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jeudi, 01 février 2007

Idée d'Europe chez H. v. Hofmannsthal

L'idée d'Europe chez Hugo von Hofmannsthal: impérialité, universalité, paix éternelle

 

par Jure VUJIC J'avais rêvé d'un siècle de chevaliers, forts et nobles, se dominant avant de dominer. “Dur et pur” disaient mes bannières (Léon Degrelle, Les âmes qui brûlent). Toutes les nations sont des mystères. A soi seule chacune est le monde entier. O mère de rois, aïeule d'empire, Veille sur nous!  (D. Tareja). Dans le soleil en moi tu surgis, et la brume s'éclipse: La même, et tu tiens encore la bannière de l'Empire (F. Pessoa, L'ultime nef). Grèce, Rome, Chrétienté, Europe-toutes quatre s'en vont Là ou vont aussi tous les âges  (F. Pessoa, Le Quint Empire). Parler de l'identité européenne, du concept et de la notion même d'Europe d'un point de vue différentialiste n'est pas chose facile, compte tenu de l'actuelle confusion idéologique et conceptuelle qui règne à propos de cette notion, de la puissance multiforme évocatrice et suggestive que génère une telle "donnée" géospatiale et ethnico-culturelle ainsi que des degrés d'intensité spirituelle que porte en soi une si haute idée en laquelle nous nous reconnaissons. Ebaucher la trame d'une identité européenne millénaire aujourd'hui menacée, déceler les signes de son déclin et de sa résurrection, déterminer les conditions structurelles, politiques, idéologiques et économiques propres à assurer le redressement moral et politique de ce continent supposera de contourner les écueils d'un manichéisme politico-idéologique qui oppose les actuels promoteurs de l'Europe technocratique, économique et financière aux défenseurs de l'Europe charnelle, organique aux fondements ethnico-culturels, les méandres d'une exaltation sentimentaliste ou d'un néo-romantisme stérile aux aspirations passéistes, pour aboutir à une attitude de détachement, à une lucidité de prise de position, à une conception et une analyse métapolitique synthétisante et synoptique, à une pureté d'engagement au travers de ce que Donoso Cortés appelait les négations radicales et les affirmations souveraines que nécessite la compréhension et la défense d'une notion si élevée qu'est l'Europe. Une réflexion instrospective Restituer le sens originel à l'idée d'Europe en intégrant les éléments d'une modernité trop souvent répudiée et galvaudée par les "conservateurs" nostalgiques en tout genre, nécessite une réflexion introspective sur soi-même, un épurement radical de son intériorité dans le cadre d'une réintégration ontologique laquelle est à même d'assurer le délaissement des formes anciennes désuètes et consommées, l'abandon des catégories intellectuelles résiduelles acquises, afin de découvrir la substance élémentaire qui contient la "forme nouvelle" laquelle n'est autre que l'idéal “impérial d'universalité et de paix éternelle” et du “sens tragique de la vie” qui est le propre de l'esprit européen. Ce même idéal est indissociable d'une certaine conception de la vie et de l'homme comme d'une vision du monde, d'une Weltanschauung  bien spécifique. Cette Weltanschauung proprement européenne, qui combine des concepts intellectuels, des images-clef à un intuitionnisme dynamique, s'oppose à toutes les formes d'abstraction, de généralisation et de constructivisme rationaliste. Au contraire elle met l'accent et se dirige délibérément dans le cadre d'une perspective ultra-réaliste vers l'existentiel, le concret, le singulier. A l'antipode de la raison discursive et spéculative, elle se fait le chantre d'un vitalisme et d'un développement organique du monde en conjuguant les notions de “retournement”, de “remplacement”, de “relève” avec une conception sphérique et cyclique de l'histoire et du monde ponctuée par des phases de naissance, de croissance, de maturation, de déclin, de mort et de renaissance, tout en redécouvrant et en réaffirmant le sens héroïque de la vie dans un monde moderne essentiellement dominé et aseptisé par un eudémonisme croissant, une utopie progressiste, par une pandémie mentale économiciste et un rationalisme matérialiste. Cette même vision du monde pénétrée par l'idée de l'éternel retour à l'“identique”, à la “centralité suprême” restitue les fondements spirituels d'une communion intime entre le visible et l'invisible, par la restauration de la sphère du sacré et du divin comme expression d'un niveau supérieur de conscience et de la réalité existentielle individuelle. Sans pour autant rejeter tous les aspects de la modernité dominée par la fiction environnementaliste et la conception sociétaire, elle pose le postulat d'une réconciliation authentique de la personne humaine et son unité avec le monde de la nature régénérée et resacralisée dans ses infimes éléments intermédiaires. L'Europe c'est aussi la présence vivante dans nos esprits et la projection d'images conductrices qui relient notre présent et notre avenir à notre passé mythique. C'est le langage immémorial et tellurique des mégalithes, des menhirs et cromlechs qui annoncent les éclipses et se démultiplient en diverses formes mythiques à la lumière des solstices d'hiver et d'été, le grondement souterrain des ossements de légions romaines disséminées, le survol de l'aigle impérial au-dessus des symposiums des tribus celtes réunis en koiné et le silence grave les hommes libres rassemblés en Things nordiques itinérants. C'est aussi l'élévation impavide et solennelle des cathédrales gothiques, la présence mystique des Saints et le Gloria du Christ glorifié, du Kirié Eleison des gueux, la redécouverte des senteurs d'un encens séculaire embaumant un cortège funèbre royal au rythme des sacqueboutiers, mais aussi la proximité conviviale des clochers paroissiaux de bourgs paisibles. L'Europe c'est encore en nous, l'écho du fond des âges des choeurs belliqueux lointains des compagnonnages guerriers des Männerbünde germaniques, des Mairya aryens, des Fianna celtiques, des Druzba  slaves, le souvenir enfoui au tréfond de nos âmes des diffidations du moyen-âge aux milles étendards déchirés et empourprés claquants dans le brouillard de chevaux fougueux empoussiérés, c'est aussi l'éclat des armures suintantes des seigneurs orgueilleux flanqués de leurs reîtres et écuyers aguerris et fidèles, le vacarme tumultueux et onduleux des lances et épées entrelacées, tout comme les réminiscences mélodieuses des chansons courtoises qu'un chevalier dédie à sa belle promise. L'Europe c'est enfin l'éternel retour des saisons, du foisonnement des bourgeons et des multicolores floraisons du printemps, du rayonnement du soleil invaincu au zénith d'été, du pourpre multiforme des forêts dénudées automnales, aux aurores boréales glacées au-dessus des cimes aux neiges immaculées. Un Cinquième Empire de Paix Universelle A ce creuset intuitif et idéologique de cette Weltanschauung spécifiquement européenne, se mêle l'idéal d'une paix universelle et éternelle, “l'utopie mythique et millénariste d'un Reich”, d'un “Empire du milieu” retrouvé qu'a si bien évoqué Arthur Moeller van den Bruck dans son ouvrage Le Troisième Reich. Ce messianisme impérial se retrouve chez le poète portugais Fernando Pessoa dans son recueil de poèmes Message qui l'a porté vers le Sebastianisme (la figure de Don Sebastian, le «Roi caché»), l'équivalent portugais du mythe d'un Cinquième Empire de paix universelle ou l'esprit dominerait la matière (d'où le titre de Mensagem: «mens agitat molem», c'est l'esprit qui fait mouvoir la matière). Pénétré par des conceptions initiatiques d'inspiration rosicruciennes, Pessoa proclamait que toutes les nations sont des mystères et qu'à soi seule chacune est tout le monde; cette conception spirituelle de la patrie aux connotations ésotériques, laquelle transcende la patrie politique en l'intégrant à un niveau supérieur l'a conduit vers l'idée d'une nation englobant du même coup “le monde entier”, en tant qu'incarnation d'un Cinquième Empire universel à travers la figure du «Roi caché». Mais c'est Ernst Jünger, l'apôtre de la mobilisation totale, l'exemple personnifié du «réalisme héroïque», l'artisan de l'homme nouveau dans la figure du Travailleur, qui fut le principal promoteur et défenseur d'une paix universelle et éternelle dans l'harmonie retrouvée, une paix européenne qui trouva ses germes dans le déchaînement des forces élémentaires, la mobilisation et la guerre totale, l'image et l'action du travailleur-soldat transfiguré et dans la barbarie mécanique non dénuée de toute forme d'esthétique. En croyant à l'action rédemptrice de la guerre “dont les fruits selon lui sont et doivent être universels”, Jünger nous propose un idéal de paix éternelle pour le continent européen fondée sur une réconciliation réelle et une alliance sacrée et indissoluble des patries charnelles européennes, et reposant sur des principes à la fois politiques, spirituels et, théologiquement, sur les paroles de salut, constituant la source de “forces bénéfiques” et de “puissances généreuses”. Dénonçant les méfaits du nivellement uniformisateur du monde moderne dont l'avènement des démocraties nationales ont achevé de détruire les anciennes monarchies et de ce qui restait encore de structures organiques et unitaires en Europe, Jünger annoncera la substitution progressive aux Etats nationaux centralisés européens de “vieux style”, d'espaces impériaux se fondant sur le mariage des peuples, la diversité, la pluralité, la complémentarité, l'accession de l'homme “par de là les frontières et les divisions de l'histoire” vers une forme nouvelle tendant à la totalité et l'unité, par l'intermédiaire, selon les propres mots de Jünger, “d'une chimie prodigieuse le transformant progressivement en citoyen de nouveaux empires”. Une nouvelle religiosité européenne plurielle Jünger en reprenant les pensées de Walter Schubart dans L'Europe et l'âme de l'Occident  (lequel écrivit que ce n'est pas dans l'équilibre du monde bourgeois mais dans le tonnerre des apocalypses que renaissent les religions), se fait le précurseur d'une nouvelle religiosité européenne plurielle, oecuménique et tolérante laquelle ne verra le jour qu'après l'institution d'un nouveau synode dont les fruits régénéreront l'unité de l'“Occident”, lequel au-delà de son aspect spatial, politique et juridique devra ressusciter dans l'“Eglise”. Cet avènement de la paix universelle et éternelle dans la conception jüngerienne ne se fera pas sans une résistance opiniâtre et organisée d'une élite “rebelle” et gardienne de l'idée d'un nouvel ordre “impérial”, laquelle aura “recours aux forêts” (comme le préconise Jünger dans son Traité du rebelle)  comme champ d'action, de réflexion et d'expérimentation, face aux diverses formes de totalitarisme moderne du suffrage majoritaire, des rouages de l'Etat pléthorique policier, l'hypertrophie bureaucratique et administrative, les structures technocratiques tentaculaires, les passions et les idéologies niveleuses des masses. Une dynamique ascensionnelle Parmi les grands penseurs précurseurs de l'idée européenne que l'on peut qualifier d'«européistes» comme le Baron Johan Christoph von Aretin, Friedrich Gentz, C.F von Schmidt-Phiseldeck, Alexis de Tocqueville, Edmund Burke, Metternich, Constantin Frantz, Friedrich Naumann, Joseph Edmund Jörg, Julius Fröbel, le Comte Richard Coudenhove-Kalergi, Otto Bauer, Goerdeler, Ulrich von Hassel, le Comte Helmut James von Moltke et Adam von Trott zu Solz, Carl Schmitt, Hans Freyer, etc., une place à part est à faire à l'écrivain et poète Hugo von Hofmannsthal lequel a forgé la notion de «révolution conservatrice» dans son discours de 1927 intitulé L'écriture comme espace spirituel de la nation et a le mieux dégagé la genèse et l'essence de l'idée européenne à travers ses écrits L'Europe (1925), L'idée d'Europe (1916), Oui à l'Autriche (1914), Nous Autrichiens et l'Allemagne (1915),  et ses articles de La revue Européenne/Europäische Revue (fondée en 1926). La représentation et l'évocation de l'idée de l'Europe chez H. von Hofmannsthal rejettent les processus d'abstraction, de rationalisation comme celle de l'appréhension sentimentale. La grande idée de l'Europe chez Hofmannsthal s'inscrit dans le cadre d'une dynamique ascensionnelle, vers laquelle selon ses propres phrases: « l'âme doit s'élever par le pouvoir de ses meilleurs auxiliaires: la connaissance directe, l'expérience, la spiritualisation». Pour Hofmannsthal l'idée d'Europe est inséparable de la notion d'universalité, compte tenu du fait qu'elle est contenue dans les plus grandes manifestations et réalisations de chaque nation. Il dégage une conception ainsi qu'une fonction empiriste de l'idée européenne laquelle constitue en premier lieu «l'expérience personnelle» de grands hommes alors que leur nation constitue leur destin rejoignant l'idéal de l'universalité intellectuelle et philosophique d'un Goethe, tout en inspirant la conception bien spécifique de la nation hispanique au sens où un José Antonio Primo de Rivera l'a définie: «unité de destin dans l'universel». Chez Hofmannsthal la grande idée de l'Europe suppose une phénoménologie créatrice de la pensée au sens où pour tout grand phénomène, toute grande pensée, toute philosophie, toute idée politique élevée, toute considération profonde du monde, en passant par Pétrarque, Kant, la musique de Bach à Beethoven, de Jules César à Napoléon, la peinture d'Ingres à Cézanne, deviennent inéluctablement européennes, dans la mesure ou l'idée européenne constitue le débouché et la prolongation directe et phénoménologique de la sphère nationale vers l'universalité. Hofmannsthal a su déceler et décrire les faiblesses et les stigmates désintégrationnistes et déliquescents de son époque qu'il impute aux «menées des prophètes du déclin et des bacchantes du chaos, des chauvinistes et cosmopolites», pour croire en l'action rédemptrice d'une élite unie par la grande idée de la restauration créatrice européenne «dont dépend la survie et la continuation de la vie spirituelle de tous les hommes de ce continent». Profonde unité spirituelle L'universalité et l'impérialité de l'idée d'Europe apparaît dans toute son intensité dans les notes pour un discours —L'idée d'Europe—  de Hugo von Hofmannsthal lequel considérant que l'unité de l'Europe n'étant ni géographique ni raciale ni ethnique, nous rappelle que son essence est avant tout idéologique et spirituelle. Cette idée de l'Europe hofmannsthalienne rejoint celle d'un autre grand Européen qu'était Drieu la Rochelle, lequel considérait que la profonde unité spirituelle des Européens de toute origine et de toute qualité était de participer à un magnifique destin qui vaut la peine de vivre et de mourir. Ce dernier écrivit que rien d'autre ne faisait la vertu secrète de Racine, de Voltaire, de Hugo que de participer au rêve d'orgueil européen de la France royale et de la France populaire. «Nous aussi, nous avons vécu et joui et pâti d'une loi que nous donnions à l'Europe, comme les Italiens du XVième, les Espagnols du XVIième, les Hollandais du XVIIième, les Anglais du XIXième». Pour Hofmannsthal, l'Europe constitue avant tout un concept transcendant «une couche supérieure au-dessus des réalités», lequel joue le rôle de garantie commune et suprême pour un bien sacré, des institutions dont la substance et la dénomination évoluent au fil des époques: les Etats-Cités grecs sous forme des amphictyonies pour Delphes, Rome et l'Empire Romain pour le domaine commun de l'hellénisme, des parties de l'Empire émancipées en Etats ethniques pour Rome et pour la Papauté comme dépositaire et héritières de toute autorité centrale de l'Antiquité, les siècles des croisades comme mission et vocation de la Chrétienté, l'époque de la Renaissance et la défense de la latinité en tant que résurrection de la conservation d'un héritage fondamental, l'humanisme allemand, etc... Hofmannsthal a su déceler les effets dévastateurs des idéologies progressistes et révolutionnaires du XVième et du XIXième siècle, sur la conception “classique” et antique de l'Europe. Ainsi pour lui, l'idéologie des Lumières et de la révolution française a une faible valeur intellectuelle et dynamique, elle s'affirme dans le cadre d'“égoïsmes nationaux” et se caractérise par son conservatisme qui se limite “à freiner à préserver et non plus de créer et de propager” ce qui est le propre de la vocation missionnaire de l'Europe. Pour Hofmannsthal, depuis la révolution française, “l'Europe n'est plus ressentie comme intégrale des différents composants, mais comme système de stratification des composants”. Le déclin de l'idée d'Europe allait de pair avec le rétrécissement de l'idée antique de “mission”, laquelle a été reléguée à une instance administrative mondiale de type dirigiste. Hofmannsthal nous démontre le glissement progressif de l'Europe de sa sphère “culturelle et universelle” vers une zone de civilisation où le mercantilisme et l'argent constituent les principales valeurs. Dans le cadre d'une réflexion analogue, Maurice Bardèche avait quant à lui senti plus tard les prémisses du déclin de l'idée d'Europe avec l'abandon des empires qui a précédé le démembrement progressif de l'Europe, la substitution d'une passivité féminine à la définition traditionnelle de l'homme, et le triomphe dans le monde moderne de l'Argent et du mercantilisme sur les hiérarchies qualitatives des valeurs d'honneur, de courage, de loyauté, d'énergie et de civisme. Pour lui la démission des conquérants a inéluctablement précipité la chute idéologique et politique de l'Europe: «L'Europe avait perdu l'esprit impérial. Elle ne croyait plus à l'homme d'Europe. Elle avait honte de celui qui a un rire de seigneur». Hofmannstahl explique ce même déclin par une impuissance fondamentale de générer et de donner du “spécifique” et du singulier (sinon d'échanger des marchandises) et par une lente dégénérescence spirituelle ainsi que par une dissociation de l'âme individuelle et collective des peuples si bien illustrée par cette phrase: «La religion, l'humanisme de l'Europe, ne s'achetaient pas, étaient difficiles à donner, infiniment difficiles à accepter mais ils découlaient de la totalité de l'âme, ils réclamaient la totalité, façonnaient la totalité». Hofmannsthal a foi néanmoins en la résurrection de l'idée de l'Europe «fatiguée et exténuée d'avoir trop servi par une reconquête, une “repossession”, une “réintégration” spirituelle chez des individus isolés, communauté silencieuse et agissante pour lesquels la notion et la culture européennes constituent une norme absolue et pour lesquels la perspective triomphante de la renaissance européenne s'inscrit dans le cadre d'une “expérience rafraîchie de cette idée dans son antique sainteté”». Jure VUJIC.

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La voie celtique

Detlev BAUMANN :

 

La voie celtique

 

Analyse : Ian BRADLEY, Der Keltische Weg, Knecht, Frankfurt am Main, 1996, DM 48, ISBN 3-7820-0732-8.

 

 

L’engouement pour les matières celtiques est significatif en Allemagne aujourd’hui, dans la mesure où il est relativement récent, une trentaine d’années tout au plus, si l’on fait abstraction des travaux de philologues pointus ou d’une figure comme von Thevenar, l’ami d’Olier Mordrel et le spécialiste du nationalisme breton. Dans l’historiographie allemande d’il y a quelques décennies, l’accent avait été mis essentiellement sur l’héritage germanique, opposé à l’apport romain par protestantisme anti-catholique (Los von Rom) ou par nationalisme nordicisant. La part celtique de l’héritage allemand, pourtant bien présente dans les provinces du sud du pays, a été la parente pauvre pour les littérateurs faisant la mode et les idéologues. Elle n’a pas été mobilisée pour enchanter les esprits et pour faire rêver les cœurs ardents, elle n’a suscité ni engouement juvénile ni dynamique féconde. On a généralement jugé que la dynamique celtique s’était épuisée sur le territoire du Reich, depuis la conquête romaine. A l’époque nationale-socialiste, les références germaniques dominaient le discours, mais elles étaient flanquées d’un culte pour l’esthétique romaine et néo-classique, héritage des traités d’architecture de Vitruve. H. F. K. Günther, raciologue très prisé en dépit de ses réticences à l’égard du régime, rejetait celtisme et druidisme sous prétexte qu’ils étaient les expressions du substrat ethnique pré-indo-européen et matriarcal, débouchant sur la licence sexuelle et sur l’intempérance féminine, ce qui détournait l’homme-citoyen, le civis, de ses deux vertus cardinales d’homo politicus, la magnanimitas et la temperentia.

 

 

Pourtant, plus tard, une analyse méticuleuse du folklore très vivant, des carnavals et des rites agrestes printaniers dans les régions du sud de l’Allemagne —Baden-Wurtemberg, Bavière et Suisse alémanique—  indique des origines pré-romaines et pré-germaniques, donc issues des cultures de Hallstatt et de La Tène à dominante celtique. Le celtisme actuel n’est donc plus l’indice d’une francophilie déguisée, parfois soutenue par certains services spéciaux de la République, mais un recours aux racines locales, tout comme les germanisants de Westphalie, de Basse-Saxe ou du Slesvig-Holstein recourent à leurs propres racines locales ou comme les romanisants se rappellent le passé de Trèves, la Rome du Nord.

 

 

Enfin, nous le verrons, le panthéisme et l’immanence non désacralisée, propres de la spiritualité celtique, se marient assez aisément avec un écologisme bien compris, à l’heure où les idéologies vertes ont un impact profond sur l’opinion publique allemande.

 

 

La parution en version allemande du livre de Ian Bradley, celtisant écossais, professeur à Aberdeen, intéresse le public germanophone à plus d’un titre. Notamment parce qu’il rappelle clairement l’enjeu du pélagisme, c’est-à-dire des doctrines de Pélage, plus libertaires et plus naturelles que celles, officielles, de l’Eglise de Rome, tirées du pessimisme aigre et hostile au monde de Paul de Tarse et d’Augustin. Pelagius (Pélage), ennemi juré d’Augustin, décrété hérétique et adversaire “sournois” de la “Sainte Eglise”, est né en (Grande)-Bretagne ou en Irlande vers 350, a passé une grande partie de sa vie à Rome et est mort en Egypte en 418. La pensée de Pélage est centrée sur la “libre volonté” de l’homme. Ce dernier n’est pas a priori déterminé ou prédestiné par un Dieu sans cœur et sans oreilles à être ceci, rien que ceci, et jamais cela, mais doit se forger une éthique ascétique et rigoureuse, échapper au vice et au laxisme moral, et, en même temps, s’ouvrir, émerveillé, aux merveilles du monde et de la création par un exercice quotidien de sa volonté. La libre volonté de l’homme lui per-met d’utiliser à sa guise le capital de grâce que Dieu lui a donné à la naissance.

 

 

Pelage rejette aussi l’idée d’un péché originel qui marque l’homme, fait de lui une créature vile, incapable de se dégager du mal et du stupre. Pelage, face à la doctrine augustinienne du péché originel, de la tache indélébile qui souille l’âme humaine, développe une vision perfectionniste : l’homme reçoit d’un Dieu généreux et non pas jaloux et hargneux, les moyens de sortir de sa condition. A lui de les utiliser, de faire l’effort nécessaire pour atteindre des niveaux supérieurs de perfection. Dieu est toujours libérateur, jamais juge, distributeur de punitions et de sanctions humiliantes. La “voie celtique” de Bradley est donc une voie perfectionniste et libératrice (mais anagogique et non catagogique), très éloignée de la marotte du péché originel et de l'idée d’un tribunal céleste ou d’un “Jugement Dernier”, caractéristique des doctrines officielles de l’Eglise.

 

 

L’héritier philosophique de Pélage, resté ancré dans cette “voie celtique”, fut Scot Erigène (né au début du IXe siècle). Ce philosophe irlando-écossais a sur-tout réfuté le dualisme des doctrines officielles de l’Eglise. Pour lui, Dieu n’est pas fondamentalement séparé de ses créatures. Il nie la césure absolue instaurée par Paul de Tarse et Augustin entre le divin et le mondain (mundanus, c’est-à-dire “immanent”). Ses ouvrages, Periphyseon et De Divisione Naturae, renouent avec la vision qu’avaient les Grecs de la physis. Le monde immanent et matériel est fondamentalement bon, professait Scot Erigène, ce qui lui valu d’être accusé de “panthéisme”. Dieu, pour Scot Erigène, est actif dans la création. “Créer” et “Etre” sont une seule et même chose, une dynamique constante, positive, féconde et merveilleuse. Il y a dans la nature un mouvement cyclique perpétuel, forçant l’esprit à revenir constamment à son point de départ, après avoir pérégriné vers, entre et dans diverses formes qui enrichissent et embellissent le monde (pérégrinations et cycles qui nous rappellent le Samsara bouddhique).

 

 

En cette fin de XXe siècle, écrit Bradley, la vague écologique, le retour à des pensées de type systémique, les démarches organiques devaient nécessairement conduire à une redécouverte des philosophes celtiques de la fin de l’antiquité et du début du moyen âge, afin d’explorer des sources occidentales, écrites en grec ou en latin, et de ne pas en rester à un orientalisme parfois caricatural et mal compris. Le rejet de toute malédiction prononcée à l’endroit des choses naturelles, le rejet du péché originel, débouchent sur une pensée rétive aux séparations et aux césures et forcément favorable aux rapprochements, aux réconciliations et aux synergies. Bradley cite deux auteurs celto-britanniques récents qui ont étudié le passé philosophique irlando-écossais et “hérétique” : H. J. Massingham et Noel O’Donoghue. Dans The Tree of Life, Massingham écrit : «Si l’Eglise britannique [= irlando-écossaise] avait survécu, sans nul doute la rupture profonde entre christianisme et nature, qui s’est accrue sans cesse au fil des siècles, aurait disparu et n’aurait pas rompu les liens qui unissaient jadis l’homme occidental à l’univers». Quant à O’Donoghue, dans son étude Patrick of Ireland, il écrit : «Le pessimisme et l’anti-humanisme du vieil Augustin ont glacé et assombri la chrétienté occidentale. Seule la chrétienté celtique a échappé à ces ombres sinistres. Dans le cadre de cette tradition, des hommes et des femmes se sont ouvert à Dieu et à la nature humaine, créant un climat de confiance absolue entre ces deux dimensions».

 

 

Bradley voit dans cet héritage philosophique une évidente continuité avec l’immémoriale paganité celtique, antérieure à la romanisation et la christianisation des Iles Britanniques. La présence et l’immanence du divin, la sacralité de la Terre étaient déjà des traits caractéristiques de ce paganisme de la frange extrême-occidentale et atlantique de notre Continent. Ensuite, cette vision celtique du monde donne une place prépondérante à l’imagination, à la libre imagination des hommes, corollaire évident de leur libre volonté, de leur liberté de façonner et d’appréhender le monde selon un mode qui leur est à chacun particulier, unique, inaliénable. Le pessimisme aigre de Paul et d’Augustin a conduit la civilisation occidentale à un manichéisme sec, où tout est tout noir ou tout blanc. Le monde celtique, avec sa libre volonté et sa forte propension à l’imagination, est un monde de couleurs. Bradley écrit : «Notre monde est divisé et éclaté en catégories, tandis que le leur était holique ; tout était en relation avec tout, tout coopérait avec tout. Nous avons perdu la disposition d’esprit que symbolise le principal motif des Celtes, le nœud, ou, pour paraphraser Alexander Carmichael : “C’est la religiosité, païenne ou chrétienne ou combinaison des deux, qui exalte la compénétration de tout dans tout, qui accepte l’entremêlement de toutes les œuvres de la création sans exclusion, qui s’émerveille devant les imbrications, comme devant les couleurs scintillantes de l’arc-en-ciel”».

 

 

La triade de cette religiosité celtique est, d’après Bradley : Présence (=> imma-nence), Poésie (=> imagination), Pérégrination (=> odyssée dans le monde, regard itinérant et émerveillé face aux innombrables facettes de la création). L’héritage de Pélage nous force à redécouvrir, réinventer et réutiliser des concepts fluides et ondoyants. Pour remplacer les concepts-corsets d’une tradition sèche, sans relief, sans couleurs. Heidegger nous avait demandé de “re-fluidifier” les concepts. Heidegger a été clair : cette refluidification des concepts implique un retour aux racines grecques et pré-socratiques (Bradley dira : au pélagisme et à la celtitude, et nous restons ainsi dans le domaine indo-européen ; dans la Perse islamisée, pour échapper aux corsets d’un avicennisme desséché, Sohrawardi avait appelé à un retour à la sagesse avestique). Derrida, en récla-mant la déconstruction des concepts-corsets et le recours aux filons mystiques des pensées européenne, juive et arabe, a été ambigu. Chez lui et chez les terribles simplificateurs de son œuvre, déconstruction rime hélas trop souvent avec hyper-relativisme, dissolution et déliquescence, ce qui permet aux intellectuels catholiques de les accuser d’anarchisme et de nihilisme. Pour nous, les choses sont claires : toute refluidification et toute déconstruction impliquent un retour et un recours à des racines, grecques, celtiques ou autres, païennes et mythologiques à coup sûr. Je ne crois pas que Derrida et ses disciples parisiens aient en-vie de nous suivre sur ce chemin, dans ce retour au mythe. Tant pis s’ils s’enfoncent ainsi dans une impasse, ce n’est pas notre problème. Quant à l’imagination, pour laquelle plaide Bradley, on sait ce qu’en ont fait les soixante-huitards, qui promettaient de l’incarner hier dans l’effervescence de la contesta-tion et qui la tuent sans pitié aujourd’hui en tenant les rênes du pouvoir politique et médiatique… Dans les cortèges dirigés en 68 par Cohn-Bendit, personne ne songeait aux racines grecques ou celtiques. L’imagination n’était qu’un mot, qu’un slogan, non une poésie héritée et vécue. Une fois assis dans les fauteuils de leurs ministères, ces pétitionnaires ont continué l’œuvre des Paul et des Augustin. Instaurant la plus subtile des tyrannies qu’ait connue l’histoire. Sans racines, point de salut.

 

 

(Detlev BAUMANN).

 

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D. Venner: l'impératif de l'historien

Entretien avec Dominique Venner

 

L’impératif de l’historien

 

 

Dominique Venner n'est pas un historien ordinaire. Aujourd'hui directeur de la rédaction du trimestriel Enquête sur l'histoire, son parcours, atypique pour un érudit, a imprimé à

 

son prestigieux magazine une marque unique dans le panorama des revues historiques françaises. Car c'est au feu même de l'histoire que Dominique Venner s'est forgé, prenant une part active à tous les engagements idéologiques de l'après-guerre, des affrontements étudiants du Quartier Latin aux longues traques silencieuses du Djebel. Un activisme scellé par des années de réclusion dans les geôles gaullistes.

 

Epoque de solitude et d'introspection, ses barricades ne seront plus de pierre désormais mais de livres. De liber, racine latine du mot “livre” mais aussi du vocable “liberté”. A n'en point douter, il y a quelque chose d’Ernst von Salomon en Dominique Venner. Nous avons voulu en savoir davantage sur l'homme, sur sa vision de l'histoire et, ce faisant, sur le rôle qu'il assigne à Enquête sur l’histoire en ces temps d'amnésie collective.

 

 

Votre parcours est pour le moins atypique. Loin d'être un rat de bibliothèque, vous avez connu l'école militaire de Rouffach, la guerre d'Algérie et les luttes politiques extraparlementaires avant de vous lancer dans l’écriture. Comment en êtes-vous venu à étudier l’histoire?

 

 

Dominique Venner : L'histoire n'est pas une déesse inexorable conduisant l'humanité selon un dessein défini. Ce n'est pas non plus une science exacte, même si sa connaissance fait appel à des méthodes et des procédés scientifiques. En imaginant une muse nommée Clio, les Anciens avaient senti que l'histoire s'apparente à l'art. Malgré le dépouillement de tonnes d'archives, certains éminents chercheurs ne comprendront jamais rien aux époques ou aux hommes qu'ils étudient. Il faut à l'historien non seulement de la méthode dans la critique des documents et témoignages, il lui faut aussi un certain flair qui ressemble à celui des marins et qui ne s'acquiert pas nécessairement à l'université. Dans ma jeunesse, à une place modeste, j'ai eu la chance de participer de près à quelques aventures historiques assez grisantes qui m'ont beaucoup appris. L'atmosphère de la guerre, les coups de torchon, les espoirs et les échecs m'ont été d'excellents maîtres. Ma perception s'en est certainement trouvée aiguisée. A l'époque, je demandais déjà à l'histoire d'apporter des réponses à mes interrogations Cela m'a aidé à supporter mieux que d'autres les épreuves, notamment en prison où j'avais le temps de lire, de méditer et de me préparer sans le savoir à mon métier d'historien

 

 

Considérez-vous Enquête sur l'histoire comme l'aboutissement de vos engagements successifs?

 

 

DV : C'est une entreprise artisanale très excitante que j'ai la chance de conduire dans une absolue liberté quant au choix des sujets et des auteurs. Je bénéficie du concours d'historiens de sensibilités différentes qui apprécient, semble-t-il, notre refus des conformismes intellectuels et notre façon de remettre les pendules à l'heure. L'un de mes soucis est de favoriser une connaissance de l'histoire qui ne soit pas franco-centrée et qui montre comment les mêmes évènements ont été vécus ou compris par d'autres peuples européens. Pour répondre plus directement à votre question, Enquête sur l’histoire bénéficie nécessairement de ce que j'ai appris préalablement. L'avenir dira si c'est un aboutissement ou un commencement.

 

 

Le milieu des historiens est fermé et dans les kiosques, les places sont chères pour les revues, spécialisées. Etes-vous accepté par vos confrères historiens et comment perçoivent-ils Enquête sur l’histoire?

 

 

DV : Nous sommes très convenablement diffusés en kiosques, malgré une absence de moyens qui nous interdit, contrairement à certains confrères, de soutenir notre diffusion par de la publicité. Que nous sayons acceptés par les historiens, il suffit pour en prendre conscience de regarder la liste longue et diversifiée de ceux qui signent des articles ou nous accordent des entretiens. Cela dit, le milieu universitaire est soumis aux pesanteurs lourdes de la société et on ne peut jamais plaire à tout le monde.

 

 

Depuis qu'on a fait à l’histoire la réputation d'être une science, les écoles et les systèmes ont fleuri. Pour votre part, où vous situez-vous?

 

 

DV: Ce qui caractérise la société dans laquelle nous vivons et ses classes dirigeantes, c'est le rejet de l'histoire, le rejet de l’esprit historique. Celui-ci avait plusieurs mérites. Il assurait d'abord la vigueur du sentiment national ou identitaire. Il permettait d'interpréter le présent en s'appuyant sur le passé. Il développait l’instinct stratégique, le sens de l'ennemi. Il favorisait aussi une distance critique par rapport au poids écrasant du quotidien. Ce rejet de l'histoire s’accompagne paradoxalement d'une hypertrophie médiatique de ce qu'on appelle la « mémoire », qui n'est qu'une focalisation partielle et partiale d'évènements contemporains. Comme les autres spécialistes des sciences humaines, les historiens subissent le chaos mental de l'époque et participent à l'effort général de déstructuration. Sous prétexte de répudier tout impérialisme culturel, l’enseignement de l'histoire a brisé le fil du temps, détruisant la véritable mémoire du passé. Suivant l'expression d’Alain Finkielkraut, il nous apprend à ne pas retrouver dans nos ancêtres l'image de nous-mêmes. Le rejet de la chronologie est un procédé très efficace pour éviter une structuration cohérente de l'esprit. Cela est bien utile. La cohérence gênerait la versatilité et le tourbillonnement dont se nourrit une société soumise à la tyrannie de l'éphémère et de l'apparence. Ma conception de l'histoire est évidemment différente. Je l'ai définie dans l’éditorial du premier numéro d' Enquête sur l’histoire: « Notre vision du passé détermine l'avenir. Il est impossible de penser le présent et le futur sans éprouver derrière nous l'épaisseur de notre passé, sans le sentiment de nos origines. Il n'y a pas de futur pour qui ne sait d'où il vient, pour qui n'a pas la mémoire d'un passé qui l'a fait ce qu'il est. Mais sentir le passé, c'est le rendre présent. Le passé n'est pas derrière nous comme ce qui était autrefois. Il se tient devant nous, toujours neuf et jeune».

 

 

Alors que la circulation de l'Euro est programmée, croyez-vous que l'histoire a encore une place à tenir dans l'avenir du continent, et dans l'affirmative, comment votre expérience vous amène-t-elle à la concevoir?

 

 

DV: Je ne vois pas en quoi l'avènement de la monnaie unique pourrait arrêter l'histoire, entendue cette fois comme ce qui advient d'inédit et d'imprévisible. En soi il s'agit d'un fait historique, dont la portée échappe certainement à ses géniteurs. Je n’éprouve pas d'angoisse particulière devant la mise en place de nouveaux instruments unitaires en Europe. Je ne crois pas du tout que l'Europe institutionnelle, aussi critiquable soit-elle, nuise à l'identité des peuples associés, plus que ne l'ont fait leurs Etats respectifs depuis cinquante ans. Pour simplifier à très grands traits et sans négliger d'autres causes, il faut bien voir que la nouveauté immense du dernier demi-siècle, préparée par la catastrophe de la Première Guerre mondiale, c’est l'effacement de l'Europe et sa soumission plus ou moins consentante à l'empire américain qui lui impose ses normes ainsi que ses maladies sociales et intellectuelles. Des maladies auxquelles on n'a pas encore trouvé d'antidotes. Sur le moyen terme, je ne crois pas à la survie de cet empire dont les prétentions sont excessives. L'Europe elle-même est un morceau trop gros à digérer. Notre situation n'est pas celle de sauvages faciles à éblouir, à mater et à déculturer. Nos assises culturelles, fort différentes de celles des Etats-Unis, sont infiniment plus riches et anciennes. Les réveils et les rejets viendront inéluctablement. En attendant, les Européens éclairés doivent apprendre la patience et la résistance, deux vertus à laquelle leur histoire ne les a pas préparés. Qu'ils lisent Soljénitsyne, cela les y aidera.       

 

(propos recueillis par Laurent Schang).

 

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R. Steuckers: rencontres avec Marc. Eemans

Robert Steuckers :

Mes rencontres avec Marc. Eemans

C’est Daniel Cologne, collaborateur des revues Défense de l’Occident et Totalité, qui m’a mis en contact avec Marc. Eemans. C’était en 1978. Daniel Cologne revenait voir ses parents  —dont je n’oublierai jamais l’immense gentillesse ni le sourire de sa maman—  à Bruxelles régulièrement, car il travaillait entre Genève et Paris. Lors de ces visites, il me donnait souvent rendez-vous pour discuter de Julius Evola et de tout ce qui tournait autour de son œuvre, de la Tradition et de René Guénon. Ce jour-là, il était enchanté d’avoir pris contact avec l’un des derniers représentants du surréalisme historique qui s’intéressait également à Julius Evola. Je ne percevais pas encore très bien quel pouvait être le rapport entre le mouvement Dada et les surréalistes de Breton (dont je n’avais lu, à l’époque, que L’anthologie de l’humour noir), d’une part, et l’univers traditionnel auquel Evola nous avait initiés, d’autre part. Cologne m’a annoncé, ce jour-là, que Marc. Eemans exposait ses œuvres dans une galerie de la Chaussée de Charleroi, à Saint-Gilles-lez-Bruxelles. Avec l’enthousiasme juvénile, sans hésiter, j’ai sauté dans le premier tramway pour rencontrer Eemans. Il était assis au fond de la galerie, devant un bureau de taille impressionnante, et feuilletait un magazine, le nez chaussé de ses lunettes à grosses montures noires. Il m’a reçu chaleureusement, enchanté de découvrir qu’Evola avait encore de très jeunes adeptes, y compris à Bruxelles. Je me suis empressé de lui dire que je n’étais pas le seul, que je lui ferai rencontrer mes copains, surtout le regretté Alain Derriks, passionné de traditionalisme (et de bien d’autres choses de l’esprit). Jef Vercauteren, qui avait tenté quelques années auparavant de lancer des cercles évoliens en Flandre, avait malheureusement disparu dans un accident d’automobile en 1973, tout comme Adriano Romualdi, le jeune disciple politisé d’Evola, mort la même année en Italie, dans des circonstances analogues. Eemans pensait enfin réaliser le vœu de Jef Vercauteren, travailler après lui à promouvoir en Flandre et aux Pays-Bas le corpus légué par Evola. 

Cette rencontre dans la galerie de la Chaussée de Charleroi est donc à l’origine du lancement de la section belge du Centro Studi Evoliani, appelation qu’Eemans avait reprise de l’initiative parallèle de Renato del Ponte, l’homme qui avait transporté les cendres du Maître sur le sommet du Monte Rosa, selon ses dispositions testamentaires, et dirigeait la revue Arthos. Cette rencontre est aussi à l’origine des longues conversations à bâtons rompus que j’ai eues avec Eemans pendant plusieurs années.

 

Le «Centro Studi Evoliani»

Grâce à la générosité et l’enthousiasme de Salvatore Verde, haut fonctionnaire de la CECA en poste aux Communautés Européennes, le Cercle Evola de Bruxelles a pu démarrer et organiser régulièrement des réunions privées où l’on discutait surtout des derniers numéros de Totalité parus, des initiatives de Georges Gondinet (son bref essai La nouvelle contestation  a eu un grand retentissement dans notre petit groupe), de Philippe Baillet et de Daniel Cologne en France et en Suisse. Parfois nous sortions du cadre strictement évolien, notamment quand, pendant une après-midi entière, nous avons évoqué la figure de Martin Heidegger, dont la revue Hermès, fondée avant-guerre par Marc. Eemans (j’y reviens !), avait publié les premiers textes traduits en français. A l’époque, Alain Derriks (1954-1987), moi-même et quelques autres amis potassions essentiellement Les écrits politiques de Heidegger  de Jean-Michel Palmier (L’Herne, 1969). Au cours de cette réunion, j’ai été très impressionné par une amie germaniste de Marc. Eemans qui nous a admirablement lu, avec une diction superbe et poignante, le discours qu’avait rédigé le philosophe de la Forêt Noire sur la figure du martyr politique le plus célèbre de l’Allemagne de Weimar : Albert-Leo Schlageter.

 

Une autre fois, dans un salon privé de la rue de Spa, j’ai présenté maladroitement un texte de Nouvelle école sur la notion d’empire, dû à la plume de Giorgio Locchi. A cette occasion, j’ai rencontré Pierre Hubermont, ancien écrivain prolétarien de sensibilité communiste, détenteur en 1928 du Prix de la littérature prolétarienne, directeur de la revue La Wallonie  et animateur principal des Cercles Culturels Wallons (CCW) pendant la seconde guerre mondiale, sans jamais avoir renié ses idéaux communistes et prolétariens de fraternité internationale. Pierre Hubermont était presque nonagénaire en 1978-79 : il m’a prodigué des conseils avec la patience d’un grand-père affable, a renforcé en moi la conscience impériale, seule garantie de paix en Europe. Au-delà de la barrière des années et des expériences, souvent insurmontable, nous étions d’accord, lui, l’octogénaire avancé, mûri par les revers mais indompté, et moi, le jeune freluquet qui venait à peine de franchir le cap de ses vingt ans. L’effondrement du Saint-Empire, surtout après 1648, a ouvert la boîte de Pandore en Europe, ce qui nous a menés aux boucheries de 14-18 et à l’enfer de la deuxième guerre mondiale. Deux choses chez Pierre Hubermont m’ont également frappé ce jour-là et sont restées gravées dans ma mémoire : une diction et un verbe choisis, une précision de langage dépourvue de froideur, où l’enthousiasme était intact, malgré les adversités de la vie qui ne l’avaient pas épargné.

 

On le voit : des commentaires sur l’aventure éditoriale de Totalité  et des péripéties du mouvement évolien en Italie (avec Romualdi, Freda et Mutti) aux exposés sur Pareto, Heidegger, Wirth, Guénon, Dumézil, Eliade, Coomaraswamy et aux souvenirs de l’époque surréaliste, le Cercle Evola a été une bonne école, une école d’éveil sans contrainte. Les plus jeunes assistants —après les séances et dans une autre salle où nous fumions de longs cigares cubains et buvions soit du whisky sec soit du vin rouge, parfois jusqu’à une franche ébriété—  se passionnaient bien évidemment pour La désintégration du système de Freda et pour toutes les formes qu’avait prises la quête de l’inflexible “Capitaine” de Padoue à l’époque : exploration des écrits de Celse et de l’Empereur Julien (que les Chrétiens nomment “L’Apostat”), de Porphyre (ses Discours contre les Chrétiens), de Sallustius (Sur les dieux et sur le monde), etc. Mutti a un jour avoué sa surprise à Baillet : qui pouvaient donc être cette équipe de Bruxellois qui commandaient jusqu’à cinq exemplaires de chaque livre du catalogue de ses éditions… ?

 

Des conversations à bâtons rompus…

Entre ces réunions, je rendais souvent visite à Eemans, qui n’habitait pas loin de l’école de traducteurs-interprètes où j’étais inscrit. Nos conversations, comme je viens de le dire, étaient à bâtons rompus, presque toujours autour d’un solide verre de Duvel, trouble et mousseuse, pétillante et traîtresse (la potion magique des Brabançons) : Marc. Eemans me parlait souvent d’Elsa Darciel (comme il en parle dans “Soliloque d’un desperado non nervalien”, cf. infra). Elsa Darciel était une amie chorégraphe de notre peintre. Elle avait connu le dissident politique américain Francis Parker Yockey lors de ses quelques passages à Bruxelles, avant qu’il ne meure mystérieusement dans une prison du FBI en 1961. Eemans évoquait aussi les philologues germanistes wagnérisants qui avaient marqué ses années d’athénée à Termonde (E. Soens et J. Jacobs, Handboek voor Germaansche Godenleer, Gand, 1901) et éveillé ses goûts pour les mythes et les légendes les plus anciennes. Plus tard, cet engouement s’exprimera dans les colonnes de l’édition néerlandaise de Hamer, où l’empreinte d’un autre grand spécialiste de l’antiquité germanique s’est fait sentir, celle de Jan De Vries.

 

Marc. Eemans était une source intarissable d’anecdotes, de potins, d’histoires drôles, forçant son interlocuteur à voir le monde des arts et des lettres par le petit bout de la lorgnette. Il ne cessait de se moquer des travers et des vanités des uns et des autres, se montrant par là foncièrement brueghelien et brabançon (bien qu’il soit originaire de Flandre orientale). Les sots s’insurgent souvent devant un tel franc parler. Justement parce qu’ils sont sots. Pour moi, cette absence totale d’indulgence devant le spectacle des vanités humaines a été la grande leçon de Marc. Eemans. Tant le petit monde du surréalisme d’avant-guerre que celui de la collaboration ou celui des cénacles culturels de l’après-guerre n’échappaient à ses moqueries. Un leitmotiv  revenait toutefois sans cesse : les Pays-Bas (Nord et Sud confondus) ont une spécificité ; cette spécificité s’exprime par les arts plastiques, par les avant-gardes et les audaces qui s’y manifestent. Pour lui, ni le Paris des intellectuels à la mode ni l’Allemagne nationale-socialiste, avec son obsession de l’“art dégénéré”, n’avaient le droit de s’ingérer dans la libre expression de ces arts donc de cette spécificité. Eemans, même dans les coulisses de la collaboration intellectuelle, est resté, sans compromis, un avocat de l’art libre. Une position libertaire intransigeante et inconditionnelle qu’oublient aujourd’hui beaucoup de donneurs de leçons, de moralistes à la petite semaine, de fonctionnaires subsidiés de la culture (avec carte de parti et affiliation au syndicat).

 

La revue «Hermès»

Lors de ces conversations, immanquablement, nous avons un jour évoqué la revue Hermès, qu’il avait fondée avec René Baert dans les années 30. Il m’en a montré des exemplaires, les derniers en sa possession. Un petit tas de revues, ô combien émouvant et précieux. Je me rappelle de les avoir feuilletées avec dévotion : sur les couvertures apparaissaient les noms de Henry Corbin, de Karl Jaspers, de Martin Heidegger, de Henri Michaux, de Bernard Groethuysen, etc. Marc. Eemans avait été leur éditeur. Il avait œuvré au sommet le plus vertigineux de la culture européenne de ce siècle et une inquisition barbare l’avait chassé de cet olympe. Il en avait la nostalgie. On le comprend.

 

Hermès est une ouverture sur la dimension mystique de la pensée européenne (et non-européenne). Bien avant Jacques Derrida, qui nous demande aujourd’hui, au nom du multiculturalisme, de nous ouvrir à l’Autre en explorant les traditions métaphysiques et philosophiques non-occidentales et la mystique (notamment arabe et juive), Eemans et Baert avaient clairement indiqué cette voie, au moins trente ans avant lui. Plus tard, Henri Michaux, lui aussi, membre de cette rédaction bruxelloise, évoquera ses “ailleurs”, bouddhistes ou taoïstes (et non pas seulement des “ailleurs” issus de l’expérimentation de toutes sortes de stupéfiants, mescaline et autres).

 

L’intérêt de Marc. Eemans pour Evola provient de cette quête et de cette ouverture qu’il fut l’un des premiers à pratiquer dans notre pays. En compulsant chez lui les exemplaires d’Hermès, qu’il me montrait, j’ai eu la puce à l’oreille et je n’ai plus jamais cessé de considérer cette piste comme essentielle. Déjà, en première candidature de philologie germanique aux Facultés universitaires Saint-Louis de Bruxelles, en 1974-75, j’avais eu l’audace de lier Héraclite, Goethe et Eliade, dans une exploration multidirectionnelle du mythe du feu, de la notion de l’éternel retour et du défi prométhéen. Je ne renie rien de cette ébauche de jeune étudiant, certes fort immature, mais néanmoins correcte dans son intention, corroborée a posteriori par des lectures plus savantes et plus attentives. Cette percée philosophique, plus acceptante et joyeuse que critique et rigoureuse, en direction de l’univers immense de l’extra-philosophicité avait déplu à la vieille fille lugubre et sinistre, décharnée et hagarde, qui pontifiait et pontifie encore et toujours dans cet établissement d’enseignement. Quelques jours avant la rédaction de ces lignes d’hommage à Eemans, un de ses étudiants me mimait ses grimaces coutumières, me paraphrasait ses tics langagiers ; en vingt-cinq ans, rien n’a changé : la pauvresse répète les mêmes bouts de phrases, prononce les mêmes salmigondis, n’a toujours pas écrit d’articles bien charpentés pour expliciter ses positions. Quel gâchis et quelle tragédie ! Elle devrait relire les textes de Nietzsche sur la sclérose des établissements d’enseignement : bonne thérapie du miroir. Outre l’ouverture à Hermès et la leçon d’Eemans, ponctuée de moqueries bien senties, deux livres m’ont aidé à poursuivre ces recherches, tout à la fois philosophiques et extra-philosophiques, toujours dans l’esprit d’Hermès : celui de l’Indien G. Srinivasan, The Existentialist Concepts and the Hindu Philosophical Systems (acheté à Londres en 1979 dans une librairie de la Gt. Russell Street, à un jet de pierre du British Museum) et celui de l’Américain John D. Caputo, The Mystical Element in Heidegger’s Thought, acquis à Bruxelles dix ans plus tard.

 

«Fedeli d’Amore» et «Lumières victoriales»

 

Corbin, collaborateur d’Hermès,  a exploré le mysticisme soufi et iranien pendant toute sa vie. Ses recherches ont certainement suscité quelques idées-forces chez Marc. Eemans. Corbin a étudié l’œuvre d’Ahmad Ghazâli, centrée autour de la notion de “pur amour”. Celle-ci a été reprise en Occident par Dante et ses Fedeli d’Amore, philosophes non abstraits, en route dans le monde, sous la conduite de l’Intelligence en personne (la “Madonna Intelligenza”). L’Amour qui compénétre tout, qui meut l’univers a toujours été une constante dans la pensée de Marc. Eemans, sans qu’il ait jamais négligé les amours plus charnels. “Nous étions de terribles hétéros”, déclarait-il, dans un entretien de 1990 accordé à Ivan Heylen, journaliste flamand de Panorama. Les “Platoniciens de Perse” avaient ouvert la pensée iranienne islamisée à la sagesse de l’ancien Iran avestique, retournant ainsi aux sources pré-islamiques et pré-chrétiennes de notre culture indo-européenne. Avec Sohrawardî, la pensée iranienne avait redécouvert la “haute doctrine de la Lumière”, une théosophie que l’on qualifie d’“orientale” par opposition à l’avicennisme occidental, devenu impasse de la pensée. Sohrawardî critiquait les péripatéticiens (disciples d’Avicenne) parce qu’ils limitaient les Intelligences, les êtres de lumière au nombre de dix (ou de 55) et s’appuyaient uniquement sur le raisonnement discursif et l’argumentation logique. C’est là une clôture qu’il convient de faire éclater, pour accepter la multitude de “ces êtres de lumière que contemplèrent Hermès et Platon, et ces irradiations célestes, source de la Lumière de Gloire et de la Souveraineté de Lumière (Ray wa Khorreh) dont Zarathoustra fut l’annonciateur”. Corbin parle à ce niveau d’une philosophie qui postule vision intérieure et expérience mystique, orientale (où l’“Orient” indique la voie et signifie concrètement l’ancienne Perse avestique). La vision intérieure permet à l’homme de capter ces “splendeurs aurorales”, expression du Flamboiement primordial, de la Lumière de Gloire (Xvarnah pour les Zoroastriens, Khorreh pour les Perses et Farr/Farreh  pour la forme parsie actuelle), cette énergie “qui cohère l’être de chaque être, son Feu vital, ses Lumières “victoriales”, archangéliques et michaëliennes (Michel étant l’Angelus Victor)”.

 

Ce détour par Corbin (cf. Histoire de la philosophie islamique, Gallimard, 1964) explique le passage graduel qu’ont effectué Eemans (et Evola) en partant du dadaïsme et/ou du surréalisme pour aboutir aux Traditions, mais explique aussi l’engagement ultérieur d’Eemans et de Baert aux côtés du “Feu vital” qu’ils ont cru percevoir dans les nouvelles idéologies des années 30 en général et dans le national-socialisme en particulier (ses dimensions wagnériennes et ses “cathédrales de lumière”). Cette “vision aurorale” des Platoniciens persans, qui s’est identifiée chez nos deux intellectuels bruxellois au Reich du swastika de feu (dixit Montherlant dans Le solstice de juin), s’est terminée tragiquement pour Baert ; elle a laissé beaucoup de désillusions et d’amertume dans le cœur de Marc. Eemans. Dommage qu’il n’ait jamais parlé ni sans doute entendu parler de l’Ordre fondé par Corbin, le “Cercle Eranos” qui a duré jusqu’en 1988 et qui se voulait une “milice de vérité”, un “Temple”, une chevalerie zoroastrienne, où l’on retrouvait également Mircea Eliade... Corbin disait : «Eranos n’était possible qu’en un temps de détresse comme le nôtre… En un temps où toute vérité authentique est menacée par les forces de l’impersonnel, où l’individu abdique son devoir de différer devant la collectivité anonyme, où pour celle-ci l’individualité même signifierait culpabilité, nous aurons été du moins l’organe d’un monde qui depuis la “descente des Fravartis sur Terre” n’a pas succombé aux forces démoniaques, et nous aurons contribué à la traditio lampadis, parce que ce monde impérissable aura été notre passion…». Le Prof. Gilbert Durand, qui confesse avoir été actif dans les “rencontres d’Eranos” ajoute : Renversement radical du monde de détresse au profit de l’appel secret et permanent qu’est cet “envers des ténèbres”. Eemans a-t-il eu connaissance de ce “Cercle Eranos” ? Il ne m’en a jamais parlé mais c’eût peut-être été un havre pour lui, un espace de consolation dans l’adversité…

 

Feu d’Héraclite, étincelle de Maître Eckhart, énergie de Schiller, élan vital de Bergson, lumière de la tradition ouranienne chez Evola, voilà autant de signes de la vitalité et de l’intensité impérissable des grands élans de la Tradition. C’est à ce monde-là qu’appartenait Eemans, c’est de ce monde-là qu’il avait la nostalgie, c’est de sa disparition qu’il souffrait, dans l’épaisseur sans relief du monde quotidien. Dans la recherche triviale mais nécessaire du pain quotidien  —sa hantise, sa cangue, il ne cessait de le répéter—, il sentait cruellement la blessure de l’exil. Un exil vécu dans sa propre patrie, gouvernée par des cuistres et devenue sourde à l’appel de tout Feu vital.

 

Bon nombre de souvenirs se bousculent encore dans ma tête : son intervention vigoureuse pour clore le bec d’un médiocre et grossier contradicteur de Jean Varenne lors d’une conférence du GRECE-Bruxelles ; la rencontre avec Paul Bieh­ler, exégète d’Evola ; sa présence lors de la conférence de Philippe Baillet à la tribune d’EROE, chez le regretté Jean van der Taelen ; la soirée mémorable chez lui, après un séminaire du GRECE-Bruxelles sur la Sociologie de la révolution de Jules Monnerot (aussi un ancien du surréalisme), où son épouse Monique Crokaert m’a remis son recueil de poèmes, Sulfure d’Alcyone (d’où je tiens à extraire ces quelques vers :

 

«Il fait soleil dans mon cœur.

 

Je donne, je redonne, j’ai tout donné

 

A celui qui m’aime et me vénère.

 

Je l’ai quitté pour un temps d’évanescence.

 

Je m’en veux.

 

Mes pas sont des tendresses qui deviennent délires.

 

J’aspire à sentir l’effluence de celui que j’aime»).

 

Boisfort, Termonde, Saint-Hubert

Ensuite, il y a eu les vernissages et les hommages officiels, celui de Boisfort en 1982 dans la superbe Chapelle de Boondael, pour le 75ième anniversaire d’Eemans, avec un discours de Jean-Louis Depierris et un autre de Jo Gérard, en la présence de l’inoubliable “Alidor”, alias “Jam”, dans le civil Paul Jamain, le caricaturiste le plus drôle et le plus féroce du XXième siècle en Belgique, le compagnon de Hergé avant-guerre, disparu en 1994, laissant orpheline toute la presse satirique du royaume. Ce jour-là, Alidor a été un formidable boute-en-train. L’hommage de sa ville natale, Termonde (Dendermonde) en 1992, pour son 85ième anniversaire, a été particulièrement chaleureux. Les drapeaux des XVII Provinces claquaient au vent, suspendus aux mats de l’hôtel de ville, dans un superbe jeu de couleurs chatoyantes. Eemans avait également organisé en 1992 une rétrospective Saint-Pol Roux (1861-1940) à Saint-Hubert dans les Ardennes. Le symbolisme de Saint-Pol Roux et sa volonté de représenter une réalité idéelle, son style sombre, fait de métaphores imagées à la façon du surréalisme, étaient autant d’éléments qui fascinaient Eemans. Il avait réussi à attirer vers cette manifestation des spécialistes français, britanniques et allemands de cet auteur né en Provence et mort en Bretagne. A 85 ans, Eemans était toujours sur la brèche, sur le front de la vraie culture, tandis que la culturelle officielle vaquait à ses vraies bassesses.

 

Le dernier voyage

J’ai appris le décès de Marc. Eemans en revenant de notre dernière université d’été à Trente au Tyrol et de celle qu’avait organisée Jean Mabire en Normandie, trois jours plus tard ; quelques instants aussi après avoir appris la disparition de Maurice Bardèche, également âgé de 91 ans. Mabire m’a dit à mon retour de son université d’été qu’il avait reçu la dernière lettre d’Eemans, un jour après sa mort. Preuve simple, et sublime dans sa simplicité, que la lucidité et la fidélité n’ont jamais quitté notre surréaliste réprouvé, qu’il tenait son courrier à jour, soucieux de semer et de semer encore, même en terre aride, jusqu’à son dernier souffle. Il a tenu parole. Là, dans ce qui n’est qu’apparemment un détail, est son ultime grandeur. Une semaine ou deux après mon retour de Normandie, son épouse Monique m’a averti personnellement, m’a dit qu’il nous avait définitivement quittés et elle m’a aussi annoncé que Marc avait souhaité la dispersion de ses cendres dans les eaux de l’Escaut ou de la Mer du Nord. Finalement, l’autorisation a été donnée de procéder à cette cérémonie peu fréquente, au large d’Ostende. Le rendez-vous fut fixé au 25 septembre 1998. Une cinquantaine d’artistes, d’amis et d’admirateurs ont pris place à bord d’un bateau, pour accompagner Marc. Eemans dans son dernier voyage. La mer et le ciel étaient merveilleux, ce jour-là, tout en tons pastel, un bleu-gris avec scintillements argentés pour les flots, un bleu d’une douceur caressante pour le ciel. Les cendres de Marc se sont écoulées vers la mer, frôlant la coque de bois du vieux bateau de pêcheurs, requis pour cette mission funéraire. Deux bouquets ont été lancés à l’eau l’un par les mains tordues de chagrin de son épouse et l’autre par un ami, plus ferme mais aussi très ému. Un autre ami a entonné le «J’avais un Camarade», avec la forte voix et l’inébranlable conviction qu’on lui connaît depuis toujours.  Le bateau a tourné deux fois autour des bouquets, lentement, exécutant deux vastes mouvements de circonférence, permettant à chacun de se recueillir, avec toute la sérénité qu’il convenait, avec cette Gelassenheit  que nous a enseignée Heidegger. Une très belle cérémonie. Inoubliable.

 

Robert STEUCKERS.

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mercredi, 31 janvier 2007

Mircea Eliade et la Garde de Fer

Mircea Eliade et la Garde de Fer

 

 

par Giovanni MONASTRA

 

 

Analyse:

 

Claudio MUTTI, Mircea Eliade e la Guardia di Ferro,  Ed. All'Insegna del Veltro, Parma, 1989, 57 p., lire 8.000.

 

 

Au-delà des mythes de signes contraires qui cir­culent sur la Garde de Fer, au-delà des apologies ou des démonisations, on peut affirmer que le mou­vement de Codreanu était profondément lié à la culture et à l'âme de la Roumanie; tentant de se mettre au diapason de cette culture et de cette â­me, d'en épouser toute la complexité, cherchant à s'i­dentifier à elles, le mouvement de Codreanu lut­tait pour faire sortir la nation roumaine de son é­tat de décadence, de ces conditions d'existence ju­gées inférieures et propres aux pays balka­ni­ques marqués par l'esprit levantin. La Roumanie était sujette aux influences extérieures les plus dis­parates, qui aliénaient ses racines les plus an­ciennes, niées purement et simplement par une cer­taine culture de tendance «illuministe» qui s'in­crustait dans une société roumaine aux ré­fle­xes largement ruraux et intacts. L'action de la Gar­de de Fer, dans cette perspective, apparaît com­me une entreprise titanesque, parfois velléi­tai­re, vu la disproportion entre les forces en pré­sen­ce (les ennemis de la Garde de Fer détenaient le pouvoir absolu en Roumanie). Les légionnaires voulaient faire renaître leur peuple en très peu de temps, par le biais d'un activisme radical, portant sur de multiples niveaux: existentiel, éthique, spi­ri­tuel, où la politique n'était, finalement, qu'un ins­trument de surface, utilisé par une stratégie d'u­ne ampleur et d'une épaisseur bien plus vastes et profondes.

 

 

Dans les faits, la plupart des militants du mouve­ment s'exprimaient dans un style volontariste, en­tendaient témoigner de leur foi, faisaient montre d'un activisme fébrile, parfois aveuglé­ment a­gres­sif: lumières et ombres se superposent inévi­ta­blement dans le phénomène légionnaire. Cepen­dant, la force de ces militants profondé­ment sin­cè­res a attiré la sympathie des intellec­tuels atta­chés à la patrie roumaine, à sa culture nationale et populaire, à sa substance ethnique; parmi ces in­tel­lectuels: Mircea Eliade, un jeune chercheur, spé­cialisé dans l'histoire des religions et du fol­klore.

 

 

Stefan Viziru, est-il Mircea Eliade?

 

 

Récemment, la publication posthume en français et en anglais d'une partie des journaux d'Eliade a jeté une lumière nouvelle sur cette période et sur l'attitude du grand historien des religions. Clau­dio Mutti a analysé ces journaux, offrant à ses lecteurs, condensées en peu de pages, de nom­breu­ses informations inédites en Italie. Ce travail était nécessaire parce qu'en effet nous avons tou­jours été confrontés à une sorte de «trou noir» dans la vie d'Eliade, sciemment occulté par l'au­teur du Traité d'histoire des religions. Mutti, pour sa part, croit discerner les indices d'un en­ga­ge­ment dans l'un des romans d'Eliade, La forêt in­ter­dite,  aux accents largement autobiogra­phi­ques, qui se limite toutefois aux années 1936-1948.

 

 

Le protagoniste principal de l'intrigue du roman, Stefan Viziru, pourrait, d'après Mutti, dissimuler Eliade lui-même, mais sous un aspect qui, au pre­mier abord, n'est pas du tout crédible. Viziru, en effet, se manifeste dans le roman comme un an­ti­fasciste démocratique, bien éloigné des posi­tions de la Garde de Fer, mais qui est néanmoins arrêté pendant la répression anti-gardiste de 1938, parce qu'il a donné l'hospitalité à un légionnaire. Dans un tel contexte, Mutti estime très significatif le ju­gement exprimé par Viziru quand il s'adresse à un autre prisonnier de son camp d'internement: «Vous et votre mouvement accordez une trop gran­de importance à l'histoire, aux événements qui se passent autour de nous. La vie ne mérite­rait pas d'être vécue si, pour nous, hommes mo­dernes, elle ne se réduisait exclusivement qu'à l'histoire que nous faisons nous-mêmes. L'his­toi­re se déroule exclusivement dans le Temps, et, avec tout ce qu'il a de meilleur en lui, l'homme cherche à s'opposer au Temps [...]. C'est pour cette raison que je préfère la démocra­tie, parce qu'elle est anti-historique, je veux dire par là qu'el­le propose un idéal qui, dans une cer­taine me­sure, est abstrait, qui s'oppose au mo­ment de l'histoire». Sous bien des aspects, nous retrou­vons, dans ce jugement de Viziru, tout Eliade, a­vec son refus d'un devenir linéaire, ab­solu, quan­titatif, totalisant.

 

 

Justement, Mutti nie que l'identification Viziru-Eliade puisse être poussée au-delà d'une certaine limite. Pour appréhender la position réelle d'Elia­de vis-à-vis de la Garde de Fer  —on a af­firmé qu'il lui avait été totalement étranger—   il faut li­re le volume posthume de ses mémoires, concer­nant les années 1937-1960, où Eliade dé­ment ef­fectivement que le héros central de La fo­rêt in­terdite  est son alter ego, tout en donnant d'in­téressantes précisions pour comprendre quelles furent ses positions politiques et idéolo­giques à l'époque. Eliade nous livre en outre d'intéres­san­tes informations sur le climat qui rè­gnait en Rou­manie à la fin des années 30, au moment où le mouvement légionnaire connaissait un véritable triomphe. L'historien des religions nous décrit le sombre tableau des répressions gouvernementales contre la Garde de Fer: le roi et l'élite libérale-con­servatrice au pouvoir cher­chaient, par tous les moyens, à arrêter les progrès du mouvement lé­gion­naire. Pour éviter toute pro­vocation, Co­drea­nu avait choisi la voie de la non-violence, mais le gouvernement, vu l'insuccès électoral des listes qui le soutenaient et vu l'augmentation continue du prestige légionnaire  —comme l'écrit Eliade—  op­te pour le recours à la force: des milliers de mem­bres de la Garde de Fer furent emprisonnés, à la suite de procédures d'une brutalité inouïe, qui semblent propres aux gouvernants roumains de tou­tes tendances, comme l'a prouvé encore l'his­toire récente.

 

 

Mircea Eliade, assistant

 

de Nae Ionescu

 

 

Pendant la répression de 1938, plusieurs intellec­tuels qui avaient adhéré au mouvement de Co­drea­nu furent arrêtés, tandis que le Capitaine était assasiné, la même année, par des sicaires du ré­gime. Parmi les intellectuels embastillés, il y avait Nae Ionescu, un professeur d'université célèbre, dont Eliade était l'assistant. A propos de cette ar­restation, il écrit: «De manière directe ou indi­rec­te, nous étions tous, nous ses disciples et colla­borateurs, solidaires avec les conceptions et les choix politiques du professeur». Cette «syntonie» a duré  —même si Mario Bussagli a dissimulé une divergence de vue précoce entre les deux hom­mes—  car Eliade a prononcé le dis­cours fu­nèbre aux obsèques de son maître en 1940.

 

 

Au cours de la répression anti-gardiste, Eliade lui-même a été interné dans un camp de concen­tration, mais pour une période assez brève. Il re­fu­sa de signer une abjuration pré-rédigée du mou­ve­ment légionnaire, malgré les fortes pres­sions qui étaient exercées sur les prisonniers (et face aux­quelles un certain nombre d'entre eux cé­daient). Eliade affirme dans ses mémoires: «Je ju­geai qu'il était inconcevable de me dissocier de ma génération en plein milieu de la terreur, quand on poursuivait et persécutait des innocents». Une an­née auparavant, répondant à une question po­sée par le journal légionnaire Buna Vestire,  Elia­de avait déclaré: «Le monde entier se trouve au­jour­d'hui sous le signe de la révolution, mais, tan­dis que d'autres peuples vivent cette révolution au nom de la lutte des classes et du primat de l'é­conomie (communisme) ou de l'Etat (fascisme) ou de la race (hitlérisme), le mouvement légion­naire est né sous le signe de l'Archange Michel et vaincra par la grâce divine [...]. La révolution lé­gionnaire a pour fin suprême la rédemption du peu­ple». Dans cette phrase, transparait une adhé­sion au projet global de la Garde de Fer, qui n'est pas purement épidermique, de même qu'une men­talité bien différente de celle du personnage Stefan Viziru.

 

 

Après avoir consulté d'autres sources, Mutti sou­tient qu'Eliade a été candidat sur les listes électo­rales du parti de Codreanu et aurait été élu député peu avant la répression de 1938. Cette affirmation nous apparaît étrange, parce que si tel avait été le cas, si, effectivement, Eliade avait occupé un pos­te officiel et public, on l'aurait su depuis long­temps, sans même avoir eu besoin de recou­rir aux informations parues dans des publications jus­qu'ici méconnues et rédigées par des légion­nai­res en exil, publications auxquelles Mutti pou­vait accéder. Parmi les diverses mises au point pré­sentées dans ce petit volume, signalons la par­tie visant à démontrer qu'Eliade était antisémite, ce qui est un mensonge et ne peut servir qu'aux détracteurs fanatiques de sa pensée. Toutes cho­ses prises en considération, le travail de Mutti est équilibré quant au fond, en dépit de certains ex­traits qui idéalisent outrancièrement la Garde de Fer. Nous pouvons considérer que ce livre est une première contribution  —qu'il s'agira d'ap­pro­fondir—  à l'étude d'un segment de la vie d'E­liade, tenue par lui-même dans l'ombre, pour des raisons somme toute bien compréhensibles. D'un segment de vie étroitement lié à l'une des plus tragiques périodes de l'histoire roumaine.

 

 

Giovanni MONASTRA.

 

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Frères Jünger: guerre industrielle et prolétarisation du guerrier

Laurent SCHANG:

 

Guerre industrielle et «prolétarisation» du guerrier chez Ernst et Friedrich Georg Jünger

 

 

«Les contrées ardentes qui nous attendent, aucun poète ne les a encore contemplées dans ses rêves. Ce sont des champs de cratères glacés, des déserts avec des oasis aux palmiers de flamme, des murailles roulantes de feu et d'acier, et des plaines dévastées par la mort où passent de rouges orages. Des troupes d'oiseaux d'acier y volent à travers les airs et des machines d'acier y rugissent dans les champs (...)» Feu et Sang (Blut und Feuer).

 

 

Voici enfin publié le dernier volet manquant à la traduction française de la période guerrière de Ernst Jünger. Sous-titré Bref épisode d'une grande bataille (Ein kleiner Ausschnitt aus einer grossen Schlacht. Kriegssausbruch 1914), c'est une nouvelle fois à la maison “Christian Bourgois éditeur”, et ce à quelques mois d'intervalle avec la parution de La guerre comme expérience intérieure, que nous devons de parcourir, excellemment traduit par Julien Hervier, ce texte original écrit en 1925. Exercice d'approfondissement du chapitre «La grande bataille», d'Orages d'acier, le recueil de mémoires qui le révéla à la littérature en 1920, ce court texte d'à peine 190 pages traite dans une écriture dense, alerte, riche en métaphores et autres fulgurances stylistiques de la participation de l'auteur à l'offensive allemande de 1917. Enième assaut qui, d'emporter la décision finale, ne fit qu'ajouter à la déjà trop longue liste des milliers de nouveaux cadavres.

 

 

Témoignage brut, à chaud de l'engagement d'un jeune lieutenant des troupes de choc, l'échelle microscopique du témoignage, où n'intervient aucune considération d'ordre stratégique, accentue au paroxysme la fureur des combats, le déchaînement du facteur matériel et le retour au bestial de l'homme «civilisé», broyé par l'énormité des moyens mis en œuvre. Des propos dont l'amertume et la lassitude ne sont pas absentes.

 

 

Parallèlement vient de paraître dans la dernière livraison d'Allemagne d'aujourd'hui une longue étude de Danièle Bertran-Vidal  —spécialiste des frères Jünger, déjà remarquée par son précédent livre Chaos et renaissance dans l'œuvre d'Ernst Jünger (Bern, 1995)—  sur le premier «Kriegsroman» de Friedrich Georg Jünger, Der Erste Gang (La première marche). Livre de maturité, à l'inverse de Feu et Sang, rédigé en 1954, Der Erste Gang  retrace en huit récits le premier conflit mondial tel que le vécut l'empire austro-hongrois. S'appuyant sur des témoignages véridiques mais inventant personnages et actions, F. G. Jünger confronte les points de vue au sein de l'état multi-ethnique en guerre contre la Russie des tsars. Occasion d'effectuer le parallèle avec l'allié et cousin allemand, mais surtout, et ce qui retiendra davantage notre attention ici, d'aplanir sa réflexion sur les successives transformations du combat et l'inexorable régression du soldat de son rôle de sujet à celui d'objet, manoeuvré, manipulé, fondu dans la mécanique de guerre.

 

 

Une thématique largement présente dans l'œuvre des frères Jünger (Le Travailleur, La Mobilisation Totale, La Perfection de la technique) qu'exposent ces deux ouvrages avec une toute particulière acuité.

 

 

Les frères Jünger, chantres de la soldatesque

 

 

«Nous avons passé les derniers jours de l'automne à nous battre dans le sinistre plat pays des Flandres qu'assombrissaient de lourds nuages de pluie, nous avons ensuite été cantonné dans une position glaciale et peu sûre de l'Artois avant d'être jetés dans la brèche qu'avait ouverte dans le front l'offensive des tanks sur Cambrai».

 

 

L'action de Feu et Sang se situe le 21 mars 1917, premier jour de la première offensive allemande lancée par le Grand-Quartier-Général après l'échec de Verdun. Le mois suivant, ce sera au tour du généralissime Nivelle d'engager la contre-offensive entre l'Oise et Reims: 30.000 morts et 80.000 blessés en deux jours. Le fiasco sera complet et la mémoire collective conservera avec horreur le souvenir du «Chemin des Dames». Au mois de juillet de la même année, un nouvel assaut allemand sur Langemarck verra se croiser le destin des deux frères, Ernst ramenant vers l'arrière son jeune frère grièvement blessé, rencontré par hasard pendant la bataille. Coïncidence émouvante que relateront conjointement Ernst et Friedrich Georg Jünger dans Orages d 'acier (1920) et Grüne Zweige (1951). Episode hautement symbolique aussi pour qui connaît l'itinéraire littéraire et idéologique des frères Jünger, chantres de la soldatesque, penseurs de la civilisation révélés à eux-mêmes par la guerre. «Ici devient visible une nouvelle race qui s'était formée elle-même à la rude discipline de la guerre —élevée à l'école des batailles et familiarisée avec les outils dont on se sert pour la besogne de mort. Ici la volonté avait fusionné avec l'usage des moyens en une unité du plus haut rang guerrier».

 

 

A trente ans d'écart, les mêmes préoccupations harcèlent littéralement les deux essayistes, marqués au fer rouge, fascinés en historiens et philosophes par le changement radical opéré au cours des quatre ans de combat. De chaque côté, la même interrogation sur l'industrialisation de la guerre, la même analyse de la subversion complète des valeurs.

 

 

«Les forces de l'élémentaire croissent». Ces propos ne sont pas de Ernst mais de Friedrich Georg Jünger et traduisent supérieurement l'unité de pensée qui anime leur démarche respective. Quand, dans Der Erste Gang, Waldmüller est affecté à l'état-major viennois en 1916, F. G. Jünger inscrit sa réflexion dans la sienne propre, et énumère les nouvelles caractéristiques de la «guerre d'usure»: stabilisation du front, rupture d'avec la tradition stratégique, enlisement du combattant dans la lassitude, la monotonie. «On nous en a vraiment trop demandé» note avec abattement Ernst Jünger au premier chapitre de Feu et Sang.

 

 

«On nous en a vraiment trop demandé»

 

 

Dans cet univers figé, c'est sur le matériel que misent prioritairement les nouveaux Alcibiades: «... matériel  —ce terme étranger qui devait prendre bientôt pour nous un sens toujours plus terrible jusqu'à donner son nom aux batailles mêmes que nous allions livrer (...) Nous nous en fîmes une petite idée dans les premiers pilonnages d'artillerie (...) Mais c'est seulement après le broyage répété des offensives de Verdun (...) que se révéla à nous la volonté des grands Etats qui se traduisait sur le front en explosions de feu». Soigneusement programmée dans la logistique des belligérants, l'irruption de la révolution industrielle dans la menée des combats n'en stupéfie pas moins la piétaille des premières lignes. Le lyrisme épouvanté de Ernst Jünger en témoigne: «Voila ce qu'est le matériel. Devant le regard surgissent de vastes régions industrielles avec les chevalements des puits de charbons et l'éclat nocturne des hauts fourneaux  —salles des machines avec courroies de transmissions et volants étincelants, imposantes gares de marchandises avec leurs voies ferrées scintillantes, le papillotement des signaux lumineux de toutes les couleurs et l'ordonnance des blanches lampes à arc qui éclairent l'espace de manière géométrique. Oui, c'est là qu'on l'assemble et qu'on le forge selon les phases de travail méticuleusement réglées d'une gigantesque production, et ensuite il roule jusqu'au front sur les grandes voies de communication, comme une somme de performances et d'énergie emmagasinée qui se déchaîne contre l'homme de manière dévastatrice. La bataille est un affrontement entre industries et la victoire le succès du concurrent qui a su travailler plus vite et plus brutalement».

 

 

L'emploi par F. G. Jünger de termes mathématiques et techniques renforce davantage encore ce caractère nouveau de la guerre et lui confère des qualités d'horlogerie, millimétrage, calcul, précision, mécanique. «La guerre, c'était avant tout du travail, un dur travail physique» glisse-t-il dans un monologue du soldat Hammerstein. «...une totalité (...) noces de l'outil et du bras» lui répond en écho Ernst Jünger. «Ici, il n'est pas question d'enthousiasme mais de travail terre à terre, objectif qu'on ne peut apprendre du jour au lendemain».

 

 

Là commence le règne de l'absurdité

 

 

Point d'orgue de cette gigantesque préparation, l'assaut, fracassante libération du corps et de l'esprit dans la fusion de l'individu et de la matière. Les âmes dispersées, apeurées s'y rejoignent pour souder en une force irrésistible le bélier de la ruée. Feu et Sang  regorge de ces considérations mêlant chair vivante et acier froid: «Tout est monotone, uniforme et gris. Tout est objectif et fonctionnel comme la marche d'une machine en mouvement (...) Nous nous y insérons pour nous perdre dans le grand sens et la grande unité (...) candidats à l'examen d'histoire mondiale (...) Chacun devient par nécessité une partie vivante d'une force supérieure».

 

 

Pour les états-majors, désormais, le nombre supplante la manœuvre, la quantité la qualité. L'individu s'efface devant le gaspillage inouï en vies humaines: «La grande addition est posée: on va tirer là-bas le trait rouge de sa conclusion et nous sommes une fraction de petits chiffres avec lesquels on calcule» (Feu et Sang). Au guerrier se substitue le spécialiste. Là commence le règne de l'absurdité toute malapartienne: «Il y a des pertes. Günther von Wedelstadt tombe lui aussi, victime d'un coup de plein fouet de notre artillerie. C'est son frère qui commande une des batteries». Et dans cet enfer moderne, les frères Jünger discernent la part ineffable de l'homme, bourreau et victime de sa propre folie meurtrière dont se nourrira le nihilisme des années 20: «L'homme, en revanche, a été le premier à se former dans le feu des batailles; c'est lui qui confère au combat et aux moyens qu'il utilise un nouveau visage plus terrible».

 

 

...les argonautes tristes...

 

 

De part et d'autre, les mêmes images. «Ces visages sont livides, malpropres, minés par les nuits sans sommeil (...) les pommettes ressortant avec une netteté tranchante» (Feu et Sang), «maigres et émaciés (...) Des êtres hâves et efflanqués» (Der Erste Gang). Plus de passé et moins encore d'avenir pour les argonautes tristes. Et pourtant, dans cette guerre d'un genre neuf, combat d'ombres, immense chantier sillonné de fantômes, subsistent quelques parcelles d'humanité et de fierté recouvrée. Ainsi du face-à-face fortuit de Ernst Jünger et d'un jeune officier allemand dans le feu de la bataille, où s'échangent un sourire et une goutte de gnôle: «Sans nous dire adieu, nous nous précipitons à sa suite, l'un par-ci, l'autre par-là, sans espoir de jamais nous revoir», et de sa lecture de journaux abandonnés dans une position britannique enlevée: «Les Huns. Aujourd'hui, en tout cas, nous avons fait honneur à ce nom».

 

 

Ernst Jünger sera blessé trois fois et aura tué deux ennemis au cours de l'assaut. Le devoir accompli? «On fait son devoir et, ce faisant, on y manque» lui rétorque Hammerstein alias Friedrich Georg Jünger.

 

 

En annexe de Feu et Sang,  l'éditeur a eu l'heureuse idée de joindre un court récit de E. Jünger, écrit en 1934 et intitulé La déclaration de guerre de 1914.  On y trouve cet extrait à tout le moins prophétique: «Dans la poche de ma tunique, j'avais glissé un mince carnet, il était destiné à mes notes quotidiennes. Je savais que les choses qui nous attendaient étaient irrémédiables».

 

 

Laurent SCHANG.

 

 

- Ernst Jünger, Feu et Sang, Christian Bourgois éditeur, 1998.

 

- «Un «Kriegsroman» oublié: Der Erste Gang  de Friedrich Georg Jünger» de Danièle Bertran-Vidal in Allemagne d'aujourd'hui, premier trimestre 1998.

 

 

 

 

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Ph. Conrad sur la "reconquista"

Entretien avec l'historien PHILIPPE CONRAD sur la “Reconquista” espagnole

 

 

Q.: Qu'appelle-t-on “Reconquista”? Qu'en est-il du mythe et de la réalité pour l'histoire espagnole et européenne?

 

 

Ph.C.: Le terme n'apparaît pour la première fois qu'au XVIème siècle, dans le contexte bien précis de la lutte engagée entre Charles-Quint et les Ottomans, sur le front danubien comme en Méditerranée. Il désigne alors le conflit qui, pendant près de huit siècles a permis, avec des alternances de paroxysme et de relâchement, de libérer la péninsule ibérique de la domination musulmane qui s'y était imposée après la victoire remportée sur le roi wisigoth Roderic en 711, lors de la malheureuse bataille du rio Guadalete. Il est clair que les premiers “résistants” qui remportent, en 722 la “bataille” de Covadonga n'imaginent pas qu'ils sont les premiers acteurs d'une aussi vaste entreprise. Ce n'est qu'au cours des IXème et Xème siècles que les Chrétiens mozarabes, venus se réfugier dans les réduits chrétiens du nord de la péninsule, ont fourni à l'expansionnisme des jeunes principautés appelées à devenir les royaumes des Asturies, de Leon, de Castille, de Navarre et d'Aragon, les justifications religieuses de leur expansionnisme. A partir du XIème siècle, quand l'Islam andalou divisé se trouve en position de faiblesse, la croisade d'Espagne participe au grand mouvement d'expansion européenne et chrétienne des lendemains de l'an mil, un mouvement qui paraît ici irrésistible, une fois acquise, en 1085, la chute de Tolède. Mais l'irruption dans la péninsule des empires berbères, almoravide puis almohade, remet tout en question et maintient jusqu'au début du XIIIème siècle un certain équilibre des forces. La victoire chrétienne de Las Navas de Tolosa, obtenue en 1212, prélude à la reconquête du Portugal, de Valence, de Cordoue et de Séville, réalisée avant le milieu du XIIIème siècle. Seul demeure le petit royaume nasride de Grenade, qui ne sera finalement reconquis par les Rois Catholiques qu'en 1492. L'expulsion des derniers Morisques, à partir de 1611, peut être considérée comme la dernière étape de cette Reconquista qui a vu finalement le reflux des forces musulmanes vers l'Afrique du Nord.

 

 

La prise de Grenade a été célébrée aussi bien à Rome qu'à Londres ou en France où elle est apparue comme une revanche, près de quarante ans après la prise de Constantinople par le sultan Mehmed II... Pour l'Europe, cette longue Histoire apparaît donc comme l'un des épisodes d'une lutte multiséculaire menée contre le péril musulman, qu'il soit arabe ou turc. D'un point de vue strictement espagnol, cette confrontation prolongée a contribué à donner à la société, spécialement en Castille, le royaume majeur qui se trouvait en première ligne, un caractère militaire et aristocratique qui va la marquer profondément. Une fois accompli le gigantesque effort qui aboutit à la prise de Grenade, les hidalgos de Castille et d'Extremadure mettront leur indomptable énergie et leur foi intense au service d'un autre grand projet, la Conquête des Indes occidentales, qui allait donner à l'Espagne le gigantesque Empire que l'on sait.

 

 

Q.: Que pensez-vous de l'“hispanité” de l'Islam andalou?

 

 

Ph.C: C'est la thèse célèbre défendue par Claudio Sanchez Albornoz dans son España, un enigma historico. Selon ce brillant médiéviste, l'Espagne, depuis les Ibères, aurait manifesté des caractères particuliers, exprimé un génie propre qui ont fait qu'elle a toujours absorbé et assimilé ses différents conquérants, Celtes, Romains, Wisigoths ou Arabes. Cet “espagnolisme géologique” a été vigoureusement attaqué par son principal adversaire, Americo Castro, qui a soutenu pour sa part que l'Espagne était née au Moyen Age, dans le creuset où se mêlent les éléments divers issus de ses trois religions, le christianisme, le judaïsme et l'Islam. On peut renvoyer dos à dos ces deux auteurs. Contrairement à ce que croyait Sanchez Albornoz, les travaux les plus récents ont montré que l'Espagne a été beaucoup plus “arabisée” qu'on ne l'a cru longtemps. Les musulmans d'al Andalus se sont sentis, à l'évidence, musulmans avant d'être espagnols et l'Espagne a été perçue avant tout comme une terre d'Islam. A l'inverse, on peut penser, contre Americo Castro, que c'est la Reconquista et l'adhésion militante à un catholicisme de combat qui ont fait, pour l'essentiel, l'identité profonde de l'Espagne. L'hidalguismo, le souci de la limpieza de sangre, un code d'honneur très particulier ne peuvent guère se concevoir en dehors du système de valeurs issu de la Reconquista qui apparaît, sur le long terme, comme un élément fondateur de l'“hispanité”, celle qui est honorée le 12 octobre, lors de la fête de la Race, qui commémore la découverte du Nouveau Monde par Colomb...

 

 

Q.: Pouvez-vous nous tracer un bilan rapide de l'occupation musulmane de l'Espagne? Peut-on parler de l'échec du multiculturalisme dans l'Europe chrétienne?

 

 

Ph.C.: Ce bilan présente des aspects incontestablement positifs, notamment la très belle floraison culturelle qui fait de la Cordoue du Xème siècle l'une des villes, avec Byzance et Bagdad, les plus évoluées du temps. A cette époque, l'Islam andalou a créé une civilisation autrement riche et raffinée que celle de l'Occident chrétien, qui n'entamera qu'au lendemain de l'an mil son irrésistible ascension. Le bilan est également positif, dans la mesure où, zone de combats, l'Espagne fut aussi, comme la Sicile, une région d'échanges culturels très intenses, notamment grâce aux écoles de traduction de Tolède qui mirent à la disposition de la Chrétienté occidentale les textes antiques dont bon nombre avaient été conservés et transmis par l'intermédiaire des musulmans. L'occupation musulmane a également façonné le paysage et déterminé les activités de certaines régions d'Espagne, des vegas  andalouses aux huertas  du Levant valencien. Pour le reste, parler de “multiculturalisme” au sens que certains donnent aujourd'hui à ce terme, n'a guère de signification, dans le contexte de l'époque considérée. Là où les musulmans s'imposent, les chrétiens mozarabes se retrouvent en position subordonnée, victimes de nombreuses vexations, soumis à un impôt spécial et tout simplement tolérés comme des dhimmis, des “protégés” qui forment par ailleurs un bétail (rafa)  très intéressant sur le plan fiscal. A l'inverse, quand les chrétiens vont l'emporter, les mudejares, devenus les morisques après 1492, n'auront finalement d'autre choix que la conversion  —à laquelle s'attacheront sincèrement les souverains catholiques—  ou l'exil. Des notions telles que celle de “tolérance” sont totalement anachroniques dans ce cas et il est tout aussi absurde de parler, à propos des Morisques, de “racisme d'Etat”, une simple et authentique conversion au christianisme suffisant à règler la question de l'assimilation...

 

 

Q.: L'installation incontrôlée sur le sol européen de minorités musulmanes ne peut-elle pas être considérée comme une revanche des vaincus de la Reconquista espagnole? Comme une Reconquista islamique?

 

 

Ph. C.: Il faut bien sûr se garder de tout anachronisme, mais il est évidemment tentant d'établir certains parallèles, dans le contexte actuel de revival  musulman. La première question qui s'est posée aux souverains espagnols au XVIème siècle, les Rois Catholiques, Charles Quint, Philippe II et enfin Philippe III, c'était de savoir si l'on pourrait “assimiler” par la catéchèse et la conversion les minorités religieuses. On sait comment l'Espagne catholique a répondu finalement sur ce point. Les conversions de Juifs et de musulmans ont été assez nombreuses mais une minorité a résisté jusqu'au bout et la seule solution qui apparut alors aux souverains fut l'expulsion. On peut se demander si, aujourd'hui, nos gouvernements “démocratiques” et “laiques”, tentés  —par faiblesse et sottise davantage que par conviction—  par le “multiculturalisme”, ne se font pas quelques illusions quant à la capacité qu'auraient les sociétés libérales européennes de la fin de notre siècle d'assimiler, sur la base d'une idéologie laïque et républicaine, des communautés étrangères cimentées par une foi solide, placées de plus  —du fait des mutations économiques en cours—  dans une situation sociale relativement marginale et peu décidées  —tout du moins pour une bonne partie d'entre elles—  à accepter les contraintes d'une laïcisation contradictoire avec certains choix fondamentaux d'une religion dont les caractéristiques ne relèvent pas seulement de la sphère de l'individualité et du privé mais correspondent à une vision globale de la vie sociale, à une anthropologie à beaucoup d'égards différente de celle qui caractérise les sociétés européennes.

 

 

Beaucoup d'immigrés de tradition musulmane franchiront le pas et s'intègreront sans doute au creuset européen mais cela implique certainement que soient remplies plusieurs conditions: l'importance démographique des populations concernées, la proximité culturelle, notamment linguistique, un contexte économique favorable, un étalement dans la durée qui soit raisonnable et ne donne pas aux populations “indigènes” d'Europe le sentiment d'une invasion en provenance du sud. Nous sommes loin du compte et les perspectives d'avenir peuvent justifier de grandes inquiétudes. Si l'on se replace dans la longue durée, la Méditerranée a été, depuis le VIIIème siècle, le lieu d'un affrontement perpétuel entre Musulmans et Chrétiens et ce face à face s'est étendu aux Balkans à partir du XIVème siècle, puis à la Mer Noire, au Caucase et à l'Asie centrale pour la Russie aux XVIIIème et XIXème siècles. Sur la défensive jusqu'au XIème siècle, la Chrétienté latine a desserré l'étau à parir des Croisades et porté l'offensive jusqu'en Terre Sainte avant de refouler définitivement l'Islam hors de la péninsule ibérique, du XIIIème au XVème siècles. A l'inverse, l'empire byzantin, ébranlé dès le XIème siècle par les Seldjoukides, succomba au XVème à la poussée ottomane. Engagée dès la fin du XVIIème siècle par l'Autriche, du XIXème par la Russie, accélérée par le soulèvement des peuples chrétiens orthodoxes des Balkans, la reconquête s'est poursuivie en cette direction jusqu'à la chute de l'Empire ottoman, alors que l'expansion coloniale francaise, anglaise ou italienne plaçait les pays musulmans en position de subordination durable.

 

 

Ruinée par la monstrueuse guerre de Trente Ans engagée en 1914, vaincue en 1945, l'Europe n'a pu maintenir l'hégémonie qui était la sienne au début du siècle ou après 1920 dans tout l'espace musulman. La décolonisation dans un premier temps, le réveil islamique dans un second, combinés avec un différentiel démographique et des inégalités économiques très lourdes ne peuvent qu'alimenter la volonté de revanche des peuples musulmans exaspérés par les injustices dont ils sont victimes, notamment au Proche-Orient du fait de la politique israëlo-américaine. On peut donc tout craindre dans cette perspective, car c'est l'Europe qui, par sa position géographique, se retrouve confrontée, pour l'essentiel, avec les redoutables défis qui se profilent au sud et au sud-est, des banlieues immigrées au corridor turc des balkans...

 

(Propos recueillis par Patrick CANAVAN)

 

 

Source: Philippe CONRAD, Histoire de la Reconquista, PUF, Coll. “Que sais-je?”, n°3287, 1998, ISBN 2-13-048597-9.

 

 

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Influence de J. Evola en Hongrie

Claudio MUTTI:

 

L'influence de Julius Evola en Hongrie

 

En Hongrie, circule une sorte de “légende évolienne”. Dans les années 30, Julius Evola s'est effectivement rendu à Budapest, où il a prononcé une conférence à Obuda, dans le Château Zichy. En effet, Evola lui-même, dans le texte de son “auto-défense”, prononcée en 1951 devant la Cour d'Assise de Rome, affirme “avoir été invité à parler dans des sociétés étrangères, ouvertes seulement aux principaux exposants de la pensée traditionnelle et aristocratique européenne”; dans ce contexte, il a cité expressément l'“Association culturelle” de la Comtesse Zichy. Les occasions de se rendre à Budapest ne manquaient pas pour Evola. La Hongrie faisait partie de cette aire de “pays voisins” (voisins de l'Allemagne) dans lesquels Evola a développé son “activité propagandiste” qu'un rapport secret de l'Ahnenerbe signale à l'attention de Heinrich Himmler en 1938.

 

Une chose est certaine cependant, les auteurs hongrois cités par Evola ne sont pas nombreux: il y a Endre Ady, Lajos Ligeti, Franz Lehár et quelques autres. Evola consacre toutefois une certaine attention à deux autres auteurs hongrois: Károly Kerényi (1897-1973) et son élève Angelo Brelich (1913-1977). Il a signalé l'existence de ces deux auteurs aux lecteurs de Bibliografia fascista: Brelich à l'occasion de la traduction italienne de son premier ouvrage, parue auprès d'un institut universitaire de Budapest et Kerényi pour l'édition de Die antike Religion,  parue chez Zanichelli. Ces deux écrivains hongrois n'ont jamais cessé de recevoir les hommages d'Evola: Brelich publiera deux articles dans les colonnes de Diorama filosofico quindicinale, une publication dirigée par Evola pour le compte d'Il Regime fascista, tandis que Kerényi a une nouvelle fois attiré l'attention d'“Ea” (pseudonyme d'Evola) pour son Einführung in das Wesen der Mythologie.

 

 

Kerényi avait fondé à Budapest en 1935 un cercle littéraire, le “Sziget” (= l'“Ile”), avec un écrivain qui fut le premier à s'occuper sérieusement de l'œuvre d'Evola en Hongrie: Béla Hamvas (1897-1968). «Mon maître est Béla Hamvas» dira de lui Sándor Weöres (1912-1989), le Rimbaud magyar. En 1927, la Föváresi Könyvtár  (la Bibliothèque de la capitale hongroise) avait engagé Hamvas au titre de bibliothécaire. C'est ainsi qu'il prit connaissance de Révolte contre le monde moderne  et d'Impérialisme païen, ouvrages dont il assura la diffusion, traduisit plusieurs extraits, notamment dans l'un de ses essais de 1935, consacré à la “littérature de la crise”. Hamvas a dit de l'œuvre d'Evola: «Evola n'est pas un spécialiste: il n'est ni un sociologue ni un psychologue ni un historien, il ne s'occupe pas de gnoséologie, il ne privilégie pas le point de vue de la biologie ou de l'esthétique ou de la politique ou de la morale ou de la philologie. L'objet de sa pensée est l'“entier”... et donc l'“entier” dans la crise».

 

Dans un article de l'année suivante aussi, Hamvas ne cite que les deux livres d'Evola, Révolte... et Impérialisme païen. En 1942, Hamvas publie un essai sur Guénon, dans lequel “Leopold Ziegler et Julius Evola”, constamment associés l'un à l'autre, sont présentés comme les pionniers d'une conversion nécessaire de l'intelligence européenne au traditionalisme. En 1943, Evola est une nouvelle fois cité dans A láthatatlan történet  (= L'histoire invisible), où Hamvas écrit que Révolte...  est “son plus grand livre”. Entre 1943 et 1944, Hamvas écrit une grande œuvre de synthèse, Scientia Sacra.  D'Evola, Hamvas y dit qu'avec Guénon et Ziegler, le traditionaliste italien forme la triade la plus significative dans le champ des études traditionnelles. Cependant, selon Hamvas, il convient de distinguer, dans l'œuvre d'Evola, les ouvrages d'importance décisive, comme ceux sur l'individu absolu et sur la tradition hermétique, des ouvrages comme Révolte... et Impérialisme païen,  qui “donnent l'impression d'avoir été écrit de manière précipitée”.

 

Après la guerre, à la suite de la condamnation prononcée par le grand inquisiteur György Lukács (“la preuve vivante de la tolérance du régime” selon une curieuse opinion de François Fejtö), Hamvas est mis à l'index; il est privé de son poste de travail et rejeté en marge de la société. Certains exemplaires de ses livres, toutefois, parviennent à échapper au pilon et circulent sous le manteau, alimentant une culture souterraine dont les textes de références sont ceux de Hamvas mais aussi ceux d'Evola. Ainsi, pendant les années de “socialisme réel”, a pu se former une “seconde génération” d'évoliens, dont le principal exposant a été András László et les premiers traducteurs hongrois d'Evola, Franco de Fraxino et Renée Kelemen. Le théologien et philosophe László ont commencé à prononcer des conférences en 1975 dans l'illégalité pour des groupes de vingt à trente personnes, et c'est à ce travail clandestin que l'on doit l'émergence d'une “troisième génération” d'évoliens hongrois.

 

La première traduction hongroise d'un extrait d'un livre d'Evola après 1944 provient de Masques et visages du spiritualisme contemporain. Elle est parue en 1990 dans une revue d'inspiration anthroposophique (Steiner), intitulée Harmadik Part (= Troisième rive). Mais l'événement décisif pour la diffusion des écrits d'Evola a eu lieu en mars 1991, quand sort à Budapest Öshagyomány. Tradicionális Szellemi Mühely  (= La Tradition primordiale. Laboratoire de l'esprit traditionnel), une revue de l'“Ecole de la Tradition et de la Transcendance”, fondée une année auparavant par Arpád Szigeti. Sous la direction de Szigeti lui-même, Öshagyomány continuera à sortir de presse jusqu'en juin 1995. Sur les vingt fascicules publiés, onze accueilleront divers extraits de livres d'Evola (de La doctrine de l'éveil, La tradition hermétique, Métaphysique du sexe, Introduction à la magie  et East and West),  à côté d'écrits de René Guénon, de Mircea Eliade et d'autres auteurs, pour la plupart hongrois. En 1992, l'Ecole inaugure une collection de livres, “les livres de la tradition primordiale”; elle édite ainsi Guénon, Schuon et un volume rassemblant les traductions du Tao-tê-ching, interprété par Evola et des extraits de Masques et visages...

 

 

Sous la supervision de László, Rudolf Szongott et Róbert Horváth fondent en 1994 Arkhé, un revue qui porte curieusement le même nom que la maison d'édition fondée à Milan dans les années 70 par un Hongrois émigré en Italie, László Tóth. Si la maison d'édition Arché de Milan, fondée par Tóth a publié plusieurs titres d'Evola, la revue Arkhé  de Budapest réserve depuis sa naissance un poste d'honneur à Julius Evola. De fait, le premier numéro, immédiatement après la présentation, s'ouvre avec deux textes tirés d'Introduction à la magie  et de L'Arc et la Massue,  auxquels fait suite un troisième, également tiré de L'Arc et la Massue, mais placé plus loin dans la revue. D'autres extraits de ces deux livres d'Evola ont été traduits dans les numéros ultérieurs d'Arkhé.

 

Un long extrait de Révolte contre le monde moderne  a été traduit en 1995 pour les Quaderni di Pendragon, une revue éditée auprès des presses universitaires de Debrecen et qui se présente comme un “périodique d'esprit traditionnel”. Un autre texte, tiré de L'Arc et la Massue, illustré par une photo d'Evola et traduit par Monika Imregh, est paru la même année dans l'élégante revue Noe. Elle est éditée par un cercle dont le moteur est le groupe musical Actus, qui, dans l'un de ses disques édité en 1995 et intitulé Das Unbenennbare  (= L'innommable), a introduit un passage explicitement inspiré d'Evola: Der ewigliche Akt des Prinzips (= L'acte éternel du principe). Toujours en 1995, lors de la tentative de donner vie à une Lega Pannonica, flanquée d'un Pannon Front  (= Front Pannonique), mensuel politique dirigé par József Bognár, qui, dès son premier numéro, a aligné des citations d'Evola. Notamment, son n° 4 publie une photo d'Evola et publie un entretien avec András László, où celui-ci affirme que «René Guénon et Julius Evola... représentent les fondements les plus importants de la doctrine traditionaliste». Dans le n° 5, Miklós Kórleónisz définit Evola comme “une des plus grandes figures du traditionalisme spirituel et métaphysique”. Dans le n°6, on trouve un article d'Evola sur l'Empereur Julien. Le n°7 publie en couverture une photo d'Evola et accueille un article de Gianfranco De Turris sur la fortune de l'évolianisme en Italie aujourd'hui. En 1996, la maison d'édition Camelot a inauguré la collection Regulus par la publication d'une plaquette rassemblant les écrits d'Evola ayant pour thème commun “la race de l'homme en fuite”.

 

Aujourd'hui donc, en Hongrie, l'œuvre d'Evola circule dans des milieux relativement restreints, parce qu'on n'a pas encore trouvé là-bas une maison d'édition suffisamment importante pour prendre en charge sa diffusion sur une plus grande échelle, s'adressant à un public plus vaste. Róbert Horváth écrit: «Aucun individu, aucun cercle des évoliens hongrois n'a pu encore jusqu'ici réalisé la grande percée. Sans aucun doute, celui qui, en Hongrie, a fait plus que tous les autres pour la diffusion des idées d'Evola est András László. Par ses conférences, une nouvelle génération est arrivée au stade adulte; les principaux orateurs de ce cercle  —Rudolf Szongott, Csaba Szmorad, Ferenc Buji, Tibor Imre Baranyi—  ont pu renouer avec le fil de la Tradition spirituelle et métaphysique. Dans la mesure où ces hommes ont pu conserver la Tradition et la développer, où ils se sont concentrés sur l'essentiel, nous avons assisté en Hongrie à plus que la simple divulagation des œuvres d'Evola et la publication de ses livres. On en verra les résultats dans les cinq prochaines années: la doctrine traditionnelle vit en Hongrie, grâce à ceux dont nous venons de parler, mais aussi parce que les gens voient les effets pervers des phénomènes anti-traditionnels, pseudo-traditionnels et contre-traditionnels. Tout cela concourt à une renaissance, avec le nom et les enseignements de Julius Evola».

 

Claudio MUTTI.

(article paru dans Pagine Libere, avril 1997).

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mardi, 30 janvier 2007

Les frères Jünger sur "Archaïon"

Deux textes sur les frères Jünger sur le bloc « Archaïon » !

http://archaion.hautetfort.com/archive/2006/12/14/ernst-junger.html

http://archaion.hautetfort.com/archive/2006/12/14/friedrich-georg-junger.html

Deux textes sur les frères Jünger, qui méritent amplement le détour. Sur le site « Archaïon », qui présentent les « tablettes » de Christopher Gérard, l’éditeur de feue la revue « Antaios » que nous regrettons tous ! A lire pour compléter nos propres dossiers sur Ernst et Friedrich-Georg Jünger.

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Frédéric Guillaume II de Prusse: hédoniste tyrannique

Robert STEUCKERS :

 

Frédéric Guillaume II de Prusse ou l’hédoniste tyrannique

 

En hommage à Elfrieda Popelier et à son fils Dirk Vandenbosch, tous deux décédés et passionnés par l’histoire de Prusse

 

Le 25 septembre 1744 est la date de naissance du neveu de Frédéric II de Prusse, qui règnera sous le nom de Frédéric Guillaume II. De ce neveu, Frédéric II disait, avec le cynisme qui lui était coutumier : «Mon neveu va dilapider le trésor et les femelles règneront sur le royaume». Frédéric-Guillaume était effectivement un garçon totalement dépourvu de sérieux. Son oncle avait vu juste : dès son accession au trône en 1786,  les favoris et les maîtresses donnent le ton, les finances de l’Etat ne tardent pas à sombrer dans le rouge. La Prusse perd son redoutable appareil militaire, qu’elle ne peut plus financer dans de telles conditions, et ne peut pas faire face efficacement aux troupes jacobines qui ravagent les Pays-Bas et la Rhénanie. Avec une armée prussienne de facture frédéricienne intacte et des finances publiques solides, la sinistre farce parisienne de 1789 aurait été rapidement terminée et nous n’en supporterions plus les exécrables conséquences au quotidien, avec notre effroyable cortège de ministricules wallons qui  ne jurent que par les “valeurs” (?) de 1789 et qu’on imagine fort bien coiffés d’un bonnet phrygien, dont les affublait souvent, jadis, le coup de crayon de l’inoubliable Alidor, dessinateur de Pan puis de Père Ubu.

 

Les sergents de cette armée prussienne, si elle était restée intacte, auraient sifflé la fin de la récréation et remis les trublions au pas, de concert avec leurs homologues impériaux, croates,  wallons, autrichiens, dont nos magnifiques régiments de Ligne ou de Beaulieu. La piétaille jacobine aurait été balayée comme fétus de paille à Valmy et Paris serait tombé sans retard. L’incurie du neveu farfelu a rendu cette œuvre de salubrité continentale impossible. Nous en payons toujours les conséquences aujourd’hui, car l’Europe aurait été unie sans grandes effusions de sang et surtout sans l’intervention de l’Angleterre.  Celle-ci n’aurait jamais plus été capable de semer la discorde sur le continent.

Au moment de la paix de Bâle, en 1795, Frédéric Guillaume II renonce au profit de la France jacobine à la rive gauche du Rhin, ce qui constitue une trahison inouïe vis-à-vis du Saint-Empire et de son histoire car la maîtrise du bassin du Rhin constitue le socle géographique de l’impérialité romaine et germanique. C’est parce qu’il a réussi à maîtriser les bassins du Rhône et du Rhin que César a  donné son nom à  la fonction impériale. C’est parce qu’il maîtrise et le Rhin et le Rhône et le Danube (du moins  jusqu’à la plaine hongroise) qu’Othon I restaure l’impérialité en Europe, portée cette fois par l’ensemble  des peuples germaniques (et non plus seulement des Francs  comme du temps des Pipinnides, de Charlemagne et des Carolingiens). Renoncer au Rhin, c’est renoncer à la mission romaine des Germains, c’est nier la seule dynamique féconde de l’histoire européenne, sans laquelle l’Europe n’est plus l’Europe, mais un conglomérat amorphe de tribus indisciplinées, qui se suicident par leurs incessantes chamailleries.

Pour faire face aux critiques acerbes qui stigmatisaient l’intolérable laxisme de Frédéric Guillaume II, critiques qui regrettaient la Prusse spartiate de son oncle, le roi noceur et impolitique impose une censure très sévère, alors que Frédéric II, roi fort, capable de décisions justes et tranchées, était connu pour sa libéralité sur le plan des idées. On connaît d’ailleurs son amitié pour Voltaire. La leçon à tirer de ce règne calamiteux, c’est que les régimes laxistes sont souvent plus liberticides que les régimes quiritaires et virils. La censure sert à faire taire les critiques constructives, seules critiques pertinentes. Les régimes de démagogues véreux que nous subissons contrôlent bien davantage la presse, notamment en la subsidiant et en subsidiant les histrions de tous poils qui s’y produisent, que certains régimes réputés “autoritaires”.
(Robert STEUCKERS).

 

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Ideologia delle tre funzione nei miti del Giappone

Un nostro lettore, Castrese Cacciapuoti, attualmente in Giappone per motivi di studio, venuto a conoscenza della pubblicazione in lingua italiana del libro di J. Haudry 'Gli Indoeuropei', ci ha inviato queste note sulla corrispondenza analogica tra la ideologia tripartita indoeuropea e la struttura tripartita della simbologia shintoista.

 

 

L’ideologia delle tre funzioni nei miti del Giappone

 

 

C. Cacciapuoti,

in 'Margini' n. 35 luglio 2001

 

 

Che i miti nazionali del Giappone rivelino un gran numero di sorprendenti simiglianze con i miti

 

dei Greci, degli Sciti, oltre che con l’epopea degli Osseti era noto già da tempo agli studiosi. Tuttavia è solo dagli anni settanta che, grazie al lavoro di comparazione strutturale compiuto da Ohayashi Taro e Yoshida Atsuhiko, si è riusciti a dimostrare che elementi simbolici appartenenti all’area culturale indoiranica si propagarono da occidente verso l’estremo oriente fino a influenzare anche popoli di diversa stirpe, come è dimostrato dai miti dell’antico regno coreano di Koguryo e dai miti shintoisti. Secondo la teoria avanzata dai due studiosi giapponesi, i nomadi di ceppo altaico che, passando per la penisola coreana, si stanziarono in epoca preistorica nell’arcipelago nipponico, e gettarono le basi della nazione Yamato, erano precedentemente entrati in contatto nelle steppe dell’Asia centrale con i popoli Sciti di stirpe iranica, da cui avrebbero ricevuto una sorta di investitura rappresentata dalla consegna dei tre tesori sacri, che sono tuttora i simboli della podestà suprema del Tennô.

 

Nel confronto tra i miti giapponesi e quelli dei popoli di stirpe indoeuropea non solo riscontriamo chiarissime affinità negli elementi narrativi, ma vediamo precisi accordi anche e soprattutto in termini di Weltanschauung. Per tale ragione Ohayashi e Yoshida ritengono che benché i miti giapponesi siano composti da strati di diversa origine, essi formino un sistema coerente con il sistema mitologico-simbolico indoeuropeo. A titolo di esempio, citiamo la coincidenza simbolica dei tre tesori celesti della famiglia reale degli Sciti con i tre tesori sacri imperiali del Giappone (lo specchio di Amaterasu Yataka no kagami, la spada di Susanowo Ame no Murakumo no Kurugi, e il gioiello ricurvo di Okuninishi Yasakani no Magatama), che, come viene dimostrato dall’interpretazione di Yoshida e Ohayashi, rappresentano rispettivamente le tre funzioni - magico-religiose, guerriere, produttive- del Potere. Nei miti giapponesi la società risulta coerentemente organizzata sulla base dei concetti ideologici simbolizzati dai tre tesori. Infatti il racconto mitico riconosce sin dai primordi una struttura di rapporti che si sviluppano dalla connessione fra i tre strati: i sacerdoti, gli specialisti delle funzioni militari, il popolo comune -composto dai produttori di derrate alimentari, i quali risultano subordinati ai primi due.

 

Nel ciclo di miti riguardanti la discesa dal Cielo dei discendenti della dea Amaterasu, antenata della famiglia imperiale, è presentato l’archetipo mitico della comunità giapponese organizzata sotto l’Augusto Governo Imperiale. Secondo questi miti, nel momento in cui l’Antenato Celeste Ninigi no mikoto scende in veste di sovrano sulla “Terra dalle vigorose spighe di riso” (antonomasia poetica per Giappone), egli è accompagnato da un gruppo di divinità celesti fondatrici dei casati che in epoca storica avranno un importante ruolo nell’esercizio del potere regale. Chiaramente, a questo modello mitico si conforma la struttura sociale data da uno strato dominante aristocratico di ceppo altaico che con a capo il Tennô esercitava il proprio dominio sul territorio dell’arcipelago e sulle popolazioni autoctone di ceppo australe.

 

 

Significato di Dei del Cielo (Tenshin) e Dei della Terra (Chigi)

 

 

Anche il pantheon shintoista riflette l’idea per cui l’assetto sociale viene considerato tripartito in sovrani-sacerdoti, detentori della sovranità, militari e popolo addetto alle mansioni economiche. Sin dalla più remota antichità gli dèi del Giappone erano suddivisi in Divinità del Cielo (in giapp. Ama tsu Kami, in cinese Tenshin) e Divinità della Terra (Kuni tsu Kami in giapp., Chigi in cinese). Appartenenti alla classe degli dèi Celesti menzioniamo Amaterasu, Takamimusubi, Kamimusubi che costituiscono gli dèi sovrani dominanti il mondo dall’alto del Takamagahara. Chiaramente distinte da questi, le altre Divinità del Cielo, detentrici delle armi e in possesso delle arti guerriere, che precedono le divinità sovrane nella loro discesa sulla terra. Pertanto Yoshida conclude che le Divinità Celesti pur formando un unico gruppo, sono distinte da una parte dagli dèi regali e, strettamente legati a questi, da dèi della funzione sacerdotale, oltre che da dèi guerrieri costituenti un diverso ceppo divino. Decisamente contrapposte alle Divinità del Cielo, le divinità note sotto il nome di Dèi della Terra (Kuni tsu Kami), dalla precisa indole comportamentale di “Signori della terra”. Il ruolo principale di queste divinità consiste nel produrre alimenti e ricchezza dalla terra, definita significativamente nei miti Osukuni, cioè “Terra che dà il nutrimento”. Come è noto, i miti nazionali del popolo giapponese sono riportati in massima parte nel Kojiki, testo sacro dello Shintô, e nel Nihongi o Nihonshoki, cronaca storico-mitica scritta in gran parte in cinese. Da una analisi delle strutture narrative di questi testi emerge che sono esplicitamente tre le divinità principali a cui è tributato un carattere divino superiore: Amaterasu, Antenata della stirpe imperiale, sacerdotessa celeste, che possiede la sovranità del Cielo, e che dopo avere sottomesso Okuninushi, riesce ad estendere la sua potestà cosmica fino al mondo degli umani; segue Susanowo, divinità guerriera dal carattere impetuoso e violento; infine Okuninushi, divinità tutelare dei lavori agricoli e della felicità coniugale, che tutt’oggi per queste sue caratteristiche di dio della fecondità, è la divinità che riceve il maggiore favore popolare. Queste tre divinità supreme detengono su scala cosmica rispettivamente la funzione regale-sacerdotale, la forza guerriera e la fecondità. Esse sono l’esatto corrispondente delle divinità sovrane del mondo indoeuropeo descritte nei lavori di Dumézil. Gli oggetti simboleggianti queste funzioni rappresentano tuttora il potere sacro del Tennô. Essi sono, lo ricordiamo ancora una volta: lo specchio di Yata, simbolo della prima funzione, la spada di Amenomurakumo, simbolo della seconda funzione, e il gioiello ricurvo di Yasakani, simbolo della terza funzione. Tutti e tre questi oggetti, secondo le teorie di Yoshida e Ohayashi, derivano direttamente dai simboli del potere dei re Sciti.

 

 

 

Bibliografia indicativa:

 

Ohayashi Taro, Nihon shinwa no kozo (Struttura dei miti giapponesi), Kobundo 1975.

 

Ohayashi Taro, Higashi Ajia no oken shinwa (I miti della sovranità in Asia orientale), Kobundo 1984.

 

Yoshida Atsuhiko, Nihon shinwa to In-o shinwa (I miti del Giappone e i miti indoeuropei), Kobundo 1974.

 

Yoshida Atsuhiko, Nihon shinwa no naritachi (La struttura dei miti del Giappone), Seidosha 1992.

 

Hirafuji Hisako, Kuni-yuzuri ni miru Sankino-taikei (Il sistema delle tre funzioni visto nel mito dell’affidamento del Paese), Rivista dell’Associazione di studi di lingua e lett. nazionali dell’Università Gakushuin 1996.

 

 

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Critique néo-baroque de la modernité

Robert Steuckers :

 

 

Pas de synthèse, ouverture permanente, néo-baroque: la critique authentique de la modernité de Willem Van Reijen

 

 

Très connu dans son pays, la Hollande, et en Allemagne, où il est abondamment sinon systématiquement traduit, Willem Van Reijen appartient à la génération des critiques de la modernité. Ce professeur de philo­sophie, né en 1938, a fait ses études à Louvain et à Fribourg-en-Brisgau. Depuis 1975, il enseigne à U­trecht. Il prend le relais de Jean-François Lyotard et de ses homologues américains, dans la mesure où sa quête philosophique participe d'une analyse critique de l'effondrement ou du tassement des grands mythes de la modernité (les “grands récits”). Dans Die authen­tische Kritik der Moderne,  il nous propose une histoire alternative de la pensée philosophique depuis ces deux cents dernières années. Opposé à la modernité, dont il estime que le projet a fait lamentablement faillite, il annonce d'emblée que “la destruction est le revers de cette tapisserie, dont le côté face pré­sente le processus de modernisation”.

 

 

Le programme de perfectionnement infini de l'homme, de la politique et du monde en général, tel que nous l'a suggéré l'Aufklärung, a enfermé la pensée dans des concepts unilatéraux, fermés sur eux-mêmes, qui rendent les hommes aveugles à tous les antagonismes de fond qui constituent la trame du monde et doi­vent subsister en tant qu'antagonismes sans bonne fin dans toute pensée authentique. Cet enfermement de la pensée dans des concepts fermés a des retombées pratiques, explique Willem Van Reijen. En effet, l'aveugle­ment de nos contemporains devient dangereux: il a conduit à une désoviétisation désastreuse en Europe centrale et orientale, où la mafia et l'ultra-libéralisme s'avèrent plus tyranniques encore que le stalinisme quotidien des années 40 et 50 pour les petites gens; à la destruction de toute solidarité sociale en Occident, provoqué par l'individualisme propre à cette modernité que l'on déclare si souvent “généreuse” avec beaucoup d'emphase; à la catastrophe écologique imminente. Combattre ces maux contemporains im­plique de changer de philosophie dominante ou d'apporter suffisamment de changements à l'intérieur de cette idéologie dominante, pour que les concepts (re)deviennent mouvants, plastiques, adaptables aux grouillements incessants de ces antagonismes incontournables qui font la trame du monde. Cette mobi­lité-plasticité-adaptabilité interdit de répondre aux maux de l'Europe orientale ou à l'effondrement de la so­lidarité en Occident par des images fixes alternatives, des utopies sociales figées, des discours camou­flants ou des retours évasifs à une religion, que l'on retaillerait et réaménagerait “à la carte”.

 

 

Willem Van Reijen rappelle que l'Aufklärung a été une réponse au dualisme du Baroque. L'Aufklärung veut “améliorer le monde” et combler cette césure, toujours omniprésente entre un monde de misère et un au-delà de bonheur, que maintenait le Baroque, avec une certaine fatalité: celui-ci acceptait les contradic­tions qu'il y avait dans le monde, il ne souhaitait nullement “réconcilier” dans une “synthèse”. L'Aufklärung veut réconcilier et synthétiser, combler la cé­su­re, “incomblable” aux yeux des Baroques. Bien vite, le mythe et l'“autre de la raison” sont exclus. La définition de la réalité se limite à ce qui est thématisable pour la Raison. La nature est réduite à ce qui en elle est mesurable et quantifiable. L'Aufklärung refuse d'aller du Particulier au Général, mais veut imposer le Général à toutes les formes de Particulier. Son grand projet est la “Formalisation universelle”, ce qui a des effet dés-historicisants, car tout passé, toute histoire-d'avant-l'Aufklärung, ne peut plus apparaître que comme imperfection indigne de l'intérêt de l'honnête homme. Mythe et Nature apparaissent au regard des tenants de l'Aufklärung comme “de la rai­son déficitaire”.

 

 

Le romantisme, poursuit Van Reijen, proteste contre l'exil du Mythe et de la Nature, mais à l'“unilatéralité” de l'Aufklärung, le romantisme n'oppose pas une autre “unilatéralité”: il propose une nou­velle unité des contraires. Il faut esthétiser les idées, rationaliser la mythologie, philosopher la mytholo­gie, mythologiser la philosophie, sensualiser les philosophes, etc. En bref, les romantiques espèrent une synthèse de la raison, de la morale et de l'esthétique. Ils veulent “intégrer” l'“autre de la Raison” dans leur synthèse. Et absorber toutes les contradictions du monde dans une “unité symbolique”. Et c'est sans doute Friedrich Schlegel qui nous livre la formule de cette mise au pas soft: «Pour l'esprit, il est également mortel d'avoir et de ne pas avoir de système, c'est pourquoi il devra se décider à en avoir un et à ne pas en avoir un. C'est-à-dire qu'en dernière instance l'exclusion sera exclue». Aporie dans laquelle plus d'un gauchiste-baba-cool a sombré, suivi par certains tenants de la “nouvelle droite”, devenus à leur tour “épiméthéiens post-marcusiens”, après avoir été bruyamment “prométhéiens anti-rousseauistes”. Ou d'une unilatéralité à l'autre... dans le petit monde des mauvais lecteurs de Nietzsche.

 

 

Van Reijen nous demande de réfléchir sur les avantages et les inconvénients du Baroque, soit de l'acceptation des contradictions sans synthèse. Nietzsche, en commençant par poser Apollon comme “Dieu du Paraître” (Gott des Scheines), dans La naissance de la tragédie, renoue avec une acceptation post-baroque et post-romantique des contradictions du monde. Car qu'en est-il de ce “Paraître”, de ce “beau Paraître”? Est-il vrai ou faux? Paisible ou dangereux? Quelle est l'“Etre” de ce Paraître? Ce Paraître cacherait-il un Devenir? Qui est tel aujourd'hui? Mais sera autre demain? Quels accidents, hasards ou arbitraires dissimule-t-il? Ni l'empirie ni la conceptualisation ni la logique ne nous aident à voir vérita­blement ce qu'il y a ou n'y a pas derrière le “beau Paraïtre”. Ceux qui penseraient qu'il y a une substance définitivement définissable derrière ce “beau Paraïtre” sont fous pour Nietzsche, tandis que sont normaux ceux qui reconnaissent le caractère parfaitement arbitraire de ce grouillement (dyonisiaque).

 

 

Nietzsche redécouvre donc le monde, soit une trame où s'entre-choquent sans fin mille et une contradic­tions sans que jamais n'apparaissent de véritables solutions. Constat choquant pour la modernité. Inac­ceptable pour les “esprits fous” qui veulent dompter et discipliner tout ce qu'il y a derrière le “beau Pa­raï­tre”. La modernité, poursuit Van Reijen, a voulu éliminer ou lever les contradictions. Tout a été mis en œu­vre (et continue à être mis en œuvre) pour  créer l'encadrement planétaire qui travaillera sans re­lâche, jour et nuit, pour procéder à ces éliminations et à ces sublimations “correctrices” et “progres­sis­tes”. Le “Grand Ca­dre” ou le “Grand Code” sera là, pour toujours, et absorbera de plus en plus effica­ce­ment les petites con­tradictions qui subsistent ou auraient l'outrecuidant culot de réapparaître. Ainsi avancera le pro­gram­me des Lumières: il per­fectionnera l'humanité, établira des règles scientifiques pour que tout soit, du moins en principe, re­con­naissable et manipulable. La post-modernité est donc une nouvelle acceptation des contradictions sans volonté de les résoudre ou d'imposer une synthèse. Le penseur qui, le premier, est parvenu à saisir l'es­sentiel de ce néo-baroquisme et de cette post-modernité est Walter Benjamin, é­crit Van Reijen. Dans le Trauerspiel  allemand, Benjamin découvre l'absence de toute transcendance, ne per­çoit aucune récon­cilia­tion entre les hommes et l'ordre cosmique: la souffrance dans le monde est in­con­tournable. Tout es­poir de libération définitive est illusion.

 

 

L'état du monde contemporain ne peut plus s'expliquer par des projets unilatéraux ou des schématismes dualistes. Devant les innombrables contradictions échappant à toute synthèse, il convient de développer une nouvelle critique, authentique, sans passer par les simplismes d'un “humanisme” scolaire ou d'un re­tour ”héroïque” à un mythe quelconque. Tous les engouements et toutes les critiques ont un caractère né­cessairement transitoire. Ce qui interdit aussi de se jeter, irréfléchi, dans l'activisme à tout crin ou de sombrer dans la “noble ré­signation”. Reconnaître et accepter les antagonismes, les ambigüités et les contradictions est sans nul doute, écrit Van Reijen, le meilleur rempart contre les fantasmes totalitaires et les tentatives de tout universaliser.

 

 

Robert STEUCKERS.

 

 

Willem VAN REIJEN, Die authentische Kritik der Moderne, Wilhelm Fink Verlag, München, 1994, 190 p., ISBN 3-7705-2919-7.

 

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Gespräch mit Mario Borghezio

Gespräch mit Mario Borghezio, Abgeordneter der Lega Nord im Europäischen Parlament

 

Über Einwanderung in Italie, über das “Bossi-Fini-Gesetz”, über den “Europäischen Haftbefehl”, über den EU-Beitritt der Türkei, über die Kampfrichtlinien der Lega für den Europawahl  2004

 

Mario Borghezio  ist 1947 in Torino geboren. Er ist Doctor in den Rechtswissenschaften, Anwalt, Fachmann für das Rechtsystem des Heiligen Römischen Reiches der Deutschen Nation.  Er bakam seine Ausbildung in der bekannten Universität Modena. 1992 wurde er Abgeordenter der “Lega  Nord”. 1994 wurde er Staatssekretär für Justiz in der ersten Berlusconi-Regierung. Seitedem is er Abgeordneter im Europa-Parlament.

 

F. : Herr Borghezio, Sie waren 1994 Staatssekretär für die Justiz in der ersten Berlusconi-Regierung. Warum wurden Sie für dieses Amt gewählt?

 

MM : Als einer der Mitgründer der Partei, war ich der Mann, der die Maffia-, Kriminalitäts- und Einwanderungsakte in den verschiedenen Aussschüssen der Lega Nord behandelte. Wenn mein Amt als Staatssekretär beendet war, wurde ich während drei nacheinanderfolgender Legislaturperioden Mitglied des “Anti-Maffia-Ausschusses” im italienischen Parlament. Das Problem, das für mich die ganze Zeit Vorrang hatte, war dasjenige der Gefängnisse. In Italien waren alle Gefängnisse eivoll. Man fürchtete eine regelrechte Explosion. Diese Lage wurde durch die Anwesenheit  von Zehntausenden gefangener Einwanderer, die in unseren Zuchtanstalten zuströmten. Der heutige Minister Roberto Castelli, der auch Mitglied der Lega Nord ist, arbeitet immer weiter im Sinn unseres Programms, insofern dass der italienische Staat heute stets weiter neue Zuchtanstalten bauen lässt. Eine solche Politik wollten die linken Kräfte nicht führen und zogen es vor, regelmässig allgemeine Amnestien auszurufen, um die Gefängnisse zu leeren bevor die Gefangenen ihre Strafen abgesessen haben. Ziel dieser Massnahmen war es, die Gefängnisse dann wieder mit neuen Gefangenen zu füllen, die selbstverständlich wissen, dass sie nie ihre vollzeitige Strafe verbüssen werden müssen. Wir haben auch dafür gesorgt, dass die Räume in den italienischen Gefängnissen nach den ethnischen oder religiösen Ursprüngen der Insassen getrennt werden, wissend dass die Gefangenen eine solche Massnahme sich auch wünschten. Die Lega Nord hat also eine viel strengere Politik gestartet, die diese sich immer wiederholenden Amnestien ablehnte, weil sie regelmässig die Kriminellen in der Strasse zurückbrachten.  In den Augen der “eingewanderten Insassen”, galt der italienische Staat als ein schwacher Marionnettenstaat, der von einer unbegreiflichen Schlaffheit erkrankt war. Castelli und ich haben immer Sorge für die Probleme und die Lebensumstände unserer armen und mittellosen Mitbürger getragen, weil diese chancenarmen Leuten durch Not gezwungen waren, in Vierteln zu leben, wo stets neue Einwanderer zuströmten, wie es manchmal der Fall ist in Städten wie Mailand, Torino, Verona und Padua. Persönlich, glaubte ich, dass meine politische Plicht es war, Protestdemos von einfachen Bürgern und Kleinhändlern zu veranstalten, die buchstäblich die Nase voll hatten,  Agressionen und Randalierungen dulden zu müssen, die in den meisten Fällen von unerlaubten papierlosen Einwanderern geübt wurden.

 

F. : Das italienische Parlament hat ein Gesetz (“das Bossi-Fini-Gesetz”) zugestimmt. Dieses Gesetz hat als Ziel, die Einwanderung zu bremsen. Wie ist das Parlament dazu gekommen und wie ist das Gesetz gestaltet?

 

MM : Das Bossi-Fini-Gesetz über Einwanderung ist das Resultat von  den langen Überlegungen und Seminararbeiten der verschiedenen Ausschüssen der Lega, da unsere Partei sich mehr um die Einwanderungsfragen gekümmert hat, als die Allianza Nazionale. Mit diesem Gesetz wird die juridische “Durchlaufstrecke” der abgeführten Einwanderer strenger und klarer bestimmt. Bevor dieses Gesetz existierte, führte die Schlaffheit der linken politischen Kräfte dazu, das der offiziell abgeführte papierlose Einwanderer bloss eine “Zettel” bekam, auf der geschrieben stand, dar er abgeführt war. Sie können sich sehr gut einbilden, dass diese einfache Zettel völlig unnötig war, da andererseits keine konkreten Massnahmen dabei getroffen wurden. Der Abgeführte konnte einfach den Inhalt dieser Zettel ignorieren, da eine solche Haltung natürlich keine gesetzliche Straffolgen hatte. Wenn der abgeführte Einwanderer in Italien blieb und zufälligerweise von irgendeinem Polizeidienst verhaftet oder kontrolliert wurde, wurde er nicht gestaft. Er bekam bloss nochmal eine Zettel! Heute, wenn  der Abgeführte dem Abführungsbefehl nicht folgt, gilt das als ein Delikt. So kann jetzt Italien die wilde Einwanderung und die daran gelinkten Kriminalitätsarten besser bekämpfen.

 

F.: Welche sind die wichtigsten Komponente der Einwanderung , die Probleme darstellen, im heutigen Italien? Welcher Art ist die Kriminalität, die man diese jeweiligen Gruppen zuordnen kann?

 

MM : Um Ihre frage koreklt beantworten zu können, muss ich zunächst einige Bemerkungen machen, was die allgemeine Lage betrifft : Die Einwanderung konzentriert sich meistens in den verstädterten Ballungsräumen Norditaliens, also in der Region, die wir “Padanien” nennen und die mit der Pobecken übereinstimmt. Die Reaktion der Bevölkerung war  ziemlich heftig, was unsere Partei an die Macht gebracht hat, eben wenn wir nur ein regionaler Verband sind. Die Bevölkerung fürchtete die Überschwemmung und ahnte, dass die Lage sehr bald total unkontrollierbar wurde. Die Gefahr bleibt heute bestehen. Die leute fürchten dabei auch, dass die fundamentalislamistische Terror sich im unkontrollierten Chaos der unerlaubten Einwanderungsvierteln  einnistet. Viele politische und wirtschaftliche Beobachter stellen schon fest, dass “freie Zonen” oder “rechtlose Zonen” (“zones de non-droit”, sagen die Franzosen, wobei sie meinen, dass dort der Rechtsstaat aufgehört zu existieren hat). In diesen Zonen, weiss kein Mensch, was eigentlich los ist. Mit meinen Freunden  der “Lega Nord’”, habe ich Demos gegen fundamentalislamistische Zentren veranstaltet, wo man Gewalt und Terror predigte oder in  denen man Mannschaft  für gewaltätige oder terroristische Aktionen  rekrutierte. InTorino, Cremona und Varese, haben wir entdeckt, dass einige fundamentalistischen Gruppen Verbindungen mit den Attentätern der blutigen Anschläge von Casablanca in Marokko hatten. Vermutlich handelt es sich um die gleichen Leute und Netzwerke als diejenigen die das furchtbare Attentat in Madrid am 11. März 2004 geübt haben.

 

Die gefährlichsten Gruppen, was potentielle Gewalt und Terror betrifft, werden durch nordafrikanische Staatsbürger, die die Ideologie der sogenannten “Salafisten” teilen. Die sind in der Regel sehr aktiv in Italien, genauso wie in Belgien oder in Frankreich. Ihre Aufgabe ist es, die verschiedenen Tätigkeiten des radikalsten Islams finanziell zu unterstützen. Das Geld stammt von sehr verschiedenen und zahlreichen Aktivitäten, wie Rauschgiftschmuggeln und besonders Handelstätigkeiten, die nicht deklariert oder registriert sind, wie die meisten “Phone-Shops” in Italien. Diese Handelstätigkeiten können eine öffentliche Legalität haben, dienen aber als Schirm für illegale Tätigkeit aller Art, besonders was die Machenschaften mit falschen Dokumenten und Akten, das Hehlen von in der EU eingeschmuggelten  oder gestohlenen Gütern, uzw.

 

Die zweite Gruppe der illegalen Einwanderer wird aus Albaner gebildet, die sehr einfach bei uns kommen können, indem sie kleine Boote, die wir “Scafisti” nennen, und die mit kleinen Motoren ausgerüstet sind, so dass sie ganz schnell die Adria überqueren können, um Einwanderer auf den Stränden der Provinz Puglie zu landen. Die heutige Regierung konnte die Einwanderung bremsen und eben stoppen, aber nichtdestoweniger sind die albanischen Maffien jetzt fest im Lande verankert, weil die früheren linken Regierungen schlaff waren und hundertausende illegale Einwanderer einfach und blindlings regularisiert haben, ohne nachzuschlagen wer die eigentlich waren, ohne die winzigste Schwierigkeit zu machen.

 

Die dritte Gruppe bilden die Chinesen, die nicht Kriminelle im üblichen Sinn des Wortes sind, die aber doch eine Gefahr ökonomischer und sozialer Art darstellen, insbesonders für die kleinen  lokalen Hanwerker und für die Restaurants. Die Anwesenheit dieser Chinesen und deren fürchterliche Effizienz haben schon tausende aber tausende kleine italienische Handwerker ruiniert, besonders im Gebiet der Lederbearbeitung. Diese unehrliche Konkurrenz schafft Arbeitlosigkeit  und lässt eine legitime und wohl verständliche Unzufriedenheit entstehen. Die Chinesen sind Meister in der Kunst, betrügliche Nachahmungen zu herstellen. Die Lage ist inzwischen so schlimme geworden,  dass sehr zahlreiche lokale, mikro-ökonomische und handwerkliche Traditionen verschwunden sind.

 

F. : Sie haben sich ganz entschieden gegen die Idee eines “europäischen Haftbefehls” entgegengestellt? Warum?

 

MM : Wir stellen uns tatsäschlich ganz  entschlossen gegen diese Idee eines “europäischen Haftbefehls”. In unseren Augen, kommt dieses Orwellsche Projekt geradeaus aus den verrückten Geistern des Euro-Brüsseler Nomenklatura. Eine solche Idee gefährdet die Freiheit des Bürgers und zielt direkt auf diejenigen die “non-konformistische” oder “politisch-unkorrekte” Meinungen verkünden würden. So könnte zum Beispiel ein dänischer Bürger durch einen französischen Richter verfolgt werden, weil er Mitglied der dänischen “Volkspartei”, während in Dänemark die Meinungsfreiheit fast total ist, eben für die Bürger die sich friedlich gegen jede Form von Einwanderung entgegenstellen. In Frankreich,  in Gegenteil, ist die bürgeerliche Meinungsfreiheit durch alle mögliche willkürliche und ruchlose Gesetze erdrosselt. Die Gefahr wird noch grösser, wenn die türkische Kandidatur letztendlich angenommen wird : jeder deutsche, österreichische  oder griechische Bürger, der mit dem kurdischen Freiheitskampf sympathisiert hätte oder der sich gegen  die türkische Kandidatur entgegengestellt hätte, könnte theoretisch vor einem türkischen Gericht geladen werden! Unser Justizminister, Roberto Castelli, der Mitglied der Lega Nord ist, hat sich formell und ganz entschieden gegen dieses Projekt gestellt. Durch seine Aktion, hält Italien bis jetzt stand und gibt nicht züruck. Wir werden diese Idee eines “europäischen Haftbefehls” nie akzeptieren; oder nur wenn er genug garantiert wird, damit die Grundrechte der Bürger, was Meinungsfreiheit betrifft, bewahrt bleiben.

 

F. : Wenn ich gut verstehe, sind Sie auch gegen jeden EU-Beitritt der Türkei...

 

MM : Ja. Auf internationaler Ebene, ist das ein der Hauptpunkte in unserem Kampfprogramm. Fur den Europawahl von Juni 2004, werden wir klar “nein” zum EU-Beitritt der Türkei, zum Projekt eines “europäischen haftbefehls”, zu einer EU-Verfassung, die nicht Ausdruck des Völkerwillens und der Identitätswerte Europas sind und die eher das Werk von einem Grossen Sanhedrin von Bankiers, anonymen Trustleitern, kurz gesagt, von der Eine-Welt-Kräfte, die eine “ökonomische Horror” darstellen, wie eine mutige linke Frau wie Viviane Forrester es nennt.

 

[Das Gespräch führte und übersetzte Robert Steuckers]

 

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J. Mabire: la Normannité

La Normannite

 

Trouver sur : http://perso.wanadoo.fr/unite.normande/Normannite.htm

 

par Jean Mabire, publié à Jersey le 25 octobre 1980

 

 

Je dois d'abord avouer que j'ai en horreur ce genre de néologisme. Nous avions déjà connu, au début du siècle, dans les années fiévreuses et poétiques qui ont procédé la célébration du Millénaire de 1911, des mots à prétention plus ou moins barbare. On a parlé de « normannisme ». Parfois même en employant un y, comme si, croyait-on naïvement, le normannysme devait faire plus anglo-saxon ou plus scandinave... Voici donc, aujourd'hui, proposé par le Mouvement Normand, le terme de « normannité ».

 

 

Normannité, permanence de la « manière normande »

 

 

J'eusse préféré que l'on parlât plus simplement et que l'on se contentât d'évoquer la « manière normande », tout comme nos ancêtres, voici quelques siècles, parlaient encore de la « danesche manere », pour désigner cette forme de mariage « more danico », qui devait engendré de nombreux bâtards, dont certains fort illustres.

 

 

Il est pourtant de fait que l'adjectif même de normand peut sembler, à lui seul, ambigu. Je n'en veux pour preuve que mon dictionnaire. J'ouvre le tome 7 du Grand Larousse en 10 volumes et je lis à la page 814 : Normand, adjectif : « roué, retors, à qui l'on ne peut se fier ». Il faut croire que les ligues spécialisées dans l'élimination - tant souhaitable - du racisme, n'ont pas encore épuré tous les dictionnaires!

 

 

La normannité, puisque normannité il y a, c'est donc tout bonnement la manière normande, ou, si l'on préfère, l'esprit normand, pour parler comme autrefois.

 

 

Je pense qu'il ne faudrait pas chercher à définir la normannité par rapport à un terme qui a sans doute inspiré les créateurs de ce barbarisme et qui est la francité, mot qui ne figure d'ailleurs pas dans mon dictionnaire en 10 volumes, et qui garde un sens étroitement linguistique : la francité étant l'ensemble des peuples parlant la langue française, de la Wallonie au Sénégal et de l'île Maurice à la province du Québec, en passant éventuellement par la vallée de la Loire. En ce sens étroit, la normannité regrouperait des îlots de patoisants, « étierpis » de Jersey en Pays de Caux. Sans nier cette réalité, qui se moque au moins d'une frontière - ce qui n'est déjà pas si mal - je pense que nous ne saurions fonder sur elle seule ce que nous avons décidée de nommer normannité.

 

 

On pourrait sans doute plus justement opposer la normannité à ce gallicanisme tricolore dont Michel Debré se veut le pape laïc et dont Alexandre Sanginetti avait été le prophète. Pourtant, la normannité ne peut se réduire à n'être que le contraire du jacobinisme, qu'il soit monarchique ou républicain, conservateur ou gauchisant. La normannité, plus que le contraire de la francité, cette fois au sens politique du terme, apparaît bien davantage comme le contraire du parisianisme.

 

 

On commence ainsi à s'avancer ainsi sur un terrain plus solide, plus explicité en tout cas.

 

 

Je pense que le mieux, si l'on veut vraiment définir a contrario la normannité, c'est encore de dire qu'elle est le contraire de l'actualité.

 

 

Par rapport à l'éphémère, qui noircit la première page des journaux ou tonitrue dans les téléviseurs, la normannité est d'abord l'expression d'une permanence. Permanence invisible et même secrète, mais qui doit nous conforter, au plus profond de nous-mêmes, sur l'importance de ce que nous entreprenons, malgré, bien souvent, l'incompréhension et même l'hostilité.

 

 

La Normandie, c'est-à-dire, pour nous, le peuple normand, l'histoire normande, la culture normande, tout cela représente une réalité infiniment plus essentielle et nécessaire que les modes, les régimes, les opinions dont nos contemporains doivent faire leur pâture quotidienne, à la lecture de leur journal favori ou à l'écoute de leur poste habituel.

 

 

Pourtant, ce dont tout le monde parle aujourd'hui n'aura plus guère d'importance dans un mois, très peu dans un an et pas du tout dans quelques dizaines d'années. La normannité reste infiniment plus forte, plus durable, plus significative que toutes les idéologies et toutes les querelles qui constituent le tam-tam de l'actualité.

 

 

La loi absolue des media modernes est de focaliser l'opinion sur un événement voué inexorablement à être englouti par événement suivant. Tout le monde connaît - si l'on peut dire - le « problème du jour », comme ce fameux « plat du jour » servi dans les restaurants, mais personne ne souvient de ce qu'il a mangé la semaine dernière... Quant à l'année dernière, autant parler d'avant le déluge. Car il y a, en effet, déluge de mots et de slogans, que barbouillent de leurs diarrhées verbales les mandarins spécialistes de la rationalisation intellectuelle.

 

 

La normannité n'est donc pas un thème de réflexion journalistique. Elle n'appartient pas à ce fameux débats des « Idées », que nous assène tous les jours un organe aussi indispensable et aussi incomplet que Le Monde.

 

 

 

 

 

La normannité : une réalité et un combat...

 

 

La normannité n'est pas une « idée » comme on dit. Elle est, à la fois, une réalité et un combat.

 

 

Une réalité, parce qu'il existe une manière normande d'appréhender le monde. C'est-à-dire une manière normande de sentir et de créer, de juger et de prier, d'aimer et de vivre. De mourir, aussi.

 

 

Un combat, parce que cette véritable « conception normande de la vie » reste bien souvent inconsciente et devient chaque jour plus menacée. Au cours des âges, elle a quitté d'ailleurs le terrain du fait pour celui du mythe. Mais, devenant mythe, cette normannité redevient, du même coup, fait à nouveau. Puisqu'il existe des hommes et des femmes pour transformer cette prise de conscience en volonté de lutte.

 

 

Il convient de faire une parenthèse qui n'a que trop tardé. Si l'on admet que la normannité est - ou peut devenir - le patrimoine et le moteur de trois millions de Normands, on peut s'inquiéter que ce sentiment ne soit alors que la centième parcelle de ce que l'on pourrait appeler l'esprit européen. Et mesurer par ailleurs combien cette Europe semble peu compter, eu égard à ce que Jean-Jacques Servan-Schreiber nomme le « défi mondial ». Ce serait nier la qualité au bénéfice de la quantité, appliquer je ne sais quelle arithmétique pseudo-démocratique. Nous sommes de ceux qui croyons que les peuples, comme les hommes, sont irremplaçables et irréductibles.

 

 

Parler de normannité, c'est d'abord refuser le monde gris des individus partout semblables, soumis à une loi, à un pouvoir, à un religion uniques, voués à quelque monothéisme charlatanesque et planétaire. Les Islandais sont dix fois mois nombreux que les Normands et qui oserait soutenir qu'ils n'ont pas le droit, et même le devoir, de défendre et d'illustrer une véritable conception islandaise de la vie - à laquelle, il faut bien le dire, nous nous sentons et nous nous voulons étroitement apparentés.

 

 

Un second écueil serait de prêter le flanc à un procès d'intention que l'on fait parfois aux militants du renouveau normand, en les accusant de vouloir faire du peuple normand je ne sais quel peuple élu, supérieur aux autres en quelque sorte. Le cher marquis de Saint-Pierre, quand il présidait aux destinées des Normands de Paris, avait ainsi une formule que j'estime pour ma part assez malheureuse : « Les Normands premier partout ». Nous ne plaçons pas les Normands « über alles in der Welt », au dessus de tout dans le monde... Nous pensons seulement que leurs qualités et leurs défauts en valent bien d'autres, et qu'ils ont le droit le plus strict de les préférer, pour eux, aux qualités et aux défauts des autres peuples.

 

 

La normannité n'est donc pas conçue pour nous comme un réflexe d'arrogance ou une volonté d'agression. Nous nous sommes toujours moqués de ce que les autres pensaient de nous - même quand c'est imprimé dans le dictionnaire Larousse. Mais, ne voulant pas imposer aux autres notre manière de voir le monde, nous ne désirons pas plus qu'ils nous imposent la leur.

 

 

 

 

 

... dont nous sommes responsables

 

 

En revanche, nous nous différencions radicalement de ceux qui pleurnichent sur le « colonialisme » - qu'il soit français ou américain - auquel nous serions, politiquement ou culturellement soumis. Nous pensons que si nous avons perdu notre normannité - ou si nous sommes en train de la perdre - nous en sommes les premiers responsables. Ou bien notre peuple pourra se libérer en accomplissant sa révolution culturelle. Et nous l'y aiderons de toutes nos forces. Ou il en sera incapable et subira alors une loi implacable de la vie, contre laquelle il ne sert à rien de gémir et d'en appeler à je ne sais quelle morale universelle, droits de l'homme ou droits des peuples.

 

 

Nous n'éprouvons pas de sentiment de supériorité et ne ressentons donc pas de sensation de culpabilité. Nous n'éprouvons pas d'avantage de sentiment d'infériorité et nous nous passons donc de réflexe moralisateur.

 

 

Voilà qui situe déjà la normannité et tend à rappeler que le Normand a généralement « bonne conscience » - ce qui n'est pas obligatoirement une vertu, mais explique en partie le succès du protestantisme dans cette province.

 

 

Allons même plus loin. Ce sentiment peut aller jusqu'au contentement de soi. « Je sais ce que je vaux et crois ce qu'on m'en dit », selon la formule de Pierre Corneille.

 

 

Cette attitude, pleine de « glorieuseté » du Normand devant la vie n'est-elle pas semblable à celle de son ancêtre - ancêtre réel ou ancêtre voulu, peu importe - le fameux Viking d'ail y a un millénaire ? Disciple fidèle de Fernand Lechanteur, je le crois assez volontiers. Et je discerne une continuité qui unit les sagas islandaises aux tragédies cornéliennes. S'y exalte un même type de héros.

 

 

Il est révélateur que le Nordique païen comme le Normand chrétien se réfère finalement, malgré un substrat religieux différent, à un système de valeurs identique - que l'on va retrouver au Grand Siècle sous les travestissements hispanique ou romain. Le héros cornélien est le même que le héros islandais. On peut dire qu'il vit totalement sa normannité.

 

 

La Structure de la saga septentrionale et de la tragédie classique offre une indéniable similitude : un homme solitaire affronte un destin tragique. Il ne se fait pas d'illusion sur l'issue fatale, mais reste jusqu'au bout fidèle à son devoir. C'est le triomphe du pessimisme héroïque et d'un sentiment, d'une rare plénitude, où l'orgueil se confond avec le sens de l'honneur. Le héros islandais ou cornélien est un personnage non pas de soumission mais de volonté. C'est exactement l'esprit du légendaire germanique : le héros connaît son destin, il ne s'y dérobe pas, mais, au contraire, l'assume totalement et trouve alors une sorte de joie amère à le mener jusqu'au bout. Comme le dira le Viking Ragnar Lodbrog dans la fosse aux serpents : « Je meurs en souriant ».

 

 

La plus ancienne caractéristique de la normannité est donc la reconnaissance du tragique de la vie. C'est ce qui entraîne un pessimisme foncier. Le Normand n'a pas d'illusions, ni sur lui-même, ni sur les autres et la vie est ce qu'elle est. La révolte est inutile. Pire, elle est « ignoble ».

 

 

Comme l'écrit Maupassant, à la fin de son roman Une vie : « La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon, ni si mauvais qu'on croit ».

 

 

La normannité exclut toute attitude de fuite, tout refuge dans l'irréel d'un arrière-monde. Devenu chrétien, le Normand fera sienne la maxime : « Aide-toi, le ciel t'aidera ».

 

 

 

 

 

La normannité : permanence d'un tempérament

 

 

La normannité se manifeste donc, en tout premier lieu, par la permanence d'un certain tempérament.

 

 

Abel Miroglio avait fondé au Havre, juste après la dernière guerre, un Institut de Psychologie des Peuples, dont les travaux ont été aussi passionnants que méconnus. Un de ses collaborateurs pour la Normandie était, tout naturellement, Fernand Lechanteur, qui se méfiait de la psychologie scientifique et qui faisait plutôt de la psychologie populaire, conjuguant avec bonheur une solide hérédité paysanne et une bonne formation universitaire. Son étude sur Les deux populations de la Manche est restée à juste titre célèbre. Elle contient un portrait du Normand « nordique », qui confirme, à l'aide de multiples exemples, ce que nous savions déjà par la lecture des travaux d'André Siegfried.

 

 

Il faut toujours se reporter à une remarquable conférence, vieille déjà d'un quart de siècle sur la Psychologie du Normand . Le sociologue havrais s'attache à mettre en valeur un certain nombre de traits qui constituent justement la normannité, et d'abord dans le domaine politique - qui n'est que la projection d'un tempérament que l'on pourrait aussi bien découvrir dans la littérature ou les arts plastiques.

 

 

Avant tout réalistes, les Normands ne sont ni des réactionnaires, ni des révolutionnaires, considérant les extrémismes comme des utopies, et se méfiant des utopies, qui leur semblent à la fois stupides et dangereuses. Ce sont plutôt des conservateurs, qui possèdent à la fois le sens de l'égalité et celui de la hiérarchie, ce qui apparaît pas sans quelque contradiction.

 

 

Sans illusion sur la nature humaine, ils se défient des rêveries à la Jean-Jacques Rousseau. Pessimistes et sceptiques de nature, ils tiennent à leur liberté, ce qui est somme toute assez fréquent, mais aussi à celle des autres, ce qui l'est moins. Aussi ils gardent le sens des nuances et refusent les fanatismes. Ils détestent les doctrinaires et sont essentiellement pragmatiques. Ils pensent assez volontiers que ce qui est bon, c'est ce qui réussit...

 

 

Une des formules d'André Siegfried me semble remarquable : « Les Normands ne pensent pas que la vérité soit toute entière d'un seul côté ». Aussi sont-ils tolérants de nature, ne détestant réellement que le sectarisme. Ils ne sont fanatiques que de la modération. Épris d'indépendance, mais amoureux de l'ordre, ils abominent tout autant la tyrannie que l'anarchie. Et la méfiance reste leur grande sauvegarde.

 

 

Ce tableau, dont les grandes lignes furent confortées par des observations « sur le terrain » lors de campagnes électorales (datant il vrai du début de ce siècle) se trouve sans aucun doute modifié par l'intrusion brutale des media modernes. Pourtant, il reste assez juste dans son ensemble et définit assez bien ce que peut être la normannité dans le domaine politique.

 

 

La géographie électorale de la Normandie témoigne encore d'une certaine constance qui va du bonapartisme sous le Second Empire au gaullisme plus récemment. Le reflux de ces tentations d'unanimisme conservateur, à la fois nationaliste et socialisant (la « participation ») se marque désormais par un goût pour le centrisme, qui englobe à la fois le centre droit et le centre gauche, et explique tout aussi bien les récentes poussées du parti socialiste ou de l'UDF, au détriment du RPR ou du Parti Communiste, que les médiocres résultats des droitiers ou des gauchistes. Quant à l'écologie, elle n'a de succès que lorsqu'elle apparaît comme un centrisme et non comme un extrémisme.

 

 

Plus que les conséquences électorales de la normannité politique, importe peut-être davantage pour nous l'origine même de ce tempérament particulier. Jean Datain a publié naguère un excellent essai sur la mentalité normande et les influences nordiques, qui recoupe parfaitement les remarques et les observations d'André Siegfried comme de Fernand Lechanteur.

 

 

Il s'attache à montrer que le tempérament normand reste avant tout sensible au sens des nuances et ne craint pas les contradictions apparentes.

 

 

L'Histoire a montré à quel point les Normands de la période ducale étaient à la fois braves et prudents, suivant d'ailleurs en cela l'enseignement du Havamal, le livre de l'antique sagesse scandinave.

 

 

D'autre part, les Normands ont montré au cours des âges et au hasard des conquête, une étonnante capacité à s'adapter à d'autres peuples et d'autres cultures, c'est-à-dire à se transformer en surface tout en restant fidèle à eux-mêmes dans le fond.

 

 

Hors de son pays, le Normand semble souvent perdre de son identité, alors que sa spécificité réside justement dans cette disparition apparente de la normannité extérieure.

 

 

Aussi, paradoxalement, les plus Normands de nos compatriotes sont souvent des gens ayant quitté leur pays, parfois depuis plusieurs générations. En revanche, des gens venus d'ailleurs - des horzains - se sont parfaitement acclimatés et sont devenus aujourd'hui des Normands exemplaires.

 

 

La normannité ne fonctionne donc pas en cercle fermé. Elle est un échange constant entre le plus profond de nous-mêmes et ce qui pourrait apparaître comme le plus étranger.

 

 

D'un côté, le Normand s'adapte. De l'autre, la Normandie adopte.

 

 

 

 

 

Les écrivains normands : des fondateurs et des précurseurs...

 

 

Parce qu'ils n'ont pas une langue particulière - je classe totalement à part les patoisants - les écrivains normands passent souvent à des yeux ignorants pour des écrivains français « comme les autres ». Cette impression pourrait s'accentuer encore quand on mesure à quel point les écrivains d'origine normande ont contribué à créer et à enrichir la littérature française. Et c'est bien là leur première caractéristique, celle d'être des fondateurs et des précurseurs.

 

 

Le Normand Turold, avec la Chanson de Roland, donne le coup d'envoi de la littérature héroïque médiévale. Et nous ne cesserons plus ensuite de nous trouver à l'aube de toutes les révolutions littéraires, y compris la poésie féminine avec marie de France et la satire politique avec Olivier Basselin.

 

 

On peut dire, sans trop exagérer, que Malherbe « invente » le classicisme, Fontenelle la philosophie du siècle des Lumières, Bernardin de Saint-Pierre le romantisme, Barbey d'Aurevilly le régionalisme, Flaubert et Maupassant le naturalisme, Alphonse Allais l'humoriste, Maurice Leblanc, Gustave Lerouge et Gaston Leroux (précédés par Hector Malot) le roman populaire, André Breton le surréalisme ou Léon Lemonnier le populisme.

 

 

Ces écrivains ont la passion de la langue, du mot juste, du verbe précis. Ils font, dans un certain sens, une littérature de juristes. Épris d'ordre, ils le sont autant de liberté et d'indépendance. Ils ne craignent pas la démesure, mais ils la contrôlent. Ils restent maîtres d'eux-mêmes et de leurs folies. Ils sont éloquents plus que lyriques. Ils possèdent tous une forte logique interne, même si ce n'est pas celle de tout le monde. Il existe un sens très normand de l'enchaînement inéluctable des causes et des effets. « Prendre les choses par le bon bout de la raison », disait toujours Rouletabille. Mais ces raisonneurs ne sont pas des sophistes. Et quel goût pour les solides réalités de la terre - qui n'est pas forcément le « terroir » dans un sens étroit.

 

 

Ces écrivains normands sont aussi bien souvent des témoins lucides et amers, à la fois profondément de leur temps et totalement en marge de la mode. Cela est très sensible avec des hommes aussi différents en apparence et aussi semblables dans le fond que Saint-Evremond et Boulainvilliers, Gobineau et Tocqueville, Frédéric Le Play et Georges Sorel, Rémy de Gourmont et André Gide, Drieu La Rochelle et Jean Prévost. Sans oublier Raymond Queneau.

 

 

Il existe chez eux une véritable normannité qui s'exprime dans cette passion d'observer les hommes et le monde, de les comprendre et de les deviner. Tout cela sans aucun souci des idéologies dominantes, des illusions morales, des tabous religieux.

 

 

La normannité se trouve, plus que nulle part ailleurs, dans ce paysage intellectuel situé à la charnière de la littérature et de la politique. Nous y avons brillé, avec une pléiade d'écrivains à la fois solitaires et inclassables et dont toute l'œuvre, d'analyse plus que de doctrine, est dominée par la double idée du scepticisme et de la tolérance. Tous sont des « moralistes », à condition de donner à ce mot sa véritable signification, puisque justement ils n'ont pas de « morale » au sens habituel et bourgeois du terme.

 

 

 

 

 

... mais aussi des sceptiques, des inclassables

 

 

Ces écrivains, qui incarnent, sans doute plus que d'autres, la normannité dans sa permanence, sont souvent des encyclopédistes-nés tout autant que des politologues d'instinct. Voir Émile Littré. Ces Normands sont curieux de nature, incapables de se désintéresser de la marche des choses, avides de « démonter la machine ». Et pourtant sans aucune illusion sur le néant final.

 

 

Flaubert reste assez exemplaire de cette attitude, avec Maupassant dans son ombre, aussi choqué par l'avidité de la classe possédante que par l'envie des partageux, comme on disait alors. D'où cette phrase immortelle de l'ermite de Croisset, qui résume assez bien une certaine sagesse politique normande, toute d'observation et de scepticisme : « L'idéal de la démocratie, c'est d'élever le prolétaire au niveau de la bêtise du bourgeois ».

 

 

Nos penseurs politiques expriment sans doute le plus la normannité dans ce qu'elle a d'original et de permanent. Ils restent, la plupart du temps, inclassables dans un parti traditionnel. Tocqueville n'est pas un vrai démocrate, ni Gobineau un vrai raciste, ni Sorel un vrai socialiste, ni Drieu un vrai fasciste (pas plus que son ami Raymond Lefevre n'était un vrai communiste, sans doute) ni Jean Prévost un vrai radical.

 

 

Le silence dont on entoure encore aujourd'hui la personnalité et l'œuvre de Jean Prévost montre à lui seul que grand résistant, fusillé par les Allemands au Vercors, n'est pas perçu comme un résistant semblable aux autres. Il gêne parce qu'il correspond à lui-même et non pas à l'image qu'on voudrait se faire de lui.

 

 

Quand il s'est agi de politique politicienne et non plus analytique, beaucoup d'entre eux, éternels insatisfaits par goût de l'absolu, ont navigué de la droite à la gauche et vice-versa. Le romancier Octave Mirbeau est assez exemplaire : antisémite devenu dreyfusard et socialiste devenu patriote.

 

 

La plupart ne sont pas anticléricaux, comme on disait autrefois, ni même croyants. Pourtant, ils montrent presque tous un intérêt passionné pour la religion ou plutôt pour l'intrusion du sacré dans la vie. Le scepticisme qui les éloigne de la foi ne les conduit pas pour autant à l'intolérance et au sectarisme. Ils sont de véritables agnostiques.

 

 

Un des traits constants de la normannité chez nos penseurs politiques, c'est leur souci de dépasser les frontières. Ils sont forts peu sensibles au nationalisme hexagonal. Mais quand ils se disent Normands, ce n'est jamais pour construire un micro-nationalisme, mais au contraire pour trouver des parentés et des aventures au-delà des frontières imperméables de la nation française.

 

 

La Normannité n'est jamais un repli frileux sur la province, mais au contraire une découverte de ce que notre ami Pierre Godefroy nomme l'universalisme - et dont il fait d'ailleurs le contraire du cosmopolitisme.

 

 

Déjà Pierre Dubois, sous Philippe Le Bel, au début du XIIIème siècle, rêvait de « faire l'Europe » et osait opposer le pouvoir temporel du souverain au pouvoir spirituel du pape. L'abbé de Saint-Pierre, d'une autre manière, a imaginé les États-Unis d'Europe et la Société des Nations, Saint-Evremond a vécu et est mort à Londres. Tocqueville s'est passionné tout autant pour la Russie que pour l'Amérique, Gobineau a voyagé dans le monde entier en cherchant les vestiges du grand choc planétaire des races, Rémy de Gourmont sans bouger de chez lui a été révoqué de son poste de fonctionnaire pour avoir été un petit pamphlet le joujou du patriotisme , Georges Sorel a inspiré Lénine tout autant que Mussolini, Drieu s'est voulu européen jusqu'à la démesure et s'est enflammé pour Genève, Berlin et Moscou, Jean Prévost a compris l'Espagne et l'Amérique mieux que nul autre. Quant à André Siegfried, il était comme chez lui dans le monde entier.

 

 

Si les écrivains normands, et spécialement les penseurs politiques, sont presque tous fascinés par leur souche originelle de lointaine origine scandinave, on ne trouve guère chez eux de racisme, mais au contraire curiosité et goût de la différence. L'idée que tous les hommes puissent être semblables leur paraît la plus dangereuse des utopies. Plutôt l'individualisme solitaire que l'état mondial. De surcroît, ils se méfient de la conscience universelle, comme ils se méfient de tout absolu et de toute chimère.

 

 

 

 

 

Mais encore des lucides et des solitaires

 

 

La normannité peut parfois sembler un refus de s'engager, tant la tolérance est instinctive et le scepticisme paralysant. Les Normands sont souvent assez lucides pour mesurer la vanité des choses. Ils ne se lancent dans l'action que par un difficile sursaut - voir Drieu et Prévost - mais souvent leur lucidité les freine. Ce sont plus des conseillers - solitaires et jalousés, d'ailleurs - que des meneurs. Peu de généraux et peu d'amiraux chez nous. Le seul Normand important pour Napoléon n'est pas un traîneur de sabre, mais c'est le consul Lebrun, celui qu'il aimait à nommer « mon sage Mentor ».

 

 

Il semble bien que les Normands répugnent à se classer et se sentent mal à l'aise quand ils doivent se frotter à la politique telle qu'elle est vécue dans l'hexagone. André Siegfried remarquait que le Normand était d'instinct un « Whig » et qu'un tel parti, s'il est une réalité outre-Manche, n'existe pas sur l'échiquier politique français.

 

 

Les Normands ont donc une étrange caractéristique, celle de se trouver partout chez eux. De se sentir « biens dans leur peau » n'importe où dans le monde. Et, en même temps, d'éprouver le sentiment d'être partout des étrangers, des « horzains ». Le Normand qui s'est frotté au monde a l'impression d'avoir été mal compris par les non-Normands. Certes. Mais il a aussi l'impression de n'être plus compris par ses compatriotes restés au pays. Content de lui, il ne se sent pourtant à l'aise nulle part désormais. Aussi la normannité est-elle souvent vécue comme une solitude.

 

 

Le Normand conscient de sa normannité appartient à ce peuple dont mon ami Paul-René Roussel aime à dire qu'il est « the people between », expression intraduisible, mais significative.

 

 

 

 

 

La normannité : une permanence et non « la tradition »

 

 

Cette normannité, cet esprit normand, dont nous avons entrevu les manifestations dans le monde éthique, littéraire ou politique, ne s'est pas manifesté avec une égale acuité au cours des siècles.

 

 

D'abord instinctive et vitale, la normannité a été l'irruption sur le terroir de Neustrie d'une force neuve. « Pure », comme dirait Patrick Grainville. Cette force s'est muée en conscience historique, grâce à la volonté du Duc Guillaume. Après l'abâtardissement dû aux Plantegenets, après la coupure entre le continent et la Grande Île, après l'annexion à la France, la normannité a glissé du plan souverain et guerrier au plan artistique et littéraire. Les Normands, ne pouvant s'exprimer politiquement, ont été obligés de trouver un substitut à leur trop-plein de vitalité et à leur désir de marquer le monde de leur empreinte.

 

 

Les étapes de la « réduction » qui vont conduire de l'indépendance à l'autonomie et du particularisme à l'assimilation, sont connues : 1204, 1469, 1790, pour n'en citer que trois. A chaque épreuve, il semble que les Normands « compensent « par un véritable réflexe inconscient, en se réfugiant dans les lettres et les arts. La politique - interdite - se transmue en architecture ou en littérature. Le dernier avatar est le folklore.

 

 

Il apparaît clairement que si nous voulons retrouver les grandes lignes de force de la normannité, nous ne devons pas nous contenter d'en appeler à une « tradition », qui aurait trouvé son aboutissement dans la civilisation rurale du siècle dernier.

 

 

Cette Normandie, qui va - en gros - de la Monarchie de Juillet à la guerre de 1914, nous paraît à la fois proche et lointaine. Proche, parce que nous en avons nous-mêmes connu et vécu de nombreux vestiges dans notre enfance. Lointaine, parce qu'elle est, dans ses manifestations extérieures, condamnée par l'évolution scientifique du monde moderne.

 

 

Le plus grand danger qui nous guette serait d'identifier la normannité à cette Normandie du XIXème siècle, figée en une sorte de musée Grévin des arts et des traditions populaires. Un attachement sentimental, et respectable, nous conduirait à en gommer tous les aspects négatifs. Entre autres la misère ouvrière et rurale, l'acceptation d'une tutelle administrative de plus en plus envahissante, l'alcoolisme partout présent, l'abandon total devant le centralisme, l'émigration vers paris considérée comme une promotion, etc...

 

 

N'attachons pas la normannité à une époque où la Normandie cesse volontairement de vouloir rester elle-même. Quand le naturel devient mascarade, on peut se demander comment pourrait subsister ce que nous appelons justement la normannité.

 

 

Et cette normannité ne se confond pas obligatoirement pour nous avec le seul niveau populaire, où il en subsiste encore des traces. Ne craignons pas de le dire : l'esprit normand a été vécu, exalté, transmis par des individus d'élite.

 

 

Il pouvaient certes être fils de pauvre paysans, comme Jean-François millet, mais ils se sont faits eux-mêmes, selon la belle expression, et sont devenus « des gens de marque ».

 

 

Ce sont ces « premiers hommes », comme on dit parfois, qui sont pour nous les vrais garants de la normannité. Celle-ci n'est pas une sorte d'état de grâce que partageraient tous ceux qui ont quatre grands-parents normands, de préférence natifs d'un bourg rural. La normannité est avant tout l'apanage de ceux qui ont donné un sens à notre peuple et qui lui ont ouvert la voie, les maîtres d'œuvre, les créateurs, les poètes qui sont aussi des prophètes.

 

 

 

 

 

La normannité : un ordre et une création

 

 

C'est pourquoi la normannité, nous la chercherons plus dans le cloître d'une abbaye que dans un pressoir à pommes, plus dans un essai politique original que dans une chansonnette qui a traîné dans tout l'hexagone, plus dans des œuvres littéraires nouvelles que dans des exaltations gastronomiques ou des superstitions villageoises.

 

 

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E. Jünger, lecteur de Léon Bloy

Alexander PSCHERA:

 

Ernst Jünger, lecteur de Léon Bloy

 

 

Les sept marins du “renversement copernicien” sont un symbole, qu’Ernst Jünger met en exergue dans la préface des six volumes de ses “Journaux”, intitulés “Strahlungen”. Les notes de ces “Journaux”, rédigées pendant l’hiver 1933/1934 “sur la petite île de Saint-Maurice dans l’Océan Glacial Arctique” signalent, d’après Jünger, que “l’auteur se retire du monde”, retrait caractéristique de l’ère moderne. Le moi moderne est parti à la découverte de lui-même, explique Jünger, conduisant à des observations de plus en plus précises, à une conscience plus forte, à la solitude et à la douleur. Aucun des marins ne survivra à l’hiver arctique. Nous avons énuméré là quelques caractéristiques majeures des “Journaux” de Jünger. Celui-ci rappelle simultanément les pierres angulaires de l’œuvre et de l’univers d’un très grand écrivain français, qu’il a intensément pratiqué entre 1939 et 1945: Léon Bloy.

 

 

Léon Henri Marie Bloy est né le 11 juillet 1846 à Périgueux. Il est mort le 3 novembre 1917 à Bourg-la-Reine. Il se qualifiait lui-même de “Pèlerin de l’Absolu”. Converti au catholicisme sous l’impulsion de Barbey d’Aurevilly en 1869, il devient journaliste, critique littéraire et écrivain et va mener un combat constant et vital contre la modernité sécularisée, contre la bêtise, l’hypocrisie et le relativisme, contre l’indifférence que génère un ordre matérialiste. Bloy remet radicalement en question tout ce qui fait les assises de l’individu, de la société et de l’Etat, ce qui le conduit, bien évidemment, à la marginalisation dans une société à laquelle il s’oppose entièrement.

 

 

Pour Bloy, Dieu n’était pas mort, il s’était “retiré”

 

 

Conséquences de la radicalité de ses propos, de son œuvre et de sa langue furent la pauvreté extrême, l’isolement, le mépris et la haine. Sa langue surtout car Bloy est un polémiste virulent, à côté de beaucoup d’autres. Son Journal, qui compte plusieurs volumes, couvre les années de 1892 à 1917; sa correspondance est prolixe et bigarrée; ses nombreux essais, dont “Sueur de sang” (1893), “Exégèses des lieux communs” (1902), “Le sang du pauvre” (1909), “Jeanne d’Arc et l’Allemagne” (1915) et surtout ses deux romans, “Le désespéré” (1887) et “La femme pauvre” (1897) forment, tous ensemble, une œuvre vouée à la transgression, que l’on ne peut évaluer selon les critères conventionnels. La pensée et la langue, la connaissance et l’intuition, l’amour et la haine, l’élévation et la déchéance constituent, dans les œuvres de Bloy,  une unité indissoluble. Il enfonce ainsi un pieu fait d’absolu dans le corps en voie de putréfaction de la civilisation occidentale. Ainsi, Bloy se pose, à côté de Nietzsche, auquel il ressemble physiquement, comme l’un de ces hommes qui secouent et ébranlent fondamentalement la modernité.

 

 

L’impact de Bloy ne peut toutefois se comparer à celui de Nietzsche. Il y a une raison à cela. Tandis que Nietzsche dit: “Dieu est mort”, Bloy affirme “Dieu se  retire”. Nietzsche en appelle à un homme nouveau qui se dressera contre Dieu; Bloy réclame la rénovation de l’homme ancien dans une communauté radicale avec Dieu. Nous nous situons ici véritablement  —disons le simplement pour amorcer le débat—  à la croisée des chemins de la modernité. Aux limites d’une époque, dans le maëlström, une rénovation s’annonce en effet, qu’et Nietzsche et Bloy perçoivent, mais ils en tirent des prophéties fondamentalement différentes. Chez Nietzsche, ce qui atteint son sommet, c’est la libération de l’homme par lui-même, qui se dégage ainsi des ordonnancements du monde occidental, démarche qui correspond à pousser les Lumières jusqu’au bout; chez Bloy, au contraire, nous trouvons l’opposition la plus radicale aux Lumières, assortie d’une définition eschatologique de l’existence humaine. Nietzsche a fait école, parce que sa pensée restait toujours liée aux Lumières, même par le biais d’une dialectique négative. Pour paraphraser une formule de Jünger: Nietzsche présente le côté face de la médaille, celle que façonne la conscience.

 

 

Bloy a été banni, côté pile. Il est demeuré jusqu’à aujourd’hui un auteur ésotérique. Ses textes, nous rappelle Jünger, sont “hiéroglyphiques”. Ils sont “des œuvres, pour lesquelles, nous lecteurs, ne sommes mûrs qu’aujourd’hui seulement”. “Elles ressemblent à des banderoles, dont les inscriptions dévoilent l’apparence d’un monde de feu”. Mais malgré leurs différences Nietzsche et Bloy constituent, comme Charybde et Scylla, la porte qui donne accès au 20ième siècle. Impossible de se décider pour l’un ou pour l’autre: nous devons voguer entre les deux, comme l’histoire nous l’a montré. Bloy et Nietzsche sont les véritables Dioscures du maëlström. Peu d’observateurs et d’analystes les ont perçus tels. Et,dans ce petit nombre, on compte le catholique Carl Schmitt et le protestant Ernst Jünger.

 

 

Si nous posons cette polarité Nietzsche/Bloy, nous considérons derechef que l’importance de Bloy dépasse largement celle d’un “rénovateur du catholicisme”, posture à laquelle on le réduit trop souvent. Dans sa préface à ses propres “Strahlungen” ainsi que dans bon nombre de notices de ses “Journaux”, Ernst Jünger cite Bloy très souvent en même temps que la Bible. Car il a lu Bloy et la Bible en parallèle, comme le montrent, par exemple, les notices des 2 et 4 octobre 1942 et du 20 avril 1943. C’est à partir de Bloy que Jünger part explorer “le Livre d’entre les Livres”, ce “manuel de tous les savoirs, qui a accompagné d’innombrables hommes dans ce monde de terreurs”, comme il nous l’écrit dans la préface des “Strahlungen”. Bloy  a donné à Jünger des “suggestions méthodologiques” pour cette nouvelle théologie, qui doit advenir, pour une “exégèse au sens du 20ième siècle”.

 

 

Mais Jünger place également Bloy dans la catégorie des “augures des profondeurs du maëlström”, parmi lesquels il compte aussi Poe, Melville, Hölderlin, Tocqueville, Dostoïevski, Burckhardt, Nietzsche, Rimbaud, Conrad et Kierkegaard. Tous ces auteurs, Jünger les appelle aussi des “séismographes”,  dans la mesure où ils sont des écrivains qui connaissent “l’autre face”, qui sentent arriver l’ère des titans et les catastrophes à venir ou qui les saisissent par la force de l’esprit. Dans “Le Mur du Temps”, Jünger nous rappelle que ces hommes énoncent clairement leur vision du temps, de l’histoire et du destin. Trop souvent, dit Jünger, ces “augures” s’effondrent, à la suite de l’audace qu’ils ont montrée; ce fut surtout le cas de Nietzsche, “qu’il est de bon ton de lapider aujourd’hui”; ensuite ce fut aussi celui de Hamann qui, souvent, “ne se comprenait plus lui-même”. On peut deviner que Jünger, à son tour, se comptait parmi les représentants de cette tradition: “Après le séisme, on s’en prend aux séismographes” —modèle explicatif qui peut parfaitement valoir pour la réception de l’œuvre de Jünger lui-même.

 

 

Le chemin qui a mené Jünger à Bloy ne fut guère facile. Jünger le reconnait: “Je devais surmonter une réticence (...)  —mais aujourd’hui il faut accepter la vérité, d’où qu’elle se présente. Elle nous tombe dessus, à l’instar de la lumière, et non pas toujours à l’endroit le plus agréable”. Qu’est-ce donc que cet “endroit désagréable”, qui suscite la réticence de Jünger? Dans sa notice du 30 octobre 1944, rédigée à Kirchhorst, Jünger écrit: “Continué Léon Bloy. Sa véritable valeur, c’est de représenter l’être humain, dans son infamie, mais aussi dans sa gloire”. Pour comprendre plus en détail cette notice d’octobre 1944, il faut se référer à celle du 7 juillet 1939, qui apparaît dans toute sa dimension drastique: “Bloy est un cristal jumelé de diamant et de boue. Son mot le plus fréquent: ordure. Son héros Marchenoir dit de lui-même qu’il entrera au paradis avec une couronne tressée d’excréments humains. Madame Chapuis n’est plus bonne qu’à épousseter les niches funéraires d’un hôpital de lépreux. Dans un jardin parisien, qu’il décrit, règne une telle puanteur qu’un derviche cagneux, qui est devenu l’équarisseur des chameaux morts de la peste, serait atteint de la folie de persécution. Madame Poulot porte sous sa chemise noire un buste qui ressemble à un morceau de veau roulé dans la crasse et qu’une meute de chiens a abandonné après l’avoir rapidement compissé. Et ainsi de suite. Dans les intervalles, nous rencontrons des sentences aussi parfaites et vraies que celle-ci: ‘La fête de l’homme, c’est de voir mourir ce qui ne paraît pas mortel’ “.

 

 

Bloy descend en profondeur dans le maëlström, les yeux grand ouverts. Cela nous rappelle la marche de Jünger, en plein éveil et clairvoyance, à travers le “Foyer de la mort”, dans “Jardins et routes”. Ce qui m’apparaît décisif, c’est que Bloy, lui aussi, indique une voie pour sortir du tourbillon, qu’il ressort, lui aussi, toujours du maëlström: “Bloy est pareil à un arbre qui, plongeant sa racine dans les cloaques, porterait à sa cime des fleurs sublimes” (notice du 28 octobre 1944). Cette image d’une ascension hors des bassesses de la matière, qui s’élance vers le sublime de l’esprit, nous la retrouvons dans la notice du 23 mai 1945, rédigée à la suite d’une lecture du texte de Bloy, “Le salut par les juifs”: “Cette lecture ressemble à la montée que l’on entreprend dans un ravin de montagne, où vêtements et peau sont déchiquetés par les épines. Elle trouve sa récompense sur l’arête; ce sont quelques phrases, quelques fleurons qui appartiennent à une flore autrement éteinte, mais inestimable pour la vie supérieure”.

 

 

“On doit prendre la vérité où on la trouve”

 

 

Dans la pensée de Bloy, Jünger ne trouve pas seulement une véhémence de propos qui détruit toutes les pesanteurs de l’ici-bas, mais aussi les prémisses d’un renouveau, d’une “Kehre”, soit d’un retournement, des premières  manifestations d’une époque spirituelle au-delà du “Mur du temps”, quand les forces titanesques seront immobilisées et matées, quand l’homme et la Terre seront à nouveau réconciliés. Nous ne pouvons entamer, ici, une réflexion quant à savoir si Jünger comprend la pensée sotériologique de Bloy de manière “métaphorique”, comme tend à le faire penser Martin Meyer dans son énorme ouvrage sur Jünger, ou s’il voit en Bloy la dissolution du nihilisme annoncé par Nietzsche —cette thèse pourrait être confirmée par la dernière citation que nous venons de faire où l’image de l’épine et de la peau indique un ancrage dans la tradition chrétienne. Mais une chose est certaine: Bloy a été, à côté de Nietzsche, celui qui a contribué à forger la philosophie de l’histoire de Jünger. “Les créneaux de sa tour touchent l’atmosphère du sublime. Cette position est à mettre en rapport avec son désir de la mort, qu’il exprime souvent de manière fort puissante: c’est un désir de voir représenter la pierre des sages, issue des écumes les plus basses, des lies les plus sombres: un  désir de grande distillation”.

 

 

Alexander PSCHERA.

 

(article tiré de “Junge Freiheit” n°09/2005).

 

Alexandre Pschera est docteur en philologie germanique. Il travaille actuellement sur plusieurs projets “jüngeriens”.

 

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lundi, 29 janvier 2007

Le retour de D. Cologne

Sur le site : http://www.europemaxima.com/

Nous avons eu la surprise de retrouver des textes de Daniel Cologne, personnage bizarre, qui avait présidé à la naissance de la revue "Totalité", avec Philippe Baillet, Georges Gondinet, Robert Steuckers, Eric Vatré de Mercy et Jean-François Mayer. Depuis cette époque héroïque, l'itinéraire de Cologne est moins connu, si bien que l'on puisse parler de la "vie cachée" de l'homme (mais qu'avait-il donc à cacher?). Il était revenu brièvement, en 2001, dans un long et intéressant entretien accordé à la revue "Nouvelles de Synergies Européennes", qui avait aussitôt été traduit en langue espagnole. Après la parution de ce double entretien, immédiatement envoyé, en ses deux versions, à la boîte de courriel de Cologne, l'homme est entré dans une fureur de Dieu le Père sous prétexte que le texte ne lui avait pas été envoyé! Peut-être s'était-il disputé avec le propriétaire de cette boîte de courriel, mais pour quelle obscure raison (nous savons tout...)? Ingrat, prompt à l'injure, avec sa politesse première se muant vite en grossièreté de chartier, l'homme avait encore lancé des polémiques aussi gratuites que stériles, polémiques qu'on n'imaginait que le propre d'Alain de Benoist.

Mais revoici Cologne, dans le meilleur de lui-même, c'est-à-dire en romaniste bien formé, spécialiste de surcroît de la littérature belge de langue française. Ce sont des articles de cet acabit qu'il offre au site "Europa Maxima" d'un certain Feltrin-Tracol, apparemment dissident du GRECE, où il prodiguait jadis ses enseignements à l'Université d'été de cette association dominée par Alain de Benoist. Les nouveaux articles de Cologne rencontrent nos préoccupations, et plus particulièrement, celles de l'école des cadres de Synergies européennes de Wallonie. Nous demandons donc à tous nos cadres et amis, sympathisants et lecteurs occasionnels, de lire attentivement ces articles du grand nomade de l'aire traditionaliste. Nous en tirerons indubitablement profit. Surtout les articles sur Eugène Demolder et sur Léon Vanderkinderen.

Bonne lecture! 

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Il principe Eugenio, eroe europeo

Gilberto Oneto:

Il principe Eugenio, un eroe europeo

 La cultura europea è da sempre oggetto di attacchi feroci di nemici che vogliono distruggerla. I suoi avversari sono interni ed esterni. Dentro c’è sempre qualcuno pieno di odio, rancore o invidia che non ama questa civiltà antica come il mondo e ricca di risorse spirituali e morali che sembrano inesauribili e che anche dopo periodi di prostrazione ritrovano ogni volta nuova energia. Fuori c’è sempre qualcuno pieno di odio, rancore o invidia che non sopporta la bellezza della nostra cultura, le nostre ricchezze e il nostro modo di vivere. Gli attacchi sono continui e negli ultimi secoli hanno assunto una ciclicità secolare. A cavallo fra il ’700 e l’800 è il giacobinismo a sovvertire dal suo stesso cuore la vecchia identità europea; esattamente un secolo dopo esso si evolve nella peste comunista che avvilisce e prostra gran parte del continente. Il nemico esterno più "fedele" e costante è l’Islam che da quattordici secoli aggredisce l’Europa da più parti e cerca di annientarne la grande civiltà. Alla fine del ’600 le sue orde sanguinarie sono arrivate fino al cuore pulsante dell’Europa più vera e assediano Vienna ma è ancora una volta a cavallo del secolo (esattamente trecento anni fa) che gli Europei ritrovano l’antico vigore dei padri e cominciano a ricacciarli verso le loro tane anatoliche, e l’artefice e il simbolo di quei giorni è un padano: il Principe Eugenio di Savoia. Oggi, a tre secoli da quegli avvenimenti, a due dalla rivoluzione giacobina e a uno da quella bolscevica, tutti questi nemici si ripresentano tutti assieme, con un nuovo compare: il mondialismo che ha posto il suo covo in America settentrionale e che da lì spinge i suoi tentacoli dappertutto utilizzando nella sua lotta contro l’Europa i suoi nemici di sempre, fatti uscire come zombies dai sepolcri in cui li avevano relegati la storia e la volontà dei nostri popoli. Oggi però gli schieramenti non sono più chiaramente delineati (con le insegne crociate da una parte e quelle islamiche dall’altra, con i rossi comunisti o i blu giacobini da una parte e i difensori bianchi delle libertà o gli insorgenti dall’altra): il nemico è fra di noi, è dentro di noi, controlla le nostre città, i nostri mezzi di comunicazione, le nostre scuole. Anche la Chiesa (che di questa difesa d’Europa è sempre stata uno dei più robusti baluardi) è disorientata e infiltrata; i Musulmani poi non sono dall’altra parte del muro o del fiume ma sono incistati nelle nostre case e nei nostri paesi. Sappiamo però (e per fortuna) che la vera forza delle tribù d’Europa viene fuori proprio quando il pericolo è massimo e quando tutto sembra perduto: è l’antico spirito di Salamina, di Teutoburgo, di Poitiers, di Lepanto e di Lipsia. Gli esempi e i riferimenti storici che ci possono dare coraggio e fiducia sono moltissimi ma uno più di tutti gli altri sembra essere particolarmente adatto ai giorni che stiamo vivendo. Eugenio di Savoia era nato a Parigi nel 1663, debole e malaticcio era stato avviato alla carriera ecclesiastica ma non ne voleva sapere. Appassionato di armi, si era presentato a Luigi XIV che lo aveva respinto dicendo che non aveva bisogno di "abatini". Si era allora rivolto agli Asburgo che gli avevano invece dato fiducia: come un altro grande padano, Raimondo Montecuccoli, diventerà uno dei migliori condottieri dell’armata imperiale impegnata contro i Turchi. L’Impero aveva appena respinto i Musulmani che, nel 1683, avevano assediato Vienna ma che continuavano a minacciare il cuore dell’Europa cristiana. Sotto gli ordini di Eugenio (diventato il leggendario Prinz Eugen) l’esercito cristiano batte i Turchi a Zenta l’11 settembre del 1697, a Peterwardein nel 1716 e a Belgrado nell’anno successivo. Nel 1706 era anche intervenuto a sostegno del cugino Amedeo II, spezzando l’assedio di Torino e mettendo in fuga i Francesi: un grande giorno per lui che si vendicava del disprezzo con cui i Francesi (amici dei Musulmani) l’avevano trattato e che contribuiva coi fratelli "bogianen" a salvare la sua Piccola Patria di origine. Il principe Eugenio era diventato (assieme alle navi veneziane) il vero protettore d’Europa dalle aggressioni turche (e dai tradimenti interni), era una sorta di reincarnazione di San Giorgio, difensore della Cristianità e patrono della Padania. Non potremmo oggi trovare un esempio più calzante. Figlio fedele delle Alpi padane (con lui c’erano sempre ufficiali e soldati arruolati nella Lombardia storica), al servizio dell’Impero asburgico (erede legittimo del più autentico spirito d’Europa, di Ambigato e di Carlo Magno), è stato il più audace e forte nemico delle orde islamiche che aggredivano l’antica terra dei padri. In questi tempi in cui la nostra Heimat padana e la grande patria europea sono ancora una volta assalite dagli Islamici, sono devastate da traditori e disfattisti, sono indebolite da mille cedimenti, e aggredite dal nuovo devastante potere mondialista, non potremmo trovare un riferimento più entusiasmante nella nostra lotta: il Principe Eugenio, piemontese e padano, fedele soldato dell’Austria e fiero nemico degli aggressori islamici. di Gilberto Oneto

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Culte et mythe de la déesse-mère

Detlev BAUMANN:

Culte et mythe de la déesse-mère

 

Analyse: Manfred Kurt EHMER, Göttin Erde. Kult und Mythos der Mutter Erde. Ein Beitrag zur Ökosophie der Zukunft, Verlag Clemens Zerling, Berlin, 1994, 119 p. (format: 20 cm x 20 cm), nombreuses illustrations, DM 36, ISBN 3-88468-058-7 (l'ouvrage comprend un glossaire mythologique et une bonne bibliographie).

 

 

L'écologie philosophique constitue une lame de fond en Allemagne depuis longtemps et renoue, c'est bien connu, avec le filon romantique et son culte de la nature, bien capillarisé dans la société allemande. Aujourd'hui, la sagesse qui découle de ce culte de la nature ne se contente plus de déclarations de principe écologistes un peu oiseuses et politiciennes, mais se branche sur la mythologie de la Terre-Mère et entend développer, pour le siècle à venir, une “écosophie”, une sagesse dérivée de l'environnement, de l'écosystème, capable de mettre un terme au progressisme moderne qui clopine de catastrophe en catastrophe: pollutions insupportables, mégapoles infernales, produits agricoles frelatés, névroses dues au stress, etc. M. K. Ehmer nous offre dans ce volume, abondamment illustré, une rétrospective solidement étayée des cultes que l'Europe a voués depuis des temps immémoriaux à la Terre-Mère et à ses multiples avatars. La déesse Gaïa est dans l'optique de tous ces cultes successifs dans l'histoire européenne, à la fois un être vivant, le symbole archétypal de la féminité/fécondité et l'objet des cultes à mystères de l'Europe et de l'Inde. Les sites préhistoriques et protohistoriques de Hal Tarxien à Malte, de Carnac en Bretagne, de Stonehenge et d'Avebury en Angleterre l'attestent. Pour Ehmer, ces lieux de culte doivent être considérés comme les réceptacles géomantiques de forces numineuses et fécondantes que la tradition chinoise appelle les forces chi  et que le Baron von Reichenbach (1788-1869), à la suite de 13.000 expériences empiriques, nomme “forces Od”.  La Terre-Mère, dans ces cultes, est fécondée par l'astre solaire, dont la puissance se manifeste pleinement au jour du solstice d'été: la religion originelle d'Europe n'a donc jamais cessé de célébrer l'hiérogamie du ciel et de la terre, de l'ouranique et du tellurique. L'Atharva-Veda indien est la trace écrite de cet hymne éternel que l'humanité européenne et indienne a chanté en l'honneur de la Terre-Mère, explique Ehmer. Ensuite, il relie l'idéal chevaleresque des kshatriyas indiens et le culte du dieu du Tonnerre Indra à la mystique du calice contenant le nectar Soma, source tellurique de toute vie et breuvage revigorant pour les serviteurs spirituels ou guerriers de la lumière ouranienne. Des kshatriyas indiens aux chevaliers perses et de ceux-ci aux cavaliers goths, cette mystique du Soma est passée, immédiatement après le début des croisades, dans l'idéal chevaleresque européen-germanique, sous la forme du Graal et dans le culte de Saint-Michel (qui ne serait qu'un avatar des dieux indo-européens du Tonnerre, tueurs de dragons, dont Indra en Inde ou Perkunas chez les Baltes et les Slaves). Pour Ehmer, le Graal est un calice contenant un breuvage surnaturel qui donne des forces à l'homme-guerrier initié, tout en échappant, par l'abondante plénitude qu'il confère aux compagnons du Graal, à l'entendement humain trop humain.

 

 

En Grèce, le culte de Gaïa/Demeter/Perséphone a été bien présent et s'est juxtaposé puis mêlé pendant l'Empire romain au culte latin-italique de la Terra Mater, aux mystères d'Attis et de Kybele (originaires d'Asie Mineure) et au culte d'Isis, déesse de la Terre et Reine du Ciel (dont les avatars se mêlent en Germanie, le long du limes  rhénan et danubien, à des figures féminines locales, notamment à cette jeune fille audacieuse descendant les rivières, debout sur un bloc de glace, sur lequel elle a dressé un mât porteur d'une voile, pour s'élancer, disent certaines légendes, vers l'Egypte; cf. Jurgis Baltrusaitis, La Quête d'Isis, Champs-Flammarion, 1997). A cette Isis nordique qui part seule à l'aventure pour l'Egypte, correspondent des Isis sur barque ou sur nef, dont celle de Paris, l'Isis Pharia, honorée à Lutèce pendant la tentative de restauration de Julien (d'où la nef des armoiries de Paris). Ou cette superbe Isis en ivoire alexandrin, sculptée sur la chaire de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle. Isis a connu un très grand nombre d'avantars en terre germanique où, souvent, elle n'a même pas été christianisée (voir les nombreux “Isenberge”, ou “Monts-d'Isis”). L'humaniste suédois Olav Rudbeck (1630-1702), exposant d'une origine hyperboréenne des civilisations, déduit dans sa mythographie parue en 1680, qu'Isis-Io est fille de Jonatör, un roi “commérien”, régnant sur un peuple du nord noyé dans les ténèbres d'une lointaine “Hyperborée”. Isis-Io, fille aventureuse, descend vers l'Egypte et le Nil en traversant les plaines scythes en compagnie de Borée (est-il un avatar de ce “jeune homme” couronné de feuilles, debout sur une barque à proue animalière, que l'on retrouve dans les plus anciennes gravures rupestres de Scandinavie et dans le mythe de Lohengrin?). Rudbeck avançait des preuves archéologiques: l'Isis lapone sort des neiges, porte plusieurs paires de mamelles (elle est une “multimammia”); son culte se retrouve à Ephèse et en Egypte. L'élément glace se retrouve même dans la proximité phonique entre “Isis” et “Iis” (“glace” en gothique) ou “Eis” (“glace” en allemand). Baltrusaitis écrit: «La cosmogonie hyperboréenne est aquatique par excellence. La terre, la vie procède de l'eau. Or l'eau provient de la glace, première substance solide de l'univers».

 

 

Les cultes grecs de la Terre-Mère trouvent leur pendant en Europe centrale et septentrionale dans le culte germanique de Nerthus, dans le culte celtique de Brighid, mère du monde et gardienne de la Terre, et dans la figure d'Ilmatar, le mère originelle de l'épopée du Kalevala. Ensuite dans la tradition chinoise du Feng-Shui, qui est celle de la géomantie, du culte du genius loci, pour laquelle il fallait donner forme à l'habitat des vivants pour qu'il coopère et s'harmonise avec les courants traversant son lieu. Car, cite Ehmer, «chaque lieu possède ses spécificités topographiques qui modifient l'influence locale des forces chi».  Ehmer débouche ainsi sur une application bien pratique et concrète du culte de la Terre-Mère, des sites sacrés ou du simple respect du site pour ce qu'il est: un urbanisme qui donne aux bâtiments la hauteur et la forme que dicte le topos, qui oriente les rues et les places selon sa spécificité propre et non d'après l'arbitraire du constructeur moderne et irrévérencieux, qui exploite la Terre sans vergogne. Après la disposition géomantique exemplaire de la Cathédrale de Chartres, la modernité occidentale a oublié et oublie encore ce Feng-Shui, qui n'a même plus de nom dans les langues européennes, malgré les recommandations d'un architecte britannique, Alfred Watkins (1855-1935), qui a redécouvert les lignes de forces telluriques, qu'il appelait les ley lines.

 

 

Pour Ehmer, le judéo-christianisme et la modernité prométhéenne sont responsables du “désenchantement” du monde. Mais son plaidoyer pour un retour à la géomantie et à l'écosophie ne s'accompagne pas d'une condamnation sans appel de tout ce qui a été dit et pensé depuis la Renaissance, comme le veulent certains pseudo-traditionalistes hargneux et parisiens, se proclamant guénoniens ou évoliens ou, plus récemment, “métaphycisiens de café” (mais qui ont mal digéré leur lecture d'Evola ou l'ont ingurgitée sans un minimum de culture classique!). Ehmer rappelle la cosmologie ésotérique de Léonard de Vinci, avec l'idée d'une “âme végétative”, où l'adjectif “végétatif” n'est nullement péjoratif mais indique la vitalité inépuisable du végétal et de la nature, et aussi l'idée d'une Terre comme “être vivant organique”. Ehmer rappelle également l'“harmonie” de Jean Kepler, avec l'idée d'un “soi planétaire de la Terre”, puis, la pensée organique de Goethe.

 

 

C'est donc sur base d'une connaissance profonde des mythologies relatives à la Terre-Mère et sur une revalorisation des filons positifs de la Renaissance à Goethe, sur une approche nouvelle de Bachofen et de Jung, qu'Ehmer propose une “nouvelle conscience gaïenne”. Celle-ci doit mobiliser les ressources de la sophia, pour qui l'esprit n'est pas l'ennemi de la vie, mais au contraire la vie elle-même; un tel “esprit” ne se perd pas dans la sèche abstraction mais reste ancré dans les saveurs, les odeurs et les grouillements de la Terre. C'est l'abandon de cette sophia  qui a fait le malheur de l'Europe. C'est le retour à cette sophia  qui la restaurera dans sa plénitude. (Detlev BAUMANN).

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Sur la fête de l'aurore

Frédéric VALENTIN:

Sur la fête de l’Aurore

 

 

Il est probable qu'une troisième classe de divinités s’insérait initialement entre celle du ciel diurne et celle du ciel nocturne : les divinités du ciel rouge, auroral et crépusculaire, en particulier les Aurores (1). L'intention d'une fête de l'Aurore a donc une certaine ambiguïté : soit elle vise à encourager l'Aurore contre l'offensive imminente du temps nocturne ; soit à renforcer l'Aurore contre sa propre lassitude.

 

 

Dans la religion cosmique, l'Aurore est l'intermédiaire obligé entre tous les dieux. Aussi, tantôt elle est une actrice énergique qu'il est très difficile de se concilier, surtout lorsque les rencontres qu'elle agence ont un caractère militaire, tantôt elle est l'objet de sévères disputes entre les deux forces qui la convoitent. En fait, l'Aurore est à la fois une déesse fille, mère et épouse des dieux, notamment ceux du ciel diurne.

 

Hiérogamie

 

 

Homère, dans le chant 14 de l'Iliade, narre l'union de Zeus et d'Héra sur le sommet du Gargaros. Schéma mythique : la scène se passe au printemps. Le retour du printemps est symbolisé par l'union amoureuse des deux divinités. Le lieu, la montagne, est essentiel. Il existe par exemple une " montagne de l'année ", le Lycabette dont le nom s'explique par le souvenir d'une liaison entre l'année et la montagne. La « montagne » de l’année est celle où se manifeste le retour du soleil : celle dont sortent les « Aurores de l’année ».

 

 

Le mythe de Vala

 

 

Selon le Veda, un être mythique, Vala, retient prisonnier dans une caverne les éléments de la création. Vala prospère grâce à cette rétention. Il faut qu'il soit assiégé par un Dieu armé de la parole et accompagné d'un chœur (le récit affirme qu'ils sont sept) pour que, fracturé par la parole, il relâche les biens de la création (2).

 

 

La caverne de Vala apparaît comme un enclos qui abrite les forces vitales entre deux cycles. Un tel lieu pourrait être connu par les mythologies de plusieurs peuples indo-européens. En Europe du Nord, les éléments qui permettront une vie nouvelle après la destruction du monde, lors du Ragnarök, sont sauvegardés dans le Gimlé. Puisque Vala symbolise l'hibernation de la Création accompagnée de l'affaiblissement de la nature, Vala fracturé c'est l'assurance du retour de la vie, du printemps. Ce retour est représenté par la délivrance des Aurores, les vaches d'abondance.

 

 

L'Aurore crée une filière

 

 

Selon les linguistes, il devait exister une formule indo-européenne : " Fendre la montagne par la formule pour faire luire la lumière cachée ". A partir de cette formulation, un réseau d'homologies est établi entre : lumière ; éveil ; vitesse vigueur et courage ; victoire. Parallèlement il existe une homologie entre chanter et luire.

 

 

L'Aurore, captive de la nuit silencieuse, est accompagnée de bruissements de la nature lorsqu'elle parait. D'où l'association entre l'apparition de la lumière et le bruissement, la rumeur matinale. Par inversion de l'effet et de la cause, le chant (ou bruissement) a délivré l’Aurore des ténèbres.

 

Selon les hymnes védiques à USAS l'Aurore, celle-ci préside au retour de la lumière solaire. En tant que bonne déesse, l'Aurore prodigue elle même ses dons, tout ce qui permet de subsister et d'être heureux. L'Aurore introduit la lumière en tant qu'éclairante, opposée à l'obscurité. Elle ouvre la succession des rites : elle met en rapport les dieux et leurs fidèles. Mais, simultanément, elle ouvre une longue saison avec un contenu incertain, imprévisible. En éclairant, elle éveille les acteurs de la comédie humaine et elle leur propose leur action. Elle ramène à la vue et à la mémoire les fins et les moyens de l'action de chacun, en sorte qu'elle entretient un rapport avec la déesse romaine Fortuna.

 

 

Rome et Mater Matuta (3)

 

 

Le jour romain commence à minuit et l'année débute après le solstice d'hiver car il existe une "bonne" obscurité, grosse du soleil, transmettant à l'Aurore l'enfant lumineux en train de naître. L'Aurore est considérée comme la mère adoptive du Soleil : elle le recueille. Ici, nuit et aurore ont en commun une œuvre maternelle. Ces “sœurs” sont des mères collaborantes. Soit elles sont les deux mères d'un même enfant, le Soleil (ou le Feu céleste}; soit l'Aurore prend livraison du fils de la nuit et le soigne à son tour (le Soleil étant remplacé, en Inde, par le Feu des offrandes).

 

Le service de la déesse se décompose en deux temps.

 

-          Aux matralia (11 juin), deux actions sont effectuées : Négative, chasser l'obscurité ; positive, recevoir le jeune soleil. Mater Matuta est la protectrice du plus brillant des nouveaux-nés, donc protectrice d'une catégorie de jeunes enfants.

 

-          Deux jours après, les Aurores récalcitrantes ( rôle tenu par des travestis), sont ramenées malgré elles et par ruse, à leur devoir .

 

Ovide signale que le jour des Matralia, les mères offrent des gâteaux en forme de roue, cuits dans un moule, et de couleur jaune. Cela se réfère à la naissance du soleil.

 

 

Conclusion

 

 

L'Aurore est à la fois : la compagne des guerriers (éveil, courage) ; celle des poètes (fendre la montagne par la formule); la porteuse de dons (bienfaits de la lumière opposée aux ténèbres) ; la garante du bon ordre du monde (une fois le souverain nocturne évincé, le jeune Dieu solaire peut naître). Ces multiples aspects sont à intégrer dans la fête de l'Aurore qui demande aussi que l'on choisisse entre la "montagne de l'aurore", ou la "fracture de la caverne" comme rite inaugural.

 

 

Frédéric VALENTIN.

 

 

(1) Jean HAUDRY : La religion cosmique des Indo-Européens. Arché,

 

Les Belles Lettres, 1987.

 

(2) Patrick MOISSON : Les dieux magiciens dans le Rig-Veda. Archè-Edidit. 1993, p.36 et suivantes.

 

(3) Georges DUMEZIL : Mythe et Epopée, III, 2°partie : la saison de l'Aurore. Gallimard, 1990.

 

 

 

 

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dimanche, 28 janvier 2007

Vilfredo Pareto and Political Irrationality

Vilfredo Pareto and Political Irrationality

Tomislav Sunic

http://foster.20megsfree.com/393.htm

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Mohammed Mossadeq (1882-1967) (NL)

Mohammed Mossadeq (1882-1967)

Yves PERNET

Iran is een land dat periodes van op- en neergang kent. Het Iran dat we nu kennen, is pas ontstaan in 1979 bij de Islamitische Revolutie, die Khomeini aan de macht bracht (en samen met hem, het huidige regime van de ayatollahs). Maar voor deze revolutie hebben nog andere belangrijke gebeurtenissen plaatsgevonden. Gebeurtenissen in gang gezet door personen die het beste voorhadden met hun land, maar door buitenlandse krachten werden afgezet. Eén van die personen was Mohammed Mossadeq.
 
 
Mohammed Mossadeq werd geboren in 1882. Het Iran waarin hij opgroeide, werd reeds 129 jaar geregeerd door de Qajar-dynastie. Mossadeq zelf behoorde ook tot deze familie. Zijn vader, Hedayat Ashtiani, was de minister van financiën voor toenmalige koning van Iran, Naser al-Din Sjah Qajar. De moeder van Mossadeq was dan weer een kleindochter van de kroonprins Abbas Mirza.
In 1906 werd Mossadeq verkozen tot dit parlement vanuit het kanton Isfahan. Maar aangezien hij jonger was dan dertig, weigerde hij zijn zetel. Een slimme zet zo bleek later want ondertussen was Mohammed Ali Sjah Qajar aan de macht gekomen. Hij ontbond het parlement en liet liberalen en andere democratisch-gezinden opsluiten en/of executeren. Dit met de steun van Rusland. Mossadeq dook onder en in 1909 verliet hij Iran. Datzelfde jaar werd Mohammed Ali Sjah Qajar afgezet door een tweede democratische revolutie. Mossadeq reisde rond door Europa, tot hij in 1914 terugkeerde naar Iran waar hij les ging geven aan het Politieke Instituut van Teheran als professor. In 1917 werd Mossadeq vice-minister van Financiën. Op deze positie liet hij zich opmerken als iemand die vele stappen zette tegen corruptie op het ministerie.
 
In 1919, nadat Britse troepen via Iran de Russische revolutie probeerden neer te slaan, tekende het kabinet van Vosugh al-Doleh een overeenkomst met de Britten. Deze overeenkomst kwam er op neer dat Iran een Britse kolonie werd. Mossadeq protesteerde hevig tegen deze overeenkomst en verliet Iran.
Een paar maand later viel het kabinet van Vosguh door de druk van het volk. De nieuwe eerste minister wordt Moshir al-Doleh. Hij loodste Mossadeq zijn kabinet binnen, deze keer als minister van Justitie. In 1921 keerden de Britten terug. Dit door een pro-Britse coup te steunen, waardoor Seyed Zia en Reza Khan aan de macht kwamen. Mossadeq trok de legitimiteit van dit regime, dat 100 dagen zou duren, in twijfel en gaf zijn gouverneurspost op.
 In 1932 werd hij opnieuw verkozen in het parlement maar geeft ook deze keer zijn zetel op, dit keer vanwege het aanstellen van Reza Pahlavi als sjah. Maar het tij keerde en in 1944 wordt Mossadeq opnieuw verkozen. Dit keer werd Mossadeq verkozen als lid van het Nationaal Front. Het Nationaal Front was gesticht om de buitenlandse invloed uit Iran te krijgen, een invloed die na WOII zeer groot was geworden. Vooral de ontginning van Iran’s oliebronnen was een heikel punt.
 
De nationalisatie van de oliebronnen
 De Iraanse olie werd ontgonnen door de Anglo-Iranian Oil Company. Een minimum van hun winst ging naar Iran en het bedrijf was, zoals te verwachten, volledig in Britse handen. Eerst probeerde de Iraanse regering te onderhandelen voor meer oliegeld maar de AIOC weigerde. Mede onder invloed van Mossadeq, stemde het parlement voor de nationalisatie. De eerste minister, Haij-Ali Razmara, was tegen deze nationalisatiewet maar werd vermoord op 7 maart 1951. Op 28 april 1951 werd Mohammed Mossadeq ingezworen als eerste minister.
 Eén van zijn eerste taken was het doorvoeren van de nationalisatiewet en nam eigendommen van de AIOC in Iran in beslag. Ook andere westerse bedrijven konden hun koffers pakken, de Iraanse olie kwam nu in Iraanse handen. De Britten reageerden met een verbod op olie-export vanuit Iran en blokkeerde de Perzische Golf met hun vloot.
Dit zorgde echter voor een groot probleem. Tot aan de nationalisatie was Groot-Brittannië de grootste afnemer van Iraanse olie geweest. Tot voor de nationalisatie exporteerde Iran voor meer dan 100 miljoen dollar naar Groot-Brittannië. Hou hierbij in het achterhoofd dat we het hebben over de jaren ’50. 100 miljoen dollar toen was dan ook een veelvoud van wat het nu is. Door het verbod op Iraanse olie, ontstond er dus een crisis. Deze crisis zou de naam “Abadan Crisis” toegewezen krijgen.
Ondanks de economische crisis die ontstond, bleef Mossadeq immens populair. In 1952 werd hij opnieuw aangesteld door het parlement als eerste minister en vroeg aan de sjah (die nog steeds staatshoofd was) voor volmachten. Deze zouden volledige controle over het leger en het ministerie van oorlog inhouden. De sjah weigerde en Mossadeq trad af. Ahmed Qavam werd aangesteld als vervanger en maakte bekend dat hij met de Britten wilde onderhandelen om het oliedispuut op te lossen. Iets dat zeer zeker zou leiden tot het terugdraaien van de nationalisatie van Mossadeq’s beleid.
Dit leidde tot grote straatprotesten en de sjah moest al snel inbinden en benoemde Mossadeq opnieuw tot eerste minister met al de volmachten die eerder geweigerd waren. Meteen begon hij met het doorvoeren van verdere hervormingen.
 De nationalisatie werd door het herbenoemen van Mossadeq bevestigd en hij verlegde zijn aandacht dan ook snel naar andere sectoren. De Iraanse landbouw zou de volgende worden. Sinds eeuwen was het landbouwsysteem van Iran gebaseerd op feodale basis. Een paar grootgrondbezitters beheersten alles en de kleinere boeren leverden delen van hun oogst aan hen. Ook hier volgde Mossadeq de weg van de nationalisatie. Landbouw werd genationaliseerd en een systeem van collectieve boerderijen werd ingevoerd. De grond werd eigendom van de staat en de macht van de agrarische elites werd gebroken. Mossadeq deed zijn best om Iran de moderne tijden in te leiden, iets waar hij waarschijnlijk in zou zijn geslaagd wanneer hij op dat moment niet de verkeerde vijand zou uitgekozen hebben.
 
Zijn volgende hervorming zou als onderwerp het leger hebben. Hij ontsloeg vele officieren in de hogere rangen die bekend stonden om hun loyaliteit ten aanzien van de sjah. Dit deed hij waarschijnlijk om een stap in de richting van de ontbinding van de monarchie te zetten. De officieren die ontslagen werden, bleven echter niet bij de pakken zitten en zochten contact met het Verenigd Koninkrijk en de VSA.
Deze twee landen waren ondertussen ongerust geraakt over Iran. Zij beschouwden Iran als een bedreiging voor hun handelsbelangen. Deze twee landen deden Mossadeq’s beleid af als schadelijk voor Iran en probeerden lucratieve oliecontracten met Iran te bekomen. Mossadeq, die niet van gisteren was, schoof deze voorstellen van de baan en werd daardoor gedwongen om hechter samen te werken met de Tudeh Partij (de communisten van Iran). Hierdoor werd de VSA nog wantrouwiger aangezien zij Iran nu als voorpost van de USSR begonnen te zien.
 De Britten en Amerikanen begonnen naar bondgenoten te zoeken in Iran om Mossadeq te doen “bijdraaien”. Iets waar de persoon in kwestie nogal snel achterkwam. In 1952 verklaarde hij het Verenigd Koninkrijk een “vijand van de staat” en beëindigde alle diplomatiek relaties ermee. Hierna zou het redelijk snel gaan.
 
Operatie Ajax
 De CIA begon met “Operatie Ajax” om de sjah ervan te overtuigen Mossadeq af te zetten. Zo deden CIA-agenten zich voor als aanhangers van Mossadeq en bedreigden uit zijn naam andere groeperingen (zoals de islamieten). Dit zorgde voor een onhoudbare situatie en Mossadeq moest maatregelen nemen. Zo riep hij een nationaal referendum uit om het parlement te ontbinden en zijn volmachten te verlengen. Dit referendum verliep gunstig voor hem aangezien 99,9% ja stemde. Waarschijnlijk was dit referendum dan ook “lichtjes bijgestuurd” door hem.
 
Door de onrust in Iran kon de economie niet heropleven en de crisis duurde voort. De communisten langs links en de religieus-conservatieven langs rechts lieten Mossadeq vallen. Toch ging Mossadeq door met zijn hervormingen en deze keer mikte hij op de sjah. Hij probeerde de sjah in augustus 1953 te overhalen het land te verlaten, wat mislukte. Hierdoor werd de volgende fase van “Operatie Ajax” ingezet en Mossadeq werd door de sjah afgezet. Mossadeq weigerde dit echter te aanvaarden en al snel begon er een mini-burgeroorlog in Iran.
Pro- en anti-monarchisten bevochten elkaar op de straat en er vielen meer dan 300 doden. Met Amerikaans en Brits geld en middelen kregen de pro-monarchisten al snel de overhand en reeds op 19 augustus 1953 werd een coup gepleegd door pro-monarchisten. Mossadeq werd gearresteerd.
 De nieuwe regering draaide zijn hervormingen terug en in augustus 1954 werd de Iraanse olie terug in buitenlandse handen geplaatst. Mossadeq zou sterven op 5 maart 1967. In maart 2000 zou Madeleine Albright over Mossadeq het volgende zeggen: “The Eisenhower administration believed its actions were justified for strategic reasons. But the coup was clearly a setback for Iran’s political development and it is easy to see now why many Iranians continue to resent this intervention by America.”In 2004 zou de Pahlavi-straat in Caïro veranderd worden in de Mossadeq-straat.
 Mossadeq wou van Iran een moderne natie maken. Zijn plan was om Iraanse grond(stoffen) in Iraanse handen te krijgen. Waarschijnlijk wou hij ook de sjah afzetten en Iran omvormen tot een republiek, waar hij zelf de eerste president van zou zijn. Door het afzetten van Mossadeq, werd een corrupt regime in het leven geroepen. Iets dat later, na de Islamitische Revolutie, zou uitmonden in het huidige theocratische regime.
 Yves Pernet
Scriptor NSV!-Antwerpen
Stud. rer.
 

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Carl Schmitt: Etat, nomos et "grands espaces"

Theo HARTMAN:

Carl Schmitt: Etat, nomos et "grands espaces"

La maison d'édition berlinoise Duncker & Humblot, qui publie l'essentiel de l'œuvre de Carl Schmitt, a eu le mérite l'an passé d'avoir publié une anthologie d'articles définitionnels fondamentaux du juriste et polito­logue allemand (CS, Staat, Großraum, Nomos - Arbeiten aus den Jahren 1916-1969), magistralement pré­facés par Günter Maschke. Ce fut sans doute, à nos yeux, le nouveau livre le plus important en philoso­phie politique exposé à la Foire de Francfort en octobre 1995. Mais c'est aussi un livre fondamental pour comprendre dans tous ses rouages le monde d'après la Guerre Froide. Günter Maschke, un des plus grands spécialistes allemands de Carl Schmitt, mérite nos éloges pour avoir annoté avec une remar­quable précision tous ces articles et surtout les avoir resitués dans leur vaste contexte. Maschke fournit en effet au lecteur  —à l'étudiant comme à l'érudit—  des commentaires et des analyses très mé­thodiques et très fouillées. Staat, Großraum, Nomos est divisé en quatre parties: 1. Constitution et dicta­ture; 2. Politique et idée; 3. Grand-Espace et Droit des gens et 4. Du Nomos de la Terre. A notre avis, l'essentiel pour notre monde en effervescence depuis la chute du Mur réside dans les deux dernières par­ties.

Cette nouvelle anthologie a l'immense mérite de concentrer toute son attention sur un aspect moins connu, mais toutefois déterminant, de la pensée et de l'œuvre de Carl Schmitt: la géopolitique. Notre “Centre de Recherches en Géopolitique” avait jadis déjà mentionné quelques-uns de ces textes fonda­mentaux, mais le vaste ensemble d'articles et d'essais sélectionnés par Maschke permet de jeter, sur cette géopolitique schmittienne, un regard beaucoup plus synoptique.

Le “Grand-Espace”

Notre Centre a publié depuis 1988 un certain nombre de textes de géopolitique; depuis 1991, nous réflé­chissons intensément sur le nouvel ordre mondial après l'effondrement de l'Union Soviétique. L'ère nou­velle sera très vraisemblablement marquée par la notion de “Grand-Espace”, toutefois dans un sens peut-être différent de celui que lui donnait Carl Schmitt. Commençons notre analyse par une citation de Joseph Chamberlain qui illustre bien l'intention des géopolitologues et de Schmitt lui-même: «L'ère des petites na­tions est révolue depuis longtemps. L'ère des empires est advenue» (1904). Mais l'effondrement de l'URSS nous enseigne que l'ère des empires traditionnels est elle aussi révolue, si l'on considère toutefois que le dernier des empires traditionnels a été l'Union Soviétique. A la place des empires, nous avons dé­sormais les “Grands-Espaces”. Dans son essai Raum und Großraum im Völkerrecht, Schmitt définit clai­rement le concept qu'il entend imposer et vulgariser: «Le “Grand-Espace” est l'aire actuellement en ges­tation, fruit de l'accroissement à l'œuvre à notre époque, où s'exercera la planification, l'organisation et l'activité des hommes; son avènement conduira au dépassement des anciennes constructions juridiques dans les petit-espaces en voie d'isolement et aussi au dépassement des exigences postulées par les systèmes universalistes qui sont liés polairement à ces petits-espaces».

Schmitt cite Friedrich Ratzel et montre, en s'appuyant sur ces citations, comment, à chaque génération, l'histoire devient de plus en plus déterminée par les facteurs géographiques et territoriaux. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui pour notre génération, car la bipolarité d'après 1945 fait place à une multipolarité, dont on ne connaît pas encore exactement le nombre de protagonistes.

Maschke, dans ses commentaires sur l'article intitulé Völkerrechtliche Großraumordnung mit Interventionsverbot für raumfremde Mächte, mentionne à juste titre la théorie de Haushofer qui envisa­geait de publier un Grundbuch des Planeten, un livre universel sur l'organisation territoriale de la planète. La géopolitique, selon Haushofer, ne devait pas servir des desseins belliqueux  —contrairement à ce qu'allèguent une quantité de propagandistes malhonnêtes—  mais préparer à une paix durable et éviter les cataclysmes planétaires du genre de la première guerre mondiale. Ce Grundbuch  haushoférien devait également définir les fondements pour maintenir la vie sur notre planète, c'est-à-dire la fertilité du sol, les ressources minérales, la possibilité de réaliser des récoltes et de pratiquer l'élevage au bénéfice de tous, de conserver l'“habitabilité” de la Terre, etc., afin d'établir une quantité démographique optimale dans cer­tains espaces. Les diverses puissances agissant sur la scène internationale pratiqueraient dès lors des échanges pour éviter les guerres et les chantages économiques. Certes, on peut reprocher à ce Grundbuch de Haushofer, un peu écolo avant la lettre, d'être utopique et irénique, mais force est de cons­tater que ses idées étaient fondamentalement pacifistes et qu'elles ne coïncidaient pas avec les projets agressifs de l'Allemagne nationale-socialiste. Pourtant, Maschke rappelle que Schmitt et Haushofer ne correspondaient apparemment pas et ne s'étaient jamais vus.

Cet article sur le völkerrechtliche Großraumordnung... constituaient une tentative d'introduire en Europe une “doctrine de Monroe” au cours de la seconde guerre mondiale. Dans son commentaire, Maschke rap­pelle les thèses d'un géographe américain, Saul Bernard Cohen, qui a eu le mérite de maintenir à flot les idées géopolitiques avant leur retour à l'avant-plan. Le concept cohenien de “région géopolitique”, déve­loppé depuis les années 60 et actualisé aujourd'hui, s'avère pertinent dans le contexte actuel de “fin de millénaire”. Ces idées de “grand-espace” et de “région géopolitique” se retrouvent également chez les deux experts espagnols de droit international, fortement influencés par Schmitt: Camilo Barcia Trelles et Luis Garcia Arias.

L'étude de Schmitt Das Meer gegen das Land (La mer contre la terre) de 1941 contient le noyau essentiel du futur livre de Schmitt Land und Meer. Maschke pense que Schmitt a été influencé par la lecture de Vom Kulturreich des Meeres (1924) de Kurt von Boeckmann, et de Vom Kulturreich des Festlandes (1923) de Leo Frobenius.

Une recension écrite par Schmitt en 1949 garde toute sa pertinence aujourd'hui, souligne Maschke. Elle s'intitule Maritime Weltpolitik. Schmitt y écrit: «La domination de l'espace aérien et la possession de moyens de destruction modernes pourront à elles seules s'assurer la domination sur la terre et sur la mer. [Par ces moyens techniques], notre planète est encore devenue plus petite. En comparaison avec les structures qu'érige la technique moderne sur la planète, la Tour de Babel apparaît comme une entreprise très modeste. La Mer a perdu sa puissance en tant qu'élément et notre Terre est devenue un aérodrome» (p. 479 de l'édition de Maschke).

Quelques années après la seconde guerre mondiale déjà, Schmitt tire la conclusion: dans le futur, le con­trôle de la planète s'exercera par le biais des communications aériennes (et plus tard spatiales); la Terre et la Mer perdront de l'importance. Le nouvel espace  —jeu de mot!—  sera l'espace.

Schmitt mentionne l'œuvre de l'Américain Homer Lea (1876-1913) dans sa recension. Lea avait terminé sa carrière comme conseiller militaire de Sun Yat Sen en Chine. Il avait écrit des livres importants, largement oubliés aujourd'hui: The Day of the Saxon (1912) et The Valor of Ignorance (1909). Le polémologue suisse Jean-Jacques Langendorf, ami et complice de Maschke, avait préfacé une réédition allemande de The Day of the Saxon et prépare actuellement une vaste étude sur le écrits militaires et géopolitiques de Lea.

Le Nomos

Penchons-nous maintenant sur la quatrième partie de cette anthologie, qui commence par la définition que donne Schmitt du “nomos”: «Il est question d'un Nomos de la Terre. Ce qui signifie: je considère la Terre  ­l'astéroïde sur lequel nous vivons—  comme un Tout, comme un globe et je recherche pour elle un ordre et un partage globaux. Le terme grec “nomos”, que j'utilise pour désigner ce partage et cet ordre fondamental, dérive de la même étymologie que le mot allemand “nehmen” (= prendre). Nomos signifie dès lors en première instance, la “prise”. Ensuite, ce terme signifie, le partage et la répartition de la “prise”. Troisièmement, il signifie l'exploitation et l'utilisation de ce que l'on a reçu à la suite du partage, c'est-à-dire la production et la consommation. Prendre, partager, faire paître sont les actes primaires et fonda­mentaux de l'histoire humaine, ce sont les trois actes de la tragédie des origines» (Maschke, p. 518).

Dans une étude datant de 1958 et intitulée Die geschichtliche Struktur des Gegensatzes von Ost und West  (= La structure historique de l'opposition entre l'Est et l'Ouest), Schmitt mentionne quelques-unes des théories géopolitiques de base énoncées par Sir Halford John Mackinder. Il se réfère au géographe britannique quand il affirme que l'opposition entre puissances continentales et puissances maritimes constitue la réalité globale de la guerre froide. Quand il commente cette étude, Maschke commet la seule erreur que j'ai pu trouver dans son travail par ailleurs exemplaire. L'“Ile du monde” selon Mackinder est l'Europe + l'Asie + l'Afrique et non pas l'“hémisphère oriental” comme le dit Maschke (p. 546). Celui-ci af­firme également que Mackinder avait été influencé par le géographe allemand Joseph Partsch. Je ne pré­tends pas être un expert dans l'œuvre de Mackinder, mais c'est bien la première fois que je lis cela...

Nous avions déjà eu l'occasion de recenser un ouvrage important de Schmitt, Gespräch über den neuen Raum (= Conversation sur le nouvel espace). C'est l'une des contributions les plus pertinentes de Schmitt à la géopolitique depuis 1945. Le message de Schmitt dans ce travail (et dans d'autres), c'est un appel à la constitution de différents “Grands-Espaces”, ce qui semble advenir aujourd'hui, surtout depuis la Guerre du Golfe. La théorie du pluralisme des Grands-Espaces, Schmitt l'a bien exprimée dans un autre texte figurant dans l'anthologie de Maschke: Die Ordnung der Welt nach dem Zweiten Weltkrieg (= l'Ordre du monde après la seconde guerre mondiale). Schmitt y écrivait: «De quelle manière se résoudra la con­tradiction entre le dualisme de la Guerre Froide et le pluralisme des Grands-Espaces...? Le dualisme de la Guerre Froide s'accentuera-t-il ou bien assistera-t-on à la formation d'une série de Grands-Espaces, qui généreront un équilibre dans le monde et, par là même, créeront les conditions premières d'un ordre paci­fique stable?» (Maschke, p. 607).

En 1995, nous connaissons la réponse à la question que posait Schmitt en 1962. Le dualisme n'est plus et nous pouvons assister à l'émergence (timide) de Grands-Espaces, qui pointent à l'horizon. Nous ne pouvons toujours pas deviner quelle sera l'issue de ce processus. Des changements surviendront indubi­tablement dans le cours des choses mais nous pouvons d'ores et déjà penser que l'ALENA et l'UE seront deux de ces Grands-Espaces, et ils coopéreront sans doute avec le Japon. Le Lieutenant-Général William E. Odom de l'US Army, aujourd'hui à la retraite, a lancé quelques éléments dans le débat visant à structurer le système qui prendra le relais de celui de la Guerre Froide dans son ouvrage How to Create a True World Order (= Comment créer un véritable Ordre Mondial?; Orbis, Philadelphia, 1995). La Russie, la Chine, l'Inde, le Sud-Est asiatique et le monde musulman pourraient bien devenir des Grands-Espaces autonomes. L'Afrique continuera à végéter dans la misère, sauf peut-être le Nigéria et l'Afrique du Sud. L'attitude agressive croissante de la Chine aura sans doute pour résultat d'avertir les petites puissances d'Asie; elles prépareront dès lors leur défense contre l'impérialisme chinois à venir.

Dans la quatrième partie de l'anthologie de Maschke, nous trouvons encore un texte fondamental, Gespräch über den Partisanen (= Conversation sur la figure du partisan). Au départ, il s'agissait d'un dé­bat radiodiffusé en 1960 entre Schmitt et un maoïste allemand, Joachim Schickel. ce débat était bien en­tendu marqué par la grande question de cette époque: l'insurrection croissante au Vietnam. Il n'en de­meure pas moins vrai que la question de la guerilla (ou du Partisan) demeure. Le Law Intensity Warfare (= la guerre à basse intensité) continuera à faire rage sur la surface du monde et influencera les processus politiques. Résultat: le terme de “Guerre civile mondiale” acquerra sans cesse de l'importance (1).

Carl Schmitt n'était pas en première instance un géopolitologue. Il était un expert en droit constitutionnel et international. Toutefois, au moment où nous allons aborder le nouveau millénaire, il est temps, me semble-t-il, de remettre sur le métier les approches schmittiennes en matières géopolitiques et géostra­tégiques globales. Même si Schmitt reste une personnalité controversée (à cause des opinions qu'il a émises au début des années 30), il est devenu impossible de l'ignorer quand on élabore aujourd'hui des scénarii pour l'avenir du monde.

Theo HARTMAN.

(«State, Nomos and Greater Space. Carl Schmitt on Land, Sea and Space», in Center for Research on Geopolitics (CRG), Special Report no.4, Helsingborg/Sweden, 1996. Adresse: CRG, P.O.Box 1412, S-251.14 Helsingborg/Suède).

Références du livre de Maschke: Carl SCHMITT, Staat, Großraum, Nomos. Arbeiten aus den Jahren 1916-1969. herausgegeben, mit einem Vorwort und mit Anmerkungen verse­hen von Günter Maschke, Duncker & Humblot, Berlin, 1995.

Note: (1) Pour une analyse complète de na notion de “Guerre civile mondiale”, cf. le manuscrit impublié de Bertil Haggman, directeur du CRG suédois, intitulé Global Civil War - A Terminological and Geopolitical Study, 1995).

 

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Nationalisme en economie : de visie van G. Faye

Frederik RANSON

In het werk van Guillaume Faye – Pourquoi nous combattons in het bijzonder – dat ik nu enigszins kunstmatig moet verengen tot economie zijn de centrale begrippen: autarchie en organische economie. In zijn boek L’Archéofuturisme gaat hij dieper in op het begrip “economie met twee snelheden” (over een radicale verandering in de verhouding tussen landbouw en nijverheid), maar dat heeft deze redacteur (nog) niet kunnen lezen. Faye beschouwt zijn zienswijze zelf als een “derde weg” die zowel het liberalisme als het socialisme afwijst. Faye voorspelt ook dat het binnen enkele decennia tot een samenloop van ecologische, economische en etnische problemen zal komen (la convergence des catastrophes). Ik zal beginnen met een theoretische uiteenzetting van Fayes werk en vervolgens enkele van zijn praktische voorstellen toelichten.More...

Autarchie

Van Dale omschrijft autarchie als “onafhankelijk zelfbestuur”. Economisch gezien betekent dat dus een zelfbedruipende (onafhankelijke) economie. Het is bij uitstek een nationalistisch begrip. Het begrip autarchie gaat al lang mee en heeft als voordeel dat het duidelijker is dan “derde weg”. Na de beurskrach van ’29 zwol de nationalistische kritiek aan tegen het al te speculatieve karakter van de wereldeconomie. Zo beriepen de voorstanders van een Nieuwe Orde zich op corporatisme, nationalisme, protectionisme, socialisme en solidarisme. In de Lage Landen waren dat vooral Joris Van Severen, Hendrik De Man en Edgar Delvo. Waar het autarchiebegrip destijds nationaal werd ingevuld, wordt het bij Faye continentaal ingevuld. Het begrip Groβraumautarchie ontleent Faye aan de bekende Duitse staatsrechtgeleerde Carl Schmitt. Onder Groβraum verstaat Faye concreet een “Eurosiberisch rijk”. Het bondgenootschap tussen het Europese schiereiland en Rusland zou meteen dé nieuwe wereldmacht zijn. De Russische grondstoffen zouden onze onafhankelijkheid verzekeren ten opzichte van het Midden Oosten. De vraag die ons als nationalisten natuurlijk bezighoudt, is: hoe moeten natie (nationalisme) en rijk (federalisme) zich volgens Faye verhouden? Het antwoord luidt: “De enige positieve opvatting van het Rijk is degene die het niet tegenover de idee van Natie stelt. Het Rijk is dus een federatie van etnisch verwante volkeren, een soort Grote Federale Natie […] Het Rijk is een gedecentraliseerde Federatie voorzien van een sterk centraal gezag, maar volgens het subsidiariteitsbeginsel beperkt tot de belangrijke interventiedomeinen: buitenlandse politiek, bescherming van de grenzen, grote economische en ecologische regels enz. […] Zijn samenstellende delen zijn zelfstandig en kunnen op verschillende wijze georganiseerd worden, door een eigen binnenlandse politiek (gerecht, instellingen, fiscale autonomie, onderwijs, taal, cultuur enz.)”[1]. Het gaat erom verscheidenheid en eenheid, het “Europa van de volkeren” en het “Europa van de macht” te verzoenen. Met de huidige EU moet daarom gebroken worden volgens Faye.
Eén van de laatste protectionistische bastions is thans het landbouwbeleid van de EU met haar exportsubsidies, importheffingen en productiesteun. Zonder dat protectionisme – en dus volgens de “marktlogica” – zou er in Europa geen landbouw meer bestaan. De neoliberale WTO (wereldhandelsorganisatie) wil maar al te graag dat de EU haar markt “opent” voor landbouwproducten onder het voorwendsel dat dit de derdewereldlanden ten goede zou komen. Menslievende motieven zijn de WTO uiteraard vreemd: niet de allerarmste landen zullen het gat in de markt opvullen, maar wel bijvoorbeeld Australië, Brazilië, Canada en de VSA. Als nationalist ben ik er voorstander van dat protectionistische beleid naar andere sectoren uit te breiden. Een nationale autarchie kan een dergelijk beleid nooit voeren, vandaar de noodzaak van een continentale autarchie.

Organische economie

Organische economie is een begrip dat voortkomt in het nieuw-rechtse lexicon, maar dat eigenlijk véél ouder is. Organicisme of holisme gaat ervan uit dat een geheel steeds meer is dan de som der delen. Een samenleving is dan als een organisme met drie functies: de soevereine als “hoofd”, de militaire als “hart” en de economische als “maag”. Plato koppelde daaraan respectievelijk de drie deugden wijsheid, dapperheid en matigheid. Dat trifunctionalisme heeft op alle volkeren van Indo-europese oorsprong min of meer zijn stempel gedrukt. Vanuit die zienswijze bevredigt de economie bepaalde behoeften van de mens, maar zeker niet álle behoeften. Denk maar aan de culturele, intellectuele of spirituele behoeften die de mens maken tot wat hij is! Men kan terecht stellen dat de liberalen Europa opgezadeld hebben met een marktmaatschappij die de ontkenning is van die wezenlijke behoeften en die het “individu” helemaal niet bevrijdt, maar het juist onderwerpt aan de geldgod. Het primaat van de politiek betekent dus dat de politiek (eerste functie) de economie (derde functie) haar plaats toekent, maar ook haar grenzen. De vrije markt is de beste methode voor de economie, maar het is de staat – uitdrukking van het algemene belang, de natie – die bepaalt wat economie is. Etatisme? Neen, want een goede staat is uiteraard een sterke en geen vette staat. Hoeven nationalisten volgens de “marktlogica” bijvoorbeeld de commercialisering (en verengelsing) van de audiovisuele media of het onderwijs te slikken? Neen, daar eindigt de economie en dus ook de vrije markt! In plaats van te geloven aan de “logica van de markt” moeten wij mijns inziens ook durven geloven aan de “maakbaarheid van de markt”. Zo heb ik ook geen bezwaar tegen de nationalisering van banken of nutsvoorzieningen[2]. De staat mag echter alleen op politieke wijze tussenkomen, namelijk door de grote regels te bepalen.

Een “derde weg”

Als Faye het Rijnland-model bekritiseert, lijkt dat vooral om de Franse of Waalse variant ervan te gaan die zéér centralistisch en bureaucratisch is. Kortom, een geldverslindend en inefficiënt model. Het is volgens hem een combinatie van het slechtste van het liberalisme (vrijhandelsliberalisme[3]) en het slechtste van het socialisme (etatisme, syndicaal corporatisme, fiscalisme). Faye ontleent voor zijn “derde weg” enerzijds aan het “goede” liberalisme de idee van vrije concurrentie als motor van de economie en anderzijds aan het “goede” socialisme de idee van sociale rechtvaardigheid en recht op werk. Enkele belangrijke paradigma’s zijn: vrijemarkteconomieën gebed in hun respectieve beschavingen, grote openbare investeringsplannen, een coördinatie tussen planning en markt, een vlaktaks in plaats van de huidige progressieve belasting, een monetaire politiek bepaald door de staat en niet door de markt, deeltijds werk in ruil voor een werkeloosheidsuitkering, beperking van het recht op werk en geen sociale uitkeringen meer voor vreemdelingen. Faye is daarnaast ook een pleitbezorger van kernenergie en vooral van kernfusie. Fossiele brandstoffen zijn immers de grootste vervuilers en maken Europa in zijn energievoorziening afhankelijk van Anglo-Amerikaans-Arabische maatschappijen.

De kosten van het multiculturalisme en het tiersmondisme

Faye hekelt niet alleen het geldverslindende karakter van een etatistisch-socialistisch beleid, maar ook van de multiculturele samenleving en de ontwikkelingssamenwerking. De aanwezigheid van miljoenen laaggeschoolde niet-Europese vreemdelingen in Europa is een rem op onze economische groei en een last voor onze sociale zekerheid. De vele multiculturele en sociaal-economische projecten ten voordele van die vreemdelingen blijken eveneens weggegooid geld. De derdewereld parasiteert op Europa op viervoudige wijze. Ten eerste is er de rechtstreekse financiële kost zoals leningen met verlies en kwijtschelding van de schulden. Ten tweede is er de kost van de ontwikkelingssamenwerking en technologische transfers, hoewel weinig derdewereldlanden erin geslaagd zijn een minimaal economisch evenwicht te bereiken. Ten derde is er de kost van de ontdekking en ontginning van de grondstoffen waarvoor die landen enorme rentes opstrijken, hoewel Eurosiberië eigenlijk geen hulpbronnen uit de derdewereld nodig heeft. Ten vierde is er het bevolkingsoverschot van de derdewereld dat verhuist naar Europa. Er is ook nog het probleem van de overbevolking en de manifeste onwil van de derdewereldlanden om daaraan iets te veranderen. “Onder meer op de Wereldbevolkingconferentie in Cairo eiste een groot deel van de derdewereldlanden het recht op een blijvende bevolkingsgroei […] De islamlanden wilden niet eens dat men sprak over het Cairo-document, dit vormde in hun ogen immers een smet voor de hoofdstad van een islamitisch land. Op de slotdag stelden de moslimstaten gezamenlijk dat ze heel wat bezwaren hadden en dat de wetten van de koran hoe dan ook voorgaan op de adviezen van de Verenigde Naties. Tekenend […] was ook de kloof tussen Noord en Zuid inzake familiehereniging (het recht van immigranten om hun familieleden te laten overkomen): de derdewereldlanden wilden dat als een universeel recht laten inschrijven, het Noorden weigerde”[4]. Zo blijft elke vorm van ontwikkelingshulp een druppel op een hete plaat! Er is echter nog een teken aan de wand: “De grote meerderheid van de landen besteedt volgens de Wereldrapporten over de Menselijke Ontwikkeling van de Verenigde Naties slechts enkele procenten van het BBP aan militaire uitgaven. Alle westerse landen zitten tussen 1 en 3% (behalve Griekenland). Daar waar de islam de plak zwaait, zien we echter percentages van 5 tot 15% voor legeruitgaven, zelfs in een arm land als Jordanië”[5]. Om die landen en hun respectieve elites dus op hun eigen verantwoordelijkheden te wijzen moet Europa zich volgens Faye zoveel mogelijk afhouden van ontwikkelingshulp.

Mijn besluit

Het liberalistische model van de ontwortelde economie staat lijnrecht tegenover het nationalistische model van de verwortelde (organische) economie. Nieuwe arbeidsmigraties en delokalisaties zullen het neoliberalisme verder ontmaskeren als een antinationaal en antisociaal gif. Het nationalistische model kent geen andere lobby dan de volksgemeenschap en het behoud van haar eigenheid, leefbaarheid en onafhankelijkheid in de ruimste zin. Faye deelt die uitgangspunten, maar hij is zeker niet de enige. Ook Filip De Man breekt in zijn eerder geciteerde werk een lans voor economische verankering en werknemersparticipatie. Dat kan door de brede verspreiding van aandelen en obligaties (onder álle werknemers) en verankering- en pensioenfondsen. Zo wordt Vlaams spaargeld aangewend om de economische sleutelsectoren in Vlaamse handen te houden (nationale autarchie). Voor wie het Frans dus onvoldoende machtig is om Faye te lezen is Filip De Man een uitstekend alternatief.Frederik Ranson

Scriptor NSV!-Gent

Stud. rer. pol.



  

 

[1] Faye, G. Pourquoi nous combattons. Manifeste de la Résistance Européenne. Parijs, L’Aencre, 2000, p. 112.
[2] “Voorzieningen van openbaar nut, zoals gas, elektriciteit en water, en de aanlevering daarvan” (Van Dale).
[3] “L’ouverture inconsiderée des frontières sans bénéficier de l’aide à la liberté d’entreprendre”. Bron: Faye G. Pourquoi nous combattons. Manifeste de la Résistance Européenne. Parijs, L’Aencre, 2000, p.26.
[4] De Man F. De eeuwige strijd. Hellas, Rome en Europa in het juiste perspectief. Brussel, Egmont, 2003, p 138.
[5] De Man F. De eeuwige strijd. Hellas, Rome en Europa in het juiste perspectief. Brussel, Egmont, 2003, p 161.

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samedi, 27 janvier 2007

Sur Rudolf Pannwitz

Robert STEUCKERS

Rudolf Pannwitz: «mort de la terre», imperium Europæum et conservation créatrice


L'idéalisme du philosophe et poète allemand Rudolf Pannwitz constitue pour l'essentiel une rupture avec les idéaux positivistes de la «Belle Epoque»: il rejette l'Etat, le mercantilisme, la révolution, l'argent, le capitalisme et le lucre. Pourquoi? Parce que le concours de toutes ces forces négatives conduit à la “mort de la Terre”. Devant ce pandemonium, l'homme du XXième siècle, écrit Pannwitz, doit poser l'“acte salvateur”, qui consiste à ne plus penser à son seul profit, à prendre conscience du danger que court son âme, à se rendre compte que l'histoire, en tant que jeu funeste, est toute relative, à vouer un culte mystique au Tout, au Cosmos.

Comment ce faisceau d'idéaux essentiellement poétiques a-t-il pu générer une idée d'Europe, surtout s'il rejette explicitement l'histoire? Et sur quels principes repose donc cette idée an-historique d'Europe? Elle repose sur une mystique et une pratique “telluriques”, où la Terre est le réceptacle du sacré, voire le Tabernacle du sacré. Ensuite, sur une critique de l'argent qui, par sa nature intrinsèquement vagabonde, arrache hommes et choses à la Terre, à leur lieu, m'arrache en tant que personne à mon lieu, au lieu où des forces qui me dépassent m'ont placé pour y jouer un rôle, y accomplir une mission.

Cette critique de l'argent vagabond s'accompagne d'un plaidoyer pour l'autarcie à tous les niveaux: domestique, communal, régional, impérial. Cette mystique tellurique et ce rejet radical du pan-vagabondage que généralise l'argent conduit à une vision pacifique de la politique et de l'Europe, qui est tout à la fois anti-nationaliste et napoléonienne, parce que l'aventure militaire napoléonienne a, par une sorte de ruse de l'histoire, éliminé de vieux antagonismes inter-européens, donc créer les conditions d'un imperium pacifique en Europe. Aux nationalismes qu'il juge bellogènes, Pannwitz oppose une vision continentale européenne pacifique et mystico-tellurique, opposée aux pratiques anglaises du libre-échangisme et du “divide ut impera” et au nationalisme allemand, auquel il reproche d'être né au moment où la Prusse se met au service de l'Angleterre pour combattre le projet continental napoléonien. Pannwitz, pourtant très allemand dans son tellurisme, reproche à la pensée allemande en général, de facture kantienne ou hégélienne, d'absoluiser les concepts, tout comme la Prusse a hissé au rang d'absolus les démarches de ses fonctionnaires et de ses administrateurs.

Selon Pannwitz, la renaissance culturelle de l'Europe passe nécessairement par une revalorisation des plus beaux legs du passé: l'Imperium Europæum sera cette Europe tournée vers la Beauté; il adviendra, pense Pannwitz, après la Grande Guerre civile européenne de 1914-18, où s'est perpétré le plus grand forfait de l'histoire des hommes: «le viol du corps sacré de la Terre».

L'Imperium Europæum ne pourra pas être un empire monolithique où habiterait l'union monstrueuse du vagabondage de l'argent (héritage anglais) et de la rigidité conceptuelle (héritage prussien). Cet Imperium Europæum sera pluri-perspectiviste: c'est là une voie que Pannwitz sait difficile, mais que l'Europe pourra suivre parce qu'elle est chargée d'histoire, parce qu'elle a accumulé un patrimoine culturel inégalé et incomparable. Cet Imperium Europæum sera écologique car il sera «le lieu d'accomplissement parfait du culte de la Terre, le champ où s'épanouit le pouvoir créateur de l'Homme et où se totalisent les plus hautes réalisations, dans la mesure et l'équilibre, au service de l'Homme. Cette Europe-là n'est pas essentiellement une puissance temporelle; elle est, la “balance de l'Olympe”».

La notion-clef de l'œuvre de Pannwitz est celle de “Terre” (Die Erde). Si la “Terre” est signe d'anti-transcendance chez Nietzsche, d'idylle dans la nature virginale, elle est aussi —et sur ce point Pannwitz insiste très fort— géopolitique substantielle. Quand on décrypte la vision critique de Pannwitz sur l'histoire européenne de son temps, on constate qu'il admet: 1) que l'Allemagne se soit dotée d'une flotte, sous la double action de l'Amiral Tirpitz et de l'Empereur Guillaume II, car cette flotte était destinée à protéger l'Europe du “mobilisme” économique et monétaire anglais (et américain) et n'était pas a priori un instrument de domination; 2) l'Europe est une “Terre de culture” qui en aucun cas ne peut être dominée par la Mer (ou par une puissance qui tire sa force d'une domination de l'espace maritime) ou par ses anciennes colonies qui procéderaient ainsi à une Gegenkolonisation. On comprend tout de suite que les Etats-Unis sont directement visés quand Pannwitz dénonce cette “contre-colonisation”; 3) les thalassocraties sont un danger sinon le danger car a) elles développent des pratiques politiques et économiques qui vident le sol de ses substances; b) elles imposent une fluidité qui dissoud les valeurs; c) elles sont des puissances du “non-être”, qui justement dissolvent l'Etre dans des relations et des relativités (remarques qui ont profondément influencé le Carl Schmitt de l'après-guerre qui écrivait dans son journal —édité sous le titre de Glossarium— que tout nos livres deviennent désormais des Logbücher, car le monde n'est plus terre mais océan, sans point d'ancrage possible, où tout quiconque arrête de se mouvoir coule); d) sous la domination des thalassocraties, tout devient “fonction” et même “fonctions de fonctionnement”; dans un tel contexte, les hommes sont constamment invités à fuir hors des concrétudes tangibles de la Terre.

Chez Pannwitz, comme chez le Schmitt d'après-guerre, la Terre est substance, gravité, intensité et cristallisation. L'Eau (et la mer) sont mobilités dissolvantes. “Continent”, dans cette géopolitique substantielle, signifie “substance” et l'Europe espérée par Pannwitz est la forme politique du culte de la Terre, elle est la dépositaire des cultures, issues de la glèbe, comme par définition et par force des choses toute culture est issue d'une glèbe.

L'état de l'Europe, à la suite de deux guerres mondiales ayant sanctionné la victoire de la Mer et de la mobilité incessante, postule une thérapie. Qui, bien entendu, est simultanément une démarche politique. Cette thérapie suggérée par Pannwitz demande: 1) de rétablir à tous niveaux le primat de la culture sur l'économie; 2) de promouvoir l'édification intérieure des hommes concrets (par une démarche qui s'appelle l'Einkehr, le retour à soi, à sa propre intériorité); 3) de lancer un appel à la “Guerre Sainte des Vivants” pour empêcher l'avènement de “Postumus”, figure emblématique de celui qui fuit l'histoire (réhabilitée par Pannwitz après 1945), qui capitule devant l'Autre (l'Américain), qui se résigne; 4) de donner enfin une forme à l'Homme qui, sans forme, se perd dans l'expansion conquérante et dans l'hyper-cinétisme de cette mobilité introduite puis imposée par les thalassocraties; sans forme, rappelle Pannwitz, l'homme se perd aussi dans les dédales d'une vie intérieure devenue incohérente (en ce sens notre poète-philosophe annonçait l'avènement d'un certain “New Age”).

Humanité et nationalisme

Pannwitz ne place aucun espoir dans l'«Humanité», c'est-à-dire dans une humanité qui serait homogénéisée à la suite d'un long processus d'unification mêlant coercition et eudémonisme. Il ne place pas davantage d'espoir dans un nationalisme qui signifierait repli sur soi, enfermement et répétition du même pour les mêmes. Le seul “nationalisme” qui trouve quelque grâce à ses yeux est celui de De Gaulle. Pour guérir l'Europe (et le monde) de ses maux, il faut créer des espaces de civilisation impériaux; la version européenne de cet espace de civilisation est l'«Imperium Europæum». Pour y parvenir, les élites vivant sur cet espace doivent pratiquer l'Einkehr, c'est-à-dire procéder à une «conservation créatrice»; de quoi s'agit-il? D'un plongeon dans le soi le plus profond, d'un retour aux racines. Les nations, les ethnies doivent aller au tréfond d'elles-mêmes. Car elles vont y découvrir des formes particulières, incomparables, intransmissibles, du sacré. Elles cultiveront ce sacré, offriront les créations de cette culture du sacré à leurs voisins, recevront celles que ceux-ci auront ciselées; les uns et les autres accepteront ces facettes diverses d'un même sacré fondamental, opèreront des “greffes goethéennes” pour obtenir en bout de parcours une Oberkultur der Kulturen.

Pannwitz était hostile au national-socialisme, héritier de ces formes de nationalisme allemand qu'il n'aimait pas. Mais il est resté discret sous le IIIième Reich. Il reprochait surtout au national-socialisme de ne pas être clair, d'être un fourre-tout idéologico-politique destiné surtout à acquérir des voix et à se maintenir au pouvoir. En 1933, Pannwitz quitte l'Académie Prussienne comme Ernst Jünger. Il choisit l'exil dans une splendide île dalmate, où il restera pendant toute la seconde guerre mondiale, sans subir aucune pression, ni des autorités occupantes italiennes, ni du nouveau pouvoir croate ni de l'administration militaire allemande; en 1948, il s'installe en Suisse. Pendant cet exil adriatique, il n'a pas formulé de critique charpentée du national-socialisme car, écrivait-il à l'un de ses nombreux correspondants, ce serait “perdre son temps”. En fait, en dépit de l'extrême cohérence de sa dialectique terre-mer, Pannwitz a été totalement incohérent quand il a jugé la politique européenne depuis son île dalmate. Il accumulait les contradictions quand il parlait de l'Angleterre puis des Etats-Unis dont il espérait la victoire contre les armes allemandes: par exemple, en pleine crise tchécoslovaque, il écrit que les Tchèques doivent s'appuyer sur les Anglais, mais à partir de septembre 1939, il répète que les Français sont “fous” de faire la politique des Anglais. Pourquoi les Tchèques auraient-ils été raisonnables de faire ce que les Français auraient eu la “folie” de faire quelques mois plus tard?

Il n'empêche: la dialectique terre-mer, que l'on retrouve solidement étayée dans l'œuvre de Carl Schmitt, demeure une matière de réflexion importante pour tous les européistes. De même, la nécessité de recourir aux tréfonds de soi-même, de pratiquer l'Einkehr.

Robert STEUCKERS.

(extrait d'une conférence prononcée lors de la 3ième université d'été de la FACE, juillet 1995).

Bibliographie:

- Rudolf PANNWITZ, Die Krisis der europäischen Kultur, Verlag Hans Carl, Nürnberg, 1947.

- Alfred GUTH, Rudolf Pannwitz. Un Européen, penseur et poète allemand en quête de totalité (1881-1969), Klincksieck, Paris, 1973.

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Het eurazisme volgens A. Doegin

Het eurazisme volgens Alexander Doegin

Frederik RANSON

Op 11 november 2005 was de geopolitieke denker Alexander Doegin te gast in Antwerpen ter ere van het colloquium “Welk Europa morgen?” van de nieuw-rechtse Delta-Stichting, uitgeefster van het tijdschrift TeKoS (Teksten, Kommentaren en Studies). Een goede gelegenheid om het complexe denken van de Rus eens onder de loep te nemen.

Biografie
Alexander Doegin (1962-) is de stichter-voorzitter van de Internationale Beweging voor Eurzië en van het Centrum voor Geopolitieke Studies die het blad Elementy (Elementen) uitgeeft. Zijn vader was KGB-agent en zijn moeder arts. Sinds het einde van de jaren ’70 onderhield hij goede contacten met de kring van traditionalisten in zijn geboortestad Moskou. Die traditionalisten kantten zich zowel tegen het kapitalistische Westen als tegen het communistische Oosten, omdat ze die in hun egalitarisme en materialisme als elkaars gelijke beschouwen. Een groot deel van zijn tijd besteedde hij toen aan het vertalen van de werken van Julius Evola (1898-1974), René Guénon (1886-1951) en Ernst Jünger (1895-1998). In het begin van de jaren ’80 moest hij zijn ingenieursstudies opgeven nadat de KGB bij hem thuis verboden literatuur had aangetroffen. De perestrojka vanaf 1985 liet hem echter toe zijn eigen werk eerst onder een schuilnaam en later onder zijn eigen naam uit te geven.
Na de val van het communisme trad het ultraliberalistische Jeltsin-bewind (1991-‘99) aan. Het was een tijdperk van geïnstitutionaliseerde corruptie die een nieuwe elite aan de macht bracht: de “zeven bankiers” of de “joodse oligarchen”[1]. Die oligarchen zijn schatrijk geworden door de plundering van geprivatiseerde staatsbedrijven. De alcoholicus Boris Jeltsin (1931-) was bovendien een gewillige marionet van zijn geslepen “raadgevers”. Het Jeltsin-bewind dat Rusland zowel op binnenlands als op buitenlands vlak vernederde, maakte van Doegin een politieke activist. Oud-vice-president (1991-‘93) en couppleger Alexander Roetskoj (1945-) noemt het Jeltsin-bewind een “economische genocide”. Doegin vergelijkt het met de Duitse Weimar-republiek. Hij stichtte daarom met Edward Limonov[2] (1943-) in 1992 het Nationaal-Bolsjevistisch Front dat in 1993 de Nationaal-Bolsjevistische Partij (NBP) zou worden. Hij was van mening dat de uitersten ter linker- en ter rechterzijde moesten verenigd worden in een radicale antisysteembeweging, zoniet zouden ze elkaar opheffen ten voordele van het systeem. Het Russische nationaal-bolsjevisme is eigenlijk ontstaan onder het Brezjnev-bewind (1964-’82). Het onderscheid tussen establishment- en anti-establishmentnationalisme was toen trouwens niet altijd even duidelijk. In 1992 ontmoette hij ook delegaties van de nieuw-rechtse Groupement de Recherche et d’Etudes pour la Civilisation Européenne (GRECE) en het nationaal-revolutionaire Front Européen de Liberation (FEL).
In 1998 zei Doegin het nationaal-bolsjevisme en de politiek vaarwel en stortte zich op het eurazisme en de metapolitiek. Zijn behendigheid met allerhande media (pers, internet, radio, televisie) leverde hem al gauw de bijnaam “dj van de metafysica” op. In 1999 stichtte hij het Centrum voor Geopolitieke Studies, verbonden aan de Doema. In hetzelfde jaar zou hij zich laten dopen bij de oudgelovigen, een schismatieke strekking van de Russisch-orthodoxe Kerk. In 2001 stichtte hij de beweging Evrazia die zich in 2002 omvormde tot een partij. In hetzelfde jaar behaalde Doegin zijn doctoraat in de wetenschapsgeschiedenis en in 2004 zijn tweede in de politieke wetenschappen. In 2003 trad Evrazia naar de kiezer als deel van het nationalistische blok Rodina (Moederland). Rodina haalde 9% van de stemmen. Niettemin is Doegins bekommernis niet de partijpolitiek, maar de metapolitiek: het verspreiden van het eurazisme en het vormen van een nieuwe elite. In 2003 vormde hij daarom Evrazia om tot de Internationale Eurazië Beweging die ondertussen vertegenwoordigers in 22 landen heeft.
Invloeden
Het werk Heartland Theory van Sir Halford John Mackinder (1861-1947) is een eerste uitgangspunt van Doegin. Doegin deelt diens omgevingsdeterminisme, zo blijkt uit zijn antwoord op de vraag naar de demografische ontwikkelingen in Rusland[3]. Een tweede uitgangspunt is het traditionalisme[4] van Guénon en Evola en de Russische kritiek erop. Verwant met het traditionalisme zijn de hermetische politiek die stelt dat geestelijke krachten de wereld leiden en de heilige aardrijkskunde die zich uit in metaforisch taalgebruik dat op het eerste gezicht nogal zweverig overkomt. Op zijn lezing van 11 november was van esoterisme “gelukkig” niet veel te merken. Een derde uitgangspunt is het werk van Carl Schmitt (1888-1985) – en bij uitbreiding de Conservatieve Revolutie – over de eeuwige strijd tussen een Leviathan en een Behemoth, tussen Aarde en Zee, tussen landmachten (tellurocratieën) en zeemachten (thalassocratieën). Doegin hoedt zich ervoor die strijd moralistisch (Goed tegen Kwaad) op te vatten. Een vierde uitgangspunt is uiteraard het werk van Karl Haushofer (1869-1946), wiens “geo-economische gordels” hij overneemt (zie kaartjes). Een vijfde uitgangspunt is uiteraard het werk van de eerste Russische eurazisten die op hun beurt beïnvloed werden door de Conservatieve Revolutie.
Eurazië was volgens de Brit Mackinder een world island (wereldeiland) met Oost-Europa als het heartland (hartland). Wie heerst over het hartland, heerst dus over het wereldeiland. Zijn grote vrees was dat Eurazië tot een voor de “zeewolven” onbeheersbare “landwolf” zou uitgroeien. De Amerikanen namen later die zienswijze over van de Britten (cf. de Brzezinski-doctrine en haar New Silk Route). Na twee wereldoorlogen was het VK immers niet langer de leidende thalassocratie. Het was ook Mackinder die de strategie van containment en cordon sanitaire bedacht had tegen Rusland. Die strategie hield in dat toenadering tussen Rusland en Duitsland moest voorkomen worden. Rusland moest daarom afgesneden worden van zijn ijsvrije zeeën. Ook mocht het niet langer het alleenrecht op zijn binnenzeeën hebben. Oost-Europa moest gebalkaniseerd worden. Indië en Perzië moesten in de Britse invloedszone blijven. Na de Tweede Wereldoorlog zou de Amerikaanse strategie zich concentreren op de rimlands of randlanden, waar defensieve allianties (bijv. NAVO) de Amerikaanse macht moesten verzekeren. In de jaren 1990 zouden zelfs islamisten gesteund worden tegen de Russen in Afghanistan, de Balkan en de Kaukasus.
Heel wat Duitse diplomaten en geopolitici die het Duitse isolement wilden doorbreken na de Eerste Wereldoorlog waren zich terdege bewust van die strategie om Duitsland en Rusland klein te houden. Een Duits-Russisch bondgenootschap klonk hen als muziek in de oren. Een dergelijk bondgenootschap tegen een wereldorde geschoeid op leest van de Angelsaksische thalassocratie en haar kapitalisme bleef dus niet beperkt tot de meest pro-Russische strekkingen binnen de Conservatieve Revolutie: de nationaal-revolutionairen en de nationaal-bolsjevisten. Die laatsten waren ondanks hun naam niet geïnteresseerd in de theorie van het marxisme. Zij dweepten met Russische deugden zoals met Pruisische deugden. Zij geloofden (naïef) in een communisme dat als het ware een nieuwe “uitdrukking” was van die Russische deugden. Pour Moeller van den Bruck, le soviétisme n’est qu’un habit, qui revêt, momentanément, une Russie illibérale qui ne peut se trahir. Cette idée revient à l’avant-plan dans le sillage de mai 68: en Occident, les derniers restes de bienséance traditionnelle, les institutions qui reflètent le fond ontologique de l’homme, sont battus en brèche par la nouvelle idéologie, alors qu’au même moment, en Union Soviétique, on assiste à un retour à de nouvelles formes de slavophilie traditionnelle”[5].
De originaliteit van Doegins werk schuilt in zijn stelling dat het communisme na de verstoting van de “atlanto-trotskisten” een soort “weg van de linkerhand” [6] werd. Een ogenschijnlijk antitraditionele kracht zoals het communisme kan een actieve en positieve kracht verbergen die ongemerkt in de zin van de Traditie kan werken, i.c. de zin van het Oosten en de Aarde. Met andere woorden de rijksbelangen van Rusland blijven dezelfde, ongeacht of het land communistisch dan wel tsaristisch is. De USSR had niet de bedoeling imperialistisch te zijn buiten haar historische invloedszone, zoals ook de recente vrijgave van archiefstukken lijkt te bewijzen. Zo weigerde Stalin de Griekse communisten – buiten de Russische invloedszone – te steunen in de Griekse Burgeroorlog (1945-‘49).
Ex Oriente lux
Het eurazisme ontstond na de Oktoberrevolutie (1917) in kringen van de Witte bannelingen uit Rusland. Het uitgangspunt is dat Eurazië of Rusland een continent op zich is, ontstaan grosso modo uit de versmelting van Fins-Oegrische, Slavische en Turkse elementen. Rusland is door die versmelting een “derde continent” tussen Oost en West. Het Oosten (Eurazië) is als het ware het eeuwige Rome, het Westen (Amerika en Europa) het eeuwige Carthago. De eurazisten noemden zich “rood noch wit” (Stepanov), maar zagen tegelijk het communisme als een voortzetting van de Russische rijksgedachte. De thalassocratische Angelsaksische beschaving werd afgedaan als protestants, kapitalistisch en dus als radicaal tegengesteld aan de tellurocratische Russisch-Euraziatische beschaving. Die laatste is orthodox, islamitisch, boeddhistisch en socialistisch.
Volgens Mackinder wordt de Europese geschiedenis gekenmerkt door schismata tussen Oost en West: van het Romeinse Rijk (395), van de Kerk (1054) enz. De val van Constantinopel (1453) zou uiteindelijk Moskou tot het “Derde Rome” maken en een Russisch superioriteitsgevoel voeden. De Germanen werden gekerstend door de Romeinen, de Slaven door de Grieken. De Rooms-Germanen kozen later voor de verovering van de zee, de Grieks-Russen voor de verovering van de steppe. Nog volgens Mackinder heeft het communisme van het Oosten zijn voedingsbodem in de collectieve beleving van het geloof, terwijl het kapitalisme van het Westen zijn voedingsbodem heeft in de individuele beleving ervan. Het katholicisme en het protestantisme werden door de eerste eurazisten over dezelfde kam geschoren. Doegin echter noemde Europa op het colloquium van 11 november een “zusterbeschaving”. Continentaal Europa wordt door de neo-eurazisten als neutraal beschouwd en kan onder bepaalde voorwaarden een bondgenoot van Eurazië zijn tegen Amerika. Russisch superioriteitsgevoel werd ook gevoed door barones von Krüdener (1764-1824) die tsaar Alexander I (1777-1825) mee had beïnvloed om de Heilig Alliantie op te richten na het Verdrag van Wenen (1815). “In tal van brieven aan de tsaar hield barones von Krüdener hem voor dat de Russen het heilige volk waren dat niet uit de kelk van de zonde (Franse encyclopedisten) had gedronken. De tsaar had als uitverkorene Gods een goddelijke roeping te vervullen”[7]. De Heilige Alliantie verenigde de vorsten van de drie continentale machten in een reactionair blok dat de erfenis van de Franse Revolutie deels pragmatisch, deels repressief moest ongedaan maken. De lutherse, katholieke en orthodoxe vorsten van Europa – Frederik-Wilhelm III van Pruisen, Frans II van Oostenrijk en Alexander I van Rusland – zagen zich als “Afgevaardigden van de Voorzienigheid” met als roeping de drie takken van “eenzelfde familie” te regeren.
De ontwikkeling van het eurazisme
Het cultureel-juridisch-politieke triumviraat van het eurazisme wordt gevormd door resp. Nikolaj Troebetskoj (1890-1938), Nikolaj Aleksejev (1879-1964) en Pjotr Savitski (1895-1965). Twee kernbegrippen van het eurazisme zijn demotia en ideocratie. Demotia betekent organische democratie, “deelname van het volk aan zijn lot” (Moeller van den Bruck) maar dan op Russische wijze. Het neo-eurazisme verwerpt elk economisch, filosofisch of ideologisch messianisme dat geen rekening houdt met de cultuurhistorische context van een bepaald maatschappijmodel. Ideocratie staat voor een sterke staat, een doelmatige economie en een sterk leger ten dienste van een leidende idee. Het neo-eurazisme onderzoekt ook de oorzaken van de historische mislukkingen van de Sovjet-Russische, de Israëlische en de islamitische ideocratieën. Het is tot het besluit gekomen dat het communisme o.a. te “anorganisch” was. De Oktoberrevolutie was echter een noodzakelijke revolutie van de “nationale massa” tegen de “pro-westerse elite” en het geopolitieke herstel van de Moskouse lijn (15de -17de eeuw).
In de jaren 1985-’90 was het eurazisme of neo-eurazisme rechts-conservatief te noemen en uitte het scherpe kritiek op linkse ideologieën. In de jaren 1991-’93 werd het communisme echter herzien en de USSR geherwaardeerd in de geest van het nationaal-bolsjevisme en het linkse eurazisme. In de jaren 1994-’98 werd het eurazisme theoretisch verder uitgewerkt. Ook werd er rechtstreeks of onrechtstreeks naar verwezen in de partijprogramma’s van de Communistische Partij (KPFR), de Liberaal-democratische Partij (LDPR) en Nieuw Democratisch Rusland (NDR). Het eurazisme werd ook op de korrel genomen door Russische nationalisten, religieuze fundamentalisten en orthodoxe communisten. In academische kringen vond aanvankelijke een gematigd en later een radicaler eurazisme ingang. In 2001-’02 sloten zich enkele joden en moslims aan bij de Beweging Eurazië. Die laatste behoorden tot de Tataarse en Tsjetsjeense minderheden. Russische nationalisten van de strekking Pamjat (Herinnering) verwijten Doegin daarom onwil om het zionisme te bestrijden, evenals kosmopolitisme.Een eerste kenmerk van Doegins eurazisme is dat het zoals het amerikanisme geen grondgebonden verschijnsel is[8]. Wie zich aan de kant schaart van het “multipolaire globalisme”, schaart zich aan de kant van Eurazië. Wie zich aan de kant schaart van het “unipolaire globalisme”, schaart zich aan de kant van Amerika. Pluralisme in de ruimste zin van het woord is een tweede kenmerk. Het gaat echter niet om het “pluralisme” dat in ons land diezelfde vieze en valse bijsmaak heeft als “diversiteit”. Het gaat niet om “pluralisme” of “diversiteit” ten dienste van de melting pot, maar om een etnisch pluralisme dat het verlies van één identiteit als een verlies voor de gehele mensheid beschouwt. Pluralisme dat stelt dat er geen ideologische of economische blauwdrukken bestaan – los van tijd en ruimte – voor alle volkeren.
Ook niet de liberale democratie of de vrije markt. Conflictvoorkoming in een pluriversum kan volgens Doegin het best door een organisatie van de wereld in natuurlijke “strategische centra” (bijv. Rusland voor Eurazië) enerzijds, bestaande uit “grote ruimten” of “democratische rijken” (bijv. Rusland) anderzijds[9]. Niettemin blijft etnisch pluralisme of etnisch zelfbeschikkingsrecht het uitgangspunt van alles.
Bedreigingen voor Rusland
“Pour Douguine, Poutine avance toutefois trop lentement: il n’est pas assez ferme contre les oligarques, il ne cherche pas à créer une élite alternative mentalement bien structurée, prête à prendre les rênes du pouvoir et à barrer la route à tous les charlatans sans cervelle et sans tripes que manipulent les services américains via les révolutions colorées, rose ou orange. Le risque de cette faiblesse chronique est de voir la Russie exposée à une menace orange en 2008, lors des prochaines présidentielles. Autre danger: la reconstitution tacite d’un cordon sanitaire autour de la Russie et la création d’antagonismes de pure fabrication pour susciter des conflits permanents, retardateurs, à l’intérieur même de l’espace eurasiatique, qui doit s’unir s’il veut rester libre”[10].
 
Doegin ziet Vladimir Poetin (1952-) als de president van het minste kwaad. Hij heeft een einde gemaakt aan de economische en vooral de morele crisis waarin de corrupte oligarchen zijn land hebben gesleurd. “Poetin heeft een einde gemaakt aan het klimaat van algemene straffeloosheid”, zei hij op het colloquium van 11 november. Hij heeft ook de Russisch-orthodoxe Kerk gerehabiliteerd. Doegin verwijt hem echter zijn bondgenoten te hebben laten vallen in Georgië (Edvard Sjevernadze) en in Oekraïne (Viktor Janoekovitsj). Hij heeft ook nog te weinig gedaan om te voorkomen dat de oligarchen vanuit het buitenland – gesteund door de VSA – opnieuw de macht zouden overnemen. Tot slot blijft de vreemde inmenging onder de vorm van religieus fundamentalisme nog steeds een groot gevaar (bijv. wahabisme uit Saoedi-Arabië, evangelisch protestantisme uit de VSA).
 
Besluit
Doegins eurazisme is nieuw door de inbreng van het nationaal-bolsjevisme dat het sovjetcommunisme als een “compagnon de route” van de Russische rijksgedachte beschouwd. De Russen zien zich graag als een grote federator. Het nationaal-bolsjevisme kan m.i. echter niet veralgemeend worden buiten zijn context: het Duitsland van de jaren 1930 of het Rusland van de jaren 1990. Het marxisme van West-Europa (Mei ’68, Frankfurter Schule) is een veel geraffineerdere freudiaanse of trotskistische variant. Het marxisme van de culturele en seksuele revolutie enerzijds en van de “permanente revolutie”, het internationalisme en het multiculturalisme anderzijds. 
Doegin bekritiseert ook de traditionalisten en meer bepaald Evola’s Koude-oorlogsdenken en zijn onbegrip ten aanzien van het Slavische element in Eurazië[11]. De VSA was volgens Evola het minste kwaad tijdens de Koude Oorlog. Het kapitalisme noemde hij de “opstand van de derde stand” (handelaars) die onvermijdelijk het communisme of de “opstand van de vierde stand” (arbeiders) zou inluiden. De geschiedenis heeft echter aangetoond dat het communisme geen eindfase hoeft te zijn. Doegin keert echter diezelfde stelling om door de “derde stand” met de arbeider en het communisme en de “vierde stand” met de handelaar en het kapitalisme te vereenzelvigen. Dat verklaart zijn antikapitalisme en zijn antiamerikanisme. Dat verklaart ook waarom hij een “rechtse” ethiek aan een “linkse” economie verbindt, maar zeker geen “linkse” ethiek aan een “rechtse” economie.
Doegins belangrijkste bijdrage aan de geopolitiek is dat hij haar een traditionalistisch aspect heeft meegegeven, daar waar ze anders zuiver strategisch en opportunistisch zou zijn. Zijn Internationale Eurazië Beweging hoedt zich ook voor het esoterisme en het sektarisme dat onder traditionalisten dikwijls bestaat. Ze omschrijft haar Weltanschauung zelf als “Euraziatisch postmodernisme”. “Eurasian postmodernism (…) promotes an alliance of tradition and modernism as a constructive, optimistic, energetic impulse towards creation and growth”[12]. Tot slot zou ik stellen – los van het eurazisme – dat  het heil van Europa uit Rusland zal moeten komen. De Russen zijn thans wat de Germanen in de nadagen van het Romeinse Rijk waren. Frederik Ranson
Stud. rer. pol.
Scriptor NSV!-Gent
 

 



Noten
[1] oli·gar·chie (de ~ (v.), ~ën): regering van slechts weinig personen die behoren tot de bevoorrechte klasse (Van Dale). Het begrip heeft dus niets te maken met oliemaatschappijen als Yukos.
[2] Limonov is op zijn zachtst gezegd een dubieuze figuur. Doegin noemt hem een “vampier” die niets van het nationaal-bolsjevisme snapt en jongeren misbruikt voor diens eigen schrijverscarrière. Limonov pleit nu voor een “oranje revolutie” tegen Poetin.
[3] “Hoezeer ik ook gruwel van een Chinees of islamitisch Rusland, het verandert niets aan de rijksbelangen van Rusland”.
[4] Evola schrijft het consequent met een hoofdletter, omdat Traditionalisme zich niet zoals traditionalisme beperkt tot één religieuze traditie. Het Traditionalisme gaat uit twee fundamentele beschavingstypes: de “moderne wereld” en de “traditionele wereld”. Bij Doegin neemt de “moderne wereld” de vorm aan van “Atlantis” en de “traditionele wereld” die van “Eurazië”. Kritische noot: hoewel Evola en Guénon zich in theorie beroepen op de Hyperboreale of Noordse Traditie, putten ze in de praktijk vooral uit de Oosterse tradities.
[5] STEUCKERS, R. Anti-américanisme et paneuropéanisme (1/3). 21 september 2004. 

 

http://be.altermedia.info/culture/anti-amricanisme-et-paneuropanisme-13_2049.html. Geraadpleegd op 5 mei.

[6] Dat begrip wordt in de Indische traditie gebruikt om de verhouding van het “linkse” of onorthodoxe tantrisme tot het “rechtse” of orthodoxe hindoeïsme mee te benoemen
[7] Van de Meersche, P. Internationale politiek 1815-1945. Overzicht en interpretaties. Leuven/Leusden, Acco, 2001, p. 23.
[8] “It might be said that Eurasism is the philosophy of multipolar globalization, calling to the union of all societies and peoples on earth to build an original and authentic world, every component of which organically derives from historical traditions and local cultures”.
DOEGIN, A. The Eurasian Vision. Basic Principles of the eurasist doctrinal platform. 14 september 2001.
http://www.eurasia.com.ru/eurasist_vision.html. Geraadpleegd op 6 mei.
[9] Hij ziet voor Europa dezelfde rol weggelegd in “Euro-Afrika” als voor Rusland in Eurazië. Utopisch? Ik denk het wel.
[10] Synergies Européennes, Les positions philosophiques de l’Alexandre Douguine. November 2005. 

 

http://be.altermedia.info/politique/les-positions-philosophiques-dalexandre-douguine_3858.html. Geraadpleegd op 5 mei.

[11] DOEGIN, A. Julius Evola et traditionalisme russe.
http://www.geocities.com/capitolhill/6824/evolrus.htm. Geraadpleegd op 6 mei.
[12] DOEGIN, A. The Eurasian Idea. 3 augustus 2004.
 http://evrazia.org/modules.php?name=News&file=article&sid=1884. Geraadpleegd op 5 mei. 

 

Bibliografie
 
Doegin, A. Julius Evola et traditionalisme russe.
http://www.geocities.com/capitolhill/6824/evolrus.htm. Geraadpleegd op 6 mei.
Doegin, A. The Eurasian Vision. Basic Principles of the eurasist doctrinal platform. 14 september 2001.

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Doegin, A. The Eurasian Idea. 3 augustus 2004.
http://evrazia.org/modules.php?name=News&file=article&sid=1884
. Geraadpleegd op 5 mei. InSudok, informatie- en dokumentatiecentrum over de (voormalige) Sovjet-Unie. 1995.
http://www.stelling.nl/kleintje/ussr. Geraadpleegd op 8 mei.
                Maertens, I. Alexandre Douguine, L’Eurasie et nous. 9 april 2006.
http://be.altermedia.info/politique/alexandre-douguine-leurasie-et-nous_4593.html. Geraadpleegd op 5 mei.
                Steuckers, R. Halford John Mackinder (1861-1947). 1991.
http://foster.20megsfree.com/173.htm. Geraadpleegd op 5 mei.
                Steuckers, R. Anti-américanisme et paneuropéanisme (1/3). 21 september 2004.
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Synergies Européennes, Les positions philosophiques de l’Alexandre Douguine. November 2005.
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