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mercredi, 14 décembre 2022

Les États-Unis ont envisagé d'infiltrer des raiders et de déstabiliser l'Ukraine dès 1957

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Les États-Unis ont envisagé d'infiltrer des raiders et de déstabiliser l'Ukraine dès 1957

par Gianandrea Gaiani 

Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/gli-stati-uniti-valutavano-di-infiltrare-incursori-e-destabilizzare-l-ucraina-gia-nel-1957

Les opérations américaines visant à déstabiliser l'Ukraine et à l'éloigner de Moscou ont commencé dès les premiers stades de la guerre froide, du moins au niveau de la planification. Selon les analystes américains, un soulèvement antisoviétique aurait bénéficié d'un large soutien dans différentes régions de la République socialiste soviétique d'Ukraine et la ligne de démarcation entre "pro-" et "anti-Moscou" aurait suivi à peu près la même frontière que celle qui sépare aujourd'hui les républiques populaires de Donetsk et de Louhansk (RPD et RPL) et la Crimée du reste de l'Ukraine.

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C'est ce qui ressort d'une étude intitulée "Factors of Resistance and Areas of Special Forces Operations in Ukraine - 1957", commandée par l'armée américaine au Georgetown University Research Project. Une étude qui rappelle, par ses thèmes et son approche analytique, les études soviétiques qui ont vu le jour après la chute de l'URSS et du Pacte de Varsovie, dans lesquelles les possibilités d'infiltrer des raiders et d'inciter à des soulèvements dans les États européens membres de l'OTAN étaient évaluées.

La CIA a déclassifié cette étude en 2014 (l'année où les événements du Maïdan ont conduit au renversement du gouvernement de Kiev proche de Moscou), qui a également été citée en détail par la BBC dans un article de 2017 traçable aujourd'hui sur le web dans la version en langue russe alors que la version anglaise semble traçable après une recherche sommaire sur le site avoué pro-Moscou Stalkerzone.

Les États-Unis, sous la présidence de Harry Truman, ont fait face à la guerre froide en se lançant dans une politique de "transformation" des ennemis vaincus (Allemagne et Japon) en amis et des alliés de la Seconde Guerre mondiale (URSS) en ennemis.

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De plus, il est intéressant de noter qu'en réponse à l'opération Barbarossa (l'invasion de l'URSS par l'Axe), c'est le même Harry Truman, sénateur en 1941, qui a déclaré que "si nous voyions l'Allemagne gagner, nous devrions soutenir la Russie, mais si la Russie était proche de la victoire, nous devrions aider l'Allemagne et, de cette façon, les laisser s'entretuer aussi longtemps que possible" (McCullough, David, 15 juin 1992) (Truman. New York, New York : Simon & Schuster. p. 262. ISBN 978-0-671-45654-2).

La CIA, créée par Truman lui-même en 1947, devient alors le principal instrument des opérations clandestines qui caractérisent la politique étrangère de Washington.

En gros, l'étude de 1957 divise l'Ukraine en 12 zones délimitées en fonction de la loyauté envers l'URSS ou du soutien à un éventuel soulèvement contre le gouvernement soviétique, en tenant compte du fait que de 1945 au milieu des années 1950, les organisations de résistance antisoviétiques sont restées actives (en Ukraine comme dans les républiques baltes annexées à l'URSS) : le rapport rappelle qu'une seule poche de résistance a été enregistrée comme active après 1955, dans la région montagneuse des Carpates.

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Comme on pouvait l'imaginer, la partie occidentale de l'Ukraine - en particulier les régions de Volhyn et de Lutsk, qui comprennent des villes telles que Kovel, Lutsk, Kostopol et Vladimirovets - a été jugée par les analystes américains comme étant la plus "prometteuse" pour déclencher une insurrection et y infiltrer des forces spéciales (carte ci-dessus).

Le rapport attribue les sentiments antisoviétiques surtout à la Galicie (Lvov, Ternopil et Ivano-Frankovsk) dans la zone comprenant les régions de Kiev, Tcherkassy, Jitomir et Khmelnytsk, où la population locale pourrait fournir "un soutien important aux forces spéciales américaines" puisqu'il y avait un puissant mouvement ukrainien dans cette zone en 1917-1921 et une forte résistance armée pendant la collectivisation.

Les zones de l'Ukraine qui bordent la Hongrie et la Roumanie semblaient également présenter un intérêt pour l'infiltration de forces spéciales. Selon les données américaines, en Transcarpathie, les formations de la résistance ukrainienne antisoviétique ont opéré après la Seconde Guerre mondiale au nord d'Ujgorod et dans les zones montagneuses. Une situation similaire a été constatée dans la région de Tchernovtsyi où les rebelles ukrainiens sont actifs dans les zones montagneuses.

En revanche, la Crimée et le Donbass ont été définis comme "peu prometteurs" parce que la population locale, dans sa majorité, était pro-gouvernementale, se considérant, en fait, comme russe plutôt qu'ukrainienne (ZONES I et II).

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Le conflit entre les ZONES III-XII et les ZONES I-II est décrit dans le rapport de 1957 comme "très probable" et potentiellement "faisable", ce qui indique une escalade des affrontements au sein de l'URSS en vue de son effondrement. Dans le même rapport, la CIA estimait que les zones 3, 4 et 5 (Odessa, Kharkiv, Zaporozhye) se rangeraient également du côté du Donbass si un tel conflit éclatait.

Il est donc intéressant de se pencher sur la cartographie de l'Ukraine créée par la CIA en 1957 dans le contexte imaginé d'un déploiement d'unités des forces spéciales américaines en soutien à une insurrection. Quelque 60 ans plus tard, on ne peut que constater plusieurs similitudes avec la situation actuelle.

Des régions assurément pro-russes du Donbass aux régions "tendanciellement" pro-russes d'Odessa, Kharkiv, Zaporozhye (et Kherson), en passant par les oblasts du centre-ouest habités par une population aujourd'hui largement aussi hostile à Moscou qu'elle l'était à l'URSS pendant la guerre froide.

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Après avoir analysé la géographie, les sentiments de la population et les cibles stratégiques pour le sabotage, le rapport a mis en évidence cinq zones où les forces spéciales pourraient mener des attaques efficaces (dans la carte ci-dessus), principalement dans les régions du nord et de l'ouest, mais aussi le long de la côte sud de la Crimée, une zone riche en cibles militaires et infrastructurelles où, selon le rapport, les forces spéciales américaines compteraient sur le soutien des Tatars de Crimée considérés comme antisoviétiques.

Dans ce contexte, la région économique la plus importante, le Donbass, a été décrite comme totalement inadaptée en raison du manque d'endroits où se déguiser, de la forte densité de la population et d'un "grand nombre de Russes et d'Ukrainiens russifiés".

Le rapport ne contient aucune indication quant au moment ou aux conditions qui auraient pu déclencher les opérations des forces spéciales américaines en Ukraine soviétique, il apparaît avant tout comme une contribution analytique utile à la planification d'opérations à mettre en œuvre rapidement en cas de conflit et confirme comment, déjà dans les premières années de la guerre froide, l'Ukraine était considérée par les États-Unis comme la "charnière" reliant la Russie à l'Europe dans laquelle mettre en évidence les faiblesses et les vulnérabilités de Moscou et, ensuite, se préparer à frapper.

En 1997, quarante ans après l'étude commandée par l'armée américaine, Zbigniew Brzezinski, un politologue américain d'origine polonaise qui a été conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter, a théorisé dans son livre "Le grand échiquier" que sans le contrôle de l'Ukraine, la Russie perdrait son rôle de puissance en Europe.

 

dimanche, 11 décembre 2022

Tocqueville et le grand et coûteux avènement de la classe moyenne en France

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Tocqueville et le grand et coûteux avènement de la classe moyenne en France

Nicolas Bonnal

Lire et relire Tocqueville. Il a découvert avant tout le monde le peuple nouveau de Macron. C’est un peuple conforté, étatisé, subventionné, mais aussi socialiste, européen, belliqueux et progressiste en diable. Tocqueville comme Cournot sait que plus rien de grand ne nous attend après 1789. En 1848 il assiste écœuré et même ennuyé à la très actuelle révolution de 1848. Et il dit de notre histoire moderne dans ses splendides Souvenirs :

« Notre histoire, de 1789 à 1830, vue de loin et dans son ensemble, ne doit apparaître que comme le tableau d’une lutte acharnée entre l’ancien régime, ses traditions, ses souvenirs, ses espérances et ses hommes représentés par l’aristocratie, et la France nouvelle conduite par la classe moyenne. 1830 a clos cette première période de nos révolutions ou plutôt de notre révolution, car il n’y en a qu’une seule, révolution toujours la même à travers des fortunes diverses, que nos pères ont vu commencer et que, suivant toute vraisemblance, nous ne verrons pas finir. »

Et en 1830 triomphe de la classe moyenne qui est venu avec le culte étatique :

« En 1830, le triomphe de la classe moyenne avait été définitif et si complet que tous les pouvoirs politiques, toutes les franchises, toutes les prérogatives, le gouvernement tout entier se trouvèrent renfermés et comme entassés dans les limites étroites de cette seule classe, à l’exclusion, en droit, de tout ce qui était au-dessous d’elle et, en fait, de tout ce qui avait été au-dessus. Non seulement elle fut ainsi la directrice unique de la société, mais on peut dire qu’elle en devint la fermière. Elle se logea dans toutes les places, augmenta prodigieusement le nombre de celles-ci et s’habitua à vivre presque autant du Trésor public que de sa propre industrie. »

Flaubert a résumé aussi ces événements dans sa correspondance ; et Taine. Guénon en parle aussi de cette classe moyenne qui précipite la Fin de la Tradition en Occident – et qui gobe goulument Reset et vaccin.

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Tocqueville évoque même, comme le Nietzsche du Zarathoustra, un « rapetissement » universel:

« A peine cet événement eut-il été accompli, qu’il se fit un très grand apaisement dans toutes les passions politiques, une sorte de rapetissement universel en toutes choses et un rapide développement de la richesse publique. L’esprit particulier de la classe moyenne devint l’esprit général du gouvernement ; il domina la politique extérieure aussi bien que les affaires du dedans : esprit actif, industrieux, souvent déshonnête, généralement rangé, téméraire quelquefois par vanité et par égoïsme, timide par tempérament, modéré en toute chose, excepté dans le goût du bien-être, et médiocre ; esprit, qui, mêlé à celui du peuple ou de l’aristocratie, peut faire merveille, mais qui, seul, ne produira jamais qu’un gouvernement sans vertu et sans grandeur. »

Médiocrité, malhonnêteté, vanité, toute notre histoire républicaine dont la finalité est un rabougrissement de la destinée du pays dont de Gaulle eut le dernier la vision. Il poursuit :

« Maîtresse de tout comme ne l’avait jamais été et ne le sera peut-être jamais aucune aristocratie, la classe moyenne, devenue le gouvernement, prit un air d’industrie privée ; elle se cantonna dans son pouvoir et, bientôt après, dans son égoïsme, chacun de ses membres songeant beaucoup plus à ses affaires privées qu’aux affaires publiques et à ses jouissances qu’à la grandeur de la nation. »

Mais le Français ne voulait pas de retour en arrière, pour rien au monde ; il est moins nostalgique encore que l’américain qui a les indiens ; il est content de son « égalité » :

« L'ancienne dynastie était profondément antipathique à la majorité du pays. Au milieu de cet alanguissement de toutes les passions politiques que la fatigue des révolutions et leurs vaines promesses ont produit, une seule passion reste vivace en France : c'est la haine de l'ancien régime et la défiance contre les anciennes classes privilégiées, qui le représentent aux yeux du peuple. Ce sentiment passe à travers les révolutions sans s'y dissoudre, comme l'eau de ces fontaines merveilleuses qui, suivant les anciens, passait au travers des flots de la mer sans s'y mêler et sans y disparaître. »

La haine des rois est permanente, voir le sort de Notre-Dame ; on n’a pas ici besoin de cancel culture made in USA.

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Personne n’aime alors vraiment la république ; mais ces haines sont molles :

« La république était sans doute très difficile à maintenir, car ceux qui l'aimaient étaient, la plupart, incapables ou indignes de la diriger et ceux qui étaient en état de la conduire la détestaient. Mais elle était aussi assez difficile à abattre. La haine qu'on lui portait était une haine molle, comme toutes les passions que ressentait alors le pays. D'ailleurs, on réprouvait son gouvernement sans en aimer aucun autre. Trois partis, irréconciliables entre eux, plus ennemis les uns des autres qu'aucun d'eux ne l'était de la république, se disputaient l'avenir. De majorité, il n'y en avait pour rien. »

Toujours au même point, pas vrai ?

Tout le monde surtout veut déjà vivre de subventions et de manne publique (O Louis Blanc ! O ateliers nationaux ! O Bastiat !) :

« La vérité est, vérité déplorable, que le goût des fonctions publiques et le désir de vivre de l'impôt ne sont point chez nous une maladie particulière à un parti, c'est la grande et permanente infirmité de la nation elle-même ; c'est le produit combiné de la constitution démocratique de notre société civile et de la centralisation excessive de notre gouvernement ; c'est ce mal secret, qui a rongé tous les anciens pouvoirs et qui rongera de même tous les nouveaux. »

Une fois son confort assuré on peut divaguer socialo, woke ou autre.

Le grand esprit parlera « d’industrie de la place » dans son Ancien régime ; c’est Taine qui parle de cette profusion du bourgeois, espèce qui croît avec l’étatisme (La Fontaine et ses Fables, dernière expression de l’esprit français traditionnel).

Avec un peuple comme ça, pas de théorie du complot ; Tocqueville l’attaque impeccablement dans sa lettre au marquis de Circourt et dans sa correspondance avec Gobineau :

« C’est mal employer le temps que de rechercher quelles conspirations secrètes ont amené des événements de cette espèce. Les révolutions, qui s’accomplissent par émotion populaire, sont d’ordinaire plutôt désirées que préméditées. Tel qui se vante de les avoir machinées n’a fait qu’en tirer parti. Elles naissent spontanément d’une maladie générale des esprits amenée tout à coup à l’état de crise par une circonstance fortuite que personne n’a prévue ; et, quant aux prétendus inventeurs ou conducteurs de ces révolutions, ils n’inventent et ne conduisent rien ; leur seul mérite est celui des aventuriers qui ont découvert la plupart des terres inconnues. Oser aller toujours droit devant soi tant que le vent vous pousse. »

Et comme on citait Gobineau…

Arthur de Gobineau résume, assez génialement doit-on dire, le présent perpétuel des Français (Lettre de Téhéran adressée à Tocqueville, 29 novembre 1856) :

« Un peuple qui, avec la République, le gouvernement représentatif ou l’Empire, conservera toujours pieusement un amour immodéré pour l’intervention de l’Etat en toutes ses affaires, pour la gendarmerie, pour l’obéissance passive au collecteur, au (illisible), à l’ingénieur, qui ne comprend plus l’administration municipale, et pour qui la centralisation absolue et sans réplique est le dernier mot du bien, ce peuple-là, non seulement n’aura jamais d’institutions libres, mais ne comprendra même jamais ce que c’est. Au fond, il aura toujours le même gouvernement sous différents noms… »

Vite, un successeur à Macron…

https://fr.wikisource.org/wiki/Souvenirs_(Tocqueville)/Te...

vendredi, 09 décembre 2022

Charles Douglas Jackson, le psycho-guerrier de la Maison Blanche

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Charles Douglas Jackson, le psycho-guerrier de la Maison Blanche

Pietro Emanueli

Source: https://insideover.ilgiornale.it/schede/storia/charles-douglas-jackson-lo-psico-guerriero-della-casa-bianca.html?_gl=1*r1372n*_ga*MTk0Nzk3NDM1LjE2NTY3NTcyNDA. *_ga_ENZ2GEXW4Y*MTY3MDYwMTI5MS42MS4wLjE2NzA2MDEyOTEuMC4wLjA.*_ga_N875FNGMRC*MTY3MDYwMTI5MS4xNS4wLjE2NzA2MDEyOTEuMC4wLjA.&_ga=2.66924710.967987776.1670601292-194797435.1656757240

Contrôler, déresponsabiliser et corrompre les gens n'a jamais été aussi facile qu'aujourd'hui, au 21ème siècle, à l'heure des guerres hybrides, de l'info-démocratie, de la biopolitique, du capitalisme de surveillance, des armes cognitives et du neuro-marketing. Un temps, le contemporain, auquel appartiennent des phénomènes tels que les post-vérités, la dé-démocratisation des démocraties libérales et l'intoxication des masses par un panem et circenses quelque part entre George Orwell et Aldous Huxley.

Notre époque est indéchiffrable, où rien n'est ce qu'il semble être, car tout est ou pourrait être une arme neurologique - de la musique au divertissement -, et où personne n'est ce qu'il prétend être, car tout le monde est ou pourrait être un propagateur de pensée déguisé - comme les influenceurs.

Les vrais, uniques et grands vainqueurs de cette ère grouillante de sycophantes et d'écervelés seront ceux qui, en identifiant le Logos dans les abysses des post-vérités, sauront défendre leur autonomie cognitive-intellectuelle contre la force désindividuante et spoliatrice de la massification. Et le secret pour gagner cette bataille, pour maintenir une "pensée souveraine" dans l'ère sombre de la pensée de groupe et de la moralité de troupeau, réside peut-être dans l'expérience des pères fondateurs de la propagande, comme Edward Bernays et Charles Douglas Jackson.

Une carrière fulgurante

141870510_1476793796.jpgCharles Douglas Jackson est né à New York le 16 mars 1902. On sait peu de choses de son enfance, de son adolescence et de son milieu familial, si ce n'est qu'il a été diplômé de Princeton en 1924.

C'est depuis l'époque postérieure à sa graduation que tout (ou presque) sur Jackson est dans le domaine public. Son ascension au sommet de la pyramide du pouvoir nord-américain commencera en 1931, l'année où il rejoindra la rédaction du Time Magazine du prédicateur Henry Luce. Le magazine, loin d'être indépendant et non pertinent, était un mégaphone de l'establishment, l'État profond, et au sein de celui-ci, Jackson se ferait remarquer pour avoir produit un contenu très persuasif.

Ensorcelée par les qualités de Jackson, l'influent Henry Luce réussira, en 1940, à le faire entrer dans l'organisation, puis dans la direction, d'un comité pro-guerre: le Council for Democracy. Jackson, en un mot, devait convaincre le public américain de la nécessité de participer à la Seconde Guerre mondiale - avant que Pearl Harbour n'ait lieu.

Aidé par maître Luce, qui avait entre-temps rejoint un cercle d'étoiles montantes du calibre d'Allen Welsh Dulles - futur directeur de la Central Intelligence Agency - et de Dean Acheson - futur sous-secrétaire d'État dans l'administration Truman -, Jackson devait entrer dans la war room dès le début du conflit.

Le psycho-guerrier de la Maison Blanche

La Seconde Guerre mondiale fera passer Jackson de la propagande à la guerre psychologique. D'abord affecté à l'ambassade des États-Unis en Turquie, il se verra confier, entre 1943 et 1945, des rôles plus appropriés: formulateur de programmes psychologiques pour le Bureau des services secrets et la Division de la guerre psychologique du Quartier général suprême des forces expéditionnaires alliées.

Après la guerre, ayant (dé)montré ses compétences aux responsables, Jackson n'aura plus besoin du soutien du maître. Au contraire, Jackson commencerait à lui rendre l'aide précieuse qu'il avait reçue au fil des ans, en le soutenant dans la gestion du magazine qui l'avait formé.

Il faisait partie des meilleurs propagandistes, si ce n'est le meilleur, et son nom était donc demandé partout. En 1951, par exemple, la CIA nouvellement fondée voulait qu'il dirige le Comité pour l'Europe libre, du sein duquel naîtrait la célèbre Radio Liberty, toujours active aujourd'hui. Et l'année suivante, il est engagé pour écrire les discours du candidat à la présidence Dwight Eisenhower.

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Eisenhower, qui a remporté les élections (aussi) grâce au travail remarquable de ce propagandiste né, une fois à la Maison Blanche, le contractera comme conseiller pour la guerre psychologique. À ce titre, en très peu de temps, Jackson allait jeter les bases d'une future victoire dans la guerre froide et laisser un héritage tangible à la postérité. En plus de convaincre ses collègues de l'impératif de moderniser Radio Liberty, Jackson jouera en effet un rôle clé dans la création du groupe Bilderberg.

On ne peut comprendre l'importance de la contribution de Jackson au Bilderberg qu'en examinant les chiffres éloquents de sa participation aux travaux. Faisant partie des membres de la première édition, tenue en 1954, Jackson sera également invité à celles de 1957, 1958, 1960, 1961, 1962, 1963 et 1964.

La contribution de Jackson

Jackson est mort le 18 septembre 1964, après s'être également rendu aux Nations unies. Bien que sa carrière au service de la Maison Blanche ait été relativement courte, puisqu'elle a duré plus ou moins une décennie, il reste dans les mémoires comme l'un des plus grands experts en opérations psychologiques du 20ème siècle.

Les raisons de la célébrité éternelle de Jackson sont multiples. Outre le fait d'avoir compris le potentiel de Radio Liberty, de réaliser l'importance d'avoir un comité tel que le Bilderberg pour renforcer le partenariat euro-atlantique, Jackson est celui qui a suggéré à la Maison Blanche de surmonter le maccarthysme - estimant qu'une persuasion douce était plus productive qu'une chasse aux sorcières -, a façonné l'opération Mockingbird - le nom de code d'une campagne d'infiltration de la CIA dans la presse grand public et à Hollywood - et, dans l'ensemble, a fait en sorte que l'art de la guerre psychologique devienne une composante essentielle du modus belli gerendi des États-Unis.

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Aujourd'hui, au 21ème siècle, la stratégie de psycho-guerre des États-Unis continue de parler la langue de Jackson : les médias comme arme de manipulation de masse, le cinéma comme outil de propagande et les comités inter-atlantiques pour maintenir la relation entre les États-Unis et l'Europe vivante, ferme et étroite.

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mercredi, 23 novembre 2022

L'Ecole de Sagesse du Comte Keyserling - Une leçon d'influence culturelle

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L'Ecole de Sagesse du Comte Keyserling

Une leçon d'influence culturelle

Par Manuel Fernández Espinosa

Ex : http://movimientoraigambre.blogspot.com

Les généalogistes disent qu'il avait Genghis Khan comme ancêtre par l'intermédiaire d'une grand-mère et on sait qu'il était marié à la petite-fille d'Otto von Bismarck. Hermann Alexander Comte Keyserling (1880-1946) était un philosophe plutôt populaire selon les normes de sa profession ; aujourd'hui, on se souvient à peine de lui. Avec la révolution bolchevique, il a été contraint d'émigrer en Allemagne, abandonnant ses domaines dans la Livonie balte dont il était originaire. Sa curiosité philosophique l'a conduit à entreprendre une série de voyages, faisant de lui un véritable homme du monde. Son intérêt pour les philosophies et les religions d'Extrême-Orient et la connaissance qu'il a acquise de ces traditions au cours de ses voyages et de ses études lui ont valu le rôle d'interlocuteur européen en Asie, à tel point qu'Antonio Machado a pu écrire à son sujet : "il porte l'Orient dans son sac de voyage, prêt à ce que le soleil se lève là où on l'attend le moins" ("Juan de Mairena", Antonio Machado).

En 1920, le comte Keyserling fonde son "École de la sagesse" (Schule der Weisheit) à Darmstadt, sous le patronage du grand-duc Ernst Ludwig de Hesse. Avec la Schule der Weisheit, un centre de haute culture a été créé, qui avait deux dimensions : une dimension publique, en tant que centre d'éducation indépendant des églises et de l'université, organisant des conférences, et une autre dimension, moins connue, de nature occulte. Nous ne devrions pas être choqués par le fait de son "occultisme", puisque l'Allemagne de l'entre-deux-guerres (comme Thomas Mann et Ernst Jünger nous le relatent dans leurs romans...) était un terrain favorable aux sociétés secrètes et à leurs prétendues doctrines de salut.

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Les intellectuels les plus remarquables de l'Allemagne de l'entre-deux-guerres sont passés par l'École de la Sagesse dans leurs activités publiques: le philosophe Max Scheler, le père de la psychologie des profondeurs Carl Gustav Jung, le sinologue Richard Wilhelm, le philosophe Leopold Ziegler, etc. Des scientifiques et des industriels allemands ont également été invités à donner des cours ou à assister à des conférences. L'École de la Sagesse a imprimé deux périodiques qui sont devenus ses organes de presse : Der Weg zur Vollendung. Mitteilungen der Schule der Weisheit ("Le chemin de la perfection. Communications de l'école de la sagesse") et Der Leuchter. Weltanschauung und Lebensgestaltung. Jahrbuch der Schule der Weisheit ("Le luminaire. Vision du monde et formation à la vie. Annuaire de l'école de la sagesse"). En 1920, la Keyserling-Gesellschaft für freie Philosophie (Société de Keyserling pour la philosophie libre) a également été fondée, qui a été relancée à Wiesbaden en 1948.

Les intellectuels les plus engagés dans le projet du comte Keyserling étaient tenus à une stricte observance de la philosophie keyserlingienne particulière et étaient sous la direction du comte ou de ses disciples de confiance. Parmi eux, le comte Kuno von Hardenberg (1871-1938), orientaliste et critique d'art, spécialiste de la franc-maçonnerie. Le scientifique qui, comme le comte von Keyserling lui-même, était d'origine balte : Karl Julius Richard Happich (1863-1923) (photo), l'un des pionniers du contrôle hygiénique, bactériologiste et vétérinaire, également oncologue.

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Kuno von Hardenberg et Karl Happich écriront, avec Hermann von Keyserling, un livre au titre éloquent Das Okkulte (L'occulte) ; ce n'est pas pour rien que Federico Sciacca affirme que Keyserling "s'est donné à la magie et à l'occultisme dans une conception du génie comme véhicule de Dieu sur terre". Le psychologue Georg Groddeck (1866-1934), considéré comme l'un des pionniers de la médecine psychosomatique, a également joué un rôle dans l'École de la sagesse.

Mais quelle était la philosophie de Keyserling ? La philosophie de Keyserling est une cristallisation supplémentaire du pessimisme qui a suivi la Première Guerre mondiale, à l'instar du relativisme de Simmel, de la philosophie de l'histoire d'Oswald Spengler et d'autres courants contemporains : rien moins que les fondements de la civilisation occidentale étaient en jeu. Keyserling revendique le "Sens" et fait une critique grossière du rationalisme et de la civilisation technique dans lesquels l'Occident a sombré. "L'Occidental est un fanatique de l'exactitude. D'autre part, il ignore presque tout de la signification. Si jamais il pouvait la saisir, il l'aiderait à trouver son expression parfaite et à établir une harmonie complète entre l'essence des choses et les phénomènes" - nous dit le comte Keyserling dans Journal de voyage d'un philosophe (1919).

Pour Keyserling, il s'avère que le "sens", qui est - précisément - ce que l'Occidental ignore, est ce que l'Oriental n'a pas perdu. Le sens ne peut être découvert que par une intuition particulière et par l'interprétation des symboles et des mythes. C'est en tenant compte de cet élément que l'on peut comprendre que Keyserling tourne son regard vers l'Est, où le comte balte croit avoir trouvé la clé qui, convenablement greffée à l'Ouest, peut permettre à l'homme de découvrir sa véritable personnalité, falsifiée par la civilisation de la mesure et des machines. L'école de la sagesse n'était pas un centre conventionnel de philosophie académique, mais un chemin de connaissance dans un but précis : la plénitude. La rencontre avec le Sens - pour Keyserling - n'est pas seulement la rencontre avec la réalité qu'il y a, mais plutôt l'ouverture à la réalité qu'il peut y avoir. La philosophie de Keyserling était une autre expression de l'irrationalisme romantique allemand et son École de la Sagesse un retour aux approches anciennes d'une philosophie qui prétendait offrir une doctrine de salut, comme le pythagorisme et l'Académie de Platon.

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Keyserling était très populaire en Espagne. L'intelligentsia espagnole et les classes sociales supérieures de l'époque étaient ravies de le recevoir et l'entretenaient avec des banquets, et attendaient la prédication du comte mystagogue avec intérêt et scepticisme. Indépendamment de leurs tendances, qui à l'époque ne s'étaient pas radicalisées jusqu'à la confrontation civile, José Ortega y Gasset, Eugenio d'Ors, les Machados, les Barojas, Ernesto Giménez Caballero, Rafael Alberti, Ramiro Ledesma Ramos, Ramón Menéndez Pidal, Américo Castro... ont partagé d'agréables soirées en Espagne avec le sage balte. Mais il y avait d'autres motivations pour les voyages du comte Keyserling en Espagne, en plus de son harmonie avec le monde hispanique. Keyserling avait envisagé la possibilité de créer une branche de son École de la Sagesse dans les Îles Baléares. Les journaux de l'époque ont rapporté que cette entreprise culturelle voulait créer un centre de formation pour les élites castillanes et catalanes avec l'intention de propager le pangermanisme.

Mais l'hebdomadaire La Conquista del Estado de Ledesma Ramos réagit à ces prétentions germaniques, comprenant les allées et venues du comte Keyserling comme une ingérence étrangère dans les affaires hispaniques. Il est plus que probable que La Conquista del Estado avait raison : Keyserling exerçait son influence sur l'Espagne, mais avec l'idée de l'exercer ensuite sur l'Amérique latine : c'est ce que lui reproche l'hebdomadaire de Ledesma Ramos : "D'une part, il recherche l'amitié espagnole pour donner à la pauvre petite France matière à réflexion. Et d'autre part, il veut s'assurer le marché hispano-américain en cultivant les agents les plus autorisés de la métropole hispanique" ("Keyserling en España o el comercio alemán de ideas", LA CONQUISTA DEL ESTADO, 14 mars 1931).

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L'Espagne était alors, comme elle l'est aujourd'hui, une terre où le poids des puissances en présence se décidait dans les rencontres de la société et de la culture.

Nous pouvons en conclure que l'École de la Sagesse de Keyserling a pu être, en même temps qu'un centre de philosophie, un laboratoire d'idées d'un certain pangermanisme de l'entre-deux-guerres qui expérimentait des stratagèmes pour réaliser des alliances avec de grands blocs géopolitiques, comme celui constitué par l'Hispanidad. Le triomphe du national-socialisme hitlérien a conduit à la persécution et à l'extinction de nombreuses organisations similaires à celle de Keyserling (rappelez-vous le harcèlement auquel le hiérophante Rudolf Steiner et son anthroposophie ont également été soumis par les nazis). En Espagne, après la guerre civile espagnole, la philosophie de Keyserling a décliné et son étoile a pâli..... Elle est restée un souvenir fané des temps d'avant le massacre dans lequel nous étions impliqués.

La leçon du cas de Keyserling se résume peut-être à l'intérêt que toutes les puissances mondiales ont manifesté pour exercer leur influence culturelle sur l'Espagne, avec l'intention de l'exercer à leur tour sur les pays frères d'Amérique latine : Français, Anglais, Allemands, Russes se sont partagé les sympathies des Espagnols. Certains Espagnols, comme Valle-Inclán, ont travaillé pour les Alliés pendant la Première Guerre mondiale, d'autres Espagnols ont professé une évidente germanophilie, et même au milieu des fusillades de la guerre civile, on pouvait entendre des acclamations pour la Russie. D'une manière très différente, les pays qui se sont disputés l'hégémonie mondiale ont réussi à nous rallier à leur cause.

N'est-il pas temps de créer nos propres centres culturels dans le but précis de mener à bien une grande politique hispanique ? Oui, je pense que c'est le cas. Et pour de simples raisons de survie. J'espère pouvoir répondre à cette question très bientôt.

BIBLIOGRAPHIE :

Plusieurs livres de Hermann Comte de Keyserling.

Plusieurs livres d'Eugenio d'Ors.

Federico Sciacca, "La philosophie aujourd'hui".

Emile Bréhier, "Histoire de la philosophie", vol. 2.

Antonio Machado, "Juan de Mairena".

lundi, 14 novembre 2022

Grande-Bretagne : le déclin d'un ancien empire

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Grande-Bretagne: le déclin d'un ancien empire

par Fabrizio Pezzani

Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/gran-bretagna-il-declino-di-un-ex-impero

L'histoire de l'ascension et du déclin de la Grande-Bretagne est un véritable manuel pour examiner le parcours des civilisations et des sociétés qui s'élèvent, atteignent leur apogée, puis commencent lentement à s'effondrer. L'essor et la chute des sociétés dépendent de la composante "valeur" des classes dirigeantes et de leur capacité créative.

Au début du XVIe siècle, l'Angleterre était considérée comme un État arriéré et sous-développé, peu peuplé, mais la révolution des moyens de navigation et l'ouverture des routes commerciales maritimes ont offert un tremplin à son affirmation mondiale croissante ; progressivement, les navires de l'Atlantique, les galions, ont supplanté les galères qui ont eu leur dernière occasion de remporter une victoire en 1571 à Lépante. Remplacer l'énergie humaine des galères par l'énergie éolienne et chimico-physique des galions à voile a été une révolution dans le monde maritime. Sur les galions, il était alors possible de placer des canons sur le pont et sous le pont, rendant les armées maritimes presque invincibles.

La conquête de la mer et des océans a permis de passer du commerce méditerranéen au commerce atlantique avec un développement sans précédent des échanges de biens et de matières premières. Jusqu'au début du XVIIIe siècle, l'occupation par les Britanniques et les Européens en général se limitait aux bandes côtières et aux bases navales, mais l'occupation de l'arrière-pays a été l'un des sous-produits de la révolution industrielle qui a contribué à ouvrir la voie à la révolution industrielle elle-même. Dans l'histoire de l'humanité, les interdépendances entre les différents facteurs d'évolution n'opèrent pas toujours aussi clairement.

Ce n'est pas un hasard si la révolution industrielle s'est développée en Angleterre, qui, grâce à sa puissance maritime, avait créé un lien avec les colonies qui fournissaient les matières premières, consommaient les nouveaux produits et offraient des opportunités de richesse et de nouveaux marchés en permanence. La puissance économique et militaire a permis à l'Angleterre de créer un empire colonial inégalé pendant sa période de domination. La révolution industrielle a démoli l'ancien monde sous tous ses aspects, productif, social - le capitalisme se heurte au marxisme -, démographique, politique et financier, et a changé le mode de vie dans les villes au détriment des zones rurales.

Parallèlement à ce développement global, nous avons une évolution de la culture, de la technologie, de la scientificité qui trouve dans les universités un centre de croissance inégalé dans toutes les matières. Les universités deviennent des centres d'excellence et préparent la classe dirigeante de l'empire, la rendant capable d'affronter les défis posés par le nouveau contexte mondial avec créativité et savoir.

Londres devint ainsi un centre nodal financier et d'assurance pour le monde entier, les nouveaux banquiers et assureurs sont formés pour la croissance de l'empire ; la classe dirigeante est de haut niveau et supérieure à celle des autres États concurrents et contribue à renforcer l'empire qui, jusqu'au déclenchement de la Première Guerre mondiale, fait de l'Angleterre l'empire dominant dans le monde qui, ensuite, entame lentement son déclin.

Dans la période de sa plus grande splendeur, les conditions du déclin commencent, en effet l'autoréférence augmente et le manque d'autocritique commence à réduire l'esprit créatif capable de réponse au monde changeant.  À partir des années 1930, le déclin devient de plus en plus évident en raison d'une diminution de la capacité de l'élite dirigeante à faire face aux nouveaux défis avec créativité, restant plus encline à ossifier les gloires du passé récent. Illusionnée par le pouvoir acquis dans les années 1920, elle décide, comme un acte de force, d'imposer la convertibilité de la livre en or ; ce choix, critiqué par Keynes, est un désastre lié à l'incapacité de la classe dirigeante à comprendre les changements qui s'opèrent dans le monde et à adopter un comportement novateur. L'effondrement de l'initiative a affecté les colonies, créant de leur part les premiers signes d'une dissidence indépendantiste qui allait s'amplifier au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Résultat de la même autoréférentialité: le bras de fer perdu sur la conservation du canal de Suez en 1956, finalement gagné par l'Égypte de Nasser.

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La révolution financière avec la fin de l'étalon de change or a frappé la finance britannique en la contraignant à accepter l'aide du FMI, c'était le signe d'une rupture avec le passé et le véritable début du déclin ; l'ascension de Margaret Thatcher et l'erreur qui fut de suivre le néo-libéralisme financier dicté par les Etats-Unis ont conduit à l'effondrement culturel avant même l'effondrement économique. Le fait d'avoir épousé sans critique le néolibéralisme financier a détruit la production industrielle qui était excellente dans tant de secteurs et a préparé un déclin et une position politique de soumission aux États-Unis.

Enfin, le Brexit, une fois de plus fruit de l'aveuglement politique et enfant de l'autoréférence suicidaire, a fait le reste : la classe politique s'est montrée de plus en plus inadaptée à la tâche de gouvernement et au changement qu'exige l'histoire, se refermant sur elle-même comme la porte d'un saloon ; elle n'a pas manqué la farce ridicule de la comparaison avec notre pays, qui, malgré son audimat nettement opportuniste, fait preuve d'une vitalité manufacturière qu'ils n'ont plus.

Les États-Unis ont depuis longtemps emprunté cette même voie, faute de dirigeants et incapables de trouver une solution aux problèmes qu'ils pensent résoudre de la même manière qu'ils les ont créés. La tendance fluctuante du dollar a déjà commencé, et ses quantités sans fin et sans véritable base de référence ressemblent à une immense pyramide inversée avec une quantité minimale d'or à sa base.

Lorsque les qualités de la classe dirigeante font défaut, comme l'histoire de l'Angleterre le démontre et celle des États-Unis semble l'imiter, les civilisations et les sociétés commencent à se désintégrer et à s'effondrer ; "commence alors la profonde décadence qui n'est pas une paralysie des facultés naturelles de la classe dirigeante mais un effondrement de son héritage social qui bloque et inhibe toute action de renouvellement et l'effondrement d'une société se produit lorsque la décadence a commencé depuis longtemps : les civilisations, en d'autres termes, ne disparaissent pas par mort violente mais par "suicide". "(A. Toynbee , Civilisations in History, p. 356 ).

samedi, 12 novembre 2022

"Pages russes" de Robert Steuckers

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"Pages russes" de Robert Steuckers

Un ouvrage très attendu, enfin disponible !

Par un foisonnement hétéroclite, ce nouveau recueil de Robert Steuckers fera sans nul doute autorité en ce qui concerne la question russe au sens large. Il s'agit d'études s'étalant sur près de 35 ans de recherches et de débats dans divers cercles métapolitiques, en Belgique, en France, aux Pays-Bas, en Suisse et en Allemagne.

Fondements du nationalisme russe, germanophobie et anglophobie dans le débat russe du début du siècle, origines de l’Europe soviétique, généalogie des droites russes, enjeux géopolitiques passés et présents, fronts du Donbass et de Syrie sont, entre autres, les thématiques abordées.

Robert Steuckers met également à l’honneur de grandes figures telles Soljénitsyne, Rozanov, Tioutchev, Kopelev ou encore Douguine et Parvulesco.

Cette lecture, voulue didactique par l’auteur et émaillée de souvenirs personnels remontant à son enfance, permettra à chacun de mieux comprendre la trame du monde actuel où la Russie se trouve sur le devant de la scène.

406 pages - 30,00 euro TTC.

Pour toute commande: http://www.ladiffusiondulore.fr/index.php?id_product=1007&controller=product

Table des matières

Préface

- Variations autour du thème « Russie »

- Entretien à ID-Magazine sur la Russie

- Fondements du nationalisme russe

- Russes et Allemands

- Nationalisme constitutionnel et nationalisme dynastique, germanophobie et anglophobie, néoslavisme et panslavisme dans le débat russe du début du siècle

- Émigration blanche, fascisme, stalinisme : approches nouvelles après la chute du communisme.

- La généalogie des droites russes chez Walter Laqueur

- La diplomatie de Staline

- Les origines de l’Europe soviétique

- Trois livres sur les relations germano-soviétiques de 1918 à 1944

- Le Traité de Rapallo (1922) et ses suites

- Intervention de Robert Steuckers lors du colloque « Euro-Rus » de Termonde, 15 mars 2008

- Le déclin de l’Union Soviétique

- La Russie : enjeux géopolitiques

- Russie : restauration poutinienne et nouvelles perspectives géopolitiques

- Les idées géopolitiques affichées par Jirinovski

- Réflexions géopolitiques sur les turbulences du Donbass

- Fronts du Donbass et de Syrie : deux théâtres d’une même guerre

- La guerre russo-ukrainienne

- Chatov, personnage de Dostoïevski

- L’âge d’argent de la littérature russe :

- Rozanov, penseur vitaliste

- Relire Soljénitsyne

- Alexandre Zinoviev et le communisme comme réalité

- Bibliographie – Livres sur la Russie

- Lev Kopelev : Espoir et années allemandes

- Une thèse sur Valentin Raspoutine

- Essais sur la culture russe

- Fiodor Tioutchev

- Entretien avec Pavel Vladimirovitch Toulaev, vice-président de Synergies Européennes à Moscou

- Les fondements helléniques de la future « Révolution Conservatrice » russe

- Les positions philosophiques d’Alexandre Douguine

- Russie : arrière-cour de l’Europe ou avant-garde de l’Eurasie ?

- Entretien avec Alexandre Douguine, éditeur traditionaliste à Moscou

- Pourquoi nous opposons-nous à l’O.T.A.N. ?

- Les mémoires de Jaruzelski : notes sur le rôle de l’homme d’État

- Hommage à Jean Parvulesco & souvenirs d’une collaboration inoubliable

samedi, 29 octobre 2022

Ecologie et spiritualité: Jules César et la destruction de la forêt gauloise

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Ecologie et spiritualité: Jules César et la destruction de la forêt gauloise

par Nicolas Bonnal

La destruction du monde ne date pas d’hier. La destruction des bois et des forêts a été maintes fois commentée dans l’Antiquité, notamment par Ovide.

« Les pins abattus sur les montagnes n’étaient pas encore descendus sur l’océan pour visiter des plages inconnues. Les mortels ne connaissaient d’autres rivages que ceux qui les avaient vus naître. Les cités n’étaient défendues ni par des fossés profonds ni par des remparts. »

Car l’âge d’or, c’est quand on ne touche pas aux forêts. La dimension sacrée, si présente dans la Norma de Bellini, est aussi soulignée par Tacite dans sa Germanie. J’évoquerai les splendeurs d’Ovide une autre fois (c’est le poète qu’on nous fit le plus rater à l’école...).

Grâce à une page de l’historien des celtes Venceslas Kruta, j’ai enfin découvert la Pharsale de Lucain, rival et martyr de Néron. Comme chez Tolkien, on y trouve un bois sacré que va détruire César. Il est situé près de Massilia, ville alors phocéenne et prestigieuse pour sa résistance à César.

Je laisse la parole à Lucain (Pharsale, chant III, vers 400-430 environ) : « Non loin de la ville était un bois sacré, dès longtemps inviolé, dont les branches entrelacées écartant les rayons du jour, enfermaient sous leur épaisse voûte un air ténébreux et de froides ombres. Ce lieu n’était point habité par les Pans rustiques ni par les Sylvains et les nymphes des bois. Mais il cachait un culte barbare et d’affreux sacrifices. Les autels, les arbres y dégouttaient de sang humain ; et, s’il faut ajouter foi à la superstitieuse antiquité, les oiseaux n’osaient s’arrêter sur ces branches ni les bêtes féroces y chercher un repaire ; la foudre qui jaillit des nuages évitait d’y tomber, les vents craignaient de l’effleurer. Aucun souffle n’agite leurs feuilles ; les arbres frémissent d’eux-mêmes. »

La forêt est fascinante et périlleuse. Mais vivante.

Lucain poursuit : « Des sources sombres versent une onde impure ; les mornes statues des dieux, ébauches grossières, sont faites de troncs informes ; la pâleur d’un bois vermoulu inspire l’épouvante. L’homme ne tremble pas ainsi devant les dieux qui lui sont familiers. Plus l’objet de son culte lui est inconnu, plus il est formidable. »

Chez Dante aussi il y a des arbres qui saignent en enfer. Je cite mon livre sur Tolkien : 

« Comme on aura compris, Dante arrive donc avec Virgile dans une forêt très obscure (nous sommes au chant XIII de l’Enfer). Dans un univers encore plus terrifiant, il dialogue avec des arbres, et il comprend le drame sanglant de ces troncs qui sont des âmes de suicidés punis : « Ainsi que le bois vert pétille au milieu des flammes, et verse avec effort sa sève qui sort en gémissant, de même le tronc souffrant versait par sa blessure son sang et ses plaintes. Immobile, et saisi d’une froide terreur, je laisse échapper le rameau sanglant… Quand une âme furieuse a rejeté sa dépouille sanglante, le juge des Enfers la précipite au septième gouffre : elle tombe dans la forêt, au hasard ; et telle qu’une semence que la terre a reçue, elle germe et croît sous une forme étrangère. Arbuste naissant, elle se couvre de rameaux et de feuilles que les harpies lui arrachent sans cesse, ouvrant ainsi à la douleur et aux cris des voies toujours nouvelles… Chacune traînera sa dépouille dans cette forêt lugubre, où les corps seront tous suspendus : chaque tronc aura son cadavre (chant XIII de l’Enfer)… »

On repart sur Lucain (toujours cet étonnant chant III de la Pharsale) : « Les antres de la forêt rendaient, disait-on, de longs mugissements ; les arbres déracinés et couchés par terre se relevaient d’eux-mêmes ; la forêt offrait, sans se consumer, l’image d’un vaste incendie ; et des dragons de leurs longs replis embrassaient les chênes. Les peuples n’en approchaient jamais. Ils ont fui devant les dieux. Quand Phébus est au milieu de sa course, ou que la nuit sombre enveloppe le ciel, le prêtre lui-même redoute ces approches et craint de surprendre le maître du lieu. »

On a ainsi les dragons et l’Apollon hyperboréen.

Mais survient César (lisez la Vie de Suétone pour rire un peu de lui). Il va agir comme le Saroumane de Tolkien, comme un agent du Mordor : « Ce fut cette forêt que César ordonna d’abattre, elle était voisine de son camp, et comme la guerre l’avait épargnée, elle restait seule, épaisse et touffue, au milieu des monts dépouillés. »

Les hommes de César hésitent car on respecte alors encore un peu la forêt.

« À cet ordre, les plus courageux tremblent. La majesté du lieu les avait remplis d’un saint respect, et dès qu’ils frapperaient ces arbres sacrés, il leur semblait déjà voir les haches vengeresses retourner sur eux-mêmes. »

César prend même le risque de défier les divinités et de se maudire pour détruire le bois sacré : « César voyant frémir les cohortes dont la terreur enchaînait les mains, ose le premier se saisir de la hache, la brandit, frappe, et l’enfonce dans un chêne qui touchait aux cieux. Alors leur montrant le fer plongé dans ce bois profané : “Si quelqu’un de vous, dit-il, regarde comme un crime d’abattre la forêt, m’en voilà chargé, c’est sur moi qu’il retombe”. Tous obéissent à l’instant, non que l’exemple les rassure, mais la crainte de César l’emporte sur celle des dieux. »

Lucain oublie les sacrifices humains et redevient lyrique : « Aussitôt les ormes, les chênes noueux, l’arbre de Dodone, l’aune, ami des eaux, les cyprès, arbres réservés aux funérailles des patriciens, virent pour la première fois tomber leur longue chevelure, et entre leurs cimes il se fit un passage à la clarté du jour. Toute la forêt tombe sur elle-même, mais en tombant elle se soutient et son épaisseur résiste à sa chute. À cette vue tous les peuples de la Gaule gémirent… le laboureur consterné vit dételer ses taureaux, et, obligé d’abandonner son champ, il pleura la perte de l’année. »

Mais le destin malheureux de la forêt sacrée est de toute manière fait de destruction : « Les bois sacrés tombent, dit Lucain, et les forêts sont dépouillées de leur force… » (Procumbunt nemora et spoliantur robore silvae)

Notre Ronsard s’en souviendra à sa gentille manière scolaire (Écoute bûcheron…).

On citera le magicien Tacite pour terminer : « Emprisonner les dieux dans des murailles, ou les représenter sous une forme humaine, semble aux Germains trop peu digne de la grandeur céleste. Ils consacrent des bois touffus, de sombres forêts ; et, sous les noms de divinités, leur respect adore dans ces mystérieuses solitudes ce que leurs yeux ne voient pas » (« lucos ac nemora consecrant, deorumque nominibus appellant secretum illud, quod sola reverentia vident… »).

Il y a la destruction de la forêt gauloise, et aussi de la littérature romaine à l'école…

Bibliographie

Bonnal – Le salut par Tolkien, Avatar, p. 96.

Dante – Enfer, chant XIII.

Kruta – Les Celtes, histoire et dictionnaire, « Bouquins » Robert Laffont.

Lucain – La Pharsale, III (sur Remacle.org).

Ovide – Les métamorphoses, I (ebooksgratuits.com).

Suétone – Vie de César (sur Wikisource).

Tacite – Germanie, IX.

 

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mercredi, 28 septembre 2022

"Les Germains en France" de Ludwig Woltmann

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"Les Germains en France" de Ludwig Woltmann

Aux Editions du Lore

Pour toute commande: http://www.ladiffusiondulore.fr/index.php?id_product=1002&controller=product

Mort noyé en Méditerranée à l’âge de 35 ans, le docteur Ludwig Woltmann (1871-1907) demeure un anthropologue fort méconnu du grand public.

Ancien marxiste « converti » au darwinisme social, il fut pourtant la caution scientifique la plus influente auprès de l’eugéniste Georges Vacher de Lapouge.

Le présent ouvrage traitant de l’influence de l’élément racial germanique sur l’histoire et la culture de France fut un outil clé pour les recherches anthropologiques entreprises par l’Ahnenerbe en France.

Alliant parfaitement l’érudition à la concision, ce petit livre, illustré de 60 portraits, est indubitablement un excellent complément de lecture aux travaux du raciologue Hans Günther.

Toute cette belle puissance est perdue. Cette activité prodigieuse a pris brusquement fin, et Woltmann, le champion de l’aryanisme qui ne connaissait point le repos, repose pour toujours sous le linceul de saphir de la Méditerranée, attraction éternelle et éternelle meurtrière de la race aryenne (Vacher de Lapouge in Race et milieu social).

SOMMAIRE :

Avant-propos

Première partie L’histoire des races de la nation française

I. Questions principales de la théorie de race historique

II. La distribution des signes anthropologiques en France

III. Race et caractères des Gaulois

Deuxième partie Les Germains dans l’histoire française et la culture du Moyen Âge

I. L’agencement des Germains en Gaule

II. L’histoire sociale de la France

III. Les éléments germaniques dans la langue française

IV. La littérature française

V. Les Beaux-Arts

Troisième partie L’anthropologie et le génie dans les États français

I. Les conditions anthropo-sociologiques en France

II. L’origine raciale des génies français

III. Aperçus des signes anthropologiques des génies

IV. La dégénérescence raciale de la nation française

V. Considérations finales

Portraits

Caractéristiques techniques:

mardi, 27 septembre 2022

La non-pensée occidentale

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La non-pensée occidentale

par Daniele Perra

Source : Daniele Perra & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-antipensiero-occidentale

Il y a certains faits que de nombreux "analystes", journalistes (ou supposés tels) oublient (en raison de limitations cognitives évidentes ou de mauvaise foi) lorsqu'ils observent la réalité à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui : 1) l'histoire ne se réduit pas aux événements des deux derniers mois ; 2) la géographie ne se combat pas avec des sanctions économiques.

La guerre de Crimée (1853-1855), par exemple, a été particulièrement traumatisante pour la confiance en soi du peuple russe. Ces derniers, en particulier, n'appréciaient pas le fait que l'Europe (stimulée par la puissance de la thalassocratie britannique) formait un front uni en faveur de l'Empire ottoman désormais en déclin pour des raisons purement géopolitiques (dans le but de contenir la projection et l'influence russes sur la mer Noire, les Balkans et les détroits) après que la Russie elle-même ait contribué de manière décisive à la défaite de Napoléon. Dostoïevski a écrit des vers enflammés dans ce contexte : "Honte à vous, apostats de la croix, qui éteignez la lumière divine".

Il convient de répéter que la projection sud-ouest était celle à laquelle la politique étrangère de l'empire tsariste était historiquement la plus intéressée, pour des raisons d'affinité culturelle-historique liées à l'hypothèse d'un héritage direct de Byzance et à la communion ethnique avec les peuples slaves (d'ailleurs, le panslavisme n'est rien d'autre que la diffusion des sentiments et des idées du romantisme européen, en particulier du romantisme allemand, dans la sphère russe). Même à la fin du 19ème siècle, Vladimir Solov'ev écrivait, à travers les mots du personnage du général dans ses "Dialogues", que la Russie devait aller au-delà de Constantinople jusqu'à Jérusalem (un centre sacré rapporté dans les carnets de voyage d'Igumen Danil de l'époque de la Rus' de Kiev).

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En fait, la guerre de Crimée n'était qu'un épisode du "Grand Jeu" (ou du "Tournoi des Ombres") entre l'Empire des Tsars et l'impérialisme britannique le long de la "ligne" allant de Constantinople à l'Asie centrale.

À la fin, cependant, les cercles conservateurs russes ont suggéré que les intérêts nationaux de l'empire devraient être orientés vers l'est, "laissant l'Europe tranquille en attendant des circonstances meilleures" (selon l'idéologue de l'époque, Mikhaïl Pogodine), comme c'est encore le cas aujourd'hui (pensez à la doctrine Trenin, qui envisage une réorientation de la politique étrangère russe vers l'Asie). Pour sa part, le général Pavel Grabbe a écrit : "Si nous sommes destinés à devenir un royaume de l'Est, c'est là que se trouve le véritable champ d'action de la puissance russe. Nous avons été cloué en Europe pendant longtemps sans rien obtenir. L'Europe nous est hostile et nous lui avons pris très peu de choses".

Il va sans dire que la Russie, à l'époque comme aujourd'hui, était considérée par le "progressisme" européen, idéologie dominante et rampante, comme un bastion de la préservation des valeurs traditionnelles, du conservatisme, donc un empire despotique et "obsolète" exerçant une influence pernicieuse sur le reste du continent et devant être repoussé vers ses homologues orientaux.

Alors qu'une partie de l'intelligentsia russe voyait la conquête de l'Est comme une mission civilisatrice dans le style du "fardeau de l'homme blanc" (bien que dans certains cas édulcorée par l'idée de redécouvrir la "patrie originelle" des peuples indo-européens, ce qui est très similaire à la mythologie du touranisme contemporain), les élites européennes (en particulier les Britanniques) l'interprétaient comme une expansion orientale d'un peuple déjà oriental.

Entre 1859 et 1897 (avec l'intermède de la vente de l'Alaska aux États-Unis et la fondation de Vladivostok, la "Dame de l'Orient"), la Russie pousse jusqu'à Port Arthur, jetant les bases de la résistance à l'expansionnisme naissant du Japon et au désastre guerrier qui s'ensuivit en 1905.

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Si la conquête de la Sibérie a été essentiellement pacifique, on ne peut pas en dire autant de la conquête du Caucase (qui a même commencé sous Pierre le Grand, qui voulait contrôler les flux du commerce vers l'Europe) et de l'Asie centrale. La figure de Pierre le Grand, en particulier, a été fondamentale en ce sens, car le processus d'absorption de la culture européenne-occidentale qui a débuté sous son règne s'est également avéré décisif pour l'assimilation de la vision géographico-idéologique fondée sur l'opposition entre l'Est et l'Ouest (caractéristique de la modernité et exaspérée ultérieurement par les pouvoirs thalassocratiques britannique et nord-américain). L'historien Aldo Ferrari écrit : "À la lumière de cette redéfinition idéologique, la double nature européenne et asiatique du pays était également considérée comme similaire à celle des empires coloniaux européens émergents, avec une mère patrie européenne et un territoire colonial non européen. La principale différence était que les territoires impériaux russes ne se situaient pas dans un espace étranger (comme le Raj britannique en Inde), mais étaient géographiquement liés au centre impérial, ce qui rendait indéfinissable une distinction claire entre les deux.

Pour cette raison, toute comparaison entre l'impérialisme européen (et plus tard nord-américain) typique et l'empire russe (et même soviétique) est décidément imparfaite. Ferrari poursuit : "La Russie n'avait pas d'empire, mais c'était un empire. Un empire continental plutôt que maritime, procédant sur la base d'aspirations expansionnistes coloniales traditionnelles plutôt que modernes. L'histoire de la pénétration russe en Asie diffère de celle des autres puissances européennes précisément parce qu'il s'agit d'une histoire qui mûrit lentement au fil des siècles, et dans laquelle les relations pacifiques ou guerrières entre pays voisins se répètent. Une conscience coloniale semblable à celle qui a poussé les peuples d'Europe occidentale à s'expatrier - les Portugais en Inde, les Hollandais en Indonésie, les Français en Louisiane, les Espagnols au Mexique, les Britanniques en Amérique du Nord - ne s'est pas formée spontanément chez les Russes, mais seulement plus tard, également en tant que résultat tardif d'une violente occidentalisation. Dans la steppe, on ne sait pas exactement où et quand les frontières de la patrie sont franchies, et la volonté d'expansion russe, que ce soit dans les forêts sibériennes, dans les zones civilisées de l'Asie centrale musulmane ou dans le Caucase, ressemble à l'expansionnisme des grandes puissances européennes de l'ère pré-nationale, plutôt qu'à la colonisation occidentale : guerres de domination, création de relations de vassalité plus ou moins féodales, jamais création d'un sentiment de véritable supériorité ethnique".

Les raisons profondes de la haine "occidentale" de la Russie y sont expliquées en quelques lignes. On ne peut pardonner à la Russie d'avoir adopté une attitude entièrement "pré-moderne" envers l'Est. L'Est n'a jamais été un "tout autre" pour la Russie. Outre la marque notoire d'être profondément influencée par le monde turco-mongol (dans ce contexte, il convient de rappeler qu'au Moyen Âge européen, il y avait des gens qui louaient les Mongols pour avoir détruit le califat), elle est coupable de ne pas traiter les peuples orientaux assimilés à son empire de la manière raciste et exclusiviste typique du colonialisme européen moderne. Au contraire, elle s'inspire de la tradition romaine, exprimée dans la divinité typiquement italienne de Janus à deux visages, et s'adresse à la fois à l'Orient et à l'Occident, au passé et au futur. En ce sens, elle est la "troisième Rome".  

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En même temps, il faut garder à l'esprit que l'expansion vers l'Est n'a jamais rencontré le même intérêt de la part du public russe que les affaires occidentales de l'Empire (une tendance qui est encore fortement présente aujourd'hui). Au contraire, il y a eu pendant longtemps une grande peur des peuples orientaux (même si la Russie elle-même a accompagné la Chine dans sa parabole impériale descendante de manière presque paternaliste). Solov'ev, que nous venons de citer, a écrit dans son poème Panmongolisme, où il a prophétisé l'effondrement de l'autocratie tsariste : "Lorsque dans la Byzance corrompue / l'autel du Seigneur s'est figé / et a renié le Messie / princes et prêtres, peuple et empereur, / une nation étrangère inconnue / s'est levée de l'Est / et sous le lourd instrument du destin / la seconde Rome a plié dans la poussière. / Nous ne voulons pas apprendre / du sort de Byzance déchue / et continuer à répéter les flatteurs de la Russie : / Tu es la troisième Rome, tu es la troisième Rome ! / Ainsi soit-il ! Le châtiment divin / a d'autres instruments en réserve'.

La peur de l'Orient est une caractéristique essentielle de la culture européenne moderne. Un Orient qui inclut toutefois la Russie, bien que Catherine II considère déjà son empire comme une "puissance européenne" à part entière. Les perceptions européennes de la Russie restent toutefois façonnées par les siècles au cours desquels la noblesse polonaise a tenté (avec un succès mitigé) de se présenter comme l' antémurale (= la muraille avancée) catholique-occidentale contre l'expansionnisme russe-orthodoxe (une autre tendance récurrente dans le présent, alimentée par les pouvoirs thalassocratiques, bien que sous la forme d'une opposition à une forme plus fumeuse de néo-bolchevisme).

Une puissance européenne oui, mais avec une énorme ramification orientale! À l'occasion d'une victoire sur les Ottomans, le poète Gavrila Derzavin a dédié ces vers à Catherine : "Son trône se dresse / sur quarante-deux piliers / sur les montagnes de Scandinavie et du Kamtchatka, sur les collines dorées / des terres de Timur au Kouban".

Une ramification dont la propagation a été facilitée par l'absence de véritables barrières physiques. Cela montre que l'idée d'une frontière européenne dans les montagnes de l'Oural est géographiquement non pertinente. Comme l'a noté Nikolaï Danilevsky, l'Europe n'est en fait rien de plus qu'une péninsule du continent horizontal, bien plus vaste, qui s'étend du Pacifique à l'Atlantique.

Dans cet espace, la civilisation russe, du moins pour le dernier millénaire, a joué le rôle de pont entre les deux extrémités.

L'idée que la Rus' de Kiev était un monde à part (un éden indo-européen sans influences ni contacts avec les peuples turcs environnants) est un fantasme créé par la déformation de l'histoire par les penseurs du nationalisme ukrainien qui se considèrent comme ses héritiers ethniques directs. Il suffit de dire que le métropolite de Kiev désignait le Grand Prince Vladimir par le terme turc "Kagan".

En même temps, l'idée que la géographie peut être combattue en construisant des murs de sanctions est une fois de plus un fantasme qui envahit cycliquement la pensée (ou plutôt l'anti-pensée) occidentale, pour se briser ensuite contre la réalité des processus historiques.

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vendredi, 23 septembre 2022

La Fronde, un précédent plein de représentations

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La Fronde, un précédent plein de représentations

Par Gastón Pardo

(Mexique)

Nous sommes habitués, depuis l'école, à considérer la Fronde comme un épisode romanesque et même galant en raison des belles dames qui, selon plusieurs auteurs, ont participé à son éclosion. Mais la Fronde est vraiment l'effervescence révolutionnaire par excellence du 17ème siècle. Il est bien connu que ce siècle a connu la grandeur parce qu'il a traversé des événements désordonnés. 

Nous retrouvons dans la Fronde les éléments ordinaires qui se sont reproduits depuis l'époque de Louis XII jusqu'à nos jours, tous les agents du chaos qui ont fait que les élites sociales et financières ont perdu prise sur les choses et qui ont rendu invisible la possibilité pour les sociétés modernes d'avoir une avant-garde historique.

Le poids et la fatigue dus à la guerre de Trente Ans sont entrés dans la Fronde par une porte. Richelieu avait trop demandé à la nation et tout ce qui avait été retenu par sa main de fer a été libéré sous Mazarin. Une alliance s'est formée entre les grands, qui avaient été contraints à la discipline nationale, et les bourgeois qui avaient souffert dans leurs intérêts financiers. En outre, le jansénisme, qui a eu la gloire d'être une réforme sans schisme et qui est donc appelé la Fronde religieuse, a rejoint la diversité des acteurs impliqués.

Les libelles contre Mazarin et les polémiques avec les Jésuites abondent. Un admirateur de la Fronde l'a appelée "la guerre des honnêtes gens contre les vauriens". Si elle s'était "bien passée", elle aurait sans doute été reconnue comme ayant les caractéristiques intellectuelles et morales d'une véritable révolution.

Lorsque des troubles éclatent au début de l'année 1648, année du traité de Westphalie, le gouvernement est en conflit avec le parlement, qui déclare illégaux les nouveaux impôts. Mais la raison profonde de cette agitation était toujours la guerre et ses effets. 

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Le trésor était vide et la résistance du parlement révélait un mouvement politique. On réclame des réformes, on parle de liberté, mais surtout on attaque l'administration laissée par Richelieu. Les magistrats recevaient des faveurs de toutes parts, et comme l'écrit Jacques Bainville, tout cela se mêlait aux rancœurs des protestants et à l'impatience face à la discipline administrative que Richelieu avait imposée.

Il y avait de l'agitation partout, et tous les groupes sociaux avaient des raisons de se plaindre.  Cependant, cette diversité de protestations a introduit la discorde dans les groupes, qui ont finalement négocié une trêve. En 1652, le roi est arrêté à Paris et les provinces se révoltent dans son dos.  Pendant ce temps, la bourgeoisie voit le désordre comme nuisible à ses affaires. En fin de compte, grâce à l'armée, les provinces en rébellion sont soumises, et il ne fait aucun doute, dans les jours qui suivent la Fronde, que la loyauté des militaires a sauvé la France.

17:55 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, france, fronde, 17ème siècle | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

dimanche, 18 septembre 2022

La guerre de 30 ans et la guerre de 100 ans des États-Unis contre la Russie

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Troupes américaines à Vladivostok, 1919.

La guerre de 30 ans et la guerre de 100 ans des États-Unis contre la Russie

Par Alfredo Jalife Rahme

Source: https://noticiasholisticas.com.ar/la-guerra-de-30-anos-y-la-guerra-de-100-anos-de-eeuu-contra-rusia-por-alfredo-jalife-rahme/

Récemment, j'ai affirmé: "Aujourd'hui, nous constatons de plus en plus l'importance cardinale et géostratégique de l'Ukraine, qui représente, selon les engouements chronologiques, une nouvelle guerre de 30 ans - qui aurait commencé en 1991, se serait poursuivie en 2014 et aurait atteint son paroxysme en 2022 - ou une guerre de 100 ans (https://bit. ly/3D3L91J ) qui vise la balkanisation et la désintégration de la Russie, sur base de l'axiome énoncé par le géographe britannique Sir Halford J. Mackinder en 1904 dans son livre Geography as the Pivot of History (https://bit.ly/3BrfXs5 )".

Au début de l'"Opération militaire spéciale" (selon Poutine) visant à dénazifier et démilitariser l'entéléchie qu'est Ukraine, j'ai postulé qu'il pourrait s'agir d'une nouvelle "guerre de 30 ans" - comme celle qui a opposé les protestants aux catholiques et s'est terminée par le traité de Westphalie de 1648 qui a donné naissance au concept de "souveraineté" qui est le pilier fondateur de l'ONU, aujourd'hui plus dysfonctionnelle que jamais (https://bit.ly/3RttkgQ ).

Récemment, le nonagénaire Kissinger, âgé de 99 ans, a soutenu que la guerre Russie-Ukraine pouvait être assimilée à une nouvelle "guerre de 30 ans" (https://bit.ly/3RQU5LW ).

Le très imprudent Michael Springmann, ancien diplomate, aujourd'hui avocat et commentateur américain réputé, a publié un essai inquiétant intitulé The 100 Year War : America's Attempts to Destroy Russia.

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Springmann a à son actif trois révélations décoiffantes sur la politique étrangère pharisaïque du département d'État américain : 1) Il a accordé depuis son poste en Arabie saoudite, pendant les administrations Reagan et Papa Bush, plus de 100 visas aux terroristes djihadistes d'Al-Qaïda qui ont perpétré le très controversé 11 septembre 2001 (https://amzn.to/3x53Puf ). De toute évidence, Springmann a été défenestré par le département d'État ; 2) dans son livre volcanique Goodbye Europe ? Hello Chaos? : Merkel's Migrant Bomb (https://amzn.to/3B8N7eO ), il affirme que "la politique étrangère américaine a créé la crise" afin de "déstabiliser l'Union européenne en général et l'Allemagne en particulier" ; et 3) il avertit les Yéménites de ne pas faire confiance à Biden, qui a promis dans sa campagne de mettre fin à la guerre de l'Arabie saoudite au Yémen (https://bit.ly/3AUBVly ).

Dans son long essai sur la guerre centenaire entre les Etats-Unis et la Russie (soviétique ou non), il expose la "genèse" des cent ans de guerre depuis que le président démocrate Woodrow Wilson, en juillet 1918 - 14 ans après le livre de Sir Halford Mackinder, est intervenu "contre les bolcheviks, contre ce que l'URSS était en train de devenir" en envoyant "13.000 soldats américains" pour soutenir les "Russes blancs", c'est-à-dire les tsaristes, contre les "Russes rouges" bolcheviques. L'intervention de l'"Empire britannique" avec plus de 57.000 soldats et 5000 autres soldats canadiens était à ne pas manquer !

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Springmann dévoile les contacts américains, en vue d'espionnage, avec des dissidents en Ukraine - lorsque celle-ci faisait partie de l'URSS - à la fin de la Seconde Guerre mondiale, indépendamment du fait qu'ils étaient alliés aux nazis. Il expose ensuite l'opération "Aérodynamique" de la CIA et sa machine de propagande depuis New York sous la couverture de Prolog Research Corp. avec le groupe ex-pro-nazi Bandera/Lebed. Par la suite, la CIA a déplacé ses agents en Ukraine avant le "coup d'État de 2014" perpétré par ses ONG bien huilées.

Il cite le journal mondialiste Guardian, très proche de George Soros, qui exulte que "la campagne américaine est derrière les troubles à Kiev" alors que la "révolution orange" était "une création américaine, un exercice sophistiqué et brillamment exécuté de branding et de marketing de masse occidental (https://bit.ly/3Bps6O2 )". Selon le cinéaste Oliver Stone, il s'agit de la "technique de soft power" appelée "Regime Change 101".

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Springmann expose l'opération de censure massive menée par les États-Unis pour dissimuler le "meurtre de 14.000 Russes ethniques au Donbass" jusqu’en 2022, alors que l'OTAN s'était étendue des Baltiques aux Balkans.

Avec les enseignements d'Al-Qaïda, le tragique comédien khazar Zelensky a créé la "Légion internationale de défense du territoire" avec 20.000 combattants provenant de 52 pays, dont Israël". Et que diable fait Israël là-bas? La Russie ne le pardonnera pas.

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samedi, 17 septembre 2022

Pour la Wallonie et l’Ordre Nouveau : Pierre Hubermont

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Pour la Wallonie et l’Ordre Nouveau: Pierre Hubermont

par Christophe Dolbeau

Source: Christophe Dolbeau, Les Parias, Ed. Akribeia (commandes: https://www.akribeia.fr/collaboration-vichy/2163-les-parias.html).

Le 10 mai 1940, les troupes allemandes pénètrent en Belgique et déferlent sur les Ardennes. L’assaut est irrésistible : la Wehrmacht entre à Bruxelles le 17 mai et le roi Léopold III capitule onze jours plus tard. Réalisée en moins de trois semaines, cette invasion n’est pas ressentie de la même façon par tous les sujets du royaume. Force est de dire que si une majorité de patriotes en est indubitablement catastrophée, une forte minorité s’en accommode plutôt bien. Aux premiers rangs de cette minorité figurent bien sûr les nationalistes et séparatistes flamands, tous les pro-fascistes du pays, mais aussi de larges couches du prolétariat. Dans son manifeste du 28 juin 1940, Henri De Man (1), le chef du Parti Ouvrier Belge, se montre d’ailleurs très clair : « Pour les classes laborieuses et pour le socialisme », écrit-il, « cet effrondrement d’un monde décrépit, loin d’être un désastre, est une délivrance ». Ce constat, nombre de gens de gauche et d’extrême-gauche le partagent et c’est donc sans grands scrupules qu’ils vont rapidement adhérer à la politique de collaboration. On sait le rôle capital que jouera en France la gauche collaborationniste (2) et l’on se souvient de gens comme Marcel Capron (3), Georges Yvetot (4), André Thérive (5) ou Pierre Hamp (6). Eh bien, il en sera de même en Belgique où plusieurs « célébrités » de gauche vont résolument s’engager en faveur de l’ordre nouveau. On connaît généralement bien les noms d’Henri De Man et Edgar Delvo (1905-1999), les responsables de l’Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels (UTMI), mais beaucoup moins celui de Pierre Hubermont, journaliste et écrivain wallon qui paiera fort cher son soutien à l’Europe Nouvelle.

Écrivain prolétarien

515RPXV80ML._SX195_.jpgDe son vrai nom Joseph Jumeau, c’est le 25 avril 1903 que Pierre Hubermont vient au monde à Wihéries, à l’orée du bassin borain. Fils de Nicolas Jumeau et de Maria-Bernardine Abrassart, il possède un frère aîné, François, et aura bientôt une sœur prénommée Adolphine (Addy). Le grand-père, Charles, était mineur de fond et membre de la Ière Internationale, et quant au père, Nicolas, il est également mineur ; fondateur et animateur de la section locale de la fédération des syndicats du Borinage, c’est un socialiste convaincu qui sera conseiller municipal (1908) et finira même par être bourgmestre (1921). L’enfance de Joseph est assez grise pour ne pas dire carrément morose : il a dix ans à peine lorsque sa mère, atteinte d’une sorte de folie mystique, est internée, ce qui traumatise profondément le jeune garçon. Sage et studieux, il fréquente l’école moyenne (collège) de Quiévrain et suit peu après des cours de sténo-dactylo, en vue de faire une petite carrière de col blanc, sans doute dans les bureaux des charbonages. Peut-être un peu déçu et contrarié par cette perspective qui rompt avec la tradition familiale, Nicolas oblige alors son fils à effectuer quelques travaux manuels. L’adolescent sera donc successivement manœuvre maçon, sur le chantier de construction de la Maison du Peuple, puis porteur d’eau, foreur de puits artésien, chargeur de briques et enfin aide-opérateur de cinéma. Ces activités ne lui ôtent pas l’envie d’écrire et de raconter, inclination qui le pousse à adresser quelques petits textes, dont un conte, à L’Avenir du Borinage, organe officiel du Parti Ouvrier. Au journal, quelqu’un a dû deviner le potentiel du jeune homme puisqu’en août 1920, tout juste âgé de 17 ans, il est embauché comme rédacteur. Au contact quotidien de cette presse militante et des professionnels de l’écriture, sa vocation va vite se confirmer. En 1923, il signe son tout premier ouvrage, Synthèse poétique d’un rêve, un modeste recueil de vers libres auquel Les Nouvelles littéraires de Maurice Martin du Gard font l’honneur de consacrer un écho élogieux. C’est un signal encourageant mais encore timide. En fait, le véritable élan va lui venir de sa rencontre, en 1927, avec Augustin Habaru (1898-1944), un jeune journaliste communiste, collaborateur du Drapeau rouge et bras droit d’Henri Barbusse, qui l’entraîne vers la littérature prolétarienne, un domaine avant-gardiste et révolutionnaire.

Cette même année 1927, Joseph Jumeau, alias Pierre Hubermont, publie un court roman, Notre mère la houille, dans les pages de La Nation belge, suivi quelques mois plus tard, mais cette fois dans les colonnes de L’Humanité, de La terre assassinée. L’engagement pro-communiste du jeune écrivain ne fait désormais plus aucun doute. Sa technique d’écriture s’améliore et sa renommée s’affirme. Bien conscient de posséder un style original et soucieux de créer, face à la littérature bourgeoise, une vigoureuse littérature du prolétariat, parlant « le franc et rude langage du peuple » (7), il s’associe à plusieurs auteurs de sa génération et lance avec eux la revue Tentatives dont la grande référence sera le Manifeste de l’équipe belge des écrivains prolétariens de langue française. Né en avril 1928 autour de Charles Plisnier et Marc Bernard, tous deux futurs prix Goncourt, Augustin Habaru, Francis André, Benjamin Goriely (8), Albert Ayguesparse (9) et lui-même, ce magazine de littérature et de culture prolétarienne va durer un an, avant de se transformer en Prospections. Jugeant dès lors que la publication a trop tendance à s’embourgeoiser et à faire montre de complaisance envers le surréalisme, le dadaïsme et autres modes non-prolétaires, il quitte le groupe et s’en va explorer d’autres territoires. En fait, à cette époque, il vient de faire paraître Les Cordonniers, un petit texte d’une trentaine de pages, et se rapproche d’Henry Poulaille (1896-1980) qui milite en faveur d’une littérature faite par le peuple et pour le peuple. Plus radicaux que les populistes (André Thérive, Eugène Dabit), ils n’admettent dans leurs rangs, à la revue Nouvel Âge, que des auteurs vraiment prolétaires (10). Du 6 au 15 novembre 1930, Hubermont est à Kharkov, en URSS, où il participe à une mémorable Conférence internationale des écrivains prolétariens et révolutionnaires. Plus que pour les débats théoriques (qui verront la condamnation de ses amis de la revue Monde), il est surtout venu discuter d’un projet d’adaptation cinématographique de l’une de ses nouvelles, Au fond de la veine 6. Au final, l’affaire ne se fera pas car les Soviétiques voudraient modifier la personnalité de l’un de ses personnages (un délégué socialiste qu’ils tiennent pour un traître à la classe ouvrière), ce que l’écrivain refuse catégoriquement. Il n’a aucunement l’intention d’abandonner la littérature pour faire de la propagande…

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L’année 1930 voit également la sortie de Treize hommes dans la mine, un court roman qui va lui valoir un renom international. Inspiré par la terrible catastrophe minière de Courrières (11) et par l’incident de Marcinelle (12), ce livre paraît à Paris, chez Georges Valois (13), mais il sera bientôt traduit en néerlandais, en anglais et en russe. L’écho du récit d’Hubermont est d’autant plus fort qu’un incident survient, au début du mois de mai 1931, à Hornu-Wasmes où six mineurs se retrouvent coincés par un éboulement au fond du puits n° 8, à plus de 900 mètres sous terre. Adapté par une radio américaine (1931), ce texte donne également naissance à Germinal, une pièce radiophonique qui sera diffusée, en mai 1934, par l’INR (14). Il suscite enfin l’intérêt  du musicien français André Jolivet (1905-1974) qui compose, pour baryton et piano, une Prière des treize hommes dans la mine (1931) que l’on interprète encore de nos jours. Remarqué par tout ce qui compte dans le milieu de la littérature prolétarienne, Treize hommes dans la mine vaut à Hubermont une vraie notoriété. Il sort désormais de la marginalité. En 1932, il adhère au manifeste du « groupe des écrivains prolétariens » de Poulaille, signe une nouvelle, Première descente, dans l’hebdomadaire anversois Tout (15 janvier) et publie Hardi ! Montarchain, un ouvrage qui attire à nouveau l’attention du public et de la critique. Dans ce roman, il met en effet en scène quelques personnages caricaturaux, notamment deux sœurs jumelles, institutrices à Ciply, qui se reconnaissent et portent aussitôt plainte contre l’auteur. Défendu par nombre de publications, dont le Figaro, Pierre Hubermont sera jugé à Mons, en 1934, et condamné pour diffamation envers les sœurs Liénard, ce qui assure un regain de publicité à son livre… « Pierre Hubermont », écrit Jacques Cordier (15), « est bien connu chez nous par tous ceux qui s’intéressent à la vie des lettres belges d’expression française ». On le dépeint, ajoute-t-il, comme « sensible, doux et cependant enthousiaste et énergique lorsqu’il s’agit de réclamer non point la pitié ou la charité, mais la justice pour ceux qu’il aime … les frustrés, les simples, les travailleurs dont il a bien connu l’existence lourde d’angoisse et de peine ».

Entré au journal Le Peuple, organe central du Parti Ouvrier, Pierre Hubermont, auteur consacré (certains affirment même qu’il aurait reçu, en 1936, le Prix du Hainaut), fait désormais partie des grandes plumes de la gauche belge. Proche d’Émile Vandervelde (1866-1938), le fondateur de l’Internationale ouvrière socialiste, il demeure néanmoins très indépendant et n’hésite pas, le cas échéant, à s’écarter de la ligne officielle, ce qui ne va pas sans créer parfois des problèmes. C’est ainsi qu’un désaccord avec Arthur Wauters (16) entraînera son départ du Peuple. Ces péripéties n’entravent toutefois pas la poursuite de sa carrière littéraire. En 1934, il publie, aux Œuvres libres (n° 151, février 1934) Du côté des anges, livre qui sera bientôt réédité chez Rieder, sous le nouveau titre de Marie des pauvres. Il s’agit d’un roman très intéressant qui traite du mysticisme, de la sainteté illusoire et de la folie ; on pense bien sûr à la maladie de la mère de l’auteur. Dans la revue Esprit (17) Edmond Humeau résume le livre en ces termes : « Journal d’une petite fille qui, dans la misère, s’est prise d’envie pour sainte Thérèse, voudrait être Ermelinde de Brabant et lentement cède à la folie (…) L’histoire se passe dans le Borinage (…) Il y a l’atmosphère du pays noir, ses luttes et la désespérante misère que les hommes corrigent en s’abrutissant et les femmes en se résignant ». Toujours très libre, Pierre Hubermont multiplie les contacts les plus divers : déjà en relation avec André Thérive et Georges Duhamel, qui ont relu Treize hommes dans la mine (18), il assiste, en juin 1935, au Premier congrès international des écrivains pour la défense de la culture, et fréquente également, à partir de 1936, le Groupe du Lundi dont il est l’une des figures de proue, avec Robert Poulet (1893-1989) et Franz Hellens (1881-1972). Très éclectique, ce cénacle, où l’on croise Michel de Ghelderode, Marie Gevers, le poète Georges Marlow, Gaston Pulings et Paul Werrie (19), publie, le 1er mars 1937, un manifeste à la gloire de la « France littéraire » à laquelle il rattache les lettres belges francophones. Journaliste en vue, Hubermont assure une chronique littéraire dans Le Rouge et le Noir, tout en poursuivant son œuvre romanesque. En 1938, il fait paraître L’Arbre creux, roman peut-être moins percutant et moins engagé que les précédents mais qui lui vaut tout de même une critique plutôt favorable, notamment de la part de Robert Poulet et du libertaire breton Armand Robin.

Vedette de la Collaboration

Lorsque la situation internationale commence vraiment à se détériorer, quelques intellectuels diffusent un manifeste qui prône la neutralité belge et la défense des valeurs de l’esprit. Sollicité, en septembre 1939, d’adhérer au texte, Hubermont ne donne pas suite. Promu par Robert Poulet, Mil Zankin (Gabriel Figeys) et Gaston Derijcke (Claude Elsen), le manifeste n’obtiendra le ralliement que de treize signataires. Bientôt appelé sous les drapeaux, l’écrivain se retrouve ensuite aux premières loges, en mai 1940, lors de la triste « campagne des dix-huit jours » et c’est en direct qu’il assiste à la déroute de l’armée belge. Rendu à la vie civile le 1er août, il est alors contacté par Paul Colin (1895-1943) qui lui offre de se joindre à l’équipe du Nouveau Journal qu’il s’apprête à lancer. Théoriquement, le quotidien a reçu le discret assentiment du roi Léopold, ce qui garantit la parfaite probité de l’entreprise. Pierre Hubermont répond donc favorablement et rejoint la rédaction du journal dont le premier numéro sort le mardi 1er octobre 1940. Dans la nouvelle publication, l’écrivain intègre le service qui traite des questions sociales, sous la houlette de Paul Herten (1894-1944). Il ne s’agit donc pas, en soi, d’une prestation bien compromettante, mais c’est en s’associant à une publication aussi franchement collaborationniste que Pierre Hubermont franchit le Rubicon. Pour mieux comprendre sa démarche, peut-être faut-il garder à l’esprit que, disciple de Sorel, l’homme n’a rien d’un modéré ni d’un attentiste, et qu’il subit alors la forte influence d’Henri De Man, dont nous avons rappelé plus haut les propos sans ambages. Fils du prolétariat hainuyer, Hubermont est loin d’être foncièrement hostile aux Allemands et à cet égard, il est à l’unisson de nombre de militants de gauche. « Pour ces militants », note une historienne, « l’allégeance allait au pays qui avait le système social le plus avantageux pour la classe ouvrière, en l’occurrence l’Allemagne, mère-patrie de la social-démocratie ». L’ordre social nazi, ajoute-t-elle assez justement, était tout à fait susceptible de séduire les ouvriers du Pays noir « dont l’idéologie était sociale-démocrate à la mode allemande et dont le type de vie était très proche de ceux de la Ruhr ou de la Sarre ». Et elle souligne enfin que « mines et sidérurgie forgent une solidarité implicite qui va au-delà de tous les autres clivages » (20).

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Quoi qu’il en soit, Pierre Hubermont entre dès lors de plein pied dans la Collaboration. Caractère indocile (21), il ne restera cependant que quelques mois au Nouveau Journal où il supporte mal la férule de Paul Colin et l’acidité proverbiale de Robert Poulet, le rédacteur en chef. C’est surtout à partir de 1941 que s’accentue son engagement, l’écrivain se ralliant désormais très ouvertement à l’ordre nouveau et à l’Europe nouvelle. En Allemagne, quelques auteurs prolétariens ont fait des choix similaires (22) et en Belgique même, plusieurs collègues d’Hubermont cèderont, à des degrés divers, à la même tentation (23). « Il partait », écrira sa sœur Addy (24), « de l’idée que la Belgique avait toujours été le champ de bataille des puissances européennes rivales et que la fin des guerres européennes, que l’unification de l’Europe, ferait ipso facto la prospérité de la Belgique ». « Une cause », ajoute-t-elle, à laquelle mon frère restait fanatiquement attaché, en dehors des questions d’humanisme, était celle de l’Europe. Il était d’ailleurs européen dans la mesure où il était humaniste, considérant l’Europe comme la patrie de l’humanisme ». Il voit le futur Reich européen comme la renaissance du vieux Saint-Empire romain germanique. Dans cette perspective, le romancier multiplie les gestes symboliques. René Simar, un professeur de Duffel, ayant fondé une Communauté Culturelle Wallonne (CCW) qui se propose « de recréer l’âme et la culture wallonnes, d’en affirmer et d’en exalter l’originalité », Hubermont y adhère et en devient le secrétaire général. Il en sera bientôt le président, poste auquel il succèdera au peintre et statuaire Georges Wasterlain (1889-1963), lui aussi fils de mineur. Dans ce cadre, Hubermont insiste tout particulièrement sur l’existence et la vitalité d’une culture germanique mosellane, très proche de la culture rhénane… Forte d’un bon millier de membres, répartis en treize « chambres », cette CCW est un groupe extrêmement dynamique qui organise cours de langue, expositions, concerts, récitals et conférences. Soutenue par quelques personnalités connues et quelques experts (comme le germaniste liégeois Adolphe Léon Corin), la CCW diffuse plusieurs publications de bonne facture telles que le mensuel Wallonie (25) et les hebdomadaires Chez Nous et Terre Wallonne (26). Elle anime aussi des journées culturelles wallonnes (en mars 1942 à Liège, en septembre 1942 à Charleroi, en juin 1943 à Dinant) qui témoignent d’un assez bon niveau, évitent l’écueil de la propagande primaire et obtiennent, en conséquence, un écho certain. À l’initiative de Pierre Hubermont, la CCW envoie par ailleurs des enfants en colonies de vacances en Autriche, et organise au moins deux tournées d’artistes wallons dans le Reich. Regroupant une dizaine de personnes, un premier voyage se déroule entre le 23 septembre et le 5 octobre 1941. Il sera suivi d’une grande exposition (35 artistes) ou Wallonische Kunst der Gegenwart qui se produit à Düsseldorf (février-mars 1942), Wuppertal (26 avril-24 mai 1942) et Aix-la-Chapelle (août 1942). Ces événements permettent à des gens comme les sculpteurs Georges Wasterlain et Raymond Scuvée (prix de Rome), ou les peintres Henri Matthy et Pierre Duquène de vendre quelques œuvres et de se faire connaître en Allemagne.

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Sculptures de Georges Wasterlain.

Si la direction de la CCW constitue l’une des activités majeures de Pierre Hubermont, ce dernier n’en abandonne pas pour autant le journalisme. Lorsqu’il quitte le Nouveau Journal, c’est en effet pour entrer (novembre 1941) à La Légia, le nouveau quotidien de Liège, où il va dorénavant occuper le poste délicat de directeur politique. Succédant à La Meuse, dont elle récupère les installations, La Légia a commencé de paraître le 25 mai 1940 et a vite adopté une ligne clairement germanophile (ce qui ne l’empêche pas d’avoir une diffusion très honnête de 75.000 à 90.000 exemplaires). Afin d’éviter tout malentendu, précisons tout de suite que le titre ne fait aucunement référence à une quelconque légion (fût-elle « Wallonie »), mais bien à un petit cours d’eau local qui porte ce nom. Sous l’influence d’Hubermont, le ton du journal se durcit sensiblement. « Dans ses éditoriaux », écrit Raoul Folcrey (27), « Hubermont jette les bases idéologiques d’une collaboration germano-wallonne : défense de l’originalité wallonne, rappel du passé millénaire commun entre Wallons et Allemands, critique de la politique française visant, depuis Richelieu, à annexer la rive gauche du Rhin, défense de l’UTMI [Union des travailleurs manuels et intellectuels] et de ses spécificités syndicales ». Outre ces contributions à La Légia, l’écrivain anime une émission (Chronique de la vie wallonne) sur les ondes de Radio-Bruxelles, et collabore à diverses publications, comme l’hebdomadaire satirique Voilà et bien sûr Wallonie dont il est l’un des fondateurs. Dans cette revue, il n’est pas rare qu’il fustige « le cosmopolitisme d’inspiration juive qui s’infiltrait partout par la littérature ». Oublieux de son amour passé pour les lettres françaises, il lui arrive aussi de dénoncer la NRF et « le snobisme francophile ». Hormis ces thèmes opportunistes et un peu de circonstance, il reste bien évidemment très attaché à « un art pour le peuple et jailli du peuple » et demeure fidèle à ses idéaux socialistes (28). Ce qu’il appelle de ses vœux, c’est un État populaire belge qui permette aux cultures wallonne et flamande de s’épanouir dans le respect mutuel, et qui impose une certaine écologie, face au grand capital qui exploite les faibles et détruit les sites naturels. Et s’il soutient l’Allemagne, c’est parce que, selon lui, celle-ci réalise la vraie démocratie, qui part de la base et s’exprime au travers des organismes sociaux.

L’orientation politique de Pierre Hubermont est pleinement confirmée par son adhésion à la Société Européenne des Écrivains ou Europäische Schriftsteller-Vereinigung (ESV) qui voit le jour à Weimar, le 24 octobre 1941 (29). Placée sous l’égide du Dr Gœbbels et destinée à regrouper les écrivains favorables à l’Axe, cette association possède bien entendu une Section Wallonne et Belge de Langue Française (SWBLF) dont Hubermont sera le porte-parole et Guillaume Samsoen de Gérard le secrétaire. Le groupe connaît un certain succès et attire quelques personnalités comme le journaliste Pierre Daye, le dynamique abbé Norbert Wallez (30), Marie Gevers, Francis André, Marcel Dehaye, et le poète patoisant Joseph Mignolet (31). En 1943, le groupe prend le nom de Fédération des Artistes Wallons et Belges d’Expession Française (FAWBEF), mais Hubermont en demeure la cheville ouvrière. Son appartenance à cette société le conduit (ainsi que les écrivains flamands Ferdinand Vercnocke et Filip de Pillecyn) à se rendre, fin avril 1943 et à l’invitation des Allemands, sur le site du charnier de Katyn afin d’y assister à l’exhumation des victimes du NKVD. Lors de ce funèbre déplacement, il fera la connaissance de l’ancien Premier ministre polonais Léon Kozlowski (1892-1944). À leur retour de Biélorussie, les trois Belges donneront une conférence de presse à Bruxelles et Hubermont fera paraître un bref compte-rendu de huit pages (J’étais à Katyn ! Témoignage oculaire)-(32).

Maudit et impénitent

En fin compte, l’aventure collaborationniste de Pierre Hubermont s’interrompt brutalement le 23 septembre 1944, date à laquelle il est appréhendé par les libérateurs du royaume et incarcéré à la prison de Saint-Gilles. Tenu pour un traître d’envergure, avec la circonstance aggravante d’être ou d’avoir été de gauche, son avenir semble dès lors fort sombre. Transféré à Liège, il comparaît le 17 avril 1945 devant le Conseil de guerre local qui dresse à son encontre un réquisitoire implacable. Convaincu de l’innocence du grand allié soviétique, l’un des auditeurs militaires ira même jusqu’à lui reprocher « l’infâme reportage » (sic) qu’il a commis au sujet du massacre de Katyn… Hubermont est défendu par Pierre Nothomb (33) qui parvient, non sans adresse, à atténuer la responsabilité de l’accusé, en jouant notamment sur la démence précoce de sa mère et sur le fait que le futur romancier a tenté de se pendre lorsqu’elle fut internée. En tout état de cause, dextérité du plaideur ou scrupules des juges, Pierre Hubermont évite finalement le poteau d’exécution et écope d’un emprisonnement à perpétuité. Cette condamnation paraît aujourd’hui bien lourde mais au regard des pratiques judiciaires de l’époque (34), il s’agit d’un verdict plutôt clément. D’ailleurs, la peine sera bientôt commuée en 16 ans de détention et Pierre Hubermont sera libéré le 20 novembre 1950.

Lorsqu’il sort de prison, l’écrivain, à l’instar de la plupart des « inciviques », n’est qu’un pestiféré dont nul ne veut plus entendre parler. Il peut bien se remettre à écrire, il ne trouvera plus jamais d’éditeur. On sait par exemple qu’il achève, en décembre 1976, un ouvrage sur Katyn (Khatyn, ce n’est pas Katyn), mais ce dernier ne sera jamais publié ; le tapuscrit dort encore dans un placard des archives nationales (CegeSoma). La détention n’a cependant pas brisé l’ancien militant révolutionnaire. Il participe de temps à autres aux colloques sur la littérature prolétarienne qu’organise le jésuite Paul Feller (vétéran de la 2e DB), et on le retrouve, au moment de la grande grève de l’hiver 1960-1961, dans les parages du Mouvement populaire wallon (MPW). Sous le pseudonyme de René Lapierre, il contribue alors, discrètement, à Combat, le journal du mouvement, où il tient une rubrique intitulée « Vérité de granit ». En tout cas, très favorable à André Renard (photo, ci-dessous), le chef du MPW, il ne lui ménage pas son soutien. « André Renard », écrit-il (35) ainsi, dans La Révolution prolétarienne, « est apparu comme ayant l’étoffe d’un homme d’État prolétarien et européen (…) Ce gars, qui a une puissante personnalité, se dégage (à la faveur d’une grève prématurément engagée à l’encontre de son avis raisonnable et raisonné), se dégage du carcan de la lourde bureaucratie syndicale (…) Grâce à lui, une politique réactionnaire est ébranlée et un socialisme mal en point reprend pied dans un pays où il se mourait d’un excès d’engraissement dormitoire » (36). Comme on le voit, à l’approche de la soixantaine, l’écrivain prolétarien n’a rien renié de ses convictions de jeunesse.

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Ces quelques manifestations de présence demeurent toutefois très marginales. Définitivement exclu des lettres belges en 1944, Pierre Hubermont n’obtiendra jamais aucun pardon. Il ne sortira plus de l’anonymat, et c’est dans l’oubli total et l’indifférence générale qu’il s’éteindra, le 18 septembre 1989, à Jette, dans la périphérie bruxelloise.

Notes:

(1) note 12, p. … (P.Daye)

(2) Par le biais notamment du Rassemblement national populaire (RNP), du Parti populaire français (PPF), du Parti ouvrier et paysan français (POPF) ou de la Ligue de pensée française.

(3) Ouvrier tourneur, Marcel Capron (1896-1982) fut maire communiste d’Alfortville puis député communiste de Sceaux. Secrétaire général du POPF, il sera condamné à deux ans de prison et à la dégradation nationale en 1944, mais sera amnistié en 1953.

(4) Ouvrier typographe, Georges Yvetot (1868-1942) fut un célèbre militant anarchiste et syndicaliste révolutionnaire. En 1942, il présidait le Comité ouvrier de secours immédiat (Cosi).

(5) Journaliste, professeur et écrivain, André Thérive (1891-1967) fut le célèbre critique littéraire du journal Le Temps et le fondateur de l’école dite « populiste ». Brièvement emprisonné à la Libération, il collaborera régulièrement à Rivarol, aux Ecrits de Paris, à Paroles françaises et Carrefour.

(6) Ancien pâtissier, chef de gare et inspecteur du travail, l’écrivain Pierre Hamp (1876-1962) fut un ami de Charles Péguy. Socialiste et pacifiste, il a consacré de nombreux livres à la condition ouvrière.

(7) Voy. Manifeste de l’équipe belge des écrivains prolétariens de langue française (février 1929), cité par Jacques Cordier dans « Pierre Hubermont, un homme dans la mire (1903-1989) », in Pierre Hubermont, Treize hommes dans la mine, Bruxelles, Labor, 1993, p. 137.

(8) D’origine juive russe, Benjamin Goriely (1898-1986) a traduit de nombreux textes de littérature russe et consacré plusieurs études au monde soviétique ainsi qu’au nazisme. Il collabora au Drapeau rouge mais aussi à la revue Esprit et à l’Encyclopédie de la Pléiade.

(9) Instituteur et poète, Albert Ayguesparse (1900-1996) sera membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises en Belgique.

(10) Pour être vraiment un « écrivain prolétarien », il fallait impérativement être né de parents ouvriers ou paysans, être autodidacte, et témoigner dans ses écrits des conditions de vie de sa classe sociale d’origine.

(11) Le 10 mars 1906 et suite à un coup de grisou, 1099 mineurs trouvèrent la mort à Courrières. Le 30 mars, treize hommes remontèrent vivants, suivis le 4 avril par un ultime rescapé.

(12) En 1928 et lors d’un éboulement accidentel, quarante hommes furent coincés durant plusieurs heures dans une galerie de mine à Marcinelle.

(13) Disciple de Georges Sorel, Georges Valois (1878-1945) fut le fondateur du Faisceau (1925) et du Parti républicain syndicaliste. Voy. Yves Guchet, Georges Valois, Paris, L’Harmattan, 2001 ; Jean-Claude Valla, Georges Valois : de l’anarcho-syndicalisme au fascisme, Paris, Dualpha, 2017.

(14) Institut National de Radiodiffusion (INR) ou radio d’État belge, fondée en 1930.

(15) Jacques Cordier, op. cit., p. 151.

(16) Arthur Wauters (1890-1960) fut directeur politique du journal Le Peuple, puis député, sénateur, plusieurs fois ministre et ambassadeur (Varsovie, Moscou).

(17) Voy. Esprit de février 1935, p. 848.

(18) Voy. Bernard Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945) », Cahiers d’histoire de la IIe Guerre mondiale, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10 (Bruxelles, octobre 1986), p. 176.

(19) Ibid, p. 173.

(20) Voy. Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La Libération et l’Épuration en Belgique », Le Crapouillot, n°120 (Paris, juillet-août 1994), p. 63.

(21) C’est pour cela sans doute que Jacques Willequet le décrit sèchement comme « un caractériel qui frisait le dérèglement cérébral et qui passa son existence à se brouiller avec tout le monde » – voy. J. Willequet, La Belgique sous la botte, Paris, Editions universitaires, 1986, p. 172.

(22) Par exemple Max Barthel (1893-1975), Karl Bröger (1886-1944), August Winnig (1878-1956) et Hans Zöberlein (1895-1964).

(23) Notamment René Baert (1903-1945), Constant Malva (1903-1969), Marcel Parfondry (1904-1968) et Fernand Jouan.

(24) Voy. A. Jumeau, Bon sang ne peut mentir, Bruxelles, 1949 – cité par Raoul Folcrey, « La Gauche et la Collaboration en Belgique: De Man, les syndicats et le Front du Travail », Vouloir-Archives EROE (en ligne) ou Le Crapouillot, n° 110 (Paris, septembre-octobre 1992), p. 20-22 [version abrégée du même article].

(25) Collaborent à Wallonie Jean Denis, Gaston Derijcke, Francis André, l’abbé Wallez, Gabriel Figeys, Marie Gevers, Marcel Parfondry et Marcel Dehaye.

(26) À Terre Wallonne (qui s’est d’abord intitulé Notre Terre Wallonne), on trouve les signatures de Gilles Anthelme (Francis Soulié), Fernand Jouan, André Combaire et Jules van Erck.

(27) Voy. supra Raoul Folcrey, Vouloir-Archives EROE (en ligne).

(28) « Ce gauchiste », écrit J. Willequet (op.cit, p. 172), « n’eut jamais que deux passions : la Wallonie et le sort de la classe ouvrière ».

(29) Voy. C. Dolbeau, « Weimar 1941-1942 : la Société Européenne des Écrivains », Tabou, vol. 25 (Saint-Genis-Laval, 2019), pp. 160-183.

(30) Directeur du quotidien Le Vingtième Siècle, l’abbé Norbert Wallez (1882-1952) était un admirateur de Mussolini. Correspondant régulier de Charles Maurras et Léon Daudet, il embauchera Hergé et Léon Degrelle dans son journal. Emprisonné en 1944, il sera condamné (1947 et 1948) à cinq ans d’emprisonnement pour collaboration.

(31) Voy. Bernard Delcord, op. cit., p. 181-182.

(32) Ferdinand Vercnocke fait de même et publie Ik was in Katyn.

(33) Sur ce personnage, voir Lionel Baland, Pierre Nothomb, Collection “Qui suis-je“, Puiseaux, Pardès, 2019.

(34) Si Robert Poulet, condamné à mort, finit par s’en sortir vivant, tel n’est pas le cas des journalistes René Baert, José Streel, Paul Herten et Jules Lhost qui sont passés par les armes.

(35) sous le nom de Pierre Hubermont.

(36) Voy. La Révolution prolétarienne (« mensuel syndicaliste révolutionnaire »), n° 465/164, octobre 1961, p. 11.

Bibliographie:

La Révolution prolétarienne, n° 465/164 (Paris, octobre 1961).

– B. Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945), Cahiers d’histoire de la IIe Guerre mondiale, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10 (Bruxelles, octobre 1986).

– J. Willequet, La Belgique sous la botte, Paris, Editions universitaires, 1986.

– R. Folcrey, « La Gauche et la Collaboration en Belgique : De Man, les syndicats et le Front du Travail », Le Crapouillot, n° 110 (Paris, septembre-octobre 1992) – repris sur le site Internet de Vouloir-Archives EROE. 

– P. Hubermont, Treize hommes dans la mine, Bruxelles, Labor, 1993.

– Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La Libération et l’Épuration en Belgique », Le Crapouillot, n° 120 (Paris, juillet-août 1994).

lundi, 12 septembre 2022

Vienne 1683: la charge de cavalerie qui a sauvé l'Europe

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La charge de cavalerie qui a sauvé l'Europe

À Vienne en 1683, les Polonais ont soutenu l'Empire autrichien en écrasant les Turcs lors de la dernière bataille qui a sauvé l'Europe

Andrea Muratore

Source: https://www.ilgiornale.it/news/cultura/carica-cavalleria-che-salv-leuropa-cos-vienna-fu-rotto-1971412.html?fbclid=IwAR2tfxT8owTYl28X_jiDSIYy5CHO-YQc_DGlYtt8DPzmBU-VNkt3PIanRsY

La charge de cavalerie qui a sauvé l'Europe : comment le siège a été brisé à Vienne

Vienne, le 11 septembre 1683. Sur le mont Kahlenberg, soit la colline de Kahlenberg située non loin de la capitale de l'empire des Habsbourg, une mêlée confuse oppose les troupes ottomanes qui assiègent la ville et les forces de l'empereur Léopold Ier. Le siège turc de Vienne, le deuxième après celui de 1529, est arrivé à son dernier jour. Plus d'un siècle après la bataille de Lépante, l'Europe fait face à une nouvelle avancée du Grand Turc, cette fois-ci par voie terrestre. Les Janissaires, les forces spéciales les plus avancées de l'armée ottomane, et les forces du duc Charles V de Lorraine, parmi lesquelles se trouvait un jeune officier qui allait faire carrière, Eugène de Savoie, se sont âprement battus à quelques kilomètres de la ville assiégée. À l'époque, on craignait que la grande peur de l'invasion turque ne se matérialise à nouveau pour l'Europe, mais lorsque les faits se sont avérés, une seule attaque a suffi à changer le cours du siège et, à sa manière, de l'histoire.

"Jesusmmaria" : au milieu de la mêlée, un cri retentit et en un rien de temps, le Kahlenberg est envahi par ce qui semble être une légion d'anges. Ce sont des cavaliers en armure, armés d'un sabre et d'une lance de six mètres ; sur leurs épaules, ils portent un montage en bois auquel est attaché un ensemble de plumes d'oiseaux, qui forment des ailes, rendent le combattant plus imposant et produisent, pendant la charge, un sifflement et un bruissement qui terrifient leurs ennemis. Il s'agit des hussards ailés, l'élément central de l'armée du roi Jean III Sobieski de Pologne qui s'est précipité vers la ville sans être inquiété. Quatre bataillons écrasent les Turcs, 15.000 hommes restent sur le terrain, l'armée ottomane subit une nouvelle raclée, cette fois définitive. En 1664, elle avait été stoppée dans sa progression par les armées impériales dirigées par Raimondo Montecuccoli (1609-1680) à la bataille du Saint-Gothard en Hongrie, pour reprendre sa marche suite aux pressions exercées par Louis XIV de France sur Istanbul pour que l'Empire ottoman prenne l'initiative contre l'Empire des Habsbourg. En 1683, l'avance ottomane est brisée et se transforme en une contre-offensive vers la Hongrie et les Balkans dans les années suivantes.

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De juillet à septembre, la dernière "Grande Peur" est mise en scène, le metus d'une conquête turque du cœur de l'Europe qui s'était déjà fait sentir après la chute de Constantinople en 1453, avec le premier siège de Vienne en 1529 et avec le défi de Lépante en 1571. La participation des Polonais a donné corps à la dernière grande coalition née à des fins religieuses dans l'histoire européenne, dans une phase historique où même le roi de France avait depuis longtemps choisi une autre voie, comme l'avaient confirmé les alignements de la guerre de Trente Ans. Hors du temps et autonome, l'épisode du siège mené par Kara Mustafa Pacha n'était pas apparu comme un chant du cygne, au contraire, mais comme la continuation d'une ambition démesurée de domination de la part des Turcs. En fait, c'était un pas de trop, un pari risqué que la Sublime Porte a payé avec le début de son déclin.

L'écart entre les organisations militaires européennes et turques s'était réduit, l'art de la fortification avait produit des forteresses presque imprenables, et le déclin du moral et de l'organisation des Turcs rendait les pertes moins supportables. Le premier 11 septembre de l'histoire a toutefois été décidé par un véritable épisode de guerre psychologique : l'apparition des hussards a grandement terrifié les Turcs, leur a fait perdre le moral et a été perçue comme un signe divin de punition.

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Ce Lépante sur terre a été un épisode décisif, et le reflux de la marée turque a entraîné l'avancée des bannières autrichiennes et des domaines des Habsbourg. Vienne est devenue avide d'expansion territoriale et voulait le retour à la couronne de régions cruciales comme la Hongrie. À partir de ce moment-là, c'est la politique et la soif d'expansion territoriale, plutôt que le dualisme entre l'Islam et la Chrétienté, qui inspireront l'assaut continu de l'Autriche-Hongrie, de la Russie et d'autres puissances contre l'Empire ottoman. Il a été poussé au déclin en subissant une raclée bien prévisible due à trop d'hybris de la part de ses chefs militaires, convaincus que Vienne pouvait tomber. En un sens, l'Europe a été sauvée une dernière fois après Lépante : la dernière "guerre de religion" de l'Europe, avec le siège de Vienne, a été la dernière bataille qui pouvait être connotée comme telle de façon claire, et son extraordinaire anachronisme ne peut être comparé qu'à son rôle de tournant historique. Par la suite, masquer la logique du pouvoir par de nobles idéaux aurait été beaucoup plus difficile : l'assaut continu contre les positions ottomanes des siècles suivants en témoigne.

dimanche, 11 septembre 2022

Art et métapolitique dans l'Espagne du 20ème siècle: le rapport Dali/Franco

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Art et métapolitique dans l'Espagne du 20ème siècle: le rapport Dali/Franco

Juan Montis-Christus

Source: https://septentrionis.wordpress.com/2022/09/10/arte-y-metapolitica-en-la-espana-del-siglo-xx-dali-franco/

"La révolution russe est la révolution française arrivée en retard, à cause du froid".

Salvador Dalí

"N'insistez pas pour être moderne. Malheureusement, quoi que vous fassiez, c'est la seule chose que vous ne pouvez pas vous empêcher d'être".

Salvador Dalí

"Franco et Dalí, Dalí et Franco : non pas une sympathie extravagante pour cacher ou déformer, mais une relation complexe pleine de recoins fascinants et contenant peut-être plus d'une clé décisive pour notre propre avenir".

Antonio Martínez, "El Manifiesto".

Le monde de l'art a donné à l'Espagne deux figures exceptionnelles de renommée mondiale au milieu du 20e siècle : Antonio Gaudí et Salvador Dalí; le premier a excellé dans le monde de l'architecture, le second dans la peinture. Les œuvres que les deux artistes ont produites tout au long de leur vie étaient d'une grande richesse symbolique et beaucoup d'entre elles avaient une grande charge mythique, précisément dans un monde horriblement désacralisé, profane et matérialiste, ainsi qu'anti-mythique et anti-symbolique par définition; et tous deux ont suivi, chacun à sa manière, une "voie mystique" particulière. Cette dernière était plus évidente chez Gaudí, un fondamentaliste catholique dévot et pratiquant ; dans le cas de Dalí, son mysticisme sui generis présentait des caractéristiques plutôt problématiques... Ce qui chez l'un était une religiosité dévotionnelle (extérieurement, bien sûr...), une introspection, un abandon de la "voie mystique", l'abandon du "bruit du monde", l'austérité véritablement spartiate, le dédain du luxe, du faste et de l'apparat, le détachement, surtout dans la dernière phase de sa vie ; d'autre part, chez l'autre, chez Dali, malgré son catholicisme théorique - voire national - étroitement lié aux grands mythes légendaires et patriotiques (l'apôtre Santiago, Covadonga, Don Pelayo, la Reconquête, le Cid, la Découverte de l'Amérique, la Vierge du Pilar, Philippe II, etc. ), c'était tout le contraire : excentricité, exhibitionnisme, extravagance, goût du scandale, de la provocation et une apparente superficialité ; et nous disons apparente, car Salvador Dalí a été très clair à ce sujet dans des propos qu'il a tenus tout au long de sa vie, tels que : "Les sociétés démocratiques ne sont pas adaptées à la publication de révélations tonitruantes comme celles que j'ai l'habitude de faire".

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Le mépris de Dalí pour les sociétés bourgeoises et libérales, qui le divertissent sans même le comprendre, est absolu ; il est révulsé par la démocratie et les sociétés de masse, qu'il considère - à juste titre - comme de la pure camelote ; "le clown, ce n'est pas moi, mais cette société, si monstrueusement cynique et inconsciemment naïve, qui joue un rôle sérieux pour masquer sa folie". Salvador Dalí, symboliquement "chevauchant le tigre" au milieu d'un monde en ruines, un tigre qui finira par le dévorer ; voilà ce que c'est que de suivre un chemin très personnel et autonome vers la transcendance, en dehors d'une véritable doctrine sapientielle traditionnelle et orthodoxe ; comme nous l'avons dit plus haut, son catholicisme national a toujours été très particulier, même dans la période dite "mystique" où il a produit - à notre avis - la meilleure et la plus florissante de son oeuvre picturale... 

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Ernesto Milá, dans son merveilleux livre sur le génie de l'Empordà (1), avance une théorie très intéressante. Au sein des deux voies autonomes vers la transcendance et la réalisation du soi indiquées par la tradition sapientielle, à savoir la "Voie de la Main Droite" et la "Voie de la Main Gauche", selon la thèse très suggestive de Milá, Antonio Gaudí incarnerait spécifiquement la première, tandis que Salvador Dalí incarnerait la seconde ; alors que la première était toute de retenue et de recueillement, la seconde était son contraire, fait d'excès et de débridage : "La voie de Gaudí peut être considérée, du point de vue de l'ésotérisme traditionnel comme la 'Voie de la main droite', celle qui consiste en une forte ascèse intérieure de caractère purificateur. Si nous l'avons appelé "voie autonome", c'est parce qu'elle a été construite spontanément par Gaudí, accumulant des expériences intérieures... il ne fait aucun doute que Gaudí était catholique, mais il ne fait aucun doute non plus qu'il a dépassé le simple catholicisme de dévotion" ; en ce sens, il n'y a rien de plus à voir et à étudier que ses fabuleuses constructions, toutes empreintes de symbolisme traditionnel, préchrétien et chrétien, même dans la version la plus ésotérique de ce dernier (le Graal, le Pélican, la Croix des Six Directions, la Croix du Tau, la Rose+Croix, etc.)

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Quant au peintre de l'Empordà, il incarnerait la Voie de la Main Gauche (2), une voie beaucoup plus dangereuse à suivre, surtout dans les périodes de dégradation et de dissolution du monde comme celle que nous vivons actuellement ; dans l'ésotérisme extrême-oriental, cette voie de réalisation de soi est symboliquement connue sous le nom de "Chevaucher le Tigre". À cet égard, Ernesto Milá dit de Dalí que "son catholicisme - très sui generis, d'ailleurs - est loin d'être de la même nature que celui du grand architecte (Gaudí). Les deux personnalités sont, par essence, différentes.

Dalí est un esprit mondain qui méprise la bourgeoisie et les "daliniens", mais partage sa vie avec eux car, au fond, il en vit. Il est repoussé par la plupart de ses admirateurs et a tendance à les traiter avec plus que quelques mots durs et blessants qui, dans de nombreux cas, sont moqués par les intéressés comme s'il s'agissait d'une originalité de plus. La mondanité, en revanche, est impensable chez Gaudí...". En Occident, et plus précisément en Grèce, nous avons une doctrine analogue à la voie tantrique extrême-orientale, qui a fini par exercer une certaine influence à la fin de l'époque romaine ; nous parlons de l'épicurisme (3), une école philosophique qui est née à Athènes à la fin du IVe siècle avant Jésus-Christ ; cette doctrine prônait l'absence - évidemment pour l'homme vraiment différencié - de soucis et la jouissance de tous les plaisirs de la vie (bonheur, félicité, bien-être, fortune, richesse), mais tout cela sans perdre l'Axe ou le Centre, en suivant toujours et malgré tout un Nord et un Guide existentiels, vivre et errer sans fuir le "bruit mondain", mais sans se laisser entraîner par le courant général de la subversion et de la désintégration, "vivre à l'intérieur de soi, et non décentré et détaché" (Antonio Medrano), en cherchant toujours, même dans le chaos et la dégradation - dans les enfers - un principe d'Ordre, de détachement et de déconditionnement. Comme le dirait Julius Évola, "se tenir droit au milieu d'un monde en ruines".

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De nombreux modernes et postmodernes, poussés par une imbécillité et une ignorance vraiment suprêmes, ont interprété de manière erronée la doctrine de cette école philosophique, comme une simple voie vers l'hédonisme le plus absolu, une erreur grossière ; à cet égard, le fondateur de cette école a écrit : "Lorsque nous disons que le plaisir est la fin, nous n'entendons pas les plaisirs lascifs et licencieux, comme le disent certains ignorants de notre doctrine ou contraires à celle-ci ; mais nous unissons l'absence de douleur du corps à la tranquillité de l'esprit. Ce ne sont pas les festins et les banquets, ni les plaisirs des garçons et des femmes, ni les poissons et autres délices que l'on peut donner à une table somptueuse qui rendent la vie douce, mais un raisonnement sobre qui étudie parfaitement les motifs de tout choix et de tout refus... l'homme lucide et prudent sait discriminer, et cette opération le rend heureux.

La douleur provient d'appétits désordonnés qui ne sont pas discriminés selon l'intelligence, c'est-à-dire vivre de façon irrationnelle dévoré par des passions et des appétits tordus. L'homme intelligent, au contraire, s'abstrait de toute perturbation possible en se réfugiant dans l'autarcie, le contrôle de soi, la maîtrise de soi. L'autarcie, quant à elle, mène à l'ataraxie, l'imperturbabilité, la sérénité intérieure" (Épicure de Samos). Il est clair que Dalí s'inscrit beaucoup plus dans cette conception du monde que Gaudí, mais seulement en partie, car il finira par être vitalement brisé, déséquilibré et désaxé (perte de l'"autarcie intérieure", de la "maîtrise de soi"), comme tous ceux qui marchent sur le fil du rasoir ou qui "chevauchent le tigre" (4), sans points d'appui spirituels et métaphysiques solides, comme c'était son cas.

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Le Dali métapolitique

Pendant une grande partie de sa vie, Salvador Dalí a toujours ressenti un certain détachement et une certaine distance par rapport à la politique du monde - apoliteia - mais pas par rapport à une certaine métapolitique - au-delà de la politique - son admiration pour les grandes figures politiques du 20ème siècle telles que Hitler, Mussolini, Franco, José Antonio Primo de Rivera, voire Lénine et Mao Tse Tung, était due à la "dimension mythique" qu'il entrevoyait derrière ces personnages historiques, qu'ils soient "bons" ou "mauvais". À son retour en Espagne en 1948, alors qu'il s'imprègne - à sa manière, bien sûr - de la mystique nationale-catholique affichée par l'État du 18 juillet et personnifiée dans la figure "mythique" de Francisco Franco, ainsi que du riche symbolisme et du rituel qui l'accompagnent à travers les organisations du Mouvement officiel, il s'attache progressivement à une certaine "droite" traditionnelle et métapolitique, abandonnant totalement ses idéaux révolutionnaires de jeunesse, prônant une véritable Monarchie, condamnant la démocratie, le libéralisme, l'égalitarisme, le machinisme, la standardisation, la médecine moderne et toutes sortes d'aberrations collectivistes, et se prononçant en faveur de la hiérarchie, d'une Aristocratie de l'Esprit (par opposition à celle du blason), de l'autorité, de l'esthétique, de la diversité, des valeurs de la personnalité par opposition à la massification, de la métaphysique, d'une "vraie Renaissance", de la Magie et de la Tradition; "Je ne crois qu'en la réalité suprême de la Tradition", disait Dalí. Il affirmait vivre au milieu d'une époque vulgaire, et que la vulgarité devait être vaincue "verticalement", tandis qu'en même temps la société devait être complètement déprolétarisée (précisément aujourd'hui le démonisme mondialiste cherche exactement le contraire) ; il parlait aussi d'une véritable "révolution culturelle" et "mystique" qui dissoudrait les fondations sur lesquelles les sociétés bourgeoises et démocratiques pourries étaient construites, et restaurerait ainsi la Tradition : "Ce n'est pas la vraie révolution mais celle qui retrouve la Tradition cachée sous la poussière de la fausse tradition". Re-volvere, remettre, revenir à la restauration de la Norme, au Centre, à l'Origine, à la Vérité, aux valeurs éternelles de l'Esprit ?

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Juan de Ávalos, fils du célèbre sculpteur de la Basilique de la Vallee de los Caidos, l'œuvre suprême - et extraordinaire - du national-catholicisme franquiste, nous raconte un épisode curieux ; nous savons que Salvador Dalí a été l'un des premiers intellectuels espagnols à rejoindre avec enthousiasme le Mouvement national en 1937 ; il s'avère que juste après la fin de la Croisade en 1939, il a présenté à la Phalange un projet monumental qualifié de "macabre" : "Il a même proposé un monument commémoratif plutôt extravagant à la Phalange. L'idée était de fondre ensemble, tous les os de tous les morts de la guerre. Ensuite, tous les kilomètres entre Madrid et l'Escorial, une cinquantaine de piédestaux seront érigés sur lesquels seront placés des squelettes fabriqués à partir des vrais os. Ces squelettes seraient de plus en plus grands. Le premier, au départ de Madrid, ne ferait que quelques centimètres de haut. Le dernier, en arrivant à El Escorial, aurait trois ou quatre mètres de haut. Il semble que le projet n'ait pas du tout plu à Franco et qu'il ait été finalement rejeté, mais c'est là qu'a commencé une relation d'amitié et même d'admiration mutuelle entre les deux génies de l'Espagne du 20ème siècle (5) ; à une occasion, il est même allé jusqu'à dire que les deux grands inspirateurs de son œuvre étaient la Santina (la Vierge de Covadonga) et le Caudillo, ce qui horrifierait n'importe quel nabot progressiste ou politiquement correct d'aujourd'hui.

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De toute évidence, Salvador Dalí, comme le souligne Ernesto Milá, était l'un des très rares artistes "modernes" pour qui les symboles n'étaient pas simplement des signes muets et vides, mais des porteurs potentiels d'idées suprasensibles et métaphysiques. D'où sa fascination pour le symbolisme et l'attirail qui accompagnaient les monarchies sacrées d'antan, ainsi que les États modernes et les grands dirigeants totalitaires du XXe siècle, face à la mentalité anti-symbolique et à la médiocrité répugnante et mesquine de la bourgeoisie libérale, caractérisée par sa crasse, sa bassesse et sa pauvreté symbolique-doctrinale sans limites. 

"Dans la monarchie, une autorité maximale coexiste avec des possibilités maximales pour l'individu. Hétérogénéité en bas et unité en haut... J'ai toujours été anarchiste et monarchiste. Monarchiste dans l'ordre. Ainsi, cette anarchie est de nous, ceux d'en bas, et elle est à protéger par l'ordre d'en haut. Et la monarchie est l'ordre parfait". C'est ainsi que Dalí concevait sa "Monarchie-anarchie" ; une hiérarchie, une aristocratie, une totalité et une autorité maximales au sommet de l'État et de la société, et une liberté et un pluriformisme maximaux à la base - "La liberté dans l'ordre", comme le disait José Antonio Primo de Rivera, un leader qu'il admirait aussi profondément ; c'était le genre de monarchie sacrée dont Dalí (et très probablement Franco lui-même) rêvait et qu'il idéalisait, mais qui était totalement incompatible avec la vision du monde moderne ou postmoderne, à savoir qu'une monarchie libérale, démocratique et parlementaire - parodique et caricaturale en somme- n'est rien d'autre qu'un charlatanisme et une farce, une sorte de République couronnée où la figure du roi est celle d'une simple marionnette qui ne règne ni ne gouverne, une simple marionnette au service de la partitocratie et de la ploutocratie ("El Augusto Cero", comme le grand Juan Vázquez de Mella décrivait les monarques libéraux), raison pour laquelle la "Monarchie du 18 juillet" ou la "Monarchie du Mouvement national" instaurée par Franco - et à laquelle Dalí s'identifiait - est mort-née le 22 novembre 1975 (6).

Deux génies qui s'admirent mutuellement

"Un saint, un mystique, un être extraordinaire".

Salvador Dalí sur Francisco Franco

"Dalí n'a pas seulement sympathisé avec un certain franquisme, mais a également connu personnellement le dictateur et partagé des moments intimes avec lui. Il a peint un portrait de sa petite-fille et a dédié un poème au prince d'Espagne de l'époque, le successeur de Franco. Soyons clairs : Dalí a séduit Franco et la sympathie était réciproque. Sur quoi était-elle basée ? En effet, l'admiration et la sympathie étaient réciproques ; en 1964, le gouvernement de Franco lui décerna la Grand-Croix d'Isabelle la Catholique et en 1972, Dalí fit don de toute son œuvre à l'État espagnol (au grand dam de la foule séparatiste ; curieusement, aucune rue ne lui est dédiée à Barcelone...), ainsi que le financement de son Théâtre-Musée de Figueras, inauguré en 1974. À partir du moment où il s'installe définitivement en Espagne en 1948, plus précisément à Port Lligat, il ne cesse de louer la figure du Caudillo, qu'il considère comme un Mythe vivant ou comme une figure sacrée et métahistorique, au grand scandale de la poubelle intellectuelle et politicienne du monde démolibéral et ploutocratique.

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L'admiration de Dalí pour la figure du Caudillo était si grande que sa mort, le 20 novembre 1975, le surprit lors d'une réunion à New York ; lorsqu'on lui annonça la nouvelle de la mort de Franco, Dalí demanda à être laissé seul et pleura, pressentant peut-être ce qui allait arriver à l'Espagne avec la disparition de sa dernière pierre d'achoppement avant qu'elle tombe comme un fruit mûr, proie et victime de la domination de la subversion mondiale qui l'emporta en 1945 après la Seconde Guerre mondiale, comme elle finit par l'être ; le penseur traditionaliste Álvaro d'Ors, ami de Carl Schmitt, a dit à juste titre que Franco avait gagné la guerre de 1936-39 mais qu'il avait néanmoins perdu la guerre de 1939-45, même sans y avoir participé directement, puisque les vainqueurs de cette dernière étaient les ennemis "éternels" -physiques et métaphysiques- de l'Espagne, et qu'ils n'allaient en aucun cas permettre une survie d'un post-franquisme solide en Espagne après la mort du Caudillo ; les trente années entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la mort du Caudillo ont été une sorte d'ajournement, comme nous le verrons plus loin...

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Statue d'Alvaro d'Ors.

Il faut rappeler qu'une petite indication de cela a été l'avalanche de protestations internationales et de manifestations délirantes de haine anti-espagnole émanant du monde ploutocratique (avec des attaques et des agressions contre nos ambassades, des menaces d'expulsion de certaines organisations internationales, etc.), y compris le Vatican maudit, anti-espagnol et traître, qui a eu lieu en octobre 1975 après l'exécution par fusillade, plus que justifiée, de trois criminels de l'ETA et de deux autres du FRAP ; Dalí a non seulement soutenu pleinement les politiques du Caudillo, mais aussi ses décisions antiterroristes, au grand scandale et à l'embarras des répugnants progressistes bien pensants qui grouillent dans les démocraties occidentales décadentes ; lors de la dernière apparition publique de Franco sur la Plaza de Oriente, le 1er octobre 1975, à l'occasion du XXXIXe anniversaire de son exaltation en tant que chef d'État, et également en tant que démonstration de répulsion contre l'ingérence étrangère dans les affaires nationales, devant des centaines de milliers de partisans, Dalí a déclaré avec émotion que le Caudillo était "le plus grand héros d'Espagne" ; de sorte que plus tard, divers imbéciles qui cherchent une certaine "homologation systémique" de l'artiste, disent que le franquisme de Dalí était imposture, mensonge ou pure apparence. Après tout, comme l'a dit Salvador Dalí lui-même, "la télévision est le plus grand instrument de crétinisation du monde d'aujourd'hui", comme le sont tous les médias d'"information" de masse du système démocratique délétère (il disait avec dérision qu'il lisait toujours les nouvelles dans les journaux à l'envers pour mieux les comprendre), même si le trash télévisuel remporte la palme et est aujourd'hui le meilleur moyen de diffuser le satanisme mondialiste et sous-humain ; nous savons déjà que quelque chose d'aussi démocratique que l'information et la propagande systémiques (le lavage de cerveau écrasant et destructeur), sont finalement la contre-figure parodique et sinistre -diabolique- de la vraie Culture, ainsi que de la formation intégrale de l'individu. Art, Mysticisme, Spiritualité, Métaphysique, Métapolitique face aux forces dissolues et désintégratrices de la Modernité, tel était en substance le véritable sens que Dalí donnait au concept qu'il avait de la véritable "Révolution culturelle" (7).       .

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"Depuis la Révolution française, il s'est développé une tendance vicieuse et crétine à considérer le génie comme un être humain égal en tout point à tous les autres". Salvador Dalí, génie et figure jusqu'à la tombe ; Franco, quant à lui, a un jour prononcé en privé une phrase qui est aujourd'hui aussi ridiculisée qu'incomprise, et qui suscite habituellement la dérision des "terroristes de la plume", comme Onésimo Redondo avait l'habitude d'appeler les déchets journalistiques : "Faites comme moi, ne vous mêlez jamais de politique" ; de toute évidence, lorsque le Caudillo a fait une telle déclaration, il faisait référence à la "petite politique", à la politique étroite, myope et à courte vue, si consubstantielle à la démence démocratique, bourgeoise et libérale ; au contraire, le Caudillo a toujours parlé d'une autre politique éminemment supérieure, la politique comme "acte de service", comme Milice, la politique exécutée de manière sacrée, solaire, ouranique-virile -vraiment royale-, comme un acte de Service et de Sacrifice à la tête de la Communauté Populaire, la politique comme une fonction "presque divine" (José Antonio), la politique qui regarde plus les générations futures que les prochaines élections. C'est ainsi que Franco et Dalí ont tous deux compris la vraie politique, comme un véritable Art ; la Grande Politique : Métapolitique, "au-delà de la politique", Métaphysique de la politique... 

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Enfin, le grand Dalí est mort d'une crise cardiaque le 23 janvier 1989 à l'âge de presque 85 ans. Il est mort en écoutant son opéra préféré "Tristan et Isolde", de son compositeur allemand admiré, Richard Wagner. Il a été enterré dans la crypte de son Théâtre-Musée à Figueras, en face de l'église Sant Pere (photo), où il avait été baptisé et où il avait fait sa première communion.

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L'alpha et l'oméga d'une vie certainement fascinante, folle en de nombreuses occasions, mais aussi pleine d'épisodes sombres et de figures sinistres et orageuses, une vie de fortes contradictions et aussi d'"affirmations souveraines", d'intuitions brillantes et de comportements autodestructeurs, comme tous ceux qui, au cours de leur vie, ont marché "sur le fil du rasoir", toujours au bord de l'abîme, ou qui ont vécu - ou plutôt ont choisi de vivre - existentiellement et volontairement dans "les régions les plus sombres et les plus souterraines de l'enfer". 

"Le vrai peintre est celui qui est capable de peindre des scènes extraordinaires au milieu d'un désert vide. Le vrai peintre est celui qui est capable de peindre patiemment une poire entourée des tumultes de l'Histoire" (Dalí). Il en va de même pour un véritable artiste en politique, comme pour la Grande Politique.....

                                                                                           SALVADOR DALÍ PRESENT !!!!!
FORCE, HONNEUR ET TRADITION!

Juan Montis-Christus

NOTES :

      (1)  "Dalí entre Dieu et le diable. Le magique et le paranormal dans sa vie et son œuvre". Ernesto Milá, 2002. Un livre extraordinaire et hautement recommandé. Les chapitres VII ("Politique hermétique") et IX principalement, à encadrer, très intéressants du point de vue métapolitique et qui nous donnent un aperçu de la vision du monde de Dalí.

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(2) Ernesto Milá, dans son livre "Le mystère Gaudí" - également brillant - pointe du doigt une autre figure au sein de ce que nous pourrions appeler "un chemin très particulier vers la transcendance" : Adolf Hitler. Il est curieux qu'Hitler, fondateur d'abord du Parti national-socialiste des travailleurs allemands, puis du Troisième Reich, se soit toujours considéré comme un "artiste" plutôt que comme un homme politique. Amateur de peinture et d'architecture, il a toujours rêvé de transformer l'État qu'il a fondé et dirigé en un "État artistique". Ernesto Milá attribue également à Adolf Hitler la "Voie de la Main Gauche", mais le Caudillo allemand, en agissant ainsi - comme Dalí - en marge d'une doctrine véritablement traditionnelle, orthodoxe et sapientielle, a fini par sombrer dans le titanisme le plus absolu et une "volonté de puissance" exaspérante, véritablement démoniaque, qui l'a conduit à sa propre catastrophe et à celle de tout le gigantesque Mouvement qu'il dirigeait et qui tournait autour de sa figure véritablement énigmatique. D'autre part, Dalí éprouvait également une fascination particulière pour la figure d'Hitler, auquel il a même consacré trois tableaux, le premier en 1939, peu avant le début de la Seconde Guerre mondiale : "L'énigme d'Hitler" (illustration, ci-dessous), presque comme une prémonition de ce qui allait arriver ; curieusement, l'un des peintres qui a le plus influencé Salvador Dalí était précisément Arnold Böcklin, un peintre suisse du XIXe siècle qui appartenait au mouvement artistique du symbolisme et était également très admiré par Adolf Hitler. Tous deux ont trouvé l'œuvre de ce peintre, aujourd'hui oublié, fascinante et très mystique. "Le Führer a acheté son œuvre la plus célèbre, L'île des morts, dont il existait cinq versions différentes. Mais bien qu'étant un grand peintre, Böcklin a été oublié. Chaque trait classique nous rappelle le monde moderne dans lequel le peintre ne semblait pas non plus s'intégrer, mais dont la manière de peindre a tout changé" (Pola Sierra). Les œuvres de ce peintre, fortement influencé par le romantisme et le symbolisme, sont chargées d'une atmosphère mythique, souvent sinistre, "ses œuvres esquissent des figures fantastiques et mythologiques sous des constructions issues de l'architecture classique (révélant souvent une obsession de la mort), créant un monde étrange et fantastique" (Alfred Heinrich Schmid) ; des œuvres qui ont grandement influencé Dalí et sa méthode "paranoïaque-critique".

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"L'énigme Hitler" de Dali et "L'Ile des morts" de Böcklin.

    (3) Épicure de Samos, (341 avant J.-C., né à Samos, mort à Athènes en 271/270 avant J.-C.).

     (4) Dans le symbolisme extrême-oriental, le tigre représente les forces du chaos et de la dissolution, de la subversion. Symboliquement, le monter signifie dominer, contrôler ces forces en restant fermement en selle sans tomber, jusqu'à ce que ces forces tombent de leur propre poids, abandonnées par épuisement. En Europe, plus précisément dans le mithraïsme, la figure du taureau et son sacrifice avaient un symbolisme analogue, et le rite de la tauromachie des temps modernes est comme un écho dégradé de ce mythe sacré, un symbolisme de la tauromachie qui a également toujours fasciné Salvador Dalí.

       (5)  "En réalité, Dalí admirait Franco politiquement et humainement pour des raisons très proches de cette préférence qu'il avait pour la forme monarchique. Il définit Franco comme "le summum du calme" et affirme qu'en tant que Galicien, il possède un caractère très approprié pour gouverner l'anarchisme du peuple espagnol. Cependant, il ne s'agit pas seulement ici d'une aptitude psychologique particulière, du silence proverbial de Franco, de son flegme celtique, de sa réserve et de sa circonspection, si adaptées à l'homme d'État obligé de prendre des décisions sérieuses en permanence. Dalí, à la fois ultramoderne et ultraconservateur à sa manière très personnelle, a compris que Franco, bien plus que dans le domaine du fascisme pur, se situait dans la tradition spirituelle de Philippe II : un Philippe II qui a construit le monastère catholique-hermétique de l'Escorial et qui, de manière très significative, admirait Jérôme Bosch - dont il possédait de nombreuses œuvres - de la même manière que Franco l'a fait avec Dalí. Philippe II, un grand roi qui a dû faire face à des circonstances tragiques, a bien compris la vocation universelle et le destin méta-historique de l'Espagne. Franco aussi, même si l'on s'est beaucoup moqué - aussi sarcastiquement que superficiellement - du cliché de la "réserve spirituelle de l'Occident" et d'autres notions similaires, si chères pendant des décennies aux intellectuels du Régime" (Antonio Martínez). À une occasion, Dalí a exprimé sa surprise lorsqu'il a découvert que l'un des peintres préférés de Franco était précisément l'un des peintres qui le fascinait également le plus : le peintre baroque néerlandais Johannes Vermeer van Delft (1632-75). Il convient de souligner que Franco était également passionné de peinture et d'architecture, et qu'il a toujours voulu établir une certaine éthique et esthétique à cet égard dans le Mouvement qu'il a fondé et dirigé, bien que la régression - dans tous les sens, y compris les aspects culturels et artistiques - que l'État du 18 juillet a subie à partir des années 1956-59 allait faire échouer de manière spectaculaire cette initiative véritablement révolutionnaire ; de l'Espagne missionnaire de la Croisade, nous sommes passés à l'Espagne de la "stabilisation", du "développement", de la "technocratie" et de la folie consumériste, bref ce fut "la mort de l'esprit du 18 juillet", comme le dénonçaient déjà de nombreuses figures de proue du Régime dans les années 1960. Cependant, pour Salvador Dalí, tout cela n'avait aucune importance ; ce qui était fondamental pour ses conceptions métapolitiques, c'était la richesse des grands symboles - dont beaucoup étaient mythiques -, l'attirail rituel et cultuel qui accompagnait la figure du Caudillo et le système qu'il fondait et dirigeait, des symboles qui reliaient l'Espagne dans laquelle il vivait à la Grande Espagne des meilleurs temps, à l'Espagne de Covadonga, de la Reconquête, des Rois Catholiques, de l'Âge d'Or. Il existe quelques livres d'un certain intérêt, puisqu'il n'y a pas grand-chose à ce sujet, qui abordent le sujet de l'art en général et de la culture pendant le régime franquiste, en dehors de l'idéologie et des commentaires biaisés de leurs auteurs, bien sûr : "Art et idéologie dans le franquisme (1936-51)" et "Esthétique dans le franquisme" ; dans les deux livres, on conclut plus ou moins qu'il y a bien eu une éthique et une esthétique spécifiques pendant le soi-disant "premier franquisme" (1936-59), ou plutôt, une application ou une manifestation cosmovisionnelle de "l'esprit du 18 juillet" dans les expressions et les déclarations artistico-culturelles de l'État nouveau. Aujourd'hui, il est normal dans cette Espagne apocryphe, démente et ultra-dégradée que toutes ces manifestations du franquisme soient considérées par une masse imbécile, empoisonnée, sans âme et illettrée comme "carcasses", "anachroniques", "obscures", "rétrogrades", "mégalomanes", "impérialistes", "totalitaires", etc, etc.....

     (6)   Le 22 novembre 1975, le Prince Juan Carlos de Borbón est proclamé Roi d'Espagne par les Cortes Orgánicas et le Conseil National du Mouvement inclus dans celles-ci, après avoir juré sur les Saints Evangiles d'être fidèle à l'héritage reçu (le franquisme, l'Etat du 18 juillet), et de garder et faire respecter les Lois Fondamentales du Royaume et autres Principes qui informaient le Mouvement National. À peine un an plus tard (18-XI-1976, "La trahison de novembre"), ces mêmes Cortes organiques et ce même Conseil national du mouvement approuveront massivement une "loi de réforme politique" qui ne réformera absolument rien, mais détruira complètement tout le système juridico-politique et institutionnel franquiste, ouvrant à nouveau l'Espagne à la démocratie bourgeoise et libérale, ce que Franco et Dalí détestaient tout autant. C'est pourquoi nous avons dit que la rêvée "Monarchie du Mouvement National" établie par Franco, était déjà mort-née après le "couronnement" du Parjure... 

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(7)    C'est précisément l'homme qui a été ministre du Travail pendant la plus grande partie de ce qu'on appelle le "premier franquisme", le Falangiste de la vieille garde José Antonio Girón de Velasco (photo ci-dessus), qui a dit que le franquisme avait finalement échoué parce qu'il n'avait pas réalisé, ou n'avait pas abordé, ou n'avait pas su réaliser, la seule révolution qui lui manquait, ayant réalisé avec plus ou moins de succès - comme il le disait, bien sûr - les révolutions politique, sociale, agraire et industrielle : la Révolution culturelle...

mardi, 06 septembre 2022

Le laboratoire politique de la France contemporaine

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Le laboratoire politique de la France contemporaine

par Georges FELTIN-TRACOL

michelet_invention-presidence-republique-tt-width-300-height-455-crop-1-bgcolor-ffffff-lazyload-0.jpgC’est au printemps 2022 en pleine campagne présidentielle que paraît un livre au titre étonnant : L’invention de la présidence de la République (1). Il ne s’agit pas d’une étude de droit constitutionnel, mais d’un essai d’histoire politique sur la plus brève et la plus méconnue des républiques françaises, la Deuxième (1848 – 1852).

L’auteur, Maxime Michelet, examine quatre années décisives qui ont modelé le paysage politique jusqu’en 2017. Il en profite pour contester certaines interprétations institutionnelles viciées de l’historiographie républicaine sans toutefois toujours convaincre. En effet, on pense que la IIe République fut un régime présidentiel puisque le chef de l’État ne pouvait pas dissoudre la chambre. C’est inexact en raison des ambivalences de la constitution de 1848. L’assemblée monocamérale poursuit des pratiques parlementaires acquises sous la Seconde Restauration (1815 – 1830) et la Monarchie de Juillet (1830 – 1848). Elle vote régulièrement la défiance envers le cabinet ministériel et/ou certains de ses membres. « La constitution de 1848 accorde peu de pouvoirs à son premier magistrat » qui porte pour la première fois le titre de « président de la République ».

Toute la parole au peuple ?

À part le droit de nommer et de révoquer les ministres (art. 67), le président ne peut pas agir sans l’indispensable contreseing ministériel. Les constituants limitent sérieusement ses prérogatives. Élu pour quatre ans, il n’est pas rééligible. Le jour de son investiture, il est le seul à devoir prêter un serment de fidélité à la constitution devant les députés.

Maxime Michelet n’est pas constitutionnaliste. Certes, le président de la IIe République ne peut ni suspendre ni proroger l’Assemblée nationale législative. En revanche, il peut la convoquer (art. 32) ou « demander, par un message motivé, une nouvelle délibération (art. 58) ». À l’instar de son homologue outre-Atlantique, il ne dispose pas non plus de l’initiative législative directe. Mais, il « a le droit de faire présenter des projets de loi à l’Assemblée nationale par les ministres (art. 49) ». L’auteur oublie en outre que l’article 63 stipule que le chef de l’État « réside où siège l’Assemblée nationale, et ne peut sortir du territoire continental de la République sans y être autorisé par une loi ». L’auteur semble ainsi confondre le régime présidentiel ou « séparation institutionnelle des trois pouvoirs » du présidentialisme autoritaire (initiative législative de l’exécutif, droit de dissolution de l’assemblée, fixation de l’ordre du jour du Parlement, possibilité d’arrêter le budget par décret, etc.), voire d’un « présidentialisme parlementaire » en vigueur au Portugal et en Autriche où le président est élu au suffrage universel direct, mais dont la responsabilité de l’exécutif revient au chef du gouvernement. La Ve République française se définirait plutôt, après trois cohabitations (1986 – 1988, 1993 – 1995 et 1997 – 2002), comme un « système semi-présidentiel au parlementarisme rationalisé ».

Aux pouvoirs volontairement restreints, le président de la République détient néanmoins un atout considérable. Après bien des discussions et des tergiversations parmi les députés, il bénéficie de « l’autorité acquise par l’onction populaire ». Encore inspiré de l’exemple américain, les constituants de 1848 décident d’élire le président de la République au suffrage universel direct par tous les hommes âgés de 21 ans au moins. Le scrutin se passe en un seul tour (tour populaire). Pour être élu, il faut recueillir la majorité absolue des suffrages dont un minimum de deux millions de voix, soit environ un tiers des inscrits. Si aucun candidat n’est élu, il revient à l’Assemblée législative d’élire le président parmi « les cinq candidats éligibles qui ont obtenu le plus de voix (art. 47) » (tour parlementaire) (2).

L’article 46 prévoit que l’élection présidentielle « a lieu de plein droit le deuxième dimanche du mois de mai », y compris si le président a été élu à une autre date. Les constituants rognent sciemment près de sept mois de présidence pour l’élu des 10 et 11 décembre 1848. Maxime Michelet note que « par le hasard de la date du décès de Georges Pompidou, les élections présidentielles ont lieu en mai depuis 1974, le second tour ayant lieu le premier (depuis 1995), le deuxième (1981 et 1988) ou le troisième dimanche dudit mois (1974). L’élection présidentielle de 1965 avait été organisée en décembre – tout comme celle de 1848 – tandis que celle de 1969 avait pris place en juin. En 2022, pour la première fois, le second tour prend place en avril ».

Louis_Eugène_Cavaignac_MdesA_2014.jpgTous les publicistes de l’époque pronostiquent la victoire du général Cavaignac (photo). Militaire républicain modéré, Louis-Eugène Cavaignac dirige le pouvoir exécutif après avoir maté l’insurrection ouvrière parisienne de juin 1848. Il « demeurait à l’hôtel de Monaco - aujourd’hui hôtel de Matignon ». Élu président, le général Cavaignac en aurait fait son palais présidentiel. Mais il perd l’élection dès le tour populaire tout comme le général conservateur Nicolas Changarnier, les socialistes Alexandre-Auguste Ledru-Rollin et François Raspail et le républicain Alphonse de Lamartine. Avec 75 % des voix, le premier président de la République française est un homme de 40 ans : Louis-Napoléon Bonaparte. « L’héritier de l’Empire devient le premier des premiers magistrats de la République, porté à cette charge quelques jours plus tôt par les suffrages quasi unanimes du peuple français, déposés à l’occasion de la première élection présidentielle au suffrage universel direct. Une expérience audacieuse qui ne se reproduisit plus en France avant 1965. » Mieux, Maxime Michelet le présente comme « le premier président de la Ve République ». En effet, « du point de vue des principes comme de la pratique, Louis-Napoléon Bonaparte a inventé la présidence de la République et, à considérer la prééminence du chef de l’État au sein de la constitution de 1958, on pourrait même oser une affirmation riche en paradoxes : Louis-Napoléon Bonaparte a fondé notre République ».

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Le choix de l’impartialité

Le nouveau dirigeant français inaugure des usages dont certains perdurent encore aujourd’hui. Il est « le premier locataire de l’Élysée ». Il y organise de grandes réceptions et invite les familles royalistes légitimistes et orléanistes les plus influentes, les membres du clan Bonaparte et un entourage présidentiel immédiat dont les fidélités sont « nées dans l’exil et les conspirations ». Connaissant mieux l’étranger que son pays natal, le président, bon locuteur en allemand, en anglais et en italien, visite au cours de son mandat la France et n’hésite pas à séjourner dans des départements politiquement hostiles. Les discours qu’il prononce accroissent sa notoriété auprès de la population. Petite anecdote savoureuse pour l’époque : sa maîtresse en titre, l’Anglaise Elizabeth-Ann Haryett alias Miss Harriet Howard (1823 – 1865) (tableau, ci-dessous), accompagne volontiers ce célibataire endurci pendant les voyages officiels...

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En ces temps d’hypostase laïcarde, l’auteur signale que « par privilège particulier, le chef de l’État français possédait […] le droit de remettre la barrette cardinalice au nonce apostolique en France – l’ambassadeur du pape – lorsqu’il était nommé cardinal à l’issue de sa mission diplomatique: le dernier président de la République à remettre sa barrette à un cardinal sera le général de Gaulle en 1959 (et ainsi, en 1953, le président Auriol aura-t-il remis sa barrette au cardinal Roncalli, futur Jean XXIII ». Il mentionne enfin une « magistrature unique dans toute l’histoire républicaine de la France »: la vice-présidence de la République dont le titulaire s’appelle Henri Georges Boulay de La Meurthe (1797 - 1858). L’article 70 définit cette nouvelle fonction. Le vice-président de la République est nommé par l’Assemblée nationale, sur la présentation des trois candidats faite par le président (outre l’heureux élu, les deux autres sont le comte Achille Baraguey d'Hilliers et Alexandre-François Vivien). Président du Conseil d’État, le vice-président de la République remplace le président en cas d’empêchement et assure un court intérim.

Président des Amis de Napoléon III, Maxime Michelet entend réhabiliter la figure paradoxale du premier chef de l’État français élu au suffrage universel de l’histoire, du premier des présidents de la République et du dernier des monarques français. Il rappelle à toute fin utile que du 20 décembre 1848 au 2 septembre 1870, « Louis-Napoléon Bonaparte a présidé aux destinées de la France durant vingt et un ans et huit mois. À ce titre, il est l’homme politique contemporain à avoir exercé le plus longtemps la magistrature suprême, suivi de Louis-Philippe (dix-sept ans et deux mois), Napoléon Ier (quatorze ans et sept mois) et François Mitterrand (quatorze ans) ». Il ajoute que « loin de l’aventurier jouisseur et sans autre colonne vertébrale que la poursuite d’un confort luxueux financé par la nation, Louis-Napoléon est un homme d’État, porteur d’une véritable conception politique, acteur d’une trajectoire personnelle parmi les plus étonnantes du XIXe siècle et qu’il serait bien réducteur de caricaturer en vulgaire conspiration d’un escroc sanguinaire ».

Le « Prince-Président » a anticipé et compris les aspirations d’une partie non négligeable de l’électorat. « En 1848, qui mieux que l’héritier de Napoléon pouvait fonder en France la magistrature suprême ? Proclamer le principe de l’élection par le peuple, n’était-ce pas d’ailleurs déjà couronner le prince qui était l’incarnation de ses droits ? » Un solide argument, car les Bonaparte forment « la seule dynastie compatible avec les institutions républicaines. […] L’angle est celui d’une dynastie nationale, surgie de la Révolution et auréolée de gloire, vaincue par les armées étrangères ».

Très tôt, Louis-Napoléon se place au-dessus des clivages partisans et des antagonismes politiques. C’est un fait. Par exemple, aux législatives de 1849, de nombreux cantons qui l’ont massivement choisi se portent ensuite sur les républicains radicaux. Le canton de Saint-Pourçain dans l’Allier, qui avait voté à 84 % pour le prince impérial en décembre 1848, vote à 65 % pour les candidats de la Montagne démocrate-socialiste. Pour leur part, les droites (légitimiste, bonapartiste autoritaire, orléaniste et républicaine conservatrice) cherchent à se coordonner au sein d’un « comité de la rue de Poitiers ». Mais, « il est difficile de gouverner avec des hommes qui – issus des élites orléanistes – cachent difficilement leur mépris pour un aventurier qui, selon eux, ne doit son élection qu’au fétichisme des masses paysannes pour son nom ». Le nouveau président doit composer avec une assemblée méfiante et rétive à ses initiatives. Il commence par prendre des ministres compatibles avec la majorité de droite. Cependant, dès le 31 octobre 1849, il désigne un « gouvernement présidentiel ». Certes, « l’Assemblée demeure – sur le plan constitutionnel et politique – le cœur du pouvoir républicain. Face à elle se tient désormais un chef de l’État qui n’est plus seulement un président qui nomme le pouvoir exécutif et le délègue à ses ministres mais un président qui exerce le pouvoir exécutif à travers ses ministres, récupérant l’exercice d’un pouvoir que la lettre de l’article 43 de la constitution – comme l’esprit de l’élection du 10-Décembre – lui déléguait directement ». Sa présidence se marque de diverses combinaisons gouvernementales qui prennent en compte une lecture parlementaire de la constitution de 1848. Aux dépens d’un brumeux « parti du peuple », le président Bonaparte subit les pressions permanentes du « parti de l’Ordre » bourgeois et rentier dont Adolphe Thiers est l’un des principaux animateurs.

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Concorde nationale et harmonie sociale 

Malgré une situation politique compliquée, le chef de l’État engage une politique de rupture avec un certain ordre social établi. En tant qu’ancien prisonnier politique, il « est l’infatigable promoteur de l’amnistie » des Journées sanglantes de juin 1848. Il travaille sa stature régalienne. En tant que chef de l’armée, le président de la République exerce « une présidence napoléonienne »; il agit en « bienfaiteur des soldats »; il intervient en « grand prêtre de la mémoire napoléonienne » et organise « les charités présidentielles ». Maxime Michelet remarque qu’en politique, « le bonapartisme présidentiel est plus conservateur que le bonapartisme impérial, en partie car sa principale mission est de rétablir l’ordre et de promouvoir une révision de l’équilibre institutionnel ». Si c’est sous le Second Empire que « la loi du 9 juin 1853 fonde notre système de retraite », dès la IIe République, le président demande aux parlementaires d’accorder quelques avancées sociales réelles empreintes d’un esprit paternaliste. La loi du 18 juin 1850 autorise des caisses facultatives de retraite par capitalisation dans le secteur privé. La loi du 13 avril 1850 favorise « l’assainissement des logements insalubres ». La loi du 15 juillet 1850 légalise l’organisation du système mutualiste et des sociétés de secours mutuels. La loi du 22 janvier 1851 accorde l’assistance judiciaire gratuite aux plus démunis. Quant à la loi du 22 février 1851, elle concerne l’apprentissage, sa contractualisation, le temps de travail, les jours fériés, le repos dominical et le droit à l’instruction des apprentis.

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L’auteur prévient cependant que « plus qu’une dimension sociale, c’est une dimension populaire qui domine le mandat présidentiel de Louis-Napoléon Bonaparte ». N’est-il pas perçu comme un « prince rouge » ? N’a-t-il pas publié en 1844 De l’extinction du paupérisme dans le sillage de la pensée saint-simonienne ? Sur cette ligne équivoque, en janvier 1849, son cousin Pierre Bonaparte fonde et dirige un éphémère journal intitulé Le Socialisme napoléonien. Un autre cousin, le prince impérial Napoléon-Jérôme Bonaparte, dit « Plon-Plon », siège à l’Assemblée sur les bancs de l’extrême gauche républicaine et anti-cléricale.

Ces engagements ne sont pas paradoxaux. Tous les membres de la famille Bonaparte défendent « la mémoire impériale, porteur de souvenirs et de principes tant révolutionnaires que conservateurs ». À cet égard, le bonapartisme louis-napoléonien est une révolution conservatrice du premier âge industriel. Les historiens des idées politiques du XIXe siècle ont relevé la présence significative de cette expression. Le journal berlinois Die Volksstimme l’emploie dès 1848. Dans son édition du 20 décembre 1851 qui mentionne le coup d’État du 2 décembre, le journal suisse Le Genevois écrit: « Grâce à la Providence, une véritable révolution conservatrice s’accomplit en France par la discipline de l’armée et par la terreur qu’inspire l’anarchie. » « La souveraineté populaire et son incarnation en actes et en puissance, tel est le credo de Louis-Napoléon. » La souveraineté populaire et non la souveraineté nationale, nuance fondamentale entre le bonapartisme au XIXe siècle et le gaullisme au XXe siècle ! Contre les GAFAM et autres transnationales, le XXIe siècle ne verrait-il pas enfin une convergence de ces deux souverainetés plus ou moins conflictuelles vers une souveraineté nationale-populaire et son dépassement en souveraineté communautaire ?

Pour le futur Napoléon III, en 1848, « la candidature napoléonienne était celle d’un puissant mouvement populaire allant au-delà du clivage entre gauche et droite », car « l’élection présidentielle est […] la rencontre d’un peuple avec un prince, dont le nom est un principe ». Maxime Michelet parle de « réconciliation des principes bonapartistes et des principes républicains dans le creuset de la constitution gaullienne ».

Une république plébiscitaire héréditaire

La perspective de la fin du mandat présidentiel en 1852 incite le président à réclamer au moyen d’une pétition la révision de la constitution qui, par des blocages politiques et juridiques, ne se réalise pas. Pendant cette campagne pétitionnaire, le parti de l’Ordre envisage d’autres candidats pour l’échéance présidentielle à venir dont François d’Orléans, prince de Joinville, le dernier fils de Louis-Philippe. Il s’inquiète aussi de l’engouement du public pour le député démocrate-socialiste de la Creuse, Martin Nadaud, à peine âgé de 36 ans. Sa possible candidature à l’Élysée électrise le débat public. S’ajoute la perspective d’un double imbroglio politico-électoral. Le 9 mai, le président Bonaparte achèvera son mandat et sera remplacé par le vice-président de la République. Si Louis-Napoléon n’est pas réélu hors du champs constitutionnel ou si aucune majorité ne se dégage, l’élection reviendrait à l’Assemblée nationale. Mais laquelle ? Celle élue le 2 mai ou celle dont le mandat s’achève le 28 mai ? « On se retrouverait ainsi dans une situation absolument chaotique : un ancien président sans doute réélu illégalement, un vice-président exerçant la présidence par intérim, un futur président à désigner, une assemblée sortante toujours en fonction et une nouvelle assemblée impuissante mais à la composition déjà connue. »

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Louis-Napoléon Bonaparte prépare par conséquent un coup de force. Celui-ci aurait dû se produire dès le 17 septembre 1851, mais il est aussitôt reporté. L’action se déroule le 2 décembre 1851 dans le cadre de l’opération Rubicon. Malgré des résistances parfois violentes dans le Sud-Est et des débuts de jacqueries dans le Massif Central, le putsch présidentiel réussit. Le plébiscite des 21 et 22 décembre 1851 entérine une nouvelle constitution républicaine vraiment présidentialiste (présidence décennale, responsabilité plébiscitaire permanente devant le peuple, ministres responsables devant le président, monopole gouvernemental de l’initiative des lois, etc.). Après 1851, « le pouvoir de Louis-Napoléon n’est pas un simple autoritarisme autocratique mais un autoritarisme démocratique, sa puissance et sa prédominance au sein des institutions ne relevant pas tant de la personne du prince que du principe qu’il incarne ».

Moins d’un an plus tard, le plébiscite des 20 et 21 novembre 1852 établit un nouveau régime impérial. « En réalité, ce n’est ni une dynastie, ni une succession mais une dignité qui est rétablie. » Louis-Napoléon Bonaparte considère en effet que les droits dynastiques qu’il détient lui ont été conférés précédemment par le suffrage universel manifesté avec les consultations plébiscitaires de 1799, de 1802 et de 1804. L’auteur explique avec raison que « bien différente de la royauté, dont l’ordre de succession ne saurait être discuté puisque part intégrante de la légitimité, l’Empire est une monarchie contractuelle fondée sur un pacte explicite entre le souverain et le peuple. En ressuscitant la monarchie impériale, Louis-Napoléon rétablit de nouveau un principe (l’hérédité au sein de la famille de Napoléon) ainsi qu’au titre (empereur des Français) mais ne restaure pas une dynastie. Il instaure sa dynastie ». Le caractère contractuel de l’Empire sera réaffirmé après 1873 par le prétendant impérial, Louis-Napoléon (ou Napoléon IV pour les « impérialistes »), qui proposera que l’intronisation de chaque nouvel empereur des Français ne se fasse qu’après un accord plébiscitaire favorable. Le système bonapartiste s’apparente plus à une Res Publica héréditaire basée sur le consentement plébiscitaire du peuple.

51kQYWycinL._SX312_BO1,204,203,200_.jpgAmbassadeur de Prusse à Paris en 1862, Otto von Bismarck a-t-il pris conscience de la force du peuple dans la réalisation de son projet d’unité nationale allemande dans un sens conservateur, puis bien plus tard dans les avancées sociales légales ? L’un de ses biographes, Lothar Gall, a estimé que le futur « Chancelier de fer » agissait en « révolutionnaire blanc » (3). Serait-ce une anticipation ou une préfiguration de la Révolution conservatrice du premier tiers du XXe siècle (4) ?

L’invention de la présidence de la République ne se contente pas de relater les péripéties politiques et parfois personnelles de la première présidence de la République française. Cet ouvrage remarquable montre un cas pratique de « troisième voie » entre la Réaction et la Révolution, une tentative assez aboutie de synthèse nationale autour des concepts d’Ordre politique, de Justice sociale et d’Égalité civique. À son tour biographe du troisième empereur des Français (5), Pierre Milza considérait la période « louis-napoléonienne » comme le grand moment illibéral de la France (6). Maxime Michelet ne reprend pas l’expression, mais il montre une politique adroite non pas du « juste milieu », mais de concorde nationale et sociale liant des mentalités traditionnelles au dynamisme de la modernité techno-scientifique européenne.

GF-T

Notes

1 : Maxime Michelet, L’invention de la présidence de la République. L’œuvre de Louis-Napoléon Bonaparte, préface d’Éric Anceau, Passés composés, 2022, 394 p., 24 €. Les citations en sont extraites.

2 : La Bolivie a appliqué ce mode de désignation présidentielle jusqu’en décembre 2005 quand Evo Morales gagna le scrutin dès le premier tour à 53,70 %.

3 : Lothar Gall, Bismarck. Le révolutionnaire blanc, Fayard, coll. « Histoire », 1984.

 

4 : En lisant Otto von Bismarck, Pensées et Souvenirs, présentation de Joseph Rovan, Calmann-Lévy, 1984, on comprend qu’entre 1851 et 1862, le Second Empire dans sa phase autoritaire rassure les diplomaties européennes.  

 

5 : Rappelons que le fils de Napoléon Ier, Napoléon II, bien que mineur, régna de jure sur la France entre les 22 juin et 8 juillet 1815.

 

6 : Pierre Milza, Napoléon III, Perrin, 2004.

vendredi, 02 septembre 2022

Quelques réflexions sur Gorbačëv et la fin de l'URSS

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Quelques réflexions sur Gorbačëv et la fin de l'URSS

par Gennaro Scala 

Source: Gennaro Scala & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/qualche-riflessione-su-gorba-ev-e-la-fine-dell-urss

L'effondrement de l'Union soviétique a été entièrement dû à l'idiotie de Gorbačëv, tel qu'il semble être compris à partir des "célébrations" de certains à l'annonce de sa mort. Cela dénote la régression infantile, qui comporte aussi une barbarie considérable, dans laquelle sont tombés ceux qui prétendent se référer à Marx, connu, entre autres, pour avoir promu l'analyse structurelle. Il faut se demander comment une seule personne a pu faire échouer tout un système qui, jusqu'à quelques années auparavant, rivalisait pour l'hégémonie avec les États-Unis, et il faut se demander comment quelqu'un comme Gorbačëv est arrivé à la tête de l'Union soviétique.

Quelles ont été les causes de l'effondrement de l'Union soviétique est une question trop complexe pour être traitée de manière adéquate dans un message sur FB, j'en ai traité indirectement dans mon livre "Pour un nouveau socialisme". Je voudrais ici soulever une question : le mondialisme. Marx voulait donner au communisme une perspective mondialiste. Extrait d'un article important, très négligé par les "marxologues", son dernier article publié dans le Rheinische Zeitung dans les derniers jours de 1848, avant son exil en Angleterre, où il désigne l'Angleterre elle-même comme le principal ennemi de la révolution, mais déclare en même temps qu'étant donné sa puissance mondiale, seul un mouvement de portée mondiale pourrait la vaincre. C'est grâce à cette approche mondialiste que le communisme soviétique a pu être un défi mondial à l'hégémonie mondiale des États-Unis qui a succédé à celle de l'Angleterre (pour plus de détails, voir mon livre précité).

Dans le défi mondial lancé à l'hégémonie américaine, l'Union soviétique a perdu pour plusieurs raisons. Tout d'abord, bien qu'étant un mondialisme, le soviétisme n'était pas un véritable impérialisme, c'est-à-dire avec les connotations économiques du terme, capable de drainer des pays subordonnés vers le centre des ressources à utiliser dans la compétition avec les Etats-Unis.

Pour des raisons inhérentes aux conditions exceptionnelles dans lesquelles l'État soviétique est né, et pour les immenses défis auxquels il a été confronté à sa naissance et plus tard avec l'attaque nazie, il n'a jamais surmonté la centralisation du pouvoir étatique, de sorte qu'une formation étatique stable n'a jamais été atteinte, l'État soviétique étant toujours géré selon les critères de l'État d'exception. Cela était également dû à l'absence d'une théorie efficace de l'État au sein du marxisme. Domenico Losurdo a mis l'accent sur ces deux questions.

Le défi avec les États-Unis n'était pas le défi entre deux systèmes de vie différents. Que le travailleur soit employé par une entreprise privée ou qu'il soit employé par l'État, nous avons la même aliénation de ses conditions de vie, alors que le communisme de Marx aspirait à la libération du travailleur qui consistait à pouvoir contrôler ces conditions de vie, qui passent avant tout par le travail. Sous le prétexte qu'il s'agissait d'un pays socialiste en Union soviétique, même les syndicats ont été interdits (alors que Lénine avait déclaré que les syndicats devaient subsister afin de "défendre les travailleurs contre leur propre État"). 

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Par conséquent, certaines nations européennes avec une forte présence syndicale étaient plus socialistes. Pour ces raisons, les Soviétiques ont souffert de l'hégémonie du "consumérisme" occidental. Sauf que si un ingénieur occidental pouvait acheter une Mercedes, la plus haute aspiration d'un ingénieur soviétique pouvait être la Trabant. Certains philosophes tels que Lukács et son élève Agnes Heller (photo) ont écrit qu'au lieu de rivaliser sur la consommation, le système aurait dû offrir la possibilité d'une "vie raisonnable", comme une extension de la "bonne vie" aristotélicienne au monde actuel (un thème qui reste très pertinent aujourd'hui), mais cela aurait signifié permettre une participation politique que le système soviétique ne pouvait pas permettre. En Union soviétique, une classe moyenne s'est formée, nécessaire dans la sphère de la production, le complexe militaire, l'éducation, la bureaucratie d'État, etc., mais elle était comprimée dans la consommation et le mode de vie, ce qui fit qu'elle s'est finalement tournée vers le mode de vie occidental. C'était la base de Gorbačëv dans le parti communiste qui a fini par liquider l'État. C'est la thèse de Costanzo Preve.

La première fissure majeure dans le mondialisme soviétique s'est produite avec la Chine, qui a rejeté la doctrine Brejnev d'intervention dans les pays socialistes qui ne suivaient pas les directives soviétiques, ce qui a conduit à une quasi guerre à la frontière avec la Russie en 1969. Cette rupture a ensuite conduit à la normalisation des relations entre la Chine et les États-Unis avec la visite de Nixon en 1972, qui a jeté les bases de la collaboration économique et de l'exportation de capitaux. Les États-Unis pensaient subjuguer la Chine, mais étant donné le contrôle conservé par l'État chinois sur l'économie, cela n'a conduit qu'à l'industrialisation ultime de la Chine. D'une certaine manière, le gorbatchevisme était interne au communisme, mais il n'en a retenu que le "bon" côté universaliste, la paix entre les peuples, la coexistence, etc., mais a oublié la question de l'impérialisme, croyant aux fausses promesses occidentales de détente et de collaboration.

Les États-Unis en ont profité pour démolir le système d'alliance soviétique, visant en fin de compte la démolition de la Russie elle-même. La guerre actuelle en Ukraine est elle-même le résultat de cette politique américaine.

La naissance du monde multipolaire s'est d'abord présentée comme un mondialisme alternatif. Mais un tel mondialisme était voué à la défaite, tout comme le mondialisme libéral, car il contredisait la dynamique fondamentale de notre monde. Probablement qu'avec une classe politique moins désorientée et avec moins d'illusions que celle de Gorbatchev, cette transition nécessaire aurait été moins traumatisante pour la Russie.

Cette déclinaison mondialiste particulière du socialisme qu'était le communisme appartient désormais définitivement au passé. S'il doit y avoir un socialisme de l'avenir, ce sera un socialisme qui saura se penser dans le monde multipolaire de demain.

 

jeudi, 25 août 2022

L'Allemagne des corps francs

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L'Allemagne des corps francs

Giovanni Sessa

SOURCE : https://www.barbadillo.it/105730-la-germania-dei-corpi-franchi/

I soldati perduti d'Ernst von Salomon, volume en langue italienne édité par Antonio Chimisso.

Ernst von Salomon était l'un des hommes les plus emblématiques de la composante nationale-révolutionnaire au sein de la révolution conservatrice. Il était proche, du moins pendant une certaine période, des cercles du bolchevisme national mais, contrairement à son frère Bruno, avec qui il a partagé une partie de son propre parcours théorico-politique, il n'est jamais tombé dans l'illusion de vivifier le communisme, une idée abstraite et moderne, avec l'esprit germanique. Il était un écrivain exceptionnel. C'est ce que montrent des œuvres telles que Les réprouvés, La Ville et Les Cadets. Comme preuve de l'extraordinaire importance littéraire de sa production et de sa valeur en tant que témoignage participatif de l'une des périodes les plus dramatiques de l'histoire allemande, à savoir les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, un de ses volumes, I soldati perduti (Les soldats perdus), publié par Oaks et soigneusement édité par Antonio Chimisso, a récemment été mis en librairie (pour les commandes : info@oakseditrice.it, pp. 144, euro 15,00). Outre le texte qui donne son nom au recueil, le livre comprend trois nouvelles, Der Totschläger, Senta et Besuch zu Ernst Jünger, une chronique de la visite, vingt ans après leur dernière rencontre, rendue au grand écrivain et ami de toujours. Le texte est accompagné d'un vaste dossier photographique, dans lequel von Salomon est présenté à différents moments de sa vie.

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Ernst von Salomon est le témoin d'une grande tragédie : "Ma tragédie [...] est [...] d'être un Allemand sans Allemagne, un Prussien sans Prusse, un monarchiste sans monarchie" (p. 45). Bien que sa vaste production traverse la dimension de l'absence, de la fin d'un monde, commune à tant de littératures d'Europe centrale, il ne vit pas avec des regrets mais se dépense en quête d'une action salvatrice. Depuis le début de l'après-guerre, son intention la plus profonde était d'affirmer la valeur et le trait spirituel de l'idée nationale allemande, bien au-delà des clôtures de tout nationalisme ethnique. Il en a tiré son propre : "détachement du national-socialisme, dont il ne partageait pas la vision de la souveraineté aux mains du peuple porteur de sa propre volonté interprétée par le Führer" (p. 13). Pour von Salomon, authentique Prussien, l'autorité est incarnée par le Souverain: "le premier serviteur de l'État" (p. 13). L'ennemi de la souveraineté traditionnelle était la bourgeoisie, dont l'esprit était incarné par le capitalisme. Il fallait se battre pour les classes qui ont souffert de la tyrannie économique de la bourgeoisie internationale à la fin de la Première Guerre mondiale, les paysans. Ernst von Salomon était actif, avec d'autres membres de la révolution conservatrice aux côtés de son frère, dans le Schleswig-Holstein pendant le soulèvement rural. Il a été arrêté. À cette occasion, Jünger lui a écrit que le soulèvement avait exposé les traits bourgeois et systémiques des nazis et des communistes eux-mêmes.

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Son amitié avec l'écrivain entomologiste l'a conduit à écrire Der verlorene Haufen, un texte inclus dans le recueil intitulé Krieg und Krieger, édité par Jünger. Dans ses pages, l'auteur évoque l'épopée et l'échec ultérieur de l'expérience des Corps francs. Le style d'écriture est lapidaire, presque mécanique, apparemment froid mais efficace : il nous fait ressentir le pathos qui animait ces groupes de guerriers, déterminés par le contact avec le danger, avec l'élémentaire que la guerre avait permis de redécouvrir. Les membres du corps franc avaient fait un choix né "de l'indistinct, du cœur, d'un malaise qui ne peut trouver son remède que dans le danger, dans la confrontation, dans la lutte" (p. 26). Leurs succès ont été rendus insignifiants par une classe politique inepte. Au terme de leur expérience, ils se sont dispersés. Nombre d'entre eux, comme von Salomon, dans les années de l'hitlérisme, étaient exilés dans leur propre patrie, car ils voyaient dans la NSDAP, rappelle Chimisso, un "héritier illégitime et profiteur des sacrifices de ceux qui avaient donné naissance à cette épopée" (p. 27). Plusieurs fois au fil du temps, von Salomon est revenu pour discuter de cette expérience. Dans ses derniers écrits, la désillusion de la trahison subie semble s'estomper et le souvenir d'une expérience unique émerge.

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Dans la nouvelle Der Totschläger, le protagoniste est l'alter ego de l'auteur : il incarne le malaise qu'il ressent à l'égard du monde bourgeois. Invité à une fête chez des connaissances liées à ce milieu, il ne se reconnaît pas dans les personnes présentes, il se sent éloigné, différent d'elles. Puis, dans un crescendo narratif, magistralement rendu par l'écrivain, il se jette sur les objets de l'appartement et finalement, de manière inattendue, tue l'un des invités. C'est, une fois encore, l'émergence de l'élémentaire qui guide sa main. Ces pages plantent le décor de l'élan émotionnel qui a poussé von Salomon à s'engager dans les Corps francs : "Ce que nous voulions, nous ne le savions pas, et ce que nous savions, nous ne le voulions pas" (p. 32). Ce n'est qu'en retournant à la nature que l'on pouvait trouver une issue au conformisme chloroformant de la société mercantile.

Un autre thème est évident dans Senta. C'est le nom d'un chien, un berger allemand femelle élevé à l'école de police et entraîné à contrôler les prisonniers dans la prison où était détenu von Salomon. C'était un chien agressif. Malgré cela, le détenu von Salomon a établi une relation amicale avec l'animal. Lorsqu'il a décidé de sauter par-dessus les murs de la prison, il était convaincu que le chien ne se jetterait pas sur lui. Senta, au contraire, l'a attaqué, l'a immobilisé. Le chien est devenu un symbole de loyauté envers le devoir auquel il a été élevé, un emblème de la Haltung : "du citoyen dans l'état idéal de von Salomon" (p. 34).  Enfin, dans le souvenir de la rencontre avec Jünger dans la maison de Wilflingen, l'auteur reconstitue l'amitié intense qui les avait liés dans leur jeunesse et qui ne s'était pas estompée, malgré les vingt ans de séparation. Une rencontre entre des hommes qui, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont perdu le monde auquel ils avaient appartenu. Ce monde a continué à vivre dans l'espace libre de leur cœur.

mardi, 23 août 2022

Il y a cent ans, Michael Collins est mort seul sur une route perdue d'Irlande

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Il y a cent ans, Michael Collins est mort seul sur une route perdue d'Irlande

Jan Huijbrechts

(Source: Page Facebook de Jan Huijbrechts)

Hier, cela faisait exactement cent ans que Michael Collins est mort solitaire sur une route oubliée près de Béal na mBláth, un trou tout aussi oublié du sud-ouest de l'Irlande. Sa mort tragique a été entourée d'autant de mythes que sa vie courte mais fascinante. Son soleil, qui a brûlé pendant un bref mais éblouissant moment, a été éteint par une balle - peut-être une balle perdue - mais son ombre plane toujours sur l'île verte.  Les souvenirs de lui n'ont jamais sombré dans les sables mouvants de l'histoire. Au contraire, sa vie reste à ce jour une référence dans l'historiographie irlandaise moderne, et ce à juste titre, car peu ont laissé une telle marque sur l'histoire récente de la nation irlandaise que Michael Collins.

Élevé dans une famille hétéroclite aux racines nationalistes irlandaises, il déménage à Londres à l'âge de 15 ans pour tenter sa chance comme employé de la banque d'épargne de la poste britannique.  Son véritable intérêt, cependant, était le sport et la langue et la culture irlandaises. Par le biais d'organisations telles que la Gaelic Athletic Association, il finit par rejoindre, à l'âge de 19 ans, la Fraternité républicaine irlandaise, la même organisation proscrite par le gouvernement dont son père avait été membre, un mouvement qui cherchait à chasser les Britanniques d'Irlande par la force si nécessaire. Lorsque Michael Collins est rentré en Irlande au début du printemps 1916, il n'est donc pas surprenant qu'il ait immédiatement rejoint les rangs des volontaires irlandais para-militaires et qu'il ait pris part au soulèvement de Pâques à Dublin. Il est fait prisonnier par l'armée britannique et jusqu'à sa libération à la fin de l'année 1916, il passe du temps dans le camp d'internement de Frongoch au Pays de Galles, où il travaille intensivement à la construction de l'Armée républicaine irlandaise (IRA). 

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Dans le vide créé par les exécutions des plus importants leaders républicains irlandais, le jeune Collins s'est rapidement imposé comme un leader né. Ses compétences organisationnelles lui ont permis de gravir rapidement les échelons de l'IRA et du Sinn Fein et il a joué un rôle déterminant dans la création du "nouveau" Sinn Fein en 1917. Il a siégé à la direction du parti, a forgé des alliances, s'est fait des amis et des ennemis et a été responsable des défaites comme des succès. Fin 1918, il est nommé "ministre des finances" du premier Dáil, le parlement irlandais déclaré illégal par Londres, et est aux premières loges lorsque ce même Dáil se réunit le 21 janvier 1919 et déclare l'indépendance de la République d'Irlande. Pendant la guerre d'indépendance qui s'ensuit, il est directeur de l'organisation et adjudant général de l'IRA. Un poste qu'il combine avec brio avec celui de directeur des renseignements de l'Armée républicaine irlandaise.

Collins n'était pas un saint, loin de là. Il aimait boire un bon verre, et même deux, et adorait les femmes. Il débordait d'une indomptable joie de vivre mais était avant tout un tacticien calculateur et très intelligent. Ce merveilleux mélange d'arrogance et d'intelligence a fait de lui un commandant qui savait exactement où et quand frapper et qui dissimulait magistralement la faiblesse de ses propres troupes et armement avec une bonne dose de bluff et des opérations très audacieuses et surtout réussies. L'une de ses actions les plus marquantes fut la liquidation de pas moins de 14 agents secrets britanniques le dimanche 21 novembre 1920. À peine quelques heures plus tard, les "Black & Tans", les redoutables troupes auxiliaires britanniques, ont riposté en ouvrant le feu avec des mitrailleuses sur les joueurs et les spectateurs d'un match de football gaélique au stade de Croke Park. Cette action a fait 14 morts et 68 blessés......

Après le cessez-le-feu de juillet 1921, Collins était l'un des cinq plénipotentiaires envoyés à Londres par le cabinet du Dáil dirigé par Éamon de Valera pour négocier les conditions de paix. Cela a abouti au traité anglo-irlandais, signé en décembre 1921. Il a jeté les bases de l'État libre d'Irlande, mais a en même temps exigé un serment d'allégeance à la Couronne. Les délégués irlandais - et surtout Collins - acceptent le traité à contrecœur. Ils espéraient qu'il s'agirait d'un premier pas vers une République irlandaise pleinement autonome. Beaucoup à Dublin ont réagi négativement. Collins a convaincu - avec 64 voix contre 57 - une majorité au Dáil de ratifier le traité. Après le vote parlementaire, le président irlandais Eamon de Valera démissionne et prend désormais la tête des républicains, également appelés Irréguliers, qui continuent de s'opposer au traité. Au début de 1922, un gouvernement provisoire est formé sous la présidence de Collins, mais il se retrouve rapidement en eaux troubles en raison de la sanglante guerre civile irlandaise, qui va s'éterniser pendant dix mois et au cours de laquelle Collins devient commandant en chef de la toute nouvelle armée irlandaise.

En août 1922, il semble que le gouvernement irlandais ait repris le contrôle de la majeure partie du pays et Collins fait des voyages réguliers pour inspecter les zones qui sont récemment retombées entre leurs mains. Le 20 août, il part pour sa région natale avec une petite escorte. Un voyage considéré comme extrêmement dangereux et fortement déconseillé par plusieurs de ses associés les plus fiables. Deux jours plus tard, il est tombé dans l'embuscade de Béal na mBláth et a trouvé la mort. 

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À ce jour, il existe une controverse sur l'identité du meurtrier de Collins. Il n'y a pas eu d'enquête immédiatement après sa mort et le rapport d'autopsie a été perdu. La plupart des historiens supposent aujourd'hui que c'est l'un des Irréguliers qui a tiré la balle fatale, mais il y a désaccord sur l'identité du tireur et sur la question de savoir si le tir était dû au hasard ou si c'était un ricochet. Une autre version dit que les propres camarades de Collins dans le convoi ont tiré le coup de feu fatal, peut-être parce que certains avaient bu, ou dans le cadre d'une conspiration de personnalités du gouvernement pour éliminer un rival. Une autre théorie encore suggère que les services secrets britanniques ont orchestré l'assassinat pour empêcher Collins de déstabiliser l'Irlande du Nord, qui est restée sous domination britannique. La controverse porte également sur la question de savoir si Eamon de Valera - qui se trouvait dans la région à l'époque - était au courant de l'embuscade. Dans le film biographique de Neil Jordan de 1996, "Michael Collins", il est présenté comme un complice, mais on ne pourra jamais prouver que c'était réellement le cas.

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lundi, 22 août 2022

La fin de la République de Weimar dans les mémoires de Hjalmar Schacht

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La fin de la République de Weimar dans les mémoires de Hjalmar Schacht

L'auteur de l'essai a été président de la Banque centrale d'Allemagne de 1924 à 1930 pendant la République de Weimar et, avec Hitler au pouvoir, de 1933 à 1939, année au cours de laquelle il a été relevé de ses fonctions par le Führer lui-même

par Michele Salomone

Source: https://www.barbadillo.it/105704-la-fine-della-repubblica-di-weimar-nei-ricordi-di-hjalmar-schacht/

Avant la catastrophique Seconde Guerre mondiale, nombreux sont les lieux et les dates qui ont conduit à cette immense tragédie. Versailles, Weimar, Nuremberg, et nous pourrions continuer encore et encore.

À Versailles, en France, à la fin de la Grande Guerre (1914-18), on a jeté les bases de la deuxième conflagration mondiale avec des traités qui étaient tout sauf pacificateurs. Weimar et Nuremberg, deux villes allemandes qui, en raison des événements qu'elles ont vécus en un court laps de temps, ont représenté l'antithèse entre la démocratie et la dictature; la première... a vu naître une tentative d'État véritablement démocratique dans un contexte plutôt dramatique avec une Allemagne lourdement vaincue et humiliée par le conflit, économiquement et socialement meurtrie, et amputée de vastes territoires.

Nuremberg, avec l'avènement du national-socialisme d'Hitler, est l'épicentre des rassemblements et des congrès en réaction à la défaite. Tout cela dans un contexte où le mouvement des Chemises brunes d'Adolf Hitler (1889-1945) a simultanément progressé dans les rues et dans les urnes avec des pourcentages électoraux stupéfiants et est devenu le premier parti d'Allemagne.

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En ce qui concerne "La fin de la République de Weimar", les souvenirs de l'économiste Hjalmar Schacht (1877-1970), auteur de How a Democracy Dies, une publication rééditée par les éditions Oaks, sont très significatifs.

Décrit par beaucoup comme un "magicien de la finance", à la lumière des compétences qui lui étaient reconnues par les factions diverses et opposées qui dominaient la scène dramatique de cette période, Schacht a été président de la Banque centrale d'Allemagne de 1924 à 1930 pendant la République de Weimar et, avec Hitler au pouvoir, de 1933 à 1939, année où il a été relevé de ses fonctions par le Führer lui-même.

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Accusé d'être un nazi par beaucoup, Schacht ne l'était pas, à tel point que lors du procès répressif de Nuremberg promu à la fin du conflit par les vainqueurs contre la classe dirigeante politique et militaire national-socialiste, bien qu'il soit assis dans le box des accusés, il a été acquitté avec deux autres excellences déchues et accusées: l'ambassadeur Franz von Papen (1879-1969), un des principaux représentants du centre démocrate-chrétien, chancelier en 1932, vice-chancelier d'Hitler de 1933 à 1934; et Hans Fritzsche (1900-1953) directeur de la propagande radiophonique.

Face à l'immense tragédie de la Seconde Guerre mondiale, Schacht, dans "Comment meurt une démocratie", fait connaître non seulement les drames et les événements qui se sont déroulés de Weimar à Hitler, mais aussi les quelques griefs qui ont traîné dans son âme pendant des années. Tout d'abord, le devoir de dire la vérité, celle des faits, surtout aux jeunes générations allemandes.

Une autre inquiétude est liée à la représentation, à la démocratie, aux élections qui sont décidées par le peuple. Face à l'incroyable ascension électorale d'Hitler avec plus de 30 % des voix aux élections générales de 1932, le parti national-socialiste pourrait-il se voir refuser le gouvernement de la nation? Non, parce que la volonté du peuple devait être respectée; il fallait empêcher le forçage constitutionnel. Citons la loi sur les pleins pouvoirs à donner à Hitler pendant quatre ans, qui a été adoptée par les partis centristes et le mouvement national-socialiste au Parlement, seuls les sociaux-démocrates ayant voté contre. L'auteur admire le vote négatif des sociaux-démocrates dans une assemblée - le Reichstag - qui n'était certainement pas amicale.

Schacht s'attarde également sur le traitement du parti communiste à l'époque d'Hitler et, après la Seconde Guerre mondiale, avec la démocratie restaurée :

    - Il a été mis hors la loi après les élections du 5 mars 1933, au cours desquelles il a fait élire pas moins de 81 membres au Parlement, le Parti national-socialiste des travailleurs allemands ayant obtenu 43 % des voix ;

    - dissous en 1956 par la Cour constitutionnelle fédérale allemande.

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En ce qui concerne la période de Weimar, si Schacht reconnaît la "sagacité" des sociaux-démocrates pour freiner les tentatives de prise de pouvoir des communistes et de la gauche radicale, il leur reproche également leur manque de courage quant aux indispensables thérapies socio-économiques à "administrer" à une Allemagne à l'agonie. Des thérapies "administrées" par Hitler, qui, une fois arrivé au pouvoir, n'a rien inventé de magique, mais a seulement appliqué quelques théories économiques visant à relancer la fortune de l'Allemagne. Pourquoi - se demande Schacht - les sociaux-démocrates ont-ils été incapables de mettre en œuvre la politique économique que Hitler allait bientôt réaliser ?

Allégements fiscaux, réduction des cotisations d'assurance, prêts pour le mariage, émission prudente de papier-monnaie, "prêts sous forme de lettres de change garanties par des bons du Trésor, des bons fiscaux ou des avals spéciaux". Tout cela sous l'œil attentif de la Reichsbank dirigée par Hjalmar Schacht lui-même, qui, en gardant l'inflation et les dépenses publiques sous contrôle, "donnait au système financier le soutien nécessaire".

L'industrie, bien que malmenée, a également apporté sa contribution. En août 1933, les industries Krupp, Siemens, Gute Hoffnunghshutte et Rheinstahl ont formé la Metal Forschung Gesellschaft (MEFO), une société de recherche sur les métaux dotée d'un capital d'un million de marks. L'entreprise précitée, dans ses interventions dans le domaine industriel, avait le dos couvert par l'État, "garant de toutes les obligations du MEFO".

220px-Schacht.jpgLa reprise économique a eu lieu, le chômage a été ramené à zéro, l'inflation est restée sous contrôle. Hjalmar Schacht était un protagoniste et un témoin de ce qui s'est passé, mais il n'était pas le yes-man classique du pouvoir et des puissants.

Étant donné que la Reichsbank accordait des crédits ciblés - même à long terme - et non des cadeaux, à de nouvelles demandes de crédits émanant du ministère des Finances, 1939 a vu la rupture entre Hitler et Schacht qui a été défenestré avec son personnel de la Banque centrale allemande. Le rejet par Hjalmar Schacht de nouveaux crédits illimités, qui auraient conduit à une dangereuse expansion des dépenses publiques, a entraîné la réaction du Führer. Schacht ne pouvait pas échouer dans sa conviction que la politique d'un État dépend de "finances bien régulées et d'une économie saine".

@barbadilloit

Michael Solomon

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mardi, 16 août 2022

Pachtounistan: histoire et géopolitique

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Pachtounistan: histoire et géopolitique

Par Katehon

Source: https://nritalia.org/2022/08/10/pashtunistan-storia-e-geopolitica/

Pashtun et Pashtunvalai : Code touranien

Certains nomades indo-européens s'avèrent extrêmement résistants en termes de maintien de leur mode de vie, de leurs traditions et de leur identité. Ainsi, dans le sud de l'Afghanistan moderne, ainsi que dans le nord-ouest du Pakistan, territoire adjacent à cette région, et dans plusieurs régions de l'Inde, un important peuple pachtoune a survécu jusqu'à ce jour, parlant la langue pachtoune de l'Iran oriental. Le nom "Pachtoune" est dérivé de l'iranien parswāna-, qui signifie "héros", et de la même étymologie dans le nom persan -parsū-, "peuple de héros". Un autre nom pour les Pachtounes est "Afghans", qui pourrait remonter à l'ancienne tribu des Khwarezmiens, qui habitaient autrefois la région de l'Hindu Kush. Le terme avagāṇa remonte probablement à l'indo-européen et, en particulier, au nom sanskrit des chevaux - aśvaka, qui donne sémantiquement le nom de "peuple éleveur de chevaux" ou "peuple nomade".

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Avec les peuples iraniens ou indo-aryens de cette région, et en particulier avec les Kharezmiens, appartenant aux "barbares du nord" ou "kshatriyas pervers", les Hindous ont souvent fait la guerre, se défendant des attaques de nomades agressifs. Les Khwarezmiens faisaient probablement partie des tribus scythes et, à en juger par un certain nombre de signes, ils exerçaient des "fonctions royales" auprès d'autres peuples voisins, comme les "Scythes royaux" et les "rois cimmériens". Les tribus khwarezmiennes ont souvent pénétré le territoire du nord de l'Inde et y ont fondé de petits États. Ces migrations ont duré 7 siècles - du 2ème siècle avant J.-C. au 5ème siècle après J.-C. Mais une partie des Khwarezmiens est restée dans les anciens territoires et, comme de nombreux siècles auparavant, a mené un mode de vie nomade. Leurs descendants sont les Pachtounes-Afghans, qui ont conservé intactes les caractéristiques turques classiques - un mode de vie nomade, ainsi qu'un système tribal,

Les Pachtounes ont conservé un code spécial de comportement normatif - le Pashtunvalai, qui énonce les points essentiels d'une éthique contrastée, reflétant sous une forme synthétique et aphoristique les idées de base du dieu diurne et solaire indo-européen. Ainsi, cet ensemble de lois pachtounes, qui perpétue à bien des égards l'ancien mode de vie turc, est fondé sur un patriarcat radical (l'interdiction de toute forme d'héritage par la lignée féminine), les querelles de sang et la responsabilité collective de défendre l'honneur du clan. Les vertus fondamentales du Pashtunvalai reproduisent l'ancien système éthique commun aux ancêtres des Iraniens et des Hindous. L'essentiel y est l'honneur, la véracité et le courage. Un ensemble de valeurs fondamentales indo-européennes.

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Les 11 points principaux du Pashtunvalai peuvent être considérés comme une systématisation classique de l'ordre éthique indo-européen originel. Ils nous donnent un aperçu du passé lointain de la Grande Scythie, dont une partie a été préservée par les Pachtounes modernes.

    - Melmastia - hospitalité.

    - Nanawatai - un abri à fournir à quiconque le demande et l'honore de manière sacrée.

    - Nyaw aw Badal - le devoir de vengeance pour rétablir la justice, Lex Talionis.

    - Turah - le courage, la nécessité de défendre le pays, le peuple, la tribu.

    - Sabat - loyauté envers Dieu, le clan, la famille, devoir de renforcer l'identité collective.

    - Khegaṛa / Shegaṛa - la triade classique du zoroastrisme : bonne pensée, bonne parole, bonne action - Humata, Hukhta, Hvarshta.

    - Groh - foi en Dieu, le Père céleste (mauvais en pachtou, ainsi qu'en farsi).

    - Pat, Wyaar aw Meṛaana - la triade du respect, de la fierté, du courage.

    - Naamus - protection des femmes.

    - Nang - soutien aux personnes faibles et défavorisées, justice sociale.

    - Hewaad - le devoir d'aimer et de protéger le pays, le peuple, le clan, la famille. Fait important, le Pashtunvalai n'est pas fondamentalement écrit, mais transmis oralement sur de nombreuses générations.

Historiquement, les Pachtounes ont commencé à se déplacer vers le sud à partir de leur petit foyer ancestral dans le nord de l'Hindu Kush, en même temps que le mouvement des Saka et des Yuezhi dans la même direction à partir du IIe siècle avant J.-C., ce qui les a inclus dans le processus général d'établissement de la troisième entité entre l'Iran et l'Inde par une autre vague de nomades indo-européens venus de Touran, qui deviendrait plus tard l'Empire kushan ou le royaume des Hephthalites. Dans le même temps, les Pachtounes ont continué à mener un mode de vie nomade, vivant de raids et d'incursions rapides, agissant comme une "tribu royale" par rapport aux autres tribus iraniennes et indo-iraniennes. Dans la région du Pakistan moderne appelée Waziristan, et plus précisément dans les monts Suleiman, les Pachtounes ont trouvé un nouveau centre de leur culture, d'où ils se sont installés dans les montagnes et (plus tard à partir du 11e siècle) dans les vallées d'Afghanistan et du Pakistan, propageant leur type culturel à de nombreux groupes ethniques. A partir du 14ème siècle, l'expansion des Pachtounes s'est considérablement accrue et ils ont développé les territoires adjacents à Kaboul, se sont installés dans les vallées de Helmand, Arghandab, etc.

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Les Pachtounes sont étonnamment différents des Iraniens sédentaires qui parlent le dari et du Tadjik, qui est culturellement proche de la population iranienne. Les Pachtounes, en revanche, ont conservé une identité totalement distincte - à bien des égards purement turque - et cela se reflète également dans le fait qu'ils n'ont pas accepté l'islam avant le 14e siècle, restant fidèles aux anciens systèmes religieux solaires eurasiens, ainsi qu'au zoroastrisme.

Au 14e siècle, l'Afghanistan fait partie de l'empire turco-mongol Timurid (officiellement l'État de Turan) et la capitale de l'empire Timurid est transférée à la Herat afghane. Après que les territoires occidentaux de l'État touranien ont été pris aux Timourides par la Horde d'or, le créateur du nouvel État, l'Empire moghol, Babur a déplacé la capitale à Kaboul, d'où il a lancé une offensive victorieuse contre le nord de l'Inde. Par la suite, les terres de l'Afghanistan ont été subjuguées par l'Iran safavide.

Officiellement, les territoires habités par les Pachtounes étaient sous la domination des Sassanides et des Samanides, mais il était pratiquement impossible de contrôler ces peuples guerriers. Dans leurs guerres, ils utilisaient en partie des tactiques purement scythes : ils se repliaient, attiraient l'ennemi dans leurs territoires (parfois dans des montagnes ou des gorges impénétrables), puis s'abattaient sur eux à l'improviste.

Les tribus pachtounes sont témoins de l'affrontement entre l'Iran safavide et la partie indienne de l'empire touran fondé par Tamerlan, car l'affrontement passe par leurs territoires, dont une partie importante est sous domination iranienne. Au cours de cette période, les premiers États pachtounes ont commencé à apparaître. Il s'agit du khanat Khattak avec une capitale à Peshawar, du khanat Ghilzei avec une capitale à Kandahar, Herat, etc.

En Afghanistan, sous l'influence des pays voisins, l'islam sunnite se répand progressivement, de même qu'un vaste réseau de tarikats soufis. Cette combinaison de sunnisme et de soufisme devenait une caractéristique de la société afghane. Dans le soufisme et ses doctrines mystiques, les traditions spirituelles et religieuses préislamiques en Afghanistan, comme dans tous les autres pays, ont trouvé un refuge et une protection fiable contre l'orthodoxie islamique intolérante et exclusiviste.

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Afghanistan : le troisième royaume indo-iranien d'Asie

À l'aube du 18e siècle, en 1709, les Pachtounes Ghilzai, menés par leur chef Mir Wais, ont créé le royaume de Kandahar indépendant de l'Iran. Puis, profitant de l'affaiblissement de l'Iran, ils l'envahissent et, atteignant Ispahan, proclament Mir Mahmud, fils du souverain de Kandahar, Mir Wais, Shahanshah en 1722. Les Pachtounes ont officiellement gouverné l'Iran dans l'état de Shahanshah pendant sept ans. Mais le mode de vie communautaire et tribal empêchait la création d'un État centralisé et contredisait les capacités de gestion de l'empire. En conséquence, les Perses rétablissent Shah Tahmasp sur le trône et conquièrent à nouveau l'Afghanistan en 1737, l'incorporant à l'Empire.

Toutefois, après la mort de Nadir Shah, les Pachtounes ont à nouveau déclaré leur indépendance, mais cette fois, la tribu Abdalli est devenue le chef de toutes les tribus, rebaptisée Durrani, ce qui signifie "famille de perles", pour souligner que cette communauté devait désormais remplir les fonctions de "Pachtounes royaux". En 1747, les Pachtounes ont convoqué un conseil général (Loya Jirga) dans leur centre traditionnel - Kandahar, où le chef de tribu Durrani Ahmad Shah Durrani (1723-1773) a été élu roi d'Afghanistan. Le nouvel État a été appelé l'Empire Durrani. Ahmad Shah était un souverain prospère. Sous lui, les Pachtounes ont mené plusieurs campagnes réussies en Inde, en Iran, au Turkestan du Sud, ont conquis le Pendjab, le Cachemire, le Sirhind, le Sind, le Baloutchistan, le Seistan, le Khorasan Balkh en 1748-1757.

En 1758-1761, une guerre éclate entre l'Afghanistan et les Marathas indiens, à l'issue de laquelle Ahmad Shah inflige une défaite écrasante aux Marathas lors de la bataille de Panipat. Ainsi, une fois de plus, entre l'Inde et l'Iran, un État indépendant, assez stable et fort a émergé, dirigé par des nomades indo-européens qui respectaient strictement le code du Touran. Ainsi, la lignée des Yuezhi, qui ont créé le royaume de Kushan, les Kidarites et les Hephthalites, a été poursuivie par les descendants des Khwarezmiens - les guerriers Pachtounes.

Sous le règne du souverain suivant, le fils d'Ahmad Shah, Timur Shah (1773-1793), la capitale a été déplacée à Kaboul. Zeman Shah lui succède (1793-1801).

À sa place, le khanat de Kaboul a été créé, rebaptisé plus tard émirat.

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En 1838, les troupes coloniales britanniques occupent l'Afghanistan et les chefs pachtounes retournent une fois de plus dans les montagnes, revenant à la technique de la guérilla scythique. En 1839, la première guerre anglo-afghane débute, au cours de laquelle les troupes britanniques et indiennes, qui leur sont subordonnées, s'emparent des principaux centres de l'Afghanistan, mais les Pachtounes se cachent à nouveau dans les montagnes et deux ans plus tard, ils déclenchent un soulèvement et massacrent une partie importante de la force d'occupation britannique. Cependant, les Britanniques - non plus par la force directe, mais en soudoyant les chefs des différentes tribus afghanes - parviennent à reprendre partiellement le contrôle.

Au cours de cette période, la dynastie Durrani décline et est remplacée par la nouvelle dynastie Barakzai, elle aussi purement pachtoune. Son fondateur était Dost Muhammad Khan (1793 - 1863), qui a été élu émir.

L'Afghanistan est resté sous contrôle britannique jusqu'en 1878. À cette époque, une autre guerre russo-turque débute, dans laquelle la Russie prend traditionnellement le dessus, ce qui inquiète les Britanniques, car les envoyés russes s'entendent avec les chefs pachtounes et leur "remettent les clés de l'Inde", qui est à l'époque une colonie de l'Angleterre et le principal avant-poste de la présence britannique en Asie du Sud-Est. Dans le contexte du Grand Jeu entre les Empires russe et britannique, l'Afghanistan était une zone clé, dont le contrôle était nécessaire pour les deux parties: pour les Britanniques, il s'agissait d'une garantie de la sécurité de l'Inde et pour les Russes, d'une opportunité de percer la stratégie britannique d'encerclement de la Russie le long du périmètre de la zone côtière pour finalement en sortir, pour atteindre les mers chaudes et les océans, ce qui était la tâche géopolitique la plus importante des stratèges militaires russes.

Cela a conduit à la deuxième guerre anglo-afghane, au cours de laquelle les troupes britanniques sont à nouveau entrées en Afghanistan depuis l'Inde et ont établi un contrôle direct sur le pays, contrecarrant les plans russes. Au cours de cette période, grâce aux efforts britanniques, un certain nombre de territoires habités par les Pachtounes ont été séparés de l'Afghanistan et inclus dans l'Inde (dans le futur Pakistan). Mais dans le même temps, les Pachtounes étendent considérablement leur influence dans le nord, où l'on trouve sous leur domination un nombre important de groupes sédentaires de l'est de l'Iran (principalement des Tadjiks), ainsi que quelques tribus turques (Ouzbeks) et mongoles (Hazaras), qui représentent généralement environ la moitié de la population afghane, alors que dans la phase précédente, les Pachtounes étaient la majorité incontestée. Pourtant, ce sont les militants pachtounes qui continuent à suivre l'ancien code (touranien) du Pashtunvalai qui restent les dirigeants incontestés de ce pays, préservant les proportions des plus anciennes sociétés indo-européennes - le premier dérivé (les Pachtounes eux-mêmes ne passent pratiquement pas à un mode de vie stable, continuant à maintenir un mode de vie nomade, pastoral et militaire, établi dans le foyer ancestral indo-européen en Eurasie).

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En 1919, le souverain afghan Amanullah Khan (1892-1960), qui appartenait à la dynastie des Barakzai, a proclamé l'indépendance de l'Afghanistan, ce qui a conduit à la troisième guerre anglo-afghane, plutôt brève, que les Afghans ont remportée et à la suite de laquelle les Britanniques ont reconnu l'indépendance de l'Afghanistan. Amanullah Khan lui-même a été proclamé émir pour la première fois et, après 1926, roi. Il a fait la première tentative de l'histoire pour moderniser l'Afghanistan, en s'inspirant de l'expérience des Jeunes Turcs, bien que les traditions des Afghans soient si fortes que, parallèlement à la modernisation et à l'occidentalisation, de nombreux aspects de la vie restent totalement dans le cadre de la société traditionnelle.

Tout au long du 20e siècle, il n'y a pas eu de longues périodes de stabilité, même relative, en Afghanistan. C'est en grande partie une conséquence de la tradition pachtoune d'un mode de vie nomade épris de liberté, dans lequel il n'existe pas d'instance de pouvoir centralisée unique et la société est régie non pas tant par des lois que par des codes non écrits (tels que le Pashtunvalai) ou, plus tard, par des règles religieuses islamiques. Ainsi, la structure tribale de la société entrait à chaque fois en conflit à la fois avec le pouvoir royal et les normes modernistes de la démocratie de style européen ou des systèmes occidentaux tels que le communisme. En outre, la structure multiethnique de l'Afghanistan et les luttes fréquentes entre les tribus pachtounes elles-mêmes, qui sont toujours restées la principale entité politique et historique de l'Afghanistan, ont rendu la situation encore plus instable et fragile.

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Le dernier roi barakzai d'Afghanistan était Zahir Shah (1914-2007), qui a régné de 1933 à 1973.

De la dynastie Durrani au dernier souverain de la dynastie Barakzai, l'Afghanistan était un espace politique totalement indépendant, différent de l'Iran et de l'Inde. Les Pachtounes ont conservé l'identité que les Iraniens et les Hindous avaient perdue depuis longtemps, se transformant en un phénomène ethno-politique très spécial. Ainsi, la civilisation afghane est devenue une autre version de la société indo-européenne, qui est restée au stade du premier dérivé pendant une période extrêmement longue : le noyau a conservé un mode de vie nomade et guerrier, intégrant les tribus agricoles dans un système politique commun (plutôt fragile et instable). Dans le même temps, au Pakistan voisin, où l'influence de l'Inde était beaucoup plus forte, les tribus pachtounes, ainsi qu'un autre peuple indo-iranien nomade, les Baloutches, tout aussi anciens et particuliers, sont restés porteurs de la même identité. Nous pouvons donc ajouter le Pakistan au "troisième royaume indo-iranien d'Asie", où l'influence des tribus iraniennes nomades, conservant intact l'esprit et les traditions des Turcs, a été largement déterminante. La proximité de ces deux États était si évidente que, dans les années 1950, il a été envisagé de les réunir en une fédération commune.

L'Afghanistan moderne : de la monarchie au socialisme et à l'islamisme

En 1973, la monarchie afghane s'effondre et Zahir Shah est renversé par un parent, Mohammed Daoud (1909 - 1978), qui proclame la république et en devient le premier président. Mohammed Daoud, quant à lui, était un partisan du démembrement ethnique du Pakistan et de la réunification des territoires habités par les Pachtounes et les Beloutches avec l'Afghanistan. En réponse, le Pakistan s'est appuyé sur le fondamentalisme islamique, qui est devenu l'idéologie dominante dans ce pays, et a commencé à former des leaders et des groupes de persuasion islamistes radicaux sur son territoire, comme le mouvement Hezb-i-Islam d'un autre Pachtoune, Gulbetdin Hekmatyar, qui a ensuite joué un rôle important dans la guerre politique afghane. Mais si le Pakistan - en particulier, sous le Premier ministre Zulfikar Ali Bhuto (1928 - 1979) - était dirigé par les États-Unis, l'influence soviétique était forte en Afghanistan. Puis Daoud lui-même a rencontré le secrétaire général du Comité central du PCUS Leonid Brejnev, discutant des questions de partenariat stratégique, ainsi que du degré d'influence des forces communistes d'Afghanistan, directement soutenues par l'URSS. C'est ainsi que la situation a évolué lorsque le fondamentalisme islamique a commencé à agir au Pakistan et en Afghanistan en tant qu'instrument de l'influence américaine (l'organisation Al-Qaeda d'Oussama Ben Laden a été créée en Afghanistan sous le patronage direct de la CIA et de géopoliticiens américains comme Zbigniew Brzezinski), et les communistes afghans partageaient le cap pro-soviétique - comme le Pachtoune Taraki (1917 - 1979), originaire du Cachemire indien, mais Pachtoune par sa mère, Babrak Karmal (1929 - 1996), Hafizullah Amin (1929 - 1979).

Avec le soutien du Pakistan, les islamistes ont soulevé un soulèvement contre Daoud, auquel Hematyar a également participé, couvrant les provinces de Badakhshan (au nord), Paktia (au sud), Nangahar (à l'est - à la frontière avec le Pakistan).

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Dans les dernières années de son règne, Daoud a commencé à prendre ses distances avec l'URSS et à chercher des contacts avec l'Occident, ce qui a conduit à son renversement en 1978 par les communistes Taraki (photo), Amin et Karmal. Les communistes ont tué Daoud et sa famille. Taraki est devenu le chef du nouvel Afghanistan. Son règne fut court et extrêmement infructueux. Le prolétariat afghan était totalement absent, la société traditionnelle et la culture islamique n'avaient pas la moindre ressemblance avec les idées communistes et ne pouvaient tout simplement pas être comprises et acceptées par les larges couches d'Afghans. Voyant que Taraki ne s'en sort pas, Amin tue Taraki et prend sa place. Amin poursuit les répressions commencées par Taraki contre les leaders islamiques et d'autres personnes en désaccord avec les communistes. Un régime totalitaire, totalement étranger à l'histoire afghane et à l'ethos même des Pachtounes, émerge rapidement dans le pays.

Les dirigeants de l'URSS, se basant sur les renseignements soviétiques, soupçonnaient qu'Amin avait des contacts avec la CIA et ont décidé de le remplacer par Babrak Karmal et de le détruire. C'est ce qui s'est passé en 1979. Dans le même temps, les troupes soviétiques ont été introduites en Afghanistan pour soutenir Karmal.

Mais contre Karmal, qui répondait pleinement aux exigences de l'URSS, et contre la présence soviétique elle-même, un soulèvement de masse a immédiatement commencé, soutenu par les États-Unis et le Pakistan, s'appuyant sur les cercles religieux qui avaient été utilisés précédemment pour faire pression et éventuellement renverser Daoud. La sanglante guerre d'Afghanistan a alors commencé.

Les Afghans n'ont pratiquement jamais été véritablement conquis par qui que ce soit, et la tentative soviétique d'y construire un État socialiste a donc également échoué, tout comme les tentatives de capturer et de maintenir l'Afghanistan sous la domination britannique. La nature multiethnique de la société et l'esprit des Pachtounes ont créé des obstacles insurmontables pour cela.

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Les forces qui s'opposaient à la direction communiste et à la présence soviétique étaient dispersées et souvent en conflit les unes avec les autres. Ils étaient généralement appelés "moudjahidines", c'est-à-dire "guerriers-martyrs" selon l'interprétation islamique. Outre Hekmatyar, le Tadjik Ahmad Shah Massoud (1953-2001) (photo) et un autre Tadjik Barhanuddin Rabbani (1940-2011) ont acquis une grande influence dans le nord de l'Afghanistan, et parmi les Ouzbeks afghans, le général ouzbek Abdul-Rashid Dostum.

En 1986, la nouvelle direction de l'URSS (M. S. Gorbatchev) décide de rappeler Karmal et de le remplacer par le dernier dirigeant communiste de l'Afghanistan, Mohammed Najibullah (1947 - 1996). Najibullah a adouci l'idéologie communiste, reconnu l'islam comme religion d'État et proclamé une voie vers la réconciliation nationale. Les moudjahidines, cependant, refusent de se réconcilier et continuent à se battre. En 1989, Moscou a décidé de retirer toutes les troupes d'Afghanistan. Le gouvernement de Najibullah n'a pas pu tenir longtemps seul et le 27 avril 1992, des détachements de moudjahidines sont entrés dans Kaboul. Le pouvoir est officiellement passé au leader islamique pachtoune de l'opposition, le soufi de l'ordre Naqshbandiyya, Sebgatullah Mujadidi (1925-2016). L'Afghanistan est proclamé République islamique d'Afghanistan. Toutes les lois contraires à la charia sont abolies. Mujadidi gouverne pendant une courte période et transfère le pouvoir à Barhanuddin Rabbani la même année. Cependant, un affrontement militaire commence maintenant entre les chefs moudjahidines (tout à fait dans l'esprit des traditions afghanes), cette fois les détachements des commandants de terrain Ahmad Shah Massoud, Dostum et Rabbani lui-même, ainsi que de nombreuses formations plus petites, s'affrontent.

Ainsi, même libéré de la présence soviétique, l'Afghanistan n'a pas trouvé la paix, la tranquillité ou l'unité, mais comme auparavant une plaie saignante, où les mouvements islamiques moudjahidines, soulevés par le choc des intérêts géopolitiques de l'URSS et des pays du monde occidental, sont entrés dans une confrontation féroce les uns avec les autres, dont les rôles - avec une suspicion pour l'islamisme radical, qui nie verbalement les ethnies et les traditions nationales - étaient distribués presque strictement selon les frontières des différents groupes ethno-sociologiques de la population afghane.

Les Talibans : traditionalisme pachtoune et eschatologie islamique

En 1994, en Afghanistan, complètement déchiré en enclaves séparées, une nouvelle force islamiste radicale est apparue - le mouvement taliban*, dirigé par le mollah pachtoune Mohammad Omar (1959 - 2013), représentant la branche soufie - l'ordre Nakshabandi, extrêmement répandu dans l'islam. Il est important de noter que dans la phase initiale, le mouvement taliban*, tout comme les fondateurs des Frères musulmans égyptiens, considéraient leurs mouvements comme des ordres religieux-militaires soufis. Et le mouvement taliban* à ses origines était effectivement mystico-soufi, et son fondateur et leader était un visionnaire et pratiquait des techniques spéciales de rêves lucides, dans lesquels il prédisait les succès ou les défaites militaires de ses compagnons d'armes. Le mollah Omar vivait extrêmement modestement, préférant rester dans sa simple hutte plutôt qu'à Kaboul, même après sa victoire.

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Dès 1995, avec l'aide financière des Émirats arabes unis, les Talibans se sont emparés d'une partie importante des territoires du sud de l'Afghanistan, en s'appuyant sur les territoires du Pakistan - principalement le Waziristan, qui est également peuplé de Pachtounes et à peine contrôlé par le gouvernement du Pakistan.

Les anciens dirigeants Rabbani et Hekmatyar se sont enfuis de Kaboul et ont créé des centres de résistance échappant au contrôle du gouvernement central. Rabbani, Massoud et Dostum ont fondé l'"Alliance du Nord", construite presque entièrement selon des lignes ethniques : le nord de l'Afghanistan est traditionnellement habité par des Tadjiks, des Ouzbeks et des Mongols Hazaras sédentarisés, tandis que les terres du sud et du centre sont habitées par des Pachtounes nomades.

Après avoir pris Kaboul, les talibans ont recherché l'ancien chef d'État afghan, Najibullah, qui se cachait dans la mission de l'ONU, et l'ont exécuté publiquement en le pendant sur une place.

Ils ont dirigé l'Afghanistan (plus précisément, une partie de ce pays) de 1996 à 2001, après avoir mis en œuvre une série de réformes radicales dans le pays dans l'esprit de la charia. La télévision était interdite, toutes les publications ne pouvaient représenter que le point de vue islamique. Soulignant l'exclusivité de l'islam, les talibans ont fait sauter d'anciennes statues de Bouddha creusées dans la roche. Fait important, il n'est jamais venu à l'esprit d'aucun de leurs ancêtres musulmans de détruire les monuments d'autres cultures indo-européennes.

Nous sommes ici confrontés au phénomène de la Réforme islamique, le plus représenté dans le wahhabisme et le salafisme. Ce mouvement novateur dans l'Islam rejette catégoriquement les traditions (en particulier les traditions nationales), les systèmes théologiques d'interprétation du 'Coran' et des hadiths, ainsi que toute forme de soufisme et de mysticisme islamique. Le soutien apporté aux islamistes afghans et pakistanais par l'Arabie saoudite, où le wahhabisme est la religion officielle, et par les Émirats arabes unis, s'explique par la volonté de donner précisément au fondamentalisme islamique un caractère réformiste, qui rappelle à bien des égards le protestantisme dans le christianisme occidental. Ici et là, il s'agissait d'un retour aux normes originelles de la religion et de l'abolition des intermédiaires entre l'homme et Dieu, mais dans la pratique, cela a conduit à la modernisation, à l'innovation et à la désacralisation de la foi.

Ainsi, parmi les talibans, on rencontre des figures telles que le wahhabite Oussama ben Laden, le fondateur de l'organisation terroriste Al-Qaida**. Mais tout ce que nous savons des Pachtounes, qui sont devenus le noyau du mouvement taliban*, et l'orientation soufie de son fondateur, le mollah Omar, nous montrent une tradition complètement différente, où la loyauté au code Pashtunvalai et un profond intérêt pour le mysticisme constituent la base idéologique. Ce fait est extrêmement important, car il montre que l'islam afghan (dont d'autres versions - y compris Rabbani ou Massoud le Tadjik - étaient enracinées dans le soufisme), bien que sunnite et radical, cachait quelque chose de complètement différent sous sa ressemblance extérieure avec le salafisme arabe. Dans le cas des Talibans, l'islamisme radical était et reste à bien des égards la façade extérieure de ce profond esprit militant indo-européen, qui constitue l'essence de l'identité pachtoune et l'héritage de Touran. On peut probablement y reconnaître aussi des motifs eschatologiques inhérents à la culture iranienne dans son ensemble, y compris l'islam chiite iranien. Les hadiths eschatologiques mentionnent notamment la "bannière noire du Khorasan", qui sera levée à la fin des temps et à la veille de la bataille décisive entre le Mahdi, chef des musulmans, et l'Antéchrist-Dajjal. Le territoire du Khorasan couvre les terres orientales de l'Iran moderne, ainsi que Merv au Turkménistan et Herat en Afghanistan. Ce "drapeau noir du Khorasan" était la bannière officielle du califat abbasside, que les Abbassides ont fondé avec le soutien de l'Iranien et du chiite Abu Muslim, qui a déclenché la révolte anti-Omayyade depuis le Khorasan.

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Par conséquent, les Talibans* se considéraient comme le début de la révolution islamique planétaire, coïncidant avec la "bataille finale avec le Dajjal-Ouest", au centre de laquelle se trouvaient les guerriers indo-européens pachtounes, qui n'avaient jamais courbé la tête devant quiconque depuis leur départ des steppes eurasiennes. Ainsi, sous l'identité extérieure islamique sunnite radicale, nous pouvons reconnaître une eschatologie complètement différente, peut-être pas entièrement comprise par les Afghans eux-mêmes.

Après l'attaque terroriste du 11 septembre 2001 à New York, les États-Unis ont avancé la version selon laquelle son organisateur était Ben Laden lui-même, qui se cachait alors en Afghanistan parmi les talibans, et ont utilisé ce prétexte pour une invasion militaire de l'Afghanistan avec le soutien de l'Alliance du Nord, hostile aux talibans. Le 13 novembre 2001, les troupes de l'"Alliance du Nord", avec le soutien des Américains et le consentement des Russes, inquiets des attaques des talibans sur les territoires frontaliers des alliés de la Russie en Asie centrale, sont entrées dans Kaboul. À la fin de l'année, les troupes de l'OTAN ont occupé l'Afghanistan, mettant au pouvoir non pas les dirigeants de l'Alliance du Nord, mais une figure de compromis avancée par la Loya Jirga - le Pachtoune Hamid Karzaï.

Cependant, les talibans, qui, comme d'habitude, se sont repliés dans des zones montagneuses inaccessibles, et en partie sur le territoire du Pakistan, où ils ont proclamé en 2004 l'"Émirat islamique du Waziristan", qui est devenu le fief du mouvement, ne se sont pas rendus et ont poursuivi leur guérilla contre les troupes de l'OTAN et leurs collaborateurs afghans.

Oussama ben Laden a été tué au Pakistan en 2011 lors d'une opération menée par les services américains. Des rumeurs avaient précédemment circulé selon lesquelles il était mort sur le territoire du Waziristan. Ben Laden avait auparavant établi une base d'Al-Qaïda dans la région de Tora Bora, une "grotte noire" située dans les montagnes de Safedhoh, dans la province de Nangahar, à l'est de l'Afghanistan, près de la zone tribale de l'ouest du Pakistan où l'influence pachtoune est dominante. Rane, dans les montagnes de Tora Bora, était le centre du groupement des moudjahidines sous la direction du Pachtoune Yunus Khales (1919 - 2006).

Les talibans sont restés une force importante dans les provinces d'Afghanistan, les provinces de Helmand, Kandahar, Paktia, Uruzgan, Nuristan, Kunar, Badakhshan, Zabul, Ghazni, tandis que les forces de l'OTAN ne contrôlaient que les zones de Kaboul et Mazar-Sharif. Le nord du pays était sous l'influence des commandants de terrain tadjiks.

À l'été 2021, les troupes américaines ont quitté l'Afghanistan. Le pouvoir dans le pays est passé complètement entre les mains des talibans. Les Territoires du Nord exceptés.

* Le mouvement taliban est officiellement interdit sur le territoire de la Fédération de Russie.

** Al-Qaeda est une organisation terroriste interdite en Fédération de Russie

Source : katehon.com

samedi, 13 août 2022

Dimitrie Cantemir sur le sort de l'Empire russe

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Dimitrie Cantemir sur le sort de l'Empire russe

Source: https://nritalia.org/2022/08/10/dimitrie-cantemir-sul-destino-dellimpero-russo/

La fin du 17ème siècle et le début du 18ème siècle ont apporté de grands changements dans l'équilibre des forces en Europe de l'Est et du Nord. Dans ce contexte géopolitique, les petits pays, comme la Principauté de Moldavie, réorientaient leurs relations diplomatiques et de politique étrangère, en fonction de l'évolution des événements et de l'issue de la confrontation militante entre les deux grandes puissances de l'époque, représentées par l'Empire ottoman et l'Empire russe en expansion. Dans ce contexte, Dimitrie Cantemir, fils de Constantin Cantemir qui avait régné sur la Moldavie de 1685 à 1693, a été nommé souverain de la Moldavie par les Turcs pour une courte période (1693 et 1710-1711). Après que le Russe Pierre Ier ait pris la mesure décisive de limiter l'expansion ottomane dans le nord et l'est de l'Europe chrétienne, Dimitrie Cantemir, désireux de libérer le pays de la domination turque, a conclu un traité d'alliance à Lutsk, en Russie (2-13 avril 1711).

"Par la grâce de Dieu, moi, Pierre Ier, tsar et autocrate de tous les Russes, je proclame par la présente à ceux qui doivent le savoir que le sultan turc, après avoir conclu la paix pour 30 ans et assuré les conditions de cette paix par serment, repris en 1710 avec nous et également par serment, a maintenant oublié sa promesse, l'ayant rompue, sans le moindre motif de notre part... il est entré dans notre pays, et la guerre a commencé contre nous. C'est pourquoi moi, le grand seigneur, je lui ai déclaré la guerre et j'ai ordonné à nos troupes d'entrer dans les terres turques sous mon commandement personnel, et nous espérons vaincre cet insidieux ennemi, non seulement le nôtre, mais celui de tout le monde chrétien".

Le souverain moldave a rejoint Pierre le Grand lors de la guerre russo-turque, à la suite de laquelle la Moldavie a juré allégeance à la Russie. Des combats ont eu lieu à Stanilesti, dans le comté de Falciu sur le Prut, mais les Russes et les Moldaves ont été vaincus par les Turcs et le souverain Dimitrie Cantemir a dû mettre fin à son règne et s'est enfui en Russie avec sa famille.

C'est à ce moment qu'un lien étroit s'est formé entre lui et Pierre Ier, qui l'a nommé proche conseiller, le Prince Sérénissime. En reconnaissance de ses mérites et en remerciement à Pierre, Cantemir a reçu le domaine de Dimitrievka à Kharkov le 1er août 1711. Dimitrie Cantemir a continué à soutenir son bienfaiteur et a clairement influencé sa glorification et son expansion territoriale en lui apportant un soutien idéologique et moral et en lançant une théorie véritablement messianique, liée notamment à l'évolution de l'Empire russe vers l'Europe du Nord et au droit à la domination russe dans cette partie du monde. Dans les années qui suivent, le nouvel empire tsariste s'étend vers le nord grâce au potentiel militaire et stratégique de Pierre le Grand.

Dimitrie Cantemir a dédié au tsar Pierre Ier en 1714 la première étude sur la nature des monarchies, intitulée Monarchiarum physica examinatio.

Le moment historique choisi par l'auteur est l'époque de la confrontation directe entre la Russie et la Suède, ce qui en soi témoigne de l'impact motivationnel et psychologique que l'œuvre de Cantemir a eu sur le Tsar russe pour qu'il poursuive la lutte jusqu'à la victoire finale, anticipée par le grand scribe moldave. Après la défaite des Suédois menés par Charles XII près de Poltava en 1709, la flotte russe bat les Suédois à Gangut et conquiert la Finlande en 1714.

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La tradition impériale russe est associée à Ivan IV, surnommé "le Terrible" (1530-1584), le premier prince de Moscou à se faire appeler tsar. Mikhaïl Romanov, petit-fils d'Ivan le Terrible, a ensuite été élu tsar en 1613, établissant ainsi la dynastie Romanov, qui a duré jusqu'en 1917, lorsque la révolution bolchevique a éliminé physiquement les derniers héritiers de la dynastie.

Pierre le Grand (1672-1725) a pris le titre officiel d'empereur après la conclusion de la guerre du Nord contre la Suède en 1721, le titre de tsar était utilisé officieusement et alternativement par le monde slave.

Avec la signature du traité de Nystadt, la Russie se voit accorder le droit de régner sur les territoires baltes conquis : Livonie, Estonie et Ingermanland. Cela a ouvert l'accès direct de la Russie à l'Europe occidentale. Ainsi, à l'époque de Pierre le Grand, la Russie est devenue le plus grand État du monde. Avec une superficie trois fois plus grande que l'Europe, l'Empire russe s'étendait de la mer Baltique à l'océan Pacifique. On peut dire beaucoup de choses sur le tsar Pierre le Grand. Il est l'architecte de la Russie moderne sur le modèle européen. En 1703, le jeune tsar de Russie navigue jusqu'à l'embouchure de la Neva sur le golfe de Finlande. C'est là qu'il a reçu une révélation sur la construction d'une grande ville qui deviendrait la nouvelle capitale de la Russie, en contact direct avec l'Europe. Tout ce que le roi a fait par la suite était lié à l'image de la forteresse sacrée.

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Dans la capitale du nouvel empire, Saint-Pétersbourg, le sacré fait irruption dans le monde. Le modèle est cosmogonique. La création du monde "devient l'archétype du geste créateur du roi". Au centre s'élèvera l'"axis mundi", où sera construite la cathédrale dédiée aux Saints Pierre et Paul. Ce lieu deviendra un carrefour, un point de référence sacré orienté vers les quatre points cardinaux du nouvel empire. Le symbolisme cosmique du centre fait de la ville un nouvel omphalos (ὀμφαλός) de la victoire chrétienne, rayonnant comme un royaume céleste à travers les quatre horizons. Cet arrangement a également donné à Pierre Ier des avantages concrets, tels que l'accès stratégique à la mer Baltique au nord et à l'ouest.

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La nouvelle capitale, Saint-Pétersbourg, est devenue une métropole imposante, rivalisant avec Venise pour la beauté et Versailles pour le luxe. Pierre Ier a sorti la Russie de son isolement, en reconnaissant son retard et sa position dans l'ombre d'une culture et d'une civilisation occidentales beaucoup plus développées. Pour jeter des ponts entre l'Est et l'Ouest, entre la Russie et l'Europe, le tsar voyage à l'Ouest, en partie par désir de trouver de nouveaux alliés dans la lutte anti-ottomane. Au cours de sa grande mission diplomatique européenne, Pierre le Grand a visité le Saint Empire romain germanique, l'Angleterre, la Hollande et le Brandebourg. Il réorganise l'armée de terre et crée une marine russe selon les lignes occidentales.

Le lien commun entre Pierre Ier et Dimitrie Cantemir était leur esprit humaniste et encyclopédique inhérent. Le roi a initié une série de réformes dans les domaines de la culture, de la science et de l'éducation.

Pierre Ier a promu la mode occidentale, créé des écoles primaires pour éliminer l'analphabétisme, fondé l'Académie russe des sciences et bien plus encore. Dimitrie Cantemir, qui a été éduqué et élevé dans l'ancienne capitale de l'Empire byzantin, Constantinople, a apporté en Russie, depuis son exil, les plus riches connaissances en matière de sciences naturelles, de philosophie, de littérature et d'histoire de l'Empire ottoman, principal ennemi de l'Empire russe (voir Historia incrementorum atque decrementorum Aulae Othomanicae). C'est dans la dernière période de sa vie qu'il a écrit ses œuvres les plus importantes. Il a commencé à écrire en Russie avec le texte grec Panegyricus et le texte latin intitulé Monarchiarum physica examinatio, tous deux offerts par son fils Sherban à l'occasion des festivités d'hiver de 1714 à Pierre Ier, à qui il les a dédiés.

La même année, Dimitrie Cantemir a été élu membre de l'Académie de Berlin. La contribution de Dimitrie Cantemir au développement de l'esprit scientifique et des connaissances philosophiques de son époque est particulièrement importante. Il a jeté les bases de l'évolutionnisme et de la causalité en histoire, soutenu les thèses de l'ethnogenèse et de l'antiquité romano-moldave avec des arguments scientifiques, apporté une contribution importante au système de logique générale en philosophie, étudié l'histoire des religions et du savoir sacré, et ouvert la voie au réalisme en littérature avec de nouveaux types d'épopées, comme le roman, le pamphlet, l'essai. Il est à la fois un homme politique et un scientifique, historien, philosophe, théologien, écrivain polyglotte, encyclopédiste, ethnographe et musicologue. Dimitrie Cantemir est un scientifique de son temps et un artiste, une "personne universelle". Ainsi, l'ancien dirigeant de la Moldavie était un homme de grande culture, qui combinait les qualités d'un stratège et d'un homme d'État avec celles d'un scientifique européen. Cantemir était respecté à la cour royale pour son érudition, étant le premier connaisseur russe de la littérature arabe et un représentant honoré des études orientales russes. Sur ordre du tsar Pierre Ier, Dimitrie Cantemir a publié son ouvrage Le système des lois mahométanes à Saint-Pétersbourg en 1722.

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À cette époque, un climat de compétition créative, culturelle et scientifique régnait à la cour du tsar Pierre le Grand, et on ne peut nier le rôle du roi dans la stimulation de l'activité créatrice, comme en témoigne l'œuvre particulièrement fructueuse de Cantemir à cette étape de sa vie. Bien entendu, Dimitrie Cantemir ne pourrait pas écrire ses œuvres sans le soutien de son patron et allié, l'empereur Pierre le Grand. À la cour royale, l'ancien souverain de Moldavie a profité de l'environnement culturel et des honneurs conférés par son rang. L'entrée suivante concernant Cantemir a été conservée dans le journal de Pierre Ier :

    "Ce dirigeant est un homme très sage et un conseiller compétent".

Le petit ouvrage intitulé Monarchiarum physica examinatio est d'une grande importance tant pour le règne de Pierre le Grand que pour l'histoire et le développement de la Russie impériale. Ce texte presque inconnu, sur lequel on a si peu écrit, revêt une importance supplémentaire en ce qu'il clarifie l'attitude de l'auteur envers la personnalité et la grandeur du tsar Pierre le Grand et de la Russie, sa seconde patrie d'adoption. Cet important manuscrit, qui est lié à la foi de Dimitrie Cantemir en l'importance de la Russie et en sa mission européenne et mondiale, parle de lui-même de la nature messianique de la théorie du grand scientifique moldave, ce qui ressort du contenu théologique, mais aussi rationnel du texte.

Dès le début, il se réfère à la volonté divine du "bon Roi du monde", à la loi suprême, qui n'est autre que l'Écriture Sainte et la nature avec ses lois :

    "Oh juste Dieu et la nature raisonnable, faites-le ! - ('Ah Juste Deus, prudensque natura, fac tandem.')"

Le support motivationnel de la théorie à laquelle se réfère le scientifique et chercheur Cantemir n'est pas seulement mystique, mais aussi rationnel; l'auteur s'appuie sur une combinaison de données rationnelles et naturelles dans ses recherches. L'étude de la "nature des monarchies" est basée sur des données historiques, philosophiques et de sciences naturelles, et l'orientation rationaliste, humaniste et même éducative du scientifique est évidente dès le titre. Ainsi, Cantemir met l'accent sur les connaissances théoriques acquises au cours d'une étude comparative sur la fusion de différentes civilisations. Cependant, l'étude n'est pas purement épistémique, mais dichotomique, rationnelle-mystique, dans laquelle l'auteur reconnaît la primauté du Grand Créateur.

La rationalité de la théorie de Dimitrie Cantemir n'exclut pas l'irrationnel, mais le motive de manière bénéfique, donnant à la recherche crédibilité, persuasion, efficacité et force. Cet ouvrage repose sur trois piliers relationnels fondamentaux : la mission historique et l'avenir de la Russie, l'effondrement et la mort de l'Empire ottoman, considéré comme un fruit contre nature, et l'exaltation de la personnalité du tsar Pierre le Grand, considéré comme le sauveur du monde chrétien, le messager de Dieu pour établir la justice et libérer les pays de l'esclavage sous le joug ottoman.

Dans son étude sur la nature des monarchies (Monarchiarum physica examinatio), l'historien et philosophe Dimitrie Cantemir affirme que l'histoire du monde connaît quatre types de monarchies (empires) qui se sont succédé au cours de l'histoire. Ce qui compte, ce n'est pas leur évolution dans le temps, ni leur position par rapport aux points cardinaux, qui les rend cycliques. Les monarchies ne sont pas énumérées dans l'ordre de succession des empires, ce qui peut être aléatoire, mais selon la division du monde en fonction des points cardinaux. "Les philosophes-naturalistes, dit Cantemir, énumèrent les monarchies du monde entier, non par ordre de succession de domination, mais d'après les quatre parties du monde.

Les peuples sont regroupés en quatre zones géographiques correspondant aux quatre directions cardinales, regroupées en quatre monarchies comme suit : monarchie orientale (orientalem), monarchie méridionale (meridionalem ; mediam diem), monarchie occidentale (occidentalem) et monarchie septentrionale (borealem ; mediam nottem).

Le premier empire était l'empire d'Orient, qui comprenait l'Assyrie, l'Inde, la Perse, et existait jusqu'à la conquête de cette région par Alexandre le Grand (Μέγας Αλέξανδρος).

Le second était l'Empire du Sud, qui comprenait l'Égypte, l'Afrique, la Macédoine et la Grèce.

Le troisième empire était l'Empire d'Occident (Empire romain), une monarchie occidentale, dit Cantemir. Au fil des siècles, elle a progressivement subjugué d'autres monarchies ou des peuples moins puissants. Son expansion a finalement été limitée parce qu'elle se trouvait au bord du monde, et non en son centre. La quatrième monarchie, selon Dimitrie Cantemir, est située au nord, dans l'Empire russe. Cette prédiction du scientifique Cantemir a été rendue publique avant que le dirigeant de la Russie, Pierre le Grand, ne soit reconnu comme empereur. Par la grâce divine, dit l'auteur, ce royaume doit s'étendre et croître. Par rapport à la monarchie occidentale, la monarchie du nord de la Russie, par rapport à l'est et à l'ouest, se trouve au centre, ce qui favorise l'expansion de la région centrale vers l'ouest. Cette dernière cédera du territoire, se retrouvant dans le processus historique d'involution. La question de l'Empire ottoman, qui n'est pas soumis aux lois naturelles et divines, est analysée en détail. De la résistance au cours naturel de l'évolution du monde, dit Cantemir, naît soit un nain, soit un monstre de caractère repoussant qui se développe contre les lois de la nature ('Ita his persimillima considerari poest saeva Othomanorum Monarchia. Quae ut abortivus et exlex naturae foetus.'). Une telle créature peut être considérée comme la monarchie cruelle des Ottomans. En tant que monstrueuse erreur de l'histoire, cette pseudo-monarchie ottomane n'a pas de mission divine claire. Le destin historique de l'Empire ottoman n'est pas un destin, mais une fatalité du mal. Elle ne représente pas une volonté surnaturelle, mais une accumulation d'énergies maléfiques qui vont incinérer la terre.

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L'ordre d'importance et de grandeur d'un empire n'est pas déterminé par la succession historique des monarchies. Dimitrie Cantemir fait ici référence au plus grand philosophe de l'Antiquité, Aristote, qui décrit la moitié orientale du monde comme le "bon côté", ce que confirme la nature elle-même. Le Stagirite montre que la force propulsive attribuée au Créateur se déplace d'est en ouest (ab Oriente ad Occidentem), et non l'inverse. De même, nécessairement, tout ce qui existe dans le monde bouge. Il découle de cette loi de la nature que la monarchie russe se déplacera en cercle d'est en ouest en direction des autres parties du monde. Tout mouvement dans la direction opposée n'est pas naturel et ne peut vaincre la puissance du moteur principal. Les tentatives inverses de confrontation globale entraînent des catastrophes naturelles et sociales en raison de l'opposition au sens du mouvement naturel, qui est le devenir. En fin de compte, la lutte conduit à la désintégration du vecteur opposé en raison de l'accumulation de l'énergie primordiale bloquée, puisque le sens de l'existence de la force motrice primordiale réside dans le mouvement d'Est en Ouest. Ce mouvement bénéfique entraîne avec lui le monde entier ('Primam Monarchiam circulari tem ab Oriente contro alias mundi parti progredi'). Cette thèse est également confirmée par les Saintes Écritures dans le livre de la Genèse, chapitre 2, qui dit que Dieu créa l'homme et le ciel dans lequel Il le plaça dans la partie orientale du monde, et que le ciel était divisé par quatre fleuves en quatre régions édéniques.

L'étude de Cantemir sur la nature des monarchies doit être considérée dans le contexte historique de l'offensive militaire du tsar russe en Europe du Nord avec des visées expansionnistes pour forcer l'accès à la mer Baltique et devenir une grande puissance dans cette région et dans le monde. Si l'on ne relie pas la thèse selon laquelle la Russie est un empire du Nord à l'orientation stratégique de l'époque de l'expansion vers le Nord, alors une telle présentation de la Russie comme pays du Nord est franchement étrange tant que l'on a l'idée que la Russie est une grande puissance orientale, et non septentrionale ou seulement septentrionale. Cantemir soutient que le vieillissement de la monarchie occidentale a signifié la naissance de la monarchie russe. Pour étayer sa théorie sur la nature de l'évolution des monarchies, Cantemir utilise la théorie aristotélicienne du mouvement d'est en ouest, la transformant en une théorie. Ce point culminant de l'histoire impériale de la Russie a influencé les destinées ultérieures de l'Europe et du monde. Les prédictions faites par Cantemir dans sa fonction de conseiller intime du tsar se sont réalisées. Sur d'autres fronts de la lutte des idées, Dimitrie Cantemir a initié une véritable polémique avec les opposants à la thèse de la mission historique de la Russie, qui niaient la capacité du tsar russe à être une puissance de premier plan dans le contexte géopolitique européen.

Les empires sont des espaces géographiques cardinaux avec un centre de pouvoir et un ou plusieurs peuples dans la zone de domination. Dès que le cercle des quatre monarchies, qui sont en fait des groupes de peuples subordonnés au centre impérial, se referme, un nouveau cycle recommence. Ce développement de chaque monarchie suit une évolution dialectique, un schéma naturel qui suit la loi universelle de la causalité, devenant, dès la naissance, puis s'épanouissant, atteignant le sommet de l'évolution et vers le bas, se décomposant et disparaissant. Des éléments de la dialectique de l'évolution historique pré-hégélienne, tels que le sens du devenir, du changement, la loi de l'unité et de la lutte des contraires, ou la loi de la négation de la négation, sont évidents chez Cantemir, un siècle plus tôt, à la fois dans l'étude qui nous occupe, et surtout dans Incrementa et Decrementa Aulae Othmannicae (Elévation et chute de la cour ottomane), bien que le philosophe et historien Dimitrie Cantemir ne les décrive pas de cette manière. Les phases de la montée et de la chute de l'empire correspondent aux phases d'évolution et d'involution naturelles et historiques. Tout ce qui se développe et forme des objets spécifiques, et ces objets spécifiques incluent les monarchies, souligne l'auteur de manière convaincante, (...)

    "doit apparaître et disparaître, changer et se réincarner, naître et mourir, avoir une fin quelconque, sauf lorsqu'elle est soutenue par la grâce divine (...) car Dieu et la nature ne font rien et ne connaissent rien par hasard, c'est-à-dire par la chance".

Cantemir est guidé dans ses recherches par un raisonnement indiscutable et déductif, comme l'axiome 'panta rhei' (Πάντα ῥεῖ) (Tout coule, rien ne reste inchangé), connu de la philosophie grecque antique. Elle gravite entre la croyance en Dieu en tant que grand créateur du monde en mouvement, la connaissance irrationnelle du transcendant et l'esprit rationnel et pratique des connaissances scientifiques innovantes.

Les monarchies sont des parties de la monarchie/royaume de Dieu, unique et englobante, qui est infinie et éternelle.

Les monarchies terrestres peuvent s'éteindre, mais les peuples peuvent éventuellement renaître des cendres de l'empire et donner naissance à une nouvelle monarchie dans les mêmes zones géographiques qui sont fixées par les points cardinaux reliés dans l'espace. Par exemple, le lever du soleil est la direction à partir de laquelle le soleil se lève et le coucher du soleil est le point auquel le soleil disparaît du ciel. Le mouvement perçu depuis le sol, ce mouvement dans le temps et l'espace, l'alternance du jour et de la nuit, les saisons, ne laissent que l'impression de la naissance, de la formation et de la mort, qui, à un niveau universel, ont une composition complètement différente et dans des cadres de référence complètement différents. La monarchie boréale ou "Akvilon", comme l'appelle aussi le vent froid qui souffle férocement en hiver du nord-est de la Russie et qui, dans le pays de naissance et de règne du prince Dimitrie Cantemir, la Moldavie, est appelé "Krivets", devrait, selon l'auteur d'une étude sur les monarchies, exister dans le présent ou nécessairement dans le futur.

Même certains païens, les Arabes les plus célèbres et les rabbins les plus savants croient au pouvoir prédictif des Saintes Écritures. La quatrième monarchie, celle du Nord, doit commencer à se développer. Monarchiarum physica examinatio se termine, tout naturellement, par le panégyrique de Dimitrie Cantemir à l'empereur du Nord, qu'il décrit sans hésitation comme le plus sage et le plus militant, nous laissant, nous lecteurs, dans le doute quant à l'identité de ce monarque, qu'aucun des monarques ne surpasse en humanité et en piété. Le divin psalmiste prophétise que ce royaume et son heureux règne dureront plusieurs siècles: "Bona ante multa saecula a divino Psalmista praecantata corrispondentiere augurantur".

Source : geopolitika.ru

 

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jeudi, 04 août 2022

Finlande : 75 ans de neutralité

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Finlande : 75 ans de neutralité

Sergey Andreev

Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/defensa/38176-2022-07-02-10-10-50

Après la disparition du système bipolaire, la République de Finlande conserve les caractéristiques d'une politique de neutralité, mais s'intègre en même temps activement à l'Union européenne et coopère avec l'OTAN. Le développement de sa politique de défense est d'une grande importance pour les intérêts nationaux de la Russie.

Comment la Finlande a-t-elle émergé de la Seconde Guerre mondiale ?

La Finlande a commencé à se retirer de la Seconde Guerre mondiale après la défaite des troupes allemandes à Stalingrad. À cette époque, les idéologues irrédentistes de la Grande Finlande sont renvoyés du parlement, l'Allemagne se voit refuser une alliance officielle et les négociations avec la partie soviétique commencent par l'intermédiaire de l'ambassade en Suède. La phase active des négociations coïncide avec l'offensive des troupes soviétiques à l'été 1944. Pour les Finlandais, un choix s'impose : être absorbé par l'Union soviétique ou abandonner l'idée de rétablir les anciennes frontières et accepter les conditions de l'URSS. Ayant choisi la deuxième option le 19 septembre 1944, ils ont mis fin à la guerre sur le front oriental et ont immédiatement entamé les hostilités sur le front nord : ils ont combattu les alliés allemands d'hier qui refusaient de quitter le pays après une paix séparée.

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Un tel comportement de la part de la Finlande facilitera davantage la formation de sa politique de neutralité : les dirigeants du pays savaient très bien que l'URSS pouvait éliminer complètement l'indépendance finlandaise et préféraient former de nouvelles relations de bon voisinage avec leur voisin oriental. La neutralité et la tentative de manœuvrer entre les pôles de pouvoir sont même entrées dans l'historiographie finlandaise. Deux guerres avec l'URSS ont été combinées en une seule. Le terme "guerre isolée" a été introduit : la Finlande était censée se battre seule pour ses territoires perdus. La même chose s'est produite avec l'expulsion des Allemands. Les Finlandais soulignent le caractère distinct de cette guerre : ils n'indiquent pas de lien direct avec la Seconde Guerre mondiale et se concentrent uniquement sur leur territoire, sans poursuivre avec la défaite du fascisme en Europe. Ainsi, dès cette époque, les bases idéologiques et politiques de la neutralité finlandaise ont commencé à être activement préparées. Le mot "neutralité" était même utilisé pour des opérations militaires. Le pays s'est vu attribuer le rôle de victime de la situation géopolitique créée par Hitler. Mais cela ne nie pas le fait de l'occupation du territoire soviétique (supérieure à ce que les Finlandais avaient avant 1939) et de la participation au blocus de Leningrad (bien que pour nos historiens, il existait une directive tacite de ne pas soulever ces questions négatives afin d'améliorer les relations bilatérales). Le député finlandais Urho Kekkonen (photo, ci-dessous) voyait les relations futures des ennemis d'hier comme suit : "L'Union soviétique devrait bénéficier d'une Finlande indépendante et joyeuse plutôt que d'une existence brisée condamnée à une existence dépendante".

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L'URSS n'inclut pas la Finlande dans l'orbite de son influence, mais en 1947, elle profite du droit d'exiger des réparations et impose une série de restrictions militaires (principalement dans la marine), car elle considère la Finlande comme un allié de l'Allemagne et n'accepte pas le mantra de neutralité et de séparatisme dont les Finlandais commencent à s'entourer. Le président J. Paasikivi déclare ouvertement l'"intérêt légitime, motivé par la sécurité et justifié de l'URSS pour la direction finlandaise", essayant de prendre en compte les intérêts soviétiques, mais sans se proposer comme nouveau membre du camp socialiste [1]. Le souvenir de la guerre et l'amertume de la perte de territoires sont vifs, le pays est affaibli et les Finlandais perçoivent froidement l'établissement de relations avec l'Union soviétique, y voyant une expansion de la sphère d'influence soviétique. Mais la mise en œuvre diligente de tous les accords précédents a permis au pays de conserver sa neutralité, ce que Moscou a reconnu en 1948 dans le nouveau traité d'amitié soviéto-finlandais.

Ayant reconnu les intérêts de l'URSS, la Finlande a continué à mener sa politique étrangère avec prudence et a mené diverses sortes de consultations avec son voisin oriental afin de ne pas irriter Moscou une fois de plus, et a également accordé diverses préférences commerciales. Bien que le pays soit resté neutre, Helsinki a compris de facto quel acte de miséricorde l'URSS avait accompli en s'arrêtant en 1944 sur l'isthme de Carélie : il valait mieux rendre hommage à la mémoire et partager une partie de sa souveraineté que de la perdre totalement. La neutralité s'est reflétée dans la fierté des Finlandais, qui ont terminé la guerre sans être occupés, et l'expulsion indépendante des Allemands n'a fait que renforcer l'idée d'indépendance dans l'âme de chaque citoyen. Désormais, il a été décidé de compter sur eux-mêmes en toute chose (mais, au cas où, avec un œil sur Moscou).

La ligne Paasikivi-Kekkonen contre la "finlandisation"

Malgré ses anciennes opinions anti-soviétiques, le Premier ministre (et plus tard le Président) Urho Kekkonen commence à poursuivre activement une politique de neutralité et d'engagement avec l'URSS, et se plie même à la demande de l'Union soviétique de réduire les publications et déclarations anti-soviétiques en Finlande. Dans sa politique, il a adhéré à la ligne précédemment formée par le président J. Paasikivi (photo, ci-dessous); ceci peut être dénoté par le concept de la "ligne Paasikivi-Kekkonen": reconnaissance étrangère de la neutralité, confiance des puissances étrangères dans la neutralité, soutien de la neutralité par le peuple finlandais et le fait qu'il a suffisamment de possibilités de repousser les tentatives de violation de la sienne. En 1969, le gouvernement finlandais a immédiatement soutenu l'initiative soviétique de commencer à préparer l'OSCE, et peu après, Helsinki accueillera un cycle de négociations sur le traité SALT-1. La réunion finale de l'OSCE s'est également tenue à Helsinki et l'Acte final sera signé en présence du Secrétaire général de l'ONU. Le fait que de tels événements aient lieu signifiait une reconnaissance internationale et un honneur pour le pays hôte.

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Il est vrai que tout le monde n'était pas d'accord avec la neutralité et la considérait comme un écran derrière lequel se cachaient les intérêts de Moscou. Les critiques ont considéré la position de la Finlande comme une soumission à un voisin puissant et le transfert d'une partie de sa souveraineté à celui-ci tout en conservant formellement son indépendance, ce qui s'est traduit par le terme de "finlandisation". A Helsinki, ils ont considéré cette stupidité et n'y ont pas vu les caractéristiques de l'humilité envers l'URSS. Au contraire, la neutralité finlandaise a permis au pays de surmonter les stéréotypes de la guerre froide et de parvenir à une coopération mutuelle avec tous les pays. Mais la logique de ces années-là était celle de la confrontation des blocs, et il ne pouvait être question de coopération globale entre les différents systèmes. La Finlande n'a pas non plus échappé à ce sort : ses accords avec l'URSS ont été perçus négativement à l'Ouest, elle a été accusée d'extradition de citoyens soviétiques fugitifs et de censure excessive de ce que Moscou considérerait comme offensant. Cependant, rien n'a empêché des accusations similaires de dénoncer les alliés des États-Unis en Europe et en Asie.

La fin du monde bipolaire. Nouvelles priorités de l'UE et de l'OTAN

À la fin des années 1980 - début des années 1990, un nouveau visage de l'Europe se dessine. Après la réunification de l'Allemagne, la Finlande a déclaré que les dispositions restrictives mentionnées dans le traité de paix n'étaient plus valables. Parmi les clauses restrictives, une seule, interdisant le développement et la possession d'armes nucléaires, a été retenue. Le président M. Koivisto a également annoncé que la Finlande réviserait le traité d'amitié et de coopération avec l'URSS pour en exclure toute obligation militaire [2]. En 1992, la Russie ne pouvait plus imposer de restrictions militaires en concluant un nouveau traité. Mais outre les relations de bon voisinage, la culture, les droits de l'homme et les libertés, l'accent a été mis sur l'économie, un aspect qui faisait défaut des deux côtés au début des années 1990. Notamment, la coopération transfrontalière est arrivée: le développement des régions frontalières de la Russie est perçu comme un élément distinct. La mise en œuvre de ces plans sera longue et douloureuse : pendant cette période, le chômage augmentera fortement dans les deux pays et de nombreuses entreprises fermeront. La disparition d'un pôle de pouvoir ne signifie pas une transition sous l'aile d'un autre, et la Finlande a agi de manière indépendante, mais, comme auparavant, avec prudence.

En 1992, l'expression "non-alignement militaire et autodéfense" a été adoptée. Et en 1995, le gouvernement finlandais a exclu le concept de "neutralité" du rapport de sécurité. Le rapport de 1997 mentionne déjà la réception éventuelle d'une aide militaire de l'étranger. Quant aux relations avec l'OTAN, la Finlande a simplement adhéré au programme de Partenariat pour la paix en 1994. Toutefois, le même rapport de 1997 indique que la politique de non-alignement pourrait être revue, bien que dans la société et le parlement finlandais, elle ait été considérée comme "un choix en faveur d'une construction pragmatique des relations avec les pays étrangers" [3]. La question de l'OTAN reste controversée : au début du siècle, l'opinion publique était majoritairement opposée à ce bloc politico-militaire (les chiffres allaient de 65% à 79% de personnes interrogées qui disaient être opposées à l'OTAN) [4].

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Il n'y avait pas de bonnes raisons de rejoindre l'Alliance de l'Atlantique Nord. Peu de gens croyaient à la "menace russe" en Finlande. Et cette tendance (plus de ¾ des Finlandais pensaient qu'il n'y avait pas de menace accrue de la part de la Russie) s'est poursuivie pendant la présidence de Tarja Halonen (photo, ci-dessus). L'un des arguments les plus populaires en faveur de l'OTAN dans ces années-là était que la Finlande, en utilisant ses mécanismes de médiation, aiderait à établir un dialogue entre l'Alliance et la Russie. Selon l'ancien président M. Koivisto, l'opération au Kosovo a pleinement démontré la nature asymétrique des relations: personne n'écoute l'opinion des petits États membres de l'OTAN. Un point de vue similaire était partagé par le commandant des forces de défense finlandaises de 1994 à 2001, le général Gustav Hagglund.

Le retour de la neutralité ferme et la Russie

Contrairement à son prédécesseur, Tarja Halonen a déclaré fermement que la Finlande ne participerait pas aux blocs militaires. La présidente a fait la première déclaration de ce type lors de la cérémonie d'inauguration : "La Finlande, pour autant que cela dépende de moi, restera un pays non-aligné" [5]. Le chef d'État s'est également prononcé contre l'entrée des républiques baltes dans l'OTAN, ce qui a provoqué une réaction négative au sein de l'OTAN. La Finlande a approuvé l'opération militaire en Afghanistan, mais a refusé de soutenir l'intervention en Irak.

En 2001, la commission de la sécurité et de la défense a préparé un rapport extraordinaire intitulé "La politique de sécurité et de défense de la Finlande" [5]. Le rapport a mis en évidence les principaux domaines de la politique étrangère : l'Union européenne, l'OTAN, la Fédération de Russie, la région de la mer Baltique.

Le rapport attire tout d'abord l'attention sur les pays de l'ex-Yougoslavie. La stratégie de défense finlandaise met l'accent sur le rôle prépondérant des États-Unis dans la résolution des crises locales dans le monde, alors qu'en Europe, la résolution de toute crise doit reposer sur la participation égale de l'Union européenne, de l'OSCE et de l'OTAN, et l'élargissement de l'UE est présenté comme un moyen efficace d'améliorer le bien-être économique des nouveaux États membres.

Il est à noter que la Finlande, ainsi que la Suède, construisent leur politique de défense sur la base de la position géographique des États. Dans la région de la mer Baltique, une attention particulière est accordée aux relations entre la Russie et l'OTAN, car pour la première, il s'agit d'une "ligne de front", et Moscou n'observera pas calmement le processus d'expansion de l'Alliance. Les relations entre la Russie et les États-Unis sont considérées comme une priorité pour la stabilité de la région de la mer Baltique.

La Finlande a participé, avec l'OTAN, aux programmes de création et de développement des forces armées des trois anciennes républiques soviétiques (Lettonie, Lituanie, Estonie). Le programme BALTSEA a été élaboré. Il prévoyait d'aider ces pays à participer à des opérations de maintien de la paix, de former un système de surveillance aérienne, d'établir le Collège militaire balte à Tartu et de créer l'escadron naval balte. La sécurité des États repose également sur le bien-être économique des citoyens et sur leur capacité à réagir rapidement à une situation socio-économique changeante.

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La Finlande est l'un des catalyseurs de la politique de sécurité européenne, une sorte de prototype de forces armées paneuropéennes, dont il a été question pour la première fois lors du sommet de l'UE à Helsinki en 1999. En 2003, le ministre finlandais des Affaires étrangères, Erkki Tuomioja, a exprimé sa crainte que la priorité en la matière ne soit accordée à un certain nombre de grands pays, ce qui ne ferait que saper le système de sécurité européen, les petits pays étant laissés à l'écart de la politique de sécurité. Au même moment, le Premier ministre finlandais Anneli Jaatteenmäki (photo, ci-dessus) a fait une déclaration similaire, s'inquiétant de la possible division des membres de l'UE en plusieurs groupes. Paavo Lipponen, président du parlement finlandais, a adopté une position similaire, notant l'importance de la présence de l'OTAN en Europe, mais soulignant en même temps que la Finlande devrait devenir un pont entre la région euro-atlantique et la Russie [7].

L'OTAN - pour et contre

L'orientation ultérieure de la politique de défense étrangère de la Finlande a été examinée en détail dans un rapport de 2004, qui soulignait à nouveau le rôle moteur de la politique de sécurité européenne et mentionnait la nécessité d'une coopération avec l'OTAN (sans y adhérer). Et l'entrée de nouveaux membres dans l'UE et l'Alliance a été considérée comme une tendance positive dans le domaine de la stabilité dans la région.

La controverse publique a commencé à montrer des opinions très divergentes sur la question de l'adhésion à l'OTAN. En 2002, le journaliste finlandais P. Ervasti et le parlementaire J. Laakso, dans le livre "From the Embrace of the Bear Neighbor to the Armpit of NATO" (De l'étreinte du voisin ours à l'aisselle de l'OTAN), ont fait valoir que l'intégration des structures militaires finlandaises aux normes de l'OTAN se poursuit de manière latente depuis de nombreuses années [8]. Le politologue et journaliste finlandais Elias Krohn en 2003 dans son livre "51 bonnes raisons de dire "Non, merci" à l'OTAN" mentionne l'expérience négative de la guerre dans les Balkans, accusant l'Alliance que le bombardement de la Yougoslavie n'était pas une conséquence, mais la cause d'un afflux massif de réfugiés, par conséquent, cette opération ne peut être un exemple de solution réussie à un conflit local [9]. Après la publication du rapport 2004, le Premier ministre Matti Vanhanen (photo, ci-dessous) n'a fait qu'une seule déclaration : "Dans un avenir prévisible, il n'y a aucune raison pour que la Finlande rejoigne l'OTAN, mais la pratique de la coopération politico-militaire avec ce bloc devrait se développer" [10].

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Les sondages effectués auprès de la population montrent que les Finlandais n'étaient pas disposés à rejoindre l'Alliance. En décembre 2000, 66% des citoyens étaient opposés à l'adhésion à l'OTAN, en février 2003 leur nombre a chuté à 56% et en juin 2004 il a de nouveau augmenté pour passer à 61% [11]. Et ¾ des citoyens finlandais estiment qu'un référendum devrait être organisé sur cette question.

Sur la question de l'OTAN, la présidente T. Halonen n'a pas changé de position et a maintenu le statut de pays non aligné. Son adversaire électoral, Sauli Niinistö, n'est pas d'accord: en 2007, il a déclaré que l'adhésion de la Finlande à l'OTAN était inévitable. Le ministre finlandais de la Défense, Jüri Häkämies, a déclaré à Washington que son pays était confronté à trois menaces : "Ce sont la Russie, la Russie et la Russie" [12]. Le président a attribué cette déclaration malheureuse à l'opinion personnelle du ministre. L'ambassadeur de Finlande en Belgique et représentant permanent auprès de l'OTAN, Antii Sierla, a exprimé son appréciation. Selon l'ambassadeur de Finlande, il existe un certain nombre de facteurs négatifs: la perception négative par la Russie de l'expansion de l'OTAN, la dépendance de l'Europe vis-à-vis des ressources énergétiques russes et la dépendance économique de la Russie vis-à-vis des petits pays limitrophes. Le diplomate finlandais s'est dit confiant que l'OTAN considérerait la Finlande comme un expert de premier plan sur la Russie, ce que l'on ne pouvait alors pas dire du chancelier Alexander Stubbe, qui était un partisan déclaré de l'OTAN. À l'automne 2008, après qu'un des représentants du ministère russe des Affaires étrangères ait qualifié la Finlande de "pays neutre respecté", A. Stubb a immédiatement répondu que la Finlande n'est pas un pays neutre et qu'elle travaille et coopère étroitement dans le domaine militaire avec l'UE et l'OTAN.

En mars 2009, le gouvernement a préparé un rapport régulier sur la politique de sécurité. Comme auparavant, les Finlandais considèrent la mise en œuvre de missions humanitaires, le travail avec l'administration civile et la médiation dans les négociations comme les principales tâches des opérations de maintien de la paix. Le rapport mentionne également spécifiquement la Russie comme l'un des principaux participants à la résolution des conflits gelés en Europe, dans le Caucase et au Moyen-Orient. Toutefois, comme indiqué, les problèmes de corruption, de droits de l'homme, de rhétorique nationaliste dans les médias et d'"agression" contre la Géorgie pourraient laisser des traces dans les relations entre la Russie et l'UE.

La tendance générale de ces documents peut être décrite comme "aucun déficit de sécurité" en Finlande. Même A. Stubb, un partisan déclaré de l'OTAN, a changé sa rhétorique pro-occidentale et a annoncé que la question de l'OTAN était reportée et serait soumise à un référendum à l'avenir. En 2010, il a décrit la relation entre la Finlande et l'OTAN comme un "mariage civil" : "Nous sommes de très bons et proches partenaires, dans un sens nous sommes plus un pays de l'OTAN que certains membres de l'OTAN. Nous ne fermons pas la porte à l'OTAN, mais nous ne l'ouvrons pas encore" [13].

La neutralité continue

Lors des élections présidentielles de 2012, Sauli V. Niinistö, représentant du parti de la Coalition nationale, est devenu le leader du pays. Même pendant le débat, il a affirmé la nécessité d'étendre la coopération militaire au sein de l'UE. Quant à l'OTAN, ici S. Niinistö (photo, ci-dessous) s'est exprimé assez brièvement: "cette question devrait être décidée par référendum". Dans son discours inaugural, le président nouvellement élu n'a pas mentionné la politique de non-alignement, mais a déclaré que les relations avec la Russie et l'UE resteront les principales priorités de la politique étrangère du pays. Notamment, le nouveau président a effectué ses premières visites d'État en Suède, en Estonie et en Russie.

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En juin 2012, lors d'une visite à Helsinki, le chef d'état-major général des forces armées russes, le général N. Makarov, a mis en garde la Finlande contre l'adhésion à l'OTAN et s'est inquiété de l'étroite coopération militaire entre les pays nordiques. Les remarques du général russe ont été perçues négativement par le ministre finlandais de la Défense, Stefan Wallin, qui a souligné que la Finlande agirait de manière indépendante dans le domaine de la défense. Le président finlandais a également réagi négativement aux remarques du général russe, les qualifiant d'"analyse incorrecte des relations de la Finlande avec l'OTAN, qui pourrait conduire à des conclusions erronées".

En 2012, un rapport distinct du ministère finlandais de la Défense, intitulé "Changing Russia", a été consacré aux relations avec la Russie. Les auteurs du rapport mentionnent le passé soviétique : "L'expérience d'un pouvoir personnel illimité peut compenser la faiblesse des institutions démocratiques en Russie, ce qui entraînera la détérioration des relations entre la Russie et l'Occident et la formation d'une "mentalité d'assiégé" chez les Russes. Et les intérêts nationaux finlandais étaient et sont directement dépendants de la stabilité politique et économique de son voisin oriental.

La confrontation entre la Russie et les États-Unis se reflète dans la discussion sur l'adhésion de la Finlande à l'OTAN: les mythes sur la "menace russe" et le "manque de sécurité" ont été ravivés dans le pays une fois de plus. Globalement, les conclusions du rapport montrent que la Finlande, pour des raisons historiques et géographiques, est inextricablement liée à la Russie.

En 2012, le gouvernement a publié un rapport régulier dans le domaine de la politique de sécurité. Comme dans le rapport précédent, en ce qui concerne la Russie, les auteurs se concentrent sur le développement des relations économiques avec la partie nord-ouest de la Fédération de Russie. Les relations entre la Russie et l'OTAN sont typiquement tendues, et la Russie renforce sa présence militaire dans la région balte.

Le rapport mentionne spécifiquement la Coopération nordique en matière de défense (NORDEFCO), une organisation internationale formée en 2009 par cinq États nordiques : il convient de considérer que trois pays de la NORDEFCO (Islande, Norvège, Danemark) sont membres de l'OTAN, et à cet égard, la Finlande, selon les auteurs du rapport, pourrait rapprocher encore davantage ses relations avec l'OTAN.

Nouveau test 2014 - La neutralité finlandaise après 2014

Les citoyens finlandais sont majoritairement négatifs quant à l'adhésion de leur pays à l'OTAN : seuls 17 % des Finlandais sont favorables à l'adhésion à l'Alliance. Mais les événements en Ukraine ont fait leurs propres ajustements. Avant même le référendum de Crimée, le président S. Niinistö a déclaré que la Russie violait gravement les normes du droit international sur la péninsule en liant les activités des forces d'autodéfense de Crimée aux forces armées russes. Le ministre finlandais des Affaires étrangères, Erkki Tuomioja, a exprimé un point de vue similaire.

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À l'été 2014, Alexander Stubb (photo, ci-dessus) a pris le poste de premier ministre. Dans l'une de ses premières interviews à son nouveau poste, il a déclaré sans ambages qu'il ferait entrer le pays dans l'OTAN. Dans le même temps, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a mis en garde la Finlande contre une adhésion à l'OTAN, citant les propos du président finlandais S. Niinistö sur l'inopportunité d'une mesure aussi radicale. Selon les sondages de 2014, la proportion d'opposants a diminué, mais est restée majoritaire.

Si les dirigeants finlandais préfèrent maintenir leur position neutre antérieure sur la question de l'OTAN, dans la région nordique, le pays continue de renforcer la coopération entre ses voisins. Le 6 mai 2014, les ministres de la Défense suédois et finlandais, Karin Enström et Karl Haglund, ont signé un document commun dans le domaine du renforcement de la coopération militaire entre les deux pays. Le "Plan d'action pour l'approfondissement de la coopération en matière de défense entre la Suède et la Finlande" implique une étroite coopération conjointe avec l'Union européenne, l'OTAN, l'ONU et NORDEFCO. Cela comprend l'échange de personnel, l'utilisation conjointe d'infrastructures militaires, des exercices de surveillance et de reconnaissance aériennes, l'étude des tactiques de différents types de troupes des deux pays.

Le président S. Niinistö a clairement exprimé son point de vue sur le sujet des relations avec la Russie et l'OTAN lors de ses vœux de nouvel an le 1er janvier 2015. La citation suivante ne peut être ignorée : "Nous avons élevé notre partenariat avec l'OTAN à un nouveau niveau, et nous poursuivrons cette coopération. Il va de soi que nous pouvons toujours demander l'adhésion à l'OTAN si nous le voulons".

Les sondages de 2015 ont confirmé l'attitude prudente des Finlandais à l'égard de l'OTAN. Le nombre d'opposants continue de baisser: 55%, mais la proportion de partisans a également diminué: 22%. Les opposants à l'OTAN restent majoritaires même avec une telle formulation de la question : "Si la Suède rejoint l'OTAN, la Finlande doit-elle faire de même ?" Ici, les opposants à l'OTAN représentent 47%, les partisans 35%. Fin 2015, la tendance est en faveur des indécis. Un sondage réalisé par l'Union des réservistes de Finlande a montré que 40% étaient contre l'adhésion à l'OTAN, 28% étaient en faveur de l'adhésion et 32% ne pouvaient pas donner de réponse exacte.

La discussion sur l'OTAN a repris au plus haut niveau après la publication en avril 2016 d'un rapport d'une équipe gouvernementale préparé pour le Premier ministre Juhi Sipilä. Le document abordait cinq questions principales : comment la Russie réagirait à l'adhésion de la Finlande à l'OTAN, si la Finlande rejoindrait l'OTAN seule ou avec la Suède, si la politique de défense finlandaise est suffisamment fiable sans participation à des alliances militaires, quelles sont les conséquences de l'adhésion à l'OTAN et quand le moment sera venu de rejoindre l'OTAN. Le groupe n'a pas pris de décision finale sur l'adhésion à l'OTAN, mentionnant seulement que cette question devrait définitivement être décidée conjointement avec la Suède. Mais dans ce cas, la Russie augmentera ses forces à la frontière et exercera une pression sur les États baltes. Les auteurs du rapport ont également exprimé une variante de la pression exercée par la Russie sur la Finlande en tant qu'"activation politique des citoyens finlandais venus de Russie". Selon les auteurs du rapport, l'adhésion conjointe de la Finlande et de la Suède à l'OTAN serait la meilleure option.

La lutte pour le pouvoir continue

Parmi les derniers documents finlandais reflétant les questions de stratégie militaire, on peut distinguer : le rapport du gouvernement sur la politique étrangère et de sécurité de la Finlande (septembre 2016) et le rapport du gouvernement sur la politique de défense (juillet 2017). Les deux rapports mentionnent le renforcement de la présence militaire des pays de la région de la mer Baltique depuis le début et appellent les dirigeants finlandais à suivre la même voie. L'OTAN continue d'être considérée comme une source de stabilité dans le sous-continent européen et la coopération avec l'Alliance est perçue positivement (le mécanisme de partenariat offrant de meilleures possibilités de dialogue et de coopération, qui inclut la Finlande et la Suède, est mentionné). La stratégie souligne que le pays est sorti des alliances militaires. Toutefois, "en suivant de près l'évolution de la situation en matière de sécurité, la Finlande conserve la possibilité d'adhérer à l'OTAN".

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Soldats finlandais en Afghanistan.

Par le prisme du conflit militaire en Syrie, les forces armées russes sont très appréciées: les Finlandais soulignent la capacité de Moscou à répondre rapidement et efficacement aux défis de l'ordre mondial. La Russie est activement engagée dans le développement de nouveaux types d'armes et se concentre sur les armes de haute précision, les troupes de réaction rapide, les véhicules aériens sans pilote, les armes nucléaires et les nouveaux moyens de commandement et de renseignement. Mais parallèlement aux louanges adressées à l'armée russe, on craint que la Russie "cherche à défier les capacités et les intentions de l'OTAN de protéger les pays baltes et d'Europe orientale en cas de conflit militaire". Le rapport sur la politique étrangère s'est avéré un peu plus objectif : la base du renforcement de la puissance militaire de la Russie est le mépris de l'Occident pour les intérêts nationaux de la Russie. Une autre preuve de la culture politique démocratique de la Finlande est le fait que des déclarations audacieuses sur l'imprévisibilité de la politique étrangère russe, le non-respect du droit international par la Russie et la faiblesse de l'économie des ressources coexistent harmonieusement avec des appels au renforcement des liens transfrontaliers, à l'élargissement des contacts dans le domaine de l'énergie, à une étude plus approfondie et plus diversifiée de la Russie et à des contacts directs entre les citoyens. Les titres des paragraphes sont également frappants : si les mots "approfondissement" et "développement" sont utilisés en relation avec les États-Unis et l'OTAN, dans le cas de la Russie, un terme neutre est simplement utilisé : "importance".

Un autre document du ministère finlandais de la Défense - "Aperçu de l'avenir. La sécurité et la défense sont la base de la prospérité finlandaise" (juin 2018). Les stratèges finlandais ont souligné le danger croissant de la résolution des conflits par la force. Naturellement, on mentionne l'amélioration technique des forces armées et les exigences accrues en matière de formation du personnel, l'expansion de la coopération avec les États étrangers pour résoudre les problèmes communs et la formation de systèmes de défense collective, et la base de la défense du pays reste universelle. le service militaire et la volonté de défendre la patrie. La Russie n'en est pas exempte : sa puissance militaire croissante est également mentionnée ici, mais elle est aussi dictée par des raisons objectives de renforcement de la sécurité nationale. Une éventuelle adhésion à l'OTAN est discutée comme auparavant : La Finlande suivra de près la politique d'expansion de l'OTAN et se réserve la possibilité de rejoindre le bloc. Mais l'Alliance est toujours mentionnée avec l'Union européenne et l'ONU : les stratèges finlandais déclarent un format global pour la résolution des crises, sans prépondérance dans une seule direction.

Pendant ce temps, la population finlandaise conserve une attitude négative à l'égard d'une éventuelle adhésion à l'OTAN : en 2017, le pourcentage de personnes opposées à l'OTAN était compris entre 51 % et 53 %, et le nombre de ceux qui souhaitent organiser un référendum sur cette question a diminué de 63 % à 54 %. Le soutien à l'OTAN oscille autour de 20 %. En 2019, les chiffres restent les mêmes. Mais il ne faut pas oublier l'attitude positive des réservistes finlandais à l'égard de l'OTAN : seul un tiers d'entre eux y est opposé.

Le président S. Niinistö lui-même s'efforce de rester neutre, mais il n'oublie pas de désigner l'Union européenne comme l'orientation principale de sa politique étrangère. Dans le même temps, en 2017 et 2018, il a regretté que l'UE soit plus faible que jamais et que les présidents de la Fédération de Russie et des États-Unis discutent des affaires européennes sans sa participation. Sur la question de l'OTAN, il a maintenu la ligne de neutralité, bien qu'il n'ait pas nié la possibilité de rejoindre le bloc. En septembre 2018, le président a refusé de rejoindre l'Alliance, préférant développer de bonnes relations commerciales avec Moscou et comprenant la réaction possible de la Russie à une telle démarche. Le nouveau ministre de la défense, Antti Kaikkonen, est également neutre et affirme qu'il ne considère pas la Russie comme une menace.

Le statut de Partenaires de l'OTAN aux possibilités accrues de la Suède et de la Finlande leur a permis de participer aux procédures de travail de l'OTAN sur un pied d'égalité avec les Alliés. La Suède et la Finlande s'engagent à poursuivre la coopération avec l'OTAN avec un haut degré de volonté politique. La Finlande ne nie pas non plus l'implication de l'OTAN dans un éventuel conflit militaire dans la région de la mer Baltique.

Il est important que la Finlande maintienne sa position militaire et politique actuelle, car sa coopération avec l'OTAN en tant que pays non aligné est du plus haut niveau, et son statut de neutralité et ses bonnes relations avec les États voisins protègent le pays de la génération d'un conflit potentiel dans la région de la mer Baltique et d'un éventuel mécontentement du public quant aux conséquences de l'adhésion au bloc. Il n'est pas dans l'intérêt de la Finlande de faire de l'Europe du Nord une autre région de contradictions entre les puissances : tout mouvement vers l'OTAN impliquera nécessairement une réponse russe.

NOTES:

1 . Jussila O., Khentilya S., Nevakivi J. Historia política de Finlandia 1809-2009./Prólogo. Yu.S. Deryabin. - M.: Editorial "Ves Mir", 2010. - S. 291.

2 . Sinkkonen V., Vogt H. (toim.). Utopia ulkopolitiikassa: sarja visioita suomen asemasta maailmassa. // Ministerio ulkoasiático julkaisuja 03/2014. — Pág. 14.

3 . Knudsen F. Olav. Estrategias de seguridad, disparidad de poder e identidad: la región del mar Báltico. - Ashgate Publishing Group, 2007. - Pág. 52.

4 . Pesonen P., Riihinen O. Finlandia dinámica. (Traducido por A. Rupasov) - San Petersburgo - Editorial de la Casa Europea, 2007. - P. 338.

5 . Norte de Europa. Región de Nuevo Desarrollo / Ed. Yu.S, Deryabina, N.M. Antyushina. - M.: Editorial "Ves Mir", 2008. - S. 422.

6 _ Política finlandesa de seguridad y defensa 2001. Informe del Gobierno al Parlamento el 13.06.2001. // Puolutustusministerio. URL: http://www.defmin.fi/files/1149/InEnglish.pdf . Fecha de acceso: 26.02.2016.

7 . Ojanen H.. EU:n puolustuspolitiikka ja suhteet Natoon: tervetullutta kilpailua. // Informe UPI 3/2003. - Pág. 8-12.

8 _ Ervasti P., Jaakso J. Karhun naapurista NATON kainaloon. - WSOY, Heelsinki, 2002. - S. 127.

9 _ Krohn E. 51 hyvää syytä sanoa Natolle kiitos ei. - Helsinki: Suomen rauhanpuolustajat, 2003. - S. 23-45.

10 _ Norte de Europa. Región de Nuevo Desarrollo / Ed. Yu.S, Deryabina, N.M. Antyushina. - M.: Editorial "Ves Mir", 2008. - S. 427

11 _ Allá. págs. 427-428.

12 _ Novikova I. N. Finlandia y la OTAN: ¿“matrimonio civil”? // Trabajos científicos de la Academia de Administración Pública del Noroeste. 2011. V.2. Tema. 2.- C. 85-86.

13 _ Novikova I. N. Finlandia y la OTAN: ¿“matrimonio civil”? // Trabajos científicos de la Academia de Administración Pública del Noroeste. 2011. V.2. Tema. 2.- C.88.

mardi, 19 juillet 2022

L'Ukraine entre racines russes et influences polono-occidentales

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L'Ukraine entre racines russes et influences polono-occidentales

Luca Siniscalco

Source: http://www.4pt.su/it/content/lucraina-tra-radici-russe-e-influssi-polacco-occidentali

Les Russes d'origine, ceux de la Rus' de Kiev, ont rapidement été soumis aux influences occidentales, notamment polonaises : d'où la genèse de la distinction entre Slaves orientaux. La force motrice de l'Empire russe serait le groupe ethnique des Russes orientaux, doté d'une noblesse, d'une armée et de structures étatiques. Les futurs Ukrainiens et Biélorusses, quant à eux, seraient pour la plupart devenus des serfs de la noblesse polonaise. Ces peuples paysans n'ont pas développé une culture écrite de haut niveau avant le 19e siècle.

Le sort de l'Ukraine, auquel la presse italienne a accordé tant d'espace ces derniers mois, est de moins en moins au centre des préoccupations des médias grand public. Peut-être - pardonnez ma franchise - n'est-ce qu'une bonne chose, étant donné la désinformation partiale et unilatérale proposée par les principaux organes de presse. La pensée unique - une représentation linguistique et communicative précise d'un modèle géopolitique à prétention unipolaire - a réussi à affirmer un canon exclusif d'interprétation d'une question qui est au contraire incroyablement complexe. Au-delà des suppositions respectives et des affiliations symboliques légitimes, il convient de réfléchir lucidement aux origines et aux conséquences historiques, géopolitiques et économiques d'une crise - celle de l'Ukraine - qui n'est qu'une pièce d'un jeu beaucoup plus vaste. Une mise au point est nécessaire. Afin de mettre en évidence certains des liens centraux de ce numéro, nous vous proposons quelques points saillants de deux conférences intéressantes qui se sont tenues à Milan cette semaine : la première, The Eagle and the Bear - Towards a New 'Cold War' ? (20 avril, Université de Milan) mettait en vedette Aldo Ferrari, membre de l'ISPI et professeur à l'Université Ca' Foscari de Venise, en tant qu'expert de l'histoire et de la culture de la Russie et du Caucase ; la seconde (22 avril, Libreria Popolare in Via Tadino) proposait une présentation de l'essai The Russian-Ukrainian conflict. Geopolitics of the New World Dis(order), un volume aigu de l'historien hétérodoxe Eugenio Di Rienzo, publié par Rubbettino.

Quels sont les termes de base pour aborder la question sans être aveuglé par le sentimentalisme, le manichéisme politiquement correct et la superficialité analytique ?

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Tout d'abord, il faut noter que le clivage au sein de l'Ukraine n'est pas un coup de tonnerre, mais une condition structurelle, génétique même, de la structure étatique du pays. La région de Kiev est la zone d'origine du premier État russe, la Kievan Rus'. C'est de ce noyau médiéval, né au 9e siècle de notre ère et qui a duré jusqu'en 1240, avec l'invasion mongole, qu'est née l'identité russe, qui est donc intrinsèquement européenne. Ces racines se sont ensuite étendues vers l'est, reprenant l'héritage mongol et fondant la conscience multiethnique, multireligieuse et multinationale qui a caractérisé d'abord l'Empire russe, puis l'URSS. C'est avec l'établissement de cette identité eurasienne que se sont formées les trois branches des Slaves orientaux : russe, ukrainienne et biélorusse.

Les Russes d'origine, ceux de la Rus' de Kiev, ont rapidement été soumis aux influences occidentales, notamment polonaises : d'où la genèse de la distinction que l'on opère généralement en étudiant les Slaves de l'Est.

La force motrice de l'Empire russe serait le groupe ethnique des Russes orientaux, doté d'une noblesse, d'une armée et de structures étatiques.

 Les futurs Ukrainiens et Biélorusses, quant à eux, seraient pour la plupart devenus des serfs de la noblesse polonaise. Ces peuples paysans n'ont pas développé une culture écrite de haut niveau avant le 19e siècle. Une fois que les territoires ukrainiens ont été réintégrés dans la structure de l'État russe, l'identité originale a été restaurée. C'est du moins le point de vue russe, parfois en désaccord avec une perception nationaliste ukrainienne. Cette dernière identité est cependant très récente - elle s'est développée au cours du XIXe siècle - et répond à des revendications de décentralisation et de pluralisme local qui, après une répression sans doute sévère, ont été reconnues par l'URSS, au nom d'une idéologie fédéraliste. La structure étatique de l'Ukraine n'a donc émergé qu'en 1922 en tant que république socialiste. Elle n'incluait pas la Crimée, qui est restée partie intégrante de la Russie jusqu'en 1954, avec le don symbolique de Chruščëv.

i__id7412_mw300_mh500__1x.jpgL'Ukraine avait aussi paradoxalement une majorité linguistique russe. La question ethnique est également complexe. Aldo Ferarri a fait remarquer qu'il n'est pas facile de faire des distinctions au sein des trois groupes qui composent les Slaves orientaux, qui sont si semblables d'un point de vue génétique, linguistique - l'ukrainien et le russe se ressemblent, beaucoup d'Ukrainiens parlent même mieux le russe et un dialecte est même apparu qui mélange les deux langues - et religieux - Ukrainiens et Russes sont tous deux orthodoxes (même si dans l'ouest de l'Ukraine il y a l'Église uniate, c'est-à-dire une Église d'Europe de l'Est qui est revenue à la communion avec le Saint-Siège). Il existe également de nombreux mariages mixtes, qui font que la distinction entre Russes et Ukrainiens n'est pas plus facile que celle entre Emiliens et Romagnols - selon une comparaison effectuée par Ferrari lui-même.

Une approche généologique du problème - selon la meilleure leçon nietzschéenne - ne peut que mettre en évidence le lien historique et culturel séculaire - de Kultur, en somme - existant entre l'Ukraine et la Russie. L'Ukraine est certes un territoire liminaire, tourné vers l'Europe, mais elle ne peut y être indifféremment intégrée sans déraciner violemment le lien traditionnel avec Moscou.

Cette conscience historique doit également porter sur les événements les plus récents. Ils révèlent une division radicale de l'Ukraine en ses composantes occidentale et orientale. Si dans l'ensemble du pays la matrice russe est indélébile, la perception de soi des communautés ukrainiennes est indubitablement hétérogène.

Source initiale: http://news.russia.it/l-ucraina-tra-radici-russe-e-influssi-polacco-occi...

vendredi, 15 juillet 2022

Révolution et terreur au pied de la Bastille

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Révolution et terreur au pied de la Bastille

Le livre d'Albert Savine, Prigioni di Francia sotto il terrore (Prisons de France sous la Terreur), introduit par Giovanni Damiano, fait la lumière sur une période historique controversée.

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/105294-rivoluzione-e-terrore-ai-piedi-della-bastiglia/

9791280190246_0_536_0_75-306x500.jpgBeaucoup a été écrit et dit sur la Révolution française. C'est un événement paradigmatique de l'histoire, un moment culminant de l'avènement du monde moderne. Maintenant sur les étagères des éditions OAKS, nous trouvons un volume qui permet au lecteur d'avoir un aperçu complet de ce tournant décisif. Nous nous référons au livre d'Albert Savine, Prisons de France sous la Terreur, présenté par Giovanni Damiano (sur commande : info@oakseditrice.it, 236 pages, euro 20,00). L'auteur, qui a vécu entre le milieu du XIXe siècle et les trois premières décennies du XXe siècle, était un traducteur hors pair. Une fois installé à Paris, il a fondé une importante maison d'édition qui rendait compte avec précision de l'atmosphère culturelle et politique de cette période historique. Le catalogue de cette maison d'édition, écrit Damiano, "a fini par refléter ce monde magmatique dans lequel l'antisémitisme, le socialisme non marxiste et le boulangisme se rencontraient et se mêlaient" (p. II). En outre, il est bien connu que le boulangisme était un phénomène transversal qui a montré comment, dans des contextes historiques donnés, "les masses populaires peuvent facilement soutenir un mouvement qui tire ses valeurs sociales de la gauche et ses valeurs politiques de la droite" (p. III). Peu de temps après, l'histoire européenne allait confirmer cette intuition à grande échelle.

Le livre de Savine dresse un tableau très intéressant des années de la Terreur en France, tant sur le plan historique que littéral. Le récit s'ouvre sur l'assaut révolutionnaire du château de Chantilly : l'auteur y fait ressortir, avec un rare talent descriptif, la volonté radicalement iconoclaste des assaillants, animés par la haine de classe et le rejet de la beauté. De plus, l'ensemble du récit a pour lieu électif, les prisons. La Révolution française a été inaugurée par la prise de la Bastille, la prison de l'Ancien Régime, et clôturée par les détentions massives et les massacres de la Terreur jacobine. La prison n'était pas seulement le symbole quintessentiel de la Révolution, mais "l'épicentre, à Paris, d'une campagne paranoïaque et conspirationniste qui est entrée dans l'histoire sous le nom de Conspiration des prisons" (pp. XXII-XIII). Le livre que nous présentons fait la lumière sur les années de la Terreur dans les provinces françaises, en attirant l'attention du lecteur à la fois sur les persécutés, auxquels il accorde enfin la dignité humaine, mais aussi sur les persécuteurs, dont il décrit en détail les ressorts intérieurs et les motivations idéales.

L'intérêt de Savine se porte sur ce qui s'est passé à Arras, Lyon, Nantes mais aussi dans le Midi, où des centaines de condamnations à mort ont été enregistrées jusqu'en 1794. Les deux tribunaux révolutionnaires du Nord, à Arras et Cambrai, sont dirigés par Joseph Lebon. Leurs sentences ont conduit plus de cinq cents personnes à la guillotine. Savine décrit la psychologie perverse d'un accusateur public d'Arras, le fanatique Augustin Darthé qui, ayant paradoxalement échappé à la réaction thermidorienne, finit par être guillotiné en 1797. Lyon, pour sa rébellion de 1793 contre le gouvernement jacobin, a subi une dévastation "carthaginoise". Plus de deux mille personnes ont été exécutées, le nom de la ville a été changé en Ville Affranchie. Elle devait être rasée et reconstruite à partir de zéro comme une ville modèle de la révolution. Les prisonniers vendéens sont emmenés à Nantes, et leur triste fin par noyades collectives dans la Loire, est racontée en termes réalistes et dramatiques.

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Ces pages amènent le lecteur à réfléchir sur l'issue de la Révolution. De nombreux exégètes et historiens, rappelle Damiano, ont remis en question la relation entre l'événement révolutionnaire lui-même et la Terreur. Des libéraux comme Constant, des penseurs contre-révolutionnaires et des universitaires marxistes l'ont fait. À cet égard, il faut tout d'abord tenir compte de l'avertissement de Furet : "toute lecture "fataliste" de la Terreur doit être rejetée" (p. XIII). À la lumière de la conception ouverte de l'histoire, Damiano estime que la Terreur était l'une des histoires possibles que la révolution aurait pu traverser. Par conséquent, les "nécessitaristes" historiques contre-révolutionnaires ont tout autant tort que les libéraux comme Constant. La Terreur n'a pas été un déraillement irrationnel de la révolution. Au contraire, elle répond à la logique révolutionnaire, lorsqu'elle est comprise correctement comme un "état d'exception permanent" (p. XIV).  En bref, ce qui édicte la Terreur, ce qui produit l'exception, c'est "cette exception qu'est la révolution elle-même " (p. XIV). Cet événement est doté d'une énergie politique autonome : le jacobinisme et la Terreur se tiennent mutuellement.

Ils étaient des exemples paradigmatiques des résultats de l'utopisme. La société que les Jacobins voulaient réaliser était un "monde paradoxalement transparent". La société des "vertueux" théorisée par Rousseau dans Julie ou La nouvelle Héloïse, est le lieu de la restauration de la bonté originelle, du naturel perdu, donc un espace non conflictuel, pré-politique. La "vertu" des Jacobins est très différente de la "vertu" éminemment politique de Machiavel. Les Jacobins voulaient "moraliser" la dimension civile et étaient prêts à le faire même par l'usage indiscriminé de la violence, comme le montre la période de la Terreur. Ils sont le produit le plus typique de l'utopisme du XVIIIe siècle qui, après avoir conquis la dimension temporelle par rapport aux utopies de la Renaissance, décline en termes de philosophie de l'histoire, en termes de futurisme.   

Dans sa phase actuelle, l'utopisme a revêtu d'autres masques, mais au fond, il est animé par les mêmes idéaux qu'alors. Pour cette raison, les pages de Savine peuvent être des contre-poisons significatifs aux maux contemporains.

19:26 Publié dans Histoire, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, révolution française, terreur, prisons, livre | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 14 juillet 2022

Thucydide, Athènes et notre empire anglo-américain

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Thucydide, Athènes et notre empire anglo-américain

Nicolas Bonnal (2019)

Après beaucoup d’autres, la Turquie membre de l’OTAN et deuxième armée du vieux débris n’obéit plus à l’empire sémiotique et thalassocratique anglo-saxon, et elle se réunit au grand projet eurasien. Petit cap de l’Asie occupé depuis 1945, l’Europe libérale poursuivra peut-être sa voie dans l’anéantissement. 

Mais voyons Thucydide. 

Rien ne ressemble à nos Etats-Unis bien-aimés comme l’Athènes de Thucydide, si enjolivée par les historiens, et qui dévasta et terrorisa la Grèce pendant presque un siècle après les trop célébrées « guerres médiques » (cf. la victoire en solo contre l’Allemagne ou le « jour du débarquement »). Aucun tribut, aucune brutalité ne furent épargnés aux habitants de Mytilène, de Chio ou de Mélos, par nos démocrates devenus fous, et qui ne s’arrêtèrent pas en si bon chemin, même après la raclée de Syracuse. 

L’arrogance messianique américaine (« la nation indispensable ») trouve aussi un original dans le discours de Périclès : « nous sommes la nation modèle, nous sommes la seule démocratie, vous n’êtes rien ou pas grand-chose », etc. Périclès innove aussi en imposant à ses auditeurs rétribués (le peuple se fait payer en effet pour accomplir sa tâche démocratique) la guerre préventive contre Sparte, et il montrera aux malheureux hellènes que les démocrates n’ont rien à envier aux barbares pour les raffinements de cruauté. Périclès déclare même (livre I, CXLIII.) : « Ne laissez pas subsister en vous le remords d'avoir fait la guerre pour un motif futile. Car c'est de cette affaire soi-disant sans importance que dépendent l'affirmation et la preuve de votre caractère… »

Et d’ajouter avant nos anglo-américains : « La maîtrise de la mer (thalasses kratos ) est fondamentale (mega gar) »

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Mais on reprendra les discours des athéniens et des méléiens, sommet de Thucydide et sans doute de l’histoire-matière ; c’est La Fontaine expliqué enfin aux grandes personnes.

Livre V de la Guerre du Péloponnèse :

LXXXIX. - Les Athéniens. De notre côté, nous n'emploierons pas de belles phrases ; nous ne soutiendrons pas que notre domination est juste, parce que nous avons défait les Mèdes ; que notre expédition contre vous a pour but de venger les torts que vous nous avez fait subir. Fi de ces longs discours qui n'éveillent que la méfiance ! Mais de votre côté, ne vous imaginez pas nous convaincre, en soutenant que c'est en qualité de colons de Lacédémone que vous avez refusé de faire campagne avec nous et que vous n'avez aucun tort envers Athènes. »

Nietzsche admirait la dimension sophiste de Thucydide. Je ne suis pas d’accord. Thucydide n’aimait pas Cléon, qui était leur disciple. Thucydide comprend surtout que les Athéniens deviennent des gangsters comme l’empire finissant américain, gangsters qui ont la bombe, que n’avaient pas les Grecs, je ne l’oublie pas. Les Athéniens se sentent protégés et invincibles :

XCI. - Les Athéniens. En admettant que notre domination doive cesser, nous n'en appréhendons pas la fin. Ce ne sont pas les peuples qui ont un empire, comme les Lacédémoniens, qui sont redoutables aux vaincus (d'ailleurs, ce n'est pas contre les Lacédémoniens qu'ici nous luttons), mais ce sont les sujets, lorsqu'ils attaquent leurs anciens maîtres et réussissent à les vaincre. Si du reste nous sommes en danger de ce côté, cela nous regarde ! Nous sommes ici, comme nous allons vous le prouver, pour consolider notre empire et pour sauver votre ville. Nous voulons établir notre domination sur vous sans qu'il nous en coûte de peine et, dans notre intérêt commun, assurer votre salut. »

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On menace méchamment comme Bolton :

XCII. - Les Méliens. Et comment pourrons-nous avoir le même intérêt, nous à devenir esclaves, vous à être les maîtres ?

XCIII. - Les Athéniens. Vous auriez tout intérêt à vous soumettre avant de subir les pires malheurs et nous, nous aurions avantage à ne pas vous faire périr.

XCIV. - Les Méliens. Si nous restions tranquilles en paix avec vous et non en guerre sans prendre parti, vous n'admettriez pas cette attitude ?

XCV. - Les Athéniens.Non, votre hostilité nous fait moins de tort que votre neutralité ; celle-ci est aux yeux de nos sujets une preuve de notre faiblesse ; celle-là un témoignage de notre puissance. »

Retenez-la celle-là : votre hostilité nous fait moins de tort que votre neutralité. Jusqu’où faudra-t-il se soumettre ?

Emmanuel Todd a rappelé que l’empire s’attaque à des petits pays périphériques. Idem pour Athènes :

XCIX. - Les Athéniens. Nullement ; les peuples les plus redoutables, à notre avis, ne sont pas ceux du continent ; libres encore, il leur faudra beaucoup de temps pour se mettre en garde contre nous. Ceux que nous craignons, ce sont les insulaires indépendants comme vous l'êtes et ceux qui déjà regimbent contre une domination nécessaire.Ce sont eux qui, en se livrant sans réserve à des espérances irréfléchies, risquent de nous précipiter avec eux dans des dangers trop visibles. »

Le discours est superbe et les athéniens presque généreux. Evitez le martyre, vous afghans, irakiens, libyens, iraniens, yéménites :

CIII. - Les Athéniens. L'espérance stimule dans le danger ; on peut, quand on a la supériorité, se confier à elle ; elle est alors susceptible de nuire, mais sans causer notre perte. Mais ceux qui confient à un coup de dés tout leur avoir - car l'espérance est naturellement prodigue - n'en reconnaissent la vanité que par les revers qu'elle leur suscite et, quand on l'a découverte, elle ne laisse plus aucun moyen de se garantir contre ses traîtrises. Vous êtes faibles, vous n'avez qu'une chance à courir ; ne tombez pas dans cette erreur ; ne faites pas comme tant d'autres qui, tout en pouvant encore se sauver par des moyens humains, se sentent sous le poids du malheur trahis par des espérances fondées sur des réalités visibles et recherchent des secours invisibles, prédictions, oracles et toutes autres pratiques, qui en entretenant leurs espérances causent finalement leur perte. »

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Rassurons les bourgeois du Monde, du Figaro et de BFM. Dieu est bourgeois, et il est aussi américain qu’athénien. On en veut pour preuve cette envolée suivante :

CV. - Les Athéniens. Nous ne craignons pas non plus que la bienveillance divine nous fasse défaut. Nous ne souhaitons ni n'accomplissons rien qui ne s'accorde avec l'idée que les hommes se font de la divinité, rien qui ne cadre avec les prétentions humaines. Les dieux, d'après notre opinion, et les hommes, d'après notre connaissance des réalités, tendent, selon une nécessité de leur nature, à la domination partout où leurs forces prévalent.Ce n'est pas nous qui avons établi cette loi et nous ne sommes pas non plus les premiers à l'appliquer. Elle était en pratique avant nous ; elle subsistera à jamais après nous. Nous en profitons, bien convaincus que vous, comme les autres, si vous aviez notre puissance, vous ne vous comporteriez pas autrement. Du côté de la divinité, selon toute probabilité, nous ne craignons pas d'être mis en état d'infériorité. »

Dans la tyrannie un seul homme se prend pour Dieu. Dans la démocratie, tout le système politique.

Les Méléiens finissent martyrs :

Vers la même époque les Méliens enlevèrent une autre partie de la circonvallation, où les Athéniens n'avaient que peu de troupes. Puis arriva d'Athènes une seconde expédition commandée par Philokratès fils de Déméas. Dès lors le siège fut mené avec vigueur ; la trahison s'en mêlant, les Méliens se rendirent à discrétion aux Athéniens. Ceux-ci massacrèrent tous les adultes et réduisirent en esclavage les femmes et les enfants. Dès lors, ils occupèrent l'île où ils envoyèrent ensuite cinq cents colons. »

Athènes est tellement insupportable qu’on se range autour de Sparte et qu’on rappelle même les Perses. Note du traducteur Talbot :

« Sparte, soutenue par les Perses, confia le commandement de ses troupes à Lysandre. Elle fut d'abord vaincue à la bataille des îles Arginuses, mais Lysandre infligea aux Athéniens la défaite décisive d'Ægos-Potamos ; puis il s'empara du Pirée et d'Athènes. Athènes dut signer la paix. Son empire fut entièrement détruit (404). Le récit de ces événements se trouve dans les Helléniques de Xénophon, dont l'œuvre était considérée dans l'antiquité comme un supplément à celle de Thucydide. »

Justement on va vous le citer Xénophon toujours grâce à Wikisource (ou à Remacle.org). C’est dans les Helléniques, livre 2 :

6. Toute la Grèce aussi, immédiatement après le combat naval, avait abandonné le parti des Athéniens, à l'exception des Sauriens, qui, après avoir massacré les notables, se maintinrent maîtres de la ville. 

7. Après cela, Lysandre envoya des messagers à Agis, à Décélie, et à Lacédémone, pour annoncer qu'il revenait avec deux cents navires. Alors les Lacédémoniens sortirent en masse avec les autres Péloponnésiens, sauf les Argiens, sur l'ordre de Pausanias, l'autre roi de Sparte. 

8. Quand ils furent tous réunis, Pausanias les conduisit contre Athènes et campa dans le gymnase appelé Académie. 

9. Lysandre étant venu à Égine, rendit la ville aux Éginètes, après en avoir assemblé le plus qu'il put. Il en fit autant pour les Mèliens et pour tous les autres qui avaient été chassés de leur patrie. Ensuite, ayant ravagé Salamine, il vint mouiller près du Pirée avec cent cinquante vaisseaux et il empêcha les transports d'y entrer. 

10. Les Athéniens, assiégés par terre et par mer, ne savaient que faire, n'ayant ni vaisseaux, ni alliés, ni blé. Ils ne voyaient pas d'autre moyen de salut que de se résigner à subir ce qu'ils avaient fait, non par vengeance, mais par une arrogance criminelle, aux citoyens des petits États, sans autre grief que leur alliance avec Lacédémone. »

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Mais les Spartiates seront moins cruels que les Athéniens. Toujours Xénophon :

« 20. Mais les Lacédémoniens déclarèrent qu'ils ne réduiraient pas en servitude une ville grecque qui avait rendu un grand service à la Grèce, quand elle était menacée des plus grands dangers, et ils firent la paix à condition que les Athéniens abattraient les Longs Murs et les fortifications du Pirée, qu'ils livreraient leurs vaisseaux, sauf douze, rappelleraient les exilés, reconnaîtraient pour ennemis et pour amis ceux de Lacédémone et suivraient les Lacédémoniens sur terre et sur mer partout où ils les conduiraient. 

21. Théramène et ses collègues rapportèrent ces conditions à Athènes. À leur entrée, ils se virent entourés d'une foule immense, qui craignait de les voir revenir sans avoir rien conclu; car il n'était plus possible de tenir, vu le nombre de ceux qui mouraient de faim. 

22. Le lendemain, les ambassadeurs annoncèrent à quelles conditions les Lacédémoniens accordaient la paix. Théramène porta la parole et déclara qu'il fallait se soumettre aux Lacédémoniens et abattre les murs. Quelques-uns protestèrent; mais l'immense majorité l'approuva et l'on décida d'accepter la paix. 

23. Après cela, Lysandre pénétra dans le Pirée, les exilés rentrèrent et l'on sapa les murs au son des flûtes avec un enthousiasme extrême, s'imaginant que ce jour inaugurait pour la Grèce une ère de liberté. »

La démocratie, cela finira par se savoir un jour, n’assure ni la liberté de sa population ni celle des pays lointains, surtout quand elle devient impérialiste : voyez l’Angleterre où la démocratie parlementaire fut toujours un self-service oligarchique, ploutocratique, impérial. 

La suite à la prochaine croisade démocratique, et la conclusion à Périclès qui voyait la gaffe venir dans le discours cité plus haut : « Car je redoute nos propres fautes plus que les desseins de nos ennemis. »

Le monde libre peut se féliciter aujourd’hui que l’Amérique ait au pouvoir des zélotes tératologiques tels que Trump, Bolton et le pompeux Pompeo – si bien nommé. Encore un effort, camarades, et nous dormirons tranquilles...

Sources

Thucydide – La Guerre du Péloponnèse (Wikisource.org)

Xénophon – Helléniques (Remacle.org)

Emmanuel Todd – Après l’empire  (Gallimard)