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mardi, 06 septembre 2016

Les Modérés d'Abel Bonnard

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Le drame du présent

Les Modérés d'Abel Bonnard

Ex: http://www.juanasensio.com

Les Modérés du pestiféré Abel Bonnard est un livre remarquable, écrit dans «une forme que pas un autre écrivain n'égale à présent, ni dans le public ni dans les Académies», avait affirmé André Suarès à la princesse Murat, alors que Charles Maurras confiait à Xavier Vallat que Bonnard était un prosateur «extrêmement brillant». François Mitterrand qui, comme Jean Dutourd, avait été une des personnalités à qui Olivier Mathieu avait envoyé sa biographie sur Abel Bonnard, avait peut-être Les Modérés en tête lorsqu'il écrivit son Coup d’État permanent, qui lui est inférieur par toutes ses dimensions. C'est en tout cas le dernier livre que Henri de Régnier lut et aima, et, en 1962, les derniers 571 exemplaires que la maison Grasset avait gardés furent envoyés au pilon en grande totalité. On fit ainsi croire à Abel Bonnard, reparti dans un exil volontaire en Espagne, alors qu'il eût pu demander après son procès la restitution de son siège à l'Académie Française à Jules Romains, qu'ils avaient été sauvés, et il leur écrivit : «Je considère avec une émotion profonde, exempte de toute sensiblerie, ces hommes, pareils à des colonnes debout dans une nation en ruines. Quant à ce fond de Modérés, je ne m'en soucie en rien. Je vous demanderai seulement de m'en envoyer deux.»

Je n'ai aucune compétence pour présenter ce livre sous l'éclairage historico-politique qui pourrait en révéler les subtilités, ou montrer par exemple les indices laissant penser que cet ouvrage a été écrit contre Charles Maurras. À d'autres, l'inscription minutieuse de ce pamphlet impeccablement écrit, dont chaque phrase semble un diamant finement ciselé enchâssé dans une bague elle-même polie avec le plus grand soin, dans l'exégèse qui dévoilera son contexte historique et, bien sûr, sa pertinence pour notre époque. De la même manière, je ne m'attarderai pas sur la réalité de l'épithète infamante (Gestapette) que la Résistance eut vite fait d'accoler à Abel Bonnard. Arno Breker avait affirmé à Olivier Mathieu que Bonnard n'était pas homosexuel mais Patrick Buisson, penseur de troisième ordre que j'ai moi-même évoqué dans une note sur Renaud Camus, s'attache à la vue traditionnelle selon laquelle l'homosexualité d'Abel Bonnard était évidente, vue qui fut sans sans doute répandue par le sonnet de Jean Paulhan liant le nom de Bonnard à celui de l'autre Abel de l'Académie française et de la collaboration intellectuelle (lui véritablement homosexuel, et qui avait permis à son ancien giton Jacques de Lacretelle, qui vota son exclusion, d'entrer très jeune à l'Académie), Abel Hermant.

Ce qui m'intéresse, modestement, est de montrer de quelle façon Abel Bonnard établit la certitude de la permanence de la France au travers des époques, y compris celle, la nôtre sans doute, de la plus grande nullité politique et, partant, métaphysique.

AB-3.jpgLa France selon Abel Bonnard est une entité organique, y compris même (en fait : surtout) lorsqu'elle est démembrée : «La France ne se sera rendue vraiment apte à se donner une meilleure organisation que lorsqu'elle regardera le régime dont elle se plaint comme l'expression obscène des défauts qu'elle a accepté de garder sourdement en elle, et comme la place visible où s'avoue un mal profond» (1).

Ce mal profond, ce sont les mots, la grande passion française, qui vont le révéler, même s'il ne faut pas hésiter, comme Abel Bonnard le fait, à suspecter leur véracité et donc à procéder comme un écrivain véritable, en se réappropriant les mots usés, galvaudés, trahis : «L'éloquence des assemblées nous ment sur le drame où elle est mêlée. Elle compte beaucoup moins, en vérité, pour ce qu'elle exprime que pour ce qu'elle cache; elle étale l'emphatique sur l'inavouable et quand un discours ne sert pas à nous prouver que l'homme qui le prononce n'a rien pensé, il sert à nous cacher les arrière-pensées qu'il a eues» (p. 16).

Ainsi, si tous les grands mots ne sont présents que d'une façon spectrale, «comme des morts jetés sur une dalle; aucun n'avait sa vertu» (p. 17), le premier devoir de l'écrivain, Bonnard parlera du «premier réalisme», du moins en politique mais aussi en littérature, consiste donc à «connaître les démons qui sont cachés dans les mots» (p. 29).

Coupé des vieux mots rendus caducs, l'homme moderne n'est plus qu'une coquille vide, une outre remplie de vent et de mots devenus vieux, comme des acteurs sur le retour que l'on forcerait à se grimer pour indiquer des passions qu'ils n'éprouvent plus, s'ils les ont jamais éprouvées : «Ce qui caractérise une société ainsi faite, c'est qu'en isolant les hommes de la réalité, elle leur donne une juridiction verbale sur toutes les choses qu'ils ne touchent plus» (p. 109). Une outre remplie de vent, dans un monde qui n'est plus réel mais tout entier contaminé par un langage déprécié, vicié, tout juste bon à véhiculer quelques idées toutes faites et, puisque nous sommes en France, des causeries vaines, des jeux de mots et des traits d'esprit où se montre la vanité, le vide d'une époque sans racines : «Les conversations les plus brillantes sont des échanges où se glisse toujours un peu de fausse monnaie et le plaisir qu'elles causent ne serait pas si vif, si chacun ne s'y faisait pas illusion sur la valeur de ce qu'il dit. Au causeur souverain comme Rivarol, qui n'est qu'un penseur qui s'exerce, se joint aussitôt l'adroit manieur de mots pour qui avoir de l'esprit n'est que la plus brillante façon de ne pas comprendre; puis vient immédiatement le sot à facettes, que le sot sans facettes suit de très près» (p. 110). En somme, la France «est le pays où les défauts des salons sont descendus dans les rues», contribuant ainsi un peu plus à éloigner de la réalité le peuple, puisqu'il s'agit «pour chaque parleur de primer sur tous les autres» (p. 112), alors même que les «conversations mondaines n'ont que l'apparence d'un tournoi d'idées; ce sont des luttes de vanité», ce qui conduit Bonnard à poser cette évidence : «Parler, alors, devient un faux acte» puisque, quand «une opinion n'est pas tirée de l'expérience pour renvoyer à l'action, ce n'est plus qu'une aigrette que se met un individu» (p. 126).

Réfugiée dans la fausse parle analysée par Armand Robin, la France d'Abel Bonnard (et que dire de la nôtre !) est malade, peut-être même mourante bien que quelques indices, quelques lueurs, nous le verrons, nous laissent penser que son agonie, ô combien longue, n'est toutefois point totalement désespérée : «Ainsi des formes sociales aujourd'hui détruites nous encombrent encore des façons d'être qu'elles ont créées; ainsi quantité de Français nous paraissent tour à tour n'avoir pas l'âme assez forte pour agir dans le drame où ils sont jetés, et n'avoir pas l'esprit assez simple pour l'apercevoir. Cette impossibilité d'aller à l'important et au principal, cette curiosité volage pour toutes les idées qui n'est que l'incapacité d'en retenir fortement aucune, cette frivolité qui espère encore s'amuser des événements dont elle s'effraye, cette parodie de l'esprit de finesse qui donne une furieuse envie de retrouver l'esprit d'épaisseur, cette façon de faire la roue au bord de l'abîme, avant d'y tomber, cette rage de paraître jusqu'au moment où l'on disparaît, tous ces défauts, misérables parce qu'on y sent à la fois l'insuffisance de la personne et la suffisance de l'individu, ce sont, dans une nation que le destin somme de renaître, les dernières expressions d'une société qui meurt» (pp. 114-5).

Le Mal, selon Bonnard, pourrait bien porter le nom très antique de diable, d'obstacle, de division, de césure, celle qui, aux yeux de l'auteur, a constitué une véritable brèche dans l'histoire de la France, et a coupé, séparé, ce qui se tenait tant bien que mal : «C'est ainsi qu'Aristote et saint Thomas se répondent, que Cicéron pourrait converser avec Lavoisier, que les plus nobles des Croisés et des Musulmans se renvoient les mêmes rayons de chevalerie, qu'un jésuite français et un sage chinois, produits par deux mondes presque sans rapports, se trouvent néanmoins face à face sur le même plan. Ces fraternités involontaires, au bout d'efforts séparés, cette rencontre suprême de ceux qui ne se sont pas cherchés, voilà, sans doute, ce que notre espèce peut offrir de plus beau; si le mot d'humanité a un sens, c'est quand il tremble comme une lueur autour de cette réunion de quelques hommes» (p. 34).

AB-1.jpgC'est la continuité de «la civilisation humaine» (p. 40) que la Révolution a brisée, alors que la royauté se faisait un devoir de la respecter : «Tels étaient les sentiments auxquels un Roi de France eût été obligé par sa fonction, alors même qu'il n'y aurait pas été porté par son caractère, dans une organisation où le pouvoir politique, bien loin de prétendre fixer lui-même les valeurs morales, se piquait au contraire d'honorer plus que personne celles qu'il n'avait pas établies» (pp. 38-9). Et Abel Bonnard d'illustrer par un long passage la vertu de l'Ancien Régime, chaîne ininterrompue de mérites, de bassesses et de médiocrités sans doute, mais surtout d'une vision verticale, capable de transcender les petites misères si bassement politiques qui forment la glu pourrie de notre époque : «Quand Harel, bonapartiste déclaré et qui, comme tel, avait âprement combattu la Restauration, brigua en 1829 la direction de l'Odéon, théâtre royal, on ne trouva pas de meilleur moyen de le recommander à Charles X que de faire valoir le dévouement qu'il avait montré pour l'Empereur tombé et Harel, en effet, eut son privilège. Quand Hyde de Neuville, en 1829, ministre du même roi, désire le faire revenir d'un choix qu'il a déjà fait, pour nommer à une place vacante l'officier de marine Bisson, il raconte au souverain la résolution et le courage que Bisson a montrés à Rochefort, en 1815, en offrant à Napoléon de lui faire percer la croisière anglaise, et cela décide Charles X. Tels étaient les sentiments, conclut Abel Bonnard, auxquels un Roi de France eût été obligé par sa fonction, alors même qu'il n'y aurait pas été porté par son caractère, dans une organisation où le pouvoir politique, bien loin de prétendre fixer lui-même les valeurs morales, se piquait au contraire d'honorer plus que personne celles qu'il n'avait pas établies» (pp. 38-9).

En somme, le Roi accepte de supporter le fardeau d'une charge qui ne devrait même pas lui incomber, puisque sa personne est le symbole et le garant d'une histoire dont il ne saurait désavouer la moindre seconde, alors que la Révolution, elle, ne peut rien assumer, puisqu'elle a prétendu tout refonder. De sorte que sa haine du passé ne peut jamais s'estimer rassasiée car, privée de légitimité, se sustentant seulement du sang de ses ennemis, il lui faut sans cesse en réinventer de nouveaux : «Ainsi cette Révolution n'est pas une chose faite une fois pour toutes, qui assure des droits égaux à tous les Français; c'est un drame qui se continue, l'effort d'un monde qui en veut remplacer un autre, et le misérable rallié, qui se croyait quitte, s'aperçoit qu'il ne se sera jamais suffisamment renié, tant qu'il ne se sera pas tout à fait détruit» (p. 57). Abel Bonnard condense sa pensée en une phrase ayant valeur de maxime, que n'eût sans doute point désavouée Joseph de Maistre : «À l'origine d'un régime d'égalité, il y a des droits établis; à l'origine d'un régime égalitaire, il y a des têtes coupées» (p. 61).

Car, s'il est vrai que la démocratie, consécration du régime égalitaire par opposition au régime d'égalité, «partout où elle est établie», finit par amener «l'abaissement de la personne humaine», alors que le régime égalitaire, lui, y tend «expressément dès l'abord» (p. 60), l'homme représentatif du présent, c'est-à-dire, aux yeux d'Abel Bonnard, le modéré qui est le sujet de son très beau livre, est en fin de compte «un homme rattrapé par le drame qu'il cherchait à fuir» (p. 54), un drame qui exige, nous l'avons vu, son anéantissement, mais aussi l'anéantissement de l'ensemble de ses représentations mentales et des mots qui sont chargés de les conceptualiser. La Révolution, si elle est un régicide, si elle représente le Régicide comme interruption brutale d'une Histoire de France plusieurs fois séculaire, est aussi, est d'abord peut-être un crime contre le langage de l'homme commun, au sens non péjoratif de l'adjectif : «Sans doute, dans ce régime dénaturé [qui est le nôtre], il arrive parfois que des hommes en place parlent sagement; ils s'émancipent jusqu'à citer un proverbe, ils osent rappeler une de ces vérités banales qui ont cessé de l'être dans un régime séparé du vrai : mais, contraires à l'esprit du système où elles sont prononcées, leurs paroles n'y résonnent pas, elles tombent à terre sans que nul les ait entendues, tandis que le moindre appel de démagogie retentit comme s'il passait par le clairon de l'archange» (pp. 62-3).

En somme, comme le savait Carlo Michelstaedter, les mots que toute démocratie utilise n'ont aucun poids, ils tournent à vide puisque le monde où ils ont grandi a cessé d'exister, et qu'ils ne sont plus capables, par leur fragilité et leur porosité, d'en faire jaillir un nouveau. Je ne sais si Renaud Camus a lu le livre d'Abel Bonnard, entre deux séances d'auto-contemplation repue, mais il est bien évident que le passage qui suit convient merveilleusement pour décrire le sens de son pitoyable combat pseudo-politique, puisque notre Narcisse devenu vieux se contrefiche du bien commun mais ne prétend servir, comme toujours, qu'une seule cause, la sienne, celle de son petit confort de châtelain jouant les seigneurs médiévaux : «La seule guerre à laquelle les jacobins ne puissent renoncer, c'est celle qu'ils font aux Français. La politique est essentiellement pour eux la guerre à l'intérieur. Il n'est pour s'en assurer que de lire les affiches électorales. Tout y respire la bataille : on n'y parle que d'armées, de camps, de drapeaux, d'assauts, de traîtres, de transfuges. Elles imposent à ceux qui les lisent l'obligation de la haine, et les ennemis qu'on désigne ainsi à chaque Français, c'est le Français d'à côté, ce sont des hommes enveloppés dans la communauté dont nous faisons partie, et pour lesquels nous ne devrions nous sentir qu'une présomption de bienveillance» (p. 64). Chacun de ces mots ou presque, enterre ou, hélas, devrait enterrer, les petites expectorations haineuses du Châtelain solipsiste, qui confond la res publica avec le diamètre, certes immense, de son nombril. Je ne m'attarderai pas davantage sur le cas, après tout banal, de notre Souchien dont l'irrédentisme catholique, opportunément apparu à une date récente, ne concerne toutefois que la seule dimension esthétique, la plus commode comme le savait Kierkegaard, du christianisme, sans avoir décoché une dernière flèche, encore empruntée au carquois d'Abel Bonnard, sur le bathmologue transi prenant la pose du nouveau saint Sébastien de la bien-pensance : «[...] on ne voit que trop de gens en qui la prostitution de l'âme a laissé intacte la virginité de l'intelligence» (p. 131). Notons que je n'ai aucun doute sur la qualité de l'âme de Renaud Camus, mes interrogations concernant plutôt son intelligence.

Quoi qu'il en soit, le régime républicain, essentiellement corrompu (2), selon Abel Bonnard, portera à tout jamais les marques de sa naissance : «Le malheur de la République est d'être née dans la haine : elle date du moment où la France s'est divisée. Elle ne pourra jamais devenir sincèrement un régime d'amitié; elle ne pourra jamais faire ce qui était si naturel à la monarchie, de prendre la France entière dans ses bras» (pp. 64-5).

Superbe expression, qui à mes yeux constitue sans aucun doute, avec celle de Georges Bernanos (de mémoire : un jeune homme à cheval qui n'a pas peur), la plus magnifique définition du génie de la royauté.
Que faire, face à un présent corrompu, duquel «l'honnête ouvrier du réel» (p. 87) est exclu, alors qu'un passé plus ou moins vivace continue, çà et là, comme des nappes résurgentes (3), à irriguer le désert du politico-théologique (une expression que Bonnard n'emploie jamais) ? La tentation conservatrice peut être une réponse. Voici de quelle belle façon Abel Bonnard définit les conservateurs : «Les conservateurs authentiques ne répugnent point par principe à tout changement, mais ils veulent maintenir dans le corps social une certaine âme, et ils sont par là les vrais poètes de la politique, au sens où le sentiment poétique achève et approfondit le sentiment du réel» (p. 79).

La réaction n'est pas loin, non plus, elle sera même évoquée quelques pages plus loin, tant le conservateur est aussi celui qui doit agir, comme l'indique cette magnifique flèche décochée dans le ventre mou du modéré: «Je rentrerai dans le passé par le raccourci que vous prenez pour le fuir» (p. 92).

Le réactionnaire se distingue essentiellement du modéré parce qu'il «nous est le reste et le témoin d'un temps antérieur au nôtre, où l'homme, au lieu de s'exprimer seulement dans des paroles et des opinions, s'imprimait dans des actes où il marquait toute sa nature» (p. 119). Et, dans un passage qu'il convient une fois de plus de citer intégralement, Abel Bonnard affirme du réactionnaire qu'il est «au bout d'un monde. Ce passé dont la plupart des Français sont si séparés qu'ils n'en conservent même plus l'idée, il y revient aisément, et par des sentiers à lui : une lecture l'y ramène, un objet, une rêverie; il rentre dans son pays par des cimetières. peut-être saisit-il mieux l'âme du monde auquel sa foi le garde attaché qu'au moment où, incorporée au réel, elle y contractait les imperfections de tout ce qui existe matériellement; à mesure qu'il perd les derniers avantages sociaux de sa condition, il est plus sûr qu'il n'y a rien d'égoïste dans ses convictions et les crevasses de son toit ne lui servent qu'à apercevoir ses étoiles. Pour les pensées et les sentiments, le réactionnaire vit dans une ruine, mais elle est à lui. Le modéré loge à l'auberge : il emprunte à n'importe qui des idées qu'il n'aura que pour un moment et il est plaisant d'observer que ces gens qui, jusqu'à ces derniers temps, ont été des hommes nantis, possédant hôtel, château ou villa, sont intellectuellement des vagabonds sans feu ni lieu» (p. 121).

AB-4.jpgToutefois, le salut réside peut-être, nous dit Bonnard, dans la présence, au sein d'une société devenue tout entière modérée, c'est-à-dire composée d'individus (belle défini comme étant «l'homme réduit par l'exigence de la vanité à l'indigence du Moi, aussi séparé de la modestie que de la grandeur», p. 248), de quelques réactionnaires, puisque certaines «âmes sont comme ces grains de blé toujours féconds que les archéologues trouvent dans les tombes de l'Égypte antique : elles se conservent dans le passé pour être semées dans l'avenir» (p. 122).

Mais ces graines, à condition de parier sur leur existence même, doivent pousser, et nous devons nous demander quel pourrait bien être l'engrais qui, dans le sol asséché de notre époque, pourrait les faire germer, puis grandir, car il n'y a rien, semble nous dire Abel Bonnard, depuis que les modérés ont modestement triomphé ou plutôt, c'est le rien qui a pris la place de quelque chose : «Une certaine faiblesse ne cesse de nous donner la nausée que pour nous donner le vertige, et au moment où nous croyons avoir le droit de la mépriser pour le peu qu'elle est, elle se défend de notre dédain par le prestige du néant» (p. 135). Bonnard va ainsi jusqu'à affirmer que les modérés sont «les femmes de la politique; ils souhaitent qu'on leur fasse une agréable violence» (p. 154)

Le langage, une fois de plus, est au cœur de la réflexion de Bonnard, puisqu'il ne cesse de fustiger celles et ceux qui ont prononcé «de grands mots qui n'avaient plus d'âme» (p. 138) ou encore qu'il note «l'inanité de certains discours, si vides qu'on n'y trouve même plus des erreurs» (p. 141), la France étant «le pays de l'émiettement» (p. 144) mais aussi celui où prospèrent les «conférences du brouillard et de la fumée», les «conciliabules du paon et du lièvre», les «dialogues des trembleurs et des importants» (pp. 144-5), le mal étant donc, selon toute apparence, sans recours, «lorsque les mots mêmes qui désignent les sentiments nobles par où l'on pourrait réagir contre ce système sont sans cesse souillés par une éloquence sans vergogne» (pp. 169-70). La consomption du langage est illustrée par cette image saisissante : «Cette interminable banderole de discours qui sort de la bouche des anciens libéraux se raccourcit à mesure qu'on approche des modérés d'aujourd'hui, et ceux-ci sont à présent si incertains et si déconfits que, nés pour être bavards, ils finissent par être muets» (p. 202).

Les esprits ou ce qu'il en reste sont donc prêts, semble nous dire l'auteur, pour être embrigadés et, sous la force, point le drame : «De ces intrigues, de ces menées, de ces turpitudes qui se protègent de notre examen par le dégoût même qu'elles nous inspirent, sortira l'événement qui ira frapper les familles heureuses autour de leur lampe et un poète solitaire auprès de la sienne», car, comme l'explique Abel Bonnard : «Lorsque l'élément dramatique qui n'est jamais absent de la politique cesse d'être inclus dans l'effort que des hommes supérieurs, ou au moins honnêtes, font pour maîtriser des difficultés toujours renouvelées, il ne se retire de l'agitation des individus que pour reparaître dans les circonstances qui les entourent et dans les menaces qui les surplombent. Plus la comédie politique s'avilit, plus le ciel noircit au-dessus d'elle, et quand elle est réduite à une farce qui ne fait rire que les étourdis, c'est alors que, sur cette bouffonnerie, on entend le grondement paresseux, langoureux, rêveur, le murmure presque pareil à un roucoulement du premier tonnerre» (pp. 150-1). Nous sommes en 1936 et, à vrai dire, ce n'est pas exactement le premier coup de tonner que les hommes de cette époque ont pu entendre : «Il n'est que trop aisé de mener des hommes à l'assaut de tout ce que l'homme a conquis sur la brutalité de sa propre nature; il suffit de mêler les idées folles aux passions sombres; il suffit de distribuer aux instincts le drapeau des grands mots : il suffit d'enrôler pêle-mêle les hommes de la haine et les hommes de la chimère, ceux qui ne se trompent pas sur ce qu'ils veulent détruire et ceux qui s'abusent sur ce qu'ils peuvent créer» (pp. 135-6).
Il nous reste peut-être quelque chance de nous sauver du naufrage. Tout d'abord, bien qu'il la comprenne, Abel Bonnard condamne la tentation de l'action révolutionnaire, qu'il peint ainsi : «Quand une société qui ne vit plus que par survivance se désagrège en hommes épars, qui ne sont sauvés de leur pauvreté intérieure par aucun rapport avec un fonds commun à tous, sans terroir, sans religion, sans disciplines, fonctionnaires ennuyés de leur emploi, artisans dépris de leur métier, ouvriers qui n'aiment plus leur besogne et qui ont, trop souvent, une besogne qu'ils ne peuvent pas aimer, comment ces individus désintégrés pourraient-ils essayer de revivre autrement que par des opinions révolutionnaires ? Comment le grain de poussière rentrerait-il dans le drame universel, sinon par la turbulence des vents ? (p. 175).

Abel_Bonnard_1933.jpgToutefois, la Révolution, selon l'auteur, «est par essence incapable de procurer à ses partisans ni les plus hautes, ni les plus profondes des joies qu'on trouve dans l'amour de l'ordre, mais on s'expliquerait mal sa puissance, si l'on n'avait pas compris que, dans le monde décomposé d'aujourd'hui, elle dispense à ceux qu'elle asservit le rudiment informe et honteux des jouissances que l'ordre assure à ceux qui le servent. Les révolutionnaires appartiennent encore au désordre par la volupté de détruire, mais ils rentrent malgré eux dans l'ordre par le bonheur d'obéir» (pp. 177-8). Ainsi, les «révolutions sont les temps de l'humiliation de l'homme et les moments les plus matériels de l'histoire. Elles marquent moins la revanche des malheureux que celle des inférieurs. Ce sont des drames énormes dont les acteurs sont très petits» (p. 181), ce constat étant suivi de quelques portraits sans la moindre complaisance des révolutionnaires français les plus connus.
Pourrait-on confier la destinée de la France à certains de ces hommes qui, «dans de grands postes et parfois avec des talents supérieurs, avaient, en servant la République, essayé malgré elle de servir l'État.» Suit alors une superbe évocation, que l'on dirait bernanosienne dans son rythme et sa cruauté assoupie, de ces personnages : «Certains de leurs propos me prouvaient qu'ils avaient fait la somme de leurs observations, et qu'ils jugeaient la démocratie pour ce qu'elle vaut. Mais ils ne parlaient ainsi devant moi que parce qu'ils étaient sûrs de ma discrétion, ou peut-être même, par moments, parce qu'ils oubliaient ma présence; j'écoutais alors, non sans une émotion singulière, ce murmure de toute une vie, pareil à la rumeur d'une ville, et où, dans le bourdonnement confus des réminiscences, sonnait parfois une vérité plus nette, comme, dans la vapeur sonore qui monte des toits, tinte le marteau d'un forgeron» (pp. 197-8).

Un autre secours, qu'il ne faut pas négliger même s'il s'agit d'en indiquer les limites et les dangers, est celui d'un recours à la dictature. Je ne sais si Abel Bonnard a lu Donoso Cortès, mais il est évident qu'il a lu Joseph de Maistre : «Je manquerais à la haute idée que je me fais de l'Ordre, si je chantais ici la louange des dictatures. Elles ne peuvent être regardées que comme le remède très pénible d'un mal très profond, l'expression rudimentaire de l'ordre lorsqu'il s'oppose au chaos; elles se justifient surtout par ce qu'elles ont empêché et c'est précisément un des griefs les plus graves qu'on puisse faire à la démocratie, que de rendre nécessaire ce régime où elle se continue encore, quoiqu'il ait l'air de la démentir» (p. 280). Abel Bonnard évoque le personnage des dictateurs de la façon suivante : «S'il est très douteux qu'ils soient des grands hommes, il est très certains qu'ils sont éminemment des hommes; tout leur effort en fait foi, et cette valeur virile suffit à les mettre de mille coudées au-dessus des politiciens; ils n'ont pas fait leur carrière par des tricheries et des bassesses, mais par la lutte et par la prison, et ayant engagé toute leur personne dès leurs premiers actes, jamais ils ne l'ont exposée davantage que dans le poste suprême où ils sont des chefs pour être des cibles» (p. 281).

Pourrait-on espérer un secours de la part du langage, à condition qu'il ne soit pas utilisé frauduleusement et que l'on n'appelle pas ainsi le «cynisme de la fin» sagesse, la «fureur du milieu» énergie, et «l'étourderie du commencement générosité» (p. 207), à condition qu'il ne soit pas seulement l'apanage du seul «orateur politique, baryton des beaux sentiments, qui ne les exprime jamais avec plus de faste que lorsqu'il les éprouve à peine» (p. 223), et que, enfin, il ne s'écarte point de la réalité jusqu'à constituer une espèce de bulle malodorante et spécieuse sans le moindre rapport avec elle (cf. p. 211) ? Il n'y aura en tout cas «pas de postérité, Abel Bonnard nous l'assure, pour ceux qui ont laissé s'abîmer un monde, car ce que nous appelons de ce nom, ce n'est que notre civilisation qui dure après nous» (p. 212).

A contrario, le grand homme, lui, qu'il s'agisse de Napoléon ou du comte de Chambord, laisse une postérité bien lisible, indubitable, et jamais nous ne pourrions le considérer comme l'auteur de la phrase de Ledru-Rolin, involontairement comique : «Je suis leur chef, il faut que je les suive» (p. 217). Le grand homme, lui, comme «Napoléon passe au-dessus d'une époque dont il ne porte rien en soi comme la comète d'un Moi monstrueux qui entraîne dans sa queue tous les Moi minuscules d'une société désagrégée : il sort du gouffre des siècles, sans qu'on sache exactement duquel il revient, et entouré de signes fascinants qu'on a peine à lire et où l'on croit voir des cimeterres, des diadèmes, des sceptres qui sont encore des bâtons, il flamboie au-dessus de tous les parleurs, qu'il excite autant qu'il les a méprisés» (pp. 215-6). On croirait lire Léon Bloy lorsqu'il évoque le mystérieux et torve serviteur de Dieu que fut l'Empereur !

Les «grands hommes d'action sont des dons imprévus que le génie de l'humanité fait à son histoire», et Abel Bonnard d'affirmer que les grands hommes forment une espèce de communauté totalement à l'écart du reste des hommes : «leur âme ne nous renseigne pas mieux sur les sociétés d'où elle s'élève, que la cime des plus hautes montagnes sur les pays d'où elles se dégagent, et, au faîte du génie de Jules César, on ne se sent pas plus dans l'histoire romaine, qu'en parvenant au haut du Mont Blanc, on ne se souvient qu'on est en France; les sommets de l'homme, comme ceux de la Terre, échappent à leur enracinement local, et, d'où qu'ils surgissent, les mêmes qualités suprêmes miroitent doucement sur eux, comme sur les monts les plus hauts de l'Europe ou de l'Asie brillent les mêmes glaciers et les mêmes neiges» (pp. 213-4).

Les dernières pages des Modérés sont aussi remarquables et bien écrites (4) que le reste de l'ouvrage, qui évoquent aussi brillamment que méchamment la figure d'Adolphe Thiers comme contrepoint grotesque de celle de l'Empereur (cf. p. 254), moquent les prétentions de Hugo (cf. p. 230 et sq.) et plus généralement celles du romantisme (5), professent une nouvelle fois, devant l'évidence que «la République telle qu'elle est ne peut plus suffire aux circonstances où la France est placée» (p. 273), un amour et une admiration immodérés pour la royauté, ce modèle politico-social de cohérence maximale, «les deux extrémités d'une hiérarchie où tout se tenait» (p. 265) dont le faîte se trouvait dans la gloire et la base dans l'honneur, cette forme de poésie après tout, qui permet à cette dernière de s'implanter dans «l'ordre pratique», pouvant ainsi mettre «au-dessus d'un peuple un signe où il peut toujours rassembler son âme» (p. 261), les peuples ne se rattachant point par raison à la sagesse, «mais par un ensemble de traditions saintes, d'usages, de mœurs, où des sentiments plus hauts ou plus profonds que la raison voisinent avec un bon sens plus sûr qu'elle» (p. 257).

L'ennemie est la démocratie qui a tout avilit, et d'abord le rapport au réel des Français, les hommes, ce «printemps d'hommes» (p. 299) comme le dit magnifiquement l'auteur, étant «de ce régime où tout ment, et qui trompe autant qu'il se trompe, où tout est obscène sans que rien soit franc, où le mot de progrès désigne une décadence, où le mot de laïcité est l'étiquette d'une religion, et qui n'est jamais moins humain que lorsqu'il se targue de philanthropie; ils sentent que, s'il est inévitable que nous soyons sujets à l'erreur, il ne l'est pas que nous soyons ses sujets» (p. 300).

Il faut donc «marier de nouveau la France au réel; nous ne devons échapper à notre présent récent que pour nous retremper dans un passé antérieur, plus profond et plus nourricier, où nous redevenons des hommes complets en nous rattachant à des Français qui le furent. Une France est finie, il ne faut pas que la France le soit» (p. 296).

C'est par là, sans doute, cette rupture entre le monde réel et les politiciens, puis un peuple tout entier, que l'analyse d'Abel Bonnard est profonde, et rejoint du reste celle d'un Bernanos dans La Grande peur des bien-pensants, séparation jamais mieux instaurée, nous l'avons vu, que par la Révolution française, puisque la «fausse monnaie de l'esprit a précédé l'autre, et avant que le Français de la Révolution eût les poches bourrées de billets qui ne valaient rien, le Français du XVIIIe siècle a déjà pensé en assignats» (p. 293), la «France d'à présent [étant] au terme d'une phase de son histoire, qui a ses commencements visibles au XVIIIe siècle» (p. 292).

AB-6.jpgNous en sommes là, et force est d'admettre que la situation présente, dans ses grandes lignes du moins, n'a pas beaucoup changé, a même, sans doute, empiré, depuis l'époque où Abel Bonnard a écrit son pamphlet aussi juste et beau qu'implacable, droite et gauche confondues dans une même critique dont la hauteur et la puissance impressionnent : «Les circonstances où nous sommes auront paru vainement, si elles ne donnent pas lieu à une rentrée de l'homme. Les crises ne font jamais que nous sommer d'être nous-mêmes; les choses aboient autour de nous pour provoquer quelqu'un qui les dompte, et cette même clameur qui donne aux âmes lâches l'envie de s'enfuir donne aux âmes fortes celle de se montrer» (p. 290, je souligne).

Abel Bonnard se montre en tout cas confiant pour la suite des événements, car il «est fini, cet âge intermédiaire où chacun des Français pouvait encore jouir égoïstement d'un ordre qu'aucun d'eux ne travaillait plus à soutenir, où les démolisseurs eux-mêmes étaient logés dans le palais dont ils faisaient une ruine, où la Démocratie, héritière ingrate du Passé, vivait, en l'insultant tous les jours, des ressources qu'il lui avait laissées» (p. 289), alors même que «le régime parlementaire ne se perfectionne que pour s'isoler de toutes les questions qu'il devrait résoudre», et que le «politicien devient le parasite d'une société et d'une nation qu'il détruit ou laisse détruire; il vit de nous sans vivre pour nous et la démocratie à son comble offre ce contraste singulier, que tout le monde semble s'inquiéter du sort de l'État, et que personne ne s'en occupe : il y a de la politique partout, et il n'y a des politiques nulle part» (p. 285, je souligne).

Notre société, coupée du réel selon Abel Bonnard, ne donne plus que l'apparence de la force ou, tout simplement, de la vie, alors qu'elle n'est pas morte sans doute (selon l'auteur) mais mourante, comme il l'évoque dans ce passage qui se conclut par une image saisissante : «Nous n'aurons vraiment rien pu sur les lecteurs de ce livre, si nous ne les laissons pas persuadés que la violence des opinions n'est aujourd'hui, chez nous, dans l'immense pluralité des cas, que le dernier degré de l'abandonnement, et le dévergondage de l'impuissance. Il suffirait, pour s'en convaincre, de regarder ces manifestations révolutionnaires où des foules à la fois molles et haineuses portent sur leurs flots un député d'extrême-gauche, resté malgré lui petit bourgeois, comme les inondations charrient un fauteur Voltaire» (pp. 282-3).

Il faut agir car, pendant que «les esprits reviennent au vrai en charrette, les événements arrivent sur nous en rapide, et si nous ne sommes pas prêts avant qu'ils soient là, et qu'ils ne trouvent pas des hommes capables de les dominer, il importera assez eu que le soleil de l'irréparable se lève sur des cerveaux qui étaient paresseusement en train de guérir» (p. 305).

Il faut agir, en fondant l'action sur des opinions fortes qui, nous dit l'auteur, ne sont pas des opinions violentes, celles-ci s'en prenant à des hommes, celles-là remontant à des causes (cf. p. 310), il faut agir, en remettant à l'honneur la «recherche de la vérité [qui] est une fête par elle-même, de quelque peine que les résultats où elle nous mène puissent affliger notre cœur» car, «toutes les fois que l'incandescence de la pensée se ternit d'une couleur, c'est qu'un des sentiments de l'individu s'est insinué indûment dans une activité qui ne s'accomplit que si elle les ignore» (p. 317).

Il faut agir, car la «crise est si tragique et si décisive que les tombeaux eux-mêmes s'intéressent pour son issue, le fantôme de César erre par toute l'Europe, comme celui de Gengis-Khan passe dans les horizons de l'Asie, et sans doute les morts obscurs reviennent aussi, si bien que tel Français ordinaire qui, hier, pérorait selon la rhétorique inepte d'un parti, sent tout à coup la pression humble et puissante de tous ceux dont il est sorti, qui lui demandent d'avoir plus de raison qu'il n'y a de confusion dans les choses, et plus d'âme qu'il n'y a de matière en elles» (pp. 322-3).

Il faut agir et, pour agir, l'homme doit se tourner ou plutôt se retourner vers l'esprit, «car l'action ne peut se chercher de sources qu'au-dessus d'elle» (p. 323).

Il faut agir, en retrouvant le sens d'une action qui serait incarnée dans et par un homme, et non un individu qui «partout ne s'abîme que pour transmettre l'âpreté de son Moi minuscule au Moi énorme des nations» (p. 324).

Je conclurai cette note trop longue et pourtant si imparfaite par les dernières lignes d'Abel Bonnard, en souhaitant que ses Immodérés soient réédités par une véritable maison d'édition (Grasset, par exemple ?) plutôt que par le plaisantin Alain Soral : «On peut dire que c'est là le monde de la force et cependant c'est surtout celui de la faiblesse, car toutes les forces qu'on y voit titubent à la recherche d'une âme; on peut dire que c'est le monde des passions, et c'est d'abord celui de la peur, présente dans le cœur même de ceux qui prétendent l'inspirer, tant les chefs et les nations s'effrayent de ne pas savoir où ils vont et d'être forcés d'aller. Ces machines contre lesquelles l'homme doit lutter, à la fin d'une époque immense, comme Hercule, au commencement, dut lutter contre les monstres, ces usines aussi funestes à l'homme dans leur prospérité que dans leur détresse, dragons qui noircissent le ciel de leur fumée, quand ils sont vivants, et qui, lorsqu'ils sont morts, empoisonnent la terre de leur corruption, ces villes qui ne sont devenues énormes que pour être des cibles qu'aucun projectile ne pourra manquer, ces capitales qui tentent l'incendie avec leurs musées trop pleins et qui ne semblent avoir rassemblé le trésor de l'homme que pour l'offrir à la destruction, ces peuples qui se tournent insensiblement en armées, ces foules effilochées de France, ces foules plus denses d'Italie, ces foules carrées d'Allemagne, durcies en bataillons, pareilles à des pièces d'échecs prêtes à êtres poussées sur un échiquier, ce ciel noir aux trouées livides, au fond duquel s'enfuient comme des ramiers nos derniers plaisirs, et d'où les astres eux-mêmes épanchent leurs influences sur l'agitation des hommes, tout cela nous présente le spectacle d'un jour dont nous ne savons pas la saison, car rien ne ressemble aux troubles où naît le printemps comme les tumultes où meurt l'automne. Cependant ce monde informe, limoneux, diluvien, ce n'est que le terrain de chasse de l'Esprit» (pp. 325-6).

Notes

(1) Abel Bonnard, Le drame du présent. Les Modérés (Grasset, 1936), p. 12.
(2) «En un mot, lorsque la meilleure partie de la nation a laissé se faire des régimes qu'elle n'a pas faits, ou elle s'étiole en refusant de les servir, ou elle se dégrade si elle les sert» (p. 77).
(3) Je cite in extenso ce magnifique passage : «Il n'est que trop aisé de montrer par quels sentiments la France n'a plus voulu être royaliste; mais il faudrait une touche plus fluide et plus délicate pour marquer par combien d'endroits elle est demeurée royale : il lui est arrivé le plus triste malheur dont une grande nation puisse être frappée : en l'excitant à se méconnaître, on a fait d'elle un pays interrompu, un peuple acharné contre soi; mais ce passé dont on l'a séparée par un énorme barrage, s'il ne coule plus dans le présent avec opulence, y suinte et s'y insinue cependant par mille infiltrations secrètes; ce domestique qui ne croit pas nécessaire d'opposer son âme aux maîtres qu'il sert, cet artisan qui ose encore s'appliquer à sa besogne, ce cuisinier qui fait commencer son art dans l'excellence des denrées, pour l'achever dans la succulence des plats, ce libraire qui ne s'interdit pas de glisser un regard curieux dans les vieux livres qu'il vend, ces deux lettrés qui se promènent à l'automne sur le mail, en foulant des feuilles mortes précieuses et vaines comme les sages pensées qu'ils échangent, participent encore d'un autre monde, même à leur insu : il y a parmi eu des aristocrates obscurs, et jusqu'à des princes cachés» (p. 98).
(4) La simplicité des moyens dont use Bonnard, parfois abuse il est vrai, est confondante, puisqu'il se contente d'insuffler à ses phrases un balancement binaire, dont l'effet de contraste est souvent réussi tel que : «Il ne peut nous éloigner de lui par ce qu'il affecte, qu'il ne nous ramène à lui par ce qu'il est» (p. 230) ou «Dès qu'il ne s'agissait plus d'être fort dans la mesure où l'on se commande, il ne resta qu'à le paraître dans la mesure où l'on s'abandonne» (p. 180).
(5) «Mais l'ampleur du spectacle ne doit pas nous tromper sur sa nature. Rien ne fait tableau comme la chute et la ruine éblouissante d'un grand fleuve, et ce grondement de discours, ces arcs-en-ciel de poèmes, ces feux des idées trempés dans les gouttelettes des mots, ce n'est pourtant que l'Homme qui tombe» (p. 240).

samedi, 03 septembre 2016

Pierre-Antoine, l'autre Cousteau

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Chronique de livre : Jean-Pierre Cousteau « Pierre-Antoine, l'autre Cousteau »

Jean-Pierre Cousteau, Pierre-Antoine, l'autre Cousteau

(Via Romana, 2016)

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

Figure souvent oubliée ou négligée du combat de plume mené sous l'Occupation, Pierre-Antoine Cousteau -ou PAC- (1906-1958), le frère aîné du célèbre commandant Cousteau (d'où le titre : l'autre Cousteau) méritait d'être remis à l'honneur. Si plusieurs publications récentes (son Proust digest ou le recueil d'articles de Je Suis Partout que j'avais chroniqué en ces pages) ont permis de redonner une certaine actualité à ce talentueux et louable combattant qui fut « le plus grand polémiste de sa génération » selon certains, il nous manquait à son sujet une biographie en bonne et due forme venant compléter l'étude de Benoît Loeuillet consacrée au parcours journalistique de PAC entre 1932 et 1944 et qui avait paru il y a une bonne dizaine d'années maintenant.

PAC-641298.jpgEcrite par son fils, Jean-Pierre Cousteau, la présente biographie se base sur un corpus de documents souvent inédits, à savoir la correspondance de PAC (avec sa femme lorsqu'il était détenu mais pas seulement) et son journal de prison (Intra muros, qui devrait être publié prochainement pour la première fois). Si l'auteur s'efforce de rester objectif quant au parcours et aux choix de son père, son témoignage est évidemment emprunt d'amour filial mais aussi d'une certaine fierté exprimée très élégamment. Et il peut être fier : PAC n'était pas n'importe qui !

Esprit vif et alerte dès son plus jeune âge, cultivant la liberté de pensée, PAC ne faisait pas partie des tièdes. C'était un homme d'engagement, ne pouvant se résoudre à rester silencieux en une période qu'il savait fondamentale pour l'avenir de l'Europe. Pacifiste depuis toujours mais abusivement présenté comme un horrible « nazi français », PAC l'inclassable (« anarchiste de droite et de gauche » selon son fils) paya comme tant d'autres le prix fort pour avoir été un ennemi implacable de la démocratie parlementaire et du communisme...

Rien ne le prédisposait pourtant à un tel destin... Ni sa famille, ni son parcours scolaire, ni même ses premières idées politiques très à gauche. Devenu journaliste au début des années 1930, il se fait vite remarquer par la qualité de ses écrits et embrasse la cause fasciste auprès de Pierre Gaxotte qui le fait rejoindre le fameux journal Je Suis Partout. PAC y vécut une véritable aventure de presse marquée par des amitiés qui le suivront toute sa vie (Brasillach, Soupault... mais surtout Rebatet) et un engagement sans faille pour une France régénérée au sein d'une nouvelle Europe. Très critique envers Vichy, Laval, Luchaire et même Abetz, PAC fait figure de dur au sein du petit monde de la collaboration jusqu'à ce que les événements de 1944 le poussent à fuir en Allemagne puis en Autriche. Arrêté fin 1945 par la police française, il est condamné à mort. Comme on le sait, PAC ne connaîtra pas le sort qui fut réservé à Brasillach. Il passera 8 ans en prison, ayant finalement été gracié -au même titre que Rebatet et d'autres- par Vincent Auriol. Dernier journaliste « collaborateur » à être libéré en France, il sortira affaibli de cette longue épreuve et sera terrassé par la maladie en 1958, à seulement 52 ans.

La particularité du livre de Jean-Pierre Cousteau est qu'il fait la part belle aux huit années de prison que subit son père. Ce dernier, dans les écrits mentionnés plus haut, fait état de son quotidien de prisonnier, de ses occupations (le sport mais surtout la lecture et l'écriture) mais aussi de ses pensées les plus profondes sur son parcours, la vie, son époque etc. Je me suis délecté de ces nombreuses pages de réflexion d'un homme libre (par l'esprit) ne se plaignant jamais de son sort et qui regarde de haut la comédie humaine et sa petitesse. Voici par exemple ce que PAC écrivit le 9 juin 1953, peu avant sa sortie de prison :

« Ce n'est pas parce que je refuse toute valeur à la loi du nombre érigée en système de gouvernement qu'il faut méconnaître les indications du suffrage universel. Le système est déplorable pour l'administration de la chose publique. Mais il est précieux (…) dans la mesure où il permet de savoir ce que veut une nation. Elle se juge à son choix. Les peuples « asservis » ont le bénéfice du doute. Pas les peuples démocratiques. Les Français ont trop montré qu'ils préféraient à quiconque Herriot, Blum, Auriol, Bidault, Moch et Teitgen pour qu'il soit possible de s'obstiner à les estimer. »

Servies par un style d'écriture savoureux, une grande intelligence et souvent même par un humour très fin, ces pages permettent de mieux comprendre ce personnage perdu dans une période si vile de l'histoire contemporaine (la « libération » et tout ce qui a suivi). Bien évidemment, les événements liés à l'épuration sauvage de notre pays sont souvent évoqués alors que lui croupit derrière les barreaux. PAC constate à quel point les vainqueurs et leur simulacre de justice salissent ceux qui ont cru dans un autre modèle pour l'Europe :

« Le sadisme des « épurateurs » consiste justement à créer cette confusion en mélangeant sous l'étiquette « collaborateurs » les adversaires politiques et les simples fripouilles dont il aurait fallu de toute façon se débarrasser même si la guerre avait tourné autrement. »

Feignant de s'étonner des horreurs de l'épuration, « effroyable explosion de bestialité », il ironise sur le silence des « belles âmes » de son temps :

« Elles n'ont rien su, rien vu, rien entendu. Elles ont ignoré que dans les villes de France on promenait sur les places publiques des femmes tondues, nues, marquées au fer rouge. Elles ont ignoré que dans toutes les prisons de France, on suppliciait des détenus ramassés au petit bonheur, avec des raffinements de férocité qui font paraître dérisoire la science des bourreaux chinois. (…) pour rien, pour le plaisir. »

cousteau_pierre-antoine.jpgVomissant la faiblesse et la tiédeur (Mais pourquoi avoir choisi Franz-Olivier Giesbert pour préfacer le livre ? PAC en aurait été horrifié!), PAC était de cette race d'hommes faisant passer l'honneur avant tout. Il se tint toute sa vie la tête haute et paya fort cher (que ce soit à un niveau personnel ou familial) cette vertu. Vouloir combattre pour ses idées, ne pas se taire face à la décadence de son temps, il en avait fait sa raison de vivre. « Je n'ai à me justifier devant personne. Une seule chose était inconcevablement déshonorante, c'était de ne pas prendre parti. » disait-il... Oui, PAC a souhaité la victoire de l'Allemagne nationale-socialiste, « la dernière chance de l'homme blanc ». C'était logique pour lui et il s'en expliqua longuement lors de son procès, en 1946. « Epouvanté par la décadence de la France » ayant mené à la débâcle de 1940, persuadé que le libéralisme économique avait fait son temps et que seule l'option du socialisme national était désormais possible, PAC considérait qu'il n'y avait que cette solution qui aurait permis à la France de rester elle-même et d'aller de l'avant. Pacifiste, son antisémitisme se voulait avant tout une réaction à la déclaration de guerre des communautés juives du monde entier envers le IIIe Reich dès 1933.

Pierre-Antoine, l'autre Cousteau est complété de riches annexes où l'on trouvera plusieurs articles de PAC écrits dans les dernières années de sa vie pour Rivarol ou d'autres publications. C'est une excellente initiative ! Le livre se termine d'ailleurs par le superbe et émouvant « Testament et tombeau de PAC » publié par Lucien Rebatet peu après la mort de son ami. Je ne résiste pas à l'envie d'en reproduire les dernières lignes :

« Nous ne pouvons, hélas ! Ni remplacer PAC ni l'imiter. Il est irremplaçable et inimitable. Il ne nous reste qu'à poursuivre notre tâche de notre mieux. Quand bien même nous serions recrus de dégoût et de lassitude devant les bassesses et la monotonie de la lutte politique, la disparition de Cousteau nous fait un devoir de persévérer. Nous le lui avons tous promis. Je sais que ce fut une de ses dernières satisfactions. Peut-il exister promesse plus sacrée que celle faite à un tel combattant ? »

Rüdiger / C.N.C.

Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.

 

vendredi, 02 septembre 2016

Ezra Pound: décadence des lettres, décadence de la Nation

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Ezra Pound: décadence des lettres, décadence de la Nation

Ezra Pound est la figure majeure de la poésie du XXe siècle. Qu’il s’agisse de ses fameux Cantos, comme de ses abécédaires (et de son  Comment Lire), l’œuvre poundienne constitue une incontournable source d’appréhension et de compréhension de la littérature, comme de la poésie. Cela étant, au travers de ses essais et de ses poèmes, Ezra Pound établit à plusieurs reprises une corrélation entre la décadence littéraire d’une nation et la décadence de cette nation elle-même. Si le langage et la littérature entretiennent des liens évidents, Pound remarquait que la régression littéraire engendrait forcément une régression du langage, et fatalement celle de la culture nationale : « si la littérature d’une nation décline, cette nation s’atrophie et périclite ». S’il évoquait déjà subrepticement la question dans Comment lire, c’est dans son ABC de la lecture qu’il aborda au fil des chapitres le drame du déclin littéraire comme déclin national, dans l’indifférence la plus totale, sinon dans la joie de la masse de consommateurs acculturés.

Si Comment Lire était un pamphlet auquel on reprocha cependant de ne pas aller suffisamment au fond des choses, Ezra Pound se rattrapa dans ABC de la lecture qui doit être lu comme un complément au premier livre où il  y développa sa propre doctrine  littéraire, mais surtout sa propre doctrine du langage. Or, comme la littérature est « du langage chargé de sens », la « grande littérature est tout simplement du langage chargé de sens au plus haut degré possible ». Ainsi, pour Ezra Pound, « le Langage a été manifestement créé pour – et sert manifestement à – la communication » (communication ne s’entendant pas dans son acception moderne qu’est celle du marketing, bien évidemment). De la sorte, lorsque la littérature connaît une phase de déliquescence, cela influe fatalement sur le langage, et donc sur la communication entre les hommes. Pire même, c’est la culture de la nation qui subit cet avilissement ; en s’accoutumant au médiocre, l’homme finit par le considérer comme une normalité des plus banales, avant de le confondre avec l’excellence, puisqu’« un peuple qui croît dans l’habitude d’une mauvaise littérature est un peuple sur le point de lâcher prise sur son empire et sur lui-même ».

« L’Homme sensé ne peut rester assis tranquillement à ne rien faire quand son pays laisse mourir sa littérature, quand la bonne littérature ne rencontre que le mépris, de même qu’un bon docteur ne peut avoir la conscience tranquille quand un enfant ignorant est en train de s’inoculer la tuberculose comme s’il s’agissait simplement de manger des tartes à la confiture. »

-Ezra Pound-

ABC-de-la-lecture_8103.jpgLes causes de l’avilissement du langage selon Ezra Pound convergent avec les observations que fit Pasolini quelques années plus tard dans Empirisme Hérétique ; il pointe les dégâts que cause l’Usure, mais aussi le catholicisme qu’il percevait comme une religion castratrice, en prenant comme point d’appui la décadence de Rome qui transforma « de bons citoyens romains en esclaves ». De fait, si Dieu est aussi mort aux yeux de Pound, l’hégémonie culturelle des sociétés modernes est aux mains de la Technique. Si le degré hégémonique de cette dernière indique le niveau de décadence d’une civilisation, Ezra Pound estime que c’est d’abord la littérature, et donc le langage, qui en pâtit la première, car si « Rome s’éleva avec la langue de César, d’Ovide et de Tacite. Elle déclina dans un ramassis de rhétorique, ce langage des diplomates « faits pour cacher la pensée », et ainsi de suite », dit-il dans ABC de la Lecture. La critique d’Ezra Pound ne diffère guère de celle de Bernanos ou de Pasolini sur ce point, outre le fait qu’il aille plus loin dans la critique, n’hésitant pas à fustiger les universités, au moins étasuniennes, comme agents culturels de la Technique, mais aussi l’indifférence navrante de ses contemporains. Le triomphe des Musso, Levy et autre Meyer ne trouve aucune explication logique, tout du moins sous le prisme littéraire. Seules les volontés capitalistes des éditeurs – se cachant sous les jupes du « marché » qu’ils ont pourtant façonné – expliquent leur invasion dans les librairies. Comme il l’affirme dans Comment Lire, « Quand leur travail [des littérateurs, ndlr] se corrompt, et je ne veux pas dire quand ils expriment des pensées malséantes, mais quand leur matière même, l’essence même de leur travail, l’application du mot à la chose, se corrompt, à savoir devient fadasse et inexacte, ou excessive, ou boursouflée, toute la mécanique de la pensée et de l’ordre, socialement et individuellement, s’en va à vau-l’eau. C’est là une leçon de l’Histoire que l’on n’a même pas encore à demi apprise ».

En lançant pareille provocation, Ezra Pound se refusait cependant à tout élitisme. Au contraire, puisqu’il jugeait l’état littéraire d’une nation comme représentative de sa santé culturelle et politique. Il anticipa néanmoins les critiques de ses détracteurs en déplorant qu’« il [soit] très difficile de faire comprendre aux gens cette indignation impersonnelle qui vous prend à l’idée du déclin de la littérature, de ce que cela implique et de ce que cela produit en fin de compte. Il est à peu près impossible d’exprimer, à quelque degré que ce soir, cette indignation, sans qu’aussitôt l’on vous traite « d’aigri » ou de quelque autre chose, du même genre. »

C’est justement cette incapacité à réagir, et même cette propension incompréhensible à applaudir l’avilissement que provoque la culture de masse, qui hérissait Ezra Pound. Le poète s’accorde plusieurs apartés dans Comment Lire où il raille cette hégémonie de la Technique sur la création. Alors que la poésie, et la littérature, sont chargés de sens, il voyait dans l’avènement des pseudo-manuels du bon écrivain non pas une réelle méthodologie comme celles qu’il aborda dans ABC de la Lecture, mais une recette qui fonctionnerait à tous les coups pour fainéants qui souhaiteraient avoir du succès en matière littéraire, au détriment de la connaissance et du savoir. « Le mépris général voué au « savoir », le mouvement de recul du grand public devant tout livre réputé « bon » et, d’autre part, les publicités flamboyantes sur le mode « Comment avoir l’air de savoir quand on ne sait rien », auraient pu indiquer depuis beau temps aux âmes sensibles que quelque chose cloche dans les méthodes contemporaines de diffusion des belles-lettres »

« Un premier larron invente quelque chose, un deuxième met en valeur, ou plusieurs douzaines généralisent un enthousiasme ou une surabondance mousseuse ou onctueuse, après quoi un dernier tente de remettre de l’ordre. Par exemple, l’estimable Pléiade émascule la langue française, et les classiques anglais, etc., toutes choses bonnes à reléguer en zone subsidiaire : intérêt pour une époque, intérêt historique, bric-à-brac pour musées. »

-Ezra Pound-

Littessays.jpgCette glorification de la médiocrité, Ezra Pound la voyait d’autant plus dans la reproduction hédoniste à laquelle s’adonnent certains scribouillards dans le but de connaître un succès commercial. Aujourd’hui, plus que jamais, la réussite d’un genre littéraire entraîne une surproduction incestueuse de ce même genre, comme c’est notamment le cas en littérature de fantaisie, où l’on vampirise encore Tolkien avec autant de vergogne qu’un charognard. Si la « technicisation » de la littérature comme moyen créatif, ou plutôt en lieu et place de toute création, devient la norme, alors, comme le remarquait plus tard Pasolini, cela débouche sur une extrême uniformisation du langage, dans une forme déracinée, qui efface petit à petit les formes sophistiquées ou argotiques d’une langue au profit d’un galimatias bon pour les robots qui présentent le journal télé comme on lirait un manuel technique. Les vestiges d’une ancienne époque littéraire ne sont plus que le fait de compilations hors de prix et d’hommages ataviques afin de les présenter au public comme d’antiques œuvres dignes d’un musée : belles à regarder, mais réactionnaires si elles venaient à redevenir un modèle. Ezra Pound disait que « le classique est le nouveau qui reste nouveau », non pas la recherche stérile d’originalité qui agite la modernité comme une sorte de tautologie maladive.

jeudi, 01 septembre 2016

Wij moeten Stijn Streuvels bevrijden!

Wij moeten Stijn Streuvels bevrijden!

Toon Breës zuivert het blazoen van de grote letterkundige

Wij moeten hem uit het literaire museum halen

Gaston Durnez

Ex: http://www.doorbraak.be

ststbrowse.jpgWij moeten Stijn Streuvels uit het literaire museum halen! Wij moeten hem definitief bevrijden van het imago van een gedateerde, landelijke, regionale, particularistische, West-Vlaamse heimatschrijver.

Dat betoogt Toon Breës in een van de opmerkelijkste studies die de jongste jaren aan een Vlaamse auteur zijn gewijd. Met een omvangrijk boek van bijna duizend pagina’s vernietigt Breës de clichés die in de loop der jaren over de grote taalkunstenaar en sterke romancier ontstonden. Zo zuivert hij definitief de reputatie die men Streuvels in en na de twee wereldoorlogen heeft toegedicht en die men hem lichtzinnig en soms bewust blijft opplakken. Een van de hoofdstukken van het boek draagt de titel : ‘Een opzettelijke nazificatie van Stijn Streuvels’.

Toon Breës (77), een Kempenaar, licentiaat Germaanse filologie, is een bekende naam in de Antwerpse onderwijswereld, waarin hij jarenlang bedrijvig was. Zijn oud-studenten huldigen hem als een leraar met grote taalkundige belangstelling. Auteurs als Ivo Michiels, Hugo Claus, Leo Pleysier stonden hoog op zijn programma. Maar Streuvels was en bleef de Meester, om meer dan één reden, niet het minst vanwege zijn eigen kunsttaal.

Als student schreef Breës een verhandeling over Streuvels en zond ze hem toe. Prompt kreeg hij een uitnodiging voor een bezoek aan het legendarische Lijsternest in Ingooigem. Een uitzonderlijke gunst ! Het was het begin van een jarenlang contact. Normaal had het tot een doctoraat moeten leiden, maar het werd door diverse omstandigheden verhinderd. De grote interesse en voorkeur bleven. En toen Breës zo’n vijftien jaar geleden met pensioen ging, nam hij zijn jeugdplan weer op. Tot vreugde van het Streuvels Genootschap, dat nu zijn studie uitgeeft als zijn éénentwintigste jaarboek.

Als het van uw verslaggever afhangt, moet hij daarvoor nu de gemiste doctorstitel krijgen. Of tenminste een ere-doctoraat.

 * * *

9789401433334.jpgBreës wilde geen klassieke biografie schrijven. In het Streuvelsonderzoek, zo zegt hij, ‘ontbrak nog een omvattende wetenschappelijke synthese van zowat alle beschikbare bronnen’. Die biedt hij ons nu aan in zijn boek. Hij onderzocht allereerst de wijze waarop Streuvels’ werk in de loop der jaren werd ontvangen, en keek ernaar in het licht van documenten en getuigenissen. Zijn bevindingen beschrijft hij in zestien hoofdstukken per thema. Privéleven, vrienden, tijdgenoten en tijdssfeer komen aan bod in zoverre ze raakpunten met het schrijverschap hebben.

Een der hardnekkigste gemeenplaatsen over Streuvels is, dat hij dialect schreef, en dan nog wel een West-Vlaams dialect. Dat lijkt tegenwoordig het toppunt van onverstaanbaarheid te zijn (vooral in Antwerpen, waar men, zoals wij weten, een Weireldtoal spreekt). Streuvelstaal? Er zijn zelfs goede hedendaagse Nederlandse en Vlaamse auteurs die er geen oren naar hebben.

Ach, zij hebben Streuvels niet (of niet goed) gelezen. Hij gebruikt geen folkloristische streektaal, maar ‘een autonoom artistiek idioom’. En dat is zijn volste recht als kunstenaar, zegt Breës. Zie maar naar grote geëerde buitenlandse auteurs die dat recht gebruiken, en die geloofd en geprezen worden. Streuvels ‘heeft zijn eigen taal gesmeed in functie van wat hij wilde uitdrukken of weergeven. Vanzelfsprekend heeft hij daarbij ook West-Vlaamse taalbronnen aangeboord, uit zijn actuele taal maar net zo goed uit het verleden of uit zijn eigen creativiteit.’ Breës haalt Hugo Claus aan om hem groot gelijk te geven. Claus wist waar hij de mosterd kon halen.

Zo autonoom als zijn taal, zo zelfstandig was Streuvels zelf. ‘Als bij mijn studie één zaak duidelijk is geworden, zegt Breës, dan gaat het om de vaststelling dat de Meester van het Lijsternest altijd zichzelf is gebleven, dit wil zeggen dat hij zich ideologisch noch politiek of filosofisch bij een maatschappelijke groep wilde aansluiten, noch door literair-artistieke modetrends liet inpalmen.’ Streuvels liep, zoals hijzelf het uitdrukt, onder geen enkel vaantje. In zijn lange leven heeft hij zich vrijwel uitsluitend gemanifesteerd als schrijver, in de beslotenheid van zijn Lijsternest.’

 * * *

Een van die vaantjes, die men ooit voor hem heeft gezwaaid, was de zwarte vlag van de bloed-en-bodemkunst. Wie Streuvels’ werk écht heeft gelezen, weet hoe dom en fout dat zwaaien was. Alleen al de sombere sfeer van zijn werk, het lot van mensen die leven alsof zij zijn ‘veroordeeld om te vergaan’, maakt ons duidelijk dat er van die Duitse Blubo geen sprake kan zijn. Lees bijvoorbeeld de roman Langs de wegen. Of de onvergetelijke proletarische verhalen over Werkmensen en de seizoenarbeiders op Franse velden en in fabrieken. Dat heeft geen andere auteur over de Vlaamse slaven van weleer ooit kunnen schrijven!

Toon Breës besteedt veel aandacht aan de wijze waarop Streuvels ‘systematisch genazificeerd’ werd, ‘op grond van kromme insinuaties of irrelevante associaties’. Onkunde, maar ook kwade wil, rancune en het cynisme van iemand die ooit grinnikend bekende, dat hij gewoon bepaalde mensen in zijn geschriften wilde ‘kloten’. Dit gebeurde lang nadat de Duitse propaganda tevergeefs gepoogd had, Streuvels in haar slogans te vangen.

De West-Vlaamse auteur Hedwig Speliers vergat zijn aanvankelijke sympathie voor Streuvels en maakte van hem een regelrechte oorlogscollaborateur. Zijn beschuldigingen werden snel en lichtzinnig door anderen overgenomen en verspreid, ook door gerenommeerde literatuurkenners. Goede reputaties onderuit halen, is een geliefde sport, nietwaar. Er volgden gelukkig polemieken en terechtwijzingen, onder meer van Breës. Maar verdachtmakingen zijn vaak als peengras, zij dringen diep in de grond. Breës trekt ze uit. En dat doet hij met ingehouden verontwaardiging, die des te sterker onder zijn woorden trilt.

 * * *

stre009inoo02ill01.gifIn het begin van zijn schrijversloopbaan, maar ook later kreeg Streuvels wel eens te maken met zedenmeesters en andere puriteinen. Dat was zeker het geval op het einde van de jaren twintig, toen De teleurgang van de Waterhoek verscheen, de roman die in de jaren zeventig de film Mira zou inspireren. Dat Eros een sterke rol speelde in die roman, hebben die cineasten graag in beeld gebracht. Toch constateert Toon Breës dat ‘men’ over het algemeen zo weinig aandacht geschonken heeft aan het belang van de erotiek in Streuvels’ werk. Verdoezelde men dat, om de goegemeente niet te storen en het imago van de katholieke auteur niet te schaden, of kon men gewoon niet goed lezen? Breës besteedt er veel aandacht aan, en hij kon ‘uitvoerig aantonen dat het erotische in de meeste romans en verhalen zelfs een structureel bepalende factor is’.

Een van de stellingen die Speliers destijds verkondigde, luidde dat er een tweespalt bestaat tussen de progressieve auteur Streuvels en zijn tweede (of zijn eerste) Ik, de conservatieve Frank Lateur. Ook dat gaf aanleiding tot sterke discussie. Breës verwerpt die dualiteit. Hij erkent natuurlijk dat de kunstenaar ‘moeilijk eenduidig te omschrijven’ valt. Ook in zijn houding tegenover het bovennatuurlijke. Bij zijn personages heeft het geloof ‘bijna uitsluitend formalistische kenmerken’. En Streuvels zelf, de trouwe kerkganger, ‘komt over als een agnost, die op een weemoedige manier troost en tederheid vindt in zijn geheugen’.

Misschien mag uw verslaggever hier, met ontroering, de herinnering oproepen aan Paula Lateur, de oudste dochter. In 1971 antwoordde zij op mijn vraag of haar vader ‘vroom’ was: ‘Gelovig, maar geen kwezelaar. Ook op gebied van godsdienst hield hij niet van uiterlijkheid: godsdienst is niet iets om mee op straat te komen. Ik heb hem, ter gelegenheid van de maanvluchten, eens horen zeggen: Als ik aan het heelal denk, word ik duizelig. Het Hiernamaals …niemand weet daar iets van.’

Beoordeling : * * * * *
Titel boek : Stijn Streuvels. Een kritische en biografische synthese.
Subtitel boek : Van zijn geboorte tot vandaag. Jaarboek 21 (2015) van het Stijn Streuvelsgenootschap
Auteur : Toon Breës
Uitgever : Lannoo Campus / Stijn Streuvels Genootschap
Aantal pagina's : 984
Prijs : 49.99 €
ISBN nummer : 9789401433334
Uitgavejaar : 2016

mercredi, 31 août 2016

HUGO CLAUS De jonge jaren

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HUGO CLAUS De jonge jaren

Het Duits heeft hier een woord voor: ein Werdegang

Guido Lauwaert

Ex: http://www.doorbraak.be

Een biografie die te weinig aandacht kreeg

hugo_claus_de_jonge_jaren_-_cover_-_web_efddd095afaa6922b0a3f42958fe059af5c79b06.jpgWie het Verdriet van België wil begrijpen, moet Hugo Claus – De jonge jaren van Georges Wildemeersch lezen. De professor emeritus zet de auteur schaamteloos bloot, en doet dat tegelijk met groot respect. Eind 2015 verscheen dit werk, en bij de reguliere pers was er weinig aandacht voor. Een schande, want hoe schaamteloos Wildemeersch ook uitpakt, hij hanteert de hoge literaire stijl en geeft een heldere historische context.

Georges Wildemeersch is niet de enige die Claus van een aantal maskers ontdeed. Bij de eersten was Paul Claes met De mot zit in de mythe [1984, De Bezige Bij], maar we mogen ook Hedwig Speliers niet over het hoofd zien. In zijn door De Galge [†] uitgegeven boekje Wij galspuwers gaf hij al een aanzet. Waar Claes zich op de Oudheid, de Grieken focust, concentreert Speliers zich ruwweg op de beginperiode van Claus, in het bijzonder op De verwondering en Suiker.
Dat zijn werken uit de periode waarover Wildemeersch het heeft, maar hij begint bij Claus’ eerste gedicht [1942] en eindigt met de roman De hondsdagen, die weliswaar pas in 1952 verscheen maar het verhaal speelt eind jaren veertig.
Een zaaitijd van zeven jaar dus, waarin WO II en de nadagen ervan de onderlaag vormen, dat is voor Wildemeersch ‘de jonge jaren’.

Pro-nazi

Om de puberjaren van Claus te ontkleden ging Wildemeersch niet chronologisch te werk. Trefpunten zijn voor hem belangrijker dan chronologie, al springt hij ook niet van de hak op de tak: die punten staan in een zeker verband, waardoor er een evolutie in dit analytische boek te vinden is. Al in het eerste van de zes hoofdstukken, Om de mensen aan te zetten gevaarlijk te leven, geeft hij aan dat Hugo Claus’ eerste schrijfsels en schetsen voortvloeien uit ‘de dominante literatuur en ideologie uit die tijd’. De tijd van oorlog, fascisme, collaboratie en verzet. Ter bevestiging van die bewering citeert Wildemeersch uit een interview met Hugo Claus, bij het verschijnen in 1983 van Het verdriet van België, waaruit ik een fragment pluk: ‘Ik was op een verschrikkelijke manier pro-nazi’. Een paar bladzijden verder knipt Wildemeersch een gezegde van Claus uit een ander interview in de jaren zestig om dat pro-nazisme toe te lichten: ‘Er is een klimaat geweest in mijn jeugd dat totaal tegen het rationele inging ... Redelijk kon ik die oorlog niet aan.’

Woordkunstenaar

Gedetailleerd schildert de professor vervolgens dit politieke en culturele klimaat waarin de knaap Hugo opgroeit, waarbij hij ook de homoseksuele ervaringen niet vergeet. Al op jonge leeftijd heeft Claus door dat elke mens een andere stap en klap heeft, en dat niemand te vertrouwen valt. Bij hem had dit als surplus dat zijn verbeelding en inkleuring erdoor beïnvloed werden, en wel zo sterk dat het haast logisch lijkt dat hij dichter werd. Zijn ouders begrepen dat meteen, en door de ordening van Wildemeersch vinden ook wij lezers dat niet meer dan normaal, een goede halve eeuw later.


Hugo Claus is een woordkunstenaar van zeer hoog niveau en zijn drift is zo hevig dat hij alle genres van de literatuur wel moet gebruiken om zijn innerlijke onrust te bemeesteren. Wat hem nooit zal lukken, zo blijkt uit de andere delen.


Mede omdat hij dit ook niet wenst. Openlijk wel, maar niet innerlijk. Het onbewuste van de mens is sterker dan het bewuste. Vanuit dat onbewuste gebruikt Claus iedereen en alles om zijn talent te laten bloeien. De vrouw als moeder of minnares voorop in zijn processie van vreugde en verdriet; de vrouw die hij liefheeft om te kunnen haten, en dat haten uitbuit ten bate van zijn eeuwige zoektocht naar het perfecte ‘heilig altaar’, zoals hij de vrouw noemt in de eerste regel van Ik schrijf je neer, uit de bundel Een huis dat tussen nacht en morgen staat [1953].

Naarstig speurwerk

Dat ‘gebruik’ dat sterk op misbruik lijkt, wordt bevestigd door een getuigenis. Wildemeersch is zo hndig om dat misbruik niet zelf te uiten; hij laat het door anderen zeggen. Eerste getuige ten laste is Etienne Thienpondt, net als Claus lid van de Nationaal-Socialistische Jeugd Vlaanderen: ‘Hugo was toen [1945] al een zelfverzekerde persoon. Scherpzinnig en kritisch ingesteld. Voortdurend op zoek naar waarden en waarheden. Gesloten van karakter maar vriendelijk voor wie hij in zijn denkwereld aanvaardde.’


Het uitbuiten van mensen en toestanden is als puber geen oneer, integendeel, het getuigt van naarstig speurwerk naar een eigen vorm en stijl. Ouder wordend, wordt het echter een uitdijend spel met soms nare resultaten. De cyclus Sonnetten is daar het mooiste voorbeeld van. Ze zijn geschreven als een bijlage van Knack [15 november 1986]. Om snel aan het afgesproken bedrag te geraken, haalde hij de gedichten van William Shakespeare uit zijn kast en zette er een vijftiental naar zijn hand. Uw dienaar was de eerste die ze las, want hij was de aanstoker en tussenpersoon. Toen ik Claus wees op de verwantschap met de Engelse bard, antwoordde hij: ‘So what? Elke schrijver kijkt over de muur. Shakespeare zelf was niet vies om in andermans vijver te vissen en de grootste letterdief van ons allen is Bertolt Brecht.’


Al voor de puber Claus was de vrouw de belangrijkste inspiratiebron. Hij zoog het merg uit het gebeente van elke verhouding ten bate van zijn artistieke scheppingen en zodra het gebeente leeg was en hij er dus geen inspiratie meer in vond, dumpte hij het. Wat al vermoed werd, wordt door Wildemeersch veelvuldig aangetoond. Met tijdsprongen om telkens terug te keren naar Hugo’s puberteit, want dat is de bron van het goede kwaad. Zo brengt hij een roman die meest creatieve periode afsluit als volgt ter sprake: ‘In de chronologie van Claus’ leven kan Een zachte vernieling [1988] gemakkelijk gelezen worden als een vervolg op Het verdriet van België.’ Dat klopt. De oorspronkelijke bedoeling van Claus was om uit te pakken met een roman ter waarde van Ulysses van James Joyce. Voor Claus stond Het verdriet op gelijke hoogte met – en was het geïnspireerd op – A portrait of the Artist as a Young Man. Dat Een zachte vernieling niet hét boek der boeken van Claus is geworden, ligt aan een zoveelste verhuis waarin een aantal dozen met notitieboekjes verloren gingen.

Claus’ oorlog

Claus’ vormingsperiode krijgt niet minder dan acht herhalingen, en die herhalingen worden telkens is voller en zwaarder. Tot Claus, figuurlijk zijn eigen gewicht niet meer kon dragen. En figuurlijk werd letterlijk door de geestelijke en lichamelijke aftakeling. Dit beseffend, koos hij voor euthanasie. De bron van dit besef vindt men in een citaat uit het interview waarmee Wildemeersch het tweede Deel van zijn boek afsluit: ‘Die onbewogenheid, die koele, schampere kijk, had ik aan de kostschool te danken […] Daar ben ik erachter gekomen dat ik maar beter niet tot de zwakkeren kon behoren […] Dat ik dus listig moest zijn. Nooit hysterisch zijn. Met die verworvenheden ben ik de oorlog ingegaan.’


Dat koele, schampere, listige, altijd berekende, heeft Claus getekend. Zijn oorlog heeft zijn verdere leven geduurd: hij zette hem om in een houding van verzet tegen elk gezag, tegen elke kritiek, ja ook tegen zichzelf. Hij wilde zichzelf heruitvinden in elk nieuw amoureus avontuur, met als vrucht een nieuwe dichtbundel, roman of toneelstuk. Toen hij besefte dat dit niet meer lukte, koos hij voor de dood. Want zonder kans op een nieuw passiespel en literaire schepping wist hij dat hij de oorlog, zijn oorlog verloren had.

claus_verdriet_210_332_s_c1_c_c_0_0_1.jpgGeen vrienden, op één na

Nu we stilaan de eindmeet naderen, moeten we nog wijzen op de vrienden van Claus. Georges Wildemeersch beschrijft deze verhoudingen grondig maar, nogmaals, met een zekere afstandelijkheid. Bijna als een onderzoeksrechter die een verhoor afneemt van een misdadiger. Het is niet aan hem om vonnis te vellen, dat doet de jury. Welnu, de jury is voor Wildemeersch de lezer, en als die nauwgezet leest, kan hij niet anders dan tot het besluit komen dat Hugo Claus in wezen geen vrienden had – op één na, waarover meteen meer.


Voor Claus waren vrienden gebruiksvoorwerpen. Wie niet meer bruikbaar was of kritiek had, werd gedumpt. Wildemeersch, Deel 4, eerste hoofdstuk, naar aanleiding van de nakende verschijning van Claus’ eerste roman, De eendenjacht: ‘Hij [Claus] besloot zelf een wervende bespreking van zijn boek te schrijven en die zo snel mogelijk te publiceren. Na overleg met Anatole Ghekiere verscheen in het studentenblad Ons Verbond, waarvan Ghekiere de facto hoofdredacteur was de recensie al in november 1948 onder de naam van zijn vriend. […] Het plan om in diverse periodieke publicaties onder eigen of andermans naam belangstelling te wekken, bleef onuitgevoerd omdat de roman dan twee jaar later en bij een nieuwe uitgever zou verschijnen.’ [Uitgeverij Manteau, De Metsiers]


Het tweede boek, een burleske, verscheen zelfs onder de naam van zijn vriend: Die waere ende Suevere Chronycke van sGraevensteene [1949]. Het verhaal was gebaseerd op een ware gebeurtenis, de bezetting door Gentse studenten van het Gravensteen wegens de verhoging, nee, niet van het inschrijvingsgeld, maar van de bierprijs.


De plaats van Ghekiere werd echter ingenomen toen Claus kennismaakte met de literaire journalist Jan Walravens, verbonden aan het landelijke Het Laatste Nieuws, toen een nog uitgesproken liberale krant. Na de kritische bespreking door Walravens van De hondsdagen [1952], was Claus razend en werd de vriendschap verbroken. Dit vanuit zijn lijfspreuk: Nemo me impune lacessit.* Zes jaar later nog liet hij zich schamper uit over de manier waarop Walravens zijn roman besproken had, zo lezen we bij Wildemeersch.
Ook Freddy de Vree was gedurende jaren bevriend met Claus, maar toen Veerle De Wit zich bij hem had genesteld, werd de toegang versperd – zonder protest van Claus.


chagrin-des-belges-21535.jpgMaar ook vrouwen werden harteloos gedumpt, met als voornaamsten Elly Overzier, Kitty Courbois en Marja Habraken. Zij verhing zich toen ze besefte dat aandringen nutteloos was. Het was de enige keer dat Claus enig teken van medeleven gaf, in de vorm van een mea culpa-gedicht, het voorlaatste van zijn Gedichten 1948-1993. De titel van het gedicht is niet lang, niet langer dan één letter: M.


In wezen heeft het Belgisch Verdriet, maar één vriend gehad, ook een dichter. Hij woonde in Antwerpen en was zeer belezen, wat Claus ten zeerste beviel, naast het feit dat hij een vrouwenverslinder was: Hugues C. Pernath. Het ultieme bewijs van de diepe vriendschap is, naast het kaftontwerp voor diens bundel Mijn tegenstem uit 1973, de magistrale cyclus die Claus schreef na het onverwachte overlijden van de voorzitter van de Pink Poets in juni 1975, Het graf van Pernath, met als openingsgebed…

Met geknakte broekspijpen? Uitgezakt
alsof je, zat, op een ijsvlak was geslipt?
Alsof je voor je laatste dans nog was geflipt?

Nog naknikkend met die verzwikte leden?
Nee. Als een steen wil ik je, intact wil ik je
voordat je ogen braken, wrak –

Die herhaalde val,
dit vermenigvuldigd sterven, die vertraagde scherven, –

daar lag dan met zijn allerlaatste lach,
met de lippen van een stervend lam
achter het weigerachtig en mat glas
wat in zijn tijd PERNATH was –

Nader bekeken

Hugo Claus, de jonge jaren leest heel vlot, en is een bekroning van het al vele verdienstelijke wetenschappelijke werk van Georges Wildemeersch.
In het zesde deel, Mijn jeugd is over, koelt Wildemeersch’ vurige pen wat af, en komen er enkele herhalingen, maar die vervelen niet omdat hij het onderwerp telkens vanuit een ander oogpunt bekijkt: geschiedenis, familieverbanden, geld, relatiekring, eigen karakter. De professor komt terug op de puberjaren van Claus, nog steeds met zijsprongen naar later werk, waarin hij een dalend sociaalpolitiek engagement ziet. Met die techniek toont hij aan dat elk gedicht, elke roman, elk toneelstuk sterk autobiografisch is. En wel bekeken kon dat al afgeleid worden uit de laatste alinea, met aparte slotzin, van Het Verdriet van België, waarin geen sprake meer is van Louis Seynaeve:

De neef liep met mij mee naar het rustiek station.
‘Het was een schoon gedicht. Bravo.’
‘Ik maak er zo drie per dag,’ zei hij.
‘Dat is rap!’
‘Het is mijn techniek. Ik zet alle omschrijvingen van een kruiswoordraadsel een beetje achter mekaar, schots en scheef.’
‘Van De Standaard!
‘Ook.’
Hij zei niets meer. Dus ook ik niet. Samen zongen wij “Tout va très bien, ma-da-me la marquise”, de fox comique van Ray Ventura et ses Collégiens. Wij hoorden de saxofoon en de paukeslag. Wij zagen een meeuw die hinkte.

We gaan zien. Wij gaan zien. Toch. 

­­­­­­­­­­­­­­­­­____________

* Niemand tergt mij ongestraft: Schotse wapenspreuk (nvdr).

Beoordeling : * * * * *
Titel boek : HUGO CLAUS
Subtitel boek : De jonge jaren
Auteur : Georges Wildemeersch
Uitgever : Uitgeverij Polis
Aantal pagina's :
Prijs : 34.95 €
ISBN nummer : 9 789463 100113
Uitgavejaar : 2015

Jack London et notre oligarchie mondiale

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Jack London et notre oligarchie mondiale

La force motrice des oligarques est leur conviction de bien faire

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

L'occident est dirigé par des oligarques humanitaires et dangereux. Voyons voir.

La Fed a été créée il y a un peu plus de cent ans ; les élites hostiles déclenchent un an après la première guerre mondiale ; elles ont voulu un créer un nouvel ordre mondial dès la fin de cette guerre, via les propositions de Wilson et Mandel House. A cette époque aussi Rathenau parlait des 300 qui dirigent le monde ; et de cette oligarchie anonyme et vagabonde des esprits aussi brillants et différents que Chesterton (Un nommé jeudi) ou Jack London furent les dénonciateurs. On va parler de Jack London ; nous le redécouvrons avec joie.

C'est dans le Talon de fer que London décrit cette terrible oligarchie qui malmène le peuple prolétaire américain, régulièrement remplacé alors, au moment des grèves, par des arrivages d'immigrants est et sud-européens. Marx avait déjà dénoncé l'immigration comme piège social, entre la Belgique et la France. A l'époque de Jack London, Madison Grant pronostique dans son passing of a great race la fin du peuple américain (il rappelle que l'immigration fait baisser la natalité du natif). Edward Allsworth Ross, plus grand sociologue de l'époque, fait de même dans son Changing world jamais traduit ici. Peu à peu il sera interdit - jusqu'à Trump ou presque (Lisez Peter Brimelow, lisez aussi le... cousin de Paul Auster) d'évoquer le sujet de l'immigration, sous peine d'imputation fasciste, nazie, xénophobe, etc.

Et voyons l'oligarchie de Jack London, si proche de la nôtre. Dans le Talon de fer donc, il parle comme un libertarien du corporate state confisqué et noyauté par les grosses boîtes et les élites :

« Les Oligarques avaient réussi à inventer une machine gouvernementale aussi compliquée que vaste, mais qui fonctionnait, en dépit de tous nos efforts pour l’entraver et la saboter. »

Puis London ajoute que nous sommes achetés ou abrutis par ces mêmes élites. Il y a celui qu'on achète pour trois lentilles (le bobo) et celui qu'on laisse crever (le prolo).

« Ils avaient une meilleure nourriture, moins d’heures de travail quotidien, plus de vacances, un choix plus varié de plaisirs et de distractions intellectuelles. Quant à leurs frères et sœurs moins fortunés, les travailleurs non favorisés, le peuple surmené de l’Abîme, ils ne s’en souciaient pas le moins du monde. Une ère d’égoïsme s’annonçait dans l’humanité. »

L'égoïsme est important et c'est une notion selon moi plus forte que l'individualisme dont se repaissent les théoriciens actuels de l'anti-mondialisation. A notre époque damnée je me considère par exemple comme un individualiste, pas comme un égoïste.

London souligne ensuite les progrès de l'oligarchie (comme disait Baudrillard le capitalisme bouge plus vite que ses opposants !).

« L’Oligarchie elle-même se développa d’une façon remarquable et, il faut l’avouer, inattendue. En tant que classe, elle se disciplina. Chacun de ses membres eut sa tâche assignée dans le monde et fut obligé de l’accomplir. Il n’y eut plus de jeunes gens riches et oisifs. Leur force était employée pour consolider celle de l’Oligarchie. »

Et que je t'envoie faire tes études à Sydney, ton MBA à Berkeley... tes devoirs humanitaires à Haïti ou au Rwanda...

Et là, le coup de génie de Jack London. Il comprend que nos élites sont dangereuses car gentilles et humanitaires, missionnées et messianiques. Elles sont dans le même état moral que le Führer qui voulait interdire le tabac aux femmes, limiter les vitesses de voiture, libérer les sudètes ou créer l'homme nouveau. Dans son Ozymandia, le libertarien Shaffer Butler indique que ses étudiants sont des gentils nazis sans le savoir (végétariens, écolos, zoophiles, anti-tabac, contrôleurs de tout, etc.)

Et Jack London d'écrire :

« Ils se croyaient les sauveurs du genre humain, et se considéraient comme des travailleurs héroïques se sacrifiant pour son plus grand bien. »

Irremplaçables, ces élites en viennent à ne plus imaginer leur propre grand remplacement. La montée fabriquée des bourses et des bureaucraties mondiales les favorise.

« Ils étaient convaincus que leur classe était l’unique soutien de la civilisation, et persuadés que s’ils faiblissaient une minute, le monstre les engloutirait dans sa panse caverneuse et gluante avec tout ce qu’il y a de beauté et de bonté, de joies et de merveilles au monde. Sans eux, l’anarchie régnerait et l’humanité retomberait dans la nuit primordiale d’où elle eut tant de peine à émerger. »

jack london, littérature, littérature américaine, oligarchie, oligarchisme, lettres, lettres américaines, Le peuple est donc détesté car il ne comprend rien. Merkel, Juncker ou Sutherland n'arrêtent pas de nous insulter au sujet de l'immigration. On nous accuse d'inventer ce que nous redoutons. Vite, la camisole.

Et cela donne sous la plume géniale de Jack London (dont le livre inspira le Metropolis de Fritz Lang) :

« Telle était la bête qu’il fallait fouler aux pieds, et son écrasement constituait le suprême devoir de l’aristocrate. En résumé, eux seuls, par leurs efforts et sacrifices incessants, se tenaient entre la faible humanité et le monstre dévorant ; ils le croyaient fermement, ils en étaient sûrs. »

Ces lignes font penser à celles de Nietzsche dans le Crépuscule des idoles : notre penseur rebelle y décrit l'Eglise comme une ménagerie destinée à dresser le barbare. Nous sommes revenus à ces excès. Les fondations et les programmes financés par les fondations des Clinton-Soros-Bill Gates doivent nous rééduquer et nous mettre au pas de leur loi.

London revient sur la philosophie périlleuse de ces élites auto-proclamées :

« L’amour du bien, le désir du bien, le mécontentement de ce qui n’est pas tout à fait bien, en un mot, la bonne conduite, voilà le facteur primordial de la religion. Et l’on peut en dire autant de l’Oligarchie.»

Et il ponctue par cette phrase superbe :

« La grande force motrice des oligarques est leur conviction de bien faire. »

C'est comme cela que l'on a les sanctions antirusses, les millions de réfugiés, les terroristes, les guerres, les retraites à 70 ans, le salafisme partout, la dette immonde, sans oublier la négation des élections ou de la liberté quotidienne.

London se fait a priori peu d'illusions sur le populo :

« D’autre part, la grande masse désespérée du peuple de l’Abîme s’enfonçait dans un abrutissement apathique et satisfait de sa misère. »

Et il annonce que les révoltes peuvent être provoquées, noyées dans le sang ou récupérées. Avis à Zerohedge.

Dans un autre très bon livre, Le peuple de l'abîme, Jack London décrit – on est en 1902 - la catastrophique situation des classes pauvres ou « indigentes » en Angleterre, donnée toujours en exemple par nos grands libéraux (même Tocqueville était horrifié par le modèle british et le « labyrinthe infect » de Manchester, je citerai en bas les pages). Il se livre ensuite à un éloge original de la féodalité :

« Dans les anciens temps, les grands cavaliers blonds, qui fonçaient à l’avant-garde des batailles, montraient au moins leur mesure en pourfendant les hommes de la tête à l’échine. Tous comptes faits, il avait bien plus de noblesse à tuer un ennemi solide d’un coup d’épée proprement assené, que de le réduire à l’état de bête, lui et ses descendants, par une manipulation adroite et implacable des rouages de l’industrie et de la politique. »

jack london, littérature, littérature américaine, oligarchie, oligarchisme, lettres, lettres américaines, London cite d'ailleurs la machine politique, comme le grand Ostrogorski à l'époque (un savant russe qui fut envoyé par le tzar pour étudier la corruption du système politique US, la « machine », les « boss » et tout le reste). Ensuite il appelle le nécessaire alcoolisme, qui effarera aussi Louis-Ferdinand Céline dans ses Bagatelles (il y consacre bien trente pages à l'alcool notre phénomène) :

« La classe ouvrière anglaise est littéralement noyée dans les demis de bière. Celle-ci la rend stupide, l’abrutit, et diminue considérablement son efficacité – l’ouvrier anglais n’a plus cet esprit de répartie, cette imagination et ces réflexes rapides qui faisaient l’apanage de sa race. »

Enfin London rappelle que l'oligarchie doit gouverner par la peur ; la nôtre utilise le terrorisme, la dette, le chômage, le réchauffement, le « ouacisme », car tout est bon à prendre. Il écrit :

« Et puis il y a aussi cette insécurité de bonheur, cette précarité de l’existence et cette peur devant l’avenir – les voilà, les facteurs bien puissants qui entraînent les gens à boire. »

Je conclurai encore et toujours avec Tocqueville parce que c'est un des grands génies de l'humanité et qu'il a tout vu. Il écrit au tome II de sa Démocratie à propos des oligarques :

« Je pense qu’à tout prendre, l’aristocratie manufacturière que nous voyons s’élever sous nos yeux est une des plus dures qui aient paru sur la terre ; mais elle est en même temps une des plus restreintes et des moins dangereuses. Toutefois, c’est de ce côté que les amis de la démocratie doivent sans cesse tourner avec inquiétude leurs regards ; car, si jamais l’inégalité permanente des conditions et l’aristocratie pénètre de nouveau dans le monde, on peut prédire qu’elles y entreront par cette porte. »

Enfin Tocqueville explique pourquoi cette classe « industrielle » (le chat botté de Perrault en est une préfiguration) n'hésitera pas à nous remplacer ou à nous éliminer, à nous liquéfier :

« L’aristocratie que fonde le négoce ne se fixe presque jamais au milieu de la population industrielle qu’elle dirige ; son but n’est point de gouverner celle-ci, mais de s’en servir. »

On se doute que l'on apprend à jeter les peuples après usage. Ne vous étonnez pas de la fracture entre le peuple et les élites, inquiétez-vous de votre sort. Mais il semble que jamais depuis longtemps opinion publique n'a été plus motivée que la nôtre contre ses guides.

Nicolas Bonnal

Bibliographie

Jack London – Le talon de fer ; le peuple de l'abîme (ebooksgratuits.com).

Tocqueville – Œuvres complètes, Paris, 1866, tome VII, pp.366-370 (archive.org) ; De la démocratie, II, Deuxième partie, chapitre vingt.

Chesterton – Un nommé jeudi (sur wikisource).

Ross – A changing America.

mardi, 26 juillet 2016

Dostoïevski et la dégénérescence du monde par le réseau

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Dostoïevski et la dégénérescence du monde par le réseau

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Car il est poussé dans le filet par ses propres pieds ; et il marche sur les mailles du filet...

Job, 8, 18

J'ai souvenance d'un brillant texte de notre cher Guy Sorman (qui redonna jadis ses lettres de prosaïsme au Figaro magazine) dans le journal de la « droite » espagnole ABC (BHL est chargé lui de distraire et surtout d'instruire les maigres sections d'assaut du mondialisme dans El Pais). Et Guy Sorman, essayiste pourtant renommé pour ses piles d'invendus, et entre deux éloges des réfugiés considérés comme des forces vives du capital selon les Marx Brothers et Merkel, présentait ainsi son argumentaire : « même la Russie finira un jour par être démocratique et progressiste et globalement dans le global ». Sans oublier la Chine, l'Iran, la Turquie et tous les autres bons copains de ses modèles Américains.

La Russie n'est donc pas progressiste, branchée et dans le coup, et ce surtout depuis que – selon Marc Ferro – elle a déçu les aspirations prolétariennes d'une gauche que l'on croyait portée plutôt à servir la soupe à la vieille bourgeoisie américanisée.

Sur la Russie et le progrès j'ai heureusement mieux que Sorman ou BHL : Dostoïevski. Je l'ai aussi sur le thème des « réseaux », sociaux ou numériques, qui aujourd'hui captent, détournent et recyclent toutes les énergies et intellects de la planète terre devenue nervalienne. On cite brièvement cette vision du mage dans Aurélia :

« Cette pensée me conduisit à celle qu'il y avait une vaste conspiration de tous les êtres animés pour rétablir le monde dans son harmonie première, et que les communications avaient lieu par le magnétisme des astres, qu'une chaîne non interrompue liait autour de la terre les intelligences dévouées à cette communication générale, et les chants, les danses, les regards, aimantés de proche en proche, traduisaient la même aspiration. La lune était pour moi le refuge des âmes fraternelles qui, délivrées de leurs corps mortels, travaillaient plus librement à la régénération de l'univers. (1) »

Dostoïevski a abordé le thème de la confrontation de la Russie et du progrès, de la Russie et de l’Occident dans plusieurs de ses plus grands livres, en particulier dans l'Idiot et dans Les Possédés, qui eux font allusion à une origine américaine de la prochaine révolution.

krokodil_dostojewski.JPGDans le récit satirique Crocodile (2), il le fait d’une manière parodique, s’en prenant aux préjugés modernistes du dernier homme à venir (et surtout à durer). Il y a l’épisode humanitaire – ne pas maltraiter un pauvre animal, fût-ce un croco –, l’épisode pédagogique – de l’importance de la question économique ! – et pour finir l’épisode gastronomique qui résout la question – en dévorant le crocodile.

Depuis deux siècles nous nous gorgeons de ce progrès technique et économique, et il semble que l'imbécillité satisfaite qui l’accompagne n’a jamais été plus remise en question qu'à l’époque de Flaubert ou de Dostoïevski. Mais à la même époque un Walt Whitman célèbre les achèvements de ce qu’il est convenu de nommer à la télé la modernité...

Dans Passage to India ou Song of the Exposition (à comparer avec le cadre médiéval et traditionnel des Tableaux, le chef d'oeuvre pianistique de Moussorgski), le trop célébré Walt Whitman chante et célèbre sur tous les tons le canal de Suez, ce passage qui va réunir l’orient et l’occident, notions fort disparues auxquelles on fait mine de croire encore : car «dans un monde unifié on ne peut s’exiler » (Debord). Avec une accumulation dont il a le secret, le « pohète » américain fait l’état des lieux, et il nous étourdit avec son clinquant verbalisme, chaque mot faisant office de paradigme roturier de la modernité aboyante:

With latest connections, works, the inter-transportation of the world,

Steam-power, the great express lines, gas, petroleum,

These triumphs of our time, the Atlantic’s delicate cable,

The Pacific railroad, the Suez canal, the Mont Cenis and Gothard and

Hoosac tunnels, the Brooklyn bridge,

This earth all spann’d with iron rails, with lines of steamships threading in every sea,

Our own rondure, the current globe I bring.

Barde « tendance » avant l’heure, Maïakovski un rien couillon, « animal verbal » (Daudet) plus que poète, Whitman est en extase devant ce qui pétarade. Il admire nos exploits à Suez (dont bien sûr Dostoïevski se moque avec son crocodile du Nil), et il célèbre le chemin de fer unificateur, celui des Anglais aux Indes ou des Américains :

I see the tracks of the railroads of the earth,

I see them in Great Britain, I see them in Europe,

I see them in Asia and in Africa.

I see the electric telegraphs of the earth,

I see the filaments of the news of the wars, deaths, losses, gains, passions,

Of my race.

Or précisément sur ces chemins de fer qui ont vidé les campagnes et ruiné le contribuable français (la moitié des lignes servant à faire élire un député), ou ont justifié une bonne moitié des crises boursières de l’époque (comme les actions techno d’aujourd’hui), Dostoïevski a quelque chose de peu aimable à dire, et qu'il va dire dans l’Idiot. C’est un autre idiot métaphorique (un simple d’esprit qui voit l’Esprit) que le Prince, l’ivrogne Lebedev qui s’exprime sur les chemins de fer et leur réseau qui selon lui s’en prend aux formes de vie.

Montrez-moi donc quelque chose qui approche de cette force dans notre siècle de vices et de chemins de fer…

dostoidiot3458352037-fr-300.jpgLebedev voit dans tout réseau moderne un affaiblissement à la fois spirituel et physique de l’homme, lié au progrès de la matrice du confort matériel. L’homme va être coupé de ses sources de vie et de son tellurisme. C’est aussi la leçon d’Andersen (La Vierge des glaces), de Novalis ou de Vigny (« avant vous j’étais belle et j’allais parfumée »…). Mais Tocqueville nous a aussi prévenus sur les risques que faisaient peser l’égalité et le réseau fort sur les hommes dits modernes. Dans le tome II de sa somme, il décrit, dans un texte mal compris, cet affaiblissement des forces de vie liées au développement étatique:

« C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre ; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même. L’égalité a préparé les hommes à toutes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait… il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation a n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger (3). »

Retournons à l’Idiot. Lebedev voit le premier, cent-vingt ans avant Tchernobyl, un lien entre l’étoile absinthe de l’Apocalypse (Tchernobyl désigne comme on sait l’absinthe en russe) et l’extension du réseau en Europe :

« Le collégien lui affirma que l’"Étoile Absinthe" qui, dans l’Apocalypse, tombe sur terre à la source des eaux, préfigurait, selon l’interprétation de son père, le réseau des chemins de fer étendu aujourd’hui sur l’Europe. »

Lebedev dégage comme le prince Muichkine une aura d’imperfection, d’inadéquation à la mondanité. C’est souvent le cas chez Dostoïevski : le porteur de la vérité doit être ridiculisé ou caricaturé – pour ne pas être pris au sérieux par la compagnie qui doit continuer de se tordre, comme dit Allais.

Lebedev va désigner une autre cible, qui nous rapproche de la petite société actuelle: l’idéologie du bonheur matériel universel ; le dernier homme dont parle Francis Fukuyama après bien d'autres.

Vous n’avez pas d’autre fondement moral que la satisfaction de l’égoïsme individuel et des besoins matériels. La paix universelle, le bonheur collectif résultant du besoin !

Lebedev n’est bien sûr pas un sot : il n’incrimine pas la machine en tant que telle. Il incrimine plutôt la notion de réseau. Par ailleurs il a pleinement conscience que son expression des forces de vie est incompréhensible à un esprit moderne :

« Par eux-mêmes les chemins de fer ne peuvent corrompre les sources de vie. Ce qui est maudit, c’est l’ensemble ; c’est, dans ses tendances, tout l’esprit scientifique et pratique de nos derniers siècles. Oui, il se peut que tout cela soit bel et bien maudit ! »

Sur le ton de l’imprécation, emporté par cette inspiration religieuse, Lebedev adresse un défi au monde matérialiste et satisfait, monde sans gouvernail et sans cap même :

« Je vous lance maintenant un défi à vous tous, athées que vous êtes : comment sauverez-vous le monde ? Quelle route normale lui avez-vous ouverte vers le salut, vous autres, savants, industriels, défenseurs de l’association, du salariat et de tout le reste ? Par quoi sauverez-vous le monde ? Par le crédit ? Qu’est-ce que le crédit ? À quoi vous mènera-t-il? »

Ainsi Dostoïevski n'encenserait pas ce monde et son crédit ?

A ce propos le psalmiste dit :

« Que l’usurier jette le filet sur tout ce qui est à lui... (4) »

Cent ans avant l’effet de serre et le réchauffement climatique du cerveau qui va avec, Lebedev voit l’avènement de l'homoncule affaibli par sa si riche information et la « thermocratie » (5). Il constate l’absence de la force dans notre société :

« Et osez dire après cela que les sources de vie n’ont pas été affaiblies, troublées, sous cette “étoile”, sous ce réseau dans lequel les hommes se sont empêtrés. Et ne croyez pas m’en imposer par votre prospérité, par vos richesses, par la rareté des disettes et par la rapidité des moyens de communication !  Les richesses sont plus abondantes, mais les forces déclinent ; il n’y a plus de pensée qui crée un lien entre les hommes ; tout s’est ramolli, tout a cuit et tous sont cuits ! Oui, tous, tous, tous nous sommes cuits !… Mais suffit ! (6) »

Nicolas Bonnal

Notes

(1) Nerval, Aurélia, 2ème partie, VI.

(2) Lisez mon étude sur france-courtoise.info/pdf/BonnalDostoievskiCrocodile.pdf. Voyez aussi Internet, nouvelle voie initiatique (les Belles Lettres, 2000)...

(3) De la Démocratie II, IV, ch.6

(4) Psaumes, 109, 11

(5) Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs (2000).

(6) L'Idiot, III, chapitre  IV

mercredi, 20 juillet 2016

Hommage à Roger Nimier

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Hommage à Roger Nimier

par Luc-Olivier d’Algange

Ex: http://mauditseptembre62.hautetfort.com

Roger Nimier fut sans doute le dernier des écrivains, et des honnêtes gens, à être d'une civilisation sans être encore le parfait paria de la société; mais devinant cette fin, qui n'est pas une finalité mais une terminaison.

Après les futilités, les pomposités, les crises anaphylactiques collectives, les idéologies, viendraient les temps de la disparition pure et simple, et en même temps, des individus et des personnes. L'aisance, la désinvolture de Roger Nimier furent la marque d'un désabusement qui n'ôtait rien encore à l'enchantement des apparences. Celles-ci scintillent un peu partout dans ses livres, en sentiments exigeants, en admirations, en aperçus distants, en curiosités inattendues.

Ses livres, certes, nous désabusent, ou nous déniaisent, comme de jolies personnes, du Progrès, des grandes abstractions, des généralités épaisses, mais ce n'est point par une sorte de vocation éducative mais pour mieux attirer notre attention sur les détails exquis de la vie qui persiste, ingénue, en dépit de nos incuries. Roger Nimier en trouvera la trace aussi bien chez Madame de Récamier que chez Malraux. Le spectre de ses affections est large. Il peut, et avec de profondes raisons, trouver son bien, son beau et son vrai, aussi bien chez Paul Morand que chez Bernanos. Léautaud ne lui interdit pas d'aimer Péguy. C'est assez dire que l'esprit de système est sans prise sur lui, et que son âme est vaste.

On pourrait en hasarder une explication psychologique, ou morale. De cette œuvre brève, au galop, le ressentiment qui tant gouverne les intellectuels modernes est étrangement absent. Nimier n'a pas le temps de s'attarder dans les relents. Il va à sa guise, voici la sagesse qu'il nous laisse.  Ses quelques mots pointus, que l'on répète à l'envie, et que ses fastidieux épigones s'efforcent de reproduire, sont d'un piquant plus affectueux que détestateur. Pour être méchant, il faut être bien assis quelque part, avec sa garde rapprochée. Or le goût de Roger Nimier est à la promenade, à l'incertitude, à l'attention. Fût-ce par les méthodes de l'ironie, il ne donne pas la leçon, mais invite à parcourir, à se souvenir, à songer, - exercices dont on oublie souvent qu'ils exigent une intelligence toujours en éveil. Son goût n'est pas une sévérité vétilleuse dissimulée sous des opinions moralisatrices, mais une liberté exercée, une souveraineté naturelle. Il ne tient pas davantage à penser comme les autres qu'il ne veut que les autres pensent comme lui, puisque, romancier, il sait déjà que les autres sont déjà un peu en lui et lui dans les autres. Les monologues intérieurs larbaudiens du Hussard bleu en témoignent. Nimier se défie des représentations et de l'extériorité. Sa distance est une forme d'intimité, au rebours des familiarités oppressantes.

rm3479608754.jpgL'amour exige de ces distances, qui ne sont pas seulement de la pudeur ou de la politesse mais correspondent à une vérité plus profonde et plus simple: il faut aux sentiments de l'espace et du temps. Peut-être écrivons nous, tous, tant bien que mal, car nous trouvons que ce monde profané manque d'espace et de temps, et qu'il faut trouver quelque ruse de Sioux pour en rejoindre, ici et là, les ressources profondes: le récit nous autorise de ses amitiés.  Nul mieux que Roger Nimier ne sut que l'amitié est un art, et qu'il faut du vocabulaire pour donner aux qualités des êtres une juste et magnanime préférence sur leurs défauts. Ceux que nous admirons deviendront admirables et la vie ressemblera, aux romans que nous écrivons, et nos gestes, aux pensées dites « en avant ». Le généreux ne jalouse pas.

Il n'est rien de plus triste, de plus ennuyeux, de plus mesquin que le « monde culturel », avec sa moraline, son art moderne, ses sciences humaines et ses spectacles. Si Nimier nous parle de Madame Récamier, au moment où l'on disputait de Mao ou de Freud, n'est-ce pas pour nous indiquer qu'il est possible de prendre la tangente et d'éviter de s'embourber dans ces littératures de compensation au pouvoir absent, fantasmagories de puissance, où des clercs étriqués jouent à dominer les peuples et les consciences ? Le sérieux est la pire façon d'être superficiel; la meilleure étant d'être profond, à fleur de peau, - « peau d'âme ». Parmi toutes les mauvaises raisons que l'on nous invente de supporter le commerce des fâcheux, il n'en est pas une qui tienne devant l'évidence tragique du temps détruit. La tristesse est un péché.

Les épigones de Nimier garderont donc le désabusement et s'efforceront de faire figure, pâle et spectrale figure, dans une société qui n'existe plus que pour faire disparaître la civilisation. La civilisation, elle, est une eau fraîche merveilleuse tout au fond d'un puits; ou comme des souvenirs de dieux dans des cités ruinées. L'allure dégagée de Roger Nimier est plus qu'une « esthétique », une question de vie ou de mort: vite ne pas se laisser reprendre par les faux-semblants, garder aux oreilles le bruit de l'air, être la flèche du mot juste, qui vole longtemps, sinon toujours, avant son but.

Les ruines, par bonheur, n'empêchent pas les herbes folles. Ce sont elles qui nous protègent. Dans son portrait de Paul Morand qui vaut bien un traité « existentialiste » comme il s'en écrivait à son époque (la nôtre s'étant rendue incapable même de ces efforts édifiants), Roger Nimier, après avoir écarté la mythologie malveillante de Paul Morand « en arriviste », souligne: « Paul Morand aura été mieux que cela: protégé. Et conduit tout droit vers les grands titres de la vie, Surintendant des bords de mer, Confident des jeunes femmes de ce monde, Porteur d'espadrilles, Compagnons des vraies libérations que sont Marcel Proust et Ch. Lafite. »

Etre protégé, chacun le voudrait, mais encore faut-il bien choisir ses Protecteurs. Autrefois, les tribus chamaniques se plaçaient sous la protection des faunes et des flores resplendissantes et énigmatiques. Elles avaient le bonheur insigne d'être protégées par l'esprit des Ours, des Lions, des Loups ou des Oiseaux. Pures merveilles mais devant lesquelles ne cèdent pas les protections des Saints ou des Héros. Nos temps moins spacieux nous interdisent à prétendre si haut. Humblement nous devons nous tourner vers nos semblables, ou vers la nature, ce qui n'est point si mal lorsque notre guide, Roger Nimier, nous rapproche soudain de Maurice Scève dont les poèmes sont les blasons de la langue française: « Où prendre Scève, en quel ciel il se loge ? Le Microcosme le place en compagnie de Théétète, démontant les ressorts de l'univers, faisant visiter les merveilles de la nature (...). Les Blasons le montrent couché sur le corps féminin, dont il recueille la larme, le soupir et l'haleine. La Saulsaye nous entraîne au creux de la création dans ces paradis secrets qui sont tombés, comme miettes, du Jardin royal dont Adam fut chassé. »

Hussard, certes, si l'on veut, - mais pour quelles défenses, quelles attaques ? La littérature « engagée » de son temps, à laquelle Nimier résista, nous pouvons la comprendre, à présent, pour ce qu'elle est: un désengagement de l'essentiel pour le subalterne, un triste "politique d'abord" (de Maurras à Sartre) qui abandonne ce qui jadis nous engageait (et de façon engageante) aux vertus mystérieuses et généreuses qui sont d'abord celles des poètes, encore nombreux du temps de Maurice Scève: « Ils étaient pourtant innombrables, l'amitié unissait leurs cœurs, ils inspiraient les fêtes et décrivaient les guerres, ils faisaient régner la bonté sur la terre. » De même que les Bardes et les Brahmanes étaient, en des temps moins chafouins, tenus pour supérieurs, en leur puissance protectrice, aux législateurs et aux marchands, tenons à leur exemple, et avec Roger Nimier, Scève au plus haut, parmi les siens.

Roger Nimier n'étant pas « sérieux », la mémoire profonde lui revient, et il peut être d'une tradition sans avoir à le clamer, ou en faire la réclame, et il peut y recevoir, comme des amis perdus de vue mais nullement oubliés, ces auteurs lointains que l'éloignement irise d'une brume légère et dont la présence se trouve être moins despotique, contemporains diffus dont les amabilités intellectuelles nous environnent.

Qu'en est-il de ce qui s'enfuit et de ce qui demeure ? Chaque page de Roger Nimier semble en « répons » à cette question qui, on peut le craindre, ne sera jamais bien posée par l'âge mûr, par la moyenne, - dans laquelle les hommes entrent de plus en plus vite et sortent de plus en plus tard, - mais par la juvénilité platonicienne qui emprunta pendant quelques années la forme du jeune homme éternel que fut et demeure Roger Nimier, aimé des dieux, animé de cette jeunesse « sans enfance antérieure et sans vieillesse possible » qu'évoquait André Fraigneau à propos de l'Empereur Julien.

Qu'en est-il de l'humanité lorsque ces fous qui ont tout perdu sauf la raison régentent le monde ? Qu'en est-il des civilités exquises, et dont le ressouvenir lorsqu’elles ont disparu est exquis, précisément comme une douleur ? Qu'en est-il des hommes et des femmes, parqués en des camps rivaux, sans pardon ? Sous quelle protection inventerons-nous le « nouveau corps amoureux » dont parlait Rimbaud ? Nimier écrit vite, pose toutes les questions en même temps, coupe court aux démonstrations, car il sait que tout se tient. Nous perdons ou nous gagnons tout. Nous jouons notre peau et notre âme en même temps. Ce que les Grecs nommaient l'humanitas, et dont Roger Nimier se souvient en parlant de l'élève d'Aristote ou de Plutarque, est, par nature, une chose tant livrée à l'incertitude qu'elle peut tout aussi bien disparaître: « Et si l'on en finissait avec l'humanité ? Et si les os détruits, l'âme envolée, il ne restait que des mots ? Nous aurions le joli recueil de Chamfort, élégante nécropole où des amours de porphyre s'attristent de cette universelle négligence: la mort ».

Par les mots, vestiges ultimes ou premières promesses, Roger Nimier est requis tout aussi bien par les descriptifs que par les voyants, même si  « les descriptifs se recrutent généralement chez les aveugles ». Les descriptifs laisseront des nécropoles, les voyants inventeront, comme l'écrivait Rimbaud « dans une âme et un corps ». Cocteau lui apparaît comme un intercesseur entre les talents du descriptif et des dons du voyant, dont il salue le génie: «Il ne fait aucun usage inconsidéré du cœur et pourtant ses vers ont un caractère assez particulier: ils semblent s'adresser à des humains. Ils ne font pas appel à des passions épaisses, qui s'essoufflent vite, mais aux patientes raisons subtiles. Le battement du sang, et c'est déjà la mort, une guerre, et c'est la terre qui mange ses habitants ».Loin de nous seriner avec le style, qui, s'il ne va pas de soi, n'est plus qu'un morose « travail du texte », Roger Nimier va vers l'expérience, ou, mieux encore, vers l'intime, le secret des êtres et des choses: « Jean Cocteau est entré dans un jardin. Il y a trouvé des symboles. Il les a apprivoisé. »

nimier-09bf61.pngLoin du cynisme vulgaire, du ricanement, du nihilisme orné de certains de ses épigones qui donnent en exemple leur vide, qui ne sera jamais celui des montagnes de Wu Wei, Roger Nimier se soucie de la vérité et du cœur, et de ne pas passer à côté de ce qui importe. Quel alexipharmaque à notre temps puritain, machine à détruire les nuances et qui ne connaît que des passions courtes ! Nimier ne passe pas à côté de Joseph Joubert et sait reconnaître en Stephen Hecquet l'humanité essentielle (« quel maître et quel esclave luttant pour la même cause: échapper au néant et courir vers le soleil ») d'un homme qui a « Caton pour Maître et Pétrone pour ami. » Sa nostalgie n'est pas amère; elle se laisse réciter, lorsqu'il parle de Versailles, en vers de La Fontaine: « Jasmin dont un air doux s'exhale/ Fleurs que les vents n'ont su ternir/ Aminte en blancheur vous égale/ Et vous m'en faites souvenir ».

On oublie parfois que Roger Nimier est sensible à la sagesse que la vie et les œuvres dispensent « comme un peu d'eau pris à la source ». La quête d'une sagesse discrète, immanente à celui qui la dit, sera son génie tutélaire, son daemon, gardien des subtiles raisons par l'intercession de Scève: « En attendant qu'à dormir me convie/ Le son de l'eau murmurant comme pluie ».

Luc-Olivier d'Algange

Extrait d’un article paru dans l’ouvrage collectif, Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l’esprit Hussard, sous la direction de Philippe Barthelet et Pierre-Guillaume de Roux, éditions Pierre-Guillaume de Roux 2012.

mardi, 19 juillet 2016

La Science-Fiction comme littérature gramscienne

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La Science-Fiction comme littérature gramscienne

La Science-Fiction est probablement le seul genre littéraire en perpétuelle évolution. Évolution non seulement dans la multiplication de ses sous-genres, mais aussi des sous-genres eux-mêmes. De plus, ces évolutions découlent elles-mêmes de celles de notre monde et de sa complexification. Qu’il s’agisse des réseaux, de la mondialisation, ou encore des enjeux climatiques, la Science-Fiction est la seule littérature à explorer toutes ces problématiques de manière lucide, là où le reste de la littérature n’offre plus que du divertissement – bien que la Science-Fiction elle-même subit à son tour les assauts inhibitoires de la culture de masse. Asimov affirmait avec justesse qu’ « on peut définir la Science-Fiction comme la branche de la littérature qui se soucie des réponses de l’être humain aux progrès de la science et de la technologie ». Et pour cause, comme le précisait Valerio Evangelisti dans le Monde Diplomatique, « en jouant avec les systèmes-mondes, en manipulant les hypothèses, la science-fiction constitue un de ces laboratoires où se lisent l’intime composition chimique du monde actuel… et les forces qui le feront entrer en explosion ».

« La mondialisation de l’économie, le rôle hégémonique de l’informatique, le pouvoir d’une économie dématérialisée, les nouvelles formes d’autoritarisme liées au contrôle de la communication, tous ces thèmes paraissent laisser indifférents les écrivains de la « grande littérature », du moins en Europe », ajoutait Evangelisti, toujours dans son article « La Science-Fiction en prise avec le monde réel ». De fait, la Science-Fiction est le seul genre littéraire à s’intéresser véritablement aux enjeux et problématiques liées au Progrès, mais surtout la seule à permettre une véritable critique sur des sujets aussi variés que complexes, justement grâce à l’extrapolation que son cadre maximaliste offre à l’auteur et au lecteur. À contrario, le nouveau roman façon Musso  ou Levi ne s’intéresse qu’à la promotion d’un mode de vie foncièrement bourgeois, soit matérialiste, hédoniste et totalement déconnecté, non seulement des véritables problèmes, mais surtout des personnes auxquelles il s’adresse. En faisant la part belle à des protagonistes n’ayant d’autres soucis que ceux de leur garde-robe ou de leurs relations amoureuses fadasses, le nouveau roman cherche justement à instiller l’envie chez son lecteur, lui faire croire qu’atteindre ce modèle culturel doit être son objectif de vie, en sus de lui apporter réconfort et consolation grâce à un happy end systématique. Or, la Science-Fiction n’est pas une littérature de réconfort ; c’est une littérature du réel. Quel intérêt aurait eu 1984 s’il disposait d’une fin heureuse ? Quel succès aurait eu Le Meilleur des Mondes s’il ouvrait la voie au triomphe de protagonistes, en lieu et place de leur résignation ? Cependant, la dystopie n’est pas seule à faire prendre conscience aux lecteurs la réalité du Pouvoir ou de la machine capitaliste ; le cyberpunk, et même le space opera, lui ouvrent autant de grilles de lectures qu’il pourrait y avoir de romans.

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C’est justement cette élasticité et l’esprit critique inhérent à la Science-Fiction qui nous poussent à nous interroger sur sa nature gramscienne. La théorie de l’hégémonie culturelle développée par Gramsci s’épanche longuement sur le rôle organique que doivent remplir les intellectuels, mais aussi les littérateurs. En posant les problématiques propres aux fonctions nationales de la littérature, Gramsci fut l’un des premiers à proposer une sociologie de la littérature. Le « bloc historique » qu’il évoque pour renverser l’ordre établi est composé de ces mêmes intellectuels et littérateurs, car ils ont un rôle de cheville médiatrice entre les classes, à l’instar de Pasolini. La Science-Fiction remplit elle aussi cette fonction. Elle est une littérature nationale populaire en France et dans les pays anglophones, et joue toujours un rôle critique vis-à-vis du « système », du capitalisme, de la société de consommation, ou des soi-disant progrès de l’occidentalisme. À ce titre, l’on ne peut que remarquer la justesse de Gramsci qui refuse de séparer la littérature de l’ensemble des productions symboliques d’une société, et des fonctions qu’elles remplissent, là où Marx n’y voyait qu’un bien marchand comme un autre. Or, comme susmentionné, la Science-Fiction est le seul genre à s’occuper de la prise de conscience de ses lecteurs de la réalité de notre monde, là où les autres genres se concentrent sur leur fonction de divertissement et de propagande hédoniste, conformément aux exigences d’une culture de masse s’appuyant sur des logiques capitalistiques, où « dominent les histoires intimistes, qui auraient pu se passer il y a cinquante ans – ou qui pourraient se produire dans cinquante ans… Amours, passions et trahisons perpétuent leur consommation sous une lumière tamisée, dans un monde aux couleurs pâles et aux fragrances de poussière et de talc », pour citer une nouvelle fois Evangelisti. Ce dernier prouve le réalisme du genre lorsqu’il se demande « quel autre genre littéraire a-t-il jamais consacré un roman aux mécanismes des crises économiques ? », question à laquelle seules des œuvres de Science-Fiction nous viennent à l’esprit.

« Avec la métaphore, la science-fiction a su percevoir, mieux que toute autre forme de narration, les tendances évolutives (ou régressives) du capitalisme contemporain. Cela lui a souvent permis de dépasser les limites habituelles de la littérature et de se répandre dans les mœurs, les comportements, les façons de parler ordinaires, dans la vie quotidienne, en un mot. »

-Valerio Evangelisti-

Or, la puissance de la Science-Fiction, contrairement au nouveau roman ou à la bit-lit, est qu’elle s’adresse à tous. Bien sûr, elle n’est pas exempte d’auteurs qui versent dans la masturbation intellectuelle et pour lesquels il faudrait être soi-même expert en physique quantique pour y comprendre quelque chose, mais globalement le genre n’est pas aussi élitiste que les maisons d’édition et les lecteurs de mauvais romans tentent de le faire croire. Il n’y a pas besoin d’avoir un bagage scientifique pour comprendre Neuromancien, ni d’un diplôme en sciences politiques pour cerner la satire des 500 Millions de la Bégum. Au contraire même, ces ouvrages sont les exemples par excellence de l’universalité des problématiques qu’aborde la Science-Fiction, et de son accessibilité au plus grand nombre. En cela, les écrivains de ce genre littéraire jouent totalement leur rôle d’intellectuels organiques, souvent méprisés d’ailleurs par une auto-proclamée « véritablement vraie » littérature qui caracole dans des concours littéraires pompeux qui tiennent plus de la bulle sous-culturelle que du phénomène qu’on chercherait à nous faire croire. Ils constituent une caste déracinée qui ne représente plus qu’elle-même. Les écrivains de Science-Fiction ne figurent ni au Goncourt, ni dans aucune Académie que ce soit ; et c’est justement parce qu’ils font de la littérature populaire qu’ils sont considérés avec dédain. Ernst Jünger commettait d’ailleurs cet impair en refusant de reconnaître son Héliopolis comme une œuvre de Science-Fiction. L’on oublie trop souvent que nos plus grands auteurs se vantaient de faire de la littérature populaire, précisément pour s’opposer à une forme de bien-pensance culturelle et bourgeoise. Contrairement à leurs détracteurs, les auteurs de Science-Fiction représentent toujours l’autoconscience culturelle, parce qu’ils apportent une critique de la classe dominante là où les élites intellectuelles en Europe ne s’intéressent plus qu’à leur propre renommée, quitte à passer quelques compromis avec ce qu’ils sont censés combattre.

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vendredi, 15 juillet 2016

Das seltsame Leben der Genies

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Das seltsame Leben der Genies

von Prof. Dr. Paul Gottfried
Ex: http://www.blauenarzisse.de

Wie ist Franz Kafka als Mensch zu bewerten? Prof. Paul Gottfried hat sich für uns mit der Kafka-​Biographie von Reiner Stach beschäftigt.

kafkastach8-3-10-075114-0.jpgAuf Anraten eines vielseitig gebildeten Freundes aus Bayern bestellte ich mir den ersten Band des Dreiteilers über Franz Kafka (18831924), dem der Literaturwissenschaftler Reiner Stach einen Großteil seiner Lebensjahre gewidmet hat. Mehr als 650 Seiten, einschließlich der reichhaltigen Hinweise und einer umfänglichen Quellenzusammenstellung, umfasst der erste Band Die Jahre der Entscheidungen (2002). Bei all meiner Bewunderung für Stachs Leistung wurde ich nach dem Zurücklegen der ersten zweihundert Seiten schon recht lesemüde, und meine Ausdauer musste ich ausreizen, um bis zum Ende durchzuhalten.

Schreiben statt Leben?

Aber vielleicht geht meine vorläufige Bewertung daneben. Stach leuchtet mit Akribie den Lebenswandel einer wahrhaftigen Größe der modernen europäischen Literatur aus. Seine Mammutarbeit handelt von einer seelisch gestörten und kurzlebigen Figur, die wegen ihres Schreibens die meisten normalen Lebensvergnügen aufgab, und auch als Autor „nicht hervortreten“ wollte. Franz Kafkas unbeirrbare schriftstellerische Hingabe galt als Leitthema in einem am 2. September 1913 an seine damalige Verlobte Felice Bauer gerichteten Brief: „Die Lust für das Schreiben auf das größte menschliche Glück zu verzichten, durchschneidet mir unaufhaltsam alle Muskeln. Ich kann mich nicht frei machen.“

Nächtlich quälte sich Kafka schonungslos an seinen Schreiberzeugnissen ab, und tagsüber bemühte er sich bei einer Versicherungsanstalt, wo er sich als höchst tauglicher Unfallbegutachter hervortat. Die eigenartige, geschlossene Schriftsprache, die seine Romane und Erzählungen kennzeichnet, findet man nicht zufälligerweise in seinen Ratschlägen über Unfallverhütung und Zahlungsverhandlungen vor. Kafkas Vorgesetzte haben seinen Hang zu kernigen, gut durchdachten Formulierungen frühzeitig erkannt und ließen ihn auf der Berufsstufenleiter rapide nachrücken, aber jede Förderung war erwartungsgemäß mit zusätzlichen Schreibaufgaben verknüpft.

Ein literarisches Genie, aber ein – höflich ausgedrückt – schwieriger Mensch

Kafkas Bestehen auf einer nicht zu übertretenden Trennlinie zwischen seinem „Büroschuften“ und seinem nächtlichen Schaffen, eine Trennung, die er bis zu seinem Amtsaustritt 1922 wegen Schwindsucht hat bewahren wollen, entspricht den Tatsachen aber bei weitem nicht. Vielmehr zeichnet sich ein frappantes Überlappen zwischen den zwei Tätigkeitsbereichen ab. Der gezügelte Wortstil, der in seinen Berichten durchschlägt und die einleuchtenden Besprechungen der Unfallsachverhalte wurden in seine Literatur eingewoben. Wie Stach hervorhebt, liegt eine Sinnverwandtschaft zwischen der existenzialistisch erschreckenden oder schlechthin verwirrenden Lebenswelt, die man in Der Prozess, Das Schloss, Die Verwandlung und anderen derartigen Schöpfungen begegnet, und Kafkas Alltag. Kafka führte einen Balanceakt aus, als er sich schriftlich anderen verständlich zu machen versuchte. Stach betont dazu: „Was wir heute als seine spezifische Leistung wahrnehmen – die erschütternde wechselseitige Durchdringung von Intimität und strengster Form – war für Kafka ein Kraftakt, vor dem er selbst erliegen musste: Das Erlebte und das Erdachte stürzten ineinander, verschmolzen tagträumerisch, zersetzen das Realitätsprinzip, trafen sich in einem Punkt des Schreckens.“

Kafkas gestörter Isoliertheit und stets wechselnder Stimmungen schenkt Stach einen beachtlichen Teil seines ersten Bandes. Aus Kafkas postum herausgebrachtem Briefwechseln mit Felice Bauer, seinem Schwiegervater in spe, dem eigenen Vater Hermann, und dem pragdeutschen jüdischen Literaten Max Brod, der Kafkas hinterlassene Manuskripte besorgte und veröffentlichen ließ, tritt ein wohlkonturiertes Porträt des Subjekts heraus. Obwohl Stach damit bezweckt, unsere Anteilnahme zu erwecken, haben die dazugehörigen Daten nicht immer auf mich wohlwollend gewirkt. Kafkas Ichbezogenheit, widerspiegelt in seinem Verhältnis zu seiner schwer geprüften Verlobten, dringt allzu deutlich durch. Bei aller Hochachtung vor seinen verschlossenen Manieren, bemüht man sich mit der Frage, warum Felice je etwas mit diesem Einsiedler zu tun haben wollte. Stach geht ins Eingemachte über Kafkas Marotten, insbesondere über das Verhältnis zwischen seinem Sauberkeitsfimmel und seiner sexuellen Verklemmtheit. Die bevorstehende Heirat mit Franz wurde Felice erspart, ehe sie mit diesen Peinlichkeiten belastet werden musste.

Nie eingelöste Verantwortlichkeiten

Mit Kafkas gewerbetreibendem, familienbewussten Vater Hermann, Felice, und allen anderen, die den Schriftsteller bei Laune zu halten versucht haben, kann ich dagegen mitfühlen. Und wenig beeindruckt bin ich von Kafkas Begeisterung für politische Sachen, sei es für den Zionismus, die „echte“ ostjüdische Dorfkultur oder einen Sozialismus, mit dem er höchstens eine vordergründige Bekanntschaft machte.

Diese Anhänglichkeiten bedeuteten, nie eingelöste Verantwortlichkeiten durch Zujubeln auf Distanz zu entschädigen. Ungeachtet seiner großartigen literarischen Leistung und seinem tragischen Tod an Schwindsucht unweit von Wien im jungen Alter von vierzig Jahren kann ich für Kafka als Person keine glühende Anziehung verspüren. Als ich Stachs Werk las, fiel mir die Frage ein, ob Kafka ein solches Leben geführt hat, dass eine Biographie von diesem Ausmaß berechtigt sei. Nicht jeder bedeutende Literat kommt an seiner langen, ereignisreichen Existenz einem Titan nach dem Rang von Goethe nahe.

Immerhin gebührt es sich, Stachs Lebenswerk anzuerkennen. Sein Wühlen in Archiven verdient unsere Hochachtung und seine Schrift enthält sogar einige aphoristische Funken von hoher Qualität. Ich empfehle unbedingt seine Beschreibung der avantgardistischen Literaten, die sich um Franz Werfel in Prag und den angehenden Verleger Kurt Wolff in Leipzig scharten: Sie glauben „tatsächlich an die Überlegenheit einer absoluten neuen Literatur – ohne einen Gedanken daran, dass damit alles Neue verurteilt war, schon von morgen vom Neuesten überholt zu werden. Sie wollten Avantgarde sein, doch ohne den Zwang zur fortwährenden Selbstüberbietung, den dieser Begriff unweigerlich mit sich führt.”

Prag und Deutschland

Kafka verlebte seine Jugendjahre in der gegenwärtigen Hauptstadt Tschechiens innerhalb des österreichisch-​ungarischen Habsburgerreiches. Damals war Prag mit anderen Ballungszentren in dem seinerzeit vereinten Reich vernetzt. Außerdem nahmen die deutschsprechenden Staatsbürger und insbesondere die Juden mit dem deutschen Reich und seinen Stadtbewohnern mannigfache Berührung auf. Eisenbahnreisende zwischen mitteleuropäischen Großstädten sind laufend abgegangen und eingetroffen. Obwohl die Juden in diesem Netz von sprachlich, kulturell und politisch miteinander verbundenen Zentren wohlig vernetzt waren, wurden sie auch nach der geläufigen Denkrichtung einer antisemitischen Verpestung ununterbrochen ausgesetzt.

Kafka und seine Eltern waren vermeintlich an diesem auf sie einprasselnden Ungemach Mitleidende. Der junge Schriftsteller igelte sich gezwungenermaßen in seinen Kokon ein, um sich vor einer feindseligen Außenwelt abzuschirmen. Nur als sein Leidensweg zur Neige ging und als er mit einer Sozialistin und Zionistin in Berlin, Dora Dymant, eine Liebesbeziehung antrat, wurde Kafka geistig geheilt. Zu dieser Spätzeit, als Kafka mit einer tödlichen Krankheit rang, fand der Schriftsteller zu seiner echten, lange zurückgedrängten Identität zurück.

kafkablr_lkrcs9GJXq1qac37io1_500.jpgKafkas Vater

Die Lebensumstände, in welchen Kafka beheimatet war, müssen dem unbefangenen Leser als ausgesprochen mittelständisch (und gar nicht auschließlich jüdisch) vorkommen. Kafkas geschäftlich beflissener Vater wie die Familie seiner Verlobten in Berlin und andere mitteleuropäische Stadtbürger dieser Ära waren darauf aus, ein ausreichendes Einkommen zusammenzukratzen, damit sie ihren ähnlich strebsamen Bekannten imponieren konnten. Hermann Kafka wurde schwer verärgert, als Franz einen zappligen ostjüdischen Schauspieler in zerlumpter Kleidung nach Hause einlud und darauf den Eltern und Geschwistern seinen Neubekannten als einen lupenreinen Juden (im Gegensatz zu „unseren Westjuden“) vorstellte. Es besteht überhaupt kein Grund zu denken, dass die Eltern diesen unscheinbaren Gast abblitzen ließen, weil sie von Antisemiten behelligt wurden.

Kafkas Vater reagierte auf Jitzchak Löwy auf dieselbe Weise, wie seine christlichen Nachbarn es getan hätten. Stach zitiert einen aussagekräftigen Eintrag aus Kafkas Tagebuch, als er ein Heilbad am Rivasee besuchte. Dort traf er eine junge schweizerische Italienerin, die er äußerst attraktiv fand: Nach dem peinlichen Abschiednehmen führte Kafka auf seinen „westjüdischen“ Hintergrund seine gehemmte, überangepasste Gemütslage zurück. Einer deutschjüdischen Kinderstube und (bitteschön!) nicht Christen schob er den Schwarzen Peter zu. Die Familie seiner Verlobten tat Kafka als Neureiche ab, die bestrebt waren, seine „Peinlichkeiten“ heuchlerisch zu verstecken.

Verklärung der Ostjuden

Diesen ihm missfallenden Strebern stellte Kafka die eingebildete schlichte Lebensweise seiner verklärten Ostjuden gegenüber. Die Frage ließ man dabei offen: In welchem Sinn waren die Letzteren als urwüchsiger einzustufen, als die deutschjüdischen Gewerbetreibenden und Fabrikanten, die bildungsbürgerlich zu werden anstrebten? Und warum stellte Franz sich vor, dass die unter der Kuratel der Rabbiner befindlichen Ostjuden weniger verklemmt aufgewachsen wären als sein deutschjüdischer Bekanntenkreis? Zu diesem Kreis gehörten solche Frauenhelden wie Max Brod, Franz Werfel, und Felices Schwerenöter-​Bruder Ferri, der von einer Liebschaft zu der nächsten taumelte. Felices Vater brachte eine Menge Geld durch, damit er es seinen Mätressen ermöglichen konnte, wie Gott in Frankreich zu leben.

Obwohl die meisten deutschschreibenden Literaten in Prag, mit denen Kafka verkehrte, einen jüdischen Hintergrund hatten, war Kafka, wenn seine kauzige Gesinnung die Gesellschaft erlaubte, mit deutschen und tschechischen Christen befreundet. Da die Prager Deutschen dazumal besser oder häufiger gebildet waren als die Tschechen und da mitteleuropäische Juden unverhältnismäßig stark an der Hochkultur beteiligt waren, ist es kaum verwunderlich, dass Kafkas literarische Kontakte in Prag vorwiegend aus Juden bestanden.

Max Brod und Franz Kafka

Zuallerletzt: Seinen Vertrauten Max Brod, der mit Kafkas Nachlass betraut wurde, verdanken wir die Veröffentlichung von mehr als neunzig Prozent seiner literarischen Schöpfungen mit Einschluss seines hinterbliebenen Briefwechsels und seiner Tagebücher. Zu alledem brachte Brod zwei erkenntnisreiche, mit persönlichen Reminiszenzen gespickte Bände über Franz heraus, beide nach dem Zweiten Weltkrieg. Obwohl man sich schwer tun würde, Kafkas Werden in Zusammenhang mit seiner Lebenswelt ohne diese Zeugnisse gründlich zu begreifen, hat die Sache auch einen Haken. Brod hat mit sich die eigenen Bindungen und Groll herumgetragen, wie Stach reichlich beweist. Und der Kafka-​Forscher muss achtgeben, die schillernden Haltungen von Kafkas „Kurator” mit denjenigen des Subjekts als restlos überlagert zu betrachten.

vendredi, 08 juillet 2016

René Daumal, une révolte poétique et spirituelle

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René Daumal, une révolte poétique et spirituelle

Ex: http://www.zones-subversives.com

La trajectoire de René Daumal permet de présenter la créativité poétique qui alimente la première partie du XXème siècle. Il est surtout associé à la revue du Grand Jeu et aux marges du surréalisme.

« Prenez garde, André Breton, de figurer plus tard dans les manuels d’histoire littéraire, alors que si nous briguions quelques honneurs, ce serait celui d’être inscrit pour la postérité dans l’histoire des cataclysmes », prophétise René Daumal. Ce poète méconnu n’a pas tenté de créer une Église, à l’image de Breton ou Debord. Mais il incarne une certaine forme de révolte spirituelle et métaphysique. Il rejette le matérialisme dialectique mais pas la perspective révolutionnaire. Toutefois, Daumal et la revue du Grand Jeu privilégient l’expérimentation poétique, qui peut devenir une force comme une limite.

Le groupe « simpliste »

René Daumal né le 16 mars 1908 à Boulzincourt dans les Ardennes, région d’Arthur Rimbaud. Son père, Léon Daumal, s’active dans le militantisme socialiste. René Daumal découvre Alfred Jarry, l’auteur d’Ubu roi, une pièce de théâtre jugée scandaleuse. Au début du XXème siècle, Alfred Jarry s’inscrit dans le courant du symbolisme, la seule théorie d’Art véritablement nouvelle. Ce mouvement littéraire « lavé des outrageantes signifiances que lui donnèrent d’infirmes court-voyants, se traduit littéralement par le mot Liberté et, pour les violents, par le mot Anarchie », décrit Rémy de Gourmont. Jarry ne cesse de choquer le petit monde littéraire et son attitude perturbe la bienséance bourgeoise de la bonne société parisienne. Si Jarry meurt en 1907, avant la naissance de René Daumal, ce poète marque durablement les avant-gardes littéraires du XXème siècle.

Mais René Daumal ne tarde pas à rencontrer d’authentiques poètes. En classe de seconde, à Reims, il fréquente Roger Gilbert Lecomte, Robert Meyrat, Roger Vailland. René Daumal amène ce trio de farceurs à se poser de véritables questions pour pousser la réflexion, témoigne Robert Meyrat. René Daumal, adolescent discret et rêveur, écrit des poèmes qui tournent en dérision les petits évènements de la vie du lycée. Mais le groupe des « quatre R » se replie sur lui-même pour s’engager dans son aventure spirituelle. Ils méprisent les autres lycéens qu'ils condamnent à la médiocrité. René Daumal expérimente l’alcool, le tabac, le noctambulisme, l’asphyxie. Il se tourne vers les marges de la poésie et de la philosophie.

Le groupe qui se définit comme « simpliste » s’active à des gamineries. Les jeunes poètes se distinguent par des caractères différents mais partagent la même curiosité pour l’expérimentation et les mêmes affinités mystiques. Le simplisme est décrit comme « troué, effondré, malmené, une non-œuvre, une contre-œuvre pour finir » selon Yves Peyré. Le groupe simpliste, formé en 1924, utilise la drogue et l’opium pour ses expérimentations métaphysiques. Meyrat propose aux trois autres « phrères » simplistes de jouer à la roulette russe. Il vide les barillets mais ses compagnons ne sont pas au courant et prennent le jeu au sérieux. Les simplistes jouent avec leur vie de manière enfantine, comme s’il s’agissait d’une farce. L’enfance est alors considérée comme une source d’inspiration métaphysique.

René Daumal se réfère à Nerval, écrivain du rêve. Il pratique l’hypnose pour atteindre l’isolement sensoriel et un sentiment de vertige. Le simplisme est une philosophie qui « va se fonder sur cette métaphysique expérimentale, celle de "l’identité de l’existence et de la non-existence du fini vers l’infini" », selon H.J. Marxwell. Les simplistes recherchent un « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », selon la formule d’Arthur Rimbaud.

La création de la revue le Grand Jeu

daumalGJ.jpgEn 1925, René Daumal rentre en khâgne au lycée Henry IV à Paris. Lecomte et Meyrat sont restés à Reims. Mais Vailland et surtout Minet ont également rejoint la capitale. Pierre Minet, surnommé Phrère Phluet, fréquente les milieux marginaux de la bohème parisienne et joue un rôle important dans la dynamique de création d'une nouvelle revue: le Grand Jeu.

Les collaborateurs du Grand Jeu proviennent d'origines géographiques et idéologiques différentes. Le premier numéro doit être publié en 1928 pour être consacré à la Révolte. Daumal insiste “pour ne pas donner une place excessive aux poèmes”, “pour ne pas avoir l'air de jeunes gens qui veulent être imprimés. D'ailleurs, qu'importe ? - Trop de poèmes ennuient vite, la partie poétique sera d'ailleurs aussi importante que la philosophique”. René Daumal prend la direction éditoriale du projet en raison des absences de Gilbert-Lecomte et Vailland.

Mais le Grand Jeu reste dans l'ombre des surréalistes qui valorisent également la révolte. La dimension individualiste et réfractaire de cette révolte débouche, pour André Breton et les surréalistes, vers les idées anarchistes. La poésie permet également d'exprimer un dégoût pour la société et de dénoncer les contraintes sociales et morales.

La trajectoire de René Daumal croise donc celle d'André Breton mais aussi celle d'Alfred Jarry et de la pataphysique. Pour René Daumal, “Le particulier est absurde”, “Le particulier est révoltant”, toute forme prise au sérieux devient absurde. Pour Jarry, le rire pataphysique devient “la seule expression humaine du désespoir”, pour “exorciser l'absurde”. René Daumal partage avec la pataphysique une philosophie de la table rase comme préalable. Mais il s'aperçoit rapidement des limites d'une simple critique ravageuse de l'existant sans perspective. C'est ce qui explique sa dérive dans l'orientalisme mystique.

René Daumal présente la réflexion de la revue Le Grand Jeu dans un texte intitulé “Liberté sans espoir”. L'adolescent doit forger son propre jugement sans subir la moindre influence. Il doit construire son propre espace de liberté, avec une révolte sans objet. L'ironie, qui devient alors centrale, constitue la réalisation d'“actes gratuits” dans lesquels la volonté ne se soumet à aucune règle. La valeur de l'acte se mesure à “la volonté pure”. Surtout, l'être humain doit renoncer à son individualité pour s'éveiller à la dimension universelle de l'esprit humain.

Ce discours métaphysique complexe permet aux membres du Grand Jeu d'attaquer violemment la société occidentale et ses dogmes. “Faire désespérer les hommes d'eux-même et de la société” devient le but du Grand Jeu. La négation et la destruction de la société avec ses règles idiotes devient un projet salutaire. Le premier numéro du Grand Jeu comprend trois essais sur la “Nécessité de la révolte”. Ensuite, le revue intègre plusieurs poèmes.                    

Convergences et oppositions avec les surréalistes

Le Grand Jeu se rapproche des surréalistes mais aucun accord n'aboutit. En effet, le Grand Jeu accueille les exclus et dissidents du mouvement surréalistes qui critiquent l'autoritarisme d'André Breton.

L’écriture automatique émerge avec la découverte de l’inconscient par la psychanalyse. Un groupe, autour de Breton et Soupault, fonde la revue Littérature en 1919. Ce projet commence « par la démolition de tout ce qui pourrait nous accaparer. Ne pas permettre. La réussite, pouah. La première bataille se livre contre le poème, le pohème, le peau-aime, etc », écrit le jeune Aragon. Breton et Soupault écrivent le poème des Champs magnétiques, réalisés sous la dictée magique de l’inconscient. Les mots et les phrases apparaissent d’eux-mêmes. La découverte de l’aventure surréaliste par Daumal et les jeunes Rémois fait écho à leurs propres préoccupations. Mais le mouvement dada s’attaque directement à la forme poétique. « Il est parfaitement admis aujourd’hui qu’on peut être poète sans avoir écrit un vers, qu'il existe une qualité de poésie dans la rue », estime Tristan Tzara. A Paris, le mouvement dada organise des conférences destinées à créer des scandales. Le 23 janvier 1920, les acteurs sur scène massacrent un texte de Breton. Puis Tzara lit un article de journal dans un concert de crécelles. Pour Breton, cette destruction de l’art incarne « l’idée moderne de la vie ». Mais les surréalistes se séparent de dada qui combat également la poésie. L’expérimentation surréaliste peut passer par des activités médiumniques. Breton tente de supprimer le contrôle qu'exerce la raison sur l’esprit pour libérer une force spirituelle. L’investigation surréaliste se tourne alors vers l’écriture automatique et le récit des rêves.

daumalcontreciel.jpgL’esprit humain doit se libérer de ses conditionnements selon les surréalistes. En 1925, ce mouvement pose des bases précises avec, pour préalable, « un certain état de fureur ». L’action surréaliste ne se préoccupe pas de « l’abominable confort terrestre » mais vise à « changer les conditions d’existence de tout un monde ».

Mais Breton tente de démolir le Grand Jeu à partir de positions politiques de certains de ses participants. Par exemple, Vailland fait l’éloge du préfet de police de Paris dans la presse. Le Grand Jeu interdit dès lors les contributions individuelles dans la presse. Mais Breton s’attache à conserver le monopole de la contestation poétique.

Le Grand Jeu se considère comme communiste dans la destruction de l’ordre établi mais ne rejoint pas le Parti. Les intellectuels communistes sont considérés comme des policiers serviles. Mais l’aventure du Grand Jeu s’essouffle et René Daumal se tourne vers de nouveaux horizons. Le Grand Jeu, depuis les simplistes, demeure une expérience collective qui dépasse les prétentions individuelles. « L’Occident individualiste-dualiste-libre-arbritriste, triste, capitaliste-colonialiste-impérialiste et couvert d’étiquettes du même genre à n’en plus finir, il est foutu, vous ne pouvez vous en doutez comme j’en suis sûr », constate Daumal.

La trajectoire de Daumal et du Grand Jeu s’ancre dans la créativité poétique de son époque. Mais la critique de la vie quotidienne débouche vers une fuite dans la poésie et la métaphysique. Le rêve, l’expérimentation s’apparentent à une fuite hors du monde et de la civilisation occidentale. Daumal, pourtant critique lucide de l'institutionnalisation du surréalisme, ne s’inscrit pas dans une démarche de dépassement de la société marchande par l’émancipation individuelle et collective. La révolution intérieure prime sur la révolution sociale. Alors que les deux devraient être étroitement liés. Sa dérive vers la culture orientale et une forme de religiosité hindouiste révèle l’impasse d’une révolte uniquement spirituelle pour ré-enchanter.

Articles liés:

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Arthur Cravan: la vie est une aventure

L'explosion Dada

Sur René Daumal:

Jean-Philippe de Tonnac, René Daumal, l'archange, Grasset, 1998

Emission Surpris par la nuit sur René Daumal 

Emission radio consacrée à René Daumal

Dans la revue Clés

Court-métrage de Marion Crépel sur les simplistes

Sur le Grand Jeu:

Site consacré au Grand Jeu

Dans La revue des ressources: Régis Poulet, "Le Grand Jeu de René Daumal, une avant-garde à rebours"

Sur le site Traces autonomes, "Le Grand Jeu, une avant-garde critique"

Dans Libération : Frédérique Roussel, "Le cercle des phrères disparus"

Conférence : Zéno Bianu, "Rien ne va plus, faites le Grand Jeu"

Ellen Kositza über »Und doch ist es Heimat« (Jochen Metzger)

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In ihrer zehnten filmischen Buchbesprechung widmet sich »Sezession«-Literaturredakteurin Ellen Kositza dem Debütroman Jochen Metzgers: »Und doch ist es Heimat« veranschaulicht in bedrückend literarischer Form die Schrecken im nicht ganz fiktiven badischen Dorf Sandheim, das bei Kriegsende 1945 unter marokkanische Kolonialtruppen fällt.
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mercredi, 06 juillet 2016

Entretien avec Yves Bonnefoy


Entretien avec Yves Bonnefoy

par fanacau

mardi, 05 juillet 2016

Yves Bonnefoy ou recommencer une terre

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Yves Bonnefoy ou recommencer une terre

Yves Bonnefoy s'est éteint à Paris le 1er juillet. Poète de grande race, il était né à Tours d'un père ouvrier et d'une mère institutrice et vécut une enfance grisâtre qui ne sera éclairée que par la lumière de l'arrière-pays des Causses du Quercy et du Rouergue où il passait ses vacances d'été chez ses grands-parents maternels. Après des études de mathématiques et de philosophie, il s'oriente vers les lettres et les arts, la poésie bien sûr pour laquelle il a un don évident, mais également les mythes qui l'incitèrent à interroger des peintres tels que Pierro de la Francesca, Goya, Giacometti, de même qu'il traduira des oeuvres européennes comme celles de Shakespeare, Yeats ou Leopardi. Traducteur éminent de Shakespeare, l'une des phrases de celui-ci pourrait être mise en exergue de son oeuvre : Tu as rencontré ce qui meurt, et moi ce qui vient de naître. Longue méditation sur la mort et sur la finalité apparente de tout ce qui vit, l'oeuvre poétique de Bonnefoy n'est ni désespérée, ni pessimiste, comme le sont beaucoup de celles de nos jeunes poètes. Elle est, par ailleurs, l'une des moins narcissique qui soit, car toute entière tournée vers l'objet extérieur. Soucieux des innombrables perturbations que nous traversons, il avait la conviction que les poètes et les artistes ont une approche et une vision plus aiguë des crises civilisationnelles, d'où l'intérêt qu'il manisfestera pour les époques charnières et la crise de conscience vécue au XIXe siècle par un Baudelaire ou un Rimbaud. Par ailleurs, sachant que l'on ne peut discerner l'avenir sans se référer au passé, il sera toujours un témoin vigilant de notre époque agitée et négligente.

ybm_6217_765328.jpgL'horizon intellectuel du poète sera celui d'une recherche incessante. Sa soif de l'éternel, de l'unité perdue, de ce qui peut-être n'existe pas mais qu'on ne renonce jamais à atteindre, constitue son acte d'écrire, celui d'un devenir que le poème met en mouvement. L'oeuvre d'Yves Bonnefoy, qui semble être un des rares poètes à susciter l'unanimité d'estime et d'admiration de ses contemporains, n'appartient à aucune école, à aucune chapelle littéraire. Elle s'approfondit au long d'un parcours d'une rigueur et d'une authenticité qu'il faut souligner. Ses textes - poésie, prose, essai - comportent une suite de moments comparables à des voyages, à des passages, à des traversées, où veillent un désir partagé entre le passé et le puissant attrait de l'avenir, le froid nocturne et la chaleur d'un feu nouveau, la dénonciation du leurre et la visée du but.

Son extrême exigence, quant à l'authenticité du monde second, détermine une série de mises en garde à l'encontre de ce qui pourrait nous en détourner ou en tenir lieu à bon compte. La dimension d'avenir et d'espérance est capitale. Si intense que soit le sentiment d'un monde perdu, Bonnefoy ne laisse pas prévaloir le regard rétrospectif ou la pensée négative. Il appartient à la poésie, selon lui, d'inventer un nouveau rapport au monde. Marquant ses distances vis-à-vis du christianisme, le poète n'en reste pas moins attaché à l'idée d'une transcendance. S'il cherche à ranimer ou re-centrer la parole, à recommencer une terre, à retrouver la présence, ce n'est jamais pour revenir à une ancienne plénitude, mais pour tenter de définir le monde second comme lieu d'une autre totalité, d'une unité différente, de façon à ce que la perte du monde premier puisse être réparée. Confier cette tâche au langage, à la poésie, est pour Bonnefoy poser le principe que le monde second a son fondement dans l'acte de parole, car il est le seul à pouvoir nommer les choses et en appeler à l'être dans la communication vivante avec autrui.

Imagine qu'un soir
La lumière s'attarde sur la terre,
Ouvrant ses mains d'orage et donatrices, dont
La paume est notre lieu et d'angoisse et d'espoir.
Imagine que la lumière soit victime
Pour le salut d'un lieu mortel et sous un dieu
Certes distant et noir. L'après-midi
A été pourpre et d'une trait simple. Imaginer
S'est déchiré dans le miroir, tournant vers nous
Sa face souriante d'argent clair.
Et nous avons vieilli un peu. Et le bonheur
A mûri ses fruits clairs en d'absentes ramures.
Est-ce là un pays plus proche, mon eau pure ?
Ces chemins que tu vas dans d'ingrates paroles
Vont-ils sur une rive à jamais ta demeure
"Au loin" prendre musique, " au soir " se dénouer ?

Rien n'est tenu pour acquis et les leurres - quels qu'ils soient - sont à dissiper. On le voit dans le texte de sa leçon inaugurale au Collège de France en 1981 :

Bien que je place au plus haut cette parole des grands poèmes qui entendent ne fonder sur rien sinon la pureté du désir et la fièvre de l'espérance, je sais que son questionnement n'est fructueux, que son enseignement n'a de sens, que s'ils s'affinent parmi les faits que l'historien a pu reconnaître, et avec des mots où se font entendre, par écho plus ou moins lointain, tout les acquis des sciences humaines (... ) Car on se soucie autant que jamais de littérature dans la nouvelle pensée, puisque c'est dans l'oeuvre de l'écrivain que la vie des mots, contrainte sinon déniée dans la pratique ordinaire, accède, le rêve aidant, à une liberté qui semble marcher à l'avant du monde." 

Ce qui lui donne à espérer dans la poésie, c'est une vie intense qui, par-delà les mots, s'ouvre aux choses, aux êtres, à l'horizon, " en somme - comme il le dit lui-même - toute une terre rendue soudain à sa soif. De cette vocation moderne de la poésie, l'oeuvre de Bonnefoy est sans nul doute la plus engagée, la plus expressive. Avec lui le moi est tenu en éveil par le souci du monde. La nécessité absolue, selon lui, est la présence du monde et la présence au monde, ce monde reconquis sur l'abstraction et dégagé de celui nocturne des rêves, si cher aux surréalistes, un monde qui doit être restauré par le langage. Pour ne point être rejoint par les chimères et le désespoir, ce lieu retrouvé ou instauré comme un nouveau rivage, ce lieu du monde ancré dans sa réalité est à initier par le narratif, c'est ce monde second vers lequel le poète fixe sa quête, loin de toute rêverie régressive et avec l'insistance d'une innocence naturelle. Nul passéisme donc, tant il est vrai que le monde ancien ne peut plus servir de refuge, mais une alliance avec ce lieu où, déjà, se précise une unité différente, se devine une existence nouvelle.

Bonnefoy n'en reste pas moins attaché à une idée de dépassement et, sans céder à l'appel du là-bas et de l'ailleurs, qui sous-tend une désertion de l'ici et, par conséquent, une séparation, une division avec le réel, il privilégie l'humble présence des choses qu'il nous faut accepter et aimer. Ainsi se doit-on d'assumer le hasard et la présence des autres. Pour ce faire, le poète se plaît à user de mots comme maisonpainvinterrepierreorage  ; mots d'une communion simple, symboles d'une existence partagée, dégagée de la trame froide et distancée des concepts. L'incarnation, cet en-dehors du rêve, devient ainsi un bien proche et quotidien.

Aube, pourtant
Où des mondes s'attardent près des cimes.
Ils respirent, pressés l'un contre l'autre,
Ainsi des bêtes silencieuses.
Ils bougent, dans le froid.

Grâce à ces mots journaliers, la dualité de l'homme entre en apaisement : la paix, qui s'établit, laisse subsister l'écart entre les mondes et comme le souligne Jean Starobinski " l'opposition sans laquelle l'unité ne porterait pas sens".Nous sommes avec le poète dans la phosphorescence de ce qui est. C'est là son offrande aurorale aux générations à venir.

(...)

Je célèbre la voix mêlée de couleur grise
Qui hésite au lointain du chant qui s'est perdu
Comme si au-delà de toute forme pure
Tremblât un autre chant et le seul absolu.
 

(...)

Il semble que tu connaisses les deux rives,
L'extrême joie et l'extrême douleur.
Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière,
Il semble que tu puises de l'éternel.

Principaux titres de ses ouvrages chez Gallimard :

Du mouvement et de l'immobilité de Douve
Hier régnant désert
Pierre écrite
Dans le leurre du seuil

lundi, 04 juillet 2016

Poète de la présence, Yves Bonnefoy n’est plus

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Poète de la présence, Yves Bonnefoy n’est plus

Il était, depuis plus de soixante ans, l’une des voix les plus reconnaissables et les plus profondes de la poésie française: Yves Bonnefoy vient de s’éteindre à 93 ans. Il laisse une œuvre d’une ampleur considérable: plus de dix recueils de poèmes, de vingt recueils d’essais, des «récits en rêve», des livres d’histoire de l’art, des traductions de Pétrarque, de Shakespeare (une douzaine de pièces dont les plus grandes), de Donne, de Keats, de Leopardi, de Yeats, en un mot toute l’étendue du champ littéraire.

Parole vive

Et pourtant, pour ceux qui ont eu le privilège de compter parmi ses proches, c’est beaucoup moins l’aspect monumental de son entreprise poétique qui frappait d’emblée que sa présence souriante et l’amitié qu’il savait vous porter. Son charisme, si sensible aussi dans sa prose, procédait d’une attention bienveillante à l’individualité de chacun: il avait ce don de prendre autrui pour ce qu’il est et de ne rien lui demander d’autre que d’être fidèle à soi-même, ce qu’il s’efforça, sa vie durant, d’être lui aussi. Sa parole vive était un constant effort pour venir au-devant de la vôtre et d’adhérer autant qu’il le pouvait à ce qu’on lui proposait, quitte, quand il le fallait, à expliquer avec cordialité son désaccord.

La conversation passait ainsi sans transition des grandes œuvres poétiques ou artistiques, qui étaient toujours à l’horizon de son esprit, aux mille détails dont est faite la vie quotidienne, aux préoccupations les plus simples et par là les plus profondes: les enfants, la forme ou le goût du pain, la situation professionnelle, la couleur du ciel à la fin du jour, le choix d’un mot ou d’un autre. Et on repartait toujours enrichi par un échange auquel il s’était offert tout entier.

Changer la vie

YB-vieE38YDWZL._AC_UL320_SR194,320_.jpgNé à Tours le 24 juin 1923, grandi dans cette ville, puis arrivé à Paris, fin 1943, pour compléter une licence de mathématiques, il gravita tout d’abord dans l’orbite du surréalisme dont l’utopie lui parut tout d’abord confirmer son désir de trouver les «secrets pour changer la vie», mais il s’en sépara assez vite, faute d’en partager la mystique. 

Son premier recueil, Du mouvement et de l’immobilité de Douve, paru en 1953, fit entendre d’emblée la singularité de sa voix:

«Je te voyais courir sur des terrasses / Je te voyais lutter contre le vent /Le froid saignait sur tes lèvres / Et je t’ai vue te rompre et jouir d’être morte ô plus belle / Que la foudre quand elle tache les vitres blanches de ton sang»

Cette gravité voluptueuse et même extatique, à l’arrière-plan de laquelle on peut deviner l’exemple d’un Pierre Jean Jouve sinon d’un Georges Bataille, s’alliait aussi, parfois, à une allure beaucoup plus sacrificielle, voire christique:

«La lumière profonde a besoin pour paraître / D’une terre rouée et craquante de nuit / C’est d’un bois ténébreux que la flamme s’exalte / Il faut à la parole même une matière / Un inerte rivage au-delà de tout chant / Il te faudra franchir la mort pour que tu vives / La plus pure présence est un sang répandu»

Le recueil suivant, Hier régnant désert, allait, lui, revêtir une allure plus intériorisée:

«Il y a sans doute toujours au bout d’une longue rue / Où je marchais enfant une mare d’huile / Un rectangle de lourde mort sous le ciel noir. Depuis la poésie / A séparé ses eaux des autres eaux / Nulle beauté nulle couleur ne la retiennent / Elle s’angoisse pour du fer et de la nuit / Elle nourrit / Un long chagrin de rive morte, un pont de fer / Jeté vers l’autre rive encore plus nocturne / Est sa seule mémoire et son seul vrai amour»

La mélancolie de tels vers céderait toutefois par la suite au bonheur de la rencontre amoureuse, célébrée par exemple dans «Le Myrte» de Pierre écrite:

«Parfois je te disais de myrte et nous brûlions / L’arbre de tous tes gestes tout un jour / C’étaient de grands feux brefs de lumière vestale / Ainsi je t’inventais parmi tes cheveux clairs»

Puis, de façon plus jubilatoire encore, dans le grand chant du recueil qui marque peut-être le sommet de sa trajectoire poétique, Dans le leurre du seuil, paru en 1975:

«Je crie, Regarde / L’amandier / Se couvre brusquement de milliers de fleurs / Ici / Le noueux, l’à jamais terrestre, le déchiré / Entre au port. Moi la nuit / Je consens. Moi l’amandier / J’entre paré dans la chambre nuptiale»

Jamais l’assentiment au réel ne se traduira d’une manière aussi éclatante que dans ce long poème qui culmine dans une sorte de credo adressé moins à un Dieu quelconque qu’à la saveur bienfaisante du monde dont le langage poétique se fait glorification:

«Oui, par les ronces / Des cimes dans les pierres / Par cet arbre, debout / Contre le ciel / Par les flammes, partout / Et les voix, chaque soir /Du mariage du ciel et de la terre»

Récits en rêve

Ce milieu des années 1970 ne marque pas seulement un aboutissement, il est aussi un pivot. Avec la naissance de sa fille, le regard de Bonnefoy commence à se porter vers ce que Baudelaire nommait «les années profondes» et cette orientation rétrospective va aussi de pair avec une affection renouvelée pour le poème en prose ou ce qu’il nommera les «récits en rêve», comprenons de courts récits dans lesquels leur auteur tente de lâcher la bride aux modalités traditionnelles de la narration si bien que le lecteur ne sait souvent pas s’il s’agit d’un souvenir, d’une vision ou d’un rêve auquel il serait convié à participer.

Ces récits, qui à leur façon attestent le sens que le surréalisme put avoir sur Bonnefoy, constituent un aspect à mon sens capital de son apport à la modernité littéraire et je ne serais pas étonné qu’ils deviennent avec le temps son héritage le plus durable.

Un poète au Collège

En 1981, Bonnefoy est nommé au Collège de France à la chaire d’Études comparées de la fonction poétique. C’est la première fois, depuis Valéry, qu’un poète accède à cette fonction qu’il exercera durant douze ans, et il ne fait pas de doute qu’en plus de lui assurer un rayonnement intellectuel élargi, ce poste n’ait aussi contribué à alimenter la très importante part d’essais critiques qui accompagne son œuvre plus précisément poétique: l’impressionnante production de volumes rassemblant ceux-ci en témoigne.

Avec une constance remarquable – si remarquable qu’on est parfois tenté de penser qu’elle est devenue presque un système en elle-même –, l’auteur y reprend sa lutte ancienne contre ce qu’il dénonce comme l’empire toujours menaçant du «concept» – comprenons de la pensée abstraite et analytique – au profit d’une poétique de la «présence», du réel ressaisi dans son unité, qui serait, elle, l’apanage de la poésie.

A n’en pas douter, la voix de Bonnefoy était devenue depuis longtemps la voix principale de la poésie française. L’abondance de sa production, la diversité de ses formes, la profondeur avec laquelle il abordait ses sujets, tout cela lui donnait une autorité dont personne ne pouvait contester l’apanage. Pour ses amis, toutefois, c’est, autant que cette autorité, la présence souriante, enjouée, pleine d’humour de cet homme à la mèche rebelle, au beau visage et au regard si vif qui restera dans le souvenir.

Chacun de nous avait mille raisons personnelles de l’aimer. Chacun de nous a perdu un interlocuteur essentiel.

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Mort d’Yves Bonnefoy, poète de la présence

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Mort d’Yves Bonnefoy, poète de la présence

Par Cédric Enjalbert

Ex: http://www.philomag.com

Le poète, critique d’art et traducteur Yves Bonnefoy est mort ce vendredi 1er juillet 2016 à l’âge de 93 ans. Hanté par les interrogations métaphysiques, il a cherché à élucider notre rapport au monde par les moyens de l’art.

À distance respectable des concepts, qu’il soupçonnait d’écraser l’expérience, Yves Bonnefoy n’a cessé de chercher à constituer une « poétique de la présence », s’approchant au plus près de ce que Rimbaud nomme, dans Une saison en enfer, la « réalité rugueuse ». L’âpreté de la réalité l’a rattrapé : le poète longtemps pressenti pour le prix Nobel de littérature est mort ce vendredi 1er juillet à l’âge de 93 ans.

Plotin, Baudelaire et Kierkegaard

Né à Tours en 1923, d’un père ouvrier et d’une mère institutrice, il doit sa rencontre avc la littérature à son professeur de philosophie au lycée, qui lui met entre les mains la Petite Anthologie du surréalisme de Georges Hugnet. Il s’engage vers les mathématiques, mais conserve ce goût intact pour la poésie et la philosophie, qu’il étudie finalement à l’université auprès de Gaston Bachelard, Jean Hyppolite et Jean Wahl. Il entame auprès de ce dernier un mémoire sur Baudelaire et Kierkegaard, tandis qu’il lit Bataille et Plotin

YB-70466559.jpgIl fraye alors avec les surréalistes. À 23 ans, son premier poème « Le Cœur-espace » paraît dans la revue La Révolution la nuit. Suivent, alors même qu’il prend de la distance avec André Breton et ses comparses, ses premiers recueils dont Anti-Platon en 1947, réunissant ses premiers poèmes ont paru dans des revues confidentielles, où il affime sa défiance envers l’idéalisme, et Du mouvement et de l’immobilité de Douve en 1953, très vite remarqué par Maurice Nadeau, créateur de La Quinzaine littéraire. Il fond déjà dans son creuset poétique, suivant l’intuition de Rimbaud qu’il admire, un « matérialisme spontané» et « un souci inné de la transcendance ». Sa conception de l’écriture s’affirme.

Entré au Centre national de la recherche scientifique en 1954, Yves Bonnefoy y poursuit une réflexion sur l’histoire des formes artistiques. S’intéressant de près à Piero Della Francesca, il trouve dans la peinture de la Renaissance un écho à ses préoccupation liant l’histoire, la création et la finitude humaine. Dans une introduction à Tout l’œuvre peint de Mantegna (Flammarion, 1978), le critique d’art écrira ainsi : « S’il faut encore parler d’une attention au fait historique, Mantegna ne le cherche plus dans ses grands moments, ne lui demande plus la pureté de tracé qu’assure après coup le temps, on le voit s’attacher plutôt à sa relation à des êtres qui sont chacun plus complexes que l’historien ne pourra le dire, et à des préoccupations aussi, des désirs, des intérêts, certains élevés, que le récit du passé ignore. […] De l’engagement total de notre énergie dans l’histoire, qu’il a rêvé, il perçoit cette fois au moins, le caractère utopique. »

À son œuvre de poète et à ses réflexions critiques, Yves Bonnefoy ajoute rapidement une activité de traducteur. Il traduit dès 1960  Jules César, de Shakespeare, joué à l’Odéon, dans mise en scène de Jean-Louis Barrault et des décors de Balthus. Il continuera à traduire une quinzaine de pièces de Shakespeare, mais aussi William Butler Yeats, John Keats, Pétrarque et Leopardi…

La poésie en son être propre

Fondateur en 1966 de la revue de poésie et d'art L'Éphémère, publiée par les éditions de la Fondation Maeght, avec André du Bouchet, Louis-René des Forêts, Gaëtan Picon, il est rejoint ensuite par Michel Leiris et Paul Celan. Le suicide de ce dernier en 1970, le bouleverse et lui inspire Ce qui alarma Paul Celan (Galilée, 2008), un court essai à portée métaphysique dans lequel il entend élucider les raisons de cette « irréductible affliction ». Il en conclut que « la poésie ainsi reconnue et vécue au plus ordinaire des jours, c’est ce qui, au terme d’années de dissociation de soi sous le poids des événements, lui permettait d’accomplir la synthèse de tout son être ».

Alors que la publication de L’Éphémère cesse, Yves Bonnefoy s’attèle à l’écriture d’un récit autobiographique intitulé L’Arrière-pays, qui paraît en 1972. Il y témoigne de cette tentation de l’ailleurs suscité par la fréquentation de la peinture, sans cesse ramené à la conscience de sa finitude. Enseignant au Collège de France de 1981 à 1993, étudie la fonction de la poésie et son rapport aux autres arts. Il entretient ce dialogue fécond ente la poésie et la peinture en publiant régulièrement des essais avec des artistes, notamment Pierre Alechinsky, Antoni Tàpies, ou Zao Wou-Ki.

La question du rapport à la finitude et à la transcendance, encapsulé dans sa « poétique de la présence », traverse l’intégralité de son œuvre de poète et de critique d’art qu’il se penche sur les peintures murales de la France Gothique, sur l’art baroque, sur Goya, sur Giacometti, sur Rimbaud ou Baudelaire. Chez lui se cristallise « la banalisation de l’incroyance et l’effet que celle-ci a eu sur le travail des poètes », l’impossible abandon de toute forme de transcendance et une forte inclination matérialiste : « Ce n’est que quand le religieux chancela qu’il devint possible de discerner le poétique en sa différence, la poésie en son être propre. Le génie de Baudelaire aura été d’avoir eu, le premier, cette intuition du plein de la poésie mais aussi d’avoir su en explorer le possible. » écrit-il. Cherchant après lui, dans les mots de la vie quotidienne le chemin d’un ailleurs, Yves Bonnefoy a fait de cette « épiphanie de l’indicible » sa vocation de poète et le cœur de son œuvre. 

Ce qu'on doit au grec et au latin

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Ce qu'on doit au grec et au latin

Ex: http://www.marianne.net
 
Face au déclin des cadres idéologiques modernes, il est utile et urgent de lire ou de relire Tacite, Plutarque ou Cicéron. Car l'humanisme antique et ses classiques indémodables ne sont pas que l'archéologie de la pensée, ils continuent de nous donner les clés pour comprendre nos problèmes existentiels et nos crises contemporaines.

« La Grèce et Rome sont la mémoire commune de nos cultures contemporaines, mémoire qui dépasse les frontières, transcende les langues, les religions et les nationalités, mais mémoire aujourd'hui menacée par la violence intégriste comme par l'utilitarisme libéral », expliquaient la philosophe Barbara Cassin et la philologue Florence Dupont dans une pétition « pour une refondation de l'enseignement des humanités » destinée à défendre les langues antiques face à la réforme du collège proposée par Najat Vallaud-Belkacem. « Si je lis la littérature grecque ou latine, c'est parce que Homère et Horace, Lucrèce et Aristote, Sénèque et Marc Aurèle me donnent des clés pour comprendre ma vie d'aujourd'hui », renchérit le critique William Marx dans une tribune intitulée « Le grec et le latin pour préserver l'esprit du 11 janvier ». De manière inattendue et intempestive, l'antiquité gréco-latine et son héritage reviennent hanter nos débats contemporains les plus brûlants. Sur le terrain des idées, les éditeurs n'hésitent pas à rééditer des textes rares et anciens pour les faire résonner avec nos problématiques : pour parler de nos relations avec Angela Merkel, pourquoi ne pas recourir à la Germanie de Tacite (De situ ac populis Germaniae, 98 après Jésus-Christ) puisque «[vis-à-vis de l'Allemagne] la leçon de Tacite reste d'actualité», comme le justifie la quatrième de couverture ? Pour s'opposer au fanatisme, la collection «Mille et Une Nuits» propose ainsi, pour moins de 3 €, un court traité de Plutarque tout aussi ravageur que ceux de Voltaire : De la superstition.

Face au libéralisme ploutocratique, autant revenir aux origines étymologiques du mot, en lisant l'une des deux éditions de la comédie d'Aristophane Ploutos disponibles à petit prix (celle de Fayard étant très directement sous-titrée : Dieu du fric). Les futurs candidats aux primaires pourront même s'appuyer sur les conseils de Cicéron à son frère pour être élu consul - opportunément réédités sous le titre de Petit manuel de campagne électorale... Face au déclin ou à la suspicion que connaissent nos cadres idéologiques modernes, force est de constater notre besoin de retourner à l'humanisme antique et à ses classiques indémodables : Quid novi sub sole ?

daphnisXTLY1qcj84mo1_1280.jpgDe fabuleux détours

Mémoire vivante de mythes et de fictions, les romans de l'univers gréco-latin méritent d'être écoutés, sans s'arrêter à un corpus prétendument scolaire. Aussi admirables que soient ces œuvres, qui mériteraient qu'on puisse retourner vers elles d'un œil neuf, ce serait se tromper que de limiter la littérature antique aux épopées d'Homère et de Virgile, à la tragédie grecque ou aux mythologies d'Hésiode. Loin d'offrir un intérêt simplement archéologique, les romans antiques (noirs, d'aventures, historiques ou de mœurs, pour employer des catégories modernes) offrent ainsi une invitation à de fabuleux détours, en possédant la vertu d'instiller du très nouveau au cœur du supposé connu, dans une forme d'exotisme intérieur à notre culture. Certes, au sens strict, le roman, qui est un terme construit au Moyen Age, n'existait pas dans l'Antiquité - pas plus que la lecture privée et à voix basse moderne : seuls quelques récits grecs de l'époque hellénistique (Daphnis et Chloé, de Longus ; Leucippé et Clitophon, d'Achille Tatius ; les Ethiopiques, d'Héliodore ; le Roman de Chairéas et de Callirhoé, de Chariton) et quelques textes latins (le Satiricon, de Pétrone, les Métamorphoses, d'Apulée) peuvent être appelés rétrospectivement romans - mais quels romans ! Contrairement à Zola qui réduisait tous les romans antiques à « la même histoire banale et invraisemblable », le lecteur moderne, peut-être moins obsédé par le réalisme du récit et la rationalité de l'intrigue, y trouvera des récits à suspense formidablement divertissants : par exemple ce texte aujourd'hui parfaitement oublié, le Roman de Chairéas et de Callirhoé, qui accumule les voyages en mer, les revers du destin, les histoires d'enlèvements, de reconnaissance, de fausses morts, en un véritable cliffhanger à faire pâlir ses successeurs. Voulez-vous l'enchantement d'amours hors le monde ? A défaut d'une psychologie moderne, Daphnis et Chloé, pastorale sensuelle et romantique par anticipation, ringardise dans son idéalisme bien des « romances » contemporaines. Capable de se moquer de ses propres lieux communs, comme dans le délicieux Leucippé et Clitophon, d'Achille Tatius, antiroman avant la lettre, le roman grec a pour thème principal les mésaventures d'un couple uni dans un univers hostile : face à l'adversité d'un monde cruel, désordonné et absurde, l'amour et le stoïcisme du couple sont les seules valeurs qui vaillent. Les héros redécouvrent dans un monde inhospitalier et instable « la surprise de vivre au présent », comme l'explique l'historien du roman Thomas Pavel : voilà des schémas et des thèmes que ne feront au fond que reprendre, en plus ou moins bien, nos best-sellers de l'été, pour nous accompagner dans nos problèmes existentiels - amor omnibus idem. Les Latins ont quant à eux marqué notre mémoire littéraire (et des cinéastes comme Pasolini ou Fellini) par la puissance scandaleuse de leurs romans de mœurs, mais on ne saurait pour autant les réduire aux banquets du Satiricon : érotisme souriant, magie et conte initiatique, roman picaresque se mêlent à la tradition grecque du roman d'aventures dans des récits parfaitement désaxés, sans qu'on sache si les Métamorphoses d'Apulée (appelées parfois aussi l'Ane d'or pour des raisons que des millénaires d'érudition n'ont pas vraiment réussi à élucider) détournent la métaphysique platonicienne au profit du burlesque ou, au contraire, font de l'humour une voie suprême d'accès aux mystères célestes.

On n'hésitera pas non plus à découvrir des textes qui ne sont pas des fictions au sens strict, mais qui peuvent aujourd'hui être lus en tant que telles : les formidables vies et chroniques romancées des historiens antiques. Si la bataille des Thermopyles est redevenue un mythe avec 300, le film de Zack Snyder, et sa suite, 300, naissance d'un empire, de Noam Murro, il faut lire ce que Les Belles Lettres appellent la Véritable Histoire de Thémistocle, à savoir le récit, tout haletant, et, en un sens, tout aussi romanesque, qu'ont produit Plutarque, Diodore et Hérodote sur la bataille de Salamine. La Vie d'Apollonios de Tyane, de Philostrate, est moins riche en documents qu'en épisodes fantastiques sur les cultes solaires orientaux : contrairement aux Vies parallèles édifiantes de Plutarque, c'est une vie imaginaire assez rocambolesque d'un illuminé comme celles que pourraient raconter les romanciers d'aujourd'hui. Sulfureuses et cruelles jusqu'à l'horreur sont les vies racontées par Suétone, dont les empereurs dépravés font passer DSK pour un petit-maître (lisez sa Vie de Néron), et, a fortiori, celles, plus mélancoliques, de Tacite (lisez sa Vie d'Agricola) : leur vision ironique du monde politique et leur nostalgie d'un âge d'or du pouvoir trouvent, mutatis mutandis, bien des échos dans notre imaginaire français ; elle nous permet, quoi qu'il en soit, de relativiser la gravité des turpitudes contemporaines. Quant à l'Histoire véritable, de Lucien de Samosate, que l'on peut trouver dans une collection des Belles Lettres en poche sous le titre de Voyages extraordinaires, c'est, derrière l'apparence d'un récit sérieusement géographique, une facétie qui nous emmène au-delà du monde connu pour moquer Homère et Platon. Plutôt que de rappeler doctement son importance dans l'histoire de la littérature (c'est le premier récit de science-fiction et le premier exemple de voyage sur la Lune), enivrons-nous plutôt de sa verve comique désopilante dirigée à l'encontre de toute forme d'héroïsme - c'est dire à quel point, avant même que le mot « littérature » existe, les écrivains antiques étaient capables à la fois de satisfaire et de moquer nos besoins de légendes.

Romans accessibles

hersent_daphnis.jpgFin août, paraîtra un volume de 1 200 pages compact et très accessible et préfacé par Barbara Cassin, Romans grecs et latins (Les Belles lettres). D'ici là, à l'exception des Ethiopiques, le roman-fleuve d'Héliodore, qui n'est hélas facilement lisible que dans le très beau volume de la Pléiade consacré par Pierre Grimal aux Romans grecs et latins, on retrouvera tous ces récits en poche et parfois gratuitement en ligne sur Gallica dans des éditions anciennes - lorsque ce n'est pas dans des éditions numériques gratuites et facilement téléchargeables pour nos liseuses, en goûtant alors le plaisir de revenir, sur ces machines électroniques, à cette forme de lecture tabulaire qui était celle de tous les écrits dans l'Antiquité... On pourra préconiser ainsi pour les plages d'avant la réforme du collège un programme de lecture vraiment original : son principe serait de redécouvrir dans notre Antiquité notre propre étrangeté - pour emprunter une formule au héros du Patient anglais, de Michael Ondaatje : « Assez de livres. Donnez-moi Hérodote, c'est tout. » De nobis fabula narratur.

Romans grecs et latins, édition dirigée par Romain Brethes et Jean-Philippe Guez, Les Belles Lettres, 1 200 p., 35 €.

Quand les anciens inventaient les manuels de psychologie 

 

epic414-gf.jpgEn juin 1993, la collection « Mille et Une Nuits » (Fayard) lança un nouveau concept éditorial, «le classique à 10 francs», avec une réussite immédiate : la Lettre sur le bonheur, d'Epicure, se vend à plus de 100 000 exemplaires. Il sera suivi par pléthore de manuels de vie antique, bien dignes de se trouver au rayon développement personnel des librairies : on compte rien moins que six éditions à moins de 10 € de De la brièveté de la vie, de Sénèque, (certaines étant habilement suivies du commentaire célèbre de Denis Diderot). En faisant un saut par-dessus la morale chrétienne, les traités de sagesse antique, ceux-là mêmes qui nourrirent la Renaissance, viennent réintroduire les valeurs épicuriennes ou stoïques dans nos existences pressées. Plutarque est particulièrement mis à l'ouvrage, et ses traités moraux, qui faisaient le délice de Montaigne, sont transformés pro bono en opuscules utiles vendus peu cher, car ne coûtant rien en droits d'auteur aux éditeurs : on trouvera chez Arléa De l'excellence des femmes (qui est tout sauf un traité féministe avant l'heure), Erotikos («l'érotique», proposé comme une réflexion sur les vertus et les inconvénients de l'homosexualité), la Conscience tranquille (qui souligne, nous dit-on, « le bonheur de vivre loin des passions » et « la vanité insupportable des bavardages ») ou encore quatre traités sur l'Ami véritable ou les pensées de l'historien hellénistique sur l'Intelligence des animaux, leurs droits et comportements. Cicéron servira évidemment à réfléchir sur la morale (le Traité des devoirs, c'est-à-dire le De officiis), sur la Vieillesse (c'est sous ce titre que plusieurs éditeurs reprennent en poche son Caton l'ancien), un autre éditeur proposant de fabriquer une trilogie Devant la mort, Devant la souffrance, le Bonheur en découpant en extraits les Tusculanes, recueil d'entretiens philosophiques du Ier siècle avant Jésus-Christ) actualisé et transformé en bréviaire. Pour quelques euros, Pline le Jeune servira, quant à lui, quelques millénaires avant Facebook et ses détracteurs, à réfléchir à la nécessité d'un Temps à soi : là encore, par un bien habile retitrage, les lettres de l'historien latin font résonner à notre profit « la douceur et noblesse de ce temps à soi, plus beau, peut-être, que toute activité ». De la philosophie émiettée en leçons de vie pour éditeur en quête de bon coup commercial et pour lecteur en peine de normes - lorsque ce n'est pas en viatiques en tout genre, comme en témoigne la traduction dans la collection « Retour aux grands textes » du savoureux, mais bien vain, Eloge de la calvitie du rhéteur alexandrin Synésios de Cyrène (IVe siècle) : voilà à quoi nous servent aussi les antiques...

samedi, 02 juillet 2016

Jaroslav et Djamila

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Jaroslav et Djamila

Ex: http://idiocratie2012.blogspot.com

Nous empruntons à l'excellent blog Mauvaise Nouvelle cette recension du non moins excellent roman de Sarah Vajda, Jaroslav et Djamila, publié récemment par les éditions Nouvelle Marge.

Je range Jaroslav et Djamila, le dernier roman de Sarah Vajda, juste à côté de Soumission de Houellebecq. Je sais, cela défie toutes les règles des bibliothécaires et relègue l’alphanumérique aux calendes grecques. Mais quand même, il y a une sorte de correspondance entre ces deux livres. Parfois une projection féminine, parfois un complément ou encore même une image inversée. Soumission fut le roman essentiel de l’année 2015, il reste comme le symbole de l’incarnation de l’animal occidental, animal triste post-coïtum, clone postmoderne incapable de désirer Dieu, mais capable de soumission, de compromission, d’abandon…

Comment une romance de banlieue peut-elle rentrer en résonance avec Soumission? Simplement parce qu’il y a l’Islam et ses misères en background ? Sans doute et pas seulement. Parce que la femme, figure absente du dernier roman de Houellebecq, lance son chant du cygne avec Djamila, avant la mort et la folie… Parce que les deux romans manifestent la nécessité pour la personne humaine de vivre une aventure (amoureuse), et l’impossibilité désormais dans notre âge glaciaire de la vivre.

L’islam et ses misères

« Je pars sans avoir rencontré l’Afrique, ses sorciers, ses contes et ses mystères. Seul l’islam et ses misères, d’une rive à l’autre de l’océan. Plus d’ailleurs. Le béton est le même dans les faubourgs de Casa et la périphérie de Paris. » Djamila est bien cette petite fille de harki, petite fille de France, de cœur, de culture, élevée dans le welfare de province d’une France fière de sa liberté guidant le peuple. Djamila est bien née Mila. Et il a suffit simplement que sa mère Cherifa meurt pour que tout un monde bascule, que l’identité de la petite fille se perde, que son avenir disparaisse. Le père veuf, pas méchant, ne sait rien faire d’autres, dans sa tristesse, que revenir au bled, que de retourner en islam. Et si on lui refuse les circonstances atténuantes de la tristesse, on note que la dissimulation du père du temps du vivant de Cherifa est le symbole de l’islam sachant ramper le temps qu’il faut avant d’ériger son califat comme on fait dresser le serpent au son du pipeau.

Dans Soumission, ce n’est pas Mila qui se réveille Djamila, c’est toute une société, une fois la patrie honteuse morte. Le gentil père du peuple devenu président, Mohamed ben Abbes, ramène toute la France au bled. Les boutiques de la place d’Italie sont modifiées, les fesses des filles ne s’exhibent plus sous les jeans, les sociétés publiques deviennent uniquement des sociétés fades faites d’hommes. Mila devenue Djamila consentit à un mariage forcé dans l’espoir de revenir chez elle, en France. Et elle ne retrouvera plus ce chez elle, il n’existe plus pour elle, comme il n’existe plus pour tous chez Houellebecq. « Résider dans "le plus beau pays du monde" comme s’ils résidaient ailleurs, Kirche, Kinder, Küche, traduit en langue française : Mosquée, Maternité, Ménage. » s’amuse Djamila.

Le héros de Houellebecq est spectateur de la disparition de la femme dans le monde public, jouisseur en devenir de la domestication des femmes, leur chosification voire fétichisation comme sex toys légaux, dans la sphère privée. Djamila le vit. Emmurée vive dès la première page du roman. Son mari honnête n’est pas méchant (lui non plus), mais la place de la femme dans cette nouvelle vie, sa place, est celle d’un objet et non d’une personne.

La culture et le fétichisme identitaire

La révolte de Djamila, dans sa folie, entre en résonance avec l’apathie du héros de Houellebecq. L’héroïne sacrifiée ose donner sa lecture des choses, alors que le héros de Soumission n’est que le narrateur-spectateur de sa vie et du monde. Il cherche dans les livres de Huysmans de quoi se comprendre. Djamila existe dans le livre de Sarah Vajda en feu de paille, en final, une fois pour toutes, sous la forme d’un monologue qui concentre toute son existence. Il faut dire qu’elle avait pu faire des réserves d’existence depuis l’âge de ses 15 ans qui l’en avait privée. Elle balance son ironie pour que d’autres sachent ce que c’est que d’exister. « Le malheur naît avec l’héritage refusé. Ce nouvel état des choses ne suffisant sans doute pas à notre malheur, il aura fallu y ajouter une sous-culture des banlieues américaines, l’islam à l’usage des classes dangereuses via l’aumônerie de la zonzon, un islam vert-de-mort, prince de la dynamite. À l’école de la haine, tous furent de gré ou de force menés, misérables conscrits dans la grande bataille de la Oumma, aux abattoirs de la Raison. »

Djamila est faite comme les autres, comme toutes les femmes qui l’ont précédée, aucune raison d’accepter plus facilement ses chaînes. Djamila est faite comme tous les êtres humains, elle est faite pour la liberté, elle est faite pour guider le peuple… Elle le dit avant de se taire définitivement. « Le crime capital de la modernité – pour cause de grand nombre, sept milliards de voix saturent le silence – aura été d’emmurer chaque tribu dans ses rites. Les Gaulois, les muslim, les Renois, les feujs, les gays, les… les… les… Je hais le pluriel dont on fait les charniers. Charniers d’âmes ou de corps. »

rocama667_o.jpgLe désir religieux, le désir d’aventure

Que ce soit dans Soumission ou Jaroslav et Djamila, on veut bien se soumettre, mais pas sans avoir vécu une aventure, ne serait-ce que l’amorce d’une aventure, quelque chose dont on peut se sentir propriétaire. On veut bien se soumettre car on sait que l’on va mourir. Mais on veut avoir vécu. Dans Soumission le héros organise sa fuite, croit vivre quelque chose, imagine se mettre en situation de se convertir sur les pas de Huysmans, sent son « individualité se dissoudre » face à la Vierge de Rocamadour, et… revient au bercail se soumettre (éventuellement).

Dans le roman de Sarah Vajda, Djamila entre en parenthèses avec Jaroslav. Le désir de conversion de Houellebecq correspond à ce désir de tomber amoureuse de Djamila. Quelques jours à thésauriser l’amour d’adolescent qu’elle n’a jamais eu. Se rendre propriétaire de ce prénom, Jaroslav, mâché et remâché par Djamila. Quelques jours seulement avant de redescendre dans son mariage, d’être à nouveau emmurée vive, et soumise (éventuellement). Cet instant d’aventure dans les deux romans semble suspendu, en marge du cours de choses inéluctables, ce cours des choses qui se passe des personnes humaines et de leur volonté. « Je n’existe pas et ne suis pas une autre. Personne. Un nom dans le dossier "acculturation" de Nico, lettre D. Djamila. »

Le trash et la chasteté

Sarah Vajda a souhaité cette histoire d’amour très chaste, afin de pouvoir se concentrer justement sur le sentiment amoureux et ce que ce sentiment dit de la personne humaine et de son infinie liberté. « le nom de Jaroslav, le nom de l’homme qui ne t’a jamais touchée comme les hommes d'ordinaire affectent les femmes, le nom de l’homme que tu ignorais aimer. »

Le héros de Houellebecq vit un sexe sans désir. Le sexe est triste comme toujours chez Houellebecq. A vrai dire, le sexe est encore un élément du décor de l’incarnation, mais il tente de disparaître. Soit volontairement du fait d’une recherche spirituelle, soit involontairement du fait d’une profonde lassitude d’un homme qui a tout vécu. Dans son aventure vers Rocamadour, le héros de Soumission est chaste, et c’est le retour à la société qui va le faire côtoyer à nouveau le trash. Mais la vraie vulgarité n’est pas dans le trash de la jouissance, mais dans la légalisation de ce trash, voire son rendu obligatoire.

Que ce soit le trash de Houellebecq ou la chasteté souhaitée par Vajda pour son héroïne, les deux ont la capacité à faire émerger la vulgarité d’une société fondée sur une anti-culture. La vulgarité véritable, celle qui transforme les femmes en objet de consommation sexuelle, Vajda l’exprime ainsi : « Des journées entières au hammam, apprendre à s’aimer, se laisser pousser les cheveux, parure naturelle de la femme, et manger afin de donner faim. » Et cette vulgarité qui fait de la femme un outil de purification des hommes, une déchetterie ! « Le sperme, selon mes tantes, était comme de l’urine, une souillure à expulser sous peine de devenir fou et notre devoir, à nous les femmes, de recueillir cette saleté et ensuite d’aller se laver. Et fissa les filles ! Bain rituel, hygiène publique, hygiène mentale, contrôle social. Fosses d’aisance, vases de nuit, putes et pourtant propres. Sorcière, sorcière, prends garde à ton derrière ! Islam, terre de mensonges et terre d’oxymores. » Face à ce trash sociétal, ce trash de coutume, ce trash de rite, la personne humaine ne peut exprimer sa liberté que dans la quête d’une forme de chasteté impossible. Rocamadour pour Houellebecq, Jaroslav pour Djamila : « Ce n’est pas "aime-moi" que j’aurais voulu crier à Jaroslav mais "décontamine-moi". Je n’ai pas osé. »

mardi, 28 juin 2016

Maurice G. Dantec : “La Quatrième Guerre mondiale nous est déclarée”

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En hommage à Maurice G. Dantec, mort en exil

Maurice G. Dantec : “La Quatrième Guerre mondiale nous est déclarée”

Ex: http://breizatao.com

BREIZATAO – via La Revue Egards (09/04/2016) L’écrivain d’origine bretonne Maurice G. Dantec, installé au Québec après avoir décidé de “protéger sa famille des bêtes sauvages”, livre ses réflexions sur la situation actuelle dans un entretien accordé à la revue canadienne francophone “Égards” :

Nous sommes heureux, à Égards, de retrouver Maurice G. Dantec pour un entretien autour de quelques-uns de ses thèmes de prédilection: la géopolitique, la pathologie islamiste, l’histoire militaire, la littérature, l’eschatologie chrétienne. L’écrivain nous rappelle des vérités, certaines lumineuses et d’autres plus sombres.

Jean-Philippe Martini – Maurice G. Dantec, il y a une quinzaine d’années, dans le Théâtre des opérations et le Laboratoire de catastrophe générale – des œuvres qui méritent en passant d’être relues –, vous décriviez déjà une France en crise, vous annonciez déjà la conflagration européenne. Selon vous, y aura-t-il d’autres attentats jihadistes en France, mais cette fois-ci organisés par des éléments hétérodoxes en sous-traitance?

Maurice G. Dantec – Votre question est à la fois simple et complexe. D’abord, il est vrai que ce qui s’est passé en France en novembre dernier, je l’avais prédit. Je ne suis pas un mystique visionnaire: il suffisait de lire le monde tel qu’il était pour comprendre que ce nazisme islamique, qui se configure de manière claire et précise aujourd’hui, constituait une menace bien réelle. Il suffisait simplement d’être à l’écoute de ce monde de merde (excusez-moi), il y a quinze et même vingt ans. Mon expérience en Bosnie-Herzégovine m’a aussi beaucoup ouvert les yeux à ce sujet. Ce qui m’a valu à l’époque des épithètes fort désagréables et des ennuis éditoriaux sur lesquels je ne reviendrai pas.

Ensuite, est-ce qu’il y aura d’autres attentats? Encore une fois, je ne suis pas devin, mais c’est évident qu’il y en aura d’autres. Pourquoi en France? Parce que, comme on dit sur le ton de la blague: la France et l’Algérie se sont séparées en 1962, mais c’est la France qui a eu la garde des enfants. Je n’exclus pas non plus cette idée: la France est la fille aînée de l’Église. Ébranler un symbole si fort, qui a longtemps été une réalité vivante, ça paye, stratégiquement (le terrorisme, à la fin, n’est peut-être que l’art de briser les images et de renverser les symboles). Donc, cette communauté arabo-musulmane qui n’est pas entièrement (Dieu soit loué!) pieds et poings liés aux États islamiques ou au califat sunnite est aussi, malheureusement, un vivier potentiel à l’intérieur des frontières françaises ou même canadiennes. C’est-à-dire que même si l’État islamique est vaincu un jour militairement, politico-militairement – par la seule, la dernière puissance mondiale, la Russie –, je crois que ces réseaux demeureront actifs sur le sol français et sur le sol canadien. Le fanatique ne prend jamais de vacances. Et ce qui est plus grave, c’est qu’il a toujours une descendance. Le monde tel qu’il se dessine en ce début du XXIe siècle est un monde très dangereux, sans doute plus dangereux que le fut le XXe. Pourquoi? Parce qu’au XXe siècle au moins, les «camps» étaient relativement définis, si vous voyez ce que je veux dire… Avec le psychopathe du Tyrol d’un côté et le paranoïaque soviétique de l’autre.

Martini – L’utopie islamiste se répand un peu partout dans le monde. La «cause» s’internationalise, elle affecte les politiques, les discours, les mœurs. L’infrastructure des Frères musulmans semble s’être incrustée définitivement en Europe et en Amérique du Nord. Y a-t-il un manque d’intelligence ou de volonté de nos dirigeants pour réfréner ces «pulsions» islamistes?

Dantec – Depuis 1947, la plupart des gouvernements européens (ou de souche européenne en Amérique du Nord) soutiennent – à part le Parti républicain aux États-Unis, ce qui n’est pas un hasard, puisque les États-Unis ont été conçus comme un «Nouvel Israël» par les pionniers –, soutiennent, donc, les Arabo-musulmans contre vents et marées. Comme je l’écris dans mon recueil d’aphorismes à paraître, Courts-circuits, la figure du «prolétaire» qui a disparu en Occident, a été remplacée par le «bon Palestinien». Depuis 1947, quand même!, soit deux ans après Auschwitz, les gouvernements européens (ou euro-américains) appuient sans discussion la «cause arabe» contre l’État d’Israël. Ce n’est donc pas un hasard si cet antisémitisme, latent depuis la Révolution française en Europe, se camoufle sous l’appellation «antisionisme». Il a suffi que les Juifs, par la force des armes, il faut bien le rappeler, arrachent leur terre ancestrale – la Terre d’Israël ! – à ce qui n’était pas encore le Hamas. Je nomme le Hamas : on peut parler des Frères musulmans, de la République théocratique chiite, du califat sunnite, tout ça en fin de compte, c’est la même chose.

Martini – Le nazisme a été dévastateur en Europe. Le communisme, sous ses différentes dénominations (maoïstes, trotskistes, etc.), a été une effroyable imposture totalitaire sur plusieurs continents. L’islamisme qui se dresse et se braque contre l’Occident sera-t-il vaincu un jour?

Dantec – Ah ! Évidemment, moi, en tant que chrétien, je crois que les bons gagnent à la fin. Mais cette fin, c’est quand ? Ce n’est pas prévisible. Seul Dieu le sait précisément, la Sainte Trinité le sait. Au moment où l’on se parle, on n’est pas là-haut. C’est quand on est là-haut que l’on sait. On ne peut pas non plus manipuler l’Histoire humaine de là-haut. Dieu nous a fait libres. Ça, c’est une constante du christianisme, qu’on ne retrouve pas dans l’islam. Dieu nous a fait libres… Ça veut dire quoi? Que la liberté – qui a d’ailleurs la même étymologie que le mot «livre» (c’est peut-être pour cette raison que les écrivains comme moi se mobilisent quand on attaque la liberté) –, que la liberté, c’est aussi l’impossibilité de prévoir. Nous ne pouvons pas prévoir l’heure de notre mort ni même à quoi ressemblera la prochaine minute de notre vie. Et heureusement, heureusement! La vie serait intolérable si nous savions à l’avance tout ce qui va nous arriver. C’est vrai également pour l’écriture. On ne peut pas écrire décemment, je crois, si le livre est pré-écrit. Le livre est une forme de vie: c’est la vie des formes qui sont à l’intérieur. Soit la première phrase se déplie en toute liberté et l’œuvre surgit, soit le storyboard est tout tracé et le bouquin est mort-né.

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Martini – Des commentateurs un peu cyniques prétendent qu’il faudrait, sur les fronts syrien et irakien, s’allier temporairement au Hezbollah pour venir à bout de Daech. Pensez-vous que ce type de compromis soit nécessaire pour vaincre Daech?

Dantec – Ce qui se passe est très curieux. Depuis 1947, et plus encore depuis 1979, depuis la Révolution iranienne, les Arabo-musulmans, chiites comme sunnites, ont joué avec le feu. Et maintenant c’est le feu qui joue avec eux. Le Hezbollah, par rapport à l’État islamique ou à Al-Qaïda, c’est de la rigolade. En dépit des apparences, les Iraniens, les Syriens et une bonne partie du Proche-Orient sont obligés d’essayer de contrôler ce qui est devenu incontrôlable : l’État islamique ou le nouveau califat. Pourquoi ? Parce que leur propre régime est déstabilisé. Il ne s’agit pas de jouer aux anges (quoiqu’un Ange exterminateur réglerait bien des problèmes), mais d’être réaliste. Dans ce monde réel, même s’il devient de plus en plus… virtuel, il faut prendre en compte ce qui se passe. Le Hezbollah, même s’il commet des attentats au Liban et ailleurs, représente une sorte de force d’inertie. Les pays sont encore des pays, c’est encore le règne des nations, qui sont obligées de prendre le taureau par les cornes, de se positionner clairement, de frapper frontalement.

dantec1.jpgMartini – Quand on tue au nom du Jihad, à Jérusalem, à Rome ou à Paris, n’est-ce pas toujours la même idéologie qui est à l’œuvre, bien que ces attentats soient perpétrés par des groupes distincts?

Dantec – Oui. Et ces groupes soi-disant distincts, le nouveau califat ou même le nouvel Al-Qaïda, se cachent sous des appellations diverses, non contrôlées. Le monde à venir va être celui d’une confrontation plus ou moins générale, parce que le Jihad est inscrit en toutes lettres comme une valeur coranique. Je me permets une petite parenthèse. Tous ces braves gens qui interviennent dans les débats radiophoniques, télévisés, qui écrivent dans la presse sur le Coran, qui font comme M. Thomas Mulcair des réflexions sur le niqab, n’ont pas lu le Coran. Ils parlent sans savoir.

Dionne – La guerre a subi des mutations terribles au cours du XXe siècle. En ce XXIe siècle, elle est protéiforme, et comme coincée entre militarisme et pacifisme. Est-ce que vous voyez un lien entre la mutation de la guerre et la virtualisation du monde?

Dantec – La réponse est contenue dans votre question. «Militarisme» c’est une idéologie, il y a un «isme». «Pacifisme», c’est une idéologie, il y a un «isme». Par contre, les affaires militaires existent depuis que l’homme est homme. La paix aussi existe depuis que l’homme est homme. Ce qu’on observe aujourd’hui, c’est effectivement l’émergence, ou plutôt la concrétisation finale du terrorisme, qui est bien une idéologie depuis l’époque de la Terreur, celle qui a été initiée par la Révolution française (que le diable l’emporte!) en 1792. Le terrorisme engendre à son tour un climat extrêmement absurde et en même temps terrible où la guerre n’est plus un acte mais une idéologie. Et où la paix n’est plus un acte mais une idéologie.

Martini – Récemment, la tenue d’une allocution de Tariq Ramadan dans une communauté protestante en plein cœur du centre-ville de Montréal, l’Église Unie St-James, a fait beaucoup jaser. Qu’en pensez-vous, sachant que nombre de groupes protestants qui se targuent d’ouverture et de «progressisme» ne sont peut-être pas au courant que ce monsieur travaille en collaboration étroite avec un centre d’études islamiques idéologiquement orienté situé au Qatar, le Centre de Recherche sur la Législation Islamique et l’Éthique?

Dantec – Le fait que Tariq Ramadan soit présent lors d’une réunion de cette «Église Unie», une Église protestante, n’est pas un hasard. Le protestantisme, à l’origine, c’est une hérésie, qui a fondé la modernité dans ce qu’elle a de pire. L’islam, lui, n’a pas fondé la modernité, c’est presque l’inverse. C’est une hérésie qui veut rester à son état primitif de l’âge 600. Alors que ces gens-là se congratulent mutuellement, ce n’est pas vraiment fait pour m’étonner. Ce monde 2.0, comme je l’appelle, n’est pas enthousiasmant, c’est le moins que l’on puisse dire.

Dionne – Je soulèverais deux autres points, si vous le permettez. D’une part, Tariq Ramadan, c’est un peu la marionnette des furieux, une sorte de Bonhomme Carnaval de l’islamisme, qu’on promène partout en Amérique pour rassurer les inquiets et bourrer les imbéciles: l’islam est une religion de tendresse, miséricordieuse, raffinée, tolérante, etc., vous connaissez le refrain… Ramadan joue ce rôle de marionnette très consciemment. Sa stratégie est simple, banale même: présenter de l’islam un visage séduisant. D’autre part, ce n’est effectivement pas un hasard s’il parade avec les protestants (quoique des universités et des théologiens catholiques, comme l’Université Notre-Dame, comme Gregory Baum, l’invitent à prononcer des conférences et fassent son éloge). Vous l’avez très bien dit: l’islam et le protestantisme sont deux hérésies. Une de leurs caractéristiques communes, c’est ce mépris de la raison, de l’intelligence. Une sorte de haine de l’esprit les fonde, les habite et les dévore. On peut parler, avec Jean Renaud, d’une conjonction des fidéismes. Qui sont évidemment faits pour copuler ensemble.

gallimard75471-1999.jpgDantec – Je n’aurais pas mieux dit. Vraiment.

Martini – Même si globalement l’Église Unie du Canada est en décroissance numérique, pourquoi aucun dirigeant de cette communauté n’informe le public sur la proximité de Tariq Ramadan avec le controversé Youssef Al-Qaradawi? Est-ce par paresse ou par lâcheté?

Dantec – C’est peut-être par calcul. Il est évident que l’Église Unie du Canada n’a pas intérêt, vis-à-vis de ses ouailles et de l’opinion publique, à faire savoir qu’elle est un tapis rouge pour un monsieur comme Tariq Ramadan et son complice… Youssef Al-Qaradawi.

Dionne Vous évoquiez tout à l’heure votre recueil d’aphorismes, Courts-circuits. Pourquoi l’aphorisme? C’est contraire à tout ce que vous avez fait jusqu’à présent.

Dantec – Il y en avait dans Le Théâtre des opérations.

DionneMais c’était un journal.

Dantec – C’était un «journal» entre guillemets… Courts-circuits, en effet, n’est pas un journal. Le fait que j’ai perdu la vision de mon œil gauche me place devant une sorte d’obligation de concision. Je ne peux plus écrire comme avant, des romans, des ouvrages de trois cents pages. Je dois composer avec ce que je suis maintenant. Et puis j’ai cinquante-six ans… Donc, dans la journée, après votre départ par exemple, il me viendra une dizaine d’aphorismes, ce que j’appelle des commandos verbaux. Des commandos verbaux, ça peut être une poésie de quelques lignes, ou quelque chose de plus «long» qu’un simple aphorisme. Un commentaire sur un événement politique, une élection, une lecture, sur ce qui se passe avec l’islam, etc.

Dionne – Y a-t-il un rapport entre la maladie, ou du moins entre une constitution chétive, et l’aphorisme? Je pense à des hommes qui avaient une santé très fragile, Pascal, Lichtenberg, Nietzsche, qui ont pratiqué l’aphorisme, l’ont porté à des sommets. Je lis un des vôtres: «L’islam est comme la vie, une maladie mortelle transmise par vos parents.»

Dantec – Bien voilà, c’est un exemple. Comme toute littérature vraie, ses origines et sa finalité restent mystérieuses. Heureusement, encore une fois. Si nous savions tout à l’avance, ce serait d’une tristesse absolue. C’est comme la vie.

vendredi, 24 juin 2016

Faustian Europe – Action as Method

"One of the foundational pillars of Western civilization is its unique ability to modify itself and evolve, in essence to transform, via the espousal of a metaphysic of action as fluidic movement. European man, and the postmodern world to which he has given life in the crucible of Western civilization, arose in large part as a result of the active dynamism that radiates throughout the entirety of his being. The dynamism of “Faustian” Europe is based upon the principal of action, of explicit force, and of the striving for the realization of will made manifest for the purpose of transformation, of both our individual selves and the world in its totality."

Action, in the guise of movement, compelled by the impulse to perpetually overcome, forms the constituent basis of the underlying metaphysical superstructure of Europe. Action, in more exacting terms, is any act of will that elicits transformation, and the mutability of Europe is the key to its “Faustian” nature. One of the foundational pillars of Western civilization is its unique ability to modify itself and evolve, in essence to transform, via the espousal of a metaphysic of action as fluidic movement. European man, and the postmodern world to which he has given life in the crucible of Western civilization, arose in large part as a result of the active dynamism that radiates throughout the entirety of his being. The dynamism of “Faustian” Europe is based upon the principal of action, of explicit force, and of the striving for the realization of will made manifest for the purpose of transformation, of both our individual selves and the world in its totality.

Faust_1926_Poster-397x599.jpegJulius Evola, when speaking of action as expressed through the heroic, quite eloquently surmised both the nature of action and its ultimate telos of transfiguration as “being a sort of ritual evocation involving conquest of the intangible.”1 Thus it is the principal of action guided towards a perpetual striving for the intangible which, via the transfiguration of thought into form, is an externalized projection of the European soul onto the existential world. Action, made manifest and biological through the transgressive ontogenesis of European man, has endowed Western civilization with the capacity to act upon the world-historical stage in a manner that is directed, or willed, towards the orchestration of a unique historical agency that is unequivocally “Faustian” in character.

The German intellectual Hans F. K. Günther defined the concept of race as being as “a [distinct] human group marking itself off from any other group through its own peculiar combination of bodily and mental characteristics,” and it was through the transformative power of action, mediated through the dynamism of a consciously willed historical agency made existentially manifest, that European man distinguished himself in stark contrast to other, less historically active, peoples.2 As such, action and the European ability to utilize action in the service of a Nietzschean will to transform, or “Will to Power,” has endowed European man with the singular power to direct the course of his biological, spiritual, and by extension his world-historical destiny. Modernity, and later postmodernity, is firstly a consequence of the intrinsic dynamism that underpins the European soul, and secondly the metaphysical culmination of the historical and sociocultural affirmation of the hegemonic role played by Europe and its people in the actualizing of the contemporary world. The brilliant French academic Pierre Manent describes modernity as a project, a movement whose aims are limitless and without end.3 A project presupposes action, and vis-à-vis the transformative effects of an action, the self-willed European man masters his destiny by the orientation of its direction. Manent, however, erroneously espouses that modernity is a gift bestowed by the West to the entirety of the world, whereas I would counter that it is rather modernity, as an action, as movement, and as a project indigenous to Europe and its global emulation by non-European peoples, whose collective inactivity has rendered them as mere historical actors, rather than agents, and which has veered the postmodern world towards the nebulous dogmatism of egalitarianism.

Egalitarianism, like all ideologies, is devoid of the contextual adaptability necessary for transformation, and it is thus intellectually inert. Nature is inherently inegalitarian, perpetually engaged in a process of active discernment between equality and inequality, between the equal and the unequal, whereas egalitarianism, by the nature of its lack of discernment and action, is passive, static, and antithetical to Nature. Aristotle’s statement that “…Justice is equality, but only for equals; and justice is inequality, but only for those who are unequal,” echoes the notion that the dialectical tension existing between equality and inequality is a matter of discernment animated by a constant reflective process, or action, directed towards the real, rather than the synthetic.4 The egalitarianism of the contemporary Western world is synthetic in the sense that it is based upon abstraction and the tragically convoluted conviction that opportunity and result are synonymous, rather than two requisite constituents of an active process of discernment. Inegalitarianism, by virtue of its intrinsic processes or actions of discernment, is an active movement geared towards the real rather than the ideal, evidenced by the fact that it’s not an abstract construct of the human mind, but rather a mirror image of the natural world. By logical extension, inegalitarianism, by the attributes of the active properties of its being, coupled with its relation to the natural world, makes it the natural paramour to the “Faustian” civilization of Europe.

Inegalitarianism, as an active process of discernment, is a movement of action, which in turn implies preference, or direction, and direction, or the ability to orient one’s self, or a civilization as a collective whole, is one of the defining characteristics of the dynamism of the West. As alluded to above, the historical agency of the West and of the unrivaled ability of its peoples to consciously will, or orient, the course of its civilization towards the actualization of a collectively ordained objective is the hallmark that has engineered Western hegemony. In sociology, the concept of “agency” is defined as an “entities’” (individual, collective, or otherwise) interaction with their unique social structure and the bidirectional reciprocity that ensures from this interactive relationship. The global and postmodern world is a project of European invention, a projection of our collective psyche made physical and metaphysical, and as such it cannot be mimicked by peoples who don’t possess the requisite biological or spiritual material necessary for its perpetuation. The failed attempt to reconceptualize postmodernity in universalist terms has catalyzed the ascendance of the egalitarian precepts that currently dominate Western civilization, and by virtue of its contraposition to the natural world and its connate passivity, has aided in the facilitation of a European world in decline. Evoking the wisdom espoused by Guillaume Faye in Archeofuturism, the co-option of our unique European cultural heritage, specifically the postmodernist project, is not only foolhardy, but unsustainable.5 In neo-Malthusian parlance, our civilization of scale and the resources necessary for its perpetuation, both of the material and immaterial variety, isn’t feasible at a globalized level. More relevantly, the legacy of Europe is a product of the zeal and active dynamism that animates the Western soul, and because it is a consequence of our unique history, it is the sole proprietorship of our people and cannot be replicated. Emulation implies stagnation, and this term is antithetical to the dynamism that propels Europe forward.

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The impulse of vitality, the penchant for action, and the historical agency of the peoples of Europe has its origins in the ancient past, specifically in Homeric Greece. In Homer’s Iliad, Diomedes, the youngest, bravest, and the truest of the Achaeans brazenly states to his comrades who are about to give flight, “Don’t talk to me of retreat,” and it is within this simple turn of phrase that Homer captures the essence of the frenetic vitality of Europe.6 In the grand scheme of things, our ancestors never retreated, never relented, and never truly surrendered, because like the shark, we are constantly in motion, seeking to overcome ourselves and those forces inimical to our great becoming. The metaphysical basis underlying the action-oriented, heroic culture of Homeric Greece was founded upon the dualism inherent to life and death, of immortally and mortality, of activity and passivity, and thus upon the idea of the heroic, of the actionable in its truest and most pure form, and as such its praxis cannot be half-hearted. Moreover, one by definition cannot be only “a little” brave, and thus ancient Greece was a heroic culture of extremes and polarities, forged by a Weltanschauung that was founded upon the delicate balance, and in turn the dialectical synthesis, between life and death, or better as the perilous straddling of this synthesis. The purism of the thought and action of our heroic ancestors is best exemplified by the words of Julius Evola, who suggests that individuals should be oriented towards “acting without desire.”7 Action free from desire implies an organic synthesis of thought and action, whose “purity” is derived from the unity of the two seemingly discordant poles. Thus the works of Homer, which in reality were an enumeration of a much older oral tradition, was simultaneously both a reflection of early Greek culture and the literary medium for its glorification and perpetuation, a template, or as Dominique Venner phrased it, a “bible” of sorts, which would form the metaphysical impetus behind the later conquests of Alexander the Great, and by extension ancient Rome.

Although it was our Indo-European ancestors who first transcended the temporal plane, and sought prestige and status, the intangible rather than the material, it was within the culture milieu of the Greeks that this notion of the heroic life, of life atop the tip of the spear, was formally promulgated. The Greek concept of the heroic was inextricably intertwined with their notion of corporality, specifically with regard to their gods. The Theogony of the eight-century poet, Hesiod, whose works formed the basis of Hellenic religion, delineated in quite explicit terms the disjunction that existed between man and the divine, mainly that man is mortal, while the gods are not. From this notion, or realization, the Greeks codified a culture of the heroic, founded upon the principle that forceful, purpose-driven action, exuded not for riches or material gain, but rather for the immateriality of prestige, could be attained by besting their peers vis-à-vis the medium of combat, of competition based upon the pursuit of arête (Greek: excellence), in short by the personal transcendence that arises from a collective worldview which revolved around a dialectical centrifuge of life and death and the heroic. Heroism in this particular instance is not only the acknowledgment of death as an inevitability of the human condition, but also serves as a springboard from which only an elite few, those who faced death with an acute disdain for their mortality by the trials of combat, can transcend its finality by the attainment of the intangible and the immortality that emanates forth from glorious combat, from the ascesis of the struggle. As I articulated previously, the European penchant for the surpassing of space, the immaterial, and for infinity itself is a continuation of the love of arête, a passion for that which eclipses the ontic nature of the existential and surges towards the atemporal, the beyond.

faust___marguerite_by_the_savage_nymph-d4kvbor.jpgIt was in the works of Hesiod that the perspective of subjectivity, specifically the notion of the individual persona, entered into the Western literary tradition, and it was from this Hellenic literary tradition that the action of uniting the concepts of the individual and collective first entered into the transcendent soul of Europe.8 Hesiod’s elevation of subjectivity, combined with the visceral works of Homer, formulated the ideal that action, particularly within the context of the heroic, can only emerge through the cynosure of the individual deed. The genius of the Greeks, and their most munificent bestowal to Western civilization, was their remarkable ability to transmute individual action, and the social interactions generated from this individualized action, into collective action. It’s no coincidence that the eighth-century BC emergence of the polis (Greek: city-state) happened concurrently with the writing of the works both of Homer and Hesiod, and that the process of synoecism (Greek: joining together), of the demolishing of individual communities and their subsequent amalgamation into a larger, collective syncretization, formed the basis of both the polis and the “Faustian” soul of Europe. Walter Friedrich Otto, in his poetic masterpiece The Homeric Gods, speaks of the divine union of heaven and earth, representing the union of thought and action given form, when he references the works of the Greek tragedian Aeschylus and writes “of the amorous glow of ‘holy heaven’ and the nuptial yearning of Earth, who is impregnated by the rain from above” which is the metaphorical synthesis of the oneiric ethereality of the heavens and the collectivity of thought, synthesized with the externality of the Earth and manifested as individual action.9

Thus, the genesis of the intrepid European spirit, of the “Faustian” nature of Western civilization derives from its desire to transform willed thought into action, of the Nietzschean sublimation of kraft (German: force) into macht (German: power), of action made incarnate. In Goethe’s Faust, most critics focus upon the eponymous protagonists’ pursuit of the unobtainable and immortality, however it is from the individual striving of Doctor Faust to achieve immortality that the term “Faustian” is best understood in its relation to the spirit of Europe. The individual actions of Doctor Faust, which strove towards a goal that was always just beyond the horizon and towards the intangible, expressed in literary terms the collective nature of Western, or “Faustian,” civilization and its yearning for action and the distant. It’s not the abortive dream of the attainment of immortality that so defines Doctor Faust, or metaphorically our “Faustian” civilization, but rather the action itself directed towards the attainment of immortality that defines who we are as a people. Thus, in more symbolic terms, the individualized actions of Doctor Faust are reflections of the collective nature of the European soul to overcome and transcend by transformation via action as a means for becoming. The action of overcoming the delimitations associated with the seemingly disparate notions of the “individual” and the “collective” ushered in the foundational basis of the “Faustian” spirit of Western civilization. Nietzsche wrote, “I say unto you: one must still have chaos in oneself to be able to give birth to a dancing star,” and the “radical aristocrats” of Greece, whose raison d’etre was the attainment of excellence, harnessed the chaos from within by means of a perpetual action of self-overcoming, which in turn fostered a Western culture of competition and the agon, ultimately birthing a European spirit that was “Faustian” in its desire for the unobtainable and tirelessly relentless in its pursuit. In the language of Martin Heidegger, and in contradistinction to the pure abstraction of Cartesian logic, existence is about becoming and about transforming concomitantly with the actions we take in the world, and our “Faustian” civilization is the earthly actualization of our metaphysical predilection towards the attainment of the unobtainable.

Footnotes
  1. Julius Evola, Metaphysics of War (London: Arktos Media, 2011), p. 18.
  2. Hans F. K. Günther, The Racial Elements of European History (Valley Forge, PA: Landpost Press, 1992), p. 6.
  3. Pierre Manent. Metamorphoses of the City (Cambridge, MA: Harvard University Press, 2013).
  4. Wilfried Hinsch, Gerechtfertigte Ungleichheiten: Grundsätze sozialer Gerechtigkeit (Berlin: De Gruyter, 2002), p. 91.
  5. Guillaume Faye, Archeofuturism: European Visions of the Post-Catastrophic Age (London: Arktos Media, 2010).
  6. Homer, The Iliad: The Verse Translation by Alexander Pope (North Charleston, SC: CreateSpace Independent Publishing Platform, 2012), p. 122.
  7. Julius Evola, Ride the Tiger: A Survival Manual for the Aristocrats of the Soul (Rochester, VT: Inner Traditions, 2003), p. 68.
  8. P. E. Easterling & Bernard M. W. Knox, The Cambridge History of Classical Literature: Greek Literature, Vol. I (Cambridge: Cambridge University Press, 1989), p. 92
  9. Walter Friedrich Otto, The Homeric Gods: The Spiritual Significance Of Greek Religion (New York: Mimesis International, 2014), p. 36.

jeudi, 23 juin 2016

Le testament de l'orange d'Anthony Burgess

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Le testament de l'orange d'Anthony Burgess

Ex: http://www.juanasensio.com

À propos d'Anthony Burgess, Le testament de l'orange (Robert Laffont, coll. Pavillons Poche, traduction d'Hortense Chabrier et Georges Belmont, 2011).

orangetest.jpgEnderby, professeur de littérature anglaise dans une université new-yorkaise, est un de ces personnages sidérants de vérité, qu'on dirait avoir croisés dans notre propre vie.

Enderby est laid, gras, gros même, sale si l'on en juge par l'état calamiteux de l'appartement qu'il loue, obsédé de sexe (après tout, à fréquenter toute la journée ces Lolita d'étudiantes, on prend quelques risques...) mais parvenant tout de même, de temps à autre, à jouir d'une femme (plutôt jeune, professorat oblige), supérieurement intelligent encore, très drôle mais souvent à ses dépens. Un sale type.

Toute ressemblance avec un personnage réel s'arrête ici puisque Enderby écrit et a même réussi à publier certains de ses livres, bien que le poème, aussi savant que parodique, qu'il a consacré à saint Augustin et Pélage, dont nous suivons la rédaction truculente et mystico-salace, ne sera pas édité (de même que cette Odontiade, «chronique poétique en trente-deux livres d'une décadence dentaire», p. 74) puisque, dans Le testament de l'orange, Enderby mourra d'une crise cardiaque, avant que Burgess toutefois, comme pris de remords, ne le ressuscite dans le quatrième et dernier volume de ses aventures (intitulé Enderby's Dark Lady) que nous pourrions tout aussi bien nommer ses déconvenues.

La première d'entre elles, la plus grave, celle qui oriente toutes les pensées d'Enderby dont il serait tentant de faire le porte-parole de Burgess, est de vivre dans une époque grotesque où tout part en ruine, y compris même l'idée de pérennité : «[...] à Tanger où notre homme conservait plus ou moins, d'une façon, une sorte d'adresse permanente, si tant est qu'il reste de nos jours un domaine justifiant la notion de permanence» (p. 11) et ce n'est là que l'une des innombrables critiques que Burgess adresse à son époque tout entière remplie d'audiovisuel (cf. p. 44), mécanisée (cf. p. 16) et à ce point déshumanisée qu'Enderby peut raisonnablement se décrire comme étant «cent pour cent mécanaméricanisé» (p. 35), tout juste capable de vivre, ce qui signifie : «regarder la télévision, mettre des disques de chants protestataires sur l'électrophone de sa propriétaire et assister de la fenêtre aux actes de violence en bas dans la rue» (p. 53). Le monde, c'est bien le moins qu'on puisse dire avec Enderby, «rétrécit de jour en jour» (p. 60), à mesure que l'appétit de notre anti-héros, lui, semble se dilater. Phénomène classique mille fois expérimenté par les décadences : Des Esseintes, Ethal, Gray, veulent tout savoir, du moins expérimenter, ont soif de la singularité la plus aiguë, alors que la société où ils vivent s'étrique et se rabougrit sous les slogans d'une démocratie publicitaire et massifiée.

À ce titre, la description du crétinisme effronté des étudiants d'Enderby auxquels il jouera l'excellent tour de leur faire un cours sur un auteur qu'il vient d'inventer, l'évocation de son propre employeur, l'université, «maison close de progressisme et d'abdication intellectuelle» (p. 80), la description de ses déplacements dans un métro dont la faune à sombre pelage devrait faire plaisir à Richard Millet et horrifier les apôtres de l'angélisme versicolore ou bien encore l'évocation de son passage sur un plateau télévisé avec l'inévitable faire-valoir universitaire, la demi-mondaine aussi prétentieuse que sotte et le stupide présentateur (cf. chapitre 7), ces scènes sont d'une drôlerie et d'une méchanceté jouissives et, bien que parfois caricaturales, stigmatisent une époque à bout de souffle, où l'angélisme exterminateur triomphe, où l'Unique est condamné au génie ou à la déchéance, les deux en même temps souvent.

Mais il n'y a pas que drôlerie et méchanceté dans ces scènes. Le désespoir y tellement visible qu'il nous semble bien inutile de le cacher sous l'étalage de la misère insignifiante du personnage. Enderby, en effet, comme Marchenoir, semble être inconsolable après avoir constaté que son idéal, cette pureté qui est «une insulte à la face impure de ce monde» (p. 46) et «la nostalgie désespérée, commune à l'espèce, d'une ultime simplicité préservée dans la glace» (p. 72), à moins qu'il ne s'agisse, encore plus simplement, d'un rêve de grandeur passée (cf. p. 126), avait été saccagé, et non seulement saccagé mais piétiné, violenté, violé même.

En effet, Enderby, qui a lancé, devant un réalisateur de cinéma, l'idée d'adapter à l'écran Le naufrage du Deutschland du grand Manley Hopkins, n'en finit plus d'être inquiété par tout un tas de fanatiques de la pureté et de la vertu qui lui reprochent la violence et la pornographie du film tel qu'il a été ridiculement réalisé. Il est vrai que, après la sortie du film, des religieuses ont été violées par quelques voyous, allusion transparente aux faits qui eux-mêmes défrayèrent la chronique lorsque des arsouilles crurent devenir célèbres en s'inspirant du film de Kubrick, Orange mécanique, pour accomplir leurs méfaits, méfaits (et film d'ailleurs) qui furent suffisamment reprochés au réalisateur et à l'écrivain.

Le monde est cassé, la violence qui, comme la vulgarité, n'est qu'un des masques hideux du Mal, prolifère, l'enfer est probable malgré le fait que plus personne ne semble croire à son existence (cf. p. 83) : alors, dans ces conditions, que faire ?

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L'unique chance de sauver les apparences et peut-être même, pour l'homme, de réussir sa sortie, ne résiderait-elle pas dans sa liberté, dont Enderby a beau jeu de rappeler qu'elle est un don magnifique de Dieu ? Certes, c'est par la confrontation (et même le film !) qu'il imagine entre Pélage et saint Augustin que Burgess se fait le héraut d'une liberté qui, en dernier recours, doit quand même permettre à un homme raisonnable de ne point commettre le viol d'une bonne sœur, y compris même s'il est allé voir un film où de telles scènes ont été mises en images. Pourtant, Burgess semble partagé entre le pélagisme et l'augustinisme, ne serait-ce que parce qu'il clame sa conviction que l'homme naît pécheur : «La violence et le péché ont toujours été le propre de l'homme et le seront toujours» (p. 163) alors même que Pélage et saint Augustin, du haut d'une colline, assistent au saccage de Rome, le 24 août 410, par des Goths, spectacle abominable d'un vieillard cloué sur une croix, de calices dans lesquels des hommes urinent qui contraignent des femmes à en boire le contenu, spectacle qui fera dire à Augustin que : «Le Mal commence à peine à se manifester dans l'histoire de notre Occident chrétien. L'homme est mauvais, mauvais, mauvais, et il est damné pour sa méchanceté, à moins que Dieu, en son infinie miséricorde, ne lui accorde sa grâce» (pp. 225-6).

La liberté n'est point suffisante, il faut le craindre, surtout si, encore une fois selon l'Augustin de Burgess, Dieu, qui est «prescience», «prévoit le mal [et] prédamne, [...] préchâtie» (p. 226)..

Nous ne serons pas étonnés que Burgess nous suggère une autre réponse, commune à bien d'autres écrivains mais qu'il a su illustrer par sa propre écriture, si inventive et coruscante : c'est dans le langage que réside l'ultime chance d'un rachat de l'homme.

«Le plus urgent», affirme ainsi Enderby devant quelques-uns de ses étudiants ignares, «c'est la tâche de conservation : préserver la signification linguistique dans sa totalité complexe, à l'intérieur d'une forme que l'on puisse isoler de ce monde ordurier» (p. 118), définition qui ressemble fort à celle de la poésie.
J'ai noté plusieurs fois, notamment dans certaines de mes notes sur la littérature post-apocalyptique, le rôle éminent que le langage, l'écriture, les derniers livres sauvés des flammes, pouvaient remplir pour les survivants.

Il s'agit, dans tous les cas, de conserver c'est-à-dire garantir la possibilité de la transmission. Enderby à ses étudiants : «Dépêchez-vous d'apprendre la solitude : plus question (1) de faire l'amour ni même d'avoir droit à des livres. Il ne vous restera que le langage, le grand conservateur, et la poésie, la grande créatrice solitaire de formes. Bourrez-vous l'esprit de langage, nom de Dieu. Apprenez à écrire le mémorable (2) – non, pas à écrire : à composer mentalement. Le jour viendra où l'on vous interdira jusqu'au moindre bout de crayon, au moindre dos d'enveloppe» (p. 118).

Enderby semble avoir vécu ce cauchemar qui est même parvenu à bout de son désespoir moins destructeur que cynique.

Notes

(1) Nous avons supprimé ici une virgule fautive.
(2) Comment ne pas songer à l'exemple de Fahrenheit 451 de Ray Bradbury ?

mercredi, 22 juin 2016

Il y a trente ans mourait Jorge Luis Borges

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Il y a trente ans mourait Jorge Luis Borges

Auran Derien, universitaire

Ex: http://metamag.fr

Il n’a jamais reçu le prix Nobel de littérature. Pourquoi ?

Ce 14 juin 2016, on s’est souvenu que Jorge Luis Borges est mort à Genève il y a trente ans (1986). La question qui a toujours perturbé ses plus fervents lecteurs fut de comprendre les raisons de son éviction du Prix Nobel alors qu’il a rédigé une œuvre substantielle. Il se pourrait que la raison ait été entrevue clairement par un auteur mexicain, Nikito Nipongo, dans un livre publié en 1985 aux éditions Oceano : “Perlas Japonesas”. Nous proposons à nos lecteurs de partager les réflexions de Nipongo.

Quel doit être le mérite d’un Nobel de littérature ?

Ce prix a été décerné à des auteurs admirables, comme à des nullités voire à des insignifiants que personne ne lit. Pourtant, Borges se plaignait chaque fois qu’il apprenait la nouvelle de son éviction. Par exemple, en 1979, le prix couronna un obscur poète grec. Borges se lamenta: « Oui, je sais que le prix Nobel est pour Odisseus Elytis. Je ne suis pas résigné. Je me sens plutôt soulagé. Je ne connais pas l’œuvre de ce poète mais je me réjouis de ce qu’il soit Grec.»

Il nous semble que, de la part de Borges, la position digne eût été de déclarer : «Le prix Nobel, je m’en fiche». Ce prix n’honore rien. Il est simplement accompagné d’une somme d’argent appréciable. Mais Borges avait-il vraiment besoin d’argent ? Il essaya de se moquer : « C’est étrange que moi qui suit du petit nombre de ceux qui se sont intéressés à la Scandinavie, qui l’aime bien, qui ai écrit sur elle, me sente repoussé par la Scandinavie». Et encore : «Cette région m’a intéressé depuis l’époque où mon père m’avait offert une version anglaise de la « Wolksunga Saga ». Cela me plut tant que je lui demandai une mythologie nordique».

A ce type de récriminations, Borges en a rajouté d’autres, comme lorsqu’il parla de son voyage au Chili et du bon accueil qu’on lui manifesta : «Je savais que je mettais en jeu le prix Nobel lorsque je me suis rendu au Chili et que le Président….Comment s’appelle-t-il? (le journaliste qui l’interroge lui souffle : “Pinochet”). Oui, Pinochet m’a décoré. J’apprécie beaucoup le Chili et j’ai compris que c’est la Nation Chilienne, mes lecteurs chiliens qui me décoraient»… Pourtant chacun savait que la mémoire de Borges était prodigieuse. Cette manière de présenter les choses, comme s’il ne se souvenait plus de l’exécuteur d’Allende, est assez attristante ; terminer en affirmant que c’est le peuple chilien, opprimé par les militaires aux ordres de Washington, qui l’a décoré, n’est pas plus reluisant…

Il lui était impossible d’oublier sa visite du 21 septembre 1976. Lorsqu’il se présenta au siège de la junte militaire, le Palais Diego Portales de Santiago, il s’adressa en ces termes à Pinochet : «C’est un honneur d’être reçu par vous, général ; en Argentine, Chili et Uruguay on a sauvé la liberté et l’ordre». Il avait aussi soutenu que «si on considère la guerre du Vietnam comme un élément de la guerre au bolchévisme, elle est totalement justifiée». On notera aussi sa sévérité à l’égard de l’écrivain espagnol Ramón María del Valle-Inclán (1866-1936) à propos duquel il affirma : «Il me semble que Valle-Inclan est vulgaire. De très mauvais goût. Comme personne, il devait être très désagréable.» Or, Ramón María del Valle-Inclán qui voyagea plusieurs fois en Amérique Latine et fut invité au Mexique, a publié en 1926 un livre remarquable, “Tirano Banderas”, premier roman mettant en scène un dictateur hispano-américain.

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Des considérations très étranges

La manière dont Borges a parlé de la langue est aussi une cause probable de refus du Nobel. L’auteur mexicain Nipongo propose plusieurs exemples :

– Dans le livre “Borges, el palabrista” (Ed.Letra Viva, Madrid, 1980), celui-ci explique : «L’Espagnol est une langue moche. On trouve des mots splendides dans presque toutes les langues. Par exemple “cauchemar”, “nightmare”, “alptraum”, “íncubo”. En espagnol on dit pesadilla, comme si vous disiez “petite lourdeur”. C’est idiot. Mais il nous faut accepter ce mot car nous n’en avons pas d’autres». Le jugement est trop rapide. Affirmer que c’est idiot d’utiliser le mot pesadilla prouve une certaine ignorance. Il suffit de consulter le vénérable dictionnaire du XVIIIème siècle, publié en 1737, pour apprendre que « Pesadilla » signifie quelque chose qui opprime le cœur, dont la cause se trouve dans un rêve qui afflige ou encore à cause d’un repas trop plantureux. Le mot pesadilla provient d’une ancienne expression mampesadilla qui décrivait, ironiquement, la main lourde qui pèse sur le cœur du dormeur et l’angoisse.

– Dans le même ouvrage, Borges se permet d’affirmer que l’Italien et l’Espagnol sont identiques. Il explique: « J’ai dit à Battiestesa qu’il avait commis une erreur en traduisant la Divine Comédie en Espagnol, car cela entretient la croyance que l’Italien et l’Espagnol sont deux langues distinctes. Alors que ce sont deux variantes très proches d’une même langue mère, le latin». Pourtant, les difficultés semblent multiples lorsqu’on entre dans les détails. Par exemple, une bière blonde se dira cerveza clara en espagnol et birra blonda en italien. Un jus d’orange, jugo de naranja en espagnol mais spremuta di arancia en Italien.

Bref, on se demande bien pourquoi il fallut traduire la Divine comédie de l’italien à l’espagnol, tant les deux langues sont en effet semblables…

Cela explique, selon notre auteur Mexicain, le refus du Nobel à Borges. Trente ans après, on se permettra d’y ajouter une autre raison. Pour faire désigner une personne comme prix Nobel ou comme lauréat du prix de la banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel, il existe toute une organisation de lobbying, c’est-à-dire en réalité une armée de maîtres chanteurs, de corrupteurs au service d’une coterie qui espère que le prix Nobel servira de locomotive à sa propagande. La personne qui obtient le prix est donc finalement sans importance, puisqu’elle sert de fanion ou d’étendard, en général, aux niaiseries occidentales. Borges était peut-être trop indépendant. Il savait que les sbires de Washington – Kissinger notamment – avaient organisé le coup d’État au Chili et en Argentine, mais peut-être n’avait-il pas compris que les médias qui éructaient contre le coup d’Etat étaient aussi à la solde des USA.

On sait désormais que le critère pour octroyer le prix Nobel est double : le lauréat doit être servile à l’égard des lobbys les plus puissants et en même temps utile, idéologiquement, à l’époque de la remise du prix. Borges n’a jamais rempli les deux conditions simultanément.

samedi, 18 juin 2016

Jünger, il tempo e gli orologi

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Jünger, il tempo e gli orologi

di Stefano Di Ludovico

Fonte: Centro Studi La Runa

Ex: http://www.centrostudilaruna.it

sablierej.jpgSe ci fermiamo un attimo a riflettere su quale sia il gesto che, durante una nostra comune giornata, ripetiamo il maggior numero di volte, riconosceremo presto che si tratta del gesto di guardare l’orologio. Un gesto così scontato, ormai istintivo, che quasi come una funzione fisiologica accompagna la nostra esistenza, che ci appare impossibile immaginare una vita senza orologio. Il tempo, pensiamo giustamente, è il giudice supremo ed impietoso della nostra vita: come potremmo vivere senza misurarlo, senza tenerlo costantemente sotto controllo? E quale strumento migliore che i nostri orologi sempre più precisi e sofisticati?

Eppure, a pensarci bene, anche le nostre menti ormai assuefatte al ticchettio e aidisplay di questi insostituibili nostri compagni di vita non potranno non riconoscere che in effetti ci sono state intere epoche storiche, grandi civiltà che si sono alternate nel tempo e nello spazio, in cui nessuno portava l’orologio. Cosicché si resta alquanto increduli a pensare che grandi avvenimenti, guerre e battaglie, scoperte ed avventure che hanno segnato la storia dell’umanità siano avvenute senza che nessuno… sapesse che ora fosse! Che l’uomo, allora, non controllasse il proprio tempo? Che gli avvenimenti si susseguissero disordinatamente senza che nessuno li “misurasse”? Capiamo bene che ciò sarebbe impossibile: se il tempo è la dimensione più intima – ed insieme più misteriosa, ineffabile – dell’esistenza, bisogna riconoscere come ogni epoca, ovvero ogni civiltà, ha avuto il proprio specifico e peculiare rapporto con il tempo e, di conseguenza, il suo peculiare e specifico modo di coglierne l’inesorabile trascorrere.

Una storia delle “visioni del mondo”, delle visioni della vita e del cosmo che la ospita, può essere così vista da questa particolare prospettiva, ovvero come una storia delle visioni del tempo e dei modi della sua misurazione: una storia degli orologi. Nel 1954 Ernst Jünger pubblicò un curioso libro, Il libro dell’orologio a polvere. A prima vista un libro di erudizione, spesso citato di sfuggita nelle bibliografie del grande scrittore tedesco, quasi si trattasse di una delle immancabili “opere minori”. Ad uno sguardo meno superficiale, invece, una suggestiva riflessione sulla “storia del tempo”, in cui dietro la storia di quel particolare tipo di orologio che per interi secoli ha segnato lo scorrere del tempo prima dell’avvento degli attuali orologi meccanici, emerge la straordinaria vicenda dei rapporti tra uomo e tempo.

“Sono certo – racconta Jünger all’inizio dell’opera – che il lettore conoscerà quel particolare stato d’animo in cui un oggetto, non importa se usato tutti i giorni oppure osservato solo di sfuggita, acquista ai nostri occhi uno speciale fascino”: fu proprio questo incontro quasi “casuale” con una clessidra regalatagli da un amico, a trasformare quello che anche ai nostri occhi appare come null’altro che un semplice quanto singolare soprammobile, buono per scaffali d’epoca o librerie, in un “simbolo” rivelatore di una ben precisa concezione del tempo. Una concezione che allo sguardo ormai “illuminato” di Jünger appare subito come radicalmente diversa, se non addirittura agli antipodi, rispetto a quella in cui è immerso l’uomo del mondo moderno, il mondo in cui il tempo dell’orologio a povere è stato soppiantato dal tempo dell’orologio meccanico.

“Un rassicurante senso di pace, l’idea di una tranquilla esistenza”: ecco le sensazioni che Jünger prova di fronte al lento e silenzioso scorrere della polvere bianca da un recipiente all’altro della clessidra. Non è un caso, sottolinea ancora Jünger, che “l’affinità dell’orologio a polvere con la quiete degli studi eruditi e con l’intimità della casa è stata più volte osservata”. Segno consolante di un tempo che lentamente “dilegua ma non svanisce”, crescendo anzi in profondità, la clessidra evoca quelle atmosfere suscitate anche da certi quadri famosi, richiamati da Jünger nel corso dell’opera, come la Melancholia o il San Gerolamo nello studio di Dürer, o da certi ambienti appunto di studio e meditazione o di familiare convivialità, dove, non importa se trascorso in silenzio o conversando, il tempo sembra scorrere con assoluta lentezza, quasi immobile o sospeso.

L’orologio a polvere ci riconduce così a quelle epoche in cui il tempo non veniva ancora “misurato”, almeno nel senso che diamo noi oggi a tale termine; a quelle età in cui i nostri orologi meccanici, con la loro “precisione”, sarebbero stati inconcepibili. Perché più che “misurare” il tempo, la clessidra lo lascia appunto scorrere, dileguare, e l’uomo si rapporta ad esso limitandosi a stimarlo con quella che solo agli occhi dell’uomo moderno può apparire una vaga quanto inammissibile approssimazione; approssimazione che invece per l’uomo del passato costituiva il modo più consono e naturale di rispettare il trascorrere stesso del tempo.

Il sorgere e il tramontare delle costellazioni, il giorno e la notte, la sera e il mezzodì, il canto del gallo e il volo degli uccelli – unici ed effettivi riferimenti temporali dell’uomo delle società arcaiche e premoderne – rappresentano infatti unità di misurazione fluide, dove i confini netti si perdono e confondono l’un nell’altro. Era un tempo, quello, dove la parola “puntualità” era assente dal vocabolario: ci si poteva aspettare anche per interi pomeriggi, per l’intero calar del sole al tramonto, senza che ciò costituisse alcun problema. Non si era mai “di fretta” e non si aveva paura di “fare tardi”. L’uomo si adeguava al ritmo ed al corso della natura, ai suoi “tempi”; quindi il suo stesso tempo era un tempo “concreto”, legato alle molteplici attività lavorative che sullo scorrere naturale del tempo erano fondate. Ancora per gli antichi romani, la durata delle ore non era sempre la stessa, in quanto dipendeva dal tempo effettivo di luce; cosa che a noi moderni sembra un’assurdità. Perché i moderni orologi meccanici mandano in frantumi quel legame: essi misurano il tempo secondo rigide unità uniformi, perciò stesse astratte ed artificiali, che spezzano l’armonia con il tempo naturale creando una nuova “natura”, quella della “Tecnica”, che rimodella il tempo secondo propri criteri. E se per l’uomo antico era il suo concreto lavoro a fondare e scandire il tempo, per l’uomo moderno è l’astratta pianificazione temporale dei suoi orologi a fondare i tempi del lavoro e quindi dell’esistenza. “In attività come la pesca, la caccia, la semina e il raccolto – afferma Jünger – viviamo senza orologio. Ci alziamo all’alba e aspettiamo finché non abbiamo catturato la selvaggina o […] rimaniamo nei campi finché non è stato caricato l’ultimo covone. Non è l’orologio che qualifica la nostra attività; al contrario il tipo di attività qualifica il tempo”. Del resto, lo stesso cambiamento si è verificato in merito allo spazio: in passato ogni “spazio” aveva i suoi propri strumenti e le proprie unità di misura, legati anche qui all’agire concreto dell’uomo – i piedi, i passi, il palmo -, prima che tutto venisse misurato con lo stesso “metro”. E che il tempo dell’orologio meccanico sia un tempo astratto, un tempo “innaturale”, che ci tiene prigionieri e annulla la nostra libertà, è una sensazione ancora oggi ben avvertita: l’esigenza di “staccare”, di rimmergersi nel tempo naturale, è una delle più sentite dall’uomo contemporaneo, che nei sempre più rari momenti di evasione dal mondo dell’automazione pianificata – il momento della fuga verso le “foreste”, il momento degli “amanti”, del “gioco” e della “musica”, scrive Jünger – per prima cosa desidera lasciare a casa l’orologio. Perché l’orologio non si addice a questi momenti.

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E’ l’orologio a polvere, invece, proprio nella sua misurazione non eccessivamente precisa, che appare più adeguato a venire incontro a simili esigenze. Il suo non è un tempo astratto buono per tutte le occasioni, che omologa tutte le occasioni, bensì un tempo la cui durata è conforme ad un’attività ben definita. Si ricorre ad esso se si ha intenzione di studiare o pregare per circa un’ora, tenere una predica o una lezione di una mezzora, riposare o “cuocere un uovo”, dice Jünger: “in tutti questi casi l’orologio a polvere sarà […] come un fidato servitore. Proprio la possibilità di correlarlo empiricamente a determinate attività ne rivela il carattere insieme concreto e umano”. Insomma, dall’orologio a polvere non si vuole sapere “che ora è”, ma solo essere accompagnati in quella data attività, circoscrivendola in un determinato lasso di tempo. Perché l’orologio a polvere non “gira a vuoto”, come i moderni orologi meccanici, slegati da ogni relazione con la vita concreta.
Prima dell’orologio a polvere, nelle civiltà più antiche, è stato poi l’orologio solare a mettere in relazione, con ancor maggior aderenza ai cicli naturali ed al concreto operare umano, l’uomo e il tempo. Come per l’uomo arcaico la misura del tempo poteva essere fornita dall’ombra di un monte o di un albero, o dalla sua stessa ombra – il variare della cui lunghezza egli poteva costantemente osservare nel corso del giorno -, l’orologio solare, l’antico gnomone, seguiva lo stesso principio, proiettando un’ombra indicante la posizione del sole. E a tal riguardo, non dobbiamo pensare solo agli strumenti a questo scopo appositamente congegnati, come quelli che ritroviamo a Babilonia e in Egitto, e da lì poi introdotti in Grecia e a Roma: i primi orologi solari furono gli obelischi, le piramidi, le costruzioni megalitiche della preistoria. Invece di “che ora è”, si chiedeva: “Com’è l’ombra?” Gli orologi solari, a dispetto della sempre maggiore diffusione di quelli a polvere e poi di quelli meccanici, furono molto diffusi ancora nel Medioevo e fino al Settecento, continuando ad ornare, ad esempio, le cattedrali: era quindi la luce del sole a segnare il tempo, che era il tempo, in questo caso, della liturgia e delle festività religiose, il tempo “sacro”. E il tempo, prima dell’avvento di quello “tecnico” introdotto dall’orologio meccanico, è stato sempre un tempo “sacro”: se l’orologio solare si legava al ciclo del sole, quindi al movimento degli astri, simboli visibili degli dei invisibili, il rintocco delle campane delle chiese annunciava le ore canoniche della preghiera: erano queste, in numero di otto, a scandire il ritmo della giornata, e non le astratte ventiquattro dei nostri orologi meccanici.

Il tempo dell’orologio solare è un tempo ciclico, il tempo delle stagioni e dell’eterno ritornare. E’ un tempo non umano, perché il suo principio è il sole, “occhio” del Cielo; quindi tempo celeste. E’ il tempo del destino, del fato, a cui l’uomo non può sottrarsi: il corso delle ombre non dipende da lui, così come è impossibile divincolarsi dalla propria di ombra, che, proprio come il tempo e il fato, ci segue ovunque. Il tempo ciclico è così un tempo “inquietante”, tempo di antiche paure: paura che gli dei, o gli antenati, tornando, possano vendicarsi dell’ingratitudine degli uomini; o paura che il sole non torni più, negando la vita ai suoi figli prediletti, gli uomini. Il tempo ciclico è quindi anche il tempo del rito e del sacrificio. Tempo inquietante, il tempo ciclico è altresì il tempo del ricordo, il tempo della nostalgia: ricordo e nostalgia delle origini, dell’Età dell’oro, quando, in illo tempore, tutto ebbe inizio. Quindi tempo delle feste, che ritornano anch’esse ciclicamente e sulla cui cadenza si sono regolati tradizionalmente i calendari.

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Se l’orologio solare si ricollega al Cielo, l’orologio a polvere è legato alla Terra: è quindi uno strumento di misura di natura tellurica. Il primo si fonda sugli elementi celesti – la luce irradiata dal sole e il ciclico alternarsi tra luce e ombra – il secondo su quelli terreni, come la sabbia che riempie i recipienti e la forza di gravità della Terra che la fa scorrere. Strumenti tellurici sono anche i parenti più prossimi dell’orologio a polvere, gli orologi ad acqua – presenti già nell’antichità e nei quali la sabbia è sostituita dall’acqua – e gli orologi ignei – che misurano il tempo attraverso la combustione di determinate sostanze e diffusi soprattutto nel Medioevo. E se il tempo degli orologi solari è un tempo “ciclico”, il tempo degli orologi tellurici è il tempo “lineare”: qui non abbiamo a che fare con moti circolari, bensì con movimenti di materia che scorre, fluisce, in senso appunto lineare. Siamo così di fronte alle due essenziali concezioni del tempo che, attraverso alterne vicende, hanno accompagnato il cammino dell’uomo: da una parte il tempo “mitico”, dall’altra il tempo “storico”; là il tempo del ricordo e della nostalgia, qua il tempo della speranza e dell’attesa. Il tempo ciclico è un tempo che dona e restituisce; il tempo lineare un tempo che promette. Nel primo l’Eden, dove il tempo è sospeso e non battono più le ore, è posto all’inizio, prima di tutti i tempi; nel secondo alla fine, la fine dei tempi. La differenza tra le due concezioni si esprime anche nei modi di dire e nelle espressioni della quotidianità: “il tempo passa”, “il tempo fugge” riflettono la concezione lineare; “tutto torna”, “corsi e ricorsi” la concezione ciclica.

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Se l’orologio solare riflette il tempo del mito e quello a polvere il tempo della storia, l’orologio meccanico sancisce la fine della storia e l’avvento del regno della Tecnica. C’è storia, infatti, fin quando riconosciamo avvenimenti unici ed irripetibili, la cui trama disvela un senso che li lega l’un l’altro. L’orologio meccanico, dividendo il tempo in unità astratte ed uniformi, e pertanto intercambiabili – come intercambiabili sono gli individui che su di esse regolano la propria esistenza – annulla la peculiarità degli eventi e proietta l’uomo in un orizzonte privo di senso. Il tempo della Tecnica né dona né promette: si limita a “riprodurre” se stesso. Si limita a funzionare. Nel tempo della Tecnica, passato, presente e futuro sono parole “senza senso”, essendo tutti i momenti uguali, ripetibili, privi di una propria e specifica identità, dove “l’uno vale l’altro”. Nell’orologio a polvere, invece, questi tre momenti, che costituisco il filo della storia, sono ben scanditi: “nel vaso superiore – osserva Jünger – la riserva del futuro si dilegua, mentre in quella inferiore si accumulano i tesori del passato; tra le due guizzano gli attimi attraverso il punto focale del presente”. L’orologio meccanico realizza così l’aspirazione ultima dell’uomo della società tecnologica: la fine della storia e l’affermazione di un mondo che si limita a riprodurre se stesso, espandendosi indefinitivamente secondo linee di sviluppo puramente quantitative. Jünger anticipa così quelle riflessioni che costituiranno il tema centrale del successivo Al muro del tempo(1959), destinata a diventare una delle sue opere più note del periodo successivo alla seconda guerra mondiale, e dedicata appunto al problema delle nuove concezioni temporali che si annunciano al configurarsi dell’umanità post-storica.

Jünger arriva a definire l’orologio meccanico il prototipo della “macchina”, quasi l'”archetipo” di tutte le macchine. Il concetto di “macchina”, infatti, evoca subito quello di un oggetto fondato sullo stesso principio dei moderni orologi: l’automazione di una serie di ingranaggi regolati da movimenti meccanici uniformi e ripetitivi. L’orologio meccanico è quindi la necessaria premessa della macchina, perché senza di quello queste sarebbero impensabili. “Tutte le macchine e gli automi che lo seguiranno – afferma Jünger – lavorano al ritmo dell’orologio meccanico: le loro prestazioni sono traducibili nel suo tempo e si possono misurare in base ad esso”. E’ per questo che Jünger pone l’orologio meccanico a fondamento del mondo moderno: “con questo tempo ‘diverso’ ha inizio la modernità come oggi la intendiamo. Per capire cosa sia accaduto basta che guardiamo l’orologio”. La modernità non inizia né con la polvere da sparo, né con la stampa, e nemmeno con la scoperta dell’America, bensì con l’invenzione dell’orologio meccanico: “si può dire che il grande spettacolo della tecnica umana e della sempre più rigida automazione – continua Jünger – sia cominciato con il movimento del primo orologio meccanico”. Esso costituisce il primo anello di quella vasta catena, la prima maglia di quell’enorme rete planetaria tutto avvolgente che il mondo mobilitato dalla Tecnica rappresenta; il suo battito ha dato il là alla monotonia ed alla ripetitività che contraddistinguono i ritmi della nostra vita.

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Prima della comparsa dell’orologio meccanico, l’Occidente non sembra conoscere nemmeno una sua specifica “tecnica”, ed i suoi strumenti, le sue “macchine”, erano più o meno quelli del mondo antico. Solo con l’orologio meccanico, secondo Jünger, “ciò che da allora in poi avrà il nome di macchina avrà poco a che vedere con ciò che gli antichi definivano con lo stesso nome”. Perché è sempre la diversa concezione del tempo, dunque del mondo, che sta dietro a tali strumenti a definirne l’essenza e la natura, e solo la scissione dagli “elementi naturali” per l’affermazione di un tempo “artificiale” ha reso possibile la macchina nella sua accezione di modello di organizzazione totale del mondo e non di semplice strumento ad hoc, limitato ed adeguato ad una sola e specifica circostanza. Più che prima macchina, allora meglio si potrebbe definire l’orologio meccanico come primo “automa”. Certamente anche l’antichità ha conosciuto i suoi automi, ma questi, in genere, venivano considerati nulla più che stravaganze, bizzarri giocattoli frutto dell’ingegno di menti senza dubbio geniali ma al tempo stesso eccentriche. Anzi, i costruttori di macchine e di automi dei tempi passati avevano spesso la fama di maghi, stregoni, da cui era bene stare alla larga. A tal proposito, Jünger ricorda il noto e divertente episodio di Tommaso d’Aquino che distrusse a colpi di bastoni l’androide costruito dal suo maestro Alberto Magno, e che questi si divertiva a far apparire all’improvviso ai suoi ospiti. Quell’Alberto Magno ricordato dai posteri anche come mago.

E come mago, dedito addirittura alla magia “nera”, è passato alla storia anche quello che la tradizione riconosce come l’inventore dell’orologio meccanico, Gerberto di Aurillac, arcivescovo di Reims e maestro dell’imperatore Ottone III, salito al soglio pontificio nel 999 con il nome di Silvestro II, tra le menti più universali che la civiltà medievale abbia vantato. Teologo, scienziato, matematico ed inventore di numerose “macchine”, nel corso del Medioevo si intrecciano attorno alla sua figura numerose leggende, che lo vogliono esperto in magia nera ed in combutta con il demonio. Sarà un caso che la tradizione abbia indicato proprio in lui l’inventore dell’orologio meccanico? E’ comunque certo che questo abbia fatto la sua apparizione attorno all’anno mille, ed il modo con cui la mentalità medievale si raffigurava il suo presunto inventore e si rapportava alle sue creazioni la dice lunga su cosa si pensasse a quel tempo delle “macchine”: in un modo o nell’altro, erano tutte opera del “demonio”. Ancora Pio IX, in pieno Ottocento, considerava tale l’invenzione delle ferrovie. E secondo Jünger a ragione, a partire da una certa prospettiva, perché dove fa la sua comparsa la “macchina”, là muore il “sacro”. “Con la stessa diffidenza – nota Jünger – il selvaggio accosta l’orecchio all’orologio da tasca. Se pensa che vi sia nascosto un demone, forse non ha torto”. Ed è per questo, che pochi, ai tempi di Gerberto o di Alberto Magno, di fronte alle macchine come agli automi, si lambiccavano il cervello per ricercarne o intravederne le possibili implicazioni pratiche. E’ notorio, del resto, che la storia delle invenzioni antiche è spesso storia del loro mancato utilizzo, cosa che per la mentalità moderna risulta inspiegabile. A tal proposito, un’altra tradizione vedrebbe nei cinesi gli inventori anche dell’orologio meccanico; ma come per la polvere da sparo, la stampa e la bussola, anche quello sarebbe stato destinato a restare poco più che una curiosità. Solo con l’occidentalizzazione, e quindi l’affermarsi della relativa concezione del tempo, l’orologio meccanico iniziò a diffondersi anche in Cina.

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Echi di quella diffidenza, di quel sospetto, risuonano anche oggi, nel malessere e nell’insofferenza che ancora ai nostri giorni suscita in noi il contatto troppo ravvicinato con il mondo delle macchine, il mondo dell’orologio meccanico, che spesso additiamo come il vero responsabile delle nostre ansie e del nostro stress quotidiano. Ancora oggi, dice Jünger, avvertiamo che “esso indica realmente un tempo diverso da quello che scorre. Anche quando parliamo del movimento, del corso del tempo, del trascorrere del tempo, alludiamo a questo tempo antico, continuo, indiviso. Ma la lancetta dell’orologio non si muove secondo le sue leggi”. La lancetta non scorre, ma si muove a scatti; si ferma per poi riscattare in avanti e così all’infinito. Che tempo è mai questo? Un tempo che non scorre più, fluido e silenzioso, come scorrevano la sabbia o l’acqua della clessidra, la fiamma che bruciava il lucignolo dell’orologio igneo o l’ombra dello gnomone seguendo i movimenti degli astri. Eppure, proprio al fine di misurarlo e dominarlo meglio, di strapparlo alle forze elementari della natura e costringerlo entro le mura della nostra città, “fu concepita l’idea di misurare e suddividere il tempo con quelle macchine che noi chiamiamo orologi. […] Così cominciarono la loro corsa tutti gli orologi che oggi ‘vanno'”. Ma, osserva Jünger, è lecito chiedersi se in questo modo ci siamo costruiti un palazzo o una prigione. Resta il fatto che “all’epoca degli orologi a polvere tutti avevano più tempo di oggi che siamo accerchiati dagli orologi”. Abbiamo voluto misurare e dominare meglio il tempo; ma forse “il mondo degli orologi e delle coincidenze è il mondo degli uomini poveri di tempo, che non hanno tempo”.

mercredi, 15 juin 2016

Éric Zemmour devrait lire Dominique de Roux

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Éric Zemmour devrait lire Dominique de Roux

par Georges FELTIN-TRACOL

Éric Zemmour fait débuter son célèbre Suicide français à la présidence de Georges Pompidou. Dans son entreprise bienvenue de déconstruction des déconstructeurs de notre civilisation, le journaliste – polémiste conserve de ces temps éloignés une nostalgie certaine, celle de la fin des « Trente Glorieuses », corroborée par de multiples témoignages de Français qui en gardent le souvenir ému du plein emploi et de la prospérité économique. Années bénies de la présidence du natif de Montboudif qui gouvernait une France enfin apaisée.

 

Cette ère relative de sérénité collective se clôt, le 2 avril 1974, par la mort de Pompidou. Deux mois auparavant sortait le film de Jean Yanne, Les Chinois à Paris; quelques jours après la présidentielle disparition paraissait La France de Jean Yanne par Dominique de Roux. Mort en 2003 à l’âge de 69 ans, Jean Yanne fut un chanteur, un humoriste, un acteur, un auteur et un réalisateur qui participait volontiers aux émissions télévisées et radiophoniques de Jacques Martin et de Philippe Bouvard. Impertinent, caustique et gouailleur, Jean Yanne ne se privait jamais de se moquer des tares de la société française en recourant à toutes les subtilités de notre belle langue. Son film, Les Chinois à Paris, hautement corrosif parce qu’il s’attaquait à la fois au résistancialisme muséal installé et à la mode Mao en cours au Quartier latin, devenu l’antichambre en bord de Seine de la Révolution culturelle à Pékin, souleva déjà l’indignation des bien-pensants.

 

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Les bien-pensants, Dominique de Roux les méprisait souverainement et s’en gaussait régulièrement. Il faut reconnaître qu’il avait payé cher cette impertinence depuis Immédiatement (1971) et les sévères critiques à l’encontre de Maurice Genevoix et Roland Barthes. Ostracisé d’une République des Lettres faisandée, Dominique de Roux s’apprêtait à partir pour le Portugal et ses interminables guerres coloniales africaines. Avant son départ et en guise de solde pour tout compte, il laissa à ses compatriotes ce nouvel ouvrage. Jean Yanne accepta d’ailleurs de le préfacer, préface qu’on ne retrouve pas dans la présente réédition pour des questions de droits d’auteur.

 

Dominique de Roux et Jean Yanne ne pouvaient que se rencontrer tant ils suffoquaient dans la société pompidolienne, cette société qui essayait péniblement – et sans le moindre succès ! – de combler le vide abyssal laissé par l’absence définitive de l’homme de Colombey-les-Deux-Églises. Dominique de Roux en veut beaucoup à Pompidou, « lui qui avait mis tant de hâte à tomber le Général, à le finir, et à interpréter le gaullisme (p. 18) ». Cette hostilité à l’égard de l’ancien Premier ministre se rencontrait aussi chez de cette figure du gaullisme de gauche et ancien des « relèves des années 1930 », Louis Vallon, auteur en 1969 d’un terrible pamphlet, L’Anti-de Gaulle.

 

France_de_Jean_Yanne.jpgNouveau préfacier de La France de Jean Yanne, l’écrivain Richard Millet comprend cette colère contre le responsable d’un « appel de Rome » en janvier 1969. Il se trompe néanmoins sur un point politique précis. Il évoque la candidature à la présidentielle du président du Sénat, Alain Poher, chef de l’État par intérim. Il confond le second intérim de Poher avec son premier en 1969 au cours duquel il fut effectivement battu au second tour par Pompidou.

 

Comme pour L’Ouverture de la chasse (1968) et Immédiatement, La France de Jean Yanne rassemble des réflexions et des aphorismes. Rédigées à la fin des années 1960 et au début de la décennie 1970, les sentences gardent encore une fraîcheur pour 2016. « Le reste, tout le reste ne concerne pas la France, mais les habitants actuels d’un espace géographique qui à partir de 1918 ont commencé à se perdre dans les sables de la carambouille et des bégaiements hémiplégiques, nouveaux tenanciers de quelques phantasmes culturels, à la limite de la convulsion (p. 93). »

 

Gaulliste singulier et avant-gardiste, Dominique de Roux éprouve un vif attachement pour Charles de Gaulle. « Qualités et défauts, il restera un général républicain de tradition aristocratique. Aristocrate : qui sait se prononcer contre ses propres intérêts (p. 99). » La définition s’applique aussi à l’auteur lui-même puisque, plutôt que de profiter d’une notoriété certaine, il se met volontiers à dos tout le petit monde de l’édition. Il constate bien avant Éric Zemmour que « les écrivains français devraient reprendre les classiques en faveur de la France (p. 145) ». Grande persiste son inquiétude pour l’avenir de la France. « Tout ce qui touche à la France est investi séance tenante d’une indifférence à l’essentiel. Instinct, inspiration personnelle sont empoisonnés aux sources. Il s’agit de coller au subalterne, de tourner à cloche-pied dans les cases des vertus de bourgeoisie, ce phare crétinisant du découragement collectif (p. 168). »

 

Dominique de Roux ajuste ses coups. Paria au sein des éditeurs, il se montre juste et cruel. « Quand on voit ce que devient l’édition en France ! Si souvent gargote, elle laisse échapper ses mesures : confusion des valeurs, glose lugubre, énorme amas de chansonnettes, commercialisation du clerc; l’atmosphère intellectuelle des baignoires de la rue Lauriston, grisaille de la porno ou le gosier glouton des femmes aux ailes de bécasse (pp. 50 – 51). » Il prévient en outre le lecteur de la censure implicite qui se manifeste dorénavant en maîtresse absolue sur les Lettres. « Les Amalrik, les Boukovsky sont des milliers en Occident, pas même étouffés, mais ignorés, balayés au niveau de manuscrit (p. 50). » Et si vous arrivez à dénicher un éditeur et que vous ne vous conformez pas aux injonctions néo-puritaines cosmopolites du moment, vous risquez de figurer sur une liste de proscription éditoriale. Richard Millet s’y est retrouvé dessus à l’initiative de la dénommée Annie Ernaux dont le dernier bouquin, salué par une grasse presse unanime et consanguine, raconterait ses déflorations répétées… La préhistoire du politiquement correct à la française date de cette période. N’oublions pas que René Pleven fit passer sa funeste loi en 1972. Un an plus tard, une autre loi aux conséquences financières désastreuses était entérinée.

 

ciqn410795-uk-300.jpgDepuis, « nous ne sommes pas le tiers-monde. Notre richesse, nous allons devoir la rembourser (p. 104) ». Dominique de Roux assène ici une remarquable fulgurance, confirmée par l’actualité quarante ans plus tard avec l’emprise bancaire de l’endettement et la ruine sciemment fomentée des États par quelques minorités ploutocratiques mondialistes. Cette saillie n’est pas anodine : Dominique de Roux avait côtoyé Ezra Pound, rédacteur d’ouvrages hostiles à l’usure, et il s’en inspirait.

 

L’auteur du Cinquième Empire (1977) semble avoir lu très en avance les nouveaux et affligeants programmes de géographie proposés en collège et au lycée. « Ainsi, nous avons perdu la France. Bientôt on n’enseignera plus l’Hexagone, nous guérissant de la conscience des frontières et du reste (p. 35). » En effet, l’idéologie sans-frontiériste qui exalte le « migrant » et conspue le paysan s’élabore à cette époque.

 

On pourrait multiplier les citations. Dominique de Roux exprime dans ce livre une déception (une amertume ?) qu’il épanchera dans la saudade de Lisbonne. La France de Jean Yanne contredit certains thèmes d’Éric Zemmour. Les ferments du déclin français agissent dès les années 1960 avant de proliférer, stimulés par le côté dévastateur du « libéralisme avancé » promu et entériné par le calamiteux duo Giscard – Chirac. L’Hexagone étouffe Dominique de Roux qui le quitte avec joie : La France de Jean Yanne décrit l’avilissement complet d’un Hexagone plus que proche.

 

Georges Feltin-Tracol

 

• Dominique de Roux, La France de Jean Yanne, préface de Richard Millet, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, Paris, 2015, 181 p., 19,50 €.


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mardi, 14 juin 2016

The Moral Sense in Joseph Conrad’s Lord Jim

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The Moral Sense in Joseph Conrad’s Lord Jim

jos91E7tiZerIL.jpgLord Jim (1900), Joseph Conrad’s fourth novel, is the story of a ship which collides with “a floating derelict” and will doubtlessly “go down at any moment” during a “silent black squall.” The ship, old and rust-eaten, known as the Patna, is voyaging across the Indian Ocean to the Red Sea. Aboard are eight hundred Muslim pilgrims who are being transported to a “holy place, the promise of salvation, the reward of eternal life.” Terror possesses the captain and several of his officers, who jump from the pilgrim-ship and thus wantonly abandon the sleeping passengers who are unaware of their peril. For the crew members in the safety of their life-boat, dishonor is better than death.

Beyond the immediate details and the effects of a shipwreck, this novel portrays, in the words of the story’s narrator, Captain Marlow, “those struggles of an individual trying to save from the fire his idea of what his moral identity should be…” That individual is a young seaman, Jim, who serves as the chief mate of the Patna and who also “jumps.” Recurringly Jim envisions himself as “always an example of devotion to duty and as unflinching as a hero in a book.” But his heroic dream of “saving people from sinking ships, cutting away masts in a hurricane, swimming through a surf with a line,” does not square with what he really represents: one who falls from grace, and whose “crime” is “a breach of faith with the community of mankind.” Jim’s aspirations and actions underline the disparity between idea and reality, or what is generally termed “indissoluble contradictions of being.” His is also the story of a man in search of some form of atonement once he recognizes that his “avidity for adventure, and in a sense of many-sided courage,” and his dream of “the success of his imaginary achievements,” constitute a romantic illusion.Jim’s leap from the Patna generates in him a severe moral crisis that forces him to “come round to the view that only a meticulous precision of statement would bring out the true horror behind the appalling face of things.” It is especially hard for Jim to confront this “horror” since his confidence in “his own superiority” seems so absolute. The “Patna affair” compels him in the end to peer into his deepest self and then to relinquish “the charm and innocence of illusions.” The Jim of the Patna undergoes “the ordeal of the fiery furnace,” as he is severely tested “by those events of the sea that show in the light of the day the inner worth of a man, the edge of his temper, and the fibre of his stuff; that reveal the quality of his resistance and the secret truth of his pretences, not only to others but also to himself.” Clearly the Patna is, for Jim, the experience both of a moment and of a lifetime.

This novel, from beginning to end, is the story of Jim; throughout the focus is on his life and character, on what he has done, or not done, on his crime and punishment, his failure of nerve as a seaman. It is, as well, the story of his predicament and his fate, the destiny of his soul—of high expectations and the great “chance missed,” of “wasted opportunity” and “what he had failed to obtain,” all the result of leaving his post, and abdicating his responsibility. Thus we see him in an unending moment of crisis, “over- burdened by the knowledge of an imminent death” as he imagines the grim scene before him: “He stood still looking at those recumbent bodies, a doomed man aware of his fate, surveying the silent company of the dead. They were dead! Nothing could save them!”

For Jim the overwhelming question, “What could I do—what?”, brings the answer of “Nothing!” The Patna, as it ploughs the Arabian Sea (“smooth and cool to the eye like a sheet of ice”) on its way to the Red Sea, is close to sinking, with its engines stopped, the steam blowing off, its deep rumble making “the whole night vibrate like a bass ring.” Jim’s imagination conjures up a dismal picture of a catastrophe that is inescapable and merciless. It is not that Jim thinks so much of saving himself as it is the tyranny of his belief that there are eight hundred people on ship— and only seven lifeboats. Conrad’s storyteller, Marlow, much sympathetic to Jim’s plight, discerns in him an affliction of helplessness that compounds his sense of hopelessness, making Jim incapable of confronting total shipwreck, as he envisions “a ship floating head down, checked in sinking by a sheet of old iron too rotten to stand being shored up.” But Jim is a victim not only of his imagination, but also of what Conrad calls a “moral situation of enslavement.” So torn and defeated is Jim that his soul itself also seems possessed by some “invisible personality, an antagonistic and inseparable partner of his existence.”

Jim’s acceptance of the inevitability of disaster and his belief that he could do absolutely nothing to forestall the loss of eight- hundred passengers render him helpless, robbing him of any ability to take any kind of life-saving action—“…I thought I might just as well stand where I was and wait.” In short, in Jim we discern a disarmed man who surrenders his will to action. The gravity of Jim’s situation is so overwhelming that it leaves him, his heroic aspirations notwithstanding, in a state of paralysis. His predicament, then, becomes his moral isolation and desolation, one in which Jim’s “desire of peace waxes stronger as hope de- clines…and conquers the very desire of life.” He gives in at precisely the point when strenuous effort and decisive actions are mandated, so as to resist “unreasonable forces.” His frame of mind recalls here Jean-Paul Sartre’s pertinent comment, in The Age of Reason (1945), “That’s what existence means: draining one’s own self dry without a sense of thrust.”

Everything in Jim’s background points to his success as a career seaman. We learn that, one of five sons, he originally came from a parsonage, from one of those “abodes of piety and peace,” in England; his vocation for the sea emerged early on and, for a period of two years, he served on a “‘training-ship for affairs of the mercantile marine.’” His station was in the foretop of a training ship chained to her moorings. We learn that, on one occasion, in the dusk of a winter’s day, a gale suddenly blew forth with a savage fury of wind and rain and tide, endangering the small craft on the shore and the ferry-boats anchored in the harbor, as well as the training-ship itself. The force of the gale “made him hold his breath in awe. He stood still. It seemed to him he was whirled around. He was jostled.” We learn, too, that a coaster, in search of shelter, crashed through a schooner at anchor. We see the cutter now tossing abreast the ship, hovering dangerously. Jim is on the point of leaping overboard to save a man overboard, but fails to do so. There is “pain of conscious defeat in his eyes,” as the captain shouts to Jim. “‘Too late, youngster….Better luck next time. This will teach you to be smart.’”

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This incident, related in the first chapter of the novel, serves to prepare us for Jim’s actions later on the Patna, and also suggests a kind of flaw in Jim’s behavior in a moment of danger. Early on in his career, then, Jim had displayed a willingness to “flinch” from his obligations, thus revealing a defect in the heroism about which he romanticized and which led him to creating self-serving fantasies and illusions. “He felt angry with the brutal tumult of earth and sky for taking him unawares and checking unfairly a generous readiness for narrow escapes.” Jim, as a seaman, refuses to admit his fear of fear, and in this he shows an inclination to escape the truth of reality by “putting out of sight all the reminders of our folly, of our weakness, of our mortality.” Clearly the episode on the training-ship serves both as a symptom and as a portent, underscores an inherent element of failure and disgrace in Jim’s character that, in the course of the novel, he must confront if he is to transcend the dreams and illusions that beguile him, and that he must finally vanquish if he is to find his “moral identity.” His early experience on the training-ship makes him a marked man. It remains for his experience later on the Patna to make him a “condemned man.”

That nothing rests secure, that, in the midst of certitude, danger lurks, that peace and contentment are at the mercy of the whirl of the world, are inescapable conditions of human existence. These daunting dichotomies, as we find them depicted in Lord Jim, are forever teasing and testing humans in their life-journey. Conrad sees these dichotomies in the unfolding spectacle of man and nature. To evince the enormous power of this process Conrad chooses to render time in a continuum which fills all space. Time has no end, no telos; it absorbs beginnings and endings—the past, present, and future not only in their connections but also in their disconnections.

Conrad’s spatial technique is no less complex, and no less revealing, than his use of time. Hence, he employs spatial dimension so as to highlight Jim’s sense of guilt in jumping from the Patna. A “seaman in exile from the sea,” Jim is constantly in flight when his incognito is repeatedly broken by the knowledge of his Patna connection. For years this “fact followed him casually but inevitably,” whenever and wherever he retreated. Jim’s “keen perception of the Intolerable” finally drives him away for good from seaports and white men, “into the virgin forest, the Malays of the jungle village.” The “acute consciousness of lost honour,” as Conrad expresses it in his Author’s Note, is Jim’s burden of fate. And wherever he retreats he is open to attack from some “deadly snake in every bush.” Time as memory and place as torment be- come his twin oppressors.

The specificities of the Patna episode were to come out during a well-attended Official Court of Inquiry that takes place for several days in early August 1883. Most of the details, in the form of remarks and commentaries, are supplied by Marlow in his long oral narrative, especially as these emerge from Jim’s own confession to Marlow when they happen to meet after the proceedings, on the yellow portico of the Malabar House. Humiliated and bro- ken, his certificate revoked, his career destroyed, Jim can never re- turn to his home and face his father—“‘I could never explain. He wouldn’t understand.’” Again and again, in his confession, Jim shows feelings of desperation and even hysteria: “Everything had betrayed him!” For him it is imperative to be identified neither with the “odious and fleshly” German skipper, Gustav, “the incarnation of everything vile and base that lurks in the world we love,” nor with the chief and the second engineers, “skunks” who are extensions of the captain’s coarseness and cowardice.

But that, in fact, Jim does jump overboard—“a jump into the unknown”—and in effect joins them in deserting the Patna ultimately agonizes his moral sense and impels him to scrutinize that part of his being in which the element of betrayal has entered. By such an action he feels contaminated, unclean, disgraced. How to separate himself morally from the captain and his engineers is still another cruel question to which he must find an answer. In this respect, Jim reminds us of the tragic heroes in ancient Greek drama whose encounters with destiny entail both risks and moral instruction. “We begin to live,” Conrad reminds us, “when we have conceived life as a tragedy.”

How does one “face the darkness”? How does one behave to the unknowable? These are other basic questions that vex Jim. He wants, of course, to answer these questions affirmatively, or at least to wrestle with them in redeeming ways, even as he appears to see himself within a contradiction—as one who can have no place in the universe once he has failed to meet the standards of his moral code. Refusing to accept any “helping hand” extended to him to “clear out,” he decides to “fight this thing down,” to expiate his sin, in short, to suffer penitently the agony of his failure: “He had loved too well to imagine himself a glorious racehorse, and now he was condemned to toil without honour like a costermonger’s donkey.” Jim’s innermost sufferings revolve precisely around his perception of his loss of honor, of his surrender to cowardice. The crushing shame of this perception tortures Jim, without respite. “’I had jumped—hadn’t I?’ he asked [Marlow], dismayed. ‘That’s what I had to live down.’”

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Jim’s moral sense is clearly outraged by his actions. This out- rage wracks his high conception of himself, compelling him in time to see himself outside of his reveries that Conrad also associates with “the determination to lounge safely through existence.” What clouds Jim’s fate is that such a net of safety and certitude has no sustained reality. Within the serenity that seemed to bolster his thoughts of “valorous deeds” there are hidden menaces that assault his self-contentment and self-deception and abruptly awaken Jim to his actual condition and circumstances. In one way, it can be said, Jim is a slave of the “idyllic imagination” (as Irving Babbitt calls it), with its expansive appetites, chimeras, reveries, pursuit of illusion. Jim’s is the story of a man who comes to discern not only the pitfalls of this imagination but also the need to free himself from its bondage. But to free himself from bondage requires of Jim painstaking effort, endurance. He must work diligently to transform chimeric, if incipient, fortitude into an active virtue as it interacts with a world that, like the Patna, can be “full of reptiles”—a world in which “not one of us is safe.”

Conrad uses Jim to indicate the moral process of recovery. Conrad delineates the paradigms of this process as these evolve in the midst of much anguish and laceration, leading to the severest scrutiny and judgment of the total human personality. Jim pays attention, in short, to the immobility of his soul; it will take much effort for him to determine where he is and what is happening to him if he is to emerge from the “heart of darkness” and the affliction within and around him to face what is called “the limiting moment.” It is, in an inherently spiritual context, a moment of repulsion when one examines the sin in oneself, and hates it. His sense of repulsion is tantamount to moral renunciation, as he embarks on the path to recovery from the romantic habit of day- dreaming.

In the end Jim comes to despise his condition, acceding as he does to the moral imperative. He accepts the need to see his “trouble” as his own, and he instinctively volunteers to answer questions regarding the Patna by appearing before the Official Court of Inquiry “held in the police court of an Eastern port.” (This actually marks his first encounter with Marlow, who is in attendance and who seems to be sympathetically aware of “his hope- less difficulty.”) He gives his testimony fully, objectively, honestly, as he faces the presiding magistrate. The physical details of Jim’s appearance underscore his urge “to go on talking for truth’s sake, perhaps for his own sake”—“fair of face, big of frame, with young, gloomy eyes, he held his shoulders upright above the box while his soul writhed within him.” Marlow’s reaction to Jim is instinctively positive: “I liked his appearance; he came from the right place; he was one of us.” In striking ways, Jim is a direct contrast to the other members of “the Patna gang”: “They were nobodies,” in Marlow’s words.

It should be recalled here that Jim adamantly refused to help the others put the lifeboat clear of the ship and get it into the water for their escape. Indeed, as Jim insists to Marlow, he wanted to keep his distance from the deserters, for there was “nothing in common between him and these men.” Their frenzied, self-serving actions to abandon the ship and its human cargo infuriated Jim—“‘I loathed them. I hated them.’” The scene depicting the abandonment of the Patna is one filled with “the turmoil of terror,” dramatizing the contrast between Jim and the other officers— between honor and dishonor, loyalty and disloyalty, in short, between aspiration and descent on the larger metaphysical map of human behavior. Jim personifies resistance to the negative as he tries to convey to Marlow “the brooding rancour of his mind into the bare recital of events.” Jim’s excruciating moral effort not to join the others and to ignore their desperate motions is also pictured at a critical moment when he felt the Patna dangerously dip- ping her bows, and then lifting them gently, slowly—“and ever so little.”

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The reality of a dangerous situation now seems to be devouring Jim, as he was once again to capitulate to the inner voice of Moral imperative to see “trouble” as one’s own weakness and doubt telling him to “leap” from the Patna. Futility hovers ominously around Jim at this last moment when death arrives in the form of a third engineer “clutch[ing] at the air with raised arms, totter[ing] and collaps[ing].” A terrified, transfixed Jim finds himself stumbling over the legs of the dead man lying on the bridge. And from the lifeboat below three voices yelled out eerily—“one bleated, another screamed, one howled”—imploring the man to jump, not realizing of course that he was dead of a heart attack: “Jump, George! Jump! Oh, jump….We’ll catch you! Jump!…Geo-o-o-orge! Oh, jump!” This desperate, screeching verbal command clearly pierces Jim’s internal condition of fear and terror, just as the ship again seemed to begin a slow plunge, with rain sweeping over her “like a broken sea.” And once again Jim is unable to sustain his refusal to betray his idea of honor. Here his body and soul are caught in the throes of still another “chance missed.”

The assaults of nature on Jim’s outer situation are as vicious at this pivotal point of his life as are the assaults of conscience on his moral sense. These clashing outer and inner elements are clearly pushing Jim to the edge, as heroic aspiration and human frailty wrestle furiously for the possession of his soul. What happens will have permanent consequences for him, as Conrad reveals here, with astonishing power of perception. Here, then, we discern a process of cohesion and dissolution, when Jim’s fate seems to be vibrating unspeakably as he experiences the radical pressures and tensions of his struggle to be more than what he is, or what he aspires to be. Jim, as if replacing the dead officer lying on the deck of the Patna, jumps: “It had happened somehow…,“ Conrad writes. “He had landed partly on somebody and fallen across a thwart.” He was now in the boat with those he loathed; “[h]e had tumbled from a height he could never scale again.” “‘I wished I could die,’” he admits to Marlow. “‘There was no going back. It was as if I had jumped into a well—into an everlasting deep hole.’”

A cold, thick rain and “a pitchy blackness” weigh down the lurching boat; “it was like being swept by a flood through a cavern.” Crouched down in the bows, Jim fearfully discerns the Patna, “just one yellow gleam of the masthead light high up and blurred like a last star ready to dissolve.” And then all is black, as one of the deserters cries out shakily, “‘She’s gone!’” Those in the boat remain quiet, and a strange silence prevails all around them, blurring the sea and the sky, with “nothing to see and nothing to hear.” To Jim it seemed as if everything was gone, all was over. The other three shipmates in the boat mistake him for George, and when they do recognize him they are startled and curse him. The boat itself seems filled with hatred, suspicion, villainy, betrayal. “We were like men walled up quick in a roomy grave,” Jim confides to Marlow.

The boat itself epitomizes abject failure and alienation from mankind. Everything in it and around it mirrors Jim’s schism of soul, “imprisoned in the solitude of the sea.” Through the varying repetition of language and images Conrad accentuates Jim’s distraught inner condition, especially the shame that rages in him for being “in the same boat” with men who exemplify a fellowship of liars. By the time they are picked up just before sunset by the Avondale, the captain and his two officers had already “made up a story” that would sanction their desertion of the Patna, which in fact had not sunk and which, with its pilgrims, had been safely towed to Aden by a French gunboat, eventually to end her days in a breaking-up yard. Unlike the others, Jim would choose to face the full consequences of his actions, “to face it out—alone for my- self—wait for another chance—find out….“

“Jim’s affair” was destined to live on years later in the memories and minds of men, as instanced by Marlow’s chance meeting in a Sydney café with a now elderly French lieutenant who was a boarding-officer from the gunboat and remained on the Patna for thirty hours. For Marlow this meeting was “a moment of vision” that enables him to penetrate more deeply into the events surrounding the Patna as he discusses them with one who had been “there.” The French officer, at this time the third lieutenant on the flagship of the French Pacific squadron, and Marlow, now commanding a merchant vessel, thus share their recollections, from which certain key thoughts emerge, measuring and clarifying the entire affair. The two men here bring to mind a Greek chorus speaking words of wisdom that explain human suffering and tragedy. In essence it is Jim’s predicament that Conrad wants to diagnose here so as to enlist the reader’s understanding, even sympathy. “‘The fear, the fear—look you—it is always there,’” the French officer declares. And he goes on to say to Marlow—all of this with reference to Jim: “‘And what life may be worth…when the Fear vs. honor is gone….I can offer no opinion—because—monsieur—I know nothing of it.’”

jostyph537012.jpgFor Conrad the task of the novelist is to illuminate “Jim’s case” for the reader’s judgment, and he does this, from diverse angles and levels, in order for the reader to consider all of the evidence, all the ambivalences, antinomies, paradoxes. If for Jim the struggle is to ferret out his true moral identity, for the reader the task is to meditate on what is presented to him and, in the end, to attain a transcendent apprehension of life in time and life in relation to values.[1] Jim is, to repeat, “one of us,” and in him we meet and see ourselves on moral grounds, so to speak.

In the final paragraph of his Author’s Note, Conrad is careful to point out that the creation of Jim “is not the product of coldly perverted thinking.” Nor is he “a figure of Northern mists.” In Jim, Conrad sees Everyman. In short, he is the creative outgrowth of what Irving Babbitt terms “the high seriousness of the ethical imagination,” and not of the “idyllic imagination,” with its distortions of human character. In other words, this is the “moral imagination” which “imitates the universal” and reveres the “Permanent Things.” In Jim we participate in and perceive a normative consciousness, as we become increasingly aware of Jim’s purposive function in reflective prose and poetic fiction, aspiring as it does to make transcendence perceptible.[2] Conrad testifies to the force and truth of the principles of a metaphysics of art when, in the concluding sentence of his Author’s Note, he writes about his own chance encounter with the Jim in ourselves: “One morning in the commonplace surroundings of an Eastern roadstead, I saw his form pass by—appealing—significant—under a cloud—perfectly silent. Which is as it should be. It was for me, with all the sympathy of which I was capable, to seek fit words for his meaning. He was ‘one of us.’”

A man of “indomitable resolution,” Jim strikes aside any “plan for evasion” proffered to him by a “helping hand” like Marlow’s. Nothing can tempt him to ignore the consequences of both his decisions and indecisions, which surround him like “deceitful ghosts, austere shades.” Any plan to save him from “degradation, ruin, and despair” he shuns, choosing instead to endure the conditions of homelessness and aloneness. He refuses to identify with any schemes or schemers of a morally insensitive nature. The “deep idea” in him is the moral sense to which he somehow hangs on and the innermost voice to which he listens.

Unfailingly Conrad reveals to us the nature of Jim’s character and will in a “narrative [which] moves through a devious course of identifications and distinctions,” as one critic observes.[3] Thus in the person of Captain Montague Brierly we have a paragon sailing ship skipper, and an august member of the board of inquiry, whose overarching self-satisfaction and self-worth presented to Marlow and to the world itself “a surface as hard as granite.” Unexplainably, however, Brierly commits suicide a week after the official inquiry ended by jumping overboard, less than three days after his vessel left port on his outward passage. It seems, as Marlow believes, that “something akin to fear of the immensity of his contempt for the young man [Jim] under examination, he was probably holding silent inquiry into his own case.” Jim will not go the way of Brierly, whose juxtaposition to Jim, early on in the novel, serves to emphasize the young seaman’s fund of inner strength needed to resist perversion of the moral sense. Unlike Brierly, Jim will not be unjust to himself by trivializing his soul.

joshod4427591.jpgNor will Jim become part of any business scheme that would conveniently divert him from affirming the moral sense. A far- fetched and obviously disastrous business venture (“[a]s good as a gold-mine”), concocted by Marlow’s slight acquaintance, a West Australian by the name of Chester, and his partner, “Holy-Terror Robinson,” further illustrates in Jim the ascendancy of “his fine sensibilities, his fine feelings, his fine longings.” Jim will not be identified with the unsavory Chester any more than he would be identified with the Patna gang. Marlow himself, whatever mixed feelings he may have as to Jim’s weaknesses, intuits that Jim has nobler aspirations than being “thrown to the dogs” and in effect to “slip away into the darkness” with Chester. Jim’s destiny may be tragic, but it is not demeaning or tawdry, which in the end sums up Marlow’s beneficent trust in Jim.

In a state of disgrace, Jim was to work as a ship-chandler for various firms, but he was always on the run—to Bombay, to Calcutta, to Rangoon, to Penang, to Bangkok, to Batavia, moving from firm to firm, always “under the shadow” of his connection to the Patna “skunks.” Always, too, the paternal Marlow was striving to find “opportunities” for Jim. Persisting in these efforts, Marlow pays a visit to an acquaintance of his, Stein, an aging, successful merchant-adventurer who owns a large inter-island business in the Malay Archipelago with a lot of trading posts in out- of-the-way trading places for collecting produce. Bavarian-born Stein is, for Marlow, “one of the most trustworthy men” who can help to mitigate Jim’s plight. A famous entomologist and a “learned collector” of beetles and butterflies, he lives in Samarang. A sage, as well, he ponders on the problems of human existence: “Man is amazing, but he is not a masterpiece…man is come where he is not wanted, where there is no place for him…,“ he says to Marlow. He goes on to observe that man “wants to be a saint, and he wants to be a devil,” and even sees himself, “in a dream,” “as a very fine fellow—so fine as he can never be….“ Solemnly, he makes this observation, so often quoted from Conrad’s writings: “A man that is born falls into a dream like a man who falls into the sea….The way is to the destructive element submit yourself, and with the exertions of your hands and feet in the water make the deep, deep sea keep you up.”

Lord-Jim_portrait_w858.jpgMarlow’s meeting with Stein provides for a philosophical probing of some of the fundamental ideas and life-issues Conrad presents in Lord Jim. The human condition, no less than the kingdom of nature, is the province of his explorations. His musings on the mysteries of existence ultimately have the aim of enlarging our understanding of Jim’s character and soul. These musings also have the effect of heightening Jim’s struggles to find his true moral identity. Inevitably, abstraction and ambiguity are inherent elements in Stein’s metaphysics, so to speak, even as his persona and physical surroundings merge to project a kind of mystery; his spacious apartment, Marlow recalls, “melted into shapeless gloom like a cavern.” Indeed Marlow’s visit to Stein is like a visit to a medical diagnostician who possesses holistic powers of discernment—“our conference resembled so much a medical consultation—Stein of learned aspect sitting in an arm-chair before his desk….” Stein’s ruminations, hence, have at times an oracular dimension, as “…his voice…seemed to roll voluminous and grave—mellowed by distance.” It is in this solemn atmosphere, and with subdued tones, that Stein delivers his chief pronouncement on Jim: “‘He is romantic—romantic,’ he repeated. ‘And that is very bad—very bad….Very good, too,’ he added.”

The encounter with Stein assumes, almost at the mid-point of the novel, episodic significance in Jim’s moral destiny, and in the final journey of a soul in torment. Stein’s observations, insightful as they are, hardly penetrate the depths of Jim’s soul, its conditions and circumstances, which defy rational analysis and formulaic prescriptions. The soul has its own life, along with but also beyond the outer life Stein images. It must answer to new demands, undertake new functions, face new situations—and experience new trials. The dark night of the soul is at hand, inexorably, as Jim retreats to Patusan, one of the Malay islands, known to officials in Batavia for “its irregularities and aberrations.” It is as if Jim had now been sent “into a star of the fifth magnitude.” Behind him he leaves his “earthly failings.” “‘Let him creep twenty feet underground and stay there,’” to recall Brierly’s words. In Patusan, at a point of the river forty miles from the sea, Jim will relieve a Portuguese by the name of Cornelius, Stein & Co.’s manager there. It is as if Stein and Marlow had schemed to “tumble” him into another world, “to get him out of the way; out of his own way.” “Disposed” of, Jim thus enters spiritual exile, alone and friendless, a straggler, a hermit in the wilderness of Patusan, where “all sound and all movements in the world seemed to come to an end.”

The year in which Jim, now close to thirty years of age, arrives in Patusan is 1886. The political situation there is unstable—“utter insecurity for life and property was the normal condition.” Dirt, stench, and mud-stained natives are the conditions with which Jim must deal. In the midst of all of this rot, Jim, in white apparel, “appeared like a creature not only of another kind but of another essence.” In Patusan, he soon becomes known as Lord Jim (Tuan Jim), and his work gives him “the certitude of rehabilitation.” Patusan, as such, heralds Jim’s unceasing attempt to start with a clean slate. But in Patusan, as on the Patna, Jim is in extreme peril, for he has to grapple with fiercely opposing native factions: the forces of Doramin, Stein’s old friend, chief of the second power in Patusan, and those of Rajah Allang, a brutish chief, constantly locked in quarrels over trade, leading to bloody outbreaks and casualties. Jim’s chief goal was “to conciliate imbecile jealousies, and argue away all sorts of senseless mistrusts.” Doramin and his “distinguished son,” Dain Waris, believe in Jim’s “audacious plan.” But will he succeed, or will he repeat past failures? Is Chester, to recall his earlier verdict on Jim, going to be right: “‘He is no earthly good for anything.’” And will Jim, once and for all, exorcise the “unclean spirits” in himself, with the decisiveness needed for atonement? These are convergent questions that badger Jim in the last three years of his life.

During the Patusan sequence, Jim attains much power and influence: “He dominated the forest, the secular gloom, the old man kind.” As a result of Jim’s leadership, old Doramin’s followers rout their sundry enemies, led not only by the Rajah but also by the vagabond Sherif Ali, an Arab half-breed whose wild men terrorized the land. Jim becomes a legend that gives him even super- natural powers. Lord Jim’s word was now “the one truth of every passing day.” Certainly, from the standpoint of heroic feats and sheer physical courage and example, Jim was to travel a long way from Patna to Patusan. Here his fame is “Immense!…the seal of success upon his words, the conquered ground for the soles of his feet, the blind trust of men, the belief in himself snatched from the fire, the solitude of his achievement.” If his part in the Patna affair led to the derision that pursued him in his flights to nowhere, fame and adoration now define his newly-won greatness. The tarnished first mate of the Patna in the Indian Ocean is now the illustrious Lord Jim of the forests of Patusan.

The difficult situations that Jim must now confront in Patusan demand responsible actions, which Conrad portrays with all their complexities and tensions. There is no pause in Jim’s constant wrestle with responsibilities, whether to the pilgrims on the Patna or the natives in Patusan. The moral pressures on him never ease, requiring of Jim concrete gestures that measure his moral worth. Incessantly he takes moral soundings of himself and of the outer life. The stillness and silences of the physical world have a way of accentuating Jim’s inner anguish. He is profoundly aware that some “floating derelict” is waiting stealthily to strike at the roots of order, whether of man or of society.

LordJimLobby.jpgIn the course of relating the events in Patusan, where he was visiting Jim, Marlow speaks of Jim’s love for a Eurasian girl, Jewel, who becomes his mistress. Cornelius, the “awful Malacca Portuguese,” is Jewel’s legal guardian, having married her late mother after her separation from the father of the girl. A “mean, cowardly scoundrel,” Cornelius is another repulsive beetle in Jim’s life. The enemies from without, like the enemy from within, seem to pursue Jim relentlessly. In Patusan, thus, Cornelius, resentful of being replaced as Stein’s representative in the trading post, hates Jim, never stops slandering him, wants him out of the way: “‘He knows nothing, honourable sir—nothing whatever. Who is he? What does he want here—the big thief?…He is a big fool….He’s no more than a little child here—like a little child—a little child.’” Cornelius asks Marlow to intercede with Jim in his favor, so that he might be awarded some “‘moderate provision—suitable present,’” since “he regarded himself as entitled to some money, in exchange for the girl.” But Marlow is not fazed by Cornelius’s imprecations: “He couldn’t possibly matter…since I had made up my mind that Jim, for whom alone I cared, had at last mastered his fate….“ Nor is Jim himself troubled by Cornelius’s unseemly presence and the possible danger he presents: “It did not matter who suspected him, who trusted him, who loved him, who hated him…. ‘I came here to set my back against the wall, and I am going to stay here,’” Jim insists to Marlow.

The concluding movement of the novel, a kind of andante, conveys a “sense of ending.” Marlow’s long narrative, in fact, is now coming to an end, confluent with his “last talk” with Jim and his own imminent departure from Patusan. The language belongs to the end time, and is pervaded by deepening sorrow and pity, and by an implicit recognition “of the implacable destiny of which we are the victims—and the tools.” A poetry of lamentation takes hold of these pages, and the language is brooding, ominous, recondite. Concurrently, the figure of Cornelius weaves in and out and gives “an inexpressible effect of stealthiness, of dark and secret slinking….His slow, laborious walk resembled the creeping of a repulsive beetle….” We realize that Marlow and Jim will never meet again, as we witness a twilight scene of departure. Having accompanied Marlow as far as the mouth of the river, Jim now watches the schooner taking Marlow to the other world “fall off and gather headway.” Marlow sees Jim’s figure slowly disappearing, “no bigger than a child—then only a speck, a tiny white speck…in a darkened world.”

At the end of the novel, Jim finds himself a prisoner and ultimately a victim of treachery as he fights against invading outcasts and desperadoes who, for any price, kill living life—cutthroats led by “the Scourge of God,” “Gentleman Brown,” a supreme incarnation of evil that Jim must confront. Conrad renders the power of evil in unalleviating ways, even as he sees man’s moral poverty as an inescapable reality. Indeed, what makes Jim’s fate so overpowering is that he never stops struggling against the ruthless forces of destruction that embody Conrad’s vision of evil. What Jim has accomplished in Patusan by creating a more stable social community will now be subject to attack by invaders of “undisguised ruthlessness” who would leave Patusan “strewn over with corpses and enveloped in flames.” If Jim’s inner world, in the first part of the novel, is in turmoil, it is the outer world, in the second part of the novel that is collapsing “into a ruin reeking with blood.” What we hear in the concluding five chapters of Lord Jim is the braying voice of universal discord, crying out with a merciless conviction that, between the men of the Bugis nation living in Patusan and the white marauders, “there would be no faith, no compassion, no speech, no peace.”

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The last word of the story of Jim’s life is reserved for one of Marlow’s earlier listeners, “the privileged man,” who receives a thick packet of handwritten materials, of which an explanatory letter by Marlow is the most illuminating. A narrative in epistolary form provides us, two years following the completion of Marlow’s oral narrative, with the details of the last episode that had “come” to Jim. What Marlow has done is to fit together the fragmentary pieces of Jim’s “astounding adventure” so as to record “an intelligible picture” of the last year of his life. The epistolary narrative here is based on the exploit of “a man called Brown,” upon whom Marlow happened to come in a wretched Bangkok hovel a few hours before Brown died. The latter was thus to volunteer information that helped complete the story of Jim’s life, in which Brown himself played a final and fatal role.

The son of a baronet, Brown is famous for leading a “lawless life.” He is “a latter-day buccaneer,” known for his “vehement scorn for mankind at large and for victims in particular.” We learn that he hung around the Philippines in his rotten schooner, which, eventually, “he sails into Jim’s history, a blind accomplice of the Dark Powers.” Their meeting takes place as they face each other across a muddy creek—“standing on the opposite poles of that conception of life which includes all mankind.” This encounter is of enormous consequence, as Jim, “the white lord,” contends verbally with the “terrible,” “sneering” Brown, who slyly invokes their “common blood, an assumption of common experience, a sickening suggestion of common guilt….” The conversation, Marlow was to recall in his letter, appeared “as the deadliest kind of duel on which Fate looked on with her cold-eyed knowledge of the end.” Brown, with his “satanic gift of finding out the best and the weakest spot in his victims,” seems to be surveying and staking out Jim’s character and capability. Jim, on his part, intuitively feels that Brown and his men are “the emissaries with whom the world he had renounced was pursuing him in his retreat.”

Perceiving the potential menace of Brown and his “rapacious” white followers, Jim approaches the entire situation with caution; he knows that there will be either “a clear road or else a clear fight” ahead. His one thought, as he informs Doramin, is “for the people’s good.” Preparations for battle now take place around the fort, and the feeling among the natives is one of anxiety, and also of hope that Jim will somehow resolve everything by convincing Brown that the way back to the sea would be a peaceful one. Jim is convinced “that it would be best to let these whites and their followers go with their lives.” Unwavering as always in meeting his moral obligations, he is primarily concerned with the safety of Patusan. But he underestimates the calculating Brown, again disclosing the propensity that betrays him. Quite simply Jim does not mistrust Brown, believing as he does that both of them want to avoid bloodshed. In this respect, illusion both comforts and victimizes Jim, as the way is made clear for Brown, with the sniveling Cornelius at his side providing him with directions, to withdraw from Patusan, now guarded by Dain Waris’s forces.

Brown’s purpose is not only to escape but also to get even with Jim for not becoming his ally, and to punish the natives for their earlier resistance to his intrusion. When retreating towards the coast his men deceitfully open fire on an outpost of Patusan, killing the surprised and panic-stricken natives, as well as Dain Waris, “the only son of Nakhoda Doramin,” who had earlier acceded to Jim’s request that Brown and his party should be allowed to leave without harm. It could have been otherwise, to be sure, given the superior numbers of the native defenders. Once again, it is made painfully clear, Jim flinches in discernment and in leadership, naïvely trusting in his illusion, in his dream, unaware of the evil power of retribution that impels Brown and that slinks in human-kind. That, too, Brown’s schooner later sprung a bad leak and sank, he himself being the only survivor to be found in a white long-boat, and that the deceitful Cornelius was to be found and struck down by Jim’s ever loyal servant, Tamb’ Itam, can hardly compensate for the destruction and the deaths that took place as a result of Jim’s failure of judgment. Marlow’s earlier demurring remark has a special relevance at this point: “I would have trusted the deck to that youngster [Jim] on the strength of a single glance…but, by Jove! It wouldn’t have been safe.”

Lord-Jim.jpgJim’s decision to allow free passage to Brown stems from his concern with preserving an orderly community in Patusan: he did not want to see all his good work and influence destroyed by violent acts. But clearly he had misjudged Brown’s character. Neither Jim’s honesty nor his courage, however, are to be impugned; his moral sense, in this case, is what consciously guided his rational conception of civilization. But a failure of moral vision, induced perhaps by moral pride and romanticism, blinds him to real danger. When Tamb’ Itam returns from the outpost to inform Jim about what has happened, Jim is staggered. He fathoms fully the effects of Brown’s “cruel treachery,” even as he understands that his own safety in Patusan is now at risk, given Dain Waris’s death and Doramin’s dismay and grief over events for which he holds Jim responsible. For Jim the entire situation is untenable, as well as perplexing: “He had retreated from one world for a small matter of an impulsive jump, and now the other, the work of his own hands, had fallen in ruins upon his head.” His feeling of isolation is rending, as he realizes that “he has lost again all men’s confidence.” The “dark powers” have robbed him twice of his peace.

To Tamb’ Itam’s plea that he should fight for his life against Doramin’s inevitable revenge, Jim bluntly cries, “‘I have no life.’” Jewel, too, “wrestling with him for the possession of her happiness,” also begs him to put up a fight, or try to escape, but Jim does not heed her. “He was going to prove his power in another way and conquer the fatal destiny itself.” This is, truly, “‘a day of evil, an accursed day,’” for Jim and for Patusan. When Dain Waris’s body is brought into Doramin’s campong, the “old nakhoda” was “to let out one great fierce cry…as mighty as the bellow of a wounded bull.” The scene here is harrowing in terms of grief, the women of the household “began to wail together; they mourned with shrill cries; the sun was setting, and in the intervals of screamed lamentations the high sing-song voices of two old men intoning the Koran chanted alone.” The scene is desolate, unconsoling, rendered in the language of apocalypse; the sky over Patusan is blood-red, with “an enormous sun nestled crimson amongst the treetops, and the forest below had a black and forbidding face.” Jim now appears silently before Doramin, who is sitting in his armchair, a pair of flintlock pistols on his knees. “‘I am come in sorrow,’” he cries out to Doramin, who stared at Jim “with an expression of mad pain, of rage, with a ferocious glitter….and lifting deliberately his right [hand], shot his son’s friend through the chest.”

At the end of his explanatory letter Marlow remarks that Jim “passes away under a cloud, inscrutable at heart, forgotten, unforgiven, and excessively romantic.” Such a remark, of course, must be placed in the context of Marlow’s total narrative, with all of the tensions and the ambiguities that occur in relating the story of Jim’s life as it unfolds in the novel. Nor can Marlow’s words here be construed as a moral censure of Jim. What exemplifies Marlow’s narrative, in fact, is the integrity of its content, as the details, reflections, judgments, demurrals emerge with astonishing and attenuating openness, deliberation. There is no single aspect of Jim’s life and character that is not measured and presented in full view of the reader. If judgment is to be made regarding Jim’s situation, Conrad clearly shows, then affirmations and doubts, triumphs and failures will have to be disclosed and evaluated cumulatively.

No one is more mercilessly exposed to the world than Jim. And no one stands more naked before our judgment than he. The scrutiny of Jim’s beliefs and attitudes, and of his actions and inactions, is relentless in depth and latitude. He himself cannot hide or flee, no matter where he happens to be. Marlow well discerns Jim’s supreme aloneness in his struggles to find himself in himself, to master his fate, beyond the calumnies of his enemies and the loyalty and love of his friends—and beyond his own rigorous self-judgments. The anguish of struggle consumes everything and every- one in the novel, and nothing and no one can be the same again once in contact with him. In Jim, it can be said, we see ourselves, for he is “one of us,” he is our “common fate,” which prohibits us to “let him slip away into the darkness.”

From a moral perspective the Official Court of Inquiry literally takes place throughout Lord Jim. Jim never ceases to react to charges of cowardice and of irresponsibility; never ceases to strive earnestly to prove his moral worthiness. He seems never to be in a state of repose, is always under pressure, always examining his pensive state of mind and soul. Self-illumination rather than self- justification, or even self-rehabilitation, is his central aim, and he knows, too, that such a process molds his own efforts and pain. He neither expects nor accepts help or absolution from others, nor does he blame others for his own sins of commission or omission. His character is thus one of singular transparency, acutely self-conscious, and vulnerable.

Jim’s moral sense weighs heavily on him and drives him on sundry, sometimes contradictory, lines of moral awareness and behavior. In this respect he brings to mind the relevance of Edmund Burke’s words: “The lines of morality are not like the ideal lines of mathematics. They are broad and deep as well as long. They admit of exceptions; they demand modifications.”[4] Gnostic commentators who view the moral demands of this novel as confusing or uncertain fail to see that the lines of morality, even when they take different directions and assume different forms, inevitably crystallize in something that is solid in revelation and in value.[5]

Clearly Jim’s high-mindedness and character are problematic, and his scale of human values is excessively romantic. Thus he romanticizes what it means to be a sailor, what duty is, even what cowardice is. The fact is that he is too “noble” to accommodate real-life situations. In essence, then, Jim violates what the ancient Greeks revered as the “law of measure.” And ultimately his pride, his lofty conception of what is required of him in responsible leadership and duty, his high idealism, mar the supreme Hellenic virtue of sophrosyne. Jim’s conduct dramatizes to an “unsafe” degree the extremes of arrogance, and of self-delusion and self-assertion. Above all his idealism becomes a peculiar kind of escape from the paradoxes and antinomies that have to be faced in what Burke calls the “antagonist world.”

In the end, Jim’s habit of detachment and abstraction manifestly rarefies his moral sense and diminishes and even neutralizes the moral meaning of his decisions and actions. His self-proclaimed autonomy dramatizes monomania and egoism, and makes him incapable of harmonious human interrelations, let alone a redeeming humility. His moral sense is consequently incomplete as a paradigm, and his moral virtues are finite. And his fate, as it is defined and shaped by his tragic flaw, does not attain true grandeur. In Jim, it can be said, Conrad presents heroism with all its limitations.[6]

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Despite the circumstances of his moral incompleteness, Jim both possesses and enacts the quality of endurance in facing the darkness in himself and in the world around him. Even when he yearns to conceal himself in some forgotten corner of the universe, there to separate himself from other imperfect or fallen humans, from thieves and renegades, and from the harsh exigencies of existence, he also knows that unconditional separation is not attainable. He persists, however erratically or skeptically, in his pursuit to reconcile the order of the community and the order of the soul; and he perseveres in his belief in the axiomatic principles of honor, of loyalty, prescribing the need to transcend inner and outer moral squalor. His death, even if it shows the power of violence, of the evil that stalks man and humanity, of the flaws and foibles that afflict one’s self, does not diminish the abiding example of Jim’s struggle to discover and to overcome moral lapses.

Jim can never silence the indwelling moral sense that inspires and illuminates his life-journey. Throughout this journey the virtue of endurance does not abandon him, does not betray him, even when he betrays himself and others. He endures in order to prevail. In Lord Jim, Joseph Conrad portrays a fitful but ascendant process of transfiguration in the life of a solitary hero whose courage of endurance contains the seeds of redemption. Such a life recalls the eternal promise of the Evangelist’s words: “He that endureth to the end shall be saved.”[7]

Books by George Panichas and Joseph Conrad may be found in The Imaginative Conservative Bookstore. Reprinted with the gracious permission of Modern Age (Spring 1986).

Notes:
  1. See the chapter “Toward a Metaphysics of Art,” in my book The Reverent Discipline: Essays in Literary Criticism and Culture (Knoxville, Tenn., 1974), 185- 204.
  2. See Russell Kirk, “The Perversity of Recent Fiction: Reflections on the Moral Imagination,” Redeeming the Time (Wilmington, Del., 1996), 68-86.
  3. See Dorothy Van Ghent, The English Novel: Form and Function (New York, 1953), 229-244.
  4. The Philosophy of Edmund Burke: A Selection from His Speeches and Writings, edited and with an introduction by Louis I. Bredvold and Ralph G. Ross (Ann Arbor, 1960), 41.
  5. See, for example, Douglas Hewitt, “Lord Jim,” Conrad: A Reassessment (Chester Springs, Pa., 1969), 31-39.
  6. My explication of the ideas found in this and the preceding paragraph owes much to Professor Claes G. Ryn’s discerning and detailed critique of my appraisal of Lord Jim, as found in his letter to me dated March 4, 2000.
  7. Matthew, 10:22.