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lundi, 23 juin 2008

Afghanistan: une guerre de 210 ans (2ième partie)

Afghanistan: une guerre de 210 ans (2ième partie)

par Robert Steuckers

La question du Danube

◊ La politique commune d'une Europe rendue à elle-même, à ses racines et ses traditions historiques, doit évidemment travailler à rendre la circulation libre sur le Danube, depuis le point où ce fleuve devient navigable en Bavière jusqu'à son embouchure dans la Mer Noire. Le problème de la navigation sur le Danube est fort ancien et n'a jamais pu être réglé, à cause de la rivalité austro-russe au 19ième siè­cle, des retombées des deux guerres mondiales dont la ri­va­lité hungaro-roumaine pendant l'entre-deux-guerres, et de la présence du Rideau de Fer pendant quatre décennies. Le dégel et la fin de la guerre froide auraient dû remettre à l'ordre du jour cette question cruciale d'aménagement territorial sur notre continent, dès 1989, dès la chute de Ceau­cescu. L'impéritie de nos gouvernants a permis aux A­méricains et aux Turcs de prendre les devants et de gêner les flux sur l'artère danubienne ou dans l'espace du bassin danubien. Une logique qu'il faut impérativement inverser.

Le corridor Belgrade/Salonique

◊ L'Europe doit avoir pour objectif de réaliser une liaison optimale entre Belgrade et Salonique, par un triple ré­seau de communications terrestres, c'est-à-dire autorou­tier, ferroviaire, fluvial (avec l'aménagement de deux rivières balkaniques, la Morava et le Vardar, selon des plans déjà prévus avant la tourmente de 1940, auxquels Anton Zischka fait référence dans C'est aussi l'Europe, Laffont, 1960). Le trajet Belgrade Salonique est effectivement le plus court entre la Mitteleuropa danubienne et l'Egée, soit le bassin oriental de la Méditerranée.  

◊ L'Europe doit impérativement se projeter, selon ce que nous appelons l'Axe Dorien, vers le bassin oriental de la Mé­diterranée, ce qui implique notamment une maîtrise stra­tégique de Chypre, donc la nécessité de forcer la Turquie à l'évacuer. L'adhésion prochaine de Chypre à l'UE devrait aussi impliquer le stationnement de troupes européennes (en souvenir des expéditions médiévales et de Don Juan d'Au­triche) dans les bases militaires qui sont aujourd'hui exclusivement britanniques. La maîtrise de Chypre permet­tra une projection pacifique de puissance économique en direction du Liban, de la Syrie, de l'Egypte et du complexe volatile Israël-Palestine (dont une pacification positive doit être le vœu de tous).   Libérer l'Arménie de l'étau turco-azéri  

◊ Dans le Caucase, la politique européenne, plus exacte­ment euro-russe, doit consister à appuyer inconditionnel­lement l'Arménie et à la libérer de l'étau turco-azéri. Face à la Turquie, l'Europe et la Russie doivent se montrer très fermes dans la question arménienne. Comme à Chypre, il con­vient de protéger ce pays par le stationnement de trou­pes et par une pression diplomatique et économique con­tinue sur la Turquie et l'Azerbaïdjan. Prévoir de sévères me­sures de rétorsion dès le moindre incident: si la Turquie possède un atout majeur dans sa démographie galopante, l'Europe doit savoir aussi que ces masses sont difficilement gérables économiquement, et qu'elles constituent dès lors un point faible, dans la mesure où elles constituent un bal­last et réduisent la marge de manœuvre du pays. Par con­sé­quent, des mesures de rétorsions économiques, plon­geant de larges strates de la population turque dans la pré­carité, risquent d'avoir des conséquences sur l'ordre public dans le pays, de le plonger dans les désordres civils et, par suite, de l'empêcher de jour le rôle d'"allié principal" des Etats-Unis et de constituer un danger permanent pour son environnement immédiat, arménien ou arabe. De même, le renvoi de larges contingents issus de la diaspora turque en Europe, mais uniquement au cas où il s'avèrerait que ces in­dividus sont liés à des réseaux mafieux, déséquilibrerait ai­sément le pays, au grand soulagement des Arméniens, des Cypriotes grecs, des Orthodoxes araméens de l'intérieur et des pays arabes limitrophes. Le taux d'inflation catastro­phi­que de la Turquie et sa faiblesse industrielle devrait, en tou­te bonne logique économique, nous interdire, de toute façon, d'avoir des rapports commerciaux rationnels avec Ankara. La Turquie n'est pas un pays solvable, à cause ju­ste­ment de sa politique d'agression à l'égard de ses voisins. Enfin, une pression à exercer sur les agences de voyage et sur les assureurs, qui garantissent la sécurité de ces voya­ges, limiterait le flux de touristes en Turquie et, par voie de conséquence, l'afflux de devises fortes dans ce pays vir­tuellement en faillite, afflux qui lui permet de se maintenir vaille que vaille et de poursuivre sa politique anti-hellé­ni­que, anti-arménienne et anti-arabe.  

◊ Dans la mesure du possible, l'Europe et la Russie doivent jouer la carte kurde, si bien qu'à terme, l'alliance amé­ricano-turco-azérie dans la région devra affronter et des mouvements séditieux kurdes, bien appuyés, et l'alliance entre l'Europe, la Russie, l'Iran, l'Irak et l'Inde, amplifi­ca­tion d'un axe Athènes-Erivan-Téhéran, dont l'embryon avait été vaguement élaboré en 1999, en pleine crise serbe.  

◊ En Asie centrale, l'Europe, de concert avec la Russie, doit apporter son soutien à l'Inde dans la querelle qui l'oppose au Pakistan à propos des hauteurs himalayennes du Ca­che­mire. L'objectif est d'obtenir une liaison terrestre inin­ter­rompue Europe-Russie-Inde. La réalisation de ce projet grandiose en Eurasie implique de travailler deux nouvelles petites puissances d'Asie centrale, le Tadjikistan persano­pho­ne et le Kirghizistan, point nodal dans le futur réseau de communication euro-indien. De même, le tandem euro-russe et l'Inde devront apporter leur soutien à la Chine dans sa lutte contre l'agitation islamo-terroriste dans le Sinkiang, selon les critères déjà élaborés lors de l'accord sino-russe de Changhaï (2001).  

Une politique arabe intelligente  

◊ L'Europe doit mener une politique arabe intelligente. Pour y parvenir, elle devrait, normalement, disposer de deux pièces maîtresses, la Syrie et l'Irak, qu'elle doit proté­ger de la Turquie, qui assèche ces deux pays en régulant le cours des fleuves Tigre et Euphrate par l'intermédiaire de barrages pharaoniques. Autre pièce potentielle, mais d'im­portance moindre, dans le jeu de l'Europe: la Libye, enne­mie d'Oussama Ben Laden, ancien agent de la CIA (cf. : Das­quié/Brisard, op. cit.). En Egypte, allié des Etats-Unis, l'Europe doit jouer la minorité copte et exiger une pro­tec­tion absolue de ces communautés en butte à de cruels at­tentats extrémistes islamistes. La protection des Coptes en Egypte doit être l'équivalent de la protection à accorder aux Orthodoxes araméens de Turquie et aux Kurdes.  

◊ L'Europe doit spéculer sur la future guerre de l'eau. L'al­lié secondaire des Etats-Unis au Proche-Orient, Israël, est dépendant de l'eau turque, récoltée dans les bassins artifi­ciels d'Anatolie, créés par les barrages construits sous Özal. L'Europe doit inscrire dans les principes de sa politique ara­be l'idée mobilisatrice de sauver le Croissant Fertile de l'assèchement (bassin des deux fleuves, Tigre et Euphrate, et du Jourdain). Ce projet permettra d'unir tous les hom­mes de bonne volonté, que ceux-ci soient de confession is­lamique, chrétienne ou israélite. La politique turque d'éri­ger des barrages sur le Tigre et l'Euphrate est contraire à ce grand projet pour la sauvegarde du Croissant Fertile. Par ailleurs, l'Egypte, autre allié des Etats-Unis, est fragilisée parce qu'elle ne couvre que 97% de ses besoins en eau, en dé­pit des barrages sur le Nil, construits du temps de Nas­ser. Toute augmentation importante de la population égyp­tien­ne accentue cette dépendance de manière dramatique. C'est un des points faibles de l'Egypte, permettant aux E­tats-Unis de tuer dans l'œuf toute résurgence d'un indé­pendantisme nassérien. Enfin, la raréfaction des réserves d'eau potable redonne au centre de l'Afrique, dont le Congo plongé depuis 1997 dans de graves turbulences, une impor­tance stratégique capitale et explique les politiques anglo-saxonnes, notamment celle de Blair, visant à prendre pied dans certains pays d'Afrique francophone, au grand dam de Pa­ris et de Bruxelles.   

Les risques qu'encourt l'Europe :

Perdante sur tous les fronts que nous venons d'énumérer, fragilisée par la vétusté de son matériel militaire, handi­ca­pée par son ressac démographique, aveugle parce qu'elle ne dispose pas de satellites, l'Europe court deux risques sup­plémentaires, incarnés par les agissements des réseaux trotskistes et par les dangers potentiels des zones de non-droit qui ceinturent ses grandes villes ou qui occupent le centre même de la capitale (comme à Bruxelles).

Deux exem­ples : les réseaux trotskistes, présents dans les syndi­cats français, et obéissant en ultime instance aux injonc­tions des Etats-Unis, ont montré toute leur puissance en dé­cembre 1995 quand Chirac a testé de nouveaux arme­ments nucléaires à Mururoa dans le Pacifique, ce qui dé­plaisait aux Etats-Unis. Des grèves sauvages ont bloqué la France pendant des semaines, contraignant le Président à lâcher du lest (Louis-Marie Enoch & Xavier Cheneseau, Les taupes rouges - Les trotskistes de Lambert au cœur de la Ré­publique, Manitoba, 2002; Jean Parvulesco, «Dé­cembre 1995 en France : "La leçon des ténèbres"», Ca­hier n°3 de la Société Philosophique Jean Parvulesco, 2°tri­mestre 1996 - Paru en encart dans Nouvelles de Sy­nergies Européennes, n°18, février-mars 1996).

Quant aux zo­nes de non-droit, el­les peuvent constituer de dangereux abcès de fi­xation, pa­ra­lyser les services de police et une par­tie des effectifs mi­litaires, créer une psychose de ter­reur et fo­men­ter des at­tentats terroristes. Les ouvrages de Guillau­me Faye, dans l'es­pace militant des droites fran­çaises, et surtout l'ouvrage de Xavier Raufer et Alain Bauer, pour le grand public avec re­lais médiatiques, démontrent claire­ment que les risques de guerre civile et de désordres de grande ampleur sont dé­sormais parfaitement envisageables à court terme. Une gran­de puissance extérieure est capa­ble de manipuler des "ré­seaux" terroristes au sein même de nos métropoles et de dé­stabiliser ainsi l'Europe pendant longtemps.   Notre situation n'est donc pas rose. Sur les plans historique et géopolitique, notre situation équivaut à celle que nous avions à la fin du 15ième siècle, où nous étions coincés entre l'Atlantique, res nullius, mais ouvert sur sa frange orientale par les Portugais en quête d'une route vers les Indes en con­­tournant l'Afrique, et l'Arctique, étendue maritime gla­ciaire an-écouménique, sans accès direct à des richesses com­me la soie ou les épices.

En 1941, les Etats-Unis éten­dent leurs eaux territoriales à plus de la moitié de la sur­fa­ce maritime de l'Atlantique Nord, confisquent à l'Europe son poumon océanique, si bien qu'il n'est plus possible de ma­nœuvrer sur l'Atlantique, d'une façon ou d'une autre, pour rééditer l'exploit des Portugais du 15ième siècle.   Les conditions du développement européen   En résumé, l'Europe a le vent en poupe, est un continent via­ble, capable de se développer, si:

◊ si elle a un accès direct à l'Egypte, comme l'avait très bien vu Bonaparte en 1798-99;

◊ si elle a un accès direct à la Mésopotamie, ou du moins au Croissant Fertile, comme l'avait très bien vu Urbain II, quand il prêchait les Croisades en bon géopolitologue avant la lettre; les tractations entre Frédéric II de Hohenstaufen et Saladin visent un modus vivendi, sans fermeture aux voies de communications passant par la Mésopotamie (Ca­lifat de Bagdad); la Question d'Orient, à l'aube du 20ième sièc­le, illustre très clairement cette nécessité (géo)­po­liti­que et la Guerre du Golfe de janvier-février 1991 constitue une action américaine, visant à neutraliser l'espace du Crois­sant Fertile et surtout à le soustraire à toute influence européenne et russe.

◊ si la route vers les Indes (terrestre et maritime) reste li­bre; tant qu'il y aura occupation pakistanaise du Jammu et me­naces islamistes dans le Cachemire, la route terrestre vers l'Inde n'existera pas).   L'épopée des Proto-Iraniens   Rappelons ici que la majeure partie des poussées européen­nes durant la proto-histoire, l'antiquité et le moyen âge se sont faites en direction de l'Asie centrale et des Indes, dès 1600 av. J. C., avec l'avancée des tribus proto-iraniennes dans la zone au Nord de la ligne Caspienne - Mer d'Aral - Lac Balkhach, puis, par un mouvement tournant, en direc­tion des hauts plateaux iraniens, pour arriver en lisière de la Mésopotamie et contourner le Caucase par le Sud. La Per­­se avestique et post-avestique est une puissance euro­péen­ne, on a trop tendance à l'oublier, à cause d'un mani­chéisme sans fondement, opposant un "Occident" grec-athé­nien (thalassocratique et politicien) à un "Orient" perse (chevaleresque et impérial), auquel on prête des tares fan­tasmagoriques.  

Quoi qu'il en soit, l'œuvre d'Alexandre le Grand, macé­do­nien et impérial plutôt que grec au sens athénien du terme, vise à unir le centre de l'Europe (via la partie macédo­nien­ne des Balkans) au bassin de l'Indus, dans une logique qu'on peut qualifier d'héritière de la geste proto-historique des Pro­to-Iraniens. L'opposition entre Rome et la Perse est une lutte entre deux impérialités européennes, où, à la char­niè­re de leurs territoires respectifs, dont les frontières sont mouvantes, se situait un royaume fascinant, l'Arménie. Ce ro­yaume a toujours été capable de résister farouchement, tantôt aux Romains, tantôt aux Perses, plus tard aux Arabes et aux Seldjoukides, grâce à un système d'organisation po­litique basé sur une chevalerie bien entraînée, mue par des principes spirituels forts. Cette notion de chevalerie spiri­tuel­le vient du zoroastrisme, a inspiré les cataphractaires sar­mates, les cavaliers alains et probablement les Wisi­goths, a été islamisée en Perse (la fotowwah), christianisée en Arménie, et léguée par les chevaliers arméniens aux che­­valiers européens. L'ordre ottoman des Janissaires en a été une imitation et doit donc aussi nous servir de modèle (cf. ce qu'en disait Ogier Ghiselin de Busbecq, l'ambas­sa­deur de Charles-Quint auprès du Sultan à Constantinople; le texte figure dans Gérard Chaliand, Anthologie…, op. cit.).  

Des Croisades à Eugène de Savoie et à Souvorov   Dans cette optique d'une histoire lue à l'aune des constats de la géopolitique, les Croisades prennent tout naturelle­ment le relais de la campagne d'Othon I contre les Magyars, vaincus en 955, qui se soumettent à la notion romaine-ger­manique de l'Empire.

Ces campagnes de l'Empereur salien, de souche saxonne, sont les premières péripéties de l'affir­ma­tion européenne. Après les Croisades et la chute de By­zan­ce, la reconquista européenne se déroule en trois actes: en Espagne, les troupes d'Aragon et de Castille libèrent l'Andalousie en 1492; une cinquantaine d'années plus tard, les troupes russes s'ébranlent pour reprendre le cours en­tier de la Volga, pour débouler sur les rives septentrionales de la Caspienne et mater les Tatars; il faudra encore plus d'un siècle et demi pour que le véritable sauveur de l'Euro­pe, le Prince Eugène de Savoie-Carignan, accumule les vic­toires militaires, pour empêcher définitivement les Otto­mans de revenir encore en Hongrie, en Transylvanie et en Au­triche. Quelques décennies plus tard, les troupes de Ca­therine II, de Potemkine et de Souvorov libèrent la Crimée. Cet appel de l'histoire doit nous remémorer les grands axes d'action qu'il convient de ne pas oublier aujourd'hui. Ils sont restés les mêmes. Tous ceux qui ont agi ou agiront dans ce sens sont des Européens dignes de ce nom. Tous ceux qui ont agi dans un sens inverse de ces axes sont d'abjects traî­tres. Voilà qui doit être clair. Limpide. Voilà des principes qui ne peuvent être contredits.  

Regards nouveaux sur la deuxième guerre mondiale  

Pour terminer, nous ramènerons ces principes historiques et géopolitiques à une réalité encore fort proche de la nô­tre, soit les événements de la seconde guerre mondiale, pré­ludes à la division de l'Europe en deux blocs pendant la guerre froide. Généralement, le cinéma et l'historiogra­phie, le discours médiatique, évoquent des batailles spec­ta­culaires, comme Stalingrad, la Normandie, les Ardennes, Monte Cassino, ou en montent de moins importantes en épingle, sans jamais évoquer les fronts périphériques où tout s'est véritablement joué. Or ces fronts périphériques se situaient tous dans les zones de turbulences actuelles, Afghanistan excepté. Soit sur la ligne Caspienne - Iran (che­mins de fer) - Caspienne, dans le Caucase ou sur la Volga (qui se jette dans la Caspienne) (cf. George Gretton, «L'ai­de alliée à la Russie», in Historia Magazine, n°38, 1968).  

Les Britanniques et leurs alliés américains ont gagné la se­conde guerre mondiale entre mai et septembre 1941. Défi­nitivement. Sans aucune autre issue possible. En mai 1941, les troupes britanniques venues d'Inde et de Palestine (cf. : H. Stafford Northcote, «Révolte de Rachid Ali - La route du pé­­trole passait par Bagdad», in Historia Magazine, n°20, 1968; Luis de la Torre, «1941: les opérations militaires au Pro­che-Orient», in : Vouloir, n°73/75, printemps 1991;  Mar­zio Pi­sa­ni, «Irak 1941: la révolte de Rachid Ali contre les Britan­ni­ques», in : Partisan, n°16, novembre 1990) en­va­hissent l'I­rak de Rachid Ali (cf. : Prof. Franz W. Seidler, Die Kolla­bo­ration 1939-1945, Herbig, München, 1995), qui sou­haitait se rapprocher de l'Axe. Les Britanniques dispo­sent alors d'une base opérationnelle importante, bien à l'ar­rière du front et à l'abri des forces aériennes allemandes et ita­­lien­nes, pour alimenter leurs troupes d'Egypte et de Li­bye. En juin et juillet 1941, les opérations contre les trou­pes de la France de Vichy au Liban et en Syrie parachèvent la maî­trise du Proche-Orient (cf.: Général Saint-Hillier, «La cam­pagne de Syrie», in: Historia Magazine, n°20, 1968; Jac­ques Mordal, «les opérations aéronavales en Syrie», i­bid.). Au cours des mois d'août et de sep­tem­bre 1941, l'Iran est occupé conjointement par des trou­pes anglaises et so­vié­tiques, tandis que des équipes d'ingé­nieurs américains ré­or­ganisent les chemins de fer iraniens du Golfe à la Ca­spienne, ce qui a permis de fournir, au dé­part des Indes, du ma­tériel militaire américain à Staline, en remontant, à par­tir de la Caspienne, le cours de la Volga (notons que les So­vié­tiques, en vertu des règles codifiées par Lea en 1912 —cf. supra—  n'ont pas été autorisés à de­meurer à Téhéran, mais ont dû se replier sur Kasvin).  

L'Axe n'a pas pu prendre pied à Chypre et la Turquie a con­servé sa neutralité "égoïste" comme le disait le ministre Me­ne­mencioglu (Prof. Franz W. Seidler, Die Kollaboration 1939-1945, Herbig, München, 1995); par conséquent, cet es­pace proche-oriental, au Sud-Est de l'Europe, a permis une reconquista des territoires européens conquis par l'Axe, en prenant les anciens territoires assyrien et perse comme base, en encerclant l'Europe selon des axes de pénétration imités des nomades de la steppe (de la Volga à travers l'U­kraine) et des cavaliers arabes (de l'Egypte à la Tunisie con­tre Rommel). Les opérations soviétiques dans le Caucase, grâ­ce au matériel américain transitant par l'Iran, ont pu dès l'au­tomne 1942, sceller le sort des troupes allemandes ar­ri­vées à Stalingrad et prêtes à couper l'artère qu'est la Volga. Les résidus des troupes soviétiques acculées aux contreforts septentrionaux du Caucase peuvent résister grâce au cor­don ombilical iranien. De même, les troupes allemandes ne peuvent atteindre Touapse et la côte de la Mer Noire au Sud de Novorossisk et sont repoussées en janvier 1943, juste avant la chute de Stalingrad (cf. : Barrie and Frances Pitt, The Month-By-Month Atlas of World War II, Summit Books, New York/London, 1989). Le sort de l'Europe tout en­tière, au 20ième siècle, s'est joué là, et se joue là, en­co­re aujourd'hui. Une vérité historique qu'il ne faut pas oublier, même si les médias sont très discrets sur ces é­pisodes cruciaux de la seconde guerre mondiale.  

De l'aveuglement historique  

L'"oubli" des opérations au Proche-Orient en 1941 et dans le Caucase en automne 1942 et en janvier 1943 profite d'une certaine forme d'occidentalisme, de désintérêt pour l'his­toi­re de tout ce qui se trouve à l'Est du Rhin, à fortiori à l'Est de la Mer Noire. Cet occidentalisme est une tare ré­dhi­bi­toire pour toutes les puissances, trop dépendantes d'une opinion publique mal informée, qui se situent à l'Ouest du Rhin. L'atlantisme n'est pas seulement un engouement im­bécile pour tout ce qui est américain, il est aussi et surtout un aveuglément historique, dont nous subissons de plein fouet les conséquences désastreuses aujourd'hui.  

En effet, l'Europe actuelle a perdu la guerre, bien plus cruel­lement que le Reich hitlérien en 1945. Jugeons-en: ◊ L'Atlantique est verrouillé (ce qui réduit à néant les ef­forts de Louis XVI, dont la flotte, commandée par La Pérou­se, avait ouvert cet océan au binôme franco-impérial).

◊ La Méditerranée orientale est verrouillée.

◊ La Mer Noire est également verrouillée.

◊ La voie continentale vers l'Inde est verrouillée.

◊ La "Route de la Soie" est verrouillée.

◊ Nous vivons dans le risque permanent de la guerre civile et du terrorisme.   La renaissance européenne, que nous appelons tous de nos vœux, passe par une prise de conscience des enjeux réels de la planète, par une connaissance approfondie des manœuvres systématiquement répétées des ennemis de notre Europe. C'est ce que j'ai tenté d'expliquer dans cet exposé. Il faut savoir que nos ennemis ont la mémoi­re longue, que c'est leur atout majeur. Il faut leur oppo­ser notre propre "longue mémoire" dans la guerre cogni­ti­ve future. Autre principe méthodologique : l'histoire n'est pas une succession de séquences, coupées les unes des autres, mais un tout global, dans lequel il est impos­sible d'opérer des coupures.  

Robert STEUCKERS, Dernière version : février 2002.   

Note:

/1/ A cette époque, l'Angleterre était alliée à la France pour dé­truire les Provinces-Unies des Pays-Bas, alliées au Brandebourg (la fu­­ture Prusse), à l'Espagne (pourtant son ennemie héréditaire), au Saint Empire et à la Lorraine. Les troupes d'invasion françaises, blo­quées par l'ouverture des digues, sont chassées des Provinces-Unies en 1673. Avec l'alliance suédoise, les Français retournent toutefois la situation à leur avantage entre 1674 et 1678, ce qui débouche sur le Traité de Nimègue, qui arrache au Saint Empire de nombreux ter­ritoires en Flandre et dans le Hainaut. Cet épisode est à retenir car les puissances anti-européennes, la France, l'Angleterre, la Suède et l'Em­pire ottoman se sont retrouvés face à une coalition impériale, re­­groupant puissances protestantes et catholiques. Les unes et les au­­tres acceptaient, enfin, de sauter au-dessus du faux clivage reli­gieux, responsable du désastre de la guerre de Trente Ans (comme l'a­vait très bien vu Wallenstein, avant de finir assassiné, sous les coups d'un zélote catholique). Cette alliance néfaste, d'abord diri­gée contre la Hollande, a empêché l'éclosion de l'Europe et explique les menées anti-européennes plus récentes de ces mêmes puissan­ces, Suède exceptée.   

dimanche, 22 juin 2008

Afghanistan: une guerre de 210 ans!

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Afghanistan : une guerre programmée depuis 210 ans

 

Conférence prononcée par Robert Steuckers le 24 novembre 2001 à la tribune du "Cercle Hermès" de Metz, à la tribune du MNJ le 26 janvier 2002 et à la tribune commune de "Terre & Peuple"-Wallonie et de "Synergies Européennes"-Bruxelles le 21 février 2002

 

Depuis que les troupes américaines et occidentales ont dé­barqué en Afghanistan, dans le cadre de la guerre anti-ter­ro­ristes décrétée par Bush à la suite des attentats du 11 sep­tembre 2001, un regard sur l'histoire de l'Afghanistan au cours de ces deux derniers siècles s'avère impératif; de mê­me, joindre ce regard à une perspective plus vaste, englo­bant les théâtres et les dynamiques périphériques, permet­trait de juger plus précisément, à l'aune de l'histoire, les ma­nœuvres américaines en cours. Il nous induit à constater que cette guerre dure en fait depuis au moins 210 ans. Pour­quoi ce chiffre de 210 ans? Parce que les principes, qui la guident, ont été consignés dans un mémorandum anglais en 1791, mémorandum qui n'a pas perdu de sa validité dans les stratégies appliquées de nos jours par les puissances ma­­ritimes. Seule l'amnésie historique, qui est le lot de l'Eu­rope actuelle, qui nous est imposée par des politiques aber­rantes de l'enseignement, qui est le produit du refus d'en­sei­­gner l'histoire correctement, explique que la teneur de ce mémorandum n'est pas inscrite dans la tête des diplo­ma­tes et des fonctionnaires européens. Ils en ignorent généra­le­ment le contenu et sont, de ce fait, condamnés à ignorer le moteur de la dynamique à l'œuvre aujourd'hui.

 

Louis XVI : l'homme à abattre

 

Quel est le contexte qui a conduit à la rédaction de ce fameux mémorandum? La date clef qui explique le pourquoi de sa rédaction est 1783. En cette année-là, à l'Est, les ar­mées de Catherine de Russie prennent la Crimée et le port de Sébastopol, grâce à la stratégie élaborée par le Ministre Potemkine et le Maréchal Souvorov (cf. : Gérard Chaliand, Anthologie mondiale de la stratégie - Des origi­nes au nu­cléaire, Laffont, coll. "Bouquins", 1990). A partir de cette année 1783, la Crimée devient entièrement russe et, plus tard, à la suite du Traité de Jassy en 1792, il n'y aura plus aucune troupe ottomane sur la rive septentrionale de la Mer Noire. A l'Ouest, en 1783, la Marine Royale française écrase la Royal Navy anglaise à Yorktown, face aux côtes américaines. La flotte de Louis XVI, bien équipée et bien commandée, réorganisée selon des critères de réelle ef­fi­cacité, domine l'Atlantique. Son action en faveur des insur­gés américains a pour résultat politique de détacher les treize colonies rebelles de la Couronne anglaise. A partir de ce moment-là, le sort de l'artisan intelligent de cette vic­toire, le Roi Louis XVI, est scellé. Il devient l'homme à a­battre. Exactement comme Saddam Hussein ou Milosevic au­jourd'hui. Paul et Pierrette Girault de Coursac, dans Guer­res d'Amérique et libertés des mers (cf. infra), ont dé­crit avec une minutie toute scientifique les mécanismes du complot vengeur de l'Angleterre contre le Roi de France qui a développé une politique intelligente, dont les deux piliers sont 1) la paix sur le continent, concrétisée par l'alliance avec l'Empire autrichien, dépositaire de la légitimité impé­riale romano-germanique, et 2) la construction d'une flotte appelée à dominer les océans (à ce propos, se rappeler des expéditions de La Pérouse; cf. Yves Cazaux, Dans le sillage de Bougainville et de Lapérouse, Albin Michel, 1995).

 

L'Angleterre de la fin du 18ième siècle, battue à Yorktown, me­nacée par les Russes en Méditerranée orientale, va vou­loir inverser la vapeur et conserver le monopole des mers. Elle commence par lancer un débat de nature juridique: la mer est-elle res nullius ou res omnius, une chose n'appar­te­nant à personne, ou une chose appartenant à tous? Si elle est res nullius, on peut la prendre et la faire sienne; si elle est res omnius, on ne peut prétendre au monopole et il faut la partager avec les autres puissances. L'Angleterre va évidemment arguer que la mer est res nullius. Sur terre, l'An­gleterre continue à appliquer sa politique habituelle, mise au point au 17ième siècle, celle de la "Balance of Po­wers", de l'équilibre des puissances. En quoi cela consiste-t-il? A s'allier à la seconde puissance pour abattre la pre­miè­re. En 1783, cette pratique pose problème car il y a désor­mais alliance de facto entre la France et l'Autriche: on ne peut plus les opposer l'une à l'autre comme au temps de la Guer­re de Succession d'Espagne. C'est d'ailleurs la première fois depuis l'alliance calamiteuse entre François I et le Sul­tan turc que les deux pays marchent de concert. Depuis le mariage de Louis XVI et de Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine, il est donc impossible d'opposer les deux puissan­ces traditionnellement ennemies du continent. Cette union continentale ne laisse rien augurer de bon pour les Anglais, car, profitant de la paix avec la France, Joseph II, Empe­reur germanique, frère de Marie-Antoinette, veut exploiter sa façade maritime en Mer du Nord, dégager l'Escaut de l'é­tau hollandais et rouvrir le port d'Anvers. Joseph II s'inspire des projets formulés quasiment un siècle plus tôt par le Comte de Bouchoven de Bergeyck, soucieux de développer la Compagnie d'Ostende, avec l'aide du gouverneur espa­gnol des Pays-Bas, Maximilien-Emmanuel de Bavière. La ten­tative de Joseph II de forcer le barrage hollandais sur l'Escaut se termine en tragi-comédie: un canon hollandais tire un bou­let qui atterrit au fond de la marmite des cui­si­nes du ba­teau impérial. On parlera de "Guerre de la Mar­mi­te". L'Es­caut reste fermé. L'Angleterre respire.

 

Organiser la révolution et le chaos en France

 

Comme cette politique de "Balance of Powers" s'avère im­possible vu l'alliance de Joseph II et de Louis XVI, une nou­velle stratégie est mise au point: organiser une révolution en France, qui débouchera sur une guerre civile et affai­blira le pays, l'empêchant du même coup de financer sa po­litique maritime et de poursuivre son développement in­dustriel. En 1789, cette révolution, fomentée depuis Lon­dres, éclate et précipite la France dans le désastre. Olivier Blanc, Paul et Pierrette Girault de Coursac sont les his­to­riens qui ont explicité en détail les mécanismes de ce pro­cessus (cf. : Olivier Blanc, Les hommes de Londres - His­toire secrète de la Terreur, Albin Michel, 1989; Paul et Pier­rette Girault de Coursac, Guerre d'Amérique et liberté des mers 1718-1783, F.X. de Guibert/O.E.I.L., Paris, 1991). En 1791, les Anglais obtiennent indirectement ce qu'ils veu­lent : la République néglige la marine, ne lui vote plus de crédits suffisants, pour faire la guerre sur le con­ti­nent et rom­pre, par voie de conséquence, l'harmonie fran­co-impé­riale, prélude à une unité diplomatique européenne sur tous les théâtres de conflit, qui avait régné dans les vingt an­nées précédant la révolution française.

 

Trois stratégies à suivre

 

A Londres, on pense que la France, agitée par des avocats convulsionnaires, est plongée pour longtemps dans le ma­ras­me et la discorde civile. Reste la Russie à éliminer. Un mémorandum anonyme est remis, la même année, à Pitt; il s'intitule "Russian Armament" et contient toutes les recet­tes simples et efficaces pour abattre la seconde menace, née, elle aussi, en 1783, qui pèse sur la domination poten­tielle des mers par l'Angleterre. Ce mémorandum contient en fait trois stratégies à suivre à tout moment : 1) Contenir la Russie sur la rive nord de la Mer Noire et l'empêcher de faire de la Crimée une base maritime capable de porter la puissance navale russe en direction du Bosphore et au-delà; cette stratégie est appliquée aujourd'hui, par l'alliance turco-américaine et par les tentatives de satelliser la Géor­gie de Chevarnadze. 2) S'allier à la Turquie, fort affaiblie de­puis les coups très durs que lui avait portés le Prince Eu­gène de Savoie entre 1683 et 1719. La Turquie, incapable dé­sormais de développer une dynamique propre, devait de­venir, pour le bénéfice de l'Angleterre, un verrou infran­chissable pour la flotte russe de la Mer Noire. La Turquie n'est donc plus un "rouleau compresseur" à utiliser pour dé­truire le Saint Empire, comme le voulait François I; ni ne peut constituer un "tremplin" vers la Méditerranée orienta­le et vers l'Océan Indien, pour une puissance continentale qui serait soit la Russie, si elle parvenait à porter ses forces en avant vers les Détroits (vieux rêve depuis que l'infortu­née épouse du Basileus, tombé l'épée à la main à Constan­tinople en 1453 face aux Ottomans, avait demandé aux Rus­ses de devenir la "Troisième Rome" et de prendre le re­lais de la défunte Byzance); soit l'Autriche si elle avait pu consolider sa puissance au cours du 19ième siècle; soit l'Alle­magne de Guillaume II, qui, par l'alliance effective qu'elle scelle avec la Sublime Porte, voulait faire du territoire tur­co-anatolien et de son prolongement mésopotamien un "trem­plin" du cœur de l'Europe vers le Golfe Persique et, par­tant, vers l'Océan Indien (ce qui suscita la fameuse "Ques­tion d'Orient" et constitua le motif principal de la Pre­mière Guerre Mondiale; rappelons que la "Question d'O­rient" englobait autant les Balkans que la Mésopotamie, les deux principaux théâtres de conflit à nos portes; les deux zo­nes sont étroitement liées sur le plan géopolitique et géo­stratégique). 3) Eloigner toutes les puissances euro­péennes de la Méditerranée orientale, afin qu'elles ne puis­sent s'emparer ni de Chypre ni de la Palestine ni de l'isthme égyptien, où l'on envisage déjà de creuser un canal en di­rection de la Mer Rouge.

 

La réouverture de l'Escaut

 

En 1793, la situation a cependant complètement changé en France. La République ne s'enlise pas dans les discussions stériles et la dissension civile, mais tombe dans la Terreur, où les sans-culottes jouent un rôle équivalent à celui des talibans aujourd'hui. En 1794, après la bataille de Fleurus remportée par Jourdan le 25 juin, les armées révolution­nai­res françaises s'emparent définitivement des Pays-Bas au­tri­chiens, prennent, avec Pichegru, le Brabant et le port d'An­vers, de même que le Rhin, de Coblence —ville prise par Jourdan en même temps que Cologne— à son embou­chure dans la Mer du Nord. Ils réouvrent l'Escaut à la na­vi­gation et entrent en Hollande. Le delta des trois fleuves (Es­caut / Meuse / Rhin), qui fait face aux côtes anglaises et à l'estuaire de la Tamise, se trouve désormais aux mains d'une puissance de grande profondeur stratégique (l'Hexa­go­ne). La situation nouvelle, après les soubresauts chaoti­ques de la révolution, est extrêmement dangereuse pour l'An­gleterre, qui se souvient que les corsaires hollandais, sous la conduite de l'Amiral de Ruyter, avaient battu trois fois la flotte anglaise et remonté l'estuaire de la Tamise pour incendier Londres (1672-73) (1). En partant d'Anvers, il faut une nuit pour atteindre l'estuaire de la Tamise, ce qui ne laisse pas le temps aux Anglais de réagir, de se por­ter en avant pour détruire la flotte ennemie au milieu de la Mer du Nord: d'où leur politique systématique de détacher les pays du Bénélux et le Danemark de l'influence française ou allemande, et d'empêcher une fusion des Pays-Bas sep­ten­trionaux et méridionaux, car ceux-ci, unis, s'avèreraient ra­pidement trop puissants, vu l'union de la sidérurgie et du charbon wallons à la flotte hollandaise (a fortiori quand un empire colonial est en train de se constituer en Indonésie, à la charnière des océans Pacifique et Indien).

 

Lord Castlereagh proposa à Vienne en 1815 la consolidation et la satellisation du Danemark pour verrouiller la Baltique et fermer la Mer du Nord aux Russes, la création du Ro­yau­me-Uni des Pays-Bas (car on ne perçoit pas encore sa puis­sance potentielle et on ne prévoit pas sa future pré­sence en Indonésie), la création du Piémont-Sardaigne, Etat-tam­pon entre la France et l'Autriche, et marionnette de l'An­gleterre en Méditerranée occidentale; Homer Lea théo­ri­sera cette politique danoise et néerlandaise de l'Angleterre en 1912 (cf. infra) en l'explicitant par une cartographie très claire, qui reste à l'ordre du jour.

 

Nelson : Aboukir et Trafalgar

 

Les victoires de la nouvelle république, fortifiées à la suite d'une terreur bestiale, sanguinaire et abjecte, notamment en Vendée, provoquent un retournement d'alliance: d'insti­gatrice des menées "dissensionnistes" de la révolution, l'An­gle­terre devient son ennemie implacable et s'allie aux ad­ver­saires prussiens et autrichiens de la révolution (stratégie mise au point par Castlereagh, sur ordre de Pitt). Résultat : un espace de chaos émerge entre Seine et Rhin. Dans les an­nées 1798-99, Nelson va successivement chasser la ma­ri­ne française de la Méditerranée, car elle est affaiblie par les mesures de restriction votées par les assemblées révo­lu­tionnaires irresponsables, alors que l'Angleterre avait lar­ge­ment profité du chaos révolutionnaire français pour con­so­li­der sa flotte. Par la bataille d'Aboukir, Nelson isole l'armée de Bonaparte en Egypte, puis, les Anglais, avec l'aide des Turcs et en mettant au point des techniques de débar­que­ment, finissent par chasser les Français du bassin oriental de la Méditerranée; à Trafalgar, Nelson confisque aux Fran­çais la maîtrise de la Méditerranée occidentale.

 

Géostratégiquement, notre continent, à la suite de ces deux batailles navales, est encerclé par le Sud, grâce à la tri­ple alliance tacite de la flotte anglaise, de l'Empire otto­man et de la Perse. La thalassocratie joue à fond la carte turco-islamique pour empêcher la structuration de l'Europe continentale: une carte que Londres joue encore aujour­d'hui. Dans l'immédiat, Bonaparte abandonne à regret toute visée sur l'Egypte, tout en concoctant des plans de retour jus­qu'en 1808. Par la force des choses, sa politique devient strictement continentale; car, s'il avait parfaitement com­pris l'importance de l'Egypte, position clef sur la route des Indes, et s'il avait pleine conscience de l'atout qu'étaient les Indes pour les Anglais, il ne s'est pas rendu compte que la maîtrise de la mer implique ipso facto une domination du continent, lequel, sans la possibilité de se porter vers le lar­ge, est condamné à un lent étouffement. La présence d'es­cadres suffisamment armées en Méditerranée ne ren­dait pas la conquête militaire —coûteuse—  du territoire é­gyptien obligatoire.

 

Dialectique Terre/Mer

 

Depuis cette époque napoléonienne, notre pensée politi­que, sur le continent, devient effectivement, pour l'essen­tiel, une pensée de la Terre, comme l'attestent bon nombre de textes de la première décennie du 19ième siècle, les é­crits de Carl Schmitt et ceux de Rudolf Pannwitz (cf. : Ro­bert Steuckers, «Rudolf Pannwitz : "Mort de la Terre", Im­perium Europæum et conservation créatrice», in : Nou­vel­les de Synergies Européennes, n°19, avril 1996; Robert Steuc­kers, «L'Europe entre déracinement et réhabilitation des lieux : de Schmitt à Deleuze», in : Nouvelles de Sy­nergies Européennes, n°27, avril-mai 1997; Robert Steuc­kers, «Les visions d'Europe à l'époque napoléonienne - Aux sour­ces de l'européisme contemporain», in : Nouvelles de Synergies Européennes, n°45, mars-mai 2000). C'est contre cette limitation volontaire, contre cette "thalassophobie", que s'insurgeront des hommes comme Friedrich Ratzel (cf. : Robert Steuckers, «Friedrich Ratzel (1844-1904): anthropo­géo­graphie et géographie politique», in: Vouloir, n°9, prin­temps 1997) et l'Amiral von Tirpitz. Le Blocus continental, si bien décrit par Bertrand de Jouvenel (cf. : Bertrand de Jou­venel, Napoléon et l'économie dirigée - Le blocus con­ti­nental, Ed. de la Toison d'Or, Bruxelles, 1942), a des as­pects positifs et des aspects négatifs. Il permet un déve­loppement interne de l'industrie et de l'agriculture euro­péenne. Mais, par ailleurs, il condamne le continent à une forme dangereuse de "sur place", où aucune stratégie de mobilité globale n'est envisagée. A l'ère de la globalisation  —et elle a commencée dès la découverte des Amériques, comme l'a expliqué Braudel—  cette timidité face à la mo­bi­lité sur mer est une tare dangereuse, selon Ratzel.

 

Le plan du Tsar Paul I

 

En 1801, il y a tout juste 200 ans, l'Angleterre doit faire face à une alliance entre le Tsar Paul I et Napoléon. L'ob­jectif des deux hommes est triple: 1) Ils veulent s'emparer des Indes et les Français, qui se souviennent de leurs dé­boires dans ce sous-continent, tentent de récupérer les a­touts qu'ils y avaient eus. 2) Ils veulent bousculer la Perse, alors alliée des Anglais, grâce aux talents d'un très jeune of­ficier, le fameux Malcolm, qui, enfant, avait appris à par­ler persan à la perfection, et qui fut nommé capitaine à 13 ans et général à 18. 3) Ils cherchent les moyens capables de réaliser le Plan d'invasion de Paul I: acheminer les troupes françaises via le Danube et la Mer Noire (et nous trouvons exactement les mêmes enjeux qu'aujourd'hui!), tandis que les troupes russes, composées essentiellement de cavaliers et de cosaques, marcheraient à travers le Turkestan vers la Perse et l'Inde. Dans les conditions techniques de l'époque, ce plan s'est avéré irréalisable, parce qu'il n'y avait pas en­core de voies de communication valables. Le Tsar conclut qu'il faut en réaliser (en germe, nous avons le projet du Transsibérien, qui sera réalisé un siècle plus tard, au grand dam des Britanniques).

 

En 1804, malgré qu'elle ne soit plus l'alliée de la France na­poléonienne, la Russie marque des points dans le Caucase, amorce de ses avancées ultérieures vers le cœur de l'Asie centrale. Ces campagnes russes doivent être remises au­jour­d'hui dans une perspective historique bien plus vaste, d'une profondeur temporelle immémoriale: elles visent, en réalité, à parfaire la mission historique des peuples indo-européens, et à rééditer les exploits des cavaliers indo-ira­niens ou proto-iraniens qui s'étaient répandu dans toute l'A­sie centrale vers 1600 av. J. C. Les momies blanches du Sin­kiang chinois prouvent cette présence importante et domi­nante des peuples indo-européens (dont les Proto-Tokha­riens) au cœur du continent asiatique. Ils ont fort proba­ble­ment poussé jusqu'au Pacifique. Les Russes, du temps de Ca­therine II et de Paul I, ont parfaitement conscience d'ê­tre les héritiers de ces peuples et savent intimement que leur présence attestée en Asie centrale avant les peuples mongols ou turcs donne à toute l'Europe une sorte de droit d'aînesse dans ces territoires. L'antériorité de la conquête et du peuplement proto-iraniens en Asie centrale ôte toute légitimité à un contrôle mongol ou turc de la région, du moins si on raisonne sainement, c'est-à-dire si on raisonne avec longue mémoire, si on forge ses projets sur base de la plus profonde profondeur temporelle. Des Proto-Ira­niens à Alexandre le Grand et à Brejnev, qui donne l'ordre à ses troupes de pénétrer en Afghanistan, la continuité est établie.

 

La ligne Balkhach/Aral/Caspienne/Volga

 

L'analyse cartographique de Colin MacEvedy, auteur de nom­breux atlas historiques, montre que lorsqu'un peuple non européen se rend maître de la ligne Lac Balkhach, Mer d'Aral, Mer Caspienne, cours de la Volga, il tient l'Europe à sa merci. Effectivement, qui tient cette ligne, que Brze­zin­ski appelle la "Silk Road", est maître de l'Eurasie tout en­tière, de la fameuse "Route de la Soie" et de la Terre du Mi­lieu (Heartland). Quand ce n'est pas un peuple européen qui tient fermement cette ligne, comme le firent les Huns et les Turcs, l'Europe entre irrémédiablement en déclin. Les Huns s'en sont rendu maîtres puis ont débouché, après avoir franchi la Volga, dans la plaine de Pannonie (la future Hongrie) et n'ont pu être bloqués qu'en Champagne. Les A­vars, puis les Magyars (arrêtés à Lechfeld en 955), ont suivi exactement la même route, passant au-dessus de la rive sep­tentrionale de la Mer Noire. De même, les Turcs sel­djou­kides, passant, eux, par la rive méridionale, prendront toute l'Anatolie, détruiront l'Empire byzantin, remonteront le Danube vers la plaine hongroise pour tenter de conquérir l'Europe et se retrouveront deux fois devant Vienne.

 

En 1838, les Britanniques prévoient que les Russes, s'ils con­tinuent sur leur lancée, vont arriver en Inde et établir une frontière commune avec les possessions britanniques dans le sous-continent indien. D'où, bons connaisseurs des dynamiques et des communications dans la région, ils for­gent la stratégie qui consiste à occuper la Route de la Soie sur son embranchement méridional et sur sa portion qui va de Herat à Peshawar, point de passage obligatoire de tou­tes les caravanes, comme, aujourd'hui, de tous les futurs oléo­­ducs, enjeux réels de l'invasion récente de l'Afgha­nis­tan par l'armée américaine. On constate donc que le but de guerre de 1838 ne s'est réalisé qu'aujourd'hui seulement !

 

Un Afghanistan jusqu'ici imprenable

 

Sur le plan stratégique, il s'agissait, pour les Anglais de l'é­poque, de 1) protéger l'Inde par une plus vaste profondeur territoriale, sous la forme d'un glacis afghano-himalayen, sinon l'Inde risquait, à terme, de n'être qu'un simple réseau de comptoirs littoraux, plus difficilement défendable con­tre une puissance bénéficiant d'un vaste hinterland centre-asiatique (les Anglais tirent les leçons de la conquête de l'Inde par les Moghols islamisés); et 2) de contenir la Russie selon les principes énoncés en 1791 pour la Mer Noire, cet­te fois le long de la ligne Herat-Peshawar (cf. à ce propos, Karl Marx & Friedrich Engels, Du colonialisme en Asie - In­de, Perse, Afghanistan, Mille et une nuits, n°372, 2002).  Les opérations anglaises en Afghanistan se solderont en 1842 par un désastre total, seule une poignée de survivants reviendront à Peshawar, sur une armée de 17.000 hommes. La victoire des tribus afghanes contre les Anglais en 1842 sau­vera l'indépendance du pays. Jusque aujourd'hui, en effet, mise à part la tentative soviétique de 1979 à Gorbat­chev, l'Afghanistan restera imprenable, donc indépendant. Un destin dont peu de pays musulmans ont pu bénéficier.

 

De 1852 à 1854 a lieu la Guerre de Crimée. L'alliance de l'An­gleterre, de la France et de la Turquie conteste les po­si­tions russes en Crimée, exactement selon les critères a­van­cés par l'Angleterre depuis 1783. En 1856, au terme de cette guerre, perdue par la Russie sur son propre terrain, le Traité de Paris limite la présence russe en Mer Noire, ou la rend inopérante, et lui interdit l'accès aux Détroits. En 1878, les armées russes, appuyées par des centaines de mil­liers de volontaires balkaniques, serbes, roumains et bul­gares, libèrent les Balkans de la présence turque et a­van­cent jusqu'aux portes de Constantinople, qu'elles s'ap­prê­tent à libérer du joug ottoman. Le Basileus byzantin a fail­li être vengé. Mais l'Angleterre intervient à temps pour é­viter l'effondrement définitif de la menace ottomane qui a­vait pesé sur l'Europe depuis la défaite serbe sur le Champ des Merles en 1389. Tous ces événements historiques vont con­tribuer à faire énoncer clairement les concepts de la géo­politique moderne.

 

Mackinder et Lea : deux géopolitologues toujours actuels

 

En effet, en 1904, Halford John MacKinder prononce son fa­meux discours sur le "pivot" de l'histoire mondiale, soit la "Terre du Milieu" ou "Heartland", correspondant à l'Asie cen­trale et à la Sibérie occidentale. Les états-majors britan­ni­ques sont alarmés: le Transsibérien vient d'être inauguré, don­nant à l'armée russe la capacité de se mouvoir beau­coup plus vite sur la terre. Le handicap des armées de Paul I et de Napoléon, incapables de marcher de concert vers la Perse et les Indes en 1801, est désormais surmonté. En 1912, Homer Lea, géopolitologue et stratège américain, favorable à une alliance indéfectible avec l'Empire bri­tannique, énonce, dans The Day of the Saxons, les prin­cipes généraux de l'organisation militaire de l'espace situé entre Le Caire et Calcutta. Dans le chapitre consacré à l'I­ran et à l'Afghanistan, Homer Lea explique qu'aucune puis­sance  —en l'occurrence, il s'agit de la Russie—  ne peut fran­chir la ligne Téhéran-Kaboul et se porter trop loin en di­rection de l'Océan Indien. De 1917 à 1921, le grand souci des stratèges britanniques sera de tirer profit des désordres de la révolution bolchevique pour éloigner le pouvoir effec­tif, en place à Moscou, des rives de la Mer Noire, du Cau­ca­se et de l'Océan Indien.

 

Les préliminaires de cette révolution bolchevique, qui ont lieu immédiatement après le discours prémonitoire de Mac­Kinder en 1904 sur le pivot géographique de l'histoire et sur les "dangers" du Transsibérien pour l'impérialisme britanni­que, commencent dès 1905 par des désordres de rue, suivis d'un massacre qui ébranle l'Empire et permet de décrire le Tsar comme un monstre (qui redeviendra bon en 1914, com­me par l'effet d'un coup de baguette magique!). Selon toute vraisemblance, les services britanniques tentent de procéder de la même façon en Russie, dans la première dé­cennie du 20ième siècle, qu'en France à la fin du 18ième: sus­ci­ter une révolution qui plongera le pays dans un désordre de longue durée, qui ne lui permettra plus de faire des in­vestissements structurels majeurs, notamment des travaux d'aménagement territorial, comme des lignes de chemin de fer ou des canaux, ou dans une flotte capable de dominer le large. Les deux types de projets politiques que combat­tent toujours les Anglo-Saxons sont justement 1) les amé­na­­gements territoriaux, qui structurent les puissances con­tinentales et diminuent ipso facto les atouts d'une flotte et de la mobilité maritime, et qui permettent l'autarcie com­mer­ciale; 2) la construction de flottes concurrentes. La Fran­ce de 1783, la Russie de 1904 et l'Allemagne de Guil­lau­me II développaient toutes trois des projets de cette na­ture: elles se plaçaient par conséquent dans le collimateur de Londres.

 

De 1905 à 1917

 

Pour détruire la puissance russe, bien équipée, dotée de ré­ser­ves immenses en matières premières, l'Angleterre va utiliser le Japon, qui était alors une puissance émergeante, depuis la proclamation de l'ère Meiji en 1868. Londres et une banque new-yorkaise  —la même qui financera Lénine à ses débuts—  vont prêter les sommes nécessaires aux Ja­po­nais pour qu'ils arment une flotte capable d'attirer dans le Pacifique la flotte russe de la Baltique et de la détruire. C'est ce qui arrivera à Tshouchima (pour les tenants et a­bou­tissants de cet épisode, cf. notre article sur le Japon : Robert Steuckers, «La lutte du Japon contre les impéria­lismes occidentaux», in : Nouvelles de Synergies Euro­péen­nes, n°32, janvier-février 1998).

 

En 1917, on croit que la Russie va être plongée dans un dé­sordre permanent pendant de longues décennies. On pense 1) détacher l'Ukraine de la Russie ou, du moins, détruire l'atout céréalier de cette région d'Europe, grenier à blé con­current de la Corn Belt  américaine; 2) on spécule sur l'effondrement définitif du système industriel russe; 3) on prend prétexte du caractère inacceptable de la révolution et de l'idéologie bolcheviques pour ne pas tenir les promes­ses de guerre faites à la Russie pour l'entraîner dans le car­nage de 1914; devenue bolchevique, la Russie n'a plus droit à aucune conquête territoriale au-delà du Caucase au détri­ment de la Turquie; ne reçoit pas d'accès aux Détroits; on ne lui fait aucune concession dans les Balkans et dans le Del­ta du Danube (les principes du mémorandum de 1791 et du Traité de Paris de 1856 sont appliqués dans le nouveau contexte de la soviétisation de la Russie).

 

En 1918-19, les troupes britanniques et américaines occu­pent Mourmansk et asphyxient la Russie au Nord; Britanni­ques et Turcs, réconciliés, occupent le flanc méridional du Caucase, en s'appuyant notamment sur des indépendan­tis­tes islamiques azéris turcophiles (exactement comme au­jour­d'hui) et en combattant les Arméniens, déjà si dure­ment étrillés, parce qu'ils sont traditionnellement russo­phi­les (ce scénario est réitéré de nos jours); plus tard, Enver Pa­cha, ancien chef de l'état-major turc pendant la premiè­re guerre mondiale, organise, au profit de la stratégie glo­bale des Britanniques, des incidents dans la zone-clef de l'A­sie centrale, la Vallée de la Ferghana.

 

De la "Question d'Orient" à la révolte arabe

 

L'aventure d'Enver Pacha dans la Vallée de la Ferghana, qui s'est terminée tragiquement, constitue une application de ce que l'on appelle désormais la "stratégie lawrencienne" (cf.: Jean Le Cudennec, «Le point sur la guerre américaine en Afghanistan : le modèle "lawrencien"», in : Raids, n°189, février 2002). Comme son nom l'indique, elle désigne la stra­tégie qui consiste à lever des "tribus" hostiles à l'ennemi sur le propre territoire de celui-ci, comme Lawrence d'Ara­bie avait mobilisé les tribus arabes contre les Turcs, entre 1916 et 1918. Déboulant du fin fonds du désert, fondant sur les troupes turques en Mésopotamie et le long de la vallée du Jourdain, la révolte arabe, orchestrée par les services bri­tanniques, annihile, par le fait même de son existence, la fonction de "tremplin" vers le Golfe Persique et l'Océan Indien que le binôme germano-turc accordait au territoire anatolien et mésopotamien de l'Empire ottoman. L'objectif majeur de la Grande Guerre est atteint : la grande puis­sance européenne, qui avait le rôle du challengeur le plus dangereux, et son espace complémentaire balkano-anatolo-mésopotamien (Ergänzungsraum), n'auront aucune "fenê­tre" sur la Mer du Milieu (l'Océan Indien), qui, quadrillé par une flotte puissante, permet de tenir en échec la "Terre du Milieu" (le "Heartland" de MacKinder).

 

Après les traités de la banlieue parisienne, les Alliés pro­cè­dent au démantèlement du bloc ottoman, désormais divisé en une Anatolie turcophone et sunnite, et une mosaïque arabe balkanisée à dessein, où se juxtaposent des chiites dans le Sud de l'Irak, des Alaouites en Syrie, des chrétiens araméens, orthodoxes, de rite arménien ou autre, nesto­riens, etc. et de larges masses sunnites, dont des wahha­bi­tes dans la péninsule arabique; le personnage central de la nouvelle république turque devient Moustafa Kemal Ata­türk, aujourd'hui en passe de devenir un héros du cinéma américain (cf. : Michael Wiesberg, «Pourquoi le lobby is­raélo-américain s'engage-t-il à fond pour la Turquie? Parce que la Turquie donne accès aux pétroles du Caucase», in : Au fil de l'épée, Recueil n°3, octobre 1999).

 

Les atouts de l'idéologie d'Atatürk

 

Atatürk est un atout considérable pour les puissances tha­lassocratiques: il crée une nouvelle fierté turque, un nou­veau nationalisme laïc, bien assorti d'un solide machisme militaire, sans que cette idéologie vigoureuse et virile, qui sied aux héritiers des Janissaires, ne mette les plans bri­tanniques en danger; Atatürk limite en effet les ambitions turques à la seule Anatolie: Ankara n'envisage plus de re­pren­dre pied dans les Balkans, de porter ses énergies vers la Palestine et l'Egypte, de dominer la Mésopotamie, avec sa fenêtre sur l'Océan Indien, de participer à l'exploitation des gisements pétroliers nouvellement découverts dans les ré­gions kurdes de Kirkouk et de Mossoul, de contester la pré­sence britannique à Chypre; le "turcocentrisme" de l'i­déo­­logie kémaliste veut un développement séparé des Turcs et des Arabes et refuse toute forme d'Etat, de khanat ou de califat regroupant à la fois des Turcs et des Arabes; dans une telle optique, la reconstitution de l'ancien Empire ottoman se voit d'emblée rejetée et les Arabes, livrés à la do­­mination anglaise. On laisse se développer toutefois, en marge du strict laïcisme kémaliste, une autre idéologie, cel­le du panturquisme ou pantouranisme, qu'on instrumen­ta­lisera, si besoin s'en faut, contre la Russie, dans le Cau­ca­se et en Asie centrale. De même, le turcocentrisme peut s'a­vérer utile si les Arabes se montrent récalcitrants, ruent dans les brancards et manifestent leurs sympathies pour l'A­xe, comme en Irak en 1941, ou optent pour une alliance pro-soviétique, comme dans les années 50 et 60 (Egypte, Irak, Syrie). Dans tous ces cas, la Turquie aurait pu ou pour­ra jouer le rôle du père fouettard.

 

Le rôle de l'Etat d'Israël

 

Israël, dans le jeu triangulaire qui allie ce nouveau pays, né en 1948, aux Etats-Unis (qui prennent le relais de l'Angle­ter­re), et à la Turquie —dont la fonction de "verrou" se voit consolidée— a pour rôle de contrôler le Canal de Suez si l'E­gypte ne se montre pas suffisamment docile. Au sud du dé­sert du Néguev, Israël possède en outre une fenêtre sur la Mer Rouge, à Akaba, permettant, le cas échéant, de pallier tou­te fermeture éventuelle du Canal de Suez en créant la pos­sibilité matérielle d'acheminer des troupes et des ma­té­riels via un système de chemin de fer ou de routes entre la côte méditerranéenne et le Golfe d'Akaba (distance somme toute assez courte; la même stratégie logistique a été uti­li­sée du Golfe à la Caspienne, à travers l'Iran occupé, dès 1941; le matériel américain destiné à l'armée soviétique est passé sur cette voie, bien plus longue que la distance Médi­terranée-Akaba et traversant de surcroît d'importants mas­sifs montagneux).

 

Dans ce contexte, très effervescent, où ont eu lieu toutes les confrontations importantes d'après 1945, voyons main­te­nant quelle est, plus spécifiquement, la situation de l'Af­gha­nistan.

 

Entre l'année 1918, ou du moins après l'échec définitif des opérations envisagées par Enver Pacha et ses comman­di­tai­res, et l'année 1979, moment où arrivent les troupes sovié­tiques, l'Afghanistan est au frigo, vit en marge de l'histoire. En 1978 et 1979, années où l'Iran est agité par la révolution islamiste de Khomeiny, l'URSS tente de réaliser le vieux rê­ve de Paul I: foncer vers les rives de l'Océan Indien, procé­der au "grand bond vers le Sud" (comme le qualifiera Vladi­mir Jirinovski dans un célèbre mémorandum géopolitique, qui suscita un scandale médiatique planétaire).

 

Guerre indirecte et "counter-insurgency"

 

Les Etats-Unis, héritiers de la stratégie anglaise dans la ré­gion, ne vont pas tarder à réagir. Le Président démocrate, Jimmy Carter, perd les élections de fin 1980, et Reagan, un faucon, arrive au pouvoir en 1981. Le nouveau président ré­publicain dénonce la coexistence pacifique et rejette toute politique d'apaisement, fait usage d'un langage apoca­lyp­ti­que, avec abus du terme "Armageddon". Ce vocabulaire apo­calyptique, auquel nous sommes désormais habitués, re­vient à l'avant-plan dans les médias, au début du premier mandat de Reagan: on parle à nouveau de "Grand Satan" pour désigner la puissance adverse et son idéologie com­mu­nis­te. Sur le plan stratégique, la parade reaganienne est sim­ple: c'est d'organiser en Afghanistan une guerre indirec­te, par personnes interposées, plus exactement, par l'inter­mé­diaire d'insurgés locaux, hostiles au pouvoir central ou prin­cipal qui se trouve, lui, aux mains de l'ennemi diabo­li­sé. Cette stratégie s'appelle la "counter-insurgency" et est l'héritière actuelle des sans-culottes manipulés contre Louis XVI, des Vendéens excités contre la Convention —parce qu'el­le a fini par tenir Anvers— et puis ignoblement trahis (af­faire de Quiberon), des insurgés espagnols contre Napo­léon, des guérilleros philippins armés contre les Japonais, etc.

 

En Afghanistan, la "counter-insurgency" se déroule en trois étapes: on arme d'abord les "moudjahiddins", qui opèrent en alliant anti-communisme, islamisme et nationalisme af­ghan, pendant toute la période de l'occupation soviétique. Le harcèlement des troupes soviétiques par ces combat­tants bien enracinés dans le territoire et les traditions de l'Afghanistan a été systématique, mais sans les armements de pointe, notamment les missiles "Stinger" fournis par les Etats-Unis et financés par la drogue, ces guerriers n'au­raient jamais tenu le coup.

Seconde étape : entre 1989 et 1995/96, nous assistons en Afghanistan à une sorte de mo­dus vivendi. Les troupes soviétiques se sont retirées, la Rus­sie a cessé d'adhérer à l'idéologie communiste et de la pro­fesser. De ce fait, la diabolisation, le discours sur le "Grand Satan" n'est plus guère instrumentalisable, du moins dans la version établie au temps de Reagan. La troisième éta­pe commence avec l'arrivée sur la scène afghane des ta­li­bans, moudjahiddins plus radicaux dans leur islam de fac­ture wahhabite. Il s'agit d'organiser une "counter-insurgen­cy" contre un gouvernement central afghan russophile, qui en­tend conserver la neutralité traditionnelle de l'Afgha­nis­tan, acquise depuis la terrible défaite subie par les troupes bri­tanniques en 1842, neutralité qui avait permis au pays de rester à l'écart des deux guerres mondiales.

Ben Laden, l'ISI et Leila Helms

Les talibans déploient leur action avec le concours de l'Ara­bie Saoudite, dont est issu leur maître à penser, Oussama Ben Laden, du Pakistan et de son solide service secret, l'ISI, et des services américains agissant sous l'impulsion de Leila Helms. Les Saoudiens fournissent les fonds et l'idéologie, l'ISI pakistanais assure la logistique et les bases de repli sur les territoires peuplés par l'ethnie pachtoune. Les deux ex­perts français Brisard et Dasquié (cf. Jean-Charles Brisard & Guil­laume Dasquié, Ben Laden - La vérité interdite, De­noël, coll. "Impacts", 2001) explicitent clairement le rôle joué par Leila Helms dans leur ouvrage magistral, bien dif­fu­sé et immédiatement traduit en allemand (cette simulta­néité laisse espérer une cohésion franco-allemande, criti­que à l'égard de l'unilatéralisme américain). Toutefois, dans ce jeu, chacun des acteurs poursuit ses propres objectifs. Dans le livre de Brisard et Dasquié, le double jeu de Ben La­den est admirablement décortiqué; par ailleurs Bauer et Rau­fer (cf. : Alain Bauer & Xavier Raufer, La guerre ne fait que commencer - Réseaux, financements, armements, at­ten­tats… les scénarios de demain, J. C. Lattès, 2002) sou­li­gnent le risque d'une exportation dans les banlieues fran­çai­ses (et ailleurs en Europe) d'une effervescence anti-eu­ro­péenne, conduisant à terme à la dislocation totale de nos so­ciétés.

Le pétrole et le coton

Les objectifs immédiats des Etats-Unis, tant dans l'opéra­tion consistant à appuyer les talibans de manière incondi­tionnelle, que dans l'opération ultérieure actuelle, visant à les chasser du pouvoir à Kaboul sont de deux ordres; le pre­mier est avoué, tant il est patent: il s'agit de gérer correc­te­ment l'acheminement du pétrole de la Caspienne et de l'A­sie centrale via les futurs oléoducs transafghans. Le se­cond est généralement inavoué : il s'agit de gérer la pro­duc­tion du coton en Asie centrale, de faire main basse, au profit des grands trusts américains du coton, de cette ma­tiè­re première essentielle pour l'habillement de milliards d'ê­tres humains sur la planète. L'exploitation conjointe des nap­pes pétrolifères et des champs de culture du coton pour­rait transformer cette grande région en un nouvel El­do­rado. 

Les deux anacondas

La gestion optimale de l'opération militaire, prélude à une gigantesque opération économique, est désormais possible, à moindres frais, grâce à la couverture de satellites que possèdent désormais les Américains. Haushofer, le géopo­lito­logue allemand, disait que les flottes des thalassocraties parvenaient à étouffer tout développement optimal des grandes puissances continentales, à occuper des bandes lit­torales de comptoirs soustraites à toute autorité politique venue de l'intérieur des terres, à priver ces dernières de dé­bouchés sur les océans. Haushofer utilisait une image ex­pressive pour désigner cet état de choses : l'anaconda qui en­serre sa proie, c'est-à-dire les continents eurasien et sud-américain. Si les flottes anglo-saxonnes des premières dé­cen­nies du 20ième siècle, consolidées par le traité fonciè­rement inégal que fut ce Traité de Washington de 1922, sont le premier anaconda, il en existe désormais un nou­veau, maître de l'espace, autre res nullius à l'instar des mers au 18ième siècle. Le réseau des satellites observateurs américains constitue le second anaconda, enserrant la terre tout entière.

Le réseau des satellites consolide un autre atout que se sont donné les puissances anglo-saxonnes depuis la seconde guerre mondiale : les flottes de bombardiers lourds. Il faut se rappeler la métaphore de Swift, dans les fameux Voya­ges de Gulliver, où un peuple, vivant sur une île flottant dans les airs, écrase ses ennemis selon trois stratégies: le lancement de gros blocs de roche sur les installations et les habitations du peuple ennemi, le maintien en état station­naire de leur île volante au-dessus du territoire ennemi afin de priver celui-ci de la lumière du soleil, ou la destruction totale du pays ennemi en faisant atterrir lourdement l'île volante sur une ville ou sur la capitale afin de la détruire totalement. Indubitablement, ce récit imaginaire de Swift, répété à tous les Anglais pendant des générations, a donné l'idée qu'une supériorité militaire aérienne totale, capable d'écraser complètement le pays ennemi, était indispensa­ble pour dominer définitivement le monde. Toutefois la théo­risation du bombardement de terreur par l'aviation vient du général italien Douhet (cf. : Gérard  Chaliand, An­tho­logie mondiale de la stratégie - Des origines au nu­cléaire, Laffont, 1990). Elle sera mise en application par les "Bomber Commands" britannique et américain pendant la seconde guerre mondiale, mais au prix de plus de 200.000 morts, rien que dans les forces aériennes. Aujour­d'hui, la couverture spatiale, les progrès de l'avionique en gé­néral et la précision des missiles permettent une utili­sa­tion moins coûteuse en hommes de l'arme aérienne (de l' air power). C'est ainsi qu'on envisage des opérations de gran­de envergure avec "zéro mort", côté américain, côté "Empire du Bien", et un maximum de cadavres et de désola­tion, côté adverse, côté "Axe du Mal".

Face à la situation afghane actuelle, qui est le résultat d'une politique délibérée, forgée depuis près de deux sièc­les, avec une constance étonnante, quels sont les déboires, les possibilités, les risques qui existent pour l'Europe, quel­le est notre situation objective?

Les déboires de l'Europe :

◊1. Nous avons perdu sur le Danube, car un complot de même origine a visé l'élimination physique ou politique de quatre hommes, très différents les uns des autres quant à leur car­te d'identité idéologique : Ceaucescu, Milosevic, Haider et Kohl (voire Stoiber). A la suite d'une guerre médiatique et de manipulations d'images (avec les faux charniers de Timi­soara), le dictateur communiste roumain est éliminé. On a pu penser, comme nous-mêmes, à la liquidation d'une mau­vaise farce, mais ce serait oublier que ce personnage bal­kanique haut en couleur avait réussi vaille que vaille à or­ganiser les "cataractes" du Danube, à faire bâtir deux ponts reliant les rives roumaine et bulgare du grand fleuve et à creuser le canal "Danube - Mer Noire" (62,5 km de long, afin d'éviter la navigation dans les méandres du delta). Notons que le creusement de ce canal avait mécontenté les So­vié­tiques qui ont un droit d'accès au delta, mais non pas à un ca­nal construit par le peuple roumain. Même si l'arbi­traire du régime de Ceaucescu peut être jugé a posteriori pénible et archaïque, force est de constater que sa disparition n'a pas apporté un ordre clair au pays, capable de poursuivre un projet danubien cohérent ou de générer des fonds suf­fi­sants pour financer de tels travaux.

Milosevic, le Danube et l'Axe Dorien 

Les campagnes médiatiques visant à diaboliser Milosevic ont deux raisons géopolitiques majeures : créer sur le cours du Danube, à hauteur de Belgrade, point stratégique im­portant comme l'attestent les rudes combats austro-otto­mans pour s'emparer de cette place, une zone soustraite à toute activité normale, via les embargos. L'embargo ne sert pas à punir des "méchants", comme veulent nous le faire croi­re les médias aux ordres, mais à créer artificiellement des vides dans l'espace, à soustraire à la dynamique spa­tiale et économique des zones visées, potentiellement puis­santes, afin de gêner des puissances concurrentes plus for­tes. La Serbie, de dimensions fort modestes, n'est pas un con­­current des Etats-Unis; par conséquent son élimination n'a pas été le véritable but en soi; l'objectif visé était ma­ni­festement autre;  dès lors, il s'est agi d'affaiblir des puis­san­ces plus importantes.

Dans la région, ce ne peut être que l'Europe en général et son cœur germanique en par­ti­cu­lier. Enfin, le vide créé en Serbie par la politique d'em­bargo, empêche tout consortium euro-serbe, toute fédé­ra­tion balkanique ou tout resserrement de liens entre petites puissances balkaniques (comme la Grèce et la Serbie), em­pêche d'organiser définitivement le corridor Belgrade - Sa­lo­nique, excellente "fenêtre" de l'Europe centrale sur la Mé­diterranée orientale, que nous avions appelé naguère l'"Axe Dorien". 

Haider et Kohl : dénominateur commun : le Danube

Les campagnes de diffamation contre Jörg Haider relèvent d'une même volonté de troubler l'organisation du trafic da­nubien. Les tentatives, heureusement avortées, d'organiser un boycott contre l'Autriche, auraient installé une deu­xième zone "neutralisée", un deuxième vide, sur le cours du grand fleuve qui est vraiment l'artère vitale de l'Europe. En­fin, le Chancelier allemand Helmut Kohl, qui a réalisé le plus ancien rêve européen d'aménagement territorial, soit le creusement du Canal Rhin - Main - Danube, a été promp­tement évacué de la scène allemande à la suite d'une cam­pagne de presse l'accusant de corruptions diverses (mais bien bénignes à côté de celles auxquelles les féaux de l'O­TAN se sont livrées au cours des décennies écoulées). Son successeur, à la tête des partis de l'Union chrétienne-démo­crate (CDU/CSU), le Bavarois Stoiber, a subi, à son tour, des campagnes de diffamations infondées, qui l'ont empê­ché d'accéder aux commandes de la RFA —du moins jusqu'à nouvel ordre. 

◊2. Nous avons perdu dans le Caucase. L'Azerbaïdjan est com­plètement inféodé à la Turquie, fait la guerre aux Armé­niens au Nagorni-Karabakh, s'aligne sur les positions anti-russes de l'Otan, coince l'Arménie résiduaire (ex-république soviétique) entre la Turquie et lui-même, ne permettant pas des communications optimales entre la Russie, l'Ar­ménie et l'Iran (ou le Kurdistan potentiel). En Tchétchénie et au Daghestan, les troubles suscités par des fondamen­talistes financés par l'Arabie Saoudite —également soutenus par les services turcs travaillant pour les Etats-Unis—  em­pêchent l'exploitation des oléoducs et réduisent l'influence russe au nord de la chaîne du Caucase. Plus récemment, la Géorgie de Chevarnadze, en dépit de la solidarité ortho­doxe qu'elle devrait avoir avec la Russie et l'Arménie, vient de s'aligner sur la Turquie et les Etats-Unis. Ces trois fais­ceaux d'événements contribuent à empêcher l'organisation des communications en Mer Noire, dans le Caucase et dans la Caspienne. 

Du "containment" de l'Iran

◊3. Nous avons perdu sur la ligne Herat - Ladakh, dans le Ca­chemire. Le verrouillage pakistanais des hauteurs hima­layennes au Cachemire sert à empêcher l'établissement de toute frontière commune entre la Russie (ou une républi­que post-soviétique qui resterait fidèle à une alliance rus­se) et l'Inde. La présence américaine à Herat, par fractions de l'Alliance du Nord interposées, permet aussi de placer un premier pion dans le containment de l'Iran. Celui-ci est dé­sormais coincé entre une Turquie totalement dépen­dan­te des Etats-Unis et un glacis afghan dominé par ces der­niers. Il reste à éliminer l'Irak pour parfaire l'encerclement de l'Iran, prélude à son lent étouffement ou à son invasion (comme pendant l'été de 1941). 

◊4. Nous avons perdu dans les mers intérieures. Les deux mers intérieures qui sont le théâtre de conflits de grande am­pleur depuis plus d'une décennie sont l'Adriatique et le Gol­fe Per­sique. Ces deux mers intérieures, comme j'ai déjà eu main­­tes fois l'occasion de le démontrer, sont les deux espa­ces ma­ritimes (avec la Mer Noire) qui s'enfoncent le plus pro­­fondément dans l'intérieur des terres immergées de la mas­­se continentale eurasienne. La Guerre du Golfe (et cel­les qui s'annoncent dans de brefs délais), de même que les com­plots américains qui ont amené à la chute du Shah (cf.: Houchang Nahavandi, La révolution iranienne - Vérité et men­­songes, L'Age d'Homme, Lausanne, 1999), visent non seu­­lement à contrôler l'embouchure des deux grands fleu­ves mésopotamiens, artères du Croissant Fertile, soit le Chatt El Arab, et à contenir l'Iran sur la rive orientale du Gol­fe.

La révolution islamiste d'Iran a eu la même fonction que la révolution sans-culotte en France ou la révolution bol­chevique en Russie : créer le chaos, abattre un régime rai­sonnable en passe de réaliser de grands travaux d'in­fra­struc­ture et d'aménagement territorial, et, dès que le nou­veau régime révolutionnaire se stabilise, l'attaquer de front et appeler à la croisade contre lui, sous prétexte qu'il in­car­nerait une nouveauté perverse et diabolique.

Quant à l'i­dée de verrouiller l'Adriatique, elle apparaît évidente dès que l'Allemagne et l'Autriche, par l'intermédiaire d'une pe­ti­te puissance qui leur est traditionnellement fidèle, comme la Croatie, accèdent à nouveau à la Méditerranée via les ports du Nord de l'Adriatique. Ce verrouillage aura lieu exac­­tement comme au temps de la domination ottomane (é­­phémère) sur ces mêmes eaux, à hauteur du Détroit d'O­trante, dominé par l'Albanie.

Formuler une stratégie claire

Face à cette quadruple défaite européenne, il convient de formuler une stratégie claire, un programme d'action géné­ral pour l'Europe (qu'il sera très difficile de coordonner au dé­part, les Européens ayant la sale habitude de tirer tou­jours à hue et à dia et de travailler dans le désordre). Ce pro­gramme d'action contient les points suivants:

◊ Les Européens doivent montrer une unité inflexible dans les Balkans, s'opposer de concert à toute présence amé­ri­caine et turque dans la péninsule sud-orientale de notre con­tinent. Cette politique doit également viser à neutra­li­ser, dans les Balkans eux-mêmes et dans les diasporas alba­nai­ses disséminées dans toute l'Europe, les réseaux crimi­nels (prostitution, trafic de drogues, vol d'automobiles), liés aux structures albanaises anti-serbes et anti-macédo­nien­nes, ainsi qu'au binôme mafias-armée de Turquie et à cer­tains services américains. La cohésion diplomatique eu­ro­péenne dans les Balkans passe dès lors par un double tra­vail: en politique extérieure —faire front à toute réimplan­tation de la Turquie dans les Balkans— et en politique in­térieure —faire front à toute installation de mafias issues de ces pays et jouant un double rôle, celui de déstabiliser nos sociétés civiles et celui de servir de cinquièmes co­lonnes éventuelles. 

◊ Les Européens doivent travailler de concert à ôter toute marge de manœuvre à la Turquie dans ses manigances anti-européennes. Cette politique implique

1) d'évacuer de Chypre toutes les unités militaires et les administrations ci­viles turques et de permettre à toutes les familles grecques expulsées lors de l'agression de l'été 1974 de rentrer dans leurs villages ancestraux; d'évacuer vers la Turquie tous les "nouveaux" Cypriotes turcs, non présents sur le territoire annexé avant l'invasion de 1974;

2) d'obliger la Turquie à re­noncer à toute revendication dans l'Egée, car la conquête de l'Ionie s'est faite à la suite d'un génocide inacceptable à l'encontre de la population grecque, consécutif d'un autre génocide, tout aussi impitoyable, dirigé contre les Armé­niens; la Turquie n'a pas le droit de revendiquer la moindre parcelle de terrain ou les moindres eaux territoriales dans l'Egée; la Grèce, et derrière elle une Europe consciente de ses racines, a, en revanche, le droit inaliénable de reven­di­quer le retour de l'Ionie à la mère patrie européenne; la Tur­quie dans ce contexte, doit faire amende honorable et s'excuser auprès des communautés chrétiennes orthodoxes du monde entier pour avoir massacré jadis le Patriarche de Smyrne, d'une manière particulièrement effroyable (le cas échéant payer des réparations sur son budget militaire);

3) d'obliger la Turquie à cesser toute agitation auprès des mu­sulmans de Bulgarie;

4) d'obliger la Turquie à cesser toute ma­nœuvre contre l'Arménie, avec la complicité de l'Azer­baï­djan; de même, à cesser tout soutien aux terroristes tché­tchènes;

5) l'Europe, dans ce contexte, doit se poser comme protectrice des minorités orthodoxes en Turquie; au début du siècle, celles-ci constituaient au moins 25% de la population sous la souveraineté ottomane; elles ne sont plus que 1% aujourd'hui; cette élimination graduelle d'un quart de la population interdit à la Turquie de faire partie de l'UE;

6) d'obliger la Turquie à évacuer toutes ses troupes disséminées en Bosnie et au Kosovo;

7) de faire usage des droits de veto des Etats européens au sein de l'OTAN, au moins tant que les problèmes de Chypre et d'Arménie ne sont pas résolus; dans la même logique, refuser toute for­me d'adhésion de la Turquie à l'UE.

(à suivre)

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vendredi, 20 juin 2008

Partenariat stratégique

Rappel: Un texte prophétique -et toujours actuel!- de Henri de Grossouvre !

Pour un partenariat stratégique entre l'Union Européenne et la Russie

 

L'Union Européenne est en train de réformer ses institutions et son mode de travail. Il s'avère dès lors important que les citoyens des Etats membres soient au courant de trois cho­ses : des conséquences de ces réformes, des diverses possi­bi­lités de développement (Fédération d'Etats, Etat fédé­ral,…), des partenaires futurs de cet Union. Le 21 avril pro­chain, en France, les élections présidentielles auront lieu. Les bons résultats, inattendus, de Jean-Pierre Chevène­ment dans les sondages a surpris les observateurs et inquié­té les deux candidats principaux, Chirac et Jospin. Chevè­ne­ment est souvent décrit dans les médias comme un ad­ver­saire de l'Europe. Ce n'est pas exact. Il serait plus juste de dire qu'il est partisan d'une façon différente d'intégrer l'Eu­rope; ensuite, il s'insurge contre le déficit démocratique croissant des instances européennes, lesquelles n'ont plus de légitimité démocratique. Ensuite, il se fait l'avocat d'un par­tenariat stratégique entre l'Union Européenne et la Rus­sie.

 

L'Union Européenne et la Russie ont des intérêts géopoliti­ques, économiques et culturels communs. L'accord de co­opé­ration qui existe depuis le 1 décembre 1997 entre l'UE et la Russie est un accord de type préférentiel, comme il en existe déjà entre cette même UE et quelques pays d'A­mé­rique latine et/ou d'Afrique. Cet accord est insuffisant. La mise sur pied d'un partenariat stratégique avec la Russie permettrait à l'Europe de faire face aux grands défis du 21ième siècle : défis qui nécessitent paix et sécurité sur le con­tinent, maîtrise de l'espace et maîtrise des problèmes énergétiques. Si l'intégration pure et simple de la Russie dans l'UE est une impossibilité, nous pouvons trouver une for­me d'association avec le GASP. Au cours de l'histoire de l'hu­manité, nous constatons une succession de périodes de guerre et de paix. La paix est l'œuvre du politique. Un par­te­nariat stratégique entre l'UE et la Russie garantirait l'exis­tence d'un monde multipolaire, source de paix et d'é­qui­libre. Le monde multipolaire, que De Gaulle appelait de ses vœux en son temps, est une idée que souhaitent voir ad­venir la Russie, la Chine et l'Inde. Depuis que les Etats-U­nis se montrent capables, seuls, d'assumer une domination qua­si totale de la planète, les guerres n'ont cessé de se suc­céder (Irak, Bosnie, Yougoslavie, Somalie, Afghanistan).

 

Vus les problèmes soulevés par le Projet Galileo, nous de­vrions faire en sorte de développer des satellites de navi­ga­tion, de concert avec la Russie. Les Américains ont claire­ment dit aux Européens qu'ils ne leur accorderont aucun ac­cès au nouveau système de navigation satellitaire; or les Russes disposent d'un système, appelé Glonas, et de fré­quen­ces, ce qui doit nous conduire tous naturellement à dé­velopper un système exclusivement européen, en parte­nariat avec la Russie.

 

De même, la Russie pourrait aider l'UE à résoudre la ques­tion de l'énergie. Selon plusieurs experts (1), la production de pétrole atteindra son point culminant dans les années 2010-2020, puis ne cessera plus de diminuer. Le monde se­ra confronté alors à une pénurie chronique de pétrole. Dans ce contexte, la Russie sera en mesure d'atteindre l'un des objectifs qu'elle s'est fixé: devenir le premier producteur de pétrole du monde, bien avant l'Arabie Saoudite. La Rus­sie possède déjà les plus grands gisements de gaz naturels au monde et maîtrise, tout comme la France, l'énergie ato­mique. L'Autriche, qui, traditionnellement, fait fonction de pont entre l'Est et l'Ouest, entretient de bonnes relations di­plomatiques et économiques avec la Russie. Elle aussi a tout à gagner dans un partenariat stratégique entre l'UE et la Russie.

 

Henri de GROSSOUVRE.

(texte de présentation du livre de Henri de Grossouvre, Paris-Berlin-Moscou - La voie de l'indépendance et de la paix, Age d'Homme, Lausanne, 2002, adressé à la presse autrichienne en janvier 2002).

 

Note :

(1) cf. Norman SELLEY, «Changing Oil» & John V. MITCHELL, «Oil for Wheels», Royal Institue of International Affairs, London, Briefing Pa­per, New Series, no. 10, January 2000 and no. 9, December 1999.

 

mardi, 17 juin 2008

Dostoïevski et la problématique Est-Ouest

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DOSTOÏEVSKI ET LA PROBLÉMATIQUE EST-OUEST

Source :

Walter Schubart (1897-1941), extrait de Europa und die Seele des Ostens (1938), in revue Vouloir n°129/131, janv. 1996. Tr. fr. : L'Europe et l'âme de l'Orient, tr. D. Moyrand et N. Nicolsky, Albin Michel, 1949. [N.B. : il existe également une traduction italienne de ce livre : L'Europa e l'anima dell'oriente (tr. Guido Gentilli, Ed. di Comunità, Milano, 1947. Recension : Rivista di filosofia, n°2/1948, p. 200-201) ; une espagnole : Europa y el alma de oriente (Edic. Studium de Cultura, Madrid, 1946) ; une anglaise : Russia and Western Man (tr. A. von Zeppelin, F. Ungar Publishing Co., NY, 1950). On pourra aussi se reporter pour une étude sur cet auteur à : A. Vitale, Il destino dell'Europa e la rinascita della Russia. Note su Walter Schubart, in Futuro Presente n°7 (1995), p. 81-90].

Dostoïevski est l'écrivain de la maladie de l'âme russe, qui était encore rampante en son temps et qui a attendu le bolchevisme pour éclater au grand jour. Dostoïevski n'est plus campé sur un sol ferme, comme l'étaient les slavophiles. La sérénité plaisante, jouissant d'immenses espaces, de l'ancienne vie russe lui est étrangère. Il ne vit et ne décrit pas la Russie moscovite, comme Griboïedov ou Ostrovski - même s'il est originaire de Moscou - mais l'époque de Saint-Pétersbourg dans l'histoire russe, au moment où deux approches sentimentales du monde entrent en collision sur le sol russe, au moment où l'Asie et l'Europe se rencontrent dans le cœur de l'homme russe. Ses héros sont des représentants de l'intelligentsia pétrinienne, dont les âmes déchirées sont le théâtre où s'affrontent et s’entre-déchirent dans une lutte mortelle le vieil esprit oriental et le nouvel esprit occidental. De là, l'énergie débridée et dramatique de ses romans qui, dans leur construction, leur structure et leur dynamique sont en fait des tragédies. On ne discerne rien en eux de l’ampleur épique, et on n'a nullement l'impression de pénétrer dans l'immédiateté d'un monde bien clos.

Une profonde césure le sépare des autres écrivains russes, qui ont vécu avant lui ou qui sont ses contemporains : Pouchkine, Tourgueniev, Tolstoï, Gontcharov. Jamais Dostoïevski n'aurait pu créer un Oblomov. Ensuite, il est très éloigné de cette "littérature des propriétaires terriens" qui s'enracine profondément dans le sol de la Russie et dans l'essence de la russéité et qui fait ressortir ses personnages exceptionnels et captivants d'un arrière-plan qui est cette vie harmonieuse, sans discontinuité apparente, propre des familles nobles russes (Dostoïevski appartient pourtant à la noblesse héréditaire, tout comme Tolstoï). Dostoïevski n'avait pas un regard pour le monde de la tradition. Il sentait et annonçait une future révolution de l'esprit, dont ses contemporains ne devinaient rien. Il voyait le combat planétaire entre l'esprit prométhéen et l'esprit oriental.

CAESAR ET IMPERIUM

Les 2 idées les plus pourries et les plus pervertissantes que l'Europe prométhéenne avait suscitées étaient l'idéal de la "forte personnalité" et l'idéal de l'État dominateur. Ce sont les 2 motifs latins du Caesar et de l'Imperium. Dostoïevski s'en prend au premier de ces motifs dans Crime et châtiment, au second, dans Les Démons [connu aussi sous le titre français Les Possédés]. La doctrine fallacieuse des "hommes forts", avec son corollaire, les droits spéciaux qu'ils s'arrogent - au nom d'un droit dynastique, ou comme le Prince de Machiavel ou le Surhomme nietzschéen, toutes figures qui dominent l'imagination des Européens de l'Ouest - est affrontée dans Crime et châtiment, roman qui va consacrer la célébrité de Dostoïevski jusqu'à la fin des temps.

Raskolnikov suit un mot d'ordre : tout est permis. Il s'enthousiasme pour l'humanité dominatrice et il veut se prouver à lui-même et au monde qu'il "n'est pas un misérable poux comme tous les autres". Il tue une usurière, parce qu'il "veut être Napoléon". Mais la voie du crime ne le hisse pas pour autant sur les sommets de la divinisation de l'homme, mais dans la cellule isolée du pénitent contrit, où il acquiert "une nouvelle vision de la vie". Il doit reconnaître que l'homme n'est pas Dieu et, en posant ce constat en pleine crise de contrition, il reconnaît l'existence de Dieu. Il avait voulu prouver l'existence du Surhomme et finit par se prouver, à lui-même et par son propre acte criminel, l'existence de Dieu. "Même le fort est un misérable poux comme tous les autres". Le cri qui appelle le châtiment rédempteur est plus fort que les séductions de la vanité, la sacralité de la renaissance rend plus heureux que l'ivresse de la violence et du pouvoir. Le divin dompte l'homme sodomite qui est en lui.

PÉCHÉ D'ORGUEIL

Raskolnikov commet le péché originel de l’orgueil et de la morgue, de la volonté de puissance, qui induit l'homme à se séparer de ses frères et à se hisser au-dessus d'eux (le nom du héros est bien choisi, car Raskol signifie séparation, césure, brisure). C'est le délit prométhéen, le péché de l'Europe. Raskolnikov est le type du Russe qui est saisi par le poison occidental et qui s'en débarrasse et s'en nettoie par une chrétienté renouvelée. L'Europe est le Diable, la tentatrice des Russes. Crime et châtiment est un réquisitoire terrible, déstabilisant, contre les idéaux de domination de l'Ouest, comme personne auparavant n'avait osé en prononcer ou en écrire. La question : César ou Christ ? Telle est la thématique du roman. La meute des tièdes ne sait rien, ni de l'un ni de l'autre.

Car les tièdes ne veulent être que bourgeois, et le bourgeois est l'homme qui est également incapable de commettre un acte délictueux ou de réaliser une action sublime, également incapable d'être criminel ou d'être victime innocente. Mais toutes les grandes et fortes natures luttent pendant toute leur existence pour répondre à cette seule question : César ou Christ ? La réponse de Dostoïevski, la future réponse de l'Est c'est : le Christ, rien que le Christ, et non pas César ! Il faut sortir de cette fierté isolée, il faut se débarrasser de cette folie à toujours vouloir être "autonome", il faut accepter l'humilité, le don de soi, le rôle de la victime !

Raskolnikov est un pécheur qui trouve la grâce, qui retrouve le chemin vers "l’idéal de la Madonne". Mais cette voie qui va du crime à la renaissance en passant par le repentir n'est qu'une voie possible, parmi d'autres. L'autre conduit du crime à l'auto-destruction en passant par une fierté qui refuse de plier, de se briser. C'est la voie qu'emprunte Svidrigaïlov. Il est une sorte d'alter ego de Raskolnikov, mais il reste un vulgaire criminel, incapable de repentir, qui persiste dans sa fierté et son défi. En lui, Raskolnikov perçoit le mal, le mal qui est aussi en lui mais qu'il va extirper. C'est entre ces deux attitudes que l'homme doit choisir. Entre la voie de l'humilité et celle de l'auto-destruction, entre le repentir et le suicide. Le mal, qui ne peut accéder au repentir, se tue lui-même. C'est l'esprit de la destruction qui se retourne finalement contre ceux qui l'incarnent et le portent en eux. Voilà bien l'idée-force de Dostoïevski !

Stavrogine, Kirillov et Verkhovenski empruntent la même voie que Svidrigaïlov. Kirillov se suicide pour prouver au monde qu'il ne craint pas la mort. C'est la seule épreuve que le monde peut encore lui soumettre, car ce monde n'est plus lié à lui par aucun fil intérieur. "Celui qui ose se tuer est Dieu", pense-t-il. Ainsi, il pose une équation entre Dieu et l'esprit de destruction. C'est le destin de ceux qui poursuivent la chimère de l'Homme-Dieu. Ils se tuent ou on les tue. César aussi fut tué, et cette mort est définitive ; il n'y a pas de résurrection hors du tombeau. Dostoïevski perçoit le fondement même de l'idéal de la "forte personnalité" et reconnaît que celle-ci sacrifie l'amour vivant. Culte des héros ou idéal de fraternité, paganité égoïste ou renaissance dans le Christ, l'Europe ou la Russie : c'est ainsi que Dostoïevski pose la question du destin.

SE REPENTIR OU SE SUICIDER

Dans son personnage de Raskolnikov, Dostoïevski a créé la tragédie personnelle de celui qui rompt avec Dieu, dans Les Démons, il décrit la tragédie sociale que provoque cette rupture. Au bout du chemin vers le Surhomme, nous trouvons le repenti ou le suicidé. Tel est le sens de Crime et châtiment. Au bout du chemin vers le socialisme athée, nous trouverons la dissolution de la société ou le retour au christianisme : tel est le sens des Démons. Dans le premier de ces romans, Dostoïevski lutte contre la figure de l'homme dominateur, dans le second, contre l'idéal de l'État dominateur. Dans le premier de ces livres, il réfute Nietzsche, dans le second, il réfute Marx. Il ne connaissait pourtant l’œuvre ni de l'un ni de l'autre, mais il les connaissait au fond implicitement tous 2 comme des possibles de l'âme, comme des types spirituels.

Et, ce qui est le plus extraordinaire, Dostoïevski a vu le rapport intérieur qui unissait ces 2 types. Il était nettement meilleur visionnaire que l'homme contemporain, dont le regard est troublé, ne se pose que sur les phénomènes superficiels, devine ou voit des contradictions, là où il y a en fait des parentés. Comme Nietzsche, Marx cherche - et chez lui, c'est sans nul doute un héritage de la foi judaïque - ce qui doit remplacer Dieu et faire advenir le Ciel sur la Terre. Marx aussi fait de l'homme d’aujourd’hui un simple moyen pour forger l’homme de demain. Seul l'homme du futur, qui doit être créé par recours à la violence, justifie l'homme actuel, livré au hasard, à lui-même, l'homme qui n'a pas été voulu par l'homme, qui précédé la figure de demain. Mais Marx envisage une autre anthropologie que celle de Nietzsche : il mise sur un être social en devenir et non pas sur des individualités accomplies et isolées. C'est donc une prédisposition différente qui conduit chez lui à ce besoin d'absolu, qu'il possède en lui, tout comme Nietzsche, et qui le mène sur une autre voie.

CONTRE NIETZSCHE ET CONTRE MARX

Mais tous 2 font perdre à l'homme sa liberté, sa valeur propre, sa signification absolue. Tous 2 veulent remplacer le divin par l'exercice d'une coercition, dans la mesure où il veulent fabriquer un nouveau divin. La doctrine du surhomme veut un dieu tellurique, le socialisme un ciel terrestre autant de religions apparentes qui s'oppose au christianisme, qui trahissent l'idée de fraternité et la remplace par un idéal de violence. Les points de départ de ces confessions sans dieu sont différents, mais leur point d'aboutissement est le même. Marx vise l'État idéal où tous seront égaux et pareils, Nietzsche vise le despotisme du surhomme. Mais il n'y a pas d'égalité sans un desposte qui puisse la garantir, et il n'existe pas de despotisme qui ne conduise pas à l'égalité des opprimés. Le surhomme et l'homme-masse croissent sur le même terreau. La doctrine du surhomme et le socialisme, c'est finalement la même chose, mais vue sous des angles différents Nietzsche et Marx sont tous 2 - et à égalité - les précurseurs intellectuels de la dictature, de la décadence de l'éthique et du déclin de la liberté. Entre eux existe cette parenté qui unit aussi Raskolnikov et les héros des démons. Dans le vécu intérieur de Dostoïevski, tous 2 retournent à l'unité de leur origine.

Dostoïevski a vu qu'avec le socialisme et la doctrine du surhomme, les grands mouvements d'opposition à la religion émergeaient, qu'ils se reconnaissaient dans une pure immanence, qu'ils tentaient d'étancher une terrible soif de métaphysique en nous abreuvant de valeurs éphémères. Car ce sont les doctrines et les courants de pensée d'un âge intermédiaire. Par elles, cet esprit rationnel, froid, tellurique, propre de l'Occident, vient à couler dans cette ardente propension de l'Orient à la foi : mélange fatal. Une fois de plus, c'est l’Europe qui est la tentatrice, le diable pour les Russes. Comme dans Crime et châtiment, où c'est l'individu qui est saisi par l'esprit de l'Occident, dans Les Démons, c'est la société russe toute entière qui en est victime. Nous avons donc d'une part le conflit de la russéité avec l'idée occidentale au niveau de l'individu, et d'autre part, au niveau de la société.

Les deux romans suggèrent une même résolution de cette tension : la victoire de l'esprit russe-chrétien sur l'esprit prométhéen-européen. "C'est par l'Orient que la Terre retrouvera son rayonnement" (cette vision de la victoire finale du Christ a été reprise 2 générations plus tard par Alexandre Blok dans son poème révolutionnaire Les Douze). Dostoïevski lui-même s'était laissé prendre aux mirages de l'Occident et avait payé cet engouement d’un long bannissement en Sibérie. Plus tard il s'est repenti et a reconnu la perversité fondamentale de ces doctrines occidentales ; c'est ainsi qu'il a pu les dépasser. La russéité dans son entièreté souffre du même destin dans Les Démons. Tandis que les représentants criminels de l'esprit occidental - le mal qui jamais ne se repentit - connaissent une fin cruelle, le peuple, resté russe, est sauvé par sa foi et retourne, plein de repentir, vers le message de Jésus.

Dans Les Démons, Dostoïevski maudit, comme plus tard dans la légende du Grand Inquisiteur, l'unification des hommes par coercition, la "fourmilière mise au diapason", le "palais de cristal", la tentative aussi folle que présomptueuse, de réaliser le bonheur terrestre par la violence, la coercition, et sans faire appel à la grâce divine. "C'est de la folie de vouloir forger une ère et une humanité nouvelles en coupant 100 millions de têtes". Il décèle l'élément césarien dans le socialisme révolutionnaire, chez cette intelligentsia russe qui semble tant aimer la liberté. "Le socialisme français" - le seul que connaissait Dostoïevski - "est la poursuite fidèle et conséquente d'une idée qui nous vient de la Rome antique et qui s'est maintenue dans le catholicisme" (cf. Journal d'un écrivain). Les Romains et les Russes sont des ennemis éternels !

Dostoïevski voit dans le socialisme une forme particulière de la révolte contre Dieu. C'est pourquoi, lui, l'ancien forçat de Sibérie, ne se met pas du côté des révolutionnaires. Son refus de la révolution n'est pas d'essence bourgeoise, elle est d'essence chrétienne. Il est un adversaire de la révolution parce qu'il aime la liberté et Dieu. Il croit et il décrit sa foi dans Les Démons : après la révolution désacralisante, adviendra une révolution porteuse de sacré qui répandra une nouvelle fois dans le monde l'esprit de l'Est. C'est ce message que nous transmet Dostoïevski par la bouche de son personnage Chatov : "Je crois que le retour du Christ aura lieu en Russie". Il prévoyait que la Russie, après la folie des démons, accéderait à une nouvelle forme de socialisme qui lui conviendrait. Qu'entendait-il par là ?

La dernière notice de son Journal nous l'apprend : "La foi du peuple en l'Église tel est le socialisme russe" : en l'Église intériorisée, qui n'a nul besoin de dépasser les différences sociales extérieures, parce qu'elle mesure l'homme selon les critères de "l’Empire intérieur", parce qu'elle nous place tous à égalité devant Dieu, en l'Église comme fraternité spirituelle, comme communauté des "re-nés" dans sa plus grande extension : la fraternisation mondiale dans le Christ : voilà la forme sociale par excellence de la russéité et rien d’autre, voilà l'expression sociale de ce sentiment de totalité, de cette pan-humanité d'esprit oriental qui est destinée à lutter jusqu'à la mort contre les idées occidentales du césarisme et de l'impérialisme. L'écrivain classique qui a exprimé et illustré cette lutte, c'est Dostoïevski.

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mercredi, 11 juin 2008

Les Etats-Unis financent l'agitation tibétaine

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Les Etats-Unis financent l’agitation tibétaine

 

D’après un article de la “Süddeutsche Zeitung” (SDZ), le caucus “National Endowment for Democracy” (NED), qui, bien que privé, reçoit de larges subsides du gouvernement américain, aurait payé, rien que l’an passé, 45.000 dollars à l’“International Tibet Support Network” (Réseau international de soutien au Tibet) qui a notamment coordonné les protestations très médiatisées contre les Jeux olympiques prévus cet été à Pékin, principalement à l’occasion des courses avec la flamme olympique.

 

L’argent du contribuable américain est allé dans l’escarcelle des groupes tibétains que le gouvernement chinois considère comme insurrectionnels. L’intermédiaire, assurant le transit des fonds, n’a pas toujours été la NED, mais elle l’a été souvent.

 

Rien qu’au cours de l’année 2006, cette organisation privée, selon ses propres déclarations, aurait versé 293.000 dollars à des groupes tibétains que Pékin accuse d’avoir co-planifié le soulèvement de Lhasa, il y a deux mois.

 

Sur le plan politique, ce soutien financier ne manque pas de piquant parce que la NED reçoit la plupart de ses subsides du Congrès américain. Les Etats-Unis financent ainsi directement des actions que Pékin juge déstabilisantes ou diffamantes à la veille des Jeux olympiques,  explique le journaliste du SDZ.

 

Dans les années qui viennent de s’écouler, le Congrès a de fait libéré toujours davantage de fonds pour soutenir des “programmes de démocratisation” en Chine et au Tibet. Pour l’année 2006 seulement, le montant s’élève à 23 millions de dollars. Des organisations privées comme la NED sont devenues d’importants instruments de la politique étrangère américaine.

 

Le journal de Munich cite les propres paroles de l’ancien directeur de la NED, Weinstein: “Beaucoup d’actions que nous lançons maintenant auraient été secrètement menées, il y a vingt-cinq ans, par la CIA”. Les instituts américains de ce type auraient, poursuivent les  rédacteurs de la SDZ, également soutenu financièrement la “révolution orange” en Ukraine et la “révolution des roses” en Géorgie, deux “remaniements politiques” clairement dirigés contre les intérêts de la Russie.

 

Le président du Venezuela, Hugo Chavez, a ouvertement reproché aux Etats-Unis de soutenir la violence au Tibet. En menant une telle politique, Washington entend saboter les Jeux olympiques de Pékin, a déclaré Chavez lors de l’un de ses discours, tenu récemment à Caracas. Les Etats-Unis veulent, par tous les moyens, fractionner le territoire actuellement sous souveraineté chinoise. Derrière les désordres du Tibet se profilent les intérêts de l’impérialisme américain, pense le président du Venezuela, qui a appelé à soutenir la Chine dans cette épreuve, de même que les Jeux olympiques.

 

K. KRIWAT.

(article tiré de DNZ/n°23/2008; source: Jean-François Susbielle, “China/USA – Der programmierte Krieg”; édition allemande de: J.-F. Susbielle, “Chine-USA. La guerre programmée. Le XXI° siècle sera-t-il le siècle de la revanche chinoise?”, First Editions, Paris, 2006,ISBN 2-75400-149-2).

jeudi, 29 mai 2008

Balkans: les Etats-Unis ont atteint leur objectif!

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Balkans: les Etats-Unis ont atteint leur objectif!

Un texte ancien, vieux de huit ans, mais qui garde toute sa pertinence géopolitique !

Le Général Reinhard Uhle-Wettler (°1932), commandeur d'unités parachutistes, en fin de carrière Commandeur de Division de la 1ière Aéroportée de la Bundeswehr, pa­r­le­ra à l'Université d'été de «Synergies Européennes» en août 2001. Pour préparer nos stagiaires à sa démarche, voici le bilan final qu'il tire, en toute clarté militaire, de la situation dans les Balkans. Ses positions sont clai­re­ment les nôtres, que nous aurons l'occasion d'expri­mer lors du colloque de la revue “Renaissance européen­ne”, qu'organisera Georges Hupin et son équipe à Sint-Pieters-Leeuw en avril 2001, avec le concours d'Alexan­dre Del Valle, Guillaume Faye, Max Steens et Robert Steuckers. Bonne lecture!

Dans les rapports des médias, on reproche souvent aux Etats-Unis d'avoir déployé une stratégie de dilettantes dans les Balkans. On a entendu des discours similaires immédia­tement après la Guerre du Golfe. En tenant compte des in­térêts des Etats-Unis et des rapports de force géopoliti­ques, on peut résumer les effets de la guerre des Balkans comme suit:

1.

L'OTAN, sous la direction des Etats-Unis, s'est débarrassé du boulet que constituaient les décisions du conseil de sé­cu­ri­té de l'ONU, et, dans cette entorse aux principes, a entraî­né et uni tous les membres de l'alliance.

2.

Les Etats-Unis ont fait de l'OTAN le seul instrument politico-militaire capable de fonctionner dans le monde occidental et, à la suite du changement de donne après la fin de l'op­po­sition Est-Ouest, ont renforcé l'alliance atlantique pour le futur.

3.

L'OTAN a fait admettre de facto sa nouvelle conception, y compris l'idée d'une intervention systématique en cas d'en­torse aux droits de l'homme, avant même que ses membres ne l'acceptent formellement, et l'a mis à l'épreuve de ma­nière pratique en profitant de l'aubaine de l'heure. Mis à part la défense commune des territoires inclus dans l'allian­ce, toute guerre “pour les droits de l'homme” est désor­mais possible. Nous avons affaire là à un pas de plus vers la création d'une “police mondiale”.

4.

Les Etats-Unis ont changé, en faveur de leurs ambitions glo­bales, le droit des gens qui avait été appliqué jusqu'ici, en se réclamant de l'acte de conclusion de la conférence de l'OSCE à Helsinki et de la résolution 688 du Conseil de sé­cu­rité des Nations Unies. Le principe de non ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat est suspendu en cas d'en­torse apportée aux droits de l'homme, quelle que soit la dé­finition que l'on donne de ceux-ci. Le triomphe du droit d'in­tervention pour raisons humanitaires signifie que les droits de l'homme reçoivent désormais la priorité par rap­port au droit de souveraineté, à l'interdiction d'user de vio­lence (cf. l'art. 2 de la Charte des Nations Unies), ainsi qu'au principe de l'inviolabilité des frontières. L'OTAN ne pou­vait pas se réclamer du droit d'autodéfense collectif (art. 51 de la Charte des NU) ni d'un pouvoir accordé par le conseil de sécurité (chap. VII de la Charte de NU) dans la guerre déclenchée contre la Serbie. Les violations des droits de l'homme serviront donc désormais de plus en plus souvent de prétexte pour des interventions militaires. Cela nous ramène au schéma idéologique de la “guerre juste” et exclut quasiment le traitement correct à appliquer à l'ad­versaire (que l'on pratiquait depuis l'époque féodale). Le vainqueur devient automatiquement le juge.

5.

Les Etats-Unis se sont établis comme puissance européenne dominante et ont renforcé le contrôle et la domination qu'ils exerçaient sur l'Europe.

6.

La guerre est devenue un moyen de la politique pour im­po­ser les droits de l'homme et est acceptée comme telle par la communauté des Etats occidentaux. La course aux arme­ments que cela implique n'est plus fondamentalement re­mi­se en question. De cette façon, la répartition des tâches au sein de l'alliance est assurée.

7.

L'Europe, en tant que concurrente des Etats-Unis, est clouée dans les Balkans pour un certain temps et devra con­sentir des efforts financiers et économiques pour recon­struire le Kosovo et la Serbie. Ces frais accroissent les dé­fi­cits de la défense européenne autonome et grèvent la mon­naie commune de l'Europe face au dollar.

8.

Un verrou est posé désormais à toute coopération euro-russe qui impliquerait une participation allemande dans un projet de développement économique de l'Eurasie. L'ancien vi­ce premier ministre serbe, Draskovic, qui n'est pas resté long­temps en fonction, avait déclaré dans un entretien ac­cor­dé au Spiegel (n°18/1999): «La Serbie est détruite au­jour­d'hui parce que les Etats-Unis, en créant cet exemple qui fera école, veulent discipliner l'Europe. Car les Etats-Unis savent pertinemment qu'une Allemagne unifiée, avec tout son potentiel, et dans une alliance politique et écono­mique avec la Russie, créerait les bases d'une Europe soli­de­ment unie, de l'Atlantique au Pacifique. Pour empêcher ce­la, on a mis en scène un crime collectif contre les Ser­bes».

9.

Les Etats-Unis ont refoulant l'influence russe dans les Bal­kans et en abattant et en “démocratisant” la Serbie ont créé les conditions préalables de la sécurisation et de l'ex­ploi­tation de leurs intérêts énergétiques dans le bassin de la Caspienne, dans la Caucase et en Asie centrale. Le pé­tro­le et le gaz naturel, à leurs yeux, ne peuvent transiter vers l'Ouest que par des oléoducs indépendants de la Rus­sie, traversant la Mer Noire et les Balkans. Le capital abon­dant en provenance des sociétés pétrolières américaines et britanniques donnera donc le ton dans les pays de ces ré­gions, encore peu développés. L'influence américano-bri­tan­nique sur les sources énergétiques de ces pays aura donc nécessairement pour corollaire de limiter l'indépen­dan­ce énergétique des pays de l'Europe continentale. Dans les annexes de la revue Information für die Truppe (n°9/ 1998), on a explicité en long et en large ce “coup de poker pé­trolier dans le Caucase”. Ensuite, au grand dam des Rus­ses, les Etats-Unis ont décrété que l'espace de la Caspienne et du Caucase faisait dorénavant partie de leur zone d'in­té­rêt. Il s'agit donc de soustraire ces énormes réserves de pé­trole et de gaz naturel à tout monopole contrôlé par la Rus­sie. Dans le livre d'Egon Bahr, Deutsche Interessen, on trou­ve­ra une carte des variantes possibles dans le tracé des o­léo­ducs de la Caspienne; carte qui complète utilement le sy­nopsis qu'il nous donne des régions pétrolifères et ga­ziè­res du Proche-Orient et de l'Asie centrale.

10.

La position de la Turquie a été consolidée chez ses coreli­gion­naires musulmans des Balkans, vu son état de puissance musulmane et ses ambitions islamiques; la Turquie est aus­si, dans ce contexte, la plaque tournante de la politique américaine au Proche-Orient et en Asie centrale. L'engage­ment de soldats turcs dans les troupes de la paix déployées par l'OTAN dans le cadre de la KFOR a été salué avec en­thou­siasme par la presse turque (voir Die Welt, 6 juillet 1999). Cet enthousiasme peut déborder et rayonner aisé­ment dans les pays du Caucase et d'Asie centrale dans un fu­tur proche. Les Etats-Unis insistent pour que la Turquie soit acceptée au sein de l'UE; c'est un indice supplé­men­tai­re prouvant que les Etats-Unis, systématiquement, soutien­nent la “plaque tournante Turquie”.

11.

Les Etats-Unis, comme lors de la guerre du Golfe, ont testé leur arsenal moderne de technologies militaires et leurs sy­stèmes de guidage, en tir réel. De ce fait, ils ont consolidé sur le plan international leur avance technologique dans le do­maine militaire, surtout dans les domaines du renseigne­ment, de la belligérance électronique et des armes intelli­gentes à têtes chercheuses. Ainsi, leur politique financière et économique d'orientation globale peut s'appuyer sur une puissance militaire supérieure à toutes les autres et tou­jours prête à l'engagement réel. Les News Release Pent­a­gon du 10 août 1998 nous donne un bon synopsis de la poli­ti­que des points d'appui, notamment pour la flotte, que pra­tiquent les forces armées américaines.

12.

L'industrie de l'armement américaine vient de recevoir un bon coup de pouce presque au détriment des forces enga­gées sur le terrain du social. Ce coup de pouce permet des investissements dans le domaine de la haute technologie et renforce ipso facto le dollar.

On le voit: les résultats obtenus par les Etats-Unis sont le fruit d'une politique bien planifiée, d'une exploitation logi­que des faiblesses de l'Europe et d'une situation avanta­geu­se. Bon nombre d'éléments nous permettent de dire que, sur­tout dans le cas de la Yougoslavie et lors de la guerre con­tre la Serbie, les Etats-Unis ont agi après mûre planifi­ca­tion, en étant bien conscients des enjeux. Le 6 juin 1999, Peter Scholl-Latour écrivait dans Welt am Sonntag: «L'UÇK  —avec en son sein des inimitiés de type clanique et des struc­tures de type mafieux—  a été armée puissamment par l'aide américaine en un temps record. Elle est dirigée par un général croate éprouvé et conseillée par des experts amé­ricains et  —on est bien étonné de l'entendre!—  par des spé­cialistes iraniens de la guerre des partisans».

Dans ce contexte, il me paraît intéressant de méditer la chro­nologie établie par le Ministère fédéral allemand de la dé­fense en date du 21 avril 1999. En page 9 de cette chro­no­logie, et sous la rubrique “1998”, on peut lire: «Les vio­lences au Kosovo augmentent. L'armée de libération du Ko­so­vo (UÇK) impose sa volonté en perpétrant des attentats con­tre les forces de sécurité serbes et contre les collabo­ra­teurs ethniques albanais du Kosovo, c'est-à-dire cherche à im­poser l'indépendance de la province par la violence».

Enfin, dans les colonnes de la Süddeutsche Zeitung du 10 & 11 avril 1999, on a pu lire: «Des combattants de l'armée clan­destine UÇK des Albanais du Kosovo travaillent de con­cert avec l'OTAN, selon le Ministre français de la défense Alain Richard». Pour mener à bien de telles “sales opéra­tions”, on mobilise des services secrets comme la CIA, le MI6 britannique et le Mossad israélien. Citons dans ce con­texte un passage du livre de l'ancien secrétaire d'Etat auprès du Ministère de la défense allemand, Andreas von Bülow (Im Namen des Staates. CIA, BND und die krimi­nellen Machenschaften der Geheimdienste / = Au nom de l'E­tat. La CIA, le BND et les agissements criminels des ser­vices secrets): «Si l'on prend pour mesure l'éventail des in­terventions cachées des services secrets au cours des cin­quan­te dernières années, alors on peut en déduire que la pa­cification effective des Balkans ne va pas du tout dans l'in­térêt de la véritable politique extérieure des Etats-Unis, laquelle demeure “cachée”, notamment quand on prend en compte les idées développées par Zbigniew Brzezinski qui dé­montre que les Balkans sont justement la zone d'accès géo­politique qu'emprunterait l'Europe industrielle pour ac­cé­der aux Balkans eurasiens (= l'Asie centrale), avec leurs é­normes ressources en énergies et en matières premières» (p. 494).

Les horreurs de cette guerre occulte menée et entretenue par les services secrets, en contravention avec tous les prin­cipes prévus par le droit des gens en cas de guerre, la Wehr­macht allemande les a bien amèrement ressenties pen­dant la seconde guerre mondiale. Les archaïsmes et les traditions des peuples balkaniques ont été accentués plus tard, quand la Yougoslavie de Tito, née de la guerre de li­bération populaire de 1941-45, s'est préparée systéma­ti­quement à une guerre des partisans contre une invasion po­tentielle de l'URSS, qui, par un éventuel coup de force en di­rection de l'Adriatique, aurait supprimé son indépen­dan­ce. Les éléments institutionnels de la guerre des partisans, pré­vue par le titisme, ont été déterminants dans la nouvel­le guerre des Balkans, surtout dans la lutte pour la domina­tion du Kosovo. Certes, ces éléments ont permis à l'OTAN d'é­viter de déployer des troupes terrestres. Mais ce qui va sui­vre, c'est l'extension aux Balkans de la "zone de paix dé­mocratique", de type ouest-européen, ce qui implique de fac­to une “démocratisation” de cette région. Ainsi les E­tats-Unis auront obtenu ce qu'ils voulaient. Mais l'Europe, el­le, se trouvera devant une tâche quasi impossible à ré­soudre.

Général Reinhard UHLE-WETTLER.

(extrait de son ouvrage, Die Überwindung der Canossa-Republik. Ein Appell an Verantwortungsbewußte, Hohenrain, Tübingen, 3. Auflage, 2000, ISBN 3-89180-057-6).    

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mardi, 06 mai 2008

P. Tulaev : Lo esencial de la cuarta guerra mundial

Pavel Tulaev
LO ESENCIAL DE LA CUARTA GUERRA MUNDIAL

  

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Una de las dudas principales del Mundo actual es saber qué tipo de lucha se está llevando a cabo globalmente. ¿Se trata realmente de una “Lucha contra el terrorismo”?. ¿O más bien es una continuación de la “Guerra Fría”? ¿Dónde está la frontera entre la Tercera y la Cuarta Guerra Mundial, si es que en realidad empezaron tanto la una como la otra?

  Entre los especialistas en teoría militar y los representantes del mundo político tampoco hay un acuerdo tácito en la naturaleza de este conflicto. Aún se discuten cuáles son sus causas, sus objetivos y cómo se manifiesta.

  Se ha establecido una analogía con las otras grandes conflagraciones mundiales, a saber: la Primera, Segunda y Tercera Guerras Mundiales. Los argumentos son los siguientes: La Primera Guerra Mundial (1914-18) fue una lucha entre potencias imperialistas que acabó con grandes revoluciones que hicieron desaparecer a los Imperios Ruso, Alemán y Austro-Húngaro.

  La Segunda Guerra Mundial (1939-45) fue concebida como una revancha de Alemania a causa de la humillación a la que fue sometida después del Tratado de Versalles. Acabó en un titánico conflicto entre ésta y la URSS, así como contra los Aliados occidentales.

  A partir de la Conferencia de Yalta asistimos al nacimiento de un nuevo orden geopolítico, en el que Rusia recupera sus territorios perdidos a causa de la revolución de 1917, e incluso se anexiona algunos más. A causa de la expansión rusa soviética, los “Occidentales” crearon la OTAN. Es entonces cuando Churchill empieza a hablar de una “guerra fría”, el objetivo de la cual es destruir a la URSS como estado y la idea del Comunismo en sí misma.

  ¿Quién, después de 1991, sería capaz de negar que estos planes fueron finalmente llevados a cabo con éxito?

  La desintegración de la URSS, la caída del Pacto de Varsovia y del COMECON, el desmembramiento de Yugoslavia y Checoslovaquia y la injerencia económica en esos países por parte de las potencias occidentales son una prueba del triunfo del sistema liberal-capitalista en esa “guerra fría” jamás declarada contra el mundo socialista.

  Ciertamente aún existen la “China Roja” y otros grupos de resistencia nacional-comunistas o antiglobalización que pretenden ser un punto de referencia en la lucha contra el Pentágono, pero que, ni mucho menos se pueden comparar con las contradicciones existentes entre las potencias vencedoras de la Segunda Guerra Mundial.

  La clase dirigente occidental y los jefes de la OTAN reconocieron abiertamente haber ganado la “guerra fría”. Desde la Rusia post-soviética también se ha reconocido esta victoria: en el Encuentro de Moscú del 20 de abril de 1996 entre los representantes del G-7 y Rusia se reconoció que “el fin de la guerra fría y las reformas políticas y económicas de Rusia han abierto una nueva era en nuestras relaciones; el Encuentro del Kremlin es un gran paso hacia la realización de nuestros objetivos”.

  Llegamos pues a la conclusión que la “Tercera Guerra Mundial” (llamada también “guerra fría”) acabó con la caída del bloque socialista, y que el conflicto actualmente en marcha sólo puede denominarse “Cuarta Guerra Mundial”.

  Visto desde fuera este conflicto no aparece como “caliente” (caso de las dos primeras guerras mundiales) ni “frío”, sino simplemente “oculto”; no se expresa mediante grandes maniobras ni declaraciones grandilocuentes, pero sin embargo está ahí, se está llevando a cabo con toda minuciosidad.

  Aún a pesar de la rapidez con la que la OTAN, con los Estados Unidos a la cabeza, se infiltró en los estados que una vez fueran aliados de la URSS, nadie se dio cuenta al principio de la magnitud de la infiltración, que causó una hipnosis colectiva en esos países, atrapados por el señuelo de las promesas de bienestar material y “moral” que prometían los mensajeros del Liberalismo occidental. Incluso en la misma Rusia, metida de lleno en el sangriento conflicto de Chechenia, las voces que se alzaron previniendo sobre las nefastas consecuencias de esa infiltración fueron ignoradas por gran parte de la sociedad, incluido el estamento militar, y solamente hallaron eco en algunos sectores minoritarios de la opinión pública.

  Fue únicamente a partir de los criminales bombardeos sobre Belgrado, comparables por su cinismo con los ataques atómicos sobre Hiroshima y Nagasaki, que se empezó a ver que la “guerra fría” había entrado en una nueva fase. Igualmente quedó claro este hecho tras la provocación global que se produjo el 11 de septiembre de 2001, pensada como una farsa pública y un show político-militar.

  A muchos especialistas no les pasó desapercibido que ese “ataque terrorista” que causó la desaparición de las dos Torres Gemelas, no fue más que una diversión. Para la realización de ese atentado se contó con la colaboración existente entre los servicios secretos americanos e israelíes. Bin Laden y los talibanes solamente fueron los “tontos útiles”. La finalidad del atentado era clara: Reforzar la presencia de los Estados Unidos (y la OTAN) en todo el orbe, y debilitar a sus potenciales oponentes, al mismo tiempo que relanzar la estancada economía occidental mediante la infiltración en diferentes mercados y la fabricación de armas ultramodernas.

  La diferencia principal entre la “Cuarta Guerra Mundial” y la anterior “guerra fría” es que la primera es llevada a cabo no por naciones ni estados sino por estructuras transnacionales. Con la ayuda de las nuevas tecnologías se ha expandido por todos los rincones del orbe. Por ejemplo, la empresa Microsoft, se expande por el mundo conquistando nuevos mercados no a causa de la fuerza de los tanques y aviones, sino a través de los canales informativos del ciberespacio.

  Las especificidades de estas agresiones aparecen más claras cuando se observa el mundo no como un “todo”, sino como compuesto de diferentes “realidades”: La Biosfera (naturaleza); la geografía; la historia (memoria); la religión (sistema de valores); la ciencia y la técnica; las comunicaciones; el ciberespacio (mundo virtual) y la esfera financiera. Todas estas realidades juntas constituyen lo que denominamos con una simple palabra: “Mundo”.

  Todas las fuerzas y los sujetos históricos que alguna vez han pretendido jugar un papel importante en tal o cual circunstancia han debido de tener en cuenta todas esas esferas citadas anteriormente. Los conflictos, la diplomacia abierta y secreta y las luchas de los servicios de seguridad, todos forman lo que se ha venido a llamar la “guerra mundial”.

  El resultado es que siempre ganará el que mejor comprenda la realidad del mundo circundante, el que mejor sepa utilizar las armas y recursos en su totalidad. El simple conocimiento solamente de una esfera (por ejemplo, religiosa o geográfica) y la posesión, igualmente, de un solo tipo de arma (de fuego o nuclear, pongamos el caso) no dará nunca como resultado la victoria en una guerra contemporánea.

  Occidente siempre ha sabido utilizar con provecho las viejas armas de sus rivales. La creación de disputas religiosas artificiales en una determinada etnia, por ejemplo, lleva a la destrucción de la nación. La proliferación de sistemas multipartidistas desemboca, igualmente, en la utilización inefectiva de los recursos humanos, a la lucha de clanes y a la división del estado en diferentes esferas de influencia económicas.
 

  Los conflictos nacionales en el interior de un estado multinacional llevan también hacia las luchas religiosas y civiles, hacia el secesionismo y la destrucción de los grandes espacios geopolíticos. La financiación de una u otra fuerza en conflicto dentro de los “puntos calientes” del planeta ayuda a las potencias mundiales a modificar en su provecho el equilibrio regional o global. Ejemplos de esta última táctica serían el apoyo prestado por la OTAN a los musulmanes albaneses o a la “oposición naranja” en Ucrania.

  Para desviar la atención de la opinión mundial de estas maniobras y ocultar sus verdaderos objetivos, el agresor enmascara su agresiva tarea. Con este fin, se recurre a la creación de una imagen demonizada del “sujeto” enemigo (este “sujeto” puede ser una persona concreta, una organización terrorista o un determinado país). En la historia reciente, Hitler, por ejemplo, ha personificado como nadie este miedo al “enemigo”. Con la caída del nacionalsocialismo alemán y del comunismo soviético (con sus Gulags), se ha creado un nuevo enemigo mundial, en este caso el “terrorismo islámico”.

  Pero, ¿quién organiza este juego, denominado “lucha por la paz”, “nuevo orden mundial” y “lucha contra el terrorismo”? Existe en realidad una única fuerza capaz de controlar todo el orbe terrestre?

  De hecho, una fuerza única como tal no existe. Hay, eso sí, una unión de las elites dirigentes, coordinadas para conseguir la dominación mundial. Sus órganos de trabajo son organizaciones internacionales como la OTAN, la Comisión Trilateral o el Club Bilderberg. Igualmente, diferentes iglesias, órdenes y clanes familiares y económicos colaboran en la consecución de estos objetivos.

  El tan utilizado concepto de “Judeo-masonería” no ayuda a explicar, ni mucho menos, quién está detrás de todas estas maniobras. Los judíos y los masones no son lo mismo. Dentro del mismo judaísmo existen luchas internas (por ejemplo, entre los sionistas y los ultraortodoxos). Aparte, fuerzas que parecen no entrar en este esquema, como los japoneses, participan de este juego por la dominación mundial.

  A menudo, en lugar de una visión real del conflicto mundial que se está llevando a cabo, solamente vemos a los dos polos enfrentados; los “judeo-masones” por un lugar, y los “terroristas” por el otro.

  Dejando de un lado los valores ideológicos, religiosos o emocionales, la esfera científico-técnica es una de las más importantes. A lo largo de la historia ha habido intentos de calificar a la Genética de “propaganda burguesa”, a la Cibernética de “invento de los judíos”, a los satélites (Sputnik) de “arma de los comunistas” y a Internet de “red del Anticristo”, pero todas estas denominaciones no aguantan ninguna crítica seria. La ciencia y la técnica son instrumentos útiles en manos de la gente libre. Pueden ayudar y reforzar cualquier ideología. No debe temerse a lo tecnológico; al contrario, debe ser utilizado para los propios fines. De otro modo, se corre el riesgo de quedarse por el camino. Con sables cosacos y popes con cruces en el mejor de los casos llegaremos al paraíso, pero no al Progreso.

  Si el suelo fue el campo de batalla de las guerras de los siglos anteriores y en el siglo XX lo fueron los espacios marítimos y aéreos, la esfera de la guerra actual y de las futuras, será lo que se ha venido a llamar “noosfera”, esto es, la inteligencia humana y los productos técnico-científicos que de ella se derivan. Toda la unión de la técnica moderna, telecomunicaciones, medios de transporte, armas modernas…dependen del ingenio humano, de su talento, y estos, a su vez, de la genética y la salud. De esta forma, los espías occidentales aprovechando la aparición de la “Perestroika”, lo primero que hicieron fue engañar a algunos de nuestros mejores especialistas. No pudieron comprarlos a todos, pero sí a muchos, de tal manera que las pérdidas producidas en nuestro país (1) aún se dejarán sentir bastante tiempo.

  Es por esto que en el centro de todas nuestras maniobras en esta Cuarta Guerra Mundial debemos situar a un nuevo sujeto, un Héroe fundador y libertador. Frente a la degeneración y la robotización que causa esta “guerra oculta” debemos oponer una Guardia Blanca del siglo XXI. Los miembros de ésta deben ser fuertes genéticamente, íntegros e intelectualmente preparados. Tienen que formar una nueva casta, educada en los misterios de nuestros antepasados pero, a la vez capaces de utilizar toda la técnica moderna, sin renunciar nunca a su Herencia. De esta forma nunca caerán en las trampas que, sutilmente, va tejiendo la modernidad.

  Esta es la tarea a la que debe dedicarse nuestro ejército y nuestros servicios secretos. De la llamada “clase media”, formada por “nuevos rusos” (2), antiguos funcionarios y “privatizadores”, así como los inmigrantes del sur y otra fauna que puebla nuestras megápolis, nunca podremos esperar individuos con las cualidades exigidas. Solamente el que ha combatido en la guerra contemporánea lo puede ser, pero no el que ha luchado en las montañas de Chechenia y el Daguestán, sino el que lo ha hecho en los frentes de batalla de la Cuarta Guerra Mundial.

  ¡La Revolución Blanca! La gloria en nombre de los Antepasados; el esfuerzo por el liderazgo en pro de nuevos espacios; la lucha por la Victoria; he aquí los objetivos que debemos enseñar a la juventud para devolver a Rusia su prestigio y gloria.
 

  Moscú, 24 de mayo de 2006. Traducido del ruso por Oriol Ribas
 

NOTAS:

  1 - Evidentemente, el autor se refiere a Rusia, pero este fenómeno (la conocida “Fuga de Cerebros”) se produce también en cualquier otro país (N del traductor).

  2 - La denominación “Nuevos rusos” se aplica a aquellos individuos, antiguos funcionarios soviéticos o miembros de la nueva clase empresarial, que se enriquecieron rápidamente tras la caída de la URSS (N. del traductor).

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Tibet: le "Grand Jeu" et la CIA

Tibet, le « Grand Jeu », et la CIA

 
Etant donné le contexte historique de l'agitation au Tibet, il existe une raison de croire que Beijing a été pris par surprise lors des manifestations récentes pour la simple raison que leur planification a eu lieu en dehors du Tibet et que la direction des manifestants est aussi entre les mains d'organisateurs anti-chinois, qui se trouvent en sécurité et hors de portée, au Népal et en Inde du Nord.

De même, le financement et le contrôle général de l'agitation sont liés au dirigeant spirituel tibétain, le Dalaï Lama, et par voie de conséquence à la CIA, à cause de la coopération rapprochée du Dalaï Lama avec le renseignement US depuis plus de 50 ans.

Effectivement, compte tenu de l'implication profonde de la CIA avec le Mouvement Free Tibet (Mouvement Liberer le Tibet) et son financement de Radio Free Asia suspicieusement bien informée, il semble peu probable que toute révolte puisse avoir été planifiée ou puisse avoir eu lieu sans que le National Clandestine Service ( Service National Clandestin auparavant connu sous le nom de Directorate of Opérations - Directoire des Opérations), qui se trouve aux quartiers généraux de la CIA à Langley, n'en ait eu au préalable connaissance.

L'ex haut responsable des services secrets indou et journaliste respecté, B Raman, a fait le 21 mars le commentaire suivant : « sur la base de preuves disponibles, c'est raisonnablement possible d'affirmer avec conviction que le soulèvement initial à Lhasa le 14 mars a été pré-planifié et bien orchestré. »

Se pourrait-il qu'il y ait une base factuelle suggérant que les principaux bénéficiaires de la mort et de la destruction qui a balayé le Tibet sont à Washington ? L'Histoire suggère que c'est effectivement une possibilité.

La CIA a mené une campagne d'actions clandestines de grande envergure contre la Chine communiste au Tibet et ce dés 1956. Cela a conduit à un désastreux soulèvement sanglant en 1959, faisant des dizaines de milliers de morts parmi les Tibétains, tandis que le Dalaï Lama et environ 100 000 de ses adeptes ont été obligés de fuir au Népal et en Inde en passant par les passages dangereux de l'Himalaya.

La CIA a établi un camp militaire secret d'entraînement pour les combattants de la résistance du Dalaï Lama à Camp Hale près de Leadville au Colorado aux US. Les guérilléros tibétains ont été entraînés et équipés par la CIA pour mener des opérations de guérillas et de sabotage contre les Chinois communistes.

Les guérilléros entraînés par les US ont mené régulièrement des raids à l'intérieur du Tibet, occasionnellement dirigés par des mercenaires sous contrat avec la CIA, et soutenus par des avions de la CIA. Le programme initial d'entraînement s'est terminé en décembre 1961, bien qu'il semble que le camp du Colorado soit resté ouvert au moins jusqu'en 1966.

La Force d'Intervention Tibétaine de la CIA crée par Roger E. McCarthy, parallèlement à l'armée tibétaine de guérilléros a continué à mener des opérations sous le nom de code ST CIRCUS, pour harasser les forces d'occupation chinoises pendant 15 ans jusqu'en 1974, puis l'implication approuvée officiellement s'est arrêtée.

McCarthy, qui a aussi dirigé la Force d'Intervention pour le Tibet lors du pic de ses activités de 1959 jusqu'en 1961, a continué plus tard à mener des opérations identiques au Vietnam et au Laos.

A mi chemin des années 60, la CIA avait remplacé sa stratégie de parachutage de combattants de la guérilla et d'agents des services secrets à l'intérieur du Tibet, par celle de la mise sur pied de l'armée de guérilléros, Chusi Gangdrük, comprenant 2000 combattants d'origine ethnique Khamba, regroupés sur des bases comme celle de Mustang au Népal.

Cette base n'a seulement été fermée par le gouvernement népalais qu'en 1974, après une formidable pression de Beijing.

Après la guerre Indo-Chinoise de 1962, la CIA a développé une relation rapprochée avec les services de renseignements indous, à la fois pour entraîner et fournir des agents au Tibet.

Kenneth Conboy et James Morrison dans leur livre The CIA's secret War in Tibet » révélent que la CIA et les services de renseignements indous ont coopéré dans l'entraînement et pour équiper des agents tibétains et des troupes de forces spéciales et pour former des unités aériennes spéciales de renseignements telles que l'Aviation Research Center (Centre de Recherche pour l'Aviation) et le Spécial Center (Centre Special).

Cette collaboration a continué pendant une grande partie des années 70 et certains des programmes qu'ils ont soutenus, spécialement celui concernant l'Unité des Forces Spéciales des réfugiés tibétains, qui deviendra une partie importante de la Force Frontalière Spéciale Indoue, est toujours présentement actif.

C'est la détérioration des relations avec l'Inde, qui a coïncidé avec celle de l'amélioration Inde - Beijing, qui a mis fin à la plupart des opérations conjointes CIA –Inde.

Bien que Washington est rétrogradé en matière de soutien aux guérilléros tibétains depuis 1968, on pense que la fin du soutien officiel pour la résistance s'est produite lors de rencontres à Beijing en février 1972, entre le président Richard Nixon et la direction communiste chinoise.

Victor Marchetti, un ancien officier de la CIA a décrit l'outrage ressenti par de nombreux agents de terrain quand Washington à effectuer finalement le déconnection, ajoutant qu'un certain nombre « se sont même mis, pour se consoler, aux prières tibétaines, qu'ils avaient apprises pendant ces années passées avec le Dalaï Lama ».

L'ancien chef de la Force d'Intervention Tibétaine de la CIA de 1958 à 1965, John Kenneth Knaus, a été cité disant : « ce n'était pas une opération « trou noir » de la CIA ». Il a ajouté : « l'initiative venait de …tout le gouvernement US. »

Dans son livre, « Orphans of the Cold War « (Orphelins de la Guerre Froide), Knaus décrit le sentiment américain d'obligation concernant la cause de l'indépendance du Tibet de la Chine. Il ajoute, significativement, que sa réalisation « justifierait les motifs les plus défendables que nous ayons eu d'essayer de les aider à réaliser ce but pendant plus de 40 ans. Cela soulagerait également certains de la culpabilité d'avoir participer à ces efforts, qui ont coûtés leurs vies à d'autres, mais qui était le fait d'une aventure menée principalement par nous. »

Malgré le manque de soutien officiel, des rumeurs circulent largement sur l'implication de la CIA, ne serait que par le biais de proxy, lors d'une autre révolte ayant échoué en 1987, l'agitation qui a suivi, et, conséquence, la répression chinoise qui a continué jusqu'à mai 1993.

Le moment choisi pour une autre tentative sérieuse de déstabiliser l'emprise chinoise sur le Tibet, est semble-t-il propice pour la CIA, et Langley gardera certainement toutes les options ouvertes.

La Chine est confrontée à des problèmes significatifs, avec les musulmans Uighur dans la province du Xinjiang, les activités des Falun Gong, parmi de nombreux groupes dissidents, et bien sûr le souci croissant d'assurer la sécurité des jeux olympiques de cet été en août.

La Chine est vue par Washington comme une menace majeure, à la fois économiquement et militairement, non pas seulement en Asie, mais aussi en Afrique et en Amérique Latine.

La CIA voit également la Chine comme « n'aidant pas » dans la « guerre contre le terrorisme », offrant peu ou pas de coopération et aucune action positive menée pour stopper le flux d'armes et d'hommes venant des zones musulmanes de l'Ouest de la Chine en soutien aux mouvements islamistes extrémistes en Afghanistan et dans les états d'Asie Centrale.

Pour beaucoup à Washington cela semble l'opportunité idéale pour déstabiliser le gouvernement de Beijing car le Tibet est toujours considéré comme le point faible potentiel de la Chine.

La CIA s'assurera sans nul doute que ses empreintes ne soient pas trouvées partout sur cette révolte ascendante. Des agents isolés, et des proxy seront utilisés parmi les réfugiés tibétains au Népal et dans les zones frontalières du Nord de l'Inde.

En fait, la CIA peut s'attendre à un niveau significatif de soutien de la part d'un certain nombre d'organisations de sécurité à la fois en Inde et au Népal, et n'aura aucun problème à fournir au mouvement de la résistance, conseil, argent et par-dessus tout, publicité.

Cependant, aucune arme ne sera autorisée à faire surface, tant que l'agitation ne s'accompagnera pas de signes révélateurs d'une révolte ouverte en devenir de la grande masse ethnique des Tibétains contre les Chinois Han et les Musulmans Hui.

D'importantes quantités d'armes légères et d'explosifs venant de l'ancien bloc de l'Est ont été introduites clandestinement au Tibet ces 30 dernières années, mais il y a de fortes chances qu'elles restent cachées, en sécurité, jusqu'à ce que le bon moment se présente pour les sortir.

Les armes ont été acquises sur les marchés mondiaux, ou de stocks sur lesquels les forces armées US et israéliennes ont mis la main. Elles ont été expurgées et ne présentent aucune trace pouvant les faire remonter jusqu'à la CIA.

Des armes de ce type ont également l'avantage d'être interchangeables avec celles utilisées par les forces armées chinoises et bien sûr elles utilisent les mêmes munitions, diminuant le problème de réapprovisionnement lors de tout conflit futur.

Bien que le soutien officiel pour la résistance tibétaine se soit terminé il y a 30 ans, la CIA a conservé ouvertes ses lignes de communication, et continuent de financer en grande partie le Tibetan Freedom Mouvement (Mouvement Liberté pour le Tibet).

Ainsi donc, la CIA est-elle une nouvelle fois entrain de jouer le « Grand Jeu » au Tibet ?

Elle en a certainement la capacité, avec une présence significative des renseignements et de forces paramilitaires dans la région. D'importantes bases existent en Afghanistan, en Irak, au Pakistan, et dans plusieurs états d'Asie Centrale.

On ne peut pas douter du fait que la CIA a un intérêt à saper la Chine, de même que la cible plus visible qu'est l'Iran.

Donc probablement que la réponse est oui, et effectivement, ce serait plutôt surprenant si la CIA ne manifestait qu'un intérêt passager pour le Tibet. C'est après tout ce pour quoi elle est payée.

Depuis le 11 septembre 2001, il y a eu une vague énorme de changement dans les attitudes des renseignements US, leurs exigences et leurs capacités. De vieux plans opérationnels ont été dépoussiérés et mis à jour. D'anciens atouts ont été réactivés. Le Tibet et une faiblesse repérée dans la position de Beijing là bas ont probablement été complètement réévalués.

Pour Washington et la CIA, cela peut apparaître comme une opportunité divine de créer un moyen de pression contre Beijing, sans gros risque pour les intérêts américains, une simple situation de gagnant- gagnant.

Le gouvernement chinois serait, à l'autre bout, celui sujet à une condamnation mondiale pour sa répression continuelle et sa violation des droits de l'homme et ce serait les jeunes tibétains qui mourraient dans les rues de Lhassa plutôt qu'encore plus de gamins américains en uniforme.

Cependant, les conséquences de toute révolte ouverte contre Beijing, sont une nouvelle fois la crainte que des arrestations, tortures et même des éxécutions se propagent à la fois dans tous les coins du Tibet et des provinces voisines où existent d'importantes populations tibétaines, comme le Gansu, Quinghai et le Sichuan.

Et le Mouvement Libérer le Tibet a toujours peu de possibilité, à long terme, de réussir à obtenir une amélioration significative de la part du pouvoir politique central chinois, et absolument aucune chance de faire cesser son contrôle sur Lhasa et son pays.

Une nouvelle fois, il apparaîtra que le peuple tibétain va se retrouver pris au piège entre l'oppresseur Beijing, et un Washington manipulateur.

La crainte que les US, la Grande Bretagne, et d'autres pays occidentaux puissent essayer de montrer le Tibet comme un autre Kosovo, peut en partie expliquer la raison pour laquelle les autorités chinoises ont réagi comme si elles étaient confrontées à de véritables révoltes de masse plutôt que leur description officielle d'un court soulèvement du à des mécontents soutenant le Dalaï Lama.

En effet, Beijing a pris tellement au sérieux la situation qu'une unité spéciale de coordination sécuritaire , le 110 Command Center (Centre 110 de Commande) a été installé à Lhassa, avec comme objectif principal de supprimer les troubles et restaurer complètement l'autorité du gouvernement central.

Ce Centre semble être sous le contrôle direct de Zhang Qingli, le premier secrétaire du Parti du Tibet, et un loyaliste du Président Hu Jintao. Zhang est aussi l'ancien vice secrétaire du parti Xinjiang, avec une expérience considérable en matière d'opérations de contre terrorisme dans la région.

Les autres qui occupent des positions importantes à Lhasa sont Zhang Xinfeng, secrétaire d'état au Ministère de la Securité Publique Centrale, et Zhen Yi, vice commandant des quartiers généraux de la Police Armée du Peuple à Beijing.

Le sérieux avec lequel Beijing traite l'actuelle agitation se retrouve de plus avec le déploiement d'un grand nombre d'unités de l'armée de la Région militaire de Chengdu, dont les brigades de la 149 ème Division d'Infanterie Mécanisée, qui agissent comme force d'intervention rapide de la région.

Selon un article de United Press International, des unités d'élite terrestres de l'Armée de Libération du Peuple ont été impliquées à Lhasa, et les nouveaux véhicules blindés de transports de troupes T-90, et d'autres véhicules blindés y ont été déployés. Selon l'article, la Chine a nié la participation de l'armée à la répression, disant qu'elle avait été menée par des unités de la police armée. « Cependant, de tels équipements tels que mentionnés ci-dessus, n'ont jamais été déployés par la police armée chinoise ».

Le soutien aérien est fourni par le 2ème régiment de l'armée de l'air, basé à Fenghuangshan, Chengdu, et la province de Sichuan. Il opère avec un mélange d'hélicoptères et d'avions de transport STOL, d'une base située sur le front près de Lhasa. Le soutien au combat aérien pourrait être rapidement mis à disposition grâce à des bataillons de combattants de l'infanterie d'attaque basés dans la région du Chengdu. Le District Militaire de Xizang forme la garnison du Tibet, qui a deux unités d'infanterie de montagne : la 52 ème brigade basée à Linzhi, et la 53 ème brigade à Yaoxian Shannxi. Elles sont soutenues par la 8ème Division Motorisée d'Infanterie et une brigade d'artillerie à Shawan, Xinjiang.

Le Tibet n'est plus si éloigné ou difficile à réapprovisionner pour l'armée chinoise. La construction de la première ligne de chemin de fer entre 2001 et 2007, a facilité significativement les problèmes de mouvement d'un nombre important de troupes et d'équipement, de Qunghai jusqu'au plateau accidenté tibétain.

D'autres précautions contre une résurgence des révoltes durables des années précédentes des Tibétains a conduit à une situation d'auto suffisance considérable en matière de logistique et de réparation de véhicules, et à une augmentation du nombre de petits aéroports construits pour permettre à des unités d'intervention rapide d'avoir accès aux zones les plus reculées.

On pense que le Ministère de la Sécurité chinoise et les services de renseignements ont eu une présence suffocante dans la province, et effectivement la capacité de détecter tout mouvement de protestation sérieux et de supprimer la résistance.

notes

Richard M Bennett, consultant en renseignement et sécurité AFI Research.
Copyright 2008 Richard M Bennett
Publié le 26/03/08 sur www.atimes.com
Traduction Mireille Delamarre pour www.planetenonviolence.org

Richard M Bennett

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samedi, 03 mai 2008

Les renseignements occidentaux en Tchétchénie

Tchétchénie: le renseignement occidental soutenait les séparatistes (TV)

 

MOSCOU, 22 avril - RIA Novosti. Les services secrets occidentaux ont mis au point dans les années 1990 un plan visant à rendre effective l'indépendance de la Tchétchénie vis-à-vis de la Russie, affirme un documentaire intitulé "Plan Caucase" qui sera diffusé mardi soir sur la chaîne publique russe Pervi Kanal.

Selon un communiqué publié par la chaîne, la France imprimait des passeports d'Itchkérie (le nom donné à la république par les séparatistes), et des armements étaient acheminés vers la république à travers la Géorgie dans le cadre de cette opération.

Le citoyen turc d'origine tchétchène Aboubakar, connu depuis 40 ans sous le pseudonyme de Berkan Iachar, à la suite d'un contrat signé avec la CIA, raconte l'organisation dans les années 1990 d'une plateforme politique visant à obtenir la sécession de la république russe.

Selon lui, ce projet était financé par plusieurs Etats. Les passeports destinés à la République d'Itchkérie étaient imprimés par la France, la monnaie était fondue en Allemagne.

"Dans les années 1990, Aboubakar devient en quelque sorte l'éminence grise à travers laquelle on réalise les transactions financières plus ou moins juteuses destinées aux combattants du Caucase du Nord", affirment les réalisateurs du documentaire.

Selon eux, une des affaires les plus secrètes remonte au temps du leader séparatiste Djokhar Doudaïev dans les années 1990. M. Iachar participe alors à la mise au point d'un plan visant à acheminer illégalement des pierres précieuses à l'aéroport de Grozny.

"Le bénéfice dégagé servait à acheter des armes. Il ne s'agissait pas de sommes très importantes, entre 10 et 20 millions de dollars à chaque convoi", a confié Aboubakar, selon lequel cette filière n'a été découverte que plusieurs années plus tard.

"Ce ne sont que quelques exemples du soutien fourni par les services secrets étrangers à la sécession de la Tchétchénie", affirme le documentaire.

RIA NOVOSTI

http://fr.rian.ru/russia/20080422/105603573.html<......

La géopolitique en Inde

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La géopolitique en Inde

Bertil HAGGMAN

Introduction

Je ne révèle pas une surprise en disant que la géopolitique est bien vivante en Inde. L'importance stratégique de ce sous-continent est en effet très importante. La géopolitique indienne se repère bien entendu dans des champs tels celui des relations internationales et celui des “études indiennes”. Fait intéressant à noter: les travaux du géopolitologue et professeur suédois Rudolf Kjellén a influencé la pensée et les analyses géopolitiques en Inde. Le Prof. M.M. Puri, sans doute le géopolitologue le plus intéressant d'Inde a montré l'importance de l'œuvre de Kjellén dans son discours inaugural lors de l'International Seminar on Afro-Asian Geopolitics en avril 1990: «... il nous apparaît très nécessaire d'examiner attentivement l'œuvre qu'a écrite Rudolf Kjellén dépuis le début des années 1890 jusqu'à sa mort en 1922... Le fait qu'il ait écrit en suédois rend son œuvre quasi inaccessible, non disponible à tous ceux qui ne maîtrisent pas la langue suédoise. Le suédois limite considérablement le lectorat et empêche les universités étrangères de faire connaissance de son œuvre et de l'étudier... Quelques-uns de ses livres ont été traduits en allemand... Il était un écrivain très prolifique... Je veux ici reconnaître formellement la dette intellectuelle que les organisateurs de ce séminaire ont envers la pensée de ce grand politologue suédois, Rudolf Kjellén, qui a véritablement donné substance, signification et ampleur à la science politique pendant la dernière décennie du XIXième siècle. Il était vraiment en avance sur son temps» (1).

Le Président de la Société d'Etudes géopolitiques, le Prof. V.P. Dutt, dans ses remarques formulées à propos du séminaire en question, a déclaré que nous “pouvions prévoir l'émergence de six, et peut-être de dix, centres [géopolitiques] de grande importance dans le monde: les Etats-Unis, l'Europe  —en fait, il s'agit de l'“Europe germanique”, laquelle se développe plus rapidement que l'“Allemagne européenne”— dont la Mitteleuropa deviendra le foyer le plus actif” (2).

Le Prof. Dutt identifiait en 1990, l'Europe, les Etats-Unis, la Russie, le Japon, la Chine et l'Inde comme les futurs centres les plus importants du monde. Il songeait également à l'émergence en puissance d'un ou de deux pays d'Amérique latine et d'Afrique.

Analyse géopolitique de l'Océan Indien

Le rôle régional, global et géopolitique de l'Inde ne peut pas être évalué si l'on ne prend pas en compte la problématique de l'Océan Indien. La région de l'Océan Indien a été dans l'histoire une vaste avenue où se sont croisés des courants culturels divers venus d'Asie et d'Afrique. L'Océan Indien est l'Océan du Tiers-Monde, dont les pays riverains ont des populations en croissance rapide.

Par Océan Indien, on entend généralement les masses océaniques situées grosso modo entre 20°E et 120°W de longitude et de 30°N à 40°S de latitude. Au cours de ces dernières années, la Pan-Indian Ocean Science Association a voulu étendre le concept d'Océan Indien vers le Sud, jusqu'à l'Antarctique.

Dans un article paru en 1986 (3), le Prof. Puri décrit les caractéristiques de l'Océan Indien comme suit (nous nous bornerons à énoncer cinq points):

1. Pour l'essentiel, la zone de l'Océan Indien est fermée sur trois côtés par des terres, la partie méridionale de l'Asie formant comme un toit au-dessus de cette masse océanique.

2. Le sous-continent indien se lance comme un promontoire dans cette masse océanique, sur une distance de plus de mille miles.

(...)

4. Dans la majeure partie de son étendue, l'Océan Indien possède les caractéristiques d'une mer fermée.

(...)

6. La Mer arabique est l'une de ces mers dont l'importance est vitale dans le monde, dans la mesure où elle reste une grande voie maritime, où le commerce et les échanges de tous ordres s'effectuent. Cette mer est une zone d'importance majeure pour la navigation.

(...)

9. Les immensités océaniques au Sud de l'Océan Indien s'étendent jusqu'aux eaux de l'Antarctique, continent inhospitalier, mais qui constitue toutefois un défi car ce n'est que maintenant qu'il s'ouvre à l'exploration et à toutes sortes d'expérimentations. Potentiellement, l'Antarctique sera l'objet de contentieux politiques à l'échelon international, dès avant la fin de ce siècle (4).

Menace russe?

Le Prof. Puri a écrit son article sur l'importance géopolitique de l'Océan Indien avant la chute du régime communiste en URSS en 1991. Bien sûr, la seule superpuissance demeurant en piste, les Etats-Unis, a intérêt à asseoir sa présence dans l'Océan Indien. Aujourd'hui, la Russie est sans doute trop faible pour y exercer une quelconque influence, mais n'oublions pas que l'homme politique ultra-nationaliste russe Vladimir Jirinovski, dans son fameux manifeste, intitulé La poussée finale vers le Sud (1993) a déclaré qu'il prévoyait le jour où les soldats russes iraient se baigner sur les plages de l'Océan Indien: «Mais cela ne sera possible que si la Russie s'ouvre au Sud, pour arrêter sa progression sur les rives de l'Océan Indien» (5). «Car», ajoute-t-il, «nous avons ensuite la plus longue frontière du monde, celle qui sépare la Russie de la Chine. Cette frontière doit connaître la paix pour toujours, car la Chine a des visées vers le Sud et non vers le Nord. L'Inde nous a manifesté son amitié. A la fin, il ne nous reste plus qu'à pousser vers l'Océan Indien» (6).

«Que la Russie fasse son bond final vers la Sud! J'imagine déjà les soldats russes se préparant pour cette expédition finale vers le Sud. J'imagine déjà les officiers russes aux échelons divisionnaires et dans les quartiers généraux de l'armée, dresser les cartes de la route qu'ils emprunteront avec leurs unités, et marquer sur ces cartes les points finaux de leur progression. J'imagine déjà les avions rassemblés sur les bases aériennes dans les régions du Sud de la Russie. J'imagine déjà les sous-marins faisant surface près des côtes de l'Océan Indien, je vois déjà les engins amphibies donner l'assaut et s'approcher des plages, tandis que les soldats russes se mettent en branle, manœuvrent leurs transporteurs de troupes blindés et lancent des nuées de chars d'assaut vers l'avant. La Russie entreprendra alors son ultime expédition militaire» (7).

La Chine a-t-elle des visées vers le Sud?

Jirinovski prévoit l'expansion de la Chine vers le Sud. D'autres experts prédisent déjà que la prochaine grande guerre éclatera entre l'Inde et la République Populaire de Chine.Selon ces experts, les Chinois considèrent que l'Inde est un adversaire potentiel, du fait que l'objectif stratégique de New Delhi reste l'Océan Indien et le Sud-est asiatique. La Chine estime être sous la menace de l'aviation et des missiles indiens. Un rapport rédigé par les hautes sphères de l'armée chinoise prétend que l'Inde pourrait préparer une attaque contre la Chine et que les forces armées de Beijing pourraient parfaitement contre-attaquer victorieusement.

L'importance géopolitique de l'Inde

La montée en puissance de l'Inde est un fait évident. Comme le remarque très justement le Prof. Puri: «La position centrale de l'Inde dans l'Océan Indien, satisfait aux six exigences qu'a fixées Mahan pour le développement et la conservation de la puissance maritime» (8):

- position géographique;

- étendue du territoire;

- ampleur de la population;

- formes physiques (nature des côtes);

- caractère national (aptitude à développer des activités commerciales);

- nature du gouvernement.

La population de l'Inde, sa proximité avec la zone du Golfe, ses innombrables ressources font de la région de l'Océan Indien l'une des régions les plus importantes de l'hémisphère sud.

Il est donc normal que l'intérêt pour les choses géopolitiques et géostratégiques croît en Inde. Pendant les années 80, deux importants centres d'études en ces matières ont vu le jour.

Les Institutions géopolitiques en Inde

The Society for the Study of Geopolitics

Cette société a été mise sur pied en 1985 à Chandigarh. L'initiateur et sécrétaire général était et est resté le Professeur Madan Mohan Puri, Directeur du “Center for the Study of Geopolitics” à la Panjab University. Le Président en est le Prof. Dr. V. P. Dutt. Lors de la toute première manifestation de la Society, les animateurs ont clairement expliqué que la géopolitique avait été mal interprétée et mal conçue depuis la seconde guerre mondiale. Cependant, dès les années 60, on a pu assister à un regain d'intérêt pour cette thématique en Europe et en Amérique. Le Prof. Puri a également souligné la nécessité urgente de prendre continuellement en considération les facteurs géographiques et physiques dans toute approche de matières politiques. Le but de la Society est de généraliser et de favoriser la conscience géopolitique. Les buts et les objectifs de la Society sont mentionnés dans les statuts:

(I) Encourage l'intérêt pour la géopolitique et promouvoir l'étude de la géopolitique

(II) Favoriser la compréhension des phénomènes politico-géographiques, tels qu'ils surviennent et se déploient dans notre environnement proche ou lointain.

(III) Promouvoir la conscience de la continuité existant entre la géographie et la politique, en tant que disciplines académiques et en tant que faits réels de la vie.

(IV) Susciter et favoriser un corpus d'opinion bien informé sur tous les facteurs, forces et phénomènes géopolitiques à l'œuvre dans la société, bien distinct des facteurs, forces et phénomènes géostratégiques ou psycho-politiques.

(V) Initier, entreprendre, soutenir et répandre les recherches et les analyses portant sur les multiples aspects de l'interaction et des interrelations à l'œuvre dans les domaines en expansion de la géographie et de la politiques à tous niveaux.

(VI) Collecter, susciter, engranger, préserver, déchiffrer, publier et répandre toutes données et informations relatives à la géographie et à la politique, spécialement dans le domaine de la géographie politique.

(VII) Constituer et conserver des archives, une documentation et une bibliothèque sur les questions géopolitiques.

(VIII) Constituer à Chandigarh, si possible et dès que possible, un Centre d'information et d'analyses géopolitiques.

(IX) Organiser des réunions, des cours, des débats, des discussions, des séminaires, etc., en accord avec les buts et objectifs de la société.

(X) Initier, assister, encourager et financer des recherches et des analyses en matières géopolitiques.

(XI) Offrir et réceptionner toutes informations, consultations, avis et expertises en matières géopolitiques.

(XII) Echanger et partager des données, des résultats de recherches et des analyses en matières géopolitiques avec des institutions de haut niveau académique, avec des organisations de recherches ou des institutions similaires de bona fide, sans aucune discrimination, afin d'établir des normes académiques ou de dégager les grandes lignes de l'intérêt national (9).

The Centre for the Study of Geopolitics

Ce Centre a été créé en 1987 à la Panjab University à Chandigarh. Il est financé par la Commission des subsides de l'Université indienne et constitue un appui aux recherches du Département des Sciences politiques. Il semble que ce soit la seule institutions constituée en Inde qui s'occupe de recherches en géopolitique. Le Directeur en est le Prof. M. M. Puri, formé en Inde et en Allemagne. Il a publié de nombreux ouvrages dans les domaines des relations internationales et de la géopolitique.

Bertil HAGGMAN.

(Paper no. 17, «Geopolitics in India», 1994, Centrer for Research on Geopolitics/CRG, P.O. Box 1412, S-25.114 Helsingborg, Suède).

Notes:

(1) Rapport intitulé «Afro-Asian Geopolitics», séminaire organisé par le Département de Sciences politiques, Center for Geopolitics and Society for the Study of Geopolitics, 4 au 11 avril 1990, Chandigarh, Inde, pp. 44-45.

(2) Ibid., pp. 49-50.

(3) Madan Mohan Puri, «Geopolitics in the Indian Ocean: The Antarctic Dimension», Journal of the School of International Studies, Jawaharlal Nehru University, New Selhi, Vol. 23, no. 2, avril-juin 1986.

(4) Ibid., pp. 158-159.

(5) «Zhirinovsky in His Own Words: Excerpts from The Final Thrust South», The Heritage Foundation, Washington D.C., Février 4, 1994, p. 5 (dans l'original, p. 127).

(6) Ibid., p. 11 (dans l'original, pp. 138-139).

(7) Ibid., p. 11 (dans l'original, p. 142).

(8) Puri, «geopolitics in the Indian Ocean...», p. 161.

(9) Rapport, «Afro-Asian Geopolitics», pp. 30-31.

Sources (non mentionnées dans les notes):

- M. M. PURI, The Antarctic - A Study in the Geopolitics of Peace, London, Routledge/Cambridge University Press, 1993.

- M. M. PURI, Afro-Asian Geopolitics (à paraître).

- Indian Ocean Geopolitics: the Enduring Imperatives, Proceedings of the Tenth European Conference on Modern South East Asian Studies, Venise, 28 septembre/4 octobre 1988 (publié en 1990).

- Ashwini SHARMA, Wealth of the Indian Ocean, manuscrit non publié, mémoire pour l'obtention du titre de M. Phil., Panjab University, Chandigarh, 1983.

 

 

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jeudi, 13 mars 2008

1881: création de l'Okhrana

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13 mars 1881: Création de l’Okhrana, police politique des Tsars. Cette police voit le jour après l’assassinat du Tsar Alexandre II, véritable modernisateur de la Russie. Il émancipe la paysannerie créant le système du « zemstvo », ensemble de gouvernements autonomes locaux, scellant de facto l’abolition du servage. Alexandre II a régné sur la Russie entre 1855 et 1881, époque où elle venait d’affronter l’Occident protecteur de la Turquie lors de la Guerre de Crimée, où elle avait avancé ses pions en Asie centrale, butant ainsi contre les possessions indiennes de l’Angleterre, où elle avait appuyé l’émancipation des peuples roumains et bulgares en lutte contre l’oppresseur ottoman.

Les armées d’Alexandre avait prêté main forte à ces nationalistes orthodoxes du Danube et des Balkans, amenant leurs armées à 30 km de Constantinople, ce que ne pouvait admettre Londres, qui dépêcha des officiers de cavalerie et de marine pour réorganiser l’armée turque en pleine liquéfaction. En Asie centrale, l’œuvre d’Alexandre II fut considérable : création des protectorats de Boukhara en 1868 et de Khiva en 1873, maitrise de zones clefs dans cette région qui revient aujourd’hui à la une de l’actualité, organisation systématique de chemins de fer, accélérant la progression de forces russes dans la région.

De 1871 à 1881, les forces russes occupent également la région de Kouldja dans l’actuel Sin Kiang chinois. Alexandre II a donc mené une politique eurasienne conséquente, qui a permis de consolider l’empire russe et de challenger les Anglais aux frontières de la Perse et de l’Inde. Les éléments « révolutionnaires » qui l’ont assassiné, étaient-ils vraiment incontrôlés ? La police politique créée au lendemain de son assassinat vise donc à contrôler d’éventuelles influences étrangères sur les mouvements politiques contestataires russes de l’époque, exactement comme ils le font aujourd’hui, avec les révolutions oranges, roses, etc.

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