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dimanche, 25 février 2018

Buñuel et le grand néant des sociétés modernes

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Buñuel et le grand néant des sociétés modernes

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Je découvre enchanté le livre de sagesse de Luis Buñuel, mi ultimo suspirio. Il résume sa vie aventureuse et formidable, à la pointe de la modernité comme on dit ; mais aussi il décoche çà et là, comme un autre grand de la rébellion d’alors, Orson Welles, des traits remarquables contre notre monde (nos « sociétés ») moderne.

Il commence par me rassurer, Don Luis : le moyen âge a duré plus qu’on ne le croit dans le milieu traditionnel !

bunuelsuspirio.jpg« On peut dire que dans la ville où je suis né (22 février 1900) le Moyen Age a duré jusqu'à la Première Guerre mondiale. C'était une société isolée et immobile, dans laquelle les différences de classe étaient bien marquées. Le respect et la subordination des travailleurs aux grands seigneurs, aux propriétaires terriens, profondément enracinés dans les vieilles coutumes, semblaient immuables. La vie se développa, horizontale et monotone, définitivement ordonnée et dirigée par les cloches de l'église d'El Pilar. »

Cet arrogant monde moderne dont parle aussi Ortega Y Gasset  se manifestera par la guerre d’Espagne et son million de morts. Fascisme et cléricalisme certes, mais aussi communisme et anarchisme pour empiler des corps. Le libéralisme privatisera les survivants.

Buñuel parle très bien de Calanda, son pueblo aragonais, et de son vendredi saint, rythmé par des tambours cosmiques (à découvrir sur Youtube.com). Mais il ajoute :

« Aujourd'hui, à Calanda, il n'y a plus de pauvres qui sentent les vendredis à côté du mur de l'église pour demander un morceau de pain. La ville est relativement prospère, les gens vivent bien. Le costume typique, la ceinture, le cachirulo à la tête et le pantalon étroit ont disparu depuis longtemps.

Les rues sont pavées et éclairées. Il y a de l'eau courante, des égouts, des cinémas et des bars. Comme dans le reste du monde, la télévision contribue efficacement à la dépersonnalisation du spectateur. Il y a des voitures, des motos, des réfrigérateurs, un bien-être matériel bien préparé, équilibré par cette société à nous, où le progrès scientifique et technologique a relégué dans un lointain territoire la morale et la sensibilité de l'homme. L'entropie - le chaos - a pris la forme de plus en plus effrayante de l'explosion démographique. »

Tel quel. Je ne commente même pas.

Don Luis rappelle comme Michelet (On se permet de mépriser Michelet maintenant ?) que le Moyen Age a eu la vie dure (1789 en France, 1914 en Espagne et ailleurs parfois !) :

« J'ai eu la chance de passer mon enfance au Moyen Âge, cette période «douloureuse et exquise», comme le dit Huysmans. Douloureux dans le matériel. Exquis dans le spirituel. Le contraire d'aujourd'hui. »

Tout est dit. Comme Guy Debord Buñuel aime boire. Mais comme pour Guy Debord il y a eu un mais (moi je suis arrivé trop tard, le monde était déjà mort dans les années 70). Les centres commerciaux remplacent les collèges jésuites à Saragosse et on vide les lieux :

« Malheureusement, et pour aucune raison valable, le bar a fermé. Nous nous voyons encore Silberman, Jean-Claude et moi en 1980, l'hôtel errant comme des âmes perdues à la recherche d'un niveau acceptable, il est un mauvais souvenir, notre temps dévastateur détruit tout ne respecte pas même les bars. »

Une ligne admirable sur la fin des apéritifs :

« Malheureusement, ces combinaisons admirables sont en train de disparaître. Nous assistons à une effroyable décadence de l'apéritif, triste signe des temps. Un de plus. »

bunuelphoto.jpgComme Samuel Beckett alors (« nous sommes tous cons, mais pas au point de voyager », voyez mon Voyageur éveillé ou mon apocalypse touristique), Buñuel envoie digne promener le tourisme :

« Puis, après 1934, je me suis installé à Madrid. Je n'ai jamais voyagé pour le plaisir. Cet amour pour le tourisme, si répandu pour moi autour, c'est inconnu pour moi. Je ne ressens aucune curiosité pour les pays que je ne connais pas et que je ne rencontrerai jamais. Au contraire, j'aime retourner aux endroits où j'ai vécu et à ceux qui lient mes souvenirs. »

Théophile Gautier écrivait vers 1843 dans son critique Voyage en Espagne pas trop médiévale :

« Quand tout sera pareil, les voyages deviendront complètement inutiles, et c’est précisément alors, heureuse coïncidence, que les chemins de fer seront en pleine activité. À quoi bon aller voir loin, à raison de dix lieues à l’heure, des rues de la Paix éclairées au gaz et garnies de bourgeois confortables ?

Nous croyons que tels n’ont pas été les desseins de Dieu, qui a modelé chaque pays d’une façon différente, lui a donné des végétaux particuliers, et l’a peuplé de races spéciales dissemblables de conformation, de teint et de langage. C’est mal comprendre le sens de la création que de vouloir imposer la même livrée aux hommes de tous les climats, et c’est une des mille erreurs de la civilisation européenne ; avec un habit à queue de morue, l’on est beaucoup plus laid, mais tout aussi barbare. »

Luis Buñuel découvre aussi que le monde moderne ou la société actuelle feront disparaitre l’amour (on est en 1980 !) :

« A l'époque de notre jeunesse, l'amour nous semblait un sentiment puissant, capable de transformer une vie. Le désir sexuel, inséparable pour lui, s'accompagnait d'un esprit d'approximation, de conquête et de participation qui devait nous élever au-dessus du simple matériel et nous rendre capables de grandes choses.

L'une des enquêtes surréalistes les plus célèbres ont commencé par cette question: «Si je l'aime, tout l'espoir, sinon l'amour, non » « ? Quel espoir, vous met dans l'amour » je l'ai dit, aimer nous a semblé indispensable à la vie, pour toute action, pour toute pensée, pour toute recherche.

Aujourd'hui, si je dois accepter ce qu'on me dit, il en va de l’amour comme de la foi en Dieu. Il a tendance à disparaître, du moins dans certains médias. Il est généralement considéré comme un phénomène historique, comme une illusion culturelle. Il est étudié, analysé ... et, si possible, il est guéri. »

Buñuel écrit de belles pages favorables à Marcuse et à mai 68. Il note simplement que tout cela se termina mal, comme la révolution surréaliste. Je lui laisse le soin de le dire lui-même :

“Al igual que nosotros, los estudiantes de Mayo del 68 hablaron mucho y actuaron poco. Pero no les reprocho nada, Como podría decir André Breton, la acción se ha hecho imposible, lo mismo que el escándalo.”

Redécouvrons le rêve…

 

Sources

Bunuel – Mi ultimo suspirio

Bonnal – Les voyageurs éveillés ; l’apocalypse touristique

samedi, 24 février 2018

La libertad en el Estado Mundial

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La libertad en el Estado Mundial

José Javier Esparza

Ex: http://www.posmodernia.com

Jünger relexionó incesantemente sobre la libertad, en particular sobre la libertad personal. Lo hizo al mismo tiempo que expresaba su convicción de que la humanidad caminaba hacia formas de organización colectiva cada vez más férreas y hasta asfixiantes. Esas formas de organización, vistas desde la perspectiva jüngeriana, revestían en los años 30 los colores del mundo del Trabajador y en los años 50 se manifestaron cada vez más como Estado Mundial, que en realidad son dos fases distintas del mismo proceso. La pregunta es cómo concebir la libertad personal en semejante contexto. Y a modo de guía en el camino, Jünger aporta una interpretación que descansa en dos conceptos clave: organismo y organización.

El Estado Mundial de Jünger es, ante todo, la constatación y la explicación de una tendencia que se está acelerando a medida que el poder técnico se desarrolla; en cierto modo, podemos decir que es una pionera exploración metafísica de lo que hoy se ha llamado “globalización”. El Estado Mundial es la forma de organización del estado en la era de la técnica. Pero frente a esa organización, surgen las correspondientes resistencias. Y aquí se basa la perspectiva jüngeriana del eterno conflicto entre organismo y organización:

“Desde siempre ha sido dominante la desconfianza frente al Estado. Los esfuerzos hechos por él, sus intervenciones, despertaron desde el primer momento unos temores en los que se expresa algo más que la simple prudencia política y que la reivindicación de un modo propio de ser. Aquí no son sólo la persona singular y sus comunidades naturales, como la familia, la parentela, la tribu, el pueblo, las que se ven expuestas a una exigencia que penetra hondamente en la substancia y cuyas ventajas y desventajas es difícil ponderar. Aquí es la vida misma la que está en una de sus grandes encrucijadas. En ella el organismo y la organización se encuentran” (pp. 193-194).

Lobos y abejas

Jünger obtiene estos términos, “organismo y organización”, de una máxima del escritor francés Rivarol: “El poder es la fuerza organizada” (La puissance est la force organisée), síntesis de sus aforismos políticos . Pero Jünger intenta ir más allá de la perspectiva de este autor y se sitúa en una posición en la que la organización es aprehendida al mismo tiempo que su contrario, el organismo . Tampoco es difícil hallar aquí ecos de la tradición organicista alemana, en la que la materia y el organismo se contraponen como, en Tönnies, se contraponen sociedad (mecánica) y comunidad (orgánica).

El organismo es la forma de ser de las realidades vivas, naturales; la organización es la “plantilla”, el “molde” que se impone sobre el organismo ya para facilitar su supervivencia, ya para incrementar su poder. Al orden del organismo pertenecen la familia, el clan, la comunidad; al orden de la organización pertenecen el Estado y la división del trabajo. En el orden del organismo, la libertad es muy amplia, pero también el riesgo, pues la capacidad de supervivencia disminuye; en el orden de la organización, la seguridad es intensa, así como la riqueza, pero a costa de enormes sacrificios de la libertad. Esta díada de potencias no es exclusiva del orden humano, sino que echa sus raíces en la propia estructura del mundo natural:
“La elección es honda y penetra profundamente, llega hasta la célula. Tiene su balance de pérdidas y ganancias. Un ejemplo: cuando las células de la visión se diferencian, la ganancia de fuerza perceptiva tiene como contrapartida una pérdida de fuerza sensorial, erótica. Cuando se forman colonias, como ocurre en el caso de las esponjas, la seguridad de los individuos afectados aumenta, pero su libertad disminuye. Cuando, como ocurre en el caso de los insectos estatizadores, la ordenación del trabajo y su división han hecho progresar la economía hasta un grado tal que posibilita el acumular reservas, esa riqueza es comprada con sacrificios asombrosos. La abeja obrera es una hembra mutilada, producto de una reducción; el asesinato de los zánganos es un modelo de implacable razón de Estado. En las termitas y en las hormigas encontramos formas que anticipan idealmente no sólo la agricultura, sino también la esclavitud” (p. 194).

jungerPAZ.jpgJünger constata que la tendencia a la estatización (a la “organización”) se hace más rara a medida que ascendemos en la escala de los animales superiores. En ellos –por ejemplo, en los lobos, en numerosos grupos de aves, etc.- es frecuente hallar ejemplos de socialización, pero muy rara vez asistiremos a los sacrificios que la estatización impone a los insectos. En ese sentido, el hombre ocupa un lugar especial: la estatización no es algo que le sea natural, aunque el proceso de desarrollo de la civilización técnica muestre claras tendencias estatizadoras. En el mundo natural, la tendencia hacia la organización es un rasgo específico de los animales sociales; en el caso de la especie humana, es el síntoma más evidente del avance del proceso de civilización. Y sin embargo, la tendencia a la organización no es inapelable, inevitable; ni siquiera natural. Ese es el sentido de la pregunta que Jünger se formula: ¿Acaso el mundo está lleno de organismos que esperan ser organizados y reivindican tal organización? No, e incluso lo contrario es lo cierto, pues por todas partes puede percibirse como actúa “la tentativa de sustraerse al poder”. De manera que la organización no es un hecho natural, o al menos no lo es más que la resistencia a la organización.

Más allá del Estado y el Mercado

A nuestro juicio, lo que hace especialmente interesante la perspectiva jüngeriana es su capacidad para sentar un marco de interpretación que trasciende las habituales polémicas entre diversas formas de organización, cada una de las cuales pretende a su vez encarnar mayores cotas de libertad. Por ejemplo, ¿cuántas veces se ha invocado la libertad en nombre del Estado? ¿Y cuántas otras veces se ha invocado esa misma libertad en nombre del Mercado y contra el Estado? La división jüngeriana entre organismo y organización nos brinda un esquema bastante más profundo que el que aporta Hayek con su dialéctica entre “orden tribal” y “orden amplio”: la verdadera espontaneidad reside en el organismo, donde los impulsos naturales actúan con mayor libertad; la organización, por el contrario, significa la imposición de una estructura racional sobre los impulsos primarios, y esa estructura no es sólo de tipo estatal, sino que también puede adoptar otras formas. El mercado, sin duda, es una de ellas. Cambian las reglas del ejercicio de la organización, pero no el hecho de la organización en sí. Desde la perspectiva de la organización que se contrapone al organismo, Estado y Mercado no representan fuerzas esencialmente contradictorias, sino que ambas responden a una misma lógica: las dos, por su potencia reglamentadora, normativizadora, constituyen otras tantas formas de organización, esto es, otras tantas formas de someter al organismo, vale decir, a la libertad.

Como suele ocurrir en Jünger, erraríamos el tiro si tratáramos de incorporar juicios de valor demasiado simples a los términos de este esquema. No tiene mucho sentido ver en la organización una suerte de desdicha; más bien se trata de un hecho inevitable, porque cuanto más arriesgada es la vida, más necesaria es la cooperación, esto es, la sociedad. Y toda vida en sociedad, en la medida en que exige la imposición de normas, presenta necesariamente ciertos rasgos de alienación –eso es algo que está en la naturaleza humana. En consecuencia, cuanto más compleja es la sociedad, esto es, la organización, mayor es su carácter alienante. Ahora bien, la tendencia hacia el organismo, hacia la libertad, tampoco deja nunca de estar presente, porque forma parte igualmente de las pulsiones naturales. Y en el caso de la especie humana, además, esta tendencia se hace consciente, pues sólo el hombre es racionalmente consciente de su libertad. En cierto modo, la búsqueda del equilibrio entre organismo y organización es una de las claves fundamentales de la historia natural, no sólo en la especie humana. Toda la cuestión, pues, reside en que el ser humano sea capaz de mantener siempre alta la guardia de su libre albedrío:

“Cuando el Estado y con él el pensamiento organizativo cobran dimensiones enormes, tal como lo están experimentando en el presente los hombres y los pueblos, ocurre que los peligros son en parte sobreestimados y en parte subestimados. Consisten no tanto en la amenaza física que representan para los pueblos y los hombres que los componen –esa amenaza es desde luego evidente- cuanto en el riesgo que corre la especie como tal, sobre todo porque es afectada en su nota específica: el libre albedrío. Ello haría que la luminosidad de una civilidad superior desapareciese en el brillo de la perfección. El peligro real del plan no está tanto en que fracase cuanto en que obtenga un éxito demasiado fácil (…)
La especificidad del ser humano está en su libre albedrío, o sea, en su imperfección; está en su capacidad de convertirse en culpable, de cometer errores. La perfección hace superflua, por el contrario, la libertad; el orden racional cobra entonces la precisión del instinto” (pp. 204-205).

Jünger no cree que la marcha de la civilización, que apunta hacia una creciente complejidad de la organización, hacia una creciente perfección de la técnica , sea reversible. No estamos en condiciones de decidir si queremos entrar en esa nueva casa, porque ésta se nos impone de manera irresistible. Pero sí estamos en condiciones de preguntarnos qué queremos llevarnos con nosotros al entrar en la nueva casa, y aquí es donde Jünger reivindica el libre albedrío como seña principal de la especie humana. La conclusión del texto apunta inequívocamente en esa dirección. Y sostiene, precisamente, que tal cosa será más fácil en el Estado mundial que en los Estados que el mundo han conocido hasta ahora:

“La forma del Estado humano viene determinada por el hecho de la existencia de otros Estados. Viene determinada por el pluralismo. No siempre ha sido así y, esperémoslo, no siempre será así. Cuando el Estado era una excepción en la Tierra, cuando era insular o, en el sentido de su origen, único en su género, los ejércitos de guerra resultaban innecesarios, más aún, estaban fuera de lo imaginable. Eso mismo habrá de ocurrir cuando el Estado en su sentido final se vuelva único en su género. Entonces el organismo humano podría destacar con más pureza como lo auténticamente humano, liberado de la coacción de la organización” (p. 217).

Una libertad difícil

Toda la posición de Jünger frente al Estado/Organización en sus obras posteriores mantiene esta misma línea. La organización, aupada sobre el poder técnico, representa una fuerza que no es posible invertir, aunque sí es posible actuar dentro de ella. En el lado contrario, el organismo, la libertad, no podrá consistir en una declaración de derechos o en una lista de libertades formales, sino en una actitud de espíritu que pasa por mantener el libre albedrío como fundamento de la persona singular.

Todos los protagonistas de novelas jüngerianas como Heliópolis, Eumeswil e incluso El problema de Aladino se caracterizan por ese talante . La misma atmósfera se respira en ensayos como La emboscadura. Y es muy importante subrayar que todo este planteamiento guarda perfecta coherencia con las posiciones del Jünger anterior a 1933. El descreimiento de las libertades formales se halla ya en los textos de la “Revolución conservadora”, al mismo título que la desconfianza en los movimientos basados en “principios universales”. La percepción del Estado como máquina subsidiaria, dependiente de devoradores procesos técnicos, nace en las trincheras de la Gran Guerra y se prolonga a través de La movilización total y El Trabajador hasta llegar a las opresivas ciudades-Estado de Eumeswil y Heliópolis. La idea aristocratizante de la libertad –la libertad interior como signo de una aristocracia del espíritu- enlaza con el anarquista prusiano de El corazón aventurero, el libro que marcó su separación de la órbita nacionalista alemana en 1929, y se prolonga en Sobre los acantilados de mármol y en La emboscadura.

Ahora la pregunta post-jüngeriana podría ser esta: ¿Qué ocurre cuando la nueva casa, el Estado Mundial, exige como señal de entrada la renuncia al libre albedrío, a la libertad interior? Entonces volveríamos a la necesaria insurgencia, al mismo tiempo espiritual y política, que alimentó los grandes incendios de Sobre los acantilados de mármol.

 

Jünger, Ernst “La Paz seguido de El nudo gordiano, El Estado Mundial y Alocución en Verdún”, traducción de Andrés Sánchez Pascual), Tusquets Editores, Barcelona, 1996.

mardi, 20 février 2018

Comment Internet et l'informatique ont créé notre dystopie

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Comment Internet et l'informatique ont créé notre dystopie

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Pendant que nous avons le nez plongé dans nos portables ou nos écrans d’ordinateur, le monde s’endette, s’enlaidit et s’appauvrit. Les huit hommes les plus riches du monde ont autant que les quatre ou cinq milliards les plus pauvres, et cent millions de gamines pas forcément idiotes s’extasient tous les jours de la page Instagram de la fille Jenner. On peut continuer pendant des pages…

Les hommes les plus riches du monde sont souvent jeunes et sortis de la nouvelle économie. Ils hypnotisent ou contrôlent des milliards d’hommes (Alfred Hitchcock parle d’une orgue dont les touches sont l’humanité, et que les malins font résonner à volonté), emploient des milliers ou des millions de personnes en Inde ou ailleurs, et payés au lance-pièces. La globalisation est néo-féodale et divise le monde en deux castes principales : les brainlords, les manipulateurs de symboles, qui ont détruit les classes moyennes en occident par le « progrès technologique » (défense d’exploser de rire) et les techno-serfs. On va tout expliquer.

Voici comment j’annonçais la situation présente à la fin de mon livre sur Internet nouvelle voie initiatique (les Belles lettres, 2000), traduit en portugais et recensé par Roger-Pol Droit dans le Monde.

« Si le programme de la nouvelle économie est la richesse et l'information pour tout le monde, la réalité est tout autre. Robert Reich avait déjà remarqué en 1990 que l'informatique ne nourrissait pas du tout son homme. Il distingue une élite, des cadres et des mainteneurs, chargés de vider ou de recharger les machines. L'assemblage des ordinateurs ne coûte guère non plus, quand il est fait au Mexique ou en Malaisie.

L'externalisation vers les pays les plus pauvres est contemporaine de cette explosion de richesses soudaines concentrée entre les mains de quelques-uns. 85 % de la croissance boursière américaine est restée entre les mains de 10 % de la population. En France même, paradis autoproclamé du socialisme, les richesses boursières ont décuplé en dix ans ; et pendant que les médias célèbrent les stock-options et les richesses en papier des créateurs de start-up, ils passent sous silence les difficultés de dix millions de personnes.

Drucker-portrait-bkt_1014.jpgL'émergence d'une nouvelle économie techno-féodale qui distingue les information rich et les information-poor (et certes il ne suffit pas de se connecter sur le réseau pour être information rich) fait les délices des polémistes. Le gourou du management moderne Peter Drucker (photo) dénonce cette société qui fonctionne non plus à deux mais à dix vitesses : « Il y a aujourd'hui une attention démesurée portée aux revenus et à la richesse. Cela détruit l'esprit d'équipe. » Drucker comme le stupide Toffler, qui devraient se rappeler que Dante les mettrait au purgatoire en tant que faux devins, font mine de découvrir que la pure compétition intellectuelle génère encore plus d'inégalités que la compétition physique. C'est bien pour cela que les peuples dont les cultures symboliques sont les plus anciennes se retrouvent leaders de la Nouvelle Économie.

C'est encore un artiste, un écrivain de science-fiction, qui a le mieux décrit le monde féodal en train d'émerger, et qui disloque les schémas keynésiens archaïques.

neuromancer_by_davidsimpson2112-d4ft3sr.jpgWilliam Gibson, l'inventeur du cyberspace, imaginait en 1983 une société duale gouvernée par l'aristocratie des cyber-cowboys naviguant dans les sphères virtuelles. La plèbe des non-connectés était désignée comme la viande. Elle relève de l'ancienne économie et de la vie ordinaire dénoncée par les ésotéristes. La nouvelle élite vit entre deux jets et deux espaces virtuels, elle décide de la consommation de tous, ayant une fois pour toutes assuré le consommateur qu'il n'a jamais été aussi libre ou si responsable. Dans une interview diffusée sur le Net, Gibson, qui est engagé à gauche et se bat pour un Internet libertaire, dénonce d'ailleurs la transformation de l'Amérique en dystopie (deux millions de prisonniers, quarante millions de travailleurs non assurés...).

Lui-même souffre d'agoraphobie cyber-spatiale et ne se connecte jamais ; mais il encourage les pauvres, I’underclass, à le faire pour oublier ou dépasser le cauchemar social américain. Et de regretter que pendant les émeutes de Los Angeles les pauvres ne volaient pas d'ordinateurs, seulement des appareils hi-fi ... Comme nos progressistes, Gibson n'admet pas que les pauvres ne veuillent pas leur bien. Une classe de cyber-shérifs obligera sans doute un jour les pauvres et les autres à se connecter pour leur bien.

Pour Michael Vlahos, dans la Byte City de l'an 2020 qu'il décrit sur le Web, les castes dirigeantes regrouperont les gens les mieux informés. Ce sont les brainlords. Viennent ensuite les cyber-yuppies puis les cyber-serfs, le peuple perdu (on retrouve cette division chez Reich, Huxley, et mon ami Raymond Abellio avait recyclé les castes hindoues dans ses romans du huitième jour). L'inégalité n'est ici pas dénoncée avec des larmes de crocodiles, elle est au contraire encouragée et célébrée avec cynisme. Pendant longtemps – avant la révolution industrielle - les forts en thème et en maths n'ont pas été riches ; ils le deviennent avec le réseau, la technologie et le néocapitalisme qui ne récompense plus seulement les meilleurs, mais les plus intelligents. C'est à une domination néo-cléricale qu'il faut s'attendre maintenant. Abellio me parlait du retour de la caste sacerdotale ; lui-même écrivit deux livres sur la bible comme document chiffré (voyez mon chapitre sur la technognose).

lessard1.pngLes rois de l'algorithme vont détrôner les rois du pétrole. Les malchanceux ont un internaute fameux, Bill Lessard (photo), qui dénonce cette nouvelle pauvreté de la nouvelle économie. Lessard évoque cinq millions de techno-serfs dans la Nouvelle Économie, qui sont à Steve Case ce que le nettoyeur de pare-brise de Bogota est au patron de la General Motors. Dans la pyramide sociale de Lessard, qui rappelle celle du film Blade Runner (le roi de la biomécanique trône au sommet pendant que les miséreux s'entassent dans les rues), on retrouve les « éboueurs » qui entretiennent les machines, les travailleurs sociaux ou webmasters, les « codeurs » ou chauffeurs de taxi, les cow-boys ou truands de casino, les chercheurs d'or ou gigolos, les chefs de projet ou cuisiniers, les prêtres ou fous inspirés, les robots ou ingénieurs, enfin les requins des affaires. Seuls les quatre derniers groupes sont privilégiés. Le rêve futuriste de la science-fiction est plus archaïque que jamais. Et il est en train de se réaliser, à coups de bulle financière et de fusions ...

Gibson reprend dans son roman le thème gnostique du rejet du corps. Case « taille des ouvertures dans de riches banques de données », il est donc un hacker. Puni, il voit son système nerveux endommagé par une myxotonine russe (toujours ces Russes ! Sont-ils utiles tout de même !), et c’est « la Chute. Dans les bars qu'il fréquentait du temps de sa gloire, l'attitude élitiste exigeait un certain mépris pour la chair. Le corps, c'était de la viande. Case était tombé dans la prison de sa propre chair. »

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Gibson a popularisé le cyberspace. Le héros Case, un cow-boy donc, avait « projeté sa conscience désincarnée au sein de l'hallucination consensuelle qu'était la matrice ». L'expression « hallucination consensuelle » évoque les univers conditionnés de Philip K. Dick, elle évoque surtout le réseau des réseaux, paramétré pour nous faire vivre une seconde et meilleure vie. « La matrice tire ses origines des jeux vidéo, explique Gibson, des tout premiers programmes holographiques et des expérimentations militaires ... une guerre spatiale en deux dimensions s'évanouit derrière une forêt de fougères générées de manière mathématique, démontrant les possibilités spatiales de spirales logarithmiques ... le cyberspace est une représentation graphique extraite des mémoires de tous les ordinateurs du système humain ... des traits de lumière disposés dans le non-espace de l'esprit. »

Cet univers algorithmique et non-spatial est dominé par des Modernes, « version contemporaine des grands savants du temps de ses vingt ans ... des mercenaires, des rigolos, des techno-fétichistes nihilistes ». Gibson nous fait comprendre de qui ces Modernes sont les héritiers : « Pendant des milliers d'années, les hommes ont rêvé de pactes avec les démons. »

Sur ces questions lisez Erik Davies.

Le monde techno-paranoïaque de Gibson, où l'on est identifié par son code de Turing, est dirigé par des multinationales à qui il donne le fameux nom nippon de zaibatsu. Ces derniers, « qui modèlent le cours de l'histoire humaine, avaient transcendé les vieilles barrières. Vus comme des organismes, ils étaient parvenus à une sorte d'immortalité ». Le Neuromancien s'achève par la vision d'une araignée cybernétique qui tisse sa toile pendant le sommeil de tous (…).

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Les brainlords nous laissent miroiter la noosphère, et accaparent la bonne terre. Ils sont les dignes héritiers des évêques médiévaux. Evoquons la résistance maintenant.

L'injustice moderne génère alors ses hérétiques et ses rebelles, les hackers. Les hackers, ou pirates du Web, sont les nouveaux brigands de la société techno-féodale. Sans scrupules et surdoués, ils reproduisent les archétypes des voleurs de Bagdad et des Mandrins d'antan. C'est sans doute pour cela qu'ils sont rarement condamnés sévèrement: ils suscitent trop d'admiration. Ils sont susceptibles d'autre part de pirater les puissants, sociétés, administrations, portails importants, et donc de venger l'internaute moyen. Ils font peur, comme le dieu Loki de la mythologie scandinave qui passe des farces et attrapes au Ragnarök ; car ils peuvent déclencher l'apocalypse virtuelle qui fascine tout le monde et justifient les stocks d'or ou les garde-manger des milices et des paranoïaques.

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Le hacker représente le dernier bandit de l'histoire, et le premier criminel du cyberspace. Il y a une mystique du hacker qui recoupe celle du Graal. C'est le très professionnel Mark Pesce qui l'affirme dans un texte baptisé Ignition et adressé aux world movers, aux cyber-nomades du Grand Esprit. L'inventeur du langage virtuel énonce les vérités suivantes : « Commençons par l'objet de notre désir. Il existe, il a existé de tout temps, et il continuera éternellement. Il a retenu l'attention des mystiques, des sorcières et des hackers de toutes les époques. C'est le Graal. La mythologie du Sangraal - du Saint-Graal - est l'archétype de l'illumination retirée.

La révélation du Graal est toujours une expérience personnelle et unique ... Je sais – parce que je l'ai entendu d'innombrables fois de beaucoup de gens dans le monde - que le moment de la révélation est l'élément commun de notre expérience en tant que communauté. Le Graal est notre ferme fondation. »

(…)

Le cyberspace de Pesce correspond à l'espace sacré antérieur décrit par Mircea Eliade. Dans un monde pollué et réifié par la consommation touristique, le cyberspace devient le nec plus ultra du pèlerinage mystique.

Pesce présente ici le hacker comme un mystique hérétique en quête du Graal. Le Graal est lié au centre sacré, Montsalvat ou le château du roi-pêcheur. Il est père nourricier, donne vie éternelle et santé, et la connaissance absolue du monde : tout ce qui est attendu par les prêtres du cyberspace et du Net, censés résoudre toutes les contradictions de l'humanité. Le hacker dans ce cadre fait figure de chevalier sauvage. L'expression chevalier sauvage désigne le guerrier initié, soumis à la solitude et à l'effroi des lieux les plus sinistres, mais également à la volonté du Bien, celui qui comme Lancelot n'a pas un sillon de terre et qui sillonne toute la terre pour quérir les aventures les plus étranges et merveilleuses. Comme le jongleur (joker de Batman, homme qui rit de Hugo), initié mué en bouffon, l'extraordinaire Lancelot se déplace sans cesse dans un espace-temps où rien ne le retient, si ce n'est ce lien particulier qui le relie à l'Esprit, et qui est figuré par sa Dame la Reine, source de de vie et de sagesse pour tout chevalier sauvage, tout Fidèle d' Amour. Montsalvat est un lieu où l'espace rejoint le temps, comme dit Wagner. L'ère numérique répond ainsi à des aspirations immémoriales.

Bibliographie

Nicolas Bonnal – Perceval et la reine (alchimie et ésotérisme dans la littérature arthurienne, préface de Nicolas Richer, professeur à l’EN.S., Amazon.fr) – Internet nouvelle voie initiatique (Amazon.fr, Avatar éditions) – Comment les peuples sont devenus jetables (Amazon.fr)

William Gibson – Le neuromancien (Editions j’ai lu)

Erik Davies – Techgnosis

Roger-Pol-Droit-.jpgRoger-Pol Droit, "Les démons du web" (29.09.2000). Je cite un extrait de son article :

« Nicolas Bonnal brosse le portrait de cette résurgence de vieilles terreurs sur les réseaux nouveaux. D'après lui, nous serions en pleine croissance de la technognose. Ainsi, le « w » correspondant en hébreu au chiffre 6, beaucoup se préoccuperaient aujourd'hui que le World Wide Web (www) équivale à 666, soit le chiffre de la Bête dans l'Apocalypse de Jean. Le Net, ce serait le filet contre lequel Job se battait déjà. Dans la kabbale, il n'est question, comme sur Internet, que de portails, de codes, de nœuds. Comme dans la gnose, la vieille lutte contre le corps, ses pesanteurs et ses incohérences, est à l'ordre du jour : certains rêvent d'entrer dans le réseau, de devenir téléchargeables, de survivre comme pure information. Pour ces anges New Age, évidemment, notre viande est une gêne. Ils rêvent de n'être que lumière, instantanément diffusée dans un monde sans pesanteur ni animalité.

Les hackers, ces pirates qui contournent les barrières et les mesures de sécurité des systèmes informatiques, sont les chevaliers d'Internet, selon Nicolas Bonnal. Déjouer les plus retorses défenses est leur quête du Graal, aussi interminable que celle des compagnons du roi Arthur. Ce ne serait donc pas un hasard si les jeux de rôles - donjons, dragons et autres occasions de mortels combats - se sont développés sur la Toile de manière spectaculaire. Les ordinateurs se délectent d'anciennes légendes. Ils brassent allégrement Pythagore et la Kabbale, des secrets chiffrés et des mœurs médiévales. On les croyait postmodernes. Ils risquent de se révéler préclassiques.

…Nicolas Bonnal, en dépit de certaines imperfections, met le doigt sur une question importante : le monde hypertechnique est aussi un univers mythologique, régressif, crédule, traversé éventuellement de toutes les hantises et les phobies des âges les plus anciens, celles que l'on avait cru trop vite révolues. Sans doute ne faut-il pas noircir aussitôt le tableau. Il n'est pas vrai que nos disques durs soient truffés de signes maléfiques et nos modems peuplés de gremlins prêts à bondir. Mais il y a une tendance. Une sorte de boucle possible entre l'avenir et le passé. Le futur risque d'être archaïque. On pense à ce mot attribué à Einstein : “Je ne sais pas comment la troisième guerre mondiale sera menée, mais je sais comment le sera la quatrième : avec des bâtons et des pierres.” » 

lundi, 19 février 2018

Entretien d'Alain Santacreu avec la revue Rébellion

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Entretien d'Alain Santacreu avec la revue Rébellion

Ex: http://www.contrelitterature.com

RÉBELLION : Pourriez-vous présenter votre parcours dans une courte introduction ?

ALAIN SANTACREU : Je suis né à Toulouse, au mitan du dernier siècle. Mes parents étaient des ouvriers catalans, arrivés en France en 1939, en tant que réfugiés politiques. J’ai vécu toute mon enfance et mon adolescence dans cette ville. J’y ai fait mes études, depuis l’école des Sept-Deniers jusqu’à l’ancienne Faculté des Lettres de la rue des Lois, en passant par le lycée Pierre de Fermat et le lycée Nord. C’est au Conservatoire de Toulouse, dans la classe de Simone Turck, que j’ai commencé ma formation théâtrale.


Je me suis marié très jeune et j’ai dû quitter Toulouse. Durant quelques années, j’ai joué dans diverses compagnies théâtrales de l’Est de la France. J’ai aussi été directeur d’un centre culturel, près de Belfort. Finalement, je suis devenu enseignant et j’ai exercé dans des établissements de la région parisienne. C’est au cours de cette période que j’ai écrit mes premiers textes et fondé la revue Contrelittérature. Par la suite mes activités éditoriales se sont diversifiées et, tout en publiant un premier roman et un recueil d’essais, j’ai di­ri­gé plu­sieurs ou­vrages col­lec­tifs sur l’art et la spi­ri­tua­li­té, dans le cadre de la collection « Contrelittérature » aux éditions L’Harmattan. Quant à mon parcours intellectuel proprement dit, je l’aborderai en répondant à vos autres questions.


AS-l2.jpgR/ Dans votre dernier roman Opera Palas vous placez le lecteur dans une posture opérative originale. Pensez-vous que le regard du lecteur « fait » vraiment un roman ?

AS/ Toute la stratégie romanesque d’Opera Palas tourne autour de la phrase célèbre de Marcel Duchamp : « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux ». C’est un commentaire qu’il a prononcé à propos de ses ready-made [1]. On sait que le ready made inventé par Duchamp est un vulgaire objet préfabriqué, prêt à l’emploi, comme son célèbre urinoir, « Fontaine », devenu un chef-d’oeuvre de l’art du XXe siècle.


  Toute oeuvre d’art a deux pôles : le pôle de celui qui fait l’oeuvre et le pôle de celui qui la regarde. Dans le ready made, l’artiste s’efface du pôle créatif puisqu’il ne réalise pas l’objet « tout fait » qu’il donne à voir. Dès lors, la production de l’oeuvre ne dépend plus que du second pôle, du regardeur, celui de la réception. Ainsi, le ready made de Duchamp démontre que le goût esthétique n’est que la projection de l’ego du regardeur sur l’oeuvre.


  Le spectacle – ce que j’appelle « littérature », comme j’aurai l’occasion de l’expliciter – est le pouvoir qui veut que je tienne mon rôle dans le jeu social dont il est l’unique metteur en scène. S’opposer à la volonté du spectacle, c’est donc mourir à soi-même, renoncer à ce faisceau de rôles qui me constitue, devenir réfractaire à cette image que la société me renvoie. Un texte signé Alaric Levant, paru récemment sur votre site internet, affirme que ce travail sur soi est un acte révolutionnaire : « Aujourd’hui, nous sommes face à une barricade bien plus difficile à franchir que celle des CRS : c’est l’Ego, c’est-à-dire la représentation que l’on a de soi-même »[2].


  La démarche de Duchamp vise à nous extraire de la perspective spectaculaire, en cela elle annonce le situationnisme, la dernière avant-garde artistique et politique qui se soit manifestée dans notre société contemporaine. Le pouvoir du regardeur de décider si une pissotière est une oeuvre d’art est factice ; en réalité, c’est dans les coulisses que le meneur du spectacle décide de la seule norme esthétique qui puisse me faire exister au regard des autres.


  Ainsi, les œuvres de l’art fonctionnent comme un immense kaléidoscope de miroirs que le regardeur manipule afin de customiser l’image qu’il a de lui-même. Plus encore : pour la pensée aliénée toute chose n’est que ready-made, marchandise « prête à l’emploi ». Votre goût esthétique est tout simplement le signe que vous êtes un moderne comme tout le monde. Si vous voulez être intégré dans le spectacle, vous devez vous conformer à l’exercice obligatoire de la différenciation mimétique – pour le dire à la manière de René Girard – de façon à vous assurer que vous appartenez bien à la classe de loisir – pour le dire à la manière de Thorstein Veblen.


 Opera Palas est l’équivalent contre-littéraire du ready-made duchampien. Marcel Duchamp est un protagoniste du roman et son oeuvre maîtresse, La mariée mise à nu par ses célibataires, même – aussi appelée Le Grand verre – est l’élément déclencheur du récit. La vanité de vouloir jouer un rôle dans la société du spectacle, la quête du succès et son obtention, Duchamp les a analysées dans son oeuvre majeure.


  En lisant, le lecteur est renvoyé à son propre acte interprétatif, le roman est le miroir de sa pensée. Cela est rendu possible parce que le moi du narrateur anonyme du roman s’efface au fur et à mesure qu’avance le récit. En effet, une véritable opération alchimique se joue entre le narrateur et son double : Palas.


  Le personnage de Palas est le nom générique de tous les lecteurs zélés d’Opera Palas. Il y a deux types possibles de lecteur. Le premier est celui qui se conforte dans la certitude de son moi, le lecteur aliéné qui réagit à partir du prêt-à-penser que la « littérature » lui a inculqué – pour celui-là, ce roman n’est pas un roman et il renoncera très vite à le lire ou même, sous l’emprise de son propre conditionnement idéologique, il l’interprètera comme antisémite, fasciste, homophobe ou conspirationniste. Le second type de lecteur est celui dont le zèle lui permet d’entrer en relation avec l’œuvre, d’établir un dialogue avec elle et de faire de sa lecture une opération de désaliénation de sa pensée. Le lecteur zélé accepte la mise en danger d’une lecture cathartique qui l’amène à oser se regarder lire.


  Lorsque le lecteur referme Opera Palas, il prend conscience qu’il n’a fait qu’un tour sur lui-même, étant donné que la dernière page du roman est la description de l’icône qui illustre la couverture du livre. C’est alors qu’il peut traverser le miroir.


AS-l4CL.jpgR/ Comment définir votre démarche de "Contre-Littérature" ?

AS/ Le texte germinatif de la contrelittérature est Le manifeste contrelittéraire. Ce texte est d’abord paru, en février 1999, dans le n°48 de la revue Alexandre dirigée par André Murcie ; puis, quelques mois plus tard, en postface de mon premier roman, Les sept fils du derviche, (Éditions Jean Curutchet, 1999). Par la suite, il sera repris et étayé dans l’ouvrage éponyme, paru en 2005 aux éditions du Rocher : La contrelittérature : un manifeste pour l’esprit. Dès le début, j’ai préféré lexicaliser le terme pour le différencier du mot composé « contre-littérature » déjà employé par la critique littéraire officielle.


  La contrelittérature est donc née à la fin du XXe siècle, pendant cette période d’unipolarisation du monde dans laquelle Fukuyama disait voir la « fin de l’histoire ». L’idéologie postmoderne du consensus global a été façonnée, dès le XVIIIe, par une Weltanschauung qu’Alexis Tocqueville, dans L’Ancien Régime et la Révolution, nomme « l’esprit littéraire » de la modernité. En deux siècles, la littérature avait si intensément « homogénéisé » la pensée, qu’à l’orée du XXIe siècle, une pensée hétérogène, contradictoire, était presque devenue impensable ; d’où la nécessité d’inventer un néologisme pour désigner cet impensable, ce fut : « contrelittérature ».
  Cela se fit à partir de la découverte de la logique du contradictoire de Stéphane Lupasco. Pour la contrelittérature, Stéphane Lupasco est un maillon d’une catena aurea qui se manifeste avec Héraclite et les présocratiques, en passant aussi, comme nous le verrons, par Pierre-Joseph Proudhon, un auteur très important dans ma démarche.


  Il faut partir de la définition la plus large possible : la littérature, c’est non seulement le corpus de tous les récits à travers lesquels une civilisation se raconte, mais encore tous les textes poétiques où elle prend conscience de son propre être et cherche à le transformer. La littérature doit être perçue comme un organisme vivant, un système dynamique d’antagonismes, pour reprendre la terminologie lupascienne, dont la production dépend de deux sources d’inspiration contraires : une force « homogénéisante » en relation avec les notions d’uniformité, de conservation, de permanence, de répétition, de nivellement, de monotonie, d’égalité, de rationalité, etc. ; et, à l’opposé, une force « hétérogénéisante » en relation avec les notions de diversité, de différenciation, de changement, de dissemblance, d’inégalité, de variation, d’irrationnalité, etc. Ce principe d’antagonisme a été annihilé par la littérature moderne qui a imposé l’actualisation absolue de son principe d’homogénéisation et ainsi tenté d’effacer le pôle de son contraire, l’hétérogène « contrelittéraire ».


  AS-l1.jpgTous les romans étaient devenus semblables, de plates « egobiographies » sans âme, il fallait verticaliser l’horizontalité carcérale à laquelle on voulait nous condamner, retrouver la sacralité de la vie contre sa profanation imposée. C’est pourquoi, dans une première phase, nous nous sommes attachés à valoriser l’impensé de la littérature, le récit mystique qui se fonde sur la désappropriation de l’ego. D’où la redécouverte du roman arthurien et de la quête du graal, la revisitation des grands mystiques de toutes sensibilités religieuses – par exemple le soufisme dans mon premier roman, Les sept fils du derviche. Cela a pu conforter l’image fausse d’une contrelittérature confite en spiritualité et se complaisant dans une forme d’ésotérisme. Très peu ont réellement perçu la dimension révolutionnaire de la contrelittérature.


  La contrelittérature est une tentative pour redynamiser le système antagoniste de la littérature. Il est évident que ce point d’équilibre des deux sources d’inspiration exerce une attraction sur tous les « grands écrivains ». Leurs oeuvres contiennent les deux antagonismes dans des proportions différentes mais tournent toutes autour de ce « foyer » de mise en tension. Il serait stupide de se demander si un écrivain est « contrelittéraire ». Toute création contient nécessairement à la fois des éléments littéraires et contrelittéraires. C’est le quantum antagoniste qui varie, c’est-à-dire le point de la plus haute tension entre les antagonismes constitutifs de l’oeuvre.


  On ne peut percevoir la liberté qu’en surplomblant les contraires, en les envisageant ensemble, d’un seul regard, sans en exclure un au bénéfice de l’autre. Telle est la perpective romanesque d’Opera Palas. Mon roman se construit en effet sur une série d’antagonismes. J’en citerai quelques-uns : la cabale de la puissance et la cabale de l’amour, le bolchévisme stalinien et le slavophilisme de Khomiakov, le sionisme de Buber et le sionisme de Jabotinsky, l’individu (le moi) et la commune (le non-moi, le je collectif) ; le nationalisme politique et le nationalisme de l’intériorité, l’éros et l’agapé ; sans oublier, pour finir, le couplage scandaleux entre Buenaventura Durruti et José Antonio Primo de Rivera, les ennemis politiques absolus.


  Ainsi, la contrelittérature reprend le projet fondamental du Manifeste du Surréalisme d’André Breton, à partir du point où les surréalistes l’ont abandonné en choisissant le stalinisme : « Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l’esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. Or c'est en vain qu'on chercherait à l'activité surréaliste un autre mobile que l'espoir de détermination de ce point. »


  Le plus haut drame de l’homme, ce n’est pas tant To be or not to be mais bien plutôt To be and not to be. La vraie quête initiatique est celle de ce point d’équilibre entre l’être et le non-être, c’est cela le grand retour du tragique, un lieu où la tension entre les contraires est si intense que nous passons sur un autre plan : un saut de réalité où les contraires entrent en dialogue.


R/ Votre démarche se rapproche pour moi de l'ABC de la lecture d'Ezra Pound. Ce prodigieux poète est-il une influence pour vous ?

AS/ L’ABC de la lecture est un génial manuel de propédeutique à l’usage des étudiants en littérature. On y trouve des réflexions d’une clarté fulgurante, telle cette phrase qui vous plonge dans un puits de lumière : « Toute idée générale ressemble à un chèque bancaire. Sa valeur dépend de celui qui le reçoit. Si M. Rockefeller signe un chèque d’un million de dollars, il est bon. Si je fais un chèque d’un million, c’est une blague, une mystification, il n’a aucune valeur. » [3]


  On voit que, pour Ezra Pound aussi, c’est le récepteur qui accorde son crédit à l’émetteur. Si un milliardaire émet un gros chèque, le récepteur l’estime tout de suite valable ; mais, par contre, si le même chèque est émis par un vulgaire péquenot, ce n’est pas crédible. On retrouve ici l’interrogation de la pissotière de Duchamp, qu’est-ce qui en fait une oeuvre d’art pour le regardeur ?


  Bien sûr, ce n’est pas exactement ce que veut signifier Pound dans cette phrase de son ABC de la lecture mais je l’ai citée à cause de son allusion « économique », thème prégnant dans d’autres de ses ouvrages. Je pense à un livre comme Travail et usure ou encore au Canto XLV.


  EP-ABC-de-la-lecture_8103.jpgEzra Pound est un des grands prédécesseurs de la contrelittérature. C’est à partir de lui que j’ai compris la similarité du processus d’homogénéisation de la littérature avec celui de l’usure. Pound a perçu de façon très subtile le phénomène de l’ « argent fictif ». Il insiste dans ses écrits sur la constitution et le développement de la Banque d’Angleterre, modèle du système bancaire moderne né en pays protestant où l’usure avait été autorisée par Élisabeth Tudor en 1571.


  Pour comprendre la nature métaphysique du sacrilège qu’Ezra Pound dénonce sous le concept d’usure, il faudrait se reporter au onzième chant de L’Enfer de Dante – La Divine Comédie est une référence constante dans Les Cantos – qui condamne en même temps les usuriers et les sodomites pour avoir péché contre la bonté de la nature (« spregiando natura e sua bontade »). J’ai moi-même repris ce parallèle dans mon roman Opera Palas en relevant la synchronicité, durant la seconde partie du XVIIIe siècle, de l’émergence des clubs d’homosexuels – équivalents des molly houses – avec l’officialisation de l’usure bancaire – décret du 12 octobre 1789 autorisant le prêt à intérêt.


  C’est en 1787, dans ses Éléments de littérature, que François de Marmontel utilisa pour la première fois le terme « littérature » au sens moderne. Il ne me semble pas que ce phénomène de la concomitance entre la littérature et l’usure ait jamais été pris en compte ni étudié avant la contrelittérature [4].


  Le concept poundien d’Usura ne se laisse pas circonscrire aux seuls effets de l’économie capitaliste. Dans la société contemporaine globalisée, tous les signes sont devenus des métonymies du signe monétaire, à commencer par les mots de la langue, arbitraires et sans valeur.


  L’usure littéraire consiste à vider les mots de leur sens pour leur prêter un sens abstrait. Usura entraîne le progrès de l’abstraction, c’est-à-dire de la séparation – en latin abstrahere signifie retirer, séparer. Usura ouvre le monde de la réalité virtuelle et referme celui de la présence réelle. Par l’usure, l’homme se retrouve séparé du monde.


Durant l’été 1912, Ezra Pound parcourut à pied les paysages du sud de la France, sur les pas des troubadours, afin de s’incorporer les lieux topographiques du jaillissement de la langue d’oc. La poésie poundienne est un combat contre l’usure. Chaque point de l’espace devient un omphalos, un lieu d’émanation du verbe, chaque pas une station hiératique. Ainsi est dépassée l’entropie littéraire du mot, l’érosion du sens par l’usure répétitive.


  Ce que Pound, lecteur de Dante, nomme « Provence », correspond géographiquement à l’Occitanie et à la Catalogne. Ce pays évoquait pour lui une civilisation médiévale de l’amour qui s’oppose au capitalisme moderne. L’amour est le contraire de l’usure.


  GB-Labespa.jpgCependant, Pound n’a pas su reconnaître la surrection du catharisme des troubadours dans l’anarchisme espagnol, ce que Gerald Brenan a très bien vu dans son Labyrinthe espagnol [5]. J’ai soutenu dans Opera Palas cette vision millénariste de la révolution sociale espagnole.


  À mes yeux, la véritable trahison politique d’Ezra Pound ne se trouve pas tant dans les causeries qu’il donna sur Radio Rome, entre 1936 et 1944, la plupart consacrées à la littérature et à l’économie, mais dans son aveuglement face à ce moment métahistorique que fut la guerre d’Espagne. Comment n’a-t-il pas vu qu’Usura n’était plus dans les collectivités aragonaises et les usines autogérées de Catalogne ? Comment n’a-t-il pas entendu d’où soufflait le vent du romancero épique, la poésie de Federico García Lorca, d’Antonio Machado, de Rafael Alberti, de Miguel Hernández?

 

R/ La notion de tradition apparaît dans vos écrits depuis l’origine. Quelle définition en donneriez-vous ? Quel est votre rapport à l’oeuvre de Guénon ?

AS/ Selon moi, le paradigme essentiel de la tradition réside dans la notion d’anthropologie ternaire, tout le reste n’est que littérature ésotérique.


  Jusqu’à la fin de la période romane, soit l’articulation des XIIe et XIIIe siècles, la « tripartition anthropologique » a été la référence de notre civilisation chrétienne occidentale [6]. La structure trinitaire de l’homme – Corps-Âme-Esprit – fut simultanément transmise à la « science romane » par les sources grecque et hébraïque. Sans doute, le ternaire grec, « soma-psyché-pneuma », ne correspond-il pas exactement au ternaire hébreu, « gouf-nephesh-rouach », mais les deux se fondent sur une tradition fondamentale qui inclut le spirituel dans l’homme.


  Dieu est immanent à l’esprit, mais il est transcendant à l’homme psycho-corporel, telle est l’aporie devant laquelle nous place cette « tradition primordiale » dont parle René Guénon. L’esprit n’est pas humain mais divino-humain ; ou, plus précisément, il est le lieu de la rencontre entre la nature divine et la nature humaine. Il n’y a pas de vie spirituelle sans Dieu et l’homme. C’est comme faire l’amour : il faut être deux ! C’est pourquoi une « spiritualité » laïque ne sera jamais qu’un onanisme de l’esprit.


  Martin-Buber-58.jpgCette tradition dialogique entre l’incréé et le créé m’évoque le mot principe « Je-Tu » de Martin Buber. L’existence humaine se joue, selon Buber, entre deux mots principes qui sont deux relations antagonistes : « Je-Tu » et « Je-Cela ». Le mot-principe Je-Tu ne peut être prononcé que par l’être entier mais, au contraire, le mot-principe Je-Cela ne peut jamais l’être : « Dire Tu, c’est n’avoir aucune chose pour objet. Car où il y a une chose, il y a autre chose ; chaque Cela confine à d’autres Cela. Cela n’existe que parce qu’il est limité par d’autres Cela. Mais là où l’on dit Tu, il n’y a aucune chose. Tu ne confine à rien. Celui qui dit Tu n’a aucune chose, il n’a rien. Mais il est dans la relation. » [7]


  Cependant, si Buber oppose ainsi le monde du Cela au monde du Tu, il ne méprise pas pour autant un monde au détriment de l’autre. Il met en évidence leur nécessaire antagonisme. L’homme ne peut vivre sans le Cela mais, s’il ne vit qu’avec le Cela, il ne peut réaliser sa vocation d’homme, il demeure le « Vieil homme » et sa misérable vie, dénuée de la Présence réelle, l’ensevelit dans une réalité irreliée.


  À l’intérieur de la relation du mot principe « Je-Tu », nous rentrons dans l’ordre du symbole. Le symbole est un langage qui nous permet de saisir l’immanence de la transcendance. Il n’est pas une représentation, il réalise une présence. La Présence divine ne peut être représentée, elle est toujours là.


  L’effacement de la conception tripartite de l’homme correspond à la période liminaire de la mécanisation moderne de la technique. Le XIIIe siècle marque ce point d’inflexion du passage à la modernité. C’est durant la crise du XIIIe siècle, comme l’a appelée Claude Tresmontant [8], que la pensée du signe va remplacer la pensée du symbole. Le mot pour l’esprit bourgeois n’est pas l’expression du Verbe, il est un signe arbitraire qui lui permet de désigner l’avoir, la marchandise.


  La logique du symbole est une logique du contradictoire. René Guénon, dans un de ses articles [9], affirme qu’un même symbole peut être pris en deux sens qui sont opposés l’un à l’autre. Les deux aspects antagoniques du symbole sont liés entre eux par un rapport d’opposition, si bien que l’un d’eux se présente comme l’inverse, le « négatif » de l’autre. Ainsi, nous retrouvons dans la structure du symbole ce point de passage, situé hors de l’espace-temps, en lequel s’opère la transformation des contraires en complémentaires.


  guenon-author-pg-image-3bis.jpgLa découverte de l’oeuvre de René Guénon a été décisive dans mon cheminement. Mes parents étaient des anarchistes espagnols et j’ai lu Proudhon, Bakounine et Kropotkine bien avant de lire Guénon. C’est la lecture de René Guénon qui m’a permis de me libérer de la pesanteur de l’idéologie anarchiste.


  Toute erreur moderne n’est que la négation d’une vérité traditionnelle incomprise ou défigurée. Au cours de l’involution du cycle, le rejet d’une grille de lecture métaphysique du monde a provoqué la subversion de l’idée acrate, si chère à Jünger, et sa transformation en idéologie anarchiste. La négation des archétypes inversés de la bourgeoisie, à laquelle s’est justement livrée la révolte anarchiste ne pouvait qu’aboutir à un nihilisme indéfini, puisque son apriorisme idéologique lui interdisait la découverte des « archés » véritables. Cette incapacité fut l’aveu de son impuissance spirituelle à dépasser le système bourgeois. La négation du centre, perçu comme principe de l’autorité, au bénéfice d’une périphérie présupposée non-autoritaire, est l’expression d’une pensée dualiste dont la bourgeoisie elle-même est issue. La logique du symbole transmise par René Guénon ouvre une autre perspective où la tradition se conjugue à la révolution.

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R/ Vous avez croisé la route de Jean Parvulesco. Pouvez-vous revenir sur cette personnalité flamboyante qui fut un ami fidéle de Rébellion ?

AS/ Jean Parvulesco et moi ne cheminions pas dans le même sens et nous nous sommes croisés, ce fut un miracle dans ma vie. Il est la plus belle rencontre que j’ai faite sur la talvera. Savez-vous ce qu’est la talvera ?


  Les paysans du Midi appellent « talvera » cette partie du champ cultivé qui reste éternellement vierge car c’est l’espace où tourne la charrue, à l’extrémité de chaque raie labourée. Le grand écrivain occitan Jean Boudou a écrit un poème intitulé La talvera où l’on trouve ce vers admirable : « C’est sur la talvera qu’est la liberté » (Es sus la talvèra qu’es la libertat).


  AS-l3.jpgMon intérêt pour la notion de talvera a été suscité par la lecture du sociologue libertaire Yvon Bourdet [10]. La talvera est l’espace du renversement perpétuel du sens, de sa reprise infinie, de son éternel retournement. Elle est la marge nécessaire à la recouvrance du sens perdu, à l’orientation donnée par le centre. Loin de nier le centre, la talvera le rend vivant. La conscience de la vie devenue de plus en plus périphérique, notre aliénation serait irréversible s’il n’y avait un lieu pour concevoir la rencontre, un corps matriciel où l’être, exilé aux confins de son état d’existence, puisse de nouveau se trouver relié à son principe. Sur la talvera se trouve l’éternel féminin de notre liberté, cette dimension mariale que Jean Parvulesco vénérait tant. C’est là que nous nous sommes rencontrés.


  Jean Parvulesco était un « homme différencié », au sens où l’entendait Julius Evola. Il appartenait à cette race spirituelle engagée dans un combat apocalyptique contre la horde des « hommes plats ». Ce fut le dernier « maître de la romance ». Il est l’actualisation absolue de la contrelittérature. C’est-à-dire que Parvulesco inverse totalement le rapport littérature-contrelittérature. Son oeuvre à contre-courant potentialise l’horizontalité littéraire et actualise la verticalité contrelittéraire, pour employer la terminologie de Lupasco. D’un certain point de vue, Jean Parvulesco incarne le contraire de la littérature.


  Je comprends aujourd’hui combien ma rencontre avec Parvulesco a été cruciale. Si notre éloignement m’est apparu comme une nécessité, j’ai su intérioriser sa présence, la rendre indispensable à ma propre démarche.


  J’ai relu l’autre jour le texte qui a été la cause de notre séparation. C’était durant l’hiver 2002, son article s’intitulait « L’autre Heidegger » et aurait dû paraître dans le n° 8 de la revue Contrelittérature mais j’ai osé le lui refuser [11]. Parvulesco s’y interroge sur la véritable signification de l’œuvre d’Heidegger. Il soutient que la philosophie n’était qu’un moyen pour dissimuler un travail initiatique qu’Heidegger menait sur lui-même et qui se poursuivit jusqu’à son appel à la poésie d’Hölderlin, ultime phase de son oeuvre que Parvulesco nomme son « irrationalisme dogmatique ».


  Or, ma démarche se résume à cette quête du point d’équilibre entre le rationalisme dogmatique des Lumières et l’irrationalisme dogmatique des anti-Lumières, ce point de la plus haute tension entre la littérature et la contrelittérature, alors que Jean Parvulesco incarnait le pôle contrelittéraire absolu.


  JP-5chsecret.jpgOn ne lit pas Jean Parvulesco sans crainte ni tremblement : la voie chrétienne qui s’y découvre est celle de la main gauche, un tantrisme marial aux limites de la transgression dogmatique. Son style crée dans notre langue française une langue étrangère au phrasé boréal. Mon ami, le romancier Jean-Marc Tisserant, qui l’admirait, me disait que Parvulesco était l’ombre portée de la contrelittérature en son midi : « Vous ne parlez pas de la même chose ni du même lieu », me confia-t-il lors de la dernière conversation que j'eus avec lui. Il est vrai que Parvulesco, à partir de notre séparation, a choisi d’orthographier « contre-littérature », en mot composé – sauf dans le petit ouvrage, Cinq chemins secrets dans la nuit, paru en 2007 aux éditions DVX, qu'il m'a dédié ainsi : « Pour Alain Santacreu et sa contrelittérature ».


  J’ai repris dans le texte de mon roman, pour les trois seules occurrences où le mot apparaît, cette graphie « contre-littérature ». Ce mot désignait à ses yeux le combat pour l’être. Oui, finalement, la seule réalité qui vaille, c’est la réalité de ce combat. Il ne faut pas refuser de se battre, si l’on veut vaincre les forces antagonistes !


  Ma rencontre avec Jean Parvulesco n’a pas été une « mérencontre », pour reprendre l’expression de Martin Buber, c’est-à-dire une rencontre qui aurait dû être et ne se serait pas faite. Notre rencontre a bien eu lieu, je l’ai compris en écrivant mon roman : Opera Palas, c’est l’accomplissement de ma rencontre avec Jean Parvulesco.


R/ Pour vous, comme pour Orwell, l’histoire s’arrête en 1936. Pourquoi ? Vous évoquez dans votre roman l’expérience de l’anarcho-syndicalisme de la CNT-AIT espagnole. Cette vision fédéraliste et libertaire est-elle la voie pour sortir de l’Âge de fer capitaliste ?

AS/ Comment faire pour s’extraire de l’« Âge de fer » capitaliste ? Alexandre Douguine [12] pense qu’il faut partir de la postmodernité – cette période qui, selon Francis Fukuyama, correspond à la « fin de l’histoire » – mais il commet une erreur de perspective : il faut partir du moment où l’histoire s’est arrêtée.


  Selon Douguine, la chute de Berlin, en 1989, marque l’entrée de l’humanité dans l’ère postmoderne. La dernière décennie du XXe siècle aurait vu la victoire de la Première théorie politique de la modernité, le libéralisme, contre la Deuxième, celle du communisme – la Troisième théorie politique, le fascisme, ayant disparu avec la défaite du nazisme.


  GO-backSP.jpgJe ne partage pas ce point de vue. Il n’y a pas eu de victoire de la Première théorie sur la Deuxième mais une fusion des deux dans un capitalisme d’État mondialisé. La postmodernité est anhistorique parce que l’histoire s’est arrêtée en 1936. C’est cela que j’ai voulu montrer avec Opera Palas. Le prétexte de mon roman est une phrase de George Orwell « Je me rappelle avoir dit un jour à Arthur Koestler : L’histoire s’est arrêtée en 1936. » Orwell écrit ces mots en 1942, dans un article intitulé « Looking Back on the Spanish War » (Réflexions sur la guerre d’Espagne). Et il poursuit : « En Espagne, pour la première fois, j’ai vu des articles de journaux qui n’avaient aucun rapport avec les faits, ni même l’allure d’un mensonge ordinaire. » Ainsi, parce que la guerre d’Espagne marque la substitution du mensonge médiatique à la vérité objective, l’histoire s’arrête et la période postmoderne s’ouvre alors.


  En 1936, contrairement à l’information unanimement répercutée par toute la presse internationale, les ouvriers et paysans espagnols ne se soulevèrent pas contre le fascisme au nom de la « démocratie » ni pour sauver la République bourgeoise ; leur résistance héroïque visait à instaurer une révolution sociale radicale. Les paysans saisirent la terre, les ouvriers s’emparèrent des usines et des moyens de transports. Obéissant à un mouvement spontané, très vite soutenu par les anarcho-syndicalistes de la CNT-FAI, les ouvriers des villes et des campagnes opérèrent une transformation radicale des conditions sociales et économiques. En quelques mois, une révolution communiste libertaire réalisa les théories du fédéralisme anarchiste préconisées par Proudhon et Bakounine. C’est cette réalité révolutionnaire que la presse antifasciste internationale reçut pour mission de camoufler. Du côté franquiste, la presse catholique et fasciste se livra aussi à une intense propagande de désinformation. À Paris, à Londres, comme à Washington ou à Moscou, la communication de guerre passa par le storytelling, la « mise en récit » d’une histoire qui présentait les événements à la manière que l’on voulait imposer à l’opinion. L’alliance des trois théories politiques a voulu détruire en Espagne la capacité communalisante du peuple. Ce que le bolchévisme avait fait subir au peuple russe, il est venu le réitérer en toute impunité en Espagne. C’est pourquoi je fais dans mon roman un parallèle entre les deux événements métahistoriques du XXe siècle où l’âme « communiste » des peuples a été annihilée : Cronstadt, en 1921 et Barcelone, lors des journées sanglantes de mai 1937.

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Cronstadt voulait faire revivre le mir (commune rurale) et l’artel (coopérative ouvrière). Supprimer le mir archaïque signifiait supprimer des millions de paysans, c’est ce que firent les bolchéviques, par le crime et la famine.


  Comme en Russie, les bolchéviques furent les fossoyeurs de la révolution sociale espagnole. Il suffit pour s’en convaincre de lire Spain Betrayed de Ronald Radosh, Mary R. Habeck et Grigory Sevostianov, un ouvrage qui procède au dépouillement systématique des dernières archives consacrées à la guerre d’Espagne, ouvertes à Moscou (Komintern, Politburo, NKVD – police politique et GRU – service d’espionnage de l’armée) [13]. Ainsi, bien au contraire de ce que dit Alexandre Douguine, si l’on prend la Guerre d’Espagne comme point focal, on comprend qu’il n’y a pas eu combat mais connivence entre les trois théories politiques de la modernité.


  La vision fédéraliste et libertaire reste la seule méthode de guérison pour ranimer la capacité communalisante du peuple et lui permettre de retrouver son instinct de solidarité et de liberté.


  L’anarcho-syndicalisme de la CNT espagnole n’a pas réussi à s’extraire de l’idéologie anarchiste pour s’ouvrir à l’esprit traditionnel de l’idée libertaire. C’est justement cette opération utopique – ou plutôt uchronique – que tente de mettre en place un des protagonistes du roman : Julius Wood.

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Opera Palas établit un couplage insensé entre Buenaventura Durruti et José Antonio Primo de Rivera, une mise en relation scandaleuse et paradoxale qui prend à revers la notion même du politique telle que la résume Carl Schmitt dans cette phrase : « La distinction spécifique du politique, à laquelle peuvent se ramener les actes et les mobiles politiques, c’est la distinction de l’ami et de l’ennemi. » [14]


  Le fédéralisme proudhonien repose sur cette mise en dialectique des contraires. Dans la pensée de Proudhon, le passage de l’anarchisme au fédéralisme est lié à cette recherche d’un équilibre entre l’autorité et la liberté dont un État garant du contrat mutualiste doit préserver l’harmonie.


  pal-Ginq.jpgOn se rappellera la légende du « Grand Inquisiteur » que Dostoïevski a enchâssée dans Les Frères Karamazov : le Christ réapparaît dans une rue de Séville, à la fin du XVe siècle et, le reconnaissant, le Grand Inquisiteur le fait arrêter. La nuit, dans sa geôle, il vient reprocher au Christ la « folie » du christianisme : la liberté pour l’homme de se déifier en se tournant vers Dieu.


  Dans ce récit se trouve la quintessence du mystère du socialisme. Choisir les idées du Grand inquisiteur, comme le fera Carl Schmitt [15], qui en cela se révèle non seulement catholique mais « marxiste », c’est le socialisme d’État ; Bakounine, lui, à l’image de Tolstoï, choisit le Christ contre l’État, et c’est le socialisme anarchiste. Dépasser la contradiction entre Schmitt et Bakounine par la dialectique proudhonienne, telle est la théorie politique de l’avenir.

______________________

NOTES

[1] Marcel Duchamp, Ingénieur du temps perdu, Belfond, 1977, p. 122.

[2] Alaric Levant, « Une révolution de l’intérieur… pour faire avancer notre idéal ? » : http://rebellion-sre.fr/revolution-de-linterieur-faire-av....

[3] Ezra Pound, ABC de la lecture, coll. « Omnia », Éditions Bartillat, 2011, p. 27.

[4] Cf. « Talvera et Usura » paru dans Contrelittérature n° 17, Hiver 2006. Texte repris et développé dans le recueil d’essais Au coeur de la talvera, Arma Artis, 2010.

[5] Gerald Brenan, Le labyrinthe espagnol. Origines sociales et politiques de la guerre civile, Éditions Ruedo Ibérico, 1962.

[6] Jean Borella, « La tripartition anthropologique », in La Charité profanée, Éditions du Cèdre/DMM, 1979, pp.117-133.

[7] Martin Buber, « Je et Tu » in La Vie en dialogue, Aubier 1968, p. 8.

[8] Claude Tresmontant, La métaphysique du christianisme et la crise du treizième siècle, Éditions du Seuil, 1964.

[9] René Guénon, « Le renversement des symboles » in Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, chap. XXX.

[10] Yvon Bourdet, L’espace de l’autogestion, Galilée, 1979.

[11] Cet article a été intégré dans l’ouvrage de Jean Parvulesco, La confirmation boréale, Alexipharmaque éditions, 2012, pp. 223-229.

[12] Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique, Ars Magna Éditions, 2012.

[13] Édité en 2001, aux éditions Yale University, l’ouvrage est paru en Espagnol, en 2002, sous le titre España traicionada, mais n’a toujours pas été traduit en français.

[14] Carl Schmitt, La notion du politique, Calmann-Lévy, 1972, note 1, p.
66.

[15] Cf. Théodore Paléologue, Sous l’œil du grand inquisiteur : Carl Schmitt et l'héritage de la théologie politique, Cerf, 2004.

samedi, 17 février 2018

Louis-Ferdinand CÉLINE et le cinéma (2018)

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Louis-Ferdinand CÉLINE et le cinéma (2018)

Émission "Libre Journal du cinéma" diffusée sur Radio Courtoisie le 15 février 2018.
Invité : Marc Laudelout pour évoquer les liens de Céline avec le cinéma.
- CELINE, LE FILM en DVD : http://amzn.to/2jilnzS
 

Ernst Jünger face aux titans et aux étoiles du Caucase

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Ernst Jünger face aux titans et aux étoiles du Caucase

par Benjamin Fayet

Ex: https://www.philitt.fr

À l’automne 1942, après deux années passées à l’état-major parisien du général Hans Speidel, Ernst Jünger part en mission dans le Caucase. L’offensive allemande contre l’URSS atteint, cette année-là, son apogée. Les divisions du Reich s’apprêtent bientôt à refluer après avoir atteint Stalingrad et les rives de la Volga. De ce voyage dans les ténèbres, l’auteur d’Orage d’acier en tirera un texte court et dense sobrement intitulé Notes du Caucase, inséré dans son Journal parisien.

EJ-Kaufz1855093.jpgPasser des écrits d’Ernst Jünger sur la Première Guerre mondiale à la lecture de son journal parisien, tenu entre 1940 et 1944, peut surprendre. Que reste-t-il alors de l’officier héroïque de 1918 ? Que reste-t-il de celui qui célébrait avec une dimension mystique sa plongée dans la fureur de la guerre des tranchées ?  Que reste-t-il encore de cette expérience combattante qui fit de lui un des officiers les plus décorés de l’armée allemande ? Au cours de ces 20 années, l’homme a incontestablement changé. De son Journal parisien, ce n’est plus l’ivresse du combat qui saisit mais, tout au contraire, l’atonie confortable de la douceur de vie parisienne. S’y exprime la sensibilité d’un homme qui ne semble avoir conservé du soldat que l’uniforme. La guerre y semble lointaine, étonnamment étrangère, alors que le monde s’embrase. L’homme enivré par le combat, le brave des troupes de choc a désormais disparu. L’écrivain semble traverser ce terrible conflit éloigné de toute ambition belliqueuse, porté par cet esprit contemplatif qu’il gardera jusqu’à la fin de sa vie. Celui du poète mais aussi de l’entomologiste, l’homme des « chasses subtiles » comme il appelle lui-même ses recherches d’insectes rares. Et c’est encore, non pas en soldat, mais en naturaliste qu’il semble percevoir, dans le ciel de la capitale occupée, les immersions subites et meurtrières de la guerre. Ainsi, quand il observe, une flûte de champagne à la main, les escadrilles de bombardiers britanniques, la description qu’il en fait prend davantage la forme de celle d’un vol de coléoptères que de l’intrusion soudaine d’engins de morts, prêts à lâcher leurs bombes sur la ville.

Ces occupations dilettantes, Jünger les complète par l’exercice fréquent de mondanités. L’officier multiplie les rencontres avec l’élite culturelle de la capitale. Aussi bien Drieu la Rochelle, Picasso, Jouhandeau, Gide que Céline deviennent les acteurs d’un théâtre parisien qu’il dépeint avec l’intérêt de l’esthète francophile. En revanche, ce que son journal n’évoque que de manière lapidaire et voilée est la place prise par la Wehrmacht en France dans le mouvement d’opposition à Hitler et à la SS. La capitale occupée devient au cours de la guerre un foyer d’opposition dans lequel de nombreux officiers sont liés au comte de Stauffenberg, futur auteur à l’été 1944 de la tentative d’assassinat contre le Führer. Opposé à toute forme d’attentat, Jünger souhaite cependant fermement le renversement du dictateur nazi. Son texte La Paix, dont la lecture marque profondément le général Rommel, devient l’écrit politique sur lequel s’appuient les conjurés. C’est donc officiellement pour un voyage d’étude militaire et, officieusement, pour sonder l’état d’esprit des officiers du front de l’Est qu’il quitte Paris en novembre 1942. Il doit rejoindre les troupes engagées sur les rives de la Volga, bientôt témoins de la destruction de la  VIe armée allemande du général Von Paulus.

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Vers les ténèbres

Après un épuisant voyage, il arrive à Kiev le 21 novembre 1942, capitale ukrainienne du départ de son expédition vers le front. Mais là encore, c’est en observateur passif qu’il aborde ce voyage au plus près pourtant de l’affrontement des deux titans totalitaires qui s’affrontent de Petrograd à la Mer Noire. Et c’est toujours avec ce regard naturaliste qu’il observe cette guerre. Contraint de traverser la rivière Pchich, il se voit confronté à une apocalypse wagnérienne, une vision effroyable  que le génie de Jünger retranscrit avec une saisissante beauté dans un panorama digne des infernales représentations du peintre Jérôme Bosch : « Comme des fourmis, des centaines et des milliers de porteurs, en longues files, charrient vers le front des madriers et des barbelés. En même temps, clamés par une voix surhumaine, des chants de Noël emplissent l’énorme cirque des montagnes : la propagande d’une compagnie de propagande allemande joue “Stille nacht, Heilige nacht”. Et parallèlement, sans arrêts, les lourds coups de mortiers que la montagne répercute. Tout ceci ressemble à un grand cirque enfermé en un cercle démoniaque, et qui n’admettrait dans son enceinte, hormis les couleurs mornes, que la couleur rouge. Ici il n’y a que violence et douleur qui, toutes deux, viennent s’y confondre. » Jünger s’enfonce encore un peu plus dans les ténèbres sur ces terres embrasées où se joue l’avenir du monde. Mais le contact avec le front et le froid de la Russie n’ôte toujours pas la dimension poétique à son regard. Il conserve sa capacité à saisir l’enchantement au-delà de la mort et des destructions. Face à la nature qui l’environne ou à la guerre qu’il subit, Jünger ne quitte jamais la position du contemplateur. Il n’est plus l’homme des coups de main militaires mais des coups d’œil poétiques ; l’esprit perméable à la beauté sous toutes ses formes. Comme l’écrit le critique littéraire Bruno de Césolle, il « fait sienne l’idée du philosophe allemand Johan Georg Hamann dit le “Mage du Nord”, à savoir que la contemplation, et non l’action, est à l’origine de toutes choses ». Une forme de résistance intérieure au monde moderne comme au nazisme et à la destruction, prémisse de ce « recours aux forêts » qu’il théorisera durant l’après-guerre dans son Traité du rebelle. Une nuit, alors que le fracas d’un duel d’artillerie se fait entendre, c’est la magnificence du ciel étoilé qui le bouleverse alors : « Que sommes-nous devant cette splendeur ? Qu’est donc notre éphémère tourment ? »

Les signes de l’apocalypse

Plus il s’enfonce à l’Est, plus sa vision idéalisée de la guerre s’effrite face à ce qu’il semblait déjà percevoir dès la Première Guerre mondiale. Plus encore qu’en 1914, la nouvelle forme de guerre industrielle aboutit à transformer le soldat en rouage d’une machine dans laquelle les anciennes vertus chevaleresques n’ont plus leur place. « Autrefois, écrit-il, alors que nous rampions dans les cratères de bombes, nous croyions encore que l’homme était plus fort que le matériel. Cela devait s’avérer une erreur. »  Dans son livre Le Travailleur, écrit en 1932, il prophétisait déjà l’emprise de la technique sur les hommes et le travail. Celle-ci s’étend maintenant à la guerre, soldats et travailleurs sont maintenant  devenus les enfants de la technique. L’étincelant des médailles, la beauté des uniformes, les couleurs des drapeaux et les rêves de gloire s’effacent brutalement dans ce conflit mécanique dans lequel s’enfonce la civilisation. Eléments contrastés que développera également son frère Frederich Georg dans son livre majeur : La perfection de la technique. Le soldat comme l’officier ne sont plus qu’un minuscule rouage de la superstructure.

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Sur le front de l’Est, plus qu’ailleurs, les soldats sont maintenant des pièces interchangeables à la conscience broyée qui renonceront à s’engager dans la conjuration. Il est ainsi confronté à un effondrement moral du soldat allemand dont les crimes de masse, commis sur ce front, sont le terrible symptôme. Lui qui saluait militairement les porteurs d’étoile jaune à Paris est confronté à de multiples témoignages qui font état d’exactions envers les Juifs et les populations occupées. « Ce sont là des rumeurs, que je note en tant que telles ; mais il est sûr que se commettent des meurtres sur une grande échelle » S’il avait encore un doute sur la destruction définitive de l’idéal chevaleresque, il est désormais levé. Le heaume a été remplacé par le casque d’acier. Avec l’âge industriel, le nihilisme l’a emporté : « L’homme a donc atteint ce stade que Dostoievski décrit à travers Raskolnikov. Il considère alors ses semblables comme de la vermine. » Son ami Carl Schmitt écrit dans Le Nomos de la terre une idée similaire alors que les villes allemandes s’embrasent une à une sous les vagues de bombardiers alliés : « Le bombardement aérien n’a pour sens et fin que l’anéantissement. » Alors que Stalingrad s’apprête à tomber et que son humeur s’assombrit face au futur cataclysme militaire qu’il pressent, il reçoit l’annonce de la mort de son père le 8 janvier 1943. Il quitte alors précipitamment la Russie et retourne chez lui à Heidelberg.

Malgré la brièveté de ce voyage de trois mois, il s’envole vers sa ville natale avec maintenant quelques certitudes : les officiers allemands sur le front de l’Est ne soutiendront pas la conjuration. Il a acquis aussi l’intime conviction que l’Allemagne se dirige vers une inexorable défaite, la marche funèbre du Crépuscule des Dieux résonnera à Berlin.  

vendredi, 16 février 2018

Bulletin célinien n°404 (février 2018)

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Bulletin célinien n°404 (février 2018)

Sommaire : 

Une réédition censurée

Ce qu’en pense la traductrice israélienne de Céline

Ce qu’en pense Marc-Édouard Nabe

Polémique pour une autre fois

Rééditer les pamphlets ? C’est déjà fait !

Céline sur les planches.

Une occasion manquée

BCfev18.jpgDe l’utilité du conditionnel. Dans le Bulletin de janvier, j’aurais dû écrire : « les pamphlets pourraient être réédités par les éditions Gallimard ». Ce numéro fut envoyé aux abonnés le 10 janvier. Le lendemain même, on apprenait qu’Antoine Gallimard jetait l’éponge. C’était à prévoir: les pressions en tous genres furent trop fortes. Dans ce numéro, je rappelle la chronologie des évènements. Ce qui est navrant, c’est qu’en faisant preuve de discrétion, ce naufrage aurait sans doute pu être évité. Il est à relever que l’échéance de mai 2018 circula dans la presse comme date de sortie du volume. Sans doute parce qu’il s’agissait initialement de reprendre tel quel l’appareil critique de l’édition “canadienne” et d’y adjoindre seulement une préface de Pierre Assouline. Certes Sollers commit une indiscrétion en annonçant durant l’été cette réédition. Mais cette confidence n’eut aucun écho car diffusée sur un site internet confidentiel. Lorsque l’information fut reprise sur celui d’un mensuel, il en alla tout autrement. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre et les groupes de pression se mirent en branle avec le succès que l’on sait.

Tout se serait donc passé autrement si le projet n’avait pas été ébruité. Il aurait fallu simplement veiller à ce qu’il n’y ait aucune fuite. Un fort volume serait sorti dans les “Cahiers de la Nrf” ou dans une autre collection et les opposants eussent été mis devant le fait accompli. Au lieu de cela les groupes de pression ont largement eu le temps de s’organiser, de se concerter et finalement d’empêcher que ce projet éditorial aboutisse. Cette affaire a permis, par ailleurs, d’observer de multiples divisions. Ainsi, au sein du CRIF, plusieurs militants étaient partisans d’une réédition encadrée par un collectif d’historiens alors que le président de cette organisation, après avoir hésité, s’est finalement rallié à la position de Klarsfeld.

Les historiens eux-mêmes n’étaient pas d’accord entre eux : Taguieff fit circuler un appel favorable à une réédition contrôlée par eux (appel signé notamment par Laurent Joly, Grégoire Kaufmann, Annette Becker et Odile Roynette) alors qu’un autre collectif d’historiens (Alya Aglan, Tal Bruttman, Éric Fournier, André Loez) se déclarait, lui, partisan de l’interdiction. Du côté politique, même chose: si le Premier Ministre était pour, plusieurs députés (Alexis Corbière mais aussi plusieurs élus de la majorité) étaient hostiles. Même division dans le milieu littéraire : les uns (Moix, Sansal, Jourde, Millet  et Maulin)  estimaient cette édition utile,  alors que les autres (Modiano, Angot, Ernaux et même Vitoux)  y étaient opposés. Une fois encore, Céline a suscité post-mortem un joli barouf, ce qui est somme toute très célinien.

Un esprit libre comme Philippe Bilger a su poser le problème en termes pertinents : « Derrière ces joutes aussi bien intellectuelles que politiques, prônant l’emprise d’un passé tragique sur le présent ou un présent libre mais non oublieux, il y a toujours la même hantise, la même crainte, presque le même mépris. À quel titre prétend-on se mêler de ce qui regarde le citoyen, le lecteur, de son choix et de son intelligence ? (…) N’aurait-il pas été concevable, convenable de rééditer ces textes et de laisser tous ceux qui admirent Céline pour partie ou pour le tout, qui le détestent pour le tout ou pour partie ou qui sont tout simplement curieux de l’ensemble se forger leur opinion, élaborer leur conviction et prendre un parti ? Faut-il donc toujours les prévenir, les alerter, les dissuader, leur enjoindre, les priver AVANT au lieu de les laisser lire, vivre ? » ¹. On peut raisonnablement penser que les lecteurs du Bulletin partagent cette opinion.

  1. Philippe Bilger, « Pour Céline tout entier ! », Justice au Singulier, 4 janvier 2018 [http://www.philippebilger.com]

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lundi, 12 février 2018

La sagesse biblique de Montaigne et notre actualité

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La sagesse biblique de Montaigne et notre actualité

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Fatigué des nouvelles du jour, je me remets à glaner dans tout Montaigne. Sur nos guerres protestantes, américaines, notre choc des civilisations, j’y trouve ceci :

«… je trouve mauvais ce que je vois en usage aujourd’hui, c’est-à-dire de chercher à affermir et imposer notre religion par la prospérité de nos entreprises.

Notre foi a suffisamment d’autres fondements pour qu’il ne soit pas nécessaire de fonder son autorité sur les événements. Car il y a danger quand le peuple, habitué à ces arguments plausibles et bien de son goût, voit sa foi ébranlée par des événements qui lui sont contraires et défavorables. Ainsi en est-il des guerres de religion dans lesquelles nous sommes plongés. »

Sur la société d’abondance et de consommation qui produit satiété et dépression, j’y trouve cela :

« Pensons-nous que les enfants de chœur prennent vraiment du plaisir à la musique ? La satiété la leur rend plutôt ennuyeuse. Les festins, les danses, les mascarades, les tournois réjouissent ceux qui ne les voient pas souvent, et qui désirent depuis longtemps les voir ; mais pour celui dont ils forment l’ordinaire, le goût en devient fade et même déplaisant : les femmes n’excitent plus celui qui en jouit autant qu’il veut… Celui qui n’a pas l’occasion d’avoir soif ne saurait avoir grand plaisir à boire. »

Montaigne ajoute, comme s’il pensait à nos comiques :

 “Les farces des bateleurs nous amusent, mais pour eux, c’est une vraie corvée. »

La société d’abondance ? Il la définit ainsi Montaigne :

« Il n’est rien de si ennuyeux, d’aussi écœurant que l’abondance. Quel désir ne s’émousserait d’avoir trois cent femmes à sa disposition, comme le Grand Turc dans son sérail ?

Quel désir et quelle sorte de chasse pouvait bien avoir celui de ses ancêtres qui n’y allait jamais qu’avec au moins sept mille fauconniers ? »

Sur l’espionnage par l’Etat profond, Montaigne nous rappelle tout simplement que les Grands sont plus espionnés que les petits, mais qu’ils y ont pris goût (pensez à son pessimiste ami La Boétie):

Montaigne-titre.jpg« Tout le monde redoute d’être contrôlé et épié ; les grands le sont jusque dans leurs comportements et leurs pensées, le peuple estimant avoir le droit d’en juger et intérêt à le faire. »

Pensons au harcèlement de nos pauvres peoples. A son époque c’est pire :

« Et il ne m’est jamais venu à l’idée que cela puisse constituer un quelconque avantage, dans la vie d’un homme cultivé, que d’avoir une vingtaine d’observateurs quand il est sur sa chaise percée… »

Deux siècles avant Montesquieu, Montaigne dénonce les caprices de la mode :

« La façon dont nos lois tentent de régler les folles et vaines dépenses de table et de vêtements semble avoir un effet contraire à son objet. Le vrai moyen, ce serait de susciter chez les hommes le mépris de l’or et de la soie, considérés comme des choses vaines et inutiles. Au lieu de cela, nous en augmentons la considération et la valeur qu’on leur attache, ce qui est bien une façon stupide de procéder si l’on veut en dégoûter les gens. »

La mode va vite comme la télé (cf. Virgile-Ovide) :

« Il est étonnant de voir comment la coutume, dans ces choses de peu d’importance, impose si facilement et si vite son autorité. À peine avions-nous porté du drap pendant un an à la cour, pour le deuil du roi Henri II, que déjà dans l’opinion de tous, la soie était devenue si vulgaire, que si l’on en voyait quelqu’un vêtu, on le prenait aussitôt pour un bourgeois. »

La Fontaine dira que le courtisan est un ressort. Montaigne :

« Le reste de la France prend pour règle celle de la cour.

Que les rois renoncent à cette vilaine pièce de vêtement qui montre si ostensiblement nos membres intimes, à ce balourd grossissement des pourpoints qui nous fait si différents de ce que nous sommes et si incommode pour s’armer, à ces longues tresses efféminées de cheveux… »

Montaigne vit au présent perpétuel, les ridicules qu’ils dénoncent sont donc ceux de la cité grecque d’Alan Bloom et Platon :

« Dans ses Lois, Platon estime que rien n’est plus dommageable à sa cité que de permettre à la jeunesse de changer ses accoutrements, ses gestes, ses danses, ses exercices et ses chansons, en passant d’une mode à l’autre, adoptant tantôt tel jugement, tantôt tel autre, et de courir après les nouveautés, adulant leurs inventeurs. C’est ainsi en effet que les mœurs se corrompent, et que les anciennes institutions se voient dédaignées, voire méprisées. »

Oui, il n’est pas trop réformateur, Montaigne.

Parfois il divague gentiment et il nous fait rêver avec ce qu’il a lu dans sa bibliothèque digne de Borges (voyez Guénon, Règne de la Quantité, les limites de l’histoire et de la géographie) :

« On lit dans Hérodote qu’il y a des peuples chez qui les hommes dorment et veillent par demi années. Et ceux qui ont écrit la vie du sage Épiménide disent qu’il dormit cinquante-sept ans de suite. »

Bon catholique, homme raisonnable surtout, Montaigne tape sur la Réforme, rappelant que deux siècles avant la révolution on a voulu changer les noms :

« La postérité ne dira pas que notre Réforme d’aujourd’hui a été subtile et judicieuse ; car elle n’a pas seulement combattu les erreurs et les vices, et rempli le monde de dévotion, d’humilité, d’obéissance, de paix et de toutes les vertus. Elle est aussi allée jusqu’à combattre ces anciens noms de baptême tels que Charles, Louis, François, pour peupler le monde de Mathusalem, Ézéchiel, Malachie, supposés plus imprégnés par la foi ! »

Sur ce sujet lisez son disciple Rothbard et son texte sur l’idéal communisme-millénariste des protestants, en particulier des anabaptistes.

Lire Montaigne (il dénonce le rustre son temps et sa mode efféminées !), qui nourrit Pascal, Cervantès et Shakespeare, c’est retomber dans l’enfance de la sagesse de la grande civilisation européenne aujourd’hui engloutie. Une sagesse biblique un rien sceptique, héritée de Salomon, plus sympathique que celle du sinistre Francis Bacon, qui triompha avec son Atlantide scientiste et son collège d’experts en folles manipulations psychologiques, génétiques et même agronomiques (lisez-le pour ne pas rire). Montaigne a moins voulu nous prévenir contre la tradition que contre cette folle quantité de coutumes, de modes et de snobismes qui s’imposeraient dans notre monde moderne déraciné.

On le laisse nous remettre chrétiennement à notre place (apologie de Raymond Sebond) :

« Le moyen que j’utilise pour combattre cette frénésie, celui qui me semble le plus propre à cela, c’est de froisser et fouler aux pieds l’orgueil et la fierté humaine. Il faut faire sentir à ces gens-là l’inanité, la vanité, et le néant de l’homme, leur arracher des mains les faibles armes de la raison, leur faire courber la tête et mordre la poussière sous le poids de l’autorité et du respect de la majesté divine. Car c’est à elle, et à elle seule qu’appartiennent la connaissance et la sagesse… »

Voilà pour le paganisme aseptisé de nos couillons de nos manuels scolaires !

Ou bien (Essais, I, L) :

« Je ne pense pas qu’il y ait en nous autant de malheur que de frivolité, autant de méchanceté que de bêtise ; nous sommes moins remplis de mal que d’inanité, nous sommes moins malheureux que vils. »

A transmettre à Davos. Et comme on parlait du roi Salomon, on citera ses proverbes :

« La gloire de Dieu est de cacher une chose, et la gloire des rois est de sonder une chose. »

Enfin pour  faire lire et relire Montaigne je prends plaisir à recommander l’édition-traduction de Guy de Pernon, que j’ai trouvée juteuse et agréable, presque autant que le légendaire texte original (ebooksgratuits.com).

Michel de Ghelderode. Un prosateur méconnu en quête d’une patrie idéale

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Michel de Ghelderode. Un prosateur méconnu en quête d’une patrie idéale

par Daniel COLOGNE

Ultérieurement connu comme dramaturge sous le pseudonyme de Michel de Ghelderode, Adémar Martens naît le 3 avril 1898 à Ixelles, dans la banlieue Sud de Bruxelles.

C’est le dimanche des Rameaux, que les chrétiens nomment les Pâques fleuries. Par une étonnante coïncidence, dans cette rue de l’Arbre Bénit, est mort deux décennies plus tôt Charles De Coster (1827 – 1879), considéré comme le père fondateur des lettres belges de langue française (La Légende d’Ulenspiegel, 1867).

Dans un texte nostalgique de 1948, Ghelderode écrit :

« Ô cloches de neuf heures, ô larmes de ma mère,

Et ma sœur frappant d’un balai mon berceau

Parce que j’étais roux, que je n’étais pas beau !

Et naître près du lieu où mourut De Coster ! »

Balade_du_Grand_Macabre.jpgÀ son père archiviste, il doit sa « passion pour l’ancien ». Son nom de plume date de 1918 et s’inspire de celui d’un petit village des environs de Louvain, région natale de sa mère, qui berce son enfance par la narration de vieilles légendes flamandes.

Ghelderode exerce divers métiers, dont celui d’employé de librairie, qui lui permet de rencontrer Jeanne Françoise-Gérard (1894 – 1980). Il l’épouse en 1924. Il est alors fonctionnaire à l’administration communale de Schaerbeek, faubourg de Bruxelles où il décède le 1er avril 1962.

Ses chroniques sur les ondes de Radio-Bruxelles durant l’occupation allemande valent à Ghelderode une période de disgrâce toutefois relative et très courte, puisque Gallimard entame dès 1950 la publication de son Théâtre complet, dont le sixième et dernier volume paraîtra en 1982.

Luc Pire sa collection « Espace Nord » rééditent en 2016 Sortilèges, un recueil de contes fantastiques initialement paru en 1947, à Liège, aux éditions Maréchal. En ce début d’après-guerre, alors que Ghelderode est toujours totalement méconnu en tant que prosateur, le préfacier Franz Hellens, autre explorateur belge du paranormal, compare les récits ghelderodiens à ceux d’Hoffmann, de Poe et de Villiers-de-l’Isle-Adam.

En 1953 paraît aux éditions Durendal, à Bruxelles, La Flandre est un Songe, où sont rassemblées des chroniques parues dans les années 1930, dans des revues à tirage limité, voire confidentiel. C’est dans ces textes que Ghelderode étale une verve de narrateur qui reste encore à découvrir de manière d’autant plus impérative que l’opulente histoire de la Flandre en est la principale source d’inspiration.

Furnes et sa procession des pénitents du dernier dimanche de juillet, Gand où naquit Charles Quint, Malines qui fut la cité préférée des ducs de Bourgogne, Bruges qui se souvient du temps où ses quais étaient secoués par « la grande pulsation de la mer»: autant de villes où Ghelderode emmène ses lecteurs sur les traces de promeneurs imaginaires, « gens heureux puisqu’ils sont riches de temps à perdre ». Bruxelles complète la liste et si un autre poète a qualifié la capitale belge de « joyau flamand », c’est parce qu’elle était autrefois traversée par la Senne, affluent de la Dyle, qui arrose Malines et Louvain, et sous-affluent de l’Escaut. Bruxelles fait partie intégrante de la partie orientale du bassin scaldéen.

Voûtée depuis 1866 sur son parcours bruxellois, « l’aimable Senne coule souterrainement qu’on enjambe sans se douter de sa présence de rivière honteuse, dont le nom prêtait à sourire ». Pareille à son homologue et quasi homonyme parisienne, la Senne se divisait jadis en deux bras encerclant l’île Saint-Géry, du nom d’un évêque de Cambrai qui vint la visiter au VIIe siècle et dont la légende veut qu’il y affronta victorieusement des dragons.

MdGh-EB.jpgLa chronique de 1937 consacrée à Bruxelles renferme un superbe éloge du Flâneur, qui « est après tout le dernier avatar de l’homme libre dans une société où personne ne l’est plus guère ». « Ces flâneurs, dont je suis, ne les appelez pas des badauds. Ils méritent mieux, ces attendris, ces lunatiques. La flânerie est une badauderie dirigée, consciente. Et nombre de nos flâneurs ont droit au respect dû aux historiens et archéologues, car ils en savent long sur le passé de leur domaine et vous en révéleront à l’occasion les aspects sensationnels – voire les mystères. »

Ghelderode invite les habitants d’Anvers, de Lierre et d’autres hauts-lieux de sa Flandre bien-aimée à redécouvrir leur patrimoine citadin en se laissant guider par une sorte d’instinct venu du fond des âges. « Il suffira, un beau soir, de bonnement laisser aller vos jambes où elles veulent. Les jambes cessent d’être conduites par votre vouloir, suivent ataviquement et à votre insu les antiques routes marchandes de la cité. Ainsi font-elles, éclairées, éclairées par leur mémoire ancestrale, vous pouvez m’en croire. »

Comme De Coster, Ghelderode est fasciné par la Flandre du XVIe siècle courbant l’échine sous la rude domination des Habsbourgs d’Espagne. Avec Escurial et Le Soleil se couche, brefs morceaux de bravoure théâtrale, il nous laisse des petits chefs-d’œuvre dépeignant Philippe II à l’agonie dans son palais castillan et Charles Quint oublieux de sa fière devise dans le monastère d’Estrémadure, où il s’est retiré après son abdication et où Ghelderode ne lui tolère pour seule compagnie que des marionnettes et un perroquet proférant des jurons en dialecte marollien.

Autre drame très court et attestant la maîtrise de l’auteur : Les Aveugles. Trois pèlerins atteints de cécité croient cheminer vers Rome alors qu’ils tournent en rond dans la campagne brabançonne. Juché au sommet d’un arbre, un borgne leur assène la terrible vérité : tous les chemins mènent à la mort !

Il est cependant difficile de cataloguer Ghelderode parmi les auteurs anti-chrétiens quand on garde en mémoire la sublime Chronique de Noël de 1933. La Sainte-Famille suit le Massacre des Innocents dans le décor hivernal d’une ville flamande imaginaire qui rappelle l’Yperdamme d’Eugène Demolder (1862 – 1919) : contraction d’Ypres, à la flamboyante architecture gothique, et de Damme l’ensablée, où naît l’Ulenspiegel de De Coster. Tandis que les Rois-Mages patinent sur des canaux gelés, « la neige dégringole soudain, abolissant la ville et nous martelant d’innocence ». Joseph, Marie et Jésus s’en vont par les chemins enneigés d’une Flandre élevée au rang de terre sainte, comme dans les poèmes et les contes de José Gers (1898 – 1961), quasi strictement contemporain de Ghelderode, auteur oublié venu au monde sur les rives de l’Escaut. La Nativité de Ghelderode fait penser à Brueghel et à son Dénombrement de Bethléem, à l’arrière-plan duquel on reconnaît l’ancien village de Molenbeek.

MdGH-mann.jpgRevenons donc à Bruxelles et savourons l’évocation ghelderodienne de la « ville basse », qui « naquit péniblement dans les prés inondés enserrant l’île Saint-Géry » et de la « ville haute [qui] se développe sur le flanc de la vallée couronnée de forêts». Ghelderode est natif de la « ville haute » qui englobe « le pays d’Ixelles, si boisé, riche d’étangs et de terre conventuelles ». L’auteur pense évidemment à l’abbaye de la Cambre, qui abrita la retraite de Sabine d’Egmont, veuve de l’un des deux comtes (Egmont et Harnes) qui conduisirent une révolte anti-espagnole et furent décapités en 1568. Face à « l’homme contemporain de couleur neutre et de cervelle négative battant maussadement l’asphalte de l’Actuel », Ghelderode dresse le modèle du promeneur nostalgique inlassablement motivé par la redécouverte du Passé.

La Flandre est un Songe dévoile un Ghelderode prosateur très différent du dramaturge que d’aucun veulent enfermer dans la rubrique du « théâtre de la cruauté », sans que l’illustre anthologie de Lagarde et Michard lui concède pour autant une seule des lignes complaisamment accordées à Artaud, Arrabal et Genet.

Ce recueil de chroniques révèle aussi un Ghelderode fasciné par le mystère chrétien de la Nativité, en opposition avec le créateur de Barrabas, où le brigand occupe le devant de la scène au détriment d’un Jésus insignifiant. Saluons donc en Michel de Ghelderode un écrivain aux facettes multiples et contradictoires, un chantre d’une certaine idée de la Flandre, un narrateur-poète en recherche identitaire dont nous pouvons faire nôtres les lignes que voici : « Chacun sait où il va sur la planète, mais il arrive qu’on parte en quête d’une patrie morale. Le pèlerin se dit touriste que l’inquiétude pousse aux épaules vers quelque terre rêvée sainte, en appétit de ruines et de tombeaux, et secrètement préoccupé de retrouver le foyer primitif de sa tribu. Ainsi sommes-nous. »

Daniel Cologne

dimanche, 11 février 2018

Editorial EAS: Colección Pensamientos & Perspectivas

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Editorial EAS: Colección Pensamientos & Perspectivas

Un golpe de efecto en el mundo cultural actual, una llama que pretender avivar el fuego del interés por el conocimiento, un respiro de aire fresco en el saber de Occidente… Nuevas plumas salen al descubierto para enfrentarse al ensayo y a la literatura cotidiana; pensadores y literatos, trovadores y ensayistas que pretenden despertar nuevas mentes y redescubrir la esencia de lo que es pervertido por los mass media, eso es Pensamientos & Perspectivas, la esencia del simbolismo del ‘Árbol’ transmitida por plumas disidentes del siglo XXI y plasmada en aquellos autores que despiertan mentes inquietas.

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JÜNGER: Tras la guerra y la paz

Autores: Fernando Sánchez Dragó, Dr. Javier Nicolás, Troy Southgate, Alain de Benoist, Alexander Dugin, Luca L. Rimbotti, Gianfranco de Turris, Robert Steuckers, Julius Evola†, Ernst Jünger†, Eduard Alcántara, Andrea Berná, José Luis Ontiveros†, Santiago de Andrés, Carlos X. Blanco, Juan Pablo Vitali y Fernando Trujillo.

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Jünger y el Nacionalsocialismo por Javier Nicolás

14.50€

Incluye ensayos inéditos en castellano de Ernst Jünger

Descripción

Distancia y emboscadura habrían sido desde siempre los signos de una personalidad que observa, que medita, que percibe, que se implica en la lucha física de la vía del guerrero como un modo de vivir la acción desde la lejanía. Porque un espíritu libre, aristocrático, no podría soportar el mal olor y el peso de la gravedad de sus contemporáneos –«es preferible escribir un verso que representar a sesenta mil imbéciles en el parlamento», llegará a afirmar– por mucho que sus reflexiones le llevasen por los telúricos senderos del arraigo y de la nación y se sintiese en perfecta sintonía con un nacional-bolchevique como Niekisch. Pero su antinazismo tenía que ser, se quiere angustiosamente que fuese, algo consustancial. Su antinazismo habría precedido, se quiere angustiosamente que precediese, a la existencia del propio nacionalsocialismo.

Lo que narra el libro es el relato del diálogo directo de un soldado, de un pensador, de un escritor, de un nacionalista alemán con el fenómeno político e ideológico crucial del siglo XX, que, para bien o para mal determinó su vida, al igual que lo ha hecho con todas las nuestras.

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ORWELL: Viviendo el futuro y recordando el pasado por VV.AA.

17.50€

¿Qué historia conoces sobre la vida y obra de George Orwell? 
¿El modelo de “sociedad orwelliana” se está llevando a la práctica?
¿Existe una manipulación del lenguaje en base a una neo-lengua implantada?

¿Denuncia Orwell el Nuevo Orden Mundial, o se atrevió a revelar los planes de las Sociedades Secretas sabiendo ya que nadie podría evitarlos?

“La libertad es el derecho de decir a la gente lo que no quiere oír” George Orwell

Descripción

A voz de pronto y haciendo uso del (sin)sentido común, cualquier ciudadano apuesta por la seguridad a costa de la privacidad, prefiere dormir tranquilo, saber que todo está bajo el control de una entelequia que todo lo observa y vela por el “Bienestar” de todos. “Nadie tiene nada que temer si no hace nada malo”, la cuestión que nadie se plantea es ¿qué es lo “malo” y qué es lo “bueno”?.

Lo “bueno” y lo “malo” está supeditado a los designios de la política electoralista, de la alta finanza y el Gran Capital, de aquellos poderes que están por encima del ciudadano, esas entidades que no nos consultan sobre lo que deseamos, que aplican sus políticas restrictivas cada vez con mayor dureza y sin importarles lo que le han prometido al electorado, sus planes, los planes de los electos en cada legislatura cada vez se distancian más de los programas electorales que diseñan, la mentira es claramente más visible y descarada.

El Orden natural ha sido revertido por el orden material y ello lleva a que el ego impere por doquier. No importa lo social, lo común… el espíritu de comunidad popular ha sido colapsado por el “yoísmo”. Los medios de masas trabajan constantemente en plasmar en la mente de las personas el mensaje que les interesa a los que siniestramente dirigen el destino de los pueblos, y esto nos lleva a lo que decía Alphonse Bertillon: “se puede ver sólo lo que se observa y se observa sólo lo que está en la mente”.

Manuel Quesada

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MISHIMA: El último samurái

Autores: Dr. Kerry Bolton, Troy Southgate, John Howells, Wulf, Dimitris Michalopoulus, Christopher Pankhurst, Koichi Toyama, Douglas P., Vijay Prozak.

Pour toutes commandes:

Web: www.editorialeas.com
Contacto: info@editorialeas.com

samedi, 10 février 2018

Luc-Olivier d'Algange : Le réenchantement du monde - causerie autour de Jünger

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Luc-Olivier d'Algange : Le réenchantement du monde - causerie autour de Jünger

L'écrivain Luc-Olivier d'Algange venait présenter au Cercle Aristote son dernier ouvrage sur la figure d'Ernst Jünger en compagnie de l'association Exil H.
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vendredi, 09 février 2018

The World of Dostoevsky and the Freedom of the Person

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The World of Dostoevsky and the Freedom of the Person

 
The World of Dostoevsky and the Freedom of the Person
 
William Weber was the Provost of Rose Hill College from 1996-1998 and is currently a teacher of social studies.
 
February 24, 2011
 
Brothers Karamazov
The Way of a Pilgrim
The French Revolution
Orthodox Church
Crime and Punishment
The Grand Inquisitor
 

jeudi, 08 février 2018

Louis Pauwels et le franc-parler visionnaire

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Louis Pauwels et le franc-parler visionnaire

par Bruno Lafourcade

Ex: https://ladecadencedecordicopolis.com

Trouvé sur Délit d’images à propos de Louis Pauwels qui sut défrayer les chroniques en son temps en étant l’auteur de cinglantes et impitoyables volées de bois contre le monde moderne et ses enfants atteints de « sida mental »…

Il s’agit d’un article de Bruno Lafourcade de Boulevard Voltaire.

Merci pour ce rafraîchissement !

LP-ddp.jpg« Il y a vingt ans que Louis Pauwels est mort. Ce nom ne dit peut-être rien aux jeunes gens d’aujourd’hui ; il disait beaucoup à ceux des années quatre-vingt – ils manifestaient contre « la loi Devaquet », les anciens de 68 les brossaient dans le sens du duvet et Pauwels, lui, « n’ayant pas de minus à courtiser », leur dit virilement qui ils étaient : « les enfants du rock débile, les écoliers de la vulgarité pédagogique, les béats de Coluche et Renaud nourris de soupe infra-idéologique cuite au show-biz, ahuris par les saturnales de “touche pas à mon pote”, et, somme toute, les produits de la culture Lang ». La suite de ce « Monôme des zombies », publié le 6 décembre 1986 dans Le Figaro Magazine, n’était pas moins fouetteur : « Ils ont reçu une imprégnation morale qui leur fait prendre le bas pour le haut. Rien ne leur paraît meilleur que n’être rien, mais tous ensemble, pour n’aller nulle part. […] C’est une jeunesse atteinte d’un sida mental. »

Cette expression en scandalisa beaucoup, en effraya certains, en secoua d’autres, arrachés à leur sommeil dogmatique, qui comprirent d’un seul coup que son auteur, à la vigueur imagée et frontale, avait raison : le style n’a jamais tort. Pauwels, dans cet article prémonitoire, arrachait de leur chemise la petite main jaune de la bonne conscience que les mitterrandiens y avaient épinglée.

Bien entendu, laisser un article, quand on en a écrit des milliers, c’est peu ; une expression, c’est moins encore, quand on est romancier ; c’est pourtant ce qui est arrivé à Pauwels, que ce « sida mental » résume, sans le déformer – qui exprime exactement sa phrase et sa morale également robustes.

À la tête de Combat à vingt-neuf ans, Pauwels fondera, plus tard, Le Figaro Magazine, où il fit entrer l’équipe de la Nouvelle Droite, avant de s’en séparer. Il s’est aussi intéressé à l’ésotérisme, écrivit avec Jacques Bergier Le Matin des magiciens, dont le succès sera suivi par la revue Planète. Il a été, enfin, un romancier très imprégné par le « réalisme fantastique », sauf pour son dernier roman, Les Orphelins, qui offre curieusement un écho à son plus célèbre article, publié dix ans plus tôt.

Nous sommes peu après Mai 68 ; Michel Cartry, un jeune gauchiste, voue à son père, Antoine, un riche industriel, une haine qui le conduit à accepter de feindre d’avoir été enlevé par les Brigades rouges : il s’agit d’obtenir une rançon. Pauwels en profite pour traduire Mai 68 en justice (« Comment tant de gens intelligents ont-ils consenti à voir un Messie dans cette jeunesse devenue folle qui brûlait sa maison afin de l’éclairer ? »), avec la génération qui, vingt ans plus tard, s’amuserait à en faire descendre d’autres dans la rue (« Michel, dit son père, aurait pu devenir un jeune homme. L’époque l’a réduit à l’état vaseux et acide des “jeunes”. Les “jeunes” : des grégaires qui se prétendent singuliers ; qui se croient naturels parce qu’ils sont informes » ; d’ailleurs, « pour ceux qui ne valent pas grand-chose, comme Michel, c’est un réconfort de crier que rien ne vaut »).

Vif et vigoureux, jamais alourdi par l’empathie, Pauwels aurait eu assez de dons, d’intuition et de jugement (« C’est deux fois vieillir que vieillir dans la laideur ») pour être le grand romancier des mœurs de son temps ; il a préféré en être le reporter. Il n’est pas exagéré de dire qu’il ne fut pas indigne de sa mission. ».

Tout est tellement vrai et bien vu ! Avec un franc-parler au style impeccable… un vrai plaisir.

Nous pouvons constater qu’aujourd’hui, les enfants du rock débile se sont perpétués en donnant naissance à une flopée d’enfants d’une techno débile, des immondes parades et du téléphone portable abêtissant.

Pauvre France…

mercredi, 07 février 2018

Néo-totalitarisme: Huxley fait le point en 1957

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Néo-totalitarisme: Huxley fait le point en 1957

Les carnets de Nicolas Bonnal

Nota : ce texte est long et dûment référencé. Il apparaîtra pessimiste à certains.

On est en 1957. Sputnik fait rêver les plus conditionnés, mais Aldous Huxley rappelle :

« En 1931, alors que j'écrivais Le Meilleur des Mondes, j'étais convaincu que le temps ne pressait pas encore. La société intégralement organisée, le système scientifique des castes, l'abolition du libre arbitre par conditionnement méthodique, la servitude rendue tolérable par des doses régulières de bonheur chimiquement provoqué, les dogmes orthodoxes enfoncés dans les cervelles pendant le -sommeil au moyen des cours de nuit, tout cela approchait; se réaliserait bien sûr, mais ni de mon vivant, ni même du vivant de mes petits-enfants. »

Il fait un constat après la guerre, comme Bertrand de Jouvenel :

« Vingt-sept ans plus tard, dans ce troisième quart du vingtième siècle après J-C. et bien longtemps avant la fin du premier siècle après F., je suis beaucoup moins optimiste que je l'étais en écrivant Le Meilleur des Mondes. Les prophéties faites en 1931 se réalisent bien plus tôt que je le pensais. L'intervalle béni entre trop de désordre et trop d'ordre n'a pas commencé et rien n'indique qu'il le fera jamais. En Occident, il est vrai, hommes et femmes jouissent encore dans une appréciable mesure de la liberté individuelle, mais même dans les pays qui ont une longue tradition de gouvernement démocratique cette liberté, voire le désir de la posséder, paraissent en déclin. Dans le reste du monde, elle a déjà disparu, ou elle est sur le point de le faire. Le cauchemar de l'organisation intégrale que j'avais situé dans le septième siècle après F. a surgi de lointains dont l'éloignement rassurait et nous guette maintenant au premier tournant. »

AH-MdM1.jpgLe communisme a facilement chuté partout finalement mais il a été remplacé parce que Debord nomme le spectaculaire intégré. Tocqueville déjà disait « qu’en démocratie on laisse le corps pour s’attaquer à l’âme. »

Le futur c’est la carotte plutôt que le bâton (cf. mes textes sur Tocqueville, Nietzsche ou le film Network) :

« A la lumière de ce que nous avons récemment appris sur le comportement animal en général et sur le comportement humain en particulier, il est devenu évident que le contrôle par répression des attitudes non conformes est moins efficace, au bout du compte, que le contrôle par renforcement des attitudes satisfaisantes au moyen de récompenses et que, dans l'ensemble, la terreur en tant que procédé de gouvernement rend moins bien que la manipulation non violente du milieu, des pensées et des sentiments de l'individu. »

La manipulation est donc à l’ordre du jour :

« Pendant ce temps, des forces impersonnelles sur lesquelles nous n'avons presque aucun contrôle semblent nous pousser tous dans la direction du cauchemar de mon anticipation et cette impulsion déshumanisée est sciemment accélérée par les représentants d'organisations commerciales et politiques qui ont mis au point nombre de nouvelles techniques pour manipuler, dans l'intérêt de quelque minorité, les pensées et les sentiments des masses. »

La clé du système est son renforcement par la démographie explosive :

« De plus, l'accroissement annuel lui-même s'accroît : régulièrement, selon la règle des intérêts composés et irrégulièrement aussi, à chaque application, par une société technologiquement retardataire, des principes de la Santé publique. A l'heure présente, cet excédent atteint 43 millions environ pour l'ensemble du globe, ce qui signifie que tous les quatre ans l'humanité ajoute à ses effectifs l'équivalent de la population actuelle des Etats-Unis - tous les huit ans et demi l'équivalent de la population actuelle des Indes. »

Huxley remet à sa place les blablas sur la pseudo-conquête spatiale :

« Une nouvelle ère est censée avoir commencé le 4 octobre 1957, mais en réalité, dans l'état présent du monde, tout notre exubérant bavardage post-spoutnik est hors de propos, voire même absurde. En ce qui concerne les masses de l'humanité, l'âge qui vient ne sera pas celui de l'Espace cosmique, mais celui de la surpopulation. »

Conséquence ? Les « trous à merde » de Donald :

« Les faits contrôlables semblent indiquer assez nettement que dans la plupart des pays sous-développés, le sort de l'individu s'est détérioré de façon appréciable au cours du dernier demi-siècle. Les habitants sont plus mal nourris; il existe moins de biens de consommation disponibles par tête et pratiquement tous les efforts faits pour améliorer la situation ont été annulés par l'impitoyable pression d'un accroissement continu de la population. »

Le « plus froid des monstres froids » (Nietzsche) va se développer. Une remarque digne de Jouvenel :

« Ainsi, des pouvoirs de plus en plus grands sont concentrés entre les mains de l'exécutif et de ses bureaucrates. Or, la nature du pouvoir est telle que même ceux qui ne l'ont pas recherché mais à qui il a été imposé, ont tendance à y prendre goût… »

Le Deep State (le « minotaure » de Jouvenel) est condamné à croître avec le totalitarisme dans les pays en voie de surpeuplement :

« Insécurité et agitation mènent à un contrôle accru exercé par les gouvernements centraux et à une extension de leurs pouvoirs. En l'absence d'une tradition constitutionnelle, ces pouvoirs accrus seront probablement exercés de manière dictatoriale. »

AH-TF2.jpgLa surpopulation américaine menacera la démocratie américaine (triplement en un siècle ! La France a crû de 40% en cinquante ans) :

« Pour le moment, la surpopulation ne constitue pas pour la liberté individuelle des Américains un danger direct, mais déjà la menace d'une menace. »

Eugéniste, proche de Carrel ici, Huxley annonce un déclin qualitatif de notre population et de notre intelligence, fait aujourd’hui reconnu :

« Malgré les nouvelles drogues-miracle et des traitements plus efficaces (on peut même dire en un certain sens, grâce à eux), la santé physique de la masse ne s'améliorera pas, au contraire, et un déclin de l'intelligence moyenne pourrait bien accompagner cette détérioration. »

Huxley critique froidement les progrès de la médecine (ou leur mauvaise gestion) :

« La mort rapide due à la malaria a été supprimée, mais une existence rendue misérable par la sous-alimentation et le surpeuplement est main- tenant la règle et une mort lente, par inanition, guette un nombre de plus en plus grand d'habitants. »

Huxley ici reprend Bernays sur la montée des élites :

« Nous voyons donc que la technique moderne a conduit à la concentration du pouvoir économique et politique ainsi qu'au développement d'une société contrôlée (avec férocité dans les Etats totalitaires, courtoisie et discrétion dans les démocraties) par les Grosses Affaires et les Gros Gouvernements. »

Notre auteur cite Fromm :

« …Notre société tend à faire de lui un automate qui paie son échec sur le plan humain par des maladies mentales toujours plus fréquentes et un désespoir qui se dissimule sous une frénésie de travail et de prétendu plaisir. »

Puis Huxley évalue la nullité des hommes modernes et par là se rapproche de René Guénon (voyez l’anonymat dans le règne de la quantité) :

« Ces millions d'anormalement normaux vivent sans histoires dans une société dont ils ne s'accommoderaient pas s'ils étaient pleinement humains et s'accrochent encore à « l'illusion de l'individualité », mais en fait, ils ont été dans une large mesure dépersonnalisés. Leur conformité évolue vers l'uniformité. »

Le futur est à la termitière :

« La civilisation este entre autres choses, le processus par lequel les bandes primitives sont transformées en un équivalent, grossier et mécanique, des communautés organiques d'insectes sociaux. A l'heure présente, les pressions du surpeuplement et de l'évolution technique accélèrent ce mouvement. La termitière en est arrivée à représenter un idéal réalisable et même, aux yeux de certains, souhaitable. »

Termitière ? Plus effrayant encore ce passage – car tous les mots sont rentrés dans notre lexique :

« Ainsi que l'a montré Mr. William Whyte dans son remarquable ouvrage, The Organization man, une nouvelle Morale Sociale est en train de remplacer notre système traditionnel qui donne la première place à l'individu. Les mots clefs en sont : « ajustement », « adaptation », « comportement social ou antisocial », « intégration », « acquisition de techniques sociales », « travail d'équipe », « vie communautaire », « loyalisme communautaire », « dynamique communautaire », « pensée communautaire », « activités créatrices communautaires »…

Car l’ingénierie sociale c’est la fin du christianisme et même du Christ :

« Selon la Morale Sociale, Jésus avait complètement tort quand il affirmait que le sabbat a été fait pour l'homme pour l'homme; au contraire, c'est l'homme qui. a été fait pour le sabbat, qui doit sacrifier ses particularités natives et faire semblant d'être la sorte de bon garçon invariablement liant que les organisateurs d'activités collectives considèrent comme le plus propre à leurs fins. »

En bon patricien britannique (voyez mon livre sur Tolkien, mes essais sur Chesterton), Huxley refuse cet assemblage :

« Un gouffre immense sépare l'insecte social du mammifère avec son gros cerveau, son instinct grégaire très mitigé et ce gouffre demeurerait, même si l'éléphant s'efforçait d'imiter la fourmi. Malgré tous leurs efforts, les hommes ne peuvent que créer une organisation et non pas un organisme social. En s'acharnant à réaliser ce dernier, ils parviendront tout juste à un despotisme totalitaire. »

Le futur indolore de la domination est programmé :

« Dans les dictatures plus efficaces de demain, il y aura sans doute beaucoup moins de force déployée. Les sujets des tyrans à venir seront enrégimentés sans douleur par un corps d'ingénieurs sociaux hautement qualifiés. »

AH-RMdM3.jpgDix ans avant Umberto Eco (voyez mon livre sur Internet), Huxley annonce un nouveau moyen âge, pas celui de Guénon bien sûr, celui de Le Goff plutôt :

« Les forces impersonnelles du surpeuplement et de l'excès d'organisation jointes aux ingénieurs sociologues qui essaient de les diriger, nous poussent vers un nouveau système médiéval. »

Huxley annonce la propagande à venir en occident :

« La propagande pour une action dictée par des impulsions plus basses que l'intérêt présente des preuves forgées, falsifiées, ou tronquées, évite les arguments logiques et cherche à influencer ses victimes par la simple répétition de slogans, la furieuse dénonciation de boucs émissaires étrangers ou nationaux, et l'association machiavélique des passions les plus viles aux idéaux les plus élevés… »

Huxley méprise la liberté de la presse en rappelant ce simple fait :

« En ce qui concerne la propagande, les premiers partisans de l'instruction obligatoire et d'une presse libre ne l'envisageaient que sous deux aspects : vraie ou fausse. Ils ne prévoyaient pas ce qui, en fait, s'est produit- le développement d'une immense industrie de l'information, ne s'occupant dans l'ensemble ni du vrai, ni du faux, mais de l'irréel et de l'inconséquent à tous les degrés. En un mot, ils n'avaient pas tenu compte de la fringale de distraction éprouvée par les hommes. »

On retombe dans le pain et les jeux de Juvénal :

« Pour trouver une situation comparable, fût-ce de loin, à celle qui existe actuellement, il nous faut remonter jusqu'à la Rome impériale, où la populace était maintenue dans la bonne humeur grâce à des doses fréquentes et gratuites des distractions les plus variées, allant des drames en vers aux combats de gladiateurs, des récitations de Virgile aux séances de pugilat, des concerts aux revues militaires et aux exécutions publiques. Mais même à Rome, il n'existait rien de semblable aux distractions ininterrompues fournies par les journaux, les revues, la radio, la télévision et le cinéma. »

Une prédiction (prédiction ou constatation ?) terrible :

« Une société dont la plupart des membres passent une grande partie de leur temps, non pas dans l'immédiat et l'avenir prévisible, mais quelque part dans les autres mondes inconséquents du sport, des feuilletons, de la mythologie et de la fantaisie métaphysique, aura bien du mal à résister aux empiétements de ceux qui voudraient la manipuler et la dominer. »

Le futur est à la « distraction ininterrompue » qui se mêlera à la propagande.

Huxley cite Albert Speer. Après Hitler on n’a pas arrêté le progrès.

« Depuis l'époque de Hitler, l'arsenal des moyens techniques à la disposition de l'aspirant-dictateur a été considérablement développé! En plus de la radio, du haut-parleur, de la caméra de cinéma et de la presse rotative, le propagandiste contemporain peut faire usage de la télévision pour transmettre non seulement la voix, mais l'image de son client et enregistrer le tout sur des bandes magnétiques. Grâce aux progrès techniques, le Grand Frère peut maintenant être omniprésent presque autant que Dieu. D'ailleurs, il n'y a pas que dans ce domaine que des atouts nouveaux ont été apportés au jeu du dictateur. Depuis Hitler, des travaux considérables ont été faits en psychologie et neurologie appliquées, domaines d'élection du propagandiste, de l'endoctrineur, et du laveur de cerveaux. »

Puis Huxley compare Hitler à Bernays, l’inventeur de la cigarette pour les femmes :

« C'est par la manipulation de « forces cachées » que les experts en publicité vous incitent à acheter leurs produits - une pâte dentifrice, une marque de cigarettes, un candidat politique - et c'est en faisant appel aux mêmes, ainsi qu'à d'autres trop dangereuses pour que s'y frotte Madison Avenue, que Hitler a incité les masses allemandes à s'acheter un Führer, une philosophie insane et une Deuxième Guerre mondiale. »

Après Hitler, la publicité commerciale. Huxley cite Vance Packard et ajoute :

« Nous n'achetons plus des oranges, mais de la vitalité. Nous n'achetons plus une voiture, mais du prestige. » Il en est de même pour tout le reste. Avec un dentifrice, nous achetons non plus un simple détersif antiseptique, mais la libération d'une angoisse : celle d'être sexuellement repoussant. Avec la vodka et le whisky, nous n'achetons pas un poison protoplasmique qui, à doses faibles, peut déprimer le système nerveux de manière utile au point de vue psychologique, nous achetons de l'amabilité, du liant, la chaleur… Avec l'ouvrage à succès du mois, nous acquérons de la culture, l'envie de nos voisins moins intellectuels et le respect des raffinés. »

AH-PP4.jpgHuxley n’est pas très optimise non plus sur l’avenir des enfants mués en de la chair à télé :

« Comme on pouvait s'y attendre, les jeunes sont extrêmement sensibles à la propagande. Ignorants du monde et de ses usages, ils sont absolument sans méfiance, leur esprit critique n'est pas encore développé, les plus petits n'ont pas atteint l'âge de raison et les plus âgés n'ont pas acquis l'expérience sur laquelle leur faculté de raisonnement nouvellement découverte pourrait s'exercer. En Europe, les conscrits étaient désignés sous le nom badin de « chair à canon ». Leurs petits frères et leurs petites sœurs sont maintenant devenus de la chair à radio et à télévision. Dans mon enfance, on nous apprenait à chanter de petites rengaines sans grand sens ou, dans les familles pieuses, des cantiques. Aujourd'hui, les petits gazouillent de la publicité chantée. »

Pas d’illusions sur les élections et la politique :

« Les partis mettent leurs candidats et leurs programmes sur le marché en utilisant les mêmes méthodes que le monde des affaires pour vendre ses produits… Les services de ventes politiques ne font appel qu'aux faiblesses de leurs électeurs, jamais à leur force latente. Ils se gardent bien d'éduquer les masses et de les mettre en mesure de se gouverner elles-mêmes, jugeant très suffisant de les manipuler et de les exploiter. »

Sur le lavage de cerveau pratiqué dans notre planète-prison, Huxley rappelle :

« Si le système nerveux central du chien peut être brisé, celui d'un prisonnier politique aussi. Il s'agit seulement d'appliquer les doses de tension voulues pendant le temps voulu. A la fin du traitement, l'interné sera dans un état de névrose ou d'hystérie tel qu'il avouera ce que ses geôliers voudront. »

Huxley explique pourquoi notre système de suggestibilité encourage le somnambulisme puis il rappelle tristement :

« L'efficacité de la propagande politique et religieuse dépend des méthodes employées et non pas des doctrines enseignées. Ces dernières peuvent être vraies ou fausses, saines ou pernicieuses, peu importe. Si l'endoctrinement est bien fait au stade voulu de l'épuisement nerveux, il réussira. »

Opiomanie ou toxicomanie ? Huxley rappelle ici le fameux soma de son roman :

« La ration de soma quotidienne était une garantie contre l'inquiétude personnelle, l'agitation sociale et la propagation d'idées subversives. Karl Marx déclarait que la religion était l'opium du peuple, mais dans le Meilleur des Mondes la situation se trouvait renversée : l'opium, ou plutôt le soma, était la religion du peuple. »

Huxley rappelle nos progrès en chimie du cerveau et il prophétise l’addiction américaine responsable aujourd’hui de dizaines de milliers de morts :

« …prenez le cas des barbituriques et des tranquillisants. Aux U.S.A., ces remèdes peuvent être obtenus avec une simple ordonnance de docteur, mais l'avidité du public américain pour quelque chose qui rendra un peu plus supportable la vie dans le milieu urbain et industriel est si grande, que les médecins ordonnent actuellement de ces spécialités au rythme de 48 millions de prescriptions par an. »

On contrôlera donc l’opposition politique par les tranquillisants !

« Les masses ne risqueront pas de créer la moindre difficulté à leur maître. Seulement, dans l'état actuel des choses, les tranquillisants peuvent empêcher certaines personnes de créer assez de difficulté, non seulement à leurs dirigeants, mais à elles-mêmes. »

On peut même gagner la guerre par les tranquillisants !

« Lors d'une récente conférence sur le méprobamate, à laquelle je participais, un éminent biochimiste proposa en riant que le gouvernement des U.S.A. envoyât gratuitement au peuple soviétique 50 milliards de doses du plus populaire des tranquillisants. La plaisanterie avait son côté inquiétant. »

Chez Huxley comme chez La Boétie le fond du problème n’est pas la malignité de la science ou des élites sinon la médiocrité de la nature humaine démontrée ici par la science...

« Les idéaux de la démocratie et de la liberté se heurtent au fait brutal de la suggestibilité humaine. Un cinquième de tous les électeurs peut être hypnotisé presque en un clin d'œil, un septième soulagé de ses souffrances par des piqûres d'eau, un quart suggestionné avec rapidité et dans l'enthousiasme par I'hypnopédie. A toutes ces minorités trop promptes à coopérer, on doit ajouter les majorités aux réactions moins rapides dont la suggestibilité plus modérée peut être exploitée par n'importe quel manipulateur connaissant son affaire, prêt à y consacrer le temps et les efforts nécessaires. »

AH-J5.jpgQuant au futur, no comment :

« La liberté individuelle est-elle compatible avec un degré élevé de suggestibilité? Les institutions démocratiques peuvent-elles survivre à la subversion exercée du dedans par des spécialistes habiles dans la science et l'art d'exploiter la suggestibilité à la fois des individus et des foules? »

Il reste que le futur, en 1957, c’est aussi, c’est surtout cent millions de couillonnes sur Instagram admirant et imitant Kylie Jenner. Huxley :

« Et l'uniformisation des êtres était encore parachevée après la naissance par le conditionnement infantile, l'hypnopédie et l'euphorie chimique destinée à remplacer la satisfaction de se sentir libre et créateur. Dans le monde où nous vivons, ainsi qu'il a été indiqué dans des chapitres précédents, d'immenses forces impersonnelles tendent vers l'établissement d'un pouvoir centralisé et d'une société enrégimentée. La standardisation génétique est encore impossible, mais les Gros Gouvernements et les Grosses Affaires possèdent déjà, ou posséderont bientôt, tous les procédés pour la manipulation des esprits décrits dans Le Meilleur des Mondes, avec bien d'autres que mon manque d'imagination m'a empêché d'inventer. »

Le monde une prison, conclue Hamlet avec Rosencrantz et Guildenstern.

Huxley poursuit cruellement par les banalités d’usage sur l’éducation qui nous rendrait résistant :

« Si nous voulons éviter ce genre de tyrannie, il faut que nous commencions sans délai notre éducation et celle de nos enfants pour nous rendre aptes à être libres et à nous gouverner nous-mêmes. »

Cette éducation (cf. la chasse aux fake news) peut aisément être recyclée en ce que l’on sait !

Il rappelle ce truisme :

« Les effets d'une propagande mensongère et pernicieuse ne peuvent être neutralisés que par une solide préparation à l'art d'analyser ses méthodes et de percer à jour ses sophismes. »

Huxley rappelle à temps que personne ne veut de contre-propagande !

« Et pourtant, nulle part on n'enseigne aux enfants une méthode systématique pour faire le départ entre le vrai et le faux, une affirmation sensée et une autre qui ne l'est pas. Pourquoi? Parce que leurs aînés, même dans les pays démocratiques, ne veulent pas qu'ils reçoivent ce genre d'instruction. Dans ce contexte, la brève et triste histoire de l'Institute for Propaganda Analysis est terriblement révélatrice. Il avait été fondé en 1937, alors que la propagande nazie faisait le plus de bruit et de ravages, par Mr. Filene, philanthrope de la Nouvelle-Angleterre. Sous ses auspices, on pratiqua la dissection des méthodes de propagande non rationnelle et l'on prépara plusieurs textes pour l'instruction des lycéens et des étudiants. Puis vint la guerre, une guerre totale, sur tous les fronts, celui des idées au moins autant que celui des corps. Alors que tous les gouvernements alliés se lançaient dans “la guerre psychologique”, cette insistance sur la nécessité de disséquer la propagande sembla quelque peu dépourvue de tact. L'Institut fut fermé en 1941. »

Huxley rappelle les raisons de cette timidité :

« L'examen trop critique par trop de citoyens moyens de ce que disent leurs pasteurs et maîtres pourrait s'avérer profondément subversif. Dans sa forme actuelle, l'ordre social dépend, pour continuer d'exister, de l'acceptation, sans trop de questions embarrassantes, de la propagande mise en circulation par les autorités et de celle qui est consacrée par les traditions locales. »

AH-Dm6.jpgDans son maigre énoncé des solutions (il n’en a pas), Huxley évoque alors la prison sans barreau (the painless concentration camp, expression mise en doute par certains pro-systèmes !) :

« Il est parfaitement possible qu'un homme soit hors de prison sans être libre, à l'abri de toute contrainte matérielle et pourtant captif psychologiquement, obligé de penser, de sentir et d'agir comme le veulent les représentants de l'Etat ou de quelque intérêt privé à l'intérieur de la nation. »

Huxley recommande de protéger les lieux publics et la télévision. Or on ne peut protéger les lieux publics et la télévision qui ne sont là que pour vendre et pour puer : il faut donc les éviter. Si ton œil t’est objet de tentation…

Il note justement que « les formes libérales serviront simplement à masquer et à enjoliver un fond situé aux antipodes du libéralisme », et que le futur n’est guère plus joyeux que le présent de Bernays : « Entre-temps, l'oligarchie au pouvoir et son élite hautement qualifiée de soldats, de policiers, de fabricants de pensée, de manipulateurs mentaux mènera tout et tout le monde comme bon lui semblera. »

Sur notre futur monopolistique, Huxley ne se fait guère d’illusions (qui s’en fait encore ?) :

« Mais c'est un fait historique aujourd'hui que les moyens de production sont rapidement centralisés et monopolisés par les Grosses Affaires et les Gros Gouvernements. Par conséquent, si vous avez foi en la démocratie, prenez des mesures pour distribuer les biens aussi largement que possible. »

Huxley, beaucoup moins méchant que ce que pensent pas mal d’antisystèmes, propose une solution de révolution médiévale digne de Chesterton et Belloc :

« Par conséquent, si vous souhaitez éviter l'appauvrissement spirituel des individus et de sociétés entières, quittez les grands centres et faites revivre les petites agglomérations rurales, ou encore humanisez la ville en créant à l'intérieur du réseau de son organisation mécanique, les équivalents urbains des petits centres ruraux où les individus peuvent se rencontrer et coopérer en qualité de personnalités complètes, et non pas comme de simples incarnations de fonctions spécialisées. »

Mais rien n’y fait (on est à l’époque du génial Mumford) :

« Nous savons que, pour la plupart de nos semblables, la vie dans une gigantesque ville moderne est anonyme, atomique, au-dessous du niveau humain, néanmoins les villes deviennent de plus en plus démesurées et le mode de vie urbano-industriel demeure inchangé. »

Huxley, qui finit par citer Dostoïevski et son grand inquisiteur, ne se fait guère d’illusions, sondages à l’appui :

« Aux U.S.A. - et l'Amérique est l'image prophétique de ce que sera le reste du monde urbano-industriel dans quelques années d'ici - des sondages récents de l'opinion publique ont révélé que la majorité des adolescents au-dessous de vingt ans, les votants de demain, ne croient pas aux institutions démocratiques, ne voient pas d'inconvénient à la censure des idées impopulaires, ne jugent pas possible le gouvernement du peuple par le peuple et s'estimeraient parfaitement satisfaits d'être gouvernés d'en haut par une oligarchie d'experts assortis, s'ils pouvaient continuer à vivre dans les conditions auxquelles une période de grande prospérité les a habitués. »

Les jeunes sont soumis, les ados sont pires que les autres, comme je l’ai constaté dans ma jeunesse et comme  le montrera le succès mondial de culture sexe, drogue, rock. Huxley :

« Que tant de jeunes spectateurs bien nourris de la télévision, dans la plus puissante démocratie du monde, soient si totalement indifférents à l'idée de se gouverner eux-mêmes, s'intéressent si peu à la liberté d'esprit et au droit d'opposition est navrant, mais assez peu surprenant. »

Il évoque les oiseaux (La Boétie évoquait les chiens) …

« Tout oiseau qui a appris à gratter une bonne pitance d'insectes et de vers sans être obligé de se servir de ses ailes renonce bien vite au privilège du vol et reste définitivement à terre. »

La suite est lyrique !

« Le cri de « Donnez-moi la télévision et des saucisses chaudes, mais ne m'assommez pas avec les responsabilités de l'indépendance », fera peut-être place, dans des circonstances différentes à celui de « La liberté ou la mort ».

Et le maître de conclure :

« Il semble qu'il n'y ait aucune raison valable pour qu'une dictature parfaitement scientifique soit jamais renversée. »

Demandez à Zuckerberg, à la NSA et à Monsanto ce qu’ils en pensent.

Sources complémentaires

Huxley – Le meilleur des mondes ; retour au meilleur des mondes (1957), sur archive.org

Nicolas Bonnal – Comment les peuples sont devenus jetables ; comment les Français sont morts ; la culture comme arme de destruction massive (Amazon.fr)

Umberto Eco – Vers un nouveau moyen âge (1972)

Bertrand de Jouvenel – Du Pouvoir (Pluriel)

Vince Packard – Hidden persuaders

Armand Mattelart – Histoire de l’utopie planétaire (la Découverte)

Chesterton – What I saw in America (Gutenberg.org)

Shakespeare – Mesure pour mesure ; Hamlet ; La tempête (inlibroveritas.net)

La Boétie – Sur la servitude volontaire (Wikisource)

Tocqueville – De la démocratie en Amérique (classiques.Uqac.ca)

Debord – Commentaires

mardi, 06 février 2018

Tom Wolfe: “Lo ‘políticamente correcto’ es un instrumento de poder de las clases dominantes”

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Ex: www.latribunadelpaisvasco.com
 
Entrevista en Le Figaro

Tom Wolfe: “Lo ‘políticamente correcto’ es un instrumento de poder de las clases dominantes”

A sus 86 años de edad, Tom Wolfe, uno de los mejores escritores norteamericanos contemporáneos y, sin duda, uno de los periodistas más importantes de las últimas décadas, acaba de conceder una entrevista a Le Figaro Magazine en la que el autor de obras excelsas como “La hoguera de las vanidades” o “Lo que hay que tener” habla claramente sobre algunos de los temas más candentes de la actualidad política y cultural, sin dejar de practicar la que es una de sus aficiones más queridas: fustigar sin compasión a lo que, ya en 1970, definió como el “Radical chic” o “la izquierda caviar”.

Alexandre Devecchio, que firma el texto en Le Figaro, recuerda a Wolfe que desde uno de sus primeros textos, titulado precisamente “Radical chic”, ha criticado duramente lo políticamente correcto, el izquierdismo cultural, la tiranía de las minorías…

... “‘Radical chic’ fue un reportaje que publiqué en 1970 en ‘The New York Magazine’, en el que contaba una fiesta organizada por el compositor Leonard Bernstein en su duplex neoyorquino de tres estancias con terreza. La fiesta tenía como objeto recaudar fondos para ‘Los Panteras Negras’ (organización nacionalista negra, socialista, filoterrorista y revolucionaria), activa en Estados Unidos entre 1966 y 1982" (...)

(...) "Los anfitriones tuvieron que contratar camareros blancos para no herir la susceptibilidad de los ‘panteras’. Lo políticamente correcto, que yo también suelo definir como PC (Policía Ciudadana), nace de la idea marxista que afirma que todo aquello que separe socialmente a los seres humanos debe ser prohibido para evitar la dominación de un grupo social sobre otro. Pero, curiosamente, con el paso del tiempo lo políticamente correcto se ha convertido en el instrumento preferido de las ‘clases dominantes’; se trata de explotar la idea de que hay que tener una ‘conducta apropiada’ para mejor asumir su ‘dominación social’ y bañarse en bueba conciencia. Poco a poco, lo políticamente correcto se ha convertido en un marcador de ‘dominación’ y en un instrumento de control social, una manera de distinguirse de las ‘clases bajas’ y de censurarlas deslegitimando su visión del mundo en nombre de la moral. De este modo, la gente, cada vez en mayor medida, debe prestar atención a lo que dice, especialmente en las universidades. El éxito de Donald Trump ha consistido, precisamente, en romper con esto”.

9780312429133-us.jpgEn otro momento de la entrevista, Tom Wolfe explica cómo, en su opinión, parte del voto a Donald Trump se comprende por la desolación de quienes se sienten en una status social inferior o de quienes creen que han descendido de status. “En ‘Radical chic’ describí el nacimiento de lo que hoy yo denominaría como ‘izquierda caviar’ o ‘progresismo de limusina’. Se trata de una izquierda que se ha liberado de cualquier responsabilidad con respecto a la clase obrera norteamericana. Es una izquierda que adora el arte contemporáneo, que se identifica con las causas exóticas y el sufrimiento de las minorías… pero que no quiere saber nada de las clases menos sofisticadas y adineradas de Ohio" (...)

“Los norteamericanos han tenido el sentimiento”, continúa explicando el autor de 'El nuevo periodismo', que el Partido Demócrata solamente tenía interés en seducir a las más diversas minorías, pero que se negaba a prestar atención a una parte muy importante de la nación. Concretamente, al sector obrero de los ciudadanos, que históricamente ha constituido la espina dorsal del Partido Demócrata. Durante las últimas elecciones, la aristocracia del Partido Demócrata ha preferido apoyar a una coalición de minorías y ha excluído de sus preocupaciones a la clase obrera blanca. Donald Trump solamente ha tenido que acercarse ellos para hacerse con todos sus apoyos”.

 

samedi, 03 février 2018

Fernando Pessoa

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Fernando Pessoa

Fernando Pessoa was the greatest Portuguese poet of the modern era and arguably one of the most interesting and protean literary figures of the twentieth century. His vast body of work, some of which remains unpublished, includes hundreds of poems as well as essays on philosophy, religion, literature, and politics. His verse combines avant-garde modernism with pagan mysticism and a vision of national rebirth.

Following the death of his father, his family moved to Durban, South Africa, where the young Pessoa spent most of his childhood. Coincidentally Durban was also the hometown of the South African poet Roy Campbell, who hailed Pessoa as a modern Camões.[1] [2] In Durban Pessoa learned to write fluently in English and received a thorough education in English literature. His first major success came at 15, when he won an award for an English-language essay. He returned to Lisbon two years later and enrolled in the University of Lisbon but dropped out two years later and became an autodidact. During this time he spent his days at the National Library of Portugal and read widely. He spent the rest of his life in Lisbon, making a living as a translator of commercial correspondence.

FP-por1.pngOne of his earliest influences was Thomas Carlyle, whose concept of the “hero as poet” as described in Heroes, Hero-Worship, and the Heroic in History made a particular impression on him; from a young age, Pessoa saw his vocation as a poet as an heroic, almost messianic calling.

Although Pessoa was active in Portuguese literary circles, he was mostly unknown outside of Portugal during his lifetime. He achieved posthumous literary fame when it was discovered upon his death that he had left behind a trunk full of several thousand pages of unpublished work. The ordeal of editing and cataloguing his works is still in progress.

Pessoa is best known for his use of numerous literary alter egos, which he termed heteronyms. Behind each heteronym was a meticulously crafted persona possessing a complex biography and a distinct temperament, worldview, and writing style. He used more than 70 heteronyms over the course of his life, beginning with adolescent experiments in creating elaborate fictional newspapers complete with news, poems, jokes, and essays authored under various heteronyms. The three main heteronyms he consistently used were Alberto Caeiro, a man of humble origins and lover of nature; Ricardo Reis, a classics scholar and Stoic; and Álvaro de Campos, a naval engineer, world traveler, and Futurist dandy. His heteronyms frequently engaged in dialogues with each other and criticized each other’s works. Pessoa’s work is rife with seeming contradictions, like the man himself: by turns nostalgic and futuristic, cerebral and impassioned, decadent and ascetic, etc.

Among his heteronyms was one “semi-heteronym,” the quasi-autobiographical Bernardo Soares. Pessoa wrote The Book of Disquiet, his greatest prose work, under Soares’s name. (He ascribed the first part to Vicente Guedes and the second to Soares.) The Book of Disquiet is at once a novel, poem, philosophical essay, character study, and “autobiography without events.”[2] [3] Guedes/Soares is an introspective loner with a melancholy temperament, not unlike Pessoa. An bookkeeping assistant by day, he feels imprisoned by the tedium of modern office life and becomes thoroughly disillusioned with the modern world. He finds refuge in cultivating within himself an attitude of aristocratic detachment and complete disinterest in the outside world and escaping into a dreamlike parallel reality. Much of the text reads like fragmentary recollections of dreams and is suffused with rich lyricism and mystical, surreal imagery.

The second phase of the book opens with a statement on religion in the modern world: “I was born at a time when most young people had lost their belief in God for much the same reason that their elders had kept theirs—without knowing why.”[3] [4] Soares then identifies “the worship of Humanity, with its rituals of Liberty and Equality” as a modern substitute for religion and scorns the hollow ideals of liberalism and egalitarianism.[4] [5] Pessoa in his own writings was likewise a fierce critic of the modern cult of “humanity” on the grounds that internationalism had the effect of erasing natural human differences and believed it did little to fill the spiritual vacuum of modernity. In his view this void could only be filled through the creation of art: instead of seeking to express reality, art must itself become reality.

Soares heaps especial scorn upon liberal reformers and their crudely optimistic faith in humanity. Indeed his political apathy and his detachment from the modern world lead him to condemn political revolutionaries of all stripes. Being self-aware, he recognizes that this stance is a symptom of modern decadence but ultimately remains perpetually suspended in a liminal realm between action and inaction (again much like Pessoa himself). This state of unease and ambiguity characterizes The Book of Disquiet both thematically and in a literal sense, as the work was never completed and consists of disjointed fragments, aphorisms, etc. The novel provides a fascinating mirror into the psychology of modern man and the quest to find meaning amid a decaying society.

Pessoa is best known for The Book of Disquiet among the general public, but in his homeland he is primarily known for his 1934 epic poem Message, one of the few works he published during his lifetime and the only one published in Portuguese. He did not write in standard Portuguese but instead in the orthography used before the First World War, which lends the poem an antiquated feel in the original. It consists of 44 short poems grouped into three parts, representing three stages of Portugal’s history. Message became a Portuguese national epic and soon after its publication won second prize in a contest organized by the propaganda branch of António Oliveira de Salazar’s corporatist regime.

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The first part, “Brasão” (“Coat of Arms”), has in turn five sections: The Fields, The Castles, The Escutcheons, The Crown, and The Crest, each representing a component of the coat of arms of the Kingdom of Portugal. The coat of arms remains a Portuguese national symbol and is thought to date back to the reign of Afonso I (known as “the Conqueror” and “the Founder”), the first king of Portugal. The shield of the coat of arms can be found on the modern Portuguese flag. The first poem, “The Fields of the Castles,” refers to the bordure of castles in Portugal’s coat of arms that represent Moorish castles conquered by the Kingdom of Portugal during the Reconquista. Pessoa begins by invoking Portugal’s role in the Age of Discovery, describing the European continent as a woman whose face—Portugal—stares westward. The second, “The Fields of the Escutcheons,” refers to the escutcheons in the center of the shield. Each escutcheon bears five white dots, thought to represent the five wounds of Christ, or alternatively the five wounds suffered by Afonso Henriques in the Battle of Ourique (in which he defeated the Moorish Almoravids). Here he defends the notion that glory is borne from misfortune and struggle.

The 17 remaining poems in the first part consist of poems in honor of Portuguese heroes. He begins with Ulysses. According to legend, Lisbon was founded by Ulysses on his journey home from Troy, and Roman authors referred to the city as “Ulyssippo”/”Olissippo.” Pessoa believed that the roots of Portuguese culture lay in ancient Greece and was fascinated with classical antiquity. (Indeed, Lusitanian mythology incorporated the influences of both Celtic and Greco-Roman mythology.) He deems Ulysses one of the founders of the Portuguese nation, despite that he exists only in legend:

Myth is the nothing that is everything.
The very sun that breaks through the skies
Is a bright and speechless myth—
God’s dead body,
Naked and alive.

This hero who cast anchor here,
Because he never was, slowly came to exist.
Without ever being, he sufficed us.
Having never come here,
He came to be our founder.

Thus the legend, little by little,
Seeps into reality
And constantly enriches it.
Life down below, half
Of nothing, perishes.[5] [6]

Next is a poem in honor of Viriathus, a military leader who led the revolts of the Lusitanians (an Indo-European tribe of Celtic origin concentrated in modern-day Portugal) against the Romans during the 2nd century B.C. The remaining titles include Afonso Henriques, who became the first king of Portugal; his parents, the Count and Countess of Portugal; King John I; Prince Henry the Navigator; King Sebastian I; Nuno Álvares Pereira; and others.

King Sebastian I was of particular significance for Pessoa. Toward the end of his life, Sebastian embarked upon a crusade against the Kingdom of Morocco. Ignoring the advice of his top advisors, he marched inland with his entire army. In the Battle of Alcácer Quibir in 1578 (dramatized in Donizetti’s Dom Sébastien), the Portuguese army was routed and it was thought that Sebastian perished, although his body was never found. The absence of an heir to the throne following Sebastian’s death ignited the Portuguese succession crisis of 1580, and Portugal was thrown into turmoil. Philip II of Spain gained control of the Portuguese throne in 1581, uniting Spain and Portugal under the Iberian Union. This marked the beginning of Portugal’s decline. Since Sebastian’s death was never confirmed, many Portuguese hoped that one day he would return to save the nation. A cult grew around this “king in the mountain” myth and Sebastian became Portugal’s equivalent of King Arthur. It was prophesied that one day Sebastian would return and lead Portugal into a new era of imperial glory.

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The second part, “Mar Português” (“Portuguese Sea”), is a paean to Portuguese maritime exploration during the Age of Discovery. Here Pessoa eulogizes explorers such as Vasco da Gama, Bartholomeu Dias, and Ferdinand Magellan and describes their journeys at sea. The following short poem describes Vasco da Gama’s ascension following his death, invoking the Titans and the gods of Olympus and comparing da Gama to Jason, leader of the Argonauts:

The Gods of the storm and the giants of Earth
Halt the rage of their war and gape.
In the valley leading up to the skies
A silence falls; then there’s a stirring
And a specter rising in veils of mist.
Fears flank it while it lingers; its vestige
Rumbles in distant clouds and flashes.

On the earth below, the shepherd freezes
And his flute falls as in rapture he sees,
By the light of a thousand thunderbolts,
The sky’s vault open to the Argonaut’s soul.[6] [7]

The title of the third part, “O Encoberto” (“The Hidden One”), refers to a revelation attributed to St. Isidore of Seville, who envisioned that a Messiah would arrive known as “O Encoberto.” This prophecy was popularized during the sixteenth century by a cobbler by the name of Gonçalo Anes (“O Bandarra”); King Sebastian was thought to be “O Encoberto.” In the first two sections, Pessoa invokes the voice of Sebastian and prophesies that he will return, in spirit if not in body, and bring about the Fifth Empire. (He identifies the first four “empires” as Greece, Rome, Christendom, and Europe.) Followers of Sebastianism looked to Daniel 2 in the Bible, in which Daniel interprets the four metals of the statue in Nebuchadnezzar’s dream to signify four great kingdoms that will be followed by a fifth, as a prophecy of the Fifth Empire. In the third section, Pessoa describes the current state of Portugal and states that the hour has come for the prophecy to be fulfilled.

Imperialism deserves criticism from an ethnonationalist point of view. It negates the idea of self-sovereignty and represents the tyranny of commerce and financial greed. Portugal specifically also played a leading role in the Atlantic Slave Trade, which ultimately had disastrous consequences. Nonetheless it is necessary to distinguish the heroism and courage of European explorers during the Age of Discovery from the mercantile greed that was the driving force of colonialist expansion. “Who wants to pass beyond Bojador,” Pessoa writes in “Mar Português” (the Portuguese explorer Gil Eanes was the first to discover a route around Cape Bojador, known for its cold winds and violent storms), “must also pass beyond pain.” Carl Schmitt was highly critical of “thalassocratic” colonial empires but nonetheless admired “the intrepid performance of seamen in their sailing ships, the high art of navigation, the solid training and strict selection of a particular human type fit for it,” which he contrasted with “modern, hazard­-free, and technicized maritime traffic.”[7] [8]

Furthermore Pessoa’s vision of the Fifth Empire does not represent a revanchist imperative to conquer the world and reinstate colonialism and imperialism. Rather he envisioned that Portugal would stand at the forefront of a global literary and artistic renaissance and would regain national dignity through cultural renewal. The Sebastianism of Message represented a symbolic national myth that he believed would unite the Portuguese people.

Message has often been compared to Camões’s Os Lusíadas, an epic poem chronicling Vasco da Gama’s discovery of a sea route to India. Both invoke heroic and nationalistic themes. Both are also reminiscent of ancient epics, particularly Os Lusíadas. The opening lines of Os Lusíadas recalls Virgil’s Aeneid and are followed by an episode in which the Olympian gods and goddesses gather to deliberate over Vasco da Gama’s voyage and split into two parties, one favoring the Portuguese and the other in opposition to them. The gods accompany da Gama throughout his journey and Greco-Roman mythology in general figures prominently throughout the poem.

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Pessoa’s greatest inspiration was ancient Greece. He was an avid Hellenist and dreamed of a renaissance of the ancient gods. This point of view is shared among his heteronyms. He articulated his views on religion most thoroughly through Antonio Mora, a disciple of Caeiros, who wrote some treatises on the subject and argued that paganism was the religion most in harmony with nature. His most interesting argument here involves a discussion of how a Christian, pantheist, materialist, and pagan would perceive any given object. Regarding Christians, he remarks: “Whoever values something because it was created by ‘God’ values it not for what it is but for what it recalls. His eyes behold the object, but his thoughts lie elsewhere.”[8] [9] For the materialist, each object is simply “a screen through which he atomistically peers, just as for the pantheist it is a screen or window for perceiving the Whole, and for the creationist a screen through which to see God.”[9] [10] Only the pagan is capable of perceiving reality to the full. Pessoa under his own name laid out a similar view in his writings on what he termed “sensationism.”

Mora also cites the polytheism and plurality inherent in paganism and argues that this lends it greater objectivity: “Reality, when it first appears to us, is multiple. By referring all received sensations to our individual consciousness, we impose a false unity (false to our experience) on the original multiplicity of things.”[10] [11] Pessoa believed that metaphysical subjectivism lay at the root of modern decadence. His use of heteronyms thus represented an extension of his religious views and an attempt to reflect nature in all its plurality.

Mora’s remark on being a pagan in the modern world will resonate with dissidents:

What relationship can an age like this one have with a spiritual heir to the race of constructors, with a soul inspired by paganism’s glorious truths? None, except one of instinctive rejection and automatic scorn. We, the only dissenters from decadence, are thus forced to assume an attitude that, by its nature is likewise decadent. An attitude of indifference is a decadent attitude, and our inability to adapt to the current milieu forces us to just such an attitude. We don’t adapt, because healthy people cannot adapt to a sick milieu, and since we don’t adapt, it is we who are sick. This is the paradox in which those of us who are pagans live.[11] [12]

In 1924 Pessoa founded a short-lived literary journal called Athena in which he published essays, poems, and translations under his three main heteronyms as well as his own name. These included translations from the Greek Anthology, Ricardo Reis’s Horace-inspired classical odes, and selections from Alberto Caeiro’s The Keeper of Sheep. The journal both eulogized pagan antiquity and stood at the vanguard of literary modernism; it represented “a denial of the old querelle des Anciens et des Modernes, and an impressive attempt to find an ancient form of dramatic art in modern times.”[12] [13]

Athena was an attempt to revive the movement surrounding the similarly short-lived journal Orpheu, which dissolved after the publication of two issues in 1915. It was responsible for introducing modernism to Portugal and was named for Orpheus to symbolize its forward-looking orientation. Orpheu represented a wide variety of literary currents ranging from Symbolism to Futurism. The most notable poems in Orpheu were the poems of Pessoa’s Álvaro de Campos. In “Opiario,” written while sailing through the Suez Canal on an eastward voyage, he describes with despair his opium addiction and the tedium of life aboard his ship. Directly following was “Ode Triunfal,” which takes place later in his evolution (although in reality Pessoa wrote it earlier), a Futurist ode to modern technology that extols the “great human tropics of iron and fire and strength.” There was also “Ode Maritima,” in which a man on a deserted quay gazes at a faraway steamer; “a steering wheel begins to turn, slowly” in his imagination, launching a stream-of-consciousness ode to “shipwrecks, far-off voyages, dangerous crossings,” pirate adventures, and so forth.

FP-6.jpgPessoa was also fascinated with the occult and wrote extensively on the subject, largely under his own name. In 1915, he began translating theosophist texts and later claimed to have become a medium with the ability to produce automatic writing. He also claimed to have “sudden flashes of ‘etheric vision'” that enabled him to perceive certain symbols and “auras.”[13] [14] He later came to distance himself from Theosophy, however, objecting to what he saw as its egalitarian premise and the theosophical ideal of a universal brotherhood of humanity, which in his view rendered it scarcely different from Christianity and liberal humanism (which he referred to as Christianity’s secular equivalent).

Pessoa also maintained a correspondence with Aleister Crowley. An avid astrologer, he first made contact with Crowley in 1930 by pointing out an astrological error in his Confessions. Crowley visited Portugal later that year and Pessoa aided him in faking his death. He also translated Crowley’s “Hymn to Pan” into Portuguese.[14] [15]

The glorification of Sebastianism as national myth in Message had an occult component. Pessoa’s vision of the Fifth Empire was a spiritual one and the arc of Message represents a religious quest, both on an individual and national level. The final part of Message alludes to Arthurian legend throughout (the Holy Grail, Excalibur, Sir Galahad). In “O Desejado” (“The Yearned-for One”), the narrator exhorts Sebastian to lift up Excalibur, his “anointed sword.” In “O Encoberto” (the poem that gives the final part its name), Pessoa also links Sebastianism with Rosicrucianism.

Pessoa is frequently compared to W. B. Yeats: in addition to their shared interest in the occult (Yeats was a member of the Hermetic Order of the Golden Dawn) and their use of alternate personae (Yeats’s “masks” and Pessoa’s heteronyms), both were “mystical nationalists” who wrote poetry of a pagan, heroic character through which they sought to bring about a renaissance in their respective nations. Pessoa admired Yeats’s poetry and was influenced by the Irish Literary Revival. The following lists some parallels between the two regarding their shared “underlying mythopoeic goal” and is worth quoting:

Pessoa’s concept of the ‘Portuguese soul’ is analogous to what Yeats calls ‘the permanent character of the race’ in ‘First Principles.’ Not only that, but he also attributes the same characteristics to it as those which Yeats attributed to the Celts in ‘The Celtic Element in Literature,’ namely an adventurous, tragic and mystical nature. The similarities extend to Pessoa’s characterization of the ‘Portuguese soul’ as originating from ancient dreams, which recalls Yeats’s depiction of his ideal of ‘Unity of Culture’ as ‘a nationwide multiform reverie.’ Yeats believed that by drawing on his country’s legends and folklore, a poet could reveal the Anima Mundi, or rather ‘a Great Memory passing on from generation to generation.’ Pessoa also believed that poets should derive their inspiration from ‘o que nas almas há de superindividual’ [that which is supra-individual in souls].[15] [16]

Also like Yeats, Pessoa was a man of the Right who opposed modern liberalism and egalitarianism. He described the ideal state as an “aristocratic republic” governed by an elite based on merit (rather than birth).[16] [17] Although he had reservations about fascism in his later years, he criticized it nonetheless from a right-wing perspective.

As a young man, Pessoa was a staunch opponent of monarchy and the Catholic Church, which he considered to be corrupt, moribund institutions and to which he attributed Portugal’s decline. (Other factors he associated with Portugal’s decline were “foreign influence, the oligarchy of political bosses, and the decline ofWestern civilization itself.”)[17] [18] He initially supported the First Portuguese Republic and was associated with the Portuguese Renaissance, a movement of intellectuals who sought to lend the republic cultural legitimacy, but turned against the new government when it became clear that it had not improved upon the flaws of the recently deposed monarchy. He supported the military coup d’état on May 28, 1926, which he believed would reinvigorate the nation following the failure of the republic. In a pamphlet written in 1928, he argued that military dictatorship was a useful temporary measure through which national consciousness could be strengthened.[18] [19] He also supported Salazar’s Estado Novo for this reason. However, he later began to grow disillusioned with Salazar and criticized the regime’s ban on Freemasonry and what he perceived as Salazar’s lack of interest in cultural affairs.

FP-7.jpgThe theme of decay and the need for national regeneration runs throughout his political writings, particularly his unfinished “History of a Dictatorship,” a survey of modern Portuguese history in which he attempts to outline the causes for Portugal’s decline.[19] [20] Pessoa viewed the state as akin to an organism that, on account of its inherent plurality, possesses a natural tendency toward disintegration. Like the ancients, he held that unity ought to be the principle aim of politics and that achieving national unity would enable the state to resist decline. He writes in “The Portuguese Regicide and the Political Situation in Portugal”:

Let us apply to the organism called the state the general law of life. Which are the elements (composing the cells) of this organism? Obviously the people, that is, the individuals composing the nation. Which is then, in the state, the force that integrates, which is the force that disintegrates? There is an exact analogy—how could there not be, since both are living “bodies”?—with the individual organism. Thus, in the state, obviously, the disintegrating force is that which makes the people many—their number—and the integrating force is that which makes them one, a people—the unification of sentiments, of character brought about by identity of race, of climate, of history, etc.[20] [21]

Pessoa also commented on certain political events outside of Portugal, particularly in his English-language poetry. At 16, he wrote a sonnet on the Second Boer War entitled “Joseph Chamberlain,” a scathing indictment of Chamberlain’s role in causing the war and the brutal treatment of the Boers in South Africa. He also drafted a sonnet in which he excoriated Lord Horatio Herbert Kitchener, the man responsible for the establishment of concentration camps during the war. He commended the Irish volunteers who had sided with the Boers and also lent support to Irish nationalism.[21] [22]

In his short story The Anarchist Banker, Pessoa takes aim at modern capitalism and classical liberalism. It takes the form of a conversation between a cigar-smoking senior banker and a younger interlocutor. The banker is a left-wing anarchist who sets out to argue that his being a banker does not contradict the ideals of liberty and equality that he espouses. Indeed he argues that financial acquisitiveness is the logical culmination of his ideals, and by extension of modern liberalism. In order to obtain true freedom and equality (the two main pillars of modernity), he argues that man must be freed from all existing social structures. But he is averse to any collective attempts to foment revolution due to the fact that social hierarchies will inevitably arise in any group (the banker is realistic about natural disparities in talent and willpower among humans, in spite of his hope that human inequality will eventually be eliminated). Thus he advocates the pursuit of pure self-interest, arguing that “we should all work for the same end, but separately.”[22] [23] Due to the fact that money/commerce is the prevailing “social fiction” in the modern age, the end goal of social liberation is, to his mind, best achieved by simply making as much money as possible; the erosion of this “social fiction” would then pave the way for complete societal upheaval. It is a compelling argument that sheds light on some of the contradictions behind the underlying axioms of modernity.

The best collections of Pessoa’s work in English translation are The Selected Prose of Fernando Pessoa (2001), Fernando Pessoa & Co: Selected Poems (1999), and A Little Larger Than the Entire Universe: Selected Poems (2006).

Notes

[1] [24] George Monteiro, “Fernando Pessoa: an Unfinished Manuscript by Roy Campbell,” Portuguese Studies, vol. 10 (1994): 126. Pessoa and Campbell attended the same high school, although not at the same time. Campbell translated some of Pessoa’s poems and had intended to write a book on him.
[2] [25] Fernando Pessoa, The Book of Disquiet, trans., Margaret Jull Costa (New York: New Directions Books, 2017), 191.
[3] [26] Ibid., 146. Pessoa wrote “opening passage” in the margins of this fragment and Richard Zenith’s translation places it at the beginning of the book.
[4] [27] Ibid., 147.
[5] [28] Zenith’s translation.
[6] [29] Zenith’s translation.
[7] [30] Carl Schmitt, Land and Sea, trans. Simona Draghici (Washington, D.C.: Plutarch Press, 1997), 54.
[8] [31] The Selected Prose of Fernando Pessoa, trans. Richard Zenith (New York: Grove Atlantic, 2001).
[9] [32] Ibid.
[10] [33] Ibid.
[11] [34] Ibid.
[12] [35] Steffen Dix, Portuguese Modernisms: Multiple Perspectives in Literature and the Visual Arts (New York: Routledge, 2011).
[13] [36] The Selected Prose of Fernando Pessoa.
[14] [37] For more information on their correspondence see Marco Pasi and Patricio Ferrari, “Fernando Pessoa and Aleister Crowley: New discoveries and a new analysis of the documents in the Gerald Yorke Collection,” Pessoa Plural, vol. 1 (Spring 2012).
[15] [38] Patricia Silva-McNeill, Yeats and Pessoa: Parallel Poetic Styles (New York: Routledge, 2010), 94.
[16] [39] José Barreto, “‘History of a Dictatorship’: An Unfinished Political Essay by the Young Fernando Pessoa,” trans., Mario Pereira. In Patricio Ferrari & Jerónimo Pizarro, eds., Fernando Pessoa as English Reader and Writer (Dartmouth, MA: Tagus Press, 2015): 132.
[17] [40] Barreto, 139.
[18] [41] The Selected Prose of Fernando Pessoa.
[19] [42] Barreto, 110.
[20] [43] Fernando Pessoa, The Transformation Book, eds., Nuno Ribeiro and Claudia Souza (New York: Contra Mundum Press, 2014), 12-13.
[21] [44] See Carlos Pittella, “Chamberlain, Kitchener, Kropotkine—and the political Pessoa,” Pessoa Plural, vol. 10 (Fall 2016).
[22] [45] The Selected Prose of Fernando Pessoa.

 

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jeudi, 01 février 2018

La barbarie vivifiante de Julien Gracq

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La barbarie vivifiante de Julien Gracq

par Fares Gillon

Ex: https://www.philitt.fr

[Cet article est initialement paru dans la revue PHILITT #5 consacrée à la barbarie]

syrtes.gifDans Le Rivage des Syrtes, Julien Gracq prend le contre-pied d’une conception exclusivement négative de la barbarie en la présentant comme un renouveau nécessaire à la revivification d’un vieil État somnolent.

Le Rivage des Syrtes met en scène une vieille cité fictive, Orsenna, qui jouit tranquillement de sa paix, dans la sérénité des cimetières. Autrefois, une guerre l’avait opposée à un monde de l’autre côté de la mer, le Farghestan, civilisation en forme de « mosaïque barbare où le raffinement extrême de l’Orient côtoie la sauvagerie des nomades ». Après quelques escarmouches, « les hostilités languirent et s’éteignirent d’elles-mêmes tout à fait ». Selon un accord tacite, toutes les relations furent coupées, la mer devint une frontière infranchissable, et chacun vécut de son côté comme si l’autre n’existait plus. Durant trois siècles, Orsenna s’est enfoncée dans sommeil sans heurts. Le jeune héros, Aldo, s’ennuie d’une vie de plaisirs mondains et se fait envoyer comme fonctionnaire à l’Amirauté, port censément militaire sur le rivage de la région des Syrtes, qui fait face à l’ennemi tricentenaire, invisible et inconnu. L’inactivité militaire a progressivement fait de l’Amirauté une « bizarre entreprise rentable, qui s’enorgueillissait devant les bureaux de la capitale de ses bénéfices plus que de ses faits d’armes », plus occupée de fermage que de conquêtes ou de défense. « On pouvait enregistrer le progrès de son engourdissement inquiétant, dans le reflux de la vie aventureuse et dans le sourd appel montant de la terre rassurante et limitée. »

La rumeur barbare

Aldo s’étonne de trouver l’Amirauté dans un « état de stagnation », d’« irrémédiable décadence » : « L’aspect habituel du port était celui du profond sommeil », dit-il déçu. Pourtant, il demeure sceptique face à la montée de rumeurs et de « bruits » persistants qui laissent deviner que quelque chose se prépare du côté du Farghestan. Il refuse de les créditer du moindre fond de vérité – alors même qu’il aspire confusément à la nouveauté qui s’annonce, alors même qu’il a précisément quitté Orsenna dans l’espoir de rompre la monotonie de l’existence d’un fils de bonne famille. Lorsque l’administration d’Orsenna l’engage à prendre ces « bruits » plus au sérieux, il est surpris que son scepticisme qu’il croyait de commande ne soit pas partagé en haut lieu ; il franchira pourtant le pas qui précipitera le bouleversement.

JGRherne.jpgOrsenna est l’image même de l’État stable, depuis si longtemps habitué qu’il en a perdu toute vigueur. « Le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour faire tout bouger », ainsi que le fait dire Gracq à Marino, le commandant de l’Amirauté, très attaché au maintien de cet équilibre, satisfait de l’existence sans surprise qu’il entraîne et inquiet du moindre changement. Mais à la tête d’Orsenna, un nouveau maître a l’ambition de secouer les choses : « Il y a trop longtemps qu’Orsenna n’a été remise dans les hasards. Il y a trop longtemps qu’Orsenna n’a été remise dans le jeu. » Devant un Aldo effaré, Danielo, l’homme fort de la Seigneurie d’Orsenna, expose sa volonté de sauver Orsenna contre elle-même, contre son « assoupissement sans âge », quitte à l’engager sur un chemin de mort et de destruction. « Quand un État a connu de trop de siècles, dit Danielo, la peau épaissie devient un mur, une grande muraille : alors les temps sont venus, alors il est temps que les trompettes sonnent, que les murs s’écroulent, que les siècles se consomment et que les cavaliers entrent par la brèche, les beaux cavaliers qui sentent l’herbe sauvage et la nuit fraîche, avec leurs yeux d’ailleurs et leurs manteaux soulevés par le vent. 

La sécurité contre la vie

La sécurité dans laquelle végète Orsenna, son assurance que rien ne changera, que les choses resteront toujours ce qu’elles sont, sont les signes de son déclin et de sa momification. Dans une société comme la nôtre où la sécurité est un argument électoral, il peut sembler surprenant que cette dernière soit comprise ici comme le signe de la mort ; c’est que nous confondons la conservation d’une vie individuelle, la bourgeoise « sécurité des biens et des personnes », avec la vie au sens fort. Mais « le monde n’est justifié qu’aux dépens éternels de sa sûreté » : quand on se mure contre les « hasards » et le « jeu », contre l’aiguillon de la vie, on conserve certes son corps et sa tranquillité d’esprit, mais c’est au même titre que les onguents conservent les cadavres. Or les cadavres n’ont aucun droit sur la vie, par définition. « Il y a plus urgent que la conservation d’une vie, si tant est qu’Orsenna vive encore. Il y a son salut. » Comme dans la parabole évangélique des talents, celui qui ne remet pas en jeu ce qu’il a reçu, celui qui ne risque rien, ne mérite rien. On ne peut faire fructifier quelque chose que l’on ne risque pas de perdre.

Au cœur du roman, le récit du lent éveil d’Orsenna face aux événements prend une dimension spirituelle lorsque Aldo assiste au sublime sermon d’une messe de Noël. C’est que Noël est la fête du « Roi qui apportait non la paix, mais l’épée », d’une lumière germant au cœur des ténèbres hivernales, de la naissance par excellence qui est le modèle de tout avènement : « Je vous apporte la nouvelle d’une ténébreuse naissance », clame le prêtre. Si le texte ne le dit pas explicitement, l’évocation de la Nativité vise bien les « invasions barbares » qui, du Farghestan, déferleront bientôt sur Orsenna, en ceci qu’elles ouvrent un nouveau cycle, une ère d’incertitude féconde : « En cette nuit d’attente et de tremblement, dit le prêtre, en cette nuit du monde la plus béante et la plus incertaine, je vous dénonce le Sommeil et je vous dénonce la Sécurité. »

La commémoration de la naissance du Christ est l’occasion de fustiger « la race de la porte close », « ceux qui tiennent que la terre a désormais son plein et sa suffisance », « les sentinelles de l’éternel Repos » prêtes à tout pour préserver le statu quo et sauvegarder ce qu’elles n’ont pas même acquis de leurs mains, mais dont elles n’ont fait qu’hériter. Or, comme l’écrit Ernst Jünger, ami de Gracq, dans Les Falaises de marbre, « l’héritage est la richesse des morts ». Et les morts s’opposent aux vivants, a fortiori aux naissances et à leur cortège de désagréments : « Il est des hommes pour qui c’est chose toujours mal venue que la naissance ; chose ruineuse et dérangeante, sang et cris, douleur et appauvrissement, un terrible remue-ménage – l’heure qu’on n’a point fixée, les projets qu’elle traverse, la fin du repos, les nuits blanches, toute une tornade de hasards autour d’une boîte minuscule. »

Et si la naissance doit apporter aussi la mort, si les têtes doivent fleurir au bout des piques, si l’ordre et la marche du monde doivent en être troublés, ainsi soit-il ! Car vient un moment où « tout vaut mieux que d’être ligoté vivant à un cadavre, tout soudain est préférable à se coller à cette chose condamnée qui sent la mort ». Outre que la naissance est « le Sens ». Quel sens ? Celui même de la vie.

[Vous pouvez vous procurer PHILITT #5 en cliquant sur ce lien.]

mercredi, 31 janvier 2018

Rencontre avec Julien Hervier: ERNST JÜNGER - L'OISEAU TEMPÊTE

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ERNST JÜNGER - L'OISEAU TEMPÊTE

Rencontre avec Julien Hervier

 
Approche d'Ernst Jünger
Rencontre avec Julien Hervier.
Emission Mauvais genres, France Culture
 

W.B. Yeats: Irish Revolutionary Conservative

“I do not appeal to the professional classes, who, in Ireland, at leastappear at no time to have thought of the affairs of their country till they first feared for their emoluments – nor do I appeal to the shoddy society of ‘West Britonism‘ – but to those young men clustered here and there throughout our landwhom the emotion of patriotism has lifted into that world of selfless passion in which heroic deeds are possible and heroic poetry credible.” – Ireland and the Arts. W.B. Yeats.

The political and cultural figures present in the early foundation of the Irish State present Irish liberals with some quandaries. Beneath the narrative of Irish independence being an inherently progressive movement betrayed by a post-Treaty “carnival of reaction”, lies an irreconcilable fact that the many of the figures driving separation from Britain belonged to a stridently conservative brand of thinking. Any budding conservative movement in Ireland should embrace these figures and cultivate a counter-narrative in response to the simplistic mistruths presented in works such as Ken Loach’s “Wind that Shakes the Barley”. Here, the Irish struggle is distilled down to a failed left wing revolt and those of a conservative inclination are portrayed as flagrantly unpatriotic and sometimes even at odds with Irish language revivalism.

The character of W.B. Yeats ranks perhaps first and foremost amongst those figures. Despite his Anglo-Irish background, he threw himself wholeheartedly behind not merely the political separation of his country from Britain, but the equally important task of forming a distinct Irish consciousness. First a political Tory committed to the cause of Irish freedom, he later became a reform-minded senator campaigning against the myopia of the Church-dominated Free State whilst simultaneously advocating for a more conservative state. Yeats, from the onset, strikes the modern reader as an enigma with his distinct brand of politics.

Yeats formed a central plank in what is now termed the Gaelic Revival, a cultural movement that emerged to fill the vacuum in Irish life after the fall of Parnell in 1891 with a yearning to revive the traditions and customs of Ireland in an increasingly anglicised world. In the minds of Yeats and fellow revivalists, Ireland was besieged under the weight of Anglo-American modernity. He recognised a state of affairs that could only be reversed by committed cultural nationalism in the fields of arts and education. Whilst officially apolitical, the Gaelic Revival would act as an incubator for most of the future revolutionaries who would eventually sever formal British rule in Ireland and nurture the early Free State.

ladygregory.jpgDespite cultural nativism being at its centre, Yeats’s Protestant background was shared by most of the leading figures of the movement. Among these were the Galway based aristocrat and folklorist Lady Gregory, whose Coole Park home formed the nerve centre of the movement, and the Rathfarnham born poet and playwright J.M. Synge, who later found solace in Irish peasant culture on the western seaboard as being a vestige of authentic Irish life amid a society of anglicisation. The poet’s identification with both the people and the very landscape of Ireland over the materialist England arose from his early childhood and formative experiences in Sligo, a period that would define him both as an artist as well as a man.

Yeats’s formal conversion to the cause of Irish separation came primarily through his relationship with the veteran Fenian John O’Leary, a minor member of the Young Irelanders. These were a group of mainly Trinity College based nationalists who split off from O’Connell’s Repeal movement. O’Leary had spent large tracts of his life in exile following the botched 1848 rebellion. Whilst abroad, he cultivated a distinctly cultured brand of Irish nationalism drawing not only on the recent traditions of the Young Irelanders but which also encompassed a wide range of influences stretching all the way back to classical antiquity. This form of nationalistic expression appealed very much to the twenty year old Yeats with its patriotic elements and emphasis on the individual in the shaping of history. Soon after his acquaintance with O’Leary, Yeats became a member of the fraternal organisation the Irish Republican Brotherhood, a secret oath bound group organised along semi-masonic lines counting the likes of Michael Collins and the leadership of the Easter Rising among their number and which played an often overlooked role in the securing of Irish freedom.

Whist being traditionally associated as a man of the right, Yeats did in fact rub shoulders with a group of left wing radicals in the form of the Socialist League, a bohemian group sympathetic to Irish nationalism and lead by the artist William Morris. The League attracted many Victorian artists to it’s ranks, including Oscar Wilde and Bernard Shaw. Though Yeats was sympathetic for a time to a form of socialism that would best promote the welfare of artists, he parted ways due to his disagreement with the “atheistic premises of Marxism” that the League embraced. Regardless of that, the League nurtured in Yeats a brand of politics that harboured respect for the individual within society, as well as furthering his disdain for the system of values of a decadent and increasingly mechanised England and the ascendant Catholic bourgeois in Ireland.

KOH.jpgDespite some apprehension about the nature of the Easter Rising, as well as a latent sense of guilt that his work had inspired a good deal of the violence, Yeats took a dignified place within the Irish Seanad. He immediately began to orientate the Free State towards his ideals with efforts made to craft a unique form of symbolism for the new State in the form of currency, the short lived Tailteann Games and provisions made to the arts. Despite his objection to anti-divorce legislation passed by the Free State and his defence of Republican prisoners, the writer Grattan Freyer details how the poet’s primary gripe with the new state was a failure to be sufficiently conservative, to cast off any trappings of liberalism inherited from England, and embrace some sort of aristocratic order (with Yeats no doubt playing a major role). In cabinet, he found minister Kevin O’Higgins (photo) as a potential ally and was so aghast at the young minister’s death at the hands of Republican gunmen that he penned his poem “Blood And The Moon” a defence not only of the ailing world of the Anglo-Irish aristocracy to which he belonged, but also to the poet’s brand of conservative politics.

Yeats very famously had a bumbling relationship with the Blueshirts Ireland’s proto-fascist movement, which was born out of Treatyite politics and disgruntled farmers’ anger at De Valera’s trade war with the UK. There appears even to have been a ham-fisted attempt by Yeats to fashion the Blueshirts in his image with what one would imagine to be humorous attempts made to lecture Blueshirt leader Eoin O’Duffy on finer points about Hegel by the Nobel laureate, who did still script several marching tunes for the movement. Yeats’ anti-communism fitted naturally with an already conservative outlook of life and with his Burkean understanding that any utopian vision regarding the perfection of man and the trampling down of supposedly oppressive hierarchies, rested not merely on flimsy axioms but on an inevitable mound of corpses. Regardless to the extent of his involvement with Irish fascism this was to be Yeats’ final venture into the world of politics, with the poet largely withdrawing into artistic solitude in his final years. He had left a considerable mark on the Irish state and Irish people as a whole, even if today, their primary understanding doesn’t go beyond the handful of traditionally learnt poems of the Leaving Cert.

In an era when the Irish appear to be jettisoning any form of national distinctness retained after 700 years of colonisation in favour of the bum deal of cosmopolitanism, and with conservatives driftless in the shadow of a fallen Church, the potential use of Yeats as a cultural icon is attractive. Within this dynamic figure we see a man motivated by a sheer love of one’s own country as well as a desire to see a newly independent Ireland fashioning an identity from the richness of her traditions. There is not an iota of doubt that the poet would find himself at home in the embryonic conservative movement embodied in a journal such as this, and in similar movements across the western world which are at odds with the current order of affairs.

We Irish, born into that ancient sect
But thrown upon this filthy modern tide
And by its formless spawning fury wrecked,
Climb to our proper dark, that we may trace
The lineaments of a plummet-measured face.”  -The Statues by W.B. Yeats

mardi, 30 janvier 2018

Madeleine Charnaux, aviatrice, artiste et romancière

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Madeleine Charnaux, aviatrice, artiste et romancière

par Daniel COLOGNE

Je connais peu de choses sur Jean Fontenoy. Je les ai découvertes il y a quarante ans dans l’excellent livre de Pierre-Marie Dioudonnat, Je suis partout. Les maurrassiens devant la tentation fasciste. Il était dépeint comme un intrépide combattant apte à mener un assaut sur skis. Sa légende lui prêtait une liaison dangereuse avec l’épouse de Tchang Kaï-Chek. D’aucuns pensent aujourd’hui qu’il n’existe qu’une seule biographie « non romancée » (Philippe Vilgier, Jean Fontenoy. Aventurier, journaliste et écrivain, Via Romana, 2012) de cet étonnant personnage qui, à son retour de Chine, fait connaissance de Madeleine Charnaux.

MCH-passion.jpgCelle-ci naît à Vichy en 1902 et y meurt en 1943, ce qui pourrait faire penser à une existence tranquille. C’est tout au contraire un parcours semé d’aventures qui caractérise cette femme dont la première passion est le sculpture. Elle est l’élève et le modèle d’Antoine Bourdelle. Elle obtient une première consécration artistique en 1931 à la faveur d’une exposition de ses œuvres au musée du Luxembourg.

Ensuite résonne en Madeleine Charnaux l’appel des grands espaces aériens. Première aviatrice à atterrir à Marrakech en 1932, elle participe à de nombreuses démonstrations et travaille à l’école d’acrobatie Morane-Saulnier. Elle réalise un raid inédit Paris – Tripoli et, d’un nouveau périple en Afrique du Nord, elle ramène des dessins et des sculptures dont l’exposition est bien accueillie par le public et la critique, mais dont le succès commercial est mitigé en 1934.

Également journaliste, Madeleine Charnaux propose au Petit Parisien un reportage sur Italo Balbo, promoteur de l’aviation italienne. Après avoir battu plusieurs records (notamment de vitesse en 1937), elle épouse en 1938 l’auteur de Shanghai Secret évoqué plus haut. Bien qu’affaiblie par un cancer, elle écrit ses souvenirs d’aviatrice (La Passion du ciel, 1942) et un roman policier qui sortira chez France-Empire après sa mort en 1944.

Récemment réédité, ce polar se passe tout naturellement dans le milieu de l’aviation et le préfacier Philippe Vilgier écrit : « Après avoir refermé le livre, comment ne pas songer que Maria Sturm est une cousine de Madeleine Charnaux qui aurait mal tourné ? » En effet, l’héroïne trouve la mort après avoir été impliquée dans un trafic de stupéfiants, au grand déplaisir du commissaire Félix, pour qui Marina était une « idole ailée ». Il aurait peut-être préféré que l’aviatrice ait été assassinée par son amant le colonel Terne qui, en raison de leur virulente altercation la veille du drame, fait longtemps figure de suspect numéro un.

MCHqui.jpgVoici Terne sortant de prison, disculpé et attendu dans un taxi par son épouse qui lui pardonne son aventure extra-conjugale. « Terne avait appris ce matin de bonne heure qu’il était libre et pouvait rentrer chez lui. La levée d’écrou avait eu lieu. Grisonnant, le teint sali par l’insomnie, le colonel paraissait très vieux, marchant lentement, tête basse, le long du corridor froid et sombre. Le gardien lui avait rendu ses effet. C’est-à-dire son col, sa cravate et ses lacets de soulier. Il tenait à la main le sac de toilette en cuir dont les coins s’étaient usés dans les carlingues d’avions. Terne passa la grande voûte d’entrée et se trouva dans la rue la plus lugubre de Paris.

Il leva les yeux sur le café triste À la Bonne Santé qui fait face aux hautes murailles noires de la prison et s’approcha d’un taxi qui semblait l’attendre. Un visage fané, aux beaux yeux brillants de larmes, se tourna vers lui, encadré par la portière. Madame Terne lui enleva le petit sac des mains, le posa à côté d’elle et sans rien dire, tendrement, pitoyablement, serra dans ses bras son compagnon malheureux.

– Rentrons vite, les enfants nous attendent. Ils vont être si contents ! »

Douée pour le dessin, les arts plastiques, l’écriture narrative et journalistique, Madeleine Charnaux n’a pas eu le temps de développer les diverses facettes de sa personnalité. Emportée par la maladie à l’âge de quarante ans, elle laisse surtout le souvenir d’une grande figure de l’aviation française. « C’était une jeune femme d’un grand charme. Blonde aux yeux pervenche, amoureuse de Rimbaud, de Rilke et de Bach, elle était douée d’une volonté indomptable (Saint-Paulien). »

Forçant l’admiration de Mermoz et bénéficiant de l’estime de Jean Cocteau, elle a côtoyé dans la revue Lecture 1940 Paul Morand et Henri de Montherlant. Il faut remercier Francis Bergeron et Pierre Gillieth d’avoir accueilli Madeleine Charnaux dans leur collection.

Daniel Cologne

• Madeleine Charnaux, Qui a tué Marina Sturm ?, Éditions Auda Isarn, coll. « Le Lys noir », 2017, 184 p., 12 €.

dimanche, 28 janvier 2018

The Worker State: Ernst Junger, National Bolshevism, And The New Worker

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The Worker State: Ernst Junger, National Bolshevism, And The New Worker

The “National Bolsheviks” of the Weimar period rallied around this cry. Sparta represented a type of porto-Prussian socialism, with the entire social body based around the all-male military and its campaigns. Potsdam represented true Prussian socialism, while Moscow represented what many thinkers in the 1920s and 1930s considered to be the world’s inevitable future.

This is a very concise rendering of a complex topic, around which there is confusion.

arbeiterEJ.jpgMuch of this confusion stems from the fact that National Bolshevism did not have a guiding text or any kind of magnum opus for the proliferation of a workers’ state ruled by nationalist sentiment. The closest to such a founding document is Ernst Junger’s The Worker (1932), a long essay that mixes Marx with Nietzsche and Heidegger. Notably, The Worker was denounced by the Nazi Party for undermining its emphasis on biological race as the unifying glue of the new German state. But for Junger, work and workers not only created a new race through their very specific Typus (a German word closely meaning “typical,” as in typical representative), but future civilization would have to be a work-democracy in order to sustain itself in the face of technology unmoored from its original ideal as an engine of human progress.

To understand The Worker and the origins of National Bolshevism, one must recognize the truly revolutionary character of the First World War. Between 1914 and 1918, Junger (who experienced the war firsthand as a lieutenant in the 73rd Infantry Regiment) argues that the old bourgeoisie order of the nineteenth century was blown to bits by advanced artillery, poison gas, and machine guns. Along with this death, two nineteenth century ideals, namely nationalism and socialism, were also obliterated. In their wake came a new type of man—a violent individual who had mixed with all classes in the trenches. This “unknown soldier” rubbed elbows with Prussian Junkers, the sons of French Protestant immigrants, Catholic peasants from Bavaria and the Rhineland, and working class socialists from Berlin, Hanover, and Bremen. Through death and action, these various classes melded in order to create “the worker,” an individual who is neither an individualistic consumer (the prize desired by all capitalist democracies), nor a member of the mass (the ideal of the materialistic Marxists).

The characteristics that are valued have changed; they are of a simpler, dumber nature, which suggests the emergence of a will to race-formation…to produce a certain typus whose endowment is more standardized and more aligned to the tasks of an order determined by the total-work character. This is connected to how the possibilities of life in general decrease, to an advancing degree, in the interest of a singular possibility…[1]

The goal of this new “race” (Junger eschews a biological explanation for race, arguing that in the worker, the only thing that matters is whether or not the individual worker is excellent at performing his work) is to create the work-state. This state is beyond liberal capitalism and internationalist communism. Its sole purpose is to facilitate the existence of the worker—the poet-warrior-priest ideal that Junger compares to the knight orders of the Middle Ages and the Jesuit priests of the Counter-Reformation who braved foreign lands in order to spread the Gospel.

Once we have recognized what is needed now, namely, assertion and triumph…even readiness for utter collapse within a thoroughly dangerous world, then we will know which tasks are to take control of every kind of production, from the highest to the simplest. And the more life can be led in a cynical, Spartan, Prussian, or Bolshevist way, the better it will be. The established standard is to be found in the way the worker leads his life. It is not a matter of improving this way of living, but of conferring upon it a highest, decisive meaning.[2]

Put into simpler language, Junger sees the ideal worker not as a member of the working class (“class” is, after all, a liberal concept from the nineteenth century), but rather as a type of dedicated monk that sees existence as based on work. This means that workers are dedicated thoroughly to their work, almost as if work in the technological age is akin to Calvin’s “calling of God.” Unsurprisingly, Junger’s worker ideal closely mirrors the “Christian Sparta” of Puritan Massachusetts, where all things were done in order to uphold the Anglican Church’s special communion with God. In that society as in Prussia, order, duty, and work consumed all notions of liberty, freedom, or leisure. This is desirable, for Junger notes that “the measure of freedom possessed by any force corresponds precisely to the measure of obligation assigned to it.”[4] The negative “freedom from” and the positive “freedom to” are both undesirable unless said freedoms are attached to overriding obligations. To obey a higher law is the only freedom worth experiencing.

Such idealism is consciously divorced from all aspects of liberalism. In order for Junger’s desired “total mobilization” of society, all traces of liberalism must be eradicated in order for a work-democracy to form.

Much to the chagrin of the Communist Party of Germany (KPD), Junger does not see internationalist Marxism as the vanguard against the bourgeoisie. For Junger, the “Soviet” revolutions that swept through Germany in 1919 were thoroughly liberal in character—they conformed to liberal notions of individual freedom, they fought on behalf of material prosperity, and they accepted the liberal notions of “art” and “civilization.” The fact that striking workers and soldiers marched through Germany with copies of Faust in their knapsacks highlighted how thoroughly liberal culture had permeated the so-called “worker movement.”[3]

Junger was not the only German thinker who recognized the inherent weaknesses of Marxist-derived communism. Ernst Niekisch, who served the short-lived Bavarian Soviet Republic of 1919, saw in the very same Freikorps troops who put down the Munich Soviet Republic the ideal man for his movement. In contrast to Robert G.L. Waite, who saw in the Freikorps a nihilistic movement, Thomas Weber, in his new book Becoming Hitler, sees the Freikorps as the forefront of a new revolutionary movement that actively sought to stop both the KPD from importing Russian-style Bolshevism and Bavarian reactionaries from bringing back the failed Hohenzollern dynasty.

EJfrau.jpgNiekisch would become the greatest propagandist for National Bolshevism during the Weimar era. His short-lived journal Widerstand would publish Junger and other German writers who wanted to mix the austere radicalism of the Bolsheviks with that frontline soldier’s dedication to nation.

Karl Radek, who saw in nationalism the perfect vehicle for mass mobilization, was all but excommunicated from the communist movement in Germany for delivering a speech in 1923 that lionized Leo Schlageter, a Freikorps officer and early supporter of the National Socialists who died while fighting the French following their military takeover of the Ruhr in 1923. In “Leo Schlageter: The Wanderer into the Void,” Radek encouraged the Communists to seek out men like Schlageter rather than either pacifistic academics or material-minded industrial workers.

The way in which he [Schlageter] risked his life speaks on his behalf, and proves that he was convinced he was serving the German people. but Schlageter thought he was best serving the people by helping to restore the mastery of the class which had hitherto led the German people, and had brought such terrible misfortune upon them.[5]

For Radek, brave Germans must be taught to think in national class terms first. Niekisch agreed, but he placed a much greater emphasis on nationalism than did Radek. In the pages of Widerstand, Niekisch wrote paeans to the glories of the Prussian spirit and the traditional German resistance to bourgeoisie society. Junger went much further in synchronizing radical nationalism with “elemental” socialism. For Junger, liberal society is against everything “elemental.” Liberalism seeks security, while elemental life seeks adventure. Elementalism often seems like romanticism. Junger praises “elemental” men who seek to live in the untrammeled wilderness or who volunteer for the French Foreign Legion. The Worker is a romantic text at its core, and Junger’s thinking privileges action, sacrifice, and philosophical poverty (if not also material poverty) over the riches produced by capital and global trade.

As hard to digest as The Worker is, some of Junger’s key points bear re-reading. A will to power is not enough, Junger writes. An example of the truth of this view can be seen in the current sex scandals rocking Hollywood and Washington. Such accusations, whether true or not, are emblematic of a female will to power that is encouraged by the capitalist class that understands that single women make better, more pliable workers than masculine men. However, as much as these accusations are helping to dethrone men in certain places of power, a new female boss or a more feminine economy is unlikely to change anything in any meaningful way. In fact, things will almost certainly change for the worse because this new hierarchy is not the result of merit. In order for a will to power to matter, a new “race” must exist in order to carry this power forward. For Junger, this race must only contain the best of a worker typus; if it is based on anything other than practical skill, it is doomed to fail.

Another important point that Junger makes in The Worker is that liberal democracies are the preserve of cowards who continually place unfounded faith in their own systems. After all, arms limitations and attempts at universal governance after World War I did not stop war. Similarly, the theory that “democracies do not fight democracies” could be taken by some to suggest that warfare against non-democracies is justified under the guise of creating new democracies. The international system be damned, Junger says; it is better to let workers become the new Dominican monks, except with a higher intolerance of heresy.

The Worker represents the best of the National Bolshevist ideal. Rather than graph jingoistic nationalism onto the shibboleths of Marxian socialism, Junger’s thought concerns how to defeat all traces of outdated liberalism, socialism, and other modes of nineteenth century thought. A new type of worker—a worker not bound by class, but by an organic desire to increase work and see everything as work—is the best antidote to the shape-shifting bourgeoisie. Creating this new worker will be difficult, but The Worker notes that peasants and workers in the twentieth century have shown that that they are neither the small capitalists of the liberal imagination nor the ardent proletarians of Marxist daydreams. A socialist Benito Mussolini saw that workers flocked to nationalist calls for war faster than their middle class counterparts, while Junger notes that when the aristocracy tried to used the peasantry as a bulwark against the bourgeoisie by instituting grain tariffs in the nineteenth century, the peasants did not respond to economic stimuli and instead preferred to stick to older economic arrangements.[6]

Without discipline, a desire for collective action, and a hatred of liberal freedom, a work-state cannot exist. Ergo, in order for a work-state to flourish, workers must acquire a new consciousness. This consciousness must also include action in the form of constant work, whatever that work may be.

For us, as Americans, much can be adopted from The Worker. In the book, Junger praises the unbridled energy of the American settler-workers who tamed the West and built the wealthiest state in human history all within one hundred years. Junger also notes that Soviet Russia’s economic success during the late 1920s was because so many American technocrats flooded the country, thus showing the Russian peasant what quasi-religious attachment to craft can accomplish.

Americans have long been known for their work ethic. This is to be praised, but it needs to be channeled. American workers should no longer work for the glory of the internationalist state. American workers should no longer toil away for the benefit of capitalism or even for the benefit of their own material prosperity. These goals, while understandable, are in fact invisible prisons. According to The Worker, a new, healthier American state would be concerned only with a total mobilization towards work and towards living an “elemental” life.

For Junger, this means America embrace Sparta and the unwavering path of duty.

This means America must embrace Potsdam and the Prussian virtues.

This means America must embrace Bolshevism not for its iconoclasm or its hatred for the higher classes, but for its unlimited energy for creating a new system.

Without creating new men, America cannot break from its liberal prison.


Bibliography:

[1]: Junger, Ernst. The Worker: Dominion and Form. Ed. Laurence Paul Hemming. Trans. Bogdan Costea and Paul Hemming (Evanston: Northwestern University Press, 2017). P. 66.
[2]: Ibid, 130.
[3]: Ibid, 128.
[4]: Ibid, 6.
[5]: Radek, Karl. “Leo Schlageter: The Wanderer into the Void.” https://www.marxists.org/archive/radek/1923/06/schlageter....
[6]: Junger, 196.

lundi, 22 janvier 2018

Philippe Muray face au désert des barbares

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Philippe Muray face au désert des barbares

par Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Chaque défaite de cette société est une victoire de la vie.

On va citer Philippe sans trop l’interrompre. On ne s’est pas rencontrés mais correspondus vers l’an 2000…

Nous avions le même éditeur, les Belles Lettres, depuis lors chu dans un désastre obscur. Fidèle à ma méthode, je lui avais envoyé une lettre pour lui rappeler que Flaubert (Bouvard et Pécuchet) comme Musil, qu’il citait, et Broch (l’apocalypse joyeuse) tançaient déjà cette société festive, humanitaire et querelleuse qu’il pourfendait avec une verve perpétuelle, aussi remarquable dans ses livres que dans ses interviews : je me demande ce qu’il aurait dit de l’affaire Trump, Weinstein, Oprah ou Jolie-Otan ! Et il rappelait qu’il aimait faire rire, pas jouer au grincheux pour médias PC.

Mais citons Philippe :

« Le rire est une façon de manifester que l’agnosticisme par rapport au réel moderne est encore possible. »

Sur le crépuscule du rire dans notre monde obscène (admirez ses phrases) :

PM-empirebien.jpg« Ce monde est dérisoire, mais il a mis fin à la possibilité de dire à quel point il est dérisoire ; du moins s’y efforce-t-il, et de bons apôtres se demandent aujourd’hui si l’humour n’a pas tout simplement fait son temps, si on a encore besoin de lui, etc. Ce qui n’est d’ailleurs pas si bête, car le rire, le rire en tant qu’art, n’a en Europe que quelques siècles d’existence derrière lui (il commence avec Rabelais), et il est fort possible que le conformisme tout à fait neuf mais d’une puissance inégalée qui lui mène la guerre (tout en semblant le favoriser sous les diverses formes bidons du fun, du déjanté, etc.) ait en fin de compte raison de lui. En attendant, mon objet étant les civilisations occidentales, et particulièrement la française, qui me semble exemplaire par son marasme extrême, par les contradictions qui l’écrasent, et en même temps par cette bonne volonté qu’elle manifeste, cette bonne volonté typiquement et globalement provinciale de s’enfoncer encore plus vite et plus irrémédiablement que les autres dans le suicide moderne, je crois que le rire peut lui apporter un éclairage fracassant. »

Sa critique du vieux crétin parigot en trottinette :

« …Le rire m’avait plus durablement saisi cet hiver, pendant près de six mois, en voyant des imbéciles bien intentionnés, sur la dalle de Montparnasse, se rassembler pour faire du roller et ainsi militer pour la libération de Florence Aubenas et de son guide en portant des tee-shirts où on pouvait lire : « Ils sont partis pour nous, ils reviendront grâce à nous ». Au fond, nous ne devrions plus traverser ce monde qu’en rigolant sans cesse comme des baleines. »

Dans une autre interview, une pensée sur la fin du rire :

« Le rire est très exactement ce que l’époque ne peut plus du tout tolérer, encore moins produire, et qu’elle est même en passe de prohiber. «Rire de façon inappropriée», comme on a commencé à dire il y a une dizaine d’années sur les campus américains, est maintenant presque un délit. L’ironie, la dérision, la moquerie, la caricature, l’outrance, la farce, la guignolade, toute la gamme du rire, sont à mes yeux des procédés de description que l’âge de l’industrie de l’éloge ne peut évidemment pas supporter. »

Puis Muray évoque  la religion du moderne :

« On parle beaucoup de déclin des grandes religions, de demande de spirituel ou de retour du religieux, mais à mes yeux le XXIe siècle commence sous le joug d’une religion implacable : le Moderne. Le Moderne pour le Moderne. Le Moderne en soi. C’est la plus dure des religions et, contre elle, je ne vois pas d’autre délivrance que celle du rire. Pour reprendre une formule connue, le rire est un antidestin. »

Sur l’homme robotisé par la connerie et pas par la technologie, Philippe Muray écrivait, prononce plutôt ces lignes hilarantes :

PM-festivus.jpg« Festivus festivus, qui vient après Homo festivus comme Sapiens sapiens succède à Homo sapiens, est l’individu qui festive qu’il festive : c’est le moderne de la nouvelle génération, dont la métamorphose est presque totalement achevée, qui a presque tout oublié du passé (de toute façon criminel à ses yeux) de l’humanité, qui est déjà pour ainsi dire génétiquement modifié sans même besoin de faire appel à des bricolages techniques comme on nous en promet, qui est tellement poli, épuré jusqu’à l’os, qu’il en est translucide, déjà clone de lui-même sans avoir besoin de clonage, nettoyé sous toutes les coutures, débarrassé de toute extériorité comme de toute transcendance, jumeau de lui-même jusque dans son nom. »

Sur l’après fin de l’histoire qui se nourrit d’ersatz (de simulacres, dirait notre autre Philippe), d’événements :

« Après la fin de l’Histoire, donc aussi après la fin des événements, il faut bien qu’il y ait encore quelque chose qui ait l’apparence d’événements même si ça n’en est pas. Eh bien ces ersatz d’événements, le Moderne les puisera en lui-même, dans un affrontement  perpétuel avec lui-même qui constituera la mythologie (mais aussi la comédie) de la nouvelle époque. »

Sur la criminalisation procédurière du passé ou sur l’histoire réécrite (voyez la deuxième considération de Nietzsche) par le storytelling humanitaire, anti-blanc ou LGBTQ :

« …maintenant il est extrêmement difficile de dire ce qu’était l’Histoire dans la mesure où nous en avons effacé les traces  parce que nous lui avons substitué un ensemble de films de fiction sur lesquels nous portons des jugements moraux et que nous traînons devant des tribunaux rétrospectifs plus burlesques les uns que les autres. Ce délire procédurier rétrospectif trouve bien entendu son équivalent au présent, dans la société contemporaine, où la folie procédurière en cours se nourrit du ressentiment de tous contre tous, du sentiment d’innocence que chacun entretient vis-à-vis de lui-même et de l’accusation de culpabilité qu’il porte envers tous les autres. »

Muray disait déjà sur la disparition des ennemis (les fachos sont soumis, les musulmans exterminés ou contrôlés, surtout les terroristes) :

« Ce magma, pour avoir encore une ombre de définition, ne peut plus compter que sur ses ennemis, mais il est obligé de les inventer, tant la terreur naturelle qu’il répand autour de lui a rapidement anéanti toute opposition comme toute mémoire. »

Sur le besoin de se débarrasser du fardeau sexuel :

« …il faudrait revoir, réactualiser et corriger tout cela avec le formidable progrès des sciences qui, joint au désarroi général et à l’envie sourde de se débarrasser du fardeau sexuel, est en train de fusionner dans une espèce d’idéologie new age qui n’a même plus besoin de dire son nom. Il y a aujourd’hui un néo-scientisme mystique qui renouvelle tout ce que j’écrivais, à l’époque, sur les danses macabres de l’occultisme et du socialisme. »

Belle définition de mai 68 :

« 68 n’est pas ce qu’on raconte, mais la contribution la plus efficace jamais apportée à l’établissement de la civilisation des loisirs. Par 68, le dernier homme s’est vu gratifier de ce qui lui manquait pour cacher en partie son immense veulerie vacancière : une petite touche de subversion… »

Petite définition du passé (ère des crimes contre l’humanité, nous sommes depuis à l’ère des primes) :

PM-desaccord.png« Dans le nouveau monde, on ne retrouve plus trace du Mal qu’à travers l’interminable procès qui lui est intenté, à la fois en tant que Mal historique (le passé est un chapelet de crimes qu’il convient de ré-instruire sans cesse pour se faire mousser sans risque) et en tant que Mal actuel postiche. »

Sur la capacité de chantage et de harcèlement de cette société (qui peut aussi déporter et exterminer, comme dans le monde arabe) :

« Cette anecdote, qui vaut pour tant d’autres, a la vertu de révéler le moderne en tant que chantage ultra-violent ; et de faire entendre la présence du Mal dans la voix même des criminels qui l’invoquent pour faire tout avaler. »

Sur les accusations de facho :

« Quand ils traitent quelqu’un de «maurrassien», par exemple, c’est autant de temps de gagné : il est tellement plus avantageux de parler de Maurras, et de le condamner, que d’ouvrir les yeux sur le monde concret ! Ils n’ont plus que ce projet : gagner du temps. Empêcher que leurs exactions soient connues en détail. »

Sur la dégénérescence de la gauche (notez le bel usage de l’accumulation, un de ses tropes préférés) :

« …mais ils continuent parce que cette doctrine, à présent toute mêlée au marché, toute fusionnée, toute confusionnée avec les prestiges de l’Europe qui avance sur ses roulettes, avec le festivisme généralisé et programmé, avec le turbo-droit-de-l’hommisme, avec le porno-business, les raves vandaliques, le déferlement hebdomadaire des néo-SA en rollers, et encore avec tant d’autres horreurs dont on ne les a jamais entendus dire quoi que ce soit, leur permet de conserver une apparence de pouvoir tout en jouissant dans le même temps (à leurs seuls yeux maintenant) d’une réputation de «rebelles». Il leur restait un chapeau à manger, un vrai haut-de-forme celui-là, celui de l’américanophilie ; c’est fait depuis le 11 septembre 2001. »

Sur l’euphémisme dénoncé en son temps par Bourdieu (on parle de flexibilité pour payer 500 euros tout le monde) :

« …l’été dernier, alors que d’effrayantes inondations submergeaient l’Europe de l’est, notamment l’Allemagne et la Tchécoslovaquie, et que l’on se demandait si le climat n’était quand même pas vraiment détraqué, un hebdomadaire avait tranché avec un titre admirable : «Le climat ne se détraque pas, il change.» Appliquée au temps, c’est la rhétorique analgésique de l’époque dans tous les domaines : la famille n’est pas en miettes,  elle change ; l’homosexualité, soudain toute-puissante et persécutrice, n’est pas au moins, per se, une étrangeté à interroger, c’est la sexualité en général qui change. Et ainsi de suite. »

Pointe d’humour (la litote à rebours) :

« Et, le jour de l’Apocalypse, ne vous dites pas non plus que c’est la fin du monde, dites-vous que ça change. »

C’est la chanson de Boris Vian ! Sur la fin de la sexualité come héritage de la pseudo-libération qui a viré comme toujours à l’épuration de masse et à la chasse aux sorcières :

« Il n’y a aucune contradiction entre la pornographie de caserne qui s’étale partout et l’étranglement des dernières libertés par des «lois antisexistes» ou réprimant l’«homophobie» comme il nous en pend au nez et qui seront, lorsqu’elles seront promulguées, de brillantes victoires de la Police moderne de la Pensée. »

Derrière ces pauvres hères toutefois, le conglomérat des solitudes sans illusions dont parle Guy Debord :

PM-portatif.jpg« …pour en revenir à cette solitude sexuelle d’Homo festivus, qui contient tous les autres traits que vous énumérez, elle ne peut être comprise que comme l’aboutissement de la prétendue libération sexuelle d’il y a trente ans, laquelle n’a servi qu’à faire monter en puissance le pouvoir féminin et à révéler ce que personne au fond n’ignorait (notamment grâce aux romans du passé), à savoir que les femmes ne voulaient pas du sexuel, n’en avaient jamais voulu, mais qu’elles en voulaient dès lors que le sexuel devenait objet d’exhibition, donc de social, donc d’anti-sexuel. »

Et pour finir une nouvelle petite accumulation sur le crétinisme du clown médiatique et humanitaire :

« …l’angélisme d’Homo festivus, son parler-bébé continuel, son narcissisme incurable, sa passion des contes de fées, son refoulement du réel (toujours «castrateur»), son illusion de toute-puissance, sa vision confuso-onirique du monde et son incapacité, bien sûr, de rire. »

Source

Entretiens par Vianney Delourme et Antoine Rocalba

samedi, 20 janvier 2018

Richard Millet: Sur l'annonce de la réédition des pamphlets de Céline

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Polémique pour une autre fois...

Sur l'annonce de la réédition des pamphlets de Céline

par Richard Millet

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Richard Millet, cueillie sur son site personnel et dans laquelle il évoque la polémique autour de l'annonce par les éditions Gallimard de la publications des pamphlets de Céline dans la bibliothèque de La Pléiade...

Auteur de La confession négative (Gallimard, 2009) et de Tuer (Léo Scheer, 2015), Richard Millet a publié cet automne aux éditions Léo Scheer un roman intitulé La nouvelle Dolorès. Il devrait prochainement publier son journal, de l'année 1971 à l'année 1994.

RM-portNB.jpgPolémique pour une autre fois

Après plusieurs semaines d’une polémique qui a agité quelques arrondissements de Paris, M. Gallimard vient de « suspendre » la republication des pamphlets de Céline. L’argument « scientifique » de l’éditeur et la caution de Pierre Assouline ne l’ont pas emporté sur le concert d’opinions diverses, néanmoins attendues, car déjà énoncées maintes fois, et qui donnent l’impression d’un ballet sans paroles ni musique ni rien, puisque la non-republication des pamphlets par l’éditeur « historique » de Céline ne règle rien.

On peut imaginer que la « polémique » incitera ceux qui n’ont pas encore lu ces textes à acheter, via Amazon, l’édition québécoise, ou à les lire en PDF – les plus curieux se procurant d’illicites reprints. Sur la question des pamphlets, j’ai, pour ma part, toujours été de l’avis de Sollers : il faut les republier ; ils font partie de l’œuvre, tout comme les écrits politiques de Bernanos, Gide, Drieu, Montherlant, Camus, Sartre...

Pour le reste, cette « polémique » ne constitue pas, comme on l’a dit, une « affaire » Céline : celle-ci a eu lieu en 1945 ; ou bien Céline est une affaire à lui tout seul. Craindre que la réédition, dans l’austère collection des Cahiers de la NRF, à côté des articles d’avant-guerre de Blanchot et du Journal inutile de Morand, de textes qu’on trouve aisément relève donc d’un accès de vertu : je ne sache pas que la republication, il y a trois ans, des Décombres de Rebatet ait nourri l’antisémitisme en France. L’antisémitisme « culturel » est mort en 1945. Celui qui a récemment vu le jour est le fait d’une population  musulmane radicalisée et/ou délinquante, qui agit au nom du cliché du « juif riche » ou encore du « sioniste » qui opprime, même à distance, le peuple palestinien, et qu’il faut donc punir. Ceux qui ont tué Ilan Halimi, plus tard Sarah Halimi, et qui ont incendié une épicerie cacher, à Créteil, la semaine dernière, n’avaient pas lu Bagatelles pour un massacre. Savent-ils même lire ? Cet antisémitisme-là est là un des non-dits majeurs du gauchisme officiel, dont l’alliance objective avec l’islam sunnite suscite un « bloquage » majeur de la vie politique, en France et en Europe.

pamphlets-de-celine_5987134.jpgRedouter, plus largement, que les pamphlets de Céline ne corrompent la jeunesse, c’est supposer à cette dernière une capacité à lire qu’elle n’a plus. Car Céline n’est pas un écrivain facile, et nullement à la portée de ceux qui, voyous islamistes de banlieue ou petits-bourgeois connectés, ont bénéficié l’enseignement de l’ignorance qui est, selon Michéa, le propre de l’Education nationale. Un état de fait pieusement réfuté, à l’occasion du cinquantenaire de Mai 68, par un magazine officiel qui voit, dans les 50 années qui se sont écoulées, un remarquable progrès de l’enseignement public : ne sommes-nous pas arrivé à 79% de bacheliers, c’est-à-dire un progrès de 20% ? En vérité il faut, en cette matière comme en toutes les autres, inverser le discours : il ne reste plus que 20%, environ, d’élèves à peu près capables de lire et d’écrire correctement le français, et de se représenter l’histoire de France autrement que par le filtre relativiste et mondialiste du néo-historicisme.

Pendant que les intellectuels bataillaient, je songeais à la façon dont Daniel Barenboim avait, il y a une dizaine d’années, suscité une vive polémique en dirigeant pour la première fois du Wagner en Israël. La question de l’œuvre, de la possibilité d’une œuvre, jusque dans ses excès, ses errements, ses apories, est donc légitimement posée de façon passionnée ou prudente ; mais c’est peut-être la dernière fois qu’elle se posera, en une ère qui voit disparaître peu à peu la possibilité psychologique de connaître Wagner et de lire Céline. La jeunesse contemporaine n’a plus rien à faire de Wagner, de Céline, d’Aragon, de Ravel, de Giono, de Boulez, ou de Soljenitsyne : elle ne sait rien, et ne veut qu’être connectée à elle-même, c’est-à-dire au néant.

Le problème n’est donc pas d’empêcher les jeunes gens de lire les pamphlets de Céline (et je n’userai pas de l’argument spécieux, entendu dans quelques bouches qui avancent que, comme pour Harry Potter, mieux vaudrait que les jeunes lussent ces pamphlets que rien du tout) ; le problème est, brame la presse officielle, de « désintoxiquer les ados du téléphone portable ». Question en effet primordiale, et à la désintoxication du « portable », ajoutons celle du cannabis, du gauchisme culturel, du consumérisme, de la télévision, de la mondialisation. Est-ce possible ? Par quel exorcisme ? Et pour quelles valeurs autres que les fariboles « républicaines » et onusiennes ? Oui, comment retrouver le réel ?

Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 13 janvier 2018)

vendredi, 19 janvier 2018

David Alliot: «Le talent littéraire de Céline est présent dans les pamphlets»

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David Alliot: «Le talent littéraire de Céline est présent dans les pamphlets»

Propos recueillis par Benjamin Fayet

Ex: http://www.philitt.fr

David Alliot est spécialiste de Louis-Ferdinand Céline. Il est l’auteur D’un Céline l’autre (2011), publié dans la collection « Bouquins » chez Robert Laffont, et vient de publier chez Tallandier une biographie de Lucette Destouches intitulée Madame Céline. Il répond à nos questions sur la polémique suscitée par la volonté des éditions Gallimard de rééditer les pamphlets de l’auteur du Voyage au bout de la nuit.

PHILITT : Céline s’est toujours opposé à la republication des pamphlets. Être célinien, est-ce par conséquent s’opposer au projet de Gallimard ?

David Alliot : Céline s’était opposé à la réédition des pamphlets à son retour du Danemark. Il considérait que ces textes étaient des écrits de circonstance, et il ne voulait plus en entendre parler. À sa mort, sa veuve a poursuivi en ce sens en s’opposant à toute réédition, jusqu’à une date récente. Comme célinien, je suis favorable à leur réédition, mais en ce domaine c’est l’ayant-droit (donc Lucette) qui est décisionnaire. Sinon, il faudra attendre le 1er janvier 2032, lorsqu’ils tomberont dans le domaine public.

La republication des Décombres de Rebatet n’a pas suscité un scandale de cette envergure. Comment expliquer cette différence de traitement, sachant que Rebatet était un collaborationniste revendiqué, contrairement à Céline ?

Il faut être réaliste, Rebatet n’a pas la même envergure littéraire que Céline. Céline est considéré, à juste titre, comme un écrivain majeur du XXe siècle, et certains de ses romans sont étudiés en classe, notamment le Voyage au bout de la nuit. Rebatet a été plus loin que Céline dans la collaboration, certes, mais on ne joue pas dans la même division en terme de notoriété, ni dans la place qu’ils occupent dans la littérature.

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L’antisémitisme de Céline est tellement délirant et extensif qu’il n’était pas pris au sérieux par les antisémites officiels, pourtant ses pamphlets sont considérés comme la quintessence de l’antisémitisme. Est-ce dû à son talent d’écrivain ?

Oui, hélas. Dans les années 1930, le pamphlet antisémite est l’apanage de docteurs ratés, d’aigris, de mauvais… avec l’arrivée de Céline dans ce « genre » particulier, il y apporte son souffle, son style et une forme de génie littéraire. C’est ça le vrai « scandale Céline ». Mettre son talent littéraire dans une cause qui ne le méritait pas.

DA-MmeC.jpgPensez-vous, comme certains l’avancent, que le génie littéraire de Céline est absent des pamphlets ?

Le talent littéraire de Céline est présent dans les pamphlets, mais diffère de celui des romans. Là, on est dans l’outrance et l’exagération permanente. Ceci dit, il y a de très beaux passages littéraires dans les pamphlets… Entre deux torrents de haine antisémite, on y trouve une magnifique description de Leningrad… que vient elle faire là ? Mystère !

Certains avancent que Lucette Destouches, la veuve de Céline aujourd’hui âgée de 105 ans, et dont vous venez d’écrire une biographie, a décidé cette sortie pour des raisons strictement financières. Quelles sont les raisons de sa décision selon vous ?

Je pense qu’en autorisant la réédition des pamphlets, Lucette fait son ultime acte d’ayant-droit responsable. Elle a 105 ans, elle est à l’extrémité de son existence, et avant de quitter ce monde, elle a décidé de confier l’édition et la publication de ces pamphlets à des personnes de confiance, avec Gallimard comme éditeur. Elle aurait pu dire «Après moi la fin du monde», mais au contraire, elle a préféré s’assurer de ces textes particuliers, même si elle n’en verra pas le résultat. Je trouve ça plutôt sain et logique de ça part… Pour ce qui concerne les aspects financiers, le contrat signé avec Gallimard ne prévoit pas d’à-valoir. Et quand elle touchera l’argent des ventes de ces livres, ce sera un an après leur parution… elle n’aura que 107 ou 108 ans. Qui sait, elle ira peut-être les flamber au casino ?

mercredi, 17 janvier 2018

Le bushidô selon Mishima

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Le bushidô selon Mishima

Rémy Valat
Historien

Ex: https://metamag.fr

Mishima est le nom de plume que se prêtait Hiraoka Kimitake (1925-1970). Le suicide de Hiraoka au moment d’une tentative avortée de coup d’État nationaliste le 25 novembre 1970 au siège des forces d’autodéfense à Tôkyô a été interprété de différentes manières, soit comme l’acte d’un déséquilibré, d’un martyr de la cause impériale, voire du geste du dernier samouraï.

Hiraoka Kimitake aurait intériorisé les appels au sacrifice du temps de guerre, puis arrivé à maturité, sa critique acerbe de la société de consommation avec laquelle il se sentait en décalage et son désir de retour à la tradition, l’auraient poussé à former une milice, éduquée sur le « pur » modèle japonais, une force paramilitaire qui aurait été l’embryon d’une nouvelle armée fidèle à l’empereur et à la tradition.

mishimasunsteel.jpgMishima, l’écrivain devenu l’homme d’un seul livre : le Hagakure

On comprend aisément le rejet de Hiraoka Kimitake pour la vassalisation du Japon par Washington après 1945 : une mise sous tutelle économique et culturelle, renforcée par la démilitarisation politique et morale du pays. Si le Japon dispose d’une armée conséquente, elle ne peut encore aujourd’hui être librement déployée sur un théâtre d’opération extérieur. Mais, Mishima-l’écrivain était avant tout un grand lecteur des œuvres occidentales (il appartient à la même génération que les étudiants-pilotes tokkôtai) et a, aussitôt le succès venu, vécu confortablement selon les valeurs de la société de consommation, qu’il vînt plus tard à critiquer. Surtout, Mishima était séduit par l’esthétique chrétienne de la mort et du sacrifice. Le tableau Saint Sébastien de Guido Reni, représentant le martyr le torse nu transpercé de flèches, le poussa même à reconstituer le tableau in vivo, en posant pour le photographe Hosoe Eikō (né en 1933) pour son album Ordalie par les roses (Barakei, 1963).

Hiraoka, l’homme avait une forte attirance pour l’esthétique de la souffrance et de la mort, stimulée par un désir d’exhiber son corps et ses préférences sexuelles, ces manifestations seraient peut-être le fruit d’une éducation perturbée (reçue d’une grand-mère et d’un père autoritaires, contre-balancée par une mère aimante). Cette fascination morbide est aussi le fruit de la propagande du temps de guerre (qui invitait au sacrifice), mais n’ayant pas eu le courage de s’engager (prétextant des douleurs pulmonaires), le don de sa personne pour l’empereur et la patrie sont restés pour lui un acte manqué qui l’emplissent de remords.

Ainsi, Mishima grand lecteur et grand écrivain s’enfermera dans la lecture d’un seul livre, le Hagakure de Yamamoto Jōchō (ou Yamamoto Tsunetomo, Jōchō est le nom qu’il prit après sa rupture avec son nouveau maître et l’adoption d’une vie recluse), auteur en qui il se reconnaissait et qu’il considèrait comme le samouraï modèle. Pourquoi ?

Yamamoto Tsunetomo (1659 – 1719) était un lettré, fidèle vassal du seigneur Nabeshima Mitsushige de la province de Saga. À la disparition de son maître (1700), il ne put pratiquer le suicide par accompagnement, pratique traditionnelle attestant de la dévotion du samouraï envers son seigneur. Yamamoto Tsunetomo a reçu une stricte éducation de guerrier, mais la bureaucratisation des missions des samouraïs a condamné à jamais la réalisation de ses rêves de jeunesse emplis de combats glorieux et d’honneurs acquis sur le champ de bataille. Le samouraï vécu mal la double interdiction de son suzerain, qui ne préconisait pas cet acte, et du gouvernement shôgunal, qui l’interdisait officiellement : accompagner son maître dans la mort aurait été pour lui la preuve ultime de sa loyauté et de son état de samouraï. Néanmoins, on ignore les motivations de son auteur aux différents stades de son existence (sa relation intime avec la mort), et il n’est pas à exclure qu’il puisse également s’agir d’une posture : Yamamoto Tsunetomo n’a jamais pris les armes de sa vie, il est mort dans son lit en ruminant un passé idéalisé…. Il est donc facile d’inviter les autres au sacrifice.


Son livre, en 11 rouleaux, le Hagakure (littéralement « à l’ombre des feuilles ») qui met notamment en avant plusieurs aspects de l’éthique des samouraïs et chers à Mishima : une ferme résolution à mourir (et donc à vivre au temps présent), le soin particulier à donner à l’apparence extérieure et l’acceptation de l’homosexualité, comme preuve de l’attachement suprême entre combattants. Mais, quoi qu’est pu en croire Mishima, ce texte n’a eu aucune influence à l’époque d’Edo, les rares samouraïs qui en connaissaient l’existence n’en recommandaient pas nécessairement la lecture, preuve du décalage de mentalité entre son auteur et son groupe social.

L’inspiration occidentale du bushidô moderne : le drame de la méconnaissance

L’esprit de sacrifice que Mishima emprunte au christianisme est aussi un héritage du Bushidô. The soul of Japan (ou Bushidô, l’âme du Japon, écrit directement en anglais et paru en 1900) de Nitobe Inazô (qui était de confession chrétienne). Celui-ci a rassemblé selon une grille de lecture moderne des traits culturels de la société japonaise et de la classe guerrière, les bushis, pour en dégager une éthique, faite de courage, de bienveillance, de courtoisie, du don de la personne, de sincérité, d’honneur, de loyauté, du contrôle de soi et d’esprit de justice, qu’il élève au rang de religion. Mais, cette morale des samouraïs est une tradition inventée, modernisée sur le modèle occidental. Celle-ci n’a jamais existé d’une manière aussi lisible : elle est une assimilation aux codes des chevaleries médiévales occidentales, une chevalerie qui est elle aussi pour une bonne part une tradition rénovée. Or, les anciens « codes des maisons» ou buke kakun, font peu ou pas référence à un « code des guerriers » et, depuis le XIXe siècle, les documents systématiquement mis en avant par les historiens japonais, peu nombreux et toujours les mêmes, ne se conforment pleinement ni aux mœurs ni aux pratiques sociales des samouraïs toutes époques confondues.

mishimaswordart.jpgLe terme « bushidô », utilisé en ce sens serait apparue pour la première fois dans le koyo gunkan, la chronique militaire de la province du Kai dirigée par le célèbre clan des Takeda (la chronique a été compilée par Kagenori Obata (1572-1663), le fils d’un imminent stratège du clan à partir de 1615. L’historien japonais Yamamoto Hirofumi (Yamamoto Hirofumi, Nihonjin no kokoro : bushidô nyûmon, Chûkei éditions, Tôkyô, 2006), constata au cours de ses recherches l’absence, à l’époque moderne, de textes formulant une éthique des guerriers qui auraient pu être accessibles et respectées par le plus grand nombre des samouraïs. Mieux, les rares textes, formulant et dégageant une éthique propre aux samouraïs (le Hagakure de Yamamoto Tsunetomo et les écrits de Yamaga Sôkô) tous deux intégrés dans le canon des textes de l’idéologie du bushidô, n’ont eu aucune influence avant le XXe siècle.

Ce fort désir de créer et de s’approprier une tradition s’intègre dans un contexte plus large et plus profond. L’intensification des échanges internationaux et le rapide processus de modernisation des sociétés au XIXe siècle a posé la question de la place du groupe et de la nation. Cette quête a pris la forme d’une modernisation de la tradition, en prenant le meilleur de ce qui est considéré être l’essence de la nation. Ce besoin identitaire était encore plus fort pour les pays colonisés, ou comme le Japon, pays en voie de développement ayant refusé d’emblée l’occidentalisation par la force. La puissance militaire des pays occidentaux ne pouvait s’expliquer que par une mentalité guerrière particulière (la chevalerie chrétienne) à laquelle il fallait trouver un pendant japonais (les samouraïs et le bushidô). Le samouraï deviendrait ainsi le symbole, l’outil assurant la cohésion de la société, et dont les valeurs soigneusement sélectionnées seraient érigées en une idéologie dépeignant une éthique purement japonaise.

Si le Bushidô et le Hagakure ont été sévèrement condamnés par l’occupant nord-américain et mis à l’index après la Seconde Guerre mondiale, les Japonais ont intériorisé et ont fait leur l’éthique du Bushidô imaginée par Nitobe Inazô. La samouraïsation de la société, et en particulier les films de propagande de la guerre Asie-pacifique, ont contribué à façonner, après épuration des traits militaristes du message initial, l’idéal de « japonéité » et l’image contemporaine du samouraï. Après la défaite de 1945 et deux bombardements atomiques, la population était en quête de sens. Le besoin de se sentir fort a contribué à l’émergence d’une mentalité nouvelle, démilitarisée, mais combative et héritée de la période expansionniste en Asie, construite autour de l’idéal d’une essence et d’un esprit typiquement japonais. Mais ce bushidô-là, n’est plus celui des samouraïs.

Mishima : le dernier samouraï

En somme, l’homme Hiraoka Kimitake était déchiré par des luttes internes, mélangées aux questionnements de la société japonaise de l’après guerre. Son suicide marque une volonté de dépassement…En apparence, sa vie et son dernier geste paraissent en contradiction avec l’éthique communément admise et « christianisée » du samouraï, qui est un mélange d’humilité, de discrétion, même dans la mort. Or, Mishima aimait être vue et admiré, trop attaché à son corps et aux apparences, il a préféré disparaître avant le déclin physique. La tentative de coup d’État était un coup de dé, en cas de réussite : la gloire ; en cas, d’échec : une mort longtemps désirée et mise en scène. Néanmoins, son geste est paradoxalement le plus représentatif de ce que furent réellement les guerriers japonais : individualistes, aimant être vus et attachés à leur honneur, ceux-ci défendaient becs et ongles leur liberté. Une liberté d’action que leur offrait le métier des armes et une possibilité d’intervention dans le domaine public. Comme eux, s’étant mentalement préparé à mourir, et quelques puissent être ses motivations personnelles, son suicide spectaculaire pour une cause légitime est le geste d’un homme libre et maître de son destin.