inquiétude.

Pour ses peuples, l’Union se présente comme un ensemble qui n’a aucun contrôle direct de son environnement direct, au Sud.

L’Union s’est absorbée dans un processus interne alors que la demande des peuples, dans le contexte de la mondialisation, est, très logiquement, une demande de réponse à la pression de l’extérieur. Dans ce contexte-là, le libre-échange tel qu’il est conçu à Bruxelles et tel qu’il est pratiqué, apparaît comme un irénisme naïf. Non que des accords de libre-échange ne puissent être une arme stratégique de première importance. Encore faut-il qu’ils s’inscrivent dans un cadre intellectuel solidement pensé comme une manière de défendre et d’affirmer sa position dans le monde.

À terme les mouvements affectivo-identitaires ne risquent-ils pas de gagner sur les positionnements européistes ? Comment renverser la tendance, si ce n’est en développant, comme vous le suggérez, une vision stratégique de ce que doit être l’Union européenne ?

L’histoire est ouverte, mais si on continue sans rien faire, les mouvements affectivo-identitaires l’emporteront – encore qu’ils aient un problème de crédibilité politique évident – ou constitueront un facteur de blocage insurmontable, ce qui n’est pas beaucoup mieux. C’est une course de vitesse à beaucoup d’égards. Tout tient dans la réponse qu’on peut leur apporter. Je vous avoue que je suis tristement sceptique sur cette capacité : nous n’avons pas de dirigeants politiques qui ont une vraie conscience de ces enjeux, je ne vois pas dans la technocratie européenne telle qu’elle fonctionne des gens qui aient des idées sur la question. L’Europe est aussi tragiquement somnambulique en 2019 que ses milieux dirigeants pouvaient l’être en 1914.

Si on continue sans rien faire, les mouvements affectivo-identitaires l’emporteront ou constitueront un facteur de blocage insurmontable.

mgeprtot.jpgJe vous recommande le livre de Luuk Van Middelaar : Quand l’Europe improvise (3). C’est un livre passionnant mais accablant par rapport à cet autisme situation bureaucratique. Il le résume en disant en substance : « L’UE ne sait pratiquer qu’une politique de la règle, alors que ce qui lui est demandé est une politique de l’événement ». Ma différence avec lui, qui me rend plus pessimiste, serait que la politique de l’événement ne suffit pas. Elle se contente de faire face à des situations qui s’imposent, alors qu’une politique stratégique est celle qui permet d’anticiper ces événements et de parer à toute éventualité. A ce jour nous n’en avons aucune. Et je ne vois pas par quelles voies le Conseil des chefs d’État qui s’est imposé comme l’instance la moins inadéquate de riposte aux crises, Van Middelaar le montre bien, pourrait en élaborer une.

Ce qui est un peu vivant en Europe, ce sont les mouvements protestataires. Mais sur l’Europe ils sont prisonniers d’une contradiction paralysante. Les politiques redistributives qu’ils préconisent supposent pour être acceptées un cadre politique arrêté et reconnu. Or, leur idéologie universaliste s’oppose à la définition d’un tel cadre. Ce qui fait que c’est le plus petit dénominateur commun qui l’emporte : un petit peu de social, un petit peu d’Europe mais pas trop. Le statu quo l’emporte de tous les côtés.

Il y a eu en Europe l’invention d’un modèle politique, social, intellectuel et culturel préférable à celui qui règne partout ailleurs dans le monde : c’est ce que pense l’immense majorité des Européens, mais ils n’ont pas le droit de le dire !

« On a inventé la modernité », dîtes-vous. Pourquoi ne pas mettre en avant, pour renforcer notre soft power, l’invention de la démocratie libérale, afin de faire (re)naître une forme d’orgueil européen ?

Ce devrait être en effet notre ligne de conduite. Mais cette histoire n’est pas assumée par les Européens, ou du moins par leurs élites. C’est la folie de la situation que nous connaissons. Le discours académique dominant s’emploie en sens inverse à dénoncer l’eurocentrisme et son prolongement pratique, la domination coloniale. Ce n’est pas ce que l’Europe a fait de plus glorieux, c’est évident – mais le visage de notre passé qui en épuise le sens.

Qu’il y ait une invention de la modernité, d’un modèle politique, social, intellectuel et culturel préférable à celui qui règne partout ailleurs dans le monde, c’est ce que pense l’immense majorité des Européens in petto, mais ils n’ont pas le droit de le dire ! Il s’agit pourtant d’un sentiment sur lequel il serait essentiel de s’appuyer, si l’on souhaitait mener une construction européenne vivante. Qui sommes-nous ? Certainement plus les maîtres du monde ! Au fond, tout le monde est très content de ne plus l’être. Personne ne rêve de recommencer la grande aventure impérialiste. Tout cela est derrière nous. Mais il y a un legs de notre histoire qui est tout à fait avouable et dont le sens d’une construction européenne digne de ce nom serait de le porter à un plus grand degré d’achèvement.

Il faut trouver une manière d’assumer cette qualité spécifique de l’invention européenne, dont les Européens n’ont pas à rougir, en commençant par nouer un rapport critique intelligent avec le passé. Ce rapport des Européens à leur histoire, c’est en quelque sorte le vrai défi, car c’est la clef de la réponse à la question « Qui sommes-nous par rapport au reste du monde ? ».

C’est sur cette base là que l’on pourrait, par exemple, développer une vraie politique d’accueil, en sachant ce qu’on veut obtenir dans cet accueil, en ayant à l’esprit des raisons d’accueillir. Ce n’est pas seulement parce que nous disposons d’un niveau de vie par habitant plus élevé que nous devons accueillir des réfugiés. Si l’on commence à réfléchir de la sorte, on est rapidement entraîné à mettre les victimes en concurrence : les défavorisés de chez nous contre les défavorisés de la planète. On ne s’en sort pas ! En revanche, si le sens collectif de l’accueil est déterminé par une fierté civique, pourquoi pas ? Cela change tout : nous savons que c’est un comportement sensé d’avoir envie de venir chez nous et de s’y installer pour contribuer à cette qualité européenne, et pas simplement pour venir profiter des allocations familiales ou d’un cadre économique plus favorable.

Les défenseurs d’une politique d’accueil élargie invoquent régulièrement les droits de l’homme. Or, vous êtes assez critique des droits de l’homme, dès lors qu’on essaie de les ériger en une politique (4). Pouvez-vous développer ce thème ?

mgmalh.jpgDroits de l’homme et politique : toute la question est celle de l’alliance des deux termes et du passage de l’un à l’autre. Je ne suis pas critique à l’égard de l’idée des droits de l’homme en elle-même. La question porte sur les conditions de leur utilisation et de leur application : qu’en fait-on ? J’ai assez écrit sur lesdits droits de l’homme pour qu’on ne me suspecte pas de penser qu’il y a mieux à côté ! Qu’on les aime ou non, il faut faire avec. C’est le principe de légitimité inventé par la modernité et qui est en train de devenir planétaire. J’ai bien dit : en train.

Les droits de l’homme sont le principe de légitimité qui se substitue au principe de légitimité religieux : c’est le cœur de l’invention européenne.

Si j’ai consacré beaucoup de temps à cette problématique des droits de l’homme, c’est d’abord pour identifier ce qu’elle représente et ce qui s’y joue. Le grand problème des droits de l’homme, c’est que ceux qui s’en réclament avec le plus de véhémence ne s’interrogent pas sur ce qu’ils veulent dire, sur ce qu’est leur fonction. Les droits de l’homme sont le principe de légitimité qui se substitue au principe de légitimité religieux : c’est le cœur de l’invention européenne (5).

Puisque les droits de l’homme sont la source du pouvoir au sein des États européens, ne suffit-il pas de les respecter pour mettre en oeuvre une politique cohérente ?

Les droits de l’homme peuvent-ils à eux seuls fournir la clef de construction d’une cité juste ? L’histoire et l’analyse me semblent établir que non, car les droits de l’homme sont faits pour s’appliquer à une matière politique et à une réalité sociale qui leur est hétérogène. Le problème politique de nos régimes, dès lors, réside dans la composition de ces impératifs distincts. C’est là le vrai pluralisme des sociétés modernes. Il y a le principe de légitimité, il y a un cadre politique dont on voit bien qu’il ne répond pas spontanément, de manière nécessaire, aux dits droits de l’homme. S’enfermer dans la politique des droits de l’homme, c’est s’interdire de penser ce qu’il y a en-dehors d’eux, qui conditionne pourtant leur expression.

Peut-on honnêtement espérer retrouver la maîtrise de l’économie par un programme tiré des droits de l’homme ?

L’économie est un élément de cette politique, elle est même devenue son principal objet, puisque l’économie a pris le pas sur la politique. Le problème de la politique est de retrouver la maîtrise sur l’économie. Peut-on honnêtement espérer retrouver la maîtrise de l’économie par un programme tiré des droits de l’homme ? Il définira à la rigueur l’objectif, et encore, mais certainement pas les moyens. Les normes d’efficacité du monde économique sont extrinsèques à la problématique des droits de l’homme. Elles ont leur parfaite justification dans leur ordre, une économie se doit d’être efficace ou elle est dépourvue de sens. Le problème est l’ajustement de ces réalités : comment rendre le salariat compatible avec les droits des individus, qui sont par principe menacés dans la relation salariale. Mais on voit bien qu’il ne peut y avoir d’économie sans organisation hiérarchique au sein des entreprises. Donc il faut trouver les moyens de rendre compatible la structure de commandement que suppose une entreprise avec le respect de la dignité de ses salariés.

Le problème est analogue dans le champ politique avec la structure de commandement qu’est un État, qu’il s’agit d’ajuster avec l’impératif de liberté des citoyens. Or la politique des droits de l’homme escamote ce problème en posant comme postulat que tout doit s’aligner ou découler dans la vie collective de ses normes premières. Certes, elles sont une indispensable source de légitimité mais elles ne définissent pas le cadre politique. Au nom des droits de l’homme, comment voulez-vous justifier la représentation politique ? Si l’on pose au départ des individus également libres, pourquoi certains auraient-ils plus de capacités normatives que d’autres ? C’est insoluble. De la même façon, les droits de l’homme permettent-ils de choisir un système électoral, dont on sait pourtant qu’il est la pièce déterminante d’un régime ? Pourquoi plutôt la proportionnelle ou le scrutin majoritaire ? La réponse est d’un autre ordre.

L’enjeu de la question des droits de l’homme est de circonscrire leur domaine d’application et de comprendre la fonction qu’ils jouent, ce qu’on peut en tirer et comment s’en servir. C’est cette démarche nécessaire que la notion de politique des droits de l’homme escamote complètement.

Propos recueillis par Pierre Ramond et Uriel Gadessaud.

Suite à lire sur : Le Grand Continent, Pierre Ramond et Uriel Gadessaud, 06-02-2019


NOTES

1. Marcel Gauchet définit la modernité européenne comme le passage à la structuration sociale autonome, en fonction du processus de sortie de la religion et de la structuration hétéronome à laquelle elle est associée. Lire « Pourquoi l’avènement de la démocratie ? », Le Débat, n°193 (2017)

2. Dans le contexte de la sécession texane du Mexique puis de son rattachement aux Etats-Unis en 1845, à la fin du mandat de John Tyler, le journaliste John O’Sullivan publie un article dans le Democratic review où il défend l’idée d’une “Destinée manifeste”. Une vingtaine d’années après la doctrine Monroe (1823), il réaffirme le lien unissant les Etats-Unis et le continent américain. Elus par Dieu, les premiers auraient pour mission de s’étendre sur le continent américain pour y implanter leurs institutions.

3. Luuke Van Middelaar, Quand l’Europe improvise, Gallimard, 2018. Lire aussi Dieter Grimm « L’Europe par le droit: jusqu’où », Le Débat, n°187 (2015) et Dieter Grimm « Quand le juge dissout l’électeur », Le Monde diplomatique (juillet 2017)

4. Lire « Les Droits de l’homme ne sont pas une politique », Le Débat, n°3 (1980) et « Quand les droits de l’homme deviennent une politique », Le Débat, n°110 (2000)

5. Ici, Marcel Gauchet s’intéresse à la religion non comme croyance individuelle mais comme mode de structuration des communautés humaines fondées sur l’hétéronomie, ou pour ainsi dire, déterminées du dehors. Parler de « fin de la religion » revient alors non à postuler l’avènement d’un monde sans croyant, mais l’émergence de sociétés fonctionnant en dehors du religieux comme principe régulateur, dans un double mouvement d’autonomisation de l’ici-bas et d’internalisation de l’au-delà. Lire « Fin de la religion » , Le Débat, n°28 (1984).

Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]

Pour mieux saisir la post-vérité, relire Hannah Arendt

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Pour mieux saisir la post-vérité, relire Hannah Arendt

par Mazarine Pingeot

Source : The Conversation, Mazarine Pingeot

M’interrogeant sur la « post-vérité », ou ce qu’on appelle ainsi, j’ouvris la page Wikipédiafort documentée et anormalement longue (détaillée et passionnante) pour une notion aussi récente. Sans doute la longueur des articles du net sur le net est-elle à proportion de la contemporanéité, pour ne pas dire de l’actualité bien que les deux notions aient tendance à fusionner, du concept. Un concept encore assez mal défini, et qui fut forgé en réaction à une série d’événements politiques et géopolitiques dont le mensonge de Bush Junior à propos des armes de destruction massive en Irak est le préalable, mais dont la multiplication, de la propagande du Brexit au grand déballage de « Bullshit » de Trump sont la consécration.

Raison pour laquelle l’expression d’ère « post-vérité » a été élue « mot de l’année 2016 » par le dictionnaire d’Oxford, qui la définit ainsi :

« ce qui fait référence à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles. »

Ère post-vérité, ère de l’indifférence

Et si j’utilise le terme de « bullshit », c’est que Wikipédia me rappelle justement le titre de l’article du philosophe américain Harry Frankfurt, publié en 1986 : « De l’art de dire des conneries », où il distingue le mensonge qui s’appuie sur une reconnaissance de la vérité et la connerie qui se fiche éperdument de la simple distinction entre vérité et mensonge.

 

Or cette indifférence à la vérité a été très précisément analysée par Hannah Arendt dans « vérité et politique » où elle revient en philosophe sur le monde qu’Orwell avait décrit en romancier. C’est même là son point central, et je ne résiste pas à la tentation de la citer,

« … le résultat d’une substitution cohérente et totale de mensonges à la vérité de fait n’est pas que les mensonges seront maintenant acceptés comme vérité, ni que la vérité sera diffamée comme mensonge, mais que le sens par lequel nous nous orientons dans le monde réel – et la catégorie de la vérité relativement à la fausseté compte parmi les moyens mentaux de cette fin – se trouve détruit. » (« Vérité et politique », dans La crise de la culture, folio poche p. 327-328).

Autrement dit, le danger de la post-vérité n’est pas le mensonge, qui en soit peut même constituer une forme de liberté par rapport au factuel, mais bien l’indifférence à la distinction entre mensonge et vérité. Nous parlons ici de « vérité de fait », et si la prétention à la vérité peut aussi être un danger pour le politique en ce que le réel est soumis à des interprétations diverses et contradictoires, elle doit demeurer une idée régulatrice à moins de sombrer dans un parfait cynisme.

hartot.jpgLes traces du totalitarisme

Si Hannah Arendt me semble être une source stimulante pour comprendre l’ère post-vérité, ce n’est pas seulement parce qu’elle a écrit ce texte en 1964, (et déjà, dans les Origines du totalitarismes publié en 1951 elle en faisait état) et qu’à ce titre, on peut admettre soit qu’elle était visionnaire, soit que le concept de post-vérité remonte malheureusement bien plus loin que les lubies d’un Donald Trump adossées à l’exponentielle prolifération de la rumeur et de l’opinion indépendamment de tout fact checking que représente la Toile ; la post-vérité est la vérité de tout totalitarisme, autrement dit de toute politique où l’idéologie tend à se substituer intégralement au réel.

Totalitarisme dont l’école de Francfort, et Hannah Arendt elle-même montrent que certaines de ses tendances perdurent en démocratie, du fait de la structure de masse : la masse est la condition de possibilité du régime totalitaire, elle l’est aussi du capitalisme libéral – la publicité par exemple substituant là aussi à la valeur réelle d’une chose, une simple image, et peu importe que cette image soit fausse.

Homme privé – homme public

Revenons alors à la deuxième raison pour laquelle j’en appelle à Hannah Arendt, et à sa conception de la vie privée dans son opposition à la vie publique qu’elle emprunte à la philosophie grecque – ce qu’elle expose dans la Condition de l’homme moderne, paru en 1958 ; opposition qui me semble particulièrement pertinente pour comprendre la victoire de l’ère post-vérité.

Les Grecs distinguaient la vie privée et la vie publique de façon très différente de la nôtre, qui a vu émerger le phénomène du social, dépassant, voire abolissant cette distinction : la vie privée est celle de l’homme économique, indépendamment de son inscription dans le monde humain, c’est-à-dire le monde où l’on produit du sens reconnu et manifeste, des objets, et des œuvres, et tout ce qui, étant public, transcende l’homme privé aliéné à la seule nature.

« Vivre une vie entièrement privée, c’est avant tout être privé de choses essentielles à une vie véritablement humaine : être privé de la réalité qui provient de ce que l’on est vu et entendu par autrui, être privé d’une relation “objective” avec les autres, qui provient de ce que l’on est relié aux objets communs, être privé de la possibilité d’accomplir quelque chose de plus permanent que la vie. La privation tient à l’absence des autres ; en ce qui les concerne l’homme privé n’apparaît point, c’est donc comme s’il n’existait pas. » écrit Hannah Arendt (éd. Pocket, p. 99).

Et voilà que l’homme privé est devenu tout puissant. Tout puissant, mais demeurant privé, privé de cette transcendance qui caractérise le monde humain. L’ascension de l’homme économique est allée de pair avec la destruction du monde commun et du politique tout à la fois. Or « la réalité » est étroitement liée à l’idée de monde commun comme seul lieu d’une véritable existence humaine. C’est dans cet espace-là que peut avoir encore du sens la notion de vérité de fait, dans sa relation à la réalité humaine (et non scientifique) :

« Notre sens du réel dépend entièrement de l’apparence, et donc de l’existence d’un domaine public où les choses peuvent apparaître en échappant aux ténèbres de la vie cachée ».

Et dans « apparence », il ne faut pas entendre l’apparaître dans son opposition à l’être, mais au contraire comme sa révélation.

« Pour nous l’apparence – ce qui est vu et entendu par autrui comme par nous mêmes – constitue la réalité. Comparées à la réalité que confèrent la vue et l’ouïe, les plus grandes forces de la vie intime – les passions, les pensées, les plaisirs des sens – mènent une vague existence d’ombres tant qu’elles ne sont pas transformées (arrachées au privé, désindividualisées pour ainsi dire) en objets dignes de paraître en public. (…). C’est la présence des autres voyant ce que nous voyons, entendant ce que nous entendons, qui nous assure de la réalité du monde et de nous-mêmes (…) ».

Mise en scène du « moi privé »

Mais si l’individu privé, non pas dans sa singularité mais dans son conformisme, se substitue, à travers sa duplication, et la guise de relation que constitue le réseau, au monde commun, si la structure de « masse », remplace la notion de « commun » corrélative de pluralité, alors la réalité en effet n’a plus lieu d’être, sinon à s’éparpiller en de multiples points de vue, dont la vue ne porte pas sur une réalité commune, comme le proposerait le modèle monadologique de Leibniz, mais sur le point de vue lui-même, dans un reflet à l’infini de l’œil : le point de vue qui ne reflète plus le monde, mais bien le moi privé.

Et de fait, c’est encore le moi privé que la télévision vient mettre en scène aujourd’hui, non seulement celui d’anonymes qui par ce biais deviennent ce qu’il est convenu d’appeler des « people » ou « demi-people », exposant leur intimité et déplaçant ce qui auparavant n’était pas digne d’appartenir à la sphère publique, vers ce nouvel espace, où les choses apparaissent, mais délestées de toute possibilité de transcendance.

Cet espace d’apparaître est devenu le champ du public, et de ce fait la mort du public. Le privé l’a emporté, cédant la place à l’intimité de l’homme politique au détriment de son discours – aux émotions et à la psychologie au détriment de la pensée.

À ce titre, je citerais volontiers la phrase de Guy Carcassonne, constitutionnaliste, et trouvée sur Wikipédia, tiré du papier d’Éric Aeschimann dans Libération le 14 juillet 2004 :

« À tort ou à raison, les hommes politiques ont l’impression que l’appréciation que les Français vont porter sur eux ne sera pas liée à la qualité de ce qu’ils disent, mais à la rapidité et à l’intensité de leur émotion. »

ou encore Claude Poissenot dans The Conversation du 22 novembre 2016 :

« Les individus sont désormais définis par un « moi émotionnel ». Devenir soi-même est devenu une norme. (…) Le populisme de « l’après-vérité » (est) un effet pervers de la modernité qui invite les individus à se construire eux-mêmes »

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Faillite du commun, faillite du langage

L’homme privé était jadis l’esclave. Il l’est encore aujourd’hui. C’est l’esclavage qui est devenu public, et de ce fait vertu. L’aliénation à des « valeurs » qui n’ont rien de partageable en tant que valeurs communes, puisqu’elles consacrent l’individualisme – ce qui est « à moi » et non aux autres, de la richesse à l’enfance, de la femme ou des enfants à la coiffure. Bref, tout ce qui était exclu du champ du politique et du monde humain par les Grecs.

La réalité commune qui définissait le monde humain, champ de l’action et de la parole, a fait faillite : chacun a la sienne, les communautés ont les leurs, les algorithmes s’occupent de ne les faire jamais se rencontrer. Faillite de l’idée même de vrai, et de toute prétention à établir quelque chose de commun à partir du réel.

Car pour établir quelque chose de commun, encore faut-il parler le même langage : faillite donc du langage qui s’est déconnecté de sa vocation à dire, au profit d’un simple accompagnement d’émotions, et qui pourrait en réalité se réduire à des interjections ou des onomatopées, mais auxquelles on a rajouté des story tellings. Le plaisir du récit n’a pas totalement disparu.

harcult.jpgCar si l’on est dans une ère post-vérité, c’est donc qu’on est dans une ère post-langage. Certes, déjà les sophistes usaient du langage comme d’un simple outil de pouvoir, au demeurant fort rémunérateur (cf. Les Zemmour qui en font profession et gagnent très bien leur vie, à proportion de leurs outrances – l’outrance est aujourd’hui économiquement rentable) – ce qui tendrait à relativiser le préfixe de « post ».

Il semble pourtant que le phénomène se soit accentué. Et s’il est vrai que la Raison est soumise à un perpétuel mouvement dialectique, disons que nous sommes confrontés à sa figure la plus triste, à sa fixité la plus morbide, avant qu’elle-même ne se réinvente pour se libérer de ce qu’elle est devenue : la technique autonome d’un côté, la crédulité dans la parole humaine et sa valeur de l’autre.

Platon s’était érigé contre les sophistes pour asseoir l’idée du vrai qui sauverait et le logos et la pensée ; Descartes s’était érigé contre les sceptiques pour sauver la philosophie et la science ; c’est lors de crises majeures de la vérité que la philosophie s’est refondée. On peut espérer voir surgir le nouveau héraut du « critère ».

La reconnaissance du vrai contre l’opinion

Pourtant, la société de masse semble être un phénomène nouveau au regard des millénaires passés, et rendre le différend d’autant plus irréductible : car lorsque le commun n’est plus, lorsque le moi est érigé en norme et dupliqué à l’envi, lorsque les réseaux et la toile offrent aux pulsions la possibilité d’immédiatement s’exprimer, lorsqu’il n’est plus de sanction face au mensonge puisqu’il se présente comme une opinion et que l’opinion est devenue toute puissante (le moi émotionnel étant son fondement inattaquable), puisque l’émotion elle-même n’entre pas dans le champ de la vérité ni celle du mensonge, et se dégage ainsi de tout débat pour le remplacer, dans ces conditions, qu’importe en effet la vérité ?

Ou la tentative d’ajuster ses propos à une réalité qui serait communément reconnue ? Comment résister à l’autonomie pure du discours qui se détache de ses conditions de validation ou de vérification. L’acte même de vérification est rendu caduc par l’indifférence au vrai.

Cette indifférence n’est pas universellement partagée, bien sûr, et il demeure des soldats de la reconnaissance du Vrai (parfois même fanatiques), qui vérifient incessamment, prennent des risques, recoupent leurs sources, mais la conséquence de leur action n’aura d’intérêt que pour ceux qui tiennent la vérité pour une valeur commune.

Les négationnistes ne font pas autre chose : le principe de contradiction n’a pas de prise sur eux ; la démonstration scientifique, le témoignage humain, rien ne peut les faire changer d’avis puisque leur avis relève d’une croyance, dont la clé d’intelligibilité n’est pas à chercher du côté de la passion scientifique, mais d’une passion d’un autre ordre. Le réel n’a pas de prise sur eux. Comme il n’en a pas sur les électeurs de Trump ou de Marine Le Pen.

La démocratie contre le « mensonge complet »

La vraie question devient alors : qu’est-ce que l’avenir d’une démocratie si ce que Arendt appelle la « vérité de fait » n’a plus lieu d’être ? Car « la possibilité du mensonge complet et définitif, qui était méconnu aux époques antérieures, est le danger qui naît de la manipulation des faits ».

Qu’en sera-t-il en outre pour les historiens, si

« Les chances qu’a la vérité de fait de survivre à l’assaut du pouvoir sont effectivement très minces : elle est toujours en danger d’être mise hors du monde, par des manœuvres, non seulement pour un temps, mais, virtuellement, pour toujours. » (p. 294) ; et en effet, « qu’est-ce qui empêche ces histoires, images et non-faits nouveaux de devenir un substitut adéquat de la réalité et de la factualité ? »
(Arendt, « Vérité et politique » p. 323)

Source : The Conversation, Mazarine Pingeot, 20-01-2017

dimanche, 10 février 2019

Le ternaire en relation avec le Quatrième Théorie Politique de Douguine

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Le ternaire en relation avec le Quatrième Théorie Politique de Douguine : un commentaire de « Chlodomir »

La magie du ternaire est très puissante, mais il ne faut pas s’y laisser enfermer. Au niveau politique, un tel cercle vicieux se forma avec les trois grandes idéologies qui ont dominé le XXe siècle : libéralisme, communisme, fascisme (le nazisme n’étant qu’une branche hypertrophiée du fascisme, un « fascisme radical » dans la terminologie marxiste). Si l’on en rejette deux au profit d’une troisième, quelle qu’elle soit, on reste enfermé dans le cercle, car ces idéologies viennent toutes trois de la Modernité occidentale. L’un des mérites du théoricien et philosophe russe Alexandre Douguine est d’avoir compris qu’il fallait sortir de ce cercle vicieux, « rompre » le cercle (« En science politique au siècle dernier, nous avions appris à ne compter que jusqu’à trois. (…) nous n’avons pas d’autre solution que d’apprendre à compter jusqu’à quatre », A. Douguine, article sur https://rusreinfo.ru/, 2016).

Après quelques tâtonnements (dans un premier temps, il parla de « trinité dialectique »), et après être passé par le national-bolchevisme puis par l’eurasisme, Douguine finit par élaborer la Quatrième Théorie Politique. Cette « 4TP » rejette les trois vieilles idéologies et adopte de nouveaux concepts, en empruntant à la Révolution Conservatrice allemande, aux auteurs eurasistes russes (notamment L. Gumilev), au Traditionalisme (ou Pérennialisme), à la géopolitique, et aussi à la pensée de Heidegger (à qui il emprunta le concept du « Dasein »).

Le succès rapide du livre éponyme de Douguine, La Quatrième Théorie Politique (traduit en anglais et en français en 2012), montra que sa démarche correspondait à une certaine attente dans les élites intellectuelles. La 4TP, par son nom même, a un peu servi d’outil « maïeutique » pour toute une génération militante enfermée dans le mécanisme mental de la « troisième voie » et de la « troisième position », voire de la « troisième idéologie ». Cette approche a eu pendant longtemps de grands avantages, mais est maintenant dépassée. Le « Trois » permet de dépasser le stérile dualisme (cultivé notamment par la Deuxième Théorie Politique) et c’est un pas en avant énorme, mais la vie est mouvement et le ternaire a montré ses limites. La force du « Quatre » permet de « tout faire sauter », de faire appel au « chaos créateur », de réintroduire le Multiple (le Multipolaire, dans le domaine géopolitique), et ensuite « les dix mille êtres »... Douguine explique d’ailleurs que la 4TP est une théorie ouverte et en construction ; mais dès qu’elle existe (ou existera, avec un corpus théorique cohérent et opératif), il n’est pas interdit de réintroduire certains éléments des trois idéologies précédentes…

L’« eurasisme » est une idéologie très bien adaptée à la Russie, mais la 4TP va plus loin et permet de libérer à nouveau la créativité idéologique et politique (l’eurasisme est en quelque sorte la partie russe de la 4TP). On peut même parler de Quatrième Voie, concept peut-être encore plus opératif. Dans les trois vieilles idéologies de la Modernité, le Sujet politique était respectivement l’Individu, la Classe, la Race (ou plutôt le Peuple et/ou la Nation essentialisés, avec une forte connotation ethnique, en ce qui concerne le fascisme « générique »).

Dans la 4TP (qui rejette la Modernité), le fondement philosophique est le Dasein et le Sujet politique est, très logiquement, la Civilisation (phénomène organique fondé sur une ethnogenèse et se déployant sur un Grand Espace). Après Huntington, Douguine distingue à peu près une dizaine de civilisations existantes ou potentielles sur la planète. L’humanité arriverait donc à un nouveau stade de développement organique, après les tribus, les cités-Etats, les royaumes, les empires, et les Etats-nations. On peut alors entrevoir un ordre mondial alternatif et multipolaire, fondé sur la coexistence d’une dizaine d’« Etats-civilisations » (mais sans gouvernement mondial, contrairement au sinistre « Nouvel Ordre Mondial » oligarchique et prédateur ; un organe de coordination devrait suffire). Ce qui serait tout de même plus facile à gérer que plusieurs centaines d’Etats-nations (et le nombre a tendance à augmenter, un spectacle assez grotesque…) représentés à l’ONU.

Comme l’explique Douguine, le libéralisme ultra-capitaliste (le « commercialisme ») et pseudo-démocratique est devenu le Troisième Totalitarisme, le dernier avatar de la Modernité. Sa réalité est la domination oligarchique planétaire, son fantasme et son projet secret (de moins en moins secret, à vrai dire…) est le transhumanisme. En voulant passer directement au globalisme en grillant l’étape organique des Civilisations, il est devenu une Utopie totalitaire et s’est condamné à l’échec historique. En voulant imposer son utopie par la force, le globalisme libéral plonge le monde dans le chaos. Après une dernière crise d’hystérie meurtrière, il terminera dans la poubelle de l’histoire avec le fascisme et le communisme. Mais il risque d’y avoir un mauvais moment à passer, car les prédateurs libéraux globalistes ne voudront pas lâcher leur proie (les peuples enracinés) si facilement…

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CRITIQUE DE LA DIALECTIQUE HEGELIENNE

par Ludwig Gumplowicz

(ou la « fascination du ternaire »)

Hegel… cherche à résoudre le dualisme obscur et contradictoire qui se retrouve dans tout l’ouvrage de Herder ; il essaie de concilier Dieu et la nature en une unité supérieure, son fameux « esprit absolu ». En ne voyant et en ne représentant dans toute l’histoire que le développement de cet esprit absolu seul et indivisible, il abandonne le terrain de toute réalité et de toute science ; il réduit sa philosophie de l’histoire à une simple fantasmagorie.

En nous décrivant quelque chose qui n’existe que dans sa tête, il nous affirme que telle est la réalité, et, en donnant à ses fantaisies, pour leur assurer plus de créance, des noms empruntés à l’histoire universelle, il réussit à créer l’illusion.

On sait que, d’après Hegel, le développement et la propagation de l’esprit absolu se règlent « sur une mesure à 3 temps » : thèse, antithèse et synthèse. La formule est habile : on peut l’appliquer à tout en général, à chaque chose en particulier. Il n’est pas un ensemble de mouvements qu’elle n’embrasse ; il n’est pas un mouvement qui lui échappe. Que ce mouvement soit physique, intellectuel ou social, on n’a qu’à considérer une phase quelconque de son développement, comme l’un des temps de la mesure à 3 temps, et voilà le moyen de bâcler la philosophie de tel ou tel sujet, et les sujets ne manquent pas, la nature et la vie nous offrant partout des mouvements. Rien de plus facile que d’écrire ainsi une philosophie de la physique. La thèse sera, par exemple, l’attraction, alors l’antithèse sera la répulsion ; la synthèse, la cohésion. Quant aux détails, il suffira de les traiter tant bien que mal. Une philosophie de la musique ou de la peinture, etc., ne présenterait pas de plus grandes difficultés.

Pour créer sa philosophie de l’histoire, Hegel n’a eu qu’à prendre l’Orient pour thèse de « l’esprit absolu », l’antiquité classique pour antithèse, le monde germanique pour synthèse, et à faire rentrer l’histoire universelle, de gré ou de force, dans ses formules. Un Chinois, à la vérité, aurait tout aussi bien le droit de prendre l’Europe pour thèse, l’Amérique pour antithèse, le monde chinois pour synthèse de l’esprit absolu, et de fabriquer ainsi une philosophie chinoise de l’histoire. Il acquerrait probablement en Chine la popularité que Hegel s’est acquise en Allemagne, car la théorie qui permet le plus facilement aux hommes de comprendre le monde et la vie humaine devient toujours populaire. C’est pourquoi la Bible est le plus populaire des livres, sa formule pour comprendre le monde et la vie étant la plus simple.

Mais il y avait des hommes qui ne voulaient pas se placer au point de vue théologique, qui prétendaient concevoir le monde « philosophiquement ». A ceux-là Hegel est venu fournir une formule « philosophique » non moins simple, d’une assimilation non moins facile : « l’esprit absolu se développe ». Un point, c’est tout. Et les gens de distinguer, dans leurs sujets, une thèse, une antithèse et une synthèse. On y arrive toujours, pourvu que l’on ait été dressé, et dès lors on a la satisfaction de comprendre le monde.

(Ludwig Gumplowicz, La lutte des races, 1883)

 

 

mardi, 05 février 2019

Rusia y su misión histórica: El legado de Iván Ilyin

Ex: http://www.elespiadigital.com

El presidente de Rusia, Vladimir Putin, en su famoso Mensaje anual del Estado de diciembre de 2014, fundamentando la nueva doctrina nacional, citó al filósofo Iván Alexandrovich Ilyin (Иван Александрович Ильин) [1883-1954] como uno de los grandes referentes teóricos y espirituales para el tiempo histórico presente.

Sergio Fernández Riquelme

Leer: Rusia y su misión histórica: El legado de Iván Ilyin

dimanche, 03 février 2019

Dezsö Csejtei auf der Oswald-Spengler-Konferenz 2018

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Dezsö Csejtei auf der Oswald-

Spengler-Konferenz 2018 

 
Dezsö Csejtei auf der Oswald-Spengler-Konferenz 2018
 
 
 

samedi, 02 février 2019

Prof. Dr. Max Otte auf der Oswald-Spengler-Konferenz 2018

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Prof. Dr. Max Otte auf der Oswald-Spengler-Konferenz 2018

 
Prof. Dr. Max Otte auf der Oswald-Spengler-Konferenz 2018
 
 

vendredi, 01 février 2019

Gregory Swer auf der Oswald-Spengler-Konferenz 2018

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Gregory Swer auf der Oswald-Spengler-Konferenz 2018 

 
 
 

jeudi, 31 janvier 2019

Prof. Dr. Alexander Demandt auf der Oswald-Spengler-Konferenz 2018

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Prof. Dr. Alexander Demandt auf der Oswald-Spengler-Konferenz 2018

Prof. Dr. Alexander Demandt auf der Oswald-Spengler-Konferenz 2018 https://www.oswaldspenglersociety.com/ --- Alexander Demandt studierte Geschichte und Lateinische Philologie in Tübingen, München und Marburg und wurde 1964 bei Habicht mit einer Dissertation zu Zeitkritik und Geschichtsbild bei Ammianus Marcellinus promoviert. Als Assistent an der Johann-Wolfgang-Goethe-Universität Frankfurt am Main erhielt er 1964/65 das Reisestipendium des Deutschen Archäologischen Instituts (DAI). 1966 wurde er Assistent an der Universität Konstanz, 1970 erfolgte dort seine Habilitation mit einer Arbeit zum Thema Magister militum. Demandt war von 1974 bis 2005 Professor für Alte Geschichte am Friedrich-Meinecke-Institut der Freien Universität Berlin. Der Schwerpunkt seiner Arbeit liegt in den Bereichen der römischen Welt und in der Spätantike, außerdem beschäftigt er sich mit dem Phänomen des Niedergangs in der Geschichte, Kulturvandalismus, Geschichtstheorie, Geschichtsphilosophie und Wissenschaftsgeschichte. Im Jahr 2003 wurde Demandt mit dem Ausonius-Preis ausgezeichnet, 2008 erhielt er den Kulturpreis des Wetteraukreises. Er ist seit 1990 Korrespondierendes Mitglied des DAI sowie seit 2000 Korrespondierendes Mitglied der Österreichischen Akademie der Wissenschaften. Seit 2007 hatte Alexander Demandt mehrere Fernsehauftritte als Experte in der von Guido Knopp geleiteten und moderierten Fernseh-Dokumentationsreihe ZDF-History.
 

Postmodernism on the Right: A Case for Adopting Deconstructing as a Tool

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Postmodernism on the Right:
A Case for Adopting Deconstructing as a Tool

One of the realities that must be recognized by the Dissident Right, particularly in the Anglophone world, is that that those modes of thought and analysis broadly encapsulated by terms like postmodernism, critical theory, or the Frankfurt School are not inherently “Left-wing.” Collectively and individually, they are not inherently anything other than a means to an end. It was a success on the part of those who deployed these framing techniques that they convinced so many that they were actual philosophical positions. This sleight-of-hand duped several generations of Western society into believing that deployers of “critique” were arguing in good faith. Postmodernism and its cognate modes of thought and analysis could never amount to an end in themselves because they are by definition null space. Postmodernism is the analytic imperative to stand nowhere at no time, and critical theory is an injunction to critique and deconstruct from outside a value structure, not to imagine or construct one. That is not to say, however, that these intellectual currents belong to those with no values of their own.

The “ends” of deconstruction were conceived through an entirely separate mode of discourse to deconstruction itself. The Left-wing innovators of critical theory and postmodernism imagined replacing the foundational and time-tested cultural frameworks that their timeless and valueless intellectual techniques would destroy, with social constructs built on Left-wing values. These Left-wing values did not emerge from, nor were they explicitly present in, the instrumentalized nihilism of deconstruction. Quite the opposite, in fact. It is no secret that the values which animate Leftist thinkers derive from Enlightenment thought. Enlightenment streams of thought positively moralize on universal terms. They do so from initial constructs of sacred meaning that tend to be less internally challenged by the community adhering to them than were the moral precepts of the Catholic Church. The base of Leftist thought is thus anything but the hyper-self-aware and indiscriminately critical frame of nihilism that defines deconstruction.

Therefore, rather than “Leftist” schools of thought, the tools of deconstruction are better understood as weapons which may have proved more powerful than even their own progenitors thought they ever would be. I need not belabor this point. Most of you have undoubtedly encountered the logical shutdowns and bouts of indignant fury caused by simply and honestly considering the possibility that peoples of European descent may have their own collective history and that it may be legitimate for those who share that history, and its subsets, to preserve their biological heritage or act in their own interests. As many before me have pointed out, this is the net effect of deconstruction. In two generations, it rendered the most powerful family of peoples in human history a demographic nonentity struggling to even justify their own continued existence as recognizable peoples in their own homelands.

It is unsurprising, considering its net effect, that those who wish for peoples of European descent to have group autonomy/autonomies, and to continue existing in any recognizable way, consider deconstruction to be a pure and unmitigated evil. However, as I mentioned earlier, it is only a tool. This remains true regardless of whether or not it was a tool first used by those whose ideal future involves everything you find most sacred, including what you call your own people, ceasing to exist as you believe it to be doing now. Consequently, like any tool, you can use it yourself if you can figure out how it works.

Science is only your friend if you make it that way

I am aware that many who are right of center will contend that they do not need such beguiling linguistic contrivances, because they have “science” on their side. Surely it is only the Left that needs to make reality appear a certain way, because it is only the Left who adhere to a worldview that runs counter to objective truth? Perhaps this is true, but regardless of whether it is, “objective truth” is not synonymous with “science.” To assume such a thing is to mistakenly conflate non-human-created realities, and empirical evidence collected about the nature of those realities, with a set of social practices. This social dimension includes the conventions that define different scientific disciplines, as well as the role that science plays as a regulator of mainstream society. If it were true that all these phenomena constituted an indissoluble entity called “science,” and that the definition of this entity was coextensive with that of objective truth, then the Dissident Right would need to make some undesired concessions.

sociobio.jpgAmong such concessions would be that it is unscientific to form a research community around sociobiology, or to explore the possibility that the individual selection model of evolution may not capture all aspects of natural selection, and that group-level fitness may play a role. After all, this remains the official view of mainstream science, which is a testament to the success of the Left-wing Sociobiological Study Group. This scientific research community arose in response to E. O. Wilson’s Harvard-based sociobiological research circle, and it functioned with the sole purpose of preventing sociobiology ever becoming a scientific discipline.[1] [2] Another necessary concession would be that it is not “scientific” to form a research community focused on population genetics and intelligence, as the recent “investigations” of such a community by the managers of institutional science at University College London have indicated.[2] [3] Finally, if the social practices and institutions of “science” are coextensive with objective truth, the Dissident Right would have to accept that the categories of male and female “have no basis in science,” and thus whatever social customs have been organized around that binary system are illegitimate. This revelation is, after all, the official position of what is surely the uncontested apogee of scientific knowledge and authority: the journal Nature.[3] [4] If the official position of the editors of Nature does not constitute authoritative scientific truth, then what else could?

What these unfortunate situations have hopefully made clear is that “science” has proven to be no more capable of preventing itself from being deconstructed into the narrative of social justice than even the most “airy fairy” of humanities departments. This is because scientific disciplines are social practices, and always have been. The institutions carrying scientific authority over mainstream Western ontology are clearly not interested in revealing “objective truth,” but in shaping society in accordance with the cultural Left’s interpretation of “Enlightenment” principles. The reason for this is that the most powerful institutions of science have already been convinced that either “objective truth” does not exist, or at least that it is less meaningful than the pursuit of “progress.” Even the ever-unstable “scientific method,” purported to unite the work of all those disciplines bearing the name “science,” is the formulation of philosophers or scientists acting as philosophers, and not a revelation of objective truth made by science itself. The most recent iteration of the “scientific method,” generally described as “falsifiability,” is the work of Karl Popper, a scientifically uninitiated philosopher whose work and general worldview inspired the machinations of none other than George Soros.[4] [5]

My intention is not to argue that science is only shaped by social forces, and never provides access to objective truth, or at least the nearest thing to it. I don’t think that is true. Hilary Putnam’s “No Miracles” argument, which generally asserts that “scientific realism” is the only way to explain the success of scientifically-derived technology without resorting to miracles, indicates that science can indeed do more than simply reflect social arrangements.[5] [6] However, regardless of whether or not science offers a route to objective truth, it should not be treated as a monolith. The practices that define scientific disciplines, and those which delineate the wider community whose members are recognized as practitioners of “science,” are mediated through social forces. The Right’s refusal to accept that science is, at least to some degree, social and political in both its inner and outer workings has allowed its enemies to go unchallenged in consolidating their influence over “science” as an institution of public authority. If “science” alone could not prevent itself from being deconstructed into a puppet of Leftist progressivism, on what grounds should anyone believe that appealing to “science” would help in a culture war against the Left? “Science” is powerfully influenced by social values in the areas that matter most, and the cultural Left are the only ones who have worked to insert any such values among scientific communities. The Right must deconstruct scientific practice to remove these values, before reinserting their own.

To be clear, I am not arguing against objective truth. I think there are perfectly good reasons to believe that it exists, and that it is the most sensible position to assume that it exists. All I wish to argue is that the highly diffuse agglomeration of institutions, social conventions, material objects, and historically contingent practices which now happen to be labeled under the term “science” should be scrutinized independently of each other. “Science” should not be considered the single best route to truth at all times, in the same way that such may be true of thinking in a way that tries to avoid internal contradictions to explain something with all available evidence. High degrees of accuracy in physics does not imply that geneticists were pursuing an objective truth in targeting the genetic evidence for Cheddar Man’s skin color, nor that their findings reflect any such objective truth.

Deconstruction as rhetoric for the academy

The discourse of deconstruction loosely referred to as postmodernism is particularly valuable to the Dissident Right. This is because it allows one to think creatively outside the modernist set of rails which emerged from the conditions that obtained of nineteenth- and twentieth-century Western Europe and America. Riding through history on these rails has resulted in European-derived peoples finding themselves where they are now. As such, it would make sense for those who find the present condition unacceptable, and who wish to move those of European descent toward an alternative, to value a socially acceptable way to think outside the mode of thought that got them to where they currently are. Fróði Midjord and others have already pointed to the importance of the Dissident Right coming to understand and use postmodernism’s discovery of “hyper-realism.” He has described how this can be done by deconstructing the political baggage carried by most products of Western media. This is, of course, absolutely correct, and its importance can’t be overstated. However, I am referring to the reengineering of another one of postmodernism’s capacities. This capacity has more to do with brute rhetoric than with the self-aware deconstructive reflection that Mr. Midjord proposes. The following anecdote will hopefully demonstrate what this rhetorical capacity looks like when properly deployed.

Having recently gone to a seminar in my department, I noted an interesting phenomenon. There were a number of faces there which I had not seen before. One was a faculty member I had encountered once or twice, and the others were clearly four of her Ph.D. students. The seminar concerned a new way to approach species demarcation, a question that inevitably involves the application of a normative standard to define a biological population. After the talk came the questions I have heard so many times before, and they revealed the reason these new faces were here: “What provision does your model make for variations between individuals?”, “Isn’t a normative value system exclusionary?”, “How is your idea different from rhetorical tools that enlist scientific authority to pathologize and exclude ‘the other’?”, and so on.

It became clear at this point what was going on and why I had never seen these people at other seminars. It was because they only appear at seminars which are not directly related to their “field,” when they believe the content of that seminar either weakens their deontic framework, or is classed as morally objectionable by it. It is in these cases that they not only attend, but attend in force to dominate the question period with their “critique.” Evidently, one full-time staff hire had become a vector for an army of received morality enforcers, whose complete academic energies are dedicated to reinforcing their ideology and deploying it as the only lens through which they ever encounter other ideas. This was a social justice wolfpack.

Unsurprisingly, the speaker, like nearly all modern academics, had never interrogated his own deontic frame, making his implicit value system generally consistent with that symbolized by the “NPC” meme. He was not a social justice inquisitor himself, which was why he was applying his academic energy to an entirely separate subject. Nonetheless, he presumed tropes like “inclusion,” “diversity,” and “tolerance” to be moral imperatives, without ever considering what these words mean either in absolute terms or in different contexts. As such, the social justice enforcers didn’t have to locate any internal weaknesses in his argument to assault it. In fact, they didn’t have to engage with the logic or evidence he presented at all. All they had to do was point out where the supporting evidence and framework of logic, which undoubtedly took him months to compile and build, didn’t align with their own conceptual framework. Being that the speaker unquestioningly presumed the foundational axioms of this framework (which the wolfpack simply took to their logical extremes), all he could do was sheepishly accept their “critique” as revealing genuine flaws in his argument, apologize for these errors, and gradually retreat from nearly all the interesting points he had made. It took them seconds to use a set of ideas, that they acquired in hours, to defeat the framework of logic and evidence that took him months or years to construct.

One point illustrated by this anecdote is that the universities are not inherently impenetrable to a system of thought or analysis operating outside a non-Leftist frame. If they were, then there would be no need for Leftist wolfpacks to patrol conferences or workshops. Their critique of this man’s ideas were “correct,” to a degree. Many mainstream academics regularly, and unintentionally, introduce new ideas that lend themselves to strengthening the normative axioms from which the Dissident Right views the world, or at least could be repurposed that way with minimal effort. However, the second, and seemingly contradictory, point to take away from my anecdote is that the universities, at their deepest level of social convention, are not as free as the “Alt Lite” or “intellectual darkweb” presume that they are. The now-ubiquitous whining about “the SJWs!” emerging from “radical” publications like Quillete paint a picture of a few totalitarian puritans somehow perverting an otherwise completely free and functional domain of academic discourse. However, it is clearly the mainstream social rules of academic discourse themselves that grant such unholy power to the social justice priesthood. These rules mean that enforcers of social justice need only one “knockout” argument to defeat every idea from every other field, with near-zero intellectual energy expenditure. This universally effective tool is actually no argument at all, but a formula for merely identifying where any new ideas may come at the cost of their own unquestionable mandates for “inclusion,” “diversity,” or “tolerance.”

It is clear that any families of thought, such as the Dissident Right, which are genuinely dedicated to creatively exploring new ways to approach fundamental perspectives on the world simply do not have the ability to counteract the ideology of social justice, while its adherents win every argument by simply “deconstructing” everything into their own frame, while closing that frame to critique. This cannot be solved by only “deconstructing” the weaponized messages they dispatch in your direction. This is simply defense. It is their frame that needs to be challenged. However, because this frame is morally charged, it needs to be challenged by deconstruction from a different frame, whose adherents must hold it, whether explicitly or implicitly, to be morally self-evident. This is not the realm of positive discourse and dialectic, but that of rhetoric. Vox Day has made some sound observations on this point.

Rhetorically speaking, I will concede to my critics that introducing discourse from outside the conceptual rails which the Left derisively calls “bourgeois” values may appear absurd, obscurantist, or downright hostile by the bulk of Westerners who tend toward Right-wing thinking. My personal bias tells me that this is a signal that the structure of social conventions which ascribe meaning to the sacred values that the Dissident Right is trying to protect are worth protecting. To have a negative gut response to something that manifests nothingness and nowhere, as does postmodernism, is healthy. Considering that postmodernism was introduced into the academy only to destroy, it is also healthy to intuitively oppose it for that reason. I wouldn’t personally value a community who worship nuclear weapons for being engines of destruction. However, if you have any desire at all of gaining a foothold in the universities, which have proven to be an extremely powerful piece on the culture-war chessboard, deconstruction is not only a potentially effective strategy to adopt, but is, in my estimation, singularly necessary.

Some possible attack vectors in the universities

As I mentioned earlier, the Left’s worldview is not itself a product of deconstruction. This makes it vulnerable to the latter. Yet as things stand, academic agents of social justice remain spared from justifying what might be called the “opportunity cost” of universalizing their system of thought. This means that those applying Leftist “critique” are free to presume that something which comes at the cost of what they call “social justice” is necessarily an intellectual and moral hindrance to their opponent’s argument. Thus, whenever an agent of social justice begins a debate with the target of his “critique,” the entirety of his intellectual energy may be spent on positively pursuing his rhetorical objectives (which are coextensive with his moral objectives). He never has to defensively justify those objectives or the metaphysical presumptions upon which they are founded. By contrast, when all other actors in Western societies, academic or otherwise, encounter agents of social justice, they must split their energies between justifying why their objectives are worthwhile in positive terms, and then explaining how their objectives do not conflict with the ends of social justice. This leaves those subjected to a social justice critique only minimal intellectual energy to actually make their own arguments. It is this asymmetrical freedom to conserve their intellectual and rhetorical resources which converted shrieking harpies of usually moderate-to-low intelligence into feared academic arbiters to whom even the most brilliant professors defer in a debate.

A vocabulary needs to be developed which does to the initial axioms presumed by social justice what it did to the initial axioms of the paradigms that it was used to destroy. The ends of social justice themselves need to be found to be potentially “problematic” through another critical lens. This weaponized vocabulary must be built on a moral framework which presumes that, even if social justice were effectively executed, it would come at the cost of other things which are of greater value. This will allow for a rhetorically effective way to simply bypass having to defend an idea from a social justice critique, while simultaneously putting the deployer of that critique on the defensive. They will then have to waste time and energy finding ways to justify their own normative assumptions, with each attempt making them appear more linguistically deceptive and morally suspect.

This task is slow and difficult, but not impossible. It also gets easier as more absurd Leftist assumptions are identified and left out in the open. For instance, Leftist critiques nearly always assume that “inclusion” is a positive thing. They see inclusion as synonymous with “progress” and “equality,” and this predicates their strategy of doubting the grounds for which any category they don’t like excludes things. However, inclusion can just as easily be synonymous with regression and destruction. The existence of a hospital building, for instance, is predicated on the assumption that exclusion can be a good and constructive thing, which in turn presumes that universal inclusion relative to hospital buildings is a bad and destructive thing. If every possible thing were forced to be included in a hospital building, the category would be meaningless, and what might have been a hospital building would simply be a pile of rubble. Yet, every hospital building embodies the notion that some things belong and others do not. This embodiment presumes both differences between things, as well as an implicit hierarchy relative to what is “good” for the category “hospital building.”

A Leftist critique would point out that there are no objective grounds to support the implicit hierarchy that gives the normative category “hospital building” any meaning. From this, they would contend that your “hospital building” category is arbitrary, since they assume that any subjective values and hierarchies apart from their own are “arbitrary” by definition. This in turn allows them to imply that what is “true” could not be what motivates anyone to police the category “hospital building.” This leaves only the possibility that the category “hospital building,” which the victim of the critique chooses to police, is an imposition on the world, which could only be motivated by a desire to separate things, exclude things, and make some things inferior to other things. This is the essential nature of their notion of “oppression” which, as I have shown, could be used against literally anything they take issue with, for whatever reason. That is how agile and adaptable the Left’s rhetorical tools are. One who values hospital buildings may even be shown to be “xenophobic,” as their subjective category would “arbitrarily” exclude black people from comprising a part of hospital buildings. After all, the inclusion of black people in the superstructure of hospital buildings would be deemed to be something negative by anyone who values the structural integrity of hospital buildings.  Yet we have already shown that anyone who believes in the oppressive social construct “hospital buildings” could only ever be motivated by the love of “division,” “judgment,” and ultimately, “hate.”

The Left’s academic strategy rests on the hope that the opponent will forget that their categories have, or may have, implicit value. If one points this out, and argues from the assumption that, for instance, the category of “hospital building” has implicit value, it can easily be shown that the “inclusion,” which the Left presumes to be a universal good, is in fact destructive.  However, it cannot always be known if a category has value, and in some cases that value may only be knowable by those within the category. This is one of the foundations of the postmodern critique.

Academics sympathetic to the Dissident Right, or simply to challenging the status quo, should be asking their hecklers what the expense of forced “inclusion” might be, and what makes the Leftist heckler in question believe they have the moral legitimacy to enforce it. Another question that should be asked is if “inclusion” and “diversity” are necessarily desirable at all levels of everything, at all times? If so, why? One does not need to know the answers to these questions to effectively deploy them against proponents of social justice, if that deployment occurs with an equivalent degree of moral indignation. Fortunately, that indignation can be justified.

The great irony of social justice, as I see many on the Dissident Right are already aware, is that universal “diversity” at every level and at all times destroys the requisite particularities of “diversity”, because each discrete category becomes homogenized. The imposition of a universally distributed degree of “diversity” in a class of categories makes all the categories exactly the same, thus rendering them meaningless. Yet in social terms, within each category may exist an identity, way of life, or normative framework from which humans moralize and act. Forced “inclusion” and “diversity” thus destroys all categories everywhere at all times, and these impositions also come at the cost of other normative frameworks, from which people may derive meaning and purpose. Among such frameworks, one might include the “indigenous ways of knowing” of the Tiwi people, but also the foundational value structure of the Dissident Right. By pointing out what is being unthinkingly destroyed, the moral presumptions of universalist social justice can be framed as destructive, mindless, homogenizing impositions emerging from centers of power, which would strip the Left’s “critique” of its radical facade.

Another effective approach would be to “historicize” social justice. Social justice scholars never have to consider the historical contingency of their own analytical frame, despite regularly using this historicizing imperative as a blunt instrument against every other mode of discourse, e.g. “science studies.” This is because, up until now, they were the only ones comfortable arguing in such abominably bad faith. However, it would be both appropriate and effective for modern scholarship to ask “under what conditions of privilege did the homogenizing imperative of ‘social justice’ emerge?”, and “To what extent are the supposed standards of social justice merely historically contingent obsessions of powerful actors trying to forcibly shape the world in their image?” Courses that emerge one day may include “social justice in context,” in which the “aggressive triumphalism” of social justice is explored as a product of the toxic climate of “implicit oikophobia” which prevailed in the mid- to late-twentieth century. This would provide a non-resource intensive way to pathologize social justice within a prearranged narrative that could be easily transported to multiple sites.

Another key function of the historical approach is to depict social justice as being contingent on forces apart from itself, which diffuses the implicit assumption that it was “inevitable.” This is important, because something can only be considered “progress” that internally presumes the inevitability of historical movement toward its own endpoint. Take that away, and social justice simply becomes one cluster of reasoning from which humans derive meaning, among many. It ceases to be the truth and becomes a convention, which thus could only exist where it was imposed by agents with power trying to pursue more power. This technique is what the Left calls “parochializing,” and it proved deadly effective in destroying the Western Canon, leading to a generation of Europeans with no binding sense of a past, future, or present culture.

Conclusion

So what is the takeaway message from all of this? The Dissident Right and those sympathetic to its cause rest the legitimacy and meaning of their ideas on a set of values. This it shares with the Left, despite its initial values being different. However, what the Dissident Right does not share with the Left is the ability to “deconstruct” its opponent’s set of values. Academic enforcers of social justice have mastered the art of “deconstructing” all neutral parties whose discourse is in good faith, but they have no weapons against those whose discourse may be in bad faith. They know how to manipulate language, but not how to respond to their language being manipulated. To frame their analysis as morally suspect rhetoric and to demand that they justify it, is to force the social justice enforcer back into the realm of dialectic, a discourse in which they are generally incompetent. However, getting them there is not within the domain of dialectic itself.

A rhetorical strategy must be designed and agreed upon by a small community of people, who will need to train others to be dedicated to the task of “deconstructing” the deconstructors, if there is to be any hope for your side of the culture war to have a fair hearing in the academy. As such, I advise undercover academics to resist putting their energies toward positive arguments that support the worldview of the Dissident Right, at least at this point in time. Rather, they should make contact with each other and begin formulating a way to plausibly sell moral disgust at the most basic assumptions made by agents of social justice, and thus corrupt the moral firmware on which it runs. This may sound ridiculous, but it has already been accomplished with the tools of postmodernism.

The postmodernists of yesteryear conditioned an entire generation of white Westerners to be disgusted by the core moral axiom that once underwrote the “progressive” activities of their white Western predecessors. This axiom was the belief in the moral imperative to “civilize” the non-Western world. It underwrote the morality that justified the imperial march of “progress” as foundationally as “inclusion” and “diversity” underwrite the “progressive” activities of modern Leftists. The fact that mainstream discourse puts the word “civilize” in quotation marks today is a testament to the success of the postmodernists in deconstructing away an entire moral framework. It can be your success, too, and must be. Before any honest work can be done by anyone toward building anything new in academia, we must remove the cultural Left’s ability to destroy without consequence. This will involve identifying and deconstructing the platform from which they do it. This will need to occur with the same singlemindedness and cynicism that accompanied the rhetorical brilliance of Adorno, Marcuse, Horkheimer, and later Foucault, Lacan, and Latour.

Notes

[1] [7] Ullica Segerstrale, Defenders of The Truth: The Battle for Science in the Sociobiology Debate and Beyond (Great Clarendon Street Oxford: Oxford University Press, 2000), p. 406.

[2] [8] UCL, “UCL Statement on The London Conference on Intelligence [9],” January 13, 2018.

[3] [10] “Anatomy does not define gender,” Nature 563, no. 5 (2018).

[4] [11] George Soros, Soros on Soros: Staying Ahead of the Curve (New York: John Wiley & Sons, 1995), p. 33.

[5] [12] Hilary Putnam, Philosophical Papers, vol. 1, Mathematics Matter and Method (Trumpington Street Cambridge: Cambridge University Press, 1979), p. 73.

 

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[9] UCL Statement on The London Conference on Intelligence: https://www.ucl.ac.uk/news/2018/jan/ucl-statement-london-conference-intelligence-0

[10] [3]: #_ftnref3

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[12] [5]: #_ftnref5

 

mercredi, 30 janvier 2019

Werner Sombart ce grand oublié de l'histoire

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Chronique 39 bis :

Werner Sombart ce grand oublié de l'histoire

Prof. Dr. Gerd Morgenthaler auf der Oswald-Spengler-Konferenz 2018

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Prof. Dr. Gerd Morgenthaler auf der Oswald-Spengler-Konferenz 2018

 
 
Prof. Dr. Gerd Morgenthaler auf der Oswald-Spengler-Konferenz 2018 https://www.oswaldspenglersociety.com/ --- Gerd Morgenthaler ist Inhaber eines Lehrstuhls für Öffentliches Recht an der Universität Siegen. Nach Studium der Rechtswissenschaft (Erstes Staatsexamen 1987), Promotion zu einem international-steuerrechtlichen Thema (Heidelberg 1991) und Rechtsreferendariat in Baden-Württemberg (Zweites Staatsexamen 1991) habilitierte er sich mit einer Arbeit zum Freiheitsbegriff des Grundgesetzes in seiner historischen Prägung durch die Naturrechtsphilosophie der europäischen Moderne (Heidelberg 1999). Seine Forschungsschwerpunkte liegen in den Bereichen des Verfassungsrechts (Freiheitsgrundrechte, Nachhhaltigkeit, Rechtsstaat), der europäischen Integration (Krisen, Zukunftsperspektiven) und des Zusammenhangs von Recht und Entwicklung in außereuropäischen Kulturen (insbesondere im Südkaukasus, in Zentralasien und in China).
 

mardi, 29 janvier 2019

"Oswald Spengler ou le tourment de l'avenir"

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Chronique 70 :

"Oswald Spengler ou le tourment de l'avenir"

Essais & analyses.