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dimanche, 23 novembre 2008

Deux livres sur l'Europe

europe-10aug03-msg1.jpgArchives des Synergies Européennes - 1990

Deux livres sur l'Europe


Herbert KRAUS, «Großeuropa». Eine Konföderation vom Atlantik bis Wladi­wostok, Langen-Müller, München, 1990, 147 S., DM 28, ISBN 3-7844-2197-0.


A cause des problèmes en Allemagne de l'Est, de la situation catastrophique de l'économie polo­naise, de l'intervention des militaires sovié­tiques à Vilnius, de la fragilisation de la posi­tion de Gorbatchev à Moscou, l'unification gran­de-continentale, de l'Atlantique au Paci­fique, la communauté de destin euro-soviétique est postposée. Cette remise aux calendes grec­ques d'un processus nécessaire ne doit pas pour autant nous empêcher de réfléchir à son adve­nance, de la préparer. Herbert Kraus, ex­pert au­trichien des questions d'Europe orientale, fon­dateur du parti libéral autrichien, l'a soule­vée dans un livre qui a la forme d'un manifeste et qui appelle à la consitution de la «Grande Con­fédération». Pour Kraus, ressortissant d'un pe­tit Etat neutre, sis à la charnière de l'Est et de l'Ouest, les Européens doivent préparer l'a­vè­nement d'un Etat multiculturel englobant tous les pays d'Europe et l'ensemble du territoire au­jourd'hui soviétique. Dans cet immense es­pace, tous les Européens devraient pouvoir avoir le droit de travailler, de commercer ou de fonder des entreprises. L'heure de l'Etat-Nation, étroit, trop exigu pour les impératifs qui s'annoncent, a sonné. Il doit faire place au «grand espace». Ce processus de méta/macromorphose doit s'ac­com­pagner d'un socialisme acceptable pour tous, d'une déconstruction des antagonismes mi­litaristes du passé afin de construire une gi­gantesque armée confédérative. La Russie a un rôle tout particulier à jouer dans cette évolution: elle doit transformer l'URSS qu'elle domine par son poids en une confédération-modèle que l'Ouest pourra imiter, tandis que les réussites de la CEE en matière d'intégration devront servir de modèles à l'Est. La confédération devra être plus souple, plus soucieuse des tissus locaux, moins centralisatrice en matières écono­mi­ques. Logiques intégratives et identitaires doi­vent pouvoir jouer simultanément.


Otto MOLDEN, Die europäische Nation. Die neue Supermacht vom Atlantik bis zur Ukraine, Herbig, München, 1990, 323 S., DM 39,80, ISBN 3-7766-1649-0.


Ancien chef de la résistance autrichienne con­tre le nazisme, Otto Molden, homme poli­tique et historien, a toujours eu la volonté de for­ger un «patriotisme européen», reposant sur une inter­prétation «culturo-morphologique» de son his­toire, qui n'est pas sans rappelé Spengler et Toynbee. La disparition du Rideau de fer, pense Molden, va activer la constitution d'une Europe unie et faire d'elle la première puissance cultu­relle, économique et financière du globe, lais­sant les Etats-Unis stagner loin derrière elle. Paradoxalement, poursuit Molden, ce sont les dangers venus de la steppe asiatique, les inva­sions hunniques, avares, magyares et mon­go­les, qui ont, à certains moments de l'histoire, don­né aux Européens l'idée d'une communauté de destin. Pour Molden, l'ère des Etats-Nations, incapables de gérer leurs problèmes de minori­tés, doit être close. Ces problèmes de minorités doivent être résolus, non seulement à l'Est, mais aussi à l'Ouest (Irlande, Pays Basque), de façon à ce que l'on obtienne une nation consti­tuée de peuples et de citoyens solidaires. Pour or­­ganiser ce gigantesque ensemble, il faut in­venter une représentation nouvelle, fondée sur le «fédéralisme intégral des communautés de voisinage». Une telle représentation permettra à moyen ou long terme de resouder les tissus so­ciaux ravagés par la révolution industrielle.

(Robert Steuckers).

 

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mercredi, 19 novembre 2008

Eurasia, vol. II, n°3

Eurasia Vol. II n° 3 : Karl Haushofer, l’Eurasisme, le Tibet et le Japon
Sommaire 06/2008

Eurasia : Présentation

Dossier

Karl Haushofer, l’Eurasisme, le Tibet et le Japon

Tiberio Graziani : La leçon de Karl Haushofer et la présence discrète de Giuseppe Tucci dans le débat géopolitique des années trente

Carlo Terracciano : Des destins parallèles

Karl Haushofer : L’analogie du développement politique et culturel en Italie, en Allemagne et au Japon

Robert Steuckers : Qui était Karl Haushofer ?

Robert Steuckers : Les thèmes de la géopolitique et de l’espace russe dans la vie culturelle berlinoise de 1918 à 1945 : Karl Haushofer, Oskar von Niedermayer et Otto Hoetzsch

Claudio Mutti : Le bodhisattva hongrois

Giuseppe Tucci : Alexandre Csoma de Körös

Texte retrouvé

Alexandre Douguine : L’Empire soviétique et les nationalismes à l’époque de la perestroïka

Eurasia : Lectures eurasiennes
Eurasia Vol. II n° 3 : Karl Haushofer, l’Eurasisme, le Tibet et le Japon
 
Eurasia Vol. II n° 3 :: Karl Haushofer, l’Eurasisme, le Tibet et le Japon Prix : 15,00€
Éditeur :
Avatar Editions
Date : 06/2008
Format (cm) : 14,85 x 21
Pages : 120

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lundi, 17 novembre 2008

Europe-Russian Relations Heat Up

Euro_Russian.jpg

Europe-Russian Relations Heat Up

Submitted by Alex Birch on Sat, 11/15/2008 - 22:05.

At Corrupt we've consistently pointed out the passive-aggressive game going on between the West and Russia. America failed to neutralize the Russian threat after WWII, which we've now paid back in the form of geopolitical sanctions and realpolitikal rhetoric ever since:

With Russian tanks only 30 miles from Tbilisi on August 12, Mr Sarkozy told Mr Putin that the world would not accept the overthrow of Georgia’s Government. According to Mr Levitte, the Russian seemed unconcerned by international reaction. “I am going to hang Saakashvili by the balls,” Mr Putin declared.

Mr Sarkozy thought he had misheard. “Hang him?” — he asked. “Why not?” Mr Putin replied. “The Americans hanged Saddam Hussein.”

Mr Sarkozy, using the familiar tu, tried to reason with him: “Yes but do you want to end up like [President] Bush?” Mr Putin was briefly lost for words, then said: “Ah — you have scored a point there.”

The Kosovo independence triggered Russia to recognize it was standing alone against Western pressure. When the indirect actions taken by America suddenly became direct, following the suggestion to help Georgia join NATO, Russia decided to respond with the same tactics. What makes Europe vulnerable today is its disunity over how to manage the situation. America is a worn out empire, responding pragmatically in the neo-conservative tradition the Bush-Cheney Administration established as a foreign policy ethos, but so is not Europe. Living out its post-socialist dream of embracing globalization and still maintaining world political status, it's waiting out further action from America, although some leaders are already seeing the situation clearly for what it is:

Italian Prime Minister Silvio Berlusconi stated yesterday that the deployment of the US antimissile shield in Poland and the Czech Republic is a “provocation” against Russia.

Italy’s PM reminded that the Russian president Dmitrij Medvedev’s response to that plan was to announce the deployment of missiles in – as Berlusconi put it – “the Russian enclave in the Balkans, Kaliningrad.”

According to the Italian PM, “putting the two arsenals against each other would be a mistake, which could lead to the destruction of the world.”

As another example of provocation against Russia, Silvio Berlusconi mentioned also acknowledging Kosovo’s independence, as well as “speeding up the process of entering NATO by Ukraine and Georgia.”

Berlusconi called for a renewed agreement between NATO and Russia and for ending the arms race.

Berlusconi, although being right about the provocation from the West, is still off course when he fails to realize that this conflict will not be resolved through conventional international agreements. Russia is not going to back down, because it knows that would mean it'd have to downplay its current position, which is not an option if you want remain a strong and powerful nation. Russia knows it's sitting on an ace of spades--energy:

A supergrid of power supplies to protect Europe’s energy from the threat of a Russian stranglehold will be announced today.

The building blocks of the proposed supergrid would be new cables linking North Sea wind farms, and a network patching together the disparate electricity grids of the Baltic region and the countries bordering the Mediterranean, according to a blueprint drawn up by the European Commission and seen by The Times.

EU states will also be asked to pay for at least two ambitious gas pipelines to bring in supplies from Central Asia and Africa. The plans also call for a Community Gas Ring, or a network allowing EU countries to share supplies if Russia turns off the taps.

Europe is acting correctly: Historically it's been a mistake to trust its Russian neighbour, and the situation hasn't change today. It's clear now more than ever that the (aspiring or already confirmed) super powers of the world struggle for prestige and empire-building. We lost the ideological dimension when finance replaced fidelity to ideas instead of lifestyles, which means any empire losing this game will become labour for industrial expansion. If the West manages to defend itself, we have time over to change status-quo and return to sensible community building--if we lose, there's Change coming ahead that would silence even the most dogmatic supporter of Obama.

vendredi, 14 novembre 2008

Russie: arrière-cour de l'Europe ou avant-garde de l'Eurasie?

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Archives de "Synergies Européennes" - 1995

 

Russie: arrière-cour de l'Europe ou avant-garde de l'Eurasie?

Wladimir WIEDEMANN

 

Intervention lors de la “Freideutsche Sommeruniversität”, août 1995

 

Lorsque nous évoquons la notion d'Empire, nous devons nous rappeler que ce concept, au sens classique, se manifeste sous deux formes historiques légitimées: une forme occidentale (ou “romaine occidentale”) et une forme orientale (ou “romaine orientale”, byzantine). Ainsi, l'idée authentique d'Empire est liée indubitablement à une perspective téléologique: la réunifica­tion finale de deux parties provisoirement séparées d'un Empire originel. Du moins sur le plan des principes. Car il est bien évident que cette “réunification de l'Empire” ne peut se réduire au niveau d'accords politiques purement formels dans l'esprit d'une diplomatie utilitaire et profane. Néanmoins, ce problème peut et doit être discuté par les deux parties concernées au ni­veau d'une idéologie impériale actualisée voire d'une théologie impériale. Mais qu'en est-il de ces deux parties?

 

La dernière héritière des traditions impériales romaines-occidentales a été la Germanie, tandis que la dernière héritière des traditions romaines-orientales ou byzantines a été la Russie. Comme le philosophe allemand Reinhold Oberlercher le re­marque très justement, les Allemands et les Russes sont les deux seuls peuples d'Europe capables de porter à bout de bras de véritables grandes puissances politiques. Dans son ouvrage Lehre vom Gemeinwesen, il écrit: «En tant qu'Empire (Reich) porté par les tribus de souche germanique, la forme politique propre du peuple allemand a pour mission de constituer un Reich englobant tous les peuples germaniques, lequel devra, de concert avec l'Empire des peuples russes (Grands-Russes, Petits-Russiens et Biélorusses), constituer un Axe de sécurité nord-asiatique et établir l'ordre sur la plus grande masse continentale du monde» (1).

 

Permettez-moi d'étudier plus en détail les thèmes de l'idée impériale en son stade actuel et de la politique impériale de la Russie. L'effondrement de l'Etat communiste a conduit en Russie à un vide idéologique, à la perte de toute orientation géné­rale. Mais on sait pourtant que la nature ne tolère aucun vide. Ainsi, l'antique idée impériale, l'idée d'un Empire religieux-or­thodoxe, dans le contexte d'un nouveau sens historique, doté d'un nouveau contenu social et géopolitique, est en passe de re­naître. De quoi s'agit-il?

 

Bien évidemment, la Russie nouvelle, post-communiste, n'est plus la vieille Russie féodale, tsariste, avec son servage. Aujourd'hui, il n'y a en Russie ni aristocratie ni classe moyenne. Il y a toutefois des intérêts historiques, objectifs et nationaux bien tangibles: ce sont les intérêts d'une nation qui compte dans le monde, les intérêts d'un peuple porteur d'Etat, et ces inté­rêts sont clairement délimités: il faut du pain pour le peuple, du travail pour tous les citoyens, de l'espace vital, un avenir as­suré. Mais pour concrétiser ces intérêts, il y a un hiatus de taille: la nomenklatura paléo-communiste demeurée au pouvoir jusqu'ici n'avait aucun projet social “créatif” et ne voulait que se remplir les poches avec l'argent volé au peuple et, pire, placer cet argent sur des comptes à l'étranger, dans des banques fiables. En d'autres mots: ce nouveau capitalisme spéculateur montre les crocs en Russie: il est incarné par cette nomenklatura, liée à la caste corrompue et bigarrée des “hommes d'affaire”, et parasite sans vergogne le corps d'une Russie devenue “libérale-démocrate” et dépouillée de toutes ses protec­tions. Ainsi, depuis le début de la perestroïka, un capital de 500 milliards de dollars américains a quitté le pays. Le gouverne­ment Eltsine ne dit pas un mot sur ce “transfert”, mais dès que quelques misérables milliards sont offerts à titre de crédit par la Banque Mondiale, il fait battre tambour et sonner buccins!

 

Mais le temps est proche où ces crocs mafieux recevront l'uppercut définitif qui les mettra hors d'état de nuire. Ce coup, ce sont les forces intérieures de la Russie qui le porteront et ces forces sont actuellement incarnées par les nouveaux proprié­taires du capital industriel et producteur. Bien entendu, il s'agit ici, en première instance, du complexe militaro-industriel qui se trouvait jusqu'ici, à titre formel sous contrôle étatique. Quelle sera l'intensité du processus de privatisation dans ce domaine? C'est une question de temps et cela dépend aussi des circonstances globales, politiques et économiques, qui détermineront l'histoire prochaine de la Russie. Mais une chose est claire d'ores et déjà: tôt ou tard, le pays générera une classe de véri­tables industriels et c'est à ce moment-là que naîtra la future grande puissance russe.

 

Je voudrais maintenant parler des fondements géopolitiques, économiques et idéologiques de la grande puissance russe. C'est connu: le bien-être du peuple et la puissance réelle d'un Etat dépend des placements en capital domestique, parce que ces placements garantissent la création de nouveaux emplois et augmente le pouvoir d'achat de la population. Ensuite, il est clair qu'au stade actuel de développement de la production, ce ne sont pas les entreprises moyennes et petites qui s'avèreront capables de générer et de placer de tels capitaux. Seules les très grandes entreprises d'envergure internationale sont en me­sure de le faire, car elles peuvent financer une recherche très coûteuse et une formation de personnel adéquate. Ce sont sur­tout les Américains et les Japonais qui possèdent aujourd'hui des sociétés disposant de telles masses de capitaux et sont ca­pables de faire face dans le jeu de la concurrence planétaire. Ces entreprises sont celles qui créent dans le monde la majeure partie des nouveaux emplois, bien rémunérés.

 

Les centres principaux de production de haute technologie moderne se concentrent de plus en plus dans les zones autour des grandes métropoles des côtes pacifiques, parce que la base du développement d'une production de ce type, c'est l'accès au commerce planétaire. Aujourd'hui, dans ce domaine, c'est le commerce maritime qui joue le rôle-clef, dont les voies de communication sont contrôlées par la politique militaire américaine dans toutes les zones stratégiquement importantes. C'est en constatant ce centrage sur le Pacifique qu'est née la thèse du “Pacifique comme Méditerranée du XXIième siècle”, c'est-à-dire du Pacifique comme nouvel espace où se développe actuellement la civilisation du progrès technique. Si les choses con­tinuent à se développer dans ce sens, les conséquences en seront fatales pour tous les pays européens; ceux-ci seront con­traints, sur le plan économique, à se soumettre à l'hégémonie américaine dans toutes les questions-clefs de la dynamique de la production moderne et aussi pour tous les mécanismes socio-politiques. Ce sera également le problème de la Russie. Mais ce sera justement le “facteur russe” qui permettra aux autres Européens de prendre une voie alternative, qui permettra de libérer toutes les initiatives russes et européennes des diktats américains. Cette alternative, c'est le “commerce continen­tal”.

 

Imaginez un instant que les grandes voies de communications du commerce mondial  —ou du moins celles qui relient l'Europe à l'Asie méridionale et à l'Extrême-Orient (surtout l'Inde et la Chine)—  deviennent continentales. Ce serait là un ac­cès direct et alternatif aux grands marchés qui sont déjà prospères aujourd'hui et qui sont potentiellement de longue durée. Cet accès par voie continentale serait d'abord plus rapide et offrirait des avantages non négligeables à certains technologies qui sont en train de se développer. Sur le plan théorique, tout cela semble séduisant, mais, en pratique, l'essentiel demeure ab­sent, c'est-à-dire un système réellement existant de communications transcontinentales.

 

Pourquoi un tel système de communication n'est-il pas déjà disponible? Parce que la politique extérieure de la Russie bol­chévique-stalinienne a commis une erreur fondamentale. En effet, les communistes ont été perpétuellement induits en erreur par un pronostic illusoire d'origine idéologique, prévoyant une évolution sociale conduisant à une révolution mondiale, qui, elle, allait réaliser l'“Idée” sur la Terre. En d'autres mots, au lieu de détruire la société bourgeoise, l'élite révolutionnaire russe au­rait dû la consolider, afin de concentrer les énergies des masses sur la construction réelle du pays et sur l'exploitation “civilisée” de ses espaces et de ses richesses. La chimère de la révolution mondiale a englouti en Russie de colossales ri­chesses, mais, simultanément, son importance géopolitique en tant que puissance continentale ne pouvait être détruite sur l'échiquier international.

 

L'ancien Empire russe avait justement émergé autour d'un axe constitué par une voie commerciale traversant l'Europe orien­tale, soit la voie ouverte par les Scandinaves et “conduisant des Varègues aux Grecs”. Par une sorte de constance du destin, le devenir actuel de la Russie dépend une nouvelle fois  —et directement—  de l'exploitation efficace d'un commerce transconti­nental, de la croissance de marchés intérieurs au Grand Continent eurasien. Ce destin géopolitique, grand-continental et eu­rasien, les forces réellement productrices de la Russie commencent à la comprendre. Ces forces sont potentiellement géné­ratrices d'Empire et peuvent être définie comme telles. Elles commencent aussi à formuler des exigences politiques propres. Et, à ce propos, Sergueï Gorodnikov, qui a consacré beaucoup d'attention à cette problématique, écrit:

 

«Notre besoin est le suivant: nous devons rapidement construire des structures de transport commerciales paneurasiatiques qui relieront toutes les civilisations créatrices; ensuite, notre besoin est de garantir militairement la sécurité de ces civilisa­tions, ce qui correspond aussi complètement aux intérêts de l'Europe, je dirais même à ses intérêts les plus anciens et les plus spécifiques, tant dans le présent que dans l'avenir. C'est la raison pour laquelle le nationalisme russe ne doit pas seule­ment compter sur une neutralité (bienveillante) de l'Europe dans sa politique d'Etat. Mieux, il trouvera en Europe des forces très influentes qui pourront et devront devenir ses alliés. C'est toute particulièrement vrai pour l'Allemagne qui s'est renforcé par sa réunification et désire en secret retrouver toute son indépendance en tant qu'Etat et toute sa liberté de manœuvre» (2).

 

La nouvelle alliance stratégique paneurasiatique entre l'Est et l'Ouest aura pour élément constitutif l'alliance géopolitique inter-impériale entre l'Allemagne et la Russie, les deux détenteurs de la légitimité impériale romaine en Europe. Ce recours à l'antique légitimité romaine est une chose, la tâche actuelle de cette alliance en est une autre: il s'agit pour elle de fédérer les intérêts économiques et politiques dans une perspective de progrès tecnologique global. Il s'agit de rassembler toutes les forces intéressées à développer l'espace économique eurasiatique. Pour réaliser ce programme, il faudra créer des unités économiques suffisamment vastes pour obtenir les moyens nécessaires à développer des projets de telles dimensions et pour se défendre efficacement contre les résistances qu'opposeront les Américains et les Japonais. Construire des entités écono­miques de cette dimension implique une coopération étroite entre les potentiels techniques russes et européens.

 

Le combat qui attend Russes et Européens pour établir un nouvel ordre paneurasiatique sera aussi un combat contre les rési­dus de féodalisme et contre les formes politiques dépassées à l'intérieur même de ce grand continent en gestation, c'est-à-dire un combat contre les forces qui se dissimulent derrière une pensée tribale obsolète ou derrière un fondamentalisme is­lamique pour freiner par une résistance douteuse la progression d'une culture et d'une économie grande-continentale. Comme le développement de notre civilisation postule des exigences globales, ce combat devra être mené avec tous les moyens di­plomatiques et militaires, jusqu'à la destruction totale des forces résiduaires. Seule une lutte sans merci contre les résidus d'un féodalisme millénaire, contre le “mode de production asiatique”, nous permettra de détruire les derniers bastions du vieux despotisme tyrannique et de la barbarie, surtout sur le territoire de la Russie où, aujourd'hui, ces forces se manifestent sous les aspects de la criminalité caucasienne et asiatique, des sombres bandes mafieuses, résultats de cette peste léguée par le bolchevisme: l'absence de toute loi et de tout droit.

 

Sur ce thème, je me permets de citer une fois de plus Sergueï Gorodnikov: «Il est clair qu'une tâche de ce type ne pourra être menée à bien que par un Etat fortement centralisé selon les conceptions civiles. Un tel Etat ne pourra exister que si l'armée marque la politique de son sceau, car l'armée, de par son organisation interne, est la seule institution étatique capable de juger, étape par étape, de la valeur politique des choses publiques et dont les intérêts sont identiques à ceux de la bourgeoisie indus­trielle en phase d'émergence. Seule une alliance étroite entre l'armée et la politique est en mesure de sauver l'industrie natio­nale de l'effondrement, les millions de travailleurs du chômage et de la faim et la société toute entière de la dégradation mo­rale, d'extirper le banditisme et le terrorisme, de faire pièce à la corruption et de sauver l'Etat d'une catastrophe historique sans précédent. L'histoire du monde dans son ensemble a prouvé qu'il en est toujours ainsi, que les efforts d'une bourgeoisie entreprenante et industrielle ne peuvent reposer que sur l'institution militaire; ensuite, dans la société démocratique, il faudra accroître son prestige social au degré le plus élevé possible et l'impliquer dans l'élite effective de la machinerie étatique» (3).

 

Certes, cet accroissement du rôle socio-politique de l'armée, garante de la stabilité globale de l'Etat dans la situation présente, mais aussi de la stabilité de cette société civile en gestation, implique une légitimisation du statut particulier qu'acquerront ainsi les forces armées. En d'autres termes, il s'agit de créer une forme d'ordre politique où les autorités militaires et les au­torités civiles soient des partenaires naturels sur base d'une séparation de leurs pouvoirs respectifs. Ensuite, un tel régime, qui pourrait être défini comme “régime de salut national”, postule l'existence d'une troisième force, une force intermédiaire, investie de la plus haute autorité dans cette tâche aussi important que spécifique consistant à fixer des normes juridiques. Une telle force pourrait s'incarner dans l'institution que serait la puissance même de l'Empereur, exprimant en soi et pour soi, et en accord avec les traditions historiques dont elle provient, l'idée d'un “compromis mobile” entre les intérêts de toutes les couches sociales. Ainsi, la dignité impériale à Byzance, qui s'est également incarnée dans les réalités de l'histoire russe, pré­sentait quatre aspects fondamentaux. Ce qui revient à dire que l'Empereur russe-orthodoxe devrait être:

1) Protecteur de l'Eglise d'Etat en tant qu'institution sociale (C'est le pouvoir de l'Empereur en tant que Pontifex Maximus).

2) Représentant dans intérêts du peuple (Pleins pouvoirs de l'Empereur en tant que tribun populaire).

3) Chef des forces armées (Pleins pouvoirs d'un Proconsul ou du Dictateur au sens romain du terme).

4) Autorité juridique supérieure (Pleins pouvoirs du Censeur).

 

L'autorité et la stabilité d'un véritable pouvoir d'Imperator dépend directement de la fidélité de l'Empereur aux principes fon­damentaux de la Tradition, au sens théologique comme au sens juridique du terme. C'est pourquoi ce pouvoir dans le contexte russe signifie que, d'une part, le rôle social de l'Eglise orthodoxe devra être fixé et déterminé, de même que, d'autre part, les traditions de la société civile. Une particularité de l'idée impériale russe réside en ceci qu'elle a repris à son compte l'idéal byzantin de “symphonie” entre l'Eglise et l'Etat, c'est-à-dire de la correspondance pratique entre les concepts d'orthodoxie et de citoyenneté, sur laquelle se base également la doctrine russe-byzantine d'un Etat éthique qui serait celui de la “Troisième Rome”, d'un nouvel Empire écouménique.

 

Dans quelle mesure ces idéaux sont-ils réalisables à notre époque? Question compliquée, pleine de contradictions, mais que les Russes d'aujourd'hui sont obligés de se poser, afin de s'orienter avant de relancer le traditionalisme russe et d'en faire l'idéologie de la grande puissance politique qu'ils entendent reconstruire. Le retour de ces thématiques indique quelles sont les tendances souterraines à l'œuvre dans le processus de formation de la société civile russe. Si, en Europe, c'est la culture qui a été porteuse des traditions antiques et donc des traditions civiles, en Russie c'est la religion qui a joué ce rôle, c'est-à-dire l'Eglise orthodoxe; c'est elle qui a fait le lien. En constatant ce fait d'histoire, nous pouvons avancer que la renaissance réelle de la société civile en Russie est liée inévitablement au déploiement de l'héritage antique véhiculé par l'Eglise orthodoxe. Il me semble que l'essentiel des traditions politiques antiques réside justement dans les traditions qui sous-tendent la puissance im­périale au sens idéal et qui sont proches du contenu philosophique de l'Etat idéaliste-platonicien.

 

Quelles sont les possibilités d'une restauration concrète de l'idée impériale civile et d'un ordre impérial en Russie? Ce pro­cessus de restauration passera sans doute par une phase de “dictature césarienne”, parce que, comme l'a un jour pertinem­ment écrit Hans-Dieter Sander, on ne peut pas créer un Empire sans un César. En effet, seul un César, élevé légitimement au rang de dictateur militaire, est capable de consolider les intérêts des forces les plus productives de la Nation à un moment historique précis du développement social et d'incarner dans sa personne les positions morales, politiques et socio-écono­miques de ces forces et, ainsi, sous sa responsabilité personnelle en tant que personalité charismatique, de jeter les fonde­ments d'une nouvelle société, représentant un progrès historique.

 

Le but principal en politique intérieure que devrait s'assigner tout césarisme russe serait de préparer et de convoquer une re­présentation de tous les “états” de la nation, en somme une Diète nationale, qui, en vertu des traditions du droit russe, est le seul organe plénipotentiaire qui peut exprimer la volonté nationale génératrice d'histoire. Cette Diète nationale détient aussi le droit préalable de déterminer la structure générale de l'Etat russe et de réclamer l'intronisation de l'Empereur. La Diète natio­nale est ainsi en mesure de légitimer la restauration de l'Empire et, s'il le faut, de constituer un régime préliminaire constitué d'une dictature de type césarien (Jules César avait reçu les pleins pouvoirs du Sénat romain qui avait accepté et reconnu offi­ciellement sa légitimité).

 

Toute restauration cohérente de l'Empire, au sens traditionnel, métaphysique et politique du terme, n'est possible en Russie, à mes yeux, que si l'on accroît le rôle socio-politique de l'armée et de l'Eglise, mais aussi si l'on consolide l'autorité des juges. Car ce sont précisément les juges (et en premier lieu les juges à l'échelon le plus élevé de la hiérarchie et de la magistrature impériales) qui pourront jouer un rôle médiateur important dans la future restructuration totale de la société russe, en travail­lant à créer des institutions juridiques stables. D'abord parce que cette valorisation du rôle des juges correspond à la tradition historique russe, à l'essence même de l'Etat russe (par exemple: dans la Russie impériale, le Sénat était surtout l'instance juridique suprême, disposant de pleins-pouvoirs étendus et normatifs, dans le même esprit que le droit prétorien romain). Ensuite, cette revalorisation du rôle des juges constitue également la réponse appropriée à l'état déliquescent de la société russe actuelle, où règne un nihilisme juridique absolu. Ce phénomène social catastrophique ne peut se combattre que s'il existe au sein de l'Etat une caste influente de juristes professionnels, disposant de pouvoirs étendus.

 

Lorsqu'on évoque une société reposant sur le droit  —ce qui est d'autant plus pertinent lorsque l'on se situe dans le contexte général d'un Empire—  on ne doit pas oublier que tant l'Europe continentale que la Russie sont héritières des traditions du droit romain, tant sur le plan du droit civil que du droit public. Lorsque nous parlons dans la perspective d'une coopération globale entre Européens et Russes, nous ne pouvons évidemment pas laisser les dimensions juridiques en dehors de notre champ d'attention. Le droit romain, dans sa version justinienne, a jeté les fondements de l'impérialité allemande et de l'impérialité russe. C'est donc cet héritage commun aux peuples impériaux germanique et slave qui devra garantir une coopération har­monieuse et durable, par la création d'un espace juridique et impérial unitaire et grand-continental. En plus de cet héri­tage juridique romain, Allemands et Russes partage un autre leg, celui de la théologie impériale. A ce propos, j'aimerai termi­ner en citant un extrait du débat qu'avaient animé le Dr. Reinhold Oberlercher et quelques-uns de ses amis:

OBERLERCHER: «Dans le concept de Reich, le processus de sécularisation n'est jamais véritablement arrivé à ses fins: le Reich demeure une catégorie politico-théologique. Dans la notion de Reich, l'au-delà et l'en-deçà sont encore étroitement liés». Lothar PENZ: «Cela veut donc dire que nous devons retourner au Concile de Nicée!» (approbation générale) (4).

 

Je pense aussi que le Concile de Nicée a effectivement jeté les bases véritables d'une théologie impériale, même si, à l'Ouest et à l'Est celle-ci a été interprétée différemment sur les plans théorique et liturgique. Il n'en demeure pas moins vrai que le lien subtil entre au-delà et en-deçà demeure présent dans l'existence de l'Empire (du Reich) comme un mystère déterminé par Dieu.

 

Vladimir WIEDEMANN.

(texte remis lors de la “Freideutsche Sommeruniversität” en août 1995; également paru dans la revue berlinoise Sleipnir, n°5/95; trad. franç. : Robert Steuckers).

jeudi, 13 novembre 2008

J. Parvulesco: Reconnaître le Pôle indien du Grand Continent Eurasiatique

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ARCHIVES DE "SYNERGIES EUROPEENNES" - 1996

 

 

Jean PARVULESCO:

Reconnaître le Pôle Indien du Grand Continent Eurasiatique

 

Nos thèses géopolitiques sont désormais parfaitement connues, qui ouvrent le concept de la plue Grande Europe franco-allemande —le Pôle Carolingien— aux espaces eurasiatiques décisionnels de la Grande Sibérie et du "Projet Continental Grande-Sibérie" (PCGS), du Japon et de l'Inde, à la perspective révolutionnaire totale de ce que nous avons nous-mêmes su appeler l'Empire Eurasiatique de la Fin. A l'heure présente, l'axe fondamental de la politique eurasiatique franco-allemande apparait comme étant oriénté —et d'une manière particulièrement accentuée avec le retour du gaullisme au pouvoir— vers l'Inde, et partant, vers les nouvelles relations spéciales, aussi actives que profondes, en train de s'établir —souterrainement encore, mais comment faire autrement en temps de déréliction— entre la France gaulliste et l'Inde en marche vers l'émergence à terme rapproché de son nouveau Réveil National, voire de son Eveil Final. J'entends des relations spéciales destinées à forger en avant un autre destin du Grand Continent Eurasiatique, un autre destin de future politique planétaire impériale de celui-ci, et dont notre génération se doit à l'heure actuelle d'assumer héroïquement la nomination tragique et toutes les charges révolutionnaires de terrain. Car, devant faire face nuptialement au Pôle Carolingien, il est né, à présent, le Pôle Indien, réminiscence de l'Anabase initiatique de notre Alexandre le Grand, et de la haute lumière aryenne et védique d'avant l'obscurcissement de l'être en nous, et il se développe, inexorablement, au cœur même du mystère vivant de l'histoire mondiale à sa fin.

 

Aussi n'avons-nous plus à le cacher, des forces supérieures sont déjà à l'œuvre, dans notre camp et même hors de notre camp, des forces que l'on doit considérer, pour le moment, comme essentiellement occultes, des forces révolutionnaires mises en convergence par une nouvelle sommation polaire de l'histoire mondiale et qui, toutes, se trouvent engagées en avant dans le cadre du nouveau processus impérial planétaire dont le rapprochement franco-indien proposé, aujourd'hui, par le gaullisme visionnaire plus ou moins déjà en place à Paris, se veut le symbole ardent, la poussée d'avant-garde décisive, conçue pour qu'elle entraîne le reste, avec elle, et tout avec elle, vers les ultimes accomplissements de sa propre définition d'elle-même, et celle-ci déjà à l'œuvre, partout. Voir, à ce sujet, le travail de définition en profondeur, définition en termes de géopolitique impériale et révolutionnaire de l'actuelle histoire active du monde, auquel je me suis moi-même livré dans un récent entretien avec Mary de Rougement, Francis Mader et Nicolas Beaujolin, entretien publié par Vouloir,  Bruxelles, 1995, sous le titre Pourquoi la Géopolitique?, ainsi que tout le faisceau d'approches géopolitiques de combat dont Vouloir  s'est fait le véhicule européen privilégié, et qui se trouve en plein développement.

 

Ainsi se fait-il que, pour nous autres, tout ce qui tend à s'opposer au projet grand-continental révolutionnaire eurasiatique en cours —et plus particulièrement au rapprochement contre-stratégique transcendantal de la France et de l'Inde constituant déjà les fondations vives, irradiantes, l'axe central de toute politique grande-continentale eurasiatique, actuelle et à venir— nous apparaît comme une démarche subversivement concertée contre nous-mêmes, dont il faut que nous prenions immédiatement toutes les mesures visibles et cachées, pour mieux pouvoir en neutraliser la manifestation interceptée, et l'anéantir sur place.

 

Nous sommes en état de guerre politique totale pour la libération ontologique du Grand Continent et pour la domination finale du monde et de l'histoire finale du monde à sa fin, et tout ce qui fait obstacle à notre volonté impériale d'être et de liberté, à notre volonté de liberté ontologique et cosmique, doit être anéanti, et le sera en temps utile.

 

Quelles responsabilités pour l'actuelle crise stratégique franco-indienne?

 

La vigilance, une extrême vigilance de chaque instant, nous semble donc plus que jamais a l'ordre du jour. Car ce n'est quand même pas pour rien que le gouvernement du Premier Ministre indien Narasimha Rao s'est vu dans l'obligation d'annuler —au dernier moment— la réunion, prévue pour novembre 1995, de la "Comission Economique Franco-Indienne", ce qui a également eu pour effet non seulement du suspendre la visite officielle du ministre français de l'Industrie, Yves Galland, mais aussi de bloquer le départ pour New Delhi, organisé, tout comme la visite du ministre de l'Industrie, à l'occasion des travaux de la "Commission Economique Franco-Indienne", d'une cinquantaine de grands patrons représentant les industries françaises de pointe, ainsi que de certains éléments d'encadrement du "Centre National du Patronat Français" (CNPF).

 

L'attitude négative de la partie indienne, plus que justifiée, aura manifestement été provoquée par le fait que, à l'heure actuelle, le Pakistan négocie —très ouvertement, dans une dialectique de sidération— avec Serge Dassault et les délégations françaises à l'armement et certaines autres, l'achat stratégique, pour un montant de base —qui sera sûrement à revoir ultérieurement à la hausse— d'au moins 5 milliards de francs, de 40 Mirages 2000-F armés du nouveau missile français air-air Mica. Dans les milieux politico-militaires, voire diplomatiques, proches du gouvernement d'Islamabad, on prétend —et l'on va s'évertuer même à ce que cela ne tarde pas trop à se savoir— que le feu vert nécessaire, et même que tous les feus verts ont déjà été donnés par les autorités gouvernementales fransaises compétentes, et que la signature définitive de l'accord final interviendrait avant la fin décembre 1995.

 

Le fait est donc certain que, grâce aux vecteurs supersoniques ainsi fournis par la France, New Delhi risque de se trouver bientôt à la portée immédiate d'une intervention nucléaire directe du Pakistan: situé à 300 km de la frontière pakistanaise, New Delhi peut être atteinte en 3 minutes par les Mirage 2000-F supersoniques adaptés à la véctorisation des engins nucléaires pakistanais.

 

Il faut aussi ajouter à cela que le contentieux franco-indien va se révéler déjà alourdi par la fourniture en cours, au Pakistan, de trois sous-marins français conventionnels de la classe Agosta, armés des missiles ultra-modernes SM 39, dernière réalisation majeure de la technologie militaire française actuelle, sous-marins que les chantiers de Cherbourg ont pris en charge pour le compte d'Islamabad.

 

"Les quinze premiers stagiaires du chantier pakistanais KSEW —l'apprend-on par Le Monde, sous la signature réputée significative de Jacques Isnard— viennent d'arriver à l'arsenal de Cherbourg pour y être formés. D'ici à 1999, deux cent quarante Pakistanais passeront par l'arsenal. L'accord prévoit que le premier sous-marin sera construit à Cherbourg. La coque du deuxième bâtiment sera livrée en tronçons montés par le client. Des sections du troisième sous-marin seront assemblées dans les chantiers au Pakistan" (Le Monde, 28.XII.1995).

 

L'actuel gouvernement gaulliste de Paris, dont nous connaissons pourtant les orientations géopolitiques et le projet grand-continental révolutionnaire d'avant-garde, entendrait-il donc soutenir, ainsi, ouvertement, et en quelque sorte contre ses propres positions métapolitiques constitutionnelles de base, le dispositif d'encerclement continental de l'Inde et l'investissement stratégique de l'ensemble méridional, océanique, du Grand Continent, par les forces de la ligne du front islamique fondamentaliste, ligne de front supranationale, subversivement engagée, ces forces, sur l'arc de cercle allant des Philippines et du Pakistan jusqu'au Maghreb destabilisé par le même fondamentalisme révolutionnaire, nocturne, antihumain, et dont l'heure s'annonce aussi comme tout à fait proche —soutenue ou non par la Turquie— sur le flanc Sud des espaces en refondation politique totale ayant appartenu à l'ancienne Union Soviétique où à ses zones de pénétration ou d'influence?

 

Conme une tache douteuse sur un cadavre récemment maquillé, apparaît donc ici une très flagrante contradiction entre les grandes doctrines géopolitiques du gaullisme révolutionnaire actuellement au pouvoir à Paris ne fût-ce qu'en la personne de Jacques Chirac, le gaullisme foncièrement attaché aux projets concernant le proche avenir impérial du Grand Continent eurasiatique et aux engagements de l'Europe à l'égard du Pôle Indien émergeant, et les décisions subversivement aliénantes d'une administration politiques indûment encore en place, non entièrement reconsidérée à cette heure, et qu'il s'agit donc de faire réglementer au plus vite. Et je préciserai, la mettre au plus vite hors de l'état de nuire.

 

N'est-il pas, alors, de notre devoir de publier, ouvertement et tant qu'il est encore temps, une contradiction qui en l'occurrence nous semble des plus troublantes, voire des plus suspectes, et, surtout à suspecter? Or c'est bien ce que nous faisons, nous suspectons certaines instances administratives en place soit d'inadvertence manifeste et dans tous les cas coupables dans la conception même de leurs initiatives, soit de haute trahison car, n'est-ce pas, co-ment appeler autrement le fait de servir les intérêts d'une puissance étrangère mobilisant sa volonté de domination planétaire contre les plus hauts intérêts politico-révolutionnaires nationaux et grands-continentaux eurasiatiques de la France?

 

Et d'autant plus troublante, cette soudaine “obstaculisation” de la politique grande-continentale eurasiatique commune de la France et de l'Inde que les deux portes de verrouillage et de contrôle du flux des décisions administratives supérieures de l'Etat français, le Secrétariat Général de la Présidence de la République et la Direction de Cabinet du Premier Ministre, se trouvent entre les mains de, respectivement, Dominique de Villepin et Maurice Gourdault-Montagne, tous deux des diplomates de carrière ayant effectué des longs séjours en Inde, dont ils connaissent les problèmes actuels, et que l'on connaît comme entièrement acquis à la cause de l'Inde et à la ligne indienne secrète qu'avait en son temps définie, pour ceux du "premier cercle", le Général de Gaulle lui-même. Il nous reste à tirer au clair le contexte profond où s'est développée cette "troublante affaire", et, surtout, ce qui se dissimule spectralement derrière celle-ci, dans une succession de faux-fonds encore plus troublante, obscure et mortelle.

 

Les Etats-Unis poussent la Chine contre le Bloc Eurasiatique

 

Car, en Asie, la terre brûle. Les feux des volcans souterrains de l'histoire grondent à nouveau, les invisibles digues de la paix menacent de voler en éclats. L'avènement au pouvoir, à Paris, d'un Président de la République incarnant une nouvelle rémontée du "grand gaullisme" révolutionnaire et, de par cela même, la soudaine réactivation politico-stratégique du Pôle Carolingien et des projets grands-continentaux eurasiatiques véhiculés par celui-ci, a forcé les Etats-Unis à y répondre par une contre-offensive du même niveau planétaire.

 

Aussi le premier objectif de l'actuelle contre-offensive anti-européenne de Washington apparaîtra-t-il comme étant celui d'installer d'urgence un contre-feu grand-continental eurasiatique en s'engageant à soutenir une nouvelle émergence politico-militaire de la Chine pour faire pièce, sur le Front Sud du Grand Continent, aux mobilisations en cours du Japon, de l'Inde et de la Russie Sibérienne dans le cadre de la nouvelle unité continentale promue par l'Europe du Pôle Carolingien.

 

De même que, avec la Guerre du Golfe, les Etats-Unis avaient déjà essayé de couper l'Europe de l'Ouest de ses sources d'approvisionnement pétrolier les plus immédiates, les Etats-Unis comptent à présent tourner la future identité impériale du Grand Continent Eurasiatique par le Sud, en exacerbant, sur le terrain, le fondamentalisme révolutionnaire islamique tout en faisant semblant —dialectique opérationnelle du leurre— de le combattre à outrance.

 

Une des stratégies opérationnelles spécifiques de la CIA —et autres agences assimilées— exige, en effet, certains l'ont quand même bien compris, que, lors de la mise en marche de toute grande manœuvre politico-stratégique d'ensemble, l'exhibition préliminaire soit prévue d'un écran diversionnel et de contre-assurance: à l'instant même où Washington décide de soutenir la formidable révolution islamique fondamentaliste naissante, les agences de désinformation active de la CIA s'arrangent pour que par la voie des médias sous contrôle ou par des canaux diplomatiques à couvert l'on apprenne que les Etats-Unis s'engagent à fond dans le combat contre la subversion fondamentaliste planétaire, envisageant de conduire des opérations de déstabilisation intérieure en Iran. Un nouveau budget de 20 millions de dollars a même été officiellement approuvé, le 21 décembre 1995, par la Chambre des Représentants, pour "modérer", par des voies plutôt spéciales, ce que le speaker Newt Gingrich appelle, lui, et d'ailleurs à juste titre, la "menace permanente pour la vie présente sur cette planète" venant de la part d'un "Etat terroriste", etc.

 

D'une manière analogue —la même stratégie du leurre, de l'écran en dédoublement diversionnel— au moment précis où Washington avait décidé son opération de déstabilisation intérieure du nouveau pouvoir gaulliste grand-européen en place à Paris, déstabilisation envisagée par l'exacerbation de certains conflits sociaux d'envergure, de nature de plus en plus ouvertement insurrectionnelle, visant jusqu'à la rupture intérieure même de la société française actuelle, des conflits, par ailleurs, manigancés et conduits, secrètement, sur le terrain, par des éléments de la CIA opérationnellement détachés sur Paris et sur toute la France, la CIA montait, en plus, une action d'écran préventionnel où certains de ses éléments —plus ou moins déjà "brûlés"— étaient sacrifiés à dessein —et ce sur des indiscrétions directement filtrées depuis l'Ambassade des Etats-Unis a Paris— dans la cadre d'un montage obligeant quand même les structures françaises de sécurité à procéder au démantèlement d'un soi-disant "réseau américain", fabriqué de toutes pièces, un fantasmagorique "réseau américain de renseignement, de pénétration et d'influence à couvert des milieux gouvernementaux et diplomatiques parisiens", en somme le double en faux du vrai lui aussi là, mais celui-ci profondément secret, et déjà prêt à servir, à passer à l'action.

 

De manière à ce que, ultérieurement, et pour être plus précis à la veille même du déclenchement des grèves insurrectionnelles organisées, en France, en décembre 1995, par la CIA agissant à travers ses entrées spéciales à Force Ouvrière et au sein aussi de certains clans dormants de la nébuleuse trotskyste, Washington puisse annoncer, officiellement, que la CIA se serait vue intimer, sur dispositions supérieures, de renoncer immédiatement à toutes ses activités de renseignement ou d'influence à couvert en territoire français.

 

Enfin, du point de vue de l'impérialisme planétaire grand-océanique des Etats-Unis, la mission géopolitique dérivée de la Chine happée par leur propre dispositif d'intervention vers le cœur du Grand Continent Eurasiatique devient ouvertement une mission anti-continentale, de poussée divergeante et déstabilisatrice, mettant directement en danger les passions communautaires grand-continentales de l'Inde, du Japon, de la Grande Sibérie. Et ne l'oublions pas: la nouvelle émergence politico-militaire de la Chine en tant que superpuissance eurasiatique et planétaire devant faire contre-poids aux projets européens pour l'engagement révolutionnaire impérial du Grand Continent passe, aujourd'hui, par la normalisation —dans le sens brejnevien du terme, le bon, que l'on avait si parfaitement su exploiter, le bel été 1968, à Prague— de l'ensemble de la situation politique du Sud-Est asiatique et, surtout, par l'intégration forcée, à brève échéance, de la "province rénégate" de Taïwan.

 

D'où le formidable regain des mouvements de forces en remontée, encore indéchiffrables, des activités politico-militaires souterraines dans tout le Sud-Est asiatique, mouvements dont le Pakistan sous l'invisible contrôle américain, représente aujourd'hui la plate-forme opérationnelle décisive, lieu de rencontre et de compétition révolutionniare des poussées américano-chinoise et américano-islamiste, en attendant que le troisième terme américain finisse par devenir lui-même invitation à un choix non dialectique, et comme le butoir même de la déflagration finale.

 

Et que revive le Pôle du Soleil Levant!

 

De toute évidence, c'est bien pour répondre au retour en force de la Chine sur la scène de l'histoire actuelle du Grand Continent que le Japon a déjà dû prendre confidentiellement une série de contre-mesures en projet qui, par des paliers successifs, ont fini par faire que, aujourd'hui, l'Empire du Soleil Levant —ce que nous appelons le Pôle du Soleil Levant de notre futur Empire Eurasiatique de la Fin— dispose du deuxième budget militaire national de la planète, immédiatement après les Etats-Unis.

 

D'autre part, Tokyo est à l'heure actuelle en train de procéder —vue la situation de plus en plus dramatiquement préoccupante dans la région, où la Chine ne pourra désormais plus ne pas agir ou, comme on dit, "ne pas commettre l'irréparable" à l'intégration accélérée en une seule structure opérationnelle sommitale des services de renseignements politico-militaires des trois Armées - Terre, Air, Mer de l'Etat-Major Général, et du Ministère de la Défense.

 

En même temps, émanation directe du sommet intégré des services de renseignements militaires, une "délégation spéciale, permanente et secrète" va prendre sous son contrôle immédiat la direction générale du nouvel ensemble en préparation des services civils de la sécurité. Des informations de source tout à fait certaine et amie font en effet état non seulement d'une très prochaine "réorganisation en profondeur" de l'ensemble des forces civiles de la sécurité nationale, mais aussi de la mise sur pied, en urgence, de nouvelles structures de renseignement politico-opérationnel se situant à des niveaux inhabituels, polarisés par les dialectiques spéciales de la "guerre secrète", voire la "guerre occulte" et les zones d'investissement social et des influcnces politiques et culturelles clandestines de celle-ci. De tous ces changements en cours, une assez vertigineuse signification semble se dégager, qui concerne en premier lieu le renouveau intérieur de notre Pôle du Soleil Levant et sa nouvelle émergence impériale actuelle, eurasiatique et planétaire.

 

Le retour, au Japon, des Forces Armées au premier plan du pouvoir politique agissant ne saurait cependant pas être fait ni même envisagé —on le comprendrait à moins— sans l'appel à une couverture tout à fait massive des forces civiles nationales. Ainsi la désignation à la tête du "Parti Libéral Démocrate" (PLD) de Ryutaro Hashimoto, vice-premier ministre, en charge du MITI (Ministère du Commerce International et de l'Industrie), l'homme de la ligne nationale et impériale japonaise la plus intransigeante face aux Etats-Unis, ainsi que l'élection, le 27 décembre dernier, d'Ichiro Ozawa, à la direction du Parti de la Nouvelle Frontière, le Shin-shito, doctrinaire d'une réconsidération totale de la place actuelle du Japon dans le cadre de la nouvelle politique planétaire, prennent-elles soudain une importance qui dépasse de loin le seul plan des affaires politiques intérieures nippones, pour rejoindre la zone décisive suprême où émerge à nouveau le Pôle du Soleil Levant et ses grandes missions eurasiatiques et planétaires.

 

D'ailleurs, dans l'ombre, les jeux sont faits: en avril 1996, ce sera bien Ryutaro Hashimoto qui sera le nouveau Premier Ministre du Japon, le douteux et néfaste Tomiichi Murayama, socialiste, devant passer à la trappe. Ou, peut-être, tout de suite.

 

Les retrouvailles de Jacques Chirac, de Jacques Chirac en tant que Chef de l'Etat français, avec le Japon, porteront donc Jacques Chirac, en juin prochain, à la rencontre de Ryutaro Hashimoto, l'homme du Grand Renouveau, tout comme, pour sa nouvelle rencontre avec l'Allemagne, le nouveau Chef de l'Etat français s'est porté à la rencontre de Helmut Kohl, à Baden-Baden, en décembre 1995, où s'est faite la Nouvelle Europe.

 

Jacques Chirac et Helmut Kohl, à Baden-Baden, décembre 1995

 

Or cette même évolution polaire au sein des services de renseignements militaires, interceptée au Japon, est très vite apparue en Europe aussi: à la suite de la réunion franco-allemande au sommet ayant eu lieu en décembre 1995 à Baden-Baden, entre Jacques Chirac et Helmut Kohl, la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne ont à leur tour décidé la mise en piste d'urgence d'une communauté polaire de l'ensemble des services de renseignements militaires européens, le "noyau dur" des quatre de Baden-Baden devant aussi assurer, par la suite, l'accueil des autres services de renseignements militaires des pays intégrant la plus Grande Europe.

 

En plus, lors de cette même réunion franco-allemande de Baden-Baden, il a été également décidé de la mise en commun de l'Aérospatiale française et de la DASA allemande (DASA, Daimler Benz Aerospace) dans le cadre d'un vaste programme européen pour l'industrie des missiles, des satellites et de la poursuite des projets spatiaux grands-européens. Ce programme prévoit la mise en œuvre immédiate du satellite-espion à infra-rouges Hélios II (12 milliards de francs) et du satellite-espion à radar Horus (13 milliards de francs). L'exécution de ces premiers programmes sera confiée, simultanément, aux usines allemandes de Friederichshafen et aux établissements industriels français de Cannes.

 

En fait, c'est bien le 8 décembre 1995, à Baden-Baden, que le noyau politico-militaire originel de notre futur Empire Eurasiatique de la Fin est né, et que "la saison de Yalta" a véritablement pris fin. C'est depuis ce jour-là que nous sommes libres.

 

Baden-Baden c'est en tout état de cause le Contre-Yalta, le triomphe final de l'Europe face à la conspiration géopolitique négative des Puissances Extérieures.

 

Ce jour-là, c'est la vérité de notre propre vérité qui nous a donc rendus libres, et les pouvoirs de projection historique directe de cette vérité déjà agissante-là, déjà à l'œuvre. Tombée, à Yalta, sous la domination des Puissances Extérieures dont, en premier lieu, les Etats-Unis et l'Union Soviétique, ainsi qu'en en subissant, dans l'ombre, le terrible assujetissement aux puissances occultes se tenant derriere celles-ci et les manipulant à des fins encore et toujours inavouables, l'Europe —la plus Grande Europe— retrouve donc à présent sa place dans la nouvelle histoire révolutionnaire du monde, et sa souveraineté entière, à Baden-Baden, où, tout comme le Général de Gaulle avait donné à la France sa liberté nucléaire, Jacques Chirac a donné à l'Europe sa liberté spatiale et supraspatiale ultime. Ainsi voit-on qu'il n'y a de liberté que militaire, qu'il n'y de liberté qu'impériale.

 

Quelque part, tout se passe comme si, forcé par les délais de la contrainte extérieure et les circonstances négatives intérieures que l'on vient de voir à l'œuvre, Jacques Chirac ait compris que, pour faire l'Europe —la Grande Europe— en temps encore utile, ce n'est pas l'Europe économique, ni même l'Europe politique, voire l'Europe des cultures qu'il faille envisager de faire, mais l'Europe Militaire. Idée impériale s'il en fut, à laquelle tous les partenaires européens de la France et l'ensemble des Pôles de Soutènement de la future grande entité impériale eurasiatique —le Japon, l'Inde— ne peuvent pas ne pas répondre immédiatement, et idée par laquelle la France y trouve automatiquement sa place centrale, décisive, sa place prédestinée. C'est l'dée pour laquelle il fallait se battre à mort. Et c'est pourquoi Jacques Chirac s'est battu à mort. Avec, à ses côtés, Helmut Kohl, jusqu'à la fin.

 

L'Europe Militaire, c'est l'Europe de l'Espace. Pour que l'on puisse se rendre compte de la portée profondément cachée, inavouable, des enjeux régis par la rencontre et les décisions au sommet prises en décembre 1995, à Baden-Baden, par Jacques Chirac et Helmut Kohl, il suffit de savoir que le fort suspect John Deutch, directeur démocrate de la CIA démocrate de Bill Clinton, s'est lui-même déplacé, par quatre fois, à Bonn, pour essayer de dissuader Helmut Kohl de suivre Jacques Chirac dans ses projets métapolitiques visionnaires concernant le Grand Continent Eurasiatique commis en chantier par le gaullisme révolutionnaire. De son côté, Bill Clinton n'a pas hésité à téléphoner lui-même, à plusieurs reprises, à Helmut Kohl, auprès duquel il dépêcha aussi, au moment culminant, l'étrange secrétaire d'Etat Richard Holbrooke ("l'homme sans bagages et de tous les chantages"). Mais rien n'y fit.

 

La vision gaulliste révolutionnaire hantant Jacques Chirac, la vision de la plus Grande Europe et de ses futures destinées impériales eurasiatiques, et la résolution inspirée, fidèle et géniale, allemande, de Helmut Kohl, sont parvenues, ensemble, à donner un nouveau commencement à l'histoire européenne du monde et aux destinées planétaires de l'Europe interdite d'histoire depuis 1945.

 

En décembre 1995, grâce à Jacques Chirac et à Helmut Kohl, une nouvelle superpuissance planétaire est née, la plus Grande Europe, mobilisant, pour commencer, 400 millions d'hommes et se trouvant déjà en mesure d'aligner une puissance politico-militaire, économique, démographique et culturelle face à laquelle les Etats-Unis se retrouvent dans une situation de seconde, voire de troisième position, situation que Washington et les tenants de la puissance américaine intérieure, occulte, sont loin de pouvoir accepter, même devant le fait accompli. La troisième guerre mondiale est donc en principe là.

 

Il est donc grand temps que la communauté polaire des renseignements militaires de l'Europe de l'Ouest —dont les buts plus proprement politiques sont encore tenus sous réserve— puisse passer au stade suivant, déjà. Stade où, dans la perspective de ce que nous appelons, nous, le projet de l'Empire Eurasiatique de la Fin, cette communauté polaire du renseignement militaire européen vienne à intégrer, aussi, les représentations au sommet des services analogues de la Russie, du Japon et de l'Inde.

 

''La Quatrième Clef de Voûte"

 

On voit bien à présent par où passe la ligne de front. Toujours indiscernable pour les regards non prévenus, un même ennemi —toujours le même— se tient à l'affût derrière tout ce qui s'oppose à l'actuelle volonté impériale grande-européenne de la France gaulliste et de ceux qui se sentent appartenir à la même communauté de haut destin, appelés par la même mission secrète suprahistorique.

 

Les grèves insurrectionnelles antinationales et anti-européennes de décembre 1995 en France, le sabotage des relations stratégiques de la France avec le Pôle Indien portent, nous nous en sommes quand même aperçus à temps, les traces corrosives de la même griffe. Il faut seulement réapprendre à voir, toutes les grandes batailles vont être, désormais, comme toutes les guerres vraiment grandes, de plus en plus occultes, de plus en plus située dans les territoires de l'invisible. Il faudra donc que nous nous y fassions, et tout de suite.

 

Ainsi, laissant brutalement de côté les prétextes de diversion nécessaires à la circonstancialisation de toute manœuvre poursuivie jusque sur le terrain, les grèves insurrectionnelles "françaises" de décembre 1995 n'avaient en réalité qu'un seul but, un but qui expliquera les étranges complicités de fait dont celles-ci avaient bénéficié de la part de qui l'on s'eût attendu vraiment le moins: car, en réalité, ce but stratégique de pointe était celui de saboter —sur le coup même, et en même temps d'installer les conditions d'une continuité de cette même action de sabotage dans le futur— l'actuelle politique totale d'intégration grande-européenne de la France gaulliste et partant d'empêcher la naissance de ce que Hervé de Charette, le ministre des Affaires Etrangères de Jacques Chirac, appelait, dans son extraordinaire entretien avec Le Figaro  du 20 décembre 1995, la Nouvelle Europe. Hervé de Charette: "Pour la première fois de notre histoire, nous allons réaliser l'unité de notre continent. Ce sera mieux que Charles Quint".

 

Dans Le Figaro  encore, Michel Massenet, Conseiller d'Etat, écrivait bien clairement, le 18 décembre dernier, au sujet de Marc Blondel: le leader FO vise l'Europe au cœur, et il le sait. Mais nous aussi on le sait.

 

Or tout cela devient d'une gravité ultime, dramatique, provocante, mais incontournable aussi, quand on a compris que dans les plans des agitateurs conspirationnels socialo-communistes et trotskystes le mois de janvier 1996 les masques devront tomber, tous, et que les mouvements insurrectionnels soi-disant syndicalistes vont se présenter ouvertement comme un "Front Social uni" contre l'Europe ("contre l'Europe et pour l'emploi", etc).

 

Il faudra donc faire le nécessaire. Car ces rassemblements de toutes les conspirations, de tous les complots anti-français et anti-européens mobilisés pour appuyer le grèves insurrectionnelles de janvier devront alors être tirés au clair, et il y aura dans ce cas des surprises exécrables et immenses à faire prendre en compte même chez certains de nos plus proches amis. L'histoire de France s'apprête à devoir vomir un long passé de ténèbres, et ce sera son rituel vomitto negro, toutes les boues noires de l'ancienne tragédie française et le grand renouveau salutaire.

 

D'autre part, nous avons tenu à situer dans son contexte profond l'actuel sabotage des relations stratégiques franco-indiennes. Point n'est-il donc besoin d'insister pour que l'on comprenne que, dans l'horizon dialectique de cet ensemble de considérations finales, l'inconcevable dérapage administratif français convaincu de fournir à un Etat qui, comme le Pakistan, appartient à la ligne de front des puissances subversivement engagées contre la France et contre la totalité agissante de la grande politique eurasiatique de la France gaulliste, du matériel stratégique hautement significatif, destiné à assumer un rôle singulièrement décisif dans les déroulements prévisibles d'une crise désormais sans doute prochaine, devient, en quelque sorte symboliquement même, une action dont il faut signaler, et produire, aussi, en direction de nos compagnons et camarades du régime gaulliste révolutionnaire actuellement en place à Paris, le suivi des culpabilités cachées, les mesures d'arrêt et de démantèlement de l'opération en cours, défaire donc par fidélité ce qui a été fait ou a failli se faire par trahison, envisager les sanctions exigées ne fût-ce que par l'extrême gravités des enjeux et de l'heure.

 

Telle est notre tâche, notre devoir et notre volonté d'être là, précisément, où nous appellent les missions qui sont nôtres. La sécurité politico-révolutionnaire qu'une entreprise géopolitique continentale de la taille de celle dont nous nous voulons et nous sommes l'avant-garde idéologique et activiste ne se divise pas, de même que ne se divise le principe agissant de l'Imperium dont nous annonçons le prochain avènement et dont le Pôle Indien est la quatrième clef de voûte, la clef de voûte tournée vers la lumière antérieure de notre propre être, de notre plus haute conscience révolutionnaire et impériale à venir.

 

Jean PARVULESCO.

 

dimanche, 26 octobre 2008

Les fondements helléniques de la future "Révolution conservatrice" russe

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Les fondements helléniques de la future “Révolution Conservatrice” russe

 

Entretien avec Vladimir Wiedemann

 

Q.: Quand vous avez écrit votre livre “Znaki Imperii”, quelles étaient vos motivations?

 

VW: Après les événements d'octobre 1993, sur les ruines de l'ancien ordre communiste, on n'a pas créé un ordre nouveau. Commence alors pour la Russie une période d'extrême perméabilité, où toutes les tentatives de créer un ordre politico-social nouveau  —de quelque nature que ce soit—  ont eu lieu. C'est dans ce contexte que j'ai décidé d'apporter ma propre contribution, de donner mon propre point de vue et d'indiquer une voie alternative, tout en proposant une interprétation prospective de l'histoire européenne en général mais cette fois d'un point de vue russe: cette interprétation avait déjà été amorcée en son temps par le régime communiste, mais on ignorait ces démarches en Europe occidentale.

 

Q.: Pouvez-vous nous résumer brièvement les principaux arguments de votre livre?

 

VW: Je peux le résumer en dix points principaux, qui figurent d'ailleurs dans mon ouvrage, sous forme d'un chapitre autonome. Il me paraît nécessaire de citer in extenso  au moins un de ces dix points, en commençant par l'envoi de l'Evangile selon St. Jean: «Au départ, il y a le Verbe, et le Verbe est auprès de Dieu et Dieu est le Verbe» (Jean, 1,1). Le Verbe (le Logos) est création de Dieu, son Institution Absolue. L'Institution qui se manifeste par le Verbe est la Hiérarchie qui, en tant que telle, est l'Empire. L'idée d'Empire est sacrée dans l'absolu et est éternelle: elle est la mesure de l'ordre hiérarchique qui précède toute création émanant du Logos. L'idée d'Empire est le fondement créé par Dieu pour ordonner le monde des hommes; l'idée d'Empire est une Forme sanctionnant l'institutionalisation de l'Etre dans l'Histoire, laquelle est le “temps humain” (l'Eon), déterminé par la Providence. L'histoire humaine, qui devrait être déterminée par l'idée d'Empire, s'étend du jour de la création d'Adam jusqu'au jour du Jugement Dernier. Tel est le temps donné pour réaliser l'idée d'Empire, pour parfaire la Genèse de l'être social et de l'ordre des hommes. L'Homme, dans l'absolu, fait partie de la Hiérarchie Céleste et la Porte du Salut et de la Vie éternelle lui est ouverte.

 

La société ordonnée selon des principes absolus est le Règne terrestre, reflet du Régne céleste. Ce Règne de la Vérité dominera la Terre et réalisera la prophétie évangélique du Règne millénaire de Dieu qui sera suivi par le Jugement Dernier, la Fin du Monde, la fin de l'histoire humaine à l'enseigne du Verbe divin.

 

Le premier à avoir annoncé l'idée du Vrai Règne est Jésus Christ: c'est pour cette raison qu'il est le Roi des Rois, le César (Tsar) sacré. A travers sa personne, avec la bénédiction de l'esprit saint, advient la Communion dans l'Ordre supérieur, l'avènement de l'idée d'Empire sous la forme de l'Eglise avec la Hiérarchie Céleste. Le jour où l'esprit saint est descendu sur les Apôtres est le jour où s'est réalisé le testament de la Terre sainte. C'est le jour de la fondation de l'Eglise chrétienne sous la forme d'une communauté apostolique, premier signe de l'incarnation de la Sainte Vérité de l'idée d'Empire, dans l'orbite d'une société et d'un monde marqué par le péché (un monde cosmico-païen). La Communauté apostolique est historiquement la première institution sociale d'ordre divin et humain, constitue le cadre idéal et primordial de l'Eglise écouménique et, simultanément, de l'Empire écouménique. L'orthodoxie est une tradition qui exprime authentiquement une forme institutionnelle de ce type, car elle affirme le culte du Pouvoir impérial, car elle tire sa légitimité de Byzance, où se manifestait la construction symphonique de l'Empire chrétien dans sa forme la plus classique. Byzance constitue en effet l'apparition de l'Ordre hiérarchique du Règne céleste, tel qu'il a été conçu par les premiers chrétiens, mais, sur le plan théologique, l'idée impériale ne se réalisera vraiment qu'à la fin des temps. La Russie est l'héritière de l'idée impériale orthodoxe-byzantine: c'est pourquoi Moscou est perçue comme la “Troisième Rome”, nouveau pôle écouménique des civilisations, ce qui revient à dire que Moscou est pour nous le pôle de l'Esprit actif du droit divin dans l'ordre humain: de l'Harmonie symphonique entre la vérité évangélique et le Droit romain.

 

Q.: En analysant votre point de vue, on peut affirmer que vous désirez le reconstitution d'une Tradition chrétienne-impériale. Mais comment cela pourrait-il être possible, vu le type de vie que vivent les hommes d'aujourd'hui, vu la façon dont on interprète le monde de nos jours, vu les dispositions intérieures de l'homme moderne face à la nature et à la société? Comment sur d'aussi mauvaises bases pourra-t-on reconstruire l'ordre traditionnel que vous envisagez?

 

VW: En Russie, l'Eglise est en train de renaître et elle est bien vivante, tout comme les valeurs traditionnelles qu'elle véhicule: c'est à partir de cette renaissance qu'on pourra tenter une reconquista et une refondation, pour la Russie, d'une identité historique après la parenthèse soviétique. Avec mon livre, je veux aider à promouvoir une telle reconquista, accentuer cette tendance générale vers la traditionalité, vers la recherche d'une authentique identité historique. Cette tendance actuelle vers une restructuration de l'Eglise et de l'Empire russes ne doit pas être interprétée seulement comme une vision conservatrice, mais comme une véritable révolution, une révolution conservatrice qui envisage de façonner l'avenir selon ses principes.

 

Q.: Si votre révolution conservatrice prend forme, elle prendra forcément forme en Russie et donnera naissance à un nationalisme qui sera incompréhensible en Europe occidentale, où on n'imagine plus qu'une société libérale-capitaliste et fondamentalement athée? De votre point de vue, la Russie ne serait pas en mesure de proposer pour l'avenir une vision universelle, acceptable en tant que telle par les Européens catholiques et protestants ou par les populations de la Fédération de Russie qui sont de tradition islamique?

 

VW: Je crois que notre vision orthodoxe pourra séduire Catholiques, Protestants et Musulmans, parce qu'à la base de la culture européenne chrétienne orthodoxe et catholique, voire à la base de nombreux fondements culturels dans l'aire islamique, nous trouvons l'hellénisme qui permet la convergence entre ces trois traditions qui se sont déployées dans l'Eurasie. Déjà avec Alexandre le Grand l'hellénisme a eu la fonction d'agréger les diverses cultures et peuples des Balkans à l'Indus et du Nil à la Sogdiane. Ensuite, l'hellénisme a servi à étayer toutes les constructions philosophiques du christianisme. Il a survécu à la chute de l'Empire romain occidental dans l'Empire byzantin et dans l'Eglise orthodoxe. Enfin, il a influencé de nombreux philosophes islamiques. Moscou, en tant qu'héritière de Byzance, est aussi, en même temps, l'héritière de Rome et d'une vision universelle de l'Empire. Dans ce sens, la voie russe de la révolution conservatrice universelle qui prend appui sur l'Eglise et sur l'Empire, n'est pas une voie qui s'oppose à une voie analogue ouest-européenne mais au contraire une voie qui fait référence aux mêmes fondements helléniques. Je prône donc une révolution conservatrice pour susciter une nouvelle renaissance qui se réfèrera au passé, mais non dans le but de répéter le mode antique. Je veux une révolution pour forger l'avenir! Je pense à une renaissance russe qui ne s'exprimera pas par l'anti-catholicisme mais renouera avec l'héritage byzantin.

 

Q.: Il me semble pourtant, vu l'actuel système économique en vigueur dans le monde entier depuis la chute du soviétisme, que proposer un statut antérieur à celui de 1914, nonobstant le regain d'intérêt pour les valeurs traditionnelles, est une impossibilité pratique et constitue un choix extrêmement dangereux pour l'humanité entière, étant donné le niveau de technicité et d'efficacité des armements modernes. Dans votre vision d'une révolution conservatrice tournée vers l'avenir, quelles sont les solutions économiques qui permettront à tous de se dégager de la cangue du modernisme et de retourner aux valeurs spirituelles antiques et universelles?

 

VW: Nous n'avons pas l'intention de reconstituer un ordre économique semblable à celui qu'il y avait avant 1914! Le nouvel ordre économique devra se baser sur un nouveau droit qui règlera les rapports entre propriété privée et propriété collective. Dans ce droit, l'Eglise, elle aussi, aura un rôle économique à jouer, de même que l'appareil militaire qui, par sa nature même, relève du collectif. Tout cela dans le perspective traditionnelle byzantine de la “symphonie”, de l'union harmonique du peuple, de l'Eglise et du Pouvoir (impérial). Le Pouvoir impérial, incarné par le Tsar, s'exercera à vie et sera élu par ceux qui auront le titre de sénateur, avec l'approbation des hiérarques supérieurs de l'Eglise. Le Tsar n'aura pas le droit de transmettre son titre ni par voie héréditaire ni en vertu de désirs personnels. Le Tsar confirmera l'élection par le Sénat du chef du gouvernement qui aura pour tâche de former le cabinet des ministres. Le Tsar aura le droit de veto contre toute décision prise par le gouvernement et le droit de suspendre celui-ci. Autour du Tsar se constituera un organe de gouvernement, la “Chancellerie de l'Empire” qui comprendra le ministre de l'intérieur, ainsi que celui de la défense, et les membres de la Commission des problèmes immobiliers, la gestion des affaires religieuses et le Conseil supérieur de la Constitution. Le Tsar est le chef militaire absolu, ce qui implique de réorganiser totalement l'appareil militaire avec l'appui de la société et dans la société.

 

Avant d'arriver aux problèmes économiques, je voudrais évoquer cette réforme militaire, que je résumerai aux points suivants:

a) Constitution d'un “fond territorial impérial” qui sera subdivisé en latifundia distribués aux officiers de carrière (y compris ceux qui sont pensionnés) ainsi qu'aux vétérans. Création de latifundia pour les Cosaques et fondation de colonies pour les Cosaques, assorties d'une forme spéciale d'autonomie.

 

b) Création d'une gestion impériale pour tout le complexe de la Défense, en trois secteurs: un secteur productif, un secteur pour les fournitures, un secteur pour la recherche (avec une branche pour l'instruction et une autre pour la spécialisation). Tout travail au sein d'une entreprise axée sur la défense équivaut à un service militaire, cependant, après un long service, cette catégorie de travailleurs ne recevra pas de latifundia, mais une participation équivalente en actions. La fourniture en biens alimentaires pour l'armée et l'industrie de la défense sera la tâche des propriétaires de latifundia émanant du fond territorial impérial. Précisons que ces latifundia, sauf exception, ne seront pas héréditaires.

 

Pour ce qui concerne l'Eglise, les points suivants devront être pertinents sur le plan économique:

a) Création d'un fond spécial de propriété foncière pour l'Eglise et pour les monastères qui sera redistribué à chaque communauté ecclésiale particulière et à chaque monastère.

 

b) Implication de l'Eglise dans la politique sociale de l'Etat. Intronisation d'une magistrature ecclésiastique chargée de contrôler toutes les institutions et les organisations de l'Etat gérant l'assistance publique, comme par exemple, les institutions de l'Etat en charge d'assister les enfants en bas âge, de gérer les cures de revalidation et d'assurer l'assistance sanitaire. L'approvisionnement de toutes ces institutions en biens alimentaires devra être assuré par les fonds agricoles de l'Eglise et des monastères.

 

c) Création de petites manufactures, de services sociaux, de centres culturels et de centres d'instruction populaires sous le contrôle de l'Eglise.

 

d) Implication des représentants de l'Eglise dans l'activité des organes administratifs municipaux et dans toutes les instances des tribunaux (les tribunaux seront mixtes).

 

Entre l'armée et l'Eglise, il faudra assurer le développement d'une caste de petits et de moyens propriétaires. La fonction de l'Empereur, outre celles que nous avons déjà évoquée, sera de garantir l'équilibre harmonieux entre tous ces groupes.

 

Q.: Comme vous le savez, à l'intérieur de la Fédération de Russie vivent de fortes communautés islamiques. L'Islam n'est pas seulement une tradition spirituelle ou religieuse, mais avance également une conception de l'économie et de la société, indissociable de la foi et de la pratique religieuses. Comment voyez-vous le rapport que pourront entretenir ces communautés islamiques avec cette vision byzantine et orthodoxe de l'Empire?

 

VW: Je vois clairement à quelles conceptions du droit et de l'économie en Islam vous faites référence et je pense que les peuples musulmans auront toute la liberté d'appliquer leur forme de droit à l'intérieur de leurs propres communautés islamiques, à condition bien sûr que l'exercice de ce droit ne contribue pas à déstabiliser l'harmonie de l'Empire.

(entretien paru dans Orion n°138-139, 3/4-1996, propos recueillis par Haroun Abdel Nour; trad. franç.: Robert Steuckers).

lundi, 20 octobre 2008

Spengler: Atlantis, Kasch et Turan

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Robert Steuckers:

 

Les matrices préhistoriques des civilisations antiques dans l'œuvre posthume de Spengler: Atlantis, Kasch et Turan

Généralement, les morphologies de cultures et de civilisations proposées par Spengler dans son ouvrage le plus célèbre, Le déclin de l'Occident, sont les seules à être connues. Pourtant, ses positions ont changé après l'édition de cette somme. Le germaniste italien Domenico Conte en fait état dans son ouvrage récent sur Spengler. En effet, une étude plus approfondie des textes posthumes édités par Anton Mirko Koktanek, notamment Frühzeit der Weltgeschichte, qui rassemble les fragments d'une œuvre projetée mais jamais achevée, L'épopée de l'Homme.

 

Dans la phase de ses réflexions qui a immédiatement suivi la parution du Déclin de l'Occident, Spengler distinguait quatre stades dans l'histoire de l'humanité, qu'il désignait tout simplement par les quatre premières lettres de l'alphabet: a, b, c et d. Le stade “a” aurait ainsi duré une centaine de milliers d'années, aurait recouvert le paléolithique inférieur et accompagné les premières phases de l'hominisation. C'est au cours de ce stade qu'apparaît l'importance de la “main” pour l'homme. C'est, pour Spengler, l'âge du Granit. Le stade “b” aurait duré une dizaine de milliers d'années et se situerait au paléolithique inférieur, entre 20.000 et 7000/6000 avant notre ère. C'est au cours de cet âge que naît la notion de vie intérieure; apparaît “alors la véritable âme, inconnue des hommes du stade “a” tout comme elle est inconnue du nouveau-né”. C'est à partir de ce moment-là de son histoire que l'homme “est capable de produire des traces/souvenirs” et de comprendre le phénomène de la mort. Pour Spengler, c'est l'âge du Cristal. Les stades “a” et “b” sont anorganiques.

 

Le stade “c” a une durée de 3500 années: il commence avec le néolithique, à partir du sixième millénaire et jusqu'au troisième. C'est le stade où la pensée commence à s'articuler sur le langage et où les réalisations techniques les plus complexes deviennent possibles. Naissent alors les “cultures” dont les structures sont de type “amibien”. Le stade “d” est celui de l'“histoire mondiale” au sens conventionnel du terme. C'est celui des “grandes civilisations”, dont chacune dure environ 1000 ans. Ces civilisations ont des structures de type “végétal”. Les stades “c” et “d” sont organiques.

 

Spengler préférait cette classification psychologique-morphologique aux classifications imposées par les directeurs de musée qui subdivisaient les ères préhistoriques et historiques selon les matériaux utilisés pour la fabrication d'outils (pierre, bronze, fer). Spengler rejette aussi, à la suite de cette classification psychologique-morphologique, les visions trop évolutionnistes de l'histoire humaine: celles-ci, trop tributaires des idéaux faibles du XVIIIième siècle, induisaient l'idée “d'une transformation lente, flegmatique” du donné naturel, qui était peut-être évidente pour l'Anglais (du XVIIIième), mais incompatible avec la nature. L'évolution, pour Spengler, se fait à coup de catastrophes, d'irruptions soudaines, de mutations inattendues. «L'histoire du monde procède de catastrophes en catastrophes, sans se soucier de savoir si nous sommes en mesure de les comprendre. Aujourd'hui, avec H. de Vries, nous les appelons “mutations”. Il s'agit d'une transformation interne, qui affecte à l'improviste tous les exemplaires d'une espèce, sans “causes”, naturellement, comme pour toutes les choses dans la réalité. Tel est le rythme mystérieux du réel» (L'homme et la technique). Il n'y a donc pas d'évolution lente mais des transformations brusques, “épocales”. Natura facit saltus.

 

trois cultures-amibes

 

Dans le stade “c”, où émergent véritablement les matrices de la civilisation humaine, Spengler distingue trois “cultures-amibes”: Atlantis, Kasch et Turan. Cette terminologie n'apparaît que dans ses écrits posthumes et dans ses lettres. Les matrices civilisationnelles sont “amibes”, et non “plantes”, parce que les amibes sont mobiles, ne sont pas ancrées dans une terre précise. L'amibe est un organisme qui émet continuellement ses pseudopodes dans sa périphérie, en changeant sans cesse de forme. Ensuite, l'amibe se subdivise justement à la façon des amibes, produisant de nouvelles individualités qui s'éloignent de l'amibe-mère. Cette analogie implique que l'on ne peut pas délimiter avec précision le territoire d'une civilisation du stade “c”, parce que ses émanations de mode amibien peuvent être fort dispersées dans l'espace, fort éloignées de l'amibe-mère.

 

“Atlantis” est l'“Ouest” et s'étend de l'Irlande à l'Egypte; “Kasch” est le “Sud-Est”, une région comprise entre l'Inde et la Mer Rouge. “Turan” est le “Nord”, s'étendant de l'Europe centrale à la Chine. Spengler, explique Conte, a choisi cette terminologie rappelant d'“anciens noms mythologiques” afin de ne pas les confondre avec des espaces historiques ultérieurs, de type “végétal”, bien situés et circonscrits dans la géographie, alors qu'eux-mêmes sont dispersés et non localisables précisément.

 

Spengler ne croit pas au mythe platonicien de l'Atlantide, en un continent englouti, mais constate qu'un ensemble de sédiments civilisationnels sont repérables à l'Ouest, de l'Irlande à l'Egypte. ‘Kasch” est un nom que l'on retrouve dans l'Ancien Testament pour désigner le territoire de l'antique Nubie, région habitée par les Kaschites. Mais Spengler place la culture-amibe “Kasch” plus à l'Est, dans une région s'articulant entre le Turkestan, la Perse et l'Inde, sans doute en s'inspirant de l'anthropologue Frobenius. Quant à “Turan”, c'est le “Nord”, le haut-plateau touranique, qu'il pensait être le berceau des langues indo-européennes et ouralo-altaïques. C'est de là que sont parties les migrations de peuples “nordiques” (il n'y a nulle connotation racialisante chez Spengler) qui ont déboulé sur l'Europe, l'Inde et la Chine.

 

Atlantis: chaude et mobile; Kasch: tropicale et repue

 

Atlantis, Kasch et Turan sont des cultures porteuses de principes morphologiques, émergeant principalement dans les sphères de la religion et des arts. La religiosité d'Atlantis est “chaude et mobile”, centrée sur le culte des morts et sur la prééminence de la sphère ultra-tellurique. Les formes de sépultures, note Conte, témoignent du rapport intense avec le monde des morts: les tombes accusent toujours un fort relief, ou sont monumentales; les défunts sont embaumés et momifiés; on leur laisse ou apporte de la nourriture. Ce rapport obsessionnel avec la chaîne des ancêtres porte Spengler à théoriser la présence d'un principe “généalogique”. Les expressions artistiques d'Atlantis, ajoute Conte, sont centrées sur les constructions de pierre, gigantesques dans la mesure du possible, faites pour l'éternité, signes d'un sentiment de la vie qui n'est pas tourné vers un dépassement héroïque des limites, mais vers une sorte de “complaisance inerte”.

 

Kasch développe une religion “tropicale” et “repue”. Le problème de la vie ultra-tellurique est appréhendé avec une angoisse nettement moindre que dans Atlantis, car, dans la culture-amibe de Kasch domine une mathématique du cosmos (dont Babylone sera l'expression la plus grandiose), où les choses sont d'avance “rigidement déterminées”. La vie d'après la mort suscite l'indifférence. Si Atlantis est une “culture des tombes”, en Kasch, les tombes n'ont aucune signification. On y vit et on y procrée mais on y oublie les morts. Le symbole central de Kasch est le temple, d'où les prêtres scrutent la mathématique céleste. Si en Atlantis domine le principe généalogique, si les dieux et les déesses d'Atlantis sont père, mère, fils, fille, en Kasch, les divinités sont des astres. Y domine un principe cosmologique.

 

Turan: la civilisation des héros

 

Turan est la civilisation des héros, animée par une religiosité “froide”, axée sur le sens mystérieux de l'existence. La nature y est emplie de puissances impersonnelles. Pour la culture-amibe de Turan, la vie est un champ de bataille: “pour l'homme de ce Nord (Achille, Siegfried)”, écrit Spengler, “seule compte la vie avant la mort, la lutte contre le destin”. Le rapport hommes/divin n'est plus un rapport de dépendance: “la prostration cesse, la tête reste droite et haute; il y a “moi” (homme) et vous (les dieux)”. Les fils sont appelés à garder la mémoire de leurs pères mais ne laissent pas de nourriture à leurs cadavres. Pas d'embaumement ni de momification dans cette culture, mais incinération: les corps disparaissent, sont cachés dans des sépultures souterraines sans relief ou dispersés aux quatre vents. Seul demeure le sang du défunt, qui coule dans les veines de ses descendants. Turan est donc une culture sans architecture, où temples et sépultures n'ont pas d'importance et où seul compte un sens terrestre de l'existence. L'homme vit seul, confronté à lui-même, dans sa maison de bois ou de torchis ou dans sa tente de nomade.

 

Le char de combat

 

Spengler porte toute sa sympathie à cette culture-amibe de Turan, dont les porteurs aiment la vie aventureuse, sont animés par une volonté implaccable, sont violents et dépourvus de sentimentalité vaine. Ils sont des “hommes de faits”. Les divers peuples de Turan ne sont pas liés par des liens de sang, ni par une langue commune. Spengler n'a cure des recherches archéologiques et linguistiques visant à retrouver la patrie originelle des Indo-Européens ou à reconstituer la langue-source de tous les idiomes indo-européens actuels: le lien qui unit les peuples de Turan est technique, c'est l'utilisation du char de combat. Dans une conférence prononcée à Munich le 6 février 1934, et intitulée Der Streitwagen und seine Bedeutung für den Gang der Weltgeschichte (= Le char de combat et sa signification pour le cours de l'histoire mondiale), Spengler explique que cette arme constitue la clef pour comprendre l'histoire du second millénaire avant J.C.. C'est, dit-il, la première arme complexe: il faut un char (à deux roues et non un chariot à quatre roues moins mobile), un animal domestiqué et attelé, une préparation minutieuse du guerrier qui frappera désormais ses ennemis de haut en bas. Avec le char naît un type d'homme nouveau. Le char de combat est une invention révolutionnaire sur le plan militaire, mais aussi le principe formateur d'une humanité nouvelle. Les guerriers deviennent professionnels, tant les techiques qu'ils sont appelés à manier sont complexes, et se rassemblent au sein d'une caste qui aime le risque et l'aventure; ils font de la guerre le sens de leur vie.

 

L'arrivée de ces castes de “charistes” impétueux bouleversent l'ordre de cette très haute antiquité: en Grèce, ils bousculent les Achéiens, s'installent à Mycène; en Egypte, ce sont les Hyksos qui déferlent. Plus à l'Est, les Cassites se jettent sur Babylone. En Inde, les Aryens déboulent dans le sous-continent, “détruisent les cités” et s'installent sur les débris des civilisations dites de Mohenjo Daro et d'Harappa. En Chine, les Tchou arrivent au nord, montés sur leurs chars, comme leurs homologues grecs et hyksos. A partir de 1200, les principes guerriers règnent en Chine, en Inde et dans le monde antique de la Méditerranée. Les Hyksos et les Kassites détruisent les deux plus vieilles civilisations du Sud. Emergent alors trois nouvelles civilisations portées par les “charistes dominateurs”: la civilisation greco-romaine, la civilisation aryenne d'Inde et la civilisation chinoise issue des Tchou. Ces nouvelles civilisations, dont le principe est venu du Nord, de Turan, sont “plus viriles et énergiques que celles nées sur les rives du Nil et de l'Euphrate”. Mais les guerriers charistes succomberont aux séductions du Sud amollissant, déplore Spengler.

 

Un substrat héroïque commun

 

Cette théorie, Spengler l'a élaborée en accord avec le sinologue Gustav Haloun: il y a eu quasi simultanéité entre les invasions de Grèce, des Hyksos, de l'Inde et de la Chine. Spengler et Haloun estiment donc qu'il y a un substrat commun, guerrier et chariste, aux civilisations méditerranéenne, indienne et chinoise. Ce substrat est “héroïque”, comme le prouve les armes de Turan. Elles sont différentes de celles d'Atlantis: ce sont, outre le char, l'épée ou la hache, impliquant des duels entre combattants, alors qu'en Atlantis, les armes sont l'arc et la flèche, que Spengler juge “viles” car elles permettent d'éviter la confrontation physique directe avec l'adversaire, “de le regarder droit dans les yeux”. Dans la mythologie grecque, estime Spengler, arc et flèches sont autant d'indices d'un passé et d'influences pré-helléniques: Apollon-archer est originaire d'Asie Mineure, Artemis est libyque, tout comme Héraklès, etc. Le javelot est également “atlante”, tandis que la lance de choc est “touranique”. Pour comprendre ces époques éloignées, l'étude des armes est plus instructive que celle des ustensiles de cuisine ou des bijoux, conclut Spengler.

 

L'âme touranique dérive aussi d'un climat particulier et d'un paysage hostile: l'homme doit lutter sans cesse contre les éléments, devient ainsi plus dur, plus froid et plus hivernal. L'homme n'est pas seulement le produit d'une “chaîne généalogique”, il l'est tout autant d'un “paysage”. La rigueur climatique développe la “force de l'âme”. Les tropiques amolissent les caractères, les rapprochent d'une nature perçue comme plus maternante, favorisent les valeurs féminines.

 

Les écrits tardifs de Spengler et sa correspondance indiquent donc que ses positions ont changé après la parution du Déclin de l'Occident, où il survalorisait la civilisation faustienne, au détriment notamment de la civilisation antique. La focalisation de sa pensée sur le “char de combat” donne une dimension nouvelle à sa vision de l'histoire: l'homme grec et l'homme romain, l'homme indien-aryen et l'homme chinois, retrouvent tous grâce à ses yeux. La momification des pharaons était considérée dans Le déclin de l'Occident, comme l'expression égyptienne d'une volonté de durée, qu'il opposait à l'oubli impliqué par l'incinération indienne. Plus tard, la momification “atlante” déchoit à ses yeux au rang d'une obsession de l'au-delà, signalant une incapacité à affronter la vie terrestre. L'incinération “touranique”, en revanche, indique alors une volonté de concentrer ses efforts sur la vie réelle.

 

Un changement d'optique dicté par les circonstances?

 

La conception polycentrique, relativiste, non-eurocentrique et non-évolutionniste de l'histoire chez le Spengler du Déclin de l'Occident a fasciné des chercheurs et des anthropologues n'appartenant pas aux milieux de la droite allemande, notamment Alfred L. Kroeber ou Ruth F. Benedict. L'insistance sur le rôle historique majeur des castes de charistes de combat donne à l'œuvre tardive de Spengler une dimension plus guerrière, plus violente, plus mobile que ne recelait pas encore son Déclin. Doit-on attribuer ce changement de perspective à la situation de l'Allemagne vaincue, qui cherche à s'allier avec la jeune URSS (dans une perspective eurasienne-touranienne?), avec l'Inde en révolte contre la Grande-Bretagne (qu'il incluait auparavant dans la “civilisation faustienne”, à laquelle il donnera ensuite beaucoup moins d'importance), avec la Chine des “grands chefs de guerre”, parfois armés et encadrés par des officiers allemands? Spengler, par le biais de sa conférence, a-t-il cherché à donner une mythologie commune aux officiers ou aux révolutionnaires allemands, russes, chinois, mongols, indiens, afin de forger une prochaine fraternité d'arme, tout comme les “eurasistes” russes tentaient de donner à la nouvelle Russie soviétique une mythologie similaire, impliquant la réconciliation des Turco-Touraniens et des Slaves? La valorisation radicale du corps à corps “touranique” est-elle un écho au culte de l'“assaut” que l'on retrouvait dans le “nationalisme soldatique”, notamment celui des frères Jünger et de Schauwecker?

 

Enfin, pourquoi n'a-t-il rien écrit sur les Scythes, peuples de guerriers intrépides, maîtres des techniques équestres, qui fascinaient les Russes et sans doute, parmi eux, les théoriciens de l'eurasisme? Dernière question: le peu d'insistance sur les facteurs raciaux dans ce Spengler tardif est-il dû à un sentiment rancunier à l'égard des cousins anglais qui avaient trahi la solidarité germanique et à une mythologie nouvelle, où les peuples cavaliers du continent, toutes ethnies confondues (Mongols, Turco-Touraniens, descendants des Scythes, Cosaques et uhlans germaniques), devaient conjuguer leurs efforts contre les civilisations corrompues de l'Ouest et du Sud et contre les thalassocraties anglo-saxonnes? Les parallèles évident entre la mise en exergue du “char de combat” et certaines thèses de L'homme et la technique, ne sont-ils pas une concession à l'idéologie futuriste ambiante, dans la mesure où elle donne une explication technique et non plus religieuse à la culture-amibe touranienne? Autant de thèmes que l'histoire des idées devra clarifier en profondeur...

 

Robert STEUCKERS.

 

Domenico CONTE, Catene di civiltà. Studi su Spengler, Edizioni Scientifiche Italiane, Napoli, 1994, 394 p., Lire 58.000, ISBN 88-7104-242-924-1.

mardi, 14 octobre 2008

Entretien avec A. A. Prokhanov

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ARCHIVES de SYNERGIES EUROPEENNES - 1996

 

Russie: identité nationale, impérialité, post-commu­nisme, nationaux-capitalistes et “compradores”

Entretien avec Alexandre Andreïevitch Prokhanov

 

L'un des principaux conseillers “nationalistes” de Guennadi Ziouganov  —le principal adversaire de Boris Eltsine lors des élections présidentielles du 16 juin 1996 en Russie—  nous a accordé un entretien exclusif le 28 mai à Moscou: il s'agit d'Alexandre Andreïevitch PROKHANOV, par ailleurs directeur de l'hebdomadaire d'opposition nationale Zavstra, ancien directeur de Dyeïnn (interdit après les jour­nées du 3 et 4 octobre 1993) et de Lettres soviétiques, un mensuel d'avant la peres­troïka, publié en plusieurs langues et où les lettres russes sortaient progressive­ment de la cangue marxiste pour retrouver pleinement leur russéité.  Cet entretien avec A. A. Prokhanov aidera nos lecteurs à y voir plus clair dans les arcanes de la politique moscovite et aussi à mieux comprendre l'étrange alliance entre nationa­listes et socialistes, entre “bruns” et “rouges” comme dit la presse à sensation, qui est en train de se sceller en Russie et pourrait, en cas de victoire des “nationaux-communistes”, bouleverser l'actuel rapport des forces en Europe (Loukian STROGOFF).

 

Q.: Vous êtes en général considéré par les media occidentaux comme l'un des principaux conseillers “nationalistes” du candidat Guennadi Ziouganov. L'identité nationale russe est toujours difficile à définir pour les Occidentaux qui n'y retrouvent pas les clivages auxquels ils sont habitués... Certains nationalistes russes privilégient la définition d'une “nation ethnique”, fondée sur l'idée de “peuple majoritaire”. Telle ville ou telle région serait russe parce que peuplée d'une majorité de Russes. D'autres nationalistes définissent la nation russe comme héritière de l'histoire de la Russie impériale. Ils en appellent à la défense des “intérêts traditionnels” de la Russie. Votre référence à vous est-elle la nation ethnique ou la nation impériale?

 

AAP: Je privilégie plutôt la deuxième définition. Depuis longtemps, j'essaie de comprendre pourquoi les nationalistes russes n'arrivent pas à s'unir dans un grand mouvement. J'ai moi-même déployé des efforts en faveur d'un mouvement de droite na­tionale russe, mais sans succès jusqu'à présent. Je crois que l'homme russe ne peut se débarrasser de la tradition impériale. L'approche purement ethnique soulève plus de problèmes qu'elle n'en résoud. Que l'on songe aux millions de mariages mixtes, à l'imbrication des peuples et des langues. Il faudrait aussi rendre les territoires où les Russes sont minoritaires. Les partisans de la nation ethnique “pure” sont peu nombreux et constituent des groupes “exotiques”. En général, le nationalisme russe est synonyme de conscience impériale. Les mouvements nationalistes et “impérialistes” ont dispersé leur soutien à tous les candidats à l'exception de Grégori Yavlinski, qui serait donc, d'un certain point de vue, le seule candidat représentant un “mouvement ethniquement pur...”.

 

Q.: Comment analysez-vous les rapports de forces parmi les forces politiques “nationalistes”, “socio-démocra­tiques” et “communistes-orthodoxes” qui soutiennent la candidature de Ziouganov?

 

AAP: Les communistes de “stricte obédience”, il n'y en a pratiquement plus, et depuis longtemps. Toute l'élite politique et idéologique a trahi la première le Parti en devenant “libérale” et en formant le camp “démocratique”. Sont restés dans le Parti des gens aux idées pragmatiques, imprégnés par l'idéal d'un grand Etat soviétique. Pour eux, l'URSS représentait le commu­nisme. Je pense en particulier aux scientifiques, aux “bâtisseurs”, aux militaires. C'est ce type de communistes qui prédo­mine aujourd'hui dans un Parti où il n'y a plus de discussions idéologiques comme dans les années 1905-1917. Le Parti actuel ne prétend plus au monopole de la vérité. De ce point de vue, on peut le qualifier de parlementaire et de “social-démocrate”. Je ne doute pas qu'en cas de victoire il conservera cette orientation. Il est dans une période de transition. Peu à peu, il devient le parti des intérêts russes, où domine l'idée de justice et d'harmonie sociales et dans lequel se retrouvent des gens qui perçoi­vent le monde de manière rationnelle, mais aussi irrationnelle, je veux dire les croyants. Provisoirement, on peut effective­ment le qualifier de “national-communiste”. Deux sources d'énergie l'animent: l'énergie de la nation blessée et l'énergie de la souffrance sociale.

 

Q.: On a accusé Ziouganov d'anti-sémitisme parce que dans son livre Je crois en la Russie, il a écrit: «La diaspora juive contrôle traditionnellement la vie financière du Continent et devient chaque jour davantage l'inspiratrice principale du système socio-économique occidental». Pensez-vous que Ziouganov soit antisémite?

 

AAP: En Russie, comme en Europe, une situation s'est créée qui fait que quiconque prétend parler des rapports des Juifs à la société est qualifié d'antisémite. Les relations entre Russes et Juifs sont effectivement tourmentées, comme elles l'ont tou­jours été, parce qu'il y a eu beaucoup de souffrances de part et d'autre. Ziouganov, en tant qu'analyste politique, parle de ques­tions qui débordent du cadre de la Russie. Mais il n'est pas antisémite. Homme d'Etat, il doit prendre en compte toutes les forces du pays et tenter de restaurer la justice et l'harmonie partout où elles ont été bafouées.

 

Q.: Eltsine est clairement le candidat de l'étranger, des forces financières mondialistes. Mais qu'en est-il de Yavlinski? Doit-il être considéré comme le candidat de secours de l'étranger? Le maintien de sa candidature s'explique-t-il par un ordre venu d'ailleurs ou simplement par le fait qu'il se serait montré trop gourmand lors de ses marchandages avec Eltsine?

 

AAP: Autour d'Eltsine gravitent deux types de politiciens; les uns que l'on peut qualifier de “nationaux-capitalistes” et les autres que j'aime à appeler les “compradores”. Le conflit entre eux est permanent. A un certain moment, Eltsine s'est séparé des li­béraux radicaux. Il a rempli son administration de nationaux-capitalistes et, en ce sens, on ne peut plus dire qu'il soit absolu­ment une créature des Etats-Unis. Et les intérêts des libéraux radicaux se trouvent réellement représentés par Yavlinski qui n'est donc pas un candidat de secours mais une créature autonome, un “produit pur”. Le conflit entre Eltsine et Yavlinski pro­vient de deux visions du monde différentes. C'est un conflit entre clans et intérêts capitalistes divergents. Aujourd'hui, les na­tionaux-capitalistes, les “durs”, les “ministres de force” autour du Général Koriakov, sont l'un des piliers sur lequel s'appuie Eltsine pour contrebalancer l'influence de l'autre pilier constitué des “compradores” comme son conseiller économique Livchits et son premier ministre Tchernomyrdine. Ce second pilier est proche de Yavlinski.

 

Q.: Déjà pendant l'été 1995, Oleg Boiko, parlant au nom d'un certain nombre de banquiers, souhaitait le report des élections législatives en échange d'un soutien financier au sommet de l'Etat. En quelque sorte, il voulait “privatiser” la présidence de la Russie et le gouvernement fédéral. Il déclarait: «Le choix est entre le capitalisme et la démocra­tie». Aujourd'hui, la “lettre des 13” (banquiers et grands hommes d'affaires) réclame un compromis historique et un gouvernement d'union nationale qui préseveraient leurs intérêts. Ils font un chantage à la guerre civile. Que pensez-vous de cette démarche? Guennadi Ziouganov devrait-il accepter de débattre d'un tel compromis avant les élections?

 

AAP: La menace de guerre civile n'est pas une abstraction. Si elle était un mythe, elle ne serait pas employée comme un ins­trument de guerre psychologique. La situation est si conflictuelle qu'elle interdit aujourd'hui toute renaissance du pays. Les forces antagonistes en présence s'annulent. Ces 13 banquiers que nous appelons les “13 vampires” ont une motivation cachée à l'opinion publique: la peur d'un nouveau coup de force d'Eltsine s'appuyant sur les “nationaux-capitalistes”. Ce groupe serait alors en position de grande force et le clan des “compradores” autour de Tchernomyrdine, qui sert ces treize banquiers, ont peut d'être les prochaines victimes d'une sorte de “fascisme de droite”. Il faut se souvenir du conflit de l'an dernier entre le Général Koriakov et Vladimir Goussinski, président du groupe financier et de presse Most, élu récemment président du Congrès des Juifs de Russie après quelques mois d'exil à Londres. C'est cette peur, non pas des “nationaux-communistes” mais des “nationaux-capitalistes” qui les a contraints à formuler des propositions de compromis entre les différentes forces politiques.

 

Q.: En cas de victoire de Guennadi Ziouganov, quelles seront les mesures de première urgence qui seront deman­dées au nouveau gouvernement par votre hebdomadaire   Zavstra?

 

AAP: Nous ne cherchons pas de revanche. Une amnistie sera nécessaire pour retrouver la paix sociale. Nous honorerons nos morts. La vengeance ne viendra que de Dieu et la grâce, du chef de l'Etat.

 

Q.: Vous avez été le chroniqueur quasi officiel de la campagne militaire soviétique en Afghanistan. Comment jugez-vous de l'opportunité et des résultats de la campagne militaire russe en Tchétchénie, en particulier à la lumière du “cessez-le-feu” qui vient d'être signé au Kremlin?

 

AAP: Le conflit en Tchétchénie est le résultat du développement d'un monde criminel, à Grozny comme à Moscou. Il s'agit en fait d'un règlement de comptes entre groupes mafieux. C'est pourquoi cette guerre n'en était pas vraiment une. Elle a été “instrumentalisée” par les lobbies du pétrole, de la drogue, etc. A ma connaissance, ce sont des émissaires de Tchernomyrdine qui se sont entendus avec les chefs tchétchènes sur une nouvelle répartition des bénéfices des oléoducs existants et en projet. Eltsine a arrêté pour l'instant la guerre et peut en tirer un bénéfice électoral, mais rien n'est résolu au fond et la criminalisation de la Caucasie a été dopée par cette guerre. Les empires criminels n'ont pas le droit d'exister.

 

Q.: Evguénié Primakov semble avoir rendu une certaine cohérence à la diplomatie russe. Le ministre de l'intérieur, Anatoli Koulikov, donne également l'impression d'être un homme intègre et sérieux. Ces deux ministres pour­raient-ils, à votre avis, conserver leur poste dans le cadre d'une nouvelle administration?

 

AAP: C'est possible. Connaissant bien Guennadi Ziouganov et son approche prudente en matière de changement, il ne peut qu'apprécier un spécialiste comme Primakov, brillant représentant de la tradition diplomatique soviétique. Il est sans doute unique. Il a su rétablir la situation après le départ de Kozyrev, le pion des Américains. Il peut donc être très utile. Koulikov est aussi un bon spécialiste. Nous n'oublions pas comment il a fait tuer beaucoup de nos amis les 3 et 4 ocotbre 1993. Il a certains mérites autres cependant. Le plus important est d'avoir refusé de participer au coup de force prévu le 17 mars dernier et qui avait connu un début d'exécution avec l'occupation de la Douma pendant quelques heures. Sa volonté déclarée en début d'année de contrôler les banques anti-nationales et ses tentatives pour lutter contre la corruption dans son ministères peuvent plaider en sa faveur.

 

Q.: Certains pays ouest-européens, en particulier la France, s'efforce d'affranchir l'Union Européenne de la tutelle américaine. Un nouveau pouvoir en Russie devrait-il appuyer une telle démarche vers une “Europe aux Européens”?

 

AAP: Tout ce qui est venu d'Europe en Russie a été négatif. L'Occident est pour nous synonyme du Mal. Les politiciens sont intéressés à un éloignement des Etats-Unis d'Europe, parce que le retrait américain affaiblirait celle-ci. Il y a des nœuds de contradictions qui handicapent heureusement son influence sur la Russie. En grande partie, l'Union Européenne est une illu­sion comme l'ont montré les contradictions entre la France et l'Allemagne à l'occasion du conflit dans les Balkans, dont la Russie a jouées. Elle continuera dans cette voie. Le recentrage de la politique améircaine vers l'Asie peut faire des Etats-Unis un partenaire de la Russie dans cette région.

 

(propos recueillis par Loukian STROGOFF).

mercredi, 08 octobre 2008

La Chine soutient l'action géopolitique de la Russie

LA CHINE SOUTIENT L’ACTION GÉOPOLITIQUE DE LA RUSSIE

Quotidien du Peuple, février 2008 :



« Il est impératif pour la Russie d’affirmer clairement son opposition à un monde unipolaire et de se positionner en tant qu’Etat cherchant à promouvoir la démocratisation des relations internationales. Tirant les leçons de l’Histoire, la Russie fait preuve d’une extrême fermeté, non pour s’engager dans une guerre froide, mais pour amener l’Occident à la respecter et à construire avec elle des relations de partenariat sur un pied d’égalité. »


Shen Jiru, professeur au Centre de recherches sur la politique et l’économie de l’Académie des sciences sociales de Chine

 

 


« Le développement des relations amicales [de la Russie] avec la Chine revêt une importance considérable. La Russie a besoin de l’aide de la Chine pour retrouver son statut de grande puissance et contrer les Etats-Unis dans leur stratégie d’hégémonie planétaire. Ces dernières années, la Russie a approfondi sa relation avec de nombreux pays d’Orient, dont la Chine. Elle cherche à surfer sur la vague de leur boom économique et à se servir de leur appui pour se poser en concurrente des nations occidentales et procéder à des "attaques mesurées" afin de percer la muraille dressée autour d’elle par les Etats-Unis et les pays européens. »


Wang Zhengquan, professeur à l’Institut des relations internationales de l’Université du Peuple de Pékin

 

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mardi, 30 septembre 2008

Géopolitique pétrolière et gazière en Asie centrale

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Alexander GRIESBACH:

Géopolitique pétrolière et gazière de l’Asie centrale: télescopage d’intérêts divergents

 

L’Asie centrale est l’une des zones-clefs de la géopolitique mondiale, à cause des réserves énergétiques qu’elle recèle. La lutte engagée pour le contrôle de ces réserves va certainement porter le nom de “New Great Game” (= “Le nouveau Grand Jeu”), en référence à l’affrontement russo-britannique du 19ème siècle et parce que de nouveaux acteurs y interviendront, notamment la Chine et l’Inde. Il y a d’abord la question de savoir qui se taillera la part du lion dans ces réserves énergétiques; mais, avant d’y répondre, aujourd’hui, il s’agit principalement de savoir comment ces réserves parviendront aux Etats destinataires; nous soulevons là la politique des oléoducs et gazoducs. Par Asie centrale, nous entendons bien sûr des Etats comme le Kazakhstan ou le Turkménistan mais aussi le Tibet, l’Afghanistan, certaines régions d’Iran ou comme le Pendjab au Pakistan et en Inde.

 

Prendre le défi russe au sérieux

 

Après la fin de l’Union Soviétique, l’intérêt des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine n’a fait que croître au fur et à mesure que l’importance des réserves énergétiques croissait dans le système de la concurrence globale. Pour les Etats-Unis, la main-mise sur ces ressources constitue le motif principal de leur engagement dans la région. Cet engagement dans l’ancienne “arrière-cour” de l’Union Soviétique ne s’est pas déroulé sans ressacs. Malgré  cela, après les événements du 11 septembre 2001, les dirigeants russes, américains et centre-asiatiques ont serré les coudes dans la “lutte commune contre le terrorisme”. Cette unanimité s’est vite évaporée à cause de l’incompatibilité d’humeur entre Bush et Poutine et surtout d’événements comme, par exemple, l’élargissement de l’OTAN vers l’Est, les révolutions sans effusion de sang d’Ukraine et de Géorgie et, enfin, la guerre en Irak. Poutine a réussi à repousser largement les Etats-Unis hors d’Asie centrale, notamment avec l’aide de la Chine: ce fut la réponse russe aux activités déployées par les Etats-Unis dans l’arrière-cour de Moscou. La tâche de Poutine fut sans doute facilitée parce que la rhétorique américaine des “droits de l’homme” avait sans nul doute énervé quelques autocrates de la région. Par ailleurs, le traitement réservé à l’autocrate Saddam Hussein a certainement eu un effet dissuasif.

 

Poutine à coup sûr s’est servi d’un instrument, que Medvedev reprendra certainement à son compte: l’Organisation de Coopération de Changhaï (OCC), laquelle, du point de vue occidental, constitue la réponse à la prétention américaine d’exercer un leadership mondial. Le septième sommet de l’OCC, qui s’est tenu à Bichkek en Kirghizie en août 2007, a clairement critiqué la “pax americana”. Moscou n’a pas mâché ses mots. Le rôle de “seule superpuissance” que Washington veut jouer, Poutine l’a relativisé: “Nous sommes convaincus que toutes les tentatives de vouloir résoudre seul tous les problèmes du monde sont vaines”. Alexander Rahr, expert ès-questions russes auprès de la DGAP (“Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik” / “Société allemande de politique étrangère”), a émis les commentaires suivants dès 2006: Moscou est déçu par l’Occident et s’en détourne pour se tourner vers l’espace asiatique et forger “de nouvelles alliances géostratégiques”. “Pour parvenir à cette fin, le Kremlin mobilise les immenses ressources énergétiques de la Russie, afin de récupérer sa position naguère perdue de puissance mondiale. L’Europe et l’Occident doivent prendre très au sérieux ce nouveau défi géopolitique”.

 

La Turquie: importante plaque tournante dans la politique énergétique

 

Ce “défi”, la revue “Geo”, de juin 2008, l’a mis en cartes et schémas, notamment sous la forme, plaisante, d’un table de joueurs de poker, qui symbolisent en l’occurrence les acteurs du “New Great Game”. A gauche, nous y voyons les Etats-Unis, qui sont les plus grands consommateurs de gaz et de pétrole et dont les intérêts consistent à se dégager d’une trop grande dépendance du Proche Orient. Les Etats-Unis, qui importent un quart de leur gaz naturel de Russie, investissent dans la construction de gazoducs et oléoducs qui évitent de passer par le territoire russe, comme le système “Nabucco” qui sera complètement opérationnel en 2013. Sur le tracé de ce système “Nabucco” se trouve la Turquie, qui acquiert de plus en plus d’importance car elle est, explique “Geo”, la principale “plaque tournante énergétique entre l’Est et l’Ouest”. De l’autre côté de la table des joueurs de poker, à droite, se trouve la Russie, qui tire des revenus des oléoducs et gazoducs et de la vente des pétroles et gaz de la région caspienne.

 

La Russie est bien entendu capable de faire de l’énergie une arme, en cas de “comportement fautif”, comme on vient de le voir. La Chine est la deuxième puissance assise à droite, à la table des joueurs: elle est devenue, entretemps, le deuxième consommateur de pétrole au monde et se présente comme concurrent de l’UE et des Etats-Unis. Le “gâteau”, qui forme l’enjeu, est au beau milieu de la table. Il comprend le Kazakhstan, dixième producteur de pétrole du monde; l’Azerbaïdjan, qui occupe un territoire géostratégiquement important entre l’Europe et l’Asie; le Turkménistan, l’un des pays les plus riches en gaz du monde, ainsi que l’Ouzbékistan, dont les gisements en pétrole et en gaz n’ont été que partiellement exploités jusqu’ici. Au réseau de distribution énergétique déjà existant entre les joueurs de poker, il faudra ajouter trois nouveaux grands “pipelines”, rien que pour l’approvisionnement en gaz  naturel:

 

* Le “North Stream”, venant de Russie pour passer sous la Mer Baltique et aboutir en Allemagne; il aura environ 1200 km; Gazprom en est le principal actionnaire avec 51% des parts. “Wintershall AG” et la société “E.ON Ruhrgas AG” possèdent chacune 20%. Le premier tronçon sera prêt en 2010.

 

* La ligne “Nabucco”, qui partira de Turquie pour aboutir en Autriche, sera longue de 3300 km. Les travaux commenceront en 2010. Cette ligne devra relier l’UE aux gisements gaziers de la région caspienne.

 

* Le “South Stream” reliera la Russie à l’Italie et à l’Autriche. Ce sera un gazoduc italo-russe dont une partie sera installée sur le fond de la Mer Noire et reliera ainsi le port russe de Novorossisk au port bulgare de Varna. Ce projet est en concurrence directe avec celui de “Nabucco”.

 

Deux importants systèmes de “pipelines” sont déjà en activité:

 

* Le “Blue Stream” qui part de Russie pour aboutir à Ankara. Il est en activité depuis 2005. Il est long d’environ 1200 km.

 

* Le “BTE” ou “Bakou – Tiflis – Erzouroum (en Turquie)” est en activité depuis 2006. sa longueur est d’environ 690 km. On l’appelle également “South Caucasus Pipeline”.

 

Auxquels il faut encore ajouter:

 

* Le “BTC” ou “Bakou – Tiflis – Ceyhan (en Turquie). Sa longueur est d’environ 1770 km.

 

* Le “Drouchba” dont le tronçon septentrional part d’Almetievsk au Tatarstan, traverse la Biélorussie et la Pologne pour aboutir à Schwedt sur l’Oder et dont le tronçon méridional, après une bifurcation près de Masyr en Biélorussie, amène les hydrocarbures en République Tchèque et ensuite, via la Slovaquie, en Hongrie.

 

* Le pipeline “Kazakhstan-Chine”, qui est en service depuis 2004 et est long de ± 970 km.

 

Si vous imaginez que, dans ce contexte, la Chine et la Russie, qui toutes deux ont des motifs divers de vouloir chasser les Etats-Unis de leurs sphères d’influence respectives, vont faire cause commune, dans tous les cas de figure, sous l’égide de l’OCC, alors vous ne comprenez pas la  dynamique du “New Great Game”, que l’on peut, à juste titre, qualifier de “champ de mines d’intérêts divergents”, pour paraphraser Keith Jones. Aigul Zharylgassova, de la  “Société germano-kazakh” a bien mis en exergue l’agencement des intérêts chinois dans le cadre de l’OCC: “Avec l’OCC, la Chine tente de tuer deux mouches d’un seul coup de savate: d’un côté, la République Populaire de Chine coopère avec des Etats centre-asiatiques sur le plan militaire et garantit ainsi la sécurité de ses frontières occidentales; de l’autre côté, la RPC utilise l’Organisation pour réaliser des projets de communication et d’infrastructure afin d’avoir un accès assuré aux ressources énergétiques”. Cette analyse nous permet de comprendre pourquoi la Chine, qui avait toujours eu l’habitude de se montrer réservée face à tout système d’alliance, s’est laissée embrigader dans l’OCC. L’adhésion à l’OCC permet à la Chine de pratiquer “une politique nationale d’ordre dans la région” et de réactiver “son image de marque sur le plan international” (Zharylgassova).

 

Les divergences entre Moscou et Beijing

 

On discute beaucoup, en Occident, pour savoir si la rivalité entre la Chine et la Russie, pour prendre dans l’avenir le leadership au sein de l’OCC, mettra en péril l’existence même de  cette organisation. Quelques analystes pensent que la Russie voudra, elle aussi, utiliser l’OCC pour au moins limiter “l’influence croissante de la Chine”, ce qu’elle cherche d’ailleurs déjà à faire en jouant “un rôle actif au sein de l’Organisation”.  Moscou voit un moyen dans l’OCC de bétonner sa souveraineté lucrative sur le transport du pétrole et du gaz naturel.

 

Il existe également des divergences entre Moscou et Beijing pour savoir lesquels des Etats, qui avaient jusqu’ici un simple statut d’observateur (actuellement: la Mongolie, l’Inde, l’Iran et le Pakistan), pourront accéder dans un avenir proche au statut de membre à part entière. Le souhait de la Russie, d’accepter l’Iran comme membre à part entière, est contesté par la Chine car celle-ci n’a aucun intérêt à ce que l’islam reçoive un quelconque encouragement sur le territoire chinois lui-même par un effet (secondaire) de l’adhésion pleine et entière de l’Iran. La Chine refuse également l’adhésion pleine et entière de l’Inde parce que les deux géants asiatiques ont toujours été des rivaux. Les Chinois émettent également des réserves contre l’adhésion du Pakistan, dont les liens avec l’islam radical (les talibans) suscitent l’inquiétude à Beijing. On constate également des tensions à l’égard des autres Etats musulmans de l’Organisation, le Kazakhstan, le Kirgizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, car aucun de ces Etats n’a évidemment intérêt à dépendre unilatéralement de Moscou ou de Beijing.

 

Les démarches énergiques et assertives de Poutine n’ont certainement rien fait pour dissiper les méfiances entre les Etats membres de l’OCC. Il faudra encore attendre quelque peu pour savoir si le Président Medvedev montrera plus de doigté diplomatique. Le sommet des chefs des Etats membres de l’OCC à Duchanbé au Tadjikistan n’apportera rien de bien substantiel, car la solidarité avec la Russie, après la crise de l’Ossétie du Sud, est restée limitée. Les Etats membres de l’OCC ont simplement demandé à ce que “le problème soit résolu pacifiquement par le dialogue”. Aucune prise de position commune n’a suivi la reconnaissance unilatérale de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie par la Russie.

 

Vu les divergences entre les membres de l’OCC, le jugement qu’Alexander Rahr avait émis dans “Eurasisches Magazin” (28 février 2006) me semble caduc: il affirmait que “l’OCC pourrait rapidement devenir un nouvel acteur global sur la scène internationale, auquel, en cas de conflit avec l’Occident, même la superpuissance américaine n’aurait pas grand’ chose à opposer”. L’anti-occidentalisme ne suffira pas pour cimenter durablement la cohésion de l’OCC, vu les méfiances réciproques que cultivent les Etats membres de l’Organisation. Il est plus que probable que l’OCC entrera en crise en dépit de cet anti-occidentalisme qui sert de paravent à de profondes divergences d’intérêts.

 

L’intérêt des Européens, et donc des Allemands, c’est de ne pas attendre la crise passivement, mais de tenter de faire valoir leurs intérêts propres dans ce “champ de mines”.

 

Alexander GRIESBACH.

(Article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°38/2008; trad. franç.: Robert Steuckers). 

 

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jeudi, 25 septembre 2008

Ukraine: l'exécutif philo-atlantiste est dissous

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Andrea PERRONE :

Ukraine: l’exécutif philo-atlantiste est dissous

 

La coalition philo-atlantiste, au pouvoir à Kiev, a été dissoute. Le président du parlement ukrainien, Arseny Yatseniouk, l’a annoncé, en même temps  que la fin du gouvernement formé naguère par les putschistes de la révolution orange. La coalition avait été composée par le parti “Notre Ukraine” du président Viktor Youchtchenko et par le “Bloc” (BYUT) de Ioulia Tymochenko, l’actuel premier ministre. Les déclarations du président du Parlement ont confirmé le divorce entre les deux partis du gouvernement, celui de Youchtchenko et celui de Tymochenko, tous deux alliés lors de la fameuse “révolution orange” mais devenus, ces derniers temps, des rivaux absolus. Malgré toute cette effervescence, le président ukrainien a néanmoins manifesté son espoir de voir la majorité orange se reconstituer. La coalition, espère-t-il, pourrait se voir élargie aux centristes de Vladimir Litvine qui, pourtant, avait déclaré récemment, qu’il ne serait disponible que pour une coalition formée avec le “Parti des Régions”  de l’ancien chef de l’exécutif, le pro-russe Viktor Yanoukovitch, et avec le BYUT.

 

A peu de mois avant la nomination de Madame Tymochenko à la direction du gouvernement de Kiev, qui, rappellons-le, avait été prévue pour décembre 2007, la coalition avait immédiatement montré ses faiblesses: elle n’avait qu’une majorité très juste, avec seulement deux sièges de plus que l’opposition. Le gouvernement de Madame Tymochenko a tout de suite essuyé les critiques, non seulement de l’opposition, mais aussi de l’intérieur de sa propre coalition, en l’occurrence de la part du président Youchtchenko lui-même. Ce gouvernement, instable, a failli entrer plusieurs fois en crise. En juillet, son exécutif a perdu la majorité au Parlement, après le départ de deux députés.

 

En août, sur fond du conflit russo-géorgien, Madame Tymochenko a essuyé bon nombre de critiques pour ne pas avoir soutenu ouvertement la Géorgie et pour n’avoir guère émis de critiques à l’endroit de la politique de Moscou. Le 3 septembre dernier, Youchtchenko a menacé de provoquer des élections anticipées après que le Parlement ait approuvé diverses mesures visant à réduire les pouvoirs du président au profit de ceux du premier ministre. C’est la quatrième crise politique d’envergure que connaît l’Ukraine depuis ces toute dernières années. Les causes du dissensus sont liées aux prochaines élections présidentielles, prévues pour l’année 2010, mais dont la campagne est censée commencer l’an prochain. C’est pour cette raison que le premier ministre est accusé de vouloir gagner les sympathies de Moscou,  de façon à obtenir le soutien de la Russie pour sa candiudature à la présidence. Pour toute réponse, Madame Tymochenko, dans un entretien récemment accordé au quotidien de la City londonienne, le “Financial Times”, a nié les accusations de Youchtchenko en rappelant qu’elle ne contestait nullement l’intégrité territoriale de la Géorgie et qu’elle soutenait les positions de l’UE dans les négociations avec Moscou. Mais elle n’a pas manqué non plus d’accuser le président de vouloir exploiter à son profit le conflit russo-géorgien pour redorer son blason en vue des très prochaines présidentielles.

 

De récents sondages ont en effet révélé que Madame Tymochenko a de fortes chances d’aller bientôt occuper le fauteuil présidentiel car elle bénéficie d’un large consensus populaire. Ses scores seront toutefois talonnés de près par ceux de Yanoukovitch, tandis que le soutien du peuple à Youchtchenko tomberait sous la barre des 10%.

 

Madame le premier ministre, à Kiev, n’a pas manqué de mettre le président en garde contre les bouleversements politiques actuels qui pourraient renvoyer à une date très ultérieure l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ou ralentir une intégration plus étroite du pays à la dynamique de l’UE. En bref, la reine du gaz et actuel premier ministre semble vouloir jouer toutes ses cartes pour devenir présidente de l’Ukraine, en cherchant même à obtenir le soutien des forces pro-russes pour atteindre le but tant convoité.

 

Andrea PERRONE.

(article tiré du quotidien romain “Rinascita”, 17 sept. 2008, trad. franç. : Robert Steuckers).

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mardi, 23 septembre 2008

L'oeuvre de Douguine au sein de la droite radicale française

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L'oeuvre de Douguine au sein de la droite radicale française

 

Travail Universitaire à lire avec quelques circonspection, mais digne d'intérêt

cf. : http://www.diploweb.com/L-oeuvre-de-Douguine-au-sein-de-l...

mardi, 16 septembre 2008

Les positions philosophiques d'Alexandre Douguine

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Denis CARPENTIER :

 

 

Les positions philosophiques d’Alexandre Douguine

 

Alexandre Douguine, qui avait pris la parole au colloque du GRECE en 1991, aux côtés d’Alain de Benoist, de Jacques Marlaud et de Charles Champetier, a fait un sacré bonhomme de chemin depuis lors. Incroyablement actif sur internet, écrivain très prolifique, homme orchestre de plusieurs média audio-visuels russes où on l’appele le “disk-jockey de la métaphysique”, il a creusé son trou dans l’entourage du Président Poutine et participe, intellectuellement, au réarmement moral et politique de sa patrie russe. Le Chilien Sergio Fritz, de la “Nueva Derecha Chilena”, et son ami italien Daniele Scalea, qui participe à son site “Eurazia”, ont brossé en quelques paragraphes clairs et succincts la pensée de ce Russe étonnant, sorti de la marginalité dissidente des années 80 pour se hisser, petit à petit, sans jamais se renier ou se dédouaner, aux plus hautes sphères du pouvoir russe actuel. Examinons en bref les idées qui l’animent depuis toujours:  

 

Dougine développe des idées géopolitiques “eurasiennes”, dans la mesure où il inverse la thèse énoncée par Mackinder en 1904, qui prévoyait l’endiguement et l’encerclement de la Russie; comme Carl Schmitt, il conçoit l’histoire comme l’affrontement éternel entre un “Léviathan” et un “Béhémoth”, soit entre la “Terre” et la “Mer”. L’Allemagne et la Russie sont, pour le juriste allemand d’hier comme pour le traditionaliste russe actuel, les forces de la Terre en lutte contre les forces malfaisantes et déliquescentes de la Mer, représentées aujourd’hui par les Etats-Unis.

 

Douguine s’inscrit dans la tradition de la “politique hermétique”: ce sont en effet des forces spirituelles qui guident le monde et l’ont toujours guidé. Originalité de sa position : le communisme russe, après l’éviction des comploteurs “atlanto-trotskistes” (selon sa terminologie), est devenu une sorte de “voie de la main gauche”. Cette expression un peu énigmatique est tirée de l’œuvre d’Evola et de la tradition indienne; elle signifie qu’une force en apparence anti-traditionnelle peut en réalité dissimuler une puissance active et positive qui va subrepticement dans le sens de la Tradition, donc de l’esprit de la “Terre” par opposition à celui de la “Mer”. On songe au tantrisme indien, en apparence débauché, mais poussant la débauche si loin qu’elle se mue en force rénovatrice et restauratrice.

 

Douguine se place tout naturellement dans le sillage de la “révolution conservatrice” allemande des années 20 et 30. Il est l’homme qui a réintroduit en Russie les thèses énoncées par le néo-nationalisme soldatique allemand d’après 1918, période de défaite pour Berlin, comme l’effondrement de l’URSS était, finalement, une période de défaite pour la puissance russe. Douguine est évidemment séduit par la russophilie des “révolutionnaires conservateurs”, dont la première source d’inspiration a été l’œuvre de Dostoïevski, traduite à l’époque en allemand par l’exposant principal de la “révolution conservatrice”, Arthur Moeller van den Bruck, dont toutes les idées politiques dérivent de l’oeuvre du grand romancier russe du 19ième siècle. La “révolution conservatrice” allemande est donc essentiellement “dostoïevskienne” pour le Russe Douguine. Il est donc naturel et licite de la ramener en Russie, où, espère-t-il, elle trouvera un terreau plus fécond.

 

Douguine a introduit ensuite la “pensée traditionaliste” en Russie en y vulgarisant, en y traduisant et en y publiant les œuvres de René Guénon et Julius Evola. Dans cette optique, Douguine n’adopte pas entièrement les mêmes positions que ses homologues ouest-européens. A l’influence des deux traditionalistes français et italien, il ajoute celle du Russe Constantin Leontiev pour qui la Tradition est ou bien othodoxe ou bien islamique. Pour Leontiev, le catholicisme et le protestantisme sont des voies résolument anti-traditionnelles, produits de l’”Occident dégénéré” (Leontiev, Danilevski). L’autre objectif de Douguine, en diffusant la pensée d’Evola et de Guénon, est de lutter contre toutes les entreprises de vulgarisation spirituelle du “New Age” californien, qui risquait fort bien de s’abattre sur une Russie déboussolée et tentée par toutes les expériences occidentales, dont cette confusion des genres, ce bazar de pseudo-spiritualités de pacotille qu’est ce “New Age”.

 

Douguine plaide en politique pour une “convergence des extrêmes”, à l’instar de l’activiste italien des années 70, Giorgio Freda, auquel les journalistes mal intentionnés avaient collé l’étiquette de “nazi-maoïste”. Les activistes et les militants considérés par les bien-pensants comme des “extrémistes” veulent tous, quelles que soient les étiquettes dont ils s’affublent, la “désintégration du système” (Freda). Il faut unir ces forces et non pas les maintenir en un état de division, où des antagonismes artificiels vont les faire s’exterminer mutuellement. La figure emblématique de cette “convergence des extrêmes” est l’irlando-argentin Che Guevara, que Jean Cau avait chanté en son temps, pourtant après sa rupture avec Sartre!

 

Douguine travaille certes dans l’entourage de l’actuelle présidence russe mais ce soutien apporté à Poutine n’est pas a-critique et inconditionnel. Pour Douguine, Poutine est pour le moment un “moindre mal” (explique-t-il dans un entretien accordé à Scalea pour le site et le journal Italia Sociale). Il reproche au Président russe d’avoir laissé tomber Chevarnadze en Géorgie et Yanoukovitch en Ukraine, ce qui pourrait inquiéter les présidences fidèles à Moscou en Biélorussie (Loukatchenko), au Kazakstan (Nazarbaïev) et ailleurs. Il préférerait voir l’ancien militaire Pavel Ivanov au pouvoir à Moscou mais Poutine, selon lui, a eu le mérite insigne de mettre fin à l’ère de totale déliquescence qu’avait provoquée le clan Eltsine. Pour Douguine, Poutine avance toutefois trop lentement : il n’est pas assez ferme contre les “oligarques”, il ne cherche pas à créer une élite alternative mentalement bien structurée, prête à prendre les rênes du pouvoir et à barrer la route à tous les charlatans sans cervelle et sans tripes que manipulent les services américains via les “révolutions colorées”, rose ou orange. Le risque de cette faiblesse chronique est de voir la Russie exposée à une “menace orange” en 2008, lors des prochaines présidentielles. Autre danger: la reconstitution tacite d’un cordon sanitaire autour de la Russie et la création d’antagonismes de pure fabrication pour susciter des conflits permanents, retardateurs, à l’intérieur même de l’espace eurasiatique, qui doit s’unir s’il veut rester libre. La stratégie du “divide ut impera”, pratiquée par Washington, implique dans un premier temps, par exemple, un soutien à Sakachvili en Géorgie contre la Russie, puis un soutien à Poutine contre Sakachvili, de façon à maintenir et à entretenir un désordre permanent dans la région, permettant toutes les politiques manipulatoires. Après la Géorgie et l’Ukraine, le scénario de “révolution spontanée” ou de “révolution colorée” se répète au Kirghizistan, où le président Akaïev, ni pro-russe ni pro-américain mais “eurasien”, est déstabilisé parce que l’US Army entend, à terme, utiliser le territoire kirghize comme base pour encercler la Chine. Alors qu’Akaïev voulait que son pays soit la plaque tournante des communications routières et ferroviaires entre la Russie, l’Inde et la Chine. Dès lors est-ce un hasard s’il est dans le collimateur... et tout d’un coup considéré comme “corrompu” par notre bonne presse...?

 

Suivre Douguine sur internet est captivant. La matière est vaste et apporte chaque jour son bon petit lot d’informations originales et explosives. En parfaite contradiction avec la pensée dominante, “politiquement correcte”.

 

Denis CARPENTIER. 

 

Bibliographie :

Sergio FRITZ, “Alexander Dughin o cuando la metafísica y la política se unen”, http://www.angelfire.com/zine/BLH/nueve1.html... .

Daniele SCALEA, “Le ‘rivoluzioni colorate’ mirano alla distruzione della Russia” – Intervista con Aleksandr Dugin, http://www.italiasociale.org/Geopolitica_articoli/geo2105... (30 mai 2005).

samedi, 06 septembre 2008

La lezione di K. Haushofer e la discreta presenza di G. Tucci nel dibattito geopolitico

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Giuseppe Tucci

 

LA LEZIONE DI KARL HAUSHOFER E LA DISCRETA PRESENZA DI GIUSEPPE TUCCI NEL DIBATTITO GEOPOLITICO DEGLI ANNI TRENTA

di Tiberio Graziani

 

 

Karl Haushofer, Italia, Germania, Giappone, a cura di Carlo Terracciano, Edizioni all'Insegna del Veltro, Parma 2004; pag. 34 + tavola illustrata a colori, Euro 5

 

Con la pubblicazione del testo di una conferenza del geopolitico tedesco Karl Haushofer1, dedicata alle affinità culturali tra l’Italia, la Germania e il Giappone, viene inaugurata, a cura delle Edizioni all’insegna del Veltro, la collana “Quaderni di Geopolitica”.

 

La conferenza “Analogie di sviluppo politico e culturale in Italia, Germania e Giappone“ venne tenuta dal professore tedesco, su invito del grande orientalista e tibetologo italiano Giuseppe Tucci2, il 12 marzo 1937, a Roma, presso l’Istituto per il Medio ed Estremo Oriente (ISMEO) 3.

 

Essa si inserisce, storicamente, come peraltro puntualmente evidenziato dal curatore del Quaderno, Carlo Terracciano, nel contesto delle attività culturali volte a informare e sensibilizzare l’intellighenzia italiana sulle opportunità e necessità, nonché problematicità, sottese all’accordo politico-militare relativo all’asse Roma-Berlino, siglato tra Italia e Germania il 24 ottobre 1936, e a quello antikomintern firmato, nello stesso periodo, tra Germania e Giappone. Ma testimonia soprattutto un aspetto, ancora poco esplorato dagli storici della cultura e della politica estera italiana, quello delle attività dell’ISMEO, ed in particolare del suo fondatore e vicepresidente, Giuseppe Tucci - originale ed inascoltato assertore dell’unità geopolitica dell’Eurasia4 - orientate alla promozione di una visione culturale, geopoliticamente fondante, dei rapporti tra l’Europa e il continente asiatico.

 

Un’impostazione, quella del Tucci, che si contraddistingue per essere non solo puramente culturale, accademica e, occasionalmente, di supporto alla nuova politica dell’appena nato impero italiano, ma per operare una sorta di svecchiamento, sia in ambito culturale che politico, dell’ancora persistente mentalità piccolo nazionalista sabauda che, nel solco della prassi colonialista italiana dei primi del Novecento, tentava di condizionare il nuovo corso impresso dal governo di Mussolini alla politica estera. A questo riguardo è utile riportare l’acuta osservazione di Alessandro Grossato che, sulla base di una lunga e profonda consuetudine con l’opera di G. Tucci, ritiene il fondatore dell’ISMEO un vero e proprio eurasiatista ed afferma che l’espressione “Eurasia, un continente” veniva intesa dall’orientalista marchigiano in un’accezione “soprattutto culturale, volendo [con essa] sottolineare le grandi identità di fondo fra civiltà solo in apparenza così distanti nello spazio e nella mentalità”5.

 

Il convincimento di Tucci sulla culturale identità di fondo delle civiltà eurasiane suppone un’adesione, da parte dello studioso italiano, a quel sistema di pensiero che interpreta le singole culture quali autonome ed autoconsistenti manifestazioni storiche di un unico sapere primordiale e ad esso le riconduce al fine di coglierne gli aspetti autenticamente fondativi. Il ricondurre le varie espressioni culturali ad un’unica tradizione primordiale si traduce, sul piano della ricerca storica e dell’analisi geopolitica, in un procedimento comparativo, che Haushofer, (inconsapevolmente e) magistralmente, adotta e utilizza in questa breve conferenza dedicata a individuare le analogie tra l’Italia, la Germania e il Giappone. Haushofer, pur basandosi su criteri oggettivi e “scientifici”, quali sono quelli della geopolitica, sorprendentemente6, perviene agli stessi risultati cui sembra essere giunto Tucci. Il geopolitico tedesco, infatti, nella sintetica e veloce conclusione di questa conferenza, si augura che “Possa questo modo di vedere i popoli [l’essersi cioè egli adoperato, nella sua prolusione, a porre in piena luce le armonie e le analogie che possono facilitare la comprensione reciproca dei grandi popoli tedesco, italiano e giapponese] superare qualunque tempesta d’odio di razza e di classe, soprattutto tra i sostegni del futuro.”

 

Certo, chi è abituato a sentir parlare di Haushofer come un rappresentante del cieco e rozzo pangermanesimo, o del cosiddetto imperialismo germanico, rimarrà stupito nel leggere questa frase appena citata.

 

Sarà proprio il fallimento della naturale alleanza eurasiatica, preconizzata negli anni Trenta dagli Haushofer, dai Tucci e dai Konoe7, a far precipitare i popoli e le nazioni dell’intero globo in una tempesta di cui ancora, dopo oltre sessanta anni, non si intravede la fine e che, anzi, è continuamente alimentata dall’odierna politica neocolonialista dei governi di Washington e Londra e dai propagandisti dello scontro di civiltà.

 

Il procedimento comparativo adottato da Haushofer lungi dall’appiattire le differenze tra i popoli presi in considerazione e dallo svilirne le appartenenze etniche, in virtù della generica appartenenza al genere umano e secondo la triste e riduttiva visione individualista, valorizza armonicamente, al contrario, le affinità e le differenze, e le riconduce ad un’analoga condivisione, pur con sensibilità diverse, di valori che potremmo definire ad un tempo etici ed estetici, cioè “nobili”. Essi si esprimono, nella visione haushoferiana, sia per il Giappone, sia per la Germania, l’Italia e la Russia in una loro precisa funzione geopolitica, quella di concorrere all’unificazione della massa continentale e di difenderne pertanto il limes, al fine di poter sviluppare armonicamente le potenzialità delle popolazioni che vi abitano. Si contrappongono dunque alle “invasioni” degli uomini del mare, del commercio, della morale individualistica, del lusso e del consumo, ai predatori delle risorse naturali.

 

Il testo di Haushofer si contraddistingue per la sua chiarezza e semplicità, ed in questo senso rappresenta un documento didattico di rilevante importanza per gli studiosi di geopolitica. Da scienziato della geopolitica, egli evidenzia gli elementi geografici che hanno influito sulla storia e sulla politica dei tre popoli in esame, soffermandosi brevemente sulla analoga formazione delle cellule regionali avvenuta in Germania e in Giappone, e sulla fondazione di Roma, Berlino e Tokyo, città fondate originariamente sul confine nordest delle loro regioni, e “debitrici di una parte del loro splendore alla circostanza che la loro posizione di margine, in origine coloniale, si rivelò più tardi favorevolissima agli scambi ed ebbe funzione di ponte. Il flavus Tiberis, l’originaria valle di congiunzione dell’Oder coll’Elba, e il Kwanto col ponte Nihon provvedono alle città rispettive una posizione similmente favorevole e sono loro debitrici di analoga protezione.” Ma accanto ai dettami del determinismo geopolitico, Haushofer sottolinea le affinità culturali tra Italia, Germania e Giappone, che nota soprattutto nel “ghibellin fuggiasco” Dante Alighieri, araldo dell’idea imperiale, in Chikafusa8, un altro grande fuggiasco nonché impareggiabile autore del Jinnoshiki, e nei Minnesaenger tedeschi “fedeli all’Imperatore e al popolo”. Altre affinità colte da Haushofer sono quella tra lo spirito della Cavalleria occidentale e il Bushido giapponese e quella dei comportamenti tra coloro che egli chiama gli eroi fondatori del risorgimento nazionale: Ota Nobunaga, Sickingen-Wallestein, Cesare Borgia.

Haushofer sostiene che si possa parlare anche per il Giappone, come per l’Italia e la Germania di un periodo romanico, gotico, rinascimentale, barocco, di un rococò, di un romanticismo e financo di uno stile impero.

 

Un termine che ricorre spesso negli scritti Haushofer è quello di “destino”. E’ forse nel sintagma “destino comune” che si esprimono più compiutamente le affinità di popoli (apparentemente) tanto diversi sul piano culturale e etnicamente differenti su quello fisico. La coscienza di un destino comune dei popoli e delle nazioni che vivono nel “paesaggio” eurasiatico è la sola arma che abbiamo per sconfiggere la civilizzazione occidentalistica e talassocratica dei predoni del XXI secolo.

 

1) Karl Haushofer (Monaco, 27 agosto 1869 – Berlino, 10 marzo 1946), fondatore della rivista Zeitschrift für Geopolitik ed autore di numerose opere di geopolitica, fu assertore dell’unità geopolitica della massa continentale eurasiatica. Demonizzato come ideologo del cosiddetto espansionismo hitleriano, fu invece autenticamente antimperialista. Secondo lo studioso belga Robert Steuckers, “la geopolitica di Haushofer era essenzialmente anti-imperialista, nel senso che essa si opponeva agli intrighi di dominio delle potenze talassocratiche anglosassoni. Queste ultime impedivano l’armonioso sviluppo dei popoli da loro sottomessi e dividevano inutilmente i continenti”. In traduzione italiana è disponibile l’opera di Haushofer Il Giappone costruisce il suo impero, a cura di Carlo Terracciano, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma, 1999.

 

2) Giuseppe Tucci (Macerata, 5 giugno 1894 - San Polo dei Cavalieri (Tivoli), 5 aprile 1984) ritenuto il più grande orientalista italiano del Novecento, e fra i massimi tibetologi a livello internazionale, nel 1930 diviene docente di lingua e letteratura cinese all'Università di Napoli, e nel 1932 insegna religione e filosofia dell'Estremo Oriente all'Ateneo di Roma. Nel 1933 fonda l'Istituto italiano per il Medio ed Estremo Oriente. “L'attenzione rivolta anche agli aspetti politico-economici è documentata, oltre che dalle numerose pubblicazioni dell'Istituto come i periodici Bollettino dell'Istituto italiano per il Medio ed Estremo Oriente (1935) e Asiatica (1936-1943), dallo specifico interesse di Tucci per la geopolitica dell'Asia in un periodo cruciale della sua storia, e dalla sua amicizia personale con Karl Haushofer, che invita a tenere importanti conferenze su questa materia. Tucci concentra i suoi viaggi di ricerca nella vasta regione himalayana, quale naturale crocevia storico fra tutte le diverse culture dell'Asia, raccogliendo sistematicamente materiale archeologico, artistico, letterario, di documentazione storica e altro. Risultati eccezionali vengono così ottenuti dalle sue lunghe spedizioni in Tibet fra il 1929 e il 1948, anno in cui l'Is.M.E.O. riprende in pieno la sua attività postbellica sotto la sua diretta presidenza, destinata a durare fino al 1978. Tra il 1950 e il 1955 egli organizza nuove spedizioni in Nepal, seguite dalle campagne archeologiche in Pakistan ('56), in Afghanistan nel ('57) ed in Iran ('59). Sempre nel 1950 avvia il prestigioso periodico in lingua inglese East and West, e nel 1957 fonda il Museo Nazionale di Arte Orientale di Roma. Tra i suoi numerosi ed importanti scritti ricorderemo solamente, sia i sette volumi di Indo-tibetica (Accademia d'Italia, 1932-1942) che i due di Tibetan Painted Scrolls (Libreria dello Stato, 1949) per la loro ampiezza documentaria, e la Storia della filosofia indiana (Laterza, 1957) per la sua portata innovativa, specie per quanto riguarda la logica indiana. Ma Giuseppe Tucci ci ha soprattutto trasmesso la sua appassionata ed intelligente dimostrazione dell'unità culturale dell'Eurasia, e una lucida consapevolezza del fatto che, giunti come siamo ad un capolinea della storia, essa dovrà tradursi anche in un'effettiva unità geopolitica.” (Alessandro Grossato, Giuseppe Tucci in http://www.ideazione.com/settimanale/78-20-12-2002/78tucc...).

 

3) L’Istituto per il Medio ed Estremo Oriente venne fondato nel 1933 su iniziativa del tibetologo Giuseppe Tucci e di Giovanni Gentile, che ne assunsero rispettivamente la vicepresidenza e la presidenza, con lo scopo di “promuovere e sviluppare i rapporti culturali fra l'Italia e i paesi dell'Asia Centrale, Meridionale ed Orientale ed altresì di attendere all'esame dei problemi economici interessanti i Paesi medesimi”.

Nel 1995 l’Ismeo è stato accorpato all’Istituto Italo Africano (IIA) dando origine all’Istituto Italiano per l’Africa e l’Oriente (IsIAO), che ne ha raccolto l’eredità e gli scopi culturali nonché la prestigiosa biblioteca.

 

4) Confronta Alessandro Grossato, Il libro dei simboli. Metamorfosi dell’umano tra Oriente e Occidente Mondatori, 1999.

 

5) A. Grossato, op. cit. p.10

 

6) Haushofer venne invitato dall’ISMEO per una seconda conferenza, che si tenne il 6 marzo 1941. Il testo della conferenza “Lo sviluppo dell’ideale imperiale nipponico” è, attualmente, in corso di stampa per le Edizioni all’insegna del Veltro.

 

7) “Il leader degli Eurasiani giapponesi era il principe Konoe, uno dei politici più in vista del Giappone d’anteguerra, primo ministro dal 1937 al 1939 e dal 1940 al 1941; ministro di Stato nel 1939; membro di gabinetto nel 1945 del principe Hikasikuni (gabinetto che firmò la capitolazione e fu, pressoché interamente, arrestato dagli Americani). Konoe era sostenitore della maggiore integrazione possibile con la Cina, dell’unione con la Germania ed era un risoluto avversario della guerra contro l’Unione Sovietica (il patto di non aggressione fu firmato quando egli era primo ministro). Konoe odiava gli Americani e si suicidò nell’autunno del 1945 alla vigilia del suo arresto. Ancora oggi, egli gode di una grande notorietà in Giappone e la sua personalità suscita sempre rispetto.” (da una lettera del nippologo russo Vassili Molodiakov al geopolitico e filosofo Alexander Dughin, pubblicata in Elementy, n.3 - http://www.asslimes.com/documenti/mondialismo/giappone.htm).

 

8) Kitabatake Chikafusa (1293-1354), nell’opera classica (Jinnoshiki) del pensiero politico giapponese, fissava, in coerenza con la tradizione shintoista, i principi di legittimità della discendenza imperiale

 

 

jeudi, 04 septembre 2008

V.Dachitchev : les Etats-Unis veulent la guerre

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Géorgie: les Etats-Unis veulent la guerre

Entretien avec le Professeur Viatcheslav Dachitchev, ancien conseiller de Gorbatchev

 

Q.: Professeur Dachitchev, avez-vous été étonné de l’escalade en Géorgie?

 

VD: Non, à plusieurs reprises j’avais prévu qu’une guerre allait survenir dans la région. Depuis que Mikhail Saakachvili a pris le pouvoir en Géorgie, ce pays est devenu un satellite des Etats-Unis. Les dirigeants américains veulent la guerre dans le Caucase. Le but est d’abord de chasser la Russie du Caucase et des rives de la Mer Noire, ensuite d’y attiser un foyer de conflictualité permanente et de l’exporter en Asie centrale.

 

Q.: Cette guerre aurait-elle pu être évitée?

 

VD: Probablement. Les dirigeants russes auraient du reconnaître l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud comme des Etats pleinement indépendants et forger avec eux une alliance défensive. Cela ne s’est pas passé: j’estime que c’est une grave erreur.

 

Q.: Exactement comme l’Occident a reconnu  le Kosovo...

VD: Bien entendu.

 

Q.: Pourquoi cela ne s’est-il pas passé?

 

VD: Parce que jusqu’ici le Kremlin avait parié pour une politique d’apaisement face à Washinton, même si l’OTAN se rapprochait toujours davantage du territoire russe. S’il n’avait fallu tenir compte que de la volonté américaine, la Géorgie aurait été depuis  longtemps membre de l’OTAN. Cette politique américaine d’agression pourrait mener à une guerre mondiale.

 

Q.: Comment?

 

VD: Il y a cinq ans déjà, j’évoquais une crise de pré-belligérance, dans laquelle nous nous trouvons toujours. Tous les paramètres le confirment. La comparaison avec les situations qui règnaient avant les première et deuxième guerres mondiales est possible. Jusqu’à présent, Washington a parié pour l’ “approche indirecte” (“indirect approach”), telle que l’avait décrite l’historien militaire Basil Liddell Hart. Le but était d’affaiblir la Russie de manière si décisive qu’on aurait pu la dominer de l’intérieur et l’éliminer en tant que contrepoids militaire et politique des Etats-Unis. Cette stratégie de l’approche indirecte peut cependant déboucher rapidement sur une “guerre chaude”, comme viennent de le démontrer les événements de Géorgie. Les Etats-Unis ne se contentent pas de susciter des conflits dans le Caucase: ils le font aussi au Proche Orient, en Iran, en Pologne et en Lituanie et surtout, ce qui est le pire aux yeux des Russes, en Ukraine.

 

Q.: Quelle sera l’issue du conflit russo-géorgien?

 

VD: Saakachvili a fort mal calculé son coup. Depuis longtemps, on prêche la haine de la Russie en Géorgie et l’on y développe une progagande virulente et hostile à notre pays. Mais les Ossètes du Sud se réclament de la Russie et la plupart d’entre eux possède la citoyenneté russe. Les Abkhazes sont musulmans mais se réclament, eux aussi, de la Russie. Poutine ne peut plus se retirer de ces régions, sans perdre la face.

 

Q.: Une guerre contre l’Iran est-elle encore à l’ordre du jour?

 

VD: Oui. L’opinion publique est préparée de manière optimale pour accepter une attaque contre l’Iran. Depuis deux ans, la menace est militairement bien présente dans la région. Le monde commence à se lasser de cette question iranienne: c’est quand  cette lassitude aura atteint un point “x” que l’attaque surviendra, soudainement.

 

Q.: Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure vous avez apprécié Alexandre Soljénitsyne, le Prix Nobel de littérature, récemment décédé?

VD: Soljénitsyne a critiqué le système stalinien de manière virulente et, simultanément, il  s’est avéré un grand patriote. C’est pour cette raison qu’il n’a pas pu rester aux Etats-Unis. Il s’opposait à fond à la politique hégémonique poursuivie par les Etats-Unis et ne cessait de souligner la spécificité des peuples. Lorsqu’Eltsine a voulu lui  octroyer la plus haute distinction russe, l’Ordre de Saint-André, il a refusé de l’accepter, car c’était Eltsine qui avait ruiné le pays.

 

Q.: Estimez-vous fondé le reproche d’antisémitisme que l’on adresse à Soljénitsyne, pour ses deux ouvrages “Les juifs en Union Soviétique” et “Deux siècles ensemble” (trois tomes qui relatent les rapports entre Russes et Juifs au cours de l’histoire récente de la Russie)?

 

VD: J’ai lu ces ouvrages et je les tiens pour équilibrés et pondérés. Si l’étude des faits révèle un rôle négatif des juifs dans la révolution de février ou dans la révolution d’octobre, cela ne signifie nullement que leur simple évocation relève de l’antisémitisme.

 

Q.: Vous étiez officier dans l’Armée Rouge en 1945, tout comme Soljénitsyne. Avez-vous lu les rapports qu’il a écrits, à l’époque, sur l’entrée de cette Armée Rouge en Prusse orientale?

 

VD: Oui. Mais à la différence de Soljénitsyne et de Lev Kopelev, que j’ai personnellement bien connu, mon unité n’a pas été engagée en Prusse orientale, mais en Slovaquie.

 

(entretien paru dans DNZ, Munich, n°34/2008 – août 2008 – trad. franç.: Robert Steuckers).

mardi, 02 septembre 2008

Analyse géopolitique des événements de Géorgie

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John LAUGHLAND:

Analyse géopolitique des événements de Géorgie

 

Sir Halford John Mackinder (1861-1947), professeur de géographie à l’Université d’Oxford, directeur de la London School of Economics et membre du Parlement, est généralement considéré comme le fondateur de la “géographie politique”. Profondément pénétré de l’idée très britannique qu’il est nécessiare de maintenir l’équilibre entre les puissances du continent pour pouvoir conserver l’hégémonie sur la mer, Mackinder, en 1904, pose sa fameuse affirmation: l’Eurasie est le pivot géographique de l’histoire mondiale; de cette affirmation découle que celui qui contrôle l’Europe orientale contrôle simultanément l’Eurasie et, par conséquence, le monde entier.

 

Ses écrits ont eu une influence énorme, qui s’exerce encore aujourd’hui: Zbigniew Brzezinski, le conseiller de Jimmy Carter pour les questions de sécurité nationale, est l’un des principaux débiteurs actuels de Mackinder, notamment pour sa théorie qui veut que l’Amérique doit exercer un contrôle sur l’Asie centrale pour consolider sa propre hégémonie dans le monde. Cependant, les férus actuels de géopolitique ne se rappellent guère que le sommet de la carrière politique de Mackinder fut atteint en 1919, lorsque Lord Curzon, ministre des affaires étrangères, le nomma Haut Commissaire britannique pour la Russie méridionale.

 

La Grande-Bretagne de l’époque avait envoyé des troupes en Russie méridionale pour combattre aux côtés des forces anti-bolcheviques commandées par le Général Denikine. Mackinder avait persuadé ce dernier de reconnaître l’indépendance des peuples du Caucase en cas de victoire blanche; dès que Mackinder s’en retourna à Londres, il déclara que la Grande-Bretagne aurait dû forger une alliance entre une Ukraine indépendante et les Etats du Caucase et maintenir un contrôle sur la ligne de chemin de fer Bakou/Batoum afin de ne pas mettre en danger les fournitures de pétrole en provenance de la Caspienne et afin d’empêcher les Bolcheviques de règner sur l’ensemble des côtes septentrionales de la Mer Noire. A l’époque, la Grande-Bretagne n’opta pas pour cette politique et l’Union Soviétique de Lénine a fini par contrôler efficacement tous les territoires qui avaient appartenu jadis à l’Empire russe (même si elle le transforma en une “fédération”). La vision de Mackinder, elle, n’est devenue réalité qu’un peu moins d’un siècle plus tard, en 1991, au moment de l’effondrement de l’Union Soviétique.

 

C’est à la lumière de cette perspective historique et idéologique que nous devons appréhender, aujourd’hui, le soutien énergique qu’ont apporté les géo-stratèges américains à l’adhésion à l’OTAN de tous les pays riverains de la Mer Noire qui ne le sont pas encore, c’est-à-dire l’Ukraine et la Géorgie. Comme Mackinder jadis, les géo-stratèges américains actuels veulent transformer la Mer Noire en un lac “otanique” et expulser la Russie de tous les territoires pontiques qu’elle a absorbés au cours de l’histoire. Leurs objectifs sont au nombre de trois: 1) protéger les fournitures énergétiques; 2) contribuer à la “démocratisation” (c’est-à-dire à l’occidentalisation) du “Grand Moyen-Orient” de Casablanca à Kaboul; et 3) infliger une défaite décisive à la Russie sur le plan géostratégique. Ces objectifs expliquent pourquoi l’Occident a soutenu Victor Youchtchenko en Ukraine, un politicien pro-OTAN, ainsi que la décision du gouvernement géorgien de reprendre le contrôle de deux provinces séparatistes, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, où les tensions se sont dangereusement amplifiées, avec des dizaines de tués lors d’un affrontement aux abords de la capitale sud-ossète Tskhinvali.

 

Quelles sont les chances de succès de l’Occident dans son entreprise? Certes, plusieurs éléments de la théorie de Mackinder ont déjà été traduits dans le réel: l’UE et l’OTAN ont été élargies en direction de l’Est et l’influence de l’Occident vient de progresser en Serbie. Le projet de créer un bouclier “anti-missiles” en Europe orientale avance également et, quand il sera parachevé, il constituera indubitablement une menace pour la Russie. Mais la violence dans le Caucase, si elle s’intensifie, sera la première véritable guerre pour un objectif stratégique depuis l’invasion de l’Irak en 2003; l’ “indépendance” du Kosovo, elle, a été obtenue sans qu’un seul coup de feu n’ait été tiré.

 

Dans son dernier livre, “Le nouveau XXIe siècle”, l’économiste français Jacques Sapir écrit, de manière particulièrement convaincante, que le projet de créer un empire mondial américain est mort-né et cela, depuis 2003. Bien sûr, le projet agite encore l’esprit de quelques fanatiques à Washington.

 

Evidemment, l’économie et la politique des Etats-Unis continuent d’être lourdement influencées par l’industrie militaire, qui stipendie les politiciens pour qu’ils plaident la cause d’un expansionisme militaire, qui a encore le vent en poupe. Enfin, il est patent aussi que les Etats-Unis font montre d’une tendance inquiétante à susciter de nouvelles crises pour distraire l’attention des observateurs, afin qu’ils n’examinent plus trop les crises plus anciennes.

 

Mais les guerres d’usure en Irak et en Afghanistan démontrent que les Etats-Unis ne peuvent effectivement “démocratiser” le Moyen-Orient ni le contrôler véritablement; il s’avère dès lors de plus en plus difficile, dans de telles conditions, de songer à vouloir contrôler toute l’Asie centrale, pour ne pas évoquer l’ensemble du monde. L’armée américaine, finalement, n’est pas assez nombreuse. On peut douter que Washington décide d’envoyer ses propres troupes pour combattre contre les forces pro-russes (ou russes) en Géorgie, même si une telle éventualité reste malgré tout fort probable si John McCain devient président. Mais il ne sera pas nécessairement vrai que “celui qui contrôle Tskhinvali, contrôle le monde”. Néanmoins, l’issue de cette guerre décidera de l’équilibre des forces entre la Russie et l’Amérique dans les prochaines années à venir.

 

John LAUGHLAND.

(article paru dans “Rinascita”, Rome, 12 août 2008; trad. franç.: Robert Steuckers).

lundi, 01 septembre 2008

Les Indo-Européens dans la Chine antique

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Reconstitution d'une des momies d'Urumtchi

 

Les Indo-Européens dans la Chine antique

Dans le livre troisième de son fameux Essai sur l'inégalité des races humaines, publié dans les années 50 du 19ième siècle, Arthur de Gobineau décrivait les flux migratoires des peuples indo-européens en Orient et relevait que «vers l'année 177 av. J. C., on rencontrait de nombreuses nations blanches à cheveux clairs ou roux et aux yeux bleus, in­stal­lées sur les frontières occidentales de la Chine. Les scribes du Céleste Empire, auxquels nous devons de connaître ce fait, citent cinq de ces nations… Les deux plus connues sont le Yüeh-chi et les Wu-suen. Ces deux peuples habitaient au nord du Hwang-ho, aux confins du désert de Gobi… De mê­me, le Céleste Empire avaient pour sujets, au sein de ses provinces du Sud, des nations aryennes-hindoues, immi­grées au début de son histoire» (1).

Arthur de Gobineau tirait ses informations des études de Ritter (Erdkunde, Asien) et de von Humboldt (Asie centra­le); tous deux se basaient sur les annales chinoises de la dynastie han, dont les premiers souverains ont commencé leur règne en 206 av. J. C. De fait, nous savons aujourd'hui que, dès le 4ième siècle avant J.C., les documents histo­riques du Céleste Empire évoquaient des peuples aux che­veux clairs, de mentalité guerrière, habitant sur les confins du territoire, dans ce que nous appelons aujourd'hui le Tur­kestan chinois ou le Xinjiang. Selon Gobineau, ces faits at­testaient de la puissance expansive et implicitement civi­lisatrice des populations "blanches". Mais, au-delà des in­ter­prétations unilatérales et, en tant que telles, inac­cepta­bles de l'écrivain français, presque personne n'a pris en con­sidération la signification que ces informations auraient pu revêtir pour retracer l'histoire de la culture et des in­fluences culturelles, sur un mode moins banal et linéaire que celui qui était en vogue au 19ième siècle.

On a plutôt eu tendance à rester incrédule quant à la fia­bilité des annales, parce qu'on était animé par un in­décrottable préjugé euro-centrique, selon lequel les peu­ples de couleurs étaient en somme des enfants un peu fan­tas­ques, incapables de saisir l'histoire dans sa concrétude. En outre, à l'époque, il était impossible de vérifier la pré­sence de ces populations "blanches" : même en admettant qu'elles aient existé, personne ne pouvait dire depuis com­bien de temps elles avaient disparu, noyées dans la mer mon­tante des populations asiatiques voisines. Cette zone géographique, jadis traversée par la légendaire "route de la soie" et devenue depuis longtemps en grande partie dé­sertique, était devenue inaccessible aux Européens, qui ne pouvaient évidemment pas y mener à bien des études ar­chéologiques sérieuses et approfondies.

Latin, irlandais ancien et tokharien

Comme l'a souligné Colin Renfrew, célèbre pour ses recher­ches sur les migrations indo-européennes, ce n'est qu'au dé­but du 20ième siècle que les premiers érudits ont pu s'a­ven­turer dans la région, en particulier dans la dépression du Ta­rim et dans diverses zones avoisinantes (2). Ils ont trou­vé de nombreux matériaux, bien conservés grâce à l'ex­trême aridité du climat désertique qui règne là-bas. Il s'agit essen­tiellement de textes en deux langues, écrits dans une lan­gue jusqu'alors inconnue, qui utilisait cependant un al­pha­bet du Nord de l'Inde; à côté du texte en cette langue, fi­gurait le même texte en sanskrit. Ce qui a permis de la com­prendre et de l'étudier assez rapidement. Cette langue a été appelée par la suite le "tokharien", dénomination que l'on peut juger aujourd'hui impropre. Elle se présentait sous deux formes légèrement différentes l'une de l'autre, qui ré­vélaient "diverses caractéristiques grammaticales les liant au groupe indo-européen" (3). Notons le fait que les res­sem­blances les plus frappantes liaient cette langue au cel­tique et au germanique, plutôt qu'aux groupes plus proches de l'iranien et des autres langues aryennes d'Asie. A titre d'exemple, nous comparerons quelques mots fondamentaux que l'on retrouve respectivement en latin, en irlandais an­cien et en tokharien. "Père" se dit "pater", "athir" et "pa­cer"; "Mère" se dit "mater", "mathir" et "macer"; ""Frère" se dit "frater", "brathir" et "procer"; "Sœur" se dit "soror", "siur" et "ser"; "Chien" se dit "canis", "cu" et "ku" (4). A titre de cu­riosité, signalons une autre correspondance: le nombre "trois" se dit "tres" en latin, "tri" en irlandais ancien et "tre" en tokharien.

Les affinités sont donc plus qu'évidentes. «Les documents remontent aux 7ième et 8ième siècles après J. C. et com­pren­nent des correspondances et des comptes rendus émanant de monastères… Des deux versions de la langue tokharien­ne, la première, nommée le "tokharien A" se retrouve éga­lement dans des textes découverts dans les cités de Ka­rashar et de Tourfan, ce qui a amené certains savants à l'ap­peler le "tourfanien". L'autre version, appelée "tokha­rien B", se retrouve dans de nombreux documents et textes trouvés à Koucha et donc baptisée "kouchéen" (5).

Processus endogène ou influence exogène? 

Aujourd'hui, on tend à penser que ces langues ont été par­lées par les Yüeh-chi (ou "Yü-chi"), le peuple mentionné dans les annales antiques, peuple qui avait entretenu des contacts prolongés avec le monde chinois. C'est là un point fondamental, qui est resté longtemps sans solution. En fait, sur la naissance de la civilisation chinoise, deux opinions s'affrontent : l'une entend privilégier un processus entiè­rement endogène, sans aucune influence extérieure d'au­tres peuples; l'autre, au contraire, met en évidence des apports importants, fondamentaux même, venus d'aires cul­turelles très différentes. La première thèse est na­tu­rellement la thèse officielle des Chinois, mais aussi celle de tous ceux qui s'opposent à toute conception de l'histoire qui pourrait donner lieu à des hypothèses "proto-colonialistes" vo­yant en l'Occident la matrice de tout progrès. Les dé­fenseurs les plus convaincants de la thèse "exogène" —c'est-à-dire Gobineau, déjà cité, mais aussi Spengler, Kossina, Gün­ther, Jettmar, Romualdi, etc.—  sont ceux qui souli­gnent, de manières très différentes, le rôle civilisateur des peuples indo-européens au cours de leurs migrations, par­ties de leur patrie primordiale, pour aboutir dans les con­trées lointaines auxquelles ils ont donné une impulsion bien spécifique. Bien sûr, dans certains cas, ces auteurs ont con­staté que l'apport culturel n'a pas été suffisamment fort pour "donner forme" à une nouvelle nation, vu le nombre réduit des nouveaux venus face aux populations indigènes; néanmoins, la simple présence d'une influence indo-euro­péenne a suffit, pour ces auteurs, pour imprimer une im­pul­sion vivifiante et pour animer un développement chez ces peuples avec lesquels les migrants indo-européens en­traient en contact. Ce serait le cas de la Chine avec les Tokhariens.

Par exemple, Spengler (6) souligne l'importance capitale de l'introduction du char de guerre indo-européen dans l'évolution de la société chinoise au temps de la dynastie Chou (1111-268 av. J. C.). D'autres auteurs, comme Hans Gün­ther, plusieurs dizaines d'années plus tard, avait avancé plusieurs hypothèses bien articulées et étayées de faits importants, attribuant à cette pénétration de peuples indo-européens l'introduction de l'agriculture parmi les tributs nomades d'Asie centrale, vers la moitié du deuxième millé­naire; il démontrait en outre comment l'agriculture s'était répandue en Asie centrale, parallèlement à l'expansion de populations de souche nordique.

Bronze et chars de guerre

De même, l'introduction du bronze en Chine semble, elle aussi, remonter aux invasions indo-européennes; ensuite, on peut supposer qu'aux débuts de l'histoire chinoise, il y a eu l'invasion d'un peuple équipé de chars de guerre, venu du lointain Occident. Par ailleurs, on peut dire que les sinologues actuels reconnaissent tous l'extrême importance du travail et du commerce du bronze dans le dévelop­pe­ment de la société en Chine antique (7). La même impor­tance est attribuée aujourd'hui, par de plus nombreux sino­logues, à l'introduction de certaines techniques agricoles et du char hippo-tracté.

Les études de Günther sur le parallélisme entre la présence de peuples aux cheveux clairs et la diffusion de la culture indo-européenne en Asie ont d'abord été diabolisées et os­tracisées, mais, aujourd'hui, au regard des apports nou­veaux de l'archéologie, elles méritent une attention nou­velle, du moins pour les éléments de ces études qui de­meu­rent valables. Peu d'érudits se rappellent que, dans l'oasis de Tourfan, dans le Turkestan chinois, où vivaient les To­khariens, on peut encore voir des fresques sur lesquelles les ressortissants de ce peuple sont représentés avec des traits nettement nord-européens et des cheveux clairs (8). C'est une confirmation de la fiabilité des annales du Céleste Em­pire. On ne peut donc plus nier un certain enchaînement de faits, d'autant plus que l'on dispose depuis quelques années de preuves plus directes et convaincantes de cette in­stallation très ancienne d'éléments démographiques indo-européens dans la zone asiatique que nous venons d'évo­quer. Ces installations ont eu lieu à l'époque des grandes mi­grations aryennes vers l'Est (2ième millénaire avant J. C.), donc avant que ne se manifestent certains aspects de la ci­vilisation chinoise.

Ces preuves, disions-nous, nous n'en disposons que depuis quelques années…

Les traits europoïdes des momies d'Ürümtchi

En 1987, Victor Mair, sinologue auprès de l'Université de Pennsylvanie, visite le musée de la ville d'Ürümtchi, capita­le de la région autonome du Xinjiang. Il y voit des choses qui provoquent chez lui un choc mémorable. Il s'agit des corps momifiés par cause naturelle de toute une famille : un homme, une femme et un garçonnet de deux ou trois ans. Ils se trouvaient dans une vitrine. On les avait dé­couverts en 1978 dans la dépression du Tarim, au sud du Tian Shan (les Montagnes Célestes) et, plus particu­lière­ment, dans le désert du Taklamakan (un pays peu hos­pi­ta­lier à en juger par la signification de son nom : "on y entre et on sort plus!").

Plusieurs années plus tard, Mair déclare au rédacteur du men­­suel américain Discover : «Aujourd'hui encore, je res­sens un frisson en pensant à cette première rencontre. Les Chinois me disaient que ces corps avaient 3000 ans, mais ils semblaient avoir été enterrés hier» (9). Mais le véritable choc est venu quand le savant américain s'est mis à ob­ser­ver de plus près leurs traits. Ils contrastaient vraiment avec ceux des populations asiatiques de souche sino-mon­gole; ces corps momifiés présentaient des caractéristiques soma­tiques qui, à l'évidence, étaient de type européen et, plus précisément, nord-européen. En fait, Mair a noté que leurs cheveux étaient ondulés, blonds ou roux; leurs nez étaient longs et droits; ils n'avaient pas d'yeux bridés; leurs os é­taient longs (leur structure longiligne contrastait avec cel­le, trapue, des populations jaunes). La couleur de leur épi­derme —maintenu quasi intact pendant des millénaires, ce qui est à peine croyable—  était typique de celle des po­pu­lations blanches. L'homme avait une barbe épaisse et drue. Toutes ces caractéristiques sont absentes au sein des po­pulations jaunes d'Asie.

Les trois "momies" (il serait plus exact de dire les trois corps desséchés par le climat extrêmement sec de la région et conservés par le haut taux de salinité du terrain, qui a empêché la croissance des bactéries nécrophages) consti­tuaient les exemplaires les plus représentatifs d'une série de corps —à peu près une centaine— que les Chinois avaient déterrés dans les zones voisines. Sur base des datations au radiocarbone (10), effectuées au cours des années précé­den­tes par des chercheurs locaux, on peut dire que ces corps avaient un âge variant entre 4000 et 2300 ans. Ce qui nous amène à penser que la population, dont ils étaient des ressortissants, avait vécu et prospéré pendant assez long­temps dans cette région, dont la géologie et le climat de­vaient être plus hospitaliers dans ce passé fort lointain (on y a d'ailleurs retrouvé de nombreux troncs d'arbre dessé­chés).

Spirales et tartans

Le matériel funéraire et les vêtements de ces "momies", eux aussi, se sont révélés fort intéressants. Par exemple: la présence de symboles solaires, comme des spirales et des swastikas, représentés sur les harnais et la sellerie des che­vaux, relie une fois de plus ces personnes aux Aryens de l'antiquité, sur le plan culturel.

L'étoffe utilisée pour fabriquer leurs vêtements était la lai­ne, qui fut introduite en Orient par des peuples venus de l'Ouest. Le "peuple des momies" connaissait bien l'art du tis­sage: on peut l'affirmer non seulement parce que l'on a re­trouvé de nombreuses roues de métier à tisser dans la ré­gion mais aussi parce que les tissus découverts sont d'une excellente facture. Pour attester des relations avec le Cé­leste Empire, on peut évoquer une donnée supplémentaire: la présence d'une petite composante de soie dans les effets les plus récents (postérieurs au 6ième siècle av. J. C.), qui ont de toute évidence été achetés aux Chinois. Les autres éléments vestimentaires, dans la majeure partie des cas, dé­montrent qu'il y avait des rapports étroits avec les cul­tu­res indo-européennes occidentales; le lot comprend notam­ment des vestes ornées et doublées de fourrure et des pan­talons longs.

Plus révélateur encore: on a retrouvé dans une tombe un fragment de tissu quasi identique aux "tartans" celtes (11) dé­couverts au Danemark et dans l'aire culturelle de Hall­statt en Autriche, qui s'est développée après la moitié du 2ième millénaire avant J. C., donc à une époque contempo­rai­ne de celle de ces populations blanches du Xinjiang. Si l'on pose l'hypothèse que les Celtes d'Europe furent les an­cêtres directs de ces Tokhariens (ou étaient les Tokhariens tout simplement), cette preuve archéologique s'accorde bien avec ce que nous disions plus haut à propos des simi­litudes entre la langue celtique et celle des Indo-Européens du Turkestan chinois : les deux données, l'une linguistique, l'autre archéologique, se renforcent l'une l'autre.

Chapeau à pointe et coquillages

Autre élément intéressant : la découverte d'un couvre-chef à pointe, à larges bords, que l'on a défini, avec humour, comme un "chapeau de sorcière"; il était placé sur la tête de l'une des momies de sexe féminin, remontant à environ 4000 années. Ce chapeau ressemble très fort à certains cou­vre-chef utilisés par les Scythes, peuple guerrier de la step­pe, et qu'on retrouve également dans la culture ira­nien­ne (on pense aux chapeaux des Mages). Ces populations étaient des populations d'agriculteurs, comme le prouve la présence de semences dans les bourses. Elles avaient éga­lement des rapports avec des populations vivant en bord de mer, vu que l'on a retrouvé près des momies ou sur elles de nombreux coquillages de mollusques marins.

L'intérêt extrême de ces vestiges a conduit à procéder à quel­­ques études anthropologiques (principalement d'an­thro­­­po­métrie classique), sous la direction de Han Kangxin de l'Académie Chinoise des Sciences Sociales (Beijing). Ces études ont confirmé ce que le premier coup d'œil déjà per­mettait d'entrevoir : dans de nombreux cas, les proportions des corps, des crânes et de la structure générale du sque­lette, ne correspondent pas à celles des populations asia­tiques jaunes, tandis qu'elles correspondent parfaitement à celles que l'on attribue habituellement aux Européens, sur­tout aux Européens du Nord.

Par le truchement de l'archéologie génétique, on pourra obtenir des données encore plus précises, pour élucider ultérieurement les origines et la parenté de ce peuple my­stérieux. La technique, très récente, se base sur la com­pa­raison de l'ADN mitochondrial (12) des diverses populations, que l'on veut comparer, afin d'en évaluer la distance gé­nétique. L'un des avantages de cette technique réside dans le fait que l'on peut aussi analyser l'ADN des individus dé­cé­dés depuis longtemps, tout en restant bien sûr très at­ten­tif, pour éviter d'éventuelles contaminations venues de l'en­vironnement (par exemple, les contaminations dues aux bactéries) ou provoquées par la manipulation des échan­tillons. L'archéologie génétique s'avère utile, de ce fait, quand on veut établir un lien, en partant des molécules, entre l'anthropologie physique et la génétique des popu­la­tions.

Les premiers tests ont été effectués par un chercheur ita­lien, le Professeur Paolo Francalacci de l'Université de Sassari. Ils ont confirmé ultérieurement l'appartenance des in­dividus analysés aux populations de souche indo-euro­péenne, dans la mesure où l'ADN mitochondrial, qui a été extrait et déterminé, appartient à un aplotype fréquent en Europe (apl. H) et pratiquement inexistant au sein des po­pulations mongoloïdes (13). Les autorités de Beijing n'ont autorisé l'analyse que d'un nombre réduit d'échantillons; beaucoup restent à étudier, en admettant que les autorisa­tions soient encore accordées dans l'avenir.

Traits somatiques des Ouïghours

Enfin, il faut également signaler que les habitants actuels du Turkestan chinois, les Ouïghours, présentent des traits so­matiques mixtes, où les caractéristiques physiques euro­poï­des se mêlent aux asiatiques. On peut donc dire que nous nous trouvons face à une situation anthropologique où des ethnies de souches diverses se sont mélangées pour former, en ultime instance, un nouveau peuple. Ce n'est donc pas un hasard si les autorités de Beijing craignent que la démonstration scientifique de l'existence de tribus blan­ches parmi les ancêtres fondateurs de l'ethnie ouïghour con­tribue à renforcer leur identité culturelle et qu'au fil du temps débouche sur des aspirations indépendantistes, vio­lem­ment anti-chinoises, qui sont déjà présentes. Cette si­tua­tion explique pourquoi les Chinois boycottent quasi ou­ver­tement les recherches menées par Mair et ses colla­bo­ra­teurs.

En conclusion, l'ampleur, la solidité et la cohérence des don­nées obtenues contribuent à confirmer les intuitions de tous les auteurs, longtemps ignorés, qui ont avancé l'hy­po­thèse d'une contribution extérieure à la formation de la ci­vilisation chinoise. Cette contribution provient de tribus ar­yennes (ndlr: ou "proto-iraniennes", selon la terminologie de Colin McEvedy que nous préférons utiliser), comme sem­ble l'attester les découvertes effectuées sur les "momies", et permet d'émettre l'hypothèse que le bronze et d'autres acquisitions importantes ont été introduites directement, et non plus "médiatement", par ces tribus dans l'aire cul­turelle de la Chine antique.

Par exemple, Edward Pulleyblank a souligné récemment qu'il «existait des signes indubitables d'importations venues de l'Ouest : le blé et l'orge, donc tout ce qui relève de la cul­ture des céréales, et surtout le char hippo-tracté, …, sont plus que probablement des stimuli venus de l'Ouest, ayant eu une fonction importante dans la naissance de l'âge du bronze en Chine» (14).

Bien sûr, cette découverte ne conteste nullement la for­midable originalité de la grande culture du Céleste Empire, mais se borne à mettre en évidence quelques aspects fon­damentaux dans sa genèse et dans son évolution ultérieure, tout en reconnaissant à juste titre le rôle joué par les no­ma­des antiques venus d'Europe.

Giovanni MONASTRA.

(e mail: g_monastra@estovest.org ; texte paru dans Per­corsi, anno III, 1999, n°23; le texte original italien est sur:

http://www.estovest.org/identita/indocina.html... ; trad. franç.: Robert Steuckers).

Notes :

[1] Arthur de Gobineau, Saggio sulla disuguaglianza delle razze umane, Rizzoli, Milano 1997, p. 443.

[2] Colin Renfrew, Archeologia e linguaggio, Laterza, Bari 1989, p. 77.

[3] ibidem, p. 79.

[4] Les Chinois, pour désigner le chien, utilisent le terme "kuan", qui est quasiment le seul et unique mot de leur langue qui ressemble au latin "canis" ou à l'italien "cane", sans doute parce que le chien domestique à été introduit dans leur société par des populations indo-européennes, qui ont laissé une trace de cette transmission dans le nom de l'animal.

[5] Colin Renfrew, Archeologia ecc.cit., pp. 78-9.

[6] Oswald Spengler, Reden und Aufsätze, Monaco 1937, p. 151.

[7] Jacques Gernet, La Cina Antica, Luni, Milano 1994, pp. 33-4.

[8] Luigi Luca Cavalli-Sforza, Geni, Popoli e Lingue, Adelphi, Milano 1996, p. 156.

[9] Discover, 15, 4, 1994, p. 68.

[10] La méthode du radiocarbone (14C) se base sur le fait que dans tout organe vivant, outre l'atome de carbone normal (12C), on trouve aussi une certaine quantité de son isotope, le radiocarbone, qui se réduit de manière constante, pour devenir un isotope de l'azote. Tandis que le rapport entre 14C et 12C reste stable quand l'organisme est en vie, cet équilibre cesse d'exister à partir du moment où il meurt; à partir de cette mort, on observe un déclin constant qui implique la disparition du radiocarbone, qui diminue de moitié tous les 5730 ans. De ce fait, il suffit, dans un échan­tillon, de connaître le rapport entre deux isotopes pour pouvoir calculer les années écoulées depuis la mort de l'organisme. La mé­thode connaît cependant une limite : elle ne peut pas s'utiliser pour des objets d'investigation de plus de 70.000 ans. 

[11] Archaeology, Marzo 1995, pp. 28-35. Le "tartan" est une étoffe typique du plaid écossais. Pour se documenter plus précisément sur les divers éléments liés aux textiles et aux vêtements de ce peuple, nous recommandons la lecture d'un ouvrage excellent et exhaustif, comprenant de nombreuses comparaisons avec les équivalents en zone européenne : Elizabeth Wayland Barber, The Mummies of Ürümchi, W. W. Norton & Company, Inc., New York, 1999.

[12] Les mitochondries sont des organites présents dans les cellules des eucaryotes (tous les organismes vivants, des champignons aux mammifères) à des dizainesde milliers d'exemplaires. Seules ces structures, mis à part le noyau cellulaire, contiennent de l'ADN, molécule base de la transmission héréditaire, mais leur ADN est de dimensions beaucoup plus réduites que celui du noyau (200.000 fois plus court) : il sert uniquement pour la synthèse des protéines né­cessaires à ces organites. Il faut se rappeler qu'au moment de la fécondation, il semble que seule la mère transmet les mitochon­dries à sa progéniture.

[13] Journal of Indo-European Studies, 23, 3 & 4, 1995, pp. 385-398.

[14] International Rewiew of Chinese Linguistics, I, 1, 1998, p. 12. Voir aussi: Elizabeth Wayland Barber, The Mummies of Ürümchi, op. cit.

 

 

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jeudi, 21 août 2008

Guerre du Caucase: entretien avec A. Rahr

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Guerre du Caucase: entretien avec Alexander Rahr

Propos recueillis par Moritz Schwarz

 

Alexander Rahr est le directeur du programme “Russie/Eurasie” auprès de la “Société allemande de politique étrangère” (Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik) à Berlin. Il est un spécialiste de réputation internationale pour toutes les questions eurasiennes.

 

Q.:  Monsieur Rahr, à quoi pensait, dans le fond, le Président Saakachvili en poussant ses troupes à entrer en Ossétie du Sud

 

AR: Votre question est pertinente. Car lundi, après seulement deux jours de guerre, il a capitulé. Toute l’opération s’est révélée un parfait désastre, comme c’était à prévoir. Saakachvili a tout raté, sur toute la ligne.

 

Q.: Manifestement, Saakachvili n’a pas cru à une intervention russe. Etait-ce une position réaliste?

 

AR:  Non. Ou bien cet homme est totalement stupide ou bien il a été inspiré par des dilettantes. Voici les faits: la Géorgie veut devenir membre de l’OTAN le plus vite possible. Bush a déjà promis l’adhésion à Saakachvili, mais, si Obama devient président, cet objectif sera bien plus difficile à atteindre. La condition posée pour une adhésion rapide, c’est qu’il n’y ait plus de conflits inter-ethniques, car l’Aliance atlantique cherche à les éviter. Saakachvili a voulu régler le problème par une politique à la hussarde. Manifestement, il est parti du principe que l’intervention russe serait moins totale, plus ponctuelle; il pensait gagner du temps pour entraîner les Etats-Unis dans le conflit.

 

Q.: Là, il a pratiquement réussi son coup...

 

AR: A peine. Les réactions agressives de Bush démontrent plutôt son désarroi. Toutes les ONG, téléguidées par les Etats-Unis, qui ont tenté, au cours de ces dernières années, de mettre sur pied, avec la Géorgie, une “Alliance de la Mer Noire” alignée sur l’atlantisme et dont les objectifs auraient été d’éloigner au maximum les Russes de la région maritime pontique, sont désormais devant des ruines, leurs efforts n’ayant conduit à rien.

 

Q.: Dans les sphères de l’UE, beaucoup rêvaient aussi de faire de la Mer Noire une nouvelle mer intérieure européenne...

 

AR: Tous ces rêves se sont évanouis, ce qui rend un tas de gens furieux. En ce qui concerne la Géorgie, les Etats-Unis sont allés beaucoup trop loin au cours de ces dernières années. Maintenant, ils ne peuvent plus laisser leurs alliés dans le pétrin. Mais, par ailleurs, ils sont suffisamment intelligents pour ne pas se laisser entraîner. Les Etats-Unis ont besoin de la Russie en plusieurs domaines: dans le dossier de la non prolifération des armes non conventionnelles, dans la lutte contre le terrorisme, dans la stratégie de l’endiguement de l’Iran et de la Chine, etc. Toutes ces questions sont bien plus importantes que les humeurs de Saakachvili. Malgré toute la colère et toute la déception qui affectent les cercles stratégistes de Washington, personne aux Etats-Unis n’est prêt à déclencher une troisième guerre mondiale pour lui. En outre, bon nombre de responsables à Washington doivent être furieux contre Saakachvili car il a mis les Etats-Unis dans une posture fort embarrassante.

 

Q.: Comment, à votre avis, s’achèvera le conflit?

 

AR: Les Géorgiens ne parviendront sans doute plus jamais à recomposer leur pays. Le conflit va geler vraisemblablement. Pour Moscou, ce serait là la meilleure solution. Ainsi, le rôle de la Russie en tant que puissance génératrice d’ordre demeurera tel, à l’arrière-plan.

 

Q.: Saakachvili survivra-t-il à cette défaite, en politique intérieure géorgienne?

 

AR: Il s’est probablement posé la question lui-même. Car, à l’avance, il ne pouvait pas sortir gagnant de cette opération, qui a coûté inutilement la vie à une grande quantité de soldats géorgiens.

 

Q.: Les Russes se frottent-ils les mains parce qu’ils ont eu l’occasion de faire une démonstration de force ou se sentent-ils blessés dans leur propre sphère d’intérêt?

 

AR: Les cris de triomphe se font entendre partout en Russie, c’est évident, car on attendait cette heure depuis de longues années: dans les années 90, les Russes devaient constater, sans pouvoir agir, comment l’Occident réorganisait à sa guise les Balkans; maintenant, ils peuvent montrer dans le Caucase que l’Occident est désormais à son tour dans le rôle du spectateur impuissant, tandis que la Russie agit. Il y a trois ans, la Russie avait obtenu que les bases militaires américaines quittent l’Asie centrale; maintenant, les Russes ont remis les Américains à leur place dans le Caucase. Il est possible que l’Allemagne récupère bientôt son rôle d’intermédiaire. Berlin a de bonnes relations avec la Russie et peut influencer plus profondément le nouveau président russe Medvedev que n’importe quel autre Etat de l’UE.

 

(entretien paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°34/2008;  trad. franç.: Robert Steuckers).

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N. Danilveski: esquisse biographique

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Nikolaï DANILEVSKI: esquisse biographique

Karl NÖTZEL

Nikolaï Jakovlevitch Danilevski est né le 28 novembre 1822 dans le village d'Oberets dans le gouvernement d'Orlov. Son père, Jakob Ivanovitch, commandait à l'époque un régiment de hussards et deviendra par la suite général de brigade. Au dé­part, ce militaire était étudiant en médecine, mais, quand les Français envahissent la Russie en 1812, il s'engage comme vo­lontaire dans l'armée. Pendant la guerre de Crimée, il démissionne parce qu'on refuse l'une de ses propositions qu'il estimait urgente et importante; il meurt peu après en 1855, victime d'une épidémie de choléra. Il aurait aimé l'art et la littérature et au­rait laissé le texte d'une comédie.

 

Nikolaï Jakovlevitch passera sa petite enfance en des lieux très différents, au gré des affectations du régiment de son père. A dix ans, il vit en pension chez un pasteur allemand de Livonie. A treize ans, il fréquente une école privée à Moscou. De qua­torze à vingt ans, il étudie au lycée de Tsarskoïe Zelo. C'était un élève très doué, animé par une véritable fringale spirituelle. Ses aspirations le conduisait à aimer les sciences naturelles; ainsi , pendant quatre ans, de 1843 à 1847, il étudiera à la faculté de sciences naturelles de Saint-Petersbourg, comme élève libre, et, simultanément sert dans la chancelerie du Ministère de la Guerre. Il choisit pour spécialité la botanique. En 1849, il obtient le grade de magister pour ses travaux sur la flore dans le gou­vernement d'Orlov. A la demande de la “Société d'Economie libre”, il s'occupe de recherche dans la zone des terres noires, plus particulièrement sur la flore; dans le cadre de ces activités, il est brusquement arrêté un jour et incarcéré dans la Forteresse Pierre-et-Paul. On l'avait accusé de participation à la fameuse affaire Petrachevski, qui était également à l'origine du bannissement de Dostoïevski. Danilevski passa cent jours en prison. Au début, toute lecture lui était interdite, mais, plus tard, il eut l'immense plaisir de pouvoir lire le Don Quichotte. Il put prouver devant le Tribunal que, entièrement absorbé par ses études et ses recherches, il n'avait plus vu Petrachevski depuis des années et qu'il ne savait pas ce qui se passait là. Dans un volumineux memorandum sur le système de Fourier, il démontra clairement, avec grande précision, qu'il s'agissait là d'une doctrine purement économique, qui ne contenait rien de révolutionnaire ou d'anti-religieux. Danilevski fut acquitté, mais il dut quitter la chancelerie du gouvernement et on le déplaça, d'abord à Vologda, ensuite à Samara. C'est là qu'il épousa en 1852 la veuve d'un général-major, Véra Nikolaïevna Beklemichev, qui décéda un an plus tard. L'année suivante, il participe, à titre de statisticien, à une expédition scientifique de deux ans, destinée à “explorer l'état des pècheries sur le cours de la Volga et dans la Mer Caspienne”. Cette expédition décida de son destin futur. Le chef de l'expédition, le grand naturaliste Karl Ernst Bär, reconnut les capacités et l'ampleur du savoir de son statisticien et lui ouvrit la voie. A peine cette première expédi­tion de trois ans était-elle terminée que Danilevski obtint sa nomination de chef d'une autre expédition, cette fois pour recenser les bans de poissons de la Mer Blanche et de l'Océan Arctique. Cette expédition dura elle aussi trois ans (jusqu'en 1861). Cette année-là, il épouse la fille d'un ami qui venait de mourir, Olga Alexandrovna Mechakova. Ensuite, il participa encore à sept autres expéditions, au cours desquelles il enquête sur tous les bancs de poissons de la Russie d'Europe et en tira des conclusions toujours valables aujourd'hui. C'est au cours d'un de ces voyages que Danilevski meurt d'une maladie cardiaque à Tiflis le 7 novembre 1885.

 

En 1880, il avait constaté la présence du phylloxera en Crimée et organisé un lutte systématique contre ce fléau par l'imposition de lois et règlements. Ce travail avait rempli les dernières années de sa vie.

 

Mais le caractère saisonnier de ces expéditions scientifiques lui laissait beaucoup de temps libre: son esprit toujours en éveil se consacra à toutes sortes de travaux intellectuels dans tous les domaines possibles et imaginables. Son livre le plus cé­lèbre, Rußland und Europa  a été écrit pendant les hivers de 1865 à 1867. Un ouvrage en deux volumes sur le darwinisme est malheureusement resté inachevé.

 

Danilevski était un homme de haute taille, puissamment bâti, qui jouissait d'une santé exceptionnelle. Son caractère ouvert et honnête l'éloignait de toute forme d'orgueil personnel. C'est pourquoi il est resté assez méconnu; il n'avait pas d'ennemi, ce qui lui permit d'officier dans le conseil secret du ministère de l'agriculture. Malgré la vivacité de son esprit insatiable, il ac­complit les tâches de sa profession avec beaucoup de conscience. Il fut bon père et bon époux. Il vécut heureux dans la sim­plicité. Le seul désagrément fut d'être séparé de sa famille à cause de sa profession qui le contraignait à de longues et fré­quentes absences.

 

L'amour qu'il portait à son pays fit de lui le fondateur scientifique du panslavisme; cet amour était passionné, mais au fond sans haine d'autrui: c'est justement dans cette attitude qu'il s'est révélé un vrai Russe. Ce naturaliste professionnel a certes pu se tromper dans les faits et dans l'interprétation de ceux-ci quand il a joué le rôle de l'historien des cultures. Mais ses senti­ments demeurent au-dessus de tout soupçon. Il y a quelque chose de l'esprit des prophètes de l'ancien testament dans l'amour qu'il portait à sa patrie. En aimant son peuple, il a aimé l'humanité tout entière.

 

Karl NÖTZEL.

(préface à Rußland und Europa. Eine Untersuchung über die kulturellen und politischen Beziehungen der slawischen zur ger­manisch-romanischen Welt, 1920, réédition, Otto Zeller Verlag, Osnabrück, 1965; trad. franç.: Robert Steuckers).

lundi, 11 août 2008

L'idée touranienne dans la stratégie américaine

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L'idée touranienne dans la stratégie américaine

 

Le régime turc est autorisé à se maintenir en lisière de l'Eu­rope et dans l'OTAN, malgré ses dimensions "non démo­cra­ti­ques", parce ce pays reçoit en priorité l'appui des Etats-U­nis, qui savent que le militarisme turc pourra leur être très utile si le "Grand Jeu" reprend au beau milieu de l'espace eurasiatique. Cette coïncidence d'intérêts entre militaires turcs et stratégie générale des Etats-Unis incite les uns et les autres à redonner vigueur au "panturquisme", qui porte quelques fois un autre nom : celui de "pantouranisme" ou de "touranisme". C'est le rêve et le projet d'un "empire grand-turc", même s'il doit rester informel, qui s'étendrait de l'Adriatique (en Bosnie) à la Chine (en englobant le Xin­jian ou "Turkestan oriental" ou "Turkestan chinois") (1). Cet empire grand-turc rêvé prendrait le relais de l'Empire otto­man défunt. Le projet touranien a été formulé jadis par le dernier ministre de la guerre de cet empire ottoman, Enver Pacha, tombé au combat face aux troupes soviétiques en com­mandant des indépendantistes turcophones d'Asie cen­tra­le. La "Touranie" centre asiatique n'a jamais fait partie de l'Empire ottoman, sauf quelques bribes territoriales dans les marches; néanmoins, il y a toujours eu des liens entre les khanats des peuples turcs d'Asie centrale et l'Empire ot­to­man, qui y recrutait des hommes pour ses armées. Si la li­gnée d'Osman s'était éteinte, celle des khans de Crimée, de la maison de Giraj, dont l'ancêtre était le Grand Khan des Mongols, Gengis Khan (2), serait alors devenue, comme prévu, la dynastie dirigeante de l'Empire Ottoman (3). 

 

Face au projet touranien, Atatürk adoptait plutôt une posi­tion de rejet, mais c'était très vraisemblablement par tac­ti­que (4), car il devait justifier sa politique face à l'Occident et condamner, pour cette raison, le génocide perpétré par les gouvernements jeunes-turques contre les Arméniens. En­suite, dès que le régime soviétique s'est consolidé, il n'au­rait pas été réaliste de persister sur des positions pan­tou­raniennes. Pourtant, en 1942, quand les troupes alle­man­des pénètrent profondément à l'intérieur du territoire so­viétique, le panturquisme, longtemps refoulé, revient très vite à la surface. Mais, vu la constellation internatio­nale, le gouvernement turc a dû officiellement juger cer­tains activistes pantouraniens, comme le fameux Alparslan Türkesch, pour "activités racistes"; en effet, les Britan­ni­ques (et non pas l'Allemagne nationale-socialiste) avaient, selon leurs bonnes habitudes et sans circonlocutions inu­ti­les, menacé d'occuper la Turquie et Staline, lui, était passé à l'acte en déportant en Sibérie les Tatars de Crimée, alliés poten­tiels d'une coalition germano-turque.

 

Perspective touranienne et "grande turcophonie"

 

Après l'effondrement de l'URSS, la perspective touranienne (5) est bien trop séduisante pour les Etats-Unis, héritiers du système de domination britannique, pour qu'ils la négli­gent. Mises à part les républiques caucasiennes, la majorité écrasante de la population des Etats indépendants dans la partie méridionale de l'ex-Union Soviétique sont de souche turque, sauf les Tadjiks qui sont de souche persane. Qui plus est, de nombreux peuples au sein même de la Fé ­dé­ra­tion de Russie appartiennent à cette "grande turcophonie": leur taux de natalité est très élevé, comme par exemple chez les Tatars, qui ont obtenu le statut d'une république quasi indépendante, ou chez les Tchétchènes, qui combat­tent pour obtenir un statut équivalent. Les "pantouraniens" de Turquie ne sont pas encore très conscients du fait que les Yakoutes de Sibérie nord-orientale, face à l'Etat amé­ri­cain d'Alaska, relèvent, eux aussi, au sens large, de la tur­co­phonie.

 

Si l'on parvient à unir ces peuples qui, tous ensemble, comp­tent quelque 120 millions de ressortissants, ou, si on par­vient à les orienter vers la Turquie et son puissant allié, les Etats-Unis, à long terme, les dimensions de la Russie pourraient bien redevenir celles, fort réduites, qu'elle avait au temps d'Ivan le Terrible (6). En jouant la carte azérie (l'A­zerbaïdjan), ethnie qui fournit la majorité du cadre mi­li­taire de l'Iran, on pourrait soit opérer une partition de l'I­ran soit imposer à ce pays un régime de type kémaliste, indirectement contrôlé par les Turcs. Certains pantoura­niens turcs, à l'imagination débordante, pourraient même rêver d'un nouvel Empire Moghol, entité démantelée en son temps par les Britanniques et qui sanctionnait la domina­tion turque sur l'Inde et dont l'héritier actuel est le Pa­ki­stan.

 

Le "Parti du Mouvement National" (MHP), issu des "Loups Gris" de Türkesch, se réclame très nettement du touranis­me; lors des dernières élections pour le parlement turc, ce parti a obtenu 18,1%, sous la houlette de son président, Dev­let Bahceli et est devenu ainsi le deuxième parti du pays. Il participe au gouvernement actuel du pays, dans une coalition avec le social-démocrate Ecevit, permettant ainsi à certaines idées panturques ou à des sentiments de même acabit, d'exercer une influence évidente dans la so­ciété turque. C'est comme si l'Allemagne était gouvernée par une coalition SPD/NPD, avec Schroeder pour chancelier et Horst Mahler comme vice-chancelier et ministre des af­faires extérieures! […].

 

Une Asie centrale "kémalisée"?

 

Dans un tel contexte, le kémalisme comme régime a toutes ses chances dans les républiques touraniennes de l'ex-Union Soviétique. Les post-communistes, qui gouvernent ces E­tats, gardent leur distance vis-à-vis de l'Islam militant et veu­lent le tenir en échec sur les plans politique et institu­tionnel. Mais l'arsenal du pouvoir mis en œuvre là-bas peut rapidement basculer, le cas échéant, dans une démocratie truquée. Jusqu'à présent, ces Etats et leurs régimes se sont orientés sur les concepts du soviétisme libéralisé et, mis à part l'Azerbaïdjan, choisissent encore de s'appuyer plutôt sur la Russie que sur la Turquie (8), malgré l'engagement à grande échelle de Washington et d'Ankara dans les sociétés pétrolières et dans la politique linguistique (introduction d'un alphabet latin modifié (7), adaptation des langues turques au turc de Turquie. Comme l'Occident exige la li­berté d'opinion et le pluralisme, ces éléments de "bonne gouvernance" sont introduits graduellement par les gouver­ne­ments de ces pays, ce qui constitue une démocratisation sous contrôle des services secrets selon la notion de peres­troïka héritée de l'Union Soviétique (9).

 

Cela revient à construire les "villages à la Potemkine " de la dé­mocratie (10), dont le mode de fonctionnement concret est difficile à comprendre de l'extérieur. Tant que les diffé­rents partis et organes de presse demeurent sous le contrô­le des services secrets, on n'aura pas besoin d'interdire des formations politiques en Asie centrale (contrairement à ce qui se passe en Allemagne fédérale!). Mieux: on ira jusqu'à soutenir le "pluralisme" par des subsides en provenance des services secrets, car cela facilitera l'exercice du pouvoir par les régimes post-communistes établis, selon le bon vieux principe de "Divide et impera", mais l'Occident aura l'im­pression que la démocratie est en marche dans la ré­gion.

 

Avec Peter Scholl-Latour, on peut se poser la question: «Pen­dant combien de temps l'Occident  —principalement le Congrès américain et le Conseil de l'Europe—  va-t-il culti­ver le caprice d'imposer un parlementarisme, qui soit le cal­que parfait de Westminster, dans cette région perdue du monde, où le despotisme est et reste la règle cardinale de tout pouvoir? ». Ce jeu factice de pseudo-partis et de pseu­do-majorités ne peut conduire qu'à discréditer un système, qui ne s'est avéré viable qu'en Occident et qui y est incon­tour­nable. Le pluralisme politique et la liberté d'opinion ne sont pas des "valeurs" qui se développeront de manière op­timale en Asie centrale. Même le Président Askar Akaïev du Kirghizistan, considéré en Europe comme étant "relative­ment libéral", a fait prolonger et bétonner arbitrairement son mandat par le biais d'un référendum impératif. Nous avons donc affaire à de purs rituels pro-occidentaux, à un libéralisme d'illusionniste, pure poudre aux yeux, et les mis­sionnaires de cette belle sotériologie éclairée, venus d'Oc­cident, finiront un jour ou l'autre par apparaître pour ce qu'ils sont: des maquignons et des hypocrites (11).

 

Va-t-on vers une islamisation de l'extrémisme libéral?

 

Comme la pseudo-démocratie à vernis occidental court tout droit vers le discrédit et qu'elle correspond aux intérêts américains, tout en ménageant ceux de la Russie (du moins dans l'immédiat…), c'est un tiers qui se renforcera, celui dont on veut couper l'herbe sous les pieds : l'islamisme. Com­me le kémalisme connaît aussi l'échec au niveau des par­tis politiques, parce que la laïcisation forcée qu'il a prô­née n'a pas fonctionné, la perspective touranienne conduit ipso facto à réclamer une ré-islamisation de la Turquie , mais une ré-islamisation compatible avec la doctrine kéma­liste de l'occidentalisation (12); de cette façon, le kéma­lis­me pourra, à moyen terme, prendre en charge les régimes post-communistes de la "Touranie".

 

La synthèse turco-islamique ("Türk-islam sentezi") est un nou­vel élément doctrinal, sur lequel travaillent depuis long­temps déjà les idéologues du panturquisme (13), avec de bonnes chances de connaître le succès : si l'on compta­bi­lise les voix du DSP et du CHP, on obtient à peu de choses près le nombre des adeptes de l'alévisme; ceux-ci se veu­lent les représentants d'un Islam turc, posé comme distinct du sunnisme, considéré comme "arabe", et du chiisme, con­sidéré comme "persan" (14). Dans cette constellation poli­tique et religieuse, il faut ajouter aux adeptes de l'alé­visme, l'extrême-droite turque et une partie des islamistes (15). Ces deux composantes du paysage politique turc é­taient prêtes à adopter une telle synthèse, celle d'un Islam turc, voir à avaliser sans problème une islamisation du ké­malisme, qui aurait pu, en cas de démocratisation, con­duire à une indigénisation de facto de l'extrémisme libéral.

 

Universalisme islamique et Etats nationaux

 

En s'efforçant de créer une religion turque basée sur la ma­xime "2500 ans de turcicité, 1000 ans d'islam et (seule­ment) 150 ans d'occidentalisation", un dilemme se révèle : ce­lui d'une démocratisation dans le cadre d'un islam qui reste en dernière instance théocratique. L'établissement de la démocratie dans tout contexte islamique s'avère fort difficile, parce que la conception islamique de l'Etat im­plique une négation complète de l'Etat national (16). Or cette instance, qu'on le veuille ou non, a été la grande pré­misse et une des conditions premières dans l'éclosion de la démocratie occidentale (en dépit de ce que peuvent penser les idéologues allemands au service de la police politique, qui marinent dans les contradictions de leur esprit para-théocratique, glosant à l'infini sur les "valeurs" de la démo­cratie occidentale). Dans l'optique de l'islam stricto sensu, en principe, tous les Etats existants en terre d'islam sont illégitimes et peuvent à la rigueur être considérés comme des instances purement provisoires. Ils n'acquièrent légiti­mité au regard des puristes que s'ils se désignent eux-mê­mes comme bases de départ du futur Etat islamique qui, en théorie, ne peut être qu'unique. 

 

Dans le christianisme, le conflit entre la revendication universaliste de la religion et les exigences particularistes de la politique "mondaine" (immanente) se résout par la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Dans le christianisme oriental (orthodoxie), la séparation de l'Eglise et de l'Etat n'a pas été poussée aussi loin, ce qui est une caracté­ristique découlant tout droit de la forme de domination propre au système ottoman, que l'on appelle le "système des millets", où les chefs d'Eglise, notamment le Patriarche de Constantinople, sont considérés comme des "chefs de peuple". De ce fait, le principe de l'"église nationale" con­stitue la solution dans cette aire byzantine et orthodoxe. Dans l'aire islamique, nous retrouvons cette logique, qui, en Occident, a conduit à la démocratie, telle qu'on la connaît aujourd'hui. Cette démocratie a pu s'organiser dans un es­pace particulier et circonscrit, via l'instance "Etat national". Donc dans l'aire islamique, réaliser la démocratie passe né­cessairement par le postulat de créer une religion natio­nale. On retrouve une logique similaire dans le judaïsme, lui aussi apparenté à l'Islam, où le sionisme a été le moteur d'une démocratisation nationaliste, qui a finalement con­duit à la création de l'Etat d'Israël. Cependant, dans l'aire islamique, une religion nationale de ce type, qui pourrait concerner tous les Etats musulmans, ne pourrait pas se con­tenter d'être une simple religion civile, comme en Occident et notamment en RFA, où la religion civile repose sur un reniement moralisateur du passé, organisé par l'Etat lui-mê­me; elle devrait avoir tous les éléments d'une véritable religion (17), pouvant se déclarer "islamique", même si d'au­tres refusent de la considérer comme telle.

 

L'alévisme turc, religiosité de type gnostique

 

Dans les doctrines de l'alévisme turc (18), nous avons affai­re à une religion de type gnostique, car son noyau évoque la théorie des émanations, selon laquelle tous les étants sont issus de Dieu, vers lequels ils vont ensuite s'efforcer de retourner. Dieu a créé les hommes comme êtres corporels (phy­siques) (19), afin de se reconnaître lui-même dans sa création. Après le "retour" dans l'immense cycle ontolo­gi­que, toutes les formes, produites par l'émanation, retour­nent à Dieu et se dissolvent en lui (20), ce qui lui permet de gagner en quelque sorte une plus-value d'auto-connais­sance. La capacité qu'a l'homme de reconnaître Dieu at­teste de la nature divine de l'homme. Par extrapolation, on aboutit quelques fois à une divinisation de l'homme, deve­nant de la sorte un être parfait (où l'homme devient un dieu sur la Terre ), et, dans la logique de l'alévisme turc, le Turc devient ainsi le plus parfait des êtres parfaits. L'hom­me a parfaitement la liberté d'être athée, car l'athéisme con­stitue une possibilité de connaître Dieu (21), car la con­nais­sance de Dieu, dans cette optique, équivaut à une con­naissance de soi-même.

 

Par conséquent, les lois islamiques, y compris les règles de la prière, ne sont pas reconnues et, à leur place, on installe les anciennes règles sociales pré-islamiques des peuples turcs, ce qui revient à mettre sur pied une religion ethni­que turque, compénétrée d'éléments chamaniques venus d'Asie centrale. Dans une telle optique, Mohammed et Ali, qui, au titre d'émanation est pied sur pied d'égalité avec lui, sont perçus comme des êtres angéliques préexistants, devenus hommes.  Le Coran n'a plus qu'une importance de moin­dre rang, car, disent les gnostiques turcs, par sa chute dans une forme somatique d'existence, le Prophète a subi une perte de savoir, le ramenant au niveau de la simple con­naissance humaine. Tous les éléments d'arabité en vien­nent à être rejetés, pour être remplacés par des éléments turcs.

 

Ordre des Janissaires, alévisme et indigénisme turc

 

Si l'on ôte de l'idéologie d'Atatürk tout le vernis libéral (extrême libéral), on perçoit alors clairement que le fonda­teur de la Turquie moderne —même s'il n'en était pas entiè­rement conscient lui-même—  était effectivement un Alé­vite, donc en quelque sorte un indigéniste turc (on le voit dans ses réformes : égalité de l'homme et de la femme, in­terdiction du voile, autorisation de consommer de l'alcool, suppression de l'alphabet et de la langue arabes, etc.). Ce programme ne peut évidemment pas se transposer sans heurts dans d'autres Etats islamiques. En Turquie, ces ré­for­mes ont pu s'appliquer plus aisément dans la majorité sun­nite du pays sous le prétexte qu'elles étaient une occi­dentalisation et non pas une transposition politique des critères propres de l'alévisme. La suppression du califat sun­nite par Atatürk en 1924 peut s'interpréter comme une ven­geance pour la liquidation de l'ordre des janissaires par l'Etat ottoman en 1826. Les janissaires constituaient la prin­cipale troupe d'élite de l'Empire ottoman; sur le plan re­ligieux, elle était inspirée par l'Ordre alévite des Bekta­chis , lui aussi interdit en 1827 (22). Les intellectuels de l'Armée et les nationalistes d'inspiration alévite reprochent à cette interdiction d'avoir empêché la turquisation des Albanais, très influencés par le bektachisme, à l'ère du ré­veil des nationalités. Les nationalistes alévites constituent l'épine dorsale du mouvement des Jeunes Turcs qui arrivent au pouvoir en 1908. Ces événements et cette importante cardinale du bektachisme alévite explique pourquoi la Tur ­quie actuelle et les Etats-Unis (23) accordent tant d'impor­tance à l'Albanie dans les Balkans, au point de les soutenir contre les Européens.

 

L'idéal de "Touran" vise à poursuivre la marche de l'histoire

 

La religion quasi étatique dérivée directement des doctri­nes alévites pourrait sous-tendre un processus de démocra­ti­sation dans l'aire culturelle musulmane (24), mais elle ne serait acceptée ni par les Sunnites ni par les Chiites. Ceux-ci n'hésiteraient pas une seconde à déclarer la "guerre sain­te" aux Alévites. On peut penser que les prémisses de cet Is­lam turco-alévite pourrait, par un effet de miroir, se re­trou­ver dans le contexte iranien, où les Perses se réfère­raient à leur culture pré-islamique (ou forgeraient à leur tour un islam qui tiendrait compte de cette culture). Une tel­le démarche, en Iran, prendrait pour base l'épopée na­tio­nale du Shahnameh (le "Livre des Rois"). Aujourd'hui, on observe un certain retour à cette iranisme, par nature non islamique, ce qui s'explique sans doute par une certaine dé­ception face aux résultats de la révolution islamique. Mais le nouvel iranisme diffus d'aujourd'hui se plait à souligner toutes les différences opposant les Perses aux Turcs, alliés des Etats-Unis. Enfin, dans l'iranisme actuel, on perçoit en fi­ligrane une trace du principe fondamental du zoro­as­tris­me, c'est-à-dire la partition du monde en un règne du Bien et un règne du Mal, un règne de la "Lumière" et un règne de l'"Obscurité", compénétrant entièrement l'épopée nationale des Perses. Cela se répercute dans l'opposition qui y est dé­cri­te entre l'Empire d'"Iran" et l'Empire du "Touran". « L'Iran étant la patrie hautement civilisée des Aryens, tandis que le Touran obscur est le lieu où se rassemblent tous les peu­ples barbares de la steppe, venus des profondeurs de l'Asie centrale, pour assiéger la race des seigneurs de souche in­do-européenne » (25).

 

La fin de l'histoire occidentale

 

Peu importe ce que les faits établiront concrètement dans le futur : dés aujourd'hui, on peut dire que la perspective tou­ranienne permet d'aller dans le sens des intérêts amé­ri­cains au cas où le "Grand Jeu" se réactiverait et aurait à nou­veau pour enjeu la domination du continent eurasia­ti­que, prochain "champ de bataille du futur" (26). Parce qu'ils bénéficient du soutien des Etats-Unis, les Etats riverains et touraniens de la Mer Caspienne équipent leurs flottes de guerre pour affirmer leurs droits de souveraineté sur cette mer intérieure face à la Russie et à l'Iran. Le tracé de ces frontières maritimes est important pour déterminer dans l'avenir proche à qui appartiendront les immenses réserves de pétrole et de gaz naturel. Le risque de guerre qui en découle montre l'immoralité de la politique d'occidentalisa­tion, dont parle Huntington (27). Celui-ci nous évoque les moyens qui devront irrémédiablement se mettre en œuvre pour concrétiser une telle politique : ces moyens montrent que la conséquence nécessaire de l'universalisme est l'im­pé­­rialisme, mais que, dans le contexte actuel qui nous pré­occupe, l'Occident n'a plus la volonté nécessaire de l'impo­ser par lui-même (mis à part le fait que cet impérialisme con­tredirait les "principes" occidentaux…). L'universalisme oc­ci­dental, qui cherche à s'imposer par la contrainte, ne peut déboucher que sur le désordre, car les moyens mis en œuvre libèreraient des forces religieuses, philosophiques et démographiques qu'il est incapable de contrôler et de com­pren­dre. Cette libération de forces pourra conduire à tout, sauf à la "fin de l'histoire". Mais cette fin de l'histoire sera effectivement une fin pour la civilisation qui pense que cet­te fin est déjà arrivée. «Les sociétés qui partent du prin­ci­pe que leur histoire est arrivée à sa fin sont habituel­le­ment des sociétés dont l'histoire sera interprétée comme étant déjà sur la voie du déclin » (28).

 

On peut émettre de sérieux doute quant à la réalisation ef­fective de la "perspective touranienne" ou d'une issue con­crète aux conflits qu'elle serait susceptible de déclencher dans l'espace centra-asiatique quadrillé jadis par l'interna­tionalisme stalinien qui a imposé des frontières artificiel­les, reprises telles quelles par le nouvel ordre libéral, qui ne parle pas d'"internationalisme", comme les Staliniens, mais de "multiculturalisme". Ce multiculturalisme ne veut pas de frontières, alors que ce système de frontières est une nécessité pour arbitrer les conflits potentiels de cette ré­gion à hauts risques. Renoncer aux frontières utiles re­vient à attendre une orgie de sang et d'horreur, qui sera d'au­tant plus corsée qu'elle aura une dimension métaphy­si­que (29). C'est une sombre perspective pour nous Euro­péens, mais, pour les Turcs, elle implique la survie, quoi qu'il arrive, à l'horizon de la fin de l'histoire, que ce soit en préservant leur alliance privilégiée avec les Etats-Unis ou en entrant en conflit avec eux, remplaçant l'URSS comme dé­tenteurs de la "Terre du Milieu", nécessairement opposés aux maîtres de la Mer.

 

Josef SCHÜSSLBURNER.

(extrait d'un article paru dans Staatsbriefe, n°9-10/2001; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

Notes :

(1)       Cf. «Waffen und Fundamentalismus. Die muslimischen Separa­tisten im Nordwesten Chinas erhalten zulauf», Frankfurter Allgemeine Zeitung, 29.3.1999.

(2)       Plus tard, un nombre plus élevé de tribus mongoles se sont pro­­gressivement "turquisées"; le terme "Moghol" le rappelle, par exemple, car il signifie "mongol" en persan; c'est un sou­venir des origines mongoles des familles dominantes, alors qu'en fin de compte, il s'agit d'une domination turque sur l'In­de.

(3)       F. Gabrieli, Mohammed in Europa - 1300 Jahre Geschichte, Kunst, Kultur, 1997, p. 143.

(4)       La position d'Atatürk était purement tactique, en effet, si l'on se rappelle que les principaux responsables du génocide sont devenus les meilleurs piliers du régime kémaliste; cf. W. Gust, Der Völkermord an den Armeniern, 1993, pp. 288 et ss.

(5)       Cf. «Stetig präsent. Das Engagement der Türkei in einem unsi­cher werdenden Mittelasien», Frankfurter Allgemeine Zei­tung, 4.10.1999.

(6)       La Russie reconnaît effectivement cette problématique; cf. «Mos­kau will eine Allianz gegen Russland nicht hinnehmen. Ankara der Verbreitung pantürkischer Vorstellung bezichtigt - Ab­schluß des Gipfels (der Staatschefs von Aserbaidschan, Ka­sachstan, Kyrgystan, Usbekistan und Turkmnistan) in Istanbul» (!), Frankfurter Allgmeine Zeitung, 20.10.1994.

(7)       Vu le caractère "irréversible" de la candidature de la Turquie à l'UE, la CDU et le Frankfurter Allgemeine Zeitung espèrent que l'ancien bourgmestre d'Istanbul fondera un parti islamique sur le modèle de la CDU (cf. «Im Zeichen der Glühbirne - Die neu­ge­gründete islamische Partei in der Türkei könnte erfolgreich sein - Diesen Erfolg will jedoch das kemalistische Regime nicht zulassen», Frankfurter Allgemeine Zeitung, 16.8.1991, p. 12; cf. également: «Neues Verfahren gegen Erdogan», Frankfurter Allgemeine Zeitung, 22.8.2001, p. 8.

(8)       A ce sujet, cf. «Ein U für ein Y. Schriftwechsel in Aserbaid­schan von kyrillischen zu lateinischen Buchstaben; "…die durch den Wechsel der Schrift zu erwartende engere Anbindung an die Türkei sei von Vorteil für das Land, weil dadurch auch ein wirtschaftlicher Aufschwung zu erwarten sei», Frankfurter All­gemeine Zeitung, 2.8.2001, p. 10.

(9)       Pourtant la distance s'amplifie, cf. «Staatschefs der GUS reden ü­ber regionale Sicherheit; "… herrschen indes Zweifel am Sinn und Zweck der GUS, deren Staaten sich in den vergangenen Jahren auseinanderentwickelt haben», Frankfurter Allge­mei­ne Zeitung, 2.8.2001, p. 6.

(10)    Malheureusement, il n'existe aucune présentation systéma­ti­que de ce concept de "pseudo-démocratisation" téléguidée par les services secrets; on trouve cependant quelques allusions chez A. Zinoviev, Katastroïka, L'Age d'Homme, Lausanne. Par ail­leurs, des allusions similaires se retrouvent dans A. Golit­syn, New Lies for Old, 1984, livre dont nous recommandons la lecture car l'auteur, sur base de sa bonne connaissance du sys­tème soviétique de domination, a parfaitement pu prévoir la mon­tée de la perestroïka.

(11)    Voir le titre de chapitre, p. 109, dans le livre de Peter Scholl-La­tour, Das Schlachtfeld der Zukunft. Zwischen Kaukasus und Pamir, 1998. 

(12)    Ibidem, pp. 151 et ss.

(13)    Cf. «Türkisierung  des Islam? Eine alte Idee wird in Ankara neu aufgelegt», Frankfurter Allgemeine Zeitung, 4.9.1998.

(14)    Références dans U. Steinbach, Geschichte der Türken, 2000, p. 111.

(15)    Dans ce contexte, il convient de citer le nom du prédicateur iti­né­rant Fethullah Gülen, toutefois soupçonné par les kéma­listes, cf. Frankfurter Allgemeine Zeitung, 15.4.1998.

(16)    C'est ce que souligne à juste titre Huntington, pp. 281 et sui­vantes de l'édition de poche allemande de son livre Der Kampf der Kulturen. Die Neugestaltung der Weltpolitik im 21. Jahr­hundert, 1996.

(17)    Il existe une étape intermédiaire entre une religion civile em­preinte de dogmatisme, comme cette "révision moralisante et permanente du passé" qui s'exerce en RFA, et une véritable religion d'Etat: c'est le concept du "panchasilla", qui est à la fois politique et religieux, propre au régime indonésien, qui permet à l'Etat d'énoncer des dogmes religieux, comme celui d'un monothéisme abstrait, ce qui oblige la minorité bouddhis­te d'interpréter l'idée de nirvana dans un sens théiste, ce qui pré­pare en fait son islamisation (voir notre note 20).

(18)    On en trouve une bonne présentation chez Anton J. Dierl, Ge­schichte und Lehre des anatolischen Alevismus-Bektasismus, 1998, voir en particulier pp. 29 et ss.

(19)    L'accent mis sur le corps et sur les besoins du corps, y compris l'autorisation de boire de l'alcool, a rendu les Alévites sus­pects, comme jadis les Pauliciens et les Bogomils, dont la spiritualité est sous-jacente à l'islam européen dans les Bal­kans. On peut hésiter à qualifier cette religiosité de "gnosti­que". Toutefois la construction théologique générale possède les caractéristiques du gnosticisme, car son lien avec l'islam ap­paraît plutôt fortuit (en effet, les doctrines gnostiques peu­vent recevoir aisément une formulation chrétienne ou boud­dhis­te, comme l'atteste le manichéisme).

(20)    Cette conception peut provenir du temps où la majeure partie des peuples turcs était encore bouddhiste : à l'évidence, il s'a­git ici d'une interprétation théiste du nirvana; on peut suppo­ser qu'elle ait continué à exister au niveau de la mémoire, mê­me après la conversion à l'islam de ces Turcs bouddhistes d'A­sie centrale et d'Inde, même si cette théorie n'est pas satis­fai­sante pour expliquer le principe du karma tout en niant l'exis­tence de l'âme.

(21)    On peut y reconnaître des influences venues de l'hindouisme ; la vision de Dieu comme créateur, conservateur et destructeur du monde rappelle la doctrine trifonctionnelle (Trimurti) de l'hin­douisme; quant à savoir si les cercles ésotériques de l'alé­visme turc croient à la transmigration des âmes  —comme les Dru­ses, mais qui se réfèrent à d'autres traditions, on peut sim­ple­ment le supposer. Les Alaouites de Syrie le pensent, mais les Alévites turcs ne veulent rien avoir à faire avec les Alaoui­tes qui dominent le système politique en Syrie, comme, en fin de compte, aucun Turc s'estimant authentiquement turc ne veut rien avoir à faire avec les Arabes!

(22)    L'orthodoxie sunnite n'a pas pu reprendre en charge cette fonc­tion, car elle s'opposait à la conversion forcée des Chré­tiens (jusqu'en 1700, les janissaires se recrutaient parmi les garçons chrétiens enlevés à leurs familles); cette orthodoxie ne pouvait accepter qu'un musulman soit l'esclave d'un chré­tien (ce que les janissaires étaient formellement en dépit de leur conversion forcée); ce devrait être un avertissement à ceux qui pensent que les Alévites sont des "libéraux" que l'on pourrait soutenir contre l'orthodoxie islamique.

(23)    Cf. «Das Doppelspiel der Amerikaner : Unter den Europäern wächst die Irritation über das zwielichtige Agieren Washing­tons auf dem Balkan : Als Paten der UÇK sind die USA mitver­ant­wortlich für die Zuspitzung des Konflikts zwischen Albanern und Slawo-Mazedoniern», Der Spiegel, n°31/2001, p. 100.

(24)    Il faut tenir compte du fait que l'Islam, actuellement, se trou­ve à une période de son histoire qui correspond à celle de la Ré ­forme en Europe : à cette époque-là en Europe, la démo­cra­tisation ne pouvait se comprendre que comme une théocra­tisation - l'Iran actuel correspond ainsi au pouvoir instauré par Calvin à Genève (et aux théocraties équivalentes installées en Nouvelle-Angleterre). Il faudrait en outre accorder une plus grande importance à la phénoménologie culturelle que nous a léguée un Oswald Spengler; celui-ci , avec une précision toute allemande, a approfondi la théorie de l'anakyklosis (doctrine des cycles ascendants) de Polybe. Pour les collaborateurs des ser­vices de sûreté allemands, Spengler et Polybe seraient au­tomatiquement classés comme des "ennemis de la consti­tu­tion", car ni l'un ni l'autre n'auraient cru, aujourd'hui, à l'é­ternité du système de la RFA actuelle, que tous les historiens contemporains sont sommés de ne jamais relativiser!

(25)    Cf. le résumé final dans le livre de Peter Scholl-Latour, op. cit., p. 294.

(26)    Comme le dit bien le titre du livre de Peter Scholl-Latour, op. cit.

(27)    Ibidem, p. 511.

(28)    Comme le dit à juste titre Samuel Huntington, op. cit. , p. 495.

(29)    Exactement comme le dit le titre de chapitre en page 151 du li­vre de Peter Scholl-Latour, op. cit.

 

 

vendredi, 25 juillet 2008

Russie: amie de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud

La Russie,

amie fidèle et voisine sûre de l’Abkhazie

et l’Ossétie du Sud

La Russie, ami fidèle et un voisin sûr de l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud

Interview de Vadim Goustov, président du Comité des affaires de la CEI du Conseil de la Fédération.

Une réunion élargie du Comité des affaires de la CEI du Conseil de la Fédération (chambre basse du parlement russe) vient de se terminer à Moscou. Elle a été consacrée à l’examen des demandes des parlements abkhaz et sud-ossète concernant la reconnaissance de l’indépendance des deux républiques autoproclamées au sein de la Géorgie, mais aussi de la demande présentée par le parlement de la république russe d’Ossétie du Nord - Alanie, sur le même sujet. RIA Novosti a demandé au président du comité en question, Vadim Goustov, d’évoquer les résultats de cette réunion.

Q. Vadim Anatoliévitch, quelle a été la décision des sénateurs? La Russie doit-elle reconnaître ou non l’indépendance de ces peuples?

R. Cette question est très très difficile. Evidemment, le plus simple serait de s’écrier: “on les reconnaît!”. La presse mondiale se mettrait tout de suite à faire beaucoup de bruit et ne se calmerait qu’au bout de deux jours. Mais une telle décision serait totalement inefficace, et le Conseil de la Fédération en est parfaitement conscient.

La reconnaissance de n’importe quel territoire implique une responsabilité colossale, en premier lieu la responsabilité du pays que l’on reconnaît. Si l’on reconnaissait maintenant l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, on accepterait ainsi la variante du Kosovo. Mais alors, qu’est-ce qui nous distinguerait de ceux qui violent les engagements internationaux?

A l’heure actuelle, les soldats de la paix russes en Abkhazie et en Ossétie du Sud remplissent leurs fonctions, et le font très bien. Ils ne sont pas venus de leur propre gré, ils ont été envoyés par les dirigeants de la CEI et de surcroît, le Conseil de sécurité de l’ONU prolonge leur mandat tous les six mois. A chaque fois, le conseil souligne que les soldats de la paix russes remplissent leurs fonctions à cent pour cent.

Nous appuyons totalement l’appel, adressé aux parties en conflit par le Conseil de sécurité de l’ONU, à s’abstenir de tout acte de violence et de toute provocation, à respecter les ententes intervenues concernant le cessez-le-feu et le non-recours à la force.

Pour ce qui est des deux territoires autoproclamés, notre comité - et pas uniquement le nôtre, deux autres comités ont également participé à cette réunion - a confirmé la vision avancée par le président russe. Celui-ci a nettement formulé son idée: la Géorgie souhaite vivement adhérer à l’OTAN et nous, nous ne voulons pas que l’OTAN se rapproche d’année en année de nos frontières. Plus de cent mille Russes habitent dans ces républiques, et la Russie est prête à défendre leurs droits et libertés, ainsi qu’à assurer leur sécurité. Ces républiques se trouvent aux frontières méridionales russes, or, entre parenthèses, la Russie organisera dans cette région les Jeux olympiques de 2014.

Q. Vous sous-entendez donc que si la Géorgie envisage d’adhérer à l’OTAN, elle le fera sans ces républiques autoproclamées? Comment, au juste, la Russie accordera-t-elle une aide ciblée à la population de ces républiques, aide évoquée par le président?

R. Nous jouons cartes sur table: nous ne les reconnaissons pas pour l’instant, mais conformément à la décision des structures compétentes, nous disons à l’Abkhazie et à l’Ossétie du Sud que la Russie est leur ami fidèle et un voisin sûr. En plus de le dire, nous agissons.

Notre tâche ne consiste pas à “clamer” quelque chose, mais à apporter une aide concrète. Le Conseil de la Fédération a décidé de concentrer ses efforts sur la question suivante. Il existe un décret présidentiel qui, de fait, change de fond en comble la nature des relations des structures exécutives du pouvoir russe avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Nous nous sommes adressés aux sénateurs, en premier lieu aux gouverneurs, en leur proposant que chaque entité de la Fédération, à l’exception peut-être de Sakhaline et du Kamtchatka, cherche sérieusement des éventuels points de contacts entre ses entrepreneurs et les organes du pouvoir de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Il s’agit d’une coopération économique, commerciale, scientifique, technique, culturelle et autre, avec la participation de régions russes.

Un tel travail a déjà été entamé. Moscou est sur le point de conclure un accord de grande envergure avec ces territoires. C’est ce qui importe, à notre avis.

A l’heure actuelle, nous nous trouvons tous dans des conditions de marché, et les entités de la Fédération ne possèdent pas de fonds disponibles pour accorder une aide désintéressée à ces républiques. Il faut y créer des conditions qui attirent les hommes d’affaires. Or, il s’agit d’une région prometteuse: elle possède un réseau de commerce, des voies navigables, autrefois, il y avait une formidable zone balnéaire en Abkhazie. Les Abkhaz sont un peuple laborieux, ils vont travailler et gagneront de l’argent. Par ailleurs, il convient de les aider en ce qui concerne les opérations de déminage.

Q. Vous savez que les Russes ont toujours eu une attitude particulièrement chaleureuse envers tous les peuples de la Géorgie, et pas seulement envers les Abkhaz ou les Ossètes…

R. Mais nous sommes prêts à élargir notre coopération économique avec l’ensemble de la Géorgie. Car la Russie n’a pas seulement levé les sanctions économiques contre l’Abkhazie. Elle a fait pratiquement la même chose pour la Géorgie.

Seulement, soyons directs et sincères. Les marchandises géorgiennes n’ont aucun débouché aux Etats-Unis ou en Europe. Leurs vins et eaux minérales, leurs agrumes et minerais de manganèse n’intéressent personne, seul le marché de la CEI passe commande.

Je peux citer un exemple analogue concernant la Moldavie. Lorsque la Russie a introduit des restrictions relatives au commerce des vins moldaves, Chisinau a frappé à toutes les portes, en proposant ses produits à tout le monde, même à la Chine. Néanmoins, il n’a réussi à vendre qu’entre 30.000 et 50.000 bouteilles. Mais au cours de la période allant du 1er octobre 2007 au 1er mars 2008, lorsque les livraisons ont repris - ne serait-ce que partiellement - la Moldavie a vendu 4,3 millions de bouteilles. Voici le marché réel, tel qu’il est pour l’ensemble des pays de la CEI.

Q. Vadim Anatoliévitch, quel pronostic pourriez-vous faire concernant les relations russo-géorgiennes en général?

R. Ici, beaucoup de choses ne dépendent pas des Géorgiens. En fait, nombre de dirigeants géorgiens sont des types raisonnables. Mais ils sont dépendants des Américains. Et c’est là l’un de leurs principaux malheurs. Dès que la Russie a publié le décret présidentiel dont je viens de parler, le ministre géorgien des Affaires étrangères s’est immédiatement envolé pour les Etats-Unis, afin de demander conseil.

Certes, ils peuvent ouvrir des bases américaines et se faire payer pour cela tant de millions de dollars par an. Mais c’est une voie sans issue. Parce que sans une économie développée, le peuple géorgien finira par demander, en fin de compte: “Ecoutez, Monsieur le président, on ne peut quand même pas vivre comme ça. Nous vous avons cru, et maintenant?”.

Quelles que soient les idées avec lesquelles les gens arrivent au pouvoir, celles-ci deviennent contre-productives si elles ne sont pas mises en oeuvre au bout de trois ou quatre années (en guise d’exemple, je peux citer l’Ukraine). Saakachvili, je pense, en est conscient. Bien sûr, il a remporté l’élection présidentielle anticipée, mais les élections législatives l’attendent, et la situation dans le pays est extrêmement compliquée.

La principale question qui intéresse tout le monde est de savoir quelle sera l’orientation que choisira la Géorgie pour son développement. Les Américains, eux, en sont également conscients, c’est pourquoi ils souhaitent une adhésion accélérée de la Géorgie à l’OTAN, afin de s’implanter dans le pays, de s’installer sur les anciennes bases militaires russes. Mais l’arrivée des militaires otaniens s’accompagnera d’un passage aux armements de l’OTAN. Autrement dit, la Géorgie se voit totalement entraînée dans la stratégie otanienne.

Du point de vue territorial, la Géorgie est un important pays de transit, tant pour le pétrole que pour le gaz. Si l’Azerbaïdjan se laisse convaincre de marcher dans le sillon géorgien - or, un sérieux travail de propagande est déjà en cours dans ce pays - il ne sera plus question d’intégration avec la Russie. Ce qui est mauvais pour tout le monde, surtout pour l’Arménie, qui se retrouvera alors complètement isolée.

Les élections législatives se tiendront en Géorgie au mois de mai. Je pense que quatre ou cinq partis géorgiens franchiront la barre des 5%. Si les élections se déroulent sans violations sérieuses, ce que j’espère beaucoup, un parlement plus pragmatique sera formé. Et Saakachvili devra tenir compte de son avis.

Propos recueillis par Olga Serova.
Source :
RIA Novosti

jeudi, 24 juillet 2008

Entrevista con A. Dughin

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Corazon del Bosque | 12.10.2001  

ENTREVISTA CON A.DUGHIN

Kaiser Xose: - Visión de los atentados del 11S y consecuencias en relación con el Islam

A.Dughin: - Para decirlo en pocas palabras, consideramos esto como una provocación por parte de los EEUU para reafirmar su posición mundial globalista y mundialista porque gracias a esta tragedia han podido fortalecer su posición estratégica, sobre todo en Asia Central, y demorar su muy profunda crisis económica (tan profunda que, a la larga, resultará inevitable, imposible de superar).

Kaiser Xose: - Visión de los atentados del 11S y consecuencias en relación con el Islam

A.Dughin: - Para decirlo en pocas palabras, consideramos esto como una provocación por parte de los EEUU para reafirmar su posición mundial globalista y mundialista porque gracias a esta tragedia han podido fortalecer su posición estratégica, sobre todo en Asia Central, y demorar su muy profunda crisis económica (tan profunda que, a la larga, resultará inevitable, imposible de superar). Se han valido de la urgencia reclamada por Bush, por los acontecimientos del 11S, para influir en los países europeos y Rusia y así liderar esta situación. No podemos afirmar con certeza que los hechos hayan sido directamente obra norteamericana pero sí debemos tener en cuenta que toda la estructura del fundamentalismo islámico implicado ha sido desde el comienzo creada y montada por los mismos EEUU. Este fundamentalismo wahabista (tanto saudí como egipcio) fue considerado por los americanos como un arma político/ideológica contra los países islámicos que optaron por el sovietismo o por el socialismo árabe así como para la lucha estratégica contra Irán. Recordemos que, en los comienzos, este wahabismo fue montado por los servicios secretos anglosajones (en concreto, ingleses) para contribuir a la destrucción del imperio turco. Hoy por hoy hay dos posibilidades: o el instrumento ha quedado fuera de control USA o está siendo reutilizado. Creo que el que no haya habido otros atentados posteriores de semejante magnitud tras el 11S supone, más que una liberación fundamentalista del control americano, un montaje favorable a los intereses de éstos. Por ello, pienso que la reacción del gobierno ruso no fue la adecuada: una cosa es expresar nuestra solidaridad en la tragedia con el pueblo americano y otra contribuir a la afirmación estratégica de los EEUU en Asia Central ayudándoles en su campaña de Afganistan, que nada tiene que ver con la justicia y sí con la venganza. Insisto: antes de estos hechos, los EEUU estaban en una situación crítica económica, estratégicamente, porque su desarrollo evolutivo, en una perspectiva de globalización, se encontraba siempre con obstáculos por parte de Europa, Rusia, el Tercer Mundo... Sólo un acontecimiento extraordinario podía hacerles superar este obstáculo, al menos provisionalmente.En resumen, objetivamente puedo afirmar que el 11S favorece los intereses USA pero no puedo afirmar el saber a ciencia cierta quiénes fueron los autores materiales de los atentados. Me atrevo, no obstante, a especular con que, en un futuro, descubramos que Bin Laden está en los EEUU llevando una vida tranquila y confortable. Porque lo que está claro es que, con esto, les ha ayudado mucho otra vez.

K.X. - No obstante, y esto es una visión personal mía ¿no piensa que los movimientos islámicos, al margen de que objetivamente, por geopolítica, puedan estar favoreciendo los intereses USA, son el último movimiento contemporáneo de gente que intenta establecer un orden sagrado, religioso, y no tanto un orden económico, político?

A.D. - No exactamente. Pienso que el mundo islámico es, desde luego, más tradicional que el mundo occidental pero lo es mucho menos en relación con otros países de Oriente. No veo correcto identificar automáticamente la sacralidad con el Islam y lo profano con las consecuencias del cristianismo. Para mí hay dos formas del cristianismo: católico y ortodoxo, y este último es completamente sagrado. Desde sus orígenes, el catolicismo fue tributario de una forma de racionalismo (incluso antes de los escolásticos) pero en algunas partes de Europa, caso de España, este carácter racionalista y creacionista fue contrapesado, compensado, por tradiciones locales más antiguas.

No veo justo considerar al Islam en exclusiva como alternativa al mundo moderno. Tiene más sentido hablar del eurasianismo, de las formas diferentes de sacralidad, formas que en su momento ocuparon muchas partes del mundo pero que hoy se concentran en los pueblos que constituyen geopolíticamente Eurasia (sobre todo, en las partes orientales y del norte de Eurasia). Hay ortodoxia, islamismo, hinduismo, budismo, pero también tradiciones representadas por escaso número de gente (cuantitativamente hablando) pero con no menos valor, caso de los pequeños cultos de los pueblos de Siberia

Una civilización como Japón, capaz de asimilar algunos aspectos modernos sin traicionar sus raíces profundas. Yo he estado hace menos de un año y quedé muy impresionado porque ellos han podido, por ejemplo, convertir los Mac Donalds en un verdadero templo. Es una forma, por sus energías culturales, de anulación, de desactivación del veneno occidental sin renegar de la tecnología. Ellos pueden hacer un ordenador o un tren de alta velocidad con la misma fuerza y práctica ritual con que realizan la ceremonia del té.

O pensemos en la civilización iránica. Muy interesante, no por lo islámico en sí, sino por el sustrato no islámico que no se ha perdido, sólo se ha islamizado.

Por ello creo que la idea soviética, en su aspecto de concentrar energías eurasiáticas diversas, fue una forma de resacralización del marxismo en el ambiente ruso, una forma de neotradición.

Retomando el hilo, creo que reducir la alternativa al mundo moderno al Islam es plantear una visión muy estrecha de la Tradición. La síntesis eurasianista, en la que se recogen varias muestras de confesión islámica, me parece más correcta. La sacralidad del Islam iraní, sin ir más lejos, es mucho más profunda que la del Islam árabe.

K.X. - Ya que hablamos de Irán, un amigo mío, que estuvo no hace mucho por ese país, me comentó lo muy apegada que vio a la juventud a los valores occidentales (Madonna, Bon Jovi...) y como bastante cansada del orden religioso.

A.D. - Sí, sí, pero eso es porque sus gobernantes han cometido un error. Han insistido demasiado en algunos aspectos formales. Eso es lo más negativo del islamismo iraní (y lo que más lo acerca al árabe). En el principio, cuando Jomeini, hubo una tendencia de la revolución conservadora de Ali Shariati  donde había una mezcla de la Vanguardia con algunos aspectos tradicionales. Este, llamemos, tradicionalismo de izquierda era el camino justo porque la Tradición debe desarrollarse: la modernidad supone un desafío que requiere una respuesta, y ésta sólo puede venir de la Tradición.

K.X. - La técnica moderna ha sido fruto de un pensamiento burgués occidental. ¿Es posible que esta misma técnica pueda ser contemplada como un mero instrumento capaz de integrarse en un Orden tradicional, sagrado, sin que su modernidad intrínseca desarraigue, aliene, a las otras civilizaciones?

A.D. Hay diversas posiciones sobre este tema. Heidegger, por ejemplo, considera la Técnica como la manifestación del contenido del espíritu humano, por tanto si el contenido de ese espíritu es tal la Técnica lo manifiesta de tal manera, y si el contenido es otro, la Técnica es moderna: para Heidegger, la Técnica es la apariencia, la afirmación externa de lo que hay en nuestro interior. Desde esa perspectiva, la Técnica es solamente un instrumento. Me parece una definición muy válida.

Así, tenemos a los chinos: descubren la pólvora y durante mil años utilizan esta pólvora para hacer los fuegos artificiales. En este arte de los fuegos artificiales los chinos han llegado a las cotas más altas pero nunca se les ocurrió usar la pólvora para matar a la gente. El alma europea es completamente diferente: desde el primer día que encuentran la pólvora, el primer pensamiento es cómo aplicar este hallazgo para matar a otros. Lógica ni china ni rusa, lógica romana. La técnica, el instrumento, el arma deviene la meta, desborda el contenido y acaba dominando el alma. Esto es una perversión.

Pienso que la civilización occidental está destinada a identificarse con la Técnica. Es su destino, su fin. Hoy lo técnico en Occidente se ha vuelto el valor absoluto, incluso por encima del dinero. Pero en otros contextos, la Técnica puede ser útil para otras metas. Pero ¿qué técnica? Hay que hacer una forma de exorcismo espiritual, para liberarnos de esta posesión perversa de la Técnica. Sólo entonces podremos recuperarla en su justo papel. Como ya señalé, los japoneses han podido hacer esto.

Es una cuestión difícil. La Técnica no es buena en sí misma. Más allá de lo estrictamente instrumental, su único significado metafísico es el profanismo, el nihilismo propio de la civilización occidental. Pienso que la diferencia entre Galileo, Descartes y un ordenador no es mucha: son aspectos diversos del mismo problema. El racionalismo. La Técnica puede enmascarar el sentido último del problema destacando sólo sus aspectos más externos. Impide ver el centro de la cuestión.

K.X. - Sin embargo, autores que usted considera afines, como Guenon o Jünger, al final de sus vidas parecen ser muy pesimistas sobre este aspecto (Guenon hablando del Kali-Yuga; Jünger con su mitología más personal, refiriéndose a la Era de los Titanes), consideran a la Técnica como imposible de exorcizar.

A.D.Compartiendo bastante de ese pesimismo, para mí esta idea de que todo va de mal en peor no es razón para dejar la lucha, la resistencia. Yo pienso que la resistencia no siempre depende de la necesidad, de la certeza de la posibilidad de ganar. La lógica de la vida humana es mucho más difícil, más contradictoria, y hay que resistir incluso en situaciones donde no se puede contar con la posibilidad de victoria. Hay que hacer todo lo que nosotros podamos para evitar lo malo, para enfrentarnos al mal. Pienso que es nuestro deber, imperativo absoluto y categórico, encontrar el camino de la dignidad metafísica del hombre incluso si no tenemos ninguna posibilidad de ganar. Pero, cuidado, porque si admitimos esto de que no tenemos posibilidad de ganar como algo irrefutable, estamos ayudando al enemigo. Desde la resistencia, el pesimismo absoluto no es posible. En todas las situaciones nosotros debemos luchar para la victoria, nuestra victoria. Para la restauración de la Tradición , para la Revolución Conservadora. Esta idea de la victoria pienso que no está predestinada, siempre hay posibilidades de ganar. Si no hay en determinado momento posibilidades, nosotros podemos crear, podemos instaurar esos caminos. Incluso en pleno corazón de la noche cósmica. Hay toda una base que debemos activar: el insconciente colectivo, los aspectos más arcaicos del alma humana, que puede ser despertada. Siempre, hasta el último momento del mundo, exista esta posibilidad del despertar de los orígenes. Nuestro combate es ahora muy pequeño, en el plano material, pero su valor metafísico es comparable al de los Imperios de la Antigüedad. Creo que, en el alba de este nuevo milenio, hemos de reconsiderar la estrategia de nuestra lucha, dándonos cuenta de lo que han hecho y dicho nuestros predecesores. Y esta resistencia no es sólo prioridad rusa, sino que debe plantearse en todos los lugares del mundo, en Europa Occidental, hasta en los mismos EEUU. Para desarrollar esta estrategia no podemos pensar en términos de extrema derecha o de extrema izquierda o democracia o sovietismo o stalinismo (todo este tipo de divisiones forma parte del bagaje pasado del siglo pasado). Pienso que, desde el pequeño germen, implícito (no explícito), del nacionalbolchevismo, de la Revolución Conservadora , debemos crear otro movimiento, otra manera de considerar el mundo, que yo puedo llamar «Eurasianismo», una síntesis que debe incluir todo aquello que está sinceramente en contra del liberaldemocratismo americano, del globalismo. Eurasianismo debe ser la antítesis al globalismo, antítesis orgánica, viva, nacida, no creada (en el sentido de «prefabricada»). Debemos plantear la estrategia del centro radical  en el que converjan todas las posiciones de resistencia, no persistir en la marginalidad sectaria de las facciones (eso es un lastre del pasado siglo). Si lo pensamos, la mayoría de la gente en el planeta son eurasianistas. Sólo una pequeña minoría son los adeptos fanáticos del liberalcapitalismo. Nosotros, en justicia, debemos presentarnos como los portavoces de la mayoría del mundo. Esta guerra de los diferentes contra los universalistas (porque ahora sólo hay un universalismo, el neoliberal), el Frente Unico de los defensores de la diferencia debe ser el slogan para la nueva lucha. K.X. - Como última cuestión, ¿esta lucha, en el ámbito ruso, usted donde la encuadra? A.D.Yo ahora lidero el Movimiento «Eurasia», en trance de formalización como partido político. Trabajamos con el presidente Putin en cuestiones geopolíticas, eurasianistas. Nuestras posiciones son centristas. Deseamos extender nuestro movimiento no sólo por Rusia sino también por otros países de la ex-URSS y por el mundo entero. Uno de nuestros más importantes partidarios es un checheno, no proruso (lucha contra nosotros pero comparte nuestras ideas: he ahí lo interesante). Considero que esta guerra es injusta, por ambos lados, y que deberíamos aunar nuestras fuerzas para luchar contra el mundialismo liberal.

 

 

vendredi, 18 juillet 2008

Derde weg voor het derde millenium

Derde weg voor het derde millennium

Euro-Rus-congres, 28 juni 2008

In deze uiteenzetting zal worden gepoogd om een balans op te maken van het Amerikaanse imperialisme en van zijn sterktes en zijn zwaktes. Daarvoor is eerst een terugblik nodig om de belangen en de waarden, de middelen en de doelen die op het spel staan kort te schetsen. Als jonge beweging die meer wil zijn dan een nieuwe naam, vlag en leider moeten we stap voor stap te werk gaan. Idee en actie zijn onafscheidelijk, maar de juiste volgorde wil dat de actie uit de idee volgt. Door de algemene achteruitgang van het onderwijs* en de afstompende invloed van de media moet de ideologische vorming veel dieper en breder zijn dan vroeger. Congressen als dit zijn broodnodig, al was het maar om onze blik op de wereld te verbreden en de banden aan te halen met broedervolkeren. Daarvoor hoeven niet altijd ronkende namen op de affiche te staan. Dat die namen erin slagen om de gesubsidieerde vazallen van de antifascistische roddelpers in het ootje te nemen is uiteraard meegenomen. Antifascisme is tegenwoordig een miljoenenbusiness. Afgelopen week nog is uit cijfers gebleken dat de Duitse Bondsrepubliek sinds 2001 méér dan 200 miljoen euro heeft besteed aan de “strijd tegen het rechtsextremisme”. Dat ware misschien nog enigszins “sociaal” geweest, als geen dringender noden gelenigd moesten worden.

Om misverstanden, veralgemeningen of verdraaiingen achteraf te vermijden en ook gewoon voor de goede verstaander beginnen we met de puntjes op de i te zetten. We moeten eerst uiteenzetten hoe we het reilen en zeilen van het politieke systeem zien om onze politieke actie goed te kunnen definiëren. De simpele grondstelling van onze metapolitieke strategie luidt: politiek wordt steeds bedreven door elites en die elites hebben zowel waarden als belangen**. Om zoals gezegd de idee actie te laten worden moeten - in die volgorde - kaders en militanten worden gevormd om ten slotte de idee te laten doorsijpelen naar alle lagen van het volk. Wij stellen de idee en het ideaal centraal, wat tot uitdrukking komt in het feit dat alle coördinatoren op gelijke voet samenwerken en dat er hoogstens sprake is van een algemene coördinatie en dito coördinator. Tegenstellingen als “links” en “rechts” zijn voor ons even versleten als die van “oost” en “west”. Ze verhinderen ons om volwaardige (onverdeelde) Vlamingen en Europeanen te worden. Ze behoren tot een oude orde gekenmerkt door partijenstrijd, klassenstrijd en nu zelfs rassenstrijd. Wij wijzen in die oude wanorde de kiemen van de burgeroorlog radicaal af en eisen opnieuw: orde en vrede, een einde van de haat en nijd, waarden in plaats van waardeverval. Elk racisme is ons vreemd, omdat wij de identiteit van alle volkeren verdedigen, niet de superioriteit van één volk. Ik had vandaag evengoed met een zwarte separatist als met een blanke separatist op de affiche kunnen staan. Hoe de Amerikanen zich maatschappelijk en staatkundig organiseren, is in de eerste plaats hun zaak. Zolang ze maar binnen hun erf blijven.

Nationalisme is voor ons de zaak van de volkeren (meervoud). Nationalisme en solidarisme zijn voor ons één, omdat nationale onafhankelijkheid niets is zonder sociale rechtvaardigheid (en vice versa). Zeker in een tijd waarin de nationale bovenklasse vaandelvlucht pleegt! Wij zijn ervan overtuigd dat de nakende economische recessie en het voorspelbare neoliberale antwoord daarop onze eens zo sterke nationale middenklasse (dankzij sociale herverdeling, deels op solidaristische grondslag) zal verschrompelen tot een soort nationale onderklasse. Volksgenoten die geen plaats meer vinden in de veelgeprezen “kenniseconomie” zou men dan waarschijnlijk nog het liefst naar de Derde Wereld exporteren om vervolgens informatici en ingenieurs uit diezelfde Derde Wereld te importeren. Cijfers deze week zetten onze stelling over de sluipende teloorgang van de middenklasse kracht bij. De Belgische gezinnen blijken immers maar liefst één miljard schulden te hebben uitstaan door het gebruik van winkelkaarten tegen woekerrentes. “Het is een vrij nieuw fenomeen in België, maar is elders breed verspreid”, aldus de bankfederatie Febelfin. Natuurlijk is dit fenomeen al breed verspreid. Het consumeren op krediet is een Amerikaans fenomeen, omdat daar nauwelijks consumptieve transfers uit de sociale zekerheid bestaan. Een goede politieke gemeenschap vereist een sterke nationale middenklasse. Dat wist Aristoteles al.

De vaandelvlucht van de nationale bovenklasse begon na mei ‘68. Mei ‘68 was een generatiewissel van professoren naar studenten en een overgang van nationaal kapitalisme naar internationaal kapitalisme. Het was de voltooiing van de naoorlogse veramerikanisering en volksheropvoeding van West-Europa, eerder begonnen onder het mom van “denazificatie”. Die gebeurtenis horen we dit jaar dus te vieren. Bohémienliberalisme en bohémienkapitalisme gaan hand in hand. Het eerste verdedigt de waarden en het tweede de belangen van het internationale grootkapitaal. Vooraleer de markten, de handel en de wisselkoersen in de jaren ‘70 vrijgemaakt konden worden, moesten eerst de geesten van de mensen voldoende bewerkt en “bevrijd” worden van allerlei hinderlijke obstakels. Onder het mom eerst van “denazificatie” en nadien van “emancipatie” werden nieuwe sociale categorieën consumenten uitgevonden, zodat sinds kort bijvoorbeeld autoreclames zich speciaal tot nieuw samengestelde gezinnen richten. Logisch, want gebroken gezinnen consumeren dubbel zoveel als gewone gezinnen. Ook de halal consument die nu de rechtse toorn opwekt, is een product van dit kapitalisme en niet van de islam.

De iets ouderen onder jullie zullen zich nog het wettelijke onderscheid herinneren tussen zakenbanken en commerciële banken, waarbij die laatste alleen consumptieve en commerciële kredieten en geen (risicodragende) industriële kredieten mochten verstrekken. Nog een onderscheid was dat tussen commerciële banken (voor handelaars) en spaarbanken (voor arbeiders). Spaarbanken en verzekeringsmaatschappijen vormden vóór de deregulering van het kapitaalverkeer de basis van een sociaal of nationaal kapitaal belegd in staatsobligaties of parastatale instellingen. Veelzeggend is dat die wetgeving in de jaren ‘30 precies was ingevoerd om een herhaling van 1929 te voorkomen. Waarom die regulering van het kapitaalverkeer werd afgeschaft? Om de kapitaalbehoeften van het internationale grootkapitaal te bevredigen zonder terug te grijpen naar verdere inflatoire dollarcreatie. Zo werd ons sociale of nationale kapitaal afgeleid naar de internationale kapitaalmarkten. Van een financiële transfer gesproken! Sindsdien zijn pensioen- en hefboomfondsen de belangrijkste spelers op de internationale kapitaalmarkten. Wij pleiten daarom onder meer voor een staatspensioenfonds in de strijd tegen de vergrijzing en de globalisering. Mijns inziens moeten er monetaire hervormingen bovenop komen die een einde maken aan de inflatoire geldcreatie door de banken. Volkshuishouding en volksgemeenschap kunnen maar worden gesaneerd als de Augiasstal van het bank- en beurswezen wordt uitgemest. Het casinokapitalisme vormt een aanslag op de publieke moraal.

Nu we het een en ander uiteengezet hebben, kunnen we het Amerikaanse imperialisme aansnijden dat de gewapende arm is van het internationale grootkapitaal. Imperialisme is de hoogste fase van het monopoliekapitalisme: de versmelting van bancair en industrieel kapitaal. De Amerikaanse oligarchie is het product van een geweldige financiële en industriële machtsconcentratie. De Amerikaanse regering en de centrale bank zijn niets anders dan de belangenbehartigers van het geldverslindende militair-industriële complex en de grote zakenbanken. Die oligarchie heeft ook een uitgesproken internationalistische oriëntatie. Professor Carroll Quigley sprak dan ook over “internationale bankiers”. Toch moet worden opgemerkt - zoals door Carroll Quigley, G. Edward Griffin en Ellen Brown - dat die oligarchie een gemengd en geen zuiver joods karakter heeft. Zo was J.P. Morgan anglicaans en John D. Rockefeller baptist. Wel is het natuurlijk zo dat die familiedynastieën - en met name de Rothschilds - in belangrijke mate de stichting van de staat Israël nu 60 jaar geleden hebben gefinancierd. Na mei ‘68 de tweede gebeurtenis die we dit jaar geacht worden te vieren. De antizionistische joodse schrijver Jack Bernstein gewaagde het zelfs te schrijven: “Het judaïsme is een religie, maar het zionisme is een politieke beweging die door dezelfde personen is gecreëerd die ook aan de wieg van het communisme stonden. Het einddoel van het zionisme is een wereldregering onder leiding van internationale kapitalisten”. Het citaat mag misschien op het eerste zicht wat vreemd aandoen, maar het feit dat de dissidente auteur vermoord werd, roept alleen maar meer vragen en mysterie op.

Nu de belangen die het imperialisme drijven duidelijk zijn, kunnen we het hebben over de waarden die het drijven. Het Amerikaanse imperialisme wordt nog altijd gerechtvaardigd door de pseudo-religieuze inhoud van City upon a Hill, Manifest Destiny, Monroe-doctrine. Het heeft zijn wortels in verschillende vormen van modern pseudo-religieus fundamentalisme, die een smet zijn op de eeuwige wijsheid die de bron is van alle archaïsche religies ter wereld. De protestantse ketterij van het calvinisme heeft zo een land gesticht en de oorspronkelijke bevolking ervan vermoord, verdreven of in reservaten gestoken. De joodse ketterij van het zionisme deed 60 jaar geleden precies hetzelfde. De ketters in kwestie zijn modernisten (want materialisten) omdat ze steevast de heilsverwachting op aarde willen verwezenlijken. Is er een beter bewijs van hun materialistische aard dan hun obsessie voor geld en grond? Ze delen dezelfde cynische psychologie. Een psychologie die over lijken gaat en daarbij de leugens niet spaart. De protestantse fundamentalisten van de christelijke rechterzijde hebben altijd al een hoogst eigenaardige affiniteit met Israël gehad, die zich vertaalt in een gemeenschappelijke heilsverwachting. Religieuze protestanten en zionisten azen op het Midden Oosten om een Messiaanse Revolutie te bespoedigen. Ze hopen dat de “Messias” of “Koning der Joden” dan van daaruit over de wereld zal heersen. Het is een typische dwaling van moderne pseudo-religies om de vervulling van een heilsverwachting in de wereld te projecteren.

Nu kunnen we de sterktes en de zwaktes van het Amerikaanse imperialisme onder de loep nemen, want het is in alle opzichten belangrijk om hen goed in te schatten. Het militair-industriële complex van de VSA is zowel een vloek als een zegen voor de VSA. Door zijn geldverslindende karakter is het verantwoordelijk voor het grootste deel van de Amerikaanse staatsschuld. Tijdens Vietnam werden de begrotingstekorten (monetair) gefinancierd door de Federal Reserve. Nu worden ze vooral gefinancierd door China en Japan. Het Pentagon is niet toevallig de grootste werkgever van het land. De VSA hebben hun economische en politieke leiderschap enkel en alleen te danken aan hun militaire leiderschap. De overheid spaart niet. De gezinnen sparen niet. En de bedrijven sparen nauwelijks. Dus parasiteren de VSA op buitenlandse dollars die terugstromen. Dat kunnen ze alleen, omdat ze de wereld laten geloven dat hun papiergeld waardevol is. Ze bevinden zich zo in de unieke positie dat ze kunnen lenen in hun eigen munt om vervolgens nieuwe oorlogen te bekostigen.

Ook het leiderschap van de dollar hebben de VSA te danken aan hun militaire leiderschap. Het militaire imperialisme is een dollarimperialisme. Daarvoor hebben de geallieerde plutocraten na de Tweede Wereldoorlog de instellingen van Bretton Woods in het leven geroepen. Zijn enige objectieve waarde ontleent de dollar nu niet langer aan het goud, maar aan de olie. De VSA zijn dan ook als de dood ervoor dat een land als Iran zijn olie in euro zou verkopen. De laatste 30 jaar is dus het verhaal van een kapitalistische wereldeconomie die in een quasi permanente staat van crisis (goud, dollar en olie) verkeert. De eerste quick fix was het einde van de goudstandaard en de vaste wisselkoersen. De tweede was zoals gezegd de deregulering van de internationale kapitaalmarkten. De derde was en is het monetarisme van neoliberale signatuur: besparingen op sociale uitgaven. Maar al het neoliberale monetarisme ten spijt, deden de Amerikaanse oorlogen de defensie-uitgaven, de staatsschuld en de dollarinflatie alleen verder toenemen. Wat een luxe toch dat staten niet bankroet kunnen gaan en belastingplichtige burgers altijd zullen blijven betalen!

Het is eigen aan de Reaganomics om zowel de belastingen te verlagen als de defensie-uitgaven te verhogen. Bush combineert net zoals Reagan neoliberalisme en neoconservatisme met een pseudo-religieuze retoriek. Sinds zijn beleid is de staatsschuld met 50% toegenomen en ze neemt dagelijks met 3 miljard dollar toe! Een ander overblijfsel uit het Reagan-tijdperk is dus het neoconservatisme. Belangrijk is dat dat laatste het Amerikaanse imperialisme een nieuw élan wist te gegeven op een ogenblik dat het Amerikaanse leiderschap voor iedereen duidelijke barsten begon te vertonen. Het is al tot treurnis toe gezegd dat het hier gaat om bekeerde Joods-Amerikaanse trotskisten die niet alleen om redenen van binnenlandse, maar ook om die van buitenlandse politiek hun kazak hebben gekeerd. Deze verlichte despoten noemen hun wereldrevolutie “democratisch” en hun wereldrijk “republikeins”. Ze zijn ook voor de vrede: de Pax Americana. Het seculiere zionisme is zoals bekend hun tweede natuur, maar de “gelaarsde Wilsonianen” omkleden hun liefde voor de staat Israël met mooie liberaal-democratische idealen***. De neocons zijn ook emblematisch voor de verschraling van het politieke landschap: “dit is geen conservatisme, maar liberalisme met scherpe tanden” (Lawrence Kaplan). Dat is de harde waarheid die naïeve anti-imperialisten, pacifisten, internationalisten en andere nuttige idioten niet willen horen. Ze delen dezelfde liberale waarden. Ze behoren dan ook in de grond tot één en dezelfde ideologie. De ideologie die als een rode draad doorheen de moderniteit is geweven: het liberalisme. Ze zijn eigenlijk niet tegen de neocons omdat die “Wilsonianen” zijn, maar omdat ze “gelaarsd” zijn.

Na deze uiteenzetting moet het duidelijk zijn dat het leiderschap van de VSA niet gestoeld is op enige economische of ethische superioriteit, maar op de schaamteloze aanwending van militaire macht en de even schaamteloze verkrachting van het volkenrecht. Daarom is het zo belangrijk dat Europa uit de NAVO treedt en de NAVO uit Europa vertrekt. De NAVO is de hulpagent van het Amerikaanse imperialisme. Ook moeten we beseffen dat de afwijzing van het opmarcherende Amerikaanse kapitalisme, zijn talrijke Europese handlangers en nuttige idioten weliswaar een noodzakelijke, maar geen voldoende voorwaarde is voor Europese wedergeboorte. Dat alle grote verwezenlijkingen het product van de geest zijn. Dat die wedergeboorte ook vanuit onszelf en niet alleen vanuit Rusland moet komen. Dat “ras” meer is dan een lichamelijk omhulsel. Dat “ras” een bepaalde stijl inhoudt: sober, sterk en opwaarts gericht, zoals een Dorische zuil volgens Evola. Dat Evola ons leert dat we geestelijke strijders moeten zijn, geen rambo’s of andere weekdieren. Het is jammer dat het tijdsbestek niet meer toelaat om hierop verder in te gaan, want als één persoon geplaatst is om de rijksgedachte als civilisationele en spirituele wedergeboorte van Europa te verkondigen is het wel Evola. Evola en Guénon zijn bronnen van tijdloze wijsheid. Hun hedendaagse aanhangers hebben er lak aan dat ze misschien minder “nuttig” zijn voor de besognes van de korte-termijn-politiek.

Zelfs vanuit een nationalistisch perspectief heeft de Europese ruimte een organisatiebeginsel nodig, omdat de vrijheid van één volk afhangt van de vrijheid van het volkerengeheel. Een combinatie van Europees federalisme (Evola) en Europees nationalisme (Thiriart) is mogelijk. Europa is alleszins niet beter af met nationalismen die niets anders zijn dan onbeholpen vormen van nationaal egoïsme. Maar de huidige Europese integratie is ook een slechte zaak. Economisch worden de kleine spelers verdrongen en politiek worden de natiestaten uitgehold tot op het bot. Die laatste zullen worden herleid tot Europese filialen gerund door nationale managers, alleen nog goed om belastingen te heffen en de lonen te drukken. Natiestaten en culturele barrières vinden de eurocraten immers belemmeringen voor de “optimale” allocatie (maximale uitbuiting) van de productiefactoren. Dat is de Europese integratie van het neoliberale en neo-Atlantische Europa, dat voor de tijd die zijn Amerikaanse suzerein nog rest een economische reus en een politieke dwerg mag blijven. Het is aan de Europeanen om zichzelf te bevrijden door zich politiek-militair en autarkisch te organiseren. Wij moeten post-Belgisch, post-Atlantisch, postmodern gaan denken. De 21ste eeuw toont overal in Europa het ontluiken van autonome nationalisten, non-conforme fascisten en zelfs allochtone separatisten. Het N-SA moet dus een constructief alternatief willen zijn. De oude orde sloopt zichzelf wel, wat ons dat werk bespaart. Het is veel belangrijker dat de nieuwe orde nu al wordt opgebouwd. Met een nieuwe orde en een derde weg voor ogen scheiden onze wegen met de Atlantische as en kiezen wij voor de Europese as.

Frederik Ranson
Coördinator N-SA

* De promotie van de “kenniseconomie” kan niet verhullen dat onder het mom van “gelijke onderwijskansen” en dergelijke de beoordelingscriteria stelselmatig worden verlaagd. De explosieve toename van leerlingen met een taal- en leerachterstand is maar één gevolg van de massa-immigratie.
** Daaruit volgt: 1) Aangezien ons antikapitalisme het heroïsme, het idealisme en het voluntarisme in acht neemt, is het geen historisch materialisme. Ons antikapitalisme neemt de religieuze wortels van het kapitalisme onder de loep, zoals de sociologen Max Weber en Werner Sombart al deden. 2) Aangezien de partijpolitiek in de eerste plaats gedreven wordt door belangen (één partij ontleent er zelfs haar naam aan) moet onze metapolitiek gedreven worden door waarden. 3) Aangezien politiek bedreven wordt door elites, moet de politieke actie gericht zijn op de vorming van een nieuwe politieke elite, met het karakter van een orde en niet dat van een partij. 4) Aangezien gemeenschappen steeds worden geleid door elites, kan kritiek op elites nooit worden veralgemeend tot kritiek op hele gemeenschappen. Hoogstens kan men een volk verwijten dat het het juk van zijn eigen misdadige leiders verdraagt. Dat geldt in het bijzonder voor ons eigen volk.
*** De democratie Israël is zeker niet de enige die de mensenrechten schendt. Het belet de Europese Unie - zelf een toonbeeld van democratie - echter niet een associatieakkoord te sluiten met dat land. Zo’n akkoord stipuleert nochtans dat het geassocieerde land geacht wordt om de mensenrechten te eerbiedigen. De EU heeft ook een associatieakkoord met Turkije.

 

jeudi, 17 juillet 2008

Nehru et l'indépendantisme indien

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Luigi Carlo SCHIAVONE:

 

Jawaharlal Nehru et l’indépendantisme indien

Jawaharlal Nehru, l’un des pères du mouvement national indien, publia une autobiographie en 1936, avec, pour objectif, outre de narrer la vie de celui qui deviendra le premier leader de l’Inde indépendante, de faire comprendre au lecteur quels furent les prémisses qui ont incité le peuple indien à s’unir contre l’oppresseur britannique. En effet, quand Nehru parlait de l’impérialisme britannique, il disait: “il était naturel et inévitable que le nationalisme indien réagisse un jour contre la domination étrangère”; mais Nehru demeurait néanmoins déconcerté par les positions des milieux intellectuels indiens qui, à la fin du 19ième siècle, semblaient tous avoir pleinement accepté l’idéologie impériale britannique. Pour Nehru, il s’agit d’une déviance due à l’influence considérable qu’exerçait l’établissement britannique sur le peuple indien, par le truchement du système scolaire qui cherchait systématiquement à souligner les mérites des colonisateurs, en soulignant toujours les lacunes de l’antique savoir indien. C’est dans un tel contexte, écrivait Nehru, que les étudiants indiens n’avaient aucune base rationnelle, aucun instrument conceptuel valide selon les critères du rationalisme occidental, pour contester les leçons administrées par leurs maîtres britanniques, à moins de se contenter d’un retour consolateur au nationalisme religieux, parce que, ajoutait Nehru, “au moins, dans la sphère religieuse et philosophique, les Indiens ne devaient céder la première place à aucun peuple de la Terre ”.

Après avoir pris acte de la situation, les premiers noyaux de dissidents indiens commencèrent à jeter la suspicion et à examiner en profondeur les affirmations de leurs professeurs britanniques. Ils réussirent ainsi à créer une véritable anthologie originale de matériaux conceptuels anti-britanniques, rédigés par des auteurs au ton modéré. C’est ainsi que le nationalisme indien a réussi, au départ, à se doter d’un corpus de fond, en matières politiques et économiques.

Mais, en dépit de cet acte de défi, Nehru déplore que ce corpus contestataire mais modéré finissait par acquérir une fonction spécifique dans le système de fonctionnement du pouvoir britannique. Cette fonctionnalité de la première contestation indienne découlait tout simplement des positions libérales de la plupart des membres du Congrès National Indien qui ne cherchaient en général qu’une seule chose: obtenir les plus hautes charges sans comprendre qu’ainsi rien ne changerait; simplement, les représentants officiels du “changement”, en cas de désordres, auraient été protégés par ceux-là même qu’ils tentaient de mettre échec et mat. Par ailleurs, les paroles  critiques du leader Nehru à l’endroit des idées libérales sont bien claires: “L’idéologie libérale est incapable de comprendre l’idée de la liberté indienne dans la mesure où les positions de l’une et de l’autre sont fondamentalement irréconciliables”. La critique des jeunes étudiants nationalistes indiens aux“vieux messieurs” du système éducatif britannique, ne se limitait pas, toutefois, aux seuls établissements d’enseignement. Nehru entrevoyait dans les attitudes des Britanniques, à la fin du 19ième siècle, un fondement messianique, perceptible dans la conviction, autrefois partagée par d’autres peuples, de se prendre pour les “élus du Seigneur”, honneur accessible à tous ceux qui accepteraient de se faire encadrer par la classe dirigeante britannique, qui prétendait que son empire était l’instance représentatrice du Règne de Dieu sur la terre. Cette vision messianique justifiait la rudesse des punitions infligées dans les Dominions à tous ceux qui s’opposaient à la loi britannique.

“Comme les inquisiteurs du passé, ils se sentaient destinés à nous sauver, indépendamment du fait que nous le désirions ou non”. C’est avec ces mots que Nehru commence son chapître où il décrit les pratiques mises en oeuvre par les colonisateurs pour transformer l’Inde en le pays le plus brillamment adapté aux structures impériales anglaises. Sur le modèle britannique, les autorités coloniales avaient choisi un groupe d’Indiens, l’avaient formé, dans le but de soutenir les premiers balbutiements d’un Etat autonome; ces Indiens “homologués” étaient censés amener le pays au “self-government” et à la “liberté”, “mais, ajoute Nehru, auraient dû démontrer et garantir que ce self-government et cette liberté ne se seraient exercés que selon les desiderata des Britanniques”.

Au fil de son ouvrage, Nehru poursuit l’âpre critique qu’il adresse au système imposé à son pays par les colonisateurs anglais. Son analyse n’épargne personne, ni même l’immense majorité du peuple anglais, coupable, selon Nehru, de n’avoir jamais voulu véritablement comprendre l’Inde. Si l’on soulève le voile de misère et de déclin qui recouvre la terre indienne, considérée comme “la perle de la couronne britannique”, on  peut encore découvrir la royauté intrinsèque de l’âme d’une vieille nation qui a pérégriné à travers les âges, en vivant des jours de gloire et de décadence, tout en restant toujours liée et attachée à sa très ancienne culture, tirant des ressources profondes de celle-ci force et vitalité, les partageant avec de nombreux pays. En s’appuyant sur ce constat, le premier futur leader de l’Inde indépendante se lance dans une surprenante comparaison avec l’Italie. Selon Nehru, les deux pays sont fils d’une culture plurimillénaire où le concept de nation, malgré les innombrables difficultés ou vicissitudes malheureuses, n’a jamais disparu, même s’il s’est abreuvé à d’autres sèves au fil des siècles. Exaltant les dons de Rome et de l’Italie, Nehru leur reconnait le mérite d’avoir toujours été les principaux centres de culture en Europe; il attribue, dans la foulée, les mêmes mérites à l’Inde en Asie. Les deux pays, selon Nehru, présentent bien des similitudes, y compris dans les malheurs: il rappelle ainsi que Metternich définissait l’Italie comme une simple “expression géographique”; bon nombre d’émules de cet homme politique autrichien ont considéré l’Inde de la même manière.

Après cette parenthèse sur l’Italie, Nehru, dans son ouvrage, revient sur le sort de son propre peuple. Il explique, avec moults détails, combien étroit est le rapport ancestral entre les Indiens et l’idée de leur propre nation, révélant, dans ces explications, toute cette verve politique, qui est la sienne, et qui l’a toujours distingué de Gandhi. Nehru parle de la “Bharat Mata”, de la “Mère Inde”. Il rappelle à ses lecteurs l’Inde d’avant la colonisation où il y avait certes d’innombrables conflits entre castes mais où subsistait, intensément, un vif et puissant lien commun, dont les traces étaient encore perceptibles dans l’Inde de son temps. Ces liens forts permettent d’articuler une résistance grâce à leur vitalité intrinsèque et, ajoute-t-il, il serait erroné de croire que cette vitalité est telle uniquement parce qu’elle découle d’une tradition plurimillénaire: ses origines, il faut plutôt les retrouver dans ce principe de soutien mutuel qui soude la communauté indienne toute entière quand il s’agit de faire face à de puissantes influences étrangères. Mais toute cette vigueur, pourtant, n’a pas permis de conserver la liberté et l’unité politique, ni l’une ni l’autre de ces valeurs n’ayant été considérées jusqu’alors comme dignes de soutenir des efforts constants. C’est cette négligence qui est responsable des souffrances successives du peuple indien, négligence dont les sources doivent être recherchées dans un antique idéal indien qui n’a jamais glorifié les triomphe politique et militaire, a toujours méprisé l’argent et ceux qui l’accumulaient, en n’accordant honneur et respect qu’à ceux-là seuls qui servaient la communauté pour de maigres compensations congrues. Ces attitudes font que la communauté collabore au Bien Commun et l’honore, ce qui, selon Nehru, correspond à l’idéal socialiste, qu’il considère lui-même comme l’antidote au système capitaliste occidental. En effet, écrit-il, “il se pourrait bien que lorsque l’Inde se revêtira d’oripeaux nouveaux, parce que ses anciennes frusques sont usées et élimées, elle prendra pour modèle de ses nouveaux effets le mode socialiste de gérer la société, afin de la rendre plus conforme tant aux conditions actuelles qu’aux critères de sa pensée plurimillénaire. Les idées que l’Inde adoptera, elle devra les faire vivre et revivre sur son propre terreau”.

En août 1947, quand l’Inde accède enfin à l’indépendance, Nehru en devient le Premier Ministre et gardera cette fonction jusqu’à sa mort en 1964. Pendant toutes ces années, il a dû affronter une situation intérieure difficile, née des clivages profonds entre groupes ethniques et religieux et de la pauvreté chronique des zones rurales. Mais il a réussi, en même temps, a acquérir une grande popularité au niveau international, en se plaçant aux côtés de Tito et de Nasser, constituant ainsi, en quelque sorte, un triumvirat pour le mouvement des “pays non alignés”, patronant l’idée d’un Tiers Monde distinct de l’Est comme de l’Ouest, mouvement qui avait connu son apogée lors de la conférence afro-asiatique de Bandung en avril 1955.

Luigi Carlo SCHIAVONE.

(article paru dans le quotidien romain “Rinascita”, 15-16 septembre 2007; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

 

 

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jeudi, 03 juillet 2008

Russie: impasse d'une mémoire blessée


 

Russie, les impasses d’une mémoire blessée : complexe post-impérial et perspective altereuropéenne

Que reste-il de notre victoire ? Russie-Occident : le malentendu
par
Natalia Narotchnitskaia, Editions des Syrtes, 208 pages, 18 euros.

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Dans un contexte de tensions et d’incompréhension croissantes entre une Russie renaissante et un Occident américanocentré, les éditions des Syrtes ont été bien inspirées de publier un petit essai qui tombe à pic. Celui-ci est l’œuvre de Natalia Alexeevna Narotchnitskaia, une des figures de proue de la mouvance patriotique russe et, de ce fait, le porte parole de bon nombre de ses compatriotes (1).

Née en 1948, personnalité éminente de l’Orthodoxie politique, cette historienne, membre de l’Académie des sciences, fut élue député du parti Rodina et occupa le poste de vice-présidente de la Commission des Affaires étrangères de la Douma. Farouche partisane d’une « civilisation orthodoxe » singulière fondée sur la prédominance des Russes ethniques, Narotchnitskaia s’est signalée par ses critiques de la globalisation et des mécanismes supranationaux. Partisane d’un maintien des souverainetés étatiques et nationales, elle s’est fait aussi connaître par ses vigoureuses prises de positions contre la désagrégation de la Yougoslavie et l’implication de l’Otan, ce jusqu’à la récente proclamation d’indépendance du Kosovo. Son premier ouvrage traduit en français est donc un événement éditorial, d’autant plus qu’elle dirige depuis peu un Institut russe de la démocratie et de la coopération, basé à Paris, qui vise notamment à observer les atteintes aux droits de l’homme en Occident. Polémique et passionné, son livre, desservi par une traduction parfois approximative, se présente comme un appel véhément lancé à l’opinion publique occidentale.

« le souvenir de la victoire est la pierre angulaire de la conscience nationale séculaire qui empêche la disparition de la Russie »

 

Narotchnitskaia bâtit son propos autour de la question sensible de la victoire soviétique du 9 mai 1945 au terme de cette Grande Guerre Patriotique menée contre l’envahisseur « fasciste ». Cette dernière aurait rétabli le territoire de la Russie historique et permis à l’URSS de retrouver son statut de grande puissance perdu en 1917, puis ultérieurement en 1990. Elle aurait, de plus, sollicité le sentiment national et la solidarité spirituelle du peuple russe. Narotchnistskaia s’élève vigoureusement contre ce qu’elle décrit comme des tentatives répétées de l’Occident pour ternir la mémoire de ce moment clé, celles-ci devant prouver que « le souvenir de la victoire est la pierre angulaire de la conscience nationale séculaire qui empêche la disparition de la Russie ». Dès lors, toute ébauche de critique, qu’elle émane d’historiens dénonçant les détachements de barrage du NKVD ou de Lettons réécrivant l’histoire « à des fins politiques » est vouée aux gémonies. Ne parlons même pas du pacte Molotov-Ribbentrop et ses fameux protocoles secrets, de l’héritage de Yalta ou des thèses de l’historien allemand Ernst Nolte concernant le « nœud causal » entre communisme et national-socialisme (2). Les pages sombres de cette période, sujets qui fâchent, sont allègrement passées à la trappe: rien sur les millions de victimes de la répression, des déportations ou du Holodomor, la famine génocide en Ukraine de 1932-1933 (3).

Bien entendu, l’auteur ne se cantonne pas à ce moment historique particulier et en profite pour dresser une vaste généalogie des agressions occidentales contre la Russie sur une longue durée, en fait depuis la fin du XIXème siècle. Elle s’appuie, pour cela, sur une approche strictement géopolitique (thèses de Mackinder principalement) et sur toute une série de références glanées chez des auteurs russes autant qu’occidentaux pour démontrer la permanence d’une politique hostile de refoulement et d’affaiblissement de la Russie de la part d’un Occident souvent ingrat. L’Allemagne et surtout les puissances anglo-saxonnes se taillent la part du lion, de la guerre balkanique de 1878 jusqu’aux tentatives d’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie. La plupart des faits évoqués sont fondés, mais on sent qu’ils ont été soigneusement choisis pour justifier le postulat de base, énoncé de manière totalement réductrice et passionnelle. Pour l’auteur, les représentants du « projet antirusse du XXème siècle » combattent la « transmission de la conscience russe et soviétique » car sans cela « la guerre cesse d’être patriotique, et donc les Russes du XXème siècle n’ont pas d’histoire nationale, ni de structure d’Etat légitimes. En conséquence, toute ingérence extérieure et toute révolte intérieure, tout séparatisme sont juridiquement valables ». Les catégories négatives englobant les ennemis de la Russie sont bien délimitées et comprennent, outre les Occidentaux précités, les ennemis de l’intérieur comme les « libéraux occidentalistes postsoviétiques » ou les « bolcheviks internationalistes » incarnés par le trio Lénine-Trotski-Boukharine. L’ « interprétation marxiste nihiliste de l’histoire russe » sous forme de « phraséologie libérale et anticommuniste » sous l’ère Eltsine est aussi dénoncée.

Suivant ce dernier ordre d’idée, Narotchnitskaia affirme que les diverses campagnes de propagande pour la défense du « monde libre », de la Liberté et de la Démocratie ont servi à dissimuler l’enjeu véritable de la guerre froide, à savoir discréditer l’URSS en la privant de son statut de grande puissance rendu par la victoire de 1945 et la refouler à l’Est, loin des mers Noire et Baltique. Cela n’est pas trop mal vu dans l’ensemble. Cependant, s’il apparaît clairement que l’anticommunisme a bien été instrumentalisé par les Etats-Unis durant cette période, la réalité de la lutte entre systèmes idéocratique rivaux est un peu facilement négligée dans son argumentation. En Occident, depuis les années 90 du siècle dernier, nous avons vu se mettre en place une réalité post-démocratique (4) avec la chape de velours du « politiquement correct », de la part d’un « Monde libre » qui n’a plus à donner le change face à « l’Empire du mal ».

Image Hosted by ImageShack.usUne tendance regrettable de l’auteur à essentialiser dans la durée certaines catégories historiques et politiques utilisées est décelable. C’est le cas pour la notion de « Russie historique », c’est-à-dire envisagée dans son extension territoriale maximale avec une obsession des façades maritimes baltique et méridionale, ceci avec l’idée sous-jacente que tout territoire « réuni » au noyau initial moscovite est voué à le rester éternellement. De même, « l’espace géopolitique russe » est considéré dans sa plus grande extension, en incluant le glacis des pays du Pacte de Varsovie. A aucun moment, l’auteur n’envisage de mettre en doute le bien fondé de ces catégories et la légitimité éventuelle des tendances centrifuges de la part des populations non russes. Au contraire, elle affiche une nostalgie impériale décomplexée qui dépasse largement le cadre des frontières de la Fédération de Russie. Tout cela sonne comme un air de déjà-vu et entendu, que ce soient le fameux discours de Vladimir Poutine du 9 mai 2005, les déclarations dont sont régulièrement coutumiers les officiels russes ou le nouveau manuel d’histoire de Vladislav Sourkhov.

L’ouvrage de Narotchnitskaia a l’immense mérite de rendre ces points de vue et ces sentiments largement partagés, beaucoup plus intelligibles pour les observateurs attentifs de ce grand pays. L’auteur donne la clé qui sous-tend sa conception du monde lorsqu’elle décrit chez ses compatriotes « un sentiment d’appartenance à une Patrie sacrée qui ne s’identifie pas à l’Etat » et relève d’une conscience orthodoxe inscrite dans « une perception de la continuité historique ». Une Patrie conçue donc comme une notion métaphysique, opposée au régime du moment, fût-il celui de Staline ou de ses successeurs et contre lequel il était funeste de se dresser, que l’on s’appelle Vlassov ou Sakharov. On retrouve ainsi dans ces propos toutes les contradictions inextricables auxquelles sont confrontés tous ceux qui, pour des raisons diverses, ont fait l’économie d’un nécessaire et véritable bilan du communisme dans l’espace postsoviétique.

« un sentiment d’appartenance à une Patrie sacrée qui ne s’identifie pas à l’Etat »

 

Au terme d’une démonstration désireuse de montrer que les responsabilités des affrontements et des malentendus des siècles passés sont équitablement partagées, notre historienne invite Français et Allemands, noyau dur « carolingien » d’une avant-garde européenne chère à Henri de Grossouvre (5), à tirer un trait sur la guerre froide en ouvrant la voie d’un véritable axe Paris-Berlin-Moscou. Nous ne pouvons que souscrire à cela ainsi qu’à l’affirmation que les destinées de l’Europe et de la Russie sont étroitement liées. Prenons-la au mot tout en étant bien conscients que cela devra se faire sur des bases saines, avec un inventaire historique complet et serein, bien au-delà des pathologies de la repentance en vogue en Occident, afin de sortir une fois pour toute de ce jeu de miroir mémoriel où chacun se renvoie les images douloureuses de blessures non cicatrisées. Nos amis russes devront s’efforcer de s’extirper d’un complexe post-impérial qui les empêche d’opérer une analyse lucide du moment communiste de leur histoire, ce « passé qui ne veut pas passer », en assumant les erreurs et les crimes commis, puisque la Russie se considère elle-même comme l’héritière exclusive de l’Union soviétique. Ils devront également reconnaître les peuples jadis subjugués comme des entités politiques, historiques et culturelles distinctes (cas notamment des Baltes, des Ukrainiens ou des Biélorusses) en rétablissant avec eux des relations normales et équilibrées, conformes à l’esprit d’un nouveau Jus publicum europaeum. Ce qui implique d’essayer de penser l’identité russe au-delà de l’expérience historique d’un empire araseur des différences. Cela permettrait à l’ethnos russe d’opérer un véritable retour à une Europe envisagée comme matrice ethno-historique (nos origines boréennes) et communauté de destin communes, au sein d’un vaste ensemble intégré, afin d’affronter ensemble les immenses défis qui se profilent à l’horizon d’un nouveau siècle chaotique. Un travail historiographique judicieusement orienté pourrait contribuer à gommer progressivement les traces durables de la longue parenthèse « asiatique » ainsi que les tentations néo-eurasistes de doctrinaires comme Alexandre Douguine ou Alexandre Panarine.

Les autres Européens devront également dépasser le moment occidental de leur histoire en mettant en œuvre cette capacité de régénération métamorphique qui leur est propre, mode de dévoilement de leur identité faustienne dont ils ont maintes fois fait preuve au cours de leur histoire multimillénaire. Plus que jamais, veillons à ne pas renoncer au rêve d’un empire-puissance conjuguant souveraineté et subsidiarité dans une perspective altereuropéenne et eurosibérienne, afin que puisse se réduire une fracture infracivilisationnelle, sciemment entretenue et instrumentalisées, entre pôles européens romano-germanique et slavo-orthodoxe.

Pascal Lassalle
Source : http://theatrumbelli.hautetfort.com

(1) Les lecteurs russophones pourront consulter son site : http://narochnitskaia.ru/
(2) Ernst Nolte, La guerre civile européenne 1917-1945, Editions des Syrtes, 2000. Le lecteur pourra se référer également au débat entre Nolte et Dominique Venner dans Eléments n°98, p : 22-24.
(3) Notons à ce sujet que la chambre basse du Parlement russe a nié le caractère génocidaire du Holodomor et condamné une instrumentalisation politique de ce drame par le gouvernement de Kyiv au moment où se tenait le sommet de l’Otan à Bucarest, dans une résolution datée du 2 avril. Celle-ci a été soutenue par l’écrivain Alexandre Soljenitsyne qui a évoqué une « fable insensée » à destination de l’Occident, dans les colonnes des Izvestia.
(4) Voir Eric Werner, L’après-démocratie, L’Age d’Homme,2001.
(5) Voir Henri de Grossouvre (éd.), Pour une Europe européenne, Xenia, 2007.

NB : Natalia Narotchnitskaia donnera une conférence ce mercredi 14 mai à partir de 19h30 à la librairie du Globe, 67, boulevard Beaumarchais, 75003, Paris.