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dimanche, 13 novembre 2016

Le renouveau de la pensée d’Ernest Renan

À l’heure où les passions religieuses, de nature irrationnelle et parfois mortifère, s’imposent dans le débat politique quotidien, pourquoi ne pas lire Ernest Renan ?

Breton, né en 1823 à Tréguier (Côtes d’Armor), dans une famille à la fois terrienne et maritime et descendant d’émigrés gallois, Ernest Renan, destiné à l’Église catholique romaine, développa, plutôt que d’entrer en religion, la libido sciendi, c’est-à-dire la soif de connaître.

Entre foi et raison, entre dogme et logos, Ernest Renan entreprend une histoire des religions. L’analyse du prophète chrétien dans La vie de Jésus (1863), premier tome d’une Histoire des origines du christianisme qui comprend sept volumes, lui vaut les foudres de Rome. Malgré les qualités recensées de Jésus, qu’il considère plus comme un homme divin qu’un dieu fait homme, La vie de Jésus soulève les passions. Pour Renan, la biographie de Jésus doit être comprise comme celle de n’importe quel autre homme, et la Bible doit être soumise à un examen critique comme n’importe quel autre document historique.

L’abbé Lambert, qui a personnellement connu Renan lors de son séminaire à Saint-Sulpice, à Paris, déclare s’être lavé les mains après avoir mis le livre au feu… Le pape Pie IX lui-même le déclare « blasphémateur européen ». Le mouvement anti-Renan est puissant mais la diffusion de son ouvrage prend de l’ampleur.

Entre l’Orient, où est né le christianisme, où il a longuement voyagé et l’Occident européen, Renan retrouve la paix intérieure devant l’Acropole d’Athènes l’année suivante, en 1864. Il adresse une prière au « souverain Jupiter » dont parlait Dante. La Prière sur l’Acropole paraîtra en 1876.

renanSX350_BO1,204,203,200_.jpgProfondément européen, il prôna l’alliance de la France avec l’Angleterre et l’Allemagne, anticipant le temps des empires.

Honni par les cléricaux et les républicains, ce « conservateur libéral » donna à la fin de sa vie (1882, Qu’est-ce qu’une nation ? ), cette célèbre définition de la « nation », véritable « plébiscite de tous les jours » sans oublier le lien entre le peuple qui la compose : « Ce qui constitue une nation, c’est d’avoir fait de grandes choses dans le passé, et de vouloir en faire encore dans l’avenir », affirma-t-il.

En mai 1892, ce régionaliste avant l’heure (il a publié L’Âme bretonne dès 1854), préside un « dîner celtique » tout en se préparant à la mort. Il quitta son écorce terrestre sans les derniers sacrements.

Ce membre de l’Académie française (1873), candidat malheureux aux élections législatives de Meaux en 1869, biographe de Jésus-Christ (!) ne mériterait-il pas d’être (re) découvert ?

Théoricien du nationalisme comme ciment patriotique plébiscitaire, européen avant les guerres civiles européennes du XXe siècle, homme enraciné dans sa Terre dont le discours repose plus sur la raison que la foi, Ernest Renan est à la croisée de l’ensemble de nos questionnements contemporains.

En 1949, Prosper Alfaric fonda le Cercle Ernest Renan. Cet ancien prêtre, historien spécialiste des religions, fut excommunié en 1933 après avoir publié son ouvrage Le Problème de Jésus et les origines du christianisme pour ses thèses sur l’inexistence historique de Jésus de Nazareth et de Marie. L’œuvre de cet érudit, à l’origine de la plupart des théories mythistes (thèse de l’inexistence historique de Jésus) a été remise à l’ordre du jour par le philosophe normand Michel Onfray qui a préfacé en 2005 la publication d’un regroupement des articles d’Alfaric sous le titre Jésus-Christ a-t-il existé ?

Depuis sa fondation, le Cercle, sans reprendre la thèse mythiste, poursuit la mémoire, au moins littéraire, du philologue et philosophe breton. Il s’évertue à approcher le religieux de la manière la plus large possible, y compris au niveau géopolitique.

Les Cahiers d’Ernest Renan viennent de faire place aux « Nouveaux cahiers ». Dans la première livraison (été 2016) des « Nouveaux cahiers », le président du Cercle Renan, Dominique Vibrac, qui vient de succéder à Guy Rachet, nous livre la deuxième partie de sa réflexion sur le thème de Transcendance et immanence dont la première partie est parue dans le dernier numéro des anciens cahiers (le n°273 tout de même…). Roger Warin revient, quant à lui, sur le séjour des Hébreux en Égypte avant la formation des royaumes d’Israël et de Juda et tente de rapporter la preuve de cette présence, condition sine qua non de l’exil emmené par Moïse et de la descente d’Abraham sur cette même terre. Enfin, Terry Bismuth évoque La religion dans le royaume de Juda. Ces deux derniers travaux illustrent la nécessaire étude du phénomène religieux à travers l’histoire, l’archéologie, les sciences…

Les prochains numéros des Nouveaux cahiers du Cercle Ernest Renan se donnent pour mission l’étude des religions à travers la rationalité scientifique.

Bien entendu, cet aspect n’aura pas un caractère exhaustif, Ernest Renan fut aussi un homme politique, un défenseur de l’identité celtique, un véritable patriote et un précurseur de l’ensemble européen.

Les Nouveaux cahiers ne feront donc aucune impasse sur l’homme Renan, qui avait fait de l’Acropole le centre de notre monde.

Un numéro de la première livraison des Nouveaux cahiers sera adressé sous format pdf pour toute demande à l’auteur de ces lignes : franck.buleux@orange.fr

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jeudi, 06 octobre 2016

Jan Marejko est mort...

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Jan Marejko, chroniqueur,

«Le Penseur» sur le site http://lesobservateurs.ch, est mort

 

Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Jan Marejko, notre chroniqueur,  « Le Penseur » sur notre site, est mort.

C’est avec stupéfaction que j’apprends sa mort par ses deux filles Tessa et Samantha établies aux USA. J’en suis effondré.

Jan Marejko écrivait énormément mais n’arrivait guère à se faire publier étant donné une pensée  forte, difficile, exigeante mais combien bienvenue dans la superficialité  et les prétentions dérisoires ambiantes. Connaissant ses difficultés à être publié, je lui avais proposé de l’éditer dans une collection de livres que LesObservateurs.ch cherchent à créer et à ajouter comme activité à notre site. C’est un collaborateur du site qui travaille à ce projet, une nouvelle fois avec très peu de moyens étant donné la rareté des soutiens financiers. Ce collaborateur compte sur les revenus de cette future Edition pour se rembourser. Si le projet abouti, la publication de certains textes de Jan Marejko constituera  une  autre façon de le remercier pour son travail, de lui rendre hommage et de faire connaître plus largement ce travail difficile, original, profond, parfois  paradoxal et déroutant mais combien important.

Jan Marejko a publié plus de 150 articles sur Lesobservateurs.ch. Pour les lire ou les relire, tapez simplement « Marejko ».

Notre collègue Slobodan Despot qui le connaissait personnellement très bien et depuis longtemps lui rend hommage ce matin.

En espérant publier ou republier bientôt certains des inédits de Jan Marejko, nous reproduisons cet hommage de Slobodant Despot paru sur son site « ANTIPRESSE », 44,  le 2 octobre 2016 (antipresse@antipresse.net)

Uli Windisch, 2 octobre 2016

L’hommage de Slobodan Despot à Jan Marejko

Comment meurent les vrais philosophes

JM-1.gifJan Marejko est mort. Je l’ai appris par un mail d’un ami suisse qui avait reçu le mail d’un ami allemand. Lequel Allemand le tenait d’un prêtre genevois qui avait été son dernier confident.

Jan Marejko est mort seul, dans un asile de vieillards, terrassé par une maladie dont je ne sais rien, sinon qu’elle fut sans aucun doute une métastase de la mélancolie.

A ce titre, j’ai contribué moi-même à sa mise à mort. Il m’avait proposé un café voici quelques mois, pour la première fois depuis la disparition tragique de sa femme. Je savais qu’il n’allait pas bien, mais l’écriture le faisait durer. Il m’a envoyé des manuscrits qu’il espérait voir paraître. Je n’ai pas eu — pas pris — le temps de les lire jusqu’au bout. L’œil professionnel avait sondé et jugé très vite. Textes essentiels, de haute volée. Mais volumineux, graves. Invendables…

Les gens patients et robustes sont toujours les derniers servis. Parfois, ils ne le sont jamais. Avec Jan, j’ai traîné, différé, hésité. Il fallait organiser une souscription, gratter des subsides : je n’avais plus l’humilité qu’exigent ces tâches. Je n’avais pas envie de mendier, de justifier l’importance d’un grand philosophe maudit devant des fonctionnaires distraits qui m’auraient versé, au mieux, de quoi savonner la planche d’un échec commercial. Et je n’avais aucun projet « facile » sous la main pour éponger ce trou…

La mort de Jan Marejko me signale que je ne suis plus un éditeur. J’ai perdu patience. Ce que j’ai à dire m’accapare davantage que ce que j’ai à faire passer. Qu’il reste au moins ces quelques mots de témoignage sur un grand esprit de ce temps.

*

JM-2.jpgJe connaissais Jan Marejko depuis l’époque de mes études. Il était l’un des mentors avec qui je correspondais dans ma solitude. Lui, Robert Hainard, Alexandre Zinoviev ou Eric Werner étaient des poches d’oxygène dans la mare de conformisme qu’était le monde universitaire où je barbotais. J’ai fini du reste par en sortir, sans bruit, vomi par un milieu qui me rejetait (et me débectait) organiquement.

Des années auparavant, Marejko avait connu le même sort, en bien plus dramatique. Il avait suivi la meilleure filière académique. Études auprès de Raymond Aron. Recherches à New York et Harvard (il était bilingue et marié à une Américaine). Doctorat de philosophie à Genève en 1980. Et, surtout, sept ouvrages de réflexion essentiels, entre 1984 et 1994, aux éditions L’Age d’Homme. En un mot, le CV parfait pour une carrière professorale bon teint dans une université du monde libre… Si ce monde avait vraiment été libre. Ou s’il n’avait pas commis un vilain petit faux pas.

En 1981, exaspérés par cette même mélasse où j’allais finir par étouffer, Jan Marejko et son ami Eric Werner avaient publié un pamphlet intitulé De la misère intellectuelle et morale en Suisse romande. Ils s’y étonnaient de l’emprise sans partage de l’idéologie communiste dans les hautes écoles qui formaient les futures élites de leur pays. Ils dépeignaient l’ascenseur social que constituait l’adhésion obligatoire à cette dogmatique. Ils épinglaient surtout la verbeuse médiocrité des « mandarins » des sciences humaines, dont le magistère était aussi incontestable que l’œuvre était nulle.

Marejko et Werner ont fait l’erreur de prendre au mot le système dont ils faisaient partie. Ils ont cru que la liberté d’expression était un droit incontesté. Ils ont pensé que dénoncer le désenseignement et l’appauvrissement intellectuel à l’université était leur devoir civique. Avec leurs principes libéraux-conservateurs, ils se croyaient de plus en phase avec le système qui entretenait ces foyers de sédition. Il suffisait, croyaient-ils d’ouvrir les yeux des autorités et du public sur ce qui se passait…

JM-3.gifIls se sont trompés lourdement. Ils se croyaient veilleurs de la cité, ils se sont découverts parias. La carrière d’Eric Werner a été entravée et bridée de toutes les façons. Celle de Jan Marejko a été avortée avant même d’avoir commencé. Son dossier de candidature à un poste d’enseignement lui fut retourné avant même que quiconque ait eu le temps matériel de le lire. Cela ne se passait pas à Pyongyang, mais près de chez vous. Il ne s’en est jamais remis. Pendant le reste de sa vie, ce grand métaphysicien, disciple des grands penseurs de la liberté qu’étaient Aron ou Hannah Arendt, a dû voir défiler aux postes pour lesquels il était fait des pions qui ne lui arrivaient pas à la cheville et gagner sa vie comme journaliste.

Il me serait fastidieux ici de résumer les idées de Jan et de prouver l’importance de son travail. Eric Werner l’a fait magistralement dans son Avant-Blog. Je me borne à l’impact qu’il a eu sur ma formation personnelle. Son étude sur les potentialités totalitaires de la pensée de Rousseau ainsi que les liens qu’il a établis entre cosmologie et politique auront été pour moi des repères de pensée durables et féconds. Marejko a somptueusement illustré la profondeur du dicton qui veut que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Il m’a inculqué à vie la méfiance à l’égard du « bien » quand il n’est pas appuyé sur la bonté. D’autre part, il s’est employé à illustrer combien notre vision de la réalité brute dépend des paradigmes (scientifiques, moraux, philosophiques) du milieu où nous vivons — bien davantage parfois que des informations que nous transmettent nos sens et notre bon sens. C’est ainsi que le bobo moderne ne peut pas voir la voiture qui brûle devant sa maison, et encore moins se demander pourquoi elle brûle et ce qui va brûler ensuite. Il ne le peut pas, parce que les paradigmes de son éducation excluent cette vision même. Parce que les idées qui l’habitent sont plus fortes que ce que ses yeux voient et que sa peau ressent.

*

L’un des plus importants philosophes que Genève ait eus depuis Rousseau est mort seul dans son asile, oublié de sa république. Il était l’antipode de son grand prédécesseur, préférant toujours la réalité aux idées sur la réalité. Il est resté libre, droit et sans tache. Il nous a laissé une douzaine d’ouvrages importants, dont au moins un chef-d’œuvre, Le Territoire métaphysique. C’était un grand esprit lucide et altier de notre temps. On ne peut pas ne pas voir un signe dans le boycott et la désaffection qui l’ont poursuivi toute sa vie.

 

mercredi, 21 septembre 2016

Kenneth White et la géopoétique

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Kenneth White et la géopoétique

par Laurent Margantin

Ex: http://www.lerecoursauxforets.org

Pour White, à la base de toute culture, il y a une poétique, qui est une "pratique fondatrice". "Dans la culture grecque classique, si la politique est une préoccupation première, la culture n’existerait pas, ne respirerait pas sans la poésie océanique d’Homère : l’agora est baignée de ses vagues" . Dans la culture chinoise, il y a le Livre des odes, et à côté de la pensée confucianiste centrée sur des questions éthiques, il y a l’espace poétique ouvert par des poètes errants inspirés par le bouddhisme et le taoïsme. Dans notre culture moderne toutefois, la poétique n’est qu’une "discipline" reléguée au fond des universités, et qui n’intéresse que les spécialistes du langage voire de la métrique.

white-1.jpgPour White, à la base de toute culture, il y a une poétique, qui est une "pratique fondatrice". "Dans la culture grecque classique, si la politique est une préoccupation première, la culture n’existerait pas, ne respirerait pas sans la poésie océanique d’Homère : l’agora est baignée de ses vagues." Dans la culture chinoise, il y a le Livre des odes, et à côté de la pensée confucianiste centrée sur des questions éthiques, il y a l’espace poétique ouvert par des poètes errants inspirés par le bouddhisme et le taoïsme. Dans notre culture moderne toutefois, la poétique n’est qu’une "discipline" reléguée au fond des universités, et qui n’intéresse que les spécialistes du langage voire de la métrique.

Il est assez symptomatique que, dans un numéro récent du Magazine littéraire consacré à la " nouvelle poésie française ", aucune place n’ait été faite à un courant fort et vivant de l’écriture poétique contemporaine apparu dans les années quatre-vingt. Certes, le phénomène n’est pas spécifiquement " français ", il a plutôt une vocation européenne et internationale, dans l’esprit de cette Weltliteratur que Goethe appelait de ses voeux. De plus, le fondateur de ce courant est Ecossais, et vit à l’écart des groupes consacrés par un certain milieu littéraire. Cette absence révèle cependant la nature de l’activité poétique en France aujourd’hui, qui s’attache avant tout à des questions formelles et à des jeux de langage en se désintéressant la plupart du temps des questions de fond concernant le rôle essentiel que peut jouer la poésie au sein d’une culture vivante, et sa capacité à générer un rapport au monde inédit, inconnu. Bref, l’absence de la géopoétique dans le paysage poétique français tel qu’il est représenté par les médias culturels est éloquente. Elle nous amène à penser qu’on voudrait bien que la poésie continue d’exister selon des critères nationaux, et sans se mêler véritablement de certaines questions extérieures à son champ, scientifiques et philosophiques ; qu’il faudrait, pour écrire de la poésie reconnue, être un bon formaliste, et ne pas trop s’aventurer hors de frontières tracées par la critique. Pourtant, même si les questions de style et d’écriture sont importantes, et même essentielles, il n’en demeure pas moins vrai que tout grand poème doit communiquer le sens d’un monde, et offrir une connaissance inédite du réel. C’est ce qu’avant Kenneth White un esprit comme Francis Ponge affirmait, tout en se défiant de la forme " poème ", pour lui impossible. Poème voudrait dire lyrisme - oui, mais lequel ? Le lyrisme à l’eau de rose, ou une parole énergique, riche en matières, cherchant une forme nouvelle pour contenir et articuler des énergies ? Ici il s’agit de voir comment un auteur apparu dans les années soixante, en pleine "nouvelle poésie française", a tâché d’ouvrir un nouvel espace, qualifié de géopoétique.

*

C’est en 1989 que Kenneth White a fondé l’Institut international de géopoétique. Dans le texte inaugural de l’Institut on peut lire ces lignes qui résument pour une bonne part tout le travail antérieur de White : "Ce qui marque cette fin du XXe siècle, au-delà de tous les bavardages et de tous les discours secondaires, c’est le retour du fondamental, c’est-à-dire du poétique. Toute création de l’esprit est, fondamentalement, poétique. Il s’agit de savoir maintenant où se trouve la poétique la plus nécessaire, la plus fertile, et de l’appliquer. Si, vers 1978, j’ai commencé à parler de "géopoétique", c’est, d’une part, parce que la terre (la biosphère) était, de toute évidence, de plus en plus menacée, et qu’il fallait s’en préoccuper d’une manière à la fois profonde et efficace, d’autre part, parce qu’il m’était toujours apparu que la poétique la plus riche venait d’un contact avec la terre, d’une plongée dans l’espace biosphérique, d’une tentative pour lire les lignes du monde." Dans la suite de ce texte, White ouvre un espace de prospection inédit, dans lequel " se rencontrent des penseurs et des poètes de tous les temps et de tous les pays ". Sont cités les noms d’Héraclite ("l’homme est séparé de ce qui lui est le plus proche"), de Hölderlin ("poétiquement vit l’homme sur la terre"), de Wallace Stevens ("les grands poèmes du ciel et de l’enfer ont été écrits, reste à créer le poème de la terre"), mais aussi du taoïste Tchouang-Tseu et du poète japonais Matsuo Bashô. On est bien loin - et cela donnera peut-être un peu le vertige à nos "nouveaux poètes français" - d’un contexte national et historique quelconque.

Ce texte inaugural de l’institut est en quelque sorte un " condensé " de toute la démarche géopoétique, et de tout le parcours de Kenneth White. On y retrouve le désir de dépasser la "littérature", une dimension culturelle internationale, et surtout une orientation que l’on peut qualifier de philosophique, ce qui manque avant tout à la culture contemporaine.

*

Kenneth White est né en 1936 à Glasgow, mais, raconte-t-il, ses parents ont senti assez tôt le besoin de quitter la métropole pour aller s’établir à Fairlie, petit village situé sur la côte ouest de l’Ecosse. Déjà la sortie d’un contexte : historique et économique (la réalité fortement industrielle de Glasgow décrite dans un chapitre du premier livre publié de White, En toute candeur), mais aussi culturel : c’est là, face à la mer et à l’île d’Arran, que l’esprit formé à la culture chrétienne s’ouvre à la beauté du monde, faisant naître le besoin d’un espace de réflexion inédit où cette expérience d’ouverture au-dehors soit exprimée et conçue comme l’origine de ce qu’on pourrait appeler une "culture à venir".

wh-2.jpgA dix-huit ans, White revient à Glasgow pour étudier. Mais très vite l’espace de prospection intellectuelle s’étend à un champ géographique plus vaste, comme en témoigne le parcours biographique et universitaire de White : après quelques années d’études à l’Université de Glasgow (littérature, philosophie et latin), il part pour l’Allemagne (Münich), où il découvre Jaspers, Husserl et surtout Heidegger. Puis il passe plusieurs années en France, où il s’installera (il vit actuellement en Bretagne).

Les années parisiennes (1959-63) seront riches en révélations et en réalisations : c’est là qu’il découvre les surréalistes (après avoir beaucoup travaillé sur Rimbaud) et s’intéresse à la pensée orientale ainsi qu’aux cultures dites primitives. Les étudiants de la Sorbonne où il est lecteur d’anglais publient ses premiers poèmes sous le titre Wild Coal (souvenir de ses lectures géologiques en Ecosse), dont certains seront repris dans En toute candeur. Pendant quelques années, il travaille comme assistant à l’Université de Glasgow, puis ensuite de nouveau en France, à Pau, dans les Pyrénées, avant d’être prié par les autorités universitaires d’aller voir ailleurs, juste après les événements de 68 (on lui reprochait en fait un certain anticonformisme, qui s’était traduit par la création d’un groupe d’étudiants et d’enseignants autour d’une revue - Feuillage -, et l’application d’une pédagogie qui n’avait que peu à voir avec la tradition universitaire française, assez rigide et scolaire, encore plus dans les années 60). Une vingtaine d’années plus tard, il sera nommé à la chaire de poétique du vingtième siècle de l’Université de la Sorbonne, où il dirigera des séminaires de recherche autour de la pensée orientale, des auteurs anglais et américains modernes (Whitman, Thoreau, Pound, Mac Diarmid, etc.), fidèle à une pédagogie extravagante, transnationale et transculturelle ! White a toujours pratiqué trois écritures, et il s’en explique : la prose narrative (ce qu’il appelle le "voyage-voyance", récit d’une expérience et non fiction), le poème, et l’essai. Le poème est la pointe de la flèche, qui va droit au but, mais avant cela, pour acquérir assez d’énergie et de matière, il faut parcourir les chemins du monde et de la pensée. D’où la nécessité de voyager, pour ouvrir un espace de sensation et de respiration. D’où la nécessité d’analyser (White pratique la "culturanalyse"), qui doit permettre d’ouvrir peu à peu un espace conceptuel plus riche que le nôtre, qui s’effondre chaque jour un peu plus dans le bruit et la bêtise.

*

"La beauté est partout" : Loveliness is everywhere. Ce sont les premiers mots d’un poème de Kenneth White que j’aimerais citer en entier :

La beauté est partout

Même

sur le sol le plus dur

le plus rebelle

la beauté est partout

au détour d’une rue

dans les yeux

sur les lèvres

d’un inconnu

dans les lieux les plus vides

où l’espoir n’a pas de place

où seule la mort

invite le cœur

la beauté est là

elle émerge

incompréhensible

inexplicable

elle surgit unique et nue -

à nous d’apprendre

à l’accueillir

en nous

Ce sentiment de la beauté exprimé dans "Le grand rivage" est véritablement à la base de la géopoétique. Dans le premier livre de Kenneth White, En toute candeur (sans doute celui qui m’est le plus cher car il y évoque les prémisses de son travail), on peut lire : "Ce n’est pas la communication entre l’homme et l’homme qui importe, mais la communication entre l’homme et le cosmos. Mettez les hommes en contact avec le cosmos, et ils seront en contact les uns avec les autres" . Or White évoque l’origine du mot grec cosmos, étroitement lié à la notion de beauté, et il appartient lui-même à toute une lignée culturelle anglo-américaine - on peut penser à Shaftesbury en Angleterre, mais aussi à Emerson, Thoreau, Whitman en Amérique - pour laquelle expérience esthétique et sensation du monde sont inséparables, et fusionnent dans l’écriture poétique. Dans ce cadre-là, l’écriture engage l’écrivain et le lecteur dans un tout autre espace que le seul " espace littéraire ", cloisonné, renfermé sur son propre questionnement, et ouvre la conscience à la possibilité d’un champ existentiel nouveau. La poésie n’est pas simplement affaire de mots et de "style" (celui dont se parent les dits grands écrivains comme de plumes de paon), mais une affirmation du "corps-esprit" dans un monde donné, monde fondé justement sur le refus du poétique et la négation de la beauté (et même de l’idée de beauté).

wh-3.jpgLa géopoétique "dénote" donc dans un contexte culturel - surtout celui de la fin des années quatre-vingt - au sein duquel comptent avant tout les grands solipsistes et les contempteurs de la condition humaine que sont Beckett, Cioran ou bien Ionesco, auteurs qui, pour un certain milieu littéraire, sont indépassables. Se mettre à l’écart de ce courant intellectuel très coté - Valéry parlait non sans raison de "Bourse de l’Art" - était s’exclure soi-même du monde littéraire et de ses pratiques, ce qu’avait fait d’ailleurs White assez tôt.

L’œuvre de Kenneth White et la géopoétique bien comprise conduisent à un travail sur soi, travail d’abord solitaire, à l’écart de tout groupe, et sur plusieurs niveaux : travail primordial d’attention aux choses, sans lequel rien n’est possible (phase de silence) ; déconditionnement culturel (critique de toutes les valeurs sociales et religieuses) ; et puis travail sur le langage évidemment, vers une clarification de l’écriture (toutefois ouverte à une complexité élémentaire). Dans un second temps, une fois ce travail personnel engagé, des ramifications se font, un réseau naît et se forme peu à peu. C’est ce réseau - ou cet "archipel", pour reprendre un terme cher à White - qu’a permis de constituer l’Institut international de géopoétique. Dès la création de l’Institut de géopoétique, des connexions se sont faites entre les disciplines. Dans le premier numéro des Cahiers de géopoétique, on trouve une contribution d’un océanographe, Frédéric Ibanez, celle d’un biologiste, Alain Sournia, un article philosophique de Georges Amar, une étude de White sur Lapérouse, et des textes poétiques de Thoreau, Gary Snyder ou de Jean Morisset, par ailleurs géographe… De cet ensemble se dégage une nouvelle cohérence basée toute entière sur une poétique, car il existe entre les sciences, la philosophie et la poésie, n’en déplaise à Sokal et Brikmont, d’autres ponts que ceux de la simple analogie (parfois gratuite en effet) : l’homme de sciences peut avoir sa propre expérience poétique, et le poète peut s’intéresser aux sciences, ce qui peut les réunir est une expérience de la beauté de monde et une langue commune, qui elle n’est pas donnée d’avance. Exclure cela d’un revers de main polémique, c’est nier l’importance d’œuvres comme celles de Novalis ou de Goethe, qui essayèrent justement de dépasser le cloisonnement entre les disciplines, en vue d’une poétique nouvelle.

Il devenait évident qu’à travers les Cahiers un nouveau champ culturel était en train de se constituer et allait s’étendre, ce à quoi travailla Kenneth White en organisant des rencontres et des colloques, qui firent l’objet de publications à part. Mais dès 1992 le besoin se fit sentir d’ "archipéliser" l’Institut, et des ateliers de géopoétique virent le jour, à partir de contacts antérieurs entre Kenneth White et certains de ses lecteurs et amis. L’un des premiers centres fut l’Atelier du Héron en Belgique, puis le centre géopoétique de Belgrade, l’Atelier d’Aquitaine à Bordeaux et le centre écossais à Edinburgh. Il existe à présent une douzaine de centres à travers le monde.

*

Plus on approfondit l’œuvre de Kenneth White et le concept de géopoétique, et plus on se rend compte que celui-ci participe d’un courant profond de la culture occidentale, que des esprits comme White, mais aussi Caillois, Ponge ou bien encore Segalen ont repris et continué, et qui a surgi deux siècles plus tôt, justement en Allemagne. La géopoétique est sans aucun doute l’héritière directe de ce courant culturel exceptionnel dont il reste à mesurer la force et l’ampleur (ce qui sera fait une fois que la culture secondaire de l’époque se sera définitivement épuisée et qu’on aura vraiment remis en cause les compartimentages universitaires). Une nouvelle cartographie culturelle est en cours, dont les grandes lignes de force sont déjà plus ou moins connues.

wh-4.jpgQu’est-ce qui ne va pas, dans notre "culture" ? Dans un entretien, White dit, "pour parler rapidement", qu’il est parti de ce que Freud appelle le "malaise dans la civilisation" (das Unbehagen in der Kultur). Et il ajoute : "Ce malaise est toujours là, même si notre société essaie de le couvrir de bruits, même si on peut avoir l’impression que bientôt les esprits seront tellement "informatisés" qu’ils ne penseront plus rien. Moi, j’éprouvais un malaise, une angoisse, je me sentais étouffer dans un état de choses. J’ai essayé de sortir." Ce malaise culturel actuel, White en voit les sources dans deux grandes cultures - et en cela il est bien sûr nietzschéen : le christianisme et le rationalisme occidental. White critique ces systèmes de pensée de l’intérieur, puisqu’il a été plongé pendant toutes ses années d’enfance dans la culture chrétienne, et qu’il s’est intéressé de près à la philosophie européenne. La critique de la religion ne le conduit pas vers le nihilisme le plus "classique" (perte de toutes les valeurs, relativisation postmoderne de toutes les cultures), et d’un autre côté sa critique du rationalisme ne le mène pas vers un "irrationalisme" qui serait l’expression d’une nouvelle religion ou d’un lyrisme débridé. Bien au contraire. Il s’agit plutôt d’éviter tous les écueils rencontrés par une pensée qui s’opposerait ou "réagirait", pensée qui ne dure jamais parce qu’elle ne fonde rien.

White cherche à dépasser la scission homme-monde (il critique fortement la rupture opérée par la théologie chrétienne entre la matière et l’esprit, et celle que l’on trouve chez Descartes entre la "chose pensante" et la "chose étendue"), et il cherche à dépasser également une scission arbitraire entre pensée et sensation, raison et intuition, poésie et science (scission caractéristique de notre culture). Il s’intéresse aux sciences (souvent plus qu’à la dite poésie actuelle), mais critique les excès de la science, le technicisme (ou soi-disant Progrès) qui ravage la planète aujourd’hui. Il étudie le bouddhisme, mais ne veut pas de "bouddhôlatrie" (refusant avec Nietzsche le "bouddhisme sentimental" qui allait, prédisait le philosophe, submerger l’Europe). Disons qu’il cherche une raison étendue par la sensation, par l’expérience du monde, et que d’un autre côté il travaille à une poésie informée par la réflexion philosophique voire épistémologique, et même par l’expérience mystique, qui s’accomplit la plupart du temps au-delà des discours et débats, et qui peut être aussi un moyen de se "déconditionner", de sortir d’un contexte intellectuel étouffant, et d’atteindre une vision plus large. La question qui revient toujours chez White comme chez l’un des écrivains qui a le plus compté pour lui, Henry David Thoreau, est la suivante : qu’est-ce qu’une réelle connaissance, c’est-à-dire qu’est-ce que la connaissance d’un homme habitant dans son corps et son esprit la Terre, après que tous les "grands récits" (chrétien et humaniste) se sont écroulés ? "Thoreau disait que "le vrai homme de science" connaîtra la nature mieux que les autres, non pas grâce à des techniques, à des méthodes (notre obsession), mais grâce à son "organisation plus fine". Pour Thoreau, la science, c’est-à-dire la connaissance, impliquait la capacité de sentir, goûter, voir, entendre d’une manière accrue. Pour lui, "l’homme le plus scientifique" serait l’homme le plus "sain", l’homme le plus "amical" (c’est-à-dire capable de sym-pathie, au sens fort), il posséderait une "sagesse indienne" plus parfaite. C’est cette augmentation de l’être liée à un assouplissement et un affinement du discours que j’appelle la biocosmopoétique. Nous avons pris le chemin inverse - vers la myopie, l’insensibilité, l’application limitée et la pensée bornée" .

C’est dans un écart total et passager - la cabane de Walden - que l’écrivain et charpentier américain Henry David Thoreau - aussi connu pour sa théorie et sa pratique de la "désobéissance civile" - a développé une conception de la connaissance radicalement nouvelle dans l’Amérique en proie comme l’Europe et bientôt l’Asie et le monde tout entier à la fièvre du Progrès. Dans les bois, Thoreau cherche une "pensée-sensation" ou ce que Coleridge appelle la "connaissance substantielle". La connaissance substantielle est "cette intuition des choses qui surgit quand nous nous trouvons unis au tout", tandis que la connaissance abstraite est l’image que se fait du monde une conscience séparée de celui-ci. "Cette "conscience séparée" ne peut donner lieu qu’à un langage mort, tout au plus utile pour la communication générale. La connaissance substantielle est, par contre, consubstantielle à l’être et donne lieu à un langage vivant qui est poésie. Elle constitue la seule véritable science (...)", écrit White dans L’esprit nomade. Pour Thoreau - et aussi pour White -, l’activité du poète peut conduire à une connaissance substantielle, si celui-ci sort d’un contexte culturel où la poésie et la science sont séparées. Il y a du "scientifique" chez Thoreau, mais en vue d’une écriture du monde qui dépasse la simple description ou l’observation. Il y a un "démon du savoir" chez lui, qui recueille lors de ses excursions toutes sortes d’observations concernant la faune et la flore, mais la forme de géo-gnosie qu’il recherche doit être aussi une "augmentation de la sensation de vie", exprimée dans une langue la plus simple et la plus incandescente possible. Et c’est bien le sentiment de la nécessité d’une langue, d’une langue poétique et ouverte au monde, qui, au fond, sépare le poète de l’homme de science.

figure-du-dehors-237814.jpgEn 1987, Kenneth White a publié un livre intitulé L’esprit nomade, qui est son deuxième essai publié après La figure du dehors. Pendant plusieurs années, White avait surtout fait paraître des poèmes et des récits de voyage (ou ce qu’il appelle des way-books). Or, pendant les années 80, est parue une série d’essais rédigés par quelqu’un qui se définit comme un "poète-penseur". Dans ce livre, L’esprit nomade (une partie de sa thèse d’Etat sur le nomadisme intellectuel), la dernière partie est intitulée "Poétique du monde", et le dernier chapitre de cette section "Eléments de géopoétique ". Deux années plus tard, en 1989, White fonde l’Institut international de géopoétique. A beaucoup d’égards, "Eléments de géopoétique" peut être considéré comme le "programme" de l’Institut, ramassé, résumé dans le texte inaugural. Un autre ouvrage fondamental pour aborder ce que White appelle aussi la "poétique du monde" est Le plateau de l’albatros, introduction à la géopoétique paru en 1994.

Pour White, à la base de toute culture, il y a une poétique, qui est une "pratique fondatrice". "Dans la culture grecque classique, si la politique est une préoccupation première, la culture n’existerait pas, ne respirerait pas sans la poésie océanique d’Homère : l’agora est baignée de ses vagues." Dans la culture chinoise, il y a le Livre des odes, et à côté de la pensée confucianiste centrée sur des questions éthiques, il y a l’espace poétique ouvert par des poètes errants inspirés par le bouddhisme et le taoïsme. Dans notre culture moderne toutefois, la poétique n’est qu’une "discipline" reléguée au fond des universités, et qui n’intéresse que les spécialistes du langage voire de la métrique.

Avons-nous même une "culture" d’ailleurs, une culture qui ne soit pas bien sûr un "produit de consommation courante" , fidèle en cela à l’esprit du temps ? On peut en douter, car il ne suffit pas d’accumuler les œuvres d’art et d’organiser des activités culturelles un peu partout pour qu’une société soit animée par une culture au sens fort du terme. " Pour qu’il y ait culture au sens fort du mot, écrit White, il faut que soit présent dans les esprits d’un groupe un ensemble de motifs et de motivations : lignes de force, "formes maîtresses", comme disait Montaigne, et cela, non au niveau du plus bas dénominateur commun ("sport", "loisirs", "distractions"), mais à un niveau qui incite la personne sociale à se travailler, à déployer ses énergies dans un espace exigeant. "

Toute culture a ce que White appelle un "motif unificateur". Mais toute tentative pour refonder une culture semble condamnée à échouer lorsqu’elle reprend des motifs épuisés : telle idole religieuse, tel personnage mythique ou historique, voire même tel principe abstrait (l’Homme) dans une conception de la culture tournée vers la fondation d’une polis moderne. "Si l’on se pose la question de savoir quel peut être un tel motif unificateur pour nous, aujourd’hui, dans le monde entier (puisque nous vivons maintenant, non plus à l’échelle de la tribu, ni même à l’échelle d’une nation, n’en déplaise aux nationalistes de tout poil, mais de la planète toute entière), je pense qu’une réponse s’impose : la terre même, sur laquelle nous tentons de vivre, et sans laquelle il n’y a pas de monde vivable."

Cette terre, il semble que même les érudits - dans un pays comme la France fortement conditionné par l’Université et marqué par un sens très étroit de la culture - soient en train de la redécouvrir. Je pense entre autres aux travaux très stimulants de géographes et philosophes comme Augustin Berque et Jean-Marc Besse, qui combinent érudition littéraire et connaissances scientifiques, contribuant ainsi à ouvrir un nouveau contexte culturel. On sent depuis environ une vingtaine d’années que ce manque d’une culture attachée à la réalité terrestre et à l’espace se fait cruellement sentir. Dans le domaine littéraire, des écrivains d’une génération précédente, comme Julien Gracq ou Philippe Jaccottet, en étant extérieurs au mouvement géopoétique, ont préparé le terrain. Cette nouvelle "géographie poétique", pour reprendre une expression de Novalis, ne demande qu’à être poursuivie et approfondie, dans un espace qui ne peut être seulement littéraire, mais qui engage un autre rapport au monde qui nous entoure, ici et maintenant.

Toutefois, White est très peu sensible à la "poésie du terroir" que l’on trouve parfois chez Heidegger, et se méfie d’un rapport à la nature trop sentimental. Il emploie surtout le terme "monde", qui ouvre un espace plus large, un horizon, et se dégage de tout sentimentalisme écologique ainsi que d’un attachement à la soi-disante pureté d’un lieu auquel l’individu devrait rester lié pour toujours, fidèle à une identité prédéterminée par d’autres (ancêtres, textes). Il faut évidemment aujourd’hui éviter à tout prix l’écueil de la "terre-terroir" et d’un attachement sentimental au sol, qui ne conduit, en termes culturels, qu’à du ressassement folklorique. Ecossais d’origine, White situe l’Ecosse dans un contexte plus large, l’origine étant elle-même mélange, et, d’une certaine manière, horizon. L’Ecosse, archipel initial, espace originellement pluriel et dont la géographie reste toujours complexe, à découvrir. Lieu où il ne s’agit pas de revenir, mais espace qu’il faut tenter de déployer, de projeter, espace en devenir.

wh-5.jpgComment peut se déployer pour nous aujourd’hui un "monde poétique" ? White insiste sur l’activité nomade, "dérivante", de celui qui cherche un tel monde. Il doit y avoir déplacement, autant physique qu’intellectuel. Il ne suffit pas de bouger, de faire des voyages, il faut aussi que l’esprit migre, et accède à un espace d’énergies au-delà de tous les bavardages nationaux et de tout ce qui enferme l’esprit dans des limites étouffantes. "Habiter la terre en poète", selon l’expression de Hölderlin, c’est habiter un espace large et chargé d’énergies, où des rapprochements entre les cultures les plus diverses peuvent avoir lieu d’une manière parfois surprenante. La géopoétique est en effet un rapport à l’espace terrestre fluide, itinérant, jamais figé, d’où la notion si importante que l’on trouve développée chez White de "nomadisme intellectuel", et l’exercice personnel du voyage transposé littérairement dans l’écriture de way-books. Sans nomadisme, l’art s’appauvrit, finit par être emprisonné dans des cadres conceptuels et esthétiques trop étroits et trop rigides. L’art a besoin d’un rapport à l’espace qui soit à la fois riche et ouvert autant sur le plan conceptuel (ouverture à d’autres esthétiques, à d’autres formes) que sur le plan physique : l’esprit doit pouvoir vivre au milieu d’un monde de formes en mouvement, et en harmonie avec un univers sensible aussi large que possible et dont la carte est toujours à reprendre. La géopoétique est un concept opérateur, écrit White, indissociable d’une volonté de briser un espace circonscrit par les idéologies, les croyances, les politiques culturelles nationales, afin d’ouvrir l’esprit de chacun aux mouvements, aux métamorphoses du monde, de ce monde qui est pour l’homme ce qu’il y a de plus proche et ce dont il est le plus séparé.

Dans un chapitre d’Eléments de géopoétique, White évoque ce qu’il nomme une "physique de la parole" : selon lui, c’est à travers l’expérience de l’écriture poétique que peut se déployer un monde. Cependant, écrit White, "presque tout, à "notre" époque, va à l’encontre de la possibilité d’un langage puissant et clair, capable de dire une présence et une transparence." C’est que la parole poétique doit non seulement se dégager des discours ambiants (politiques, économiques, médiatiques) qui tournent à vide et génèrent les pires catastrophes, mais elle doit aussi aller au-delà de ce qu’on entend par "poésie", souvent expression d’"artistes" obsédés par un style prétendument "littéraire" et par des problèmes intimes. White reconnaît une parole poétique authentique chez des esprits comme Walt Whitman, à la recherche d’un "style absolument limpide, telle la glace sans tain... clarté, simplicité, pas de phrases brumeuses ou entortillées.... la transparence la plus parfaite", ou encore chez Thoreau, dans son Journal (qui ne sépare pas la vie quotidienne de l’expérience poétique, et même tente de confondre les deux) : "Le premier jour d’avril il a plu et la glace a fondu. Tôt le matin, dans un épais brouillard, j’ai entendu une oie égarée voler au-dessus de l’étang et cacarder comme l’esprit même du brouillard."

C’est une "méditation du monde" que nous offre la parole poétique, lorsque celle-ci est soutenue, stimulée, engendrée par un rapport au réel, telle la géopoétique. Ecoutons-la.

P.-S.

WHITE VALLEY

Not much to be seen in this valley

a few lines, a lot of whiteness

we’re at the end of the world, or at its beginning

maybe the quaternary ice has just withdrawn

as yet

no life, no living noise

not even a bird, not even a hare

nothing

but the wailing of the wind

yet the mind moves here with ease

advances into the emptiness

breathes

and line after line

something like a universe

lays itself out

without doing too much naming

without breaking the immensity of silence

discreetly, secretely

someone is saying

here I am

here, I begin

LA VALLÉE BLANCHE

Peu de chose à voir dans cette vallée

quelques lignes, beaucoup de blanc

c’est une fin de monde, ou bien un commencement

peut-être le retrait des glaces du quaternaire

jusqu’à présent

nulle vie, nul bruit de vie

pas même un oiseau, pas même un lièvre

rien

que le vagissement du vent

pourtant l’esprit se meut ici à l’aise

avance dans le vide

respire

et ligne après ligne

quelque chose comme un univers

se dessine

sans trop vouloir nommer

sans briser l’immensité du silence

discrètement, secrètement

quelqu’un dit

je suis ici

ici, je commence

(Extrait de : Limites et marges, Mercure de France, 2000. Traduction : Marie-Claude White)

mardi, 06 septembre 2016

Nouvelle célébration de Jean Parvulesco

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Nouvelle célébration de Jean Parvulesco

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Jean-Parvulesco.pngIl s’est absenté il y a six ans déjà. Je pense bien souvent à lui, donc j’en reparle dans ces lignes. J’ai été le dernier à le prendre en photo. Ma femme Tatiana aussi nous prit en photo, je semblai plus fatigué que lui à la veille de sa mort. Comme dit Shakespeare après Azincourt,  

Let life be short, else shame will be too long.

Que notre vie soit courte, sinon la honte en sera longue.

 Car on ne se bat plus, on attend la mort comme des couards. Par un noble hasard, je n’ai pas contacté Jean Parvulesco, c’est lui qui l’a fait en 1990, via les fameuses éditions l’âge d’homme et surtout un article que j’avais écrit sur Mitterrand le grand initié – titré plus sobrement alors Mitterrand mage noir ! J’avais alors sur les conseils d’un admirateur feuilleté un de ses livres les plus aboutis, les Mystères de la villa Atlantis, où il évoquait des sociétés secrètes folles, égyptiennes et noires ; de l’OSS (et non de l’OAS…) sans le deuxième degré, celui qui tue l’âme française.

Il voulait me voir, il voulait se confier. Il était alors, et il sera toujours, à la recherche de disciples. Il y a des gourous – ou des upa-gourous – qui comme cela recherchent leurs disciples. J’ai l’impression que toutes proportions gardées c’est ce que fait d’ailleurs Jésus au début ; on fait venir la foule, qui se charge de venir toute seule, mais on se doit d’aller chercher ses disciples à la porte des écoles ou d’ailleurs.

 A Paris nous nous voyions vers six heures du soir, à la Rotonde, dans un décor art-déco. Nous étions voisins : en dépit d’une grave maladie à l’œil, liée pensa-t-on alors, à quelque magie noire, je vivais des heures assez heureuses au début des années 90, du côté de Passy. Nous nous voyions dans le Paris géodésique et ésotérique qu’il aimait tant, tout près de la rue Bois-le-vent, si bien nommée. Lui aimait parler, moi j’aimais écouter : je n’ai pas la santé de l’acteur, ou bien du politique. Et comme Le Pen, que je voyais aussi à cette époque, Jean était inépuisable en effusion verbale, et jamais ennuyeux. Parfois je le contredisais, et il se laissait facilement contredire. Il changerait de sujet, pas de situation.

C’est qu’il était pour quelques-uns des médias bien placés (Boutang, Germain-Thomas) l’homme de la droite subversive, illuminée et galactique. Sa fascination pour Mitterrand était grande, pour l’Allemagne impériale, pour les géants du cinéma, comme Rassam, à qui il devait sans doute de somptueuses soirées dans des restaurants de luxe. Scénariste mythomane et pique-assiette dans l’âme, Parvulesco se rêvait Casanova, espion, maçon sublime, conspirateur, père Joseph, grand pèlerin, auteur acclamé, rédacteur de lettres confidentielles lues de lui seul. Quand on faisait partie de son cercle, on faisait partie de son monde. J’ai eu moi-même l’honneur d’être deux ou trois fois cité par lui comme si j’avais été un personnage de fiction avec lequel d’ailleurs il était redoutablement peu d’accord, comme s’il pressentait que je ne partageais aucune de ses lubies, le luxe ou la luxure, l’empire, les combines, les néogaullistes, la nouvelle vague et l’extrême-droite, tout le reste. Ce qui nous rassemblait, c’était notre sympathie génétique et notre condition d’écrivains maudits de société secrète engloutie. J’avais aussi une certaine, une secrète attirance pour l’est, le monde slave, l’orthodoxie, dont j’ai épousé une fidèle. Mon futur m’attendait en Espagne, comme son passé l’y avait projeté, lorsqu’il écrivait pour la revue de la Phalange à la fin des années cinquante, après son passage plein d’inconnues dans l’OAS. Et je la retrouvais d’une façon prémonitoire en lui, cette Espagne éolienne et hauturière, certain que l’occident c’est ce qui doit tomber, et tombera toujours. Ce n’est pas pour rien qu’un de ses fans m’a nommé un écrivain post-punk. De post-punk j’aurai même eu la jeunesse, finalement, aussi sale et sans déguisement. J’ai aimé dans Parvulesco cette nostalgie des années libertaires 70, ces soirées décalées et invisibles, cette nostalgie d’un monde culturel à l’agonie sous les contrechocs de l’industrie de l’information. C’était un vénitien consommé et très inconscient de l’omnipotence du satanisme à notre époque de recyclage aigri. C’est que pour lui l’hôtel ou le restau de luxe était un avatar des lieux initiatiques de Virgile.

Iam subeunt Triuiae lucos atque aurea tecta.

JeanParvulesco_Paris2000-217x300.jpgEn 93, tout a changé : je suis allé en Inde d’où je lui écrivais. L’Inde était encore un peu l’Inde. Ce n'était pas Slumdog dollar. Son texte sur Goa dans la spirale est fantastique. Mais de retour en France les années ont recommencé à passer. On l’aura vu dans l’arbre, le maire et la médiathèque, filmé par son protecteur Rohmer face au bizarre photographe ou plouc crétin qui avait détourné l’attention de l’héritière l’Oréal. Jean lui évoque le Mitterrand d’extrême-droite sans guère le convaincre ; mais j’ai compris qu’en réalité il ne convainquait personne ou presque. Quel dommage ! Et les milliards de l’Oréal !

Il avait le nez creux pour sentir, soulever les complots, les combines, l’air du temps. Il croyait comme un fou en l’Europe, l’euro, et Kohl et Mitterrand. Il s’y voyait déjà… Et lorsque je le revis en 2002 ou 3, je lui montrais les prix que nous payions pour un café ; et qui en avait profité ; il détourna tristement la tête. La logistique ne serait jamais son fort. J’en retirais l’impression que comme une petit illusionniste de café mystique, il cherchait à capter une atmosphère, à s’en rendre maître ; ou qu’il voulait de tel mystère en être l’organisateur Je l’ai vu prendre les armes pour Seguin, puis pour Chirac, enfin bien sûr pour Sarkozy. Il semble qu’on l’ait vu à une émission du regretté Taddeï, aux côtés de l’inénarrable et bizarre Villepin. De quoi aura-t-il pu bien leur parler…

 Infandum, regina, iubes renouare dolorem.

Nationaliste, il l’était ; mais pas français en tout cas. Grand d’Europe, il était impérial et prêt à boire toutes les bières pour cet empire… En attendant il espérait me voir progresser, et il se verrait bien mon suzerain. A cette même époque je commençais à publier et très vite (attendez un mois ou moins…) sans aucune joie. Que de déceptions, des échecs, du ressentiment. L’échec d’une vie que de se faire publier, de vouloir se faire connaître. Lui m’avait choisi comme vassal un soir de restaurant au milieu de sa cour et de son éditeur d’alors, qui n’a jamais su le vendre. Mais je ne voyais rien venir de bon dans ces livres publiés. Lui-même publiait n’importe quoi, des resucées de ses journaux de ces terribles et nauséeuses années 80, oubliant sa prose poétique, son souffle épique et lyrique, sa phraséologie baroque, sa remarquable architecture syntaxique (Cioran, Ionesco, lui : les derniers écrivains français sont daces…). On restait dans des plats libertins refroidis, avec du sexe de marquise en chaleur à cinq heures, de la cruauté flasque, de la conspiration dégénérée en combines et surtout un nombre effroyable de coquilles qui montraient que ni lui ni son éditeur ne voulaient faire leur travail. Les dernières années il s’est remis à très bien écrire et on l’a enfin corrigé. Cela n’a rien donné au plan des ventes, me confirmant dans mon intuition des vingt ans : ce n’est pas l’auteur qui est mort, c’est le lecteur. Plus personne n’a l’audace ou la patience ou bien l’humilité et la culture pour être lecteur. J’ai épousé une lectrice ukrainienne qui est devenue ma traductrice et ce n’est pas un hasard. Je n’écris maintenant que pour elle ou pour moi, et les fantômes qui m’entourent. Ce qui se passe avec le numérique est horreur pure, anéantissement du monde, mais lui ne le voyait pas. Je l’avertis de cette menace en rédigeant mon Internet nouvelle voie. Nous sommes quand même allés voir Matrix auquel d’ailleurs il ne comprit rien (sinon la prise de pouvoir par les blacks) ; une autre fois il raffola de Eyes wide shut. Ce film est taillé pour lui en effet. Venise, la conspiration du sexe et de l’argent, l’illuminé au visage masqué… En y repensant nous avons vu ensemble les deux films les plus essentiels de l’époque ; il adorait aussi le candidat mandchourien. Il était de bon conseil, de même qu’il voyait peu de films. Peu avant son envol, je lui dis qu’il était abondamment cité dans la dernière bio de Godard, signée de Baecque, que j’avais rencontré un beau soir à la cinémathèque, avec Barbet Schroeder. Il n’en avait pas entendu parler. Et pourtant, on garantissait qu’il était alors bien le gourou de Godard, vedette américaine d’A bout de souffle. Quel destin aurait dû être le sien…

Credo equidem, nec uana fides, genus esse deorum.

 Je me suis demandé comment avec son talent, son ambition aussi, avec son carnet d’adresses des années 70 il n’avait pas mieux tiré son épingle du jeu. J’ai rencontré Gérard Brach lorsque j’écrivais mon bouquin sur Annaud. Ou au Pérou (mais oui !), un certain Steve quelque chose, qui avait travaillé avec Schroeder sur les Joueurs. Les deux compères m’apprirent que certes on le connaissait mais qu’on ne l’avait pas pris au sérieux, et je l’ai d’autant moins mis en doute que je crois que c’est ce qui m’est arrivé aussi. On passe comme ça, à la surface de tout, en bleu, brillance, et puis c’est tout. Tout de même il aurait pu se rapprocher des catholiques, avec son culte marial et son papisme fidèle. Mais son univers était fait comme un nid d’oiseaux : occultisme, christianisme, socialisme magique, érotisme tantrique, gaullisme anarchiste, fantastique anglais, géopolitique russe. Je n’ai jamais su l’ordonner, il me semblait qu’il reflétait mon propre désordre, comme son échec annonçait le mien que j’avais décrété à vingt ans. La vie post-apocalyptique, c’est une jeunesse ratée qui dure. La sienne de vie aura duré longtemps après sa dure jeunesse. Comment savoir s’il a vraiment traversé le Danube à la nage pour sa faire attraper par ces pauvres serbes de l’autre côté de la rive ? Il a écrit une très belle page que j’ai reprise dans mon Lancelot, et où il s’inspire de Buchan pour évoquer la course à pied. Le crosscountry est un programme métapolitique dans cette Angleterre post-vénitienne et nominaliste qui le fascina tant. Pour lui comme pour Buchan le monde est une idée pas une réalité. C’est pour cela qu’il parlait sans convaincre, ne cherchant qu’à séduire.

jeanparvulescoXXX43cd135896755.jpgPierre-André Boutang, le fils de l’helléniste maurrassien qui exaspérait Bernanos, lui donna un jour sa chance à la télé, et pour une heure. Il parla bien, échappa au public. Pour les idées et surtout pour la réussite médiatique (on était avant la tyrannie absolue et folle d’aujourd’hui), Jean fut mon maître à penser et surtout à dépenser… Il aimait aussi beaucoup ce film intitulé l’Ultime souper, où l’on voit des gauchistes empoisonner tous leurs ennemis politiques pour se retrouver bien seuls. Le nouvel ordre mondial est gastronomique. Il vous empoisonne. Ces artilleurs culinaires ne savent même faire que cela.

Et puis il y a le Jean Fauché comme les blés ; je ne parle pas pour toutes les sommes qu’il m’emprunta, et qu’il empruntait à d’autres au point de s’en faire des ennemis, sans parler des restaurants qu’il fallait éviter passée une date de crédit dépassé… Parvulesco, un grand nom d’emprunt, comme dirait de Gaulle. C’est d’ailleurs sur la géopolitique et l’alliance avec la Russie qu’il était le plus sérieux, le plus réel. Le plus concret organisateur de la victoire à long terme si les occidentaux et l’OTAN ne parviennent à nous détruire tout entiers d’ici là ! J’ai pensé que son livre sur Poutine ferait fureur. Même pas. Vingt après la chute du mur, pas de visa pour nos frères, et l’Eurafrique à l’ordre du jour. Il a écrit un effrayant et si beau texte sur l’arraisonnement de la fontaine Saint-Michel à ce sujet – si j’ose dire.

Le secret de son génie je ne l’ai pas foré. Ou je ne veux pas le dire. Il y a son style incomparable ; parfois mal maîtrisé, parfois comme surhumain.

 Il m’a parlé de ses sorties dans l’astral, de ses rencontres avec Evola, de ses lubies d’église tantrique. Et après ? Un style parfois sublime, égal des plus grands, d’un Chateaubriand cardinal, d’un Bossuet magicien, et encore. Est-il parmi nous, veille-t-il ? Mes plus proches sont morts, Beketch, lui, Jean Phaure ; je suis seul sur mon rocher, priant devant la mer, comme un héros de Gracian. J’ai vu les quatre âges : celui de Phaure, calligraphiant à la main sa poésie orientale et hindoue ; celui de Jean, tapant à la machine comme Hemingway, et conspirant ; celui de Serge (qu’il exaspérait par son style et son gaullisme) m’initiant à la paresseuse et cool écriture sur  l’ordinateur au journal Minute ; et celui du SMS, le signe dévoré s’effritant et flirtant avec le néant.

 Pour lui vivre sa vie c’était la raconter. Et c’est d’autant plus vrai qu’il inventait ce qu’il n’avait pas vécu tout en cachant ce qu’il vivait et qui était très présent et religieux et très concret. Epouses (il fut veuf : je ne le sus qu’à sa mort), enfants, vie réelle, il en eut, et plus que nous tous, fils des âges mort-nés de la postmodernité. Mais ce n’était pas son sujet, cela n’entrait pas assez dans la combine. Il préférait me jouer le « roi délire » en attendant le café. Je regrette de ne pas assez l’avoir fait boire ; il aimait le Champagne, c’est alors qu’il se livrait dans ses conversations fulgurantes que l’on nommait ridotti à Venise, la clé secrète de son œuvre. Il fut le dernier convive de pierre du siècle des Illuminés, le maître au cilice au siècle du silicium. Un amateur de cabale au Canada.

 Je lui ai donné un rôle dans mon épopée héroïco-comique Les Maîtres carrés, disponible en ligne sur le site de la France courtoise (France-courtoise.info). A bientôt, cher Jean à la voix d’oracle et à la destinée d’acrobate.

Et vous tous, lisez ou relisez les Mystères de la Villa Atlantis. C’est comme si Dumas, le plus important des romanciers français, avait soudain eu du style.

Nicolas Bonnal

(Alhambra de Grenade, août 2016)

mercredi, 31 août 2016

In memoriam Dominique Venner: The softspoken rebel

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In memoriam Dominique Venner: The softspoken rebel

William Diaz

In May 2013, we heard, stunned, the dreadful news on the radio: ”The death of the far-right writer and former activist Dominique Venner, by suicide, inside Notre-Dame-de-Paris”. So was it quoted. On this occasion, the Schadenfreude of the leftist columnists was painful to bear although not unexpected. I thought, after a few days, that he took the real measure of what was going to happen to Europe. We witness it week after week, day after day… That was, in my opinion, a true act of stoïcist rebellion.

First thing first, I have to admit, that I -unfortunately- never physically met Dominique Venner; my contacts with him having been merely intellectual and spiritual, through his numerous writings. The  very first time I “met” Dominique Venner, it occurred on a shelf of a good old second hand bookshop in Brussels downtown, Rue des Eperonniers (do not rush, it closed about ten years ago…) in the summer of 1994. ”Le Blanc Soleil des Vaincus”. It was one of these afternoon a student has plenty of time ahead of him, not too much to worry about and, thankfully a few quids in his pockets. I then felt that my collection of War and Battlefields (although, this has not much to do with the common militaria) needed to get expanded with some valuable new readings… Along classics like Caesar, Thucycides, the usual-and rather boring Memoir of B. Montgomery, Osprey albums, you might have the chance of finding out what is commonly called ”the nefarious authors section”… For those who know, there is just nothing nefarious in there. Just a set of men who made up their mind and delivered some masterpieces without any of the taboos created by political correctness and, admittedly, with some kind of talent, to say the least… 1975:  ”Le Blanc Soleil des Vaincus” dealt, in a nutshell, with the origins, the causes and the consequences of the Civil War. This was an apocalypse- in the etymological sense of the word- for the young history student I was then. To me, embedded in non sense studies (at least the way it was then taught) that was just the ticket! Slavery in the South compared with the poor conditions in which Negroes were held in the abolitionists States, the callous strategy against the South, the economic background of the War between the States, the mourn  after surrender and the end of a civilization… All topics usually treated with disdain or corrupted by political and historical correctness. Dominique Venner dared, with courage, to give an honest and original view on the Civil War, far from the Marxist-Leninist vulgate pretty much in the air for years-especially after 1968. I made my stand from then on: this man, having the courage to write this kind of essay, definitely deserved some space in my humble own private library.

Another sample of his great historical acumen, and destined to be a definitive classic on the subject: Baltikum. This is another brilliant sample of clear view and methodic enquiry-after all, history means enquiry in Greek-using many sources, in different languages (among them, German …) proving, thereby, that he was an historian to be reckoned with, and not merely a histrionic activist… Clio actually found in him a remarkable herald.

The title itself sounded to me like a call to open range, new horizons and… for rebellion. What happens in the immediate aftermaths of WWI in Germany and in the mysterious landscapes of the Eastern marches? The literature in French was practically inexistent and, if any, biased. The  fascinating  destiny of Rossbach,  Märker, and many others, the fate of the Baltic States and Baltic People, the Marxist  insurgency of Munich and the way the Free Corps prevail to re-establish law and order… All of this, for me, friends or colleagues revealed, what an historian ought to be: audacious, rational, sober and approaching the truth. Herodotus and Thucydides having paved the way. He worked there as a true historian, regardless of the ideological pressure of the times (by the way, we have to endure it, on many occasions, in our university) in the light of the very definition given by Herodotus himself.

Nevertheless, if there was one source of inspiration for Venner, it was, without any doubt, any reservation, the poems of the Great Homer: Illiad and the Odysseus, with the threatening figure of Achilles, the epitome of the European heroes, and in the background and foreground, nevertheless; the Gods. Here lies, as it appeared to him, the backbone of Western civilization and all his work appears to illustrate the perenity of those purely male qualities. Venner was naturally, very aware of the hubris of the son of Thetis and Peleus but his (Venner’s) own fate is probably likely to Hector’s -a true-ante literam-stoician hero-dying for his family and his country. What lacks our civilization, notwithstanding the ever growing level of technical accuracy, is probably the spirit of the “Mos Maiorum”. In most of his production, we can find an actualization of those centennial virtues: Westerling, Märker, Wrangel, Lee, Achilles,…you name it. All of them; men, soldiers, heroes were key figures of a long European tradition.

 This European “Gesta” was and still is, illustrated, monthly, in the “Nouvelle Revue d’Histoire”-previously “Enquête sur l’Histoire”, launched by D. Venner. This was in my opinion a fairly remarkable endeavour to create, support and upgrade through the various contributions of an impressive cluster of academics, writers and talented pundits, such an interesting and invigorating review. What makes every release an event would one ask? The answer is simple to me: It was-and still is-different. Life, as we know too well, being based on difference and not on uniformity. Most of, if not all, of the topics (frontiers, war, identity, ethnicity, gender, civilization,…) tackled there are now the core of the battle, We, Europeans, have to face today and for many decades to come. The matter is that the so called European “leaders” didn’t want neither to see nor to face the reality, resulting in the topsy-turvy world we must live in nowadays.

 As I wrote, we actually never met, but he seemed to me an introspective sort of chap, very much in touch with the ethos of an authentic “civis romanus”, walking in the footsteps of a Cincinnatus or a Cato… As an authentic pagan -and I fairly believe that he would not be embarrassed in, any way, being labeled as such- he refused any kind of yoke and was very ready to commit himself on the way to freedom. Freedom of thinking, freedom of speech, Freedom... I can’t help reminding some lines he wrote toward the end of its “Le Coeur Rebelle”: “finish in style is not in everyone hands. Achieving his own death is one of the most important acts in a man’s life[i]”. This was perhaps his true testimony… So did Dominique Venner, in his own and personal way… Keep fighting when all seems about to be lost, that is the real measure of man. May his example never be forgotten.

William DIAZ.

August MMXVI

[i] VENNER (D.), Le Cœur Rebelle, Paris, Les Belles Lettres, 1994, p. 194.

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mardi, 30 août 2016

Hans Zehrer: een man van de wereld en de daad

Dirk Rochtus

Ex: http://www.doorbraak.be

Een man van de wereld en de daad

Hans Zehrer, drijvende journalistieke kracht achter ‘Die Tat’ en ‘Die Welt’, overleed 50 jaar geleden

HZ4.jpgHad Zehrer de Machtergreifung van Hitler kunnen verhinderen? Misschien niet met de pen, maar wel met de wapens van een regerende generaal?

Een tijdschrift dat de gemoederen in het Duitsland van vlak voor Hitler bewoog, was 'Die Tat' (De daad), het rechts-georiënteerde maandblad dat geleid werd door de strijdbare conservatief Hans Zehrer (1899-1966). Opgericht in 1909, en van 1912 tot 1928 nog geleid door de bekende uitgever Eugen Diederichs, kende het blad voor 'de toekomst van de Duitse cultuur' met zijn oplage van duizend exemplaren een sluimerend bestaan. Tot Diederichs op de lumineuze idee kwam de leiding van 'Die Tat' in 1929 over te dragen aan een journalist die zijn strepen als redacteur had verdiend bij de invloedrijke 'Vossische Zeitung'. De eerste twee jaren verschool Hans Zehrer zich om professionele redenen nog achter schuilnamen, maar daarna wijdde hij al zijn energie aan de uitbouw van wat het meest invloedrijke tijdschrift ter rechterzijde zou worden in de Republiek van Weimar (1919-'33). Zehrer wist met de verhoging van de oplage van 1000 tot 30.000 de talloze rechtse publicaties in de schaduw te stellen en zelfs de meest geduchte linkse concurrent 'Die Weltbühne' met meer dan de helft te overtreffen. Samen met een kring van uitgelezen publicisten als Ernst Wilhelm Eschmann, Giselher Wirsing, Ferdinand Friedrich Zimmermann, Hellmuth Elbrechter en Ferdinand Fried vormde Zehrer de 'Tat-Kreis', de redactiegemeenschap van het maandblad.

Fascisme

De Weimarrepubliek ging na de beurskrach van Wall Street in oktober 1929 moeilijke jaren tegemoet. De werkloosheid snelde de hoogte in, veel jonge mensen zagen ondanks hun kwalificaties geen toekomst meer in Duitsland. De lokroep van extremistische partijen weerklonk steeds luider. Communisten (KPD) en nationaalsocialisten (NSDAP) beukten onvermoeibaar in op de economisch en politiek verzwakkende republiek. De klassieke partijen spanden zich nauwelijks in om haar te verdedigen. Weimar was als een 'democratie zonder democraten'. Zehrer wilde het zijne ertoe bijdragen om het oude, verstarde liberaal-democratische systeem ten val te brengen zodat er een nieuwe ordening zou kunnen ontstaan. In dat opzicht behoorde hij tot de zogenaamde 'Konservative Revolution' waarover Armin Mohler een standaardwerk heeft geschreven[i]. Want hij wilde wel een revolutie, maar niet in de marxistische zin van het woord. Een revolutie die een ware 'Volksgemeinschaft' tot leven zou wekken. Het parlementarisme en de daaraan gekoppelde tegenstelling links-rechts beschouwde Zehrer als achterhaald. Het volk zou niet langer vertegenwoordigd mogen worden door partijen maar door standen. De standenstaat zou moeten berusten op de volkswil, waarbij het volk geleid werd door een elite met een rijkspresident die 'auctoritas' bezat. Leger, politie en ambtenarij zouden de 'potestas' uitoefenen. Het nationalisme zoals dat van de 'Action française' en het syndicalisme van een Georges Sorel moesten met elkaar verzoend worden. Alleen de synthese van die beide stromingen kon het opnemen tegen het liberale, kapitalistische systeem. Zehrer schreef daarover in 'Die Tat'[ii] (Vertaling in eindnoot[iii]):

"Im Faschismus Mussolinis laufen die Elemente, die in Frankreich noch nebeneinander herlaufen, sich nur berühren, aber wenig verschmelzen und im übrigen erfolglos bleiben, zusammen. Während in Frankreich zwischen den antiliberalen Kräften rechts und links nur einige Funken sprühen, schließt sich im Faschismus der Stromkreis zum erstenmal in der Praxis, 'rechts' und 'links' tun sich in einer neuen militanten Bewegung zusammen und beseitigen gemeinsam das liberale System. Nationalismus und Syndikalismus marschieren gemeinsam gegen den gemeinsamen Gegner."

HZ2.jpgGeestelijke waarden

'Die Tat' kwam tegemoet aan het verlangen van een hele generatie jongeren naar nieuwe horizonten, naar alternatieven voor een weinig bezielende democratie die zich in de greep van het 'Kapitaal' en de 'Massa' bevond . De journalist Paul Sethe riep in een aan Zehrer gewijde 'Nachruf' (Die Zeit, 02.09.1966) een beeld op dat kenschetsend was voor die jonge zoekende lezers: 'Damals traf man in der Eisenbahn oft auf junge Leute, die "Die Tat" lasen; fast immer Leute mit klugen und nachdenklichen Gesichtern' (Toentertijd trof je in de trein vaak jonge lui aan die de "Tat" aan het lezen waren; haast altijd mensen met een verstandige en piekerende gezichtsuitdrukking). Veel van die jonge mensen kwamen uit de middenklasse, uit die groep die 'in de strijd tussen het kapitalistische en het massadenken bereid is, geestelijke waarden te laten primeren op andere waarden', zoals het heette in het door Zehrer opgestelde programma voor 'Die Tat'. Vele ideeën van de conservatief-revolutionairen vertoonden verwantschap met die van het nationaalsocialisme. Adolf Hitler wist miljoenen mensen naar zich toe wist te trekken door in te spelen op oude 'Sehnsüchte' (verlangens) naar een 'warme gemeenschap' als alternatief voor de 'koude maatschappij', naar een heropleving van de onder het Verdrag van Versailles kreunende natie, en naar een 'Messias', een 'bevrijder van het Duitse volk'.

Hitler verhinderen

Als intellectueel minachtte Zehrer de NSDAP omwille van haar proletarisch karakter, en hoewel hij gehuwd was met een joodse vrouw, gaf hij toch de nazipartij zijn stem omdat hij in haar een middel zag om de Weimarrepubliek onderuit te halen. Maar zijn argwaan tegenover Hitler groeide naarmate hij begon in te zien dat de 'Führer' van de NSDAP meer de nationalistische kaart trok dan de socialistische. Zehrer zocht contact met generaal Kurt von Schleicher die van 3 december 1932 tot 28 januari 1933 het ambt van rijkskanselier bekleedde. Schleicher wilde de republiek redden en daartoe moest hij eerst Hitler zien klein te krijgen. Zehrer steunde en adviseerde hem daarbij. De 'rode generaal' streefde ernaar de linkervleugel van de NSDAP onder Gregor Strasser af te doen scheuren van de partij, en dan samen met de 'linkse nationaalsocialisten', de vakbonden en de sociaaldemocraten het land te besturen. Toen Strasser uit de NSDAP stapte maar amper gevolgd werd, was het plan van de 'Spaltung' (opsplitsing) mislukt. Zehrer zag nog maar één kans om Hitler te verhinderen, van de macht af te houden. Op 24 januari 1933 adviseerde hij Schleicher het parlement te ontbinden zonder nieuwe verkiezingen in het vooruitzicht te stellen. Rijkspresident Paul von Hindenburg wees dit voorstel af. Enkel een staatsgreep – regeren met behulp van de 'Reichswehr' – bleef nog als optie over. Maar de generaal kreeg het niet over zijn hart om al die drastische maatregelen te nemen en een militaire dictatuur te installeren. Volgens Zehrer belichaamde Schleicher het type 'des musischen Militärs', en daaraan zou hij ten gronde gegaan zijn. Zes dagen later werd Hitler door rijkspresident Hindenburg benoemd tot rijkskanselier. Anderhalf jaar later zou de 'Führer und Reichskanzler' Strasser en Schleicher, naast vele andere rivalen, laten vermoorden in de 'Nacht van de Lange Messen'.

Vizier

HZ3.jpg'Die Tat' mocht dan wel met haar strijd tegen Weimar, tegen Versailles, tegen het parlementarisme en voor een elitair bestuurde natiestaat en een 'Duits socialisme' geestelijk mee het pad hebben geëffend voor de machtsovername door de nationaalsocialisten, dezen vergaten nooit wie tijdens de tocht naar de top aan hun kant had gestaan en wie niet. Enkele weken na de Machtergreifung werd Zehrer gedwongen de leiding over 'Die Tat' af te staan. Hij trok zich in de komende jaren terug op het eiland Sylt, ver weg van Berlijn, uit het vizier van de nationaalsocialisten. Zijn joodse echtgenote emigreerde in 1938 naar Groot-Brittannië. Zehrer werkte in de beginjaren van de oorlog nog als zaakvoerder van de uitgeverij Stalling en diende van 1943 tot 1945 bij de staf van de Luftwaffe. Na de oorlog werd Zehrer hoofdredacteur van 'Die Welt', de krant die door de Britse bezettingsmacht in Hamburg was opgericht. Duitse sociaaldemocraten protesteerden hiertegen omdat ze de strijd van Zehrer tegen de Weimarrepubliek niet waren vergeten. Zehrer moest opstappen en schreef tot 1953 voor andere dagbladen. Toen de bekende uitgever Axel Springer, een goede vriend, in 1953 'Die Welt' kocht, kon Zehrer weer aan de slag, en wel als hoofdredacteur bij deze krant, die nog altijd een van de vlaggenschepen van de Bondsrepubliek is.[iv]

Moskou

Zehrer was nog altijd een 'Duits nationalist' gebleven. Hij droomde van de 'Wiedervereinigung', de staatkundige hereniging van Duitsland dat in twee staten, de Bondsrepubliek en de DDR, opgedeeld was. Aan de maatstaf van wat de hereniging kon bevorderen, mat hij de politiek van de Bondsregering af. Onder Zehrer ontpopte 'Die Welt' zich dan ook – en dat in volle Koude Oorlog – tot 'das führende Oppositionsblatt' tegen de politiek van bondskanselier Konrad Adenauer die erop gericht was de Bondsrepubliek vast in het Westen te verankeren. Zo bekritiseerde hij ook het verbod van de Kommunistische Partei Deutschlands (KPD) als zogenaamde 'vijfde colonne' van Moskou[v]. Ten tijde van het geïnstitutionaliseerde anticommunisme van de Bondsrepubliek getuigde dat van moed, en zeker vanwege iemand met een verleden als conservatief revolutionair. Zehrer pleitte voor meer 'Ostorientierung' (gerichtheid op het Oosten, dus Rusland), meende zelfs de 'Wirksamkeit der nationalen Geschichte und des russischen Wesens' te ontdekken onder de bolsjewistische korst. De sleutel voor de Duitse hereniging lag volgens Axel Springer in Moskou. De krantenuitgever ondernam dan ook samen met zijn hoofdredacteur Zehrer in januari 1958 een legendarische reis naar Moskou. Beide hoopten van Nikita Chroesjtsjov, de leider van de Sovjet-Russische Communistische Partij, een signaal te vernemen dat Moskou de Duitse hereniging genegen was. Het interview dat ze met Chroesjtsjov voerden, beroofde hen van alle illusies. Springer en Zehrer kwamen van een kale kermis terug. Zehrer liet zich echter niet ontmoedigen en hield als publicist en topjournalist onvermoeibaar het geloof in de Duitse eenmaking levendig.

Geloof

In januari 1966 werd Zehrer met een leverziekte opgenomen in een West-Berlijns ziekenhuis. Op 24 mei vernamen de lezers van 'Die Welt' dat Zehrer om gezondheidsredenen ontslag had genomen als hoofdredacteur. Van op zijn ziekenbed dicteerde hij nog artikels, maar uiteindelijk sloeg de dood toe op 23 augustus 1966. De links-liberale journalist Joachim Besser drukte in een in memoriam zijn bewondering uit voor 'den glanzvollen, ideenreichen Journalisten', maar schreef ook kritisch over Zehrer als product van de 'Konservative Revolution': 'Er glaubte an das Volk und nicht an die Gesellschaft [...] er glaubte an die Gemeinschaft, und nicht an die vielschichtige, von Interessenten beherrschte Gesellschaft der Demokratie ...' [vi] (Hij geloofde aan het volk en niet aan de maatschappij [...] hij geloofde aan de gemeenschap en niet aan de veelzijdige, door belanghebbenden beheerste maatschappij van de democratie ...)

[i] Armin Mohler: Die Konservative Revolution in Deutschland 1918–1932. Ein Handbuch., Darmstadt 1989.

[ii] Hans Zehrer (1931): Rechts oder Links?, in: Die Tat, 23. Jahrgang, Heft 7, Februar 1931, p. 530.

[iii] 'In het fascisme van Mussolini lopen de elementen samen, die in Frankrijk nog naast elkaar lopen, zich slechts beroeren, maar weinig versmelten en voor het overige zonder succes blijven. Terwijl in Frankrijk tussen de antiliberale krachten rechts en links slechts enkele vonken ontspringen, sluit zich in het fascisme de stroomkring voor de eerste keer in de praktijk, „rechts' en „links" komen samen in een nieuwe militante beweging en schakelen samen het liberale systeem uit. Nationalisme en syndicalisme marscheren samen tegen de gemeenschappelijke tegenstander.'

[iv] Ebbo Demant, Von Schleicher zu Springer. Hans Zehrer als politischer Publizist, Mainz 1971.

[v] Hans Zehrer: Entlassen in den Untergrund, in: Die Welt, 18.08.1956

[vi] Joachim Besser; Glänzender und zugleich schillernder Zeitungsmann, in: Kölner Stadtanzeiger, 25.08.1966

mercredi, 20 juillet 2016

Hommage à Roger Nimier

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Hommage à Roger Nimier

par Luc-Olivier d’Algange

Ex: http://mauditseptembre62.hautetfort.com

Roger Nimier fut sans doute le dernier des écrivains, et des honnêtes gens, à être d'une civilisation sans être encore le parfait paria de la société; mais devinant cette fin, qui n'est pas une finalité mais une terminaison.

Après les futilités, les pomposités, les crises anaphylactiques collectives, les idéologies, viendraient les temps de la disparition pure et simple, et en même temps, des individus et des personnes. L'aisance, la désinvolture de Roger Nimier furent la marque d'un désabusement qui n'ôtait rien encore à l'enchantement des apparences. Celles-ci scintillent un peu partout dans ses livres, en sentiments exigeants, en admirations, en aperçus distants, en curiosités inattendues.

Ses livres, certes, nous désabusent, ou nous déniaisent, comme de jolies personnes, du Progrès, des grandes abstractions, des généralités épaisses, mais ce n'est point par une sorte de vocation éducative mais pour mieux attirer notre attention sur les détails exquis de la vie qui persiste, ingénue, en dépit de nos incuries. Roger Nimier en trouvera la trace aussi bien chez Madame de Récamier que chez Malraux. Le spectre de ses affections est large. Il peut, et avec de profondes raisons, trouver son bien, son beau et son vrai, aussi bien chez Paul Morand que chez Bernanos. Léautaud ne lui interdit pas d'aimer Péguy. C'est assez dire que l'esprit de système est sans prise sur lui, et que son âme est vaste.

On pourrait en hasarder une explication psychologique, ou morale. De cette œuvre brève, au galop, le ressentiment qui tant gouverne les intellectuels modernes est étrangement absent. Nimier n'a pas le temps de s'attarder dans les relents. Il va à sa guise, voici la sagesse qu'il nous laisse.  Ses quelques mots pointus, que l'on répète à l'envie, et que ses fastidieux épigones s'efforcent de reproduire, sont d'un piquant plus affectueux que détestateur. Pour être méchant, il faut être bien assis quelque part, avec sa garde rapprochée. Or le goût de Roger Nimier est à la promenade, à l'incertitude, à l'attention. Fût-ce par les méthodes de l'ironie, il ne donne pas la leçon, mais invite à parcourir, à se souvenir, à songer, - exercices dont on oublie souvent qu'ils exigent une intelligence toujours en éveil. Son goût n'est pas une sévérité vétilleuse dissimulée sous des opinions moralisatrices, mais une liberté exercée, une souveraineté naturelle. Il ne tient pas davantage à penser comme les autres qu'il ne veut que les autres pensent comme lui, puisque, romancier, il sait déjà que les autres sont déjà un peu en lui et lui dans les autres. Les monologues intérieurs larbaudiens du Hussard bleu en témoignent. Nimier se défie des représentations et de l'extériorité. Sa distance est une forme d'intimité, au rebours des familiarités oppressantes.

rm3479608754.jpgL'amour exige de ces distances, qui ne sont pas seulement de la pudeur ou de la politesse mais correspondent à une vérité plus profonde et plus simple: il faut aux sentiments de l'espace et du temps. Peut-être écrivons nous, tous, tant bien que mal, car nous trouvons que ce monde profané manque d'espace et de temps, et qu'il faut trouver quelque ruse de Sioux pour en rejoindre, ici et là, les ressources profondes: le récit nous autorise de ses amitiés.  Nul mieux que Roger Nimier ne sut que l'amitié est un art, et qu'il faut du vocabulaire pour donner aux qualités des êtres une juste et magnanime préférence sur leurs défauts. Ceux que nous admirons deviendront admirables et la vie ressemblera, aux romans que nous écrivons, et nos gestes, aux pensées dites « en avant ». Le généreux ne jalouse pas.

Il n'est rien de plus triste, de plus ennuyeux, de plus mesquin que le « monde culturel », avec sa moraline, son art moderne, ses sciences humaines et ses spectacles. Si Nimier nous parle de Madame Récamier, au moment où l'on disputait de Mao ou de Freud, n'est-ce pas pour nous indiquer qu'il est possible de prendre la tangente et d'éviter de s'embourber dans ces littératures de compensation au pouvoir absent, fantasmagories de puissance, où des clercs étriqués jouent à dominer les peuples et les consciences ? Le sérieux est la pire façon d'être superficiel; la meilleure étant d'être profond, à fleur de peau, - « peau d'âme ». Parmi toutes les mauvaises raisons que l'on nous invente de supporter le commerce des fâcheux, il n'en est pas une qui tienne devant l'évidence tragique du temps détruit. La tristesse est un péché.

Les épigones de Nimier garderont donc le désabusement et s'efforceront de faire figure, pâle et spectrale figure, dans une société qui n'existe plus que pour faire disparaître la civilisation. La civilisation, elle, est une eau fraîche merveilleuse tout au fond d'un puits; ou comme des souvenirs de dieux dans des cités ruinées. L'allure dégagée de Roger Nimier est plus qu'une « esthétique », une question de vie ou de mort: vite ne pas se laisser reprendre par les faux-semblants, garder aux oreilles le bruit de l'air, être la flèche du mot juste, qui vole longtemps, sinon toujours, avant son but.

Les ruines, par bonheur, n'empêchent pas les herbes folles. Ce sont elles qui nous protègent. Dans son portrait de Paul Morand qui vaut bien un traité « existentialiste » comme il s'en écrivait à son époque (la nôtre s'étant rendue incapable même de ces efforts édifiants), Roger Nimier, après avoir écarté la mythologie malveillante de Paul Morand « en arriviste », souligne: « Paul Morand aura été mieux que cela: protégé. Et conduit tout droit vers les grands titres de la vie, Surintendant des bords de mer, Confident des jeunes femmes de ce monde, Porteur d'espadrilles, Compagnons des vraies libérations que sont Marcel Proust et Ch. Lafite. »

Etre protégé, chacun le voudrait, mais encore faut-il bien choisir ses Protecteurs. Autrefois, les tribus chamaniques se plaçaient sous la protection des faunes et des flores resplendissantes et énigmatiques. Elles avaient le bonheur insigne d'être protégées par l'esprit des Ours, des Lions, des Loups ou des Oiseaux. Pures merveilles mais devant lesquelles ne cèdent pas les protections des Saints ou des Héros. Nos temps moins spacieux nous interdisent à prétendre si haut. Humblement nous devons nous tourner vers nos semblables, ou vers la nature, ce qui n'est point si mal lorsque notre guide, Roger Nimier, nous rapproche soudain de Maurice Scève dont les poèmes sont les blasons de la langue française: « Où prendre Scève, en quel ciel il se loge ? Le Microcosme le place en compagnie de Théétète, démontant les ressorts de l'univers, faisant visiter les merveilles de la nature (...). Les Blasons le montrent couché sur le corps féminin, dont il recueille la larme, le soupir et l'haleine. La Saulsaye nous entraîne au creux de la création dans ces paradis secrets qui sont tombés, comme miettes, du Jardin royal dont Adam fut chassé. »

Hussard, certes, si l'on veut, - mais pour quelles défenses, quelles attaques ? La littérature « engagée » de son temps, à laquelle Nimier résista, nous pouvons la comprendre, à présent, pour ce qu'elle est: un désengagement de l'essentiel pour le subalterne, un triste "politique d'abord" (de Maurras à Sartre) qui abandonne ce qui jadis nous engageait (et de façon engageante) aux vertus mystérieuses et généreuses qui sont d'abord celles des poètes, encore nombreux du temps de Maurice Scève: « Ils étaient pourtant innombrables, l'amitié unissait leurs cœurs, ils inspiraient les fêtes et décrivaient les guerres, ils faisaient régner la bonté sur la terre. » De même que les Bardes et les Brahmanes étaient, en des temps moins chafouins, tenus pour supérieurs, en leur puissance protectrice, aux législateurs et aux marchands, tenons à leur exemple, et avec Roger Nimier, Scève au plus haut, parmi les siens.

Roger Nimier n'étant pas « sérieux », la mémoire profonde lui revient, et il peut être d'une tradition sans avoir à le clamer, ou en faire la réclame, et il peut y recevoir, comme des amis perdus de vue mais nullement oubliés, ces auteurs lointains que l'éloignement irise d'une brume légère et dont la présence se trouve être moins despotique, contemporains diffus dont les amabilités intellectuelles nous environnent.

Qu'en est-il de ce qui s'enfuit et de ce qui demeure ? Chaque page de Roger Nimier semble en « répons » à cette question qui, on peut le craindre, ne sera jamais bien posée par l'âge mûr, par la moyenne, - dans laquelle les hommes entrent de plus en plus vite et sortent de plus en plus tard, - mais par la juvénilité platonicienne qui emprunta pendant quelques années la forme du jeune homme éternel que fut et demeure Roger Nimier, aimé des dieux, animé de cette jeunesse « sans enfance antérieure et sans vieillesse possible » qu'évoquait André Fraigneau à propos de l'Empereur Julien.

Qu'en est-il de l'humanité lorsque ces fous qui ont tout perdu sauf la raison régentent le monde ? Qu'en est-il des civilités exquises, et dont le ressouvenir lorsqu’elles ont disparu est exquis, précisément comme une douleur ? Qu'en est-il des hommes et des femmes, parqués en des camps rivaux, sans pardon ? Sous quelle protection inventerons-nous le « nouveau corps amoureux » dont parlait Rimbaud ? Nimier écrit vite, pose toutes les questions en même temps, coupe court aux démonstrations, car il sait que tout se tient. Nous perdons ou nous gagnons tout. Nous jouons notre peau et notre âme en même temps. Ce que les Grecs nommaient l'humanitas, et dont Roger Nimier se souvient en parlant de l'élève d'Aristote ou de Plutarque, est, par nature, une chose tant livrée à l'incertitude qu'elle peut tout aussi bien disparaître: « Et si l'on en finissait avec l'humanité ? Et si les os détruits, l'âme envolée, il ne restait que des mots ? Nous aurions le joli recueil de Chamfort, élégante nécropole où des amours de porphyre s'attristent de cette universelle négligence: la mort ».

Par les mots, vestiges ultimes ou premières promesses, Roger Nimier est requis tout aussi bien par les descriptifs que par les voyants, même si  « les descriptifs se recrutent généralement chez les aveugles ». Les descriptifs laisseront des nécropoles, les voyants inventeront, comme l'écrivait Rimbaud « dans une âme et un corps ». Cocteau lui apparaît comme un intercesseur entre les talents du descriptif et des dons du voyant, dont il salue le génie: «Il ne fait aucun usage inconsidéré du cœur et pourtant ses vers ont un caractère assez particulier: ils semblent s'adresser à des humains. Ils ne font pas appel à des passions épaisses, qui s'essoufflent vite, mais aux patientes raisons subtiles. Le battement du sang, et c'est déjà la mort, une guerre, et c'est la terre qui mange ses habitants ».Loin de nous seriner avec le style, qui, s'il ne va pas de soi, n'est plus qu'un morose « travail du texte », Roger Nimier va vers l'expérience, ou, mieux encore, vers l'intime, le secret des êtres et des choses: « Jean Cocteau est entré dans un jardin. Il y a trouvé des symboles. Il les a apprivoisé. »

nimier-09bf61.pngLoin du cynisme vulgaire, du ricanement, du nihilisme orné de certains de ses épigones qui donnent en exemple leur vide, qui ne sera jamais celui des montagnes de Wu Wei, Roger Nimier se soucie de la vérité et du cœur, et de ne pas passer à côté de ce qui importe. Quel alexipharmaque à notre temps puritain, machine à détruire les nuances et qui ne connaît que des passions courtes ! Nimier ne passe pas à côté de Joseph Joubert et sait reconnaître en Stephen Hecquet l'humanité essentielle (« quel maître et quel esclave luttant pour la même cause: échapper au néant et courir vers le soleil ») d'un homme qui a « Caton pour Maître et Pétrone pour ami. » Sa nostalgie n'est pas amère; elle se laisse réciter, lorsqu'il parle de Versailles, en vers de La Fontaine: « Jasmin dont un air doux s'exhale/ Fleurs que les vents n'ont su ternir/ Aminte en blancheur vous égale/ Et vous m'en faites souvenir ».

On oublie parfois que Roger Nimier est sensible à la sagesse que la vie et les œuvres dispensent « comme un peu d'eau pris à la source ». La quête d'une sagesse discrète, immanente à celui qui la dit, sera son génie tutélaire, son daemon, gardien des subtiles raisons par l'intercession de Scève: « En attendant qu'à dormir me convie/ Le son de l'eau murmurant comme pluie ».

Luc-Olivier d'Algange

Extrait d’un article paru dans l’ouvrage collectif, Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l’esprit Hussard, sous la direction de Philippe Barthelet et Pierre-Guillaume de Roux, éditions Pierre-Guillaume de Roux 2012.

mardi, 05 juillet 2016

Michael Cimino, autre enfant terrible d’Hollywood…

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Michael Cimino, autre enfant terrible d’Hollywood…

L’actualité des morts vaut bien celle des vivants; la preuve par Michael Cimino, qui vient de nous quitter

Journaliste, écrivain
 
Ex: http://www.bvoltaire.fr
 
Décidément, nos discothèques et vidéothèques commencent à ressembler à des champs de fraises pour l’éternité, tel que les Beatles auraient pu le chanter. Nonobstant, l’actualité des morts vaut bien celle des vivants ; la preuve par Michael Cimino, qui vient de nous quitter.

enferY2J0QXL.jpgDe lui, la presse a surtout retenu Voyage au bout de l’enfer, premier film intelligent sur la guerre du Vietnam – soit assez loin des très burlesques Bérets verts, filmé par un John Wayne à grotesque toupet – et réflexion plus qu’intelligente de l’engagement de prolétaires américains issus d’Europe de l’Est, partis, dans la vaste Asie, faire une guerre ne les regardant que de loin.

Ensuite, La Porte du paradis, grand film malade, budgété à 4,5 millions de dollars et dont la facture coûta finalement 45 millions de billets verts, coulant au passage l’United Artists, première compagnie indépendante fondée par des artistes tels que Mary Pickford, Charlie Chaplin, David Griffith et Douglas Fairbanks.

Le premier film oscarisa le défunt ; le second le coula. Une histoire telle qu’on les aime à Hollywood ; à condition qu’il y ait rédemption, sauf que là, rédemption il n’y eut point : après ce somptueux naufrage financier, Michael Cimino ne fut plus, ou presque. Car au même titre que Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Brian De Palma, George Romero, Michael Cimino persista, envers et contre tout, à perpétuer une certaine tradition de ce cinéma européen, un peu à la base de l’industrie du septième art local, avant que ce dernier n’aille faire ses courses scénaristiques au scénario au Toys “R” Us le plus proche ; soit débauche de sous-héros en slip rose framboise. Ces temps-là ne sont plus.

magnum.jpgMichael Cimino, avant cette consécration précédant de près sa chute, valait évidemment mieux que ça. Avec John Milius, conservateur du genre pithécanthrope et de philosophie païenne, il cosigne le splendide scénario de Magnum Force, deuxième opus de la saga de l’inspecteur Harry, très énervé flic, incarné par Clint Eastwood.

À l’époque, le grand Clint est tenu pour « fasciste » par la critique Pauline Kael, pythie du New Yorker. Et là, Michael Cimino, roué comme pas deux, décrit un inspecteur Harry à la fois de gauche et de droite, présumé facho, mais débordé par flics plus fachos que lui. Peu avant le générique, Clint Eastwood démastique à peu près les trois quarts du casting ; tout en y croyant, tout en n’y croyant pas : grande énigme. Il en va de même avec le premier film réalisé par Michael Cimino, Le Canardeur, avec Clint Eastwood en premier rôle. Simple pochade ? Oui et non. Pas assez hippie alors, trop réac pour les décennies à venir. Un putain de bon film, pourtant.

Son chant du cygne ? Non. Car après le naufrage de La Porte du paradis, avec L’Année du dragon, il jette ses derniers feux. C’est l’histoire d’un flic new-yorkais d’origine polonaise (Mickey Rourke avant qu’il n’ait la tronche d’un mec ayant fait à la fois l’amour avec un bulldozer et un chirurgien esthétique de Miami) qui s’en va lutter contre la mafia asiatique. C’est filmé sans gras ni couenne, avec pour seule bande sonore le bruit du rasoir raclant l’os au travers des chairs avariées. Tout le monde en resta pantois, non sans raison. Autre putain de bon film.

Lors de sa sortie, le bidule fit scandale et ne fit rien pour la rédemption de cet enfant à la fois pourri et vomi par Hollywood : les « faces de citron » – tel qu’on disait dans les Bob Morane de notre enfance – manifestaient devant les salles de cinéma projetant le film en question afin d’en faire interdire la projection. Michael Cimino envoya tout le monde se faire foutre, pour n’ensuite filmer que quelques bandes anecdotiques, dont le pourtant intéressant La Maison des otages. Aujourd’hui, les journalistes ne savent plus trop bien comment lui rendre hommage. On les comprend.

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Yves Bonnefoy ou recommencer une terre

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Yves Bonnefoy ou recommencer une terre

Yves Bonnefoy s'est éteint à Paris le 1er juillet. Poète de grande race, il était né à Tours d'un père ouvrier et d'une mère institutrice et vécut une enfance grisâtre qui ne sera éclairée que par la lumière de l'arrière-pays des Causses du Quercy et du Rouergue où il passait ses vacances d'été chez ses grands-parents maternels. Après des études de mathématiques et de philosophie, il s'oriente vers les lettres et les arts, la poésie bien sûr pour laquelle il a un don évident, mais également les mythes qui l'incitèrent à interroger des peintres tels que Pierro de la Francesca, Goya, Giacometti, de même qu'il traduira des oeuvres européennes comme celles de Shakespeare, Yeats ou Leopardi. Traducteur éminent de Shakespeare, l'une des phrases de celui-ci pourrait être mise en exergue de son oeuvre : Tu as rencontré ce qui meurt, et moi ce qui vient de naître. Longue méditation sur la mort et sur la finalité apparente de tout ce qui vit, l'oeuvre poétique de Bonnefoy n'est ni désespérée, ni pessimiste, comme le sont beaucoup de celles de nos jeunes poètes. Elle est, par ailleurs, l'une des moins narcissique qui soit, car toute entière tournée vers l'objet extérieur. Soucieux des innombrables perturbations que nous traversons, il avait la conviction que les poètes et les artistes ont une approche et une vision plus aiguë des crises civilisationnelles, d'où l'intérêt qu'il manisfestera pour les époques charnières et la crise de conscience vécue au XIXe siècle par un Baudelaire ou un Rimbaud. Par ailleurs, sachant que l'on ne peut discerner l'avenir sans se référer au passé, il sera toujours un témoin vigilant de notre époque agitée et négligente.

ybm_6217_765328.jpgL'horizon intellectuel du poète sera celui d'une recherche incessante. Sa soif de l'éternel, de l'unité perdue, de ce qui peut-être n'existe pas mais qu'on ne renonce jamais à atteindre, constitue son acte d'écrire, celui d'un devenir que le poème met en mouvement. L'oeuvre d'Yves Bonnefoy, qui semble être un des rares poètes à susciter l'unanimité d'estime et d'admiration de ses contemporains, n'appartient à aucune école, à aucune chapelle littéraire. Elle s'approfondit au long d'un parcours d'une rigueur et d'une authenticité qu'il faut souligner. Ses textes - poésie, prose, essai - comportent une suite de moments comparables à des voyages, à des passages, à des traversées, où veillent un désir partagé entre le passé et le puissant attrait de l'avenir, le froid nocturne et la chaleur d'un feu nouveau, la dénonciation du leurre et la visée du but.

Son extrême exigence, quant à l'authenticité du monde second, détermine une série de mises en garde à l'encontre de ce qui pourrait nous en détourner ou en tenir lieu à bon compte. La dimension d'avenir et d'espérance est capitale. Si intense que soit le sentiment d'un monde perdu, Bonnefoy ne laisse pas prévaloir le regard rétrospectif ou la pensée négative. Il appartient à la poésie, selon lui, d'inventer un nouveau rapport au monde. Marquant ses distances vis-à-vis du christianisme, le poète n'en reste pas moins attaché à l'idée d'une transcendance. S'il cherche à ranimer ou re-centrer la parole, à recommencer une terre, à retrouver la présence, ce n'est jamais pour revenir à une ancienne plénitude, mais pour tenter de définir le monde second comme lieu d'une autre totalité, d'une unité différente, de façon à ce que la perte du monde premier puisse être réparée. Confier cette tâche au langage, à la poésie, est pour Bonnefoy poser le principe que le monde second a son fondement dans l'acte de parole, car il est le seul à pouvoir nommer les choses et en appeler à l'être dans la communication vivante avec autrui.

Imagine qu'un soir
La lumière s'attarde sur la terre,
Ouvrant ses mains d'orage et donatrices, dont
La paume est notre lieu et d'angoisse et d'espoir.
Imagine que la lumière soit victime
Pour le salut d'un lieu mortel et sous un dieu
Certes distant et noir. L'après-midi
A été pourpre et d'une trait simple. Imaginer
S'est déchiré dans le miroir, tournant vers nous
Sa face souriante d'argent clair.
Et nous avons vieilli un peu. Et le bonheur
A mûri ses fruits clairs en d'absentes ramures.
Est-ce là un pays plus proche, mon eau pure ?
Ces chemins que tu vas dans d'ingrates paroles
Vont-ils sur une rive à jamais ta demeure
"Au loin" prendre musique, " au soir " se dénouer ?

Rien n'est tenu pour acquis et les leurres - quels qu'ils soient - sont à dissiper. On le voit dans le texte de sa leçon inaugurale au Collège de France en 1981 :

Bien que je place au plus haut cette parole des grands poèmes qui entendent ne fonder sur rien sinon la pureté du désir et la fièvre de l'espérance, je sais que son questionnement n'est fructueux, que son enseignement n'a de sens, que s'ils s'affinent parmi les faits que l'historien a pu reconnaître, et avec des mots où se font entendre, par écho plus ou moins lointain, tout les acquis des sciences humaines (... ) Car on se soucie autant que jamais de littérature dans la nouvelle pensée, puisque c'est dans l'oeuvre de l'écrivain que la vie des mots, contrainte sinon déniée dans la pratique ordinaire, accède, le rêve aidant, à une liberté qui semble marcher à l'avant du monde." 

Ce qui lui donne à espérer dans la poésie, c'est une vie intense qui, par-delà les mots, s'ouvre aux choses, aux êtres, à l'horizon, " en somme - comme il le dit lui-même - toute une terre rendue soudain à sa soif. De cette vocation moderne de la poésie, l'oeuvre de Bonnefoy est sans nul doute la plus engagée, la plus expressive. Avec lui le moi est tenu en éveil par le souci du monde. La nécessité absolue, selon lui, est la présence du monde et la présence au monde, ce monde reconquis sur l'abstraction et dégagé de celui nocturne des rêves, si cher aux surréalistes, un monde qui doit être restauré par le langage. Pour ne point être rejoint par les chimères et le désespoir, ce lieu retrouvé ou instauré comme un nouveau rivage, ce lieu du monde ancré dans sa réalité est à initier par le narratif, c'est ce monde second vers lequel le poète fixe sa quête, loin de toute rêverie régressive et avec l'insistance d'une innocence naturelle. Nul passéisme donc, tant il est vrai que le monde ancien ne peut plus servir de refuge, mais une alliance avec ce lieu où, déjà, se précise une unité différente, se devine une existence nouvelle.

Bonnefoy n'en reste pas moins attaché à une idée de dépassement et, sans céder à l'appel du là-bas et de l'ailleurs, qui sous-tend une désertion de l'ici et, par conséquent, une séparation, une division avec le réel, il privilégie l'humble présence des choses qu'il nous faut accepter et aimer. Ainsi se doit-on d'assumer le hasard et la présence des autres. Pour ce faire, le poète se plaît à user de mots comme maisonpainvinterrepierreorage  ; mots d'une communion simple, symboles d'une existence partagée, dégagée de la trame froide et distancée des concepts. L'incarnation, cet en-dehors du rêve, devient ainsi un bien proche et quotidien.

Aube, pourtant
Où des mondes s'attardent près des cimes.
Ils respirent, pressés l'un contre l'autre,
Ainsi des bêtes silencieuses.
Ils bougent, dans le froid.

Grâce à ces mots journaliers, la dualité de l'homme entre en apaisement : la paix, qui s'établit, laisse subsister l'écart entre les mondes et comme le souligne Jean Starobinski " l'opposition sans laquelle l'unité ne porterait pas sens".Nous sommes avec le poète dans la phosphorescence de ce qui est. C'est là son offrande aurorale aux générations à venir.

(...)

Je célèbre la voix mêlée de couleur grise
Qui hésite au lointain du chant qui s'est perdu
Comme si au-delà de toute forme pure
Tremblât un autre chant et le seul absolu.
 

(...)

Il semble que tu connaisses les deux rives,
L'extrême joie et l'extrême douleur.
Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière,
Il semble que tu puises de l'éternel.

Principaux titres de ses ouvrages chez Gallimard :

Du mouvement et de l'immobilité de Douve
Hier régnant désert
Pierre écrite
Dans le leurre du seuil

lundi, 04 juillet 2016

4 juillet 2003 - Armin Mohler nous quittait !

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4 juillet 2003 - Armin Mohler nous quittait !

Poète de la présence, Yves Bonnefoy n’est plus

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Poète de la présence, Yves Bonnefoy n’est plus

Il était, depuis plus de soixante ans, l’une des voix les plus reconnaissables et les plus profondes de la poésie française: Yves Bonnefoy vient de s’éteindre à 93 ans. Il laisse une œuvre d’une ampleur considérable: plus de dix recueils de poèmes, de vingt recueils d’essais, des «récits en rêve», des livres d’histoire de l’art, des traductions de Pétrarque, de Shakespeare (une douzaine de pièces dont les plus grandes), de Donne, de Keats, de Leopardi, de Yeats, en un mot toute l’étendue du champ littéraire.

Parole vive

Et pourtant, pour ceux qui ont eu le privilège de compter parmi ses proches, c’est beaucoup moins l’aspect monumental de son entreprise poétique qui frappait d’emblée que sa présence souriante et l’amitié qu’il savait vous porter. Son charisme, si sensible aussi dans sa prose, procédait d’une attention bienveillante à l’individualité de chacun: il avait ce don de prendre autrui pour ce qu’il est et de ne rien lui demander d’autre que d’être fidèle à soi-même, ce qu’il s’efforça, sa vie durant, d’être lui aussi. Sa parole vive était un constant effort pour venir au-devant de la vôtre et d’adhérer autant qu’il le pouvait à ce qu’on lui proposait, quitte, quand il le fallait, à expliquer avec cordialité son désaccord.

La conversation passait ainsi sans transition des grandes œuvres poétiques ou artistiques, qui étaient toujours à l’horizon de son esprit, aux mille détails dont est faite la vie quotidienne, aux préoccupations les plus simples et par là les plus profondes: les enfants, la forme ou le goût du pain, la situation professionnelle, la couleur du ciel à la fin du jour, le choix d’un mot ou d’un autre. Et on repartait toujours enrichi par un échange auquel il s’était offert tout entier.

Changer la vie

YB-vieE38YDWZL._AC_UL320_SR194,320_.jpgNé à Tours le 24 juin 1923, grandi dans cette ville, puis arrivé à Paris, fin 1943, pour compléter une licence de mathématiques, il gravita tout d’abord dans l’orbite du surréalisme dont l’utopie lui parut tout d’abord confirmer son désir de trouver les «secrets pour changer la vie», mais il s’en sépara assez vite, faute d’en partager la mystique. 

Son premier recueil, Du mouvement et de l’immobilité de Douve, paru en 1953, fit entendre d’emblée la singularité de sa voix:

«Je te voyais courir sur des terrasses / Je te voyais lutter contre le vent /Le froid saignait sur tes lèvres / Et je t’ai vue te rompre et jouir d’être morte ô plus belle / Que la foudre quand elle tache les vitres blanches de ton sang»

Cette gravité voluptueuse et même extatique, à l’arrière-plan de laquelle on peut deviner l’exemple d’un Pierre Jean Jouve sinon d’un Georges Bataille, s’alliait aussi, parfois, à une allure beaucoup plus sacrificielle, voire christique:

«La lumière profonde a besoin pour paraître / D’une terre rouée et craquante de nuit / C’est d’un bois ténébreux que la flamme s’exalte / Il faut à la parole même une matière / Un inerte rivage au-delà de tout chant / Il te faudra franchir la mort pour que tu vives / La plus pure présence est un sang répandu»

Le recueil suivant, Hier régnant désert, allait, lui, revêtir une allure plus intériorisée:

«Il y a sans doute toujours au bout d’une longue rue / Où je marchais enfant une mare d’huile / Un rectangle de lourde mort sous le ciel noir. Depuis la poésie / A séparé ses eaux des autres eaux / Nulle beauté nulle couleur ne la retiennent / Elle s’angoisse pour du fer et de la nuit / Elle nourrit / Un long chagrin de rive morte, un pont de fer / Jeté vers l’autre rive encore plus nocturne / Est sa seule mémoire et son seul vrai amour»

La mélancolie de tels vers céderait toutefois par la suite au bonheur de la rencontre amoureuse, célébrée par exemple dans «Le Myrte» de Pierre écrite:

«Parfois je te disais de myrte et nous brûlions / L’arbre de tous tes gestes tout un jour / C’étaient de grands feux brefs de lumière vestale / Ainsi je t’inventais parmi tes cheveux clairs»

Puis, de façon plus jubilatoire encore, dans le grand chant du recueil qui marque peut-être le sommet de sa trajectoire poétique, Dans le leurre du seuil, paru en 1975:

«Je crie, Regarde / L’amandier / Se couvre brusquement de milliers de fleurs / Ici / Le noueux, l’à jamais terrestre, le déchiré / Entre au port. Moi la nuit / Je consens. Moi l’amandier / J’entre paré dans la chambre nuptiale»

Jamais l’assentiment au réel ne se traduira d’une manière aussi éclatante que dans ce long poème qui culmine dans une sorte de credo adressé moins à un Dieu quelconque qu’à la saveur bienfaisante du monde dont le langage poétique se fait glorification:

«Oui, par les ronces / Des cimes dans les pierres / Par cet arbre, debout / Contre le ciel / Par les flammes, partout / Et les voix, chaque soir /Du mariage du ciel et de la terre»

Récits en rêve

Ce milieu des années 1970 ne marque pas seulement un aboutissement, il est aussi un pivot. Avec la naissance de sa fille, le regard de Bonnefoy commence à se porter vers ce que Baudelaire nommait «les années profondes» et cette orientation rétrospective va aussi de pair avec une affection renouvelée pour le poème en prose ou ce qu’il nommera les «récits en rêve», comprenons de courts récits dans lesquels leur auteur tente de lâcher la bride aux modalités traditionnelles de la narration si bien que le lecteur ne sait souvent pas s’il s’agit d’un souvenir, d’une vision ou d’un rêve auquel il serait convié à participer.

Ces récits, qui à leur façon attestent le sens que le surréalisme put avoir sur Bonnefoy, constituent un aspect à mon sens capital de son apport à la modernité littéraire et je ne serais pas étonné qu’ils deviennent avec le temps son héritage le plus durable.

Un poète au Collège

En 1981, Bonnefoy est nommé au Collège de France à la chaire d’Études comparées de la fonction poétique. C’est la première fois, depuis Valéry, qu’un poète accède à cette fonction qu’il exercera durant douze ans, et il ne fait pas de doute qu’en plus de lui assurer un rayonnement intellectuel élargi, ce poste n’ait aussi contribué à alimenter la très importante part d’essais critiques qui accompagne son œuvre plus précisément poétique: l’impressionnante production de volumes rassemblant ceux-ci en témoigne.

Avec une constance remarquable – si remarquable qu’on est parfois tenté de penser qu’elle est devenue presque un système en elle-même –, l’auteur y reprend sa lutte ancienne contre ce qu’il dénonce comme l’empire toujours menaçant du «concept» – comprenons de la pensée abstraite et analytique – au profit d’une poétique de la «présence», du réel ressaisi dans son unité, qui serait, elle, l’apanage de la poésie.

A n’en pas douter, la voix de Bonnefoy était devenue depuis longtemps la voix principale de la poésie française. L’abondance de sa production, la diversité de ses formes, la profondeur avec laquelle il abordait ses sujets, tout cela lui donnait une autorité dont personne ne pouvait contester l’apanage. Pour ses amis, toutefois, c’est, autant que cette autorité, la présence souriante, enjouée, pleine d’humour de cet homme à la mèche rebelle, au beau visage et au regard si vif qui restera dans le souvenir.

Chacun de nous avait mille raisons personnelles de l’aimer. Chacun de nous a perdu un interlocuteur essentiel.

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Mort d’Yves Bonnefoy, poète de la présence

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Mort d’Yves Bonnefoy, poète de la présence

Par Cédric Enjalbert

Ex: http://www.philomag.com

Le poète, critique d’art et traducteur Yves Bonnefoy est mort ce vendredi 1er juillet 2016 à l’âge de 93 ans. Hanté par les interrogations métaphysiques, il a cherché à élucider notre rapport au monde par les moyens de l’art.

À distance respectable des concepts, qu’il soupçonnait d’écraser l’expérience, Yves Bonnefoy n’a cessé de chercher à constituer une « poétique de la présence », s’approchant au plus près de ce que Rimbaud nomme, dans Une saison en enfer, la « réalité rugueuse ». L’âpreté de la réalité l’a rattrapé : le poète longtemps pressenti pour le prix Nobel de littérature est mort ce vendredi 1er juillet à l’âge de 93 ans.

Plotin, Baudelaire et Kierkegaard

Né à Tours en 1923, d’un père ouvrier et d’une mère institutrice, il doit sa rencontre avc la littérature à son professeur de philosophie au lycée, qui lui met entre les mains la Petite Anthologie du surréalisme de Georges Hugnet. Il s’engage vers les mathématiques, mais conserve ce goût intact pour la poésie et la philosophie, qu’il étudie finalement à l’université auprès de Gaston Bachelard, Jean Hyppolite et Jean Wahl. Il entame auprès de ce dernier un mémoire sur Baudelaire et Kierkegaard, tandis qu’il lit Bataille et Plotin

YB-70466559.jpgIl fraye alors avec les surréalistes. À 23 ans, son premier poème « Le Cœur-espace » paraît dans la revue La Révolution la nuit. Suivent, alors même qu’il prend de la distance avec André Breton et ses comparses, ses premiers recueils dont Anti-Platon en 1947, réunissant ses premiers poèmes ont paru dans des revues confidentielles, où il affime sa défiance envers l’idéalisme, et Du mouvement et de l’immobilité de Douve en 1953, très vite remarqué par Maurice Nadeau, créateur de La Quinzaine littéraire. Il fond déjà dans son creuset poétique, suivant l’intuition de Rimbaud qu’il admire, un « matérialisme spontané» et « un souci inné de la transcendance ». Sa conception de l’écriture s’affirme.

Entré au Centre national de la recherche scientifique en 1954, Yves Bonnefoy y poursuit une réflexion sur l’histoire des formes artistiques. S’intéressant de près à Piero Della Francesca, il trouve dans la peinture de la Renaissance un écho à ses préoccupation liant l’histoire, la création et la finitude humaine. Dans une introduction à Tout l’œuvre peint de Mantegna (Flammarion, 1978), le critique d’art écrira ainsi : « S’il faut encore parler d’une attention au fait historique, Mantegna ne le cherche plus dans ses grands moments, ne lui demande plus la pureté de tracé qu’assure après coup le temps, on le voit s’attacher plutôt à sa relation à des êtres qui sont chacun plus complexes que l’historien ne pourra le dire, et à des préoccupations aussi, des désirs, des intérêts, certains élevés, que le récit du passé ignore. […] De l’engagement total de notre énergie dans l’histoire, qu’il a rêvé, il perçoit cette fois au moins, le caractère utopique. »

À son œuvre de poète et à ses réflexions critiques, Yves Bonnefoy ajoute rapidement une activité de traducteur. Il traduit dès 1960  Jules César, de Shakespeare, joué à l’Odéon, dans mise en scène de Jean-Louis Barrault et des décors de Balthus. Il continuera à traduire une quinzaine de pièces de Shakespeare, mais aussi William Butler Yeats, John Keats, Pétrarque et Leopardi…

La poésie en son être propre

Fondateur en 1966 de la revue de poésie et d'art L'Éphémère, publiée par les éditions de la Fondation Maeght, avec André du Bouchet, Louis-René des Forêts, Gaëtan Picon, il est rejoint ensuite par Michel Leiris et Paul Celan. Le suicide de ce dernier en 1970, le bouleverse et lui inspire Ce qui alarma Paul Celan (Galilée, 2008), un court essai à portée métaphysique dans lequel il entend élucider les raisons de cette « irréductible affliction ». Il en conclut que « la poésie ainsi reconnue et vécue au plus ordinaire des jours, c’est ce qui, au terme d’années de dissociation de soi sous le poids des événements, lui permettait d’accomplir la synthèse de tout son être ».

Alors que la publication de L’Éphémère cesse, Yves Bonnefoy s’attèle à l’écriture d’un récit autobiographique intitulé L’Arrière-pays, qui paraît en 1972. Il y témoigne de cette tentation de l’ailleurs suscité par la fréquentation de la peinture, sans cesse ramené à la conscience de sa finitude. Enseignant au Collège de France de 1981 à 1993, étudie la fonction de la poésie et son rapport aux autres arts. Il entretient ce dialogue fécond ente la poésie et la peinture en publiant régulièrement des essais avec des artistes, notamment Pierre Alechinsky, Antoni Tàpies, ou Zao Wou-Ki.

La question du rapport à la finitude et à la transcendance, encapsulé dans sa « poétique de la présence », traverse l’intégralité de son œuvre de poète et de critique d’art qu’il se penche sur les peintures murales de la France Gothique, sur l’art baroque, sur Goya, sur Giacometti, sur Rimbaud ou Baudelaire. Chez lui se cristallise « la banalisation de l’incroyance et l’effet que celle-ci a eu sur le travail des poètes », l’impossible abandon de toute forme de transcendance et une forte inclination matérialiste : « Ce n’est que quand le religieux chancela qu’il devint possible de discerner le poétique en sa différence, la poésie en son être propre. Le génie de Baudelaire aura été d’avoir eu, le premier, cette intuition du plein de la poésie mais aussi d’avoir su en explorer le possible. » écrit-il. Cherchant après lui, dans les mots de la vie quotidienne le chemin d’un ailleurs, Yves Bonnefoy a fait de cette « épiphanie de l’indicible » sa vocation de poète et le cœur de son œuvre. 

dimanche, 03 juillet 2016

Alvin Toffler, le «maître de la futurologie» est mort

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Alvin Toffler, le «maître de la futurologie» est mort

Par Fabrice Nodé-Langlois

Ex: http://www.lefigaro.fr

Son premier best-seller, Le choc du futur, publié en 1970, a marqué une génération. Le sociologue américain Alvin Toffler est mort à 87 ans. Il avait annoncé Internet, les délocalisations ou la déstandardisation des produits.

La société basée sur l'information et le savoir, la vitesse inégalée du changement. Ces deux données fondamentales qui caractérisent le monde à l'aube du XXIe siècle, Alvin Toffler les avaient cernées et en avait analysé l'impact il y a près d'un demi-siècle. En 1970, ce chercheur américain en sciences sociales, autodidacte, publie un livre, Le choc du futur. L'ouvrage devient rapidement un best-seller mondial. Très vite, Toffler, ce professeur à l'Institut national d'études stratégiques de Washington, devient, avec son épouse Heidi qui mène ses recherches éclectiques à ses côtés, une référence internationale en matière de prospective. Le choc du futur sera suivi - entre autres - par deux ouvrages de référence, La Troisième Vague (1980) et Les Nouveaux Pouvoirs (1990).

Vêtements jetables

tofflerlivre.jpgEn 1997, Le Figaro avait rencontré cet homme à la curiosité insatiable, à l'occasion d'un supplément publié «à 1000 jours de l'an 2000». La science venait de vivre une révolution avec l'annonce de la naissance du premier mammifère cloné, la brebis Dolly. «Avec ma femme, nous avions annoncé (dans Le choc du futur) le clonage des mammifères. Je pensais d'ailleurs que cela arriverait plus tôt. Nous avions prévu les avancées de la procréation assistée et de l'ingénierie génétique», racontait alors Alvin Toffler.

Internet, les délocalisations, la déstandardisation des produits, dès 1970, les époux Toffler avaient annoncé ces révolutions. Alvin Toffler parlait déjà de «l'émergence d'agents intelligents capables de répondre aux besoins individuels et de faire le tri dans la masse d'informations disponibles sur les réseaux». Lucide, il reconnaissait s'être tout de même trompé dans certaines prévisions. Le futurologue annonçait ainsi l'essor des vêtements jetables, qui n'étaient pas d'actualité lors de notre rencontre en 1997, pas plus qu'ils ne le sont aujourd'hui.

Plus fondamentalement, Alvin Toffler confessait s'être trompé en économie. Il n'avait pas prévu la crise du début des années 2000 liée à l'éclatement de la première «bulle internet».

Turbulences annoncées en Europe

Une semaine après le choc du Brexit, ses propos d'il y a vingt ans sur l'Europe restent en revanche pertinents: «Je pense que l'Europe va connaître des turbulences. Au moment où des organisations souples, capables de s'adapter vite, sont plus que jamais nécessaires, l'Europe ajoute des niveaux de hiérarchie. Dans les entreprises de la troisième vague, la tendance est au contraire à la «débureaucratisation»». De même, le chercheur américain annonçait de sombres conséquences au fossé croissant entre les sociétés qui surfent sur «la troisième vague» (que d'autres auteurs comme Jeremy Rifkin ont appelé par la suite la troisième révolution industrielle) et celles qui restent à la traîne «de terribles souffrances, des peurs, de la xénophobie». «La thèse centrale du choc du futur était qu'un individu, une entreprise, un gouvernement, peut être très désorienté s'il est soumis à trop de changements, trop rapidement. Cette thèse était juste, elle l'est encore», nous racontait Alvin Toffler. Cet ancien journaliste, qui avait débuté à Washington dans les années cinquante déplorait l'incapacité des hommes politiques à se projeter dans l'avenir.

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mardi, 28 juin 2016

Maurice G. Dantec : “La Quatrième Guerre mondiale nous est déclarée”

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En hommage à Maurice G. Dantec, mort en exil

Maurice G. Dantec : “La Quatrième Guerre mondiale nous est déclarée”

Ex: http://breizatao.com

BREIZATAO – via La Revue Egards (09/04/2016) L’écrivain d’origine bretonne Maurice G. Dantec, installé au Québec après avoir décidé de “protéger sa famille des bêtes sauvages”, livre ses réflexions sur la situation actuelle dans un entretien accordé à la revue canadienne francophone “Égards” :

Nous sommes heureux, à Égards, de retrouver Maurice G. Dantec pour un entretien autour de quelques-uns de ses thèmes de prédilection: la géopolitique, la pathologie islamiste, l’histoire militaire, la littérature, l’eschatologie chrétienne. L’écrivain nous rappelle des vérités, certaines lumineuses et d’autres plus sombres.

Jean-Philippe Martini – Maurice G. Dantec, il y a une quinzaine d’années, dans le Théâtre des opérations et le Laboratoire de catastrophe générale – des œuvres qui méritent en passant d’être relues –, vous décriviez déjà une France en crise, vous annonciez déjà la conflagration européenne. Selon vous, y aura-t-il d’autres attentats jihadistes en France, mais cette fois-ci organisés par des éléments hétérodoxes en sous-traitance?

Maurice G. Dantec – Votre question est à la fois simple et complexe. D’abord, il est vrai que ce qui s’est passé en France en novembre dernier, je l’avais prédit. Je ne suis pas un mystique visionnaire: il suffisait de lire le monde tel qu’il était pour comprendre que ce nazisme islamique, qui se configure de manière claire et précise aujourd’hui, constituait une menace bien réelle. Il suffisait simplement d’être à l’écoute de ce monde de merde (excusez-moi), il y a quinze et même vingt ans. Mon expérience en Bosnie-Herzégovine m’a aussi beaucoup ouvert les yeux à ce sujet. Ce qui m’a valu à l’époque des épithètes fort désagréables et des ennuis éditoriaux sur lesquels je ne reviendrai pas.

Ensuite, est-ce qu’il y aura d’autres attentats? Encore une fois, je ne suis pas devin, mais c’est évident qu’il y en aura d’autres. Pourquoi en France? Parce que, comme on dit sur le ton de la blague: la France et l’Algérie se sont séparées en 1962, mais c’est la France qui a eu la garde des enfants. Je n’exclus pas non plus cette idée: la France est la fille aînée de l’Église. Ébranler un symbole si fort, qui a longtemps été une réalité vivante, ça paye, stratégiquement (le terrorisme, à la fin, n’est peut-être que l’art de briser les images et de renverser les symboles). Donc, cette communauté arabo-musulmane qui n’est pas entièrement (Dieu soit loué!) pieds et poings liés aux États islamiques ou au califat sunnite est aussi, malheureusement, un vivier potentiel à l’intérieur des frontières françaises ou même canadiennes. C’est-à-dire que même si l’État islamique est vaincu un jour militairement, politico-militairement – par la seule, la dernière puissance mondiale, la Russie –, je crois que ces réseaux demeureront actifs sur le sol français et sur le sol canadien. Le fanatique ne prend jamais de vacances. Et ce qui est plus grave, c’est qu’il a toujours une descendance. Le monde tel qu’il se dessine en ce début du XXIe siècle est un monde très dangereux, sans doute plus dangereux que le fut le XXe. Pourquoi? Parce qu’au XXe siècle au moins, les «camps» étaient relativement définis, si vous voyez ce que je veux dire… Avec le psychopathe du Tyrol d’un côté et le paranoïaque soviétique de l’autre.

Martini – L’utopie islamiste se répand un peu partout dans le monde. La «cause» s’internationalise, elle affecte les politiques, les discours, les mœurs. L’infrastructure des Frères musulmans semble s’être incrustée définitivement en Europe et en Amérique du Nord. Y a-t-il un manque d’intelligence ou de volonté de nos dirigeants pour réfréner ces «pulsions» islamistes?

Dantec – Depuis 1947, la plupart des gouvernements européens (ou de souche européenne en Amérique du Nord) soutiennent – à part le Parti républicain aux États-Unis, ce qui n’est pas un hasard, puisque les États-Unis ont été conçus comme un «Nouvel Israël» par les pionniers –, soutiennent, donc, les Arabo-musulmans contre vents et marées. Comme je l’écris dans mon recueil d’aphorismes à paraître, Courts-circuits, la figure du «prolétaire» qui a disparu en Occident, a été remplacée par le «bon Palestinien». Depuis 1947, quand même!, soit deux ans après Auschwitz, les gouvernements européens (ou euro-américains) appuient sans discussion la «cause arabe» contre l’État d’Israël. Ce n’est donc pas un hasard si cet antisémitisme, latent depuis la Révolution française en Europe, se camoufle sous l’appellation «antisionisme». Il a suffi que les Juifs, par la force des armes, il faut bien le rappeler, arrachent leur terre ancestrale – la Terre d’Israël ! – à ce qui n’était pas encore le Hamas. Je nomme le Hamas : on peut parler des Frères musulmans, de la République théocratique chiite, du califat sunnite, tout ça en fin de compte, c’est la même chose.

Martini – Le nazisme a été dévastateur en Europe. Le communisme, sous ses différentes dénominations (maoïstes, trotskistes, etc.), a été une effroyable imposture totalitaire sur plusieurs continents. L’islamisme qui se dresse et se braque contre l’Occident sera-t-il vaincu un jour?

Dantec – Ah ! Évidemment, moi, en tant que chrétien, je crois que les bons gagnent à la fin. Mais cette fin, c’est quand ? Ce n’est pas prévisible. Seul Dieu le sait précisément, la Sainte Trinité le sait. Au moment où l’on se parle, on n’est pas là-haut. C’est quand on est là-haut que l’on sait. On ne peut pas non plus manipuler l’Histoire humaine de là-haut. Dieu nous a fait libres. Ça, c’est une constante du christianisme, qu’on ne retrouve pas dans l’islam. Dieu nous a fait libres… Ça veut dire quoi? Que la liberté – qui a d’ailleurs la même étymologie que le mot «livre» (c’est peut-être pour cette raison que les écrivains comme moi se mobilisent quand on attaque la liberté) –, que la liberté, c’est aussi l’impossibilité de prévoir. Nous ne pouvons pas prévoir l’heure de notre mort ni même à quoi ressemblera la prochaine minute de notre vie. Et heureusement, heureusement! La vie serait intolérable si nous savions à l’avance tout ce qui va nous arriver. C’est vrai également pour l’écriture. On ne peut pas écrire décemment, je crois, si le livre est pré-écrit. Le livre est une forme de vie: c’est la vie des formes qui sont à l’intérieur. Soit la première phrase se déplie en toute liberté et l’œuvre surgit, soit le storyboard est tout tracé et le bouquin est mort-né.

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Martini – Des commentateurs un peu cyniques prétendent qu’il faudrait, sur les fronts syrien et irakien, s’allier temporairement au Hezbollah pour venir à bout de Daech. Pensez-vous que ce type de compromis soit nécessaire pour vaincre Daech?

Dantec – Ce qui se passe est très curieux. Depuis 1947, et plus encore depuis 1979, depuis la Révolution iranienne, les Arabo-musulmans, chiites comme sunnites, ont joué avec le feu. Et maintenant c’est le feu qui joue avec eux. Le Hezbollah, par rapport à l’État islamique ou à Al-Qaïda, c’est de la rigolade. En dépit des apparences, les Iraniens, les Syriens et une bonne partie du Proche-Orient sont obligés d’essayer de contrôler ce qui est devenu incontrôlable : l’État islamique ou le nouveau califat. Pourquoi ? Parce que leur propre régime est déstabilisé. Il ne s’agit pas de jouer aux anges (quoiqu’un Ange exterminateur réglerait bien des problèmes), mais d’être réaliste. Dans ce monde réel, même s’il devient de plus en plus… virtuel, il faut prendre en compte ce qui se passe. Le Hezbollah, même s’il commet des attentats au Liban et ailleurs, représente une sorte de force d’inertie. Les pays sont encore des pays, c’est encore le règne des nations, qui sont obligées de prendre le taureau par les cornes, de se positionner clairement, de frapper frontalement.

dantec1.jpgMartini – Quand on tue au nom du Jihad, à Jérusalem, à Rome ou à Paris, n’est-ce pas toujours la même idéologie qui est à l’œuvre, bien que ces attentats soient perpétrés par des groupes distincts?

Dantec – Oui. Et ces groupes soi-disant distincts, le nouveau califat ou même le nouvel Al-Qaïda, se cachent sous des appellations diverses, non contrôlées. Le monde à venir va être celui d’une confrontation plus ou moins générale, parce que le Jihad est inscrit en toutes lettres comme une valeur coranique. Je me permets une petite parenthèse. Tous ces braves gens qui interviennent dans les débats radiophoniques, télévisés, qui écrivent dans la presse sur le Coran, qui font comme M. Thomas Mulcair des réflexions sur le niqab, n’ont pas lu le Coran. Ils parlent sans savoir.

Dionne – La guerre a subi des mutations terribles au cours du XXe siècle. En ce XXIe siècle, elle est protéiforme, et comme coincée entre militarisme et pacifisme. Est-ce que vous voyez un lien entre la mutation de la guerre et la virtualisation du monde?

Dantec – La réponse est contenue dans votre question. «Militarisme» c’est une idéologie, il y a un «isme». «Pacifisme», c’est une idéologie, il y a un «isme». Par contre, les affaires militaires existent depuis que l’homme est homme. La paix aussi existe depuis que l’homme est homme. Ce qu’on observe aujourd’hui, c’est effectivement l’émergence, ou plutôt la concrétisation finale du terrorisme, qui est bien une idéologie depuis l’époque de la Terreur, celle qui a été initiée par la Révolution française (que le diable l’emporte!) en 1792. Le terrorisme engendre à son tour un climat extrêmement absurde et en même temps terrible où la guerre n’est plus un acte mais une idéologie. Et où la paix n’est plus un acte mais une idéologie.

Martini – Récemment, la tenue d’une allocution de Tariq Ramadan dans une communauté protestante en plein cœur du centre-ville de Montréal, l’Église Unie St-James, a fait beaucoup jaser. Qu’en pensez-vous, sachant que nombre de groupes protestants qui se targuent d’ouverture et de «progressisme» ne sont peut-être pas au courant que ce monsieur travaille en collaboration étroite avec un centre d’études islamiques idéologiquement orienté situé au Qatar, le Centre de Recherche sur la Législation Islamique et l’Éthique?

Dantec – Le fait que Tariq Ramadan soit présent lors d’une réunion de cette «Église Unie», une Église protestante, n’est pas un hasard. Le protestantisme, à l’origine, c’est une hérésie, qui a fondé la modernité dans ce qu’elle a de pire. L’islam, lui, n’a pas fondé la modernité, c’est presque l’inverse. C’est une hérésie qui veut rester à son état primitif de l’âge 600. Alors que ces gens-là se congratulent mutuellement, ce n’est pas vraiment fait pour m’étonner. Ce monde 2.0, comme je l’appelle, n’est pas enthousiasmant, c’est le moins que l’on puisse dire.

Dionne – Je soulèverais deux autres points, si vous le permettez. D’une part, Tariq Ramadan, c’est un peu la marionnette des furieux, une sorte de Bonhomme Carnaval de l’islamisme, qu’on promène partout en Amérique pour rassurer les inquiets et bourrer les imbéciles: l’islam est une religion de tendresse, miséricordieuse, raffinée, tolérante, etc., vous connaissez le refrain… Ramadan joue ce rôle de marionnette très consciemment. Sa stratégie est simple, banale même: présenter de l’islam un visage séduisant. D’autre part, ce n’est effectivement pas un hasard s’il parade avec les protestants (quoique des universités et des théologiens catholiques, comme l’Université Notre-Dame, comme Gregory Baum, l’invitent à prononcer des conférences et fassent son éloge). Vous l’avez très bien dit: l’islam et le protestantisme sont deux hérésies. Une de leurs caractéristiques communes, c’est ce mépris de la raison, de l’intelligence. Une sorte de haine de l’esprit les fonde, les habite et les dévore. On peut parler, avec Jean Renaud, d’une conjonction des fidéismes. Qui sont évidemment faits pour copuler ensemble.

gallimard75471-1999.jpgDantec – Je n’aurais pas mieux dit. Vraiment.

Martini – Même si globalement l’Église Unie du Canada est en décroissance numérique, pourquoi aucun dirigeant de cette communauté n’informe le public sur la proximité de Tariq Ramadan avec le controversé Youssef Al-Qaradawi? Est-ce par paresse ou par lâcheté?

Dantec – C’est peut-être par calcul. Il est évident que l’Église Unie du Canada n’a pas intérêt, vis-à-vis de ses ouailles et de l’opinion publique, à faire savoir qu’elle est un tapis rouge pour un monsieur comme Tariq Ramadan et son complice… Youssef Al-Qaradawi.

Dionne Vous évoquiez tout à l’heure votre recueil d’aphorismes, Courts-circuits. Pourquoi l’aphorisme? C’est contraire à tout ce que vous avez fait jusqu’à présent.

Dantec – Il y en avait dans Le Théâtre des opérations.

DionneMais c’était un journal.

Dantec – C’était un «journal» entre guillemets… Courts-circuits, en effet, n’est pas un journal. Le fait que j’ai perdu la vision de mon œil gauche me place devant une sorte d’obligation de concision. Je ne peux plus écrire comme avant, des romans, des ouvrages de trois cents pages. Je dois composer avec ce que je suis maintenant. Et puis j’ai cinquante-six ans… Donc, dans la journée, après votre départ par exemple, il me viendra une dizaine d’aphorismes, ce que j’appelle des commandos verbaux. Des commandos verbaux, ça peut être une poésie de quelques lignes, ou quelque chose de plus «long» qu’un simple aphorisme. Un commentaire sur un événement politique, une élection, une lecture, sur ce qui se passe avec l’islam, etc.

Dionne – Y a-t-il un rapport entre la maladie, ou du moins entre une constitution chétive, et l’aphorisme? Je pense à des hommes qui avaient une santé très fragile, Pascal, Lichtenberg, Nietzsche, qui ont pratiqué l’aphorisme, l’ont porté à des sommets. Je lis un des vôtres: «L’islam est comme la vie, une maladie mortelle transmise par vos parents.»

Dantec – Bien voilà, c’est un exemple. Comme toute littérature vraie, ses origines et sa finalité restent mystérieuses. Heureusement, encore une fois. Si nous savions tout à l’avance, ce serait d’une tristesse absolue. C’est comme la vie.

vendredi, 24 juin 2016

L’inclassable Christian Dutoit nous a quittés

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Robert Steuckers :

L’inclassable Christian Dutoit nous a quittés

La Flandre orpheline de son esprit le plus transversal

J’ai dû apercevoir Christian Dutoit pour la première fois en 1975, quand il fréquentait un estaminet de Louvain. Il était, je l’apprendrai plus tard, étudiant en histoire à la KUL. J’étais en philologie germanique à l’UCL (les germanistes ayant été les derniers à quitter Leuven…). Dans mes souvenirs, je le revois devant la porte d’un bar très animé. Il avait fondé le groupe socialiste flamand Arbeid (= Travail), avec la ferme intention de coupler le combat identitaire flamand à la question sociale car une horreur hantait alors tous les esprits non conformistes : la répression sanglante des grèves des mineurs limbourgeois entre 1966 et 1970, où les soudards de la gendarmerie belge, complètement bourrés, avaient tiré sur des paroissiens qui sortaient de l’église (et n’étaient donc pas des grévistes violents) et avaient frappé à coups de crosse les convives d’un café du coin, y compris la propriétaire enceinte et déjà mère de six enfants. A l’époque, un comité Zwartberg (du nom de la cité minière) avait vu le jour sous la direction d’un ouvrier mineur, Segers, et dans le cadre de la Volksunie flamande (cf. http://www.npdoc.be/Van-Overstraeten-Toon/Witboek-over-Zw... ). Le parti autonomiste flamand avait été le seul à accueillir ces mineurs désemparés : déjà les socialistes avaient trahi la classe ouvrière, trahi les mineurs, ceux qui affrontaient les pires conditions de travail dans les pays industrialisés. Segers, dans un discours prononcé à Bruxelles vers les années 1975-76, avait déclaré vouloir défendre l’autonomie énergétique du pays : j’étais un obscur petit étudiant au fond de la salle. J’ai retenu sa leçon. L’autonomie énergétique est une valeur à défendre, à tout prix, à tout moment, sans jamais fléchir.

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L’action initiale de l’étudiant Dutoit s’inscrivait donc tout logiquement dans le sillage du scandale déclenché par cette répression inique, où tous les mineurs avaient été tirés dans le dos, et de cette première tentative de coupler nationalisme autonomiste et question sociale. L’idée trottait aussi dans nos têtes, celles de notre tout petit groupe. En 1977, je rencontre à Kraainem Alain Derriks, alors étudiant en journalisme à l’ULB : lui aussi, dont les origines étaient liégeoises et arlonnaises, voulait allier wallingantisme et question sociale, celle-ci étant incontournable dans la réalité wallonne, comme l’avait démontré avec brio Henri Mordant, dans une célèbre émission de la RTB(F). Derriks voulait un wallingantisme parallèle au flamingantisme, où tous deux, en synergie, renouaient et défendaient l’identité profonde de leurs régions respectives, une identité qui ne pouvait en aucun cas se défaire de ses composantes sociales, ainsi que l’avait aussi suggéré un grand sculpteur comme Georges Wasterlain : l’idéal ouvrier catholique du Père Daens d’Alost, le combat malheureux des mineurs du Limbourg, du renardisme wallon, l’idéal de la littérature prolétarienne (Malva, Hubermont) devaient fusionner dans une synthèse sorélienne et effervescente pour sauver le pays d’un encroûtement délétère, avant même que l’on ne parle de néolibéralisme, de thatchérisme ou de reaganomics. En même temps, les mineurs, les Kumpel de la Ruhr levaient aussi le drapeau noir de la révolte contre l’égoïsme social et la fermeture des mines, leur univers cruel mais qu’ils aimaient parce qu’ils souffraient pour le faire vivre. Charleroi, Liège, Genk, Zwartberg et le Kohlenpott de Duisburg et d’Oberhausen connaissaient un misérable destin commun, celui du démantèlement de l’autonomie énergétique européenne sous les coups de la folie eurocratique. Les Lorrains et les Artésiens partageaient à coup sûr le même sort dans l’Hexagone.

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En 1979, se tiennent les premières élections européennes. Les partis politiques présentent leurs programmes sur la Grand’ Place de Bruxelles. Libéraux, socialistes et démocrates-chrétiens étalent leurs dépliants aux phrases insipides. Derriks et moi ne dissimulons pas notre mépris face à ces établis tout en stupidité, verbeux et cravatés. Seul le Sénateur Walter Luyten de la Volksunie présente une foison de documents sur le combat identitaire des peuples sans Etat, du Pays de Galles au Tyrol et de la Frise à la Galice. Ensuite, le stand distribue un programme, livre épais, où se distille une véritable alternative pour le pays : la question sociale y est couplée aux problèmes identitaires et le socialisme éthique de Henri De Man y est ressuscité, comme palliatif salvateur face à un socialisme matérialiste, grossier, électoraliste, en pleine dérive (et nous n’avions encore rien vu…). Ce copieux programme est un livre que j’ai toujours gardé à portée de la main : plus jamais une alternative aussi bien construite n’a été suggérée aux électeurs. Derriks et moi ne rencontrerons que brièvement les militants d’Arbeid (le groupe de Dutoit) lors d’un forum du 1 mai, sans doute en 1980, où ils tenaient un stand, aux côtés du PCB et de l’AMADA-PTB. Dutoit, c’est sûr, voulait créer un pont entre l’ethnisme communautaire de Luyten (proche de celui d’Alexandre Marc et de Yann Fouéré) et l’engagement social d’une gauche rassembleuse, solidaire au plan collectif, sensible aux questions identitaires.

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Pendant que nous rêvions de créer un pendant d’Arbeid pour les provinces romanes, Siegfried Bublies, à Coblence, voulait une synthèse similaire pour l’Allemagne. Le journal de la Volksunie des Sénateurs Walter Luyten et Willy Cuypers se nommait Wij (= Nous). Bublies nommera sa revue Wir Selbst (= Nous-mêmes), traduction du gaëlique irlandais Sinn Fein, clin d’œil au socialisme et syndicalisme celtisant de Connolly, le leader de la gauche irlandaise, fusillé après l’échec du soulèvement des Pâques sanglantes de Dublin en 1916 (sur Wir Selbst : https://de.wikipedia.org/wiki/Wir_selbst ). Je suis attiré par le projet de Bublies grâce à une publicité en troisième ou quatrième de couverture dans un numéro de Junges Forum, la revue de la « Deutsch-Europäische Studien-Gesellschaft » de Hambourg, dont j’étais le modeste correspondant à Bruxelles depuis un voyage d’études dans la ville hanséatique et à Lübeck, la cité de Thomas Mann, en mars 1979. Junges Forum paraissait sous la tendre houlette du regretté Heinz-Dieter Hansen, décédé fin 2015. Fondée en 1964, cette revue et cette association avaient voulu dégager les entreprises identitaires de la griffe de partis, où les querelles de personne s’accumulaient sans discontinuité. Sous l’impulsion de Lothar Penz, elle se voulait l’expression d’un humanisme organique et s’intéressait à l’écologie avec Ullrich Behrenz. Cette Studien-Gesellschaft a été un premier pas hors des carcans politiciens et des ronrons stériles mêlant un nationalisme rancuneux à des droitismes sans profondeur que Péguy, déjà, avait fustigés en démontrant que c’était là des « façons de parler », des « postures » aussi insignifiantes que celles de leurs adversaires. Le groupe de Hambourg avait un incontestable tropisme flamand : un quart des productions présentait des thèmes chers au plat pays de Brel. Cela s’explique par des raisons idiosyncratiques : Hansen, orphelin de guerre, vivant dans des immeubles à moitié détruits, sans plus le moindre confort, rescapé des terribles bombardements au phosphore par les forteresses volantes du Maréchal Harris, n’avait qu’une idée dans sa tête d’écolier : quitter ces ruines sinistres et partir à vélo vers des contrées plus vertes et plus agréables. Ces randonnées en bicyclette l’avaient amené en Flandre où, partout où il arrivait, affamé, famélique, on lui donnait des tartines au beurre et au chocolat du Congo. Mère Flandre avait conquis son cœur d’orphelin. Il ne l’oubliera jamais. 

Hansen, qui avait le nez fin en matières idéologiques et politiques, a tout de suite perçu que la volonté de Bublies était inébranlable et qu’il allait, par son zèle, inaugurer une ère nouvelle dans l’histoire des idées non conformistes, humanistes et organiques. Il a immédiatement fait de la publicité pour Wir Selbst. Le projet était alléchant. Quelques semaines plus tard, au pèlerinage de l’Yser, en déambulant dans la rue principale de Dixmude, je tombe sur un stand de Wir Selbst, tenu par Bublies ! J’achète tous les exemplaires disponibles, je m’abonne, je rentre avec Bublies et son ami, je les invite chez moi. Le lien était établi. Nous sommes d’accord : le mouvement identitaire ne peut plus s’embarrasser de ballasts inutiles, anachroniques, inacceptables sur les plans éthique et philosophique.

nelly m.jpgBublies entre en contact avec Dutoit, sans doute, mais cela reste à vérifier, par l’intermédiaire d’un journaliste de Die Welt, Wilfried Dolderer, spécialiste des questions belgo-flamandes et néerlandaises dans la grande presse d’Outre-Rhin. La revue allemande échange des idées avec les productions de Dutoit, Meervoud (= Pluriel) et De Wesp (= La Guêpe). Un jour, Bublies et quelques-uns de ses camarades débarquent à Bruxelles pour assister à un congrès tenu en parallèle avec la Volksunie, dont la cheville ouvrière avait sans nul doute été Christian Dutoit. L’orateur principal était la Sénatrice Nelly Maes qui défendait l’idéologie de Mai 68, qu’elle estimait avoir été trahie dès le milieu des années 70 ; elle déplorait aussi que la société flamande était restée relativement imperméable, surtout goguenarde, au message des barricades de Paris et aux élucubrations de Daniel Cohn-Bendit, notamment dans les domaines que nous appelons aujourd’hui « sociétaux ». Inutile de dire que ce discours, prononcé sur un ton lancinant et monocorde, ne m’a pas convaincu : pour nous, depuis la terminale, il convenait certes d’éviter la chute de l’homme dans l’unidimensionnalité (Marcuse). Mais noyer cette unidimensionnalité dans les bigarrures du sociétal, sous prétexte de rendre l’éros à la civilisation, il y avait, pour moi, un (faux) pas à ne point franchir car, finalement, les bigarrures sont pur décorum et ne changent rien à la déréliction de l’homme dans la société postindustrielle. Elles dorent la pilule. Elles ne sont que placebo. Contrairement à ces rénovateurs de la Volksunie, nous avions lu les solides critiques soviétiques des nouvelles gauches, grâce au choix de livres qu’offrait, à l’époque, la « Librairie du Monde entier », rue du Midi, officine du PCB : quoi qu’on puisse en penser, après la chute de l’URSS, malgré la lourdeur du langage utilisé, les critiques officielles du PCUS constituaient un bon antidote aux sottises des gauches ouest-européennes. Je préfère la Nelly Maes d’aujourd’hui, toujours sur la brèche, qui s’inquiète de l’étouffoir néolibéral dans lequel végètent et pourrissent nos sociétés. Elle doit sûrement savoir maintenant que les bigarrures festivistes (Muray) sont justement la poudre aux yeux, préparée par le système (à tuer les peuples), pour faire accepter le néolibéralisme.  

A la suite de ce colloque, je me suis retrouvé avec Bublies, Dutoit et leurs copains dans un restaurant près de la Grand’ Place, juste derrière le coin du pâté de maisons qui abrite le Cygne Blanc, site de la fondation de la première Internationale de Marx. Bublies, à l’époque incarnation de l’enthousiasme ardent, typique des révolutionnaires allemands, a sorti cette tirade : « Nous fondons aujourd’hui, en ce lieu historique, la Cinquième Internationale des peuples libres et du socialisme à visage humain ».

ernie10.jpgSiegfried Bublies entendait renouer avec l’esprit des conseils de 1918-1919, notamment avec les idées communautaires et organiques, teintées d’un certain nietzschéisme, de Gustav Landauer. Dans la foulée, il redécouvre la figure d’Ernst Niekisch, membre du premier de ces deux gouvernements des conseils qui ont dominé Bavière immédiatement après l’armistice de novembre 1918. Au même moment où Bublies ressort Niekisch de l’oubli (relatif) dans lequel il avait été exilé, Armin Mohler en reparle aussi dans la revue conservatrice Criticon, éditée à Munich par le Baron Caspar von Schrenck-Notzing.  Je résume ce bref essai du gaulliste jüngerien et bâlois dans le bulletin du GRECE-Belgique de Georges Hupin. L’engouement pour Niekisch est lancé, alors qu’il n’avait été abordé que par Louis Dupeux (Strasbourg) et Jean-Pierre Faye au niveau universitaire : deux ouvrages qui comptaient parmi nos références à l’époque. Je reparlerai de Niekisch dans Nouvelle école en 1981. Jean-Pierre Patin, animé par un projet similaire de reconstruire un socialisme humain, occitan (Robert Lafont !) et organique dans son Languedoc natal, embrayera sur la vogue Niekisch dans sa revue artisanale, Le Partisan européen. A Marseille, Thierry Mudry suit le mouvement quelques années plus tard et se révèle un grand admirateur du révolutionnaire allemand. Cette redécouverte d’un penseur communiste oublié, pour qui la nation et l’histoire nationale comptaient, ces francophones wallons, bruxellois, parisiens, corses, languedociens et provençaux la doivent à Dutoit et à Bublies, les premiers à avoir lancé ces pistes nouvelles et audacieuses.

En 1981, je pars travailler à la rédaction de Nouvelle école à Paris, chez l’inénarrable de Benoist, qui ne comprenait strictement rien à cette dynamique et y voyait un « gauchisme » ou un « trotskysme » face à un (micro)établissement néo-droitiste dont il était évidemment le Vojd suprême, le Staline. Un Staline qui, derrière le dos de ses chers copains, cherchait pourtant à se tailler un petit créneau, une petite mangeoire bien fournie, dans la muraille du thatchérisme triomphant (le projet « Alternative libéral » de décembre 1981). Cette orientation nous débectait, inutile de le préciser.

A Paris, je fais la connaissance du juriste corse Ange Sampieru qui entend, contrairement sans doute à Bublies et Dutoit, sauver le politique pur, dans le sens où l’entendaient Carl Schmitt, Julien Freund et René Capitan, père de la constitution de la Vème République. Sur base du politique pur, on pouvait créer un système socialiste ou du moins, comme le voulait plutôt Guillaume Faye, un système économique « semi-autarcique autocentré » (Perroux, Grjebine), capable de lancer de grands travaux d’utilité publique selon les principes du développement préconisé par Friedrich List (et par les Chinois de Sun Ya Tsen à Mao et de Mao aux dirigeants actuels). Pour Sampieru, la société civile et le monde du travail seraient alors structurés selon les idées de participation et d’intéressement, lancées dans les dernières années du pouvoir gaullien en France, et sur les nouvelles formes sociales et économiques que les auteurs de gauche les plus originaux suggéraient, surtout dans le cadre des éditions La Découverte (ex-Maspero). Parmi ces auteurs, il y avait déjà l’équipe de Serge Latouche, théoricien de l’anti-utilitarisme dans les sciences sociales. Il y avait aussi, dans la panoplie choisie par Sampieru, les critiques du fordisme, qui intéressaient Georges Robert, ancien du syndicat de Jeune Europe puis militant socialiste bruxellois (PS et FGTB), rédacteur occasionnel de mes bulletins. Et Sampieru était, comme Bublies et Dutoit, un ethniste européen, aligné sur les théories de l’école de Nice, fondée par Alexandre Marc. Son corsisme, bien étayé par des arguments historiques solides, nous rappelait notamment l’excellence de la Constitution de Paoli, avant l’annexion de la Corse ex-génoise à la France, et la nécessité de communautés enracinées, inscrites dans des traditions organiques pluriséculaires. Son intérêt pour le monde méditerranéen et arabe le portait à étudier les expériences algériennes, libyennes (comme Bublies) et nassériennes. Il est dommage que le corpus, que Sampieru a composé pour mes revues Orientations et Vouloir, après mon départ de la nef des fous parisienne où trônait de Benoist, n’ait pas été traduit et vulgarisé : nous aurions eu à notre disposition un bien meilleur instrumentarium pour contrer la subversion néolibérale. Rien n’est perdu toutefois : les éditions La Découverte existent toujours, Latouche a bien affiné ses idées au fil des décennies, cette gauche, bien que marginalisée entre l’enclume de la gauche dévoyée de l’établissement et le marteau du néolibéralisme dominant, a récemment proposé au public français les thèses de Matthew Crawford, un heideggerien d’Amérique qui prône le retour aux frictions du réel et l’abandon des poses propres à tous les autoritarismes abstraits, très souvent dissimulé derrière une novlangue « boniste » : piste bien plus intéressante que les dérives sociétales que semblait regretter Nelly Maes, que bon nombre de gauches ont empruntées au risque de péricliter et de mourir, que les adeptes du « Foucault réellement jouisseur » avaient surdimensionnées au détriment des intuitions géniales de leur maître quand il évoquait la genèse des Etats modernes.

van_extergem.jpgDutoit, pendant ce temps, sort chez l’éditeur anversois Soethoudt une version tout public de sa thèse de fin d’études sur la figure originale de Jef Van Extergem. Qui était-il ? Un très jeune activiste de gauche pendant la première guerre mondiale qui voit le conflit en cours comme une lutte planétaire de la social-démocratie allemande contre une triple alliance, celle du despotisme russe, du capitalisme anglais et de la raideur républicaine et militariste française. Dans ce cadre, il veut la disparition de la Belgique qui, à ses yeux, a déchu en un appendice médiocre de la République française. Ce « jeune garde socialiste » injurie le roi Albert I (de lange zwibzwab), utilise un langage d’une verdeur inhabituelle, y compris lors de son procès devant le tribunal militaire (ce qui a dû plaire à Dutoit !). Il participe à la fondation du parti communiste belge. Il mourra en détention en Allemagne pendant la seconde guerre mondiale. Jef Van Extergem cumulait donc quelques casquettes : jeune et insolent, hostile à l’Etat et à la monarchie, socialiste radical qui passe à un communisme flamand non immunisé contre les tentations nationales/ethnistes, victime tragique de la seconde occupation allemande. C’est dans tous ces sillages volontairement rupturalistes sur la petite scène flamande que Dutoit a voulu naviguer toute sa vie. Dans la « Vlaams Huis » qu’il animait à Bruxelles, un portrait de cet inclassable de la gauche flamande ornait le mur à la gauche du bar.

Nous sommes en 1981. Bien qu’actif à Paris, dans la nef du fou (Fluctuat nec mergitur…) qui oscillait entre ses tentations néolibérales et ses petits copinages personnels, je gardais le contact avec le groupe de Bublies et entretenait d’excellentes relations de camaraderie avec Sampieru. En août 1981, Bublies, quelques camarades des NRKA et NRKB (deux bureaux ou commissions de coordination « national-révolutionnaire ») et une équipe de la Volksunie, autour d’un certain Segers, doivent participer à un cours d’une semaine sur l’ethnopluralisme dans une Folkehojeskole (une « haute école populaire ») au Danemark. Y participaient des Frisons de l’Académie de Leeuwarden, de l’institut nord-frison du Slesvig-Holstein, des Danois de la minorité danoise de la RFA, des Allemands de la minorité allemande du Danemark, un représentant des Slovènes de Carinthie, des Samis du nord de la Norvège, un député esquimau du Groenland, une délégation de la Volksunie flamande et les animateurs des cercles et de la revue de Bublies. Le Prof. Dillmann, le scandinaviste français, et moi-même représentions ce qu’il était convenu d’appeler la « nouvelle droite » depuis l’article alarmiste et délirant du Nouvel Observateur en 1979.

La délégation de Segers –Dutoit n’était pas présent, hélas-  avait amené une nouvelle mouture du livre-programme du Sénateur Luyten. La première version était rédigée sur un ton classique : la gauche qu’elle entendait promouvoir reposait, en gros et pour faire simple, sur une base portée par trois solides colonnes, soit le daensisme social-catholique, l’idéal communautaire et solidariste des ethnismes/autonomismes et le socialisme éthique d’Henri De Man. Toutes choses que l’engouement actuel pour les non-conformismes des années 30 (porté notamment par le Prof. Olivier Dard en France) permettrait de réactualiser. La seconde version avait édulcoré le message et remplacé ces trois piliers, bien inscrits dans l’histoire nationale flamande (et même belge), par des éléments que je qualifierai aujourd’hui de « sociétaux », un fatras insipide de considérations festivistes, marcusiennes voire para-foucaldiennes, autant d’expressions de sexualités mal vécues et de tourments pubertaires gauchement libidineux. Toutes concouraient bien sûr à affaiblir le politique, souci de Sampieru, Faye, Thiriart et bien d’autres. C’est là sans doute que nos chemins allaient se séparer, sans rancune ni querelle. Derriks et l’équipe bruxelloise voyaient certes le salut dans les ingrédients que Dutoit voulait raviver mais réclamaient en plus une restauration du politique, à la veille de l’offensive thatchéro-reaganienne, pour garantir à tous nos peuples une future constitution ethniste et socialiste. Les cours étaient animés par la très forte personnalité du sociologue allemand Henning Eichberg (par ailleurs correspondant de Nouvelle école en Allemagne), théoricien de l’ethnopluralisme qui optera plus tard pour la gauche antifasciste danoise (https://en.wikipedia.org/wiki/Henning_Eichberg ). Quand je quitte Tinglev et embarque sur le tortillard danois qui doit me conduire à Flensburg, Bublies me salue depuis le quai, le poing tendu et me lance un vibrant : « Es lebe die Revolution ! ». 

Friedensdemo am 22. Oktober 1983.jpg

Nous sommes donc en 1981, l’année où s’amorce la crise des missiles. Le tollé est immense en Allemagne, car en cas de conflit nucléaire entre les deux blocs, le pays serait réduit en cendres, totalement vitrifié. Naissent coup sur coup des filons idéologiques et politiques qui demeurent encore aujourd’hui bien vivants en Allemagne : une volonté neutraliste, c’est-à-dire de voir l’Allemagne devenir un pays neutre comme la Suisse et l’Autriche, de la voir sortir de l’OTAN tout comme, selon une bonne logique de réciprocité,  la RDA soviétisée serait sortie du Pacte de Varsovie. Parallèlement, le fils de Willy Brandt, Peter Brandt, publie une anthologie sur les gauches allemandes et la question nationale, inaugurant de la sorte un nouveau nationalisme de gauche. D’autres renouent avec la tradition russophile prussienne, notamment suite à certains ouvrages de Sebastian Haffner, antinazi réfugié en Angleterre dans les années 30. Wir Selbst, la revue de Bublies, se fait l’écho de tous ces bouleversements idéologiques et adhère au mouvement national-pacifiste, dont elle devient le principal organe. En 1982, le troisième numéro d’Orientations est consacré au national-neutralisme allemand. Dutoit et Arbeid participent, tout comme nous, à la grande manifestation de Bruxelles contre le déploiement des missiles Pershing. Ils défilent dans le sillage de la délégation de la Volksunie. Quelques nationalistes plus classiques défilent aussi, ce qui montre que le projet initial de Dutoit faisait subrepticement son chemin, en dehors de son terrain de prédilection favori, celui des gauches flamandes. Ces nationalistes classiques réclamaient aussi le retrait des SS20 soviétiques, ce qui n’apparaissait pas chez les autres manifestants, focalisés sur les missiles américains.

loeser_BO1,204,203,200_.jpgLe neutralisme européen sera notre cheval de bataille principal jusqu’à la chute du Mur de Berlin en 1989. Personnellement, c’est ma rencontre avec le Général Jochen Löser, lors de la Foire du Livre de Francfort en 1984, qui sera la plus significative dans ce vaste combat neutraliste (http://www.archiveseroe.eu/loser-a48740570 ). Löser venait de publier un ouvrage intitulé Neutralität für Mitteleuropa où il suggérait la création d’un espace neutre comprenant la Suède, les Etats du Benelux, le Danemark, les deux Allemagnes, la Suisse, l’Autriche, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Pologne et la Yougoslavie. Ce projet m’apparaissait le plus cohérent, plus riche en potentialités en tous cas que la simple répétition des discours tenus par les gauches officielles. Sampieru réussit à me faire inscrire à un colloque franco-allemand sur la défense autocentrée et citoyenne (modèles suisse et yougoslave) dans les locaux des éditions La Découverte.

De la perestroïka de Gorbatchev au milieu des années 90, avec, en plus, le retrait de Derriks (qui se suicidera en 1987), je perds Dutoit de vue mais reste en contact avec Bublies, dont la revue devient prestigieuse, tout en étant de plus en plus marquée par les idées (et les bonnes et moins bonnes marottes) d’Henning Eichberg, qui s’était mué en un anti-étatiste largement inspiré par les thèses de Michel Foucault, infléchies non pas au bénéfice de l’individu, de ses humeurs ou impulsions sexuelles particulières mais vers le peuple en tant qu’instance génératrice d’identités inaliénables et intransmissibles et qui, comme le voulait par ailleurs Claude Levy-Strauss, devaient être toujours maintenues comme telles, en état de toujours régénérer du neuf. Wir Selbst se doublera d’une maison d’édition qui existe toujours.

old-welsh-whisky.jpgJ’apprends, fin des années 90, que Dutoit a ouvert une Vlaams Huis dans la rue de Soignies (Zinnikstraat) en plein cœur de Bruxelles, à un jet de pierre de l’actuelle bouquinerie « Pêle-Mêle ». Nous décidons, Berens et moi, flanqués de quelques étudiants flamands, d’aller lui serrer la pince. En me voyant, sans me reconnaître tout de suite, il est interloqué : apparemment, ses relations avec la ND n’avaient pas été bonnes, vu la lourdeur intellectuelle navrante du vicaire campinois intronisé par le fou de la nef parisienne (Fluctuat nec mergitur…) mais, au bout de quelques instants, parce que j’avais évoqué Bublies, il se dégèle et nous tend un verre du meilleur whisky gallois dont il conservait la bouteille, rare, sous le bar qu’il tenait. Inutile de préciser que nous sommes sortis à quatre pattes. L’ambiance était joyeuse et brueghelienne. En dépit de son tropisme de gauche et de son antihispanisme basquophile, Dutoit, en tenant ses multiples bars, a prouvé, pour l’éternité, que notre Flandre natale reste une terre baroque et picaresque, héritage du 17ème siècle espagnol qui rejetait le puritanisme anglo-hollandais, le jansénisme français et l’étiquette artificielle de la Cour de Louis XIV, privilégiant un vocabulaire vert, un langage populaire où sexe, fessards et braquemarts ont toute leur place et où l’aristocratie, à Madrid ou à Bruxelles, imite ce langage tissé de truculence, crée la littérature picaresque et se gausse des étiquettes artificielles.

roossens.jpgPlusieurs années se sont écoulées avant que je ne revienne à la nouvelle Vlaams Huis de la rue de la Presse. Même ambiance. Rehaussée de surcroît par la présence de l’ex-Sénateur Roeland Van Walleghem, devenu chroniqueur gastronomique de Meervoud. Une convergence qui m’étonne toujours mais elle s’est opéré dans la joie, dans cet esprit picaresque qui est le fin des fins de la tolérance bien conçue. Outre Dutoit, la figure principale qui animait ces lieux aux beaux lambris, à la lumière tamisée, à la décoration luxuriante, était le marxiste national (appelons-le ainsi…) Antoon Roosens (photo), l’un des mentors de Dutoit (avec Mark Grammens) (cf. https://nl.wikipedia.org/wiki/Antoon_Roosens , http://www.doorbraak.be/nl/nieuws/antoon-roosens-overleed... & http://lib.ugent.be/fulltxt/RUG01/001/295/965/RUG01-00129... ). Antoon Roosens était animé par les idées de l’autonomisme flamand dans les années 50 puis, rapidement, avant Dutoit, il préconisera une alliance « travailliste » avec des éléments de gauche au sein de la Volksunie, dans un groupe qui recevra le nom de « Vlaamse Demokraten ». L’entrisme s’avèrera un échec et la participation aux élections un désastre (0,2%). Roosens est un disciple du trotskyste francophone belge Ernest Mandel (influencé par la théorie des cycles de Kondratiev et théoricien d’une méthode critique et historique-généalogique de l’histoire du capital, https://de.wikipedia.org/wiki/Ernest_Mandel ), de Jaap Kruithof (philosophe anticonsumériste et humaniste, https://nl.wikipedia.org/wiki/Jaap_Kruithof ), et de Gramsci, qui lui permettra de lier son combat identitaire flamand à ses visions marxistes et travaillistes : la culture populaire, objet de la métapolitique gramscienne, présente de fait des constantes incontournables (cf. Jean-François Kahn), elle ne peut donc dériver de constructions intellectuelles abstraites et s’enracine derechef dans un humus préexistant à toute démarche politicienne dans un Etat récent comme la Belgique. Le militant « progressiste » ne peut les ignorer et doit les inclure dans ses réflexions, faute de basculer dans l’abstraction et le jargon sans substance. Le pari gramscien de Roosens sur la culture populaire (flamande) permet, en théorie, de déployer une métapolitique identitaire de gauche, vu la nature artificielle et bourgeoise qu’il prête à l’Etat belge. Roosens a donc théorisé, malheureusement sans succès jusqu’à son décès prématuré en 2003, une solution parfaitement valable pour les deux composantes communautaires de la Belgique. Roosens théorise d’ailleurs l’idée d’un « Plan Marshall » pour la Wallonie, évoqué par Mordant (cf. supra) et vaille que vaille mis en pratique sans grand succès par le PS dégénéré, alors sous la houlette d’Elio di Rupo.  

dael003_0.pngToujours accompagné de sa pétulante épouse, Roosens était une voix affable dans cet espace de convivialité créé par Dutoit et son compagnon, le romaniste (français et espagnol) Bernard Daelemans (photo), qui deviendra plus tard son partenaire légal suite à l’un des premiers mariages homosexuels du royaume. J’avais rencontré Daelemans lors d’un colloque sur l’identité de Bruxelles, tenu au Parlement Flamand à Bruxelles, organisé par Karim van Overmeire, aujourd’hui élu d’Alost pour la NVA. Daelemans, Maître Keuleneer et moi-même, non encartés, avions décidé de passer outre les consignes officielles d’organiser un « cordon sanitaire » autour du parti où militait alors van Overmeire. Il est inconcevable, pour des personnes qui refusent absolument de raisonner en termes d’étiquettes, d’accepter la pratique antidémocratique de dresser des « cordons sanitaires », imposée par un Etat dont les représentants sont des gens généralement incultes, comploteurs, bornés, agressifs, grossiers, bouffons et qu’on ne souhaiterait jamais fréquenter.  Daelemans y a défendu sa politique d’intégration, position radicalement contraire à celle, à l’époque, de van Overmeire, sans se faire huer ou injurier. Convivialité et courtoisie étaient de mise. Grandezza. Personnellement, j’avais opté pour une approche inhabituelle :  rappeler l’œuvre architecturale de Charles Buls et les projets de Victor Horta, comme éléments universellement vénérés d’identité bruxelloise ( http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2007/06/04/r... ). Daelemans m’avait dit que c’était là un excellent angle d’attaque pour contrer la bruxellisation, c’est-à-dire le saccage d’un patrimoine urbain au nom de considérations utilitaristes et matérialistes. L’œuvre de Horta pouvant être considérée comme d’inspiration socialiste noble, on peut mesurer le chiasme qui s’est installé entre le socialisme d’avant 1914, qui voulait élever la classe ouvrière, et le socialisme crapuleux et dévoyé par la triste engeance des ignares vulgaires que nous subissons aujourd’hui.

La Vlaams Huis a donc été un espace de convivialité et de convergences. Sans doute le seul à Bruxelles. Avec pour fond sonore les cris d’un espiègle perroquet, qui intriguait particulièrement mon chien. Reste à évoquer le dossier basque, indissolublement lié à la personnalité de Dutoit. Dans sa défense tous azimuts des peuples sans Etat en Europe et ailleurs, Dutoit avait été séduit par le combat basque. Il en était venu à considérer l’Euzkadi comme sa seconde patrie. Notre tropisme était plutôt irlandais et breton, corse pour Sampieru, racines obligent. Pour nous, l’hispanité allait au-delà de l’appartenance ethnique : c’était une attitude traditionnelle dans la mesure où elle combinait l’humanisme d’Erasme et de Juste Lipse au picaresque rabelaisien (non « dressé » par les machineries dénoncées par Foucault !), à la luxuriance baroque avec les chairs des femmes de Rubens et à la résistance à Louis XIV, au puritanisme d’Angleterre et du Nouveau Monde. C’était une attitude baroque (au sens où l’a défini un Yvan Blot) partagée par les Espagnols d’Europe et d’Amérique, les Francs-Comtois, les ressortissants de nos régions et sans doute aussi les Bavarois et les Croates.

Plongé dans l’univers des gauches bruxelloises, où la composante espagnole était assez forte, Dutoit était forcément anti-franquiste. Pour les communistes espagnols (asturiens) de Bruxelles et plus particulièrement de Saint-Gilles, la question basque était, avant la mort du Caudillo, le seul levier possible pour renverser le régime honni, les gauches espagnoles classiques ayant été marginalisées et démonétisées. Mon camarade de classe, Eric Volant, Saint-Gillois devenu communiste après ses humanités dans notre école, s’était embarqué dans cette affaire « basquo-bolcheviste » vers le milieu des années 70. Volontaire pour une opération spéciale (dont on ne saura jamais rien), Volant est tué en franchissant un gué dans les Pyrénées. On avait manifestement utilisé ce garçon généreux et en plain désarroi (a-t-il songé au suicide ?). Nous n’avions pas ces préoccupations tout en étant conscient que le justicialisme phalangiste, non critiquable, s’était édulcoré, figé au fil des décennies.

Manuel Hedilla Larrey 3.jpgDerriks, surtout, revalorisait la figure de Manuel Hedilla Larrey, le phalangiste de gauche qui ne voulait pas d’inféodation à un mouvement franquiste unique, qui fut pour cela condamné à mort par Franco mais sauvé par l’ambassadeur allemand von Faupel. Cependant, le père d’Ana, mon épouse, était l’un de ces Asturiens tournés communistes par révolte contre son milieu familial. Lui aussi avait connu, avant son décès en 1985, un tropisme basque qui n’était pas pur calcul car ses voyages à vélo au Pays Basque, et ses nuits sous tente en pleine nature, l’avaient profondément marqués et l’avaient « basquisé », lui qui se définissait comme un Celte de Galice et des Asturies. Ce sont sans doute les mêmes paysages qui ont séduit Christian Dutoit, si bien que, miné par la terrible maladie qui l’affectait, il est allé mourir là-bas à Zumarraga, car il voulait une dernière fois en voir les beautés.

Adieu Christian, qui se méfiait de moi, mais qui fut finalement un frère en combat même si les signes portés n’étaient pas les mêmes, dans le monde des idéologies aussi bigarré que le carnaval peint par Ensor. Adieu donc, camarade, que je n’ai plus vu depuis deux ans car la Faucheuse aussi a failli m’emporter et que je dois me ménager et renoncer à ton bon whisky gallois, surtout quand il est ingurgité à des heures trop tardives. Cependant, je te promets de lutter pour que soient encore possibles autant de bonnes et saines convergences que celles que tu as patronnées durant ta trop courte vie. Mes condoléances à Bernard qui continuera, j’en suis sûr, à maintenir les bonnes traditions de la Vlaams Huis de Bruxelles. Nous lui souhaitons bon courage. Nous sommes sûrs qu’il y parviendra. En ton souvenir. En ta présence qui hantera toujours avec bienveillance les murs de la Vlaams Huis.

Robert Steuckers

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Zumarraga

Overlijden van Christian Dutoit

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In memoriam Christian Dutoit - ‘t Pallieterke, 23.6.2016 

 

Overlijden van Christian Dutoit 

 

"Het is een hard leven, maar ook een schoon en een fascinerend” 

 

INLEIDING 

Net zestig was hij geworden in mei, maar dat hij nooit de 61 zou halen wist hij donders goed. Daarvoor had de kanker zich iets te comfortabel genesteld. Met het overlijden van Christian Dutoit verdwijnt een spraakmakend personage. Binnen de Vlaamse Beweging stond hij vooral bekend als de non-conformistische drijfkracht achter het 'linkse' en 'Vlaams-Nationale' Meervoud. Maar voor zij die hem persoonlijk kenden was hij vooral een warme persoonlijkheid die zich niet zomaar in een hokje liet plaatsen. 

 

mv-33.jpgWe kenden mekaar al enkele jaren, zij het dat de contacten hoffelijk maar redelijk oppervlakkig bleven. Tot die dag. 

Toen ondergetekende ergens in het vorig millennium hoofdredacteur werd van wat – bij ons weten – nog steeds 'het oudste en jongste studentenblad der Nederlanden' is, Ons Leven dus, kwam daar verandering in. "Collega-hoofdredacteur", klonk het gespeeld plechtstatig aan de telefoon, nog net geen GSM. "Sta me toe u voor de lunch uit te nodigen". En zo geschiedde. Na die uitstap naar een Brusselse brasserie en een half dozijn kroegen, intensifieerden de contacten. Net zoals het respect groeide; in beide richting durven we aannemen.  

 

Soms bestaat het toeval. Een klein jaar geleden troffen we mekaar op een Brussels terras. Ondergetekende onderweg tussen een vergadering en het thuisfront; Christian op weg van Gasthuisberg naar huis, zijn vertrouwde Vlaams Huis dus. Hij had duidelijk iets door te spoelen, gelukkig in gezelschap. De diagnose was net gevallen. Tongkanker. Met een levensverwachting van 2 tot 8 maanden, klonk het loeihard. Het amicale gezelschap veegde het nieuws wat onwennig onder de mat. Christian, dat is toch de man die al zo vele medische twisters overleefd had? Klierproblemen, hartproblemen, een hersenbloeding die dan nog gepaard ging met een vlucht uit het ziekenhuis, het lijstje bevat stof voor een rits medische doctoraten. Dit is gewoon een nieuwe etappe in wat een heuse saga geworden was, hoopte men. Hij voelde het anders aan. "Eentje teveel", merkte hij met de cynische knipoog op vlak voor we gehaast het gezelschap dienden te verlaten. En hij nipte aan zijn Cava. Duidelijker kon het niet zijn. Dit wordt een kwestie van timing. En levenskwaliteit. Meer zit er niet in. 

 

mv-48.jpgMaandenlang krijg je dan dat beeld van een beheersing en dapper omgaan met de situatie, ook al strookt de perceptie steeds minder met de werkelijkheid. "Hij ziet af", zeggen zij die het kunnen weten, een bevriende verpleegster met bakken ervaring op kop. Maar hij volhardt ook. Als gevolg van heel het medisch getimmer in de mondholte neemt de spraak af, maar goed, zo klinkt het sussend, retoriek was nooit zijn handelsmerk. Schrijnender was het gewichtsverlies, een voltreffer op de Bourgondiër die hij altijd was. Laat er enkele dagen tussen en het verlies aan kilo's sprong letterlijk in het oog. Zelfs voor de sterkste 'believers' werd het duidelijk dat dit een doodlopende straat was. Het optimisme zat hem in de tijd, al de rest is utopisme. En die tijd kortte op exponentiële wijze bleek de voorbije weken. Dat hij dagelijks toch nog enkele uren in de gelagzaal van het Vlaams Huis, zijn habitat, kon vertoeven, hield hem overeind. Er werden plannen gemaakt. Naar Baskenland gaan en eind juni naar Sint-Maarten. Het eerste lukte, en zo overleed hij het voorbije week-end in wat hij zijn tweede vaderland noemde. 

 

grammens.jpgElke nabeschouwing van een mensenleven is per definitie holistisch, wat in dit gegeven geval geen makkelijke klus is. Christian Dutoit laat op deze aardkloot niet enkel vrienden achter. Er zijn ook zij die zich vreselijk aan hem konden ergeren, veelal omdat ze niet op zijn golflengte van sarcasme zaten. Als hoofdredacteur van Meervoud, met het gevreesde foto-archief voorop, spaarde hij Koning noch knecht. Ni Dieu, ni maître was zijn motto, wat niet altijd verenigbaar is met de lange Vlaamse tenen.  

 

Met het heengaan van Christian Dutoit verdwijnt ook een generatie journalistiek in Vlaanderen. Niet alleen viel zijn levenslijn samen met een periode waarin dit land en samenleving interessante en soms erg vergaande evoluties onderging. Hij had ook het geluk, al dan niet geforceerd, om boeiende mensen te ontmoeten. Mark Grammens (foto) was zijn grote mentor, het is iets wat de betrokkene niet zal ontkennen. Een scherpe pen, gedrevenheid, maar ook een relativerend cynisme (op dat vlak overtrof de leerling de meester), het waren de ingrediënten van zijn recept. Goede vriend, hou je voldoende ruimte vrij aan de toog aldaar?  

 

Michaël Vandamme

jeudi, 23 juin 2016

Christian Dutoit, contrair libertair flamingant

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Joost Vandommele

Christian Dutoit, contrair libertair flamingant

Getuigenis

Ex: http://www.doorbraak.be

mv-2.jpgZondag overleed Christian Dutoit. Ook Joost Vandommele van Vlinks blikt terug op de sympathieke schelm en bezieler van Meervoud.

Ik leerde Christian Dutoit kennen in 1973. Het jaar daarvoor was Werkgroep Arbeid (met als leuze ‘voor een autonoom en socialistisch Vlaanderen’ – het was toen nog de tijd van de grote verhalen) ontstaan als afsplitsing van de Were di-jongeren. Met enkele medeleerlingen uit de poësisklas van een Kortrijks college waren zij de eersten, bovendien met een niet-nationalistische achtergrond, die aansloten. Christian vertelde vaak al lachend dat zijn vader verzetsman was geweest in zijn geboortedorp Aalbeke en een tijd was ondergedoken in een ‘kiekenkot’… Of je dat werkelijk moest geloven, wist je bij hem echter nooit…

Christian deed zijn kandidaturen geschiedenis aan de KULAK en zijn licentie aan de KUL. Zijn thesis ging over de activist en later Vlaamsgezinde communist, Jef van Extergem. Hij was de bezieler van de Werkgroep Arbeid-kern aan de KULAK die ca. 1976 integraal naar Leuven verhuisde. Christian bleek een goede organisator. Hij had een merkwaardig tekentalent voor politiek getinte cartoons en kon als geen ander affiches ontwerpen. In zijn thuisstad Kortrijk hield hij in de weekends een pub open, The Cupper Kettle inn. Lekker eten en horeca zaten hem in het bloed want zijn oom hield een restaurant – toen al – in zijn geboortedorp. Ik vermoed dat er van studeren weinig in huis kwam maar met zijn flair en intelligentie, redde hij het zonder problemen…

De Werkgroep Arbeid was ook de pionier van de actieve contacten in Ierland, Baskenland, Bretanje, Corsica, Sardinië... Ik herinner me bezoeken, kampen en werkkampen met Christian in al deze landen tot begin de jaren 80. Meervoud (eerste versie tot 1980) ontstond trouwens in 1976 als specifiek blad over nationale minderheden uitgegeven door de Werkgroep Arbeid. De naam was geïnspireerd op het toenmalige Franse blad Pluriel (voor het ‘meervoud’ der volkeren, tegen de ‘eenvormigheid’ der staten). Onder impuls van Christian zou in 1992 het nieuwe Meervoud ontstaan. Terwijl ik in 1980 definitief in vast beroepsverband ging werken, met alle consequenties voor het politieke engagement vandien, probeerde Christian verschillende jobs als zelfstandige. Zo was hij onder meer in 1984 een korte tijd en overigens de laatste hoofdredacteur van het links-flamingantische weekblad De Nieuwe geweest is, dat in 1964 door Mark Grammens was opgericht. Het is ook onder Christian dat de restanten van de Werkgroep Arbeid stilaan exclusief tot een linkse vereniging binnen de Vlaamse Beweging werden.

Tot het succes van het Vlaams Blok werd de groep overigens ook gerespecteerd binnen een deel van de linkerzijde in Vlaanderen… Naast het nieuwe Meervoud was Christian ook de bezieler en uitbater van het Vlaams Huis in Brussel, vandaag nog één van de weinig overgebleven Vlaamse Huizen in Vlaanderen. Na de ‘catacombentijd’ in de Lakensestraat en de Zinnikstraat, werd in de loop van de jaren 90 een pand aangekocht in de Drukpersstraat (achter het federaal parlement) waar hij letterlijk tot zijn laatste snik het café uitbaatte. In Meervoud zorgde hij als hoofdredacteur tot het meinummer voor een pittig maandelijks redactioneel stuk en talrijke bijdragen. Als fotograaf en verzamelaar van een enorm aantal (dikwijls humoristische en bizarre) afbeeldingen gaf hij het blad een gezicht. Ik denk dat hij al van in de jaren 70 sterk geïnspireerd was door het libertaire Charlie Hebdo. Christian was een mengeling van flamingant, libertair en anarchist. Ik was het niet steeds eens met hem gedurende die 43 jaar maar ik moet ruimschoots toegeven dat hij onwaarschijnlijk veel heeft gerealiseerd…

mv-3.jpgHij was én libertair én ontzettend ijverig en ondernemend, daar waar anarchisme dikwijls een excuus voor luiheid betekent. Ik meen mij te herinneren dat men me omtrent 2002 meldde dat Christian een ongeneeslijke ziekte had. Ik kreeg van hem in die vele decennia zeer regelmatig ludieke kaartjes uit de gehele wereld (Eritrea, Curaçao, Frans-Vlaanderen, de hoger genoemde minderheidsgebieden). Vorige maand nog een Ansicht uit Sankt-Johann en een uitnodiging voor de viering van het 25-jarige ‘concubinaat’ met zijn vriend Bernard (waarop ik wegens een ongeval spijtig genoeg niet aanwezig kon zijn). Zondag 19 juni 2016) kreeg ik dan een mail waarin stond dat hij ‘vorige nacht in Baskenland overleden was…’ Hij was in maart nog maar 60 geworden…

Ik wil besluiten met de woorden van een veel jongere Brusselse vriend, die Christian ‘slechts’ een tiental jaren kende: ‘Het zou hem misschien verbazen, maar ik heb steeds een grote bewondering voor de man gehad. Brussel is een 'Figuur' armer, een plantrekker, een sympathieke schelm, een West-Vlaamse koppigaard, het soort persoon dat bij wijze van spontane reflex 'contraire' was en dat helaas steeds schaarser lijkt te worden. Niemand zal, denk ik, ooit kunnen zeggen dat hij z'n leven niet ten volle heeft geleefd.’

mercredi, 22 juin 2016

Il y a trente ans mourait Jorge Luis Borges

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Il y a trente ans mourait Jorge Luis Borges

Auran Derien, universitaire

Ex: http://metamag.fr

Il n’a jamais reçu le prix Nobel de littérature. Pourquoi ?

Ce 14 juin 2016, on s’est souvenu que Jorge Luis Borges est mort à Genève il y a trente ans (1986). La question qui a toujours perturbé ses plus fervents lecteurs fut de comprendre les raisons de son éviction du Prix Nobel alors qu’il a rédigé une œuvre substantielle. Il se pourrait que la raison ait été entrevue clairement par un auteur mexicain, Nikito Nipongo, dans un livre publié en 1985 aux éditions Oceano : “Perlas Japonesas”. Nous proposons à nos lecteurs de partager les réflexions de Nipongo.

Quel doit être le mérite d’un Nobel de littérature ?

Ce prix a été décerné à des auteurs admirables, comme à des nullités voire à des insignifiants que personne ne lit. Pourtant, Borges se plaignait chaque fois qu’il apprenait la nouvelle de son éviction. Par exemple, en 1979, le prix couronna un obscur poète grec. Borges se lamenta: « Oui, je sais que le prix Nobel est pour Odisseus Elytis. Je ne suis pas résigné. Je me sens plutôt soulagé. Je ne connais pas l’œuvre de ce poète mais je me réjouis de ce qu’il soit Grec.»

Il nous semble que, de la part de Borges, la position digne eût été de déclarer : «Le prix Nobel, je m’en fiche». Ce prix n’honore rien. Il est simplement accompagné d’une somme d’argent appréciable. Mais Borges avait-il vraiment besoin d’argent ? Il essaya de se moquer : « C’est étrange que moi qui suit du petit nombre de ceux qui se sont intéressés à la Scandinavie, qui l’aime bien, qui ai écrit sur elle, me sente repoussé par la Scandinavie». Et encore : «Cette région m’a intéressé depuis l’époque où mon père m’avait offert une version anglaise de la « Wolksunga Saga ». Cela me plut tant que je lui demandai une mythologie nordique».

A ce type de récriminations, Borges en a rajouté d’autres, comme lorsqu’il parla de son voyage au Chili et du bon accueil qu’on lui manifesta : «Je savais que je mettais en jeu le prix Nobel lorsque je me suis rendu au Chili et que le Président….Comment s’appelle-t-il? (le journaliste qui l’interroge lui souffle : “Pinochet”). Oui, Pinochet m’a décoré. J’apprécie beaucoup le Chili et j’ai compris que c’est la Nation Chilienne, mes lecteurs chiliens qui me décoraient»… Pourtant chacun savait que la mémoire de Borges était prodigieuse. Cette manière de présenter les choses, comme s’il ne se souvenait plus de l’exécuteur d’Allende, est assez attristante ; terminer en affirmant que c’est le peuple chilien, opprimé par les militaires aux ordres de Washington, qui l’a décoré, n’est pas plus reluisant…

Il lui était impossible d’oublier sa visite du 21 septembre 1976. Lorsqu’il se présenta au siège de la junte militaire, le Palais Diego Portales de Santiago, il s’adressa en ces termes à Pinochet : «C’est un honneur d’être reçu par vous, général ; en Argentine, Chili et Uruguay on a sauvé la liberté et l’ordre». Il avait aussi soutenu que «si on considère la guerre du Vietnam comme un élément de la guerre au bolchévisme, elle est totalement justifiée». On notera aussi sa sévérité à l’égard de l’écrivain espagnol Ramón María del Valle-Inclán (1866-1936) à propos duquel il affirma : «Il me semble que Valle-Inclan est vulgaire. De très mauvais goût. Comme personne, il devait être très désagréable.» Or, Ramón María del Valle-Inclán qui voyagea plusieurs fois en Amérique Latine et fut invité au Mexique, a publié en 1926 un livre remarquable, “Tirano Banderas”, premier roman mettant en scène un dictateur hispano-américain.

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Des considérations très étranges

La manière dont Borges a parlé de la langue est aussi une cause probable de refus du Nobel. L’auteur mexicain Nipongo propose plusieurs exemples :

– Dans le livre “Borges, el palabrista” (Ed.Letra Viva, Madrid, 1980), celui-ci explique : «L’Espagnol est une langue moche. On trouve des mots splendides dans presque toutes les langues. Par exemple “cauchemar”, “nightmare”, “alptraum”, “íncubo”. En espagnol on dit pesadilla, comme si vous disiez “petite lourdeur”. C’est idiot. Mais il nous faut accepter ce mot car nous n’en avons pas d’autres». Le jugement est trop rapide. Affirmer que c’est idiot d’utiliser le mot pesadilla prouve une certaine ignorance. Il suffit de consulter le vénérable dictionnaire du XVIIIème siècle, publié en 1737, pour apprendre que « Pesadilla » signifie quelque chose qui opprime le cœur, dont la cause se trouve dans un rêve qui afflige ou encore à cause d’un repas trop plantureux. Le mot pesadilla provient d’une ancienne expression mampesadilla qui décrivait, ironiquement, la main lourde qui pèse sur le cœur du dormeur et l’angoisse.

– Dans le même ouvrage, Borges se permet d’affirmer que l’Italien et l’Espagnol sont identiques. Il explique: « J’ai dit à Battiestesa qu’il avait commis une erreur en traduisant la Divine Comédie en Espagnol, car cela entretient la croyance que l’Italien et l’Espagnol sont deux langues distinctes. Alors que ce sont deux variantes très proches d’une même langue mère, le latin». Pourtant, les difficultés semblent multiples lorsqu’on entre dans les détails. Par exemple, une bière blonde se dira cerveza clara en espagnol et birra blonda en italien. Un jus d’orange, jugo de naranja en espagnol mais spremuta di arancia en Italien.

Bref, on se demande bien pourquoi il fallut traduire la Divine comédie de l’italien à l’espagnol, tant les deux langues sont en effet semblables…

Cela explique, selon notre auteur Mexicain, le refus du Nobel à Borges. Trente ans après, on se permettra d’y ajouter une autre raison. Pour faire désigner une personne comme prix Nobel ou comme lauréat du prix de la banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel, il existe toute une organisation de lobbying, c’est-à-dire en réalité une armée de maîtres chanteurs, de corrupteurs au service d’une coterie qui espère que le prix Nobel servira de locomotive à sa propagande. La personne qui obtient le prix est donc finalement sans importance, puisqu’elle sert de fanion ou d’étendard, en général, aux niaiseries occidentales. Borges était peut-être trop indépendant. Il savait que les sbires de Washington – Kissinger notamment – avaient organisé le coup d’État au Chili et en Argentine, mais peut-être n’avait-il pas compris que les médias qui éructaient contre le coup d’Etat étaient aussi à la solde des USA.

On sait désormais que le critère pour octroyer le prix Nobel est double : le lauréat doit être servile à l’égard des lobbys les plus puissants et en même temps utile, idéologiquement, à l’époque de la remise du prix. Borges n’a jamais rempli les deux conditions simultanément.

mardi, 21 juin 2016

Christian Dutoit: links & Vlaams In memoriam

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Christian Dutoit: links & Vlaams

In memoriam

Henk Cuypers

Ex: http://www.doorbraak.be

ChristianDutoit.jpgMet het overlijden van Christian Dutoit (1956-2016) verliest de radicale Vlaamse beweging een van zijn meest markante figuren.

We ontmoetten mekaar voor het eerst in Leuven aan de universiteit in de tweede helft van de jaren 70. Jij studeerde moderne geschiedenis, ik ook, maar ik zat een jaar lager omdat ik een jaar jonger (van 1957) ben. In de les kwamen we mekaar niet tegen want brossen was bij jou standaard. De Vlaamse beweging en 'op café gaan' waren de verbinding tussen ons beiden.

Christian Dutoit was een markante persoonlijkheid. Hij was de exponent van een links flamingantisme dat Vlaamsgezindheid verbond aan sociaal bewogen zijn.

In zijn studentenjaren - als rasechte West-Vlaming eerst aan de Kulak in Kortrijk, daarna in Leuven - was hij één van de drijvende krachten achter de Werkgroep Arbeid,  een buitenbeentje  binnen de klassieke Vlaamse Beweging. Arbeid, later getooid met de initialen VRSB (Vlaams Republikeinse Socialistische Beweging) ijverde voor een autonoom en socialistisch Vlaanderen. Met zijn goede pen ventileerde Dutoit de standpunten en visies rond de band tussen nationaliteitenconflicten en sociale bewegingen in België maar ook in de rest van de wereld in diverse publicaties en tijdschriften.

Arbeid, De Wesp en - de eerste historische - Meervoud waren in die periode de producten waarvan Christian de eindredactie verzorgde.

In 1980 studeerde hij af met een thesis over de flamingantische communist Jef Van Extergem - een werk dat later bij de bevriende uitgeverij Soethoudt in boekvorm werd uitgegeven. Na zijn studies verhuisde hij naar Brussel. Dat werd zijn nieuwe biotoop.

Na een doortocht bij het kabinet van wijlen Hugo Schiltz waar hij onder meer de dichters-schrijvers Hendrik Carette en Henri-Floris Jespers ontmoette, wierp Dutoit zich in de pers- en communicatiewereld. Hij probeerde het als woordvoerder en liet zich zelfs verleiden om afvalverbranding op zee op het schip de Vulcanus te promoten! Greenpeace en de groene beweging konden daar niet mee lachen. Later werd hij zelfs perswoordvoerder voor een eigenaardige Congolese oppositiepartij. Hij raadde hen aan een regering in ballingschap op te richten, wat ook gebeurde.

Nadien, midden van de jaren 80, was ik mede getuige hoe hij tegen de stroom in, tevergeefs poogde het weekblad De Nieuwe redactioneel en inhoudelijk boven water te houden. Zijn scherpe en eigenzinnige pen kon echter niet vermijden dat het lijfblad van Mark Grammens in 1986 kapseisde.

De flamboyante levensgenieter uit een West-Vlaams burgerlijk milieu - zijn oom had een volks restaurant in Aalbeke waar je goddelijke côte à l'os kon eten - was een gecultiveerde en veel besproken persoonlijkheid. Hij had ook een geheimzinnig kantje dat intrigeerde. Christian had een goede neus voor de goede dingen des levens: drank, eten - hij was zelf een excellente kok, berucht zijn de fameuze Meervoud-etentjes waar Christian zelf achter de kookpot stond - en sigaren. CD waren daarom niet alleen zijn initialen maar ook een favoriet sigarenmerk.

Verdrukte volkeren bestuderen en commentariëren was zijn favoriete aandachtspunt. Baskenland - waar hij overleed, was zijn tweede thuisland. De Baskische ontvoogdingsstrijd (voor een autonoom en links Baskenland - ‘Euskadi askatuta’) was in vele opzichten voor hem een lichtend voorbeeld.

Liefde voor Baskenland

extergem-en-de-vlaamse-beweging-1983.jpgChristian heeft zijn leven lang in de traditie van de Baskische eetclubs - waar de ‘abertzale’ Basken (de Baskisch patriotten/nationalistisch gezinden) samen kwamen om te koken en te discussiëren - geijverd voor een soortgelijke formule.

Het startte begin jarn 90 in de Lakenstraat met een ‘Gure Etxea’ (letterlijk ‘ons huis’). Een Vlaams - Baskische club waar gelijkgezinden zich tegoed deden aan spijs en drank en filosofeerden over de Vlaamse beweging  en de strijd van de (verdrukte) volkeren. Van de Papoea's in Nieuw Guinea, over het Polisario in de Westelijke Sahara tot de Basken, Friezen en Bretoenen.

Er was ‘Anai Artea’ (letterlijk 'onder broeders'), een verwijzing naar de Baskische beweging Anai Artea waar Baskische vluchtelingen, meestal ETA-leden, steeds terecht konden,  voor steun, onderdak en werk, meestal in de kroegen. Christian en co stichten een Vlaamse vleugel van Anai Artea die een eigen tijdschrift uitgaf onder dezelfde naam en waaruit het maandblad Meervoud ontstond.

De ‘Baskische club’ – zoals ‘Gure Etxea’ door alle gasten genoemd werd - verhuisde een paar jaar later naar de Zinnikstraat in Brussel. Nadien kwam er - mede onder impuls en met steun van zijn politieke vader Antoon Roosens - een Vlaams Huis in Brussel in de Drukpersstraat, vlakbij de Wetstraat en het Vlaams Parlement. Dat Vlaams Huis werd al snel een thuis voor vele flaminganten in Brussel. De Brusselse afdeling van de Vlaamse Volksbeweging, het Vlaams Komitee voor Brussel, zelfs het Overlegcenrum van Vlaamse Verenigingen en het Vlaams & Neutraal Ziekenfonds, vonden er onderdak. Na acties was en is het er vaak verzamelen geblazen voor militanten van TAK en Vlaamse studentenverenigingen.

Meervoud

meervoud.jpgNa de doorbraak van het Vlaams Blok bij de parlementsverkiezingen van november 1991, startte Christian Dutoit in het najaar van 1992 opnieuw met de uitgave van het tijdschrift Meervoud dat het ondertussen al 218 nummers volhoudt. Meervoud kan beschouwd worden als een poging tot bundeling van linkse flaminganten die na het verdwijnen van initiatieven als Het Pennoen en De Nieuwe geen spreekbuis meer hadden. Het maandblad noemt zich nu een links Vlaams-nationaal blad noemt, is eerder een opiniërend blad dat vanuit een eigen kritische, en progressieve maar tegelijkertijd ook radicaal-flamingantische invalshoek de actualiteit onder de loep neemt.

In de lijn van de Meervoud uit zijn studententijd laat ook de huidige Meervoud veel ruimte voor nationaliteitenconflicten. Baskenland, Ierland en Catalonië krijgen een bevoorrechte plaats.

In de historische lijn van Jef Van Extergem, Antoon Roosens en Jan Olsen heeft Christian Dutoit ook partijpolitiek geprobeerd om het links flamingantisme op de kaart te zetten. Naar analogie met de Vlaamse Democraten begin jaren zestig, een linkse Vlaams-Brabantse en Brusselse afsplitsing van de opkomende Volksunie, probeerden Christian en zijn soulmate (later echtgenoot) Bernard Daelemans eenzelfde experiment in Brussel. In de jaren 90 nog een Vlaams Democratisch Appel, later een linkse N-VA afdeling in Brussel. Het fijne ervan ken ik niet maar ik heb me laten wijsmaken dat zijn lijst Vlaamse Democraten een N-VA scheurlijst was na een conflict met Antwerpen omtrent de aanwezigheid van de belgicist Jos Chabert op de kartellijst CD&V/N-VA. 

Christian was naast publicist ook de spin in het web bij vele initiatieven om de linkse flaminganten te bundelen. We hebben het dan onder meer over de organisatie van de jaarlijkse Sociaal-Flamingantische Landdagen (ook een verwijzing trouwens naar de Vlaamse Democraten van de beginjaren 60).

Dwarsligger

Basque_Country.svg.pngDutoit was naast publicist ook een prominente dwarsligger. Ik herinner me nog levendig zijn poging bij de parlementsverkiezingen van mei 1995 om in Wallonië op te komen met een lijst VLAAMS. VLAAMS stond voor: Volontaires Linguistiques à l'accélération du Mouvement Social. Het was een kwinkslag naar de francofonie en was erop gericht om de Union Francophone (UF) van antwoord te dienen. Het had alles te maken met de niet-splitsing van het kiesarrondissement Brussel-Halle-Vilvoorde. De Franstaligen konden in BHV voor de Europese en Senaatsverkiezingen stemmen ronselen. Met de lijst VLAAMS dienden Christian en co een lijst in Wallonië in om stemmen te ronselen. Dat is een van de vele akkefietjes waar de groep rond Christian de hand in had.

Natuurlijk kan ik nog zijn veelvuldige contacten met politici uit diverse partijen maar toch vooral de Volksunie vermelden. Dan denk ik in de eerste plaats aan Willy Kuijpers en Walter Luyten, de twee vaandeldragers die binnen deze partij zich engageerden voor dezelfde thema’s. Maar ook bij anderen - om mensenrechtenadvocaat Paul Bekaert te noemen- kon Christian terecht voor advies en steun.

De Vlaamse beweging verliest met Christian Dutoit een van zijn meest markante buitenbeentjes. 

mercredi, 08 juin 2016

Wjatscheslaw Iwanowitsch Daschitschew † – ein Nachruf

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Wjatscheslaw Iwanowitsch Daschitschew † – ein Nachruf

Von Herbert Gassen *)

Sehr geehrte Damen und Herren, liebe Freunde,

ich erhielt die Nachricht, daß

Wjatscheslaw Iwanowitsch Daschitschew

im Alter von 91 Jahren am 1. Juni 2016 in Moskau verstorben ist.

Wir Deutschen haben mit ihm einen treuen Freund verloren. Er war in der Sowjetunion als Sohn eines Generals der Roten Armee aufgewachsen und kämpfte selbst als Offizier an der ukrainischen Front gegen die deutsche Wehrmacht.

dach50_34339.jpgEr studierte nach dem Krieg an der Lomonossow-Universität. In 1973 promovierte er als Historiker. Sein beruflicher Weg führte ihn in die russische Akademie der Wissenschaften. Er war zur Zeit der Perestroika Professor der Diplomatischen Akademie des sowjetischen Außenministeriums und Berater von Michael Gorbatschow. Sein großes politisches Ziel war die Entspannung des Ost-West-Problems. Er befürwortete ganz intensiv das Zustandekommen der Wiedervereinigung Deutschlands. Er kämpfte für die Einhaltung der Menschenrechte, befürwortete die Grundsätze einer Demokratie und der Sozialen Marktwirtschaft.

Von 1991 an lehrte er bis 1998 u.a. an der FU Berlin, der Ludwig-Maximilians-Universität München und der Universität Mannheim.

Der damaligen Bundesregierung arbeitete er bei dem Thema ‚Zusammenarbeit mit Kaliningrad‘ zu und engagierte sich im Sinne der Vision Gorbatschows für ein ‚Europäisches Haus‘.

Ein anderer Berater Gorbatschows, Anatoli Tschernjajew sagte über ihn:

„Aus der Vielzahl der wissenschaftlichen Quellen, die Gorbatschow zur Information über die deutschen Angelegenheiten und auch über die des ,sozialistischen Lagers‘ dienten, wären die analytischen Notizen von Wjatscheslaw Daschitschew zu nennen. Seine Einschätzungen der Vorgänge in Deutschland und seine Empfehlungen wiesen – im Gegensatz zur Mehrheit der anderen – in die richtige Richtung.“

Was aus einem Europa unter diesen Kautelen geworden wäre, bleibt ein Traum, dessen Umsetzung in die Realität nicht aufgegeben werden darf.

Wjatscheslaw Daschitschews Engagement für Deutschland, die Deutschen, wurde von denen, die sich als ‚Freunde‘ ausgaben und Europa in seine größte Katastrophe führten, nicht akzeptiert. Seine Vorstellungen von Nation und ihrer Kultur wurden von dem bundesrepublikanischen Parteien-Establishment gar als ‚rechtsextrem‘ eingestuft. Seine Leistungen für unser Land wurden mißachtet, Daschitschew wurde verfemt.

Ich habe ihn persönlich auf Tagungen des Studienzentrums Weikersheim erlebt. Die Gespräche mit ihm waren eine große Bereicherung. Er begegnete einem mit herzlicher Bescheidenheit und überzeugte souverän mit einem funkelnden Geist.

Alle Patrioten Deutschlands sind ihm für seine Leistung für unser Land und unser Volk zu größtem Dank verpflichtet. Sein Leben war der Wille für eine unbedingt notwendige Freundschaft zwischen dem deutschen und dem russischen Volk.

Unsere Teilnahme gilt seinen Hinterbliebenen

In tiefer Trauer, Herbert Gassen *)

*) Herbert Gassen ist Dipl.Volkswirt, Bankkaufmann und regelmäßig Kolumnist auf conservo
www.conservo.wordpress.com   2. Juni 2016

samedi, 30 avril 2016

Camerone

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Officiers

Capitaine Danjou, Sous-lieutenant Maudet et Sous-lieutenant Vilain.

Sous-officiers

Sergent Major Henri Tonel, Sergents Germeys, Louis Morzycki, Alfred Palmaert et Charles Schaffner.

Caporaux

Evariste Berg, Adolphe Del Caretto, Amé Favas, Charles Magnin, Louis Philippe Maine et André Pinzinger.

Tambour

Casimir Laï.

Légionnaires

Jean Baas, Aloyse Bernardo, Gustave Bertolotto, Claude Billod, Antoine Bogucki, Félix Brunswick, Nicolas Burgiser, Georges Cathenhusen, Victor Catteau, Laurent Constantin, Constant Dael, François Daglincks, Hartog De Vries, Pierre Dicken, Charles Dubois, Frédéric Friedrich, Frédéric Fritz, Georges Fursbaz, Aloïse Gaertner, Léon Gorski, Louis Groux, Hiller, Emile Hipp, Adolphe Jeannin, Ulrich Konrad, Hippolyte Kunasseg, Jean Kurz, Félix Langmeier, Frédéric Lemmer, Jean-Baptiste Leonard, Louis Lernoud, Edouard Merlet, Joseph Rerbers, Jean-Guillaume Reuss, Louis Rohr, Hernann Schifer, Joseph Schreiblich, Jean Seffrin, Daniel Seiler, Joseph Sergers, Louis Stoller, Jean-Louis Timmermans, Clovis Pharaon Van Den Bulcke, Jacques Van Der Meersche, Luitpog Van Opstal, Henricus Vandesavel, Jean-Baptiste Verjus, Geoffroy Wensel, Karl Wittgens et Nicolas Zey.

dimanche, 20 mars 2016

"Robert Dun, un éveilleur de la conscience européenne"

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Emission n°268 : "Robert Dun, un éveilleur de la conscience européenne"

Ce soir, Méridien Zéro vous propose de revenir avec notre camarade Robert Steuckers sur la vie et l'oeuvre de Robert Dun, figure sulfureuse et souvent méconnue du XXème siècle. 

A la barre et à la technique, Eugène Krampon et Wilsdorf.

http://www.meridien-zero.com

Pour écouter:

http://www.meridien-zero.com/archive/2016/03/18/emission-...

mardi, 01 mars 2016

Sur Numero Zéro d'Umberto Eco, en hommage

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Théories du complot : l'inutile découverte

Sur Numero Zéro d'Umberto Eco, en hommage
par François-Bernard Huyghe
Ex: http://www.huyghe.fr

umberto_eco_hd2fran.jpgDans son dernier roman Numéro zéro Umberto Eco décrit la rédaction d'un futur quotidien au début des années 90. On y bidonne tout, des horoscopes aux avis mortuaires, et le journal, aux rédacteurs ringards et aux moyens restreints, et il n'est en réalité pas destiné à paraître. Il servira plutôt d'instrument de chantage à un capitaine d'industrie : il menacera ceux qui lui font obstacle de lancer des révélations scandaleuses ou des campagnes de presse. 
 
Cette histoire, et cette critique un peu convenue des médias "classsiques" se croise avec la naissance d'une théorie que l'on dirait aujourd'hui conspirationniste : un des journalistes commence à se persuader que ce n'est pas Mussolini qui a été exécuté et dont on a vu le cadavre pendu par les pieds à la Piazzale Loreto en 1945, mais un sosie. Partant de détails du récit des derniers jours ou de l'autopsie qui ne colleraient pas, le journaliste ne cesse de trouver des bizarreries dans l'histoire de ce cadavre. Par ailleurs, le vrai cadavre du Duce, enterré secrètement  a été effectivement enlevé par un commando de jeunes néo fascistes pour finir remis à sa famille en 1957. Un essai de Sergio Luzzato, récemment traduit, "le corps du Duce" analyse d'ailleurs cette histoire vraiment très romanesque de cadavre caché, enlevé, encombrant, honoré, retrouvé, etc.
 
Et Eco de décrire la construction d'une théorie par le journaliste qui part du postulat que les partisans n'ont pas tué le bon Mussolini. Dans un pays  où l'on pratique beaucoup le "dietrismo" (l'art d'imaginer de tortueuses manœuvres derrière -dietro- la version "officielle" de l'Histoire), cela marche bien. Tous les ingrédients qui nourrissent les bonnes conversations de table en Italie - Vatican, affaire Gelli, organisation Gladio chargée de faire du "stay behind" en cas d'invasion soviétique, tentative de putsch du prince Borghese bizarrement annulée, inévitable attentat de la Piazza Fontana et autres massacres d'innocents qui le suivront, autres "coïncidences", contradictions et affaires jamais expliquées sur fond de manipulations et stratégie de tension... Évidemment le journaliste se fait assassiner.
 
Et c'est à ce moment que le livre, par ailleurs astucieux et entraînant, pose une hypothèse intéressante qui pourrait être que trop de complot tue le complot.
 
Umberto-Eco-em-PDF-ePub-e-Mobi-365x574.jpgDans "Le pendule de Foucault", bien des années avant "Da Vinci Code", Eco imaginait un délirant qui, partant d'éléments faux, construisait une explication de l'Histoire par des manœuvres secrètes, Templiers, groupes ésotériques et tutti quanti. À la fin du livre, l'enquêteur se faisait également tuer, et l'auteur nous révélait à la fois que les constructions mentales sur une histoire occulte, qu'il avait fort ingénieusement illustrée pendant les neuf dixièmes du livre, étaient fausses, mais qu'il y avait aussi des dingues pour les prendre au sérieux. Et tuer en leur nom.
 
Ici, dans "Numéro zéro", il se passe presque l'inverse. Le lecteur (qui n'a pas pu échapper aux nombreux livres et articles sur les théories du complot  ne croit pas une seconde aux hypothèses du journaliste. Quand il est assassiné, son collègue (l'auteur parlant à la première personne) se sent menacé. Mais, coup de théâtre, à ce moment est diffusée une émission de la BBC "Opération Gladio" (authentique : on peut voir sur You Tube ce documentaire de près de deux heures et demi. présenté pour la première fois en 1992, année où est sensé se dérouler le livre). Or, le documentaire, truffé d'interviews des acteurs, révèle d'effroyables histoires sur une supposée armée secrète d'extrême droite, en rapport avec la CIA, le MI6, l'État italien et autre, exécute secrètement crimes et massacres, y compris en tentant de les faire attribuer leurs méfaits à l'extrême gauche. Ce qui, soit dit en passant, devrait nous rappeler que la théorie du complot n'est pas un monopole des populistes de droite.
 
"Numéro zéro" se termine un peu en queue de poisson, du moins du point de vue narratif : puisque toutes ces histoires de complot sont notoires, plus personne n'a de raison de tuer personne, et l'histoire se finit bien.
 
Mais le paradoxe soulevé mérite l'attention. Il y a des dizaines de théories sur l'assassinat de Kennedy, à peu près autant sur les massacres des années de plomb. Parmi toutes ces théories, il y en a forcément une qui doit être vraie mais nous ne saurons sans doute jamais laquelle.
 
En revanche, l'inflation des révélations et pseudo-révélations a produit quelque chose qui ressemble à une incrédulité résignée de masse. Il faut s'habituer à l'idée qu'une vaste partie de la population puisse simultanément se persuader d'être abusée par les mensonges fabriqués par des appareils politiques et médiatiques et ne pas se révolter, ou du moins accepter de continuer à subir un système qu'ils croient profondément perverti et néanmoins indépassable. Comme si Eco nous suggérait que, quand tout le monde sait qu'il y a secret, ce que cache le secret n'a plus aucune importance.

samedi, 27 février 2016

Mort d’un enfant terrible du siècle dernier: Youri Mamleev

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Mort d’un enfant terrible du siècle dernier: Youri Mamleev

par Thierry Jolif

Ex: http://www.unidivers.fr

Écrivain du dépassement et de l’absurde métaphysique, Youri Mamleev, auteur des jubilatoires Chatouny et Le Monde et le rire, s’en est allé le 25 octobre 2015. Il est parti se frotter pour de bon à cet au-delà que, dans ses livres comme dans sa vie, il avait si souvent convoqué. Sans jamais s’en effrayer…

41sn4emvdml-562e3a2318a5b.jpgNé en Russie en décembre 1931, Youri Mamleev aura eu le parcours, quasi anonyme et pourtant, intérieurement flamboyant, des ses héros.

Dès les années 1960, celui qui était alors jeune diplômé et enseignait les mathématiques va se retrouver au cœur des cercles d’une jeunesse soviétique en quête de renouveau spirituel. Rien d’étonnant à ce que dans un environnement religieux réduit à néant la soif a étancher ait été grande. Ces groupes vont dès lors chercher tous azimuts, d’une façon bien différente de leurs contemporains américains de la contre-culture, évidemment. Toutefois, en parallèle des intérêts et des personnalités singulières y trouveront des échos fort importants.

L’ésotériste René Guénon, bien sûr est de ceux-ci. Les groupes auxquels Youri Mamleev prit part sont souvent considérés comme les premiers propagateurs du corpus guénonien en Russie, mais également, pour certains, d’une version plus alarmante, sinistre et corrosive de la spiritualité. Dévoiement pervers selon les uns, voie de la main gauche, nécessaire folie en esprit selon les autres. Côtoyant les esprits et les traditions les plus diverses, Youri Mamleev avant de se jeter corps et âme dans l’écriture, se fait fort d’étudier et d’expérimenter les voies spirituelles les plus diverses. Dans un éden athée, il se forge une connaissance non seulement livresque mais également intérieure et physique des grands courants religieux du monde et de leur frange : occultisme, hermétisme, non-dualisme, trantrisme…

Sans doute n’est-ce pas un hasard si c’est au milieu de ce melting-pot religieux que Mamleev pourra s’exiler aux États-Unis à la faveur d’une loi autorisant les citoyens soviétiques de confession juive à émigrer, loi paradoxale et facilitatrice d’un pouvoir machiavélique qui favorisera le départ de nombreux dissidents et esprits forts qui, à l’image de Youri Mamleev, n’étaient absolument pas  et en aucune manière juifs. Là-bas il travaillera à l’Université Cornell avant de s’installer en France en 1983 et d’y enseigner la littérature russe à L’Institut national des langues et civilisations orientales. Dix ans plus tard, il retourne en Russie et se consacre principalement à l’écriture théâtrale, il enseignera également la philosophie hindoue à l’Université d’Etat Lomonossov.

51t259iNsUL._AC_UL320_SR200,320_.jpgPubliant dès 1956 Youri Mamleev ne tarde pas à heurter les autorités soviétiques par une prose qui, si elle se veut réaliste, propose toute autre chose que celle dite socialiste. Le réalisme littéraire de Mamleev se veut métaphysique. Son dernier ouvrage traduit et publié en France, Destin de l’être, est en définitive moins la base de sa fusée théorique que son lanceur. Ces pages renferment tout ce qui humainement et théoriquement anima toujours l’art littéraire de Mamleev :

Pour un écrivain métaphysicien, la tâche consiste en la réorientation de sa vision spirituelle vers la face invisible de l’homme. Par conséquent il ne doit s’intéresser à l’homme « visible » qu’à cause de sa capacité à refléter les réalités de l’homme secret, transcendant et insaisissable. (Destin de l’être, p. 147)

Selon le critique russe Volodymyr Bodarenko, la mort de Mamleev constitue une grande perte pour la littérature en Russie, mais sa mort va sans doute guider plus de personnes encore vers cette œuvre si étonnante, redoutable, véritable renouvellement des lettres russes à la fois profondément ancrée dans la tradition littéraire du pays et totalement novatrice.

Une œuvre qui aura su dans le même geste détruire et ressusciter la geste romanesque elle-même. D’abord et avant tout, par le rire… Un rire sacré et désacralisant. Bien que tout à fait moderne la prose de Mamleev est contemporaine du sens ancien de la comédie, celle de Dante, ou, à tout le moins, de Balzac. En France, et en Occident en général, il semble bien que l’on est pas pris la juste mesure de ce que l’on s’est empressé de définir comme comique, grotesque, absurde dans l’œuvre écrite de cet écrivain qui à la mesure d’un Gogol, d’un Poe, d’un Lovecraft ou plus proche de nous d’un Thomas Ligotti  a le plus sérieusement du monde mis sa peau au bout de sa plume pour révéler les failles métaphysiques abyssales qui se camouflent dans les réalités trop fictives, restreintes et restrictives pour être honnêtes, du monde moderne.

Rassasié d’au-delà, Izvitski se fixait à présent sur le rire de l’Absolu ; comme quoi ce rire, s’il existait, était une chose inouïe, sauvage, inconcevable, car rien ne pouvait lui être opposé ; et dont la cause n’était point un décalage avec la réalité, mais ce qu’il ne nous était pas donné de savoir. (Chatouny, p. 203)

Dans le second de ses textes publié en français (La Dernière comédie) le monde offert à nos regards, dans le chapitre « En bas c’est pareil qu’en haut » (version familière et dérisoire du fameux adage hermétique), l’auteur évoque une atmosphère dont le comique renvoie à l’état désaxé et bouffon qui s’empare de la société moscovite lors de la visite du professeur Woland (dans Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov) – un caractère « post-apocalyptique » et ordurier en plus ! L’inversion est poussée à son paroxysme et met en avant les tares spirituelles d’un monde pour lequel le salut ne saurait être pensé sans être violemment dégradé. Panarel (le personnage « central » de ce chapitre), nouvelle et déjà très singulière incarnation du Fils de Dieu, le constate et l’accepte lui-même amèrement. L’aspect platement anthropophage de sa fin (et de la fin du chapitre) suggère bien ce terrible abaissement négatif de toute soif spirituelle dans l’orientation ultra-matérialiste de notre époque.

capture-20d-e2-80-99ecran-202015-10-26-20a-2015-11-37-562e3a6e0cd32.pngQuant à l’ambiance générale qui se dégage de Le Monde et le rire, elle n’est pas moins fantasque et lugubre. C’est le monde surnaturel lui-même qui y perd la tête. Et au cours de l’enquête surréaliste que nous fait suivre l’auteur nous croisons différents personnages psychiquement perturbés, fort différents du psychisme lambda en tout cas. Les personnages de cette galerie de portraits sont d’ailleurs regroupés génériquement et significativement sous le terme de « chamboulés ». Ici, le parallèle le plus signifiant avec la littérature russe antérieure serait sûrement le groupe de personnages évoqué par Pilniak dans son récit L’Acajou. Pilniak avait nommé cette troupe hétéroclite de clochards volontaires, de quasi fols mystiques, « okhlomon » (« emburelucoqués » dans la belle traduction française de Jacques Catteau).

En outre, cette assemblée de marginaux volontairement déclassés n’est pas sans rappeler celle du souterrain qui occupe une place centrale dans Les Couloirs du temps de Mamleev. Scientifiques « originaux », intellectuels déclassés, penseurs « bizarres » tous ont en commun une forme, plus ou moins obscure, de… « refus ». Ayant tous perçu intuitivement un « inconcevable », un « mystère » dépassant la commune, admise et plate raison « réaliste » et raisonnable, ils forment, bon gré mal gré, une société recluse de refuzniks… Mais également, en raison de cet intuitionnisme mal venu, un groupement qui laisse pénétrer au cœur endurcis du monde les prémisses d’un « outre-entendement » trop longtemps mis sous le boisseau… Mais :

Le mystère est partout jusque dans le marasme. (Le Monde et le rire)

Vous parlez d’or Lena : que la vie ordinaire ne se distingue en rien de l’Abîme ! Que l’on meure et ressuscite aux yeux de tous ! Que les hommes tiennent conciliabule avec les dieux ! L’inconcevable doit faire irruption dans le monde ! L’inconcevable et, au milieu : une gaieté sans frein ! Marre de l’ordre en vigueur : ici le royaume des vivants, là celui des morts, on naît ici, on meurt là et pas ailleurs ! Que la ténèbre envahisse les cieux et que retentisse la Voix de Dieu : « Allez-y, les gars, bringuez ! Fais la noce Mère Russie, advienne ce que tu voudras ! Amuse-toi tout ton saoul, pays où l’impossible devient possible ! Je te donne toute liberté, mort aux démiurges et à tous les rêves dorés ! » (Le Monde et le rire)

Malheureusement, en France, sur la vingtaine d’ouvrages parus de Mamleev seule une poignée est traduite et éditée :

Chatouny, Robert Laffont, 1986, réédition Le Serpent à plumes, 1998
La Dernière comédie, Robert Laffont, 1988
Fleurs du mal, Albin Michel, 1997
Les Couloirs du temps, Le Serpent à plumes, 2004
Le Monde et le rire, Le Serpent à plumes, 2007

samedi, 20 février 2016

Jean Dutourd, l'anarcho-gaulliste

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Jean Dutourd, l'anarcho-gaulliste

Par

 Bruno de Cessole (archives: 2011)

 

 

 

 

Ex: http://www.valeursactuelles.com

 
Disparu le 17 janvier 2011 à l’âge de 91 ans, l'écrivain fut tout au long de sa vie un résistant au conformisme, à la bêtise et au progressisme.

Lorsqu’on l’allait visiter dans son sombre appartement proche de l’Académie, il fallait traverser un salon vaste comme un hall de gare (de province), longer un couloir interminable, avant de pénétrer dans le bureau bibliothèque où il vous recevait, en veste d’intérieur écossaise, la bouffarde au bec, dans la compagnie de quelques milliers de livres impeccablement alignés sur les rayonnages. Un décor très britannique, boiseries, fauteuils de cuir, odeur de cire et de tabac blond, nuancé d’ordre monacal ou militaire. Le maître des lieux, du reste, avait un côté très British, et pas seulement pour la moustache et la pipe dignes du Colonel Bramble ou du Major Thompson.

Jean Dutourd était un vieux Gaulois ronchonneur tempéré par l’humour anglais et le goût du paradoxe chers à Jonathan Swift et à Oscar Wilde. En dépit de son inaltérable attachement à la mère patrie, « la France ma mère, qui s’est, en quinze siècles, façonné une âme plus belle et plus grande que toute autre nation », Dutourd renchérissait volontiers sur Godefroy, le héros de Courteline, qui soupire : « J’aime bien maman, mais crénom, qu’elle est agaçante ! » Bon fils, l’auteur des Horreurs de l’amour pouvait râler, mais ne la reniait pas, même quand elle faisait des bêtises, comme de désavouer de Gaulle en 1968 ou de porter Mitterrand au pouvoir en 1981.

Dans ces années-là, je le voyais souvent, car il était, pour les journalistes, un “bon client”. Depuis son élection à l’Académie française en 1978, à la suite du plasticage de son appartement, qui contribua beaucoup, disait-il en riant, à son élection, il s’autorisait une liberté de parole qui ne s’encombrait pas des prudences habituelles chez les habits verts. Il avait l’esprit caustique, la parole drue, la formule assassine, et n’épargnait personne, à commencer par les hommes de pouvoir et les belles âmes progressistes. Jamais il ne fut plus en verve que durant les deux septennats mitterrandiens où il publia le Socialisme à tête de linotte, le Spectre de la rose, la Gauche la plus bête du monde, le Septennat des vaches maigres, Journal des années de peste 1986-1991, la France considérée comme une maladie mais aussi Henri ou l’Éducation nationale, le Séminaire de Bordeaux, Ça bouge dans le prêt-à-porter, désopilante anthologie des clichés et des expressions à la mode dans le journalisme.

2877062937.08.LZZZZZZZ.jpgDu temps que le Général régnait sur la France, le gaulliste Dutourd était abreuvé d’injures, dont les moindres étaient : « nouveau Déroulède », « grosse bête », « patriote ringard ». On le vilipendait pour son « gros bon sens », sa prétendue « vulgarité », sa propension à se faire « le porte-parole de la majorité silencieuse ». « Pour être admis chez les gens intelligents, me disait-il, il fallait m’avoir traité d’imbécile ! » Du jour où les socialistes parvinrent au pouvoir, on le découvrit soudain moins bête qu’on ne le disait, et jamais il ne fut davantage invité sur les plateaux de télévision, où son flegme narquois et ses bons mots faisaient florès.

La politique, en réalité, ne l’intéressait que comme prétexte à exhaler ses humeurs. Il avait, reconnaissait-il, des sentiments plutôt que des idées politiques. Depuis le discours du 18 juin 1940, il n’avait jamais varié de ligne : “anarcho-gaulliste”, et le moins mauvais régime aurait été à ses yeux « une monarchie absolue tempérée par l’assassinat », selon une formule qu’il attribuait à Stendhal, attribution dont je ne suis pas sûr qu’elle soit exacte. Cet individualiste, qui s’inscrivait dans la lignée de ses maîtres, Montaigne, Voltaire, Stendhal et Chesterton, se méfiait de l’État-providence et de l’angélisme, ce « crime politique » qui conduit l’État à vouloir faire le bien du citoyen malgré lui : «Tous les gouvernements sont comme les bonnes femmes qui disent à un type: “Tu verras, je vais faire ton bonheur !” Instantanément, le type est terrorisé et se dit : “Elle va m’emmerder toute ma vie !” C’est la même chose en politique. »

Jean Dutourd était de ces dinosaures en voie de disparition qui ne s’excusent pas d’être français, n’admettent guère que l’“insolente nation” trahisse sa vocation à la grandeur, et ont souvent mal à leur pays. Il avait intitulé l’un de ses livres De la France considérée comme une maladie. Une expression qu’il tenait de sa belle-mère, qui répétait sans cesse : «J’ai mal à la France. » « Je crois, me confiait-il, que les Français ont toujours eu mal à la France. Depuis qu’il existe une littérature française, les écrivains ont des bleus à leur patrie. Peut-être à cause de l’hypertrophie de notre sens critique qui nous fait nous gratter sans cesse. Cela dit, il y a eu des périodes où les Français n’avaient pas trop mal à la France. Comme sous Louis XIV et Napoléon. C’était l’Europe qui avait mal, à ce moment-là.»

L’un des drames de notre pays résidait, selon lui, dans la disparition progressive du bon sens au profit de la prétention des soi-disant élites qui ne s’expriment plus que dans un sabir incompréhensible par le peuple, véritable attentat contre la clarté de notre idiome national. « Intellectuel n’est pas synonyme d’intelligent. Je dirais même qu’on est plutôt intelligent quand on n’est pas intellectuel. Les intellos sont la lie de la terre. Ils incarnent l’éternelle trahison des clercs. On est un artiste, un écrivain, un philosophe, mais pas un intellectuel ! Un intellectuel, c’est un de ces mauvais curés qui font tout pour vous dégoûter du bon Dieu. Bref, c’est affreux ! »

Il prétendait n’être qu’un homme de la rue qui sait écrire

S’il était volontiers disert sur la vie publique, l’homme, en revanche, était d’une discrétion rare sur sa vie privée : « Mon rêve, c’est de ne pas avoir de biographie, car celle-ci se construit toujours au détriment de l’oeuvre. Alors, pas de biographie. Comme Homère et comme Shakespeare…» Dans Jeannot, Mémoires d’un enfant, il avait arrêté ses Mémoires à l’âge de 11 ans, estimant que les décennies suivantes n’offraient rien de singulier. « Je suis un homme de la rue qui sait écrire. C’est la seule chose que je sache faire », confessait-il avec une fausse modestie goguenarde. Depuis le Complexe de César, son premier livre, déjà provocateur, publié en 1946, il n’avait cessé de publier avec une régularité horlogère, et un talent hors du commun. Il était de ces rares écrivains, comme Marcel Aymé, pour qui le français était une langue naturelle. À la fois très simple, très pure, et savante, mêlant la familiarité et les tournures recherchées héritées de ces classiques qu’il fréquentait assidûment.

Parmi les soixante-dix titres que laisse ce grognard en demi-solde, vaste panorama satirique de son époque, certains furent des succès considérables comme Au bon beurre (prix Interallié) et les Taxis de la Marne ; les autres témoignent d’une remarquable capacité à varier de registre, de Doucin aux Mémoires de Mary Watson, tout en reflétant une vision du monde à la fois sans illusions, autrement dit réactionnaire, et cocasse. Car Jean Dutourd était un moraliste qui avait l’élégance de la gaîté.

Bruno de Cessole