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jeudi, 07 juin 2007

Mouvement métapolitique à Vienne (19ième) (II)

Le mouvement métapolitique d'Engelbert Pernerstorfer à Vienne à la fin du 19ième siècle, précurseur de la "révolution conservatrice" (DEUXIEME PARTIE)

Intervention de Robert Steuckers lors de la 9ième Université d'été de l'association «Synergies Eu­ropéennes», Région de Hanovre, août 2001

Les activistes contre l'intellectualisme inerte

Pendant ce temps, les activistes marquent des points. Adler, Pernerstorfer, Friedjung et les frères Braun cherchent à traduire en termes politiques efficaces les idées qu'ils ont cultivées dans les co­lonnes de Die Telyn et dans les cercles de lectures universitaires qu'ils ont animés. Friedjung est sans doute l'homme qui perçoit le plus rapidement le danger de l'“intellectualisme inerte”, des discussions stériles qui ne débouchent sur rien et, surtout, qui ne communiquent pas leur flamme à des catégories plus vastes de la société. C'est pourquoi le groupe décide de s'allier en 1879 à un jeune orateur politi­que fougueux, nationaliste et populiste, Georg von Schö­nerer. Dans un discours électoral de 1875, ce­lui-ci avait réclamé, dans une perspective libérale, progressiste et anti-cléricale, le “maximum de liberté politique pour tous les citoyens”, le bannissement des Jésuites, la reconnaissance de la maçonnerie, la lutte contre la corruption, toutes revendications qui continueront à faire partie du corpus nationaliste ger­manique, à l'exception de l'indulgence pour la franc-maçonnerie. Avant qu'il n'ait pris contact avec les jeunes autour de Pernerstorfer, Schönerer n'avait qu'une vague conscience des problèmes sociaux réels qui affectaient les classes défavorisées en Au­triche.

 

En 1875, alors qu'il était encore un libéral bon teint sur le fond, Schönerer se distinguait toutefois par sa rhétorique, plus musclée, plus scandée, de ton plus acerbe (scharfe Tonart). Cette caractéristique ira cres­cendo, deviendra de plus en plus virulente, fai­sant du coup la célébrité du député fort en gueule. En 1878, en plein Parlement à Vienne, il traite ses collègues députés d'“eunuques de la politique”. En Italie comme en Autriche, voire en Belgique avec Paul Hymans, la critique du statu quo et des lenteurs parlementaires, qui sera le principal cheval de batail­le des nationalismes et des fascismes du 20ième sièc­le, trouve ses racines dans l'aile gauche et populiste du libéralisme.

 

Schönerer, le député ad hoc

 

Lors d'une réunion du Leserverein, Anton Haider (ancêtre de Jörg Haider) lance l'idée que leur cercle de lecture, pour trouver sa traduction dans la sphère politique réelle, a besoin de l'appui d'un député ca­pa­ble de défendre le corpus idéologique de la com­munauté militante étudiante sur les strapontins de la Diète impériale. Pour Anton Haider, les travaux des cercles de lecture sont insuffisants, si un tel appui n'existe pas. Les autres lui répondent qu'il y a pas de député qui corresponde à ce profil. Anton Haider répond : « Il y en a un qui pourrait le devenir… Il s'ap­pelle Schönerer. Il n'est guère connu; il est jeu­ne, élu de fraîche date et n'a pas encore d'orien­tation bien définie, mais je pense qu'il pourra être d'accord avec nous. Je crois que nous campons déjà sur des positions voisines, sans le savoir. Nous de­vrions l'inviter et parler avec lui. Je retiens qu'il est la personne adéquate». C'est ainsi que Georg von Schönerer devint membre du Leseverein. 

 

L'alliance entre ce Schönerer et le Groupe de Per­ner­storfer conduit à une fusion (qui sera passagère mais qui, en dépit des engagements ultérieurs, dif­férents, ne sera pas pour autant reniée) entre les pion­niers du socialisme autrichien et les premiers na­tionalistes pangermanistes. Les deux idéologies sont au départ étroitement mêlées — et même de ma­nière inextricable—  et l'ennemi qu'elles dési­gnent est le libéralisme, qu'elles entendent faire re­culer et disparaître, parce qu'il est un crime contre l'esprit, l'art, la moralité publique et le Bien Com­mun. Cette volonté s'est exprimée dans le fameux «Programme de Linz», résultat du travail politique de Pernerstorfer et de ses amis, plus que de la fa­conde de Schönerer. L'historiographie conformiste n'évoque cette fusion que rarement —et avec réti­cence—  et le mérite de l'avoir exploré correctement revient au Professeur américain William J. McGrath.

 

Du “Deutscher Klub” au Programme de Linz

 

Le Programme de Linz est en réalité le programme du mouvement pangermaniste autrichien, visant un rapprochement avec l'Allemagne de Bismarck, voir l'Anschluß, et un détachement graduel des Alle­mands d'Autriche-Hongrie de l'Empire des Habs­bourg (1). Parmi ceux qui ont forgé ce programme, nous trouvons, outre Pernerstorfer, Friedjung et Adler, le Chevalier von Schönerer et le futur bourg­mestre de Vienne Karl Lueger, populiste et anti­sé­mite. Certes, à cette époque, l'antisémitisme de Schö­nerer et de Lueger n'est pas encore trop vi­rulent et ne choque nullement Adler et Friedjung, tous deux d'origine juive. Ce n'est qu'en 1882, à la suite d'un discours tonitruant de Schönerer, de fac­ture nettement antisémite, que leurs rapports vont se relâcher, puis que leurs voies vont se séparer. Pendant cette période fort effervescente de trois années de fusion entre populistes et socialistes, les cercles universitaires changent de forme, les "as­so­ciations de lecture" de l'Université, réservées aux étudiants, et les "associations de lecture pour uni­versitaires devenus actifs", tel le “Deutscher Klub”, où participent médecins, professeurs, ingénieurs plon­gés dans la vie économique réelle, agissent en parallèle; à celles-ci s'ajoutent une "association pour les écoles allemandes", visant à défendre la langue et la culture allemandes sur les confins de l'empire (Tyrol, Slovénie, Tchéquie, etc.). Ces activités in­ten­ses ont une tonalité plus nationaliste que socialiste, mais d'aucuns, comme Friedjung, Pernerstorfer et Adler, se rendent parfaitement compte qu'il est impossible de créer un parti de masse sur base du nationalisme seul : il faut penser des "passerelles", aus­si nombreuses et diversifiées que possibles, tâ­che à laquelle s'attèleront la métapolitique de Per­nersstorfer et la praxis wagnéro-marxienne d'Adler. Nous y reviendrons.

 

Parallèlement au Programme de Linz, Friedjung avait sorti en 1876 un opuscule, tout aussi programma­tique, sous le titre de Ausgleich mit Ungarn (= “Rè­gle­ment de toutes les questions avec la Hongrie”). Il préconisait une politique générale pour l'Empire, plus nationaliste allemande qu'impériale : 1) sépara­tion définitive entre la partie allemande (la Cisleitha­nie) et la partie hongroise de l'Empire, afin de faire glisser définitivement la Cisleithanie dans le bloc al­le­mand forgé par Bismarck après les guerres contre le Danemark, l'Autriche-Hongrie et la France. 2) L'au­tonomie de la Galicie polonophone, afin de ré­duire le poids des députés polonais catholiques et conservateurs dans le Parlement de Vienne. 3) Im­position de la langue allemande dans toutes les ad­ministrations publiques de la Cisleithanie (2). Pour Fried­jung : «Les Allemands d'Autriche ne doivent ja­mais oublier qu'ils ont été politiquement unis aux au­tres souches germaniques pendant tout le millé­naire qui à précédé 1866 [= date de la défaite de l'Autriche face aux armées de Bismarck]». 4) L'indé­pendance des Etats balkaniques vis-à-vis de la Rus­sie, avec, en compensation pour la Russie, la pro­mes­se autrichienne de ne procéder à aucune con­quête ou annexion dans la péninsule au Sud-Est de l'Eu­rope. 5) Union douanière avec l'Allemagne des Hohenzollern.

 

Le volet socialiste contre le manchestérisme

 

Plus tard, Friedjung ajoutera à ce programme de po­litique extérieure en revendiquant une liberté de pres­se pleine et entière, avec droits de réunion et d'as­sociation. Ensuite, sur le mode des organisations paysannes, venant en aide au petit paysannat, il revendique la création d'associations ouvrières et l'extension du droit de vote à de plus larges strates de la population. Sur le plan fiscal, Friedjung pré­co­nise un allègement général de l'impôt pour les clas­ses modestes, compensé par des taxes plus lourdes sur les produits de luxe et sur les transactions bour­sières. Friedjung réclame aussi une administration plus diligente et une justice moins onéreuse pour les citoyens aux revenus modestes.  Autres revendica­tions : nationalisation des chemins de fer (pour évi­ter toute réédition de l'affaire von Ofenheim), lois ré­glementant le travail dans l'industrie, réduction du pouvoir de l'Eglise, lois pour éviter les fraudes dans les opérations boursières. L'objectif général, idéolo­gi­que, consiste à mettre hors jeu “le libéralisme cos­mopolite, qui ignore les besoins authentiques de la communauté nationale” et dont le noyau idéologique fondamental est “le libre développement” (le “laisser faire, laisser passer”), propre du manchesterisme, “qui a fini par détruire la véritable essence de la na­tion”.

 

En gestation constante au fil des mois, le Pro­gram­me de Linz, dans sa version définitive, est publié dans le numéro du 16 août au 1 septembre 1882 de la revue Deutsche Worte (= Paroles allemandes). Les revendications de Friedjung, et celles des autres protagonistes de l'union entre jeunes socialistes et populistes pangermanistes, y trouvent une formula­tion plus achevée, mais où l'on doit tout de même reconnaître une contradiction : cette version du pro­gramme demande une “défense énergique des in­térêts autrichiens en Méditerranée” (3).

 

Primordialité de l'art

 

Mais la volonté de rédiger un programme, comme ce­lui de Linz, vient essentiellement de Pernerstorfer. Sa volonté était de donner à la politique autrichienne un “contenu allemand”. Pour Pernerstorfer, le grou­pe aura réussi sa mission quand l'assiduité alle­man­de et l'art allemand, sous toutes leurs formes, au­ront compénétré la vie publique autrichienne. L'art re­çoit donc un statut primordial dans la démarche de Pernerstorfer. Sa motivation est principalement es­thétique, car elle est directement inspirée de Richard Wagner et de Friedrich Nietzsche, pour qui il y a uni­té de l'art et de la politique. Cette primordialité de l'art, ensuite, aura une incidence de premier plan sur la tactique et le style du mouvement. Déjà, pour Friedjung, l'art était le “principe viril” et le remède contre l'impuissance et la paralysie de la politique li­bérale (on songe aux propos que tiendront un Ma­ri­net­ti puis un Evola quelques décennies plus tard). Les politiciens deviennent trop prudents, trop timo­rés, ils changent de couleur, ou plutôt, leurs cou­leurs initiales sont rapidement délavées. Par le re­cours aux formes sublimes de l'art, les jeunes géné­ra­tions pourront, en s'initiant à la pensée de Wagner et de Nietzsche, “donner pleine expression à leurs en­thousiasmes”. Friedjung: «Orphée ose entrer a­vec sa lyre dans le règne des enfers uniquement parce qu'il sait que dans ces masses obscures vit une va­gue pulsion endormie, qu'une note juste peut subite­ment réveiller, la transformant en un sentiment vi­brant ». L'art  —et la musique en particulier—  doit donc servir à réveiller les masses.

 

L'art comme ciment  de la communauté nationale

 

Dans un article de 1884 de Deutsche Worte, intitulé significativement “Metapolitik”, Pernerstorfer sou­tient le Prof. Immanuel Hoffmann, un Wagnérien en querelle avec les Bayreuther Blätter, organe officiel de l'orthodoxie wagnérienne, parce qu'il préconise l'in­troduction du plébiscite, que les orthodoxes ju­gent inopportune. Hoffmann : « L'art et la religion ne peuvent exister séparément de la politique… L'art véritable ne peut se déployer, selon la parole du Maî­tre (= Wagner), que sur le terrain d'une éthique authentique, et aucun peuple ne pourra avoir un art et une religion authentiques si sa vie politique re­pose sur le mensonge […] L'erreur historiciste sur laquelle se fonde notre culture actuelle  —erreur qui nous permet de la qualifier de culture du men­son­ge—  est de préférer le parfum des fleurs aux fleurs elles-mêmes, d'apprécier les distillations plutôt que l'essence naturelle de la chose, de croire que les élus du peuple sont plus sages que le peuple lui-même». Pernerstorfer soutient donc Hoffmann dans son plai­doyer pour le plébiscite (la votation référendaire), car il donne plus grande cohésion à la communauté nationale. L'art comme ciment de la communauté na­tionale, le plébiscite comme expression directe de sa volonté sont les deux facettes d'une même réa­lité. La cohésion sociale passe par la participation de tous à la vie spirituelle et intellectuelle de la com­munauté nationale, car il ne s'agit pas seulement “de jouir des biens matériels, car ceux-ci ne sont que les simples instruments pour atteindre des fins plus élevées”. Les biens matériels sont là pour offrir à tout individu la possibilité de participer à l'héritage spirituel de la nation, afin d'être un membre réceptif et créatif du grand corps que doit devenir la com­mu­nauté populaire germanique, ajoutait Pernerstorfer.

 

La fusion communautaire dans le théâtre grec et l'opéra wagnérien

 

Comme dans la Grèce antique, le lieu où cette fusion communautaire nationale devra s'effectuer est le théâ­tre, ainsi que l'avait préconisé le jeune Nietz­sche, en assistant aux drames wagnériens. Pour lui, le noyau d'émergence de la communauté nationale allemande résidait tout entier dans les opéras de Wag­ner, dont le centre de gravité se situe dans l'or­chestre exactement comme il se situait dans le chœur du théâtre grec antique. Dans cette pers­pec­tive, la germanité de la fin du 19ième siècle est la nou­velle hellénité, la restauration de l'hellénité per­due depuis l'antiquité, espérée depuis la renais­san­ce, une hellenité qui ne se contente plus d'être une simple et sèche érudition, mais une hellénité qui re­noue avec le théâtre antique, avec la charge de dio­nysisme que véhiculait la tragédie grecque. Per­ner­storfer : « Wagner avait trouvé chez les Grecs le théâ­tre dans sa pureté idéale et dans tout son su­blime; religion et art y fusionnaient et de cette fu­sion naissait une communauté qui aujourd'hui enco­re, après plus de deux mille ans, reste l'un des plus beaux rêves de l'humanité ». Pernerstorfer rejoint Wag­ner quand il s'agit d'exalter le vif sentiment na­tio­nal qui unissait les Grecs : « Les Grecs se sen­taient comme une seule nation et ont créé une cul­ture unitaire, si bien que l'esprit populaire hellénique se reconnaissait dans la dramaturgie nationale ».

 

Pour les Allemands d'Autriche, le chant jouera le rôle de ciment. Lors de manifestations pangermanistes et socialistes, dont celle, historique, du 5 mars 1883, le chant occupe une place centrale. Les participants, généralement des étudiants contestataires de la po­litique conservatrice du Premier ministre autri­chien Taaffe, s'étaient regroupés sous une immense ban­nière allemande, celle de l'Empire fondé à Versailles par Bismarck. Aucune bannière autrichienne n'était arborée dans la salle. L'orchestre jouait la Marche Im­périale (allemande) et les participants chantaient, tour à tour, l'hymne de bataille de Rienzi, quelques partitions du Tannhäuser et le chant de guerre Wacht am Rhein, très populaire à l'époque, y com­pris en Flandre (4). A la suite de ces préliminaires mu­sicaux et chorégraphiques, Hermann Bahr parle du nationalisme d'inspiration wagnérienne, puis Schö­nerer monte à la tribune, pour terminer un dis­cours exalté, par un tonitruant “Vive notre Bis­marck!”, jugé séditieux par la police, présente dans la salle. La foule se disperse en chantant Wacht am Rhein. Pour Pernerstorfer et ses amis, ce type de ma­nifestation, alliant musique, discours et chants, permet, à terme, de recréer un esprit national, de for­ger une communauté soudée par des émotions par­tagées. Quand une telle communauté sera vrai­ment soudée, quand un maximum de citoyens aura ad­héré à l'idéologie implicite, non rationnelle et tota­lement intuitive, du mouvement, le peuple sera “ré­généré”.

 

Une métapolitique reposant  sur l'élément émotif

 

Le thème central de toute cette effervescence est ef­fectivement la “régénération”, qui naît d'une “ex­plo­sion unitaire de foi politique”. La métapolitique de Per­nerstorfer repose donc entièrement sur l'élément émotif et sur le style tapageur des manifestations po­litiques, sortes de messes wagnériennes, conçues dé­libérément pour répudier la rationalité des libé­raux et des conservateurs. D'un côté, les passions du cœur, le sens de la justice, la rébellion contre la sécheresse, de l'autre, les hommes “aux cœurs ge­lés”. D'un côté, le cœur du peuple réel, de l'autre, les idées abstraites du centralisme, du libéralisme, de la culture (des Philistins), la notion de “légalité con­stitutionnelle”. Dans Deutsche Worte, Perner­stor­fer explicite cette position : « La politique des libé­raux est trop doctrinaire et dépourvue d'idéalisme pour être capable de susciter de véritables émo­tions». Plus tard, dans un numéro ultérieur de la re­vue : «[Eduard Herbst] est le représentant typique d'un style politique cérébral à l'excès : nous n'en­ten­dons pas chez lui ce ton d'animateur, propre d'un sen­ti­ment national viril; il est incapable de dire quoi que ce soit sur les grands problèmes que nous avons à af­fronter ». En bref : qui n'adhère pas pleinement au style hellénique-wagnérien est une lopette, ou, pour paraphraser Schönerer, “un eunuque politique”. Herbst, comme les autres libéraux, les von Plener, Sax et von Bründelsberg, se bornent à ânonner des “vérités familières à n'importe quel écolier sur un ton de grande solennité; [à répéter] des citations d'au­teurs célèbres avec des airs professoraux devant un public révérencieux”.

 

«Vers une organisation de parti »

 

Les blocages qui affectent la société autrichienne de l'époque sont donc dus à un style trop compassé où l'on ne veille qu'à la correction des procédures et non pas à affronter les problèmes réels. Ces mau­vaises habitudes doivent être balayées, pensent Per­nerstorfer et ses amis politiques. Dans cette optique, Pernerstorfer écrit un maître article dans Deutsche Worte, significativement intitulé “Vers une organisa­tion de parti”. La réflexion initiale qui le motive dans la rédaction de cet article important est la suivante : « La conscience et les aspirations nationales ne se commandent pas, ne s'enseignent pas; il n'est pas possible de les introduire dans les strates les plus larges de la population par le truchement des mé­thodes traditionnelles d'éducation ». De même, le fonc­tionnement de toutes les petites sociétés politi­ques libérales, où la discussion feutrée est toujours de mise, ne peut servir de modèle à la constitution d'un futur parti ou mouvement national, s'adressant aux masses. Les discussions raisonnables des nota­bles libéraux sont valables seulement si le vote est cen­sitaire ou réservé à une petite catégorie de cito­yens, votant en toute connaissance de cause, mais en ne tenant compte que de leurs seuls intérêts sec­toriels et limités. Les mouvements de masse de l'a­venir, pense Pernerstorfer, ont besoin d'une petit grou­pe choisi, bien formé, qui décide des objectifs à poursuivre et des tactiques à mettre en œuvre. La grande masse ne peut avoir la lucidité rationnelle de la minorité des censitaires. Pour cette raison, le fonc­­tionnement formel des cercles politiques con­ven­tionnels du libéralisme doit faire place à un fonc­tionnement informel : les idées nationales doivent cir­culer dans toute la population, dans les familles, dans les discussions informelles des citoyens dans les cafés et autres lieux publics. Cibles de cette mé­tapolitique, fonctionnant de manière informelle : les femmes et les jeunes, parce que les unes influencent leurs enfants et leurs maris, et parce que les autres sont les électeurs de l'avenir, à cette époque où les pyramides démographiques ne sont pas encore in­ver­sées. L'infiltration discrète de cercles divers, mê­me a priori hostiles au nationalisme, est une néces­sité impérieuse.

 

Une maïeutique au service de la cause nationale

 

Les membres des cercles nationalistes doivent con­naître les opinions de leurs adversaires, percevoir comment il faut les subvertir, les investir pour en re­tourner la force au profit du nationalisme. Quant aux citoyens sans formation, l'absence de logique dans leurs raisonnements constitue un tremplin métapo­liti­que : dans ce vide, on peut injecter un contenu nou­veau, allant dans le sens du combat qu'on s'est assigné. Pernerstorfer, ensuite, préconise de ne pas attaquer les arguments des adversaires de front : il importe de gagner d'abord leur sympathie, pour en­tamer ensuite un débat fructueux, qui n'est grevé d'au­cun ostracisme de nature personnelle. L'ex­posant de la métapolitique pernerstorfienne se po­se d'emblée comme un homme intéressant et af­fable, qui opère par le biais d'une sorte de maïeutique so­cratique, c'est-à-dire en ne rejetant pas d'emblée les arguments de l'adversaire, en écoutant ses argu­ments puis en induisant la conversation vers les po­sitions de bon sens nationalistes. Chants, théâtre, o­pé­ra, recours aux émotions populaires, aux senti­ments sains du bon peuple, argumentation subtile de type socratique/maïeutique forment le menu de l'ac­tivisme politique à l'ère des masses, selon Per­ner­storfer.

 

Le fair play  qu'il préconisait ne cadrait pas entière­ment avec le ton âpre et violent de Schönerer, qui bascule bien vite dans l'antisémitisme ambiant de la société viennoise et autrichienne. La rupture entre les deux pôles du mouvement pangermaniste et po­puliste se consommera en 1883, à la suite d'un dis­cours extrêmement violent de Schönerer. Mais la que­stion de l'antisémitisme ne se posait pas de la même façon à l'époque qu'aujourd'hui. William J. McGrath se réfère à George Mosse, spécialiste de cette question dans le contexte germanique : pour Mosse, les jeunes activistes métapolitiques juifs de la Vienne des dernières décennies du 19ième siècle entendaient rompre avec un certain judaïsme de leurs pères, qu'ils jugeaient stéréotypé. Ils s'in­sur­geaient contre l'image stéréotypée qui faisait d'office du juif un être exclusivement intellectuel et artificiel, privé de racines et de liens à la nature et, par consé­quent, parfaitement adapté au milieu capitaliste et urbain, que dénonçaient les nationalistes. Les jeunes activistes juifs et pangermanistes estimaient de fait que ce stéréotypage n'était pas faux en soi et qu'il de­vait être dépassé par des efforts de volonté : l'hom­me juif dans la société allemande devait aban­donner cet intellectualisme et cette artificialité sté­ri­le, retrouver des racines et des liens avec la nature au même titre que les Allemands “chrétiens” ou “ar­yens”. C'est cette démarche de libération, esti­maient-ils, qui devait fonder leur identité politique, sans déterminisme matériel ou racial aucun. L'adhé­sion à l'esthétique wagnérienne et nationale, à l'art al­lemand, constitue le fondement volontariste de l'i­dentité politique. Pour l'aile représentée par Schö­nerer, il y a un déterminisme biologique qui sur­plom­be irrémédiablement ce fondement volontariste.

 

Travailler à l'émergence d'un bloc populiste solide

 

Après la rupture avec Schönerer, Adler et Perner­stor­fer évoluent vers un socialisme populaire, non dé­terministe, marqué par Nietzsche et Wagner. Fried­jung opte pour la position des libéraux de gau­che, favorable à l'émancipation des classes laborieu­ses et défavorisées. Adler et Pernerstorfer ne réser­vent pas leur socialisme à la seule classe ouvrière proprement dite, mais l'étendent aux artisans, aux paysans pauvres et à la partie des classes moyen­nes, dont les revenus sont faibles. L'objectif est d'u­nir, en un bloc populiste solide, toutes ces classes vi­vant dans la précarité économique pour qu'elles lut­tent de concert contre le libéralisme autrichien, qui génère une hiérarchie sociale basée sur l'argent et la quantité, et non sur la qualité et le mérite. Ouvriers, paysans, artisans et représentants de la petite classe moyenne doivent communier dans la foi nationaliste, ciment de leur unité, pour lutter de concert contre la dictature sournoise et indirecte de l'argent, quasi in­visible dans les textes de loi ou dans les insti­tu­tions, mais bien présente dans la société et fort lour­de à supporter.

 

La pensée de ce socialisme est organique. Karl Aus­serer, membre du groupe Pernerstorfer, écrit dans la Deutsche Wochenzeitschrift du 16 mars 1884 un article qui exprime parfaitement cette mystique de la nature, présente dans le corpus intellectuel du grou­pe depuis les années du Schottengymnasium. Aus­se­rer : « Sous les tempêtes hivernales, tout obser­vateur attentif prévoit de longue date l'apparition du printemps, le réveil de la nature… Une force élé­mentaire invisible est à l'œuvre dans les profondeurs de la Terre; tout est en germination, tout croît, se remplit de lymphe et de suc vital » (Comment ne pas penser à Henri Bergson ou à Maurice Blondel?).  Ausserer se réclame ensuite du passé médiéval alle­mand, surtout de l'époque ottonienne et de celle des Hohenstaufen. La poésie et la musique médiévales al­lemandes ont été mises en exergue à l'époque par des philologues et des médiévistes tels Victor Scheffel et Julius Wolff. Ausserer : « Ces poètes [du mo­yen âge] ont fait vibrer les cordes de nos cœurs et leurs chants se sont ancrés dans le peuple… Bien vite, à ces chants, s'est associée la mélodie ».

 

Pour un équilibre entre émotions et rationalité

 

Les référentiels et les leitmotive des hommes du grou­pe de Pernerstorfer sont donc doux, empreints de sagesse et de quiétude, en dépit de la nécessité, qu'ils reconnaissent, d'employer des mots durs pour fustiger les “eunuques politiques”. A la suite de la rupture avec Schönerer, le groupe d'Adler et de Per­ner­storfer perçoit le risque de dérive découlant de l'utilisation irraisonnée des “discours âpres” et d'une excitation irréfléchie des émotions populaires. Le 10 mai 1885, Friedjung explique, dans les colonnes de la Deutsche Wochenschrift, que la politique décou­lant des “discours plus âpres” est pleinement justi­fiée, car elle met un terme à une tiédeur politique délétère pour amorcer une ère nouvelle, énergique, où l'esprit national se défend avec virilité, mais cette défense virile de la nation ne doit pas s'accompagner d'une atrophie spirituelle, de limitations qui con­dui­sent à la stupidité. Le 31 mai, dans les colonnes de la même revue, Friedjung écrit : « Le sentiment et l'é­motion ont leur place dans la politique et sans le soutien précieux de ces facultés  —les plus nobles de la nature humaine—  la vie publique dégénère trop souvent en un jeu d'ambitions et en un combat fon­dé uniquement sur les intrigues ». Et il ajoute : « Il faut cependant éviter tout excès de sentimentalisme facile, éviter de se complaire dans les slogans de bas de gamme, vides de sens et trop hauts en cou­leurs».

 

Friedjung, après la rupture de 1883, tente donc de redéfinir le style politique du groupe issu du Schot­ten­gymnasium et du Leserverein. Les appels à l'é­motion doivent recevoir des contrepoids plus ré­flé­chis pour amorcer une stratégie plus vaste, destinée à rameuter l'électorat indécis oscillant entre les libé­raux (de gauche) et les pangermanistes populistes. En 1885, cette nouvelle stratégie porte ses fruits : pas moins de 47 députés représentent la mouvance au Parlement, dont de nouveaux élus comme Per­nerstorfer, Ausserer et Steinwender. Pernerstorfer, financé par son ami Adler, est élu député socialiste de Wiener Neustadt. Il le restera quasiment pour le reste de ses jours.

 

L'apport de Victor Adler au socialisme autrichien et les aveux de Kautsky

 

Victor Adler, qui avait opté plus tôt pour un combat plus socialiste, plus social-démocrate, que ses collè­gues issus du Leserverein, fera une carrière brillante au sein du parti socialiste autrichien, dont il fut l'un des pères fondateurs. Il assurera une transition sans heurt entre le pangermanisme de sa jeunesse et la sociale démocratie de sa maturité. Médecin de pro­fes­sion, on le surnommait dans les quartiers popu­laires de Vienne le “Docteur”. Ses discours avaient une teneur psychanalytique avant la lettre, soit avant la vulgarisation généralisée du freudisme. Il avait retenu les leçons de Theodor Meynert, pro­di­guées à la tribune du Leserverein. Dans un discours prononcé devant une assemblée de socialistes vien­nois en 1901, Adler révèle sa vision thérapeutico-politique : « Le cerveau est un organe répressif et c'est en cela que réside sa supériorité; mais si le cer­veau ne se consacre qu'à la seule répression, il court le risque de ne plus pouvoir activer ses centres moteurs ». Adler fustige les théoriciens rigides, dé­terministes et marxo-matérialistes de la sociale dé­mo­cratie allemande et autrichienne : comme le fera plus tard Henri De Man, Adler vise à créer, au sein du parti socialiste, un équilibre entre politique (ra­tion­nelle) et psychologie (émotive des masses), ce qui revient à prôner un équilibre entre l'émotivité qui impulse l'action politique à la base et la nécessité d'a­voir un cadre doctrinal efficace. Même Karl Kaut­sky, exposant d'un socialisme positiviste et ratio­na­liste, souvent brocardé par les soréliens et les léni­nistes pour sa rigidité et ses modérations, reconnaît la qualité et l'efficacité des positions d'Adler : «[Dans les rangs des nationalistes pangermanistes], il a acquis une formation politique et une capacité de traiter les situations et les hommes, qu'avant lui, les chefs de la sociale démocratie autrichienne n'avaient jamais eue. L'arrivée d'Adler dans leurs rangs a mis fin au règne de l'infantilisme politique ». L'aveu est de taille : cela signifie, si l'on retient ces paroles de Kautsky et qu'on les extrapole, sans pour autant les solliciter outre mesure, qu'un socialisme privé du terreau des pensées énergiques (et énergisantes) de l'élan vital nationaliste, pangermaniste, wagnérien et nietzschéen, sombre quasi automatiquement dans la banalité et l'infantilisme…

 

Le passage au socialisme n'estompe nullement l'élan pangermaniste

 

Dans d'autres passages de l'œuvre ou des mémoires de Kautsky, nous trouvons d'autres évocations élo­gieuses d'Adler : « Autour de lui, il y avait un cercle d'in­tellectuels  —des médecins, des avocats, des com­positeurs, des journalistes—  qui s'intéressaient tous au socialisme et qui étaient très proches de lui. Une seule chose m'éloignait d'eux : le fait qu'ils pro­fes­saient ouvertement des idéaux pangermanistes… [Les membres juifs de ce groupe] étaient de fer­vents nationalistes, beaucoup étaient même chau­vins… Ils ne voulaient rien avoir à faire avec les Habs­bourg et n'exaltaient que les Hohenzollern. Les juifs autrichiens étaient à l'époque les défenseurs les plus passionnés de l'Anschluss, auquel s'opposait clai­re­ment Bismarck ».  Malgré les sentiments po­sitifs qu'il éprouvait à l'égard d'Adler, Kautsky ex­primait souvent son incompréhension face au wag­nérisme et au nietzschéisme qu'il avait hérités de son long passage dans le mouvement pangerma­niste. Devenu à son tour député socialiste, Perner­storfer explique les mobiles qui ont animé sa jeu­nes­se, qu'il ne renie pas, dans les colonnes de Deutsche Worte : « J'ai grandi pendant une période de grande exaltation patriotique, mais, dès ma jeunesse, je me suis intéressé aux idées démocratiques et socia­lis­tes; je pensais que le pangermanisme, tout comme les autres mouvements nationaux dont s'étaient inspirées les guerres de libération contre Napoléon, étaient de nature démocratique ». Quant à Adler, il n'a jamais cessé de lire et de vénérer les corpus lé­gués par Wagner et Nietzsche. Axiome indépassable de sa pensée : la musique créera le sens commu­nau­taire socialiste et national. A ce propos, il écrit : « La musique a le pouvoir de nous guider vers les plus hautes cimes du sentiment, où toutes les parti­cu­larités disparaissent et où notre regard ne ren­contre plus que ce qui est grand et sublime. Le sens le plus élevé de notre solidarité, l'enthousiasme pour la cause sacrée où les masses s'unissent dans la fra­ternité, ne peuvent s'exprimer par des mots : ils doi­vent se chanter ».

 

Un socialisme culturel et non matérialiste

 

Pour Adler, les objectifs du socialisme ne sont donc pas d'ordre matériel, ne visent pas uniquement à a­méliorer le bien-être matériel des masses, à en faire des animaux d'élevage gavés, dociles et domptés, mais surtout à élever leur niveau culturel. Il exprime clairement cette idée dans un article de la revue Gleichheit de 1887 : « La révolution économique a­van­ce inexorablement sur sa voie, en suivant les lois de la mécanique… mais, simultanément, une autre révolution avance dans la conscience de l'humanité, une révolution intellectuelle qui, elle, est le véritable objectif premier des partis prolétariens sociaux dé­mocratiques ». Les militants socialistes sont dès lors des missionnaires, les missionnaires d'une révolution culturelle, éducatrice qui vise l'élévation morale des classes défavorisées. Les historiens du socialisme in­ternational reconnaissent cette spécificité du mes­sa­ge d'Adler; ainsi, l'historien britannique G. D. H. Co­le: «… le mouvement socialiste viennois se distin­guait des autres surtout par les succès qu'il avait rem­portés dans son travail culturel; les socialistes autrichiens, ou du moins les socialistes viennois, sont devenus le groupe prolétarien le plus cultivé et le mieux préparé du monde ». Pernerstorfer est fier du travail réalisé par ses amis et camarades; lors du congrès des socialistes autrichiens de 1894, il les fé­licite et ajoute une phrase capitale, qui prouve net­te­ment que l'idéologie de la table rase, propre des socialistes dégénérés et véreux d'aujourd'hui, n'est pas la sienne : « Tout ce qui forme le patrimoine des civilisations du passé et du présent, tout ce qui est noble, grand et beau, se concentre en vous ».

 

Un socialisme qui table sur le “mythos” plutôt que sur le “logos”

Le socialisme n'a de sens, ajoute McGrath, que s'il pa­tronne une éducation artistique des masses prolé­tariennes. Pour y parvenir, Pernerstorfer sait qu'on ne peut faire table rase des legs de la religion, des sym­boles, des mythes, notamment de ceux qui s'ex­primaient dans le théâtre de la cité grecque antique. Avant d'autres auteurs importants, notamment de la future “révolution conservatrice”, Pernerstorfer affir­me que le socialisme, s'il veut triompher, doit tabler sur le “mythos” plutôt que sur le “logos”. Leitmotiv qui est évidemment d'inspiration wagnérienne et nietzschéenne. Pour lui, un peuple qui ne va plus au théâtre, qui ne dispose plus de théâtres où il peut créer directement ses formes d'expressivité, est un peuple mort-vivant. De même, si le théâtre n'est plus que commémoratif, répétition stérile des mê­mes clichés, il ne peut servir de ciment commu­nau­taire. Bertold Brecht pour la “gauche” officielle du 20ième siècle, Hanns Johst, dans le contexte national-socialiste, ne diront pas autre chose. Quelques cita­tions puisées dans les articles de Pernerstorfer sont révélatrices à cet effet : « L'immense majorité du peu­ple est complètement exclue du théâtre et de l'art en général; la dramaturgie, qui, normalement, est intimement liée à la collectivité nationale tout entière, du fait du caractère religieux de ses origines et de son développement, n'est plus que le privilège d'une strate très restreinte de la population ». «Ja­dis, la nation et le théâtre étaient étroitement liés l'une à l'autre. Ils se développeront à nouveau tous deux lorsque de nouvelles formes de vie, dans la gran­de ère à venir, se montreront capables de réu­ni­fier la nation au niveau culturel le plus élevé, alors naîtra un nouvel art dramatique, qui ne sera en rien inférieur aux plus grandes créations de l'art anti­que». «Seul le socialisme pourra créer en toute cons­cience une situation où il n'y aura plus de res­trictions sociales empêchant les individus d'évoluer totalement… Alors seulement la souveraineté de l'œuvre d'art, dont rêvait Richard Wagner, deviendra réalité ».

 

Socialisme = culture, libéralisme = barbarie

 

Le socialisme est donc au service de l'esthétique, de l'art, et non l'inverse. Il est le contraire du libéra­lis­me, qui crée un monde d'enfer, parce que le beau n'a, pour lui, aucune importance, seules comptent pour lui les plus sinistres abstractions inventées par l'homme : les bilans, les procédures bancaires, l'ar­gent, les accumulations quantitatives, la production d'horribles objets sérialisées, le vacarme d'abomi­na­bles automobiles. Pour satisfaire le culte insensé voué à ces abstractions, on faisait mourir des en­fants, que l'on laissait déchiqueter sous des machi­nes à tisser, comme le montre le film poignant con­sacré, il y a quelques années, à l'œuvre politique du Père Daens. L'artiste, l'historien, le philologue, le phi­losophe, le créateur dérangent, au lieu de les res­pecter et de les choyer, on les condamne à la misère existentielle et morale. L'employé de banque, le comp­table, l'ingénieur commercial, le "manager", le producteur tayloriste sont hissés sur le pavois, payés grassement pour ne rien créer de beau et même pour généraliser toujours davantage l'horreur séria­li­sée qui est leur propre, alors que leurs abjectes et médiocres personnes, par le fait même qu'elles exis­tent, mangent, ch…. et respirent, font chavirer notre civilisation dans un déclin irrémédiable, à l'horizon duquel une misère noire nous attend, une double mi­sère morale et économique, car ce fatras infâme fi­nira par crouler  —sa croissance exponentielle ne pouvant se poursuivre à l'infini. Un vrai socialisme as­pire à une société débarrassée des maniaques de l'accumulation quantitative sans frein, les émules de la crapule marchande von Ofenheim.

 

On ne peut être socialiste qu'avec l'indispensable zeste de wagnérisme et de nietzschéisme

 

L'exemple historique le plus patent qui vient à l'es­prit quand on rappelle ces deux équations, chères à Pernerstorfer et Adler  —“socialisme = esthétique” et “libéralisme = barbarie culturelle”—,  est le sort ad­ve­nu aux créations architecturales de Victor Horta : celui-ci n'était pas encore décédé que les libéraux, élus par le plus vil des esprits mercantiles, faisaient raser à Bruxelles les immeubles qu'il avait érigés. Plus tard, après la seconde guerre mondiale, quand le socialisme avait vraiment perdu ses dernières plu­mes culturelles, qu'il avait sombré dans l'horreur ma­térialiste la plus vulgaire, sa splendide “Maison du Peuple” de la rue Joseph Stevens, près du Sablon, croulait sous les pioches et les bulldozers des démo­lisseurs, malgré les appels et les pétitions lancées dans le monde entier, notamment par le grand ar­chi­tecte finlandais Alvar Aalto. Le socialisme belge, qui avait partagé avec le socialisme autrichien une vo­lonté d'esthétiser la vie publique, perdait bel et bien ses dernières bribes qualitatives : depuis, il n'a ces­sé de sombrer dans la fange la plus abjecte, dans la veulerie, la crapulerie et la corruption. Il est au­jour­d'hui représenté par d'ignobles voyous sans foi ni loi, qui auraient fait honte à des esprits aussi é­le­vés que les fondateurs de la sociale démocratie au­trichienne : Engelbert Pernerstorfer et Victor Adler. Avec eux et avec Horta, nous aurions été socialistes sans arrière-pensées, avec l'indispensable zeste de wagnérisme et de nietzschéisme. Avec la vermine qui prétend représenter le socialisme en Belgique au­jourd'hui, on n'ose plus revendiquer cette étiquet­te. 

 

Pour Adler, la politique est l'art de l'action

 

Victor Adler a bel et bien représenté un socialisme où il y avait équilibre en l'esprit et le cœur, entre l'in­tellect et les passions. Emile Vandervelde, dans l'hommage qui lui rend immédiatement après sa mort, écrit : « Je n'ai jamais connu personne  —et je le répète, personne—  en qui se résumaient si bien toutes les qualités de caractère et d'intelligence, ce qui concourait à former un grand chef politique. Il appréciait les grandes motivations idéales mais ne fermait pas les yeux face à la réalité; il avait une parfaite maîtrise des théories et des faits, faisait mon­tre d'un merveilleux équilibre entre l'esprit et le cœur; il avait un pouvoir magnétique qui lui permet­tait d'entraîner les hommes tout en conservant le calme nécessaire pour les freiner dans leurs mo­ments de colère ». Ces qualités distinguaient Adler de la grande majorité des chefs sociaux-démocrates allemands. Il se désolait de voir combien un Bebel ignorait les ressorts de la psychologie des masses. Ces socialistes allemands étaient des raisonneurs abstraits, des bâtisseurs d'hypothèses rigides. Julius Braunthal observe qu' « Adler n'avait pas la moindre sympathie pour tout ce qui est hypothétique, ab­strait et artificieux… Pour lui, la politique était l'art de l'action, l'art de faire ce qui est nécessaire en des circonstances déterminées ».

 

Adler admirait Jean Jaurès, son style théâtral, sa ca­pa­cité d'enivrer. Comme lui, il entendait, en toute conscience, valoriser l'aspect théâtral de la politique. Plus spécifiquement, écrit McGrath, un examen ap­pro­fondi des techniques utilisées par Adler démontre qu'il était un maître de la symbolique politique. Les exemples que souligne McGrath sont intéressants : le combat mené par Adler et ses amis pour faire du 1 mai la fête des ouvriers, d'une part, la grande ma­nifestation qu'ils ont organisée à Vienne pour obtenir le suffrage universel.

 

Cri d'appel et ligne ondulatoire

 

Pour Adler, la politique fonctionne correctement, fait vraiment bouger les choses si on table sur l'“appel”, le cri d'appel, le Weckruf, qui consiste à réveiller l'énergie vitale assoupie. L'appel du 1 mai passe par le retour à un mythe païen, celui de la célébration du printemps, de la fête qui inaugure le temps de la fertilité et la période des fleurs. Pour Adler, le 1 mai ne doit pas être une journée de revendications bru­tales, mais une journée festive. Adler mêle là tra­di­tions populaires et éléments glanés dans La Nais­san­ce de la Tragédie de Nietzsche.  Le choix de la fête, plutôt que de la manifestation purement revendi­ca­tive, est un choix tactique conscient. Il sait que le par­ti socialiste doit maintenir vive la conscience des iniquités sociales dérivant du mode de scrutin cen­si­taire en vigueur dans l'Autriche de son temps. Mais, en tant que psychologue, il sait aussi que “l'on ne peut maintenir éternellement la lutte à la tempé­ra­tu­re maximale, une température maximale qui n'est pos­sible qu'en certains moments et dans des con­di­tions favorables”. Il serait donc criminel et vain de maintenir une pression constante de type linéaire. Le risque est alors de courir à la catastrophe. Adler ne croit pas à la “ligne droite” mais à la “ligne ondu­la­toire” (Wellenlinie). Il l'explique au congrès socialiste de 1904 : « Toute activité psychique  —et la poli­ti­que est aussi et surtout une activité mentale—  se dé­veloppe selon un rythme ondulatoire. Dans tout mou­vement, il y a des crêtes de vague, mais chacu­ne d'elles est suivie, par nécessité physique, d'un creux, d'une diminution d'intensité qui constitue un moment de pause et prépare une reprise d'intensité dans le mouvement. Aucune activité psychique ne peut se maintenir sur le long terme ou pour toujours à son niveau maximal ». La triple lecture de Scho­pen­hauer, de Wagner et de Nietzsche permet à Adler de mieux saisir la psychologie des masses que ses collègues marxistes conventionnels, qui n'argumen­tent qu'avec des schémas secs, rationalistes ou po­sitivistes. Par conséquent, tout mouvement socialiste qui s'écarte de la pensée en termes de “rythmes on­dulatoires” sombre dans l'apathie ou le ronron po­li­ti­cien. Il n'y a pas de socialisme triomphant qui soit pensable sans apport nietzschéen.

 

La grande manifestation pour le suffrage universel

 

La campagne pour le suffrage universel permet une nouvelle fois à Adler de démontrer l'excellence de ses conceptions. Le Premier ministre hongrois Fejér­va­ry annonce en septembre 1905 que la partie hon­groise de l'Empire adoptera le suffrage universel mas­culin. Aussitôt, en Cisleithanie, les esprits s'é­chauffent et veulent le même statut. Les Tchèques sont en faveur d'une grève générale (prélude à une insurrection?). Adler, plus prudent, opte pour une tac­tique différente. L'émeute n'arrangerait pas les choses : le gouvernement conservateur risquerait de tenter à son tour le coup de force, comme le gou­vernement russe qui vient de mater la révolte de 1905. Adler veut organiser une fête, un Volksfeier­tag. Les ouvriers défileront dans le calme, le silence et la dignité (Würde) devant le Parlement, où l'on dé­bat sur la question du suffrage universel masculin. Ils doivent défiler en famille, vêtus de leurs beaux effets du dimanche. Réclamer le suffrage universel ne se fait pas par des cris, des vociférations, des ba­garres, mais par le faste d'une procession quasi reli­gieuse ou d'un cortège traditionnel, inscrit dans la li­turgie naturelle et agraire qui se profile derrière la li­turgie catholique. 250.000 ouvriers allemands d'Au­tri­che et une centaine de Slovaques de Moravie (en désaccord avec les Tchèques) participeront à cet im­men­se défilé silencieux et digne. L'Arbeiter Zeitung é­crit le lendemain : « Tous, du sympathisant au sim­ple observateur, garderont le souvenir d'un spec­ta­cle sublime (erhabenes Schauspiel) ». L'unité popu­lai­re (et celle du prolétariat) ne naît pas d'une orga­nisation rigide et enrégimentée mais d'une authen­tique communion d'idée et de sentiments. Les ou­vriers autrichiens, en défilant calmement devant le Parlement de Vienne, ont prouvé qu'ils n'étaient pas un troupeau ignare manœuvré par des agitateurs. Cette vision, explique l'organe socialiste, est un “cliché libéral”, propre aux “philistins de l'imposture individualiste”. La classe ouvrière viennoise a fait preuve d'autodiscipline, a démontré sa volonté col­lec­tive qui était, non pas le produit d'une violence destructrice, mais, au contraire, le produit d'un long travail éducatif, métapolitique, sans précédent. Au len­demain de cette gigantesque manifestation cou­ronnée de succès, Victor Adler souligne le contraste entre, d'une part, cette masse puissante par le nom­bre et la discipline et, d'autre part, l'impuissance du Parlement, ou, pour parler comme Maurras, le con­traste entre le pays réel et le pays légal. Adler écrit : « Cette Chambre ne jouit que de peu de crédit dans le peuple… Elle n'est plus en mesure de faire quoi que ce soit de bon, ni même quoi que ce soit de mau­vais : elle est devenue complètement inutile ». L'anti-parlementarisme, dont on a accusé plus tard les fascistes, a des racines socialistes et foncière­ment démocratiques. Du moins en Autriche.

 

Victor Adler traversera les turbulences de la premiè­re guerre mondiale et mourra le 11 novembre 1918. Un jour après sa mort, la République est proclamée. Mais ce n'était pas la république dont il avait rêvé dans sa jeunesse, surtout parce qu'elle s'interdisait de réaliser l'Anschluß, l'union des Allemands d'Autri­che à la “grande patrie germanique”. Ce ne seront plus les socialistes qui militeront pour cette réunion, mais les nationalistes, héritiers directs d'un ancien associé politique d'Adler : le Chevalier von Schöne­rer.

 

Conclusion :

 

◊ Nous avons retracé, en suivant les démonstrations de McGrath et de Battey, l'histoire d'un mouvement politique à la fois identitaire et universel, un mouve­ment qui a clairement fait appel aux racines (Nibe­lungen, poésie et mystères médiévaux, ères des Stau­fer et des Othoniens, etc.), qui a imité des dé­mar­ches identitaristes pionnières telles les Eistedd­fodd gallois, tout en proposant un modèle universel (et non pas universalistes). Tous les peuples ont le de­voir éthique de défendre leurs racines : cette véri­té est universelle, mais ne débouche pas, a fortiori, sur un modèle universaliste arasant, qui se poserait comme unique pour toute la planète. Nous con­sta­tons aussi que si les composantes spécifiques, fondement de l'identité, sont négligées, passent à l'ar­rière-plan ou subissent un processus volontaire d'expurgation, le mouvement bascule dans l'inau­then­tique, dans la répétition stérile de poncifs fonc­tionnels sans âme puis dans le n'importe-quoi et dans la corruption. Ainsi, l'abandon par les forces so­cialistes des linéaments nationalistes, identitaristes, wagnériens et nietzschéens  a conduit le mouvement so­cialiste à l'impasse qu'il connaît aujourd'hui : être un mouvement gestionnaire de la gabegie dominan­te, incapable d'affronter le néo-libéralisme, être un mou­vement qui se contente de survivre ou être un mou­vement anti-démocratique qui oblitère la variété nécessaire des réalités sociales, estime être l'horizon indépassable de l'humanité (dans ce cas, l'horizon n'est guère éloigné…), impose une forme ou une au­tre de “pensée unique”.

 

◊ Le Programme de Linz, la volonté de faire parti­ciper les masses par le théâtre, les manifestations chantées ou les processions comme le Volksfeiertag de Vienne lors de la lutte pour le suffrage universel, sont des mixtes audacieux et efficaces de populisme actif, un vrai socialisme. Sans ces dimensions, le so­cia­lisme est une imposture.

 

◊ Une révolution conservatrice réelle doit se vouloir un retour à cette forme de socialisme, postuler à nou­veau l'usage des “paroles fortes” ou des “paroles âpres”, se remémorer la notion de “cri d'appel” (Weck­ruf)  telle que l'avait forgée Victor Adler, re­mettre à l'honneur la pratique des défilés de masse dans la dignité. Une telle révolution conservatrice se­rait civile, instrumentalisable contre le néo-libéra­lis­me. Personne ne pourrait incriminer une telle i­déo­logie révolutionnaire-conservatrice, puisque l'in­cri­miner équivaudrait à incriminer le mouvement so­cialiste et démocratique (suffrage universel, journée des huit heures), dont se réclame la “correction poli­tique” actuelle, alors que sa rigidité et sa répétitivité sont le déni absolu du fondement identitariste, de la dynamique de base, de ce mouvement dans sa pha­se ascendante. Les champions de la “pensée uni­que”, de la “bien-pensance” (Elizabeth Lévy), de la “political correctness”, rejettent comme “fascistes”, “fascistoïdes” ou “fascistogènes” les éléments qui ont donné au mouvement socialiste et démocratique leur plus forte impulsion, leur dynamique ascen­dan­te. C'est la preuve qu'ils ne sont pas démocratiques, parce que sans ces éléments jugés “fascistes” par les terribles simplificateurs d'aujourd'hui, le mouve­ment démocratique n'aurait jamais connu le succès. L'objectif des champions de la “bien-pensance” est d'éradiquer dans la Cité tout ferment de dynamisme, de clore le bec aux citoyens et d'asseoir définitive­ment la gabegie dominante, d'en faire l'horizon in­dépassable de l'histoire.

 

Robert STEUCKERS.

(Forest/Flotzenberg, Vlotho im Wesergebirge, juillet/août 2001).

 

Notes:

 

◊ 1. La volonté de détacher les Allemands d'Autriche, voire l'ensemble des peuples de Cisleithanie (Tchèques, Italopho­nes du Trentin, Slovènes et Allemands) de la partie de l'Em­pire réunie à la Couronne de Hongrie (Hongrois, Slovaques, Croates) ruine la perspective danubienne de l'histoire alle­mande. Cette idée, tout à la fois folciste, au sens où l'en­ten­dait Herder, et moderne, est en contradiction avec la mis­sion confiée au Traité de Verdun à Louis le Germanique (Lud­wig der Deutscher) en 843. Louis avait reçu la mission de conquérir le cours du Danube pour restaurer l'impérialité romaine dans sa plénitude. Le détenteur du titre de Kaiser, Lothaire (Lothar), avait reçu cette dignité parce qu'il régnait sur les deux fleuves qui avaient donné à Caius Julius, de la gens julia, la dignité de Caesar : le Rhône, le Rhin (et dans une moindre mesure le Pô). Abandonner cette perspective d'un bassin danubien unifié est une négation de l'héritage romain, donc de l'avenir européen. C'est évidemment un point du programme du Groupe Pernerstorfer que nous ne saurions partager.

 

◊ 2. Après que l'Empire austro-hongrois soit devenu “dua­liste” en 1867, on a eu coutume d'appeler Cisleithanie la par­tie occidentale, essentiellement allemande, mais aussi tchè­que, avec pour villes principales Prague, capitale du Ro­yaume de Bohème, et Vienne, capitale de l'Autriche et rési­den­ce de l'Empereur. Le parlement des peuples de Cisleitha­nie siégeait à Vienne. Celui de la Transleithanie à Budape

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mercredi, 06 juin 2007

Banco del Sur: une vision geopolitica

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Banco del Sur: una visión geopolítica

Pasó desapercibido el encuentro de ministros de economía y finanzas de Suramérica en Quito, capital de Ecuador, el día 3 de mayo de 2007. Y pensándolo bien, mejor que los mass media no hayan casi registrado la noticia, pues de lo contrario hubieran surgido cientos de analfabetos culturales locuaces según acertada expresión de Paul Feyerabend (1924-1994) enmerdándolo todo.

El Banco del Sur es una iniciativa promovida por Venezuela, Ecuador, Argentina, Bolivia, Brasil y Paraguay. Grosso modo la intención es crear un banco al servicio de las necesidades de la región suramericana con depósitos de la banca pública. Esto es resistido por los gobiernos de Chile, Perú, Uruguay y Colombia, porque pagaría menor interés que el internacional a sus colocaciones, ya que el Banco del Sur está pensado para otorgar créditos y préstamos más baratos que los que está cobrando la banca internacional y, por ende, pagaría menosinterés.

El conjunto de reservas internacionales que tienen los seis países mencionados en dinero que está depositado en bancos de Estados Unidos y Europa suman 164.000 millones de dólares. Pero se da la paradoja, afirmó el ministro ecuatoriano de economía Ricardo Patiño que “nuestros países tienen todo ese dinero depositado ganando tasas de interés muy bajas, sin embargo, después están pidiendo al Banco Mundial, al Fondo Monetario Internacional y al Banco Internacional de Desarrollo que les ayuden a solucionar sus problemas financieros cuando tenemos un caudal inmenso de ahorros de nuestros países que
pudieran ser utilizados para estos mismos fines sin caer en las condicionamientos “.

El Banco del Sur arrancaría con un capital inicial de 7.000 millones de dólares, la controversia respecto del aporte de los países accionistas impulsores de la idea radica que unos, como Brasil o Paraguay, proponen hacer aportes menores del orden de los 300 millones y otros como Ecuador, Venezuela y Argentina proponen aportes significativos. En una palabra, unos quieren que el Banco del Sur nazca chico y otro piensan en términos de grandeza.

La contradicciones surgen con las declaraciones de Guido Mantega, ministro de hacienda del Brasil, quien sostuvo que:” la prioridad del Banco del sur será financiar proyectos de infraestructura, logística y energía” y recordó que “sólo el Banco de Desarrollo de Brasil tiene 120.000 millones de dólares para financiar al sector productivo de su país, en tanto que el Banco Interamericano de Desarrollo (BID) tiene sólo 100 millones de dólares para toda la región”.

¿Qué pretende entonces la intelligensia brasileña, crear un banco pobre esterilizando otra idea que puede servir para liberarnos, como lo hizo con la Comunidad Suramericana de naciones invitando a Surinam y Guyana, o sea, Holanda e Inglaterra a participar?

Esta idea del Banco del Sur, hay que decirlo con todas las letras la lanzó Chávez y le mostró sus beneficios a Kirchner, quien honesta y cabalmente la aceptó. Brasil se sumó como se suma a todos los intentos de integración suramericana, no por su vocación integradora, sino porque Itamaraty no descansa en su ambición de dominio. Y así, si los proyectos o ideas que se lanzan benefician su política permanente de “extensión al oeste” los apoya, de lo contrario los esteriliza, pero nunca los rechaza, pues su rechazo generaría una resistencia que no tiene porqué crear.

Esto hay que saberlo y nuestros gobiernos hispanoamericanos deberían alguna vez hacerlo notar. Brasil, a través de su cancillería Itamaraty, interpuso, interpone e interpondrá todos los recursos a su alcance para impedir la integración norte-sur o sur-norte de Suramérica, de modo tal que si hay algo que no desea ni quiere es la relación Caracas-Buenos Aires, y el Banco del Sur abona y refuerza esta integración.

Hace ya más de un siglo y a partir de los trabajos de don Tulio Jaguaribe, el padre de Helio Jaguaribe, los gobiernos de Argentina y Venezuela están solicitando al de Brasil avanzar en los trabajos para la integración fluvial del Suramérica sobre todo en la vinculación entre los ríos Paraguay –Guaporé a través del dragado de los ríos Alegre y Aguapey, atravesando la laguna Rebeca y el riacho Barbados y su respuesta siempre ha sido una dilación continuada. Vemos como el Banco del Sur nos llevó a consideraciones que hacen al riñón de la geopolítica suramericana, a tratar de llamar a las cosas por su nombre y a correr el velo de las intenciones ocultas. Mientras tanto los seis países que inicialmente constituirían el Banco del Sur tienen presos 164.000 millones de dólares, en Bancos de USA y Europa, esto es, diez veces más de los créditos que recibimos con
condicionamientos de todo tipo, durante el 2006.

El Banco del Sur si naciera grande se transformaría automáticamente en la expresión financiera de la Unión Suramericana lo que le permitiría negociar como bloque y no aisladamente con los poderes internacionales. La consecuencia natural del un Banco del Sur pensado en términos de grandeza sería la implantación de una moneda única tal como se propuso en la reunión del Mercosur,aquella a la que asistió Nelson Mandela, realizada en Ushuaia en 1999 y dilatada por Brasil sine die.

Finalmente la creación del Banco del Sur, y por eso escribimos sobre él sin ser economistas, no debe verse ni valorarse con visión financiera sino desde una visión geopolítica.

Alberto Buela
(*) CeeS (Centros de estudios estratégicos) – Federación del Papel alberto.buela@gmail.com


Article printed from Altermedia Spain: http://es.altermedia.info

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Mouvement métapolitique à Vienne (19ième) (I)

Le mouvement métapolitique d'Engelbert Pernerstorfer à Vienne à la fin du 19ième siècle, précurseur de la "révolution conservatrice" (PREMIERE PARTIE)

 

Intervention de Robert Steuckers lors de la 9ième Université d'été de l'association «Synergies Eu­ropéennes», Région de Hanovre, août 2001

 

Analyse :

William J. McGRATH, Arte dionisiaca e politica nell'Austria di fine Ottocento, Einaudi Editore, Torino, 1986 (Original anglais : Yale University Press, 1974), ISBN 88-06-59147-9.

Bret BATTEY, The “Pernerstorfer Circle”, http://faculty.washington.edu/vienna/projects/pern/

Sur Siegfried Lipiner : http://www.bautz.de/bbkl/l/lipiner.shtml

Sur Richard von Kralik : http://www.bautz.de/bbkl/k/Kralik.shtml 

Pourquoi avoir choisi cette thématique? Pourquoi avoir ressorti un auteur quasiment oublié? La pre­mière raison qui m'a poussé à opérer ce choix et à vous présenter les initiatives d'Engelbert Perner­storfer c'est justement que le concept de "révolution conservatrice" m'apparaît désormais trop restreint, trop limité, surtout dans le temps. Cinq faisceaux de motivations m'ont amené à réétudier, à partir des recherches de deux Américains, William McGrath et Bret Battey, les activités métapolitiques de la Vienne des trois dernières décennies du 19ième siècle et d'en dégager des idées que l'on peut considérer comme les prémisses —ou comme certaines prémisses—  de la future "révolution conservatrice".

◊ La période choisie par Armin Mohler est limitée: elle va de 1918 à 1932, soit une période de quatorze années, qui est trop particulière, trop marquée par la défaite de 1918, par les clauses du Traité de Versailles de 1919, par les débordements proches de la guerre civile (Putsch de Kapp, intervention des Corps francs à Munich, dans la Ruhr et en Silésie), pour offrir une alternative complète au système pour une période non effervescente. Qui plus est, les ra­cines des idées développées par les principaux pro­tagonistes de la "révolution conservatrice" de 1918 à 1932, plongent dans une antériorité qu'il convient également d'explorer. Cette remarque n'en­lève rien au mérite de Mohler et à l'excellence de son travail encyclopédique. Mon objectif est de don­ner une di­mension temporelle plus profonde à son concept de "révolution conservatrice", ce qu'il en­ten­dait amor­cer lui-même, notamment en accueillant favorable­ment les travaux de Zeev Sternhell.

 

Réflexions sur les vertus soldatiques

 

◊ L'accent de la "révolution conservatrice" après 1918 est tout naturellement mis sur les vertus "sol­datiques" qui ont été cultivées pendant la première guerre mondiale et se sont avérées nécessaires pour éloigner le danger bolchevique des frontières de l'Allemagne en Silésie et dans l'espace des Pays Bal­tes et pour le conjurer à l'intérieur même du Reich, notamment dans la Ruhr, à Berlin et à Munich. La figure du combattant de la Grande Guerre est évo­quée, de manière sublime, dans l'œuvre d'Ernst Jün­ger et dans celle de Schauwecker; la figure du com­battant des Corps Francs dans les ouvrages d'Ernst von Salomon. Dans l'espace idéologique de la "nou­velle droite" française, avant que celle-ci ne titube d'une démission et d'un aggiornamento à l'autre, Do­minique Venner a introduit cette thématique dans un livre à grand tirage : Baltikum. Dans le Reich de la défaite, le combat des Corps-francs. 1918-1923, Robert Laffont, Paris, 1974. Ultérieurement, une ver­sion de ce titre est parue dans “Le Livre de Poche”. Sur le même thème, D. Venner a fait paraître plus ré­cemment : Histoire d'un fascisme allemand. Les Corps-francs du Baltikum. Du Reich de la défaite (1918) à la Nuit des Longs Couteaux (1934), Pyg­ma­lion/Gérard Watelet, Paris, 1996.

 

Déjà lors mon intervention dans un colloque d'o­rien­tation idéologique, tenu dans une auberge de la Lan­de de Lüneburg, au début de l'aventure de «Syner­gies Européennes» en Allemagne, j'avais souligné l'in­térêt politique qu'il y avait de suggérer à nos con­temporains un projet révolutionnaire-conservateur, qui soit général et civil et non plus seulement sol­datique, vu que cet idéal soldatique ne permet plus au­jourd'hui de pénétrer les mentalités des masses, celles-ci n'étant plus du tout pétries de cet idéal, du fait de l'éloignement temporel qui nous sépare désormais, de plus en plus, de cette "période axiale" du 20ième siècle (pour reprendre une expression chè­re à Karl Jaspers, à Armin Mohler et à Raymond Ru­yer). Ce qui n'ôte évidemment rien à l'importance in­­trinsèque et primordiale que revêt une lecture, dans l'adolescence et au début de l'âge adulte, de cette geste héroïque contemporaine, notamment via les livres d'Ernst von Salomon et l'étude de Do­mi­nique Venner.

 

◊ Du fait des impératifs qu'impose la rédaction d'u­ne thèse, comme celle de Mohler, à cause aussi d'un ex­cès d'attention accordé dans certains milieux —cher­chant à continuer la "révolution conserva­tri­ce"—  à l'aspect héroïque de la seule geste solda­ti­que de 1918-1919, la révolution conservatrice his­to­rique, réduite à la période étudiée par Mohler, sem­ble une sorte de météorite qui traverse trop rapi­de­ment le ciel, un phénomène sans antériorité ni pro­fondeur temporelle. En rester à un tel jugement con­duit à une insuffisance doctrinale, à une mutila­tion idéologique, à une coupure incapacitante. En guise de palliatif, le présent exposé a pour objectif premier de conseiller la lecture de travaux universitaires, gé­né­ralement anglo-saxons, comme ceux de William Mc­Grath (réf. infra) sur Vienne, que je vais aborder ici, et de David Clay Large sur Munich, que j'a­bor­derai ultérieurement. William McGrath explore l'épo­que qui va de 1865 à 1914 à Vienne. David Clay Lar­ge analyse les vicissitudes culturelles et politiques qui secouent la vie publique à Munich entre 1890 et 1945 (nous nous bornerons à présenter la période qui va de 1890 à 1920, car c'est elle qui nous ins­truit clairement sur les évolutions idéologiques à l'œu­vre dans la capitale bavaroise).

 

La nostalgie d'une unité idéologique perdue

 

◊ Après la lecture de ces ouvrages anglo-saxons, nous sommes amenés à constater qu'il n'y avait pas de clivage gauche/droite bien tranché avant la prise de Munich par les Corps Francs en 1919. Ce clivage, aujourd'hui réel, est né du choc frontal entre ces vo­lontaires nationalistes et les gardes rouges de la Ré­pu­blique des Conseils; une césure binaire, parfaite­ment tranchée, n'existait pas auparavant. Avant les événements tragiques de Munich (et de Berlin) en 1918 et 1919, les composantes idéologiques, deve­nues antagonistes, ont connu un stade de “fusion” où elles se mêlaient dans des synthèses civiles, non idéologisées comme dans les années 20, 30 et 40 du 20ième siècle. Cette fusion, perceptible dans les dé­bats de Vienne à la fin du 19ième, à Munich de 1890 à 1914 ou à Bruxelles avec des figures comme Victor Horta ou Charles Buls à la même époque, a suscité des nostalgies —nostalgies d'une unité perdue—  que l'on repère dans certains linéaments du comple­xe “national-bolchevique” (autour d'Ernst Niekisch et de ses revues), dans les tentatives de restaurer un esprit communautaire contre la pesanteur des mas­ses dans le socialisme marxiste ou contre l'individua­lisme forcené des libéralismes, dans les rangs du Wan­dervogel ou des mouvements de jeunesse qui ont pris sa succession après 1918, dans le socia­lis­me libertaire préconisé par Gustav Landauer ou, en fi­ligrane, dans l'œuvre de Walter Benjamin, qui a mû­ri, elle aussi, dans le Schwabing de la Bohème lit­téraire munichoise.

 

◊ La saisie en profondeur des racines de notre temps, du contexte idéologique très dense de cette époque qui s'étiolera après la révolution bolchevi­que, la prise du pouvoir par Hitler et la fin de la se­conde guerre mondiale, passe par la nécessité de s'adonner  —et de manière intense—  à des lectures parallèles, ce qui, hélas, n'a jamais été fait dans notre courant de pensée, où trop souvent, les juge­ments à l'emporte-pièce ou le culte des chromos fi­gés n'ont cessé de tenir le haut du pavé. Ces lec­tures parallèles, indispensables à la bonne compré­hension des racines de notre temps, impliquent de lire conjointement

◊ 1. les travaux de Zeev Sternhell et de Steve Ash­heim, tous deux chercheurs de l'école californienne et israélienne,

◊ 2. l'histoire des mouvements artistiques à Bru­xel­les et à Vienne (avec l'accent sur le Jugendstil et la Wiener Sezession),

◊ 3. l'histoire du mouvement pré-raphaëlite en An­gleterre, avec étude de l'œuvre de Ruskin, du “Fa­bian Socialism”, des ouvrages de Matthew Arnold et de Thomas Carlyle et surtout impliquent

◊ 4. d'acquérir une bonne connaissance des produc­tions de la maison d'édition d'Eugen Diederichs à Leip­zig et Iéna, où l'on a traduit et commenté ces œuvres et où l'on a approfondi ces thématiques.

 

Méconnaissance des corpus philosophiques qui sous-tendent la “révolution conservatrice”

 

La première étape dans cette enquête, dans cette historia au sens grec du terme comme nous le rap­pelle Michel Foucault et son exégète française, An­gèle Kremer-Marietti, va nous conduire à Vienne, puis, seconde étape, à Bruxelles, et, troisième et quatrième étapes, à Munich et à Berlin. Car la notion d'enquête, d'historia, est à la base de la méthode ar­chéologique et généalogique que nous ont léguée Wil­helm Dilthey et Friedrich Nietzsche, méthode ar­chéologique/généalogique qui est la marque de l'épi­sté­mologie révolutionnaire-conservatrice. La mécon­nais­sance de ce corpus, chez la plupart des expo­sants naïfs ou prétentieux d'une nouvelle “révolution conservatrice”, conduit à des apories, des quipro­quos ou des “maculatures” sans nom. La “nouvelle droite”, et certains personnages qui l'ont animée, en ont donné le triste exemple pendant plus de trente ans. Personnages qui persistent dans leurs insuf­fi­sances. Et qui nous traitent d'“anarchistes”, à l'idéo­logie “peu claire” ou “peu sûre”, parce que nous re­montons véritablement aux sources, des sources que, curieusement, ils ne veulent pas connaître, sans doute parce qu'elles les obligeraient à sortir de leurs chromos simplistes ou à relativiser leurs posi­tions trop schématiques. Pire : citer Landauer, Ben­jamin et Foucault (même par le biais d'Angèle Kre­mer-Marietti) constitue un crime de “judéophilie” ou de “gauchisme” pour ces esprits bornés, qui osent ériger leurs tristes limites voire leurs obsessions ri­dicules au rang de paradigmes. Reproche d'autant plus infondé que des exposants non juifs, parfaite­ment “aryens”, ont défendu exactement les mêmes thèses ou positions. Ces paradigmes figés sont éri­gés en dogmes fixes, alors que l'objet même de nos préoccupations, la révolution conservatrice et ses antécédents, sont des phénomènes dynamiques, des dynamiques effervescentes, qui ont leur trajectoire; même si les limites de l'idéologie dominante actuelle et des sycophantes qui l'instrumentalisent bloquent ces dynamiques, elles ont encore des impacts, mê­me si ces impacts ne sont plus des flots fougueux d'innovations, mais de minces filets qui ne cessent de filtrer, en dépit de tout : il suffit d'observer les suc­cès de certaines expositions d'Europalia, sur Vien­ne ou sur d'autres villes, pour le constater. Une nostalgie indéracinable, bien qu'inconsciente ou frag­mentaire, continue à attirer les foules vers les productions artistiques ou littéraires de cette épo­que, productions qui forment aussi l'arrière-plan po­li­tique des grands mouvements populaires de la fin du 19ième siècle.

 

La revue “Die Telyn” au Schottengymnasium de Vienne

 

Sortir des impasses de la clique parisienne qui pré­tend réincarner la “révolution conservatrice”, impli­que justement de poser une démarche archéolo­gi­que/généalogique. Et cette démarche, pour le volet vien­nois de notre enquête, aboutit à étudier la tra­jectoire d'un personnage des plus intéressants : En­gel­bert Pernerstorfer. Il débute sa longue carrière po­litique et métapolitique en mars 1867, alors qu'il n'est encore qu'un modeste lycéen, inscrit dans une célèbre école de Vienne, le Schottengymnasium, tenu par des pères bénédictins. A l'origine, cette institution d'enseignement catholique avait été fon­dée par des religieux issus d'Irlande, qui avaient immigré en Europe centrale, sans doute en même temps que les “Oiseaux Migrateurs”, ces mercenai­res irlandais mettant leur épée au service du Saint-Empire contre les ennemis de l'Europe. Engelbert Per­nerstorfer et ses amis du Schottengymnasium fon­dent une revue pour exprimer leurs idées; elle porte le titre de Die Telyn, soit “La Harpe celtique”, clin d'œil, sans doute, à ces bénédictins d'Irlande ve­nus jadis à Vienne, pour accompagner leurs compa­triotes soldats. Mais une autre référence celtique ani­me les jeunes collégiens : la fête de l'Eisteddfodd gal­lois, remise à l'honneur au Pays de Galles à la fin du 18ième siècle, dans le cadre de ce que l'on a com­munément appelé le “Celtic Revival”. L'Eisteddfodd consistait en un festival de musique traditionnelle, avec récitations de poésie, avec chants puisant dans le patrimoine mythologique et national irlandais ou gallois. Le choix de l'instrument de musique symbo­lique de la Verte Eirinn et la référence à l'Eistedd­fodd gallois indique clairement que nos collégiens du Schottengymnasium avaient un projet précis : re­vi­ta­liser la culture populaire, remettre les racines à l'hon­neur à l'instar des celtisants gallois, afin d'ame­ner, à terme, une révolution politique.

 

Nature, patrie, art

 

Dans ce premier groupe autour d'Engelbert Per­nerstorfer, nous trouvons Victor Adler (d'ascendance israélite), Max Gruber et Heinrich Friedjung (égale­ment d'ascendance israélite). Pourquoi Pernerstorfer a-t-il immédiatement barre sur ses condisciples? Par­ce que son père a fait la révolution de 1848. Il est d'ascendance modeste. Il est un homme du peu­ple, alors que les familles des Adler, Gruber et Fried­jung appartiennent à une bourgeoisie aigrie, mé­contente du rythme trop trépident que prennent la révolution industrielle et la modernité. Pour nos qua­tre collégiens, trois valeurs doivent être sauvées, res­taurées et portées au pinacle de la Cité : la na­tu­re, la patrie et l'art. Dans le concret, cela signifie quatre orientations politiques précises : 1) On s'op­po­se aux Habsbourgs, car on est pangermanique, on veut l'unification générale des Allemands ethniques, unification perçue comme un impératif de la nature; 2) On est socialiste, au sens où la révolution de 1848 a anticipé le mouvement socialiste et où la cri­se de l'ordre économique existant postule un chan­ge­ment allant dans le sens d'une redistribution plus juste et d'un dépassement du primat accordé par le libéralisme à l'économie et aux accumulations quan­ti­tatives de tous ordres. Le socialisme de ces lycéens est proche de celui de Ferdinand Lassalle, qui s'en­tendra avec Bismarck. Lassalle veut un socialisme é­tatique, c'est-à-dire un socialisme acceptant les cor­rectifs de l'Etat; 3) On veut se dégager des con­ven­tions sociales, qui sont autant d'étouffoirs à la créa­ti­vité; cette volonté de dégagement vaut autant pour les Catholiques, majoritaires en Autriche, que pour les Juifs ou les Protestants; 4) On veut instau­rer une pédagogie, un système d'éducation, permet­tant à tous d'accéder aux hautes valeurs de la cul­ture, car la culture, les arts et la littérature seront le ciment de la communauté nationale allemande, comme ils ont été le ciment de la conscience natio­nale et ethnique des Gallois.

 

Panthéisme irlandais et Nibelungen

 

Cette quadruple option, prise par notre quatuor de ly­céens viennois, s'explique par la psychologie et par une idiosyncrasie particulière. Sur le plan psycho­lo­gique, leur réaction est, dit McGrath, une réaction de fils contre le monde de leurs pères, en d'autres ter­mes, une révolte juvénile qui anticipe celle du Wan­dervogel berlinois, né en 1896. McGrath ne formule au fond rien de bien original, sacrifie peut-être un peu trop aisément aux manies freudistes améri­cai­nes; pour lui, les pères veulent un monde stable, figé, tandis que les fils, par définition  —ce qui nous lais­se sceptiques—  un monde mouvant, efferves­cent. Sur le plan idiosyncratique, le Schottengymna­sium, par le truchement de ses traditions pédago­giques, a provoqué tous les déclics idéologiques chez notre quatuor de lycéens. Ce refuge de bénédictins irlandais en Autriche véhiculait, volens nolens, une tradition irlando-écossaise, plus panthéiste que ne l'é­taient les scolastiques de l'enseignement catho­lique habituel ailleurs en Europe. Ce panthéisme ir­landais au sein d'un catholicisme continental, plus ra­tionaliste, explique la double référence celtique : à la harpe (la telyn) et aux fêtes de l'Eisteddfodd gal­lois. Deux professeurs ont laissé une empreinte phi­losophique indélébile sur Pernerstorfer et ses jeunes amis, leur ont communiqué les linéaments d'une idéo­logie alternative : Hugo Mareta et Sigismund Gschwan­der. Le niveau de leur enseignement est très élevé, dans toutes les branches, mais le déno­minateur commun du message que communiquent les pères, dénommés “Schotten”, est un ancrage dans le paysage, dans la terre des forêts entourant Vienne et dans le peuple qui véhicule des traditions authentiques, bien plus anciennes que les poncifs du libéralisme du 19ième. Hugo Mareta, germaniste, initie ses élèves à tous les arcanes des Nibelungen et les plonge dans un univers wagnérien.

 

Cette référence constante aux racines et à la nature amène les élèves du Schottengymnasium à perce­voir le libéralisme ambiant comme une crise de ci­vilisation passagère, comme une ère qu'il convient de dépasser. Pour effectuer la transition, il faut pré­pa­rer une élite qui sache renouer avec la tradition an­térieure. Mais cette élite ne devra pas se conten­ter de réminiscences stériles du passé, de répétitions interminables de ce qui a été (et ne sera plus) : elle est appelée, au contraire, à l'action politique con­crète, qui consistera, dans un premier temps, à re­chercher systématiquement des alternatives idéolo­giques à la fausse culture libérale.

 

Du lycée à l'université

 

Le temps du lycée est bref, pour tous les adoles­cents. La deuxième étape dans la trajectoire du grou­pe de Pernerstorfer se déroule à l'Université, où ils fondent, le 2 décembre 1871, le “Leseverein der deutschen Studenten Wiens” (= Cercle de lecture des étudiants allemands de Vienne), puis, dans la fou­lée, la “Burschenschaft Arminia” (la Corporation Ar­minia). Dans leur formulation, les écrits laissés par le Leseverein sont moins radicaux que ceux de Die Te­lyn. Mais leur niveau est forcément plus élevé, les rédacteurs acquérant sans cesse savoir et maturité.

 

Le Prof. McGrath, dans son enquête minutieuse, a retracé l'historique des conférences prononcées à la tribune du Leseverein, ce qui nous permet de mettre en exergue ses idées motrices, telles qu'elles sont apparues au fil du temps. McGrath nous rappelle un débat récurrent sur l'œuvre de Lorenz von Stein, professeur à Vienne jusqu'en 1885. Lorenz von Stein est considéré comme un “conservateur social”, cher­chant à réduire la dépendance des ouvriers, en leur donnant un accès à la propriété et à l'instruction. La dépendance ouvrière s'est accrue après les révolu­tions bourgeoises, française et industrielle : elle est un fruit de la modernité et non pas un héritage de l'Ancien Régime, qui prévoyait des protections diver­ses pour les pauvres, souvent en nature (vivres, jouis­sance de logements individuels ou collectifs, terres de pâturages sur les communs, revenus allo­diaux, droits de récoltes ou de ramassage divers, etc.). Lorenz von Stein critiquait les théories pré-communistes des théoriciens français (notamment Blanqui). Ce communisme, outrancier, ne peut dé­bou­cher que sur l'oppression généralisée et abstraite de tout le peuple et ne permet pas de construire un ordre économique capable de fonctionner sur le long terme. L'alternative, proposée par Lorenz von Stein, est une société organique axée sur le Bien Commun (concept hérité d'Aristote), qui combat l'égoïsme et l'individualisme.

 

Sur le plan pratique, la société organique et la no­tion aristotélicienne de Bien Commun induisent la né­cessité d'améliorer les conditions de vie des ou­vriers et de leur accorder une plus grande mobilité so­ciale, de permettre une circulation des élites plus fluide. Le socialisme ultérieur de Pernerstorfer et d'Ad­ler découle davantage des idées conservatrices et aristotéliciennes de Lorenz von Stein que de Karl Marx. Et, in fine, tout socialisme efficace, tout so­cia­lisme réellement populaire ne fonctionne que sur ba­se d'un héritage organique perceptible, ancien, an­cré dans un tissu social, et non pas sur des innova­tions et des bricolages boiteux, nés de l'esprit de fa­brication (Joseph de Maistre).

 

La référence schopenhauerienne de Karl Rokitansky

 

Le premier maître à penser philosophique du groupe est Arthur Schopenhauer. Dans le curriculum du Le­se­verein, ce sera un docteur en médecine, Karl Ro­kitansky, qui, par le biais de ses conférences, injec­tera les bases d'un schopenhauerisme pratique dans le corpus doctrinal du groupe. Rokitansky part de l'idée de la solidarité générale unissant toute la vie animale. Il énonce, à partir de cette idée tirée d'une lecture de Schopenhauer, une théorie biosociale, cer­tes darwinienne en même temps que schopen­hauerienne, mais solidariste et non pas compétitive. La solidarité, réclamée par Rokitansky, dérive de la no­tion (bouddhiste) de compassion, énoncée dans l'œuvre de Schopenhauer. L'homme doit dépasser les pulsions négatives qui le poussent à agresser ses concitoyens, à l'égard desquels il doit se montrer solidaire, afin de consolider le Bien Commun. Le scho­penhauero-darwinisme de Rokitansky conduit à affirmer un altruisme solidaire, dont le ciment est la culture, qu'il s'agit de défendre et de développer, surtout au sein des masses déshéritées par les pra­tiques du libéralisme.

 

Le conférencier Theodor Meynert, psychiatre, va com­­muniquer aux étudiants du Leseverein un corpus reposant à la fois sur Kant et sur Schopenhauer (un corpus qui sera repris plus tard par Konrad Lorenz). Pour Kant, expliquait Meynert, il existe un moi pri­maire et égoïste et un moi secondaire et abstrait, capable de recul. Ce recul permet la civilisation, in­duit la solidarité réclamée par son collègue Rokitan­sky, mais que Meynert appelle le “mutualisme”, idéo­logie dont la vocation est de réaliser la frater­nité. Nous constatons donc que l'époque connaît deux variantes de darwinisme, le darwinisme libéral axé sur la concurrence et le darwinisme solidariste et mutualiste, axé sur la coopération et l'altruisme, deux vertus politiques qui consolident le Bien Com­mun et rendent les sociétés, qui les pratiquent, plus fortes.

 

Le scandale von Ofenheim

 

Ex cursus : Au moment où les étudiants du Lese­ver­ein planchaient sur les idées de Lorenz von Stein et écoutaient les conférences de Rokitansky et Mey­nert, éclate en Autriche, en 1875, un scandale em­blématique, celui provoqué par les manigances du fi­nancier véreux Victor von Ofenheim. Ce noble dévo­yé avait spéculé sur les chemins de fer en Galicie, ven­du des actions gonflées démesurément, promis des dividendes pharamineux, attiré par ses leurres des milliers de gogos qui ont évidemment été ruinés. Cité en justice par les actionnaires floués, von Ofen­heim entend le Comte Lamezan, véritable aristocrate de robe, prononcer contre lui un réquisitoire sévère. Le Comte Lamezan, proche à certains égards des é­tu­diants du Leseverein, estime que le procès qui se dé­roule est emblématique : il met en exergue la con­tradiction —apparemment insoluble—  qui existe en­tre l'éthique et l'économie. Mais en dépit du bril­lant réquisitoire de Lamezan, von Ofenheim gagne le procès; il déclare, via son avocat, qu'“avec la mora­le, on ne construit pas de chemins de fer”. Les étu­diants, mutualistes, constatent avec énormément d'a­­mertume : «Le système libéral est mauvais, puis­qu'il s'avère incapable de sanctionner des activités aussi immorales». L'avocat de von Ofenheim s'en é­tait tiré par une pirouette, en disant qu'il existait cer­tes des tribunaux terrestres pour sanctionner des délits, mais que seul le tribunal céleste pouvait sanc­tionner l'immoralité.

 

Troisième orateur de marque dans le Leseverein, le philosophe Johannes Volkelt qui proposera aux étu­diants viennois une synthèse entre Kant, Hegel, Scho­penhauer et von Hartmann. Le titre de sa pre­mière conférence indique qu'il part résolument de Kant : “Kants kategorischer Imperativ und die Ge­gen­wart” (= L'impératif catégorique de Kant et les temps présents). Volkelt avait commencé sa con­fé­rence en rappelant que le sujet connaissant (tel que défini par Kant) est instable, vu les limites de ses ca­pacités cognitives. L'homme, sujet connaissant, est jeté dans un monde instable (en ce sens, il préfigure Heidegger). Pour pallier cette instabilité, l'homme doit respecter un code moral extrêmement rigou­reux, qui lui donne les recettes de la survie et de la navigation sur la mer, souvent déchaînée, des cir­con­stances existentielles (plus tard Arnold Gehlen par­lera de "culture", comme système de palliatifs pour consolider la position de l'homme, être fragile quant à ses dons et capacités naturels). L'exigence morale de Kant est terrible. Elle postule de dépouil­ler systématiquement l'agir éthique de tout désir, de toute aversion, de tout affect. L'éthique qui en ré­sulte est certes tranquille, mais elle est le résultat d'une lutte perpétuelle que l'homme a à mener con­tre lui-même. Finalement, ce n'est qu'au terme de cet­te âpre lutte qu'il est capable d'affirmer pour lui-même et pour les autres, une véritable autonomie. L'au­tonomie est atteinte seulement quand tous les affects incapacitants, distrayants, dissipants, sont éli­minés (cette position de Volkelt est à mettre en parallèle avec la théorie de l'“individu absolu” de Ju­lius Evola).

 

Volkelt contre l'amollissement généralisé

 

Au nom de la morale kantienne, Volkelt condamne, devant ses auditeurs du Leseverein, la société con­temporaine, parce qu'elle est axée sur la commodité (la Bequemlichkeit), qui, elle, abandonne par princi­pe toute lutte. Volkelt condamne aussi l'orientation des sciences et des techniques de l'époque, dans le sens où elles conduisent à la facilité, qui ruine et fait disparaître la vigueur et l'indépendance de l'homme, par ailleurs garantes dans la durée de son auto­no­mie. Quand il chavire dans la facilité, l'homme aban­don­ne son trésor le plus sacré : l'autonomie. Le ju­ge­ment de Volkelt est sans appel : “Wir leben in ei­ner Zeit allgemeiner Auspolsterung” (= Nous vivons une époque d'amollissement généralisé) (à lire en pa­rallèle avec Die Perfektion der Technik de Friedrich Georg Jünger). La civilisation moderne, pour Volkelt, conduit donc à la superficialité spirituelle, à la lé­gè­reté et à la futilité, où les idéaux sont bannis, où la moralité n'est plus qu'une simple convention, où l'op­portuniste est roi. L'affaire von Ofenheim l'a clai­rement démontré.

 

L'objet de la métapolitique (et le terme n'est pas anachronique comme nous allons le voir) est de for­ger une nouvelle éthique, contraire diamétral du libéralisme, de jeter les bases d'un nouvel ordre so­cial et de restaurer le Bien Commun. Par consé­quent, il faut remplacer l'individualisme matérialiste des libéraux classiques par une sorte de collecti­vis­me idéaliste, où les salaires et les profits sont pro­portionnels au travail réellement presté, où les hom­mes sont animés par la conscience de faire quelque chose d'utile au Bien Commun, et ne poursuivent pas le but pervers de l'enrichissement personnel.

 

De Kant au binôme Wagner / Nietzsche

 

Par la suite, le Leseverein abandonne progressive­ment le kantisme pour adopter les idées de Wagner et de Nietzsche, surtout celles qui évoquent une “mé­taphysique de l'artiste” (dans le cadre de la “nou­velle droite”, qui n'a jamais évoqué l'œuvre de Pernerstorfer, seul Giorgio Locchi a abordé la rela­tion complexe entre Nietzsche et Wagner).

 

C'est Victor Adler qui, le premier, a introduit Nietz­sche dans le groupe qui participait à la rédaction de Die Telyn. Mais, il s'agissait du premier Nietzsche, pour qui l'art joue un rôle central, constitue la vé­ri­table activité métaphysique. La musique, pour ce pre­mier Nietzsche, exprime une volonté collective non individualiste, elle est l'expression d'une sa­pien­ce, d'une sagesse dionysiaque, présente dans le théâ­tre d'Eschyle et de Sophocle. Pour rappel, chez ce premier Nietzsche, le théâtre grec constitue une communion de l'homme avec sa propre communauté et avec la nature. Dans la dialectique Apollon / Dio­ny­sos, que ses livres sur la tragédie grecque expli­citent, un surplus d'apollinisme conduit à la sclérose (comme à Rome), tandis que l'irruption permanente et ininterrompue du dionysiaque donne force et vitalité à la Cité. La Polis grecque, pour Nietzsche, fusionne ses éléments épars, ses différences de clas­se ou d'origine, dans la communauté mystique du ri­te dionysiaque. Si le flot dionysiaque vient à s'ame­nuiser, la Cité entre en déclin, comme ce fut effecti­vement le cas à partir d'Euripide. Nous assistons alors à l'assèchement des sources organiques, tant et si bien que l'homme de la période hellénistique est devenu trop “théorique”. Le bon fonctionnement de la Cité, hier en Grèce, à l'époque d'Adler et Per­nerstorfer dans le monde germanique, implique de limiter l'extension des formes découlant du logos. L'Allemagne a pour mission de corriger par la musi­que une civilisation qui sombre dans un excès de lo­gos. La musique allemande est l'élément dionysia­que, donc la source vitale, de la culture germanique d'Europe centrale. La fusion communautaire dans la Cité s'opère donc par la voie artistique et non pas par la raison économique.

 

La métaphysique des artistes et des long-voyants

 

Adler, comme Nietzsche, appelle l'avènement d'une “métaphysique de l'artiste” (Artistenmetaphysik). Le surhomme de la métaphysique de l'artiste est celui qui s'est auto-transcendé par la création artistique (lato sensu). Il a généré des formes éternelles, a ainsi dépassé la finitude du physique. Nietzsche é­voque la nécessité de créer des institutions ou des agences capables de promouvoir les activités de ces créateurs de formes. Ces institutions doivent per­mettre de voir plus loin et plus clair, les deux valeurs cardinales d'une réforme profonde de l'enseigne­ment et de la société en général sont la clairvoyance et le sens du long terme. Ceux qui participent à des cercles “long-voyants”, comme ceux d'Adler et de Per­nerstorfer, doivent se former eux-mêmes et pré­parer l'avènement d'êtres géniaux, les aider à faire mûrir leurs œuvres. Cette optique vaut sur le plan artistique et littéraire, mais aussi sur le plan politi­que : il faut faire émerger une capacité de décision, étrangère et différente de l'esprit dominant de l'é­poque (matérialiste, positiviste, économiciste). L'op­tique nietzschéenne de Victor Adler entend maintenir intacte la force, la puissance des passions, généra­trices de formes esthétiques ou de volontés politi­ques au service du Bien Commun (cette intuition du jeune Victor Adler est à mettre en parallèle avec l'œuvre de ce dissident russe, décédé trop tôt en 1992, Lev Goumilev, théoricien de la “passionalité” des peuples jeunes et dynamiques; l'estompement des passions conduisant au déclin irrémédiable).

 

La troisième étape du groupe “Telyn”, dans sa forme initiale, commence le 18 décembre 1878 quand est prononcée la dissolution du Leseverein. Nos jeunes hommes quittent l'Université et se réunissent dans les cafés viennois. Une partie du groupe devient ac­ti­viste politique avec Adler, Pernerstorfer et Fried­jung. Une autre partie décide de s'adonner à l'es­thé­ti­que, avec Lipiner, von Kralik, Wolf et celui qui deviendra le grand compositeur autrichien Gustav Mahler (auquel le père de Victor Adler avait acheté son premier piano). Les esthètes se réunissent au sein du Gralbund (La Ligue du Graal), fondé en 1905, principalement sous l'impulsion de Richard von Kralik. Cette “Ligue du Graal” est in fine d'in­spi­ration catholique, même si elle mêle à son catho­li­cis­me des éléments traditionnels non spécifiquement chré­tiens.

 

Ainsi, les activistes s'entendent autour du “Program­me de Linz”, à la fois socialiste et nationaliste, et dont les éléments “nationalistes” sont surtout portés par Friedjung, d'origine israélite. Friedjung entend défendre la langue allemande et milite pour une diminution, sinon une disparition, des taxes levées dans les classes pauvres. Parallèlement aux efforts d'Adler, Pernerstorfer et Friedjung, Georg von Schö­nerer, socialiste, pangermaniste et antisémite, déve­lop­pera une synthèse plus âpre, plus populiste. Les esthètes se veulent tout à la fois prêtres et poètes, entendent gérer la “passionalité”, la conduire sur des chemins positifs, en faire un ciment de cohésion pour le Bien Commun. Dans ce contexte, Richard von Kralik, dans le cadre du Gralbund, vise à réno­ver la culture européenne par un recours permanent aux idées-forces de l'antiquité, de la germanité, du christianisme médiéval et de la tradition des mystè­res, le tout s'inscrivant naturellement dans le cadre du national-catholicisme autrichien.

 

Richard von Kralik et  les “esthètes pythagoriciens"

 

L'itinéraire de Richard von Kralik est intéressant pour saisir l'évolution des esprits et la synthèse que ceux-ci finissent par proposer dans le cadre de la culture germanique du 19ième siècle. En 1876, deux ans avant d'entrer dans le groupe de Pernerstorfer, von Kralik étudiait à Berlin chez Theodor Mommsen, le spécialiste de la Rome antique à l'époque, et as­sistait aux leçons de Treitschke et de Hermann Grimm. Il est socialiste, milite au parti, dévore l'œu­vre complète de Ferdinand Lassalle, se frotte à l'i­déo­logie marxiste en pleine maturation. En 1878, quand Siegfried Lipiner, ami de Wagner et futur ré­dacteur des Bayreuther Blätter, l'introduit dans le cer­cle de Pernerstorfer, il commence à lire Nietz­sche, s'enthousiasme pour Wagner, de concert avec Gu­stav Mahler. Mais la rupture entre Nietzsche et Wagner créera une importante polarisation dans le groupe : les uns acceptent le wagnérisme mystique de la fin, curieux mixte de Schopenhauer, de théorie musicale et de mystique chrétienne, dont Kralik et Mahler. D'autres suivent les critiques de Nietzsche, estimant que Wagner avait subi une “involution”, et que le complexe idéologique de socialisme chrétien et mystique, assorti d'une option végétarienne (que Wagner déclarait “pythagoricienne”), n'avait aucun avenir, n'était qu'une illusion pseudo-religieuse par­mi bien d'autres.

 

« L'homme fort est en mesure de créer pour lui-même une réalité idéale »

 

Un clivage net commence à séparer les esthètes (py­thagoriciens) des activistes. Les wagnéristes vé­gé­tariens, autour de Kralik, Mahler et Lipiner, con­si­dèrent comme totalement futiles les questions d'or­dre politique. Richard von Kralik justifie ses positions anti-politiques par une révélation, qu'il aurait eue à la suite d'une dépression : il nie désormais l'existen­ce d'une réalité plus parfaite au-delà du monde sen­sible des phénomènes. Face à la crise de son ami, Lipiner écrit à Nietzsche, au philosophe naturaliste, tellurique et mystique Gustav Theodor Fechner et à Paul de Lagarde, pour qu'ils fassent en sorte que Kralik change d'avis. Seul Lagarde répondra. Et ob­tiendra des résultats : Kralik admet à nouveau l'exis­tence d'une sphère idéale transcendant la réalité quotidienne, mais le lien que cette sphère transcen­dante peut entretenir avec notre monde, passe par la médiation de la mythologie et de la symbolique ger­maniques, seules capables de faire miroiter l'idéal caché dans le réel. Mais Kralik refuse toujours la po­litique : «L'homme d'Etat doit savoir que toutes ses luttes ne lui apporteront aucun résultat». Finalement Kralik et Lipiner conviennent qu'aucune alternative valable ne s'offre à l'imperfection du réel; l'homme fort est en mesure de créer pour lui-même une réa­lité idéale. Ces positions, partagées par nos deux hom­mes, conduisent à la création en 1881 de la Sa­gen­gesellschaft (La Société de la Saga). Elle accueil­lera ceux qui, par esthétisme, refusent l'engagement politique, fuient la réalité et la sphère publique pour se consacrer à l'art. Lipiner : «Pour nous, le royau­me des formes n'est pas un monde merveilleux qui existe pour que l'on s'évade de la vie; pour nous, ce monde est la vraie vie, ou, alors, rien n'est rien».

 

Pour un art authentique et unitaire

 

Richard von Kralik décrit l'objectif de la “Société de la Saga”: «L'objectif le plus important me semble le suivant : assurer à notre nation un substrat culturel épique comparable à celui qu'avaient les Grecs, les Indiens et les Perses; par ce projet, nous devons donner une unité à notre héritage de sagas sur les dieux et les héros, comme l'avaient fait Homère, Hé­siode et Ferdawsi» (nous reprenons la transcription de ce nom persan, telle que nous l'a léguée Henry Corbin). Cette volonté de retrouver le noyau com­mun des mythologies indiennes, persanes, grecques et germaniques dérivent d'une lecture de Religion und Kunst de Wagner. La référence à la Perse vient très certainement de Gobineau. La mise en exergue du noyau commun à ces mythologies indo-euro­péen­nes permettra, pensent les membres de la “So­ciété de la Saga”, de créer un “art authentique et unitaire”. Telle est la mission qu'ils se donnent, à la suite des recommandations de leur maître Richard Wagner. Tâche évidemment titanesque. Mais Ri­chard von Kralik ne baissera pas les bras. Succes­si­vement, il s'intéressera aux mystères médiévaux, à la constitution d'un corpus aussi complet que pos­sible des sagas et mythes germaniques, à la quête du mythe faustien dans ses formes originelles, à la poésie de Dante, etc.

 

L'idéal de Kralik est de faire ré-émerger une culture régénérée, inspirée des mythes, capable de com­pren­dre et de faire comprendre, par ses symboles, ce qui transcende les simples phénomènes. Son intérêt pour le mythe de Faust le conduit, para­do­xa­lement, à prendre des positions anti-faustiennes et à vouloir substituer à la culture faustienne, qu'il quali­fie d'aveugle et d'insatiable, une “culture du Graal”, dont Parsifal, héros wagnérien et pur idéaliste (rei­ner Tor), est le symbole. Cette culture du Graal cor­respond évidemment aux derniers idéaux de Wag­ner: mélange de schopenhauerisme, de mystique néo-chrétienne et de compassion bouddhiste.

 

(A SUIVRE DANS NOS EDITIONS QUOTIDIENNES ULTERIEURES).

mardi, 05 juin 2007

Généralisation de l'économie informelle

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La généralisation de l'économie informelle et ses conséquences

Il était banal d’évoquer l’économie informelle dans les pays en développement. La croissan­ce fulgurante de ces pratiques dans les pays dé­veloppés signe la fin de la question sociale au sein des États et le re­tour d’un monde hé­té­rogène. Certains aspects se rapprochent des descriptions de l’historien F. Brau­del qui, dans “Ci­vilisation matérielle, Économie et Ca­pita­lis­me”, distingua la vie matérielle (les activités de production et d’échange de base), la vie é­co­no­mique et le capitalisme. Trois niveaux qui nous rap­prochent de ce que crée la mondiali­sa­tion.

L'informel en tant qu'illégal

Braudel décrivit par exemple certaines activi­tés illé­ga­les : « (A Londres) une population mi­sé­rable voit dé­filer devant elle les richesses des navires qui ac­costent (...) Le brigandage af­freux dont la Tamise est le théâtre (...) s’exer­ce sur toutes les espèces de propriétés commerciales. A ces chapardeurs qui opè­rent par bandes organisées... (s’ajoutent)... les gar­des de nuit, les déchargeurs, les matelots (...), les “alouettes de vase”, “fouilleurs de la ri­vière”» (Brau­del, 1979, Tome II, p.486).

Ces observations rappellent que le rapport à la loi est essentiel dans la dynamique de l’infor­mel. Les économies européennes articulent lé­gal et illégal. Par exemple, un chantier emploie des personnes dé­clarées et non déclarées. Des heures sont officielles et d’autres non. Si ces pra­tiques sont parfois propo­sées par l’emplo­yeur, souvent elles résultent d’une demande des employés eux-mêmes. L’État con­tem­po­rain laisse faire car le juridisme tatillon qui s’est dé­veloppé au cours des trente dernières années per­met d’enrichir certains et d’ap­pau­vrir les autres. La loi et ses applica­tions dépendent désormais de la position des per­sonnes ou des groupes qui commet­tent des illégalités.

Un premier enseignement est que le droit du tra­vail cesse de s’appliquer dans les ac­ti­vi­tés infor­mel­les. Certaines dispositions sont res­pectées (repos heb­domadaire par exem­ple), d’autres non. Ce flou vo­lontaire favorise le clientélisme des groupes do­mi­nants ainsi que la conception patrimoniale du pou­voir lé­gal. La prolifération d’activités informelles si­gni­fie simultanément que la corruption de mem­bres de l’administration se généralise et que des services sont rendus aux hommes po­li­tiques aptes à dé­clen­cher ou non l’action lé­ga­le. L’informel offre enfin une opportunité de spé­culation. Tout ce qui entoure les lieux de tra­fics illégaux perd de sa valeur. Des in­té­rêts privés, en relation avec les autorités publiques, rachètent à bas prix puis obtiennent le netto­yage de la zone pour accroître la valeur des bâ­timents ré­novés.

Un deuxième enseignement est que l’illégal fonc­tion­ne avec la loi du milieu, un code ma­fieux. Les ob­servations récentes établissent qu’il s’agit de plus en plus de codes privés ethni­ques puisque, dans les pays “dévelop­pés”, les nouveaux venus du vaste mon­de se groupent par ethnos.

Le développement des activités et pratiques in­­for­mel­les a un grand avenir puisqu’il ac­com­pagne les transformations dues à la mondia­li­sation.

Relations entre économie formelle et informelle

1 - La délocalisation engendre la sous-traitan­ce et les multiples formes d’emplois : perma­nent, tempo­rai­re, partiel, stages. Le travail “in­dépendant” est le lieu où désormais se che­vauchent les formes légales et non légales d’ac­tivités. La sous-traitance pacifie le climat so­cial de l’entreprise et dissout la question so­ciale traditionnelle, celle qui assimilait le social au monde ouvrier. Dans les périodes de réces­sion, les activités informelles ont moins de dé­bouchés (la de­mande chute) ; elles réduisent leurs commandes, en amont, aux entreprises du secteur légal. Une réces­sion affecte désor­mais simultanément les deux do­mai­nes.

2 - La part des ménages ne percevant que des re­ve­nus légaux ou formels diminue. Le nom­bre de ceux qui mélangent les diverses sor­tes de revenus ou  “spécialisent” l’un de leurs membres dans l’infor­mel croît inexora­ble­ment. Ainsi, toute réduction d’em­plois for­mels entraîne la baisse d’un nombre plus ou moins important d’emplois informels.

Le cercle vicieux à l’œuvre dans les pays “dé­ve­lop­pés” est donc le suivant : l’extension de l’é­conomie informelle incite les politiciens à ac­croître la fiscalité et les prélèvements obliga­toi­res sur l’économie for­melle. Il en résulte une poussée en faveur des délo­calisations et une augmentation des ménages parti­ci­pant à ti­tre de travailleur ou de consommateur au sec­teur informel. Les législations sociales sont de moins en moins utilisées et le poids de l’or­dre ma­fieux s’accentue. Ces réseaux favorisent la corrup­tion. Ainsi se délite l’État et renaît, au ni­veau de la vie matérielle et du capitalisme la lutte entre clans, familles, tribus, ethnies,... La guerre de tous contre tous.

L'informalité : un modèle en extension

L’informalité est un modèle en extension. Il est a­dapté à la croissance des villes et des ban­lieues, là où apparaissent de multiples activités susceptibles de procurer des ressources. Ce pro­cessus favorise l’ordre mafieux, nourrit l’en­richissement des mieux organisés et pro­lé­ta­rise les indépendants. La que­stion sociale est en voie de disparition puisque l’in­formalité dé­fi­nit les populations hétérogènes s’instal­lant dans les villes ; elle affecte maintenant les clas­ses moyennes appauvries par les consé­quen­ces du processus de mondialisation.

Puisque l’illégal et l’informel sont en rapport avec l’hétérogénéité des foules et les transfor­ma­tions dues à l’économie transnationale glo­ba­le, les classes dominantes ont une quiétude assurée. La disparition de tout corps social or­ga­nisé favorise le contrôle et l’exploitation des foules hétéroclites. Le renfor­ce­ment du pouvoir est une conséquence de la crois­san­ce de l’in­for­mel : les groupes dominants ont très bien as­similé cette situation. L’élargissement indé­fi­nie du pouvoir sera vérifiable dans les années à ve­nir. Les secteurs très actifs seront liés au con­trôle so­cial : vidéo-surveillance, écoutes, fi­chage, déla­tion; mais aussi : juges, policiers, gar­diens de pri­son, thérapeutes, assistants so­ciaux, pseudo-experts en sciences sociales. Le retour de l’obscurantisme et de l’inhumanité.

Jean DESSALLE.

Référence : Liane MOZÈRE : Travail au noir, in­for­malité : liberté ou sujétion ?, L’Har­mat­­tan, 147p., 1999.

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Les diasporas dans la globalisation

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Le rôle croissant des diasporas dans la globalisation

Le thème de la fuite des cerveaux avait été lan­cé par la Grande-Bretagne dans les années 70 lorsque nom­bre de britanniques furent atti­rés aux États-Unis. Les nouvelles technologies ont relancé la que­stion en des termes compa­ra­bles alors que nombre de pays ont pris cons­cience du phénomène et pro­posent des moda­li­tés spécifiques pour conserver un lien avec leurs scientifiques et techniciens de haut ni­veau. Un livre récent (1) expose certaines ex­pé­rien­ces et nous facilite l’appréciation des con­­sé­quen­ces.

Le Japon : une expérience de pionnier

L’Ère Meiji, entre 1868 et 1912, se caractérisa par l’en­voi de nombreux étudiants japonais en “Oc­ci­dent”. Ils étaient organisés afin de re­trans­mettre à leur pays les connaissances scien­­tifiques et techni­ques auxquelles ils a­vaient accès. Aujourd’hui il en va de même mais, en sens inverse, le Japon freine l’accueil des scientifiques, chercheurs, enseignants des au­tres parties du monde. Il les considère com­me un risque pour la cohésion du peuple. Leur po­litique se résumerait ainsi : on importe les i­dées et les techniques mais non les hommes et les produits.

Les PVD : l'expatriation est une opportunité

L’Inde a donné l’exemple à tous les pays en dé­­velop­pement. Les élites installées à l’étran­ger transfèrent des devises dans leur pays d’o­ri­gine, constituent des groupes de pression dis­posés à défendre les intérêts de leur pays, for­ment une réserve de compétences dans la­quel­le puiser en cas de besoin. On débouche ain­si sur le modèle de la Diaspora.

Les pays anglo-saxons : puiser selon ses besoins

Depuis 1968, les USA pratiquent une sélection fé­ro­ce des accueils. Aujourd’hui, 80% des cher­­cheurs qui y travaillent sont d’origine é­tran­gère. Parallèle­ment, cette politique a dé­cou­ragé les autochtones d’en­treprendre des car­rières scientifiques. Depuis dix ans, quel­ques journalistes américains se demandent de temps à autre ce qu’il adviendrait des USA si les savants asiatiques retournaient massi­ve­ment dans leurs pays respectifs puisqu’on ob­ser­ve un reflux ré­gu­lier.

Circulation des compétences

En s’appuyant sur l’exemple des pays asiati­ques com­me la Corée du Sud, on peut affirmer que le re­tour vers le pays d’origine est lié au de­gré de dé­veloppement de celui-ci. Dans un pays qui se dé­veloppe régulièrement, les é­carts absolus de niveau de vie entre l’Occident et ce pays se réduisent et des opportunités pro­­fessionnelles apparaissent. Le retour en est fa­cilité. L’exemple chinois est comparable. A­lors qu’une certaine propagande affirme que les sa­vants quittent le pays pour des raisons de libertés politiques, les enquêtes menées au­près des savants chinois en fonction aux USA mon­trent qu’ils revien­draient en Chine si l’ou­ver­ture scientifique du pays, sa croissance éco­no­mique et sa stabilité politique étaient as­surées. 

Les conditions technologiques de ce siècle fa­vo­risent la communication et la collaboration scien­tifiques en­tre personnes situées à de gran­­des distances. Les liens sont possibles en­tre savants et chercheurs ex­patriés ou non. Le modèle des diasporas prend for­me désormais.

Le processus d’enregistrement, de mobilisa­tion, d’or­ganisation et de connexion des sa­vants expatriés avec leurs pays d’origine a pris une tournure systé­matique. Il faut cependant que les pays aient atteint un certain niveau de développement socio-écono­mique pour que les chercheurs et savants accom­plis­sent des aller-retour entre pays d’origine et pays de des­ti­na­tion.

L’avenir radieux des diasporas

1 - Les établissements d’enseignement des pays anglo-saxons, Royaume-Uni, Australie, É­tats-Unis, Ca­nada, font payer la scolarité aux étu­diants étran­gers. L’offre d’enseignement se di­versifie et s’amé­liore en fonction des deman­des exigeantes des con­sommateurs d’études. Ce choix entretient la dy­na­mi­que des établis­se­ments et des flux d’étudiants. Il est pré­vi­si­ble que les pays qui, comme la France, ac­cueil­lent gratuitement les étudiants étrangers, ainsi subventionnés par les autochtones, s’é­pui­seront éco­nomiquement dans cette politi­que. A moins qu’une volonté subversive ne soit à l’œuvre, elle sera mo­difiée.

2 - L’émergence et le développement des ré­seaux diasporiques concerne aujourd’hui de mul­tiples pays. Deux grandes “civilisations” se sont attachées à gé­rer leurs diasporas : la Chi­ne et l’Inde. Ce phéno­mène évolue en relation avec la mondialisation des échanges et les mo­yens modernes de commu­nication. Ces diaspo­ras peu à peu se superposent aux réseaux d’in­térêts traditionnels et aux relations étati­ques. Ces réseaux diasporés vont acquérir un pou­­voir de plus en plus grand.

Il est prévisible qu’une superposition des dias­po­ras aux activités économiques orientera l’é­conomie vers une globalisation systéma­tique, gage de leur réus­si­te et de leur domination. Le pouvoir politique des É­tats et le pouvoir écono­mique influencé par des dia­sporas se décon­nec­teront de plus en plus. Le pouvoir écono­mi­que privé prendra en charge de plus en plus sou­vent la science et la technique. Les empires pri­vés vont dominer les prochaines décennies.

Jean DESSALLE.

Note :

◊ 1. Anne Marie GAILLARD et Jacques GAIL­LARD : Les enjeux des migrations scienti­fi­ques inter­na­­tionales. De la quête du sa­voir à la cir­cula­tion des compétences. L’Har­mattan, 233p., 1999.         

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lundi, 04 juin 2007

Réflexions sur l'identité de Bruxelles

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Réflexions sur l'identité de Bruxelles

Résumé du discours tenu par Robert Steuckers au Par­le­ment Flamand, le 8 septembre 2001, dans le cadre d'un colloque pluraliste, organisé par le « Vormingsinstituut Frank Goovaerts », présidé par le député Karim Van Over­­meire. Y ont également pris la parole : André MON­TEYNE, économiste et historien, auteur d'une His­toi­re des Bruxellois, parue en trois langues (F, NL, An­glais), Maître Fernand KEULENEER, du Barreau néerlan­do­phone de Bruxelles, le député Dominiek LOOTENS, l'ancien Com­missaire-en-chef de Schaarbeek et député de Bru­xelles Johan DEMOL et Bernard DAELEMANS, ré­dacteur en chef de la revue Meervoud, qui s'inscrit dans le cadre d'un nationalisme de gauche.

L'identité de Bruxelles est particulièrement com­­­ple­xe.

◊ En 1884, les associations catholiques de pro­vince organisent une manifestation contre la politique scolaire des libéraux bruxellois. Les Bru­xellois ri­po­stent par une contre-manifes­ta­tion violente. Depuis lors, une césure profonde sé­pare Bruxelles de ce qui vit et se développe en province. Les entreprises bru­xelloises sont boy­cottées. Pourquoi Bruxelles est-elle deve­nue, à cette époque, une ville libérale et pro­gres­siste, alors qu'elle avait été auparavant très cro­yante et abritait en son sein un grand nom­bre d'in­stitutions religieuses? Ce glis­se­ment constitue la pre­mière mutation dans l'i­den­tité de Bruxelles de­puis 1789, an­née où la vil­le était encore conser­va­trice à l'ex­trême et très catholique.

◊ A l'époque des bourgmestres Karel Buls (Bru­xelles) et Léon Vanderkinderen (Uccle) ré­gnait à Bruxelles une certaine “flamando­phi­lie”, liée à des idéaux démocratiques, fédé­ra­lis­tes et libéraux. Ce “compositum” constitue en fait une “révolution con­servatrice”, dans le sens où elle souhaite, en même temps, con­ser­ver une identité (l'identité brabançon­ne et thioi­se) et forcer l'établissement à parfaire les in­novations nécessaires. Remarquons que ce “com­positum” ne connaît pas encore de césure entre la droite et la gauche : les conservateurs cul­turels et les socialistes (ou les libéraux pro­gres­sistes) tra­vaillent main dans la main pour don­ner à Bruxelles un “visage” brabançon et fla­mand.

Un art libertaire, enraciné et émancipateur

 

◊ Chez Karl Buls, la révolution conservatrice (an­te lit­teram) se lie à une volonté de pro­mou­voir une architecture spécifique à Bruxelles. Cet­te architec­ture trouve son expression la plus pure et la plus originale dans le style “Art Nouveau” ou “Jugendstil”, dont les premiers bâ­timents sont érigés en 1893 par le célèbre ar­chitecte Victor Horta. Tant chez Horta que chez Henry Van de Velde, entre autres génial con­cepteur de mobiliers, ce style “organique” tente de se démarquer clairement des notions “géo­métristes” issues de la révolution françai­se et des pra­tiques jacobines de l'administra­tion politique.  Les opposants à ce nouveau cou­­rant artistique l'ap­pellent avec mépris “le sty­le nouille”. Dans son o­rientation organique, l'Art Nouveau” était d'in­spi­ra­tion conservatrice, tandis que son soutien au jeune mouvement so­cialiste était considéré à l'époque com­me un acte révolutionnaire. Partout en Europe, on trou­ve des mouvements artistiques similaires, surtout à Vienne (avec la “Wiener Sezession”) et à Barcelone, avec l'architecte Gaudi. Pour ce qui con­cerne plus spécifiquement les concep­tions politiques, qui sont liées à cette révolu­tion culturelle, nous pouvons dire qu'elles ont toutes pour noyau central la notion de liberté. L'i­dée de liberté est perçue comme “flaman­de”, comme un héritage des Arte­vel­de gantois (cf. les travaux que leur a consacrés Van­der­kin­deren, célèbre historien et médiéviste), et, dans la foulée, comme “germanique”, lato sen­su, ou comme “thiois” (Diets). Chez Karel Buls, Léon Van­derkinderen, Alphonse Wauters et E­mile de Laveleye la liberté est toujours définie comme “germanique”, tandis que les formes de tyrannies sont qualifiées de “françaises”, de “jacobines” ou d'“espagnoles” (voir à ce sujet, la figure de Tijl Uilenspiegel chez Charles De­co­ster, où l'ironie sert d'arme contre la puis­sance étrangère et aliénante). Il nous paraît re­marquable de constater que ces idées fonda­mentales du mou­vement flamand au 19ième siècle ont d'abord été exprimées en français et lancées dans le débat.

 

Une terrible mutation démographique

 

◊ A cette période, une glissement s'opère dans la structure démographique de notre ville. C'est la deu­xième mutation dans l'identité de Bru­xelles, après le passage d'un conservatisme catholique extrême, celui des Statistes de la ré­volution brabançonne de 1789, à un libé­ra­lis­me selon Karel Buls, qui est é­man­cipateur, li­bre-penseur, enraciné et conscient de l'iden­ti­té du peuple. Entre 1880 et 1900, la popula­tion de Bruxelles augmente de 1700% (i. e. un Bru­xel­lois de souche pour 17 nouveaux ar­ri­vants de tou­tes les provinces belges). Cela si­gni­fie que la po­pulation bru­xelloise et braban­çon­ne de souche dis­paraît, pour laisser la pla­ce à un melting pot belgo-belge, avec des gens venus de tous les coins du pays, des gens qui se sentent détachés de leurs com­munautés vil­la­geoise ou citadine d'origine et qui perçoivent à tort ou à raison ce sentiment de dé­ra­cine­ment comme une émancipation. Quelques chif­fres : à l'époque en Belgique, le rapport en­tre Fla­mands ­et Wallons était de 51/49. A Bru­xelles, la ré­partition se chiffrait comme suit: 21% de Flamands, 43% de bi­lingues (pour la plupart Flamands d'ori­gi­ne) et 26% de fran­cophones purs.

 

Après Buls : un vandalisme sans frein

 

◊ La révolution culturelle de Buls et Vander­kin­deren, qui est émancipatrice et consciente de l'identité po­pulaire, ne peut plus atteindre ses objectifs dans de telles conditions démo­gra­phiques. Le bourgmestre De­mot, qui prend la succession de Buls, ne mène plus une poli­ti­que d'embellissement architectural comme son prédécesseur et suit, dès 1900, une voie pu­re­ment utilitariste, dépourvue de tout projet es­thétique, ce qui nous a donné, après quelques dé­cennies, ce vandalisme culturel typiquement bel­ge et bruxellois. Le patrimoine est aveuglé­ment sacrifié sur l'autel de Mammon. Dans les dix premières an­nées du 20ième siècle, certains immeubles de style “Art Nouveau” sont abat­tus, alors que leurs archi­tectes étaient encore en vie! Ce vandalisme culmine avec la démo­li­tion de la Maison du Peuple socialiste que Hor­ta avait fait construire dans la Rue Stevens. Ain­si, les socialistes ont délibérément trahi leurs propres racines culturelles et idéolo­gi­ques, car les pro­jets d'embellissement de la vil­le, caressés par le bourgmestre Buls, a­vaient effectivement un volet so­cialiste et par­ce qu'Horta lui-même voyait le so­cialisme comme un instrument pour émanciper les mas­ses et leur donner une esthétique.

 

◊ Ce vandalisme culturel a reçu un nom dans le jar­gon des architectes du monde entier : la bru­xel­li­sa­tion! Ce vandalisme est l'héritage de tous les partis traditionnels qui ont géré notre ville. La “Déclaration de Bruxelles”, rédigée par des architectes et par des étudiants de l'Ecole d'architecture de la Cambre à Ixelles, peut nous servir aujourd'hui comme source d'inspi­ra­tion pour promouvoir un nouveau projet cul­turel pour Bruxelles.

 

Les lamentables contradictions de la gauche dite “progressiste”

 

◊ Cette évolution déplorable (ou, pour être plus pré­: cette involution) de la vie cultu­rel­le bruxelloise nous amène à poser une ques­tion : existe-t-il encore au sein du peuple une aspiration réelle à faire démarrer une nou­velle révolution culturelle à Bruxelles, cal­quée sur celle dont avaient rêvée Buls et Van­der­kin­deren? Les forces progressistes de la gau­che ne semblent pas conscientes de leurs pro­pres con­tra­dictions : d'une part, elles exigent des autorités de met­tre un terme à la bru­xel­lisation, dont à la des­truc­tion de notre pa­tri­moi­ne architectural (ce qui est une bonne idée con­servatrice), mais, d'autre part, toute ten­ta­tive de restructurer la conscience de no­tre i­den­tité est disqualifiée de “raciste” ou de “fas­cis­te”.  Dans ce sens, les étudiants, qui se di­saient de gau­che et qui ont co-rédigé la Dé­cla­ra­tion de Bru­xelles, ne seraient rien d'autres que des fascistes dé­guisés, tandis que le pau­vre Karel Buls n'aurait été rien d'autre qu'un fasciste ante litteram.

 

◊ Pour ce qui concerne l'immigration et l'inté­gra­tion, on peut affirmer tranquillement que Bru­xelles, au­jourd'hui, ne propose rien, n'a plus d'épine dorsale culturelle. La politique cul­tu­relle connaît certes des événements très in­té­ressants, mais, dans l'ensem­ble, cette poli­ti­que apparaît comme un patchwork incompré­hen­sible, où l'on trouve tout et le contraire de tout. Comment les immigrés, quelle que soit leur origine, pourraient-ils dès lors respecter une ville qui n'offre rien de sacré, aucune va­leur?

 

◊ Conclusion : le renouveau de la culture fla­mande à Bruxelles devra immanquablement re­nouer avec les idées et les créations esthé­ti­ques de la fin du 19ième siècle. Car ces idées sont l'expression de la nouvelle synthèse bru­xel­loise des années 1880-1900. Et bien qu'el­les soient spécifiquement fla­mandes, thioises ou brabançonnes (ou affirmaient l'ê­tre), elles pos­sèdent néanmoins une aura uni­verselle par leur beauté et leur qualité. Elles ap­partiennent aujourd'hui au patrimoine de l'humanité toute entière et sont respectées à ce titre. Si notre ville, en tant que capitale des institutions euro­péen­nes, veut obtenir le respect à l'étranger, el­le devra développer un projet culturel inspiré par ces grands modèles mais adapté aux exi­gences de notre temps. Dans cette perspective la dualité belge entre Fla­mands et Franco­pho­nes à moins d'importance que dans la vie po­litique quotidienne, car cette unique et der­niè­re révolution culturelle née en nos murs a réa­li­sé des œuvres issues de cerveaux tant néer­lan­dophones que francophones, tout en consi­dé­rant ses productions comme partie inté­gran­te de l'héritage thiois et brabançon. Tant les néer­landophones que les francophones de Bru­xelles peuvent trouver au­jourd'hui encore un ac­­cès aisé à ce patrimoine.

 

Robert STEUCKERS.

Bibliographie:

◊ Paul ARON, La Belgique artistique et littéraire. Une anthologie de langue française (1848-1914), textes réunis et présentés par P. Aron, avec la collaboration de Jacques Aron, Isabelle Dumont et Roland Van der Hoeven, Ed. Complexe, Bruxelles, 1997.

◊ Françoise AUBRY & Jos VANDENBREEDEN, Horta: van Art Nouveau tot modernisme, Ludion, Gent, 1996.

◊ André BAREY, Propos sur la reconstruction de la Ville européenne. Déclaration de Bruxelles, Archives d'Architecture Moderne, Bruxelles, 1980.

◊ Dirk CHRISTIAENS, Brussel is een vreemde stad - 75 dichters over 1 stad, 1385-1985, Houtekiet, Antwerpen/Baarn, 1989.

◊ Francine CLAIRE-LEGRAND, «1884-1914. De l'instinct à la réflexion», in: Maurice CULOT, René SCHOONBRODT, Léon KRIER, La reconstruction de Bruxelles, Recueil de projets publiés dans la Revue des archives d'architecture moderne de 1977 à 1982 augmenté de trente pages inédites, Ed. Archives d'architecture moderne, Bruxelles, 1982.

◊ Gabriele FAHR-BECKER, L'Art Nouveau, Könemann, Köln, s.d.

◊ Michel B. FINCŒUR, Marguerite SILVESTRE & Isabelle WANSON, Bruxelles et le voûtement de la Senne, Bibliothèque Royale de Belgique, 2000.

◊ Hans H. HOFSTÄTTER, Symbolismus und die Kunst der Jahrhundertwende, Dumont, Köln, 1965-78.

◊ Charles JENCKS, Modern Movements in Architecture, Pelican, Harmondsworth, 1973-77.

◊ Mina MARTENS (sous la direction de), Histoire de Bruxelles, Ed. Universitaires/Privat, Toulouse, 1979.

◊ Peter MENNICKEN, Stadt ohne Antlitz?, Steenlandt, Brüssel, 1943.

◊ André MONTEYNE, De Brusselaars in een stad die anders is, Lannoo, Tielt/Bussum, 1981.

◊ Charles PERGAMENI, L'esprit public bruxellois au début du régime français, H. Lamertin, Bruxelles, 1914.

◊ Arlette SMOLAR-MEYNART & Jean STENGERS, La région de Bruxelles. Des villages d'autrefois à la ville d'aujourd'hui, Le Crédit Communal, 1989.

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dimanche, 03 juin 2007

La contribution de S. Latouche

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Comprendre les temps présents: la contribution de Serge Latouche

 

La nostalgie fait partie intégrante de la psychologie humaine: on la retrouve partout, dans tous les milieux politiques ou intellectuels, à droite comme à gauche, où se bousculent les nostalgies de l'antiquité, du moyen-âge, de l'époque napoléonienne, de la seconde guerre mondiale, de l'URSS, etc.. A chaque fois, on regrette un monde définitivement révolu: celui de la marine à voile et de la lampe à pétrole dont parlait déjà dans une tirade devenue célèbre le Général De Gaulle qui pouvait, lui aussi, parfois avoir de sarcastiques réactions face aux pesanteurs de son époque. Ainsi certains se réfugient dans l'univers des Celtes, des Germains,  dans le temps de Charles Martel ou de Jeanne d'Arc, dans les fastes du règne de Louis XIV ou dans l'épopée napoléonienne, quand ce ne sont pas les durs combats du Front de l'Est..., tous ces univers à jamais engloutis. Il faut le dire: les nostalgies de tous ordres induisent des comportements qui révèlent une difficulté à affronter ce que nous nommerons par facilité les “temps présents”. Cette attitude qui n'est pas condamnable en soi, l'appel à l'histoire, aux racines en général, me semble même être indispensable, mais seulement s'ils ne sont pas exclusifs, mais, dans le dur combat politique quotidien, se réfugier dans le passé peut très vite s'avérer fatal. Il ne faut pas non plus sombrer dans un excès de pessimisme: au moment où tout se décompose mais aussi se recompose sans cesse différemment dans le grand mouvement de la vie, tout est remis en question, les valeurs, les hommes, les institutions, les Nations même, ce qui signifie également que, pour des jeunes gens enthousiastes, des cartes intéressantes seront forcément à jouer à condition toutefois d'“être dans le coup”...

 

Cependant pour être, en un mot éclairant, un “intellectuel organique” (Gramsci) ou un vrai “soldat politique” efficace, il faut d'abord bien comprendre son époque, cela justement pour avoir une prise directe sur le système que nous combattons. Et certains savants, futurologues patentés œuvrant dans des instituts de prospective, tentent de faire ce travail: essayer de percevoir ce que sera demain. Il suffit d'évoquer les noms de Toffler ou de Naisbitt, pour ne citer que deux Américains, dont les travaux sont amplifiés tous azimuts par les mass-médias du globe. On peut dire, vu l'époque mouvante dans laquelle nous nous débattons que tenter d'accomplir ce travail de prospective n'est pas une tâche aisée: les paramètres se bousculent et se contredisent, se confortent et s'annulent.

 

Pourtant certains sociologues dressent un constat intéressant, passionnant par sa pertinence et surtout dénué de passion partisane; ils nous aident à y voir un peu plus clair dans “tout ça”... Malheureusement ils sont quasiment ignorés de les mouvances politiques non conformistes, toutes occupées à perpétuer des formes mortes, alors que leur lecture me semble bien plus importante que celle d'auteurs de chapelle disparues depuis des lustres et dont l'analyse (lorqu'elle existe) porte sur un monde qui n'est plus le nôtre. Il faut fuir les nostalgies passéistes et retrouver les temps présents. Serge Latouche peut vous y aider: la lecture de ses ouvrages est dès lors impérative! En plus, ses ouvrages sont courts et leur lecture assez facile, excepté quelques “tics” d'écriture propres au jargon de la sociologie que sécrète inévitablement toute discipline. Il est certes parfois un peu pénible de constater qu'“efficient” apparaît quatre ou cinq fois dans la même page mais c'est un inconvénient somme toute mineur si l'on tient compte du fait qu'en contrepartie il nous apporte une somme de réflexions pertinentes que l'on ne trouvera nulle part ailleurs.

 

Latouche et la mégamachine occidentale

 

Dans L'Occidentalisation du monde et La planète des naufragés, l'idée d'une mégamachine scientifique, le rouleau compresseur occidental, qui écraserait les cultures, laminerait les différences et homogénéiserait le monde au nom de la raison, un peu comme l'avait fait, voici déjà une quinzaine d'année, Guillaume Faye dans Le système à tuer les peuples, Serge Latouche nous apportant en plus une caution universitaire puisqu'il est professeur à l'Université de Paris XI (Sceaux) et à l'IEDES (Institut du développement économique et social, Paris). Ses références intellectuelles sont aussi plus profondes que celles de Faye, tant dans les disciplines scientifique, économique que philosophique, anthropologique ou historique. Contrepartie quasiment inéluctable, le style de Faye est plus vivant, plus alerte, plus métaphorique. Serge Latouche traite du monde entier dans un style certes supérieur à celui que possède en général un simple bachelier, mais sa façon de procéder (assez souvent le montage de citations) fait plus penser à Europe Tiers Monde même combat d'Alain de Benoist.

 

Etrange évolution que celle de cet universitaire qui à la grande honnêteté d'avouer qu'il a été “technolâtre” et qui redoute de tomber dans un autre travers: devenir “technophobe” (ces allées et venues de la technolâtrie à la technophobie sont aussi typiques de la “nouvelle droite”, où l'on a vu un de Benoist publier des couvertures ornées de fusées prométhéennes puis basculer dans une curieuse et stérile phobie de la technique, vilipender méchamment les écologistes puis les courtiser dans l'espoir de devenir un de leurs “penseurs”, pour enfin affirmer une technophobie extrême en refusant successivement l'ordinateur personnel puis les autoroutes de l'information; quant à Faye, sa vision de la technique peut être comparée sans sollicitation outrancière à celle que développait un Henri Lefèbvre). En effet, Latouche, n'affirme-t-il pas: «Nourri de l'humanisme des Lumières, sevré ensuite par le marxisme, je dois confesser avoir été un véritable adorateur du Progrès, un croyant de la Science, un adepte de la Technique. Et puis l'âge des désillusions est venu. Nous combattions pour un monde meilleur sans nous rendre compte qu'à notre insu nous contribuions à construire le “meilleur des mondes”» (allusion à la fameuse contre-utopie d'Aldous Huxley).

 

L'œuvre

 

Les chapitres de ce livre sont d'une valeur intellectuelle et d'un intérêt très inégaux: par exemple cela va d'une originalité et d'une pertinence indéniable avec le chapitre 1 intitulé «La mégamachine et la destruction du lien social», à une banalité presque de circonstance avec le chapitre 4 traitant du développement économique, mais, au total, l'ensemble demeure captivant. Il est difficile de donner un compte-rendu de cet ouvrage d'autant qu'il s'agit là de reprise de conférences données sur des thèmes variés. Cependant il s'articule autour d'un thème fédérateur et constaté par beaucoup, la dissolution du lien social à l'oeuvre dans nos sociétés avec tout ce que cela implique dans leur fonctionnement: hyperindividualisme, réification des rapports sociaux, culte de la marchandise et de l'objet, promotion de la médiocrité et de l'insignifiance, règne de la fébrilité consumériste pour combler le vide existentiel.

 

Le mythe du progrès

 

La croyance en l'idée de progrès a permis l'existence de ce système technoscientifique que l'auteur nomme “mégamachine” et qu'il définit de la sorte: «Une société ou un tel système existe, ne peut que se "détechniciser", le phénomène est irréversible du fait de l'auto-accroissement de la technique. Le système technicien ne consiste pas seulement dans le fait que la technique forme  un système, mais encore que la technique englobe la totalité de l'espace de vie, il est une Mégamachine».

 

Comment en sommes-nous arrivé à ce stade? Où allons-nous? C'est à ces questions que tente de répondre Serge Latouche. Ainsi, comme le développement et le socialisme, qui en seront des sous-produits, le progrès, pour ses adeptes, est non seulement une réalité et un mouvement inéluctable et irréversible, mais il est souhaitable et il est bon. Cette manière de penser s'est opérée très progressivement, il s'agit du “progrès du progrès” dans sa marche irrésistible pour la conquête des mentalités, des croyances et des représentations, et dans l'“information” subséquente des comportements de l'homme moderne.

 

Ce progrès, tout naturel qu'il soit pour ses croyants, ne s'est imposé avec la force d'une évidence qu'après un travail de plusieurs siècles, des luttes parfois sans merci, dans la pensée et dans la vie sociale. Sans doute n'était-il pas aussi irrésistible qu'il n'y paraît. Son histoire se présente avant tout comme celle de la lente disparition des multiples “obstacles” qui encombraient sa voie.

 

Ces obstacles peuvent se répertorier ainsi: le mythe de l'âge d'or, la croyance en l'immuabilité des hommes et des choses (rien de nouveau sous le soleil ou “le monde va comme il va” comme disait Voltaire), la fatalité (croire au progrès et améliorer la condition humaine paraissaient impies et sacrilèges; c'était violer les “décrets de la providence”, les lois de la nature et de Dieu, un peu comme le fait d'aller contre le karma pour les hindouistes), la coutume et la routine (la satisfaction ou l'auto-satisfaction qu'une société éprouve pour l'état d'organisation et de civilisation empêche de chercher mieux), le trop grand respect de l'autorité des anciens, les préjugés, l'obscurantisme.

 

Le système technoscientifique

 

Après avoir levé tous ces obstacles, ces idéaux du progrès vont donc trouver un terrain d'application idéal dans la révolution industrielle et son système d'organisation économique, le capitalisme libre-échangiste. Latouche, qui dénonce ce système, avoue en être une “victime” obligée, tant sa perfection est grande, puisqu'il dit: «Après avoir applaudi à la mise en scène de l'accusation du progrès, chacun retourne chez soi en voiture et non à pied, tourne le commutateur plutôt que d'allumer la chandelle, prend une bière au réfrigérateur plutot que d'aller tirer de l'eau au puits, et regarde la télévision en continuant de pester contre l'abêtissement de la société du spectacle. Le culte du progrès ne passe plus par des prières ronflantes adressées à la divinité, mais par des pratiques familières entrées dans les mœurs et la revendication de nouvelles innovations pour résoudre les problèmes de dysfonctionnement engendrés par la dynamique même du progrès. Seule une catastrophe “pratique” peut dessiller les yeux des adeptes fascinés: le progrès n'est plus un choix de la conscience, mais une drogue à laquelle on s'est tous accoutumés et à laquelle il est impossible de renoncer volontairement. Cela risque même d'être dangereux si l'on accepte la leçon de Jacques Ellul. Le progrès est très exactement au-delà du bien et du mal. Seul un échec historique de la civilisation fondée sur l'utilité et le progrès peut faire redécouvrir que le bonheur de l'homme n'est peut-être pas de vivre beaucoup mais de vivre bien».

 

Risques majeurs et prise de conscience

 

Alors y a t-il encore un espoir d'échapper à cette mégamachine qui fait courir deux dangers principaux à l'humanité: le risque technologique majeur (par exemple un accident nucléaire ou une manipulation génétique mal maîtrisée toujours envisageable qui romprait définitivement l'équilibre biologique de la planète jusqu'à éliminer toute forme de vie) et la destruction de l'environnement (épuisement de la biosphère: nous ne nous étendrons pas sur ce sujet, les auteurs écologistes les ayant déjà largement diffusés)?

 

Sur une prise de conscience hypothétique des méfaits causés par la mégamachine dans le fonctionnement social, en dehors du désormais classique Ivan Illitch sur le faux progrès (l'exemple du “système automobile” lorsque l'on calcule les heures passées à la construction, à la conduite, aux réparations matérielles et humaines... donnait la vitesse réelle  de 6 kilomètres à l'heure, soit celle des croisades), Serge Latouche résume les thèses mises en avant par Philippe de Saint-Marc. Celui-ci étaye sa démonstration en évaluant le degré de bonheur à partir de divers indices (suicide, drogue, etc...) et qui démontreront que les Français sont moins heureux aujourd'hui qu'il y a quelques décennies. Ainsi écrit-il en 1994: «Imaginons demain une France où il n'y ait plus que deux cent mille chômeurs, où la criminalité soit réduite des quatre cinquièmes, les hospitalisations pour troubles psychiatriques des deux tiers, les suicides des jeunes diminuent de moitié, la drogue disparaisse: n'aurions-nous pas l'impression d'une merveilleuse embellie humaine?».

 

Tous ces indices qui commencent à être connus d'une fraction croissante de la population et qui ne cessent de s'aggraver dans tous les domaines dressent un portrait terrifiant de notre actuelle civilisation. Mais le mythe du progrès comme son corollaire la technique sont mal déterminés et cette indétermination est la source même de sa puissance et de sa prégnance dans l'imaginaire. Ainsi, les trois inconvénients principaux causés par la mégamachine (risques technologiques majeurs, problèmes d'environnement, dissolution du lien social débouchant sur les pathologies de la civilisation) justifient amplement notre objection de conscience systématique face au système, ses institutions, ses rouages économiques et politiques.

 

Devons-nous pour autant partager les conclusions désabusées d'Ellul lorsque celui-ci citait le romain Tacite: «La faiblesse de la nature humaine fait que les remèdes viennent toujours plus tard que les maux»? Et n'y a-t-il pas des maux qui sont déjà irréversibles, des pentes glissantes qui peuvent nous mener dans un gouffre dont on ne sortira plus?

 

Aussi, dans la situation actuelle, il est difficile d'imaginer une alternative. Cependant un effondrement est toujours possible (voir récemment celui du mur de Berlin et de l'Union Soviétique qui, avec sa machine techno-bureaucratique, s'est révélée tout-à-fait contre-performante et finalement très fragile en dépit des apparences). Serge Latouche croit en une telle issue lorsqu'il écrit: «La fin de la civilisation occidentale parait inévitable non seulement parce notre civilisation est mortelle, mais également parce qu'elle peut se lire dans les limites et les échecs de l'occidentalisation. La civilisation du progrès porte en elle-même les germes de sa propre destruction. Certes, à moins d'être prophète, il n'est possible de prévoir ni le jour, ni l'heure, ni même la forme. Il n'est nulle nécessité que cette chute soit fracassante ou apocalyptique. La décomposition peut se faire en douceur. Peut-être a-t-elle déjà commencé à notre insu. Crépuscule des Dieux ou paisible coucher du soleil, il est imprudent de dire comment adviendra cette décadence qu'il nous est à la fois impossible de souhaiter et immoral d'empêcher. On pourrait provisoirement conclure comme Jean-Jacques Rousseau dans sa lettre au roi de Pologne: “il n'y a plus de remède, à moins de quelque grande révolution presque aussi à craindre que le mal qu'elle pourrait guérir, et qu'il est blamable de désirer et impossible de prévoir”».

 

Dans la galaxie intellectuelle, quelque part entre Spengler, Lorenz, Heidegger et Huxley, Serge Latouche s'inquiète des perspectives sombres qui s'offrent à l'humanité. Parues voici deux ans, les conclusions de son livre semblent se confirmer sur le terrain: les indicateurs du système sont partout dans le rouge, la mégamachine tourne dans le vide, en France, un nouveau gouvernement socialiste se retrouve dans l'incapacité totale de mettre en application son programme, les dirigeants, réduits à l'impuissance, multiplient alors les initiatives stupides... Comme Guy Debord, Latouche semble croire “à la chute inéluctable de cette cité d'illusion”... Alors c'est pour quand les derniers jours?

 

Pascal GARNIER.

 

Serge LATOUCHE, La Mégamachine. Raison techno-scientifique, raison économique et mythe du progrès. Essais à la mémoire de Jacques Ellul, Editions la Découverte/MAUSS, Paris, 1995, 243 p. 139 FF.

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L'emblème démocratique

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François de BERNARD : L'emblème démocratique

Editions Mille et Une Nuits, ISBN 2-84205-321-4, 1998, 2 Euro.

 

Nous n'avons pas affaire à une démocratie, nous dit François de Bernard, mais à un "gouvernement du petit nombre", dissimulé sous le masque de la démocratie. Le discours "démocratique" serait donc pur décorum, destiné à masquer une pratique oligarchique (Roberto Michels!), qui correspond à la domination de l'économie, qui atteint son apogée à l'ère de la globalisation voulue et forcée. Mais cette oligarchie à masque "démocratique" ne fonctionne que si elle garantit à tous un niveau de vie convenable et offre des perspectives d'avenir meilleur. A partir de 1975 environ, on a expliqué les ressacs visibles de l'économie par des "facteurs extérieurs", dont l'oligarchie ne pouvait être tenue pour responsable: le choc pétrolier (la faute aux Arabes!), les sacrifices exigés pour une unification européenne censée apportée ultérieurement tous les bienfaits, ensuite, même sacrifices exigés pour réussir la panacée des panacées : la globalisation. Or la globalisation doit abattre les barrières politiques (étatiques, protectionnistes, etc.) qui s'opposent à elle; par conséquent, elle doit rendre caduques bon nombre de lois, si bien qu'elle se rapproche insidieusement de la tyrannie, que Léo Strauss qualifiait à juste titre de "gouvernement sans lois", parce que non basé sur le consentement des peuples (et, ajouterions-nous, en conflit permanent avec les héritages historiques, quels qu'ils soient). Donc le fondement de la tyrannie en marche aujourd'hui n'est pas une forme ou une autre de dictature (personnelle ou commissariale, pour reprendre la terminologie de Carl Schmitt), mais un drôle de mixtum compositum de libéralisme sans frein (donc sans lois, donc tyrannique en bout de course) et de bureaucratisme dirigiste. En apparence, ces deux piliers affichent des idéologies contradictoires, mais ont un point commun, nous explique François de Bernard, celui de briser sans scrupule aucun les résistances populaires pour atteindre les objectifs fixés. Il observe également que les concepts clefs de ces deux idéologies sont instrumentalisés tour à tour au gré des opportunités et de l'intérêt immédiat des oligarchies: tantôt on vante  —et on vend!— la flexibilité, tantôt une dose supplémentaire d'Etat dans un domaine bien circonscrit, tantôt une "troisième voie" à la Blair, etc. Les oligarchies dominantes détruisent, créent et recréent des lois, qu'elles défont ensuite, diffusant de la sorte un flou juridique constant qui laisse les citoyens, sujets théoriques du politique, complètement perplexes et désorientés. Le principe "nul n'est censé ignorer la loi" est désormais nul et non avenu : les lois existent parce qu'elles sont connues de tous, à partir du moment où il y a trop de lois, où il y a inflation de règlements, nous débouchons dans une situation de tyrannie, car cela équivaut à une absence de lois et celles-ci sont effectivement absentes si elles ne sont pas d'emblée dans la tête des citoyens. Xénophon : «La conséquence pratique de l'absence de lois, c'est l'absence de liberté». Un petit livre à lire, à méditer, pour ne pas être dupe, pour apprendre à nos interlocuteurs qu'il ne faut pas l'être.

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Las derechas contra la Falange

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Las derechas contra la Falange

1. LOS ANTECEDENTES

El 19 de Abril de 1937 supone el hito más relevante de un proceso que afectó al movimiento nacionalsindicalista desde sus más remotos orígenes y que se prolonga hasta hoy mismo: los intentos de la derecha y de la extrema derecha por hacerse con el control del falangismo para derivarlo hacia intereses bastardos.

Efectivamente, mientras las JONS de Ramiro y Onésimo, la Falange de José Antonio y ambas organizaciones fusionadas después, supieron bosquejar un completo programa político y dotarlo a la par de una poesía, una mística original y galvanizadora de mentes y corazones, la derecha española carecía y carece no sólo de una estructura ideológica claramente identificable, sino de un universo simbólico con el que al menos disfrazar su nula capacidad para diseñar una proyecto propio que no sean vagos llamamientos genéricos preñados de calculada ambigüedad.

Por eso mismo, las intentonas para desviar a la Falange de su programa revolucionario fueron un peligro real y concreto con el que tuvieron que enfrentarse los falangistas desde el primer momento.

Así, una interesantísima carta de Juan Antonio Ansaldo, dirigida al exilio monárquico en Francia, probablemente en agosto de 1933, declara sin disimulos que, tanto él mismo como Francisco Moreno Herrera –marques de la Eliseda- estaban atentos a las conversaciones entre José Antonio y Ramiro Ledesma de cara a constituir un movimiento nacionalsindicalista único por lo que “nos hace falta injertarnos en él, pues como partido político puede ocurrir que al desarrollarse y tener vida propia prescinda de nosotros, y nadie sabe a dónde puede ir a parar si el éxito enardece un poco a sus caudillos. Hoy nos puede servir y nos servirá como grupo de acción, pero hay que pensar en su evolución y crecimiento, de tal suerte que no pierda nuestra tutela y amparo”.

No es de extrañar que, celosos de la intromisión derechista, en las mismas Bases del acuerdo entre JONS y FE se proclamara explícitamente que “se considera imprescindible que el nuevo movimiento insista en forjarse una personalidad política que no se preste a confucionismo con los grupos derechistas”. Y poco más tarde, en la Norma programática de FE de las JONS se insistía rotundamente: “Nos afanaremos por triunfar en la lucha con solo las fuerzas sujetas a nuestra disciplina. Pactaremos muy poco. Solo en el empuje final por la conquista del Estado gestionará el mando las colaboraciones necesarias, siempre que esté asegurado nuestro predominio”.

Y, como sabemos, no es mera retórica propagandística: en esos mismos días José Antonio rechaza el ingreso de Calvo Sotelo en la Falange, recordando que el nacionalsindicalismo “está bien lejos de ser un partido de derechas”. Fracasado, por tanto el primer intento ultra de infiltrase y orientar el rumbo de la Falange hacia los arrecifes de la política, Ansaldo y el Marqués de la Eliseda, acompañados por Arredondo y Rada, protagonizaron una ruidosa salida de Falange, haciendo todo lo posible por provocar su naufragio: Ansaldo, intentando apartar a José Antonio de la dirección del partido, y el Marqués de la Eliseda anunciando a bombo y platillo que abandonaba Falange por ser un partido anticatólico, declaración con la que quería minar la conciencia de los numerosos católicos falangistas.

Abortada esta intentona, cambia la estrategia de las derechas hacia la Falange; primero, intentándola ahogar económicamente; después, propiciando su aislamiento y aprovechar las detenciones policiales para, de nuevo, embarcar a los falangistas en sus oscuros planes.

Sabemos que, en diciembre de 1934, la Junta Política de FE de las JONS se reunía en la sede social de la calle Marques de Riscal, sin calefacción y que, al sobrevenir la noche, habían de encenderse velas, pues también carecían de electricidad. Como contraste a esta penuria económica, los partidos derechistas gozaban de considerables subvenciones procedentes de la Italia fascista: los carlistas, Renovación Española, las juventudes de Acción Popular… prácticamente todas las organizaciones monárquicas y de derechas recibían dinero, armas y entrenamiento militar; la Falange nada, ni una peseta.

Como bien ha demostrado Hillers de Luque la supuesta financiación que recibía José Antonio “a través de la embajada italiana en Paris”, ni siquiera alcanzaba para pagar los gastos del viaje de Madrid a la capital francesa donde debían ser recogidos los fabulosos fondos asignados.

Y, a pesar de todo, Falange sigue creciendo y consolidándose. 1935 ve aparecer el semanario Arriba, en las universidades el S.E.U. es la organización estudiantil mayoritaria, se suceden los actos políticos, las conferencias, los mítines… todo ello entre la inquina de las derechas. Incluso La Nación, diario de los partidarios del padre de José Antonio, se vuelve contra éste.

José Antonio no se arredra y expone claramente en el discurso –que Payne califica de magnifico- del cine Madrid, el 19 de mayo de 1935: “Esperaron, al principio, que nosotros viniéramos a ser la avanzada de sus intereses en riesgo, y entonces se ofrecían a protegernos y a asistirnos, y hasta darnos alguna moneda, y ahora se vuelven locos de desesperación al ver que lo que creían la vanguardia se ha convertido en ejercito entero e independiente”.

Y, añade: “No podemos lanzar el ímpetu fresco de la juventud que nos sigue para el recobro de una institución (la monarquía) que reputamos gloriosamente fenecida”. Esta ultima afirmación fue tomada como una autentica declaración de guerra por parte de los reaccionarios.

2. LOS ACONTECIMIENTOS SE PRECIPITAN

1936 se inicia con la convocatoria de elecciones a Cortes Generales para el 16 de febrero, acontecimiento que marcaría el futuro del país tras el gobierno de las derechas que José Antonio había calificado de bienio estúpido.

La polarización de la vida política había llegado a extremos tales que, generosamente, José Antonio, olvidando todas las afrentas, propuso en noviembre de 1935 la creación de un Frente Nacional, advirtiendo no obstante que “bajo esta bandera del frente nacional no se podrá meter mercancía de contrabando (…) habrá centinelas a la entrada que registren a los que quieran penetrar para ver si de veras dejaron fuera en el campamento todos los intereses de grupo y de clase”.

A la luz del Diario del Jefe Nacional del SEU, Alejandro Salazar, hemos podido conocer las agrias discusiones que provocó este ofrecimiento en el seno de la Junta Política falangista, prevaleciendo, al final, la opinión de José Antonio favorable al Frente, si bien imponiendo unas condiciones de predominio para los nacionalsindicalistas que las derechas se tendrían que ver obligadas a rechazar.

No se trataba de un brindis al sol; mientras las derechas habían permanecido cobardemente agazapadas durante el golpe de estado protagonizado por las izquierdas en octubre de 1934, los falangistas habían movilizado sus escuadras en defensa de la República, dejando varios militantes muertos en los combates. La Falange sola, entre el incierto tiroteo de los francotiradores, se había manifestado en las calles de Madrid con una gran bandera tricolor y vivas a la unidad nacional. Falange reclamaba el lugar que le correspondía en las candidaturas de manera análoga al lugar que había ocupado en los campos de batalla.

La desprendida propuesta de la Falange fue respondida con odiosa acritud por las organizaciones presuntamente patriotas; para señalar nítidamente los alcances de sus objetivos añadieron a la denominación de Frente Nacional el adjetivo Contrarrevolucionario, como si de esta manera quisieran advertir a los nacionalsindicalistas de que aquél no era su sitio.

Además, en un ejercicio de insolente cinismo, se atrevieron a recordar a José Antonio que siendo una organización antiparlamentaria, no tenia sentido que la Falange concurriera a unas elecciones… decían esto las mismas derechas civilizadas que, tal como ahora, habían aprovechado las instituciones democráticas para cimentar un sinuoso escenario de corrupción; casos como el estraperlo, el caso Nombela, la contrarreforma agraria, la brutal represión de los mineros asturianos mientras se hacia la vista gorda con los cabecillas del intento de golpe de estado de octubre del 34, constituían el honroso currículo de aquella burguesía, posibilista por fuera y reaccionaria por dentro.

Relegada al ostracismo, FE de las JONS, no se arredra, presentando candidaturas en unas pocas provincias, cosechando, pese a todas las dificultades y la aguda división social entre izquierdas y derechas, la nada desdeñable cantidad de 44.000 votos, insuficientes no obstante para obtener representación en las Cortes.

Destacables son, durante la campaña electoral, los melodramáticos llamamientos de la prensa derechista, entre ruegos y amenazas, para que Falange retirara sus candidaturas. Y es que pesaban mucho sobre sus lánguidos ánimos, encuestas como la publicada por el diario Ya en la que figuraba como el candidato favorito entre sus lectores ¡a la presidencia de la República!, nada más y nada menos que el propio José Antonio Primo de Rivera.

Los resultados de aquellos comicios son de sobra conocidos: una victoria del Frente Popular, seguido a escasa distancia por el Frente Nacional, aunque el sistema de reparto de escaños daba una sobrerepresentacion a las izquierdas, que inmediatamente aprovecharon su triunfo para imponer su ley, muy distintita a la legalidad republicana.

3. LA ÚLTIMA OPORTUNIDAD

Una ultima ocasión sobrevino al tener que repetirse los comicios en la provincia de Cuenca. La derecha, aterrada e impotente ante la victoria frentepopulista, intenta congraciarse con los falangistas ofreciéndoles presentarse en esta circunscripción con alguna garantía de conseguir el anhelado escaño que permitiría a José Antonio eludir las persecuciones político-judiciales de las que estaba siendo objeto. No obstante pronto se vio que era una oferta envenenada al tener que compartir lista… con el general Francisco Franco.

Se cuenta que José Antonio exclamó “¡solo falta el Cardenal Segura!” y exigió vehementemente la retirada del general, a quien debía tener poco menos que por un fatuo idota, a raíz de la entrevista que ambos mantuvieron en casa de Ramón Serrano Suñer en la que, mientras el Jefe de Falange exponía con angustia su visión de la situación nacional, Franco se limito a quejarse del escalafón militar y a opinar sobre algunas innovaciones artilleras.

Como ya es sabido, José Antonio Primo de Rivera obtuvo los votos suficientes para conseguir acta de Diputado en las Cortes Republicanas por Cuenca, sin embargo la falsificación y de los resultados electorales, ante la impotencia de las derechas, que también se vieron afectadas en muchos casos, impidió que el Jefe Nacional de la Falange obtuviera su escaño. Ya en prisión José Antonio, las dificultades para el desarrollo normalizado del partido nacionalsindicalista se vieron agravadas.

4. HACIA EL CAOS

Desde las elecciones de febrero, los historiadores se han limitado a señalar las persecuciones y arbitrariedades que sufrieron los falangistas por parte de las izquierdas; sin embargo poco se ha escrito de las presiones sobre la Falange provenientes de la derecha, presiones que hacen declarar a José Antonio: “Preferimos la bala izquierdista a la palmadita derechoide, porque vale más morir de bala que de nausea”.

Así, los intentos del gobierno del Frente Popular de ilegalizar a FE de las JONS se estrellan contra la propia legalidad republicana, cuyo Tribunal Supremo declara la legalidad de la Falange; esta oportunidad no la tuvieron los falangistas con el decreto 255 del gobierno presidido por Franco que disolvía todos los partidos políticos de la zona nacional, incluyendo, claro está a la Falange.

Encarcelado desde el 14 de marzo, preso político, las preocupaciones de José Antonio se iban a dirigir a que su ausencia, junto a la del resto de dirigentes falangistas, no fuera aprovechada por la reacción, para que el nacionalsindicalismo mantuviera su autenticidad.

Así, José Antonio escribe: “Andan por España algunas personas que, especulando con nuestras actuales dificultades de comunicación, aseguran a nuestros militantes que se han concertado fusiones o alianzas con otros partidos. Terminantemente: no les hagáis caso. No se ha llegado a pacto alguno con nadie. Quienes lo propagan sólo aspiran a aprovecharse de nuestro incremento en favor de agrupaciones en eclipse. Si algún día nuestro Movimiento pactara con alguien, llegará a vosotros la noticia directamente, a través de vuestra jerarquía interna. Ningún rumor que no llegue por conducto orgánico de nuestra Jefatura debe merecer el menor crédito. Madrid, 13 de mayo de 1936″.

5. CONTRA EL GOLPISMO

Conocidos son los escritos e instrucciones de José Antonio, previniendo a sus camaradas sobre las intentonas de arrastrar a la Falange hacia las conspiraciones golpistas de la derecha. Reproducimos, en su integridad, la siguientes circulares a las que sobran comentarios:

“VISTA A LA DERECHA
Aviso a los “madrugadores”: la Falange no es una fuerza cipaya

Por la izquierda se nos asesina (o a veces se intenta asesinarnos, porque no somos mancos, a Dios gracias). El Gobierno del Frente Popular nos asfixia (o intenta asfixiarnos, porque ya se ve de lo que sirven sus precauciones). Pero –¡cuidado, camaradas!– no está en la izquierda todo el peligro. Hay –¡aún!– en las derechas gentes a quienes por lo visto no merecen respeto nuestro medio centenar largo de caídos, nuestros miles de presos, nuestros trabajos en la adversidad, nuestros esfuerzos por tallar una conciencia española cristiana y exacta.

Esas gentes, de las que no podemos escribir sin cólera y asco, todavía suponen que la misión de la Falange es poner a sus órdenes ingenuos combatientes. Un día sí y otro no los jefes provinciales reciben visitas misteriosas de los conspiradores de esas derechas, con una pregunta así entre los labios: “¿Podrían ustedes darnos tantos hombres?”

Todo jefe provincial o de las J.O.N.S., de centuria o de escuadra a quien se le haga semejante pregunta debe contestarla, por lo menos volviendo la espalda a quien la formule. Si antes de volverle la espalda le escupe el rostro no hará ninguna cosa de más.

¿Pero qué supone esa gentuza? ¿Que la Falange es una carnicería donde se adquieren al peso tantos o cuántos hombres? ¿Suponen que cada grupo local de la Falange es un tropa de alquiler a disposición de las empresas?

La Falange es una e indivisible milicia y partido. Su brío combatiente es inseparable de su fe política. Cada militante en la Falange está dispuesto a dar su vida por ella, por la España que ella entiende y quiere, pero no por ninguna otra cosa.

No ya la vida; ni una gota de sangre debe dar ningún camarada en auxilio de complots oscuros y maquinaciones más o menos derechistas cuyo conocimiento no les llegue por el conducto normal de nuestros mandos. El jefe nacional ha dicho muchas veces que así como los heridos al servicio de la Falange son ensalzados ante sus camaradas, el que padezcan herida en servicio no ordenado por la Falange será expulsado de ella con vilipendio”.

“Vamos a ver si nos enteramos:

Entre la turbia, vieja, caduca, despreciable política española, hay un tipo que se suele dar con bastante frecuencia: el del “madrugador”. Este tipo procura llegar cuando las brevas están en sazón –las brevas cultivadas con el esfuerzo y el sacrificio de otros– y cosecharlas bonitamente. Nunca veréis al “madrugador” en los días difíciles. Jamás se arriesgará a pisar el umbral de su Patria en tiempos de persecución sin una inmunidad parlamentaria que le escude. Jamás saldrá a la calle con menos de tres o cuatro policías a su zaga. Su cuerpo no conocerá las cárceles ni las privaciones.

Pero –eso sí– si otros a precio de las mejores vidas –¡muertos Paternos de la Falange!– logran hacer respetable una idea o una conducta, entonces el “madrugador” no tendrá escrúpulo en falsificarla. Así, en nuestros días, cuando la Falange a los tres años de esfuerzo recoge los primeros laureles públicos –¡cuán costosamente regados con sangre!–, el “madrugador” saldrá diciendo: “¡Pero si lo que piensa la Falange es lo que yo pienso! ¡Si yo también quiero un Estado corporativo y totalitario! Incluso no tengo inconveniente en proclamarme “fascista”. Algunos ingenuos camaradas hasta agradecerían esta repentina incorporación. Creerán que la Falange ha adquirido un refuerzo valioso. Pero lo que quiere el “madrugador” es suplantar a nuestro movimiento, aprovechar su auge y su dificultad de propaganda, encaramarse en él y llegar arriba antes de que salgan de la cárcel nuestros presos y de la incomunicación nuestras organizaciones. En una palabra: madrugar.

El ‘madrugador’ no tiene escrúpulos. A codazos se abrirá paso en sus propias filas. Traicionará y tratará de eclipsar a sus jefes (tanto más fáciles de eclipsar cuanto más elegantemente adversos a esa especie de groseros pugilatos). Contraerá en cada instante la voz y el gesto con los que más pueda medrar. Y cultivará sin recato la adulación; en nuestros tiempos –para llamar a las cosas por sus nombres– la adulación a las fuerzas armadas. El ‘madrugador’ siempre cuenta con el Ejército como un escabel más; esta convencido de que unos cuantos jefes militares arriesgarán vida, carrera y honor para servir la ambición hinchada y ridícula de quienes los adulan”.

“Si lo que se ventilara fuera el acceso a los cargos públicos, ¡lleváranselos enhorabuena los ‘madrugadores’! Esos cargos públicos, servidos de abnegación, son la más espinosa carga imaginable. A buen seguro que ninguno de nuestros camaradas de primera fila daría de grado su libertad, su juventud, su vida llena de atractivos, por la dura servidumbre de un ministerio. Pero no se trata de ser ministro. Para serlo, en estos tiempos en que se producen más de ochenta ministros cada cinco años, hay caminos más llanos que el de la Falange. Se trata de hacer a España.

De hacer a España con arreglo a su entendimiento de amor, que sólo poseen los que lo han adquirido en las horas tensas y difíciles.

De hacer a España según una iluminada geometría, cuyos secretos sólo se han entregado tras de muchas noches en vela.

Que alguien escuche y desmenuce el lenguaje de los “madrugadores”: ese lenguaje espeso, inflado, prosaico, abrumadoramente abundante y grotescamente impreciso. ¿Podrá alguien percibir en ese lenguaje el menor aleteo de la gracia?

Nuestra empresa española –ya se dijo en acto inicial de la Falange– es una empresa poética, religiosa y militar. No reside en fórmulas, y menos en fórmulas bastas. Es la aspiración permanente a una forma histórica llena de garbo y de fervor, sólo percibido por una fe clarividente.

No seremos ni vanguardia, ni fuerza de choque, ni inestimable auxiliar de ningún movimiento confusamente reaccionario. Mejor queremos la clara pugna de ahora que la modorra de un conservatismo grueso y alicorto, renacido en provecho de unos ambiciosos “madrugadores”. Somos –se ha dicho muchas veces– no vanguardia, sino ejército entero, al único servicio de nuestra propia bandera.

Aspiramos a ser un pueblo en marcha tras de una voz de mando. Una voz que se nos haya hecho familiar en las horas de peregrinación. No creemos en una receta o en una colección de recetas que cualquiera puede preparar. Creemos en una mente y en un brazo.

Para que esa mente y ese brazo nos gobiernen lucharemos todos hasta el final. Para que un “madrugador” se adelante y nos diga: “¿Pero no les da a ustedes lo mismo? ¡Si yo también soy totalitario!” Para eso, no; ni un minuto.

Y será inútil el madrugón. Aunque el ‘madrugador’ triunfara le serviría de poco su triunfo. La Falange, con lo que tiene de ímpetu juvenil, de acervo intelectual, de brío militante, se le volvería de espaldas. Veríamos entonces quién daba calor a esos “fascistas rellenos de viento”. Nosotros, para ver pasar sus cadáveres, no tendríamos más que sentarnos a la puerta de nuestra casa bajo las estrellas.”

(No Importa, Boletín de los días de persecución, número 3, 20 de junio de 1936).

Unos días más tarde, José Antonio vuelve a insistir, con igual dureza:

“A TODAS LAS JEFATURAS TERRITORIALES Y PROVINCIALES

URGENTE E IMPORTANTÍSIMO

Ha llegado a conocimiento del jefe nacional la pluralidad de maquinaciones en favor de más o menos confusos movimientos subversivos que están desarrollándose en diversas provincias de España.

La mayor parte de los jefes de nuestras organizaciones, como era de esperar, han puesto en conocimiento del mando cuantas proposiciones se les han hecho, y se han limitado a cumplir en la actuación política las instrucciones del propio mando. Pero algunos, llevados de un exceso de celo o de una peligrosa ingenuidad, se han precipitado a dibujar planos de actuación local y a comprometer la participación de los camaradas en determinados planes políticos. Las más de las veces, tal actitud de los camaradas de provincias se han basado en la fe que les merecía la condición militar de quienes les invitaban a la conspiración. Esto exige poner las cosas un poco en claro.

El respeto y el fervor de la Falange hacia el Ejército están proclamados con tal reiteración, que no necesitan ahora de ponderaciones. Desde los 27 puntos doctrinales se ha dicho cómo es aspiración nuestra que, a imagen del Ejército, informe un sentido militar de la vida toda la existencia española. Por otra parte, en ocasiones memorables y recientes, el Ejército ha visto compartidos sus peligros por camaradas nuestros.

Pero la admiración y estimación profunda por el Ejército como órgano esencial de la patria no implica la conformidad con cada uno de los pensamientos, palabras y proyectos que cada militar o grupo de militares pueda profesar, preferir o acariciar. Especialmente en política, la Falange –que detesta la adulación porque la considera como un último menosprecio para el adulado– no se considera menos preparada que el promedio de los militares. La formación política de los militares suele estar llena de la más noble ingenuidad. El apartamiento que el Ejército se ha impuesto a sí mismo de la política ha llegado a colocar a los militares, generalmente, en un estado de indefensión dialéctica contra los charlatanes y los trepadores de los partidos. Es corriente que un político mediocre gane gran predicamento entre militares sin más que manejar impúdicamente algunos de los conceptos de más hondo arraigo en el alma militar.

De aquí que los proyectos políticos de los militares (salvo, naturalmente, los que se elaboran por una minoría muy preparada que en el Ejército existe) no suelen estar adornados por el acierto. Esos proyectos arrancan casi siempre de un error inicial: el de creer que los males de España responden a simples desarreglos de orden interior y desembocan en la entrega del Poder a los antes aludidos, charlatanes faltos de toda conciencia histórica, de toda auténtica formación y de todo brío para la irrupción de la Patria en las grandes rutas de su destino.

La participación de la Falange en uno de esos proyectos prematuros y candorosos constituida una gravísima responsabilidad y arrastraría su total desaparición, aun en el caso de triunfo. Por este motivo: porque casi todos los que cuentan con la Falange para tal género de empresas la consideran no como un cuerpo total de doctrina, ni como una fuerza en camino para asumir por entero la dirección del Estado, sino como un elemento auxiliar de choque, como una especie de fuerza de asalto, de milicia juvenil, destinada el día de mañana a desfilar ante los fantasmones encaramados en el Poder.

Consideren todos los camaradas hasta qué punto es ofensivo para la Falange el que se la proponga tomar parte como comparsa en un movimiento que no va a conducir a la implantación del Estado nacionalsindicalista, al alborear de la inmensa tarea de reconstrucción patria bosquejada en nuestros 27 puntos, sino a reinstaurar una mediocridad burguesa conservadora (de la que España ha conocido tan largas muestras), orlada, para mayor escarnio, con el acompañamiento coreográfico de nuestras camisas azules.

Como de seguro tal perspectiva no halaga a ningún buen militante, se previene a todos por esta circular, de manera terminante y conminatoria, lo siguiente:

1. Todo jefe, cualquiera que sea su jerarquía, a quien un elemento militar o civil invite a tomar parte en conspiración, levantamiento o cosa análoga, se limitará a responder: “Que no puede tomar parte en nada, ni permitir que sus camaradas la tomen, sin orden expresa del mando central, y que, por consiguiente, si los órganos supremos de dirección del movimiento a que se les invita tienen interés en contar con la Falange, deben proponerlo directamente al jefe nacional y entenderse precisamente con él o con la persona que él de modo expreso designe”.

2. Cualquier jefe, sea la que sea su jerarquía, que concierte pactos locales con elementos militares o civiles, sin orden expresa del jefe nacional, será fulminantemente expulsado de la Falange, y su expulsión se divulgará por todos los medios disponibles.

3. Como el jefe nacional quiere tener por sí mismo la seguridad del cumplimiento de la presente orden, encarga a todos los jefes territoriales y provinciales que, con la máxima premura, le escriban a la prisión provincial de Alicante, donde se encuentra, comunicándole su perfecto acatamiento a lo que dispone esta circular y dándole relación detallada de los pueblos a cuyas J.0.N.S. se ha transmitido. Los jefes territoriales y provinciales, al dirigir tales cartas al jefe nacional, no firmarán con sus nombres, sino sólo con el de su provincia o provincias respectivas.

4. La demora de más de cinco días en el incumplimiento de estas instrucciones, contados desde la fecha en que cada cual la reciba, será considerada como falta grave contra los deberes de cooperación al Movimiento.

Madrid, 24 de junio de 1936.
¡Arriba España!.”

Se ha especulado con ciertas circulares, atribuidas a José Antonio y publicadas en sus Obras Completas, en sentido totalmente contrario al anterior. La opinión de algunos historiadores, basándose en un análisis del estilo narrativo, atribuye dichas instrucciones a Fernando Primo de Rivera, que sí bien no estaba afiliado al partido, sí pudo recibir en algún momento la interinidad de la jefatura, dando lugar a estos escritos apócrifos, alejados del todo del auténtico espíritu nacionalsindicalista.

Inexorablemente desatada la encarnizada guerra fraticida, José Antonio confiesa al periodista Jay Allen: “Yo sé que si este Movimiento gana y resulta que no es nada más que reaccionario, entonces me retiraré con la Falange y yo… volveré a ésta o a otra prisión dentro de muy pocos meses”.

Y, ante el Tribunal Popular que había de decretar la inconstitucional sentencia de muerte contra José Antonio, este replica sin ambages:

“Jurado: ¿Cómo puede justificar que siendo la máxima autoridad de Falange Española vitupere el movimiento que han provocado, siendo Falange Española uno de los puntales de este levantamiento?

José Antonio: Por el hecho, sencillísimo, de estar yo en la cárcel, hecho que ha sido buscado directamente, por las fuerzas de derechas que están en la calle. Han querido aprovechar el brío y la energía combatiente de los muchachos de Falange Española, impidiendo mi control sobre ellos”.

No se puede ser más claro, pero tanto desde la derecha como desde la izquierda se ha tratado de implicar a la Falange en la gestación y responsabilidad de la Guerra Civil, situación a la que fue tan ajena, como a la de los 40 años que la siguieron.

6. LA FALANGE EN LA ZONA OSCURA

Mientras en la zona roja los falangistas eran, encarcelados, torturados y salvajemente ejecutados por decenas, en la zona nacional las cosas tampoco pintaban bonitas para el nacionalsindicalismo.

Conocidas son las serias reyertas al negarse los falangistas a aceptar la bandera bicolor que pronto impusieron monárquicos y carlistas; pero además, la Falange, siendo fuerza esencial en la primera línea de combate, se enfrentaba en la retaguardia a todo tipo de injurias y ultrajes que no supo contrarrestar a tiempo, pensando que a toda afrenta debía superponerse la generosidad de la sangre derramada.

Se acusaba a los falangistas de ser paganos, condescendientemente se hablaba de ellos como nuestros rojos, cuando no se sembraban calumniosas sospechas de ser rojos infiltrados.

La primera vuelta de tuerca del ejército contra la Falange, aún José Antonio vivo, se sitúa el 25 de septiembre de 1936 fecha en que se publica un decreto de la Junta de Defensa Nacional prohibiendo cualquier tipo de actividad política o sindical (en clara alusión a los nacionalsindicalistas), ahogando de esta manera la propaganda del ideario por el que tantos jóvenes estaban dando su vida en las trincheras.

Esta advertencia a los falangistas se ve corroborada días más tarde al proclamarse al general Franco Jefe del gobierno del Estado español (se cuenta que un ardid de Ramón Franco hizo que se publicara el nombramiento como Jefe del gobierno Y del Estado Español).

Sea cierta o no la leyenda, José Antonio, casi coincidiendo en el tiempo, desde su celda escribe:

“¿Qué va a ocurrir si ganan los sublevados? Un grupo de generales de honrada intención; pero de desoladora mediocridad política. Puros tópicos elementales (orden, pacificación de los espíritus … ). Detrás: 1º) El viejo carlismo intransigente, cerril, antipático. 2º) Las clases conservadoras, interesadas, cortas de vista, perezosas. 3º) El capitalismo agrario y financiero, es decir: la clausura en unos años de toda posibilidad de edificación de la España moderna. La falta de todo sentido nacional de largo alcance”.

Con la exaltación del generalísimo (en esos momentos la única persona del mundo que ostentaba dicho título era Stalin) quedaba meridianamente claro que cualquier iniciativa política tendría que contar con la aprobación del militar gallego. ¿Sería posible bajo esos parámetros hacer una Revolución? Dejamos al lector la respuesta.

La persecución contra la Falange cobra visos muy similares a los que hubo de soportar durante la última etapa de la II República: se impiden las alocuciones radiofónicas, se recogen las hojas de propaganda con los discursos de José Antonio, se obliga a que en la cabecera de los periódicos figuren no una ni dos, sino tres veces la invocación al caudillo.

La guerra, no obstante, continuaba, y los falangistas, empujados a participar en ella, quizá adivinando que no iban a poder realizar su programa jamás, se vieron sobrecogidos por un inquietante rumor: la fría madrugada del 20 de noviembre habían muerto, casi simultáneamente, los dos grandes líderes del sindicalismo revolucionario español. Buenaventura Durruti y José Antonio Primo de Rivera. La desaparición de este último aceleró los planes de la reacción; justo 5 meses después se decretó la desaparición de FE de las JONS.

Como respuesta, nacía la Falange Auténtica.
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BIBLIOGRAFÍA CONSULTADA:

Stanley G. Payne. Franco y José Antonio. El extraño caso del fascismo español. Historia de la Falange y del movimiento nacional. Ed. Planeta. Barcelona, 1997.
Ramiro Ledesma Ramos. Escritos Políticos ¿Fascismo en España?, La Patria Libre, Nuestra Revolución. Ed. Trinidad Ledesma. Madrid, 1988.
Obras de José Antonio Primo de Rivera. Ed Almena. Madrid, 1971.
Ramiro Ledesma Ramos. Escritos Políticos 1933-1934 JONS. Ed. Trinidad Ledesma. Madrid, 1985.
Manuel Brants Reyes. La tercera Falange. De la clandestinidad al acompañamiento coreográfico. Ed. Reconquista. Madrid, 2003.
Antonio Gibello. José Antonio. Apuntes para una biografía polémica. Ed. Doncel. Barcelona, 1974.
Raúl Martín. La contrarrevolución falangista. Ed. Ruedo Ibérico. Paris, 1971.
Rafael Ibáñez Hernández. Estudio y Acción. La Falange fundacional a la luz del Diario de Alejandro Salazar. Ed. Barbarroja. Valencia, 1993.
Ian Gibson. En busca de José Antonio. Ed. Planeta. Barcelona, 1980.


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samedi, 02 juin 2007

Désarrois de l'agroalimentaire

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Les désarrois de l'agro-alimentaire

L’agression de l’Europe par le système qui con­trôle l’Amé­ri­que est devenue systématique : violences financières, at­tentats culturels, incitations des non européens à la haine. D’un bout à l’autre de l’année, les laquais de l’occiden­tis­me éructent et paralysent toute volonté de résistance. L’é­mer­gence de nouvelles difficultés dans le monde agro-ali­men­taire résulte certes pour partie des tensions entrete­nues par la mythologie technicienne. Mais les éradicateurs de l’Europe, en embuscade par tout temps, trouvent ici une nouvelle opportunité de manifester leur capacité de nui­sance.

I - Les mythes techniciens et leurs effets pervers

Si au XX° siècle de grandes quantités de livres et d’émis­sions médiatiques diverses ont débattu des avantages et in­convénients de la technique, le résultat n’a jamais été pro­bant. Car le monde des trafiquants, de l’État et de la scien­ce a fusionné, rendant non opératoire toute critique in­dé­pen­dante.

L’essence de la science, rappelle Julien Freund (1), est la con­­naissance dans toutes les acceptions du terme. Elle donne lieu à une activité rationnelle spécifique, car seule la rationalité est source d’investigation méthodique. La technique, par contraste, est plus généralement une com­binaison de moyens matériels et est caractérisée par l’asso­ciation de démarches et de procédés intellectuels. Evo­luant entre l’innovation et la routine, mobilisant la ra­tio­nalisation comme l’improvisation, la technique n’a au­cu­ne finalité propre. Son impératif réside dans l’efficacité au service des autres activités.

 

La pénétration de la technique dans l’ensemble de l’a­gri­culture, suite à sa pénétration dans tous les domaines de la vie humaine a de nombreux effets pervers, comme de favo­riser “une société qui s’habituait à raisonner en termes mé­caniques et devenait de plus en plus incapable de per­ce­voir les hommes comme des personnes” (2). Der­rière l’utili­sa­tion systématique de la science et de la technique en a­gri­culture et dans l’alimentation on ne retrouve guère que l’aiguillon du profit commercial. Puisque l’économie devint au cours du siècle un moyen de contrôle social, par la réa­lisation d’une synarchie finance, commerce, médiats, les ac­tivités économiques en liaison avec la technique devin­rent le moyen d’une domination absolue des conditions de vie des peuples et d’éradication des cultures (3).

 

Homo technicus

 

La conception officielle de la vie, véhiculée par les savants médiatiques et les revues de prédication scientiste est ré­su­mée ainsi par Henri Atlan (4): “On sait maintenant que les êtres vivants sont des êtres physico-chimiques, et que la biologie ne nous renseigne pas sur la vie”. Les succès de la biologie ne sont-ils pas là pour accréditer cette thèse ?  Les ma­­­nipulations de gènes, les plantes et animaux trans­gé­ni­ques n’expriment-ils pas la grandeur de cette vision ?  De la con­ception mécanique de la vie à la foi en la vérité de cel­le-ci le pas est vite franchi. L’homme de science, le techni­cien avec ses appareillages connaît mieux la vie que l’agri­cul­teur ou l’éleveur. Il convient de lui obéir et que les au­tres se plient à ses lubies.

 

La recherche du profit maximum provoque simultanément l’anéantissement de multiples espèces de par le monde et la production intensive de choses à manger. La production de viande sort d’usines à poules et à autres espèces sous la haute protection intellectuelle d’une pensée scientifique destinée à justifier le profit. “Les poules préfèrent les ca­ges” (5) affirment ceux qui n’hésitent pas à camoufler leurs méfaits derrière des comités d’éthique, puisque désormais est dénommée ainsi la théorie rationnelle du bien et du mal.

 

La réalité est mutilée pour en éliminer ce qui ne sert pas les intérêts des producteurs. A l’abri de tant de murailles règnent des castes qui modifient les critères d’enregistre­ment, de mesure, lorsqu’elles le jugent nécessaire à leurs intérêts. La fraude scientifique a connu, dans ce sillage, une explosion. La dénaturation du monde, menée avec di­ligence, impose toujours une réalité fictive pour oc­culter la nature réelle. La disparition de nombreuses es­pèces animales s’accompagne de la création, par les biolo­gistes et biotechniciens, de nouvelles espèces au moyen d’une manipulation des gènes. “d’une part la faune na­tu­relle était progressivement appauvrie, d’autre part les ani­maux artificiels devenaient de plus en plus nombreux” (6).  Dans le domaine agricole, à la création artificielle de nou­velles céréales et de nouveaux arbres fruitiers  par les bio­techno­logies se sont ajoutées les méthodes culturales pour accroître les rendements. La culture hors sol est même par­fois devenue un slogan.

 

Planète transgénique

 

Le point de vue technoscientifique appliqué à l’agriculture favorise les plantes transgéniques mais souligne rarement les multiples facettes du problème (7). Notamment, que la na­ture n’est pas un meccano. Or, la biologie moléculaire travaille à partir d’un dogme : le gène code pour une pro­téine. Cette naïveté est dangereuse. Car la nature ne fonc­tionne pas de cette façon. Les manipulations génétiques mo­difient certainement l’équilibre du génome. Et les ris­ques écologiques sont déjà bien connus : il y a des fuites de gênes dans des espèces proches. Par exemple, le colza, es­pè­ce transgénique, a laissé passer un gêne de résistance à un herbicide à d’autres plantes que l’on voulait tuer et qu’on ne peut plus éliminer avec cet herbicide. Un im­men­se désordre s’installe ainsi dans la nature.

 

Évidemment, les travaux concernant les effets des OGM sont censurés lorsqu’ils déplaisent car il existe désormais en occident une liste de pensées pieuses qu’il faut ânon­ner. Cela installe une science des soviets financiers qui succède à la science prolétarienne. La FAO et l’OMS se voilent pudiquement la face devant l’évaluation des risques des désastres génétiques. C’est ainsi que, pour chaque pro­duit aboutissant sur le marché, il y en a peut-être vingt ou plus qui constituent un échec flagrant (8): le super cochon mo­difié génétiquement avec un gène hormone de croissan­ce humaine est devenu ulcéreux, aveugle, impuissant et ar­thritique ; le super saumon a développé une grande tête mon­strueuse avant de mourir par incapacité à respirer ou à s’a­limenter lui-même ; les clones de la brebis Polly sont anor­maux et leurs probabilités de décès à la naissance est huit fois supérieure à celle des agneaux ordinaires...

 

On ne s’étonne pas dès lors que les horreurs commencent à apparaître. Non seulement, ces vingt dernières années, on a constaté la résurgence des maladies infectieuses résis­tantes aux médicaments et aux antibiotiques (Jean-Marie Pelt affirme qu’en France on constate 10.000 décès par an dus à la résistance aux antibiotiques), ce qui pose le pro­blème de pandémies qui pourraient traverser les barrières des espèces et devenir incontrôlables, mais les résistances aux antibiotiques passent par la chaîne alimentaire. Les plan­tes transgéniques en effet transfèrent les transgènes aux bactéries du sol. Enfin, les herbicides totaux utilisés avec les plantes transgéniques alimentaires, tel le Round­up, ont des effets négatifs sur la fertilité des mammifères (9). Dans les études d’impact des cultures transgéniques, on a constaté que les insectes qui venaient se nourrir de telles plantes déclenchaient des effets sur leurs propres pré­dateurs dont la durée de vie se réduisait....

 

Les limites des savoirs

 

On se doit de rappeler ici les limites bien établies des sa­voirs. Car si elles sont négligées, c’est sous la pression d’in­térêts incarnés dans les consistoires et les soviets des fir­mes transnationales, en liaison avec les factions en pos­session des États.

 

Citons tout d’abord la démonstration rigoureuse qu’il existe des bornes aux connaissances dans les domaines où les sa­vants pensaient pouvoir éliminer toute subjectivité. Gödel, en arithmétique, a prouvé l’infinité des propositions indéci­da­bles. Heisenberg, en physique, a établi l’impossibilité de mesurer simultanément, avec une totale précision, les coor­données spatiales et les composantes d’impulsion de par­ticules. En économie, l’impossibilité de l’équilibre gé­néral, les paradoxes d’Allais et d’Arrow, etc. ont établi les li­mites de cette science. Bref, la vérité est toujours rela­tive et en réalité nous vivons au sein de récits et de mythes plutôt que dans les absolus de l’histoire et de la vérité.

 

La métaphore guerrière est un technique de mobilisation bien maîtrisée par les fonctionnaires du cerveau, stipendiés des oligarchies occidentistes. Selon un processus qu’avait bien souligné Orwell, dans le roman “1984”, l’état de guer­re doit être perpétuel car chaque agent du conflit soutient et justifie les autres. La guerre de tous contre tous est donc un moyen de légitimer tous les esclavages, toutes les pro­pagandes. “Il existait tout un ensemble de départe­ments spéciaux qui s’occupaient pour les prolétaires de lit­térature, de musique, de théâtre et en général de délas­sement. Là, on produisait des journaux stupides qui ne trai­taient presque entièrement que de sport, de crime et d’as­trologie, de petits romans à cinq francs, de films juteux de sexualité, de chansons sentimentales composées par des mo­yens entièrement mécaniques qui entraînaient un étouf­fement délibéré de la conscience par le rythme” (10). Les soviets de la finance, du commerce et des médiats éructent leurs ordres au savoir et au pouvoir politique. Toute pensée étrangère à leurs intérêts leur devient intolérable et l’oubli du passé, tout autant que sa mise à jour perpétuelle et con­tinue constituent des moyens propres à assurer la jus­tesse des prédictions faites par ces oligarchies. La tech­nique enchâssée dans l’obsession de convertir le monde à la juste domination de banksters, auto-proclamés race su­périeure, provoque la mise sur le marché de produits fre­la­tés aptes à empoisonner les populations soumises à leur pouvoir.

 

II - Les moyens de la stratégie de domination mondiale

 

Les pays d’Europe, et notamment l’Allemagne, ont mené des guerres en ce siècle qui n’eurent pas été possibles avec une agriculture mécanisée totalement ou une nourriture importée massivement. Après consommation des récoltes d’une année, rien n’aurait pu fonctionner correctement pour assurer la récolte suivante. En Allemagne “derrière le front un nombre à peine suffisant de femmes exploitaient, avec l’aide des prisonniers de guerre qui leur furent con­fiés, les fermes dont les produits alimentèrent la nation combattante” (11). La nourriture doit désormais provenir de lieux et compétences multiples pour qu’ainsi, divisée, rien d’indépendant ni d’autonome ne puisse plus émerger. Depuis que les sectes d’infâmes contrôlent l’occident, la tâ­che de démembrement de l’agriculture est une œuvre pieu­se. La guerre menée contre l’Europe verte débuta très tôt.

 

Désagréger l'Europe verte

 

La PAC (Politique Agricole Commune) naquit sur trois prin­cipes : la solidarité financière, l’unicité des prix institu­tion­nels, la préférence communautaire. Le Royaume-Uni, après son entrée dans l’Europe, respecta très mal la préférence communautaire, par habitude d’entretenir des relations com­merciales avec le Commonwealth. En outre, les hom­mes liges du parti de l’étranger, installés dans la machine à broyer du GATT, déclenchèrent de vives polémiques contre le protectionnisme européen. Leurs maîtres américains, fé­ro­cement protectionnistes pour leurs propres intérêts, é­ruc­tent régulièrement contre les Européens coupables d’ê­tre des victimes insuffisamment consentantes à leur servi­tu­de. De par la terreur américaine, les exceptions à la pré­fé­rence communautaire s’allongent indéfiniment (12) : ma­tières grasses végétales, produits de substitution aux cé­réales entrent en franchise. Plus les dérogations en faveur des viandes australienne ou argentine, du beurre néo-zé­landais...

 

En 1981, les exceptions permettaient déjà l’assèchement du FEOGA (Fonds Européen d’Orientation et de Garantie A­gri­cole). Diverses réformes conduisirent, en 1992, toujours sous la pression des terroristes affairistes américains, à dé­finir la situation agricole européenne par trois orientations: la maîtrise de la production ; la garantie de revenus pour les agriculteurs ; la protection de l’environnement et la pro­motion de la qualité des produits. Les mesures visent sy­sté­matiquement à abaisser les prix des céréales, du lait, de la viande,... et à geler des surfaces cultivées. Le but pro­clamé est l’euthanasie des agriculteurs, réputés trop nom­breux, et la collectivisation des activités, phase qui précède la domination par les congrégations multi­nationa­les.

 

Dans le cas français, les conséquences des décisions de Bruxelles et de la violence américaine ont été exposées par J. C. Davesnes (13):

 

1 - Les débuts du marché commun sont indissociables des in­térêts des multinationales hollandaises. Tous les vice-pré­sidents de la Commission européenne chargés de l’agricul­ture ont été Hollandais car la Hollande est le lieu géomé­trique des grandes transnationales qui contrôlent le com­mer­ce agro-alimentaire (par exemple : Unilever).  

2 - La liquidation du monde agricole s’est effectuée au mo­yen des différentes stratégies de domination et d’expan­sion de toute révolution (14) :

a - le changement par l’outil. C’est la forme la plus aisée qui correspond au progrès technique. Le machinisme a in­tro­duit par exemple la dépendance énergétique.

b - le changement par la procédure. Les règlements sont mo­difiés afin que les subventions orientent les choix, que les éleveurs soient conduits à dépendre d’un organisme ex­térieur pour l’insémination artificielle. C’est ainsi que la moitié des inséminations qui furent réalisées en France grâ­ce à la législation sur l’insémination artificielle ont mis en avant uniquement les races bovines Frisonnes et Holstein. Le reste a été sacrifié.

c - le changement par la restructuration : Le développe­ment agricole fut confié par Edgar Pisani aux chambres d’a­griculture. Elles prélevèrent des cotisations, employèrent des “spécialistes” dont les conseils devinrent contrai­gnants. Diverses lois d’orientation agricole créèrent des or­ga­nismes nouveaux à statut spécial : les SAFER (Sociétés d’A­ménagement Foncier et d’Établissement Rural), les grou­pements de producteurs pour l’élevage (porc mais aus­si aviculture), des sociétés d’économie mixte, et de nou­veaux syndicats serviles.

 

d - Changer les esprits par le changement des enjeux personnels. Dans la propagande en faveur des remem­brements du sol, par exemple, les fonctionnaires tou­chaient des primes en fonction de l’importance des tra­vaux. Le saccage des régions de bocage était donc juteux. De la même façon, dans la prédication en faveur de l’éle­vage préférentiel des vaches laitières de race Holstein, le ministère de l’agriculture fut intéressé financièrement. J. C. Davesnes précise de plus que le Crédit agricole eut ten­dance à prêter sous contrainte, le débiteur s’engageant à suivre les directives de l’administration. Enfin, l’indemnité viagère de départ accordée aux agriculteurs âgés quittant leur activité fut créée pour favoriser l’agrandissement des exploitations et non l’installation de jeunes exploitants.

 

Promouvoir les congrégations transnationales

 

L’argument du coût de la recherche chimique et biolo­gi­que, en liaison avec la prédication en faveur du libre-é­chan­gisme,  explique le balancement entre ententes et con­testations au sein de ce vaste secteur de l’agro-ali­men­taire.

 

La loi de la tendance à la monopolisation y fonctionne com­me dans les autres domaines. Déjà entre les deux guer­res, un cartel réunissait les firmes anglaises, allemandes et amé­ricaines. Récemment (1999), le cartel mondial des vitamines a été condamné. Mais rien ne vient contester l’intégration entre la recherche et l’activité industrielle, tant au sein des firmes que dans les restructurations des secteurs. Les congrégations transnationales cherchent à réunir et à contrôler simultanément les compétences de la recherche et celles du management. La volonté présente des oligarchies est de contrôler des domaines d’activité voi­re des produits précis. Ainsi se vendent des activités pendant que d’autres fusionnent. Nous avons vu cela pour la constitution d’AVENTIS ou au moment de la transfor­ma­tion d’ICI.

 

Les trusts chimiques ont mis la main sur la production et la distribution de semences depuis la “Révolution verte” des années soixante. Démarche logique : “puisque le succès des semences de variétés élaborées et fragiles était lié à l’em­ploi de produits chimiques, il était normal que les produc­teurs de ceux-ci cherchassent à contrôler ceux-là” (15). La mainmise est définitive par le jeu des brevets qui donnent à ces sociétés le monopole dans le domaine de la recherche et des obtentions. Ces congrégations poussent les semences qui nécessitent leurs produits chimiques et on aboutit à une politique de recherche qui articule simulta­né­ment végé­taux, animaux, humains.

 

Au rassemblement des compétences du management et de la recherche l’agro-alimentaire ajoute l’ahurissement par le marke­ting, à partir du concept de marque. La marque est une image durable et forte. Les grandes marques sont anciennes et pratiquement indétrônables. La stratégie vise donc à accroître leur part de marché puisqu’elles garantis­sent une faible sensibilité des produits aux variations de prix. De véritables conglomérats (ensemble d’entreprises sou­mises à un même pouvoir financier) disposent de multi­ples marques auxquelles s’appliquent deux types de politi­ques :

 

 - La segmentation des marchés. Une partie de la deman­de est peu sensible au prix alors que l’autre segment est in­sensible à la qualité. La justification des prix élevés prati­qués par certaines marques impose un recours massif à la pu­blicité chargée de proclamer la prégnance de celle-ci. Il convient d’en accroître les parts de marché dans le monde pour assurer sa réputation et, évidemment, améliorer régu­liè­rement la qualité du produit. Certains comparent l’agro­ali­mentaire au marché des quotidiens (16): “La concur­rence joue surtout par les prix pour les produits banals, elle joue exclusivement par la qualité pour les biens clai­re­ment identifiés”.

 

- La naissance de craintes de contamination et d’attein­tes à l’organisme humain par des aliments infectés, em­poi­sonnés ou génétiquement modifiés est retournée par les or­ganes de la justification mensongère en demande de sub­stances bonnes pour la santé.  Les congrégations trans­na­tio­nales organisent dans ce but la maîtrise de la produc­tion, de la distribution et des labels, la politique de marque qui assure fidélité et profits. En ajoutant à leurs activités les produits porteurs de substances favorables à la santé, les profits explosent : on citera la margarine Benecol (prix huit fois plus élevé), voire l’huile d’olive. Ici, les prix sont élevés et rigides. L’agroalimentaire fait alors cause com­mu­ne avec l’industrie chimique ou pharmaceutique. De nou­velles entités regroupent agro-alimentaire et chimie phar­macie. Les profits financent les campagnes de publi­ci­té destinées à séduire les consommateurs.

 

Spectacle, secret et meurtre de masse

 

L’économie dominée par les congrégations transnationales en est venue “à faire ouvertement la guerre aux humains; non plus seulement aux possibilités de leur vie, mais aussi à celles de leur survie” (17). La science justifie tout ce qui se fait en matière agro-alimentaire et la médecine n’a plus le droit de défendre la santé de la population contre l’en­vi­ron­nement pathogène car elle s’opposerait aux consistoires et autres mafias de l’État et des firmes chimiques, pharma­ceu­tiques, alimentaires,... Les produits bons pour la santé sont promus par les méthodes fort anciennes des tréteaux forains; illusionnistes et aboyeurs s’étalent dans le médiati­que pour vendre du macrobiotique sous vide... Ce monde des nihilistes patentés emploie d’immenses armées de po­li­ciers, espions et hommes de main. Chaque service de sé­cu­rité d’une industrie combat le sabotage chez lui et l’orga­nise chez les autres, soudoyant les médias pour répandre des rumeurs. Les manœuvres mondialistes des effaceurs amé­ricains ont bien été repérées par les Européens qui ont cherché, mais faiblement, à se protéger de l’horreur. Ci­tons le spécialiste A. Arette : “En pleine période de la va­che folle (dont l’affaire a été magnifiquement montée par des laboratoires sous contrôle américain), il s’est déroulé un combat juridique... Les Européens avaient interdit l’im­portation venant des USA de la viande hormonée. Le procès venu en appel a été perdu pour l’Europe... Autrement dit, les Américains nous obligent à un contrat d’empoisonne­ment public...”.

 

L’empoisonnement est aussi lié au problème de la dégra­dation des sols qui, dans les pays “développés” subit l’é­rosion ; et à l’infiltration des engrais azotés et des pesti­cides dans les eaux souterraines. L’empoisonnement s’in­si­nue aussi par les effets secondaires d’adjuvants aux vac­cina­tions animales (hydroxyde d’aluminium par exemple). Etc.

 

III - Empêcher les éradicateurs de nuire

 

La technique, (notamment les biotechnologies) n’est pas né­­cessairement une machine à empoisonner les peuples. Elle peut être mise au service de la compréhension de la vie et du foisonnement de sa diversité. Cela suppose évi­dem­ment de réduire les nuisances des ententes entre l’a­gro­nomie, la chimie et la biologie

 

Préférence pour la politique de diversification des approvisionnements

 

La fusion des transnationales et de l’État interdit-elle toute évolution interne de l’Europe en faveur de ses peuples ?  La pen­sée économique a pourtant affirmé fréquemment que la diversification des approvisionnements est un gage capital de l’épanouissement économique. La combinaison de plu­sieurs matières premières agricoles, la partition organisée OGM et non OGM, les viandes de diverses races, les pro­duits frais et les produits transformés, cette diversification est la seule solution conciliable avec le pouvoir actuel des con­grégations transnationales. La croissance équilibrée d’un secteur, d’une région, d’une zone est toujours liée à la diversification des approvisionnements.

 

La théorie de l’incertitude affirme aussi qu’il est favorable de composer plusieurs programmes économiques (18). Les effets bénéfiques de la diversification des portefeuilles fi­nanciers ne vaudraient-ils pas dans le cas des productions, des clients et des engagements internationaux touchant au do­maine agricole? Offrir des alternatives aux lubies crimi­nel­les de Bruxelles inspirées souvent par les assassins mo­raux des multinationales réduirait le risque d’effacer les peu­ples d’Europe. Pour résister au front uni des pillards nihilistes transnationaux, il convient de multiplier les filiè­res agricoles, bovines, etc. au sein de notre grand con­ti­nent. La diversité des approvisionnements dans des con­ditions de sécurité très grandes est réalisée par exemple avec les certificats d’origine (19). L’étiquettage indique les aliments issus d’OGM, l’origine des viandes, les conditions d’é­levage. Car la détection physique d’OGM s’applique ef­ficacement aux matières premières d’origine génétique alors que pour tous les autres produits, seul le certificat d’origine est fiable. Fondé sur des méthodes d’enregistre­ment certifiées conformes, un certificat suit les lots depuis la matière première. Puisque le mélange des produits OGM et non OGM est inévitable, la question à résoudre devient le choix des limites maximales de mélange acceptable.

 

Les réseaux de diffusion des produits non OGM, les coo­pé­ra­tives de production d’aliments à certificats d’origine, tou­tes ces possibilités ont à être protégées en tant qu’al­ter­natives aux produits mortifères des congrégations trans­na­tionales de l’agro-chimio-pharmaco-business.

 

Des politiques communes pour l'environnement et le consommateur

 

Les droits des consommateurs sont reconnus dans les pro­grammes européens découlant du traité de Maastricht. Il existe, depuis 1973, un conseil consultatif des consom­ma­teurs. De consultatif il convient d’en faire un partenaire dans les décisions qui touchent à l’agro-alimentaire. L’A­gence européenne de l’environnement, sans grands moyens —peut-être d’ailleurs est-ce volontaire— mériterait de dis­poser d’équipes indépendantes pour effectuer des tests et pouvoir porter le fer chez les nihilistes transnationaux de l’agro-business chaque fois que les normes retenues ne sont pas respectées.

 

L’environnement est désormais pris en compte dans le pro­jet écologiste, dont les représentants les plus honnêtes af­firment qu’il est urgent que l’homme s’intègre dans l’éco­système le plus intelligemment possible en abandonnant toute illusion sur la possibilité de le maîtriser. Défendre la faune et la flore, le patrimoine et les sites, la vie humaine, est l’autre versant de la domination technicienne.

 

L’économie politique a l’habitude de distinguer les revenus provenant du travail, de la propriété du capital, des res­sour­ces naturelles. Le capital est lui-même produit par du travail et des ressources naturelles. Le travail fonde plus de 95% du revenu. La question essentielle pour une “bonne so­ciété” réside dans la répartition des droits entre hommes, peuples et cultures. Pour retrouver nos libertés de choix sup­primées par la secte des destructeurs patentés, des élaborations intermédiaires sont nécessaires : privé, public, culturel. Les responsables des empoisonnements qui sévis­sent dans les appareils d’État ou dans les congrégations trans­nationales doivent aussi ressentir d’une façon ou d’u­ne autre les effets qu’ils causent à autrui. Une légitime ven­geance, une nécessaire sanction est une juste cause à servir.

 

Aurélien DERHINES.

 

(1)  Julien FREUND : Philosophie et sociologie. Cabay-Louvain, 1984, p.64 et suivantes.  

(2)  Pierre THUILLIER : La grande implosion. Fayard, 1995, chapitre 4 : homo technicus, p.270.

(3) Il est à remarquer que la coïncidence est frappante entre la do­mination synarchique finance, commerce, médias, utilisant la tech­ni­que la plus efficace pour affirmer son pouvoir culturel, et la ty­rannie dans l’ordre de l’esprit qui devient de plus en plus sy­sté­matique et violente. N’est-ce pas la configuration de la Re­nais­san­ce, la traque des sorcières intervenant en pleine époque carté­sienne ?

(4) On reprend ici les développements de Pierre Thuillier, op. cit.

(5)  Armand FARRACHI : Les poules préfèrent les cages. A. Michel, 2000.

(6)  Pierre THUILLIER : op.cit. p.378.

(7)  Jean-Marie PELT : Plantes transgéniques : santé et environne­ment. Dans: Transgénique : le temps des manipulations. Editions Fri­son-Roche, 1998, chapitre V,  p.67.

(8)  Mae-Wan HO : Technologie génétique et écologie des gènes. Dans : Transgénique : op.cit., chapitre 1, p.17.

(9)  Gilles-Eric SERALINI : Risques toxiques et environnementaux liés aux plantes transgéniques produisant ou tolérant des pesticides. Dans : Transgénique : ouv. cité, chapitre 2, p.37.

(10)  Georges ORWELL : 1984. Gallimard, coll. Folio, 1950, p.67.

(11)  Jordis Von LOHAUSEN : Les Empires et la Puissance. Livre-club du Labyrinthe, 1985, p.59.

(12)  On lira une présentation synthétique de ces problèmes dans : Pascal GAUCHON, Dominique HAMON, Annie MAURAS : La triade dans la nouvelle économie mondiale. PUF, coll. Major, 1ère édition 1992, deuxième partie : la CEE.

(13)  Jean-Clair DAVESNES : L’agriculture assassinée. Editions de Chiré, 1990.

(14)  Une bonne présentation reste celle de Jean BRILMAN : Modèles culturels et performances économiques. Ed. Hommes et Techni­ques, 1981, chapitre 12 : la problématique et l’organisation du chan­gement.

(15)  Jean-Clair DAVESNES : op.cit. p.159.

(16) Jean-Pierre OLSEM : Stratégie d’entreprise et politique industrielle dans la nouvelle économie mondiale. A. Colin, 1999, p.178.

(17) Guy DEBORD : Commentaires sur la société du spectacle. G.Lebovici, 1988, p.48

(18) Pierre-Maurice CLAIR : La préférence pour la politique de diversification des approvisionnements. Dans : Croissance, échange et monnaie en économie internationale. Mélanges en l’honneur de Jean Weiller. Économica, 1985, p.203

(19) Frans Van DAM et Huib de VRIEND : Étiquetage des OGM et méthodes de détection : le certificat d’origine. Dans : Transgé­nique... ouv. cité, chapitre IX.

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vendredi, 01 juin 2007

Petite note sur Wilhelm Stapel

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Robert Steuckers:

Petite note sur Wilhelm Stapel

1 juin 1954 : Mort à Hambourg de Wilhelm Stapel. Stapel a commencé sa carrière au sein de la famille politique libérale en Allemagne, mais dans la faction de celle-ci qui était animée par Friedrich Naumann, c'est-à-dire la faction qui avait un sens social aigu et militait en faveur d'un marché commun étendu à l'ensemble de la Mitteleuropa. Cette version non manchestérienne du libéralisme allemand prendre une coloration sociale-nationale, qui s'exprimait dans le “Dürerbund” (= Fédération Dürer) de Ferdinand Avenarius. Plus tard, pour donner corps à son engagement, Stapel s'occupe de la formation de la jeunesse en milieu ouvrier. Il devient ensuite le rédacteur en chef de la revue Deutsches Volkstum, où, dans les années 20, il développera une critique de la démocratie occidentale jugée trop formelle et inorganique. Pour réaliser en Allemagne une démocratie idéale, il faudrait une constitution présidentialiste (à la façon gaullienne dirait-on, sans risquer de faire un anachronisme trop maladroit), un mode de suffrage échelonné et une représentation corporatiste. Un tel corpus n'avait aucune chance de s'ancrer dans les masses. Dans les années 30, Stapel développe une “théologie” du nationalisme allemand, lequel doit déboucher sur une vision impériale et non plus simplement nationaliste. Ses relations avec le national-socialisme seront assez conflictuelles, mais son système de pensée était trop hétérogène par rapport au régime de 1949 pour qu'il ait vraiment été réhabilité.


Pourquoi s'opposer à l'OTAN?

Robert STEUCKERS:

Pourquoi nous opposons-nous à l'OTAN?

Traduction du "Script" néerlandais d'un débat sur l'OTAN qui a opposé Robert Steuckers, 

 au nom de "Synergies Européennes" à Maître Rob Verreycken, du Barreau d'Anvers - Eindhoven, 25 janvier 2003

 

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers amis et camarades,

 

Je voudrais d'abord résumer brièvement les motifs principaux de mon hostilité à l'institution qu'est l'OTAN, afin d'ex­pliciter le point de vue que je vais défendre aujourd'hui :

◊ D'abord l'OTAN est "internationaliste" dans son essence, elle prend le relais d'un internationalisme iné­gali­tai­re, né de l'idéologie interventionniste du "One World" sous égide américaine, défendue par Roosevelt lors de la deu­xième guerre mondiale.

 

◊ Etre un Etat membre de l'OTAN, dans cette perspective, signifie être dépendant, donc soumis à la volonté d'un autre qui ne poursuit évidemment que ses seuls intérêts; être membre de l'OTAN, c'est être le jouet d'une vo­lonté autre, d'une volonté qui veut nous réduire à l'état de pion docile, sans volonté propre.

 

◊ L'OTAN empêche l'éclosion de toute politique de défense autonome chez ses membres mineurs. Elle contraint nos gouvernants à enfreindre l'adage romain : si vis pacem, para bellum. Ipso facto, elle renonce à toute forme de souveraineté et livre nos peuples à l'arbitraire d'une politique étrangère dominante.

 

◊ L'OTAN nous empêche donc simultanément d'avoir une industrie d'armement propre, une industrie aéronau­tique performante (Airbus constituant une exception en dehors du domaine militaire) et d'avoir une politique co­hérente de marine en Europe. Depuis 1945 en effet, seules deux puissances européennes ont pu développer de telles industries en toute autonomie : la Suède et la Grande-Bretagne. De 1950 à 1975, grâce notamment au con­cours d'ingénieurs allemands (cf. Helmut Müller, «Les scientifiques allemands en France après 1945», in: Nou­velles de Synergies Européennes, n°42/1999), la France a pu développer un pôle d'aéronautique militaire exem­plaire, dont le chasseur Mirage III sera le fleuron. Mais en 1975, lors du marché du siècle, des collabos eu­ro­péens au sein des pays de l'OTAN, ont misé sur le F-16 américain, plutôt que sur un chasseur français ou sué­dois ou franco-suédois, ruinant du même coup ce pôle d'aéronautique qui a besoin de commandes militaires pour être "boosté". En principe l'OTAN prévoyait une "Two-Way-Street", une voie à deux sens, où les comman­des militaires américaines en Europe et les commandes militaires européennes aux Etats-Unis se seraient équi­li­brées. Le "marché du siècle" a ruiné ce projet et créé une "One-Way-Street", une voie à sens unique. Cette voie à sens unique vaut évidemment pour l'aviation, mais aussi pour le matériel terrestre, car les Etats-Unis ont re­­fusé d'acheter des chars allemands, pourtant plus performants que les leurs.

 

L'OTAN, un jouet socialiste

 

◊ Sur le plan de la politique intérieure, l'OTAN a toujours été un concept défendu par les faux socialistes (et vrais corrompus), qui constituaient en quelque sorte une aile droite, influencée intellectuellement par les trot­skistes, dont la fidélité aux Etats-Unis a toujours été exemplaire. Qu'on se souvienne de Spaak, ancien révolu­tion­naire dans le Borinage en 1932, puis néo-socialiste opportuniste quand De Man acquiert du succès, pour de­ve­nir, à Londres, le sindic des intérêts américains et britanniques en Europe occidentale (et subsidiairement au Con­go…). La servilité à l'OTAN et aux Etats-Unis s'appelle d'ailleurs le "spaakisme" ou le "suivisme", dans le lan­ga­ge de notre politique étrangère. La première esquisse de l'OTAN, incarnée par le Traité de Bruxelles de 1948, a­vait reçu le nom de "Spaakistan" à l'époque, par ceux qui, à droite comme à gauche, se montraient clair­vo­yants et percevaient le jeu de dupes que l'on nous imposait. Plus tard, on a connu l'épilogue de ce suivisme so­cia­lo-trotskiste dans la personne du lamentable Willy Claes ou du pauvre De Ryke. S'identifier à l'OTAN équivaut à s'identifier à d'aussi lamentables personnages. A l'étranger aussi, ce sont les socialistes occidentalistes (trot­skistes) qui ont été les meilleurs avocats de l'OTAN; songeons à Pierre Mendès-France (dont le niveau est évi­dem­ment supérieur à celui de Claes) dans les années 50 en France et à Javier Solana en Espagne. A droite de l'é­chiquier politique, contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'enthousiasme pour l'OTAN a été bien moin­dre, sinon inexistant : en Belgique, à l'époque où le PSC était encore considéré comme une force politique de droi­­te, Pierre Harmel a tenté, au nom d'un idéal d'«Europe totale», de dégager notre pays de l'étau étouffant que nous imposaient les Etats-Unis. Dans ce que les journalistes appellent l'extrême droite, Jean Thiriart s'est fait l'avocat d'un refus systématique de la domination américaine, dont son mouvement, Jeune Europe, devait de­venir le fer de lance.

 

◊ Dans la sphère médiatique, la défense des intérêts des Etats-Unis, de l'OTAN et les plaidoyers pour les inter­ven­tions tous azimuts contraires au droit des gens ou aux décisions de l'ONU, sont le faits de personnages pro­pa­gandistes, soi-disant philosophes, comme Bernard Henry Lévy, Alain Finkielkraut ou André Glucksmann; au nom d'une certaine "gauche" ou d'un humanisme (qui reste à définir…), ils appellent sans cesse au carnage, que ce soit dans les Balkans, en Irak ou ailleurs, et traitent de "fascistes" tous ceux qui sont en faveur de la modé­ra­tion ou de la diplomatie. Ce sont ces gens-là qui ont paré du label d'"humaniste", les tueurs, les narco-trafi­quants et les proxénètes de l'UCK. Défendre l'OTAN, c'est défendre les crimes commis par ces gens-là. Défendre l'OTAN, c'est entonner un plaidoyer justificateur ou édulcorant pour les crimes de droit commun les plus ab­jects. Défendre l'OTAN, c'est quitter le domaine de la bienséance et sombrer dans la pire des voyoucraties poli­tiques.

 

◊ Enfin, défendre la politique globale américaine, dont l'OTAN est un instrument, surtout sur le théâtre euro­péen et nord-atlantique, c'est accepter que certains Etats, notamment l'Hegemon américain, "dealent" de la dro­gue, afin de pouvoir financer et mener des opérations "sales" qu'aucun Parlement n'accepterait d'avaliser. Par conséquent, il me paraît impossible d'être simultanément en faveur de l'OTAN, d'une part, et de préconiser une politique identitaire européenne, donc une politique d'indépendance européenne, d'appeler à défendre les va­leurs de notre propre civilisation, de lutter contre les réseaux criminels et de s'opposer à la libéralisation de la drogue, d'autre part.

 

L'OTAN et la question américaine

 

La question de l'OTAN est inséparable de la question américaine. Les Etats-Unis et, avant eux, les treize colo­nies britanniques d'Amérique du Nord qui les formeront à partir de 1776, sont marqués dès le départ par une idéo­logie anti-historique, qualifiable de "chronophobique" (cf. à ce propos: Cliffrod Longley, Chosen People - The Big Idea that Shapes England and America, Hodder & Stoughton, London/Sydney/Auckland, 2002). Les co­lons qui ont peuplé ces colonies étaient généralement des "non conformistes" sur le plan religieux. Les Foun­ding Fathers, les Pèlerins du Mayflower et autres zélotes religieux, adeptes d'un fondamentalisme bibliste pro­tes­tant, ont pour dénominateur commun un rejet total du passé et de ses acquis. Pour eux, les institutions, les con­tinuités, les traditions, parce qu'elles ne reposent pas sur leur lecture réductrice de la Bible, sont frappées du sceau du Mal et doivent être abolies, éradiquées, extirpées. Les hommes sont pécheurs s'ils s'inscrivent dans de "longues mémoires", ils n'appartiennent dès lors pas au clan des "Justes", parce que ces traditions, qu'ils en­ten­dent cultiver, auraient généré, au fil du temps, des injustices "inacceptables" et, par le biais de la doctrine de la prédestination, "impardonnables", "imprescriptibles". Si ce radicalisme fanatique a été quelque peu atté­nué à la fin du 18ième siècle sous la direction politique ou intellectuelle d'hommes comme Washington, Jeffer­son ou Hamilton, il n'en demeure pas moins qu'il est une donnée constitutive de la mentalité américaine, la­quelle est instrumentalisée contre le monde entier. Qui ne fait pas la même lecture des faits de monde que le gou­ver­nement américain, qui propose d'autres formes de gouvernement ou d'autres projets d'aménagement ter­ritorial se retrouve ipso facto assimilé au Malin et traduit, le cas échéant, devant un "tribunal international". Le fanatisme des puritains a changé de forme  —bien que les gestes religieux que pose un Bush, par exemple, re­lèvent de ce schématisme puritain sans profondeur temporelle—  mais il reste néanmoins in nuce une volonté d'é­radiquer les legs du passé, de faire de celui-ci une table rase. Toute résistance à cette volonté se voit cri­mi­nalisée.

 

Après les premières décennies de l'histoire des Etats-Unis, le Président Monroe proclame en 1823 une doctrine que l'on a souvent résumée comme suit : «L'Amérique aux Américains». Elle s'adresse, menaçante, à toutes les puis­sances européennes en général, à l'Espagne, maîtresse de l'Amérique centrale et méridionale, en par­ti­cu­lier. Implicitement, cette doctrine constitue une déclaration de guerre à toutes les puissances européennes sou­haitant défendre leurs intérêts dans le Nouveau Monde. L'hostilité à l'Espagne culminera en 1898, lors de la guer­re hispano-américaine. Toutes les forces soucieuses de maintenir les acquis de l'histoire en Europe se sont mon­trées hostiles à l'américanisme, y compris l'Autriche, dont le ministre Johann Georg Hülsemann avait par­fai­tement perçu le danger américain, dès la proclamation de la Doctrine Monroe en 1823 (cf.: Heinrich Drim­mel, Die Antipoden. Die Neue Welt in den USA und das Österreich vor 1918, Amalthea, Wien/München, 1984).

 

Un « Hegemon » auquel aucune fidélité n'est due

 

Au 20ième siècle, Wilson veut imposer un nouvel ordre international, via le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, mais cette base juridique pourrait dresser les peuples dont les richesses sont convoitées par les Etats-Unis contre la volonté de Washington. Les Américains décident donc de ne pas adhérer à la SdN, qu'ils avaient ap­pelée de leur vœux. Franklin Delano Roosevelt poursuit l'œuvre du siècle américain, visant à contrôler les ri­ves asiatiques du Pacifique et les rives européennes de l'Atlantique. Du dernier conflit mondial naît l'ONU, dont les décisions ne sont pas davantage respectées par les Etats-Unis aujourd'hui. Dans The Grand Chessboard (1996), Brzezinski décrit la stratégie qui consiste à exciter les vassaux les uns contre les autres pour ne pas qu'ils fassent collusion contre l'hegemon américain. On le voit : la politique du "Big Stick", destinée à l'Amérique la­tine, du temps de Theodor Roosevelt, le refus de se conformer aux décisions des instances internationales et la hantise de voir de fortes coalitions se dresser contre les ambitions de Washington sont anciennes mais régu­liè­rement renouvelées. Toutes les puissances de la planète, l'Europe comprise, les "alliés" aussi, peuvent de­ve­nir demain les victimes de ces politiques : on ne peut donc considérer l'hegemon comme bienveillant, comme ga­rant de la paix civile chez nous. Par conséquent, un tel hegemon ne saurait être un "allié" ou un "protecteur", et donc aucune fidélité ne lui est due.

 

Carl Schmitt nous a démontré que les idéologies de la Révolution française, de la révolution bolchevique —du moins jusqu'en 1945 car, après la seconde guerre mondiale, l'URSS renoue avec la diplomatie traditionnelle et sa pratique des rapports bilatéraux—  et de l'interventionnisme américain, à partir de Theodor Roosevelt, de Wil­son et de Franklin Delano Roosevelt, sont des idéologies qui ne respectent pas les équilibres traditionnels, hé­rités de l'histoire, ni les formes ni les us et coutumes de la diplomatie. En ce sens, ces idéologies sont dan­ge­reu­ses et bellogènes : elles impliquent une guerre permanente sans limites et sans tempérance. L'OTAN est un ins­trument de cette politique d'intervention tous azimuts, au nom de principes hostiles aux héritages his­to­ri­ques des peuples, de principes qui entendent faire du passé table rase. Par conséquent, celui qui entend s'ins­cri­re dans les continuités de l'histoire, qui entend perpétuer ces continuités, qui a le sens de l'histoire, qui res­pec­te les équilibres traditionnels entre puissances ne peut soutenir ni l'Amérique ni l'OTAN.

 

De la Mer Blanche au Golfe Persique

 

Pour étayer notre propos, rappelons les étapes de l'histoire européenne et nord-atlantique qui ont suivi les con­fé­rences de Yalta et de Potsdam (en 1945). Il faut savoir que la seconde guerre mondiale, menée contre une puis­sance occupant le cœur géographique de l'Europe, a été gagnée dès 1941, par la maîtrise du Proche-Orient qu'ob­tiennent les Britanniques en trois étapes: en mai 1941, ils matent la révolte de Rachid Ali en Irak, oc­cu­pent le territoire mésopotamien et engrangent les puits de pétrole, assurant une couverture énergétique pour le matériel militaire allié; en juin et en juillet 1941, ils éliminent la (faible) menace qu'auraient pu exercer les Fran­çais de Vichy au Liban et en Syrie. En août et en septembre 1941, ils occupent l'Iran (avec les Soviétiques, mais qui sont confinés au Nord de Téhéran). Les réserves iraniennes de pétrole s'ajoutent à celles de l'Irak. Cet­te triple maîtrise de l'espace proche- et moyen-oriental permet d'alimenter en matériels l'URSS, faisant office de champion continental contre le principal challengeur. Ces opérations d'approvisionnement s'effectuent via la Cas­pienne et le trafic fluvial sur la Volga. De cette façon, tous les points du front de l'Est peuvent être assurés d'une bonne logistique: au Nord, via Mourmansk en toutes saisons ou via Arkhangelsk en été seulement, via les ca­naux de la Mer Blanche (le fameux Belomor) menant aux deux grands lacs Onega et Ladoga et de ceux-ci vers l'in­térieur des terres, via chemins de fer, et vers le cours de la Volga au-delà du nœud ferroviaire de Vologda. Ce système de communication entre Mourmansk et Arkhangelsk sur les rives de l'Arctique, d'une part, et la Cas­pien­ne et le Golfe Persique, d'autre part, n'a jamais été interrompu ni sérieusement menacé par les troupes al­le­mandes ou finlandaises.

 

La leçon géopolitique et géostratégique à tirer de la deuxième guerre mondiale est donc la suivante: l'Europe se contrôle au départ du Sud-Est, plus exactement à partir du Proche-Orient et de la Mésopotamie. Une vi­sion eurocentrée de la défense européenne est donc une aberration, qui caractérise, notamment, la ges­tion hitlérienne de la belligérance entre 1939 et 1945. Une explication hitlérienne de la seconde guerre mon­diale ou une nostalgie de l'hitlérisme constituent par conséquent un danger très grave d'un point de vue géostratégique européen cohérent. Ceux qui cultivent aujourd'hui encore un hitlérisme eurocentré sont les alliés objectifs de l'hegemon américain qui visent notre asservissement, parce que cette vision nous empêche de percevoir correctement la dynamique spatiale articulée contre le cœur géographique de l'Eu­rope et parce que cette vision donne mauvaise presse dans le système médiatique contrôlée en ultime in­stance par les Etats-Unis.

 

Une triple politique contre l'URSS

 

A la suite de cette victoire anglo-américaine en 1945, les alliés occidentaux (France exceptée), vont tenter de gar­der toutes les cartes entre leurs mains. Dès la fin des hostilités, les Anglo-Américains vont déployer une tri­ple politique contre l'URSS, qui vient d'avancer ses pions vers le centre de l'Europe:

 

◊ 1 - Empêcher que n'émerge une nouvelle alliance germano-soviétique.

 

◊ 2 - Malgré les acquisitions territoriales considérables de l'URSS de Staline, les Anglo-Américains vont lui refu­ser tout accès à l'Océan Atlantique, verrouillant la Baltique au niveau du Danemark, réitérant de la sorte la po­li­tique de Lord Castlereagh lors du Traité de Vienne en 1815 et appliquant les conseils d'Homer Lea dans son li­vre programmatique de 1912, The Day of the Saxons.

 

◊ 3 - Ne donner à Staline aucun accès à la Mer Méditerranée, en "neutralisant" la Yougoslavie de Tito à leur bé­né­fice; en laissant en Albanie un régime archaïque, celui d'Enver Hodxha, inféodé à la très lointaine Chine mao­ïste, laquelle ne cultivait évidemment aucune ambition en Europe; en mettant hors jeu la résistance grec­que de gauche, dans la guerre civile qui suivit le départ des Allemands, afin de conserver la maîtrise de l'Egée, sans influence soviétique aucune.

 

Dans l'immédiat après-guerre, ces trois principes de containment sont appelés à prendre le relais de la politi­que traditionnelle de contenir la Russie, en dépit qu'elle soit devenu l'allié privilégié —et la réserve de chair à ca­­non— pour abattre l'Allemagne, considérée à Londres et à Washington comme le moteur d'une future Europe uni­fiée. En toute bonne logique, le nouveau containment de la Russie doit commencer en Europe (aux niveaux de la Baltique, de l'Adriatique et de l'Egée), ce qui induit, quelques années plus tard, après les partages, à la créa­tion de l'OTAN en 1949, puis, ultérieurement seulement, à la mise sur pied du Pacte de Bagdad en 1955, avec la Turquie (qui fait charnière puisqu'elle est simultanément membre de l'OTAN), l'Irak sous tutelle bri­tan­ni­que avec une monarchie fantoche et l'Iran, avec le nouveau Shah, installé sur le trône en 1941, à la suite de la démission forcée de son père sous la pression anglo-soviétique.

 

La campagne afghane scelle le destin de l'Union Soviétique

 

Après les crises des années 50 (Corée, Hongrie, Suez), s'ouvre une période de coexistence et de détente. La con­frontation directe, en dépit des discours d'apaisement et des tentatives de dialogue Est-Ouest, reprend en 1978-1980, justement parce que les troupes soviétiques sont rentrées dans un territoire clef sur le plan stra­té­gi­que : l'Afghanistan. Les stratèges britanniques (et américains) savent, depuis les déboires de l'armée anglaise en 1842, que la puissance qui parvient à contrôler l'Afghanistan finira à terme par contrôler les points nodaux de communication entre la Russie, l'Inde et la Chine, donc contrôlera le destin de ces trois puissances. Surtout si l'on contrôle simultanément l'Arabie Saoudite et ses réserves pétrolières. Par une guerre d'usure, menée par per­sonnes interposées, c'est-à-dire par une counter-insurgency locale bien armée de l'extérieur, les armées so­vié­tiques ne tiennent pas le coup dans les montagnes afghanes; le coût de la guerre entraîne l'effondrement de l'U­nion Soviétique.

 

Dès la fin de la superpuissance soviétique, il aurait fallu dissoudre l'OTAN, instrument créé pour la contenir et la combattre, et revenir à l'"ancienne" diplomatie, avec ses rapports bilatéraux entre puissances. Washington a refusé cette logique de bon sens et a insisté pour le maintien et l'élargissement de l'OTAN, alors que son rôle était révolu. L'Union Soviétique cessant d'exister, l'idéologie internationaliste et radicale qu'elle incarnait cesse automatiquement d'être un facteur de la politique internationale. Mais les Etats-Unis n'ont pas désarmé contre la Russie, preuve que l'idéologie communiste, qu'ils prétendaient combattre parce qu'elle était d'essence to­ta­li­tai­re, ne les dérangeait pas outre mesure. L'objectif n'était pas de lutter contre le communisme mais bien con­tre la concentration de pouvoir et d'organisation territoriale que représente la Russie. Cette lutte a commencé dès la guerre de Crimée; elle se poursuit aujourd'hui, malgré la disparition du communisme. L'OTAN s'était don­né pour objectif la lutte contre le communisme et non pas contre la Russie traditionnelle. Par conséquent, si son objectif disparaît, elle n'a plus lieu d'être.

 

La mise en œuvre de la Doctrine Brzezinski

 

Après le retrait des troupes russes d'Afghanistan sous Gorbatchev, les Etats-Unis mettent en pratique la doctri­ne et la stratégie de Brzezinski, que nous pouvons résumer ici en trois points (pour des raisons didactiques).

 

◊ 1 - Dominer les "Balkans eurasiens", c'est-à-dire le centre turcophone et musulman de l'Asie centrale, de con­cert avec la Turquie et l'appui de quelques spécialistes israéliens. Cette stratégie vise à asseoir une do­mi­na­tion américaine sur l'espace où se situent tous les nœuds de communication entre l'Inde, la Chine et la Russie (et derrière celle-ci, l'Europe). Pour Brzezinski, cet espace s'appelle la "Route de la Soie" (Silk Road). Effective­ment, la libre circulation sur la "Route de la Soie", avant les conquêtes musulmanes et surtout turques, permet­tait une harmonie grande continentale, en dépit des différences majeures entre les civilisations qui la bor­daient. Les archéologues parlent de la "Sérinde" avec sa sublime synthèse helléno-bouddhique, détruite par les hor­des turco-mongoles et musulmanes. C'est la même volonté iconoclaste qui a animé les talibans, anciens sti­pen­diés de la CIA, lorsqu'ils ont détruit à coups de canon et de dynamite les splendides Bouddhas de Bamiyan en février 2001. Par conséquent, s'allier au Etats-Unis et rester inféodé à l'OTAN, est l'indice d'une volonté de dé­truire toute possibilité de ré-émergence de la synthèse helléno-bouddhique en Asie centrale, de priver en rè­gle générale et dans tous les cas de figure l'humanité de ses plus longues mémoires, de donner un blanc seing aux rééditions contemporaines de l'iconoclasme turco-musulman, de ruiner le patrimoine de l'humanité dé­fen­du par l'UNESCO, de participer à un projet qui interdira les communications fécondes entre trois aires civili­sa­tion­nelles (euro-russe, indienne et chinoise).

 

◊ 2 - Brzezinski parle ensuite de lutter contre toutes les "emerging powers", contre les "puissances émer­gentes". Pour empêcher leur fusion stratégique, les Etats-Unis, notamment via le réseau satellitaire ECHELON, or­ganisent un espionnage en bonne et due forme des firmes civiles et militaires européennes afin de "pomper" des renseignements et de les prendre de vitesse. Dans de telles conditions, adhérer à l'OTAN relève du maso­chis­me le plus aberrant, car l'espionnage satellitaire d'ECHELON ruine nos entreprises de pointe, génératrices de nouvelles dynamiques industrielles, et condamne au chômage des techniciens et des ingénieurs de haut ni­veau. Les politiciens qui soutiennent les positions des Etats-Unis et de l'OTAN sont responsables du ressac éco­no­mique dû à la mise en œuvre du système d'observation satellitaire ECHELON.

 

◊ 3 - L'ensemble des opérations actuelles des Etats-Unis a pour but ultime de créer un véritable verrou par­tant des Balkans, traversant la Mer Noire et le Caucase du Nord, pour s'élancer sur l'ancienne Route de la Soie jusqu'au Pamir. De même, ni une puissance européenne ni la Russie ne peuvent avoir un accès direct et ai­sé à la Méditerranée orientale.

 

A ce projet impérialiste, théorisé par Zbigniew Brzezinski, s'ajoute un appui systématique donné au trafic de dro­gues dans le monde entier. Les moudjahhidins afghans, puis les talibans, ont alimenté leurs caisses avec l'ar­gent de la drogue. Dans ce même circuit, les mafias turque, albanaise et italienne ont joué un rôle dé­ter­mi­nant. En conséquence, qui appuie la stratégie militaire des Etats-Unis, accorde ipso facto un blanc seing au nar­co-trafic international, générateur de réseaux multi-criminels (car-jackings, cambriolages, prostitution, …), no­­tamment au sein des populations immigrées en Europe occidentale. Toute option politique en faveur de l'al­lian­ce américaine et de l'OTAN conduit à avaliser cette criminalité débridée, à tolérer l'impuissance de nos ap­pareils judiciaires et de nos services de police, à accepter les débordements des diasporas mafieuses.

 

Du Triangle d'Or aux autres narco-trafics

 

L'alliance entre la CIA et le narco-trafic a commencé dès le début des années 50, quand les armées en déroute du Kuo-Min-Tang chinois vont se réfugier au-delà de la frontière sino-birmane, dans le fameux Triangle d'Or. Main­tenue en état de combattre pour toute éventuelle reconquista de la Chine devenue maoïste, cette armée vit du narco-trafic pour s'auto-financer, ce qui évite aux autorités américaines de demander un financement of­ficiel pour ces opérations de guerre parallèle. Des cénacles discrets décident d'utiliser l'argent de la drogue, de favoriser indirectement la consommation dans les métropoles occidentales, afin de ne pas avoir recours à l'ar­gent des contribuables. Effectivement, alors que la drogue s'était limitée à des cercles très restreints d'ar­tis­tes ou de consommateurs très aisés, elle connaît un boom extraordinaire à partir des années 50; dans une pre­mière phase, c'est la consommation d'héroïne en provenance d'Indochine qui domine l'avant-scène; dans une se­conde phase, la consommation de cocaïne en provenance d'Amérique du Sud prend le relais.

 

Dès le début de l'intervention américaine en Indochine, des tribus rurales comme les Méos ou les Shans sont ar­mées et utilisées contre les gouvernements locaux, accusés de sympathies pour la Chine ou l'URSS. Leur ar­me­ment est payé par le biais de l'argent de la drogue. C'est la mise en place d'un scénario que l'on appliquera en­sui­te en Afghanistan et en Tchétchénie, et, qui sait, demain, dans nos propres banlieues et zones hors-droit, pour générer le désordre civil en Europe et éliminer ainsi une puissance concurrent économique des Etats-Unis. Les restes de l'armée du Kuo-Min-Tang de Tchang-Kai-Tchek, par exemple, avaient besoin de 10.000 $ par hom­me et par année, soit un total de 150.000.000 $ pour des effectifs de 15.000 hommes. Ce financement n'a ja­mais reçu l'aval du Congrès américain, exactement comme, très récemment, le financement des milices de l'UCK albanaise. Ces pratiques ont toujours été occultées par l'idéologie anti-communiste, laquelle est légitime en théorie, mais à condition qu'elle ne couvre pas des pratiques criminelles. Au départ du Triangle d'Or birman, l'hé­roïne était acheminée vers les Etats-Unis par voie aérienne, à l'aide de DC-3 (C-47) d'une compagnie ap­partenant à la CIA (source : Alfred McCoy, The Politics of Heroin in Souteast Asia, 1972). Le scandale a éclaté au grand jour en 1971, dans l'affaire dite des "Pentagon Papers".

 

La croissance de la toxicomanie aux Etats-Unis

 

La distribution de cette héroïne a été assurée aux Etats-Unis par Lucky Luciano, le boss de la mafia utilisé par l'US Army pour garantir le bon succès du débarquement en Sicile en 1943, et par un autre gangster, Meyer Lan­sky. En Italie, en Chine, en Turquie et en Albanie, les services américains ont donc délibérément parié sur le nar­co-trafic ou en ont utilisé les réseaux. Luciano, par exemple, est arrivé après la guerre avec 200 mafiosi en Ita­lie pour y distribuer l'héroïne des Chinois et étendre le trafic à l'Europe entière. Pour faire fléchir le gou­ver­ne­ment central italien, les services américains et les mafiosi brandissaient la menace d'un séparatisme sicilien. Les chiffres de la progression des diverses toxicomanies sont éloquents et montrent bien que le phénomène a été créé artificiellement. En 1945, on comptait 20.000 héroïnomanes aux Etats-Unis; en 1952, ils étaient 60.000; en 1965, 150.000; en 1969, 315.000; en 1971, 560.000. Des engouements littéraires, basés sur des re­jets ou des révoltes que l'on peut qualifier de "légitimes", comme la Beat Generation, ont contribué à vul­ga­ri­ser les toxicomanies dans les esprits, ont accentué le désir de se démarquer de la société bourgeoise conven­tion­nelle. L'idéologie de 68, anti-autoritaire et contestatrice des structures fondamentales de nos sociétés, puis le mouvement hippy, consommateur de marijuana, ont amplifié considérablement le phénomène, ce qui nous fait arriver au chiffre astronomique de 560.000 toxicomanes aux Etats-Unis.

 

Ces 560.000 drogués ont contribué à financer la machine de guerre, sans qu'il n'ait fallu augmenter les impôts, car c'est à cela que sert la drogue sur le plan stratégique: à ponctionner les citoyens, sans recourir à l'impôt, tou­jours impopulaire. La succession des modes contestatrices et anti-autoritaires n'est pas arrivée "par hasard": el­les ont toutes été vraisemblablement téléguidées de "haut", par des services de guerre psychologique. A par­tir de 1975, la consommation d'héroïne diminue aux Etats-Unis, car les troupes américaines quittent le Vietnam et les auxiliaires tribaux des zones reculées d'Indochine ne sont plus appelés à constituer des contre-guérillas. En revanche, la consommation de cocaïne en provenance d'Amérique du Sud augmente. Elle sert à consolider le tré­sor de guerre de bandes au service de la politique américaine et des services secrets. La plus-value du trafic de cocaïne servira ultérieurement à financer les "Contras" au Nicaragua, tout comme les réseaux mafieux a­vaient armés les partisans italiens, et la drogue du Triangle d'Or avait contribué à équiper les guérilleros Méos et Shans au Laos.

 

La double stratégie  —militaire et narco-trafiquante—  mise en œuvre par les services secrets américains trouve é­galement un relais en Turquie, où le pouvoir est détenu par un complexe militaro-mafieux, principal pilier de l'OTAN dans ce pays. L'insistance de Washington pour faire accepter à l'UE la candidature turque vise un ob­jec­tif bien clair pour tous ceux qui se rappellent ce pan d'histoire occulte de la seconde moitié du 20ième siècle qu'est l'organisation, à des fins stratégiques et impérialistes, du narco-trafic en Asie, en Amérique latine et ail­leurs. Cet objectif est, tout logiquement, de faciliter la distribution de drogues dans toute l'UE, pour en saper ain­si les assises sociales, faire de l'Europe une zone politiquement émasculée. Après avoir soutenu la can­di­da­tu­re de la Turquie, Washington appuiera bien évidemment celle d'un autre Etat trafiquant, le Maroc; ce qui ac­cen­tuera encore davantage la pandémie toxicomaniaque dans nos sociétés, qui sont déjà bien ébranlées par la per­te de leurs anciennes valeurs cardinales, par leur ressac démographique général, par leur nanisme militaire, etc. 12.000 familles marocaines vivent de la culture du cannabis dans le Nord du pays, comme le souligne l'At­las­eco de 2002, publié par l'hebdomadaire parisien Le Nouvel Observateur. Déjà instrumentalisé contre l'Es­pa­gne pendant l'été 2002, cet Etat est un atout complémentaire dans la panoplie américaine destinée à ruiner l'Eu­rope.

 

OTAN et multi-criminalité

 

En conclusion, défendre l'OTAN, même si on prévoit dans cette défense une revalorisation du pilier européenne de cette organisation, est incompatible avec un programme politique intérieur qui vise une lutte systématique con­tre le trafic de stupéfiants illicites, parce que c'est justement la puissance hégémonique au sein de l'OTAN, qui la contrôle entièrement, qui est responsable de la diffusion planétaire du fléau de la drogue. Ensuite, si ce mê­me programme politique promet aux citoyens de traiter la criminalité ambiante par "la manière forte", il en­vi­­sage, par conséquent, de traiter de la même manière forte la part de la criminalité qui découle de la drogue et des cartels de "multi-criminalité", où la drogue joue un rôle moteur. Par suite, tout programme politique pré­voyant la lutte contre la drogue et contre la criminalité, doit s'attaquer non pas seulement aux effets mais aux causes; or la cause principale de ces deux fléaux réside dans la politique menée par les services secrets amé­ricains dans le Triangle d'Or, en Turquie, en Afghanistan, au Maroc et en Amérique latine. L'OTAN est le prin­cipal instrument de la politique américaine. Il faut le rendre inopérant pour pouvoir assainir nos sociétés et les rendre à nouveau conviviales pour tous les citoyens, surtout pour les humbles qui peinent chaque jour, dans leurs tâches quotidiennes.

 

Robert STEUCKERS,

Forest/Flotzenberg - Eindhoven, 24 & 25 janvier 2003.

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jeudi, 31 mai 2007

Pour la Vie, contre les structures abstraites!

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Intervention lors de la 8ième Université d'été de "Synergies européennes", Trente, juillet 1998

Pour la Vie, contre les structures abstraites !

Par Maître Jure VUJIC

Que signifie au juste la revendication de la vie face aux structures ab­straites? Dans le cadre d'une ap­pro­che philosophique, cela conduit vers une intention de réduire la portée des démarches de la pensée consciente et de ses médiations, et de po­ten­tia­liser celle de l'inconscient ou de la vie immédiate par une saisie de la réalité humaine en deça des formes et des constructions sociales et po­litiques artificielles et abstraites par essence, des traditions historiques désuètes et des cristallisations cul­turelles stéri­les.

Cette démarche philosophique que l'on pourrait qualifier soit d'“irra­tio­naliste” soit de “vitaliste” sous-entend même l'importance de la philosophie de Kant constatant les limites de la raison théorique et dont les prolon­gements critiques engendrent un double courant: l'un axé sur la volonté morale et sur une dialectisation de la raison (Fichte et Hegel) qui débouche par réaction dans le marxisme et le “matérialisme dialectique”; l'autre, qui revendique l'immédiateté de la vie, l'intuitionisme et le primat de l'instinct, procède du courant de pensée engendré par Schopenhauer, véritable père de l'irrationalisme contemporain, et trouve ses rami­fi­cations philosophiques chez Nietz­sche, Jung, Adler et même Freud, l'existentialisme français de Sartre et la philosophie existentielle de la vie que l'on retrouve chez Bergson, Schel­ling, Kierkegaard, Maurice Blon­del. L'école allemande, avec Wil­helm Dilthey, G. Misch, B. Groet­huysen, Ed. Spranger, Hans Leise­gang, A. Dempf, R. Eucken, E. Troeltsch, G. Simmel, ainsi que la phi­losophie naturaliste de la vie d'Os­wald Spengler et Ludwig Klages.

Le dénominateur commun que l’on retrouve dans chacun de ces courants de pensée hétéroclites et qui réside dans la revendication du principe de vie face au constructivisme abstrait, étant donné la diversité des pers­pectives qui l’expriment, ne se laisse pas enfermer dans un schéma d’interprétation global à la manière dont procède Georges Lukacs, le célèbre marxiste hongrois, qui considère la pensée irrationaliste allemande comme typiquement bourgeoise et « réactionnaire », en tenant pour définitivement acquis que l’histoire des idées est subordonnée à des forces primaires agissantes : situation et développement des forces de production, évolution de la société, caractère de la lutte des classes, etc…

Ce qui est certain, c’est que ce cou­rant de pensée vitaliste ou « irra­tionaliste » remet en question l’idée de progrès historique, la linéarité et le mythe progressiste, et qu’il re­pré­sente ainsi la contrepartie du courant de pensée qui, du XVIIIième siècle français à travers Kant et la révolution française, débouche dans la dialec­tique hégélienne et marxiste ; con­tre­partie dans la mesure où il déprécie le pouvoir de la raison, que ce soit en contestant  l’objectivité  du réel, que ce soit en réduisant  la connaissance intellectuelle à son efficacité techni­que, que ce soit en se réclamant d’une saisie mystique de la réa­lité « absolue »,  décrétée  irration­nelle dans son essence. La lutte contre l’abstraction et la raison a des formes aussi variées que les mo­tivations qui l’engendrent. Elle peut notamment aboutir à faire un principe de la notion d’absurde qui a surgi chez Scho­penhauer et plus tard chez Cioran.

De Leibniz à Kant et Schopenhauer

A l’opposé du rationalisme de la pensée occidentale, du principe de raison suffisante énoncé par Leibniz, du cartésianisme, la revendication de la vie dont Schopenhauer se fera le principal promoteur, sous-entend que l’intelligence ou la raison n’est pas à la racine de toute chose, qu’elle a surgi d’un monde opaque, et que les principes qu’elle introduit demeurent irrémédiablement à la surface de la réalité, puisqu’ils lui sont, comme l’intelligence elle-même, surajoutés. Le corollaire d’une telle conception est que la réalité qui fonde toutes les existences particulières est elle-même sans fondement, sans raison, sans cause (générale), que notre manière de raisonner, dès lors, est valable seulement pour ce qui est des rapports que les êtres et les choses entretiennent dans l’espace et dans le temps.

Au-delà d’un impératif absolu de la loi morale de type kantien, qui fonde le constructivisme de type ontologique et abstrait, Schopenhauer se fait le chantre d’une sourde impulsion à vivre, antérieure à toute activité logique, que l’on peut saisir au plus profond de soi-même pour une appréhension directe avant sa déformation abstraite dans les cadres de l’espace et du temps, et qui se révèle comme une tendance im­pulsive et inconsciente. Schopen­hauer, dans sa réflexion,  reprend  des motifs  hérités du « divin Platon » dans l’allégorie de la caverne qui nous révèle que le monde que nous percevons est un monde d’images mouvantes.

Schopenhauer et le « Voile de Maya »

D’autre part, il empruntera à la tradition de l’Inde l’idée que les êtres humains sont enveloppés dans le « voile de Maya », c’est-à-dire plon­gés dans un monde illusoire. Scho­penhauer restera persuadé que les fonctions  psychiques ne repré­sen­tent, par rapport à la réalité primaire et absolue du vouloir-vivre (Wille zum Leben)   qu’un aspect secon­dai­re, une adjonction,  une superstruc­ture  abstraite. A la tentation de l’il­lusoire, de l’abstrait et de l’absurde, que l’on menait vers un pessimisme radicale, Schopenhauer proposait le remède de la négation du vouloir-vivre, une forme supérieure d’ascé­tisme.

A l’idée d’humanité, qui lui paraît absurde, il oppose des « modèles » éter­nels qu’il empruntera au pla­to­nisme. Cet emprunt lui sert à ex­pli­quer les types de phénomènes du vouloir dans l’espace et dans le temps, phénomènes reproduisant incessamment des modèles, des formes, des idées éternelles et immuables. Il y a des idées infé­rieu­res, ou des degrés élémentaires, de la manifestation du vouloir : pe­san­teur, impénétrabilité,   solidité,  fluidi­té, élasticité,  magnétisme, chimis­me ; et les idées supérieures qui appa­rais­sent dans  le  monde orga­nique et dont  la  série  s’achève dans l’hom­me  concret.

Transformant la primauté du vouloir-vivre schopenhauerien en primauté de la volonté de puissance, opposant au renoncement préconisé par Scho­penhauer une affirmation-glori­fication de la volonté, Nietzsche se fait l’annonciateur de l’homme vital, de l’homme créateur de valeurs, de l’homme-instance-suprême,    en mê­me temps que de grands bou­leversements qui préfigurèrent le nihilisme européen  du XXième siè­cle. Et cela, au temps du positivisme abstrait et du constructivisme, c’est-à-dire à un moment où la prudence l’emporte et où la vie humaine paraît confortablement ancrée dans des institutions sécurisantes. Sur le chemin où l’homme européen s’est trouvé engagé jusqu’à présent, déterminé par l’héritage de l’Antiquité et par l’avènement du christianisme, la revendication de la vie chez Friedrich Nietzsche qui, par sa critique radicale et impitoyable de la religion, de la philosophie de la science, de la morale s’exprime à travers sa phrase lancinante : « Je ne suis pas un homme, je suis de la dynamite ».

Nietzsche : vitalisme et tragique

Le  vitalisme de Nietzsche se ré­vélera tout d’abord dans son œuvre La naissance de la tragédie, puis à travers la dichotomie qu’il institue entre l’esprit apollinien, créateur d’images de beauté et d’harmonie, et l’état dionysiaque, sorte d’ivresse où l’homme  brise  et dépasse les li­mites de son individualité. Apollon, symbole de l’instinct plastique, dieu du jour, de la clarté, de la mesure, force plastique du rêve créateur ; Dionysos, dieu de la nuit, du chaos démesuré, de l’informe, est pour Nietzsche le grand élan de la vie qui répugne à tous les calculs et à tous les décrets de la raison. Les deux figures archétypales sont pour Nietzsche la révélation de la nature véritable de la réalité suprême, l’an­tidote contre les structures existen­tielles  et  psychologiques  abstraites et sclérosées. C’est  dans  cette  opti­que que Nietzsche con­damnera la révo­lution  rationnelle de Socrate, dont il pense qu’elle  a tué l’esprit tragique au profit de la raison,  de l’homme  ab­strait  et  théorique.

Pour Nietzsche, être forcé de lutter contre les instincts, c’est la formule de la décadence : tant que la vie est ascendante, bonheur et instinct sont identiques. Avec Socrate et, après lui, le christianisme venant aggraver le processus, l’existence s’est, selon Nietzsche, banalisée  sur la  base d’un immense   malentendu qui ré­side dans la morale chrétienne de perfectionnement, ce que Deleuze nommera plus tard la morale des dettes et des récompenses.

Ce que Nietzsche veut dévoiler, c’est la toute-puissance de l’instinct, qu’il tient pour fondamental : celui qui tend à élargir la vie, instinct plus fort que l’instinct de conservation tendant au repos, que la crainte alimente et qui dirige les facultés intellectuelles abstraites. La volonté créatrice chez l’individu  est ce par quoi il se dé­passe et  va  au-delà  de lui-même ; il s’agit de se transcender et de s’é­prouver comme un passage ou com­me un pont. Le vitalisme de type héroïque conduira Nietzsche à dé­noncer le nihilisme européen en y contribuant par sa philosophie « à coups de marteau » à se faire, à coups d’extases, l’annonciateur du surhomme  et de l’Eternel  retour  face à l’homme abstrait et théorique et au mythe progressiste de l’hu­manité.

C’est ce qui fera dire à l’écrivain grec Nikos Kazantzaki qui appellera Nietzsche  le « grand martyr », parce que  Nietzsche  lui a appris à se dé­fier de toute théorie optimiste et abstraite.

Freud, apologiste des instincts vitaux

Avec Freud, nous pouvons quitter le domaine de la philosophie puisqu’il s’agit d’un médecin spécialisé en neuro-psychiatrie, dont toutes les théories en appellent à son expé­rience clinique. Mais il convient d’ob­server que les deux plans, celui de la réflexion philosophique et celui des sciences humaines ne peuvent être séparée  abstraitement. Freud for­gera,  pour qualifier l’élargissement de ses théories,  le terme de mé­ta­psy­cho­logie, en estimant que la réa­lité qu’il désigne est celle des pro­cessus inconscients de la vie psy­chique, qui permet de dévoiler ceux qui déterminent, par projection, les constructions   métaphysiques. Freud, irrationaliste au sens onto­logique du terme et apologiste des instincts vitaux du subconscient hu­main restera néanmoins un pes­simiste biologique.

C’est ainsi qu’au regard des deux grands   dissidents de la psychana­lyse qu’il a créée, son pessimisme diffèrera  de la confiance  d’Adler dans  la force ascensionnelle de la vie, comme de la vague nostalgie d’un  paradis  perdu  qui  imprègnera la pensée de Jung. Pour Adler, le besoin de s’affirmer chez l’être humain  reste  prédéterminant dans sa pensée, la vie est une lutte dans laquelle il faut nécessairement triompher ou succomber. Face aux abstractions de la raison qui nous menacent,  la  poussée  vitale,  ne peut  être valablement    appréhendée que  d’une manière  dynamique sous la forme  de  tendances,  d’impul­sions,  de  développement.  L’essen­tiel pour comprendre l’être humain, ce n’est pas la libido et ses trans­formations, c’est la volonté de puis­sance sous ses formes diverses : auto-affirmation, amour-propre, be­soin  d’affirmer son  moi, besoin de se mettre en valeur.

L’idée de communauté chez Adler

Adler identifie au sentiment social la force originelle qui a présidé à la formation de buts religieux régu­lateurs, en parvenant à lier d’une certaine manière entre eux les êtres humains. Le sentiment représente avant tout pour lui une tendance vers une forme de collectivité qu’il con­vient d’imaginer éternelle. Quand Adler parle de la communauté, il ne s’agit jamais pour lui d’une col­lectivité abstraite de type sociétaire actuel, ni d’une forme politique ou religieuse  déterminée. Il faut en­tendre le terme au sens d’une com­munauté  organique   idéale  qui  se­rait comme l’ultime réalisation de l’évolution  chez  Carl Gustav Jung ; le pouvoir  des archétypes n’est que la projection de l’affirmation de la vie face à la superstructure psycholo­gique conditionnée par les contin­gences externes et abstraites.

Jung : l’inconscient originaire, source de vie

Jung  dispose  d’une  véritable « vi­sion du monde » à partir de données intra­psychiques  et  qui sont à la base de sa  métapsychologie,  ainsi  que  de  sa psychologie analytique. Jung in­siste sur l’origine même de la conscience,  émergence  dont il pen­se  qu’elle s’est  lentement dévelop­pée  par  retrait  des  projections, ain­si que sur l’autonomie créatrice d’un inconscient impénétrable par un ou­tillage biologique. Toutes ses élu­cidations sont inscrites dans la per­spective d’un inconscient originaire, source de « vie », d’une ampleur in­commensurable, et d’où surgit quel­que chose de vrai. Pour lui, aucune théorie  ne peut vraiment expliquer les rêves, dont  certains plongent dans  les profondeurs de l’incons­cient. Il faut les prendre tels qu’ils sont : produits  spontanés,   naturels et objectifs de la psyché qui est elle-même la mère et la condition du conscient.

La doctrine de Jung postule l’exis­tence  de l’inconscient collectif, sour­ce des archétypes qui mani­festent des images et des symboles indé­pendants  du temps et de l’es­pace. Pour Jung, le psychisme in­dividuel baigne dans l’inconscient collectif, source  primaire  de l’éner­gie  psy­chique à l’instar de l’élan vital de Bergson. Selon Jung, l’homme mo­derne qui se trouve plongé dans des virtualités abstraites, a eu le tort de  se couper de l’inconscient   col­lec­tif, réalité vitale et objective, ce qui aurait  creusé un hiatus entre savoir et croire.

Animisme, instinctivisme, symbolique ontologique

La sagesse   jungienne   débouche  sur un anti-modernisme dont la con­dition de validité est que le monde eût été meilleur dans les époques à mentalité magique, qui privilégiait l’animisme, l’instinctivisme et le symbolisme ontologique  par  rap­port au rationalisme abstrait et em­pirique des temps modernes. Avant d’aborder  une succincte présen­ta­tion de la philosophie à proprement parler  existentielle, il convient de faire un détour sur une certaine  forme  d’irrationalisme  philosophi­que que l’on peut qualifier d’exis­tentialisme  ou  d’humanisme crispé et dont  la figure de proue  reste  Jean-Paul Sartre.

La raison dialectique, issue de la ré­volution française, de Hegel à Marx, implique une critique de la raison classique, plus spécifiquement de la manière dont celle-ci concevait les principes d’identité et de non-con­tradiction ;  et sa visée n’est plus de se détacher de la réalité historique et sociale pour la penser en dehors du temps, mais, au contraire,  d’ex­pri­mer l’orientation même de cette réa­lité. C’est ainsi que Karl Marx décré­tait, dans ses fameuses thèses sur Feuerbach,  qu’il ne s’agit plus d’in­ter­­­préter le monde, mais de le transformer.

Sartre et la totale liberté de l’homme

Ces remarques visent à situer l’at­titude de Jean-Paul Sartre,  philoso­phe  existentialiste  de  l’engagement et de la liberté, hostile à tout retrait hors  de la réalité historique et so­ciale. Promoteur au départ d’une conception  irrationaliste  de  la li­ber­té, il a voulu, à partir d’elle, exercer une action politique et sociale révo­lutionnaire, ce qui l’a forcément con­duit à se rapprocher du courant de pensée communiste. Dans L’Etre et le Néant, Sartre entreprend de dé­monter la totale liberté de l’homme. Il veut prouver que la liberté humaine surgit dans un monde « d’existants bruts » et « absurdes ». La liberté, c’est l’homme lui-même et les choses au milieu desquelles elle apparaît : lieu, époque, etc., con­stituant la situation. Lorsque Sartre nous  dit que  l’homme  est  con­dam­né à la vie et à la liberté, il faut entendre que celle-ci n’est pas fa­cultative, qu’il faut choisir inces­sam­ment, que la liberté est la réalité mê­me de l’existence humaine.

Quant aux choses abstraites dans lesquelles  cette  liberté  se ma­nifes­te,  elles  sont  contingentes au sens d’être là, tout simplement, sans rai­son, sans nécessité. Il y a donc pour Sartre, sur le plan ontologique, une dualité radicale entre la liberté (le pour-soi) et le monde (l’en-soi). Il n’en  demeure   pas moins que l’en­ga­gement  marxiste-léniniste de Sartre dénote chez lui une certaine intégration  dans  les  circuits ab­straits  d’une idéologie contestatrice pour ses débuts ; et réactionnaire dans l’après-68.

Chez Sartre, l’existentialisme con­sistait à intégrer dans le souci d’ex­ercer  une action politique et sociale et de la justifier, l’apport du courant hégélo-marxiste à une théorie ayant d’abord consacré le primat de la vie immédiate comme liberté absolue au sein d’une réalité parfaitement opa­que ; effort qui confère à son hu­manisme  une  singulière crispation et le conduit   irrémédiablement   dans les méandres de l’abstraction idéologique.

A l’instar de cet existentialisme de type sartrien, la « philosophie de la vie » qui se développera du 19ième au 20ième siècle en Allemagne et en France privilégie les notions de vi­talisme, de personnalisme, d’ir­réversibilité,  d’irrationnel  par  rap­port au statisme, à la logique, à l’ab­strait, à la généralité et au schéma­tisme. C’est dans ce courant de pen­sée que s’inscrit Henri Bergson, promoteur de l’idée « d’élan vital », qui s’oppose au mécanicisme, au matérialisme et au déterminisme.

L’Etre est conçu comme une force vitale qui s’inscrit dans son propre rythme,  dans  une donnée onto­logique spécifique. L’intuition reste l’impératif  pour  tout être humain pour appréhender l’intériorité et la totalité.  La vie reste et transcende la matière,  la conscience  et  la mé­moi­re et appelle l’élan d’amour qui seul est à même de valoriser l’intériorité, la liberté et la volonté créatrice.

Le vitalisme de Maurice Blondel

Le vitalisme de Maurice Blondel ré­side dans l’affirmation et la su­pré­matie de l’action qui est la véritable force motrice de toute pensée. On peut déceler dans les conditions existentielles de l’action l’interaction d’une pensée cosmique, et Blondel proclamera que la vie « est encore plus que la vie ». Parallèlement à ce courant  de  pensée français s’in­sé­rant dans la philosophie de la vie, se développera   une philosophie de la vie purement allemande, de type scien­tifico-spirituel,  qui appréhen­dera   le phénomène de la vie dans ses  formes  historiques,   spirituelles et constituant  une véritable école d’in­terprétation des phénomènes spirituels dans le cadre de la phi­losophie,  de la pédagogie, de l’his­toire et de la littérature.

Wilhelm Dilthey assimilera le phé­nomène de la vie sans a priori mé­taphysique au concept de la « com­préhension » (Verstehen), avec des prolongements structuralistes et typologiques. Dans le sillage de son école  se distingueront    des pen­seurs tels que G. Mische, B. Groet­huysen, Ed. Spranger, Hans Lei­segang, A. Dempf. Dans cette continuité,  Georg Simmel  concluera que la vie, qui est par essence informe, ne peut devenir un phé­nomène que lorsqu’elle adopte une forme, ce qui suppose qu’elle doit elle-même se transcender pour être au-dessus  de  la vie. Dans le cadre de l’école  structuraliste de la philo­sophie de la vie allemande, s’illu­streront  Oswald Spengler, qui dé­crivit le déclin de l’Occident comme une morphologie de l’histoire de l’humanité,  et  surtout  Ludwig Kla­ges, qui prophétisera la ruine du monde au nom de la suprématie de l’esprit,  car l’esprit étant  l’ennemi de la vie anéantit la croissance et l’é­panouissement  de la nature in­no­cente et originelle.

De Chateaubriand à Berdiaeff

Chateaubriand disait, dans Les Mémoires d’Outre-tombe : « La mode est aujourd’hui d’accueillir la liberté d’un rire sardonique, de la regarder comme une vieillerie tombée en désuétude avec l’honneur. Je ne suis point  à  la mode,  je pense que,  sans la liberté, il n’y a rien dans le monde ; elle donne du prix à la vie ; dussé-je rester le dernier à la défendre, je ne cesserai de proclamer ses droits ». Nul autre penseur et écrivain que Nicolas Berdiaeff, le mystique aristo­crate russe du 20ième siècle ne don­nera autant de résonance à ces paroles  en insistant constamment sur  l’étroite  correspondance  entre  la liberté et l’impératif de la vie face aux diverses séductions des struc­ures  abstraites de la pensée, de la psychologie, de l’idéologie qui en­gendrent diverses formes d’escla­vagisme. L’homme est tour à tour esclave de l’être, de Dieu, de la na­ture, de la société, de la civilisation, de l’individualisme, de la guerre, du nationalisme, de la propriété et de l’argent, de la révolution, du collec­tivisme, du sexe, de l’esthétique, etc.

Les mobiles internes de la phi­lo­sophie  de  Berdiaeff restent  con­stants  depuis  le début : primauté de la liberté sur l’être, de l’esprit sur la nature, du sujet sur l’objet, de la personne  sur le général et l’univer­sel, de la création sur l’évolution, du dualisme  sur le monisme, de l’a­mour sur la loi. La principale source de l’esclavage de l’homme et du processus  engendré  par l’abstrac­tion  et  l’illusion constructiviste ré­side dans l’objectivation et la socia­lisation à outrance de l’Etre, dans l’atomisation sociétaire et indivi-dualiste qui détruit les formes or­ganiques de la communauté ; cette dernière est fondée sur l’affirmation de l’idée personnaliste et au­then­tiquement aristocratique, donc diffé­rencialiste ;  l’affirmation  de  la qua­lité en opposition avec la quantité, la reconnaissance  de  la  primauté  de la personne impliquant bien celle d’une  inégalité   métaphysique,   d’u­ne diversité,  celle  des distinc­tions, la désapprobation de tout mé­lange.

Berdiaeff, en  dénonçant  toute  forme de statolâtrie, a  considéré  que la plus grande séduction de l’histoire humaine est celle de l’Etat dont la force assimilante est telle qu’on lui résiste  malaisément.  L’Etat n’est pas une personne, ni un être, ni un organisme,  ni une essentia ; il n’a pas son existence propre, car il n’existe  que  dans  et par les hom­mes dont il se compose et qui re­présentent, eux, de vrais centres existentiels. L’Etat n’est qu’une pro­jection, une extériorisation, une ob­jectivation des états propres aux hom­mes eux-mêmes. L’Etat qui fait reposer  sa  grandeur  et sa puis­sance sur les instincts les plus bas peut  être  considéré comme le pro­duit d’une objectivation comportant une  perte complète de la per­son­nalité, de la liberté et de la ressem­blance humaine. C’est l’expression extrême de la chute. La base mé­taphysique de l’anti-étatisme chez Berdiaeff  est  constituée  par le pri­mat de la vie et de la liberté de l’être, de la personne, sur  la  société.

Miguel de Unamuno et l’homme concret

Dans  le prolongement  de  Berdiaeff, et pour conclure, Miguel de Una­mu­no, dans son œuvre Le sentiment tragique de la vie, proclamera la suprématie de la concrétude de la personne  face  à  l’humanité  ab­straite par cette phrase : « Nullum hominem  a  me  alienum puto ». Pour lui, rien ne vaut, ni l’humain ni l’humanité, ni l’adjectif simple ni le substantif  abstrait,  mais  le substan­tif concret : l’homme. L’homme con­cret, en chair et en os, qui doit être à la  base  de toute philosophie vraie, qui  se  préoccupe  du  sentimental, du  volitionnel, de la projection dans l’infini intérieur de l’homme donc de la vie et d’un certain sentiment tra­gique de la vie qui sous-entend  le pro­blème de notre destinée indi­vi­duelle et personnelle et de l’im­mor­talité de l’âme.

Maître Jure VUJIC.  

 

 

 

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mercredi, 30 mai 2007

Merleau-Ponty: la chair du politique

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Myriam REVAULT D'ALLONNES : Merleau-Ponty - La chair du politique

Michalon, Coll. "Le Bien Commun", ISBN 2-84186-150-3, 2001, 8,99 Euro.

Approche captivante de l'œuvre de Merleau-Ponty, l'homme qui a voulu donner substance à la pensée et à la politique. Les questionnements des années 50 sont bien oubliés de nos jours, tant on les trouve désormais lassants et sans objet. Cependant, la volonté de Jacques Merleau-Ponty "d'inscrire la politique et l'histoire dans la 'chair du monde'", afin de s'interdire "toute clôture doctrinale" où le politique est conçu d'emblée et sans appel comme "entièrement maîtrisable". On le voit, un retour rétrospectif aux questionnements de Merleau-Ponty permettrait, à ceux qui ne sont pas paresseux et ne reculent pas devant la tâche ardue de travailler une philosophie au langage difficile, de fustiger les clôtures de la "pensée unique", dont Sartre fut en quelque sorte un pionnier, après avoir abandonné son existentialisme libertaire, sa critique des masques hypocrites, etc. (c'est dans ce sens que le pitre Bernard-Henry Lévy réhabilite Sartre et lui consacre un gros ouvrage : Lévy se place délibérément dans le sillage du Sartre figé et donneur de leçon, contre Merleau-Ponty, professeur de réalisme). Dans un langage chaleureux, mais clair, limpide et rigoureux, Myriam Revault d'Allonnes, va droit au but, presque à chaque page : ""Revenir aux choses mêmes" [comme le préconisait Merleau-Ponty], c'est retrouver le premier contact avec le monde, le contact "naïf" auquel on redonnera un statut philosophique" (p.19). Ou encore : ""Comprendre" n'est pas de l'ordre de la pure intellection : le monde est d'abord ce que je vis et non ce que je pense. Je "communique" avec lui, mais je ne le possède pas car il est "inépuisable"" (p. 20). Mieux : "La philosophie n'est pas au-dessus de la vie, elle ne se tient pas en surplomb [...]. Pas plus qu'il n'y a de "parole philosophique absolument pure", pas plus on ne peut concevoir "une politique purement philosophique"" (p. 30). Et encore : "Tout recours à l'histoire universelle coupe le sens de l'événement, rend insignifiante l'histoire effective et est un masque du nihilisme" (p. 57). "L'homme politique qui a, une bonne fois, accepté de prendre en charge "l'irrationalité du monde" ne cédera pas plus aux vertiges des bons sentiments et de la morale du cœur qu'il n'éludera ses responsabilités devant les conséquences de ses actes" (pp. 66-67).

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De Feuerbach à Nietzsche

De Feuerbach à Nietzsche : réhabilitation des sens et des corps

Analyse : Wolfgang WAHL, Feuerbach und Nietzsche. Die Rehabilitierung der Sinnlichkeit und des Leibes in der deutschen Philosophie des 19. Jahrhunderts, Ergon Verlag, Würzburg, 1998, DM 84, ISBN 3-932004-93-0.

La pensée occidentale conventionnelle est nettement marquée par un rejet des corps et des sens. Wolfgang Wahl constate pourtant que cette tradition (sinistre) a été rejetée, tacitement ou implicitement, par toute la pensée européenne, tout au long de sa trajectoire, car elle a sans cesse exprimé le souci de replacer l’homme dans la vie et de le soustraire aux chimères intellectualistes. Wahl ne pense pas que le rejet de l’intellectualisme débouche automatiquement sur un refus de l’esprit et de la raison. Mais, a contrario, débouche sur l’affirmation d’un autre type de raison, plus en prise avec les variations du monde vivant, les hautes et les basses intensités de la vie, les perspectives chaque fois différentes que nous imposent toute pérégrination et toute quête dans le monde réel. Pour Wahl, de Montaigne au XVIIIième siècle, la France et l’Angleterre ont aligné des philosophes sensualistes et vitalistes, bien avant l’Allemagne, pays plus longtemps soumis à la censure et à la répression. Néanmoins, le détour par la mystique chrétienne (Jacob Böhme, Christoph Oetinger), permet à la culture germanique au début du XIXième de déployer une réhabilitation plus profonde et plus achevée du corps et des sens. Alexander Gottlieb Baumgarten, philosophe des Lumières, développe dans Aesthetica (1750-58, deux vol.), non pas une simple théorie de l’art, mais une scientia cognitionis sensitivae, où les sens ne sont plus posés d’office comme des affects à la source de l’erreur, mais comme constitutifs du processus de cognition, comme analogon de la raison intellectuelle. Même si Kant apparaît souvent comme l’exemple par excellence du « refoulement du corps » et attribue aux sens un rôle purement passif et réceptif dans le processus de la connaissance, une analyse précise de son œuvre nous permet d’entrevoir chez lui déjà, avant l’éclosion de tout le vitalisme affiché du XIXième siècle philosophique allemand, une réhabilitation timide des sens, car Kant, en effet, leur accorde une place précise et incontournable dans le travail de consolidation de la pensée. Kant ira plus loin, nous rappelle Wahl : dans sa théorie dynamique de la matière (in : Allgemeine Naturgeschichte und Theorie des Himmels, 1755), il amorce une théorie de la connaissance reposant sur la sensibilité propre du corps. Dans son Opus postumum, le corps est défini comme condition a priori de l’expérience ; cette définition, posée par un philosophe rigoureux, rationnel jusqu’à la caricature et dualiste, ouvre la porte à toutes les futures affirmations vitalistes. C’est donc dans le corpus et dans l’œuvre posthume du rationaliste le plus emblématique que s’enracine la contestation la plus évidente de ce rationalisme et de ses enfermements. La conception dynamique de la matière chez Kant suscitera l’intérêt croissant des philosophes de l’ère romantique, dont le plus précis et le plus systématique sera Schelling, par ailleurs lecteur attentif de Böhme et Oetinger. Schelling inclut l’homme dans la théorie kantienne de la matière dynamique, alors que le philosophe solitaire de Königsberg gardait l’homme en dehors de cette dynamique. Avec Schelling et ses disciples, le monde devient un organisme : la nature n’est plus une masse de choses mortes, pur objet et pur produit, natura naturata, mais un Tout systémique et unitaire, une force vitale primordiale en devenir constant, une natura naturans, matrice d’une activité absolue et infinie. Le moi reconnaît ce Tout, cette force primordiale et cette activité incessante avec émerveillement et se languit d’y participer. Son corps et ses sens ont participé à cet élan de reconnaissance et ont poussé le moi à se plonger dans ce réel effervescent. La Nature, le Moi, le réel et la raison ne font qu’un. La liberté consiste à accepter cette unité et à y participer joyeusement. Pour Feuerbach et pour Nietzsche, la raison autonomisée, détachée de la Nature et des pulsions du Moi, est un leurre, une négation du témoignage des sens. Le Moi est d’abord un corps qui ressent, voit, sent, entend, palpe et goûte (pluralité que défend aujourd’hui Michel Onfray en France). Toute une métaphysique et toute une ontologie ont nié cette présence aprioristique et incontournable du corps et des sens. La philosophie doit donc retrouver la pan-imbrication de tout dans tout et de tout dans le Tout, c’est-à-dire retrouver le tantra (car tantra signifie « tissage »), que constatent les sens du corps et que nie l’intellect désincarné. Le retour à la pan-imbrication permet de saisir et d’appréhender la pluralité du réel, d’accepter joyeusement (le « gai savoir ») sa constitution faite de couches multiples qui se chevauchent et/ou se superposent et/ou se compénètrent. Ce « gai savoir » induit l’application de pratiques plus souples et mieux modulées en tous domaines de l’activité humaine. Comme l’écrit Merleau-Ponty, héritier de ce recours aux corps et aux sens : « Le monde n’est pas ce que je pense, mais ce que je vis ; je suis ouvert au monde, indubitablement je communique avec lui, mais il n’est pas ma propriété, il est inépuisable (…). La philosophie, c’est en vérité apprendre à voir le monde sous un angle toujours nouveau et, de ce fait, une simple narration  —une histoire narrée—  peut révéler le sens du monde aussi “profondément” qu’un traité de philosophie » (Robert Steuckers).

 

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L'écrivain croate Vladimir Nazor

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L'écrivain croate Vladimir Nazor

30 mai 1876: Naissance à Postire dans l’île de Brac de l’écrivain croate Vladimir Nazor. Il est resté croate et paysan dans ses inspirations et son œuvre en dépit des influences européennes diverses que subit la Croatie, pays à l’intersection des mondes slaves, germaniques et romans. Le caractère paysan et croate transparaît dans la veine mystique panthéiste et dionysiaque de son œuvre, qui le rapproche de Maurice Maeterlinck, écrivain flamand de langue française.

Pendant la seconde guerre mondiale, il s’engage dans les partisans de Tito, ce qui lui permet d’accéder au poste de président de l’assemblée croate (une fiction du régime titiste). Malgré cet engagement communiste, son panthéisme ne s’estompe pas et il puise son inspiration dans les héros nationaux sud-slaves et dans la mythologie païenne slave. Ses satires politiques doivent leur inspiration à des figures comme Baudelaire, Leopardi ou d’Annunzio, tous trois très éloignés du matérialisme marxiste.

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mardi, 29 mai 2007

Racines de la "nouvelle droite"

Les racines de la "Nouvelle Droite" 

Lorenzo PAPINI, Radici del pensiero della Nuova Destra. La riflessione politica di Alain de Benoist, Giardini, Pisa, 1995, ISBN-88-427-0260-9, 29.000 Lire.

Etude fouillée sur la trajectoire d'Alain de Benoist depuis Europe-Action, les Ca­hiers Univer­si­tai­res et Défense de l'Occident. Pour Lorenzo Papini, docteur en scien­ces politiques formé à Pi­se, enseignant à Rome, le fondement de la pensée de Benoist, d'après ses écrits de jeu­nes­se, est un "racisme grand-européen", pui­sé chez Renan, Gobineau et Chamberlain, vi­sant la défense de la "race blanche" et la création, à terme, d'un "Empire blanc", qu'il appelait le "Witland", entité my­thi­que à laquelle il rêvait, à l'époque, avec les racialistes américains (Ku-Klux-Klan, etc.) et sud-africains (White suprematists). A cette é­po­que, l'orientation du fu­tur chef de file de la "nouvelle droite" est encore ra­di­ca­le­ment occidentaliste: De Gaulle est ac­cusé d'avoir "trahi la race" (Europe-Action, 20 décembre 1965), d'ê­tre un "imposteur com­mu­niste" et d'avoir "brisé l'Alliance At­lantique" (ibid., juillet 1967). Tels étaient les péchés de jeu­nesse que de Be­noist ne cessera plus de re­nier, en exprimant parfois des remords pathé­ti­ques, à partir de la création du GRECE, où il opte pour une stratégie "métapolitique", qui dé­bou­chera sur la for­mulation d'un anti-racisme dif­férentialiste et sur une réfutation du pro­mé­théisme initial de ce mouvement. Il faut reconnaître que, de ce point de vue, l'évolution d'A­lain de Benoist est in­té­res­sante, constitue une évolution étonnante et positive. Pa­pini retrace clai­rement cette trajectoire, comme Taguieff l'avait fait en Fran­ce, dans son livre intitulé Sur la nou­velle droite. L'étude de Papini permet à l'étu­diant, à celui qui ne connaît pas la ND ou n'en a entendu que vaguement par­ler, d'avoir un fil d'Ariane pour la découvrir. A signaler dans ce li­vre: l'excellent cha­pitre, clair et concis, sur la réception de Nietzsche par de Benoist.

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Le dépérissement de la politique

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Myriam REVAULT D'ALLONNES : Le dépérissement de la politique - Généalogie d'un lieu commun

Flammarion, coll. "Champs", n°493, ISBN 2-0808-0032-9, 2001.

Comme nous allons le voir en lisant sa monographie très pertinente sur Jacques Merleau-Ponty, Myriam Revault d'Allonnes veut une politique et une pensée incarnées dans le flux de l'histoire réelle. Dans la querelle qui a opposé Sartre à Merleau-Ponty, elle voit l'opposition, dans les années 50 à 70, entre un idéalisme figé, sans ancrage dans le réel mouvant, et une volonté de retourner à ce réel et d'y œuvrer, parfois humblement. Dans Le dépérissement du politique, livre dense, que nous lirons conjointement aux travaux plus anciens et plus classiques de Julien Freund, Myriam Revault d'Allonnes entend souligner que le politique, s'il dépérit et semble accuser un ressac problématique, ne peut pas pour autant disparaître : elle conclut "à sa fragilité essentielle qui résiste à la sempiternelle prophétie de la fin". L'homme politique doit avoir le souci du monde, et de la transmission des valeurs, même fragiles, que génère ce monde, bref d'assurer des continuités contre ceux qui rêvent d'un paradis terminal et parfait, trop parfait pour être humain, ou qui veulent déclencher un enfer, trop effrayant et surtout trop fondamentalement chaotique pour être à son tour véritablement humain. Mieux : à la suite de Machiavel, qui savait toujours ramener les choses à leurs proportions exactes, Myriam Revault d'Allonnes croit à la "virtù" des Romains, ou à celle que Tacite prêtait aux Germains, "c'est-à-dire", dit-elle, "au courage, vertu philosophique et politique par excellence".

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Espana y Eurasia

Para ser global, España necesita pensar el mundo a través de Eurasia

Luis Martínez Montes, miembro de la carrera diplomática que actualmente ejerce de Consejero de la Misión Permanente de España en la OSCE, organización presidida este año 2007 por España, reflexionó sobre el papel de Eurasia, en una entrevista concedida a la Fundación CIDOB. Martínez Montes, que combina su labor como diplomático con la elaboración de ensayos en los que reflexiona sobre temas candentes de la realidad internacional, es autor de España, Eurasia y el nuevo teatro del mundo, un Documento CIDOB de reciente publicación desde el que propone elaborar un plan en el Ministerio de Asuntos Exteriores y de Cooperación para dar respuesta a una nueva realidad emergente: Eurasia.

Tu estudio España, Eurasia y el nuevo teatro del mundo gira en torno a la emergencia de Eurasia. ¿Es la emergencia de nuevos centros de atención mundial una de las claves internacionales hoy en día?

Existe una fascinación, teñida de cierta ansiedad, ante el ascenso de países como China y la India; o ante la reafirmación “energética” de Rusia y las ambiciones nucleares de Irán. Octavio Paz, un poeta visionario, decía que el signo de nuestro tiempo no es la “revolución”, sino la “revuelta”: un cambio que es regreso a los orígenes. La emergencia en nuestros días de esos nuevos centros de poder mundial constituye un retorno a una situación de las relaciones internacionales anterior a la era bipolar e incluso previa a la hegemonía de Occidente. Al mismo tiempo nos encontramos ante un fenómeno novedoso, puesto que las potencias emergentes tienen a su disposición recursos e instrumentos de poder desconocidos en el pasado y ahora proporcionados por las fuerzas convergentes de la geopolítica y de la globalización. Ese es, precisamente, el sentido último del concepto de “emergencia”: la aparición de propiedades nuevas en un sistema o conjunto de sistemas a partir de realidades preexistentes. Así se explica esa ambigua y desconcertante mezcla de familiaridad y extrañeza que sentimos al observar y analizar el mundo de hoy. Por una parte, contemplamos la irrupción del pasado en el presente, ya sea en la forma de renovadas identidades religiosas o nacionales o en la resurrección de civilizaciones en apariencia petrificadas y ahora camino de convertirse en polos alternativos de poder mundial. Por otra, ese mismo pasado redivivo es transformado al contacto con fuerzas y corrientes que ya prefiguran el futuro. Y ese futuro, guste o no a quienes hasta ahora en Occidente pretendían detentar el monopolio de la interpretación histórica, va a ser plural.

¿Qué significado tiene la emergencia de Eurasia? ¿Cómo están reaccionando las diferentes potencias europeas ante este fenómeno

La emergencia de Eurasia es el resultado de la convergencia de las dos grandes fuerzas que constituyen la fábrica de nuestro mundo. En lo geopolítico – los cambios en la distribución espacial del poder – es la resultante de la fragmentación y recomposición interna de los dos grandes bloques que dominaron el macrocontinente durante la Guerra Fría. En lo referente a la globalización, la apertura de mercados antes cerrados a los flujos de capital, energía e información están provocando importantes transformaciones y desplazamientos en la cartera de recursos de los diversos actores euroasiáticos. Al mismo tiempo, la crisis por la que atraviesa el proyecto supranacional de la Unión Europea está en el origen de la reaparición de proyectos de hegemonía entre las grandes potencias tradicionales como Gran Bretaña, Alemania y Francia. La diferencia con el pasado es que ahora tienen que contar en sus cálculos con las potencias (re)emergentes – Rusia, China, la India- y con los nuevos actores surgidos de la implosión soviética. Las repúblicas del Cáucaso y de Asia Central han descubierto la influencia que les otorga el ser países de origen y tránsito de recursos como el gas o el petróleo, amén de albergar importantes yacimientos de minerales estratégicos, y no están dispuestas a aceptar pasivamente ser las víctimas de un nuevo Gran Juego.

Acercándonos a la política exterior española, ¿cuál sería el propósito de establecer un Plan Eurasia? ¿Cómo podría entroncarse ese Plan con otros ya existentes y con el resto de la política exterior española?

Por razones históricas España ha seguido una política exterior centrada en tres “ejes”, Europa, Iberoamérica y el Mediterráneo / Oriente Medio. No discuto que éstas sean áreas prioritarias para nuestro país. Pero pensar y actuar como si se tratara de ámbitos autónomos desconectados del contexto global no es realista. Retornando al ejemplo de Eurasia, la reafirmación de las potencias tradicionales y el activismo de las emergentes en regiones cada vez más alejadas de su inmediata vecindad está alterando decisivamente los equilibrios en cada una de nuestras áreas privilegiadas de acción. Pensemos en los crecientes intereses de la India en empresas europeas; de Rusia en Argelia o de China en Marruecos, por no hablar de las inversiones de este último país en Iberoamérica o en el África Subsahariana. Hemos de ser conscientes de que para un país que ha alcanzado la magnitud de España ya no es sostenible concebir y ejecutar una política exterior propia de una “potencia regional media”. En el mundo de hoy sólo tendrán capacidad de acción y decisión autónomas los actores que piensen y actúen en términos globales y sean capaces de explorar y aprovechar las múltiples redes que conectan ámbitos geográficos y temáticos antes separados. La era de los compartimentos estancos y las áreas de influencia está dejando paso a la de los vasos comunicantes, de las redes. De ahí que, para tener una presencia global, España necesite pensar el mundo a través de Eurasia. Ya disponemos de una trayectoria definida, que conviene adaptar constantemente a las nuevas realidades, en ámbitos como la UE, Iberoamérica y el Mediterráneo. También nos hemos dotado recientemente de planes geográficos específicos como el Plan Asia o el Plan África. El principal valor añadido de un Plan Eurasia estribaría precisamente en poner de relieve el papel central del macrocontinente en la creciente interconexión entre realidades en apariencia distantes y dispares. Por ejemplo, quienes estén centrados en seguir los acontecimientos en Venezuela, en Marruecos o en Sudán tendrían así acceso en tiempo real acerca de cómo decisiones adoptadas en Pekín, Moscú, Astana o Bruselas afectan instantáneamente a sus respectivos ámbitos de interés. Por otra parte, un Plan Eurasia debería prestar una especial atención a Eurasia interior, es decir, a los actores y dinámicas que se entrecruzan en el espacio post-soviético, sobre todo en el Cáucaso y Asia Central. Se trata de zonas a las que hasta ahora no habíamos prestado toda la atención que se merecen, a diferencia de nuestros vecinos más activos,que sí disponen de una visión global. En suma un Plan Eurasia, sumado a los existentes e incardinado en una Estrategia de Política Exterior, habría de contribuir a ese salto de calidad que permitiría a España pasar de potencia (tri) regional a potencia media global con capacidades de gran potencia en ámbitos regionales seleccionados de acuerdo con nuestros intereses. Es un reto que como sociedad creo que nos podemos plantear de forma realista en el transcurso de esta generación. Nos va el futuro, y casi me atrevería a decir el presente, en ello.

Conscientes del interés de Luis Martínez Montes en alimentar los debates y las reflexiones en el ámbito de las relaciones internacionales, ¿en qué proyectos está trabajando actualmente?

El Documento ahora publicado por CIDOB forma parte de una empresa intelectual y vital más amplia. Siempre he intentado seguir el consejo que Khrisna da al arquero Arjuna en el Bhagavad Gita, uno de los libros sapienciales que debiera formar parte de un bagaje espiritual cosmopolita: el conocimiento es superior a la acción y ésta es superior a la inacción. Conocimiento y acción son uno y el mismo camino. Así, concibo la indagación intelectual sobre la naturaleza de Eurasia o sobre las variaciones de poder en otras áreas del mundo como parte de mi labor práctica como diplomático. Creo además, sinceramente, que la difusión del conocimiento y la incitación al debate en temas propios de las relaciones internacionales constituyen no sólo una responsabilidad ciudadana, sino un requisito indispensable para asentar una política exterior sobre bases sólidas. Una opinión pública ignorante es una opinión pública desorientada y susceptible de incurrir en oscilaciones extremas. A ello se suma el que, debido a razones conocidas, nuestro país carece todavía de una asentada tradición de reflexión orientada a la acción sobre enteras regiones del mundo. Mis futuros proyectos van un poco en esa línea. Por ejemplo, acabo de terminar otro ensayo para CIDOB sobre las implicaciones del ascenso de China sobre la hegemonía estadounidense. El siguiente paso sería completar una visión panorámica del nuevo teatro del mundo prestando atención a dinámicas particulares pero de alcance mundial. Centrándonos en Eurasia, me interesan las relaciones entre China y Japón; la función de Asia Central como encrucijada histórica y las relaciones triangulares entre Rusia, China y la UE. Soy consciente de que son proyectos amplios que sobrepasan mis capacidades y requieren de una contribución colectiva como la que pueden aportar fundaciones como CIDOB, Casa Asia, las universidades y las excelentes escuelas de negocios con que cuenta nuestro país.


Article printed from Altermedia Spain: http://es.altermedia.info

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lundi, 28 mai 2007

Sur l'Action Française

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Une révolution classique?

Sur l’Action française

« Maurras nous apportait l’exemple, exaltant à nos âges, du combat à contre-courant, de l’affirmation minoritaire, d’une intraitable énergie intellectuelle, du refus de tout compromis dans la pensée et dans l’action et aussi une méthode politique, un réalisme - les nations existent, les forces existent, la survie des sociétés humaines n’est possible qu’à un certain prix et sous certaines conditions, on ne peut vouloir ceci ou cela qu’en acceptant les conséquences » Thierry Maulnier

 

« C’est à Maurras et à Nietzsche (...) que je dois d’avoir été débarbouillé du romantisme et introduit à la connaissance du coeur humain, au classicisme qui me défendait également contre le chatoiement de la fresque hégélo-marxiste et les odeurs de sève du fascisme »

Jacques Laurent

 

Ces deux citations d’écrivains formés à l’école de l’Action française illustrent l’apport de Maurras à l’histoire de la pensée française. Un livre récent de F. Huguenin retrace un siècle de vie intellectuelle et littéraire, tout un pan trop méconnu de l’histoire des idées. L’auteur est diplômé de Sciences-Po et l’éditeur, il y a quelques années, de l’excellente revue Réaction, qui a inexplicablement cessé de paraître.

 

Disons tout de suite que la monumentale étude de F. Huguenin n’a pas totalement satisfait notre appétit d’ogre: le livre terminé, et vigoureusement crayonné, on reste sur sa faim, vaguement agacé par ses lacunes et les préjugés de son auteur, prudemment catholique, rassurant jeune-homme-de-droite (un peu comme E. de Montety, l’auteur d’une intéressante biographie de T. Maulnier parue en 1994, ou comme des collaborateurs de Réaction qui officient aujourd’hui au Figaro). Tout ceci manque de punch et d’audace, et, avouons-le, fleure un peu la naphtaline. Mais ne soyons pas injuste: l’ouvrage est monumental (plus de 600 pages), bien construit (mais dénué de bibliographie), bien informé. Manifestement, F. Huguenin s’est imposé de sérieuses recherches et a rencontré des anciens de l’AF... mais pas Pierre Monnier, dont l’excellent livre de souvenirs A l’ombre des grandes têtes molles (La Table ronde 1987) n’est même pas cité. Mais Monnier est peut-être trop hérétique, trop inclassable pour M. Huguenin? En outre, on aurait aimé que fût abordée, même rapidement, l’influence évidente de Maurras dans les pays voisins: l’Espagne, l’Italie, le Portugal... et même la petite Belgique!

 

Revenons à Maurras (Acad. fr., 1868-1952). Sous sa férule, se construit au tournant du siècle un laboratoire d’idées qui aura une influence énorme sur les intelligences françaises et européennes. Critique implacable du jacobinisme niveleur et totalitaire, « principe d’affaiblissement de la France », apôtre de la décentralisation et du principe de subsidiarité, du fédéralisme et de la monarchie sociale et autoritaire, hiérarchique et communautaire, Maurras a été le maître de plusieurs générations, qui ont appris chez lui le refus tant de l’imposture démocratique - règne de l’Argent et des groupes occultes -, que des aventures totalitaires. Le mérite principal du travail de F. Huguenin est en effet de sérieusement nuancer la thèse de Zeev Sternhell sur la genèse française du fascisme (aujourd’hui battue en brèche par le livre de Marc Crapez, La Gauche réactionnaire, Berg): Maurras a toujours défendu un ordre minimum, organique et bienveillant, celui du Prince. L’autorité royale ne peut  être confondue avec le pouvoir absolu du dictateur fasciste, qui prône un ordre maximum et totalitaire: pour Mussolini, l’individu n’est rien et l’Etat est tout. Pour un maurrassien, ceci est une monstruosité héritée de la Révolution de 1789. T. Maulnier, qui fera un temps figure de successeur quasi officiel de Maurras le dit clairement: « L’Etat qu’il faut réformer n’est pas eulement l’Etat irresponsable et faible, mais l’Etat envahisseur et tentaculaire ». Ou encore: « Une société réellement équilibrée n’est pas celle où l’individu est sacrifié à la nation, ni celle où la nation est sacrifiée à l’individu, mais celle où se trouve résolue, effacée, l’opposition abstraite entre l’individu et la société (...) Il faut faire éclater l’imposture d’un régime qui a promis de faire de chacun un homme libre, et qui a fait de chacun un esclave doublé d’un dix millionnième de tyran ».

 

De 1898 à 1914, l’AF est à son apogée. Citons Huguenin: « Toute l’AF est dans cette réunion improbable, populaire et aristocratique, intellectuelle et activiste, politique et esthétique de tempérament et d’héritages divers ». Le mouvement unit bouillonnement doctrinal, et ce dans tous les domaines (littéraire, esthétique, politique, métaphysique) et action sur le terrain. De grands écrivains le soutiennent: Barrès, Bourget, Rebell, Bainville. Ses maîtres sont Bonald, Taine, Renan, Maistre, Fustel de Coulanges, Proudhon, Balzac, Racine, Comte. Un Institut est créé, avec de multiples chaires: tout de suite, l’AF se pose en école du goût, de la sensibilité et de l’intelligence. Proust dira de Maurras qu’à ses lecteurs, il offre « une cure d’altitude mentale ». Une librairie, une maison d’édition, deux revues et un quotidien forment l’armature d’un mouvement justement qualifié d’insurrectionnel, de révolutionnaire. Il s’agit bien de lutter contre l’emprise de l’argent sur la France, que Balzac avait déjà annoncée en son temps et que Maurras, avec un réel génie littéraire, décrit ainsi dans ce texte atrocement prémonitoire « Le patriciat dans l’ordre des faits, mais une barbarie vraiment démocratique dans la pensée, voilà le partage des temps prochains: le rêveur, le spéculatif pourront s’y maintenir au prix de leur dignité ou de leur bien-être; les places, le succès ou la gloire récompenseront la souplesse de l’histrion: plus jamais, dans une mesure inconnue aux âges de fer, la pauvreté, la solitude, expieront la fierté du héros et du saint: jeûner, les bras croisés au-dessus du banquet, ou, pour ronger les os, se rouler au niveau des chiens ». On le voit, l’AF d’avant 1914 constitue clairement une rupture avec l’ordre bourgeois, un mouvement de résistance.

 

Maurras se révèle comme l’un des grands platoniciens modernes: disciple de Parménide pour l’unité entre pensée et Etre, le chef de l’AF exalte aussi « le dur rire du dieu solaire (qui) épanouit dans le seul Platon ses bienfaits ». Il s’agit bien de renaissance classique, d’une révolte archaïque contre le monde moderne. C’est cet esprit archaïque, en un mot païen, que F. Huguenin ne veut pas trop comprendre: son christianisme foncier joue ici le rôle d’obstacle épistémologique. Le « paganisme » - réel chez Maurras - est qualifié de « mal » par Huguenin (p. 148) et le pauvre Hellène, « privé de foi », est montré du doigt, dangereusement prêt de trébucher dans des « ténèbres » évidemment définitives. Rhétorique catholique, qui sent la trouille du coup de règle et l’obéissance « cadavérique ». Et qui masque la vérité. Car Maurras ne fut jamais chrétien, mais catholique forcé, nostalgique de l’ordre gréco-romain, que l’Eglise sauvegarda avant de le trahir. Les vrais chrétiens avaient déjà repéré que Maurras n’était pas des leurs: ne fustige-t-il pas dans un texte de jeunesse - mais tout est dans la jeunesse d’un homme, après, il triche et travestit ses inclinations profondes - « l’Evangile des quatre Juifs obscurs »? L’Eglise, ne l’oubliera pas, qui cassera les reins d’un mouvement qualifié d’agnostique, déjà affaibli par la Grande Guerre: ce sera l’ignoble condamnation de 1926, chef-d’oeuvre de duplicité et d’opportunisme.

 

Après la grande saignée de 14-18, l’AF est brisée. Elle perd ce caractère conquérant et le meilleur de son esprit, cet instinct insurrectionnel, se retrouvera chez ses dissidents. Rapidement, ce sera l’inaction française, la dérive conservatrice, l’intellectualisme abstrait.... mais avec de beaux restes, superbes même. L’AF  exerce, jusqu’à la guerre, une influence incomparable: de Dumézil à de Gaulle, de Maulnier à Bernanos, toute l’intelligence française (non communiste) apprend à lire dans Maurras, Daudet ou Bainville. Beaucoup s’éloigneront du Maître, mais tous en resteront marqués à vie. Après 1944, avec l’effondrement sans gloire du régime de Vichy, le mouvement ne survivra qu’à l’état de résidu. Certes, un Boutang, dont, comme le dit justement Huguenin, il faudra un jour écrire la biographie, un Thibon, voire un Raoul Girardet, continueront de publier des textes étincelants sur la maladie moderne. Des revues comme La Nation française ou Réaction joueront leur rôle de refuge et de conservatoire, mais l’élan est brisé. De leur côté, les « Hussards », héritiers de l’anti-romantisme maurrassien assureront la survie d’une révolte esthétique, frivole pour certains, mais ô combien importante pour deux générations de rebelles. Blondin, Déon, Jacques Laurent, Mohrt, et aussi Mourlet, Matzneff, de Spens ou Volkoff passeront le flambeau de cette rebellion aristocratique à de jeunes lecteurs, qui, à leur tour noirciront des pages. En ce sens, nous sommes sans doute plus nombreux à devoir davantage à ces écrivains qu’à Maurras, Bardèche ou de Benoist!

 

Le destin de l’Action française doit être médité avec le respect dû à des devanciers, qui ne doit toutefois pas se figer en culte hagiographique. Il faut s’inspirer des points forts de ce mouvement: école de goût, apprentissage d’une méthode, incarnation d’une métaphysique, exemple du renoncement (Maurras était un pur), critique étincelante de la modernité. Il faut aussi analyser sans passion les faiblesses de l’AF: son ignorance de l’héritage celtique et germanique de la France, sa germanophobie absurde (qui servit parfaitement les intérêts britanniques), son insuffisante réflexion géopolitique (La France seule), son immobilisme, etc. Faiblesse intrinsèque de ses meneurs, habileté du régime à défendre la République, toujours douée quand il s’agit de neutraliser un ennemi intérieur (pour l’extérieur, c’est moins sûr: voir la Ligne Maginot)?

 

Ceci devrait permettre de se pencher sur une autre école, celle de la Nouvelle Droite française, qui, fort prometteuse à ses débuts, n’atteignit jamais l’influence énorme de l’AF, mais connut un inachèvement, un déclin comparable, après quelques belles années. Il est vrai que la ND, ou plutôt les nouvelles droites dans leur ensemble, ont vite négligé le goût et la sensiblité au profit de l’intellectualisme et de l’élitisme abstraits. Il y a près d’un siècle, Paul Bourget avait déjà mis en garde la jeune droite de son temps: « Que ni l’orgueil de la vie, ni celui de l’intelligence ne fassent de toi un cynique et un jongleur d’idées ». 

 

Patrick Canavan

 

F. Huguenin, A l’école de l’Action française, Lattès 1998, 159FF.

Sur la droite littéraire, consulter le livre assez malhonnête de J. Verdès-Leroux, qui est quelque chose au CNRS: Refus et violences. Politique et littérature à l’extrême droite des années 30 aux retombées de la Libération, Gallimard 1996.  

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dimanche, 27 mai 2007

The American Enemy

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Roger, Philippe

The American Enemy: The History of French Anti-Americanism.

Translated by Sharon Bowman. 536 p. 6 x 9 2005

Cloth $35.00 ISBN: 978-0-226-72368-6 (ISBN-10: 0-226-72368-2) Spring 2005
Paper $22.50 ISBN: 978-0-226-72369-3 (ISBN-10: 0-226-72369-0) Fall 2006

Georges-Louis Buffon, an eighteenth-century French scientist, was the first to promote the widespread idea that nature in the New World was deficient; in America, which he had never visited, dogs don't bark, birds don't sing, and—by extension—humans are weaker, less intelligent, and less potent. Thomas Jefferson, infuriated by these claims, brought a seven-foot-tall carcass of a moose from America to the entry hall of his Parisian hotel, but the five-foot-tall Buffon remained unimpressed and refused to change his views on America's inferiority.

Buffon, as Philippe Roger demonstrates here, was just one of the first in a long line of Frenchmen who have built a history of anti-Americanism in that country, a progressive history that is alternately ludicrous and trenchant. The American Enemy is Roger's bestselling and widely acclaimed history of French anti-Americanism, presented here in English translation for the first time.

With elegance and good humor, Roger goes back 200 years to unearth the deep roots of this anti-Americanism and trace its changing nature, from the belittling, as Buffon did, of the "savage American" to France's resigned dependency on America for goods and commerce and finally to the fear of America's global domination in light of France's thwarted imperial ambitions. Roger sees French anti-Americanism as barely acquainted with actual fact; rather, anti-Americanism is a cultural pillar for the French, America an idea that the country and its culture have long defined themselves against.

Sharon Bowman's fine translation of this magisterial work brings French anti-Americanism into the broad light of day, offering fascinating reading for Americans who care about our image abroad and how it came about.

“Mr. Roger almost single-handedly creates a new field of study, tracing the nuances and imagery of anti-Americanism in France over 250 years. He shows that far from being a specific reaction to recent American policies, it has been knit into the very substance of French intellectual and cultural life. . . . His book stuns with its accumulated detail and analysis.”—Edward Rothstein, New York Times
                                                                                            
“A brilliant and exhaustive guide to the history of French Ameriphobia.”—Simon Schama,
New Yorker

TABLE OF CONTENTS

Introduction
Prologue
Part I - The Irresistible Rise of the Yankee
1. The Age of Contempt
2. The Divided States of America
3. Lady Liberty and the Iconoclasts
4. From Havana to Manila: An American World?
5. Yankees and Anglo-Saxons
6. Portraits of Races
7. "People of Enemy Blood"
8. The Empire of Trusts: Socialism or Feudalism?
Part II - A Preordained Notion
9. The Other Maginot Line
10. Facing the Decline: Gallic Hideout or European Buffer Zone?
11. From Debt to Dependency: The Perrichon Complex
12. Metropolis, Cosmopolis: In Defense of Frenchness
13. Defense of Man: Anti-Americanism Is a Humanism
14. Insurrection of the Mind, Struggle for Culture, Defense of the Intelligentsia
Conclusion
Notes
Index

Mousquetaires et libertins

Mousquetaires et libertins : l’itinéraire des "Hussards" 

« Nous sommes quelques-uns dont les traits communs sont un certain sérieux, un besoin de vérité, un air sombre. Mais les choses sont établies de telle sorte que nous faisons figure d’esprits légers. Nous ne respectons ni les lois ni les êtres qui nous gouvernent. Nous ne faisons pas leurs prières: lecture quotidienne et suivie des journaux de la République, discours hebdomadaires sur le Cours des Choses, contribution à la conscience morale universelle... Nous sommes les libertins du siècle ».   Roger Nimier

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Dans le portrait fraternel qu’il trace de Nimier, l’écrivain Jean Mabire cite ce beau passage de la Lettre d’un fils à son père: ces lignes de 1950 n’ont pas pris une ride, à l’instar des livres d’un seigneur des Lettres françaises trop tôt disparu. Depuis l’article célèbre de B. Frank, tout le monde ressasse le mythe des Hussards, quarteron d’écrivains qualifiés de « fascistes », personnages faibles et légers, évidemment suicidaires, friands d’alcool (ce n’est pas toujours faux), de voitures et de salons, etc. Ce cliché, simpliste et réducteur, masque toute la réalité, que décrit fort bien un livre récent de Christian Millau, qui, avant de devenir un chroniqueur gastronomique mondialement connu, fréquenta Nimier et sa bande.

Au galop des hussards, publié par l’un de ces « hussards », à savoir Bernard de Fallois, retrace les années 50, devenues mythiques: l’intelligentsia de gauche, Sartre en tête, dominait lourdement Paris et faisait régner, déjà, une sorte de politiquement correct, moins larmoyant que celui que nous connaissons, plus brutal, moins subtil (les communistes, déclarés ou cryptés, constituaient encore une force) et sans doute moins efficace. Nimier, jeune surdoué, eut le courage de faire front aux pions et aux flics de salon, réhabilitant des aînés « suspects », dont Céline, Morand, Chardonne ou Jouhandeau. L’époque était féroce: lorsqu’en 1950, Le Hussard bleu est pressenti pour le Goncourt, de braves humanistes font courir le bruit que l’auteur serait un ex-milicien. Or, Nimier s’était engagé en janvier 1945, à 20 ans, pour l’Extrême Orient. Vu son jeune âge, il dut rester en France, où il faillit périr d’ennui.  Nimier, tel Déon ou Laurent, ne fut jamais fasciste pour une raison bien simple: comme l’avait pressenti Malraux, pour être fasciste, il faut être pessimiste et actif,  - ce qui est le propre des âmes de qualité - mais, surtout, dénué d’un principe auquel rester fidèle, ce qui est ici le propre des nihilistes. Or Nimier est fidèle à la civilisation française classique, celle des mousquetaires, de Ronsard, de Balzac et de Dumas. Monarchiste, nostalgique d’une France aimable et paysanne, à la gentillesse racée, il ne pouvait qu’être rétif aux emportements totalitaires, trop fin pour céder aux sombres séductions des cathédrales de lumière. S’il joua parfois au fasciste de salon, c’était, comme nombre de ses cadets, par dégoût, pour ne pas devoir expliquer à des limaces en quoi consiste le principe de légitimité. Posture baroque, certes, mais point trop fatigante et qui permet de déplaire au plus grand nombre, ce qui n’est jamais à négliger. Voilà sans doute la principale leçon du rebelle Nimier: à chaque lecture, il nous réapprend la hauteur, le style. Never explain, never complain.

En quelques années, ce jeune prodige publie une rafale de romans et d’essais brillants qui font de lui l’un des grands de sa génération: romancier, critique à l’immense culture, analyste de la décadence française, homme d’influence. Nimier est partout, aide tout le monde, sans sectarisme. Comme le dit Millau: « Roger ne sera jamais du côté des vainqueurs mais toujours des perdants. Il porte en lui le goût de l’échec et l’échec est sa noblesse. C’est un rebelle qui n’a que faire de la victoire. Elle l’ennuie. C’est un solitaire couvert d’amours et d’amitiés mais qui ne courbe pas le cou, comme les autres, vers le collier et la laisse ». En quelques lignes, Millau nous dépeint les qualités, une raideur de la nuque, et les tares, une fascination morbide pour la défaite, d’une certaine droite française. Faisons tout de même remarquer que, sur le plan littéraire, cela donne de beaux résultats. Nimier, Drieu, Morand ou Céline, bien plus que maints théoriciens, sont passionnément lus des dizaines d’années après leur mort et continuent d’inspirer de jeunes rebelles... En est-il de même avec Robbe-Grillet, Sartre ou de Beauvoir, la donneuse de leçons qui parlait sur Radio-Vichy fin 43?

Millau nous rend son ami très proche et fait bien comprendre à quel point l’homme était supérieur: rien de vil chez lui,  du courage et une belle capacité de travail (Nimier était un lecteur infatigable et un découvreur hors pair). Son livre de souvenirs, très pudique, nous présente d’autres grands comme Céline: « Pour faire un roman, j’écris dix mille pages et j’en tire huit cents. Céline qui parle avec les mots de tous les jours... Tu rigoles? C’est du travail, c’est un métier, la transposition. Le lecteur s’attend à un mot et moi, je lui en colle un autre. C’est ça le style. Le sujet, ça ne compte pas. » Ou Morand, un très grand lui aussi, dont l’épouse, ex-princesse Soutzo s’exclame dans les dîners: « je n’ai jamais vu autant de Juifs que depuis qu’on les a exterminés. N’est-ce pas extraordinaire? ». Précisons que, contrairement à tant d’admirateurs des Juifs après la tourmente (et plutôt inactifs sous l’Occupation), Hélène Morand en sauva au moment opportun, quand c’était réellement dangereux. Mais ce genre de déclarations incendiaires ne devait pas aider Paul Morand à rentrer à l’Académie, d’autant plus qu’il avait contre lui la grande Zorah et Monseigneur Mauriac.

Millau apporte aussi d’utiles précisions sur la guerre d’Algérie, notamment sur certains milieux militaires hostiles au mythe absurde de l’Algérie française et à la négociation avec les progressistes, dont on connaît aujourd’hui les résultats.

Lors de la crise algérienne et de la petite guerre civile qui s’ensuivit, nombre de « hussards », adeptes de la littérature dégagée (mais qui avaient déjà pris parti avant et après 1939), se retrouvent partisans. Déon, Laurent, Laudenbach, se muent en conspirateurs, se lancent dans la bagarre avec un panache inimitable.

Le mérite du livre de Millau est de nous restituer cette après-guerre, qui vit une kyrielle d’irréguliers ferrailler contre les croisés du progressisme. Millau annonce, à la fin de son livre, l’ordre classique pour le prochain siècle. Puisse-t-il être entendu par les dieux car face à l’homogène qui semble aujourd’hui triompher, face à tous ceux qui abdiquent ou pactisent, une nouvelle bouffée d’air pur est urgente, vitale même.

Patrick Canavan

C. Millau, Au galop des hussards, Editions de Fallois, 1998. 120F.

Sur l’époque, il faut lire l’essai de P. Louis, La Table ronde: une aventure singulière, La Table ronde, 1992, et  la belle dérive d’O. Frébourg, Nimier. Trafiquant d’insolence, Editions du Rocher 1989.

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samedi, 26 mai 2007

Note sur le Prince Karl Anton Rohan

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Note sur le Prince Karl Anton Rohan, catholique, fédéraliste, européiste et national-socialisteµ

 

Né le 9 septembre 1898 à Albrechtsberg et décédé le 17 mars 1975 à Salzbourg, le Prince Karl Anton Rohan fut un écrivain et un propagandiste de l'idée européenne. Jeune aristocrate, ce sont les traditions "noires et jaunes" (c'est-à-dire impériales) de la vieille Autriche des familles de la toute haute noblesse qui le fascinent, lui, issu, côté paternel, d'une famille illustre originaire de Bretagne et, côté maternel, de la Maison des Auersperg. Il a grandi à Sichrow dans le Nord-est de la Bohème. Marqué par la guerre de 1914, par les expériences de la révolution bolchevique à l'Est et de l'effondrement de la monarchie pluriethnique, Rohan décide d'œuvrer pour que se comprennent les différentes élites nationales d'Europe, pour qu'elles puissent se rapprocher et faire front commun contre le bolchevisme et le libéralisme.

 

Après la fondation d'un "Kulturbund" à Vienne en 1922, Rohan s'efforcera, en suivant un conseil de J. Redlich, de prendre des contacts avec la France victorieuse. Après la fondation d'un "comité français" au début de l'année 1923, se constitue à Paris en 1924 une "Fédération des Unions Intellectuelles". Son objectif était de favoriser un rassemblement européen, Grande-Bretagne et Russie comprises sur le plan culturel. Dans chaque pays, la société et les forces de l'esprit devaient se rassembler au-delà des clivages usuels entre nations, classes, races, appartenances politiques et confessionnelles. Sur base de l'autonomie des nations, lesquelles constituaient les piliers porteurs, et sur base des structures étatiques, devant constituer les chapiteaux, des "Etats-Unis d'Europe" devaient émerger, comme grande coupole surplombant la diversité européenne.

 

Rohan considérait que le catholicisme sous-tendait le grand œcoumène spirituel de l'Europe. Il défendait l'idée d'un "Abendland", d'un "Ponant", qu'il opposait à l'idée de "Paneurope" de son compatriote Richard Coudenhove-Kalergi. Jusqu'en 1934, le Kulturbund de Rohan est resté intact et des filiales ont émergé dans presque toutes les capitales européennes.

 

Aux colloques annuels impulsés par Rohan (Paris en 1924, Milan en 1925, Vienne en 1926, Heidelberg et Francfort en 1927, Prague en 1928, Barcelone en 1929, Cracovie en 1930, Zurich en 1932 et Budapest en 1934), de 25 à 300 personnes ont pris part. Les nombreuses conférences et allocutions de ces colloques, fournies par les groupes de chaque pays, duraient parfois pendant toute une semaine. Elles ont été organisées en Autriche jusqu'en 1938. Dans ce pays, ces initiatives du Kulturbund recevaient surtout le soutien du Comte P. von Thun-Hohenstein, d'Ignaz Seipel et de Hugo von Hofmannsthal, qui a inauguré le colloque de Vienne en 1926 et l'a présidé. Les principaux représentants français de ce courant étaient Ch. Hayet, Paul Valéry, P. Langevin et Paul Painlevé. En Italie, c'était surtout des représentants universitaires et intellectuels du courant fasciste qui participaient à ces initiatives. Côté allemand, on a surtout remarqué la présence d'Alfred Weber, A. Bergsträsser, L. Curtius, Lilly von Schnitzler, le Comte Hermann von Keyserling, R. von Kühlmann et d'importants industriels comme G. von Schnitzler, R. Bosch, O. Wolff, R. Merton, E. Mayrisch et F. von Mendelssohn.

 

Rohan peut être considéré comme l'un des principaux représentants catholiques et centre-européens de la "Révolution conservatrice"; il jette les bases de ses idées sur le papier dans une brochure programmatique intitulée Europa et publiée en 1923/24. C'est lui également qui lance la publication Europäische Revue, qu'il a ensuite éditée de 1925 à 1936. Depuis 1923, Rohan était véritablement fasciné par le fascisme italien. A partir de 1933, il va sympathiser avec les nationaux-socialistes allemands, mais sans abandonner l'idée d'une autonomie de l'Autriche et en soulignant la nécessité du rôle dirigeant de cette Autriche dans le Sud-est de l'Europe. A partir de 1935, il deviendra membre de la NSDAP et des SA. En 1938, après l' Anschluß, Rohan prend en charge le département des affaires extérieures dans le gouvernement local national-socialiste autrichien, dirigé par J. Leopold. En 1937, il s'était fait le propagandiste d'une alliance entre un catholicisme rénové et le national-socialisme contre le bolchevisme et le libéralisme, alliance qui devait consacrer ses efforts à éviter une nouvelle guerre mondiale. Beau-fils d'un homme politique hongrois, le Comte A. Apponyi, il travaille intensément à partir de 1934 à organiser une coopération entre l'Autriche, l'Allemagne et la Hongrie.

 

Après avoir dû fuir devant l'avance de l'armée rouge en 1945, Rohan est emprisonné pendant deux ans par les Américains. Après sa libération, Rohan ne pourra plus jamais participer à des activités publiques, sauf à quelques activités occasionnelles des associations de réfugiés du Pays des Sudètes, qui lui accorderont un prix de littérature en 1974.

 

L'importance de Rohan réside dans ses efforts, commencés immédiatement avant la première guerre mondiale, pour unir l'Europe sur base de ses Etats nationaux. Très consciemment, Rohan a placé au centre de son idée européenne l'unité des expériences historiques et culturelles de l'Est, du Centre et de l'Ouest de l'Europe. Cette unité se retrouvait également dans l'idée de "Reich", dans la monarchie pluriethnique des Habsbourgs et dans l'universalisme catholique de l'idée d'Occident ("Abendland", que nous traduirions plus volontiers par "Ponant", ndt). Les besoins d'ordre culturel, spirituel, religieux et éthique devaient être respectés et valorisés au-delà de l'économie et de la politique (politicienne). Cet aristocrate, solitaire et original, que fut Rohan, était ancré dans les obligations de son environnement social élitiste et exclusif tout en demeurant parfaitement ouvert aux courants modernes de son époque. En sa personne, Rohan incarnait tout à la fois la vieille Autriche, l'Allemand et l'Européen de souche française.

 

Dr. Guido MÜLLER.

 

(entrée parue dans: Caspar von SCHRENCK-NOTZING (Hrsg.), Lexikon des Konservatismus, L. Stocker, Graz, 1996, ISBN 3-7020-0760-1).

 

vendredi, 25 mai 2007

Kamikaze Diaries

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Ohnuki-Tierney, Emiko

Kamikaze Diaries: Reflections of Japanese Student Soldiers.

246 p., 12 halftones. 6 x 9 2006

Cloth $25.00 ISBN: 978-0-226-61950-7 (ISBN-10: 0-226-61950-8) Spring 2006
Paper $15.00 ISBN: 978-0-226-61951-4 (ISBN-10: 0-226-61951-6) Spring 2007

“We tried to live with 120 percent intensity, rather than waiting for death. We read and read, trying to understand why we had to die in our early twenties. We felt the clock ticking away towards our death, every sound of the clock shortening our lives.” So wrote Irokawa Daikichi, one of the many kamikaze pilots, or tokkotai, who faced almost certain death in the futile military operations conducted by Japan at the end of World War II. 

This moving history presents diaries and correspondence left by members of the tokkotai and other Japanese student soldiers who perished during the war. Outside of Japan, these kamikaze pilots were considered unbridled fanatics and chauvinists who willingly sacrificed their lives for the emperor. But the writings explored here by Emiko Ohnuki-Tierney clearly and eloquently speak otherwise. A significant number of the kamikaze were university students who were drafted and forced to volunteer for this desperate military operation. Such young men were the intellectual elite of modern Japan: steeped in the classics and major works of philosophy, they took Descartes’ “I think, therefore I am” as their motto. And in their diaries and correspondence, as Ohnuki-Tierney shows, these student soldiers wrote long and often heartbreaking soliloquies in which they poured out their anguish and fear, expressed profound ambivalence toward the war, and articulated thoughtful opposition to their nation’s imperialism. 

A salutary correction to the many caricatures of the kamikaze, this poignant work will be essential to anyone interested in the history of Japan and World War II.

TABLE OF CONTENTS

Acknowledgments
Author's Note
Preamble
Introduction

Chapter 1: Sasaki Hachiro
“What is patriotism? . . . the killing of millions of people and depriving billions of people of basic human freedom . . . ?”
 
Chapter 2: Hayashi Tadao
“All will crumble / Japan will meet its finale”
 
Chapter 3: Takushima Norimitsu
“Why must we fight? We no longer have any purpose for fighting.”
 
Chapter 4: Matsunaga Shigeo and Matsunaga Tatsuki
“War is another name for murder. . . .”
 
Chapter 5: Hayashi Ichizo
“We are assigned the location of our death.”
 
Chapter 6: Nakao Takenori
“Am I to simply die without any meaning to my life?”
 
Notes
References
Index

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Du symbolisme du cheval

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Du symbolisme du cheval

 

Le culte du cheval commence très tôt dans l'histoire de l'hu­manité : on trouve des représentations imagées du che­val sur les gravures rupestres et dans les cavernes. Le che­val est également enterré avec le défunt très tôt. La sym­bo­lique du cheval est toutefois ambivalente: elle est simul­ta­nément solaire et lunaire. Dans la mythologie védique, le cheval blanc représente le soleil; dans le Rig-Veda, l'astre du jour est clairement désigné sous le nom d'«étalon».

 

Un voyage entre les neuf mondes

 

Les chevaux n'accompagnent que les hommes importants et aussi les dieux : le plus connu des chevaux divins est sans conteste Sleipnir, le coursier d'Odin (« celui qui glisse rapi­dement »). Il possède huit jambes et est représenté par une étoile à huit rayons; le neuvième point, soit le centre, représente le siège du cavalier. Le chiffre "neuf" est le chif­fre sacré d'Odin, qui désigne la Vie, plus exactement les neuf mois de la grossesse et aussi les neuf mondes. Il y a identité entre Sleipnir et l'Arbre du Monde, Yggdrasil ( = Che­val/Porteur d'Yggr, lequel est Odin). Lorsque Odin che­vauche son coursier, cette course est identique à un voyage entre les neuf mondes. Le cheval est un véhicule (comme aussi dans d'autres religions), tandis que l'esprit du cavalier ou du conducteur (de char) prend position.

 

Dans la Chasse Sauvage aussi, le père cosmique Odin (All­vater Odin) chevauche Sleipnir, né du vent, aux côtés des morts, également montés, ce qui révèle la fonction trans­cen­dante du cheval: il dépasse les limites du monde et de la conscience; il est celui qui porte les hommes dans l'autre monde, il guide les âmes, est de la sorte un psychopompe, comme l'attestent bon nombre d'offrandes trouvées dans les tombes.

 

Le jour et la nuit, la fertilité

 

Le cheval appartient, dans la mythologie, tant au monde de la lumière qu'à celui des ombres : il est tout à la fois "Skin­faxi", celui dont la crinière est de lumière, et "Hrimfaxi", celui dont la crinière est de suie; ces deux chevaux appor­tent le jour et la nuit. Le cheval blanc ailé est un symbole solaire, comme l'est Pégase dans la mythologie grecque. Par­mi les découvertes archéologiques faites sur le site scan­­dinave de Trundholm, nous avons ce splendide cheval, tirant sur un char le disque solaire. Dans cette fonction, le cheval est un être qui maintient et conserve la vie; c'est en tant que tel qu'il apparaît chez les Vanes et les divinités de la fertilité.

 

Sigmund Freud, dans sa manie de tout vouloir sexualiser, a donné au symbole du cheval, récurrent dans les rêves, la si­gnification de "puissance (sexuelle)", ce qui est une in­di­ca­tion évidente à l'adresse des messieurs qui sont tombés bas de la selle, dont ils avaient rêvé: c'est le cheval qui fait le ca­valier !

 

En tant que soleil ou que coursier cosmique, le cheval est é­galement symbole de l'intelligence: «Le cavalier royal sym­bolise la maîtrise totale par la puissance de l'esprit» (cf. Marlene Baum). Lorsqu'il est remplacé par un lion, ce­lui-ci incarne alors "le soleil qui sèche l'humidité et dissipe le brouillard" (cf. J. C. Cooper). Il y a en effet un rapport étroit entre le cheval et l'eau: Poséidon, le dieu de la mer, est représenté sous les traits d'un cheval. C'est lui qui en­gendre le premier cheval des origines, Skyphios, puis d'au­tres chevaux. «Ce lien du cheval à l'eau est d'origine nor­dique et provient des peuples de la Mer du Nord et de la Bal­tique»  (cf. Marlene Baum). Le "Cheval des Vagues" est un "kenning" (une métaphore), propre à l'Edda, pour dési­gner les plus longs bateaux des Vikings. Les nuages sont les chevaux de combat des Walkyries. Chez les Grecs, Pégase ap­porte les orages et la pluie. Les chevaux tiraient des ba­teaux, des traîneaux et des chariots (comme, par exemple, dans le cas du char solaire de Trundholm, qui date environ de 1300 avant l'ère chrétienne).

 

Dans les premiers âges, le cheval était évidemment un mo­yen de transport, si bien que la force motrice de l'automo­bile, qui l'a remplacé, se mesure encore en "chevaux". C'est une signification que l'on peut transposer dans le domaine spirituel. C'est ainsi que l'on peut expliquer certaines règles particulières, concernant le cheval, comme dans le cas des prêtres païens germaniques, auxquels il était interdit de chevaucher des étalons. On prédisait l'avenir d'après les hen­nissements des chevaux blancs (les "Schimmel"), car on estimait que ceux-ci entretenaient un rapport plus direct a­vec les sphères des l'au-delà. Les Germains comme les Grecs juraient sur la tête de leurs chevaux. La signification religieuse du cheval, moyen de transport, lui assurait une double position dans le "Futhark" ou l'"Oding", soit la série com­plète des runes, propres à tous les peuples germa­ni­ques: il y est le Raidho, le :r:, de "Reise", voyage, et de "Ritt", chevauchée, et, en même temps, l'Ehwaz, l':e:, le che­val ["Ehwaz", terme en germanique ancien, se rap­proche du terme latin "equus", ndt].

 

Force chtonienne

 

Dans la mythologie celtique, la divinité équestre Epona pos­sède une force chtonienne, la reliant au monde des morts. Dans le chamanisme, on souligne surtout l'impor­tan­ce du passage entre les mondes, c'est-à-dire entre les dif­fé­rents états de conscience, ce qui se retrouve dans le per­son­nage mythologique d'Odin, qui, d'après la foi des Ger­mains de l'antiquité, avait reçu une initiation de type cha­ma­nique. Le gibet, auquel le pendu est accroché, est dé­signé comme le "cheval du pendu" [cf. le récit où Odin subit une pendaison pour apprendre le secret des runes, ndt]. Nous venons de voir qu'un rapport similaire unit symbo­li­quement Yggdrasil et Sleipnir, qui sont mis en équation. Cet­te interprétation se retrouve dans la religion chrétien­ne, qui a pris le relais du paganisme germanique des origi­nes, car un poème anglais du 14ième siècle désigne la croix comme le "cheval du Christ".

 

Le cheval est également un animal que l'on offre en sacri­fice. La cérémonie du sacrifice, dans les religions, consti­tue une tentative de faire passer un souhait dans la réalité. En ce sens, elle est un acte qui sanctionne un passage, donc réalise un état de transcendance. L'eucharistie, que l'on célèbre après le sacrifice du cheval, doit unir le dieu au­quel s'adresse le sacrifice, le cheval sacrifié et les sa­cri­ficateurs. Les interdits, imposés par le christianisme et relatifs à la consommation de viande chevaline (qui furent décidés en 742 lors du "Concile germanique"), attestent d'une tentative d'extirper une coutume religieuse païenne et tout ce qu'elle signifie. Cependant, le souvenir de cette coutume persiste encore dans le vocabulaire allemand : dans le terme "Stuten" (type de biscuit, dont la dénomina­tion signifie "jument") et dans l'expression de "Honigkuchen­pferd" (= Cheval de pain d'épice), ersätze  symboliques de l'antique consommation de viande chevaline.

 

Dans le « Phèdre » de Platon

 

Dans son Phèdre, Platon décrit l'âme humaine comme étant composée de trois parties: l'une symbolisée par un noble cheval, l'autre par un canasson dépourvu de noblesse, et la troisième par un conducteur de char. Les crânes de cheval, que l'on trouve suspendus traditionnellement sur les pi­gnons des fermes en Basse-Saxe, ont une signification apo­tropaïque (i.e . dévier la mort et le malheur de la maison). Le cheval apparaît aussi comme un cauchemar nocturne, qui induit la peur. Toutes ces coutumes relient le symbo­lis­me du cheval à l'âme et à la vie de l'âme.

 

Les Indiens d'Amérique du Sud considèrent que le cheval et son cavalier ne font qu'un, alors que nous y voyons toujours une dualité. Ils ne comprenaient pas la symbiose, qui pou­vait s'opérer entre l'animal porteur et l'homme porté, parce que le cheval leur était étranger. Dans la symbolique, le che­val et le cavalier forme une dualité primordiale, origi­nelle : il y a là alliance de la vitalité et de l'intelligence, du corps et de l'esprit, du ciel et de la terre.

 

Le cheval demeure présent dans nos rêves

 

Pour répondre à la question, quel rôle joue le cheval dans la vie psychique et spirituelle de l'homme contemporain?, nous ne pouvons répondre que par une autre question: l'hom­me n'est-il que le parasite du cheval ou existe-t-il une symbiose entre eux? L'automobile, qui a largement rempla­cé le cheval dans l'univers lourdement matérialiste qui est le nôtre désormais, est effectivement notre esclave méca­ni­que, car, contrairement au cheval, elle est sans vie, sans volonté propre. Pas étonnant dès lors que l'automobile n'a jamais pu véritablement remplacer le cheval; on constate, effectivement, que l'homme continue à voir des chevaux dans ses rêves, même s'il ne les voit et ne les connaît pas dans sa vie quotidienne. La présence de chevaux dans les rêves confirme l'hypothèse de Carl Gustav Jung, qui parlait du cheval comme d'un archétype (plus exactement comme l'archétype de la mère), comme d'un symbole tapi dans le subconscient collectif profond. Certes, le fier cavalier, mon­­tant le cheval archétypal de notre inconscient, peut pa­raître un anachronisme, il n'en demeure pas moins vrai que la symbolique liée au cheval, avec ses significations mul­tiples, continue d'être bien vivante : le cheval reste par exemple symbole de liberté, perceptible notamment dans l'en­gouement des masses pour les cavaliers gardiens de vaches des plaines de l'Ouest de l'Amérique du Nord (les "cow-boys"), dont le cheval est évidemment le principal at­tri­but. Par ailleurs, le mythe du chevalier, qui est un cava­lier, conserve toute sa vigueur: à la caste des chevaliers ap­partenaient jadis ceux qui pouvaient entretenir un che­val, le monter et le mener à la guerre.

 

Intermédiaire entre les sexes

 

Le cheval n'est pas seulement confiné à la virilité;  il est bien plutôt une sorte d'intermédiaire entre les sexes (cf. Mar­lene Baum). Dans les sports équestres, l'homme et la fem­me sont à égalité. Pour beaucoup, le cheval est plutôt un symbole de l'animalité en l'homme. Dans cette fonction, il fait office de miroir. Le cheval sans cavalier représente "dès la mythologie grecque, le thème de la souffrance déri­vée du conflit irrésolu entre l'homme et la nature" (Marlene Baum). La séparation du cheval et du cavalier est l'image originelle de la césure; dans cette optique, les centaures de la mythologie grecque sont des êtres n'ayant pas encore subi cette césure. Cette césure fait ressentir à l'homme, de­puis la lointaine aurore de la conscience, qu'il est un être fait d'incomplétude, une incomplétude qui le fait souffrir con­tinuellement, et qui, de ce fait, fonde les croyances re­li­gieuses et pousse l'homme à créer.

 

D. A. R. SOKOLL.

(texte tiré de la revue Hagal, 3. Jg., 2/2000).

 

Bibliographie:

 

BAUM, Marlene : Das Pferd als Symbol: Zur kulturellen Bedeutung einer Symbiose, Frankfurt am Main, Fischer, 1991. COOPER, J. C. : Illustriertes Lexikon der traditionnellen Sym­bole, Wies­baden, Drei Lilien, 1986.

LURKER, Manfred (Hrsg.) e. a. : Wörterbuch der Symbolik, 2 erw. Aufl., Stuttgart, Kröner, 1983, pp. 525-526.

SOKOLL, D. A. R. : Den Baum reiten : Die neun Welten der ger­ma­nischen Mythologie, Wuppertal, 1999.

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