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lundi, 12 février 2007

Ian Kershaw über Lord Londonderry

Ian Kershaw über Lord Londonderry und andere Befürworter Hitlers :

http://www.webarchiv-server.de/pin/archiv06/0320060121paz48.htm

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Erziehungsdebakel und Systemfrage

Götz KUBITSCHEK :

Erziehungsdebakel und Systemfrage

http://www.sezession.de/pdf/sezession15_kubitschek_bueb.pdf

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Remarques impertinentes sur Léopold III

Robert Steuckers:

Remarques impertinentes sur Léopold III

Le 3 novembre 1901,le futur roi Léopold III de Saxe-Cobourg-Gotha naît à Bruxelles. Fils d’Albert de Saxe-Cobourg-Gotha et d’Elizabeth von Wittelsbach, princesse bavaroise, le destin de ce royal garçon est évidemment marqué par la première guerre mondiale, qui ne lui donne pas l’occasion de suivre une formation intellectuelle classique, mais, en revanche, le met en contact avec les grands de ce monde, dans la tourmente effroyable du conflit. Réfugié dans une villa à La Panne avec ses parents, villa qui leur tenait lieu de résidence de guerre, c’est là, à quelques kilomètres du front, qu’il passe son adolescence, de treize à dix-sept ans, années cruciales pour tout homme.

Bon cavalier et bel homme, il épouse, immédiatement après l’espoir de paix qu’éveille le Traité de Locarno, en 1926, la princesse suédoise Astrid, descendante de Bernadotte, épouse séduisante qu’il perdra en 1935, dans un accident d’automobile à Küssnacht en Suisse. Ce mariage s’inscrit dans la volonté de ses parents d’unir diplomatiquement, et par liens dynastiques, les petites puissances européennes, notamment les pays du Benelux et les royaumes scandinaves, la Suisse et l’Autriche.

Cette volonté culminera dans les fameux accords d’Oslo de 1931. Le but de ces convergences et accords était de maintenir la paix en Europe et de la soustraire au bellicisme français, qui ne désarmait pas. Après la mort, demeurée mystérieuse et non élucidée, de son père, au pied du rocher de Marche-les-Dames, en bord de Meuse, le 17 février 1934, il monte sur le trône et travaille immédiatement, avec l’aide précieuse d’un Conseil de la Couronne, à redonner à la Belgique son statut de neutralité. En octobre 1936, il proclame officiellement ce statut de neutralité, ce qui lui vaut, dès le lendemain, un déchaînement de haine inouï dans la presse parisienne.

C’est le début de ses ennuis : en 1940, quand les troupes françaises abandonnent à la mitraille de l’infanterie, des blindés et des Stukas allemands, leurs auxiliaires marocains à Gembloux, parce que leur arrière-garde s’est occupée à piller les caves à vin de Charleroi, à mettre à sac des maisons civiles, à souiller la literie des foyers où elle séjournait, le front allié s’effondre, le coup de faux de Sedan achève d’en disloquer la cohésion et l’armée française reflue, battue, vers Paris et vers la Loire. Paul Reynaud, politicien histrionique de la Troisième République, dégoise un flot d’insultes sur le Roi et sur la Belgique, amenant la population française à maltraiter les femmes et les enfants de notre pays, réfugiés dans l’hexagone qui s’écroulait comme un château de cartes. Le souvenir de cette bestialité gauloise, sadique et mesquine, est encore très vivace dans l’esprit de ceux qui ont vécu cette époque. Léopold III décide alors de rester en Belgique, avec le statut de prisonnier de guerre.

On lui reproche de se marier en 1941, avec son amie, Liliane Baels, future Princesse de Réthy. Après la guerre, les socialistes et les communistes, mais aussi les libéraux laïcards et anti-monarchistes, mèneront une campagne sordide -où la malheureuse Liliane Baels était traitée par ces « défenseurs du peuple » de « Princesse Rollmops » et de « Poissonnière de Laeken », sous prétexte que ses grands-parents étaient issus d’une lignée de pêcheurs et de poissonniers d’Ostende- pour chasser du trône un monarque, qui entendait garder la barre sur les affaires du royaume. Cette présence royale, cette vigueur régalienne, devait faire place aux accommodements et aux arrangements, aux corruptions et aux vilenies de la partitocratie.

Pendant cinq ans, en l’absence du Roi et de sa famille exilés en Suisse, le pays a vécu une sorte de guerre civile, où, finalement, après des provocations communistes dans la région de Liège, quelques gendarmes affolés tirent sur une foule et tuent cinq manifestants. Le sang a coulé. Le Roi abdique en faveur de son fils, malgré qu’il ait été plébiscité en Flandre (72% de « oui »).

Après de multiples tiraillements, en butte à la haine inextinguible des socialistes, des francophiles et des anglophiles, Léopold III se retirera des affaires du royaume et entamera une magnifique carrière d’explorateur, notamment en Amazonie. Sa fille Esmeralda, issue de son deuxième mariage, qui fut journaliste au « Figaro Magazine » du temps de Louis Pauwels, publiera un bel ouvrage sur cette facette de la vie du Roi, peu connue du grand public. Il se trouve en ce royaume quelques esprits chagrins, républicains mais c’est leur droit le plus strict et on ne le leur reprochera pas vu l’effondrement de la monarchie justement après l’abdication de Léopold III, pour aller reprocher au père de Baudouin I et d’Albert II, d’avoir partiellement mené ces explorations scientifiques en Amazonie, en s’aidant du savoir-faire du célèbre Ernst Schäfer, qui avait mené une expédition scientifique allemande au Tibet en 1938-39. On prétend que ce Prof. Schäfer a appartenu à la SS. Aucun procès après-guerre n’a évidemment condamné cet explorateur audacieux et sympathique, qui avait mené, dans l’Himalaya, toutes ses expéditions avec la bénédiction des autorités britanniques !

Qui plus est, cette expédition himalayenne, même à notre époque d’hypertrophie, de démesure et de folie en matière de « correction politique », a été à la base d’un très beau film contemporain, de Jean-Jacques Annaud, intitulé « Sept ans au Tibet », où le rôle principal est joué par l’acteur américain Brad Pitt. Ni Annaud ni les lobbies du cinéma n’ont trouvé à redire quoi que ce soit. Il a donc fallu l’intervention d’un petit publiciste, soi-disant « conservateur », américanophile, anglomane et ridicule pour ressortir cette histoire, en imaginant qu’elle allait provoquer un scandale, une émotion et la chute d’une monarchie, qui, de surcroît, est déjà bel et bien tombée en 1951, et dans la pire des gadoues, celle de la partitocratie. Léopold III meurt en 1983, peu après un autre grand Belge, Georges Rémy, dit Hergé, qu’une quantité de sots a également cherché à incriminer.

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dimanche, 11 février 2007

Turkije: een brug te veel !

Marcel RÜTER:

TURKIJE: EEN BRUG TE VEEL !

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(Novopress) Marcel Rüter - De Turkse financiële ballon is geploft en de vlucht weg van de Turkse Lira is een feit. De Turkse Centralebank heeft de afgelopen tijd de ene renteverhoging na de andere gepresenteerd en bevindt zich nu reeds boven de 17%. Grote kapitaalvlucht uit Turkije is reeds een feit.

Jarenlang bevond Turkije zich in een praktisch paradijselijke roes: Groeicijfers tussen de 7 en 9 procent, inflatie op de laagste stand sinds 30 jaar, een grote kapitaal toestroom. Slechts de dieprode handelsbalans leek een zwak punt. Maar daarnaast trokken door de groei veel arbeidskrachten van het land naar de steden en zorgden samen met jarenlange geboortgolven ervoor dat de werkloosheid ondanks de economische groei sterk toenam.

Met de waardeval van de Turkse Lira loopt ook de schuldenlast van de Turkse industrie hoog op, die zich in de ogenschijnlijke paradijselijke jaren tegoed heeft gedaan aan massale investeringen. Neem daarbij de politieke en sociale problemen en tegenstellingen in Turkije en niemand hoeft meer te twijfelen dat Turkije niet tot de EU kan toetreden.

Een toetreding van Turkije zou een directe en langdurige aderlating van de Europese Unie betekenen. Turkije valt immers socio-economisch niet in te passen. 15% van de Turken leven onder de armoedegrens (die in Turkije nota bene op 35 euro vastgelegd werd terwijl ze in de EU op 300 euro ligt!). Turkije is een straatarm land waarvan het merendeel van de staatsuitgaven naar defensie en religie gaan. Het BBP per capita in Turkije bedraagt net 2,000 euro terwijl het in de EU-15 meer dan 27,000 euro bedraagt. Deze kloof is onoverbrugbaar zonder decennialang steun te blijven geven aan Turkije. Een Turkse toetreding en de massale geld Ook de toekomst ziet er niet beter uit. De Turkse economie groeit jaarlijks nauwelijks met 1%, wat neerkomt op een lagere groei dan de groei van hun bevolking. Turkije kan ook zijn inflatie niet onder controle houden. Over de laatste dertig jaar bedraagt de gemiddelde inflatievoet meer dan 65%. Ook hun archaische landbouwmethodes maken een uniform Europees landbouwbeleid onmogelijk zonder massa’s investeringen in de Turkse landbouw.

Het oprichten van bedrijven duurt maanden. Er is geen toegang tot de internationale kapitaalmarkten. Import- en exportbeperkingen volgen elkaar in sneltempo op. Overheidsbedrijven draaien slecht maar blijven bestaan. De Turkse staat controleert zelfs traditioneel “vrije” markten zoals het bankwezen en - een deel van - de toeristische sector. Slechts een kleine 45% van de Turken heeft werk. Het onderwijs biedt nauwelijks terdege opleidingen om de economie van competente werknemers te kunnen voorzien. Ook het instabiele politieke klimaat, de voortdurende bemoeienissen van de overheid en het ontbreken van een volwaardig onafhankelijk onpartijdig niet-corrupt rechtssysteem zijn welvaartsvernietigend.

Niet alleen economisch is Turkije voor toetreding tot de EU een brug te ver.

Bovenal is Turkije geen Europees land. Slechts een klein deel van Turkije ligt geografisch in Europa. Noch historische motieven (de Turkse aanwezigheid in Europa was er een van oorlog, bezetting, onderdrukking en plundering), noch defensiemotieven (Turkije zal echt niet uit de NAVO stappen als het niet tot de EU toe mag treden) kunnen hier een rol spelen. Dat op termijn de Middellandse Zee, de Bosphorus en de Zwarte Zee de Europese zuidgrenzen worden, lijkt voor zich te spreken. Turkije past niet in de EU !

Ook de absorptiekracht van de EU kan Turkije niet aan. Turkije zou het grootste land in de Unie worden met een bevolking die tegen 2020 groter zal zijn dan die van Duitsland. Daarbij komt nog het feit dat miljoenen Turken als gevolg van hun diaspora reeds uitgeweken zijn naar andere Europese landen. Tegen de politieke macht van Turkije zal niets of niemand nog opgewassen zijn. De EU zal verworden tot een groot nieuw Ottomaans rijk waar de Islamisering een feit zal zijn.

De verschillen tussen Europa en de Islam zijn te groot om een dergelijke Unie werkbaar te kunnen houden. De zee tussen onze beide beschavingen is nog te diep. Ook de toenemende radicalisering van de Turkse islam is eerder zorgwekkend te noemen.

Turkije respecteert de mensenrechten niet. De Koerden worden nog steeds onderdrukt. Burgerlijke vrijheden zijn ondergeschikt aan de willekeur van de staat. Vrouwen zijn minderwaardig aan mannen. Eremoorden en kinderarbeid zijn gereglementeerd maar worden oogluikend toegelaten. De Armeense genocide wordt doodgezwegen en ontkend. De steun aan staten - zoals Afghanistan, Soedan, Nigeria en Palestina - die het niet nauw nemen met de mensenrechten en het terrorisme financieren, wordt ononderbroken voortgezet.

De grootste paradox in het “seculiere democratische” Turkse bestel is de almacht van het leger. Het Turkse leger hangt nog steeds het kemalisme aan dat areligieus was, terwijl de politieke wereld steeds meer de kant kiest van de - al dan niet fundamentalistische - islam.

Turkije hoort niet thuis in de EU. De Turkse president Demirel noemde Turkije een brug tussen oost en west. Maar Turkije is niet zomaar een brug te ver, Turkije is een brug te veel voor Europa !

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Globalisme et pauvreté

André Wolff

 

Globalisation et pauvre

 

Le concept selon lequel la "globalisation" serait l'unique moyen de lutter contre la pauvreté dans le monde et plus particulièrement dans les pays du Tiers Monde  ( en oubliant peut-être que même dans les pays industriellement et économiquement les plus développés la pauvreté reste un problème prenant parfois encore des proportions inacceptables, notamment au sein de l'Union européenne elle-même, dans certaines zones comme des régions déterminées de l'Italie du sud, du Sud de l'Espagne, du Portugal, de la Grèce, etc.) est erroné dans son essence même.

 

 

Selon l'idéologie de la "globalisation", le principal remède à la pauvreté dans les pays du Tiers Monde serait l'accès entièrement libre des pays du Tiers Monde aux marchés des pays développés et riches, dans le cadre d'une économie de marché pratiquement sans règles ni réglementations destinées à garantir au moins une concurrence loyale conforme aux principes du libéralisme traditionnel.

 

 

Il existe en effet une différence fondamentale entre la liberté d'entreprendre et de commercer sur une base d'honnêteté et de loyauté, et le type de "libéralisme" aujourd'hui de mode, qui vise à un marché mondial unique et sans entraves, de quelque nature qu'elle soient, laissé au libre jeu de forces (généralement privées, mais qui sont parfois aussi étatiques) pratiquement incontrôlables et qui selon la doctrine libériste ne devraient pas même être soumises à une quelconque forme de contrôle efficace, un libre jeu dans lequel, en fait, tous les coups seraient permis, revenant ainsi à une "loi de la jungle" de l'économie, de la finance et du commerce !

 

 

Une telle "globalisation" ne peut pas résoudre le problème de la pauvreté. Elle peut, certes, aboutir à l'enrichissement de certaines couches de la société, aussi bien dans les pays "pauvres" que dans les pays "riches". Il s'agit de couches de la société généralement déjà riches également dans les pays les plus pauvres, comme par exemple les pays du continent africain, auxquelles serait donnée la possibilité de s'enrichir encore davantage. Mais ce type d'enrichissement ne bénéficierait en aucune manière à l'ensemble et à la majorité des populations du globe, surtout et plus spécifiquement dans les pays les plus pauvres. En revanche, il est prévisible que la possibilité de vendre leurs produits obtenus à bas prix grâce à une exploitation incontrôlée de la main d'œuvre, souvent maintenue dans des conditions équivalant pratiquement à l'esclavage, sans protection sociale et sans protection même contre les accidents du travail, en défiant les Conventions internationales comme celles relatives, par exemple, au travail des enfants et des mineurs d'âge, etc, inciterait les agents économiques du Tiers Monde à augmenter la production en recourant à une intensification de l'exploitation et de la réduction en esclavage que l'on constate actuellement.

 

 

La "globalisation" et l'élimination de toutes les entraves dites "protectionnistes" impliquée par les "remèdes" proposés par ses partisans et supporters ne diminuerait pas la pauvreté dans l'ensemble du monde, mais aboutirait inévitablement à son accroissement et à la paupérisation également des populations des pays actuellement riches. En effet les produits des pays "pauvres" ne sont pas consommés par leurs populations, ou seulement dans une mesure minime quand c'est le cas, étant donné que ces populations ne disposent pas et disposeraient encore moins qu'auparavant de revenus suffisants pour les acquérir, mais par les populations des pays "riches" et hautement développés. La concurrence mondiale impitoyable et déloyale qui serait générée par l'élimination des entraves dites "protectionnistes" (qui plus spécialement dans l'Union européenne visent par ailleurs souvent en premier lieu à protéger le consommateur par le biais de normes de sécurité et destinées à la sauvegarde de la santé en fonction de critères pleinement justifiés) aurait pour conséquence inéluctable un alignement sur les méthodes de production a bas prix des pays moins développés, dans le but d'accroître la compétitivité et à la limite d'éviter la faillite. Il en résulterait en fin de compte un démantèlement de nos législations sociales, de nos normes de sécurité sur le lieu de travail, des normes de production visant à la protection de l'environnement dans l'interêt de tous, dans nos pays et au-delà de nos pays finalement dans le monde entier, étant donné les conséquences désastreuses des destructions de l'environnement qui menacent la planète, des garanties offertes par nos produits sur le plan sanitaire (inocuïté des produits alimentaires, etc.), que nous cherchons, au niveau de l'Union européenne, de perfectionner continuellement pour répondre à des nécessités incontestables. La conséquence en serait un abaissement généralisé du pouvoir d'achat et du niveau de vie de nos populations (alors que son relèvement est précisément l'un des objectifs fondamentaux du Traité de Rome, donc du Traité de base de la Communauté européenne) , un retour à la pauvreté réelle qui régnait souvent autrefois également chez nous, mais que la Communauté européenne est parvenue à éliminer dans une très large mesure dans nos pays, où elle est, dans l'ensemble,  devenue aujourd'hui la condition d'une minorité, même si elle représente encore dans certaines un pourcentage inacceptable selon nos normes.

 

 

Dans nos pays également la "globalisation" accroîtrait évidemment la richesse de certaines couches de la population déjà riches et permettrait d'accéder à la richesse à certains individus sans scrupules que nos réglementations européennes dérangent, mais il s'agirait en l'occurrence d'une petite minorité si l'on considère l'ensemble de la population, au détriment de laquelle la "globalisation"telle qu'elle est conçue par ceux qui la soutiennent se déroulerait sans aucun doute si elle était acceptée par nos dirigeants. On ne peut pas être pour l'Europe et soutenir en même temps une "globalisation" qui signifierait la destruction de tout ce que nous sommes parvenus à édifier. Si nous nous prononçons en faveur de l'Europe unie, nous devons en premier lieu défendre et protéger les interêts de nos propres peuples, de nos Nations européennes. S'agissant de lutter contre la pauvreté, nous devons en premier lieu viser à l'élimination totale de la pauvreté où elle existe encore dans nos propres pays et non à faire retourner nos propres populations aux conditions de pauvreté de jadis ou à les conduire à des conditions de pauvreté et d'esclavage identiques à celles des peuples du Tiers Monde. Il ne fait évidemment aucun doute que nous devons en même temps aider les peuples du Tiers Monde à surmonter les conditions dans lesquelles ils vivent. Mais en ce qui les concerne, notre aide ne saurait en aucune manière consister à favoriser l'intensification de leur exploitation telle qu'elle résulterait du type de "globalisation aujourd'hui de mode, qui aurait pour seul effet une dévastation frappant l'immense majorité des êtres humains et le monde en tant que tel !

 

 

Dans l'interêt de nos peuples européens et de tous les peuples de la terre nous devons avoir le courage d'agir à contre-courant de certaines modes diffusées par la petite minorité qui, dans le monde, compte tirer de l'acceptation de thèses fallacieuses des profits certes énormes, mais absolument illégitimes. Continuons donc d'oeuvrer dans la perspective d'un progrès humain réel et conforme aux traditions humanistes de nos Nations européennes, à savoir un progrès effectif non seulement dans le domaine des conditions de vie matérielles, mais encore dans le domaine moral et spirituel.

 

 

Traduction d'un article écrit en langue italienne pour la revue "l'Ordine Sociale" par Mr. André WOLFF,  fonctionnaire e r au Comité Economique et Social du Parlement Européen à Bruxelles.

 

 

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Sur Paul de Lagarde

Robert STEUCKERS :

Petite note sur Paul de Lagarde

Né à Berlin le 2 novembre 1827, le grand orientaliste et théologien allemand Paul Anton Bötticher est mieux connu sous le nom de Paul de Lagarde. Il a commencé ses études des langues orientales et de théologie à Berlin en 1844 puis a travaillé des textes coptes et araméens. Paul de Lagarde se penche ensuite sur les textes de l’Ancien Testament, sur la Septuaginta, sur la Patristique et d’autres écrits en langues orientales anciennes.

Ce travail d’investigation en profondeur amène tout naturellement Paul de Lagarde à percevoir l’histoire religieuse du Proche-Orient antique et de l’Europe christianisée comme une dynamique dont il faut cerner et capter les racines. La théologie devient pour lui, non pas une spéculation sub specie aeternitatis, mais une discipline historique comme le droit selon Savigny et Eichhorn, ou l’économie à partir de Sismonde de Sismondi et de l’école historique allemande.

Pour comprendre le message pur du Christ, pensait Paul de Lagarde, il ne faut pas retourner à une pureté évangélique, posée comme telle sans argumentation historique, mais relire les textes antiques et dépouiller le christianisme primitif de tous les apports pauliniens, postérieurs à la disparition de Jésus, ce qui laisse apparaître une vision religieuse originale, axée sur le rapport direct de l’homme à Dieu et sur une éthique rigoureuse. Ces constats premiers conduisent Paul de Lagarde à critiquer les institutions confessionnelles existantes, les églises, véhicules de vérités figées, non vérifiées à la lumière des textes orientaux anciens.

De ce fait, vu la juxtaposition d’églises aux doctrines boiteuses et incomplètes dans l’Allemagne de son temps, Paul de Lagarde préconise la séparation des églises et de l’Etat et suggère une politique vigoureuse, où les institutions confessionnelles se verraient contraintes de mettre un terme à leurs querelles, qui divisent le peuple, et d’unir leurs efforts au sein d’une « église nationale allemande », qui reviendrait à la doctrine de Jésus, dans la mesure où celle-ci correspond au sens germanique de la liberté, de la dignité de l’homme et d’un rapport immédiat et non médiat avec le divin. Dans certains milieux catholiques, en dehors d’Allemagne, on a souvent tendance à penser que Paul de Lagarde est l’exposant prussien et protestant (sa famille est effectivement protestante et piétiste) d’une réforme religieuse visant à affaiblir l’Eglise catholique en Europe du Nord.

Cette interprétation est erronée : Paul de Lagarde avait une vision liturgique plus catholique que protestante ; de plus, il n’a jamais ménagé ses critiques à l’encontre de Luther et du protestantisme, accusant ceux-ci de réintroduire de forts éléments de paulinisme dans le christianisme, alors que l’ère médiévale les avait oblitérés et étouffés sous la masse d’apports européens (et germaniques en Europe centrale). D’autres critiques estiment que Paul de Lagarde introduit dans la pensée religieuse allemande de son temps des linéaments d’antisémitisme, alors que sa vision n’est nullement raciste : l’adhésion à une foi ne dépend d’aucun facteur racial ; tout citoyen juif qui adhère à une vision grecque, germanique ou européenne du divin est de facto grec, germanique ou européen (« Deutschsein ist nicht eine Sache des Geblüts, sondern des Gemüts »).

Sur le plan politique, Paul de Lagarde critique la vision prussienne et petite-allemande (c’est-à-dire avec exclusion de l’Autriche et de sa sphère d’influence pannonienne, danubienne, adriatique et balkanique), vision qu’il décrète « constructiviste » et dangereuse par son pangermanisme étroit, qui exclurait les peuples non allemands de l’espace centre-européen. Paul de Lagarde voulait une « Mitteleuropa » forte et puissante, solidement charpentée sur le plan territorial, et débarrassée de la rivalité stérile entre Hohenzollern et Habsbourg. L’influence de ce théologien et orientaliste méticuleux n’a guère été significative de son vivant ; c’est dans la postérité que ses idées ont été exploitées, remises en perspectives diverses, vulgarisées, et cela, à partir de Nietzsche, de Friedrich Naumann (penseur de l’organisation de la Mitteleuropa) et de Thomas Mann, du moins celui des « Considérations d’un apolitique ». Paul de Lagarde meurt le 22 décembre 1891 à Göttingen, où il avait enseigné les matières qui lui étaient si chères.

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samedi, 10 février 2007

P. Lan : Discours identitaire turc

Pimour LAN :

Le discours identitaire turc entre Europe et Asie

http://www.polemia.com/contenu.php?cat_id=12&iddoc=888

J. Thiriart: Profeta e militante (It.)

Carlo TERRACCIANO:

Jean Thiriart : Profeta e Militante

http://www.cmostia.org/Jean%20Thiriart.htm#Carlo%20Terracciano

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Deutscher Föderalismus

Manuel RUOFF :

Ein deutscher Sonderweg - Der deutsche Föderalismus reicht bis zur Ausstellung der Goldenen Bulle vor 650 Jahre zurück

http://www.webarchiv-server.de/pin/archiv06/0120060107paz42.htm

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Nécessité de l'intégration européenne

André Wolff :

Nécessité de l'intégration européenne

 

Nécessité de l'intégration européenne dans la perspective d'une « Communauté des Peuples et des Nations du Continent »

 

 

L'Europe n'est pas une " expression géographique ".

L'Europe n'est pas non plus, comme la définissaient l'Union soviétique et les partis communistes occiden­taux de stricte obédience soviétique (notamment le Parti communiste français), dans leur opposition, en son temps, à la création de la Communauté économique européenne, une "invention allemande" ou "germano-vaticane".

L'Europe est avant tout une civilisation, pour ne pas dire la civilisation.

Il est vrai, comme certains l'affirment, notamment le Professeur Roberto de Mattei, du Groupe de Lépante, que l'Europe est peut-être le continent où les nations et les cultures sont le plus différenciées. Mais tous les peuples européens ont quelque chose en commun, qui les unit:  il s'agit précisément de la civilisation. Civilisation et culture ne sont pas synonymes. Chaque peuple dans notre monde, possède en propre une culture qui lui est spécifique. Cela vaut pour les peuples européens comme pour tous les autres peuples. En effet les différentes cultures qui les caractérisent sont le produit du génie propre de chacun d'eux, qui est le résultat de leur origine biologique, de leurs caractères génétiques. Toutefois, en plus de leurs différentes cultures spécifiques, les peuples européens ont développé une civilisation, elle aussi, c'est l'évidence, le résultat d'un génie dû à leur composition biologique et génétique et plus spécialement à une base génétique commune malgré leurs différences déterminées par certaines diversités de type ou plus souvent de conditions de vie liées au milieu naturel dans lequel ils vivent ou alors à leurs tribulations au cours des siècles et de l'Histoire. L'Europe n'est pas géographique, étant donné que ses limites ne sont pas précises et que par ailleurs elle ne constitue pas un continent nettement séparé du continent asiatique, mais une entité originale caractérisée précisément par sa civilisation.

La Civilisation commune à tous les peuples européens malgré la diversité de leurs cultures (diversité qui est aussi une richesse) est un fait unique au monde. La civilisation est une façon de vivre ensemble fondée sur un certain ordre définissant les rapports entre les individus et entre les groupes ou sous-communautés d'individus. Son fondement est pour l'essentiel le respect de chaque personne considérée individuellement, respect réciproque qui a déterminé certaines règles qui s'expriment dans les principes juridiques (Droit romain ou Droit inspiré du Droit romain, ou encore Droit consensuel, par exemple germanique ou celtique, spécialement dans les pays anglo-saxons).

Les peuples non européens ou plutôt dont l'origine biologique et génétique est différente de la souche indo-européenne peuvent avoir développé certaines cultures parfois plus brillantes, plus raffinées, plus élaborées que les nôtres, comme par exemple les Chinois, mais ces cultures ont souvent des aspects barbares et cruels,et l'ordre qui régit, dans leur cas, les rapports entre les individus est alors rarement respectueux de l'individu en tant que tel.

Notre civilisation justifie pleinement, de par elle-même, l'unité politique des peuples du continent européen. Elle représente en effet un lien profond, également spirituel, entre eux. On parle parfois par ailleurs, de "civilisation chrétienne", mais notre civilisation est en réalité antérieure au christianisme, même si le christianisme a par la suite largement contribué à son perfectionnement.

Parce que notre civilisation est commune à tous les peuples européens on peut parler, bien que certains le nient, d'un certain "sentiment national européen" diffus qui se superpose aux différents sentiments nationaux, spécifiquement culturels, de chacun des peuples de notre continent, sentiments nationaux spécifiques se fondant sur la diversité des langues et d'autres éléments ou facteurs, ainsi que sur la volonté pleinement justifiée de préserver l'identité nationale propre à chacun d'eux (identité nationale au sens culturel de cette expression).

L'expression politique de l'unité européenne en tant que civilisation, également promotrice de culture, s'est concrétisée dans le monde antique par le biais de l'Empire romain. Après la décadence et l'effondrement de ce dernier, l'Empire a été refondé par Charlemagne et est devenu le "Saint Empire romain de nation germanique", conçu lui aussi comme un Empire universel (mais en fait européen) bien qu'il eût été amputé de sa partie occidentale, uniquement pour des motifs de rivalités dynastiques, après l'épisode de la Lotharingie partagées entre un Royaume germanique et un Royaume de France (division du territoire global entre d'une part un grand Empire romain-germanique et d'autre part le Royaume de France). Plus tard, après la longue période du Moyen- Age et de la Renaissance, et après  la dissolution, non pas juridique, mais de fait, du Saint- Empire romain- germanique (Traité de Westphalie) à la suite de conflits religieux et d'une désastreuse guerre de religion de trente ans, conflits internes nés au sein de la nation allemande et non à des antagonismes nationaux entre les populations que l'Empire englobait, la nostalgie d'une structure politique unificatrice de type impérial persistait néanmoins au point qu'elle a fini par se concrétiser vers la fin du dix-huitième siècle dans la tentative du Corse Napoléon Bonaparte (qui en fait était d'origine gênoise par son père), de langue maternelle et de culture italienne (il s'exprimait fort mal en langue française) de reconstituer un nouvel Empire romain fondé sur les principes de la Révolution française, en prenant la France comme point de départ, mais non un nationalisme français auquel il restait en fait étranger, cela d'autant plus que dans ses intentions la Révolution française ne s'inspirait pas d'un nationalisme français oppresseur du type que nous avons connu par la suite, mais visait  idéologiquement à une République universelle. La conception du nationalisme lié à un "Etat national" est en réalité née plus tard, précisément pendant les guerres napoléoniennes, de l'opposition à la domination  de l'Empereur Napoléon. Dans ce contexte, il convient de faire observer que Napoléon, dans son dessein d'unification du continent, trouva également l'appui d'une partie importante des peuples non français  et de leur élite intellectuelle nationale et souvent nationaliste au sens culturel du mot (exemple du grand poète classique allemand Goethe).

 

Réflexions sur l’effondrement de l’Empire austro-hongrois

 

 

Le dix-neuvième siècle fut le siècle du développement des nationalismes politiques et de l'aspiration à la création d'Etats nationaux souverains et indépendants, avec, par ailleurs, la tendance à vouloir réunir au sein d'Etats nationaux uniques et aux frontières bien délimitées tous les éléments de chaque nation. Il convient toutefois de faire observer que l'aspiration du peuple allemand et au moins d'une partie du peuple italien à la réunification au sein d'un Etat national unique se référait souvent et dans le cas de l'Allemagne toujours à l'idée impériale (Empire romain en Italie, tradition du Saint-Empire romain- germanique en Allemagne, où même les Allemands anti-monarchistes et républicains voulaient un "Reich", c'est-à-dire un "Empire" allemand). Par ailleurs l'Empire autrichien, après son exclusion de la compétition entre les Habsbourg et les Hohenzollern pour la reconstitution de l'unité allemande, était en fait une Europe intégrée partielle, un Etat plurinational, démonstration de la possibilité d'une cohabitation harmonieuse entre diverses nations dans le respect de leurs différences et dans la promotion, de la part de l'Etat, des diverses cultures nationales présentes sur son territoire - cela exception faite pour la partie hongroise de l'Empire quand celui-ci devint l'Empire austro- hongrois: en effet les nationalistes hongrois, après avoir obtenu satisfaction quand à leurs propres revendications, opprimaient, dans le cadre de leur politique de "magyarisation"  les ethnies non hongroises, y compris l'ethnie allemande, laquelle était en fait omniprésente (soit majoritaire, soit minoritaire ) sur tout le territoire de l'Empire - dans les parties de celui-ci qui ne relevaient pas du " Royaume de Hongrie" l'harmonie entre les diverses ethnies n'était perturbée que par de petits groupes ultranationalistes tchèques non représentatifs de la majorité de la population tchèque, constitués d'agitateurs en réalité manœuvrés par des services secrets étrangers - spécialement les services secrets  français - et protégés  parce que membres de la franc-maçonnerie, comme les futurs Présidents de la République tchécoslovaque, Etat artificiel crée par les vainqueurs après la Première Guerre mondiale , Masaryk et Benesh, ou dans une moindre mesure par un irrédentisme italien élitaire dans le Trentin, à Trieste, dans une partie de la Slovénie et en Dalmatie. L'effondrement de l'Empire austro- hongrois n'a pas été provoqué, comme d'aucuns le prétendent, par le fait qu'il était un Etat plurinational, mais uniquement par une défaite militaire totale à laquelle l'armée italienne a contribué de manière déterminante et décisive, et de par la volonté des Alliés, principalement de la France, de détruire les Empires centraux qui unissaient indirectement  la nation allemande par le biais de l'alliance étroite  existant avant 1914 entre le Reich allemand réunifié sous l'égide de la dynastie prussienne et l'Empire austro-hongrois. En fait, Clémenceau, Président du Conseil français en 1919, aurait voulu détruire et morceler en petits Etats les deux Empires centraux . Il obtint satisfaction quand à l'Empire austro-hongrois, mais en raison de l'opposition de l'Angleterre, le Reich allemand prussien fut préservé en tant que tel malgré un Traité de paix catastrophique pour la nation allemande, Traité de paix que Clémenceau et les bellicistes français systématiquement anti-allemands estimaient encore insuffisant. Ils ne cachaient même pas qu'ils voulaient une autre guerre, ultérieure, contre l'Allemagne, en vue de sa destruction totale en tant qu'entité (paroles de Clémenceau: " Il faudra remettre ça ! ") Cette volonté s'est concrétisée en 1939, avec la déclaration de guerre de la France au Reich allemand, qui n'était pas une déclaration de guerre due au fait que le Reich allemand était gouverné par Hitler et les Nationaux- socialistes, mais au seul fait que le Reich était l'Allemagne en tant que telle!

 

 

De toute manière l'ère des Etats nationaux et nationalistes totalement indépendants et souverains s'est révélée désastreuse dans l'ensemble pour les peuples européens et pour l'Europe en tant qu'entité, spécialement en raison des guerres intraeuropéennes qui l'ont caractérisée, tout particulièrement la Première et la Seconde Guerre mondiale.

 

En ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale, il convient de constater que pour éviter le renouvellement d'une situation  comme celle qui l'avait provoquée et résoudre du même coup leurs propres problèmes économiques et d'espace vital, les puissances de l'Axe avaient décidé, après la victoire sur la France en juin 1940, de remplacer la tradition des Traités de paix fondés sur des annexions et des indemnités de guerre par un "ordre nouveau européen" fondé sur des structures politiques et économiques intégrées, une "Europe unie" dotée d'un "Gouvernement européen" supranational dont le Reich allemand et l'Empire romain" italien eussent été l'élément moteur (Axe Rome- Berlin), conception qui après la capitulation de l'Italie monarchique et le renversement de ses alliances qui conduisit à la proclamation d'une République sociale italienne fidèle à l'alliance avec l'Allemagne, tendait toujours davantage à la constitution d'un "Grand Empire européen" unique et intégré, cela étant donné que les problèmes précédemment liés au maintien d'une Constitution monarchique en Italie étaient éliminés au niveau de l'Axe et que par voie de conséquence le dualisme (structures fondées sur deux épicentres constitués respectivement par l'Italie et par l'Allemagne) ne se justifiait plus, ce qui, contrairement aux affirmations de la propagande alliée de l'époque et également d'historiens de notre époque, ne signifiait pas que Mussolini était l'instrument de Hitler et que l'Italie était destinée à devenir, dans le système européen intégré prévu en cas de victoire de l'Axe,  "une simple province de l'Allemagne" !

 

De toute manière, après la victoire des Alliés, on revenait à une Europe divisée entre vainqueurs et vaincus, fondée sur des Etats nationaux et nationalistes divisés entre eux, mais devenus trop faibles pour être encore en mesure de jouer un autre rôle que celui de satellites des deux superpuissances réellement victorieuses, devenues rivales et ennemis potentiels. Dans ces conditions le seul moyen de se libérer plus ou moins et à plus ou moins long terme de la tutelle des superpuissances, et d'éviter, pour le futur, des conflits intraeuropéens, particulièrement entre la France et l'Allemagne après la reconstitution d'un Etat allemand , était de reprendre  l'idée d'une Europe unie et intégrée.

 

 

Les « Pères Fondateurs » voulaient une Communauté de peuples européens

 

Ce fut l'origine de l'initiative des Pères fondateurs de la C.E.C.A. et ensuite de la C.E.E. de créer dans un premier temps une communauté économique européenne dans le but de rendre de toute manière économiquement impossibles les guerres intraeuropéennes et d'atteindre graduellement l'objectif d'une Europe politique intégrée. Les artisans de la création de la C.E.E. furent principalement Konrad Adenauer,

 

Robert Schuman et Alcide de Gasperi, ainsi que dans une très large mesure, la diplomatie vaticane, discrète (relativement! ) mais efficace. Le rêve de Konrad Adenauer ,Robert Schuman et Alcide de Gasperi, tous trois catholiques et de formation allemande (l'Italien Alcide de Gasperi, originaire du Trentin et né citoyen autrichien avait étudié à Vienne) était évidemment la reconstitution, par le biais de structures européennes intégrées,d'une sorte de  nouveau  "Saint- Empire romain- germanique" s'inspirant de valeurs spirituelles chrétiennes, avec la bénédiction du Vatican. C'est pourquoi ils voulaient, comme l'affirme du reste explicitement le Préambule du Traité de Rome, une Europe qui fut une communauté de peuples européens. Il s'agit par conséquent d'un objectif totalement différent de celui d'une Europe des banques, du capital, de la finance, de la monnaie pour elle-même que l'on tente aujourd'hui, malheureusement avec un certain succès, de substituer à l'Europe que voulaient initialement, comme implicite, les "Pères Fondateurs".

 

Si nous sommes conscients de l'interêt de nos peuples, de nos nations, que nous voulons protéger et promouvoir en préservant leur identité et le concept de civilisation fondée avant tout sur le respect de la personnalité de chaque individu dans le cadre de sa propre culture , nous ne pouvons accepter une telle substitution. Nous voulons une Europe intégrée et si possible un véritable Gouvernement européen, supranational mais non antinational. Mais l'Europe anonyme des banques, de la finance internationale, du capitalisme incontrôlé, d'une mondialisation aboutissant à la réduction en esclavage des peuples et ne respectant rien, ni personne, visant à l'anéantissement des valeurs fondamentales de notre civilisation pour le profit exclusif d'une petite minorité de financiers et de spéculateurs internationaux, nous la refusons de la manière la plus absolue !

 

***

 

 

Traduction d'une conférence faite par Monsieur André Wolff en langue italienne dans le cadre des activités du "Circolo Giovanni Gentile" (Cercle de fonctionnaires de langue italienne de l'Union européenne, ouvert également, en tant que point de contact, aux parlementaires européens de toutes langues et tendances)- Octobre 2002.

 

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A. Dughin on J. Parvulesco (Engl.)

Alexander DUGHIN:

Jean Parvulesco : Star of anInvisible Empire

http://www.geocities.com/integral_tradition/parvulesco.ht...

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Citation de M. Gauchet

Libéralisme = marxisme, une fois de plus.

L'angle de comparaison nous est cette fois donné par Marcel Gauchet :

"C'est la tentation récurrente de la modernité. La force et la nouveauté de la redéfinition de la condition collective amenée par l'orientation vers le futur portent avec elles la croyance que la structuration politique relève d'un héritage archaïque en voie d'être dépassé. Cette illusion de perspective eut longtemps l'aspect de la foi dans une révolution grâce à laquelle adviendrait une société pleinement sociale, c'est-à-dire délivrée de la contrainte étatique. Elle revient aujourd'hui sous l'aspect de la promesse d'une consécration de l'individu grâce au marché et au droit qui réduirait l'appareil de la puissance publique à une gouvernance inoffensive." (La condition politique, Gallimard, "Tel", 2005, p.9)

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vendredi, 09 février 2007

G. Faye: La Nuova Società dei Consumi

Guillaume Faye:

NSC. La Nuova Società dei Consumi


http://www.uomo-libero.com/articolo.php?id=100...

 

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Altheim, Spengler, Nietzsche: décadence

Altheim, Spengler, Nietzsche et la décadence, mythe de la révolution conservatrice

par Stefano ARCELLA

Dans son analyse du roman antique (Roman und Dekadenz), Franz Altheim note que cette forme très par­ticulière de la littérature antique présente une sorte de désordre stylistique, correspondant à une époque de transformation profonde de la société et de la politique. C'était une époque où s'achevait la civilisation de la polis et que s'affirmait la civilisation alexandrine, concentrée sur les grandes cités cosmopolites, dans des empires tentaculaires. D'Alexandrie à Pergame et à Rome, où disparaissaient les antiques idéaux républicains, triomphait une plèbe urbaine aux origines composites mais homogène dans son style de vie. Dans toute la Grèce, le roman s'était substitué à toutes les autres formes littéraires canoniques, telles l'épopée et la tragédie. Le roman antique s'est formé par les concours de rhétorique sophistique, dans la poésie érotique, l'historiographie, où l'on confondait tous les styles, pour les unifier ensuite dans une forme nouvelle, témoin de la désagrégation des formes anciennes mais néanmoins spécifique.

Altheim définit le roman comme une “forme ouverte”, c'est-à-dire ouverte à tous les styles mais aussi à l'expérience du divers, de l'exotique et de l'aventureux. Le site du roman n'est plus la Cité-Etat avec ses lois et sa morale inscrite dans le mythe, ni la petite communauté où se mouvait encore un Socrate, comme s'il déambulait dans le patio de sa propre habitation, mais la terre lointaine, la cité mythique de Thulé ou la mystérieuse Egypte, pays de mort et de résurrection (Isis-Osiris) ou encore l'Ethiopie, terre aimée des dieux, lieu idyllique de la réconciliation finale.

Si la thématique fixe de tous ces romans, et non seulement des Ethiopiques d'Héliodore, est l'amour entre deux jeunes gens, ceux-ci sont confrontés à des forces ennemies qui provoquent leur séparation, amor­çant de la sorte une pérégrination interminable et pénible, exprimant du reste la nouvelle réalité culturelle de la fin du monde antique, c'est-à-dire la fin d'un monde clos et basé sur l'idée de mesure, qui a égale­ment pour corollaire la création de vastes domaines dont les centres sont les cités cosmopolites surpeu­plées, parlant une koiné dérivée de toutes les races et de toutes les langues, coutumes et religions. Au sein de ces nouveaux agrégats humains, où prévaut l'élément chaotique, Altheim, en suivant ainsi les traces de Burckhardt, de Nietzsche et de Spengler, perçoit les signes d'une phase de décadence qui a caractérisé le monde grec puis le monde romain et qui revient aujourd'hui dans le monde occidental, où l'on élabore aussi des romans évoquant ce style de vie ouverte, tout à la fois cosmopolite et désagrégée.

Dans son Histoire de la religion romaine, Altheim note, à propos de Rome, comment, à partir du IIième siècle av. J.C., on a commencé à introduire dans l'Urbs des cultes d'origine orientale. Au début, ces cultes n'ont connu aucune fortune, car l'appareil d'Etat a réagi violemment, puis, à l'époque impériale, ces cultes ont trouvé un terrain fertile. Dans ces cultes, dont le prototype est essentiellement celui de Dionysos et de Bacchus, où la dignité du citoyen est foulée aux pieds, où le citoyen perd sa mens quand il entre en état de possession (les possédés étant considérés comme dementes, déments). Ces cultes tendaient à dissoudre la réalité religieuse dans des expériences purement individuelles, de caractère ex­trêmement émotionnel. En d'autres mots, ces nouvelles formes de religiosité, exactement comme le ro­man, sont le miroir d'une réalité où prévalent désormais l'individu, le pathétique, toutes formes que l'on at­tribuait à l'époque aux pôles féminins de l'existence.

Tout comme le dionysisme, le monde oriental envoie à Rome des mages et des chaldéens de toutes sortes, des sectes à mystères et des nécromanciens, qui, tous, réclament de l'aventure pour le corps et pour l'esprit, afin d'animer le nouveau type humain des grandes cités. Ce glissement du monde antique vers un bazar religieux oriental est, pour Altheim comme pour Spengler, le signe tangible d'une époque frappée par la décadence. Une décadence qui peut se définir ainsi: les expressions partielles et person­nalisées de la religiosité prennent le pas sur une religion unitaire qui, elle, pourrait se définir comme olym­pienne en Grèce et comme étatique à Rome.

Ne nous attardons pas à énumérer toutes les formes prises par cette décadence religieuse et que Spengler a repéré à l'ère moderne et dans la civilisation occidentale (où l'on voit s'achever une structure sociale hiérarchique et émerger une commercialisation générale de tous les actes humains, à la suite d'un phénomène de déracinement). Observons plutôt les réactions de tous ces “philosophes de la culture” face à ces phénomènes de décadence et à ces valeurs qu'ils projettent dans notre propre présent dilaté. Spengler comme Altheim, ainsi que d'autres figures éminentes de la culture allemande des premières dé­cennies de notre siècle (de Jünger à Benn) qui ont annoncé le déclin de l'Occident, ont été placés d'office dans ce fourre-tout fort hétérogène qu'est la “Révolution Conservatrice” et interprétés exclusivement comme des nostalgiques et de purs conservateurs réactionnaires et passéistes (cf. les analyses compi­latoires de Mosse et les écholalies “inspirées” de Jesi).

Car enfin, s'ils sont “révolutionnaires-conservateurs”, pourquoi n'avoir exploré que leurs aspects conser­vateurs? Quelles seraient alors leurs dimensions révolutionnaires? En effet, s'ils s'emploient à dénoncer systématiquement un présent dégénéré, s'ils évoquent sans cesse la désagrégation moderne, ils ne peuvent pas, s'ils en restent à ce niveau critique, résoudre le problème d'un retour à une tradition qui ne pourrait se déployer dans la réalité actuelle. Nietzsche, dans un élan de romantisme tardif a pu penser, un moment, que Wagner deviendrait le continuateur d'Eschyle; mais il s'est rapidement rétracté. Mais ni Spengler ni Altheim ne se sont posés comme les défenseurs d'une aristocratie disparue ou d'une nouvelle oligarchie faussement aristocratique. En fin de compte, constater la décadence ne constitue pas un ju­gement moral mais indique un style de vie et un retournement de la civilisation dans lequel il s'agit d'œuvrer. Dans une phase historique de ce type, il serait utopique et artificiel de vouloir revenir à l'ordre antique et de remettre sur leur trône les vieux monarques ou sur leurs autels les vieux dieux olympiens, mais d'agir dans la cohérence, en opérant des choix précis.

L'étude du passé, chez Spengler et Altheim, fascine et n'effraye pas l'érudit qui s'y consacre et fait face à une époque qui a certes perdu ses orientations mais tente néanmoins de vivre de nouvelles expériences, de créer de nouvelles formes d'expression, de rechercher de nouvelles solidarités. Tout comme l'érudit qui se penche sur le passé, celui qui explore le présent, en tant que phase de décadence, est véritable­ment hapé par l'observation de toutes ces nouvelles cristallisations et de cette curieuse simultanéité entre, d'une part, l'homogénéisation totale de la planète et, d'autre part, la désagrégation d'un type hu­main “mégalopolique”, désormais ghettoïsé à outrance dans une multiplicité de petites sphères privées, homologué dans un style de vie collectif. En ce sens, aujourd'hui plus qu'hier, écrit Altheim, le roman est à son apogée, il est simultanément le produit et l'auteur de cette phase-ci de notre civilisation.

C'est justement dans cet aspect-là du roman que nous trouvons la dimension proprement révolutionnaire de l'analyse de nos érudits que l'on a un peu trop vite catalogués comme “conservateurs”; ils appartien­nent en effet à une génération qui refuse de se reconnaître dans l'optimisme bourgeois, mais ne se réfu­gie pas pour autant dans le sentimentalisme irrationnel, dans la pure et simple évocation de symboles disparus. En termes plus directs, disons qu'un monarque est à sa place quand il s'inscrit dans un cadre traditionnel vivant, c'est-à-dire dans un style de vie traditionnel; autrement, il n'est plus qu'une caricature.

Notre époque est une époque de nouveaux mages et certainement aussi celle de nouvelles formes de re­ligiosité personnalisée, où l'on recherche de nouvelles voies de salut dans une aire où toute orientation a disparu. La solution est de se chercher soi-même dans de nouveaux styles de vie que permet notre époque, c'est-à-dire un style de présence à soi, de responsabilité propre, calqué sur l'anarchisme kantien ou nietzschéen, pour que nous retrouvions notre être propre au-delà de toute aventure et de toute méta­morphose.

Par rapport à ces valeurs de base, pour lesquelles nous existons, le mythe nietzschéen semble pouvoir répondre à cette exigence d'action révolutionnaire et conservatrice tout à la fois. Ce mythe est conserva­teur quand il évoque les exigences de notre plus lointaine antiquité, mais il est simultanément révolution­naire quand il se positionne juste en marge de notre présent et qu'il scrute le temps à venir. En d'autres mots, cette attitude se traduit par l'“éternel retour”, qui n'est finalement qu'une transposition à l'échelle cosmique de l'impératif catégorique kantien, dont nous trouvons l'écho chez Spengler quand il parle du Wartsoldat (de la sentinelle) ou dans le principe de persuasion de l'Italien Michelstaedter. Certes, ce que nous proposons là, avec ces auteurs révolutionnaires et conservateurs, sont des solutions individuelles, bien appropriées au déracinement des grandes métropoles; mais c'est précisément là que réside toute leur actualité, leur modernisme pourtant tout entier dépourvu de progressisme, leur profonde moralité dans le sens où elles s'éloignent de toutes vaines nostalgies et, enfin, leur capacité à évoluer à travers les méandres de la cité-monde, dans l'aventure quotidienne que nous devons bien vivre, pour partir sans cesse à la recherche de nous-mêmes.

Luciano ARCELLA.

(ex: Pagine Libere, n°2/1995).

 

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Revolt against the Feminists

Troy SOUTHGATE:

The Revolt Against the Feminists

The Traditional Woman According to Julius Evola

http://www.rosenoire.org/articles/against_femminism.php...

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jeudi, 08 février 2007

L'itinéraire grec: des mythes à la désincarnation

Catherine SALVISBERG:

L'itinéraire grec: du réalisme des mythes à la désincarnation par les idées

Il est d'usage, dans notre culture, d'évoquer le mo-dèle grec comme celui de la sagesse, créant dans les esprits une Grèce d'image d'Epinal; les notions de sérénité, d'équilibre et d'harmonie viennent tout na-tu-rellement à l'esprit de celui qui s'abandonne à la nostalgie de notre grand passé. Pourquoi tout natu-rellement? Sans doute parce que cette Grèce est plus aisément perçue par nos schémas et nos cadres de pensée moderne, pen-sée ordonnée, soumise à la rai-son et à la lo-gique.

Pourtant cette Grèce, certes bien réelle, est celle que l'on pourrait appeler du "deuxième mou-vement", celle qui va poser des limites et aimer le "fini"; elle est devenue notre "Grèce-réfé-rence".

Un monde sur fond de feu, d'ivresse et d'extase...

Ces limites, elles les a posées sur un monde tout autre, celui que Nietzsche définira dans La Naissance de la Tragédie  comme celui du règne de Dionysos, un monde sur fond de feu, d'ivresse et d'extase. Ce monde, générateur de la vie de notre culture, nous est beaucoup plus fermé, beaucoup plus obscur que celui de l'époque classique; il voit naître et vivre des my-thes d'une fantastique puissance dont l'évocation ne manque pas d'exercer sur bon nombre d'entre nous une espèce de fascination; c'est pourquoi il ap-paraît utile d'étudier l'aptitude de notre pensée ac-tuelle à les intégrer, voire seulement à les percevoir. Se référer aux mythes signifie plonger dans la mé-moire histo-ri-que, dans la grande mémoire, celle qui porte la sour-ce, les racines, la matrice de notre pré-sent et donc de notre futur.

Les mythes qui dominent toute notre Antiquité euro-péenne et qui, sous des formes atténuées ou même dénaturées, survivent encore au début de notre ère, ces mythes nous sont-ils accessibles ou bien sont-ils comme ces cloches fêlées qui, sous leur apparence ma-térielle intacte, ne ren-dent plus que quelques sons dérisoires et faux, sans mesure ni avec leur bel aspect extérieur ni avec la puissance de vibration qu'elles por-taient en elles.

I. La pensée par les mythes

La tentative de connaissance des mythes par l'homme moderne n'est, comme toutes ses ap-proches, qu'in-tellectuelle. Notre pensée, malgré les tentatives des ro-mantiques du siècle dernier, ne peut plus faire ap-pel qu'à la raison pour comprendre: nous sommes de-venus infirmes. C'est bien autre chose qu'il nous faudrait pour percer les profondeurs d'une culture dont la vi-talité et la force ne peuvent se réduire à une analyse cartésienne, à une compréhension. Les my-thes dans lesquels s'exprimait cette pensée, notre pau-vre raison, si sèche, n'a été capable que de les concevoir comme symboles; selon les siècles, les idéo-logies, les modes, les écoles ou les disciplines, les mythes sont devenus l'expression d'un symbo-lisme qui n'est en fait que le reflet de concepts mo-dernes: certains y ont vu l'expression d'un incons-cient collectif; d'autres ont donné aux mythes une fonction so-ciale et des gens très sérieux ont même vu en eux des éléments de lutte des classes. Il faut donc aborder l'étude de la mythologie sans trop d'illusions et savoir que nous sommes à son égard comme le vi-siteur d'un musée qui est sé-paré de l'objet de son admiration par une vitre qui lui interdit tout contact.

Pour illustrer cette tentative, prenons l'exemple d'un mythe très révélateur, un mythe profon-dément enra-ciné dans la culture grecque tout au long de son évo-lution et qui, de surcroît, pré-sente l'intérêt d'être par-tiellement passé dans notre culture: le mythe d'He-ra-klès.

Le mythe d'Heraklès

D'origine purement grecque, et plus précisé-ment do-rienne d'après des sources aussi sé-rieuses que Walter Otto ou Wilamowitz, son culte se répand rapidement tout autour de la Mé-diterranée où il s'enrichit de dieux locaux qu'il absorbe. Il va devenir une person-nalité mythologique très complexe, et son évolution dans le temps est très révélatrice du double pro-blème qui nous préoccupe: la perception du mythe et l'évo-lution de la pensée.

Ce demi-dieu, né des amours de Zeus et d'Alcmène, une mortelle, sera tout au long de sa vie terrestre poursuivi par la haine de Héra, épouse trompée de Zeus. Il lui manquera tou-jours cette partie divine, cette "partie Héra" qui l'empêchera d'être totalement un dieu. Sa vie, jalonnée d'épreuves, est célèbre pour ses douze Travaux, mais elle est bien loin d'être exem-plaire. Ce héros a des faiblesses; il commet des crimes (il tue ses trois enfants), s'abandonne toute une année aux pieds d'Omphale, la reine de Lydie, mythe flou de l'incarnation du nom-bril (omphalos) du monde. Ce demi-dieu, tour à tour puissant, fou, protecteur des faibles, gué-risseur (il est parfois asso-cié à Asklepeios), criminel, est très représentatif de la mentalité grecque pour qui la part du bien et la part du mal sont intimement liées; l'époque moderne ne con-naît que des héros totalement bons, mais chez les Grecs, si l'on ampute le mal, c'est la vie que l'on sup-prime, car elle est un tout où ce qui est bon et ce qui est mauvais sont si imbri-qués qu'ils en sont in-dissociables et nécessaires l'un à l'autre. Pas un Grec ancien n'est gêné de rendre un culte à un héros qui, outre ses quali-tés, est un ivrogne, un débauché, un infanticide. La divinité n'est donc pas perçue comme dans notre civilisation présente, où elle n'est d'ail-leurs qu'un élément religieux, mais bien comme le lien entre le monde divin et le monde sensible dans lequel elle évolue de façon très familière.

Une tradition en fait aussi une divinité chto-nienne, c'est-à-dire qu'elle l'associe au séjour des morts; mais la terre, ce séjour des morts, est en même temps la terre féconde, porteuse de fruits et de moissons; là encore coexistent le bon et le mauvais, de même que la vie et la mort.

La rationalisme moderne ne peut saisir l'essence des mythes

Les mythes de cette période nous parviennent par la poésie épique, genre qui relève de l'art, de l'histoire et de la religion, mais aussi par la connaissance des cultes. Si, comme nous ve-nons de le voir, nous ne pénétrons pas les mythes et n'en avons qu'une connaissance exté-rieure, il en va de même pour les cultes qui, peut-être plus encore que les mythes, sont pas-sés de nos jours par le tamis du rationalisme et du fonctionnalisme. Pourtant, des penseurs, pour la plu-part allemands, ont vu et dénoncé notre incapacité. Après Hölderlin, Walter Otto sera le plus brillant pourfendeur des interprétations modernes. Il cite en exemple un très vieux rite de purification qui consis-tait à promener un ou deux hommes à travers la cité, puis à les tuer hors de celle-ci et à détruire complète-ment leurs cadavres; à la suite de cet exemple, Walter Otto (1) reproduit l'interprétation moderne type qui, tout naturellement, suppose la visée pratique du rite: "après avoir absorbé tous les miasmes de la Cité, il était tué et brûlé, exactement comme on essuie une table sale avec une éponge qu'on jette ensuite" (2). Et Otto de révéler "la dispro-portion entre l'acte lui-mê-me et l'intention qu'on lui prête". Cet exemple est ca-ractéristique de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons à percer une pensée qui se manifeste au tra-vers de mythes et de rites, que nous ne sommes ca-pables de commenter qu'avec un vocabulaire soumis à la raison, à l'esprit de causalité, à l'esprit pratique, à notre esprit "terne et désenchanté".

Mais les Grecs vont lutter contre leur nature et se protéger du fond tragique de l'existence par le rideau apollinien, la sérénité. Cette Grèce, celle, nous dit Nietzsche, de l'équilibre entre le dionysiaque et l'apollinien, celle de la tragédie, garde ses mystères comme celle de la période dite archaïque. Elle est de courte durée, 80 ans environ, et brille d'un éclat tel qu'elle ne peut longtemps se survivre. Dans le même temps, la pensée va évoluer et amorcer un tournant qui se révèlera être une véritable cassure, une pensée que nous appréhenderons beaucoup mieux car elle a ouvert la voie à la pensée moderne.

II - La pensée par les idées

Si l'on connaît la place privilégiées que Nietzsche ac-corde à la musique par rapport aux autres arts, com-me émanant directement de la source, de l'instinct vital, on ne s'étonnera pas des violentes cri-tiques que le philosophe alle-mand proférera à l'égard de Socra-te, "l'homme qui ne sait pas chan-ter".

Socrate va privilégier la conscience et la lucidité par rapport à l'instinct. Il est l'homme non mystique; Nietzsche dira "l'homme théorique". En effet, Socrate, le premier, va se permettre d'envisager les my-thes, de les concevoir autre-ment que dans la pen-sée traditionnelle. Le mythe, de charnel et complexe, va pivoter vers la simplification et l'abstraction. Plus en-core, c'est l'amorce d'une rationalisation, d'une ex-plication. Dans le Phèdre de Platon, un dialogue en-tre Phèdre et Socrate est très révélateur de l'état d'esprit de ce dernier. Evoquant le mythe dans lequel Orythye est enlevée par Borée, Phèdre interroge: "Mais dis-moi, Socrate, crois-tu que cette aventure mythologique soit réelle-ment arrivée?". Et Socrate ré-pond: "Mais si j'en doutais, comme les sages, il n'y aurait pas lieu de s'en étonner". Socrate explique avec des ar-guments rationnels que le souffle de Borée (le vent) a occasionné la chute d'Orythye qui en est morte. Voilà peut-être le premier argument ra-tionnel destiné à se substituer à un élément my-thologique. On le voit ici, cette pensée est très moderne et très ac-cessible à notre compréhension. Socrate et Platon vont donc faire évoluer les mythes, et de la connaissance instinctive, on glisse à la connaissance ration-nelle. On n'accepte plus le sens mystique du monde qui va être dévoré par la logique.

Les mythes n'en sont pas pour autant abandon-nés: ils vont évoluer, à la fois dans la manière dont ils vont être perçus et dans leur forme propre.

Il est temps ici de reprendre le mythe d'Héraklès que nous avons laissé dans la première partie de cet ex-posé, dans toute la force et la puissance ambigües d'un être mi-divin, mi-humain, avec sa force surhu-maine, ses débauches et ses pas-sions démesurées. Après Sophocle qui, dans Les Trachiniennes,  en fait un être brutal et sans finesse, Héraklès ne va cesser d'évoluer vers un idéal. La période hellénistique le montrera comme une divinité civilisatrice dont les tra-vaux seront des épreuves d'utilité publique; il de-vient un bienfaiteur de l'humanité au service du bien. Les philosophes (cyniques et stoïciens) vont vanter le caractère hautement moral de l'acceptation volontaire des souffrances qui ja-lonnent sa vie: il accepte libre-ment le sacrifice; il se dévoue pour l'humanité. Son nom est invo-qué dans les situations difficiles et il de-vient un "sauveur". Très grec mais très populaire, il passera à Rome où, devenu Hercule, il subira la mê-me épuration qu'en Grèce. Cet Hercule idéa-lisé n'au-ra pas de mal à survivre partiellement dans le personnage d'un autre demi-dieu, puri-ficateur de la terre et sauveur du genre humain, le Christ (3).

La rationalisation est
le prélude de la moralisation

Toutefois le mythe purifié se désincarne de plus en plus et chemine vers l'idéalisation, l'abstraction. En s'éloignant du monde, les di-vinités, dieux et héros, deviennent des idées, des concepts, des absolus. Ce faisant, ils se moralisent et la moralisation nous ap-pa-raît comme l'inévitable corollaire de l'absolu. Pla-ton va rejeter le côté humain et refuser ce qu'il ap-pellera "des mensonges de poètes", et les dieux, peu à peu, se tiendront sagement sur l'Olympe, dans une vertu exemplaire invitant à l'imitation autant qu'à l'ennui.

En invoquant le monde des idées, Platon a ou-vert la porte à un monde où le Bien et le Mal se combattent: le mal est le monde de l'instinct, de l'irrationnel, symbolisé chez Platon par le che-val noir; le bien est le monde de la volonté, de la tempérance, symbolisé par le cheval blanc; les deux chevaux sont conduits par le cocher: la rai-son. Ce char symbolise l'âme humaine qui, on le voit, hiérarchise ses deux composantes. L'instinct dès lors ne cessera d'être méprisé, la raison glorifiée. Le mythe en mourra, ce magnifique lien que les hommes avaient tissé pour relier leurs dieux à la condition humaine, au monde sensible; ce lien est désormais rompu, à jamais sacrifié par quelques hommes fiers d'être moins naïfs, sur l'autel de ce que Hei-degger appelle avec bonheur "la pensée calcu-lante".

Il faut abandonner l'espoir de renouer avec les mythes fondateurs, sous leur forme originelle. Cette entreprise conduirait tout au plus à une folklorisation analogue à celle que nous voyons fleurir sur les pla-ces des villages, où, à l'instigation des syndicats d'ini-tiative, bourrées et sardanes alternent tristement avec les majo-rettes.

Pourtant nous savons que les civilisations sont mor-telles; la nôtre, parce qu'elle s'appuie sur la tech-nique, est plus fragile qu'une autre. Un jour, nous aurons besoin de nous souvenir, nous devrons faire appel à cette mémoire pro-fonde afin que, du chaos, resurgisse la vie qui naît de l'éternel retour. Les vieux mythes seront transformés, donneront naissance à d'autres, grâce à la bienveillance de celle à qui nous n'aurons jamais cessé de rendre un culte: Mnémo-syne, déesse de la mémoire et mère des Muses. Alors nous nous réapproprions la créa-tion, la poésie, que les hommes de notre sang n'auraient jamais dû dé-laisser, abandonnant aux peuples qui n'ont jamais pu créer, les méfaits d'une raison spéculative qui ne nous a que trop contaminés. Avec la force des dé-buts, nous for-gerons de nouveaux mythes pour de nou-veaux printemps.

Catherine SALVISBERG.
 

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Trois livres sur les relations germano-soviétiques

Luc NANNENS:

Trois livres sur les relations germano-soviétiques de 1918 à 1944

La problématique complexe des relations ger-mano-soviétiques revient sur le tapis en Alle-magne Fédérale depuis quelque temps. Trois livres se sont penchés sur la question récem-ment, illustrant leurs propos de textes officiels ou émanant de personnalités poli-tiques. Pour connaître l'arrière-plan de l'accord Rib-bentrop-Molotov, l'historien britannique Gordon Lang, dans le premier volume de son ouvrage (le se-cond volume n'est pas encore paru),

²... Die Polen verprügelnŠ³. Sowjetische Kriegstreibereien bei der deutschen Führung 1920 bis 1941, 1. Teilband, 1914 bis 1937, Askania-Weißbuchreihe, Lindhorst, 1988, 175 S., DM 24,50,

retrace toute l'histoire des rapprochements entre l'Allemagne et l'URSS, isolée sur la scène diploma-tique, contre les puissances bénéfi-ciaires du Traité de Versailles et contre l'Etat polonais né en 1919 et hos-tile à tous ses voi-sins. L'enquête de Gordon Lang est minutieuse et, en tant que Britannique, il se réfère aux ju-gements sévères que portait David Lloyd George sur la création de l'Etat polonais. Lloyd George, en effet, écrivait: "La proposition de la Commission po-lonaise, de placer 2.100.000 Allemands sous la do-mination d'un peuple qui, jamais dans l'histoire, n'avait démontré la ca-pacité de se gouverner soi-même, doit néces-sairement déboucher tôt ou tard sur une nou-velle guerre en Europe orientale". Le Premier Ministre gallois n'a pas été écouté. John May-nard Keynes, qui quitta la table de négociation en guise de protestation, n'eut pas davantage l'oreille des Français qui voulaient à tout prix installer un Etat ami sur les rives de la Vistule. Notable exception, le Maréchal Foch dit avec sagesse: "Ce n'est pas une paix. C'est un ar-mistice qui durera vingt ans".

Ni les Soviétiques, exclus de Versailles et virtuelle-ment en guerre avec le monde entier, ni les Alle-mands, punis avec la sévérité extrême que l'on sait, ne pouvaient accepter les condi-tions du Traité. Leurs intérêts devaient donc immanquablement se rencon-trer. En Alle-magne, les troupes gouvernementales et les Corps Francs matent les insurrections rouges, tandis que Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont assassinés. D'autres chefs rouges, en re-vanche, furent courtisés par le gouvernement anti-bolchévique, dont Radek, emprisonné à Berlin-Moabit puis trans-féré en résidence sur-veillée, et Viktor Kopp, venu de Moscou pour suggérer au Directeur du Département de l'Est du Ministère des Affaires Etrangères alle-mand, le baron Adolf Georg Otto von Maltzan, de jeter les bases d'une coopération entre l'Armée Rouge et la Reichswehr pour lutter contre la Pologne. Malt-zan écrivit, immédiatement après l'entrevue, un mé-morandum qui stipulait en substance que, vu l'échec des négociations à Copenhague entre Britanniques et Soviétiques, Lénine voulait éliminer la Pologne, pion des Occidentaux, afin de faire fléchir Londres. Pour réaliser cet objectif, il fallait combiner une en-tente entre Russes et Allemands. Maltzan ex-plique que l'Allemagne ne marchera jamais avec les Français pour sauver la Pologne, que la Reichswehr, réduite à 100.000 hommes, suffi-sait à peine pour maintenir l'ordre intérieur, et que des relations avec l'URSS s'avèrraient illu-soires tant que la propagande bolché-vique vitu-pérait contre le gouvernement de Berlin et créer des désordres dans la rue. Kopp promit de mettre en frein à cette propagande et suggéra les bases d'un accord commercial, mettant dans la balance l'or russe à échanger contre des locomotives et des ma-chines-outils allemandes.

L'objectif soviétique: renforcer l'industrie allemande et faire vaciller l'Empire Britannique

Au cours des mois qui suivirent, il apparut clai-rement que l'objectif des Soviétiques était de renforcer l'industrie allemande, de façon à s'en servir comme "magasin" pour moderniser la Russie, dont l'objectif politique n'était pas, pour l'instant, de porter la révo-lution mondiale en Europe, mais de jeter son dévolu sur l'Asie, l'Asie Mineure, la Perse et l'Afghanistan et de susciter des troubles en Egypte et aux Indes, afin de faire vaciller l'Empire britannique. En juillet 1920, Kopp revient à la charge et fait sa-voir que l'URSS souhaite le retour à l'Allemagne du Corridor de Dantzig, afin de faciliter les communications com-merciales entre le Reich et la Russie, via la Poméranie et la Prusse Orientale. L'aile gauche du parti socia-liste polonais reçut l'ordre de Moscou de ré-clamer le retour aux frontières de 1914, réduisant la Pologne à la pro-vince russe qu'elle avait été de 1815 à 1918. L'objectif des Allemands, surtout de l'état-major du Général von Seeckt, et des Soviétiques était de contourner tout éventuel blocus britannique et de bri-ser la vo-lonté française de balkaniser l'Europe cen-trale. L'élimination militaire de la Pologne et l'entente germano-russe pèseraient d'un tel poids que jamais les armées françaises ex-sangues n'oseraient entrer en Allemagne puisqu'un tel geste serait voué à un cuisant échec. Seeckt, avec son armée insignifiante, devait menacer habilement les Français tout en ne les provoquant pas trop, de façon à ce qu'ils ne déclenchent pas une guerre d'encerclement avant que les Russes ne puissent intervenir.

L'analyse était juste mais, sur le terrain, l'Armée Rouge est battue par les Polonais et par la stratégie de Weygand, dépêché dare-dare à Varsovie. Cet échec soviétique, assorti d'énormes compensations territo-riales au béné-fice de la Pologne (Traité de Riga, 18 mars 1921), n'empêcha pas la collaboration secrète avec la Reichswehr: toutes les armes interdites à l'Allemagne par les clauses du Traité de Ver-sailles, comme les avions, les bombes, les blin-dés de combat et de reconnaissance, l'artillerie lourde, les gaz de combat, les canons anti-aé-riens, etc. furent cons-truites et testées en Russie dans des bases se-crètes. Gordon Lang consacre un très long chapitre sur la collaboration ger-mano-russe partant de l'accord Ra-thenau-Tchit-chérine (1922), avec pour toile de fond l'occupation de la Ruhr (1923) et l'affaire Schlageter, le Pacte de Locarno (1925), le refus de la part de la SPD de réviser les clauses de Versailles, l'éviction de Trotski et l'avènement de Staline (1927), l'accession de Hindenburg à la Présidence du Reich (1927), la montée du national-socialisme.

Staline donne l'ordre au KPD de collaborer
avec la NSDAP

La politique de Staline était de créer le socia-lisme dans un seul pays et de transformer l'URSS en un "croiseur cuirassé", en lutte contre les impérialismes. Pour parvenir à cet objectif, il fallait industrialiser à outrance un pays essentiellement agricole. On sait à quelles tragédies cette volonté à conduit pour le pay-sannat slave et les koulaks. L'Allemagne, elle, s'est partiellement sauvée du marasme grâce à cette volonté politique: dès l'arrivée de Staline au pouvoir, les échanges économiques entre les deux pays quintu-plent. Les machines quittent les usines allemandes pour la Russie nouvelle et, en échange, les Sovié-tiques, livrent du pé-trole, des minerais et des céréales.

Quand le parti de Hitler prend de l'ampleur et obtient le soutien de la droite (de la "Deutsch-Nationale Volkspartei",  en abrégé DNVP), les communistes allemands visent la création d'un front commun avec la SPD, un parti modéré dont la ligne globale avait été d'accepter bon gré mal gré les réparations. L'ordre de Moscou, formulé par Staline lui-même, exigeait une po-litique diamétralement opposée: marcher avec la NSDAP contre les modérés qui acceptaient Versailles! Dans l'optique de Staline, un pou-voir socialo-communiste dans le Reich aurait affaibli l'industrie alle-mande, réservoir de machines pour la Russie nou-velle, et aurait donc en conséquence diminuer la puis-sance mon-tante de Moscou. Les communistes alle-mands reçurent l'ordre précis de ne rien entreprendre d'aventureux contre la droite, contre les nazis ou contre la Reichswehr, de façon à ce que la collabora-tion germano-russe puisse créer un front anti-occi-dental et anti-impérialiste.

Le 1 juin 1932, le nouveau gouvernement von Papen place le Général von Schleicher à la tête du Ministère de la Reichswehr en remplace-ment du Général Groe-ner, fidèle exécutant de la doctrine de von Seeckt. Moscou ordonne aussitôt aux communistes allemands de com-battre les sociaux-démocrates et de les présen-ter à leurs ouailles comme les ennemis princi-paux de la classe ouvrière. Pas question donc d'assigner ce rôle négatif aux nationaux-socialistes. Le chef du Komintern, Dimitri Ma-nouilski, explique que, dialectiquement, la NSDAP est à l'avant-garde de la dicta-ture du prolétariat tandis que les sociaux-démocrates trompent les masses en agitant l'épouvantail anti-fas-ciste. Pendant la campagne électorale, la KPD et la NSDAP militent pour une abrogation pure et simple de toutes les clauses de Ver-sailles et rejettent toutes les formes de répara-tions. La SPD, elle, ne veut pas de révision du Traité et perd sa crédibilité auprès des millions de chômeurs allemands.

La Reichswehr aurait été incapable de mater un putsch conjoint des nazis
et des communistes

Aux élections du 6 novembre 1932, malgré le recul des nationaux-socialistes, l'ambassadeur soviétique Khintchouk réitère les ordres de Moscou aux communistes allemands car "Hitler ouvre la voie à une Allemagne soviéti-sée". Communistes et Nationaux-Socialistes organisent de concert une grève des trans-ports en commun à Berlin, qui connaît un franc suc-cès. Schleicher est inquiet: il met les circons-criptions militaires en alerte et simule des man¦uvres pour sa-voir si la Reichswehr serait capable de briser un putsch perpétré de concert par les communistes et les nazis. Le rapport fi-nal qui lui est transmis le 2 dé-cembre 1932 est alarmant: l'armée serait incapable de faire face à un putsch unissant les deux partis "extrémistes". Ne disposant que de 100.000 hom-mes, elle est en infériorité numérique de-vant les 130.000 militants du Kampfbund communiste, ren-forcés par les 30.000 adoles-cents de l'organisation de jeunesse, et des 400.000 SA et HJ de la NSDAP. De plus, la réussite du mouvement de grève conjoint dans les transports publics berlinois a démontré que les putschistes éventuels pourraient paralyser les chemins de fer, empêchant tout mouvement de troupes vers les centres insurrectionnels. Schleicher est dès lors obligé, pour sauver la République de Weimar aux abois, de faire des concessions aux Al-liés pour que ceux-ci per-mettent à la Reichswehr de disposer de 300.000 hommes lors de la Conférence de Genève prévue pour 1933.

Poussé dans le dos par le Komintern, la KPD entonne des refrains aussi patriotiques que les nationaux. Le Komintern proclame le 10 jan-vier 1933: "Il faut com-battre sans merci les oppresseurs de la nation; il faut lutter contre l'occupation de la Sarre, l'oppression des Alsa-ciens et des Lorrains, contrer la politique ra-pace de l'impérialisme polonais à Dantzig, lut-ter contre l'oppression des Allemands en Haute-Silésie, en Po-mérélie et au Tyrol du Sud, contre la mise en escla-vage des peuples et des minorités ethniques en Tchécoslovaquie, contre la perte de ses droits par le peuple autrichien". Mais Moscou continue à faire davantage confiance à la NSDAP. Le 22 janvier 1933, les hitlé-riens projettent une manifestation provo-catrice devant le quartier général communiste de Berlin. Les Sovié-tiques donnent l'ordre à leurs coreligionnaires berli-nois de ne pas s'y opposer. Après la prise du pouvoir par Hitler, l'immeuble sera perquisitionné et la police y trouvera des "preuves" d'un projet de putsch com-muniste. Le Reichstag brûle le 27 février, apparem-ment par l'action d'un communiste hollandais, Mari-nus van der Lubbe. La KPD est interdite. A Moscou, les milieux gouverne-mentaux restent calmes et choi-sissent l'attentisme: il faut sauver les relations privilé-giées entre l'URSS et l'Allemagne et ne pas les gâ-cher par une propagande anti-nazie irréflé-chie.

Litvinov, Hitler
et Rosenberg

Les Soviétiques refuseront de tenir compte des dé-clamations anti-communistes des dirigeants nazis. Litvinov avertit cependant Dirksen, am-bassadeur du Reich à Moscou, que cette bien-veillance cessera si l'Allemagne tente un rapprochement avec la France, comme l'avaient fait les sociaux-démocrates de Stre-semann et vraisemblablement le Général Schleicher. Lit-vinov déclare que le gouvernement soviétique n'a pas l'intention de changer sa politique à l'égard de l'Allemagne mais fera tout pour em-pêcher une alliance germano-française. En échange, Litvinov promet de ne pas s'allier avec la France et de ne pas réitérer la politique d'encerclement de l'Entente avant 1914, l'URSS n'ayant pas intérêt à reconnaître les clauses du Traité de Versailles et l'existence de l'Etat polo-nais. Le 29 avril 1933, Hitler reçoit Khintchouk en présence du Baron Konstantin von Neurath, et pro-met de ne pas s'occuper des affaires inté-rieures russes à la condition expresse que les Soviétiques n'interviennent pas dans les affaires intérieures alle-mandes (en clair: cessent de soutenir les communistes allemands).

Pendant les premières années du régime hitlé-rien, les relations germano-russes sont donc restées positives avec toutefois une seule petite ombre au tableau: les activités d'Alfred Rosen-berg, chef du bureau des af-faires étrangères de la NSDAP et rédacteur-en-chef de son organe de presse, le Völkischer Beobachter. Né dans les pays baltes, ayant étudié à Moscou, Rosenberg haïssait le communisme soviétique. Il rê-vait d'une balkanisation de l'URSS et notam-ment d'une Ukraine indépendante. Hitler ne le nomma pas Ministre des Affaires Etrangères du Reich, ce qui soula-gea les Soviétiques. Des en-voyés spéciaux laissaient sous-entendre régu-lièrement que si Rosenberg deve-nait Ministre des Affaires Etrangères, les Soviétiques pour-raient être amenés à reconduire leur alliance avec la France. La tragédie de la "Nuit des longs cou-teaux", au cours de laquelle Schlei-cher est éliminé, satisfait Staline qui voyaient dans les victimes des instruments d'une poli-tique d'alliance avec la France (donc avec la Pologne).

Démontant le système de Versailles pièce par pièce, Hitler rapatrie les usines d'armement dis-séminées en Russie. Les installations de Kama et de Tomka, où furent élaborés les premiers chars allemands et la tac-tique offensive de l'arme blindée, sont démantelées et recons-truites en Allemagne. Ensuite, c'est au tour du centre aérien de Vivoupal, matrice de la future Luft-waffe. Les usines avaient bien servi le Reich et l'URSS; les deux puissances avaient pu moderniser leurs armées à outrance. Dans l'Armée Rouge et la nouvelle Wehrmacht, on retrouvera les mêmes armes modernes, supé-rieures à celles de tous leurs adver-saires.

L'élimination de Toukhatchevski

Hitler, en annulant les effets de l'article 198 du Traité de Versailles, se rendait parfaitement compte que la Reichswehr avait créé l'Armée Rouge de Staline. Comment ôter aux Sovié-tiques l'atout que les rela-tions privilégiées entre les deux armées leur avaient octroyés? Gordon Lang décrit le rôle de Heydrich: celui-ci avait pu observer les purges contre les trots-kistes et constater avec quelle rage paranoïaque Sta-line poursuivait et éliminait ses adversaires. Soup-çonneux à l'extrême, le dictateur géorgien pre-nait as-sez aisément pour argent comptant les bruits de com-plot, vrais ou imaginaires. Hey-drich en conclut qu'il suffisait de faire courir la rumeur que le Maréchal Toukhatchevski com-plotait contre Staline. Or une vieille haine cou-vait entre les deux hommes. Lors de l'offensive soviétique contre la Pologne en 1920, Toukhat-chevski marcha victorieusement sur Varsovie et donna l'ordre au deuxième corps d'armée sovié-tique, commandé par Vorochilov et Boudienny, de faire mouvement vers la capitale polonaise et de prendre en tenaille leur adversaire. Voro-chilov et Boudienny, sous l'impulsion de Sta-line, alors commissaire politique aux armées, refusèrent de suivre cet ordre et marchèrent sur Lemberg, capitale de la Gali-cie. Weygand, commandant en chef des troupes po-lonaises, s'engouffra dans la brèche et battit tour à tour les armées de Toukhatchevski et de Vorochi-lov, Boudienny et Staline. Toukhatchevski n'avait jamais raté l'occasion de rappeler cette gaffe monumentale de Staline. En fabriquant de faux documents accablants pour le Maréchal, Heydrich savait que Staline saute-rait sur l'occasion pour éliminer ce témoin génant de sa faute politique majeure. L'élimination de l'état-major soviétique réduisit l'Armée Rouge à l'im-puissance pendant plusieurs années. Parmi les res-capés des purges: Vorochilov et Bou-dienny...

Si Staline était indubitablement germanophile, Tou-khatchevski, contrairement à la plupart des trotskistes épurés ou dissidents, l'était aussi. Lang reproduit un document intéressant de 1935: les notes prises lors de l'entrée en fonc-tion du nouvel attaché militaire alle-mand en URSS, le Général Ernst-August Köstring. Ces notes révèlent la volonté de Toukhatchevski de s'en tenir aux principes de von Seeckt. En 1936, Toukhatchevski conseille au Ministre des Af-faires Etrangères roumain, Nikolae Titulescu de ne pas lier le destin de la Roumanie à la France et à la Grande-Bretagne, Etats vieux et usés, mais à l'Allemagne, Etat jeune et dynamique. Pourquoi Heydrich a-t-il contribué à liquider un militaire compétent, ami de son pays? Parce que la germanophilie de Toukhat-chevski n'était pas inconditionnelle, vu le pacte Anti-Komin-tern: le Maréchal avait organisé des ma-n¦uvres et des Kriegspiele,  dans lesquels l'Al-le-magne envahissait l'URSS et l'Armée Rouge orga-nisait la défense du territoire. Ce fait dément les ac-cusations d'espionnage au profit de l'Allemagne. Est-ce l'encouragement aux Rou-mains à s'aligner avec l'Allemagne qui a servi d'alibi aux épurateurs sta-liniens? En effet, une Rou-ma-nie sans garantie al-lemande aurait été une proie facile pour l'URSS qui voulait récupérer la Bessarabie...

Le premier volume du livre de Gordon Lang s'arrête sur l'épisode de l'élimination de Tou-khatchevski. Un autre historien, Karl Höffkes, dans

Deutsch-sowjetische Geheimverbindungen. Unveröffentliche diplomatische Depeschen zwischen Berlin und Moskau im Vorfeld des Zweiten Weltkriegs, Grabert Verlag, Tübingen, 1988, 298 S., DM 38,

présente tous les documents relatifs au pacte ger-mano-soviétique, signé le 23 août 1939.

Höffkes classe les documents par ordre chronolo-gique, ce qui permet de suivre l'évolution des événe-ments qui ont conduit au partage de la Pologne en septembre 1939. Il si-gnale aussi que, vu la participa-tion militaire ac-tive des Soviétiques au démembrement de la Pologne, à l'occupation des Pays Baltes et de la Bessarabie/Bukovine entre le 17 septembre 1939 et le 22 juin 1941, la culpabilité alle-man-de dans le déclen-chement de la seconde guerre mondiale ne saurait être exclusive, indé-pen-damment des raisons qui ont poussé les deux puissances à agir. Officiellement, les So-vié-ti-ques prétendent être rentrés en Pologne parce que l'Etat polonais avait cessé d'exister et que leur devoir était de protéger les populations ukrainiennes et biélorusses de Volhynie et de Galicie. Les Alliés avaient déclaré la guerre à l'Allemagne le 3 septembre 1939 mais ne feront pas de même pour la Russie après le 17 sep-tembre. Dans la Pravda  du 29 no-vembre 1939, Staline lui-même justifie ses positions:
1. Ce n'est pas l'Allemagne qui a attaqué la France et l'Angleterre, mais ce sont la France et l'Angleterre qui ont attaqué l'Allemagne et ont donc pris sur elles la responsabilité de la guerre actuelle.
2. Après le déclenchement des hostilités, l'Allemagne a fait des propositions de paix à la France et à l'Angleterre et l'Union Soviétique a ouvertement soutenu ces propositions alle-man-des, parce qu'elle a cru et croit toujours qu'une fin rapide de la guerre améliorerait ra-dicale-ment le sort de tous les pays et de tous les peuples.
3. Les castes dominantes de France et d'Angle-terre ont rejeté de façon blessante les propo-sitions de paix allemandes et les efforts de l'U-nion Soviétique en vue de mettre rapidement fin à la guerre. Voilà les faits.

Les "protocoles secrets", niés par les Soviétiques

En annexe au texte officiel du Pacte germano-sovié-tique existaient des "protocoles secrets supplémen-taires", où les intentions les plus of-fensives des deux partenaires transparaissaient très clairement. Ces pro-tocoles n'ont pu être évoqués lors du Procès de Nu-remberg en 1946. L'avocat de Hess, le Dr. Seidl, re-çut l'inter-diction de lire le texte, sous pression du pro-cureur soviétique Rudenko. L'hebdomadaire lon-donien The Economist  s'insurgera contre cette attein-te aux droits de la défense, si fla-grante puis-que la te-neur des "protocoles secrets supplé-mentaires" avait pu être vérifiée dans les faits.

Dans les documents consignés dans le livre de Höffkes, nous avons repéré beaucoup de détails inté-ressants. Ainsi, dans le texte du protocole des conver-sations entre le Dr. Schnurre et le chargé d'affaires soviétique Astakhov, daté du 17 mai 1939, on ap-prend que l'Union Sovié-tique souhaitait que les accords commerciaux entre la Tchécoslovaquie et l'URSS demeurent tels quels sous le protectorat alle-mand, instauré après la disparition de la République tchécoslo-vaque. Il suffisait, disait Astakhov, de les re-conduire purement et simplement. L'élimination de la Tchécoslovaquie ne créait aucun problème entre le Reich et l'URSS (cf. Höffkes, doc. n°5).

Dans un rapport envoyé par l'ambassadeur al-lemand à Moscou, von der Schulenburg, au Se-crétaire d'Etat aux Affaires Etrangères von Weizsaecker (père de l'actuel Président de la RFA), daté du 22 mai 1939, on apprend les difficultés que rencontrent les Alliés à Moscou pour créer un gigantesque front anti-fasciste englobant l'URSS. Les Anglais hésitent à ga-rantir les frontières de l'URSS, de peur de pous-ser complète-ment les Japonais dans les bras des Allemands (doc. n°8).

Le document n°15, consistant en un rapport du sous-secrétaire Dr. Woermann à propos de ses conversa-tions avec l'envoyé bulgare Draganoff, daté du 15 juin 1939, nous apprend le rôle que joua ce diplomate bulgare dans la gestation du Pacte du 23 août. Draga-noff connaissait per-sonnellement Astakhov, lequel lui avait dit que l'URSS était sollicitée par deux straté-gies: l'une postulait l'alliance avec la France et l'Angle-terre, l'autre l'alliance avec l'Allemagne, indé-pendamment des idéologies communiste et na-tionale-socialiste. L'URSS choisirait l'Allema-gne sans hésiter si l'Allemagne décla-rait offi-ciellement qu'elle n'atta-querait pas la Russie ou si elle signait avec l'URSS un pacte de non-agression.

Pour les Soviétiques, l'URSS et le Reich s'opposent aux démocraties capitalistes

Le document n°24, un rapport de Schnurre sur ses conversations avec Astakhov et Babarine (Directeur de la représentation commerciale so-viétique à Berlin), témoigne des intentions so-viétiques à la date du 27 juillet 1939. Les Soviétiques souhaitent une reprise des relations économiques, politiques et culturelles avec le Reich. La presse des deux pays doit modérer ses propos, suggèrent les deux diplomates sovié-tiques, et ne pas publier d'articles offensants contre l'autre. L'Allemagne, l'Italie et l'URSS ont une chose en commun, malgré toutes les di-vergences idéolo-giques: l'hostilité aux démocraties capitalistes. De ce fait, l'URSS ne peut s'aligner sur les démocraties oc-cidentales. Asta-khov signale, rapporte Schnurre, que des pro-blèmes peuvent surgir du fait que l'Allemagne comme l'URSS considèrent que les Pays Baltes, la Finlande et la Roumanie appartiennent à leur sphère d'influence. Il peut ainsi apparaître que l'Allemagne cherche à utiliser ces petites puis-sances contre l'URSS, comme avait cherché à le faire la France, en créant le "cordon sanitaire" après Versailles.

Et Astakhov poursuit: l'Angleterre ne peut rien offrir de concret à la Russie; l'alliance germano-japonaise n'est pas dirigée contre la Russie; la question polo-naise, avec le corridor de Dantzig, finira par être ré-solue au bénéfice du Reich. Une inquiétude point tout de même chez Asta-khov: l'Allemagne hitlérienne se considère-t-elle comme l'héritière de l'Autriche en Eu-rope orientale, en d'autres mots, cherche-t-elle à in-clure dans sa sphère d'influence les pays gali-ciens et ukrainiens soumis jadis à la Double Monarchie austro-hongroise? L'objet du rapport de Schnurre contribua à dissiper des malenten-dus. Aujourd'hui, il nous ren-seigne admirable-ment non seulement sur les intentions sovié-tiques de l'été 1939 mais aussi sur les intérêts éternels de la Russie en Europe Orientale.

Le document n°28, un câble de Schulenburg au Mi-nistère des Affaires Etrangères (3 août 1939), révèle quelques réticences de Molotov: le pacte Anti-Ko-mintern n'est pas une simple façade comme on tente depuis quelques se-maines de le faire accroire tant du côté sovié-tique que du côté allemand. En effet, ce pacte a soutenu les projets agressifs du Japon à l'égard de l'URSS  ‹le Japon venait d'être battu aux confins de la Mandchourie par les troupes de Jou-kov‹  et l'Allemagne a appuyé le Japon, tout en re-fusant de participer à des conférences internationales si l'URSS y participait aussi, l'exemple le plus fla-grant étant Munich. Schu-lenburg rétorqua que l'URSS, en signant un traité avec la France en 1935, s'est laissée en-traîner dans des menées anti-alle-mandes et qu'en conséquence l'Allemagne a dû révi-ser certaines de ses positions, au départ russophiles.

Les positions de Ribbentrop et d'Oshima, ambas-sadeur du
Japon à Berlin

Le document n°33, un télégramme de von Rib-bentrop à Schulenburg daté du 14 août 1939, nous indique la position du Ministre des Af-faires Etrangères du Reich. Il n'y a pas de conflit d'intérêts entre l'URSS et le Reich sur la ligne reliant la Baltique à la Mer Noire; les di-vergences de vue dues aux idéologies ont certes engendré la méfiance réciproque, mais ce bal-last doit être progressivement éliminé car il ap-paraît de plus en plus évident, sur la scène in-ternationale, que les démocraties occidentales capitalistes sont égale-ment ennemies de l'Alle-magne nationale-socialiste et de la Russie stali-nienne. Si la Russie et l'Allemagne s'entre-dé-chirent, ce sera dans l'intérêt des démocra-ties occidentales: voilà ce qu'il faut éviter. Les me-nées bellicistes de l'Angleterre postulent un rè-glement ra-pide du contentieux germano-sovié-tique. Dans ce même télégramme, Ribbentrop suggère une visite per-sonnelle à Moscou.

Le document n°48, daté du 22 août 1939, la veille de la signature du Pacte, rend compte d'une conversation téléphonique entre Ribben-trop et l'ambassadeur du Japon, Oshima, sur les projets allemands et sovié-tiques. Outre que l'apparent changement d'attitude des Allemands risquait de choquer quelques milieux japonais, l'ambassadeur nippon émettait une seule réti-cence: l'URSS, rassurée en Europe, renforcerait sans doute son front extrême-oriental et rallu-merait le conflit sino-japonais pour en tirer toutes sortes de pro-fits. Quoi qu'il en soit, l'évolution dans cette di-rection était prévisible et comme le Japon ne souhaite pas réanimer le conflit qui venait de l'opposer à l'URSS, l'ambassadeur nippon rassure Ribbentrop: la position du Japon ne changera pas. L'ennemi n°1 du Japon comme de l'Allemagne était dé-sormais l'Angleterre: il fallait donc que les deux puissances du Pacte Anti-Komintern normali-sent leurs relations avec Moscou.

Les conversations entre Staline, Ribbentrop
et Molotov

Le document n°51 est mieux connu et consiste en un rapport du sous-secrétaire Hencke sur les conversa-tions entre Ribbentrop, Staline et Mo-lotov dans la nuit du 23 au 24 août 1939. Les trois hommes d'Etat pas-sèrent en revue l'état du monde. L'Allemagne offrait sa médiation pour aplanir les différends entre l'URSS et le Japon. Staline critiquait l'annexion de l'Albanie par l'Italie et craignait que Mussolini ne s'attaque à la Grèce. Ribbentrop répondit que Mussolini se félicitait du rapprochement entre Russes et Al-lemands. L'Allemagne souhaitait de bonnes re-lations avec la Turquie mais celle-ci avait ré-pondu en adhérant à la coalition anti-allemande, sans en informer le gouver-nement du Reich. Tous se plaignaient de l'attitude turque et évo-quaient les sommes d'argent versées par l'An-gleterre pour la propagande anti-allemande en Turquie. Quant à l'Angleterre, Ribbentrop se rendait compte qu'elle cherchait à troubler le rapprochement germano-russe et Staline consta-tait la faiblesse numé-rique de l'armée an-glaise, le tassement en importance de sa flotte et son manque d'aviateurs patentés. Mais Staline ajou-tait que malgré ses faiblesses, l'Angleterre pour-rait mener la guerre avec ruse et tenacité. Sta-line demanda à Ribbentrop ce qu'il pensait de l'armée française, très importante numéri-quement sur le pa-pier; l'Allemand répondit que les classes de recrues dans le Reich s'élevaient à une moyenne de 300.000 hommes, alors qu'el-les n'étaient que de quelque 150.000 hommes en France, vu le recul démogra-phique du pays. La ligne Siegfried (Westwall)  était cinq fois plus puissante que la ligne Maginot et, par con-séquent, toute attaque française contre l'Allema-gne serait vouée à l'échec.

Le document n°53 reproduit les fameux "pro-tocoles secrets supplémentaires", signés par Ribbentrop et Molotov, où Russes et Alle-mands se partagent l'Eu-rope Orientale en zones d'in-fluence (cf. la carte qui illustre cet article). Rappelons que le point 3 men-tionne l'intérêt soviétique pour la Bessarabie attribuée en 1918 à la Roumanie. L'Allemagne déclare se dés-intéresser de cette région.

L'avis de Mussolini

Le document n°55 est une lettre de Hitler adres-sée à Mussolini et datée du 25 août 1939. Hitler demande l'avis de Mussolini sur la situation nouvelle.
Le document n°56 reproduit la réponse du Duce, en-voyée le jour même. En voici le contenu intégral: "Führer, je réponds à votre lettre que vient de me remettre à l'instant l'ambassadeur von Mackensen. 1) En ce qui concerne l'accord avec la Russie, j'y sous-cris entièrement. Son Excellence Göring vous dira que je confirme les propos tenus lors des entre-tiens que j'ai eus avec lui en avril dernier: en l'occurence qu'un rapprochement entre l'Alle-magne et la Russie est nécessaire pour éviter l'encerclement par les dé-mocraties.
2) J'estime qu'il est utile de faire le nécessaire pour éviter une rupture ou un refroidissement avec le Ja-pon, à cause du nouveau rapproche-ment de celui-ci avec les Etats démocratiques qui en résulterait. Dans ce sens, j'ai envoyé un télégramme à Tokyo et il semble qu'après avoir surmonté l'effet de surprise, l'opinion publique japonaise adoptera une meilleure attitude psy-chologique.
3) L'accord de Moscou bloque la Roumanie et peut contribuer à faire changer la position de la Turquie, qui a accepté les prêts anglais, mais n'a pas encore signé d'alliance. Une nouvelle attitude de la Turquie ré-duirait à néant tous les plans stratégiques des Français et des Anglais en Méditerranée orientale.
4) Pour ce qui concerne la Pologne, je com-prends parfaitement l'attitude de l'Allemagne et admets le fait qu'une situation aussi tendue ne peut perdurer à l'infini.
5) Pour ce qui concerne l'attitude pratique de l'Italie en cas d'une action militaire, mon point de vue est le suivant:
Si l'Allemagne attaque la Pologne et que le conflit demeure localisé, l'Italie accordera à l'Allemagne toutes formes d'aide politique et économique.
Si l'Allemagne attaque et que les Alliés de la Pologne amorcent une contre-attaque contre l'Allemagne, je porte d'avance à votre connais-sance, qu'il me paraît opportun que je ne doive pas prendre moi-même l'initiative d'activités belligérantes, vu l'état actuel des préparatifs de guerre de l'Italie, dont nous vous avons tenus au courant régulièrement et à temps, vous, Füh-rer, ainsi que von Ribbentrop.
Mais notre intervention peut être immédiate si l'Alle-magne nous livre sans retard le matériel militaire et les matières premières nécessaires à contenir l'assaut que Français et Anglais diri-geront essentiel-lement contre nous.
Lors de notre rencontre, la guerre était prévue pour 1942; à ce moment-là j'aurais été prêt sur terre, sur mer et dans les airs selon les plans prévus.
Je suis en outre d'avis que les simples prépara-tifs mi-litaires, ceux déjà entamés et les autres, qui devront être commencés dans l'avenir en Europe et en Afri-que, immobiliseront d'impor-tantes forces fran-çaises et britanniques.
J'estime que c'est mon devoir inconditionnel, en tant qu'ami loyal, de vous dire toute la vérité et de vous avertir d'avance de la situation réelle: ne pas le faire aurait des conséquences dés-agréables pour nous tous. Voilà ma conception des choses et, puisque sous peu je devrai convoquer les plus hauts organes du régime, je vous prierais de me faire connaître la vôtre.
s. MUSSOLINI.

L'enquête de Höffkes ne reprend que des do-cuments datés entre le 17 avril 1939 et le 28 septembre 1939. Après cette date, Russes et Allemands collaborent étroitement pour réduire toute résistance polonaise au silence. Staline tente de réaliser sur le terrain la zone d'in-fluence qui lui a été octroyée le 23 août. La Fin-lande résiste héroïquement pendant la guerre d'hiver de 1939-40 et Staline doit se contenter de quelques lambeaux de territoires qui sont toutefois stratégique-ment importants. Dans le sillage de la campagne de France, il occupe les Pays Baltes, avec, en plus, une bande territo-riale de la Lithuanie, normalement attri-buée au Reich. Ensuite, il occupe la Bessarabie et la Bukovine, contre les accords qui le liaient à Hitler (1). A partir de ce moment, l'Allemagne devient réticente et la méfiance de Hitler à l'égard des "bolchéviques" ne cesse plus de croître. Le discours "anti-fasciste" est réinjecté dans les écoles de l'Armée Rouge. Staline en-courage les Yougoslaves à résister aux pres-sions allemandes; les Anglais lui suggèrent, contre sa promesse d'entrer en guerre à leurs côtés, la "direction des Balkans". Molotov en parle à Hitler et demande au Führer s'il est prêt à faire une concession équivalente. A partir de ce moment, Hitler envisage la guerre avec l'URSS. Le gouvernement yougoslave adhère à l'Axe puis est renversé par un putsch; Staline recon-naît le nouveau gouvernement et Hitler envahit la Yougoslavie. Les relations privilé-giées entre le Reich et l'URSS avaient cessé d'exister...

Les protocoles du
 9 novembre 1940

La dernière tentative allemande de mener une politique commune avec la Russie date du 9 novembre 1940. Molotov est à Berlin pour né-gocier. Il détient une position de force: l'URSS a reconstitué le territoire des tsars de 1914, Finlande exceptée. L'Allemagne n'a pas réussi à mettre l'Angleterre à genoux. Molotov exige dès lors les Dardanelles, la Bulgarie, la Rouma-nie, la Finlande, un accès à la Mer du Nord... Hitler rétorque en soumettant un plan de "coalition continentale euro-asiatique", inspiré du théoricien de la géopolitique, Haushofer. L'Allemagne et la Russie se partageraient la tâche: le Reich réorganiserait l'Europe tandis que la Russie recevrait en héritage une bonne part de l'Empire britannique en Asie. Staline domine-rait ainsi la Perse, l'Afghanistan et les Indes, tout en bénéficiant d'une immense façade maritime dans l'Océan Indien. Les protocoles du 9 novembre 1940 n'ont jamais été signés. Les Soviétiques ont toujours nié leur authenti-cité, comme ils ont nié l'authenticité des "protocoles secrets supplémentaires" du 23 août 1939.

Le texte de ces protocoles non signés, nous l'avons retrouvé dans le livre de Peter Kleist (Die euro-päische Tragödie,  Verlag K.W. Schütz KG, Pr. Oldendorf, 1971, 320 S.). Les trois pays de l'Axe suggéraient à l'URSS de participer à la construction de la paix, promet-taient de respecter les possessions soviétiques, de ne pas adhérer individuellement à une coali-tion qui serait dirigée contre l'une des quatre puissances signataires. La durée de cet accord serait de 10 ans. Dans le protocole secret n°1, soumis aux quatre puissances, l'Allemagne promettait de ne plus étendre sa puissance en Europe mais de faire valoir ses droits en Afrique centrale. L'Italie promettait de ne plus poser de revendications territoriales en Europe mais de concentrer sa pression en Afrique du Nord et du Nord-Est. Le Japon promettait que ses aspirations seraient circonscrites à l'espace extrême-oriental au Sud de l'archipel japonais. L'URSS devait promettre que ses aspirations d'expansion territoriale se porte-raient à l'avenir vers l'Océan Indien.

Un second protocole secret, devant être signé par les trois puissances européennes de la "quadripartite" en-visagée, prévoyait de dégager la Turquie de ses obligations à l'égard de la France et de l'Angleterre. Une offensive diplomatique dans ce sens devait être amorcée dans la loyauté, avec échanges d'information réci-proques. Les trois pays devaient viser à établir un accord avec la Turquie, respectant l'intégrité territo-riale turque. Un troisième point prévoyait le règlement de la navigation dans les détroits, impliquant une révision du statut de Montreux. L'URSS recevrait le droit de franchir les dé-troits, tandis que toutes les autres puissances, y compris l'Allemagne et l'Italie, renonceraient à ce droit, sauf bien sûr les autres Etats riverains de la Mer Noire. Les navires de commerce pourraient sans difficultés majeures continuer à fran-chir les détroits.

Les Soviétiques refusent de participer à la construction de la "Grande Eurasie"

Cette suggestion, pourtant pleine de sagesse, n'a pas été retenue par les Soviétiques, encore fas-cinés par la volonté séculaire des Tsars de contrôler tout l'espace orthodoxe du Sud-Est de l'Europe et de conquérir Constantinople. Le re-fus de participer à la construc-tion de la "Grande Eurasie" semble être corroboré par le témoi-gnage récent d'un officiel soviétique passé à l'Ouest, Viktor Souvorov (ou Suworow) (in Der Eisbrecher. Hitler in Stalins Kalkül,  Klett-Cotta, 1988, 420 S., DM 38). Pour le transfuge russe, le calcul de Staline a été le suivant: lais-ser les forces allemandes venir à bout de la France et de l'Angleterre, puis dicter des condi-tions énormes à l'Allemagne exsangue, de façon à la tenir totalement sous la coupe de la Russie. En cas de refus, les Armées Rouges envahi-raient l'Europe. Hitler aurait été conscient de ce projet et n'aurait jamais envisagé de conquérir un "espace vital" à l'Est, explique un autre his-torien, Max Klüver (in: Präventivschlag 1941. Zur Vorgeschichte des Rußland-Feldzuges,  Druffel Verlag, Leoni am Starnberger See, 1986-89 (2. Auflage), 359 S., DM 38). Son en-quête minu-tieuse retrace au jour le jour l'évolution de la situation en Europe depuis le 23 août: la dépendance de l'Allemagne vis-à-vis des matières premières russes, les plans colo-niaux du Reich après l'effondrement de la France, la création d'un foyer juif à Madagascar, le problème épineux de la Bukovine, l'offre de paix de Hitler à l'Angleterre, l'accord éco-nomique limité entre la Grande-Bretagne et l'URSS du 27 août 1940, l'arrivée de Eden sur la scène et l'amélioration des re-lations soviéto-britanniques, la nouvelle doctrine de l'Armée Rouge, l'arbitrage de Vienne réglant les pro-blèmes de frontières entre la Hongrie et la Roumanie, la pomme de discorde finlandaise, le refus de la part de Molotov d'accepter le proto-cole du 9 novembre 1940, la campagne des Balkans, le Traité soviéto-yougoslave du 5 avril 1941. Ce livre explique l'échec de l'accord d'août 1939 et révèle en fait que l'"Opération Barbarossa", déclenchée le 22 juin 1941, était une "guerre préventive". Nous y revien-drons.

Cette "guerre préventive" se déclenche donc le 22 juin 1941. Les Allemands avancent rapidement. Après quatre jours, toute la Lithuanie tombe entre leurs mains; vers la mi-juillet, ils sont aux portes de Leningrad. Le Reich se trouve désormais confronté à une mosaïque de peuples slaves et non slaves, aux frontières floues, disséminés sur un territoire immense, qu'il s'agit d'administrer, d'abord pour faciliter les opérations militaires, ensuite pour créer les bases d'un avenir non soviétique. Les avis divergeaient considérablement: les uns souhaitaient imposer un régime dur de type colonial dans l'espace balte, ukrainien, biélorusse, russe et caucasien; les autres estimaient qu'il fallait se mettre à l'écoute des aspirations des peuples occupant ces pays, canaliser ces aspirations au profit du reste de l'Europe et atteler leurs potentialités humaines et économiques à un grand projet d'avenir: l'espace indépendant de la Grande Europe, de l'Atlantique à l'Oural et au-delà. Le Professeur Alfred Schickel, Directeur de la "Zeitgeschichtliche Forschungsstelle"  d'Ingolstadt (Bavière), a exhumé six mémoranda du Prof. Theodor Oberländer, mobilisé pendant la guerre avec le grade de Capitaine (Hauptmann)  dans l'Abwehr. Oberlän-der était un adversaire résolu des plans de type co-lonial pour l'espace slave; professeur de sciences politi-ques et d'agronomie, il avait effectué plusieurs voyages dans le Caucase comme conseiller agricole à l'époque du tandem germano-soviétique sous Weimar, avant de devenir Doyen de l'Université de Prague en 1940.

Ami de Canaris, Oberländer fut, tout au long du conflit, un chaleureux partisan de la coopération entre les peuples de l'Est et l'Allemagne ainsi qu'un avocat passionné de la mise sur pied d'unités militaires composées de ressortissants des divers peuples d'URSS. Les éditions Mut (Asendorf) ont récemment publié les textes intégraux de ses six mémoranda sous le titre:

Theodor OBERLÄNDER, Der Osten und die Deutsche Wehrmacht. Sechs Denkschriften aus den Jahren 1941-43 gegen die NS-Kolonialthese, Mut Verlag (Postfach 1 - D-2811 Asendorf), Asendorf, 1987, 144 S., DM 18,80.

Le premier mémorandum (octobre 1941) concerne le Caucase, région bien connue du Professeur Oberländer. Outre une description géographique, ethnographique et historique de la région, le texte comporte
une esquisse des événements qui ont conduit à la bolchévisation du Caucase
et un plan suggéré aux nouvelles autorités allemandes.
Ce plan prévoit 1) un nouvel ordre agricole, comprenant un démantèlement des kolkhoses et adapté à chaque ethnie et à chaque type de culture ou d'élevage; 2) une administration autonome, gérée par des élites autochtones; 3) la liberté religieuse et culturelle, qui permettra d'enthousiasmer les Caucasiens pour l'idée d'une Europe continentale libre et indépendante. Oberländer souligne l'importance stratégique de la région, plaque tournante entre la plaine ukrainienne et les plateaux iranien et anatolien, surplombant les champs pétrolifères irakiens. Si le bloc continental européen doit voir le jour, il importe que le Caucase puisse y jouer un rôle capital et que les populations qui le composent se sentent intimement concernées par la création de la Nouvelle Europe et lui apportent la richesse de leur diversité culturelle et leur pétrole.

Le second mémorandum (28 octobre 1941) avait pour objet de donner des directives au haut commandement afin d'assurer l'approvisionnement des armées en marche et de garantir l'acquisition d'un maximum de surplus en substances alimentaires sur les terres ukrainiennes. Articulé en cinq volets, le texte décrit notamment l'atmosphère dans les villes et villages ukrainiens au moment de l'entrée des troupes allemandes; à l'Ouest de l'ancienne frontière polono-soviétique, les Allemands furent d'emblée reçus en libérateurs et l'on attendait d'eux qu'ils contribuent à réaliser les aspirations du nationalisme ukrainien. A l'Est de l'ancienne frontière, les Allemands rencontrèrent une population attentiste, inquiète, amortie par deux décennies de terreur communiste mais non directement hostile aux nouveaux occupants. Cette population était prête à accepter un régime d'occupation très dur car elle était parfaitement habituée à des traitements d'une incroyable rudesse.

Pour Oberländer, ce fatalisme ne devait pas induire les autorités allemandes à profiter de cette sinistre flexibilité mais au contraire à offrir généreusement des libertés afin de susciter les enthousiasmes. Le paysannat, qui n'avait pas oublié les rigueurs staliniennes de 1933, devait pouvoir espérer un régime plus favorable voire un avenir radieux, sur les terres les plus fertiles en blé d'Europe. Le gouvernement militaire devait dès lors prévoir la distribution de graines, le démantèlement graduel du système kolkhosien par l'octroi de primes à la production, éveiller l'initiative personnelle à tous les niveaux, engager des ingénieurs autochtones pour surveiller et maximiser la production, mettre sur pied une Croix-Rouge ukrainienne, offrir à l'Ukraine toute sa place dans la Nouvelle Europe à égalité avec les autres nations de l'Axe, recruter une police et une armée ukrainiennes. Pour parfaire cette politique, il importait d'éviter les bavures; en filigrane, on perçoit une dénonciation véhémente des erreurs psychologiques déjà commises par les militaires et les administrateurs allemands.

Le troisième mémorandum d'Oberländer (automne 1942) signale le phénomène des partisans à l'arrière des lignes allemandes. Les partisans sont peu nombreux, signale Oberländer; beaucoup d'entre eux ne sont pas des habitants de la région mais des troupes soviétiques parachutées. Mais la déception de certains Ukrainiens nationalistes, d'abord prêts à collaborer avec les Allemands contre les Staliniens, grossira indubitablement leurs rangs. En conséquence, il faut prévoir et favoriser une politique allant dans le sens des intérêts nationaux ukrainiens, créer les conditions d'un Etat ukrainien pleinement souverain. Le quatrième mémorandum formule les mêmes desiderata de manière quelque peu plus formelle.

Le cinquième mémorandum consiste en 24 thèses sur la situation militaire à la mi-mars 1943. Comme le signale les éditeurs, ces 24 thèses constituent une sévère critique de la politique menée par le gouvernement allemand dans les territoires occupés mais, vu la censure, contiennent des éléments de phraséologie nationale-socialiste, évoquant, entre autres, le "génie du Führer". Ce texte est d'une importance capitale: il révèle une vision grandiose du destin de l'Europe, quoiqu'encore marqué d'un catholicisme impérial que l'on retrouve chez Carl Schmitt. Oberländer part d'un éventail de faits historiques connus: les peuples dominants ont de tous temps fondé des Empires et assuré une paix intérieure aux territoires qu'ils dominaient.

Les événements de la guerre en cours prouvent que les techniques modernes, réduisant les pesanteurs du temps et de l'espace, ont rapproché les peuples et favorisé les projets d'unification européenne. Dans la thèse troisième, Oberländer pose l'équation "Allemagne (le Reich auquel il accorde une dimension spirituelle et non raciale) = Continent européen", exactement comme l'avaient propagée les théoriciens de la géopolitique Kjellén et Haushofer. "Thèse 3: L'Allemagne et son continent sont inséparables. Le moment est enfin venu, de transformer en réalité politique ces faits naturels, c'est-à-dire de créer le Großraum européen, sous la direction de l'Allemagne (Oberländer reprend ici le jargon national-socialiste). La situation qu'occupe l'Allemagne est défavorable en ceci: nous avons, en l'espace de très peu d'années  ‹donc simultanément si l'on veut parler en termes d'histoire‹   voulu parfaire deux tâches historiques s'excluant l'une l'autre sur le plan pratique: 1) Créer la Grande-Allemagne (Großdeutschland), ce qui a suscité la désapprobation de tous les peuples limitrophes, directement concernés, et la méfiance de bon nombre d'autres nations; 2) Parfaire l'unification européenne, tâche pour laquelle nous devons transformer les mêmes peuples hostiles en alliés et les gagner à notre cause. C'est pourquoi il est important de prendre systématiquement en compte tous les réflexes psychologiques, en tous les domaines de la politique européenne. Fuir cette tâche serait de la trahison; non seulement à l'endroit de l'Europe mais aussi à l'endroit de notre propre peuple. Car tout peuple appelé à exercer le leadership mais qui cherche à se soustraire à sa tâche, sombre dans l'insignifiance spirituelle et politique, comme le prouve l'exemple historique des Etats grecs de l'Antiquité".

Les points suivants du mémorandum d'Oberländer constituent un réquisitoire contre les diverses formes de matérialisme massificateur: l'Europe de l'avenir doit se baser sur des valeurs de personnalité collective, propres à chaque peuple. La garantie accordée à ces innombrables personnalités devait, pensait Oberländer, susciter une synergie à l'échelle continentale. Les pays "occupés" ne devaient plus être nommés de cette façon: il fallait systématiquement, surtout à l'Est, parler de "territoires libérés". Au centre de la problématique néo-européenne, Oberländer place la "question slave". C'est cette question qui a déclenché la première guerre mondiale. L'Allemagne doit apparaître comme la puissance libératrice des peuples slaves soumis à la Russie et/ou au bolchévisme, non comme une nouvelle puissance coloniale, comme la manipulatrice d'un nouveau knout. Les Slaves de l'Ouest et de l'Est doivent être mobilisés pour la construction de l'Europe Nouvelle, à l'instar des Bulgares, des Slovaques et des Croates. L'Europe ne peut se passer d'eux: ni sur le plan géopolitique-stratégique ni sur le plan économique (complémentarité des richesses minières et agricoles des pays slaves avec l'infrastructure industrielle de l'Europe occidentale).

Dans cette optique, Oberländer critique les thèses anti-slaves à connotations racistes: la composition ethnique des peuples russe, ukrainien et biélorusse englobe un solide pourcentage de "sang nordique", donc la thèse d'une radicale différence somatique entre Slaves et Germains ne tient pas debout. La question de l'accroissement du territoire national allemand, des zones de peuplement allemand, doit se résoudre raisonnablement, sans raidir l'ensemble des peuples slaves: Allemands et Ukrainiens doivent trouver un modus vivendi, peut-être au détriment de la Pologne.

Dans son sixième mémorandum (22 juin 1943), Oberländer précise sa pensée quant au grand-espace européen. La Petite-Europe, c'est-à-dire l'Europe sans l'espace slave, n'est qu'un appendice péninsulaire de la masse continentale asiatique, comparable à la Grèce au sein de l'Empire romain. Pour éviter cet handicap et pour inclure les potentialités des peuples slaves, ce qui signifie, du même coup, agrandir et consolider la charpente de la Grande Europe, l'Allemagne doit pratiquer une politique de la main tendue, favoriser des réformes agraires pour s'allier le paysannat ébranlé par le communisme, recréer des strates d'artisans indépendants dans la population, etc.

Les propositions d'Oberländer sont restées lettre morte. La disgrâce de Canaris provoqua son éclipse des rangs des décisionnaires allemands.

A l'heure de la perestroïka, des remaniements multiples en Europe centrale et orientale, à l'heure d'une volonté générale mais confuse de modernisation, de l'abandon des chimères étriquées et obsolètes du marxisme-léninisme, il importe de connaître tous les éléments des complicités et des inimitiés qui ont marqué l'histoire des peuples russe, allemand, polonais, balte, ukrainien, caucasien, etc. La construction d'un ensemble solide ne peut reposer sur les sables mouvants des proclamations idéologiques. L'histoire tragique, mouvementée, glorieuse ou sanglante, représente un socle de concrétude bien plus solide... Les amateurs de terribles simplifications, les spécialistes de l'arasement programmé de tous les souvenirs et de tous les réflexes naturels des peuples, partent perdants, sont condamnés à l'échec même s'ils mobilisent des moyens colossaux pour se hisser momentanément sous les feux de la rampe. Construire la "maison commune", c'est se mettre à l'écoute de l'histoire et non pas rêver à un quelconque monde sans heurts, à un paradis artificiel de gadgets éphémères. Les adeptes soft-idéologiques de la gorbimania tombent sans doute dans le panneau, mais au-delà des promesses roses-bonbon du gorbatchévisme, veillent les gardiens de la mémoire historique.

Luc NANNENS.
 

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mercredi, 07 février 2007

R. Steuckers: entretien avec Junge Freiheit

Entretien de Robert Steuckers à l'hebdomadaire berlinois "Junge Freiheit" (1997)

Propos recueillis par Hanno Borchert

1. Vous passez pour l'un des principaux “penseurs” de la “nouvelle droite” européenne. Quelle est votre définition de cette école de pensée? En quoi est-elle neuve? En quoi est-elle de “droite”?

En fait, il est difficile de répondre à votre question, tant elle interpelle de paramètres d'ordre idéologique. Il existe dans les ma­nuels et les encyclopédies beaucoup de définitions de la “droite”. A mes yeux, on ne peut parler de “nouveauté” dans ce camp politique que si l'on pense simultanément, d'une part, une forme de “démocratie de base”, si l'on se réfère à la notion de “subsidiarité” telle qu'elle a été définie par Althusius, Otto von Gierke, Riehl, etc., si l'on revendique la liberté populaire et la notion de Kulturstaat, et, d'autre part, si l'on s'efforce de penser un “grand espace” supra-national, dans lequel justement on accorde cette liberté populaire, en interdisant explicitement dans cet espace toute intervention de superpuissances impéria­listes étrangères à ce même espace. La notion de Großraum, telle que nous l'a définie et léguée Carl Schmitt ne peut plus du tout s'interpréter aujourd'hui dans un sens “impérialiste”, mais seulement dans un sens “anti-impérialiste”, où l'on met l'accent sur l'ancrage tellurique des hommes par opposition à cette négation de la sacralité des lieux qui est la caractéristique de toute domination exercée par des puissances thalassocratiques. Une lecture du Glossarium de Schmitt permet pleinement une telle interprétation du Großraum.

2. Existe-t-il une telle “nouvelle droite” en Allemagne ou ailleurs dans le monde?

Le premier des péchés capitaux de la droite (de toute droite), c'est de faire ce que certains politologues et philosophes améri­cains appellent du “fusionisme”. Panayotis Kondylis, dans son ouvrage de référence sur le “Konservativismus”, écrivait jus­tement qu'il n'existait plus de Konservativismus, depuis que la noblesse rurale (la Junkertum)  avait disparu et n'était forcé­ment plus la classe porteuse du système politique. Le conservatisme actuel n'était plus qu'une forme de vieux-libéralisme, concluait Kondylis. En effet, les partis et associations étiquettés “conservateurs” se contentent désormais de fabriquer des as­semblages plus ou moins complexes et hybrides d'éléments issus des idéologies conservatrices et libérales. De tels assem­blages sont bien entendu instables, sont souvent impossibles à articuler politiquement. Toute nouvelle idéologie de combat non-conformiste, qui s'opposerait efficacement aux pétrifications de notre époque peut aisément se passer des étiquettes de “droite” ou de “conservatrice”, mais, au contraire, doit clairement annoncer au public qu'elle s'engage inconditionnellement à défendre la “societas civilis”, c'est-à-dire à défendre des libertés ancrées dans un humus précis, présentes chez des citoyens concrets, imbriqués spatio-temporellement dans des paysages tout aussi concrets. C'est la raison pour laquelle, il est néces­saire de se préoccuper à nouveau d'une pensée “symbiotique” comme celle d'Althusius et d'Otto von Gierke. Les concepts-clefs de notre avenir sont les suivants: symbiotique, cybernétique, synergie, communauté, communautarisme, Körperschaft, biorégionalisme, ancrage dans les lieux, etc. Ce n'est que par l'avènement d'un tel corpus doctrinal que l'on verra émerger une nouvelle idéologie contestatrice vraiment efficace, non seulement en Allemagne mais dans toute l'Europe!

3. Vous êtes l'un des fondateurs de l'association “Synergies Européennes”, qui cherche à promouvoir une telle idéologie symbiotique. Pourquoi avoir choisi ce nom, après, dit-on, une rupture avec un cénacle plus ancien de la “nouvelle droite”, en l'occurrence le GRECE? Quelles différences doctrinales y a-t-il désormais entre le GRECE et vous?

“Synergies européennes” a justement été créée pour revitaliser les concepts-clefs que je viens d'énumérer et pour en faire des instruments de combats contre les dysfonctionnements de notre fin de siècle. “Synergon”  —qui est le nom de “Synergies européennes” dans les pays de langues non romanes—  signifie en grec ancien, “ergon” (= travailler, agir) et “syn” (= en­semble, de concert); nous voulons donc agir de concert, être efficaces avec d'autres, tout en respectant l'ancrage particulier de nos compagnons de route dans les réalités de leur lieu et de leur communauté. L'idée de “synergie”, c'est d'atteindre en­semble un but commun en empruntant des voies différentes. Il me semble oiseux d'énumérer les différences qui pourraient nous opposer aujourd'hui au GRECE, tout simplement parce que les militants du GRECE et les nôtres explorent les uns comme les autres tous les domaines des sciences humaines, donc, forcément, nous explorons les mêmes terrains. Il me semble plus pertinent de dire que nous entendons mettre davantage l'accent sur les problèmes d'ordre juridique et constitu­tionnel, au lieu de nous contenter des seules dimensions culturelles et esthétiques. Bien entendu, nous ne négligerons pas pour autant ces dimensions.

4. Songez-vous à une “troisième voie” qui résoudrait la dialectique entre particularité ethnique et universalité?

Le concept de “troisième voie” était plus approprié au temps de la césure Est-Ouest. Aujourd'hui, je parlerais plutôt d'une al­ternative plurielle, bigarrée et disparate au globalisme ambiant. En disant cela, je souligne la nécessité de fédérer cette plura­lité de phénomènes humains pour les opposer à la mise-au-pas globaliste. Le concept-clef dans cette lutte est celui de la “contextualisation”. C'est une notion qui a été forgée dans un club de sociologues français, le MAUSS (= “Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales”). Les théoriciens du MAUSS, regroupés autour de Serge Latouche, utilisent ce concept dans l'intention de ré-ancrer la pensée économique, c'est-à-dire de la ramener et de la réenraciner dans des contextes liés à un espace et à un temps particuliers. Toute “troisième voie” qui serait pur discours et non ré-ancrage réel, ne serait que pure vanité ou pure sottise. Quant à la dialectique entre “populité/folcité” et “universalité”, il nous suffit de renouer avec la philoso­phie de Herder et de dire, à titre de principe premier: «C'est un fait universel, universellement constatable, que le monde est multiple et bigarré par nature. Tout universalisme qui imposerait au monde et aux hommes la monotonie et la mise-au-pas disciplinaire ne serait qu'une vilaine caricature de l'universel. Tout universalisme monotone, monochrome, équarisseur et araseur releverait de la pure “faisabilité”. Or les faits naturels du monde ne relèvent en aucune façon de la “faisabilité”.

5. Depuis 1989 et l'effervescence en Europe centrale et orientale, il semble que l'ethnos et le demos sont revenus à l'avant-plan...

Plutôt que de parler d'ethnos et de demos, je préfère parler de Landmannschaften concrètes, de pays réels et charnels, de bio­régions ou d'entités culturelles nées de l'histoire. Ces entités recèle en elles la réponse à la mise au pas générale que nous impose l'UE. Le Traité de Maastricht ne nous promet qu'une subsidiarité fort vague, sans définir le concept avec précision. Le Conseil des Régions n'a jamais reçu l'importance qu'il méritait de recevoir. Nous, les non-conformistes, devons dès lors pro­poser à l'UE une solution de type fédéral, comme le fait de son côté la Lega Nord de Lombardie. Le principal théoricien de ce mouvement politique très intéressant à plus d'un titre est le Professeur Gianfranco Miglio. Il plaide pour la souveraineté popu­laire contre toutes les instances abstraites. Les instances abstraites sont justement celles qui sont devenues au fil du temps “dé-contextualisées”, détachées de leur lieu, étrangères aux hommes réels, trop chères pour ce qu'elles leur apportent et dé­voreuses d'énormes budgets. L'impératif de l'heure, c'est justement de résister à toutes les instances décontextualisées. Telle est à mon avis la grande leçon de 1989.

6. On ne doit pas s'étonner aujourd'hui des retombées de cette idéologie des Lumières, qui implique une sorte de refus de la vie... N'est-elle pas responsable de la dépolitisation croissante des masses et que pensez-vous de sa schématisation actuelle, la “political correctness”?

Le paradoxe de l'idéologie des Lumières, c'est qu'elle prêche certes la tolérance et le pluralisme, mais qu'en même temps elle réduit la modernité à une seule de ses dimensions, à un seul de ses projets, comme nous l'a enseigné Peter Koslowski (cf. NdSE n°20, 1996). A ses débuts, la modernité n'était nullement unitaire, plusieurs projets l'ont compénétrée, mais ce que l'on nous vend aujourd'hui sous le label “modernité” ou “idéologie des Lumières” est une sorte de produit fini et épuré qui a éliminé en son propre sein toutes ses potentialités. C'est la raison pour laquelle l'idéologie des Lumières a dégénéré en cette platte, ridicule et superficielle “political correctness”, qui rend parfaitement caduque la célèbre maxime de Kant, laquelle nous disait que les Lumières étaient l'instrument de la libération de l'homme et par l'homme de cette minorité dans laquelle il s'était plongé pendant des siècles et dont il cherchait enfin à se débarrasser. En effet, si nous méditons cette maxime de Kant, clef de voûte officielle de la vulgate des Lumières actuellement dominante, nous en venons tout naturellement à nous demander à quoi pourrait bien servir une “majorité” qui ne permettrait pas aux innombrables potentialités cachées de l'intériorité humaine de s'exprimer? Voilà pourquoi nous en arrivons, avec certains philosophes vitalistes comme Ludwig Klages, à dire que la vulgate des Lumières est un discours qui paralyse les forces vitales, de l'“esprit” occupé par cette idéologie devient ennemi de la “vie”.

7. Ennemie de la vie, cette vulgate est donc aussi responsable des pollutions de l'environnement...

Les idées d'un progrès infini et incessant, d'une accumulation constante de marchandises et de devises sont justement des abstractions qui troublent et détruisent les continuités et les rythmes naturels et culturels. En effet, les rythmes naturels sont trop lents pour l'abstraction moderne. C'est dans cette différence de rythme, entre une nature qui connaît des obstacles et une idéologie qui les abolit par principe, qu'il faut voir les origines de la catastrophe écologique (à ce propos, lire: Dieter Claessens, Das Konkrete und das Abstrakte, Suhrkamp, Frankfurt/M., stw 1108). L'établissement de goite et l'établissement de drauche  sont représentés par des associations, organisations et partis “fusionnistes”, qui sélectionnent en permanence et arbitrairement des éléments ou des idéologèmes technomorphes de drauche  ou biomorphes de goite,  afin de glâner le plus de voix possibles lors d'élections. Tout fusionnisme est pure propagande électorale, n'exprime pas une volonté politique con­crète qui voudrait soigner les maux réels du monde, notamment les blessures écologiques. Le fusionnisme n'est que volonté arbitraire de dominer de généraliser partout dans le monde des abstractions toutes faites.

8. L'ouverture tous azimuts des frontières, l'ouverte à tous vents des marchés ne constituent-ils pas un danger pour la démocratie?

La démocratie est née dans des espaces fermés et circonscrits. Elle existe encore et toujours sur un mode optimal dans des espaces fermés et circonscrits. Bien sûr, nous souhaitons que la démocratie règne partout, soit pratiquée dans tous les coins de la Terre, mais une chose est sûre, la démocratie implique le consensus. Or le consensus n'est possible que sur ce qui nous est proche. Le recours à nos proximités n'exclut pas l'ouverture au monde, mais la nouveauté doit être réceptionnée avec lenteur, elle doit être graduellement incorporée dans notre horizon, de façon constructive. Lorsque l'ouverture provoque la destruction brutale de systèmes de production, elle détruit simultanément le consensus et la démocratie propre à ce lieu, une démocratie qui a crû lentement, organiquement au fil des siècles ou des décennies. En Lorraine et en Wallonie, on peut obser­ver les conséquences catastrophiques de la destruction de toute une culture ouvrière et industrielle. Les sidérurgies, les mines de charbon, les usines métallurgiques ont toutes été fermées beaucoup trop vite et rien ne les a remplacées. Des réseaux ma­fieux s'insinuent dans la société, la criminalité se développe de manière galopante, l'esprit de communauté fond comme neige au soleil. La démocratie crève.

9. Quels filons philosophiques faut-il réactiver pour sortir de l'impasse?

Question difficile car elle interpelle de fait toute l'histoire intellectuelle de l'Europe! A mes yeux, la raison principale de notre malaise de civilisation vient de ce que Max Weber a défini comme “désenchantement”. A l'aurore de la pensée européenne, à la fin de l'empire romain et au début du moyen-âge, les néo-platoniciens croyaient en un Dieu unique, certes, mais producteur incessant d'innovations précieuses, adorables; d'un point de vue non théologique et plutôt panthéiste, on pourrait transposer l'image de ce Dieu fécond, abondamment producteur, au monde ou, plus exactement, à la Terre, elle aussi productrice d'une multiplicité incessante de formes de vie. Dans une telle optique, la réalité est toujours plurielle, bigarrée, tout à la fois réelle, objective et potentielle. Les avatars, très divers, du néo-platonisme distinguent bien l'objectif du potentiel. Les faits objectifs sont des faits “déjà devenus”, “établis”. Le processus de désenchantement, mis en évidence par Weber, est un processus qui ne tient compte et n'accorde de validité qu'aux faits objectifs. Or les faits objectifs sont souvent des faits qui ont épuisé leurs potentialités et leur capacité d'innovation. En ne tenant compte que de ces seuls faits objectifs et en ignorant les potentialités parce que celles-ci sont difficilement définissables et appréhendables, la pensée désenchantée induit ipso facto une mise au pas, une sorte d'encartage figé du réel, induit un nivellement ou un égalitarisme empêchant les potentialités et les innovations de se déployer sans entraves. Ainsi, avec la “political correctness”, phase terminale de la pensée désenchantée, aucun nou­veau projet politique ne peut plus être testé. Toute alternative différencialiste devrait se référer au filon philosophique néo-pla­tonicien. Telle est la leçon que nous donne le philosophe iranien Seyyed Hossein Nasr, successeur de Mircea Eliade à l'Intitut d'Etudes des Religions de Chicago (cf.: Man and Nature et Die Erkenntnis und das Heilige, in: Vouloir, n°89/92, 1992).

10. On parle de plus en plus du droit de l'homme à avoir une patrie (charnelle). Qu'en pensez-vous...

Le droit à avoir une patrie (charnelle) est un droit fondamental de la personne humaine. C'est le droit à se déployer dans un lieu présent, à long terme, c'est le droit à fonder une famille dans un lieu où les enfants peuvent s'ancrer dans la douceur et l'équilibre, c'est le droit surtout à exercer durablement une profession précise. En effet, c'est une aberration théorique de vou­loir à tout prix voir en tout homme une sorte de globe-trotter hyper-mobile.

11. Quelle valeur accordez-vous à la région dans l'Europe d'aujourd'hui? Quelle est la position de “Synergies Européennes”en matière de “régionalisme”, de revalorisation des ”pays”?

L'Écossais George Donald Alastair MacDougall a réclamé en 1977, dans un rapport rédigé à l'attention de la Commission européenne, la création de deux chambres, avec participation des régions au niveau du Parlement européen. Son objectif n'a ja­mais été réalisé. Mais cet objectif est le nôtre. MacDougall voulait que les unités administratives puissent concorder autant que possible avec les frontières historico-culturelles des régions. Les principes axiologiques de son projet étaient les suivants: pluralisme, personalisme, solidarité, subsidiarité. L'Europe, à ses yeux, devait devenir une “communauté de communautés”, ce qui aurait automatiquement fait émerger une “sphère publique” toute de différenciations. Aujourd'hui, c'est sans doute l'Espagne qui est le pays où l'Etat est, en théorie et sur le plan constitutionnel, un Etat “asymétrique” (c'est-à-dire avec des entités différentes en taille et en poids économiques, des entités non comparables), formant une fédération de communautés autonomes à la constitution chaque fois différente. Enfin, il conviendrait d'avoir partout en Europe un système représentatif pu­rement proportionnel, afin de laisser s'exprimer toutes les innovations, de les faire participer à la vie publique, de les laisser croître si elles injectent réellement de la pertinence dans la sphère politique. Les systèmes majoritaires, tels qu'on les trouve aujourd'hui en France ou en Grande-Bretagne sont à proscrire, à abolir définitivement et à juger comme inacceptables, con­traires au droit et non démocratiques. Toutes les tendances au nivellement qui s'observent dans nos sociétés (toujours gou­vernées par les mêmes majorités ou les mêmes alternances) peuvent être combattues par un recours permanent à l'idée d'une “sphère publique différenciée” (cf.: M. Schulz, Regionalismus und die Gestaltung Europas).

12. L'ex-ministre des affaires étrangères français, Claude Cheysson, a dit un jour que tout débat sur le régionalisme ou l'autonomie des pays était une “discussion erronée”. Qu'en pensez-vous?

Le refus de tout débat sur ces thématiques, considérer qu'un tel débat serait une “discussion erronée”, sont le propre d'esprits qui veulent faire l'Europe, sans au préalable avoir pensé cette Europe en termes de fédéralité, et en imaginant que sont éter­nels des systèmes obsolètes et caducs comme la monarchie britannique (qui fait des Britanniques des “sujets” et non pas des “citoyens”!) ou comme l'hypercentralisme français (où les préfets des départements ne sont pas élus, mais imposés au peuple par des cénacles actifs dans une capitale lointaine!). En France comme en Grande-Bretagne, bonjour la démocratie! La solution pour l'Europe serait de se donner une constitution à l'espagnole, mêlée de vieilles vertus helvétiques (la confédération comme Eidgenossenschaft, c'est-à-dire, étymologiquement, comme “compagnonnage du serment”). Dans ce cas, nos pays, l'Allemagne comme la Belgique (à condition qu'elle se débarrasse radicalement de sa corruption!) n'auraient besoin que de légères adaptations. Les Européens de demain seront des citoyens libres, des Eidgenossen  à l'échelle d'un continent: ils n'auront plus besoin de pratiques à la Cheysson, d'élus qui ne représentent que 18% de la population, sans alternances sé­rieuse possible, ou de préfets-satrapes qui font la pluie et le beau temps, sans tenir compte des besoins réels de leurs admi­nistrés!

13. James Goldsmith a dénoncé la manie occidentale de maintenir partout dans le monde des monocultures, au dé­triment d'une production variée, répondant à tous les besoins d'une population. Que pensez-vous de ce type d'argumentation?

James Goldsmith, et plus encore son frère Edward, ont efectivement écrit ces dernières années des ouvrages audacieux et pionniers! L'impérialisme au pire sens du terme et la pratique des monoculture vont toujours de paire. Les peuples de la Terre ont besoin d'autant d'autonomie et d'autarcie alimentaire que possible. Les monocultures et les monopoles en denrées alimen­taires sont des armes politiques. Le ministre américain Eagleburger ne s'était pas trompé en disant, un jour: «Food is the best weapon in our arsenal». Si l'Afrique ne compte plus que des économies agricoles affaiblies, si elle dépend trop des surplus américains, elle perd sa liberté et devient le jouet de ses fournisseurs. L'indépendance et la liberté des peuples ne sont pos­sibles que par l'autarcie alimentaire. Il faut donc viser l'élimination des monocultures et faire émerger dans le tiers-monde des agricultures variées et vivrières.

14. L'anti-occidentalisme fait des progrès dans les consciences, dans la mesure où il est un rejet de l'American Way of Life, du libéralisme économique et de la pensée mécaniciste. Comment s'articule l'anti-occidentalisme de “Synergies européennes”?

Guillaume Faye, qui fut jadis, avant son éviction hors des cercles de la “nouvelle droite”, le plus percutant des porte-paroles de ce mouvement, aimait à dire et à répéter que l'Europe n'était nullement synonyme d'“Occident”. Si l'Europe partait en quête de ses autres potentialités, de ses potentialités refoulées, tapies, latentes, dans les recoins de son âme, elle ressusciterait dans la plénitude de sa gloire, et deviendrait ipso facto le continent pionnier en matière d'anti-occidentalisme, porteur d'espoir pour tous les autres! Je viens de vous parler de néo-platonisme, mais j'aurais tout aussi bien pu vous parler de filons comme le romantisme organique (mis en exergue par Georges Gusdorf), du tellurisme de Carus et, pourquoi pas, de cette notion d'“eurotaoïsme” lancée naguère par Sloterdijk, etc. Tous ces filons sont au fond exclus du débat public en Occident, même si d'aimables professeurs isolés peuvent les aborder dans leur coin. Cet ostracisme permanent interdit toute rénovation du dis­cours, notamment au niveau de l'écologie et dans la recherche d'une démocratie réelle, se plaçant résolument au-delà des partis. L'idéologie tardive des “Basses-Lumières”, aujourd'hui dominante, ne nous laisse plus qu'une seule possibilité: sa ré­pétition éternelle... Oser simplement autre chose, serait déjà une fameuse manifestation d'anti-occidentalisme...

15. Seriez-vous d'accord avec moi si je vous disais que l'aliénation vient tout droit du pouvoir de l'argent?

Je pense que je vous ai déjà répondu: la goite et la drauche  sont dépassées, ce dont nous avons besoin, c'est d'un bloc des humanistes organiques contre la domination de l'argent, contre la ploutocratie! Notre devoir est de défendre sans cesse et sans compromis les multiples “societates civiles” qui irriguent notre monde qui est un pluriversum politique. La défense des societates civiles  ne peut conduire à l'aliénation, car l'aliénation implique que l'on poursuit sciemment ou à son insu des buts irréels et idéologisés. Elle ne peut conduire non plus à cette césure ente l'homme et sa Cité, que vous déplorez, car la societas civilis est toujours tout à la fois une et plurielle.

16. En Russie, Alexandre Lebed propose une refonte de la société russe, en renvoyant dos à dos les passéistes communistes et les mafieux néo-libéraux. Lebed a-t-il un avenir en Russie, à votre avis?

Depuis plusieurs années, nous observons la situation en Russie. Pour autant que nous soyions bien informés, Lebed tente de penser “transidéologiquement”; il veut une Russie forte et libre, s'appuyant sur des “corps intermédiaires” ressuscités. Une telle Russie reposerait plutôt sur les principes d'économie sociale de marché autocentrée (plutôt qu'autarcique), principes que nous a légué Friedrich List au XIXième siècle et que François Perroux a actualisé ultérieurement. N'oublions pas que la Russie a été gouvernée dans la première décennie de ce siècle par deux disciples de List: Witte et Stolypine. Nous espérons tout simplement que ces deux grands hommes d'Etat russes resteront les modèles de Lebed...

(propos recueillis par Hanno Borchert, 1997).

 

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Ph. Baillet: Lire Huntington

Philippe BAILLET :

Lire Samuel Huntington

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Ludwig Klages et son temps

Martin KIESSIG

Ludwig Klages et son temps - L'influence d'un penseur de notre siècle

Lors du centième anniversaire de Ludwig Kla-ges (1972), on s'est rappelé en Allemagne l'exis-tence de ce philo-so-phe mort en Suisse en 1956, dont la renommée connut son apogée au début des années trente, mais qui, après 1945, som-bra progressivement dans l'oubli. Il n'était réapparu  ‹le pauvre‹ que dans les polé-miques émo-tionnelles et politisées: on l'avait ainsi étiqueté "préfasciste" et con-sidéré comme un ennemi de la civilisation intellectuelle et un défenseur trou-ble de l'"état prélogique", d'une cons-cien-ce "préhistorique"; bref, un homme sourd à toute sen-si--bilité intellectuelle.

L'Allemagne, en effet, a connu, a-près 1945, une sorte de nouvelle vague de rationalisme, et, dans cette foulée, tout ré-sidu de romantisme, toute réflexion sur la validité philo-so-phique des senti-ments, apparurent soudain suspects; un logisme et un rationalisme arides ont ainsi pris le pou-voir et cette aridité, pour se justifier, se procla-mait "antifascis-te". Regardée à travers le prisme desséchant des néo-mar-xistes, sociologues et lin-guistes, la vie menaçait d'être ré-duite à un sys-tème de concepts morts. Un contre-courant a bien porté le nom de "nostalgie", mais une sen-timentalité beaucoup trop ramollie y dominait le jeu.

Le retour discret de Ludwig Klages

Tout vrai sérieux de réflexion en était absent. En ce qui con-cerne le philosophe Klages, le ch¦ur de ceux qui s'ex-primèrent en 1972 pour la fête de son centenaire, était ainsi caractérisé par un curieux et aigre mélange de légitimation, de mécon-nais-san-ce, de suspicion; Klages était ren--du inoffen-sif: à son égard on adoptait une position "neutre", dé-ga-gée de toutes valeurs fondatrices. Toutefois, il y avait là un point po-sitif: Klages revenait au centre du débat; sa po-sition de penseur, chercheur et critique com-men-çait à se préciser; il devenait urgent qu'un phi-losophe de son envergure soit pris au sé-rieux, que la discussion qu'il avait lan-cée à pro-pos des émotions qui sous-tendent les dé-marches et idéo-logies politiques soit clarifiée, que le reproche qu'on lui adressait ‹avoir été un précurseur de la barbarie culturelle‹ soit discuté, relativisé voire réfuté, parce que, bien souvent, il n'était que la misérable conséquence d'une hostilité, tou-te de hargne et manifestement erronée.

Pour ce débat indispensable, concret et scienti-fique, un travail préalable de préparation a été accompli depuis lors; les documents de base ont été passés au crible, clairement remis dans leur vaste contexte et interprétés par l'un des meil-leurs connaisseurs, et cela avec une honnêteté intellectuelle admirable, une hauteur sereine, scientifique, et s'il le fallait, avec une fermeté et une dignité courageuses non dépourvue de cha-leur humaine. Nous rendons hommage, ici, à l'ouvrage considérable Ludwig Klages im Wi-derstreit der Meinungen  (= Ludwig Klages dans le conflit des opinions) de Hans Kasdorff, à qui nous devons déjà l'importante introduction en deux volumes à l'¦uvre de Klages (ac-compagnée d'une bibliographie  com-mentée et cir-constanciée) Ludwig Klages, Werk und Wir-kung  (= Ludwig Klages, ‘uvre et influen-ce).  L'ouvrage nouveau présente et examine les inci-dences qu'ont eues les enseignements et les li-vres de Klages sur quasi tous les domaines de la vie intellectuelle, dès la première apparition publique du philosophe (1895) jusqu'à sa mort. Par la souveraine maîtrise du sujet, l'abondance des documents présents pour la recherche sur Klages, les trois ouvrages de Kasdorff ne doi-vent plus faire défaut. Le fait que Kasdorff connaît pour ainsi dire toute la littérature secon-daire sur Klages et y fait brillamment référence en un résumé concis, ses travaux acquièrent une valeur toute particulière.

Mais à cela s'ajoute encore autre chose qui dé-passe le strict domaine de la recherche scienti-fique et rejoint l'histoire universelle des idées au vingtième siècle. En cela le livre de Kasdorff, par endroits, est un maître-instrument pour sai-sir l'histoire intellectuelle si cap-tivante de l'Allemagne de ce siècle. Cela vaut d'abord pour deux époques de la vie de Klages: sa jeunesse après la fin de ses études à Munich où il joua un rôle dans le Schwabing d'alors (le quartier des artistes et des poètes à Munich), parmi ceux que l'on appelait les "Cosmiques" et s'inscrivaient dans le sillage de Stefan George, et l'époque du National-Socialisme, pendant laquelle Klages vivait en Suisse où il s'était installé dès 1915.

Klages: le fondateur de la graphologie scientifique

Disons d'abord un mot au sujet de la recherche scientifique et de la quête philosophique de Kla-ges: il est le fondateur de la graphologie scien-tifique; de cette discipline ‹méprisée jus-qu'a-lors et considérée comme une pseudo-science obscure nullement "présentable"‹ il a fait un sec-teur de la psychologie universitaire.

Cet itinéraire est lié à ses études sur l'expression et la caractérologie; avec Kasdorff, on peut tran-quillement affirmer qu'il n'avait jamais été question, avant Klages, de caractérologie scien-tifi-que; dans le cadre de ses vastes recherches et de sa philosophie, Klages lui-même tenait pour central son enseignement de la réalité des "ima-ges". Mais c'est précisément cette démarche qui a rendu Klages suspect, qui a fait de lui un grand contempteur de l'"esprit" (Geist);  c'est aus-si la raison pour laquelle ses concep-tions ont été accusées de superficialité et de lé-gèreté.

Son ¦uvre philosophique maîtresse s'intitule, comme chacun sait, Der Geist als Widersacher der Seele ("L'esprit en tant qu'antagoniste de l'âme"); ce titre a en effet quelque chose de pro-voquant et, par l'im-pression qu'il suscite, il est presque du tape-à-l'¦il, il s'apparente au slogan et à la thèse programmatique. Mais grâce à cette formulation choc, il a pénétré plus largement dans les consciences. Aussi, Klages lui-même n'est pas responsable de la "légèreté" qu'on lui a attribuée et les erreurs d'interprétations provien-nent bien plutôt des caricatures de son ¦uvre, formulées par ses détracteurs.

Les concepts "esprit" et "âme" (ou "esprit" et "vie", ce qui pour Klages revient au même)  sont rarement distincts, même dans la pensée philosophique, et sont parfois employés comme synonymes. Les différences s'estompent et, là où elles demeurent visibles, in-ter-viennent des systèmes de valeurs que Klages ne par-tage pas (comme dans le christianisme, où l'esprit est tenu pour valeur suprême, voire pour la divinité elle-même).

Klages englobe de préférence dans le concept d'"esprit" (à la différence de Schopenhauer) la volonté consciente qui naît de la puissance et de la domination et s'exprime dans un activisme égoïste fébrile. Face à cela se dresse la vie-mère, serviable, prête aux sacrifices ("pathi-que") et douée d'une âme (vie qui paraît polarisée dans le corps comme dans l'âme). L'intellectualisation et, par conséquent, la mé-cani-sa-tion et la technicisation de la vie mettent en danger voire tuent celle-ci: cette appréhension de Klages, nous la vivons chaque jour de façon effroyablement évidente. Ce conflit toujours latent entre la vie douée d'une âme et l'esprit humain, entre la substance et le "je", Klages le tenait pour sa découverte cardinale et nommait l'émergence de la pensée conceptuelle, "le secret le plus discutable de l'histoire uni-verselle".

Redécouverte du romantique Carus et critique radicale du christianiasme

Il découvrit en effet au cours de ses investigations que le conflit esprit/vie avait déjà été formulé par ce grand contemporain de Goethe, Carl Gustav Carus. Il est incontestable que c'est à Klages que revient le mérite d'avoir redécouvert Carus, ce penseur éminent du romantisme (et cela dès 1904). Depuis lors, il a cherché des précurseurs de sa pensée dans l'histoire philosophique européenne et a trouvé des traces chez Héraclite, puis surtout chez le grand expert du mythe, Bachofen, et essen-tiellement dans le romantisme allemand qui, grâce à lui, a été l'objet d'une nouvelle ap-proche, de par la profondeur de ses analyses.

Klages a formulé en outre une critique du christia-nisme, parce que c'est, selon lui, une religion de l'es-prit née de l'ancienne pensée judaïque, généralement logocentrique. Lui-mê-me n'était nullement a-religieux, mais au con-traire ‹comme l'affirme Kasdorff‹ d'une nature profondément religieuse, assurément phi-losophique et spirituelle, qui se serait par-fai-tement retrouvée dans le monde pré-chrétien. Ainsi les sentiments qu'il formule reflètent une sorte de piété païenne, telle que Goethe l'avait réclamée pour lui-même. Cela n'a naturellement rien à voir avec un retour insensé et artificiel à de lointaines religions païennes historiques. Kla-ges n'a pas songé non plus à un quelconque retour à des formes de vie propres à l'humanité préhistorique non civilisée, aux "Pé-las-ges".

Ce serait donc folie de déduire de tels sim-plismes de son ¦uvre. Il est un point, toutefois, que Klages, partial comme tout grand penseur, n'a pas vu ‹et Kasdorff cite l'un de ses cri-tiques‹  c'est la force de l'amour dans le christia-nisme. Mais Kasdorff laisse à penser que ce n'était pas précisément cette valeur-là qui a déterminé principalement l'histoire du monde chrétien. Et quiconque réagit en chrétien se doit de le reconnaître avec émotion et douleur.

L'impact d'Alfred Schuler

La plus forte influence qui s'exerça sur le jeune Klages fut celle d'Alfred Schuler, un person-nage, un phénomène remarquable, souvent énigmatique, qui fascinait les grands esprits animant le Schwabing du tournant du siècle. Cette personnalité fut centrale dans le cercle des "Cosmiques". Schuler, qui est mort en 1923, n'a lui-même rien publié mais il s'est profilé à travers quantité de conférences. C'est Klages qui, plus tard, publia ses manuscrits à titre posthume.  Il faisait preuve d'un profond dis-cerne-ment, d'une grande compréhension des cultures passées et se sentait lié viscéralement à des mondes enfouis, surtout à l'antiquité ro-maine. Quelque chose d'oublié depuis fort longtemps avait repris vie en lui, autrement dit, le monde des morts était pour Schuler réalité vivante et agissante. Klages comme Schuler avaient la certitude que les forces de la vie cosmique agissaient sur nous; c'était davantage une croyance de type religieux qu'un jugement d'ordre philosophique. Schuler a exercé une très forte influence sur Rilke, qui a très souvent écouté ses conférences, et aussi sur Norbert von Hellingrath, ce spécialiste de Hölderlin, tombé au feu lors de la première guerre mondiale, qui désignait Klages comme un "métaphysicien de haut niveau". Kasdorff constate que Klages n'était pas étranger à ses deux conférences sur Hölderlin, qui furent à l'origine d'une renaissance de ce poète.

Klages a également influencé un poète excep-tionnel, oublié à tort aujourd'hui: Friedrich Huch, un cousin de Ricarda. On trouve en effet des traces de son influence dans le roman de Huch Peter Michel  et dans ses deux livres Träume  ("Rêves"). Toute découverte impor-tante, qu'elle soit philosophique ou idéologique, incite facilement à une formulation exagérée: c'est là une mode didactique pour la mettre en évidence avec acuité et lui assurer un impact. Ensuite, la discussion philosophique doit se tenir loin des extrêmes; elle doit osciller entre celles-ci et ordonner les rapports de conflic-tualité. Dans le cas de Klages, l'idée de vouloir abolir l'"esprit" serait totalement insensée et nulle part il n'est question de cela dans son ¦uvre. Klages attire l'attention sur les dangers qui menacent la vie inconsciente quand s'exerce la toute-puissance de l'esprit, mais il montre également la nécessité d'un compromis entre l'esprit et la vie. L'esprit échoit fatalement à l'homme et la mission de cette instance, son but suprême, c'est de s'inscrire dans la totalité de la vie. Nous devons chercher à prévenir son penchant à dominer et assujettir la vie.

L'homme, la Vie, la Terre

L'esprit doit être au service de la vie, il se transforme alors en principe culturel créateur. Quand cela n'est pas le cas, c'est toujours au détriment de la vie, de la Terre Mère sacrée, cela aboutit à l'exploitation sans scrupules de ses trésors, à la destruction du paysage dans lequel nous vivons.

Avoir énoncé tout cela, comme personne avant lui, de manière radicale, avec une clairvoyance prophétique, nous avoir averti avec tout le sérieux voulu: voilà ce que nous devons à Klages. De nos jours où la question de la pollution est devenue si actuelle, son message devrait pouvoir jouir d'un regain d'intérêt. Klages a formulé sa critique dans l'essai Der Mensch und die Erde  ("L'homme et la terre") publié en 1913 dans la brochure commé-morative d'une manifestation de la Freideutsche Jugend ("La jeunesse allemande libre") et qui, d'après Kasdorff, est resté jus-que au-jourd'hui son texte le plus connu.

Assurément, Klages n'affronterait pas sans critique les écologistes actuels; il leur repro-cherait d'élever la voix non pas en raison d'un amour altruiste de la nature mais d'abord en raison d'un angoisse existentielle égoïste.

Ludwig Klages et Stefan George

Outre Schuler et Klages, le cercle des "Cos-miques" à Munich comptait aussi parmi ses membres le poète Karl Wolfskehl, lui aussi ami de Stefan George. C'est ainsi que George entra dans le "cercle cos-mi-que" mais Klages, en revanche, n'était pas ‹comme on peut parfois le lire‹ membre du cercle de George. Klages, qui lui-même dans sa jeunesse avait écrit des poèmes, publia à plusieurs reprises des textes dans les Blätter für die Kunst  ("Feuillets pour l'art") de George. Ses relations avec George ont connu des mutations abruptes; elles ressemblent fort à celles entre Nietzsche et Richard Wagner. Nietzsche voyait à l'origine en Wagner l'incar-nation de son idée du musicien dionysiaque et il le magnifiait mais sa vénération se changea plus tard en récusation hostile. Klages vit à l'orgine en George l'incarnation de son idée de poète visionnaire, dionysiaque, instruit de la vie et il écrivit sur lui un petit livre élogieux; mais il s'en éloigna de plus en plus jusqu'à le rejetter totalement lorsqu'il crut reconnaître chez lui des tendances toujours plus manifestes d'une vo-lonté orientée vers la puissance et la domi-na-tion.

L'autre époque de la vie de Klages, qui aujourd'hui agite les esprits, est celle marquée du sceau du National-Socialisme. On sait à quel point le Troisième Reich a courtisé les grands esprits de l'Allemagne d'alors et a essayé de s'en servir. George devait  devenir le poeta laurea-tus, et pourtant (il vivait alors à l'étranger), il n'a pas estimé que ces invitations intéressées mé-ritaient réponse.

De la même façon, les autorités nationales-socialistes auraient aimé voir Thomas Mann revenir au pays, avec sa gloire internationale. On sait comment cela échoua. Elles voulaient élever Albert Bassermann au rang de premier acteur d'Etat mais à une condition: jouer à l'avenir sans sa femme qui était juive; et lui aussi refusa et resta à l'étranger. Klages également (dont les idées "anti-intellectualistes" et l'exaltation des forces du sang peuvent être considérées comme des principes incontesta-blement nationaux-socialistes et recevaient de ce fait bon accueil) serait sûrement devenu un philosophe officiel. Heidegger, on le sait, était recteur national-socialiste de l'Université de Fribourg.

Klages sous le national-socialisme

Kasdorff démontre que Klages, dès le début, a méprisé l'hitlérien ordinaire et a mis en garde contre lui. De plus, il fut attaqué et rejeté par Rosenberg si bien que son aura officielle sous le Troisième Reich fut pour le moins controversée. Toujours est-il qu'on fit appel à lui sous le Troisième Reich pour prononcer des confé-ren-ces à l'université de Berlin (lui qui n'avait jamais obtenu de chaire). Il y trouva un très large écho parmi les étudiants (aux dépens du philosophe national-socialiste Alfred Bäumler qui professait alors). Kasdorff montre combien il est difficile d'appréhender la diversité de toute l'époque hitlérienne et combien il est ardu de porter un jugement global et honnête sur les événements de l'époque, parce qu'il n'est plus possible de reconstruire quelque chose aujour-d'hui avec objectivité. En tout cas, Klages a mis en exergue, dans le National-Socialisme, la "volonté de puissance" et l'a récusée avec détermination. Naturellement, il y  avait sous le Troisième Reich, y compris au sein des ins-tances officielles, des hommes d'opinions politiques et de sensibilités différentes. Il faut donc tenir compte des opportunismes et des tra-vestissements dictés par la prudence et la ruse. En tout cas, le chercheur, qui se penche sur le passé, découvrira maints rapports entre Klages et ses disciples non seulement avec des groupes nationaux-socialistes mais aussi avec des grou-pes de résistance poursuivis par la suite. Il n'est pas un disciple de Klages, devenu célèbre, à qui l'on ait épargné les remarques soupçonneuses, le mouchardage, l'inter-diction de travail, les pour-suites. Klages lui-même ne s'est jamais reconnu dans le National-Socialisme. Le juger "pré-fas-ciste" ne peut être que de la calomnie malveil-lante. Aujourd'hui, la plupart des critiques sé-rieux s'accordent pour reconnaître qu'il n'appar-te-nait pas à cette mouvance.

Fait significatif: c'est l'historien marxiste de la littérature, Georg Lukacs, qui a énoncé la thèse selon laquelle Klages serait responsable de l'idéologie nationale-socialiste. Assurément, on trouve dans ses écrits des remarques critiques à l'encontre de la judéité; dans l'introduction au "testament" de Schuler, publiée par lui en 1940, il y a quelques réflexions dont le ton est for-tement antisémite et que l'on a décrites par la suite comme une "erreur indélébile" et un "regrettable écart de langage" de la part d'un philosophe septuagénaire. Kasdorff tente, il est vrai, de donner une explication psychologique: Klages était agressif, il agissait parfois sous la dictée d'une rage froide; souvent hyper-sensible à la critique inadéquate, il réagissait sans mesure, presque inconciliable dans la dispute; Klages se sentait attaqué injustement par des membres israëlites du cercle George. De plus, Klages était un homme avec ses contradictions et il possédait d'étranges traits de caractère. Klages qui, autrefois, avait cru avec Schuler à une régénération  de la vie, fut, à la fin, secoué par un pessimisme profond en ce qui concerne le développement ultérieur de l'humanité. Il ne croyait pas aux bienfaits du progrès et prévoyait un chute quasi apocalyptique. Il partageait avec Karl Jaspers ‹que Klages a hautement apprécié en dépit de toutes leurs différences philo-sophiques‹ la conviction que l'optimisme n'é-tait plus justifié. L'influence de Klages a donc été très grande, quand bien même elle ne fut pas toujours notoire et reconnue.

L'impact de Klages

Ses idées ont porté leurs fruits dans les domaines les plus divers (pédagogie, médecine, investigation du conte, éthique, littérature, his-toire de l'art, linguistique, art populaire, pour n'en citer que quelques-uns). Ses adversaires éga-lement se sont servis de ses idées. C.J. Buckhardt a déclaré que Klages avait été le premier à montrer la destruction de la substance spirituelle et en 1952, voici ce qu'il lui écrivit: "on vous a pillé, comme l'homme tombé aux mains des brigands". Herman Hesse, Max Weber et Walter Benjamin, entre autres, font partie de ces hommes reconnaissants qui ont attesté son influence et reconnu son importance.

Etre controversé, c'est aussi détenir pour soi un critère d'importance. Personne n'entame de débat au sujet d'esprits dénués d'importance. Il faut citer encore un témoignage de poids: le dessinateur Alfred Kubin a dit de Klages qu'il était un "phénomène fascinant, un chercheur de premier ordre, pour moi, le psychologue le plus important d'aujourd'hui".

Klages mérite notre reconnaissance et nous devrions lui rendre justice. Notre monde privé de dieux, abandonné des dieux va sombrer: ce n'est pas une raison pour oublier les génies d'antan. La décadence, on ne peut l'affronter qu'avec une courageuse affliction. C'est dans ce sens que conclut Kasdorff avec ces mots si humains et si saisissants: "Il est certain que le souvenir tisse encore ses fils; et il y a peu de temps encore, il y avait Mozart, Goethe et Caspar David Friedrich. Mais à chaque prin-temps, moins d'hirondelles nous reviennent. Les signes sont mauvais. Même le profane le voit et le sent: le désert croît et maintes choses an-noncent l'ère de la glaciation intérieure. La "com-munication" que souhaitent nos socio-lo-gues devrait bientôt connaître des difficultés. Mais pendant un temps, il sera encore permis de se souvenir et nombreux sont ceux qui plantent encore un arbre".

Martin KIESSIG.
(article paru dans  Criticón, n°51, Jan.-Feb. 1979; traduction française: Marie-France Gi-rod; Adresse actuelle de Criticón: Knöbel-straße 36/0, D-8000 München 22; tel.: (089) 29 98 85.
 

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Héritage indo-européen en Iran

L'héritage indo-européen en Iran

par Christophe LEVALOIS

Certains d'entre vous se rappellent sans doute les fas-tueuses fêtes de Persépolis en 1971. Celles-ci célé-braient le 2500ième anniversaire du royaume d'Iran. Peut-être savez-vous également que l'un des titres du dernier shâh ("roi") était "lumière des Aryens" et que Iran signifie  "Pays des Aryens".

Dans la célébration de Persépolis, il ne faut pas s'arrêter à la réussite d'un régime, d'ailleurs démentie quelques années plus tard, mais y voir l'affirmation d'une continuité de Cyrus le Grand à nos jours. Le titre susmentionné du shâh, "lumière des Aryens", et l'étymologie de Iran expriment la même idée. En effet, il faut com-prendre qu'il y a là revendication d'un héri-tage vieux de plusieurs millénaires et affirmation d'une fidélité à celui-ci.

L'âme de l'Iran ne s'est pas constituée au XXe siècle, ou après l'islamisation, ou encore à la suite des cam-pagnes d'Alexandre le Grand, mais lorsque les Indo-Européens se sont établis sur le plateau iranien. De-puis, en dépit des invasions, de la multiplicité des cou-rants religieux, des périodes de succès et de revers, les Iraniens ont toujours témoigné d'une conscience très vive de leur spécificité.

Le monde iranien est injustement méconnu en Europe. Pourtant, l'influence de ce rameau indo-européen s'est étendue à l'ensemble de l'Eurasie. C'est à une brève découverte de celui-ci que nous vous invitons mainte-nant. Tout d'abord en nous penchant sur les origines indo-européennes de l'Iran, puis en examinant quelques aspects du monde iranien et enfin son in-fluence sur d'autres civilisations.

I. Les Indo-Européens en Iran

L'Iran a connu deux principales vagues indo-euro-péennes. Les Iraniens sont issus de la se-conde. La première vague est venue du nord de la mer Caspienne. Ce groupe d'Indo-Européens s'est fixé, à la fin du IVième millénaire avant notre ère, au sud-est de la Caspienne, dans la région de l'actuel Gorgan. Roman Ghirshman nomme ce rameau les "Indo-Aryens" afin de le distinguer des Iraniens proprement dit. La déno-mination "aryen" provient du nom par lequel se désignaient les Indo-Européens qui se sont installés en Inde et en Iran. Ainsi, l'empereur achéménide Darius Ier se disait "aryen de souche aryenne".

Au début du IIième millénaire, toujours avant notre ère, sans doute sous la pression de nomades, les Indo-Aryens quittèrent la région de Gorgan et se scindèrent en deux groupes. L'un partit vers l'est et après bien des pérégrinations occupa le nord de l'Inde où il fonda la presti-gieuse civilisation védique. L'autre prit une di-rection opposée, il alla vers l'ouest. Il finit par se re-trouver dans le nord de l'actuel Irak où il fit cause commune avec les Hourrites, peuple non-indo-euro-péen. Au XVIIième siècle avant notre ère, les Indo-Aryens de l'ouest formaient l'élite dirigeante du royaume de Mitanni. Celui-ci eut son heure de gloire au XVième et au XIVième siècle avant notre lère. Il fut notamment tour à tour adversaire et allié des Egyptiens. Il dominait alors le nord de l'Irak, le nord-est de la Sy-rie et le sud-est de la Turquie. Il devint ensuite vassal des Hittites, puis fut vaincu par les Assyriens.

L'arrivée des Iraniens proprement dits

Dans la deuxième moitié du IIième millénaire égale-ment, un autre groupe d'Indo-Européens, les ancêtres des Iraniens, se mit en marche. On suppose qu'il est parti d'une région sise à l'ouest de la Volga, non loin de son embouchure, donc de la Caspienne, dans la ré-gion de Volgograd, anciennement Stalingrad. Bien que les spécia-listes ne s'accordent pas sur ce point, il semble qu'il s'est divisé en deux. Un groupe, formé des Iraniens dits "orientaux", passa la Volga et descendit à l'est de la Caspienne. Au début du Ier millé-naire avant notre ère, les Iraniens orientaux occupent un territoire qui comprend l'actuel Tur-kestan sovié-tique, l'Afghanistan et une grande partie du Pakistan.

L'autre groupe, les Iraniens "occidentaux", passa par le Caucase, donc à l'ouest de la Caspienne. Il était no-tamment composé des Mèdes et des Perses. Au IXième siècle avant notre ère les annales assyriennes les men-tionnent. Les Mèdes s'installent au nord-ouest de l'actuel Iran, les Perses au sud-ouest. En 737-736, les Assyriens lancent un raid contre les Mèdes, dans la ré-gion de Téhéran, mais ils n'occupent pas le pays. De 615 à 610, les Mèdes détruisent le puissant empire as-syrien. Un peu plus d'un demi-siècle plus tard, les Perses imposent leur hégémonie aux Mèdes. En 539, leur roi, Cyrus II le Grand, s'empare de Babylone. Il constitue alors l'empire achéménide qui, durant deux siècles, s'étendit de la Méditerranée à l'Indus, de la Grèce et de l'Egypte à l'Inde et à la frontière ouest de la Chine.

Nous allons terminer cette partie par une rapide chro-nologie.
Du VIième siècle au IVième siècle avant notre ère: règne de la dynastie achéménide, empire perse.
De 334 à 324 avant notre ère, conquêtes d'Alexandre le Grand.
Du IIIième siècle au IIième siècle, toujours avant notre ère, dynastie d'origine grecque, les Séleu-cides. Celle-ci, dès la deuxième moitié du IIIième siècle, est peu à peu supplantée par les Arsacides, dynastie parthe, donc par des Iraniens orientaux.
Au IIIième siècle de notre ère, les Arsacides sont éli-minés par une dynastie perse, les Sassanides. Ceux-ci règnent jusqu'au milieu du VIIième siècle de notre ère, période de la conquête mu-sulmane. Remarquons que celle-ci met un siècle pour dominer l'ancien empire sassanide.
Mentionnons enfin qu'au milieu du VIIIième siècle, le califat passe aux Abbassides. Cette prise du pouvoir fut la conséquence d'une révolte ira-nienne. Elle marque le début d'une renaissance iranienne.

II. Deux aspects du monde iranien

Nous allons maintenant examiner deux aspects de la société de l'Iran pré-islamique en mettant l'ac-cent sur les transformations qui les ont affectées, mais aussi les permanences. En pre-mier la re-ligion, puis l'idéologie tripartie.

La religion dans l'ancien Iran:

La religion de l'ancien Iran était le mazdéisme. Son nom provient de son dieu principal, Ahura Mazda, ce qui signifie "Seigneur Sage". Les Iraniens eux-mêmes se proclamaient "adorateurs de Mazda". La "Bible" des mazdéens est l'Aves-ta, ce qui signifierait "Fondement".

Cependant, il n'y a pas un mazdéisme, mais plusieurs. En effet, certains honorent également une divinité tuté-laire supplémentaire comme Mi-thra ou Anâhitâ. A cela s'ajoutent différents cou-rants théologiques. Le plus prestigieux, et le mieux connu, est celui issu de Zara-thushtra.

Zarathushtra, que les Grecs ont appelé Zoroastre, est né dans l'est du domaine iranien, sans doute dans la région de Bactres, aujourd'hui partagée entre l'Afghanistan et l'Union Soviétique. Ac-tuel-lement, on admet en général qu'il a dû vivre entre le Xième et le VIIIième siècle avant notre ère. Sa réforme a cheminé lentement. Elle s'est peu à peu imposée au début de notre ère et elle triomphe sous les Sassanides, donc à partir du IIIième siècle. Mais cela n'a pas empêché d'au-tres courants de se développer, avec parfois mê-me l'appui momentané du shâh commme ce fut le cas pour le manichéisme et le mazdakisme. Ces courants perdu-rèrent sous l'islam à tel point que mille ans après les débuts de l'islamisation, on en dénombrait plus d'une dizaine.

La réforme zoroastrienne

Nous allons maintenant aborder quatre points essen-tiels de la réforme zoroastrienne.
1) Elle se signale par une forte tendance mo-nothéiste. Ahura Mazda est un dieu créateur et omniscient. Les autres divinités n'existent que par lui.
2) Le dualisme. Au-dessous d'Ahura Mazda deux es-prits jumeaux s'affrontent. L'un est Spenta Mainyu, c'est-à-dire "Saint Esprit"; l'autre Ahra Mainyu, c'est-à-dire "Mauvais Esprit", par la suite il sera appelé Ah-riman. Tout deux se combattent pour la domination du monde, tandis qu'Ahura Mazda demeure au-delà de notre monde dans le Garotman, la "Maison des chants", aussi appelé "Lumière infinie", paradis où se rendent les âmes des justes après leur mort terrestre.

Les mazdéens désignent souvent notre monde par l'expression "monde du mélange". En effet, il est situé à mi-chemin de la "Ténèble infinie" d'une part et de la "Lumière infinie" de l'autre. La lutte entre les deux es-prits a commencé avec la création. C'est pourquoi la vie est conçue comme un choix, entre la lumière et les ténèbres, et comme un combat. Il y a les divinités lu-mineuses d'un côté, les démons issus des ténèbres de l'autre. Le zoroastrisme a éliminé les dieux qui, comme Vayu dans le panthéon indo-iranien, possèdent une double personnalité, constructrice et destructrice, lumi-neuse et démoniaque. Toutefois, répétons-le, dans le zoroastrisme, Ahura Mazda est au-dessus de ce dualisme, ce qui n'est pas le cas dans le manichéisme.

3) Six divinités accompagnent Ahura Mazda. Ce sont les Amesha Spenta, ce que l'on traduit par "Saints Immortels" ou par "Immortels Bien-fai-sants". Georges Dumézil a montré que ces six divinités sont issues de l'idéologie tripartie car on peut les classer selon la tri-partition propre aux Indo-Européens. Les "Saints Im-mortels" sont autant d'aspects d'Ahura Mazda. Zara-thushtra et ses continuateurs ont donc intégré la tripar-tition dans un monothéisme. Le mazdéisme zoroastrien évolua vers un compromis entre le polythéisme, qui demeure vivace, et le monothéisme. On peut parler, à son égard, d'hénothéisme, c'est-à-dire que les diffé-rentes divinités sont autant d'aspects d'un dieu su-prême et absolu et qu'au-delà de la multiplicité propre à notre monde, il existe une unité surtout supra-terrestre. En effet, ainsi que nous l'avons remarqué, Ahura Mazda n'intervient pas lui-même dans notre monde, mais, en quelque sorte, il délègue des entités divines pour ce combat.

Moralisation de la religion
et eschatologie

4) La moralisation de la religion et l'affirmation d'une eschatologie (ce qui se rapporte aux fins dernières: la fin de la vie humaine, la fin des temps) concernant l'homme et le monde.

Dans notre monde, et dans l'homme, s'affrontent, se-lon le zoroastrisme, des dieux bons et d'autres mauvais qui sont souvent les correspondants négatifs des bons. Dès lors, il existe, selon une expression typiquement maz-déenne, des "bonnes paroles", des "bonnes ac-tions"; mais aussi, à l'inverse, des "mauvaises pen-sées", des "mauvaises paroles", des "mau-vai-ses ac-tions". Entre elles, l'homme choisit son camp. Il ac-quiert ainsi, par la liberté de son choix, une importance qu'il n'avait sans doute pas auparavant. Il se trouve en position centrale dans le "combat cosmique". Ainsi que le dit un texte mazdéen: "Le chef du combat, c'est l'homme". Conséquence logique de cette "hu-ma-ni-sation" de la religion: le zoroastrisme insiste sur le destin de l'homme après la mort.

Cette lutte gigantesque entre la lumière et les ténèbres a une fin: la rénovation du monde, aussi appelée transfi-guration. Zarathushtra annonce la venue d'un sauveur qui sera nommé par la suite Saoshyant, ce qui signifie "prospérera". Notons qu'un autre de ses noms veut dire "Ordre incarné". Ce thème, qui se développera beaucoup après Zarathushtra, est comparable à celui relatif à Kalki, dans la tradition hindoue, dixième ava-târa de Vishnou, qui doit restaurer l'ordre et la loi tra-ditionnels à la fin de notre cycle.

De Zarathushtra
à l'iranisation de l'islam

La postérité de Zarathushtra a largement dépassé le zo-roastrisme. Ainsi, si le mazdéisme a reculé devant l'islam, il a, dans le même temps, in-fluencé l'islam ira-nien. Cette question a été magistralement étudiée par Henry Corbin et nous ne pouvons que recommander son oeuvre admirable à ceux qui désirent l'approfondir. C'est dans le shi'îsme que les conver-gences sont les plus nombreuses. Par exemple, le thème du Saoshyant, descendant de Zarathushtra, se re-trou-ve dans les croyances relatives au XIIième Imâm, l'Imâm caché, descendant de Mahomet, qui doit revenir à la fin des temps pour restaurer la loi. La meilleure illustration d'une iranisation d'une partie de la commmunauté islamique est donnée par Shihâbod-dîn Yahyâ Sohravardî, mystique musulman iranien du XIIième siècle. On l'appela, à juste titre, le "résurrecteur de la théosophie de l'ancienne Perse". En effet, il se voulait héritier de la sagesse de l'ancien Iran, de Zarathushtra et de Platon, tout en restant au sein de l'islam. Entendons-nous bien, il évoque un hé-ritage métaphysique et non culturel ou social. Son oeuvre est une véritable métaphysique de la lumière. Elle témoigne d'une quête intérieure poussée très loin. Sohravardî estimait que les sages de l'ancien Iran avait mené la même quête et que certains étaient parvenus à l'illumination. Il se proclamait leur successeur. Il est le chef de file d'un courant qui s'est perpétué jusqu'à nos jours.

L'idéologie tripartite
en Iran

La tripartition est présente dans les textes sacrés. L'Avesta indique que la société est divisée en trois castes, les prêtres, les guerriers, les pay-sans, aux-quelles s'ajoute parfois une quatriè-me caste: les arti-sans.
Voyons maintenant deux manifestations sin-gulières de l'idéologie tripartite en Iran.

L'historien grec Hérodote (Histoires,  VII, 54) signale un sacrifice tripartite accompli par Xerxès, roi aché-ménide du début du Vième siècle avant notre ère. Ce-lui-ci, après des prières et des libations, jeta dans la mer trois objets: une coupe, symbole de la première fonction; un cratère en or, vase de grande contenance, qui figure sans doute la prospérité et la richesse maté-rielle, donc la troisième fonction, et un glaive, objet représentatif de la deuxième fonction.

Une autre manifestation singulière de l'idéologie tri-partite en Iran est fournie par trois feux par-ticuliers: un est réservé aux prêtres, un aux guerriers, l'autre aux paysans. Ils étaient situés dans différents temples. Les rois parthes et sassa-nides, après leur couronnement, se ren-daient en pélérinage au feu des guerriers situé en Azerbaïdjan.

Jusqu'à l'islamisation, la répartition en fonctions mo-dela la société iranienne. Cependant, celles-ci étaient au nombre de quatre. Ainsi, sous les Sassanides, au VIième siècle précisément, soit un siècle avant l'islamisation, outre les prêtres et les guerriers qui constituaient les deux premières fonctions, les scribes, les écrivains, poètes, comptables, biographes, médecins, astrologues, formaient la troisième fonction. La quatrième fonction étaient notamment composée des mar-chands, des cultivateurs, des négociants et de tous ceux qui n'entraient pas dans les trois autres fonctions. Un texte de cette époque affirme: "Cette répartition des hommes en quatre classes est pour le monde une ga-rantie durable de bon ordre".

Avec l'islamisation, une transformation s'opère. L'idéologie tripartite disparaît peu à peu. Peut-être a-t-elle survécu plus ou moins longtemps dans les faits? Sans doute, mais il est difficile de répondre avec exac-titude dans quelle mesure. Elle était encore connue quelques siècles après l'islamisation, mais comme modèle de société lié à l'Iran pré-islamique et maz-déen.

III. Le c¦ur et le carrefour de l'Eurasie

Par sa situation géographique, l'Iran est le c¦ur et le carrefour de l'Eurasie. Le plateau iranien est un pont entre les pays du Proche-Orient et l'Inde; mais aussi entre le Proche-Orient et l'Ex-trême-Orient; ainsi qu'entre l'Extrême-Orient et l'Occident, notamment par le biais de la célèbre route de la soie par où sont passées aussi bien des marchandises que des doctrines religieuses.

L'Iran ne s'est pas contenté de recevoir mais a autant donné, sinon plus. Son influence fut prin-cipalement religieuse et philosophique, culturel-le et artistique.

Commençons par l'Occident, plus précisément par la Grèce. Pythagore aurait été initié par un Zoroastrien selon des auteurs antiques. On retrouve dans l'¦uvre de Platon plusieurs thè-mes iraniens. Signalons que Platon connaissait des écrits mazdéens. A la suite des conquêtes d'Alexandre le Grand, toute la littérature traitant des doctrines iraniennes et de Zoroastre vit le jour. Autre leg iranien à l'Occident: le culte de Mithra. Citons encore le catharisme, lointain rejeton du mani-chéisme.

Continuons par le Proche-Orient. De nombreux au-teurs ont relevé une influence iranienne dans la tradi-tion hébraïque, notamment à partir de l'exil à Babylone, soit à partir du VIième siècle avant notre ère. L'apport iranien s'est fait sentir dans l'eschatologie, l'importance croissante des anges, la soudaine répro-bation de Yahvé vis-à-vis des sacrifices d'animaux, thème important de la réforme zoroastrienne, mais aussi sans doute sur la conception monothéiste. Yahvé, dieu d'abord tribal, devient peu à peu le dieu univer-sel des chrétiens. Il est significatif que Cyrus le Grand est le seul souverain non-juif appelé "Oint" dans la Bible par Isaïe (45-1), titre prestigieux jusqu'alors réservé aux rois d'Israël. Cette influence se révèle également dans les tentatives de récupération de Zarathustra par les Hébreux. Celui-ci fut tour à tour identifié à Ezéchiel, à Nemrod ou encore à Baruch.

L'influence iranienne est également présente dans les Evangiles en plus de celle véhiculée par le judaïsme. Les similitudes sont nombreuses dans l'enseignement sur l'eschatologie, le para-dis et la fin des temps qui, comme dans le mazdéisme, voit la venue d'un sauveur et une rénovation du monde. Remarquons aussi la fré-quente évocation de la lumière dans l'Evangile de Jean. Enfin, comment ne pas mentionner la mysté-rieuse présence, qui a tant intrigué les chrétiens, de trois mages, c'est-à-dire de prêtres mèdes, donc ira-niens, venus saluer Jésus peu après sa naissance.

Mazdéisme et zoroastrisme
dans l'islam

L'islam, dès le commencement, reçut une influence iranienne non négligeable. Le Coran contient des images et des traits que l'on retrou-ve dans des textes mazdéens antérieurs à la prédication de Mohamet. Ce-lui-ci connaissait le mazdéisme. Il aurait dit: "Ne tenez jamais de propos irrévérencieux contre Zoroastre, car Zo-roastre fut en Iran un envoyé du Seigneur très ai-mant". Il a accordé un statut égal à celui des chrétiens et des juifs à la communauté zoro-astrienne du Yémen. En effet, depuis 571, le sud de la péninsule arabique était une province de l'empire sassanide. L'un des proches compa-gnons du prophète de l'islam était ira-nien: il s'agit de Salman, surnommé le "pur".

Signalons aussi qu'un petit-fils de Mohamet, Hussein, qui est le troisième Imâm des Shî'ites, aurait épousé une fille du dernier roi sassanide. Ainsi, ne serait-ce que par ce mariage, le shî'is-me prend le relais de l'ancien Iran.

Mais l'influence iranienne dans le monde musulman se fait surtout sentir à partir de l'avènement du califat ab-basside au milieu du VIIIième siècle. Les Abbassides furent portés au pouvoir par une révolte iranienne. Puis, ils s'entourèrent d'une élite militaire, politique, cul-tu-relle et artistique iranienne. Ainsi, plusieurs ca-rac-téristiques de l'architecture sassanide se re-rouvent dans l'architecture abbasside.

Les influences iraniennes en Chine

Terminons ce très rapide tour d'horizon par l'influence iranienne en Chine.

Au début de notre ère, il y avait des échanges commer-ciaux suivis entre l'Iran et la Chine. Ainsi, les Chinois appréciaient beaucoup le fard iranien pour les sourcils. Il y eut une influence religieuse par le biais du manichéisme qui, à la suite de persécutions en Iran, s'est développé dans le Turkestan chinois. Des branches du bouddhisme ont reçu des apports iraniens; nous pensons notamment à la doctrine bouddhique de la "Terre pure". Il y avait également quelques temples mazdéens en Chine, comme à Canton, mais ils devaient être fréquentés presque uniquement par les mar-chands iraniens.

L'influence artistique fut sensible lors de l'exil des derniers Sassanides à la cour de l'empereur de Chine. On assiste alors à une floraison de motifs iraniens dans les broderies, les divers tissus, le mobilier, la vais-selle, la poterie, l'art statuaire, etc. Certains ont même parlé d'un art irano-chinois. Notons enfin que par l'intermé-diaire de la Chine, l'art iranien s'est étendu jus-qu'au Japon.

Conclusion

En conclusion, nous espérons que ces quelques aper-çus ont suffit à vous faire comprendre la place émi-nente et originale du monde iranien en Eurasie.

Ce rameau indo-européen s'est avéré, jusqu'à au-jourd'hui, extrêmement fécond. Sans doute parce que, comme nous l'avons souligné dans l'intro-duction, il a conservé sa mémoire. Encore au-our-d'hui, le Livre des rois de Firdousi, vaste épopée qui narre l'histoire my-thique de l'ancien Iran, est toujours la première réfé-rence littéraire en Iran.

Les légendes et les textes sacrés de l'ancien Iran affir-ment que l'Iran est au centre du monde. Sauf d'un point de vue symbolique, nous n'irons pas jusque là. Cependant, incontestablement, l'Iran a été et reste un des centres culturels, religieux et parfois même poli-tique, du monde.

Christophe LEVALOIS.
(texte d'une allocution prononcée à l'occasion d'un colloque à l'Université de Genève, organisé par le Cercle Proudhon le 20 mars 1988. Christophe Levalois est directeur de la revue Sol In-victus et auteur de plusieurs livres d'érudition sur les traditions hyperboréennes, le symbolisme du loup, les principes de la royauté et l'Iran antique).

Orientations bibliographiques:

Nous ne recommandons ici que les ouvrages actuellement dispo-nibles chez les éditeurs.

Sur l'histoire de l'Iran pré-islamique:
- Roman GIRSCHMAN, L'Iran et la migration des Indo-Aryens et des Iraniens,  Brill, Leiden, 1977; L'Iran des origines à l'islam,  Albin Michel, 1976.
- Christiane et Jean PALOU, La Perse antique,  PUF (coll. "Que sais-je?", n°979), 1978.

Sur les légendes et la littérature:
- Christophe LEVALOIS, Royauté et figures mythiques dans l'ancien Iran,  Archè, Milano, 1987.
- Firdousi, Le Livre des Rois,  Sindbad, 1979 (extraits).
- Z. Sâfa, Anthologie de la poésie persane (XI°-XX° siècle), Gal-limard-Unesco (coll. "Connaissance de l'O-rient"), 1987.

Sur Zarathushtra et les religions dans l'ancien Iran:
- Paul de BREUIL, Le zoroastrisme,  PUF (coll. "Que sais-je?", n°2008), 1982; Histoire de la religion et de la philosophie zo-roastriennes,  éd. du Rocher, 1983.
- Jean VARENNE, Zarathushtra et la tradition maz-déenne,  Seuil (coll. "Maîtres spirituels"), 1979.
- Géo WIDENGREN, Les religions de l'Iran,  Payot, 1968.

Sur la mystique et la métaphysique:
- Henry CORBIN, Corps spirituel et Terre céleste de l'Iran maz-déen à l'Iran shî'ite, Buchet/Chastel, 1979; L'homme de lumière dans le soufisme iranien,  Présence, 1984.

Sur l'Iran d'aujourd'hui:
- Bernard HOURCADE et Yann RICHARD (éd.), Téhéran,  éd. Autrement, 1987.
- Paul BALTA, Iran-Irak, une guerre de 5000 ans, Anthropos, 1987.
 

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mardi, 06 février 2007

Gentile/Evola: une liaison ami/ennemi

Stefano ARCELLA :

Gentile/Evola: une liaison ami/ennemi

Evola n'a jamais émis que des jugements âpres et sévères sur Giovanni Gentile, le philosophe de l'actualisme. Pourtant, il a entretenu avec une lui une correspondance cordiale et a collaboré à l'Enciclopedia Italiana, monument culturel commandité par le régime de Mussolini et placé sous la houlette de Gentile. Nous avons découvert les preuves de cette étrange relation, occultée jusqu'ici...

Les rapports entre Evola et Gentile ont toujours été perçus sous l'angle conflictuel, sous l'angle des différences profondes entre les orientations philosophiques respectives des deux hommes. Evola, dans sa période spéculative (1923-27), avait élaboré une conception de l'individu absolu, représentant un dépassement décisif de la philosophie idéaliste dans ses multiples formulations, dont, notamment, l'idéalisme de Croce et l'actualisme de Gentile. Evola, en arrivant au bout de ses spéculations, approchait déjà ce point de passage vers la Tradition, comprise et perçue comme ouverture à la transcendance, et vers l'ésotérisme (en tant que voie expérimentale pour la connaissance et la réalisation du moi). Sa période spéculative à été donc une étape nécessaire dans son cheminement vers la Tradition.

Pourtant, dans l'histoire des rapports entre les deux penseurs, il y a un élément demeuré totalement inconnu jusqu'ici: si on en prend connaissance, on acquiert une vision plus claire, plus directe et plus complète du lien qui a uni les deux hommes, en apparence ennemis. Cet élément, c'est la correspondance entre Evola et Gentile, que l'on peut consulter désormais, grâce à la courtoisie dont fait montre la Fondazione Gentile.  Cette correspondance date des années 1927-1929, à l'époque où Evola dirigeait la revue Ur,  publication visant à mettre au point une science du Moi, et qui fut, par la suite, sous-titrée "revue des sciences ésotériques".

C'est à la même époque que Gentile, avec ses collaborateurs, préparait une ¦uvre de grande importance scientifique: l'Enciclopedia Italiana,  dont il fut le premier directeur. Le premier volume de cette ¦uvre gigantesque, commanditée par le régime mussolinien, est paru en 1929. Les tomes suivants paraissaient à un rythme trimestriel.

La lettre la plus significative, du moins sous l'angle historico-culturel, est celle qu'Evola adresse à Gentile le 2 mai 1928 (année où fut publié Imperialismo pagano).  Cette lettre est sur papier à en-tête de la revue Ur;  elle remercie vivement Gentile d'avoir donné suite à son désir de collaborer à l'Enciclopedia Italiana  ‹et Evola, dans la foulée, fait référence à son ami Ugo Spirito‹  pour les domaines qui pourraient être de sa compétence.

Cette collaboration est confirmée dans une lettre du 17 mai 1929, dans laquelle Evola rappelle à Gentile que celui-ci a confié la rédaction de quelques entrées à Ugo Spirito, qui, à son tour, les lui a confiées. Dans cette lettre, Evola ne spécifie pas de quelles entrées il s'agit exactement, ce qui rend notre travail de recherche plus difficile. Actuellement, nous avons identifié avec certitude une seule entrée, relative au terme ³Atanor², signée des initiales ³G.E.² (Giulio Evola).

Ces notes peuvent être vérifiées dans le volume Enciclopedia Italiana. Come e da chi è stata fatta, publiée sous les auspices de l'"Istituto dell'Enciclopedia Italiana" à Milan en 1947. Dans la liste des collaborateurs, Evola est mentionné (³Evola Giulio², p. 182) et on mentionne également les initiales qu'il utilisaient pour signer les ³entrées² de sa compétence (³G. Ev.²), de même que le domaine spécialisé dans lequel se sont insérées ses compétences: "l'occultisme". Ce terme désigne la spécialisation du penseur traditionaliste et non une entrée de l'Encyclopédie. De plus, les mentions, que signale ce petit volume introductif à côté de la matière traitée, indiquent le tome auquel Evola a collaboré plus spécialement: soit le tome V, publié en 1930, dont la première entrée était ³Assi² et la dernière ³Balso².

Actuellement, on cherche à identifier précisément les notes préparées par Evola lui-même, pour ce volume. On tient compte du fait que bon nombre d'entrées ne sont pas signées et que le matériel préparatoire de l'Encyclopédie doit sans cesse être reclassé et mis en ordre, sous les auspices de l'"Archivio Storico dell'Enciclopedia Italiana", parce que ces masses de documents ont été dispersées au cours de la seconde guerre mondiale. En effet, une partie de la documentation avait été transférée à Bergamo sous la ³République Sociale².

Un autre élément nous permet de vérifier la participation d'Evola à cette ¦uvre de grande ampleur: Ugo Spirito mentionne dans un texte de 1947 le nom d'Evola parmi les rédacteurs de l'Encyclopédie dans les domaines de la philosophie, de l'économie et du droit. Des indications identiques se rencontrent dans le tome V de 1930.

Sur base de ses données, d'autres considérations s'imposent. Le fait qu'Evola écrive à Gentile sur du papier à en-tête d'Ur,  le 2 mai 1928, n'est pas fortuit.

Evola n'était pas un homme qui agissait au hasard, surtout quand il fallait se mettre en relation avec un philosophe du niveau de Gentile, figure de premier plan dans le panorama culturel italien de l'époque. Evola ne s'est donc pas présenté au théoricien de l'actualisme à titre personnel, mais comme le représentant d'un filon culturel qui trouvait sa expression en Ur,  revue dont il était le directeur. Evola tentait de la sorte d'officialiser les études et les sciences ésotériques dans le cadre de la culture dominante, au moment historique où triomphait le fascisme mussolinien. Ce dessein se devine tout de suite quand on sait que la discipline attribuée tout spécialement à Evola dans l'Encyclopédie a été l'"occultisme".

Gentile accepte donc la collaboration d'Evola, ce qui constitue, de fait, une reconnaissance avouée des qualifications du théoricien de l'individu absolu, ainsi qu'un indice de l'attention portée par Gentile aux thématiques traitées dans Ur,  au-delà des convictions qui opposaient les deux hommes et des différences irréductibles d'ordre philosophique qui les séparaient. La collaboration d'Evola à l'Encyclopédie dirigée par Gentile prouve que ce dernier l'acceptait parmi les scientifiques de haut rang, dont le prestige culturel était incontestable dans l'Italie de l'époque. De ces rapports épistolaires entre Evola et Gentile, nous pouvons déduire, aujourd'hui, un enseignement que nous lèguent de concert les deux philosophes: ils se montrent tous deux capables d'intégrer harmonieusement des cohérences qui leur sont étrangères, des cohérences qui contrarient leurs propres principes, ce qui atteste d'une ouverture d'esprit et d'une propension au dialogue, à la confrontation fertile et à la collaboration, même et surtout avec ceux qui expriment une forte altérité de caractère et d'idées. La cohérence est une force positive: elle n'est pas la rigidité de celui qui s'enferme dans un isolement stérile. Un fair play  qu'il convient de méditer à l'heure où d'aucuns réclament à tue-tête l'avénement d'une nouvelle inquisition.

Depuis cinquante ans, on assiste à une démonisation a-critique, fourvoyante et infondée de nos deux penseurs, on constate un fossé d'incompréhension, des barrières qu'heureusement on peut commencer à franchir aujourd'hui, vu les processus de transformation qui sont à l'¦uvre dans le monde culturel. Il n'empêche que l'avilissement du débat culturel dans le sillage de l'anti-fascisme ou de l'esprit de parti est une réalité malheureuse de notre époque. Pour inverser la vapeur, il convient de remettre en exergue ces liens entre Evola et Gentile, entre deux philosophes appartenant à des écoles totalement différentes et opposées, afin de relancer un débat à l'échelle nationale italienne, de réexaminer les racines de notre histoire récente, de récupérer ce qui a été injustement étouffé après 1945 et gommé de nos consciences à cause d'une fièvre aigüe de damnatio memoriae.

En conclusion, outre la piste que nous offre la consultation des Archives Laterza pour explorer les rapports entre Croce et Evola, nous devrions aussi compulser les lettres de Croce, mais, hélas, les Archives Croce nous ont textuellement dit que "ces lettres-là ne sont pas consultables". C'est une politique diamétralement différente de celle que pratique la Fondazione Gentile, qui permet, elle, de consulter sans difficultés les lettres dont je viens de vous parler.

Stefano ARCELLA.
 

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Jünger et l'Allemagne secrète

Antonio GIGLIO:

Jünger et l'Allemagne secrète

La polémique qui s'est déclenchée à propos d'Ernst Jünger, remet à l'avant-plan, une fois de plus, les fan-tasmes nés de la guerre civile européenne et du passé qui ne passe pas, mais, pire encore, les fan-tasmes plus insidieux générés par l'incompréhension totale de nos contemporains face à l'histoire poli-tique et culturelle de ce siècle. A Jünger qui est aujourd'hui, à 100 ans, le plus grand écrivain européen vi-vant, on a reproché d'être, dans le fond, un complice des nazis. Pour clarifier cette question, il nous appa-raît opportun de récapituler, depuis le début, l'histoire des activités politiques et culturelles de Jünger, le héros de la Première Guerre mondiale, un des rares soldats de l'armée impériale, avec Rommel, à avoir reçu la plus haute décoration militaire allemande, l'Ordre ³Pour le Mérite². Le thème des premières ¦uvres littéraires de Jünger est l'expérience de la guerre, dont témoigne notamment son célèbre roman Orages d'acier.  Ces livres de guerre lui ont permis de devenir en peu de temps l'un des écrivains les plus lus et les plus fameux de l'Allemagne. En outre, Jünger est rapidement devenu l'un des chefs de file du nouveau nationalisme, suscité par les conditions de paix très dures imposées à l'Allemagne. Il réussit à forger une série de mythes politiques représentant la synthèse ultra-révolutionnaire de tout ce que la droite allemande avait produit à cette époque.

L'écrivain évoluait entre les bureaux d'études de l'armée, les groupes paramilitaires et nationaux-révolu-tionnaires, et réussissait à fusionner plusieurs projets politiques: celui du philologue Wilamowitz visant la création d'un Etat régi par un Ordre ascétique ou une caste sélectionnée d'hommes de culture et de science, celui de Spengler visant le contrôle et la domination des nouvelles formes technologiques en train de transformer le monde, celui du poète Stefan George chantant une nouvelle aristocratie, celui de Moeller van den Bruck axé sur la nécessité de rénover de fond en comble le ³conservatisme² ou plutôt sur la nécessité de lancer une ³révolution conservatrice², formule inventée par le poète Hugo von Hoff-mann-sthal et traduite par Jünger en termes ultra-nationalistes et guerriers. Pourtant, Jünger, in-fluencé par la fu-rie iconoclaste de Nietzsche, propose à l'époque de détruire totalement la société bour-geoise, ce qui lui permet d'utiliser aussi les mythes politiques de la gauche, dont l'idée bolchévique sug-gérée par Lénine, soit la mobilisation totale et militaire de l'Etat, utilisée auparavant en Allemagne par le Général Erich Ludendorff; chez Jünger, cette mobilisation totale deviendra la mobilisation totale de tout ce qui est allemand. Enfin, il utilise le mythe du travailleur-soldat, déjà loué par Trotsky; Jünger l'adopte et le propo-se, transformé par la pensée du philosophe Hugo Fischer. Cette synthèse de Lénine, Trotsky et Fischer deviendra Le Travailleur, au moment même où Jünger est l'allié du national-bolchévique Ernst Niekisch. Il faut encore noter que la pensée philosophique et politique de Heidegger a été profondément influencée par ce célébrissime essai de Jünger, qui moule audacieusement en une puissante unité philo-sophique la technique, le nihilisme et la volonté de puissance.

Parallèlement, l'écrivain se propose d'unifier tous les mouvements nationalistes allemands; c'est cette in-tention qui explique sa tentative initialement favorable à Hitler; il suffit de penser à la dédicace rédigée de son livre de 1925, Feuer und Blut  (= Feu et Sang) à l'intention du ³Führer national² Adolf Hitler, même si l'année précédente, il avait désapprouvé la décision des nazis d'adopter des méthodes légales et craint une trahison nationale-socialiste à l'égard de la pureté des idéaux nationaux-révolutionnaires. Quoi qu'il en soit, en 1927, Hitler propose à Jünger un siège au Parlement, mais l'écrivain ne l'accepte pas parce qu'il refuse le parlementarisme et toute forme de parti. Après 1933, Jünger se retire complètement de la politique parce qu'il est trop élitaire, aristocratique et révolutionnaire pour accepter qu'un mouvement de masse s'accapare de ses idées; par ailleurs, il se sent trop impliqué dans bon nombre d'idées nationa-listes pour pouvoir critiquer ouvertement le nouveau régime. En 1939, cependant, Jünger semble vouloir inter-venir directement, de manière critique, dans le régime nazi, en publiant son roman Sur les falaises de marbre. Selon un philosophe allemand contemporain, Hans Blumenberg, Jünger a rassemblé dans ce ro-man toutes les allusions aux événements de l'époque dans un scénario mythique, surtout après l'élimi-na-tion des opposants à Hitler lors de la ³nuit des longs couteaux², décidant ainsi de n'opposer plus qu'une résistance animée par la pure force de l'esprit. Un spécialiste plus connu du nazisme, George L. Mosse affirme que Jünger, dans ce roman, rejette les idées de sa jeunesse et retourne au protestan-tisme. En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes.

De fait, Jünger, en 1938, dans la seconde version de son livre Le c¦ur aventureux,  fait allusion pour la première fois au mystérieux Ordre des Maurétaniens, une élite mystique de mages savants et guerriers, qui deviendra le protagoniste collectif du roman Sur les falaises de marbre, et, par la suite, de tous les autres romans de l'auteur. En premier lieu, nous devons souligner que Jünger et les révolutionnaires na-tionalistes de sa génération sont obsédés par le mythe politique d'un Ordre qui régit l'Etat et guide les masses. Les Maurétaniens sont à mi-chemin entre les Templiers et les Chevaliers Teutoniques, ils sont l'incarnation de ce mythe.

Donc, en 1938, Jünger écrit qu'au lieu de rester coincé dans ses chères études, il va s'introduire dans le milieu des Maurétaniens, qu'il définit comme des polytechniciens subalternes du pouvoir, parmi lesquels il nomme Goebbels et Heydrich, un des chefs de la SS. Ce n'est dès lors pas un hasard si Carl Schmitt écrit, dans son journal, que les Maurétaniens sont une allégorie des SS. Jünger, en outre, ajoute textuel-lement qu'"une équipe sélectionnée des nôtres est au travail dans les lieux secrets du plus secret Thibet". Effectivement, à cette époque, existait une organisation culturelle liée à la SS et dénommé l'Ahnenerbe  (= l'Héritage des Ancêtres), qui organisait entre autres choses des expéditions plus ou moins secrètes au Thibet, et était reçue par le Dalaï Lama en personne. Par ailleurs, il faut signaler que cette structure avait été mise sur pied, au départ, par un ami de Jünger, Friedrich Hielscher, le chef spiri-tuel des jeunes nationalistes allemands, avant d'être incluse par Himmler dans les institutions SS. Mais quand paraît le roman-pamphlet Sur les falaises de marbre, certains nazis, ignorant ces faits, réclament la tête de Jünger, qui sera défendu par le ³Maurétanien² Goebbels, et ensuite par Hitler lui-même, qui, ne l'oublions pas, avait confessé à Rauschning, stupéfait et attéré, avoir fondé un Ordre mystérieux. Nous sommes donc en présence d'un mystère historiographique et politique du 20ième siècle.

Le roman de Jünger est probablement le témoignagne d'un conflit politique et culturel qui se déroulait à l'intérieur du noyau dirigeant national-socialiste, et aussi, sans doute, à l'intérieur même de cet Ordre mystérieux, pour savoir comment imposer et diriger la politique intérieure et extérieure du IIIième Reich. Jünger, qui plus est, considère que l'un des protagonistes du roman, le Maurétanien Braquemart, est semblable à Goebbels, et que la figure démoniaque et destructive du Forestier peut être ramenée à Staline. Ensuite, en 1940, il attribue la victoire fulgurante des troupes allemandes en France à la Figure du Travailleur, décrite dans son livre Der Arbeiter.  En 1942, il fait rééditer son essai sur la mobilisation totale, au moment même où Hitler mobilise totalement et désespérément tout ce qui est allemand. Ce conflit in-terne entre les Maurétaniens, dans lequel Jünger entendait bel et bien intervenir en publiant son roman-pamphlet, s'est avivé pendant la durée du conflit, à cause des conséquences catastrophiques de la guerre voulue par Hitler et non par les autres membres de l'Ordre des Maurétaniens. Voilà pourquoi Jünger et son ami Hielscher en sont arrivés à comploter contre le Führer: ils voulaient désespérément éviter le destin tragique qui allait frapper l'Allemagne, ou au moins l'atténuer.

Jünger, en effet, fut l'un des organisateurs de la tentative de coup d'Etat du 20 juillet 1944, qui aurait dû avoir lieu après l'attentat contre Hitler. A Paris, où il est officier d'état-major dans le Haut Commandement des troupes d'occupation, centre du complot contre Hitler, Jünger écrit l'essai La Paix  qui est, en fait, le texte politique essentiel de ce complot, et dont le manuscrit avait été lu et approuvé par Rommel, le seul officier supérieur capable de mettre un terme à la guerre sur le front occidental et à affronter la guerre ci-vile. Mais le complot échoue, Rommel est contraint au suicide parce qu'il est condamné à mort. Le Maurétanien Hielscher est arrêté à son tour. Jünger semble vouloir nous dire que le Prince Sunmyra, un des auteurs malchanceux de l'attentat contre le Forestier dans le roman-pamphlet, peut être comparé au Colonel von Stauffenberg, l'auteur malchanceux de l'attentat contre Hitler. Claus von Stauffenberg, héros de la ³Résistance allemande², était un disciple de Stefan George, donc un représentant de ces Maurétaniens qui s'étaient donné le devoir de préserver l'Allemagne secrète. Et Hitler ne pouvait pas con-damner à mort l'Allemagne secrète, incarnée dans l'¦uvre et la personne de Jünger.

Antonio GIGLIO.
(article extrait de l'Italia settimanale, n°13/1995).

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Yin et Yang dans la révolution conservatrice

Dr. Peter BAHN

Du Yin et du Yang dans la révolution conservatrice allemande

La "Révolution Conservatrice" en Allemagne, la consistance conceptuelle de ce phénomène politico-philosophique, l'actualité de sa réception et les problématiques complexes et implicites qu'elle soulève: voilà les thématiques centrales du dernier numéro de la revue Wir Selbst, dirigée depuis 1979 par Siegfried Bublies. Tous les aspects de cette ³Révolution conservatrice² sont abordés, sous tous les angles, au départ de toutes les expériences personnelles, au-delà de toutes les apologies ou les démonisations qui se sont succédé au fil des temps.

Toutes les contributions de ce numéro de Wir Selbst quittent résolument les terres infertiles du moralisme qui condamne en bloc cette RC, sous prétexte qu'elle constituerait les prolégomènes du nazisme ou d'une idéologie et d'un pouvoir non-démocratiques encore à venir. Elles vont bien plutôt à l'essentiel: le terme même de ³Révolution conservatrice² est-il vraiment adéquat pour décrire le phénomène ou, mieux, l'ensemble des phénomènes qu'il prétend assembler? Cette RC est-il un phénomène fermé sur lui-même et fermé au monde, si bien qu'un seul concept suffise à la définir de façon cohérente?

Henning Eichberg, qui a rédigé l'essai le plus long et le plus fouillé de ce dossier, part du principe que le concept de ³Révolution conservatrice² est en soi dépourvu de sens (Unsinn) et accepte pour une bonne part l'argumentation qu'avait déployée Stefan Breuer en 1993 (cf. dans ce numéro de Vouloir l'article de Karlheinz Weissmann). Pour Eichberg comme pour Breuer, le concept de RC n'est pas ³opérationalisable² dans le discours politique. Armin Mohler avait lancé le vocable de ³RC² dans le débat mais en restant au niveau de l'histoire des idées. En 1994, en publiant le premier volume du Jahrbuch der Konservativen Revolution, Theo Homann et Gerhard Quast ont continué dans cette voie, inaugurée depuis plus de quarante ans par Mohler. Eichberg, lui, veut quitter le terrain de l'histoire des idées et se placer à un niveau plus concret  ‹de son point de vue‹  en traitant cette problématique sous l'angle de l'histoire sociale, ce qui n'a été guère apprécié jusqu'ici dans les rangs des sectataires de la RC. Pour Eichberg, dès que l'on se réfère au concret, le concept de ³Révolution conservatrice² s'effrite et s'effiloche. Contre les idéologies conservatrices-révolutionnaires, qu'il juge abstraites, Eichberg oppose ³les potentialités historiques des nationalismes réellement existants², lesquelles sont, pense-t-il, des concrétudes. Eichberg élabore des typologies d'acteurs, qui échappent ainsi manifestement au corset du concept de RC auquel nous nous étions progressivement habitués. Cela signifie-t-il la fin de la ³Révolution conservatrice²?

Eichberg fait donc référence aux peuples concrets, aux mouvements concrets, aux figures réelles et vivantes; en bref, il réhabilite la vie concrète, plurielle, bigarrée, pleine et épaisse. Il revendique les droits de la vie contre les schématismes de l'histoire des idées et des dossiers poussiéreux. Avec son vocabulaire dense, il affirme les droits des lignes courbes, des courants de force qui émergent, disparaissent et réémergent, des jets de vie, contre les hyper-simplifications du ³rectilignisme², des angles droits, des tiroirs à fiches des bibliothécaires. Il se range du côté de la Vie, du Concret, contre les constructions abstraites des historiens des idées et, c'est justement, en prenant et en affirmant haut et fort cette option, qu'Eichberg se pose comme un défenseur typique et décidé de ce qui a fait à mon sens la quintessence de la RC, à travers tous ses courants et ses variantes.

C'est sur le modèle de la très antique sagesse taoïste, propre de la philosophie chinoise, que va et vient la pensée, selon la symbolique du Yin et du Yang. Le Yang masculin, clair, limpide, et le Yin féminin, sombre, se complètent dans une harmonie qui les englobe tous deux et les fait se compénéter. C'est pourquoi le noir se trouve dans le blanc et que le blanc contient toujours du noir. On peut dire que c'est sur ce mode-là aussi que l'ensemble des idées et des courants qui a été résumé sous l'étiquette de ³Révolution conservatrice² transcende ses contradictions. C'est ainsi, effectivement, que se complètent, et, mieux, se conditionnent mutuellement ligne courbe et ligne droite, peuple et Etat, matrie et patrie, révolte et ordre, col bourgeois et veste militaire, troupe joyeuse et désordonnée du Wandervogel  et colonne disciplinée de la Reichswehr ou des milices para-militaires. Le noir est aussi blanc, quelque part, et le blanc est également noir, d'une certaine façon. Les contradictions s'aplanissent dans une unité supérieure, et ce n'est qu'ensemble qu'elles donnent un tout unifié. Ce tout unifié, ce biotope ramifié et en soi interdépendant à l'instar d'une forêt, n'est pas une accumulation hasardeuse et arbitraire d'arbres bien concrets mais une entité autonome constituant un ordre supérieur: il s'agit de le reconnaître, car ainsi on ouvre une voie qui nous permettra de mieux comprendre ce phénomène qu'a été la RC.

Mais quelle est la quintessence, le dénominateur commun, qui a rapproché Jungkonservativen et folcistes, nationaux-révolutionnaires et liguistes, tant sur le plan des idées que sur le plan social, si on tient compte de la dimension vitale qu'avance Eichberg, pour tenter d'y voir clair dans les différences et les détails qui ponctuent ces diverses visions et options divergentes? Est-ce bien le postulat de la VIE, est-ce bien le droit de la VIE à s'exprimer sans détours qui est la quintessence de cette RC? Et contre qui ou quoi ce droit de la Vie s'insurge-t-il? Qu'est ce qui menace le déploiement de la Vie, qu'est-ce qui étouffe les flux et les forces de la nature? Qu'est-ce qui déforme les manifestations de la pulsion créatrice, immanente en ce monde?

Aujourd'hui, la réponse est encore plus claire qu'à l'époque de la République de Weimar, que pendant l'entre-deux-guerres ou qu'à la fin des années quarante, quand Mohler élaborait son travail de conceptualisation de la RC. C'est la mise du monde en calculs, la soumission brutale et sans merci de la vie concrète, de la nature concrète aux impératifs de l'économie et de la rationalité économique, si bien que le primat de l'économie passe au-dessus de toute autre considération.

La ³Révolution conservatrice² peut être définie et interprétée comme une révolte de la Vie contre le viol de la terre par l'économicisme. Cette révolte s'est dressée contre les diverses formes d'économicisme dans les années 20; elle s'est exprimée sous des modalités fort différentes, parfois dans des perspectives contradictoires, mais toutes ces différences et ces divergences rejettaient le ³juste milieu² imposé après 1918. Eichberg le souligne avec beaucoup d'à-propos: en dépit de toutes les différences habituellement remarquées, toutes les catégories idéaltypiques, dans les multiples courants de la RC, ont toutefois un point commun: aucune d'entre elles ne pense ni n'agit au départ de catégories où règne le primat de l'économie. C'est cela qui distingue ces écoles ou ces individualités des marxistes et des libéraux et qui les rapproche volens nolens des anarchistes, des adeptes de doctrines ésotériques, des réformateurs pragmatiques de la vie quotidienne (Lebensreformer)  et aussi, il faut l'ajouter, des nationaux-socialistes. Eichberg perçoit parfaitement cette proximité, que le militant d'un parti de droite ou d'un cénacle rêvant de la Tradition ou de la monarchie refuse presque toujours de percevoir. En soulignant cette proximité, Eichberg élargit considérablement le champs de nos investigations et nous interdit tout enfermement.

Tenant compte de ces parallèles, il nous montre comment des hommes classés à gauche ont parfois théorisé le même anti-économicisme que certains de leurs adversaires classés à droite; Eichberg nomme Landauer (cf. également les travaux de Thierry Mudry, notamment son article sur "Gustav Landauer" dans l'Encyclopédie des ‘uvres philosophiques, PUF, 1992), Paasche (cf. Vouloir n°28-29), de Theodor Lessing (réédité à Munich par l'éditeur Matthes & Seitz et cité par R. Steuckers dans son article sur "Alfred Schuler" dans l'Encyclopédie des ‘uvres philosophiques, op. cit.). Ces mêmes linéaments se retrouvent aussi chez certains nationaux-socialistes, comme Alfred Rosenberg voire Heinrich Himmler (sur son appartenance aux ³Artamanen², cf. les articles de Beate-Sophie Grunske et de Jan Creve dans Nouvelles de Synergies Européennes, n°19/1996).

Ne pas s'arrêter aux contradictions (apparentes), accepter l'histoire dans sa totalité, comme Eichberg nous le demande avec raison, car il y a le Yin et le Yang, dans le noir, on découvre du blanc, et dans le blanc, du noir. Mais l'intention essentielle des tenants de la RC était de placer les priorités ailleurs que dans l'économie, soit dans la Vie réelle (celle du corps humain, des agrégats démographiques et du donné naturel dans son ensemble), dans les prises de position politiques, dans les réflexions et les idées où il s'agit de ne pas se laisser dominer et guider, même à son insu, par l'idéologie économiciste ambiante, portée par le libéralisme actuel; cet anti-économicisme exclut donc de cette famille que l'on a nommée à tort ou à raison ³révolutionnaire-conservatrice², certains conservateurs établis qui veulent à tout prix conserver des structures obsolètes et vermoulues (les ³Strukturkonservativen²), les ³nationaux-libéraux² pour qui le nationalisme n'est qu'un ornement ou un opium pour le bon peuple, voire certains jeunes gens qui se proclament depuis la chute du Mur et la fin de la RDA ³quatre-vingt-neuvards² et qui, par pure esthétisme, mêlent à quelques résidus épars d'idéologèmes ³révolutionnaires-conservateurs², à quelques références à Benn ou à George, à Jünger ou à Heidegger, une sorte de mauvais cocktail idéologique tiré de l'esclavage mass-médiatique permanent dans lequel ils sont plongés depuis leur plus tendre enfance, où l'attitude du yuppy ou du cocooniste actuel domine et oblitère tout autre comportement.

L'équipe rédactionnelle de Wir Selbst  espère, en publiant son dossier et surtout la longue polémique de Henning Eichberg, relancer le débat afin que l'on n'en reste pas à un simple stade esthétique, mais que l'on réétoffe les éléments d'anti-économicisme de la RC et qu'on les couple à des idéologèmes anti-économicistes provenant d'autres horizons que ceux de la RC. Celle-ci ne doit pas devenir un réservoir de dogmes figés, ni être rejetée en bloc sans le moindre esprit critique. Notre époque est celle où le système économiciste n'a peut-être pas triomphé mais où il s'accroche, têtu, au risque de devenir hargneux et coercitif: tirant sans doute ses dernières cartouches, ce système veut à tout prix imposer aux peuples du monde entier ses non-valeurs et son ordre, ses habitudes et ses illusions, ses certitudes et ses concepts abstraits, tout en voulant ³libérer² l'humanité toute entière de ses réflexes religieux, moraux, politiques, éthiques et identitaires. Ce danger nous montre qu'il est désormais impératif de revenir à des corpus philosophiques, à des attitudes mentales, à des réflexes politiques, toutes tendances confondues, qui permettraient aux citoyens de s'armer contre le danger d'uniformisation planétaire qui les guette. Aux projets des hommes de calcul, il conviendra bien vite d'opposer des ³programmes-contrastes², plus substantiels. Dans la formulation de ces programmes, les idées de la RC nous fourniront non des recettes toutes faites, mais des impulsions fructueuses.

Peter BAHN.
(article tiré de Wir Selbst, 1/1996; adaptation franç.: R. Steuckers).

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J. Burckhardt: regard sur l'histoire mondiale

Frank LISSON:

Jakob Burckhardt : un regard sur l'histoire mondiale

"Pourquoi ne pas fuir dans des circonstances plus simples et plus belles, si on en trouve encore quelque part? Pour ma part, je suis bien décidé de jouir à ma façon de la vie, avant que ne viennent les mauvais jours": ce sont là les paroles d'un jeune homme qui, pendant toute son existence, a émis le souhait de consacré sa vie à l'art et à la science.

Jakob Burckhardt, né le 25 mai 1818, était issu d'une vieille famille patricienne, bien en vue, de Bâle. En tant que fils de pasteur, il a pu très tôt jouir d'une éducation en sciences humaines, qui l'a conduit, comme le souhaitait expressément son père, à étudier successivement la théologie, puis l'histoire, la philologie et l'art. Après sa ³promotion² et son ³habilitation² en 1844, il enseigne brièvement à l'université de Zurich, puis revient à Bâle, sa ville natale, où il enseignera jusqu'à un âge très avancé l'histoire de l'art et l'histoire.

Burckhardt, un homme pour qui le regard est l'essentiel, qui aimait les voyages passionnément, a vite développé son amour de l'art antique et de l'art de la renaissance italienne. Ses grands talents de dessinateur l'ont aidé à fixé ses impressions en images. Ce qu'il voyait était travaillé par son regard, qui produisait plus qu'il ne réfléchissait, car, outre le génie du dessin, Burckhardt possédait aussi celui de la poésie. Pendant longtemps, il a hésité, ne sachant pas s'il allait devenir historien ou écrivain. Finalement, il est devenu les deux. Cette combinaison a permis l'émergence de ses ¦uvres les plus célèbres, qui gardent encore aujourd'hui toute leur pertinence: par exemple Cicerone, sorte de guide de voyage, portant comme sous-titre ³Invitation à jouir des ¦uvres d'art italiennes²; ensuite Kultur der Renaissance in Italien, ou encore, Griechische Kulturgeschichte, paru après sa mort. Dans ce dernier ouvrage, Burckhardt présente une vision de la polis grecque, personnelle mais intéressante. Il y insiste aussi sur le pessimisme grec, dont il fait le noyau essentiel de la culture hellénique.

Ses Weltgeschichtliche Betrachtungen procèdent de plusieurs cours donnés à l'université, et jettent les bases de sa théorie de l'histoire de la culture: celle-ci repose sur une vision de l'homme au comportement constant, ³patient, porté sur l'effort et actif², car cet homme est l'élément porteur des ³grandes forces de l'histoire², c'est-à-dire la culture, l'Etat et la religion. En tant que constantes de l'histoire, celles-ci forment l'essence de toute forme d'histoire. Burckhardt souffrait du déclin de l'idéalisme allemand et se montrait fort sceptique face aux évolutions politiques de son temps. La démocratie de masse, les agitateurs socialistes et le libéralisme exclusivement axé sur le profit étaient tous pour lui les symptomes d'une décadence politique. ³Depuis la Commune de Paris, tout est devenu possible en Europe, principalement parce que partout nous rencontrons de braves gens, des libéraux très convenables, qui ne savent pas exactement où se situe la limite entre le droit et l'absence de droit ni où commence le devoir de résister et de réagir².

Il prévoyait l'ère des dictatures et de l'extrémisme politique en Europe, l'ère des ³terribles simplificateurs², qui n'avait plus rien à voir avec les ³grandes individualités² radieuses, avec les ³princes de la renaissance², avec ces figures nobles qui avaient tant inspiré la pensée de Nietzsche.

Burckhardt craignait que la ³vieille Europe², fatiguée et usée sur le plan culturel, finirait par sombrer définitivement à cause des luttes que se livraient partis et factions. A la fin de ces luttes, prévoyait-il avec raison et à propos, s'imposerait une démocratie corrompue: ³Les masses veulent la tranquilité et le profit²: c'est par cette phrase qu'il résume sa position dans Weltgeschichtlicher Betrachtungen.

Burckhardt était tout, sauf une personnalité politique, il était essentiellement un esthète, qui n'envisageait nullement de s'impliquer directement dans la politique. Son conservatisme est plutôt libéral et idéaliste. Il méprisait tant l'absolutisme royal d'avant la révolution de 1848 (le Vormärz)  que les révolutionnaires qui s'efforçaient de l'éliminer. Pour Burckhardt, les changements ne pouvaient s'accomplir que sur un mode évolutionnaire, s'ils ne voulaient pas n'être que purement subversifs.

La césure ne cessait plus de s'élargir entre l'Etat et la société et prenait la forme d'une opposition croissante entre le pouvoir (politique) et la culture, surtout dans l'Allemagne impériale et wilhelminienne. Son pessimisme culturel n'était donc pas de principe mais était le résultat d'une observation fine des constellations historiques. Burckhardt a gardé l'espoir de voir les cultures renaître dans un futur lointain.

Sa pensée est restée jusqu'au bout fidèle à la ³vieille Europe²: ses idéaux de vie étaient une absence extrême de besoins, un pari foncier pour le spirituel au détriment du matériel, un service absolu à beau et au bien. Le 8 août 1897, quand meurt Jakob Burckhardt, disparait une figure tragique qui portait en elle les craintes et le pessimisme, mais aussi les espoirs et les aspirations du XIXième siècle, comme peu d'autres savants de cette époque.

Frank LISSON.
(texte paru dans Junge Freiheit, n°33/97).
 

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