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mercredi, 23 septembre 2020

L’urbanisme : de Romulus à Le Corbusier

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L’urbanisme : de Romulus à Le Corbusier

Entretien avec Pierre Le Vigan

 
 
 
 
Entretien du Cercle Henri Lagrange avec Pierre Le Vigan (urbaniste et essayiste)
 
 
00:00:23 - Différences entre "maçonnerie", "architecture" et "urbanisme"
00:06:1 - Qu'est qu'une "cité"?
00:09:01 - Qu’est-ce que le "synœcisme" ?
00:10:11- La "Cité idéale" de Platon
00:11:52 - Aristote
00:13:12 - Qu'est-ce que le "pomerium"
00:14:39 - Les murailles
00:17:38 - Les utopies urbanistiques de la Renaissances
00:20:35 - Impact de la révolution industrielle sur la ville
00:24:26 - Le Paris d'Hausmann
00:30:12 - Les utopies urbanistiques du XIXeme siècle
00:32:43 - Les mouvements "culturaliste", "progressiste" et "naturaliste"
00:39:08 - Le Corbusier
00:45:08 - Le "Plan Voisin"
00:49:30 - Bauhaus et l’avant-garde soviétique
00:56:51 - Les "grands ensembles" en France
01:04:59 - Le regard d'un urbaniste sur la banlieue
01:11:18 - la conception contemporaine de la rue
01:15:15 - Les mouvements "modernes" et "post-modernes"
01:20:33 - Le mode de contrôle contemporain de la ville
01:22:32 - Qu'est ce que la "smart city"?
01:23:32 - La ville de demain

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vendredi, 28 août 2020

Pierre-Yves Trémois, un grand illustrateur de Montherlant

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Pierre-Yves Trémois, un grand illustrateur de Montherlant

Ex: http://www.montherlant.be

“Le burin m’a appris la simplicité et la simplicité est terrible.”
(Trémois)

“Trémois, un grand artiste cosmique.”
(Montherlant)

“Il y a une allégresse de la tragédie. Je pense que l’éprouvent tous les poètes tragiques.
Derrière leur masque à la bouche retombante, il y a un visage qui rit.
Je pense que Trémois jubilait en jettant d’un trait sûr et fort ses têtes coupées,
ses mains sanglantes, ses Jeanne Moreau coiffées d’aigles et ses hommes.”
(Montherlant)

Biographie de Trémois

Pierre-Yves Trémois est né en 1921 à Paris. Il est peintre, graveur et sculpteur.


Il suivit des études à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Il fut Grand Prix de Rome de Peinture en 1941. Il est membre de plusieurs Académies, dont l’Académie des Beaux-Arts, à l’Institut de France (1978).
Il a réalisé de somptueuses illustrations d’éditions de grand luxe originales de Montherlant, soit trois ouvrages de théâtre : en 1953 Pasiphaé, en 1960 Le Cardinal d’Espagne, et en 1964 La Guerre civile.


“Trémois, c’est la pureté et la décision du trait, le contraste entre la rigueur du graphisme et la liberté de l’imagination. Le trait, défi violent et sensuel qui domine la technique au point de la faire oublier, pas d’ombre, pas de couleurs, pas de sentiments, une précision diabolique, presque clinique.


Il est un des plus grands graveurs de son époque. Son œuvre est en partie érotique. Il représente les corps dans une irrésistible passion, dans des enlacements très sensuels. Il se désigne d’ailleurs comme un “érotographe”. Mais nulle pornographie, nulle laideur dans ces corps nus magnifiques.


Trémois écrit ceci : “L’érotisme est grave, un des moments les plus intenses de l’existence. On me traite parfois d’érotique. La morale en art n’existe pas. Elle n’existe pas non plus chez les animaux, elle n’existe pas non plus dans l’érotisme.”


Car Trémois est fasciné aussi par les animaux, (les batraciens notamment, et les insectes). II était très apprécié par le savant Jean Rostand qui était aussi un admirateur de Montherlant.


Trémois a illustré notamment Claudel, Jouhandeau, Jean de La Fontaine, Jean Rostand, Ovide, Giono, Verlaine, Nietzsche.


Il a exposé dans toute la France, en Belgique et au Japon depuis 1962.

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Trémois et Montherlant

Voici ce que Montherlant écrit de lui, en février 1971 :

“Le matador doit entrer l’épée dans le taureau “court et droit” : c’est la formule consacrée. Le graveur doit entrer le burin dans le cuivre “pur et sûr”. Les œuvres de Trémois, qu’elles soient peintures, dessins, monotypes ou gravures, étonnent l’écrivain habitué aux tripotages infinis ; nous autres nous n’avons pas besoin de ce jet infaillible et irrévocable.


La pornographie, telle qu’elle est exploitée commercialement et industriellement de nos jours, rend vulgaire et assommante la chose la meilleure, la moins vulgaire et la plus vénérable du monde, qui est l’acte érotique.
Trémois nous rend cet acte dans sa pureté. Double pureté : celle du trait ; celle de l’intention, comme lui, nette.
“Le monstre biforme, la grande rose humaine, se détacha et s’envola dans la nuit.
” J’ai écrit cette phrase bien avant de connaître Trémois. Elle pourrait être une de ses légendes. Quand elles ne sont pas lovées dans des conques, ses érotiques vaguent dans un univers de soleils, de rayons, de planètes, mêlés à des pieuvres et à des médrapores. C’est l’infini intérieur dans l’infini sous-marin et stellaire.


Et puis les insectes nets, compliqués, avisés. Et les difformes, chéris sans doute de la nature, qui les multiplie à satiété.


Le monde animal attire Trémois, et le monde humain. Mais plus que tout, les planches où s’accouplent les deux règnes touchent l’auteur de
Pasiphaé. On les dit “troubles” alors qu’elle sont limpides, et “inquiétantes” alors qu’il y a une paix sublime dans les deux règnes réconciliés par un bonheur commun.

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J’ai essayé maintes fois de convaincre Colette et Gide d’aborder ce profond et sublime sujet, soutenus par leur autorité d’écrivains : je leur fournirais une documentation invraisemblable. Tentés, sentant bien que cela était important et entièrement nouveau, ils prenaient peur et se dérobaient. Un grand artiste cosmique comme Trémois s’honorerait en traitant plus loin qu’il ne l’a fait cette fusion des espèces, juste un instant, avant qu’elle ne fut rejetée avec haine dans la fosse dantesque où grouillent les préjugés.”
(Février 1971, texte de Montherlant dans l’ouvrage Pierre-Yves Trémois, aux éditions Jacques Frapier, Paris 1971)

En 1927, déjà, interviewé par Frédéric Lefèvre, (Une Heure avec Henry de Montherlant dans Les Nouvelles littéraires du 15 octobre 1927), Montherlant insistait déjà sur la nécessité de ne pas être choqué par un “totalisme” érotique, selon lui, naturel. Il n’aura jamais renié cette vision du monde, originale et audacieuse, mais choquant les esprits encadrés par la morale judéo-chrétienne.


Il faut garder à l’esprit la pensée naturellement rebelle, totalement individualiste, de Montherlant en matière de mœurs.

Et cet autre texte de Montherlant : “J’écrivais en 1931 sur La Rose de sable, sans connaître encore
Trémois : “Ce qu’il voulait, c’était une ligne pure, et avant de la tracer, il avait de l’inquiétude, la bouche entrouverte comme un équilibriste qui se dispose à exécuter un saut périlleux.” De ce trait infaillible et irréversible, Trémois cerne les êtres et les êtres surtout dans l’instant de leur magnificence amoureuse.


Puis, il y a les bêtes encornées ou ailées, ou coruscantes, ou corsetées, fixées elles aussi dans leurs magnificences.
Puis il y a les femmes griffues ou aquilifères, et les hommes à torsades de serpents. (…)
Dans l’œuvre de ce grand artiste chacun comme de raison voit ce qu’il est soi-même, ou croit être, ou veut être. Pour moi, le burin cruel qui incruste au cuivre des visions fantastiques et des grimaces de cadavres me rappelle que, avec la force, la clarté et la précision sont les trois vertus théologales de l’art.

Détails sur les œuvres de Montherlant illustrées par Pierre-Yves Trémois :

Pasiphaé, le chant de Minos

de Henry de Montherlant.
Format 30 x 40 in-quarto.
Tirage à 225 exemplaires.
Avant-propos inédit de l’auteur.

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Les 29 eaux-fortes et burins originaux ont été tirés sur les presses de R. Lacourière par J. Frélaut sur vélin spécialement fabriqué et filigrané “à la tête de taureau”.
Cet ouvrage a été achevé d’imprimer par les soins de P. Bouchet à Paris en 1953.
En outre les éditions L. C. L “Les Peintres du livre” éditaient en 1967 une nouvelle forme de l’ouvrage tirée à 3000 exemplaires et comprenant la reproduction au format 21 x 22 de certaines planches de l’édition originale.

Le Cardinal d’Espagne

Edition originale de Henry de Montherlant.
Format 33 x 42.
Tirage à 250 exemplaires.
Les 34 eaux-fortes et burins originaux, ainsi que le texte calligraphié par l’artiste des extraits du texte de Montherlant, ont été tirés sur les presses de R. Lacourière par J. et R. Frélaut.
Cet ouvrage a été achevé d’imprimer par les soins de P. Viglino pour H. Lefebvre à Paris en 1960.
Les exemplaires ont été signés par l’éditeur et l’artiste.

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En plus de cette édition, un exemplaire unique a été constitué en 2 volumes grand in-folio, le premier contenant un des premiers exemplaires sur Japon, le second comprenant : 34 Monotypes
peints à l’encre d’imprimerie par l’artiste formant les “originaux”, tirés par Trémois sur les presses de R. Lacourière ; le manuscrit autographe de H. de Montherlant.
La couverture a été gravée au burin par l’artiste.

41jJENa0KOL._BO1,204,203,200_.jpgLa Guerre civile

Edition originale de Henry de Montherlant
Format 32 x 44 grand in-folio.
Tirage à 200 exemplaires.
Les 25 eaux-fortes et burins originaux dont certaine planches doubles à rabat, ainsi que le texte calligraphié par l’artiste des extraits du texte de Montherlant, ont été tirés sur les presses de R. Lacourière par J. et R. Frélaut.
Cet ouvrage a été achevé d’imprimer par les soins de D. Viglino pour H. Lefebvre à Paris en 1964. Tous les exemplaires ont été signés par l’éditeur et l’artiste.
La couverture, et la page de titre, ont été gravées par l’artiste au burin et à l’aquatinte.

Sources

  • Pierre-Yves Trémois, avant-propos de Louis Pauwels, textes de Henry de Montherlant et de Jean Rostand, gravures monotypes, Editions Jacques Frapier, 1971
  • OR, catalogue imprimé en mars 1972 à l’occasion de l’exposition de Trémois à la Galerie Maurice Garnier
  • Monographie sur Pierre-Yves Trémois, imprimée en Octobre 1974 sur les presses de la S. M. I à Paris
  • Catalogue sur Pierre-Yves Trémois, imprimé en octobre 1974, sur les presses de la SMI à Paris

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jeudi, 27 août 2020

Pierre-Yves Trémois : le génie du trait et la passion des corps

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Pierre-Yves Trémois : le génie du trait et la passion des corps

par Michel Thibault

Ex: https://rebellion-sre.fr

Mort le 16 août à l’âge de 99 ans du dessinateur, graveur, peintre et sculpteur Pierre Yves Trémois… Artiste d’un immense talent, nous avions consacré cette article à l’exposition qu’il avait réalisé sur l’ensemble de son oeuvre. 

Le 11 Avril 2013 s’ouvrait à Paris, au réfectoire des Cordeliers, une exposition intitulée : « Traits de Passion » – où sur toile et en noir et blanc, Pierre-Yves Trémois nous dévoilait avec sa puissance d’expression, l’univers passionnel qui accompagne l’homme depuis les origines, avec en ouverture la passion du Christ, acte fondateur et sacré, décrite avec toute sa cruauté, mais aussi porteuse d’espérance. Corps suppliciés, criants, hurlants ou érotisés dans l’acte d’amour, accompagnés de commentaires calligraphiés, Pierre-Yves Tremois dont l’esthétique a marqué le siècle, nous rappelait à 92 ans qu’il demeure le plus grand dessinateur et graveur de son temps.

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Le parcours de l’artiste est celui d’un homme discret pour ne pas dire secret, même si les honneurs et la reconnaissance ont été très tôt au rendez-vous. Pierre-Yves Trémois est né le 8 Janvier 1921 à Paris ; en 1938, il entre à l’école des beaux arts, et grave ses premières plaques en 1942. En 1943, il obtient le grand prix de Rome de peinture et participe à sa première exposition à la bibliothèque nationale. En 1945, il se fait connaître comme illustrateur en gravant des eaux- fortes pour l’ouvrage de Paul Vialar La Grande Meute, qui connaît un fort succès. C’est le début pour Trémois d’une enrichissante collaboration avec des auteurs, dont beaucoup deviendront des amis : Montherlant, Giono, Claudel, Jouhandeau etc. – Au total, plus de 40 ouvrages illustrés – En 1957, de la rencontre avec le biologiste Jean Rostand va naître une œuvre commune, Bestiaire d’Amour, qui traite des relations amoureuses chez les animaux, illustré de 22 planches ; une deuxième édition sera augmenté de 200 dessins. Rostand et Trémois partagent la même fascination pour le monde animal – pour le savant : « Dans l’animal, on se heurte au mystère de la vie à l’état pur. Tout l’essentiel de l’homme sans l’homme. » – et l’artiste de répondre : « J’ai autant de plaisir à dessiner des crapauds accouplés que des humains dans le même exercice. ».

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Désormais batraciens et singes vont devenir des éléments récurents dans l’œuvre de Trémois, comme une interrogation permanente sur les origines de l’homme et la théorie de l’évolution. En 1963,  Trémois lors d’un séjour en Bretagne rencontre Catherine, celle qui deviendra sa femme, sa muse et sa complice. Peu d’artistes osent pratiquer la gravure, car le burin qui prolonge la main n’a pas droit à l’erreur, le tracé doit refléter fidèlement l’esprit du créateur, la plaque de cuivre ne connaît pas la gomme. Le trait idéal, épuré, simple et complexe à la fois, Trémois l’a entrevu dans les estampes et la peinture japonaise, c’est une quête perpétuelle qui traverse les siècles, de Lascaux à nos jours. Trémois, en habitué de la culture asiatique, a choisi le trait noir, régulier et affirmé, sur fond blanc, le Yin féminin et le Yang masculin, dualité et complémentarité. Ce trait qui nous est familier aujourd’hui, s’est épanoui dans l’œuvre sensuelle et érotique, qui reste le fondement de l’inspiration de l’artiste : « Le désir de dessiner, de peindre, de graver, de sculpter des images de l’amour – c’est le seul sujet existant et excitant qui puise envahir l’existence d’un artiste. ». Trémois ignore superbement la « théorie du genre », dans ses créations la nudité définit les sexes, qui s’accouplent pour la plus saine des jouissances, corps sublimés par le génie de l’artiste ; sur ce « champ de bataille » la chair n’est jamais triste. Pierre-Yves Trémois est un créateur total, un alchimiste, aucune matière, aucun domaine ne lui est étranger, il travaille la toile mais aussi l’or, le bronze et la céramique : réalise des affiches, timbres, bijoux, tapisseries, médailles etc.

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En 1978 il est reçu à l’académie des beaux-arts, son épée est un sabre de samouraï, avec une lame du XVème siècle, ornée de deux plaques d’or sur lesquelles il a gravé ces mots : « La ligne est mon partage ». Les photos de l’événement montrent un homme élégant dans son habit vert, à la silhouette élancée et au visage d’une beauté grecque. Dans son discours en hommage au dessinateur Paul Lemagny, Trémois fait l’éloge du nu et dénonce la destruction des formes dans « l’art contemporain » : « Le nu, qui pendant des siècles, a été le prétexte de l’art, s’est peu à peu désacralisé ; il a même été tourné en dérision, pantin distordu du néant. Ce corps glorieux, en son jardin d’Akadêmos, ne reçoit plus, que des pierres gauchement lancées. ». Critique sur la voie où s’engage l’art moderne, il égratigne en 2008 l’ « Art officiel » et les « installations », lors de sa nomination dans l’ordre de la légion d’honneur, à quelques pas des colonnes de Buren.

Passionné par les rapport entre l’art et la science, Trémois est redevable après Galilée et Newton à Albrecht Dürer, artiste et mathématicien allemand, pour ses recherches sur la perspective et la divine proportion ; cette dette, il l’honore en 1981 par une série d’estampes intitulée Hommage à Dürer. En 1997 il expose à la galerie Victoria à Paris des sculptures où, outre son génie de la matière, on retrouve résumés ses thèmes de prédilection : le singe savant, les crapauds accouplés, l’étreinte amoureuse, ainsi qu’un saisissant portrait de Salvador Dali.

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Aujourd’hui Pierre-Yves Trémois, dévoué à l’art – et non au marché de l’art- se remet sans cesse en cause et poursuit sa quête d’excellence en solitaire, tel un moine zen, après 70 ans de créations. Comblé, honoré, son génie reconnu, il reste humble et déclare avec humour : « Si le Moi est haïssable, que dire du Très-moi ? ». Un dernier souci pourtant, trouver un lieu où déposer ses œuvres, car l’artiste qui a révolutionné l’art figuratif n’a toujours pas de proposition de musée permanent. Cela est d’autant plus révoltant que la ville de Nice est revenue sur un accord, qui prévoyait l’ouverture d’un musée Trèmois en 1992, dans un bâtiment construit par l’architecte japonais Kenzo Tange, avec une donation de 200 œuvres et une collection d’art japonais. Il n’est pas trop tard pour réparer cette injustice. Il y a deux types de génies : ceux que l’on admire et respecte, et ceux que l’on admire, respecte et aime. Pierre-Yves Trèmois appartient à ces derniers.

Michel Thibault

A lire : Yvan Brohard, « Trèmois, catalogue raisonné », Editions Monelle Hayot, 600 pages et 2500 illustrations pour découvrir l’oeuvre de l’artiste.

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vendredi, 14 août 2020

Retrospectieve Maurits De Maertelaere / Rétrospective Maurits De Maertelaere

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Retrospectieve Maurits De Maertelaere

Rétrospective Maurits De Maertelaere

Tentoonstelling Beeldhouwkunst

Exposition de sculptures

Sporen van Maurits De Maertelaere

Traces de Maurits De Maertelaere

Van 26 september t/m 18 october

Info

Waar? Où?

Artmut

Pareipoelstraat 3

2800 Mechelen

Hoe geraak ik hier? / Comment s'y rendre? 

Het Schone sterker dan steen

Maurits De Maertelaere (1927-2014)

Ik heb dat beeldje in Maurits z’n atelier altijd weten staan. Een verfijnd, slank naakt, gekapt uit wit marmer van Carrara. Toen  hij, na een mooi leven vol noeste arbeid, de deur van zijn atelier achter zich dichttrok, gaf Maurits me het kleinood mee.

Bijna veertig jaar geleden,  ontmoette ik Maurits De Maertelaere voor de eerste keer. Het klikte  meteen tussen ons. Mijn bezoeken aan zijn atelier koester ik als de meest dierbare herinneringen. In Kalken kon het jachtige leven even tot rust komen. Overpeinzingen over de vrienden, het leven, en de bandbreedte van de strijd. Ze  konden tot in  de late avonduren duren. ‘En zo, of zo’ beaamde Maurits, filosofisch.

Maurits kende in heel Europa de goden en klein Pierke. Overal gaf hij present met zijn beeldhouwwerk, van Zuid-Vlaanderen tot Occitanië en van de Oost- tot de Noordzee. Een kunstenaarsleven, soms  ondankbaar, dat hij in zijn stijlvolle, trotse eenvoud volwaardig beleefde.

Een voldaan leven

Maurits de Maertelaere is na een voldaan leven voorbije zomer heengegaan. Wat blijft  is  zijn beeldhouwwerk, uit  steen en hout gewekt tot leven. Het Schone zoals Maurits het zag. Ze zijn uit ons huis niet weg te denken: een moeder die haar kindje omarmt, dansende jongen en meisje, heidense figuren elkaar omhelzend, drie kinderen van Moeder Aarde die de sterren aanreiken als op een gravure van Dombrowski.

Ik kijk ook naar de adelaar boven het haardvuur. Maurits  was de vriendenhand uit het gedicht die de adelaar uit nobele eik sneed: “het dubbele hoofd strak en trots geheven naar ginds en naar ginds”.* Symbool van 1.200  jaar Europese geschiedenis waarover hij zoveel kon vertellen.

En dan is er nog dat beeld uit wit marmer van Carrara. Vorige week viel het toch wel  in stukken op de grond. Het kon niet waar zijn.  Tekenen vanuit het hiernamaals zijn niets voor mij. Ik verzamelde dus  zorgvuldig de brokstukken en, zonder hoop,  haastte me naar een handige Harrie. En het onmogelijke gebeurde: geen sporen van restauratie. Het beeld kreeg ik heel terug.

De achtergelaten boodschap van beeldhouwer Maurits De Maertelaere: het Schone is sterker dan (gebroken) steen.

*Uit het gedicht De Adelaar van Paul-Hendrik Leenaards ( 1924-1988)

mardi, 11 août 2020

L’Art au service du globalisme

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L’Art au service du globalisme

Entretien exclusif mené par Patrice-Hans Perrier avec Aude de Kerros et recension de son dernier ouvrage
Par Patrice-Hans Perrier

Ex: https://strategika.fr

5971fae2c6a8c2f8a5ce61b00aa23931.jpegPatrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar de Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs.
Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant d’aborder le genre littéraire. Patrice-Hans Perrier est un contributeur régulier de différents sites d’analyses stratégiques tels que le Saker francophoneDedefensaRéseau International. Vous pouvez aussi le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com et sur le réseau social VK.

Nous reprenons le fil de la discussion sur la place des arts et culture dans le processus de domination de l’ORDO globaliste. Suite à l’incendie de Notre-Dame de Paris, plusieurs s’interrogent sur l’avenir de notre patrimoine culturel dans un contexte où les industries du divertissement sont en voie de reprendre totalement la main. Il y a péril en la demeure puisque les édiles parisiens, entièrement cautionnés par le gouvernement Macron, souhaitent profiter du grand chantier de reconstruction de la cathédrale gothique pour implanter un parc touristique au cœur de l’île de la Cité.

Vente de feu

En outre, le président français a prévu un délai de cinq années pour rebâtir une partie de l’œuvre colossale qui avait mis plus de deux siècles pour aboutir. Une pléiade d’experts se sont élevés contre ce projet marathon et certains y voient une volonté politique de faire coïncider l’aboutissement du chantier avec la venue des Jeux olympiques dans la capitale française. Qui plus est, plusieurs cabinets d’architectes internationaux se sont bousculés au portillon afin de présenter des esquisses de projets futuristes complètement irrespectueux de l’histoire et du patrimoine historique en présence. C’est un peu comme s’il fallait faire de Notre-Dame de Paris et de l’ensemble de l’île de la Cité une nouvelle destination prestigieuse dans le circuit des « nouvelles cités intelligentes » du futur.

Faire tabula rasa

Si la cathédrale pouvait constituer le cœur de la cité médiévale, elle ne représente plus qu’un centre touristique névralgique capable de drainer 14 millions de visiteurs par année. Il convient donc de « réhabiliter » ce monument historique en accord avec une vision de la mise en marché des « villes intelligentes » qui table sur l’« attractivité » afin de gagner des parts de marché. Puisque la cité est, désormais, livrée aux appétences des marchés financiers à l’international. Privée de sa légendaire flèche qui ressemblait à un gigantesque cadran solaire, le vaisseau de pierre ne sera jamais plus un lieu d’enseignement, de recueillement ou de pèlerinage. Nos décideurs politiques souhaitent plutôt en faire une sorte de sarcophage touristique au service d’une nouvelle mise en marché de l’île de la Cité.

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L’Art au service de la cité

Et, pourtant, l’écrivain Daniel-Rops nous avait déjà parlé de la naissance et de destinée des grandes cathédrales gothiques en des termes édifiants : « Il est arrivé quelquefois dans l’histoire – peu souvent – qu’une société humaine s’exprimât tout entière en quelques monuments parfaits et privilégiés, qu’elle sût faire tenir en des œuvres léguées aux générations futures tout ce qu’elle portait en soi de vigueur créatrice, de spiritualité profonde, de possibilités techniques et de talents. De telles fleurs ne jaillissent et n’atteignent à leur épanouissement que lorsque la sève est pure et abondante, c’est-à-dire lorsque la société est féconde, harmonieuse, et qu’il existe dans sa masse cet instinct de création, cette ferveur spirituelle qui, portant l’homme mortel au-dessus de lui-même, le poussent à s’éterniser. De telles œuvres ne naissent point par hasard, mais des patiences obscures et des grandes espérances, en un moment favorable du temps ».

La cité au service des promoteurs

Il semblerait que, de nos jours, seuls les centres d’achats et autres furoncles de l’architecture vedette soient conviés à ce remodelage des centres historiques d’une cité qui devient un parc d’attractions pour touristes et technocrates de la nouvelle « économie numérique ». Les populations autochtones ayant été repoussées vers les marges périurbaines, les monuments et les places qui formaient les fils génériques de ce tissu urbain ont été rasés ou mis sous verre. Et, c’est ce qui pourrait bien attendre Notre-Dame alors que l’essentiel des reliques urbaines ne sert plus qu’à appâter les consommateurs apatrides qui ont remplacé les anciens citoyens.

Nous l’avions déjà dit : « Que reste-t-il des cultures d’élite ou populaires, à une époque où les « produits culturels » tiennent lieu d’AVATARS qui servent à promouvoir des stratégies de marketing ou, pour dire les choses autrement, des campagnes d’endoctrinement des citoyens devenus consommateurs. De la notion d’industrie culturelle, c’est le premier terme qui retient notre attention en cela que la culture ne représente plus qu’une production étant prise en charge par une industrie au service de la plus-value matérielle ou symbolique captée par les forces dominantes du marché ». Or, dans un contexte où, pour l’essentiel, nos centres-villes ont été évidés de leurs populations, alors que le tissu urbain était détruit par les conquêtes des promoteurs immobiliers, les autorités en place ont pris le parti de conserver sous vide quelques chefs-d’œuvre architecturaux susceptibles de constituer des pôles d’attraction.

L’Art contemporain comme monnaie d’échange

C’est avec ces considérations en tête que nous avons entrepris un entretien privé avec Aude de Kerros, prétextant la sortie de son dernier ouvrage portant sur les enjeux actuels de l’Art contemporain international (ACI). « ART CONTEMPORAIN – MANIPULATION ET GÉOPOLITIQUE » ressemble à un véritable guide qui nous aide à saisir les enjeux d’un marché de l’art qui n’a de comptes à rendre qu’à une poignée d’investisseurs très fortunés.

Auteur, graveur et peintre, notre interlocutrice partage avec nous cette appréhension concernant la mainmise des milieux financiers sur un monde culturel qui est mis au pas afin de servir des objectifs de rentabilité à court terme et d’endoctrinement idéologique. Elle met la table pour une étude en profondeur des processus qui participent à la mondialisation des transactions qui émaillent un marché de l’art qui ressemble à s’y méprendre à une institution « capable de battre monnaie », dans un contexte où l’art ne sert plus que de « lettre de change ». Si l’Art contemporain est devenu un vecteur de soft power au service de toutes les CIA de ce monde, Aude de Kerros nous prévient que c’est Marcel Duchamp et les autres épigones de l’Art conceptuel qui ont permis de dématérialiser l’art pour en faire une « valeur faciale » ou valeur nominale.

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Il fallait bien dématérialiser l’art afin de pouvoir en faire une monnaie d’échange. C’est chose faite selon l’auteure qui estime que les dadaïstes, Marcel Duchamp et le POP ART américain ont permis aux opérateurs des marchés internationaux – et toutes les agences de renseignement – de pousser le marché de l’art dans les derniers retranchements de la fétichisation de l’objet et de sa prise en charge par la mise en marché de sa « valeur nominale ». Ainsi, toujours selon elle, « le conceptualisme n’est plus de l’art au sens commun du terme, qu’il soit moderne ou non : en art, la forme exprime le sens et les critères de jugement sont d’abord esthétiques. L’adoption du conceptualisme comme avant-garde unique autant que définitive a un avantage déterminant : avec ce nouvel instrument, la CIA n’est plus limitée par le silence des images, mais peut aussi s’approprier et détourner les discours révolutionnaires : critique sociale, art pour tous, table rase, etc., et, ainsi, créer un leurre qui serait fatal aux intellectuels de gauche ».

Détruire la notion d’oeuvre

Bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis l’époque où la CIA utilisait l’expression lyrique d’un Jackson Pollock ou le POP ART d’un Robert Rauschenberg comme armes de destruction massive contre le réalisme socialiste à l’honneur au sein des pays de l’ancien empire soviétique. Aude de Kerros passe au peigne fin l’époque charnière qui va de l’après-guerre jusqu’à mai 68 pour nous faire prendre conscience que les épigones de l’art conceptuel et du dadaïsme ont servi les visées impérialistes du marché de l’art new-yorkais et des services secrets américains. Profitant des Trente Glorieuses – les années de prospérité économique qui couvrent les années 1950-60-70 – les financiers anglo-saxons ont créé un nouvel avatar afin de monopoliser le marché de l’art contemporain et toutes ses déclinaisons. Ainsi, le marchand d’art américain Leo Castelli aurait manipulé – toujours si l’on se fie à l’analyse de Mme de Kerros – le critique d’art parisien Pierre Restany pour investir, tel un cheval de Troie, la Ville lumière. Disciple de la pensée de Marcel Duchamp, le théoricien Restany n’avait pas hésité à clamer dans son manifeste de 1960 que « La peinture est morte ! », un mot d’ordre qui convenait parfaitement aux financiers de Wall Street désireux de mettre la main sur le marché émergeant de l’Art contemporain.

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Aude de Kerros souligne que « la promotion par la CIA de l’expressionnisme abstrait en Europe n’a pas provoqué le choc attendu ». De fait, après la chute des régimes fascistes et nazis, et dans le sillage de la lente décomposition du bloc soviétique, l’esthétique néoréaliste n’avait plus la cote dans une Europe où tous les courants esthétiques se remettaient à circuler le plus librement du monde. Et, partant de là, la nouvelle peinture POP et l’expression lyrique ne constituaient pas vraiment de quoi jeter par terre les artistes du Vieux Continent. Si les croûtes de Jackson Pollock avaient bien suscité quelques mouvements de curiosité vers la fin des années 1950, l’armada du POP ART ne parviendra pas à faire de grands dommages dans les milieux de l’art parisien et ailleurs en Europe.

Toutefois, c’est la pensé de Marcel Duchamp qui parviendra à s’infiltrer par tous les pores d’un système de l’art désormais prisonnier des marchés anglo-saxons. Ainsi, « à partir de 1960, les stratégies de Castelli [manifestement adoubé par les marchés de Wall Street et les services secrets américains] et le travail de la CIA commencent à produire des résultats. Le choix d’une nouvelle avant-garde ayant pour théorie fondatrice le conceptualisme de Marcel Duchamp est efficace. Sa doxa affirme : « Est de l’art tout ce que l’artiste dit être de l’art ». Créer – poursuit Aude de Kerros – c’est concevoir et déclarer. L’œuvre c’est le concept ! La forme, l’objet matériel, n’est que la partie négligeable de l’œuvre, un artisanat que l’on peut sous-traiter. Duchamp définissait cette pratique conceptuelle comme un « non-art », ses artistes comme des « anarchistes ». Cette fois-ci, la rupture est totale : si l’art conceptuel est déclaré être de « l’art » à la place de « l’art » c’est que le mot « art » a changé de définition. Les critères, jusque-là esthétiques, de concordance entre fond et forme, étaient compréhensibles, partageables, discutables. Ils permettaient une évaluation à laquelle on pouvait adhérer ou non, en sachant pourquoi. Ce n’est plus le cas avec l’art conceptuel ».

Il s’agit d’un curieux paradoxe, le fait qu’un pseudo artiste parisien, Marcel Duchamp, ait fourni le cadre conceptuel idéal aux marchés new-yorkais ! Désormais, dans le sillage de la révolution libérale-libertaire, une nouvelle définition de l’art est née sur les prémisses des extravagances jetées à la face du monde par les dadaïstes, les conceptuels et leurs épigones de la « mort de l’art ».

Une dématérialisation de l’art

Aude de Kerros s’est confiée à nous dans le cadre d’un entretien qui portait justement sur cette dématérialisation de l’art au profit des nouveaux investisseurs dans le monde de la culture dite « contemporaine ». Interrogée au sujet de cette manipulation des produits de l’art contemporain, elle s’emporte : « Aujourd’hui, par exemple, j’ai appris qu’un artiste japonais ayant produit une sorte de petit graffiti – tout à fait simpliste –   a réussi à en tirer des millions sur le marché. Alors on se pose la question qui tue : « quel est le rapport entre la chose et le prix ? » La réponse est compliquée. Précisons qu’au départ, il y a peut-être 200 personnes qui jouent ensemble au sein d’un cercle fermé d’investisseurs privilégiés. Ils forment donc un réseau et c’est eux qui décident de la valeur « faciale » des œuvres qu’ils font circuler à travers leur cercle respectif. Après, vous avez le cercle des médias, parce qu’il faut bien rendre les choses visibles et vous retrouvez, à la toute fin de la chaîne, les institutions d’état qui achètent. Profitant de sa position d’initié, le collectionneur privilégié, avant même que l’œuvre n’ait été mise sur le marché, a déjà acheté le produit. Il y a tous les cercles concentriques des milieux de diffusion et de vente de l’art – galeries, biennales, ports francs, etc. – et, en dernier lieu, vous retrouvez les institutions publiques. Ce sont des joueurs qui jouent à un jeu financier dont le moteur est constitué de ce réseau de collectionneurs privilégiés qui sont capables d’investir entre 1 million et 100 millions pour une œuvre, comme ça, sans problème ! »

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Un système endogamique

On comprendra que, dans un tel contexte, une poignée de membres de l’hyperclasse soit en mesure d’influencer le « haut marché de l’art » et de phagocyter les institutions de l’état afin que les œuvres de leurs poulains y soient exposées et, partant, gagnent de la valeur sur le marché de la spéculation culturelle. C’est sans doute ce qui explique la raison pourquoi les institutions publiques complices ne veulent pas se départir de tout ce système de cotation, de mise en valeur et de promotion d’un art contemporain qui table sur des valeurs ontologiques résolument conceptuelles. Les produits artistiques, ainsi voulus, ne seront plus jugés sur cette base anthropologique qui, toujours selon Mme de Kerros, « fait que tout le monde recherche la beauté et l’harmonie au gré de son expérience avec l’œuvre d’art ».

Ainsi, quoi de plus commode que d’utiliser un système conceptuel fonctionnant sur le mode des vases communicants : de la conception de l’œuvre jusqu’à son évaluation, tout le discours qui sert à positionner l’art est construit à partir de valences qui n’ont rien à voir avec la valeur intrinsèque du « produit ». L’œuvre d’art sera, conséquemment, jugée sur la foi d’un système de valeurs abstraites, conceptuelles, qui peuvent être manipulées à volonté par les médias, le marché de l’art ou les spéculateurs. L’œuvre d’art à l’intérieur de ce système artificiel n’a donc plus aucune valeur en soi. C’est le discours sur l’art qui détermine la valeur et permet de fixer des cotations par la suite et, a fortiori, de justifier la monopolisation des institutions publiques pour diffuser les « produits » de ce marché artificiel qui fonctionne sur le mode de la boucle de rétroaction.

Et, parlant de ce mode de fonctionnement, notre interlocutrice précise que « ces gens-là sont actifs au sein d’un système endogamique et, s’il s’interrompt, tout s’effondre. C’est justement parce que c’est un système fermé que la valeur peut être produite. Mais, contre toute attente, ils devront subir les inconvénients des avantages. Le circuit du milieu intellectuel produisant une critique sur l’art est lié à l’état. Il s’agit donc d’un système qui se protège avec des gardiens, des barrières, et les bénéficiaires de ce système en vase clos sont désespérés parce que désormais, grâce à la circulation de l’information sur le net, on peut raconter leurs bêtises ».

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L’art a perdu son âme

Nous avions déjà précisé, dans un article s’intitulant La culture POP : art pornographique par excellence, que « des ready-made de Marcel Duchamp jusqu’aux troupeaux de badauds dénudés pour être photographiés par Spencer Tunick, en passant par l’arte povera des années 1970-80, le monde de l’art occidental se contente de mettre en scène des rogatons qui témoignent de l’emprise incontestable et incontestée du marketing. L’art contemporain tient lieu de processus de récupération des produits de la culture du marketing, puisque la culture n’est plus un espace de représentation au service de la quête spirituelle d’une collectivité donnée ».

Justement, à propos de cette spiritualité qui a été chassée du monde de l’art, Aude de Kerros estime que « l’effondrement de la notion du transcendant et de la spiritualité fait qu’il y a un vide considérable et c’est l’argent qui a fini par combler ce vide. L’argent n’a pas d’âme : c’est un bon serviteur et un mauvais maître. C’est l’effondrement de la civilisation qui est lié à l’effondrement de la spiritualité – et de la notion de la transcendance – qui fait que l’occident est si mal en point, parce que c’est une histoire occidentale cette affaire d’art contemporain ».

La réalité du globalisme

Prenant acte d’un globalisme qui n’est pas qu’une idéologie, mais pouvant correspondre à certains aspects de la réalité, Mme de Kerros nous aide à conclure notre article au moyen d’un passage révélateur contenu dans son dernier essai. En effet, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle nous prévient que « cette contrainte occidentale d’une idéologie de l’art, certes très adaptée aux affaires, peut-elle s’exercer encore longtemps sur un marché aujourd’hui mondialisé ? Si les intérêts d’argent sont aisément partageables à l’échelle planétaire, la culture ne s’impose pas si facilement … Artistes et amateurs originaires d’autres continents ne sont peut-être pas prêts à renoncer entièrement à leurs aspirations […] »

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S’il est vrai que plusieurs sociétés « émergentes » n’ont toujours pas été entièrement contaminées par ce système et cette vision mercantile de l’art, il n’en demeure pas moins que l’ubiquité d’Internet sert surtout à promouvoir des idéologies qui reposent, d’abord et avant tout, sur la « société du spectacle ». En outre, les derniers rescapés de la classe moyenne mourante n’ont pas toujours les moyens de se payer des œuvres d’art « abordables », dans un contexte où la fiscalité favorise surtout les gros investisseurs. On connaît la chanson au chapitre des paradis fiscaux et des autres voies de contournement qui sont l’apanage de l’hyperclasse.

Aude de Kerros nous confiait, en fin d’entretien, avoir espoir que les sites qui font la promotion des « artistes dissidents » pourront aider à mettre en place des marchés parallèles, pour que l’authentique création soit en mesure de se faire connaître. Encore faudrait-il que les internautes s’intéressent à autre chose qu’à la promotion de leur ego ou à cette fuite en avant qui caractérisent les communications postmodernes.

Optimiste, certes, Aude de Kerros demeure réaliste en affirmant que « le krach financier de 2008 a marqué un tournant dans le domaine de l’appréciation de l’Art contemporain. Le public mondial a assisté au grand spectacle de la dématérialisation des titres. D’évidence, les produits financiers dérivés, dits « sécurisés » n’avaient pas de contrepartie matérielle, ne reposaient pas sur une richesse tangible. Malgré le fait que le marché financier n’a pas entraîné le marché de l’art dans sa chute, l’analogie fut faite avec ce qui était devenu très semblable à un produit financier : l’Art contemporain ».

Un hubris démoniaque

Si ce système de l’Art contemporain a permis de dématérialiser les fondamentaux de l’expression artistique, c’est peut-être parce que nos élites ont été submergées par une hubris emportant tout sur son passage. Aude de Kerros nous aide à comprendre les ficelles d’un système de reproduction culturelle qui sert à « monétiser » des œuvres conceptuelles et, du même coup, à faire la promotion de messages qui font le jeu d’un soft power globaliste. Toutefois, elle n’épilogue pas trop sur cette dégénérescence qui est le propre des civilisations qui se meurent. Mis à part quelques perles, comme celle-ci : « L’art contemporain, dont le but proclamé est transgression, subversion, table rase, a eu depuis le début de son existence la nécessité impérieuse d’être rapidement muséifié pour exister. On peut dire que le musée d’Art contemporain est consubstantiel à cette redéfinition de l’art désormais séculaire ».

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In fine, si l’on suit le fil de la discussion, force-nous est de constater que les institutions publiques, prêtant main-forte à ce marché artificiel, ont contribué à sanctuariser un air du temps qui flirte dangereusement avec le nihilisme le plus complet. Rajoutons-en un peu, même si la coupe est pleine. Le terrible incendie qui a dévasté toute la charpente de Notre-Dame de Paris était-il le fruit d’un malencontreux hasard ou bien l’œuvre d’un mauvais génie de la performance in situ ? Toujours est-il que la reconstruction de ce trésor du patrimoine pourrait servir à reconvertir l’auguste cathédrale en musée … d’Art contemporain. On pourrait y reproduire, par hologrammes, des épisodes de cet incendie dantesque et, chemin faisant, célébrer la victoire d’une culture qui a définitivement enterré la spiritualité.

Un livre incontournable à lire :

« ART CONTEMPORAIN – MANIPULATION ET GÉOPOLITIQUE »

Par Aude de Kerros, aux Éditions Eyrolles, Paris, 2019, ISBN : 978-2-212-57302-2

Site de l’auteur :

https://www.audedekerros.fr/

Un entretien sur les tenants et les aboutissants de ce marché de l’Art contemporain :

L’Art au service du globalisme

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L’Art au service du globalisme

Entretien exclusif mené par Patrice-Hans Perrier avec Aude de Kerros et recension de son dernier ouvrage
Par Patrice-Hans Perrier

Ex: https://strategika.fr

5971fae2c6a8c2f8a5ce61b00aa23931.jpegPatrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar de Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs.
Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant d’aborder le genre littéraire. Patrice-Hans Perrier est un contributeur régulier de différents sites d’analyses stratégiques tels que le Saker francophoneDedefensaRéseau International. Vous pouvez aussi le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com et sur le réseau social VK.

Nous reprenons le fil de la discussion sur la place des arts et culture dans le processus de domination de l’ORDO globaliste. Suite à l’incendie de Notre-Dame de Paris, plusieurs s’interrogent sur l’avenir de notre patrimoine culturel dans un contexte où les industries du divertissement sont en voie de reprendre totalement la main. Il y a péril en la demeure puisque les édiles parisiens, entièrement cautionnés par le gouvernement Macron, souhaitent profiter du grand chantier de reconstruction de la cathédrale gothique pour implanter un parc touristique au cœur de l’île de la Cité.

Vente de feu

En outre, le président français a prévu un délai de cinq années pour rebâtir une partie de l’œuvre colossale qui avait mis plus de deux siècles pour aboutir. Une pléiade d’experts se sont élevés contre ce projet marathon et certains y voient une volonté politique de faire coïncider l’aboutissement du chantier avec la venue des Jeux olympiques dans la capitale française. Qui plus est, plusieurs cabinets d’architectes internationaux se sont bousculés au portillon afin de présenter des esquisses de projets futuristes complètement irrespectueux de l’histoire et du patrimoine historique en présence. C’est un peu comme s’il fallait faire de Notre-Dame de Paris et de l’ensemble de l’île de la Cité une nouvelle destination prestigieuse dans le circuit des « nouvelles cités intelligentes » du futur.

Faire tabula rasa

Si la cathédrale pouvait constituer le cœur de la cité médiévale, elle ne représente plus qu’un centre touristique névralgique capable de drainer 14 millions de visiteurs par année. Il convient donc de « réhabiliter » ce monument historique en accord avec une vision de la mise en marché des « villes intelligentes » qui table sur l’« attractivité » afin de gagner des parts de marché. Puisque la cité est, désormais, livrée aux appétences des marchés financiers à l’international. Privée de sa légendaire flèche qui ressemblait à un gigantesque cadran solaire, le vaisseau de pierre ne sera jamais plus un lieu d’enseignement, de recueillement ou de pèlerinage. Nos décideurs politiques souhaitent plutôt en faire une sorte de sarcophage touristique au service d’une nouvelle mise en marché de l’île de la Cité.

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L’Art au service de la cité

Et, pourtant, l’écrivain Daniel-Rops nous avait déjà parlé de la naissance et de destinée des grandes cathédrales gothiques en des termes édifiants : « Il est arrivé quelquefois dans l’histoire – peu souvent – qu’une société humaine s’exprimât tout entière en quelques monuments parfaits et privilégiés, qu’elle sût faire tenir en des œuvres léguées aux générations futures tout ce qu’elle portait en soi de vigueur créatrice, de spiritualité profonde, de possibilités techniques et de talents. De telles fleurs ne jaillissent et n’atteignent à leur épanouissement que lorsque la sève est pure et abondante, c’est-à-dire lorsque la société est féconde, harmonieuse, et qu’il existe dans sa masse cet instinct de création, cette ferveur spirituelle qui, portant l’homme mortel au-dessus de lui-même, le poussent à s’éterniser. De telles œuvres ne naissent point par hasard, mais des patiences obscures et des grandes espérances, en un moment favorable du temps ».

La cité au service des promoteurs

Il semblerait que, de nos jours, seuls les centres d’achats et autres furoncles de l’architecture vedette soient conviés à ce remodelage des centres historiques d’une cité qui devient un parc d’attractions pour touristes et technocrates de la nouvelle « économie numérique ». Les populations autochtones ayant été repoussées vers les marges périurbaines, les monuments et les places qui formaient les fils génériques de ce tissu urbain ont été rasés ou mis sous verre. Et, c’est ce qui pourrait bien attendre Notre-Dame alors que l’essentiel des reliques urbaines ne sert plus qu’à appâter les consommateurs apatrides qui ont remplacé les anciens citoyens.

Nous l’avions déjà dit : « Que reste-t-il des cultures d’élite ou populaires, à une époque où les « produits culturels » tiennent lieu d’AVATARS qui servent à promouvoir des stratégies de marketing ou, pour dire les choses autrement, des campagnes d’endoctrinement des citoyens devenus consommateurs. De la notion d’industrie culturelle, c’est le premier terme qui retient notre attention en cela que la culture ne représente plus qu’une production étant prise en charge par une industrie au service de la plus-value matérielle ou symbolique captée par les forces dominantes du marché ». Or, dans un contexte où, pour l’essentiel, nos centres-villes ont été évidés de leurs populations, alors que le tissu urbain était détruit par les conquêtes des promoteurs immobiliers, les autorités en place ont pris le parti de conserver sous vide quelques chefs-d’œuvre architecturaux susceptibles de constituer des pôles d’attraction.

L’Art contemporain comme monnaie d’échange

C’est avec ces considérations en tête que nous avons entrepris un entretien privé avec Aude de Kerros, prétextant la sortie de son dernier ouvrage portant sur les enjeux actuels de l’Art contemporain international (ACI). « ART CONTEMPORAIN – MANIPULATION ET GÉOPOLITIQUE » ressemble à un véritable guide qui nous aide à saisir les enjeux d’un marché de l’art qui n’a de comptes à rendre qu’à une poignée d’investisseurs très fortunés.

Auteur, graveur et peintre, notre interlocutrice partage avec nous cette appréhension concernant la mainmise des milieux financiers sur un monde culturel qui est mis au pas afin de servir des objectifs de rentabilité à court terme et d’endoctrinement idéologique. Elle met la table pour une étude en profondeur des processus qui participent à la mondialisation des transactions qui émaillent un marché de l’art qui ressemble à s’y méprendre à une institution « capable de battre monnaie », dans un contexte où l’art ne sert plus que de « lettre de change ». Si l’Art contemporain est devenu un vecteur de soft power au service de toutes les CIA de ce monde, Aude de Kerros nous prévient que c’est Marcel Duchamp et les autres épigones de l’Art conceptuel qui ont permis de dématérialiser l’art pour en faire une « valeur faciale » ou valeur nominale.

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Il fallait bien dématérialiser l’art afin de pouvoir en faire une monnaie d’échange. C’est chose faite selon l’auteure qui estime que les dadaïstes, Marcel Duchamp et le POP ART américain ont permis aux opérateurs des marchés internationaux – et toutes les agences de renseignement – de pousser le marché de l’art dans les derniers retranchements de la fétichisation de l’objet et de sa prise en charge par la mise en marché de sa « valeur nominale ». Ainsi, toujours selon elle, « le conceptualisme n’est plus de l’art au sens commun du terme, qu’il soit moderne ou non : en art, la forme exprime le sens et les critères de jugement sont d’abord esthétiques. L’adoption du conceptualisme comme avant-garde unique autant que définitive a un avantage déterminant : avec ce nouvel instrument, la CIA n’est plus limitée par le silence des images, mais peut aussi s’approprier et détourner les discours révolutionnaires : critique sociale, art pour tous, table rase, etc., et, ainsi, créer un leurre qui serait fatal aux intellectuels de gauche ».

Détruire la notion d’oeuvre

Bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis l’époque où la CIA utilisait l’expression lyrique d’un Jackson Pollock ou le POP ART d’un Robert Rauschenberg comme armes de destruction massive contre le réalisme socialiste à l’honneur au sein des pays de l’ancien empire soviétique. Aude de Kerros passe au peigne fin l’époque charnière qui va de l’après-guerre jusqu’à mai 68 pour nous faire prendre conscience que les épigones de l’art conceptuel et du dadaïsme ont servi les visées impérialistes du marché de l’art new-yorkais et des services secrets américains. Profitant des Trente Glorieuses – les années de prospérité économique qui couvrent les années 1950-60-70 – les financiers anglo-saxons ont créé un nouvel avatar afin de monopoliser le marché de l’art contemporain et toutes ses déclinaisons. Ainsi, le marchand d’art américain Leo Castelli aurait manipulé – toujours si l’on se fie à l’analyse de Mme de Kerros – le critique d’art parisien Pierre Restany pour investir, tel un cheval de Troie, la Ville lumière. Disciple de la pensée de Marcel Duchamp, le théoricien Restany n’avait pas hésité à clamer dans son manifeste de 1960 que « La peinture est morte ! », un mot d’ordre qui convenait parfaitement aux financiers de Wall Street désireux de mettre la main sur le marché émergeant de l’Art contemporain.

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Aude de Kerros souligne que « la promotion par la CIA de l’expressionnisme abstrait en Europe n’a pas provoqué le choc attendu ». De fait, après la chute des régimes fascistes et nazis, et dans le sillage de la lente décomposition du bloc soviétique, l’esthétique néoréaliste n’avait plus la cote dans une Europe où tous les courants esthétiques se remettaient à circuler le plus librement du monde. Et, partant de là, la nouvelle peinture POP et l’expression lyrique ne constituaient pas vraiment de quoi jeter par terre les artistes du Vieux Continent. Si les croûtes de Jackson Pollock avaient bien suscité quelques mouvements de curiosité vers la fin des années 1950, l’armada du POP ART ne parviendra pas à faire de grands dommages dans les milieux de l’art parisien et ailleurs en Europe.

Toutefois, c’est la pensé de Marcel Duchamp qui parviendra à s’infiltrer par tous les pores d’un système de l’art désormais prisonnier des marchés anglo-saxons. Ainsi, « à partir de 1960, les stratégies de Castelli [manifestement adoubé par les marchés de Wall Street et les services secrets américains] et le travail de la CIA commencent à produire des résultats. Le choix d’une nouvelle avant-garde ayant pour théorie fondatrice le conceptualisme de Marcel Duchamp est efficace. Sa doxa affirme : « Est de l’art tout ce que l’artiste dit être de l’art ». Créer – poursuit Aude de Kerros – c’est concevoir et déclarer. L’œuvre c’est le concept ! La forme, l’objet matériel, n’est que la partie négligeable de l’œuvre, un artisanat que l’on peut sous-traiter. Duchamp définissait cette pratique conceptuelle comme un « non-art », ses artistes comme des « anarchistes ». Cette fois-ci, la rupture est totale : si l’art conceptuel est déclaré être de « l’art » à la place de « l’art » c’est que le mot « art » a changé de définition. Les critères, jusque-là esthétiques, de concordance entre fond et forme, étaient compréhensibles, partageables, discutables. Ils permettaient une évaluation à laquelle on pouvait adhérer ou non, en sachant pourquoi. Ce n’est plus le cas avec l’art conceptuel ».

Il s’agit d’un curieux paradoxe, le fait qu’un pseudo artiste parisien, Marcel Duchamp, ait fourni le cadre conceptuel idéal aux marchés new-yorkais ! Désormais, dans le sillage de la révolution libérale-libertaire, une nouvelle définition de l’art est née sur les prémisses des extravagances jetées à la face du monde par les dadaïstes, les conceptuels et leurs épigones de la « mort de l’art ».

Une dématérialisation de l’art

Aude de Kerros s’est confiée à nous dans le cadre d’un entretien qui portait justement sur cette dématérialisation de l’art au profit des nouveaux investisseurs dans le monde de la culture dite « contemporaine ». Interrogée au sujet de cette manipulation des produits de l’art contemporain, elle s’emporte : « Aujourd’hui, par exemple, j’ai appris qu’un artiste japonais ayant produit une sorte de petit graffiti – tout à fait simpliste –   a réussi à en tirer des millions sur le marché. Alors on se pose la question qui tue : « quel est le rapport entre la chose et le prix ? » La réponse est compliquée. Précisons qu’au départ, il y a peut-être 200 personnes qui jouent ensemble au sein d’un cercle fermé d’investisseurs privilégiés. Ils forment donc un réseau et c’est eux qui décident de la valeur « faciale » des œuvres qu’ils font circuler à travers leur cercle respectif. Après, vous avez le cercle des médias, parce qu’il faut bien rendre les choses visibles et vous retrouvez, à la toute fin de la chaîne, les institutions d’état qui achètent. Profitant de sa position d’initié, le collectionneur privilégié, avant même que l’œuvre n’ait été mise sur le marché, a déjà acheté le produit. Il y a tous les cercles concentriques des milieux de diffusion et de vente de l’art – galeries, biennales, ports francs, etc. – et, en dernier lieu, vous retrouvez les institutions publiques. Ce sont des joueurs qui jouent à un jeu financier dont le moteur est constitué de ce réseau de collectionneurs privilégiés qui sont capables d’investir entre 1 million et 100 millions pour une œuvre, comme ça, sans problème ! »

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Un système endogamique

On comprendra que, dans un tel contexte, une poignée de membres de l’hyperclasse soit en mesure d’influencer le « haut marché de l’art » et de phagocyter les institutions de l’état afin que les œuvres de leurs poulains y soient exposées et, partant, gagnent de la valeur sur le marché de la spéculation culturelle. C’est sans doute ce qui explique la raison pourquoi les institutions publiques complices ne veulent pas se départir de tout ce système de cotation, de mise en valeur et de promotion d’un art contemporain qui table sur des valeurs ontologiques résolument conceptuelles. Les produits artistiques, ainsi voulus, ne seront plus jugés sur cette base anthropologique qui, toujours selon Mme de Kerros, « fait que tout le monde recherche la beauté et l’harmonie au gré de son expérience avec l’œuvre d’art ».

Ainsi, quoi de plus commode que d’utiliser un système conceptuel fonctionnant sur le mode des vases communicants : de la conception de l’œuvre jusqu’à son évaluation, tout le discours qui sert à positionner l’art est construit à partir de valences qui n’ont rien à voir avec la valeur intrinsèque du « produit ». L’œuvre d’art sera, conséquemment, jugée sur la foi d’un système de valeurs abstraites, conceptuelles, qui peuvent être manipulées à volonté par les médias, le marché de l’art ou les spéculateurs. L’œuvre d’art à l’intérieur de ce système artificiel n’a donc plus aucune valeur en soi. C’est le discours sur l’art qui détermine la valeur et permet de fixer des cotations par la suite et, a fortiori, de justifier la monopolisation des institutions publiques pour diffuser les « produits » de ce marché artificiel qui fonctionne sur le mode de la boucle de rétroaction.

Et, parlant de ce mode de fonctionnement, notre interlocutrice précise que « ces gens-là sont actifs au sein d’un système endogamique et, s’il s’interrompt, tout s’effondre. C’est justement parce que c’est un système fermé que la valeur peut être produite. Mais, contre toute attente, ils devront subir les inconvénients des avantages. Le circuit du milieu intellectuel produisant une critique sur l’art est lié à l’état. Il s’agit donc d’un système qui se protège avec des gardiens, des barrières, et les bénéficiaires de ce système en vase clos sont désespérés parce que désormais, grâce à la circulation de l’information sur le net, on peut raconter leurs bêtises ».

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L’art a perdu son âme

Nous avions déjà précisé, dans un article s’intitulant La culture POP : art pornographique par excellence, que « des ready-made de Marcel Duchamp jusqu’aux troupeaux de badauds dénudés pour être photographiés par Spencer Tunick, en passant par l’arte povera des années 1970-80, le monde de l’art occidental se contente de mettre en scène des rogatons qui témoignent de l’emprise incontestable et incontestée du marketing. L’art contemporain tient lieu de processus de récupération des produits de la culture du marketing, puisque la culture n’est plus un espace de représentation au service de la quête spirituelle d’une collectivité donnée ».

Justement, à propos de cette spiritualité qui a été chassée du monde de l’art, Aude de Kerros estime que « l’effondrement de la notion du transcendant et de la spiritualité fait qu’il y a un vide considérable et c’est l’argent qui a fini par combler ce vide. L’argent n’a pas d’âme : c’est un bon serviteur et un mauvais maître. C’est l’effondrement de la civilisation qui est lié à l’effondrement de la spiritualité – et de la notion de la transcendance – qui fait que l’occident est si mal en point, parce que c’est une histoire occidentale cette affaire d’art contemporain ».

La réalité du globalisme

Prenant acte d’un globalisme qui n’est pas qu’une idéologie, mais pouvant correspondre à certains aspects de la réalité, Mme de Kerros nous aide à conclure notre article au moyen d’un passage révélateur contenu dans son dernier essai. En effet, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle nous prévient que « cette contrainte occidentale d’une idéologie de l’art, certes très adaptée aux affaires, peut-elle s’exercer encore longtemps sur un marché aujourd’hui mondialisé ? Si les intérêts d’argent sont aisément partageables à l’échelle planétaire, la culture ne s’impose pas si facilement … Artistes et amateurs originaires d’autres continents ne sont peut-être pas prêts à renoncer entièrement à leurs aspirations […] »

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S’il est vrai que plusieurs sociétés « émergentes » n’ont toujours pas été entièrement contaminées par ce système et cette vision mercantile de l’art, il n’en demeure pas moins que l’ubiquité d’Internet sert surtout à promouvoir des idéologies qui reposent, d’abord et avant tout, sur la « société du spectacle ». En outre, les derniers rescapés de la classe moyenne mourante n’ont pas toujours les moyens de se payer des œuvres d’art « abordables », dans un contexte où la fiscalité favorise surtout les gros investisseurs. On connaît la chanson au chapitre des paradis fiscaux et des autres voies de contournement qui sont l’apanage de l’hyperclasse.

Aude de Kerros nous confiait, en fin d’entretien, avoir espoir que les sites qui font la promotion des « artistes dissidents » pourront aider à mettre en place des marchés parallèles, pour que l’authentique création soit en mesure de se faire connaître. Encore faudrait-il que les internautes s’intéressent à autre chose qu’à la promotion de leur ego ou à cette fuite en avant qui caractérisent les communications postmodernes.

Optimiste, certes, Aude de Kerros demeure réaliste en affirmant que « le krach financier de 2008 a marqué un tournant dans le domaine de l’appréciation de l’Art contemporain. Le public mondial a assisté au grand spectacle de la dématérialisation des titres. D’évidence, les produits financiers dérivés, dits « sécurisés » n’avaient pas de contrepartie matérielle, ne reposaient pas sur une richesse tangible. Malgré le fait que le marché financier n’a pas entraîné le marché de l’art dans sa chute, l’analogie fut faite avec ce qui était devenu très semblable à un produit financier : l’Art contemporain ».

Un hubris démoniaque

Si ce système de l’Art contemporain a permis de dématérialiser les fondamentaux de l’expression artistique, c’est peut-être parce que nos élites ont été submergées par une hubris emportant tout sur son passage. Aude de Kerros nous aide à comprendre les ficelles d’un système de reproduction culturelle qui sert à « monétiser » des œuvres conceptuelles et, du même coup, à faire la promotion de messages qui font le jeu d’un soft power globaliste. Toutefois, elle n’épilogue pas trop sur cette dégénérescence qui est le propre des civilisations qui se meurent. Mis à part quelques perles, comme celle-ci : « L’art contemporain, dont le but proclamé est transgression, subversion, table rase, a eu depuis le début de son existence la nécessité impérieuse d’être rapidement muséifié pour exister. On peut dire que le musée d’Art contemporain est consubstantiel à cette redéfinition de l’art désormais séculaire ».

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In fine, si l’on suit le fil de la discussion, force-nous est de constater que les institutions publiques, prêtant main-forte à ce marché artificiel, ont contribué à sanctuariser un air du temps qui flirte dangereusement avec le nihilisme le plus complet. Rajoutons-en un peu, même si la coupe est pleine. Le terrible incendie qui a dévasté toute la charpente de Notre-Dame de Paris était-il le fruit d’un malencontreux hasard ou bien l’œuvre d’un mauvais génie de la performance in situ ? Toujours est-il que la reconstruction de ce trésor du patrimoine pourrait servir à reconvertir l’auguste cathédrale en musée … d’Art contemporain. On pourrait y reproduire, par hologrammes, des épisodes de cet incendie dantesque et, chemin faisant, célébrer la victoire d’une culture qui a définitivement enterré la spiritualité.

Un livre incontournable à lire :

« ART CONTEMPORAIN – MANIPULATION ET GÉOPOLITIQUE »

Par Aude de Kerros, aux Éditions Eyrolles, Paris, 2019, ISBN : 978-2-212-57302-2

Site de l’auteur :

https://www.audedekerros.fr/

Un entretien sur les tenants et les aboutissants de ce marché de l’Art contemporain :

jeudi, 30 juillet 2020

Le futurisme contestataire

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Le futurisme contestataire

par Maurice Cottaz

Ex: http://terreetpeuple.com

« Une automobile rugissante, qui a l'air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace». Filipo Tommaso Marinetti l'affirme dans un manifeste, publié, le 20 février 1909, dans « Le Figaro».

Pour   lancer   cette   proclamation,   qui condamne   « l'immobilité   pensive»   et exalte   « le mouvement   agressif...,   le pas gymnastique,   le saut périlleux,   la gifle et le coup de poing», le poète italien     a     choisi     Paris.     Son     pays, estime-t-il, ne convient pas à une telle entreprise.

Choix     paradoxal,     puisque     l'auteur entend bien demeurer essentiellement italien, et donner au « futurisme», dont il   expose   les   principes,   un   caractère national. Paris   est alors   la   ville accueillante à toutes les créations littéraires et artistiques. Naturalisme, impressionnisme, symbolisme, orphisme, nabisme, fauvisme, cubisme y ont suscité des curiosités inlassables et des débats passionnés.

L'Italie, au contraire, demeure soumise aux disciplines classiques. Dans le Nord, son développement industriel paraît requérir toutes ses énergies.

Marinetti n'est qu'un homme de lettres, mais un an (presque jour pour jour) après son manifeste, cinq peintres italiens qui ont adopté ses principes en publient un à leur tour, Ils se nomment Boccioni, Carra, Russolo, Baila, Severini.

En Italie, cette déclaration de principes fait, selon l'un de ses signataires, « l'effet d'une décharge électrique».

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Au mois d'avril suivant, les «cinq» publient un nouveau document : le « Manifeste technique de la peinture futuriste».

La prééminence du dynamique sur le statique y est affirmée. La nouvelle peinture traduira dans son langage « la vie moderne fragmentaire et rapide».

« II faut mépriser toutes les formes d'imitation». Le mouvement et la lumière doivent anéantir la matérialité des corps. Le nu, encore triomphant dans les salons, est déclaré aussi nauséeux en peinture que l'adultère en littérature. Les futuristes exigent sa suppression totale pour dix ans.

L'absolutisme même des allégations futuristes ne facilite pas, en 1910, l'approbation des théories nouvelles par l'opinion italienne. Aussi est-ce à Paris que, grâce à Gino Severini, qui est venu y résider, la première grande exposition futuriste peut avoir lieu. Elle se tient en février 1912 à la galerie Bernheim-Jeune.

Soixante et un ans après cette manifestation historique, c'est encore Paris qui présente, au Musée d'art moderne, une rétrospective de ce mouvement.

Près   de   quatre-vingt-dix   peintures, sculptures et dessins, et de nombreux documents, permettent de mesurer le chemin parcouru depuis la proclamation de ces audaces. Il apparaît aujourd'hui qu'elles ne se sont pas soustraites à une permanence plastique de bon aloi : les peintres futuristes sont d'abord des peintres ; le « faire » italien s'y distingue. C'est en vain qu'ils s'élèvent contre la culture classique. Ils sont conditionnés par un savoir séculaire, qu'ils enrichissent des recherches picturales de leur temps.

Celles-ci leur fournissent les moyens techniques d'exprimer la lumière et le mouvement. Le divisionnisme de Seurat, en particulier, permet la conversion des formes en vibrations lumineuses et en perceptions animées.

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Le futurisme, qui doit tant au cubisme, s'oppose ici à lui. Alors que le cubisme, soucieux de constructivité, tente de rétablir un ordre classique par la recomposition synthétique des formes, le futurisme tend à un éclatement, traduisant des « états d'âme plastiques».

En raison même de la liberté et de la souplesse de l'expression verbale, Marinetti apparaît cependant plus affranchi du formalisme traditionnel que ceux qui le suivront picturalement.

Cet Italien si indéfectiblement attaché à son pays est, en outre, de culture cosmopolite. Né à Alexandrie, en Egypte, en 1876, il a accompli à Paris la majeure partie de ses études. Il s'exprime aussi bien en français qu'en italien. Sa tragédie « Le roi Bombance », publiée en 1905, a même été écrite dans notre langue, et n'a été traduite qu'ultérieurement en italien, sous le titre « Re Baldoria». Son œuvre littéraire est alors désordonnée, baroque, voire saugrenue, mais brillante et riche d'inventions. En fait, ce novateur apparemment brouillon est très informé des diverses tendances qui contestent la culture de son temps. Il n'ignore pas les essais « unanimistes» de Jules Romains, dont « L'âme des hommes» a paru en 1904.

Si l'on ne peut lui refuser la paternité d'un mouvement qu'il a eu le mérite de définir et d'animer chaleureusement, on peut considérer que, curieux de littérature française, il a dû connaître les textes précurseurs de ce qui sera le futurisme.

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Or il ne les a jamais évoqués. Et en conséquence, le même silence a été observé par ses biographes, et par les historiens du futurisme.

Compte tenu de l'évolution technique, la précellence de l'automobile de course sur la «Victoire de Samothrace» a pourtant des précédents. Dès 1852 (année de l'établissement du Second Empire) Louis de Cormenin blâmait, dans « Les fleurs de la Science», les «poètes à courte vue» qui estimaient incompatibles le machinisme et le lyrisme. La machine, certes, est encore imparfaite, écrivait-il, mais attendez, « et la locomotive sera aussi belle que le quadrige d'Agamemnon ».

En   1853,   la   «Revue   de   Paris» entreprenait une campagne en faveur de l'introduction du monde mécanique dans les lettres et dans les arts. Louis Ulbach, Achille Kaufmann se distinguaient dans cette tentative. Kaufmann décrivait habilement, en peintre pourrait-on dire, les sensations visuelles d'un voyageur en chemin de fer. S'adressant aux hommes de lettres, il leur disait : « Si vous ne sentez pas alors le grandiose et la poésie de l'industrie, vous n'avez pas besoin de chercher ailleurs des inspirations, vous n'en trouverez nulle part».

Deux ans plus tard, Maxime Du Camp faisait paraître ses « Chants modernes», dont la préface constituait, plus d'un demi-siècle avant Marinetti, un véritable manifeste futuriste. Du Camp dénonçait l'attachement à un archaïsme gréco-latin. On s'occupe encore, écrivait-il, de la guerre de Troie et des Panathénées, en un siècle « où l'on a découvert des planètes et des mondes, où l'on a trouvé les applications de la vapeur, l'électricité, le gaz, le chloroforme, l'hélice, la photographie, la galvanoplastie...»

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Cormenin, Ulbach, Kaufmann, Du Camp avaient d'ailleurs, en Angleterre, un illustre prédécesseur: William Wordsworth, mort en 1850, à quatre-vingts ans. « Les découvertes du chimiste, du botaniste ou du minéralogiste, avait-il dit, seront, pour l'art du poète, des objets aussi convenables que ceux sur lesquels il s'exerce actuellement».

Même un romancier tel que Jules Verne ne dédaignait pas de recourir au vocabulaire scientifique pour ses descriptions poétiques. Ainsi ce lever de soleil : « Le luminaire du jour, semblable à un disque de métal doré par le procédé Ruolz, monta de l'océan comme s'il sortait d'un immense bain voltaïque».

Parmi les artistes disposés à passer de la novation littéraire à la novation plastique, Umberto Boccioni va se révéler l'un des plus résolus. Lorsqu'il fait la connaissance de Marinetti, en 1909, l'année du premier manifeste, il s'est déjà livré à des recherches tendant à soustraire les arts aux disciplines académiques alors en faveur. D'abord séduit par le néo-impressionnisme et le « Modem style», il s'intéresse, dès 1911, au cubisme. Sculpteur autant que peintre, Boccioni publie en 1912 le « Manifeste technique de la sculpture futuriste».

Sa condamnation de l'exploitation du classicisme y est catégorique. Prétendre créer « avec des éléments égyptiens, grecs, ou hérités de Michel-Ange, est aussi absurde, assure-t-il, que de vouloir tirer de l'eau d'une citerne vide au moyen d'un seau défoncé».

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Les tableaux actuellement exposés au « Musée national d'art moderne» démontrent l'efficacité de ses recherches quant à l'expression du mouvement. Sans aucune détermination précise des cavaliers et de leurs montures, sa «Charge des lanciers» impose le sentiment vertigineux d'une force convergeant irrésistiblement sur un même point.

D'un tempérament moins doctrinaire que Boccioni, Carlo Carra prétendra avoir découvert la notion picturale du mouvement en se trouvant mêlé à une manifestation populaire. Sa fréquentation des milieux ouvriers, socialistes et anarchistes, contribuera évidemment à de telles découvertes.

Il s'efforce cependant d'aller au-delà de la traduction du mouvement, et d'exprimer aussi les sons et les odeurs, afin d'obtenir une « peinture totale». Ses conceptions en cette matière sont pour le moins originales. « Nous n'exagérons guère, écrit-il en 1913, lorsque nous affirmons que les odeurs peuvent à elles seules déterminer dans notre esprit des arabesques de formes et de couleurs constituant le thème d'un tableau et justifiant sa raison d'être.»

« Les funérailles de l'anarchiste Galli», «Ce que m'a dit le tram», «Poursuite», présentés à Paris, sont des œuvres qui expliquent les aspirations de l'artiste. Carra y renoncera plus tard, après avoir rencontré Chirico, et pratiquera, au sein du groupe « Novecento », la peinture figurative qu'il avait dénoncée en sa jeunesse.

Luigi Russolo n'est pas seulement peintre, il est aussi, et avant tout sans doute, musicien. Aussi ne peut-on pratiquement pas isoler ses recherches plastiques de ses recherches musicales.

— Nous prenons infiniment plus de plaisir, a-t-il dit, à combiner idéalement des bruits de tramways, d'autos, de voitures et de foules criardes qu'à écouter encore, par exemple, l'« Héroïque» ou la « Pastorale».

La machine musicale (« Intonarumori ») que Russolo construisit, avec le peintre Ugo Piatti, n'apparut cependant pas convaincante. Après la guerre, où il fut blessé, son inventeur vint à Paris, où il se livra, lui aussi, à la peinture figurative.

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Doyen des signataires des manifestes de 1910, Giacomo Balla aura été essentiellement peintre. Encore qu'il se soit formé à peu près seul, il fait toujours au début du siècle, figure de maître. Il compte parmi ses élèves Boccioni et Severini.

Ses études de la décomposition de la lumière et du mouvement doivent beaucoup au divisionnisme. Mais il se propose de donner à celui-ci un caractère plus général, et d'en faire, en quelque sorte, l'instrument d'une esthétique nouvelle.

Son « Lampadaire» a pour objet principal de « démontrer que le romantique clair de lune est écrasé par la lumière électrique moderne». Ses « interpénétrations» préfigurent les recherches d'abstraction géométrique.

Si Gino Severini est, en France, le plus connu des artistes futuristes italiens, c'est qu'il s'établit très jeune à Paris, où il demeurera pratiquement pendant soixante ans. Compagnon d'Apollinaire, Max Jacob, Modigliani, Picasso, Braque, Delaunay, il épouse en 1913 la fille de Paul Fort.

A ses débuts, la peinture de Seurat exerce sur lui une influence décisive. Mais très tôt il est acquis aux principes du futurisme, qui répond à ses goûts modernistes pour la machine et la vitesse, qui, croit-il, doivent permettre à l'homme de dominer la matière. Il va même jusqu'à s'initier au pilotage aéronautique.

Plusieurs de ses œuvres exposées ont été inspirées par la vie parisienne : « L'autobus», « La danse de l'ours au Moulin-Rouge», « Rythme plastique du 14 juillet», « Danseuse au bal Tabarin». L'artiste a lui-même expliqué le sens du tableau «Nord-Sud» qui figure à l'exposition : « l'idée de la vitesse avec laquelle un corps illuminé traverse des tunnels alternativement sombres et éclairés...».

A ces cinq «grands» du futurisme, il faut ajouter Ardengo Soffici, écrivain autant que peintre, et l'architecte Antonio Sant'Elia, qui, soldat, fut tué en 1916, à vingt-sept ans. Un an plus tôt, Soffici avait déjà abandonné le groupe futuriste, en raison de ses dissentiments avec Marinetti.

La guerre, dont Marinetti magnifie les vertus régénératrices, sera donc fatale au futurisme italien proprement dit. Aux épreuves d'un conflit qui provoque des pertes irréparables, s'ajoutent des outrances de pensée et des intempérances de langage peu faites pour contribuer au crédit de cette école.

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Ainsi, dans son « Manifeste futuriste de la luxure», publié en janvier 1913, Valentine de Saint-Point se livre à une apologie déréglée de la guerre. « La luxure, professe cette petite-nièce de Lamartine, est pour les conquérants un tribut qui leur est dû. Après une bataille où des hommes sont morts, il est normal que les victorieux, sélectionnés par la guerre, aillent, en pays conquis, jusqu'au viol pour recréer de la vie».

Sans doute Valentine de Saint-Point n'exprime-t-elle là que des considérations personnelles. C'est d'ailleurs une excentrique (vers la fin d'une carrière agitée, s'étant retirée en Egypte, elle se convertit à l'islamisme).

Pour avoir soutenu les futuristes avec un zèle jugé alors intempestif, Apollinaire, quant à lui, perdra en 1914 sa fonction de critique d'art à « l'Intransigeant» : « Vous vous êtes obstiné, lui écrit son directeur, Léon Bailby, à ne défendre qu'une école, la plus avancée, avec une partialité et une exclusivité qui détonnent dans notre journal indépendant... La liberté qu'on vous a laissée n'impliquait pas dans mon esprit le droit pour vous de méconnaître tout ce qui n'est pas futuriste».

Ce grief apparaît aujourd'hui d'autant plus singulier que Guillaume Apollinaire ne peut être tenu pour un champion inconditionnel des futuristes. S'il a été séduit par leur mouvement, il en a distingué les travers : « Ils se préoccupent avant tout du sujet, écrit-il en 1912. Ils veulent peindre des états d'âme. C'est la peinture la plus dangereuse qui se puisse imaginer...»

Sans le déclarer ouvertement, Apollinaire accorde plus de crédit au cubisme, qu'il comprend d'ailleurs assez mal, qu'au futurisme. Cependant, l'universalité de celui-ci le séduit. L'auteur de « L'hérésiarque» propose de soustraire le futurisme à son italianisme originel, et de « réunir sous ce nom tout l'art moderne», en tenant compte, bien entendu, des particularismes constitutifs.

Cette tentative de fondation d'une «Internationale culturelle» n'est pas sans intérêt, mais elle se trouve aussitôt désavouée par le fondateur du futurisme lui-même : Marinetti. Celui-ci considère que le futurisme ne doit pas se départir de son caractère national.

Sentiment incompréhensible à qui oublierait que le futurisme a été lancé pour « délivrer l'Italie de sa gangrène de professeurs, d'archéologues, de cicérones et d'antiquaires... L'Italie a été trop longtemps le grand marché des brocanteurs. Nous voulons la débarrasser des musées innombrables qui la couvrent d'innombrables cimetières».

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En 1910, dans son « Discours futuriste aux Vénitiens», Marinetti se réfère au passé glorieux de la cité des Doges pour flétrir l'avilissement de sa population contemporaine :

« Vous fûtes autrefois d'invincibles guerriers et des artistes de génie, des navigateurs audacieux et de subtils industriels... Avez-vous donc oublié que vous êtes avant tout des Italiens ? Sachez que ce mot, dans la langue de l'Histoire, veut dire : constructeurs de l'Avenir...»

Et, après avoir évoqué les « héros de Lépante», Marinetti conclut en exhortant ses compatriotes à préparer « la grande et forte Venise industrielle et militaire qui doit braver l'insolence autrichienne sur la Mer Adriatique, ce grand lac italien».

Déclaration belliciste qui rappelle que le futurisme n'est pas seulement un mouvement esthétique. Son caractère politique est attesté dès ses premières déterminations. Au neuvième paragraphe de son manifeste de 1909, Marinetti a proclamé : « Nous voulons glorifier la guerre (seule hygiène du monde), le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées qui tuent, et le mépris de la femme»,

L'Italie de 1909 ne convient évidemment pas à l'application d'une telle doctrine. A la tête du gouvernement, Giovanni Giolitti pratique une politique de modération. Libéral et opportuniste, peu soucieux d'idéologie, mais attaché aux principes d'une gestion raisonnable des affaires publiques, il entend « donner satisfaction aux intérêts purement individuels et locaux». Il excelle à s'assurer une « clientèle». Salandra, qui lui succède à la veille de la Première Guerre mondiale, poursuit cette politique incolore.

Dans ce climat lénifiant, les futuristes ne paraissent que plus insolites. Depuis le début de l'année 1913, ils disposent cependant d'une revue, « Lacerba», dirigée par Giovanni Papini et Ardengo Soffici. Ce périodique atteint rapidement un tirage d'une vingtaine de milliers d'exemplaires. En raison même de sa dénonciation du régime «bourgeois», il est bien accueilli dans les milieux ouvriers, auxquels le programme futuriste doit pourtant paraître singulier.

En novembre 1914 paraît un nouveau journal «socialiste», qui dénonce l'attentisme du gouvernement et réclame l'intervention de l'Italie dans la guerre. Cet organe, « II popolo d'Italia», a pour animateur Benito Mussolini. En épigraphe, une citation de Napoléon : « La révolution est une idée qui a trouvé des baïonnettes». Son premier éditorial, signé Mussolini, se termine par ces mots : « Mon cri augural est un mot effrayant et fascinant : Guerre! »

A cinq ans de distance» la proclamation de Marinetti se trouve ainsi répétée, amplifiée par la réalité du conflit qui va bouleverser l'Europe.

Lorsque, en mars 1919, Mussolini crée le « Fascio », il reçoit naturellement l'adhésion de Marinetti.

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Loin d'être scandaleux, le passage du futurisme au fascisme procède ainsi de la simple logique.

Aux diatribes des futuristes contre l'art académique, la littérature conventionnelle, l'enseignement traditionaliste, tout ce qui témoigne de la mort par sclérose d'une société, répond le chant allègre du Parti: Giovinezza («Jeunesse ») !

L'exposition du futurisme au « Musée d'art moderne» ne s'étend que sur une période de huit ans, de 1909 à 1916 : du premier manifeste de Marinetti à la mort de Boccioni et de Sant'Elia. L'époque du ralliement et celle qui lui a succédé, non seulement en Italie mais dans le monde, sont ainsi délibérément écartées.

Cependant, Marinetti n'est mort qu'en 1944, Russolo en 1947, Balla en 1958, Carra et Severini en 1966. Le futurisme, qui avait en quelque sorte assimilé les découvertes de l'impressionnisme, du pointillisme, du cubisme, devait féconder à son tour d'autres mouvements.

En Italie même, des artistes comme Prampolini, Martini, Depero, Sironi, Morandi, d'autres encore (et avec eux l'architecte Chiattone) ont maintenu, plus ou moins longtemps, la tendance futuriste.

En 1928, encore, le régime fasciste encourageait la « Première exposition d'architecture futuriste».

En Russie, où les novations culturelles occidentales étaient attentivement observées, Larionov, l'inventeur du « rayonnisme», reconnaissait dès 1913 ce qu'il devait au futurisme, au cubisme et à l'orphisme. Malévitch s'était inspiré très tôt, lui aussi, des principes de la nouvelle école italienne,

Gontcharova devait beaucoup à celle-ci, ainsi que l'atteste sa manière de provoquer le sentiment du mouvement par la décomposition des images.

Les œuvres de Mondrian, de Kandinsky, de jozef Peeters se réfèrent implicitement à « la splendeur géométrique et mécanique», et à la «sensibilité numérique» exaltées par Marinetti.

En Allemagne, l'influence du futurisme est sensible dans les œuvres de Meidner, Dix, Richter, Schad, etc.

Aux États-Unis, sur celles de Davies, Kuhn, Cramer, Kantov, Weber.

En Angleterre, le « vorticisme », fondé par Wyndham Lewis dès 1914, procède directement du futurisme. Ezra Pound, qui lui donna son appellation, l'a reconnu dans un propos dont la résonance va bien au-delà du particularisme vorticiste : « L'écrivain italien qui m'intéresse le plus aujourd'hui, et envers lequel je me sens une large dette de gratitude, est Marinetti. Marinetti et le futurisme ont donné un grand élan à toute la littérature européenne. Le mouvement qu'Eliot, Joyce, moi et d'autres avons lancé à Londres n'aurait pas existé sans le futurisme».

Maurice Cottaz

Sources: Le Spectacle du Monde – Novembre 1973

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vendredi, 17 juillet 2020

William Morris, précurseur de George Orwell

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William Morris, précurseur de George Orwell

par Pierre Olivier Gaden

(via Facebook)

Parmi les précurseurs de Georges Orwell dans ce qui a été désigné comme le socialisme anglais - disons d'outre manche :

William Morris une révolte socialiste contre le monde moderne.

Membre de la confrérie préraphaélite et initiateur avec John Ruskins Arts & Crafts (« Arts et artisanats »), William Morris fut une personnalité particulièrement attachante du mouvement socialiste britannique.

61Kc6JzPRHL.jpgLors d’un récent colloque du parti dit «socialiste », des observateurs ironiques ont pu noter que l’invocation du progrès et du développement avait remplacé dans les discours, la classe ouvrière et la justice sociale. Et si les orateurs prétendaient parfois se préoccuper de « la question écologique », ils ne contestaient jamais le dogme de la croissance ni ne s’interrogeaient sur les finalités de la production matérielle. Le système des objets, les impératifs du marché ou le déploiement sans entrave des forces productives semblent aujourd’hui des horizons indépassables pour la plupart des partis qui se réclament encore du socialisme ou se revendiquent héritiers de l’ancien mouvement ouvrier. Technocrates de la social-démocratie occidentale ou militants des derniers groupuscules marxistes-léninistes, ils sont des fidèles obéissants de la religion du progrès, qui n’imaginent pas d’autres mondes possibles hors du cercle de la raison marchande ou industrialiste.

La haine de la civilisation moderne

Les différents courants du socialisme ont pourtant longtemps entretenu une relation contrastée, sinon hostile à la modernité politique et économique. Ainsi les théoriciens du syndicalisme révolutionnaire – Georges Sorel ou Edouard Berth – critiquaient violemment les illusions de la démocratie représentative. Pierre Leroux, l’un des pères du socialisme français, fustigeait l’atomisation des sociétés par l’individualisme libéral avec des arguments que l’on croirait parfois empruntés à Joseph de Maistre. Karl Marx écrivit dans La question juive, un réquisitoire contre la philosophie bourgeoise des droits de l’homme qui scandaliserait la majorité des « gens de gauche ». Les premiers militants du mouvement ouvrier réagissaient contre les dégâts du progrès capitaliste, avec le souci de conserver un patrimoine de mœurs, d’institutions sociales et de savoir-faire, légués par ces « anciennes humanités », dont Charles Péguy pensait qu’elles étaient les fondations d’une révolution véritable.

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Si William Morris ne regrettait rien des servitudes de l’ancien régime, ni de cette hiérarchie sociale qui justifiaient alors certains hommes d’église ou les penseurs d’une aristocratie vaincue, il ne se ralliait pas non plus à la philosophie bourgeoise du progrès. Il la récusait pour préserver les voies d’une authentique émancipation, qui ne soit pas une table rase, un désert où ne vivraient que des esclaves soumis au dieu-marché ou à l’idole industrie. Ce socialisme fut liquidé, on le sait, par l’hégémonie des bureaucraties stalinienne et social-réformiste. Aux projets d’autonomie et de gestion ouvrière succédèrent les capitalismes d’Etat, les plans quinquennaux ou le cauchemar climatisé d’une social-démocratie à la suédoise. Aujourd’hui où le mode de production capitaliste continue d’accumuler ses ruines, ses désastres écologiques et humains, il nous semble nécessaire d’en retrouver les voies.

William Morris est à cet égard, avec Charles Péguy et le communiste libertaire Gustav Landauer, une figure particulièrement attachante et représentative de cette pensée socialiste contre-moderne de la fin du XIXe siècle. Il fut l’un des premiers lecteurs de Karl Marx au Royaume-Uni, et confiait volontiers que la « passion dominante de sa vie avait toujours été la haine de la civilisation moderne ». On voit tout ce qui sépare le socialiste anglais d’une ministre de François Hollande...

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Une révolte socialiste et panthéiste

Architecte, peintre, artisan, poète, militant révolutionnaire, imprimeur, éditeur, conférencier, défenseur de l’art gothique et grand contempteur de l’architecture utilitariste victorienne, écologiste inquiet de la pollution des bois et des rivières de son pays, il n’était pas un militant glacé par l’idéologie, ni un théoricien rêvant d’établir l’empire de la raison abstraite. Sa révolte socialiste était enracinée dans un amour du monde et de la vie, que certains de ses biographes ont considéré comme panthéiste. L’esprit du socialisme était, selon Morris, un « amour intense et presque présomptueux de l’écorce et de la surface de cette terre sur laquelle l’homme habite, tel celui de l’amour pour la chair exquise de la femme qu’il aime ».
Né le 24 mars 1834, à Walthamstow, au nord-est de Londres, William Morris a connu les derniers moments d’une vieille Angleterre que la modernité industrielle avait encore relativement préservée. Les ersatz ne s’étaient pas substitués complètement aux produits de la terre et les métropoles commerçantes aux villes anciennes. Bien que le père se soit enrichi dans la fourniture aux entreprises mécaniques naissantes, la famille du futur militant socialiste brassait sa propre bière, fabriquait son pain et son beurre. William Morris connu une enfance champêtre et bucolique. Les beautés de la country anglaise resteront parmi les inspirations les plus constantes de son art et de sa poésie. Après s’être destiné à la carrière de pasteur, il abandonne assez vite ses études de théologie pour se consacrer à la recherche esthétique et artistique. Il connaît la notoriété assez jeune, grâce à ses poésies romantiques – qui lui valent l’admiration du public cultivé – mais surtout grâce à son implication dans le mouvement Arts and Crafts, dont les promoteurs cherchent à retrouver l’unité perdue entre l’art et la vie, entre culture populaire et culture de l’élite. William Morris fonde dans les années 1860, une petite entreprise artisanale où il propose des créations alternatives aux produits manufacturés de la grande industrie. Les bénéfices, malgré les débuts difficiles de l’aventure, serviront plus tard à financer le mouvement socialiste.

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William Morris s’est engagé assez tardivement dans la lutte socialiste. Son opposition du monde au monde capitaliste a d’abord puisé dans une tradition de critique culturelle de la société bourgeoise. Carlyle, le pamphlétaire populiste William Cobbett, Charles Dickens, mais surtout John Ruskin, sont ses premiers maîtres, avant Karl Marx. Ces différents auteurs, s’ils sont souvent des conservateurs ou des nostalgiques d’un âge d’or féodal, ont le mérite d’avoir dressé de violents réquisitoires contre l’utilitarisme libéral et ébauché une critique des théories de la valeur défendue alors par les disciples de Smith, Ricardo et Mill. William Morris, à la suite de Ruskin et du Dickens des Temps difficiles, récuse l’idée que l’homme est une machine à besoin. Il reproche aux économistes classiques d’avoir conçu un homo œconomicus abstrait, en faisant fi de ses affections, de ses passions, de ses mœurs, de son milieu, de ses traditions morales et religieuses. Annonçant certaines conclusions de Karl Polanyi, il constate que la victoire des principes libéraux opère une véritable révolution où l’économie se « désencastre » de tout ce qui dans les anciennes sociétés limitait et entravait sa croissance ; elle s’autonomise et devient la fin de toutes les activités sociales. L’artiste William Morris ne pouvait qu’être effrayé par ce règne de la quantité pure et cette destruction de la vie commune par les eaux glacées du calcul égoïste.


http://www.wmgallery.org.uk/…/2._Photograph_of_William_Morr…

jeudi, 18 juin 2020

En 1958, Salvador Dali et ses réponses étonnantes sur sa vie et son oeuvre

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En 1958, Salvador Dali et ses réponses étonnantes sur sa vie et son oeuvre

 
 
Entrevue hors de l'ordinaire, en français, avec Salvador Dali qui parle de ses succès internationaux et sa place dans l'art de son époque versus la place de Pablo Picasso. Il fait une critique de son oeuvre et de la peinture moderne et parle du personnage qu'est Salvador Dali, il parle de ses inspirations, de son travail au cinéma, de Khrouchtchev, de l'art soviétique, de ses plus grands artistes, l'Espagne, la politique, la religion, l'argent et de ses moustaches.

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Source : Carrefour, 27 mai 1958
Animateur : Wilfrid Lemoine
Encore plus de nos archives : https://ici.radio-canada.ca/archives/...
 

09:08 Publié dans art, Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : salvador dali, peinture, arts plastiques, espagne, entretien, art | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 10 mai 2020

« L’Art contemporain est perçu comme occidentaliste, pour ne pas dire néo-colonial, plus qu’universel »

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« L’Art contemporain est perçu comme occidentaliste, pour ne pas dire néo-colonial, plus qu’universel »

Un entretien avec Aude de Kerros

Propos recueillis par Hilaire de Crémiers

Ex: https://www.politiquemagazine.fr

Pourquoi avez-vous écrit une géopolitique de l’Art contemporain après « L’Art caché » et « L’Imposture de l’Art contemporain » ?

Les « big data » sur l’art sont devenus importants, accessibles, concernant toute la planète, depuis une dizaine d’années et surtout depuis 2017, année où les données de l’art chinois sont devenues consultables. Cela a son importance car la Chine a été en tête du marché de l’art, ou à égalité avec les États-Unis, entre 2008 et 2017. Il est donc possible aujourd’hui d’avoir un regard circulaire documenté sur « le système » de l’Art contemporain qui se déclare unique marché « international et contemporain »… Il est en effet le seul visible de toute la planète. Il repose sur une chaîne de fabrication de la valeur délivrant une cote d’ordre financier plus qu’artistique. La valeur des œuvres ne provient pas d’une évidence visuelle, de critères partageables, d’une admiration et adhésion au sens. Elle s’impose par le scandale, au contenu sidérant perceptible par le monde entier grâce à une communication fondée sur le choc. Cette visibilité est un des facteurs qui contribue à la cote spectaculaire. Elle permet aux œuvres ainsi adoubées d’être aussi le support de subtiles propagandes jouant davantage de l’effroi et de la culpabilisation que de la séduction.

Enfin, cette fin des années 2010 a vu le très haut marché de l’Art inclure les cinq continents dans sa boucle et porter l’œuvre d’artistes vivants au seuil des 100 millions de dollars. Le « contemporain » devient à la fois référence idéologique et étalon monétaire. Le système a atteint une sorte de perfection.

civilisation3b.jpgVous avez retracé l’histoire de cette utopie de « l’Art unique », seul art international et dans le « sens de l’histoire », conçue par Staline. L’Art contemporain en est il vraiment la suite fatale ? Un écho ?

Une chronologie des faits permet de mieux comprendre. C’est pourquoi je me suis attachée à montrer l’enchaînement des batailles de la guerre des arts au XXe siècle, mais aussi à comparer en permanence les évolutions complexes et décalées de chaque camp.

Au XXe siècle l’art est devenu arme de guerre. Lors de la révolution bolchévique il est considéré comme le ferment de la subversion. En 1934, Staline choisit, parmi les divers courants en concurrence au service de la révolution, le « réalisme socialiste ». Il sera l’ultime art, international, progressiste et vertueux. En 1947, quand commence la guerre froide culturelle, les États-Unis ripostent en créant une réplique symétrique, « l’expressionnisme abstrait ». Mais l’abstraction n’est pas une idée neuve en Europe et l’arme sera peu efficace. Elle fut remplacée, en 1960, par celle de l’Art conceptualiste duchampien, égayé d’un zeste de pop et de kitsch… Il a la vertu de faire table rase de toute démarche esthétique. Vers 1975 le conceptualisme fut nommé « Art contemporain », ôtant ainsi le statut d’« art » à toute démarche consistant à accomplir la forme pour délivrer le sens et l’adjectif de « contemporain » aux artistes pratiquant aujourd’hui ce savoir-faire. Ce hold-up sémantique fut d’une grande efficacité. La guerre froide culturelle fut gagnée, l’art de Moscou et de Paris furent simultanément rendus obsolètes et déclassés.

Après 1991 s’instaure le règne hégémonique de la Pax americana. « L’Art contemporain » n’est plus engagé dans une guerre bipolaire et connaît une nouvelle métamorphose : d’acide géopolitique, il deviendra « doux pouvoir », il a la mission de diffuser la nouvelle idéologie internationale, progressiste, allant « dans le sens de l’histoire », le multiculturalisme. Sa mission est multiple : animer, divertir, servir de lubrifiant pour faciliter la vie intercommunautaire, créer des plateformes globales de vie artistique, mondaine, et d’affaires, sans oublier sa fonction critique et sa défense vertueuse des « valeurs sociétales ». L’hégémonie arty se traduit désormais par un système international ayant pour pôle New York, centre financier créateur de cotes. Après l’effondrement des systèmes communistes, de décennie en décennie se construit la deuxième utopie d’un art unique et global, commun à toute l’humanité, modèle pionnier d’une future et fatale uniformité politique, économique, culturelle, idéale et vertueuse, garantissant la paix.

L’énormité des cotes de l’Art contemporain a pour but d’imposer par sidération une norme mondiale de l’art, aux artistes, intellectuels, États et institutions.

Quelles sont ses caractéristiques ?

Le consortium économique de l’Art contemporain est une chaîne de fabrication industrielle d’objets sériels permettant la construction d’une valeur financière, sans valeur intrinsèque mais ayant un pouvoir libératoire, grâce à leur circulation très rapide entre collectionneurs, foires, galeries, salles des ventes, ports francs, musées et une consommation de masse de produits dérivés.

9782212563634_internet_h1400.jpgL’efficacité du système repose sur le fait que les œuvres sont acquises en amont par les très grands collectionneurs avant leur circulation sur le marché. La vacuité, l’absence de beauté et d’identité des œuvres ont la vertu de ne provoquer aucun attachement, garantissant ainsi une circulation rapide, spéculative et monétaire. Par ailleurs, elles sont collectionnées en réseau de façon rationnelle, ce qui sécurise la cote de l’œuvre.

L’énormité des cotes de l’Art contemporain a pour but d’imposer par sidération une norme mondiale de l’art, aux artistes, intellectuels, États et institutions. La force du système réside en ce qu’il rend des services très divers : services économiques, d’une part, grâce aux possibilités de défiscalisation, mais aussi services monétaires et au delà… en raison de la très importante partie invisible des transactions et de la nature non « régulable » de l’Art contemporain ; services de propagande d’autre part car l’Art contemporain est aussi rentable que vertueux et engagé dans la promotion des valeurs sociétales. Les artistes ont pour mission de voler au secours du climat, du genre, des communautés, des migrants. Ils se doivent de fulminer contre toute discrimination, racisme et autres vices.

L’art unique, qu’il soit esthétique ou conceptuel, est une utopie qui ne peut s’imposer que par violence ou manipulation.

Vous dites que le système est arrivé à sa perfection… Quel est son avenir ?

L’hégémonie est remise en cause par des États émergents qui peuvent rivaliser en richesse avec les États-Unis, du moins si l’on considère le nombre de milliardaires. C’est le cas de la Chine notamment et même de l’Inde et des Émirats. Ils ne se conçoivent plus comme de simples relais du soft power américain, champion du multiculturalisme. Ils veulent mettre en valeur leur art et culture, jouir de leur « modernité » en art mais aussi ne pas renoncer à leur art civilisationnel. Ils ne sont pas contre l’Art contemporain car ils reconnaissent ses utilités pour entrer dans les milieux internationaux, mais ils perçoivent de plus en plus l’Art contemporain comme plus occidentaliste, pour ne pas dire néo-colonial, qu’universel.

Par ailleurs la révolution technologique numérique ébranle aujourd’hui les pouvoirs établis et particulier le monopole américain de l’information internationale. L’information aujourd’hui circule par-dessus les frontières de mille manières. Elle a le pouvoir de changer les règles du jeu. L’uniformisation du monde par l’Art contemporain n’a pas vraiment lieu.

L’observation attentive du passage soudain du totalitarisme à la liberté d’expression artistique en Russie et en Chine a été pour moi très instructive. Dès que la férule disparaît, tous les courants d’art réapparaissent instantanément, même s’il n’y a aucun marché. L’art unique, qu’il soit esthétique ou conceptuel, est une utopie qui ne peut s’imposer que par violence ou manipulation.

Les médias montrent le spectacle d’une apothéose financière de l’Art contemporain mais ne peuvent rendre compte de tout ce qui évolue silencieusement et change le monde, ne serait-ce que la démographie : un milliard d’Occidentaux face à neuf milliards appartenant à d’autres civilisations.

L’Amérique domine encore sans conteste le marché international de l’Art contemporain, malgré la forte concurrence chinoise, mais elle n’est plus hégémonique. Le monde de l’art est désormais pluripolaire.

dimanche, 12 avril 2020

Günter Figal: Nietzsche und Heidegger über die Kunst der Moderne

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Günter Figal: Nietzsche und Heidegger über die Kunst der Moderne (21.01.2010)

 
 
Ringvorlesung der Nietzsche-Forschungsstelle der Heidelberger Akademie der Wissenschaften am Deutschen Seminar der Universität Freiburg in Zusammenarbeit mit dem Studium generale. Gottfried Benn nannte Nietzsche das "größte Ausstrahlungsphänomen der Geistesgeschichte". Entscheidend wirkte er auf Thomas Mann, Hofmannsthal, Musil, Benn, Freud und Heidegger. Zahlreiche Autoren weltweit stehen bis heute im Bann seines revolutionär modernen Denkens. Ausgehend von Erfahrungen des 19. Jahrhunderts, entwickelte Nietzsche eine intellektuelle Sprengkraft, die bestehende Wertvorstellungen, gewohnte Formen des Philosophierens und auch die Konventionen der Wissenschaft erschütterte. An der Schwelle zum 20. Jahrhundert wurde er eine Leitfigur moderner Lebensphilosophie, Kulturkritik und Anthropologie. Die Vorlesungsreihe, bei der führende Nietzsche-Spezialisten zu Wort kommen, will alle diese Aspekte umfassend beleuchten.
 

lundi, 17 février 2020

L’art contemporain est le soft power planétaire

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L’art contemporain est le soft power planétaire

Par Maximilien Friche 

Ex: http://mauvaisenouvelle.fr


Le manifeste cannibale Dada de Francis Picabia disait en 1924 « L’honneur se vend et s’achète comme le cul. » Aujourd’hui le cynisme ne fait plus scandale, il est la règle qui régit tous nos rapports sociaux et humains. Dans son dernier ouvrage, Nouvelle Géopolitique de l’art contemporain, Aude de Kerros précise : « On ne parle plus de valeur intrinsèque d’une œuvre, mais de cote, d’indice monétaire. » (p8)

actualité, art, arts plastiques, art contemporain, aude de kerros, L’innocent argent de poche de l’hyperclasse…

Depuis longtemps maintenant, nous constatons l’arnaque intellectuelle et morale de l’art contemporain. Depuis longtemps, nous dénonçons la convergence des oppressions entre un Etat français dirigiste et une finance internationale globalisante, au profit d’un art unique conceptuel aux messages pseudo subversifs et véritablement progressistes. Depuis peu, nous avons pris conscience que l’art contemporain était devenu un art financier, une simple monnaie. Aude de Kerros nous rappelle d’ailleurs à ce titre que les conseillers financiers recommandent d’avoir dans son portefeuille d’actifs environ 20% d’art. La rentabilité de l’art est estimée à 8%. Aucun risque. Même si c’est moche, même si c’est idiot, et surtout si ce n’est pas de l’art, cela vaut le coup. C’est ce qu’elle appelle l’innocent argent de poche de l’hyperclasse (p13) et c’est aussi bien souvent la possibilité d’un blanchiment de l’argent du crime et du trafic de drogue. C’est surtout, concernant l’art conceptuel, le lieu du délit d’initiés permanent. L’hyperclasse se met d’accord sur la valeur d’une œuvre et l’œuvre a cette valeur. Attribuer un prix est du ready made sur du ready made finalement. C’est de l’art parce qu’on l’a décidé. De la même façon, cela vaut plus ou moins cher parce qu’on le décide.

Toutes ces prises de conscience, nous les devons entre autres à Aude de Kerros au travers de ces divers ouvrages dont L'art caché : Les dissidents de l'art contemporain ; Des révélations inédites sur l'art actuel et L'imposture de l'art contemporain : Une utopie financière. Mais comme le monde est entré dans son ère trotskyste des organisations et que tout change en permanence de peur que l’on ne s’aperçoive de la bêtise de ce qui existe, il faut rester en veille. C’est ce que fait Aude de Kerros en nous expliquant désormais La nouvelle géopolitique de l’art contemporain.

actualité, art, arts plastiques, art contemporain, aude de kerros,

New-York : seul l’art conceptuel permet d’imposer un arbitraire

Le livre s’ancre dans l’histoire en rappelant la guerre froide et l’invention du soft power américain. Tout est venu de la CIA et de la guerre froide. Le coup de génie a été de récupérer les artistes en les achetant finalement, en les transformant en valeur marchande. « Un artiste de gauche peut librement, par ses œuvres, exprimer ses idées, sa critique de la société, et en même temps être promu, acheté, institutionnalisé. » Nous avons là, en définitif le premier exemple d’« en même temps » machiavélique, bien avant que notre algorithme de président n’en abuse à tour de bras. Une hégémonie américaine a suivi l’effondrement du bloc soviétique. Les USA ont utilisé l’art contemporain comme une arme pour globaliser le monde et effacer les identités culturelles et civilisationnelles. En art, la globalisation impliquerait un processus de « décivilisation » ? Ce n’est pas une conséquence non souhaitée, mais un objectif revendiqué. Nathalie Obadia avoue que l’art contemporain comme soft power, est un outil indispensable à la paix dans le monde et à la concorde universelle. En gommant les civilisations, en standardisant la culture, on supprime selon cette idéologie le risque de guerre et on peut imposer cette autre dictature à visage humain. « New York souhaiterait exercer sans partage son pouvoir de consécration et d’exclusion, bref de décider seul les critères de “l’art contemporain”. Sans identité, sans esthétique, seul l’art conceptuel permet d’imposer un arbitraire. » (p137) Seulement, l’hégémonie passée, certaines civilisations peuvent prouver qu’elles ne sont pas mortes et il faut bien avouer que l’art contemporain s’essouffle, comme une éternelle et gâteuse avant-garde (p15). « La martingale dérision-mépris-sidération-confusion-inversion semble avoir atteint ses limites. » (p258)

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La Russie, la Chine : tant de vie !

Aude de Kerros montre qu’aujourd’hui la géopolitique de l’art contemporain est celle des places pétrolières, des grandes places financières et des Gafam. Pour autant, la géopolitique de l’art tout court, est plus complexe. Ainsi, alors que le marché de l’art contemporain est avant tout un marché de l’offre, la Chine s’inscrit, elle, dans un marché de demande correspondant davantage à un désir anthropologique. Et il faut bien avouer que le carcan conceptuel et froid aurait bien du mal à contenir tant de vie culturelle. De la même façon, en Russie, art contemporain signifie art libre et non uniquement conceptuel. La vie artistique n’y est quasiment pas subventionnée, donc quasiment pas contrôlée, elle est de fait plus créative, plus imprévisible. En Chine, la seule contrainte est la non critique ouverte du gouvernement, ce qui laisse tout de même beaucoup plus de possibilités d’expression artistique qu’en Occident.

Paris au service du soft power américain

« Paris depuis vingt ans ne sert plus sur le marché mondial que de présentoir publicitaire gratuit en offrant ses monuments pour exposer des produits en voie de cotation extrême. » (p57) Notre vocation est donc d’être la tête de gondole de l’art contemporain, la caution culturelle et intellectuelle d’un art qui en est intrinsèquement dépourvu. « La politique d’influence française met en permanence les institutions françaises au service du soft power américain. » Cet alignement officiel de l’Etat, cette soumission à la globalisation, n’a pas détruit l’art en France, il a simplement conduit les artistes à aller peindre dans leurs grottes. Ainsi existe-t-il depuis 1981 un art caché, sorte d’exception française. L’ironie fut que cet art caché français reçut un temps le soutien de la Chine avant que cette dernière utilise la route de la soie, pour mieux ceinturer les échanges et se concentrer sur ses frontières.

L’art contemporain sera multipolaire ou …

Pour Aude de Kerros, l’art contemporain international est devenu total : hybride, commercial, financier, intellectuel, juridique, monétaire, patrimonial, visant le succès populaire mondial, transcendant les cultures et les classes sociales. Le global kitsch et le flashy pop art a pris la tête des blue chips de l’art contemporain, embarquant le peuple dans l’achat de produits dérivés. » (p218) Et aujourd’hui les pays critiques vis-à-vis de cette globalisation qui nie les civilisations sont les anciens pays communistes. Ils se lancent dans la promotion de leur art civilisationnel. En effet, grâce aux œuvres d’art, l’identité des pays qui ont connu la guerre, le totalitarisme se recompose. « Paradoxalement, les arts civilisationnels, mis au ban du globalisme, sont aujourd’hui plus ouverts que l’art contemporain soumis à sa boucle d’asservissement financier. » (p258)

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On peut donc refermer ce livre avec un peu d’optimisme, car, derrière la globalisation, se cache la multiplication des soft power particuliers et enracinés. Qu’attend donc la France pour les rejoindre ? Aujourd’hui, l’art contemporain, l’art conceptuel, admet à ces côtés de l’art pour bénéficier de sa réputation. La peinture que l’on croyait perdue revient de ce double effet des soft power enracinés et d’un épuisement de l’art conceptuel. L’art est devenu un moment de l’art contemporain, pour paraphraser Debord qui savait que dans un monde où tout est faux, le vrai est un moment du faux.

mercredi, 05 février 2020

Nicholas & Helena Roerich: The Spiritual Journey of Two Great Artists & Peacemakers

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Nicholas & Helena Roerich: The Spiritual Journey of Two Great Artists & Peacemakers

 
Nicholas & Helena Roerich
This article was published in New Dawn 99 (Nov-Dec 2006)

Visionaries, luminaries, and spiritual pioneers Nicholas and Helena Roerich were two of Russia’s most outstanding people. High initiates, they devoted their lives to helping the advancement of humanity. And as is often the way with many great spiritual leaders, their path was liberally strewn with hardship and adversity: revolutions, captivity, spy charges, deception and deceit; testing the Roerichs constantly on their shared belief that it was these very obstacles that would allow them to grow. 

Yet, despite the fact that the couple were once barred from entering the United States and their teachings prevented from circulating freely throughout Russia, the Roerichs’ ideas are today reaching an ever-expanding group of people around the world.  

Perhaps it is an attempt to bring balance and harmony to our world of unrest, pain and strife that is causing the massive desire to know more of Nicholas, the painter and mystic, and his wife Helena, the co-author of the Agni Yoga series of metaphysics and deep spirituality.  

Internationally acclaimed artist, author, explorer, archaeologist, humanitarian, conservationist and peacemaker Nicholas Konstantinovich Roerich (1847–1947) was born in St. Petersburg, Russia. He met his beloved wife and life partner Helena Ivanovna (1879–1955) on his way to excavate in the eastern part of Russia, and they married in 1901. 

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She was a gifted musician and healer who had been studying the ancient spiritual writings of India and the East for years; in time, she became an inspired writer and teacher. He eagerly shared her pursuits for wisdom and knowledge. Together, they explored the teachings of Rama Krishna, the Buddha and also studied Madame Helena Blavatsky’s writings and philosophies. Once safely out of Russia and the civil war that raged following the 1917 Russian Revolution, they used their time in exile to test and experiment with the Theosophical teachings. It was at this time that they met Master Morya, their spiritual teacher. Since her childhood, the Masters (members of the Brotherhood of Light) had been working with Helena in her dream world but now the work took an additional form as page after page of expansive, astonishing information was dictated to them. 

unnamed.jpgAfter leaving Russia, the Roerichs and their two sons had first gone to Scandinavia, then made their way to England, eventually arriving on the shores of America. But the United States was not their ultimate destination. Their actual goal was India. For some years after 1917, India – the Raj – was closely maintained by the British who were constantly on guard against infiltration by Russian Bolsheviks bringing their inflammatory thoughts of revolution. The Roerichs were clearly on the list of those not wanted. In time, the way did open for them to enter India and although they never knew it, they were continually kept under surveillance. This fact accounts for many of their hardships.

The Roerich family arrived in New York City in the fall of 1920. Within the next three years they had gathered about them a little circle of the perfect people to accomplish all of their goals: the formation of an idealistic artist’s society called Cor Ardens, to encourage artists to push themselves to greater heights of artistic ability; the Master School of United Arts where all of the arts where taught under one roof and students were encouraged to express themselves in various media – thereby giving them the opportunity to become more rounded individuals. And Corona Mundi, an international art museum, founded to display artistic treasures from Central Asia and other areas of the world. Roerich’s paintings were exhibited in 26 US states and he and Helena toured much of the country – meeting and exchanging ideas with the most open-minded, progressive people in the arts and humanities.

Central Asian Expeditions

In 1924, they left New York for Europe which was the last stop before going to India and beginning their four-year Central Asian expedition. The history of Central Asia of the late 1800s and early 1900s is sprinkled with daunting accounts of fearless explorers and adventurers; men and women such as Helena Blavatsky, Alexandra David-Neel, Sir Aurel Stein, Sven Hedin, and Russian born Col. Nikolai Przhevalsky, who discovered a breed of horse that was named in his honour. But none of those were artists and to the best of my knowledge, none were on a mission to Shambhala. The couple were both past fifty years old when they undertook the gruelling journey to traverse Central Asia for four years on foot, camel, horse and yak enduring the brutal heat of the lowest desert elevations and laboring over the highest mountains ranges on the planet. 

What is it that stirs people to leave the comfort of their home and set off for the unknown? Gold? Religious freedom? The quest for a better life? For the Roerichs, the reasons were many. Nicholas was interested in proving the migration routes of the early tribes that encircled the globe. He wanted to be the first Westerner to paint and document the vast mountain ranges of India, Tibet and Central Asia and search for and uncover treasures long-hidden by the desert sands. 

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Through fourteen years of researching, thinking and writing about the Roerichs, I could not help but question the real purpose of the Roerichs’ Central Asian expedition. Unbeknownst to me, a Russian scholar by the name of Vladimir Rosov, was quietly helping. Just as I had began my work by living a short time in India and meeting with Svetoslav Roerich, reading through Madame Roerich’s journals and some personal correspondence, searching through the files kept in the Library of Congress and the Freedom of Information Act; researching old micro-fiche, newspapers, and the British Secret Files for facts regarding the Roerichs’ years in America, Rosov had been studying and sifting through all the Roerich documents which had been unavailable to researchers before Gorbachev’s Perestroika restructured the country. The results of his work can be read (in Russian) in his two volumes, whose name in English translates to Nicholas Roerich, The Messenger of Zvenigorod

In the first volume, he relates a startling story which answered all my questions and astonished the world of Roerich followers. Since it was already in print, I was able to use it, thereby becoming the first person to tell (in English) the real story of the Roerichs’ four-year expedition. Rosov’s account also provided a new basis for understanding the Roerich’s second trip – during which the United States sent Roerich and his son George, back to Central Asia in search of drought resistant grasses to help prevent a reoccurrence of the disastrous “dust bowl” of 1934. It was this expedition which broke Roerichs’ friendship with Henry A. Wallace, US Secretary of Agriculture during Franklin D. Roosevelt’s administration, and led to Roerich being barred from returning to the United States.

Shambhala

For years various authors have written about Shambhala. Though many people are familiar with the term, a far greater number of people have no idea what it refers to. Those “in the know” think that the search for Shambhala was the purpose of the Roerichs’ four year expedition. And they are both right – and wrong. 

Shambhala is a Sanskrit word meaning “place of peace, tranquillity and happiness.” It is considered a mystical place – both visible and invisible – where the higher world connects with the realm of Earth. The earliest references to Shambhala are found in the more than three hundred volumes of Kanjur and Tangyur, the most sacred books of Tibetan Buddhism. The books say it is a hidden kingdom, located somewhere north of Bodh Gaya, the Buddhist shrine in northern India. Shambhala is thought to be an oasis, completely ringed by high, snowy mountains that glisten with ice. Some lamas were said to hold the opinion that it has peaks which are perpetually hidden in the mists, while others believe it is visible but too remote for anyone to get close enough to see. And then there are the stories of people who tried to find Shambhala and were never seen nor heard of again.

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Many Tibetans were said to regard Shambhala as a heaven of the gods or a special paradise, meant only for those on their way to Nirvana. Possibly the Roerichs first heard the term while reading one of Madame Blavatsky’s books on Theosophy or if not then, it might have been in 1912 when a famous Buddhist lama was in St. Petersburg helping with the construction of a Buddhist temple. However, when the lama spoke of it, he was not speaking of a destination; he was speaking of a famous Buddhist prophecy.

The prophecy involved the Panchen Lama, who held a position the Dalai Lama had created several hundred years earlier in order to share the leadership of Tibet. The Dalai Lama was the temporal leader of the country and the Panchen Lama was the spiritual leader. The prophecy predicted that one day the Panchen Lama would leave Tibet. Once this happened, a great army would arise to destroy the forces of evil and usher in a golden age, a thousand years of peace and harmony. In order for that to occur, however, the Panchen Lama would have to die. When he was reborn, he would be named Rigden Jypo and be the Maitreya, The Coming One, the king of Shambhala, the abode of the mystical Buddhist learning and the symbol of the Great Future. Shambhala was the guiding principle of the coming Kalpa, or cosmic age, and at the sound of that powerful name, certainly something awoke in the Roerichs’ hearts as it does in the hearts of all people who yearn for peace.

However, when the Roerichs’ spiritual teacher, Master Morya, spoke of Shambhala, he gave the name an additional meaning for it was how he referred to the new country that he wanted the Roerichs to create. Morya envisioned a new Buddhist spiritual country to be established on the borders of Mongolia, the Gobi and Siberia. This country was to be governed jointly by the Panchen Lama and Roerich. 

Therefore, the two major purposes for the expedition – which were kept private and confidential – were so that the Roerichs could prepare the ground for the new country and the commerce necessary for it to be financially sound; and to find the Panchen Lama so that they could parlay with him, present this startling (and naive) idea, and convince him it was possible and viable. Considering, however, that all of the land involved was already occupied and within the boundaries and domain of other governments, the fulfilment of this plan was highly improbable. One country attempting to take land from another is what wars have been fought about throughout time. When the first expedition was aborted after the Tibetans (and British) kept the Roerich Central Asian expedition freezing in captivity for four months on the border of Tibet and then sent them straight back to India, it looked as if all plans were foiled.

Then, Henry A. Wallace offered Roerich a second chance and sent him back to Central Asia. But, with China and Japan on the brink of war, it was a very dangerous and volatile time. This trip Helena Roerich stayed behind and Nicholas, an artist – not a diplomat, blundered about until Wallace ordered him to return to India and stay there – and not leave again.1 Years later, looking back on the entire event, Madame Roerich wrote in her journal that both the Panchen Lama and her husband were too old at the time to accomplish this feat. Perhaps the Roerichs were laying down the lines of light necessary for it to become a reality in the future.

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Considering that during the entire four year expedition Roerich’s travel plans were continually thwarted by visa and passport difficulties, it is surprising that Nicholas and Helena even attempted to accomplish the establishment of a new country. To me it seems a demonstration of their loyalty and dedication to work with their teacher. 

Art, Beauty and Unity

Roerich loved the concept of unity. He believed that “beauty is the force that can bring nations together.” He hated borders and boundaries and thought that since all the people of the world belonged to one family, they should be able to roam and travel freely throughout it. 

Nicholas and Helena Roerich had very expanded consciousnesses. They believed “that knowledge and beauty are the real cornerstones of evolution, the gates to a world community.” They taught that a synthesis of knowledge from all fields of human endeavours was needed to form a fully developed being. Nicholas wrote nearly thirty books and created over 7,000 paintings and theatre designs depicting scenes from ancient Slavic myths, the Himalayan Mountains, and spiritual themes from the world’s religions. 

People who see his art for the first time are often speechless at the inspirational use of colour and the spiritual power it evokes – especially his later work, completed during and after the four years of expedition. Roerich’s paintings portray spiritual development, culture and its role in human evolution and possibilities for peace in a troubled world. A broader and more metaphysical understanding is added to the paintings once the viewer penetrates Helena’s deeply spiritual writings. In addition to the Agni Yoga series, which she wrote in conjunction with Master Morya, she wrote On Eastern Crossroads under the name of Josephine Saint-Hilaire. 

Daring explorers, the couple investigated the remote and dangerous regions of China, Mongolia and the Gobi Desert where few Westerners had previous ventured. They were seeking ancient manuscripts hidden in subterranean crypts and caves, the treasures to be found in burial mounds, and the wealth of statues, artifacts and wall paintings left behind in caves by the artistic Buddhists. 

In 1929 Nicholas Roerich was nominated for the Nobel Peace Prize for his work in creating the Banner of Peace and the Roerich Peace Pact, designed to preserve the world’s treasures from being destroyed in time of war. Franklin Roosevelt and twenty-six world leaders met in Washington, D.C. to ratify the agreement. The Roerichs were friends and advisors to heads of state, scientists, artists, writers and poets. Roerich’s work won praise from Albert Einstein, Leo Tolstoy, George Bernard Shaw, Jawaharlal Nehru, Rabindranath Tagore, and many others. 

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Madonna Oriflamma, the original Roerich painting where the Banner of Peace flag appears for the first time (courtesy Nicholas Roerich Museum, New York)

Now, over fifty years later, many of their key ideas have found a place in the human soul: the equality of the feminine and the masculine principles, the wisdom of the heart and the striving for the common good and brotherhood. The eternal truths the Roerichs demonstrated on Earth are echoing through time, awakening humanity to beauty and unity. “Beneath the sign of beauty we will walk joyfully,” wrote Nicholas Roerich. “With beauty we conquer. Through beauty we pray. In beauty we are united.”

To the Roerichs, culture was the highest expression of the Light – the “cult” of Ur (Light). They considered that beauty and art speak an international language understood by all and that focusing on the beautiful in life would lead us to world peace. 

Nicholas Roerich wrote: 

If you shall be asked, of what kind of country and of what constitution you dream, you can answer in full dignity: the country of Great Culture. You shall know that in that country peace and knowledge and beauty will be revered…. You may say: life is hard. How can I think of knowledge and beauty if we have nothing to live on? Or: We are far away from knowledge and art; we have important business to attend to first. But I say: You are right, but you are wrong. Knowledge and art are not luxuries. Knowledge and art are not idleness. They are the prayer and work of the spirit. Men pray in the moments of great difficulty. So too, is this prayer of the spirit most needful, when one’s whole being is shaken and in want of support, and when it seeks a wise solution.

An arduous trial awaits the whole world: the trial by the assimilation of truth. After the medieval trials by fire, water and iron, now comes the trial by assimilation of truth. But if the power of the spirit upheld men against fire and iron, then will that same power not also raise them up the steps of knowledge and Beauty? 

Throughout the world, in Israel, India, Mexico, Germany and many other countries, schools, civic organisations, and ordinary citizens are flying the Banner of Peace, proclaiming Peace through Culture. Do you want to join in this effort? If each person who reads this article would take the time to research, create, and fly the Banner of Peace – a white flag with three magenta balls in the middle – over their home, place of business, he or she will be contributing to the cause of Peace. 

Let’s all do it now! Dedicate ourselves to the cause of peace and align ourselves with the hundreds and thousands of people around the world who are using Nicholas and Helena Roerichs’ legacy and memory for inspiration.

Please visit www.roerich.org to see Roerich’s wonderful paintings and learn more of this fascinating couple.
This article was published in New Dawn 99.
 

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mercredi, 25 décembre 2019

Olivier Carré: "Sa demeure était l'éclair..."

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Olivier Carré: "Sa demeure était l'éclair..."

par Jean-François Gautier
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Les Amis d'Olivier Carré viennent de publier une superbe monographie intitulé Olivier Carré - Peintre et sculpteur 1954-1994. Un ouvrage indispensable pour découvrir l’œuvre de cet artiste puissant parti trop tôt...

L'ouvrage est dsiponible à la commande sur le site des Archives Olivier Carré.

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"Peintre et sculpteur, Olivier Carré laisse une œuvre dont les critères d’élaboration furent exclusivement esthétiques. Il se refusait lui-même à toute doctrine, et il serait hors de propos de vouloir lui en attribuer une. Mais s’il n’y a pas de philosophie d’Olivier Carré, il existe bien une philosophie de son œuvre, de ses choix, de ses efforts vers une certaine forme de vérité picturale. Elle se confond pour partie avec la quête continue d’une compréhension lucide de ce monde, mais selon des critères extrêmement exigeants : ne jamais illustrer un savoir ou une vérité préalables, et tenter tout ce qui pourrait servir d’outil pour devenir, sans compromis avec l’hostilité de l’époque, et sans renier non plus les formes du passé.

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L’une de ses premières toiles marquantes, Le Travailleur, condense déjà les principales lignes de force de son œuvre : la thématique de la technique vient interroger une part des revendications de l’époque et les conditions qu’elles fixent à l’épanouissement de la liberté, et le tableau lui-même est compris comme une sorte de locution interjective sur le mode du Qui vive ? Autant dire qu’on chercherait en vain dans ses toiles un accomplissement serein. Ce que disait d’Héraclite le poète René Char s’applique à son art : « Il savait que la vérité est noble et que l’image qui la révèle, c’est la tragédie. » Son domaine était celui d’une espérance sans foi, d’une conscience débarrassée de toute réponse complice qui, entre l’homme et l’homme, interposerait une doctrine et aliénerait la liberté. Peu d’artistes en ce siècle se sont ainsi exercés à la contestation constructive des dogmatiques convenues, sinon quelques surréalistes libres, Dali qui inspira ses premiers essais, ou Chirico qu’il admirait.

OC-2.jpgUne philosophie exigeante et ardue sourd de son œuvre, qu’aucun concept ne peut réduire tant ses tableaux étaient des incitations et non de quelconques solutions données à des problèmes qu’il aurait nettement formulés. Son Athéna nucléaire tout autant que quelques portraits de commandes privées montrent une expression de l’humain perçu comme une liberté à conquérir, une liberté qui doit être refusée si elle n’est qu’une permission donnée par d’autres, par la société, par quelques individus députés à cette fonction, ou par le monarque même ; la liberté telle que la comprenait esthétiquement Carré n’est pas même envisagée comme soumise à une volonté consciente, ni dépendante de la réalisation d’un projet calculé ou d’ordre politique ; elle doit sourdre de l’action, sortir d’elle comme sa principale conquête, quel que soit l’objectif pratique qui est visé. Le rôle social des individus, pour lui, importait peu ; seul l’attirait leur capacité à l’action novatrice et à la mise en œuvre d’une forme nouvelle et créatrice. Autant dire que, pour l’essentiel, Carré ne voyait autour de lui que des esclaves sans grande consistance, et s’amusait de leurs ballets. Il haïssait, pour les mêmes raisons, le circuit des galeristes et des critiques d’art.

Son étonnante faculté d’interrogation et de sollicitation apparaît aussi dans les Têtes qu’il fixa en différents endroits de la planète : face au siège de l’ONU à New York, sur une digue danoise, sur des blockhaus de la côte atlantique, sur une tour dominant les marais de Saintonge ou sur les quais de la Seine, notamment sept exemplaires aux pieds du palais du Louvre, apposés au cours d’une opération nocturne réglée comme une action de commando. Un visage cyclopéen, dépourvu de références anatomiques humaines, remugle darwinien tourné vers l’inconnu du devenir, incarne là une sommation à vivre debout qui vomit les conformismes.

Le personnage vivait de la même manière, interrogeant sans cesse, exigeant des réponses à ses questions, et les contestant aussitôt reçues, cherchant la matière de ses œuvres dans les interstices du savoir et de la volonté, dans les bizarreries de l’optique, dans le dénuement total de la conscience de soi confrontée au nocturne, aux rêves, à la lumières crue des projecteurs qui éclairaient son atelier.

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Il y avait là, sous une forme esthétique incomparable, une volonté décidée de ne pas séparer l’homme de son monde. Loin d’être un objet pour la connaissance objective, le monde était pour lui, d’abord, le sujet de l’action. S’il acceptait toutes les contraintes de lumières, de peintures, de sujets, de matières, de techniques, c’était sous la réserve d’un apprentissage préalable de leur domination.

Son œuvre laisse à ses spectateurs une interrogation toujours ouverte : le rêve moderne d’un homme dont la grandeur serait conditionnée par avance étant nul et non avenu pour cause de morale dévastatrice, il reste, pour chacun, à se placer dans l’exaltation de la liberté d’action et de jugement, dans l’absence de sécurité, dans la réclamation de la gloire ou le constat de l’échec ; mais de cela, précisément, qui est encore capable ?

OC-N.jpgDe quelque bord qu’on la prenne, l’époque se pâme devant les revendications. Mais elles sont toutes d’essence technique et attendent les projets ou les entreprises qui les mettent en œuvre et tentent de les satisfaire. Carré, quant à lui, construisait sa peinture comme un événement capable de regarder son spectateur depuis l’avenir. La négation déréalisante du présent et l’affirmation péremptoire d’un autre monde possible avaient chez lui, quitte à prendre la forme d’une provocation, la même vocation à la disponibilité, la même ouverture vers l’exigence de devenir. Son art ne revendiquait rien d’objectivable. Il traduisait, poussée à ses limites extrêmes, la conscience strictement poétique et généreuse que l’artiste n’a pas à nommer la réalité des choses mais à désigner l’étrangeté qu’elles recèlent, l’inaccompli qu’elles révèlent. L’énoncé conceptuel relève de la raison, qui peut opposer des thèses et leurs contraires puisqu’elle les élabore elle-même ; les facultés propres à un créateur comme Carré ont une autre vocation : lever le voile des vérités juvéniles, ne jamais en compromettre le mystère, ni interrompre la complexité du monde, attiser le feu chaque fois que possible, montrer le geste et habiter la foudre. Sa demeure était l’éclair.

Jean-François Gautier "

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mardi, 03 décembre 2019

« Enki Bilal entre dieux et chaos »

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« Enki Bilal entre dieux et chaos »

par Jérôme GOFFETTE

 
 
Planches hexagonales et francophones : l'au-delà de la science-fiction ?
 

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mardi, 29 octobre 2019

Une enquête inachevée sur Olrik

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Une enquête inachevée sur Olrik

par Georges FELTIN-TRACOL

olriklivre.jpegL’ancien secrétaire général de l’Élysée sous François Mitterrand (1991 – 1995) et ministre des Affaires étrangères lors de la troisième cohabitation entre 1997 et 2002, Hubert Védrine, co-signe avec son fils Laurent une « biographie non autorisée » sur Olrik.

Olrik ? Les lecteurs de la série de bande dessinée Blake et Mortimer d’Edgar P. Jacobs le connaissent bien entendu. Dans plusieurs albums, il échafaude des plans finalement déjoués par le capitaine de Sa Gracieuse Majesté, Francis Blake, et son ami, le professeur Philip Mortimer. Fort de son expérience au Quai d’Orsay d’où il approuva en 1999 les scandaleux bombardements de l’OTAN sur la valeureuse Serbie, Hubert Védrine qui passe désormais pour un « sage » d’une diplomatie supposée « gaullo-mitterrandienne » a utilisé ses nombreuses relations afin de retracer d’une manière imparfaite l’existence tumultueuse d’Olrik.

On apprend que cet aventurier et criminel d’envergure internationale rencontre par deux fois Edgar P. Jacobs qui, subjugué, prend bien soin de ne jamais le dépeindre réellement. Olrik converse même au soir de sa vie avec le réalisateur des trilogies StarWars, George Lucas, qui en est si impressionné que les Sith de la seconde trilogie semblent s’en inspirer... Or ce n’est pas la première fois qu’on cherche à dévoiler la vie plus qu’agitée d’Olrik. Le grand historien militaire suisse Jean-Jacques Langendorf avait dès 2012 pour le site Le Polémarque esquissé son portrait (« Éloge du colonel Olrik »). Il affina son propos, cinq ans plus tard, dans la revue Stratégique par un excellent article intitulé « Le colonel Olrik, conseiller de S.A.I. Basam Damdu : soldat de génie ou/et franche canaille ? ».

Jean-Jacques Langendorf et les Védrine père et fils ne s’accordent que sur deux points précis : les origines baltes d’Olrik et son style vestimentaire. Ses tenues sont toujours impeccables. Il n’hésite pas à se fournir chez le tailleur le plus réputé de Londres. Pour tout le reste, leurs conclusions biographiques se contredisent bien évidemment, ce qui est compréhensible de la part d’un individu qui a le talent de mêler le crime organisé, l’espionnage et des opérations troubles.

Olrik traverse le XXe siècle en quête d’argent et d’action. Vladimir Volkoff alias le Lieutenant X l’a parfois croisé aux États-Unis et au Berkeley à Paris ! Pour les Védrine, ce redoutable machiavélien a travaillé autant pour l’Occident que pour l’URSS. À la fin de la Guerre froide, il œuvre pour le Pakistan islamiste et la Corée du Nord nationale-communiste. Ces deux États ne l’ont pas regretté puisque Olrik a réussi à en faire des puissances nucléaires. Les auteurs d’Olrik. La biographie non autorisée s’interrogent toutefois sur sa présence au Katanga séparatiste au début des années 1960. Cette province riche en minerais (dont le diamant) fait alors sécession au moment de l’indépendance du futur ex-Congo belge. L’appât du gain n’est pas la seule motivation d’Olrik pendant ce séjour. Outre la formation avec l’aide des mercenaires européens d’un noyau d’armée nationale katangaise, Olrik a le loisir de discuter à diverses reprises avec le militant nationaliste-révolutionnaire français François Duprat présent en tant que responsable de la propagande du président Moïse Tshombé. Les auteurs semblent ignorer qu’Olrik agissait aux côtés des services secrets d’Afrique du Sud et du Portugal en faveur d’une « contre-Tricontinentale blanche » anti-communiste.

Hubert Védrine et Laurent Védrine ne savent pas non plus qu’on retrouve son ombre archétypale chez d’autres dessinateurs dans l’entourage plus ou moins proche d’Hergé. Le père d’Alix le Gaulois, Jacques Martin, fait volontiers affronter le journaliste Guy Lefranc au redoutable et flamboyant Axel Borg. Or bien des notes blanches du renseignement concordent sur le fait qu’Axel Borg n’est autre qu’Olrik lui-même ! Hergé est le premier à en convenir puisqu’il s’en réfère lui aussi d’une façon plus implicite. L’un des ennemis principaux de Tintin et du Capitaine Haddock n’est-il pas le Bordure Sponsz, colonel de son état ? Quelques spécialistes en guerres secrètes expliquent loin de Moulinsart que le métier de Tintin – le journalisme – n’est qu’une couverture bien pratique pour cet agent des services secrets syldaves. Pourquoi sinon Tintin aurait-il participé à la première expédition spatiale vers la Lune ? Chacune de ses missions est une opération clandestine destinée à contrecarrer les menées subversives de la Bordurie moustachiste.

olrikmonocle.jpgDes interprétations divergent une nouvelle fois sur l’identité réelle du colonel Sponsz. S’agit-il d’un faux nom du colonel Olrik ou bien d’un de ses élèves doués ? Les Védrine font d’ailleurs l’impasse complète sur la période bordure d’Olrik qui suit la fin de l’Empire Jaune mondial et l’échec de plusieurs actions politico-criminelles en Europe de l’Ouest. L’homme fort de la Bordurie, le Maréchal Plekszy-Gladz, ne pouvait pas ne pas accueillir un homme aussi réputé dans son art qu’Olrik.

Tintin l’a longtemps recherché, en particulier au Tibet. Officiellement, le journaliste – reporter y part avec la ferme intention de sauver son ami Tchang. Il sait en réalité qu’Olrik y a vécu. Avant-guerre, il aurait participé à l’expédition d’Ernst Schäfer parrainée par l’Ahnenerbe (le service scientifique, patrimonial et historique de l’Ordre noir). Pourquoi ? Les Védrine père et fils n’apportent aucune réponse. De rares sources recoupées avec soin avec quelques précieux témoignages avancent qu’au cours de sa formation de cadet en Russie pré-révolutionnaire, le jeune Olrik aurait pu être en contact (Comment ? Par quel moyen ? Par l’intermédiaire de qui ?) avec le baron Roman von Ungern-Sternberg, chef de la Division asiatique de cavalerie et régent de la Mongolie en 1921. On sait aujourd’hui que le général-baron avait l’intention de reconstituer l’Empire eurasiatique de Gengis Khan autour de deux piliers spirituels forts : Ourga en Mongolie et Lhassa au Tibet. Olrik a-t-il repris à son compte le formidable dessein du « Baron fou » ? Cela expliquerait sa présence exceptionnelle d’homme blanc parmi les hiérarques de l’Empire Jaune dans les trois volumes du Secret de l’Espadon…

Expert en conjurations politiques, en sabotages, en désinformation, en complots militaires, en infiltrations, en déguisements et en conspirations techno-économiques, le Colonel Olrik incarne l’Albo-Européen mû par un authentique esprit faustien, ce sens du tragique qui édifia le Parthénon d’Athènes et le Colisée à Rome, construisit les cathédrales gothiques et conçut les premières fusées. Ce n’est donc pas anodin si Guillaume Faye, déjà parolier du Docteur Merlin avec Maléfice, prit dans les années 1980 le pseudonyme d’Olrik pour écrire deux chansons de Robert Pagan (Les nouveaux dieux et L’Empire) incluses dans Chants de Révolte et d’Espérance. L’auteur du Système à tuer les peuples a toujours admiré cet anarque génial à l’indomptable courage.

Georges Feltin-Tracol

• Hubert Védrine et Laurent Védrine, Olrik. La biographie non autorisée, Fayard, 2019, 220 p., 20 €.

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jeudi, 17 octobre 2019

Postmodernism and Collective Apathy

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Postmodernism and Collective Apathy

Ex: https://www.geopolitica.ru
 
The grand narratives and ideologies are constantly shaping and reshaping the socio-political structural patterns of the societies and the world at the national as well as the global level. Verily, the ideologies like anarchism, absolutism, liberalism, utilitarianism, capitalism, existentialism and socialism have maneuvered the political dynamics of societies, states and the world in multiple ways.  For instance, the western powers or colonizers espouse and popularize the western ethnocentrism and survival of the fittest dogmas for creating a way of justification of colonialism by invading the Asian and African world in the past. The journey of the construction of knowledge has not finished yet as the experts have been making efforts to understand and analyze the socio-political affairs of the world with the more simple and distinct theories and narratives. As a result, the new theories and ideologies are emerging, making their place in the literature, guiding or misguiding the followers and influencing the societies and the world politics.
 
Similarly a trendy narrative, focusing on deconstructionism, namely postmodernism has also started to impinge on international politics of modern age in a distinctive style. Postmodernism emerged in 1960s in France and turned quickly into pushy narrative. In order to get a basic understanding of the postmodernism, a clear and vivid distinction is required, among three kinds of discourses; pre-modernism, modernism and postmodernism. However, this sort of division of discourses encounters another issue that identifying a point and separating the postmodernism from modernism itself is dubious and debatable. Indubitably, this deserves the critical intellectual labor because it has also been argued that postmodernism is another extended angle of modernism. It is not a walk in the park to define the postmodernism under the principles outlined by the post-modernist thinkers because they do not believe in specific terms, precincts and definite truths. So, post-modernism can be described by focusing on the dominant principles and features but cannot be defined in a true and pure sense for the reason that requires the greater patience and ingenuity. Generally, the postmodernism is perceived and treated as an anti-traditional values, anti- religions, anti-democracy, anti-capitalism, anti-enlightenment or in-short anti-existing patterns and established grand narratives regarding economy, society, culture and politics. It declares the end of meta-narratives and grimly attacks on the absolute truth, objectivism, reason, morality and human nature. Howbeit, the increasing impact of postmodernism on the contemporary world politics is of grave concern that is affecting the political values and pushing the global politics towards cynicism.  
 
One of the core principles of postmodernism is that truth is relative in any way that means all the existing political or theological truths prevailing in the world are subjective, relative and contextual.
 
Postmodern deconstructionism presents an answer to the political or religious ideologies and faiths that “there is no fundamental truth” which is clearly making the way for cynicism at individuals, societal and state level. This principle is further extended to a level where it is believed that any political narrative or ideology of an individual, party or state cannot be considered as superior to others, rather all the narratives are equally valid and legitimate in their own way. Let it explain in more simple way; for example, the political ideology of A cannot be termed as better and superior to the ideology of B because both A and B are equally valid. 
 
Likewise the concept of exploitation in capitalism becomes justified because all the ideologies and narratives are valid and legitimate. Although, Foucault has been categorized as a leftist activist because he used to believe in the Marxist ideology however, his specific philosophical argument can really be interpreted in favor of realism.  Let us again apply the same principle on the ideology of terrorism and we find, the very rule determines the ideology of terrorism (A) cannot be termed as inferior to other doctrines (B).
 
This argument endeavors to make the truth inert and dormant and such stance of postmodernism about truth is awful and inexcusable because this packs down the fundamental idea of right and wrong.  Consequently, everything becomes fair in the social and political affairs and here postmodernism voluntarily or inadvertently invites the “realism” that implicitly aligns itself with this particular characteristic of postmodernism, negating the values and constructing the national interest. Realism is the most overriding and leading perspective followed by the states which explicitly advocates for achieving the perceived and constructed national interest, maximizing the security and grabbing the power by using multiple fair and unfair means. The realism on this point appears as more realistic and hard-nosed as it finds a justified discourse and exploits the opponents with ardor for seeking the power and interests. 
 
Moreover, it assumes that “there is no telos to life” and it lacks the purpose or any sense and eventually the postmodernism aligns itself with the ideology of nihilism which strictly believes on the rejection of the belief system, values and meanings of life. The nihilism influences the behaviors of the individuals, political leadership, societies and states in a pessimistic way. Needless to say, the powerful states support, promote, exploit the relevant assumptions of postmodernism and they challenge other political narratives going against their interests. The rise in the political apathy or the rise of populism, rebuffing the popular and established values in the Western world might be the product of postmodernism. Under the prevailing literature and narrative of postmodernism, the emergence of the valueless leadership can be observed at the regional and global stage.
 
The powerful narrative based on identity politics and nationalism has triggered a weird series of events from North to South. The outcome of the policies and actions of such notorious leadership has been definitely adding the uncertainty and chaos to the political situation.
 
Besides, while deconstructing the contemporary and classic narratives, the postmodernists constructed their own narrative which has been tactfully and cleverly interpreted by the realism in its own traditional style. This fate of postmodernism reminds us the famous German philosopher Nietzsche who once speculated “Beware that, when fighting monsters, you yourself do not become a monster.” The political experts and intellectuals propagating for the postmodernism have condemned and disapproved the status-quo particularly the existing socio-political patterns and structure but they could not offer any valuable alternative as solution to the existing problems of the world. Conversely, the situation has become worse because the world has already been observing the collapse of liberal order and values. On a final note, the rise of a realist order appears as a main threat to the peace, values and the prosperity of the globe. The imperceptible connection of postmodernism with realism has propelled the world to meet and face the new wave of confusion, anarchy and apathy.
 

samedi, 18 mai 2019

Valentine de Saint-Point : le futurisme au féminin

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Valentine de Saint-Point : le futurisme au féminin

par Arnaud Bordes

Ex: http://rebellion-sre.fr

Née Anna Jeanne Valentine Marianne Desglans de Cessiat-Vercel, elle est par ascendance maternelle arrière-petite-nièce d’Alphonse de Lamartine. La famille s’installa à Mâcon où elle vécut son enfance entre sa mère, sa grand-mère, son précepteur, ses dons précoces, sa passion pour la lecture, et ses premières aquarelles et poésies. Rien ne lui fut mystère de sa glorieuse généalogie, dont elle s’enorgueillit jusqu’à prendre, d’après le nom du château de l’illustre poète, le pseudonyme de Saint-Point.

*

Dans le temps des années d’avant-guerre, dans ce Paris qui concertait toutes les élites cosmopolites et artistiques, où peintres, musiciens, sculpteurs, écrivains, collectionneurs s’unissaient et se désunissaient en académies, cénacles et galeries, V. de Saint-Point sut briller. Portant beau et aristocratiquement, d’une séduisante facilité de mœurs, souvent de pourpre vêtue1, bijoutée d’extravagances, émancipée dans l’activité sportive et l’escrime, mondaine accomplie, elle ne laissait pas indifférente la gent masculine qui s’empressait autour de ses impétuosités.

Si elle ne la lança pas dans le monde, puisqu’elle l’agitait déjà, sa rencontre, puis son union libre, avec le polygraphe Ricciotto Canudo, qui fréquentait les groupes de la modernité, lui permit toutefois d’imposer son engagement d’écrivain auprès des personnalités qui comptaient. Le couple avait de pareils intérêts pour le symbolisme et une conception universaliste du langage. Ricciotto Canudo fonda une revue (dont le nom, Montjoie !, n’était assurément pas fortuit) où l’on disputa du monde des Idées. Et tous deux firent le voyage d’Espagne et du Maghreb, où elle s’initia aussi bien à l’architecture mauresque qu’aux philosophes arabes et aux arcanes moyen-orientaux.

vspportrai.jpgTrès vite, dans son atelier de la rue de Tourville, à l’instar des salons d’Anna de Noailles, mais avec plus d’inventive faconde, V. de Saint-Point stimula, entre les différentes disciplines et leurs représentants, les rencontres dédiées à la rénovation des esthétiques. L’étude des religions, des mythes gréco-romains et des doctrines secrètes, le spiritisme et l’occultisme, y tenaient bonne place par l’intermédiaire du poète Vivian de Mas dont le théosophisme aigu dégageait des perspectives vers les sphères supérieures, vers les races et les cycles.

Tandis que Tristan Derème, Klingshor, Paul-Jean Toulet, Jean Cocteau, Blaise Cendrars y devisaient, les musiciens Florent Schmitt, Maurice Ravel y jouaient leurs compositions, puis Satie, que l’on redécouvrit, lui un peu oublié depuis les salons Rose-Croix de Péladan, avant de tous se réunir avec des chorégraphes, Diaghilev, Nijinsky, Jeanne Hugard, qui dansaient parfois en avant-première des actes de leurs ballets.

Cette effervescence précipitait les théories, dont la plus avérée fut l’Apollinisme qui, façon de pré-Futurisme, réclama le culte de la vie dans ses liens avec les énergies primordiales et posa le plaisir, au sens d’une jouissance purificatrice, en idéal.

V. de Saint-Point était devant ces aréopages ce que la « Domna » était devant sa cour de trouvères. Elle conduisait les hommages qui l’entouraient pour les transmuter en créativité.

Or, il est une figure qui dominait de son entière renommée toute cette concorde : Rodin, dont V. de Saint-Point fut le modèle puis, incidemment, la secrétaire. Une correspondance nombreuse révèle leur profonde amitié. Elle en révéra l’art qu’elle célébra dans des poèmes et étudia dans La double personnalité d’Auguste Rodin. Par sa présence célèbre, il attirait toujours plus de curieux dans l’atelier de la rue de Tourville. Et ses sculptures, ses nus, en l’occurrence Le Penseur et Le Baiser revêtent une importance particulière. Le premier représentant l’intellect saisi dans toute sa pure splendeur, et l’autre suggérant, au-delà de l’apparence passionnelle, une volupté sacrée voire métaphysique, puis leur aspect souple et massif et comme irradié de subtils mouvements intérieurs, semblent être la mesure symbolique de l’œuvre de V. de Saint-Point qui alternera incarnation et abstraction.

Plus ouvertement, travaillés de spéculations syncrétistes, les écrits de V. de Saint-Point superposèrent progressivement deux thèmes majeurs : la solution d’une féminité originale et la quête d’un pancalisme ou d’une synthèse des arts.

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Sa littérature fut donc requise par plusieurs mouvements. Du Symbolisme, déjà finissant, V. de Saint-Point retint les émotions raffinées, les quêtes synesthésiques et la tentative, par l’entremise d’éléments occultes associés au plaisir d’une langue invocatoire, d’affronter l’invisible au visible, de vérifier, en les entrevoyant peut-être, les intersignes qui nouent les formes finies et les formes infinies. Elle continua d’explorer autant la « forêt de symboles » de Baudelaire que les intuitions délicates de ses aînées, ces éphébesses floues que furent Renée Vivien ou Natalie Barney ou Lucie Delarue-Mardrus. Elle s’efforça aussi vers l’École Romane que Jean Moréas, qui fit sécession avec le Symbolisme dont, pourtant, il rédigea le manifeste, avait fondée dès 1891 afin de recouvrer les vertus d’un classicisme déclamatoire mêlé d’une prédilection pour les cultures méditerranéennes anciennes. Louant dans un style simple mais ample la contemplation de la nature, elle perpétua une mystique des éléments, du vent, de l’eau, du soleil, qui aboutit à une vision panthéiste comme à l’annonce d’un certain néo-paganisme. Un tel retour aux sources l’entraîna vers une critique du monde moderne similaire, momentanément, à celle de Charles Maurras ­ lui-même disciple de l’École Romane dont le refus de la civilisation occidentale, dénoncée comme barbare, s’augmentait d’un éloge des lumières hellènes. Pourtant, V. de Saint-Point inclina moins au rationalisme antique qu’à la célébration, soutenue par l’espoir des rythmes cosmiques, des instincts, des mouvements de l’âme et de sentiments nobles – elle accorda dans ses vers l’exaltation du moi au lyrisme hautain de son grand-oncle pour, à la fin, approfondir une veine romantique : car souvent, en effet, elle ne se déplut pas, presque par fidélité superstitieuse, à s’imprégner du souvenir d’Alphonse de Lamartine en engageant, plus ou moins directement ou magiquement2, son inspiration et son imaginaire sous son ombre tutélaire.

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vspmanif.jpgToutefois, ce qui prime dans ces principaux recueils, Poèmes de la Mer et du Soleil, L’Orbe pâle, La Soif et les Mirages, c’est la mise en place progressive d’une écriture féminine. Non pas d’une écriture féministe mais d’une écriture au féminin qui promeut plus la femme intérieure que la femme sociale. Non pas d’une écriture revendicative mais d’une écriture créative qui énonce les règles d’une esthétique féminine à part entière et qui essaie de s’affranchir des représentations masculines et littéraires de l’Éternel féminin pour, en quelque sorte, réaliser la Femme éternelle. Et cette Femme ne sera ni la Salomé décadente, ni la Nana naturaliste, ni l’Amazone symboliste, ni la précieuse ridicule des salons, mais procèdera de mythes puissants, qui affleureront dans Les poèmes d’Orgueil et s’imposeront dans son triptyque romanesque de L’amour et de la Mort, dont les romans, Un Amour, L’Inceste, Une mort, seront une déclinaison de la femme en trois archétypes classiques : Aphrodite, Déméter, Hécate.

Dans Un Amour, au travers de personnages nourris de philosophie idéaliste, la relation amoureuse est perçue comme concentration de forces et activation, celles-ci présupposées, de potentialités supérieures résidant dans l’amante, tandis que l’éros, dénoté hors de toute considération biologique ou génésique, est moins une fin qu’un moyen assurant le passage de l’infrastructurel au suprastructurel : l’amante ne s’appréhende plus seulement en mode mineur, charnel et psychique mais en mode majeur et spirituel, elle ne relève plus, pour jouer sur les désinences, de l’aphrodisiaque mais s’élève vers l’aphrodisien – elle atteint à une manière de totalité. S’étant pérennisée, elle pérennise autant l’amant que, surtout, le couple. Ascendante, transcendante, révélée, initiée à elle-même, elle permet à la contemplation de s’apprécier en contemplation platonicienne.

Dans L’Inceste (qui fit scandale et posa à nouveau la question de la morale dans l’art), au-delà de la volonté de transgresser un interdit et de dépeindre une mère dont l’amour maternel verse dans la passion amoureuse, il s’agit de redécouvrir la féminité omnipotente qui, semblable à Gaïa ou à Déméter (ou à toute autre hypostase de grandes déesses antiques de la Nature), est source et principe de vie. La pulsion incestueuse, si elle est déviance, est entendue comme processus de retour à soi : prédominant à tout, une telle féminité tend à être fécondée par ce qui est né d’elle et, se rassemblant et ressemblant à perpétuité, assure certain ordre naturel.

Dans Une Mort, bien que d’un tour plus autobiographique, et où sont condamnés la société et, dans tous ses aspects, qu’ils soient artistiques et moraux, le sexe masculin, émerge une féminité qui se situe à l’opposé des précédentes : puisque la femme est, comme susdit, pouvoir de vie physique et métaphysique, elle est aussi pouvoir de mort. Ce sera alors l’Hécate (ou aussi Ishtar, Astarté, Kali) qui propage les influences démoni(a)ques, dissolvantes, hallucinantes – féminité qui est négation, destruction, non seulement de la virilité mais aussi de toutes formes. Descendante, abyssale, elle est la voie vers une pureté par défaut, subversive, une pureté froide, stérile, vide, la pureté de la tentation du néant.

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Pour compléter, à un niveau plus formel, cette analyse d’une écriture au féminin, il est nécessaire de remarquer que le dessein de V. de Saint-Point est d’entreprendre bel et bien le discours, de se l’approprier en tant qu’il est rhétorique. Or la rhétorique ne se résume pas à des procédés d’éloquence ou à une simple technique littéraire, judiciaire, délibérative ou épidictique. Elle a essentiellement pour fonction de pallier l’arbitraire du signe et de faire en sorte que le langage soit le plus possible en relation avec le réel ; elle est ordre et rythme et, par-là, s’accorde à l’ordre des choses et aux rythmes naturels3. Elle fut connotée comme hypostase, voire image du Verbe ou, si l’on préfère, comme une espèce de logos minuscule reflet du Logos majuscule. En tant que telle, elle est sophistique et en relation avec la Sophia qui est l’âme (l’ordre) du monde créé. Ainsi, V. de Saint-point, qui s’applique de manière souveraine à la rhétorique, s’oriente vers cette Sophia qui, en soi, rejoint une modalité de féminité archétypale. En même temps, dans ce triptyque de L’amour et de la Mort et, plus tard, dans La Soif et les Mirages, V. de Saint-Point rencontre une qualité de composition qui ressortit plus au poème en prose qu’au roman. Qualité de prose poétique qui, autour de 1900, fut explorée par Gustave Khan et Marie Kryzinska 4 et qui façonne une langue ornementale, une mise en décor de la langue, une langue distinctive qui, parce qu’elle se déprend de tout didactisme ou de toute doxa, pourrait apparaître comme un vain exercice de style mais qui, au contraire, est pure rhétorique laquelle, en effet, est intrinsèquement hautement signifiante : soumis à de très précises règles, le style se suffit à lui-même et pourvoit au sens5. Et V. de Saint-Point, faisant du style, fait du sens.

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Il était normal que cette quête de la féminité interrogeât la sexualité. L’essai La femme et le désir y contribua en argumentant sur une nouvelle approche du corps féminin qu’il convient de ne plus définir comme objet peccable ou tabou. Étayés par une dénonciation de la morale en vigueur et une analyse de l’intimité de la femme, le désir et la volupté sont, s’il en est, reconnus, jusqu’à être, par leur reconnaissance même, porteurs de la transgression attendue : l’inconvenance et l’épanouissement se prônent mutuellement tandis que le sentimentalisme, la tendresse, les fadeurs sont méthodiquement flétris.

Mais ce n’est là qu’une propédeutique à de plus vigoureux textes.

futurist_manifesto_lust_0.jpgV. de Saint-Point se proclamait femme d’avant-garde. Affairée à la nouveauté, elle trouva le Futurisme dont les scandales péremptoires, les facultés de provocation, l’idéologie de la révolte, de la tabula rasa et de la collision, le volontarisme, la fascinèrent et lui permirent d’exaspérer beaucoup de ses convictions, et dont, plus avant, elle enrichit la doctrine qui, derrière la personnalité percutante et lyrique de son chef de file F.T. Marinetti, assénait le mépris du sexe faible : « Nous, futuristes, nous honnirons les femmes tant qu’elles empêcheront les hommes de conquérir le monde en les emprisonnant dans les pièges de l’amour et du snobisme, tant qu’elles constitueront autant de chaînes à briser, d’entraves pour le combat et pour la lutte. »


V. de Saint-Point et F.T. Marinetti se rencontrèrent, se convainquirent, et ce dernier, qui augura du retentissement médiatique qui en résulterait, la consacra première femme futuriste. Aussi, sacrifia-t-elle à la mode des manifestes (lesquels se multipliaient en ces périodes de défis artistiques) et rédigea Le Manifeste de la Femme futuriste dont, vêtue d’une robe d’un rouge encore excentrique, chapeautée à la mexicaine et gardée par les importants du futurisme, Balla, Sevirini et, bien sûr, Marinetti qui ouvrit la conférence, elle donna lecture le 27 juin 1912, salle Gaveau.

Elle y développa une théorie.

Premièrement, sous l’influence, semble-t-il, de philosophes ou d’occultistes comme Otto Weininger6 ou Joséphin Péladan7, en suggérant que l’identité sexuelle telle qu’on l’entend n’est pas pertinente. En fait, et cela présupposant la notion de sexe intérieur et extérieur, la sexualisation est ensemble une réalité changeante et une gradation selon que dans un même individu prédomine la qualité mâle ou la qualité femelle : tel peut être anatomiquement masculin qui participe psychiquement, à divers degrés, de possibilités féminines ; telle peut être anatomiquement féminine qui participe psychiquement, à divers degrés, de possibilités masculines. Par conséquent, le type pur est rare, soit qu’il s’affirme pleinement masculin ou féminin, soit qu’il réalise, de manière plus complexe, comme le conçoit V. de Saint-Point, le parfait équilibre entre compétence masculine et compétence féminine : tel sera, d’après elle, « l’être complet ». Être complet qui se manifeste non seulement comme cause mais aussi comme conséquence de périodes et de races épiques: d’où les génies, les héros…

manifesto_saint-point_donna_320.jpgSecondement, en conceptualisant la surfemme, véritable parèdre du surhomme nietzschéen. Surfemme qui, refusant « les morales et les préjugés » qui la dévoient, prépare, dans l’élan dominateur de tout son instinct vainqueur, l’avènement d’une humanité supérieure d’où les compatissants seront sans merci éliminés : « Que la femme retrouve sa cruauté et sa violence qui font qu’elle s’acharne sur les vaincus parce qu’ils sont vaincus, jusqu’à les mutiler. Qu’on cesse de lui prêcher la justice spirituelle à laquelle elle s’est efforcée en vain. Femmes, redevenez sublimement injustes, comme toutes les forces de la nature ! »

Peu après, en 1913, paru Le Manifeste futuriste de la Luxure. Les données crypto-nietzschéennes, telles que d’être soi-même sa propre théorie de la vie et la réalisation autonome de soi à l’encontre des entraves et codes culturels, y sont renouvelées, poussées à l’extrême, en même temps qu’elles s’agrègent à l’invention d’une luxure éprouvée autant comme valeur ultime que comme explication et rééquilibrage de l’existence : « C’est l’insatisfaction renaissante qui pousse, dans une orgiaque volonté, l’être à s’épanouir, à se surpasser. » Orgueilleuse vitalité, la luxure ignore les valeurs établies, bouleverse les vérités, active les énergies et provoque les guerres qui créent un individu puissant, un soldat, un artiste « dont rien ni personne ne peut annuler l’identité8 » et, conjonction de Vénus et de Mars, elle « est une force, puisqu’elle tue les faibles et exalte les forts, aidant à la sélection. » C’est aussi un moyen de régénérer les critères calistiques qui, eux-mêmes se dynamisant, ouvrent sur une création (quasi au sens cosmogonique) selon la chair qui concurrence la création selon l’esprit : « La luxure, c’est aussi la recherche charnelle de l’inconnu, comme la cérébralité en est la recherche spirituelle. » Et il est évident que la luxure se pratique en pleine conscience. Elle exige concentration ­ autant que pour une œuvre artistique. De même, elle ne découle pas du sentiment amoureux, qu’elle ne prolonge pas mais qu’elle excède parce qu’elle est « éternelle » alors qu’il « suit les modes ».

Ces écrits firent du tapage. Le tumulte plut à V. de Saint-Point, qui se félicita d’avoir défié la société et d’avoir mis la femme au centre des débats du mouvement futuriste qui, dès lors, en compta beaucoup dans ses rangs. Les manifestes furent traduits dans toute l’Europe. Bien des capitales, où l’avant-garde s’activait, réclamèrent et sa présence et ses conférences, et l’accueillirent comme une pythie venant rendre d’audacieux oracles.

Parallèlement, et toujours sur le thème d’un féminisme inédit, V. de Saint-Point se diversifia dans le théâtre.

Le théâtre de la femme incite à réformer les rôles de la femme qui n’a plus à jouer « une ménagère complaisante et silencieuse » ou « une poupée jaboteuse, sentimentale ou perverse » entravée par d’adultérines intrigues boulevardières. L’héroïne doit s’affirmer telle (héroïque !), puis proposer l’énigme de sa féminité dont par « de sublimes gestes » et en s’exprimant « en divines paroles » elle révèlera, ou suggèrera, le chiffre. « Être étrangement complexe et mystérieux », elle élabore sa propre dramaturgie qui, en un essor ipséiste, suscite sa propre analyse psychologique : c’est « l’autopsychologie de la femme » qui lève les séquestres posés par le psychologue de la féminité. Pour ce faire, il conviendra de controuver le théâtre même : en le rétablissant dans sa grandeur antique et en l’associant, afin qu’il retrouve sa plénitude mimétique, à l’évolution des mœurs qui favorise, justement, l’expression de la femme. Pourtant, à bien le considérer, ce théâtre, convoquons L’agonie de Messaline9, de facture très idéaliste, parce que très cérébral, n’opère pas la purgation des émotions et se lit sans doute mieux qu’il ne se joue, à l’exemple des drames de Villiers de l’Isle-Adam, dont V. de Saint-Point louait les hautaines exigences.

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milideux.jpgÀ l’avenant, et de manière prépondérante, V.de Saint-Point s’investit dans un autre art de scène : la chorégraphie, qu’elle magnifia en Métachorie (du grec méta : déplacement, changement, ou, succession; et khoreia : danse).

La Métachorie est une danse qui tend à son propre dépassement et fusionne les arts auxquels elle se rapporte : la géométrie, la sculpture, la peinture, le nombre, la poésie, la musique. L’affirmant « d’essence cérébrale, créée spirituellement », V. de Saint-Point l’affronta, pour la parfaire en mystère, à la danse classique et de ballet « qui n’est que de la cadence marquée » enchevêtrée « d’inspiration charnelle ».
Danse supérieure donc, qui n’est pas « matérialisation exotérique, un rythme charnel, instinctif ou conventionnel », danse « idéiste », elle succède d’abord, néanmoins, à d’autres célèbres chorégraphies. D’une part à celle de Loïe Fuller qui, bien qu’en quête d’une gestuelle pure, déploya sur scène, à l’aide d’effets spéciaux de voiles, de miroirs, de lumières, toute une émulsion de métamorphoses sinueuses10. D’autres part, à celle d’Isadora Duncan qui, par la contemplation de la nature, et en empruntant à l’esthétique grecque comme aux rites dionysiaques, voulut retrouver des rythmes de transes et les corps ravis par des forces suprahumaines.

Et, V. de Saint-Point proclamant la stylisation géométrique des mouvements et la schématisation ultime des gestes, danse qui revoit le cubisme qui, à la même époque, restructura les objets et les êtres dans leur organisation première.

Mais l’important est ailleurs. V. de Saint-Point selon, comme on l’a vu, que ses goûts la portaient vers la culture des mondes méditerranéens, avait étudié la philosophie antique. En sorte que, touchée de gnose, pétrie de significations profondes, elle tint pour des thèmes cosmologiques subtils, pour des ontologies qui polarisent en hiérarchie complémentaire la manifestation universelle, pour le monde des archétypes qu’elle apprécia précisément, encore, selon des données géométriques : « toute figure géométrique a un sens ésotérique ». Or, la manifestation universelle s’ordonne en principe masculin et principe féminin. Le masculin, qui est essentiel, est forme, verticalité, immobilité, immutabilité, stabilité et station ­ existence, éternité ; quand le féminin, qui est substantiel, est informe, horizontalité, instabilité, mobilité, mutabilité et situations ­ vie, devenir. Ce sont, respectivement et pour reprendre des catégories traditionnelles, le khien et la khuen ou le yang et le yin extrême-orientaux, l’Acte et la Puissance ou la Totalité et l’Infini11 aristotéliciens, le nous et la psyché plotiniennes, les çiva et çakti indiens, qui se circonstancient en ciel et terre, feu et eau, nord et sud, droite et gauche, zénith et nadir. Catégories qui peuvent s’entendre selon un mode ternaire : principe masculin et principe féminin sont l’émanation par spécification d’un principe suprême qui, se maintenant identique à lui-même, les transcende et les comprend ; masculin et féminin sont conjoints en dualité par rapport à une unité. C’est, selon Pythagore, la Dyade opposée à l’Un, la Dyade à partir de laquelle se développera donc la création qui, précisons-le, s’appréhendera plutôt comme l’amplification du principe féminin ou l’animation par le principe masculin des potentialités de ce principe féminin. Ainsi, pour V. de Saint-Point, il s’agit d’abstraire la danse qui, parce qu’elle est mouvement et changement, phénoménale et multiple, est à l’image de la vie, de la création, de l’abstraire par induction progressive ou, éventuellement, car la valeur opérative n’est pas attestée, par étapes initiatiques et de la proposer peut-être comme voie sacrée vers ce que l’on appela les Petits Mystères et les Grands Mystères, sachant que les premiers relevaient du principe féminin alors que les seconds relevaient du principe masculin. Ainsi, par exemple, pour atteindre au principe féminin, V. de Saint-Point esquissa une chorégraphie en linéarités courbes et brisées favorisant l’expression du yin et illustrant soit l’eau « coulée » soit l’eau « baignée » et lustrale, l’acqua vivis en laquelle gisent les puissances indifférenciées ­ une chorégraphie également présentée horizontalement, orientée au sud et, comme autant d’exercices au sol, en contact avec l’élément terre. En même temps, elle figura de ces triangles inversés, dirigés vers le bas, qui symbolisent la matrice et l’organe sexuel, puis la force magique et fertile de la mater genitrix. Ensuite, V. de Saint-Point exhaussa le triangle, qui marquera le haut et le nord et assurera le passage à la verticalité et au principe masculin lequel, alors, sera stylisé en lignes droites favorisant l’expression du yang pour, après, être de plus en plus épuré en formes géométriques de plus en plus statiques. Jusqu’à la représentation de la Dyade (associée généralement à la rotondité, à la sphéricité androgyne – convoquons l’Androgyne de Platon ou de l’Être circulaire parménidien12), soit par des postures suggérant un cercle, soit par des postures verticales, axiales, en caducée, où le bras droit élèvera au zénith les forces mâles et le gauche descendra au nadir les forces femelles. Quant au principe suprême, il semblerait que V. de Saint-Point lui dédiât son anatomie rétractée le plus possible en un point qui, « en-stase », concentre véritablement le cercle qui en est l’« ex-tase », à moins qu’elle ne le représentât par une attitude pensive, à la manière du Penseur de Rodin qui symbolise l’Intellection/l’Idée pure. Au reste, cet effort n’était pas sans de précises techniques respiratoires13 qui, au-delà de la nécessité vitale, servaient, au sens strict des termes, à reprendre le souffle : reprise du souffle supérieur (divin) qui anime le cosmos et alterne Inspir et Expir, c’est-à-dire rétraction et expansion, c’est-à-dire, comme il vient d’être vu, « en-stase » et « ex-stase ».

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Également, la Métachorie, œuvre de purification, voire de dépouillement, n’est pas sans évoquer la danse des Sept Voiles que pratiquaient pythies et prêtresses d’Aphrodite et qui consistait à ôter précisément sept vêtures, symboles de la manifestation universelle (4+314, le quatre étant en relation avec l’axe horizontal et le trois avec l’axe vertical), à épuiser, certes, cette manifestation universelle afin d’atteindre à la nudité principielle, abyssale, vertigineuse ­ au Nu de l’Un.

Il faut imaginer notre métachoreute prise dans les satins impassibles d’une robe haute et médiévale : « Les costumes de ma métachorie ont la ligne longtemps traditionnelle des costumes mérovingiens, francs. » Car, en plus que de sublimer les gestes, elle souhaita contraindre le corps et le visage, en occulter les formes trop charnelles aussi bien que les émotions, jusqu’à qu’elles fussent hiératiques, jusqu’à ce qu’ils fussent lente solennité : « Pour danser, il faut donc voiler toute partie du corps où la chair a la prépondérance sur le muscle, ce qui ne peut que donner du flou nuisant par le détail de son agitation multiple à la ligne générale en mouvement. Le visage, dont l’expression est, naturellement, sans cesse changeante, ou artificiellement crispée dans le sourire figé, ou agitée par les détails d’une mimique par trop facile, est disharmonie avec les mouvements inévitablement plus lents du corps. »

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La réalité de la grande guerre affecta V. de Saint-Point. Les combats ne ravivaient pas la race non plus qu’ils n’appelaient les héros ou une beauté neuve. Elle considéra que la guerre n’était ni esthétique ni métaphysique mais ordinaire économie qui profitait aux marchands d’armes.

À l’instar des Picabia, Duchamp et de beaucoup des avant-gardes, elle s’exila aux Etats-Unis, où elle organisa en 1917 un festival de la Métachorie.

Mais la désillusion était immense. Dès son retour en Europe, elle se détourna des valeurs du monde moderne afin d’entreprendre mieux ses quêtes spirituelles qui s’intensifièrent lors de sa conversion à l’Islam. À Tanger, elle fut baptisée sous le nom de Rawhiya Nourredine.

La rupture fut consommée en 1925, lorsqu’elle s’installa au Caire. Son engagement auprès des nationalistes égyptiens, qu’elle servit en créant la revue Phoenix, l’affermit dans sa critique de la civilisation occidentale à laquelle elle opposa l’avènement d’un Orient uni et réuni à lui-même, tant au niveau de ses traditions qu’au niveau de ses peuples. Cependant, à cause de dissensions diverses, elle renonça à la lutte.

Ésseulée, démunie, elle vécut dans l’étude des prophètes et de consultations de radiesthésie et d’acupuncture. Méditant sur les états multiples de son être, elle approfondit ses recherches ésotériques. Elle se lia d’amitié avec René Guénon qui s’était aussi retiré au Caire. Elle mourut en 1953.

Arnaud Bordes

Romancier et  éditeur – http://alexipharmaque.eu/

 

Notes : 
1 Pour Gabrielle d’Annunzio, elle fut « la muse pourpre ».

2 Il semblerait qu’elle eût tenté, au cours de plusieurs séances de spiritisme, de prendre contact avec le glorieux aïeul.

3 « La nature elle-même nous apprend à choisir le mètre qui lui convient. » Aristote, Poétique.

4 L’un et l’autre prétendant à l’invention du vers libre. Leur rivalité passionna les cercles et les revues littéraires de l’époque : les Hydropathes, la Revue indépendante… Rappelons également Joris-Karl Huysmans, qui voyait dans le poème en prose « le suc concret, l’osmazôme de la littérature, l’huile essentielle de l’art. »

5 De fait, plus largement, il n’est pas sérieux de déprécier la coruscance de quelques écrivains ou mouvements : Stéphane Mallarmé, Mademoiselle de Scudéry, les Grands Rhétoriqueurs, Maurice de Scève… En relation avec ce que la rhétorique antique appelait « le genre relevé » ou, lorsqu’il y avait plus d’afféteries, « l’asianisme », de tels styles rythment souvent plus qu’une apparente préciosité.

6 Cf. Sexe et Caractère

7 Cf. De l’Androgyne

8 Mircea Eliade, Les Hooligans.

9 Messaline est une figure emblématique de l’époque. Topique littéraire, elle étend son emprise à de nombreuses œuvres : Messaline d’Alfred Jarry, Messaline de Nonce Casanova, L’Orgie latine de Félicien Champsaur…

10 Entre autres, la fameuse Danse Serpentine.

11 « Est donc infini ce dont, quand on le prend selon la quantité, il est toujours possible de prendre quelque chose à l’extérieur. Mais ce dont rien n’est à l’extérieur de lui, cela est achevé et une totalité » Aristote, Physique.

12 « Il ressemble à la masse d’une sphère arrondie de tous côtés, également distante de son centre en tous points. » Parménide, Poème.

13 Techniques respiratoires à mettre éventuellement en relation avec la méthode hésychaste. L’Hésychasme (hsuxia, en grec : calme, recueillement, quiétude) entreprend, par d’appropriées postures corporelles et par la régulation du souffle à travers la répétition du nom de Dieu, de délivrer l’Esprit enclos dans la chair.

14 En général, les nombres impairs sont en rapport avec le ciel, et les nombres pairs avec la terre.

samedi, 16 mars 2019

Francis Bergeron : « Tintin véhiculait des valeurs qui me correspondaient »

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Francis Bergeron : « Tintin véhiculait des valeurs qui me correspondaient »

Propos recueillis par Alexandre Rivet

Ex: https://www.breizh-infos.com

Francis Bergeron est journaliste pour le quotidien Présent et auteur de nombreux ouvrages, notamment pour la jeunesse. Spécialiste de Tintin et de son créateur Hergé, sur lequel il a également écrit plusieurs livres, il a accepté de répondre à nos questions en cette année marquant le 90ème anniversaire du célèbre reporter…

Breizh-info.com : Francis Bergeron, d’où vient votre passion pour Tintin ?

Francis Bergeron : Comme tout le monde ou presque : de l’enfance. Quand on m’a offert mon premier Tintin, je ne savais pas lire. Mais j’avais été frappé de voir mon père lire mon album et y trouver un réel plaisir. S’agissait-il d’un livre pour moi ou pour les grandes personnes ?

Plus tard, pendant mon adolescence, il m’a semblé que Tintin, comme Bob Morane, Buck Danny, Sherlock Holmes, Les histoires de l’oncle Paul, ou La Patrouille des castors, véhiculait des valeurs, une éthique, un état d’esprit qui me correspondaient, par tradition familiale, sans doute.

FB-hergéVImm.jpgPar la suite, engagé politiquement dans des groupuscules activistes, j’ai découvert avec un infini bonheur que Hergé avait fréquenté des personnages qui me fascinaient, comme Léon Degrelle, dont j’avais lu l’épopée militaire, qu’il avait dessiné une aventure anticommuniste au pays des Soviets, album mythique, introuvable, dont j’ai pu lire pour la première fois les bonnes pages dans le mensuel anticommuniste Impact, au tout début des années 70.

Breizh-info.com : Quel est votre album favori et pourquoi ?

Francis Bergeron : Chaque tintinophile a son ou ses albums favoris. Quand je fais une conférence sur Hergé et Tintin, je pose souvent cette question ; quel est votre album préféré ? J’ai remarqué que les albums cités sont rarement les plus connus, comme Tintin au Congo, Tintin en Amérique, Les cigares du pharaon, On a marché sur la lune.

Personnellement je place au-dessus de tous Le Secret de la Licorne et Le trésor de Rackham le Rouge. Ces albums font vivre deux histoires parallèles, à deux époques différentes : celle du capitaine Haddock et celle du chevalier de Haddock. Il y a des morceaux d’anthologie : la visite du marché aux puces de Bruxelles, le combat du chevalier de Haddock et de Rackham le Rouge, la crypte de Moulinsart. L’exploration sous-marine des vestiges de La Licorne, l’inauguration du musée… C’est un cycle parfait !

Breizh-info.com : Vous avez écrit deux livres sur Hergé (Georges Rémi, dit Hergé, publié en 2011, et Hergé, le voyageur immobile, en 2015). Quelles sont les caractéristiques de l’auteur qui ont attiré votre attention ?

Francis Bergeron : En fait, j’en ai écrit trois. Avec Alain Sanders et quelques autres, illustré par Aramis, nous avons en effet publié Hergé et nous, dans les années 90. Ce livre nous a valu un procès et une condamnation plutôt sévère… que nous n’avons pas payée, d’ailleurs. Il faut dire que les dessins d’Aramis étaient très politiquement incorrects ! Récemment, dans une vente aux enchères consacrée à l’œuvre de Hergé, j’ai eu le plaisir de voir cet ouvrage estimé 200 euros ! À l’époque j’aurais dû me mettre de côté le tirage complet, ma fortune était faite !

Mais, pour revenir à votre question, je dirais que ce qui m’a frappé, chez Hergé, c’est – malgré le succès de ses albums – sa gentillesse, sa modestie, sa disponibilité à l’égard de ses jeunes lecteurs. Il n’a jamais pris « la grosse tête ». Je dirais même qu’il n’a jamais eu conscience qu’il construisait une œuvre.

Breizh-info.com : Plus les années passent, plus les polémiques au sujet d’Hergé se multiplient, alors était-il vraiment raciste, comme le suggèrent les détracteurs de Tintin au Congo, ou même un sympathisant des Nazis, comme disent ceux qui pointent du doigt ses liens avec le journal Le Soir pendant la guerre ?

Francis Bergeron : Hergé était de son temps. Sa vision du Congo est celle qu’avaient tous les Belges de l’époque, vision renforcée par la visite du musée royal d’Afrique de Tervuren, à Bruxelles. Un Congo quelque peu idéalisé, une vision paternaliste, mais affectueuse. Une parfaite symétrie de celle des Français à l’époque de l’exposition coloniale. Et alors ?

Quant aux sympathies politiques d’Hergé, il ne faut pas non plus les surévaluer. Hergé était très fidèle en amitié. Qu’il s’agisse de Tchang, du père Norbert Wallez, de Degrelle, de Paul Jamin (Jam), de Félicien Marceau, de Van Melkebeke, de Robert Poulet, de Paul Werrie. Il fut la providence des épurés belges, et même des autres (Bardèche, par exemple). C’est tout à son honneur.

Mais il me semble que ces aspects ne font que donner davantage de corps, de densité au personnage, de le complexifier. Hergé n’est pas un homme insipide, propre sur lui, une simple usine à dessiner des petits personnages pour les enfants. Comme pour Céline, Henry de Monfreid ou Jack London, son œuvre est magnifiée par sa vie et sa légende, lumineuse et sombre.

FB-herg&éqsj.jpgJe pense aussi que la grande vague de mise en cause d’Hergé est finie. Après la mort d’Hergé, en 1983, et alors que le politiquement correct n’avait pas encore suscité ses contre-poisons, on pouvait craindre une opération de diabolisation définitive. Mais ce ne fut pas le cas, et aujourd’hui il n’y a plus de « scandales » à découvrir. Pierre Assouline, dans sa biographie, a exploré les moindres courriers du père de Tintin. Les psychanalystes ont étudié chaque album, etc. Un recentrage sur l’œuvre s’est opéré.

Il y aurait bien davantage à dire sur le stalinisme de Picasso, d’Aragon ou d’Éluard, sur le polpotisme d’une bonne partie des intellectuels et artistes d’après-mai 68, etc.

Breizh-info.com : Pourquoi les journaux n’ouvrent plus ou presque leurs lignes aux auteurs de bandes dessinées ?

Francis Bergeron : Jusqu’à une époque assez récente, la bande dessinée était un produit cher. La prépublication des récits en feuilletons à suivre, dans des revues, était une nécessité économique. L’album arrivait ensuite.

Aujourd’hui l’album a sa vie autonome. Le bouche à oreille des cours de récréation, les réseaux sociaux, les rayons des grandes surfaces, la publicité qui exploite les personnages de BD, contribuent au succès. Sans parler des films et dessins animés tirés d’albums, des expositions, des ventes aux enchères médiatisées, des timbres-postes…

Breizh-info.com : La caricature a-t-elle remplacé la bande dessinée ?

Francis Bergeron : Ce sont deux domaines parallèles. Il n’y a pas vraiment de passerelles, d’ailleurs. Je ne connais pas le cas d’un grand de la BD qui ait été un grand du dessin de presse, et vice versa. Les ressorts sont très différents. Le caricaturiste base son travail sur l’humour ou la rosserie. La bande dessinée (en tout cas à partir d’Hergé) se rapproche des techniques de découpage du cinéma.

Breizh-info.com : Quelle place Hergé conservera-t-il dans l’histoire ?

Francis Bergeron : Dans l’histoire avec un grand H ? Aucune. Dans l’histoire de la bande dessinée ? La première. Dans l’histoire artistique du XXe siècle ? L’une des premières.

Son œuvre est dorénavant gravée dans le marbre de l’éternité, comme celles des plus grands de chaque époque.

Breizh-info.com : Tintin est désormais repris par les Américains, via le cinéma. Le film de Spielberg fait-il honneur au personnage d’après-vous et qu’attendez-vous de la suite que réalisera Peter Jackson ?

Francis Bergeron : Ce qui m’a frappé, dans le film de Spielberg, c’est qu’il a mis en valeur l’épisode où Tintin et Haddock sont recueillis dans le désert par la Légion étrangère. Au nom de l’anticolonialisme, et autres billevesées, un film comme celui-ci tourné en France ou en Belgique aurait occulté cette partie du récit.

Je n’ai aucune idée de ce que pourrait être la suite. L’important, c’est de valoriser toujours plus l’œuvre de Hergé. De ce point de vue, on ne peut que se féliciter d’initiatives qui vont accentuer le caractère international de l’œuvre.

petit20.jpgBreizh-info.com : Il y a d’innombrables anecdotes autour d’Hergé et de son héros, y en a-t-il une en particulier que vous souhaiteriez nous raconter ?

Francis Bergeron : Hergé faisait un gros complexe. Il était célèbre, mais il était persuadé qu’il ne resterait rien de lui, ensuite, qu’il n’était qu’un amuseur pour enfants.

Il s’est mis à prendre des cours de peinture, puis il a commencé à peindre. Il nous faisait du sous-Miro, du sous-Bernard Buffet, etc. Un jour, avec ses toiles sous le bras, il est allé voir des galeristes bruxellois. Ceux-ci n’ont guère manifesté d’enthousiasme. Mais ils lui ont dit :

– En revanche, si vous avez des planches originales des albums de Tintin, nous sommes preneurs…

Une autre anecdote amusante : quand Hergé venait à Paris, il se rendait parfois chez Maurice Bardèche, le beau-frère de Robert Brasillach. Et pour ses enfants, il dessinait des personnages de sa saga.

Aujourd’hui, la famille Bardèche ne sait plus ce qu’elle a fait de ces dessins. Probablement Suzanne et Maurice les ont-ils jetés, après que les enfants les aient coloriés, ou gribouillés…

Breizh-info.com : Tintin a désormais 90 ans : sera-t-il encore un héros dans un siècle, pour les générations futures ? Pourquoi ?

Francis Bergeron : Je crois avoir répondu à cette question. Tintin est un héros à la fois daté (ce qui en accentuera toujours le charme) et intemporel.

Il me semble en effet qu’il continuera à séduire des générations d’enfants, et donc ensuite des générations d’adultes. Car quand on pénètre dans cet univers, c’est pour la vie.

Propos recueillis par Alexandre Rivet
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V

 

jeudi, 20 décembre 2018

Lumière allemande : sur le peintre symboliste Fidus, cofondateur du mouvement de « réforme de la vie »

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Lumière allemande : sur le peintre symboliste Fidus, cofondateur du mouvement de « réforme de la vie »

Par Thomas Wyrwoll

En créant son œuvre intitulée « Prière à la Lumière », Fidus a donné au mouvement de jeunesse allemand l’image par excellence à laquelle celui-ci s’identifiait. Fidus était, en son temps, un illustrateur de livres parmi les plus connus.

De son vrai nom Hugo Höppener, ce peintre et ce réformateur de la vie, est né le 8 octobre 1869 à Lübeck. A l’âge de seize ans, ses parents l’envoient suivre les cours préliminaires de l’Académie de Munich. Il n’y resta pas longtemps. Après seulement trois mois, le futur Fidus rejoint Karl Wilhelm Diefenbach, peintre de son état et père fondateur du mouvement de « réforme de la vie ». Diefenbach venait de quitter la capitale bavaroise pour s’installer à Höllriegelskreuth. Dans cette petite localité bavaroise, il cherchait à échapper à l’étroitesse étouffante de la ville et à fonder une « communauté ». Les Munichois se moquaient de lui et le surnommaient « l’apôtre du chou-rave » (Kohlrabi-Apostel). Il prêchait le végétarisme et une vie proche de la nature, la culture nudiste et un rejet des rigidités exigées par les églises et la société. Höppener devint son principal disciple. Après avoir purgé une brève peine de prison pour nudité sur la voie publique, à la place de son maître-à-penser, celui-ci lui décerna le titre honorifique de « Fidus », le Fidèle.

fidusportrait.jpgEn 1889, Fidus reprend les cours réguliers qu’il s’était promis de suivre à Munich. Il y fait la connaissance de Wilhelm Hübbe-Schleiden, originaire, lui aussi, d’Allemagne du Nord, converti à la théosophie de l’occultiste Madame Blavatsky et partisan d’une politique coloniale allemande. Ce nati de Hambourg était un ami intime de Madame Blavatsky et de son adepte américain Henry Steel Olcott, qui avait fondé aux Etats-Unis une secte théosophique. La religiosité théosophique de Steel Olcott était un mélange obscur de bribes hétéroclites tirées des religions d’Asie et de trucs de prestigiditateur, qui avait pourtant acquis une notoriété internationale. Il faut aussi rappeler que ce cher Henry travaillait accessoirement pour le gouvernement américain. Pour rassembler leurs adeptes allemands, Hübbe-Schleiden édita une revue mensuelle, intitulée Sphinx, dont le graphiste principal fut évidemment le jeune Fidus. Cette collaboration dura trois ans. Influencé par les idées glanées dans la revue, Fidus fit siennes celles d’un « cercle de vie » et d’une « thérapie par la lumière ».

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Il ne cessa d’entretenir des relations avec son vieux maître Diefenbach, pour lequel il élabora une frise monumentale « Per Aspera ad Astra », musique pour enfants. Cette grande œuvre enthousiasma les critiques à Vienne, suite à une exposition des travaux de Diefenbach, mais le grand public se montra beaucoup plus réticent. Diefenbach était quasi ruiné et s’enfuit en Egypte avant de revenir en 1897 à Vienne pour y fonder la communauté d’artistes « Humanitas » à Himmelhof.

Fidusjugend.jpgFidus, lui, quitta Munich pour Berlin, où il travailla pour des revues telles Jugend, Pan et Simplicissimus. Plus tard, il collabora à Kraft und Schönheit et à Die Schönheit. Le regard de Fidus sur la beauté naturelle du corps humain et son style « Art Nouveau », quelque peu édulcoré, firent de lui le graphiste le plus connu d’Allemagne au tournant du siècle.

Dans les premières années du 20ème siècle, Fidus crée son œuvre picturale la plus connue, « la prière à la Lumière », dont l’artiste élabora, successivement, plus de dix versions différentes ainsi que de nombreuses œuvres connexes.

La peinture nous présente un homme jeune, très abstrait, debout sur un sommet de montagne, devant un ciel de lumière, tendant les bras, euphoriquement, vers le Soleil. Le motif devint immensément populaire après la « Fête de la jeunesse » tenue sur le mont Hoher Meissner en 1913. Ce fut l’image à laquelle le mouvement de jeunesse s’identifia spontanément. Le personnage de la peinture adopte, de fait, une posture spéciale, ressemblant  -et ce n’est pas un hasard- à la rune Algiz ou Ehlaz, que l’écrivain viennois Guido « von » List, un ésotériste de la veine folciste (völkische) considérait, au début du 20ème siècle, comme la « rune de la vie ».

Le jeune homme, joyeux et plein de vie, qui se tourne vers la lumière, a fait vibrer l’époque : un nombre incalculable de reproductions de cette œuvre ont été imprimées, depuis la petite carte postale jusqu’aux impressions de qualité et de grand format.

Dans les années 1920, l’art de présenter les corps, propre à Fidus, devient quelque peu répétitif : sa créativité en souffre, son aura d’artiste en pâtit. Une partie de son œuvre sera interdite d’exposition par Hitler. Plus tard, les Soviétiques ne l’apprécieront pas davantage, même s’il peignit quelques portraits de Staline, pour survivre. Dans l’Allemagne en ruine de 1948, il est frappé d’une thrombose. Son œuvre sombra alors dans l’oubli pour longtemps.

Thomas Wyrwoll.

(article tiré de « zur Zeit », Vienne, n°45/2018, http://www.zurzeit.at ).

vendredi, 09 novembre 2018

Max Nordau et l’art dégénéré du goy (1900)

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Max Nordau et l’art dégénéré du goy (1900)

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Les Carnets de Nicolas Bonnal

Philosophe juif et sioniste hérétique (il acceptait l’Ouganda…), Max Nordau appartient à toute cette génération de penseurs juifs politiquement incorrects qui défièrent à Vienne le monde moderne dans le sillon de Nietzsche, et auxquels j’ai rendu hommage dans mon livre sur Kubrick. Schnitzler, le jeune Weininger, l’extraordinaire et éternellement méconnu Karl Kraus et même Freud dans son genre furent, entre beaucoup d’autres, ces êtres qui foraient, sapaient et minaient le monde moderne qui s’était construit depuis beaucoup plus longtemps que ne le pensaient les chrétiens peu éclairés et les traditionalistes de l’époque. Un rappel : Jonathan Swift se demandait déjà par quoi on remplacerait le christianisme au début du dix-huitième siècle. Eh bien on le remplaça par quelque chose qui prit son nom mais qui n’était plus du christianisme (voyez Feuerbach à ce propos). On passait du croisé, du bâtisseur de cathédrale au bourgeois victorien, au possédant trouillard, au pèlerin ferroviaire, au touriste religieux…

Nordau dénonce donc la culture moderne du dix-neuvième, culture de philistin comme dirait Nietzsche. Les symbolistes, y passent, les parnassiens, les Tolstoï, les préraphaélites. Nordau voit aussi le mauvais usage que l’on fait de Wagner… et de Nietzsche ! Pour lui la culture moderne est une pathologie. Comme nous sommes d’accord ! Et cette pathologie tourne en rond comme la modernité depuis des siècles (plus elle prétend progresser, plus elle patauge et tourne en rond mécaniquement, comme ces épisodes de la quête du Graal où l’on voit des chevaliers pris dans des rondes).

Il me parait important de le rappeler. Les nazis ont dénoncé l’art dégénéré lié aux juifs, eh bien un intellectuel juif l’a fait avant eux, tapant sur l’art dégénérant du goy, et qui avait compris la toxicité de la culture wagnérienne qui donnerait Hitler.Il faut renvoyer dos à dos ici antisémites et progressistes libérateurs. Car le problème est bien plus spirituel que politique.

Je donnerai des extraits du texte que Nordau écrit au célèbre César Lombroso :

« La notion de dégénérescence, d'abord introduite dans la science par Morel et développée avec tant de génie par vous-même, s'est déjà montrée extrêmement fertile dans les directions les plus diverses. Sur de nombreux points obscurs de la psychiatrie, du droit pénal, de la politique et de la sociologie, vous avez déversé un véritable flot de lumière, que seuls n'ont pas perçu ceux qui ferment obstinément les yeux ou qui sont trop myopes pour tirer profit de quelque illumination que ce soit. »

Et là, la cible qui fâche, l’art et la littérature dégénérée :

« Mais il existe un domaine vaste et important dans lequel ni vous ni vos disciples n’avez jusqu’à présent porté le flambeau de votre méthode : le domaine de l’art et de la littérature. »

deg.jpgEn effet, ajoute Nordau :

« Les dégénérés ne sont pas toujours des criminels, des prostituées, des anarchistes et des fous déclarés ; ce sont souvent des auteurs et des artistes. Ceux-ci, cependant, présentent les mêmes caractéristiques mentales, et pour la plupart, les mêmes caractéristiques somatiques que les membres de la famille anthropologique susmentionnée qui satisfont leurs pulsions malsaines avec le couteau de l'assassin ou la bombe du dynamiteur, et eux avec stylo et crayon. »

On parle de films-culte depuis que le cinéma est crevé comme tel. Mais le culte artistique est énorme à l’époque de Lombroso (Tolstoï attaque aussi Wagner et le symbolisme dans son livre sur l’art que j’ai recensé) :

« Certains parmi ceux-ci dégénérés en littérature, musique et peinture ont pris une importance extraordinaire ces dernières années et sont vénérés par de nombreux admirateurs en tant que créateurs d'un nouvel art et hérauts des siècles à venir. »

Conformément à son époque et à son propos, Nordau certes use et abuse du lexique médical. Il est bien sûr de son temps comme nous sommes du nôtre. Il dénonce aussi l’hypnose massifiée de ce culte artistique, et donc son danger (Tolstoï voit même la dimension hitlérienne  de l’art wagnérien) :

« Ce phénomène ne doit pas être négligé. Les livres et les œuvres d'art exercent une puissante suggestion sur les masses. C'est de ces productions qu'une époque tire ses idéaux de moralité et de beauté. S'ils sont absurdes et antisociaux, ils exercent une influence perturbante et corruptrice sur les vues de toute une génération. Par conséquent, ces derniers, en particulier les jeunes impressionnables, facilement excités par un enthousiasme pour tout ce qui est étrange et apparemment nouveau, doivent être avertis et éclairés quant à la nature réelle des créations si aveuglément admirées. »

Nota : le mot impressionnisme était en ce sens tout un programme…

Mais Nordau ajoute :

« Cet avertissement que le critique ordinaire ne donne pas. La culture exclusivement littéraire et esthétique constitue, par ailleurs, la pire préparation concevable pour une véritable connaissance du caractère pathologique des œuvres de dégénérés. Le rhétoricien verbeux expose avec plus ou moins de grâce ou d'intelligence les impressions subjectives reçues des œuvres qu'il critique, mais est incapable de juger si ces œuvres sont les productions d'un cerveau brisé, mais aussi la nature du trouble mental qui s'exprime par leurs écrits. »

Plus loin :

« Maintenant, j'ai entrepris le travail d'investigation (autant que possible d’après votre méthode) des tendances de la mode dans l'art et la littérature ; de prouver qu'ils ont leur source dans la dégénérescence de leurs auteurs et que l'enthousiasme de leurs admirateurs est pour les manifestations de folie morale, d'imbécillité et de démence plus ou moins prononcées. »

Il ajoute avec humour et humeur qu’il est déjà trop facile de taper sur l’Eglise ou les gouvernements :

« Je ne doute pas des conséquences pour moi de mon initiative. Il n’y a actuellement aucun danger à attaquer l’Église, car elle n’a plus de bûcher à sa disposition. De même, écrire contre les gouvernants et les gouvernements n'a rien d'inquiétant, car au pire, il ne pourrait s'ensuivre une incarcération assortie de la gloire compensatrice du martyre. »

Par contre Nordau rappelle avec raison qu’il est plus grave de traiter de l’art et les artistes « dégénérés », et ce bien avant donc que les nazis n’antisémitisent la critique dudit art par leur comportement de « barbares préhistoriques » (Freud) !

« Mais le destin de celui qui a l'audace de qualifier les modes esthétiques de décadence mentale est menaçant. L’auteur ou l’artiste attaqué ne pardonne jamais à un homme de reconnaître en lui un fou ou un charlatan ; les critiques subjectivement ridicules sont furieux lorsqu'il est souligné à quel point ils sont superficiels et incompétents ou à quel point ils sont lâches en nageant avec le courant ; et même le public est en colère lorsqu'il est forcé de voir qu'il a couru après des imbéciles, des dentistes et des charlatans. »

Enfin Nordau dénonçait même le rôle toxique de la presse :

« Maintenant, les graphomanes et leurs gardes du corps critiques dominent la quasi-totalité de la presse et possèdent dans celle-ci un instrument de torture par lequel, à la mode indienne, ils peuvent dégager le dérangeur gênant de la partie jusqu’à la fin de ses jours. »

Notre intellectuel juif antisystème faisait déjà partie de ces nombreux esprits juifs (voyez Cohen, Klein, Kunstler, Zemmour, Finkielkraut et autres) qui envoient promener tous les partis pris et guident la marche des antisystèmes…

Et je rajouterai comme ça en passant cette phrase de Julien Benda qui montre que bien avant Léo Strauss et les néocons les penseurs allemands avaient remis Machiavel au goût du jour… C’est dans la Trahison des clercs :

« On sait que cette apologie du machiavélisme inspire tous les historiens allemands depuis cinquante ans, qu’elle est professée chez nous par des docteurs fort écoutés, qui invitent la France à vénérer ses rois parce qu’ils auraient été des modèles d’esprit purement pratique, des espèces de paysans madrés (voir J. Bainville), exempts de tout respect d’on ne sait quelle sotte justice dans leurs rapports avec leurs voisins… »

Sources

Max Nordau – Dégénérescence (Gutenberg.org, en anglais)

Tolstoï – Qu’est-ce que l’art ? Bibliothèque russe et slave.

Julien Benda – La trahison des clercs (classiques.uqac.ca)

Bonnal – Kubrick et le génie du cinéma (Dualpha, Amazon.fr)

dimanche, 21 octobre 2018

Joséphin Péladan & the Occult War Against Liberal Decadence

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Joséphin Péladan & the Occult War Against Liberal Decadence

France gave the world the French Revolution in 1789. It was an epochal event, albeit a symptom of a line of cultural decadence that gave birth to both liberalism and Communism, and which remains a pall over the entire West and wherever the West reaches. It is ironic that those who were condemned as “collaborators” in France during and after the Second World War were for years prior to the war the most vociferous in their lamentations regarding the decadence of the French Republic. None lamented more the rapidity with which France had fallen to the Germans; it was regarded as a national dishonor and the result of France’s moral, spiritual, and cultural rot.

Among those who had brought ruin to France, Freemasonry had a prominent role.[1] [2] Rationalism, secularism, scientism, and materialism were used as methods of subversion by occult forces in a struggle between Counter-Tradition and the few remaining vestiges of the Traditional.[2] [3]

In France during the decades leading up to another epochal catastrophe, the First World War, this occult war between Tradition and Counter-Tradition intensified. Since Counter-Tradition makes use of Counterfeit-Tradition, it is often difficult to discern what role sundry secret societies and individuals play in this conflict. For example, what side is Nicholas Roerich on, and what side the apparently “sinister” Aleister Crowley?[3] [4] The answer is not as obvious as one might suppose. At the time, there was an occult revival; a product of a civilization in crisis, and the existential angst of those who could not endure the tedium of scientism, secularism, rationalism, and atheism, which since the time of the French Revolution had been heralded as new religions. In the liberal ideal of the “happiness of the greatest number,” few are happy with the tedium of equality and democracy. While in Britain, William Butler Yeats, Crowley, and sundry other eccentric and intellectual figures were responding to the age of Darwin, industrialism, and science through the Hermetic Order of the Golden Dawn, a remarkable individual emerged from the occult revival in France: Joséphin Péladan.

Josephin_Peladan_2.jpgPéladan was the head of the Ordre Kabbalistique Rose-Croix (Kabbalistic Order of the Rosicrucian), succeeding his brother Adrien. While the original Rosicrucians, who had appeared mysteriously in Europe during the early seventeenth century and issued anonymous manifestos, seem to have been among the precursors of the Masonry and Illuminism that fermented the French Revolution against the Church and the Monarch, Péladan, on the contrary, was a Catholic traditionalist who repudiated the ideals of the French Revolution and the “Liberty, Equality, Fraternity” of the Grand Orient of Masonry, stating in 1883, “I believe in the Ideal, Tradition and Hierarchy.”[4] [5]

Interestingly, when a schism occurred within the Order, one of the reasons was that among what was regarded as Péladan’s eccentric behavior was his having issued a public condemnation against a female member of the Rothschild banking dynasty. Among the leaders of the schism were the morphine-addicted Marquis Stanislas de Guaita, an individual who was to display decidedly Satanic convictions,[5] [6] and the conspiratorial figure Papus, who brought Martinist Freemasonry to Russia with decidedly subversive results, culminating in Bolshevism. Under their control, the Ordre Kabbalistique worked the degrees of this Martinist Masonry, which had a linage reaching back to the infamous Illuminati via the Kabbalist, Martinez de Pasqually.

At the time of the schism, Péladan and de Guaita had been involved in “magical warfare” against another sinister character, the apostate priest, the Abbé Boullan, who was the head of a depraved Satanic cult (this description is without sensationalism). However, de Guaita was himself interested in the Left-Hand Path magic of Boullan.

Leaving the Ordre Kabbalistique, Péladan founded the Ordre de la Rose-Croix catholique et esthétique du Temple et du Graal (Order of the Temple and the Graal and of the Catholic Order of the Rose-Croix), the title explicitly explaining the character of this Order.

On March 24, 1893, the Supreme Council of the Ordre Kabbalistique issued a public statement signed by Stanislas de Guaita and Papus, condemning Péladan as a “usurper, schismatic, and apostate,” and denouncing his Ordre de la Rose-Croix catholique. The battle lines between Tradition and Counter-Tradition had been drawn publicly.

Péladan saw the purpose of his Rosicrucian Order as being to encourage the resurgence of the arts that were in decay. A novelist himself, he was a central figure in the Symbolist art movement, and many artists, musicians, and poets of note were initiated into his Order. Péladan considered the artist to be the embodiment of king, priest, and magus; the nexus with the divine. He explained:

Art is man’s effort to realize the Ideal, to form and represent the supreme idea, the Idea par excellence, the abstract idea, and great artists are religious, because to materialize the idea of God, the idea of an angel, the idea of the Virgin Mother, requires an incomparable psychic effort and procedure. Making the invisible visible: that is the true purpose of art and its only reason for existence.[6] [7]

Péladan saw art as the religion that persists above all atheistic efforts to repress the spirit. He called for spiritual battle against the profane:

Artist, you are a priest: Art is the great mystery and, if your effort results in a masterpiece, a ray of divinity will descend as on an altar. Artist, you are a king: Art is the true empire, if your hand draws a perfect line, the cherubim themselves will descend to revel in their reflection . . . They may one day close the Church, but [what about] the Museum? If Notre-Dame is profaned, the Louvre will officiate . . . Humanity, oh citizens, will always go to mass, when the priest will be Bach, Beethoven, Palestrina: one cannot make the sublime organ into an atheist! Brothers in all the arts, I am sounding a battle cry: let us form a holy militia for the salvation of idealism . . . we will build the Temple of Beauty . . . for the artist is a priest, a king, a mage, for art is a mystery, the only true empire, the great miracle.[7] [8]

JosPel.jpgThe Salon de la Rose et Croix was established in 1892 to exhibit Symbolist art to the public. Art was magic, not rituals and incantations. It was intended as the harbinger of a spiritual revolution that would overthrow the materialistic and the decadent, and as the antithesis to the art of the other salons. The first exhibition drew fifty thousand visitors. Clearly, the French yearned for something transcending the crassness of Grand Orient liberalism and secularism, which had rotted France for a century; the “disenchantment of the world,” as he called it. Richard Wagner’s music had a special place, Péladan regarding Wagner as “a therapeutic detoxifier of France’s materialism.” Erik Satie was the Order’s official composer, and Debussy was a close colleague. Péladan defined what was required in his appeal for exhibitors: “The order favors the Catholic Ideal and mysticism. After that, Legends, Myths, Allegory, Dreams, the paraphrasing of great poets, and finally, all lyricism.”

Péladan’s fight for the recovery of Tradition from the corruption of those Black Adepts (to use Crowley’s term) who had engineered the French Revolution – which in a proto-Bolshevik reign of terror destroyed churches, killed priests, and performed a virtual Black Mass on the altar of Notre Dame – was echoed by another famous French occultist, Éliphas Levi, also a Catholic and who was perhaps an initiate into the Rose Cross’ eighteenth degree,[8] [9] where one at last learns the true subversive character of Masonry:

Masonry has not merely been profaned but has served as the veil and pretext of anarchic conspiracies . . . The anarchists have resumed the rule, square and mallet, writing upon them the words Liberty, Equality, Fraternity – Liberty, that is to say, for all the lusts, Equality in degradation and Fraternity in the work of destruction. Such are the men whom the Church has condemned justly and will condemn forever.[9] [10]

August Strindberg, the Swedish novelist, playwright, poet, and painter who turned to the occult during an existential crisis, later returned to Catholicism as a Traditional anchor in a decaying world. Upon visiting Paris, he also noted the decadence there in an autobiographical account in which he indicated his intention of returning to the Church. On reading Péladan, he remarked:

On May 1st I read for the first time in my life Sar Péladan’s Comment on devient un Mage.

Sar Péladan, hitherto unknown to me, overcomes me like a storm, a revelation of the higher man, Nietzsche’s Superman, and with him Catholicism makes its solemn and victorious entry into my life.

Has “He who should come” come already in the person of Sar Péladan? The Poet-Thinker-Prophet – is it he, or do we wait for another?[10] [11]

Péladan’s salon exhibitions were an enormous success. However, by the sixth and final exhibition in 1896, he had become worn out with the very public so-called “War of the Two Roses” between his “Catholic Rose-Cross,” as he called it,[11] [12] and the Martinist-Masonry of the Ordre Kabbalistique. For someone such as Péladan, such psychic conflicts, whatever we may think of their mundane reality, and likely augmented by Papus’ Masonic friends and Rothschild influences in the press, would have taken a heavy toll.

Notes

[1] [13] K. R. Bolton, The Occult and Subversive Movements (London: Black House Press, 2017), pp. 175-189.

[2] [14] Ibid., pp. 9-13.

[3] [15] Ibid., p. 12.

[4] [16] Joséphin Péladan, “L’esthetique au salon de 1883,” L’Artiste, Vol. 1, May 1883, cited in Richard Cavendish (ed.), Encyclopaedia of the Unexplained (New York: Arkana, 1974), p. 216.

[5] [17] Ibid., p. 217.

[6] [18] Péladan, “L’esthetique au salon de 1883.”

[7] [19] Péladan, Catalogue du Salon de la Rose + Croix (Paris: Galerie Durand-Ruel, 1892), pp. 7-11, cited by Sasha Chaitow, “Making the Invisible Visible: Péladan’s Vision of Ensouled Art [20],” August 6, 2015.

[8] [21] This is indicated in a footnote to his History of Magic, where Levi states, “Having attained by our efforts to a grade of knowledge which imposes silence, we regard ourselves as pledged by our convictions even more than by an oath. . . . and we shall in no wise fail to deserve the princely crown of the Rosy Cross . . .” (London: Rider, 1982, p. 286).

[9] [22] Ibid., p. 310.

[10] [23] August Strindberg, The Inferno (New York: Knickerbocker Press, 1913), concluding passages.

[11] [24] Péladan, letter to Papus, February 17, 1891 in L’Initiation (May 8, 1891).

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[20] Making the Invisible Visible: Péladan’s Vision of Ensouled Art: http://www.projectawe.org/blog/2015/8/4/making-the-invisible-visible-pladans-vision-of-ensouled-art

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dimanche, 23 septembre 2018

L’art de la provocation

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L’art de la provocation

par Pierre-Emile Blairon

De grosses bulles

Voici le troisième volet de notre série consacrée aux agressions de la subversion mondiale qui concerne les domaines de notre vie quotidienne, là où elle peut s’exercer avec le maximum de retentissement et de dégât. Après l’architecture (lire Architecture contemporaine : le triomphe de la vanité) et la mode (lire La mode : les manipulations physiques de la subversion mondiale) , voyons comment ce qu’on appelle l’Ordre mondial, mais qui n’est qu’un chaos organisé, s’évertue (ce dernier mot employé dans la perspective d’un total renversement des valeurs) à saper tout l’héritage du passé dans le domaine de l’art. Nous verrons au cours de cet article que la subversion mondiale actuelle reste dans la continuité logique de la subversion totale qu’a constituée la Révolution française et celles (notamment soviétique) qui s’en sont inspirées : du passé faisons table rase.

L’art contemporain est, par définition, l’art exercé par des artistes vivants ; on a fixé le début de sa vie après‐guerre, il succédait à l’art moderne (1850−1945). Le spectre des pratiques artistiques concernant l’art contemporain est très vaste, allant du figuratif, réaliste, surréaliste, voire hyperréaliste, à l’abstraction. On a retenu de l’art contemporain qu’il est exclusivement abstrait, ce qui n’est pas le cas en réalité. Pourtant, la médiatisation n’en retient que quelques provocations qui finissent par occuper l’ensemble de la communication. Imaginons une marmite où de l’eau bout. De grosses bulles occupent le dessus et finissent par exploser ; en‐dessous, des milliers de petites bulles s’agitent qui vont remplacer les grosses. On ne voit que les grosses. Celles qui nous occupent, et préoccupent, sont emblématiques du règne de la quantité, qui est aussi celui de l’argent. Les petites bulles sont le futur.

Provocations sans risque

Vous me permettrez de ne pas utiliser dans cet article consacré à l’imposture de l’art contemporain (que nous appellerons l’art provocateur ou subversif pour ne pas faire d’amalgame) des guillemets qu’il conviendrait de placer à presque tous les mots, à commencer par celui d’artiste.

Je me servirai donc du jargon pédant, souvent d’origine anglaise, ou plutôt américaine, qui accompagne, en manière de justification péremptoire ou d’explication alambiquée, les productions de ces artistes.

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La performance de Deborah De Robertis qui s’est exposée nue le 31 août 2018 à l’entrée de la grotte de Lourdes (illustration ci‐dessus) a eu le retentissement que la performeuse recherchait. Cette ancienne Femen s’inscrit d’une part dans le processus de provocation initiée par ses anciennes compagnes vaguement politisées mais plus sûrement manipulées, d’autre part, dans un courant blasphématoire qui a produit des artistes comme Andres Serrano dont l’œuvre qui a fait scandale en 1987, Piss Christ, représentait un crucifix baignant dans de la pisse, œuvre soutenue financièrement (on se demande ce qu’elle a bien pu coûter en moyens mis en œuvre !) par un organisme émanant de l’État fédéral américain. On reste à peu près dans le même registre en pensant que le pionnier de cet art provocateur fut le Français Marcel Duchamp qui présenta en 1917 Fontaine, un urinoir qui devint le chef-d’œuvre de l’artiste et qui inspira peut‐être aussi l’actuel maire de Paris, madame Hidalgo, pour répandre ses uritrottoirs dans les rues de la capitale.

urinoir-duchamp.jpgOn a peu vu ces rebellocrates – une espèce qui prolifère de nos jours (ça ne risque rien et ça peut rapporter gros) – en faire autant devant une mosquée ou une synagogue.

À une autre époque, au XVIe siècle, Giordano Bruno était brûlé vif par l’Inquisition pour ses écrits scientifiques jugés blasphématoires et le chevalier de la Barre sera torturé et décapité au XVIIIe siècle pour ne pas s’être découvert au passage d’une procession.
On a beaucoup dit à propos de ces provocateurs qu’ils étaient christianophobes alors qu’ils se contentent de faire parler d’eux sans risque en choquant les chrétiens qui ne sont plus en mesure de se défendre comme autrefois, confondant charité et masochisme. .

Une franche rupture avec le passé

De fait, ces artistes contemporains ne s’en prennent pas exclusivement aux lieux de culte chrétiens mais tentent d’occuper l’espace de tous les édifices emblématiques en France. Notre étude ne porte que sur la France mais on peut supposer que tous les pays occidentaux, avec plus ou moins d’intensité, sont concernés. On peut cependant observer des similitudes dans cette démarche, qui permettent de dégager une constante : si les œuvres de certains artistes contemporains exposées dans ou aux abords des lieux de culte étaient destinées à désacraliser ces lieux, celles placées dans ou aux abords des monuments anciens sont là pour marquer une franche rupture avec le passé, une sorte de désacralisation du travail appliqué de nos ancêtres, de leur génie de la main, de leur savoir‐faire, du symbole historique que peut représenter tel ou tel lieu. Volonté de rompre brutalement avec le passé, voire avec le simple ordonnancement que constitue une harmonie : nous avons déjà constaté cette rupture dans notre article sur l’architecture contemporaine.

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Les thèmes de ces œuvres exposées dans ces lieux emblématiques d’une haute civilisation restent les mêmes : tout ce qui concerne les orifices de déjection et sexuels sont traités, souvent sur le mode monumental, par l’artiste qui pose là, sans plus de ménagement, ses excréments et les productions extrêmes de ses perversités ; parmi les plus connues de ces œuvres : le vagin de la reine du britannique Anish Kapoor installée dans le parc du château de Versailles et le plug anal géant de l’Américain Paul Mac Carthy au beau milieu de l’élégante place Vendôme4.

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Et si l’installation de Paul McCarthy avait été la « provocation » de trop, celle risquant de mettre à nu les ressorts du système économique de l’art contemporain : une coterie de riches, de critiques et de fonctionnaires de la Culture s’accaparant l’espace public pour décréter « œuvres » des signes qui servent de plus en plus la rente financière et sa défiscalisation massive ? (Éric Conan, in Marianne, 26.10.2014)

Les pseudo‐rebelles de mai 68, vite convertis au mondialisme et au règne de l’argent, ont succédé aux bourgeois de la Révolution française et ont parachevé le travail de destruction à grande échelle du patrimoine français commencé par leurs ancêtres idéologiques.

Les motivations des uns et des autres restent dans la continuité : les révolutionnaires de 1789 s’en prenaient à l’Ancien Régime en voulant en effacer jusqu’à la moindre trace ; les hommes et les œuvres que l’Histoire de France avait produits avant l’avènement de la République devaient être éradiqués par tous moyens. La subversion mondiale du XXIe siècle ne pense ni n’agit autrement..

L’art provocateur ? Une monnaie virtuelle

Par quelle manipulation sordide cette imposture que constitue l’art contemporain médiatisé, que nous avons appelé l’art provocateur, peut‐elle perdurer ? Le processus est finalement très simple à comprendre : les premières consignes consistaient à doubler systématiquement, en inversion, chaque signal important –ou pas, nous verrons qu’une duplication à petit niveau s’est instaurée par mimétisme – du patrimoine afin de le dénigrer et de rabaisser sa valeur spirituelle. On a ainsi créé un art dit abstrait qui, du fait même de son absence de références, ne pouvait être contesté puisque l’appréciation de sa valeur appartenait à chacun ; voilà qui ouvrait la voie à toutes les dérives ; c’est ainsi qu’on vit la pathétique classe des bobos, parisiens ou non, s’extasier avec la gravité de l’intellectuel averti devant des taches jetées sur une toile, un tas de gravats déversés sur le sol d’un vénérable musée ou une boîte d’excréments mis en conserve. Ce processus a été bien compris et expliqué en peu de mots par Éric Conan (voir ci‐dessus).

Les super‐riches de l’Ordre mondial n’ont pas mis beaucoup de temps à comprendre que cette arnaque qu’ils ont eux‐mêmes initiée pouvait être aussi utile à leurs portefeuilles ; comme l’art provocateur est virtuel, ils ont créé une monnaie adéquate : l’art provocateur lui‐même.

Ainsi donc, les tableaux, sculptures, installations et autres performances ne sont rien d’autre qu’une monnaie virtuelle dont ils se servent avec profit puisqu’ils se sont débrouillés pour faire en sorte que les œuvres d’art soient défiscalisées quand leurs entreprises achètent des œuvres d’artistes vivants. On comprend bien que la qualité des œuvres n’a aucune importance dans la mesure où l’artiste a su les vendre avec le maximum de publicité, les publicitaires et les médias, appartenant eux aussi aux super‐riches, assurant le service après‐vente.

Le trio infernal

Aude de Kerros, qui dénonça, parmi les premiers critiques, avec force et pertinence l’imposture que constitue cet art contemporain détourné, avait déterminé l’existence d’un trio infernal : l’artiste, le financier et le fonctionnaire.

Nous savons ce qu’il en est de l’artiste et du financier. Intéressons‐nous au fonctionnaire, terme générique pour désigner la présence active et nocive de l’État dans tous les domaines où le citoyen est susceptible d’être manipulé (ce qu’il peut faire avec une facilité déconcertante étant donné l’apathie des Français).

Les fonctionnaires du Ministère de la culture, qui se savent soutenus par leur hiérarchie (qui a elle‐même partie liée avec les spéculateurs et les artistes) et qui espèrent la juste rémunération de leur zèle, sont très actifs dans leur volonté de mettre en avant les productions de l’art subversif. Il s’est même dégagé de leurs rangs des inspecteurs de la création artistique, sorte de police qui a pour mission d’imposer ses diktats dans le domaine du théâtre, de la danse, des arts plastiques, de la musique. Ce corps de fonctionnaires a été créé en 1993 par Jack Lang, juste avant de quitter ses fonctions. « Un plan de 22 mesures fut donc élaboré en urgence et mis en place par les services des ministères de la culture et du travail. Une de ces mesures consista à subordonner le versement des subventions au respect des obligations sociales. Après avoir largement subventionné tous ses amis, sans autre critère que son bon plaisir, le ministre entendit enfin instituer un minimum de contrôle et faire peser sur son successeur des règlements dont il s’était lui‐même allègrement dispensé. Bien entendu, ce décret contient un chapitre de dispositions transitoires qui a permis l’intégration dans la fonction publique de tous les contractuels qui occupaient ces postes depuis quelques années. Jack Lang a pu caser tous ceux qu’il avait embauchés au ministère et en garder ainsi, peu ou prou, le contrôle. C’est ainsi que la majorité des fonctionnaires de la création artistique actuellement en poste n’a pas passé de concours et n’a pratiquement pas de formation administrative ».(1)

On peut supposer que, depuis, la plupart de ces amis ont pris leur retraite. Le site officiel actuel de ces inspecteurs laisse cependant présager du pire : la responsable de ces fonctionnaires se fait appeler cheffe.

Bien évidemment, ce système corrompu à plus haut niveau s’est trouvé imité dans toutes ses organisations subordonnées et dans toutes les innombrables structures institutionnelles nationales, régionales, départementales, etc. qui gèrent notre pays, le fameux « millefeuille ».

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C’est ainsi qu’édiles de petites villes ou simples chefs de service locaux se sont empressés de placer leurs amis artistes, moyennant une ristourne ou même gratuitement, uniquement pour faire comme les grands et se sentir importants et cultivés, voire intelligents, l’œuvre d’art étant bien sûr payée par le contribuable local auquel on n’a pas demandé son avis. Ne voyez pas d’autre explication à ces sculptures loufoques installées au beau milieu des ronds‐points de tous les Trifouilly‐les‐Oies de France.

Il est évident qu’il reste des artistes honnêtes qui survivent difficilement, que leur art soit considéré comme contemporain ou pas. Mais l’honnêteté de ces véritables artistes ne leur permettra jamais de vivre de leur travail.

Autrefois, dans une société qui avait la tête dans les étoiles et les pieds bien enracinés dans le sol, l’artiste était le modeste intercesseur entre les hommes et les dieux ; il avait pour mission d’exalter le génie de son peuple afin que les dieux soient reconnaissants des efforts qu’avaient fournis ce dernier pour se surpasser et leur rendre hommage.

Pierre‐Émile Blairon

(1) Source : http://www.nodula.com/5apresmoisledeluge.html
Notre illustration à la une : Domestikator, par Joep Van Lieshout, devant le Centre Pompidou

13:21 Publié dans art | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art, avant-gardes, provocation | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 14 février 2018

Les impostures culturelles

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Les impostures culturelles

par Antonin Campana

Ex: http://www.autochtonisme.com

Assistons-nous au remplacement de la culture française par une sous-culture universelle ?

Dans ce blog, nous avons déjà fait remarquer que la République-Système n’était pas simplement un système de gouvernement. Elle peut être considérée aussi comme une entreprise mondialiste d’ingénierie sociale (voyez ici). Or l’ingénierie sociale mondialiste suppose la substitution de nouvelles normes aux normes traditionnelles ambiantes, ce qui, pour ce faire, suppose une prise du pouvoir culturel.  

La « culture » peut être définie comme l’ensemble des traits qui caractérisent un groupe humain. C’est par elle qu’une personne est davantage qu’un animal. Transmise par l’éducation et l’apprentissage, la culture est d’abord un héritage. C’est un legs linguistique, spirituel, affectif, artistique, sociétal, symbolique, bref identitaire, laissé en dépôt par une lignée ancestrale.  C’est la culture qui fait de l’homme un être spécifique parmi les hommes. A la fois vue du monde et grille d’analyse, elle permet à l’homme de distinguer et de se distinguer. Elle humanise les hommes en les personnalisant et leur permet à la fois de s’identifier au groupe et de se faire reconnaître par lui. Une ingénierie sociale mondialiste devra donc forcément casser les cultures comme facteur d’identification et de spécification.

Mais comment faire cela ? Substituer une culture à une autre (la culture musulmane à la culture européenne par exemple) déplace le problème mais ne le résout pas. Faire s’entrechoquer les cultures est une solution tactique d’affaiblissement des cultures, mais risque aussi de les exacerber. Le problème est d’autant plus délicat qu’un être humain ne peut, au contraire d’un animal, se passer d’une vue du monde qui oriente son existence. Le mieux serait alors de substituer aux traits culturels qui structurent nos existences, des ersatz de culture, ou si l’on veut des traits culturels qui auraient toute l’apparence de faits culturels mais qui n’en seraient pas vraiment. Ces traits culturels artificiels agiraient sur la culture visée un peu comme des imposteurs endocriniens agissent sur un organisme.  Ils prendraient la place d’une « hormone culturelle » naturelle et serait acceptés en tant que tel par l’organisme culturel récepteur. Véritable corps étranger, cette hormone culturelle artificielle, sorte d’imposteur identitaire, ferait alors perdre à l’organisme culturel sa cohérence, ce qui bien sûr l’affaiblirait, voire le détruirait.

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Un imposteur identitaire (où un « imposteur culturel » si l’on préfère) se reconnaît à son caractère artificiel. Il ne se situe dans une aucune continuité, il n’émane d’aucune culture. C’est une création ex nihilo, un surgissement inattendu qui marque une rupture brutale. Ainsi par exemple du « mariage pour tous », impensable il y a seulement vingt ans et qui rompt avec la conception du mariage dans la culture autochtone. Cette conception républicaine du mariage se présente comme une évolution culturelle, ce qu’elle n’est pas : c’est une création politique. Grâce à son artificialité, l’origine de cette conception n’est pas repérable sur la palette des cultures humaines (au contraire des traits culturels authentiques, comme la polygamie par exemple). Paradoxalement, cette artificialité va rendre l’imposteur identitaire psychologiquement plus acceptable qu’un trait culturel provenant d’une autre culture.

Un imposteur culturel se reconnaît aussi par son universalité. Ne s’enracinant dans rien et étant de nulle part, il prétend être de partout. Le « mariage pour tous » a ainsi vocation à s’imposer à toutes les cultures et dans tous les pays.

Pour comprendre le caractère nécessaire, d’un point de vue républicain, de l’imposture culturelle, il faut avoir à l’esprit que le projet républicain consiste à bâtir, au nom du principe d’universalité de la République, une société fondée sur le « vivre-ensemble » de gens de toutes origines. Ce projet implique la notion de « laïcité culturelle ». Il est impératif en effet, pour que le projet aboutisse, que les valeurs culturelles spécifiques qui imprègnent l’espace social soient refoulées dans l’espace privé au même titre que les valeurs religieuses. Il faut que le domaine public soit neutre ou tout au moins régis par des valeurs acceptables par tous les hommes. En d’autres termes, il est nécessaire, dans la logique républicaine, que les imposteurs identitaires imaginés par la République, imposteurs censés ne pas spécifier mais rassembler, se substituent à la culture autochtone qui par définition particularise et distingue.

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L’offensive menée par les imposteurs identitaires contre la culture autochtone a pris de l’ampleur ces dernières années. La culture autochtone est aujourd’hui sur la défensive, son existence est compromise. Prenons quelques exemples significatifs :

 Les rôles sociaux masculins et féminins

Depuis des millénaires, notre culture autochtone est une culture patriarcale (un gros mot aujourd’hui). Cela ne signifie pas que les hommes ont un pouvoir particulier. Cela signifie, nuance fondamentale, que les pères ont un pouvoir particulier ! Pouvoir tout relatif d’ailleurs qui implique le devoir de fonder une famille et de la protéger. Dans notre culture, depuis toujours, les rôle sociaux masculins et féminins sont clairement répartis et ne peuvent se confondre. La femme doit procréer, éduquer ses enfants et entretenir son foyer et l’homme doit subvenir aux besoins de sa famille et veiller à sa sécurité. Cette répartition des rôles structure la société européenne depuis des siècles et est à la base des richesses matérielles et immatérielles que nous dilapidons aujourd’hui. Notre douceur de vivre, nos paysages, nos villes, nos libertés mêmes, doivent tout à des générations qui ont su répartir les rôles sociaux entre les hommes et les femmes. Si les femmes des générations passées n’avaient pas tenue leur place, nous ne serions probablement pas nés et la transmission de l’identité ne se serait pas faite. Si les hommes n’avaient pas tenu la leur, nous serions des esclaves.

crap5.jpgLes imposteurs culturels promus par la République attaquent directement cette clé de voûte fondamentale de la culture autochtone. Ils posent une nouvelle culture, culture artificielle et féministe valable pour tous, dans laquelle les rôles sociaux masculins et féminins sont abolis, les pères sont déclassés, les hommes sont stigmatisés, les femmes sont versées dans un monde du travail oppressif leur interdisant de faire des enfants (mieux vaut pour elles « faire une carrière »)... Conséquence logique des nouvelles normes sociales, la démographie européenne périclite, nos libertés se restreignent et l’insécurité, pas seulement culturelle, grandit.

La relation à l’Autre

Depuis Hérodote, la culture européenne définit une relation à l’altérité qui est aux antipodes de ce qu’impose la République-Sytème. La culture autochtone n’amoindrit pas l’Autre pour en faire un Même. Un musulman, par exemple, est reconnu en tant que tel. La culture autochtone le considère dans sa multidimentionnalité : en tant qu’homme bien sûr, mais aussi en tant que musulman. Elle ne cherche pas à l’amputer d’une partie de lui-même pour le ramener à soi. Elle ne cherche pas à le nier en tant que musulman. Cette reconnaissance de la multidimentionnalité des hommes lui paraît naturelle. 

Les imposteurs identitaires républicains vont chercher à contrer cette « culture raciste » pour imposer une nouvelle relation à « l’Autre » dans la culture autochtone. Désormais, selon les nouvelles normes, il ne faudra voir que l’Homme « sans distinction » qui se cache dans le musulman et ne plus tenir compte, dans sa relation avec lui, des ajouts culturels, religieux et identitaires qui fondent pourtant son humanité. Là où la culture autochtone nous apprenait à voir les hommes dans leur globalité et leur complexité, l’infléchissement culturel causé par les imposteurs identitaires nous oblige désormais à les amputer des acquis qui les spécifient. Ramener l’Autre au Même est d’une violence extraordinaire : mais c’est la condition du vivre-tous-ensemble.

La langue

La langue française est la langue du peuple souche de ce pays. A ce titre, c’est un élément essentiel de la culture autochtone puisque cette culture se pense à travers cette langue. Une modification de la langue aura donc forcément un impact sur la culture autochtone. Nul ne devrait pouvoir en décider sans le consentement de la nation autochtone.  

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Or les élites républicaines imposent, via leurs relais médiatiques et l’enseignement scolaire, une langue qui progressivement s’émancipe de la langue et de la culture autochtone. L’exemple de l’écriture inclusive est à cet égard tout à fait significatif. Cette « écriture » artificielle, sans aucun lien avec notre langue ancestrale, découle bien sûr de la remise en cause des rôles sociaux masculins et féminins. La nouvelle langue féminise ainsi les métiers et les fonctions (« une auteure », « une charpentière », « une menuisière »…), utilise la double flexion (« les candidates et les candidats à cet examen » plutôt que « les candidats à cet examen »), a recours au point milieu (« les candidat.e.s »), accorde l’adjectif avec le sujet le plus proche (« Louis et louise son belles »), etc. Cette féminisation et démasculinisation du langage est une imposture culturelle que l’on doit situer dans le cadre d’une offensive générale contre la culture autochtone. En décrivant la langue autochtone comme un « outil d’oppression conçu comme tel », c’est la culture autochtone créatrice de cette langue qui est ainsi visé.

L’art

Une culture s’exprime aussi par ses productions artistiques. L’art autochtone européen est depuis des siècles un art figuratif qui, par la représentation du réel et de l’imaginaire, permet à l’homme de connaître le monde en faisant appel à ses émotions. Les œuvres de Giotto, de Rembrandt, de David, de Renoir…  se situent dans une continuité et participent d’un continuum culturel, que même un néophyte reconnaîtrait comme européen.

L’art contemporain, porté par les élites-Systèmes et par tout ce que la République compte de ministres de la « culture », sort totalement de ce continuum. De quelle culture est issue une photo d’un crucifix baignant dans un verre de pisse, les colonnes de Buren, une boîte de « merde d’artiste » (photo) ou une toile uniformément blanche ? D’aucune en particulier. Ces « œuvres » artificielles ne représentent rien, ne transmettent rien : par leur néant elles peuvent prétendre à  « l’universel ». Cet « art », véritable imposture culturelle, est un art mondialiste qui porte atteinte aux cultures enracinées.

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Ces quelques exemples montrent qu’un mouvement de libération autochtone, doit, au risque de faire siennes les impostures culturelles destinées à l’étouffer, distinguer ce qui relève de la culture autochtone et ce qui relève de l’imposture culturelle républicaine. Mais il faut avoir conscience que les choses ne sont pas aussi évidentes qu’elles le paraissent. Les imposteurs identitaires se sont infiltrés dans tous les recoins de nos vies. Prenez la notion de « repos hebdomadaire » : il s’agit assurément d’un imposteur culturel destiné à se substituer à la notion enracinée de « repos dominical ». De la même manière, l’usage autorisé des prénoms les plus étranges est un imposteur culturel qui sert à dissocier les individus de leur appartenance lignagère et culturelle.

La « culture » républicaine met en danger la culture autochtone. Cela est contraire au droit international et notamment à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. La République, toutefois, ne reconnaît pas notre peuple. Cela devrait nous indiquer le sens du combat à venir. Faire reconnaître notre droit à l’existence nationale nous donnerait mécaniquement le droit de revenir globalement sur les impostures culturelles illégales du Système. Cependant, les atteintes à la culture autochtone sont profondes. Le chantier est immense et la guérison sera longue...

Antonin Campana

jeudi, 08 février 2018

Fascism, Futurism, & Aviation

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Fascism, Futurism, & Aviation

Review:

Fernando Esposito,
Fascism, Aviation and Mythical Modernity,
Basingstoke: Palgrave Macmillan, 2015.

The British political theorist Roger Griffin has argued that the defining characteristic of fascist movements is a central myth of national rebirth, or palingenetic ultranationalism. His study of fascism (The Nature of Fascism) sparked controversy upon its publication because it diverged from the consensus at the time that fascist movements were purely reactionary and conservative in character; rather he located fascism within modernism and defined it as a revolutionary, future-oriented ideology that represented not a revolt against modernity but a quest to create an alternative modernity.

Esposito likewise begins from this premise in Fascism, Aviation and Mythical Modernity. He defines fascism as an attempt to generate order and national renewal through myth in the face of the crisis of modernity. Citing Mircea Eliade’s description of the need of archaic societies “to regenerate themselves periodically through the annulment of time,” he interprets interwar fascism as an attempt to destroy the old order and regenerate history itself, a “reconnection forwards” (Wiederanknüpfung nach Vorwärts). The quest to create an order that stood outside time and history required the use of myth as a suprahistorical reference point. Fascism thus represented a synthesis of modernity and myth.

The ultimate symbol of this synthesis was aviation. The interwar period, often known as the Golden Age of Aviation, witnessed great advances in aircraft technology. Aeronautical science was a cutting-edge field of study and represented the pinnacle of technological innovation at the time. Simultaneously aviation was cast as a symbol of the fascist myth of national rebirth and the birth of a new man.

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The foremost prophet of the cult of aviation in Italian Fascism was Gabriele D’Annunzio. D’Annunzio was himself an aviator whose interest in flight began in 1908 after flying with Wilbur Wright and attending the Brescia air show the following year. He volunteered as a fighter pilot during the First World War (then over the age of 50) and in 1917 participated in the Italian air raid on the harbor of Bakar in Austrian Croatia. In 1918, he famously led an air raid of eight aircraft over Vienna in which thousands of propaganda leaflets were scattered over the city.

Flight was a prominent theme throughout his work. In the third book of his Laudi del cielo, del mare, della terra e degli eroi [In Praise of the Heavens, the Sea, the Earth and Heroes], for instance, he invokes Icarus’ flight: “Who shall gather them? / Who with stronger bonds will know / How to unite the strewn feathers / And try again the mad flight?” To the Fascists, Icarus was a symbol of the Promethean, Faustian spirit of mankind (particularly European man) and man’s quest for glory. D’Annunzio again invokes Greek mythology in an article entitled “Faith in Italian Aviation”: “Nike flies as in the myth, only not with two wings but with a thousand, with thousands upon thousands.”

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D’Annunzio also conceived of the aviator-hero (Esposito’s term) as a religious martyr. The self-sacrificing heroism of the aviator who died fighting for his country became linked with quasi-religious redemption. He likened the sight of a plane spattered with blood to that of a crucifix and in his eulogy for the Italian aviator Gino Allegri, whom he hailed as a “mystic,” likened the droning of a plane’s engine to “the matinal ringing that announces the call to the divine service.”

During the First World War, aviators were also likened to medieval knights in the popular imagination. The air war was distinguished from the mass warfare of the ground war in that it consisted primarily of man-to-man combat; planes were thought of as “flying swords” in knightly duels. The aviator-hero thus symbolized the advent of a new martial elite that would merge the ideal of the aristocratic cavalryman with the modern “technological combatant,” bridging the gap between past and future. In this way the aviator also combined heroic individualism with a willingness to serve the collective.

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Pulp fiction centered around aviation and tales of heroism in the air was enormously popular during the war. Aviators like Manfred von Richthofen (the “Red Baron”), Max Ritter von Müller, and Francesco Baracca were revered as national heroes. One poem in honor of Oswald Boelcke reads: “Hail, Boelcke, hardy seasoned aviator. / Hail, awesome crusher of the foe! / […] Hail, Boelcke, hail! To you as just reward / Does the Volk raise the crown of life / That will ever deck your hero’s deeds / And honor you with immortality!”

The Italians set many aviation records during the interwar years. Italy also built several new airports, pioneered research in aeronautical science, and made advances in civilian travel and airmail during this time. Exhibitions such as the 1934 air exhibition (Esposizione dell’aeronautica italiana), which drew more than one million people, instilled Italians with a sense of national pride by celebrating Italian aviation. Notable Italians in aviation included Francesco de Pinedo, who was the first pilot to fly a foreign plane to America and embarked upon a series of flying boat flights across the globe over the course of the 1920s; Umberto Nobile, who designed the polar airships Norge (the first aircraft to fly over the North Pole) and Italia and piloted them on Arctic expeditions; and Italo Balbo, who built up the Italian Royal Air Force under Mussolini and embarked on a few transatlantic flights, most notably in 1933 with his famed “Italian Air Armada.” Balbo was also a prominent Fascist and one of the four leaders who organized Mussolini’s March on Rome in October 1922.

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Aviation was a central motif in Italian Futurism, particularly during the 1930s, and the airplane represented the ultimate symbol of Futurist ideals: speed, machinery, adventure, heroism, etc. Futurist artists (a number of whom were also aviators) were also fascinated by how the aerial perspective represented an “absolutely new reality, one that has nothing in common with the reality traditionally constituted by earthbound perspectives.” They launched the school of aeropittura (aeropainting) in 1929, giving rise to iconic works such as Tullio Crali’s Nose Dive on the City and Before the Parachute Opens and Tato’s Flying over the Coliseum in a Spiral (Spiraling). Aeropainting, like Italian Futurism in general, was closely associated with Fascism; Marinetti declared that it was a product of the same “revolutionary, aggressive, fervid spirit” behind Fascist aviation. Some aeropaintings were explicitly fascistic, such as Thayaht’s The Great Helmsman, which depicts a muscular Mussolini at the helm of an aircraft with several Savoia-Marchetti S.55 seaplanes (the same planes flown on Balbo’s transatlantic flights) behind him. Apart from aeropittura, the Futurists also devised other “aeroplane” arts: aeropoesia, aeroscultura, aeroachitettura, aeromusica, aerodanza, and even aeropranzo (Futurist meals).

Flight also figures in Marinetti’s Futurist novel Mafarka the Futurist. Mafarka (the protagonist) creates a giant winged cyborg superman, Gazurmah, a symbol of the ultimate fascist new man. Gazurmah eventually kills his creator, representing the destruction of the old order. Mafarka’s death (and rebirth in the form of Gazurmah) enables Gazurmah to soar to greater heights.

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Naturally not all aviators were fascists, and aviation-related tropes and rhetoric were utilized by both fascists and liberals. The German-Jewish art historian Aby Warburg, a bourgeois cosmopolitan who championed liberal modernity, notably designed a postage stamp bearing the motto “Idea vincit” scrawled across the wings of a plane as a symbol of his commitment to the Weimar Republic, which Esposito contrasts with D’Annunzio’s proto-fascist ideals. Nonetheless, although there were liberal contributions to aviation discourse, the cult of aviation was most compatible with Fascism and found its highest expression in Fascist Italy.

The relationship between fascism and aviation was summarized by one Italian journalist who remarked in 1934, “You cannot be a Fascist without feeling a little like a flier; you cannot be a flier without feeling yourself a Fascist.” A writer in L’Ala d’Italia similarly stated:

Fascism has created a new world. Mussolini has brought about a new era of history. […] It is an ancient, rejuvenated race that sets itself against the old age of the world, a new faith that rises up against old habits, decrepit beliefs and ideologies: it is a new destiny. […] Flying is at the pinnacle of this new power.

Esposito also quotes Ernst Jünger’s preface to Luftfahrt ist not! [Aviation Is Necessary], a volume he edited in 1928:

. . . the airman is perhaps the sharpest manifestation of a new manhood. He represents the type that was already showing signs of itself in the war. […] Here, under the aegis of war, was combined every element of energy, distinction, and technical intelligence that characterizes modern civilization, as well as the secret categorical imperative that lends the final hardness to the alloyed metal of machines […]. […] Perhaps he illustrates most clearly the profound link between the soldier’s and the worker’s condition. For although they have remained the same, the forms of the soldier and the worker are here mingled with each other. […] The path that led across the heroic landscapes of war continues through the more sober fields of labor, and in both cases it is the flier’s heart that gives the activity its real value.

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To Jünger, the rise of technology heralded a social revolution in which all human activity would be converted into labor in the form of large-scale industrial processes, which he termed “total mobilization.” Although Jünger was strongly critical of the calculative, utilitarian mass deployment of technology, he predicted that total mobilization would give rise to a new breed of man (the “worker”) characterized by heroism and sacrifice who could save technology from itself: “The phase of destruction is replaced by a real and visible order when that race accedes to dominion that knows how to speak the new language, and not in terms of mere intellect, of progress, of utility, or of convenience, but as an elemental language.” The worker would seek not to wield technology as a means of obtaining total control and security, in contrast to bourgeois man, but rather to achieve unity with it, dissolving the “tension between nature and civilization, organic and mechanical world.” The aviator thus embodied the ideal of the new man.

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