Récemment, quelques scriptoboys assistaient, en un lieu parisien bien connu, à une conférence sur Arnaud Imatz, auteur de « Par-delà droite et gauche, histoire de la grande peur des bien-pensants ». Conférence passionnante, sur un ouvrage passionnant.
Et donc, pour ceux qui n’habitent pas Paris et/ou n’ont pas le temps de bouquiner les 400 pages d’Arnaud Imatz, une note de lecture.
L’hypothèse d’Arnaud Imatz est la suivante : nous découpons le champ politique entre conservateurs et révolutionnaires, mais ce découpage nous masque un autre clivage, potentiellement plus déterminant : celui qui oppose les partisans de l’enracinement, généralement non-conformistes, aux partisans du déracinement, généralement conformistes. Si ce découpage fallacieux est profondément planté dans nos esprits, c’est parce que l’ensemble des institutions s’acharnent à le cautionner. Il est entendu, une bonne fois pour toutes, que le débat politique doit opposer deux catégories l’une et l’autre essentialisées : « la gauche » et « la droite », les révolutionnaires et les conservateurs. Verrouillé d’abord par la gauche « officielle », qui a imposé son être propre en référence aux clivages possibles, le débat a ensuite été étouffé par une soft-idéologie individualiste, où une fausse opposition pseudo-démocratique entre la fausse-droite et la fausse-gauche (deux modes de gestion du même capitalisme) a servi de prison mentale encore plus efficace que l’ancienne opposition entre la vraie-droite (capitalisme libéral) et la vraie-gauche (socialisme dirigiste). L’intelligentsia « en place » témoigne, à travers ses reniements successifs, de la même fermeture à tout ce qui n’est pas elle-même : peu importe que ses utopies successives implosent, elle continue à se penser comme détentrice du sens de l’Histoire. Exit le communisme, voici le socialisme autogestionnaire. Exit le socialisme, voici la sacralisation des « Droits de l’homme » et l’antiracisme militant. Que l’enracinement puisse fédérer révolutionnaires et conservateurs autour d’une révolution conservatrice contre l’ordre cosmopolite, voilà qui ne doit pas être dit – à ceux qui le disent, tout système démultiplicateur de la parole est fermé, les médias sont interdits.
Qu’est-ce donc, en réalité, que ce « non conformisme » dont le pouvoir ne veut surtout pas, et qui unit, autour de l’enracinement, conservateurs et révolutionnaires ? C’est, pour résumer, la compréhension de la matrice de l’aliénation contemporaine comme relevant fondamentalement des catégories fondées par le rationalisme des Lumières – catégories qui nient au nom d’un impératif d’uniformité le sens et la valeur de l’identité et et celle de la différence. Pour le non-conformiste, par contre, la source des catastrophes du XX° siècle n’est pas dans l’affirmation des identités collectives, mais au contraire dans leur négation, négation qui les a faites revenir sous une forme pathologique. Pour le non-conformiste, les mécanismes du « progrès » reviennent à nier qu’il existe une dimension de l’homme au-dessus de la matière, et que l’humain peut donc, contre les illusions des progressismes tant marxistes que libéraux, déterminer ses déterminations.
Un schéma de société existe hors de celui où l’opposition « droite/gauche » a tendance à nous enfermer. Dans ce schéma « holiste », qui était celui des sociétés traditionnelles et communautaires, la totalité préexiste à la somme des parties, elle n’est pas construite par leur affrontement, elle l’évite en organisant l’englobement du contraire et l’inclusion du différent. Le non-conformisme s’est construit, historiquement, autour de la rencontre de ce schéma de pensée traditionnelle avec la dialectique hégélienne, qui veut que négation et négation de la négation produisent une totalité par synthèse-dépassement. Dans une très large mesure, le non-conformisme est une tentative pour reconstituer, à travers l’hégélianisme, la totalité socio-organique préexistante, que le rationalisme a détruite.
C’est justement parce qu’il propose une alternative au système que les deux pans du système, jadis vraie gauche et vraie droite, aujourd’hui fausse gauche et fausse droite, s’acharnent à nier l’existence du non-conformisme. Les doctrinaires au pouvoir veulent détruire toutes les communautés naturelles, nier les racines, faire de l’homme une pâte modelable. C’est le cadre général à l’intérieur duquel « gauche » et « droite » s’affrontent – ou plutôt, au fur et à mesure qu’on ne parvient plus à les identifier autour d’une ligne de partage claire sur la question de la plus-value, font semblant de s’affronter. Le non conformisme n’a pas sa place dans ce système précisément parce qu’il énonce une thèse étrangère au paradigme dans lequel la pensée institutionnelle est confinée : la légitimité des communautés naturelles. C’est pourquoi, lorsqu’il ne parvient plus à exclure les anticonformistes du débat, le bloc institutionnel les contraint systématiquement à choisir : sont-ils « de gauche », ou « de droite » ? Et lorsque les non-conformistes ne parviennent pas à répondre, pour toutes les raisons exposées ci-dessus, on les répute inexistants politiquement.
*
Pour démonter ce piège, Imatz propose de faire sortir de l’essentialisme les catégories de « gauche » et de « droite ».
Dans une perspective essentialiste, la gauche, c’est l’anthropologie optimiste issue du mythe du progrès, et la droite, c’est l’anthropologie pessimiste issue de l’Histoire longue. A gauche, le rêve de l’individu libéré du poids de la faute – à droite, le péché originel. A gauche, l’homme est un projet qu’on construit – à droite, c’est une donne qu’on gère. A gauche, une vision matérialiste et mécaniciste, qui veut uniformiser à tout prix – à droite, l’acceptation des paramètres complexes sous-jacents à une conception organiciste qui connaît et reconnaît la nécessité de l’altérité.
A cette perspective essentialiste qui dans une certaine mesure confond la droite avec le non-conformisme, Imatz oppose une vision historiciste et relativiste (au sens de : qui relativise ses propres analyses), vision selon laquelle « la gauche » et « la droite » sont en réalité des catégories conventionnelles et opératoires, et nullement des catégories signifiantes stables.
Imatz cite, par exemple, la question du colonialisme en France : il exista historiquement une droite colonialiste (par souci du prestige national), une droite anticolonialiste (par souci de bonne gestion, en fait néocolonialiste avant la lettre), une gauche colonialiste (par souci de « civiliser » les peuples colonisés) et une gauche anticolonialiste (par respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes). Le concept même de colonialisme ne fut pas stable dans l’Histoire, et à certaines phases, il devint presque indéfinissable tant gauche et droite le comprenaient différemment (exemple : en 1962, quand l’ancien colonialisme s’efface devant le néocolonialisme).
Autre exemple : l’antisémitisme, qui peut être de gauche (par égalitarisme) comme de droite (par crainte d’un élitisme rival), tout comme le philosémitisme peut être de gauche (pour défendre le petit juif opprimé) ou de droite (par solidarité avec la haute bourgeoisie juive). Et l’on voit aussi parfois les antisémites de droite, à certains moments de l’Histoire, échanger leurs arguments avec les philosémites de gauche, quand la question juive percute celle du sionisme – on peut être sioniste par philosémitisme ou par antisémitisme, et antisioniste par antisémitisme ou philosémitisme, si bien qu’une droite antisémite et une gauche philosémite peuvent se retrouver sur le pro-sionisme contre l’antisionisme partagé par une droite arabophile et une gauche antisémite !
De nombreux thèmes peuvent donner lieu à ce type de chassé-croisé ironique entre gauche et droite (le racisme, la « démocratie », la technocratie, le régionalisme, l’écologie…). Si bien qu’en pratique, quand on s’éloigne de la vision essentialiste pour s’intéresser à la vision historiciste, on finit par se dire que « gauche » et « droite » n’ont aucun sens. Ou plutôt : que le sens de ces concepts est tellement fluctuant, tellement peu stable dans sa dimension significative, que les signifiants en question doivent être redéfinis à chaque fois qu’on les emploie.
En face de ce vide conceptuel, les non-conformistes doivent répondre par la définition d’eux-mêmes, et s’installer non dans une réponse à la question « droite ou gauche », mais comme un point de référence par rapport auquel on définira droite et gauche. Il faut répondre à la question piégée du bloc institutionnel en le piégeant dans une question différente : la gauche est-elle conformiste ou non-conformiste, la droite est-elle conformiste ou non-conformiste ? Cette question en réponse déjoue le piège où le bloc institutionnel fait tomber le non-conformisme, piège qui consiste à essentialiser le concept de droite pour y enfermer un mouvement qui organiserait, s'il était libre, la rencontre entre l’univers mental de la tradition (associé classiquement à la droite) avec la reconnaissance des revendications du travail (associées classiquement à la gauche).
Ceci suppose, pour Imatz, d’opérer une critique approfondie de la sensibilité contre-révolutionnaire. Il faut en comprendre la dynamique interne : la conscience de la décadence, et surtout la conscience du fait qu’elle est inéluctable, dès lors qu’un principe d’égalité s’impose au détriment d’un principe élitiste. Et il faut comprendre comment cette sensibilité, qui dit une partie du Vrai, se combine de manière très complexe avec la préoccupation sociale caractéristique des légitimistes les plus contre-révolutionnaires, qui se sont dressés, au nom de l’Ancien Régime et de l’aristocratisme, contre l’injustice de la domination exercée par la bourgeoisie sur les classes laborieuses, et surtout contre l’inefficacité économique de cette domination incohérente.
C’est seulement une fois qu’on a saisi la genèse de la sensibilité contre-révolutionnaire, antibourgeoise par aristocratisme, qu’on peut comprendre la filiation du non-conformisme : la rencontre de l’esprit national et du projet socialiste. La droite contre-révolutionnaire, matrice du non-conformisme, s’est constituée initialement contre le projet libéral de la bourgeoisie. Par la suite, quand par expérience on séparera démocratie et liberté, les libéraux, devenus élitistes, apparaîtront comme des alliés de classe potentiels aux contre-révolutionnaires, et le libéralisme, né à gauche où il fréquentait l’idée nationale, glissera dans une alliance antinationale avec une fraction des milieux contre-révolutionnaire. Simultanément, l’exigence de progrès matériel envahira tout le champ de la gauche, ou presque, jusqu’à rejeter l’idée de la Nation au sens de communauté enracinée. Dès lors, une partie orpheline de la sensibilité contre-révolutionnaire (celle qui a refusé l’alliance avec les libéraux devenus secrètement antidémocrates) errera jusqu’à croiser une partie de la sensibilité orpheline de la sensibilité socialiste (celle qui a refusé de sacrifier la nation, la communauté charnelle, sur l’autel du progrès matériel). De cette rencontre entre la partie de la droite qui a refusé la liberté comme idole et la partie de la gauche qui a refusé le progrès comme idole naîtra le non-conformisme – le parti de ceux qui ont refusé de se conformer aux cultes parallèles des idoles Liberté et Progrès, pour conserver une vision juste, naturelle, enracinée, de leurs valeurs nationales et sociales.
*
Pour bien comprendre ce qu’est le non-conformisme, pour ne pas le confondre avec la simple addition du nationalisme doctrinaire et du socialisme doctrinaire (ce que fut largement le nazisme), il faut saisir la différence entre amour de la nation et nationalisme, entre préoccupation sociale et socialisme.
Le parti non-conformiste n’est pas « nationaliste » au sens où le nationalisme est, pour lui, une adaptation de l’individualisme à l’échelle nationale. Organiciste, il refuse le concept constructiviste et potentiellement mécaniciste de la nation comme corps d’associés, concept issu de la Révolution Française (Sieyès). C’est pourquoi, même en France, il fait une large place aux conceptions germaniques de la Gemeinschaft (communauté) comme sous-jacent indispensable à toute société, et s’il est souvent démocrate (exception : l’AF), il n’est jamais partisan du suffrage universel direct comme instrument de la démocratie.
Soucieux de reconstituer l’harmonie du peuple, il défend des conceptions sociales, mais pas socialistes, en ce sens qu’il récuse le culte du Progrès. L’accroissement indéfini des forces productives ne lui paraît pas bon en soi (ce qui ne veut pas dire qu’il soit mauvais en soi, mais simplement qu’il est bon ou mauvais selon l’usage qu’on en fait). Surtout, il ne combat pas le capitalisme parce que celui-ci serait un régime de propriété privée, mais au contraire parce qu’il constitue un premier pas vers le socialisme, c'est-à-dire vers l’abolition de la propriété privée. Pour lui, la propriété privée trouve sa source dans le travail, et c’est pourquoi le capitalisme, en coupant la propriété du travail, constitue déjà une forme de socialisme non su. Par nature, cette doctrine trouve très facilement des passerelles avec la gauche syndicale, celle qui refuse tout esprit doctrinaire et se méfie du matérialisme des intellectuels.
Ce non-conformisme commence à prendre forme à partir du « nouveau nationalisme », réputé de droite, cristallisé pour la première fois avec le général Boulanger. Il trouvera ensuite son expression intellectuelle dans les cercles, surtout français, qui lui donneront son nom, entre les deux guerres. En Espagne, on en trouvera un début de réalisation avec la Phalange de Jose Antonio Primo de Rivera. Il sera parfois soutenu par une fraction du capitalisme (le capital enraciné de l’industrie, par opposition au capital spéculatif mondialisé de la haute banque), comme par exemple avec Mosley en Angleterre – et il sera également alimenté depuis l’autre bord, par des transfuges de la gauche la plus radicale (Mussolini, franc-maçon socialiste, les SA de gauche en Allemagne). A des degrés divers, ces soutiens le dénatureront soit parce qu’ils étaient intéressés (dans le cas des capitalistes), soit parce qu’ils reposaient sur un malentendu (dans le cas des « gauchistes »). Une fois le pouvoir conquis avec de tels soutiens (Mussolini en Italie, Hitler en Allemagne), le non-conformisme sera toujours esquivé par les fascismes, qui se penseront plus comme l’addition de la droite et de la gauche que comme leur dépassement à proprement parler. Après la Seconde Guerre Mondiale, la sensibilité non-conformiste s’exprimera encore, en France, avec le gaullisme (en particulier dans son versant « social »).
Après mai 68, le non conformisme doit s’exprimer dans le champ qui devient de plus en plus important au sein du combat politique : le champ métapolitique, c'est-à-dire le domaine de la formation des idées en amont des idées elles-mêmes. C’est ce que fait, en France, le GRECE, que les médias s’empresseront d’enfermer dans l’étiquette « Nouvelle Droite », pour l’empêcher de se poser en dépassement non-conformiste. Le GRECE lui-même suit en fait une voie ambiguë. Son principal fondateur, A. de Benoist, se définit à la fin des années 70 comme nominaliste, donc potentiellement relativiste et individualiste. Le discours néo-païen se définit contre le christianisme, ce qui constitue une rupture avec la plupart des non-conformismes préexistants. Engagée initialement dans le « nationalisme européen », la tendance GRECE s’oppose à l’américanisation, et finit par se faire cannibaliser par ce combat, au point de se retrouver sur des positions universalistes et anti-impérialistes classiques. La pensée qui émerge de ce courant repose au final sur une série d’alternatives dont certaines paraissent critiquables, en particulier du point de vue des auteurs chrétiens. En particulier, l’affirmation selon laquelle le christianisme serait égalitaire et totalitaire par nature heurte la conception classique, pour laquelle la religion chrétienne est porteuse d’une vision du monde hiérarchique et d’un discours politique organiciste. Par son antichristianisme, la Nouvelle Droite renvoie donc au fond à une grille de lecture aujourd’hui contestée, le totalitarisme comme sécularisation du messianisme (Arendt, Aron), par opposition à une grille de lecture qui resitue le phénomène dans sa filiation, et l’appréhende d’abord comme le fils du rationalisme des Lumières (Soljenitsyne). Au final, on peut se demander, nous dit Imatz en substance, si le GRECE, isolé dans un contexte intellectuel imprégné par le gauchisme, n’a pas fini par être contaminé par le germe dont il se voulait le vaccin.
Un autre courant non-conformiste, moins connu, émerge à la même époque : le traditionalisme intégral des héritiers de René Guénon. Prenant le contrepied de la Nouvelle Droite, il récuse entièrement les grilles de lecture nominalistes, et se construit en référence aux conceptions les plus anciennes (société de castes, doctrine des deux pouvoirs), comme si des siècles de modernité n’avaient pas existé. Beaucoup plus stable idéologiquement, ce courant présente la faiblesse classique du jusqu’auboutisme : il est totalement coupé de la société dans laquelle il évolue – ce qui limite forcément son influence.
A partir de la fin des années 80, avec le lancement de la revue « Krisis », la Nouvelle Droite, désormais dirigée de facto par Alain de Benoist, s’éloigne de son positivisme initial, et se rapproche du traditionalisme. Mais cette tentative de synthèse ne débouche sur rien de concluant. Un courant de pensée qui formule des idées pendant deux décennies sans jamais les faire passer dans le réel social s’épuise nécessairement, et à partir des années 90, cette « nouvelle Nouvelle Droite » vivote à côté de divers groupes de réflexion et de quelques revues d’intérêt divers (Nationalisme et république, Terre et peuple, Vouloir et orientations). Que reste-t-il de la Nouvelle Droite ? Imatz ne répond pas à la question, mais on comprend très bien ce qu’il veut dire.
A l’époque où se formait ce courant prometteur voué à se disperser dans un marécage peut-être fécond ( ?), un autre courant naissait dans les milieux non-conformistes : le libéral conservatisme, très influencé par la révolution conservatrice dans sa version américaine « néoconservatrice » (comprendre : financée par la haute banque cosmopolite), et doté assez vite d’un centre actif, le Club de l’Horloge. Les libéraux-conservateurs du Club de l’Horloge doivent cependant en rabattre, par rapport au discours à l’emporte-pièce de leurs inspirateurs anglo-saxons. La sainte trinité néoconservatrice (esprit judéo-chrétien, capitalisme libéral, démocratie de marché) ne « prend » pas en France, pays de tradition catholique étatiste, depuis toujours porté à l’idéologisation des affrontements politiques. Conscients du fait que la mondialisation des néoconservateurs parle Anglais, les libéraux-conservateurs français vont tenter de définir une voie de conciliation entre nationalisme et libéralisme. Ils prônent un libéralisme associant la population au capitalisme (distribution d’actions), la liberté de l’enseignement, la destruction des systèmes de protection sociale - exaltation, en somme, de la liberté et de la responsabilité individuelle dans un cadre national – ce que sera le sarkozysme, au moins en paroles, pendant la campagne 2007, rappelle par certains côtés les thèses du Club de l’Horloge.
Cependant, pour Arnaud Imatz, le principal courant non-conformiste de la fin du XX° siècle n’est ni la Nouvelle Droite (confinée aux cercles intellos), ni le Club de l’Horloge (tenu en marge ou récupéré par les milieux capitalistes qui donnent le « la » dans la galaxie libérale). Le grand non-conformisme actuel, c’est le nouveau populisme. Cette réaction qui monte du peuple n’est pas ou très peu idéologisée. Elle traduit d'une part l’attachement aux structures communautaires, et d’autre part la prise de conscience de la distance qui sépare les gouvernants des gouvernés. Resurgissement du solidarisme et de l’organicité, ce nouveau populisme est le contraire de l’individualisme issu de la modernité capitaliste. Il est la traduction politique de ce qui pousse vers l’autre, de ce qui pousse à aider l’autre. Il n’exclut donc que pour inclure, et n’est pas xénophobe, mais communautaire. Il offre, face à la régression néo-tribale, la possibilité d’une véritable refondation du sentiment d’appartenance – et c’est précisément pour cette raison qu’il est constamment combattu par l’oligarchie capitaliste, qui tente soit de l’interdire (quand elle ne le maîtrise pas, cf. l’histoire du FN), soit de le récupérer (cf. F. Bayrou, ou en Angleterre Tony Blair).
Imatz termine son bouquin par l’analyse du FN. Il le perçoit comme un phénomène certainement pas univoque, plutôt un lieu de compromis (difficile) entre une sensibilité national-populiste (qui reprend une partie des thématiques de la Nouvelle Droite, en les désintellectualisant) et une sensibilité libéral-conservatrice (qui fait de même avec les thématiques du Club de l’Horloge), tout en essayant de constituer un parti capable de surfer sur une vague populiste a-idéologique. Les deux sensibilités constitutives se combinent par ailleurs, de manière assez anarchique, avec les deux camps d’un clivage islamophile/islamophobe qui renvoie, implicitement, à la validation ou à l’invalidation de la thèse néoconservatrice du « choc des civilisations ». Confronté à l’agressivité permanente d’un système d’autant plus persécuteur qu’il se sait fragile, confronté aussi à la médiocrité des ambitions personnelles en interne, qui fait chambre de réverbération aux heurts entre grandes tendances idéologiques, confronté encore à la concurrence potentielle d’un courant souverainiste naissant, le FN de 2003 apparaît à Imatz comme une expérience intéressante, dont l’objectif secret est tout simplement la reconstruction de la société française, mais qu’il sera très, très difficile à conduire dans le contexte des années 2000.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’histoire récente ne lui a pas donné tout à fait tort !
*
Ce qui, de notre point de vue, rend le travail d’Arnaud Imatz intéressant, c’est qu’il permet de remettre en perspective la démarche qui est aujourd’hui celle, par exemple, des gens qui gravitent autour d’un modeste site comme Scriptoblog. Imatz ne crée pas de concept, ce n’est pas son propos. Il fait œuvre d’historien des idées, et montre d’où viennent fondamentalement les idées qui sont les nôtres : du refus du matérialisme, tant par une fraction de l’ancienne « vraie droite » que par une fraction de l’ancienne « vraie gauche ».
Imatz a le mérite de nous sortir de la perception des enjeux « depuis l’intérieur du débat ». Il nous permet de re-cartographier notre position en nous plaçant « au-dessus de la mêlée ». C’est un déplacement de point de vue créateur : en nous repositionnant à ce niveau de lecture, nous pouvons comprendre comment nous devons, à l’intérieur de la mêlée, nous placer pour que le pack, dans son ensemble, pousse exactement là où l’adversaire est faible.