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dimanche, 05 mars 2023

De la Déclaration d'Indépendance américaine au totalitarisme US

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De la Déclaration d'Indépendance américaine au totalitarisme US

par Nicolas Bonnal

Il faut relire ou découvrir ce texte important qui reproche au pouvoir (britannique ici) ses excès : il a été écrit par un libertarien nommé Jefferson qui l'a même traduit en français. Voici pourquoi il faut se révolter selon lui :

« Lorsque, dans le cours des événements humains, il devient nécessaire pour un peuple de dissoudre les liens politiques qui l'ont attaché à un autre et de prendre, parmi les puissances de la Terre, la place séparée et égale à laquelle les lois de la nature et du Dieu de la nature lui donnent droit, le respect dû à l'opinion de l'humanité oblige à déclarer les causes qui le déterminent à la séparation. »

On pourrait en prendre de la graine.

Murray Rothbard a dit justement que la Guerre d'Indépendance était la seule guerre justifiée des USA. Depuis il y en a eu quelques centaines et il y a eu de fantastiques abus d'un pouvoir caractéristique de ce que Jouvenel a appelé la démocratie totalitaire. L'administration Biden est la plus folle de toute l'Histoire du monde, qui nous promet une apocalypse guerrière, vaccinale, écologiste, financière, c'est selon.

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Jefferson comme saint Thomas d'Aquin (voyez mon recueil sur le christianisme traditionnel) légitime la révolte contre la tyrannie :

« Mais lorsqu'une longue suite d'abus et d'usurpations, tendant invariablement au même but, marque le dessein de les soumettre au despotisme absolu, il est de leur droit, il est de leur devoir de rejeter un tel gouvernement et de pourvoir, par de nouvelles sauvegardes, à leur sécurité future. Telle a été la patience de ces Colonies, et telle est aujourd'hui la nécessité qui les force à changer leurs anciens systèmes de gouvernement. L'histoire du roi actuel de Grande-Bretagne est l'histoire d'une série d'injustices et d'usurpations répétées, qui toutes avaient pour but direct l'établissement d'une tyrannie absolue sur ces États. »

Chose amusante, dans ce court texte de trois pages, Jefferson dénonce l'intervention de l'Etat britannique en matière migratoire :

« Il a cherché à mettre obstacle à l'accroissement de la population de ces États. Dans ce but, il a mis empêchement à l'exécution des lois pour la naturalisation des étrangers; il a refusé d'en rendre d'autres pour encourager leur émigration dans ces contrées, et il a élevé les conditions pour les nouvelles acquisitions de terres. »

Les juges ont peu de pouvoirs :

« Il a entravé l'administration de la justice en refusant sa sanction à des lois pour l'établissement de pouvoirs judiciaires. Il a rendu les juges dépendants de sa seule volonté, pour la durée de leurs offices et pour le taux et le paiement de leurs appointements. »

Intéressant le pullulement de fonctionnaires dont a parlé très bien Tocqueville pour la France (et Marx aussi dans son Dix-Huit Brumaire) :

« Il a créé une multitude d'emplois et envoyé dans ce pays des essaims de nouveaux employés pour vexer notre peuple et dévorer sa substance. Il a entretenu parmi nous, en temps de paix, des armées permanentes sans le consentement de nos législatures. Il a affecté de rendre le pouvoir militaire indépendant de l'autorité civile et même supérieur à elle. »

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Jefferson fait allusion aux mercenaires étrangers :

« En ce moment même, il transporte de grandes armées de mercenaires étrangers pour accomplir l'oeuvre de mort, de désolation et de tyrannie qui a été commencée avec des circonstances de cruauté et de perfidie dont on aurait peine à trouver des exemples dans les siècles les plus barbares, et qui sont tout à fait indignes du chef d'une nation civilisée. »

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Au passage il écorche les Indiens connus pour leur cruauté vis-à-vis des femmes et des enfants (voir le texte de mon ami Fred Reed sur unz.com) :

« Il a excité parmi nous l'insurrection domestique, et il a cherché à attirer sur les habitants de nos frontières les Indiens, ces sauvages sans pitié, dont la manière bien connue de faire la guerre est de tout massacrer, sans distinction d'âge, de sexe ni de condition. »

Jefferson rappelle ses efforts :

« Dans tout le cours de ces oppressions, nous avons demandé justice dans les termes les plus humbles ; nos pétitions répétées n'ont reçu pour réponse que des injustices répétées. Un prince dont le caractère est ainsi marqué par les actions qui peuvent signaler un tyran est impropre à gouverner un peuple libre. »

Jefferson a aussi essayé d'influencer les Anglais ; en vain (voir les textes féroces de Samuel Johnson à ce propos) :

« Nous avons fait appel à leur justice et à leur magnanimité naturelle, et nous les avons conjurés, au nom des liens d'une commune origine, de désavouer ces usurpations qui devaient inévitablement interrompre notre liaison et nos bons rapports. Eux aussi ont été sourds à la voix de la raison et de la consanguinité. Nous devons donc nous rendre à la nécessité qui commande notre séparation et les regarder, de même que le reste de l'humanité, comme des ennemis dans la guerre et des amis dans la paix. »

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Le résultat c'est l'indépendance avec l'aide d'une France monarchique qui aurait mieux fait de ne pas s'en mêler et l'apparition de l'Etat le plus tentaculaire, omniprésent et belliqueux de l'Histoire du monde. Jefferson fit plusieurs guerres, créa West Point (voyez le recueil Reassessing the Presidency, qui nuance bien les actions de ce personnage) et acheta – pour une poignée de figues - la Louisiane qu'il aurait pu nous voler facilement plus tard.

Maintenant la question à mille milliards de dollars (une bagatelle par les temps qui courent) : la déclaration des pères fondateurs planteurs et esclavagistes en valait-elle la peine ? Certainement pas.

Nul dans notre communauté ne va contester la nuisance américaine. La surprise est venue cette fois d'Amérique.

Un article d’Adam Gopnik dans The New Yorker avait mis en rage en 2017 les énergumènes de Prisonplanet.com. Il ne faisait pourtant que reprendre à sa manière gauchiste les arguments des libertariens et de quelques traditionalistes sur une question importante : l’existence-même des USA, pays qui tyrannise et menace la planète par sa technologie, son dollar et ses armées toujours en guerre.

Nous aurions pu être le Canada. We could have been Canada.

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Résumons sa thèse :

On n’avait donc pas besoin de faire une guerre d’indépendance cruelle et dangereuse contre l’Angleterre. L’Amérique aurait été moins peuplée, serait restée un dominion tranquille comme le Canada et l’Australie, et l’Angleterre aurait continué de trôner pragmatiquement sur le monde. L’Allemagne n’aurait bien sûr pas osé la défier, et nous n’aurions pas connu les horreurs mondiales de nos guerres germano-britanniques.

Gopnik ajoute qu’on aurait aboli l’esclavage sans passer par cette folle et sanglante guerre de Sécession si typiquement américaine ; du reste les USA créent des guerres civiles partout : au Vietnam, en Corée, en Russie, en Ukraine, en Europe, en Amérique du Sud, etc.

Enfin l’Angleterre a aboli pacifiquement dans la foulée de sa révolution industrielle l’esclavage dans toutes ses colonies. Je pense aussi qu’il y aurait eu une immigration essentiellement anglo-irlandaise dans ce grand pays, et cela aurait été mieux. Je suis arrivé à cette conclusion en lisant Poe, Melville, Kipling, Grant, Stoddard, Ross et quelques autres. Les guerres américaines créèrent le bolchevisme puis le fascisme et le nazisme en Europe (dixit de Gaulle à Harry Hopkins). L'Amérique a aussi créé l'OTAN et la structure totalitaire européenne.

Courage, nous ne sommes pas au bout de nos peines !

Sources :

« We could have been Canada » – The New Yorker – 15 mai 2017

Samuel Johnson – The Patriot (1774)

Nicolas Bonnal – La culture comme arme de destruction massive (Amazon_Kindle)

https://www.newyorker.com/magazine/2017/05/15/we-could-ha...

https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/French-t...

https://cdn.mises.org/Reassessing%20the%20Presidency_0.pdf

 

samedi, 04 mars 2023

Edward Law, le pionnier du Grand Jeu

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Edward Law, le pionnier du Grand Jeu

Emanuel Pietrobon

Source: https://it.insideover.com/schede/storia/edward-law-il-pio...

L'histoire, disait le philosophe Friedrich Nietzsche, est l'éternel retour du même. Un cycle qui se répète sans fin, où les mêmes événements ont tendance à réapparaître périodiquement sous une forme nouvelle ou déguisée. Un cycle duquel sortent de grands hommes dont les actes restent éternellement imprimés dans l'histoire pour guider les pas de ceux qui viendront après. Un cycle qui ne s'arrêtera jamais, car il est tout simplement inarrêtable.

Aujourd'hui comme hier, demain comme toujours, la dure loi de l'éternel retour du même écrit le présent des contemporains et dessine l'avenir de la postérité. Car notre présent, en effet, est l'ère des grands remakes géopolitiques: des nouvelles guerres russo-turques à la Guerre froide 2.0, en passant par la réédition de la course à l'Afrique et la renaissance du Grand Jeu en Asie centrale. Et ce dernier, le Grand Jeu 2.0, qui, par rapport au passé, est teinté de multipolarité, pourrait être mieux, compris, compris plus profondément en redécouvrant l'un des personnages qui a dominé sa version première : Edward Law, le premier comte d'Ellenborough.

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Origines et éducation

Edward Law (tableau) est né à Londres le 8 septembre 1790. Fils d'artiste - son père était le célèbre Edward Law, MP, baron et Lord Chief Justice de la Cour d'Angleterre et du Pays de Galles -, Law est élevé dans un environnement aristocratique et reçoit une éducation de haut niveau. Il a été formé au Collège d'Eton et au Saint John's College de Cambridge - deux des institutions les plus prestigieuses du Royaume-Uni - où il a été initié aux arts de la politique et de la diplomatie.

En 1812, à seulement vingt-deux ans, le jeune Law entre en politique en portant la chemise des Tories, conservateurs fermement convaincus de la suprématie de l'anglicanisme sur le catholicisme et de la supériorité du pouvoir royal sur le pouvoir parlementaire. Après un premier passage de deux ans en tant que représentant d'un bourg pourri de Cornouailles, qui lui permet d'entrer à la Chambre des communes, il hérite en 1818 à la fois d'un siège à la Chambre des lords et du titre de baron de son père, décédé entre-temps.

Le Grand Jeu

En 1828, après avoir passé exactement une décennie à s'occuper de politique intérieure, Law est nommé Lord Keeper of the Privy Seal par le Premier ministre de l'époque, Arthur Wellesley, également connu sous le nom de Duc de Wellington, et commence à servir au sein du gouvernement en tant que conseiller en affaires étrangères.

Et c'est le duc de Wellington, un homme formé sur les champs de bataille et contre Napoléon, qui aurait entrevu quelque chose en Law : du talent, un sens aigu de la politique internationale. Placé à la tête de la commission de contrôle de l'East India Company, la longa manus de Londres la plus puissante au monde, Law aurait fait preuve d'une incroyable capacité à comprendre les affaires asiatiques, à en saisir la complexité et à soutenir le duc dans la défense des intérêts de la Couronne.

C'est Law, par exemple, qui a compris le caractère de pivot du territoire sous-continental de l'Inde, suggérant au duc de Wellington que sa souveraineté soit transférée de la Compagnie des Indes orientales à la Couronne. Et c'est également Law qui, sur fond d'études à distance de l'Inde, confia à son ami et explorateur Alexander Burnes la mission de visiter l'Asie centrale, inconnue et sauvage, pour tenter de comprendre pourquoi les tsars s'intéressaient tant à son sort (et à son contrôle).

Law allait bientôt s'avérer être le bon homme au bon endroit et au bon moment : le moment où le Grand Jeu a commencé. Fort de la confiance placée en lui par le duc de Wellington, ainsi que de son rôle puissant au sein de la Compagnie des Indes orientales, Law devint l'écrivain de l'ombre du programme de politique étrangère de la Couronne pour l'Asie centrale et l'Indo-Sphère.

Law avait compris une vérité jusqu'alors ignorée par ses compatriotes : l'Empire russe s'étendait dans la sulfureuse et chaotique Asie centrale dans le but d'atteindre l'Inde. Car le rêve caché de tous les souverains de la Troisième Rome, depuis l'époque pré-tsariste, avait toujours été le même : un débouché vers une mer chaude. Et l'Inde, désir des grands dirigeants depuis l'époque d'Alexandre le Grand, représentait l'un des débouchés chauds les plus géostratégiques du supercontinent.

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L'habile stratège avait eu une révélation sur la manière d'empêcher les tsars d'étendre leurs tentacules sur l'Inde, pomme d'or de l'Empire britannique, et de gagner le Grand Jeu qui venait de naître. Une illumination qui fut accueillie favorablement par les dirigeants impériaux et qui reposait essentiellement sur les éléments suivants : la maîtrise de l'Afghanistan, l'anglicisation culturelle du dominion indien, la diplomatie secrète et le recours à des alliances impromptues, toujours anti-russes, avec les seigneurs du désert d'Asie centrale.

Law ne vivra pas assez longtemps pour assister à la conclusion de la plus importante confrontation hégémonique russo-britannique de l'histoire, mais il sera témoin de la concrétisation progressive de sa stratégie : les missions secrètes de Burnes entre l'Asie centrale et le sous-continent indien, l'expédition de Kaboul de 1842, les parties d'échecs avec les émirs afghans Dost Mahommed Khan et Shah Shujah Durrani et, enfin et surtout, l'instrumentalisation des différences interreligieuses et interethniques en Inde dans le but d'affaiblir les familles royales autochtones et de consolider l'hégémonie britannique.

La pertinence de la pensée de Law

En 1844, de retour d'une Asie (temporairement) pacifiée par la guerre, il reçoit une série de récompenses pour ses services à la Couronne, dont le titre de comte d'Ellenborough et la Grand-Croix de l'Ordre de Bath. Il passera les années suivantes à se battre chez lui pour la réduction de l'autonomie de la Compagnie des Indes orientales, pour la poursuite de l'assujettissement de l'Inde et pour attiser les esprits dans le turbulent Turkestan dans une visée anti-russe, consacrant son temps libre à la rédaction d'œuvres monumentales axées sur l'univers civilisationnel indien.

Il meurt en 1871, à l'âge avancé de quatre-vingt-un ans, laissant à la postérité un héritage inestimable en termes de clairvoyance politique et de stratégie diplomatique. Car aujourd'hui, à l'ère du Grand Jeu 2.0, l'ombre du comte d'Ellenborough plane de façon terrifiante sur ces terres indomptées qui s'étendent de Samarcande à Calcutta. Des terres qui, comme l'a montré le droit, peuvent s'avérer plus productives en étant instables qu'en étant stables. Des terres dont la déstabilisation hétérogène a servi et sert encore un large éventail d'objectifs : de l'endiguement de la Russie en tirant parti du tribalisme islamique dans les steppes d'Asie centrale à la réduction des ambitions de grandeur de la puissante mais fragile Inde.

Des terres, celles qui s'étendent de Samarkand à Calcutta, sans négliger le Caucase qui, hier comme aujourd'hui, et demain comme toujours, sont et seront les tranchées dans lesquelles les thalassocraties atlantiques et les tellurocraties eurasiennes se battent et se battront éternellement pour l'hégémonisation de l'île-monde.

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dimanche, 05 février 2023

Le Dictionnaire de l'Europe d'Yves Tissier: une source inépuisable d’érudition

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Le Dictionnaire de l'Europe d'Yves Tissier: une source inépuisable d’érudition

par Georges FELTIN-TRACOL

Il faut parfois savoir prendre du recul par rapport aux cadences chaotiques de l’actualité et évoquer les outils avec lesquels il importe de comprendre le monde et son temps. En 2008, les éditions Vuibert réimprimaient pour la troisième fois un travail original d’Yves Tissier. Ce lexicographe et historien est l’auteur d’un fantastique Dictionnaire de l’Europe, sous-titré États d’hier et d’aujourd’hui de 1789 à nos jours (716 p., hélas indisponible sauf erreur peut-être chez les bouquinistes en ligne).

Cette gigantesque somme se révèle être pour les chercheurs, les curieux et les érudits une formidable source de renseignements aux confins de l’histoire, du droit, de la géographie et de la diplomatie. L’auteur explique volontiers que « l’étude historique de l’évolution territoriale des États, que l’on nommait autrefois géographie politique, permet d’éclairer les données géopolitiques du monde d’aujourd’hui (p. 3) ».

D’un maniement aisé, ce dictionnaire se divise en quatre parties de taille inégale. La première présente une « Chronologie territoriale de l’Europe (1789 à nos jours) ». La deuxième est la plus longue puisqu’elle étudie « les États existants », de l’Albanie au Vatican en n’oubliant pas Andorre, Monaco et même l’Ordre de Malte. La troisième partie aborde « les États disparus ». Il faut comprendre des « États [qui] ont eu une existence, brève ou longue, entre 1789 et 2008 (p. 551) ». On pense bien sûr à la Tchécoslovaquie, à l’URSS et à la Yougoslavie, mais aussi à la République rauracienne dans le Jura suisse à la fin du XVIIIe siècle ou à la Régence italienne du Quarnero à Fiume. La quatrième et dernière partie regroupe différentes annexes. Il faut en outre mentionner quarante-deux magnifiques cartes en couleurs.

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Cartes et annexes offrent aux curieux francophones des informations complètes habituellement disponibles qu’en anglais, en allemand et en néerlandais. Plusieurs cartes représentent à la veille de la Révolution française la localisation exacte des États héréditaires, des États ecclésiastiques et autres villes libres du Saint-Empire romain germanique. Leur visualisation cartographique confirme le caractère mosaïque de l’ensemble avec des espaces politiques fragmentés, disséminés et enclavés. Les annexes évoquent « les pays réservés de Napoléon Ier » tels le margraviat de Bayreuth « avec son enclave de Caulsdorf en Thuringe » ou les présides de Toscane, « cinq places fortes napolitaines sur le littoral toscan (p. 598) »; le fonctionnement de la Confédération du Rhin (1806 - 1813), puis de la Confédération germanique (1815 – 1866) et de la Confédération de l’Allemagne du Nord (1867 – 1871).

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L’ouvrage comporte une analyse serrée de la notion de « frontières naturelles » à travers des cas de cours d’eau, de montagnes et de mers. D’autres annexes attirent une attention immédiate. « Étrangetés, particularismes et anecdotes en tout genre » rapporte le cas de l’enclave espagnole de Llivia dans le département français des Pyrénées-Orientales ou d’autres incongruités géopolitiques surgies de l’histoire. L’auteur décrit les nombreuses « républiques-sœurs » du Directoire à la fin de la Révolution. Se souvient-on encore de la République ligurienne à Gènes, de la République cisalpine à Bologne, de la République parthénopéenne à Naples ? Il y a un « répertoire de concordance des noms de lieux ». La ville ukrainienne de Lviv s’appelle au cours des âges Lemberg, Leopol, Lwow et Lvov.

La première annexe examine avec maints détails le fonctionnement complexe du Saint-Empire. À côté du Collège électoral de huit membres en 1777 se tiennent le Collège des princes détenteur de cent voix réparties entre le banc ecclésiastique, soit trente-trois voix viriles (individuelles) et deux voix curiales (collectives), et le banc laïque (soixante-et-une voix viriles et quatre voix curiales), et le Collège des villes libres (cinquante-et-une voix) se divisant en « banc rhénan (quatorze voix) » et en « banc souabe (trente-sept voix) ». À cet agencement institutionnel s’ajoutent les dix cercles créés par Charles Quint dont le Cercle de Bourgogne qui correspond à peu près aux pays thiois.

Ouvrage de référence, le Dictionnaire de l’Europe examine la cohérence territoriale des États et la pertinence du tracé de leurs frontières. Ainsi les frontières du Portugal n’ont-elles pas changé depuis son indépendance regagnée en 1640. Mais, en 1801, l’Espagne reçoit le district d’Olivence (Olivença en portugais et Olivenza en espagnol) en Estrémadure sur la rive gauche du Guadiana. Au Congrès de Vienne en 1814 – 1815, Madrid refuse avec vigueur toute rétrocession. Lisbonne continue à en revendiquer la souveraineté. Des responsables politiques portugais considèrent toujours qu’il s’agit de leur Gibraltar.

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On pense que la délimitation du territoire français s’achève en 1860 avec l’annexion de la Savoie et de Nice, nonobstant la particularité de l’Alsace – Moselle entre 1871 et 1945. On oublie que le traité de Paris du 10 octobre 1946 oblige l’Italie à céder à la France « un fragment de territoire au col du Petit-Saint-Bernard, le plateau du Mont-Cenis, le village de Clavière, au-delà du col du Montgenèvre et Tende, La Brigue et les crêtes de Vésubie et de Tinée » entérinée, pour ces quatre derniers lieux, par un plébiscite du 12 octobre 1947. Et dire que la République française avait déclaré la guerre le 3 septembre 1939 pour le maintien de l’intégrité de la Pologne...

Il ne fait aucun doute que la lecture, parfois aléatoire, du Dictionnaire de l’Europe est un véritable régal.     

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 59, mise en ligne le 31 janvier 2023 sur Radio Méridien Zéro.

samedi, 04 février 2023

De la surestimation du Général et du gaullisme

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De la surestimation du Général et du gaullisme

Nicolas Bonnal

La surestimation du gaullisme ne frappe pas assez les bons esprits. Car De Gaulle, c’est la Liberté et la Grandeur de la France, De Gaulle, c’est la prospérité et la voix de la France libre (bis), De Gaulle, c’est une époque bénie… Or dans les années soixante toute l’Europe en voie de destruction se développait.

En fait le gaullisme repose sur une mythologie et une hypnose collective proche de celle de 1789, de Napoléon ou de la République dont le Général se réclama toujours.

Je n’ai aucune envie de m’étendre sur cette question qui mériterait un bon livre  - un de plus... Mais au moins rappelons les faits principaux :

- De Gaulle, c’est une Résistance et une Libération bâclées: voyez par exemple le livre de Kerillis, De Gaulle dictateur. De Gaulle c’est une malédiction portée sur l’extrême-droite collabo et une sanctuarisation de la Résistance dont se réclament tous les escrocs qui nous gouvernent. Ses Mémoires de guerre sont le livre de chevet (au moins officiel) de Macron. De Gaulle c’est aussi l’oubli de la trahison et de la désertion incroyable des communistes qui sont chargés ensuite de cette impayable épuration qui ne cessera jamais.

- De Gaulle, c’est la trahison des pieds noirs et la perte brutale, sanglante et bâclée de l’Algérie (voyez les livres publiés par mon éditeur Dualpha notamment celui de Manuel Gomez).

- De Gaulle, c’est les Trente Glorieuses (disparition des paysans et mauvais traitements des ouvriers) et la destruction de la France rurale traditionnelle, la transformation et l’américanisation d’un Hexagone mué en France défigurée pour reprendre le titre d’une émission célèbre de Michel Péricard, lui-même gaulliste. Comparez Farrebique et Biquefarre.

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- De Gaulle, c’est aussi le début de la massive immigration africaine qui suit la décolonisation ratée – Audiard s’en moque dans son libertaire et jubilatoire Vive la France. Les cinéastes ont bien vu les maléfices en œuvre sous de Gaulle : voyez Weekend ou Deux ou trois choses de Godard sans oublier Alphaville ; voyez Play Time de Jacques Tati, le début de Mélodie en sous-sol...

- Sur le plan des Français, on voit une détérioration du matériel humain: société de consommateurs, d’assistés, de téléphages et d’automobilistes. L’enlaidissement du pays modernisé entraîne l’enlaidissement des gens, la fin de l’élégance parisienne et le déclin de la culture française. Voyez Debord qui rejoint Pierre Etaix. Et ne parlons pas de mai 68, de l’explosion de la pornographie et de la destruction finale de Paris sous Pompidou, ancien laquais de Rothschild (pour ceux qui se plaindraient de l’autre). De Gaulle nous laissa aussi Chirac et Giscard…

- Déclin de la culture? Lisez mon livre sur la comédie musicale. Paris enlaidi cesse d’influencer ou d’inspirer les créateurs américains. Zemmour en parle dans son livre sur la Mélancolie française: Malraux a tourné le dos à la France traditionnelle (Chirac aussi avec ses arts premiers) et africanisé notre culture. Sinistre politique de l’Etat culturel livré au gauchisme (dixit Debré lui-même).

- Enfin sur le plan de la vie politique, on souffre de cette catastrophique constitution et des éternels effets du scrutin majoritaire. On a Macron et on le garde.

- Politique étrangère ? On a gardé l’Otan, l’Europe : quant à la politique arabe…

- On relira avec intérêt notre texte sur Michel Debré qui voyait l’effondrement français arriver avec cette Cinquième. De Gaulle œuvra en destructeur ET en fantôme.

https://nicolasbonnal.wordpress.com/2022/12/27/je-ne-souh...

 

 

 

L’arrière-plan géopolitique de la révolution de 1917

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L’arrière-plan géopolitique de la révolution de 1917

Alexandre Douguine

(extrait du livre Last War of the World-Island, Arktos, 2015)

La fin de la dynastie tsariste ne signifiait pas encore la fin de la Première Guerre mondiale pour la Russie. Et bien que l’une des raisons du renversement des Romanov était les difficultés de la guerre et la tension qu’elle imposait aux ressources humaines, à l’économie et à toute l’infrastructure sociale de la société russe, les forces qui arrivèrent au pouvoir après l’abdication de Nicolas II (le Gouvernement Provisoire [1] constitué principalement sur la base de la franc-maçonnerie de la Douma [2] et des partis bourgeois) continuèrent le cours de la participation de la Russie à la guerre aux cotés de la Triple Entente [3].

Géopolitiquement, ce point est décisif. Nicolas II aussi bien que les partisans de la forme de gouvernement républicaine, démocratique-bourgeoise alignée avec lui étaient orientés vers l’Angleterre et la France ; ils cherchaient à positionner la Russie dans le camp des Etats thalassocratiques. Sur le plan intérieur, il y avait des contradictions irréconciliables entre le modèle monarchique et le modèle démocratique-bourgeois, et l’escalade de ces contradictions conduisit au renversement de la dynastie et de la monarchie. Mais dans l’orientation géopolitique de Nicolas II et du Gouvernement Provisoire, il y avait au contraire une continuité et une succession – une orientation vers la civilisation de la Mer créait une affinité entre eux. Pour le Tsar c’était un choix pratique, et pour les « févriéristes » [4] un choix idéologique, puisque l’Angleterre et la France étaient des régimes bourgeois établis depuis longtemps.

Le 25 février 1917, par un décret impérial, l’activité de la Quatrième Douma d’Etat fut suspendue. Le soir du 27 février, un Comité Provisoire de la Douma d’Etat fut créé dont le président était M. V. Rodzyanko (un octobriste, et président de la Quatrième Douma). Le Comité reprit les fonctions et l’autorité du pouvoir suprême. Le 2 mars 1917, l’Empereur Nicolas II abdiqua, et transféra les droits d’héritage au Grand-duc Mikhail Alexandrovitch [5] qui, à son tour, déclara le 3 mars son intention de n’assumer l’autorité suprême qu’après que la volonté du peuple se fut exprimée dans l’Assemblée Constituante concernant la forme finale que le gouvernement devait prendre.

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Le 2 mars 1917, le Comité Provisoire de la Douma d’Etat forma les premiers services publics. Le nouveau gouvernement annonça des élections pour l’Assemblée Constituante, et une loi démocratique concernant les élections fut adoptée ; il y aurait des élections au suffrage universel, égal, direct, et à bulletins secrets. Les anciens organes de gouvernement furent abolis. A la tête du Comité Provisoire il y avait le président du Soviet des Ministres et Ministre des Affaires intérieures, le prince G. E. Lvov (ancien membre de la Première Douma d’Etat et Président du Comité Principal de l’Union populaire panrusse). Cependant, le Soviet, dont la tâche était de surveiller les actions du Gouvernement Provisoire, continua à fonctionner. En conséquence, un pouvoir dual fut établi en Russie. Les Soviets des Représentants des Travailleurs et des Soldats étaient contrôlés par les partis de gauche, qui restaient auparavant largement en-dehors de la Douma d’Etat : les socialistes-révolutionnaires (SR) [7] et les sociaux-démocrates [8] (les mencheviks [9] et les bolcheviks). En politique étrangère, les bolcheviks, conduits par Lénine et Trotski, suivirent avec succès une orientation pro-allemande. Cette orientation pro-allemande était basée sur plusieurs facteurs : une coopération étroite entre les bolcheviks et les sociaux-démocrates marxistes allemands, et des accords secrets avec le service de renseignement du Kaiser concernant l’assistance matérielle et technique fournie aux bolcheviks. De plus, les bolcheviks comptaient sur le refus de la guerre par les masses populaires. Ils basaient leur propagande là-dessus, la formulant dans l’esprit de l’idéologie révolutionnaire : la solidarité des classes laborieuses de tous les pays et le caractère impérialiste de la guerre elle-même, qui s’opposait aux intérêts des masses. C’est pourquoi le pouvoir dual divisé entre le Gouvernement Provisoire et les Soviets (qui étaient sous le contrôle des bolcheviks depuis le début) dans l’intervalle entre mars et octobre 1917 reflétait deux vecteurs géopolitiques, le vecteur pro-anglais et le vecteur pro-français pour le Gouvernement Provisoire, et le vecteur pro-allemand pour les bolcheviks. Cette dualité révèle aussi sa signification et son caractère dans ces événements historiques qui sont directement reliés à l’époque de la Révolution et de la Guerre Civile.

Le 18 avril 1917, la première crise gouvernementale éclata, se terminant par la formation du  premier gouvernement de coalition le 5 mai 1917, avec la participation des socialistes. Sa cause fut la note de P. N. Milioukov [10] le 18 avril adressée à l’Angleterre et à la France, dans laquelle il annonçait que le Gouvernement Provisoire continuerait la guerre jusqu’à sa fin victorieuse et honorerait tous les accords internationaux qui avaient été passés par le gouvernement tsariste. Nous avons ici affaire à un choix géopolitique qui influença les processus intérieurs. La décision du Gouvernement Provisoire provoqua l’indignation populaire, qui déborda dans des meetings et des manifestations massives, demandant la fin rapide de la guerre, la démission de P. N. Milioukov et d’A. I. Guchkov [11], et le transfert du pouvoir aux Soviets. Ces troubles furent organisés par les bolcheviks et les socialistes-révolutionnaires. P. N. Milioukov et A. I. Guchkov quittèrent le gouvernement. Le 5 mai, un accord fut conclu entre le Gouvernement Provisoire et le Comité Exécutif du Soviet de Petrograd pour la création d’une coalition. Cependant, les partis d’extrême-gauche n’étaient pas unis par une vision géopolitique commune. Les bolcheviks préféraient logiquement une ligne pro-allemande et anti-guerre. Une partie des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires de gauche (dont les dirigeants appartenaient aussi souvent à des organisations maçonniques, où dominait une orientation pro-française et pro-anglaise) avaient tendance à soutenir le Gouvernement Provisoire, dans lequel les socialistes-révolutionnaires avaient reçu quelques postes à ce moment.

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Le premier Congrès panrusse des Soviets des Représentants des Travailleurs et des Soldats, qui eut lieu du 3 au 24 juin, fut dominé par les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks, les conduisant à soutenir le Gouvernement Provisoire et à rejeter la demande des bolcheviks de mettre fin à la guerre et de transférer le pouvoir aux Soviets. Ensuite l’effondrement rapide de la Russie commença. Le 3 juin une délégation du Gouvernement Provisoire, conduite par les ministres Terechtchenko et Tsereteli, reconnut l’autonomie de la Rada Centrale ukrainienne (UCR) [12]. Entretemps, avec l’approbation du gouvernement, une délégation définit les limites géographiques de l’autorité de l’UCR, incluant certaines des provinces sud-ouest de la Russie. Cela provoqua la crise de juillet [13]. Au sommet de la crise de juillet le Seim finlandais [14] proclama l’indépendance de la Finlande dans ses affaires intérieures et limita la compétence du Gouvernement Provisoire aux questions de la guerre et de la politique étrangère. Du fait de la crise, un second gouvernement de coalition fut constitué avec le social-révolutionnaire A. F. Kerenski à sa tête. Les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks occupaient un total de sept postes dans ce gouvernement.

Le social-révolutionnaire Kerenski, qui était aussi dans le groupe des Trudoviks (socialistes-populaires), était une figure éminente de la franc-maçonnerie russe de la Douma, membre de la loge « Petit Ours » et secrétaire de l’organisation maçonnique congrégative secrète « Le Soviet Suprême du Grand Orient des Peuples de Russie ». Kerenski s’en tenait à une orientation pro-anglaise et était étroitement lié à la franc-maçonnerie anglaise. Le 1er septembre 1917, dans le but de s’opposer au Soviet de Petrograd, Kerenski créa un nouvel organe de pouvoir, le Directoire (Soviet des Cinq), qui proclama que la Russie était une république et dissolva la Quatrième Douma d’Etat. Le 14 septembre 1917, la Conférence Démocratique panrusse fut ouverte, qui devait décider de la question de l’autorité gouvernante, avec la participation de tous les partis politiques. Les bolcheviks s’en retirèrent en guise de protestation. Le 25 septembre 1917, Kerenski forma le troisième gouvernement de coalition. Pendant la nuit du 26 octobre 1917, au nom des Soviets, les bolcheviks, les anarchistes et les socialistes-révolutionnaires gauchistes renversèrent le Gouvernement Provisoire et arrêtèrent ses membres. Kerenski s’enfuit. Significativement, il fut aidé par des diplomates anglais, en particulier Bruce Lockhart [15], et fut envoyé en Angleterre où, dès son arrivée, il fut actif dans les loges maçonniques anglaises. Géopolitiquement, la Révolution bolchevik d’Octobre, que diverses écoles historiques et les représentants de diverses visions-du-monde évaluent de manières différentes aujourd’hui, était spéciale parce qu’elle signifiait un changement d’orientation brutal de la politique étrangère de la Russie, passant d’une orientation thalassocratique à une orientation tellurocratique. Nicolas II et les républicains maçonniques de la Douma à partir du Gouvernement Provisoire avaient maintenu une orientation anglo-française et étaient restés fidèles à l’Entente. Les bolcheviks étaient sans équivoque orientés vers la paix avec l’Allemagne et la rupture avec l’Entente.

Après la séparation de l’Assemblée Constituante [16], où les bolcheviks ne reçurent pas l’appui nécessaire pour légaliser pleinement leur prise du pouvoir, l’autorité fut transférée au Conseil des Commissaires du Peuple, où les bolcheviks dominaient. A ce moment, les socialistes-révolutionnaires gauchistes étaient leurs alliés.

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Le 3 mars 1918, un accord de paix séparée entre les bolcheviks et les représentants des Puissances Centrales (Allemagne, Austro-Hongrie, Turquie, et Bulgarie) fut conclu à Brest-Litovsk, signifiant la sortie de la Russie de la Première Guerre mondiale. D’après les termes de l’accord, les provinces de Privislinskie, l’Ukraine, les provinces avec une population principalement biélorusse, la Province d’Estonie, la Province de Courlande, la Province de Livonie, la Grande Principauté de Finlande, le district de Kars, et le district de Batumsk dans le Caucase étaient tous arrachés à l’Ouest de la Russie. Le gouvernement des Soviets promit de cesser la guerre contre le Soviet Central ukrainien (la Rada) de la République du Peuple ukrainien, de démobiliser l’armée et la flotte, de retirer la flotte baltique de ses bases en Finlande et dans les Etats baltes, de transférer la flotte de la Mer Noire avec toutes ses infrastructures aux Puissances centrales, et de payer six millions de marks de réparations. Un territoire de 780.000 kilomètres carrés, comprenant une population de 56 millions de personnes (un tiers de la population de l’Empire russe), fut arraché à la Russie soviétique. En même temps, la Russie retira toutes ses troupes des régions désignées, alors que l’Allemagne, d’autre part, faisait entrer ses troupes et gardait le contrôle de l’Archipel des Monzundski et du Golfe de Riga.

Tel fut le prix énorme que la Russie soviétique paya (en partie parce qu’elle s’attendait à une révolution prolétarienne imminente en Allemagne et dans d’autres pays européens) pour son orientation pro-allemande.

Le traité de Brest-Litovsk fut immédiatement rejeté par les socialistes-révolutionnaires de gauche, dont une partie des dirigeants était orientée vers la France et l’Angleterre comme avant. En signe de protestation contre les conditions de l’armistice, les socialistes-révolutionnaires de gauche quittèrent le Conseil des Commissaires du Peuple ; au Quatrième Congrès des Soviets, ils votèrent contre le traité de Brest. Le socialiste-révolutionnaire S. D. Mstislavski inventa le slogan « Pas de guerre, donc une insurrection ! », appelant les « masses » à se « soulever » contre les forces occupantes germano-autrichiennes. Le 5 juillet, au Cinquième Congrès des Soviets, les socialistes-révolutionnaires de gauche attaquèrent à nouveau activement les politiques des bolcheviks, condamnant le traité de Brest. Le 6 juillet, un jour après l’ouverture du Congrès, deux socialistes-révolutionnaires de gauche, Yakov Blumkin [17] et Nikolaï Andreiev, des officiels du Comité Extraordinaire panrusse (AEC), entrèrent dans l’ambassade allemande à Moscou suivant un décret de l’AEC, et Andreiev tua l’ambassadeur allemand Mirbach. Le but des socialistes-révolutionnaires était de ruiner les accords avec l’Allemagne. Le 30 juillet, le socialiste-révolutionnaire de gauche B.M. Donskoï tua le général commandant les forces d’occupation, Eichhorn, à Kiev. La dirigeante des socialistes-révolutionnaires de gauche Maria Spiridinova fut envoyée au Cinquième Congrès des Soviets, où elle annonça que « le peuple russe est libéré de Mirbach », impliquant que la ligne pro-allemande était finie en Russie soviétique. En réponse, les bolcheviks mobilisèrent leurs forces pour la répression du « soulèvement socialiste-révolutionnaire de gauche » et arrêtèrent et exécutèrent leurs dirigeants [*]. Ici apparaissait à nouveau une différence d’orientation géopolitique : cette fois-ci entre les forces de gauche radicales qui avaient pris le pouvoir en Russie soviétique. Les socialistes-révolutionnaires de gauche avaient tenté de ruiner la ligne pro-allemande des bolcheviks, mais ils échouèrent et disparurent rapidement en tant que force politique.

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Si nous réunissons tous ces éléments géopolitiques, nous obtenons le tableau suivant : Nicolas II, les partis bourgeois et, en partie, les socialistes-révolutionnaires de gauche (les francs-maçons de la Douma) maintinrent une orientation vers l’Entente et, en conséquence, vers la thalassocratie ; alors que les bolcheviks poursuivirent constamment une politique de coopération avec l’Allemagne et d’autres Etats centre-européens, et avec la Turquie ; c’est-à-dire qu’ils étaient en faveur de la tellurocratie. Ce motif géopolitique nous permet d’avoir un regard nouveau sur les événements dramatiques de l’histoire de la Russie en 1917-1918 et prédétermine les développements de la période soviétique.

Notes

[1] Le Gouvernement Provisoire apparut à la suite de l’abdication du Tsar Nicolas II en mars 1977, et devait organiser les élections qui conduiraient à la formation d’un nouveau gouvernement. Il était composé d’une coalition de nombreux partis différents. Après la révolution bolchevik en octobre, il fut aboli. (NDE)

[2] Cependant, la loge la plus nombreuse du Grand Orient des Peuples de Russie en 1912-1916 était indubitablement la loge de la Douma, « la Rose », que rejoignirent beaucoup de députés maçonniques de la Quatrième Douma d’Etat en 1912. Elle fut ouverte le 15 novembre 1912. Sa principale différence avec la Troisième Douma consistait en la diminution explicite du centre (le nombre d’octobristes dans la Douma était fortement réduit : au lieu de 120, seuls 98 demeuraient, alors que le nombre de droitistes passait de 148 à 185 ; et le nombre de gauchistes, membres du Parti Démocratique Constitutionnel (connu sous le nom de « parti cadet », NDE) et de progressistes passa de 98 à 107).

[3] La Triple Entente était une alliance entre le Royaume-Uni, la France et la Russie et qui fut établie en 1907. (NDE)

[4] Ceux qui soutenaient le Gouvernement Provisoire qui fut établi après la Révolution de Février 1917. (NDE)

[5] Mikhaïl Alexandrovitch (1878–1918) était un prince qui était second dans la ligne de succession au trône du Tsar. Après l’abdication de Nicolas II, Alexandrovitch fut choisi pour lui succéder de préférence au fils du Tsar, Alexei, car ce dernier était considéré comme trop malade pour régner. Il refusa cependant d’accepter le trône. Cela ne lui valut aucune faveur des bolcheviks, qui l’exécutèrent en 1918. (NDE)

[6] Ces conseils furent établis après la Révolution de Février pour maintenir l’ordre jusqu’à ce que des élections puissent être tenues, et pour déterminer la nature et la composition du nouveau gouvernement. (NDE)

[7] Les socialistes-révolutionnaires (SR) étaient socialistes, mais pas marxistes. Ils étaient l’un des principaux partis en Russie au moment de la Révolution. (NDE)

[8] Les bolcheviks et les mencheviks étaient des branches du Parti Travailliste Démocratique Social russe. Après le départ des mencheviks, celui-ci devint une organisation bolchevik, devenant finalement le Parti Communiste de l’URSS. (NDE)

[9] Les mencheviks avaient connu une scission avec les bolcheviks en 1904 pour des questions d’idéologie et d’appartenance au Parti, Après cela ils furent un parti d’opposition communiste, considéré comme plus modéré que les bolcheviks. (NDE)

[10] Pavel Milioukov (1859–1943) était le ministre Affaires Etrangères dans le Gouvernement Provisoire. (NDE)

[11] Alexander Guchkov (1862–1936) était le ministre de la Guerre dans le Gouvernement Provisoire. (NDE)

[12] L’UCR était le conseil qui assuma le pouvoir en Ukraine après la Révolution de Février en Russie, avec l’intention d’assurer l’indépendance ukrainienne. Il fut déclaré illégal par les Soviets en décembre 1917. (NDE)

[13] Entre le 3 et 7 juillet, des soldats et des ouvriers de Petrograd, soutenus par les bolcheviks, firent des manifestations contre le Gouvernement Provisoire. Celui-ci accusa les manifestants de fomenter un coup d’Etat et les réprima en utilisant la force militaire, conduisant à un revers temporaire pour les bolcheviks. (NDE)

[14] Le Seim était l’Assemblée populaire finlandaise. (NDE)

[15] Sir Robert Hamilton Bruce Lockhart (1887–1970) était le consul-général britannique à l’époque de la Révolution russe. Au nom de ses supérieurs à Londres, et en conjonction avec l’Intelligence Service, il tenta de persuader les bolcheviks de rester en guerre contre l’Allemagne, mais sans succès. Après une série de tentatives secrètes pour influencer le cours de la Révolution, en 1918, avec l’agent secret Sidney Reilly, il tenta de faire assassiner Lénine et de renverser les bolcheviks, ce qui est connu sous le nom de « complot Lockhart ». Celui-ci échoua, bien que Lockhart fut plus tard autorisé à quitter la Russie lors d’un échange de prisonniers. (NDE)

[16] L’Assemblée Constituante panrusse fut formée en résultat d’une élection tenue en novembre 1917. Lorsqu’il devint clair que le nombre de représentants des socialistes-révolutionnaires dépasserait de loin celui des bolcheviks à l’Assemblée, ceux-ci commencèrent à jeter le doute sur la valifité de l’Assemblée, et elle ne fut autorisée à se réunir qu’une seule fois en janvier 1918 avant d’être dissoute. (NDE)

[17] Yakov Blumkin (1898–1929) était le directeur des opérations de contre-espionnage de la Tcheka (la police secrète révolutionnaire) à l’époque. Il fut pardonné par les bolcheviks pour avoir participé au coup d’Etat des SR, et travailla plus tard comme exécuteur et agent secret. Envoyé pour aider à fomenter la subversion révolutionnaire contre les Britanniques au Moyen-Orient, ses aventures orientales le rendirent célèbre. Il devint plus tard l’ami de Trotski ; après l’exil de Trotski hors d’URSS, il servit de courrier pour les messages de Trotski ; quand cela fut découvert, il fut exécuté sur l’ordre de Staline. (NDE)

[*] On peut ajouter que le 30 août 1918, Fanny Kaplan, une militante socialiste-révolutionnaire, tenta de tuer Lénine et le blessa gravement. Elle déclara qu’elle considérait Lénine comme un « traître à la révolution », qui avait interdit et réprimé son parti (les SR). (NDT)

 

vendredi, 03 février 2023

Qu'en est-il de nos oeuvres d'art pillées par les Français entre1794 et 1814 ?

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Qu'en est-il de nos oeuvres d'art pillées par les Français entre 1794 et 1814?

par Jan Huijbrechts       

Source: https://palnws.be/2023/02/wat-met-de-franse-roofkunst/

Vous ne pouviez vraiment pas manquer le coche ces derniers mois. Qu'il s'agisse d'objets d'art volés au Congo pendant la période coloniale ou du livre très médiatisé du journaliste d'investigation Geert Sels sur les œuvres d'art pillées par les nazis... Le thèmes des oeuvres d'art pillées au cours de l'histoire est à la mode... Il est donc quelque peu étrange qu'entre-temps, un silence assourdissant se soit abattu sur les oeuvres qui ont été pillées dans nos régions par des occupants étrangers au cours des siècles. Cela s'est produit à une échelle sans précédent et de manière systématique pendant l'occupation française (1794-1814).

Dans le sillage des armées françaises, trois commissions pénètrent dans nos régions immédiatement après la bataille de Fleurus (26 juin 1794) pour recueillir "tous les monuments, toutes les richesses, toutes les connaissances concernant les Arts et les Sciences, pour en enrichir la République". Ils ont été dirigés par le marchand d'art parisien Lebrun - un grand connaisseur de la peinture baroque flamande - qui s'est lui-même inspiré du guide de voyage culturel Voyage Pittoresque de la Flandre et du Brabant publié par Jean-Baptiste Descamps en 1769. Avec ce guide à la main, les membres du comité, dont l'architecte et peintre renommé Charles de Wailly et l'illustrateur Pierre-Jacques Tinet, ont parcouru villes et campagnes à la recherche de précieux butins. Selon le rapport de Tinet, il a confisqué lui-même 73 œuvres d'art. Mais cela ne s'est pas arrêté là.

Le vol d'artefacts dans nos régions reste malheureusement encore trop souvent sous le radar

La commission dans laquelle siégeaient les peintres Jacques-Luc Barbier et Antoine Léger a encore aggravé la situation. Ils ont commencé leur mission à Anvers le 31 juillet 1794. Là, ils ont saisi une cinquantaine de tableaux en à peine une semaine. De là, ils se sont rendus à Malines, Lierre, Bruxelles, Louvain, Alost, Gand et Bruges, entre autres, où ils ont volé une quarantaine d'autres œuvres. Les œuvres d'art pillées ont été rassemblées à Bruxelles d'où, entre septembre 1794 et février 1795, pas moins de sept transports sont partis pour "la douce France" .....

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Quelques-unes des oeuvres d'art pillées, jamais restituées et entreposées dans des musées dont les direction pratique le recel.

Louvre

La plupart de ces œuvres ont fini au Louvre. Un "Jugement dernier" de Jacob Jordaens, deux toiles de Frans Francken et une "Crucifixion" de Caspar de Craeyer y sont encore accrochés aujourd'hui. Mais on trouve aussi des œuvres pillées ailleurs en France. La "Vision de Dominique" de Pieter Paul Rubens, par exemple, est exposée au Musée des Beaux Arts de Lyon. Une autre de ses œuvres se trouve à Lille. La "pêche miraculeuse", un autre chef-d'œuvre de Caspar de Craeyer, est également accrochée à Lille, tandis que le "Saint Sébastien" de Wenceslas Co(e)bergher, qui avait été volé dans la cathédrale Notre-Dame d'Anvers, se trouve désormais au Musée des Beaux Arts de Nancy. Un Antoon Van Dyck est accroché à Caen, et pour admirer un bel Otto Venius, il faut aller à Bordeaux.

Les troupes françaises ont d'ailleurs appliqué plus tard la même recette en Italie et en Égypte, par exemple, dont l'obélisque de Louxor sur la place de la Concorde à Paris est un témoignage durable. Alors que le pillage d'œuvres d'art en Italie et en Égypte a fait et fait encore l'objet d'une attention mondiale, le vol d'objets d'art dans nos régions est malheureusement encore trop souvent resté et demeure sous le radar. Une petite partie des œuvres d'art et des artefacts pillés ont été récupérés par Guillaume Ier après la chute de l'empire napoléonien en 1815, mais après cela, les choses sont devenues bien calmes dans ce dossier.

Pas de commission de suivi

Ce n'est qu'en 2015 que la secrétaire d'État de l'époque, Elke Sleurs, a fait dresser par l'Institut royal du patrimoine culturel un inventaire des 188 œuvres d'art pillées. Après une enquête juridique exploratoire, - malheureusement - aucune autre mesure n'a été prise, par exemple la création d'une commission de suivi. Apparemment, cela a été considéré comme un point final au niveau fédéral, alors qu'en fait, cela devrait être le point de départ d'un large débat sur la restitution de nos oeuvres d'art volées par les Français. Pour le député flamand Filip Brusselmans, qui suit ce dossier depuis son entrée en fonction, la coupe est désormais pleine. Il y a quelques jours, le Vlaams Belang a soumis une proposition de résolution, tant au Parlement flamand qu'à la Chambre des représentants, demandant la création d'une commission chargée d'obtenir la restitution de ces oeuvres d'art spoliées par le biais d'une consultation bilatérale avec la France.

Après tout, la restitution est une option viable. En 1993, Mitterrand, alors président de la République, a restitué à la Corée du Sud un précieux manuscrit confisqué et ayant appartenu aux archives royales de Corée lors d'une expédition punitive française en 1867. En novembre 2018, suite à la publication d'une étude virulente de l'historienne d'art Bénédicte Savoy et de l'auteur sénégalais Felwine Sarr, l'État français a annoncé sa volonté de restituer le patrimoine culturel africain spolié, y compris au Bénin. En d'autres termes, rien n'empêche le retour des œuvres d'art pillées dans nos régions également

mercredi, 01 février 2023

La notion de Touran dans les conceptions géopolitiques des eurasistes des années 1920

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La notion de Touran dans les conceptions géopolitiques des eurasistes des années 1920

par Maxim Medovarov

Source: https://www.ideeazione.com/la-nozione-di-turan-nelle-concezioni-geopolitiche-degli-eurasiatisti-degli-anni-20/

La notion combinée d'Iran et de Touran a subi de nombreuses modifications au cours de l'histoire. Son utilisation classique est associée aux épopées médiévales persanes, en particulier Firdausi. Dans ce cas, l'Iran est compris comme un état d'agriculteurs sédentaires et le Touran comme un monde de nomades d'Asie centrale (dans les temps anciens iranophones, à partir du 6ème siècle après J.-C. turcophones et mongolophones). Dans l'Antiquité, il s'agit donc de la confrontation entre les mondes iranien occidental et oriental (au sens linguistique).

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Au début du 20ème siècle, la signification du terme "Touran" a été radicalement modifiée par des pan-turcs tels que Yusuf Aktchourin et Ziya Gökalp. À partir de 1911-1912, dans le sillage de la révolution Jeune Turque, le terme "Touran" a commencé à être compris comme couvrant tous les peuples turcophones bien au-delà du Touran historique (Asie centrale). En 1923, Gökalp publie le livre Les principes fondamentaux du touranisme, achevant ainsi le processus de création du mythe du touranisme en opposition au monde aryen et arabe.

À cette époque, le mouvement eurasien avait émergé et gagnait en force dans l'émigration russe, dont les leaders N. S. Trubetskoy et P. N. Savitsky s'opposaient au panturquisme, lui opposant l'idée de l'unité historique et géographique des peuples de la Russie-Eurasie. Avec cette approche, les nomades des steppes (Kazakhs) et les Turcs sédentaires de la région de la Volga (Tatars) étaient inextricablement liés au monde russe [1] et les Turcs d'Anatolie aux mondes grec, balkanique et méditerranéen.

Cependant, la position intermédiaire de l'Asie centrale dans ce schéma restait indéfinie, ce qui mettait les Eurasiens mal à l'aise. Lorsque les républiques de l'Union soviétique, principalement le Turkménistan et l'Ouzbékistan, ont été fondées en 1924, il a fallu déterminer si la région appartenait à la Russie-Eurasie, au Touran ou à l'Iran en tant que source de leur développement. Cependant, au début, il n'y avait pas d'experts de l'Iran et de l'Asie centrale parmi les Eurasiens. Ils pouvaient s'appuyer sur les anciens travaux de V. I. Lamansky sur les frontières du "monde moyen de l'Asie et du continent européen", mais même dans ces travaux, la frontière sud du monde russo-eurasien était définie de manière très vague, principalement le long de la frontière de l'Empire russe avec l'Afghanistan, le long des crêtes de l'Hindu Kush et du Tibet [2].

Par conséquent, une heureuse acquisition pour les Eurasiens fut l'arrivée dans leurs cénacles d'un orientaliste expérimenté, diplomate, iraniste Vassily Petrovitch Nikitine (ou Basile Nikitine en français) (1885-1960). De 1912 à 1919, il a travaillé dans les consulats russes en Perse, les a même dirigés, a connu de première main la vie des Kurdes et des Assyriens et de leurs dirigeants, et a participé aux événements de la Première Guerre mondiale sur ce front. Après la révolution, il a émigré à Paris et n'est jamais rentré chez lui. Il a travaillé pendant trente ans dans une banque française et consacrait son temps libre à la rédaction d'ouvrages scientifiques sur l'orientalisme, était reconnu parmi les orientalistes français et devint membre de diverses académies et sociétés scientifiques. Alors qu'il était encore en Russie, il avait épousé une Française, ce qui lui permit d'entrer facilement dans les réseaux sociaux de l'ultra-droite et des traditionalistes français. Il fut le premier parmi les émigrés russes à lire et à populariser les œuvres de René Guénon.

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Basile Nikitine: portrait. Ouvrage de l'auteur sur le peuple kurde en langues kurde et française.

Nikitine a parfois dû écrire sur l'Inde, la Chine, le Japon et même la Pologne, mais son attention s'est toujours portée sur le peuple iranien. Après sa mort, son ouvrage fondamental sur les Kurdes a été publié ultérieurement en Union soviétique [3]. Par conséquent, les Eurasiens se sont immédiatement intéressés à lui en tant qu'iraniste. Lors de sa première rencontre avec Nikitine le 24 septembre 1925, le leader du mouvement eurasien N. S. Trubetskoy lui a commandé un important article sur la Russie, l'Iran et le Touran pour définir les frontières existant entre ces entités territoriales. Nikitine a émis la thèse suivante, après sa conversation avec Trubetskoy: "Notre touranisme dérange l'iranisme et l'effraie (le grand et le petit Touran)" [4]. Les Eurasiens avaient besoin d'une clarification du concept de Touran afin de répandre leur idéologie parmi les peuples turcophones de l'URSS. Nikitine s'est aussitôt engagé activement à satisfaire les Eurasistes réfugiés en France, a terminé l'article avant la fin de l'année et, le 4 janvier 1926, il a reçu la visite de P. P. Suvchinsky, qui a fait son éloge [5]. D'autres Eurasistes se sont également intéressés au sujet: L. P. Karsavin a notamment demandé à Nikitine: "Un Persan peut-il devenir russe? Qu'arriverait-il au christianisme si les Perses l'adoptaient? Après tout, ce n'est pas sans raison que le zoroastrisme a été dévié en manichéisme "satanique" [6].

Entre janvier 1926 et septembre 1929, Nikitine a publié un texte d'inspiration eurasiste sur les Perses. Nikitine a publié 24 de ses articles dans des publications eurasistes. Beaucoup d'entre ceux-ci étaient consacrés à une justification générale de la nécessité d'activer la politique de la Russie soviétique dans les pays asiatiques, mais un certain nombre d'ouvrages traitaient spécifiquement de la Perse, de ses relations avec la Russie avant la révolution, pendant la Première Guerre mondiale et à l'heure actuelle sous le régime de Reza-Shah Pahlavi [7]. En outre, Nikitine a donné des présentations orales sur des sujets iraniens lors de séminaires eurasistes à Paris [8].

Dans le contexte de ces écrits, l'article susmentionné "Iran, Touran et Russie", préfacé par P. N. Savitsky [9], se distingue de tous les autres. Sa popularité était telle que le succès s'est même encore confirmé plus de trente ans plus tard. Nikitine donne désormais son accord pour toutes les réimpressions et se montre ravi lorsque P. N. Savitsky envoie des copies aux étudiants d'URSS en novembre 1959 [10].

Comment le problème de la définition du Touran s'est-il posé dans ce travail? Savitsky a rappelé la coopération entre la Russie et l'Iran au Moyen-Âge, mais a en même temps refusé d'inclure l'Iran dans le développement de la Russie-Eurasie. Selon lui, l'"Iran intérieur" est un pays asiatique qui, pendant des siècles, a combattu les nomades scythes/sarmates des steppes eurasiennes parce qu'ils représentaient l'"Iran extérieur". Tout en reconnaissant une certaine contribution iranienne à la formation du peuple russe, Savitsky la considère néanmoins comme faible [11].

Nikitine avait une vision très différente du problème. Selon lui, la Russie et l'Iran se trouvent dans une position similaire au carrefour des civilisations et le caractère national russe combine à la fois des caractéristiques touraniennes et iraniennes. Le caractère touranien est connu par les œuvres de N. S. Trubetskoy (ce caractère est celui d'un guerrier, étranger à la philosophie abstraite, résilient, loyal, passif), mais Nikitine a également signalé l'autre pôle de l'âme russe, l'âme iranienne représentée dans l'individualisme et le mysticisme des vieux croyants, des sectaires, des clercs, des prédicateurs en général [12]. Le scientifique voyait l'histoire de l'Eurasie comme une dialectique de lutte entre l'Iran et le Touran, comme l'histoire de leurs flux et reflux. Il a ensuite accompagné son article de trois cartes dessinées à la main montrant comment le concept de Touran s'est étendu au fil des siècles pour inclure aussi la zone des steppes et l'Asie centrale agricole (Maverannahr) [13]. Nikitin fait référence aux travaux d'un autre Eurasiste, P. M. Bitsilli, sur la tentative de Byzance de s'allier avec le Kaganat turc contre l'Iran sassanide comme une manifestation typique de la lutte de deux princes eurasiens [14]. Considérant l'histoire des guerres de l'Iran avec les nomades au cours des siècles, le chercheur a attiré l'attention sur le manque d'études existant sur les liens et les influences mutuelles entre la Russie et l'Iran [15]. "Il y a un fil touranien dans ce canon irano-russe", a-t-il conclu [16].

Nikitin a particulièrement attiré l'attention sur la facilité de compréhension mutuelle entre les paysans et les marchands russes et perses, sur l'"osmose" entre eux et sur la rapidité de l'implantation russe en Iran.

Il a résumé: "Nous avons également indiqué la place de la Russie entre l'Iran et le Touran. <...> Sous le joug mongol, la Russie et l'Iran étaient tous deux dans une position d'égalité, étant subordonnés à l'ulus turan ; après la libération du joug, la Russie et l'Iran ont suivi leur propre voie, à la suite de quoi la Russie a repris par rapport à l'Iran la position géographique de Touran, alors que sur le Bosphore, l'État a accordé un statut déterminant à la racine touran, ce qui n'a cessé d'être renforcé" [17]. Nikitine a consolidé cette conclusion politique par une réflexion sur la nécessité de l'autodécouverte du caractère russe avec sa dualité de caractéristiques touraniennes et iraniennes: "Le touran dans notre bagage mental est le début articulé, 'casher', tandis que l'Iran est l'individualisme, dans une forme qui atteint la rébellion, l'anarchie" [18].

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Marlène Laruelle, analysant les raisons pour lesquelles Trubetskoy et Savitsky avaient chargé Nikitine de faire une étude détaillée de l'Iran et du Touran, suggère que "l'Asie centrale sédentaire... posait un problème à la pensée eurasiste", que "les frontières avec l'Asie restaient... floues, et que le mouvement ne parvenait pas à saisir tout le potentiel original et imaginatif que portaient les revendications de l'héritage timouride et mongol" [19]. Par conséquent, selon Laruelle, "l'eurasisme sera toujours indécis en ce qui concerne les peuples sédentaires d'Asie centrale" [20]. Ces conclusions, à la lumière de ce qui a été dit, ne semblent pas tout à fait exactes et la formule proposée par Laruelle peut difficilement être dérivée directement des travaux analysés de Nikitine, Savitsky, Trubetskoy et Bicilli: "La Chine incarne l'Asie, la Perse est l'Orient extérieur par rapport à la Russie, Touran est son Orient intérieur"[21].

Dans le plus récent de ses articles sur l'Eurasie, "La Renaissance persane" (1929) [22], Nikitine avance la thèse selon laquelle, contrairement à la prétendue apathie qu'on lui prêtait, la vie culturelle en Iran n'est jamais morte, a entamé une renaissance rapide à partir du milieu du 19ème siècle et a atteint un nouveau niveau après 1925 sous Reza Shah Pahlavi. L'universitaire a évoqué le rythme général de l'histoire russe et iranienne, de la chute des Safavides et de la campagne de Perse de Pierre le Grand aux événements révolutionnaires du premier quart du 20ème siècle dans les deux pays. Nikitine a exprimé l'espoir que la période pétersbourgeoise de l'histoire russe, avec son intelligentsia occidentalisée peu encline à comprendre l'Asie, était terminée. Les devoirs de l'homme envers Dieu au lieu des droits, le collectivisme du peuple au lieu de la démocratie et de la citoyenneté étaient ce qui, selon Nikitine, unissait la Russie au monde islamique. Il espérait que "les efforts conjoints des nationalités eurasiennes et perses et des autorités de Moscou et de Téhéran ouvriraient la voie à une politique et une culture nouvelles, au-delà de l'imitation et de la dépendance à l'égard de l'impérialisme et du capitalisme de l'Occident et de l'Amérique" [23]. Dans le même temps, Nikitine n'a pas abandonné les slogans eurasistes "sur le démoticisme, l'idéocratie, l'État ouvrier et la "cause commune" [24]. L'érudit a anticipé les idées futures de Khomeini et de la révolution islamique, soulignant la nécessité pour l'Iran de développer un nouveau système d'État: ni parlementarisme, ni absolutisme, mais une combinaison du principe chiite de l'imamat "porteur de lumière" et des conditions modernes [25].

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Nikitine prévoyait "une augmentation de l'énergie nationale" en Perse, qui s'est exprimée à la fin des années 1920 par la réalisation d'une indépendance politique totale, la construction active de chemins de fer, l'amélioration de l'agriculture et le développement de nouveaux domaines, le tout avec le soutien allemand et soviétique. Dans le domaine de la religion et de la culture, l'universitaire a noté dans l'Iran contemporain une vague "fiévreuse" d'enthousiasme pour le zoroastrisme, la reconstruction néo-païenne de l'ère sassanide, le babisme et le chiisme renouvelé. Il a noté l'inclinaison de la pensée iranienne vers l'originalité, par opposition à la nature imitative du Touran, décrite précédemment par N. S. Trubetskoy [26].

Ainsi, selon les Eurasistes des années 1920, l'Iran (peuples iraniens occidentaux) était opposé aux Tourans (peuples iraniens orientaux et plus tard turcs), nomades de la steppe. La Russie est un héritier direct de Touran, mais elle devrait choisir la voie de la politique étrangère active et de la coopération sur un pied d'égalité, de l'harmonisation du rythme de développement et du renouveau révolutionnaire de la Russie et de l'Iran, au lieu d'affronter l'Iran (ainsi que l'Inde et la Chine), comme c'était le cas à l'époque des incursions nomades.

Selon cette interprétation, le Touran, qui comprenait non seulement les steppes kazakhes, mais aussi l'Asie centrale colonisée, a été inclus dans le développement de l'espace eurasien et est devenu une partie intégrante de la Russie.

De cette façon, les eurasistes, avec leurs arguments historiques et géographiques, ont éliminé tout fondement à la vision pan-turque du mythe touranien, vu, chez elle, comme un ensemble de "descendants de loups" turcophones opposés à toutes les autres nations d'Eurasie. Nikitine a spécifiquement affirmé que l'"idée pan-touranienne" en Turquie et en Hongrie était "un phénomène de déséquilibre mental, propre de l'intelligentsia et d'une certaine mode littéraire" [27]. Cette question ne présente pas seulement un intérêt académique, mais est également très pertinente aujourd'hui, alors que l'idéologie du panturquisme a été soutenue par les élites de Turquie et du Royaume-Uni et que le rapprochement entre l'Union eurasienne dirigée par la Russie et la République islamique d'Iran a atteint un stade qualitativement nouveau.

Notes:

[1] Trubetskoy N.S. Sull’elemento turanico nella cultura russa // Trubetskoy N.S. History. Cultura. Lingua. M.: Progress, 1995. С. 141-161.

[2] Lamansky V.I. Sullo studio storico del mondo greco-slavo in Europa // Lamansky V.I. Geopolitica del panslavismo. Mosca: Istituto della civiltà russa, 2010. С. 86.

[3] Nikitin V.P. Curdi. Mosca: Progress, 1964.

[4] Sorokina M.Y. Vasily Nikitin: la testimonianza nel caso dell’emigrazione russa // Diaspora: nuovi materiali. Vyp. 1. Parigi – SPb.: Athenaeum-Phoenix, 2001. С. 603.

[5] Ibidem. С. 606.

[6] Ibidem. С. 602.

[7] Nikitin V.P. 1) La Persia nel problema del Medio Oriente // Eurasian Chronicle. Vol. 5. Parigi, 1926. С. 1-15; 2) Ritmi dell’Eurasia // Cronaca Eurasiatica. Vol. 9. Parigi, 1927. С. 46-48; 3) Attraverso l’Asia. La Persia di oggi // Cronaca eurasiatica. Vol. 9. Parigi, 1927. С. 55-60; 4) [Recensione:] Sventitsky A.S. Persia. RIOB NKVT. M., 1925; Koretsky A. Trade East and USSR. Prometeo, 1925 // Cronaca eurasiatica. Vol. 10. Parigi, 1928. С. 86-88; 5) Russia e Persia. Schizzi del 1914-1918 // Eurasia. 1929. 6 aprile. № 20. С. 5-6; 13 aprile. № 21. С. 5; 20 aprile. № 22. С. 5; 27 aprile. № 23. С. 6-7; 4 maggio. № 24. С. 6; 1 giugno. № 28. С. 7-8; 6) Rinascimento persiano // Eurasia. 1929. 29 giugno. № 30. С. 5-6; 10 agosto. № 33. С. 6; 7 settembre. № 35. С. 6-7.

[8] Tatishchev N. Seminario eurasiatico a Parigi // Eurasian Chronicle. Vol. 7. Parigi, 1927. С. 44.

[9] Nikitin V.P. Iran, Turan e Russia // Eurasian Times. Libro 5. Parigi: Casa editrice Eurasian, 1927. С. 75-120.

[10] Sorokina M.Y. op. cit. p. 643.

[11] Nota editoriale di P.N. Savitsky. Vedi: Nikitin V.P. Iran, Turan e Russia. С. 75-78.

[12] Nikitin V.P. Iran, Turan e Russia. С. 79-80.

[13] Ibidem. С. 118-120.

[14] Bicilli P.M. Oriente e Occidente nella storia del Vecchio Mondo // Sulle strade: la fondazione degli Eurasiatici. Libro 2. Berlino, 1922. С. 320-321.

[15] Nikitin V.P. Iran, Turan e Russia. С. 103-115.

[16] Ibidem. С. 113.

[17] Ibidem. С. 115.

[18] Ibidem. С. 116.

[19] Laruelle M. Ideologia dell’eurasiatismo russo, o Pensieri sulla grandezza dell’impero. Mosca: Natalis, 2004. С. 172-173.

[20] Ibidem. С. 173.

[21] Ibidem. С. 177.

[22] Nikitin V.P. Rinascita persiana // Eurasia. 1929. 29 giugno. № 30. С. 5-6; 10 agosto. № 33. С. 6; 7 settembre. № 35. С. 6-7.

[23] Ibidem. № 30. С. 5.

[24] Ibidem. С. 6.

[25] Ibidem. № 33. С. 6.

[26] Ibidem. № 35. С. 7.

[27] Nikitin V.P. Attraverso l’Asia (Fatti e pensieri) // Versty: Vyp. 1. Parigi, 1926. С. 241.

Elenco dei riferimenti

Bicilli P. M. Oriente e Occidente nella storia del Vecchio Mondo // In cammino: l’affermazione degli Eurasiatici. Libro 2. Berlino, 1922. С. 317-340.

Lamansky V.I. Sullo studio storico del mondo greco-slavo in Europa // Lamansky V.I. Geopolitica del panslavismo. Mosca: Istituto della civiltà russa, 2010. С. 42-183.

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vendredi, 27 janvier 2023

Déserts, pics et glace. La vie extraordinaire d'Ardito Desio, l'indomptable

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Déserts, pics et glace. La vie extraordinaire d'Ardito Desio, l'indomptable

Marco Valle

Source: https://insideover.ilgiornale.it/societa/deserti-vette-e-ghiacci-la-straordinaria-vita-di-ardito-desio-indomabile.html?fbclid=IwAR1kQaBxZBawgdUyknFkIJdvC1Phsj3P0xg21ytIzNIyipzfowmEDFSR7uk

À la fin des années 1980, à l'époque où j'étais jeune rédacteur, j'ai interviewé Ardito Desio. Il avait alors presque quatre-vingt-dix ans (il est né à Palmanova le 18 avril 1897) et je pensais trouver un grand-père un peu sénile qu'il fallait expédier avec quelques questions et quelques compliments standard - bravo, bravissimo, prenons une photo, saluons les lecteurs, etc... - mais au lieu de cela, j'ai découvert un personnage fascinant, extraordinaire, digne de la plume de Verne. Une surprise et une leçon de vie.

En cette morne après-midi milanaise, le professeur m'a raconté, avec l'enthousiasme et le brio d'un jeune de vingt ans, de nombreuses histoires. Elles étaient toutes magnifiques. J'étais cloué à mon fauteuil en écoutant le récit de ses explorations autour du monde et ses descriptions très précises des mondes et atmosphères passés. L'Afrique italienne à la fin de son histoire et l'Asie du "Grand Jeu" de Kipling. Puis la Birmanie, la Perse, l'Himalaya, l'Antarctique. Déserts, montagnes, glace, sommets, sable, froid, chaleur. Passions et études. Tant d'études. Tant de passion.

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Fasciné, je l'ai écouté, oubliant de prendre des notes. Ce n'était pas nécessaire. Tout était (et est) dans ma tête. Ardito Desio était un formidable conteur qui pouvait vous envoûter, vous intriguer. En disant au revoir, il a anticipé son prochain voyage. Il m'a surpris une fois de plus. A l'âge où il n'était plus tout jeune, cet incroyable Frioulan s'apprêtait à repartir au Népal pour inaugurer la "Pyramide", un laboratoire de recherche multidisciplinaire de haute altitude situé à 5050 mètres au pied de l'Everest, un projet du CNR qu'il avait conçu et fortement souhaité. En écarquillant les yeux, il m'a dit : "Je retourne dans l'Himalaya où j'ai beaucoup travaillé, mais certainement moins que dans le désert saharien, tant d'aventures là-bas, tant d'occasions gâchées...". Puis il a saisi une grande bouteille et me l'a tendue. C'est le premier échantillon de pétrole de la Libye, me dit-il, "je l'ai trouvé en 1938 dans l'oasis de Marada, mais nous n'avions pas la technologie pour l'extraire, alors après la guerre, les Américains s'en sont occupés et nous avons été baisés....".

Une découverte dont il était à juste titre fier. Mais pas la seule. Au cours de sa très longue vie, qui s'est achevée à l'âge de 104 ans le 12 avril 2001, Desio a accumulé une étonnante série de succès scientifiques et géographiques qui lui ont valu reconnaissance, célébrité et pas mal d'envie. Il se fichait de ces envieux et allait toujours droit devant lui. En bref, Ardito en nom et en fait.

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Sa première aventure fut la Grande Guerre. Il partit comme aide-soignant cycliste volontaire en 1916 et fut nommé sous-lieutenant dans le corps alpin où il se lia d'amitié avec Italo Balbo, également jeune officier. Une rencontre, comme nous le verrons, qui fut décisive. Entre deux batailles, Desio s'inscrit à la faculté des sciences naturelles de Florence, mais en 1917, il est fait prisonnier des Autrichiens et termine la guerre dans un camp de détention en Bohème. De retour chez lui, il obtient son diplôme avec les meilleures notes et, en 1921, prend un poste d'assistant à l'Institut de géologie de Florence, puis de Pavie et enfin de Milan.

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L'Afrique selon Ardito Desio

Mais la vie sédentaire n'était pas pour Desio. Entre 1921 et 1924, il entreprend deux longues expéditions (14 mois en tout) dans le Dodécanèse, une nouvelle possession italienne, effectuant la première reconnaissance géologique de l'archipel. En 1926, c'est au tour de la Libye. Ayant débarqué le 24 septembre à Benghazi sous une pluie diluvienne, le jeune scientifique s'est vite débarrassé de tous les fantasmes littéraires sur l'Afrique et s'est rapidement adapté à la nouvelle réalité. Dans son livre Le vie della sete (= Les chemins de la soif), consacré à la recherche saharienne, Ardito mettait en garde ses lecteurs : "Chacun de nous s'est fait une idée personnelle de l'Afrique avant même d'y avoir mis les pieds. Les réminiscences d'anciennes lectures, les vignettes des livres, les descriptions imaginatives d'amis globe-trotters ont tous contribué à créer l'image singulière qui représente "notre" Afrique. Si la véritable Afrique devait être différente, nous en voudrions non pas tant à nous-mêmes qu'à cette "réalité inexplicable".

Envoyé, sur mission de la Société géographique italienne, dans l'oasis reculée de Giarabub, le jeune géologue est immédiatement fasciné par les attraits de "ce pays très intéressant et effrayant qu'est l'Afrique saharienne" et pendant des mois, il patrouille à Marmarica, effectuant d'importants relevés géologiques, topographiques et paléontologiques. C'était une tâche passionnante et terriblement fatigante, aggravée par la situation: à l'époque, la Libye était loin d'être conquise et "pacifiée" et la rébellion des Senoussistes continuait à saper les avant-postes italiens installés à l'intérieur du pays. Néanmoins, Desio poursuit ses explorations à pied ou à dos de chameau, se heurtant à plusieurs reprises aux autorités militaires qui ne sont pas du tout enthousiastes à l'égard des activités du professeur téméraire.

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Une fois sa première aventure africaine terminée, Desio participe en 1929, en tant que géographe et géologue, à l'expédition dans le Karakorum dirigée par le duc de Spolète, Aimone di Savoia-Aosta, une connaissance qui remonte à son séjour au Dodécanèse. L'idée initiale, née lors du 10ème Congrès géographique italien, était purement alpiniste-sportive et l'objectif était la conquête du K2, le deuxième plus haut sommet du monde, mais le désastre de l'expédition Nobile au pôle Nord a refroidi l'enthousiasme de Rome. Après la tragédie du dirigeable "Italia", Mussolini craignait un nouvel échec et a "conseillé" à la Société de géographie et au Club Alpino, commanditaires de la mission avec la ville de Milan, une approche scientifique plus prudente. C'est ainsi que Desio et ses compagnons ont exploré la vallée inviolée de Shaksgam, sur le versant nord du Karakorum, et ont atteint le glacier Duca degli Abruzzi et la selle de Sella Conway dans le Haut Baltoro. Dans son pèlerinage parmi les sommets d'Asie, le Frioulan a découvert un nouveau col à travers la crête principale du Karakorum entre le Trango (un affluent du Baltoro) et le Sarpo Laggo, et a effectué l'exploration complète du glacier Panmah. En outre, avec sa "Tavoletta di campagna" personnelle, construite spécialement pour lui par l'Officine Galileo de Florence, il a effectué des relevés topographiques dans de vastes zones inexplorées ainsi que l'étude géologique et géographique de tout le territoire. L'expédition himalayenne est un succès total, mais pour Desio, c'est aussi le début d'une obsession : la conquête du K2.

Entre 1931 et 1932, le professeur, mandaté par Guglielmo Marconi, président de l'Accademia d'Italia, organise deux expéditions dans le Sahara libyen, qu'il traverse avec une caravane de chameaux et l'année suivante avec une colonne de camions. L'objectif était double: étudier et cartographier le territoire et, en même temps, rechercher des ressources minérales telles que les nitrates et les phosphates.

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Son amitié avec Italo Balbo et son séjour en Libye

À son retour, Desio épouse à Milan Aurélia Bevilacqua, son ancienne élève, et renoue des relations avec Italo Balbo, l'ami de guerre devenu entre-temps le héros de la traversée de l'Atlantique et l'un des personnages les plus puissants de l'Italie de Mussolini. Une association fructueuse. En 1933, le ministre de l'Aéronautique de l'époque met un avion à la disposition de son vieux camarade alpin pour une reconnaissance scientifique en Perse. Arrivés à Téhéran, après une traversée périlleuse ponctuée de deux atterrissages en catastrophe en cours de route, Desio et ses compagnons d'aventure ont escaladé plusieurs sommets de plus de 4000 mètres, dont le mont Demaved, d'une hauteur inégalée de 5771 mètres, et étudié les glaciers de la chaîne du Zagros. 

Il s'agissait d'une opération géopolitique de soft power en synergie avec la focalisation croissante des institutions fascistes sur le Levant et l'Asie. A son tour, l'Iran de Reza Shah, le fondateur de la dynastie Pahlavi, regarde avec grand intérêt vers l'Italie, considérée, dans une intention anti-britannique, comme un allié possible. Outre les résultats scientifiques importants, l'expédition a inauguré une nouvelle phase dans les relations entre les deux nations et, quelque temps plus tard, les premiers élèves-pilotes de la force aérienne iranienne naissante ont été envoyés en Italie. 

Entre-temps, en 1934, Mussolini avait envoyé l'encombrant pionnier de l'aviation transatlantique en Libye en tant que gouverneur. Une sinécure plutôt qu'un poste politique, mais le natif de Ferrare, personnage mercuriel et pragmatique, a rapidement transformé la colonie endormie en un grand atelier social et culturel.

Bottiglia-con-il-primo-petrolio-del-Sahara-Libico-1938-FILEminimizer.jpgDeux ans après son arrivée à Tripoli, Balbo charge Desio de créer le musée libyen d'histoire naturelle et de diriger les recherches géologiques-minérales et sur les eaux artésiennes dans le sous-sol. Au cours de ses recherches, Desio a découvert un gisement de magnésium et de potassium dans l'oasis de Marada ainsi que la présence d'hydrocarbures dont, comme mentionné plus haut, les premiers litres de pétrole ont été extraits en 1938, dont la fameuse grande bouteille que le professeur m'a montrée lors de notre rencontre à Milan...

Avec l'aide de l'Agip, un programme d'exploration pétrolière est élaboré pour les trois années suivantes, qui comprend, dans le cadre de ses études de l'ensemble du territoire (résumées dans sa carte géologique de toute la Libye), des investigations dans le Sirtica, qu'il étudie pour la première fois d'un point de vue géologique. Le déclenchement de la guerre a stoppé toutes les recherches, bien que déjà 18 des puits forés aient commencé à révéler des traces de pétrole.

Le professeur a également identifié un aquifère artésien très riche qui servait à irriguer de vastes zones de la province de Misurata, permettant la transformation agraire de ce territoire semi-désertique, et a réalisé l'exploration du Fezzan, dont il a illustré pour la première fois la constitution géologique. Toujours en 1936, il participe au premier vol, un raid secret organisé par Balbo, le long des nouvelles frontières méridionales de la Libye - définies en 1935 par une convention italo-française, mais jamais ratifiée par Paris - qui va jusqu'à la région inexplorée du Tibesti.

Non content de l'aventure, l'année suivante, Desio se rend en Afrique orientale italienne pour explorer l'ouest de l'Éthiopie, une terre nouvellement conquise et à peine ou pas du tout pacifiée. Les deux expéditions entre le Nil Blanc et le Nil Bleu ont identifié des gisements d'or, de molybdénite et de mica, mais ont été attaquées à plusieurs reprises par les rebelles éthiopiens et ont subi de lourdes pertes; lors de l'un des assauts, un tube métallique providentiel utilisé comme porte-papier et porté par Desio sur son épaule a empêché une balle de lui transpercer la poitrine.

En mars 1940, à la veille de la guerre, Balbo le rappelle en Libye et lui confie une nouvelle expédition dans l'inhospitalier Tibesti. Avec deux avions et une colonne de camions, Ardito s'est rendu dans le mystérieux massif montagneux - un territoire quatre fois plus grand que la Sicile avec des sommets de plus de 3000 mètres - produisant la première carte de base de la zone, qui a été très utile pour définir la frontière contestée entre la Libye alors italienne et le Tchad français. Lors de sa reconnaissance libyenne, le géologue-explorateur découvre sur les parois d'un rocher dominant le désert des gravures représentant "de curieux dessins montrant, avec peu de traits mais avec une remarquable clarté, des bœufs aux cornes en forme de lyre, œuvre de bergers préhistoriques, qui ont dû vivre là lorsque le climat était moins aride".

Le 10 juin, l'Italie entre malencontreusement en guerre et le 28, l'avion d'Italo Balbo est accidentellement abattu par notre artillerie anti-aérienne dans le ciel de Tobrouk. Pour Desio, ce fut un grand chagrin et la fin d'une phase importante de sa vie bien remplie. Les événements de la guerre ayant mis un terme à l'exploration, le professeur se concentre sur la vie académique et, en 1942, il inaugure l'Institut de géologie de l'université de Milan, dont il reste le directeur jusqu'en 1972, date à laquelle il prend sa retraite pour cause de limite d'âge.

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Le défi réussi de K2

Dans l'après-guerre, Desio reprend ses contacts internationaux et, dès 1952, se rend en Inde et au Pakistan pour couronner son rêve de jeunesse, la conquête du K2. Avec un talent diplomatique incontestable et beaucoup de patience, il a convaincu en 1953 le gouvernement pakistanais très réticent d'autoriser l'ascension du sommet convoité. Ayant enfin obtenu l'autorisation, le professeur a mis toute sa force et sa méticulosité dans l'organisation de l'entreprise, suscitant plus d'une critique en raison de son tempérament de fer: les sélections étaient extrêmement rigoureuses et de nombreux alpinistes talentueux ont été rejetés. Desio ne permettait aucune objection ou pression d'aucune sorte, il choisissait ceux qu'il considérait comme les meilleurs (et les plus disciplinés...) sans se soucier des râleries et des envies.

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Une image de la vie d'Achille Compagnoni, l'un des héros du K2. Photo : Ansa.

Le plan prévoyait deux équipes, une d'alpinistes et une de scientifiques. Le premier avait pour mission de s'attaquer à l'ascension, le second devait se consacrer à la recherche scientifique. Les candidats sélectionnés pour l'ascension étaient: Erich Abram, Ugo Angelino, Walter Bonatti, Achille Compagnoni, Cirillo Floreanini, Pino Gallotti, Lino Lacedelli, Mario Puchoz, Ubaldo Rey, Gino Soldà, Sergio Viotto. L'expédition a atteint le camp de base à la fin du mois de mai 1954, entamant une périlleuse marche d'approche. Le 28 juillet, une altitude de 7627 mètres a été atteinte où le camp avancé VIII a été installé, puis, le 30 juillet, le camp IX à environ 7900 mètres et enfin, le 31 juillet 1954 à 18h00, Achille Compagnoni et Lino Lacedelli ont conquis le sommet de la deuxième plus haute montagne du monde. Le K2 est ainsi devenu la "montagne des Italiens".

L'exploit a été endeuillé par la mort, suite à une pneumonie, de Mario Puchoz, l'un des membres les plus connus de l'expédition, et par le très grave "malentendu" entre Bonatti, d'une part, et Compagnoni et Lacedelli, d'autre part. L'histoire est bien connue et il est inutile ici de la retracer. Rappelons qu'au fil des ans, la version des deux alpinistes, signée et approuvée par le chef d'expédition Desio, a été durement combattue par Bonatti, déclenchant une "affaire K2" qui a duré jusqu'en 2004, lorsqu'une commission de sages du Club Alpino a donné raison au courageux Walter, sans toutefois jamais réfuter complètement le rapport de Desio. Ce n'est qu'en 2008 que la Société géographique italienne et la CAI ont officiellement rectifié la documentation, acceptant pleinement la version de Bonatti.

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L'attitude de Desio doit en tout cas être contextualisée. Pour lui, rien ne devait ternir la grande victoire italienne, un triomphe sportif mondial qui apaisait les blessures douloureuses d'un pays qui venait d'être durement battu et vaincu. La victoire du K2 a été la revanche de toute une nation et c'est tout. D'où son entêtement à courte vue à refuser à Bonatti ses sacro-saintes prétentions et à reconnaître tous ses mérites. Une injustice inutile. Mais c'était la façon de faire de l'homme.....

Au fil des ans, le professeur a continué à planifier et à diriger des expéditions au Pakistan, en Afghanistan, en Birmanie et aux Philippines, complétant ainsi ses recherches. En 1961, il tente d'organiser une mission italienne en Antarctique, mais le gouvernement lui refuse les fonds nécessaires. L'indomptable Ardito ne s'est pas résigné et, à l'invitation de la National Science Foundation américaine, il a atteint le continent gelé l'année suivante et, en tant que premier Italien de l'histoire, est allé jusqu'au pôle Sud. En 1974, le gouvernement américain lui a décerné la médaille du service dans l'Antarctique. En 1980, alors âgé de 83 ans, il se rend à Pékin et, premier étranger après l'annexion chinoise, traverse le sud du Tibet de Lhassa à Zham, puis au Népal. Une "promenade" à plus de cinq mille mètres.

La dernière aventure, comme mentionné au début, fut la construction du laboratoire Pyramide du CNR, inauguré par Desio en 1989 au pied de l'Everest. Sa mission était enfin terminée. Le temps était enfin venu de l'immobilité et de l'attente avant le grand saut, douze ans plus tard, dans le mystère de la mort. 

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samedi, 14 janvier 2023

Toussenel et la première description de la mondialisation financière (1843)

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Toussenel et la première description de la mondialisation financière (1843)

Nicolas Bonnal

Nous feignons de découvrir la mondialisation ; mais elle est ancienne. Voltaire la chante déjà dans le Mondain (1738). Nos vins, exulte-t-il, enivrent les sultans…

Elle devient moderne, bancaire et anglo-saxonne à partir de Waterloo, dont nous fêtâmes le bicentenaire avec nos vainqueurs bien-aimés.

En 1843, Toussenel décrit la mondialisation. Son bouquin mal titré (sa cible est la Suisse réformée des banquiers genevois – les Necker…) n’a pas vieilli puisque nous vivons ce que Hegel puis Kojève-Fukuyama ont appelé la Fin de l’Histoire. Il ajoute que la mondialisation ne se fait pas au profit du peuple anglais – pas plus qu’aujourd’hui au profit du peuple américain.

Le seul changement est que l’Angleterre n’est plus seule. Depuis 1918, les États-Unis codirigent le monde avec la City. Ils mettent au pas les pays dans le cadre de guerres mondiales ou des sanctions. Ils imposent lois, sous-culture et idéologie, bien ou mal. En 1843, la tête de turc européenne est déjà le tsar.

Toussenel désigne les six piliers de cette domination permanente :

- Une dette énorme :

"Il y a eu encore une autre considération : c'est d'entraîner le trésor dans de folles dépenses, pour le forcer plus tard de crier misère, et le réduire à l'impossibilité de ne tenter aucune grande entreprise d'utilité publique."

- L’État-croupion profitant aux seules élites :

"La théorie du gouvernement-ulcère est anglaise de naissance, puisqu'elle vient des économistes. L'Angleterre est le foyer de tous les faux principes, de toutes les révolutions, de toutes les hérésies. L'Angleterre est la grande boutique où se préparent et se débitent avec un égal succès les doctrines et les drogues vénéneuses…"

- La guerre permanente pour le contrôle des ressources :

"L'Angleterre veut la garde de tous les détroits qui commandent les grandes routes commerciales du globe. Elle vise le morcellement, parce qu'elle vit des déchirements du globe ; elle est protestante et schismatique en tout : individualisme et protestantisme sont tout un."

- La ruine économique par le libre-échange :

"L'Angleterre, en tuant le travail chez tous les peuples, pour faire de ceux-ci des consommateurs, c'est-à-dire des tributaires de son industrie, a tué la richesse de ces peuples. Le capitaliste a mis le pied sur la gorge au consommateur et au producteur."

- La fin des peuples et des patries :

"Sous ce régime de castes, en effet, il n'y a pas de peuple ; ou bien le peuple est une chose qui s'appelle indifféremment l'ilote, l'esclave, le serf, le manant, l'Irlandais. Le sol de la patrie n’a plus maintenant pour défenseurs que les prolétaires."

- Enfin, la crétinisation universelle par la presse qui collabore avec le nouveau maître :

"La féodalité industrielle, plus lourde, plus insatiable que la féodalité nobiliaire, saigne une nation à blanc, la crétinise et l'abâtardit, la tue du même coup au physique et au moral. Mais la presse, qui ne craint pas d'attaquer la royauté officielle, n'oserait pas attaquer la féodalité financière."

https://ia903104.us.archive.org/22/items/lesjuifsroisdel01tous/lesjuifsroisdel01tous.pdf

https://www.google.com/search?q=toussenel+f%C3%A9odalit%C3%A9+financi%C3%A8re&tbm=isch&ved=2ahUKEwjllbud78b8AhUh4rsIHe1dC2YQ2-cCegQIABAA&oq=toussenel+f%C3%A9odalit%C3%A9+financi%C3%A8re&gs_lcp=CgNpbWcQDDoHCAAQgAQQGFDCB1jVImDgNGgAcAB4AIABUYgB6QqSAQIyMpgBAKABAaoBC2d3cy13aXotaW1nwAEB&sclient=img&ei=KobCY-XYAaHE7_UP7butsAY&bih=1124&biw=2400#imgrc=KYtbYnvmWwFTDM

 

vendredi, 06 janvier 2023

Giuseppe Tucci, l'explorateur de Mussolini (et d'Andreotti)

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Giuseppe Tucci, l'explorateur de Mussolini (et d'Andreotti)

Marco Valle

Source: https://insideover.ilgiornale.it/senza-categoria/giuseppe-tucci-lesploratore-di-mussolini-e-andreotti.html

À la fin des années 1920, le régime fasciste était sur le point d'abandonner la ligne initiale de prudence et de "profil bas" sur le plan international qui avait permis au groupe dirigeant de consolider le pouvoir intérieur, de relancer l'économie, de normaliser la Libye, bien qu'à un prix élevé, et de réaliser de petits (et insatisfaisants) ajustements le long des frontières africaines.

Avec le craquement du cadre de l'après-guerre suite à la crise économique mondiale, Benito Mussolini et Dino Grandi, ministre des affaires étrangères entre 29 et 32, inaugurent la politique du "poids décisif" et de l'équidistance: une stratégie pragmatique visant à présenter l'Italie comme l'aiguille dans la balance du statu quo continental et destinée à obtenir la pleine reconnaissance du rôle de l'Italie dans le "directoire européen". Mais ce n'est pas tout. Devant l'assemblée quinquennale du Parti national fasciste, Mussolini scelle la nouvelle ligne géopolitique nationale: "Les objectifs ont deux noms: Afrique et Asie". Le Sud et l'Est sont les points cardinaux qui doivent susciter la volonté et l'intérêt des Italiens [...] Ces objectifs qui sont les nôtres ont leur justification dans la géographie et l'histoire. De toutes les grandes puissances occidentales d'Europe, la plus proche de l'Afrique et de l'Asie est l'Italie. Que personne ne se méprenne sur l'ampleur de cette tâche séculaire que je confie à cette génération et aux générations italiennes de demain. Il ne s'agit pas de conquêtes territoriales [...] mais d'une expansion naturelle qui doit conduire à une collaboration entre l'Italie et les nations de l'Est".

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D'où une série d'initiatives "métapolitiques" importantes: la première édition à Bari en 1930 de la Fiera del Levante, la relance de l'Institut oriental à Naples, la création, avec un siège au Caire et des correspondants dans le monde islamique, de l'Agence d'Egypte et d'Orient, le début des émissions en arabe en 1934 de Radio Bari, les congrès à Rome des étudiants asiatiques et la fondation, le 16 février 1933, de l'Institut italien pour le Moyen-Orient et l'Extrême-Orient, l'ISMEO. L'initiative scientifique la plus ambitieuse et la plus audacieuse sur le plan politique.

Pour la première fois depuis l'Unification, le gouvernement de Rome promouvait et imposait, en investissant des ressources importantes, un projet culturel sérieux - prodromes de la collaboration économique et politique souhaitée par le Duce - en direction de l'Asie et, en particulier, de l'Inde. C'est ainsi que prit forme cette "stratégie de l'attention" contradictoire, intermittente mais parfois efficace, mussolinienne (et auparavant d'Annunzienne...), bien décrite par Renzo De Felice dans son ouvrage Il Fascismo e l'Oriente (Le fascisme et l'Orient), à l'égard des peuples désormais allergiques à la domination coloniale britannique, néerlandaise et française.

Une passion et un intérêt qui remontent à la "Ligue des peuples opprimés" de Fiume - dans laquelle l'orbic vate avait aussi virtuellement "enrôlé" les indépendantistes du Mouvement Ghadar - passion et intérêt qui ont été réitérés à plusieurs reprises par les articles de Mussolini dans le Popolo d'Italia ; en septembre 1921, le futur Duce, commentant les événements indiens, écrivait : "Une race s'est réveillée. Elle est sur pieds. La réalisation de l'indépendance de l'Inde n'est qu'une question de temps". Suggestions et hypothèses qui ont motivé l'invitation officielle de Mussolini en mai 1926 au poète Rabindranath Tagore, premier Asiatique à recevoir le prix Nobel, et la visite de Gandhi à Rome en 1931, scellée par une rencontre au Palazzo Venezia entre le Mahatma et le Duce.

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Pour diriger l'Institut, officiellement présidé par le philosophe Giovanni Gentile, on a appelé un personnage aussi surprenant que fascinant: Giuseppe Tucci. L'homme qu'il fallait à l'endroit qu'il fallait. Né le 5 juin 1894 à Macerata, fils unique d'un couple originaire des Pouilles, il se distingue dès son plus jeune âge par sa passion pour les langues et les cultures lointaines et éloignées (sans parler du Macerata de l'époque...) comme le sanskrit ou les exercices de yoga. En bref, un jeune homme hors du commun et très, très ambitieux.

Comme l'écrit Enrica Garzilli, auteure d'une biographie monumentale et fondamentale - L'esploratore del duce, en deux volumes de pas moins de 1496 pages en tout - le personnage avait déjà des idées claires dès son adolescence: "Tucci a dit qu'il a commencé à s'intéresser à l'Orient dès son enfance, en étudiant les exploits d'Alexandre le Grand qui, comme on le sait, a envahi une partie de l'Asie et conquis une partie de l'Inde en 326 avant Jésus-Christ. Cela explique aussi son caractère: fort, centralisateur, conquérant. Il a conquis les hauteurs, le pouvoir, la gloire, les honneurs et une culture absolument hors du commun. Et il n'a pas hésité à utiliser tous les moyens pour les atteindre".

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Diplômé "avec honneur" en 1912 du Liceo Classico Leopardi, Giuseppe s'inscrit à la faculté des lettres de l'université de Rome où il développe de plus en plus son intérêt pour les civilisations asiatiques, combinant l'étude du chinois avec des recherches sur le bouddhisme.

Même la Grande Guerre, à laquelle il participe avec le grade de lieutenant, ne détourne pas le jeune homme de ses nombreux centres d'intérêt - dont l'apprentissage de l'hébreu et du persan dans les tranchées... - et en 1919, il obtient son diplôme avec mention avec une thèse intitulée Sull'importanza e dello stato attuale degli studi di storia di filosofia orientale. La première étape d'une carrière universitaire fulgurante.

Ayant obtenu en 1923 une chaire en langues et littératures d'Extrême-Orient et, un an plus tard, une chaire en religions et philosophies d'Extrême-Orient, Tucci pouvait déjà être décrit comme une véritable autorité parmi les chercheurs italiens - certes peu nombreux... - d'études orientales. Mais les amphithéâtres et la routine de l'université ont vite fait de lasser son esprit agité. En novembre 1925, un premier mariage ayant été dissous, le professeur se transforme en un voyageur très particulier. Grâce précisément à Tagore (photo).

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Pendant son confortable séjour à Rome, le sage indien a eu des témoignages d'estime pour le régime et son chef, qui a, à son tour, assisté à la conférence du poète à la Sapienza. Lors de conversations ultérieures, Mussolini a promis à Tagore une aide concrète pour l'académie privée Vishva Bharati, fondée par le lauréat du prix Nobel à Shantiniketan, au Bengale. L'accord prévoyait l'envoi de matériel pédagogique et de deux maîtres de conférence italiens, dont Tucci. Le rêve longtemps médité, consommé et toujours repris était enfin réalisé. Avec de nombreux revers et une certaine déception initiale.

La réalité indienne était bien différente et bien plus complexe que la vision livresque sur laquelle Tucci et ses collègues universitaires avaient construit un récit aussi savant que fantaisiste, parfois même irénique. La véritable Asie était la terrible misère et l'incroyable résignation de la plèbe exténuée, scandaleusement écrasée par le faste des vieilles et inutiles aristocraties, sur lesquelles flottait un mouvement intellectuel et politique, encore faible mais en pleine croissance, soucieux de liberté et d'indépendance.  D'Annunzio et Mussolini, pour une fois, avaient vu juste. Et Tucci l'a compris immédiatement. Comme le note Oscar Nalesin dans son essai consacré à l'explorateur: "Dans les dernières années de sa vie, il attribue à l'impact de cette première immersion dans l'humanité du sous-continent son éloignement définitif de la vision romantique de l'Inde alors répandue parmi les orientalistes européens".

Cependant, son séjour à Shantiniketan a été de courte durée. Quelques mois après l'arrivée de la mission italienne, Tagore, sur les conseils de ses admirateurs antifascistes italiens et étrangers, fait brusquement volte-face, revenant sur ses jugements positifs à l'égard du régime (pour ensuite, comme le souligne De Felice, écrire une lettre d'excuses embarrassée à Mussolini quatre ans plus tard...). Évidemment, Rome a rompu toutes les relations avec l'université et a rappelé les professeurs dans leur pays, mais Tucci a décidé de rester en Asie. Le début de la grande aventure himalayenne : huit expéditions entre 1928 et 1948.

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En compagnie de sa seconde épouse Giulia Nuvoloni, le professeur s'est rendu au Ladakh puis au Népal - des endroits magnifiques, inconnus et à l'époque terriblement inhospitaliers - pour étudier les coutumes et les territoires locaux. Puis, exploitant habilement ses entrées dans l'administration coloniale britannique - parallèlement à ses fréquentations des cercles intellectuels du mouvement indépendantiste - il décide de retrouver les pas d'Ippolito Desideri, le jésuite originaire de Pistoia, qui avait franchi les frontières de la théocratie lamaïste au XVIIIe siècle.  Ayant obtenu un laissez-passer spécial des Britanniques, il entre pour la première fois au Tibet, un État alors indépendant et hermétiquement fermé aux étrangers, et atteint laborieusement les emporiums de Gartok, Yatung et Gyantse, les seuls marchés ouverts au commerce extérieur. Au cours de ce périlleux voyage, Tucci a commencé à collecter et à photographier des objets et des textes rares, témoignages précieux de la version tibétaine de la foi bouddhiste. Ce fut le début d'une extraordinaire collection de statues, de reliques et d'ornements, ainsi que d'une vaste et précieuse collection de livres, d'incunables, de parchemins et de 25.000 photographies. 

De retour en Italie en 1931, l'homme est alors devenu une célébrité. Académicien d'Italie depuis 1929, professeur "de renom" à l'université de Rome, Tucci, comme nous l'avons déjà mentionné, devient en 1933 vice-président de l'ISMEO et l'un des protagonistes de la politique orientale de Mussolini. Comme l'explique le professeur Garzilli : "Le pouvoir a toujours aidé Tucci, et vice versa. Il l'a utilisé et a été utilisé à son tour. Tucci a été un protagoniste de la politique culturelle et de la politique asiatique au sens strict mises en œuvre par Mussolini. Le fascisme l'a utilisé pour la propagande en Italie et la propagande en Asie".

Comme nous l'avons vu, il s'agit d'une collaboration qui n'est pas malvenue car, grâce aux fonds copieux fournis par le régime, Tucci organise de nouvelles expéditions au Népal et au Tibet, voyageant loin et obtenant des résultats scientifiques extraordinaires ; en même temps, le sage aventurier envoie des rapports précis directement au Duce tous les quinze jours. D'où, dans l'après-guerre, les accusations d'espionnage, mais quiconque a lu avec la moindre attention les splendides ouvrages de Peter Hopkirk sur le "grand jeu" comprendra aisément combien l'exploration, la littérature et le renseignement étaient à l'époque en synergie sous tous les drapeaux. Y compris le tricolore.

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Il est certain que Tucci a été un protagoniste informel mais important - comme le confirment ses voyages répétés au Japon et les archives de la Farnesina - du processus de rapprochement diplomatique avec Tokyo, qui a culminé en 1937 avec l'adhésion de l'Italie au pacte anti-Komintern. Dans son livre La lupa e il Sol levante (La louve et le soleil levant), Tommaso De Brabant souligne comment, une fois arrivé dans la capitale japonaise, l'homme de Macerata "a également prononcé un discours en japonais, apportant les salutations du Duce, et a ensuite ouvert des succursales de l'Institut culturel italo-japonais à Tokyo et Kyoto et mis en place un programme d'échanges culturels et commerciaux".

Lorsque la guerre éclate, le professeur, désormais incapable de voyager, en plus de se consacrer à l'étude et au catalogage de l'énorme quantité de matériel qu'il a collecté et de conclure son second mariage, collabore activement, de janvier 1941 à août 1943, à la revue Yamato, un mensuel culturel italo-japonais raffiné mais également partisan du Pacte tripartite.  La goutte classique dans le seau classique.

En juin 1944, les Anglo-Américains entrent dans Rome et un mois plus tard, les nouvelles autorités expulsent Tucci de l'université pour sa "participation active à la politique fasciste". Une brillante carrière soudainement calcinée. Mais l'homme n'a pas baissé les bras (il n'était pas du genre...) ; il a immédiatement commencé à bombarder les épurateurs de mémos et de documents et à activer son vaste réseau de contacts. Il finit par gagner la partie et le 8 janvier 1946, il est rappelé au service actif.

Grâce au soutien cossu mais efficace de Giulio Andreotti, l'ISMEO a rouvert en 1947 avec Tucci comme président. Une relation qui s'est poursuivie jusqu'à la mort du professeur, "plus diplomatique et discrète de la part du sénateur, vécue de manière plus emphatique par Tucci", explique Garzilli, qui souligne ce qu'Andreotti lui-même a dit sur la genèse de ce lien. "À l'époque, il était difficile de faire la distinction entre le scientifique et la personne liée au fascisme. Je l'ai fait". L'année suivante, le gouvernement tibétain lui donne l'autorisation de se rendre à Lhassa, la ville interdite; grâce à un important financement gouvernemental (sous les auspices du "divo Giulio"), une expédition est organisée et atteint la capitale tibétaine où le professeur rencontre le Dalaï Lama, le jeune Tenzin Gyatso, alors âgé de treize ans, qui, fasciné par sa personnalité, lui confie la garde d'une précieuse collection de volumes sacrés (évidemment jamais rendue...). Il n'en reste pas moins que les scientifiques italiens ont probablement été les derniers Occidentaux à respirer l'atmosphère de l'ancienne théocratie himalayenne. En 1950, la Chine maoïste resserre son emprise sur le Tibet et neuf ans plus tard, après avoir fait fuir le Dalaï Lama en Inde, elle annexe l'ensemble du territoire.

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Ayant clos le chapitre tibétain, l'infatigable président de l'ISMEO, avec sa nouvelle compagne Francesca Bonardi, accompagne Andreotti au Brésil en 1951, puis se tourne vers le Népal, avec deux expéditions en 1952 et 1954, au Pakistan, en Afghanistan et en Iran. Campagnes de fouilles avec des découvertes importantes. Son dernier chef-d'œuvre diplomatico-scientifique est cependant l'envoi d'une mission de l'ISMEO en Chine en 1957, treize ans avant la reconnaissance officielle de la nouvelle Chine par l'Italie et le rétablissement des relations entre Rome et Pékin. Une opération de soft power en synergie avec les politiques "néo-atlantistes" de Gronchi, Fanfani et Mattei. Non content de cela, toujours la même année, Tucci fonde le Musée d'art oriental à Rome où il concentre les collections de l'Institut (aujourd'hui, après la dissolution de l'ISMEO en 2012, elles sont conservées au Musée des civilisations et à la Bibliothèque nationale de Rome).

Dans ses dernières années, le professeur a cessé de voyager et s'est consacré de plus en plus à l'écriture et à la publication, mais dans l'Italie de l'époque, il était devenu une figure inconfortable. Il y avait ceux qui faisaient revivre (souvent avec art) son passé mussolinien, ceux qui en voulaient à sa relation avec le pouvoir politique, ceux - y compris nombre de ses étudiants - qui l'enviaient tout simplement. Ce n'est pas un hasard si, depuis sa mort le 5 avril 1984, le silence s'est imposé, l'obscurité s'est abattue sur sa figure exceptionnelle et son œuvre impressionnante. D'où l'importance du livre d'Enrica Garzilli, aussi novateur qu'il est parfois "dérangeant".  Les génies, même s'ils dérangent, doivent être rappelés à nos souvenirs.

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vendredi, 16 décembre 2022

Les "rouges-bruns" ou les "bolcheviques nationaux"?

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Les "rouges-bruns" ou les "bolcheviques nationaux"?

Matteo Luca Andriola

Source: Facebook de M. L. Andriola

Le terme "rouge-brun" est souvent utilisé dans le langage courant pour discréditer ceux qui, à partir de positions d'extrême gauche, remettent en question certains postulats de la pensée libérale. Le terme est né en Russie en 1991 et a été inventé par l'entourage lié à Boris Eltsine pour discréditer le CPFR de Gennadij Zjouganov qui, par le biais du "Front du salut national", mettait en œuvre l'entente inédite entre communistes et nationalistes russes. Le projet sera immédiatement imité et étudié par des noyaux militants issus du radicalisme de droite et nourris par les suggestions nationalistes-européennes de Jeune Europe de Jean Thiriart (1962-1969), un mouvement nationaliste-européen qui, comme l'ont documenté de nombreux historiens - je cite le professeur Aldo Giannuli dans son livre sur Ordine Nuovo, écrit avec son assistant Elia Rosati - entretenait des contacts, par le biais des renseignements locaux, avec la République populaire de Chine, la Roumanie socialiste de Nicolae Ceaușescu et plusieurs pays arabes anti-sraéliens, comme l'Égypte de Gamal Abd el-Nasser (ou plutôt la RAU, qui unissait l'Égypte et la Syrie).

Mais l'épithète journalistique "rouge-brun" - à mon avis à oublier et à ne pas utiliser dans le domaine académique sauf entre guillemets - plutôt que d'indiquer une certaine gauche antilibérale (elle a été utilisée, par exemple, pour stigmatiser Jean-Luc Mélenchon pour ses critiques de l'UE et son abstention lors du scrutin opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen, ainsi que pour critiquer le secrétaire communiste italien Marco Rizzo pour sa critique courageuse de l'UE, de l'OTAN et de l'euro qui ne plaisait pas aux opposants liés à l'extrême gauche post-communiste) serait plus approprié pour nommer une branche particulière du nationalisme européen.

Les photographies susmentionnées représentent en fait les militants nationaux-bolcheviques français de la Nouvelle Résistance de Christian Bouchet, fondée en août 1991, un mouvement qui était idéologiquement - comme Nuova Azione et plus tard le Mouvement antagoniste de l'Italien Maurizio Ulisse Murelli autour de la revue Orion - tercériste, perspective révolutionnaire nationaliste, national-européenne, écologiste, ethno-pluraliste et ethno-régionaliste, succédant directement à la Troisième Voie de Jean-Gilles Malliarakis (qui se manifesta de 1985 à 1991) et reprenant l'héritage du mouvement national-européen et national-communautaire Jeune Europe de Jean Thiriart (période de 1962 à 1969).

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Dans le sillage du solidarisme et du tercérisme des années 1960 et 1970, le mouvement national-bolchevique s'avère être, en termes d'idéologie et de praxis, l'une des composantes les plus originales de la droite radicale européenne, bien qu'il nie son appartenance à cette famille politique au même titre que la Nouvelle Droite.

Selon le professeur Jean Yves Camus, les référents historiques et idéologiques de ce "nouveau" national-bolchevisme (mais il devrait être appelé "national-communisme" ou, étant donné le lien avec Jeune Europe, "national-communautarisme") sont différents :

"Le courant national-bolchévique désigne certains théoriciens de la révolution conservatrice allemande appartenant, pour reprendre la classification d'Armin Mohler, à la fois au mouvement nationaliste-révolutionnaire (notamment Ernst Niekisch) et à certains du national-bolchévisme (Karl-Otto Paetel ; Fritz Wolfheim ; Heinrich Laufenberg), qui ont tenté d'élaborer dans l'Allemagne de Weimar une synthèse entre le nationalisme et le communisme (une sorte de "communisme national"), au point de passer de l'opposition au nazisme à sa liquidation par celui-ci. Il faut se souvenir de l'influence [...] d'une partie de la "Nouvelle Droite". A cela s'ajoute un autre auteur allemand de cette époque : Hans Blüher, qui place au centre de son idéologie la notion de "communauté masculine" (une communauté de combattants dont l'Eros masculin est le ciment) qui a été le fondement du mouvement Wandervogel. L'autre référence idéologique importante [...] est le groupe Jeune Europe (1960-1969) créé par le Belge Jean Thiriart (1920-1992). Ce dernier a été le premier, dans l'univers de la droite radicale européenne (Francis Parker Yockey, aux États-Unis, avait défendu la même thèse), à abandonner toute référence à l'État-nation et au nationalisme classique pour élaborer un "nationalisme européen". C'est une question de grande importance pour l'avenir de l'Union soviétique et pour l'avenir de l'Europe" [1].

L'un des référents des nationaux-bolcheviks, disions-nous, est la Nouvelle Droite, un courant de pensée né après 68 autour du GRECE (Groupement de recherches et d'études pour la civilisation européenne), un centre d'études français. La première synthèse idéologique diffusée par le GRECE et sa principale revue, Nouvelle École, entre 1968 et 1972, mettra l'accent sur l'inégalité et le déterminisme génétique : l'ennemi principal est évidemment le mouvement communiste. Le centre d'études va tenter de mener une "guerre culturelle" en se présentant dans les années 1970-1980 comme "hostile au marxisme et à toutes les formes de gauchisme et de subversion" [2] et en mettant en place dès le départ "une action métapolitique sur la société". Une action consistant à répondre au 'pouvoir culturel' [marxiste] sur son propre terrain: avec un contre-pouvoir culturel" [3].

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Entre 1972 et 1979, une nouvelle formulation doctrinale fait son apparition, fondée sur l'anti-égalitarisme et le paganisme européiste: un néo-aristocratisme "nietzschéen" s'articule bel et bien avec un "antiracisme" différentialiste et une doctrine "scientifique" de l'identité culturelle, à partir de l'intégration des travaux de l'anthropologue et spécialiste de la civilisation indo-européenne Georges Dumézil. Un culturalisme de droite, donc, dont le principal adversaire devient l'égalitarisme d'origine monothéiste. Entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1980, on assiste enfin à un ultime retournement idéologique, autour du tiers-mondisme différentialiste, du postmodernisme "de droite" et de la redécouverte du "sacré" et du paganisme comme fondement de l'identité européenne "profonde", toutes réflexions que l'on retrouvera aussi bien dans le mouvement national-bolchevique que dans le mouvement identitaire, qui s'inspirera largement des réflexions de l'aile völkisch de la Nouvelle Droite, à savoir les réflexions de Dominique Venner, Jean Mabire, Robert Steuckers, Guillaume Faye, etc. Sur tout domine la défense de l'enracinement, le respect absolu des différences contre "les promoteurs d'une perdition de l'humanité", ceux qui incarnent le condominium américano-soviétique. La Nouvelle Droite se présente comme le promoteur de la défense tous azimuts de la diversité et de la tolérance contre celle de l'uniformité impériale et de la déculturation des peuples, le soi-disant "mondialisme". L'ennemi principal se déplace à nouveau, prenant un visage inattendu, celui de l'Amérique, de l'occidentalisme, de l'atlantisme.

Plus explicitement que la Nouvelle Droite et le GRECE d'Alain de Benoist, les nationaux-bolcheviks, tirant également leur sève des disciples d'Ernst Niekisch "désireux de synthétiser le prussianisme et le bolchevisme en s'alliant à la Russie communiste" [4] et luttant contre la République de Weimar et l'ordre imposé à Versailles par les forces de l'Entente, actualiseront leur lutte, non seulement métapolitique mais aussi militante, contre le "nouvel ordre mondial" mondialiste. Mais il ne s'agit pas d'une simple re-proposition de la pensée de Niekisch, mais d'une actualisation de celle-ci, le "national-communisme". Selon le groupe italien Orion, le terme "national-communisme" doit être compris comme suit : "... la fusion parfaite (fusion et non assemblage opportuniste) entre l'essence de l'enseignement de la droite historique, fondé sur les bases d'une métaphysique réellement vécue et perçue, c'est-à-dire la réalité de l'esprit comme supérieur aux lois de l'économie, et l'enseignement marxiste, c'est-à-dire la science de l'extinction de la domination du profit sur les esprits et les émotions des hommes. Le national-communisme est la fusion de l'idéologie de droite de l'Empire, comprise comme société humaine régie par les valeurs de l'esprit, et de la sociologie marxiste comme la plus parfaite des sciences sociales dans la réalisation d'une structure qui rende réellement possible l'expression de la spiritualité dans l'histoire et la science humaines" [5].

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Maurizio Murelli (photo) donnera sa propre définition précise de la "nouvelle synthèse" national-communiste hérétique :

"Dépasser la 'droite' et la 'gauche' ne signifie pas que l'une de ces deux considérations idéologiques doit nécessairement infiltrer ou asservir l'autre. Il ne s'agit pas non plus de produire des sommes alchimiques entre le "rouge" et le "noir". La nouvelle synthèse politique signifie une présence consciente et volontaire face aux décombres et surtout face à l'insupportable agression de la Haute Finance qui vise à imposer le Nouvel Ordre Mondial ; elle signifie la présence d'hommes de diverses origines qui ont traversé les vastes plaines idéologiques de diverses longitudes et latitudes, et non d'hommes qui se laissent engloutir par les marécages dogmatiques" [6].

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L'un des théoriciens de cette "nouvelle synthèse" est Carlo Terracciano, le "père" de la géopolitique eurasiste dans la "zone" Italie. Il va jusqu'à historiciser le fascisme et le national-socialisme - bien que des liens forts subsistent compte tenu du contexte de la rédaction historique de la revue Orion -, ce qui permet une relecture critique : dans "Rote Fahne und Schwarze Front - La leçon historique du national-bolchevisme", essai d'introduction au volume National-bolchevisme d'Erich Müller (Barbarossa, 1988), Terracciano, qui analyse l'expérience de la composante nationale-bolchevique révolutionnaire-conservatrice, les théories de Pierre Drieu La Rochelle, Emmanuel Malynski, de l'aile sociale du fascisme et du national-socialisme (le "fascisme révolutionnaire"), etc. , trace les lignes de l'actualisation de ces expériences, le "national-communisme", au-delà du nationalisme et du communisme des 19ème et 20ème siècles :

"Aujourd'hui, le nationalisme est compris comme l'enracinement ethnique, historique, culturel en sa propre terre, modifié jusque dans son paysage par des millénaires de culture, dans la 'petite' et la 'grande' patrie, jusqu'à s'étendre à l'unité du continent eurasien. Quant au 'communisme', il va bien au-delà de la pensée de Marx et Lénine et de leurs disciples, il le précède de millénaires dans sa théorie et sa pratique des communautés paysannes, des ordres monastiques-guerriers, des peuples, des empires entiers" [7].

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Pour Terracciano, il existait un communisme pré-marxiste qu'il fallait redécouvrir, un "national-communautarisme" qui, au-delà de la scientificité de Karl Marx et Friederich Engels, montrait que l'homme n'est pas une monade individualiste mais un animal communautaire (...) Le national-communisme n'est donc pas un fatras confus comme on pourrait le penser au premier abord, la somme du communisme et du national-socialisme ou du fascisme mais, dans une phase historique comme les années 1980-1990 où, suite aux changements économiques et structurels concernant la transition de l'accumulation "fordiste" ou, comme on l'appelle, de l'accumulation rigide [à] l'accumulation post-fordiste ou flexible, qui ont marqué son histoire au cours du siècle dernier jusqu'à nos jours" [8], une rediscussion des idéologies modernes, jugées incapables par l'avènement de la post-modernité et de la "pensée faible", se manifeste dans les domaines politico-culturel et philosophique. Le "national-communisme" - également élaboré par d'autres sodalités intellectuelles, comme dans l'espace franco-belge par la Nouvelle Droite, s'appuyant également sur l'héritage de Jeune Europe de Jean Thiriart [9] - est perçu comme la réponse, surfant sur la crise des idéologies non pas en les archivant, mais en en élaborant de nouvelles.

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La "nouvelle synthèse" national-communiste va jusqu'à proposer audacieusement - tout en étant conditionnée par la Nouvelle Droite - l'union des idéaux du "fascisme-mouvement" (selon l'expression inventée par Renzo De Felice) avec ceux du bolchevisme d'avant le régime, avec un regard sur le monde islamique (en particulier l'Iran de Khomeini) et la spiritualité russe, un projet national-communiste où l'espace culturel se trouve "en plus de la SS", de Degrelle et du Rexisme, d'Evola et de Guénon, des auteurs "interdits" - de Brasillach à Drieu La Rochelle à Codreanu - et des "fascistes hérétiques" à la Berto Ricci, des théoriciens de la révolution konservatrice allemande, d'autres figures "irrégulières" comme Noam Chomsky plutôt que le communiste-fondamentaliste Zjouganov, et même les mythes de la gauche, de Mao Dzedong à Che Guevara". [10]

Comment affronter, alors, un mouvement de pensée novateur qui a non seulement conditionné des mouvements radicaux tels que les mouvements nationaux-bolcheviques et identitaires, mais qui voit certains de ses principaux intellectuels se détacher formellement de la maison mère militante et greciste, à travers un réseau bien établi de revues et de centres d'études, dans le national-populisme, en essayant de l'orienter, en vain, vers des rivages post-libéraux, anti-mondiaux et anti-américains, un courant qui n'a jamais cessé de transformer les pensées élaborées par la gauche, en les repensant à sa manière ? Pierre-André Taguieff consacre une partie importante de son livre Sur la Nouvelle Droite à ce problème, prenant ses distances avec l'approche diabolisante adoptée dans les campagnes de délégitimation orchestrée par la gauche française, centrées sur la prétendue "nazification" de GRECE et de Benoist, campagne dénigrante qui a débuté à l'été 1979, puis s'est réactivée en 1992-1993 suite aux relations avec Alexandre Dougine, à l'époque théoricien du national-bolchevisme russe, puis du néo-eurasianisme et de la "Quatrième théorie politique", et critiquée de nos jours pour son ouverture à Antonio Gramsci, à la pensée écologiste de la décroissance heureuse de Serge Latouche, et aux intellectuels communitaristes de formation marxienne et socialiste comme Costanzo Preve et Jean-Claude Michéa.

La confrontation avec la Nouvelle Droite et ses "dissidents" doit, au contraire, se fonder - comme l'a d'abord soutenu Raymond Aron - non pas sur l'anathème, mais sur la "réponse intellectuelle" et la création d'une "pensée forte" marxiste, communautaire et anti-impérialiste, capable de s'opposer au prétendu "marxisme occidental" et au post-modernisme. Comme la "réponse intellectuelle" illustrée par Taguieff, qui, précisément à partir de la nécessité de répondre au culturalisme de de Benoist, arrive à la formulation du concept de "néo-racisme différentialiste", qui est maintenant entré dans la boîte à outils des historiens et des sociologues [11].

NOTES :

[1] J.-Y. Camus, " Une avant-garde populiste : "peuple" et "nation" dans le discours de Nouvelle résistance ", in Mots, n°55, juin 1998, pp. 128-129.

[2] R. De Herte [A. de Benoist], "Le terrorisme intellectuel", in Élément, n° 3, janvier 1974.

[3] R. De Herte [A. de Benoist], "La révolution conservatrice", in Éléments, n° 20, février-avril 1977, p. 3.

[4] Matteo Luca Andriola, La nouvelle droite en Europe. Il populismo e il pensiero di Alain de Benoist [2014], Paginauno, Milan 2019, p. 45.

[5] Ce qu'il faut entendre par national-communisme, dans Orion, nouvelle série, mai 1994.

[6] M. Murelli, Le projet, dans Orion, nouvelle série, février 1993, p. 1.

[7] C. Terracciano, "Rote Fahne und Schwartze Front" : la lezione storica del nazionalbolscevismo, in E. Müller, C. Terracciano, Nazionalbolscevismo, Edizioni Barbarossa, Saluzzo 1988, p. 47.

[8] R. Finelli, Globalisation, postmodernisme et "marxisme de l'abstrait", in Consecutio temporum. Revue critique de la postmodernité", a. I, n° 1, juin 2011. Cf. également R. Bellofiore, Après le fordisme, quoi ? Le capitalisme de fin de siècle au-delà des mythes, dans R. Bellofiore (ed.), Le travail de demain. Globalizzazione finanziaria, ristrutturazione del capitale e mutamenti della produzione, Biblioteca Franco Segantini, Pisa 1998, pp. 23-50 et D. Harvey, The Crisis of Modernity. Réflexions sur les origines du présent, tr. it. par M. Viezzi, Net, Milan 2002, pp. 151, 152.

[9] Cf. C. Terracciano, " Jean Thiriart : prophète et militant ", dans Orion, nouvelle série, n° 252, septembre 2005.

[10] Marco Fraquelli, À la droite de Porto Alegre. Perché la Destra è più no-global della Sinistra, Rubbettino, Soveria Mannelli 2005, p. 64.

[11] Pierre-André Taguieff, Sur la nouvelle droite. Itinerario di un intellettuale atipico, Vallecchi, Florence 2003, pp. 347-398.

 

mercredi, 14 décembre 2022

Les États-Unis ont envisagé d'infiltrer des raiders et de déstabiliser l'Ukraine dès 1957

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Les États-Unis ont envisagé d'infiltrer des raiders et de déstabiliser l'Ukraine dès 1957

par Gianandrea Gaiani 

Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/gli-stati-uniti-valutavano-di-infiltrare-incursori-e-destabilizzare-l-ucraina-gia-nel-1957

Les opérations américaines visant à déstabiliser l'Ukraine et à l'éloigner de Moscou ont commencé dès les premiers stades de la guerre froide, du moins au niveau de la planification. Selon les analystes américains, un soulèvement antisoviétique aurait bénéficié d'un large soutien dans différentes régions de la République socialiste soviétique d'Ukraine et la ligne de démarcation entre "pro-" et "anti-Moscou" aurait suivi à peu près la même frontière que celle qui sépare aujourd'hui les républiques populaires de Donetsk et de Louhansk (RPD et RPL) et la Crimée du reste de l'Ukraine.

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C'est ce qui ressort d'une étude intitulée "Factors of Resistance and Areas of Special Forces Operations in Ukraine - 1957", commandée par l'armée américaine au Georgetown University Research Project. Une étude qui rappelle, par ses thèmes et son approche analytique, les études soviétiques qui ont vu le jour après la chute de l'URSS et du Pacte de Varsovie, dans lesquelles les possibilités d'infiltrer des raiders et d'inciter à des soulèvements dans les États européens membres de l'OTAN étaient évaluées.

La CIA a déclassifié cette étude en 2014 (l'année où les événements du Maïdan ont conduit au renversement du gouvernement de Kiev proche de Moscou), qui a également été citée en détail par la BBC dans un article de 2017 traçable aujourd'hui sur le web dans la version en langue russe alors que la version anglaise semble traçable après une recherche sommaire sur le site avoué pro-Moscou Stalkerzone.

Les États-Unis, sous la présidence de Harry Truman, ont fait face à la guerre froide en se lançant dans une politique de "transformation" des ennemis vaincus (Allemagne et Japon) en amis et des alliés de la Seconde Guerre mondiale (URSS) en ennemis.

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De plus, il est intéressant de noter qu'en réponse à l'opération Barbarossa (l'invasion de l'URSS par l'Axe), c'est le même Harry Truman, sénateur en 1941, qui a déclaré que "si nous voyions l'Allemagne gagner, nous devrions soutenir la Russie, mais si la Russie était proche de la victoire, nous devrions aider l'Allemagne et, de cette façon, les laisser s'entretuer aussi longtemps que possible" (McCullough, David, 15 juin 1992) (Truman. New York, New York : Simon & Schuster. p. 262. ISBN 978-0-671-45654-2).

La CIA, créée par Truman lui-même en 1947, devient alors le principal instrument des opérations clandestines qui caractérisent la politique étrangère de Washington.

En gros, l'étude de 1957 divise l'Ukraine en 12 zones délimitées en fonction de la loyauté envers l'URSS ou du soutien à un éventuel soulèvement contre le gouvernement soviétique, en tenant compte du fait que de 1945 au milieu des années 1950, les organisations de résistance antisoviétiques sont restées actives (en Ukraine comme dans les républiques baltes annexées à l'URSS) : le rapport rappelle qu'une seule poche de résistance a été enregistrée comme active après 1955, dans la région montagneuse des Carpates.

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Comme on pouvait l'imaginer, la partie occidentale de l'Ukraine - en particulier les régions de Volhyn et de Lutsk, qui comprennent des villes telles que Kovel, Lutsk, Kostopol et Vladimirovets - a été jugée par les analystes américains comme étant la plus "prometteuse" pour déclencher une insurrection et y infiltrer des forces spéciales (carte ci-dessus).

Le rapport attribue les sentiments antisoviétiques surtout à la Galicie (Lvov, Ternopil et Ivano-Frankovsk) dans la zone comprenant les régions de Kiev, Tcherkassy, Jitomir et Khmelnytsk, où la population locale pourrait fournir "un soutien important aux forces spéciales américaines" puisqu'il y avait un puissant mouvement ukrainien dans cette zone en 1917-1921 et une forte résistance armée pendant la collectivisation.

Les zones de l'Ukraine qui bordent la Hongrie et la Roumanie semblaient également présenter un intérêt pour l'infiltration de forces spéciales. Selon les données américaines, en Transcarpathie, les formations de la résistance ukrainienne antisoviétique ont opéré après la Seconde Guerre mondiale au nord d'Ujgorod et dans les zones montagneuses. Une situation similaire a été constatée dans la région de Tchernovtsyi où les rebelles ukrainiens sont actifs dans les zones montagneuses.

En revanche, la Crimée et le Donbass ont été définis comme "peu prometteurs" parce que la population locale, dans sa majorité, était pro-gouvernementale, se considérant, en fait, comme russe plutôt qu'ukrainienne (ZONES I et II).

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Le conflit entre les ZONES III-XII et les ZONES I-II est décrit dans le rapport de 1957 comme "très probable" et potentiellement "faisable", ce qui indique une escalade des affrontements au sein de l'URSS en vue de son effondrement. Dans le même rapport, la CIA estimait que les zones 3, 4 et 5 (Odessa, Kharkiv, Zaporozhye) se rangeraient également du côté du Donbass si un tel conflit éclatait.

Il est donc intéressant de se pencher sur la cartographie de l'Ukraine créée par la CIA en 1957 dans le contexte imaginé d'un déploiement d'unités des forces spéciales américaines en soutien à une insurrection. Quelque 60 ans plus tard, on ne peut que constater plusieurs similitudes avec la situation actuelle.

Des régions assurément pro-russes du Donbass aux régions "tendanciellement" pro-russes d'Odessa, Kharkiv, Zaporozhye (et Kherson), en passant par les oblasts du centre-ouest habités par une population aujourd'hui largement aussi hostile à Moscou qu'elle l'était à l'URSS pendant la guerre froide.

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Après avoir analysé la géographie, les sentiments de la population et les cibles stratégiques pour le sabotage, le rapport a mis en évidence cinq zones où les forces spéciales pourraient mener des attaques efficaces (dans la carte ci-dessus), principalement dans les régions du nord et de l'ouest, mais aussi le long de la côte sud de la Crimée, une zone riche en cibles militaires et infrastructurelles où, selon le rapport, les forces spéciales américaines compteraient sur le soutien des Tatars de Crimée considérés comme antisoviétiques.

Dans ce contexte, la région économique la plus importante, le Donbass, a été décrite comme totalement inadaptée en raison du manque d'endroits où se déguiser, de la forte densité de la population et d'un "grand nombre de Russes et d'Ukrainiens russifiés".

Le rapport ne contient aucune indication quant au moment ou aux conditions qui auraient pu déclencher les opérations des forces spéciales américaines en Ukraine soviétique, il apparaît avant tout comme une contribution analytique utile à la planification d'opérations à mettre en œuvre rapidement en cas de conflit et confirme comment, déjà dans les premières années de la guerre froide, l'Ukraine était considérée par les États-Unis comme la "charnière" reliant la Russie à l'Europe dans laquelle mettre en évidence les faiblesses et les vulnérabilités de Moscou et, ensuite, se préparer à frapper.

En 1997, quarante ans après l'étude commandée par l'armée américaine, Zbigniew Brzezinski, un politologue américain d'origine polonaise qui a été conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter, a théorisé dans son livre "Le grand échiquier" que sans le contrôle de l'Ukraine, la Russie perdrait son rôle de puissance en Europe.

 

dimanche, 11 décembre 2022

Tocqueville et le grand et coûteux avènement de la classe moyenne en France

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Tocqueville et le grand et coûteux avènement de la classe moyenne en France

Nicolas Bonnal

Lire et relire Tocqueville. Il a découvert avant tout le monde le peuple nouveau de Macron. C’est un peuple conforté, étatisé, subventionné, mais aussi socialiste, européen, belliqueux et progressiste en diable. Tocqueville comme Cournot sait que plus rien de grand ne nous attend après 1789. En 1848 il assiste écœuré et même ennuyé à la très actuelle révolution de 1848. Et il dit de notre histoire moderne dans ses splendides Souvenirs :

« Notre histoire, de 1789 à 1830, vue de loin et dans son ensemble, ne doit apparaître que comme le tableau d’une lutte acharnée entre l’ancien régime, ses traditions, ses souvenirs, ses espérances et ses hommes représentés par l’aristocratie, et la France nouvelle conduite par la classe moyenne. 1830 a clos cette première période de nos révolutions ou plutôt de notre révolution, car il n’y en a qu’une seule, révolution toujours la même à travers des fortunes diverses, que nos pères ont vu commencer et que, suivant toute vraisemblance, nous ne verrons pas finir. »

Et en 1830 triomphe de la classe moyenne qui est venu avec le culte étatique :

« En 1830, le triomphe de la classe moyenne avait été définitif et si complet que tous les pouvoirs politiques, toutes les franchises, toutes les prérogatives, le gouvernement tout entier se trouvèrent renfermés et comme entassés dans les limites étroites de cette seule classe, à l’exclusion, en droit, de tout ce qui était au-dessous d’elle et, en fait, de tout ce qui avait été au-dessus. Non seulement elle fut ainsi la directrice unique de la société, mais on peut dire qu’elle en devint la fermière. Elle se logea dans toutes les places, augmenta prodigieusement le nombre de celles-ci et s’habitua à vivre presque autant du Trésor public que de sa propre industrie. »

Flaubert a résumé aussi ces événements dans sa correspondance ; et Taine. Guénon en parle aussi de cette classe moyenne qui précipite la Fin de la Tradition en Occident – et qui gobe goulument Reset et vaccin.

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Tocqueville évoque même, comme le Nietzsche du Zarathoustra, un « rapetissement » universel:

« A peine cet événement eut-il été accompli, qu’il se fit un très grand apaisement dans toutes les passions politiques, une sorte de rapetissement universel en toutes choses et un rapide développement de la richesse publique. L’esprit particulier de la classe moyenne devint l’esprit général du gouvernement ; il domina la politique extérieure aussi bien que les affaires du dedans : esprit actif, industrieux, souvent déshonnête, généralement rangé, téméraire quelquefois par vanité et par égoïsme, timide par tempérament, modéré en toute chose, excepté dans le goût du bien-être, et médiocre ; esprit, qui, mêlé à celui du peuple ou de l’aristocratie, peut faire merveille, mais qui, seul, ne produira jamais qu’un gouvernement sans vertu et sans grandeur. »

Médiocrité, malhonnêteté, vanité, toute notre histoire républicaine dont la finalité est un rabougrissement de la destinée du pays dont de Gaulle eut le dernier la vision. Il poursuit :

« Maîtresse de tout comme ne l’avait jamais été et ne le sera peut-être jamais aucune aristocratie, la classe moyenne, devenue le gouvernement, prit un air d’industrie privée ; elle se cantonna dans son pouvoir et, bientôt après, dans son égoïsme, chacun de ses membres songeant beaucoup plus à ses affaires privées qu’aux affaires publiques et à ses jouissances qu’à la grandeur de la nation. »

Mais le Français ne voulait pas de retour en arrière, pour rien au monde ; il est moins nostalgique encore que l’américain qui a les indiens ; il est content de son « égalité » :

« L'ancienne dynastie était profondément antipathique à la majorité du pays. Au milieu de cet alanguissement de toutes les passions politiques que la fatigue des révolutions et leurs vaines promesses ont produit, une seule passion reste vivace en France : c'est la haine de l'ancien régime et la défiance contre les anciennes classes privilégiées, qui le représentent aux yeux du peuple. Ce sentiment passe à travers les révolutions sans s'y dissoudre, comme l'eau de ces fontaines merveilleuses qui, suivant les anciens, passait au travers des flots de la mer sans s'y mêler et sans y disparaître. »

La haine des rois est permanente, voir le sort de Notre-Dame ; on n’a pas ici besoin de cancel culture made in USA.

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Personne n’aime alors vraiment la république ; mais ces haines sont molles :

« La république était sans doute très difficile à maintenir, car ceux qui l'aimaient étaient, la plupart, incapables ou indignes de la diriger et ceux qui étaient en état de la conduire la détestaient. Mais elle était aussi assez difficile à abattre. La haine qu'on lui portait était une haine molle, comme toutes les passions que ressentait alors le pays. D'ailleurs, on réprouvait son gouvernement sans en aimer aucun autre. Trois partis, irréconciliables entre eux, plus ennemis les uns des autres qu'aucun d'eux ne l'était de la république, se disputaient l'avenir. De majorité, il n'y en avait pour rien. »

Toujours au même point, pas vrai ?

Tout le monde surtout veut déjà vivre de subventions et de manne publique (O Louis Blanc ! O ateliers nationaux ! O Bastiat !) :

« La vérité est, vérité déplorable, que le goût des fonctions publiques et le désir de vivre de l'impôt ne sont point chez nous une maladie particulière à un parti, c'est la grande et permanente infirmité de la nation elle-même ; c'est le produit combiné de la constitution démocratique de notre société civile et de la centralisation excessive de notre gouvernement ; c'est ce mal secret, qui a rongé tous les anciens pouvoirs et qui rongera de même tous les nouveaux. »

Une fois son confort assuré on peut divaguer socialo, woke ou autre.

Le grand esprit parlera « d’industrie de la place » dans son Ancien régime ; c’est Taine qui parle de cette profusion du bourgeois, espèce qui croît avec l’étatisme (La Fontaine et ses Fables, dernière expression de l’esprit français traditionnel).

Avec un peuple comme ça, pas de théorie du complot ; Tocqueville l’attaque impeccablement dans sa lettre au marquis de Circourt et dans sa correspondance avec Gobineau :

« C’est mal employer le temps que de rechercher quelles conspirations secrètes ont amené des événements de cette espèce. Les révolutions, qui s’accomplissent par émotion populaire, sont d’ordinaire plutôt désirées que préméditées. Tel qui se vante de les avoir machinées n’a fait qu’en tirer parti. Elles naissent spontanément d’une maladie générale des esprits amenée tout à coup à l’état de crise par une circonstance fortuite que personne n’a prévue ; et, quant aux prétendus inventeurs ou conducteurs de ces révolutions, ils n’inventent et ne conduisent rien ; leur seul mérite est celui des aventuriers qui ont découvert la plupart des terres inconnues. Oser aller toujours droit devant soi tant que le vent vous pousse. »

Et comme on citait Gobineau…

Arthur de Gobineau résume, assez génialement doit-on dire, le présent perpétuel des Français (Lettre de Téhéran adressée à Tocqueville, 29 novembre 1856) :

« Un peuple qui, avec la République, le gouvernement représentatif ou l’Empire, conservera toujours pieusement un amour immodéré pour l’intervention de l’Etat en toutes ses affaires, pour la gendarmerie, pour l’obéissance passive au collecteur, au (illisible), à l’ingénieur, qui ne comprend plus l’administration municipale, et pour qui la centralisation absolue et sans réplique est le dernier mot du bien, ce peuple-là, non seulement n’aura jamais d’institutions libres, mais ne comprendra même jamais ce que c’est. Au fond, il aura toujours le même gouvernement sous différents noms… »

Vite, un successeur à Macron…

https://fr.wikisource.org/wiki/Souvenirs_(Tocqueville)/Te...

vendredi, 09 décembre 2022

Charles Douglas Jackson, le psycho-guerrier de la Maison Blanche

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Charles Douglas Jackson, le psycho-guerrier de la Maison Blanche

Pietro Emanueli

Source: https://insideover.ilgiornale.it/schede/storia/charles-douglas-jackson-lo-psico-guerriero-della-casa-bianca.html?_gl=1*r1372n*_ga*MTk0Nzk3NDM1LjE2NTY3NTcyNDA. *_ga_ENZ2GEXW4Y*MTY3MDYwMTI5MS42MS4wLjE2NzA2MDEyOTEuMC4wLjA.*_ga_N875FNGMRC*MTY3MDYwMTI5MS4xNS4wLjE2NzA2MDEyOTEuMC4wLjA.&_ga=2.66924710.967987776.1670601292-194797435.1656757240

Contrôler, déresponsabiliser et corrompre les gens n'a jamais été aussi facile qu'aujourd'hui, au 21ème siècle, à l'heure des guerres hybrides, de l'info-démocratie, de la biopolitique, du capitalisme de surveillance, des armes cognitives et du neuro-marketing. Un temps, le contemporain, auquel appartiennent des phénomènes tels que les post-vérités, la dé-démocratisation des démocraties libérales et l'intoxication des masses par un panem et circenses quelque part entre George Orwell et Aldous Huxley.

Notre époque est indéchiffrable, où rien n'est ce qu'il semble être, car tout est ou pourrait être une arme neurologique - de la musique au divertissement -, et où personne n'est ce qu'il prétend être, car tout le monde est ou pourrait être un propagateur de pensée déguisé - comme les influenceurs.

Les vrais, uniques et grands vainqueurs de cette ère grouillante de sycophantes et d'écervelés seront ceux qui, en identifiant le Logos dans les abysses des post-vérités, sauront défendre leur autonomie cognitive-intellectuelle contre la force désindividuante et spoliatrice de la massification. Et le secret pour gagner cette bataille, pour maintenir une "pensée souveraine" dans l'ère sombre de la pensée de groupe et de la moralité de troupeau, réside peut-être dans l'expérience des pères fondateurs de la propagande, comme Edward Bernays et Charles Douglas Jackson.

Une carrière fulgurante

141870510_1476793796.jpgCharles Douglas Jackson est né à New York le 16 mars 1902. On sait peu de choses de son enfance, de son adolescence et de son milieu familial, si ce n'est qu'il a été diplômé de Princeton en 1924.

C'est depuis l'époque postérieure à sa graduation que tout (ou presque) sur Jackson est dans le domaine public. Son ascension au sommet de la pyramide du pouvoir nord-américain commencera en 1931, l'année où il rejoindra la rédaction du Time Magazine du prédicateur Henry Luce. Le magazine, loin d'être indépendant et non pertinent, était un mégaphone de l'establishment, l'État profond, et au sein de celui-ci, Jackson se ferait remarquer pour avoir produit un contenu très persuasif.

Ensorcelée par les qualités de Jackson, l'influent Henry Luce réussira, en 1940, à le faire entrer dans l'organisation, puis dans la direction, d'un comité pro-guerre: le Council for Democracy. Jackson, en un mot, devait convaincre le public américain de la nécessité de participer à la Seconde Guerre mondiale - avant que Pearl Harbour n'ait lieu.

Aidé par maître Luce, qui avait entre-temps rejoint un cercle d'étoiles montantes du calibre d'Allen Welsh Dulles - futur directeur de la Central Intelligence Agency - et de Dean Acheson - futur sous-secrétaire d'État dans l'administration Truman -, Jackson devait entrer dans la war room dès le début du conflit.

Le psycho-guerrier de la Maison Blanche

La Seconde Guerre mondiale fera passer Jackson de la propagande à la guerre psychologique. D'abord affecté à l'ambassade des États-Unis en Turquie, il se verra confier, entre 1943 et 1945, des rôles plus appropriés: formulateur de programmes psychologiques pour le Bureau des services secrets et la Division de la guerre psychologique du Quartier général suprême des forces expéditionnaires alliées.

Après la guerre, ayant (dé)montré ses compétences aux responsables, Jackson n'aura plus besoin du soutien du maître. Au contraire, Jackson commencerait à lui rendre l'aide précieuse qu'il avait reçue au fil des ans, en le soutenant dans la gestion du magazine qui l'avait formé.

Il faisait partie des meilleurs propagandistes, si ce n'est le meilleur, et son nom était donc demandé partout. En 1951, par exemple, la CIA nouvellement fondée voulait qu'il dirige le Comité pour l'Europe libre, du sein duquel naîtrait la célèbre Radio Liberty, toujours active aujourd'hui. Et l'année suivante, il est engagé pour écrire les discours du candidat à la présidence Dwight Eisenhower.

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Eisenhower, qui a remporté les élections (aussi) grâce au travail remarquable de ce propagandiste né, une fois à la Maison Blanche, le contractera comme conseiller pour la guerre psychologique. À ce titre, en très peu de temps, Jackson allait jeter les bases d'une future victoire dans la guerre froide et laisser un héritage tangible à la postérité. En plus de convaincre ses collègues de l'impératif de moderniser Radio Liberty, Jackson jouera en effet un rôle clé dans la création du groupe Bilderberg.

On ne peut comprendre l'importance de la contribution de Jackson au Bilderberg qu'en examinant les chiffres éloquents de sa participation aux travaux. Faisant partie des membres de la première édition, tenue en 1954, Jackson sera également invité à celles de 1957, 1958, 1960, 1961, 1962, 1963 et 1964.

La contribution de Jackson

Jackson est mort le 18 septembre 1964, après s'être également rendu aux Nations unies. Bien que sa carrière au service de la Maison Blanche ait été relativement courte, puisqu'elle a duré plus ou moins une décennie, il reste dans les mémoires comme l'un des plus grands experts en opérations psychologiques du 20ème siècle.

Les raisons de la célébrité éternelle de Jackson sont multiples. Outre le fait d'avoir compris le potentiel de Radio Liberty, de réaliser l'importance d'avoir un comité tel que le Bilderberg pour renforcer le partenariat euro-atlantique, Jackson est celui qui a suggéré à la Maison Blanche de surmonter le maccarthysme - estimant qu'une persuasion douce était plus productive qu'une chasse aux sorcières -, a façonné l'opération Mockingbird - le nom de code d'une campagne d'infiltration de la CIA dans la presse grand public et à Hollywood - et, dans l'ensemble, a fait en sorte que l'art de la guerre psychologique devienne une composante essentielle du modus belli gerendi des États-Unis.

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Aujourd'hui, au 21ème siècle, la stratégie de psycho-guerre des États-Unis continue de parler la langue de Jackson : les médias comme arme de manipulation de masse, le cinéma comme outil de propagande et les comités inter-atlantiques pour maintenir la relation entre les États-Unis et l'Europe vivante, ferme et étroite.

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mercredi, 23 novembre 2022

L'Ecole de Sagesse du Comte Keyserling - Une leçon d'influence culturelle

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L'Ecole de Sagesse du Comte Keyserling

Une leçon d'influence culturelle

Par Manuel Fernández Espinosa

Ex : http://movimientoraigambre.blogspot.com

Les généalogistes disent qu'il avait Genghis Khan comme ancêtre par l'intermédiaire d'une grand-mère et on sait qu'il était marié à la petite-fille d'Otto von Bismarck. Hermann Alexander Comte Keyserling (1880-1946) était un philosophe plutôt populaire selon les normes de sa profession ; aujourd'hui, on se souvient à peine de lui. Avec la révolution bolchevique, il a été contraint d'émigrer en Allemagne, abandonnant ses domaines dans la Livonie balte dont il était originaire. Sa curiosité philosophique l'a conduit à entreprendre une série de voyages, faisant de lui un véritable homme du monde. Son intérêt pour les philosophies et les religions d'Extrême-Orient et la connaissance qu'il a acquise de ces traditions au cours de ses voyages et de ses études lui ont valu le rôle d'interlocuteur européen en Asie, à tel point qu'Antonio Machado a pu écrire à son sujet : "il porte l'Orient dans son sac de voyage, prêt à ce que le soleil se lève là où on l'attend le moins" ("Juan de Mairena", Antonio Machado).

En 1920, le comte Keyserling fonde son "École de la sagesse" (Schule der Weisheit) à Darmstadt, sous le patronage du grand-duc Ernst Ludwig de Hesse. Avec la Schule der Weisheit, un centre de haute culture a été créé, qui avait deux dimensions : une dimension publique, en tant que centre d'éducation indépendant des églises et de l'université, organisant des conférences, et une autre dimension, moins connue, de nature occulte. Nous ne devrions pas être choqués par le fait de son "occultisme", puisque l'Allemagne de l'entre-deux-guerres (comme Thomas Mann et Ernst Jünger nous le relatent dans leurs romans...) était un terrain favorable aux sociétés secrètes et à leurs prétendues doctrines de salut.

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Les intellectuels les plus remarquables de l'Allemagne de l'entre-deux-guerres sont passés par l'École de la Sagesse dans leurs activités publiques: le philosophe Max Scheler, le père de la psychologie des profondeurs Carl Gustav Jung, le sinologue Richard Wilhelm, le philosophe Leopold Ziegler, etc. Des scientifiques et des industriels allemands ont également été invités à donner des cours ou à assister à des conférences. L'École de la Sagesse a imprimé deux périodiques qui sont devenus ses organes de presse : Der Weg zur Vollendung. Mitteilungen der Schule der Weisheit ("Le chemin de la perfection. Communications de l'école de la sagesse") et Der Leuchter. Weltanschauung und Lebensgestaltung. Jahrbuch der Schule der Weisheit ("Le luminaire. Vision du monde et formation à la vie. Annuaire de l'école de la sagesse"). En 1920, la Keyserling-Gesellschaft für freie Philosophie (Société de Keyserling pour la philosophie libre) a également été fondée, qui a été relancée à Wiesbaden en 1948.

Les intellectuels les plus engagés dans le projet du comte Keyserling étaient tenus à une stricte observance de la philosophie keyserlingienne particulière et étaient sous la direction du comte ou de ses disciples de confiance. Parmi eux, le comte Kuno von Hardenberg (1871-1938), orientaliste et critique d'art, spécialiste de la franc-maçonnerie. Le scientifique qui, comme le comte von Keyserling lui-même, était d'origine balte : Karl Julius Richard Happich (1863-1923) (photo), l'un des pionniers du contrôle hygiénique, bactériologiste et vétérinaire, également oncologue.

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Kuno von Hardenberg et Karl Happich écriront, avec Hermann von Keyserling, un livre au titre éloquent Das Okkulte (L'occulte) ; ce n'est pas pour rien que Federico Sciacca affirme que Keyserling "s'est donné à la magie et à l'occultisme dans une conception du génie comme véhicule de Dieu sur terre". Le psychologue Georg Groddeck (1866-1934), considéré comme l'un des pionniers de la médecine psychosomatique, a également joué un rôle dans l'École de la sagesse.

Mais quelle était la philosophie de Keyserling ? La philosophie de Keyserling est une cristallisation supplémentaire du pessimisme qui a suivi la Première Guerre mondiale, à l'instar du relativisme de Simmel, de la philosophie de l'histoire d'Oswald Spengler et d'autres courants contemporains : rien moins que les fondements de la civilisation occidentale étaient en jeu. Keyserling revendique le "Sens" et fait une critique grossière du rationalisme et de la civilisation technique dans lesquels l'Occident a sombré. "L'Occidental est un fanatique de l'exactitude. D'autre part, il ignore presque tout de la signification. Si jamais il pouvait la saisir, il l'aiderait à trouver son expression parfaite et à établir une harmonie complète entre l'essence des choses et les phénomènes" - nous dit le comte Keyserling dans Journal de voyage d'un philosophe (1919).

Pour Keyserling, il s'avère que le "sens", qui est - précisément - ce que l'Occidental ignore, est ce que l'Oriental n'a pas perdu. Le sens ne peut être découvert que par une intuition particulière et par l'interprétation des symboles et des mythes. C'est en tenant compte de cet élément que l'on peut comprendre que Keyserling tourne son regard vers l'Est, où le comte balte croit avoir trouvé la clé qui, convenablement greffée à l'Ouest, peut permettre à l'homme de découvrir sa véritable personnalité, falsifiée par la civilisation de la mesure et des machines. L'école de la sagesse n'était pas un centre conventionnel de philosophie académique, mais un chemin de connaissance dans un but précis : la plénitude. La rencontre avec le Sens - pour Keyserling - n'est pas seulement la rencontre avec la réalité qu'il y a, mais plutôt l'ouverture à la réalité qu'il peut y avoir. La philosophie de Keyserling était une autre expression de l'irrationalisme romantique allemand et son École de la Sagesse un retour aux approches anciennes d'une philosophie qui prétendait offrir une doctrine de salut, comme le pythagorisme et l'Académie de Platon.

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Keyserling était très populaire en Espagne. L'intelligentsia espagnole et les classes sociales supérieures de l'époque étaient ravies de le recevoir et l'entretenaient avec des banquets, et attendaient la prédication du comte mystagogue avec intérêt et scepticisme. Indépendamment de leurs tendances, qui à l'époque ne s'étaient pas radicalisées jusqu'à la confrontation civile, José Ortega y Gasset, Eugenio d'Ors, les Machados, les Barojas, Ernesto Giménez Caballero, Rafael Alberti, Ramiro Ledesma Ramos, Ramón Menéndez Pidal, Américo Castro... ont partagé d'agréables soirées en Espagne avec le sage balte. Mais il y avait d'autres motivations pour les voyages du comte Keyserling en Espagne, en plus de son harmonie avec le monde hispanique. Keyserling avait envisagé la possibilité de créer une branche de son École de la Sagesse dans les Îles Baléares. Les journaux de l'époque ont rapporté que cette entreprise culturelle voulait créer un centre de formation pour les élites castillanes et catalanes avec l'intention de propager le pangermanisme.

Mais l'hebdomadaire La Conquista del Estado de Ledesma Ramos réagit à ces prétentions germaniques, comprenant les allées et venues du comte Keyserling comme une ingérence étrangère dans les affaires hispaniques. Il est plus que probable que La Conquista del Estado avait raison : Keyserling exerçait son influence sur l'Espagne, mais avec l'idée de l'exercer ensuite sur l'Amérique latine : c'est ce que lui reproche l'hebdomadaire de Ledesma Ramos : "D'une part, il recherche l'amitié espagnole pour donner à la pauvre petite France matière à réflexion. Et d'autre part, il veut s'assurer le marché hispano-américain en cultivant les agents les plus autorisés de la métropole hispanique" ("Keyserling en España o el comercio alemán de ideas", LA CONQUISTA DEL ESTADO, 14 mars 1931).

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L'Espagne était alors, comme elle l'est aujourd'hui, une terre où le poids des puissances en présence se décidait dans les rencontres de la société et de la culture.

Nous pouvons en conclure que l'École de la Sagesse de Keyserling a pu être, en même temps qu'un centre de philosophie, un laboratoire d'idées d'un certain pangermanisme de l'entre-deux-guerres qui expérimentait des stratagèmes pour réaliser des alliances avec de grands blocs géopolitiques, comme celui constitué par l'Hispanidad. Le triomphe du national-socialisme hitlérien a conduit à la persécution et à l'extinction de nombreuses organisations similaires à celle de Keyserling (rappelez-vous le harcèlement auquel le hiérophante Rudolf Steiner et son anthroposophie ont également été soumis par les nazis). En Espagne, après la guerre civile espagnole, la philosophie de Keyserling a décliné et son étoile a pâli..... Elle est restée un souvenir fané des temps d'avant le massacre dans lequel nous étions impliqués.

La leçon du cas de Keyserling se résume peut-être à l'intérêt que toutes les puissances mondiales ont manifesté pour exercer leur influence culturelle sur l'Espagne, avec l'intention de l'exercer à leur tour sur les pays frères d'Amérique latine : Français, Anglais, Allemands, Russes se sont partagé les sympathies des Espagnols. Certains Espagnols, comme Valle-Inclán, ont travaillé pour les Alliés pendant la Première Guerre mondiale, d'autres Espagnols ont professé une évidente germanophilie, et même au milieu des fusillades de la guerre civile, on pouvait entendre des acclamations pour la Russie. D'une manière très différente, les pays qui se sont disputés l'hégémonie mondiale ont réussi à nous rallier à leur cause.

N'est-il pas temps de créer nos propres centres culturels dans le but précis de mener à bien une grande politique hispanique ? Oui, je pense que c'est le cas. Et pour de simples raisons de survie. J'espère pouvoir répondre à cette question très bientôt.

BIBLIOGRAPHIE :

Plusieurs livres de Hermann Comte de Keyserling.

Plusieurs livres d'Eugenio d'Ors.

Federico Sciacca, "La philosophie aujourd'hui".

Emile Bréhier, "Histoire de la philosophie", vol. 2.

Antonio Machado, "Juan de Mairena".

lundi, 14 novembre 2022

Grande-Bretagne : le déclin d'un ancien empire

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Grande-Bretagne: le déclin d'un ancien empire

par Fabrizio Pezzani

Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/gran-bretagna-il-declino-di-un-ex-impero

L'histoire de l'ascension et du déclin de la Grande-Bretagne est un véritable manuel pour examiner le parcours des civilisations et des sociétés qui s'élèvent, atteignent leur apogée, puis commencent lentement à s'effondrer. L'essor et la chute des sociétés dépendent de la composante "valeur" des classes dirigeantes et de leur capacité créative.

Au début du XVIe siècle, l'Angleterre était considérée comme un État arriéré et sous-développé, peu peuplé, mais la révolution des moyens de navigation et l'ouverture des routes commerciales maritimes ont offert un tremplin à son affirmation mondiale croissante ; progressivement, les navires de l'Atlantique, les galions, ont supplanté les galères qui ont eu leur dernière occasion de remporter une victoire en 1571 à Lépante. Remplacer l'énergie humaine des galères par l'énergie éolienne et chimico-physique des galions à voile a été une révolution dans le monde maritime. Sur les galions, il était alors possible de placer des canons sur le pont et sous le pont, rendant les armées maritimes presque invincibles.

La conquête de la mer et des océans a permis de passer du commerce méditerranéen au commerce atlantique avec un développement sans précédent des échanges de biens et de matières premières. Jusqu'au début du XVIIIe siècle, l'occupation par les Britanniques et les Européens en général se limitait aux bandes côtières et aux bases navales, mais l'occupation de l'arrière-pays a été l'un des sous-produits de la révolution industrielle qui a contribué à ouvrir la voie à la révolution industrielle elle-même. Dans l'histoire de l'humanité, les interdépendances entre les différents facteurs d'évolution n'opèrent pas toujours aussi clairement.

Ce n'est pas un hasard si la révolution industrielle s'est développée en Angleterre, qui, grâce à sa puissance maritime, avait créé un lien avec les colonies qui fournissaient les matières premières, consommaient les nouveaux produits et offraient des opportunités de richesse et de nouveaux marchés en permanence. La puissance économique et militaire a permis à l'Angleterre de créer un empire colonial inégalé pendant sa période de domination. La révolution industrielle a démoli l'ancien monde sous tous ses aspects, productif, social - le capitalisme se heurte au marxisme -, démographique, politique et financier, et a changé le mode de vie dans les villes au détriment des zones rurales.

Parallèlement à ce développement global, nous avons une évolution de la culture, de la technologie, de la scientificité qui trouve dans les universités un centre de croissance inégalé dans toutes les matières. Les universités deviennent des centres d'excellence et préparent la classe dirigeante de l'empire, la rendant capable d'affronter les défis posés par le nouveau contexte mondial avec créativité et savoir.

Londres devint ainsi un centre nodal financier et d'assurance pour le monde entier, les nouveaux banquiers et assureurs sont formés pour la croissance de l'empire ; la classe dirigeante est de haut niveau et supérieure à celle des autres États concurrents et contribue à renforcer l'empire qui, jusqu'au déclenchement de la Première Guerre mondiale, fait de l'Angleterre l'empire dominant dans le monde qui, ensuite, entame lentement son déclin.

Dans la période de sa plus grande splendeur, les conditions du déclin commencent, en effet l'autoréférence augmente et le manque d'autocritique commence à réduire l'esprit créatif capable de réponse au monde changeant.  À partir des années 1930, le déclin devient de plus en plus évident en raison d'une diminution de la capacité de l'élite dirigeante à faire face aux nouveaux défis avec créativité, restant plus encline à ossifier les gloires du passé récent. Illusionnée par le pouvoir acquis dans les années 1920, elle décide, comme un acte de force, d'imposer la convertibilité de la livre en or ; ce choix, critiqué par Keynes, est un désastre lié à l'incapacité de la classe dirigeante à comprendre les changements qui s'opèrent dans le monde et à adopter un comportement novateur. L'effondrement de l'initiative a affecté les colonies, créant de leur part les premiers signes d'une dissidence indépendantiste qui allait s'amplifier au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Résultat de la même autoréférentialité: le bras de fer perdu sur la conservation du canal de Suez en 1956, finalement gagné par l'Égypte de Nasser.

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La révolution financière avec la fin de l'étalon de change or a frappé la finance britannique en la contraignant à accepter l'aide du FMI, c'était le signe d'une rupture avec le passé et le véritable début du déclin ; l'ascension de Margaret Thatcher et l'erreur qui fut de suivre le néo-libéralisme financier dicté par les Etats-Unis ont conduit à l'effondrement culturel avant même l'effondrement économique. Le fait d'avoir épousé sans critique le néolibéralisme financier a détruit la production industrielle qui était excellente dans tant de secteurs et a préparé un déclin et une position politique de soumission aux États-Unis.

Enfin, le Brexit, une fois de plus fruit de l'aveuglement politique et enfant de l'autoréférence suicidaire, a fait le reste : la classe politique s'est montrée de plus en plus inadaptée à la tâche de gouvernement et au changement qu'exige l'histoire, se refermant sur elle-même comme la porte d'un saloon ; elle n'a pas manqué la farce ridicule de la comparaison avec notre pays, qui, malgré son audimat nettement opportuniste, fait preuve d'une vitalité manufacturière qu'ils n'ont plus.

Les États-Unis ont depuis longtemps emprunté cette même voie, faute de dirigeants et incapables de trouver une solution aux problèmes qu'ils pensent résoudre de la même manière qu'ils les ont créés. La tendance fluctuante du dollar a déjà commencé, et ses quantités sans fin et sans véritable base de référence ressemblent à une immense pyramide inversée avec une quantité minimale d'or à sa base.

Lorsque les qualités de la classe dirigeante font défaut, comme l'histoire de l'Angleterre le démontre et celle des États-Unis semble l'imiter, les civilisations et les sociétés commencent à se désintégrer et à s'effondrer ; "commence alors la profonde décadence qui n'est pas une paralysie des facultés naturelles de la classe dirigeante mais un effondrement de son héritage social qui bloque et inhibe toute action de renouvellement et l'effondrement d'une société se produit lorsque la décadence a commencé depuis longtemps : les civilisations, en d'autres termes, ne disparaissent pas par mort violente mais par "suicide". "(A. Toynbee , Civilisations in History, p. 356 ).

samedi, 12 novembre 2022

"Pages russes" de Robert Steuckers

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"Pages russes" de Robert Steuckers

Un ouvrage très attendu, enfin disponible !

Par un foisonnement hétéroclite, ce nouveau recueil de Robert Steuckers fera sans nul doute autorité en ce qui concerne la question russe au sens large. Il s'agit d'études s'étalant sur près de 35 ans de recherches et de débats dans divers cercles métapolitiques, en Belgique, en France, aux Pays-Bas, en Suisse et en Allemagne.

Fondements du nationalisme russe, germanophobie et anglophobie dans le débat russe du début du siècle, origines de l’Europe soviétique, généalogie des droites russes, enjeux géopolitiques passés et présents, fronts du Donbass et de Syrie sont, entre autres, les thématiques abordées.

Robert Steuckers met également à l’honneur de grandes figures telles Soljénitsyne, Rozanov, Tioutchev, Kopelev ou encore Douguine et Parvulesco.

Cette lecture, voulue didactique par l’auteur et émaillée de souvenirs personnels remontant à son enfance, permettra à chacun de mieux comprendre la trame du monde actuel où la Russie se trouve sur le devant de la scène.

406 pages - 30,00 euro TTC.

Pour toute commande: http://www.ladiffusiondulore.fr/index.php?id_product=1007&controller=product

Table des matières

Préface

- Variations autour du thème « Russie »

- Entretien à ID-Magazine sur la Russie

- Fondements du nationalisme russe

- Russes et Allemands

- Nationalisme constitutionnel et nationalisme dynastique, germanophobie et anglophobie, néoslavisme et panslavisme dans le débat russe du début du siècle

- Émigration blanche, fascisme, stalinisme : approches nouvelles après la chute du communisme.

- La généalogie des droites russes chez Walter Laqueur

- La diplomatie de Staline

- Les origines de l’Europe soviétique

- Trois livres sur les relations germano-soviétiques de 1918 à 1944

- Le Traité de Rapallo (1922) et ses suites

- Intervention de Robert Steuckers lors du colloque « Euro-Rus » de Termonde, 15 mars 2008

- Le déclin de l’Union Soviétique

- La Russie : enjeux géopolitiques

- Russie : restauration poutinienne et nouvelles perspectives géopolitiques

- Les idées géopolitiques affichées par Jirinovski

- Réflexions géopolitiques sur les turbulences du Donbass

- Fronts du Donbass et de Syrie : deux théâtres d’une même guerre

- La guerre russo-ukrainienne

- Chatov, personnage de Dostoïevski

- L’âge d’argent de la littérature russe :

- Rozanov, penseur vitaliste

- Relire Soljénitsyne

- Alexandre Zinoviev et le communisme comme réalité

- Bibliographie – Livres sur la Russie

- Lev Kopelev : Espoir et années allemandes

- Une thèse sur Valentin Raspoutine

- Essais sur la culture russe

- Fiodor Tioutchev

- Entretien avec Pavel Vladimirovitch Toulaev, vice-président de Synergies Européennes à Moscou

- Les fondements helléniques de la future « Révolution Conservatrice » russe

- Les positions philosophiques d’Alexandre Douguine

- Russie : arrière-cour de l’Europe ou avant-garde de l’Eurasie ?

- Entretien avec Alexandre Douguine, éditeur traditionaliste à Moscou

- Pourquoi nous opposons-nous à l’O.T.A.N. ?

- Les mémoires de Jaruzelski : notes sur le rôle de l’homme d’État

- Hommage à Jean Parvulesco & souvenirs d’une collaboration inoubliable

samedi, 29 octobre 2022

Ecologie et spiritualité: Jules César et la destruction de la forêt gauloise

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Ecologie et spiritualité: Jules César et la destruction de la forêt gauloise

par Nicolas Bonnal

La destruction du monde ne date pas d’hier. La destruction des bois et des forêts a été maintes fois commentée dans l’Antiquité, notamment par Ovide.

« Les pins abattus sur les montagnes n’étaient pas encore descendus sur l’océan pour visiter des plages inconnues. Les mortels ne connaissaient d’autres rivages que ceux qui les avaient vus naître. Les cités n’étaient défendues ni par des fossés profonds ni par des remparts. »

Car l’âge d’or, c’est quand on ne touche pas aux forêts. La dimension sacrée, si présente dans la Norma de Bellini, est aussi soulignée par Tacite dans sa Germanie. J’évoquerai les splendeurs d’Ovide une autre fois (c’est le poète qu’on nous fit le plus rater à l’école...).

Grâce à une page de l’historien des celtes Venceslas Kruta, j’ai enfin découvert la Pharsale de Lucain, rival et martyr de Néron. Comme chez Tolkien, on y trouve un bois sacré que va détruire César. Il est situé près de Massilia, ville alors phocéenne et prestigieuse pour sa résistance à César.

Je laisse la parole à Lucain (Pharsale, chant III, vers 400-430 environ) : « Non loin de la ville était un bois sacré, dès longtemps inviolé, dont les branches entrelacées écartant les rayons du jour, enfermaient sous leur épaisse voûte un air ténébreux et de froides ombres. Ce lieu n’était point habité par les Pans rustiques ni par les Sylvains et les nymphes des bois. Mais il cachait un culte barbare et d’affreux sacrifices. Les autels, les arbres y dégouttaient de sang humain ; et, s’il faut ajouter foi à la superstitieuse antiquité, les oiseaux n’osaient s’arrêter sur ces branches ni les bêtes féroces y chercher un repaire ; la foudre qui jaillit des nuages évitait d’y tomber, les vents craignaient de l’effleurer. Aucun souffle n’agite leurs feuilles ; les arbres frémissent d’eux-mêmes. »

La forêt est fascinante et périlleuse. Mais vivante.

Lucain poursuit : « Des sources sombres versent une onde impure ; les mornes statues des dieux, ébauches grossières, sont faites de troncs informes ; la pâleur d’un bois vermoulu inspire l’épouvante. L’homme ne tremble pas ainsi devant les dieux qui lui sont familiers. Plus l’objet de son culte lui est inconnu, plus il est formidable. »

Chez Dante aussi il y a des arbres qui saignent en enfer. Je cite mon livre sur Tolkien : 

« Comme on aura compris, Dante arrive donc avec Virgile dans une forêt très obscure (nous sommes au chant XIII de l’Enfer). Dans un univers encore plus terrifiant, il dialogue avec des arbres, et il comprend le drame sanglant de ces troncs qui sont des âmes de suicidés punis : « Ainsi que le bois vert pétille au milieu des flammes, et verse avec effort sa sève qui sort en gémissant, de même le tronc souffrant versait par sa blessure son sang et ses plaintes. Immobile, et saisi d’une froide terreur, je laisse échapper le rameau sanglant… Quand une âme furieuse a rejeté sa dépouille sanglante, le juge des Enfers la précipite au septième gouffre : elle tombe dans la forêt, au hasard ; et telle qu’une semence que la terre a reçue, elle germe et croît sous une forme étrangère. Arbuste naissant, elle se couvre de rameaux et de feuilles que les harpies lui arrachent sans cesse, ouvrant ainsi à la douleur et aux cris des voies toujours nouvelles… Chacune traînera sa dépouille dans cette forêt lugubre, où les corps seront tous suspendus : chaque tronc aura son cadavre (chant XIII de l’Enfer)… »

On repart sur Lucain (toujours cet étonnant chant III de la Pharsale) : « Les antres de la forêt rendaient, disait-on, de longs mugissements ; les arbres déracinés et couchés par terre se relevaient d’eux-mêmes ; la forêt offrait, sans se consumer, l’image d’un vaste incendie ; et des dragons de leurs longs replis embrassaient les chênes. Les peuples n’en approchaient jamais. Ils ont fui devant les dieux. Quand Phébus est au milieu de sa course, ou que la nuit sombre enveloppe le ciel, le prêtre lui-même redoute ces approches et craint de surprendre le maître du lieu. »

On a ainsi les dragons et l’Apollon hyperboréen.

Mais survient César (lisez la Vie de Suétone pour rire un peu de lui). Il va agir comme le Saroumane de Tolkien, comme un agent du Mordor : « Ce fut cette forêt que César ordonna d’abattre, elle était voisine de son camp, et comme la guerre l’avait épargnée, elle restait seule, épaisse et touffue, au milieu des monts dépouillés. »

Les hommes de César hésitent car on respecte alors encore un peu la forêt.

« À cet ordre, les plus courageux tremblent. La majesté du lieu les avait remplis d’un saint respect, et dès qu’ils frapperaient ces arbres sacrés, il leur semblait déjà voir les haches vengeresses retourner sur eux-mêmes. »

César prend même le risque de défier les divinités et de se maudire pour détruire le bois sacré : « César voyant frémir les cohortes dont la terreur enchaînait les mains, ose le premier se saisir de la hache, la brandit, frappe, et l’enfonce dans un chêne qui touchait aux cieux. Alors leur montrant le fer plongé dans ce bois profané : “Si quelqu’un de vous, dit-il, regarde comme un crime d’abattre la forêt, m’en voilà chargé, c’est sur moi qu’il retombe”. Tous obéissent à l’instant, non que l’exemple les rassure, mais la crainte de César l’emporte sur celle des dieux. »

Lucain oublie les sacrifices humains et redevient lyrique : « Aussitôt les ormes, les chênes noueux, l’arbre de Dodone, l’aune, ami des eaux, les cyprès, arbres réservés aux funérailles des patriciens, virent pour la première fois tomber leur longue chevelure, et entre leurs cimes il se fit un passage à la clarté du jour. Toute la forêt tombe sur elle-même, mais en tombant elle se soutient et son épaisseur résiste à sa chute. À cette vue tous les peuples de la Gaule gémirent… le laboureur consterné vit dételer ses taureaux, et, obligé d’abandonner son champ, il pleura la perte de l’année. »

Mais le destin malheureux de la forêt sacrée est de toute manière fait de destruction : « Les bois sacrés tombent, dit Lucain, et les forêts sont dépouillées de leur force… » (Procumbunt nemora et spoliantur robore silvae)

Notre Ronsard s’en souviendra à sa gentille manière scolaire (Écoute bûcheron…).

On citera le magicien Tacite pour terminer : « Emprisonner les dieux dans des murailles, ou les représenter sous une forme humaine, semble aux Germains trop peu digne de la grandeur céleste. Ils consacrent des bois touffus, de sombres forêts ; et, sous les noms de divinités, leur respect adore dans ces mystérieuses solitudes ce que leurs yeux ne voient pas » (« lucos ac nemora consecrant, deorumque nominibus appellant secretum illud, quod sola reverentia vident… »).

Il y a la destruction de la forêt gauloise, et aussi de la littérature romaine à l'école…

Bibliographie

Bonnal – Le salut par Tolkien, Avatar, p. 96.

Dante – Enfer, chant XIII.

Kruta – Les Celtes, histoire et dictionnaire, « Bouquins » Robert Laffont.

Lucain – La Pharsale, III (sur Remacle.org).

Ovide – Les métamorphoses, I (ebooksgratuits.com).

Suétone – Vie de César (sur Wikisource).

Tacite – Germanie, IX.

 

19:29 Publié dans Ecologie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écologie, histoire, forêts, forêts gauloises | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 28 septembre 2022

"Les Germains en France" de Ludwig Woltmann

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"Les Germains en France" de Ludwig Woltmann

Aux Editions du Lore

Pour toute commande: http://www.ladiffusiondulore.fr/index.php?id_product=1002&controller=product

Mort noyé en Méditerranée à l’âge de 35 ans, le docteur Ludwig Woltmann (1871-1907) demeure un anthropologue fort méconnu du grand public.

Ancien marxiste « converti » au darwinisme social, il fut pourtant la caution scientifique la plus influente auprès de l’eugéniste Georges Vacher de Lapouge.

Le présent ouvrage traitant de l’influence de l’élément racial germanique sur l’histoire et la culture de France fut un outil clé pour les recherches anthropologiques entreprises par l’Ahnenerbe en France.

Alliant parfaitement l’érudition à la concision, ce petit livre, illustré de 60 portraits, est indubitablement un excellent complément de lecture aux travaux du raciologue Hans Günther.

Toute cette belle puissance est perdue. Cette activité prodigieuse a pris brusquement fin, et Woltmann, le champion de l’aryanisme qui ne connaissait point le repos, repose pour toujours sous le linceul de saphir de la Méditerranée, attraction éternelle et éternelle meurtrière de la race aryenne (Vacher de Lapouge in Race et milieu social).

SOMMAIRE :

Avant-propos

Première partie L’histoire des races de la nation française

I. Questions principales de la théorie de race historique

II. La distribution des signes anthropologiques en France

III. Race et caractères des Gaulois

Deuxième partie Les Germains dans l’histoire française et la culture du Moyen Âge

I. L’agencement des Germains en Gaule

II. L’histoire sociale de la France

III. Les éléments germaniques dans la langue française

IV. La littérature française

V. Les Beaux-Arts

Troisième partie L’anthropologie et le génie dans les États français

I. Les conditions anthropo-sociologiques en France

II. L’origine raciale des génies français

III. Aperçus des signes anthropologiques des génies

IV. La dégénérescence raciale de la nation française

V. Considérations finales

Portraits

Caractéristiques techniques:

mardi, 27 septembre 2022

La non-pensée occidentale

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La non-pensée occidentale

par Daniele Perra

Source : Daniele Perra & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-antipensiero-occidentale

Il y a certains faits que de nombreux "analystes", journalistes (ou supposés tels) oublient (en raison de limitations cognitives évidentes ou de mauvaise foi) lorsqu'ils observent la réalité à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui : 1) l'histoire ne se réduit pas aux événements des deux derniers mois ; 2) la géographie ne se combat pas avec des sanctions économiques.

La guerre de Crimée (1853-1855), par exemple, a été particulièrement traumatisante pour la confiance en soi du peuple russe. Ces derniers, en particulier, n'appréciaient pas le fait que l'Europe (stimulée par la puissance de la thalassocratie britannique) formait un front uni en faveur de l'Empire ottoman désormais en déclin pour des raisons purement géopolitiques (dans le but de contenir la projection et l'influence russes sur la mer Noire, les Balkans et les détroits) après que la Russie elle-même ait contribué de manière décisive à la défaite de Napoléon. Dostoïevski a écrit des vers enflammés dans ce contexte : "Honte à vous, apostats de la croix, qui éteignez la lumière divine".

Il convient de répéter que la projection sud-ouest était celle à laquelle la politique étrangère de l'empire tsariste était historiquement la plus intéressée, pour des raisons d'affinité culturelle-historique liées à l'hypothèse d'un héritage direct de Byzance et à la communion ethnique avec les peuples slaves (d'ailleurs, le panslavisme n'est rien d'autre que la diffusion des sentiments et des idées du romantisme européen, en particulier du romantisme allemand, dans la sphère russe). Même à la fin du 19ème siècle, Vladimir Solov'ev écrivait, à travers les mots du personnage du général dans ses "Dialogues", que la Russie devait aller au-delà de Constantinople jusqu'à Jérusalem (un centre sacré rapporté dans les carnets de voyage d'Igumen Danil de l'époque de la Rus' de Kiev).

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En fait, la guerre de Crimée n'était qu'un épisode du "Grand Jeu" (ou du "Tournoi des Ombres") entre l'Empire des Tsars et l'impérialisme britannique le long de la "ligne" allant de Constantinople à l'Asie centrale.

À la fin, cependant, les cercles conservateurs russes ont suggéré que les intérêts nationaux de l'empire devraient être orientés vers l'est, "laissant l'Europe tranquille en attendant des circonstances meilleures" (selon l'idéologue de l'époque, Mikhaïl Pogodine), comme c'est encore le cas aujourd'hui (pensez à la doctrine Trenin, qui envisage une réorientation de la politique étrangère russe vers l'Asie). Pour sa part, le général Pavel Grabbe a écrit : "Si nous sommes destinés à devenir un royaume de l'Est, c'est là que se trouve le véritable champ d'action de la puissance russe. Nous avons été cloué en Europe pendant longtemps sans rien obtenir. L'Europe nous est hostile et nous lui avons pris très peu de choses".

Il va sans dire que la Russie, à l'époque comme aujourd'hui, était considérée par le "progressisme" européen, idéologie dominante et rampante, comme un bastion de la préservation des valeurs traditionnelles, du conservatisme, donc un empire despotique et "obsolète" exerçant une influence pernicieuse sur le reste du continent et devant être repoussé vers ses homologues orientaux.

Alors qu'une partie de l'intelligentsia russe voyait la conquête de l'Est comme une mission civilisatrice dans le style du "fardeau de l'homme blanc" (bien que dans certains cas édulcorée par l'idée de redécouvrir la "patrie originelle" des peuples indo-européens, ce qui est très similaire à la mythologie du touranisme contemporain), les élites européennes (en particulier les Britanniques) l'interprétaient comme une expansion orientale d'un peuple déjà oriental.

Entre 1859 et 1897 (avec l'intermède de la vente de l'Alaska aux États-Unis et la fondation de Vladivostok, la "Dame de l'Orient"), la Russie pousse jusqu'à Port Arthur, jetant les bases de la résistance à l'expansionnisme naissant du Japon et au désastre guerrier qui s'ensuivit en 1905.

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Si la conquête de la Sibérie a été essentiellement pacifique, on ne peut pas en dire autant de la conquête du Caucase (qui a même commencé sous Pierre le Grand, qui voulait contrôler les flux du commerce vers l'Europe) et de l'Asie centrale. La figure de Pierre le Grand, en particulier, a été fondamentale en ce sens, car le processus d'absorption de la culture européenne-occidentale qui a débuté sous son règne s'est également avéré décisif pour l'assimilation de la vision géographico-idéologique fondée sur l'opposition entre l'Est et l'Ouest (caractéristique de la modernité et exaspérée ultérieurement par les pouvoirs thalassocratiques britannique et nord-américain). L'historien Aldo Ferrari écrit : "À la lumière de cette redéfinition idéologique, la double nature européenne et asiatique du pays était également considérée comme similaire à celle des empires coloniaux européens émergents, avec une mère patrie européenne et un territoire colonial non européen. La principale différence était que les territoires impériaux russes ne se situaient pas dans un espace étranger (comme le Raj britannique en Inde), mais étaient géographiquement liés au centre impérial, ce qui rendait indéfinissable une distinction claire entre les deux.

Pour cette raison, toute comparaison entre l'impérialisme européen (et plus tard nord-américain) typique et l'empire russe (et même soviétique) est décidément imparfaite. Ferrari poursuit : "La Russie n'avait pas d'empire, mais c'était un empire. Un empire continental plutôt que maritime, procédant sur la base d'aspirations expansionnistes coloniales traditionnelles plutôt que modernes. L'histoire de la pénétration russe en Asie diffère de celle des autres puissances européennes précisément parce qu'il s'agit d'une histoire qui mûrit lentement au fil des siècles, et dans laquelle les relations pacifiques ou guerrières entre pays voisins se répètent. Une conscience coloniale semblable à celle qui a poussé les peuples d'Europe occidentale à s'expatrier - les Portugais en Inde, les Hollandais en Indonésie, les Français en Louisiane, les Espagnols au Mexique, les Britanniques en Amérique du Nord - ne s'est pas formée spontanément chez les Russes, mais seulement plus tard, également en tant que résultat tardif d'une violente occidentalisation. Dans la steppe, on ne sait pas exactement où et quand les frontières de la patrie sont franchies, et la volonté d'expansion russe, que ce soit dans les forêts sibériennes, dans les zones civilisées de l'Asie centrale musulmane ou dans le Caucase, ressemble à l'expansionnisme des grandes puissances européennes de l'ère pré-nationale, plutôt qu'à la colonisation occidentale : guerres de domination, création de relations de vassalité plus ou moins féodales, jamais création d'un sentiment de véritable supériorité ethnique".

Les raisons profondes de la haine "occidentale" de la Russie y sont expliquées en quelques lignes. On ne peut pardonner à la Russie d'avoir adopté une attitude entièrement "pré-moderne" envers l'Est. L'Est n'a jamais été un "tout autre" pour la Russie. Outre la marque notoire d'être profondément influencée par le monde turco-mongol (dans ce contexte, il convient de rappeler qu'au Moyen Âge européen, il y avait des gens qui louaient les Mongols pour avoir détruit le califat), elle est coupable de ne pas traiter les peuples orientaux assimilés à son empire de la manière raciste et exclusiviste typique du colonialisme européen moderne. Au contraire, elle s'inspire de la tradition romaine, exprimée dans la divinité typiquement italienne de Janus à deux visages, et s'adresse à la fois à l'Orient et à l'Occident, au passé et au futur. En ce sens, elle est la "troisième Rome".  

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En même temps, il faut garder à l'esprit que l'expansion vers l'Est n'a jamais rencontré le même intérêt de la part du public russe que les affaires occidentales de l'Empire (une tendance qui est encore fortement présente aujourd'hui). Au contraire, il y a eu pendant longtemps une grande peur des peuples orientaux (même si la Russie elle-même a accompagné la Chine dans sa parabole impériale descendante de manière presque paternaliste). Solov'ev, que nous venons de citer, a écrit dans son poème Panmongolisme, où il a prophétisé l'effondrement de l'autocratie tsariste : "Lorsque dans la Byzance corrompue / l'autel du Seigneur s'est figé / et a renié le Messie / princes et prêtres, peuple et empereur, / une nation étrangère inconnue / s'est levée de l'Est / et sous le lourd instrument du destin / la seconde Rome a plié dans la poussière. / Nous ne voulons pas apprendre / du sort de Byzance déchue / et continuer à répéter les flatteurs de la Russie : / Tu es la troisième Rome, tu es la troisième Rome ! / Ainsi soit-il ! Le châtiment divin / a d'autres instruments en réserve'.

La peur de l'Orient est une caractéristique essentielle de la culture européenne moderne. Un Orient qui inclut toutefois la Russie, bien que Catherine II considère déjà son empire comme une "puissance européenne" à part entière. Les perceptions européennes de la Russie restent toutefois façonnées par les siècles au cours desquels la noblesse polonaise a tenté (avec un succès mitigé) de se présenter comme l' antémurale (= la muraille avancée) catholique-occidentale contre l'expansionnisme russe-orthodoxe (une autre tendance récurrente dans le présent, alimentée par les pouvoirs thalassocratiques, bien que sous la forme d'une opposition à une forme plus fumeuse de néo-bolchevisme).

Une puissance européenne oui, mais avec une énorme ramification orientale! À l'occasion d'une victoire sur les Ottomans, le poète Gavrila Derzavin a dédié ces vers à Catherine : "Son trône se dresse / sur quarante-deux piliers / sur les montagnes de Scandinavie et du Kamtchatka, sur les collines dorées / des terres de Timur au Kouban".

Une ramification dont la propagation a été facilitée par l'absence de véritables barrières physiques. Cela montre que l'idée d'une frontière européenne dans les montagnes de l'Oural est géographiquement non pertinente. Comme l'a noté Nikolaï Danilevsky, l'Europe n'est en fait rien de plus qu'une péninsule du continent horizontal, bien plus vaste, qui s'étend du Pacifique à l'Atlantique.

Dans cet espace, la civilisation russe, du moins pour le dernier millénaire, a joué le rôle de pont entre les deux extrémités.

L'idée que la Rus' de Kiev était un monde à part (un éden indo-européen sans influences ni contacts avec les peuples turcs environnants) est un fantasme créé par la déformation de l'histoire par les penseurs du nationalisme ukrainien qui se considèrent comme ses héritiers ethniques directs. Il suffit de dire que le métropolite de Kiev désignait le Grand Prince Vladimir par le terme turc "Kagan".

En même temps, l'idée que la géographie peut être combattue en construisant des murs de sanctions est une fois de plus un fantasme qui envahit cycliquement la pensée (ou plutôt l'anti-pensée) occidentale, pour se briser ensuite contre la réalité des processus historiques.

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vendredi, 23 septembre 2022

La Fronde, un précédent plein de représentations

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La Fronde, un précédent plein de représentations

Par Gastón Pardo

(Mexique)

Nous sommes habitués, depuis l'école, à considérer la Fronde comme un épisode romanesque et même galant en raison des belles dames qui, selon plusieurs auteurs, ont participé à son éclosion. Mais la Fronde est vraiment l'effervescence révolutionnaire par excellence du 17ème siècle. Il est bien connu que ce siècle a connu la grandeur parce qu'il a traversé des événements désordonnés. 

Nous retrouvons dans la Fronde les éléments ordinaires qui se sont reproduits depuis l'époque de Louis XII jusqu'à nos jours, tous les agents du chaos qui ont fait que les élites sociales et financières ont perdu prise sur les choses et qui ont rendu invisible la possibilité pour les sociétés modernes d'avoir une avant-garde historique.

Le poids et la fatigue dus à la guerre de Trente Ans sont entrés dans la Fronde par une porte. Richelieu avait trop demandé à la nation et tout ce qui avait été retenu par sa main de fer a été libéré sous Mazarin. Une alliance s'est formée entre les grands, qui avaient été contraints à la discipline nationale, et les bourgeois qui avaient souffert dans leurs intérêts financiers. En outre, le jansénisme, qui a eu la gloire d'être une réforme sans schisme et qui est donc appelé la Fronde religieuse, a rejoint la diversité des acteurs impliqués.

Les libelles contre Mazarin et les polémiques avec les Jésuites abondent. Un admirateur de la Fronde l'a appelée "la guerre des honnêtes gens contre les vauriens". Si elle s'était "bien passée", elle aurait sans doute été reconnue comme ayant les caractéristiques intellectuelles et morales d'une véritable révolution.

Lorsque des troubles éclatent au début de l'année 1648, année du traité de Westphalie, le gouvernement est en conflit avec le parlement, qui déclare illégaux les nouveaux impôts. Mais la raison profonde de cette agitation était toujours la guerre et ses effets. 

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Le trésor était vide et la résistance du parlement révélait un mouvement politique. On réclame des réformes, on parle de liberté, mais surtout on attaque l'administration laissée par Richelieu. Les magistrats recevaient des faveurs de toutes parts, et comme l'écrit Jacques Bainville, tout cela se mêlait aux rancœurs des protestants et à l'impatience face à la discipline administrative que Richelieu avait imposée.

Il y avait de l'agitation partout, et tous les groupes sociaux avaient des raisons de se plaindre.  Cependant, cette diversité de protestations a introduit la discorde dans les groupes, qui ont finalement négocié une trêve. En 1652, le roi est arrêté à Paris et les provinces se révoltent dans son dos.  Pendant ce temps, la bourgeoisie voit le désordre comme nuisible à ses affaires. En fin de compte, grâce à l'armée, les provinces en rébellion sont soumises, et il ne fait aucun doute, dans les jours qui suivent la Fronde, que la loyauté des militaires a sauvé la France.

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dimanche, 18 septembre 2022

La guerre de 30 ans et la guerre de 100 ans des États-Unis contre la Russie

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Troupes américaines à Vladivostok, 1919.

La guerre de 30 ans et la guerre de 100 ans des États-Unis contre la Russie

Par Alfredo Jalife Rahme

Source: https://noticiasholisticas.com.ar/la-guerra-de-30-anos-y-la-guerra-de-100-anos-de-eeuu-contra-rusia-por-alfredo-jalife-rahme/

Récemment, j'ai affirmé: "Aujourd'hui, nous constatons de plus en plus l'importance cardinale et géostratégique de l'Ukraine, qui représente, selon les engouements chronologiques, une nouvelle guerre de 30 ans - qui aurait commencé en 1991, se serait poursuivie en 2014 et aurait atteint son paroxysme en 2022 - ou une guerre de 100 ans (https://bit. ly/3D3L91J ) qui vise la balkanisation et la désintégration de la Russie, sur base de l'axiome énoncé par le géographe britannique Sir Halford J. Mackinder en 1904 dans son livre Geography as the Pivot of History (https://bit.ly/3BrfXs5 )".

Au début de l'"Opération militaire spéciale" (selon Poutine) visant à dénazifier et démilitariser l'entéléchie qu'est Ukraine, j'ai postulé qu'il pourrait s'agir d'une nouvelle "guerre de 30 ans" - comme celle qui a opposé les protestants aux catholiques et s'est terminée par le traité de Westphalie de 1648 qui a donné naissance au concept de "souveraineté" qui est le pilier fondateur de l'ONU, aujourd'hui plus dysfonctionnelle que jamais (https://bit.ly/3RttkgQ ).

Récemment, le nonagénaire Kissinger, âgé de 99 ans, a soutenu que la guerre Russie-Ukraine pouvait être assimilée à une nouvelle "guerre de 30 ans" (https://bit.ly/3RQU5LW ).

Le très imprudent Michael Springmann, ancien diplomate, aujourd'hui avocat et commentateur américain réputé, a publié un essai inquiétant intitulé The 100 Year War : America's Attempts to Destroy Russia.

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Springmann a à son actif trois révélations décoiffantes sur la politique étrangère pharisaïque du département d'État américain : 1) Il a accordé depuis son poste en Arabie saoudite, pendant les administrations Reagan et Papa Bush, plus de 100 visas aux terroristes djihadistes d'Al-Qaïda qui ont perpétré le très controversé 11 septembre 2001 (https://amzn.to/3x53Puf ). De toute évidence, Springmann a été défenestré par le département d'État ; 2) dans son livre volcanique Goodbye Europe ? Hello Chaos? : Merkel's Migrant Bomb (https://amzn.to/3B8N7eO ), il affirme que "la politique étrangère américaine a créé la crise" afin de "déstabiliser l'Union européenne en général et l'Allemagne en particulier" ; et 3) il avertit les Yéménites de ne pas faire confiance à Biden, qui a promis dans sa campagne de mettre fin à la guerre de l'Arabie saoudite au Yémen (https://bit.ly/3AUBVly ).

Dans son long essai sur la guerre centenaire entre les Etats-Unis et la Russie (soviétique ou non), il expose la "genèse" des cent ans de guerre depuis que le président démocrate Woodrow Wilson, en juillet 1918 - 14 ans après le livre de Sir Halford Mackinder, est intervenu "contre les bolcheviks, contre ce que l'URSS était en train de devenir" en envoyant "13.000 soldats américains" pour soutenir les "Russes blancs", c'est-à-dire les tsaristes, contre les "Russes rouges" bolcheviques. L'intervention de l'"Empire britannique" avec plus de 57.000 soldats et 5000 autres soldats canadiens était à ne pas manquer !

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Springmann dévoile les contacts américains, en vue d'espionnage, avec des dissidents en Ukraine - lorsque celle-ci faisait partie de l'URSS - à la fin de la Seconde Guerre mondiale, indépendamment du fait qu'ils étaient alliés aux nazis. Il expose ensuite l'opération "Aérodynamique" de la CIA et sa machine de propagande depuis New York sous la couverture de Prolog Research Corp. avec le groupe ex-pro-nazi Bandera/Lebed. Par la suite, la CIA a déplacé ses agents en Ukraine avant le "coup d'État de 2014" perpétré par ses ONG bien huilées.

Il cite le journal mondialiste Guardian, très proche de George Soros, qui exulte que "la campagne américaine est derrière les troubles à Kiev" alors que la "révolution orange" était "une création américaine, un exercice sophistiqué et brillamment exécuté de branding et de marketing de masse occidental (https://bit.ly/3Bps6O2 )". Selon le cinéaste Oliver Stone, il s'agit de la "technique de soft power" appelée "Regime Change 101".

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Springmann expose l'opération de censure massive menée par les États-Unis pour dissimuler le "meurtre de 14.000 Russes ethniques au Donbass" jusqu’en 2022, alors que l'OTAN s'était étendue des Baltiques aux Balkans.

Avec les enseignements d'Al-Qaïda, le tragique comédien khazar Zelensky a créé la "Légion internationale de défense du territoire" avec 20.000 combattants provenant de 52 pays, dont Israël". Et que diable fait Israël là-bas? La Russie ne le pardonnera pas.

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samedi, 17 septembre 2022

Pour la Wallonie et l’Ordre Nouveau : Pierre Hubermont

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Pour la Wallonie et l’Ordre Nouveau: Pierre Hubermont

par Christophe Dolbeau

Source: Christophe Dolbeau, Les Parias, Ed. Akribeia (commandes: https://www.akribeia.fr/collaboration-vichy/2163-les-parias.html).

Le 10 mai 1940, les troupes allemandes pénètrent en Belgique et déferlent sur les Ardennes. L’assaut est irrésistible : la Wehrmacht entre à Bruxelles le 17 mai et le roi Léopold III capitule onze jours plus tard. Réalisée en moins de trois semaines, cette invasion n’est pas ressentie de la même façon par tous les sujets du royaume. Force est de dire que si une majorité de patriotes en est indubitablement catastrophée, une forte minorité s’en accommode plutôt bien. Aux premiers rangs de cette minorité figurent bien sûr les nationalistes et séparatistes flamands, tous les pro-fascistes du pays, mais aussi de larges couches du prolétariat. Dans son manifeste du 28 juin 1940, Henri De Man (1), le chef du Parti Ouvrier Belge, se montre d’ailleurs très clair : « Pour les classes laborieuses et pour le socialisme », écrit-il, « cet effrondrement d’un monde décrépit, loin d’être un désastre, est une délivrance ». Ce constat, nombre de gens de gauche et d’extrême-gauche le partagent et c’est donc sans grands scrupules qu’ils vont rapidement adhérer à la politique de collaboration. On sait le rôle capital que jouera en France la gauche collaborationniste (2) et l’on se souvient de gens comme Marcel Capron (3), Georges Yvetot (4), André Thérive (5) ou Pierre Hamp (6). Eh bien, il en sera de même en Belgique où plusieurs « célébrités » de gauche vont résolument s’engager en faveur de l’ordre nouveau. On connaît généralement bien les noms d’Henri De Man et Edgar Delvo (1905-1999), les responsables de l’Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels (UTMI), mais beaucoup moins celui de Pierre Hubermont, journaliste et écrivain wallon qui paiera fort cher son soutien à l’Europe Nouvelle.

Écrivain prolétarien

515RPXV80ML._SX195_.jpgDe son vrai nom Joseph Jumeau, c’est le 25 avril 1903 que Pierre Hubermont vient au monde à Wihéries, à l’orée du bassin borain. Fils de Nicolas Jumeau et de Maria-Bernardine Abrassart, il possède un frère aîné, François, et aura bientôt une sœur prénommée Adolphine (Addy). Le grand-père, Charles, était mineur de fond et membre de la Ière Internationale, et quant au père, Nicolas, il est également mineur ; fondateur et animateur de la section locale de la fédération des syndicats du Borinage, c’est un socialiste convaincu qui sera conseiller municipal (1908) et finira même par être bourgmestre (1921). L’enfance de Joseph est assez grise pour ne pas dire carrément morose : il a dix ans à peine lorsque sa mère, atteinte d’une sorte de folie mystique, est internée, ce qui traumatise profondément le jeune garçon. Sage et studieux, il fréquente l’école moyenne (collège) de Quiévrain et suit peu après des cours de sténo-dactylo, en vue de faire une petite carrière de col blanc, sans doute dans les bureaux des charbonages. Peut-être un peu déçu et contrarié par cette perspective qui rompt avec la tradition familiale, Nicolas oblige alors son fils à effectuer quelques travaux manuels. L’adolescent sera donc successivement manœuvre maçon, sur le chantier de construction de la Maison du Peuple, puis porteur d’eau, foreur de puits artésien, chargeur de briques et enfin aide-opérateur de cinéma. Ces activités ne lui ôtent pas l’envie d’écrire et de raconter, inclination qui le pousse à adresser quelques petits textes, dont un conte, à L’Avenir du Borinage, organe officiel du Parti Ouvrier. Au journal, quelqu’un a dû deviner le potentiel du jeune homme puisqu’en août 1920, tout juste âgé de 17 ans, il est embauché comme rédacteur. Au contact quotidien de cette presse militante et des professionnels de l’écriture, sa vocation va vite se confirmer. En 1923, il signe son tout premier ouvrage, Synthèse poétique d’un rêve, un modeste recueil de vers libres auquel Les Nouvelles littéraires de Maurice Martin du Gard font l’honneur de consacrer un écho élogieux. C’est un signal encourageant mais encore timide. En fait, le véritable élan va lui venir de sa rencontre, en 1927, avec Augustin Habaru (1898-1944), un jeune journaliste communiste, collaborateur du Drapeau rouge et bras droit d’Henri Barbusse, qui l’entraîne vers la littérature prolétarienne, un domaine avant-gardiste et révolutionnaire.

Cette même année 1927, Joseph Jumeau, alias Pierre Hubermont, publie un court roman, Notre mère la houille, dans les pages de La Nation belge, suivi quelques mois plus tard, mais cette fois dans les colonnes de L’Humanité, de La terre assassinée. L’engagement pro-communiste du jeune écrivain ne fait désormais plus aucun doute. Sa technique d’écriture s’améliore et sa renommée s’affirme. Bien conscient de posséder un style original et soucieux de créer, face à la littérature bourgeoise, une vigoureuse littérature du prolétariat, parlant « le franc et rude langage du peuple » (7), il s’associe à plusieurs auteurs de sa génération et lance avec eux la revue Tentatives dont la grande référence sera le Manifeste de l’équipe belge des écrivains prolétariens de langue française. Né en avril 1928 autour de Charles Plisnier et Marc Bernard, tous deux futurs prix Goncourt, Augustin Habaru, Francis André, Benjamin Goriely (8), Albert Ayguesparse (9) et lui-même, ce magazine de littérature et de culture prolétarienne va durer un an, avant de se transformer en Prospections. Jugeant dès lors que la publication a trop tendance à s’embourgeoiser et à faire montre de complaisance envers le surréalisme, le dadaïsme et autres modes non-prolétaires, il quitte le groupe et s’en va explorer d’autres territoires. En fait, à cette époque, il vient de faire paraître Les Cordonniers, un petit texte d’une trentaine de pages, et se rapproche d’Henry Poulaille (1896-1980) qui milite en faveur d’une littérature faite par le peuple et pour le peuple. Plus radicaux que les populistes (André Thérive, Eugène Dabit), ils n’admettent dans leurs rangs, à la revue Nouvel Âge, que des auteurs vraiment prolétaires (10). Du 6 au 15 novembre 1930, Hubermont est à Kharkov, en URSS, où il participe à une mémorable Conférence internationale des écrivains prolétariens et révolutionnaires. Plus que pour les débats théoriques (qui verront la condamnation de ses amis de la revue Monde), il est surtout venu discuter d’un projet d’adaptation cinématographique de l’une de ses nouvelles, Au fond de la veine 6. Au final, l’affaire ne se fera pas car les Soviétiques voudraient modifier la personnalité de l’un de ses personnages (un délégué socialiste qu’ils tiennent pour un traître à la classe ouvrière), ce que l’écrivain refuse catégoriquement. Il n’a aucunement l’intention d’abandonner la littérature pour faire de la propagande…

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L’année 1930 voit également la sortie de Treize hommes dans la mine, un court roman qui va lui valoir un renom international. Inspiré par la terrible catastrophe minière de Courrières (11) et par l’incident de Marcinelle (12), ce livre paraît à Paris, chez Georges Valois (13), mais il sera bientôt traduit en néerlandais, en anglais et en russe. L’écho du récit d’Hubermont est d’autant plus fort qu’un incident survient, au début du mois de mai 1931, à Hornu-Wasmes où six mineurs se retrouvent coincés par un éboulement au fond du puits n° 8, à plus de 900 mètres sous terre. Adapté par une radio américaine (1931), ce texte donne également naissance à Germinal, une pièce radiophonique qui sera diffusée, en mai 1934, par l’INR (14). Il suscite enfin l’intérêt  du musicien français André Jolivet (1905-1974) qui compose, pour baryton et piano, une Prière des treize hommes dans la mine (1931) que l’on interprète encore de nos jours. Remarqué par tout ce qui compte dans le milieu de la littérature prolétarienne, Treize hommes dans la mine vaut à Hubermont une vraie notoriété. Il sort désormais de la marginalité. En 1932, il adhère au manifeste du « groupe des écrivains prolétariens » de Poulaille, signe une nouvelle, Première descente, dans l’hebdomadaire anversois Tout (15 janvier) et publie Hardi ! Montarchain, un ouvrage qui attire à nouveau l’attention du public et de la critique. Dans ce roman, il met en effet en scène quelques personnages caricaturaux, notamment deux sœurs jumelles, institutrices à Ciply, qui se reconnaissent et portent aussitôt plainte contre l’auteur. Défendu par nombre de publications, dont le Figaro, Pierre Hubermont sera jugé à Mons, en 1934, et condamné pour diffamation envers les sœurs Liénard, ce qui assure un regain de publicité à son livre… « Pierre Hubermont », écrit Jacques Cordier (15), « est bien connu chez nous par tous ceux qui s’intéressent à la vie des lettres belges d’expression française ». On le dépeint, ajoute-t-il, comme « sensible, doux et cependant enthousiaste et énergique lorsqu’il s’agit de réclamer non point la pitié ou la charité, mais la justice pour ceux qu’il aime … les frustrés, les simples, les travailleurs dont il a bien connu l’existence lourde d’angoisse et de peine ».

Entré au journal Le Peuple, organe central du Parti Ouvrier, Pierre Hubermont, auteur consacré (certains affirment même qu’il aurait reçu, en 1936, le Prix du Hainaut), fait désormais partie des grandes plumes de la gauche belge. Proche d’Émile Vandervelde (1866-1938), le fondateur de l’Internationale ouvrière socialiste, il demeure néanmoins très indépendant et n’hésite pas, le cas échéant, à s’écarter de la ligne officielle, ce qui ne va pas sans créer parfois des problèmes. C’est ainsi qu’un désaccord avec Arthur Wauters (16) entraînera son départ du Peuple. Ces péripéties n’entravent toutefois pas la poursuite de sa carrière littéraire. En 1934, il publie, aux Œuvres libres (n° 151, février 1934) Du côté des anges, livre qui sera bientôt réédité chez Rieder, sous le nouveau titre de Marie des pauvres. Il s’agit d’un roman très intéressant qui traite du mysticisme, de la sainteté illusoire et de la folie ; on pense bien sûr à la maladie de la mère de l’auteur. Dans la revue Esprit (17) Edmond Humeau résume le livre en ces termes : « Journal d’une petite fille qui, dans la misère, s’est prise d’envie pour sainte Thérèse, voudrait être Ermelinde de Brabant et lentement cède à la folie (…) L’histoire se passe dans le Borinage (…) Il y a l’atmosphère du pays noir, ses luttes et la désespérante misère que les hommes corrigent en s’abrutissant et les femmes en se résignant ». Toujours très libre, Pierre Hubermont multiplie les contacts les plus divers : déjà en relation avec André Thérive et Georges Duhamel, qui ont relu Treize hommes dans la mine (18), il assiste, en juin 1935, au Premier congrès international des écrivains pour la défense de la culture, et fréquente également, à partir de 1936, le Groupe du Lundi dont il est l’une des figures de proue, avec Robert Poulet (1893-1989) et Franz Hellens (1881-1972). Très éclectique, ce cénacle, où l’on croise Michel de Ghelderode, Marie Gevers, le poète Georges Marlow, Gaston Pulings et Paul Werrie (19), publie, le 1er mars 1937, un manifeste à la gloire de la « France littéraire » à laquelle il rattache les lettres belges francophones. Journaliste en vue, Hubermont assure une chronique littéraire dans Le Rouge et le Noir, tout en poursuivant son œuvre romanesque. En 1938, il fait paraître L’Arbre creux, roman peut-être moins percutant et moins engagé que les précédents mais qui lui vaut tout de même une critique plutôt favorable, notamment de la part de Robert Poulet et du libertaire breton Armand Robin.

Vedette de la Collaboration

Lorsque la situation internationale commence vraiment à se détériorer, quelques intellectuels diffusent un manifeste qui prône la neutralité belge et la défense des valeurs de l’esprit. Sollicité, en septembre 1939, d’adhérer au texte, Hubermont ne donne pas suite. Promu par Robert Poulet, Mil Zankin (Gabriel Figeys) et Gaston Derijcke (Claude Elsen), le manifeste n’obtiendra le ralliement que de treize signataires. Bientôt appelé sous les drapeaux, l’écrivain se retrouve ensuite aux premières loges, en mai 1940, lors de la triste « campagne des dix-huit jours » et c’est en direct qu’il assiste à la déroute de l’armée belge. Rendu à la vie civile le 1er août, il est alors contacté par Paul Colin (1895-1943) qui lui offre de se joindre à l’équipe du Nouveau Journal qu’il s’apprête à lancer. Théoriquement, le quotidien a reçu le discret assentiment du roi Léopold, ce qui garantit la parfaite probité de l’entreprise. Pierre Hubermont répond donc favorablement et rejoint la rédaction du journal dont le premier numéro sort le mardi 1er octobre 1940. Dans la nouvelle publication, l’écrivain intègre le service qui traite des questions sociales, sous la houlette de Paul Herten (1894-1944). Il ne s’agit donc pas, en soi, d’une prestation bien compromettante, mais c’est en s’associant à une publication aussi franchement collaborationniste que Pierre Hubermont franchit le Rubicon. Pour mieux comprendre sa démarche, peut-être faut-il garder à l’esprit que, disciple de Sorel, l’homme n’a rien d’un modéré ni d’un attentiste, et qu’il subit alors la forte influence d’Henri De Man, dont nous avons rappelé plus haut les propos sans ambages. Fils du prolétariat hainuyer, Hubermont est loin d’être foncièrement hostile aux Allemands et à cet égard, il est à l’unisson de nombre de militants de gauche. « Pour ces militants », note une historienne, « l’allégeance allait au pays qui avait le système social le plus avantageux pour la classe ouvrière, en l’occurrence l’Allemagne, mère-patrie de la social-démocratie ». L’ordre social nazi, ajoute-t-elle assez justement, était tout à fait susceptible de séduire les ouvriers du Pays noir « dont l’idéologie était sociale-démocrate à la mode allemande et dont le type de vie était très proche de ceux de la Ruhr ou de la Sarre ». Et elle souligne enfin que « mines et sidérurgie forgent une solidarité implicite qui va au-delà de tous les autres clivages » (20).

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Quoi qu’il en soit, Pierre Hubermont entre dès lors de plein pied dans la Collaboration. Caractère indocile (21), il ne restera cependant que quelques mois au Nouveau Journal où il supporte mal la férule de Paul Colin et l’acidité proverbiale de Robert Poulet, le rédacteur en chef. C’est surtout à partir de 1941 que s’accentue son engagement, l’écrivain se ralliant désormais très ouvertement à l’ordre nouveau et à l’Europe nouvelle. En Allemagne, quelques auteurs prolétariens ont fait des choix similaires (22) et en Belgique même, plusieurs collègues d’Hubermont cèderont, à des degrés divers, à la même tentation (23). « Il partait », écrira sa sœur Addy (24), « de l’idée que la Belgique avait toujours été le champ de bataille des puissances européennes rivales et que la fin des guerres européennes, que l’unification de l’Europe, ferait ipso facto la prospérité de la Belgique ». « Une cause », ajoute-t-elle, à laquelle mon frère restait fanatiquement attaché, en dehors des questions d’humanisme, était celle de l’Europe. Il était d’ailleurs européen dans la mesure où il était humaniste, considérant l’Europe comme la patrie de l’humanisme ». Il voit le futur Reich européen comme la renaissance du vieux Saint-Empire romain germanique. Dans cette perspective, le romancier multiplie les gestes symboliques. René Simar, un professeur de Duffel, ayant fondé une Communauté Culturelle Wallonne (CCW) qui se propose « de recréer l’âme et la culture wallonnes, d’en affirmer et d’en exalter l’originalité », Hubermont y adhère et en devient le secrétaire général. Il en sera bientôt le président, poste auquel il succèdera au peintre et statuaire Georges Wasterlain (1889-1963), lui aussi fils de mineur. Dans ce cadre, Hubermont insiste tout particulièrement sur l’existence et la vitalité d’une culture germanique mosellane, très proche de la culture rhénane… Forte d’un bon millier de membres, répartis en treize « chambres », cette CCW est un groupe extrêmement dynamique qui organise cours de langue, expositions, concerts, récitals et conférences. Soutenue par quelques personnalités connues et quelques experts (comme le germaniste liégeois Adolphe Léon Corin), la CCW diffuse plusieurs publications de bonne facture telles que le mensuel Wallonie (25) et les hebdomadaires Chez Nous et Terre Wallonne (26). Elle anime aussi des journées culturelles wallonnes (en mars 1942 à Liège, en septembre 1942 à Charleroi, en juin 1943 à Dinant) qui témoignent d’un assez bon niveau, évitent l’écueil de la propagande primaire et obtiennent, en conséquence, un écho certain. À l’initiative de Pierre Hubermont, la CCW envoie par ailleurs des enfants en colonies de vacances en Autriche, et organise au moins deux tournées d’artistes wallons dans le Reich. Regroupant une dizaine de personnes, un premier voyage se déroule entre le 23 septembre et le 5 octobre 1941. Il sera suivi d’une grande exposition (35 artistes) ou Wallonische Kunst der Gegenwart qui se produit à Düsseldorf (février-mars 1942), Wuppertal (26 avril-24 mai 1942) et Aix-la-Chapelle (août 1942). Ces événements permettent à des gens comme les sculpteurs Georges Wasterlain et Raymond Scuvée (prix de Rome), ou les peintres Henri Matthy et Pierre Duquène de vendre quelques œuvres et de se faire connaître en Allemagne.

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Sculptures de Georges Wasterlain.

Si la direction de la CCW constitue l’une des activités majeures de Pierre Hubermont, ce dernier n’en abandonne pas pour autant le journalisme. Lorsqu’il quitte le Nouveau Journal, c’est en effet pour entrer (novembre 1941) à La Légia, le nouveau quotidien de Liège, où il va dorénavant occuper le poste délicat de directeur politique. Succédant à La Meuse, dont elle récupère les installations, La Légia a commencé de paraître le 25 mai 1940 et a vite adopté une ligne clairement germanophile (ce qui ne l’empêche pas d’avoir une diffusion très honnête de 75.000 à 90.000 exemplaires). Afin d’éviter tout malentendu, précisons tout de suite que le titre ne fait aucunement référence à une quelconque légion (fût-elle « Wallonie »), mais bien à un petit cours d’eau local qui porte ce nom. Sous l’influence d’Hubermont, le ton du journal se durcit sensiblement. « Dans ses éditoriaux », écrit Raoul Folcrey (27), « Hubermont jette les bases idéologiques d’une collaboration germano-wallonne : défense de l’originalité wallonne, rappel du passé millénaire commun entre Wallons et Allemands, critique de la politique française visant, depuis Richelieu, à annexer la rive gauche du Rhin, défense de l’UTMI [Union des travailleurs manuels et intellectuels] et de ses spécificités syndicales ». Outre ces contributions à La Légia, l’écrivain anime une émission (Chronique de la vie wallonne) sur les ondes de Radio-Bruxelles, et collabore à diverses publications, comme l’hebdomadaire satirique Voilà et bien sûr Wallonie dont il est l’un des fondateurs. Dans cette revue, il n’est pas rare qu’il fustige « le cosmopolitisme d’inspiration juive qui s’infiltrait partout par la littérature ». Oublieux de son amour passé pour les lettres françaises, il lui arrive aussi de dénoncer la NRF et « le snobisme francophile ». Hormis ces thèmes opportunistes et un peu de circonstance, il reste bien évidemment très attaché à « un art pour le peuple et jailli du peuple » et demeure fidèle à ses idéaux socialistes (28). Ce qu’il appelle de ses vœux, c’est un État populaire belge qui permette aux cultures wallonne et flamande de s’épanouir dans le respect mutuel, et qui impose une certaine écologie, face au grand capital qui exploite les faibles et détruit les sites naturels. Et s’il soutient l’Allemagne, c’est parce que, selon lui, celle-ci réalise la vraie démocratie, qui part de la base et s’exprime au travers des organismes sociaux.

L’orientation politique de Pierre Hubermont est pleinement confirmée par son adhésion à la Société Européenne des Écrivains ou Europäische Schriftsteller-Vereinigung (ESV) qui voit le jour à Weimar, le 24 octobre 1941 (29). Placée sous l’égide du Dr Gœbbels et destinée à regrouper les écrivains favorables à l’Axe, cette association possède bien entendu une Section Wallonne et Belge de Langue Française (SWBLF) dont Hubermont sera le porte-parole et Guillaume Samsoen de Gérard le secrétaire. Le groupe connaît un certain succès et attire quelques personnalités comme le journaliste Pierre Daye, le dynamique abbé Norbert Wallez (30), Marie Gevers, Francis André, Marcel Dehaye, et le poète patoisant Joseph Mignolet (31). En 1943, le groupe prend le nom de Fédération des Artistes Wallons et Belges d’Expession Française (FAWBEF), mais Hubermont en demeure la cheville ouvrière. Son appartenance à cette société le conduit (ainsi que les écrivains flamands Ferdinand Vercnocke et Filip de Pillecyn) à se rendre, fin avril 1943 et à l’invitation des Allemands, sur le site du charnier de Katyn afin d’y assister à l’exhumation des victimes du NKVD. Lors de ce funèbre déplacement, il fera la connaissance de l’ancien Premier ministre polonais Léon Kozlowski (1892-1944). À leur retour de Biélorussie, les trois Belges donneront une conférence de presse à Bruxelles et Hubermont fera paraître un bref compte-rendu de huit pages (J’étais à Katyn ! Témoignage oculaire)-(32).

Maudit et impénitent

En fin compte, l’aventure collaborationniste de Pierre Hubermont s’interrompt brutalement le 23 septembre 1944, date à laquelle il est appréhendé par les libérateurs du royaume et incarcéré à la prison de Saint-Gilles. Tenu pour un traître d’envergure, avec la circonstance aggravante d’être ou d’avoir été de gauche, son avenir semble dès lors fort sombre. Transféré à Liège, il comparaît le 17 avril 1945 devant le Conseil de guerre local qui dresse à son encontre un réquisitoire implacable. Convaincu de l’innocence du grand allié soviétique, l’un des auditeurs militaires ira même jusqu’à lui reprocher « l’infâme reportage » (sic) qu’il a commis au sujet du massacre de Katyn… Hubermont est défendu par Pierre Nothomb (33) qui parvient, non sans adresse, à atténuer la responsabilité de l’accusé, en jouant notamment sur la démence précoce de sa mère et sur le fait que le futur romancier a tenté de se pendre lorsqu’elle fut internée. En tout état de cause, dextérité du plaideur ou scrupules des juges, Pierre Hubermont évite finalement le poteau d’exécution et écope d’un emprisonnement à perpétuité. Cette condamnation paraît aujourd’hui bien lourde mais au regard des pratiques judiciaires de l’époque (34), il s’agit d’un verdict plutôt clément. D’ailleurs, la peine sera bientôt commuée en 16 ans de détention et Pierre Hubermont sera libéré le 20 novembre 1950.

Lorsqu’il sort de prison, l’écrivain, à l’instar de la plupart des « inciviques », n’est qu’un pestiféré dont nul ne veut plus entendre parler. Il peut bien se remettre à écrire, il ne trouvera plus jamais d’éditeur. On sait par exemple qu’il achève, en décembre 1976, un ouvrage sur Katyn (Khatyn, ce n’est pas Katyn), mais ce dernier ne sera jamais publié ; le tapuscrit dort encore dans un placard des archives nationales (CegeSoma). La détention n’a cependant pas brisé l’ancien militant révolutionnaire. Il participe de temps à autres aux colloques sur la littérature prolétarienne qu’organise le jésuite Paul Feller (vétéran de la 2e DB), et on le retrouve, au moment de la grande grève de l’hiver 1960-1961, dans les parages du Mouvement populaire wallon (MPW). Sous le pseudonyme de René Lapierre, il contribue alors, discrètement, à Combat, le journal du mouvement, où il tient une rubrique intitulée « Vérité de granit ». En tout cas, très favorable à André Renard (photo, ci-dessous), le chef du MPW, il ne lui ménage pas son soutien. « André Renard », écrit-il (35) ainsi, dans La Révolution prolétarienne, « est apparu comme ayant l’étoffe d’un homme d’État prolétarien et européen (…) Ce gars, qui a une puissante personnalité, se dégage (à la faveur d’une grève prématurément engagée à l’encontre de son avis raisonnable et raisonné), se dégage du carcan de la lourde bureaucratie syndicale (…) Grâce à lui, une politique réactionnaire est ébranlée et un socialisme mal en point reprend pied dans un pays où il se mourait d’un excès d’engraissement dormitoire » (36). Comme on le voit, à l’approche de la soixantaine, l’écrivain prolétarien n’a rien renié de ses convictions de jeunesse.

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Ces quelques manifestations de présence demeurent toutefois très marginales. Définitivement exclu des lettres belges en 1944, Pierre Hubermont n’obtiendra jamais aucun pardon. Il ne sortira plus de l’anonymat, et c’est dans l’oubli total et l’indifférence générale qu’il s’éteindra, le 18 septembre 1989, à Jette, dans la périphérie bruxelloise.

Notes:

(1) note 12, p. … (P.Daye)

(2) Par le biais notamment du Rassemblement national populaire (RNP), du Parti populaire français (PPF), du Parti ouvrier et paysan français (POPF) ou de la Ligue de pensée française.

(3) Ouvrier tourneur, Marcel Capron (1896-1982) fut maire communiste d’Alfortville puis député communiste de Sceaux. Secrétaire général du POPF, il sera condamné à deux ans de prison et à la dégradation nationale en 1944, mais sera amnistié en 1953.

(4) Ouvrier typographe, Georges Yvetot (1868-1942) fut un célèbre militant anarchiste et syndicaliste révolutionnaire. En 1942, il présidait le Comité ouvrier de secours immédiat (Cosi).

(5) Journaliste, professeur et écrivain, André Thérive (1891-1967) fut le célèbre critique littéraire du journal Le Temps et le fondateur de l’école dite « populiste ». Brièvement emprisonné à la Libération, il collaborera régulièrement à Rivarol, aux Ecrits de Paris, à Paroles françaises et Carrefour.

(6) Ancien pâtissier, chef de gare et inspecteur du travail, l’écrivain Pierre Hamp (1876-1962) fut un ami de Charles Péguy. Socialiste et pacifiste, il a consacré de nombreux livres à la condition ouvrière.

(7) Voy. Manifeste de l’équipe belge des écrivains prolétariens de langue française (février 1929), cité par Jacques Cordier dans « Pierre Hubermont, un homme dans la mire (1903-1989) », in Pierre Hubermont, Treize hommes dans la mine, Bruxelles, Labor, 1993, p. 137.

(8) D’origine juive russe, Benjamin Goriely (1898-1986) a traduit de nombreux textes de littérature russe et consacré plusieurs études au monde soviétique ainsi qu’au nazisme. Il collabora au Drapeau rouge mais aussi à la revue Esprit et à l’Encyclopédie de la Pléiade.

(9) Instituteur et poète, Albert Ayguesparse (1900-1996) sera membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises en Belgique.

(10) Pour être vraiment un « écrivain prolétarien », il fallait impérativement être né de parents ouvriers ou paysans, être autodidacte, et témoigner dans ses écrits des conditions de vie de sa classe sociale d’origine.

(11) Le 10 mars 1906 et suite à un coup de grisou, 1099 mineurs trouvèrent la mort à Courrières. Le 30 mars, treize hommes remontèrent vivants, suivis le 4 avril par un ultime rescapé.

(12) En 1928 et lors d’un éboulement accidentel, quarante hommes furent coincés durant plusieurs heures dans une galerie de mine à Marcinelle.

(13) Disciple de Georges Sorel, Georges Valois (1878-1945) fut le fondateur du Faisceau (1925) et du Parti républicain syndicaliste. Voy. Yves Guchet, Georges Valois, Paris, L’Harmattan, 2001 ; Jean-Claude Valla, Georges Valois : de l’anarcho-syndicalisme au fascisme, Paris, Dualpha, 2017.

(14) Institut National de Radiodiffusion (INR) ou radio d’État belge, fondée en 1930.

(15) Jacques Cordier, op. cit., p. 151.

(16) Arthur Wauters (1890-1960) fut directeur politique du journal Le Peuple, puis député, sénateur, plusieurs fois ministre et ambassadeur (Varsovie, Moscou).

(17) Voy. Esprit de février 1935, p. 848.

(18) Voy. Bernard Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945) », Cahiers d’histoire de la IIe Guerre mondiale, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10 (Bruxelles, octobre 1986), p. 176.

(19) Ibid, p. 173.

(20) Voy. Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La Libération et l’Épuration en Belgique », Le Crapouillot, n°120 (Paris, juillet-août 1994), p. 63.

(21) C’est pour cela sans doute que Jacques Willequet le décrit sèchement comme « un caractériel qui frisait le dérèglement cérébral et qui passa son existence à se brouiller avec tout le monde » – voy. J. Willequet, La Belgique sous la botte, Paris, Editions universitaires, 1986, p. 172.

(22) Par exemple Max Barthel (1893-1975), Karl Bröger (1886-1944), August Winnig (1878-1956) et Hans Zöberlein (1895-1964).

(23) Notamment René Baert (1903-1945), Constant Malva (1903-1969), Marcel Parfondry (1904-1968) et Fernand Jouan.

(24) Voy. A. Jumeau, Bon sang ne peut mentir, Bruxelles, 1949 – cité par Raoul Folcrey, « La Gauche et la Collaboration en Belgique: De Man, les syndicats et le Front du Travail », Vouloir-Archives EROE (en ligne) ou Le Crapouillot, n° 110 (Paris, septembre-octobre 1992), p. 20-22 [version abrégée du même article].

(25) Collaborent à Wallonie Jean Denis, Gaston Derijcke, Francis André, l’abbé Wallez, Gabriel Figeys, Marie Gevers, Marcel Parfondry et Marcel Dehaye.

(26) À Terre Wallonne (qui s’est d’abord intitulé Notre Terre Wallonne), on trouve les signatures de Gilles Anthelme (Francis Soulié), Fernand Jouan, André Combaire et Jules van Erck.

(27) Voy. supra Raoul Folcrey, Vouloir-Archives EROE (en ligne).

(28) « Ce gauchiste », écrit J. Willequet (op.cit, p. 172), « n’eut jamais que deux passions : la Wallonie et le sort de la classe ouvrière ».

(29) Voy. C. Dolbeau, « Weimar 1941-1942 : la Société Européenne des Écrivains », Tabou, vol. 25 (Saint-Genis-Laval, 2019), pp. 160-183.

(30) Directeur du quotidien Le Vingtième Siècle, l’abbé Norbert Wallez (1882-1952) était un admirateur de Mussolini. Correspondant régulier de Charles Maurras et Léon Daudet, il embauchera Hergé et Léon Degrelle dans son journal. Emprisonné en 1944, il sera condamné (1947 et 1948) à cinq ans d’emprisonnement pour collaboration.

(31) Voy. Bernard Delcord, op. cit., p. 181-182.

(32) Ferdinand Vercnocke fait de même et publie Ik was in Katyn.

(33) Sur ce personnage, voir Lionel Baland, Pierre Nothomb, Collection “Qui suis-je“, Puiseaux, Pardès, 2019.

(34) Si Robert Poulet, condamné à mort, finit par s’en sortir vivant, tel n’est pas le cas des journalistes René Baert, José Streel, Paul Herten et Jules Lhost qui sont passés par les armes.

(35) sous le nom de Pierre Hubermont.

(36) Voy. La Révolution prolétarienne (« mensuel syndicaliste révolutionnaire »), n° 465/164, octobre 1961, p. 11.

Bibliographie:

La Révolution prolétarienne, n° 465/164 (Paris, octobre 1961).

– B. Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945), Cahiers d’histoire de la IIe Guerre mondiale, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10 (Bruxelles, octobre 1986).

– J. Willequet, La Belgique sous la botte, Paris, Editions universitaires, 1986.

– R. Folcrey, « La Gauche et la Collaboration en Belgique : De Man, les syndicats et le Front du Travail », Le Crapouillot, n° 110 (Paris, septembre-octobre 1992) – repris sur le site Internet de Vouloir-Archives EROE. 

– P. Hubermont, Treize hommes dans la mine, Bruxelles, Labor, 1993.

– Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La Libération et l’Épuration en Belgique », Le Crapouillot, n° 120 (Paris, juillet-août 1994).

lundi, 12 septembre 2022

Vienne 1683: la charge de cavalerie qui a sauvé l'Europe

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La charge de cavalerie qui a sauvé l'Europe

À Vienne en 1683, les Polonais ont soutenu l'Empire autrichien en écrasant les Turcs lors de la dernière bataille qui a sauvé l'Europe

Andrea Muratore

Source: https://www.ilgiornale.it/news/cultura/carica-cavalleria-che-salv-leuropa-cos-vienna-fu-rotto-1971412.html?fbclid=IwAR2tfxT8owTYl28X_jiDSIYy5CHO-YQc_DGlYtt8DPzmBU-VNkt3PIanRsY

La charge de cavalerie qui a sauvé l'Europe : comment le siège a été brisé à Vienne

Vienne, le 11 septembre 1683. Sur le mont Kahlenberg, soit la colline de Kahlenberg située non loin de la capitale de l'empire des Habsbourg, une mêlée confuse oppose les troupes ottomanes qui assiègent la ville et les forces de l'empereur Léopold Ier. Le siège turc de Vienne, le deuxième après celui de 1529, est arrivé à son dernier jour. Plus d'un siècle après la bataille de Lépante, l'Europe fait face à une nouvelle avancée du Grand Turc, cette fois-ci par voie terrestre. Les Janissaires, les forces spéciales les plus avancées de l'armée ottomane, et les forces du duc Charles V de Lorraine, parmi lesquelles se trouvait un jeune officier qui allait faire carrière, Eugène de Savoie, se sont âprement battus à quelques kilomètres de la ville assiégée. À l'époque, on craignait que la grande peur de l'invasion turque ne se matérialise à nouveau pour l'Europe, mais lorsque les faits se sont avérés, une seule attaque a suffi à changer le cours du siège et, à sa manière, de l'histoire.

"Jesusmmaria" : au milieu de la mêlée, un cri retentit et en un rien de temps, le Kahlenberg est envahi par ce qui semble être une légion d'anges. Ce sont des cavaliers en armure, armés d'un sabre et d'une lance de six mètres ; sur leurs épaules, ils portent un montage en bois auquel est attaché un ensemble de plumes d'oiseaux, qui forment des ailes, rendent le combattant plus imposant et produisent, pendant la charge, un sifflement et un bruissement qui terrifient leurs ennemis. Il s'agit des hussards ailés, l'élément central de l'armée du roi Jean III Sobieski de Pologne qui s'est précipité vers la ville sans être inquiété. Quatre bataillons écrasent les Turcs, 15.000 hommes restent sur le terrain, l'armée ottomane subit une nouvelle raclée, cette fois définitive. En 1664, elle avait été stoppée dans sa progression par les armées impériales dirigées par Raimondo Montecuccoli (1609-1680) à la bataille du Saint-Gothard en Hongrie, pour reprendre sa marche suite aux pressions exercées par Louis XIV de France sur Istanbul pour que l'Empire ottoman prenne l'initiative contre l'Empire des Habsbourg. En 1683, l'avance ottomane est brisée et se transforme en une contre-offensive vers la Hongrie et les Balkans dans les années suivantes.

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De juillet à septembre, la dernière "Grande Peur" est mise en scène, le metus d'une conquête turque du cœur de l'Europe qui s'était déjà fait sentir après la chute de Constantinople en 1453, avec le premier siège de Vienne en 1529 et avec le défi de Lépante en 1571. La participation des Polonais a donné corps à la dernière grande coalition née à des fins religieuses dans l'histoire européenne, dans une phase historique où même le roi de France avait depuis longtemps choisi une autre voie, comme l'avaient confirmé les alignements de la guerre de Trente Ans. Hors du temps et autonome, l'épisode du siège mené par Kara Mustafa Pacha n'était pas apparu comme un chant du cygne, au contraire, mais comme la continuation d'une ambition démesurée de domination de la part des Turcs. En fait, c'était un pas de trop, un pari risqué que la Sublime Porte a payé avec le début de son déclin.

L'écart entre les organisations militaires européennes et turques s'était réduit, l'art de la fortification avait produit des forteresses presque imprenables, et le déclin du moral et de l'organisation des Turcs rendait les pertes moins supportables. Le premier 11 septembre de l'histoire a toutefois été décidé par un véritable épisode de guerre psychologique : l'apparition des hussards a grandement terrifié les Turcs, leur a fait perdre le moral et a été perçue comme un signe divin de punition.

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Ce Lépante sur terre a été un épisode décisif, et le reflux de la marée turque a entraîné l'avancée des bannières autrichiennes et des domaines des Habsbourg. Vienne est devenue avide d'expansion territoriale et voulait le retour à la couronne de régions cruciales comme la Hongrie. À partir de ce moment-là, c'est la politique et la soif d'expansion territoriale, plutôt que le dualisme entre l'Islam et la Chrétienté, qui inspireront l'assaut continu de l'Autriche-Hongrie, de la Russie et d'autres puissances contre l'Empire ottoman. Il a été poussé au déclin en subissant une raclée bien prévisible due à trop d'hybris de la part de ses chefs militaires, convaincus que Vienne pouvait tomber. En un sens, l'Europe a été sauvée une dernière fois après Lépante : la dernière "guerre de religion" de l'Europe, avec le siège de Vienne, a été la dernière bataille qui pouvait être connotée comme telle de façon claire, et son extraordinaire anachronisme ne peut être comparé qu'à son rôle de tournant historique. Par la suite, masquer la logique du pouvoir par de nobles idéaux aurait été beaucoup plus difficile : l'assaut continu contre les positions ottomanes des siècles suivants en témoigne.

dimanche, 11 septembre 2022

Art et métapolitique dans l'Espagne du 20ème siècle: le rapport Dali/Franco

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Art et métapolitique dans l'Espagne du 20ème siècle: le rapport Dali/Franco

Juan Montis-Christus

Source: https://septentrionis.wordpress.com/2022/09/10/arte-y-metapolitica-en-la-espana-del-siglo-xx-dali-franco/

"La révolution russe est la révolution française arrivée en retard, à cause du froid".

Salvador Dalí

"N'insistez pas pour être moderne. Malheureusement, quoi que vous fassiez, c'est la seule chose que vous ne pouvez pas vous empêcher d'être".

Salvador Dalí

"Franco et Dalí, Dalí et Franco : non pas une sympathie extravagante pour cacher ou déformer, mais une relation complexe pleine de recoins fascinants et contenant peut-être plus d'une clé décisive pour notre propre avenir".

Antonio Martínez, "El Manifiesto".

Le monde de l'art a donné à l'Espagne deux figures exceptionnelles de renommée mondiale au milieu du 20e siècle : Antonio Gaudí et Salvador Dalí; le premier a excellé dans le monde de l'architecture, le second dans la peinture. Les œuvres que les deux artistes ont produites tout au long de leur vie étaient d'une grande richesse symbolique et beaucoup d'entre elles avaient une grande charge mythique, précisément dans un monde horriblement désacralisé, profane et matérialiste, ainsi qu'anti-mythique et anti-symbolique par définition; et tous deux ont suivi, chacun à sa manière, une "voie mystique" particulière. Cette dernière était plus évidente chez Gaudí, un fondamentaliste catholique dévot et pratiquant ; dans le cas de Dalí, son mysticisme sui generis présentait des caractéristiques plutôt problématiques... Ce qui chez l'un était une religiosité dévotionnelle (extérieurement, bien sûr...), une introspection, un abandon de la "voie mystique", l'abandon du "bruit du monde", l'austérité véritablement spartiate, le dédain du luxe, du faste et de l'apparat, le détachement, surtout dans la dernière phase de sa vie ; d'autre part, chez l'autre, chez Dali, malgré son catholicisme théorique - voire national - étroitement lié aux grands mythes légendaires et patriotiques (l'apôtre Santiago, Covadonga, Don Pelayo, la Reconquête, le Cid, la Découverte de l'Amérique, la Vierge du Pilar, Philippe II, etc. ), c'était tout le contraire : excentricité, exhibitionnisme, extravagance, goût du scandale, de la provocation et une apparente superficialité ; et nous disons apparente, car Salvador Dalí a été très clair à ce sujet dans des propos qu'il a tenus tout au long de sa vie, tels que : "Les sociétés démocratiques ne sont pas adaptées à la publication de révélations tonitruantes comme celles que j'ai l'habitude de faire".

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Le mépris de Dalí pour les sociétés bourgeoises et libérales, qui le divertissent sans même le comprendre, est absolu ; il est révulsé par la démocratie et les sociétés de masse, qu'il considère - à juste titre - comme de la pure camelote ; "le clown, ce n'est pas moi, mais cette société, si monstrueusement cynique et inconsciemment naïve, qui joue un rôle sérieux pour masquer sa folie". Salvador Dalí, symboliquement "chevauchant le tigre" au milieu d'un monde en ruines, un tigre qui finira par le dévorer ; voilà ce que c'est que de suivre un chemin très personnel et autonome vers la transcendance, en dehors d'une véritable doctrine sapientielle traditionnelle et orthodoxe ; comme nous l'avons dit plus haut, son catholicisme national a toujours été très particulier, même dans la période dite "mystique" où il a produit - à notre avis - la meilleure et la plus florissante de son oeuvre picturale... 

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Ernesto Milá, dans son merveilleux livre sur le génie de l'Empordà (1), avance une théorie très intéressante. Au sein des deux voies autonomes vers la transcendance et la réalisation du soi indiquées par la tradition sapientielle, à savoir la "Voie de la Main Droite" et la "Voie de la Main Gauche", selon la thèse très suggestive de Milá, Antonio Gaudí incarnerait spécifiquement la première, tandis que Salvador Dalí incarnerait la seconde ; alors que la première était toute de retenue et de recueillement, la seconde était son contraire, fait d'excès et de débridage : "La voie de Gaudí peut être considérée, du point de vue de l'ésotérisme traditionnel comme la 'Voie de la main droite', celle qui consiste en une forte ascèse intérieure de caractère purificateur. Si nous l'avons appelé "voie autonome", c'est parce qu'elle a été construite spontanément par Gaudí, accumulant des expériences intérieures... il ne fait aucun doute que Gaudí était catholique, mais il ne fait aucun doute non plus qu'il a dépassé le simple catholicisme de dévotion" ; en ce sens, il n'y a rien de plus à voir et à étudier que ses fabuleuses constructions, toutes empreintes de symbolisme traditionnel, préchrétien et chrétien, même dans la version la plus ésotérique de ce dernier (le Graal, le Pélican, la Croix des Six Directions, la Croix du Tau, la Rose+Croix, etc.)

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Quant au peintre de l'Empordà, il incarnerait la Voie de la Main Gauche (2), une voie beaucoup plus dangereuse à suivre, surtout dans les périodes de dégradation et de dissolution du monde comme celle que nous vivons actuellement ; dans l'ésotérisme extrême-oriental, cette voie de réalisation de soi est symboliquement connue sous le nom de "Chevaucher le Tigre". À cet égard, Ernesto Milá dit de Dalí que "son catholicisme - très sui generis, d'ailleurs - est loin d'être de la même nature que celui du grand architecte (Gaudí). Les deux personnalités sont, par essence, différentes.

Dalí est un esprit mondain qui méprise la bourgeoisie et les "daliniens", mais partage sa vie avec eux car, au fond, il en vit. Il est repoussé par la plupart de ses admirateurs et a tendance à les traiter avec plus que quelques mots durs et blessants qui, dans de nombreux cas, sont moqués par les intéressés comme s'il s'agissait d'une originalité de plus. La mondanité, en revanche, est impensable chez Gaudí...". En Occident, et plus précisément en Grèce, nous avons une doctrine analogue à la voie tantrique extrême-orientale, qui a fini par exercer une certaine influence à la fin de l'époque romaine ; nous parlons de l'épicurisme (3), une école philosophique qui est née à Athènes à la fin du IVe siècle avant Jésus-Christ ; cette doctrine prônait l'absence - évidemment pour l'homme vraiment différencié - de soucis et la jouissance de tous les plaisirs de la vie (bonheur, félicité, bien-être, fortune, richesse), mais tout cela sans perdre l'Axe ou le Centre, en suivant toujours et malgré tout un Nord et un Guide existentiels, vivre et errer sans fuir le "bruit mondain", mais sans se laisser entraîner par le courant général de la subversion et de la désintégration, "vivre à l'intérieur de soi, et non décentré et détaché" (Antonio Medrano), en cherchant toujours, même dans le chaos et la dégradation - dans les enfers - un principe d'Ordre, de détachement et de déconditionnement. Comme le dirait Julius Évola, "se tenir droit au milieu d'un monde en ruines".

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De nombreux modernes et postmodernes, poussés par une imbécillité et une ignorance vraiment suprêmes, ont interprété de manière erronée la doctrine de cette école philosophique, comme une simple voie vers l'hédonisme le plus absolu, une erreur grossière ; à cet égard, le fondateur de cette école a écrit : "Lorsque nous disons que le plaisir est la fin, nous n'entendons pas les plaisirs lascifs et licencieux, comme le disent certains ignorants de notre doctrine ou contraires à celle-ci ; mais nous unissons l'absence de douleur du corps à la tranquillité de l'esprit. Ce ne sont pas les festins et les banquets, ni les plaisirs des garçons et des femmes, ni les poissons et autres délices que l'on peut donner à une table somptueuse qui rendent la vie douce, mais un raisonnement sobre qui étudie parfaitement les motifs de tout choix et de tout refus... l'homme lucide et prudent sait discriminer, et cette opération le rend heureux.

La douleur provient d'appétits désordonnés qui ne sont pas discriminés selon l'intelligence, c'est-à-dire vivre de façon irrationnelle dévoré par des passions et des appétits tordus. L'homme intelligent, au contraire, s'abstrait de toute perturbation possible en se réfugiant dans l'autarcie, le contrôle de soi, la maîtrise de soi. L'autarcie, quant à elle, mène à l'ataraxie, l'imperturbabilité, la sérénité intérieure" (Épicure de Samos). Il est clair que Dalí s'inscrit beaucoup plus dans cette conception du monde que Gaudí, mais seulement en partie, car il finira par être vitalement brisé, déséquilibré et désaxé (perte de l'"autarcie intérieure", de la "maîtrise de soi"), comme tous ceux qui marchent sur le fil du rasoir ou qui "chevauchent le tigre" (4), sans points d'appui spirituels et métaphysiques solides, comme c'était son cas.

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Le Dali métapolitique

Pendant une grande partie de sa vie, Salvador Dalí a toujours ressenti un certain détachement et une certaine distance par rapport à la politique du monde - apoliteia - mais pas par rapport à une certaine métapolitique - au-delà de la politique - son admiration pour les grandes figures politiques du 20ème siècle telles que Hitler, Mussolini, Franco, José Antonio Primo de Rivera, voire Lénine et Mao Tse Tung, était due à la "dimension mythique" qu'il entrevoyait derrière ces personnages historiques, qu'ils soient "bons" ou "mauvais". À son retour en Espagne en 1948, alors qu'il s'imprègne - à sa manière, bien sûr - de la mystique nationale-catholique affichée par l'État du 18 juillet et personnifiée dans la figure "mythique" de Francisco Franco, ainsi que du riche symbolisme et du rituel qui l'accompagnent à travers les organisations du Mouvement officiel, il s'attache progressivement à une certaine "droite" traditionnelle et métapolitique, abandonnant totalement ses idéaux révolutionnaires de jeunesse, prônant une véritable Monarchie, condamnant la démocratie, le libéralisme, l'égalitarisme, le machinisme, la standardisation, la médecine moderne et toutes sortes d'aberrations collectivistes, et se prononçant en faveur de la hiérarchie, d'une Aristocratie de l'Esprit (par opposition à celle du blason), de l'autorité, de l'esthétique, de la diversité, des valeurs de la personnalité par opposition à la massification, de la métaphysique, d'une "vraie Renaissance", de la Magie et de la Tradition; "Je ne crois qu'en la réalité suprême de la Tradition", disait Dalí. Il affirmait vivre au milieu d'une époque vulgaire, et que la vulgarité devait être vaincue "verticalement", tandis qu'en même temps la société devait être complètement déprolétarisée (précisément aujourd'hui le démonisme mondialiste cherche exactement le contraire) ; il parlait aussi d'une véritable "révolution culturelle" et "mystique" qui dissoudrait les fondations sur lesquelles les sociétés bourgeoises et démocratiques pourries étaient construites, et restaurerait ainsi la Tradition : "Ce n'est pas la vraie révolution mais celle qui retrouve la Tradition cachée sous la poussière de la fausse tradition". Re-volvere, remettre, revenir à la restauration de la Norme, au Centre, à l'Origine, à la Vérité, aux valeurs éternelles de l'Esprit ?

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Juan de Ávalos, fils du célèbre sculpteur de la Basilique de la Vallee de los Caidos, l'œuvre suprême - et extraordinaire - du national-catholicisme franquiste, nous raconte un épisode curieux ; nous savons que Salvador Dalí a été l'un des premiers intellectuels espagnols à rejoindre avec enthousiasme le Mouvement national en 1937 ; il s'avère que juste après la fin de la Croisade en 1939, il a présenté à la Phalange un projet monumental qualifié de "macabre" : "Il a même proposé un monument commémoratif plutôt extravagant à la Phalange. L'idée était de fondre ensemble, tous les os de tous les morts de la guerre. Ensuite, tous les kilomètres entre Madrid et l'Escorial, une cinquantaine de piédestaux seront érigés sur lesquels seront placés des squelettes fabriqués à partir des vrais os. Ces squelettes seraient de plus en plus grands. Le premier, au départ de Madrid, ne ferait que quelques centimètres de haut. Le dernier, en arrivant à El Escorial, aurait trois ou quatre mètres de haut. Il semble que le projet n'ait pas du tout plu à Franco et qu'il ait été finalement rejeté, mais c'est là qu'a commencé une relation d'amitié et même d'admiration mutuelle entre les deux génies de l'Espagne du 20ème siècle (5) ; à une occasion, il est même allé jusqu'à dire que les deux grands inspirateurs de son œuvre étaient la Santina (la Vierge de Covadonga) et le Caudillo, ce qui horrifierait n'importe quel nabot progressiste ou politiquement correct d'aujourd'hui.

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De toute évidence, Salvador Dalí, comme le souligne Ernesto Milá, était l'un des très rares artistes "modernes" pour qui les symboles n'étaient pas simplement des signes muets et vides, mais des porteurs potentiels d'idées suprasensibles et métaphysiques. D'où sa fascination pour le symbolisme et l'attirail qui accompagnaient les monarchies sacrées d'antan, ainsi que les États modernes et les grands dirigeants totalitaires du XXe siècle, face à la mentalité anti-symbolique et à la médiocrité répugnante et mesquine de la bourgeoisie libérale, caractérisée par sa crasse, sa bassesse et sa pauvreté symbolique-doctrinale sans limites. 

"Dans la monarchie, une autorité maximale coexiste avec des possibilités maximales pour l'individu. Hétérogénéité en bas et unité en haut... J'ai toujours été anarchiste et monarchiste. Monarchiste dans l'ordre. Ainsi, cette anarchie est de nous, ceux d'en bas, et elle est à protéger par l'ordre d'en haut. Et la monarchie est l'ordre parfait". C'est ainsi que Dalí concevait sa "Monarchie-anarchie" ; une hiérarchie, une aristocratie, une totalité et une autorité maximales au sommet de l'État et de la société, et une liberté et un pluriformisme maximaux à la base - "La liberté dans l'ordre", comme le disait José Antonio Primo de Rivera, un leader qu'il admirait aussi profondément ; c'était le genre de monarchie sacrée dont Dalí (et très probablement Franco lui-même) rêvait et qu'il idéalisait, mais qui était totalement incompatible avec la vision du monde moderne ou postmoderne, à savoir qu'une monarchie libérale, démocratique et parlementaire - parodique et caricaturale en somme- n'est rien d'autre qu'un charlatanisme et une farce, une sorte de République couronnée où la figure du roi est celle d'une simple marionnette qui ne règne ni ne gouverne, une simple marionnette au service de la partitocratie et de la ploutocratie ("El Augusto Cero", comme le grand Juan Vázquez de Mella décrivait les monarques libéraux), raison pour laquelle la "Monarchie du 18 juillet" ou la "Monarchie du Mouvement national" instaurée par Franco - et à laquelle Dalí s'identifiait - est mort-née le 22 novembre 1975 (6).

Deux génies qui s'admirent mutuellement

"Un saint, un mystique, un être extraordinaire".

Salvador Dalí sur Francisco Franco

"Dalí n'a pas seulement sympathisé avec un certain franquisme, mais a également connu personnellement le dictateur et partagé des moments intimes avec lui. Il a peint un portrait de sa petite-fille et a dédié un poème au prince d'Espagne de l'époque, le successeur de Franco. Soyons clairs : Dalí a séduit Franco et la sympathie était réciproque. Sur quoi était-elle basée ? En effet, l'admiration et la sympathie étaient réciproques ; en 1964, le gouvernement de Franco lui décerna la Grand-Croix d'Isabelle la Catholique et en 1972, Dalí fit don de toute son œuvre à l'État espagnol (au grand dam de la foule séparatiste ; curieusement, aucune rue ne lui est dédiée à Barcelone...), ainsi que le financement de son Théâtre-Musée de Figueras, inauguré en 1974. À partir du moment où il s'installe définitivement en Espagne en 1948, plus précisément à Port Lligat, il ne cesse de louer la figure du Caudillo, qu'il considère comme un Mythe vivant ou comme une figure sacrée et métahistorique, au grand scandale de la poubelle intellectuelle et politicienne du monde démolibéral et ploutocratique.

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L'admiration de Dalí pour la figure du Caudillo était si grande que sa mort, le 20 novembre 1975, le surprit lors d'une réunion à New York ; lorsqu'on lui annonça la nouvelle de la mort de Franco, Dalí demanda à être laissé seul et pleura, pressentant peut-être ce qui allait arriver à l'Espagne avec la disparition de sa dernière pierre d'achoppement avant qu'elle tombe comme un fruit mûr, proie et victime de la domination de la subversion mondiale qui l'emporta en 1945 après la Seconde Guerre mondiale, comme elle finit par l'être ; le penseur traditionaliste Álvaro d'Ors, ami de Carl Schmitt, a dit à juste titre que Franco avait gagné la guerre de 1936-39 mais qu'il avait néanmoins perdu la guerre de 1939-45, même sans y avoir participé directement, puisque les vainqueurs de cette dernière étaient les ennemis "éternels" -physiques et métaphysiques- de l'Espagne, et qu'ils n'allaient en aucun cas permettre une survie d'un post-franquisme solide en Espagne après la mort du Caudillo ; les trente années entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la mort du Caudillo ont été une sorte d'ajournement, comme nous le verrons plus loin...

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Statue d'Alvaro d'Ors.

Il faut rappeler qu'une petite indication de cela a été l'avalanche de protestations internationales et de manifestations délirantes de haine anti-espagnole émanant du monde ploutocratique (avec des attaques et des agressions contre nos ambassades, des menaces d'expulsion de certaines organisations internationales, etc.), y compris le Vatican maudit, anti-espagnol et traître, qui a eu lieu en octobre 1975 après l'exécution par fusillade, plus que justifiée, de trois criminels de l'ETA et de deux autres du FRAP ; Dalí a non seulement soutenu pleinement les politiques du Caudillo, mais aussi ses décisions antiterroristes, au grand scandale et à l'embarras des répugnants progressistes bien pensants qui grouillent dans les démocraties occidentales décadentes ; lors de la dernière apparition publique de Franco sur la Plaza de Oriente, le 1er octobre 1975, à l'occasion du XXXIXe anniversaire de son exaltation en tant que chef d'État, et également en tant que démonstration de répulsion contre l'ingérence étrangère dans les affaires nationales, devant des centaines de milliers de partisans, Dalí a déclaré avec émotion que le Caudillo était "le plus grand héros d'Espagne" ; de sorte que plus tard, divers imbéciles qui cherchent une certaine "homologation systémique" de l'artiste, disent que le franquisme de Dalí était imposture, mensonge ou pure apparence. Après tout, comme l'a dit Salvador Dalí lui-même, "la télévision est le plus grand instrument de crétinisation du monde d'aujourd'hui", comme le sont tous les médias d'"information" de masse du système démocratique délétère (il disait avec dérision qu'il lisait toujours les nouvelles dans les journaux à l'envers pour mieux les comprendre), même si le trash télévisuel remporte la palme et est aujourd'hui le meilleur moyen de diffuser le satanisme mondialiste et sous-humain ; nous savons déjà que quelque chose d'aussi démocratique que l'information et la propagande systémiques (le lavage de cerveau écrasant et destructeur), sont finalement la contre-figure parodique et sinistre -diabolique- de la vraie Culture, ainsi que de la formation intégrale de l'individu. Art, Mysticisme, Spiritualité, Métaphysique, Métapolitique face aux forces dissolues et désintégratrices de la Modernité, tel était en substance le véritable sens que Dalí donnait au concept qu'il avait de la véritable "Révolution culturelle" (7).       .

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"Depuis la Révolution française, il s'est développé une tendance vicieuse et crétine à considérer le génie comme un être humain égal en tout point à tous les autres". Salvador Dalí, génie et figure jusqu'à la tombe ; Franco, quant à lui, a un jour prononcé en privé une phrase qui est aujourd'hui aussi ridiculisée qu'incomprise, et qui suscite habituellement la dérision des "terroristes de la plume", comme Onésimo Redondo avait l'habitude d'appeler les déchets journalistiques : "Faites comme moi, ne vous mêlez jamais de politique" ; de toute évidence, lorsque le Caudillo a fait une telle déclaration, il faisait référence à la "petite politique", à la politique étroite, myope et à courte vue, si consubstantielle à la démence démocratique, bourgeoise et libérale ; au contraire, le Caudillo a toujours parlé d'une autre politique éminemment supérieure, la politique comme "acte de service", comme Milice, la politique exécutée de manière sacrée, solaire, ouranique-virile -vraiment royale-, comme un acte de Service et de Sacrifice à la tête de la Communauté Populaire, la politique comme une fonction "presque divine" (José Antonio), la politique qui regarde plus les générations futures que les prochaines élections. C'est ainsi que Franco et Dalí ont tous deux compris la vraie politique, comme un véritable Art ; la Grande Politique : Métapolitique, "au-delà de la politique", Métaphysique de la politique... 

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Enfin, le grand Dalí est mort d'une crise cardiaque le 23 janvier 1989 à l'âge de presque 85 ans. Il est mort en écoutant son opéra préféré "Tristan et Isolde", de son compositeur allemand admiré, Richard Wagner. Il a été enterré dans la crypte de son Théâtre-Musée à Figueras, en face de l'église Sant Pere (photo), où il avait été baptisé et où il avait fait sa première communion.

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L'alpha et l'oméga d'une vie certainement fascinante, folle en de nombreuses occasions, mais aussi pleine d'épisodes sombres et de figures sinistres et orageuses, une vie de fortes contradictions et aussi d'"affirmations souveraines", d'intuitions brillantes et de comportements autodestructeurs, comme tous ceux qui, au cours de leur vie, ont marché "sur le fil du rasoir", toujours au bord de l'abîme, ou qui ont vécu - ou plutôt ont choisi de vivre - existentiellement et volontairement dans "les régions les plus sombres et les plus souterraines de l'enfer". 

"Le vrai peintre est celui qui est capable de peindre des scènes extraordinaires au milieu d'un désert vide. Le vrai peintre est celui qui est capable de peindre patiemment une poire entourée des tumultes de l'Histoire" (Dalí). Il en va de même pour un véritable artiste en politique, comme pour la Grande Politique.....

                                                                                           SALVADOR DALÍ PRESENT !!!!!
FORCE, HONNEUR ET TRADITION!

Juan Montis-Christus

NOTES :

      (1)  "Dalí entre Dieu et le diable. Le magique et le paranormal dans sa vie et son œuvre". Ernesto Milá, 2002. Un livre extraordinaire et hautement recommandé. Les chapitres VII ("Politique hermétique") et IX principalement, à encadrer, très intéressants du point de vue métapolitique et qui nous donnent un aperçu de la vision du monde de Dalí.

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(2) Ernesto Milá, dans son livre "Le mystère Gaudí" - également brillant - pointe du doigt une autre figure au sein de ce que nous pourrions appeler "un chemin très particulier vers la transcendance" : Adolf Hitler. Il est curieux qu'Hitler, fondateur d'abord du Parti national-socialiste des travailleurs allemands, puis du Troisième Reich, se soit toujours considéré comme un "artiste" plutôt que comme un homme politique. Amateur de peinture et d'architecture, il a toujours rêvé de transformer l'État qu'il a fondé et dirigé en un "État artistique". Ernesto Milá attribue également à Adolf Hitler la "Voie de la Main Gauche", mais le Caudillo allemand, en agissant ainsi - comme Dalí - en marge d'une doctrine véritablement traditionnelle, orthodoxe et sapientielle, a fini par sombrer dans le titanisme le plus absolu et une "volonté de puissance" exaspérante, véritablement démoniaque, qui l'a conduit à sa propre catastrophe et à celle de tout le gigantesque Mouvement qu'il dirigeait et qui tournait autour de sa figure véritablement énigmatique. D'autre part, Dalí éprouvait également une fascination particulière pour la figure d'Hitler, auquel il a même consacré trois tableaux, le premier en 1939, peu avant le début de la Seconde Guerre mondiale : "L'énigme d'Hitler" (illustration, ci-dessous), presque comme une prémonition de ce qui allait arriver ; curieusement, l'un des peintres qui a le plus influencé Salvador Dalí était précisément Arnold Böcklin, un peintre suisse du XIXe siècle qui appartenait au mouvement artistique du symbolisme et était également très admiré par Adolf Hitler. Tous deux ont trouvé l'œuvre de ce peintre, aujourd'hui oublié, fascinante et très mystique. "Le Führer a acheté son œuvre la plus célèbre, L'île des morts, dont il existait cinq versions différentes. Mais bien qu'étant un grand peintre, Böcklin a été oublié. Chaque trait classique nous rappelle le monde moderne dans lequel le peintre ne semblait pas non plus s'intégrer, mais dont la manière de peindre a tout changé" (Pola Sierra). Les œuvres de ce peintre, fortement influencé par le romantisme et le symbolisme, sont chargées d'une atmosphère mythique, souvent sinistre, "ses œuvres esquissent des figures fantastiques et mythologiques sous des constructions issues de l'architecture classique (révélant souvent une obsession de la mort), créant un monde étrange et fantastique" (Alfred Heinrich Schmid) ; des œuvres qui ont grandement influencé Dalí et sa méthode "paranoïaque-critique".

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"L'énigme Hitler" de Dali et "L'Ile des morts" de Böcklin.

    (3) Épicure de Samos, (341 avant J.-C., né à Samos, mort à Athènes en 271/270 avant J.-C.).

     (4) Dans le symbolisme extrême-oriental, le tigre représente les forces du chaos et de la dissolution, de la subversion. Symboliquement, le monter signifie dominer, contrôler ces forces en restant fermement en selle sans tomber, jusqu'à ce que ces forces tombent de leur propre poids, abandonnées par épuisement. En Europe, plus précisément dans le mithraïsme, la figure du taureau et son sacrifice avaient un symbolisme analogue, et le rite de la tauromachie des temps modernes est comme un écho dégradé de ce mythe sacré, un symbolisme de la tauromachie qui a également toujours fasciné Salvador Dalí.

       (5)  "En réalité, Dalí admirait Franco politiquement et humainement pour des raisons très proches de cette préférence qu'il avait pour la forme monarchique. Il définit Franco comme "le summum du calme" et affirme qu'en tant que Galicien, il possède un caractère très approprié pour gouverner l'anarchisme du peuple espagnol. Cependant, il ne s'agit pas seulement ici d'une aptitude psychologique particulière, du silence proverbial de Franco, de son flegme celtique, de sa réserve et de sa circonspection, si adaptées à l'homme d'État obligé de prendre des décisions sérieuses en permanence. Dalí, à la fois ultramoderne et ultraconservateur à sa manière très personnelle, a compris que Franco, bien plus que dans le domaine du fascisme pur, se situait dans la tradition spirituelle de Philippe II : un Philippe II qui a construit le monastère catholique-hermétique de l'Escorial et qui, de manière très significative, admirait Jérôme Bosch - dont il possédait de nombreuses œuvres - de la même manière que Franco l'a fait avec Dalí. Philippe II, un grand roi qui a dû faire face à des circonstances tragiques, a bien compris la vocation universelle et le destin méta-historique de l'Espagne. Franco aussi, même si l'on s'est beaucoup moqué - aussi sarcastiquement que superficiellement - du cliché de la "réserve spirituelle de l'Occident" et d'autres notions similaires, si chères pendant des décennies aux intellectuels du Régime" (Antonio Martínez). À une occasion, Dalí a exprimé sa surprise lorsqu'il a découvert que l'un des peintres préférés de Franco était précisément l'un des peintres qui le fascinait également le plus : le peintre baroque néerlandais Johannes Vermeer van Delft (1632-75). Il convient de souligner que Franco était également passionné de peinture et d'architecture, et qu'il a toujours voulu établir une certaine éthique et esthétique à cet égard dans le Mouvement qu'il a fondé et dirigé, bien que la régression - dans tous les sens, y compris les aspects culturels et artistiques - que l'État du 18 juillet a subie à partir des années 1956-59 allait faire échouer de manière spectaculaire cette initiative véritablement révolutionnaire ; de l'Espagne missionnaire de la Croisade, nous sommes passés à l'Espagne de la "stabilisation", du "développement", de la "technocratie" et de la folie consumériste, bref ce fut "la mort de l'esprit du 18 juillet", comme le dénonçaient déjà de nombreuses figures de proue du Régime dans les années 1960. Cependant, pour Salvador Dalí, tout cela n'avait aucune importance ; ce qui était fondamental pour ses conceptions métapolitiques, c'était la richesse des grands symboles - dont beaucoup étaient mythiques -, l'attirail rituel et cultuel qui accompagnait la figure du Caudillo et le système qu'il fondait et dirigeait, des symboles qui reliaient l'Espagne dans laquelle il vivait à la Grande Espagne des meilleurs temps, à l'Espagne de Covadonga, de la Reconquête, des Rois Catholiques, de l'Âge d'Or. Il existe quelques livres d'un certain intérêt, puisqu'il n'y a pas grand-chose à ce sujet, qui abordent le sujet de l'art en général et de la culture pendant le régime franquiste, en dehors de l'idéologie et des commentaires biaisés de leurs auteurs, bien sûr : "Art et idéologie dans le franquisme (1936-51)" et "Esthétique dans le franquisme" ; dans les deux livres, on conclut plus ou moins qu'il y a bien eu une éthique et une esthétique spécifiques pendant le soi-disant "premier franquisme" (1936-59), ou plutôt, une application ou une manifestation cosmovisionnelle de "l'esprit du 18 juillet" dans les expressions et les déclarations artistico-culturelles de l'État nouveau. Aujourd'hui, il est normal dans cette Espagne apocryphe, démente et ultra-dégradée que toutes ces manifestations du franquisme soient considérées par une masse imbécile, empoisonnée, sans âme et illettrée comme "carcasses", "anachroniques", "obscures", "rétrogrades", "mégalomanes", "impérialistes", "totalitaires", etc, etc.....

     (6)   Le 22 novembre 1975, le Prince Juan Carlos de Borbón est proclamé Roi d'Espagne par les Cortes Orgánicas et le Conseil National du Mouvement inclus dans celles-ci, après avoir juré sur les Saints Evangiles d'être fidèle à l'héritage reçu (le franquisme, l'Etat du 18 juillet), et de garder et faire respecter les Lois Fondamentales du Royaume et autres Principes qui informaient le Mouvement National. À peine un an plus tard (18-XI-1976, "La trahison de novembre"), ces mêmes Cortes organiques et ce même Conseil national du mouvement approuveront massivement une "loi de réforme politique" qui ne réformera absolument rien, mais détruira complètement tout le système juridico-politique et institutionnel franquiste, ouvrant à nouveau l'Espagne à la démocratie bourgeoise et libérale, ce que Franco et Dalí détestaient tout autant. C'est pourquoi nous avons dit que la rêvée "Monarchie du Mouvement National" établie par Franco, était déjà mort-née après le "couronnement" du Parjure... 

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(7)    C'est précisément l'homme qui a été ministre du Travail pendant la plus grande partie de ce qu'on appelle le "premier franquisme", le Falangiste de la vieille garde José Antonio Girón de Velasco (photo ci-dessus), qui a dit que le franquisme avait finalement échoué parce qu'il n'avait pas réalisé, ou n'avait pas abordé, ou n'avait pas su réaliser, la seule révolution qui lui manquait, ayant réalisé avec plus ou moins de succès - comme il le disait, bien sûr - les révolutions politique, sociale, agraire et industrielle : la Révolution culturelle...