La genèse de la postmodernité
Robert STEUCKERS
Conférence prononcée à l'école des cadres du GRECE ("Cercle Héraclite"), juin 1989
Ex: http://vouloir.hautetfort.com/
La post-modernité. On en parle beaucoup sans trop savoir ce que c'est. Le mot fascine et mobilise quantité de curiosités, tant dans notre microcosme “néo-droitiste/ gréciste” (le néologisme est d'Anne-Marie Duranton-Crabol) (1) que dans d'autres.
Le fait de nous être nommés “Nouvelle Droite” ou d'avoir accepté cette étiquette qu'on nous collait sur le dos, signale au moins une chose : le terme “nouveau” indique une volonté de rénovation, donc un rejet radical du vieux monde, des idéologies dominantes et, partant, des modes de gestion pratiques, économiques et juridiques qu'elles ont produits. Dans ces idéologies dominantes, nous avons répété et dénoncé les linéaments d'universalisme, la prétention à déployer une rationalité qui serait unique et exclusive, ses implications pratiques de facture jacobine et centralisatrice, les stratégies homogénéisantes de tous ordres, les ratés dus aux impossibilités physiques et psychologiques de construire pour l'éternité, pour les siècles des siècles, une cité rationnelle et mécanique, d'asseoir sans heurts et sans violence un droit individualiste, etc.
Les avatars récents de la philosophie universitaire, éloignés — à cause de leur jargon obscur au premier abord — des bricolages idéologiques usuels, du tam-tam médiatique et des équilibrismes politiciens, nous suggèrent précisément des stratégies de défense contre cette essence universaliste des idéologies dominantes, contre le monothéisme des valeurs qui caractérise l'Occident tant dans son illustration conservatrice et religieuse — la New Right fondamentaliste l'a montré aux États-Unis — que dans son illustration illuministe, rationaliste et laïque. L'erreur du mouvement néo-droitiste, dans son ensemble, c'est de ne pas s'être mis plus tôt à l'écoute de ces nouveaux discours, de ne pas en avoir vulgarisé le noyau profond et d'avoir ainsi, dans une certaine mesure, raté une bonne opportunité dans la bataille métapolitique.
“Konservative Revolution” et École de Francfort
Il nous faut confesser cette erreur tactique, sans pour autant sombrer dans l'amertume et le pessimisme et brûler ce que nous avons adoré. En effet, notre recours direct à Nietzsche — sans passer par les interprétations modernes de son œuvre — au monde allemand de la tradition romantique, aux philosophies et sociologies organicistes/vitalistes et à la Konservative Revolution du temps de Weimar, a fait vibrer une corde sensible : celle de l'intérêt pour l'histoire, la narration, l'esthétique, la nostalgie fructueuse des origines et des archétypes (ici, en l'occurrence, les origines immédiates d'une nouvelle tradition philosophique). L'effort n'a pas été vain : en se dégageant du carcan rationaliste/positiviste, l'espace linguistique francophone s'est enrichi d'apports germaniques — organicistes et vitalistes — considérables, tout comme, dans la sphère même des idéologies dominantes, il apprenait à maîtriser simultanément les textes de base de l'École de Francfort (Adorno, Horkheimer) et les démonstrations audacieuses de Habermas, parce qu'il a parfois fallu 40 ou 50 ans pour trouver des traductions françaises sur le marché du livre.
Explorer les univers de Wagner, de Jünger, de Thomas Mann, de Moeller van den Bruck, de Heidegger, de Carl Schmitt (2), a donné, à notre courant de pensée, des assises historiques solidissimes et, à terme, une maîtrise sans a priori des origines philosophiques de toutes les pensées identitaires, maîtrise que ne pourront jamais détenir ceux qui ont amorcé leurs démarches dans le cadre des universalismes/rationalismes occidentaux ou ceux qui restent paralysés par la crainte d'égratigner, d'une façon ou d'une autre, les vaches sacrées de ces universalismes/rationalismes. Une plus ou moins bonne maîtrise des origines, découlant de notre méthode archéologique, nous assure une position de force. Mais cette position est corollaire d'une faiblesse : celle de ne pas être plongé dans la systématique contemporaine, de ne pas être sur la même longueur d'onde que les pionniers de l'exploration philosophique, de ne pas être en même temps qu'eux à l'avant-garde des innovations conceptuelles. D'où notre flanc se prête assez facilement à la critique de nos adversaires qui disent, sans avoir tout à fait tort : “vous êtes des passéistes, germanolâtres de surcroît”.
Comment éviter cette critique et, surtout, comment dépasser les blocages, les facilités, les paresses qui suscitent ce type de critique ? Se référer à la tradition romantique, avec son recours aux identités, opérer une quête du Graal entre les arabesques de la Konservative Revolution (KR), sont des atouts majeurs autant qu'enrichissants dans notre démarche. Si enrichissants qu'on ne peut en faire l'économie. Les prémisses du romantisme/vitalisme philosophique (mis en exergue par Gusdorf) (3), les fulgurances littéraires de leur trajectoire, la carrière inépuisable qu'est la KR, avec son esthétisme et sa radicalité, s'avèrent indispensables — sans pour autant être suffisants — afin de marquer l'étape suivante dans le développement de notre vision du monde. Jettons maintenant un coup d'œil sur le fond-de-monde où s'opèrent ce glissement, cette rénovation du substrat philosophique romantique/vitaliste, cette rénovation de l'héritage de la KR. En Allemagne, matrice initiale de ce substrat, l'après-guerre a imposé un oubli obligatoire de tout romantisme/vitalisme et conforté une vénération officielle, quasiment imposée, de la tradition adverse, celle de l'Aufklärung, revue et corrigée par l'École de Francfort. Hors de cette tradition, toute pensée est désormais suspecte en Allemagne aujourd'hui.
Devant la mise au pas de la philosophie en RFA, la bouée de sauvetage est française
Mais le perpétuel rabâchage des idéologèmes francfortistes et des traditions hégéliennes, marxistes et freudiennes a conduit la pensée allemande à une impasse. On assiste depuis peu à un retour à Nietzsche, à Schopenhauer (notamment à l'occasion du 200ème anniversaire de sa naissance en 1988), aux divers vitalismes. Mais ce simple retour, malgré la bouffée d'air qu'il apporte, demeure intellectuellement insuffisant. Les défis contemporains exigent un aggiornamento, pas seulement un approfondissement. Mais, si tout aggiornamento d'un tel ordre postule une réinterprétation de l'œuvre de Nietzsche et une nouvelle exploration de “l'irrationalisme” prénietzschéen, il postule aussi et surtout un nouveau plongeon dans les eaux tumultueuses de la KR. Or un tel geste rencontrerait des interdits dans la RFA d'aujourd'hui. Les philosophes rénovateurs allemands, pour sortir de l'impasse et contourner ces interdits, ces Denkverbote francfortistes, font le détour par Paris. Ainsi, les animateurs des éditions Merve de Berlin, Gerd Bergfleth, à qui l'on doit de splendides exégèses de Bataille, Bernd Mattheus et Axel Matthes (4) sollicitent les critiques de Baudrillard, la démarche de Lyotard, les audaces de Virilio, le nietzschéisme particulier de Deleuze, etc. La bouée de sauvetage, dans l'océan soft du (post-)francfortisme, dans cette mer de bigoterie rationaliste/illuministe, est de fabrication française. Et l'on rencontre ici un curieux paradoxe : les Français, qui sont fatigués des platitudes néo-illuministes, recherchent des médicaments dans la vieille pharmacie fermée qu'est la KR ; les Allemands, qui ne peuvent plus respirer dans l'atmosphère poussiéreuse de l'Aufklärung revue et corrigée, trouvent leurs potions thérapeutiques dans les officines parisiennes d'avant-garde.
Dès lors, pourquoi ceux qui veulent rénover le débat en France, ne conjugueraient-ils pas Nietzsche, la KR, la “droite révolutionnaire” française (révélée par Sternhell, stigmatisée par Bernard-Henri Lévy dans L'idéologie française, Grasset, 1981), Péguy, l'héritage des non-conformistes des années 30 (5), Heidegger, leurs philosophes contemporains (Foucault, Deleuze, Guattari, Derrida, Baudrillard, Maffesoli, Virilio), pour en faire une synthèse révolutionnaire ?
La présence de ces recherches nouvelles désamorcerait ipso facto les critiques qui mettent en avant le “passéisme” et la “germanolâtrie” de ceux et celles qui refusent d'adorer encore et toujours les vieilles lunes de l'âge des Lumières. De plus, cette présence autorise d'emblée une participation active et directe dans le débat philosophique contemporain, auquel une intervention néo-droitiste, portée par le souci pédagogique qui lui est propre, aurait sans doute conféré un langage moins hermétique. L'hermétisme du langage a été, de toute évidence, l'obstacle à l'incorporation des philosophes français contemporains dans un projet de nature métapolitique.
Dépasser l'humanisme, penser le pluriel
Il conviendrait donc, pour reprendre pleinement pied dans l'arène philosophique contemporaine ; de concilier 2 langages : d'une part, celui, didactique, narratif et historique qu'avait fait sien la ND dans les colonnes du Figaro Magazine, de Magazine-Hebdo ou d'Éléments et, d'autre part, un langage pionnier, prospectif, innovateur, celui des corpus deleuzien, foucaldien, etc. J'entends déjà les objections : Deleuze et Foucault s'inscrivent dans le cadre de la gauche intellectuelle, militent dans les réseaux “anti-racistes”, se font les apologistes des marginalités les plus bizarres, etc. Entre les opinions personnelles amplifiées par les médias, les engouements légitimes pour telle ou telle marginalité, et une épistémologie, exprimée dans un vocabulaire spécialisé et ardu, il faut savoir faire la distinction.
L'idée du dépassement de l'humanisme mécaniciste/rationaliste et la vision du surhumanisme nietzschéen (6) ont pourtant plus d'un point commun, preuve que les intuitions et les aphorismes de Nietzsche, les visions et les proclamations des autres auteurs de la tradition “surhumaniste”, se sont capillarisées dans les circuits intellectuels européens et ne pourront plus jamais en être délogés, en dépit des efforts lancinants de leurs adversaires, accrochés déséspérément à leurs vieilles chimères. Si la ND a ouvertement démasqué les hypocrisies des discours dominants, signalé les simulacres et déchiré les voiles, des philosophes comme Deleuze ont habilement camouflé leur travail de sape, si bien qu'il peut apparaître inattendu d'apprendre que, pour lui, le mouvement des droits de l'homme cherche naïvement à « reconstituer des transcendances ou des universaux ». Mais pour le philosophe de la “polytonalité” et des “multiplicités” — qui a pensé le pluriel de façon radicalement autre que la ND, mais a néanmoins aussi pensé le pluriel — est-ce si étonnant ?
Classer les courants post-modemes
Mais ces réflexions sur le destin de la ND et sur les philosophes français pourraient s'éterniser à l'infini, si l'on ne définit pas clairement un cadre historique et chronologique où elle s'inscriront, si l'on ne panoramise pas les faits post-modernes de philosophie et les virtualités qui en découlent. Il est en effet nécessaire de se doter d'un canevas didactique, afin de ne pas glosser dans le désordre et la confusion. Toutes les introductions à la pensée et aux philosophies postmodernes commencent par en souligner l'hétérogénéité, la diversité, l'absence de dénominateur commun : toutes caractéristiques qui, de prime abord, interdisent la clarté... Une chatte n'y retrouverait pas ses jeunes... Heureusement, un homme quasi providentiel est venu mettre de l'ordre dans ce désordre : Wolfgang Welsch, auteur d'un ouvrage “panoramique” sur la question, d'où ressort, limpide, une vision de l'histoire intellectuelle post-moderne (Unsere postmoderne Moderne, Acta Humaniora, Weinheim, 1987 ; en abrégé pour la suite du présent exposé : UPM).
Car c'est de cela qu'il s'agit : d'abord, montrer comment, progressivement, la philosophie s'est dégagée de la cangue rationaliste/moderniste/universaliste pour aborder le réel de façon moins étriquée, et, ensuite, indiquer à quel stade ce long cheminement est parvenu aujourd'hui, à quelles résistances têtues ce dégagement se heurte encore. Conseillant vivement une lecture de l'ouvrage de Welsch dans un article de Criticón, Armin Mohler, l'auteur de Die Konservative Revolution in Deutschland 1919-1933, explique combien proche de notre anti-universalisme est l'interprétation welschienne de la post-modemité. De plus, la chronologie et la vision “panoramique” de Welsch, dévoilent l'évolution des idées, un peu comme on montre un processus biologique ou chimique en accéléré dans les documentaires scientifiques.
Posthistoire, postmodernité, société postindustrielle, une seule et même chose ?
Premier souci de Welsch : se débarrasser d'une confusion usuelle, celle qui dit que “posthistoire”, postmodernité et société postindustrielle sont une seule et même chose. Pour la posthistoire, décrite par Baudrillard, plus aucune innovation n'est possible et toutes les virtualités historiques ont été déjà jouées ; le diagnostic suggère la passivité, I'amertume, le cynisme et la grisaille.
Le mouvement du monde serait arrivé à un stade final, que Baudrillard nomme “l'hypertélie”, où les possibilités se neutraliseraient mutuellement dans “l'indifférence”, transformant notre civilisation en une gigantesque machinerie (la “mégamachine” de Rudolf Bahro ?) à homogénéiser toutes les “différences” produites par la vie. De ce fait, la texture du monde, qui consiste à produire des “différences”, se mue en un mode de production d'indifférence. En d'autres mots, la dialectique de la différenciation renverse ses potentialités en produisant de l'indifférence. Tout s'est déjà passé : inutile de rêver à une utopie, un monde meilleur, des lendemains qui chantent. Il ne se produit plus qu'une chose : le clonage infini et/ou la prolifération cancériforme du même, sans nouveauté, dans une “obésité obscène”. Notre époque, celle du “transpolitique”, ne travaille plus ses contradictions internes (ne cherche ni ne crée plus de solutions), mais s'engloutit dans l'extase de son propre narcissisme.
Le bilan de Baudrillard est sombre, noir. Son amertume, pense Welsch, est le signe de son hypermodernisme et non celui d'une éventuelle postmodernité. La faillite des utopies désole Baudrillard, alors qu'elle fait sourire les postmodernes. Baudrillard déplore l'évanouissement des utopies et accuse la postmodernité de ne plus avoir de dimension utopique. La postmodernité, elle, est active, optimiste, bigarrée, offensive ; elle n'est pas utopique, mais elle n'est pas non plus résignée et ne se lamente pas. Toute lamentation quant à la disparition des projets utopiques/modernes est la preuve d'un attachement sentimental et désillusionné aux affects qui soustendent la modernité.
Postmodemité et société postindustrielle
Pour réfuter les arguments de ceux qui posent l'équation “postmodernité = société postindustrielle”, Welsch commence par rappeler le moment où, en sociologie, le terme “postmoderne” est apparu pour la première fois. C'était en 1968, dans un ouvrage d'Amitai Etzioni : The Active Society : A Theory of Societal and Political Processes (New York). Pour Etzioni, la postmodernité ne signifie ni résignation devant l'effondrement des grandes utopies sociales, ni répétition du même à l'infini, sur le mode de la “mégamachine”. La postmodernité, au contraire, signifie dynamisme, créativité et action. Sur bon nombre de plans, l'analyse d'Etzioni rejoint les diagnostics de David Riesman (La foule solitaire, Arthaud, 1964 ; l'éd. am. date de 1958), d'Alain Touraine et surtout de Daniel Bell (Les contradictions culturelles du capitalisme, PUF, 1979 ; éd. am.: 1976). Mais, en dernière instance, les conclusions d'Etzioni et de Bell sont foncièrement différentes. Pour Bell, théoricien majeur de la société postindustrielle, le grand projet technocratique — faire le bonheur des masses par quantitativisme — demeure en place, même si l'on observe un passage des technologies machinistes aux technologies intellectuelles (informatique, p.ex.). Pour Etzioni, en revanche, les technologies les plus récentes relativisent le vieux projet technocratique. Pour Bell, nous sommes entrés dans un “stade final”, où il s'agit de mettre de l'ordre dans la société de masse, issue du “grand projet” technocratique. Pour Etzioni, nous glissons hors de la passivité technocratique pour entrer dans un âge “actif”, dans une société qui s'auto-définit et se transforme sans cesse.
Affronter efficacement le monde contemporain, pour Etzioni et Welsch, c'est savoir manier une pluralité de rationalités, de systèmes de valeurs, de projets sociaux et non se contenter d'une rationalité unique, d'un monothéisme des valeurs stérilisant et d'ériger en fétiche un et un seul modèle social. C'est face à cette offensive silencieuse d'un néo-pluralisme que Bell se trouve confronté à un dilemme qu'il ne peut résoudre : il sait que le projet technocratique, monolitihique dans son essence, ne peut satisfaire à long terme les aspirations démocratiques humaines, puisque celles-ci sont diverses ; mais, par ailleurs, on ne peut raisonnablement se débarrasser des acquis de l'ère technocratique, pense Bell, inquiet devant les nouveautés qui s'annoncent. Et face à ce complexe technocratique, composé de linéaments positifs et négatifs, indissociables et totalement imbriqués les uns dans les autres, s'est instaurée une sphère culturelle que Bell qualifie de “subversive”, car elle est hostile au projet technocratique et le sape. Le conflit majeur, qui risque de détruire la société capitaliste selon Bell, est celui qui oppose la sphère technique à la sphère culturelle. Cette opposition est, somme toute, assez manichéenne et ne perçoit pas qu'innovations sicentifiques/techniques et innovations culturelles/artistiques/littéraires surgissent d'un même fond de monde, d'une même révolution qui s'opère dans les mentalités. Arnold Gehlen, lui, avait bien vu que la culture (au sens où l'entend Bell), même hyper-critique à l'endroit de la mégamachine, n'était qu'épiphénomène et créatrice de gadgets, d'opportunités marchandes. La société marchande, la mégamachine bancaire et industrielle, récupèrent les velléités contestatrices et les transforment en marchandises consommables.
La postmodernité n'est ni le schéma catastrophiste de Bell ni le pessimisme de Gehlen et Baudrillard. Elle admet le caractère “radicalement disjonctif” des sociétés contemporaines. Elle admet, en d'autres mots, que les rationalités économiques, industrielles, politiques, culturelles et sociales sont différentes, parfois divergentes, et peuvent, très logiquement, mener à des conflits épineux. Mais la postmodernité, contrairement à la posthistoire ou à la société postindustrielle de Bell, n'évacue pas le conflit ni ne le déplore et accepte sa présence dans le monde, sans moralisme inutile.
Quelle modernité réfute la postmodernité ?
Si la postmodernité (PM) n'est ni la posthistoire ni la société postindustrielle, qu'est-elle et quelle modernité remplace-t-elle ? Les textes aussi nombreux que divers qui tentent de cerner l'essence de la PM, ne sont pas unanimes à désigner et définir cette modernité, qui, en toute logique, est chronologiquement antérieure à la PM. Plusieurs “modernités” sont concernées, nous explique Welsch ; d'abord celle de la Neuzeit (l'âge moderne, les Lumières, la “dialectique de la Raison”, etc.) ; Habermas s'insurge contre la PM, précisément parce qu'elle s'oppose au “grand projet de l'Aufklärung”, dans ses dimensions scientifiques comme dans ses dimensions morales. Karl Heinz Bohrer (7), pour sa part, estime que la PM réagit contre la modernité esthétique du XIXe. Pour Charles Jencks, le grand historien américain des mouvements en architecture (8), la PM (architecturale) est une réaction au rationalisme utilitariste et fonctionnaliste (Mies van der Rohe, École de Chicago) de l'architecture du XXe siècle. Mais Welsch préfère s'en tenir aux définitions de Jean-François Lyotard : la modernité, que dépasse la PM, a commencé avec le programme cartésien visant à soumettre la nature (les faits organiques) à un “projet géométrique”, pour se poursuivre, à un niveau philosophique et moral, dans les “grands récits” du XVIIIe et du XIXe (l'émancipation de l'Homme, la téléologie hégélienne de l'Esprit, etc.).
La définition de Lyotard
Cette perspective de Lyotard, qui enferme dans le concept “moderne” le cartésianisme, le newtonisme, les mécanicismes des XVIIe et XVIIIe siècles, les Lumières, l'hégélianisme et le marxisme, a été fructueuse ; on lui a donné des ancêtres, notamment l'augustinisme politique, cherchant à “construire” une Cité parfaite et attribué un dénominateur commun : le projet d'élaborer une mathesis universalis, de disséquer la nature (Bacon) et d'épouser le “pathos du renouveau radical”. Chez Descartes, la métaphore de la ville illustre parfaitement l'enjeu du projet de mathesis universalis et du pathos du renouveau ; les villes anciennes, dit Descartes, sont des enchevêtrements non coordonnés ; l'architecte moderne doit tout détruire, même les éléments qui, isolés, sont beaux, pour reconstruire tout selon un plan rationnel, afin de créer une cohérence rationnelle parfaite et à biffer les imperfections organiques. Résultat : l'uniformité atone des villes de béton contemporaines. La modernité à évacuer, dans les perspectives de Lyotard, de Welsch et des architectes postmodernes, c'est celle qui a prétendu, jadis, gommer toutes les particularités au bénéfice d'une méthode, d'un projet, d'une histoire (récapitulative de touteS les histoireS locales et particulières).
Une opposition deux fois centenaire au projet de “mathesis universalis”
Le cartésianisme universaliste a eu ses adversaires dès le XVIIIe siècle. Vico rejette l'image mobilisatrice du progrès au profit d'une conception cyclique de l'histoire ; vers 1750, année-clef, Rousseau, dans son Discours sur les Sciences et les Arts, critique le programme scientifique du cartésianisme et Baumgarten, dans son Aesthetica, réclame une « compensation esthétique » à la sécheresse rationaliste. Depuis, les critiques se sont succédé : Schlegel en appelle à une révolution esthétique ; Baudelaire, Nietzsche et Gottfried Benn, chacun à leur manière, célèbrent l'art comme « espace de survie dans des conditions invivables », comme réponse à l'aridité cartésienne/rationaliste/technocratique. Mais, les réponses de la Gegen-Neuzeit, de la contre-modernité qui se déploie de 1750 à nos jours, se veulent également exclusives, radicales et universelles. Le schéma unitaire et monolithique, sous-jacent à la modernité cartésienne n'est pas éliminé. Au contraire, les courants de la Gegen-Neuzeit ne font qu'ajouter un zeste d'esthétique à un monde qui ne cesse d'amplifier, d'accroître et de dynamiser les forces relevant de la Neuzeit cartésienne. Chez Vico et Rousseau, le salut ne peut provenir que d'un et un seul renversement radical de perspective ; ils ne comprennent pas que leur solution de rechange n'est qu'une possibilité parmi plusieurs possibilités et ils affirment détenir la clef de la seule voie de salut.
Le “saut qualitatif” de la physique du XXe siècle
La nécessité qui s'impose est donc de procéder à un “saut qualitatif”, de ne pas répondre au programme de la modernité par un programme aussi global et aussi fermé sur lui-même. Vico, Rousseau, les Romantiques, ont certes deviné intuitivement les pistes qu'il s'agissait d'emprunter pour échapper à l'enfermement de la modernité/Neuzeit, mais ils n'ont pas su exprimer leur volonté par un programme aussi radical et complet, aussi scientifique et concret, aussi clair et pragmatique, que celui de la dite modernité.
Leurs revendications apparaissaient trop littéraires, pas assez scientifiques (malgré l'impact des médecines romantiques, des recherches sur les maladies psychosomatiques, etc.). La réaction contre la Neuzeit semblait n'être qu'une réaction passionnelle et émotive contre les sciences pratiques et physiques, déterminées par les méthodes mécanicistes de Newton et de Descartes. Cela changera dès le début du XXe siècle. Grâce aux travaux des plus éminents phycisiens, les concepts de pluralité et de particularité ne sont plus catalogués comme des manies littéraires mais deviennent, dans le champ scientifique luimême, des valeurs dominantes et incontournables. Partant des domaines des sciences physiques et biologiques, ces concepts glisseront petit à petit dans les domaines des sciences humaines, de la sociologie et de la philosophie.
La Neuzeit s'était prétendue scientifique : or voilà que le domaine scientifique, impulsé au départ par la modernité cartésienne, révise radicalement les a priori de la Neuzeit et adopte d'autres assises épistémologiques. Plus question de raisonner à partir de totalités fermées sur elle-mêmes, homogènes et universelles. Ouvertures, hétérogénéités et particularités expliquent désormais la trame complexe et multiple de l'univers. La théorie restreinte de la relativité chez Einstein induit les philosophes à admettre qu'il n'y a plus aucun concept de totalité qui soit acceptable ; il ne reste plus que des relations entre des systèmes indépendants les uns des autres dans la simultanéité ; l'action du temps, de surcroît, rend ces simultanéités caduques et éphémères. Heisenberg démontre, par sa théorie de la Unschärferelation (relation d'incertitude), que les grandeurs définies dans un même système de relations ne peuvent jamais être déterminées de façon figée et simultanée. Finalement, Gödel, par son axiome d'incomplétude, ruine définitivement le rêve de la modernité et des universalismes, celui de construire une mathesis universalis, puisque toute connaissance est limitée, par définition.
Une pluralité de modèles et de paradigmes
Cette révolution dans les sciences physiques se poursuit toujours actuellement : la théorie des fractales de Mandelbrot (fonctions discontinues en tous points), la théorie des catastrophes chez Thom, la théorie des structures dissipatives chez Prigogine, la théorie du chaos synergétique de Haken, etc., confirment que déterminisme et continuité n'ont de validité que dans des domaines limités, lesquels n'ont entre eux que des rapports de discontinuité et d'antagonisme. D'où le réel n'est pas agencé selon un modèle unique mais selon des modèles différents ; il est structuré de manière conflictuelle et dramatique ; nous dirions “tragique”, parce qu'il ne laisse plus de place désormais aux visions iréniques, bonheurisantes et paradisiaques que nous avaient proposées les sotériologies religieuses et laïques.
Il n'est plus possible de proposer sérieusement un programme valable pour tous les hommes en tous les lieux de la planète, puisque nous nous acheminons, sous l'impulsion de l'épistémologie physique en marche depuis le début du siècle, vers l'acception d'une pluralité de modèles et de paradigmes, en concurrence les uns avec les autres : les solutions simples, univoques, monopolistiques, universalistes, figées et exclusives relèvent dorénavant du rêve, non plus du possible. La philosophie postmoderne prend donc le relais des sciences physiques contemporaines et tente de transposer dans les consciences et dans le quotidien ce pluralisme méthodologique.
Postmodernité anonyme et postmodernité diffuse
Comme les “méta-récits”, critiqués par Lyotard, étaient monopolistiques et universalistes dans leur essence et dans leur projet, la physique du XXe siècle leur ôte le socle sur lequel ils reposaient. Mais, tout comme les réactions du XVIIIe et du XIXe, les réactions contemporaines à l'encontre des reliquats des méta-récits sont diverses et souvent imprécises. Pour Welsch, la stratégie postmoderne qui prend le relais de l'épistémologie scientifique est précise et solide. Face à cette précision et cette solidité, se positionnent d'autres stratégies postmodernes, nous explique Welsch, qui n'en ont ni la rigueur ni la force ; celle de la postmodernité anonyme qui englobe les théories et travaux qui ne se définissent pas proprement comme postmodernes mais se moulent, consciemment ou inconsciemment, sur l'épistémologie pluraliste induite par les sciences physiques ; la palette est large : on peut y inclure Wittgenstein, Kuhn (9), Feyerabend (10), l'herméneutique de Gadamer, le “post-structuralisme” de Derrida et de Deleuze, etc. Ensuite, il y a la postmodernité diffuse ; c'est celle que vulgarisent la grande presse et les “feuilletonistes”, qui profitent de l'effondrement de la modernité rigide pour parler de postmodernité sans avoir trop conscience de ses enjeux épistémologiques réels. C'est la postmodernité du pot-pourri, d'un Disneyland intellectuel ; c'est un irrationalisme contemporain qui ne va pas à l'essentiel comme n'allait pas à l'essentiel une quantité de romantiques réagissant contre le cartésianisme.
Pour Welsch, la postmodernité précise, scientifique, consciente de la rupture signalée par les sciences physiques, s'avérera efficiente, tandis que la PM anonyme demeurera imprécise et la PM diffuse, contre-productive. Seule la PM précise emporte son adhésion, car elle est systématique, cohérente, porteuse d'avenir. Pour Welsch, la “modernité du XXe siècle”, c'est la scientificité qui annonce la postmodernité, qui consomme la rupture avec la rigidité monopolistique et universaliste de la modernité/Neuzeit. La postmodernité qui prend le relais de la “modernité du XXe siècle” est ouverte à l'innovation, n'est pas strictement réactive à la mode rousseauiste ou romantique.
Or, on pourrait formuler une objection : les technologies modernes, phénomènes du XXe siècle, contribuent à uniformiser la planète , restant du coup dans la même logique que celle de la Neuzeit. Face à cet état de choses, il convient d'adopter le langage suivant, dit Welsch : quand les technologies s'avèrent uniformisantes, elles sont au service d'une logique politique issue de la Neuzeit et sont ipso facto contestées par les postmodernes conséquents ; quand, en revanche, elles fonctionnent dans le sens d'une pluralité, elles participent à la dissolution des pesanteurs modernes et sont dès lors acceptées par les postmodernes. Ce n'est pas une technologie en soi qui est bonne ou mauvaise, c'est la logique au service de laquelle elle fonctionne qui est soit obsolète soit grosse d'avenir. Welsch expose cette problématique de sang froid, sans dire — même si c'est implicite — qu'il est grand temps de se débarrasser des logiques politiques issues de la Neuzeit... La logique de la discontinuité, du tragique et de la dissipativité prigoginienne, etc., est passée de la science à la philosophie ; il faut maintenant qu'elle passe de la philosophie à la politique et au quotidien. Pour cela, il y aura bien des résistances à briser.
Un parallèle évident avec la “Nouvelle Droite”
Ce que propose Welsch dans son livre (UPM), et qui enchante Armin Mohler, c'est une chronologie de l'histoire intellectuelle occidentale et européenne, dans laquelle notre mouvement de pensée peut tout entier s'imbriquer. Dans divers articles de Nouvelle École, Giorgio Locchi a suggéré, lui aussi, une chronologie, marquée de « périodes axiales » (Jaspers, Mohler, etc.) (11), où les grandes idées motrices, dont le christianisme, passent par le stade initial du mythe, pour aboutir, via un stade idéologique, à un stade scientifique. L'incapacité du christianisme à accéder à un stade scientifique cohérent annonce l'avènement d'un autre mythe, incarné par de multiples linéaments diffusés et véhiculés par la musique européenne, par le romantisme et par Wagner, mythe qui devra se muer en idéologie et en science.
L'effondrement des fascismes quiritaires, au cœur aventureux, a provoqué, explique Locchi (12), la disparition du stade “idéologique”, tandis que la percée de nature scientifique poursuivait son chemin de Heisenberg à Prigogine, Haken, etc. Le surhumanisme — Locchi utilise ce vocable pour désigner les réactions idéologiques et littéraires contre la modernité — a donc son mythe, wagnérien et nietzschéen, et sa science, la physique contemporaine, mais pas son articulation politique. Si l'on procède à la fusion des chronologies suggérées par Locchi et par Welsch, on obtient un instrument critique d'orientation, qui est de grande valeur pour comprendre la dynamique de notre siècle, sans devoir retomber dans une paraphrase stérile des fascismes.
Or, pour les derniers défenseurs de la modernité, dont Habermas (chez qui Welsch perçoit tout de même d'importantes concessions à la postmodernité, parce que Habermas ne peut renoncer aux acquis de la science physique moderne, née pendant la Neuzeit, et parce que sa théorie de “l'agir communicationnel” implique tout de même un relâchement des rigidités monopolistiques), est “fascisme” ou “fascistoïde” tout ce qui critique la modernité et ses avatars ou s'en distancie. Georg Lukacs, dans Die Zerstörung der Vernunft, stigmatise comme “irrationalismes” toutes les philosophies, sociologies et nouveautés littéraires qui s'opposent au déterminisme rationaliste et matérialiste du grand récit marxiste (né des grands récits hégélien et anglo-libéral).
Notre vision du monde doit s'asseoir dans l'avenir sur 2 chronologies : celle de Locchi et celle de Welsch, tout en maîtrisant correctement celles, adverses, de l'École de Francfort et d'Habermas (cf. Horkheimer et Adorno, La dialectique de la Raison), ainsi que celle du marxisme particulier de Lukacs. Une attention spéciale doit également être réservée aux chronologies néolibérales (cf. Alain Laurent, L'individu et ses ennemis, LP/Pluriel, 1987), hostiles aux dimensions holistes de tous ordres. Le débat idéologique est certes la confrontation d'idées et de thématiques idéologiques différentes ; il est aussi et surtout confrontation entre des chronologies différentes, des visions de l'histoire où sont mises en exergue des valeurs précises, au moment où elles font irruption dans l'histoire : dans le cas de l'historiographie libérale/néo-marxiste, c'est le triomphe des stratégies de mathesis universalis, assorties d'un déterminisme physicaliste ; pour les néo-libéraux, c'est l'avènement de l'individu et des méthodologies individualistes en sociologie et en économie. Pour nous, ce sont les étapes d'une pensée plurielle, où l'ouverture d'esprit est due à la reconnaissance des innombrables possibilités en jachère dans la nature et dans l'histoire ; autant de différences, d'ordre somatique ou d'ordre culturel, autant de virtualités.
De l'épistémologie mécaniciste à l'épistémologie botaniciste
Si nous récapitulons l'histoire intellectuelle de l'Europe occidentale et germanique, nous constatons, entre 1750 et le milieu du XIXe siècle, l'émergence d'une quantité de réactions dans le désordre, contre les projets de mathesis universalis, contre la “volonté géométrique” de la modernité. À la logique mécanique et géométrique, le Sturm und Drang allemand, le romantisme, le Kant de la Critique de la faculté de juger, Schiller, Burke, les doctrinaires allemands de la vision organique de la politique et de l'histoire opposent une autre logique, une logique botaniciste, qui pose une analogie entre l'arbre (ou la plante vivante) et l'État (ou la Nation) au lieu de poser l'analogie cartésienne/newtonienne entre l'État et un système d'horlogerie, entre les lois du politique et les lois régissant les mouvements de la matière morte (13). La rupture épistémologique de la fin du XVIIIe, qui enclenche l'émergence de la pensée organiciste et vitaliste, amorce une pluralité, dans le sens où, désormais, 2 logiques, l'une organiciste/vitaliste, l'autre rationaliste/ mécaniciste, vont se juxtaposer. Mais la physique, perçue comme socle ultime du réel, demeure ancrée dans ses présupposés newtoniens ; aucune alternative sérieuse ne peut encore remplacer, sur le plan scientifique, les assises newtoniennes et cartésiennes de la physique. Georges Gusdorf, dans ses études sur le “savoir romantique”, montre comment le passage à une pensée “glandulaire” après l'impasse d'une pensée “cérébro-spinale”, a suscité un intérêt pour la biologie, la cénesthésie (14), la psychologie et les maladies psycho-somatiques, l'anthropocosmomorphisme de Carus et Oken (15), etc. Dénominateur commun de cette démarche : tout être vivant, homme, animal ou plante, possède un noyau identitaire propre, non interchangeable, unique ; au départ des noyaux identitaires, lieux d'irradiation du monde, un pluriversum, un monde pluriel, surgit, qui ne se laisse plus violenter par des schémas géométriques.
L'irruption de Nietzsche
À la fin du XIXe siècle, la scène philosophique européenne connaît l'irruption de Nietzsche. Celui-ci, se situant à la charnière entre la rupture épistémologique romantique/organiciste/vitaliste, magistralement étudiée par Gusdorf, et la rupture épistémologique provoquée par les découvertes de la physique au début du XXe, rejette les grands récits de l'Aufklärung et se moque, en stigmatisant le wagnérisme, des insuffisances des réponses romantiques. Mais son œuvre ne brise pas encore totalement le semblant d'évidence que revêtent les positivismes/rationalismes, détenteurs de la seule théorie physique qui tienne à l'époque. D'où, de la part des chrétiens et des positivistes, le reproche d'incohérence et de contradiction adressé à l'œuvre de Nietzsche ; pour ces perspectives, Nietzsche est fou ou Nietzsche est un philosophe incomplet ; il nous lègue une logique anarchique qui permet de tout casser (au marteau, pour reprendre son expression). Ce sont notamment les interprétations de Deleuze et de Kaulbach (16). Pour Reinhard Löw, cette interprétation du message nietzschéen est insuffisante, car s'il est vrai que Nietzsche souhaite “casser” au marteau certaines idoles philosophiques, son entreprise de démolition vise essentiellement les «psittacismes», c'est-à-dire les discours qui répètent le schéma eschatologique et providentialiste chrétien, en lui conférant des oripeaux idéalistes (chez Hegel) ou matérialistes (chez les marxistes et quelques darwiniens). L'avènement de l'esprit, du prolétariat, d'un homme moins “singe”, ne sont que des novismes calqués sur un même schéma. Schéma qu'il s'agit de dissoudre, afin qu'il ne puisse plus produire de “récits” aliénants parce que répétitifs et non innovateurs. La positivité de Nietzsche, différente de sa négativité de philosophe au marteau, consiste, écrit Löw (17), à nous éduquer, afin que nous ne continuions pas, à l'infini, à ajouter des psittacismes aux psittacismes qui nous ont précédés.
La logique du XIXe a donc été, dans une première phase, de rompre le psittacisme more geometrico du projet cartésien de mathesis universalis, puis, avec Nietzsche, de signaler le danger permanent du psittacisme pour, enfin, découvrir, avec les physiciens du début du XXe, que la trame la plus profonde du réel n'autorise, en fin de compte, aucune forme de psittacisme et que le mythe de la continuité linéaire est une illusion humaine. La post-modernité (la “précise” selon la classification de Welsch) prend acte de cette évolution et veut en être l'héritière. Mais franchir le cap d'une telle prise de conscience est dur : entre les fulgurances aphoristiques de Nietzsche et la révolution intellectuelle impulsée par la physique du XXe siècle, la littérature et la poésie de la fin du XIXe siècle a effectué un travail de deuil, le deuil des “totalités perdues”, des référentiels évanouis, sur fond d'angoisse et de nostalgie. Chez Musil, représentant emblématique de cette angoisse, on découvre le constat que la modernité, arrivée à terme au moment de la “Belle époque”, n'est pas le paradis escompté ; c'est, au contraire, le règne de la mort froide, de la rigidité cadavérique, laquelle s'abat sur une humanité victime d'une “épidémie géométrique”.
L'apport de Lyotard
Revenons à Welsch, disciple de Lyotard, philosophe français contemporain qui, en 1979, publie aux éditions de Minuit La condition postmoderne. Que pense Welsch de cet ouvrage qui indique clairement la thématique philosophique qu'il entend cerner ? Il en pense du bien, mais non exagérément. Le livre pose les bonnes questions, dit-il, mais ne les explicite guère. Pour Welsch, il faut “savoir faire quelque chose du livre”, en tirer l'essentiel, profiter de la perspective qu'il nous ouvre. Quant au reste de l'œuvre de Lyotard, il abonde dans le sens d'une postmodernité précise, héritière de la physique du XXe siècle. Chez Lyotard, la postmodernité n'apparaît pas comme un irrationalisme mais comme une rupture par rapport à la modernité qui critique la raison de la modernité avec les armes de la raison ; comme une rupture qui ne rejette pas la raison pour la remplacer par des instances diverses, posées arbitrairement comme moteur du monde et des choses. C'est ici que les démarches de Lyotard et de Welsch se distinguent de celle d'un Bergfleth, qui remplace la raison et la rationalité moderne/francfortiste par l'éros, la cruauté, la passion, l'amour, etc. tels que les envisagent Artaud, Bataille, Klages, etc.
Du point de vue plus directement (méta)politique, Lyotard nous enseigne que les totalités, et, partant, les universalismes, sont toujours les produits absoluisés de sentiments ou d'intérêts particuliers ; que ce que le groupe ou l'individu x proclame comme universel est l'absoluisation de ses intérêts particuliers. D'où être démocrate et tolérant, c'est refuser cette logique d'absoluisation, porté par un prosélytisme sourd aux particularités des autres. Refuser les totalités et les universalismes, c'est aller davantage au fond des choses, c'est respecter les particularités des peuples, des classes, des individus. Penser le pluriel, c'est être davantage “démocrate” que ceux qui uniformisent à outrance. Le monde est plurivers ; il est un pluriversum et ne saurait être saisi dans toute son amplitude par une et une seule logique.
L'apport de Gianni Vattimo
Gianni Vattimo, dans La fin de la modernité (Seuil, 1987), nous explique que la modernité, c'est le “novisme”, démarche dont s'était moqué Nietzsche, père de l'ère postmoderne. Le “novisme” est produit de l'historicisme ; il est répétition du même vieux schéma linéaire métaphysique et chrétien sous un travestissement tantôt idéaliste, tantôt matérialiste. À ces novismes d'essence providentialiste. Nietzsche a successivement répondu par 2 stratégies ; d'abord, celle qui consistait à affirmer des valeurs éternelles transcendant l'histoire, transcendant les prétentions des historicismes qui croyaient pouvoir les dépasser ou les contourner ; ensuite, en affirmant l'éternel retour, démenti définitif aux providentialismes. La postmodernité est donc l'absence de providentialisme, la disparition des réflexes mentaux et idéologiques dérivés des providentialismes métaphysiques et chrétiens. Après Nietzsche, Heidegger prend le relais, explique Vattimo, et nous enseigne de ne pas dépasser (überwinden) la modernité laïque/ métaphysique/providentialiste, mais de la contourner (verwinden) ; en effet, l'idée d'un dépassement garde quelque chose d'eschatologique, donc de métaphysique/chrétien/moderne. L'idée d'un contournement suggère au contraire le passage tranquille à une autre perspective, qui est plurielle et non plus monolithique, herméneutique (dans le sens où elle “interprète” le réel au départ de données diverses, dont les logiques intrinsèques sont hétérogènes sinon contradictoires) et non plus dogmatique. Le futurisme, en dépit de ses apparences “novistes”, est un phénomène postmoderne, affirme Vattimo, parce qu'il entremêle différents langages et codes, permettant ainsi une ouverture sur plusieurs univers culturels, développe une multiplicité de perspectives sans chercher à les synthétiser, à les soumettre à un idéal (violent ?) de conciliation. La modernité, chez Vattimo, n'est pas rejetée, elle est absorbée comme composante d'une postmodemité marquée du signe du pluriel.
L'apport de Michel Foucault
L'apport de Foucault à la pensée contemporaine, c'est surtout la suggestion d'une histoire intellectuelle nouvelle, d'une chronologie de la pensée qui bouleverse les conformismes. Foucault voit la succession de diverses ruptures dans l'histoire intellectuelle européenne depuis la Renaissance ; au XVIIe, l'Europe passe de la tradition au classicisme ; au XIXe, du classicisme au modernisme (et ici le terme “moderne” prend une autre acception que chez Welsch et Lyotard, où la notion de “modernité” recouvre plus ou moins la notion foucaldienne de “classicisme”). Il est très intéressant de noter, dit Welsch, que Foucault oppose la “doctrine des ordres” de Pascal au projet de mathesis universalis de Descartes. Chez Pascal, en effet, l'ordre de l'Amour, l'ordre de l'Esprit et l'ordre de la Chair ont chacun leur propre “rationalité” ; la logique de la foi n'est pas la logique de la raison ni la logique de l'action. D'où la pensée de Pascal postule des “différences” et non une unique mathesis universalis ; elle est donc foncièrement différente de la tradition monolithique de Descartes qui a eu le dessus en France. Foucault nous indique que Pascal représente une potentialité de la pensée française qui est demeurée inexploitée.
Outre Pascal, Gaston Bachelard influence Foucault dans son élaboration d'une histoire intellectuelle de l'Occident. Pour Bachelard, l'évolution des sciences et du savoir ne procède pas de façon continue (linéaire), mais plutôt par crises et par “coupures épistémologiques”, par fulgurances. Chacune de ces coupures ou fulgurances provoque un renversement du système du savoir ; elles induisent de brèves “périodes axiales”, où les institutions, les coutumes, les pratiques politiques doivent (ou devraient) s'adapter aux innovations scientifiques. Foucault a retenu cette vision rupturaliste de Bachelard, où des “différences” fulgurent dans l'histoire, et sa pensée est ainsi passée d'une phase structuraliste à une phase potentialiste (18). Le structural structuralisme, avec Lévy-Strauss, avait tenté de trouver Le Code universel, l'invariant immuable (lui se cachait quelque part derrière la prolixité des faits et des phénomènes. En cela, le structuralisme était en quelque sorte le couronnement de la modernité. Foucault, dans la première partie de son œuvre, a souscrit à ce projet structuraliste, pour découvrir, finalement, que rien ne peut biffer, supplanter, régir ou surplomber l'hétérogénéité fondamentale des choses. Aucune “différence” ne se laisse reconduire à une unité quelconque qui serait LA dernière instance. Une telle unité, hypothétique, baptisée tantôt mathesis universalis, tantôt “Code”, participe d'une logique de l'en l'enfermement, refus têtu et obstiné du divers et du pluriel.
L'apport de Gilles Deleuze
[Ci-contre : dessin de Béatrice Cleeve, montrant bien la complicité qui unit les co-auteurs de L'Anti-Œdipe et de Mille plateaux]
Gilles Deleuze entend affirmer une philosophie de la “libre différence”. Son interprétation de Nietzsche (19) révèle clairement cette intention : « ... car il appartient essentiellement à l'affirmation d'être elle-même multiple, pluraliste, et à la négation d'être une, ou lourdement moniste » (p. 21). « Et dans l'affirmation du multiple, il y a la joie pratique du divers. La joie surgit, comme le seul mobile à philosopher. La valorisation des sentiments négatifs ou des passions tristes, voilà la mystification sur laquelle le nihilisme fonde son pouvoir » (p. 30). Affirmer, c'est donc démolir gaillardement les rigidités lourdement monistes au marteau, c'est briser à jamais la prétention des unités, des totalités, des instances décrétées immuables par les “faibles”. Une “différence” n'indique pas une unité sous-jacente mais au contraire des autres différences. D'où, pour Deleuze comme pour Foucault, il n'y a pas de Code mais bien un chaos informel, qu'il s'agit d'accepter joyeusement. Ce chaos prend, chez Deleuze, le visage du rhizome. Métaphore organiciste, le rhizome [filament racinaire en réseau] se distingue de l'arbre des traditions romantiques, dans le sens où il ne constitue pas une sorte d'unité séparée d'autres unités semblables ; le rhizome est un grouillement en croissance ou en décroissance perpétuelle, qui s'empare des chaînes évolutives étrangères et suscite des liaisons transversales entre des lignes de développement divergentes ; c'est un fondu enchaîné, un dégradé de couleur qui se mixe à un autre dégradé. Deleuze, bon connaisseur de Leibniz, prend congé ici de la philosophie des monades pour affirmer une philosophie nomade ; une philosophie des rhizomes nomades qui produisent des différences non systématiques et inattendues, qui fragmentent et ouvrent, abandonnent et relient, différencient et synthétisent simultanément (UPM, p. 142).
L'apport de Jacques Derrida
L'apport de Derrida démarre avec un texte de 1968, « La fin de l'Homme », repris dans une anthologie intitulée Marges de la philosophie. Derrida y explique que la pluralité est la clef de l'au-delà de la métaphysique. La pluralité, c'est savoir parler plusieurs langages à la fois, solliciter conjointement plusieurs textes. Le parallèle est aisé à tracer avec la “physiologie” de Nietzsche, qui prend acte des multiplicités du monde sans vouloir les réduire à un dénominateur commun mutilant (20). Le réel, ce sont des pistes qui traversent des champs différents, ce sont des enchevêtrements. Différentiste et non rupturaliste, Derrida voit la trame du monde comme un processus de différAnce, de dissémination, producteur de différEnces. Derrida nous impose cette subtilité lexicographique (le A et le E) non sans raison. La différAnce implique un principe actif de différentiation par dissémination, tandis que parler de différEnce(s) peut laisser suggérer que le monde, le réel, soit une juxtaposition sans dynamisme et sans interaction de différEnces non enchevêtrées. Derrida veut ainsi échapper à une pensée musa musaïque où les différEnces seraient exposées les unes à côté des autres comme des pièces dans une vitrine de musée. Mais le souci de montrer l'enchevêtrement de toutes choses — avec, pour corollaire leur non-réductibilité à quelqu'unum que ce soit — conduit Derrida à affirmer que la différAnce productrice de différEnces finit par produire une panade d'indifférEnce, comparable à l'hypertélie obèse de Baudrillard. Dans cette panade peuvent s'engouffrer les vulgarisateurs de la “PM diffuse”, critiquée par Welsch (cf. supra).
Mais même si Derrida se rétracte quelque peu avec sa théorie de la « panade d'indifférEnce » (qui a forcément des relents d'universalisme, puisque les différEnces y sont malaxées), même si, par ailleurs, il évoque la “mystique juive” pour se mettre au diapason de la farce qu'est le “réarmement théologique” du “nouveau philosophe” BHL, nous n'oublions pas qu'il a dit un jour qu'« est chimère tout projet de langage universel ». Mieux : il a posé l'équation Apocalypse = mort = vérité. L'Apocalypse, prélude à un monde meilleur, est la mort parce qu'elle prétend être la vérité et que la vérité n'est qu'un euphémisme pour désigner la mort. La vérité, c'est le vœu, l'utopie, de la présence accomplie, du présentisme où tout devenir est enrayé, stoppé, où la différAnce cesse d'être productrice de différEnces. Pour Derrida, comme pour Pierre Chassard, analyste néo-droitiste de la pensée nietzschéenne (21), il faut déconstruire le complexe “apocalypse”, le providentialisme producteur de psittacismes, dérivé des vulgates platonicienne et chrétienne.
Postmodernité “soft” et postmodernité “hard”
On peut dire que Lyotard et Derrida partagent une conception commune : pour l'un comme pour l'autre, la postmodernité n'est pas une époque nouvelle, ce n'est pas l'avènement d'une espèce de parousie de nouvelle mouture, survenue après une rupture/catastrophe, mais le passage, le contournement (Heidegger/Vattimo) inéluctable qui nous mène vers une attitude de l'esprit et des sentiments, qui a toujours déjà été là, qui a toujours été virtualité, mais qui, aujourd'hui, se généralise, malgré les tentatives “réactionnaires” que sont le “réarmement théologique”, assorti de son culte de la “Loi” et corroboré par les démarches anti-68 de Ferry et Renaut. La postmodernité, ce sont des ouvertures aux pluralités, aux diversifications.
Peut-on parler de postmodernité soft et de postmodernité hard ? La distinction peut paraître oiseuse voire mutilante mais, par commodité, on pourrait qualifier de soft la PM différentiste de Deleuze et de Derrida, avec sa pensée nomade et son indifférence finale, et de hard la PM rupturiste de Lyotard. Dans ce cas, cette double qualification désignerait, d'une part, un différentialisme qui s'enliserait dans l'indifférence, dans la purée, la panade du “tout vaut tout” et retournerait subrepticement au Code, un Code non plus intégrateur, rassembleur et totalisant, mais un Code négatif, discret, non intégrant et non agonal. Pour un Lyotard, une rupture signale toujours l'incommensurabilité d'une différEnce, même si cette différEnce n'est pas éternelle, immuable. Les ruptures signalent toujours une densité particulière, laquelle se recompose sans cesse par télescopage avec des faits nouveaux. L'hypertélie de Baudrillard n'estelle pas analogue, sur certains points, avec la chute dans l'indifférence (Derrida) et la nomadisation deleuzienne ? La fin est là, nous explique Baudrillard dans Amérique (Grasset, 1986), comme quand la différAnce, à être trop féconde, ne produit plus que de l'indifférEnce, de la métastabilité.
Une dynamique de la transgression
[Leibniz, philosophe des monades, a été réinterprété récemment par G. Deleuze. Celui-ci voit en lui le philosophe des “plis” et des “replis”, lesquels recèleraient des potentialités en jachère, prêtes à intervenir sur la trame du réel puis à se retirer ou se disperser]
Contre l'ennui sécrété par la juxtaposition de métastabilités ou par le règne d'une grande et unique métastabilité, il faut instrumentaliser une logique transversale, qui brise les homogénéités fermées et force leurs séquelles à se recomposer de manières diverses et infinies. Sur le plan idéologique et politique, c'est pour une logique de la transgression qu'il faut opter, une logique qui refuse de tenir compte des enfermements imposés par les idéologies dominantes et par les pratiques politiciennes ; Marco Tarchi, leader de la ND italienne, a théorisé la « dynamique de la transgression » (22), laquelle part du constat de l'hétérogénéité fondamentale des discours politiques ; en effet, existe-t-il une gauche et une droite ou des gauches et des droites ? Toutes ces strates ne se combinent-elles pas à l'infini et n'est-on pas alors en droit de constater que la seule réalité qui soit en dernière instance, c'est un magma de desiderata complexes. La logique de la transgression va droit à ce magma et contourne les facilités dogmatiques, les totems idéologiques et partisans qui résument quelques bribes de ce magma et érigent leurs résumés en vérités intangibles et pérennes. La logique et la dynamique de la transgression postulent de ne rejeter aucun fait de monde, de combiner sans cesse des logiques décrétées antagonistes, d'agir en conciliant des desiderata divergents, sans pour autant mutiler et déforcer ces desiderata. La dynamique de la transgression prend le relais de la vision de la coincidentia oppositorum de Maître Eckhardt et de Nicolas de Cues.
Des traductions politiques du défi postmodeme sont-elles possibles ?
Notre mouvement de pensée, en constatant que le chaos synergétique des physiciens modernes s'est transposé du domaine des sciences naturelles au domaine de la philosophie, doit se donner pour tâche de faire passer le message de la physique moderne dans l'opinion puis dans la sphère du politique. Ce serait répondre à sa vocation métapolitique. Passer dans le domaine du politique et de la politique, c'est travailler à substituer au droit individualiste moderne un droit adapté aux différences humaines, que celles-ci soient d'ordre social, ethnique, régional, etc. ; c'est travailler à ruiner les idéologies économiques modernes et à leur substituer une économie basée sur la « dynamique des structures » (François Perroux) ; c'est travailler à l'avènement de nouvelles formes de représentation politique, où les multiples facettes de l'agir humain seront mieux représentées (modèles : le Sénat des régions et des professions de De Gaulle ; les projets analogues du Professeur Willms, etc.).
Le travail à accomplir est énorme, mais lorsque l'on constate que les linéaments de notre vision tragique du monde et de l'univers sont présents partout, il n'y a nulle raison de désespérer...
♦ Wolfgang Welsch, Unsere postmoderne Moderne, VCH – Acta Humantora, Weinheim, 1987, 344 p.
► Robert Steuckeurs, Vouloir n°54/55, 1989.
◘ Notes :
- (1) Anne-Marie Duranton-Crabol, Visages de la Nouvelle Droite : Le G.R.E.C.E. et son histoire, Presses de la Fondation Nationale des sciences politiques, Paris, 1988.
- (2) Cf. Nouvelle École n°30, 31-32 (Wagner), n°40 (Jünger), n°41 (Thomas Mann), n°35 (Moeller van den Bruck), n°37 (Heidegger), n°44 (Carl Schmitt). Cf. Éléments n°40 (Jünger).
- (3) Georges Gusdorf, Fondements du savoir romantique, Payot, 1982. G.G., L'homme romantique, Payot, 1984. G.G., Le savoir romantique de la nature, Payot 1985.
- (4) Éditions Mme, Crellestrasse 22, Postfach 327, D1000 Berlin 62.
- Parmi les livres du trio non-conformiste Matthes, Mattheus et Berglleth, citons : Gerd Bergfleth et alii, Zur Kritik der palavernden Aufklärung, 1984 (cf. recension in Vouloir n°27) ; Gerd Bergfleth, Theorie der Verschwendung : Einführung in Georges Batailles Antiökonomie, 1985, 2ème éd. Bernd Mattheus & Axel Matthes (Hrsg.), Ich gestatte mir die Revolte, 1985. Bernd Mattheus, heftige stille, andere notizen, 1986. La somme de Mattheus sur Bataille est en 2 volumes : 1) Georges Bataille : Eine Thanatographie, Band I : Chronik 1897-1939 ; 2) Band II : Chronik 1940-1951. Tous ces volumes sont disponibles chez Matthes u. Seitz Verlag, Mauerkircher Strasse 10, Postfach 860528, D-8000 München 86.
- (5) J.-L. Loubet del Bayle, Les non-conformistes des années 30 : Une tentative de renouvellement de la pensée politique française, Seuil, 1969.
- (6) Pour Nietzsche, il faut aller au-delà de l'homme (moyen) ; cette quête, cette transgression de la moyenne, c'est le propre du “surhomme” et, partant, de ce que l'on pourrait appeler le “surhumanisme”. Dans les circuits néo-droitistes, chez Giorgio Locchi et Guillaume Faye, le terme “surhumanisme” a été utilisé dans ce sens, dans cette volonté de dégager l'homme de sa définition rationaliste/illuministe trop étriquée eu égard à l'abondante diversité du réel.
- (7) Kart Heinz Bohrer, Die Ästhetik des Schreckens : Die pessimistische Romantik und Ernst Jüngers Frühwerk, Ullstein, Frankfurt a.M., 1983 (2° éd.). Les linéaments de la PM se dessinent déjà, pour l’auteur, dans les visions littéraires de Jünger et dans son refus de l'anthropologie modeme/bourgeoise.
- (8) Pour saisir toute la diversité de la PM architecturale, on se référera au livre de Charles Jencks, Die Postmoderne : Der nette Klassizismus in Kunst und Architektur, Klett-Cotta, 1987. La version anglaise de cette ouvrage est parue simultanément : Post-Modernism, Academy Editions, London, 1987 (adresse : ACADEMY GROUP Ltd, 7/8 Holland Street, London W8 4NA).
- (9) Pour comprendre l'importance de Thomas S. Kuhn sur le plan de l'épistémologie scientifique et de la problématique qui nous intéresse ici, on se référera utilement aux explications que nous donne le philosophe Walter Falk dans 2 de ses livres : 1) Vom Strukturalismus zum Potentialismus : Ein Versuch zur Geschichts- und Literaturtheorie (Alber, Freiburg i.B., 1976, pp. 111 à 120 ; recension dans Vouloir, n°15/16, 1985) et 2) Die Ordnung in der Geschichte : Eine alternative Deutung des Fortschritts (Burg Verlag, Sachsenheim, 1985 ; pp. 111 à 114).
- (10) Outre les ouvrages de Feyerabend lui-même, on consultera Angelo Capecci, La scienza tra fede e anarchia : L'epistemologia di P. Feyerabend, La goliardica editrice, Roma, 1977.
- (11) Pour Mohler, la Konservative Revolution fonde de nouvelles valeurs, qui transcendent les frayeurs et les déceptions du nihilisme occidental ; l'Umschlag de la KR n'affronte plus la décadence avec une volonté de la stopper mais, au contraire, en accélérant au maximum ces tendances de façon à ce qu'elles puissent atteindre le plus rapidement possible leur phase terminale. La KR est en ce sens fondatrice de valeurs nouvelles, tout comme la période autour de – 500 l'était pour les Grecs selon Jaspers qui utilise, lui, le terme Achsenzeit, période axiale (cf. Karl Jaspers, Introduction à la philosophie, UGE/10-18, 1965 ; cf. aussi l'interprétation pertinente qu'en donne John Macquarrie, in Existentialism, Penguin, Harmondsworth, 1973).
- (12) cf. Giorgio Locchi, L'Essenza del Fascismo : Un saggio e un intervista a cura di Marco Tarchi, Edizioni del Tridente, s.l., 1981.
- (13) cf. Barbara Stolberg-Rilinger, Der Staat als Maschine : Zur politischen Metaphorik des absoluten Fürstenstaats, Duncker & Humblot, Berlin, 1986 (recension in Vouloir n°37-38-39, 1987).
- (14) Cf. George Gusdorf, L'homme romantique, op. cit., pp. 243 à 245.
- (15) Georges Gusdorf, lbid., pp. 159 à 173.
- Pour davantage de précision quant à la personnalité de Carus, lire : Ekkchard Meffert, Carl Gustav Carus, Sein Leben - seine Anschauung von der Ende, Verlag Freies Geistesleben, Stuttgart, 1986 ; Carl Gustav Carus, Zwölf Briefe über das Erdleben, Verlag Freies Geistesleben, Stuttgart, 1986.
- (16) Friedrich Kaulbach, Sprachen der ewigen Wiederkunft : Die Denksituation des Philosophen Nietzsche und ihre Sprachstile, Königshausen & Neumann, Würzburg, 1985. À propos de ce livre, cf. R. Steuckers, « Regards nouveaux sur Nietzsche », in Orientations n°9, 1987.
- (17) Reinhard Löw, Nietzsche, Sophist und Erzieher : Philosophische Untersuchungen zum systematischen Ort von Friedrich Nietzsches Denken, Acta Humaniora, Weinheim, 1984. À propos de ce livre, cf. R. Steuckers, art. cit. in nota (16).
- (18) À propos du potentialisme de Foucault, cf. Walter Falk, Vom Strukruralismus zum..., op. cit. in nota (9), pp. 120 à 130 ; cf. aussi Walter Falk, Die Ordnung..., op. cit. in nota (9), pp. 114 à 116.
- (19) Gilles Deleuze, Nietzsche, PUF, 1968.
- (20) Helmut Pfotenhauer, Die Kunst als Physiologie : Nietzsches ästhetische Theorie und literarische Produktion, J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, Stuttgart, 1985. À propos de ce livre, cf. R. Steuckers, art. cit. in nota (16).
- (21) Pierre Chassard, La philosophie de l'histoire dans la philosophie de Nietzsche, GRECE, Paris, 1975.
- (22) cf. Marco Tarchi, « Dinamica della trasgressione : dal "Né destra né sinistra" all "Se destra e sinistra" », in Trasgressioni n°1, 1986.
Robert STEUCKERS (1987):
Postmodern Challenges:
Between Faust & Narcissus, Part 1
In Oswald Spengler’s terms, our European culture is the product of a “pseudomorphosis,” i.e., of the grafting of an alien mentality upon our indigenous, original, and innate mentality. Spengler calls the innate mentality “the Faustian.”
The Confrontation of the Innate and the Acquired
The alien mentality is the theocentric, “magical” outlook born in the Near East. For the magical mind, the ego bows respectfully before the divine substance like a slave before his master. Within the framework of this religiosity, the individual lets himself be guided by the divine force that he absorbs through baptism or initiation.
There is nothing comparable for the old-European Faustian spirit, says Spengler. Homo europeanus, in spite of the magic/Christian varnish covering our thinking, has a voluntarist and anthropocentric religiosity. For us, the good is not to allow oneself to be guided passively by God, but rather to affirm and carry out our own will. “To be able to choose,” this is the ultimate basis of the indigenous European religiosity. In medieval Christianity, this voluntarist religiosity shows through, piercing the crust of the imported “magism” of the Middle East.
Around the year 1000, this dynamic voluntarism appears gradually in art and literary epics, coupled with a sense of infinite space within which the Faustian self would, and can, expand. Thus to the concept of a closed space, in which the self finds itself locked, is opposed the concept of an infinite space, into which an adventurous self sallies forth.
From the “Closed” World to the Infinite Universe
According to the American philosopher Benjamin Nelson,[1] the old Hellenic sense of physis (nature), with all the dynamism this implies, triumphed at the end of the 13th century, thanks to Averroism, which transmitted the empirical wisdom of the Greeks (and of Aristotle in particular) to the West. Gradually, Europe passed from the “closed world” to the infinite universe. Empiricism and nominalism supplanted a Scholasticism that had been entirely discursive, self-referential, and self-enclosed. The Renaissance, following Copernicus and Bruno (the tragic martyr of Campo dei Fiori), renounced geocentrism, making it safe to proclaim that the universe is infinite, an essentially Faustian intuition according to Spengler’s criteria.
In the second volume of his History of Western Thought, Jean-François Revel, who formerly officiated at Point and unfortunately illustrated the Americanocentric occidentalist ideology, writes quite pertinently: “It is easy to understand that the eternity and infinity of the universe announced by Bruno could have had, on the cultivated men of the time, the traumatizing effect of passing from life in the womb into the vast and cruel draft of an icy and unbounded vortex.”[2]
The “magic” fear, the anguish caused by the collapse of the comforting certitude of geocentrism, caused the cruel death of Bruno, that would become, all told, a terrifying apotheosis . . . Nothing could ever refute heliocentrism, or the theory of the infinitude of sidereal spaces. Pascal would say, in resignation, with the accent of regret: “The eternal silence of these infinite spaces frightens me.”
From Theocratic Logos to Fixed Reason
To replace magical thought’s “theocratic logos,” the growing and triumphant bourgeois thought would elaborate a thought centered on reason, an abstract reason before which it is necessary to bow, like the Near Easterner bows before his god. The “bourgeois” student of this “petty little reason,” virtuous and calculating, anxious to suppress the impulses of his soul or his spirit, thus finds a comfortable finitude, a closed off and secured space. The rationalism of this virtuous human type is not the adventurous, audacious, ascetic, and creative rationalism described by Max Weber[3] which educates the inner man precisely to face the infinitude affirmed by Giordano Bruno.[4]
From the end of the Renaissance, Two Modernities are Juxtaposed
The petty rationalism denounced by Sombart[5] dominates the cities by rigidifying political thought, by restricting constructive activist impulses. The genuinely Faustian and conquering rationalism described by Max Weber would propel European humanity outside its initial territorial limits, giving the main impulse to all sciences of the concrete.
From the end of the Renaissance, we thus discover, on the one hand, a rigid and moralistic modernity, without vitality, and, on the other hand, an adventurous, conquering, creative modernity, just as we are today on the threshold of a soft post-modernity or of a vibrant post-modernity, self-assured and potentially innovative. By recognizing the ambiguity of the terms “rationalism,” “rationality,” “modernity,” and “post-modernity,” we enter one level of the domain of political ideologies, even militant Weltanschauungen.
The rationalization glutted with moral arrogance described by Sombart in his famous portrait of the “bourgeois” generates the soft and sentimental messianisms, the great tranquillizing narratives of contemporary ideologies. The conquering rationalization described by Max Weber causes the great scientific discoveries and the methodical spirit, the ingenious refinement of the conduct of life and increasing mastery of the external world.
This conquering rationalization also has its dark side: It disenchants the world, drains it, excessively schematizes it. While specializing in one or another domain of technology, science, or the spirit, while being totally invested there, the “Faustians” of Europe and North America often lead to a leveling of values, a relativism that tends to mediocrity because it makes us lose the feeling of the sublime, of the telluric mystique, and increasingly isolates individuals. In our century, the rationality lauded by Weber, if positive at the beginning, collapsed into quantitativist and mechanized Americanism that instinctively led by way of compensation, to the spiritual supplement of religious charlatanism combining the most delirious proselytism and sniveling religiosity.
Such is the fate of “Faustianism” when severed from its mythic foundations, of its memory of the most ancient, of its deepest and most fertile soil. This caesura is unquestionably the result of pseudomorphosis, the “magian” graft on the Faustian/European trunk, a graft that failed. “Magianism” could not immobilize the perpetual Faustian drive; it has—and this is more dangerous—cut it off from its myths and memory, condemned it to sterility and dessication, as noted by Valéry, Rilke, Duhamel, Céline, Drieu, Morand, Maurois, Heidegger, or Abellio.
Conquering Rationality, Moralizing Rationality, the Dialectic of Enlightenment, the “Grand Narratives” of Lyotard
Conquering rationality, if it is torn away from its founding myths, from its ethno-identitarian ground, its Indo-European matrix, falls—even after assaults that are impetuous, inert, emptied of substance—into the snares of calculating petty rationalism and into the callow ideology of the “Grand Narratives” of rationalism and the end of ideology. For Jean-François Lyotard, “modernity” in Europe is essentially the “Grand Narrative” of the Enlightenment, in which the heroes of knowledge work peacefully and morally toward an ethico-political happy ending: universal peace, where no antagonism will remain.[6] The “modernity” of Lyotard corresponds to the famous “Dialectic of the Enlightenment” of Horkheimer and Adorno, leaders of famous “Frankfurt School.”[7] In their optic, the work of the man of science or the action of the politician, must be submitted to a rational reason, an ethical corpus, a fixed and immutable moral authority, to a catechism that slows down their drive, that limits their Faustian ardor. For Lyotard, the end of modernity, thus the advent of “post-modernity,” is incredulity—progressive, cunning, fatalistic, ironic, mocking—with regard to this metanarrative.
Incredulity also means a possible return of the Dionysian, the irrational, the carnal, the turbid, and disconcerting areas of the human soul revealed by Bataille or Caillois, as envisaged and hoped by professor Maffesoli,[8] of the University of Strasbourg, and the German Bergfleth,[9] a young nonconformist philosopher; that is to say, it is equally possible that we will see a return of the Faustian spirit, a spirit comparable with that which bequeathed us the blazing Gothic, of a conquering rationality which has reconnected with its old European dynamic mythology, as Guillaume Faye explains in Europe and Modernity.[10]
Notes
1. Benjamin Nelson, Der Ursprung der Moderne, Vergleichende Studien zum Zivilisationsprozess [The Origin of Modernity: Comparative Studies of the Civilization Process] (Frankfurt am Main: Suhrkamp, 1986).
2. Jean-François Revel, Histoire de la pensée occidentale [History of Western Thought], vol. 2, La philosophie pendant la science (XVe, XVIe et XVIIe siècles) [Philosophy and Science (Fifteenth-, Sixteenth-, and Seventeenth-Centuries)] (Paris: Stock, 1970). Cf. also the masterwork of Alexandre Koyré, From the Closed World to the Infinite Universe (Baltimore: Johns Hopkins University Press, 1957).
3. Cf. Julien Freund, Max Weber (Paris: P.U.F., 1969).
4. Paul-Henri Michel, La cosmologie de Giordano Bruno [The Cosmology of Giordano Bruno] (Paris: Hermann, 1962).
5. Cf. essentially: Werner Sombart, Le Bourgeois. Contribution à l’histoire morale et intellectuelle de l’homme économique moderne [The Bourgeois: Contribution to the Moral and Intellectual History of Modern Economic Man] (Paris: Payot, 1966).
6. Jean-François Lyotard, The Postmodern Condition: A Report on Knowledge, trans. Geoff Bennington and Brian Massumi. (Minneapolis: University of Minnesota Press, 1984).
7. Max Horkheimer and Theodor Adomo, The Dialectic of Enlightenment, trans. Edmund Jephcott (Stanford: Stanford University Press, 2002). Cf. also Pierre Zima, L’École de Francfort. Dialectique de la particularité [The Frankfurt School: Dialectic of Particularity] (Paris: Éditions Universitaires, 1974). Michel Crozon, “Interroger Horkheimer” [“Interrogating Horkheimer”] and Arno Victor Nielsen, “Adorno, le travail artistique de la raison” [“Adorno: The Artistic Work of Reason”], Esprit, May 1978.
8. Cf. chiefly Michel Maffesoli, L’ombre de Dionysos: Contribution à une sociologie de l’orgie [The Shadow of Dionysus: Contribution to a Sociology of the Orgy] (Méridiens, 1982). Pierre Brader, “Michel Maffesoli: saluons le grand retour de Dionysos” [Michel Maffesoli: Let us Greet the Great return of Dionysos], Magazine-Hebdo no. 54 (September 21, 1984).
9. Cf. Gerd Bergfleth et al., Zur Kritik der Palavernden Aufklärung [Toward a Critique of Palavering Reason] (Munich: Matthes & Seitz, 1984). In this remarkable little anthology, Bergfleth published four texts deadly to the “moderno-Frankfurtist” routine: (1) “Zehn Thesen zur Vernunftkritik” [“Ten Theses on the Critique of Reason”]; (2) “Der geschundene Marsyas” [“The Abuse of Marsyas”]; (3) “Über linke Ironie” [“On Leftist Irony”]; (4) “Die zynische Aufklärung” [“The Cynical Enlightnement”]. Cf. also R. Steuckers, “G. Bergfleth: enfant terrible de la scène philosophique allemande” [“G. Bergfleth: enfant terrible of the German philosophical scene”], Vouloir no. 27 (March 1986). In the same issue, see also M. Kamp, “Bergfleth: critique de la raison palabrante” [“Bergfleth: Critique of Palavering Reason”] and “Une apologie de la révolte contre les programmes insipides de la révolution conformiste” [“An Apology for the Revolt against the Insipid Programs of the Conformist Revolution”]. See also M. Froissard, “Révolte, irrationnel, cosmicité et . . . pseudo-antisémitisme,” [“Revolt, irrationality, cosmicity and . . . pseudo-anti-semitism”], Vouloir nos. 40–42 (July–August 1987).
10. Guillaume Faye, Europe et Modernité [Europe and Modernity] (Méry/Liège: Eurograf, 1985).
Postmodern Challenges:
Between Faust & Narcissus, Part 2
Once the Enlightenment metanarrative was established—“encysted”—in the Western mind, the great secular ideologies progressively appeared: liberalism, with its idolatry of the “invisible hand,”[1] and Marxism, with its strong determinism and metaphysics of history, contested at the dawn of the 20th century by Georges Sorel, the most sublime figure of European militant socialism.[2] Following Giorgio Locchi[3]—who occasionally calls the metanarrative “ideology” or “science”—we think that this complex “metanarrative/ideology/science” no longer rules by consensus but by constraint, inasmuch as there is muted resistance (especially in art and music[4]) or a general disuse of the metanarrative as one of the tools of legitimation.
The liberal-Enlightenment metanarrative persists by dint of force and propaganda. But in the sphere of thought, poetry, music, art, or letters, this metanarrative says and inspires nothing. It has not moved a great mind for 100 or 150 years. Already at the end of the 19th century, literary modernism expressed a diversity of languages, a heterogeneity of elements, a kind of disordered chaos that the “physiologist” Nietzsche analyzed[5] and that Hugo von Hoffmannstahl called die Welt der Bezuge (the world of relations).
These omnipresent interrelations and overdeterminations show us that the world is not explained by a simple, neat and tidy story, nor does it submit itself to the rule of a disincarnated moral authority. Better: they show us that our cities, our people, cannot express all their vital potentialities within the framework of an ideology given and instituted once and for all for everyone, nor can we indefinitely preserve the resulting institutions (the doctrinal body derived from the “metanarrative of the Enlightenment”).
The anachronistic presence of the metanarrative constitutes a brake on the development of our continent in all fields: science (data-processing and biotechnology[6]), economics (the support of liberal dogmas within the EEC), military (the fetishism of a bipolar world and servility toward the United States, paradoxically an economic enemy), cultural (media bludgeoning in favor of a cosmopolitanism that eliminates Faustian specificity and aims at the advent of a large convivial global village, run on the principles of the “cold society” in the manner of the Bororos dear to Lévi-Strauss[7]).
The Rejection of Neo-Ruralism, Neo-Pastoralism . . .
The confused disorder of literary modernism at the end of the 19th century had a positive aspect: its role was to be the magma that, gradually, becomes the creator of a new Faustian assault.[8] It is Weimar—specifically, the Weimar-arena of the creative and fertile confrontation of expressionism,[9] neo-Marxism, and the “conservative revolution”[10]—that bequeathed us, with Ernst Jünger, an idea of “post-metanarrative” modernity (or post-modernity, if one calls “modernity” the Dialectic of the Enlightenment, subsequently theorized by the Frankfurt School). Modernism, with the confusion it inaugurates, due to the progressive abandonment the pseudo-science of the Enlightenment, corresponds somewhat to the nihilism observed by Nietzsche. Nihilism must be surmounted, exceeded, but not by a sentimental return, however denied, to a completed past. Nihilism is not surpassed by theatrical Wagnerism, Nietzsche fulminated, just as today the foundering of the Marxist “Grand Narrative” is not surpassed by a pseudo-rustic neoprimitivism.[11]
In Jünger—the Jünger of In Storms of Steel, The Worker, and Eumeswil—one finds no reference to the mysticism of the soil: only a sober admiration for the perennialness of the peasant, indifferent to historical upheavals. Jünger tells us of the need for balance: if there is a total refusal of the rural, of the soil, of the stabilizing dimension of Heimat, constructivist Faustian futurism will no longer have a base, a point of departure, a fallback option. On the other hand, if the accent is placed too much on the initial base, the launching point, on the ecological niche that gives rise to the Faustian people, then they are wrapped in a cocoon and deprived of universal influence, rendered blind to the call of the world, prevented from springing towards reality in all its plenitude, the “exotic” included. The timid return to the homeland robs Faustianism of its force of diffusion and relegates its “human vessels” to the level of the “eternal ahistoric peasants” described by Spengler and Eliade.[12] Balance consists in drawing in (from the depths of the original soil) and diffusing out (towards the outside world).
In spite of all nostalgia for the “organic,” rural, or pastoral—in spite of the serene, idyllic, aesthetic beauty that recommend Horace or Virgil—Technology and Work are from now on the essences of our post-nihilist world. Nothing escapes any longer from technology, technicality, mechanics, or the machine: neither the peasant who plows with his tractor nor the priest who plugs in a microphone to give more impact to his homily.
The era of “Technology”
Technology mobilizes totally (Total Mobilmachung) and thrusts the individual into an unsettling infinitude where we are nothing more than interchangeable cogs. The machine gun, notes the warrior Jünger, mows down the brave and the cowardly with perfect equality, as in the total material war inaugurated in 1917 in the tank battles of the French front. The Faustian “Ego” loses its intraversion and drowns in a ceaseless vortex of activity. This Ego, having fashioned the stone lacework and spires of the flamboyant Gothic, has fallen into American quantitativism or, confused and hesitant, has embraced the 20th century’s flood of information, its avalanche of concrete facts. It was our nihilism, our frozen indecision due to an exacerbated subjectivism, that mired us in the messy mud of facts.
By crossing the “line,” as Heidegger and Jünger say,[13] the Faustian monad (about which Leibniz[14] spoke) cancels its subjectivism and finds pure power, pure dynamism, in the universe of Technology. With the Jüngerian approach, the circle is closed again: as the closed universe of “magism” was replaced by the inauthentic little world of the bourgeois—sedentary, timid, embalmed in his utilitarian sphere—so the dynamic “Faustian” universe is replaced with a Technological arena, stripped this time of all subjectivism.
Jüngerian Technology sweeps away the false modernity of the Enlightenment metanarrative, the hesitation of late 19th century literary modernism, and the trompe-l’oeil of Wagnerism and neo-pastoralism. But this Jüngerian modernity, perpetually misunderstood since the publication of Der Arbeiter [The Worker] in 1932, remains a dead letter.
Notes
1. On the theological foundation of the doctrine of the “invisible hand” see Hans Albert, “Modell-Platonismus. Der neoklassische Stil des ökonomischen Denkens in kritischer Beleuchtung” [“Model Platonism: The Neoclassical Style of Economic Thought in Critical Elucidation”], in Ernst Topitsch, ed., Logik der Sozialwissenschaften [Logic of Social Science] (Köln/Berlin: Kiepenheuer & Witsch, 1971).
2. There is abundant French literature on Georges Sorel. Nevertheless, it is deplorable that a biography and analysis as valuable as Michael Freund’s has not been translated: Michael Freund, Georges Sorel, Der revolutionäre Konservatismus [Georges Sorel: Revolutionary Conservatism] (Frankfurt a.M.: Vittorio Klostermann, 1972).
3. Cf. G. Locchi, “Histoire et société: critique de Lévi-Strauss” [“History and Society: Critique of Lévi-Strauss”], Nouvelle Ecole, no. 17 (March 1972) and “L’histoire” [“History”], Nouvelle Ecole, nos. 27–28 (January 1976).
4. Cf. G. Locchi, “L’idée de la musique’ et le temps de l’histoire” [“The ‘Idea of Music’ and the Times of History”], Nouvelle Ecole, no. 30 (November 1978) and Vincent Samson, “Musique, métaphysique et destin” [“Music, Metaphysics, and Destiny”], Orientations, no. 9 (September 1987).
5. Cf. Helmut Pfotenhauer, Die Kunst als Physiologie: Nietzsches äesthetische Theorie und literarische Produktion [Art as Physiology: Nietzsche’s Aesthetic Theory and Literary Production] (Stuttgart: J. B. Metzler, 1985). Cf. on Pfotenhauer’s book: Robert Steuckers, “Regards nouveaux sur Nietzsche” [“New Views of Nietzsche”], Orientations, no. 9.
6. Biotechnology and the most recent biocybernetic innovations, when applied to the operation of human society, fundamentally call into question the mechanistic theoretical foundations of the “Grand Narrative” of the Enlightenment. Less rigid, more flexible laws, because adapted to the deep drives of human psychology and physiology, would restore a dynamism to our societies and put them in tune with technological innovations. The Grand Narrative—which is always around, in spite of its anachronism—blocks the evolution of our societies; Habermas’ thought, which categorically refuses to fall in step with the epistemological discoveries of Konrad Lorenz, for example, illustrates perfectly the genuinely reactionary rigidity of the neo-Enlightenment in its Frankfurtist and current neo-liberal derivations. To understand the shift that is taking place regardless of the liberal-Frankfurtist reaction, see the work of the German bio-cybernetician Frederic Vester: (1) Unsere Welt—ein vernetztes System, dtv, no. l0,118, 2nd ed. (München, 1983) and (2) Neuland des Denkens. Vom technokratischen zum kybernetischen Zeitalter (Stuttgart: DVA, 1980). The restoration of holist (ganzheitlich) social thought by modern biology is discussed, most notably, in Gilbert Probst, Selbst-Organisation, Ordnungsprozesse in sozialen Systemen aus ganzheitlicher Sicht (Berlin: Paul Parey, 1987).
7. G. Locchi, “L’idée de la musique’ et le temps de l’histoire.”
8. To tackle the question of the literary modernism in the 19th century, see: M. Bradbury, J. McFarlane, eds., Modernism 1890–1930 (Harmondsworth: Penguin, 1976).
9. Cf. Paul Raabe, ed., Expressionismus. Der Kampf um eine literarische Bewegung (Zürich: Arche, 1987)—A useful anthology of the principal expressionist manifestos.
10. Armin Mohler, La Révolution Conservatrice en Allemagne, 1918–1932 (Puiseaux: Pardès, 1993). See mainly text A3 entitled “Leitbilder” (“Guiding Ideas”).
11. Cf. Gérard Raulet, “Mantism and the Post-Modern Conditions” and Claude Karnoouh, “The Lost Paradise of Regionalism: The Crisis of Post-Modernity in France,” Telos, no. 67 (March 1986).
12. Cf. Oswald Spengler, The Decline of the West, 2 vols., trans. Charles Francis Atkinson (New York: Knopf, 1926) for the definition of the “ahistorical peasant” see vol. 2. Cf. Mircea Eliade, The Sacred and the Profane: The Nature of Religion, trans. Willard R. Trask (San Diego: Harcourt, 1959). For the place of this vision of the “peasant” in the contemporary controversy regarding neo-paganism, see: Richard Faber, “Einleitung: ‘Pagan’ und Neo-Paganismus. Versuch einer Begriffsklärung,” in Richard Faber and Renate Schlesier, Die Restauration der Götter: Antike Religion und Neo-Paganismus [The Restoration of the Gods: Ancient Religion and Neo-Paganism] (Würzburg: Königshausen & Neumann, 1986), 10–25. This text was reviewed in French by Robert Steuckers, “Le paganisme vu de Berlin” [“Paganism as Seen in Berlin”], Vouloir no. 28–29, April 1986, pp. 5–7.
13. On the question of the “line” in Jünger and Heidegger, cf. W. Kaempfer, Ernst Jünger, Sammlung Metzler, Band 20l (Stuttgart, Metzler, 1981), pp. 119–29. Cf also J. Evola, “Devant le ‘mur du temps’” [“Before the ‘Wall of Time’”] in Explorations: Hommes et problems [Explorations: Men and Problems], trans. Philippe Baillet (Puiseaux: Pardès, 1989), pp. 183–94. Let us take this opportunity to recall that, contrary to the generally accepted idea, Heidegger does not reject technology in a reactionary manner, nor does he regard it as dangerous in itself. The danger is due to the failure to think of the mystery of its essence, preventing man from returning to a more originary unconcealment and from hearing the call of a more primordial truth. If the age of technology seems to be the final form of the Oblivion of Being, where the anxiety suitable to thought appears as an absence of anxiety in the securing and the objectification of being, it is also from this extreme danger that the possibility of another beginning is thinkable once the metaphysics of subjectivity is completed.
14. To assess the importance of Leibniz in the development of German organic thought, cf. F. M. Barnard, Herder’s Social and Political Thought: From Enlightenment to Nationalism (Oxford: Clarendon Press, 1965), 10–12.
Postmodern Challenges:
Between Faust & Narcissus, Part 3
In 1945, the tone of ideological debate was set by the victorious ideologies. We could choose American liberalism (the ideology of Mr. Babbitt) or Marxism, an allegedly de-bourgeoisfied version of the metanarrative. The Grand Narrative took charge, hunted down any “irrationalist” philosophy or movement,[1] set up a thought police, and finally, by brandishing the bogeyman of rampant barbarism, inaugurated an utterly vacuous era.
Sartre and his fashionable Parisian existentialism must be analyzed in the light of this restoration. Sartre, faithful to his “atheism,” his refusal to privilege one value, did not believe in the foundations of liberalism or Marxism. Ultimately, he did not set up the metanarrative (in its most recent version, the vulgar Marxism of the Communist parties[2]) as a truth but as an “inescapable”categorical imperative for which one must militate if one does not want to be a “bastard,” i.e., one of these contemptible beings who venerate “petrified orders.”[3] It is the whole paradox of Sartreanism: on the one hand, it exhorts us not to adore “petrified orders,” which is properly Faustian, and, on another side, it orders us to “magically” adore a “petrified order” of vulgar Marxism, already unhorsed by Sombart or De Man. Thus in the Fifties, the golden age of Sartreanism, the consensus is indeed a moral constraint, an obligation dictated by increasingly mediatized thought. But a consensus achieved by constraint, by an obligation to believe without discussion, is not an eternal consensus. Hence the contemporary oblivion of Sartreanism, with its excesses and its exaggerations.
The Revolutionary Anti-Humanism of May 1968
With May ’68, the phenomenon of a generation, “humanism,” the current label of the metanarrative, was battered and broken by French interpretations of Nietzsche, Marx, and Heidegger.[4] In the wake of the student revolt, academics and popularizers alike proclaimed humanism a “petite-bourgeois” illusion. Against the West, the geopolitical vessel of the Enlightenment metanarrative, the rebels of ’68 played at mounting the barricades, taking sides, sometimes with a naive romanticism, in all the fights of the 1970s: Spartan Vietnam against American imperialism, Latin-American guerillas (“Ché”), the Basque separatists, the patriotic Irish, or the Palestinians.
Their Faustian feistiness, unable to be expressed though autochthonous models, was transposed toward the exotic: Asia, Arabia, Africa, or India. May ’68, in itself, by its resolute anchorage in Grand Politics, by its guerilla ethos, by its fighting option, in spite of everything took on a far more important dimension than the strained blockage of Sartreanism or the great regression of contemporary neo-liberalism. On the right, Jean Cau, in writing his beautiful book on Che Guevara[5] understood this issue perfectly, whereas the right, which is as fixated on its dogmas and memories as the left, had not wanted to see.
With the generation of ’68—combative and politicized, conscious of the planet’s great economic geopolitical issues—the last historical fires burned in the French public spirit before the great rise of post-history and post-politics represented by the narcissism of contemporary neoliberalism.
The Translation of the Writings of the “Frankfurt School” announces the Advent of Neo-Liberal Narcissism
The first phase of the neo-liberal attack against the political anti-humanism of May ’68 was the rediscovery of the writings of the Frankfurt School: born in Germany before the advent of National Socialism, matured during the California exile of Adorno, Horkheimer, and Marcuse, and set up as an object of veneration in post-war West Germany. In Dialektik der Aufklärung, a small and concise book that is fundamental to understanding the dynamics of our time, Horkheimer and Adorno claim that there are two “reasons” in Western thought that, in the wake of Spengler and Sombart, we are tempted to name “Faustian reason” and “magical reason.” The former, for the two old exiles in California, is the negative pole of the “reason complex” in Western civilization: this reason is purely “instrumental”; it is used to increase the personal power of those who use it. It is scientific reason, the reason that tames the forces of the universe and puts them in the service of a leader or a people, a party or state. Thus, according to Herbert Marcuse, it is Promethean, not Narcissistic/Orphic.[6] For Horkheimer, Adorno, and Marcuse, this is the kind of rationality that Max Weber theorized.
On the other hand, “magical reason,” according to our Spenglerian genealogical terminology, is, broadly speaking, the reason of Lyotard’s metanarrative. It is a moral authority that dictates ethical conduct, allergic to any expression of power, and thus to any manifestation of the essence of politics.[7] In France, the rediscovery of the Horkheimer-Adorno theory of reason near the end of the 1970s inaugurated the era of depoliticization, which, by substituting generalized disconnection for concrete and tangible history, led to the “era of the vacuum” described so well by Grenoble Professor Gilles Lipovetsky.[8] Following the militant effervescence of May ’68 came a generation whose mental attitudes are characterized quite justly by Lipovetsky as apathy, indifference (also to the metanarrative in its crude form), desertion (of the political parties, especially of the Communist Party), desyndicalisation, narcissism, etc. For Lipovetsky, this generalized resignation and abdication constitutes a golden opportunity. It is the guarantee, he says, that violence will recede, and thus no “totalitarianism,” red, black, or brown, will be able to seize power. This psychological easy-goingness, together with a narcissistic indifference to others, constitutes the true “post-modern” age.
There are Various Possible Definitions of “Post-Modernity”
On the other hand, if we perceive—contrary to Lipovetsky’s usage—“modernity” or “modernism” as expressions of the metanarrative, thus as brakes on Faustian energy, post-modernity will necessarily be a return to the political, a rejection of para-magical creationism and anti-political suspicion that emerged after May 68, in the wake of speculations on “instrumental reason” and “objective reason” described by Horkheimer and Adorno.
The complexity of the “post-modern” situation makes it impossible to give one and only one definition of “post-modernity.” There is not one post-modernity that can lay claim to exclusivity. On the threshold of the 21st century, various post-modernities lie fallow, side by side, diverse potential post-modern social models, each based on fundamentally antagonistic values fundamentally antagonistic, primed to clash. These post-modernities differ—in their language or their “look”—from the ideologies that preceded them; they are nevertheless united with the eternal, immemorial, values that lie beneath them. As politics enters the historical sphere through binary confrontations, clashes of opposing clans and the exclusion of minorities, dare to evoke the possible dichotomy of the future: a neo-liberal, Western, American and American-like post-modernity versus a shining Faustian and Nietzschean post-modernity.
The “Moral Generation” & the “Era of the Vacuum”
This neo-liberal post-modernity was proclaimed triumphantly, with Messianic delirium, by Laurent Joffrin in his assessment of the student revolt of December 1986 (Un coup de jeune [A Coup of Youth], Arlea, 1987). For Joffrin, who predicted[9] the death of the hard left, of militant proletarianism, December ’86 is the harbinger of a “moral generation,” combining in one mentality soft leftism, lazy-minded collectivism, and neo-liberal, narcissistic, and post-political selfishness: the social model of this hedonistic society centered on commercial praxis, that Lipovetsky described as the era of the vacuum. A political vacuum, an intellectual vacuum, and a post-historical desert: these are the characteristics of the blocked space, the closed horizon characteristic of contemporary neo-liberalism. This post-modernity constitutes a troubling impediment to the greater Europe that must emerge so that we have a viable future and arrest the slow decay announced by massive unemployment and declining demographics spreading devastation under the wan light of consumerist illusions, the big lies of advertisers, and the neon signs praising the merits of a Japanese photocopier or an American airline.
On the other hand, the post-modernity that rejects the old anti-political metanarrative of the Enlightenment, with its metamorphoses and metastases; that affirms the insolence of a Nietzsche or the metallic ideal of a Jünger; that crosses the “line,” as Heidegger exhorts, leaving behind the sterile dandyism of nihilistic times; the post-modernity that rallies the adventurous to a daring political program concretely implying the rejection of the existing power blocs, the construction of an autarkic Eurocentric economy, while fighting savagely and without concessions against all old-fashioned religions and ideologies, by developing the main axis of a diplomacy independent of Washington; the post-modernity that will carry out this voluntary program and negate the negations of post-history—this post-modernity will have our full adherence.
In this brief essay, I wanted to prove that there is a continuity in the confrontation of the “Faustian” and “magian” mentalities, and that this antagonistic continuity is reflected in the current debate on post-modernities. The American-centered West is the realm of “magianisms,” with its cosmopolitanism and authoritarian sects.[10] Europe, the heiress of a Faustianism much abused by “magian” thought, will reassert herself with a post-modernity that will recapitulate the inexpressible themes, recurring but always new, of the Faustianness intrinsic to the European soul.
Notes
1. The classic among classics in the condemnation of “irrationalism” is the summa of György Lukács, The Destruction of Reason, 2 vols. (1954). This book aims to be a kind of Discourse on Method for the dialectic of Enlightenment-Counter-Enlightenment, rationalism-irrationalism. Through a technique of amalgamation that bears a passing resemblance to a Stalinist pamphlet, broad sectors of German and European culture, from Schelling to neo-Thomism, are blamed for having prepared and supported the Nazi phenomenon. It is a paranoiac vision of culture.
2. To understand the fundamental irrationality of Sartre’s Communism, one should read Thomas Molnar, Sartre, philosophie de la contestation (Paris: La Table Ronde, 1969). In English: Sartre: Ideologue of Our Time (New York : Funk & Wagnalls, 1968).
3. Cf. R.-M. Alberes, Jean-Paul Sartre (Paris: Éditions Universitaires, 1964), 54–71.
4. In France, the polemic aiming at a final rejection of the anti-humanism of ’68 and its Nietzschean, Marxist, and Heideggerian philosophical foundations is found in Luc Ferry and Alain Renaut, French Philosophy of the Sixties: An Essay on Anti-Humanism, trans. Mary H. S. Cattani (Amherst: University of Massachusetts Press, 1990) and its appendix ’68–’86. Itinéraires de l’individu [’68-’86: Routes of the Individual] (Paris: Gallimard, 1987). Contrary to the theses defended in first of these two works, Guy Hocquenghem in Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary Club [Open Letter to those Went from Mao Jackets to the Rotary Club] (Paris: Albin Michel, 1986) deplored the assimilation of the hyper-politicism of the generation of 1968 into the contemporary neo-liberal wave. From a definitely polemical point of view and with the aim of restoring debate, such as it is, in the field of philosophical abstraction, one should read Eddy Borms, Humanisme—kritiek in het hedendaagse Franse denken [Humanism: Critique in Contemporary French Thought (Nijmegen: SUN, 1986).
5. Jean Cau, the former secretary of Jean-Paul Sartre, now classified as a polemist of the “right,” who delights in challenging the manias and obsessions of intellectual conformists, did not hesitate to pay homage to Che Guevara and to devote a book to him. The “radicals” of the bourgeois accused him of “body snatching”! Cau’s rigid right-wing admirers did not appreciate his message either. For them, the Nicaraguan Sandinistas, who nevertheless admired Abel Bonnard and the American “fascist” Lawrence Dennis, are emanations of the Evil One.
6. Cf. A. Vergez, Marcuse (Paris: P.U.F., 1970).
7. Julien Freund, Qu’est-ce que la politique? [What is Politics?] (Paris: Seuil, 1967). Cf Guillaume Faye, “La problématique moderne de la raison ou la querelle de la rationalité” [“The Modern Problem of Reason or the Quarrel of Rationality”] Nouvelle Ecole no. 41, November 1984.
8. G. Lipovetsky, L’ère du vide: Essais sur l’individualisme contemporain [The Era of the Vacuum: Essays on contemporary individualism] (Paris: Gallimard, 1983). Shortly after this essay was written, Gilles Lipovetsky published a second book that reinforced its viewpoint: L’Empire de l’éphémère: La mode et son destin dans les sociétés modernes [Empire of the Ephemeral: Fashion and its Destiny in Modern Societies] (Paris: Gallimard, 1987). Almost simultaneously François-Bernard Huyghe and Pierre Barbès protested against this “narcissistic” option in La soft-idéologie [The Soft Ideology] (Paris: Laffont, 1987). Needless to say, my views are close to those of the last two writers.
9. Cf. Laurent Joffrin, La gauche en voie de disparition: Comment changer sans trahir? [The Left in the Process of Disappearance: How to Change without Betrayal?] (Paris: Seuil, 1984).
10. Cf. Furio Colombo, Il dio d’America: Religione, ribellione e nuova destra [The God of America: Religion, Rebellion, and the New Right] (Milano: Arnoldo Mondadori, 1983).