Europe Maxima
Après la Grèce, l’Espagne, l’Italie, le Portugal…, on nous annonce que ce sera bientôt le tour de la France. D’aucuns prédisent que la monnaie unique est condamnée à plus ou moins long terme. Qu’adviendra-t-il de nos « patries charnelles » ? Nous sommes en droit de nous poser des questions sur le futur de ce continent et des peuples qui y habitent. C’est pourquoi nous sommes allé à la rencontre de Jean-Marc Fonseca, délégué du M.C.P.N. (Mouvement citoyen du Pays niçois – Motou citadin dou Païs nissart) afin de connaître la position de ce mouvement et les solutions novatrices qu’il propose.
Robert Marie Mercier : Jean-Marc Fonseca, bonjour. Je suis très heureux de pouvoir vous rencontrer aujourd’hui car nous allons pouvoir enfin connaître « lou pastre rebel » dont certains de nos lecteurs ont pu apprécier les « coups de gueule » sur les réseaux sociaux ainsi que les Contes et histoires que vous signez « Barbajohan ». Mais, en plus, nous saisissons l’occasion d’inviter le délégué provisoire du M.C.P.N. (Mouvement citoyen du Pays niçois – Motou citadin dou Païs nissart) à nous parler de ce mouvement qui est en train de se mettre en place chez nous, mais aussi chez nos voisins.
Jean-Marc Fonseca : Aco mi fa plesi de poudè veni soubre lou vouostre sit…Cela me fait plaisir de pouvoir venir sur votre site… et je vous en remercie. Et, c’est une satisfaction réelle de pouvoir m’exprimer sur un média pour y apporter mon point de vue sans être censuré en aucune façon.
R.M.M. : Avant de nous lancer dans un débat de fond, pourriez-vous, Jean-Marc, nous dire quelles sont vos origines familiales, votre parcours jusqu’à aujourd’hui et ce qui vous a conduit vers cette forme d’action que vous développez à présent ?
J.-M.F. : Pour ce qui est de mes origines familiales, un mesclun ben nissart, du côté de mon grand-père maternel (Brignoni – Porraz) des États de Savoie. Du côté du grand-père paternel (Fonseca : Valencians – Catalans) immigrés en Algérie (Oranais) après 1848. Mon père, jeune sous-officier de carrière, a connu ma mère à Nice en 1939 alors que son unité se trouvait dans les environs du Mont Ours, puis il a été transféré sur le front de la Meuse. Après s’être évadé, il a rejoint Nice, car il ne connaissait personne en France. Instructeur itinérant de maquis; il m’a certainement passé l’idée du devoir de Résistance et le goût du baroud. Enfin quand je pense que mes deux épouses successives sont de famille corse, j’espère que mes enfants comme moi ne seront jamais soumis.
R.M.M. : Une fois évoquée votre histoire familiale, pouvez-vous nous faire connaître votre parcours professionnel ?
J.-M.F. : Oh là, je pourrai vous faire un roman : allergique à l’éducation nationale; je n’ai évidemment aucun diplôme issu de cette « vénérable institution ». Berger saisonnier très jeune, puis manutentionnaire à l’aéroport, puis ouvrier, enfin grâce à l’armée française, deux ans dans un centre de réadaptation où j’ai passé un brevet de technicien en électronique. Cela m’a donné l’envie des études jusqu’au C.N.A.M. Mais par chance j’ai toujours aimé lire et j’ai plutôt une bonne mémoire; ce qui fait qu’en réalité, je n’ai jamais cessé d’étudier et d’apprendre. Après avoir travaillé pour une entreprise dans le secteur de la défense (logistique, documentation technique, systèmes de formation et d’instruction). J’ai terminé ma carrière professionnelle (d‘immigré esclave salarié) comme directeur technique d’un grand groupe de télévision (A.B. Production – A.B. Télévision). Enfin après avoir participé au lancement et à la mise au point la télévision numérique par satellite en France. J’ai tout arrêté ! Je m’étais toujours dit à cinquante balais, je m’arrêterai et je retournerai faire le berger dans mes montagnes. C’est en gardant que j’ai pris conscience que je pouvais être utile à la cause de mon pays.
R.M.M. : Et je suppose que vous avez eu, comme la plupart d’entre nous un cheminement politique qui vous a amené où vous en êtes aujourd’hui.
J.-M.F. : Je vais, peut-être, faire bondir certains de vos lecteurs, ou les désorienter, mais, puisque vous me donnez la parole librement, je vais vous tracer mon parcours…
À 13 – 15 ans, j’avais plutôt des idées proche de ce qu’on appellerait aujourd’hui l’extrême droite nationale, conséquence logique de l’éducation de M. Jules Ferry.
Avec toutefois un gros bémol, c’est mon grand-père qui par tradition orale m’a transmis une partie importante de ce que je sais : les livres sur la véritable histoire du Comté de Nice n’existaient pas ou bien se trouvaient relégués aux oubliettes (je souligne ici le remarquable travail d’Alain Roullier Lorens en ce qui concerne l’édition d’ouvrage sur l’histoire de notre Comté). Et puis, j’entendais toujours mon grand-père dire : « Ah, si nous étions restés indépendants en 1860, nous vivrions certainement plus heureux qu’aujourd’hui »… Cela se passait en 1956. C’est aussi mon grand-père qui, souvent en cachette de ma mère, me parlait et m’apprenait le nissart (1) que l’on parlait dans la rue et dans les métiers beaucoup plus qu’aujourd’hui. Bref, jeune, je me sentais avant toute chose Nissart (2) et je ressentais le fait que nous n’étions pas tout à fait des Français comme les autres.
R.M.M. : Donc, à ce moment là, vous lancez dans le combat régionaliste ?
J.-M.F. : Pas du tout, je n’avais pas encore conscience de la nécessité absolue de retrouver notre souveraineté et, il faut le dire, les hommes politiques locaux (pas comme ceux d’aujourd’hui complètement asservis au pouvoir central de la République française), avaient pour la plupart un attachement à notre terre et à notre culture. Donc, nous étions plutôt dans une position de résistance au pouvoir établi et à son omniprésente « société de consommation »… Sur ce, arrive Mai 68, avec toute l’effervescence qui l’entoure et nous sommes une bande d’une douzaine de garçons, tous de milieu modeste, avec des pères ex-militaires puis A.S. ou O.R.A. (puis de nouveaux, campagne de France – Allemagne) et pour certains l’Indo. Nos pères, pour certains, ont viré à l’anti-gaullisme depuis la guerre d’Algérie. Il n’est pas question de soutenir le pouvoir gaulliste en place. Par ailleurs, le socialisme soviétique ne nous est pas sympathique. Ce sont d’autres copains de la bande dont les pères avaient été F.T.P. qui nous mettrons en contact avec les « pro-Chinois » tel qu’on les appelait à l’époque. En attendant aussi méfiant à l’égard des Américains que des Russes et croyant à la possibilité d’une Révolution, nous prenons le maquis dans la Haute-Tinée avec armes et bagages.
R.M.M. : Carrément le maquis ? Mais pourquoi, le mouvement étant parti des facultés, s’éloigner des centres de décision ?
J.-M.F. : L’idée (qui d’ailleurs s’est avérée fausse) est alors la suivante et elle découle directement des opérations qu’avaient montées, en 43 – 44, nos géniteurs.
La révolution se fera dans les villes, les forces de répressions exerceront donc leurs activités surtout sur les villes.
De petits groupes nomades, connaissant bien leur terrain, capable de monter des coups de main, de disparaître sur des positions préparées à l’avance et bénéficiant de la complicité des populations attireront sur elles une partie des forces de répressions qui feront défaut dans les villes.
R.M.M. : Pour ma part (un grand nombre de mes amis aussi), m’étant dégagé des groupuscules politiques qui ne menaient à rien et conscient qu’il y avait un préalable culturel à l’action politique, je rejoins un groupe qui, s’étant fortement inspiré de la philosophie d’Antonio Gramsci, s’est mis à contester la société de consommation et son corollaire l’« homo economicus » bien avant que naisse le Mouvement du 22 Mars, parti de la fac’ de Nanterre, et qui allait amener « Mai 68 ». Par la suite, nous aurons quelques contacts avec les situationnistes, mais étant résolument tournés vers une action « métapolitique », nous ne nous engageons aucunement dans une mouvance politique révolutionnaire, les conditions de celle-ci n’étant pas réunies. Nous pensions que la pensée dominante n’était pas prête pour faire cette révolution, ce qui sera confirmé par la suite. Confirmez-vous cela ?
J.-M.F. : Évidemment, la Révolution n’a pas eu lieu, même le P.C.F. n’en voulait pas, et en octobre, aux premières neiges, amaigris et affamés, nous nous sommes, alors, auto-démobilisés.
Rentrés en ville, nous sommes montés à Carlone, avons repris des contacts, les étudiantes étaient jolies et sexuellement plus libres et comme nous étions limite « Lumpen et prolos (3) », la bagarre entre bandes, et parfois contre les flics, ça nous connaissait: nous avons été de suite adopté par les étudiants gauchistes.
Au début, je n’y comprenais mancou (4) entre les trotskistes de diverses tendances, les maoïstes, les marxistes-léninistes chinois, les marxistes-léninistes albanais, les anarcho-quelque chose, le P.S.U. et même le P.N.O. – qui à l’époque était plus nissart qu’occitan de mes souvenirs de pastrouil (5) avec François Fontan.
De toute façon, nous étions trop indépendants et rebelles, ne reconnaissant pas la hiérarchie suprême souvent descendue de Paris pour rester longtemps dans la même organisation. J’ai passé mon temps à me faire virer, mais j’ai beaucoup appris. Et surtout j’ai commencé à lire autre chose que Bleck le Roc, Opalong Cassidi, Cochise et Battler Brighton, les lectures d’adolescent de l’époque.
R.M.M. : Alors, une fois l’échec de ce « mouvement romantique » qu’était Mai 68 consommé, qu’avez-vous fait ensuite ?
J.-M.F. : Oh, plein de choses… car nous avions toutefois une conscience « écologique » : nous avons coupé les clôtures des villas qui nous empêchaient l’accès à la mer, nous avons réalisé quelques sabotages de chantiers tels Isola 2000, Marina Baies des Anges … En fait tout cela, c’était parce que l’on se sentait dépossédés, par les puissance de l’argent et le tourisme, de notre territoire. Voilà comment cela a commencé. Mais rien n’a vraiment changé depuis.
R.M.M. : Je suppose que durant les années 70, vous avez redécouvert, comme la plupart d’entre nous, notre culture, mise au rancard par les institutions françaises, au travers de professeurs comme André Compan ou d’artistes comme Mauris, Pelhon et Sauvaigo ?
J.-M.F. : Oui, comme toute une génération, j’ai eu ces guides et j’ai continué la lutte au niveau politique avec une certaine radicalisation du type « mili-poli » ou « poli-mili » (6) comme disent les Basques ou les Irlandais et des expériences dans d’autres pays. Treize ans après Mai 1968, c’est le tour de Mai 1981 avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, on souffle, mais c’est aussi une période d’extrême démobilisation entre les gouvernements de « gauche » et ceux de cohabitation : on se retrouve face à un manque de perspectives, sauf parmi les organisations indépendantistes.
R.M.M. : Déjà des déçus du socialisme ?
J.-M.F. : Et oui, déjà. Les années 1999 – 2005 seront mises à profit pour réfléchir sur le fait que, dans un espace fini, la croissance et le développement ne peuvent être infinis. Travailler justement sur la notion même de développement, sur la critique de la critique de l’idéologie du progressisme, s’intéresser aux civilisations des peuples premiers (ce que d’aucuns ont zappé par idéologisme débile concernant la lutte au Chiapas).
Et enfin s’apercevoir qu’il n’y avait rien de bon dans le système techno-industriel de la marchandisation du monde. Enfin, constater que, pour les peuples enracinés, ce système niveleur et assimilateur, disposant de moyens colossaux, n’avait pas été capable de les éradiquer en deux siècles.
Ceux-ci (à l’exemple des Mapuches) possédaient dans leurs cultures et leurs traditions à la fois les moyens de résister et de construire une autre société. D’où le fait de rompre avec la dictature de la pensée binaire Droite – Gauche. Les autres pages qui nous permettrons de recouvrer notre indépendance et nos libertés, nous sommes en trains de les écrire.
R.M.M. : Même si nous n’avons pas suivi des chemins identiques, je vois que notre démarche est similaire dans la mesure où nous avons évolué par rapport à une certaine vision du monde et ne sommes pas resté enfermés dans des schémas idéologiques sclérosés. Vous, comme moi, et bien d’autres que nous rencontrons aujourd’hui, ont fait la même démarche de dépasser les « présupposés idéologiques » dans la mesure où nous avons bien compris que le débat actuel et les confrontations en devenir, ne sont plus entre la droite et la gauche mais bien entre les tenants d’une société technomorphe américanocentrée universaliste standardisante (basée sur le « marché ») et les tenants de sociétés enracinées diverses et multiples proche de la nature (basées sur l’humain).
J.-M.F. : La ligne de démarcation ne passe plus par les thèmes Droite – Gauche, répartitionnistes, réformistes ou indignés, mais entre ceux qui sont capables d’apporter pour leur pays des réponses pour l’après-développement, l’après-croissance et les autres. Nous ne pouvons plus vivre comme des riches, des nantis, des privilégiés. Il va falloir devenir raisonnable pour simplement survivre frugalement.
Il n’y a plus de progression possible, la route de l’idéologie du toujours plus débouche sur du vide et comme il n’y a rien en face, il n’y a même pas la possibilité d’imaginer un pont. Comme le disait un ami qui « milite » toujours au Parti niçois : « Il faut, aussi, avoir le courage de dire aux gens que notre niveau de vie sera plus frugal que celui qu’ils connaissent aujourd’hui et que c’est le prix à payer pour recouvrer nos libertés. »
R.M.M. : Oui, nous serons sûrement amené à vivre de façon plus frugale (mais est-ce qu’avec la crise du Système, ce ne sera pas le cas de la plupart des pays ?) mais d’un autre côté, nous pourrons distribuer les « richesses » générées à ceux de notre peuple qui en ont besoin à l’inverse d’aujourd’hui où les Niçois sont ponctionnés pour satisfaire les touristes et remplir les caisses d’une région et d’un État qui leurs sont étrangers. En fait, vous pensez qu’il faut changer de modèle.
J.-M.F. : Le combat que nous menons ne consiste pas à interchanger un personnel politique made in France par un personnel politique made in chez nous ou à amener le drapeau français pour le remplacer par le nôtre sans changer le cours des choses.
Il s’agit aussi de mener un combat émancipateur pour ne pas reproduire le même système que celui que nous a imposé la puissance coloniale.
C’est pour cela que la ligne de démarcation entre les différents groupes ou organisations (indépendantistes, régionalistes, autonomistes, séparatistes…) passe par l’affirmation d’un programme et d’une ligne politique et non pas seulement par le désir de séparation territoriale.
Nous sommes à la fois dans une politique de « Front unitaire » ou de « Front national de libération » vis-à-vis de l’État jacobin français (ou cavourien en ce qui concerne l’Italie), c’est-à-dire la constitution d’un rapport de force face à un ennemi identifié comme commun, mais aussi dans la constitution d’un rapport de force destiné à construire un autre projet de société et de civilisation. Et c’est sur ce plan que tout se joue.
R.M.M. : Je vois que nous nous rejoignons dans notre analyse. Nous n’avons cessé de dire qu’il ne servait à rien de se débarrasser de la « tutelle » française si on gardait le modèle de société que l’on nous a imposé depuis 152 ans. Nous avons toujours dit à ceux qui critiquent tout ce qui se fait dans le domaine culturel niçois (en dénigrant et en caricaturant à l’extrême toutes les associations et autres groupements musicaux, théâtraux, culinaires) qu’il ne servirait à rien d’avoir un Comté de Nice libéré s’il n’y avait plus de Niçois, plus d’organisation territoriale niçoise, plus de langue niçoise, plus de musique niçoise, plus de culture niçoise. Nous pensons, à l’image de tous les peuples qui se sont libérés, que le préalable culturel et structurel est fondamental.
J.-M.F. : Entre les différents mouvements de libération du Comté de Nice, il y a peu de différences d’interprétation sur les faits juridiques ou historiques. Par contre déjà sur l’analyse du système politique et économique français surgissent des contradictions. Des groupes comme la L.R.L.N., le Parti niçois, la Ligue savoisienne et même le Gouvernement « provisoire » de Savoie, font l’impasse sur la critique du système de développement français, car, semble-t-il, ils n’ont pas pour perspectives d’en changer.
Quand nous communiquons, nous ne devons pas nous contenter de fustiger l’aspect colonial immédiat, mais il nous faut pousser plus loin l’analyse et l’argumentaire, car nous nous adressons aussi aux victimes de ce système qui ont, hélas, assimilé l’idéologie jacobine et « progressiste » française du modèle dominant universel et à qui nous devons faire la démonstration des aberrations qu’il contient… Quant à la question de l’enracinement topique, il ne peut être dissocié de l’aspect culturel , et la reconquête de la langue est primordiale. Encore faut-il utiliser cette langue non seulement pour ses aspects « folklorique » mais, aussi, prouver que nos langues sont vivantes y compris dans l’expression politique de l’analyse de la situation actuelle et des propositions qui en découlent
L’art du bon forgeron, c’est d’être capable de mettre et de travailler deux fers au feu, c’est ce que nous devons tenter de faire.
R.M.M. : Pouvez-vous préciser votre pensée ?
J.-M.F. : En juin 2008, j’avais écrit ce texte : « Davan la fin do faiou » (7) :
« C’est fini, l’ingénierie financière a atteint ses limites ; elle n’est plus capable de générer les masses d’effets financiers et les profits qui ont soutenu la marche de l’économie dite virtuelle dont l’économie réelle tirait sa croissance et sa compétitivité.
De fait elle n’est plus capable de réaliser les profits qui soutenaient la croissance de notre niveau de vie.
Le monde de la finance finit par avouer ses limites, mais nous nous refusons de l’entendre comme nous nous sommes refusés depuis quarante ans d’écouter le message des vrais écologistes.
Notre modèle de développement, notre modèle sociétal est terminé.
Que l’on parle de rigueur, de décroissance, d’austérité, peu importe, c’est fini : il n’y aura plus de miracle ou de relance.
D’ailleurs cet espèce de Léviathan insaisissable que l’on appelle le « Marché » l’a bien compris lui, quelles que soient les mesures annoncées par nos politiques, de quelques bords dont ils se réclament : la bête s’affole.
Parce que la Bête n’est que le reflet de nous-mêmes, de nos besoins, de nos envies et de notre propre désarroi.
Notre modèle de progrès social et idéologique basé sur l’industrialisation du monde et le développement des techno-sciences a fait long feu : que l’on se définisse comme partisan de l’économie de marché (capitalisme) ou partisan de l’économie sociale et solidaire (humanitaro-progressisme), il n’est pas possible de croître indéfiniment dans un espace fini. »
R.M.M. : En effet, vous aviez anticipé la crise.
J.-M.F. : Nos ressources énergétiques à bas coût ne vont pas tarder à s’épuiser, des changements climatiques sont en cours, la perte de notre biodiversité nous conduira inévitablement à des épizooties animales ou végétales de plus en plus fréquente. Quant aux technologies de substitution ou extrêmes, elles nous font prendre de jour en jour des risques inconsidérés : Tchernobyl, forages B.P., O.G.M., nanotechnologies, etc.
Les abeilles sont en train de disparaître et nous sous félicitons de pouvoir remplacer, dans le coca, le sucre par de la Stévia. (Au secours, sauvons la recherche !)
Notre rapport au monde, à l’environnement qui nous entoure, n’est devenu qu’un rapport de force basé sur l’intérêt fonctionnel à court terme : nous avons perdu le sens des mesures et même le simple « bon sens ».
Tout est devenue valeur négociable, l’amitié s’est transformée en relationnel, le malheur fait augmenter le P.I.B., un bien commun (une ressource naturelle, un paysage) devient un produit touristique et une idée à la base généreuse se transforme en quelques années en un produit commercialisable. N’est-ce pas, chers alternatifs ?
En quelques années, le volume financier généré par les associations « dites humanitaires » (O.N.G. diverses) dépasse celui généré par l’industrie automobile.
Investir dans le malheur des autres est devenu un des meilleurs placements. Ce n’est pas un hasard si les grandes écoles privées et l’université s’investissent dans ce domaine.
L’humanitaire et l’environnement qui sont devenus les territoires mystiques des nouveaux missionnaires occidentaux.
R.M.M. : Alors que les églises se vident, la société « laïque » est devenue « christianomorphe » induisant la compassion, la culpabilisation (et son corollaire, l’humanitarisme) et l’on s’aperçoit que les structures qui ont servi de modèle dans le passé sont devenues obsolètes.
J.-M.F. : Ce n’est pas que notre modèle sociétal qui s’écroule : État-nation, consensus républicain, démocratie par délégation, libertés aseptisées. C’est notre modèle de civilisation.
Et ce modèle a cessé de faire rêver. Pire encore, il ne nous apparaît pas d’autres solutions que de continuer le même chemin. En montagne, si l’on arrive devant un abysse avec son troupeau, on fait demi-tour, l’on rebrousse chemin, et l’on cherche un passage pour contourner l’obstacle. Nos « décideurs », les édiles politiques que nous élisons (avec un tel taux de réussite et un tel taux d’abstention que leur légitimité doit être contestée) continuent à faire avancer le troupeau dans la même direction.
Faisons semblant de faire différent pour essayer de continuer pareil. Cette phrase digne d’une cour d’école semble être devenu le slogan de nos chers « décideurs ».
En ce qui concerne notre modèle français républicain, il est encore plus obsolète que les autres : jacobin, parisianiste, imbu de lui-même, le coq gaulois continue à chanter les deux pieds dans le fumier. Toute sa légitimité repose en grande partie sur des impostures historiques longuement entretenues par l’éducation nationale et les médias. On continue d’encenser les grands hommes de l’histoire de France ceux qui ont renforcé le rôle centralisateur et omnipotent de l’État et ont participé à la fondation du mythe de la nation unique et civilisatrice, voire d’une virtuelle « race française » (de 1791 à 1945). Un des pires massacreur de l’humanité, Napoléon Buonaparte, reste ainsi un héros de l’histoire de France. Autres personnages peu recommandables: Charles Martel qui pilla surtout l’Occitanie, François Ier, Louis XIV, l’ensemble des dirigeants de la Convention et du Directoire, Napoléon III (celui des massacres d’insurgés au coup d’État dans le Var et les Alpes-de-Haute-Provence en 1851, celui de l’annexion de Nice et de la Savoie), Adolphe Thiers, Jules Ferry etc.
Il ne s’agit plus aujourd’hui de changer de logiciel ou d’améliorer celui que nous utilisons, il s’agit de se poser la question de savoir si, pour travailler la terre, faire pousser des légumes et se nourrir, une bêche n’est pas plus efficace qu’un ordinateur.
Parce qu’il ne faut pas nous leurrer, pour la génération de nos petits-enfants et de leur descendance, le problème essentiel ne sera pas celui du taux d’allongement de l’âge de la retraite ou de l’augmentation des cotisations sociales, ce sera celui des besoins élémentaires : l’accès à l’eau et à la terre pour se nourrir dans un monde où la guerre de tous contre tous sera devenue la règle du jeu.
R.M.M. : Mais on ne peut occulter le « fait démographique » qui pèse sur l’avenir harmonieux de notre planète (et de nos territoires). Nous sommes sept milliards d’individus et les « faiseurs d’opinions » se réjouissent que nous soyons toujours plus nombreux. Quand vous parlez de l’accès à l’eau et à la terre, on ne peut nier ce paramètre.
J.-M.F. : La question démographique est effectivement une question cruciale à aborder, mais elle est, de toute façon, liée au modèle développement.
Jean de Savoie avait, d’ailleurs, posé ce principe : « Comment pérenniser les ressources d’un territoire de façon à les transmettre aux générations futures ? »
Il y a donc, de fait, une limite démographique à un territoire donné, ses ressources ne sont pas extensibles et pour qu’elles le demeurent pour les autres générations, il faut qu’elles soient utilisées de manière raisonnable (c’est-à-dire soutenables et reproductibles).
Le modèle de développement urbain universaliste n’a pas intégré cette vision des choses, puisque, compte tenu du prix de l’énergie (qui se répercute immédiatement sur le transport), il s’est contenté d’aller piller les ressources des autres peuples, leur imposant par ailleurs la vision réductrice de la civilisation occidentale.
La maîtrise de la démographie est fondamentale. Dans son ouvrage Traité de polémologie, Gaston Bouthoul, qui analyse la démographie comme facteur de guerre explique comment les civilisations anciennes avaient résolu le problème avant l’invention de la contraception chimique et malgré le taux de mortalité qui ne permettait pas toujours de réguler le phénomène. Il s’agissait par diverses méthodes de réguler l’aspiration à procréer des diverses classes d’âges. Nos partisans modernes et « progressistes » du multipliez-vous et croissez mettent en avant le fait qu’accédant au niveau de vie d’opulence occidentale : les femmes mieux éduquées ont moins d’enfants. Certes, mais ils oublient qu’une famille de ce type pèse cinq à huit fois plus sur l’équilibre de la planète qu’une famille de paysans de huit enfants du Viêt-Nam ou du Bengale.
R.M.M. : Dans ce cas, ne pensez vous pas que les trois grandes religions du Livre (c’est-à-dire les monothéismes) sont un frein à cette régulation ?
J.-M.F. : Il est vrai que nous sommes entrés dans l’ère de la pensée la plus obscure de la civilisation humaine qui consiste à placer la vie biologique de la personne humaine au-dessus de toutes les autres vies, voire des autres valeurs. L’aspect uniquement matérialiste de la pensée humaine moderne considère aujourd’hui la mort comme l’ennemi de la vie, alors que, durant des siècles, nous l’avons considéré comme une étape. En fait c’est que nous avons perdu le sens au bénéfice de l’utile et du fonctionnel. Nous sommes arrivé à un degré de civilisation ou nous refusons à la fois l’accident, c’est à dire l’intrusion du hasard, et aussi jusqu’à l’expression « mourir de causes naturelles ». Peu importe que nous nous soyons seulement transformés en objet de consommation et non en sujet de notre vie. La vision « humanitaire et progressiste » de l’histoire, rejoignant ainsi la vision « libérale et capitaliste », a tout fait d’ailleurs pour imposer ces fameuses versions universalistes des sociétés humaines en diabolisant les aspects spirituels, familiaux, claniques et traditionnels qui représentaient le principal obstacle à la modernité et en développant à outrance les liens d’interdépendance au système techno-industriel de la marchandisation du monde.
R.M.M. : Mais on nous rétorquera que la dépendance au Système a pour corollaire une protection de l’individu.
J.-M.F. : Ceci est un énorme mensonge. Ne vous faites pas d’illusion sur la capacité de l’État français à vous protéger en fonction de vos capacités de soumission. L’État s’est affalé deux fois dans notre histoire contemporaine en juin 1940 et en mai – juin 1968. Il suffirait de pas grand-chose pour qu’il disparaisse durant une période : un accident technologique majeur par exemple.
Plus un organisme développé est complexe et centralisé, et plus il est fragile.
Qu’avons-nous à espérer du modèle français et de son système politique ? Entre la famille des libéraux-démocrates sociaux (la droite) et les sociaux-démocrates libéraux (la gauche), nous donne-t-on véritablement un choix ? Entre les héritiers, aujourd’hui prétendument réformateurs, du léninisme et ceux des totalitarismes bruns, quel est le moins pire ? C’est en cela que le concept du slogan « Ni droite ni gauche » ne se résume pas à une référence seulement idéologique ou historique, voire à un mot d’ordre nationaliste, mais bien à une remise en question du système existant.
Entre être un citoyen sous tutelle ou un sujet libre et responsable, quel sera votre choix ?
R.M.M. : C’est donc remettre complètement en question notre façon « d’être au monde » ?
J.-M.F. : Absolument, il faut rompre avec un État fondé sur la contrainte pour retrouver nos « valeurs ancestrales ». Le Comté de Nice a constitué pendant des siècles une confédération de communes librement associées entre elles, dont l’économie était essentiellement autosuffisante et localisée.
Malgré les dégradations (bétonnage de nos côtes et de nos montagnes, destruction d’écosystèmes importants), nous disposons encore d’atouts majeurs : des terres peu polluées, de l’eau, une réserve de biomasse importante et un climat encore propice.
Alors ! Pourquoi pas ? Pourquoi ne pas faire valoir notre droit et reprendre nos libertés afin de construire un autre modèle de développement pendant qu’il en est encore temps.
Nous savons les efforts qu’il nous faut faire pour constituer un cheptel, pour qu’une terre nous nourrisse sans l’épuiser, pour entretenir un filet d’eau dans la montagne. Nous savons que la valeur d’un arbre ne se mesure pas qu’en stère de bois de chauffage ou en kilo de pâte à papier et qu’une prairie de fauche ne se mesure pas qu’en bottes de foin.
R.M.M. : Vous parlez d’agriculture dans notre pays, mais elle semble être de plus en plus menacée aujourd’hui. Quand on sait qu’avec les terres fertiles que nous avons dans notre Comté, nous produisions 90 % de nos besoins en fruits et légumes au début du XXe siècle alors qu’aujourd’hui cette production locale ne représente que 10 % de nos besoins, quelle serait la solution envisagée ?
J.-M.F. : On ne peut parler d’agriculture dans nos pays de montagnes, que ce soit dans le Comté de Nice, en Corse, en Provence, en Sardaigne (voire en « Occitanie » de montagne) en faisant l’impasse sur les réalités historiques.
C’est le système techno-industriel de la marchandisation du monde, ce que d’aucuns adorent mystiquement sous l’appellation de progrès auquel ils associent un hypothétique sens de l’histoire, qui a tué notre agriculture.
Deux phénomènes se sont conjugués pour en arriver à la disparition de l’agriculture dans nos pays.
Le premier est l’équivalent de l’enclosure (9) qui débute très tôt en Angleterre verra son application en France grâce aux suites de la Révolution française de 1789 qui favorise la propriété privée au détriment du droit d’usage et des communaux.
Pendant des siècles (de la civilisation du Bégo à la colonisation romaine), les tribus du Comté de Nice sont régies par la loi des « manses ». Chaque famille a droit à un lot de terre clôturée où il y établit une habitation, loge les bêtes, la basse-cour, et cultive une partie potagère. Cette propriété privée est volontairement limitée et nul pour s’agrandir ne peut acheter la manse du voisin (10). Tout le reste est commun (et non communal) et se réparti en termes de droits d’usage déterminés par les habitants d’un territoire. Chaque famille envoyant un représentant homme ou femmes à l’assemblée des « communeux ». Ces traditions traverseront en partie l’Empire romain, la féodalité, l’administration des ducs de Savoie, et céderont après la première occupation française (1792 – 1814). Les derniers vestiges : les droits de « bandites » qui découlent des droits de libres affouages, de glanage et de vaines pâtures seront abolies en 1962.
Jusqu’à l’établissement du chemin de fer (1870 – 1892) (11), l’agriculture est essentiellement vivrière à cause des difficultés de déplacements, seules les terres à proximité immédiate des villes suscitent des échanges économiques de produits agricoles. Il ne serait jamais venu à l’idée d’un paysan de la Haute-Roya, de la Tinée, de la Vésubie, ou du Haut-Var de descendre vendre ses surplus sur les villes de la côte. Mais les progrès des moyen de communication sont aussi à double tranchant : le modèle d’agriculture de nos pays n’est plus concurrentiels avec celui des grandes plaines fertiles de la France. La charrue vient de tuer l’araire (12).
La minoterie à vapeur vient d’étouffer le moulin (à vent, à eau ou à sang) (13).
Une autre institution viendra achever notre agriculture au nom d’une « égalité des territoires de la République Française » qui ne veut pas tenir compte justement de la diversité de ces terroirs. Ce sont les droits de succession et les mesures dissuasives visant à abroger l’indivision (14). À partir du moment où le revenu agricole diminue par fait de concurrence, les paysans de nos contrées ne sont plus en mesure de payer les droits de successions aussi, générations après générations, ils vont vendre petits bouts par petits bouts leur patrimoine aux touristes et aux spéculateurs. Ce phénomène est lui aussi lié au progrès des moyens de transport dans les années 1965 – 1985. L’autoroute de l’Estérel sera le départ de la disparition des maraîchers de la plaine du Var et de nos collines et si le développement du fret aérien permet aux horticulteurs de commencer à exporter, ils s’apercevront trente ans plus tard que les importations venues d’ailleurs commencent à les concurrencer sérieusement. Surtout pour leurs collègues en fruits et légumes. Les wagons et les camions frigorifiques, et surtout Nestlé avec son lait en poudre ou concentré, signeront la fin des vacheries du Comté de Nice (15).
Et je ne parlerai pas des dégâts de la P.A.C. et de son système de subvention qui pour l’élevage se révèle encore plus catastrophique, plutôt que de protéger nos exploitations des importations; on a choisi de compenser la différence de prix par un système d’exploitation qui favorise la possession d’hectares et la médiocrité du produit. Pour l’agriculture, on a favorisé la facture des semences et celle de l’eau au détriment aussi de la qualité de la récolte.
Lorsque l’on passe la frontière administrative avec la Ligurie ou le Piémont; la lecture du paysage est significative. Sur la Côte, non loin du bord de mer subsistent encore de nombreuses exploitations de fruits et légumes et dès que l’on attaque les collines et la montagne, on sent la présence encore active d’exploitation agricole. Il n’est pas étonnant que « slow food » soit une idée italienne.
Il n’est pas possible de sauver nos terres agricoles et de relancer une agriculture alimentaire et non de micro-niches réservée à une clientèle de « Bo-Bos résidents » ou de touristes de passages, sans remettre en cause, les causes fondamentales qui nous ont conduites à la situation actuelle. Il faut geler les terres agricoles ou celles qui sont susceptibles de le redevenir par des mesures draconiennes qui remettent en cause l’industrie touristique et les plans d’urbanisation; mais aussi par des mesures incitatives sur la transmission et la cession de terres agricoles à des agriculteurs. Sans qu’il soit nécessaire comme sous les lois françaises d’avoir un niveau Bac + 4 pour prétendre être éleveur ou cultivateur. Il faut exonérer de taxe et de droit de succession les terres lorsqu’elles sont destinées à des agriculteurs de la famille qui reprendront tout ou partie d’une exploitation.
Il faut taxer plus lourdement les grandes surfaces qui refuseraient de vendre moins de trente pour cent de produits locaux. Donner la priorité sur les marchés aux producteurs locaux même si ceux-ci ne peuvent occuper une place tout au long de l’année. Il faut simplifier les démarches administratives et les règlements qui ne sont là que pour favoriser la concurrence internationale et l’industrie agro-alimentaire. Taxer les produits au kilomètre parcouru en tenant compte des zones montagnes.
Le débat est ouvert, y compris avec les organisations agricoles locales dont on souhaiterait qu’elles fassent preuve d’un peu plus d’imagination et un peu moins d’idéologie.
R.M.M. : Vous évoquiez les Bo-Bos résidents et autres touristes, mais que dire de la « colonisation » de notre territoire par l’apport de population (un peu comme en Cisjordanie) ?
J.-M.F. : Une immigration qui coûte cher aux populations du Comté de Nice et dont on ne parle jamais ! Je veux, par exemple, parler des emplois de très haut niveau.
« Si le chômage augmente, c’est parce que nous créons des emplois » déclare, provocateur, Christian Estrosi. « Notre territoire compte des emplois de très haut niveau, et ces salariés viennent avec leurs conjoints, qui deviennent parfois demandeurs d’emploi », explique le président de la Métropole Nice – Côte d’Azur. Ce phénomène de chômeurs par ricochet représenterait de 500 à 750 personnes selon la C.C.I.
S’ils viennent avec leurs conjoints(-tes), c’est bien parce qu’on les faits venir d’ailleurs, car il reste évident, pour les décideurs français, que plus de 150 ans de colonisation, n’ont pas permis aux populations indigènes ou autochtones d’acquérir les formations et le niveau nécessaire à l’exercice de responsabilités à haut niveau. D’ailleurs il n’y a qu’à voir à qui sont confiés, par les municipalités de Nice qui se sont succédées, les postes de cadres supérieurs. Et cette situation se confirme, de jour en jour, avec les CANCA, les Métropoles et autres E.P.A. et O.I.N.
Seulement personne n’ose soulever le problème d’une discrimination positive qui serait en faveur non pas des « familles niçoises de sang bleu » mais au moins de celles qui résident à Nice et qui y ont pris racine.
La droite locale a peur que les responsables qu’elle emploie fassent un jour passer la sensibilité au patrimoine du « Païs Nissart » au-dessus des intérêts financiers et électoraux des clans en place. Quant à la gauche, c’est au nom de l’égalité républicaine et de la France territoriale une et indivisible qu’elle a toujours favorisé les clans parisianistes.
Ainsi ce phénomène conduit-il à une paupérisation accrue de notre population qui n’est pas sans conséquences, car qui dit hauts revenus dit spéculation foncière et immobilière jusque dans l’arrière-pays donc impossibilité pour les actifs niçois de se loger près du bassin d’emploi et, d’autre part, empêche les jeunes agriculteurs de s’installer pour « travailler au pays ».
Un deuxième aspect de ce phénomène est la pression constante sur les salaires et l’emploi : en effet, les conjoint ou conjointes de ces hauts cadres immigrés à haut revenus peuvent souvent se satisfaire d’emplois à tiers-temps ce qui induit une rémunération concurrentielle, car, pour ceux-ci, cela ne constitue, bien souvent, qu’un revenu d’appoint voire de l’argent de poche. On peut aisément imaginer que les projets O.I.N., Grand Stade, Nice Grand-Arénas, etc., vont largement amplifier ce phénomène.
Mais, comme toujours, aucun homme (ou femme) politique qui se propose de prendre en main les destinées des populations de Nice et de notre Comté n’osent soulever le problème ou faire des proposition visant à changer cet état de fait, on continue à réitérer les mêmes erreurs.
R.M.M. : D’où l’émergence du M.C.P.N. (Mouvement citoyen du Pays niçois) dont vous êtes le délégué provisoire ?
J.-M.F. : Exactement, cela est venu comme une conclusion évidente de discussions et analyses que nous avons eu entre amoureux de cette terre du Comté de Nice venus d’horizons fort divers mais conscient de l’échec des démarches politiques entreprises depuis très longtemps dans ce pays. Ces démarches ont toutes échouées car elles se sont inscrites dans le schéma conventionnel défini par l’État français avec les règles du jeu de la « République une et indivisible ». Il nous a paru évident que le combat était perdu d’avance. C’est pourquoi, nous étant débarrassés de nos « présupposés idéologiques », nous avons tous fini par nous rencontrer pour définir une autre forme d’action inspiré du slogan employé par la branche politique de l’I.R.A. en Irlande « Sinn Féin » qui veut dire « Nous seuls ».
R.M.M. : Et qu’avez-vous produit, quelles actions avez-vous menées ?
J.-M.F. : Parce que nous sommes des gens responsables, nous n’avons rien voulu lancer sans être prêts à répondre aux questions que l’on ne manquera pas de nous poser et sans avoir un programme relativement complet à proposer. Mais cette période de réflexion a été vraiment intense dans l’élaboration de nos travaux préparatoires: recherches historiques, réflexion politique, travail sur une charte du M.C.P.N., travail de fond sur une « nouvelle constitution », rencontre avec d’autres mouvements citoyens (Piémontais, Savoisiens, Genevois, Ligure…), avancée sur la constitution d’un Arc Alpin, etc. Vous voyez nous ne sommes pas restés les bras croisés.
R.M.M. : Et vous comptez lancer, effectivement, le Mouvement citoyen du Pays niçois (Motou citadin dou Païs nissart) à quel moment ?
J.-M.F. : Nous prévoyons de tenir une réunion publique (à laquelle la presse sera, bien sûr, invitée) après la rentrée des grandes vacances en septembre (la date va être bientôt définie) pour présenter notre mouvement et l’inscrire dans le paysage niçois.
R.M.M. : Et vous avez des manifestations prévues par la suite ?
J.-M.F.: Je ne récuse aucunement les opérations d’agit-prop (agitation-propagande) que nous pourrions être amenés à faire, en fonction de l’actualité, mais je pense que notre grand rendez-vous avec le peuple de Nice et de son Comté aura lieu en 2014. En effet, deux ans après les élections d’aujourd’hui, la France sera loin d’être sortie de l’ornière et les déçus seront nombreux. Cela correspondra au deux-centième anniversaire de la Restauration sarde, qui signe la fin de l’occupation française, mais également aux élections municipales (voire des nouvelles entités territoriales) et là il faudra aller au charbon et mettre les mains dans leur « cloaque politicien » pour participer, c’est-à-dire présenter des candidats dans les petites communes de montagnes. Car en Savoie comme chez nous, la résistance et la libération sont toujours venues des montagnes, quelles que fussent les époques. Cela permettra entre autre aux communes de retrouver leurs libertés face à la volonté centralisatrice des Métropoles (Nice, Menton) qui ont calqué leur mode de fonctionner sur le modèle de la « République jacobine française ».
R.M.M. : Jean-Marc, nous souhaitons, donc, longue vie au M.C.P.N. et vous remercions de nous avoir accordé de votre temps pour permettre à nos lecteurs d’être informés de ce qui touche à leur avenir tout en étant un signe d’espoir.
J.-M.F. : Je tiens aussi à vous remercier de m’avoir ouvert les pages de votre site pour me permettre de m’exprimer, et, ce sans aucune censure, ce que je tiens à souligner, car c’est quelque chose qui est devenu presque impossible de nos jours dans les médias traditionnels.
Notes
1 : Le nissart est la langue du pays niçois.
2 : Le Nissart est l’habitant enraciné du Pays niçois.
3 : L’auteur fait référence au Lumpenprolétariat pour désigner le sous-prolétariat.
4 : Ici dans le sens de « rien ».
5 : Discussion
6 : Référence au militaro-politique ou politico-militaire…, voir l’I.R.A., E.T.A., le F.L.N.C.
7 : Avant la fin des haricots.
8 : Au moment de cet entretien, il n’y avait pas encore eu Fukushima (note de R.M.M.).
9 : Le mouvement des enclosures fait référence aux changements qui, dès le XIIe siècle mais surtout à partir de la fin du XVIe et au XVIIe siècle ont transformé, dans certaines régions de l’Angleterre, une agriculture traditionnelle dans le cadre d’un système de coopération et de communauté d’administration des terres (généralement champs de superficie importante, sans limitation physique) en système de propriété privée des terres (chaque champ étant séparé du champ voisin par une barrière, voire bocage). Les enclosures marquent la fin des droits d’usage, en particulier des communaux, dont bon nombre de paysans dépendaient.
On peut trouver plusieurs raisons à ce mouvement d’enclosure :
— une raison juridique : les potentats locaux souhaitaient conserver l’exclusivité des terres mais l’absence de cadastre nécessitait de matérialiser les limites foncières;
— une raison « naturelle » : les haies permettent de parquer les animaux et de se protéger des bêtes errantes;
— une raison « environnementale » : les haies absorbent l’eau et les fossés ayant permis la surélévation desdites haies drainent cette eau. On crée soit des haies d’arbres fruitiers (pour améliorer la production agricole) soit des ronciers pour mieux encore défendre les parcelles.
Mais la raison fondamentale est la suppression des droits d’usage (vaine pâture, communaux) qui permet la liberté des assolements.
Le mouvement des enclosures a commencé en Angleterre au XVIIe siècle. Des champs ouverts et pâturages communs cultivés par la communauté, ont été convertis par de riches propriétaires fonciers en pâturages pour des troupeaux de moutons, pour le commerce de la laine alors en pleine expansion. Il s’est ensuivi un très fort appauvrissement de la population rurale de l’époque, entraînant parfois des mouvements de révolte, comme dans les Midlands en 1607.
Selon l’historien Patrick Verley, « l’historiographie a longtemps centré son attention sur le phénomène des enclosures et sur ses conséquences sociales, mais elles ne constituent pas une révolution agricole, elles n’en constituent qu’un préalable, qui n’entraîne pas automatiquement un progrès de la production et de la productivité ».
10 : Un moyen d’éviter l’accumulation du capital.
11 : C’est l’invention de la dynamite qui permettra l’essor du réseau routier de montagne.
12 : L’araire à été l’outil le plus utilisé dans nos terroirs depuis la fin du Néolithique jusque dans les années 1900. En effet et avant les Bourguignons (La terre et le sol), nos paysans incultes et rétrogrades (voire réactionnaires) avaient compris qu’en retournant la terre, on bouleversait l’équilibre des couches qui compose un sol fertile. L’araire ne retourne pas le sol, mais le fend et le décompacte sur une profondeur maximale de 14 à 15 cm.
13 : Voir « Le secret de maître Cornille » dans Les Lettres de mon Moulin d’Alphonse Daudet.
14 : Le Crédit Fonciers de France jouera d’ailleurs un rôle essentiel dans la confiscation des terres des Niçois dès l’arrivée du train en gare de Nice (promesse de Napoléon III motivant l’annexion de Nice) en prêtant à faible taux aux investisseurs étrangers et en refusant le crédit aux autochtones s’ils n’étaient pas cautionnés par un intérêt étranger (Français ou Européen, voire Brésilien).
15 : C’étaient les camions de la S.A.P. qui retournaient depuis les vallées sur Nice en fin d’après-midi qui se chargeaient du ramassages des bidons de lait dans les villages et les déposaient devant la laiterie Otto Bruck (située rue de France).
• Propos recueillis par Robert Marie Mercier.
• D’abord mis en ligne sur Racines du Pays niçois, le 5 mai 2012.