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jeudi, 29 décembre 2022

Souveraineté espagnole et avenir géopolitique

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Souveraineté espagnole et avenir géopolitique

Carlos X. Blanco

Source: https://decadenciadeeuropa.blogspot.com/2022/12/soberania-espanola-y-futuro-geopolitico.html

Ceux d'entre nous qui vivent en Occident sont comme des prisonniers avec un bandeau sur les yeux. Bien que nous ayons les coudées franches pour nous débarrasser de ce voile, le peuple n'a même plus envie de faire ce geste libérateur. Pour compléter le tableau, nous, les habitants de cette partie du monde, sommes tranquillement couchés sur un baril de poudre en attendant que quelqu'un allume la mèche. Une puissance non-européenne, la puissance nord-américaine, semble l'avoir déjà allumée. Le problème est que nous n'avons pas réellement de poudre à canon ou d'autres substances combustibles conventionnelles sous nos sièges, ce qui serait déjà à craindre. Nous parlons d'armes nucléaires.

Pourquoi sommes-nous, Européens et Espagnols, les coupables ? Les pays qui ont renoncé à leur souveraineté, ou qui l'ont perdue suite à des coups bas, sont comme des personnes condamnées à mort. Alors que leur fin, déjà décrétée, arrive, ils sont comme des prisonniers qui ne peuvent faire un pas sans être soumis à la surveillance la plus étroite. Comme j'écris depuis l'Espagne, je peux parler de ces processus de première main. Sans avoir besoin de rassembler une documentation abondante sur les affaires des autres, mais plutôt en parlant de mon expérience personnelle, je peux témoigner de ce qui s'est passé depuis ma lointaine enfance: une perte de souveraineté. Ce n'est pas là la pseudo-histoire (la "mémoire démocratique") qui est expliquée dans les écoles espagnoles: c'est l'histoire réelle et vécue dans la plupart des foyers. Officiellement, nous sommes passés de la Dictature à la Démocratie libérale, avec une pluralité de partis. Nous serions passés du bâillon et de la peur au paradis des libertés. En réalité, charnellement, ce que nous avons vu, c'est l'avortement d'autres modes de transition possibles et la perte - par enlèvement et usurpation - de la souveraineté nationale.

Le processus était analogue à celui de nombreuses autres républiques hispaniques. La longue main américaine est visible à chaque étape : coups d'État, création de groupes d'insurgés, cooptation de dirigeants et d'élites... Il s'agit toujours de diriger les processus de changement de l'extérieur et de loin, des processus qui ne doivent pas prendre une situation idyllique comme point de départ : l'Espagne de la fin de la période franquiste n'était pas une Espagne idyllique, loin de là. La clé de ce bref essai n'est pas de faire l'éloge abstrait de n'importe quel type de régime, ni de les comparer dans l'abstrait : régime autoritaire et régime démo-libéral, avant et après 1978. Loin de là, la clé de nos réflexions se trouve dans le continuum "plus de souveraineté - moins de souveraineté". En partant d'une situation de souveraineté maximale, c'est-à-dire lorsqu'une nation et une partie importante du peuple ont le pouvoir sur les décisions ultimes (déclarer la paix ou la guerre, sécuriser et protéger les frontières et les peuples, prendre les grandes décisions du destin sans contrainte), un État peut ensuite se restructurer afin de gagner en libertés et en prospérité. C'est ce que l'Espagne de la fin de la période franquiste n'était pas autorisée à faire. De l'extérieur, avec pas mal de sales manœuvres, dont le terrorisme et les "coups de sabre" déformés et amplifiés, on a poussé une Espagne franquiste qui avait entrepris (avec beaucoup de sacrifices et peu de libertés civiques) de se forger une "insoumission fondatrice" partielle (selon la terminologie du professeur Gullo).

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Cette situation a été parfaitement représentée par plusieurs étapes, dans l'ordre chronologique : l'assassinat de l'amiral Carrero, l'imposition d'un Bourbon traître sur le trône, l'introduction de la partitocratie et du modèle centrifuge de l'État ("État des autonomies" et Régime de 78), la (ré)invention du PSOE dans une perspective néolibérale, c'est-à-dire le socialisme de Felipe González, qui a initié l'ère de la subordination (privatisation et destruction du tissu agro-industriel et éducatif du pays). Tout ça pour quoi ? Pour empêcher qu'une Espagne sur la voie de l'"insoumission fondatrice" soit suffisamment puissante pour que, depuis le propre bloc anticommuniste de l'Occident, elle puisse s'imposer de sa propre voix et comme une note discordante devant les franchisés inféodés aux yankees du Vieux Continent - lire l'Allemagne - et de la Méditerranée - lire la France et le Maroc.

En 1973, le 20 décembre, l'Espagne a vu son Premier ministre, l'amiral Luis Carrero Blanco, se faire exploser, ainsi que deux compagnons : un policier et son chauffeur. Le pays a été choqué de voir les images de ce désastre à la télévision. L'impunité de l'ETA, l'organisation terroriste soi-disant liée à l'indépendance basque, est devenue de plus en plus visible. Cet attentat n'était pas le premier du gang, mais le magnicide, commis avec la bénédiction de l'Oncle Sam, qui préfigurait des décennies de meurtres pendant les années de plomb, au cours desquelles les assassins de l'ETA ont même acquis du prestige parmi la gauche. Les partisans du régime de Franco, alors que le Caudillo était déjà vieux et malade, ont vu dès lors que la "transition" commençait à être pilotée de l'extérieur. L'implication des services secrets américains, et leur connivence avec le séparatisme basque et les groupes violents de toutes sortes, susceptibles d'être utilisés pour déstabiliser le pays, devenait palpable. Il est clair que quelqu'un n'a pas réussi à protéger l'amiral. Les hauts fonctionnaires le savaient et ont acquiescé. Des documents déclassifiés ultérieurement par la CIA indiquent clairement qu'il fallait se débarrasser de Carrero. Et c'est ce qu'ils ont fait. Le fait que les exécutants matériels étaient des membres du groupe terroriste séparatiste basque ne fait pas obstacle aux spéculations plus que raisonnables sur les véritables instigateurs intellectuels, et ces spéculations sont les suivantes :

a) Que les instigateurs, promoteurs, collaborateurs nécessaires, etc. étaient les services secrets yankees, intéressés à bloquer toutes autres formes de transition politique après la mort du Caudillo et désireux de mettre en œuvre "leur" modèle démo-libéral qui, par essence, est le modèle instituant la subordination coloniale aux intérêts des États-Unis.

b) Que les exécutants matériels eux-mêmes, les membres de l'ETA, n'ont pas seulement reçu l'aide, le soutien, la collaboration nécessaire, etc. des Yankees pour cet assassinat spécifique, mais que l'existence même du réseau terroriste, et ses extensions ultérieures sous forme de "combats de rue" et de "socialisation" généralisée de la violence au Pays basque et en Navarre, principalement, étaient le résultat de plans et de fonds étrangers, élaborés aux États-Unis et dans d'autres pays européens (Allemagne, France).

Les spéculations, décrites en a) et b), ne sont peut-être pas faciles à prouver, mais elles sont très rationnelles si nous nous en tenons au moins à la logique des précédents. La logique du précédent est la suivante: si un ennemi traditionnel de l'Espagne (ou de tout autre nation étudiée) a déjà fait son œuvre par le biais de la technique "X", et qu'il a bien réussi, il y a de fortes chances que la technique "X" ait ensuite été utilisée à une époque ultérieure. La politique internationale de l'empire américain est célèbre pour son utilisation des attentats et des sabotages, car ce sont ses techniques "X" préférées. Le naufrage du Maine était l'acte de terreur et de sabotage idéal pour que l'empire yankee arrache à l'Espagne ses précieuses possessions de Cuba, Porto Rico, les Philippines, etc. Par la suite, les Américains ont essayé des tactiques terroristes analogues pour fabriquer le casus belli nécessaire à leurs conquêtes, agressions et déprédations : contre le Japon, le Vietnam, l'Afghanistan, l'Irak, la Syrie, la Libye... D'autre part, l'entraînement, l'armement et la formation de groupes armés (guérillas, "contras", insurgés, djihadistes, "cellules islamistes", ETA et divers groupes "anticapitalistes") est quelque chose de facile à réaliser par des services secrets aussi répandus sur la planète, aussi bien entraînés et arrosés d'argent, et plus que suffisamment formés technologiquement, que le sont les Américains.

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L'empire prédateur yankee est devenu grand, un véritable empire continental, aux dépens de l'Hispanidad. Avec une Hispanidad intacte, la nation yankee ne serait qu'une petite mosaïque de territoires sur la côte atlantique de l'Amérique du Nord. Sans leurs exactions et leurs destructions en Amérique latine, ils seraient restés une extension provinciale de l'anglosphère de l'autre côté de la "grande mare". Et sans l'acquiescement des puissances européennes en 1898, la nation yankee n'aurait pas commencé son escalade planétaire d'agression qui a débuté par l'assaut des derniers vestiges transcontinentaux de la monarchie espagnole.

Les similitudes entre le "tournant" de la politique espagnole après 1973 et les révolutions de couleur actuelles ou relativement récentes, principalement dans les pays arabes, ou le Maidan en Ukraine, sont évidentes. Il s'agit d'activer des éléments locaux mécontents pour une raison quelconque (la raison est la chose la moins importante, et n'est prise en compte que comme carburant humain pour allumer et faire exploser un conflit que l'Empire prédateur a intérêt à exacerber). Le conflit religieux, ethnique, idéologique, séparatiste, etc. est inventé, s'il n'existait pas déjà. Et elle est conçue depuis les bureaux sombres et lointains des services secrets américains.

Lorsque le Premier ministre espagnol et successeur de Franco a été assassiné, peut-être à cause de l'inaction et de la trahison de hauts fonctionnaires franquistes qui s'occupaient déjà de plaire aux Yankees, l'Espagne était loin d'être une nation sans problèmes. Malgré la crise pétrolière de l'époque, le pays avait surmonté la faim de l'après-guerre et l'isolement d'une dictature comme celle de Franco, qui, même si c'était une dictature, n'en était pas plus une que d'autres dans le monde de l'après-1945, chères à Washington. D'autres régimes, parfois plus féroces dans leur despotisme, ont été épargnés par les blocus et l'isolement international, puisque tout cela dépend toujours, finalement, des intérêts géopolitiques et commerciaux du gendarme anglo-saxon. Néanmoins, les Espagnols avaient réussi, par leurs propres efforts et grâce à une gestion technocratique très efficace, à placer leur pays à la neuvième place des puissances économiques mondiales.

En 1973, l'Espagne était un pays industrialisé (aujourd'hui, c'est un simple parc touristique, où l'hôtellerie, le tourisme de plage et la prostitution sont les principales activités). Son système éducatif était exigeant et rigoureux, et les enfants d'ouvriers et de paysans avaient pu accéder en masse au baccalauréat et à l'université. Il y avait des problèmes en suspens: Carrero a été chargé d'une transition non démo-libérale, en direction d'une "démocratie organique" qui aurait intégré les mécontents. Cette tâche, dans une société civile plus saine que celle d'aujourd'hui mais politiquement inexpérimentée, était difficile. Mais la souveraineté économique du pays était, à l'époque, un fait indiscutable, un atout. Pas comme maintenant: l'Espagne démocratique, pro-européenne et pro-ottomane est un pays où l'Union européenne intervient. L'Union européenne, cette monstruosité qui "sauve" en échange de l'obéissance aux diktats de l'institution supranationale. L'UE n'est rien d'autre qu'une machine inventée par le néolibéralisme: elle sert à réduire à néant la souveraineté des États faibles ayant de graves problèmes (corruption, dette, violence, instabilité) pour mieux les piller.

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Cette tentative d'assassinat de l'amiral, lieutenant de Franco et successeur prévisible, n'a pas ouvert la porte à la démocratie, comme les libéraux et les gauchistes ont tendance à le penser, et comme l'ont pensé tous ceux qui ont témoigné leur gratitude aux membres de l'ETA (car, aussi incroyable que cela puisse paraître, cela s'est produit). Cet assassinat de trois personnes, dont l'une était essentielle pour diriger le destin du pays sans renoncer à la souveraineté, a été la clé de tout ce qui a suivi. Puis sont arrivés des gouvernements dirigés par un Bourbon insensé et perfide, qui est maintenant en fuite dans les déserts arabes, entouré de cheikhs identiques à lui en termes d'arrogance et de mépris de l'éthique et de la dignité du peuple. Ce Bourbon, qui, selon la plupart des témoignages, s'est assis sur un trône en papier mâché par la volonté (malavisée et peu judicieuse) de Franco lui-même, était en réalité une marionnette de la CIA et de la Maison Blanche. Avant d'être roi, il vendait déjà des secrets de la patrie à une puissance étrangère, ce qui serait un motif suffisant pour qu'il soit jugé pour haute trahison. En vendant des secrets pour assurer son accession au trône, Juan Carlos Ier a trahi les Sahraouis et a entamé le processus de collusion avec le roi du Maroc qui a marqué la politique étrangère prostituée de l'Espagne depuis lors. La situation actuelle du Royaume d'Espagne est exactement la même que celle créée il y a près de 50 ans par l'actuel "roi émérite": un État qui a cédé une province de son territoire (une ancienne "colonie") comme le Sahara occidental, abandonnant son peuple (le peuple sahraoui, doté du droit à l'autodétermination, un droit qui continue d'être nié), qui a subi et subit une situation de génocide (notamment des bombes au napalm). L'Espagne est toujours une colonie du Maroc après la trahison des Bourbonistes. L'Espagne est une nation à genoux face à un État comme celui du Maroc qui ne cesse de

a) le faire chanter avec la "bombe humaine" de l'immigration illégale,

b) faire entrer la drogue (la principale source de revenus du roi maure et de sa clique) dans ses villes et détruit ainsi la jeunesse espagnole en la dégradant,

c) demander aux caisses publiques espagnoles, avec les impôts prélevés sur le peuple, de payer les études d'une énorme partie, pas encore bien comptabilisée, des enfants et des jeunes maghrébins, tant en Espagne qu'au Maroc,

d) d'établir en Espagne, héritière de la Reconquête, tout le réseau de ses mosquées spécifiquement alaouites en concurrence avec les mosquées saoudiennes et celles des différents émirats,

e) de menacer directement la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Espagne en insinuant de nouvelles "marches vertes" sur les îles Canaries, Ceuta, Melilla et l'Andalousie, afin de "récupérer ce qui était autrefois à eux", avec une grave insolence,

f) de favoriser le remplacement ethnique du peuple espagnol avec le plan avoué d'expansion vers le nord.

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Avec tous ces rappels, je souhaite seulement attirer l'attention du lecteur sur la situation géopolitique très fragile de l'Espagne.

L'heure est grave car l'Espagne est une triple colonie. Une colonie des États-Unis et de ses deux franchisés, l'européen et le nord-africain. Cela signifie que l'Espagne pourrait disparaître dans un avenir pas trop lointain et déstabiliser l'ensemble de l'Europe du Sud.

Certaines des clés ont déjà été signalées plus haut, mais je voudrais les énumérer, en retraçant le contexte et les éléments déclencheurs de la "perte de l'Espagne" depuis 1973 et, officiellement avec le R78 (Régime constitutionnel de 1978), c'est-à-dire l'évaporation de sa souveraineté et sa transformation en un pays "PIG" (cochon, terme par lequel l'État hérité du régime de Juan Carlos a été littéralement décrit par l'Allemagne et la France et par la finance internationale): un pays très endetté, désindustrialisé et soumis à un triple colonialisme yankee, marocain et franco-allemand.

1) Ses problèmes liés aux tendances centrifuges. Nous émettons l'hypothèse qu'une idéologie raciste et rétrograde comme celle de Sabino Arana, le leader du nationalisme basque, n'a gagné en force que grâce au terrorisme, et que depuis les années 1960, elle a reçu une aide extérieure inestimable. Aujourd'hui, le feu séparatiste se propage en Catalogne: un essaim de petits partis corrompus animés par des illettrés, comme les partis basques, comme les partis nationalistes catalans, mal à l'aise entre eux et mal à l'aise avec leur propre terre et leur histoire, ne serait jamais dangereux pour l'État sans un fort soutien extérieur, mondialiste et "européiste".

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2) La colonisation culturelle : l'européanisme et l'anglosphère sont sans cesse propagés par le système éducatif et les médias. La véritable tradition hispanique, l'origine de l'hispanité après la victoire de Don Pelayo à Covadonga (722) et son expansion vers le sud pour récupérer les terres des Goths tombées aux mains des musulmans, ainsi que vers les Amériques et l'Asie, sont des processus qui sont ignorés et déformés dans notre système éducatif par l'action de l'idéologie anglo-saxonne et européiste. Il y a un grave problème d'endophobie en Espagne, une phobie de ce qui est propre et interne ou essentiel.

3) L'acceptation à la manière d'un chien des idéologies étrangères les plus folles: l'idéologie du genre et des LGTBI+, l'animalisme, le multiculturalisme, le relativisme culturel et moral... Tout cela fait partie du mécanisme de la domination "occidentale".

4) La destruction de la culture du travail. Cela va de pair avec le processus de privatisation et de désertification agro-industrielle. La gauche post-moderne embrasse les idéologies énumérées au point 3), ainsi que d'autres narcotiques idéologiques, tout en soutenant fermement les idées d'un "salaire universel" et du "droit à la paresse" et du parasitisme comme mode de vie.

5) La destruction du taux de natalité et de la famille, qui est inextricablement liée aux mécanismes 1-4 ci-dessus. De cette façon, l'homogénéité d'un peuple multiséculaire, l'un des plus anciens et des plus définis au monde, est détruite afin d'assurer le remplacement ethnique et le changement de frontières qui en découle. Quand une nation n'est pas envahie par des baïonnettes, elle l'est par des permis de migration gratuits et la fécondité des utérus étrangers.

Il est clair que l'avenir de cette Espagne triplement colonisée est très sombre à moins d'un tournant souverainiste (en termes de direction politique) et d'une "insoumission fondatrice" (en termes de souveraineté économique). Ce changement devrait être complété par un renforcement des forces armées, à intégrer dans les alliances militaires hispano-américaines plutôt que dans les alliances atlantistes, et surtout dans les domaines naval et nucléaire (comme semblait l'envisager Carrero Blanco). Un tel changement semble peu probable maintenant, mais s'il ne se produit pas dans les prochaines années, on peut prévoir:

- La disparition de l'Espagne avec la multiplication des "taifas" qui ne feront que créer plus d'instabilité en Méditerranée.

- L'expansion du Royaume du Maroc vers les îles Canaries et le continent, c'est-à-dire l'Europe. Ainsi, l'État du Maghreb atteindrait des proportions et une force similaires à celles de la Turquie, et obtiendrait une situation analogue à celle de la Turquie, avec des territoires sur deux continents, dont l'Europe.

- L'extension vers le nord de la frontière musulmane. Cela sera également une source d'instabilité.

- Les mouvements de population, toujours indésirables et source de conflits lorsqu'ils sont incontrôlés, massifs et motivés par une "fuite" hors de l'État d'origine. Si l'État espagnol a déjà abandonné une de ses provinces il y a un demi-siècle, il pourrait le faire à nouveau dans d'autres.

- La réduction substantielle du territoire européen d'une UE de plus en plus soumise à l'impérialisme américain et à ses alliés extra-européens qui semblent prêts à étendre leurs propres impérialismes: le Maroc, la Turquie, l'Arabie Saoudite ou Israël seront ravis de voir de nouvelles terres et de nouvelles masses humaines à exploiter.

Il est tout à fait clair que le rôle de l'Espagne est essentiel, malgré sa prostration et sa faiblesse actuelles. Ce que j'ai appelé dans cet essai la "logique des antécédents" ou des "précédents" permet d'anticiper les prochains mouvements du cycle historique. Ce qui s'est déjà produit peut se reproduire, et de manière plus grave et irréversible. Nous, les Espagnols, devons être les premiers à réagir, en devinant les futurs mouvements de l'ennemi, en détectant qui il est et en n'oubliant jamais que c'est un monde dans lequel la vraie paix n'a jamais été déclarée. Malheureusement, c'est comme ça.

mardi, 27 décembre 2022

La géopolitique du Cambodge: destruction et reconstruction

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La géopolitique du Cambodge: destruction et reconstruction

Groupe de réflexion Katehon

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/la-geopolitica-della-cambogia-distruzione-e-ricostruzione

Le Cambodge, d'une superficie de 181.035 kilomètres carrés, est situé dans la partie sud de la péninsule indochinoise et a des frontières avec le Vietnam à l'est et au sud-est, la Thaïlande à l'ouest et au nord-ouest, le Laos au nord et le golfe de Thaïlande au sud-ouest. Du 2ème siècle de notre ère au milieu du 15ème siècle, le Cambodge était un royaume très puissant de la péninsule indochinoise, qui a donné naissance à la culture d'Angkor, mondialement connue. Après le 15ème siècle, la puissance nationale du Cambodge a décliné jour après jour. En 1863, le Cambodge est devenu une colonie française et a été envahi par le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Le 9 novembre 1953, le Cambodge, après de nombreuses souffrances, a finalement obtenu son indépendance. Mais le Cambodge, qui venait d'obtenir son indépendance, a été confronté au même problème que de nombreux États-nations nouvellement indépendants : l'escalade à cause de la guerre froide mondiale.

Sous l'influence de la guerre froide, sur le plan diplomatique, le Cambodge est passé de la neutralité initiale à l'oscillation entre les deux camps de l'Est et de l'Ouest par le biais de différentes forces et de conflits militaires directs avec ses puissants voisins survenus de temps à autre. Mais le conflit idéologique ne suffit pas à expliquer les bouleversements que le Cambodge a connus pendant la guerre froide. Leifer Michael estime que "depuis le déclin de l'ancien empire khmer, la géopolitique a influencé le destin futur du Cambodge" [1]. Le journaliste britannique William Shawcross était du même avis : "Le Cambodge est victime de sa géographie et de sa politique immature" [2].

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La politique étrangère du Cambodge pendant la guerre froide

Depuis son indépendance des colonisateurs français en 1953, le peuple cambodgien, dirigé par le roi Sihanouk (photo), a cultivé une indépendance et une souveraineté nationale ténues. Pendant la guerre froide, il était toutefois très difficile pour le Cambodge d'atteindre cet objectif. Pour cette raison, le Cambodge a dû adopter une politique étrangère neutre et pratiquer une diplomatie équidistante entre les deux camps de l'Est et de l'Ouest, espérant une chance de vivre dans l'intervalle entre les deux camps pour libérer le Cambodge de la menace de la guerre. C'est pourquoi, au début de son indépendance, le Cambodge a fermement rejeté les fortes pressions exercées par le camp occidental dirigé par les États-Unis et a refusé de rejoindre l'Organisation du traité de l'Asie du Sud-Est dirigée par les États-Unis. Cependant, la politique étrangère du Cambodge a été clairement pro-occidentale dès le début. D'une part, il existe un conflit entre les factions républicaines et monarchistes depuis l'indépendance du Cambodge. Sous l'influence de la guerre froide, les républicains de droite se sont alignés sur le camp occidental et les républicains de gauche sur le camp socialiste.

Cependant, comme les deux puissants voisins du Cambodge, le Sud-Vietnam et la Thaïlande, étaient tous deux alignés sur le camp occidental, Sihanouk prévoyait d'adopter une stratégie pro-occidentale de "neutralité" pour obtenir le soutien des États-Unis en faveur de la paix, de la neutralité, de l'intégrité territoriale et de la souveraineté sur le Cambodge.

Toutefois, à mesure que la guerre du Vietnam s'intensifia, les États-Unis cherchèrent de plus en plus à attirer le Cambodge dans le camp occidental pour l'empêcher de tomber aux mains du parti communiste. Depuis l'indépendance du Cambodge, les États-Unis ont fourni au pays un total de 404 millions de dollars. L'importance de cette aide est évidente pour le Cambodge, qui était en pleine tourmente. Cependant, en 1963, alors que la situation internationale et intérieure évolue, Sihanouk décide de rompre avec l'aide économique et militaire américaine. Il a également nationalisé les banques du pays et le commerce d'import-export [3].

Après avoir rompu ses liens avec les États-Unis en 1965, le Cambodge s'est tourné vers le camp socialiste pour obtenir de l'aide. Le virage diplomatique du Cambodge a eu deux conséquences immédiates. D'une part, le gouvernement américain s'est montré furieux de la transition du Cambodge vers le socialisme et Nixon a autorisé secrètement le bombardement du territoire cambodgien.

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Rien qu'au cours des cinq premières années de la décennie 1970, les États-Unis ont largué 540.000 tonnes de bombes sur le Cambodge, soit plus que la quantité totale larguée par les forces alliées sur le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale [3]. 150.000 personnes sont mortes en conséquence directe des bombardements au Cambodge. D'autre part, alors que Sihanouk est à l'étranger, l'opposition soutenue par les États-Unis organise un coup d'État le 18 mars 1970 et établit une "République khmère", dirigée par Lon Nol (photo).

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Cependant, lorsque les Américains, qui avaient perdu la guerre au Vietnam, se sont finalement retirés de la région de l'Indochine, la République khmère, qui avait perdu le soutien américain, a rapidement été renversée par les Khmers rouges le 17 avril 1975. De 1975 à 1979, le Cambodge a été rebaptisé "Kampuchéa démocratique" avec Pol Pot à sa tête (photo, ci-dessous).

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Peu après l'établissement du Kampuchéa démocratique, des conflits frontaliers avec les pays voisins ont commencé à apparaître. Sur la question des frontières, le Cambodge s'est d'abord battu avec le Vietnam, puis avec la Thaïlande et le Laos. L'histoire des litiges territoriaux entre le Vietnam et le Cambodge remonte à l'expansion du Vietnam au 17ème siècle, dernier désastre avant l'arrivée des colons français. En 1979, le conflit entre le Vietnam et le Cambodge a finalement éclaté et le peuple cambodgien a entamé une lutte de 13 ans contre le Vietnam pour sauver le pays. Le Cambodge est devenu une pièce importante sur l'échiquier géopolitique et une aire géostratégique pour les principaux acteurs géostratégiques du monde et les forces politiques de tous bords qui se sont engagés dans un affrontement géopolitique autour de la question cambodgienne.

Premièrement, le jeu et l'interaction entre la Chine, l'URSS et les États-Unis dans la résolution de la question cambodgienne. L'URSS a soutenu le Vietnam et la Chine s'est fermement opposée à l'agression du Vietnam contre le Cambodge et s'est rangée du côté de la résistance cambodgienne avec l'ASEAN. Tout en soutenant leur allié d'Asie du Sud-Est, la Thaïlande, les États-Unis ont également soutenu moralement la communauté internationale en travaillant avec la Chine pour isoler et punir le Vietnam. Les États-Unis déclarent alors qu'ils n'établiront pas de relations diplomatiques avec le Vietnam à moins que ce dernier ne retire ses troupes du Cambodge et qu'ils augmenteront leur puissance militaire dans le Pacifique pour concurrencer l'expansion soviétique en Asie du Sud-Est. Depuis lors, la Chine et les États-Unis ont continué à aider le groupe de résistance cambodgien contre l'armée vietnamienne, qui était soutenue et aidée par l'Union soviétique.

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Troupes vietnamiennes au Cambodge.

Ce n'est que lorsque les relations sino-soviétiques ont été rétablies et que les relations américano-soviétiques se sont affaiblies que les trois grandes puissances, la Chine, l'Union soviétique et les États-Unis, ont commencé à s'engager positivement sur la question cambodgienne. Les trois pays et les parties concernées par la question cambodgienne ont convenu de résoudre la question lors de la Conférence internationale de Paris de 1989. Cela a mis fin au conflit qui a duré dix ans entre le Cambodge et le Vietnam. Cependant, l'Union soviétique, les États-Unis et la Chine ont joué leurs propres jeux géopolitiques lors de la Conférence internationale de Paris. Les résolutions prises sur le conflit de dix ans au Cambodge n'étaient qu'un cadre pour garder l'Indochine et ses voisins comme des pions d'une superpuissance plus grande de l'après-guerre, tout comme les résolutions prises sur l'établissement de la paix en Asie du Sud-Est.

En octobre 1991, le Cambodge a initié un processus de paix interne en signant l'Accord de Paris pour résoudre la crise géopolitique du pays. En termes de partage de la zone géostratégique, le Cambodge est également revenu dans la zone géopolitique de l'Asie de l'Est en raison du retrait et de l'affaiblissement de la superpuissance [4]. Cependant, le Cambodge ayant été trop longtemps déchiré par la guerre froide, sa géopolitique interne a également été minée par la résonance des guerres internes et externes depuis lors. Le processus de paix au Cambodge dans les années 1990 a été dominé par les troubles et la pauvreté. Ce n'est qu'en 1998, lorsque les principales forces du régime khmer rouge se sont rendues au gouvernement royal du Cambodge et que les forces khmères rouges se sont complètement désintégrées, que la situation politique au Cambodge a pu s'apaiser.

Le rebond géopolitique du Cambodge après la guerre froide

Les nouveaux changements dans la géopolitique interne du Cambodge de l'après-guerre froide se manifestent principalement par le fait que les luttes politiques internes entre factions ont connu deux différenciations et combinaisons, à savoir la troisième période de différenciation et de combinaison (fin des années 1980-début des années 1990) et la quatrième période de différenciation et de combinaison (1997-2014). La troisième période se manifeste par la lutte et la rivalité entre les quatre principaux partis : le Parti de l'unité nationale cambodgienne, le Parti Phuentsinpek, le Parti démocratique bouddhiste libéral khmer et le Parti du peuple cambodgien ; dans la quatrième période, Hun Sen organise un coup d'État en 1997 pour renverser le gouvernement Ranarid.

En 1998, le Parti du peuple et le Parti Phunchinpek sont arrivés au pouvoir. La montée en puissance du Parti Rainsy après sa réorganisation en Parti du Salut National et la formation d'un équilibre commun et modèle entre les trois partis.

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Au cours de la troisième période de différenciation et de combinaison, toutes les factions politiques cambodgiennes ont maintenu des relations équilibrées avec les forces politiques étrangères dans les relations internationales, sur la base des exigences de la reconstruction d'après-guerre ; au cours de la quatrième période, les relations entre le Cambodge dirigé par Hun Sen (photo) et les États-Unis et d'autres pays occidentaux sont passées par des phases de détérioration, de sanctions et de reconstruction. Les relations avec la Chine sont passées de l'établissement d'un partenariat de coopération stratégique à l'établissement d'un partenariat stratégique global et à l'avancement d'un partenariat stratégique global. Les relations économiques, commerciales et politiques avec le Japon se sont constamment renforcées, et la relation avec l'ANASE est évidente dans le fait que le Japon est devenu membre de l'ANASE et a occupé la présidence tournante de l'ANASE à deux reprises.

Depuis lors, le rôle géopolitique du Cambodge dans l'intégration de l'ANASE, la géopolitique de la mer de Chine méridionale et la sous-région du Grand Mékong est progressivement devenu plus important, de sorte qu'en termes de relations étrangères, le Cambodge est également devenu une arène de "géopouvoir" pour les jeux de pouvoir de la politique étrangère.

Sources :

[1] Leifer, Michael. “Le dimensioni internazionali del conflitto cambogiano”. [M]. International Affairs (Royal Institute of International Affairs), 34 (1975).

[2] William, Shawcross. “La qualità della misericordia: Cambogia, Olocausto e coscienza moderna”. [M]. New York: Simon and Schuster, 1984.

[3] Tully, John A. “Breve storia della Cambogia: dall’impero alla sopravvivenza”. [M]. Nuovo Galles del Sud: Allen &Unwin, 2005.

[4] 方天建,何跃. 冷战后东南亚地缘政治变化中的大国战略调整述评[J]. 世界地理研究,2013(3):30-40.

dimanche, 11 décembre 2022

Les États-Unis ont-ils déclaré une "guerre économique" à l'Europe?

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Les États-Unis ont-ils déclaré une "guerre économique" à l'Europe?

Andrea Muratore

Source: https://insideover.ilgiornale.it/tecnologia/gli-usa-hanno-dichiarato-una-guerra-economica-alleuropa.html

Fair is fool and fool is fair : il faut déterrer Shakespeare et Macbeth pour percevoir la compétition économique entre les États-Unis et l'Europe qui a émergé depuis que l'administration Biden a adopté la loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act ou IRA). La Maison Blanche prêche l'unité du camp occidental face aux crises mondiales, la prône en pleine crise ukrainienne, parle de valeurs communes et de démocratie, mais promeut une intervention économique qui mène à une véritable guerre économique dans des secteurs stratégiques contre le sous-continent qui devrait être son principal partenaire, l'Europe.

Cela semble contradictoire, presque impensable, mais c'est pourtant le cas: Biden a signé Wrath en août en saluant la règle comme l'action la plus "incisive" que le pays ait prise pour lutter contre la crise climatique. En effet, la règle prévoit 370 milliards de dollars de subventions pour les technologies critiques et la transition énergétique, avec une référence aux objectifs de décarbonisation promus lors de la Cop26 à Glasgow. Mais pour Bruxelles, ces incitations sont "discriminatoires à l'égard des industries européennes de l'automobile, des énergies renouvelables, des batteries et des industries à forte intensité énergétique". C'est ce que dit le faucon rigoriste Valdis Dombrovskis, qui, dans sa fonction de vice-président de la Commission, cumule à la fois le contrôle des comptes et des délégations commerciales des pays. Par exemple, l'IRA prévoit 7500 dollars de subventions pour l'achat de véhicules électriques achetés par des citoyens américains, à condition qu'ils soient assemblés dans la vaste zone économique de l'ex-Nafta (Canada, États-Unis, Mexique).

Le défi américain

Les subventions sont devenues un point de discussion central lors du Conseil du commerce et de la technologie qui s'est tenu récemment à Washington. Le lundi 5 décembre, le commissaire Dombrovskis a rencontré le secrétaire d'État américain Tony Blinken dans le cadre de la réunion transatlantique États-Unis/UE. Ils ont déclaré que Washington et Bruxelles ont discuté de l'avenir de la politique climatique américaine, mais n'ont annoncé aucun accord.

La philosophie américaine a été exposée par la secrétaire au Trésor de Biden, l'ancienne gouverneure de la Fed, Janet Yellen, qui, s'exprimant lors du sommet DealBook, a indiqué que Wrath est une loi qui peut guider une nouvelle phase de la politique industrielle et que le préavis peut aider à créer des "chaînes d'approvisionnement appropriées" autour des matières premières rares nécessaires aux technologies vertes, évidemment contrôlées par Washington. "C'est une forme de 'friendshoring'", a déclaré le principal économiste de l'équipe de Biden.

L'IRA va au-delà de toute politique d'incitation promue par l'UE qui, rappelle le Financial Times, "est déjà en train de débourser son programme NextGeneration Eu de 800 milliards d'euros" (y compris le Fonds supplémentaire et les allocations à des programmes tels que Horizon Eu), qui exige de chaque État membre qu'il "consacre au moins 37 % des dépenses nationales de relance aux investissements et aux réformes liés au climat". L'UE alloue également des fonds à des "projets verts" dans le cadre de son programme d'aide régionale, et soutient des initiatives dans des domaines tels que l'hydrogène et les batteries. Et elle tente d'augmenter la puissance de feu de son plan énergétique RepowerEU, qui vise à sevrer l'UE des combustibles fossiles russes et à améliorer les infrastructures énergétiques". Mais aucun plan ne prévoit de subventions directes comparables à celles des États-Unis.

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La combinaison de l'IRA et du Chips Act, la manœuvre de 52 milliards de dollars visant à subventionner l'industrie nationale des semi-conducteurs, pourrait ouvrir un fossé entre les États-Unis et l'Europe. Après tout, la loi sur les puces est un instrument de l'IRA et pourrait être le plus grand effort du gouvernement américain depuis des décennies pour remodeler une industrie stratégique à partir de zéro. Le New York Times a rappelé le montant des ressources qu'il mobilisera : "Environ 28 milliards de dollars du fonds dit "CHIPS for America" devraient être consacrés à des subventions et à des prêts pour aider à la construction d'installations de fabrication, d'assemblage et de conditionnement de certaines des puces les plus avancées du monde. Une autre tranche de 10 milliards de dollars sera consacrée à l'expansion de la production pour les générations précédentes de technologies utilisées dans les automobiles et les technologies de communication, ainsi que pour les technologies spécialisées et d'autres fournisseurs de l'industrie, tandis que 11 milliards de dollars iront à des initiatives de recherche et de développement liées à l'industrie.

La délocalisation industrielle et le capitalisme politique basé sur le retour massif du dirigisme étatique, même dans des économies libérales comme les États-Unis, marquent une phase de démondialisation et peuvent en même temps coincer l'Europe. Qui ne veut pas être submergé par ce qu'elle considère comme une vague subreptice de protectionnisme.

Comment répondre au défi américain

Le ministre allemand de l'économie, Robert Habeck, a récemment fait savoir que la première puissance industrielle d'Europe, l'Allemagne, soutient les réponses symétriques et est prête à une guerre commerciale avec les États-Unis. Emmanuel Macron a lancé l'idée d'un "Buy European Act" en réponse aux mesures américaines. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a également préconisé des réponses à la démarche américaine. L'idée que les États-Unis mènent une guerre économique pour promouvoir leur suprématie dans les technologies de pointe et faire de l'Europe un satellite émerge de nombreux côtés du discours public européen. D'une part, Washington investit dans la course européenne aux technologies directement sur le Vieux Continent : les Etats-Unis font construire des usines telles que l'usine de puces d'Intel qui sera basée en Italie ; ils mettent la main sur le cloud souverain européen avec Big Tech ; avec leurs fonds, ils participent à la course à la transition énergétique et au jeu du GNL et des re-gazéifieurs. D'autre part, ils élèvent des barrières à l'entrée sur leur marché.

Le fait que Joe Biden ait en fait suivi Donald Trump dans ses desseins en matière de droits de douane et l'ait dépassé sur le front de la politique industrielle en dit long. Le 10 décembre, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a jugé que l'ancien président Donald Trump avait violé les règles du commerce mondial en 2018 lorsqu'il avait invoqué des raisons de sécurité nationale pour imposer des droits de douane sur l'aluminium et l'acier, déclenchant ainsi la "guerre tarifaire" en réponse aux subventions déclarées illégales par l'OMC et fournies par l'Union européenne au consortium Airbus. L'OMC a rejeté l'appel des États-Unis, expliquant que les droits de douane n'avaient pas été introduits "en temps de guerre ou autre situation d'urgence". Mais l'administration Biden a condamné la décision et a réaffirmé qu'elle ne supprimera pas les droits de douane, qui sont considérés comme essentiels pour défendre le marché intérieur et les chaînes de marchandises centrées sur Washington.

Biden a clairement indiqué que son friend-shoring sera d'abord un near-shoring qui vise à exploiter la régionalisation des chaînes de production en façonnant autour des Etats-Unis un système dynamique et compétitif avec les grands pôles de l'économie mondiale. Dans cette perspective, l'Europe apparaît plutôt comme un satellite de second rang, précisément parce qu'elle est perçue comme étant à la traîne dans tous les secteurs clés: des batteries aux puces, du programme énergétique commun au programme de l'innovation. La dépendance dans les secteurs stratégiques comme premier dérivé de la subalternité politique, à un moment où la guerre en Ukraine a vu la grande défaite dans l'autonomie européenne et dans la capacité d'imaginer un Vieux Continent comme protagoniste de la globalisation: l'agenda Biden applique avec une lucidité impitoyable ce que, après tout, le président avait écrit dans son programme électoral dirigiste et interventionniste.

L'Europe ne doit pas mourir de paresse

Coincée entre la concurrence avec la Chine, la guerre énergétique et psychologique de la Russie et la volonté de son principal allié (sur le papier) de l'attirer comme satellite géo-économique après avoir assuré sa minorité géopolitique, l'Europe peut et doit réagir. Et elle ne peut le faire qu'en voyant grand : des semi-conducteurs à la course aux matières premières critiques, l'UE doit jouer le rôle d'une grande puissance. En investissant, en planifiant et en changeant de paradigme : moins de rigorisme réglementaire à la Domborvskis et plus de vision pionnière à la Thierry Breton, le super-commissaire français à l'industrie, qui figure parmi les rares qui ont imaginé les politiques qui permettraient à l'Europe de rester dans le jeu sur les batteries, les puces, l'innovation, l'intelligence artificielle.

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En général, en Europe, a déclaré Alessandro Aresu à Data Manager, "c'est comme si la volonté de faire ou de pouvoir faire quelque chose de grand, de créer des institutions importantes, impliquant surtout les pays européens, ne se matérialisait plus. L'ESA et le CERN sont nés dans les années 1950 et 1970 en réponse aux grandes tensions de la guerre froide qui impliquaient également la science et la technologie. Depuis lors, nous n'avons rien construit de vraiment comparable. Pas même en réponse à la "crise actuelle". Des projets de transition européens aux défis tels que le réacteur nucléaire Iter et les corridors d'infrastructure européens, la base existe. Nous devons réfléchir à l'industrie du futur et à ce qui déterminera les relations de pouvoir de demain à l'échelle mondiale. Afin de ne pas mourir de paresse face aux défis des rivaux et, plus inquiétant, des pays alliés.

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Une rencontre historique : la visite de Xi Jinping en Arabie Saoudite

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Une rencontre historique: la visite de Xi Jinping en Arabie Saoudite

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2022/12/08/kaanteentekeva-kohtaaminen-xi-jinping-saudi-arabiassa/

Alors que l'attention des médias finlandais est toujours focalisée sur l'Ukraine, les soubresauts provoqués par la ratification de l'adhésion finlandaise à l'OTAN et les épreuves de force entre gouvernements, l'Asie occidentale (le "Moyen-Orient" anglo-saxon) bouillonne sous la surface. Le centre d'intérêt de la politique mondiale se déplace. En fait, ces changements sont perceptibles depuis un certain temps.

À titre d'exemple, une rencontre décisive de haut niveau entre la Chine et le monde arabe est en cours. Le président chinois Xi Jinping a entamé une visite historique de trois jours en Arabie saoudite, où la Chine et le monde arabe mettent en synergie leurs modes de coopération et leurs visions de l'avenir.

Le royaume saoudien a traditionnellement été l'un des plus proches partenaires des États-Unis dans la région, mais la monarchie en place cherche désormais à resserrer ses liens avec la Chine, qui est déjà son plus grand partenaire commercial. Le voyage de Xi dans le plus grand pays exportateur de pétrole du monde intervient deux mois après que Riyad ait rejeté les plaidoyers du président américain Joe Biden en faveur de la production de pétrole.

Au cours de la visite de Xi, des sommets sur la coopération et le développement seront organisés avec des représentants de trente pays, ainsi que de nombreuses organisations internationales. En Finlande, du moins, les médias n'abordent pas le sujet ; après tout, on ne comprend pas, ici, que la mondialisation centrée sur l'Occident est déjà terminée et qu'un nouvel ordre est en train de se construire à sa place, dans lequel les États-Unis n'auront plus un rôle dominant.

Selon certains observateurs, le "tournant vers l'Est" commun constitue un changement stratégique majeur pour les pays du Golfe. Alors que le président américain Joe Biden a reçu un accueil discret, Xi Jinping a eu droit à une cérémonie de bienvenue plus festive avec une escorte de chasseurs.

Les relations entre la Chine et les Saoudiens pourraient devenir un modèle pour d'autres pays arabes. Comme les relations bilatérales deviennent de plus en plus bénéfiques pour les parties, d'autres pays de la région suivront. Plusieurs nouveaux accords seront signés pendant la visite de Xi.

Alors que la crise ukrainienne s'intensifie, l'Arabie saoudite et d'autres pays du Golfe ont exprimé des points de vue différents de ceux des États-Unis et de l'UE, faisant ainsi preuve d'indépendance et d'autonomie stratégiques, ce qui a suscité la colère des décideurs de Washington et de la Maison Blanche.

Aux États-Unis, on prétend que la Chine profite du différend entre les régimes démocratiques et l'Arabie saoudite -et d'autres pays de la région- pour étendre son influence, dans le but ultime de chasser les États-Unis de la région du Golfe. Fait révélateur, la Chine a réussi à conclure un accord de partenariat stratégique à la fois avec l'Arabie saoudite et la République islamique d'Iran.

"Certains décideurs américains continuent de nourrir des ambitions hégémoniques et s'imaginent qu'ils peuvent dicter leur conduite au monde arabe. Ils croient à tort que la région arabe est leur terrain de jeu réservé et qu'ils ont droit à des relations unilatérales qui leur profitent principalement - aux dépens des peuples de la région", a déclaré Ebrahim Hashem, un chercheur, à un journal chinois.

Les différences dans la façon dont les superpuissances interagissent ne pourraient être plus grandes. La Chine met l'accent sur les principes de respect mutuel, de bénéfice mutuel et de co-bénéfice, tandis que les États-Unis donnent la priorité aux questions relevant des droits de l'homme et de la démocratie et accusent l'Arabie saoudite et d'autres pays d'être des dictatures, ce que beaucoup dans la région n'acceptent plus. La Chine apparaît ainsi comme un partenaire plus attrayant que l'Occident arrogant.

Les pays arabes savent clairement quelles politiques sont dans leur intérêt. L'Asie occidentale devient de plus en plus un espace où le cours des événements est déterminé par l'interaction entre les acteurs régionaux et les puissances eurasiennes.

Alors que les États-Unis, la Grande-Bretagne et diverses puissances européennes ont été les artisans de l'instabilité dans le Golfe, la nouvelle phase verra la région acquérir un contrôle plus autonome de ses affaires. Les puissances occidentales ne sont pas complètement hors jeu, mais leur influence a diminué.

Comme l'affirme Xi dans une lettre adressée au public arabe, les relations entre la Chine et les États arabes remontent à plus de deux millénaires, aux flux des antiques caravanes de la Route de la soie et aux premières innovations scientifiques. Il cite également le prophète de l'islam, Mahomet, qui aurait dit à ses adeptes de "rechercher la connaissance même si vous devez aller jusqu'en Chine".

La visite chinoise en Arabie saoudite est-elle le début de ce que Xi appelle une "nouvelle ère", reflétant le multilatéralisme et la stabilité mondiale ? L'ordre mondial réussira-t-il à changer de direction au milieu des crises ? Que feront les États-Unis, qui vivent encore dans leurs fantasmes de domination, en observant la montée de la Chine avec un visage sombre ?

lundi, 05 décembre 2022

Le grand jeu pour l'Antarctique

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Le grand jeu pour l'Antarctique

Emanuel Pietrobon

Source: https://insideover.ilgiornale.it/politica/il-grande-gioco-per-lantartide.html

La soif d'hégémonie des grandes puissances ne connaît pas de limites. Elles aspirent à dominer toute terre sur laquelle elles posent leurs yeux ou sur laquelle elles marchent. C'est dans leur ADN. Un déterminisme génétique qui ne peut être qu'inhibé, mais non pas éteint. Il en a toujours été ainsi. Et le sera toujours.

Grandes puissances, leur diplomatie parle le langage des canonnières, des prêtres et des marchands. Entre elles, il y a le grand jeu, le tournoi des ombres, où les ressources sont en abondance. Par conséquent, chaque époque, bien que de manière différente, a été témoin de compétitions hégémoniques, de courses coloniales et de guerres de conquête dans le poumon de la planète - l'Amérique latine et l'Afrique centrale - et dans son cœur - l'Asie centrale.

Le changement climatique et le progrès technologique ont progressivement conduit les grandes puissances à se disputer les extrémités de la planète : les deux pôles. Mais si l'on en sait plus sur la course à l'Arctique, on en sait moins sur le grand jeu qui a pour objet l'Antarctique. Bien que, chiffres et faits à l'appui, ce qui se passe sur le continent gelé est tout sauf sans importance et négligeable.

indexfgvb.jpgTous fous pour l'Antarctique

L'Antarctique, l'anti-Antarctique, est revendiqué par les grandes puissances depuis que Fabian Gottlieb von Bellingshausen (tableau) a découvert son existence en 1820. Le droit international le protège des activités militaires et commerciales - sur la base du traité de 1959 -, mais si l'histoire enseigne bien quelque chose, c'est que rien n'est perpétuel. Et, en fait, le changement climatique et la concurrence entre les grandes puissances amènent lentement le continent blanc au centre de l'attention des anciens et des nouveaux acteurs.

Le sous-sol de l'Antarctique recèle des quantités indéfinies de ressources naturelles d'une valeur stratégique, notamment des terres rares, de l'or, du cuivre, de l'uranium, du pétrole et du gaz naturel. L'extraction de ce trésor n'est pas possible en raison du traité de 1959, qui veut également préserver l'écosystème fragile du continent, mais les besoins de l'économie mondiale et le sans-gêne de certains acteurs risquent de modifier le statu quo. La Russie, par exemple, investit dans la cartographie du sous-sol et des fonds marins, dont elle élabore de généreuses estimations pour en nourrir le public, dans le but implicite d'aiguiser l'appétit des influents lobbies des hydrocarbures.

Ressources naturelles mises à part, l'Antarctique est un aimant pour les puissances de toutes tailles en raison de sa situation sui generis. Parce qu'il s'agit, malgré les revendications territoriales de sept États - l'Australie à elle seule voudrait 42 % du continent entier pour elle-même -, d'un no man's land. Un vide de souveraineté manifeste qui la rend contestable et dans lequel la République populaire de Chine, qui construit sa cinquième base sur l'île Inexpressible, s'est vigoureusement insérée.

Tensions le long de la route Buenos Aires-McMurdo

L'Argentine est la troisième nation la plus active en Antarctique en termes de stations de recherche - pas moins de seize - et est aussi, pour des raisons géographiques, naturellement encline à influer sur les géographies du pouvoir dans l'Atlantique Sud. Deux facteurs qui pourraient en faire un acteur clé du grand jeu de l'Antarctique à l'avenir.

Ceux qui contrôlent l'Atlantique Sud sont projetés sur l'Antarctique, d'où le fait que le Royaume-Uni garde jalousement et continuera à garder la souveraineté sur les Falklands/Malouines. C'est pourquoi la Chine, profitant du ressentiment argentin à l'égard de l'issue de la guerre des Malouines, courtise la classe dirigeante du pays et investit massivement entre la Patagonie et la Terre de Feu afin de saper l'hégémonie régionale britannique - et donc américaine.

Parler d'un axe sino-argentin est prématuré, bien qu'aux États-Unis on parle déjà d'"ArgenChina", mais considérer sa matérialisation comme improbable et sous-estimer ses implications potentielles est tout aussi erroné. Pékin exploite depuis 2012 une station radio-spatiale en Patagonie - qui, de concert avec les bases antarctiques, a le potentiel de permettre le renseignement par signaux à longue portée - et négocierait l'ouverture d'un port en Terre de Feu, un balcon du continent blanc.

La surchauffe du théâtre argentin est la preuve que le grand match pour l'Antarctique ne se jouera pas seulement sur la glace, mais aussi dans ses environs. On peut donc s'attendre à des chocs sur la route Buenos Aires-McMurdo et un jour, peut-être, à la réouverture de la question des Falkland/Malouines.

dimanche, 04 décembre 2022

Reconsidérer la géoéconomie comme un élément constitutif de l'analyse géopolitique

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Reconsidérer la géoéconomie comme un élément constitutif de l'analyse géopolitique

Lorenzo Maria Pacini

Source: https://www.geopolitika.ru/pt-br/article/reconsiderando-geoeconomia-como-elemento-constitutivo-da-analise-geopolitica

Pour assurer une analyse géopolitique complète, il est fondamental de toujours aussi garder à l'esprit la géoéconomie, une sous-discipline qui devrait être mieux formalisée et structurée pour faciliter son utilisation efficace.

Placer la géoéconomie dans son contexte approprié

Tant dans le contexte scientifique que dans le monde de l'information de masse, on entend beaucoup parler de géopolitique, une discipline de la sphère des sciences politiques et des relations internationales qui étudie une pluralité de sujets, comme l'a défini Carlo Terracciano :

    "Cette branche de la Géographie Anthropique qui analyse la relation entre l'Homme et la Terre, entre la Civilisation et la Nature, entre l'Histoire et la Géographie, entre les peuples et leur Lebensraum (Leben = Vie ; Raum = Espace ; Lage = Site/Situation), c'est-à-dire l'espace vital nécessaire à la Communauté étatique, comprise de manière organique, pour vivre, croître, se développer, s'étendre et prospérer : créer du bien-être, de la Civilisation et des Valeurs pour ses membres, vivant ensemble sur le même sol et unis dans une communauté unitaire de destin. Ou, pour le dire dans les termes plus techniques de Luraghi : "La géopolitique est la doctrine qui étudie les phénomènes politiques dans leur distribution spatiale et dans leurs causes et relations environnementales, également considérées dans leur développement". Et encore : "La géopolitique est une synthèse : une vision large dans le temps et l'espace des phénomènes généraux qui lient la perception des facteurs géographiques aux États et aux peuples [1]".

Moins largement, mais de manière non moins importante, on entend parler de la géoéconomie, qui est une sous-discipline [2] de la géopolitique qui se caractérise par l'étude des doctrines et des actions géopolitiques d'un point de vue économique, y compris les processus, les relations et la situation financière des acteurs en interaction.

Afin de mieux définir le cadre dû à la géoéconomie, il est d'abord nécessaire de se pencher sur son développement dans le volet des sciences politiques. La Géopolitique classique (19ème - début du 20ème siècle) percevait le monde comme subdivisé exclusivement sur la base des frontières étatiques, avec le large spectre de catégories urbaines qui se cristallisaient dans l'imaginaire collectif (villes, métropoles, colonies, états, nations, etc.), tandis que la Géopolitique du 20ème siècle a changé d'approche et a commencé à reconnaître la présence de zones et de flux d'influence, dynamiques et tendant à varier dans leur localisation géographique (capitaux, biens, travail, migration, tourisme, Heartland, Rimland, etc.)

Alors que, par conséquent, l'"ancienne" géopolitique ne s'intéressait qu'à la détermination des politiques en fonction de la situation géographique des États, la "nouvelle" a également commencé à étudier l'impact de l'histoire du développement économique, des identités ethniques, confessionnelles et nationales, des conflits sociopolitiques et des transformations financières et monétaires, etc.

Les domaines considérés ont également changé, ajoutant à la géosphère, à l'hydrosphère et à l'atmosphère également la spatio-sphère et l'infosphère (ou cybersphère). Plus récemment, nous avons également assisté à la formation de sous-sphères telles que l'économique (industrielle et commerciale), la financière (monétaire) et la culturelle (art, théâtre, cinéma, mode, musique). Une fois encore, les relations internationales entre les acteurs, telles que les alliances, les accords, les stratégies partagées dans tous les plans d'intérêt susmentionnés, sont de plus en plus prises en compte.

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Par conséquent, il est clair qu'actuellement, pour changer le statut géopolitique d'un pays, son influence, son leadership et sa domination, il est nécessaire de modifier la structure des sphères et du monde complexe qui le caractérise.

En essayant de placer la Géoéconomie dans cette vaste agonie, nous pouvons essayer de faire une distinction en macro-zones de la Géopolitique:

    - La géo-histoire (ou géo-chrono-politique), qui étudie les constitutions politiques, les doctrines et les actions des États dans l'histoire et dans leur interaction ;
    - La géoéconomie, qui aborde les doctrines et les actions géopolitiques d'un point de vue économique ;
    - La géo-ethno-politique, qui traite des interactions des différents groupes ethniques, de leur positionnement à la surface de la Terre et des flux migratoires ;
    - La géo-confessiono-logie, qui divise le monde en régions dominées par des doctrines religieuses spécifiques et étudie les interactions entre les États ;
    - La géo-polémo-logie, qui se concentre sur la composante conflictuelle de la politique, en divisant le monde en zones de conflit et en étudiant leurs possibilités ;
    - La géo-futuro-logie, basée sur la prédiction de divers scénarios et situations et sur des hypothèses théoriques de restructuration du monde.

Bien que la distinction puisse sembler quelque peu floue, étant donné l'interpénétration normale des domaines de connaissance décrits, il n'en reste pas moins vrai que les chercheurs en géopolitique tendent de plus en plus à se spécialiser dans les différents domaines, à tracer de plus en plus leurs frontières, un sort typique de toute science au fur et à mesure de son développement.

Il n'est plus possible d'ignorer la spécificité d'un champ disciplinaire sans courir le risque de tomber dans une grave carence scientifique et même avant cela épistémologique, gnoséologique et herméneutique : la géoéconomie doit être reconnue comme telle et être pleinement traitée dans le cadre de la géopolitique.

En étudiant les marchés, la division en sphères d'influence, le choc des intérêts économiques, les dépendances indépendantes du statut, l'espace économique transfrontalier, les devises et les systèmes financiers, la géoéconomie agit comme un outil organisationnel pour la création de la stratégie géoéconomique d'un État, qui détermine sa position dans l'espace géoéconomique mondial.

La statique de la géoéconomie devrait inclure :

    - La division industrielle et économique du monde entre les puissances les plus puissantes ;
    - La division financière et économique du monde en zones de dominance, l'influence du dollar, de l'euro, du rouble, la zone émergente du yuan, les zones monétaires nationales et le monde des crypto-monnaies ;
    - La division du monde entre pays producteurs de matières premières et pays consommateurs de matières premières ;
    - La division du monde de l'énergie entre les pays fournisseurs et les pays consommateurs d'énergie ;
    - La division du monde entre pays producteurs et pays consommateurs d'armements et d'équipements militaires ;
    - La division du monde entre pays producteurs et pays consommateurs de produits agricoles ;
    - La division du monde entre pays producteurs et pays consommateurs ;
    - La division du monde entre les pays bénéficiant d'un climat favorable et d'une infrastructure touristique développée, et les pays qui sont principalement à l'origine des flux touristiques.

La dynamique de la géoéconomie englobe tous les processus économiques mondiaux qui introduisent des changements dans la structure géoéconomique du monde, notamment :

    - les flux de marchandises;
    - les flux de main-d'œuvre;
    - les flux financiers;
    - les flux de touristes;
    - les flux d'athlètes et de leurs supporters, etc.

Bien entendu, nous avons affaire à une discipline qui n'est pas encore totalement indépendante - à supposer que les disciplines puissent exister isolément des autres - et qui est plutôt une activité qui se déroule dans un contexte de recherche.

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La géoéconomie occupe une place de choix parmi les autres disciplines académiques modernes, notamment l'économie, les sciences politiques, la géographie et l'histoire.

Tout d'abord, du point de vue de la science économique, la géoéconomie est considérée comme une partie de l'économie, une méthode d'étude des processus économiques ; en même temps, il n'y a pas d'unanimité au sein de la science économique, il n'y a pas de consensus sur la place de la géoéconomie.

Deuxièmement, la géoéconomie peut être considérée comme faisant partie de la science géographique, c'est-à-dire comme une sous-discipline géographique dont l'objet est l'étude de la formation des géosystèmes économiques transnationaux, des facteurs spatiaux (géographiques) d'importance internationale.

Troisièmement, elle peut être abordée par le biais de l'économie politique, en étudiant les modèles de développement politico-économique mondial et régional, les interrelations entre les États et les unions économiques entre les pays, la structure politico-économique du monde.

Dans la quatrième partie, la géoéconomie est une combinaison, une certaine synthèse des approches et stratégies géographiques, économiques et politiques. Les processus politiques et économiques ne s'épuisent pas dans un seul géo-espace et ne fusionnent pas non plus au fil du temps. Cela donne aux géographes et aux économistes modernes la possibilité d'appliquer une approche de terrain à leurs recherches, en construisant des sphères d'influence géoéconomiques qui ne coïncident pas toujours avec les frontières d'une nation, les renforçant ou les affaiblissant [3].

Son interface entre l'économie, la géographie et les sciences politiques en fait un nœud crucial pour aborder la complexité du monde contemporain.

Genèse et bref historique de la géoéconomie

L'attachement de l'économie à la politique, à l'histoire, à la géographie et à la culture nationale se retrouve chez de nombreux chercheurs des 19ème et 20ème siècles. Ces approches appartenaient à Fernand Braudel, Immanuel Wallerstein, Fritz Roerig et Friedrich List. La notion même de géoéconomie a été introduite par l'historien français Fernand Braudel [4]. En tant que chercheur en civilisation et spécialiste de l'histoire économique, Braudel a étudié de longues périodes de temps, faisant un usage intensif des statistiques économiques et de la géographie rétrospective afin de créer un vaste paysage historique d'"histoire sans événement", dans lequel les événements sont enregistrés non pas comme des phénomènes locaux de la politique, mais comme des "anomalies" découvertes par l'historien dans le cours naturel de la vie historique de la société. Il a ainsi créé un modèle de recherche original, considérant les "structures de la vie quotidienne" qui ne changent pas avec le temps et sont les conditions matérielles de l'existence de l'État dans un environnement géographique et social donné. Cette approche fait de Braudel (photo) un géopolitologue et un géo-économiste à part entière.

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Les auteurs russes ont également utilisé des termes et des arguments géoéconomiques. Au début du 20ème siècle, divers aspects de la vie mondiale, des concepts économiques et géopolitiques ont été développés dans l'économie politique marxiste, la théorie des grands cycles de Nikolaï Kondratiev [5], et la conception tectologique de la société d'Alexandre Bogdanov, les théories des eurasistes. Les principales idées de la géoéconomie russe ont émergé dans le premier tiers du 20ème siècle, une période au cours de laquelle des notions de dynamique économique et géopolitique, telles que les systèmes de domination du capital financier international, les grands cycles commerciaux, le développement régional eurasiatique, etc. ont été introduites.

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Nikolaï Kondratiev.

La géoéconomie en tant que concept unificateur de la géopolitique et de l'économie a commencé à être activement utilisée relativement récemment. Le fondateur de la phase moderne de la géoéconomie aux États-Unis est considéré comme étant Edward Luttwak, un historien et géopoliticien américain spécialisé dans les coups d'État et les conflits militaires. Luttwak oppose la géopolitique à la géoéconomie en tant que politique fondée sur la concurrence économique ; selon lui, le comportement des grandes puissances se réalise aujourd'hui comme une incarnation de la logique du conflit dans la grammaire du commerce. La géoéconomie nécessite alors le développement de techniques de défense économique et offensive, car la menace géopolitique d'un État est une menace économique.

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Edward Luttwak.

En Europe, dans les années 1980, le politicien et économiste français Jacques Attali, représentant de l'approche néo-mondialiste, était un partisan du concept de géoéconomie. Attali a soutenu avec force que le dualisme géopolitique avait été aboli et que l'avènement d'un monde unique structuré sur les principes de la "géoéconomie" était imminent.

Les principales zones économiques du monde sont l'espace américain, l'espace européen et l'espace de la région Pacifique. Entre ces trois espaces mondialistes, selon Attali [7], il n'y aurait pas de distinctions ou de contradictions particulières, car les types économiques et idéologiques seraient strictement identiques dans tous les cas. La seule différence serait la position purement géographique des centres les plus développés, qui se concentreraient en structurant les régions moins développées situées à proximité spatiale autour d'eux. Une telle restructuration concentrique ne sera possible qu'à la "fin de l'histoire" ou, en d'autres termes, à l'abolition des réalités traditionnelles dictées par la géopolitique. Le mélange de logique géo-économique et néo-mondialiste, c'est-à-dire l'absence d'un opposé polaire à l'atlantisme, est devenu possible après l'effondrement de l'URSS. La néo-mondialisation n'est pas une continuation directe du mondialisme historique, qui présupposait à l'origine la présence d'éléments socialistes dans le modèle final. Il s'agit d'une version intermédiaire entre le mondialisme proprement dit et l'atlantisme. L'intensification, à la fin du 20ème siècle, de l'analyse des dynamiques économiques de longue durée et l'attrait d'un nombre croissant de chercheurs pour l'approche par système mondial ont conduit à l'émergence d'un nouveau paradigme civilisationnel dans lequel l'accent est mis sur les cycles longs de l'hégémonie mondiale.

Une (re)considération nécessaire de la géo-économie

L'essence du vecteur le plus récent du développement mondial est l'entrée du monde dans l'ère du passage d'une vision géopolitique à une vision géoéconomique. Le multipolarisme est désormais une réalité factuelle de plus en plus évidente et il est inévitable de l'envisager également sous l'angle économique et financier, qui en constitue d'ailleurs une partie très importante et inévitable, puisque les processus qui conduisent à une géopolitique multipolaire factuelle sont en grande partie de nature économique. Un nouveau domaine d'accords d'intérêt commun s'est ouvert. L'approche géoéconomique - sa géogenèse - a reçu un profond ancrage théorique et méthodologique. Un nouveau cadre de compréhension du monde a été formé sur la base de notions, de catégories et de significations plus récentes.

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Parmi eux, les attributs géoéconomiques tels que l'espace géoéconomique, les frontières économiques pulsantes, les géofinances, l'évolution des formes de marchandises et les thèmes de la communication économique mondiale, le "marché environnemental" avec son effet stratégique, les noyaux de reproduction internationalisée (cycles), les "systèmes-pays" tournés vers l'extérieur et l'intérieur, le comptage du revenu mondial, l'atlas géoéconomique du monde, le regain d'intérêt pour la géologie, les interprétations volumétriques multiformes des situations géoéconomiques, la haute technologie, les guerres géoéconomiques, les contre-attributions géoéconomiques, les premières indications du droit géoéconomique, la transnationalisation ethno-économique, sans oublier le cyberespace avec la numérisation des monnaies et des échanges.

L'impact de la stratégie géoéconomique d'entités supranationales à fort pouvoir financier interagissant avec les États et les macro-structures, telles que le Forum économique mondial, les Nations unies, le Forum économique eurasien, les BRICS, mais aussi Big Pharma et Big Data, en particulier les FANG, dont les activités, les stratégies, les documents et les décisions sont cruciaux à la fois pour comprendre la nature multivariée du développement mondial et pour analyser la centralité réelle de la géoéconomie dans un contexte communicationnel où elle se manifeste faiblement.

Un exemple concret est le niveau de développement économique et social proposé par les Nations Unies, basé sur les critères suivants :

    - le niveau de développement économique (PIB/PNB par habitant, structure industrielle des économies nationales, production des principaux produits par habitant, indicateurs de qualité de vie, indicateurs d'efficacité économique) ;
    - le type de croissance économique (extensive, intensive, à forte intensité de connaissances) ;
    - le niveau et la nature des relations économiques extérieures (déterminés par le degré d'ouverture de l'économie sur le monde, la sophistication des marchés intérieurs, etc ;)
    - le potentiel économique du pays.

Sur la base de ces critères, l'ONU identifie des groupes d'États : les pays développés, les pays en développement, les pays à économie en transition, qui constituent des mondes différents sur la carte géo-économique du monde. Ces indicateurs déterminent également la situation géopolitique et géoéconomique de chaque État et l'image géoéconomique du monde dans son ensemble, qui se compose des États en situation géoéconomique.

Il s'ensuit clairement que la formation de stratégies géoéconomiques mondiales et nationales est devenue une tâche importante de la géoéconomie appliquée. La création d'une stratégie mondiale de développement est une tâche complexe et multiforme, qui est entreprise par de nombreuses entités et approuvée, en règle générale, par les participants, en faisant souvent appel à des structures fiduciaires ou consultatives externes, comme dans le cas des grands holdings bancaires qui sont appelés à rédiger les lois financières des États ou à gérer le crédit des banques centrales.

En un sens, cependant, ce mode de fonctionnement donne à la géoéconomie une place plutôt modeste après la justice sociale, c'est-à-dire le dépassement des écarts économiques et des inégalités dans les conditions de vie des citoyens, des peuples du Nord et du Sud, ainsi que de l'Ouest et de l'Est, les questions écosystémiques et l'avènement de nouvelles parodies numériques. Encore une fois, il est inévitable de souligner comment une stratégie globale ne correspond pas à une stratégie valable "pour tous", en rappelant comment les symétries dans un scénario géopolitique multipolaire caractérisent les stratégies géoéconomiques, et vice versa.

La stratégie globale vise à atteindre le développement durable et l'égalisation des pays (en termes de niveau de vie, de critères sociaux et de possibilités de développement). La stratégie géoéconomique d'un État consiste à accroître sa compétitivité dans la lutte pour les marchés mondiaux, à augmenter son influence dans les processus géoéconomiques mondiaux et sa durabilité géoéconomique. C'est peut-être l'un des points les plus importants sur lesquels se joue la revalorisation de la géoéconomie en tant que science sur l'échelle de la géopolitique, devant les autres sciences sociales et politiques : un État ou, dans son ensemble, une macro-zone d'influence et de relations, ne peut pas ne pas tenir compte du succès interne, également en termes d'existence et de continuité, comme point de départ des stratégies internationales et inter-zones. C'est, ipso facto, l'échec pragmatique et même avant cela, l'échec conceptuel de l'unification sous une gouvernance unique. Ce "succès" du multipolarisme, qui a vaincu l'unipolarisme et ouvert de nouvelles cartographies politiques, économiques et existentielles, est le promoteur d'un multigéoéconomisme, dans lequel les sphères d'influence sont afférentes aux pôles géopolitiques d'identité et de pouvoir [8].

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Une critique de nature conceptuelle qui, à mon avis, est légitime pour la géoéconomie, toujours en vue d'une réévaluation attentive, est le besoin que cette discipline a d'une plus grande conceptualisation. En effet, il manque des théories sectorielles bien définies et des méta-analyses, ce qui fait que la plupart du temps, la géoéconomie se réfère aux doctrines et théories économiques et géopolitiques, sans pour autant développer les siennes, conformément à ce caractère pluridisciplinaire qui lui est dû. Le risque est de rester une branche avec un développement par inertie, sans libérer son potentiel et sans pouvoir expliquer adéquatement la complexité globale que nous connaissons.

Notes:

[1] Cfr. C. Terracciano, Geopolitica, AGA Editrice, Milano 2020, cap. I.
[2] Sans vouloir chercher à retirer de la dignité à la dite discipline, nous utilisons le terme de"sous-discipline" pour indiquer une "dérivation" et non pas pour poser une hiérarchisation dans les importances.
[3] Danscertains cas, le terme de "géo-économie" est remplacé par d'autres, similaires: G. D. Glovely propose “économie géopolitique”, auquel E. G. Kochetov colle l'adjectif de “globalíste”.
[4] Cfr. F. Braudel, La dinamica del Capitalismo, Il Mulino, Bologna 1977.
[5] Pour approfondir cette idée des plus intéressantes de N. K. Kondratiev, I cicli economici maggiori, a cura di G. Gattei, Cappelli, Bologna 1981.
[6] Para aprofundar: G. Rispoli, Dall’empiriomonismo alla tectologia. Organizzazione, complessità e approccio sistemico nel pensiero di Aleksandr Bogdanov, Aracne, Roma 2012.
[7] J. Attali, Breve storia del futuro, a cura di E. Secchi, Fazi, Roma 2016.
[8] Cfr. L. Savin, Ordo Pluriversalis. La fine della Pax Americana e la nascita del mondo multipolare, prefazione e curatela di M. Ghisetti, Anteo Edizioni, Avellino 2022.

mardi, 29 novembre 2022

Comment les États-Unis poussent l'Inde vers la multipolarité

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Comment les États-Unis poussent l'Inde vers la multipolarité

par Katehon Editor

Source: https://www.ideeazione.com/come-gli-stati-uniti-stanno-spingendo-lindia-verso-il-multipolarismo/

Depuis quelques mois, les États-Unis ont tenté à plusieurs reprises de forcer l'Inde à rompre ses liens avec la Russie, abandonnant ainsi ses intérêts nationaux. New Delhi continue toutefois de résister aux tentatives américaines de soumettre son économie aux diktats de Washington.

La dernière controverse concernait la tentative du G7 d'imposer un contrôle des prix du pétrole russe et les interdictions de l'UE et du Royaume-Uni frappant le transport maritime et les services liés au pétrole russe.

L'Inde n'est pas intéressée à rejoindre l'initiative menée par les États-Unis, car elle bénéficie d'une réduction importante sur le pétrole en provenance de Russie et souhaite maintenir des relations avec un partenaire stratégique de longue date. Le ministre indien des Affaires étrangères, Subramaniam Jaishankar, s'est rendu à Moscou le 8 novembre pour discuter de la poursuite des ventes de pétrole. Il a déclaré que l'Inde avait l'intention de continuer à acheter du pétrole russe, ignorant une nouvelle fois les appels lancés par les États-Unis à leurs alliés et partenaires pour isoler la Russie des marchés mondiaux.

Les projets du G7 risquent de faire grimper les prix du pétrole (malgré les déclarations contraires de la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen) et de réduire la disponibilité des pétroliers, mettant ainsi en péril la sécurité énergétique de l'Inde et portant atteinte à son économie, qui est le troisième consommateur et importateur de pétrole au monde.

La Russie a déclaré qu'elle ne vendrait pas de pétrole à un pays impliqué dans le système de plafonnement des prix, et Jaishankar a répété à plusieurs reprises que l'Inde ne peut pas se permettre d'acheter du pétrole à des prix élevés, du moins pas sans nuire à sa croissance économique, qui devrait être de 6,1 % en 2023, faisant de l'Inde la grande économie à la croissance la plus rapide du monde. Selon Energy Intelligence, la Russie est devenue le premier fournisseur de pétrole brut de l'Inde en octobre, avec plus de 900.000 barils par jour, ce qui représente environ un cinquième des exportations de pétrole de l'Inde.

La principale préoccupation des deux pays est de s'assurer que le brut russe continue à circuler après les interdictions imposées par l'UE et le Royaume-Uni le 5 décembre et les plafonds de prix connexes du G7.

En raison de cette attitude attentiste, il n'y a toujours pas de clarté. Bruce Paulsen, expert en sanctions et partenaire du cabinet d'avocats Seward & Kissel, estime que "si les orientations sur la conformité [au plafonnement des prix] n'arrivent pas rapidement, certains acteurs de l'industrie pourraient être laissés en plan jusqu'à ce qu'ils soient en mesure de déterminer si les prix affectent la sécurité de l'approvisionnement".

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Les États-Unis ont temporairement cessé de faire pression sur l'Inde pour qu'elle respecte les plafonds de prix, et Mme Yellen déclare maintenant que Washington est "heureuse" si New Delhi continue à acheter tout le pétrole russe qu'elle souhaite, même à des prix supérieurs aux plafonds de prix du G7. Même si l'Inde ne peut pas utiliser les services d'assurance, financiers ou maritimes occidentaux pour transporter le pétrole.

Les raffineries indiennes peuvent traiter 600.000 bpj supplémentaires de brut russe, à condition qu'elles battent les principaux grades du Moyen-Orient, qui constituent la base de raffinage du pays, soit 5 millions de bpj. Mais la disponibilité de la livraison et de l'assurance, ainsi que des canaux de paiement, est cruciale. À partir du 5 décembre, les pétroliers et les compagnies d'assurance maritime liés aux pays de l'UE et du G7, qui dominent les expéditions mondiales de pétrole, se verront interdire le commerce du brut russe, à moins que ces volumes ne soient vendus à un prix maximum, qui n'a pas encore été déterminé. En outre, 90 % du commerce liquide de l'Inde est assuré par des pétroliers étrangers, ce qui crée des problèmes. L'assurance en elle-même ne semble pas si problématique et les entreprises russes et chinoises pourraient être en mesure de s'en charger.

Cela pourrait rendre la Russie dépendante d'une flotte fantôme de vieux pétroliers qui ne s'échangent pas en dollars. Récemment, Braemar, une société de courtage, a signalé que 33 pétroliers qui transportaient des exportations iraniennes ou vénézuéliennes, transportent depuis avril des exportations russes, principalement vers la Chine et accessoirement vers l'Inde.

Cette "flotte fantôme" représente les pétroliers qui ont transporté du pétrole iranien ou vénézuélien au moins une fois au cours de l'année écoulée. Le nombre total de ces pétroliers s'élève désormais à 240, pour la plupart de petite et moyenne taille, dont 74 % sont âgés de 19 ans ou plus. Quatre-vingts de ces navires sont de très gros transporteurs de brut (VLCC, pétroliers de 2 millions de barils), qui ne pourraient pas faire escale dans les ports russes, mais pourraient être utilisés pour transporter des cargaisons russes d'un navire à l'autre.

Dans le même temps, Washington fait pression sur New Delhi pour qu'elle respecte les plafonds de prix et importe davantage de gazole sous vide de l'Inde, qui est utilisé dans les raffineries pour produire d'autres produits tels que l'essence et le diesel. La Russie était un fournisseur clé de gazole sous vide pour les raffineries américaines jusqu'en février 2022.

Les sanctions américaines et européennes ne s'appliquent pas aux produits raffinés fabriqués à partir de pétrole russe exporté depuis un pays tiers, car ils ne sont pas d'origine russe. En Inde, les raffineurs ont augmenté leurs importations de brut russe à 793.000 bpj entre avril et octobre, contre seulement 38.000 bpj sur la même période un an plus tôt, selon les données commerciales.

Dans le contexte où les États-Unis tentent de construire leur stratégie indo-pacifique pour affronter la Chine, les actions de New Delhi causent clairement des problèmes à Washington. La possibilité que l'Inde poursuive ses propres intérêts nationaux ne semble pas avoir été prise en compte dans cette stratégie.

Les tensions sur la limitation des prix du pétrole en provenance de Russie ne sont que les dernières d'une série de désaccords entre New Delhi et Washington. Les sanctions américaines sur les exportations de pétrole iranien privent également l'Inde du pétrole iranien bon marché et l'obligent à acheter des exportations énergétiques plus chères aux États-Unis. L'Inde est actuellement le plus grand exportateur de pétrole des États-Unis.

Tout comme Washington arme la Grèce et Chypre dans le but de forcer la Turquie à couper ses liens avec la Russie, les États-Unis font de même au Pakistan pour faire pression sur l'Inde. Après avoir renversé l'ancien Premier ministre pakistanais Imran Khan, qui accuse les États-Unis de lui avoir fait perdre le pouvoir lors d'un vote de défiance, Washington tente de trouver des approches pour le nouveau gouvernement. En septembre, le département d'État américain a provoqué la colère de l'Inde en approuvant un contrat de 450 millions de dollars pour moderniser la flotte d'avions de chasse F-16 du Pakistan. Peu après, l'ambassadeur américain au Pakistan a fait monter la tension lors d'une visite de la partie du Cachemire contrôlée par le Pakistan, qu'il a appelée "Cachemire administré par le Pakistan" au lieu du "Cachemire administré par le Pakistan" approuvé par l'ONU.

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Le 8 novembre, le porte-parole du département d'État américain, Ned Price, a même fait la leçon à l'Inde sur ce qui est dans son intérêt : "Nous avons également indiqué clairement que ce n'est pas le moment de faire comme si de rien n'était avec la Russie, et les pays du monde entier ont l'obligation de faire tout leur possible pour relâcher leurs liens économiques avec la Russie. Il est dans l'intérêt collectif, mais aussi bilatéral, des pays du monde entier de mettre fin à leur dépendance vis-à-vis de l'énergie russe et, bien sûr, de s'en débarrasser au fil du temps. Plusieurs pays ont fait l'amère expérience que la Russie n'est pas une source d'énergie fiable. La Russie n'est pas un fournisseur de sécurité fiable. La Russie est loin d'être fiable dans tous les domaines. Il est donc non seulement dans l'intérêt de l'Ukraine, non seulement dans l'intérêt de la région, mais aussi dans l'intérêt collectif de l'Inde de réduire sa dépendance à l'égard de la Russie au fil du temps, mais aussi dans le propre intérêt bilatéral de l'Inde, étant donné ce que nous avons vu en Russie".

Bien sûr, ce n'est pas vrai. Et l'Inde en est bien consciente. L'Indian Observer Research Foundation a publié le 2 novembre les résultats d'un sondage montrant que 43% des Indiens considèrent la Russie comme le partenaire le plus fiable pour leur pays, loin devant les Etats-Unis (27%). Washington n'explique pas pourquoi il serait préférable pour l'Inde de réduire ses liens économiques avec la Russie.

Le commerce bilatéral de l'Inde avec la Russie a atteint le niveau record de 18,2 milliards de dollars entre avril et août de cette année fiscale, selon les derniers chiffres du ministère du Commerce. La Russie devient ainsi le septième partenaire commercial de l'Inde, contre le 25e l'année dernière. Les États-Unis, la Chine, les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite, l'Irak et l'Indonésie sont toujours devant la Russie.

L'Inde, l'Iran et la Russie ont également passé les deux dernières décennies à développer le corridor de transport international Nord-Sud pour stimuler le commerce entre les pays, ce qui a pris une importance accrue avec l'imposition de sanctions occidentales à Moscou. LoadStar rapporte que RZD Logistics, une filiale du monopole ferroviaire russe RZD, a lancé des services réguliers de trains de conteneurs de Moscou à l'Iran pour servir le commerce croissant avec l'Inde par transbordement.

L'objectif est de maximiser l'utilisation du corridor international de transport Nord-Sud (INSTC), un réseau de fret multimodal transfrontalier en Asie centrale qui aide les deux partenaires stratégiques à surmonter les défis de la chaîne d'approvisionnement causés par les sanctions occidentales contre la Russie.

Selon des sources industrielles, le temps de transit le long de la route nationale "océanique" est estimé à 35 jours, contre environ 40 pour les transports traditionnels précédents.

La pression exercée sur l'Inde ne semble qu'encourager New Delhi à chercher des moyens de s'affranchir de la dépendance au dollar. Loadstar ajoute que la Reserve Bank of India introduit également de nouvelles directives réglementaires pour aider les exportateurs à payer leurs expéditions en roupies plutôt qu'en dollars. La Fédération des organisations d'exportation indiennes fait également pression sur le gouvernement pour qu'il introduise une méthode de change alternative en dehors du marché russe. Il est intéressant de noter que le Pakistan demande au ministère russe du commerce d'introduire un mécanisme d'échange de devises afin de renforcer les liens économiques entre les deux pays.

Les États-Unis et l'Occident, par leurs actions irréfléchies, poussent l'Inde et d'autres pays à revoir leurs itinéraires logistiques et à chercher des solutions financières et économiques alternatives. 

samedi, 19 novembre 2022

G-20 : Les "adultes dans la pièce" à la recherche de l'ordre perdu

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G-20 : Les "adultes dans la pièce" à la recherche de l'ordre perdu

Source: https://www.lantidiplomatico.it/dettnews-g20_gli_adulti_nella_stanza_alla_ricerca_dellordine_perduto/39602_47932/

par Paolo Raffone

Les projecteurs qui éclairaient le G20 à Bali étant éteints, on ne voit plus dans la salle que trois adultes - la Chine, les États-Unis et la Russie - qui, dans diverses bilatérales et négociations plus ou moins secrètes, ont affiné certaines questions pendantes. Pas d'amitié ni de solidarité. Tous conscients que personne ne gagne à continuer dans le dangereux (et nuisible) désordre mondial. Aucune concession mutuelle, aucun rabais. Réalisme et pragmatisme sont les mots d'ordre.

Inopportune et provocatrice, la visite de Pelosi à Taïwan a été mise de côté par déférence pour les principes établis en 1971 à l'ONU (une seule Chine... et donc le principe westphalien et sacré, celui de l'intégrité territoriale internationalement reconnue). Sur l'inopportunité d'utiliser des armes nucléaires, la Chine et les États-Unis semblent s'être mis d'accord (Taïwan ne vaut pas la bombe), mais aussi les États-Unis et la Russie semblent aller dans la même direction (réunion pour rouvrir les négociations START). En ce qui concerne l'opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine, la Chine et les États-Unis se rendent compte de l'échec tactico-stratégique de la Russie, mais sont d'accord sur la stupidité politico-stratégique totale de l'isolement et de l'humiliation de la Russie (la Chine a de solides souvenirs du siècle d'humiliation du Céleste Empire et les États-Unis des conséquences involontaires de la "paix" vexatoire de Versailles). Tous deux préfèrent surmonter l'"incident militaire" par un puissant plan de reconstruction (pour la construction qui fut lésée) qui a une portée régionale transfrontalière convenue et équilibrée avec des sauvegardes et des garanties ainsi que des zones hybrides de collaboration possible.

Conscients de leurs limites et contraintes internes respectives, la Chine et les États-Unis ont reconnu que leur niveau d'interdépendance économique est tel qu'il décourage les nouvelles aventures et les représailles, laissant la voie libre à une concurrence loyale et à une compétition technologique et commerciale (en bref, les embargos et les sanctions enrichissent les avocats mais appauvrissent les États).

Au cours du G20, les perspectives de la gouvernance mondiale semblent être apparues sur un modèle quadrilatéral : G2+1+1. Chine-États-Unis (G2), Chine-Russie (+1) et États-Unis-UE (+1). Le G2 (une idée d'Obama qui a échoué par la suite) serait l'épicentre de l'infrastructure mondiale, tandis que les deux +1 ne seraient pas des zones d'influence typiques de l'ancienne sémantique géopolitique mais plutôt des partenaires auxiliaires dotés d'autonomie. Une configuration mondiale néo-impériale. D'autre part, l'issue actuelle des neuf mois de guerre a conduit à la nécessité de tirer quelques leçons réelles et pragmatiques : a) les logiques unipolaires ne sont plus durables ni commodes pour prévenir le multipolarisme ; b) la captation de l'Europe par les Américains et les puissances émergentes farouchement anti-russes et anti-européennes telles que celles de l'Intermarium polono-ukraino-lituanien (déjà cher à Józef Pilsudski il y a exactement un siècle); c) en Eurasie, c'est la Chine et l'Inde qui dirigent les flux énergétiques et commerciaux nécessaires vers la Russie, avec des retombées évidentes de l'Australie à l'Asie centrale, au Golfe Persique et à l'Afrique.

Rien n'est décisif. Le monde reste fluide. Les coups de Jarnac par les cinquièmes colonnes sont toujours possibles. Les géométries variables sont un must. En tout cas, il semble que dans l'atmosphère décadente de Bali, les dirigeants aient vécu une réflexion psychologique proustienne sur la mémoire et le temps à la recherche de l'ordre perdu. Reste à savoir si, dans le temps retrouvé, les dirigeants se rendront compte de l'inévitabilité du passage du temps, en évitant les remords mais en construisant ensemble un nouveau récit.

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Dans la salle du G20 à Bali, on aperçoit également des enfants habillés en tenue de fête. Ils s'adressent aux adultes avec des danses et des pirouettes, en essayant de capter leur attention. Parmi eux, seule une jeune fille à la crinière dorée et à la voix rauque. L'air festif est interrompu par les images d'un petit homme vêtu de vert qui brandit les dix commandements de la paix tout en récitant de terrifiants mots de destruction. Au bord de la pièce, d'autres personnages apparaissent, quelque peu distants. Un écuyer méphistophélique, qui sous les traits d'un Savonarole de roman parle d'isoler le malin, propose à tous ses six points pour le bonheur [1], et raconte qu'il possède un merveilleux jardin enchanté, protégé des barbares envahisseurs. Une dame angélique, une Teresa visqueuse qui voltige de pan en fracas en offrant son soutien à tous, cherche désespérément une chaise pour s'allonger. Un esprit faustien se tourne vers le "grand monde" des cours impériales, où il expérimente les séductions du pouvoir, de la richesse et de la gloire terrestre. Soudain, un jeune garçon aux mains fines et osseuses s'agite, annonçant qu'un missile est tombé dans le jardin enchanté. Il brise le silence avec des tremblements de terreur. L'écuyer méphistophélique identifie immédiatement l'envahisseur qui veut troubler l'enchantement du bonheur. Les adultes, quelque peu agacés, se regroupent à l'écart dans un caucus d'où l'on peut les entendre commenter à voix basse: de toute façon, ce sont les barbares qui sont à blâmer, mais ce n'est pas un missile mais un message du ciel. Sic transit gloria mundi.

[1] https://www.politico.eu/article/russia-isolation-european-union-policy/

 

mercredi, 09 novembre 2022

L'Europe dans l'actualité géopolitique

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L'Europe dans l'actualité  géopolitique

Par Enric Ravello Barber 

Source: https://euro-sinergias.blogspot.com/2022/11/europa-en-el-momento-geopolitico-actual.html

Les États-Unis, la Chine et la Russie sont les trois principaux acteurs du monde multipolaire, dans lequel la Turquie, l'Iran et la Corée du Nord se consolident en tant que puissances régionales, et l'Argentine, le Brésil et le Royaume-Uni tentent de le faire mais sans succès. L'Europe, qui aurait un rôle majeur à jouer dans un équilibre multipolaire, a un énorme désavantage par rapport à toutes ces puissances majeures et mineures : elle n'existe pas. Tous les acteurs susmentionnés constituent, chacun à leur manière, une unité politique avec un gouvernement central doté d'une capacité de décision unique et finale; l'Europe est un hybride qui reste à définir. L'Union européenne, première puissance commerciale du monde avec le PIB le plus élevé du monde, n'est pas capable de s'articuler comme un acteur unique et autonome. Le défi consiste à consolider un modèle de gestion unique (économique, politique et diplomatique) qui agit à l'échelle du continent et non comme la somme - souvent contradictoire - des intérêts de chacun des pays qui le composent. En d'autres termes, résoudre la dialectique actuelle de sa nature, qui oscille entre être une unité et être une organisation internationale.

Sans une force militaire commune et autonome qui lui serait propre, l'Europe politique (UE) est incapable d'imposer et de défendre ses intérêts au niveau régional et mondial: le conflit en Ukraine en est la dernière preuve. L'OTAN est une organisation dirigée par les États-Unis. Récemment, il a été question que les pays de l'UE puissent avoir plus de pouvoir interne au sein de l'OTAN, pour "équilibrer" le pouvoir de Washington et de l'Europe dans cette organisation militaire, ce qui est vraiment irréaliste.

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Ukraine : une guerre contre l'Europe et l'Allemagne

Dans les années 1970, le géopoliticien autrichien Jordi von Lohausen a souligné que le véritable ennemi des États-Unis était l'Europe et non l'URSS - nous parlons de l'époque du milieu de la guerre froide. L'obsession de Washington serait de réduire l'Europe à une colonie politique et militaire et de détruire ainsi sa civilisation. C'est une constante de la politique de Washington, une constante qui a un dérivé permanent : éviter tout rapprochement entre l'Allemagne et la Russie, car ce serait la synergie qui pourrait créer une puissance continentale capable de défier la domination américaine.

De nombreux analystes ont souligné que la provocation d'une guerre en Ukraine par les États-Unis et leurs terminaux atlantistes dans l'UE vise à détruire tout à la fois l'Allemagne - première puissance économique d'Europe - et la Russie - première puissance militaire d'Europe. Cela provoquera également une crise d'approvisionnement en hydrocarbures sur le continent - dépendant des matières premières russes - qui le plongera dans une profonde crise socio-économique.

Dans cette dynamique, il convient de signaler quelques réactions européennes qui méritent d'être soulignées comme significatives.

La Pologne a agi selon ses habitudes au cours de ces dernières décennies, en tant que véhicule des intérêts américains en Europe centrale, reprenant le rôle géopolitique que revêtait ses actions provocatrices dans les années 30 sous l'égide de Londres. En réponse à l'explosion du gazoduc Nord Stream en mer Baltique, une attaque contre les intérêts russes, mais surtout contre ceux de l'Europe occidentale, l'eurodéputé et ancien ministre des affaires étrangères polonais Radek Sikorski (du Parti populaire européen) a publié sur son compte Twitter une photo du gazoduc explosé, assortie de la phrase "Merci, USA". Pendant ce temps, le 1er septembre, le gouvernement polonais, aux mains du parti "ultra-conservateur" Droit et Justice, a exigé 1,3 milliard de dollars du gouvernement allemand pour les réparations de guerre. La réponse du chancelier allemand Olaf Scholz a été de réviser l'actuelle frontière germano-polonaise en fonction des "documents historiques". Et, allant un peu plus loin le 5 octobre, poursuivant sa "stratégie de la tension", Varsovie, dans des déclarations de son président Duda, a proposé aux États-Unis de placer des armes nucléaires sur son territoire, ce que l'OTAN elle-même a considéré comme trop risqué.

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La Pologne se joint également à la stratégie américaine visant à déloger l'Allemagne de sa position de centre politique et économique de l'Europe. La Pologne essaie de remplacer son voisin allemand comme point d'arrivée du gaz en Europe. À cette fin, la Pologne construit le "Baltic Pipe", un gazoduc qui amènerait le gaz norvégien en Pologne, rendant Nord Stream "inutile". Mais la capacité initiale de cette voie baltique est de 3 BCM, qui pourrait atteindre un maximum de 10 BCM, bien loin des 135 BCM de North Stream. Et totalement insuffisante pour les besoins de l'Europe centrale.

Dès le début, la position de Varsovie a été très claire : soutien à l'Ukraine et confrontation avec la Russie. Cette position n'est pas aussi altruiste qu'il n'y paraît et est pleine de doubles intentions. Poutine a déclaré : "La Pologne n'a pas abandonné ses rêves de s'emparer d'une partie de l'Ukraine" (1). Une réalité à laquelle divers analystes internationaux ont fait référence (2). 

Après sa réélection au poste de président, Macron a disparu de la scène internationale. Il a démontré que son leadership européen et son autonomie par rapport à Washington étaient faibles. Au moment décisif, il a montré sa servilité à l'égard des intérêts américains et ses entretiens avec Moscou ont été rapidement interrompus. Ses appels à Washington pour ramener la paix dans la crise de la guerre russo-ukrainienne restent lettre morte à la Maison Blanche, principale partie prenante de la prolongation du conflit.

L'Allemagne est le pays qui commence à réagir à l'attitude des États-Unis. Alors qu'au début, les Verts - ces pacifistes des années 1980 - étaient ouvertement belliqueux contre la Russie et appelaient à armer l'Ukraine, démontrant ainsi que leur parti est depuis des années une courroie de transmission de Washington à Berlin. La réaction générale, politique et populaire, s'est orientée vers différentes prises de position. En août dernier, le vice-président du Parlement allemand, Wolfgang Kubicki, a appelé à "rouvrir Nord Stream 2 dès que possible", en faisant appel aux intérêts nationaux allemands. En octobre, après l'explosion du gazoduc Nord Stream, qui affectera sérieusement l'économie et le bien-être des Allemands, le hastag #Kriegserklärung (déclaration de guerre) est devenu populaire en Allemagne pour décrire ce que le sabotage du gazoduc par les Américains signifie pour leur pays. Au cours du même mois d'octobre, le parlement allemand a gelé l'aide militaire à l'Ukraine.

Après l'explosion de Nord Stream, que même l'ancien conseiller en sécurité américain Douglas McGrecogh a attribuée aux États-Unis (6), des voix autorisées ont émergé en Allemagne et au-delà, soulignant que l'un des principaux objectifs - si ce n'est le principal - de la "guerre en Ukraine est de détruire l'Allemagne en tant que puissance politique et économique (7).

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La célèbre femme d'affaires et philanthrope allemande Gloria von Thurn und Taxi compare cette tentative de détruire son pays au sinistrement célèbre Plan Morgenthau (4). Alors que l'ancien conseiller d'État suisse Yvan Perrin affirme que l'Allemagne doit comprendre pleinement la stratégie de destruction de son pays afin de rectifier l'ensemble de sa politique européenne et internationale (5).

Ajoutons que le parti nationaliste AfD adopte une ligne très claire et déterminée de son côté pour défendre les intérêts nationaux allemands. Après son dernier congrès où la ligne nationaliste l'a emporté sur la ligne modérée, l'AfD prend des positions intéressantes à tous points de vue, notamment celle-ci: trois députés régionaux (Rhénanie-Westphalie et Saxe-Anhlalt) se sont rendus en Ukraine "au vu de la couverture déformée et partisane du conflit en Ukraine, nous voulons nous faire notre propre idée de la situation et examiner la situation humanitaire".

Visegrad entre dans une crise interne

La Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie forment le groupe dit de Visegrad. La principale caractéristique de leur existence a été de s'opposer aux diktats de Bruxelles quant à l'idéologie du genre et à l'immigration, constituant ainsi un certain pôle antimondialisation au sein de l'UE. Bruxelles a essayé de faire chanter ces pays en menaçant de couper les fonds européens, mais l'importance géopolitique et commerciale de ces régions centrales a atténué l'hostilité de Bruxelles.

Les militants de l'identité européenne ont réfléchi à la possibilité qu'un pays d'Europe occidentale doté d'un gouvernement nationaliste (l'Italie d'aujourd'hui, par exemple) puisse être l'allié nécessaire pour une synergie contre les directives mondialistes de Bruxelles au sein de l'UE.

Certains sont allés plus loin et ont parlé d'Intermarium - notamment en Pologne - ensemble qui comprendrait la Biélorussie, la Lituanie, la Lettonie, l'Estonie, l'Ukraine, la Roumanie-Moldavie, la Serbie, la Bosnie, l'Albanie, la Croatie et la Macédoine du Nord, pour faire un contrepoids géopolitique à l'impérialisme russe et à la Turquie néo-ottomane (8).

La crise en Ukraine a provoqué de graves tensions internes dans le groupe de Visegrad. Les deux capitales des pays leaders du groupe, Varsovie et Budapest, ont réagi de manière opposée. Varsovie dans un suivi atlantiste pathétique, Budapest, cherchant le dialogue avec la Russie et prenant maintenant des positions proches de Moscou, dans la mesure où cela est possible en tant que membre de l'UE (6). N'oublions pas que la Hongrie a des revendications territoriales sur l'Ukraine ; accessoirement, la Pologne aussi.

Visegrad cessera probablement de constituer une synergie politique originale, comme elle le fut. Si la guerre se solde par une défaite russe, la Pologne sera la première puissance régionale - avec le soutien ouvert de Washington - et elle sera rejointe par l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, dont les stratégies géopolitiques sont aujourd'hui très proches de celles de Varsovie.

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La Hongrie, dans sa position de rapprochement avec la Russie et d'inimitié envers l'Ukraine, avec laquelle elle a des différends territoriaux, sera encore plus éloignée de Bruxelles, qui la soumettra à un nouveau chantage budgétaire, et s'éloignera de son ancien allié polonais.

Il reste à voir quelles positions adopteront la République tchèque, la Slovaquie et la possibilité pour la Slovénie de rejoindre le groupe, comme l'a récemment proposé le Président tchèque Milos Zeman.

Le projet Intermarium, en tant que zone cohésive entre Bruxelles et Moscou, a été définitivement bloqué.

Le Royaume-Uni, la puissance en déclin

Poursuivant la ligne anti-européenne et belliciste de Johnson, Truss a insisté sur le soutien à l'Ukraine, avec ses effets déstabilisants sur l'Europe. L'éphémère premier ministre est allé jusqu'à déclarer en septembre : "La Grande-Bretagne armera l'Ukraine jusqu'à ce qu'elle vainque la Russie". Faisant monter le ton du délire, elle a poursuivi en déclarant : "Si la situation exigeait que j'appuie sur le bouton nucléaire, je le ferais immédiatement. Et je me fiche que des millions de personnes meurent, pour moi l'essentiel est la démocratie et nos idéaux". Fantasmes issus du souvenir d'avoir été un grand empire alors qu'aujourd'hui, ce Royaume-Uni n'est qu'une ancienne puissance en déclin et de plus en plus isolée.

Quelqu'un devrait rappeler à la matamoresque ancienne Premier ministre britannique que le Royaume-Uni possède 215 ogives nucléaires, tandis que la Russie en possède plus de 7.000, dont beaucoup sont dirigées vers Londres.

"Global Britain", la stratégie internationale post-Brexit de Westminster, n'a pas eu de résultats concrets.

Il est de surcroît marginalisé au sein du pacte AUKUS, une alliance de puissances anglo-saxonnes dont le véritable objectif est de faire face à l'expansion chinoise dans le Pacifique. Les trois autres puissances anglo-saxonnes du pacte (les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande) ont toutes ou presque toutes leurs côtes dans cet océan ; le Royaume-Uni est aux antipodes, son rôle dans l'Alliance n'est guère plus que décoratif.

Londres a essayé de se rendre forte dans les pays de Visegrad, dans sa géopolitique permanente visant à séparer l'Allemagne de la Russie, mais la réalité est que les deux principales capitales du groupe de Visegrad ont ignoré Londres : Varsovie donne la priorité à son alliance avec Washington et Budapest regarde - timidement - vers Moscou.

L'un des arguments que Boris Johnson a présenté aux Britanniques était la signature prochaine d'un pacte commercial qui ferait du Royaume-Uni un partenaire commercial préférentiel des États-Unis, permettant au marché américain de remplacer le marché européen. Non seulement un tel pacte n'est ni imminent ni en vue, mais l'arrivée de Biden - un démocrate - à la Maison Blanche a refroidi les relations entre Washington et Londres, qui sont maintenant au plus bas (6). Rappelant que Biden est d'origine irlandaise et qu'il a à plusieurs reprises mis en garde les locataires de Westminster contre toute détérioration de la situation irlandaise.

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La mauvaise gestion économique de Liz Truss a rapidement mis fin à son gouvernement et à sa direction du Parti conservateur. Son successeur est l'Indien Rishi Sunak, qui poursuit la ligne géopolitique de ses collègues du Parti conservateur, Johnson et Truss. La victoire de Sunak accentuera une tendance observée depuis le Brexit, la géopolitique d'un Royaume-Uni anti-européen, multiracial et post-britannique dans lequel sa relation avec Delhi jouera un rôle important, même s'il est plus que probable que cette relation aura la polarité inversée qu'elle avait aux 19ème-20ème siècles et sera le chapitre d'ouverture de la rébellion et de la conquête (démographique et politique) par l'ancien Commonwealth de l'ancienne métropole britannique dans un processus de liquidation identitaire et raciale.

Aucun "front uni anti-occidental" n'est observable

La prétention d'un front uni mondial anti-occidental a été démentie par la réalité et par la dynamique géopolitique même de chaque puissance, notamment la Chine et les puissances émergentes d'Asie centrale et l'Inde qui jouent leur propre rôle.

Pendant cette guerre ukrainienne, cette prétendue conscience "anti-US" n'a pas du tout été mise en scène, de la Chine à l'Ouzbékistan, les "puissances eurasiennes" ont abandonné Poutine dans la guerre ukrainienne (9).

Pékin s'est éloigné de Moscou et y a cherché ses propres intérêts, ce qui implique d'affaiblir la Russie afin de la séparer de l'Europe et de l'attirer docilement dans sa sphère d'influence ; Pékin continue de penser dans une logique bipolaire et n'est pas intéressé par un troisième acteur -la Russie- pour contester cette course à deux pour la domination du monde. Xi Jinping n'a pas eu le moindre problème à continuer à collaborer stratégiquement avec l'Europe, alors que l'Europe a sanctionné la Russie, des sanctions que les entreprises chinoises basées dans l'UE ont respectées à la lettre.  La Chine a joué un double jeu, toujours dans ses propres intérêts plutôt que dans ceux d'un front commun prétendument anti-occidental. Pour Pékin, la guerre ukrainienne a toujours été subordonnée à sa guerre potentielle contre les États-Unis au sujet de Taïwan (10).

L'Inde, traditionnellement alliée de Moscou et qui a continué à l'être dans cette crise en raison de la nécessité d'acheter des hydrocarbures, a prévenu Poutine par l'intermédiaire de son Premier ministre Modi que l'heure n'était pas aux guerres et que les frontières ukrainiennes devaient être respectées, dernier point sur lequel elle était d'accord avec Téhéran.

La "première ceinture" de la construction eurasienne a clairement pris ses distances avec la Russie. Le Kazakhstan est devenu le leader régional en dehors de la zone d'influence de Moscou (11).

Il n'existe pas de "front anti-occidental" russo-turc-chinois-eurasien (12).

D'un point de vue européen, le défi géopolitique doit être la résolution rapide du conflit militaire et la reprise du dialogue et de la synergie entre l'Europe et la Russie.

NOTES:

(1) https://www.elmundo.es/internacional/2022/11/04/636528a5fdddff974f8b45d9.html

(2) https://euro-sinergias.blogspot.com/2022/11/portal-de-politica-polaca-asi-es-como.html.

(3) https://euro-sinergias.blogspot.com/2022/10/douglas-macgregor-cree-que-estados.html

(4) https://euro-sinergias.blogspot.com/2022/10/la-crisis-de-ucrania-no-tiene-que-ver.html

(5) https://euro-sinergias.blogspot.com/2022/10/morgenthau-y-nord-stream-gloria-von.html

(6) https://euro-sinergias.blogspot.com/2022/10/cuando-alemania-empiece-entender-eeuu.html

(7) https://barr-avel.blog/2022/02/23/vers-une-union-baltique-mer-noire-intermarium-comme-modele-viable-pour-le-renouveau-de-leurope/

(8) https://elordenmundial.com/hungria-se-queda-sola-asi-ha-roto-la-invasion-de-ucrania-el-grupo-de-visegrado/

(9) https://www.elmundo.es/internacional/2022/09/21/632b3d37e4d4d83a158b4584.html

(10) https://www.elespanol.com/mundo/europa/20221105/doble-pekin-rusia-rebajar-amenazas-presiona-taiwan/715928855_0.html

(11) https://elpais.com/internacional/2022-10-10/la-guerra-socava-el-liderazgo-de-rusia-entre-sus-vecinos-postsovieticos.html

(12) https://www.ilprimatonazionale.it/esteri/ma-quale-fronte-anti-occidentale-cosa-non-ci-dice-lincontro-tra-putin-e-xi-jinping-243980/

 

mardi, 08 novembre 2022

Le voyage de Scholz en Chine irrite les atlantistes

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Le voyage de Scholz en Chine irrite les atlantistes

Markku Siira 

Source: https://markkusiira.com/2022/11/05/scholzin-kiinan-matka-arsyttaa-atlantisteja/

Le chancelier allemand Olaf Scholz s'est rendu en Chine vendredi avec une délégation commerciale. Bien que Scholz se soit souvenu qu'il lui fallait scander le mantra attendu sur les droits de l'homme, les médias anglo-américains ont surtout critiqué sa visite. Le journal britannique The Telegraph, par exemple, a insisté noir sur blanc sur le fait que "l'Allemagne doit choisir de se ranger du côté de l'Occident ou de la Chine".

En d'autres termes, l'Allemagne et le reste de l'Europe devraient choisir s'ils veulent réduire complètement leurs industries et leurs économies juste pour donner plus de temps aux États-Unis pour qu'ils demeurent l'hégémon, plutôt que de permettre la montée de la Chine et d'autres puissances qui feront la transition vers un ordre mondial multipolaire.

Les opposants à la visite de Scholz en Chine révèlent une fois de plus quels intérêts ils servent. La plupart des gens en Chine, en Allemagne et en Europe n'ont pas vu ce voyage d'un mauvais œil, car la coopération pratique entre les deux pays est bénéfique à tous, ainsi que les affaires qui s'y concluront. Scholz a surtout été critiqué par les commentateurs politiques de l'élite transatlantique des pays de l'euro, et par les manipulateurs géopolitiques de Washington et de Londres.

Les visites de haut niveau entre la Chine et l'Allemagne, et entre la Chine et le reste de l'Europe, sont pourtant un élément normal des relations politiques et économiques. L'ancienne chancelière allemande Angela Merkel a visité la Chine douze fois au cours de son mandat. La position de la Chine est constante : Pékin souhaite que l'Eurocontinent reste stable et prospère, au bénéfice tant des Européens que des Chinois.

Comme l'a dit M. Scholz dans un article qu'il a écrit avant sa visite, nous vivons déjà dans un monde multipolaire, et il vaut la peine pour l'Allemagne et les autres pays de la zone euro de tisser des liens avec les nouveaux centres de pouvoir qui émergent. La visite de M. Scholz devrait servir d'exemple aux autres pays européens pour équilibrer leurs politiques vis-à-vis de la Chine.

Il a été suggéré que le voyage de Scholz à Pékin serait également une contre-mesure à la politique égocentrique des États-Unis qui a conduit l'Allemagne et l'Europe au bord d'une crise énergétique et d'un effondrement économique. Dans les cauchemars géopolitiques des stratèges de l'empire anglo-américain, l'Allemagne - et au moins une partie de l'Europe avec elle - se retrouvera en partenariat avec la Russie et la Chine.

Il convient de noter que Scholz était accompagné, lors de son voyage en Chine, par un certain nombre d'industriels allemands ayant un réel droit de regard sur les affaires du pays. Apparemment, ils n'entendent pas rester sur la touche pendant que la cupidité de Washington détruit l'œuvre de leur vie ? Un désengagement allemand de la Chine ne servirait que les intérêts américains et nuirait gravement à la propre industrie allemande.

Mais l'Allemagne, toujours occupée par les Américains, peut-elle s'allier à la Chine ? Les États-Unis prônent la rupture avec la "dépendance à l'égard de la Chine" et cherchent à intensifier la confrontation, en appelant les pays à "choisir leur camp" dans le nouveau monde des blocs et leur vision d'un "choc des civilisations".

Les politiques d'exploitation de l'ordre libéral en Occident, qui oppriment le reste du monde, ne plaisent tout simplement plus à beaucoup, et la division arrogante en "démocraties" et "autocraties" ne semble plus crédible face à l'intimidation et aux machinations de partage du pouvoir des États-Unis. Même si l'élite politique finlandaise aimerait vivre dans un avenir américain, ailleurs les choses sont cependant différentes.

La "convergence des crises" en cours ne s'arrêtera probablement pas tant que les institutions internationales actuelles qui soutiennent le rôle des États-Unis n'auront pas été remplacées. La Chine a déjà créé ses structures alternatives, mais la transition vers un nouvel ordre réussira-t-elle au milieu de la politique de guerre occidentale ? Le nouvel ordre mondial sera-t-il "socialisme ou barbarie" ?

jeudi, 03 novembre 2022

Irak: la flamme de la révolution de Muqtada Sadr

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Irak: la flamme de la révolution de Muqtada Sadr

Damir Nazarov

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/flame-sadrs-revolution

Le feu du soulèvement a de nouveau embrasé l'Irak. Après que Muqtada Sadr n'ait pas été autorisé à former un gouvernement, ses militants ont paralysé le travail du parlement, par le biais de manifestations pacifiques et de grèves exigeant que les opposants politiques acceptent la direction de Sadr. Un tel résultat était à prévoir et il ne s'agit pas d'un différend avec le "cadre de coordination" des portefeuilles au sein du gouvernement ou d'un rejet personnel de certaines personnalités (Maliki), c'est juste que la société irakienne est fatiguée des crises sociopolitiques sans fin et même une partie influente des élites occidentales reconnaît que le régime du système de quotas s'est finalement épuisé.

En insistant sur les réformes tant attendues, Muqtada fait tout pour éviter une guerre civile. Ses instructions constantes aux masses montrent comment Sadr essaie de tuer dans l'œuf les possibilités de chaos et de provocations. Cela suggère que Muqtada s'est soigneusement préparé aux actions révolutionnaires. Un autre point est la diplomatie de Sadr, où il essaie d'attirer des personnalités influentes du camp des opposants à la révolution, à titre d'exemple, on peut citer l'invitation du leader de la coalition du Fatah, Hadi al-Ameri, à se retirer de la "structure de coordination" et à rejoindre les sadristes. Des dialogues similaires ont lieu avec d'autres partis. L'objectif de Sadr est d'isoler l'ambitieux Maliki (*) et ses semblables, et de créer une puissante alliance révolutionnaire qui devra préserver l'Irak des luttes intestines et former un gouvernement fort.

Si, par le passé, le mouvement de Muqtada était quelque peu limité, des alliés inattendus sont désormais apparus. L'une des principales factions de la résistance associée à l'Iran, Harakat al-Abdal, a annoncé son soutien à Sadr. Il s'agit d'une démarche véritablement sans précédent de la part de la faction d'Al-Muqawama Al-Islamiya. Aucun des groupes de résistance "pro-iraniens" n'a ouvertement soutenu Muqtada Sadr, Harakar al-Abdal ont été les premiers à soutenir la révolution. Bien entendu, une telle démarche s'est faite en coordination avec l'IRGC. Le soutien de l'un des groupes de la Résistance islamique est une autre victoire diplomatique de Muqtada. La volonté d'engager un dialogue avec toutes les composantes de la société irakienne et même une alliance avec certains opposants démontre l'ouverture de Sadr à l'inclusion dans son mouvement politique. En outre, ce fait détruit le mythe de l'hostilité de Sadr envers les factions de la résistance et les Hashad al-Chaabi, car Muqtada exige l'organisation et l'expulsion des éléments indisciplinés, qui sont notamment accusés de crimes contre les personnes déplacées des provinces sunnites.

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Le Grand Ayatollah Qassem al-Tai a soutenu les actions de Sadr. Théologien faisant autorité et vétéran à temps partiel du djihad pendant l'occupation de l'Irak par l'OTAN, il est devenu le premier clerc ayant le rang de "Marja" à soutenir l'esprit révolutionnaire de Muqtada. Un tel message de l'ayatollah témoigne de changements à grande échelle dans l'esprit du clergé, car l'Irak ne peut plus rester l'otage du silence des autorités religieuses locales. Les changements se font attendre depuis longtemps dans toutes les sphères de la société.

Il est également impossible de ne pas mentionner un moment symbolique, Sadr a pris ses premiers décrets sur l'organisation d'un rassemblement populaire et des manifestations ultérieures quelques jours après la visite du chef de l'IRGC Ismail Kaani en Irak, où il a visité des sanctuaires islamiques. Les experts notent que les nombreuses démarches politiques de Sadr ressemblent à celles des autorités religieuses en Iran.

Dans l'histoire de la campagne révolutionnaire de Sadr, il convient de noter que le chef du plus grand mouvement d'opposition a fait preuve de flexibilité tactique, Muqtada s'est assuré le soutien de Kadimi, ce qui, au sens large, signifie l'approbation des Saoudiens et des Émirats, une telle démarche a été dictée par la nécessité d'inspirer confiance à l'Autocratie du Golfe Persique, afin qu'ils misent officiellement sur Sadr par opposition à Maliki-Ameri et n'organisent pas de manifestations spontanées, comme Tishrin en 2019. Étant donné que les EAU contrôlent une grande partie de l'appareil des services spéciaux et de l'armée irakienne, l'alliance temporaire de Sadr avec Karimi a sauvé de nombreuses vies parmi les manifestants d'aujourd'hui. Après tout, l'armée et les services spéciaux ont une expérience considérable dans la destruction des manifestants. L'autre facette de l'alliance tactique avec les pays du Golfe est le pari des autocrates sur Sadr au détriment des libéraux "chiites" locaux. C'est-à-dire que, selon le plan de Muqtada, son autorité doit éclipser toute figure politique "laïque-chiite" afin que les monarchies du Golfe n'aient aucune chance de trouver des alliés contre Maliki et Ameri.

En bref, les tâches du leader sadriste sont les suivantes:

1 - Isolement de Sistani. La crise actuelle montre que Marja n'a plus d'influence sur la situation, tandis que Sadr a acquis le poids politique nécessaire, dans lequel son opinion n'est pas seulement prise en compte, mais constitue également une sorte de ligne directrice pour de nombreuses forces d'opposition. Je vous rappelle qu'il y a six mois, le représentant de Sadr, le cheikh Hatim al-Araji, a appelé les Irakiens à accepter l'autorité religieuse de Muqtada Sadr, et non celle de Sistani.

2 - La destruction du système des quotas, qui donne une chance de débarrasser l'Irak de la corruption et de la dépendance vis-à-vis du lobby pétrolier. La réforme en termes d'administration publique devra également empêcher les séparatistes des provinces sunnites de séparer les gouvernorats locaux de l'Irak.

3 - Se débarrasser de la dépendance au pétrole. L'année dernière, Sadr a exhorté les Irakiens à suivre l'expérience de l'Égypte sous la direction de Sisi dans ce domaine. Il est connu que la junte est le leader de l'Afrique dans la production d'énergie renouvelable.

4 - La marginalisation des nationalistes radicaux parmi les chiites irakiens, qui vivent principalement dans le sud du pays. Muqtada Sadr est depuis longtemps une icône de la jeunesse, où, entre autres, les idées de nationalisme prévalent. Ce fait ne peut qu'agacer certains politiciens qui, avec le soutien de certains clans, voudraient surfer sur la vague des sentiments d'opposition des Irakiens locaux. Cependant, Sadr isole avec compétence les émeutiers et dirige efficacement les masses, évitant ainsi le chaos. Un exemple illustratif de l'influence de Sadr est qu'en ce qui concerne un certain nombre de membres de la "Brigade de la paix" qui ont attaqué le parlement du pays, le chef des sadristes les a exclus du mouvement et a gelé les activités d'un certain nombre de politiciens qui ont soutenu les attaques.

5 - Le nouveau cours du pays. Le slogan de Sadr "ni ouest ni est" signifie éviter la dépendance vis-à-vis des États-Unis et de la Chine. Ainsi, le leader des révolutionnaires irakiens démontre son refus de participer à la "nouvelle guerre froide".

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Pour résumer, nous pouvons souligner la réaction de l'Occident sur ce qui se passe en Irak. L'édition américaine de Foreign Policy a comparé Sadr au légendaire Khomeini. Cela suffit pour comprendre ce qui inquiète les impérialistes. Une nouvelle révolution islamique est à venir, qui ouvrira les portes de la transformation de la région arabe, de la péninsule arabique jusqu'au Maghreb. L'Occident connaît l'inévitabilité du changement et préparera certainement des bâtons à leur mettre dans les roues, mais le train du changement a pris la vitesse nécessaire pour écraser tout obstacle.

Note:

(*) - Contrairement aux commentaires de nombreux experts, l'attitude négative de Sadr à l'égard de Maliki n'est pas fondée sur une hostilité personnelle, mais comme une réaction aux conséquences dramatiques probables en cas de nouveau premier ministre du leader de DAWA. Les sionistes et les régimes du Golfe attendent le bon moment pour organiser à nouveau une guerre séparatiste dans l'Anbar, la présence de Maliki à la tête de l'Irak donnera une excuse pour inciter les chefs tribaux rebelles à un nouveau soulèvement, comme ce fut le cas auparavant. Après cela, des organisations aussi notoires qu'Al-Qaïda d'Irak et ISIS sont apparues. Par conséquent, Sadr tente d'empêcher une répétition de ces événements en bloquant la figure de Maliki pour le poste de premier ministre.

ISIS, Al-Qaïda d'Irak, deux organisations interdites en Russie.

mardi, 01 novembre 2022

Wang Wen en dialogue avec Douguine: Si la Russie cherche à résoudre des problèmes, elle devrait prendre la Chine comme exemple à étudier

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Wang Wen en dialogue avec Douguine: Si la Russie cherche à résoudre des problèmes, elle devrait prendre la Chine comme exemple à étudier

Wang Wen & Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/wang-wen-dialogue-dugin-if-russia-seeks-solve-issues-it-should-take-china-example-be-studied

Ce dialogue a été mené de concert avec le philosophe russe Alexandre Douguine, suite à la mort tragique de sa fille Darya Douguine (Дарья Дугина 1992-2022) dans une attaque terroriste en août. Comment celui que les médias occidentaux ont sans cesse surnommé "le cerveau de Poutine", "le meneur d'un groupe de réflexion russe" et "le professeur d'État", voit-il le conflit russo-ukrainien actuel et la situation actuelle en Russie. Comment évalue-t-il sa relation avec Poutine ? Comment voit-il l'avenir de la Chine après le 20ème Congrès national du Parti communiste chinois ? Quels conseils a-t-il à donner à la jeune génération chinoise ? Le 21 octobre, Wang Wen, doyen exécutif de l'Institut Chonyang pour les études financières de l'Université Renmin de Chine, a accepté l'invitation de Douguine pour un entretien d'une heure dans son bureau. Un synopsis de la conversation est publié dans Global Times, tandis que la version intégrale est autorisée à être publiée sur le site Web Guanchazhe.

Wang Wen : Tout d'abord, permettez-moi de vous rendre hommage au nom de nombreux Chinois et d'exprimer mes condoléances pour le décès malheureux de votre fille bien-aimée Darya. Ces derniers mois, de nombreuses attaques terroristes ont eu lieu en Russie. Comment voyez-vous le développement intérieur de la Russie sous le conflit aujourd'hui ?

Douguine : Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre soutien moral et j'apprécie profondément le chagrin du peuple chinois suite au décès de ma fille Darya Douguina. Elle est désormais un symbole de la lutte de notre âme russe contre un système mondial hégémonique injuste et une victime du terrorisme occidental. Nous savons déjà que cette opération est venue de Kiev, de Zelensky lui-même et du chef des forces spéciales militaires ukrainiennes. Zelensky est responsable de la mort de ma fille et de l'attentat. Bien que les services secrets américains et britanniques aient refusé d'expliquer et de condamner l'attaque terroriste, nous sommes presque certains qu'ils nous visaient, moi et ma fille, parce que nous ne faisons qu'un.

Ce fut le début d'une guerre de terreur contre la Russie, la première fois que des terroristes occidentaux ont attaqué des citoyens russes sur le sol russe. Je tiens à souligner une fois de plus que Darya et moi-même n'occupions aucune fonction officielle et n'avons pas participé à l'opération militaire spéciale (OMS) dans l'est de l'Ukraine. Il est sans précédent que des intellectuels aient été assassinés pour ce qu'ils ont simplement dit et pensé, et ce type de terreur contre les intellectuels est assez inquiétant. Et ce n'est rien d'autre que la guerre.

Cela révèle un tout nouveau chapitre de l'histoire de la guerre: lorsque les idées comptent vraiment, vous êtes assassiné pour vos idées. Cet exemple démontre tragiquement l'importance de la pensée, en jouant avec sa vie. Pourtant, si vous êtes un guerrier, vous devez être prêt à mourir au combat ; si vous prenez des décisions politiques, vous devez être prêt à payer pour vos décisions.

Pendant longtemps, la philosophie théologique s'est préoccupée de la vie humaine. La Russie se trouve dans un état critique, j'aimerais l'appeler "une profonde révolution idéologique en Russie", et le conflit russo-ukrainien marque le début d'un changement complet. Dans les années 1990, la Russie a accepté l'hégémonie occidentale, les systèmes occidentaux, les valeurs occidentales et la démocratie politique occidentale, a suivi l'exemple de l'Occident et a considéré l'Occident comme une seule bouée de sauvetage. C'est la différence entre la Russie et la Chine: la Chine accepte les règles et profite pleinement des règles internationales pour s'imposer, alors qu'en Russie, dans les années 1990, nous avons trahi notre souveraineté nationale. Après son arrivée au pouvoir, Poutine a commencé à se battre pour l'indépendance de la Russie. Mais au cours des 22 dernières années, il a été enchaîné par les règles établies par l'Occident. L'Occident a toujours espéré affaiblir et attaquer la Russie de cette manière.

Poutine a tenté de concilier la contradiction entre l'essor du pays et l'intégration dans la mondialisation, mais cela s'est avéré impossible. Cette inconciliabilité a atteint son paroxysme après le début de l'Opération militaire spéciale. Poutine ne pouvait que réagir par une action violente directe, mais la société russe n'y était pas préparée, car la lutte contre l'Occident est un chemin trop long et trop étroit. La Russie est maintenant dans une guerre contre l'Occident, contre les États-Unis. Nous essayons d'ajuster nos idées sociétales et de nous réévaluer, pour nous adapter à la situation actuelle dans laquelle nous nous trouvons, ce qui est un processus très intense et dramatique.

Wang Wen : Je suis d'accord avec votre analyse et votre prédiction astucieuses. Je me souviens qu'en 2008, vous avez écrit sur l'inévitabilité d'un conflit entre la Russie et l'Occident. Cependant, lorsque les universitaires chinois reconnaissent qu'un conflit sino-américain peut devenir inévitable, ils font généralement de leur mieux pour proposer d'éviter la guerre avec les États-Unis. Par exemple, lorsque le professeur Graham Tillett Allison de l'Université de Harvard a proposé le "piège de Thucydide" entre la Chine et les États-Unis, les érudits chinois le réfutent et tentent de modifier cette "prophétie réalisable".

Ce que je veux savoir, c'est pourquoi les élites russes ne conseillent pas au président Poutine de faire de son mieux pour éviter le conflit, ou de faire quelque chose qui pourrait être mieux qu'une action militaire ad hoc ? En Russie, un sage philosophe politique comme vous doit avoir une meilleure solution, non ?

Douguine : Cela a à voir avec l'équilibre de la conscience entre les individus et les groupes. Ce n'est pas le président Poutine qui a volontairement voulu lancer cette opération militaire spéciale, mais c'est toute la société qui a exigé cette opération spéciale. La société russe est très spéciale et a besoin d'un dirigeant de type "père" (comme un tsar) qui doit également fournir des garanties de sécurité à l'ensemble de la société. Poutine a essayé de réconcilier cette binarité: accepter l'Occident et assurer l'indépendance de la Russie. Ces deux options constituent toutefois un noeud de contradictions. Poutine espère concilier cette contradiction et maintenir un certain équilibre, mais cet équilibre est très fragile.

Poutine a toujours essayé de procéder de manière pacifique, sans utiliser de moyens militaires, pour éviter une escalade du conflit avec l'Occident. Depuis que la Crimée est "revenue à la Russie", nous avons remarqué très tôt que la Russie peut facilement libérer l'est de l'Ukraine, mais le président Poutine a toujours refusé de le faire. Il a cru pendant un temps aux assurances données par l'Occident, mais l'Occident a trompé la Russie. Poutine veut éviter la guerre, mais la guerre est de plus en plus inévitable. Il est dommage que nous n'ayons pas été pleinement préparés à cette opération militaire spéciale sur le plan politique, économique, culturel et militaire. En fait, nous aurions dû être mieux préparés.

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Wang Wen : Oui. Mais je suis très inquiet, si la Russie se détache complètement de l'Occident à l'avenir, pourra-t-elle continuer à se développer rapidement à court terme ? Nous pensons tous que l'Occident s'affaiblit, mais pour l'instant, l'hégémonie occidentale a encore une influence significative dans des domaines tels que la haute technologie et le commerce économique.

Le maintien de la coopération avec l'Occident semble être un "choix rationnel et pragmatique". La Russie sera-t-elle réduite à rien de plus qu'un "grand Iran", si elle est complètement coupée de l'Occident ? J'ai voyagé en Iran à de nombreuses reprises. L'Iran présente un énorme potentiel et de riches ressources. Dans les années 1970, l'économie iranienne a connu une croissance rapide. Cependant, après avoir été sanctionné par l'Occident pendant 40 ans, le développement de l'Iran a été fortement affecté. La Russie répétera-t-elle les erreurs de l'Iran ?

Douguine : J'aimerais bien savoir quelle est votre définition du mot "Occident". L'Occident n'est pas seulement synonyme de développement économique et technologique, l'Occident représente une sorte de conscience, comprenant hégémonie, racisme et ontologie, qui peut être étendue au colonialisme et à l'unipolarité. C'est l'essence même de l'Occident. La Russie a "déclaré la guerre" à l'Occident et a été forcée de couper la coopération avec l'Occident. Nous espérons qu'en vainquant l'hégémonie occidentale, l'"Occident" deviendra une province du monde, et non le centre du monde. Pour y parvenir, nous devons non seulement nous élever et nous "désoccidentaliser", mais aussi marginaliser l'Occident. La Russie seule ne peut pas atteindre cet objectif. Nous espérons travailler avec d'autres pays non occidentaux dans le monde pour résister à l'hégémonie occidentale. Si nous nous unissons, nous serons peut-être en mesure de les vaincre. Il s'agit d'une guerre de la multipolarité contre l'unipolarité.

Wang Wen : Selon votre logique, le monde se divise progressivement en deux pôles, et une nouvelle "guerre froide" commence. Vous avez souligné dans votre article que le monde est au bord d'une troisième guerre mondiale.

La Chine ne veut pas entrer dans une nouvelle guerre froide ; elle préfère se développer dans un environnement mondialisé. Bien que la Chine soit en concurrence avec les États-Unis, elle fait de son mieux pour trouver un nouvel équilibre parmi les contradictions féroces. Je pense que l'Inde, le Brésil et les autres pays du BRICS ne veulent pas vraiment entamer une "nouvelle guerre froide" avec l'Occident, et qu'ils sont tous prudents et se protègent contre une éventuelle "troisième guerre mondiale".

Douguine : Maintenant, la situation n'est pas déterminée unilatéralement par la Russie. Avec l'Opération militaire spéciale, nous avons "franchi le Rubicon" pour affronter l'Occident. La Russie et l'Occident peuvent se comprendre, mais les deux ne peuvent coexister, comme le détermine la structure géopolitique. D'un point de vue géopolitique, les autres pays n'ont que deux options : soit être contrôlés par un État qui est une puissance maritime, soit se battre pour devenir un État qui est puissance terrestre, c'est-à-dire en soutenant la Russie pour pousser le monde vers la multipolarisation et devenir une région du Heartland.

L'indépendance de la Chine est basée sur l'équilibre. Dans cette perspective, si la Russie ne peut pas contrôler et équilibrer l'hégémonie américaine, alors la Chine sera victime d'un conflit militaire offensif avec des puissances maritimes, même si vous ne voulez que la souveraineté et la prospérité. Maintenant, l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud et le monde islamique, tout aussi indépendants, font tous des choix, mais le résultat de leur choix dépend de la force à l'autre bout de l'échelle.

Pour que la stratégie gagnant-gagnant de la mondialisation représentée par la Chine soit parfaitement réalisée, il faut une condition invisible, à savoir la résistance de l'État puissance terrestre qu'est la Russie à l'État puissance maritime. Si la Russie perd l'opération militaire spéciale et perd son cœur, alors l'Inde et la Chine seront confrontées à la même situation que la Russie actuellement et deviendront les prochaines victimes directes de la guerre froide et même du conflit militaire.

L'Occident peut utiliser le détroit de Taiwan et les militants musulmans comme points d'entrée pour attaquer la Chine. L'Occident est une force radicale et agressive. D'autres pays peuvent éviter un conflit frontal uniquement parce que la Russie existe toujours et parce que la Russie se bat. Les autres nations n'ont que deux options : soit survivre dans l'ombre du monde occidental, soit se battre comme la Russie. Cette analyse géopolitique est très importante.

Bien que les résultats de l'analyse ne soient pas entièrement conformes à l'interprétation officielle chinoise, je crois que les stratèges du Parti communiste chinois, en tant que véritables maîtres de la stratégie internationale, peuvent comprendre pleinement les conclusions de l'analyse posée ci-dessus et éviter que la Chine ne tombe dans la situation de la Russie.

Je reconnais intensément les grandes réalisations de la Chine. Que ce soit pour la Russie, ou pour l'Inde, l'Iran et les pays arabes, la Chine est le principal espoir. Il existe un différend frontalier entre la Chine et l'Inde, mais je voudrais rappeler à l'Inde que si l'Inde et l'Occident luttent ensemble contre la Chine, une fois que la Chine et la Russie auront perdu, l'Occident se retournera pour affronter l'Inde et détruire l'Inde - en fait, Soros se prépare déjà à le faire.

En bref, nous ne voulons pas affronter l'Occident, nous affrontons "l'Occident" qui prétend diriger le monde mais qui n'a pas joué un bon rôle de modèle. Ce que nous devrions rechercher, c'est la multipolarité plutôt que l'unipolarité.  L'Occident veut démembrer la Russie, nous sommes le numéro un sur leur liste, vous êtes le suivant. Bien sûr, c'est mon analyse, et je ne veux pas l'imposer aux autres.

Wang Wen : Tout d'abord, nous avons confiance en la Russie. La Russie ne sera pas vaincue par l'Occident. Bien que l'OTAN soutienne pleinement l'Ukraine, la Russie a un énorme avantage en termes de profondeur stratégique, de potentiel et de ressources.

Bien sûr, je suis également d'accord avec vous pour dire que si la Russie est vaincue par l'Occident, la Chine sera la prochaine cible de l'Occident. À cet égard, la Chine est psychologiquement préparée. La réponse de la Chine est basée sur plus de 2.000 ans de sagesse traditionnelle et sur un engagement à trouver des solutions modérées et diverses. Ces dernières années, la Chine a obtenu de bons résultats sur de nombreux "champs de bataille" tels que les guerres commerciales, les guerres technologiques, les guerres de l'opinion publique, les guerres médiatiques et la question du détroit de Taiwan.

Ce que je veux discuter avec vous, c'est de la manière de traiter l'Occident de manière plus intelligente. Si la troisième guerre mondiale ou une guerre nucléaire d'une certaine ampleur se produit réellement comme vous le prédisez, cela signifierait la destruction de toute l'humanité. Selon vous, est-il possible d'employer une panoplie de mesures diversifiées pour résoudre le problème ?

Douguine : La solution du fait accompli est du type de l'Opération militaire spéciale. Nous n'avons pas utilisé d'autres approches plus diversifiées, et nous ne pouvions pas faire autrement. L'Opération militaire spéciale actuelle est très nécessaire, et bien que la situation de guerre actuelle soit mauvaise, elle est meilleure qu'une situation pire (par exemple: être détruit).

Je suis sûr que le Parti communiste chinois a adopté un bon modèle de prise de décision, en prenant des décisions avec prudence et circonspection, en intégrant les intérêts nationaux à la mondialisation, et en maintenant une politique indépendante et conservatrice.Tout en garantissant la démocratie et la libéralisation sociale et économique, la Chine maintient également le contrôle absolu du gouvernement central sur le pays, en veillant à ce que l'Occident ne puisse pas détruire le Parti communiste chinois au moyen de méthodes culturelles et d'Internet, et en sauvant le pays du chaos et même de la destruction.

La situation en Russie est tout à fait opposée. L'Occident détruit le contrôle absolu du gouvernement russe, en essayant de pousser le gouvernement contre le peuple. Sous Eltsine, le peuple a été la victime de cet assaut occidental.

Poutine essaie d'empêcher et d'inverser cette situation et de permettre à la Russie de se sauver par la réforme et la reconstruction. À un moment donné, il a essayé de changer pacifiquement l'héritage du gouvernement d'Eltsine (1931-2007), mais il n'y est pas parvenu en raison de l'obstruction de certaines élites politiques. Ces élites politiques sont des traîtres au pays. C'est la différence entre la Chine et la Russie. L'élite politique chinoise est l'épine dorsale du pays, mais nous n'avons que le poison laissé par l'ère soviétique. Après l'effondrement de l'Union soviétique, ces élites politiques sont entrées dans le gouvernement russe, et elles n'ont pas permis au pays de se transformer et de se développer par des moyens pacifiques. C'est exactement mon interprétation des différences politiques entre la Chine et la Russie.

Nous n'avons pas la possibilité de changer ou de réorganiser pacifiquement la Russie, et de parvenir à la réconciliation avec l'Ukraine et l'Occident par des moyens pacifiques. Poutine est notre espoir. Il est du côté du peuple et du côté de l'histoire. L'Opération militaire spéciale était sa façon de résister, bien que ce ne soit pas de la meilleure façon. Nous plaçons maintenant tous nos espoirs dans le pétrole et le gaz et attendons que l'Occident s'effondre ou fasse des compromis sur les questions énergétiques. Ils tentent de sortir de la crise de pénurie énergétique, ce qui nous oblige également à résoudre le problème sous d'autres angles. À cette fin, nous devrions prendre la Chine comme exemple à étudier.

Wang Wen : Merci de votre intérêt pour la Chine. En tant qu'universitaires et animateurs de think tanks, nous réfléchissons également tous les jours à la situation de la Chine et nous nous efforçons de résoudre les problèmes nationaux. À mon avis, les dilemmes internationaux ne peuvent être mieux traités que sur la base de la résolution des problèmes domestiques. Je pense que vous avez également remarqué que le rapport du 20ème Congrès national du Parti communiste chinois met clairement en avant la stratégie de développement national à long terme de la Chine pour 2035 et 2050. Vous vous êtes déjà rendu en Chine. En tant que philosophe politique, sur la base de votre compréhension de la Chine, comment voyez-vous l'avenir de la Chine ? Les objectifs actuels de la Chine peuvent-ils être atteints comme prévu ?

Douguine : Tout d'abord, j'aime beaucoup la Chine et j'apprécie la gouvernance de la Chine par le Parti communiste chinois sous la direction du secrétaire général Xi Jinping. Le président Xi est un leader exceptionnel de classe mondiale. Votre pays est entré dans l'histoire. Je pense que les objectifs de la Chine sont pragmatiques. Le 20ème Congrès national du Parti communiste chinois que vous avez organisé est un exemple réussi de coordination des questions nationales et internationales. L'Assemblée générale dirige le pays en formulant des plans. En fait, ni la société occidentale ni la Russie ne comprennent assez bien la structure politique et sociale de la Chine.

À mon avis, la Chine est composée du peuple, du gouvernement et d'autres éléments culturels tels que le socialisme aux caractéristiques chinoises, la culture confucéenne, etc. Ces éléments culturels jouent un rôle dans la gouvernance du gouvernement. Si le gouvernement ne parvient pas à assurer la sécurité culturelle, la société se désintégrera. Les analyses occidentales et russes de la Chine ignorent presque la partie spéciale de la culture, qui est en fait une ressource importante pour le peuple chinois.

Deuxièmement, la Chine est très particulière en ce qui concerne l'établissement de priorités. La Chine ne va pas intensifier les conflits, mais les modérer et les résoudre grâce à l'expérience de la construction de la civilisation. Cette culture n'est pas entièrement issue du confucianisme, mais aussi du taoïsme. La culture politique occidentale, y compris la Russie, est trop radicale, trop obsédée par le noir et le blanc absolus, le bien et le mal. Pour nous, le mal est le mal, et nous ne céderons jamais au mal.

Wang Wen : Oui, la théorie du Yin et du Yang dans la culture chinoise provient d'une autre école de philosophie. Nous espérons être capables de transformer le négatif en positif, le bien en mal, le bon en mauvais. Aux yeux des Chinois, les bonnes choses ne sont pas entièrement bonnes, et les mauvaises choses ne sont pas entièrement mauvaises. Il existe une relation d'attachement et de transformation entre les deux. C'est compliqué.

Douguine : Oui, la Chine ne promeut pas une politique étrangère de conflit culturel. Dans une autre culture différente de la Chine, il existe des frontières claires entre le bien et le mal, le bon et le mauvais, la lumière et l'obscurité, et la culture russe contient ce gène. Du point de vue de la Russie, le monde est soit unipolaire (il y a un pays avec la plus forte puissance mondiale, comme les États-Unis), soit multipolaire (l'Occident, la Russie et la Chine essaient tous de parvenir à une situation gagnant-gagnant dans ce monde). Une structure mondiale multipolaire est également une chose vers laquelle la Chine doit tendre. La Chine observe le monde avec sa propre perspective et ses propres pensées, et les autres pays observent également la Chine avec leur propre pensée et leur propre vision du monde. Cela va dans les deux sens.

Certaines de ces pensées et perspectives sont anormales, voire pathologiques. La pensée et la vision du monde chinoises sont saines, mais la pensée et la vision du monde occidentales ne le sont pas autant. Nous devrions essayer de comprendre ces modes de pensée pathologiques, et non pas les expliquer avec notre pensée intrinsèque.

Wang Wen : Discutons de l'avenir de la Russie et de la Chine. Les tensions dans les relations de la Russie avec l'Occident vont probablement continuer à pousser les relations sino-russes à se réchauffer. Cette fois, j'ai visité plus de 20 villes en Russie, j'ai parlé avec de nombreux responsables locaux et j'ai discuté de la manière de renforcer les relations entre les deux pays à différents niveaux tels que le niveau local, le niveau civil, le niveau de l'élite, etc. La Chine et la Russie ont des perceptions différentes l'une de l'autre à tous les niveaux. Du point de vue du sommet, la conscience stratégique de la confiance et de la coopération entre la Chine et la Russie est suffisante et ferme ; cependant, aux niveaux non gouvernemental et de l'élite, les gens ont des opinions très diverses sur la coopération sino-russe, et certaines idées ne sont pas propices à la coopération bilatérale. Que pensez-vous de cela ?

Douguine : Tout d'abord, je pense que les relations sino-russes se sont en fait considérablement améliorées sur les deux plans. Nos deux pays ont certainement de nombreux problèmes à surmonter, comme les différences culturelles entre les deux parties. Nous devrions passer plus de temps à comprendre les attributs respectifs de la Chine et de la Russie, à comprendre le code de la civilisation de l'autre, à ouvrir davantage le "dialogue à deux voies" et à approfondir la coopération bilatérale.

41fc32XrUgL._SX331_BO1,204,203,200_.jpgLa compréhension mutuelle entre les dirigeants des deux pays a été "parfaite", et la coopération entre le président Xi et le président Poutine est la pierre angulaire de la Chine et de la Russie, créant l'avenir des relations bilatérales. Mais nous devrions également accorder plus d'attention à l'institutionnalisation des relations entre les deux pays, proposer des plans pour renforcer la coopération et la compréhension mutuelle aux niveaux supérieur, intermédiaire et de base, et réajuster le système de coopération aux niveaux intermédiaire et de base.

À mon avis, l'avenir de l'humanité dépend de la coopération approfondie entre la Chine et la Russie. Plus que jamais, nous devons apprendre à nous connaître efficacement. Nous sommes déjà deux pôles dans un monde multipolaire. Les peuples des deux pays doivent continuer à se battre pour le développement de la Russie et de la Chine, afin que les relations entre les deux pays soient plus harmonieuses.

Wang Wen : Une plateforme importante pour la coopération sino-russe est la connexion entre l'initiative "Belt and Road" et l'Union économique européenne. Aux yeux de nombreuses personnes, la théorie du Grand Eurasisme que vous avez défendue pendant de nombreuses années a contribué à promouvoir la coopération sino-russe, en particulier l'intégration économique eurasienne. Mais les choses semblent changer. Ces dernières années, avez-vous acquis de nouvelles connaissances dans l'étude de l'intégration eurasienne ? Que pensez-vous de l'intégration eurasienne et de l'initiative "Belt and Road" ?

Douguine : Le contenu de la théorie du Grand Eurasisme couvre le contenu de l'Union économique eurasienne et de l'initiative "Ceinture et Route". La Chine et la Russie ont la capacité d'intégrer harmonieusement deux initiatives majeures pour promouvoir le développement de l'Eurasie et ainsi réaliser la construction du monde. À l'avenir, l'Eurasie devrait inclure l'Europe, l'Inde et de nombreux autres pays. Nous devrions élargir nos horizons pour inclure tous les pays de l'ensemble du continent eurasien. En termes de mise en œuvre spécifique, nous devrions avoir une compréhension plus profonde de la signification de "Ceinture et Route" et des différents rôles que l'"Union économique eurasienne" de la Russie devrait jouer et adapter et accepter ces rôles.

Nous devrions présenter la véritable théorie de l'intégration eurasienne aux élites chinoises, et non la version mal interprétée. En Russie, certains considèrent l'eurasisme comme du néocolonialisme, tandis qu'en Chine, d'autres y voient la version russe de l'impérialisme. Nous devrions trouver différentes façons de nous comprendre. La théorie de la Grande Eurasie inclut non seulement la coopération économique entre la Russie et la Chine, mais aussi la coopération approfondie entre l'Inde, l'Asie du Sud-Est et l'Asie occidentale. Nous devrions réfléchir à ce concept et le généraliser, renforcer les échanges culturels, comprendre son identité, son but et sa motivation.

Afin d'atteindre les objectifs ci-dessus, nous devons avoir une compréhension plus profonde de la culture de l'autre et comprendre réellement la cohérence interne du pragmatisme, du matérialisme, du réalisme et d'autres logiques, ce qui exige que nous ayons un dialogue au niveau de la linguistique interlinguale. Sinon, il nous est difficile de parvenir à des opinions similaires sur une même chose.

inwangdex.jpgWang Wen : Dans la stratégie étrangère de la Russie de ces dernières années, on peut voir l'ombre de la théorie du "Grand Eurasianisme". Par conséquent, des rumeurs ont circulé ces dernières années selon lesquelles vous faites partie de l'état-major du président Poutine, ou même que vous êtes le "cerveau de Poutine" ; certaines personnes disent que vous étiez le pont entre le président Poutine et le président Trump au cours de ces années-là. Comment réagissez-vous à cela ?

Douguine : Je soutiens beaucoup Poutine, notre esprit est similaire, mais je n'ai pas d'autre relation avec lui.

Je devrais connaître le peuple russe et l'histoire russe mieux que quiconque ici. C'est peut-être un peu humiliant de dire cela, mais j'ai un amour profond pour le peuple russe et l'histoire russe. Je comprends la logique derrière tout cela mieux que quiconque, ainsi que la stratégie étrangère nationale actuelle que les gens peuvent approuver et soutenir.

Wang Wen : Avez-vous des conseils à donner aux jeunes, en particulier à leurs homologues chinois ?

Douguine : Afin de comprendre le monde, vous devez d'abord devenir un Chinois plus authentique. Si vous ne vous comprenez pas vous-même, vous ne pouvez pas comprendre les autres. Si vous n'avez pas confiance en vous et que vous n'avez pas votre propre identité, il est impossible de comprendre l'identité des autres pays et l'avenir de la multipolarité. Pour comprendre le monde, vous devez d'abord vous comprendre vous-même.

* * *

(Zhang Huimin张慧敏 de l'Université de Moscou et Feng Shide冯士德 de l'Académie des sciences de Russie ont participé au dialogue et ont procédé à un examen préliminaire du contenu du dialogue)

Rédacteur responsable : Liu Xiaoyun 刘啸云

Traducteur anglais : Liviu Florea

 

L'empire entre la crise de l'État-nation et l'intégration de l'espace civilisationnel

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L'empire entre la crise de l'État-nation et l'intégration de l'espace civilisationnel

par Maxence Smaniotto

Source: http://www.cese-m.eu/cesem/2022/10/limpero-tra-crisi-dello-stato-nazione-e-integrazione-dello-spazio-civilizzazionale/?fbclid=IwAR0uunL17JhVJ-hUA3G8-moxCBxV4U--wtmxG5qc-HLBtdmyYImIklb7SEo

Permanences historiques et courtes durées

Prise individuellement, la discipline de la géopolitique ne suffit pas à expliquer les dynamiques profondes qui caractérisent, et souvent déterminent, les relations entre les nations. Pour être fructueuse et surtout complète, leur analyse doit prendre en compte une grille de lecture multifactorielle et comparative dans laquelle convergent différents facteurs explicatifs qui se complètent, et ce, afin d'éviter de dangereuses explications monofactorielles (A. Chauprade, 2007).

En effet, comment la géopolitique pourrait-elle expliquer à elle seule les soulèvements violents et spectaculaires qui ont eu lieu au Sri-Lanka en été 2022 ? Au contraire, la géopolitique en tant que science ne peut aider autrement que si nous l’appréhendons comme "lit de l'histoire", selon la belle expression conçue par Carlo Terracciano (1986, p. 67). Par là, l'auteur entendait souligner combien la géopolitique doit prendre en compte non pas les relations entre la géographie et la politique, mais plus globalement l'histoire, la religion, les spécificités des cultures - bref, l'immense variété de l'être humain.

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En ce sens, le grand historien français Fernand Braudel - dont l'impact sur la pensée géopolitique et historique contemporaine est incroyablement passé inaperçu - appelait à regrouper les sciences sociales dans une optique comparative afin de jeter les bases d'une science "totale" qui prendrait en compte et valoriserait toutes les branches des sciences humaines, de l'histoire à l'économie, de la géographie à l'anthropologie (1958).

Par ailleurs, et c'est certainement la partie la plus passionnante de son parcours intellectuel, peut-être la plus féconde, il nous a invités à nous intéresser à la "longue durée", c'est-à-dire aux dynamiques sociales les plus profondes, anciennes et peu enclines au changement. Et ce, à une époque, celle des années 30 et 40, qui ne voyait dans l'histoire qu'une longue succession d'événements à reconstituer et à analyser séparément par le savant. En revanche, le "temps court", celui des événements, serait, toujours selon l’historien, de moindre importance.

Sans la dynamique du temps long, sans les permanences, qu'elles soient économiques, sociales, géographiques ou même mentales, aucun événement n'aurait pu avoir lieu. L'être humain, au contraire, naît et se développe en relation avec un contexte donné, il développe des valeurs et des comportements qui le distinguent des autres peuples.

Tous ces facteurs doivent être pris en compte. Et pour ce faire, il faut aller à contre-courant de la conception du temps dominante depuis la fin du 20ème siècle, celle du temps court, où l'accent est mis sur les événements, la rapidité, les crises, les changements brusques, l'émotivité, et penser plutôt en termes de temps long caractérisé par des rythmes très lents, où les changements se produisent un peu à la fois, sur plusieurs générations. Cette dernière conception est insupportable dans un monde dicté par les lois du néolibéralisme, obsédé par la recherche effrénée de la jouissance éphémère, par l'euphorie sans limites (M. Recalcati, 2011).

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Ce n'est donc pas un hasard si cette conception du temps et de l'histoire a connu un succès particulier dans les années 1960 et 1970, époque à laquelle un certain nombre d'intellectuels français, regroupés plus tard sous l'appellation de French Theory, allaient avoir un immense impact au pays du libéralisme et des conceptions individualistes, les États-Unis d'Amérique. De Michel Foucault à Judith Butler, dans un mouvement d'accélération croissante qui se mariera bien avec les théories de la cybernétique et du transhumanisme qui ont fait de la Silicon Valley le centre de gravité civilisationnel occidental du XXIe siècle.

Vivre dans le temps court, dans la rapidité, signifie, d'un point de vue psychologique, vivre dans l'imaginaire. La recherche effrénée de la nouveauté et du plaisir répond à un impératif bien précis : nier, en le court-circuitant, le principe de réalité pour maintenir exclusivement le principe de plaisir (C. Melman, 2003). Mais ces derniers doivent, tôt ou tard, se soumettre aux premiers. Cette transition peut être particulièrement compliquée et douloureuse, car elle impose une révolution copernicienne et un renoncement, de la part du sujet, à une part considérable du plaisir recherché. Cela conduit invariablement à une renégociation de la vision de soi et du monde, un processus extrêmement compliqué dans le contexte d'une civilisation hédoniste et où l'individu est, au nom de l'égalitarisme, souverain de lui-même et où la société doit pouvoir s'adapter à ses besoins.

A ce stade, nous pouvons l'affirmer explicitement : les événements qui secouent le monde depuis quelques années et qui semblent trouver, en 2022, d'inquiétants points de convergence, incarnent le principe de réalité. D'un point de vue géopolitique et plus généralement historique, le principe de réalité se traduit par ces constantes du temps long que nous avons évoquées précédemment, et que le temps court, celui des événements, n'affecte en rien. Et, pourrions-nous ajouter, une certaine conception de l'histoire, non pas comme une simple succession linéaire d'événements, mais comme un temps cyclique, tel que le conçoivent, bien qu'à partir d'hypothèses différentes, Oswald Spengler (1922) et Arnold J. Toynbee (1972).

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Les explosions des États-nations syrien, irakien et libyen, artificiels dans la mesure où ils ont été construits par des puissances étrangères et ne correspondaient pas aux frontières ethniques et linguistiques des peuples qui les habitaient, auraient dû dévoiler ces dynamiques profondes propres au temps long ; la guerre en Ukraine les révèle de manière claire et incontestable. Contrairement à ce qu'affirment les gouvernements et les analystes, la Russie n'est pas en train d’englober les parties orientale et méridionale de l'Ukraine à cause d'Euromaïdan. L'Euromaïdan n’est en soi qu’un événement de peu ou aucune d'importance. Il s’agit plutôt d’un événement qui traduit, rend symptomatique, pourrions-nous dire, des dynamiques plus profondes et plus anciennes. La Russie, de notre point de vue, après une pause de trente ans, poursuit plutôt ce qu'elle avait commencé au 8ème siècle, lorsque, suivant le cours des rivières, la Rus' de Kiev et, plus tard, celle de Moscovie, ont commencé à étendre leur influence vers le sud, et qu'elles ont finalement achevé au 18ème siècle avec l'annexion de la Crimée et la fondation d'Odessa, à savoir l'accès aux mers chaudes, la mer Noire et, de là, à la Méditerranée.

Sans ces accès, la Russie est géopolitiquement étranglée, car ni la façade maritime sibérienne ni la minuscule et isolée exclave de Kaliningrad, qui fournit un maigre mais stratégiquement important accès à la mer Baltique, ne peuvent compenser la perte sur les débouchés de la mer Noire et de la mer Méditerranée.

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Les événements qui caractérisent les relations entre la Russie et l'Ukraine sont également incompréhensibles pour l'homme qui vit dans (et des) les hoquets du temps court, mais compréhensibles pour l'homme qui vit dans le temps long, qui conçoit l'histoire en termes de lenteur. Il comprend que l'humanité assiste au crépuscule des États-nations issus de la Modernité et, par conséquent, à l'échelle du temps historique long, d'un événement, et du retour des Empires, éléments propres au temps long, permanences qui résistent au passage du temps et au cycle des événements, et où convergent, se sédimentent et se complètent des éléments géographiques, civilisationnels, anthropologiques, religieux et mentaux.

L'objectif de cette brève étude, nécessairement incomplète compte tenu de la complexité et de l'immensité du sujet, sera de mettre en lumière les dynamiques qui sous-tendent les relations entre les pays et déterminent leurs orientations. Nous tenterons, avec humilité et circonspection, d'aller plus loin que l'analyse superficielle de l'actualité, de relier les événements aux permanences, et vice versa.

Cela est nécessaire car il est désormais clair que la Russie et la Chine, et, comme nous le verrons, d'autres pays, n'essaient pas de redevenir des empires - ils n'ont jamais cessé de l'être.

Mais avant de se plonger dans la définition de ce que nous entendons par le concept fondamentalement très vague d'"empire", il est nécessaire d'aborder de manière générale les questions particulièrement sensibles de la crise de l'État-nation, du mondialisme et de la multipolarité aujourd'hui.

Empire et État-nation

Les dynamiques qui ont conduit à la crise actuelle des États-nations sont variées et sont présentes depuis plusieurs siècles. Plus précisément, depuis 1648, date à laquelle le traité de Westphalie a sanctionné le fait que les guerres et les traités étaient désormais l'apanage des monarchies, alors qu'auparavant ils étaient menés principalement sur une base religieuse. Le traité stipulait ce qui se passait déjà depuis un certain temps, à savoir la naissance d'États-nations, qui aurait d'immenses conséquences. Un siècle et demi plus tard, ce sera l'aube des guerres de masse, des idéaux républicains, des principes de laïcité et de progrès, pierres angulaires de la plupart des États-nations. C'est ce mouvement qui fragmente, sur une base ethnique, culturelle et linguistique, les grands empires de l'époque et qui, se répandant dans le monde entier, détruira un grand nombre de monarchies et créera à son tour de nouveaux États-nations, de nouvelles républiques qui, détachées de l'empire dont elles faisaient partie, seront trop faibles pour être véritablement souveraines.

Deux dynamiques semblent importantes et intimement liées.

Tout d'abord, l'essence même de l'Occident, qui porte en lui les contradictions internes qui conduisent les États-nations qui y adhèrent à la crise : l'industrialisation, le capitalisme, le rationalisme, la laïcité, le matérialisme sont des idéologies qui n'ont cessé de détruire les fondements mêmes des sociétés traditionnelles, y compris celles qui s'étaient constituées en États-nations.

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La deuxième dynamique est celle qui a permis à l'Occident d'opérer même dans les espaces les plus reculés d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine : la mondialisation, qui deviendra maintenant la globalisation, c'est-à-dire la tentative de convertir chaque espace civilisationnel, chaque culture, aux valeurs de l'Occident.

La mondialisation et la prolifération des États-nations, très souvent dotés de frontières totalement artificielles, ont été des facteurs de déstabilisation mondiale. Aujourd'hui, un certain nombre d'analystes parlent de l'émergence d'un monde multipolaire fondé sur les civilisations (S. Huntington, 1996 ; A. Dugin, 2013) et qui ferait suite à la crise des États-nation. Cependant, le dépassement du modèle de l’État-nation ne peut pas se faire sur la base exclusive de la civilisation, concept qui, à partir d’un certain point, se révèle excessivement étendu et mal défini. Pour être opérante et cohérente en un monde multipolaire, chaque civilisation a besoin d'un pôle organisateur. Celui-ci ne peut être autre que l'empire, le modèle de l'État-nation étant historiquement, démographiquement et géographiquement incapable d'organiser les civilisations.

Un exemple classique de civilisation sans pôle organisateur et, donc, hautement instable, est l'islam sunnite, où aucun État-nation arabe n'a jamais réussi à devenir le leader de cette civilisation, et où seulement le modèle impérial a su faire rayonner cette civilisation. Pendant un temps, l'Égypte avait tenté d’assumer ce rôle. Aujourd'hui c'est l'Arabie Saoudite, qui possède la Mecque, qui s'y essaie maladroitement. Mais la réalité est que seuls deux empires musulmans ont survécu et peuvent aujourd'hui organiser et intégrer cet espace civilisationnel : la Turquie (sunnite) et l'Iran (chiite). Leurs relations conflictuelles, empreintes de compétition, y compris militaire, ont des racines historiques profondes, mais résultent avant tout de cette dynamique impériale consistant à s'ériger en leaders de l'Islam.

Les États-nations ont fonctionné à un moment précis de l'histoire de l'humanité, notamment en Europe. Ils sont nés en opposition à des empires en déclin, ou qui s'étaient lancés dans une volonté d'assimilation inadaptée à une conception impériale, où l'extension territoriale entraîne de force une pluralité de peuples, chacun avec sa propre culture, et qui ne peuvent être assimilés de force sans risquer l'implosion de l'empire.

En d'autres termes, les États-nations sont apparus à la suite de la crise du modèle impérial, qui était patent au 18ème siècle. Le XXIe siècle sera l'époque qui verra la crise des États-nations et la renaissance de ces empires qui, constantes inscrites dans le temps  long, ont su, chacun à leur manière, limiter les dégâts des États-nations modernes et technologiquement avancés, en prendre certaines caractéristiques et les utiliser contre eux.

Si les empires ont pu perdurer dans le temps, c'est grâce à un certain nombre de facteurs, aussi bien géographiques que religieux, démographiques et civilisationnels. Aujourd'hui, nous pouvons identifier six pays qui peuvent être définis comme des empires et qui profitent de la crise des États-nations pour réapparaître en tant que centres de pouvoir et d'intégration régionale : les États-Unis, la Turquie, la Russie, l'Iran, la Chine et l'Inde.

Mais quelles sont les caractéristiques déterminantes d'un empire, de l'antiquité à nos jours ? Nous en proposons sept, et nous les analyserons brièvement l'une après l'autre.

Caractéristiques de l'empire

Une fois que nous avons considéré l'hypothèse secondaire selon laquelle la forme impériale s'inscrit comme une constante du temps long, il reste peut-être la tâche la plus ardue, celle de définir ce qu'est un empire et les caractéristiques qui le distinguent.

Une tâche ardue, comme nous le disions, puisque sa définition est affectée par l'époque et les conceptions des uns et des autres, qui traduisent des références très différentes. Par exemple, la vision traditionaliste ne correspond que très peu à la vision matérialiste. Pour les premiers, l'Empire n'est tel qu'en vertu de la présence d'un empereur de droit divin. Dans le second, l'empire n'est rien d'autre qu'une construction élaborée par une classe privilégiée afin de justifier et de légitimer ses intérêts sur les autres classes. De notre point de vue, l'empire ne se définit pas exclusivement par l'immensité de son territoire et la présence d'un empereur de droit divin. La Chine, par exemple, n'a jamais été une monarchie de droit divin, et dans le Saint Empire romain germanique, les empereurs étaient élus par les grands électeurs. Ni le Premier ni le Second Empire français n'étaient de droit divin, bien au contraire !

Ce que nous souhaitons proposer ici, c'est de définir l'Empire selon des critères non partisans, presque dépouillés, libres de toute conception idéologique. Nous définissons l'empire comme un ensemble cohérent de peuples divers par leur ethnie, leur culture et leur religion mais vivant au sein d'un même État décentralisé, doté d'une certaine étendue territoriale, de ressources suffisantes et de caractéristiques qui le rendent souverain et indépendant par rapport aux autres États.

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L'Empire reconnaît la nécessité d'un certain degré d'autorité, à comprendre dans le sens latin d'auctoritas, nécessaire pour permettre aux différents peuples de coexister. Cette auctoritas peut être exercée par la figure symbolique du monarque, ou par une autre figure apparentée, ou encore par un système étatique et civilisationnel suffisamment fort et stable pour garantir l'unité de l'Empire. En d'autres termes, l'Empire existe nécessairement en vertu de la présence ou de l'absence d'un monarque de droit divin, et se définit plus spécifiquement en fonction de son essence.

La structure d'un empire est définie en fonction de sept traits fondamentaux: l'aire géographique, l'espace civilisationnel, la langue, la religion, l'économie, la démographie et l'armée. Si l'un de ces traits fait défaut, l'empire n'est plus un empire, car il n'est ni souverain, ni central, ni capable de garantir l'autorité.

La géographie est la base de l'Empire, l'axe physique sur lequel il fonde son existence et sur lequel il exerce sa souveraineté. Un empire sans territoire est tout simplement inexistant, et un peuple sans territoire est à la merci des États dans lesquels il vit. Elle ne peut aspirer à autre chose qu'à des succès économiques et politiques éphémères dans le cadre d'autres pays, ce qui peut s'avérer dangereux si la situation locale se détériore. Les Arméniens, les Juifs, les Yazidis et les Zoroastriens en sont des exemples typiques.

La géographie englobe plusieurs notions. Tout d'abord, celle du territoire. L'empire est une réalité vivante, une entité étatique, sociale et civilisationnelle. Elle a donc besoin d'un territoire sur lequel développer et exercer sa souveraineté à travers les lois qu'elle s'est donnée et que, dans certains cas, elle peut même imposer à l'étranger, soit directement par sa propre présence physique, soit indirectement par le biais des structures supranationales, donc impériales, qu'elle contrôle ou dans lesquelles elle a une plus grande influence. Un cas paradigmatique est celui des États-Unis, dont les lois nationales sont conçues de telle sorte qu'ils peuvent violer à volonté la juridiction des pays dits "alliés", par exemple en infligeant des amendes aux entreprises étrangères qui commercent avec des pays que Washington a décrétés comme étant ses "ennemis".

La géographie territoriale de l'Empire est caractérisée par une certaine étendue. Elle doit pouvoir assurer, en cas de guerre ou de catastrophe naturelle, un arrière-pays sécurisé, comme ce fut régulièrement le cas pour la Russie (invasion napoléonienne, Seconde Guerre mondiale) et la Turquie pendant et après la Grande Guerre. En outre, le territoire doit être en mesure de garantir l'approvisionnement en nourriture de la population. Par conséquent, et c'est là que réside la deuxième notion, un territoire a besoin d'une infrastructure de bonne qualité pour assurer les connexions entre une région et une autre, c'est-à-dire pour favoriser l'intégration géographique.

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La force de Rome ne résidait pas seulement dans ses excellentes légions ou son administration, mais surtout dans la construction de routes, de ponts, d'aqueducs et de ports. Un empire vaste et mal connecté, doté d'infrastructures peu nombreuses et délabrées, est voué à se fragmenter et à imploser car trop de régions et de peuples restent isolés et, ne se reconnaissant pas comme faisant partie d'un même ensemble étatique, seraient logiquement tentés de faire sécession.

Le troisième facteur, peut-être le plus important, est celui de l'emplacement. Elle a été soulignée par le géographe américain Nicholas J. Spykman. La situation géographique permet d'accéder aux ressources naturelles, aux meilleures voies de communication, aux débouchés des mers chaudes et des océans, et permet également la proximité des alliés, la distance des ennemis et les centres de pouvoir. Les États-Unis possèdent d'importantes ressources naturelles sur leur propre territoire, ne sont pas entourés de pays hostiles et, grâce à leurs côtes, l'Atlantique et le Pacifique, se trouvent en plein centre des deux pôles les plus riches de la planète, l'Europe et l'Asie orientale. En revanche, la Russie, qui est immense, a peu de débouchés sur les mers chaudes, qui sont d'ailleurs fermées (la mer Caspienne) ou semi-fermées (la mer Noire).

Elle rencontre des difficultés considérables à l'ouest, où l'UE, "tête de pont des Etats-Unis en Eurasie" (Z. Brzezinski, 1997) et cheval de Troie de l'OTAN, a intégré la majeure partie du continent au détriment de Moscou, et à l'est, où la Chine aspire à intégrer et exploiter la Sibérie orientale, immense, riche et dépeuplée.

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L'Iran, en grande partie désertique, est enclavé entre les chaînes de montagnes de l'ouest (les monts Zagros), celles du nord (les monts Elbrus et la chaîne du Kopet Dag) qui donnent accès à la mer Caspienne ; à l'est et à l'ouest, le pays est bordé de vastes déserts qui bordent des États-nations qui ont été soit occupés par les États-Unis pendant longtemps, l'Afghanistan et l'Irak, soit de proches alliés des États-Unis, le Pakistan et la Turquie. Le sud de l'Iran donne accès au golfe Persique, qui est également fermé, et à l'océan Indien. Les nombreux incidents sur les rives du détroit d'Ormuz visent à limiter davantage les capacités de projection de l'Iran, fermant définitivement le pays au reste du monde.

Enfin, il y a la Chine, dont l'interface maritime - donnant accès à la zone économique la plus riche de la planète - est extrêmement limitée par une coalition américaine faisant office de "cordon sanitaire", représentée par le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, Guam, les Philippines et le Vietnam. D'où les tentatives de Pékin d'ouvrir des voies de communication à travers les chaînes de montagnes de l'ouest et, sur les mers, de récupérer Taïwan et une partie des îles Spratly, de passer des accords avec les îles Salomon et le Myanmar, et enfin de s'appuyer sur la très nombreuse et riche diaspora chinoise disséminée dans toute l'Asie du Sud-Est, à Singapour, en Malaisie, en Indonésie et en Thaïlande.

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Le dernier facteur géographique d'une certaine importance est la variété des paysages. Certaines géographies physiques favorisent l'homogénéité et la centralisation, par exemple les steppes centrasiatiques, tandis que d'autres favorisent la pluralité et la décentralisation, par exemple la Méditerranée et l’Europe.

Chaque empire se perçoit comme le pôle central d'un espace civilisationnel et agit en conséquence. Lorsque le sultan ottoman Selim Ier a contraint le dernier calife abbasside al-Mutawakki III à lui céder le titre de chef des croyants, l'Empire ottoman est devenu le centre de l'islam pendant quatre siècles. De même, la Russie, qui n'a jamais contenu dans ses frontières tous les États et les peuples de la foi orthodoxe, en représente néanmoins le pôle central, notamment en vertu du concept de la Troisième Rome.

La tendance de tout empire est d'intégrer l'espace civilisationnel dont il se perçoit comme le centre. Cela se produit non seulement par la religion ou la langue, mais aussi par les voies de communication, le commerce, la diffusion des modes et des idées, ainsi qu'une histoire commune. Tout cela contribue à imprimer une certaine mentalité ou, plutôt, une certaine vision du monde, un certain rapport à celui-ci, si particulier qu'il finit par différencier un espace civilisationnel d'un autre. Celle des mentalités est un facteur décisif que soulignait déjà Fernand Braudel à l'époque : "Ces valeurs fondamentales, ces structures psychologiques sont sans doute ce que les civilisations ont de moins communicable les unes aux autres. Et ces mentalités sont tout aussi insensibles au passage du temps". (1963, p. 66).

La vision de soi et du monde varie donc d'une civilisation à l'autre. L'occidentale s'inscrit dans un mouvement qui tend vers le rationalisme, l'éloignement de la vision religieuse, la sécularisation et un certain matérialisme. L'hindouisme, quant à lui, structure une vision cyclique, en quelque sorte fataliste, et est imprégné de sacré. Enfin, le confucianisme se caractérise par la recherche de l'équilibre, le respect des hiérarchies et de l'ordre - l'individu n'y existe qu'en fonction du collectif.

Les espaces civilisationnels tels que nous les définissons ne sont pas ethniquement et culturellement homogènes, et dans certains cas, ils peuvent même inclure différentes religions, comme c'est le cas de la Russie et de l'Iran. La notion d'empire exclut le recours à l'assimilation et à la centralisation, deux concepts cardinaux des États-nations, et est au contraire garante des autonomies locales, qu'elles soient culturelles, territoriales ou religieuses. Dans l'Empire des Habsbourg, par exemple, ni les Italiens, ni les Bosniaques, ni les Hongrois n'étaient considérés comme des Autrichiens. Au contraire, avec la Révolution française de 1789, l'État-nation français considère les Bretons, les Auvergnats, les Provençaux et les Corses comme des Français, c'est-à-dire des Francs : l'assimilation est souvent brutale, et l'école républicaine, rendue obligatoire à la fin du XIXe siècle, y joue un rôle fondamental.

Ces espaces civilisationnels ont invariablement eu tendance à s'intégrer sous l'impulsion de l'Empire, qui les a organisés et structurés. Elle dispose des moyens économiques et militaires, d'une démographie suffisante et d'une puissance politique. Aujourd'hui, cette intégration se fait principalement par la création de structures supranationales économiques, culturelles et armées, telles que le Conseil de coopération des pays turcophones.

Ainsi, les Etats-Unis, héritiers de l'Empire britannique et de la pensée gréco-romaine et protestante, s'imposent désormais comme le pôle organisateur de l'espace occidental. La Chine est ainsi dans l'espace néo-confucéen et taoïste, l'Iran dans l'espace chiite et perse (Tadjikistan, Irak, Syrie, Liban, Bahreïn et Afghanistan occidental), la Turquie dans l'espace turcophone et turcophile (Chypre du Nord, Bosnie, Albanie, Azerbaïdjan, une partie du Caucase du Nord et de l'Asie centrale, Misrata, Kurdistan irakien et Kurdistan syrien), l'Inde dans l'Hindoustan et la Russie dans l'espace de l'Orthodoxe et de l'Eurasie (Europe de l'Est, Serbie, République serbe de Bosnie-Herzégovine, Belarus, Ukraine, Moldavie, pays baltes, une partie du Caucase du Sud, une partie de l'Asie centrale).

La langue est un facteur d'unification extrêmement puissant, mais pas le seul. C'est un signe important d'identité, et c'est généralement autour de la question de la langue que se cristallisent les revendications sécessionnistes et autonomistes. L'État-nation impose son assimilation principalement par l'apprentissage des langues, et tend à faire disparaître les autres, ne laissant place qu'aux dialectes. Dans le cas de l'empire, la langue peut être imposée, mais comme sa vocation n'est pas l'assimilation, cette politique s'avère généralement infructueuse et contre-productive.

Dans les années 1930, à l'apogée du stalinisme, l'Union soviétique a tenté sans succès d'imposer le russe dans toutes les républiques. Non seulement il a échoué, mais il a également dû reconnaître les langues vernaculaires de chaque république, de sorte que même les alphabets autres que le cyrillique (géorgien et arménien) ont été maintenus.

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Entre 1926 et 1938, il y a même eu une tentative d'unifier tous les alphabets en URSS, et le Comité central fédéral du nouvel alphabet a donc été créé. Ce projet utopique a été un échec, mais a tout de même contribué à la transition vers l'alphabet latin pour la plupart des peuples turcophones (Elena Simonato-Kokochkina, 2010). Aujourd'hui, le cyrillique est un alphabet régulièrement utilisé dans le Caucase du Sud, en Russie, en Biélorussie, en Ukraine, en Moldavie, en Serbie, en Bosnie-Herzégovine, en Bulgarie, en Macédoine du Nord, au Monténégro, en Mongolie et en Asie centrale, et il est officiel dans nombre de ces pays.

En bref, la capacité d'un empire à se maintenir dans le temps, à projeter et à structurer son espace civilisationnel est proportionnelle à sa capacité à préserver une langue dans l'espace civilisationnel dont il est le centre.

Un empire a besoin d'une démographie dynamique et importante, avec un équilibre positif entre les naissances et les décès. La masse démographique maintient le territoire de l'empire intact, le légitime, le nourrit et protège ses frontières. Les mastodontes chinois et indiens représentent ensemble un tiers de l'humanité, soit respectivement un milliard quatre cent millions et un milliard trois cent quatre-vingts millions d'habitants. Les autres empires possèdent des masses de population plus faibles, mais suffisamment importantes pour peser au niveau régional, en tout cas bien plus importantes que les États-nations qui les entourent et qui ne représentent rien de plus que des régions au sein des espaces civilisationnels. Les États-Unis comptent trois cent trente millions d'habitants, la Russie cent quarante, la Turquie quatre-vingt-cinq, l'Iran quatre-vingt-quatre.

Le taux de natalité est un paramètre de premier ordre qui doit être constamment pris en compte. Le problème est très présent en Russie (9,71 enfants nés pour 1 000 habitants, quand le taux moyen dans le monde est de 17,5), mais aussi aux Etats-Unis, où le taux de fécondité est somme toute médiocre (12,33), et en Chine (11,30). L'Iran (15,78), l'Inde (17,53) et la Turquie (14,53) s'en sortent mieux et peuvent compter sur une population plutôt jeune et dynamique qui accède de plus en plus à l'enseignement supérieur (1).

Bien que la structure d'un empire soit conçue pour accueillir, dans certaines limites, certains flux migratoires, chacun d'eux naît et se structure autour d'un groupe ethnique principal, auquel d'autres s'ajoutent au fil du temps, par le biais de l'expansion territoriale, d'alliances ou d'invasions. Si le groupe ethnique décline et devient une minorité, il est confronté à deux options. Soit il devient une caste dominante mais à l'équilibre précaire, soit l'empire implose sous les poussées séparatistes ou les invasions. Le substrat ethnique des États-Unis, que l'on appelle généralement WASP, est de confession anglo-saxonne, chrétienne-protestante. Dans le cas de la Chine, le groupe ethnique dominant est celui des Han (92% de la population), tandis qu'en Iran ce sont les Perses (environ 60%), en Turquie les Turcs (environ 75%), et en Russie les Russes (80%). L'Inde est un cas particulier dans la mesure où elle n'a pas de groupe ethnique principal clairement identifié - l'identité de l'empire repose sur l'affiliation religieuse à l'hindouisme (80%) et la langue parlée. Cependant, on peut dire que le principal groupe indien est celui des hindous, qui pratiquent l'hindouisme et parlent l'hindi.

La religion structure l'identité de l'Empire, mais n'en est pas un élément exclusif. L'Empire austro-hongrois était catholique, mais comptait des minorités musulmanes et orthodoxes. De même, la Russie est orthodoxe mais n'exclut pas et ne tente pas de convertir ses populations musulmanes, animistes ou bouddhistes. Quoi qu'il en soit, il reste que la pratique religieuse est fondamentale pour l'empire, qui perdrait son essence s'il convertissait ou abandonnait totalement la sphère religieuse. Des six empires qui existent aujourd'hui, aucun ne néglige la question religieuse, bien au contraire. Qu'elle soit pratiquée avec ferveur ou sécularisée, la religion détermine profondément les orientations intérieures et extérieures de l'empire. La lutte contre le terrorisme et l'exportation de la démocratie de l'ère Bush répondent à ce désir d'évangélisation et de prosélytisme si caractéristique des sectes évangéliques qui pullulent aux États-Unis, toutes d'inspiration protestante : méthodistes, baptistes, mennonites, mormons, etc. ont un pouvoir et une influence déterminants.

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Chaque empire a sa propre religion et son idéologie: le protestantisme américain et le progressisme, la Chine le néo-confucianisme et un communisme réadapté au contexte local, la Russie l'orthodoxie (notion de Troisième Rome) et l'eurasisme, l'Iran le chiisme et l'héritage persan, l'Inde l'hindouisme et la démocratie, la Turquie, enfin, l'islam sunnite, dont elle tente de redevenir le leader mondial, et le néo-ottomanisme, qui n'est autre qu'un panturquisme qui, contrairement au républicanisme kémaliste, intègre l'héritage de l'Empire ottoman.

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L'armée est la première, et peut-être la plus importante, garantie de la souveraineté de l'empire. Elle protège ses frontières, mobilise ses ressources économiques et agit comme un instrument de pression sur les États-nations environnants. La composition de l'armée dans un empire est généralement différente de celle préconisée par les États-nations, où la différence entre les divers groupes ethniques et culturels n'est pas reconnue. Cette question n'a jamais été totalement résolue, car la création d'unités de combat basées sur des groupes ethniques comporte un risque plus important, celui de former des unités cohésives au détriment de l'empire, qui pourraient mener des soulèvements militaires et sécessionnistes. Aujourd'hui, les Kurdes de Turquie sont, pendant leur service militaire, affectés à des tâches secondaires, et l'usage des armes est réservé aux groupes ethniques considérés comme "loyaux" à la Turquie. Auparavant, pendant la Grande Guerre, le génocide arménien a commencé par le désarmement des hommes engagés au front.

Quoi qu'il en soit, chaque empire se définit aujourd'hui par sa capacité militaire. Les États-Unis sont la plus grande force armée du monde et la Turquie, désormais engagée sur trois fronts (Syrie du Nord, Kurdistan irakien, Libye et Nagorny-Karabakh), possède la deuxième plus grande armée de l'OTAN. Quatre des six empires que nous avons identifiés possèdent une arme nucléaire, tandis que l'Iran tente d'en acquérir une depuis des années.

L'armée n'a pas pour seule fonction de faire la guerre, elle est aussi un facteur majeur de cohésion entre les groupes ethniques et sociaux, ainsi que, comme dans le cas de la Turquie, de la Russie et de l'Iran, où les mouvements sécessionnistes ont toujours été présents, un instrument de contrôle territorial.

Chaque empire procède à la construction de structures militaires supranationales, dont l'OTAN et l'OTSC, pour les États-Unis et la Russie respectivement, représentent les phénomènes les plus illustres, tandis que dans les cas de l'Iran et de la Turquie, ces structures sont semi-formelles (utilisation de mercenaires, encadrement et financement d'unités militaires et paramilitaires étrangères). L'Inde et la Chine ont fait le choix d'utiliser des troupes indigènes.

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La reconstruction du monde multipolaire révèle un retour à un monde multi-économique, dans lequel chaque empire et espace civilisationnel détermine à sa manière l'essence de son économie. Chaque empire, en intégrant son espace civilisationnel, forme ce que Braudel appelle une "économie-monde", qui caractérise une portion du monde, et non l'économie mondiale elle-même (F. Braudel, 1985). Selon l'historien français, l'économie-monde se définit selon une triple fonction : elle est liée à un espace géographique bien défini ; elle se caractérise invariablement par un pôle central représenté par une ville ; enfin, elle se subdivise en zones successives, dont l'une influence les autres de manière hiérarchique (du pôle central, très riche, aux zones intermédiaires en passant par les zones périphériques, généralement très pauvres).

Aujourd'hui, les différents empires qui se taillent une place dans un monde multipolaire tentent d'échapper aux obligations d'une économie mondialisée basée sur le modèle néolibéral exclusif des États-Unis. Il existe une lutte entre les modèles qui tentent de répondre à l'éternelle question soulevée par le développement du capitalisme, en particulier du capitalisme financier : l'État doit-il diriger, soumettre l'économie ou non ? Ce n'est pas une coïncidence si le socialisme a été installé dans certains pays alors que dans d'autres, il n'a eu pratiquement aucun succès. Le fait est que le modèle socialiste ne peut triompher en dehors des cultures et des espaces civilisationnels qui pratiquent déjà une certaine forme de redistribution des ressources, et où l'individu existe en fonction de la communauté. En ce sens, la Chine, la Russie et l'Iran ont eu tendance à créer des économies où l'État joue un rôle clé, surtout en Iran, où l'aide familiale et les bourses d'études sont abondantes, et où une conception islamique de l'économie prévaut.

À l'autre extrême, les États-Unis pratiquent une économie de marché libre, qui ne peut logiquement pas manquer de rencontrer des tensions dans les zones géographiques où les empires et les États-nations suffisamment puissants pour pouvoir le faire, imposent des droits de douane et où les grandes entreprises appartiennent à l'État. Entre les deux, l'Inde et la Turquie ont développé des économies mixtes, variables dans le temps, où l'État est un investisseur majeur, mais où de grandes entreprises privées ont émergé. La tendance reste cependant à les empêcher de devenir trop influents, car ils sont conscients qu'un capitalisme hors de contrôle a tendance à se déraciner, à ne pas avoir de maison et de destin en dehors du profit.

Dans les six cas, l'économie doit pouvoir servir l'empire, car elle permet une certaine indépendance, garantissant ainsi la souveraineté. Pour garantir cela, chaque pôle civilisationnel cherche également à intégrer l'espace civilisationnel par le biais de structures économiques transnationales : l'Union économique eurasienne (UEE) pour la Russie, le FMI pour les États-Unis, l'initiative "la Ceinture et les Routes" (BRI) et la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (AIIB) pour la Chine, l'Agence turque de coopération et de développement (TIKA) pour la Turquie, l'Organisation de coopération économique pour l'Iran et l'Association sud-asiatique de coopération régionale (SAARC) pour l'Inde.

Conclusion : vers un nouveau Moyen Âge ?

Le 25 juillet 2022, la deuxième conférence du Forum russe des nations libres a eu lieu à Prague, tandis que le 31 juillet 2022, une nouvelle enquête américaine a révélé des violations flagrantes des droits de l'homme par les autorités chinoises au Xinjiang. Ces deux événements se sont produits dans un contexte d'augmentation sans précédent des tensions entre la Russie et la Chine d'une part, et les États-Unis et leurs alliés d'autre part. Les États-Unis tentent d'organiser la périphérie orientale de leur civilisation dans une fonction anti-chinoise et anti-russe, exacerbant les sentiments nationalistes des peuples autrefois sous domination russe et désormais constitués en États-nations de taille modeste et de souveraineté fragile. Washington a bien étudié l'histoire de Rome et est le digne héritier du Royaume-Uni lorsqu'il utilise les sentiments nationalistes pour saper les empires - dans ce cas, russe et chinois.

Le choc des civilisations prôné par Samuel Huntington doit enfin être révisé et, aujourd'hui, redéfini comme un choc des empires.

Mais quelles pourraient être les conséquences de ces affrontements ? Le risque de "balkanisation" des empires est une constante de l'histoire et touche tous les empires aujourd'hui, y compris les États-Unis. Tout dépendra de l'équilibre que chaque empire sera capable d'établir entre le centre et la périphérie et de la manière dont il intégrera son espace civilisationnel, car si la crise du modèle de l'État-nation se poursuit, la "balkanisation" aura d'abord lieu dans ces pays. De nouveaux États pourraient émerger, encore plus petits et plus fragiles que leurs prédécesseurs, et donc encore plus enclins à s'intégrer dans les espaces civilisationnels des empires - voire dans les empires eux-mêmes, comme ce pourrait être le cas de l'Ossétie du Sud, de l'Abkhazie et du Donbass avec la Russie, ou du nord de Chypre et de l'Azerbaïdjan avec la Turquie (2).

Cela nous ramène au moins mille ans en arrière, lorsque les États-nations au sens moderne du terme n'existaient pas encore en Europe et dans le reste du monde, lorsque le monde était divisé entre de vastes empires, des royaumes plus ou moins constitués et un grand nombre de villes libres, de fiefs, de principautés et de communautés libres. L'effondrement des récits et de la logique de l'État-nation pourrait-il conduire l'humanité, en termes politiques et civilisationnels, vers un nouveau Moyen Âge ?

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C'était l'espoir du philosophe russe Nicholas Berdiaev lorsqu'il a écrit l'un de ses textes les plus connus, Le nouveau Moyen Âge. Réflexions sur les destins de la Russie et de l'Europe. Rédigé en 1924, deux ans après son expulsion de l'URSS, le philosophe russe fait le point sur ce que, selon lui, la Modernité a apporté non seulement à la Russie mais aussi à l'Europe, et analyse les conséquences de sa crise. Le retour au Moyen Âge est impossible car la Modernité, dit-il, a invariablement modifié le rapport des hommes à eux-mêmes et au sacré, et donc au monde. L'auteur russe espérait donc en l’émergence d’un "nouveau Moyen Âge", c'est-à-dire une nouvelle ère caractérisée par un renouveau spirituel.

L'homme doit donner des réponses à ce qui se passe dans le monde afin de mettre de l'ordre dans un univers autrement insupportablement chaotique et donc imprévisible. Le modèle de l'État-nation a dominé les consciences pendant près de deux siècles. Il est donc inévitable que son effondrement soulève des questions angoissantes auxquelles seul un renouveau spirituel, conséquence de la prise de conscience collective qu'une nouvelle configuration du monde vient de s'ouvrir, pourrait tenter d'apporter des réponses. Un "nouveau Moyen Âge", donc, le début d'un nouveau cycle historique.

NOTES:

1) Source : CIA World Factbook 2021

2) Cette analyse a été rédigée entre août et septembre 2022, bien avant l'annexion par la Russie des quatre régions reconnues comme faisant partie de l'Ukraine le 30 septembre. L'auteur a décidé de ne pas modifier le contenu du texte afin de le réajuster artificiellement au nouveau cours des événements. Le but de l'article était précisément de démontrer, à l'avance, ce qui se passe.

Bibliographie

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Toynbee A. J. (1972), L'histoire, Paris, Payot et Rivages.

lundi, 31 octobre 2022

Qui veut une rupture entre l'Europe et la Russie?

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Qui veut une rupture entre l'Europe et la Russie?

par Fabio Massimo Parenti

Source: https://www.ideeazione.com/chi-vuole-la-rottura-fra-europa-e-russia/

Avec les explosions provoquées en des points précis de Nord Stream 1 et Nord Stream 2 dans les eaux de la zone économique exclusive du Danemark, la sécurité énergétique de l'Europe a été définitivement mise à mal. Le système d'approvisionnement Europe-Russie mis en place au cours des vingt-cinq dernières années semble irrémédiablement compromis, et quelle que soit l'issue des enquêtes menées par les autorités des pays scandinaves impliqués, il est peu probable que les choses redeviennent comme avant.

Après le sabotage, les déclarations faites par le président américain Joe Biden le 7 février lors d'une conférence de presse ont inévitablement fait le tour du web : "Si la Russie nous envahit, il n'y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin". À l'objection du journaliste : "Comment allez-vous faire exactement, puisque le projet est sous contrôle allemand ?", le locataire de la Maison Blanche a répondu : "Je vous garantis que nous serons en mesure de le faire".

En revanche, l'aversion de Washington, et en particulier des démocrates, pour le gazoduc était connue depuis un certain temps. Le 1er janvier 2021 déjà, le Sénat américain avait voté pour passer outre le veto de Trump à la loi d'autorisation de la défense nationale (NDAA), qui comprenait " de nouvelles dispositions relatives à Nord Stream 2 dans le cadre de la loi de clarification de la sécurité énergétique de l'Europe (PEESCA) ". Ainsi, conformément aux nouvelles sanctions, l'entreprise norvégienne DNV GL a été contrainte de cesser toute activité de vérification pour le réseau du gazoduc Nord Stream 2.

Nord Stream 2, achevé l'année dernière mais jamais mis en service, était censé doubler le volume de l'approvisionnement en gaz russe de l'Allemagne déjà garanti avec son jumeau Nord Stream 1, un projet conçu en 1997 et réalisé - après des années d'études, de négociations et d'obstacles - entre 2011 et 2012. Le 6 septembre 2011, le premier gazoduc est entré en service et le 8 novembre suivant, le gazoduc a été officiellement inauguré en présence de la chancelière allemande de l'époque, Angela Merkel, du président russe de l'époque, Dmitri Medvedev, et du premier ministre français de l'époque, François Fillon : une image révélatrice de la direction, bien différente d'aujourd'hui, prise par les deux pays leaders de l'UE à ce stade.

Si depuis 2014, la guerre civile en Ukraine a progressivement détérioré les relations UE-Russie, l'échec définitif des accords de Minsk et le lancement de l'opération militaire spéciale russe ont bouleversé toute l'architecture diplomatique, et donc énergétique, du Vieux Continent. D'une part, la Russie, se sentant menacée par l'intention de l'Ukraine - annoncée à plusieurs reprises par Zelensky - de rejoindre l'Alliance atlantique, a décidé de porter un coup dur à son voisin dans un double but : garantir l'équilibre des forces sur la mer Noire, vital pour l'accès de Moscou aux mers chaudes, et protéger les communautés russophones du sud-est du pays. De l'autre, une Europe faible s'est confirmée comme un acteur incapable d'exprimer sa propre doctrine stratégique et une vision géopolitique claire, au moins autonome par rapport à celle des Etats-Unis.

Les décisions de l'administration Biden ont placé et placent l'Europe dans une position extrêmement critique, jetant les bases du déclenchement d'une crise économique et sociale sans précédent dont témoigne la flambée de l'inflation, qui avait déjà augmenté avant le début du conflit en raison du déséquilibre entre l'offre et la demande de matières premières et de produits semi-finis résultant de la pandémie. En septembre, l'UE et la zone euro ont enregistré une inflation à deux chiffres, avec des pics de plus de 20 % dans les pays d'Europe centrale et orientale, à commencer par les pays baltes : ce n'est pas un hasard si ce sont les plus exposés face aux sept trains de sanctions approuvés à ce jour par Bruxelles.

Repenser toute une chaîne d'approvisionnement énergétique en quelques mois a et aura des conséquences dévastatrices pour les économies les plus dépendantes des approvisionnements russes, à commencer par l'Italie et l'Allemagne. Les deux pays fondateurs de la Communauté européenne se retrouvent extrêmement vulnérables face à une accélération forcée de la diversification, si soudaine et si précipitée qu'elle risque de compromettre même la transition énergétique promue il y a tout juste trois ans par le Green New Deal européen et guidée, du moins en partie, par le PNRR approuvé l'année dernière.

En fait, la nécessité d'identifier immédiatement des sources alternatives au gaz russe a contraint plusieurs pays européens à mettre en service des centrales électriques au charbon et des centrales nucléaires qui avaient déjà été mises hors service ou étaient de toute façon destinées à être fermées. La recherche effrénée de gaz naturel liquéfié (GNL), nettement plus cher que le gaz naturel, a contraint le Vieux Continent à accroître la demande à l'étranger, en s'appuyant sur une série d'acteurs non européens pour lesquels aucun plafond de prix ne peut tenir : la Norvège, le Qatar, le Japon, le Canada et surtout les États-Unis.

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Les données officielles de l'EIA, l'agence statistique et analytique du ministère américain de l'Énergie, montrent comment Washington est devenu le premier fournisseur mondial de GNL au premier semestre 2022, en hausse de 12 % par rapport au second semestre 2021, pour atteindre une moyenne d'environ 317 millions de mètres cubes par jour. Dans le détail des quatre premiers mois de cette année, les États-Unis ont exporté 74 % de leur droit de GNL vers l'Europe : une part impressionnante si on la compare à la valeur moyenne pour 2021 (34 %).

Bref, des affaires en or pour les exportateurs américains, d'autant plus dans une conjoncture mondiale de forte hausse des prix, donc favorable aux producteurs et défavorable aux acheteurs.

Avant le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, l'ensemble de l'UE recevait de la Russie pas moins de 120 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an. Sur ce total, un quart, soit 30 milliards, est arrivé en Italie. Il est évident que cette augmentation soudaine des exportations fait également augmenter le prix du gaz aux États-Unis, qui a déjà quadruplé pour le consommateur américain en septembre dernier.

Si l'administration Biden, comme c'est désormais une certitude, subit les contrecoups de cette inflation "légère", les grands producteurs ne resteront certainement pas les bras croisés et n'auront pas trop de scrupules. Ce sont eux, en effet, comme cela arrive souvent aux États-Unis, qui influencent fortement l'orientation de la Maison Blanche, tant en politique intérieure qu'en politique étrangère.

Il en va de même pour le secteur de l'armement militaire. La décision de la Russie d'envahir l'Ukraine a suffi à faire bondir pratiquement tous les gouvernements des pays européens. La Finlande et la Suède ont demandé à adhérer à l'OTAN, profitant d'une procédure accélérée spécialement conçue pour l'occasion, tandis que la plupart des gouvernements des États membres actuels ont proposé ou approuvé des augmentations importantes des dépenses militaires. Il suffit de rappeler que sur les derniers 40 milliards de dollars alloués par l'administration Biden pour soutenir Kiev, près de 9 milliards devront être dépensés pour reconstituer le "stock" d'armes donné aux Ukrainiens. Surtout, les deux géants, Northrop Grumman et Lockheed Martin, ont déjà enchaîné gains sur gains en bourse, mais d'autres entreprises moins connues du grand public comme Raytheon et General Dynamics se frottent également les mains face à la prolongation de la guerre en Ukraine et au réarmement généralisé au niveau mondial.

mercredi, 26 octobre 2022

Ingérence américaine dans le Haut-Karabagh?

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Ingérence américaine dans le Haut-Karabagh?

Alexander Markovics

Plus de 100 morts, des vidéos de femmes arméniennes mutilées et des prisonniers de guerre arméniens liquidés: depuis septembre de cette année, le conflit du Haut-Karabagh a repris. Le conflit, qui couve depuis 1991, porte sur l'enclave arménienne au milieu de l'Azerbaïdjan. En 1993, l'Arménie est parvenu à s'approprier le territoire, mais Erevan n'a pas réussi à sécuriser ses conquêtes par des accords diplomatiques, comme le lui avait conseillé la Russie. C'est ainsi que la situation de l'État chrétien du Caucase a radicalement changé depuis 2020: avec des armes turques et israéliennes, notamment des drones, Bakou a réussi à reconquérir de grandes parties de la région enclavée.

Seule une force de maintien de la paix russe a pu éviter le pire. En Arménie même, Nikol Pashinyan, arrivé au pouvoir en 2018 à la suite de la révolution de la soie parrainée par l'Occident, a été accusé d'incompétence dans la conduite de la guerre et de trahison. Mais Pashinyan a réussi à étouffer les protestations et s'est fait réélire Premier ministre en 2021 lors d'élections qu'il a truquées. La situation géopolitique de l'État du Caucase a également changé : auparavant proche allié de la Russie et de l'Iran, Pashinyan a commencé à nommer des membres d'ONG occidentales à des postes gouvernementaux et à signer un accord avec l'UE. Sous son égide, l'Arménie a envoyé des troupes au Kosovo et en Afghanistan pour soutenir le "Partenariat pour la paix" de l'OTAN.

En 2022, l'avancée de l'Azerbaïdjan au Karabagh a de nouveau donné lieu à des manifestations, mais Pachinyan continue de s'accrocher au pouvoir. Tout cela n'est pas le fruit du hasard : comme l'indique le document stratégique "Extending Russia" (Etendre la Russie) du groupe de réflexion mondialiste RAND Corporation, il s'agit de surexploiter les forces de Moscou en l'engageant sur le plus de fronts possible.

Pour ce faire, il est nécessaire de lier les forces russes par des conflits dans le sud de la Russie, en Ossétie du Sud et en Abkhazie, ainsi que dans le Caucase, afin de l'amener à une défaite sur d'autres fronts. Dans ce contexte, la base militaire russe près d'Erevan est une épine dans le pied de Washington, car elle cimente le pouvoir de Moscou dans le Caucase. Le conflit a plusieurs objectifs : Il s'agit de pousser l'Arménie à se retirer de l'OTSC, l'alliance russo-centrée, et de l'éloigner de l'Organisation de Shanghai, qui devient une alternative aux institutions occidentales. Pendant ce temps, une mission de l'OTSC est partie au Karabagh pour analyser la situation.

C'est pourquoi, pour la première fois depuis 1991, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre américaine des représentants, s'est rendue en Arménie pour condamner l'agression de l'Azerbaïdjan. Dans le même temps, Soros fait campagne, via des sites qu'il finance comme "eurasia.net", pour que l'Arménie se détache de la Russie et rejoigne l'OTAN, et l'UE s'est soudainement impliquée en tant que "médiateur". Dans cette agitation, Yerevan peut être sûr d'une chose : L'Occident ne se préoccupe pas du bien-être des Arméniens, mais de porter le drapeau arc-en-ciel plus loin encore à l'Est.

mardi, 25 octobre 2022

Ukraine : les pays du Golfe se détournent de l'Amérique

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Ukraine: les pays du Golfe se détournent de l'Amérique

Source: https://piccolenote.ilgiornale.it/mondo/ucraina-i-paesi-del-golfo-si-allontanano-dallamerica#

Les bourses des pays qui ne se sont pas joints sans réserve à l'affrontement contre la Russie suite à l'intervention en Ukraine connaissent des hausses inconnues de celles de l'Occident, qui vivent au contraire une crise dont aucune sortie n'est en vue. C'est ce qu'indique un article du Il Sole 24Ore, qui enregistre un pic en Turquie, avec + 34%, et des hausses plus modérées mais significatives en Amérique du Sud et surtout dans la péninsule arabique.

Un chiffre qui semble révélateur de la façon dont le conflit pourrait remodeler l'économie mondiale. Dans ce contexte, les pays du Golfe se détachent de leur alliance traditionnelle avec les États-Unis, qui s'est transformée en véritable rupture après le refus de l'Opep d'augmenter la production de pétrole, qui a d'ailleurs été réduite, un rupture qui apparaît plus que significative.

Biden a juré que la volte-face des pays arabes aura des "conséquences", mais la décision risque d'avoir surtout des conséquences plus immédiates pour son parti, puisque les démocrates espéraient que l'augmentation de la production de l'Opep conduirait au moment des midterms à maintenir le pays de Biden sans une récession galopante, ce qui pourrait aliéner l'électorat des démocrates.

Pour remédier à ce malheureux outrage, le président Biden a décidé d'ouvrir les robinets des réserves de pétrole dans l'espoir que cela suffise à lubrifier la machine électorale de son parti (Politico).

Les Saoudiens dans les Brics et les relations entre les Émirats et la Russie

Quant aux conséquences sur les pays arabes, nous devons attendre, car pour l'instant l'establishment américain est concentré sur les midterms, mais des articles contre l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont commencé à paraître dans les médias américains. Peut-être verrons-nous également surgir bientôt des émeutes contre le foulard des femmes ou des choses similaires.

Entre-temps, il y a un autre signe de ce détachement : l'Arabie saoudite a exprimé son désir de rejoindre les BRICS, un organisme économique international qui a la Russie et la Chine comme points de référence. C'est ce qu'a déclaré le président sud-africain Cyril Ramaphosa lors d'une visite à Riyad (InfoBrics).

Mais si les bonnes relations entre l'Arabie saoudite et la Russie étaient connues depuis longtemps, plus récentes et surprenantes semblent être celles entre Moscou et les Émirats arabes, autre pays phare du golfe Persique, qui se sont manifestées avec la visite de Mohammed bin Zayed en Russie le 11 octobre.

Voici comment M. K. Bhadrakumar sur Indianpunchline décrit la rencontre entre le président émirati et Poutine : "Il y avait quelque chose de profondément significatif dans le fait que le président des EAU, le Cheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan, ait entrepris une visite en Russie au milieu de la tempête ukrainienne.

"Conscient du symbolisme, le président russe Vladimir Poutine a reçu mardi le cheikh Mohammed dans un cadre grandiose digne d'un monarque, dans le splendide palais Konstantinovksy de Saint-Pétersbourg, dont l'héritage remonte à Pierre le Grand, symbole de la renaissance de la Russie, de sa culture et de son patrimoine."

Enfin, il faut noter que contrairement à l'Europe, qui est subordonnée aux diktats des faucons américains, les pays du Golfe ont décidé de soutenir l'effort de la Turquie pour initier une médiation entre Russes et Ukrainiens. Un petit pas, mais dans la bonne direction (d'autres, dans la direction opposée, conduiraient le monde au bord de l'abîme).

Le niet du Qatar et les milices libyennes

En ce qui concerne les relations entre l'Occident et le monde arabe, le niet du Qatar à l'égard de l'Europe mérite également d'être souligné : Doha a en effet déclaré qu'il ne détournera pas de gaz vers l'Asie dans le cadre de contrats préexistants afin de le détourner vers le Vieux Continent avide d'énergie.

De toute évidence, cette proposition indécente venait d'Europe, ce qui montre comment la dite "défense des Règles", invoquées par cette partie du monde a modulé leurs applications.

À cet égard, il est intéressant de voir ce que rapporte Rafaa Tabib, professeur à l'École supérieure de guerre de Tunis et expert de la Libye, dans un article publié dans al Manar. Le professeur explique que l'une des plaques tournantes énergétiques sur lesquelles le Vieux Continent mise pour surmonter l'hiver froid qui s'annonce est la Libye.

Mais malheureusement, l'or noir libyen partage la situation chaotique produite dans le pays par l'intervention de l'OTAN contre Kadhafi. Un non-État où, à côté des institutions internationalement reconnues, prospèrent des milices de toutes sortes, contrôlant de vastes zones du territoire et souvent du pétrole.

En achetant sur ce marché-là, explique le professeur, l'Europe fait prospérer ces milices, parmi lesquelles on trouve également des factions et des miliciens liés au terrorisme. Après le bain de sang qui a inondé l'Europe ces dernières années et les promesses solennelles de poursuivre les organisations responsables des attentats, un tel retournement de l'histoire semble une tragique ironie. Nous allons payer cher, nous allons payer pour tout.

 

samedi, 22 octobre 2022

Les Etats-Unis réinitialisent l'Amérique latine

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Les Etats-Unis réinitialisent l'Amérique latine

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/ssha-perezagruzhayut-latinskuyu-ameriku

Le secrétaire d'État Anthony Blinken a effectué une tournée dans trois pays d'Amérique latine. Sa visite témoigne des tentatives de la Maison Blanche d'établir une influence plus douce mais à plus long terme sur les pays de la région.

Le site Web du département d'État a publié l'annonce suivante concernant ce voyage : "Le secrétaire Blinken rencontrera le président Gustavo Petro, la vice-présidente Francia Marquez et le ministre des affaires étrangères Álvaro Leyva en Colombie les 3 et 4 octobre, lundi et mardi. Le secrétaire d'État se concentrera sur nos trois principales priorités communes : soutenir des institutions démocratiques solides, mettre l'accent sur le respect des droits de l'homme dans toute la région et réaffirmer l'approche régionale et holistique de l'hémisphère pour lutter contre la migration irrégulière. Le secrétaire Blinken discutera également des efforts déployés pour faire face à la crise climatique et au trafic de drogue qui touchent la région... Le secrétaire Blinken rencontrera le président Gabriel Borich et la ministre des Affaires étrangères Antonia Urrejol à Santiago, au Chili, le 5 octobre. Il réitérera le soutien des États-Unis à la gouvernance démocratique, aux opportunités bilatérales de commerce et d'investissement, à nos efforts conjoints pour lutter contre le changement climatique, ainsi qu'à la sécurité régionale et à la gestion des migrations.

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Le secrétaire d'État visitera également le Centre national d'électricité du Chili, où des entreprises américaines contribuent à faire avancer nos objectifs communs d'énergie renouvelable et de zéro émission d'ici 2050. Il rencontrera également des anciens élèves de l'initiative Young Leaders of America, parrainée par les États-Unis, pour discuter de la manière dont leurs innovations contribuent à la croissance économique et à un changement positif dans leurs communautés.

Le 6 octobre, le secrétaire Blinken se rendra à Lima, au Pérou, pour diriger la délégation américaine à l'Assemblée générale de l'Organisation des États américains, où il soulignera l'engagement des États-Unis envers l'OEA et le thème de cette année, Ensemble contre l'inégalité et la discrimination.

Le secrétaire s'engagera également avec les partenaires régionaux sur des questions d'intérêt commun. À l'Assemblée générale, il réaffirmera le rôle important de l'OEA dans la promotion de la démocratie, des droits de l'homme, du développement durable et de la coopération en matière de sécurité dans tout l'hémisphère occidental. Le secrétaire Blinken discutera également des efforts déployés pour mettre en œuvre les engagements pris lors du neuvième Sommet des Amériques.

Il rencontrera le président péruvien Pedro Castillo et le ministre des Affaires étrangères César Landa pour discuter de l'amélioration de la sécurité régionale, du renforcement de la gouvernance démocratique, de la protection de l'environnement et de la promotion d'une croissance économique inclusive.

En marge de l'Assemblée générale de l'OEA, le Secrétaire participera à la réunion ministérielle sur la migration à Lima."

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S'agissant des intérêts généraux des États-Unis dans la région, il est clair que Washington tient à rétablir son influence en Amérique latine. Faire à nouveau de ce pays son "arrière-cour" afin de contrôler les processus politiques, d'engager des votes à l'ONU à ses propres fins, d'avoir accès aux ressources naturelles et humaines, et d'empêcher les pays latino-américains d'accroître leur coopération avec la Russie et la Chine.

Ce dernier point est l'un des impératifs de la politique étrangère américaine. Ils ne peuvent pas l'affirmer directement (ni faire respecter toutes leurs exigences), ils pénètrent donc dans les pays d'Amérique latine sous de larges prétextes et des projets susceptibles d'intéresser les gouvernements nationaux. Par exemple, la récente initiative "Build Back Better" lancée par la Maison Blanche, qui tente de concurrencer la "Belt and Road" de la Chine, où les investissements de Pékin sont clairement plus intéressants que les prêts américains.

La Colombie, le Chili et le Pérou sont indicatifs dans le sens où dans ces trois pays, les partis de gauche ont remporté les dernières élections. Mais il ne s'agit pas d'organisations marxistes ou maoïstes classiques (dont certaines, soit dit en passant, luttent encore dans la clandestinité dans un certain nombre de pays). Il s'agit d'un nouveau type de partis de gauche, qui s'inscrivent parfaitement dans l'agenda mondialiste. Ils ont des idées sur les droits des minorités sexuelles, la légalisation du mariage homosexuel au même titre que les drogues, et parlent du changement climatique, ce qui plaît à la fois aux Verts européens et au Parti démocrate américain.

Et ces trois pays peuvent difficilement être qualifiés de stables. En Colombie, bien que le groupe de gauche ELN et le gouvernement aient convenu d'un cessez-le-feu, il est encore trop tôt pour parler du lancement d'un processus de paix. Au Chili, les tentatives de Boric de réformer la constitution se sont soldées par un échec. Et cela a conduit à de nouvelles protestations. En outre, il existe des tendances séparatistes croissantes au sein de la population amérindienne.

Le président du Pérou, Pedro Castillo, a été accusé de corruption. Au cours de son court règne (depuis juillet 2021), quatre chefs de gouvernement ont déjà été remplacés. Incidemment, son conseiller économique est l'ancien fonctionnaire de la Banque mondiale Pedro Franke. L'empreinte mondialiste est donc là, et très clairement.

Quelle a été la première chose dont la Colombie a discuté ? Ils ont d'abord parlé du partage de renseignements et d'autres mesures mutuelles visant à lutter contre les trafiquants de drogue. Bien qu'aucun nouvel accord n'ait été officiellement signé entre les autorités américaines et colombiennes. L'administration Biden est probablement encore en train de tester la volonté de la nouvelle direction colombienne pour une telle coopération. Étant donné qu'il existe déjà des bases militaires américaines dans le pays et qu'une coopération est en cours pour lutter contre le trafic de drogue, la Maison Blanche aimerait utiliser ce canal pour accroître son influence. Bien que Gustavo Petro lui-même ait qualifié d'échec la guerre contre la drogue, qui a été menée par les États-Unis pendant toutes ces années, il a appelé à une nouvelle approche internationale.

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Mais lorsque le président Petro (photo) lui a demandé pourquoi les États-Unis ne retiraient pas Cuba de la liste des États qui parrainent le terrorisme, le secrétaire d'État américain Anthony Blinken a répondu de manière plutôt vague : "En ce qui concerne Cuba et son inscription sur la liste des États qui parrainent le terrorisme, nous avons des lois claires, des critères clairs, des exigences claires, et nous continuerons à les revoir si nécessaire pour nous assurer que Cuba continue à répondre à cette définition." La question risque de rester uniquement entre les mains de Washington, bien que la Colombie elle-même possède des organisations paramilitaires assez importantes qui utilisent la violence contre les structures de sécurité de l'État. Et le trafic de drogue vers les États-Unis reste assez puissant. Mais la Colombie ne figure pas sur cette liste, car elle continue d'être une marionnette obéissante des États-Unis depuis de nombreuses années. Petro est quelque peu sceptique quant à la poursuite d'une telle "coopération". Au moins avant de gagner les élections, il critiquait ouvertement la politique étrangère américaine. Mais ayant fait partie de l'establishment, il fait maintenant des déclarations plus politiquement correctes.

Petro lui-même a déclaré que ce serait une bonne idée de redéfinir la nature de l'assistance militaire américaine. Et il a donné l'exemple d'une force de police pour éteindre les incendies en Amazonie. Il est douteux que les États-Unis redirigent des ressources vers cette activité. Ils ne font que parler de la protection de l'environnement. En réalité, ils ont besoin d'outils de contrôle efficaces. S'il n'y a pas de militaires fidèles aux États-Unis en Colombie, il sera difficile de faire chanter les chefs de gouvernement pour qu'ils suivent la ligne de conduite de Washington.

Au Chili, Blinken semble avoir atteint ses objectifs : Borich donne jusqu'à présent satisfaction aux États-Unis. Le Pérou aussi. Washington n'a manifestement pas l'intention d'exercer une forte pression sur eux, afin de ne pas provoquer une nouvelle montée de la yankeephobie. Le ministre péruvien des affaires étrangères, Cesar Landa, a déclaré lors d'une conférence de presse conjointe avec le secrétaire d'État américain que leur pays cherche des alternatives aux engrais et aux céréales russes. "Nous avons discuté avec Blinken de la possibilité d'une coopération plus étroite dans la fourniture d'urée, qui est nécessaire en grandes quantités pour les vastes terres agricoles du Pérou, principalement pour les petites exploitations familiales", a déclaré M. Landa.

Il semble peu probable qu'il y ait d'autres options pour fournir ces produits dans un avenir proche.

Mais si on l'examine d'un point de vue stratégique, il révèle les tentatives des États-Unis de sécuriser certains secteurs de l'économie pour que les entreprises américaines puissent y entrer ou faire venir un tiers comme sous-traitant.

Les perturbations actuelles de l'ordre mondial sont étroitement liées à la concurrence technologique. Les États-Unis tentent de forger des alliances, comme celle récemment conclue avec Taïwan et la Corée du Sud dans le domaine de la microélectronique, mais les questions de l'énergie, des engrais et de l'accès aux minéraux (le Chili possède les plus grands gisements de minerai de cuivre et le Pérou a une industrie minière développée) ne peuvent être écartées. Et compte tenu de la relative proximité géographique et des liens historiques, il serait plus facile pour Washington de fermer de tels liens et projets.

Un événement important a été la réunion de l'Organisation des États américains (OEA) à Lima, au Pérou. Les États-Unis ont présenté leur prochaine résolution contre la Russie. Avec 24 voix pour et seulement 9 contre, le document a été formellement adopté - une autre résolution condamnant "l'invasion illégale, injustifiée et non provoquée de l'Ukraine" par la Russie. Mais il est révélateur que les plus grands acteurs de la région s'y soient opposés - l'Argentine, le Brésil et le Mexique, ainsi que les partenaires de la Russie que sont le Nicaragua, le Salvador, la Bolivie et le Honduras. Plus la République Dominicaine, Saint Vincent et les Grenades. Le Venezuela et Cuba n'ont pas voté car leur adhésion à l'OEA est formellement suspendue.

Nous ajoutons deux autres nouvelles qui sont importantes dans ce contexte.

On sait que l'administration Biden pourrait assouplir les sanctions contre Caracas en échange de la reprise par Chevron de ses activités dans les champs pétrolifères vénézuéliens. Les États-Unis veulent reprendre l'accès au pétrole, du moins à court terme. Les États-Unis ont précédemment libéré des neveux condamnés du président Maduro dans le cadre d'un "geste de bonne volonté" et le Venezuela a répondu en libérant sept citoyens américains de prison. "Le Wall Street Journal rapporte que le gouvernement de Maduro a accepté de reprendre les pourparlers avec l'opposition sur les conditions d'élections "libres et équitables" en 2024. Un accord supplémentaire visant à débloquer des centaines de millions de dollars sur des comptes vénézuéliens gelés aux États-Unis est également en cours de discussion.

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Et, bien sûr, les dernières élections au Brésil. En tant que première économie d'Amérique latine, ce pays ne peut que présenter un intérêt pour les États-Unis. Jusqu'à présent, tous les sondages et les données officielles de la campagne montrent que Lula da Silva a de réelles chances de remporter le second tour des élections présidentielles. Lula est ouvertement soutenu à la fois par le parti démocrate américain et par George Soros. Et son adversaire Bolsonaro est soutenu par Donald Trump. Bolsonaro n'a d'ailleurs pas hésité à rendre visite à la Russie et, lors d'un récent vote au Conseil de sécurité de l'ONU, le Brésil n'a pas soutenu une résolution américaine sur les référendums dans quatre régions ukrainiennes déjà anciennes. Alors que Lula a condamné l'opération spéciale de la Russie.

Bien que nous ayons une relation pragmatique, il y a toujours le risque que les États-Unis fassent plus activement pression pour des actions anti-russes au Brésil à l'avenir, ainsi que dans la région d'Amérique latine dans son ensemble. Et ils le feront. Un contrepoids à ces tentatives est absolument nécessaire. C'est-à-dire l'expansion de tous les canaux possibles d'interaction avec les pays d'Amérique latine. Proposer des offres lucratives, des investissements mutuels et des échanges de marchandises.

Notes:

I https://www.state.gov/briefing-on-secretary-blinkens-upcoming-travel-to-colombia-chile-and-peru/

II https://www.reuters.com/world/americas/colombia-us-discuss-more-drug-interdiction-sea-enhanced-intel-sharing-blinken-2022-10-03/ I

III https://ria.ru/20221007/oag-1822118892.html

IV https://www.wsj.com/articles/u-s-plans-to-ease-venezuela-...

jeudi, 20 octobre 2022

La Chine et la fin de l'Occident

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La Chine et la fin de l'Occident

Karl Richter

Le monde est en train de vivre un changement de pôle dans la répartition du pouvoir mondial : l'Occident s'en va, quelque chose d'autre arrive. En l'état actuel des choses, des puissances comme la Russie, la Chine et l'Inde jouent un rôle déterminant dans ce processus, tandis que l'Oncle Sam ne jouera plus les premiers violons à l'avenir. C'est une évolution qu'il faut soutenir à tous égards.

Lorsque quelqu'un comme le chef du PC chinois Xi Jinping, qui est en fait le chef d'État de son pays, s'exprime clairement, il faut l'écouter aussi attentivement que Poutine. Les deux ne sont pas des faiseurs de phrases et se distinguent ainsi des pompes à air de Bruxelles, Berlin et Washington. La situation pourrait maintenant devenir passionnante. La réunification de Taiwan avec la Chine ne concerne que les Chinois, a déclaré Xi lors du congrès du PCC dimanche. Dans ce contexte, Pékin a récemment exhorté tous les Chinois vivant en Ukraine à quitter le pays. Le fait que les médias de propagande occidentaux, comme le journal allemand Bild, se soient récemment déchaînés contre Xi de la même manière que contre Poutine, s'inscrit également dans cette logique. Cela signifie que l'homme fait quelque chose de bien.

Les événements se déroulent à plusieurs niveaux. Le niveau politico-militaire n'en est qu'un, le niveau économique en est un autre. Entre-temps - mais en fait depuis un certain temps déjà - on ne peut plus ignorer qu'avec le groupe BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) se forme un nouveau grand bloc économique qui se considère comme un "contre-G7". Les principaux participants, en particulier la Russie et la Chine, ont profité de cette période pour faire progresser l'intégration des pays participants et d'autres partenaires, y compris sur le plan technique ; en effet, l'alternative russe au système de règlement américain SWIFT, le système de paiement MIR, est désormais en place et utilisé par un nombre croissant de pays. Parallèlement, de plus en plus de partenaires abandonnent le dollar pour leurs transactions énergétiques (pétrole, gaz), ce qui le rend superflu pour une partie croissante du monde. Si l'on ajoute à cela les chocs croissants auxquels les économies occidentales sont confrontées - par leur propre faute ! - (inflation, pénurie d'énergie, etc.), tout cela tombe très mal pour l'économie mondiale en dollars de l'Occident. On peut à juste titre se demander si l'escalade flagrante à laquelle se livre l'Occident en Ukraine n'est pas une conséquence directe de l'économie financière occidentale menacée d'effondrement.

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Quoi qu'il en soit, la formation du bloc BRICS prendra du temps ; il s'agit plus d'une affaire de décennies que d'années. Néanmoins, les BRICS ont le vent en poupe et sont déjà perçus comme des concurrents. La guerre en Ukraine accélère le mouvement. Pour l'Occident, le train a tendance à s'arrêter.

Taïwan : la Chine est généralement un acteur discret, qui agit avec une prudence extraordinaire. Je ne mettrais pas ma main au feu que Pékin aborde la question de Taïwan dans un avenir proche - mais je peux me tromper (et je ne m'attendais pas non plus à l'attaque russe en février). En fait, les préparatifs chinois ne sont pas encore terminés. Pour l'instant, la marine populaire chinoise manque encore d'un grand nombre de navires de débarquement et de transports de troupes nécessaires, qui ne devraient pas être disponibles avant 2027. Pour le reste, l'armement chinois, malgré des progrès considérables, est encore loin d'être prêt pour que Pékin cherche de son propre chef la confrontation avec les Etats-Unis.

Mais il est possible que Pékin analyse l'impact de la guerre en Ukraine sur les forces armées occidentales. Les armées de l'UE ne sont pas les seules à se "cannibaliser" dangereusement en raison des livraisons excessives d'armes à l'Ukraine. Il y a des mois, l'ex-inspecteur général de l'armée allemande, Kujat, avait déjà mis en garde contre le fait que les livraisons menaçaient massivement sa propre capacité de défense. Indépendamment de cela, le ministère allemand de la Défense a fait savoir ces derniers jours que l'armée allemande ne disposerait de munitions que pour deux jours (!!) en cas d'urgence. Mais même aux États-Unis, les avertissements concernant les stocks de munitions vides et la réduction drastique des stocks d'armes antiaériennes et antichars (Stinger, Javelin) se font de plus en plus entendre. On sait que près de 900.000 munitions pour l'obusier M777 de 155 mm ont été livrées - le Pentagone doit maintenant supplier la Corée du Sud et le Canada de reconstituer les stocks.

En d'autres termes, l'occasion est belle. L'Occident, y compris les États-Unis, est pleinement impliqué en Ukraine et atteint déjà partiellement ses limites. Dans ces conditions, faut-il attendre que la guerre en Ukraine se termine d'une manière ou d'une autre et que l'OTAN puisse souffler un peu ? D'autant plus que l'administration Biden a fait savoir ces jours-ci qu'elle avait l'intention d'équiper Taïwan à l'aide de milliards de dollars et d'en faire un immense arsenal à l'image de l'Ukraine. La guerre en Ukraine montre clairement où cela mène si l'on en arrive là, et Pékin en tirera les leçons.

A cela s'ajoute l'atout que constitue le fait que la Chine (et la Russie à partir de novembre) possède déjà dans son arsenal des missiles hypersoniques à longue portée - qui peuvent être équipés d'armes nucléaires - alors que les Etats-Unis n'en disposent pas encore. Dans ces conditions, on peut se demander si Washington sortirait la carte nucléaire en cas de conflit. Le prix conventionnel d'un engagement militaire serait déjà élevé - avec ses missiles DF-21 et DF-26, considérés comme des "tueurs de porte-avions", ainsi que le glacis avancé construit ces dernières années en mer de Chine méridionale, la Chine dispose désormais de bons moyens pour tenir à distance les unités de porte-avions américaines. On peut raisonnablement se demander si Washington est prêt à prendre le risque d'une confrontation nucléaire à cause de Taïwan.

Nous entrons dans une phase intéressante de changement de pôle politique mondial. Les choses s'accélèrent maintenant. Tout porte à croire que le départ de l'Occident - y compris des régimes satrapes européens - se fera plus rapidement que beaucoup ne l'imaginent. Le plus tôt sera le mieux.

 

mardi, 11 octobre 2022

L'objectif de Biden : l'Ukraine comme tombeau de l'axe franco-allemand

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L'objectif de Biden : l'Ukraine comme tombeau de l'axe franco-allemand

Andrea Muratore & Emanuel Pietrobon

(23 avril 2022)

Les sages disent que le plus grand canular que le Diable ait jamais réalisé a été de convaincre le monde qu'il n'existe pas. C'est ainsi que le Malin peut faire porter aux autres la responsabilité de tous ses méfaits. C'est ainsi qu'il peut agir sans être dérangé, entraîner le mortel de service dans la tentation, et disparaître soudainement comme la brume lorsque le péché a été commis.

Un bon stratège, semblable au rusé Satan dépeint par John Milton dans le poème épique Paradise Lost, est appelé à faire de la nécessité une vertu, à saisir l'opportunité lorsqu'elle se présente et même à la créer à partir de rien lorsqu'on lui en donne l'occasion. Un bon stratège, semblable au vieux démon dépeint par C. S. Lewis dans son oeuvre satirique The Screwtape Letters, sait comment exploiter les faiblesses des autres et sur quelles tromperies antédiluviennes s'appuyer pour condamner l'adversaire au cinquième cercle de l'enfer.

Gagner sans se battre. Observer deux ou plusieurs querelles avec la complaisance de ceux qui n'entreront à la fin du spectacle que pour récolter les fruits semés par d'autres. Se dire connaisseur de l'art de la guerre, en effet, ne revient qu'à une seule chose : posséder les connaissances nécessaires pour obtenir un résultat maximal avec un effort minimal. Une connaissance que le duo Biden-Blinken a (dé)montré avoir quand, en faisant capoter les négociations sur les soi-disant garanties de sécurité, il a convaincu un Vladimir Poutine exaspéré par l'échec de la diplomatie de la canonnière de concrétiser l'impensable : l'invasion de l'Ukraine.

En piégeant la Russie dans les sables mouvants ukrainiens, réinterprétation contemporaine du bourbier afghan, la présidence Biden a atteint certains objectifs dans l'immédiat et nourrit l'espoir d'en atteindre d'autres à moyen et long terme, de la fracture du cercle autour de Poutine à la déstabilisation de l'espace post-soviétique, en passant par la consolidation de l'encerclement atlantique de Moscou et, surtout, l'objectif le moins visibilisé à ce jour : l'effritement de l'Entente franco-allemande. Une garantie pour le maintien de l'Europe comme province géostratégique de l'empire américain.

Poutine, le meilleur ennemi de Biden

Si Poutine n'existait pas, Biden aurait dû l'inventer. Approché pour gagner, impulsif quand il est acculé et paranoïaque - toujours. Ne pas vouloir accepter le rejet comme une réponse. Et prévisible, donc, dans ses réactions. Le meilleur ennemi que les États-Unis auraient pu souhaiter à ce moment précis de l'histoire - une période de transition délicate vers un nouvel ordre mondial.

La loi non écrite de tout stratège est de "créer quand c'est nécessaire, d'exploiter quand c'est possible" et le duo Biden-Blinken, en retournant magistralement contre le leader du Kremlin cette diplomatie de la canonnière qu'ils ont utilisée pour appeler à la renégociation de l'architecture de sécurité euro-atlantique et au retour à l'ère des sphères d'influence, a montré qu'il savait l'appliquer. William Burns, ambassadeur du dialogue, bâtisseur de ponts entre Washington et la Russie et gardien de l'appareil du directeur de la CIA, a tenté de prendre la mesure de Moscou en institutionnalisant cette prévisibilité dans un dialogue franc et étroit. Une offre non retenue par Moscou, qui a choisi de se raidir, ouvrant la voie à la contre-attaque américaine.

Faire de la menace une opportunité. L'occasion, dans ce cas, de faire d'une pierre deux coups : affaiblir et la Russie et l'Union européenne. Car cette dernière, en effet, dans la vision américaine n'a de sens que si elle existe dans une position de subalternité au sein du pôle de puissance occidental, en tant que province périphérique de l'Empire ni plus ni moins inhibée dans ses mouvements que l'Amérique latine.

La soi-disant "rupture atlantique" n'allait pas être réparée par la présidence Biden. Elle avait et a des causes (beaucoup) plus profondes. Nous l'avions expliqué dans nos colonnes le 7 janvier 2021, au terme de la courte mais intense ère Trump, que le président du Parti démocrate poursuivrait la politique d'usure de l'ordre hégémonique franco-allemand de ses prédécesseurs. Tout au plus, en raison de la différence de fond idéologique, changerait-il la forme de l'attrition tout en laissant le fond intact.

Biden, nous l'avions prévenu avant qu'il ne prenne ses fonctions à la Maison Blanche, dissimulerait derrière des appels à l'unité apparemment innocents une "cohésion coercitive". L'objectif était évident : "empêcher, ralentir et retarder la réalisation de la soi-disant autonomie stratégique prônée par Macron". Et dans les mois qui suivent, comme prévu, le déclenchement de la bataille des espions, de nouvelles escarmouches diplomatiques et l'adoption de nouvelles sanctions (clairement) coordonnées.

La guerre de Poutine qui ne dérange pas Biden

Le sabotage de l'autonomie stratégique européenne, c'est-à-dire le processus d'émancipation géopolitique de l'UE vis-à-vis des États-Unis, passe inévitablement par trois directions : la Russie, le Royaume-Uni et l'axe Paris-Berlin.

La Russie comme un épouvantail à agiter, et à inciter à la violence si et quand cela est nécessaire - comme en Ukraine -, pour éviter la matérialisation du cauchemar mackinderien d'un axe eurasien avec Berlin comme capitale. Un épouvantail à repousser et avec lequel il faut cesser toute forme de couplage, comme, par exemple sur le plan de l'énergie.

Le Royaume-Uni comme bélier pour exercer une pression tactique sur le ventre mou de l'Empire franco-allemand, en particulier l'espace polono-balte. Le Royaume-Uni, qui, sans surprise, a d'abord participé au boycott des négociations sur les garanties de sécurité, puis a poussé à l'entrée de l'OTAN dans la guerre d'Ukraine et à l'introduction de sanctions sans précédent contre la Russie, de l'exclusion de SWIFT à l'embargo énergétique, en connaissance de l'asymétrie de leurs dégâts. Coup de grâce au parti de la détente dirigé par Emmanuel Macron et soutenu par (quelques) autres.

L'axe Paris-Berlin perpétuellement privée de débouché grâce aux nids de poule et aux impasses, comme le veto américain à la construction d'une armée européenne commune et comme la stratégie, toujours américaine, basée sur le butinage des partis politiques et des forces sociales prônant un atlantisme radical et porteurs d'instances contraires à l'intérêt européen, notamment sur le plan énergétique - de l'importation accrue de GNL nord-américain à une transition verte soudaine et traumatisante. Emblématiques, à ce dernier égard, sont les Verts allemands : nœud coulant autour du cou d'Olaf Scholz, partisans d'une rupture totale avec la Russie et la République populaire de Chine, détracteurs du gazoduc Nord Stream 2 depuis le premier jour et possibles exhumateurs du défunt TTIP et autres propositions pour une plus grande intégration euro-atlantique.

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Que la perspective d'une Ukraine envahie par la Russie ne dérange pas Biden, car elle est utile dans le contexte du boycott de l'autonomie stratégique de l'Europe et de l'usure concomitante de l'Entente franco-allemande, Macron l'avait pressenti dès le départ. C'est la raison de son dynamisme diplomatique en décembre, janvier et février. Et c'est pourquoi, malgré la guerre, il a maintenu actif le canal du dialogue avec Poutine et a continué à fournir une respiration artificielle au parti de la détente européen qui était en état comateux.

L'histoire donnera tort ou raison aux efforts de Macron, mais cette première moitié, quelle que soit la façon dont la guerre en Ukraine se termine, Biden l'a incontestablement gagnée. Il l'a gagnée lorsque Poutine a choisi la voie des armes, forçant l'UE à se plier à la ligne dictée par les États-Unis et assassinant le parti européen de la détente et de l'autonomie stratégique. Et il l'a gagné, non moins important, en plantant les graines de la discorde dans les champs fertiles qui nourrissent l'hégémonie franco-allemande, aujourd'hui affaiblie par des divergences sur les sanctions à appliquer à la Russie et la forme de la sécurité européenne d'après-guerre - davantage d'OTAN ou une armée commune ? - et demain contraint d'affronter l'épreuve du feu : le puissant réarmement de l'Allemagne.

L'Europe franco-allemande meurt-elle à Kiev ?

Vladimir Poutine a sans doute choisi de mettre fin à l'ère de la GeRussie d'Angela Merkel en ouvrant le jeu ukrainien. Mais d'une certaine manière, il a doublement joué le jeu de Washington en accaparant également les perspectives de l'axe franco-allemand. Pas tant par des ruptures entre Paris et Berlin, mais plutôt par la déstabilisation de toute perspective d'une Europe ayant la capacité d'agir autour du leadership de la France et de l'Allemagne. Berlin a choisi la voie atlantique sur le front de la défense, dans le gouvernement d'Olaf Scholz les Verts l'ont emporté, ennemis du gazoduc Nord Stream 2, du dégel avec la Russie, de la diplomatie des ponts, jusqu'à ce que ce soit l'industrie qui rappelle à l'ordre les risques d'un embargo énergétique total. Emmanuel Macron a dû rebondir après ses premières manœuvres de détente, qui ont vu le rival stratégique britannique dans l'arène de l'OTAN et l'adversaire politique polonais dans l'arène européenne l'emporter dans la bienvaillance américaine. Londres et Varsovie sont les capitales de l'Europe atlantique, autour desquelles l'Italie, la Roumanie, la République tchèque, le Danemark, la Norvège, la Suède, la Finlande et les républiques baltes se dressent désormais comme porte-drapeau du contraste total avec Moscou.

Paris et Berlin sont métaphoriquement en état de siège. Et Macron l'est aussi sur le front politique : ne nions pas que le rêve inavouable de Washington est une victoire présidentielle de Marine Le Pen qui, aussi lointaine soit-elle, serait pour les Etats-Unis une garantie de la fin définitive, également sur le front politique, de l'axe franco-allemand. Les "mains baladeuses" du scandale du tic-tac de McKinsey et les attaques du gouvernement atlantique contre les initiatives de paix de Macron semblent au moins suspectes dans la campagne électorale. Parce que l'avenir de l'axe franco-allemand, et donc de l'autonomie stratégique européenne, dépend de la réélection de Macron à l'Élysée.

Plus la guerre durera et plus le feu brûlera aux frontières de l'Europe, plus la perspective d'un axe franco-allemand moteur de l'autonomie stratégique européenne s'éloignera. Plus l'Europe sera perçue comme une périphérie de l'Occident sous la bannière étoilée, plus il sera difficile pour une capacité opérationnelle de présenter une sortie de crise menée par la France et l'Allemagne. Plus les États-Unis dictent la ligne de l'OTAN en empêchant l'Europe de choisir la paix ou la guerre, mais en la convainquant de danser à son propre rythme, moins la France et l'Allemagne seront en mesure de jouer un rôle décisif à l'avenir. La fin de l'axe franco-allemand comme moteur de l'Europe est un objectif clair de l'ère Biden, fondé sur la nécessité de reconstruire l'unité du camp occidental sans perspective de déviation de l'orthodoxie de Washington pour les alliés européens. Inexorablement appelé hors de l'histoire. Transformé en périphérie dans l'archipel de la mondialisation dans lequel se prépare la guerre froide 2.0. Dans le camp duquel Washington ne veut pas s'écarter. Et le contrôle de son territoire, grâce à Vladimir Poutine, est plus étroit. Voilà pour les perspectives d'autonomie stratégique européenne.

lundi, 10 octobre 2022

La crise ukrainienne ne concerne pas l'Ukraine mais l'Allemagne

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La crise ukrainienne ne concerne pas l'Ukraine mais l'Allemagne

par Michael Whitney

Source: http://www.cese-m.eu/cesem/2022/09/la-crisi-ucraina-non-riguarda-lucraina-ma-la-germania/?fbclid=IwAR2o2pWcMrLESb5XOqV795oxH7T6JsQE_51pig15Cy6FOYLiDstPOQdXErw

En ce qui concerne le sabotage du gazoduc Nordstream, nous vous proposons cet article prémonitoire qui date de février 2022. 

"La raison primordiale qui a conduit les États-Unis à mener des guerres pendant plus d'un siècle - la Première et la Seconde guerres mondiales et la Guerre froide - a été la relation qui existait entre l'Allemagne et la Russie, car unies, elles sont la seule force qui pourrait nous menacer . Npus avons agi pour faire en sorte que cela ne se produise pas". 
George Friedman, PDG de STRATFOR au Conseil des affaires étrangères de Chicago.

La crise ukrainienne n'a rien à voir avec l'Ukraine. Il s'agit plutôt de l'Allemagne et, en particulier, d'un gazoduc qui relie l'Allemagne à la Russie, appelé Nord Stream 2. 

Washington considère le gazoduc comme une menace pour sa primauté en Europe et a tenté de saboter le projet à chaque étape de sa mise en oeuvre.

Néanmoins, Nord Stream est allé de l'avant et est maintenant entièrement opérationnel et prêt à être utilisé. Une fois que les autorités régulatrices allemandes auront fourni la certification finale, les livraisons de gaz commenceront. Les foyers et les entreprises allemands disposeront d'une source fiable d'énergie propre et bon marché, tandis que la Russie verra ses revenus gaziers augmenter considérablement.

C'est une situation gagnant-gagnant pour les deux parties. L'establishment de la politique étrangère américaine n'est toutefois pas satisfait de ces développements. Ils ne veulent pas que l'Allemagne devienne de plus en plus dépendante du gaz russe, car le commerce crée la confiance et la confiance conduit à l'expansion du commerce. 

À mesure que les relations s'intensifient, davantage de barrières commerciales sont supprimées, les réglementations sont assouplies, les voyages et le tourisme augmentent et une nouvelle architecture de sécurité se met en place.

Dans un monde où l'Allemagne et la Russie sont amies et partenaires commerciaux, il n'y aurait pas besoin de bases militaires américaines, pas besoin d'armes et de systèmes de missiles coûteux de fabrication américaine, et pas besoin de l'OTAN.

En outre, il ne serait pas nécessaire de négocier des accords énergétiques en dollars américains ou de stocker des obligations du Trésor américain pour équilibrer les comptes.

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Les transactions entre partenaires commerciaux pourraient être effectuées dans leurs monnaies nationales, ce qui ne manquera pas de précipiter une forte baisse de la valeur du dollar et un déplacement spectaculaire du pouvoir économique.

C'est pourquoi l'administration Biden s'oppose à Nord Stream. Ce n'est pas seulement un pipeline, c'est une fenêtre sur l'avenir ; un avenir dans lequel l'Europe et l'Asie se rapprocheront dans une zone de libre-échange de grandes dimensions qui augmentera la puissance et la prospérité mutuelles, laissant les États-Unis à l'extérieur de cette dynamique.

Le rapprochement entre l'Allemagne et la Russie marque donc la fin de l'ordre mondial "unipolaire" que les États-Unis ont supervisé au cours des 75 dernières années.

Une alliance germano-russe constitue donc une menace qui accélérera le déclin de la superpuissance, laquelle s'approchera alors de l'abîme.

C'est pourquoi Washington est si déterminé à faire tout son possible pour saboter Nord Stream et maintenir l'Allemagne dans son orbite. 
C'est, pour les Etats-Unis, une question de survie.

C'est là que l'Ukraine intervient. L'Ukraine est "l'arme de choix" de Washington pour torpiller Nord Stream et creuser un fossé entre l'Allemagne et la Russie. La stratégie est tirée de la première page du manuel de politique étrangère des États-Unis, sous le titre : Diviser pour régner.

Washington doit créer la perception que la Russie représente une menace pour la sécurité de l'Europe.

Tel est l'objectif.

Ils doivent montrer que Poutine est un agresseur sanguinaire dont le tempérament n'est pas digne de confiance. À cette fin, les médias ont été chargés de répéter sans cesse : "La Russie prévoit d'envahir l'Ukraine". Ce qui n'a pas été mentionné, c'est que la Russie n'a envahi aucun pays depuis la dissolution de l'Union soviétique, et que les États-Unis ont envahi ou renversé des régimes dans plus de 50 pays au cours de la même période, et que les États-Unis maintiennent plus de 800 bases militaires dans des pays du monde entier.

Rien de tout cela n'est rapporté dans les médias, l'accent étant mis sur le "méchant Poutine" qui a massé quelque 100.000 soldats le long de la frontière ukrainienne, menaçant de plonger toute l'Europe dans une nouvelle guerre sanglante.

Les sanctions économiques rebutent les Allemands qui y voient un signe d'ingérence étrangère. "Pourquoi les États-Unis s'immiscent-ils dans nos décisions en matière d'énergie ?", demande l'Allemand moyen. "Washington devrait s'occuper de ses propres affaires et rester en dehors des nôtres". 
C'est exactement la réponse que l'on attend de toute personne raisonnable.

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Ensuite, il y a celle-ci, publiée par Al Jazeera :

"Les Allemands en majorité soutiennent le projet, seules certaines parties de l'élite et des médias sont contre le gazoduc....".

Plus les États-Unis parlent de sanctionner ou de critiquer le projet, plus il devient populaire dans la société allemande, a déclaré Stefan Meister, expert de la Russie et de l'Europe de l'Est au Conseil allemand des relations étrangères." ("Nord Stream 2 : Pourquoi le gazoduc russe vers l'Europe divise l'Occident", AlJazeera)

Ainsi, l'opinion publique est résolument du côté de Nord Stream, ce qui contribue à expliquer pourquoi Washington a décidé d'adopter une nouvelle approche.

Les sanctions ne fonctionnant pas, l'Oncle Sam est passé au plan B : créer une menace extérieure suffisamment importante pour que l'Allemagne soit obligée de bloquer l'ouverture du pipeline. Franchement, cette stratégie sent le désespoir, mais on ne peut s'empêcher d'être impressionné par la persévérance de Washington. Ils sont peut-être menés de cinq points dans le bas de la neuvième manche, mais ils n'ont pas encore jeté l'éponge. Ils lui donneront une dernière chance et verront s'ils peuvent faire des progrès.
La chancelière allemande a été stupéfaite par les commentaires de Biden qui ne faisaient manifestement pas partie du script original. Néanmoins, Scholz n'a jamais accepté d'annuler Nord Stream et a même refusé de mentionner le gazoduc par son nom. Si Biden pensait pouvoir se débarrasser du leader de la troisième plus grande économie du monde en le coinçant dans un forum public, il s'est trompé.

L'Allemagne reste déterminée à lancer Nord Stream, sans tenir compte des répercussions potentielles dans la lointaine Ukraine. Mais cela pourrait changer à tout moment.

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Après tout, qui sait quels incitants Washington pourrait prévoir dans un avenir proche ? Qui sait combien de vies ils sont prêts à sacrifier pour creuser un fossé entre l'Allemagne et la Russie ? Qui sait quels risques Biden est prêt à prendre pour ralentir le déclin de l'Amérique et empêcher l'émergence d'un nouvel ordre mondial "polycentrique" ? Tout peut arriver dans les semaines à venir. Tout ce que vous pouvez imaginer.

C'est à Scholz de décider comment résoudre cette question. Mettra-t-il en œuvre la politique qui sert le mieux les intérêts du peuple allemand ou succombera-t-il aux pressions incessantes de Biden ?

Tracera-t-il une nouvelle voie qui renforce les nouvelles alliances dans le trépidant corridor eurasien ou apportera-t-il son soutien aux folles ambitions géopolitiques de Washington ?

Acceptera-t-il le rôle fondamental que pourra jouer l'Allemagne dans un nouvel ordre mondial - dans lequel de nombreux centres de pouvoir émergents partageront équitablement la gouvernance mondiale et dans lequel les dirigeants resteront fermement attachés au multilatéralisme, au développement pacifique et à la sécurité pour tous - ou cherchera-t-il à soutenir le système d'après-guerre en lambeaux qui a clairement dépassé sa durée de vie ?

Une chose est sûre, ce que l'Allemagne décidera nous affectera tous.

Cet article a été initialement publié dans The Unz Review .

Michael Whitney est un célèbre analyste géopolitique et social basé dans l'État de Washington. Il a commencé sa carrière de journaliste indépendant en 2002 avec un engagement pour un journalisme honnête, pour la justice sociale et la paix mondiale. Il est associé-chercheur au Center for Research on Globalization (CRG).

samedi, 08 octobre 2022

SCO : un cadre de travail pour la mise en œuvre des politiques de bon voisinage

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SCO : un cadre de travail pour la mise en œuvre des politiques de bon voisinage

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/shos-rabochaya-struktura-dlya-provedeniya-v-zhizn-politiki-dobrososedstva

Le sommet de l'OCS qui s'est déroulé à Samarkand à la mi-septembre 2022 a démontré que le processus en cours de renforcement du monde multipolaire avançait bon train et que l'intérêt croissant d'autres pays pour l'organisation se manifestait nettement. Les dernières étapes avec l'admission de la République islamique d'Iran dans l'organisation élargissent considérablement la portée géographique et démontrent la nature inclusive de l'organisation. Et les candidatures de pays comme l'Argentine démontrent le potentiel d'un engagement mondial au-delà de l'Eurasie.

Il est important de noter qu'il existe un certain nombre d'autres structures similaires, comme l'OTSC, dont les objectifs stratégiques coïncident avec ceux de l'OCS et dont les activités se chevauchent grâce à l'adhésion des États de la zone de responsabilité géopolitique.

Les observateurs étrangers se sont rapidement concentrés sur le sommet, mais peu d'entre eux ont pris la mesure de l'événement, ainsi que de la transformation de l'organisation elle-même. L'Institut allemand pour les affaires internationales et pour la sécurité, qui élabore la stratégie de la politique étrangère de l'Allemagne, a noté que "la fonction la plus importante de l'OCS a toujours été d'assurer un équilibre des intérêts entre ses principaux membres. Ceci est plus pertinent que jamais dans le contexte des confrontations géopolitiques en cours" (i).

En effet, la Russie et la Chine avaient des points de vue quelque peu différents sur les fonctions et l'importance de l'OCS. Pour la Chine, l'intention initiale était d'établir la paix et l'harmonie autour de ses frontières, de résoudre tous les différends avec ses voisins et de gagner un soutien sur les questions de sécurité intérieure. Aujourd'hui, Pékin se positionne comme un acteur important en Eurasie et, dans le cadre de l'initiative "One Belt, One Road", veut étendre son influence en Asie centrale et dans d'autres régions. L'Asie centrale est cependant la sphère d'influence traditionnelle de la Russie. L'OCS, en fait, est une structure stabilisatrice pour les intérêts des deux puissances et des États d'Asie centrale eux-mêmes, qui sont satisfaits de ce format.

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A l'Ouest, la réunion de Samarcande a été perçue comme un fait de plus confirmant le non isolement de la Russie. Toutefois, il convient de souligner que bon nombre des chefs d'État qui ont participé au sommet entretiennent des relations tendues avec l'Occident, de sorte que la réunion s'est déroulée dans une atmosphère favorisant la critique des politiques occidentales en général et insistant sur l'importance de l'OCS en tant que modèle alternatif de gouvernance dans les relations internationales.

Certains représentants de l'OTAN craignent que l'OCS ne se transforme en une alliance anti-occidentale qui deviendrait une sorte d'antithèse de l'hégémonie occidentale, y compris dans les démonstrations de hard power. Toutefois, la valeur de l'OCS est inhérente à son statut de non-alignement, ce qu'a souligné le président de l'Ouzbékistan à l'approche du sommet. C'est pourquoi l'élargissement de l'OCS à des pays comme l'Iran et potentiellement la Turquie, et certains États arabes, est une option extrêmement attrayante pour les pays d'Asie centrale. Ils y voient une occasion d'établir des liens multilatéraux tout en restant dans le cadre géopolitique de l'organisation. Chaque participant conserve à la fois sa souveraineté et gagne un élément supplémentaire, celui de la diversité. Ceci, d'une part, limite les ambitions des membres individuels, mais, d'autre part, montre la différence avec les modèles occidentaux typiques, qui sont construits sur une gestion rigide et la suppression de la volonté des membres subordonnés par le chef-patron.

Examinons les erreurs typiques commises par les experts occidentaux à l'égard de l'OCS. L'Institute for Foreign Policy Studies, basé aux États-Unis, a précédemment souligné qu'il était peu probable que l'OCS s'engage activement en Afghanistan (ii). Il a noté que l'OCS ne pouvait pas combler le vide laissé par le retrait américain car les interventions militaires ne font pas partie du mandat de l'organisation. Il a également été souligné que l'OCS n'a jusqu'à présent pas reconnu officiellement le régime des Talibans et ne les a pas invités au sommet de Douchanbé à la mi-septembre 2021. Les talibans n'étaient pas non plus présents au dernier sommet, bien que la sécurité en Afghanistan ait été l'un des principaux sujets à l'ordre du jour (iii). D'autre part, plusieurs États de l'OCS ont des contacts directs avec les talibans. La Russie est activement engagée dans des pourparlers sur un certain nombre de fronts. Le Pakistan dispose également de mécanismes et de canaux de communication fiables avec les talibans. Il est clair que l'OCS a décidé de ne pas exercer de pression comme le fait l'Occident, mais de trouver des moyens plus délicats de travailler avec l'Afghanistan. Cela montre également la différence d'approche entre les types de projection politique orientaux et occidentaux.

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Il est intéressant de noter que Walter Russell Mead, expert ès-relations internationales et politique publique américaine, a au contraire noté qu'au milieu d'autres événements, tels que la visite de la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi en Arménie et la déclaration du président Biden selon laquelle les États-Unis défendraient Taïwan avec des troupes américaines si Pékin lançait une invasion, "la nouvelle la plus importante de la semaine n'est pas venue de Washington". Elle est venue de Samarkand, en Ouzbékistan, la légendaire ville de la route de la soie où les huit pays qui composent l'Organisation de coopération de Shanghai ont tenu leur sommet annuel" (iv).

Bien que son style de déclaration soit assez émotif et plein de récits agressifs.

Selon Asia Times, le message principal de Mead semble être double: premièrement, "l'équilibre des forces en Eurasie est en train de changer", affirme-t-il, c'est-à-dire que le soutien de la Chine à son amie et collègue membre de l'OCS, la Russie, s'amenuise. Pour illustrer cela, il établit une comparaison frappante entre les présidents Xi et Poutine d'une part, et Hitler et Mussolini d'autre part. Deuxièmement, il condamne l'OCS en faisant des éloges, notant qu'avec l'inclusion de l'Inde et du Pakistan "l'organisation est devenue plus importante" ; mais il explique ensuite pourquoi le contraire est vrai : "La Russie, la Chine et l'Iran cherchent un nouveau système mondial, mais ne proposent pas d'agenda positif" (v).

Cette contradiction s'explique par le fait qu'un "agenda positif" peut être compris de différentes manières. L'Occident et l'Orient ont des valeurs différentes, ainsi que des positions différentes sur l'ordre mondial actuel. Alors que les États-Unis tentent par tous les moyens de maintenir une hégémonie unipolaire, les pays de l'OCS considèrent le statu quo comme une continuation du néocolonialisme et de l'oppression avec diverses formes de discrimination (exclusivité raciale, asservissement économique, menaces de force, etc.)

Alors pourquoi des politologues de si haut niveau commettent-ils de telles erreurs et formulations incorrectes ? Mahammadbagher Forugh souligne à juste titre que tous les grands médias et groupes de réflexion occidentaux présentent l'organisation sous un faux jour. Ils ont tendance à utiliser des termes tels que "anti-occidental", "anti-américain", "anti-OTAN", "bloc autoritaire", etc. pour décrire l'OCS. Et cela conduit à une compréhension déformée et aux conclusions correspondantes qui influencent les décisions politiques.

Selon lui, "le problème découle des différentes conceptualisations de la "sécurité". Les références occidentales à l'OCS réduisent la sécurité à la notion conventionnelle de géopolitique en tant que puissance "dure" ou militaire (d'où les comparaisons avec l'OTAN). Mais le concept de sécurité qui sous-tend la mission de l'OCS est beaucoup plus large. Stimulé par le discours de sécurité à multiples facettes de la Chine, ce concept englobe non seulement la sécurité géopolitique dure mais aussi le développement géoéconomique. Cette dernière représente une stratégie à long terme que l'on pourrait appeler 'la sécurité par le développement', qui touche aux stratégies mondiales et régionales de tous les États membres de l'OCS" (vi).

Et c'est là un point très pertinent. Comme on l'a déjà noté à propos de l'OTSC et du Projet Belt & Road de la Chine, il existe une grande variété d'initiatives dans la région qui, d'une manière ou d'une autre, se rapportent ou se chevauchent avec l'OCS. Il y a le "Corridor de transport international Nord-Sud", qui est progressivement développé par l'Iran, la Russie, l'Inde et l'Azerbaïdjan.

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Il y a l'Union économique eurasienne, qui est dirigée de facto par Moscou, bien que toutes les décisions des organes directeurs de l'UEEA soient basées sur le consensus. Il existe des corridors de transport régionaux reliant le Pakistan et les États d'Asie centrale, ainsi que la Turquie. Il existe également des associations professionnelles locales. Et l'OCS devient de plus en plus une plate-forme pour promouvoir ces initiatives et d'autres similaires.

Incidemment, le club international des BRICS comprend trois membres de l'OCS, ce qui doit également être gardé à l'esprit dans le contexte du mouvement du monde vers la multipolarité.

M. Forugh a également souligné avec perspicacité l'existence de deux types de processus qui rapprochent les pays de l'OCS : le premier est un lien négatif à court terme basé sur des griefs géopolitiques communs (tels que les sanctions ou les craintes liées à l'OTAN) contre l'Occident, principalement les États-Unis. Ce lien se situe à un niveau superficiel et bénéficie d'une couverture médiatique importante en Occident. Deuxièmement, et c'est plus important, il y a un lien géo-économique positif à long terme qui est établi grâce aux initiatives d'infrastructure. L'infrastructure cimente les relations, au sens propre comme au sens figuré, entre tous les participants de l'OCS, y compris les États membres, les États observateurs et les États partenaires du dialogue.

Enfin, il convient de rappeler aux sceptiques occidentaux que l'OCS est la plus grande organisation régionale du monde, avec huit membres permanents, dont la Russie, la Chine, le Pakistan et l'Inde, représentant environ 40 % de la population mondiale sur plus de 50 % de la surface du globe, et avec 30 % du PIB mondial. Et ces quatre puissances possèdent des armes nucléaires. Par ailleurs, l'OCS est également un lieu d'aplanissement des contradictions, puisqu'elle comprend des rivaux comme le Pakistan et l'Inde, et que cette dernière a quelques différends avec la Chine. Apparemment, certains de ces pays sont intéressés à rejoindre l'OCS dans l'espoir de trouver un compromis et d'éliminer les griefs historiques. Car il y a encore suffisamment de tensions entre les pays de la région. L'Arménie et l'Ouzbékistan, l'Iran et l'Arabie saoudite, l'Iran et les Émirats arabes unis, la Turquie et l'Irak sont les seuls à être sur l'écran radar. Bien que les perspectives de résolution des différends ne soient pas encore claires, il est peu probable qu'elles soient résolues par des acteurs externes qui agissent habituellement comme des provocateurs et des bellicistes. Pour l'instant, l'OCS reste donc la seule structure opérationnelle pour mettre en œuvre des politiques de bon voisinage.

Notes:

i) I https://www.swp-berlin.org/en/publication/sco-summit-in-samarkand-alliance-politics-in-the-eurasian-region

ii) II https://www.fpri.org/article/2021/09/the-shanghai-cooperation-organization-will-not-fill-any-vacuum-in-afghanistan/

iii) III https://afghanistan.ru/doc/150095.html

iv) IV https://www.hudson.org/research/18228-the-sco-s-clumsy-push-to-disrupt-the-world-order

v) V https://asiatimes.com/2022/09/wsj-pundit-too-easily-dismisses-eastern-led-world-order/

vi) VI https://nationalinterest.org/feature/what-west-gets-wrong-about-sco-204951

 

jeudi, 06 octobre 2022

Les États-Unis vont-ils briser l'Union européenne?

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Les États-Unis vont-ils briser l'Union européenne?

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2022/10/01/hajottaako-yhdysvallat-euroopan-unionin/

Après la Seconde Guerre mondiale, les capitalistes ont décidé de créer une Europe plus unie comme tremplin vers la "gouvernance mondiale" qu'ils souhaitaient. Ce projet, qui a débuté avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier, a abouti à l'Union européenne, dont l'objectif politique était de former un super-État fédéraliste qui gouvernerait le continent au profit des intérêts capitalistes.

L'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), fondée en 1949, est l'instance de défense militaire de l'élite dirigeante occidentale en Europe, dont la tâche a été de contrer la Russie et de contrôler les pays de la zone euro d'après-guerre au nom d'une architecture de sécurité commune.

Jusqu'à présent, l'Union, que les Américains ont contribué à créer, a plutôt bien servi la cause des mondialistes occidentaux, mais afin de maintenir leur pouvoir économique et politique, les élites semblent maintenant vouloir peaufiner la machine occidentale.

Alors que nous avons atteint la fin de la raison d'être de l'OTAN avec la crise ukrainienne (où elle tente de détruire la Russie), des scénarios ont été avancés sur la façon dont les États-Unis se protégeront contre l'éventualité probable que la Russie gagne la guerre. Voici quelques spéculations sur le sujet.

L'Europe se désindustrialise, c'est-à-dire qu'elle décline sur le plan industriel parce qu'elle est idéologiquement liée aux intérêts américains et s'abstient de coopérer et de commercer avec la Russie. Ce n'est pas tant la Russie qui est touchée par la politique des sanctions, mais la production européenne et l'économie européenne.

Cela rendra bientôt plus attrayant pour les entreprises européennes de s'installer aux États-Unis. Ce faisant, ils soutiendront l'économie nationale américaine, contreront la baisse de la valeur du dollar et contribueront à maintenir la compétitivité de l'Amérique face à la Chine.

"Les États-Unis n'ont pas d'amis ou d'ennemis permanents, seulement des intérêts". Henry Kissinger a un jour mis en pratique la ligne brutale de l'"État profond" américain, l'appareil d'État permanent. Washington n'éprouve donc aucune difficulté à trahir ses soi-disant alliés lorsque le besoin s'en fait sentir.

Prenez l'Australie, par exemple, l'État vassal des États-Unis dans l'hémisphère sud. Dans sa guerre hybride contre la Chine, Washington a incité son vassal kangourou à intensifier les tensions avec Pékin, au nom de ses propres intérêts de politique étrangère.

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En conséquence, une Chine irritée a répondu à l'agression australienne par des mesures de rétorsion économique et a cessé d'acheter du charbon à l'Australie. À ce moment-là, les États-Unis ont immédiatement commencé à remplir les carnets de commande et à vendre leur propre charbon à la Chine, en cassant les prix de l'"allié".

Les États-Unis font maintenant la même chose à l'Europe et la première étape consiste à miner délibérément l'UE tout en maintenant l'alliance militaire de l'OTAN en place dans le but de détruire la Russie. Alors que Bruxelles et de nombreux États membres refusent fidèlement de commercer avec Moscou, les États-Unis continuent d'acheter les matières premières dont ils ont besoin à la Russie, même en pleine guerre hybride.

Jusqu'à présent, l'UE a rempli sa mission en mobilisant les pays de la zone euro contre la Fédération de Russie. Cependant, l'économie russe a résisté à la politique de sanctions donc, du point de vue des États-Unis, l'Union ne sert plus son objectif.

Ainsi, l'affaiblissement de l'UE - ou l'éclatement du bloc - ne dérangera pas les États-Unis, dont l'attitude est illustrée par la vieille phrase de Victoria Nuland, aujourd'hui sous-secrétaire d'État, "fuck the EU".

La situation actuelle est illustrée par le fait que même la Finlande, élève modèle de l'UE et contributeur net surendetté, a signé des "accords de coopération en matière de défense" bilatéraux avec les États-Unis et la Grande-Bretagne. Ceci, vraisemblablement, afin que, même si l'Union s'effondre, les Anglo-Américains aient toujours leurs partenaires stratégiques dans une Europe en déclin, juste à côté de la Russie.

Alors que l'empire américain lutte pour survivre dans un monde multipolaire naissant, il cannibalise de plus en plus ses États vassaux et ses colonies de facto, qui souffrent à cause de l'égoïsme de Washington. Malheureusement, de nombreux Finlandais sont encore tellement aveuglés par la culture populaire et la politique américaines qu'ils ne voient pas où cela mène.

mardi, 04 octobre 2022

Une Europe totalement soumise aux États-Unis

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Une Europe totalement soumise aux États-Unis

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2022/09/29/yhdysvalloille-alistunut-eurooppa/

Les États-Unis, aux abois, sont prêts à détruire les derniers vestiges de souveraineté de leurs alliés - principalement européens. Même l'Union européenne, autrefois fondée avec le soutien des Américains, est désormais un rival de l'hégémon paranoïaque, un rival qui doit être affaibli.

Bien sûr, la soumission honteuse des gouvernements européens aux ordres de Washington tente toujours d'être camouflée derrière la proclamation d'un "partenariat transatlantique". Ce n'est pas seulement le cas des fervents gouvernements pro-occidentaux des petits États baltes, perpétuellement traumatisés, que sont l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie. L'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne, elles aussi, ont eu tendance à entonner le mantra invraisemblable de "l'unité occidentale".

Même l'explosion des gazoducs Nord Stream n'a pas fait apparaître dans l'opinion publique des politiciens ou des experts qui oseraient remettre en question les actions américaines qui s'apparentent à du terrorisme d'État. La destruction des gazoducs donne aux entreprises américaines un avantage concurrentiel écrasant, mais malgré cela, des commentaires absurdes tels que "il est difficile d'imaginer autre chose que cela relève de la Russie" sont émis en Finlande aussi.

Cette triste tendance n'est pas passée inaperçue chez Vladimir Poutine, qui a déclaré en juin dernier que "si un pays ou un groupe de pays n'est pas capable de prendre des décisions indépendantes, cela signifie qu'il est déjà, dans une certaine mesure, une colonie, et les colonies n'ont historiquement aucun avenir et aucune chance de survivre à une lutte géopolitique féroce".

Comment comprendre que les gouvernements des pays de l'euro soient prêts à transformer leurs pays en champs de bataille et leurs citoyens en chair à canon dans une guerre qui n'est pas la leur mais celle des États-Unis contre la Russie ? La plupart des chefs d'État, des politiciens et des bureaucrates semblent s'être vendus à l'hegemon pour renforcer le pouvoir du dollar.

La belligérance américaine ne prendra pas fin avec la chute de la Russie, mais sera suivie par un état de guerre contre la Chine. Alors que l'hégémonisme est poursuivi jusqu'au bout, il est nécessaire de cesser de prétendre à la souveraineté nationale en Europe et de détruire par ailleurs toute prétention à l'indépendance en Amérique latine et en Asie.

La doctrine Wolfowitz est manifestement toujours en vigueur, et l'administration Biden la met en pratique. La ligne directrice de la politique étrangère américaine consiste toujours à repousser l'avancée des challengeurs et à tenter de maintenir sa position d'unique superpuissance mondiale. Le démantèlement des gazoducs Nord Stream semble également une manœuvre visant à démontrer la domination des États-Unis sur la Russie.

Bien sûr, le sinistre plan à long terme de Washington a déjà été révélé à quiconque a pris la peine d'examiner la situation de manière plus critique. L'objectif est de détruire la Russie et de créer une poignée d'États clients dans sa vaste zone géographique, qui serait également utilisée pour attaquer la Chine.

Pour paraphraser Sauli Niinistö, on pourrait dire que "le masque de la démocratie a été enlevé et que le visage du totalitarisme occidental est visible". Aujourd'hui, même en Finlande, l'unanimité et la victimisation sont de mise, et l'intrigue de l'opération psychologique est assez simple : la Russie est le méchant hors-la-loi, l'Ukraine la victime innocente et les États-Unis l'héroïne de l'histoire.

Les politiques autodestructrices des pays européens sont totalement contraires aux intérêts des citoyens, mais les pouvoirs en place ne semblent pas s'en soucier. Nous sommes passés des affres de l'ère de la pandémie à l'atmosphère de guerre, et avec la crise énergétique, nous avons peur d'un hiver glacial. Est-ce ainsi que nous vivons le rêve américain dans une Finlande de l'OTAN qui s'appauvrit ?

Vers une prospective géopolitique

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Vers une prospective géopolitique

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/k-voprosu-geopoliticheskogo-prognozirovaniya

Les centres d'analyse, les organisations économiques et financières, les groupes politiques, les cabinets de conseil, les banques et même les entreprises commerciales tentent régulièrement de prédire l'avenir. Alors que dans la seconde moitié du 20ème siècle, ces travaux avaient des formulations et des conclusions très claires (comme le rapport du Club de Rome sur l'interdépendance de la croissance démographique et des ressources naturelles limitées, qui a légitimé la théorie du "milliard d'or"), les dix dernières années ont vu un éloignement des conclusions concrètes. Les auteurs des différentes prévisions, qu'il s'agisse de représentants de grandes organisations ou d'individus, préfèrent donner plusieurs scénarios pour l'avenir ou mettre en évidence des tendances alternatives et parallèles dans le développement des sociétés et des États.

En général, dans ces travaux, nous voyons l'application de méthodes qui peuvent être divisées en trois approches énoncées :

- le pronostic ;

- la prévoyance ;

- les prévisions.

Et les conclusions sont déjà données en termes d'options ou de scénarios de tendance. Néanmoins, il a été observé que, comme pour les conclusions sans ambiguïté, ces résultats flexibles servent souvent à la programmation future. Puisque les rapports contiennent le scénario nettement préféré, il est évident que les parties prenantes tenteront de faire en sorte que ce soit celui qui soit réalisé. Cela signifie qu'une telle prévision propose une stratégie d'action, y compris le calcul des fonds et des ressources nécessaires.

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Le Centre américain d'évaluation stratégique et budgétaires (i) suit cette approche dans son travail. Par exemple, le rapport sur l'armement des alliés des États-Unis, basé sur l'expérience historique, contient des recommandations assez spécifiques sur la manière de mettre en œuvre une nouvelle stratégie de dissuasion nucléaire, en tenant compte des deux adversaires perçus - la Chine et la Russie (ii).

Ces études appartiennent à la section sur la guerre future, elles sont donc également de nature futurologique, tout comme les nombreux concepts innovants proposés pour l'armée américaine.

Cependant, l'expérience historique montre que certaines prédictions se sont réalisées, tandis que d'autres non. Prenez l'exemple d'Alain Minc (iii), qui, en 1978, a prédit un monde de communication globale grâce à des ordinateurs en réseau et a rédigé la première stratégie française liée à l'avènement de la révolution numérique.

En 2006, il a fait valoir qu'il existe quatre scénarios géopolitiques pour l'Europe à long terme. "Le premier est une sorte d'atlantisme minimal. La nouvelle administration reviendrait au multilatéralisme clintonien et l'Europe s'unirait, créant une alliance durable entre des États-Unis multilatéraux et une Europe unie, tolérée en tant que tele. Je ne crois pas qu'un tel scénario soit possible. Le deuxième scénario est un divorce violent et l'unification de l'Europe par elle-même, et il est clair que pour que cela se produise, il ne doit pas y avoir de menaces mondiales afin que nous ne soyons pas unis par une préoccupation commune. Le troisième scénario : la domination impérialiste. Les nouveaux États-Unis existent, mais l'Europe parvient à s'unir sous la domination écrasante des États-Unis. Quatrième scénario : un atlantisme fort. Cela impliquerait une crise de nature très dramatique, comme le fait que la Chine veuille utiliser toutes ses capacités stratégiques, nucléaires et économiques pour acquérir une position mondiale, ou cela pourrait être le terrorisme nucléaire. Il est clair que ce nouvel atlantisme n'émergera qu'en raison de l'existence d'une menace très forte. Sa propre prédiction était le cinquième scénario : un divorce en douceur" (iv).

Comme nous pouvons le constater, cette prédiction s'est avérée fausse. Les questions controversées, comme la protection des données personnelles, qui a contraint l'UE ou les frictions entre les pays de l'UE et les États-Unis sous l'administration de Donald Trump, peuvent difficilement être qualifiées de "divorce en douceur". Et la situation en Ukraine indique clairement que les pays de l'UE suivent une logique patron-client. En d'autres termes, ils sont des satellites obéissants des États-Unis, sinon l'Allemagne n'aurait guère mené une politique de sanctions suicidaire en renonçant volontairement à des conditions favorables pour l'achat de gaz naturel russe.

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Un autre exemple est le rapport de la US Intelligence Community sur le changement climatique jusqu'en 2040 (v).

On peut y trouver des déclarations contradictoires. Il est question d'un débat sur les émissions de gaz à effet de serre et la réalisation des objectifs de l'Accord de Paris. Mais la plupart des pays seront confrontés à des choix économiques difficiles et compteront probablement sur des percées technologiques pour réduire rapidement leurs émissions. Et si cela ne se produisait pas ?

Elle signale que "les projections scientifiques indiquent que les impacts physiques croissants du changement climatique jusqu'en 2040 et au-delà seront ressentis de manière plus aiguë dans les pays en développement, qui, selon nos estimations, sont également les moins capables de s'adapter à ces changements". Quelles sont donc ces projections scientifiques ? Aucune donnée pertinente n'est fournie à ce sujet. Étant donné que de nombreux scientifiques considèrent que le réchauffement climatique n'est rien de plus qu'un mythe, des questions se posent.

De même, où sont les critères qui font que les pays pauvres sont les moins aptes à s'adapter à ces changements ? Au contraire, les pays qui ne ressentent pas le besoin de villes intelligentes, d'infrastructures modernes et autres, les gens mènent le même style de vie que leurs ancêtres il y a des siècles.

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Fait révélateur, la consommation de gaz naturel ne devrait augmenter que jusqu'en 2040, tandis que la consommation de pétrole devrait rester à peu près au même niveau. L'utilisation de l'énergie solaire et éolienne augmentera considérablement, tandis que la part de l'énergie nucléaire augmentera également.

Il existe également un parti pris politique évident dans la définition des pays vulnérables au changement climatique. Les catastrophes naturelles ne respectent généralement pas les frontières politiques, mais la communauté du renseignement américaine a estimé que la situation du Sud-Soudan était bien pire que celle du Soudan (bien que ce soit les États-Unis qui aient favorisé la séparation du Sud). Le Nicaragua et la Colombie font partie des pays préoccupants, bien que le Costa Rica, situé entre les deux, ait la même note provisoire pour la résilience climatique que les États-Unis et la Russie (p.12 du rapport). De même, en Asie, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Inde et le Myanmar sont montrés du doigt, tandis que les pays voisins, le Népal, l'Iran, le Bhoutan et la Thaïlande, présentent des caractéristiques plus positives.

Si nous prenons le rapport global de l'US Intelligence Community sur les tendances mondiales à l'horizon 2040 (vi), nous constatons que la nécessité pour les États de s'adapter sera liée aux catastrophes naturelles, aux catastrophes d'origine humaine, à la propagation des maladies et aux crises financières.

La fragmentation s'accentuera et le système international aura peu de moyens pour répondre aux nouveaux défis. Au sein des nations, le fossé entre les demandes des gens et la capacité des gouvernements et des entreprises va se creuser. Des manifestations de rue auront lieu dans des endroits allant de Beyrouth à Bruxelles en passant par Bogota. La concurrence au sein des sociétés s'intensifiera, entraînant des tensions accrues. Au sein des États, la politique sera plus controversée. En politique mondiale, la Chine défiera les États-Unis et le système international occidental. L'adaptation sera à la fois un impératif et une source clé d'avantages pour tous les acteurs du monde.

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Les pays les plus susceptibles d'en bénéficier sur le plan géopolitique et économique sont l'UE, l'Inde, le Japon, la Russie et le Royaume-Uni.

Il convient ici de garder à l'esprit que les nouveaux défis et problèmes de réponse présentés dans ce rapport sont directement liés à la perte de la puissance américaine. Washington est clairement mal à l'aise avec un système multipolaire, c'est pourquoi pour les auteurs du rapport, il est considéré comme déséquilibré et destructeur. Le problème du parti pris politique peut également être observé dans les prédictions concernant la Russie.

Il est dit que "la Russie restera probablement une puissance destructrice pendant une grande partie ou la totalité des deux prochaines décennies, même si ses capacités matérielles diminuent par rapport à celles d'autres acteurs majeurs. Les avantages de la Russie, notamment ses importantes forces armées conventionnelles, ses armes de destruction massive, ses ressources énergétiques et minérales, sa vaste géographie et sa volonté d'utiliser la force à l'étranger, lui permettront de continuer à jouer le rôle de trouble-fête et de courtier de pouvoir dans l'espace post-soviétique et parfois au-delà. Il est probable que Moscou continuera à essayer de renforcer les divisions en Occident et de nouer des relations en Afrique, au Moyen-Orient et ailleurs. La Russie est susceptible de rechercher des opportunités économiques et d'établir une position militaire dominante dans l'Arctique à mesure que d'autres pays renforcent leur présence dans la région... Le départ du président Vladimir Poutine du pouvoir, que ce soit à la fin de son mandat actuel en 2024 ou plus tard, pourrait compromettre davantage la position géopolitique de la Russie, surtout en cas d'instabilité interne. De même, la réduction de la dépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis de la Russie, que ce soit par le biais des énergies renouvelables ou de la diversification vers d'autres fournisseurs de gaz, sapera les revenus et le pouvoir global du Kremlin, surtout si cette réduction ne peut être compensée par des exportations vers les consommateurs d'Asie.

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Cependant, même si elle est aussi catégorique, la communauté du renseignement américaine propose cinq scénarios. "Trois d'entre eux dépeignent un avenir dans lequel les défis internationaux deviennent progressivement plus sérieux et les interactions sont largement guidées par la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Dans le scénario des démocraties montantes, les États-Unis ouvrent la voie. Dans le Monde à la dérive, la Chine est l'État leader mais pas dominant au niveau mondial, et dans la Coexistence compétitive, les États-Unis et la Chine prospèrent et se disputent le leadership dans un monde "bifurqué", à la croisée des chemins. Les deux autres scénarios impliquent un changement plus radical. Tous deux découlent de ruptures mondiales particulièrement graves, et tous deux remettent en question les hypothèses relatives au système mondial. La rivalité entre les États-Unis et la Chine est moins centrale dans ces scénarios, car les deux États doivent faire face à des défis mondiaux plus importants et plus graves et constatent que les structures actuelles ne sont pas à la hauteur de ces défis. Les différents blocs en gestation dépeignent un monde dans lequel la mondialisation s'est effondrée et où des convergences ponctuelles d'ordre économique et des alliances de sécurité apparaissent pour protéger les États des menaces croissantes. Tragédie et mobilisation forment la trame de l'histoire d'un changement graduel et révolutionnaire sur fond de crises environnementales mondiales dévastatrices".

Bien entendu, outre le fait d'essayer de se projeter dans l'avenir en se basant sur les statistiques disponibles et les observations des décennies précédentes, la communauté du renseignement américaine avait d'autres objectifs : 1) identifier des menaces spécifiques afin que les autorités américaines (ainsi que les partenaires de Washington) puissent se concentrer sur celles-ci et allouer les ressources nécessaires aux contractants appropriés ; 2) diaboliser certains États, idéologies et systèmes politiques. Les préoccupations concernant le déclin d'un système international qui profite à l'Occident sont clairement visibles. Et s'il y a des changements majeurs qui diminuent le rôle des États-Unis et de l'UE, cela sera perçu positivement dans la plupart des pays.

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Certains essaient de se limiter délibérément à un minimum d'alternatives pour l'avenir. Par exemple, l'Institut allemand pour la politique publique mondiale, dans sa vision des médias et des technologies jusqu'en 2035, ne propose que deux scénarios (vii). Le premier décrit un avenir dans lequel l'éducation aux médias et la liberté d'expression sont élevées, de sorte que les gens peuvent dire ce qu'ils veulent et que leur contenu est largement diffusé. Ce sont les utilisateurs qui détermineront les règles des plateformes de médias sociaux, et non les États ou les entreprises privées. Il n'y aura pas de règles formelles régissant les flux de données et les questions de souveraineté des données, mais il y aura un effondrement économique et infrastructurel, et avec la montée de l'autoritarisme, il n'y aura pas de libre échange de données. La seconde a les mêmes perspectives en matière de liberté d'expression, mais le cosmopolitisme a gagné le monde. Une pléthore de règles largement utilisées et des investissements dans l'infrastructure garantissent un partage des données libre et sans entrave à l'échelle mondiale.

Des scénarios supplémentaires avec des options intermédiaires sont clairement de mise ici.

Prenons maintenant une perspective à court terme. Au début de l'année 2021, le Council on Foreign Relations a présenté une carte des conflits possibles pour l'année en cours (viii). Il est clair que ces hypothèses étaient fondées sur des biais. Par exemple, nous ne voyons absolument aucune mention de la région Asie-Pacifique, à savoir les pays où les conflits et les organisations insurrectionnelles et terroristes sont actifs - Indonésie, Malaisie et Philippines. Aucune mention n'est faite de la Colombie, où les meurtres réguliers d'anciens membres des FARC se poursuivent. La possibilité d'instabilité dans d'autres pays d'Amérique latine - le Chili et le Pérou, où de nombreuses manifestations ont eu lieu en 2020 - n'est pas non plus analysée.

Elle n'indique pas non plus les points de tension potentiels en Europe, qui sont nombreux. Dans une large mesure, l'étude est construite sur une perception limitée de la réalité d'une part et, d'autre part, sur les priorités qui ont informé la politique étrangère américaine au cours des années précédentes et qui ont été reflétées dans les médias mondiaux (ix).

Début 2022 (x), l'Afghanistan, Haïti, le Liban et le Venezuela figuraient parmi les conflits les plus susceptibles d'avoir un impact moyen sur les intérêts américains. Bien qu'il y ait eu des troubles sociaux et politiques dans tous ces pays, ils n'étaient pas si critiques. En Afghanistan, la stagnation générale s'est poursuivie, en Haïti la situation n'a pas beaucoup changé et au Liban, l'effondrement des institutions étatiques ne s'est pas produit comme prévu par le CFR.

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Taïwan et la Chine, Israël et l'Iran, le Mexique, la Corée du Nord, et seulement à la fin de la liste, la détérioration de la situation dans l'est de l'Ukraine et l'intensification de la confrontation avec la Russie. Mais, comme le temps l'a montré, c'est l'Ukraine qui s'est retrouvée en tête de liste des pays sujets aux conflits, et avec l'aide de la spéculation politique de l'Occident, un effet domino global a touché des coins reculés du monde. La prévision pour l'Irak, dont la probabilité et les conséquences étaient moyennes, ne s'est pas non plus réalisée. Alors que l'escalade liée à l'activité des groupes kurdes et à l'intervention turque se poursuit, elle est aggravée par la dégradation de la sécurité dans la province d'Anbar, la crise parlementaire et les querelles inter-chiites qui ont conduit à l'annonce par al-Sadr de son retrait de la vie politique.

Le conflit arméno-azerbaïdjanais a également été classé au niveau le plus bas de probabilité et de conséquence, bien qu'un nouvel affrontement en septembre 2022 s'étendait clairement à un niveau plus élevé.

Bien que les conflits soient un sujet spécifique avec ses propres subtilités et nuances, il y a eu également des spéculations optimistes non réalisées de la part des institutions financières selon lesquelles le ralentissement économique causé par la pandémie ferait place à la reprise et des histoires de renaissance des puissances occidentales dans la perspective mondiale à court terme (xi).

Il a été affirmé que l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche ramènera les États-Unis à leur rôle traditionnel d'opérateur d'alliances mondiales. Et les institutions multinationales telles que l'OTAN et l'ONU pourraient réviser leurs plans d'urgence pour un retrait rapide des troupes américaines. Enfin, le Royaume-Uni - et, dans une moindre mesure, le reste de l'Europe - pourraient recentrer leurs efforts sur les priorités mondiales à long terme. Mais ces projections se sont révélées erronées.

Cela conduit un certain nombre d'organisations de suivi des tendances à passer à des récits descriptifs, à appliquer la théorie descriptive avec une certaine continuité possible, en évitant les prédictions futuristes faites par leurs prédécesseurs (xii).

Et quelles sont les raisons de toutes ces erreurs ? Outre les intérêts politiques et corporatifs qui influencent les conclusions, il existe des facteurs qui sont de nature ontologique.

Steve Fuller, par exemple, relève plusieurs points qui nient la possibilité même de la prédiction : 1) l'avenir est en principe inconnaissable parce qu'il n'existe pas encore, et on ne peut connaître que ce qui existe ; 2) l'avenir sera différent à tous égards du passé et du présent, peut-être à cause de l'indétermination de la nature, à laquelle le libre arbitre de l'homme contribue également de manière importante ; 3) les effets mutuels de la prédiction et de ses résultats sont si complexes que chaque prédiction génère des conséquences involontaires qui apporteront plus de mal...

Fuller lui-même a parlé de la nécessité de passer de la super-prédiction à la règle forcée, c'est-à-dire d'assumer la responsabilité de ce qui se passe et de proposer des solutions.

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Il convient également de noter que ces prévisions manquent souvent de données statistiques, d'une part, et que, d'autre part, des changements brusques peuvent mettre à mal les faits apparemment exacts qui ont servi de base à l'étude. Par exemple, la Banque mondiale utilise toujours dans ses prévisions les critères du PIB, des taux de change, du classement des pays, etc., qui, à leur tour, peuvent changer, ne pas refléter la réalité ou être le résultat de manipulations spéculatives (comme l'a démontré la crise financière américaine de 2008 et, encore plus tôt, la soi-disant crise des dot-com). Les sanctions occidentales et les contre-sanctions russes en 2022 ont entraîné une forte hausse du prix du gaz naturel, que personne n'aurait pu imaginer en 2021. Les fluctuations de la valeur du pétrole, des métaux précieux et des terres rares, des minéraux, des crypto-monnaies, sur lesquelles se concentrent de nombreux investisseurs, et des produits finis sont devenues trop difficiles à prévoir en termes d'unités de compte.

Enfin, les questions de valeur sont généralement exclues des projections de tendances futures proposées par les organisations occidentales. Bien que des facteurs tels que le nationalisme et le conservatisme se retrouvent souvent dans les rapports, il s'agit toujours davantage d'une catégorie politique et ne reflète pas le sentiment réel. Un échantillon d'enquêtes sociologiques a peu de chances de faire l'affaire, les questionnaires étant eux-mêmes un outil de collecte de données douteux.

Quant à la religion, qui est directement liée aux valeurs, nous sommes confrontés à un dilemme entre rationalité et irrationalité. Et même les nuances irrationnelles peuvent avoir des interprétations différentes. Par exemple, si nous prenons les traditions abrahamiques, les trois - le judaïsme, le christianisme et l'islam - diffèrent dans leurs interprétations de l'avenir. Et au sein de chaque tradition, il existe des branches qui peuvent présenter des contradictions. Et cela affecte directement les processus politiques. Par exemple, la proportion de la population pratiquant l'islam chiite au Nigeria a considérablement augmenté ces derniers temps. Il est douteux que l'Occident tienne compte de ce changement d'équilibre et se préoccupe davantage de répandre la démocratie, d'accroître son influence et son accès aux ressources naturelles. Pourtant, les chiites ont une vision eschatologique spécifique, où l'arrivée du Mahdi marquera la fin des temps et où son armée ainsi que le Christ (qui est vénéré comme un prophète) combattront l'armée du Dajjal (l'Antéchrist). De toute évidence, dans le contexte de la confrontation entre l'Iran et Israël, et au niveau mondial d'un club de pays fondés sur les valeurs traditionnelles et le cartel néolibéral occidental, la montée des adeptes du chiisme affectera également les processus géopolitiques.

Bien sûr, les prévisions resteront demandées, mais leur précision risque de diminuer. Il est probable que certains groupes de réflexion vont réviser leurs méthodologies. Il y aura des tentatives de rationalisation des catégories abstraites et transcendantes. Enfin, les méthodologies proposées par les pays non-occidentaux avec d'autres entrées et formules entreront dans l'arène. Nous tenterons de théoriser une telle méthodologie dans la publication suivante.

Notes:

i https://csbaonline.org/

ii https://csbaonline.org/research/publications/arming-americas-allies-historical-lessons-for-implementing-a-post-inf-treaty-missile-strategy/publication/1

iii Mink a été conseiller de plusieurs gouvernements français et a été membre du conseil d'administration de diverses sociétés telles que le cabinet de conseil AM Conseil, Le Monde, Gucci, Valéo et le groupe de construction Vinci.

iv https://fpc.org.uk/a-transatlantic-divorce/

v https://www.dni.gov/files/ODNI/documents/assessments/NIE_Climate_Change_and_National_Security.pdf

vi https://www.dni.gov/index.php/gt2040-home/summary

vii https://www.ggfutures.net/analysis/ggf2035-global-media-and-information

viii https://www.cfr.org/report/conflicts-watch-2021

ix https://katehon.com/ru/article/karta-vozmozhnyh-konfliktov-po-versii-cfr

x https://cdn.cfr.org/sites/default/files/report_pdf/PPS2022.pdf

xi https://www.morganstanley.com/ideas/global-economic-outlook-2021

xii https://css.ethz.ch/content/dam/ethz/special-interest/gess/cis/center-for-securities-studies/pdfs/ST2022.pdf

xiii Fuller S. Post-vérité. La connaissance comme lutte pour le pouvoir. MOSCOU : HSE, 2021. С. 286.

lundi, 03 octobre 2022

Le monde vu de Samarcande

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Le monde vu de Samarcande

Par Daniele Perra

Source: https://www.eurasia-rivista.com/il-mondo-visto-da-samarcanda/?fbclid=IwAR1jTo6EDLMfC2JpvyhKZvny75SCUv6UohwQEKE19wWQVHc_O2nZ9PI1l1A

"Ne demandez pas au moineau comment vole l'aigle".

(proverbe chinois)

"Il est assez facile de démasquer le pro-américain qui se déguise en Européen. Il use et abuse du mot 'Occident".

(Jean Thiriart)

Les "Occidentaux", déclare l'ancien général des forces aériennes de l'Armée populaire de libération chinoise, Qiao Liang, aiment se vanter qu'il n'y a pas de guerres entre "démocraties" [1]. Cette croyance, pour être juste, est assez réductrice (pour ne pas dire plutôt banale). En fait, comme l'a soutenu le "géopolitologue militant" Jean Thiriart dans les années 1980, s'il est vrai que le grand rival militaire des États-Unis est la Russie, il est tout aussi vrai que son grand rival économique (celui qui représente potentiellement la menace la plus sérieuse pour son hégémonie mondiale) est l'Europe occidentale [2].

Sur les pages de notre revue Eurasia, on a souvent tenté de présenter des preuves (claires) que les États-Unis ne sont pas seulement en guerre contre la Russie, mais plus généralement contre l'Europe dans son ensemble (les attaques, le sabotage, contre les corridors énergétiques Nord Stream 1 et 2 du 27 septembre 2022, qui ont coïncidé avec l'inauguration d'un gazoduc reliant les champs gaziers norvégiens, aujourd'hui épuisés, à la Pologne à travers la mer Baltique pourraient également s'inscrire dans ce contexte) [3].

À l'occasion de l'agression de l'OTAN contre la Serbie, le taux de change entre l'euro (nouvellement créé) et le dollar est passé de 1 pour 1,07 à 1 pour 0,82, soit une chute de plus de 30 %. De même, début février, au plus fort de la pression ukrainienne contre les républiques séparatistes du Donbass et avant le début de l'opération militaire spéciale, l'euro valait 1,14 pour un dollar. Aujourd'hui (au moment de la rédaction de cet article), il se négocie à 0,96 (plus de trois points en dessous de la parité).

Gouvernée par une élite politique collaborationniste prête à faire du Vieux Continent pour les USA ce que l'Inde était pour l'empire colonial britannique, l'Europe semble condamnée à rester figée dans une mentalité de guerre froide de confrontation entre blocs à l'heure où l'accélération imposée aux dynamiques géopolitiques par les événements (la crise pandémique et l'intervention directe de la Russie dans le conflit ukrainien) transforme rapidement le système mondial dans un sens multipolaire.

Si, d'une part, le fait de pousser la Russie vers l'est a (momentanément) séparé ce qui a été défini comme les "deux géants du milieu", d'autre part, il a réalisé l'un des "cauchemars géopolitiques" de Washington : la construction d'un bloc capable d'exclure les États-Unis de l'espace eurasien grâce à une coopération stratégique entre la Russie, la Chine et l'Iran. Cela a contrecarré les efforts de ce Henry Kissinger qui, depuis le début des années 1970, avait tenté (non sans succès) de séparer l'URSS et la République populaire de Chine en attirant Pékin dans l'orbite géo-économique des États-Unis (en tant qu'exportateur de biens bon marché et importateur de titres de la dette américaine), grâce à la politique dite de la porte ouverte (un passage encore facilité par l'administration Clinton avec l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce à des conditions favorables, sauf à bombarder "par erreur" l'ambassade de Chine à Belgrade pour pousser le transfert de capitaux de Hong Kong à Wall Street).

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L'"idylle" sino-américaine, du point de vue néo-libéral occidental, était censée faire de la Chine le centre manufacturier mondial, à condition que l'écart technologique et militaire entre Washington et Pékin reste inchangé et que la balance commerciale ne penche pas trop à l'Est.

Au contraire, la croissance économique de la Chine (qui s'est également traduite par une augmentation des dépenses militaires), augmentant sa puissance relative (notamment en termes de projection et d'influence), en a fait un rival direct des États-Unis. Il va sans dire que, comme l'a montré John J. Mearsheimer, cette rivalité n'a rien à voir avec l'aspect idéologique. Le politologue américain, en effet, dans le sixième chapitre de son texte phare The Tragedy of the Great Powers (2001), donne l'exemple de l'Italie dans la première moitié du 20ème siècle en montrant comment les gouvernements libéraux pré-fascistes n'étaient pas moins agressifs que celui dirigé par Benito Mussolini [4]. Par conséquent, un conflit avec les intérêts français et britanniques dans la zone méditerranéenne ou moyen-orientale aurait été inévitable dans tous les cas (l'Italie, par exemple, avait déjà commencé à fournir un soutien militaire à l'imamat yéménite Taydite contre la pénétration coloniale britannique à Aden dès le milieu des années 1920, à une époque où l'État italien n'avait pas encore pris un caractère totalitaire) [5].

De même, l'Union européenne, la Russie et la Chine, qu'elles soient démocratiques ou autoritaires, libérales ou étatistes en matière économique, importe peu. Ils représentent cependant une menace lorsque leur puissance accrue (militaire ou économique, ou les deux) met en péril le système mondial fondé sur l'hégémonie nord-américaine au sein des institutions internationales (Banque Mondiale et FMI surtout) et sur le pouvoir du dollar comme monnaie de référence dans les échanges commerciaux.

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Si l'Union européenne, otage de sa propre classe dirigeante et de l'Alliance atlantique, a peu de marge de manœuvre pour échapper à l'emprise "occidentale" (bien que certaines tentatives pour l'"isoler" du reste de l'Eurasie, comme le TTIP, aient échoué), la Chine et la Russie construisent les bases d'un nouvel ordre qui rendra inefficaces les efforts occidentaux pour "contenir" leur expansion.

À cet égard, on ne peut oublier qu'au 19ème siècle, la Grande-Bretagne a mené les "guerres de l'opium" précisément pour tenir la Chine à l'écart du commerce maritime. Ainsi, la volonté actuelle du Parti communiste chinois, bien résumée par le discours du président Xi Jinping lors de la réunion de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS, mais plus connue sous son acronyme anglais SCO) à Samarcande (14-16 septembre 2022), se présente également comme une nouvelle expression de résurgence nationale face à cette période sombre de l'histoire chinoise (au tournant du milieu du 19ème siècle au milieu du 20ème siècle) qui reste connue en Chine comme "le siècle des humiliations" et des "traités inégaux".

Dans son discours, Xi, en plus des habituelles références historiques à la Route de la Soie comme source d'inspiration pour une interaction culturelle et commerciale pacifique entre les pays qui ont embrassé le projet et l'OCS, s'est concentré sur plusieurs points cruciaux pour le développement des programmes d'intégration eurasiens. Tout d'abord, il a souligné la nécessité pour les membres de l'Organisation de Shanghai elle-même d'agir en communauté de vues pour contrecarrer les tentatives d'ingérence extérieure dans leurs affaires intérieures. À cet égard, le président chinois a spécifiquement parlé des tentatives de créer des "révolutions de couleur" qui sapent la stabilité régionale [6].

Il n'est pas surprenant qu'au moment où Téhéran a officiellement rejoint l'OCS, une vague de protestations (plus ou moins véhémentes, plus ou moins spontanées) se soit répandue dans tout le pays d'une manière qui rappelle les processus de déstabilisation soutenus par l'Occident sur d'autres théâtres (des anciens pays soviétiques au Moyen-Orient) et aussi en Iran même (pensez au soi-disant "Mouvement vert" de 2009 né après la réélection de Mahmud Ahmadinejad), avec la différence substantielle que la République islamique (en dépit de la crise induite par le régime de sanctions imposé par Trump) semble encore disposer des anticorps et des structures pour faire face à de tels défis (auxquels il faut ajouter les poussées perturbatrices opérées par certains groupes ouvertement soutenus par les services d'espionnage nord-américains et israéliens, notamment au Kurdistan, dans les régions limitrophes de l'Azerbaïdjan et au Beloutchistan, où, depuis le début des années 1980, des groupes séparatistes opèrent sous la tutelle de l'Irak de Saddam Hussein dans une optique à la fois anti-iranienne et anti-pakistanaise).

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Xi a également porté son attention sur l'Afghanistan (présent au sommet en tant que pays candidat au statut de partenaire de dialogue au sein de l'OCS). En effet, Kaboul, aux yeux du président chinois, s'est posé au cœur du projet d'interconnexion continentale après le retrait américain. Cependant, il est crucial pour l'Afghanistan de mettre en place une structure politique large et inclusive qui puisse éliminer le terreau qui alimente le terrorisme et met en danger toute la région d'Asie centrale [7]. La lutte des talibans contre l'autoproclamé "État islamique" (ISIS-Khorasan) et les efforts pour éradiquer la culture du pavot à opium (à laquelle, pour être honnête, le mollah Omar avait déjà tenté de remédier au tournant des années 1990-2000 afin d'être accepté par la "communauté internationale"), après vingt ans d'occupation occidentale au cours desquels la production de drogue non seulement n'a pas diminué mais a augmenté de façon exponentielle (de 70.000 hectares cultivés en pavot en 2001 à 300.000 en 2017) [8], représentent en ce sens un signe clair de la volonté positive des Afghans de coopérer avec les pays voisins (indispensable à l'heure où les Etats-Unis, dans le silence général, ont gelé plus de 9 milliards de dollars que les gouvernements fantoches pro-occidentaux avaient transférés aux institutions de crédit nord-américaines).

Les références de Xi Jinping à la construction d'un système de paiement international dans les monnaies locales respectives, qui accélérerait le processus de dédollarisation des économies eurasiatiques et faciliterait la création prochaine d'une banque de développement interne au sein de l'OCS, n'étaient pas moins pertinentes.

Cette étape est extrêmement importante, étant donné que l'Organisation de Shanghai concerne 40 % de la population mondiale, ¼ du PIB mondial, s'étend sur la plus grande masse continentale du monde et compte pas moins de quatre puissances nucléaires (Chine, Inde, Pakistan et Russie) en son sein. Des chiffres qui augmenteront encore si le système des BRICS est relié à l'OCS.

Paradoxalement, le régime de sanctions imposé à la Russie à la suite de l'opération militaire spéciale, loin de réaffirmer l'unipolarisme (si l'on exclut le contrôle nord-américain sur l'Europe), a accéléré la voie multipolaire. En effet, "l'incapacité, due aux sanctions, d'utiliser les circuits VISA et Mastercard a incité Moscou à utiliser les circuits chinois Huawei Pay et Union Pay, et a redonné un nouvel élan au projet mis en chantier par les BRICS en 2015, consistant en la création de leur propre système unique de paiements transnationaux (Brics Pay) qui permet l'utilisation de leurs monnaies nationales respectives comme base d'échange directe pour les paiements extérieurs, en évitant l'intermédiation du dollar et donc le transit nécessaire par les banques américaines" [9]. Et encore : "En interconnectant les systèmes de paiement (Elo au Brésil, Mir en Russie, RuPay en Inde et Union Pay en Chine ; l'Afrique du Sud ne dispose pas de sa propre infrastructure), Brics Pay est candidat pour supplanter progressivement les circuits VISA et Mastercard dans le quadrant asiatique (où Union Pay a déjà dépassé VISA depuis 2015, en termes de transactions globales, réduisant drastiquement le pouvoir de chantage de Washington [... ]. De même, l'éviction hors du système SWIFT pénalise les établissements de crédit russes, mais démasque l'instrumentalisation de ce qui est configuré comme le principal système de régulation des paiements internationaux aux logiques de pouvoir euro-atlantistes, avec pour résultat de renforcer la tendance à rechercher des solutions alternatives" [10]. Des solutions ont été trouvées dans l'utilisation et le renforcement (voire l'unification) du système déjà existant CIPS - Cross-Border International Payment System (Chine), SPFS - System for Transfer of Financial Messages (Russie), UPI - Unified Payment Interface (Inde).

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En conclusion, Xi a fait l'éloge de l'esprit de Shanghai, qui est toujours fort et ferme après 20 ans. Il se résume en cinq points qui représentent à la fois les piliers du nouveau système multipolaire et ce que la Russie et la Chine ont identifié comme le processus de "démocratisation" des relations internationales. Les cinq points sont les suivants :

    - La confiance politique. Guidés par la vision de forger une amitié et une paix durables entre les États membres de l'OCS, nous respectons les intérêts fondamentaux de chacun et le choix de la voie de développement, et nous nous soutenons mutuellement dans la réalisation de la paix, de la stabilité, du développement et du rajeunissement.

    - Coopération gagnant-gagnant. Nous rencontrons des intérêts mutuels, restons fidèles au principe de consultation et de coopération pour des bénéfices partagés, renforçons la synergie entre nos stratégies de développement respectives, et suivons la voie de la coopération gagnant-gagnant vers une prospérité commune.

    - L'égalité entre les nations. Nous sommes attachés au principe d'égalité entre tous les pays, quelle que soit leur taille, au principe de prise de décision par consensus et au principe de résolution des problèmes par une consultation amicale. Nous rejetons la pratique de la coercition des grands et des forts contre les petits et les faibles.

    - Ouverture et inclusion. Nous soutenons la coexistence harmonieuse et l'apprentissage mutuel entre différents pays, nations et cultures, le dialogue entre les civilisations et la recherche d'un terrain d'entente en mettant de côté les différences. Nous sommes prêts à établir des partenariats et à développer une coopération gagnant-gagnant avec d'autres pays et organismes internationaux qui partagent notre vision.

    - Équité et justice. Nous sommes attachés aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies ; nous abordons les grandes questions internationales en fonction de leurs mérites propres ; et nous nous opposons à la poursuite de notre propre agenda au détriment des droits et des intérêts légitimes d'autres pays [11].

L'énumération des cinq points constituant "l'esprit de Shanghai" dans le discours de Xi Jinping et le choix de Samarcande ("perle de la route de la soie") comme destination du premier voyage officiel à l'étranger du président chinois depuis le début de la pandémie de Covid 19 ont certainement une forte valeur culturelle et symbolique. Tout d'abord, Xi Jinping a voulu envoyer un message stratégique clair aux tentatives américaines d'encercler la Chine en mettant l'accent sur la capacité de projection terrestre (et pas seulement maritime) de la Nouvelle route de la soie, qui est présentée comme un projet complémentaire aux stratégies de développement national des pays membres et aux dialogues avec l'OCS.

Deuxièmement, elle voulait envoyer un message clair aux mêmes membres de l'OCS et partenaires de dialogue dont les intérêts contradictoires ont conduit à une confrontation de guerre ouverte (non sans l'ingérence de l'Occident). C'est le cas de la confrontation entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan (un conflit dans lequel la Turquie, partenaire de dialogue de l'OCS, est déjà directement impliquée en tant que principal fournisseur de soutien militaire à Bakou et qui pourrait potentiellement engager l'Iran également), des tensions entre le Tadjikistan et l'Afghanistan et, plus récemment, de l'affrontement Tadjikistan-Kirghizstan, cette dernière étant traversée par le corridor ferroviaire Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan, qui représente un point de jonction crucial pour la Nouvelle route de la soie, étant donné qu'il permettrait, une fois achevé, d'atteindre à la fois le Moyen-Orient (via l'Afghanistan) et l'Europe (via l'Iran et la Turquie) bien avant la ligne déjà existante qui traverse le Kazakhstan.

C'est également dans ce contexte que s'inscrit la position officielle de la Chine sur le conflit en Ukraine, qui est restée (à quelques différences substantielles près) la même depuis 2014: "La partie chinoise maintient une position objective et juste sur la question ukrainienne, insiste sur le respect de l'indépendance, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine, s'oppose à toute ingérence de forces extérieures dans les affaires intérieures de l'Ukraine, et soutient la résolution politique du problème ukrainien de manière pacifique". Nous pensons que la solution ultime à la crise ukrainienne réside dans le maintien de deux équilibres, à savoir comprendre l'équilibre entre les intérêts des différentes régions et des différentes nationalités en Ukraine, parvenir à un équilibre des relations avec la Russie et l'Europe, afin de ne pas faire de l'Ukraine un avant-poste de la confrontation, mais plutôt un pont de communication entre l'Est et l'Ouest" [12].

Cela expliquerait également le mécontentement mal dissimulé de Pékin quant au choix de la Russie d'intervenir directement dans le conflit, surtout à la lumière des tentatives répétées de l'Amérique du Nord de l'utiliser comme une arme pour intensifier la propagande de l'affrontement entre les blocs opposés et mettre à genoux le tissu industriel européen. En fait, la Chine n'a pas d'intérêt particulier à voir la récession économique de la zone euro. Tout comme elle n'a aucun intérêt à une césure géographique (bien que momentanée) entre la Russie et l'Europe (ou à une nouvelle spirale de guerre aux issues potentiellement néfastes) au moment où le contrôle russe sur le port stratégique de Mariupol ouvre d'importants scénarios pour l'utilisation de l'infrastructure et du gigantesque complexe industriel Azovstal (ce n'est pas un hasard si les Azovites, avec des civils comme boucliers humains, ont choisi de se barricader juste là, conscients du fait que Moscou n'essaierait pas de détruire complètement la zone) comme instruments d'interconnexion nord-sud et ouest-est du continent.

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En haut, le Sultan Galiev; en bas, Ismail Bey Gaspir Ali.

Du point de vue russe, le sommet de Samarcande a eu le mérite de raviver l'approche stratégique traditionnelle de Moscou, qui se tourne vers l'Est et le monde islamique lorsque l'Europe lui tourne le dos. Même avant des personnalités telles que le théoricien du "communisme national islamique" Mirza Sultan Galiev (1892-1940), le "marxiste atypique" Karl Radek (qui avait invité, lors du Congrès post-révolutionnaire des peuples orientaux, Enver Pasha à rejoindre la révolte "basmatienne" au lieu d'aider à la réprimer) [13], et les exposants de l'eurasianisme classique, cette approche avait été adoptée par Ismail Bey Gaspir Ali (1851-1914). Ce dernier, un Tatar de Crimée et une figure centrale du mouvement connu sous le nom de "jadidisme" (de usul-i-jadid, "nouvelle méthode"), visant à répandre la culture scientifique moderne parmi les peuples musulmans de l'espace impérial russe, comme le voulait aussi Konstantin Leont'ev, pensait que Moscou devait suivre une politique d'alliance mutuellement bénéfique avec des pays comme la Turquie et la Perse. La Russie obtiendrait l'accès tant convoité aux "mers chaudes", tandis que la Turquie et la Perse pourraient se libérer de l'étouffante étreinte européenne qui cherchait continuellement à les monter les uns contre les autres et, alternativement, à favoriser des confrontations directes entre elles et la Russie elle-même. "Une alliance entre le tsar blanc et le calife de l'Islam", a déclaré Ismail Bey "Gasprinsky", "rebatrait complètement les cartes que l'on joue en Europe depuis trois siècles".

Aujourd'hui, comme à l'époque, seule une coopération toujours plus étroite entre des réalités politiques et culturelles extrêmement différentes (comme celles qui existent au sein de l'OCS ou des BRICS) peut permettre de surmonter l'approche occidentale des relations internationales fondée sur la politique du "diviser pour régner".

NOTES:

[1] Qiao Liang, L’arco dell’Impero con la Cina e gli Stati Uniti alle estremità, LEG Edizioni, Gorizia 2021, p. 112.

[2] J. Thiriart, L’impero euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2018, p. 54.

[3] "Des fuites de gaz ont été signalées près de l'île danoise de Bornholm, dans la mer Baltique. Le gouvernement fédéral allemand estime qu'il est possible que les gazoducs Nord Stream aient été endommagés par des "attentats". Voir Fuite de gaz de Nord Stream 1 et 2 : des bulles dans la mer. Opérateur de réseau : "Dommages causés à 3 lignes offshore", 27 septembre 2022, www.rainews.it. Il convient également de préciser que s'il s'agissait d'une opération de renseignement assistée par l'OTAN, on aurait alors affaire à une attaque directe de l'OTAN contre les intérêts vitaux d'un pays membre, même si, à l'heure actuelle, le Nord Stream 1 est hors service pour cause de maintenance et le 2 n'est jamais entré en service.

[4] J. J. Mearsheimer, The tragedy of great powers politics, Northon e Company, New York 2014, p. 171.

[5] F. Sabahi, Storia dello Yemen, Mondadori, Milano-Torino 2010, p. 36.

[6] Vertice di Samarcanda: il discorso di Xi Jinping (trad. Giulio Chinappi), www.cese-m.eu.

[7] Ibidem.

[8] N. Piro, La narrazione dell’oppio afghano è sbagliata, proviamo a riscriverla, www.nicopiro.it.

[9] G. Gabellini, 1991-2022. Ucraina. Il mondo al bivio. Origini, responsabilità, prospettive, Arianna Editrice, Bologna 2022, p. 250.

[10] Ibidem, pp. 250-251.

[11] Vertice di Samarcanda: il discorso di Xi Jinping, ivi cit.

[12] AA.VV., Interpretazione della filosofia diplomatica cinese nella Nuova Era, Anteo Edizioni, Cavriago 2021, p. 33.

[13] Pas du tout victime, contrairement à nombre de ses camarades de parti, d'un parti pris anti-oriental, Radek a déclaré depuis le podium du Congrès : "Camarades, nous faisons appel à l'esprit de combat qui, dans le passé, animait les peuples de l'Est lorsque, conduits par de grands conquérants, ils marchaient sur l'Europe [...] Nous savons, camarades, que nos ennemis nous accuseront d'évoquer la figure de Gengis Khan et des califes de l'Islam [...] et lorsque les capitalistes européens diront que c'est la menace d'une nouvelle barbarie, d'une nouvelle invasion boche, nous leur répondrons: Vive l'Orient rouge !" (dans C. Mutti, Introduzione a N. S. Trubeckoj, L’eredità di Gengis Khan, S.E.B., Milano 2005). L'objectif de Karl Radek était de créer une alliance entre le bolchevisme russe et les nationalismes allemand et turc contre l'ennemi commun : l'impérialisme britannique. À cette fin, il a invité à Bakou Enver Pasha, ancien représentant des Jeunes Turcs et ministre de la guerre de l'empire ottoman pendant les années de la Première Guerre mondiale. Les bolcheviks espéraient, grâce à son aide, mettre fin à la rébellion des Basmatis ("brigands") héritée de la Russie tsariste et qui avait éclaté suite à l'imposition de la conscription obligatoire pour les populations musulmanes d'Asie centrale. Cependant, une fois à Boukhara, Enver Pascia rejoint le soulèvement et en prend la tête avec le titre de "commandant de campagne de toutes les armées musulmanes, gendre du calife et représentant du prophète". Exploitant la propagation des sentiments panislamiques et panprotestants, son idée était de créer un immense État musulman englobant toute l'Asie centrale, plus l'Iran et l'Afghanistan. Cependant, son projet n'a pas duré longtemps. Enver Pasha meurt au combat en 1922, tandis que la révolte s'estompe lentement jusqu'à disparaître complètement dans les années 1930.

[14] G. R. Capisani, I nuovi Khan. Popoli e Stati nell’Asia centrale desovietizzata, BEM, Milano 2007, p. 94.