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vendredi, 17 mai 2019

Michel Maffesoli: “L’entre-soi médiatico-politique”

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Michel Maffesoli: “L’entre-soi médiatico-politique”

 

Michel Maffesoli, professeur émérite à la Sorbonne et membre de l’Institut, analyse les raisons du fossé qui s’est établi entre le peuple et les élites. La classe médiatico-politique semble s’être repliée sur elle-même et vit dans l’entre-soi. Pourquoi n’est-elle pas capable d’entrer en empathie avec le peuple ? Comment cette rupture a-t-elle été consommée ?

N’est-ce point le mépris vis-à-vis du peuple, spécificité d’une élite en déshérence, qui conduit à ce que celle-ci nomme abusivement « populisme » ? L’entre-soi, particulièrement repérable dans ce que Joseph de Maistre nommait la « canaille mondaine » – de nos jours on pourrait dire la « canaille médiatique » –, cet entre-soi est la négation même de l’idée de représentation sur laquelle, ne l’oublions pas, s’est fondé l’idéal démocratique moderne. En effet, chose frappante, lorsque par faiblesse on cède aux divertissements médiatiques, ça bavarde d’une manière continue dans ces étranges lucarnes de plus en plus désertées. Ça jacasse dans ces bulletins paroissiaux dont l’essentiel des abonnés se recrute chez les retraités. Ça gazouille même dans les tweets, à usage interne, que les décideurs de tous poils s’envoient mutuellement.

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La verticalité du pouvoir.

L’automimétisme caractérise le débat, national ou pas, que propose le pouvoir – automimétisme que l’on retrouve dans les ébats indécents, quasiment pornographiques, dans lesquels ce pouvoir se donne en spectacle. Pour utiliser un terme de Platon, on est en pleine théâtrocratie, marque des périodes de décadence. Moment où l’authentique démocratie, la puissance du peuple, est en faillite.

Automimétisme de l’entre-soi ou auto-représentation, voilà ce qui constitue la négation ou la dénégation du processus de représentation. On ne représente plus rien, sinon à courte vue, soi-même. Cette Caste on ne peut plus isolée, en ses diverses modulations – politique, journalistique, intellectuelle –, reste fidèle à son idéal « avant-gardiste », qui consiste, verticalité oblige, à penser et à agir pour un prétendu bien du peuple.

Cette Caste on ne peut plus isolée, en ses diverses modulations – politique, journalistique, intellectuelle –, reste fidèle à son idéal « avant-gardiste », qui consiste, verticalité oblige, à penser et à agir pour un prétendu bien du peuple.

Une telle verticalité orgueilleuse s’enracine dans un fantasme toujours et à nouveau actuel : « Le peuple ignore ce qu’il veut, seul le Prince le sait » (Hegel). Le « Prince » peut revêtir bien des formes, de nos jours celle d’une intelligentsia qui, d’une manière prétentieuse, entend construire le bien commun en fonction d’une raison abstraite et quelque peu totalitaire, raison morbide on ne peut plus étrangère à la vie courante.

Ceux qui ont le pouvoir de dire vitupèrent à loisir les violences ponctuant les soulèvements populaires. Mais la vraie « violence totalitaire » n’est-elle pas celle de cette bureaucratie céleste qui, d’une manière abstruse, édicte mesures économiques, consignes sociales et autres incantations de la même eau en une série de « discours appris » n’étant plus en prise avec le réel propre à la socialité quotidienne ? N’est-ce pas une telle attitude qui fait dire aux protagonistes des ronds-points que ceux qui détiennent le pouvoir sont instruits, mais non intelligents ?

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Le monopole de la parole.

Ceux-là même qui vitupèrent et parlent, quelle arrogance !, de la « vermine paradant chaque samedi », ceux-là peuvent-ils comprendre la musique profonde à l’œuvre dans la sagesse populaire ? Certainement pas. Ce sont, tout simplement, des pleureuses pressentant, confusément, qu’un monde s’achève. Ce sont des notables dans l’incapacité de comprendre la fin du monde qui est le leur. Et pourtant cette Caste s’éteint inexorablement.

Au mépris vis-à-vis du peuple correspond logiquement le mépris du peuple n’ayant plus rien à faire avec une élite qu’il ne reconnaît plus comme son maître d’école. Peut-être est-ce pour cela que cette élite, par ressentiment, utilise, ad nauseam, le mot de « populisme » pour stigmatiser une énergie dont elle ne comprend pas les ressorts cachés.

Le bienfait des soulèvements, des insurrections, des révoltes, c’est de rappeler, avec force, qu’à certains moments « l’hubris », l’orgueil d’antique mémoire des sachants, ne fait plus recette. Par là se manifeste l’important de ce qui n’est pas apparent. Il y a, là aussi, une théâtralisation de l’indicible et de l’invisible. Le « roi clandestin » de l’époque retrouve alors une force et une vigueur que l’on ne peut plus nier.

L’effervescence sociétale, bruyamment (manifestations) ou en silence (abstention) est une manière de dire qu’il est lassant d’entendre des étourdis-instruits ayant le monopole légitime de la parole officielle, pousser des cris d’orfraie au moindre mot, à la moindre attitude qui dépasse leur savoir appris.

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Le lieu fait lien.

Manière de rappeler, pour reprendre encore une formule de Joseph de Maistre, « les hommes qui ont le droit de parler en France ne sont point la Nation ».

Qu’est-ce que la Nation ? En son sens étymologique, Natio, c’est ce qui fait que l’on nait (nascere) ensemble, que l’on partage une âme commune, que l’on existe en fonction et grâce à un principe spirituel. Toutes choses échappant aux Jacobins dogmatiques, qui, en fonction d’une conception abstraite du peuple, ne comprennent en rien ce qu’est un peuple réel, un peuple vivant, un peuple concret. C’est-à-dire un peuple privilégiant le lieu étant le sien.

Les Jacobins dogmatiques, en fonction d’une conception abstraite du peuple, ne comprennent en rien ce qu’est un peuple réel, un peuple vivant, un peuple concret.

Le lieu fait lien. C’est bien ce localisme qui est un cœur battant, animant en profondeur les vrais débats, ceux faisant l’objet de rassemblements, ponctuant les manifestations ou les regroupements sur les ronds-points. Ceux-ci sont semblables à ces trous noirs dont nous parlent les astrophysiciens. Ils condensent, récupèrent, gardent une énergie diffuse dans l’univers.

C’est bien cela qui est en jeu dans ces rassemblements propres au printemps des peuples. Au-delà de cette obsession spécifique de la politique moderne, le projet lointain fondé sur une philosophie de l’Histoire assurée d’elle-même, ces rassemblements mettent l’accent sur le lieu que l’on partage, sur les us et coutumes  qui nous communs.

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L’émotion et la solidarité.

C’est cela le localisme, une spatialisation du temps en espace. Ou encore, en laissant filer la métaphore scientifique, une « einsteinisation » du temps. Etre-ensemble pour être-ensemble sans finalité ni emploi. D’où l’importance des affects, des émotions partagées, des vibrations communes. En bref, l’émotionnel.

Pour reprendre une figure mythologique, « l’Ombre de Dionysos » s’étend à nouveau sur nos sociétés. Chez les Grecs, l’orgie (orgè) désignait le partage des passions, proche de ce que l’on nomme de nos jours, sans trop savoir ce que l’on met derrière ce mot : l’émotionnel. Emotionnel, ne se verbalisant pas aisément, mais rappelant une irréfragable énergie, d’essence un peu mystique et exprimant que la solidarité humaine prime toutes choses, et en particulier l’économie, qui est l’alpha et l’oméga de la bien-pensance moderne. Que celle-ci d’ailleurs se situe à la droite, à la gauche, ou au centre de l’échiquier politique dominant.

L’émotionnel et la solidarité de base sont là pour rappeler que le génie des peuples est avant tout spirituel. C’est cela que, paradoxalement, soulignent les révoltes en cours. Et ce un peu partout de par le monde. Ces révoltes actualisent ce qui est substantiel. Ce qui est caché au plus profond des consciences. Qu’il s’agisse de la conscience collective (Durkheim) ou de l’inconscient collectif (Jung). Voilà bien ce que l’individualisme ou le progressisme natif des élites ne veut pas voir. C’est par peur du Nous collectif qu’elles brandissent le spectre du populisme.

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L’organique contre le mécanique.

Paul Valéry le rappelait : « Ce n’est pas sur ce qu’ils voient, mais sur ce qu’ils ne voient pas qu’il faut juger les hommes ». C’est bien sur ce qu’ils ne voient pas qu’il faut juger la Caste agonisante des notables établis : incapacité de repérer l’invisible à l’œuvre dans le corps social, incapacité à apprécier l’instinct naturel qui meut, sur la longue durée, la puissance populaire.

On est, dès lors, dans la métapolitique. Une métapolitique faisant fond comme je l’ai indiqué sur les affects partagés, sur les instincts premiers, sur une puissance au-delà ou en-deçà du pouvoir et qui parfois refait surface. Et ce d’une manière irrésistible. Comme une impulsion quelque peu erratique, ce qui n’est pas sans inquiéter ceux qui parmi les observateurs sociaux restent obnubilés par les Lumière (XVIIIe siècle) ou par les théories de l’émancipation, d’obédience socialisante ou marxisante propres au XIXe siècle et largement répandues d’une manière plus ou moins consciente chez tous les « instruits » des pouvoirs et des savoirs établis.

C’est bien sur ce qu’ils ne voient pas qu’il faut juger la Caste agonisante des notables établis : incapacité de repérer l’invisible à l’œuvre dans le corps social, incapacité à apprécier l’instinct naturel qui meut, sur la longue durée, la puissance populaire.

En son temps, contre la violence totalitaire des bureaucraties politiques[1], j’avais montré, en inversant les expressions de Durkheim, que la solidarité mécanique était la caractéristique de la modernité et que la solidarité organique était le propre des sociétés primitives. C’est celle-ci qui renaît de nos jours dans les multiples insurrections populaires. Solidarités organiques qui, au-delà de l’individualisme, privilégient le « Nous » de l’organisme collectif. Celui de la tribu, celui de l’idéal communautaire en gestation. Organicité traditionnelle, ne pouvant qu’offusquer le rationalisme du progressisme benêt dont se targuent toutes les élites contemporaines.

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Vers une tradition dynamique !

Oui, contre ce progressisme dominant, on voit renaître les « instincts ancestraux » tendant à privilégier la progressivité de la tradition. La philosophie progressive, c’est l’enracinement dynamique. La tradition, ce sont les racines d’hier toujours porteuses de vitalité. L’authentique intelligence « progressive », spécificité de la sagesse populaire, c’est cela même comprenant que l’avenir est un présent offert par le passé.

C’est cette conjonction propre à la triade temporelle (passé, présent, avenir) que, pour reprendre les termes de Platon, ces « montreurs de marionnettes » que sont les élites obnubilées par la théâtrocratie sont incapables de comprendre. La vanité creuse de leur savoir technocratique fait que les mots qu’ils emploient, les faux débats et les vrais spectacles dont ils sont les acteurs attitrés sont devenus de simples mécanismes langagiers, voire des incantations qui dissèquent et règlementent, mais qui n’apparaissent au plus grand nombre que comme de futiles divertissements. Les révoltes des peuples tentent de sortir de la grisaille des mots vides de sens, de ces coquilles vides et inintelligibles. En rappelant les formes élémentaires de la solidarité, le phénomène multiforme des soulèvements est une tentative de réaménager le monde spirituel qu’est tout être-ensemble. Et ce à partir d’une souveraineté populaire n’entendant plus être dépossédée de ses droits.

Les révoltes des peuples rappellent que ne vaut que ce qui est raciné dans une tradition qui, sur la longue durée, sert de nappe phréatique à toute vie en société. Ces révoltes actualisent l’instinct ancestral de la puissance instituante, qui, de temps en temps, se rappelle au bon souvenir du pouvoir institué.

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Le bon sens populaire.

Voilà ce qui, en son sens fort, constitue le génie du peuple, génie n’étant, ne l’oublions pas, que l’expression du gens, de la gente, c’est-à-dire de ce qui assure l’éthos de toute vie collective. Cet être-ensemble que l’individualisme moderne avait cru dépassé ressurgit de nos jours avec une force inégalée.

Mais voilà, à l’encontre de l’a-priorisme des sachants, a-priorisme dogmatique qui est le fourrier de tous les totalitarismes, ce génie s’exprime maladroitement, parfois même d’une manière incohérente ou se laissant dominer par les passions violentes. L’effervescence fort souvent bégaie. Et, comme le rappelle Ernest Renan : « Ce sont les bégaiements des gens du peuple qui sont devenus la deuxième bible du genre humain ».

Cet être-ensemble que l’individualisme moderne avait cru dépassé ressurgit de nos jours avec une force inégalée.

Remarque judicieuse, soulignant qu’à l’encontre du rationalisme morbide, à l’encontre de l’esprit appris des instruits, le bon sens prend toujours sa source dans l’intuition. Celle-ci est une vision de l’intérieur. L’intuition est une connaissance immédiate, n’ayant que faire des médias. C’est-à-dire n’ayant que faire de la médiation propre aux interprétations des divers observateurs ou commentateurs sociaux. C’est cette vision de l’intérieur qui permet de reconnaître ce qui est vrai, ce qui est bon dans ce qui est, et, du coup, n’accordant plus créance au moralisme reposant sur la rigide logique du devoir-être.

Du bien-être individuel au plus-être collectif.

C’est ainsi que le bon sens intuitif saisit le réel à partir de l’expérience, à partir du corps social, qui, dès lors, n’est plus une simple métaphore, mais une incontournable évidence. Ce que Descartes nommait l’« intuition évidente » comprend ainsi, inéluctablement, ce qui est évident.

Dès lors ce n’est plus le simple bien-être individualiste d’obédience économiciste qui prévaut, mais bien un plus être collectif. Et ce changement de polarité, que l’intelligentsia ne peut pas, ne veut pas voir, est conforté par la connaissance collective actualisant la « noosphère » analysée par Teilhard de Chardin, celle des réseaux sociaux, des blogs et autres Tweeters. Toutes choses confortant un « Netactivisme » dont on n’a pas fini de mesurer les effets.

Voilà le changement de paradigme en cours dont les soulèvements actuels sont les signes avant-coureurs. On comprendra que les zombies au pouvoir, véritables morts-vivants, ne peuvent en rien apprécier la vitalité quasi-enfantine à l’œuvre dans tous ces rassemblements. Car cette vitalité est celle du « puer aeternus » que les pisse-froids nomment avec dégoût « jeunisme ». Mais ce vitalisme juvénile[2], où prédomine l’aspect festif, ludique, voire onirique, est certainement la marque la plus évidente de la postmodernité naissante.

Michel Maffesoli

[1] Michel Maffesoli, La Violence totalitaire (1979), réédité in Après la Modernité, CNRS Éditions, 2008, p.539.

[2] La jeunesse n’étant bien sûr pas un problème d’âge, mais de ressenti, ce que traduit bien le mythe fédérateur de la postmodernité qu’est le Puer aeternus

mardi, 14 mai 2019

La force de l’existence

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La force de l’existence

par Patrice-Hans Perrier

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com

Les temps sont difficiles pour les patriotes actifs des deux côtés de l’Atlantique. En effet, le rouleau compresseur des diverses chartes onusiennes et la pression des grandes multinationales font en sorte que les prérogatives des États nationaux se réduisent, chaque jour, en peau de chagrin. Il y a péril en la demeure et c’est le cas de le dire.

DdtYwYdV4AAsic3.jpgL’historien Dominique Venner s’épanche longuement dans son essai, intitulé « Un samouraï d’Occident », sur les causes du déclin de l’Europe et de la civilisation helléno-chrétienne. D’après lui, l’inéluctable déclin de notre civilisation serait dû, d’entrée de jeu, à la perte de ce qui constituait la substantifique moelle de notre éthos collectif.

La charpente de nos mœurs et de nos valeurs spirituelles aurait été endommagée par une sorte de suicide collectif : un phénomène s’appuyant, non seulement sur l’hubris débridée de nos élites, mais tout autant sur l’effondrement d’une sagesse populaire qui puisait à une tradition plurimillénaire. Nous aurions perdu les bornes qui contenaient les menaces qui s’appesantissent sur nos sociétés déboussolées au moment de composer ces quelques lignes.
 
La perte des repères de la nature

Reprenant les préceptes exposés dans L’Homme et la technique, d’Oswald Spengler, l’historien Venner fustige la fuite en avant d’une technicité automotrice, laissée à elle-même sans contrepartie humaine. Ainsi, selon Spengler, « la pensée faustienne commence à ressentir la nausée des machines ». Prenant appui sur les observations du grand philosophe Martin Heidegger, Dominique Venner dénonce cette « métaphysique de l’illimité » qui repousse toujours plus loin les bornes de la technique, mais aussi de l’éthique. Le délire techniciste qui déferle sur notre époque aura contribué à faire sauter les digues des antiques préceptes qui guidaient nos sociétés depuis la nuit des temps.

Les anciens nous auraient légué, toujours selon Venner, « … l’idée de « cosmos », « l’idée que l’univers n’est pas un chaos, mais qu’il est au contraire soumis à l’ordre et à l’harmonie ». Et, de résumer la pensée principielle d’Homère qui pose les préceptes d’une vie bonne : « la nature comme socle, l’excellence comme but, la beauté comme horizon ». L’hubris de nos dirigeants, la décadence des mœurs et l’univers concentrationnaire de nos cités délabrées seraient les conséquences de l’effritement de l’antique sagesse. De la perte des bornes qui fondaient nos rapports en société et la culture comme lit de la mémoire de la cité. Les digues de la sagesse ayant été rompues, nous errons à travers nos cités dévastées tels des ilotes privés d’un droit de cité qui n’est plus qu’une chimère en l’espèce.

La métaphysique de l’illimité

Dominique Venner n’est pas le seul à dénoncer cette « métaphysique de l’illimité » qui prend appui sur l’idée que l’homme serait, à l’instar des dieux, un démiurge capable de manipuler les propriétés de la nature. Charles Taylor, ancien professeur de philosophie à l’Université McGill de Montréal, dans un petit essai intitulé Grandeur et misère de la modernité, remet en cause cette « culture contemporaine de l’authenticité » qui dériverait d’un idéalisme pathologique. Ce dernier estime que nos élites s’enferment, de plus en plus, dans un véritable onanisme intellectuel et spirituel. Ainsi, la quête de « l’authenticité » procéderait d’un idéalisme qui s’enferme dans ses présupposés, refusant toute forme de dialogue au final. Tout cela le pousse à affirmer que « les modes les plus égocentriques et « narcissiques » de la culture contemporaine sont manifestement intenables ».

Et, c’est par un extraordinaire effet de retournement que les occidentaux nés après la Seconde guerre mondiale se sont comportés telle une génération spontanée, faignant d’ignorer le legs de leurs prédécesseurs. Combattant les effets délétères d’une révolution industrielle métamorphosée en nécrose financière, les adeptes de la contre-culture ont fini par se réfugier dans une sorte de prostration mortifère. Les épigones de ce que certains nomment le « marxisme culturel » ont accaparé le temps de parole sur les ondes, sur Internet et partout sur la place publique des débats d’idées. De fait, il n’y a plus de débats possibles puisque l’hubris de ces nouvelles élites autoproclamées fait en sorte de transformer leurs contradicteurs en opposants politiques, voire en délinquants.

Les idiots utiles du grand capital apatride

L’idéalisme des pionniers de la contre-culture s’est transformé en fanatisme militant, capable de neutraliser toute forme de contestation au nom de la pureté de son combat apologétique. Manifestement incapables d’identifier le substratum de leurs luttes politiques, les nouveaux épigones de cette gauche de pacotille livrent une lutte sans merci à tous ceux qui osent s’opposer à la volonté de puissance des « forces du progrès » et de « l’esprit des lumières ». Sans même réaliser l’ironie de la chose, ces nouveaux guerriers de la rectitude politique mettent l’essentiel de leurs énergies au service des forces du grand capital apatride.

On assiste à un arraisonnement de la contestation qui, l’instant d’un retournement symbolique, s’est métamorphosé en police de la raison d’État. Parce que la nouvelle raison d’État se pare des vertus des « droits de l’homme », de la « protection de l’environnement » ou des « miracles du progrès » pour que rien ne puisse se mettre en travers de sa marche inexorable. Tout doit aller plus vite, sans que l’on puisse se poser de question, afin que les sédiments de l’ancienne morale, des antiques traditions de nos aïeux ou de nos repères identitaires soient emportés par les flots d’un changement de paradigme qui ne se nomme pas. Véritable ventriloque, ce grand vent de changement souffle sur les fondations d’une cité prétendument concentrationnaire, tout cela en ayant la prétention de vouloir libérer l’humanité de ses chaînes. Voilà la supercherie en l’état des lieux. 
 
Une génération spontanée coupée de ses racines

Taylor-Charles2.jpgCharles Taylor pose un regard d’une grande acuité sur ce « nouveau conformisme » des générations de l’après-guerre. Cette génération spontanée, refusant d’assumer sa dette envers les ancêtres, s’imagine dans la peau d’un démiurge mû par une force automotrice. Rien ne doit entraver sa volonté de puissance, déguisée en désir de libération. Chacun se croit « original », unique en son genre et libre d’agir à sa guise dans un contexte où les forces du marché ont remplacé les antiques lois de la cité. Taylor se met dans la peau des nouveaux protagonistes de la contre-culture actuelle : « non seulement je ne dois pas modeler ma vie sur les exigences du conformisme extérieur, mais je ne peux même pas trouver de modèle de vie à l’extérieur. Je ne peux le trouver qu’en moi ».

Véritable égocentrisme morbide, cet individualisme forcené se travestit à la manière d’un caméléon qui capte l’air du temps afin de se donner de la contenance et d’être en mesure de tromper ses adversaires. Parce que cette quête factice d’authenticité n’est qu’une parure qui cache l’appât du gain et la soif de reconnaissance de cette génération spontanée incapable d’arrimer ses désirs au socle de l’antique sagesse populaire. Conservateur lucide, tel un Jean-Claude Michéa, Charles Taylor n’hésite pas à faire référence aux intuitions géniales d’un Karl Marx mal compris en fin de compte. Les forces du marché, prises d’un emballement que rien ne semble capable d’arrêter actuellement, emportent toutes les digues, les bornes, qui fondaient nos cités pérennes.

Le capitalisme sauvage annonce la société liquide

Écoutons Charles Taylor :

On a parlé d’une perte de résonance, de profondeur, ou de richesse dans l’environnement humain. Il y a près de cent cinquante ans, Marx faisait observer dans le Manifeste du parti communiste que le développement capitaliste avait pour conséquence « de dissoudre dans l’air tout ce qui est solide » : cela veut dire que les objets solides, durables et souvent significatifs qui nous servaient par le passé, sont mis de côté au profit des marchandises de pacotille et des objets jetables dont nous nous entourons maintenant. Albert Borgman parle du « paradigme de l’instrument », par lequel nous nous retirons de plus en plus d’une relation complexe à l’égard de notre environnement et exigeons plutôt des produits conçus pour un usage limité.

Et, nous pourrions poursuivre le raisonnement de Taylor en observant les effets négatifs de cette « raison instrumentale » qui se déploie à travers le nouveau militantisme des zélotes de l’intégrisme libéral-libertaire. Rien ne doit entraver la liberté des marchés puisque tout s’équivaut dans l’espace libertaire du « chacun pour soi ». Le multiculturalisme, véritable doctrine d’État déployée au sein des anciennes colonies du Dominion britannique, représente une matrice anti-citoyenne qui favorise l’érection d’une multitude de ghettos ethno-confessionnels, sortes de nations artificielles qui minent la paix sociale de l’intérieur.

Les patriotes cloués au pilori

La cité, qui fondait sa légitimité sur la mémoire des ancêtres et la Geste du Héros, est détricotée au gré d’une sorte de guerre civile larvée mettant en scène la lutte de tous contre tous. Tributaire de la logique de marché, cette guerre civile en devenir prend une ampleur difficile à contenir puisque les héritiers du génos, ou legs des pères fondateurs sont privés du « droit de cité ». Ainsi, les protagonistes d’un conservatisme qui se réclame de la mémoire collective, du respect d’un patrimoine national ou d’une tradition immémoriale sont-ils accusés de faire corps avec un vil fascisme, sorte de maladie de l’âme qui contaminerait tous ceux qui refusent de se conformer au libéralisme ambiant.

Du haut de leurs chaires universitaires et médiatiques, les censeurs de la rectitude politique, déguisés en intellectuels, lancent des fatwas contre les patriotes qui récusent la nouvelle doxa et refusent d’adopter la nouvelle Magna Carta mondialiste. De puissants réseaux d’« influenceurs » se déploient sur Internet et ailleurs afin de stigmatiser, diffamer et menacer les quelques téméraires qui osent sortir des clous et poussent le culot jusqu’à remettre en question les canons de l’heure. In fine, les milices antifas et d’autres escadrons punitifs vont se mettre en marche afin de repérer et d’agresser les contrevenants. C’est l’annihilation qui est visée en fin de compte : pour que la pureté de la pensée unique soit préservée. Comble de la folie humaine, cette nouvelle inquisition libérale-libertaire ne réalise pas que ses propres procédés pourraient bien être utilisés contre elle-même. Parce que la « main invisible du marché » finira, tôt ou tard, par liquider ses idiots utiles. La « marche du progrès » va ainsi : nulle mémoire ne saurait être tolérée dans le cadre du process de la marchandise, véritable Léviathan qui se mord la queue.

Patrice-Hans Perrier

Comprendre le marxisme culturel - Entretien avec Pierre-Antoine Plaquevent

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Comprendre le marxisme culturel

 
Entretien avec Pierre-Antoine Plaquevent :
 
1 De la terreur bolchevique au marxisme culturel
2 De Francfort à la Californie
3 La personnalité autoritaire
4 Kinsey report
5 Freudo-marxisme
6 Des universités américaines à Mai 68
7 Du social au sociétal
 
Faites un don : https://stratpol.com/don/
 
Achetez le livre de Pierre-Antoine Plaquevent : https://www.leretourauxsources.com/es...
 

Média & Politique : La fabrique du consentement - Michel Onfray

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Média & Politique : La fabrique du consentement - Michel Onfray

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Théorie de la dictature... - Un essai de Michel Onfray

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Théorie de la dictature...

Un essai de Michel Onfray

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Les éditions robert Laffont viennent de publier un essai de Michel Onfray intitulé Théorie de la dictature. Philosophe populaire, tenant d'un socialisme libertaire, Michef Onfray a publié de nombreux ouvrages, dont dernièrement sa trilogie  Cosmos (Flammarion, 2015), Décadence (Flammarion, 2017) et Sagesse (Flammarion, 2019).

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Il est admis que 1984 et La Ferme des animaux d'Orwell permettent de penser les dictatures du XXe siècle. Je pose l'hypothèse qu'ils permettent également de concevoir les dictatures de toujours.
Comment instaurer aujourd'hui une dictature d'un type nouveau ?

J'ai pour ce faire dégagé sept pistes : détruire la liberté ; appauvrir la langue ; abolir la vérité ; supprimer l'histoire ; nier la nature ; propager la haine ; aspirer à l'Empire. Chacun de ces temps est composé de moments particuliers.
Pour détruire la liberté, il faut : assurer une surveillance perpétuelle ; ruiner la vie personnelle ; supprimer la solitude ; se réjouir des fêtes obligatoires ; uniformiser l'opinion; dénoncer le crime par la pensée.
Pour appauvrir la langue, il faut : pratiquer une langue nouvelle ; utiliser le double langage; détruire des mots ; oraliser la langue ; parler une langue unique ; supprimer les classiques.
Pour abolir la vérité, il faut : enseigner l'idéologie ; instrumentaliser la presse ; propager de fausses nouvelles ; produire le réel.
Pour supprimer l'histoire, il faut : effacer le passé ; réécrire l'histoire ; inventer la mémoire ; détruire les livres ; industrialiser la littérature.
Pour nier la nature, il faut : détruire la pulsion de vie ; organiser la frustration sexuelle ; hygiéniser la vie ; procréer médicalement.
Pour propager la haine, il faut : se créer un ennemi ; fomenter des guerres ; psychiatriser la pensée critique ; achever le dernier homme.
Pour aspirer à l'Empire, il faut : formater les enfants ; administrer l'opposition ; gouverner avec les élites ; asservir grâce au progrès ; dissimuler le pouvoir.

Qui dira que nous n'y sommes pas ?

M.O.

samedi, 11 mai 2019

Why We Should Read Heidegger

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Why We Should Read Heidegger

by Matt McManus

Ex: https://quillette.com

This the final instalment in a series of essays by Matt McManus examining the work and legacies of the totalitarian philosophers.

I must make a confession here: Martin Heidegger was one of the first philosophers I really and truly loved. When I was around 19 years old, one of the summer jobs I worked was as a traffic counter. We were responsible for counting the number of cars that went through street lights, which needless to say was a profoundly boring task. I often passed the time by reading, and began delving into philosophy for the first time—there is something about sitting by the side of the road for 11 hours that enables speculation. Heidegger’s dense and strange books were often infuriatingly opaque, but once I began to understand them I was thrilled. Here was someone who thought and wrote in a way that no one else seemed to, and who was emphatically unafraid of tackling the biggest and most novel philosophical questions. As a critical young man, I was also enraptured with his damning critique of modernity and especially technology. I was so absorbed by it that I identified as a Heideggerian well into my early PhD, writing an undergraduate thesis on “authenticity” and my L.L.M thesis on Heidegger, Wittgenstein, and Anglo-American legal theory.

Unfortunately, this admiration was always tempered by a significant counterweight; the awkward matter of Heidegger’s politics. My father was a human rights lawyer who made his living prosecuting ex-pat Nazis hiding in Canada, and I was brought up in a household in which the evils of the Hitler regime were transparently visible. When I was 12 years old, I started to volunteer for a number of human rights groups, and learned more about the horrors of Nazism from survivors and commentators. This shocked my young conscience. How could my philosophical hero, a man who embodied all the intellectual virtues I admired—critical mindedness, creativity, an emphasis on authenticity—relate himself to Nazism? This question only became more challenging as the depth of his association with Nazism and anti-Semitism became clearer to me.

Heidegger and Politics

In this series so far I have written pieces analyzing the work of Rousseau, Marx, and Nietzsche. Each remains a controversial thinker, and with good reason. But, unlike these earlier figures, Heidegger is not simply peripherally or problematically associated with a damning political movement. Rousseau wrote many worrying things about the authority to be ceded to the “General Will,” but never lived to see the Jacobins unleash the terror in its name. Karl Marx was a revolutionary who was certainly unafraid of violence, but would most likely have been horrified by the totalitarian movements erected in his name. Nietzsche was, of course, no liberal or egalitarian, but he also was an unrelenting foe of German nationalism who would have found the Nazi appropriation of his writings comical were the consequences not so devastating.

hei.jpgBut Heidegger not only joined the Nazi party, he remained a member until it ceased to exist at the end of the Second World War. He attended conferences for Nazi intellectuals, at which he delivered speeches. Heidegger infamously reported faculty members to the gestapo if he regarded them as insufficiently loyal to the new regime. And, even after the war, when the full horrors of the Nazis’ crimes became apparent, he had little to say in repentance or critique. Heidegger’s most public attempt to explain his support for Nazism—a 1966 interview with Der Spiegel magazine—was detailed but notably free of self-examination. This raises a serious problem, as Richard Rorty pointed out in his essay on Heidegger in Philosophy and Social Hope. How could one of the greatest thinkers of the twentieth century ally himself with its most sinister and monstrous political movement?

To understand this development, it helps to understand Heidegger’s critique of modernity and modern life. This Heidegger presented for the first time in Being and Time and subsequently developed in Introduction to Metaphysics and his later work on technology and the history of Western thought. For Heidegger, modern thought is in some respects a regression from the truly epochal thinking of earlier ages. Where the Greeks, especially the pre-Socratics were willing to tackle the biggest questions of human life, most modern people were largely unconcerned with such seemingly abstract and uncommercial questions. Figures like Parmenides pondered questions such as “What is Being?” and associated the answer with a whole range of issues pertaining to the meaning of existence and, by extension, human life.

By contrast, later thinkers like Descartes asked a narrower set of questions. Rather than concerning themselves with Being itself, they asked instead “How can I think what is true?” This may seem like an innocuous shift, but it heralded a movement towards what would later be called technical reason. As modernity continued on its course, questions about existence and its meaning were increasingly dismissed in favor of “technical questions” such as “How can I understand the empirical world accurately, so it can be manipulated in my interests?” Modern people were unconcerned with “Why there is something instead of nothing at all,” which for Heidegger was the key question of metaphysics, and indeed for the human life of Dasein—that being for whom Being is a question. Instead, they wanted to generate ever more powerful systems of knowledge, such as the technical sciences, so the world could be more easily broken down and instrumentalized. The “enframing” of the world which results from technical reason blocks us from developing our more authentic selves. As he put it in “The Question Concerning Technology“:

Enframing blocks the shining-forth and holding-sway of truth. The destining that sends into ordering is consequently the extreme danger. What is dangerous is not technology. There is no demonry of technology, but rather there is the mystery of its essence. The essence of technology, as a destining of revealing, is the danger. The transformed meaning of the word “Enframing” will perhaps become somewhat more familiar to us now if we think Enframing in the sense of destining and danger. The threat to man does not come in the first instance from the potentially lethal machines and apparatus of technology. The actual threat has already affected man in his essence. The rule of Enframing threatens man with the possibility that it could be denied to him to enter into a more original revealing and hence to experience the call of a more primal truth.

The ascendancy of technical reason and instrumentalization, Heidegger thought, generated highly inauthentic individuals who were unable to live meaningful lives. This is because the primary purpose of existence was regarded as the pursuit of a kind of materialist satisfaction. This was true across political forms, which is partly why Heidegger claimed that the hyper-partisan distinction between Left and Right is actually trivial. Both liberal capitalism and its great rival communism are equally devoted to the modernist pursuit of materialist satisfaction. The only difference between them is over the most efficient means to pursue that goal. They are “metaphysically the same” in their efforts to “enframe” the world using technical reason, and result in the same belief about the point of existence.

black.jpgBy contrast, Heidegger stressed that materialist satisfaction can never provide a truly meaningful existence. On the contrary, it can only produce tremendous anxiety as we recognize that the limitations of our lives and the inevitability of death will one day bring the party to an end. At that point, our pursuit of material satisfaction and wealth will turn out to have been meaningless. Heidegger argues that many of us realize this, and feel contempt for the vulgarity and emptiness of our societies. Nevertheless, rather than acknowledge this uncomfortable fact, we retreat into the inauthentic world of “das man” or the “they.” We try to ignore the inevitability of our annihilation by conforming to the expectations of consumer society, disregarding the deeper questions that drive us, and believing that, as long as we go about our business, death—and the confrontation with our own inauthenticity—can be postponed indefinitely.

For Heidegger, this frightened retreat into the world of the “they” was symptomatic of the impact of technical reason and instrumentalization across the world. Being and Time was a call for authenticity in an age apparently dedicated to running from it. Authenticity would mean facing up to the reality of our own future annihilation, and to try and live beyond the “they” by committing ourselves to a truly great project which will provide our lives with a worthy end. This project will of course be doomed to ultimate failure, because the finiteness of time available to us will ensure it is never fully completed. But the meaning of our lives comes from choosing as worthy a project as possible and pursuing it with as much dedication as one can muster.

This is an immensely inspiring critique, and I can only gesture at its power in this short article. Many commentators, myself included, tend to interpret Being and Time as a call for a unique form of individualism. This isn’t what one might call liberal individualism, which Heidegger associated with technical reason and the world of the “they.” Liberal individualism meant little more than mindless conformity, as each indistinguishable figure went about pursuing their menial pleasures in cooperation and competition with one another. It is also philosophically implausible for Heidegger. The atomistic conceit of figures like Jefferson or Mill, that we are “born free” and use technical reason to analyze the world from scratch, was a vulgarization of true philosophy. Heidegger repeatedly stressed that we are always “thrown” into a world of social meanings that fundamentally shape our outlook on the world. The authentic individuality Heidegger favored comes from making use of these meanings to shape something fundamentally new, but which grows organically out of what came before. But this of course means that a decadent and damaged society will not provide its members with the tools necessary to live authentic existences. It must therefore be condemned and refashioned as necessary.

This hostility to liberalism and communism explains a great deal of the attraction Heidegger felt towards Nazism. Its reverence for the traditional practices and beliefs of the German volk and its call for the liberal individual to surrender himself to a greater collective cause must have appealed to him a great deal, both in its conservative and radical dimensions. There also seems to be a sense in which the earlier anti-liberal individualism of Being and Time gives way to a more social vision. The most obvious example of this was the way his concept of Dasein—which he had earlier used to refer to a singular “being” who questioned the nature of “Being”—is given a twist in the Rectoral address. Now it referred to the nation and its destiny.

Heidegger’s writings during that period seem to reflect this new emphasis, reaching a pitch in his criticisms of liberalism and communism, and his suggestion that Nazi Germany had a unique destiny in rescuing the Western world. Some of this may also be attributable to personal arrogance on Heidegger’s part, and his belief that a totalitarian political movement could carry out the kind of sweeping philosophical reforms he wished to see take place on a grand scale. Heidegger later admitted that he was naïve when it came to politics, though I think his lover Hannah Arendt expressed it better. He was a great fool to think that Nazism, a hyper-modern totalitarian movement bent on world conquest and the submission of all individual wills to Adolph Hitler, was an ideological instrument useful to the project of creating a more authentic world. It is likely that his own life-long attraction to German traditionalism and national identity blinded him to the extremism of its policies. Ironically, in his efforts to escape from the world of the “they,” he submitted his immense philosophical intelligence to the most inauthentic movement imaginable.

Conclusion: What Can We Learn from Heidegger

schw.jpgHeidegger was one of the greatest philosophers in the twentieth century, despite his contemptible politics. There remains much we can learn from him, if we take care to isolate the gems of insight from the dangerous currents underneath. This is often a challenge whenever one is dealing with a critique of modernity that is powerful enough to be convincing. One must always take care not to trade the imperfect for the tyrannical.

Heidegger’s analysis of authenticity remains more pressing than ever in our postmodern culture. Many people believe that our purpose in life remains a form of self-satisfaction. Today, however, this includes an emphasis on the expression of a given identity, various forms of left-wing agitation, and the emergence of postmodern conservatism. At his best, Heidegger would warn us that this emphasis on identity can lead us to live inauthentic existences. The efforts of postmodern conservatives to provide stability for their sense of identity by excluding those who are different reflects this tendency; a temptation Heidegger himself fell into against the better inclinations of his philosophy. We long for a sense of stability in our identities, but this longing is antithetical to the quest for true authenticity. What we must recognize is that identity is always unstable because it is framed by the tasks we set for ourselves. Our identity is always unstable because an authentic person is always seeking to become something greater than they were before. The choice available is to accept this instability or retreat into the world of the “they.”

Heidegger focused our attention on mysterious questions that are too frequently ignored. In particular, the questions of ontology: What does it mean to be? What does it mean to say this or that particular thing exists? Why is there something instead of nothing at all? And so on. He was wrong to criticize scientific technical reason for its indifference to these questions. Indeed, many seminal figures, from Einstein to Lee Smolin, were preoccupied by these ontological issues. But we are no doubt still prone to ignoring them in favor of questions that permit clearer answers. Indeed, our economically minded society often dismisses apparently unanswerable ontological questions with the claim that they’re a waste of time that could be spent more wisely on more efficient tasks.

But Heidegger also pointed out that asking ontological questions can and does play a fundamental role in our personal lives, and that dismissing them may prevent us from reflecting on what is truly important. Each of us is indeed “thrown” into the world for a short period of time. No one truly knows from whence we came, and each of us fears the annihilation to which we must inevitably return. Pondering these issues, as well as the more general question of where anything came from and what it is moving towards, can help us bring deeper focus to life.

Matt McManus is currently Visiting Professor of Politics and International Relations at Tec de Monterrey. His forthcoming books are Overcoming False Necessity: Making Human Dignity Central to International Human Rights Law and What is Post-Modern Conservatism? He can be reached at garion9@yorku.ca or followed on Twitter @MattPolProf

mardi, 07 mai 2019

Guy Debord et la médiocrité de notre société postmoderne

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Guy Debord et la médiocrité de notre société postmoderne

Par Nicolas Bonnal

Ex: https://leblogalupus.com

« Pour savoir écrire il faut avoir lu et pour savoir lire, il faut savoir vivre. »

Le pouvoir socialiste-mondialiste a honteusement, répétitivement tenté de récupérer ou de diaboliser Guy Debord (méprisant, macho, nostalgique…), mais le message du maître des rebelles demeure puissant et dur. On ne saurait trop recommander la vision du film In girum imus nocte et consumimur igni (superbe titre palindrome), qui va plus loin que la Société du Spectacle, étant moins marxiste et plus guénonien en quelque sorte (le monde moderne comme hallucination industrielle et collective). Le virage élitiste et ésotérique de ce marxisme pointu défait par la médiocrité du progrès nous a toujours étonnés et enchantés. Georges Sorel en parlait dès 1890 dans ses Illusions du progrès :

« La grande erreur de Marx a été de ne pas se rendre compte du pouvoir énorme qui appartient à la médiocrité dans l’histoire; il ne s’est pas douté que le sentiment socialiste (tel qu’il le concevait) est extrêmement artificiel ; aujourd’hui, nous assistons à une crise qui menace de ruiner tous les mouvements qui ont pu être rattachés idéologiquement au marxisme… »

Debord tape sur cette classe moyenne dont nous faisons partie et dont certains font mine de regretter la disparition alors qu’elle pullule partout !… Je le répète, Guy Debord n’est pas moins dur que René Guénon sur cette classe dite moyenne/médiocre et petite-bourgeoise dont le sadisme des représentants s’exprime aujourd’hui par la guerre (Venezuela, Syrie, Libye en attendant mieux) et la répression sociale la plus brute (les gilets jaunes) :

« …ce public si parfaitement privé de liberté, et qui a tout supporté, mérite moins que tout autre d’être ménagé. Les manipulateurs de la publicité, avec le cynisme traditionnel de ceux qui savent que les gens sont portés à justifier les affronts dont ils ne se vengent pas, lui annoncent aujourd’hui tranquillement que « quand on aime la vie, on va au cinéma ».

Puis de dénoncer les cinéphiles alors omniprésents et les amateurs de cinéma, tous socialement « agents spécialisés des services » :

« Le public de cinéma, qui n’a jamais été très bourgeois et qui n’est presque plus populaire, est désormais presque entièrement recruté dans une seule couche sociale, du reste devenue large : celle des petits agents spécialisés dans les divers emplois de ces « services » dont le système productif actuel a si impérieusement besoin : gestion, contrôle, entretien, recherche, enseignement, propagande, amusement et pseudo-critique. C’est là suffisamment dire ce qu’ils sont. Il faut compter aussi, bien sûr, dans ce public qui va encore au cinéma, la même espèce quand, plus jeune, elle n’en est qu’au stade d’un apprentissage sommaire de ces diverses tâches d’encadrement. »

Et après notre antisystème radical se déchaîne sur ces bobos de la première génération (voyez l’Amour l’après-midi d’Eric Rohmer, qui en dressait un portrait acide) :

« Ce sont des salariés pauvres qui se croient des propriétaires, des ignorants mystifiés qui se croient instruits, et des morts qui croient voter.

Certains diront que Debord exagère (l’attaque universitaire se développe)… Ce n’est pas notre cas, et ce n’est pas une raison pour ne pas le relire :

« Comme le mode de production moderne les a durement traités ! De progrès en promotions, ils ont perdu le peu qu’ils avaient, et gagné ce dont personne ne voulait. Ils collectionnent les misères et les humiliations de tous les systèmes d’exploitation du passé ; ils n’en ignorent que la révolte. Ils ressemblent beaucoup aux esclaves, parce qu’ils sont parqués en masse, et à l’étroit, dans de mauvaises bâtisses malsaines et lugubres ; mal nourris d’une alimentation polluée et sans goût ; mal soignés dans leurs maladies toujours renouvelées ; continuellement et mesquinement surveillés ; entretenus dans l’analphabétisme modernisé et les superstitions spectaculaires qui correspondent aux intérêts de leurs maîtres. »

41JyOKdW9SL._SX302_BO1,204,203,200_.jpgOn parle de grand remplacement. Comme je l’ai montré avec Don Siegel et ses gentils profanateurs, il s’agit surtout d’un remplacement moral et spirituel. Mais il y a aussi le grand déplacement, qui ne date pas d’hier (voyez mon texte sur Baudelaire et la conspiration géographique). Dans n’importe quel bled la moitié des gens viennent d’ailleurs. Debord :

« Ils sont transplantés loin de leurs provinces ou de leurs quartiers, dans un paysage nouveau et hostile, suivant les convenances concentrationnaires de l’industrie présente. Ils ne sont que des chiffres dans des graphiques que dressent des imbéciles. »

Debord, qui évoque aussi le grand remplacement du vieux peuple rebelle parisien, écrit ensuite sur nos pandémies (on est dans les années 70, quand seize mille Français meurent par an sur les routes) :

« Ils meurent par séries sur les routes, à chaque épidémie de grippe, à chaque vague de chaleur, à chaque erreur de ceux qui falsifient leurs aliments, à chaque innovation technique profitable aux multiples entrepreneurs d’un décor dont ils essuient les plâtres. Leurs éprouvantes conditions d’existence entraînent leur dégénérescence physique, intellectuelle, mentale. »

Debord explique pourquoi Paris est la ville qui dort de Georges Pérec :

« On n’en avait pas encore chassé et dispersé les habitants. Il y restait un peuple, qui avait dix fois barricadé ses rues et mis en fuite ses rois. C’était un peuple qui ne se payait pas d’images. »

Debord qui se réclame des cinéastes Raoul Walsh et de Marcel Carné (il aime le général Custer, le Lacenaire des Enfants du Paradis, le Jules Berry des Visiteurs…) ajoute :

« Paris n’existe plus. La destruction de Paris n’est qu’une illustration exemplaire de la mortelle maladie qui emporte en ce moment toutes les grandes villes, et cette maladie n’est elle-même qu’un des nombreux symptômes de la décadence matérielle d’une société. Mais Paris avait plus à perdre qu’aucune autre. C’est une grande chance que d’avoir été jeune dans cette ville quand, pour la dernière fois, elle a brillé d’un feu si intense. »

Le feu pourtant se porte bien, et les sponsors qui vont restructurer cette mégapole nécrosée aussi. Passons.

Conditionné par sa consommation et la propagande, le néo-citoyen adore sa servitude. Debord évoque ici les grandes pages de Céline (voyez mon livre) sur le conditionnement médiatique :

« On leur parle toujours comme à des enfants obéissants, à qui il suffit de dire : « il faut », et ils veulent bien le croire. Mais surtout on les traite comme des enfants stupides, devant qui bafouillent et délirent des dizaines de spécialisations paternalistes, improvisées de la veille, leur faisant admettre n’importe quoi en le leur disant n’importe comment ; et aussi bien le contraire le lendemain. »

Tocqueville annonçait que le monde du citoyen démocratique se limiterait à sa famille :

« Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie. »

Cette page est tournée. La famille a été passée à la moulinette comme le reste, et Debord l’a parfaitement compris dès les années soixante-dix, quand le néocapitalisme devenu « société liquide » de Bauman liquide tout, c’est le cas de le dire :

« Séparés entre eux par la perte générale de tout langage adéquat aux faits, perte qui leur interdit le moindre dialogue ; séparés par leur incessante concurrence, toujours pressée par le fouet, dans la consommation ostentatoire du néant, et donc séparés par l’envie la moins fondée et la moins capable de trouver quelque satisfaction, ils sont même séparés de leur propres enfants, naguère encore la seule propriété de ceux qui n’ont rien. On leur enlève, en bas âge, le contrôle de ces enfants, déjà leurs rivaux, qui n’écoutent plus du tout les opinions informes de leurs parents, et sourient de leur échec flagrant ; méprisent non sans raison leur origine, et se sentent bien davantage les fils du spectacle régnant que de ceux de ses domestiques qui les ont par hasard engendrés : ils se rêvent les métis de ces nègres-là. »

La facticité/frugalité a gagné tous les domaines de la vie postmoderne et ce qui avait été accordé/promis par peur du communisme et durant l’existence de l’U.R.S.S a vite été confisqué. Comme disait Bourdieu, on restaure. Et on revient donc aux temps bénis de la première révolution industrielle quand une poignée de lords, de financiers et d’industriels détient tout le pactole. Le reste a intérêt à se terrer et à se taire.

J’évoque souvent le problème du logement qui m’a contraint à l’exil. Debord en parle souvent et il cite le jeune Marx. D’un ton magnifique et eschatologique, Marx écrit à la même époque que Tocqueville sur ce logement devenu impossible :

« Même le besoin de grand air cesse d’être un besoin pour l’ouvrier; l’homme retourne à sa tanière, mais elle est maintenant empestée par le souffle pestilentiel et méphitique de la civilisation et il ne l’habite plus que d’une façon précaire, comme une puissance étrangère qui peut chaque jour se dérober à lui, dont il peut chaque jour être expulsé s’il ne paie pas. Cette maison de mort, il faut qu’il la paie. »

Avis à ceux paient partout quarante euros du mètre pour « se loger ». Après, et sans évoquer nos épatantes statistiques modernes, Debord ajoute :

« Derrière la façade du ravissement simulé, dans ces couples comme entre eux et leur progéniture, on n’échange que des regards de haine. »

Une vie de serf en circuit attend nos yuppies :

« Cependant, ces travailleurs privilégiés de la société marchande accomplie ne ressemblent pas aux esclaves en ce sens qu’ils doivent pourvoir eux-mêmes à leur entretien. Leur statut peut être plutôt comparé au servage, parce qu’ils sont exclusivement attachés à une entreprise et à sa bonne marche, quoique sans réciprocité en leur faveur, et surtout parce qu’ils sont étroitement astreints à résider dans un espace unique, le même circuit des domiciles, bureaux, autoroutes, vacances et aéroports toujours identiques. »

On manque d’argent ? Rien de nouveau sous le sommeil :

« Mais où pourtant leur situation économique s’apparente plus précisément au système particulier du péonage, c’est en ceci que, cet argent autour duquel tourne toute leur activité, on ne leur en laisse même plus le maniement momentané. Ils ne peuvent évidemment que le dépenser, le recevant en trop petite quantité pour l’accumuler, mais ils se voient en fin de compte obligés de consommer à crédit, et l’on retient sur leur salaire le crédit qui leur est consenti, dont ils auront à se libérer en travaillant encore. »

Et après, on rationne :

« Comme toute l’organisation de la distribution des biens est liée à celle de la production et de l’État, on rogne sans gêne sur toute leur ration, de nourriture comme d’espace, en quantité et en qualité. Quoi que restant formellement des travailleurs et des consommateurs libres, ils ne peuvent s’adresser ailleurs, car c’est partout que l’on se moque d’eux. »

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Puis Debord nuance à nouveau son propos (la litote est en général un trope ironique pour ce rare type d’esprit) :

« Je ne tomberai pas dans l’erreur simplificatrice d’identifier entièrement la condition de ces salariés du premier rang à des formes antérieures d’oppression socio-économique. Tout d’abord parce que, si l’on met de côté leur surplus de fausse conscience et leur participation double ou triple à l’achat des pacotilles désolantes qui recouvrent la presque totalité du marché, on voit bien qu’ils ne font que partager la triste vie de la grande masse des salariés d’aujourd’hui. »

Un clin d’œil aux petits enfants du tiers-monde dont la misère complexe depuis des lustres les micro-bourgeois humanitaires modernisés :

« C’est d’ailleurs dans l’intention naïve de faire perdre de vue cette enrageante trivialité que beaucoup assurent qu’ils se sentent gênés de vivre parmi les délices alors que le dénuement accable des peuples lointains. »

Uniquement lointains…

Et voici un passage stratégique : Guy Debord se demande où gît la nouveauté dans le sort de nos péons postmodernes ?

« Pour la première fois dans l’histoire, voilà des agents économiques hautement spécialisés qui, en dehors de leur travail, doivent faire tout eux-mêmes. Ils conduisent eux-mêmes leur voiture, et commencent à pomper eux-mêmes leur essence, ils font eux-mêmes leurs achats ou ce qu’ils appellent de la cuisine, ils se servent eux-mêmes dans les supermarchés comme dans ce qui a remplacé les wagons-restaurants. »

Une belle formule sur notre existence de zombi, renforcée depuis (fin médiatisée du sexe pour les jeunes, du travail, du logement, des voyages, de l’éducation ou des soins gratuits, etc.) :

« Notre époque n’en est pas encore venue à dépasser la famille, l’argent, la division du travail. Et pourtant, on peut dire que, pour ceux-là, déjà, la réalité effective s’en est presque entièrement dissoute dans la simple dépossession. Ceux qui n’avaient jamais eu de proie l’ont lâchée pour l’ombre. »

Debord reprend la thématique de l’illusion et de l’hallucination :

« Le caractère illusoire des richesses que prétend distribuer la société actuelle, s’il n’avait pas été reconnu en toutes les autres matières, serait suffisamment démontré par cette seule observation que c’est la première fois qu’une système de tyrannie entretient aussi mal ses familiers, ses experts, ses bouffons. Serviteurs surmenés du vide, le vide les gratifie en monnaie à son effigie. »

Une formule assassine :

« Autrement dit, c’est la première fois que des pauvres croient faire partie d’une élite économique malgré l’évidence contraire. »

Le pire est que nos générations d’hommes creux, pour reprendre le poème d’Eliot subrepticement cité dans Apocalypse now, ne laissent depuis longtemps rien derrière eux:

« Non seulement ils travaillent, ces malheureux spectateurs, mais personne ne travaille pour eux, et moins que personne les gens qu’ils paient, car leurs fournisseurs même se considèrent plutôt comme leurs contremaîtres, jugeant s’ils sont venus assez vaillamment au ramassage des ersatz qu’ils ont le devoir d’acheter. Rien ne saurait cacher l’usure véloce qui est intégrée dès la source, non seulement pour chaque objet matériel, mais jusque sur le plan juridique, dans leurs rares propriétés. De même qu’ils n’ont pas reçu d’héritage, ils n’en laisseront pas. »

On avait compris…

Sources

  • Guy Debord, In girum imus nocte et consumimur igni ; La Société du Spectacle…
  • René Guénon, Initiation et réalisation, spirituelle, XXVIII
  • Alexis de Tocqueville, De la Démocratie…, II, p.363
  • Georges Sorel, les Illusions du progrès, p.353
  • Marx, Manuscrits de 1844, p. 93

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dimanche, 05 mai 2019

La métaphysique de la tripartition indo-européenne

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La métaphysique de la tripartition indo-européenne, Partie 1

Collin Cleary

Note de l’auteur :

Cet essai fut originellement écrit il y a presque exactement treize ans. Je m’étais abstenu de le publier pendant toutes ces années, parce que je considérais que les idées qu’il contenait étaient un peu trop spéculatives et audacieuses. Je crois cependant que ces idées sont trop intéressantes pour être gardées indéfiniment non-publiées. Dans l’espoir que d’autres puissent en profiter, j’ai décidé que le temps était venu de publier cet essai. Je dois cependant souligner que ces idées sont en effet hautement spéculatives, et la théorie exposée ici demeure un travail en progrès.

  1. Introduction : le schéma tripartite de Dumézil

Le plus éminent savant dans le domaine des études indo-européennes est le regretté Georges Dumézil du Collège de France. La contribution de Dumézil à ce domaine plutôt restreint peut être résumée à deux choses : (a) il remarqua que toutes les cultures indo-européennes  exhibaient une structure tripartite fondamentale ; et (b) il découvrit que cette structure était  codifiée dans la mythologie de chaque peuple indo-européen. Je décrirai d’abord simplement cette tripartition et ensuite j’en proposerai quelques exemples. Ce sujet est déjà familier pour beaucoup de mes lecteurs.

Au sommet de la société indo-européenne se trouve ce que Dumézil appelle la première fonction. Celle-ci incarne des aspects jumeaux : un aspect juridique et un aspect sacerdotal. Elle concerne l’administration de la justice, et la religion. Elle est donc parfois appelée la fonction « sacerdotale-royale » ou « sacerdotale-juridique ». La deuxième fonction est assumée par la classe guerrière ou militaire, qui sert à protéger la société dans son ensemble et à faire la guerre à ses ennemis. La troisième fonction incorpore tous ceux qui s’occupent de la production ou de la fourniture de biens, de services, et de nourriture. Ainsi, cette classe incorpore tous les marchands, fermiers, commerçants, artisans, etc.

Quant à savoir quelle est la fonction qui règne vraiment dans la société indo-européenne, c’est une question complexe. D’une certaine manière, il semble évident que la première fonction règne. Elle joue un rôle organisateur et structurant dans la société. Parce qu’elle inclut un aspect juridique, elle est impliquée dans la compréhension et l’application de lois abstraites. De plus, puisqu’elle implique aussi un aspect religieux, c’est la première fonction qui fournit à la société l’accès au divin, la plus haute autorité de toutes. Cependant, dans la plupart des  sociétés indo-européennes, c’est de la classe guerrière, ou classe de la deuxième fonction, que les souverains provenaient. C’est le cas pour la caste indienne des Kshatriyas, par exemple.

Donc qui règne, la première ou la deuxième fonction ? Le problème est facilement résolu en regardant la description de la société timarchique traditionnelle dans la République de Platon. La timarchie est une société gouvernée par des membres de la classe guerrière, qui sont éduqués et conseillées par des membres de la première fonction, ou classe sacerdotale. Cela fait des guerriers des souverains de facto, mais puisque les prêtres font les lois, et servent d’autorité finale, on pourrait aussi soutenir qu’au sens réel c’est la première fonction qui règne. La timarchie est en fait la forme prise par la plupart des sociétés indo-européennes traditionnelles.

A présent, permettez-moi de donner quelques exemples spécifiques de tripartition dans les cultures indo-européennes, et dans le mythe indo-européen. En Inde nous trouvons trois castes principales : brahmanes (prêtres), kshatriyas (guerriers), et vaishyas (producteurs). Une quatrième caste, les shudras, est simplement celle des serviteurs des autres. Les aspects jumeaux de la première fonction sont représentés par les dieux Varuna et Mitra. La deuxième fonction est représentée par le dieu puissant et belliqueux Indra. La troisième fonction est représentée par les jumeaux Ashvins.

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En allant très loin en fait, parmi les Celtes nous trouvons les druides (qui étaient prêtres et juristes), les flaith (qui étaient une aristocratie militaire), et les bo airig, qui signifie littéralement « hommes libres possédant du bétail ». Parmi les tribus germaniques nous trouvons une tripartition sociale similaire, et des dieux similaires. Odin et Tyr représentent, respectivement, l’aspect religieux et l’aspect juridique de la souveraineté. Comme Varuna, Odin est représenté comme un habile magicien. Comme Mitra, Tyr est le contrat personnifié. Thor, qui correspond très clairement à Indra, est le dieu des guerriers. Freyr et Freya représentent la troisième fonction. Il faut noter, à cet égard, que tout ce qui a un rapport avec la production ou la fécondité est associé à la troisième fonction. C’est pourquoi Freyr et Freya, des dieux de la sensualité, sont des dieux de la troisième fonction. Dans le panthéon romain, nous avons Jupiter (première fonction), Mars (deuxième fonction), et Quirinus (troisième fonction). En Iran nous trouvons les Amesa-Spentas, aspects du Seigneur Sage, Ahura Mazda. Ceux-ci incluent Asa et Vohu Manah, qui représentent l’ordre cosmique et la moralité et qui sont donc des déités de la première fonction. Xsathra est puissance ou pouvoir, et est donc associé à la deuxième fonction. Armaiti, Haurvatat, et Amerutat sont les patrons, respectivement, de la terre, de la santé, et de l’immortalité, et semblent donc représenter des caractéristiques de la troisième fonction.

La tripartition est encodée dans le mythe indo-européen par d’autres manières encore. Dans un mythe scythe, par exemple, les dieux envoient à l’humanité quatre objets : un calice, une épée, un joug, et une charrue. Le calice est clairement un objet rituel, représentant la première fonction sacerdotale. L’épée est évidemment un objet de guerre et est donc associée à la deuxième fonction. Le joug et la charrue servent à cultiver le sol, et sont donc des objets de troisième fonction. Dans la légende irlandaise, les Tuatha de Danaan étaient supposés avoir quatre grands trésors. Le premier était la Pierre du Destin, qui servait pour les couronnements. Le deuxième et le troisième étaient l’épée invincible de Lug au Long Bras, et une lance magique (les deux ensemble représentent la deuxième fonction). Le quatrième était le Chaudron du Dagda, qui était une sorte de corne d’abondance.

La tripartition est au cœur de l’Iliade. Ce qui cause la Guerre de Troie est la rivalité entre les déesses Héra, Athéna et Aphrodite, parmi lesquelles un certain Pâris doit choisir la plus belle. Pour le séduire, Héra lui offre la souveraineté (première fonction) ; Athéna lui offre la prouesse militaire (deuxième fonction) ; et Aphrodite lui offre l’amour de la plus belle femme dans le monde (troisième fonction). En choisissant Aphrodite, et Hélène, Pâris voue sa nation à la perte en sortant de l’ordre naturel des choses : pour les Indo-Européens, la souveraineté et la chevalerie doivent toujours passer avant la sensualité.

Ayant fait un bref exposé de la tripartition indo-européenne, je vais maintenant arguer que nos ancêtres avaient raison de penser que la tripartition est plus qu’une simple structure sociale. Les trois fonctions sont en réalité les reflets d’une métaphysique tripartite plus profonde, et chaque niveau de réalité exhibe cette structure. Avant de commencer à défendre cette idée, je veux très brièvement faire trois remarques. Avant tout, je ne dis pas que « toutes les choses vont par trois ». Ce dont je parle ici est une forme particulière de structure triple, et non la triplicité en tant que telle. Ma procédure sera inductive. Je présenterai de nombreux exemples d’aspects de la réalité structurés d’une manière analogue au système social indo-européen. Dans les sections 7 et 8 je proposerai des exposés purement abstraits de la nature de ces principes, m’abstenant de toute application spécifique de ceux-ci.

Ensuite, je ne traiterai pas de la question de la manière dont les anciens Indo-Européens auraient pu posséder cette connaissance avancée. Je supposerai que je n’ai pas besoin de convaincre mes lecteurs qu’il est possible que nos lointains ancêtres connaissaient plus de choses que nous, et non pas moins.

Enfin, il est inévitable que certains objecteront à ma procédure ici en disant que les Indo-Européens tentaient simplement de justifier leur structure sociale en la « lisant » dans la structure même du cosmos. Cette objection sera émise spécialement par ceux qui objectent aux traits de l’« idéologie » indo-européenne qui sont « politiquement incorrects », par exemple le patriarcat, l’aristocratie, le militarisme, et, mon « isme » préféré, ce que Jacques Derrida appelait le « phallo-logocentrisme ». Il est bien sûr possible que les Indo-Européens aient simplement pu lire leur structure sociale dans les cieux, mais nous devons au moins envisager que cela a pu être l’inverse – qu’ils ont pu lire cette structure dans les cieux, et ensuite bâtir leur société autour d’elle. Mais cette objection est vraiment à coté de la question, car les exemples de tripartition que je présenterai ici sont principalement mes propres observations, ma propre application des catégories indo-européennes à d’autres régions du réel.

La Métaphysique de la Tripartition indo-européenne, Partie 2
La tripartition dans la Société Humaine Société, Psychologie, et Physiologie

Collin Cleary

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Le Jugement de Pâris par Rubens

  1. L’Ame Humaine Tripartite

Pour commencer, les Indo-Européens pensaient traditionnellement que la société doit être structurée en trois parties ou « fonctions », parce que les gens eux-mêmes exhibent trois types d’âmes basiques.

Les étudiants de la philosophie grecque réaliseront que c’est exactement la vision de Platon. Dans la République, Platon divise sa cité idéale en trois classes : les philosophes, les gardiens ou guerriers, et les producteurs. Cela correspond précisément à la tripartition indo-européenne, les philosophes-rois prenant la place des prêtres-juristes. Mais dans la République, Platon ne fait cette remarque politique que pour faire une remarque psychologique. Il dit que chaque être humain exhibe cette structure tripartite.

Dans nos âmes il y a un élément-guide – un élément qui contrôle, qui dit oui ou non, qui parle « sens » en nous quand les émotions s’égarent. Cet élément se préoccupe à la fois des règles, de l’ordre, de la logique, et de ce que nous appelons la spiritualité. Il correspond donc à la fonction juridique-sacerdotale de la société indo-européenne. Nous avons aussi ce que Platon appelle un élément « passionné » [spirited] (à ne pas confondre avec « spirituel ») qui bat sauvagement dans la poitrine dès que le corps ou l’honneur de quelqu’un est menacé. Il nous pousse à combattre, parfois stupidement. Cela correspond évidemment à l’élément gardien ou guerrier (deuxième fonction). Enfin, nous avons ce que Platon appelle la partie « appétitive » ou « désirante » de l’âme. C’est la partie de nous qui est avide de biens physiques : nourriture, sexe, plaisirs sensuels de toutes sortes, argent, trésors, biens immobiliers, etc. La vertu, pour Platon, est présente dans une âme quand ces trois éléments coexistent harmonieusement, l’harmonie étant largement imposée par le contrôle de la première fonction, ou fonction rationnelle.

  1. Les trois types humains

L’autre remarque psychologique de Platon est que les gens diffèrent selon la proportion de ces éléments dans leur âme individuelle. Pour le dire simplement, certains humains tendent naturellement à être intellectuels ou spirituels. D’autres sont principalement passionnés, agressifs, préoccupés par les choses comme la compétition, l’honneur, et la gloire. D’autres encore sont principalement appétitifs, avec des préoccupations qui ne s’élèvent jamais au-dessus du niveau de la satisfaction physique et sensuelle, ou du gain matériel.

Bref, pour Platon et pour les Indo-Européens, il existe des souverains et des prêtres naturels, des guerriers naturels, et des producteurs et des commerçants naturels. Pour les Indo-Européens, la société doit exhiber une structure tripartite parce que les humains eux-mêmes se répartissent dans un tel groupement. Soit dit au passage, Platon pensait que la plus grande partie de l’humanité tombait dans la troisième classe appétitive, et c’est pourquoi il s’opposait à la démocratie. Le règne de « la majorité » signifie inévitablement le règne de ceux qui ne sont pas principalement raisonnables, spirituels, ou honorables, mais plutôt de ceux qui sont principalement préoccupés par le gain personnel, et par l’instant.

  1. Les types somatiques et tempéramentaux 

sheldon.jpgWilliam Herbert Sheldon

Ainsi, ce que nous avons vu jusqu’ici est que la tripartition indo-européenne nous fournit une psychologie selon laquelle nous pouvons comprendre la dynamique de notre âme individuelle, et selon laquelle nous pouvons nous catégoriser et nous comprendre, nous-mêmes et les autres. Cependant, la tripartition n’est pas seulement présente dans l’âme mais aussi dans le corps. Dans ce qui suit je m’inspirerai des travaux du psychologue W. H. Sheldon, dont le travail a été déclaré « discrédité » aujourd’hui (tous ses livres sont épuisés), parce qu’il a commis le péché impardonnable de suggérer que la biologie forme notre destin [1].

Sheldon distingue trois types physiques ou « morphes », et trois types de tempérament, ou « tonies ». Les morphes seront familiers à beaucoup d’entre vous : ce sont l’ectomorphe, le mésomorphe, et l’endomorphe [2] (la signification littérale de ces noms sera discutée dans la section 4, plus loin).

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L’ectomorphe est typiquement mince, peut-être quelque peu fragile et délicat. La linéarité prédomine. Il y a peu de graisse et peu de masse musculaire. Le tempérament typiquement exhibé par l’ectomorphe est cérébrotonique. Il est souvent introverti, souvent complètement absorbé dans ses propres processus de pensée. La plupart des schizophrènes exhibent un type ectomorphique. Le cérébrotonique tend à un comportement nerveux, obsessif, et est souvent hautement doué pour les recherches théoriques. Je n’ai pas besoin de souligner ce que nous avons tous observé dans nos vies : que les « cérébraux » et les « dingues de science » tendent à être minces, dégingandés, et nerveux. Mais ce type, qui est attiré par l’abstrait et le rationnel, peut aussi être attiré par le spirituel et le mystique.

Le mésomorphe a typiquement des épaules larges, avec une taille étroite, lui donnant une apparence triangulaire. Il est naturellement bien-proportionné. Comme l’ectomorphe, il tend à avoir peu de graisse, mais à la différence de l’ectomorphe sa musculature est prononcée. C’est un athlète naturel, avec un corps construit pour le conflit et la compétition. Concernant son tempérament, Sheldon l’appelle somatotonique. C’est un tempérament orienté vers l’action. Le somatotonique est un guerrier, recherchant la compétition, l’effort, la victoire, et la gloire de toutes sortes. De tels individus tendent vers l’extraversion. Ils veulent faire des choses, plutôt que s’asseoir et y réfléchir. Ils tendent à l’insensibilité, et même parfois à la brutalité. Ils veulent diriger, mais ils peuvent aussi être des partisans fanatiques s’ils rencontrent quelqu’un qu’ils estiment plus hautement qu’eux-mêmes.

L’endomorphe est de forme ovale, tendant souvent à l’obésité. Il est l’opposé diamétral de l’ectomorphe. En termes géométriques, il est rond plutôt que droit. La musculature qu’il peut avoir est très souvent cachée sous la graisse. L’endomorphe est viscérotonique ou « dominé par les boyaux ». Un représentant des théories de Sheldon remarque que pour les viscérotoniques « l’amour du confort physique, de la nourriture, des cérémonies polies, de la compagnie, et du sommeil sont des caractéristiques dominantes ». Il est caractérisé par « la douceur du corps et de l’esprit » [3]. Cette « douceur de l’esprit » se manifeste par une tendance à la passivité, à la complaisance, à l’amabilité indiscriminée, à la jovialité, et à une absence de volonté ou une incapacité à faire des jugements fermes ou tracer des distinctions fermes.

Il devrait être évident que ces trois types corporels et tempéramentaux correspondent aux trois fonctions indo-européennes. L’ectomorphe et cérébrotonique est l’intellectuel, le raisonneur abstrait, le juge, ainsi que le mystique. Le mésomorphe et somatotonique est le guerrier naturel. L’endomorphe et viscérotonique est naturellement incliné vers la production, la consommation, et la satisfaction sensuelle. La description par Sheldon des trois tempéraments peut être considérée comme un supplément à la discussion par Platon des types rationnel, passionné, et appétitif. Dans la distinction des trois « morphes » associés à ces types nous trouvons une expression physique de la tripartition, ce qui est particulièrement remarquable.

  1. La signification du mésomorphe

Ce qui est particulièrement intéressant ici est la « position médiane », au niveau physique aussi bien qu’au niveau spirituel, occupée par les mésomorphes-somatotoniques. Comme l’ectomorphe, il est maigre. Comme l’endomorphe, il est épais. Mais sa maigreur épaisse est musculaire. Il manque de la graisse de l’endomorphe, mais à la différence de l’ectomorphe sa musculature tend à être visible.

Dans l’enseignement ésotérique de Platon – rapporté sous forme fragmentaire par Aristote et d’autres – le grand philosophe distingue deux principes ultimes et métaphysiques qu’il appelle l’Un et la Dyade Indéfinie. L’Un est conçu comme mesure, ordre, proportion. La Dyade est conçue comme les principes jumeaux du Grand et du Petit. On peut facilement surimposer les trois morphes à ces catégories, le mésomorphe représentant un milieu entre des extrêmes. C’est le type parfaitement mesuré, ordonné, proportionnel. C’est dans l’espoir d’approcher de sa forme que des millions de dollars sont dépensés chaque année pour adhérer à des sociétés de gymnastique. L’endomorphe et l’ectomorphe sont, respectivement, le Grand et le Petit. C’est comme si l’endomorphe avait trop de quelque chose et l’ectomorphe trop peu.

Il y a une autre manière plus importante par laquelle le mésomorphe-somatotonique est un « milieu » entre les deux autres. L’ectomorphe tend vers l’abstrait, le cérébral, et l’intellectuel. L’endomorphe-viscérotonique est à l’opposé : inclinant vers la sensualité, la physicalité, et l’oubli insouciant. En termes platoniciens-aristotéliens, l’un est plus proche du domaine du Formel et de l’Idéal, l’autre du matériel. Il est probable que les deux mènent des existences problématiques. Le mésomorphe, d’autre part, est un heureux milieu entre les deux. Il est incontestablement physique, et se réjouit de sa physicalité. Mais à la différence de l’endomorphe, sa physicalité n’est pas celle de l’autosatisfaction et de la sensualité. Le mésomorphe utilise sa physicalité pour poursuivre des idéaux. Ceux-ci vont de buts triviaux, comme gagner une partie, ou marquer un point, à des questions plus sérieuses, comme défendre l’honneur, vaincre une menace contre soi-même ou son peuple, ou défendre les sans-défense.

Le mésomorphe-somatotonique possède ainsi l’idéalisme de l’ectomorphe, mais sans sa tendance aux choses détachées-du-monde et à l’obsession de soi. Il possède la physicalité de l’endomorphe, mais sans sa tendance à la recherche du plaisir et à la passivité. C’est essentiellement pour cette raison que les anciens peuples, en particulier les Indo-Européens, regardaient ce type comme le type humain idéal. Ils lui érigeaient des statues, écrivaient des poèmes épiques et des sagas sur lui, et en général lui rendaient un culte comme étant l’être humain qui pouvait le plus approcher du divin (je reviendrai sur ce point quand je discuterai de la tripartition dans le tantrisme).

Le buste triangulaire du mésomorphe (souvent appelé la « forme en V ») est également intéressant. N’est-il pas fascinant que ce type, qui est une sorte d’équilibre entre les deux autres, approche d’une forme « triangulaire », et que cette forme soit trouvée si attirante ?

  1. Les organes corporels

Si nous regardons l’arrangement du corps humain, nous trouvons quatre systèmes principaux alignés autour de son axe central, l’épine dorsale. Ce sont le cerveau, le cœur, les boyaux, et les organes génitaux. Dans la pensée traditionnelle, ils sont l’expression physique des trois fonctions : le cerveau représentant, bien sûr, la première fonction. La passion de la deuxième fonction a depuis longtemps été associée à la région du cœur. Le terme de Platon qui est traduit par « passion » est thumos, qui était conçu comme une partie physique du corps, situé dans la région du cœur. Les boyaux et les organes génitaux représentent clairement la troisième fonction. Il est également intéressant de remarquer que le cœur occupe à peu près une position médiane entre le cerveau et les organes génitaux, de même que le mésomorphe-somatotonique est le milieu entre les deux autres types.

Une « qualité yang » dure caractérise les organes associés à la première et à la deuxième fonctions. Une « qualité yin » douce est typique des organes associés à la troisième fonction. Spécifiquement, les organes de la cavité abdominale sont non seulement mous, mais ils sont aussi les moins protégés par les os. Tout durcissement de ces organes signifie une maladie. La tête, par contre, une région associée à la première fonction, est l’une des parties les plus dures du corps. On peut aussi trouver des structures dures et cristallines dans le cerveau lui-même, dans la glande pinéale [4]. A la deuxième fonction sont associées les muscles les plus importants et les plus visiblement apparents du corps, dont la « dureté » est un signe de puissance. Nous utilisons le terme « durcir » pour décrire le processus de perfectionnement de ces muscles, qui sont si nécessaires pour l’attaque et la défense. Bien que les organes sexuels soient associés à la troisième fonction, chez le mâle ils ont, du moins une partie du temps, la qualité yang dure. C’est grâce à l’interaction de l’anatomie sexuelle mâle avec le système circulatoire, qui est un système de deuxième fonction, comme je le discuterai brièvement.

  1. Les Doshas ayurvédiques et les types sexuels 

La typologie physique et tempéramentale précédente fut considérablement développée par les anciens peuples indo-européens, en utilisant un vocabulaire très différent, bien sûr. Le meilleur exemple de cela peut être trouvé dans l’ancien système indien de la médecine ayurvédique. Ce matériel a été popularisé dans les années récentes dans un certain nombre de best-sellers, en particulier ceux de Deepak Chopra (envers qui nous devrions à part cela adopter un sain scepticisme). Le système dépend d’une division des êtres humains en trois types, appelés doshas : Vata, Pitta, et Kapha. Ceux-ci sont conçus comme des forces opérant dans le corps.

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Tout comme dans l’image platonicienne de l’âme, nous avons trois types en nous, mais chez la plupart des gens un dosha prédomine. Un type Vata est mince et dégingandé, avec une tendance à la crainte et à l’obsession de soi. Il est aussi imaginatif, introspectif, et souvent intellectuel. En d’autres mots, ectomorphique-cérébrotonique. Ce qui est particulièrement fascinant ici, c’est que l’Ayurveda conçoit le dosha Vata comme « dirigeant » les autres doshas. Deepak Chopra parle en fait du Vata comme du « roi » des doshas [5]. Le type Pitta est musculaire et bien-proportionné, agressif, impérieux, et déterminé. En d’autres mots, le type « guerrier » ; le mésomorphe-somatotonique. Le type Kapha a une tendance à l’obésité, à la bonne humeur, à l’autosatisfaction, et à la paresse mentale. Evidemment, l’endomorphe-viscérotonique.

Cette tripartition fut remarquée par les Indiens même dans le domaine du sexe. L’Ananga Ranga, un manuel sexuel indien de date incertaine (bien que clairement rédigé durant le dernier millénaire) divise les hommes en trois types sexuels : le Shasha ou homme-lièvre, le Vrishabha ou homme-taureau, et l’Ashwa ou homme-étalon. Je commencerai par l’homme-taureau. On le reconnaît, affirme l’Ananga Ranga, à son phallus ou lingam d’une longueur correspondant à la largeur de neuf doigts. Autant que je puisse me l’imaginer, cela correspond approximativement à la moyenne de Kinsey. D’après le texte, le corps de cet homme est « solide, comme celui d’une tortue ; sa poitrine est charnue, son ventre dur, et les grenouilles [= les triceps] de ses bras sont tournées de manière à être mises de face ». Bref, c’est un mésomorphe classique. Le texte nous informe que sa disposition est « cruelle et violente, agitée et irascible, et son Kama-salila [= semence] est toujours prêt » [6]. L’homme-étalon a un lingam d’une longueur correspondant à peu près à la largeur de douze doigts. Il est de forme épaisse. Le texte nous dit qu’il est « d’esprit insouciant, passionné et avide, glouton, changeant, paresseux, et rempli de sommeil » [7]. Il s’agit clairement du type endomorphe-viscérotonique, correspondant à la troisième fonction indo-européenne.

J’ai gardé l’homme-lièvre pour la fin, parce qu’ici la correspondance n’est pas aussi précise. Le texte nous dit que son lingam est d’une longueur correspondant à peu près à la largeur de six doigts. « Sa figure est courte et maigre, mais bien proportionnée en forme et en fabrication … son visage est rond … Il est d’une disposition tranquille ; il fait le bien pour l’amour de la vertu ; il est impatient de se faire un nom ; il est humble dans son comportement… » [8]. Rien ici sur l’aspect mince, dégingandé et introspectif. Mais l’adjectif « maigre » suggère la minceur. Le fait qu’il fasse le bien « pour l’amour de la vertu » suggère le goût des principes du cérébrotonique classique. Notez, à ce propos, que l’homme-taureau ou mésomorphe est le milieu mathématique précis entre l’homme-lièvre et l’homme-étalon. L’homme-lièvre a une taille de six doigts, l’homme-taureau de neuf, et l’homme-étalon de douze. Neuf est un nombre très important dans les traditions indo-européennes, particulièrement dans la tradition germanique.

  1. Paracelse

Paracelsus.jpgParacelse

Nous trouvons quelque chose de remarquablement similaire à ces distinctions physiologiques indiennes tripartites dans les ouvrages du médecin et alchimiste allemand du XVIe siècle, Theophrastus Bombastus von Hohenheim, appelé Paracelse. Il y a une sorte d’esprit indo-européen à l’œuvre chez ce penseur, car il insiste pour passer du système quadripartite des éléments (Terre, Air, Feu, et Eau – qui est peut-être bien une conception d’origine proche-orientale et non indo-européenne) au système tripartite du Soufre, du Mercure et du Sel. Mais ce n’est pas la pure triplicité de ce système qui est curieuse, mais plutôt sa correspondance exacte avec les trois fonctions indo-européennes.

Dans son Opus Paramirum (1530-1), Paracelse écrit, « La première chose que le médecin devrait savoir est que l’homme est composé de trois substances » [9]. Ce sont le Mercure, le Soufre et le Sel, dit-il, qui se combinent pour faire un corps. « Pour rendre les choses visibles, la Nature doit être obligée de se montrer … Prenez un morceau de bois. C’est le corps. Maintenant brûlez-le. La partie inflammable est le Soufre, la fumée est le Mercure, et la cendre est le Sel » [10]. Comme le note un commentateur, « Il utilisait ces termes pour décrire des principes de constitution, représentant l’organisation (Soufre), la masse (Sel), et l’activité (Mercure), toutes des variétés des formes spécifiques accomplies par les intelligences et semences immanentes de la matière » [11]. La correspondance avec le système indo-européen est donc comme suit : le Soufre, le principe organisateur = Première Fonction ; le Mercure, le principe actif et volatile = Deuxième fonction ; et le Sel, le principe de la pure masse ou matière = Troisième Fonction.

Notes

[1] Mêmes les bibliothèques se débarrassent des livres de Sheldon. Des exemplaires sont encore en circulation, mais souvent pour un prix élevé. Voir en particulier les ouvrages suivants : The Varieties of Human Physique (New York: Harper, 1940); The Varieties of Temperament (New York: Harper, 1942); Atlas of Men: Guide for Somatotyping the Adult Male at All Ages (New York: Gramercy Publishing, 1954).

[2] La terminologie de Sheldon continue à vivre dans les milieux de la santé et du fitness – particulièrement dans le bodybuilding.

[3] Robert S. De Ropp, The Master Game (New York: Delacorte Press, 1968), 116.

[4] Ces remarques peuvent être trouvées dans Wolfang Schad, Man and Mammals: Toward a Biology of Form, trans. Carroll Scherer (Garden City, New York: Waldorf Press, 1977), 17.

[5] Deepak Chopra, Perfect Health (New York: Harmony Books, 1991), 36.

[6] Kalayana Malla, Ananga Ranga, trans. F.F. Arbuthnot and Richard F. Burton (New York: Medical Press, 1964), 16

[7] Ibid., 16. Il est intéressant de noter que Shiva, l’incarnation de la troisième fonction, le principe du Tamas dans la théorie indienne des gunas, est appelé « seigneur du sommeil ».  Plus de détails là-dessus plus tard.

[8] Ibid, 15.

[9] Paracelse, Essential Readings, ed. Nicholas Goodrick-Clarke (Berkeley, California: North Atlantic Books), 76.

[10] Ibid., 78.

[11] Ibid., 28.

La métaphysique de la tripartition indo-européenne, Partie 3
La tripartition chez les animaux et dans la  nature en général

La tripartition chez les animaux

  1. Les trois systèmes de Schad

Jusqu’ici j’ai appliqué la tripartition indo-européenne au domaine humain, à l’ordre politique et sociétal, à la psychologie individuelle et de groupe, à la physionomie, à l’anatomie, et à la sexualité. Je vais maintenant passer à un niveau d’abstraction plus élevé, à la nature de l’organisme des mammifères en général. Dans les remarques qui suivent, je m’inspirerai principalement de l’œuvre des scientifiques Wolfgang Schad et Henri Bortoft, adeptes de l’anthroposophie.

Schad identifie trois processus fonctionnels fondamentaux dans l’organisme des mammifères : le système nerveux-sensoriel, le système respiratoire-circulatoire, et le système métabolique-membres. En termes de tripartition indo-européenne, les correspondances sont assez évidentes. Le système nerveux-sensoriel fonctionne pour guider le corps. Il correspond donc à la première fonction (souvenez-vous que l’ectomorphe, que j’ai identifié à la première fonction, a été décrit en termes de tempérament comme un cérébrotonique, où le système nerveux domine). Le système respiratoire-circulatoire correspond à la deuxième fonction. Une coïncidence heureuse fait que dans les traductions [anglaises] de Platon, nous utilisons le terme « spirited » pour décrire les gardiens ou guerriers, qui sont censés posséder l’« esprit ». Les anciens Indo-Européens pensaient que leurs guerriers étaient littéralement inspirés. Les types guerriers sont aussi connus pour leur manière de respirer et de gonfler la poitrine, une forme de parade destinée à intimider les autres mâles. Ainsi, il y a une association naturelle entre la deuxième fonction, le guerrier, et le système respiratoire-circulatoire. Mais beaucoup plus important est le fait que c’est dans le système circulatoire que nous trouvons les principaux gardiens du corps : les globules blancs qui servent à attaquer les envahisseurs.

Il nous reste à examiner le système métabolique-membres. Il y a là aussi une association entre le métabolisme et la troisième fonction indo-européenne. Dans la société indo-européenne, la troisième fonction est la fonction nourricière ; elle inclut tout ce qui est concerné par la fabrication ou l’apport de nourriture. Les deux organes du corps qui représentent le plus les différents aspects de la troisième fonction (qui sont complexes) sont l’estomac et les organes génitaux (souvenez-vous que l’endomorphe, que j’ai identifié à la troisième fonction, est fréquemment caractérisé par un estomac protubérant, et une tendance à la gloutonnerie). Le « caractère négatif » de la troisième fonction (que je discuterai en détail plus tard) est illustré par l’action des organes digestifs, qui suppriment l’identité de la matière étrangère et la  convertissent en la propre substance du corps.

  1. Rongeurs, ongulés, et carnivores 

Dans l’être humain, les trois systèmes de Schad existent dans un état d’équilibre. Chez d’autres mammifères, cependant, ces systèmes existent d’une manière telle que l’un domine les autres. Schad affirme que les rongeurs (castors, spermophiles, lemmings, souris, taupes, rats, écureuils, etc.) sont dominés par le système nerveux-sensoriel. On peut voir cela non seulement dans leur activité nerveuse frénétique (similaire à celle de l’ectomorphe-cérébrotonique humain), mais aussi dans le fait que leur tête est beaucoup plus grosse et plus développée que leurs membres. Les ongulés (buffles, chameaux, vaches, chevreuils, chèvres, chevaux, cochons, etc.) sont dominés par le système métabolique-membres. Cela se reflète dans leur grande taille. En particulier, leur estomac est habituellement très grand, et leurs membres sont aussi allongés et massifs. Comme l’endomorphe-viscérotonique humain, ils tendent à être passifs, à se déplacer lentement, et aiment manger.

Les carnivores (chats, loups, dauphins, blaireaux, belettes, etc.) sont dominés par le système respiratoire-circulatoire, que Bortoft décrit significativement comme « intermédiaire entre les deux autres [systèmes] » [1]. Il écrit : « Dans leur forme bien proportionnée, dans laquelle aucune partie du corps n’est développée plus que les autres, aussi bien que par leur taille intermédiaire, ils représentent un équilibre actif entre les deux extrêmes du rongeur et de l’ongulé » [2]. Cette description correspond exactement à mon traitement du mésomorphe-somatotonique humain. Les carnivores, comme les guerriers de la deuxième fonction, sont bien sûr caractérisés par une nature de prédateur. Et qui sont les souverains de facto du royaume animal ? Les carnivores, bien sûr.

Schad dit des choses fascinantes sur la vie de ces trois types de conduite des mammifères, et sur leur relation particulière avec la mort. Le rongeur, dit-il, « vit involontairement » et « meurt avec joie ». Sa vie nerveuse hyper-cinétique semble le rendre fatigué de l’existence, et il meurt généralement facilement et sans combat. Le cas extrême serait celui du lemming.  L’ongulé, par contre, « vit avec joie » et « meurt involontairement ». L’ongulé meurt mal. Il est souvent difficile à achever, et se débat et proteste bruyamment. Lorsqu’il se trouve face à une menace réelle ou potentielle, le rongeur réagit généralement par la fuite ; l’ongulé réagit par l’« évitement tranquille ». Par contre, le carnivore attaque. « Il s’expose également à la vie ou à la mort. Avec la mort aussi bien qu’avec la vie, il a une relation active ». Plus loin, il nous dit que le carnivore « accepte également la possibilité de la vie ou de la mort » [3]. En termes humains, cette étrange combinaison d’héroïsme et de résignation est typique, bien sûr, du guerrier tel qu’il est classiquement conçu.

  1. Exemples anatomique : dents et os

Nous pouvons trouver la tripartition même à un niveau beaucoup plus concret, reflété dans le dessin des parties individuelles du corps. Prenez les dents, par exemple : les incisives, les canines et les molaires. Schad nous montre que chez les rongeurs les incisives dominent, chez les carnivores les canines, et chez les ongulés les molaires. Chacun accentue le type de dents dont il a besoin pour sa forme de vie. Mais chez l’être humain, ces trois types sont également développés, parce que nous pouvons manger – et en faire notre subsistance – toutes les nourritures mangées par les rongeurs, les carnivores, et les ongulés.

Ce simple fait nous oriente vers des questions de grande importance concernant la place de l’homme dans l’univers ; son rôle cosmique, si vous voulez. Non seulement les êtres humains possèdent les trois types de dents, également développées, mais, comme je l’ai déjà mentionné, dans l’être humain les trois systèmes corporels (nerveux-sensoriel, respiratoire-circulatoire, et métabolique-membres) sont équilibrés, sans qu’aucun ne domine les autres. Qu’est-ce que cela signifie ? Dans le concept indo-européen traditionnel de la royauté, le roi, bien qu’il vienne d’une caste, était en réalité considéré comme incarnant les trois fonctions. Maintenant, je dirais que l’homme est à la nature ce que le roi est à son royaume. Comme le roi, qui incarne tous les aspects de son royaume dans sa personne, l’homme incarne tous les aspects de la nature. L’homme est à la fois rongeur, carnivore et ongulé. L’homme est le microcosme. Si on peut dire qu’il est le « roi de la nature », sa royauté est une intendance. Son rôle n’est pas d’être un tyran, ni de piller son royaume, mais d’y travailler presque comme un jardinier travaille dans un jardin : s’assurer que le sol est capable de supporter la croissance, planter les graines d’une manière judicieuse, guider la croissance de ses plantes, et bien sûr éliminer les herbes mauvaises et nuisibles.

Comme exemple anatomique supplémentaire de tripartition, considérez les trois types de cellules osseuses. Les ostéoblastes synthétisent les nouveaux os, et réparent les os existants en prenant du calcium dans le sang et en créant des matrices osseuses. Les ostéocytes maintiennent la force osseuse. Enfin, les ostéoclastes dissolvent les os dans le sang afin de briser et de réassimiler les vieilles structures osseuses. Nous avons ici un mécanisme organisateur positif, un mécanisme préservateur, et un mécanisme destructeur négatif. Comme un auteur le remarque, cela correspond étroitement à la trinité des dieux hindous, Vishnou, Brahma, et Shiva [4]. Comme nous le verrons plus loin, ces trois dieux sont conçus comme l’incarnation de forces qui correspondent exactement aux trois fonctions indo-européennes.

  1. Vie microscopique

Maintenant, pour l’instant je n’ai rien à dire sur les groupes d’animaux autres que les mammifères. Je n’ai rien à dire non plus sur les plantes. Ce sont des domaines pour une réflexion ultérieure. Je dirai cependant quelque chose sur la forme de vie la plus primale, la cellule de base et le micro-organisme.

Il y a différentes sortes de cellules, avec des structures différentes, mais dans la structure basique de chaque cellule nous pouvons voir une tripartition. Le noyau, dont le reste de la cellule reçoit ses ordres de marche, semblerait correspondre à la première fonction. La membrane de la cellule, qui entoure la cellule et la protège, serait la deuxième fonction. Enfin, la mitochondrie, et d’autres structures, qui déconstruisent et assimilent les molécules de nourriture pour fournir de l’énergie à la cellule, semblerait représenter la troisième fonction.

En prenant à nouveau les humains comme exemple, nos corps commencent par être des organismes microscopiques tripartites. Après environ trois semaines, l’embryon humain se développe en une sphère composée de soixante cellules appelées une blastula. La blastula se replie sur elle-même et développe trois structures de base, l’ectoderme, le mésoderme, et l’endoderme. De l’ectoderme se développeront la protection extérieure du corps, l’épiderme, ainsi que le cerveau et le système nerveux. L’ectomorphe est simplement quelqu’un chez qui cette composante prédomine. Le mésoderme se développe en muscles, os, système respiratoire et circulatoire, et est le trait saillant du mésomorphe. Enfin, l’endoderme, qui prédomine dans l’endomorphe, se développe en système digestif, ainsi que dans la parité du  système respiratoire et du canal alimentaire.

Si on regarde la structure de la blastula originelle, on découvre que l’ectoderme et l’endoderme naissants sont mis ensemble, pour former la couche extérieure de la blastula. Le mésoderme est le noyau intérieur. Cela suggère le lien entre les opposés polaires de la première fonction et de la troisième fonction. En un certain sens, ceux-ci existent sur un continuum. Les anciens reconnaissaient cela, et c’est pourquoi Platon parlait de sa Dyade Indéfinie comme du Grand et du Petit. Similairement, les deux extrêmes qui s’opposent au milieu dans la doctrine aristotélicienne des vertus sont conçus comme s’ils étaient sur un continuum. Même plus tard, quand l’ectoderme et l’endoderme sont plus complètement différenciés, ces deux sont encore visiblement présents sur un continuum. Et le mésoderme réside encore au centre de l’organisme, à l’intérieur de la coquille extérieure formée par l’ectoderme et l’endoderme.

Que le mésoderme doive se trouver à l’intérieur des deux autres, plutôt que sur le continuum avec eux, est hautement significatif. Cela reflète le caractère spécial de la deuxième fonction : son coté à part, son statut de médiation entre les autres fonctions. De plus, parce que dans la deuxième fonction les deux autres sont harmonisées et réalisées (un point sur lequel je reviendrai plus loin), la deuxième fonction est, d’une certaine manière, la « vérité intérieure » des autres. La position du mésoderme comme noyau intérieur est la vérité intérieure exprimée physiquement.

La tripartition dans le monde physique en général

  1. Le macrocosme

Le niveau le plus abstrait que nous considérerons sera l’existence en tant que telle. Mais avant d’atteindre ce niveau, regardons d’abord simplement notre monde physique, et ensuite les constituants physiques de ce monde. A nouveau, c’est un domaine dans lequel beaucoup de spéculations sont possibles, et ici je ne peux proposer que quelques suggestions.

Une division triple évidente de notre monde serait celle de la terre, du ciel et de l’atmosphère, et des cieux au-delà. Sur la terre nous trouvons du liquide et du solide, des océans et des continents. La terre est la source d’abondance, de la subsistance. A ce niveau de la réalité, elle est donc la troisième fonction. La coprésence du liquide et du solide représente la coprésence dans la troisième fonction du chaos (« les eaux » sont un symbole pérenne de la force du chaos), et de l’abondance ; l’indéfinition, et la fécondité précise. Le ciel plane au-dessus de la terre. L’atmosphère entoure celle-ci et la protège. Le ciel a souvent représenté une force mâle, et la terre la force féminine. Dans le système germanique, le ciel correspond à Tyr, la terre à Ing. Les deux sont des dieux mâles, mais Tyr fait partie des Ases, Ing des Vanes. De même, je dirais que le ciel et l’atmosphère représentent la deuxième fonction. Il est aussi remarquable que, comme je l’ai montré, la deuxième fonction soit associée à l’inspiration, au sens littéral ; à l’air et à la respiration. La première fonction est représentée par les corps célestes, en particulier le soleil, qui exerce une influence sur la terre depuis en-haut, une influence que les scientifiques commencent seulement à comprendre. Le soleil est aussi un symbole pérenne de la première fonction. Il apparaît dans la République de Platon comme un symbole de l’idéal. Comme je le discuterai brièvement, le soleil joue aussi ce rôle dans la pensée indienne.

  1. Physique

L’équation d’Einstein E=mc2 décrit l’univers physique en termes d’énergie, de masse, et de lumière. Comme nous le verrons, dans la philosophie indienne la première fonction indo-européenne est identifiée à la lumière, la troisième fonction à la masse, et la deuxième, une fonction de médiation avec l’énergie. La masse ou matière dans la physique contemporaine est décrite comme un « tourbillon d’atomes », de même que, en termes métaphysiques, la  troisième fonction est souvent identifiée au chaos, ou au « flux » d’Héraclite. Nous pouvons aussi remarquer que tous les atomes après l’hydrogène sont tripartites, composés de protons positifs, d’électrons négatifs, et de neutrons à charge neutre. L’électron négatif exhibe l’aspect d’indétermination et de « flux » normalement associé à la troisième fonction. Les électrons sont conçus pour être toujours en mouvement (dans le modèle classique, orbitant autour du noyau), de sorte qu’il est impossible d’établir précisément leur position.

Notes

[1] Henri Bortoft, The Wholeness of Nature (Hudson, New York: Lindisfarne Press, 1996), 94.

[2] Ibid., 94-95. Caractères italiques ajoutés.

[3] Schad, 228-229; 216.

[4] Michael S. Schneider, A Beginner’s Guide to Constructing the Universe (New York: HarperCollins, 1995), 55. Schneider identifie en fait les ostéoblastes à Brahma, les ostéocytes à Vishnou, et les ostéoclastes à Shiva. Pour des raisons qui deviendront évidentes, j’ai changé cet ordre.

La métaphysique de la tripartition indo-européenne,  Partie 4
La tripartition dans la pensée et le langage  humains

arjuna-warrior-203x300.jpgArjuna

  1. Universel, particulier, et individuel

Avant de nous tourner vers le niveau de ce qui est purement idéal et transcendant, notre niveau d’abstraction le plus élevé, je parlerai brièvement de la manière dont la tripartition se manifeste quand nous tentons d’incarner l’idéal dans la pensée et le langage.

Avant tout, il y a trois types fondamentaux de noms : l’universel, le particulier, et le singulier. Nous parlons du « loup » comme d’une espèce (ou de la gent « lupine »), et nous parlons des « loups » ou d’« un loup », et nous parlons de loups singuliers ou individuels (par exemple « Fenris »). L’universel représente la troisième fonction en ce qu’elle est une réalité potentiellement illimitée, et, pour cette raison, indéfinie. Il n’est pas sans caractère, mais son caractère n’est pas d’être un individu déterminé. Le particulier représente la première fonction : c’est l’universel rendu plus spécifique et précis. L’universel est un potentiel indéfini pour l’existence multiple. Le particulier réalise le potentiel de l’universel pour l’instanciation. Mais bien qu’« un loup » soit un existant, « un loup » est « un loup » est « un loup », etc. C’est un générique, et donc encore en un certain sens une existence indéfinie. Le singulier, l’individuel, qui serait un loup unique et non un loup générique, a vraiment une existence réelle. Comme la relation du mésomorphe avec l’ectomorphe et l’endomorphe, il fait la médiation entre l’universel et le particulier. C’est une existence particulière élevée au niveau de la réalité pleinement concrète, dans et par la réalisation de certaines des facettes, mais pas de toutes, de l’universel lui-même.

  1. Jugement perceptuel : identité, différence, et fondement

Dans le perceptuel et toutes les autres formes de jugement, trois concepts prédominent : identité, différence, et le fondement. Nous disons que les choses sont les mêmes ou autres, et nous disons cela dans la conscience d’un certain fondement ou base pour l’identification ou la distinction. Par exemple, deux hommes sont les mêmes, ou différents par la taille, qui est le fondement. Ici, l’identité représente la première fonction qui unit, égalise, rend un. La différence représente la troisième fonction qui divise et désagrège (cela deviendra plus clair quand je discuterai des gunas indiens dans un moment). Le fondement représente la deuxième  fonction, faisant à nouveau la médiation entre les deux. Il représente une constante résolue dans le jeu des identités et des différences. Comme la classe guerrière, il fournit la condition même sous laquelle les hommes, ou quoi que ce soit, peuvent être associés ensemble, ou tenus à part.

  1. Le syllogisme

En logique, nous distinguons entre trois types basiques d’argument ou de syllogisme : la catégorique, l’hypothétique, et le disjonctif. Le catégorique nous permet d’associer des concepts ou d’appliquer des concepts à des cas particuliers. Voici un exemple :

Tous les princes sont des Kshatriyas.
Tous les Kshatriyas sont des guerriers.
Donc, tous les princes sont des guerriers.

Cet argument opère entièrement à l’intérieur du domaine de l’idéal ou de l’abstrait, associant des catégories de choses. Ou prenons cet exemple :

Tous les princes sont des Kshatriyas.
Arjuna est un prince.
Donc, Arjuna est un Kshatriya.

Cet argument subsume un particulier sous un universel. Il inverse l’ordre ontologique des choses. L’existence est une réalisation de l’universel dans le monde, un cas particulier. L’argument catégorique « fait revenir » le cas dans l’universel. Les deux formes de pensée (passer d’une catégorie abstraite à une catégorie abstraite, et subsumer des particuliers dans des universaux) sont caractéristiques de la cérébralité de la première fonction.

Un exemple d’un syllogisme disjonctif serait celui-ci :

Arjuna est chez lui ou il est parti chasser.
Il n’est pas chez lui.
Donc il est parti chasser.

Cette forme d’argument dépend de la distinction nette – de l’exclusion des possibilités, l’une par rapport à l’autre. Elle exhibe donc l’aspect diviseur et fractionneur de la troisième fonction.

Un syllogisme hypothétique ressemble à cela :

Si Arjuna découvre que son fils est mort, alors il cherchera à se venger.
Arjuna a découvert que son fils est mort.
Donc, il cherchera à se venger.

La proposition hypothétique a un but, elle est orientée vers l’action, et conséquente. Elle exprime les conséquences qui s’ensuivront si une condition antécédente est satisfaite. Un syllogisme hypothétique ne subsume pas simplement un particulier dans un universel, il nous dit quelque chose que nous pouvons attendre du monde. Il est intéressant de noter que tous les syllogismes catégoriques peuvent être convertis en syllogismes hypothétiques. Par exemple :

Tous les princes sont des Kshatriyas.
Arjuna est un prince.
Donc, Arjuna est un Kshatriya.

devient

Si quelqu’un est un prince, alors il est un Kshatriya.
Arjuna est un prince.
Donc, Arjuna est un Kshatriya.

Notez la subtile différence que fait la conversion. Elle semble maintenant dire : « Si vous découvrez que quelqu’un est un prince, alors vous pouvez savoir que c’est un Kshatriya, donc faites attention, car Arjuna, qui est un prince, etc.… ». L’hypothétique est un argument mondain, dynamique, et donc il représente la deuxième fonction [1].

En étudiant spécifiquement le syllogisme catégorique, il consiste en termes majeur, mineur, et médian. Pour reprendre le même argument —

Tous les princes sont des Kshatriyas.
Arjuna est un prince.
Donc, Arjuna est un Kshatriya.

kshatriya.jpg— « Kshatriya » est le terme mineur, « Arjuna » est le terme majeur, et « prince » est le terme médian. Le terme mineur est la catégorie la plus large dans cet argument, le plus abstrait des universaux nommés à l’intérieur de lui. De même, suivant mon identification de l’universel avec la troisième fonction, le terme mineur représente aussi la troisième fonction. Le terme majeur donne une spécificité au terme mineur : il nomme un quelque chose spécifique qui appartient au terme mineur (l’universel). De même, du fait de ce rôle de « spécifieur » ou d’« identifieur », le terme majeur représente la première fonction. Le médian relie le mineur et le majeur, puisqu’il est présent dans les deux prémisses. Du fait de cette fonction médiatrice, que j’ai déjà discutée dans d’autres contextes, le terme médian semble correspondre à la deuxième fonction.

Il y a aussi, en général, une tendance souvent notée dans notre pensée à grouper les choses par trois (cela peut être universel, mais je soupçonne que cela pourrait être plus répandu parmi les Indo-Européens). On apprend aux enfants leur « A-B-C », par exemple, pas leur « A-B-C-D ». La plupart des gens ont trois noms : un premier, un médian, et un dernier. Nos histoires et fables abondent de trois : trois ours, trois frères, trois vœux, trois sorcières, trois demi-sœurs laides, trois haricots, trois voies sur la route, etc. De nombreux dictons ou rimes ont trois parties : « Jeannot sois agile ! Jeannot sois rapide ! Jeannot saute par-dessus le chandelier ! » ; Je crie ! Vous criez ! Nous crions tous pour de la crème glacée ! [“I scream! You scream! We all scream for ice cream!”] ; « Menteur, menteur, pantalon en feu ! » [“Liar, Liar, pants on fire!”] ; « Plus de stylos, plus de livres, plus de foutus professeurs ! » ; « Hip ! Hip ! Hourrah ! » ; « Du peuple, par le peuple, pour le peuple » ; « Crac, zim, boum » [Snap, Crackle, Pop], etc. Le mythe indo-européen est rempli de trois. Dans le mythe nordique il y a trois puits, trois racines, trois Nornes, trois frères (Odin, Vili et Vé), trois enfants de Loki, etc. Les Grecs avaient trois parques, trois grâces, une déesse à trois faces (Hécate), un loup à trois têtes (Cerbère), etc. La plupart des traditions indo-européennes parlent aussi d’une bataille entre un héros et un monstre à trois têtes. Il suffit de dire que de même que le monde exhibe la triplicité fondamentale que j’ai décrite, nos esprits pourraient être conçus de manière à ordonner même les choses les plus triviales en modèles triples.

Voir aussi mon article « The Gifts of Odin and His Brothers » [Les cadeaux d’Odin et de ses frères] dans What is a Rune? And Other Essays (San Francisco: Counter-Currents Publishing, 2015) pour une discussion de la structure triple fondamentale de l’esprit humain.

Note

  1. Il y a certaines raisons de dire que la forme hypothétique « fait la médiation » entre la catégorique et la disjonctive. Examinez les trois formes posées à plat :

Categorical Disjunctive Hypothetical (Modus Ponens)

P are Q           P v Q           P > Q
R is P             -P                 P
R is Q             Q                 Q

Notez que dans la forme hypothétique, P et Q sont d’abord mis ensemble (comme dans l’argument catégorique) par une implication (« P implique Q ») puis séparés (comme dans l’argument disjonctif), mais pas opposés.

La métaphysique de la tripartition indo-européenne, Partie 5
La tripartition et les gunas

  1. L’émergence des gunas du Brahman

Nous avons manifestement affaire à trois principes qui se manifestent sous différentes formes. Ces principes ont le statut des idées platoniciennes : des formes transcendantes que nous pouvons approcher par leurs diverses expressions dans le monde. Mais pouvons-nous exprimer les trois principes dans l’abstrait ?

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Le domaine de recherche le plus évident est celui des traditions philosophiques et mystiques indo-européennes. Ici nous avons de la chance, car il y a beaucoup de sources d’inspiration. Comme on pouvait s’y attendre, la tradition indienne est la source la plus riche. Les anciens Aryens reconnaissaient et discutaient explicitement et exactement ce que j’ai soutenu dans cet article : que toutes les choses exhibent la même structure tripartite.

Ce dont je parle spécifiquement est l’ancienne doctrine des gunas. Guna signifie quelque chose comme « qualité », et cela peut aussi avoir signifié « partie d’un tout ». Guna est donc le même concept désigné dans la philosophie allemande par « moment ». Un moment est une partie d’un tout séparable seulement en pensée. Les gunas sont trois moments de l’Etre, dont nous pouvons parler séparément, mais qui ne peuvent pas réellement exister en séparation.

Les gunas proviennent du Brahman, qui est l’Absolu ou Immensité Transcendante existant au-delà de toute la création. Je comprends le Brahman comme étant le « fondement de l’Etre ». Quel est le fondement sur lequel l’existence ou la création devient elle-même présente ? C’est le Brahman. Pour cette raison, on en parle parfois comme d’un néant. Le brahman est en effet « néant » [« no-thing »], mais ce n’est pas un véritable néant : il doit être réel pour être le fondement sur lequel la figure de la création apparaît.

Par le pouvoir de Maya ou Illusion, le mouvement apparaît dans cette immensité transcendante du néant. Ce mouvement a, par nécessité, trois et seulement trois formes : centripète, centrifuge, et orbitante (mouvement autour d’un point). Comme le remarque Alain Daniélou : « cette triade imprègne toutes choses et apparaît dans tous les aspects de l’univers, physique aussi bien que conceptuel » [1].

  1. Sattva, Tamas, et Rajas 

La force centripète d’attraction crée la cohésion, ou agrégation. Les hindous l’appellent Sattva ou « existence », car toute existence est une agrégation [d’éléments différents]. Le Sattva est donc le principe d’unité, ayant une fonction liante ou préservatrice. Il est figuré par la lumière, et comme le Soleil. Il est associé à l’intelligence, et avec le rêve. Il devrait être évident qu’il s’agit de la première des fonctions indo-européennes. Le Sattva est incarné par le dieu Vishnou, le « Préservateur ».

La force centrifuge est l’opposée de Sattva. Ce n’est pas une force d’attraction, mais de répulsion. Ce n’est pas une force de cohésion, mais de dispersion, d’annihilation, et de retour dans l’Immensité. Elle empêche la concentration. Cette force est appelée Tamas, obscurité ou inertie. Le Tamas est l’obscurité, parce que là où il y a dispersion il y a dispersion d’énergie, et donc absence de lumière. De même, à cause de cette association avec le chaos, l’obscurité, et l’absence d’unité, il s’agit de la troisième fonction. Le dieu Rudra incarne le Tamas. Il est aussi appelé Shiva, le destructeur et seigneur du sommeil. Le Tamas ou Shiva est considéré comme la nature intérieure de toutes choses, puisque toutes choses sortent de la désintégration, pour ensuite se désintégrer à nouveau. Comme le Sattva, le Tamas est associé au sommeil, mais cette fois c’est un sommeil sans rêves – un sommeil sans formes ni images.

L’équilibre entre le Sattva et le Tamas donne naissance à une troisième force, le Rajas. En cosmologie, c’est le mouvement tournant, circulaire (que, soit dit au passage, les Grecs associaient à la perfection). Rajas signifie « activité ». C’est la source de toutes les formes et espèces différentes de la création. Tout mouvement rythmique – le type de mouvement exhibé par la vie – vient du Rajas. A la différence du Sattva et du Tamas, le Rajas n’est pas lié au sommeil, mais à la conscience éveillée. Le Sattva est associé à la forme ou à l’intelligence, le Tamas à la masse ou à la matière, et le Rajas à l’énergie. Ces associations correspondent étroitement au soufre, au sel et au mercure de Paracelse. Chose intéressante, le Rajas est considéré comme incarné dans Brahma, qui est le singulier nominatif masculin de Brahman, c’est-à-dire la personnification du Brahman. Le Rajas est évidemment la deuxième fonction indo-européenne.

Daniélou remarque : « L’une ou l’autre des trois tendances prédomine dans chaque sorte de chose, dans chaque espèce d’être » [2]. Nous avons vu cela dans les êtres humains, dans la tendance de certains hommes à être rationnels ou spirituels, d’autres passionnés, et d’autres appétitifs. Et cette doctrine des types humains peut justement être trouvée dans la psychologie tantrique. D’après le Tantra, les hommes appartiennent au Sattva, au Rajas, et au Tamas. Seuls les deux premiers sont aptes à entreprendre des pratiques spirituelles.

  1. Divya, Vira, et Pashu 

L’homme du Tamas (troisième fonction) est appelé Pashu, qui signifie « animal ». Pashu vient de « pac », lier. Le Pashu est lié à des désirs animaux – faim, sexe, confort, avidité – ainsi que par la convention sociale (à ce propos, c’est précisément de cette manière que les Grecs regardaient l’homme appétitif : ils le voyaient largement comme un animal ; comme non pleinement humain). Le tantrisme soutient que dans l’âge actuel, qui est appelé le Kali Yuga, le type Pashu prédomine.

L’homme du Sattva (première fonction) est appelé Divya, un « être divin ». Comme le Pashu, il est en un certain sens non-humain, parce qu’il est plus qu’humain. Cet homme suit un chemin intérieur, se détachant du monde. Le Divya est très rare dans le Kali Yuga.

L’homme du Rajas (deuxième fonction) est appelé Vira. Ce mot vient de la racine indo-européenne vir- dont viennent les mots modernes viril et vertu. Le vira est un être humain pleinement réalisé : un être viril et héroïque. Il y a des viras de la main droite et des viras de la main gauche. Le vira de la main droite est héroïque mais dépourvu de sens critique. Il combat pour des idéaux qu’il a à peine examinés, et se met au service de l’autorité qu’il ne conteste jamais. En fait, avec le vira de la main droite, la soumission à l’autorité et l’accomplissement aveugle du devoir sont considérés comme les vertus suprêmes.

Le vira de la main gauche peut commencer dans cet état, mais, comme le Divya, il suit un chemin intérieur. Il peut être comparé à l’idéal taoïste chinois du « guerrier lettré ». Julius Evola écrit : « Montant des niveaux inférieurs aux niveaux supérieurs, les viras sont soumis à toujours moins de limitations et de liens » [3]. Le vira atteint un point au-delà du bien et du mal, où il devient autonome au sens littéral de se donner une loi à soi-même. L’idéal pour le vira de la main gauche, et donc l’idéal humain tout court, est l’indépendance, l’autosuffisance, la complétude, et le détachement. Ce sont des caractéristiques que nous retrouvons dans la tradition grecque, dans le concept aristotélicien de Dieu, le Moteur Immobile. Pour Aristote, l’homme idéal approche le plus possible des qualités du Moteur Immobile. Dans le Tantra, l’homme idéal est celui qui incarne le plus pleinement Brahma, l’incarnation du Rajas.

Le fait que le mot « vertu » soit dérivé de la même racine que vira est très significatif. Avant tout, il suggère un lien inattendu entre virilité et vertu, ou entre masculinité et vertu. La conclusion évidente à tirer est que les anciens considéraient les vertus comme des réalisations masculines. Cela se confirme si nous nous tournons vers Aristote. Le mot grec normalement traduit par le mot latin vertu est arete, qui est peut-être le mieux traduit par « excellence ». Dans son Ethique à Nicomaque, Aristote discute la nature de l’homme vertueux, et ne lie nulle part ses observations à la femme. De plus, Aristote conçoit la vertu comme un milieu entre deux extrêmes. Par exemple, le courage est un milieu entre la lâcheté et l’irréflexion. Le vira indien – qui, comme je l’ai dit, est le type guerrier mésomorphe et somatotonique – est une sorte de milieu entre le Divya et le Pashu. En effet, tout ce qui est analogue à la deuxième fonction indo-européenne occupe une position médiane entre les deux autres fonctions. Si nous regardons la liste des vertus d’Aristote, son milieu entre les extrêmes équivaut à une description du vira. Je soupçonne que les deux extrêmes opposés au milieu décriront aussi très bien les caractéristiques du Divya et du Pashu.

Ceux chez qui le Tamas prédomine, les Pashus, adorent des fantômes et des esprits (Bhuta et Preta). Ceux chez qui le Sattva prédomine, les Divyas, adorent les Devas. Ceux chez qui le Rajas prédomine, les viras, adorent les génies (Yakshas) et les anti-dieux (Asuras). Ce dernier fait est extrêmement intéressant, car le terme Asura est relié au vieux-norrois Aesir [= Ases], qui est le nom du groupe des dieux de première et de deuxième fonctions dans la tradition germanique : Odin, Thor, Tyr, etc.

D’après le Tantra, le Tamas est en réalité le chemin vers l’illumination. Mais en dépit du fait qu’il est une créature du Tamas, le Pashu ne peut pas en tirer avantage. Le Tamas est annihilation et absence d’unité. Souvenez-vous qu’il est aussi associé au sommeil profond, sans rêves. La voie de l’illumination, de la compréhension du fondement ultime de toutes choses, l’Immensité transcendante du Brahman, passe par l’annihilation et la multiplicité. Sur le plan de l’action, le vira détruit avec son épée. Le vira de la main gauche tourne son pouvoir vers l’intérieur, et détruit le jeu de la multiplicité dans sa propre âme. Il tente d’atteindre un état comme celui du sommeil sans rêves, mais dans un état d’éveil, sous son contrôle. D’où l’usage de la méditation, et de pratiques conçues pour parvenir à la maîtrise totale du corps, comme les diverses formes de yoga et d’arts martiaux.

Mais le monde externe des choses et le monde interne des pensées et des images sont tous deux issus de Sattva, la force centripète. Tout ce qui s’oppose à Sattva s’oppose au monde lui-même, et à l’intention du créateur. « Le but de tout créateur est d’empêcher une compréhension qui détruirait sa création », note Daniélou. « C’est pourquoi [il est dit que] ‘l’Ame [l’Atman, le vrai Soi] n’est pas à la portée du faible’. Elle doit être conquise en s’opposant à toutes les forces de la nature, à toutes les lois de la création » [14]. Ainsi, celui qui cherche l’illumination doit devenir un guerrier contre toute la création, en fait contre les dieux eux-mêmes. C’est pourquoi l’homme le plus adapté à la quête de l’illumination doit être l’homme qui répond à la description du vira de la main gauche – du moins, c’est le cas dans le Kali Yuga.

Notes

[1] Alain Danielou, The Myths and Gods of India (Rochester, Vermont: Inner Traditions, 1991), 22.

[2] Ibid., 27.

[3] Julius Evola, The Yoga of Power, trans. Guido Stucco (Rochester, Vermont: Inner Traditions, 1992), 55.

[4] Danielou, 33.

La métaphysique de la tripartition indo-européenne, partie 6
F. W. J. Schelling et la tripartition indo-européenne

von_schelling.jpgFriedrich Schelling, 1775–1854

  1. Les influences de Schelling : la Trinité chrétienne et Jacob Boehme

Je me tourne finalement vers une tradition indo-européenne différente, celle de l’Idéalisme allemand du XIXe siècle. J’inclus ce matériel afin de prouver le caractère pérenne de la pensée indo-européenne. On pourrait dire que toute l’histoire de la philosophie occidentale (et indienne) est une longue et inconsciente tentative pour retrouver la sagesse connue « directement » par nos ancêtres indo-européens.

Remarquablement, dans la philosophie tardive de F. W. J. Schelling, qui était un ancien  copain d’école de Hölderlin et Hegel, nous trouvons une doctrine qui correspond exactement à l’ancienne théorie aryenne des gunas. Ceci en dépit du fait que Schelling avait, autant que nous le sachions, une faible connaissance de la philosophie indienne. Il écrivait à une époque où les détails de la pensée indienne commençaient seulement à être connus des intellectuels européens. Les détails ésotériques des gunas n’étaient certainement pas connus de Schelling, et pourtant il écrit comme s’il les traduisait dans le langage de la philosophie idéaliste.

Spécifiquement, je parle de la Potenzlehre de Schelling, une doctrine des Puissances, qu’il développa durant toute sa carrière, mais qui ne s’épanouit pleinement que dans sa tardive et dénommée « philosophie de la mythologie ». Pour pleinement comprendre cette doctrine, on doit explorer ses antécédents dans la tradition mystique occidentale. Avant tout, Schelling, Hegel et les philosophes allemands en général étaient fascinés par le mystère de la Trinité chrétienne. On pourrait démontrer que ce que nous connaissons sous le nom de « la Trinité » n’est pas une conception proche-orientale originale mais en réalité un résultat de la « germanisation » du christianisme, développée après la conversion de nos ancêtres païens. L’idée de trois « personnes » en une seule correspond à peu près à la notion aryenne de l’unité des trois gunas dans le Brahman. Sans trop entrer dans les détails, je suggérerais que le Père correspond à la première fonction indo-européenne, le Fils à la troisième fonction, et le Saint Esprit à la deuxième fonction. En cela je suis influencé par Hegel, qui traitait le Père comme le logos, ou Idée Absolue, le Fils comme la Nature, et le Saint Esprit comme l’homme, qui est l’unité du logos et de la nature, ou de Dieu et de l’animal [1].

L’influence mystique immédiate sur Schelling fut l’Allemand Jacob Boehme, qui concevait toute la réalité comme possédant une structure triple. Considérez la citation suivante de Boehme :

« Ainsi donc la lumière éternelle, et la vertu de la lumière, ou paradis céleste, se meut dans l’obscurité éternelle ; et l’obscurité ne peut pas comprendre la lumière ; car ce sont deux Principes [séparés] ; et l’obscurité désire la lumière, parce que l’esprit s’y contemple lui-même, et parce que la divine vertu est manifestée en elle. Mais bien qu’elle n’ait pas compris la divine vertu et la lumière, elle s’est cependant continuellement et ardemment élevée vers elle, jusqu’à ce qu’elle ait allumé la racine du feu en elle-même, à partir des rayons de la lumière de Dieu ; et alors naquit le Troisième Principe, sortant de la matrice obscure, par la spéculation de la vertu [ou puissance] de Dieu. » [2]

Il y a donc trois principes, un de lumière, un d’obscurité, et un qui réconcilie. Boehme conçoit les trois principes comme étant réunis au sein de ce qu’il nomme l’Ungrund : le fondement transcendant et ineffable de tout l’être qui est lui-même sans fondement, parce qu’il n’y a rien au-delà de lui qui pourrait servir de fondement. A nouveau, nous avons une correspondance avec l’existence des gunas à l’intérieur du Brahman. Boehme conçoit ses trois principes comme imprégnant toute la réalité [3]. L’homme, affirme-t-il, est la véritable réalisation des trois principes. A cause de la coprésence des trois principes dans l’homme, ce dernier a le potentiel pour comprendre l’ensemble de la création.

  1. Les Trois Puissances 

Tournons-nous maintenant vers Schelling : celui-ci parle de Trois Puissances, qu’il conçoit comme des principes ou des idéaux, et comme des agences de volition. Schelling a une manière particulière et algébrique de parler des Puissances comme –A ou A1, +A ou A2, et A3. J’abandonnerai cet usage, et je ferai une nouvelle violence à la terminologie de Schelling en parlant de la première puissance comme étant la troisième, la seconde comme étant la première, et la troisième comme étant la seconde. L’idée est de faire apparaître les corrélations avec les fonctions indo-européennes. Ma présentation ne fera cependant pas violence aux idées de Schelling.

Schelling conçoit un temps primordial où les trois puissances existaient par elles-mêmes, avant qu’elles puissent s’exprimer dans un monde d’objets. De plus il voit les puissances comme des aspects de l’Absolu – l’équivalent du Brahman dans sa philosophie.

La Troisième Puissance est conçue par Schelling comme une pure et indéfinie possibilité d’être (das sein Koennende). C’est une sorte d’« être-en-soi » primal, qui est indéfini, illimité, et négatif. Il possède, affirme-t-il, un pur pouvoir d’auto-négation. Il peut annuler ou rejeter tout ce qu’il est et devenir n’importe quoi d’autre. Il n’a pas d’identité fixée. Les parallèles philosophiques incluent le flux d’Héraclite, et l’apeiron d’Anaximandre. Il correspond à peu près au Yin chinois, et est donc le principe féminin. Schelling conçoit aussi cette Puissance comme de la pure subjectivité. La Troisième Puissance est manifestement équivalente au Tamas indien.

La Première Puissance est un principe d’ordre et d’objectivité. Elle est l’opposée de la Troisième Puissance : spécifique, légale, précise, distincte. C’est le principe de l’identité, et de la différentiation. La Première Puissance est être pur, par opposition à la pure possibilité de l’être. Sa fonction est de placer des « limites » autour du chaos qui est la Troisième Puissance, et de faire exister des entités précises. Alors que la Troisième Puissance est das sein Koennende, « l’être possible », la Première Puissance est das sein Muessende, « l’être obligé ». La Troisième Puissance est « être-en-soi », mais la Première Puissance est « être-en-dehors-de-soi », parce que les limites fournies par la Première Puissance sont en-dehors d’elle, placées autour d’une autre. C’est donc un principe mâle, équivalent au Yang chinois, et au Sattva indien. La raison en est simple : la nature de la femelle est de générer en elle-même, la nature du mâle est de générer dans un autre (donc, « être-en-dehors-de-soi »). Parce que la Première Puissance est pure objectivité et non subjectivité, elle ne possède pas de volonté propre, ce qui est l’une des facettes d’un sujet.

Ces deux Puissances ne peuvent coexister parce qu’elles sont des opposés totaux. Sans elles, il ne peut y avoir de monde. Donc quelque chose d’autre doit fonctionner pour les réunir. Entrez ce que j’appelle la Seconde Puissance, simplement pour l’identifier avec la deuxième fonction indo-européenne. A nouveau, tout ce qui correspond à la deuxième fonction constitue une sorte de milieu entre les première et troisième fonctions. Ainsi, la Seconde Puissance doit posséder un être objectif (comme la Première Puissance), mais avec la possibilité de changement (comme la Troisième Puissance). Pour le dire d’une autre manière, la Seconde Puissance doit être quelque chose de précis, mais elle doit aussi être libre.

La Troisième Puissance est pure subjectivité, et la Première Puissance est pure objectivité, donc d’une manière ou d’une autre la Seconde Puissance unira sujet et objet. Ce fait est significatif, car Schelling conçoit l’Absolu comme le « point d’indifférence » entre sujet et objet. Il y a ici une correspondance exacte, encore une fois, avec la théorie indienne des gunas. Le vira est l’homme dans lequel le Rajas prédomine, et la personnification de Rajas est Brahma. Ainsi, c’est le vira qui est dans la position unique d’atteindre le Brahman lui-même par une transformation de sa propre nature. Chez Schelling, la Seconde Puissance, qui correspond au Rajas, est la réunion du sujet et de l’objet, alors que l’Absolu, qui correspond au Brahman, est la transcendance du sujet et de l’objet. C’est comme si la Seconde Puissance était l’Absolu « tourné vers l’intérieur », et vice-versa. L’implication semble être que celui qui s’identifie à la Seconde Puissance, ou Rajas, peut s’élever vers l’Absolu, ou Brahman, par une sorte d’héroïque changement de Gestalt.

Alors que la Première Puissance est « être en-dehors de soi », et que la Troisième Puissance est « être en soi », la Seconde Puissance est « être avec soi ». Ce choix des mots suggère que dans la Seconde Puissance il y a une sorte de totalité, d’accomplissement, de réconciliation, et d’autosuffisance [4]. Schelling remarque plus loin que si la Troisième Puissance est l’Illimité, et la Première Puissance est le Limitant, la Seconde Puissance est le « purement autolimitant ». Ici encore, nous voyons une anticipation métaphysique du vira. J’ai dit plus haut que le vira atteint un point où il devient autonome au sens littéral de se donner une loi à soi-même. C’est l’autolimitation dans sa forme la plus élevée. Le vira est autonome, indépendant, autosuffisant, et complet, tout comme la Seconde Puissance primale. La Troisième Puissance est « l’être possible », la Première Puissance est « l’être obligé », et la Seconde Puissance est das sein Sollende, « l’être qui devrait ». Sollen signifie « devrait », et donc dans la Seconde Puissance une dimension éthique ou idéaliste apparaît. C’est prévisible, puisque la Seconde Puissance se manifeste au niveau humain dans l’homme « passionné ».

Si nous pouvons parler de la Troisième Puissance comme étant la matière ou élément matériel, et de la Première Puissance comme étant la forme, alors qu’est-ce que la Seconde Puissance ? Encore une fois, puisqu’elle constitue une sorte de milieu entre les deux autres, en un certain sens la Seconde Puissance doit être une union de la matière et de la forme. Je me souviens ici de la théorie hégélienne des trois types d’art : symbolique, classique, et romantique. Le symbolique est l’art qui est excessivement formel, stylisé, et contraint. Il prend l’art égyptien comme exemple. L’art romantique se soucie avant tout de soulever des émotions et de soupeser des mamelles : un art qui a perdu toute retenue. Ici, la forme est brisée ou dépassée par un excès de contenu ; par un sentiment sans contraintes. L’art classique occupe une position moyenne, une unité parfaite de la forme et du matériel. Et qu’utilise Hegel comme exemple de l’art classique ? Les sculptures grecques de dieux et d’athlètes, bien sûr. En d’autres mots, des mésomorphes : des corps de deuxième fonction gouvernés par le Rajas, ou la Seconde Puissance schellingienne. Dans tout ce qui occupe la position de deuxième fonction, il y a une complémentarité presque parfaite de la forme et de la matière, de la raison et de l’émotion, des forces centripètes et centrifuges, etc.

La Seconde Puissance est donc l’union primale et parfaite de la forme et de la matière. C’est la forme platonicienne d’un dieu (et il faut répéter que les Grecs utilisaient le mésomorphe, la parfaite union humaine de la forme et de la matière, pour représenter leurs dieux), alors que la Première Puissance et la Seconde Puissance sont de simples forces (comme l’« amour » et la « haine » d’Empédocle). La Seconde Puissance est l’union éternelle des deux autres Puissances. Quand les trois Puissances s’extériorisent dans la création, la relation éternelle entre elles s’exprime d’une manière temporelle. Le monde est simplement la réunion et la séparation de la Première Puissance et de la Troisième Puissance, Sattva et Tamas, étendues dans le temps. L’agent ultime de ce processus dans le monde est le vira, l’homme de la deuxième fonction, qui est à la fois préservateur et destructeur. Edward Allen Beach, parlant de la Potenzlehre de Schelling, dit que « [la Seconde Puissance] est … la cause finale [aristotélicienne] ou but final vers quoi tend tout l’organisme idéal de l’univers » [5].

  1. Les Anti-Puissances

Schelling appelle les trois Puissances prises ensemble « la figure de l’être ». Mais l’histoire ne se termine pas ici, car Schelling dit que l’exposé jusqu’ici n’est qu’un exposé d’essences pures. Comment exactement un monde spatio-temporel concret vient-il à l’être, à partir de ces Puissances ? J’ai parlé un peu plus haut des Puissances s’extériorisant dans la création. Mais comment cela a-t-il lieu ? La réponse de Schelling à cela est très obscure.

Il commence par remarquer que c’est plutôt dans l’ordre naturel des choses que la Troisième Puissance doive se subordonner à la Première Puissance : cette matière doit se mettre en position d’être informée. Mais cela ne se passe pas toujours comme cela. Nous pouvons le constater autour de nous. Si la Troisième Puissance, dans toutes ses expressions, se donnait à la Première Puissance continuellement et sans résistance, alors tous les objets matériels seraient des expressions parfaites de leurs formes. Il n’y aurait pas de laideur, pas de défaut, pas de difformité. Mais puisque ce n’est pas le cas, la relation entre la Troisième Puissance et la Première Puissance doit être plus compliquée que nous le pensions.

Parce que la Troisième Puissance est pure possibilité d’être, elle peut très bien faire comme elle veut ! Dans cette Puissance se trouve une dualité : c’est une potentialité de donner naissance à l’existence, à être fécond, mais c’est aussi une potentialité de nier toutes les potentialités, de dire non à tout. Elle a donc toujours en elle la possibilité de se rebeller contre son rôle de matrice, de mère, de toute la création. En faisant cela, elle devient résistante à l’ordre, à la forme, à la détermination, à la raison, et au règne de la Première Puissance. Son obscurité s’accroit, et devient impénétrable. Schelling appelle cette forme pervertie de la Troisième Puissance « B ». Je l’appellerai « l’anti-Troisième ». L’anti-Troisième de Schelling est exactement analogue à l’« aigre » de Jakob Boehme : un pouvoir égoïste négateur, tourné vers l’intérieur.

En résultat de la transformation de la Troisième Puissance en anti-Troisième, la Première Puissance lui est subordonnée. Cela indique le grand pouvoir de la Troisième Puissance : en se fermant simplement à la Première Puissance ou en lui résistant, elle subvertit le rôle naturel de la Première Puissance et la jette dans un état de déséquilibre. Souvenez-vous que la Troisième Puissance est subjectivité et la Première Puissance objectivité. En étant rejetée par la Troisième Puissance, la Première Puissance est rejetée sur elle-même, et développe ainsi la subjectivité [6]. Alors que, comme Ouranos, elle avait jadis joui d’une félicité inconsciente dans les bras de Gaïa, elle vient maintenant à la conscience – mais seulement en étant castrée. Elle se tourne vers l’intérieur. Et lorsqu’elle se conçoit, elle se conçoit seulement comme dirigée dans le sens de la soumission de l’anti-Troisième.

Pour continuer le parallèle masculin-féminin, l’anti-Troisième trouve son représentant humain dans la femme moderne « libérée » (à l’extrême, dans la « haïsseuse de l’homme », qui peut aller jusqu’à abjurer entièrement l’amour des hommes, et à réprimer le désir d’être pénétrée). Ce que la Première Puissance devient en résultat de la venue à l’être de l’anti-Troisième, c’est le mâle moderne, qui est préoccupé par la conquête physique de la femme, considérant cela comme l’essence de la virilité. Il est en fait un être entièrement physique.

Une parfaite illustration de cette dynamique se trouve dans Women in Love de D. H. Lawrence, qui montre le cours de deux histoires d’amour. La première, entre Ursula Brangwen et Rupert Birkin, illustre la relation naturelle entre la Troisième Puissance et la Première Puissance. Ursula est une « femme naturelle », qui rêve d’être possédée par Birkin. Birkin, pour sa part, est attiré par Ursula, mais refuse de se donner à elle complètement, désirant connaître quelque chose de supérieur à l’amour charnel. Bref, il a quelque chose du vira en lui. L’autre couple est Gudrun Brangwen, sœur d’Ursula, et Gerald Crich, meilleur ami de Rupert. Gudrun est l’anti-Troisième incarnée. Elle désire quelque chose, mais ne s’identifie à rien. Elle saute d’intérêt en intérêt, de lieu en lieu. Elle repousse le désir de Gerald, et l’humilie, disant à un moment : « Tu es si insistant, et il y a si peu de grâce en toi, si peu de finesse. Tu es si brutal. Tu m’embête – tu ne fais que m’ennuyer – c’est horrible pour moi » [7]. Naturellement, Gerald est obsédé par elle, et répond à ces paroles en lui faisant violemment l’amour, et en tentant plus tard de l’étrangler. Gerald est l’être entièrement physique dont j’ai parlé ; la perversion de la Première Puissance. C’est un propriétaire de mine qui (comme Clifford dans L’amant de Lady Chatterley de Lawrence) s’immerge totalement dans le dur monde des machines et des plans de production. Il s’enorgueillit de sa physicalité brutale, et, à la différence de Rupert, est préoccupé par le sexe.

Maintenant, remarquez que la Première Puissance correspond à la première fonction, qui correspond, en termes de types humains, à l’ectomorphe-cérébrotonique. Ainsi, ce qui est particulier dans le changement produit dans la Première Puissance par l’anti-Troisième est que la Première Puissance devient, d’une certaine manière, son propre opposé. En termes humains, le cérébrotonique, l’homme qui « vit dans sa tête », finit par penser qu’il devrait être son opposé : l’homme physique, le sensualiste, le « mâle ». Ce dont nous parlons, en essence, est un divya (ou divya potentiel) qui désire secrètement être un pashu. Mais un tel homme, bien qu’il puisse ne penser à rien d’autre hormis la possession sexuelle des femmes, ne réussit jamais à vraiment ou totalement posséder une femme, parce que son obsession est en fait non-masculine et, finalement, repoussante pour les femmes. C’est le mâle détaché et distant, spirituellement viril, qui se révèle le plus attirant. C’est à lui que les femmes souhaitent vraiment se donner. Entrez le vira, et la Seconde Puissance.

Nous trouvons la relation entre la Seconde Puissance et les deux anti-Puissances représentées dans le Nibelungenlied germanique médiéval. Le roi burgonde Gunther pose les yeux sur Brünhild semblable à une amazone, mais pour mériter sa main il doit se soumettre à l’épreuve du combat. S’il perd, Brünhild prend sa vie. Brünhild représente l’anti-Troisième, qui est devenue activement hostile et même mortelle pour la Première Puissance, ou Puissance mâle. Gunther, qui représente la Première Puissance émasculée, ne peut vaincre Brünhild, et donc il s’assure de l’aide de Siegfried. En tant que héros guerrier, Siegfried représente, bien sûr, la Seconde Puissance. Se rendant invisible, Siegfried agit secrètement au nom de Gunther, et gagne la main de Brünhild pour son roi. Par la suite, cependant, Brünhild se refuse à Gunther dans le lit conjugal, et donc Siegfried est à nouveau appelé pour se faire passer pour Gunther et obliger Brünhild à la soumission. Lorsqu’il réussit, elle crie : « Je ne résisterai plus à ton noble amour. J’ai découvert que tu sais maîtriser les femmes » [8].

Un curieux problème ici concerne le sexe qui doit être attribué à la Seconde Puissance. Si la Première Puissance est « mâle » et si la Troisième Puissance est « femelle », qu’en est-il de la Seconde Puissance ? Je l’ai caractérisée comme médiatrice entre les deux autres, donc serait-elle androgyne ? Etant donné que j’ai identifié la Seconde Puissance à la Deuxième fonction, à la figure guerrière mésomorphe-somatotonique, cela semble être une suggestion absurde – jusqu’à ce qu’on jette un coup d’œil sur les représentations mythologiques indo-européennes du guerrier. Ici on trouve des preuves abondantes que le guerrier était regardé comme ayant des caractéristiques à la fois masculines et féminines. Par exemple, Thor apparaît en travesti, tout comme Héraclès (à partir du XVIe siècle, les représentations artistiques d’Héraclès l’ont le plus souvent décrit en habits féminins). La figure d’Arjuna dans le Mahabharata est aussi décrite comme androgyne. Pourquoi exactement le guerrier ou vira devrait être vu de cette manière doit avoir un rapport avec son important rôle métaphysique, discuté plus haut, comme un être qui peut passer entre les opposés du sujet et de l’objet, de la forme et de la matière, du masculin et du féminin pour accomplir l’unité avec l’Absolu ou Brahman. Le nom Perceval (ou Parzival) signifie « perce la vallée ». C’est celui qui dépasse les opposés (entre les « montagnes ») pour atteindre l’Un.

A la différence de la Première Puissance et de la Troisième Puissance, d’après Schelling la Seconde Puissance ne subit pas de changement ; elle demeure constante. Mais, affirme Schelling, elle ne peut être pleinement réalisée tant que les deux autres Puissances n’ont pas terminé leur développement. Ainsi, du fait de l’inversion ou perversion de la Première Puissance et de la Troisième Puissance, la Seconde Puissance n’est plus l’équilibre éternel du Limité et de l’Illimité. Selon les mots de Beach, la Seconde Puissance prend le statut d’une « condition future » encore à atteindre [9]. En d’autres mots, l’unité du Limité et de l’Illimité devient un but ou un point final idéal. Schelling croit que c’est la fin vers laquelle toute l’histoire se dirige. Mais la conception historique de Schelling, comme celle de Hegel, est christianisée et linéaire. Beach remarque que « Schelling voit toute la tendance de l’histoire du monde postérieure à la Création comme étant précisément d’amener la première puissance invertie à la soumission, de changer [l’anti-Troisième] à nouveau [en la Troisième Puissance  positive] » [10].

  1. Implications de la théorie de Schelling

Si nous abandonnons la vision linéaire de l’histoire de Schelling et que nous la remplaçons par un modèle cyclique indo-européen traditionnel de changement historique, ce qui en résulte est une conception de l’anti-Troisième et de la Première Puissance évoluant continuellement vers l’unité, ce qui veut dire, donnant continuellement naissance à la réalisation de la Seconde Puissance. Après que le zénith de la Seconde Puissance est atteint, il y a une période où les deux autres Puissances se normalisent : quand l’anti-Troisième devient la Troisième Puissance « naturelle », et que la Première Puissance regagne son statut d’agent objectif inspirateur. Mais ensuite cela est suivi par un déclin, où les deux Puissances deviennent à nouveau perverties, et où la Seconde Puissance se retire apparemment, mais seulement pour resurgir plus tard, et ainsi de suite.

Du conflit et de la réconciliation graduelle de la Première Puissance et la Troisième Puissance, un monde vient à l’être. Schelling pense que son exposé du conflit des anti-Puissances n’est pas un exposé d’essences abstraites. Quand la Troisième Puissance se rebelle contre sa nature de réceptrice de forme, elle devient l’élément matériel lui-même, car la matière est précisément ce qui a la nature de recevoir la forme et de lui résister.

Pour dire cela en termes humains, le monde donne perpétuellement naissance au vira, mais le vira naît dans le conflit. Les conditions nécessaires pour donner naissance au vira sont le conflit et la disharmonie. C’est dans le creuset du trouble, de la guerre et de la désunion que le vira surgit – et monte à cette occasion. En défiant et en surmontant ces conditions, ceux qui peuvent être des viras réalisent leur nature de vira, et imposent l’ordre au chaos. Mais cet « âge d’or » ne peut pas durer, et le désordre et la disharmonie finissent par revenir – et ainsi de suite, ad infinitum.

Une telle vision de l’histoire est grosse de conséquences philosophiques. Par exemple, le dénommé « problème du mal » est résolu. Le mal – conflit, guerre, désordre, disharmonie, etc. – existe simplement pour amener le vira, l’incarnation de Dieu dans le monde, à l’être.

Nous avons aussi répondu à la question « pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas rien ? ». Le rien qui est le Fondement de l’Etre est le Brahman. Du Brahman, un monde constitué par les trois gunas ou Puissances vient à l’être. La réalité la plus élevée dans ce monde est accomplie par la plus haute chose vivante dans le monde, qui est le vira humain. Il est l’expression humaine de Brahma, et en tant que tel il peut, par une transformation de lui-même, « faire revenir la création sur elle-même » et accomplir l’unité avec le Brahman, la base de l’existence comme telle. Ainsi, il n’y a pas « quelque chose et non pas rien », car le quelque chose est le rien inconscient de lui-même.

Conclusion générale

Comme je l’ai annoncé au début de cette série, ma procédure dans cet essai a été inductive. J’ai commencé par exposer la structure tripartite de la société indo-européenne, et ensuite dit que d’autres parties du monde naturel exhibent une structure analogue : l’âme humaine elle-même, les types corporels humains, l’anatomie humaine, l’anatomie des organes ou systèmes individuels, l’embryon humain, les mammifères, la cellule isolée, le monde macroscopique, le monde microscopique de l’atome, et la structure de la pensée et de la logique humaines. Je crois que ces analogies sont plausibles. Dans certains cas, en particulier ceux des analogies entre types humains et types de mammifères, les analogies sont très précises et frappantes.

Ayant vu les mêmes structures se répétant à travers les différents aspects de la réalité, j’ai ensuite demandé s’il y avait un moyen de mettre à nu la nature de ces structures et de parler d’elles dans l’abstrait – de les connaître « en elles-mêmes et par elles-mêmes ». Plutôt que de donner mon avis en premier, j’ai d’abord regardé la Tradition, et trouvé exactement ce que je recherchais – dans la théorie indienne des gunas. Nous pouvons voir que les Indiens ont remarqué la même répétition de la structure tripartite dont j’ai parlé. En expliquant les gunas, j’ai eu l’occasion de revenir au sujet des types humains, et j’ai développé certaines suggestions sur la manière dont nous pourrions les utiliser pour élaborer une théorie de l’histoire, et une compréhension du but de l’existence elle-même.

J’ai aussi donné un exposé de la Potenzlehre de Schelling. Celui-ci servait deux buts. D’abord, il montrait comment un exposé encore plus abstrait des trois principes peut être donné. Ensuite, sa correspondance remarquable avec la théorie indienne des gunas semble indiquer que la conscience des trois principes est éternelle. Je mets cela en relation avec l’idée hermétique de la « philosophie pérenne ». Si une idée continue à apparaître dans des systèmes philosophiques ou mystiques différents, particulièrement s’il y a peu ou aucun contact entre les auteurs de ces systèmes, je prends cela comme la preuve prima facie de sa vérité.

Maintenant, on pourrait objecter que j’ai simplement « lu » ce schéma tripartite dans diverses choses, mais qu’on pourrait tout aussi bien trouver la dualité et la quadrité et la quintité dans ces mêmes choses. Cette objection manque son but, car, comme je l’ai dit au début, je ne recherche pas la pure triplicité, mais plutôt un type spécifique de triplicité. Ensuite, l’objection semble déloyale à la lumière des analogies vraiment remarquables que je crois avoir exposées ici. En fin de compte, mon argument en faveur de la vérité des principes, et la crédibilité des principes comme guides pour comprendre le monde, est pragmatique. Je crois que j’ai montré que voir le monde selon ces trois structures – ça marche. Cela nous ouvre des horizons ; cela nous permet de mieux organiser, catégoriser et analyser les choses, et de voir leurs relations. De plus, cela conduit à des réflexions vraiment profondes sur la nature de l’existence dans son ensemble.

Notes

[1] Hegel ne dit pas vraiment que l’Esprit est une unité du logos et de la nature, ou de Dieu et de l’animal, mais c’est une implication de ses idées, et correspond exactement à la vision philosophique grecque, qui influença fortement Hegel.

[2] Jacob Boehme, Concerning the Three Principles of the Divine Essence, trans. John Sparrow, 1648 (London: John M. Watkins, 1910), VII: 25; p. 100.

[3] « Et aucun lieu ou position ne peut être conçu ou trouvé là où l’esprit de la tri-unité n’est pas présent, et dans chaque être... », Boehme, Six Theosophic Points, trans. John Rolleston Earle (New York: Alfred A. Knopf, 1920), I:21; pp. 18-19.

[4] Une petite application de ce principe peut être trouvée dans les habitudes alimentaires des carnivores de rang moyen. Alors que les rôdeurs subsistent principalement par les féculents, les graisses et les huiles, et les ongulés par la cellulose, les carnivores subsistent par les protéines ; c’est-à-dire par une nourriture similaire à leur propre matériel corporel. Voir Schad, Man and Mammals, 32.

[5] Edward Allen Beach, The Potencies of Gods (Albany, New York: State University of New York Press, 1994), 126.

[6] Cela rappelle la dialectique maître-esclave dans la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel : subjugué par le maître, l’esclave se tourne vers l’intérieur et donne naissance au Geist.

[7] D. H. Lawrence, Women in Love (New York: Viking Press, 1969), 434.

[8] Nibelungenlied, trans. Helen M. Mustard, in Medieval Epics (New York: Modern Library, 1963), 282.

[9] Beach, 136.

[10] Ibid., 134.

vendredi, 03 mai 2019

Ernst Jünger ou les figures de la haute tenue

Né en 1895, décédé à presque 103 ans en 1998, Ernst Jünger peut être qualifié sans hésitation de « grande conscience européenne », non pour un pseudo-message qu’il aurait à délivrer aux générations actuelles et à venir, mais pour son maintien droit et stoïque face aux événements, au monde et aux hommes. En cela, il est un modèle, une de ces falaises de marbre souffrant à peine de l’érosion du temps comme des éléments. « La tenue, comme le goût, est de l’ordre de la civilité – qui est la racine de la civilisation. Celle-ci peut être gravement atteinte, délitée, submergée, il demeure, dans le cœur de quelques-uns une « cité inspiratrice ». La tenue, est alors ce qui tient – vis-à-vis de soi-même et des autres. Toute l’œuvre de Jünger nous enseigne, avec amitié et sans crisper, à tenir bon » confiait Luc-Olivier d’Algange.(1)

On ne comprend obstinément rien à Jünger si l’on persiste à ignorer son passé soldatesque en même temps qu’on jetterait systématiquement sur lui un regard d’opprobres et de ressentiments. La tenue était alors, pour ce tout jeune homme à peine sorti des jupons maternels, la condition (dernière) du héros pour autant que l’exécutant savait rester prudemment à sa place, la première, en l’occurrence, celle du front, des balles et des bombes. Certes, il ne fut pas le seul à tenir son rang, mais bien peu en firent, comme lui, une éthique, sinon une idiosyncrasie. C’est sans doute ce que nos sombres temps médiocres reprochent à cette personnalité altière, eux qui se vautrent dans l’autre entendu, désormais, comme le comble de l’horizontalité démocratique, métonymie universelle de la « non-discrimination ».

C’est que notre fière et arrogante époque se croit libre comme jamais, prétendument, elle ne l’aurait été dans son histoire, tout auréolée des victoires faciles de son individualisme triomphant que viendraient régénérer des droits de l’homme inextinguibles et extensibles. Nos contemporains vouent un culte désormais sans borne au progrès. À l’heure d’une extraordinaire crise du sens, celle-ci semble devoir se résoudre dans un improbable sens de l’histoire, au risque que tant d’yeux rivés sur cette chimérique boussole n’en deviennent proprement aveugles aux farces et aux tragédies d’une histoire que, par ailleurs, il est de bon ton de conchier et de congédier.

Jünger était un adepte des formes, non pas tant pour des motifs esthétiques que parce qu’elles reflétaient selon lui une certaine permanence archétypale que seule une connaissance intuitive pouvait appréhender. C’est dire que cet effort de translucidité visionnaire n’est pas à la portée du premier venu. Cette quête d’un « supraréel » qui se confondrait uniment avec le réel attendu qu’il ne peut être question de dissocier deux mondes qui n’en font résolument qu’un, aurait presque à voir avec la démarche traditionisme de René Guénon. La fonction assignée chez l’auteur d’Eumeswill à la « Figure »(2) emprunte assez à la pensée métaphysique.

florence-henri-ernst-jünger.jpgLe Rebelle et l’Anarque sont ces figures, ces paradigmes, ces « représentations » offertes à la reconnaissance de l’homme qui les perçoit comme manifestation épiphaniques insaisissables par la pensée mais s’imposant à l’évidence, pour peu qu’il accepte – l’homme n’est jamais contraint que par soi-même dans la vision jüngerienne du monde – de ne pas lui tourner le dos.

Il nous propose, ce faisant, deux voies qui loin de s’opposer peuvent éventuellement se conjoindre avec le temps. Il est vraisemblable – car plus logique – que le Rebelle surgira avant l’Anarque, celui-ci apparaissant comme le point le plus haut de la maturité. Si l’on veut bien admettre que chaque « type » jüngerien correspond aux grands âges de la vie, sans doute nous approcherions-nous d’une certaine vérité philosophique. Le temps du Soldat est celui de l’impétuosité et du jeu, de l’innocence et de l’inconséquence, rapidement rattrapé par celui du Travailleur dont les appétits semblent insatiables et qui succombe aux charmes neufs et vénéneux de la puissance. Puis arrive, à pas de loup, le temps du Rebelle suspendant à son tableau de chasse les différents trophées de ses désillusions successives (3).

Lorsque survient celui de l’Anarque, ces dernières sont balayées. L’Anarque devient plus sage, à proportion de ce qu’il sait qu’il ne doit rien attendre de quiconque.

« Aide-toi toi-même, le Ciel ne fera rien pour toi, mais tu n’en seras pas moins heureux » pourrait être cette maxime du bonheur solitaire. « Le trait propre qui fait de moi un anarque, c’est que je vis dans un monde que, ‘‘en dernière analyse’’, je ne prends pas au sérieux. Ce qui renforce ma liberté. Je sers en volontaire. […] Pour l’anarque, les choses ne changent guère lorsqu’il se dépouille d’un uniforme qu’il considérait en partie comme une souquenille de fou, en partie comme un vêtement de camouflage. Il dissimule sa liberté intérieure, qu’il objectivera à l’occasion de tels passages. C’est ce qui le distingue de l’anarchiste qui, objectivement dépourvu de toute liberté, est pris d’une crise de folie furieuse, jusqu’au moment où on lui passe une camisole de force plus solide. […] Le libéral est mécontent de tout régime ; l’anarque en traverse la série, si possible sans jamais se cogner, comme il le ferait d’une colonnade. C’est la bonne recette pour quiconque s’intéresse plus à l’essence du monde qu’à ses apparences – le philosophe, l’artiste, le croyant. […] Je ne fais aucun cas des convictions, et beaucoup de cas de la libre disposition de soi. C’est ainsi que je suis disponible, dans la mesure où l’on me provoque, que ce soit à l’amour ou à la guerre. Je ne respecte pas les convictions, mais l’homme. Je regarde et je garde. »(4)

Gardons-nous bien de penser que Jünger nous invite à rompre avec le monde. Tout au plus, nous incite-t-il plutôt à « trouver la sécurité dans la sauvagerie des déserts, et avant tout dans notre propre cœur afin de changer le monde. »(5)

Notes

(1) Livr’Arbitres, n° 27, p. 26.

(2) Voir Ernst Jünger, Type, nom, figure, Christian Bourgois, Paris, 1996.

(3) « Quant au Rebelle, nous appelons ainsi celui qui, isolé et privé de sa patrie par la marche de l’univers, se voit enfin livré au néant. Tel pourrait être le destin d’un grand nombre d’hommes, et même de tous — il faut donc qu’un autre caractère s’y ajoute. C’est que le Rebelle est résolu à la résistance et forme le dessein d’engager la lutte, fût-elle sans espoir. Est rebelle, par conséquent, quiconque est mis par la loi de sa nature en rapport avec la liberté, relation qui l’entraîne dans le temps à une révolte contre l’automatisme et à un refus d’en admettre la conséquence éthique, le fatalisme », Traité du Rebelle ou le recours aux forêts dans Essai sur l’homme et le temps, Christian Bourgois, Paris, 1970, p. 44.

(4) Eumeswill, La Table Ronde, Paris, 1977, 1978. Traduction Henri Plard.

(5) Passage à la ligne (1950).

mardi, 30 avril 2019

L’autochtonisme, seule stratégie possible face au Grand Remplacement

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L’autochtonisme, seule stratégie possible face au Grand Remplacement

par Antonin Campana

Ex: http://www.autochtonisme.com

Ce blog a voulu présenter, tout au long de ses quatre années d’existence, une conception qui pose en principe que tous les peuples jouissent également d’un droit à l’existence, d’un droit à l’autodétermination et d’un droit naturel à la prééminence politique, religieuse et culturelle sur leurs terres ancestrales. Cet ensemble de droits fondamentaux non discriminant et d’application universelle concerne tous les peuples, c’est-à-dire aussi les peuples autochtones européens. Nous considérons comme admis que les peuples autochtones européens ne sont ni des sous-peuples, ni des non-peuples et que prétendre le contraire procède d’une pensée discriminatoire et raciste.

Les droits fondamentaux dont nous parlons charpentent notamment la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (2007). Ce corpus juridique onusien est donc une référence importante de la dynamique politique que nous avons nommée « autochtonisme ». Car dans notre esprit, l’autochtonisme européen n’est pas seulement une « pensée » ou une idéologie : c’est aussi, et peut-être surtout, une dynamique fondée sur notre droit à l’existence, une stratégie dont l’objectif est d’assurer la résilience en même temps que la libération des peuples autochtones européens. En voici un exposé succinct.

  1. Reconnaître l’ennemi principal

Nous posons comme un fait le processus toujours en cours d’effacement et de remplacement de notre peuple sur ses terres ancestrales. Ce processus conditionne notre « état présent », celui que l’on subit et qu’il s’agit de modifier. A partir de ce constat sur l’état présent, nous devons fixer une stratégie qui nous mènera de l’état présent à l’état désiré. Cependant, avant d’élaborer une planification stratégique, il convient de bien identifier les causes du processus et surtout, au risque de servir les intérêts de l’ennemi, de ne pas les confondre avec ses conséquences : toute erreur de ce type ferait courir le risque de stratégies inefficaces, voire néfastes. Par exemple, certains considèrent que l’islam est l’ennemi principal. En bonne logique, semble-t-il, ils invoquent pour le contrer les « valeurs républicaines », telle la laïcité. Or précisément, la laïcité est conçue par les républicains comme un moyen ou une “méthode“ (Manuel Valls) permettant de faire vivre ensemble musulmans, juifs et chrétiens (entre autres). Autrement dit, la laïcité conditionne la viabilité d’un modèle de société ouvert aux courants migratoires, donc à l’islam. Elle garantit que tout se passera bien et lève les objections quant à l’installation de masses extra-Européennes dans le corps politique. La laïcité, et d’une manière générale les valeurs « universelles » de la République, sont la légitimité d’une ingénierie sociale qui réinitialise la société afin que plus rien dans celle-ci ne s’oppose à l’intégration de populations étrangères. Si l’immigration de peuplement est un fait, le régime construit sur les valeurs dont nous parlons est une cause et l’islamisation une conséquence.

Or, l’ennemi principal se niche dans les causes, jamais dans les conséquences. Qui est responsable du Grand Remplacement ? Le régime qui est à la manœuvre et le nie, ou l’immigré qui bénéficie des politiques d’immigration que ce régime a mis en place ? La République qui est à l’origine de notre situation présente et qui la verrouille, obérant ainsi notre destin, ou l’étranger qui n’est qu’un pion dans un jeu destiné à nous effacer ? Le marionnettiste ou la marionnette ?

On devrait connaître la réponse, tant elle paraît évidente. La République qui a volontairement configurer l’organisation et le fonctionnement de la société de manière à la rendre compatible avec des hommes venus de toute la planète, la République qui a provoqué et laissé faire l’immigration de masse, la République qui a installé, intégré et naturalisé des millions d’immigrés, est la seule responsable. Voici dans les grandes lignes (ce texte est un texte de synthèse, le lecteur peu accoutumé à notre propos se reportera utilement aux autres articles de ce blog), voici donc rapidement pourquoi le Grand Remplacement participe de la nature du régime en place et n’est en aucun cas un phénomène accidentel :

  •  La République est fondée sur le « pacte républicain » et le pacte républicain est fondé sur le principe d’universalité : celuici est ouvert à tous les hommes « sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
  • La République considère que le « peuple français » est un agrégat d’individus individuellement associés par un contrat. Ainsi les Français de souche se seraient contractuellement associés le 14 juillet 1790 durant la fête de la Fédération. Ce jour là, selon la mythologie républicaine, le pacte républicain aurait transféré un à un (individuellement) chaque Français d’une nation ethnique, organisée selon des valeurs identitaires, à une nation civique, organisée selon des valeurs universelles (nous avons appelé ce processus à la fois mythologique et juridique, le « Grand Transfert »). A ce « corps d’associés » dont l’organisation et le fonctionnement reposent sur des valeurs universelles, c’est-à-dire des valeurs acceptables par tous les hommes, se seraient « individuellement » joints les Juifs, puis des immigrés de toute provenance. Ces multiples transferts donneront le corps politique métissé que l’on connaît aujourd’hui.
  • Le républicanisme postule l’universalité de la République : le modèle républicain de société est applicable en tous lieux (d’où l’entreprise coloniale républicaine), et permet de faire « vivre ensemble » tous les hommes, sans distinction. Dès lors, puisque le vivre tous ensemble est possible, rien ne justifie le « repli sur soi » et la fermeture des frontières, si ce n’est un « racisme » et une xénophobie irrationnels, d’autant plus, on le sait, que l’immigration est un enrichissement. Evidemment, on peut s’interroger sur le caractère véritablement universel des valeurs de la République et sur leur capacité à faire « vivre tous ensemble » juifs, chrétiens et musulmans. Mais cela revient à remettre ouvertement en cause le pacte républicain qui prétend cimenter l’agrégat artificiel sur la base de ces valeurs. C’est une règle : en République, toute contestation des politiques d’immigration exposera mécaniquement au soupçon d’être raciste et de n’être pas républicain. Cette règle tient à la nature même du régime, à ses fondamentaux, à sa cohérence interne… et non à ses représentants du moment !
  • La République est une entreprise d’ingénierie sociale chargée d’installer un modèle de société qui soit conforme aux intérêts de la classe dominante. Cette entreprise progresse en imposant de nouvelles lois. Celles-ci disloquent systématiquement l’ordre social ancien (la famille, les corporations, les communautés, les religions, les nations, les peuples, les sexes…) et instaurent un nouvel ordre fondé sur un désordre sociétal facile à contrôler et à exploiter (individus dissociés, mélangés et opposés ; populations hétérogènes ; individus standardisés ; matérialisme ; relativisme identitaire ; destruction des boussoles culturelles, généalogiques, religieuses, sexuelles…). La République a été conçue par une classe sociale apatride. Elle n’est qu’un outil dont la fonction est de « régénérer » la société à l’avantage de cette classe. La République se confond aujourd’hui avec le Système (mondialiste). Elle en est un aspect en même temps que la matrice.

 

  1. Comprendre la force et les moyens de l’ennemi principal

Aucune action ne sera couronnée de succès si l’on n’a pas compris les bases mythologiques qui structurent le régime en place et légitiment le modèle de société qu’il entend imposer (foi dans l’idéologie du contrat, croyances en des « valeurs » et en des fonctionnements sociaux qui seraient acceptables par tous les hommes, croyance en l’unité du genre humain, foi en l’Homme standardisé par la citoyenneté juridique, etc.). Cependant, désigner la République comme l’ennemi principal et surtout comprendre en quoi la République (ou le Système) est l’ennemi principal ne suffit pas pour engager une action efficace, voire qui ne soit pas carrément suicidaire. Car il faut encore et préalablement mesurer les rapports de forces et avoir notamment une juste idée de la puissance, des méthodes d’action et des moyens de rétorsion de l’ennemi.

Tout d’abord, celui qui estime que la République-Système est un régime politique démocratique et loyal commet une grave erreur. La République est un système représentatif qui assure automatiquement le pouvoir à la classe dominante. Nous l’avons déjà expliqué, nous ne reviendrons pas sur ce point. Ensuite, la République est un système totalitaire qui occupe officiellement tout l’espace social : l’Etat est républicain, la police est républicaine, les armées sont de la République, l’Ecole est républicaine, les médias sont républicains, la Justice est républicaine, l’espace social est contrôlé par des lois républicaines, etc. Enfin, trait typique des systèmes totalitaires, il est formellement défendu de contester le régime en place. La Constitution,  le code pénal et diverses autres lois interdisent ainsi que l’on remettent en cause la forme républicaine de gouvernement.

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Concrètement, cela veut dire quoi ? Concrètement, cela veut dire que la classe dominante a mis à son service les forces armées, la police, la magistrature, l’Enseignement, les médias et tout l’arsenal législatif nécessaire pour défendre ses intérêts de classe. Concrètement, cela veut dire que l’Etat a fait sécession du peuple, qu’il s’est tourné contre la nation autochtone et qu’il lui est devenu étranger, bref, qu’il doit être considéré comme un Etat plus « colonial » que « national ».

L’Etat est l’outil de la classe dominante. C’est lui qui met en œuvre les politiques d’immigration et qui construit la société métissée. C’est lui qui réprime la contestation et qui protège la classe dominante. Sans lui, rien ne serait possible. L’Etat républicain n’est pas notre ami, nous sommes ses indigènes colonisés et nous devons agir en tant que tels, en ayant une claire conscience de notre statut subordonné.

  1. Un peuple autochtone emprisonné dans un corps d’associés

La république-Système a engendré un « corps d’associés » (Sieyès) multiethnique. Ce corps d’associés improprement appelé « peuple français » ou « France » enferme comme une gangue le peuple autochtone. Si en 1790 tous les « associés » étaient des Autochtones, aujourd’hui les Autochtones deviennent minoritaires dans le corps d’associés. Cela signifie que, « démocratiquement » et selon la loi du nombre, le destin des Autochtones dépendra de plus en plus largement des choix, des préjugés, des ressentiments et de la puissance des populations allochtones installées au milieu d’eux.

Cela signifie aussi que le peuple autochtone de ce pays ne dispose pas de lui-même. Le peuple autochtone est un peuple dominé et nié : la République ne le reconnaît pas en tant que tel, ne lui accorde aucun droit en tant que tel, ne le distingue pas. Le peuple autochtone, emprisonné dans le corps d’associés multiethnique, perd quant à lui la conscience de ses intérêts, de sa spécificité et de son identité. Il se livre au régime qui a construit la gangue carcérale qui l’étouffe. Pour le moment, manipulé sans avoir connaissance de cette manipulation, il est « sous contrôle ». Le destin qui lui est promis par le régime-Système, et que l’Etat colonial est chargé de mettre en œuvre, est tout tracé : avant peu, il sera totalement dissous dans le corps d’associés et n’existera plus qu’à travers quelques individus faisant figure de bêtes de foire. Alors que faire ?

  1. Que faire ?

Nous venons de décrire la situation présente et de déterminer l’ennemi principal, celui qui est en l’occurrence à l’origine de notre condition et qui s’efforce de la maintenir, dussions-nous disparaître. Cette situation est épouvantable, tant le rapport de force nous est défavorable. Cependant, d’autres peuples en ont connu de similaires. Certains ont disparus (voyez les Hawaïens, les Pieds-noirs ou les Gorani), d’autres au contraire ont su prospérer. En observant ces derniers (les Juifs, les Roms, les Albanais du Kosovo, les Druzes, les Amish…), il nous est possible de reconnaitre un certain nombre de points communs qui les distingue des peuples moins résilients. Ces « règles de résilience » sont :

  1. Une forte endogamie
  2.  La pratique de l’entre-soi et le refus du « prosélytisme »
  3. Le refus de l’assimilation
  4. L’affirmation d’une conscience ethnique
  5. Une double règle de moralité (une règle qui s’applique aux Prochains, une règle qui s’applique aux Lointains)
  6. La capacité à se défendre
  7. Et surtout, la mise en place d’institutions parallèles à celles du groupe dominant

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Considérons que le corps d’associés allochtones, la gangue, soit un « peuple étranger » et que le système politique qui nie l’existence du peuple autochtone et garantit la présence étrangère dans notre pays soit un régime de domination. Il y a encore face au corps d’associés englobant une part significative du peuple autochtone qui ne renonce pas aux pratiques endogames et à l’entre-soi, qui refuse de perdre son identité, qui a une claire conscience de sa lignée, qui pratique au besoin une solidarité discriminante (les « Français d’abord ») et qui est même capable de se défendre. Cette fraction (toujours importante selon nous) du peuple autochtone ressemble donc sur de nombreux points au peuple pied-noir en Algérie. Pourtant, nous savons que ce peuple pied-noir a disparu. Que lui manquait-il pour continuer à exister ? En fait, les Pieds-noirs ont confié leur destin à la République et ont renoncé à s’organiser « en parallèle ». Avoir plusieurs millions d’individus dissociés qui pratiquent isolément les six premières règles de résilience est très bien mais à terme ne sert à rien. La cause est perdue si ces individus ne s’associent pas, ne s’organisent pas, ne créent pas des institutions parallèles susceptibles de leur donner une unité, donc une force, bref, s’ils ne s’émancipent pas du régime de domination.

Donc, à la question « Que faire ? », l’Histoire nous apporte cette réponse : il faut rassembler les Autochtones qui pratiquent spontanément les six premières règles de résilience, puis appliquer la septième règle, c’est-à-dire créer un Etat parallèle autochtone qui résistera au régime de domination et combattra pour les droits autochtones, y compris, in fine, le droit du peuple autochtone à disposer de lui-même.

  1. Comment faire ce Grand Rassemblement et cet Etat parallèle ?

Nous proposons une double stratégie.

D’un part, une stratégie de conservation qui assurera la résilience du peuple autochtone.

D’autre part, une stratégie de libération qui assurera l’autonomie du peuple autochtone par la conquête de droits collectifs toujours plus importants.

La stratégie de conservation et la stratégie de libération composent deux stratégies intermédiaires qui s’inscrivent dans une stratégie globale dont l’objectif final est la libération du peuple autochtone, c’est-à-dire son émancipation du corps d’associés multiethnique dissolvant. La stratégie de conservation est la première stratégie à mettre en œuvre. L’urgence est d’abord de conserver tout ce qui peut l’être (notre peuple bien sûr, mais aussi sa culture, sa spiritualité ou sa manière de vivre). Ensuite seulement, peuvent être envisagées des actions de reconquêtes libératrices. Nous disons « ensuite », car il nous faut d’abord forger l’outil avant de pouvoir l’employer. Mais, nous ajouterons aussi « parallèlement », car la stratégie de conservation, c’est-à-dire la fabrication et l’entretien des outils de résilience, ne doit pas cesser sous prétexte que la conquête des droits collectifs a commencé.

  1. La stratégie de conservation

La stratégie de conservation consiste essentiellement à rassembler les Autochtones conscients (« Grand Rassemblement ») et à les organiser. Plusieurs étapes sont nécessaires pour mettre en place les premières structures de résilience.

Nous proposons tout simplement de nous inspirer des stratégies élaborées par les minorités ayant fait la preuve de leur durabilité (Juifs, Roms, Kosovars…) :

  • Réunir une Assemblée qui proclame notre existence nationale en tant que peuple autochtone.

Cette première Assemblée, sorte d’assises autochtones, pourrait être réunie suite à l’appel de 8 ou 10 personnalités autochtones, toutes sensibilités confondues, rassemblées dans une sorte de CNR transitoire. Elle pourrait être provoquée aussi à l’initiative d’organisations et d’associations autochtones, voire de communautés locales autochtones fédérées.

  • La première Assemblée nomme pour un an un Gouvernement provisoire autochtone

La mission de ce Gouvernement est d’organiser les premières élections autochtones et de mettre en place l’ébauche d’un Etat parallèle autochtone.

  • Le premier Parlement autochtone élu se réunit :
  • Formation d’un Gouvernement autochtone
  • Détermination des missions du Gouvernement
  • Définition d’une stratégie de conservation et de libération
  • Le Gouvernement autochtone commence ses travaux :
  • Mise en place d’un Etat parallèle autochtone
  • Formation de Communautés locales autochtones
  • Mise en synergie des différentes organisations autochtones (partis politiques, mouvements culturels, associations diverses…) dans le respect de leur  autonomie
  • Les Communautés locales autochtones se fédèrent tout en gardant leur autonomie et forment une société parallèle autochtone.

A ce stade, si tant est qu’un nombre suffisant d’Autochtones accepte l’existence d’un Etat autochtone apolitique (l’Etat est purement autochtoniste. C’est un Etat national autochtone qui représente la nation autochtone en son entier et non tel ou tel courant politique, culturel ou religieux), à ce stade donc, nous pouvons considérer que les structures de résilience sont mises en place. Les engagements tactiques d’une stratégie de libération peuvent désormais être considérés. 

  1. La stratégie de libération

Revendiquer des droits pour le peuple autochtone de ce pays, mais aussi dénoncer son avilissement, sa marginalisation ou le racisme structurel qui l’accable (antijaphétisme), a deux objectifs principaux. D’une part conscientiser le plus grand nombre possible d’Autochtones afin que ceux-ci intègrent la nation autochtone en sécession. D’autre part, obliger le régime-Système à reconnaître, soit qu’il a commis un crime de génocide au sens de la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948), soit que le peuple français d’avant 1790 existe toujours en tant que «  groupe national, ethnique, racial et religieux » (Cf. Convention de 1948)

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La reconnaissance du droit à l’existence du peuple autochtone entraînera tous les autres droits collectifs, jusqu’au droit de ce peuple à disposer de lui-même. Le droit à l’existence est donc la clé de voûte de la libération autochtone. La lutte pour imposer ce droit (que tout peuple possède par nature), doit emprunter tous les chemins qui se présentent à nous et prendre la forme d’un harcèlement constant du régime. Tout peut-être prétexte à contestation, à revendication, à querelle, à discussion, à blocages. Il faut obliger le régime à négocier avec le Gouvernement autochtone. Cette négociation vaudra implicitement reconnaissance.

Le peuple autochtone emprisonné, aliéné et remplacé a le Droit pour lui. Son droit à l’existence est acquis du fait même qu’il existe. La contestation de ce droit fondamental est non seulement discriminatoire : c’est d’abord un crime contre l’humanité ! Notre peuple a le droit d’écrire sa propre histoire, indépendamment de l’histoire désirée par le régime politique en place ou le corps politique artificiel, multiethnique et de plus en plus antijaphite, qui a été construit par ce régime. D’autre part, le peuple autochtone, peut, en raison de son autochtonie qui plonge dans la nuit des temps et au nom de l’égalité entre tous les peuples, bénéficier de toutes les dispositions contenues dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones : droit à l’existence ; droit à l’autodétermination politique, économique, sociale, culturelle ; droit de contrôler son propre système scolaire ; droit d’être protégé en tant que peuple distinct, ; droit de filtrer les lois pouvant le concerner ; etc. Ajoutons que nous pouvons faire valoir aussi la loi organique sur la Nouvelle-Calédonie (99-209). Tous les droits octroyés par cette loi aux autochtones mélanésiens de Nouvelle-Calédonie, doivent être accordés, au nom du principe d’égalité proclamé par le régime et du droit international, aux autochtones européens de France. Ceux-ci doivent pouvoir bénéficier,  par exemple, d’un statut civil particulier, de registres d’état civil à eux seuls dédiés, de programmes scolaires qui reflètent la dignité de leur histoire, d’un droit civil qu’ils pourront librement déterminer, d’une langue française dont ils seront les seuls décideurs,  d’une citoyenneté spécifique, etc.

La cause du peuple autochtone est juste, morale, égalitaire, conforme au droit international et à l’esprit des lois organiques de la République. L’indépendance du peuple autochtone mettra un point final au processus de décolonisation commencé après la seconde guerre mondiale.

          C. Les méthodes

La stratégie de conservation (Grand Rassemblement, constitution d’un Etat parallèle autochtone, mise en place de communautés locales autochtones maillant le territoire, etc.) doit se faire à faible bruit et sans avoir recours aux dispositifs administratifs mis en place par le régime. Autrement dit, il ne doit pas y avoir de déclarations en Préfecture !

C’est la stratégie de libération qui pose véritablement le problème des méthodes de lutte. Nous excluons a priori toute forme de violence : le rapport de forces nous est trop défavorable. Notre méthode de lutte doit donc être non-violente et reprendre à son compte les recettes éprouvées de Gene Sharp : succession d’engagements tactiques non-violents permettant d’atteindre un objectif limité dans le cadre d’une stratégie plus large. Prenons un exemple :

Le patrimoine culturel autochtone (églises, châteaux, œuvres d’art, musées, bibliothèques, monuments, etc.) est actuellement géré par des fonctionnaires républicains de la culture, au nom du corps d’associés global. Or, au regard de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones et même de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, ce patrimoine culturel autochtone doit être restitué au peuple autochtone. Nous pouvons donc revendiquer cette restitution, par exemple en perturbant, selon nos ressources disponibles, des journées du patrimoine (obstruction d’entrée, distribution de tracts, nuisance sonore, etc.), en refusant d’évacuer un site après sa fermeture, en faisant entrer les visiteurs gratuitement, etc. L’essentiel est de faire débat, d’inciter les Autochtones à réfléchir sur leur dépossession et sur leur sujétion, et de forcer le régime à réagir. Un engagement tactique de cette nature va dans le sens des objectifs de la stratégie globale de libération car il révèle, avec tout ce que cela suppose, un patrimoine autochtone confisqué et surtout l’existence d’un peuple autochtone jusque là nié. 

En guise de conclusion….

Nous n’avons pas été colonisés par un Etat étranger, mais par une classe sociale apatride qui a pris les commandes de l’Etat national et en a fait un Etat à sa main, c’est-à-dire, de fait, un Etat étranger. Cet Etat étranger est conduit par un régime qui a engendré un « corps d’associés » multiethnique. L’un et l’autre sont responsables du Grand Remplacement et de notre incapacité à disposer de nous-mêmes. Il ne faut donc plus raisonner de l’intérieur de ce régime mortifère. Il faut au contraire raisonner dans une logique de sécession, ou plus exactement de décolonisation.

Cette logique n’est plus « politique » : elle doit être « nationale ». C’est de la nation autochtone en son entier qu’il s’agit. Peu importe les options idéologiques, religieuses ou philosophiques faites par les uns ou les autres. Tout cela doit s’effacer au nom de la défense de l’appartenance commune : l’appartenance à une nation autochtone prisonnière de la gangue multiethnique républicaine.

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La construction que nous proposons n’est donc pas une construction de politique politicienne : c’est une construction nationale apolitique, areligieuse, mais autochtone. Nous ne parlons pas des futures élections mais de la continuité historique de notre peuple.

Si le peuple autochtone de ce pays ne remet pas en question le régime en place, s’imaginant pouvoir l’infléchir ou l’amadouer, alors le destin de ce peuple est tout tracé : il disparaîtra ! Mais si ce peuple se rassemble et s’organise en société parallèle, alors des droits collectifs lui seront forcément reconnus et sa résilience sera assurée : avant peu il pourra à nouveau écrire sa propre histoire ! Les temps ont changé et il n’y a désormais que deux choix possibles : le soulèvement autochtoniste ou le consentement à notre propre génocide. Le reste ne compte pas.

Antonin Campana  

vendredi, 26 avril 2019

La malédiction de la classe pensante

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La malédiction de la classe pensante

par James Howard Kunstler
Ex: https://echelledejacob.blogspot.com 
 
Comment expliquer l’étrange mélange de névrose et de malhonnêteté qui s’est emparé de la classe pensante américaine depuis l’ascension de Donald Trump comme figure de proue épique de notre navire d’État ? Tout semble se réduire à la honte et à l’échec. 

Il y a, par exemple, l’échec des principaux vizirs économiques américains à arrêter l’effondrement de la classe moyenne – et avec lui, la désintégration des familles – qui a plus que tout produit le résultat des élections de 2016. Qu’y a-t-il de plus urgent : la destruction de toutes ces villes, de toutes ces villages et de toutes ces vies dans les zones sinistrées, ou la baisse de vingt points de l’indice boursier S & P ? 

Le choix fait par les « experts » ces dix dernières années est évident : gonfler à tout prix les marchés financiers en recourant à des interventions politiques malhonnêtes dont ils sont assez intelligents pour savoir qu’elles finiront par faire sauter le système bancaire. Ils l’ont fait pour préserver leur réputation assez longtemps pour prendre leur retraite. Le problème, c’est que les dommages sont maintenant si graves que, lorsque viendra le temps de présenter des excuses, ce ne sera pas suffisant. Ils perdront leur liberté et peut-être leur tête. 

La névrose et la malhonnêteté sont exactement ce qui a fait de deux des entreprises les plus sacrées et les plus nobles de ce pays, l’enseignement supérieur et la médecine, des rackets honteux. Dimanche soir, CBS 60 Minutes a couvert les deux bases dans son article principal sur la façon dont l’école de médecine de NYU a récemment déclaré son programme sans frais de scolarité. Ce grand triomphe est dû à un énorme don en espèces de l’un des fondateurs de la compagnie Home Depot, le milliardaire Ken Langone. Nulle part dans l’émission, la SCS n’a soulevé la question de savoir comment le coût d’un diplôme était devenu si scandaleux. Ou comment M. Langone a fait fortune en mettant toutes les quincailleries locales en faillite, ce qui lui a permis de saisir les revenus annuels de dix mille propriétaires de petites entreprises et de leurs employés. Le grand geste de l’université de New York n’est qu’un moyen de mettre par écrit le rôle honteux des dirigeants de l’université dans le racket du prêt pour accéder au collège qui peut détruire d’innombrables vies. 

La névrose et la honte sont les moteurs de la politique identitaire avec toutes ses persécutions et punitions rituelles étranges. C’est la classe pensante qui a mené la campagne pour les droits civiques dans les années 1960. Nous voici cinquante ans plus tard avec des douzaines de villes en ruines, des systèmes scolaires publics défaillants et des prisons remplies d’hommes noirs sans commune mesure avec leur démographie actuelle dans la population générale (37 % contre 13 % à l’échelle nationale). En Californie, c’est 29% alors que seulement 6% des résidents masculins de l’État sont afro-américains. Le récit favori de la classe intellectuelle dit que le taux élevé d’incarcération est dû à l’application injuste des lois sur les drogues pour des infractions relativement mineures, en particulier le fait d’être pris en train de posséder de l’herbe. 

Ok, la marijuana est légale en Californie depuis plusieurs années maintenant. Cela a-t-il modifié les statistiques ? Je suppose qu’on le saura bientôt. Y a-t-il une autre explication ? Peut-être un mauvais comportement disproportionné d’autres types : agression, vol, meurtre ? Peut-être le résultat des politiques gouvernementales conçues par la classe pensante pour promouvoir les familles monoparentales sans père présent depuis trois générations maintenant ? 

Après tout ce temps et toutes les preuves de la perniciosité de cette condition, pourquoi n’y a-t-il pas de débat à ce sujet ? Pourquoi la classe pensante est-elle si malhonnête au sujet de l’ingrédient le plus ruineux de l’école publique quotidienne : mauvais comportement, violence et perturbation constante de la classe ? Les classes pensantes doivent avoir honte et être consternées de tout cela, car cela semble contredire tous les efforts puissants déployés pour élever la sous-classe noire. Et quelle a été la réponse la plus notable ? Le département de l’Éducation de M. Obama a ordonné aux districts scolaires de cesser de suspendre et de discipliner les enfants noirs qui se sont mal comportés parce que cela avait l’air mauvais, et cette politique est toujours en place.
 
Comment ça se passe ? 

Le dernier appel de la classe pensante à remédier à ces problèmes par ailleurs insolubles et embarrassants est la panacée des réparations pour les descendants des esclaves. Bien sûr, l’argent dépensé pour les services sociaux au cours du dernier demi-siècle, s’il avait été simplement distribué en espèces, aurait fait de chaque Afro-Américain un millionnaire. Personnellement, je ne peux imaginer une pire façon d’attiser l’animosité raciale à travers l’Amérique jusqu’au point de rupture que ces réparations proposées. Nous en entendrons certainement davantage parler dans le long cheminement vers les élections de 2020, et cela ne fera que rendre les États-Unis plus fous aux yeux du reste du monde. 

La position de la classe pensante sur l’immigration légale et illégale est peut-être encore plus cynique – parce qu’elle sait sûrement à quel point elle est malhonnête, même par le brouillard de l’auto-illusion. La semaine dernière, le procureur général de Californie Xavier Becerra a proposé que l’immigration illégale soit décriminalisée. Étonnamment, personne n’a ri de cet exercice extraordinaire de casuistique. Pendant ce temps, l’État sombre dans l’insolvabilité, la misère et le chaos – un rappel que les gens n’obtiennent pas nécessairement ce qu’ils attendent, mais plutôt ce qu’ils méritent. 

Le RussiaGate, bien sûr, a été le lieu le plus aigu de malhonnêteté névrotique dans ce pays au cours des deux dernières années. Les principaux organes d’information de la classe pensante – The New York Times, The WashPo, CNN, MSNBC – ont non seulement omis de s’excuser pour la dangereuse hystérie qu’ils ont sciemment propagée, mais ils persistent à soutenir à tout prix la matrice des fantasmes dans ce qui doit maintenant être considéré comme une tentative sans espoir pour préserver leur réputation et peut-être même leurs moyens de subsistance. La répudiation de cette absurdité par l’inquisiteur en chef Robert Mueller ne pouvait être plus absolue, même s’il était contraint par la réalité et contre sa volonté et son instinct de le faire. Et maintenant, quelle voie empruntera tout cet animus malade de la classe pensante dans sa frénésie destructrice et honteuse pour se justifier ? 

James Howard Kunstler 

Traduit par Hervé pour le Saker Francophone

vendredi, 12 avril 2019

Liberalism: the other God that failed

While Arthur Koestler was awaiting execution after being captured and sentenced to death by Francoist forces as a communist spy during the Spanish Civil War, he had a mystical experience. Formerly a Marxist materialist who believed the universe was governed by “physical laws and social determinants”, he glimpsed another reality. The world now seemed instead as “a text written in invisible ink”.

The experience left him untroubled by the prospect of his imminent death by firing squad. At the last moment, he was traded for a prisoner held by Republican forces. But the epiphany of another order of things that came to him in the prison cell stayed with him for the rest of his days, informing his great novel of communist faith and disillusion, Darkness at Noon (1940), his later writings on the history of science, and a lifelong interest in parapsychology.

Koestler_(1969).jpgKoestler was a pivotal figure in the post-war generation that rejected communism as “the God that failed”— the title of a celebrated book of essays, edited by the Labour politician Richard Crossman and published in 1949, to which Koestler contributed. The ex-communists of this period followed a variety of political trajectories. André Gide, another contributor to the collection, abandoned communism, after a visit to the Soviet Union in 1936, to become a writer on issues of sexuality and personal authenticity.

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The rise of post-truth liberalism

By John Gray

Other ex-communists became social democrats, while a few became militant conservatives or lost interest in politics completely. Stephen Spender, poet and novelist and author of Forward from liberalism (1937), morphed into a cold-war liberal. James Burnham, a friend and disciple of Leon Trotsky, rejected Marxism in 1940 to reappear as a militant conservative, publishing The Suicide of the West: the meaning and destiny of liberalism (1964) and eventually being received into the Catholic Church. All of them became communists in a time when liberalism had failed. All were able to return to functioning liberal societies when they abandoned their communist faith.

When interwar Europe was overrun by fascism, the Soviet experiment seemed to these writers to be the best hope for the future. When the experiment failed, and they renounced communism, they were able to resume their life and work in a recognisably liberal civilisation.

Post-war global geopolitics may have been polarised, with a precarious nuclear stand-off between the Soviet Union and the US and its allies. Liberal societies may have been flawed, with McCarthyism and racial segregation stains on the values western societies claimed to promote. But liberal civilisation was not in crisis. Large communist movements may have existed in France, Italy and other European countries, while Maoism attracted sympathetic interest from alienated intellectuals. But even so, liberal values were sufficiently deep-rooted that in most western countries they could be taken for granted. The West was still home to a liberal way of life.

The situation is rather different today. Liberal freedoms have been eroded from within, and dissidents from a new liberal orthodoxy face exclusion from public institutions. This is not enforced by a totalitarian state, but by professional bodies, colleagues and ever vigilant internet guardians of virtue. In some ways, this soft totalitarianism is more invasive than that in the final years of the Soviet bloc.

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How Thatcherism produced Corbynism

By John Gray

The values imposed under communism were internalised by few among those who were compelled to conform to them. Ordinary citizens and many communist functionaries were a bit like Marranos, the Iberian Jews forced to convert to Christianity in mediaeval and early modern times, who secretly practised their true religion for generations or centuries afterwards. Such fortitude requires rich inner resources and an idea of truth as something independent of subjective emotion and social convention. There are not many Marranos in the post-liberal west.

Some have attempted to revive classical liberalism, an anachronistic project that harks back to a time when western values could command a global hegemony. Others have opted for a hyperbolic version of liberalism in which western civilisation is denounced as being a vehicle for global repression.

In this alt-liberal ideology, the central values of classical liberalism — personal autonomy and the rejection of tradition in favour of critical reason — are radicalised and turned against the liberal way of life. A heretical cult, alt-liberalism is what liberalism becomes when it tears up its roots in Jewish and Christian religion. Today it is the ruling ideology in much of the academy and media.

In these conditions one might suspect self-censorship, since anyone expressing seriously heterodox views risks a rupture in their professional life. Yet it would be a mistake to think alt-liberals are mostly cynical conformists. Since practising cynics realise that the views they are publicly promoting are actually false, cynicism presupposes the capacity to recognise truth. In contrast, alt-liberals appear wholly sincere when they denounce the society that privileges and rewards them. Unlike the Marranos, whose public professions concealed another view of the world, alt-liberals conceal nothing. There is nothing in them to conceal. They are expressing the prevailing western orthodoxy, which identifies western civilization as being uniquely malignant.

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Deluded liberals can't keep clinging to a dead idea

By John Gray

Of course, civilisational self-hatred is a singularly western conceit. Non-western countries — China, India and Russia, for example— are increasingly asserting themselves as civilisation-states. It is only western countries that denounce the civilisation they once represented. But not everything is as it seems. Even as they condemn it, alt-liberals are affirming the superiority of the West over other civilisations. Not only is the West uniquely destructive. It is only the West — or its most advanced section, the alt-liberal elite — that has the critical capacity to transcend itself. But to become what, exactly? Lying behind these intellectual contortions is an insoluble problem.

In his essay in The God that failed Gide wrote: “My faith in communism is like my faith in religion. It is a promise of salvation for mankind.” Here Gide acknowledged that communism was an atheist version of monotheism. But so is liberalism, and when Gide and others gave up faith in communism to become liberals, they were not renouncing the concepts and values that both ideologies had inherited from western religion. They continued to believe that history was a directional process in which humankind was advancing towards universal freedom.

Without this idea, liberal ideology cannot be coherently formulated. That liberal societies have existed, in some parts of the world over the past few centuries, is a fact established by empirical inquiry. That these societies embody the meaning of history is a confession of faith. However much its devotees may deny it, secular liberalism is an oxymoron.

A later generation of ex-communists confirms this conclusion. Trotskyists such as Irving Kristol and Christopher Hitchens who became neo-conservatives or hawkish liberals in the Eighties or Nineties did not relinquish their view of history as the march towards a universal system of government. They simply altered their view as to the nature of the destination.

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You're reaping what you sowed, liberals

By John Gray

Instead of world communism, it was now global democracy. Western interventions in Afghanistan, Iraq and later Libya were wars of liberation backed by the momentum of history. The fiascos that ensued did not shake this belief. The liberalism of these ex-Trotskyists was yet another iteration of monotheistic faith.

Alt-liberals aim to deconstruct monotheism, along with the grand narratives it has inspired in secular thinkers. But what emerges from this process? Once every cultural tradition is demolished, nothing remains. In principle, alt-liberalism is an empty ideology. In practice it defines itself by negation.

Populist currents are advancing throughout the West and supply the necessary antagonist. The old liberalism that prized tolerance no longer survives as a living force. Iconoclasts who smash statues of colonial-era figures are raging at an enemy that has long since surrendered. An impish avatar of a vanished liberal hegemony, alt-liberalism needs populism if it is to survive.

Resistance to populist movements fills what would otherwise be an indeterminacy at the heart of the alt-liberal project. Privileged woke censors of reactionary thinking and incendiary street warriors are mutually reinforcing forces. At times, indeed, they are mirror-images of one another. Both have targeted the state of Israel as the quintessential embodiment of western evil, for example. Not only do alt-liberals and populists need one another. They share the same demonology.

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Today's voguish communists should remember Budapest

By James Bloodworth

Viewing the post-liberal West from a historical standpoint, one might conclude that it will suffer the same fate as communism. Facing advancing authoritarian powers and weakened from within, a liberal way of life must surely vanish from history. True, some traces will remain. Even in societies where denunciation for reactionary thinking is a pervasive practice, fossil-like fragments of ancient freedoms will be found scattered here and there. But surely the global liberal order will finally implode, leaving behind only defaced remnants of a civilisation that once existed.

In fact, any simple analogy between the fall of communism and the decay of liberalism is misleading. The difference is that old-style liberals have nowhere to go. To be sure, they could abandon any universalistic claim for their values and think of them as inhering in a particular form of life — one that is flawed, like every other, but still worthwhile.

Yet this is hardly a viable stance at the present time. For one thing, this way of life is under siege in what were once liberal societies. Yet liberals cannot help but see themselves as carriers of universal values. Otherwise, what would they be? Anxious relics of a foundering civilisation, seeking shelter from a world they no longer understand.

There may be no way forward for liberalism. But neither is the liberal West committing suicide. That requires the ability to form a clear intention, which the West shows no evidence of possessing. Nothing as dramatic or definitive will occur. Koestler and the ex-communists of his generation regarded communism as the God that failed because they once believed it to be the future. Today almost no one any longer expects liberal values to triumph throughout the world, but few are able to admit it — least of all to themselves. So instead they drift.

It is not hard to detect a hint of nostalgia among liberals for the rationalist dictatorships of the past. Soviet communism may have been totalitarian, but at least it was inspired by an Enlightenment ideology. Though it has killed far fewer people, Putin’s Russia is far more threatening to the progressive world-view.

China, on the other hand, is envied as much as it is feared. Its rulers have renounced communism, but in favour of a market economy, globalisation and a high-tech version of Bentham’s Panopticon — all of them imported western models. The liberal west may be on the way out, but illiberal western ideas still have a part in shaping the global scene.

When ex-communists became liberals, they shifted from one secular faith to another. Troubled liberals today have no such option. Fearful of the alternatives, they hang on desperately to a faith in which they no longer believe. Liberalism may be the other God that failed, but for liberals themselves their vision of the future is a deus absconditus, mocking and tormenting them as the old freedoms disappear from the world.

 

vendredi, 05 avril 2019

Polybius, Applied History, and Grand Strategy in an Interstitial Age

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Polybius, Applied History, and Grand Strategy in an Interstitial Age

Ex: https://warontherocks.com

Sometime around 118 B.C., a boar-hunting octogenarian cantering through southern Greece suddenly fell off his horse. The sprightly retiree — who ended up succumbing to his injuries — was Polybius, the great historian and chronicler of the Punic Wars. Born into the highest echelons of Greek aristocracy, Polybius lived a life worthy of Odysseus, or perhaps of a toga-clad Forrest Gump. From the rise of Rome as the uncontested hegemon of the Mediterranean to the brutal destruction of Carthage and the final subjugation of the Hellenistic world, he bore direct witness to a series of system-shattering events. His discussion of these epochal shifts, and his soulful reflections on what they might mean for the future of power, order, and international justice, are freighted with insights for our own troubled era.

Polybius was raised in a politically fractured Greece — a land wreathed in the shadows of its former glory, and too consumed with its own bitter rivalries to adequately prepare for the rising Roman challenger across the Ionian Sea. Indeed, one of the most memorable passages of Polybius’ Histories is a speech made by a Greek ambassador at a peace conference in 217 B.C., during which the diplomat pleads in vain with his feuding countrymen to put aside their petty grievances and pay attention to the “clouds that loom in the west to settle on Greece.”

Polybius’ hometown was Megalopolis, the most powerful member of the Achaean confederation, a collection of city-states that had joined forces to counterbalance Macedonian military might. Had Rome’s steady expansion into the Eastern Mediterranean not collided with his own leadership ambitions, the young noble would have enjoyed a highly successful political career. In all likelihood, the political wunderkind would have followed in the footsteps of his father, who had served as strategos — or top elected official — of the Achaean confederation several times throughout the 180s. In 170 B.C., 30-year-old Polybius was elected at the youngest possible age of eligibility to the position of hipparchos, the second highest office in the confederation. While in office, his cautious attempts to preserve Achaean independence by officially supporting Roman war efforts against Perseus of Macedon while tacitly pursuing a policy of passive neutrality ended up backfiring. At the end of the Third Macedonian War (168/167 B.C.) he was accused of anti-Roman conduct and unceremoniously bundled, along with a thousand other Achaeans, onto a ship bound for Italy.

Polybius, however, was no ordinary political detainee. Due to his close friendship with the sons of Aemilius Paullus, the consul who had ground down the Macedonian phalanxes, he was allowed to remain in Rome while most of his fellow Greek prisoners were sent to eke out their existences in dreary backwaters scattered across Italy. It was at the throbbing heart of a youthful empire, hundreds of miles from his ancestral homeland — and in his curiously ambiguous role as both a captive and friend of Rome’s elites — that Polybius began to compose his sprawling, 40-volume history of Rome’s rise to dominance. Of this monumental work, which stretches from the First Punic War in 264 B.C. to the destruction of Corinth in 146 B.C., only five full volumes remain, along with disparate fragments of the remaining sections.

Polybius’ Histories should not only be viewed as a precious repository of information for classicists, but also as required reading for today’s national security managers. Indeed, over the past decade or so, growing apprehensions about China’s rise and America’s relative decline have prompted a surge in the study of the kind of great-power transitions experienced by Polybius. This heightened interest in the tectonics of geopolitical shifts has been accompanied by a singular fixation on the works of Thucydides and on what some political scientists — perhaps somewhat hastily and haphazardly — have termed the Thucydides Trap. Thucydides is in many ways the doyen of strategic history and a seminal figure in the Western canon. His elegant ruminations on war, politics, and the vagaries of human nature brim with world-weary wisdom and penetrating insight. His contemporary popularity amongst political scientists is also no doubt tied to his familiarity, as he remains a recurring character on international relations and security studies syllabi and a well-known figure within the halls of U.S. military academies. Casual familiarity, however, does not always equate with genuine intimacy and unfortunately he is often only cursorily read and understood. This becomes especially apparent whenever the great Athenian historian is invoked by some of the more ideologically-driven analysts and political operatives roaming Washington’s corridors of power.

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Furthermore, the U.S. strategic community’s single-minded focus on Thucydides has perhaps obscured the intellectual depth and strategic relevance of some of his illustrious successors’ writings, including those penned by Polybius, a fellow Greek historian-cum-statesman. Indeed, in an era of great-power competition it may well be toward the latter that one should first turn for enduring insights into the prudential virtues of applied history, the insidious dangers of populism, and the challenges inherent to the exercise of primacy.

“Pragmatic History”: Polybius as the Father of Applied History

Polybius began by stating that his primary objective was to chart Rome’s rise to prominence, and to calmly and systematically explain both its drivers and underpinnings:

For who is so worthless and indolent as not to wish to know by what means and under what system of polity the Romans in less than fifty-three years have succeeded in subjecting nearly the whole inhabited world to their sole government—a thing unique in history?

For the Greek noble, this development was unprecedented not only in its scale and rapidity but also in its cross-regional character. Rome’s defeat of Carthage after more than a century of bipolar confrontation had allowed it to focus its vast resources on forcibly drawing Greece into its orbit. In so doing, he argued, the legions had meshed the Western and Eastern Mediterranean together, and subjected the entire civilized world — or oikumene — to their rule. The Roman soldiers fighting under Scipio Africanus at the battle of Zama, Polybius observed, had been fighting for a new form of glory — one that openly associated Rome’s destiny with that of universal empire. The power of this ideal — and its startling physical realization in the course of his lifetime — called for a new historiographical approach: one that viewed things synoptically, and that overrode antiquated geographical representations of the world. It also aimed for a deeper understanding of the connections between domestic political cultures and foreign policy, as well as between effective primacy and prudential leadership. “Previously,” Polybius notes,

The doings of the world had been, so to say, dispersed, as they were held together by no unity of initiative, results or locality; but ever since this date history has been an organic whole, and the affairs of Italy and Libya have been interlinked with those of Greek and Asia, all leading up to one end. (…) Fortune has guided almost all the affairs of the world in one direction, (…) a historian should likewise bring before his readers under one synoptical view the operations by which she has accomplished her general purpose.

PolybiusHistorionTaSozomena1670v3HalfTitle.jpgIt is this particular intellectual predisposition toward the synoptic, along with its acceptance of nuance, multicausality and complexity, that has rendered Polybius such an appealing figure over the centuries for theorists of statesmanship and grand strategy. Indeed, in his defense of what he termed “pragmatic history” — pragmatike historia — Polybius constantly exhorted his readers to move beyond their pinched disciplinary horizons to attain a sounder understanding of the issues at stake. In one of his more vivid parallels, Polybius compares the student of “isolated histories” to one “who, after having looked at the dissevered limbs of an animal once alive and beautiful, fancies he has been as good as an eyewitness of the creature itself in all its action and grace.” “One can get some idea of a whole from a part,” he adds, “but never knowledge or exact opinion.” Any accurate survey, he added, should involve an “interweaving” (symploke) of “all particulars, in their resemblances and differences.” In this, the reader is reminded of Sir Francis Bacon’s playful division of men of learning into various insect categories: ants, spiders, and bees—a taxonomy the Englishman laid out in the following terms:

The men of experiment are like the ant, they only collect and use, the reasoners resemble spiders, who make cobwebs out of their own substance. But the bee takes a middle course; it gathers its material from the flowers of the garden and of the field, but transforms and digests it by a power of its own.

Polybius was clearly arguing in favor of a historiographical approach akin to that of the cross-pollinating bee — one that widely absorbs multiple external sources of information, skillfully synthesizes that same information, and then seeks to infer connections by drawing on well-honed analytical abilities. Possessing such historically informed knowledge, along with a capacity for intellectual cross-pollination was, according to the Achaean, essential to statesmanship. Indeed, Polybius not only makes it evident from the get-go that his Histories are geared toward the policymaker, he also argues that a grounding in history is a prerequisite for political leadership.

In this the Greek historian was not wholly original. In periods of great-power flux, thinkers have traditionally glanced nervously over their shoulder, to scry past patterns of state behavior. For statesmen grappling with the uncertainty of their specific circumstances the “process of liaising between the universal and the particular has often been conceptualized in terms of a temporal process,” with the hope that the lessons of yesteryear hold the promise of better ascertaining future outcomes. Where Polybius stands out from his predecessors and contemporaries is in his dogged insistence on what is required of a true historian. Indeed, according to the Achaean, the scholar must also be something of an Indiana Jones-like figure — a man of action with a taste for travel, adventure, and preferably a firsthand experience in the handling of affairs of state.

Polybius, one classicist notes, “for the most part lived up to the high standards he set himself.” Not only did he crisscross the Mediterranean, traipsing across battle sites, decoding faded inscriptions, and interviewing eyewitnesses, he also bore witness to key events, such as the Roman destruction of Carthage in the company of Scipio Aemilianus. According to one account, the warrior-scholar (by then in his mid-fifties) even joined a Roman testudo, or shielded formation, in the storming of a Carthaginian position. Finally given permission to return to his homeland in 150 B.C., Polybius then played an important diplomatic role, assisting in the Roman reconstruction and settlement of Greece. Indeed, centuries later travelers such as Pausanias reported seeing monuments in Greece thanking the historian for having “mitigated Roman wrath against Greece.”

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The Tocqueville of Republican Rome?

It is the hybrid quality of Polybius’s experience — both as an individual subjected to hegemonic domination, and as an intimate of that same hegemon’s national security establishment — that renders his observations on Roman foreign policy so fascinating. His Histories are marked by a certain distance intérieure — and a dispassionate yet keen-eyed attention for detail — one that brings to mind other, more recent studies of emerging powers penned by shrewd outsiders, such as Alexis de Tocqueville’s Democracy in America. In some ways, Polybius fits within a broader tradition in Greco-Roman antiquity that associated great historical work with displacement and exile. In his essay De Exilo, Plutarch memorably drew attention to such a link, observing, “that the Muses as it appears, called exile to their aid in perfecting for the ancients the finest and most esteemed of their writings.” After all, Herodotus and Xenophon had both experienced the trauma of exile, and Thucydides famously confessed that his long years away from Athens “free from distractions” had allowed him to attain a greater degree of objectivity and clarity. Edward Said, in his commentary on the figure of the intellectual in exile, notes that such an individual can be compared to

a shipwrecked person who learns to live in a certain sense with the land, not on it, not like Robinson Crusoe, whose goal is to colonize his little island, but more like Marco Polo, whose sense of the marvelous never fails him, and who is always a traveler, a provisional guest, not a freeloader, conqueror, or raider. Because the exile sees things in terms both of what has been left behind, and what is actual here or now, there is a double perspective that never sees things in isolation.

Polybius’ own shipwrecked condition may have allowed him to reach conclusions about Rome’s strategic culture and trajectory that would have eluded other, more rooted, observers. It also meant that he was obliged to traverse the treacherous reefs of Rome’s culture wars, in a high society that entertained a bizarre, schizoid relationship with Greek culture. This was an era, after all, when leading politicians such as Cato openly associated Hellenism with sexual prurience, social decadence, and political disorder — all while seeking instruction from Athenian savants, admiring Thucydides, and quoting Homer. The historian was therefore required to walk something of a literary tightrope: providing an unvarnished assessment of the new hegemon’s strategic performance for the benefit of his fellow Greeks, yet taking care not to unduly alienate his Roman hosts and captors. There are certainly moments when the political detainee opts for circumspection over candor. For instance, when broaching the issue of the final destruction of Carthage — an event which sent ripples across the Mediterranean — Polybius avoids taking a clear position on the strategic necessity of such a radically punitive action.

All in all, however, one cannot help but be impressed by the dexterity with which he pulls off this intellectual balancing act. Although the Greek historian clearly admired Rome’s patriotic vigor and military prowess, along with aspects of its politeia, or socio-political structure, he was also unabashedly critical of what he perceived as early signs of Roman imperial overreach and hubris in the conduct of their “universal domination.” As University of Toronto professor Ryan Balot notes, Polybius was “no political anthropologist,” and his “account was far from value neutral.” Instead, he

offered a careful ethical appraisal of Rome’s domestic and foreign politics, with a view both to praising the Romans for their virtues and to criticizing the Romans’ excesses and self-destructive tendencies. His critique (…) was ameliorative. He posed his ethical challenges to the Romans with a deeper educational intention in mind, namely, to challenge the Romans’ self-destructive tendencies to behave harshly, arrogantly, and overconfidently.

Anacylosis and the Question of Hegemonic Decline

Like most Greco-Roman thinkers prior to the advent of teleological Christianity, Polybius understood time as more circular than linear. Drawing on an organicist vision of politics that can be traced back to the pre-Socratic age, Polybius argued that nations were ensnared within a quasi-biological cycle of growth and degeneration from which there can be no escape. There are two agencies “by which every state is liable to decay,” he explained, “the one external and the other a growth of the state itself.” There could be no “fixed rule about the former,” but the latter was a “regular process.” This process, which Polybius terms anacylosis, occurs as a polis’ system of government rotates through three separate conditions — monarchy, aristocracy, and democracy — each of which conceals, like a sinister larval parasite, its corrupted form.

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Monarchy usually devolved into tyranny, aristocracy into oligarchy, and democracy — the most dangerous system of all — inevitably collapsed into what Polybius called ochlocracy, i.e. mob (ochlos) rule. In an ochlocracy, the people are governed by thumos (passion, wrath, and the desire for recognition), rather than logimos (reason), and inevitably end up turning to a monarch in a desperate quest for order, thus setting off the cycle once more. In one of the more remarkable passages of the Histories, the Achaean compares the masses to an ocean, whose seemingly calm surface could, in the space of an instant, be whipped up by a ruthless demagogue into a raging tempest.

Such politically destructive storms could not be avoided, but they could be delayed. Famously, Polybius attributed Rome’s successful forestalling of anacylosis to its institutions, and to its “mixed constitution.” The Roman politeia, which combined elements of all three systems of government — democracy in the form of elections, aristocracy in the form of the senatorial class, and monarchic in the form of the considerable powers granted to consuls — maintained a state of delicate equilibrium, “like a well-trimmed boat.”

For Polybius, great-power competition was fundamentally a two-level game, and Rome’s imperial success was directly linked to the solidity of its internal political arrangement. The First Punic War, he suggested, lasted for so long (23 years) because both Rome and Carthage were “at this period still uncorrupted in principle, moderate in fortune, and equal in strength.” By the time of the Hannibalic War or Second Punic War, however, the Carthaginian system had begun to degenerate, until finally it had succumbed to the corrosive political forces which affect all empires. Polybius stresses the strategic importance of time — or of windows of opportunity — in bouts of protracted competition. One of the reasons Rome prevailed, he suggests, was because even though it may have been equal to Carthage at the outset of the competition, it was on an ascending curve, while Carthage’s power trajectory had begun to trend downward.

The power and prosperity of Carthage had developed far earlier than that of Rome, and in proportion to this her strength had begun to decline, while that of Rome was at its height, at least so far as her system of government was concerned.

Rome’s social cohesiveness and political stability had provided it with the necessary reservoirs of resilience to weather its enormous losses during the Second Punic War, as well as a series of crushing defeats. Patriotic unity in the face of misfortune, Polybius argued, was preserved through the shared memory of “the discipline of many struggles and troubles,” and by the “light of experience gained in disaster.” Indeed, some of the more interesting passages in the Histories deal with collective memory, and with the dangers of strategic amnesia. For Polybius, it was only when a state’s elites had a clear memory of past sacrifices, and of the efforts that had led to the construction of a political order, that they were capable of mustering the will to act in defense of that same order. The rapidity with which such recollections of the fragility of order and peace seemed to dissipate depressed Polybius, and — in his opinion — rendered anacylosis grimly ineluctable.

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The robustness of Rome’s politeia, Polybius argued, was in part tied to its citizens’ recognition of the importance of strong, shared civic traditions in arresting the process of memorial entropy that inevitably leads to disunity and decline. The Greek historian comments approvingly on the various festivals, rites, and traditions designed to inculcate in every Roman the virtues of self-sacrifice, along with a healthy love of the state. He appeared particularly taken with the Roman aristocratic funeral, elaborately staged events featuring ancestor masks, long narrations of the martial exploits of the deceased and his forebears, and a great deal of pomp and circumstance. “There could not easily be a more ennobling spectacle for a young man who aspires to fame and virtue,” he enthuses, positing that by this means future generations are inspired to remember past struggles and continuously strive toward self-sacrifice and glory in the service of Rome.

Like many ancient historians, Polybius believed in the power of education through example, and through the actions of a set of paradigmatic figures. The most memorable characters in the Histories are thus paragons of prudence and virtue, men who retain a strong awareness of the fickleness of tyche, or fortune, and whose actions are guided by moderation and empathy. One such example would be Aemilius Paullus, who in a speech following his triumph over the Macedonian King Perseus, exhorts his Roman comrades to learn from their experience:

“It is chiefly,” he said, “at these moments when we ourselves or our country are most successful that we should reflect on the opposite extremity of fortune; for only thus, and then with difficulty, shall we prove moderate in the season of prosperity.”

“The difference,” he said, “between foolish and wise men lies in this, that the former are schooled by their misfortunes and the latter by those of others.”

In another remarkably cinematic moment, Polybius recounts standing next to Scipio Aemilianus during the burning of Carthage. Moved to tears by the scene, Scipio purportedly whispered Homeric verses, quoting Hector predicting the destruction of Troy. Another version of the scene has the Roman general grasping his friend’s hands, and mentioning his “dread foreboding” that one day the same doom would be visited on his own country. “It would be difficult to mention an utterance more statesmanlike and more profound,” gushes Polybius. For the Greek historian, Roman primacy could only be preserved if its security managers preserved — through the medium of applied history and moral exemplars — such a sense of prudence and empathy, along with an alertness to the capriciousness of fortune, which, to quote Hannibal in the Histories, “by a slight turn in the scale” can bring about geopolitical “changes of the greatest moment as if she were sporting with little children.” Driving this lesson home, darker, more cautionary tales are proffered in the form of the vainglorious fallen — tragic figures such as Philip V of Macedon who, despite being initially viewed as “the darling of the whole of Greece,” gradually succumbs to his more irascible impulses, morphing into a sanguinary despot with a taste for “human blood and the slaughter and betrayal of his allies.”

Hubris and Imperial Overreach

Polybius’ reflections on Roman imperialism are tinged with the same melancholy that suffuse his discussion of domestic political systems. Indeed, for the Achaean, hubris erupts when a nation’s foreign policy begins to suffer from the same maladies that afflict its domestic system of government — i.e. moral degeneration and strategic amnesia. Polybius was also remarkably forthright in his discussion of the tenuousness of “total victory” — particularly in insurgency-prone regions. Commenting on the Carthaginians’ mismanagement of their territories in Spain, he pointedly remarks that

while success in policy and victory in the field are great things, it requires much more skill and caution to make a good use of such success (…) they [the Carthaginians] had not learnt that those who preserve their supremacy best are those who adhere to the same principles by which they originally established it.

When a nation’s foreign policy is unmoored from its founding principles, or — worse still — reflects the pathologies of its own domestic dysfunction, a sudden, swift reversal in geopolitical fortune is likely to follow. As the classicist Arthur Eckstein notes, many of the historian’s predecessors and contemporaries shared this pessimistic view of the corrupting effects of power. Where Polybius differs somewhat is in the urgency of his tone and in his desire that “his audience be aware of this corrupting trend, and fight against it.”

Throughout the Histories, Polybius reminds his Roman readership — sometimes subtly, sometimes not so subtly — that primacy can only endure if it appears more benevolent, just, and conducive to prosperity than the system or lack of system that preceded it. A Roman foreign policy that operated at a disjuncture from the very virtues that had enabled the Italian city-state to attain its hegemonic position would only nurture resentment, for “it is by kind treatment of their neighbors and by holding out the prospect of further benefits that men acquire power.” Wise hegemons should not engage in overly punitive military policies, for “good men should not make war on wrongdoers with the object of destroying or exterminating them, but with that of correcting and reforming their errors.”

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As Polybius contemplated the future of Roman imperial rule, his reflections began to appear more pessimistic. Noble figures such as Scipio Africanus and Scipio Aemilianus, with their ancient military virtue and humble acceptance of the role of contingency, are depicted as the granite-faced avatars of a dying era. Polybius frequently alludes to the fact that with Rome’s expansion, financial corruption, bureaucratic indolence, and strategic complacency have become endemic. He gives various examples of Roman boorishness and cultural insensitivity. One such anecdote involves a Roman diplomat sent to mediate a dispute between a Greek Seleucid king and Ptolemaic Egypt. Without giving the Greek monarch any time to deliberate with his advisers, the Roman envoy traces a circle in the sand and orders the king to give an answer before setting foot outside the circle. This action, Polybius notes, was “offensive and exceedingly arrogant.” The Achaean is also bluntly critical of the Roman decision, following the seizure of Syracuse in 212 B.C., to denude the city of all its art and riches, observing that it would only stoke the resentment of the despoiled and was therefore strategically shortsighted in addition to immoral. Perhaps most significantly, the surviving fragments of the Histories end with the ominous image of Polybius watching a gaggle of braying Roman legionaries roll dice across priceless works of art, torn from the smoking ruins of Corinth.

The Enduring Relevance of Polybius

It is unfortunate that Polybius is not as widely read as he once was. Part of the problem may be that he is not the most accessible of historians. Indeed, scholars have long griped about the dryness of his prose, which is bare of the stylistic embellishments and rhetorical adornments so characteristic of other classical writers. Ancient critics scoffed that Polybius’ Histories were one of the major works that socialites liked to display on their bookshelves but never actually read in their entirety, while the great classicist Arnaldo Momigliano — in a rather waspish turn of phrase — quipped that Polybius “wrote as badly as the professors who studied him.”

Notwithstanding these stylistic critiques, there is evidence that in reality Polybius exerted an enormous influence over successive generations of thinkers. First in the classical era, with towering figures such as Cicero and Livy praising Polybius as “a particularly fine author,” and “an author who deserves great respect,” then following his eventual rediscovery in fifteenth-century Florence after centuries of obscurity. Indeed, the adventurous academic’s painstaking descriptions of Roman military modernization and politics were an object of fascination during the Renaissance and early Baroque eras. Machiavelli, in particular, was captivated by Polybius’ theories, as was the great sixteenth-century neostoic Justus Lipsius, who called for the reorganization of modern armies along the lines of the Roman legions portrayed in the Histories. Polybius’ ideas on the virtues of a mixed constitution also shaped Enlightenment ideals, influencing luminaries ranging from Montesquieu to the Founding Fathers of the United States, while saturnine Victorians chewed over his concept of anacylosis as they debated the extent and duration of British imperial primacy.

What relevance do the Histories have for our own interstitial age? Can the Greek historian’s views on the conduct of geopolitical analysis help us refine our ability to engage with complexity and develop more thoughtful approaches to emerging challenges? And how can Polybian insights be applied to the present condition, as the United States grapples with growing domestic disunity, the rise of populism, and its own relative decline?

Embracing the Polybian Mode of Inquiry in the Study of Foreign Relations

Polybius took a multidisciplinary intellectual approach to the study of international affairs, and sought — like most effective grand strategists — to detect patterns across time, space, and scale. In this, he was also a product of his times. Indeed, ancient Greek culture distinguished between different modes of knowledge, and between speculative reason and practical wisdom. As Aristotle observes in his Nichomachean Ethics, the sphere of political action was one of ambiguity, inconstancy and variety — one that necessitated its own form of intelligence or “practical wisdom”: whereas “scientific knowledge is demonstrable, skill and practical wisdom are concerned with what is otherwise.” Geopolitics is a fundamentally human endeavor, ill-suited to the positivist, quantitative approaches now increasingly prevalent within the American social sciences. Polybius would no doubt be alarmed that in so many quarters (albeit thankfully not all) scholarly rigor has also come to be associated with universal models and parsimonious theories — rigid schema that seek to redefine the “cloudlike subject of [international] politics as the object of a clocklike science.” At a time when the field of applied history appears caught in a grim death spiral of its own, Polybius’ Histories serve as a powerful reminder of its prudential value — not only in terms of understanding the past, but also as a means of preparing for the onslaughts of Tyche — or Fortune, that most fickle of goddesses. As University of Edinburgh professor Robert Crowcroft rightly notes, “if one makes a claim to expertise in cause and effect, one should be trained to discern patterns and project trends forward.” A training in applied history can allow for greater intellectual agility, including with regard to the framing and conceptualization of epoch-spanning and cross-regional trends. Were he alive today, Polybius would most likely second the call, originating in Australia, to recast our collective mental map of the Asia-Pacific by referring to it as the Indo-Pacific. Indeed, the Indian and Pacific oceans now form part of a larger strategic continuum for U.S. defense planners, just as the Eastern and Western halves of the Mediterranean merged into one geopolitical space in the course of the Greek historian’s lifetime.

Great Power Competition Is a Competition Between Domestic Systems

Another of Polybius’s major insights is that any protracted bipolar struggle will likely constitute a death match between two domestic political systems. The Rome-Carthage rivalry was a grueling conflict of attrition that severely taxed the resources, morale, and alliance structures of both states. While Rome’s military efficiency and capacity for innovation played a major role in its final victory, Polybius argues that its institutional solidity and sense of societal cohesiveness played an equally significant part. As the United States seeks to restructure its grand strategy around the concept of great power competition, it must remain mindful of the need to strengthen its economic and societal foundations at home, by striving to remain a beacon of openness, freedom, and innovation. Equally important will be uniting the American people around a revived sense of shared destiny via a renewed emphasis on civics, national history, and a political discourse that privileges unity of purpose over the narcissism of small differences.

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International Order and the Perils of Strategic Amnesia

Indeed, Polybius also reminds us of the dangers inherent to a foreign policy unmoored from its nation’s founding principles. The current U.S. president’s disavowal of some of these core tenets — the American Republic’s creedal nature and its basis in civic rather than cultural nationalism — has fueled fears of an eventual renunciation of Washington’s international mission. Both are, after all, closely linked. America’s unique sense of political community has historically underpinned its postwar internationalism and sense of “ethical egoism.” It has also furnished the ideational cement for its alliances with like-minded democratic powers, and the spiritual foundations of its refusal to let authoritarian powers carve out exclusionary spheres of influence. While some of the current debates surrounding the concept of a liberal international order may occasionally seem somewhat circular and tedious — especially for foreign observers troubled by the rise of authoritarian actors, and mindful of the overall benefits of American leadership — their intensity does also serve a useful purpose. Indeed, by taking aim at some of the more rosy-hued preconceptions of the American strategic community, these critiques force the order’s champions to return to first principles — and subsequently present a more balanced, thoughtful, and accessible defense of the virtues of American primacy to their fellow citizens and allies. Indeed, according to Polybius, one of the main accelerants of decline is a nation’s tendency toward collective amnesia, and its denizens’ tendency, after barely a few generations, to forget the struggles and sacrifices that led to their dominance of the international system in the first place. By refocusing public attention on the conditions under which postwar statesmen labored to structure various aspects of the extant order, strategic commentators can help build a more considered, and less reflexive, base of support for American internationalism and leadership.

Prudence and Humility Buttress Primacy in an Era of Relative Decline

Last but not least, American primacy can only be preserved if it continues to appear more appealing than various structural alternatives, ranging from competitive multipolarity to a world divided by a twenty-first century concert of nations, or segmented into spheres of influence. In an era characterized by a decline in U.S. relative power, this will require a novel approach, one characterized by greater prudence and humility, and laser-focused on the cultivation and preservation of alliances. If Rome prevailed in its system-wide competition, Polybius suggests, it was also because, by and large, it appeared to offer smaller Mediterranean polities a more attractive and less coercive international order than that proposed by Carthage. The Polybian emphasis on strategic empathy and respectful diplomacy could prove instructive for current and future U.S. administrations as they seek to enroll the help of other, less powerful states in their global competitive strategy against authoritarian behemoths. Polybius’ own colorful life — as a Greek observer of Rome’s rise — also serves as a demonstration of the virtues of travel, multilingualism, and deep-rooted cultural awareness when conducting strategic assessments of both allies and adversaries.

It also suggests that foreign friends of hegemons, by remaining at a certain critical distance, can prove useful and are occasionally worth listening to. This has, of course, been a conceit of Europeans — and of the British in particular — ever since America’s rise to international prominence and Prime Minister Harold Macmillan’s condescending remark that London should play Greece to Washington’s Rome. Such notions have often been breezily dismissed by self-assured American statesmen and commentators — much as Virgil in the Aeneid dismissively contrasted the airy, intellectual Greeks to the vigorous, conquering Romans. Nevertheless, in this day and age, the defense of the existent order can no longer be a disproportionately American endeavor. Without greater unity and a shared sense of urgency, the world’s community of democracies may well end up like the squabbling Greek states at the beginning of Polybius’ Histories: mere shadows of their former glory, relegated to the sidelines of history as another great power — this time located to the East — forcibly takes the reins of the international system.

Iskander Rehman is a Senior Fellow at the Pell Center for International Relations and Public Policy, and an Adjunct Senior Fellow at the Center for a New American Security. He holds a PhD in Political Science with distinction from the Institute of Political Studies in Paris (Sciences Po) and is a contributing editor at War on the Rocks. He can be followed on Twitter at @IskanderRehman

 

jeudi, 04 avril 2019

Pierre Manent on Machiavelli, Luther, and the Eclipse of the Natural Law

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Pierre Manent on Machiavelli, Luther, and the Eclipse of the Natural Law

For most participants in modern political discourse, human rights are real and natural law is not.

More than that, the limits of natural law—not just particular natural law arguments made about human nature and its institutions—are seen as oppressive and mere constructs. Human rights, by contrast, are real freedoms that must be respected and benefits that must be granted to all human beings.

The French political philosopher Pierre Manent’s most recent book, Natural Law and the Rights of Man, is developed from his 2017 lectures for the Etienne Gilson Chair at the Institut Catholique in Paris and will be published in English later this year. (The final lecture is already available in translation.) In it, Manent offers a diagnosis of the way in which human rights have come to eclipse the natural law. He also advances an argument about the nature of political action and command in light of that law’s rationality and outlines the consequences of obscuring action. This shift from natural law to human rights was supposed to free us, Manent concludes, but has left us paralyzed.

pm-lex.jpgThe Double Standard that Relativism Creates

The perfect example arose last month. On February 19, the Trump administration announced a new campaign to fight laws in 72 countries that criminalize same-sex sexual acts. Why did Out magazine condemn it as racist and colonialist, instead of supporting it as a way to keep gays from being killed and imprisoned? Because rights claims are the moral trump card in our public debates, but not when it comes to cultures other than our own. As Manent notes, in our own countries, the bien pensant constantly make judgments about right and wrong in order to reform society. It is inexcusable to maintain the status quo, they claim, since nothing is more urgent or just than for men and women like us to recognize, declare, and vindicate our fundamental rights. But regarding other countries, they are more likely to suspend judgment: We would not want to suggest that our way of life is superior to those of other cultures, especially in a post-colonial era. As a result, we regard the “other” with cultured non-judgment, while furiously judging ourselves.

In effect, Manent argues, we posit that human rights are a rigorously universal principle, which have value for all cultures without exception. At the same time, we posit that all cultures and forms of life are equal, and that all appraisal that would presume to judge them is discriminatory. On the one hand, all human beings are equal, and we must fight vigorously for the equality of men and women in our society; on the other hand all cultures have the right to an equal respect, even those that violate the equality of human beings, and we should refrain from condemning cultures that, for example, keep women in a subordinate state.

This contradiction captures the paralysis Manent sees in our contemporary framework of rights. If we want to condemn barbarism without using scare quotes, he writes, there must be a human nature with which our actions can accord or that we are capable of violating. That nature operates according to a logic that we did not create ourselves. As he put it in a recent interview with the conservative French weekly Valeurs Actuelles, the natural law is the group of rules that necessarily order human life, and that human beings have not made. These laws fix the limits of our liberty, but also give it its orientation.

The Pleasant, the Useful, and the Honest

As Manent sees it, the natural law is not an ideal but a set of practical principles for action that helps agents act toward a happy life. All true action is a collaboration and balancing between the three principal motives of human action: the pleasant, the useful, and the honest. Without objective, transcendent principles, there is nothing to guide human freedom—nothing to determine what is pleasant, useful, or honest. “Natural law,” he concludes, “is the only serious defense against nihilism.”

Our problem today is that such thinking no longer makes sense to us. Manent traces this incomprehension to the reduction of our understanding of human nature to the separated individual and examines how it manifests itself in Niccolo Machiavelli and Martin Luther. Like other early moderns, Machiavelli claimed that he would not analyze humanity from inductive, Aristotelian principles, but would consider it “as it actually is.” Manent argues that Machiavelli fails to do this, because he substitutes a theoretical action for action “as it actually is.”

Instead of practical action, Machiavelli examines action as it can be seen by the theoreticians, without the point of view of the agent. For Machiavelli, human beings are prisoners of a fear of death and a fear of natural or divine law—a law that protects, but locks us in fear. To overcome this, he calls for a new kind of human agent who no longer fears the law and can therefore act according to what the situation authorizes and demands. We must escape our conscience (and the practical judgments it makes) and turn to the science of history for theoretical guidance for our action.

Manent sees a similar repudiation of practical reasoning and action in Luther: The acting Christian is replaced by the believer. For Luther, the Law produces a guilt and despair that can only be cured by faith, not action. The certitude of faith, not actions or conduct or conscience, determine salvation. As we saw with Machiavelli, the man who acts according to his conscience formed by the principles of the law is unable to accomplish his necessary end. Lutheran faith and Machiavellian virtu are different, but they both claim to allow us to escape the shame of the practical life and make the necessary break between ourselves and the law.

The Loss of the Law

In their own ways, therefore, Machiavelli and Luther illustrate the modern loss of the law as “rule and measure of action.” In a 2014 essay—which will serve as an appendix to the forthcoming translation of La loi naturelle et les droits de l’homme—Manent diagnoses our illness as a loss of the intelligence of law. This loss was not accidental, he writes:

We have lost it because we wanted to lose it.  More precisely, we have fled from law. We are still fleeing from it. We have been fleeing from law since we took up the project—let us call it “the modern project”—to organize common life, the human world, on a basis other than law. . . . Rights and self-interest are the two principles that allow for the ordering of the human world without recourse to law as the rule and measure of action. Of course we still have laws, indeed more laws than ever, but their raison d’être is no longer directly to regulate our actions but rather to guarantee our rights and equip us to seek our interests in a way that is useful or at least not harmful to the common interest.

pm-hommecite.jpgOur flight from the law in the name of more freedom to act has paradoxically undermined the principles for practical action. It turns out that we could not make our own meaning and give ourselves our own laws and ends.

This is the heart of the problem that Manent identifies with the modern state. In ancient political thought, only the body politic as a whole could be autonomous or give itself the law. In the modern conception of the state—especially for French conceptions of the state rooted in Jean-Jacques Rousseau’s thought—the citizen authorizes the state’s commands that he must obey. How then can he be said truly to obey? Manent argues that the idea of obeying my own commands or commanding myself simply does not work. It requires that I imagine myself as two, a commanding self and an obeying self that is distinct but also me; I cannot imagine myself to be autonomous without producing a heteronomy in myself. In this way, our society confuses command and obedience and obscures them. This in turn damages our ability to perform true political actions, given that command is “the core and essence of action.”

The greatest contrast Manent identifies between the ancient and the modern world is the difference between the free agent and the free individual. The free agent is concerned more about the intrinsic quality of his action than the objects exterior to his action, while the free individual is more concerned with exterior obstacles to his action than its intrinsic quality. For example, free agents and free individuals view death differently. For the individual, death is an obstacle to be removed. For the agent, death becomes part of the logic of action. Death is not the chief obstacle to be overcome or conquered, and therefore the great menace, but one of the many rules and motifs governing action. The individualistic view of death as an extrinsic act of life is most fully captured in euthanasia, the arbitrary but authorized killing of innocents.

How Modernity Crowded Out the Possibility of Action

In the Greek city, a well-constituted democracy, each citizen commands and obeys alternately. No one would dream of pretending that he obeys himself or commands himself. At the beginning of the modern epoch, we deliberately abandoned the law that commands and gives a rule of action. In its place, the modern state organizes the condition of action—an action now judged not according to its rule or end, but according to its effects. By abandoning ourselves to the inertia of laissez-faire, laissez-passer, however, we have lost sight of the central role of command in practical life, especially the commanding role of the law as rule of common action. Instead, we place our faith in the idea that a certain inaction, or a certain abstention from action, is the origin of the greatest goods.

We have a greater flux of goods and services, but we abstain from actions that would be likely to moderate and direct the movement of men and things. Between two modes of passivity— suffering and enjoying—that hold all our attention and provide the matter of all our new rights, we have no more place for acting.

For all of this bracing diagnosis, Manent offers little in the way of prescription. How does his analysis cash out in terms of practical political action? Perhaps it helps to uncover the roots of the powerlessness that many feel in the face of larger political forces, and to explain how the possibility of real political action came to be so circumscribed.

If so, what is the alternative? What could help us recover our sense of the intelligence of law? Neither the absolutism of radical Islam in France’s present, nor the absolutism of throne and altar in her past, receive the philosopher’s endorsement; he gestures, rather, toward ancient Greece. There he finds representative self-government in accord with the natural law and without the conceits of the modern state. At the end of his Valeurs Actuelles interview, he also gestured toward France’s rich literary and spiritual traditions and history of rational discussion. These should, said Manent, “allow us to find an alternative to virulent and blind rights claims and the irony, shoulder-shrugging, or sterile sarcasm of the politically incorrect.”

Nathaniel Peters

Nathaniel Peters is the executive director of the Morningside Institute and a lecturer at Columbia University.

About the Author

mercredi, 03 avril 2019

René Guénon et notre civilisation hallucinatoire

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René Guénon et notre civilisation hallucinatoire

Les Carnets de Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Il est évident que nous vivons sous hypnose : abrutissement médiatique/pédagogique, journaux, actus en bandeaux, « tout m’afflige et me nuit, et conspire à me nuire. » Mais cette hypnose est ancienne et explique aussi bien l’ère d’un Cromwell que celle d’un Robespierre ou d’un Luther-Calvin. L’occident est malade depuis plus longtemps que la télé…O Gutenberg…

Je redécouvre des pages extraordinaires de Guénon en relisant Orient et Occident. Il y dénonce le caractère fictif de la notion de civilisation ; puis son caractère hallucinatoire à notre civilisation ; enfin son racisme et son intolérance permanentes (sus aux jaunes ou aux musulmans, dont les pays – voyez le classement des pays par meurtre sur Wikipédia – sont les moins violents au monde). Problème : cette anti-civilisation dont les conservateurs se repaissent, est la fois destructrice et suicidaire. Exemple : on détruit des dizaines de pays ou des styles de vie pour se faire plus vite remplacer physiquement (puisque métaphysiquement nous sommes déjà zombis)…

Voyons Guénon :

« La vie des mots n’est pas indépendante de la vie des idées. Le mot de civilisation, dont nos ancêtres se passaient fort bien, peut-être parce qu’ils avaient la chose, s’est répandu au XIXe siècle sous l’influence d’idées nouvelles…Ainsi, ces deux idées de « civilisation » et de « progrès », qui sont fort étroitement associées, ne datent l’une et l’autre que de la seconde moitié du XVIIIe siècle, c’est-à-dire de l’époque qui, entre autres choses, vit naître aussi le matérialisme; et elles furent surtout propagées et popularisées par les rêveurs socialistes du début du XIXe siècle.»

Guénon pense comme le Valéry de Regards (1) que l’histoire est une science truquée servant des agendas :

« L’histoire vraie peut être dangereuse pour certains intérêts politiques ; et on est en droit de se demander si ce n’est pas pour cette raison que certaines méthodes, en ce domaine, sont imposées officiellement à l’exclusion de toutes les autres : consciemment ou non, on écarte a priori tout ce qui permettrait de voir clair en bien des choses, et c’est ainsi que se forme l’« opinion publique ».

Puis il  fait le procès de nos grands mots (comme disait Céline : le latin, le latinisant en particulier estconifié par les mots), les mots à majuscule du monde moderne :

« …si l’on veut prendre les mêmes mots dans un sens absolu, ils ne correspondent plus à aucune réalité, et c’est justement alors qu’ils représentent ces idées nouvelles qui n’ont cours que moins de deux siècles, et dans le seul Occident. Certes, « le Progrès » et « la Civilisation », avec des majuscules, cela peut faire un excellent effet dans certaines phrases aussi creuses que déclamatoires, très propres à impressionner la foule pour qui la parole sert moins à exprimer la pensée qu’à suppléer à son absence ; à ce titre, cela joue un rôle des plus importants dans l’arsenal de formules dont les « dirigeants » contemporains se servent pour accomplir la singulière œuvre de suggestion collective sans laquelle la mentalité spécifiquement moderne ne saurait subsister bien longtemps. »

rg-quantité.jpgIl a évoqué la suggestion comme Gustave Le Bon. Il va même parler d’hypnose, notre René Guénon !

«  À cet égard, nous ne croyons pas qu’on ait jamais remarqué suffisamment l’analogie, pourtant frappante, que l’action de l’orateur, notamment, présente avec celle de l’hypnotiseur (et celle du dompteur est également du même ordre) ; nous signalons en passant ce sujet d’études à l’attention des psychologues. Sans doute, le pouvoir des mots s’est déjà exercé plus ou moins en d’autres temps que le nôtre ; mais ce dont on n’a pas d’exemple, c’est cette gigantesque hallucination collective par laquelle toute une partie de l’humanité en est arrivée à prendre les plus vaines chimères pour d’incontestables réalités ; et, parmi ces idoles de l’esprit moderne, celles que nous dénonçons présentement sont peut-être les plus pernicieuses de toutes. »

A l’époque moderne, le mot devient une idole. TS Eliot en parle aussi dans un poème célèbre, les chorus :

Words that have taken the place of thoughts and feelings…

La science ne nous sauve en rien, bien au contraire. Autre nom à majuscule, elle sert aussi notre mise en hypnose (pour René Guénon, aucun mot à particule n’a de sens sérieux, et il est important de le noter) :

« La civilisation occidentale moderne a, entre autres prétentions, celle d’être éminemment « scientifique » ; il serait bon de préciser un peu comment on entend ce mot, mais c’est ce qu’on ne fait pas d’ordinaire, car il est du nombre de ceux auxquels nos contemporains semblent attacher une sorte de pouvoir mystérieux, indépendamment de leur sens. La « Science », avec une majuscule, comme le « Progrès » et la « Civilisation », comme le « Droit », la « Justice » et la « Liberté », est encore une de ces entités qu’il faut mieux ne pas chercher à définir, et qui risquent de perdre tout leur prestige dès qu’on les examine d’un peu trop près. »

Le mot est une suggestion (repensez à la psychologie des foules de Le Bon) :

« Toutes les soi-disant « conquêtes » dont le monde moderne est si fier se réduisent ainsi à de grands mots derrière lesquels il n’y a rien ou pas grand-chose : suggestion collective, avons-nous dit, illusion qui, pour être partagée par tant d’individus et pour se maintenir comme elle le fait, ne saurait être spontanée ; peut-être essaierons-nous quelque jour d’éclaircir un peu ce côté de la question. »

Et le vocable reste imprécis, s’il est idolâtré :

« …nous constatons seulement que l’Occident actuel croit aux idées que nous venons de dire, si tant est que l’on puisse appeler cela des idées, de quelque façon que cette croyance lui soit venue. Ce ne sont pas vraiment des idées, car beaucoup de ceux qui prononcent ces mots avec le plus de conviction n’ont dans la pensée rien de bien net qui y corresponde ; au fond, il n’y a là, dans la plupart des cas, que l’expression, on pourrait même dire la personnification, d’aspirations sentimentales plus ou moins vagues. Ce sont de véritables idoles, les divinités d’une sorte de « religion laïque » qui n’est pas nettement définie, sans doute, et qui ne peut pas l’être, mais qui n’en a pas moins une existence très réelle : ce n’est pas de la religion au sens propre du mot, mais c’est ce qui prétend s’y substituer, et qui mériterait mieux d’être appelé « contre-religion ».

L’hystérie occidentale, européenne ou américaine, est violente et permanente (en ce moment russophobie, Afghanistan, Syrie, Irak, Venezuela, Libye, etc.). Elle repose sur le sentimentalisme ou sur l’humanitarisme :

« De toutes les superstitions prêchées par ceux-là mêmes qui font profession de déclamer à tout propos contre la « superstition », celle de la « science » et de la « raison » est la seule qui ne semble pas, à première vue, reposer sur une base sentimentale ; mais il y a parfois un rationalisme qui n’est que du sentimentalisme déguisé, comme ne le prouve que trop la passion qu’y apportent ses partisans, la haine dont ils témoignent contre tout ce qui contrarie leurs tendances ou dépasse leur compréhension. »

rg-cmm.jpgLe mot haine est important ici, qui reflète cette instabilité ontologique, et qui au nom de l’humanisme justifie toutes les sanctions et toutes les violences guerrières.  Guénon ajoute sur l’islamophobie :

« …ceux qui sont incapables de distinguer entre les différent domaines croiraient faussement à une concurrence sur le terrain religieux ; et il y a certainement, dans la masse occidentale (où nous comprenons la plupart des pseudo-intellectuels), beaucoup plus de haine à l’égard de tout ce qui est islamique qu’en ce qui concerne le reste de l’Orient. »

Et sur la haine antichinoise :

« Ceux mêmes d’entre les Orientaux qui passent pour être le plus fermés à tout ce qui est étranger, les Chinois, par exemple, verraient sans répugnance des Européens venir individuellement s’établir chez eux pour y faire du commerce, s’ils ne savaient trop bien, pour en avoir fait la triste expérience, à quoi ils s’exposent en les laissant faire, et quels empiétements sont bientôt la conséquence de ce qui, au début, semblait le plus inoffensif. Les Chinois sont le peuple le plus profondément pacifique qui existe… »

Sur le péril jaune alors mis à la mode par Guillaume II :

« …rien ne saurait être plus ridicule que la chimérique terreur du « péril jaune », inventé jadis par Guillaume II, qui le symbolisa même dans un de ces tableaux à prétentions mystiques qu’il se plaisait à peindre pour occuper ses loisirs ; il faut toute l’ignorance de la plupart des Occidentaux, et leur incapacité à concevoir combien les autres hommes sont différents d’eux, pour en arriver à s’imaginer le peuple chinois se levant en armes pour marcher à la conquête de l’Europe… »

rg-orocc.jpgGuénon annonce même dans la deuxième partie de son livre le « grand remplacement » de la population occidentale ignoré par les hypnotisés et plastronné par les terrorisés :

« …les peuples européens, sans doute parce qu’ils sont formés d’éléments hétérogènes et ne constituent pas une race à proprement parler, sont ceux dont les caractères ethniques sont les moins stables et disparaissent le plus rapidement en se mêlant à d’autres races ; partout où il se produit de tels mélanges, c’est toujours l’Occidental qui est absorbé, bien loin de pouvoir absorber les autres. »

A la même époque de nombreux écrivains (Chesterton, Yeats, Céline, Madison Grant ou Scott Fitzgerald en Amérique) pressentent/constatent aussi le déclin quantitatif de la population en occident. Guénon semble par contre avoir surestimé la résilience orientale au smartphone et au béton, à la télé et au shopping-center… Sans oublier Hollywood, le tabac et le chewing-gum. Mais on ne se refera pas.

Concluons : notre bel et increvable occident est toujours aussi belliqueux, destructeur et autoritaire ; mais il est en même temps humanitaire, pleurnichard, écolo, mal dans sa peau, torturé, suicidaire, niant histoire, racines, polarité sexuelle… De ce point de vue on est bien dans une répugnante continuité de puissance hallucinée fonctionnant sous hypnose (relisez dans ce sens la Galaxie Gutenberg qui explique comment l’imprimerie nous aura altérés), et Guénon l’aura rappelé avec une sévère maîtrise…

Note 

(1) Valéry : « L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines… L’Histoire justifie ce que l’on veut. Elle n’enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout, et donne des exemples de tout. »

Sources 

René Guénon, Orient et occident, classiques.uqac.ca, pp.20-35

Milan Kundera Warned Us About Historical Amnesia. Now It’s Happening Again

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Milan Kundera Warned Us About Historical Amnesia. Now It’s Happening Again

 

The struggle of man against power is the struggle of memory against forgetting.
—Milan Kundera

Milan Kundera is 90-years old on April 1, 2019 and his central subject—The Power of Forgetting, or historical amnesia—could not be more relevant. Kundera’s great theme emerged from his experience of the annexation of his former homeland Czechoslovakia by the Soviets in 1948 and the process of deliberate historical erasure imposed by the communist regime on the Czechs.

As Kundera said:

The first step in liquidating a people is to erase its memory. Destroy its books, its culture, its history. Then have somebody write new books, manufacture a new culture, invent a new history. Before long that nation will begin to forget what it is and what it was. The world around it will forget even faster.

mk-book4.jpgI first read Kundera’s Book of Laughter and Forgetting (1979) back in 1987, when I was a member of the British Communist Party. The book shook my beliefs and Kundera’s writing became a part of a process of truth-speaking that shook the USSR to the ground in 1989.

In the 90s we believed we were living in a “post-mortem” era in which all the hidden graves of the 20th century would be exposed, the atrocities analyzed, the lessons learned. Lest we forget. We also thought we’d entered a time in which the Silicon Valley dream of digitizing all knowledge from the entire history of the printed and spoken word would lead us towards the infinite free library, the glass house of truth and the global village of free information flow. The future would be a time of endless remembrance and of great learning.

How wrong we were. The metaphor of the glass house has turned into that of the mirrored cube. The global village has collapsed into tribal info-warfare and the infinite library is now a war zone of battling conspiracy theories. The internet has become a tool of forgetting, not remembrance and the greatest area of amnesia is the subject that Milan Kundera spent his entire life trying to preserve, namely the horrors of communism.

This theme is set out on the very first page of the Book of Laughter and Forgetting in which Kundera describes a moment in Prague in 1948 amidst heavy snow in which the bareheaded Communist leader Klement Gottwald, while giving a speech in Wenceslas Square, was given a hat by his comrade Clemetis:

Four years later Clemetis was charged with treason and hanged. The Propaganda section immediately airbrushed him out of the history and obviously the photographs as well. Ever since Gottwald has stood on that balcony alone. Where Clemetis once stood, there is only bare wall. All that remains of Clemetis is the cap on Gottwald’s head.

After the fall of the USSR, there was a vast outpouring of truth-telling about the fallen communist regimes in Russia, Czechoslovakia, East Germany, Bulgaria, Hungary, Albania, Romania and Poland. The stagnant debt and corruption, the human rights abuses in political-prisons and orphanages, the hidden mass graves, the illegal human experiments, the secret surveillance systems, the assassinations, the mass starvations, and the overwhelming evidence of the failure in each country of “the planned economy.” The structures, too, of government-misinformation, the eradication of free speech and the re-writing of history—erasing your opponents by murdering them and then wiping all traces of their existence from the history books. In the 90s the hidden data from Stalin’s famine-genocide in the Ukraine (1923–33) was exposed. Later, the scale of Chairman Mao’s genocides staggered the world. Even the methods that communist regimes used to produce historical amnesia were exposed.

For a brief period, the consensus was that the communist experiment had failed. Never again, said the postmodernists and historians. Never again, said the economists and political parties. Never again said the people of former communist countries. Never again.

Fast forward 20 years and never again has been forgotten. The Wall Street Journal in 2016 asked: “Is Communism Cool? Ask a Millennial.” Last year MIT Press published Communism for Kids and Teen Vogue ran an excited apologia for Communism. Tablet announced, with some concern, a Cool Kid Communist Comeback.” On Twitter, there is new trend of people giving themselves communist-themed names: “Gothicommunist,” “Trans-Communist,” “Commie-Bitch,” “Eco-Communist.” The hammer and sickle flag has been re-appearing on campuses, at protests and on social media.

How could we have forgotten?

A poll in the UK by The New Culture Forum from 2015 showed that 70 percent of British people under the age of 24 had never heard of Chinese communist leader Mao Tse-Tung, while out of the 30 percent who had heard of him, 10 percent did not associate him with crimes against humanity. Chairman Mao’s communist regime was responsible for the deaths of between 30 to 70 million Chinese, making him the biggest genocidal killer of the 20th century, above Stalin and Hitler.

mk-b5.jpgOne of the reasons Mao’s genocides are not widely known about is because they are complex and covered two periods over a total of seven years. Information on the internet tends to be reduced into fast-read simplified narratives. If any facts are under dispute we have a tendency to shrug and dismiss the entire issue. So it is precisely the ambiguity over whether Mao’s Communist Party was responsible for 30, 50 or 70 million deaths that leads to internet users giving up on the subject.

The rational way of dealing with clashing estimates would be to look at the two poles. To say, at the bare minimum, even according to pro-communist sources, Mao was responsible for 30 million deaths and at the other extreme, from the most anti-communist sources, the number is 70 million. So it would be reasonable to conclude that the truth lies somewhere in between and that even if we were to take the lowest number it is still greater than the deaths caused by Stalin and Hitler.

However, this reasoning process does not occur. Our reaction when faced with a disputed piece of data like this is similar to our response when faced with a Wikipedia page that carries the warning: “The neutrality of this article is disputed.” Fatigue and lack of trust kicks in. And so, without an argument needing to be made by Mao’s apologists, the number he killed is not zero, but of zero importance.

Conflict-induced-apathy can be manipulated for political ends. We see this in the way neo-communists set out their stall. They don’t challenge the data about the number of 20th Century deaths their ideology is linked to. Rather, they claim that there are conflicting data and that anyone claiming one data set is definitive has a vested interest in saying that—ergo, no data are reliable. And so they manage to airbrush 30–70 million deaths from history.

Part of what makes the data on communist genocides hard to pin down is that the state records were often erased by communist regimes. Take the largest genocide in the history of mankind—the Great Chinese Famine (1958–62). To date, no official recognition of this genocide has been made by China’s communist government. For 40 years this historical episode has been hidden and denied. There are 100 monuments to the Irish Famine, but to this day the only memorial to the Great Chinese Famine is one made by hand out of bricks and tiles, located in the middle of a Chinese farmer’s privately-owned field.

mk-B7.jpgUntil the data on the deaths in communist China are definitively agreed, until they enter the history books, conflicting data will keep on being used to conceal the magnitude of Mao’s crimes. We also see this happening with the Ukranian genocide known as Holodomor (1932–33). Different political groups argue about whether the deaths were three million or 10, which then gives space to other groups online who want to deny it ever occurred.

If you want to make data vanish these days, don’t try to hide them, just come up with four other bits of data that differ greatly and start a data-fight. This is historical amnesia through information overload.

When we lose not just the data, but the record of who did and said what in history beneath the noise of contrary claims, then we are in trouble. We can even see this in the accusation made against Milan Kundera in the last 10 years—that he was a communist informant, that he was a double agent, that his entire literary canon was the result of a guilty conscience for having betrayed a fellow Czech to the communists.

The confusion and profusion of narratives around Kundera lead us to simply drop the author completely, due to conflict-induced apathy. It has already eroded his reputation. We will never know if what he said in his own defense is true, the argument-from-apathy goes, so we shouldn’t trust anything he’s ever said or written, even his indictments against communism—even his theories about historical amnesia as a communist propaganda tool. All of this might as well be forgotten.

To get rid of an enemy now, you don’t have to prove anything against them. Instead, you use the internet to generate conflicting accusations and contradictory data. You use confusion to elevate hatred and fear until that enemy is either banned from the net, their history re-written or erased from the minds of millions through conflict-induced apathy.

If the struggle of man is the struggle of memory against forgetting, as Kundera said, then we have in the cacophony of the internet a vast machine for forgetting. One that is building a new society upon the shallow, shifting sands of Historical Amnesia.


Ewan Morrison’s new novel NINA X is published by Fleet on April 4 2019. NINA X concerns a woman who escapes from the cult she was born and raised within and who now has to survive in our world. Follow him on Twitter @MrEwanMorrison

lundi, 01 avril 2019

Julius Evola pour tous (les hommes différenciés)

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Julius Evola pour tous (les hommes différenciés)

par Thierry DUROLLE

L’un des plus célèbres penseurs de la Droite radicale européenne fait toujours parler de lui, quarante-quatre ans après sa disparition. Ce penseur est Julius Evola. Nous préférons le qualifier de penseur plutôt que d’intellectuel, terme originellement péjoratif et qui d’ailleurs ferait bien de recouvrir sa définition initiale. Gianfranco de Turris, président de la Fondation Evola en Italie et auteur d’un magistral Elogio e difesa di Julius Evola, nous rappelle qu’Evola fut « peintre et philosophe, poète et hermétiste, morphologue de l’histoire et politologue, critique des mœurs et sexologue, orientaliste et mythologue, spécialiste des religions et de la Tradition. Mais ce fut aussi un alpiniste chevronné,il fut journaliste, conférencier et universitaire (p. 6) ».

Julius Evola est-il toujours actuel ? N’a-t-il pas été relégué dans la poubelle de l’Histoire par les forces de la subversion ? Et, est-ce que ses idées demeurent pertinentes encore aujourd’hui ? « Au début de l’année 2018, le 12 février, le principal quotidien italien de gauche, La Repubblica, publia en première page un article au titre exceptionnel et extravagant : “ Evola et le fascisme inspirent Bannon, le cerveau de Trump. ” […] Le philosophe et politologue russe Alexandre Douguine admit dans plusieurs interviews que sa pensée avait été profondément influencée par celle de Julius Evola […]. Or, le fait est que Douguine est assez proche du président russe, et fut même présenté comme son “ conseiller ” (p. 8). »

Deux exemples plutôt maladroits pour tenter de justifier de l’actualité de la pensée du Baron. Deux éminences grises déchues, l’un publiciste, l’autre « Raspoutine de sous-préfecture », pour reprendre l’amusante expression d’un traducteur à l’ego hypertrophié. Deux agents de l’anti-Europe, l’un national-libérale (sioniste ?) et l’autre néo-eurasiste pan-russe, deux formes de soumission politiques et spirituelles. Bref, rien d’évolien là-dedans. À noter qu’un certain Jason Horowitz s’émut, dès février 2017, de la possible influence d’Evola sur Bannon dans un article intitulé « Steven Bannon cited Italian thinker who inspired fascists ». La pensée de Julius Evola représente toujours un danger pour l’ennemi.

Il est évident que l’œuvre de Julius Evola reste d’actualité, puisqu’elle met en exergue notre européanité d’une part (sur les plans mythologiques, culturels, spirituels, et politiques) et la Tradition d’autre part. « Ses » idées sont d’actualité aussi car il fut un temps où elles furent la norme, l’évidence même. Ceux qui connaissent bien les différents écrits d’Evola peuvent témoigner de la présence constante de la Tradition comme principe ordonnateur et, en ce sens, cosmique. La pensée de Julius Evola est authentiquement de Droite, d’une Droite métaphysique, éternelle, verticale, ordonnée du haut vers le bas. La cohérence entre le verbe et l’action chez Evola suscite le respect et l’admiration : rares sont ceux qui unirent les deux à un tel niveau.

Pénétrer la pensée protéiforme du penseur italien n’est pas forcément chose aisée. Cela peut demander une certaine persévérance mais aussi une entrée adéquate. Par où commencer ? En ce qui nous concerne, nous avons toujours conseillé, dans la mesure du possible, de lire en premier Révolte contre le monde moderne pour avoir, au minimum, le « décor » de la pensée évolienne. Puis Orientations et Les hommes au milieu des ruines nous semblaient être deux ouvrages politiques fondamentaux à lire à la suite du maître-ouvrage mentionné. Mais il s’agit là d’une première approche au caractère politique. Elle ne permet pas d’avoir une vue d’ensemble des thèmes évoliens.

C’est là que toute la pertinence du Petit livre noir s’offre aux néophytes. Et nous ne pouvons que nous réjouir de la réédition augmenté de ce vade mecum grâce à la toute jeune maison d’édition helvète Lohengrin ! Clin d’œil anti-marxiste-maoïste au malheureusement célèbre Petit livre rouge, ce recueil de citations représente probablement l’une des meilleures façons d’aborder l’œuvre d’Evola dans son intégralité. Les extraits – qui furent soumis en leur temps à l’auteur – sont classés dans onze catégories distinctes et sont issus de quasiment tous les ouvrages d’Evola, dont certains toujours en attente d’une traduction française (!) en plus d’articles et de divers entretiens.

La préface de Gianfranco de Turris se veut aussi synthétique que le contenu de l’ouvrage. Turris fait une présentation de l’homme et ses idées qui, ici aussi, sera idéale pour les nouveaux venus. Enfin, la couverture bien que de noire vêtue, arbore dorénavant un magnifique portrait de Julius Evola signé Jacques Terpant, illustrateur et peintre de grand talent. En quatrième de couverture cette citation d’Evola fait figure de programme : « Seule un retour à l’esprit traditionnel dans une nouvelle conscience unitaire européenne pourra sauver l’Occident. » Gageons que la lecture du Petit livre noir éveille une nouvelle génération d’Européens à un tel impératif.

Thierry Durolle

• Julius Evola, Le petit livre noir, édition augmentée, Éditions Lohengrin, 2019, 175 p., 18 €.

dimanche, 31 mars 2019

Reflecting on the Interwar Right

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Reflecting on the Interwar Right

Please note this rightist opposition to war must be distinguished from the objections of Communist sympathizers or generic leftists to certain wars for ideological reasons. For example, George McGovern, who was a longtime Soviet apologist, protested the Vietnam War, while defending his own role in dropping bombs on helpless civilians in World War Two. For McGovern the “good war” was the one in which the US found itself on the same side as the Soviets and world Communism. Clearly McGovern did not object to American military engagements for rightist reasons.

My own list of interwar American Rightists would include predominantly men of letters, e.g., Wallace Stevens, H.L. Mencken, George Santayana (who was Stevens’s teacher at Harvard and longtime correspondent), Robert Lee Frost, the Southern Agrarians, and pro-fascist literati Ezra Pound and Lovecraft, (if accept these figures as part of a specifically American Right). Although Isabel Patterson and John T. Flynn may have regarded themselves as more libertarian than rightist, both these authors provide characteristically American rightist criticism of the progress of the democratic idea. The same is true of the novelist and founder of the libertarian movement Rose Wilder Lane, whose sympathetic portrayal of an older America in “House on the Prairie” has earned the disapproval of our present ruling class. Many of our rightist authors considered themselves to be literary modernists, e.g., Stevens, Pound and Jeffers. But as has been frequently observed, modernist writers were often political reactionaries, who combined literary innovations with decidedly rightist opinions about politics. Significantly, not only Mencken but also Stevens admired Nietzsche, although in Stevens’s case this admiration was motivated by aesthetic affinity rather than discernible political agreement.

This occasions the inevitable question why so many generation defining writers, particularly poets, in the interwar years took political and cultural positions that were diametrically opposed to those of our current literary and cultural elites. Allow me to provide one obvious answer that would cause me to be dismissed from an academic post if I were still unlucky enough to hold one. Some of the names I’ve been listing belonged to scions of long settled WASP families, e.g., Frost, Stevens, Jeffers, and, at least on one side, Santayana, and these figures cherished memories of an older American society that they considered in crisis.  Jeffers was the son of a Presbyterian minister from Pittsburgh, who was a well-known classical scholar. By the time he was twelve this future poet and precocious linguist knew German and French as well as English and later followed the example of his minister father by studying classics, in Europe as well as in the US.

Other figures of the literary Right despised egalitarianism, which was a defining attitude of the self-identified Nietzschean Mencken. The Sage of Baltimore typified what the Italian Marxist Domenico Losurdo describes as “aristocratic individualism” and which Losurdo and Mencken identified with the German philosopher Nietzsche. This anti-egalitarian individualism was easily detected in such figures as Mencken, Pound and the Jeffersonian libertarian, Albert J. Nock.

états-unis,droite américaine,conservatisme,conservatisme américain,littérature,lettres,lettres américaines,littérature américaine,histoire,paul gottfried,philosophie,nietzschéismeIt may be Nock’s “Memoirs of a Superfluous Man” (1943) with its laments against modern leveling tendencies, and Nock’s earlier work “Our Enemy, The State” (1935) which incorporated most persuasively for me this concept of aristocratic individualism. Nock opposed the modern state not principally because he disapproved of its economic policies (although he may not have liked them as well) but because he viewed it as an instrument of destroying valid human distinctions. His revisionist work Myth of a Guilty Nation, which I’m about to reread, has not lost its power since Nock’s attack on World War One Allied propaganda was first published in 1922. Even more than Mencken, whose antiwar fervor in 1914 may have reflected his strongly pro-German bias, Nock opposed American involvement in World War One for the proper moral reasons, namely that the Western world was devouring itself in a totally needless conflagration. Curiously the self-described Burkean Russell Kirk depicts his discovery of Nock’s Memoirs of a Superfluous Man on an isolated army base in Utah during World War Two as a spiritual awakening. Robert Nisbet recounts the same experience in the same way in very similar circumstances. 

Generational influence:

These interwar rightists of various stripes took advantage of a rich academic-educational as well as literary milieu that was still dominated by a WASP patrician class before its descendants sank into Jed Bushism or even worse. These men and women of letters were still living in a society featuring classes, gender roles, predominantly family owned factories, small town manners, and bourgeois decencies. Even those who like Jeffers, Nock and Mencken viewed themselves as iconoclasts, today may seem, even to our fake conservatives, to be thorough reactionary. The world has changed many times in many ways since these iconoclasts walked the Earth. I still recall attending a seminar of literary scholars as a graduate student in Yale in 1965, ten years after the death of Wallace Stevens, and being informed that although Stevens was a distinguished poet, it was rumored that he was a Republican. Someone else then chimed in that Stevens was supposed to have opposed the New Deal, something that caused consternation among those who were attending. At the times I had reservations about the same political development but kept my views to myself. One could only imagine what the acceptance price for a writer in a comparable academic circle at Yale would be at the present hour. Perhaps the advocacy of state-required transgendered restrooms spaced twenty feet apart from each other or some even more bizarre display of Political Correctness.  I shudder to think.

But arguably the signs of what was to come were already present back in the mid-1960s. What was even then fading was the academic society that still existed when Stevens attended Harvard, Frost Dartmouth, though only for a semester, or Nock the still recognizably traditional Episcopal Barth College. Our elite universities were not likely to produce even in the 1960s Pleiades of right-wing iconoclasts, as they had in the interwar years and even before the First World War.  And not incidentally the form of American conservatism that came out of Yale in the post-war years quickly degenerated into something far less appealing than what it replaced. It became a movement in which members were taught to march in lockstep while advocating far-flung American military entanglements. The step had already been taken that led from the interwar Right to what today is conservatism, inc. Somehow the interwar tradition looks better and better with the passage of time.

samedi, 30 mars 2019

Conférence Rémi Soulié: "Racination"

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Conférence Rémi Soulié: "Racination" 

 
C'est le travail de Rémi Soulié que le Cercle d'Artagnan a cette fois-ci le plaisir de vous présenter. A l'heure où "identité" marque toutes les lèvres, ce dernier nous invite à nous intéresser, pour faire face aux enjeux de notre temps, au concept plus large et pertinent de racine.
 

00:28 Publié dans Livre, Livre, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : racines, identité, rémi soulié, racination, livre | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 28 mars 2019

Michael Snyder et la dystopie californienne

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Michael Snyder et la dystopie californienne

Par Nicolas Bonnal

Ex: https://leblogalupus.com

Les films de dystopie (Blade runner, Rollerball, Soleil vert) nous promettaient un futur abominable et surréaliste, et en vérité nous avons un futur nul qui confirme l’observation de Léon Bloy faite en 1906, à savoir que nous sommes déjà morts. On est dans un monde bête, laid, matérialiste, certes surpeuplé, mais qui ne va pas trop mal, qui fonctionne globalement. Ce n’est pas grave, on continue dans les fictions de nous promettre un futur abominable au lieu de nous montrer notre présent cher et dégoûtant… Il semble que ce pessimisme extra soit de mise dans nos sociétés pour établir la dictature ou cet imprécis ordre mondial dont rêve une partie des élites humanitaires. On nous promet le pire pour nous donner des ordres. Mais c’est un autre sujet… je maintiens que le seul film de dystopie réaliste reste Alphaville puisqu’il montrait notre décor, notre apparence de réalité, mais truffé de contrôle mental et cybernétique. C’est bien là que nous sommes, et pas dans les espaces infinis.

ms-bend.jpgJe lis Michael Snyder et son blog apocalyptique depuis des années et je fais donc attention chaque fois qu’à la télévision on montre des images de la vie quotidienne en Amérique. Or de petits films sur mes espagnols à travers le monde démontrent qu’effectivement les conditions de vie aux USA sont devenues sinistres et hors de prix, sans qu’on puisse évoquer la poétique de Blade runner…Plusieurs amis fortunés qui font aussi des allers et retours et m’ont confirmé que le vieil oncle Sam coûte bien cher, comme Paris, Londres et des milliers d’endroits (même se loger en Bolivie devient un exploit, vive Morales-Bolivar-Chavez…), pour ce qu’il offre ; d’autres amis moins fortunés, universitaires, survivent durement. Car il y a en plus les persécutions politiques qui gagent nos si bienveillantes démocraties…

On écoute les dernières révélations de Snyder sur la Californie :

« 53% des californiens veulent partir… Cela montre simplement ce qui peut arriver lorsque vous laissez des fous diriger un État pendant plusieurs décennies. Dans les années 1960 et 1970, la possibilité de s’établir sur la côte ouest était «le rêve californien» de millions de jeunes Américains, mais à présent, «le rêve californien» s’est transformé en «cauchemar californien».

Snyder ajoute ce que nous savons par le cinéma (qui ment toujours moins que les news) :

« Les villes sont massivement surpeuplées, la Californie connaît le pire trafic du monde occidental, la consommation de drogue et l’immigration clandestine alimentent un nombre incroyable de crimes, les taux d’imposition sont abominables et de nombreux politiciens de l’état semblent être littéralement fous. Et en plus de tout cela, n’oublions pas les tremblements de terre, les incendies de forêt et les glissements de terrain qui font constamment les gros titres dans le monde entier. L’année dernière a été la pire année pour les feux de forêt dans l’histoire de la Californie , et ces jours-ci, il semble que l’État soit frappé par une nouvelle crise toutes les quelques semaines. »

calg.jpgEn vérité les gens supporteraient tout (« l’homme s’habitue à tout », dixit Dostoïevski dans la maison des morts), mais le problème est que cette m… au quotidien est hors de prix ! Donc…

« Un nombre croissant de Californiens envisagent de quitter l’État – non pas à cause d’incendies de forêt ou de tremblements de terre, mais à cause du coût de la vie extrêmement élevé, selon un sondage publié mercredi. Le sondage en ligne, mené le mois dernier par Edelman Intelligence, a révélé que 53% des Californiens interrogés envisagent de fuir, ce qui représente un bond par rapport aux 49% interrogés l’année dernière. L’enquête a révélé que le désir de quitter le pays le plus peuplé du pays était le plus élevé. »

On évoque les règlementations de cet état exemplaire pour tous les progressistes et sociétaux de la foutue planète :

« Grâce à des restrictions de construction absolument ridicules, il est devenu de plus en plus difficile de construire de nouveaux logements dans l’État. Mais entre-temps, des gens du monde entier continuent à s’y installer car ils sont attirés par ce qu’ils voient à la télévision. »

Notre grand pessimiste documenté précise :

« En conséquence, l’offre de logements n’a pas suivi la demande et les prix ont explosé ces dernières années. Les chiffres suivants proviennent de CNBC …

À l’échelle de l’État, la valeur médiane des maisons en Californie s’élevait à 547 400 $ à la fin de 2018, tandis que la valeur médiane des maisons aux États – Unis était de 223 900 $ . À titre de comparaison, la valeur médiane des maisons dans l’État de New York s’établissait à 289 000 dollars et à 681 500 dollars à New York; New Jersey était 324 700 $. Oui, il y a beaucoup d’emplois bien rémunérés en Californie, mais vous feriez mieux d’avoir un très bon travail pour pouvoir payer les paiements hypothécaires d’une maison valant un demi-million de dollars. »

Du coup il faut vivre avec des colocataires, même en couple !

« Bien sûr, de nombreux Californiens se retrouvent dans une situation financière extrêmement pénible en raison de coûts de logement incontrôlables. Ils sont donc plus nombreux que jamais à emménager avec des colocataires. En fait, un rapport récent a révélé que le nombre de couples mariés vivant avec des colocataires «a doublé depuis 1995» … Le nombre de couples mariés vivant avec des colocataires a doublé depuis 1995, selon un rapport récent du site immobilier Trulia. Environ 280 000 personnes mariées vivent maintenant avec un colocataire – et cela est particulièrement vrai dans les villes coûteuses comme celles de la côte ouest. »

La Californie n’est pas seule dans ce cas :

« À Honolulu et à Orange Country, en Californie, la part des couples mariés avec des colocataires est quatre à cinq fois supérieure au taux national. San Francisco, Los Angeles, San Diego et Seattle ont également des taux très élevés de couples mariés avec colocataires. Ces mêmes villes ont des coûts de location et de logements très supérieurs à la moyenne (Trulia note que les coûts de logement dans tous ces marchés ont augmenté de plus de 30% depuis 2009), les habitants de San Francisco, extrêmement coûteux, ont besoin de plus de 123 000 dollars de revenus pour vivre confortablement… »

Puisqu’on parle d’Honolulu, je ne saurais trop recommander, sur la dystopie hawaïenne, le film d’Alexander Payne avec Clooney, film nommé justement les Descendants, qui traite du néant dans la vie postmoderne. Honolulu, un Chicago au prix de Monaco. Dire qu’il y en a encore pour critiquer Rousseau…

calcrazy.pngLes impôts pleuvent comme en France :

« En plus des coûts de logement, de nombreux Californiens sont grandement frustrés par les niveaux de taxation oppressifs dans l’État. À ce stade, l’État a le taux d’imposition marginal le plus élevé de tout le pays … Avec 12,3%, la Californie est en tête des 50 États en 2018 avec le taux d’imposition marginal le plus élevé, selon la Federation of Tax Administrators ; et cela n’inclut pas une surtaxe supplémentaire de 1% pour les Californiens ayant des revenus de 1 million de dollars ou plus. »

Evidemment on a d’autres privilèges culturels…Snyder :

« Hier, j’ai écrit un article intitulé «Les rats, la défécation publique et la consommation de drogue à ciel ouvert: nos grandes villes occidentales sont en train de devenir des enfers inhabitables» , et cela a déclenché une tempête de feu. Plus de 1 000 commentaires ont déjà été publiés sur cet article, et quelques personnes enthousiastes ont tenté de convaincre le reste d’entre nous que la vie sur la côte ouest n’est pas si mauvaise. Je suis désolé, mais si votre ville compte beaucoup plus de toxicomanes par voie intraveineuse que d’élèves du secondaire, ce n’est pas un endroit où je voudrais fonder une famille … »

La conclusion pas très gaie :

« Au total, environ 5 millions de personnes ont fait leurs valises et ont quitté définitivement la Californie au cours des 10 dernières années. Malheureusement, la nation tout entière est en train de devenir comme la Californie et si nous ne renversons pas les choses, il n’y aura plus de place où aller. »

C’est TS Eliot, cité dans Apocalypse now, qui dans ses Hommes creuxévoque ce monde qui ne finira pas dans une déflagration, mais dans un pleurnichement (not in a bang but a whimper). Nous y sommes et cette agonie interminable peut encore bien durer cent ans…

Note

J’ajouterai cet extrait de Ron Unz sur la Californie :

« Le style de vie californien, riche et extrêmement agréable, de l’après-guerre, était largement reconnu aux États-Unis, et ce leurre magnétique fut à l’origine des premières étapes de la croissance démographique très rapide de l’État. Mais plus récemment, les effets néfastes de la congestion routière, des options de logement épouvantables et de la concurrence acharnée sur le marché de l’emploi ont considérablement réduit l’attrait de l’État. La croissance a fortement diminué , en partie parce que l’afflux continu d’immigrants a été partiellement compensé par un départsimultané de résidents existants. »

https://nicolasbonnal.wordpress.com/2019/02/18/michael-sn...

 

Dostoïevski et l’invention du droit à tuer

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Dostoïevski et l’invention du droit à tuer 

Les Carnets de Nicolas Bonnal

Les hommes politiques américains postmodernes (mais nos socialistes aussi) ont pris goût à la brutalité et aux guerres via la farce humanitaire (voyez Carnage de Polanski pour vous amuser à ce sujet) ; et ils estiment qu’ils ont le droit de tuer qui ils veulent et quand ils veulent. Jusqu’au moment où les russes et les chinois…Il en est de même des terroristes qui servent des agendas si compliqués maintenant qu’il est difficile de dire pour qui ils œuvrent : mais qui ont gardé le goût de la même supériorité ontologique jadis décrite par Dostoïevski et reprise par Hitchcock dans la Corde, pour justifier leurs massacres. J’ai étudié dans mon livre sur Hitchcock les sources du scénario, qui n’ont rien à voir ni avec le communisme ni avec le fascisme – bien plutôt avec deux lobbies prestigieux.

fd-frka2222.jpgOn reprend donc Raskolnikoff dans ces pages immortelles :

« Les hommes ordinaires ont l’obligation d’observer les lois et n’ont pas le droit de sortir de la légalité et cela parce qu’ils sont ordinaires. Quant aux hommes extraordinaires, ils ont le droit de commettre toutes sortes de crimes et de sortir de la légalité, uniquement parce qu’ils sont extraordinaires. C’est bien ainsi. »

Raskolnikoff poursuit :

« J’ai simplement fait allusion au fait que l’homme extraordinaire a le droit... je veux dire, pas le droit officiel, mais qu’il a le droit de permettre à sa conscience de sauter... certains obstacles et ceci seulement si l’exécution de son idée (qui est peut-être salutaire à toute l’humanité) l’exige. Vous avez dit que mon article n’était pas clair : si vous le voulez, je puis vous l’expliquer dans la mesure du possible. Je ne fais peut-être pas erreur en supposant que c’est bien cela que vous désirez. Voici : à mon avis, si les découvertes de Kepler et de Newton, par suite de certains événements, n’avaient pu être connues de l’humanité que par le sacrifice d’une, de dix, de cent... vies humaines qui auraient empêché cette découverte ou s’y seraient opposées, Newton aurait eu le droit et même le devoir... d’écarter ces dix ou ces cent hommes pour faire connaître ses découvertes à l’humanité. »

Mais ce qui rend Raskolnikoff dangereux, c’est qu’il voyage à travers les siècles et qu’il compare ses pulsions personnelles et criminelles à toutes les cruautés historiques connues :

« Ensuite, je me souviens que j’ai développé, dans mon article, l’idée que tous les... eh bien, les législateurs et les ordonnateurs de l’humanité, par exemple, en commençant par les plus anciens et en continuant avec les Lycurgue, les Solon, les Mahomet, les Napoléon, etc., tous, sans exception, étaient des criminels déjà par le seul fait qu’en donnant une loi nouvelle, ils transgressaient la loi ancienne, venant des ancêtres et considérée comme sacrée par la société. Et, évidemment, ils ne s’arrêtaient pas devant le meurtre si le sang versé (parfois innocent et vaillamment répandu pour l’ancienne loi) pouvait les aider. »

Une grandiose observation :

« Il est remarquable même que la plupart de ces bienfaiteurs et ordonnateurs de l’humanité étaient couverts de sang. »

Le criminel est un génie (n’invente-t-il pas aussi sa réalité, comme disait un certain Karl Rove trop oublié à propos de leur « empire » ?) :

fd-crch.jpg« En un mot, je démontre que non seulement les grands hommes, mais tous ceux qui sortent tant soit peu de l’ornière, tous ceux qui sont capables de dire quelque chose de nouveau, même pas grand-chose, doivent, de par leur nature, être nécessairement plus ou moins des criminels. »

Evidemment comme dans la Corde la difficulté est de savoir qui est inférieur et qui est supérieur (en vérité comme on sait celui qui est supérieur c’est celui qui tue et qu’on n’attrape jamais – et les élites US n’ont toujours pas de souci à se faire de ce côté-là) :

« Quant à ma distinction entre les hommes ordinaires et les hommes extraordinaires, elle est quelque peu arbitraire, je suis d’accord ; mais je ne prétends pas donner des chiffres exacts. Je suis seulement persuadé de l’exactitude de mes assertions. Celles-ci consistent en ceci : les hommes, suivant une loi de la nature, se divisent, en général, en deux catégories : la catégorie inférieure (les ordinaires) pour ainsi dire, la masse qui sert uniquement à engendrer des êtres identiques à eux-mêmes et l’autre catégorie, celle, en somme, des vrais hommes, c’est-à- dire de ceux qui ont le don ou le talent de dire, dans leur milieu, une parole nouvelle. » 

Après Dostoïevski enfonce le clou avec insistance – et on comprend pourquoi les gilets jaunes ou les iraniens ont du mouron à se faire :

« …la première catégorie, c’est-à-dire la masse en général, est constituée par des gens de nature conservatrice, posée, qui vivent dans la soumission et qui aiment à être soumis. A mon avis, ils ont le devoir d’être soumis parce que c’est leur mission et il n’y a rien là d’avilissant pour eux. Dans la seconde catégorie, tous sortent de la légalité, ce sont des destructeurs, ou du moins ils sont enclins à détruire, suivant leurs capacités… »

Il faut soumettre le troupeau et nous mener vers un but, celui de la surclasse, et que Dostoïevski le visionnaire appelle déjà la nouvelle Jérusalem ! Le maître :

« …le troupeau ne leur reconnaît presque jamais ce droit, il les supplicie et les pend et, de ce fait, il remplit sa mission conservatrice, comme il est juste, avec cette réserve que les générations suivantes de ce même troupeau placent les suppliciés sur des piédestaux et leur rendent hommage (plus ou moins). Le premier groupe est maître du présent, le deuxième est maître de l’avenir. Les premiers perpétuent le monde et l’augmentent numériquement ; les seconds le font mouvoir vers un but. Les uns et les autres ont un droit absolument égal à l’existence. En un mot, pour moi, tous ont les mêmes droits et vive la guerre éternelle, jusqu’à la Nouvelle Jérusalem, comme il se doit ! »

Cette « guerre éternelle pour une paix éternelle », expression de Charles Beard, mélange de messianisme assassin et de complexe de supériorité de superhéros est une clé pour comprendre le comportement actuel de ces élites tortueuses. Il n’est pas une ligne de notre désastreux destin moderne (médiocrité du quotidien gris y compris) qui n’ait été écrite par l’impeccable voyant Dostoïevski. Voyez d’ailleurs les dernières pages de crime et châtiment (l’épilogue I) qui décrivent la première guerre mondiale.

Sources

Dostoïevski - Crime et châtiment, livre III, chapitre 5

Nicolas Bonnal – Hitchcock et la condition féminine (Amazon.fr)

mardi, 26 mars 2019

Matthieu Baumier : "si le clivage gauche-droite n’existe plus, c'est qu'il n’existe plus au sein de la pensée libérale-libertaire"

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Matthieu Baumier : "si le clivage gauche-droite n’existe plus, c'est qu'il n’existe plus au sein de la pensée libérale-libertaire"

Ex: https://www.sudradio.fr

Matthieu Baumier, écrivain, critique, essayiste et auteur de Voyage au bout des ruines libérales-libertaires (Éditions Pierre-Guillaume de Roux) était l’invité d’André Bercoff le 6 février 2019 sur Sud Radio.

Pour Matthieu Baumier, écrivain, critique, essayiste et auteur de Voyage au bout des ruines libérales-libertaires (Éditions Pierre-Guillaume de Roux), de nos jours, "tout ce qui serait réellement à gauche ou réellement à droite est repoussé aux extrêmes et considéré comme ne pouvant pas faire partie du jeu politique". Matthieu Baumier était l’invité d’André Bercoff le 6 février 2019 sur Sud Radio dans son rendez-vous du 12h-13h, "Bercoff dans tous ses états".

Les lib-lib, un groupe social aux caractéristiques bien définies

Matthieu Baumier a commencé par expliquer ce qu’est un libéral-libertaire (lib-lib). "J’aime beaucoup la définition que donne Jean-Claude Michéa. Un libéral-libertaire, c’est la conjugaison d’un certain libéralisme économique exacerbé et d’un libéralisme culturel et politique. C’est une religion de l’illimité, l’absence d’autorité, une conception du monde hors sol, sans enracinement", a expliqué Matthieu Baumier.

Il y a néanmoins une différence entre les lib-lib et les bobos. "Le bobo est une personne qui vit dans le monde lib-lib. La différence est que le lib-lib est mondialisé et acteur de cette mondialisation. Le lib-lib est un acteur politique, médiatique, économique ou culturel, tandis que le bobo peut être un citoyen lambda", nous a raconté Matthieu Baumier.

Pour les libéraux-libertaires, tant la gauche que la droite sont des extrêmes

"Il y a le monde réel, dont on ne tient pas compte. Et en lieu et place de ce monde réel est mis en place une image du réel à laquelle on ne peut pas s’opposer. Je crois que ce processus est contre-démocratique. Par exemple, le Président Macron est légitime car il a été élu sur le plan de la démocratie participative. En revanche, le pouvoir politique actuel n’a pas de légitimité parce que la moitié des citoyens français ne sont pas représentés à l’Assemblée nationale", a estimé Matthieu Baumier.

"Nous avons tendance à considérer que le clivage droite-gauche n’existe plus. S’il n’existe plus, il n’existe plus au sein de la pensée libérale-libertaire. Tout ce qui serait réellement à gauche ou réellement à droite est repoussé aux extrêmes et considéré comme ne pouvant pas faire partie du jeu politique. C’est de ce biais que naît la contre-démocratie dans laquelle nous sommes", a poursuivi Matthieu Baumier.

Cliquez ici pour écouter l’invité d’André Bercoff dans son intégralité en podcast.

Retrouvez André Bercoff et ses invités du lundi au vendredi sur Sud Radio, à partir de midi.

Toutes les fréquences de Sud Radio sont ici !

lundi, 25 mars 2019

Le syndrome de Gulliver – Dans les marges de L’effondrement des puissances de Leopold Kohr

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Le syndrome de Gulliver – Dans les marges de L’effondrement des puissances de Leopold Kohr

Le syndrome de Gulliver

 (« Sky is the limit », Emmanuel Macron)

  • Le devenir-monde est un phénomène inflationniste qui porte en lui les germes de sa destruction. Si du jour au lendemain la critique exigeante changeait d’échelle, si elle bénéficiait de la même couverture médiatique que la nullité quotidiennement servie sur les différents supports de l’abêtissement national, elle s’effondrerait aussitôt. Il y a là une contradiction fondamentale qui n’est jamais pensée car nous oublions de considérer sérieusement les effets de la taille. Les conséquences de l’oubli de la taille, c’est la thèse de Leopold Kohr dans L’effondrement des puissances.  La critique se doit de travailler petit. Echappant aux phénomènes d’accroissement, elle se déplace à une échelle d’invisibilité qui la rend inaccessible aux géants broyeurs d’intelligence. Si elle rencontre un lecteur, sous les radars, cette rencontre sera fatale. C’est bien cette fatalité déflationniste qui hante aujourd’hui le pouvoir, la démultiplication incontrôlable d’une contestation qui se miniaturise pour finir par fragiliser un édifice imprenable par tout moyen d’accumulation quantitative.

 

  • lk-effpui.gifUne chaîne d’information en continu, afin de tenir l’antenne pendant des heures, doit créer de nouvelles formes de discours, inventer des méthodes de remplissage contraires à toute logique proportionnelle, pour reprendre le concept essentiel de Leopold Kohr. Nous appelons encore aujourd’hui information ou journalisme des discours et des pratiques récemment apparus à partir d’un certain seuil critique. Au-delà de ce seuil s’opère une réversion. L’information de masse, diffusée en continu, en direct, ce babille incontinent de discours incapables de faire retour sur eux-mêmes, de s’entendre, se transforme en désinformation de masse. Le journalisme, sommé de capter tous les bruits du monde, de faire droit aux moindres insignifiances, de tout accueillir pour ne rien rater, de se brancher sur tous les flux, s’effondre sous les données qu’il amasse aléatoirement. Toujours grossir, tel est l’adage de la modernité tardive. Augmenter sa taille, accroître sa diffusion, saturer les écrans, envahir les étals. Jusqu’au collapse. A une certaine échelle de taille, plus rien n’est possible. Il en va de même pour le discours critique qui a besoin, pour se déployer, d’être protégé de l’inflation, de se tenir en-deçà de toute masse critique, de créer son propre écosystème.

 

  • Le discours du pouvoir que l’on entend partout, dont la production se confond avec la prolifération de matraquages publicitaires, y compris pour faire accepter une réforme scolaire, sombre fatalement dans l’insignifiance. Il devient inaudible. Pour se maintenir, il doit dès lors nourrir un métabolisme promotionnel qui n’a plus de comptes à rendre à ses détracteurs. C’est alors qu’il bascule dans tous les abus. Ne pouvant plus être entendu, il transforme cette incapacité en une logique d’écrasement quantitative. Il fait de la masse le critère indiscutable de son impunité. En gagnant le nombre, il perd la raison et justifie l’annihilation de ses détracteurs sur la seule manipulation des chiffres. « Cela arrive, explique Leopold Kohr dans L’effondrement des puissances, à chaque fois que ce pouvoir persuade son possesseur qu’il ne peut être remis en cause par aucune des autres accumulations de pouvoir plus grandes que celle qu’il possède lui-même. »

 

  • A partir d’un certain seuil d’accumulation du capital, économique, culturel, symbolique, les individus estiment qu’ils n’ont plus de compte à rendre à ceux, les plus petits qu’eux, qui ne pourront jamais les menacer réellement. Ils deviennent des brutes et cela quelle que soit leur culture, leur niveau d’éducation. L’information de masse accompagne logiquement cette effrayante dérive, y compris quand elle se fantasme réinformation de masse, car elle est ce pouvoir d’écraser quantitativement toutes les pensées insaisissables sur ce seul critère, de les nier sans autre procès que le poids relatif des uns et des autres. Plus besoin de réfuter, il suffit de saturer le temps d’antenne, de répéter mille fois les mêmes formules, de faire tourner en boucle les mêmes images, de dresser les hommes à la répétition.

 

  • lk-break.jpgLeopold Kohr cite Jonathan Swift : « on observe que plus les créatures humaines sont corpulentes, plus elles sont sauvages et cruelles en proportion. » Cette corpulence doit être comprise comme la métaphore d’une disproportion qui s’accroit avec l’accumulation tératologique des capitaux des uns, de la misère économique, culturelle et symbolique des autres. Cette tendance s’accompagne d’un retrait progressif de la contestation. En face d’une force sans partage, dont on sait qu’elle nous écrasera plutôt que de se limiter en reconnaissant sa limite, « la force du désaccord humain, de l’esprit critique, montre une tendance proportionnelle à décroitre tout aussi naturellement » remarque Leopold Kohr. Il attribue cette tendance, cette sensibilité décroissante, à une sorte d’instinct, à l’intérêt pour notre propre survie. Cet intérêt s’accompagne « d’un engourdissement moral adapté aux situations ». Paradoxalement, au-lieu de se révolter contre l’accumulation d’injustices, impuissant à agir face à un géant qui le piétine, « l’être humain ordinaire, ajoute Leopold Kohr, est plutôt enclin à perdre le peu de conscience qui lui restait quand les victimes n’étaient pas encore trop nombreuses. » Cette structure défensive transforme l’être humain ordinaire en un simple spectateur de ce qui lui arrive. Il contemple la démesure, sidéré, préférant renoncer à l’esprit critique plutôt que d’éprouver dans sa chair la réalité de son impuissance.

 

  • Il en va d’une véritable rééducation. Décroître, accepter le caractère limité d’une critique, formulée dans une langue et un style singulier. Accepter de renoncer à un plus grand pouvoir de diffusion, ne pas outrepasser un seuil irréversible à partir duquel la qualité s’effondre fatalement devant la quantité. Personne n’est à l’abri de cette tentation, celle d’être plus, d’accumuler plus de pouvoir, plus de visibilité, y compris fantasmatique, d’augmenter son poids. « Ton discours ne pèse pas assez », ainsi parle le malade de la quantité, ce fou qui croit rivaliser sur le terrain de la masse et sur les rives de Brobdingnag avec les géants de Swift.

La petitesse des talents invisibles contre le gigantisme écrasant des sans-idées.

….

Léopold Kohr, L’effondrement des puissances, R§N Editions, 2018 ( 1957, 1er édition).

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Lucien Cerise: Manuel de combat pour la guerre cognitive totale

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Lucien Cerise: Manuel de combat pour la guerre cognitive totale

par Iure Rosca

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com 

Préface à la traduction en roumain de « Neuro-Pirates – Réflexions sur l’ingénierie sociale », de Lucien Cerise.
Ce livre de Lucien Cerise est le premier de cet auteur traduit en roumain. Il succède aux autres ouvrages édités par l’Université Populaire et signés par nos amis français, que j’ai le plaisir de rappeler ici : Jean Parvulesco « Vladimir Poutine et l’Eurasie » ; Hervé Juvin « Le Mur de l’Ouest n’est pas tombé » ; Jean-Michel Vernochet « La guerre civile froide : La théogonie républicaine de Robespierre à Macron » ; Ivan Blot « L’Europe colonisée » ; Valérie Bugault & Jean Rémi « Du Nouvel Esprit des Lois et de la Monnaie » ; Youssef Hindi « La Mystique de la Laïcité. Généalogie de la religion républicaine de Junius Frey à Vincent Peillon » ; Hervé Juvin « Le gouvernement du désir ».

Ces livres ont été publiés en l’espace d’un an. Ils appartiennent au même courant d’opinion antimondialiste et manifestent des approches similaires face aux grands défis de notre époque. Tous ces auteurs français font partie de ce qu’on appelle depuis quelques années la nouvelle dissidence occidentale qui a émergé dans le monde de l’après-guerre froide.
 
L’émergence de ces travaux fondamentaux est d’une urgence extrême non seulement pour la France, mais aussi pour l’espace roumanophone car nous sommes également touchés par les effets néfastes d’un Occident globalisé, destructeur et même génocidaire. La capacité à pénétrer l’essence d’un système pervers, extrêmement complexe et multiforme, associé, non sans raison, avec l’empire mondial américain et son extension régionale, l’Union Européenne, est totalement censurée par l’oligarchie mondialiste, qui parvient à imposer un contrôle quasi total de la perception de la réalité.

Dans cette perspective, le livre de notre ami Lucien Cerise fait partie des outils de combat de la guerre cognitive, culturelle, idéologique, identitaire et psychologique en cours, qui englobe tous les peuples du monde sans exception. En ce sens, l’avertissement de Lucien Cerise – « La Patrie est en danger ! Toutes les Patries sont en danger ! » – est pleinement justifié et définit aussi clairement que possible l’abîme où toute l’humanité risque de s’effondrer si nous n’agissons pas.

LC-oli.jpgComme toute guerre, celle dans laquelle nous sommes engagés sans réserve nécessite une mobilisation totale. Et comme toujours dans l’histoire, les porteurs de vérité sont peu nombreux. Ils assument le rôle d’avant-garde sur le front intellectuel, portant la responsabilité morale d’une élite authentique pour guider leur nation vers l’objectif consistant à se libérer du joug de ce nouveau type d’impérialisme extraterritorial. Lucien Cerise défie fermement toutes les limitations imposées par la dictature du politiquement correct. Il parvient à détruire jusque dans les moindres détails le fonctionnement du Système dans ses dimensions géopolitique, militaire, économique, culturelle, éducative et médiatique. L’enjeu de cette guerre totale est sans précédent dans l’histoire de l’humanité puisqu’il s’agit, ni plus ni moins, de sauver l’espèce humaine de son extinction.

Les efforts de certains chercheurs comme Lucien Cerise méritent d’être appréciés non seulement pour leur érudition exceptionnelle, qui transcende toute approche sectorielle, partielle ou incomplète. Rassembler le puzzle d’une réalité aussi complexe et protéiforme, qui tente de masquer sa véritable essence sous une infinie variété de masques honorables, n’est possible que pour quelqu’un qui comprend que seul le dépassement des spécialités professionnelles et l’étude de tous les domaines de la vie humaine sont à même de leur offrir une image à peu près complète du monde. Son mérite est avant tout d’assumer la vocation de combattant qui connaît très bien son ennemi et sait à quel point il est puissant, perfide et dangereux.

Une des tâches de premier ordre assumée par l’auteur est donc de définir l’ennemi. Vous ne pouvez vaincre que si vous savez que le principe « Connais ton ennemi » est à la base de toute victoire. Qui sont les neuro-pirates, qui essayent de pirater notre capacité de réflexion, quels sont leurs enjeux, et comment les repousser ? Telle est la tâche de ce travail. Comment gérer les perceptions et le comportement, comment appliquer des techniques d’ingénierie sociale négative, quels sont les moyens de briser par effraction nos codes culturels, comment sont dissous nos traditions, l’identité, les frontières morales et les attachements naturels à la patrie et à notre prochain, tout cela est décodé de manière pertinente par Lucien Cerise. Mais pour renforcer, ou peut-être même retrouver, la capacité d’assimiler ces vérités bouleversantes, l’auteur nous invite à un premier acte de volonté minimum, consistant à sortir de la portée de l’arme de destruction massive qu’est la télévision.


Comme nous sommes dans une guerre culturelle, il faut veiller à notre hygiène mentale. À ce niveau, la priorité absolue, qui ne coûte rien, au contraire, consiste à se séparer définitivement de la télévision, qui reste le principal outil de management de perceptions du Pouvoir. Pour ma part, je n’ai plus de télé depuis des années, ça change la vie, car vous n’êtes plus sous l’influence virtualisante des images qui vous dépossèdent de votre propre vie mentale. Sans télé, vous récupérez votre souveraineté cognitive, vous gagnez en ”réalisme”, en capacité à voir les choses comme elles sont, et pas comme on vous dit de les voir.

Ayant pour ma part cessé de regarder la télévision, j’ai eu le plaisir de découvrir, parmi les amis de différents pays que j’ai acquis au cours des dernières années, des personnalités tout aussi hostiles que moi au téléviseur. C’est pourquoi mon ami français, Lucien Cerise, m’est cher notamment pour avoir rejeté la télévision qui détruit la capacité intellectuelle, anéantit l’esprit critique et liquéfie toute possibilité d’exercice intellectuel autonome et pertinent. J’insiste sur le besoin urgent de briser la fascination et la séduction exercées par les instruments de contrôle mental audiovisuel, car sans prendre nos distances face à ce tsunami cognitif, nous ne pouvons pas vraiment vaincre la condition « d’esclave heureux » (Ovidiu Hurduzeu). Heureux, car il ne réalise pas sa condition d’esclave. La suggestion de l’auteur est tout à fait valable pour les consommateurs de médias moldaves, en particulier pour ceux qui ont l’illusion que si vous regardez une chaîne de télévision opposée au gouvernement, vous obtenez des informations alternatives. Illusions ! Nous ne pouvons l’obtenir que par des sources « dissidentes », sur internet ou, peut-être tout d’abord, dans des livres qui vont au-delà des approches spécialisées.

Tous les efforts des intellectuels de marque, que j’ai découverts au cours des dernières années et dont je recommande les ouvrages aux lecteurs de langue roumaine, visent à clarifier les conditions de la gouvernance par le chaos, pour utiliser une expression pertinente de Lucien Cerise. Dans l’espace ex-communiste, même si nous avons finalement échappé à la dictature cognitive du régime, nous sommes, d’une certaine manière, désavantagés par rapport aux Européens qui vivaient de l’autre côté du « rideau de fer ». Nous avons naïvement pensé que le nouveau régime capitaliste, qui s’est étendu à notre espace, nous apporterait liberté, justice et dignité, tant personnelles que nationales. Mais après trois décennies de capitalisme, nous sommes tombés dans un désastre économique, politique, culturel et avant tout axiologique, bien pire que celui que nous avons connu sous les soviets. L’inertie de la pensée, le confort intellectuel et le manque de perspective empêchent encore beaucoup d’entre nous de réaliser l’ampleur de la catastrophe qui nous frappe. Nous vivons encore avec l’illusion que, pour éliminer un gouvernement corrompu et incompétent, il suffira de voter ou d’organiser des manifestations de masse et que tout sera résolu. Et ce genre de naïveté est un piège extrêmement dangereux.

L’eurolâtrie est encore en pleine vogue dans notre pays. Le message promu par le « nouveau clergé » (experts, analystes, journalistes, politiciens et autres idiots utiles du Système) à propos d’un Occident prospère, d’une Union Européenne vue comme une station terminale de notre succès, d’une démocratie libérale et d’une économie de marché au fonctionnement impeccable à l’Ouest, a des effets dévastateurs. Nous errons dans un faux système de référence et attendons notre salut terrestre en nous référant aux paramètres qu’il impose.

Le livre Neuro-pirates présente également une autre vertu qui peut être d’une grande utilité pour les théoriciens du phénomène identitaire en République de Moldavie. L’auteur analyse soigneusement le concept et la pratique de ce qu’on appelle le conflit triangulé (ou triangulaire), c’est-à-dire la technique d’instrumentalisation d’animosités inconciliables entre divers groupes sociaux présentant des différences identitaires mineures, afin de prendre le contrôle des deux camps belligérants. Le principe du conflit triangulé consiste en la collision des deux angles à la base du triangle, mais avec la préservation obligatoire du caractère anonyme et furtif de l’angle supérieur, qui est à la fois l’instigateur véritable et le bénéficiaire de ce conflit. En d’autres termes, les deux camps sont utilisés à l’aveugle, dans un conflit épuisant et stérile, permettant au sommet supérieur du triangle d’appliquer l’ancien principe impérial « Diviser pour mieux régner ». L’auteur écrit : « Cette ‘division du bas’ s’appuie notamment sur ce que René Girard a repéré sous le terme de ‘rivalité mimétique’ ou ‘capture imaginaire’ dans le vocabulaire de Jacques Lacan. Il s’agit du processus de montée aux extrêmes et de crescendo de violence qui saisit deux acteurs engagés dans un rapport de forces, mécanisme de vengeance et de vendetta parfaitement résumé dans la loi du Talion : ‘Œil pour œil, dent pour dent’. »

LC-maidan.jpgDans notre cas, cela évoque l’exacerbation maladive des obsessions et des traumatismes des communautés roumanophone et russophone en nourrissant des représentations catastrophiques sur certaines périodes historiques. L’une des parties du conflit occupe la place de la victime, et l’autre partie a le rôle de bourreau, chacune des parties ayant sur sa propre identité une perception narcissique en symétrie inversée dans une structure duelle où les rôles bourreau-victime sont interchangeables. Ainsi, le sentiment de frustration suscité par une injustice réelle ou imaginaire se transforme en une soif de vengeance par annihilation du groupe bourreau, associé au mal absolu. Ce procédé d’ingénierie sociale négative connaît un succès majeur en République de Moldavie en raison de la rivalité d’influence entre la Russie et la Roumanie sur notre territoire, historiquement explicable, mais contre-productive et exploitée avec perversité à l’heure actuelle. Par conséquence, les russophiles qui sont obligatoirement roumanophobes se confrontent avec les roumanophiles qui sont par définition russophobes, les moldovenistes sont en guerre avec les unionistes identitaires, et cela dure depuis des décennies. Et les efforts d’éclaircissements sur le caractère stérile de cette guerre d’identité sans fin sont rejetés avec agressivité et dans l’opacité totale. Qui profite de cette bataille absurde de deux camps également perdants ? Il existe deux niveaux d’acteurs gagnants qui restent plus ou moins dissimulés.

Le premier groupe d’acteurs gagnants de ce conflit triangulé est le plus facile à repérer. Ce sont les politiciens locaux qui partagent aisément l’une des deux niches électorales : la niche des soutiens de la Russie, qui sont automatiquement des adversaires de la Roumanie, et vice versa. Cet état de fait ouvre un champ de manœuvres très large aux manipulateurs. Avec ces tireurs de ficelles locaux, les choses sont claires.

Mais identifier les tireurs des ficelles externes, qui sont les grands profiteurs de ce jeu sordide, est beaucoup plus difficile pour le moment. Ce sont précisément ceux-là qui se tiennent dans le coin supérieur du conflit triangulé, en restant loin des yeux du grand public. Ce sont les centres de pouvoir occidentaux, qui ont tracé le chemin à sens unique qui mène à notre ruine. Nous pouvons appeler cela oligarchie planétaire, corporatocratie, élite mondiale, la mafia des banquiers ou Grand Capital, mais tous ces noms peuvent paraître abstraits et, en outre – horribile dictu ! – être associés avec la « théorie du complot ». Or, nous sommes des gens civilisés et ne croyons pas à l’existence de ce genre des choses. Nous allons donc mentionner les noms des outils institutionnels de cette entité apparemment nébuleuse : l’Union Européenne, les USA, l’OTAN, le FMI, la Banque mondiale, l’Organisation Mondiale du Commerce, le Conseil de l’Europe, la malsaine mafia internationale du « réseau Soros », etc.

Ce sont précisément ces centres de pouvoir qui ont imposé le modèle suivi avec docilité par les sociétés post-communistes. Leurs dogmes sont gardés avec soin, car leur application aux nations captives leur permet une domination sans entrave. Résumons les dogmes du nouveau catéchisme idéologique : économie ultralibérale, soit libre circulation des capitaux, des biens, des services, des personnes et du travail, donc libre-échange sans frontières et sans limites, c’est-à-dire annihilation de la capacité de l’État à se protéger face aux géants économiques étrangers, maintien de la Banque nationale sous contrôle externe (sous prétexte d’être une entité indépendante des autorités politiques nationales), inoculation du féminisme dans les structures politiques et étatiques, « théorie du genre » qui affirme que le sexe n’est qu’une construction sociale artificielle, donc optionnelle, tolérance à l’égard des soi-disant « minorités sexuelles » et du LGBT, planification familiale et stimulation de l’avortement, en fait, un génocide planifié pour réduire la population, etc.

Conclusion : tant que les acteurs politiques nationaux resteront concentrés aveuglément sur les jeux de pouvoir et captifs d’un système de références imposé de l’extérieur comme une norme absolue et indiscutable, alors les prestidigitateurs invisibles au sommet du triangle peuvent être certains que le principe « Diviser pour mieux régner » fonctionnera parfaitement et que la colonie moldave ne déviera pas du chemin qui la mène à l’abattoir.

Or, notre émancipation nationale ne pourra commencer qu’avec l’abandon des anciens et stupides clivages politiques et idéologiques, quand les combattants de cette guerre fratricide se réconcilieront en levant les yeux vers le sommet de la pyramide, surmontant ainsi le conflit triangulé. Réorienter le conflit d’horizontal à vertical, de la base vers le haut, marquera le début de notre chemin vers la conquête de la vraie souveraineté. Gardons à l’esprit que notre souveraineté politique est conditionnée par la souveraineté économique, mais que l’une et l’autre doivent nécessairement être précédées par le rétablissement de la souveraineté cognitive, c’est-à-dire la capacité de raisonner de manière indépendante et en harmonie avec la réalité, et non avec ses simulacres. Les lecteurs qui souhaitent approfondir la compréhension de cette thématique se reporteront au chapitre V de la première partie du livre, intitulé Ingénierie sociale du conflit identitaire, dont voici un extrait pour illustrer notre argumentation : « À l’opposé, l’ingénierie sociale négative consiste à produire de la violence, ou au moins du séparatisme, de l’envie de se séparer. Comment ? Dans un premier temps, en s’appuyant sur ce que Freud a appelé les ‘petites différences narcissiques’ pour les exacerber au maximum et les rendre insupportables. Aucune société n’étant parfaitement homogène, il suffira de repérer les éléments hétérogènes pour les stimuler, les cultiver, les amplifier, les grossir. Rompre la coexistence pacifique de gens qui se ressemblent, mais pas totalement, en soulignant leurs petites différences afin d’aboutir à la constitution de camps tranchés, opposés et irréconciliables. »

Schématiquement, lorsque deux acteurs sociaux se battent, il en existe un troisième, qui tire profit de cette confrontation qu’il a lui-même provoquée. Tel est le véritable enjeu du conflit identitaire qui a été induit artificiellement dans notre espace roumanophone.

Lorsque Lucien Cerise affirme fermement que son pays, la France, pour s’affranchir du statut de colonie, doit immédiatement sortir de l’Union Européenne, de la zone euro, de l’espace Schengen, de l’OTAN et de l’Organisation mondiale du commerce, afin de rétablir ses frontières en appliquant un protectionnisme économique sévère, un grand nombre de lecteurs pourraient subir un véritable choc. Et si oui, alors j’aimerais que ce livre soit considéré comme un traitement du type « thérapie de choc », si nécessaire à nos sociétés tellement déboussolées et intellectuellement colonisées. La fin des tabous sur ces sujets est le moyen le plus direct de retrouver notre santé mentale. Notre dé-provincialisation dépend de notre ouverture sur le monde, d’une capacité d’analyse supérieure, qui devrait dépasser celle des individus qui constitue la faune politique et leurs mercenaires des médias.

Il y a trois décennies, nous espérions nous débarrasser du communisme, perçu comme une malédiction historique. Il est temps aujourd’hui de s’engager activement dans la grande bataille contre le mondialisme. Dès que nous aurons assimilé la vérité soulignée par notre auteur selon laquelle le mondialisme, et non les gouvernements successifs, est la cause première de tous nos malheurs, nous ressentirons également le besoin urgent de faire partie de ce front planétaire de la nouvelle vague de décolonisation des peuples. La ruine économique que nous subissons, le chômage, l’exode massif de la population, le désastre démographique, la corruption, la dépravation morale et l’incapacité de l’État à résoudre les problèmes sociaux les plus élémentaires n’ont pas de causes majeures autres que celles décrites avec brio par Lucien Cerise.

L’auteur souligne que la principale cause de tous les maux est le capitalisme. Le lecteur pourrait se demander avec inquiétude : « Comment ? Allons-nous revenir au communisme ? » Non. Lucien Cerise explique à juste titre que les anciens systèmes politiques et idéologiques qui dominaient le XXème siècle n’ont aucun avenir. Ni le communisme, ni le nazisme ou le fascisme, ni même le capitalisme. C’est la clé ! Lucien Cerise propose une approche non idéologique, réaliste et de bon sens. Toute organisation sociale qui possède au moins une valeur supérieure à l’argent est meilleure que le capitalisme, dit-il. En effet, n’est-ce pas cet état de fait qui nous exaspère le plus ? N’est-il pas vrai que l’argent fait la loi dans tous les secteurs de la société ? Et quand nous nous révoltons contre les oligarques qui ont émergé après la chute du communisme, nous devons comprendre que les gangsters qui ont accumulé une richesse astronomique à Chișinău ou à Bucarest ne sont qu’une pâle émanation de l’oligarchie financière mondiale.

Penser globalement et agir localement, voici un autre principe précieux souligné par Lucien Cerise. La vraie reconquête de la souveraineté nationale, ou renationalisation de tous les pays ne peut advenir que par un nationalisme authentique, qu’il appelle « nationalisme permaculturel ». Je ne développerai pas ce concept inspiré de l’écologie, vous le trouverez dans le livre. Je tiens simplement à mentionner que j’ai eu l’agréable surprise de trouver des idées dans cet ouvrage que j’avais également soutenues ces dernières années pour la République de Moldavie. Ce genre de nationalisme n’a rien à voir avec l’exclusivisme ethnique. C’est un nationalisme qui ne sépare pas mais qui solidarise autour d’un projet concret consistant à « prendre soin » de la nation. Nous parlons essentiellement de nationalisme économique et de protection de notre peuple contre l’ouverture excessive, qui met toujours en péril les communautés à moyen et à long terme.

L’un des mérites incontestables de ce livre est que l’auteur ne s’arrête pas à la critique de la situation actuelle. Il offre des solutions pratiques pour engager le combat. Comme je l’ai dit, c’est une bataille d’idées, qui peut être pratiquée par tout le monde. Le terme utilisé par la nouvelle dissidence française est la réinformation. Autrement dit, chacun de nous peut contribuer à la désintoxication de son entourage et à l’amélioration intellectuelle de son environnement humain en démasquant les procédés de manipulation de masse. Comment ? En communiquant directement avec nos familles, amis et collègues, en utilisant les réseaux sociaux, en diffusant des informations concernant les sites, les textes et les vidéos qui rétablissent la vérité, en lisant et en popularisant des livres comme celui-ci.

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Je termine par une citation de Lucien Cerise, qui honorerait tout combattant, tout patriote, quels que soient le lieu et le moment historique où ces paroles sont prononcées : « Notre ennemi doit le savoir : nous allons nous battre. Cela tombe bien car nous aimons nous battre, nous adorons ça, nous n’aimons que ça, c’est le sens de notre vie, nous n’arrêterons donc jamais car la paix nous ennuie. Le combat, le polemos, c’est la vie, comme disait Héraclite. C’est dans le combat que nous nous sentons vivre et que nous sommes heureux. La perspective de l’affrontement nous remplis de bonheur, nous commençons à sourire, et nos yeux brillent quand l’heure de la bataille approche. Et nous ne sommes jamais fatigués, jamais découragés, et nous revenons toujours à l’assaut car la victoire n’est même pas le but, car nous aimons le combat pour le combat et qu’il est en lui-même la récompense. C’est ainsi que ceux qui aiment la vie en tant qu’elle est combat deviennent invincibles et ne peuvent que gagner. Car la victoire, c’est de se battre. »

J’ai trouvé dans ces lignes le même optimisme, le même courage, le même enthousiasme vigoureux que chez Radu Gyr, cet exceptionnel poète roumain, ancien prisonnier politique sous le régime communiste pendant 21 ans. Les deux écrivains procèdent différemment, l’un avec les moyens de la science, l’autre avec ceux de la poésie, mais ils convergent dans le même esprit et la même manière de comprendre les significations supérieures de la vie.

Iurie Roșca

Source

Sur l'effondrement qui vient...

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Sur l'effondrement qui vient...
par Eric Werner
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Werner, cueilli sur le site d'Antipresse et consacré à la crise climatique et à l'effondrement sur lequel elle doit déboucher.

Penseur subtil et profond, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais marquants comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) L'après-démocratie (L'Age d'Homme, 2001), Douze voyants (Xénia, 2010), De l'extermination (Xénia, 2013) ou Le temps d'Antigone (Xénia, 2015) et de recueils de courtes chroniques comme Ne vous approchez pas des fenêtres (Xénia, 2008) et Le début de la fin et autres causeries crépusculaires (Xénia, 2012). Il vient de publier dernièrement Un air de guerre (Xénia, 2017).

Sur l'effondrement qui vient

La crise climatique inquiète, et à juste titre. Car elle est bien réelle. On ne peut plus aujourd’hui dire, comme l’ont longtemps fait (et continuent d’ailleurs encore à le faire) certains (ceux qu’on appelle les «climatosceptiques»), qu’elle n’existe pas. Oui bien sûr qu’elle existe. En sous-estimer la gravité est même d’une particulière stupidité.

D’un autre côté aussi, chacun voit bien que la crise climatique n’est pas catastrophique pour tout le monde. Il en est de la crise climatique comme d’autres menaces aujourd’hui considérées comme existentielles: le terrorisme, par exemple. Le terrorisme est effectivement une menace très grave pour nos sociétés, mais qui ne voit en même temps tout le bénéfice qu’en retirent certains, ne serait-ce qu’au travers de la prétendue lutte contre le terrorisme. Je dis prétendue, car, justement, je ne pense pas qu’ils n’aient jamais songé sérieusement à le combattre. Il leur est d’une bien trop grande utilité. Les deux choses sont vraies: et que le terrorisme est une vraie menace pour nos sociétés, et que cette menace est très largement instrumentée à des fins n’ayant, en règle générale, rien à voir avoir avec la lutte contre le terrorisme (l’instauration de l’État total, entre autres). Logiquement parlant, c’est tout à fait compatible.

Il en va de même (je cite en vrac) de la pédophilie, des violences faites aux femmes, des excès de vitesse sur route, des fake news, etc. Il est à la fois vrai que toutes ces choses très tristes existent, et en même temps, quelque part, que si elles n’existaient pas il faudrait les inventer: tant il est évident que l’indignation vertueuse qu’elles suscitent, indignation dont il ne viendrait, bien sûr, à personne l’idée de suspecter l’absolue et totale sincérité, n’est pas perdue pour tout le monde. Pascal Vandenberghe soulignait dans une récente chronique de l’Antipresse [1] la grande actualité, à notre époque, du Tartuffe de Molière et du réquisitoire contre les faux dévots. Si vous voulez instaurer l’État total, vous ne pouvez évidemment pas vous dispenser de prendre des airs de faux dévot, c’est assez évident.

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Revenons-en à la crise climatique. Les spécialistes s’accordent en règle générale à dire qu’une hausse de plus de 2 degrés de la température moyenne de la planète par rapport à ce qu’elle était à l’ère préindustrielle serait dangereuse pour la civilisation, en ce qu’elle déclencherait des phénomènes qui très vite deviendraient irréversibles: un certain nombre de phénomènes en boucle en particulier (la hausse de température se nourrissant d’elle-même: à travers la fonte des glaces polaires, du permafrost, etc.). À terme, c’est l’existence même de l’homme sur terre qui serait menacée. C’est là la réalité. En même temps tout le monde sait bien que cette limite de 2 degrés ne sera pas respectée. On ira bien au-delà. La perspective de 3 ou 4 degrés est en règle générale considérée comme réaliste, mais certains, plus pessimistes encore, vont jusqu’à dire que le réchauffement climatique pourrait atteindre 5 à 6 degrés, voire 7 à 8 [2]. Une récente étude a même évoqué une augmentation de température de 16 degrés [3] !

On objectera ici les engagements récents pris à conférence de Paris, engagements aux termes desquels les États ont promis de prendre un certain nombre de mesures pour diminuer leurs émissions de CO2. Mais, d’une part, les spécialistes considèrent que ces mesures en elles-mêmes sont insuffisantes (même si elles étaient prises, on n’échapperait pas à une hausse de 2,7 à 3,7 degrés [4], et d’autre part, tout porte à croire que les engagements en question ne seront pas tenus. Ils ne le seront pas, tout simplement parce que personne n’est vraiment décidé à s’engager dans cette direction, autrement dit à sacrifier ses propres intérêts à court terme à ceux de l’humanité à moyen ou long terme, ce qu’exigerait pourtant une telle démarche. Ni les dirigeants, ni leurs assujettis volontaires n’y sont mentalement prêts. Tout, en eux, y renâcle.

Ce qu’en un sens, on peut comprendre. L’être humain est ainsi fait qu’il vit au jour le jour. Qui vivra verra. Il peut, il est vrai, par la raison, se projeter dans le moyen ou long terme. Beaucoup le font. De là à adapter leur comportement à ce que la raison leur dicte de faire, il y a loin. Quelques rares individualités y parviennent, mais elles sont l’exception. La raison est par elle-même incapable d’éduquer à la raison. L’éducation se fait par les circonstances, le plus souvent les épreuves. Et même pas toujours. Elles échouent parfois à le faire. On dit et répète volontiers que pour échapper aux catastrophes qui nous guettent, nous devrions apprendre à «vivre autrement»: par exemple moins ou mieux consommer. Mais qui est réellement prêt à le faire? A aller jusqu’au bout de cette démarche?

Alors même que le gouvernement suisse a promis à la COP 21 de réduire ses émissions de CO2 de 50 % pour 2030, il n’hésite pas à inscrire à son agenda le doublement, à certains endroits, des autoroutes aujourd’hui existantes, car celles-ci ne parviennent plus, paraît-il, à absorber un trafic en constante augmentation. Il convient donc d’en construire de nouvelles. Les promesses, comme toujours, n’engagent que ceux qui y croient.

Tout porte donc à penser que l’humanité continuera sur sa lancée actuelle, celle conforme au paradigme de la croissance indéfinie, produire toujours plus pour consommer toujours plus, et donc que les émissions mortifères de CO2 non seulement ne diminueront pas mais continueront inexorablement à augmenter à l’avenir, peut-être pas au même rythme exactement qu’aujourd’hui, mais suffisamment quand même pour que la limite officiellement considérée comme ne devant pas être dépassée sans risque grave, celle des 2 degrés, soit très largement dépassée, avec toutes les conséquences que cela implique (conséquences qui sont maintenant bien documentées: personne, encore une fois, ne peut nourrir le moindre doute à ce sujet. Le terme d’effondrement se justifie ici pleinement).

Je ne peux évidemment pas prouver ce que je vais dire ici. Mais il me semble que les responsables le savent eux aussi très bien. Ils font simplement semblant de ne pas le savoir. Ils savent très bien qu’au train où vont aujourd’hui les choses, nos sociétés sont promises à une mort prochaine. Mais ils ne peuvent évidemment pas le dire ouvertement. Ni bien sûr non plus admettre leur propre responsabilité en la matière. Ils se donnent donc des airs de faux dévots, ceux leur assurant une certaine légitimité écologique: voyez, nous aurons fait notre possible, si nous échouons, ce ne sera pas faute d’avoir essayé, etc. Ils n’auront naturellement rien fait, mais c’est ce que croiront les gens. Au passage, ils en profiteront pour étendre un peu plus encore les prérogatives de Big Brother. De nouvelles réglementations verront le jour, avec à la clé la création de nouveaux postes administratifs. Et bien sûr de nouveaux impôts. L’écologie comme accélérateur social.

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Pas plus que les lois antiterroristes n’ont réellement pour but de combattre le terrorisme, les lois dites climatiques n’ont réellement pour objet de combattre le réchauffement climatique. Elles sont à elles-mêmes leur propre fin.

Nous poursuivrons notre réflexion dans une prochaine chronique, en nous plaçant cette fois au plan pratique. Que faire ? Comment nous orienter ?

Eric Werner (Antipresse n°172, 17 mars 2019)

NOTES

1 - «Molière, illustre “doctus imitator”», No. 170 du 3.3.2019.

 

2 - Clive Hamilton, Requiem pour l’espèce humaine, Les Presses de Science Po, 2013, p. 217.

 

3 - Cité in Derrick Jensen, Introduction à Écologie en résistance, vol. 1 (recueil collectif), Éditions Libre, 2018, p. 14.

 

4 - Cité in Le Courrier (Genève), 31 octobre 2018, p. 9.