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mercredi, 10 février 2021

Guerre économique sur le gaz russe

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Guerre économique sur le gaz russe

par Pierre-Charles Hirson

Ex: https://www.ege.fr

Rapports de Force

Les Etats-Unis sont en train de mener une guerre économique sans merci contre la Russie sur l’approvisionnent en gaz de l’Europe, avec pour cible le projet Northstream 2 et l’Europe comme champ de bataille. Les américains n’hésitent à piétiner la souveraineté européenne en appliquant l’extraterritorialité de leur droit sur le territoire européen, aux entreprises européennes qui participent à ce projet. C’est un gazoduc reliant la Russie (Vyborg) à l’Allemagne (Greifswald) en passant par la mer Baltique traversant les eaux finlandaises, suédoises et danoises. Projet avoisinant 10 milliard d’euros. Il est financé à 51% par Gazprom et le reste entre ENGIE (France), OMV (Autriche), Shell (anglo-néerlandais), Uniper (groupe E.ON - Allemagne) et Wintershall Dea (groupe BASF - Allemagne) allant de 9% à 15%.

L’enjeu ici porte sur l’influence et l’accroissement de puissance via la dépendance de la relation Client / Fournisseur, avec l’Europe dans le rôle du client. La Russie est un partenaire incontournable car elle fournit la plus grande partie du gaz européen, presque 40% en 2018. L’Europe, entre recherche de dépendance énergétique et sécurité d’approvisionnements va tantôt pousser les américains à exporter leur gaz GNL (Gaz Naturel Liquifié) par méthanier, tantôt financer et autoriser des projets de gazoduc entre la Russie et l’Europe : Yamal-Europe, Northstream 1 et 2, Turkistream. Cependant la politique énergétique européenne est largement tributaire des choix politiques nationaux et individualistes de ses Etats membres. C’est ainsi que l’Europe se trouve divisée entre pays favorables et opposants au projet. Les acteurs européens majeurs sont l’Allemagne, seule grande bénéficiaire de ce projet, la Pologne, l’Ukraine et les Pays Baltes comme principaux opposants. Profitant des dissensions européennes, les Etats-Unis vont trouver des relais intra-européens pour justifier leur ingérence. Ils réclament l’annulation le projet Northstream 2 dans le but de protéger l’Europe et d’empêcher la Russie d’utiliser le gaz comme moyen coercitif. Nous allons voir comment se mets en place le piège américain et comment l’étau va se resserrer progressivement sur les entreprises européennes participant au projet.

Un enjeu de puissance américain

Les raisons de l’acharnement américain pour stopper le projet germano-russe Northstream 2 peut être vu de deux angles. L’un économique et l’autre sous une politique d’influence.

Economique, car rappelons-le, c’est bien L’Europe qui sollicite les Etats-Unis pour diversifier son approvisionnement. En 2015, un « paquet » de la Commission Européen lance les bases d’une « Union de l’Energie »  qui trace un axe de diversification des fournisseurs de gaz via un recourt accru au GNL. La livraison de GNL par méthanier a l’avantage d’être flexible et présente une grande diversité de fournisseur, mais est plus cher que le gaz russe par gazoduc. Le rapport préconise également que la Commission fasse son possible pour « lever les obstacles aux importations de GNL en provenance des Etats-Unis ». Cela sera réalisé en 2015 et les premières exportations de GNL américain vers l’Europe se feront en 2016. Proche de l’autosuffisance grâce la révolution du gaz et pétrole de schiste amorcée en 2007, les Etats-Unis ont détrôné en 2009 la Russie en tant que premier producteur de gaz, et l’Arabie Saoudite depuis 2018 en tant que premier producteur de pétrole. La sécurité énergétique du pays est assurée et les sociétés privées américaines peuvent maintenant se lancer à l’assaut des marchés internationaux, avec la bénédiction de leur gouvernement, quitte à leur donner quelques coups de pouce.

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Politique d’influence, car une Europe dépendante et sous emprise Russe, notamment la première puissance européenne qu’est l’Allemagne et nation cadre de l’OTAN qui plus est, serait une perte d’influence inacceptable pour Washington. La réorientation de la politique énergétique américaine se fait au service de sa politique de puissance, car livrer du gaz à l’Europe permet de réduire le déficit de la balance commerciale américaine vis-à-vis de celle-ci, de desserrer l’étau russe sur le marché du gaz européen, d’augmenter son potentiel d’influence dans la région comme fournisseur d’énergie.

Stratégie et ciblage des lois américaines à porter extraterritoriales

L’enchainement des sanctions américaines suit une gradation étonnante. Les premières datent de 2014, sous la mandature du président Obama suite à la crise de Crimée et elles se poursuivent sous le président Donald Trump notamment en 2017 avec le « Countering America's Adversaries Through Sanctions Act » (CAATSA) (contrer les adversaires de l’Amérique par des sanctions) qui visent l’Iran, la Corée du Nord et la Russie.

Le début des sanctions contre la Russie :

Les différents trains de sanctions entre 2014 et 2018 sont de portés larges en visant des hommes politiques, des hommes d’affaires, des secteurs stratégiques comme l’énergie ou la défense, des restrictions financières et l’exportation de matériel technologique. L’objectif global est de pénaliser le développement de secteurs stratégiques russes. Cependant, le projet Northstream 2 et les sociétés européennes ne sont pas encore visées directement. Comme un pied de nez à l’administration américaine, le consortium signe en avril 2017 l’accord de financement. Washington est de plus en plus critique vis-à-vis du projet et se fait menaçant envers les européens. Lors du sommet de l’OTAN en juillet 2018, le président Trump déclare que « l’Allemagne est prisonnière de la Russie » et lui demande d’abandonner le projet. La pose des premiers tuyaux commence en septembre 2018 et par cet acte les Européens montrent qu’ils n’ont pas l’intention de laisser les Américains s’ingérer dans leurs affaires.

Les contraintes américaines entravent le développement des projets gaziers russes au sens large, mais le Northstream 2 avance et le développement d’usines de liquéfaction de gaz dans l’Arctique russe se font en partie avec des financements chinois. Les sanctions américaines manquent d’efficacité. Ils doivent revoir leur stratégie en visant des objectifs précis pour torpiller le Northsteam 2. Une course contre la montre s’enclenche avant que la pose des canalisations soit complète.

L’arme extraterritoriale niveau 1 : cible européenne – la société « Allsea »

La pièce maitresse du projet Northstream 2 est son bateau de pose de canalisation, le « Pioneering Spirit » de la société Suisse Allsea. Sans bateau d’installation, pas de pose de tuyaux au fond de l’eau et le projet s’arrête. Les Américains vont appliquer l’extraterritorialité de leur droit à une société européenne, dans les eaux européennes. C’est une première et cela va marcher. Le vote en décembre 2019 dans la loi du “Protecting Europe’s Energy Security Act of 2019 (PEESA) (Protéger la sécurité énergétique européenne) vise directement la société Allsea en « imposant des sanctions sur les bâtiments de constructions sur les pipelines d’exportation russe, et pour d’autres utilisations ». La société suisse s’exécute en suspendant son activité en décembre 2019 par crainte de sanctions américianes éventuelles.

L’arme extraterritoriale niveau 2 : cibler les sociétés russes de la pose de tuyaux

Les Etats-Unis anticipent le fait que la pose de canalisation reprendra tout ou tard avec des sociétés russes, hors de portées des lois américaines actuelles. C’est la raison pour laquelle le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompéo annonce en Juillet 2020 un durcissement des sanctions en incluant le projet Northstream 2 dans le « Countering America's Adversaries Through Sanctions Act  (Caatsa) » de 2017. Cela permet de poursuivre les sociétés russes participant à la construction de ce projet. 

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Effectivement, loin de renoncer au projet, les Russes travaillent sur la modification et l’achat de bateau de pose via les sociétés russes KVT-RUS pour le « Fortuna » et Gazprom avec le « Akademik Tscherski » pour reprendre l’activité abandonnée par la société suisse. Le chantier reprendra le 11 décembre 2020, soit après un an d’arrêt, afin de finir la pose des 6% de tuyaux restant soit 120 km dans les eaux danoises et 30 km dans les eaux allemandes.

L’arme extraterritoriale niveau 3 : Cibler les activités de support à la pose de canalisation

C’est une première victoire pour les Américains et leurs alliés européens. Le projet a été retardé d’un an. Ce temps précieux gagné va permettre aux Américains de préparer la suite. En anticipant les activités de pose par des sociétés russes, il faut trouver un autre angle d’attaque pour les empêcher de travailler. La stratégie est de cibler les sociétés en assistances de ces bateaux. Depuis Juin 2020 des sénateurs américains se penchent sur le sujet. Un « Act » est préparé et sera intégré  au  « National Defense Autorization Act »  voté le 1er Janvier 2021. Celui-ci sanctionne toutes sociétés ou individus qui fourniraient des services et assurances à tout bateau de pose, des installations de soudage, des services de test et d’inspection pour les pipes du projet Northstream 2. En d’autres termes, c’est un encerclement juridique de sanction sur toutes activités et services liés aux bateaux russes. Le 13 Janvier 2021, le gouvernement américain avertit officiellement les entreprises européennes concernées en leur enjoignant de se retirer avant qu’il ne soit trop tard…. Le groupe norvégien de certification DNV GL se retire début Janvier 2021, et le groupe Zurich Insurance Group aurait lui aussi jeter l’éponge.

La stratégie américaine est pensée, redoutable, et les sanctions chirurgicales car ciblant des activités critiques à chaque fois. Les entreprises européennes abandonnent les unes après les autres de peur de sanctions, mais aussi peut-être par manque de soutien et de solutions judiciaires européennes les protégeant. Le champ des sanctions américaines s’adapte au fur et à mesure que les Russes et les Européens trouvent des solutions. Preuve pour ceux qui en doutaient de l’extraterritoriale du droit américain comme une arme de guerre économique, au service de la politique de puissance étatsunienne.

Le projet s’enlise mais continue toujours, l’Allemagne et la Russie poursuivant le projet malgré les contraintes. Mais le coup fatal pourrait bien venir d’ailleurs : de l’échiquier politique et sociétal Allemand. La nécessité du projet est de plus en plus critiquée ainsi que les violations répétées des droits de l’hommes du partenaire Russe.

Guerre informationnelle et encerclement cognitif en Allemagne

Depuis Obama en passant par Trump, les Etats-Unis n’ont fait qu’accroitre les sanctions sur la Russie en exploitant les affaires Skripal et Navalny. Il faut se remémorer qu’Alexeï Navalny, opposant au Kremlin, a été transporté de Russie en Allemagne pour y être soigné en août 2020. Cela s’est fait grâce à la médiation d’une petite ONG allemande « Cinema for peace» dont il serait intéressant d’étudier les ramifications. Cette affaire va être utilisée comme biais cognitif pour diviser la société et la classe politique allemande. Lier deux affaires visiblement sans rapport :  le projet Northstream 2 et l’affaire Navalny en y incluant son arrestation dès son retour en Russie en Janvier 2021 et la répression des manifestants qui s’ensuivit. Le biais pourrait être résumé ainsi : l’Allemagne doit-elle et peut-elle faire confiance à la Russie, qui empoissonne ses opposants et réprime avec violence ses manifestants, en lui confiant une large part de sa sécurité énergétique. L’idée fait son chemin dans la classe politique allemande, mais la chancelière refuse de lier les deux affaires pour le moment, mais n’exclut pas des sanctions européennes à l’égard de la Russie. Cependant la question a été posée, et la graine a germé : droit de l’homme contre projet politico-économique.

Un autre relais d’influence puissant en Allemagne est le lobby écologique. C’est un puissant relais d’opinion qui est mobilisé depuis le départ contre le projet, mais au nom de la protection de l’environnement. Si le projet est suffisamment retardé, le sujet sera au menu des prochaines l’élections fédérale allemande de septembre 2021, dont le parti des verts d’Annalena Baerbock, de plus en plus populaire, sera certainement un membre influent du nouveau gouvernement. Il y aura fort à parier que cela se fera au détriment du projet. Annuler le projet pour des raisons écologiques pourrait être une porte de sortie honorable pour l’Allemagne, sans remettre en cause l’autorité américaine et l’extraterritorialité de son droit.

Intérêts divergents et divisions européennes

La Russie souhaite avec ce projet pérenniser ses parts de marché en Europe face à la concurrence du GNL, et ainsi maintenir son modèle économique de rente gazière. Elle souhaite aussi se positionner sur le marché européen du gaz dont les importations sont prévues à la hausse pour faire face à la baisse de la production intra-européenne. La Russie développe également une offre GNL, avec ses champs gaziers arctiques, pour diversifier ses débouchés vers l’Asie, mais aussi pour offrir à l’Europe mode de livraison plus souple et moins contraignant qu’un tuyau physique. Cependant l’Europe, qui capte la majeure partie des exportations russes, reste son premier marché (90% en 2016), tandis que le développement vers l’Asie est très concurrentiel. C’est un projet politique pour le Kremlin, mais aussi économique car c’est une rentrée d’argent importante pour une économie russe toujours fragile.

L’Allemagne a fait le choix politique, quoi qu’en disent ses dirigeants, de réaliser ce projet malgré les réticences de ses partenaires, malgré les alternatives possibles, malgré l’intérêt économique discutable et malgré les deux récents gazoducs la reliant à la Russie : Yamal-Europe en 2006 et Northstream1 en 2012. Est-ce une conséquence de l’ « Ostpolitk » allemande, axe politique repris par le chancelier Gerald Schröder qui est à l’origine des deux projets Northstream ou une dérive d’une partie de la classe politique et industrielle allemande ? On peut se poser la question lorsqu’on retrouve à la tête de Nord Stream AG, le "reconverti" Gerald Schröder, à la tête du consortium Nord Stream AG 2 Matthias Warnig ancien de la Stasi et proche du Kremlin, et nos deux compères au comité exécutif de Rosneft. De même pour la finance et l’industrie allemande. On va retrouver la Deutsche Bank, le KfW (Établissement de crédit pour la reconstruction) et la Dresdner Bank. La Dresdner Bank avec Matthias Warnig pour conseiller Gazprom lors des grandes manœuvres de consolidation des entreprises énergétiques russes dans les années 2000. Il serait intéressant d’étudier les liens entre les sociétés allemandes E.ON, RWE, BASF et Gazprom avec le jeu des actions par filiales et les nominations à ces conseils d’administration et voir s’il existe des liens unissant ses acteurs en montrant les intérêts communs pour ces projets. Un jeu d’acteurs et d’intérêts troubles pas forcement au profit de l’Allemagne, ni de l’Europe.

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L’Allemagne a fait un choix individualiste qui pouvait paraitre stratégiquement intéressant sur le long terme. En se positionnant comme hub gazier régional avec un afflux de gaz russe pour accroitre sa puissance. Un hub, c’est une rente sur le transit gazier assurée et c’est avoir la main sur le robinet. De quoi avoir des arguments autour d’une table de négociation en face de ses partenaires européens. Cette stratégie se retourne contre elle par la force des événements, et explique certainement le manque de solidarité de ses autres partenaires.

L’Europe s’indigne, proteste et conteste, vigoureusement certes, de l’ingérence américaine. L’UE avait cru bien trouver un compromis tout technocrate pour calmer le courroux américain en Février 2019 en incluant le projet Northstream 2 dans « la réglementation européenne du gaz ». Cela oblige Gazprom et ses associées de dissocier les activités de fournisseur et producteur, et aussi de partager les installations avec d’autres fournisseurs / producteurs potentiels. C’est une perte de rentabilité énorme pour le consortium. Cependant le texte laisse la porte ouverte à des exemptions, et rien n’a été encore fait pour s’y conformer. Les Américains, ne se laissant pas noyer dans les méandres de la législation européenne, restent cohérents avec leur ligne de départ en exigeant l’arrêt pur et simple du projet. La Pologne aussi utilise son droit comme une arme économique pour infliger une amende de 6,5 milliards d’euro à Gazprom et sanctionne les cinq autres partenaires. De son côté Paris a appelé Berlin, début février à stopper le projet et ce malgré l’implication d’Engie.

Le GNL russe et sa montée en puissance dans l’arctique dans le collimateur américain

La Russie développe ses champs gaziers arctiques de Yamal et Gydan ainsi que des technologies liées au GNL. Les acteurs majeurs de ce développement sont la société privée russe Novatek, et des sociétés européennes (Total, Technip, Saipem, autres), chinoises (CNPC, Silk Road Fund, CNOOC) et japonaises. La Russie ambitionne de devenir un acteur majeur dans le GNL au vu de ses ressources, mais aussi de développer un savoir-faire de ces technologies. Cela lui permettrait de diminuer les risques de sanctions occidentales sur l’importation de technologie, car les sanctions américaines incluent déjà l’entreprise Novatek, ainsi que l’exportation de technologie et service pour des activités offshore dans l’Arctique.

Le réchauffement climatique rend possible l’exploitation de ces ressources et la navigation via la route du nord, malgré les conditions extrêmes. Cette route offre un avantage stratégique car elle est plus courte de 15 jours pour relier l’Atlantique au Pacifique sans passer par le canal de Suez. L’autre avantage stratégique est l’énorme avance russe avec ses 39 brise-glaces. Les Etats-Unis n’en possèdent qu’un en état de fonctionnement. Un volet de la stratégie américaine est de limiter le développement russe en Arctique en déployant des mesures coercitives sur la navigation via les organismes internationaux au nom de la protection de l’environnement. En novembre 2020, « L’International Maritime Organizations » (IMO) interdit la navigation des navires transportant du mazout lourd en Arctique, visant ainsi la flotte russe.

Les Etats-Unis sont devenus le troisième exportateur de GNL derrière l’Australie et le Qatar. La Russie est le quatrième et à de nombreux projets pour augmenter ses capacités, en exploitant les ressources importantes de l’Arctique qui repose sur la navigabilité de la route du nord. Les Etats-Unis essayent de contenir un compétiteur sur le marché du GNL, mais aussi la monté stratégique russe en Arctique, région qui est d’ores et déjà un enjeu géopolitique.

Implications et conséquences 

Au-delà du bien-fondé ou non du projet Northstream 2, ou de l’intérêt américain de fournir du GNL aux européens, l’enjeu s’est maintenant déplacé sur la souveraineté européenne. Les Etats-Unis ont franchi le Rubicon. C’est au cœur de l’Europe, sur le territoire européen, que les Etats-Unis veulent sanctionner les entreprises européennes grâce à l’extraterritorialité supposée de leur droit. Le changement de locataire à la Maison Blanche qui déclare que l’Amérique est de retour et qu’elle est prête à conduire le monde, ne rassure en rien. De plus, faut-il y voir un hasard du destin lorsque Joe Biden choisit Anthony Blinken comme nouveau secrétaire d’Etat, lui qui a écrit « Ally versus ally », dont le sujet est la crise de 1982 entre la France, l’Allemagne, l’URSS et les Etats-Unis au sujet … d’un gazoduc sibérien. Les Etats-Unis avaient alors infligé des mesures de rétorsions aux Européens et à leurs entreprises, mais ils avaient su réagir en prenant des contre-mesures. Les sanctions seront abandonnées et le projet se fera. Preuve que l’Europe est capable de faire plier le géant américain pour défendre ses intérêts. Les ingérences américaines dans la vie européenne ne sont pas nouvelles, y compris dans le domaine de l’énergie, mais en revanche l’utilisation de leur droit sur le territoire européen en est une. C’est une complète violation de la souveraineté européenne qu’il faut voir comme les prémices de l’affrontement Chine / Etats-Unis. Si elle est piétinée par notre allié dans une période encore relativement calme, alors quel traitement nous attendra dans les zones de turbulences à venir... De l’autre côté, la Chine ne sera certainement pas plus enclin à respecter ni la souveraineté et ni les valeurs européennes.

Pierre-Charles HIRSON
Auditeur de la 35ème promotion MSIE

dimanche, 07 février 2021

Ce qui se passe au Myanmar

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Ce qui se passe au Myanmar

Par Daniele Perra

Ex : https://www.eurasia-rivista.com

Le 1er février, le Tatmadaw (les forces armées du Myanmar) est intervenu pour destituer la direction politique du pays suite à la crise générée par les accusations d'irrégularités électorales que l'armée elle-même a formulées après les élections de novembre. Le président Win Myint et la conseillère d'État Aung San Suu Kyi (une icône démocratique pour laquelle l'"Occident", depuis le début des années 2000 et plus précisément depuis l'ère Obama, avait investi des ressources considérables pour désengager le pays de l'orbite chinoise) ont été placés en état d'arrestation avec d'autres membres de la Ligue nationale de la démocratie (parti majoritaire) et de la "société civile". Il convient de rappeler que ce qui a été décrit dans les médias occidentaux comme un "coup d'État militaire" est en fait une opération menée conformément à l'article 417 de la Constitution de 2008, qui prévoit la possibilité de déclarer un "état d'urgence" pour une période d'un an (après coordination entre le Bureau et le Conseil de défense et de sécurité nationale) si des conditions se présentent qui menacent l'intégrité de l'Union, la solidarité nationale ou la pleine souveraineté de celle-ci[1]. Dans cette analyse, on tentera de mettre en évidence les raisons qui ont conduit à l'intervention militaire, le rôle potentiel des agents extérieurs et l'importance stratégique et géopolitique du pays asiatique.

Le 12 janvier 2021, le ministre des affaires étrangères de la République populaire de Chine, Wang Yi, a rencontré le chef des forces armées du Myanmar, Min Aung Hlaing, l'homme qui a assumé le rôle de chef du gouvernement après la déclaration de l'état d'urgence. Au cours de la réunion, les deux hommes ont défini la relation entre les deux pays en utilisant le terme "pankphaw" qui indique une relation d'amitié fraternelle[2]. En plus de remercier Pékin pour le soutien apporté au Myanmar dans la crise sanitaire générée par la pandémie et de garantir le soutien birman à la cause de la "Chine unique", Min Aung Hlaing a également soutenu la nécessité d'accélérer la construction du CMEC - China Myanmar Economic Corridor : le projet d'interconnexion des infrastructures entre les deux pays qui représente l'un des carrefours cruciaux de la nouvelle route de la soie.

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Le CMEC, comme la branche sino-pakistanaise tout aussi fondamentale du projet d'infrastructure eurasien (CPEC), évite le transit commercial par les zones contestées de la mer de Chine méridionale et du détroit de Malacca, ouvrant à Pékin un accès direct à l'océan Indien et la possibilité d'établir des relations géopolitiques et géoéconomiques directes entre l'Asie et l'Afrique : c'est-à-dire le long de cet axe Sud-Sud (en opposition à l'hégémonie du Nord) déjà théorisé par le maoïsme et repris aussi, à une époque plus récente, par certains stratégistes sud-américains (comme dans le cas du "méridionalisme" du Brésilien André Martin). La valeur stratégique du CMEC est d'ailleurs donnée par la possibilité de connexion (et de contournement du rival indien) entre le port de Sittwe au Myanmar, celui de Hambantota au Sri Lanka et le port pakistanais de Gwadar[3]. C'est un projet qui inclut également la volonté de Pékin d'étendre le corridor sino-pakistanais vers l'Afghanistan. C'est pourquoi des forces multipolaires (de l'Iran au Pakistan, en passant par la Russie et la Chine) poussent à une pacification rapide du pays d'Asie centrale (par opposition à l'Inde qui continue à travailler sous le radar, non seulement pour maintenir un contingent nord-américain à Kaboul, mais aussi pour la déstabilisation de la région).

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Le rôle de l'Inde, également au Myanmar, ne peut en aucun cas être sous-estimé. S'il est vrai qu'Aung San Suu Kyi (à la déception de ses partisans "occidentaux") n'a pas particulièrement affecté les excellentes relations traditionnelles entre le pays et la Chine et le programme de coopération avec cette dernière, il est tout aussi vrai que durant ses années de gouvernement, le pays, outre l'ouverture au circuit des ONG "sorosiennes", a connu un rapprochement substantiel avec New Delhi: une relation qui s'est intensifiée ces derniers mois avec le blocage de l'achat du vaccin anti-Covid chinois, auquel a été préféré celui de l'Inde.

Par ailleurs, New Delhi, qui n'est pas étrangère à la production de fausses informations pour discréditer ses rivaux [4], affirme depuis longtemps que la Chine soutient le trafic d'armes le long de la frontière indo-birmane en apportant un soutien logistique à certains groupes armés opérant à l'intérieur du Myanmar (l'armée d'Arakam et l'armée de l'État Wa) [5] : une stratégie d'information visant non seulement à aigrir les relations entre Pékin et Naypyitaw, mais aussi, compte tenu du rôle attribué à l'Inde par les États-Unis, à accélérer la déstabilisation d'un pays déjà profondément divisé selon des lignes ethniques-sectaires.

L'une des raisons qui auraient pu pousser les militaires à intervenir directement, outre le prétexte des irrégularités électorales, est l'observation du fait que l'institutionnalisation potentielle de la division de fait de l'Union aurait pu entraîner la création de nouveaux potentats locaux, susceptibles d'être cooptés par des puissances extérieures pour des raisons ouvertement contraires à l'intérêt national. En ce sens, le Tatmadaw, une institution farouchement nationaliste, aurait agi dans le respect de la Constitution de 2008 et de la défense de l'unité nationale[6]. L'un des souhaits exprimés par Wang Yi à Min Aung Hlaing lors de la réunion susmentionnée était en fait d'œuvrer à une "revitalisation nationale" du Myanmar.

Il n'est donc pas surprenant qu'avant même l'intervention des militaires (dont les dirigeants, parmi lesquels Min Aung Hlaing, il faut le dire, ont déjà fait l'objet de sanctions de la part de Washington et de Londres suite aux actions entreprises pour réprimer les troubles dans l'Etat de Rakhine entre les bouddhistes et une minorité musulmane que le gouvernement central estime être des descendants d'immigrants bengalis), les Etats-Unis ont menacé de punition sévère le Tatmadaw [7].

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Pour être juste, certains ont avancé l'idée que la longue main des services nord-américains était à l'origine de l'action de l'armée. Cet aspect mérite une enquête plus approfondie. Tout d'abord, il faut noter que la prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, surtout après avoir échoué à prendre position en faveur de ce qui est présenté en "Occident" comme le peuple Rohingya, a perdu une partie de sa "crédibilité démocratique", construite sur des apparitions en compagnie de Barack Obama et de la famille Soros. A cela s'ajoute le fait qu'elle n'a pas pu développer une politique étrangère en totale discontinuité avec le passé, en partie à cause d'un partage du pouvoir avec des appareils militaires historiquement liés (bien qu'avec des hauts et des bas) à la Chine et à la Russie [8]. Cependant, en prétendant qu'Aung San Suu Kyi aurait été déposée en relation avec l'extension birmane de la nouvelle route de la soie, on oublie que sur les 38 projets prévus au sein du CMEC, seuls 9 ont été approuvés à l'heure actuelle et que le Tatmadaw lui-même, en tant que corps militaire, est historiquement difficile à infiltrer par des appareils extérieurs. Il est beaucoup plus probable que les militaires eux-mêmes ont considéré que la figure du "champion du pacifisme" n'était plus consommable à l'extérieur et qu'elle était considérablement nuisible à l'intérieur.

Cela ne signifie pas que l'événement (attribuable, je pense, à une dynamique interne claire) ne peut pas, cependant, être utilisé par ceux qui, au fil des décennies, ont fondé leur stratégie géopolitique sur la création du chaos. Les réactions internationales à l'intervention militaire en ce sens sont emblématiques. Si la Chine et la Russie, parfaitement conscientes du rôle crucial de l'armée au Myanmar, ont maintenu une attitude diplomatique de non-ingérence dans les processus politiques internes, l'"Occident" a immédiatement avancé des critiques, des intimidations et des menaces, étant donné le constat de l'échec du programme d'exportation de la démocratie libérale.

Le nouveau secrétaire d'État américain, le "faucon démocratique" Antony Blinken, a ordonné aux militaires de revenir immédiatement sur leurs décisions. Le nouveau président américain Joe Biden a demandé l'intervention de la "communauté internationale" pour condamner l'action militaire. "Les États-Unis, a déclaré M. Biden, ont levé les sanctions contre la Birmanie au cours de la dernière décennie sur la base des progrès réalisés en matière de démocratie [...] l'annulation de ces progrès nécessiterait, selon le nouveau président américain, un examen immédiat des lois et autorités en matière de sanctions, suivi d'une action appropriée"[9].

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Plus ou moins sur la même longueur d'onde, les déclarations du sénateur démocrate Bob Menendez, qui a appelé à l'imposition de nouvelles "sanctions économiques strictes"[10] et du diplomate Daniel Russel (l'homme qui a construit la relation entre l'administration Obama et Aung San Suu Kyi), qui a souligné que le "coup d'État" était une atteinte sérieuse portée aux intérêts régionaux des États-Unis, car cette intervention des militaires birmans a retiré le principal outil de l'Occident des leviers du pouvoir[11]. De plus, l'organe de la CIA en Asie, Radio Free Asia, a immédiatement servi de porte-voix pour la protestation d'Aung San Suu Kyi.

Il reste donc à voir comment les États-Unis peuvent exploiter la situation à leur avantage. Outre la possibilité susmentionnée d'utiliser l'Inde comme instrument de guerre hybride contre le Myanmar, une autre solution pourrait être la création d'un "scénario vénézuélien" (ou biélorusse) en ne reconnaissant pas le fait de la situation politique interne et en continuant à accorder une légitimité à un gouvernement sans pouvoir réel, dans l'espoir de déclencher un processus rapide de déstabilisation et de "balkanisation".

Dans ce contexte, le rôle de la Chine et de la Russie ne peut être que celui-ci : accompagner le Myanmar vers un processus politique qui garantisse la stabilité interne (également par le maintien des canaux commerciaux qui seront compromis par le nouveau régime de sanctions occidental éventuel) et l'absence d'intrusions extérieures non seulement à Naypyitaw mais aussi dans l'espace eurasien le plus large.

NOTES :

[1]    On peut consulter le texte de la Constitution du Myanmar sur le site :  www.constituteproject.org.

[2]    Wang Yi meets with Myanmar’s Commander in Chief of Defense Services Min Aung Hlaing, www.fmrc.gov.cn.

[3]    Le port sri-lankais d’Hambantota, fut en son temps mis en exergue comme exemple du caractère agressif du projet infrastructurel chinois dans un célèbre article de Georges Soros, publié dans la Financial Review. Le spéculateur international bien connu, dans sa contribution au titre révélateur, “Xi Jinping is the most dangerous enemy”, soutient la thèse que la Chine, par le « piège de la dette » chercherait à stranguler les pays inclus dans la « nouvelle route de la soie ». Toutefois quelques études émanant de la John Hopkins University et de l’Université de Boston ont démontré que la corrélation entre le problème de la dette des pays, dont question,  et les travaux infrastructurels proposés est ténu.

[4]    Emblématique en ce sens est la vaste campagne de désinformation produite par les médias indiens et amplement répercutée en Occident, contre le Pakistan. Voir, par exemple, The dead professor and the vast pro-India disinformation campaign, www.bbc.com; EU NGO report uncovers Indian disinformation campaign, www.aljazeera.com

[5]    India accuses China of helping rebel groups on its Myanmar border, www.scmp.com.

[6]    Il est bon de rappeler que la Constitution de 2008 prévoit que 25% des sièges au Parlement birman doivent appartenir de droit au Parti de l’Union, Solidarité et Développement, (organe politique du Tatmadaw) et qu’il faut garantir aux militaires le contrôle des affaires intérieures et, bien sûr, de la défense. Il va de soi que l’Armée (selon une modalité semblable à celle en vigueur en Egypte) jouit d’une substantielle autonomie en matière de gestion des investissements.

[7]    US warns Myanmar’s military it’all be punished for coup, www.politico.com.

[8]    Le 29 juin 1954, la Chine et la Birmanie ont scellé un Traité d’amitié basésur cinq principes de coexistence pacifique : a) le respect réciproque de l’intégrité et de la souverainté nationales ; b) non-agression mutuelle ; c) non ingérence réciproque dans les affaires intérieures des signataires ; d) avantages mutuels et égalité ; e) coexistence pacifique.De la fin des années 60 aux années70 du 20ème siècle, les rapports entre lesdeux paysse sont détériorés, suite aux révoltes antichinoises en Birmanie. Toutefois, pendant l’ère Deng, lesrapportsse sont améliorés, surtout suite à la signature de divers accords de coopération commerciale, à partir de la fin des années 80.

[9]    Si veda Myanmar’s Army Chief challenges Biden, bets big on China, www.bloomberg.com.

[10]  Ibidem.

[11]  Si veda, Myanmar Army pledges new elections after one year state of emrgency; Suu Kyi urges public to protest, www.straitstimes.com.

[12]  Aung San Suu Kyi urges protests to reject Myanmar miltary coup, 1-year state of emergency, www.rfa.org.

 

Les discours de Poutine et Xi à Davos laissent entrevoir un avenir différent

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Les discours de Poutine et Xi à Davos laissent entrevoir un avenir différent

Par James O’Neill

Ex : https://geopol.pt

Le Groupe des Nations réunies de Davos a récemment tenu son assemblée annuelle par voie électronique, le coronavirus a permis d’éviter pour la première fois la réunion en face à face. Les États-Unis étaient représentés par John Kerry, l'un des nombreux démocrates recyclés des années Obama. La Russie était représentée par son président, Vladimir Poutine, et la Chine, pour la première fois depuis 2017, par son président Xi Jinping. Les médias occidentaux ont largement ignoré la contribution de ces deux derniers, mais ce qu'ils avaient à dire était significatif et mérite d'être examiné de plus près.

Poutine avait reçu un exemplaire d'un livre en 2019, écrit l'un des principaux organisateurs de la conférence, un ami personnel, Klaus Schwab. Le livre s'intitule La quatrième révolution industrielle, écrit par Schwab lui-même. Poutine a utilisé le contenu du livre comme l'un des principaux thèmes de son discours.

Le thème du livre avait évidemment été dépassé par les événements liés au coronavirus en 2020, mais il fournissait quand même plusieurs points de discussion importants que Poutine a utilisés pour structurer son discours. Il a noté que le Covid-19 avait accéléré de nombreux problèmes structurels préexistants dans l'économie mondiale, en particulier ce qu'il a appelé les effets cumulatifs des problèmes sous-économiques qu'il a identifiés comme la raison principale de la croissance instable.

Cette croissance déséquilibrée a conduit à une exacerbation croissante de nombreux problèmes internationaux. Faisant référence à l'inégalité croissante dans l'économie mondiale, il a rejeté la faute directement sur le 1% le plus riche qui domine aujourd’hui les revenus et les profits. Cela a conduit à une exacerbation croissante de nombreux problèmes internationaux.

S'attendre à ce que ces problèmes soient identifiés, et encore moins traités, était peu probable, notamment parce que les grands médias ne sont pas susceptibles d'identifier la source du problème, étant donné que leurs propriétaires sont en grande majorité le même 1%. Le degré de rhétorique de la propagande en politique étrangère s'accroît. Bien que cela n’a pas été dit directement, il est évident que la Russie a longtemps été victime de la désinformation massive des médias occidentaux.

Poutine a souligné qu'il pouvait s'attendre à ce que la nature des actions pratiques devienne plus agressive, y compris la pression sur les pays qui résistent aux tentatives de puissances qu’il n’a pas nommées, mais très clairement il faisait allusion aux États-Unis, qui utilisent des barrières commerciales illégitimes, des sanctions et d'autres restrictions dans les domaines de la finance, de la technologie et du cyberespace pour contrôler les récidivistes.

Le résultat final d'un tel jeu, sans règles, ou du moins un ensemble de règles pour les élites qui peuvent être modifiées à volonté et arbitrairement, augmente de façon critique le risque d'une action militaire unilatérale.

Poutine a identifié quatre priorités que le monde doit adopter afin d'éviter ces conséquences désastreuses. Tout d'abord, il faut que les conditions de vie soient confortables pour tous. Ce sera extraordinairement difficile à réaliser et il n'a donné aucun indice réel sur la manière dont le problème pourrait être surmonté.

Deuxièmement, l'objectif doit être que chacun ait un emploi qui assure une croissance et un revenu durables et l'accès à l'éducation tout au long de la vie, qu'il a défini comme absolument essentiel.

Troisièmement, les gens doivent être sûrs de recevoir des soins médicaux de qualité.

Quatrièmement, quel que soit le revenu familial, les enfants doivent recevoir une éducation décente.

Ces demandes n'étaient pas exhaustives, mais elles constituent sans aucun doute la base essentielle d'une vie civilisée. De nombreux pays y sont déjà parvenus, notamment les pays scandinaves et la Nouvelle-Zélande. Même entre les pays dits développés, il existe des inégalités flagrantes qui ne seront pas surmontées dans un avenir immédiat.

Cette triste réalité a été reconnue dans le commentaire final de Poutine lorsqu'il a déclaré que la concurrence et la rivalité entre les pays n'ont jamais cessé, elles ne cesseront jamais. Le défi consistera à faire en sorte que la rivalité ne se transforme pas en guerre.

Le discours de Xi

Xi, pour sa part, a identifié quatre grandes tâches auxquelles le monde contemporain est confronté. Premièrement, le monde doit "intensifier" la coordination des politiques macroéconomiques afin de promouvoir une croissance forte, durable, équilibrée et inclusive de l'économie mondiale.

Deuxièmement, a-t-il dit, le monde doit "abandonner les préjugés idéologiques et suivre conjointement un chemin de coexistence pacifique, d'avantage mutuel et (en utilisant une expression avec laquelle il est identifié) de coopération mutuellement bénéfique.

Les différences entre les sociétés ne sont pas, en soi, alarmantes. Ce qui est alarmant en revanche, a-t-il observé, c'est "l'arrogance, les préjugés et la haine". Xi a très franchement identifié un problème majeur comme étant les tentatives visant à "imposer les uns aux autres sa propre histoire, sa culture et ses systèmes sociaux".

Cette dernière phrase doit être lue et assimilée par de nombreux dirigeants occidentaux, dont notamment l'Australie, qui perçoivent la croissance de la Chine comme une menace existentielle pour leur propre existence. Il n'y a pas de preuves pour étayer ces craintes, mais elles sont un refrain constant dans l'analyse des médias occidentaux.

Troisièmement, a déclaré Xi, le défi consiste à mettre fin à la fracture entre les pays développés et les pays en développement. La croissance des pays en développement permettrait d'asseoir la prospérité et la stabilité sur des bases plus solides.

Quatrièmement, nous devons nous unir contre les défis mondiaux. Aucun problème mondial ne peut être résolu par un seul pays, aucun pays ne peut imposer volontairement le découplage, la rupture d'approvisionnement et infliger des sanctions pour créer l'isolement et l’ostracisme de tiers, car cela ne ferait que pousser le monde à la division et à la confrontation.

Et ce qui peut être considéré comme un défi direct aux prétentions occidentales de jouir d'un monopole à l'appui de leur interprétation du droit, Xi a déclaré que "nous devons rester attachés au droit international et aux règles internationales plutôt que de rechercher notre propre suprématie". La gouvernance internationale, a-t-il dit, devrait être basée sur "les règles et le consensus atteint entre nous, et non sur l'ordre donné par une puissance ou un groupe de puissances".

Cette dernière phrase suffirait à créer l’émoi parmi les puissances occidentales, qui ont trop longtemps revendiqué le monopole des "règles basées sur l'ordre international". Ce qu'ils veulent vraiment imposer, ce sont leurs règles et leur ordre. Xi envoyait un message clair : cette époque est révolue et le droit international signifie simplement qu'au lieu de préserver l’intégrité de quelques riches dont les diktats au cours des 70 dernières années ont été la source de conflits sans fin pour le monde dans son ensemble et l’origine d'avantages accumulés pour eux seuls.

Il est douteux que l'Occident écoute Poutine ou Xi, et encore moins qu'il change leur comportement. Mais le monde a changé. Plus vite les anciennes puissances occidentales reconnaîtront qu'elles changent et modifient leur comportement, plus vite nous aurons des chances d'atteindre les objectifs si clairement établis par Poutine et Xi. La couverture médiatique limitée de ces deux discours en Occident n'est pas de bon augure. Cependant, comme le montrent les multiples accords conclus par diverses nations dans la région de la Grande Eurasie, le vieux monde disparaît rapidement. Plus vite ce processus de ressac sera reconnu, plus le monde sera sûr.

Publié à l'origine dans New Eastern Outlook

samedi, 06 février 2021

Poutine et la guerre entre différents projets mondiaux

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Poutine et la guerre entre différents projets mondiaux

Mikhail Khazin

Traduction de Juan Gabriel Caro Rivera

Ex: https://www.geopolitica.ru

A propos du capitalisme « inclusif »

Je dois dire à tous ceux qui défendent les théories du complot qu'ils ne devraient pas lire ce texte : je n'écrirai rien qui ait un rapport avec la création du capitalisme inclusif qui est promu par le pape, les Rothschild et les Rockefeller (1). Pour cela, il vaut mieux lire la presse officielle.

Mais, et il est très important de le souligner, l'existence même d'un tel projet ne nous dit rien sur son propre contenu : les déclarations officielles sont souvent faites pour ne pas révéler la vérité et visent plutôt à cacher le contenu réel du projet.

Mais les gens sont très intéressés par ce sujet et écrivent beaucoup. Nous allons donc essayer de comprendre le problème en nous basant sur la façon dont nous comprenons nous-mêmes ce problème. Mais ce que nous écrivons ici est précisément une tentative et non une réponse à la question de savoir ce qui se passe. Notre perspective est donc la suivante : il existe un système de projets mondiaux, qui sont décrits de manière très détaillée dans notre livre Bridge to the Future. Nous avons fait valoir que face à ces projets mondiaux, il existe un certain nombre de projets civilisationnels qui n'ont pas encore atteint un niveau mondial, bien qu'ils tentent parfois de devenir une alternative.

Nous avons décrit ces six projets dans notre livre. Trois de ces projets sont mondiaux :

  • Le projet juif global (le "Plan Salomon", le "Nouveau Londres") ;
  • Le projet mondial "occidental" (également connu sous le nom de Finintern, dont le centre est à New York et dont le point focal est le FMI et Wall Street) ;
  • Le projet islamique mondial (aujourd'hui défendu par la Turquie).

Et les trois autres projets sont de nature civilisationnelle et visent à prendre le pouvoir ou à devenir des projets au niveau mondial. C'est le cas :

  • L'une d'elles est la relance du projet capitaliste classique qui est coordonné par le Vatican ("L'Internationale noire", l'aristocratie européenne, les francs-maçons, etc ;)
  • Le projet chinois qui a abandonné (peut-être temporairement) le projet global "Rouge" et qui est mené par une série de clans militaires ;
  • La Russie en tant que projet de civilisation qui hésite entre plusieurs options telles que l'"Internationale noire" (suivant l'idée que "Moscou est la troisième Rome"), le retour au projet global "Rouge" ou la création d'un centre de civilisation régional avec la Chine et est connu sous le nom de "Nouvelle Horde".

Par exemple, qu'est-ce que Brexit ? C'est une alternative à 1936 (lorsque le projet global "occidental" a réussi à remplacer le roi Edward VIII par le père de l'actuelle Reine et a ainsi vaincu les groupes qui appartenaient à l'élite dirigeante de l'Angleterre), c'est-à-dire au coup d'État que les banquiers ont fini par perdre.

Très probablement, jusqu'en 1936, Londres était dirigée par des représentants du projet juif (des représentants de "l'aristocratie noire" de Venise, qui, par l'intermédiaire de la Hollande, ont réussi à prendre le pouvoir en Grande-Bretagne pendant la "Glorieuse Révolution" de 1688). Cela explique le fait que tous les empires d'Europe continentale se sont effondrés à la suite de la Première Guerre mondiale et que les Britanniques sont les seuls à être restés intacts. Eh bien, Londres a toujours eu une relation difficile avec le Vatican.

Gardons à l'esprit que la "vieille" aristocratie (c'est-à-dire l’aristocratie continentale) d'Europe occidentale a tenté de se venger après la défaite de 1918 et pour cela, elle a soutenu Hitler, car elle considérait l'Angleterre comme son principal ennemi. Mais ils ont échoué et ont été contraints de se tourner vers l'Est et nous en connaissons les résultats. Soit dit en passant, toute la campagne antisémite que le NSDAP a encouragée à ses débuts visait à chasser les Juifs de Palestine, c'est-à-dire qu'elle était dirigée contre l'Angleterre elle-même.

Signalons quelque chose d'important. Depuis les années 1920, le projet juif se sent menacé par les banquiers, c'est-à-dire par l'élite du projet "occidental" qui, après la création du système de la Réserve fédérale aux États-Unis, a fini par s'installer dans ce pays. Et c'est pourquoi, depuis la fin des années 1920, ce projet a cherché à se connecter avec la NSDAP. Eh bien, à la suite de l'Holocauste, les principales victimes ont été les Juifs d'Europe de l'Est, dont une partie importante s’était installée sur ce territoire en provenance de l'ancienne Babylone et de la Khazarie. En d'autres termes, ils n'avaient rien à voir avec l'histoire de l'Empire romain et de l'Europe médiévale et, en général, étaient porteurs d'une notion du sacré complètement différente.

Au fait, le gendre de Trump représente les Hassidim, il a des ancêtres qui viennent de Khazarie. Cela nous permettrait d'approfondir l'histoire très complexe des relations que les Juifs du monde ont avec toutes les distinctions de la judaïté, et c'est un sujet que nous n'aborderons pas ici. Je ne tirerai qu'une seule conclusion de tout cela: en général, Trump, malgré son alliance avec le Vatican contre le projet global "occidental", ne constitue pas un tout en soi, lié au seul projet juif. Il est possible que si le projet de "Nouvelle Horde" (également connu sous le nom de "Grande Eurasie") réussit, Trump se joigne à ce projet, puisque la Khazaria fait partie de la zone des Grandes Steppes.

En ce moment, l'"Internationale noire" tente de mener sa deuxième revanche (elle a sa base d'opérations en Allemagne et a également un accord avec le Vatican), mais cette deuxième offensive a une faiblesse : il lui manque un modèle économique complet et cohérent qui lui donnerait les moyens nécessaires pour un projet de grande envergure. L'Allemagne et l'UE "vivent" aujourd'hui exclusivement sur le potentiel d'émission du dollar, qui est contrôlé par l'élite qui est à la tête du projet "occidental". Et comment agir dans une telle situation ? Les modèles économiques du projet capitaliste mondial sont désespérément dépassés et personne n'est capable de les adapter à la modernité : tous les experts sur lesquels ils comptent ont été formés selon les modèles du libéralisme. Le projet capitaliste est donc entré dans la phase de création d'un réseau et est principalement soutenu par les nationalistes. Et en Europe continentale, les nationalistes ne sont au pouvoir que dans quelques très petits pays.

Gardons à l'esprit que nous, les Russes, comprenons que ces ressources existent, mais que, de leur point de vue, nous devrions, au mieux, devenir un partenaire junior (et tout cela nous a été démontré de manière très dure par la Grande guerre patriotique). En Russie, la "cinquième" colonne se développe, mais pas la libérale, mais la "troisième colonne" comme le Tsarevich Hosha, toutes sortes de princes et autres marginaux que même pas 3% de la population soutient. Mais à mesure que la situation en Russie s'aggrave et, si aucune alternative n'est créée, ils finiront par accroître leur influence.

La situation à Londres s'est améliorée ! En fait, ils ont pu placer leur candidat aux Etats-Unis en 2016 (dans le cadre de la même logique nostalgique du "vieux" capitalisme), mais, l'important, c'est que maintenant il a perdu ! Le projet "occidental" a pris sa revanche sur les États-Unis et toutes les autres forces en présence doivent d'une manière ou d'une autre décider de ce qu'elles vont faire maintenant ! Gardons à l'esprit que le projet "occidental" a ses propres problèmes, tout d'abord : son principal outil, celui avec lequel ils ont pris le contrôle du monde entier à la fin des années 80, l'émission de dollars, a complètement épuisé son utilité. Mais, pour l'instant, les dollars peuvent être imprimés en n'importe quelle quantité et Trump n'est plus en mesure de l'empêcher.

Londres a donc recommencé à jouer. Ils ont un problème : le projet "occidental" domine dans l'UE, aux États-Unis et, de plus, on ne sait pas exactement quel rôle la Russie joue dans tout cela (car la Russie est sous le contrôle du projet "occidental" sur le plan financier et économique). La Russie a besoin de ressources propres (sa propre zone monétaire) dont elle ne dispose pas encore. Et Londres (sous le contrôle du projet juif) a commencé à promouvoir l'une des nombreuses factions qui existent dans le réseau du projet islamique mondial. Non pas Daesh, qui était auparavant promu par le projet "occidental", mais un autre, que l'on peut conditionnellement appeler le "califat rouge" dont le centre se trouve en Turquie (à Istanbul). L'objectif est de créer sur la base du monde arabe une zone monétaire avec Londres comme centre.

D'où, soit dit en passant, le conflit avec Israël. Londres n'a pas besoin d'Israël dans la nouvelle version du Moyen-Orient qu'elle crée (car Israël interfère avec son projet de califat rouge). Le projet "occidental" n'a pas non plus besoin d'Israël, car dans le cadre de cette confrontation interne entre Juifs, les sionistes ne sont pas en bons termes avec le secteur financier. Mais l'aristocratie européenne et le Vatican ont réellement besoin des Juifs (tant qu'Israël existera, les intérêts séculiers de l'État juif prévaudront sur les intérêts sacrés du projet  juif). À l'époque, Clinton était prêt à capituler devant Israël et Trump y était prêt aussi.

Eh bien, maintenant, comme promis, je vais parler un peu du capitalisme "inclusif". Le pape, comme on peut le constater, fait partie de l'"Internationale noire" et est l'un des éléments moteurs de ce projet de réseau capitaliste. Les Rothschild font partie du projet juif qui a pris le pouvoir à Londres, mais ils se trouvent dans une situation extrêmement précaire : la menace d'un nouveau Trump se profile à l'horizon.

Les Rockefeller sont la partie américaine du projet qui anime ce réseau capitaliste. Et qui est l'ennemi commun de tous ? L'élite à la tête du projet "occidental". Et pourquoi ont-ils besoin d'une alliance ? Selon la logique que nous avons exposée, la réponse est évidente : ils ont besoin d'un nouveau modèle de croissance économique qui soit différent de la question du dollar ! Ils doivent d'abord détruire le projet "occidental", puis s'occuper des autres projets. Et le projet "occidental" n'a pas encore été battu.

Notons que le Pape a longtemps essayé d'aller dans cette direction, il y a quelques années un fonds spécial d'environ 100 millions a été créé qui était censé financer un certain nombre de recherches pertinentes (j'ai même publié un document sur la création de ce fonds qui existe quelque part et était ouvert aux investissements) ... Mais l'astuce n'a pas fonctionné, ils n'ont pas trouvé de spécialistes capables de mettre en œuvre un tel programme. Et maintenant, ils font la deuxième tentative. La tâche principale de cette coopération est de trouver un mécanisme de développement qui permettra de vaincre enfin le projet global "occidental".

Et tous les autres projets, où en sont-ils ? La Chine s'attend à une crise inévitable, l'arrivée de Biden lui permet de retarder cet effondrement pour un certain temps, c'est-à-dire d'accumuler toutes sortes de réserves. Xi a déjà annoncé une transition pour lancer une série d'activités étatiques (sinon la Chine ne survivra pas du tout car elle ne pourra pas s'orienter vers le marché intérieur), mais il manque à la Chine un projet global ! La Chine est mal comprise au-delà de ses propres frontières, elle ne dispose pas de ce que l'on a récemment appelé le "soft power". Elle peut essayer de revenir au projet "Rouge", mais elle doit encore former un personnel important pour pouvoir le développer et la crise n'a pas encore commencé. Dans l'ensemble, ils ont encore des options, mais ils se trouvent dans un moment assez difficile.

Le projet juif a également été réactivé après le "Brexit", mais ils ont peu de ressources et sont confrontés à une inévitable guerre éclair. Soit ils remporteront une victoire rapide, soit ils subiront une défaite inévitable. Cela explique l'activité que Londres développe en Transcaucasie : elle a choisi la Turquie comme bélier et comme instrument, j'ai déjà écrit à ce sujet. Et ils doivent remporter une victoire rapide (c'est-à-dire qu'ils pourront former leur propre zone monétaire) ou la Grande-Bretagne, dans le cadre de l'histoire mondiale, cessera d'être considérée comme une grande puissance. Certes, le projet juif peut être relancé, mais la Grande-Bretagne va disparaître.

Le projet capitaliste a déjà perdu une de ses Blitzkriege et il lui est maintenant très difficile de manœuvrer politiquement, aussi espère-t-il, par ses récentes démarches politiques, s'allier à la Russie. Le seul obstacle sur son chemin est Poutine. C'est pourquoi une attaque très agressive contre Poutine se développe, qui est non seulement soutenue par le projet "occidental" (on comprend bien pourquoi l'élite de ce projet craint tant que Poutine n'entame une purge illibérale dans leur pays), mais qui trouve également un écho auprès de toute l'élite européenne. La seule différence est que les premiers détestent totalement la Russie (avec Poutine), tandis que les seconds sont tout à fait disposés à accepter la Russie, même en tant que partenaire junior, mais sans Poutine.

En fait, j'ai presque entièrement décrit le rapport de force. Seule la Russie a été exclue de ce scénario. Mais ici, je ne dirai rien pour l'instant, puisque Poutine n'a pas encore fait son choix. Plus précisément, je veux dire que la Russie manœuvre dans un scénario très difficile sans montrer à personne son véritable plan. Ici, comme lorsque l'on fait du vélo, il est beaucoup plus facile de rouler que d'être surpris par la façon dont on le fait. On ne peut donc qu'admirer le talent de Poutine, ce sera une autre affaire quand il prendra sa décision et il ne fait aucun doute qu'à ce moment-là, les partisans des autres projets finiront par détester cette décision.

Note :

  1. https://katehon.com/ru/article/zakulisa-snimaet-maski

vendredi, 05 février 2021

Europe et Russie, Schröder parle

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Europe et Russie, Schröder parle

Par Emanuel Pietrobon

Ex : https://it.insiderover.come

Gerhard Schröder, titulaire de la chancellerie allemande de 1998 à 2005, restera dans les mémoires comme le dernier porte-drapeau de l’Ostpolitik. Architecte de Nord Stream, adepte de la thèse sur la soi-disant "Gerussia", intolérant à l’endroit de l'hégémonie américaine et l'un des plus grands critiques de la politique étrangère d'Angela Merkel, Schröder peut vraiment être considéré comme le dernier penseur politique eurasiatique résidant à Berlin.

Bien qu'il soit sorti de la politique depuis plus de quinze ans, l'ancien chancelier continue à être actif en coulisses de la scène internationale et à défendre ardemment ce qui était, et est toujours, sa Weltanschauung. Interviewé récemment par un journal allemand, le Rheinischer Post, M. Schröder a parlé de l'état actuel des relations russo-allemandes, de Nord Stream 2 et d'Aleksei Navalny, et a expliqué pourquoi il est dans l'intérêt de l'Allemagne (et de l'Europe) de traiter la Russie à l'amiable et de s'efforcer de comprendre ses aspirations et ses revendications.

Des partenaires, pas des adversaires

L'interview de l'ancien chancelier allemand a été publiée par le Rheinischer Post le 30 janvier et mérite d'être révélée au public italophone du moins dans ses parties essentielles. Schröder est catégorique et sa position intransigeante: la Russie "ne doit pas être traitée comme un adversaire, mais comme un collaborateur potentiel", et l'Allemagne doit la laisser se développer et mûrir véritablement, sans contraintes et/ou pression extérieure, "sa propre identité et sa propre force économique".

Une Russie forte suscite la crainte à première vue, en raison également de son passé historique vis-à-vis des puissances européennes et de ses immenses dimensions géographiques, mais Schröder croit fermement à la nécessité historique de transformer en réalité l’axe symbiotique entre Berlin et Moscou, un lien basé sur la parfaite complémentarité entre le complexe technologico-industriel allemand et les richesses infinies du sous-sol russe et qui aurait le potentiel de recentrer les relations internationales en faveur de l'Europe.

Les Allemands, selon l'ancien chancelier, seraient conscients de l'erreur politique et historique de Merkel d'amalgamer l'agenda étranger européen à l’égard Moscou avec celui des Etats-Unis : "Les attaques contre la Russie ne reflètent pas l'opinion de la majorité".

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Achever le Nord Stream 2

L'achèvement du Nord Stream 2 fait partie de la construction de la Gerussie, une union entre l'Allemagne et la Russie. La modernisation du gazoduc, affirme M. Schröder, doit être réalisée à tout prix, au-delà de la pression des États-Unis et d'une partie de l'Union européenne elle-même, car "elle garantira l'approvisionnement énergétique des prochaines générations" et facilitera la transition verte.

L'Allemagne "couperait la branche sur laquelle elle est assise" en se soumettant à la campagne de lobbying lancée par l'administration Trump, qui est toujours en cours ; de plus, poursuit l'ancien chancelier, l’Allemagne ferait une très mauvaise affaire si elle acceptait de remplacer le gaz russe par du gaz liquéfié américain. Ce dernier, selon M. Schröder, serait "nuisible à l'environnement, plus cher et de mauvaise qualité’’.

N'intervenez pas

L'interview s'est concentrée sur des questions d'actualité. L'ancien chancelier a donc également été interrogé sur Aleksei Navalny. Schröder se montre totalement indifférent au sujet et au personnage, se disant plus intéressé par "les questions fondamentales que par les discussions éphémères". Contournant l'obstacle, ou plutôt le traitant à sa manière, l'ancien chancelier a rappelé au public l'une des règles de base des relations internationales: le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres.

La leçon de Schröder, résumée dans cette réponse brève mais éloquente, est d'une importance fondamentale: c'est précisément à cause de ce que le politologue Samuel Huntington a appelé "l'arrogance occidentale", c'est-à-dire la propension innée du bloc euro-américain à s'immiscer dans les sphères d'influence des autres, que les relations entre l'Occident et la Russie sont au plus bas, et l'affaire Navalny en est une des nombreuses manifestations.

Si l'Allemagne et l'Europe acceptaient le caractère naturel et inévitable des différences, un redémarrage concret et durable avec la Russie serait possible. L'alternative à la reconnaissance (et à la valorisation) des différences mutuelles - c'est une évidence - est une relation articulée sur un antagonisme anti-économique, sur un endiguement éternel intrinsèquement dangereux pour la paix mondiale et, enfin, sur la perpétuation de la condition de dépendance du système européen vis-à-vis des États-Unis.

 

Le risque d’ingérence des médias sociaux américains dans le fonctionnement des démocraties européennes

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Le risque d’ingérence des médias sociaux américains dans le fonctionnement des démocraties européennes

Par Pascale Mascheroni, consultante

Ex: https://www.epge.fr

On parle beaucoup de l’ingérence russe ou chinoise dans le fonctionnement des démocraties occidentales mais il n’en est pas de même pour l’ingérence d’un pays occidental dans un autre pays occidental. Les stratégies d’influence sont désormais tous azimuts et les péripéties qui ont marqué la récente élection présidentielle américaine doivent nous mettre en alerte rouge.

La déficience analytique des défenseurs de la démocratie

Le 17 Novembre 2020, se tenait l’audition intitulée « Breaking the News : Censure, Suppression, and the 2020 Election » devant la commission d’enquête du Sénat américain.

Cette dernière portant sur l’importance et le pouvoir des réseaux sociaux durant les dernières élections américaines où étaient entendus les CEO de Twitter et de Facebook.

Cette audition interviendra 6 mois après la signature du décret présidentiel par le président Trump intitulée « Preventing Censorship Online ». Ce décret demande au FCC (« Federal Communication Commission ») de déterminer si de nouvelles réglementations peuvent être imposées au regard des actions d’éditions des géants de la tech actuellement sous la protection de la section 230.

Cet évènement peu couvert par les médias soulève de nombreuses questions :

  • La remise en question de la liberté d’expression sur Internet,
  • La censure dans le pays de la liberté d’expression (« free speech ») par une poignée de dirigeants non élus,
  • L’ingérence dans le politique et dans le système démocratique,
  • L’impact des réseaux sociaux non régulés.

Comprendre les enjeux de cette audition nécessite d’avoir les bonnes grilles de lecture.

En effet, ces enjeux s’inscrivent au-delà du conflit ouvert entre les médias sociaux et Donald Trump et ses partisans. Les deux camps politiques, conservateurs et libéraux, sont autant concernés par le fonctionnement des médias sociaux comme plateforme d’échanges.

Leur objectif est le même, les motivations diffèrent.

Les élections américaines de 2020, les médias sociaux dans la communication politique et la section 230

En 2020, avaient lieu les élections présidentielles en vue d’élire au scrutin indirect le 46e président des Etats-Unis. Donald Trump, alors président en activité et représentant du parti républicain, brigue un second mandat face à Joe Biden, candidat du parti démocrate.

La pandémie de COVID 19 jouera un rôle majeur dans les élections. En limitant la possibilité de rassemblement, le vote par correspondance en masse est favorisé. Ce constat amènera le président Donald Trump à dénoncer le risque massif de fraude via la plateforme Twitter, son principal outil de communication.

Depuis le début des années 2010, les médias sociaux sont incontournables dans la communication politique. Autant utilisés par les acteurs politiques que par les électeurs. Parmi ces médias sociaux, qui sont avant tout des sociétés privées, certains sont devenus de véritables entreprises de communication atteignant un public très large (Facebook, Twitter).

La perte d’intérêt et de confiance des électeurs pour les médias traditionnels explique la normalisation croissante des médias sociaux. Leur recours permettant une communication plus directe entre acteurs politiques et électeurs.

Cette liberté de communication, d’expression dans le contenu est avant tout possible grâce une petite partie du « Communication Decency Act » de 1996 :  la section 230. Celle-ci accorde une immunité aux entreprises de médias sociaux comme Facebook, Twitter, Wikipédia, Reddit, etc. en les exonèrant de toutes poursuites judicaires quant au contenu de leur site. Cela permet aux plateformes de fonctionner et de s’épanouir sans avoir nécessairement besoin de modérer le contenu.

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La polémique : son origine, ses acteurs, les enjeux

A l’origine de la polémique, deux tweets de Donald Trump en mai 2020.

Un premier tweet concernant la possible fraude électorale facilitée par le vote par correspondance, sur lequel sera étiqueté un avertissement avec la mention « trompeur » invitant le lecteur à « vérifier les faits ».

Un second tweet indiquant que « « quand les pillages commencent, les tirs commencent », dans le cadre des manifestations suite à la mort de George Floyd le 25 mai 2020.

Dans la foulée, le décret présidentiel « Preventing Online Censorship » sera signé le 28 mai 2020 sur la prévention de la censure sur internet, visant spécifiquement les médias sociaux en réponse à leurs actions (modification, suppression de contenus).

En dépit de profonds désaccords, les deux camps, démocrates et républicains, se rejoignent sur un point : la nécessité de réglementer la gestion du contenu des plateformes type Facebook, Twitter, Reddit, Youtube, etc.

Quand la gauche politique réclame une politique plus agressive pour diminuer la propagation de la désinformation, la droite conservatrice accuse les médias sociaux de censure.

La désinformation fait principalement référence aux accusations de fraude massive lancées par Donald Trump et ses partisans.

Par censure, Donald Trump et ses partisans font référence :

  • au parti-pris politique des médias sociaux dans leur politique de modération des contenus,
  • à la décision de Twitter de dissimuler et bloquer des informations du New Post concernant l’implication d’Hunter Biden, fils de l’actuel président, en Ukraine et en Chine,
  • la suppression des groupes engagés auprès de Donald Trump (« Stop the Steal ») et de leur contenus sur Facebook, Twitter et Youtube,
  • la suppression de commentaires, ou les ajouts d’avertissements sur les commentaires, incluant ceux du président Donald Trump alors en activité.

D’où la nécessité de voir modifier la section 230 du « Communication Decency Act ».

Les contradictions des acteurs

Sous couvert de vouloir respecter le principe de liberté d’expression sur internet, Facebook et Twitter se positionnent en éditeur en modifiant, commentant et supprimant les contenus de leur site.

La contradiction réside dans le fait, que ces actions semblent ne cibler qu’un pan de ces utilisateurs à savoir Donald Trump et ses partisans les plus engagés. Il est difficile de ne pas voir de parti pris politique d’autant plus de la part de sociétés issues de la Silicon Valley « extrêmement orientées » à gauche (en référence à a la citation en 2018 de Mark Zuckerberg concernant Facebook et les entreprises technologiques).

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Une autre contradiction réside dans le traitement des utilisateurs. Avant Donald Trump aucun autre utilisateur n’avait fait l’objet d’étiquettes d’avertissements. Dans un laps de temps très proche, après la mise à l’écart de l’hypothèse de collusion de la Russie, le représentant Adam Schiff continuait de partager ses accusations, sans intervention de la part de Twitter. Autre cas plus surprenant au vu du contexte, celui du responsable de l’intégrité du site faisant état de ses préférences politiques dans ses propres tweets.

L’audition devant la commission d’enquête des sénateurs américains et la réponse de Facebook et Twitter face à leur à contradiction

Lors de l’audition du 17 Novembre 2020, les CEO de Twitter et de Facebook, respectivement Jack Dorsey et Mark Zuckerberg seront entendus par de nombreux sénateurs, dont le sénateur Republicain Ted Cruz.

Parmi l’avalanche de critiques, la décision de blocage par Twitter de l’exposition par le New York Post des affaires d’Hunter Biden pendant 2 semaines. Twitter se justifiera en mettant en avant sa politique concernant le matériel hacké, bien que le New York ait bien indiqué que les informations provenaient d’un ordinateur portable abandonné appartenant à l’origine à Hunter Biden.

Jack Dorsey finira par admettre qu’après réflexion, l’action de blocage était une erreur et qu’elle fut corrigée dans les 24 heures. Dans les faits, Twitter avait refusé de réactiver le compte du New York Post sauf si les tweets en question étaient supprimés. Après 2 semaines d’impasse, le compte sera réactivé.

A l’issue de cette audition, et depuis la fin des élections 2020, la section 230 n’a pas été modifié.

Conclusion

Ces enjeux vont au-delà du conflit médias sociaux/ Donald Trump et ses partisans, du territoire américain.

Par la couverture mondiale de ces géants de la tech et l’absence de régulation, il semble nécessaire d’anticiper ce cas de figure pour les prochaines élections dans d’autres pays, et notamment en France pour les élections présidentielles de 2022.

Faut-il attendre la modification d’une loi américaine à la portée mondiale ou s’en affranchir en définissant une réglementation limitant la possibilité d’ingérence dans les évènements démocratiques ?

mardi, 02 février 2021

Vers 2030, la nouvelle OTAN sera née, l'OTAN sera l'avenir

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Vers 2030, la nouvelle OTAN sera née, l'OTAN sera l'avenir

par Manlio Dinucci

Source : Il Manifesto et https://www.ariannaeditrice.it

L'OTAN se tourne vers l'avenir. C'est pourquoi le secrétaire général Jens Stoltenberg a invité des étudiants et de jeunes dirigeants des pays de l'Alliance à proposer "de nouvelles idées pour l'OTAN 2030". Cette initiative s'inscrit dans le cadre de l'implication croissante des universités et des écoles, avec également un concours sur le thème : "Quelles seront les plus grandes menaces pour la paix et la sécurité en 2030 et comment l'OTAN devra-t-elle s'adapter pour les contrer ?

Pour réaliser ce thème, les jeunes ont déjà le manuel : "OTAN 2030 / Unis pour une nouvelle ère". Ce rapport est présenté par un groupe de dix experts nommés par le Secrétaire général. Parmi eux, Marta Dassù qui, après avoir été conseillère en politique étrangère du Premier ministre D'Alema pendant la guerre de l'OTAN contre la Yougoslavie, a occupé des postes importants dans les gouvernements successifs et a été nommée par le Premier ministre Renzi au conseil d'administration de Finmeccanica (aujourd'hui Leonardo), la plus grande industrie de défense italienne.

Quelle est la "nouvelle ère" que le groupe d'experts envisage ? Après avoir défini l'OTAN comme "l'alliance la plus réussie de l'histoire", qui a "mis fin à deux guerres" (celles contre la Yougoslavie et la Libye, mais que l'OTAN a déclenchées), le rapport brosse le tableau d'un monde caractérisé par "des États autoritaires cherchant à étendre leur pouvoir et leur influence", posant aux alliés de l'OTAN "un défi systémique dans tous les domaines de la sécurité et de l'économie".

Retournant les faits, le rapport affirme que si l'OTAN a tendu une main amicale à la Russie, celle-ci a répondu par une "agression dans la zone euro-atlantique" et, en violant les accords, a "provoqué la fin du traité sur les forces nucléaires intermédiaires". La Russie, soulignent les dix experts, est "la principale menace à laquelle l'OTAN doit faire face au cours de cette décennie".

En même temps, affirment-ils, l'OTAN est confrontée à des "défis sécuritaires croissants de la part de la Chine", dont les activités économiques et les technologies peuvent avoir "un impact sur la défense collective et la préparation militaire dans la zone de responsabilité du commandant suprême des alliés en Europe" (qui est toujours un général américain nommé par le président des États-Unis).

Après avoir tiré la sonnette d'alarme sur ces "menaces" et d'autres, qui viendraient également du Sud, le rapport des dix experts recommande de "cimenter la centralité du lien transatlantique", c'est-à-dire le lien de l'Europe avec les États-Unis dans l'alliance sous commandement américain.

Dans le même temps, il recommande de "renforcer le rôle politique de l'OTAN", en soulignant que "les Alliés doivent renforcer le Conseil de l'Atlantique Nord", le principal organe politique de l'Alliance qui se réunit au niveau des ministres de la défense et des affaires étrangères et au niveau des chefs d'État et de gouvernement. Puisque, selon les règles de l'OTAN, il prend ses décisions non pas à la majorité mais toujours "à l'unanimité et d'un commun accord", c'est-à-dire fondamentalement en accord avec ce qui est décidé à Washington ; renforcer encore le Conseil de l'Atlantique Nord signifie affaiblir encore plus les parlements européens, en particulier le parlement italien, qui sont déjà privés de réels pouvoirs de décision en matière de politique étrangère et militaire.

Dans ce cadre, le rapport propose de renforcer les forces de l'OTAN, en particulier sur le flanc Est, en les dotant de "capacités nucléaires militaires adéquates", adaptées à la situation créée par la fin du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (traité déchiré par les États-Unis). En d'autres termes, les dix experts demandent aux États-Unis d'accélérer le déploiement en Europe non seulement des nouvelles bombes nucléaires B61-12, mais aussi des nouveaux missiles nucléaires à moyenne portée similaires aux euro-missiles des années 80.

Ils demandent en particulier de "poursuivre et de revitaliser les accords de partage nucléaire", qui permettent à des pays officiellement non nucléaires, comme l'Italie, de se préparer à l'utilisation d'armes nucléaires sous le commandement des États-Unis. Les dix experts rappellent enfin qu'il est essentiel que tous les alliés maintiennent l'engagement, pris en 2014, d'augmenter leurs dépenses militaires d'ici 2024 d'au moins 2% du PIB, ce qui signifie pour l'Italie de les faire passer de 26 à 36 milliards d'euros par an. C'est le prix à payer pour profiter de ce que le rapport définit comme "les avantages d'être sous l'égide de l'OTAN".

De l'Allemagne à la Turquie : tout le monde est fou de l'Albanie

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De l'Allemagne à la Turquie : tout le monde est fou de l'Albanie

Emanuel Pietrobon

https://it.insideover.com

L'Albanie est la clé de voûte de l'hégémonisation de la péninsule balkanique. Exercer une influence décisive sur cette ancienne nation euro-balkanique revient à hypothéquer le contrôle de ce qu’il est convenu d’appeler la "ceinture des Aigles" – soit le triangle Tirana-Pristina-Skopje -, qui équivaut à un tremplin géographique multidirectionnel, capable de projeter le joueur en service simultanément vers la Grèce, la Bulgarie, la Serbie, la Bosnie et l'Adriatique.

L'Albanie est d'ailleurs une économie florissante et en fort développement, une terre ouverte aux investissements étrangers, mais elle est aussi et surtout en attente d'adhésion à l'Union européenne et à l'Alliance atlantique. L'Allemagne, en raison de son rôle de première puissance européenne et à cause des éléments factuels et géographiques mentionnés ci-dessus, fait un pari important sur l'avenir du cœur territorial de la « ceinture des Aigles ».

Rome se retire, Berlin avance

L'Italie reste le premier marché de référence de l'Albanie en termes d'import-export, mais la position de domination commerciale, résultat de la proximité géographique et du passé historique, s'effrite au fil du temps au profit d'une situation plus variée reflétant l'émergence de nouvelles polarités et de nouveaux équilibres entre les Balkans et l'Adriatique.

Les chiffres sont éloquents : le tandem italo-albanais est en déclin constant depuis 2017, tandis que la présence de la Turquie et de la Chine augmente de façon ininterrompue, sans intervalles, pauses ou ralentissements, depuis 2005. Entre 2018 et 2019, alors que les importations en provenance de Rome ont diminué de 6,3 %, celles en provenance d'Ankara et de Pékin ont augmenté respectivement de 14 % et 11 %. Si la tendance se poursuit et se cristallise, d'ici le milieu des années 20, l'Italie pourrait perdre son titre de premier collaborateur commercial de l'Albanie.

L'Allemagne joue un rôle clé dans ce processus d'érosion : elle est entrée dans le classement des cinq premiers collaborateurs commerciaux de l'Albanie en 2015, occupant la quatrième position, et, depuis lors, elle a montré sa volonté de défendre avec ténacité ce statut de domination ascendante. L'année dernière, ce fut le tournant : l'augmentation exceptionnelle des exportations de produits albanais vers le marché allemand - +12,8% par rapport à 2019 ; la plus forte augmentation jamais enregistrée parmi tous les partenaires commerciaux de Tirana - accélère l'inéluctable ascension de Berlin, qui passe de la quatrième à la troisième place.

Investissements

Outre les échanges commerciaux, l'Allemagne utilise les investissements et la diplomatie culturelle pour accroître son poids sur la scène albanaise. En termes d'importance, Berlin est le onzième investisseur direct dans le système du pays des Aigles, où il est particulièrement présent dans l'énergie, les infrastructures et le tourisme, trois secteurs qui, le 27 janvier, ont fait l'objet d'une série d'accords.

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A la fin du mois, en effet, une réunion bilatérale a eu lieu à Tirana entre l'ambassadeur allemand in loco, Peter Zingraf, et la ministre albanaise de l'énergie et des infrastructures, Belinda Balluku, au cours de laquelle trois documents importants ont été signés dans les domaines de l'énergie - la restauration de la centrale hydroélectrique de Fierza, la plus grande du pays, par des spécialistes allemands -, l'investissement allemand de cinquante millions d'euros sur quatre ans pour promouvoir le développement régional intégré et le tourisme par le renforcement du réseau d'infrastructures - et pour conserver l'environnement - c'est-à-dire le soutien à la "gestion durable des déchets".

A Tirana, on parle allemand (de plus en plus)

Enfin, il y a la culture, un domaine sur lequel l'Allemagne parie beaucoup. Complice du mouvement migratoire de Tirana vers Berlin, à partir de 2018, les universités allemandes reconnaissent officiellement les diplômes du système d'enseignement supérieur albanais et la mobilité des étudiants a été renforcée par des programmes d'échange.

La promotion de la langue allemande : celle-ci est devenue une matière d'enseignement officielle dans six écoles participant à l'initiative "Partenaires pour l'avenir" ; elle est désormais une branche qui suscite un intérêt croissant chez les jeunes Albanais. Cette promotion est liée à la nouvelle donne économique/géopolitique. Pour donner une idée de l'ampleur du phénomène, considérons que le Goethe-Institut de Tirana en 2016 a dû transférer ses activités dans un bâtiment plus grand pour faire face de manière adéquate à une demande en pleine explosion : quatre mille étudiants se sont inscrits à l'époque, soit une augmentation de 22 % par rapport à l'année précédente.

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Il est fondamental de traiter le facteur linguistique avec toute l’attention voulue : en matières géopolitiques, les sphères d'influence sont également préservées par des travaux de conditionnement et de contagion culturelle, et l'intérêt et la fascination d'un peuple pour une langue sont révélateurs de la santé d'un lien entre les nations. La situation actuelle, une fois de plus, devrait inquiéter Rome : alors que des langues telles que l'anglais, l'allemand et le turc gagnent en popularité et en crédit, ces dernières années ont vu les étudiants protester contre l'imposition de l'enseignement obligatoire de l'italien.

L'importance de l'Albanie

L'Albanie est la clé de voûte pour asseoir toute stratégie d'hégémonisation de la péninsule balkanique. Exercer une influence décisive sur cette ancienne nation signifie hypothétiquement prendre le contrôle de la "ceinture des Aigles" – soit le triangle Tirana-Pristina-Skopje -, le tremplin géographique multidirectionnel, capable de projeter le joueur en service simultanément vers la Grèce, la Bulgarie, la Serbie, la Bosnie et l'Adriatique.

Celui qui contrôle la « ceinture des Aigles » décuple la probabilité de pouvoir construire une position hégémonique dans les Balkans qui, à leur tour, étant le talon d'Achille historique de l'Europe, sont fondamentaux pour conditionner la dynamique politique du Vieux Continent. C'est pour cette raison, souvent et volontairement incomprise et/ou négligée dans le monde de l'analyse géopolitique, que les grandes puissances régionales et extra-régionales s'intéressent au sort de Tirana, et de sa sœur Pristina, depuis la fin de la guerre froide, profitant des événements en Yougoslavie et de la perte de pouvoir et d'influence du garant historique qu’était l'Italie.

La Turquie et les États-Unis sont les acteurs qui ont su tirer parti de la dynamique des guerres post-yougoslaves, la première dans le cadre de l'expansion néo-ottomane dans les Balkans et la seconde dans le cadre de l'élargissement de l'Alliance atlantique et de l'endiguement de la Serbie (c'est-à-dire de la Russie), mais la compétition pour le contrôle du cœur géographique de la ceinture des Aigles est l’intention d'une multitude de nouveaux acteurs : la Chine, Israël, l’Iran, les pétromonarchies du Golfe, la France, l’Allemagne, le Vatican.

L'avenir du peuple albanais ne semble pas parler italien, aussi et surtout, à cause de mauvais choix, de négligence et de manque de clairvoyance de la part de la classe dirigeante du Bel Paese ; le fait est, cependant, que négliger de courtiser Tirana, c'est perdre un précieux avant-poste dans l'Adriatique et dans les Balkans occidentaux : Rome est avertie.

lundi, 01 février 2021

Joe Biden et l’avenir du Moyen-Orient

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Joe Biden et l’avenir du Moyen-Orient

Par Daniele Perra

Ex : https://www.lintellettualedissidente.it

Plusieurs médias ont décrit le début de l'ère Biden comme le retour de l'Amérique sur la scène internationale. En réalité, la prétendue discontinuité géopolitique entre les deux administrations (sauf exceptions stratégiques spécifiques) ne semble être qu'une construction journalistique.

Le début de l'ère Biden a été marqué par un certain nombre de mesures de politique étrangère en hypothétique contradiction avec les derniers coups de gueule de l'administration Trump. Ces mesures concernaient en particulier la région du Proche et du Moyen-Orient. Une région sur laquelle s'est construite, au moins au cours des vingt dernières années, la perception globale des États-Unis comme une puissance "impérialiste" ou comme un "exportateur de démocratie et de liberté" qui défend l'"Occident" et ses "valeurs" contre la barbarie orientale.

Le prétendu isolationnisme de l'administration Trump entrecoupait des démonstrations extrêmes de force (l'assassinat du général iranien Qassem Soleimani, le lancement de la "Mère de toutes les bombes" en Afghanistan) avec des actions diplomatiques unilatérales (la sortie de l'accord nucléaire iranien et l'imposition de nouvelles sanctions contre Téhéran et Damas, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l'État d'Israël et de la souveraineté israélienne sur le Golan occupé),y ajoutant des déclarations à la dérive plus propagandiste que realpolitisch sur le retrait progressif des États-Unis de la région. Ce prétendu isolationnisme a sans doute jeté la confusion dans les médias "occidentaux" qui continuent à construire leur système de communication sur les apparences et sur une étude des sources plutôt pauvre. Depuis 2016, je soutiens que l'administration Trump ne ferait rien d'autre que de montrer le vrai visage de l'Amérique jusqu'alors caché par le voile humanitaire du double mandat démocrate de Barack Obama. Cependant, si précisément les peuples du Proche et du Moyen-Orient ont pu regarder cette réalité en face (l'imposition de sanctions à la Syrie par le Caesar Act, par exemple, a fait plus de morts que le terrorisme), en "Occident", également grâce à une information complice, on a préféré, d'une part, soutenir la thèse isolationniste et, d'autre part, critiquer les aspects aussi grotesques qu'essentiellement inoffensifs de l'administration Trump, qui appartient désormais au passé.

Biden à Bagdad

Maintenant, dans ce contexte, nous n'entrerons pas dans le détail du mouvement des troupes nord-américaines entre la Syrie et l'Irak ou de l'entrée des navires de guerre dans la mer de Chine méridionale. Ces opérations se déroulent dans le silence des médias occidentaux depuis plusieurs années. C'est pourquoi, sur cette base, quelques jours après l'entrée en fonction de la nouvelle administration, il n'est en aucun cas possible de tracer des lignes de discontinuité avec le passé. Il suffit de dire que dans l'instant qui a suivi l'annonce du retrait de Syrie par Donald J. Trump, plusieurs colonnes de véhicules blindés américains sont entrées dans ce pays du Levant via l'Irak pour "sécuriser" les puits de pétrole. En fait, le retrait susmentionné n'a jamais eu lieu et, selon toute probabilité, la nouvelle administration ne fera que renforcer les positions nord-américaines sur la rive orientale de l'Euphrate pour empêcher également toute reconstruction éventuelle du pays par l'exploitation de ses ressources.

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On pensait qu'il y avait une ligne de discontinuité avec l'ère Trump dans la relance du programme d'aide à la Palestine coupé par le précédent locataire de la Maison Blanche. À cet égard, le discours devient, du moins en théorie, plus complexe. Yara Hawari, chercheuse au centre de recherche palestinien Al-Shabaka, a expliqué qu'il est pour le moins optimiste d'espérer un changement de la politique nord-américaine à l'égard de la question israélo-palestinienne. La position extrémiste de l'administration Trump, une fois de plus, ne serait rien d'autre que la position américaine traditionnelle sans les fioritures de l'hypocrisie humanitaire. En fait, les deux principaux camps politiques nord-américains n'ont jamais manqué d'apporter un soutien inconditionnel à Israël. Joe Biden lui-même, en son temps, a eu l'occasion de souligner que l'aide américaine à Israël était le meilleur investissement pour la politique étrangère de Washington et que s'il n'y avait pas d'État juif, les États-Unis auraient dû en créer un pour garantir leurs propres intérêts dans la région. Le vice-président Kamala Harris et le nouveau secrétaire d'État, le "faucon" Antony Blinken, sont plus ou moins du même avis. Ce dernier, déjà partisan convaincu de l'agression contre la Syrie sous l'ère Obama, a également garanti que l'administration Biden suivrait les traces de ses prédécesseurs, tant en ce qui concerne la volonté de maintenir l'ambassade américaine à Jérusalem (un autre choix imaginé même sous l'ère Clinton et concrétisé par Trump) que les accords dits "Abrahamiques". Ceux-ci sont en effet fondamentaux pour la stratégie géopolitique américaine de construction de blocs d'interposition entre l'Est (Russie, Iran et Chine notamment) et l'Europe, qui comprend également l'Initiative des trois mers dans la partie orientale du Vieux continent.

Par conséquent, le "retour aux affaires" entre Washington et les institutions palestiniennes (entre autres choses largement corrompues et corruptibles lorsqu'elles ne sont pas directement otages des monarchies du Golfe) ne peut être considéré comme essentiellement positif. Si, d'une part, elle peut apporter un soulagement à au moins une minorité de la population palestinienne, d'autre part, elle continuera à fonctionner sur le mode de l'échange entre l'argent et de nouvelles concessions politiques unilatérales visant toujours à favoriser les revendications sionistes au détriment des revendications palestiniennes. Un discours similaire peut facilement être appliqué à l'accord nucléaire avec l'Iran. Les théoriciens des relations internationales comme le "réaliste" John Mearsheimer ont réitéré la nécessité pour les États-Unis de tenter un hypothétique retour à l'accord ou, du moins, une nouvelle approche de Téhéran. Il va sans dire que, dans ce cas également, les concessions économiques garanties à l'Iran par l'accord ont été étudiées à la fois pour empêcher le développement de la capacité de dissuasion nucléaire et antimissile de Téhéran, et pour garantir une pénétration occidentale dans le pays qui aurait pu permettre (au moins, à long terme) une déconstruction depuis l'intérieur de la République islamique. Il n'est pas surprenant que, déjà avant la signature de cet accord, un centre de recherche stratégique israélien ait produit un plan de déstabilisation interne de l'Iran, exploitant les minorités ethniques et religieuses : en d'autres termes, une sorte de plan Yinon appliqué à la République islamique, avec le titre emblématique "Comment faire mal à l'Iran sans frappes aériennes".

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Les renseignements selon Joe Biden

Maintenant, outre le fait que les termes de l'accord n'ont déjà pas été respectés dans les dernières périodes de l'administration Obama, il sera important de comprendre comment Joseph Biden peut tenter un rapprochement avec l'Iran. Pour la stratégie américaine, cela serait fondamental en premier lieu pour pouvoir se concentrer sur les principaux ennemis : la Russie (l'accélération soudaine du cirque d'information atlantiste sur l'affaire Navalny est en ce sens emblématique) et la Chine avec ses projets de coopération eurasienne qui doivent être constamment sabotés. Et, deuxièmement, garantir une plus grande concentration des forces de renseignement également sur la dynamique interne aux Etats-Unis mêmes, dynamique devenue plutôt turbulente. Cette tentative de rapprochement ne peut donc être que progressive. Toutefois, un signe important dans ce sens a déjà été lancé avec la réduction partielle du régime de sanctions imposé dans les derniers jours de la présidence Trump aux forces yéménites d'Ansarullah (proches de Téhéran) et avec la promesse d'interrompre le soutien logistique à l'agression saoudienne contre le Yémen lui-même et de réduire la vente d'armes aux monarchies du Golfe (un autre héritage des précédentes administrations Obama et Trump). Il faut dire qu'il est difficile (et à juste titre) pour l'Iran, quelle que soit la pression exercée, d'accepter sans garanties réelles de suppression complète du régime de sanctions à son encontre un accord avec un homologue qui s'est avéré largement peu fiable. Par conséquent, il ne serait pas du tout surprenant que des opérations de guerre hybride contre la République islamique soient également menées de manière constante par la nouvelle administration, bien que de manière moins ouverte et moins ouvertement propagandiste que dans le cas de Trump.

Face à une situation intérieure plutôt instable, de nombreux théoriciens et stratèges nord-américains ont souligné la nécessité d'une reconstruction interne à travers le seul ciment idéologique de la société américaine : l'idée exceptionnaliste de "destin manifeste", de supériorité morale par rapport aux autres nations du globe. Cependant, pour raviver ce sentiment, il faut un ennemi (ou la création d'un ennemi). Cet ennemi est et reste (comme pour l'administration Trump) la Chine : la seule puissance réellement capable de représenter une menace et une alternative au système mondial décadent de l'Amérique du Nord. En fait, même parmi les démocrates, le parti de ceux qui ont commencé à considérer la Russie comme un "allié" stratégique potentiel dans une perspective anti-chinoise se développe, si Poutine et son entourage devaient quitter la scène à court terme, laissant la place à une "cinquième colonne" occidentale assez importante composée d'oligarques et de politiciens de diverses orientations libérales (une solution qui reste peu probable à court terme).

Ne pouvant cependant pas se permettre un affrontement militaire direct avec la Chine, il reste à comprendre quelle solution sera adoptée pour contenir et éviter la projection géopolitique de cette dernière. L'une des caractéristiques fondamentales du projet d'infrastructure de la nouvelle route de la soie est le corridor sino-pakistanais. Les relations entre les États-Unis et le Pakistan se sont rapidement détériorées ces dernières années, également en raison d'un engagement américain notable dans le renforcement technologique et militaire de l'Inde, déjà considérée à l'époque d'Obama comme un "partenaire majeur en matière de défense". Joseph Biden, alors qu'en 2007 il était encore candidat aux primaires du parti démocrate, a déclaré que le Pakistan est l'État le plus dangereux du monde. Toujours à la lumière de la tentative de détente avec l'Iran, il ne serait pas du tout surprenant qu'une guerre sur commande soit préparée précisément dans une région qui reste la jonction cruciale entre les axes Nord-Sud et Ouest-Est du continent eurasiatique.

Le Grand Jeu en Méditerranée orientale

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Giusepppe Gagliano:

Le Grand Jeu en Méditerranée orientale

Ex : https://moderndiplomacy.eu

Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, la découverte de grands gisements de gaz au large des côtes d'Israël, de Chypre, d'Égypte et du Liban, a fait que la Méditerranée orientale joue désormais un rôle beaucoup plus important dans la géopolitique de l'énergie. Dans les eaux de l’offshore profond, elle n'est rentable qu'à long terme et présente des défis techniques et économiques importants. De plus, le pouvoir politique qui régit cette zone de la Méditerranée orientale repose sur trois autorités avec lesquelles il est nécessaire de traiter, dont les intérêts économiques peuvent diverger dans le temps. Cette réalité pèse sur les perspectives d'avenir de cette zone, du moins jusqu'à ce que la dimension politique soit résolue de manière sûre.

D'importants gisements de gaz naturel ont été découverts dans les ZEE de l'Égypte, d'Israël et de Chypre. Les ZEE plus petites de la Syrie et du Liban doivent encore être explorées ou confirmées. Ces découvertes en Méditerranée orientale seraient constituées de réserves potentielles de l'ordre de 3,5 milliards de mètres cubes de gaz, dont la moitié environ sont des réserves prouvées équivalentes à celles encore disponibles pour la Norvège après trente ans d'approvisionnement par l'Union européenne. En particulier, presque à la même distance des côtes de leur pays, se trouvent les trois gisements de Zohr (Egypte), Leviathan (Israël) et Aphrodite (Chypre) avec respectivement des réserves prouvées de 850, 450 et 140, pour un total de 1.440 milliards. de mètres cubes. Les dirigeants de ces trois pays se sont réunis pour envisager une solution commune afin de commercialiser ce gaz pour l'exportation. Il a été question de la construction d'un gazoduc sous-marin vers la Grèce et l'Italie, qui serait un concurrent direct du gaz azerbaïdjanais qui traverse la Turquie.

Dans le même temps, les gouvernements de Turquie et de Libye ont délimité les frontières de leurs ZEE, envahissant les ZEE des pays cités ci-dessus, créant ainsi des sources supplémentaires d'incertitude et de complications juridiques. Enfin, la démonstration de force de la Turquie en envoyant des navires sismiques en préparation des opérations d'exploration dans la ZEE grecque n'a fait qu'ajouter à un climat géopolitique déjà tendu. Tous ces facteurs d'incertitude et de conflits potentiels ne sont pas propices au développement de la production de gaz dans cette zone de la Méditerranée orientale. Cette situation n'empêche pas l'Égypte et Israël de produire, de consommer et d'exporter du gaz provenant de gisements proches de leurs côtes, dont la propriété n'est pas remise en question.

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Nous en venons maintenant à la Turquie. Il faut souligner qu'il existe un malentendu géographique : la grande découverte annoncée le 21 août 2020 par le président Erdogan ne se situe pas en Méditerranée, mais en mer Noire. Il s'agit du champ de Sakarya, situé à environ 170 kilomètres au nord de la côte turque. Il a une profondeur d'eau de 2 110 mètres et une profondeur totale de 4 775 mètres. Selon les informations publiques, il a été découvert en forant un seul puits, le Tuna-1, réalisé par le navire d'exploration Fatih ("le conquérant", en turc). Les réserves, initialement annoncées à 800 milliards de mètres cubes, ont été réévaluées par l'opérateur TPAO (Turkish Petroleum Corporation) à 320 puis à 405 milliards de mètres cubes le 17 octobre 2020. Un second forage de Turkali 1 est prévu en novembre. Un deuxième navire d'exploration, le Kanuni ("le législateur" en turc) est sur le point d'atteindre la mer Noire.

Le Sakarya a l'avantage d'être proche du marché turc. S'il est produit, son gaz approvisionnera le marché turc, renforcera la sécurité d'approvisionnement du pays et améliorera sa balance commerciale.

Cependant, la mise en production de Sakarya en 2023 est un objectif qui ne tient pas compte du calendrier de l'industrie gazière. Cette constatation devra être confirmée avant de passer à la conception et à la construction des installations de la phase de production du projet.

N'oublions pas que les ambitions de la Turquie sont multidimensionnelles et à multiples facettes. Elles ont un impact direct sur l'Europe, de l'Atlantique au Caucase en passant par la Méditerranée et le Moyen-Orient. Il est évident que les dimensions géopolitiques et religieuses priment sur les autres et il n'est pas clair si elles ont leur propre dimension stratégique ou si elles sont simplement tactiques. Cela dit, les ambitions énergétiques sont très légitimes pour tout pays, surtout lorsqu'il s'agit de la sécurité de l'approvisionnement en gaz.

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L'approvisionnement en gaz de la Turquie se situe entre 45 et 50 milliards de mètres cubes par an ; il est bien diversifié. Le gaz arrive à l'ouest par le Turk Stream, qui remplacera progressivement l'itinéraire historique à travers l'Ukraine, la Roumanie et la Bulgarie, au nord par le Blue Stream à travers la mer Noire à une profondeur de 2 000 mètres, à l'est par la frontière avec l'Iran et au nord-est par la frontière avec la Géorgie pour le gaz azerbaïdjanais. En outre, deux terminaux GNL terrestres (Izmir Aliaga, Marmara Ereglesi) et deux terminaux GNL flottants (Etki et Dörtyol) ont une capacité de réception totale d'environ 25 milliards de mètres cubes, dont la moitié seulement est utilisée, ce qui laisse une grande flexibilité ; ils reçoivent du gaz naturel liquéfié (GNL) d'Algérie, du Nigeria, du Qatar et d'autres sources, en dernier lieu du gaz de schiste des États-Unis.

Quant au TANAP (Trans Anatolian Pipeline) récemment mis en service, 6 milliards de mètres cubes par an de gaz azerbaïdjanais transiteront dans une première phase vers la Grèce, ce qui représente un peu plus de 1% des besoins de l'Union européenne. C'est ce qui reste du projet "Corridor Sud", autrefois étudié sous le nom de "Nabucco", promu par l'Union européenne pour réduire l'influence russe dans l'approvisionnement en gaz.

En bref, ces découvertes de grands gisements de gaz naturel ont déterminé un conflit évident, exacerbant les problèmes géopolitiques déjà existants dans une région qui n'est certainement pas simple d'un point de vue géopolitique.

Nous pensons au fait qu'Israël est en guerre avec le Liban et que les deux pays ne s'accordent pas sur le tracé de leurs zones économiques exclusives (ZEE) respectives ; la Syrie est en ruine, le conflit israélo-palestinien se poursuit et la question d'une éventuelle ZEE pour Gaza demeure ; la Turquie occupe toujours la partie nord de Chypre, refuse à l'île le droit d'avoir une ZEE et remet en cause le traité de Lausanne qui a établi, en 1923, les frontières gréco-turques et enfin, la Libye est déstabilisée et en guerre civile, avec des interventions étrangères qui compliquent encore la stabilité de la région.

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Ces découvertes modifient considérablement le destin énergétique des Etats riverains du bassin du Levant. Israël devient une puissance exportatrice de gaz naturel, l'Égypte répond dans un premier temps à ses besoins et envisage de devenir un pôle énergétique régional, Chypre s'appuie sur ses ressources naturelles pour réaliser la réunification de l'île. De même, le Liban et la Syrie pourraient envisager d'exploiter leurs ressources respectives ; le Liban a accordé les premières licences de recherche/exploitation et la Syrie a fait de même au profit, sans surprise, des entreprises russes. Et une fois de plus, la Turquie joue un rôle décisif dans ce jeu.

Mais pour revenir à la Turquie, l'occupation de la partie nord de Chypre (depuis 1974) est l'une des composantes de la question. La nouveauté vient de la réaction de la Turquie face à la possibilité pour Chypre d'exploiter les ressources naturelles situées dans sa ZEE. Rappelons que Chypre a délimité sa ZEE avec l'Égypte et Israël, a signé un traité avec le Liban et était en pourparlers avec la Syrie (avant le conflit) sur la base de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). L'île a ensuite accordé des accords de recherche/exploitation à diverses entreprises. La société américaine Noble Energy, le consortium italo-coréen ENI-Kogas, le français Total, seul ou en joint-venture avec ENI, et l'américain ExxonMobil allié de Qatar Petroleum ont obtenu les licences.

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La Turquie, pour sa part, affirme que Chypre, comme toutes les îles de la Méditerranée, n'a pas de ZEE. Ankara, qui ne reconnaît pas la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, a une position arbitraire sur le sujet, une position qui lui est propre : elle estime que les îles n'ont pas de ZEE dans les mers fermées ou semi-fermées. .

Malgré les menaces turques à l'encontre des compagnies pétrolières travaillant avec Chypre, de nombreux forages exploratoires ont été réalisés dans la ZEE du pays et d'importantes découvertes de gaz naturel en quantités exploitables ont été faites : Noble Energy (découverte d'un champ contenant 100 à 170 milliards de mètres cubes de gaz naturel dans le bloc 12), ExxonMobil avec Qatar Petroleum (de 170 à 230 milliards de mètres cubes dans le bloc 10) et ENI avec Total (grand champ non encore quantifié dans le bloc 6).

Face à ces constats, la Turquie est devenue encore plus agressive, envoyant des navires d'exploration et de forage dans les eaux chypriotes, accompagnés de navires de guerre. La Turquie a effectué huit sondages illégaux dans la ZEE de Chypre. Appliquer la tactique d'encerclement à Chypre en maintenant constamment la pression sur cet Etat insulaire, avec, en fin de compte, le contrôle total de l'île. Sa dernière provocation, outre l'invasion quasi constante de sa ZEE, a été l'ouverture à l'exploitation et enfin la colonisation, le 8 octobre, du quartier fermé de Famagouste, ville portuaire vidée de sa population en 1974 et laissée auparavant pour une ville fantôme.

Parallèlement à la menace qui pèse sur Chypre, une menace croissante pèse sur la Grèce. Depuis le 10 août 2020, la Turquie a déployé son navire sismique Oruç Reis, accompagné de forces militaires navales, dans l'espace maritime grec, jusqu'aux côtes de Crète, obligeant la Grèce à faire de même. La Grèce, la France, l'Italie et Chypre ont mené un exercice militaire conjoint en Méditerranée orientale du 26 au 28 août, envoyant ainsi un message clair sur la volonté de ces pays de faire respecter le droit international.

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Selon une déclaration du ministère français des forces armées, "Chypre, la Grèce, la France et l'Italie ont décidé de déployer une présence commune en Méditerranée orientale dans le cadre de l'initiative de coopération quadripartite". La ministre française des forces armées, Florence Parly, a en outre précisé que la Méditerranée "ne doit pas être un terrain de jeu pour les ambitions de certains, c'est un bien commun".

Le président turc a précisé de sa part : "Nous ne ferons absolument aucune concession sur ce qui nous appartient. Nous invitons nos homologues à [...] se méfier de toute erreur qui pourrait ouvrir la voie à leur perte. Il a ensuite ajouté : "La Turquie prendra ce qui lui revient de droit dans la mer Noire, la mer Égée et la Méditerranée [...]. Pour cela, nous sommes déterminés à faire tout ce qui est nécessaire politiquement, économiquement et militairement". Le discours a été prononcé lors d'une cérémonie commémorant la bataille de Manzikert en 1071, qui marque l'entrée des Turcs en Anatolie, suite à la victoire du sultan seldjoukide Alp Arslan sur les Byzantins. Les marines des deux pays sont sur le point de s'affronter. Août : un navire grec entre en collision avec un navire turc.

A la situation déjà compliquée, la Turquie a ajouté un nouvel élément lié au conflit libyen. Depuis la chute du colonel Kadhafi, la Libye est entrée dans une zone d'instabilité dans laquelle de nombreux acteurs aux intérêts divergents se sont immergés. L'Egypte, soutenue par les Emirats et l'Arabie Saoudite, soutient le maréchal Haftar, qui contrôle la Cyrénaïque. La Russie est également présente dans cette région. Au contraire, la Turquie, soutenue par le Qatar, soutient le gouvernement de Sarraj, qui contrôle la région de Tripoli. Profitant de ce soutien, la Turquie a signé deux accords (le 27 novembre 2019) avec le maître de Tripoli. L'un militaire, l'autre maritime. L'accord de délimitation du plateau continental maritime entre les deux pays ignore complètement l'existence de Chypre, de la Crète et d'autres îles grecques de la mer Égée. De plus, la volonté d'Erdogan de prendre pied sur le continent africain et de changer la situation géopolitique dans cette région bouleverse de nombreux autres acteurs internationaux. La Libye est pour la Turquie, une des "entrées" de cet espace, d'où son désir d'établir des bases permanentes dans ce pays.

Cette situation géopolitique explosive montre la nécessité de développer la coopération dans cette région troublée. La coopération entre Chypre, la Grèce et Israël a rapidement pris forme. D'autres ont suivi, impliquant l'Égypte et la Jordanie, toujours avec la participation de Chypre et de la Grèce. L'Italie et la France sont également très présentes pour l'implication de l'ENI et de Total, mais aussi pour protéger cet espace vital commun qu'est la Méditerranée.

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La signature, début janvier 2020, d'un accord interétatique entre Israël, Chypre et la Grèce, pour la construction du pipeline sous-marin EastMed, est l'un des projets ambitieux de cette coopération. D'un coût d'environ 7 milliards d'euros, ce gazoduc permettrait d'acheminer le gaz chypriote et israélien vers la Grèce continentale, via la Crète, et au-delà vers l'Italie et l'Europe occidentale (entre 9 et 11 milliards de mètres cubes/an, ce qui correspond à environ 15 % de la consommation européenne de gaz naturel). Bien que ce projet soit coûteux sur le plan économique, il est de la plus haute importance sur le plan géopolitique pour la construction de l'indépendance énergétique de l'Europe. Il convient également de noter qu'en janvier 2019, les pays de la région ont créé le Forum du gaz de la Méditerranée orientale, qui vise à gérer le futur marché du gaz - une coalition qui comprend Chypre, la Grèce, Israël, l'Égypte, l'Italie, la Jordanie et la Palestine. La Turquie dénonce le fait que cela pourrait menacer ses intérêts. Toutefois, trois autres développements positifs sont intervenus au cours de l'été 2020 : La Grèce a procédé à la délimitation de sa ZEE avec l'Italie et l'Égypte et cette délimitation, basée sur la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, reconnaît évidemment une ZEE pour les îles.

Enfin, le Conseil européen réaffirme dans ses conclusions du 2 octobre 2020 sa solidarité avec Chypre et la Grèce, en précisant que des sanctions seraient adoptées contre la Turquie si cette dernière continuait à violer les ZEE des deux pays membres de l'UE ; Ankara a immédiatement rejeté cette décision, déclarant que son programme de recherche en Méditerranée orientale se poursuivrait. D'autant plus que l'Oruç Reis est toujours dans les eaux chypriotes et que la Turquie a décidé d'ouvrir le district fermé de Famagouste à l'exploitation, certainement dans le but d'une colonisation imminente, et ce en violation de toutes les résolutions des organisations internationales. Non seulement la pression continue de la Turquie sur Chypre s'intensifie dangereusement, mais la Turquie s'engage dans une projection politique lucide de la puissance maritime.

dimanche, 31 janvier 2021

De fratsen van Trump en de hysterie die ze veroorzaken

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De fratsen van Trump en de hysterie die ze veroorzaken
 
Francis Van den Eynde
Ex: Nieuwsbrief Knooppunt Delta, nr. 155, januari 2021
 
Dat Trump zichzelf in de laatste weken van zijn mandaat overtroffen heeft, hoeft, denk ik, geen betoog. Wie dacht dat hij met zijn “bijzonder merkwaardige” benadering van het covid-probleem al een Olympisch goud had gehaald in het rijden van een brokkenparcours, zal nu wel tot de conclusie zijn gekomen dat hij er ondertussen in geslaagd is het toen gehaalde eigen record te breken. Niemand zou het hem kwalijk genomen hebben indien hij na 3 november de overwinning van Biden had erkend, maar tegelijkertijd had beklemtoond dat dit niet betekende dat hij die verkiezingen had verloren, vermits hij meer stemmen dan de vorige keer had gehaald en dit ondanks de hetze die de meeste media jarenlang tegen zijn beleid hadden gevoerd. De publieke opinie zou dit zeker op prijs hebben gesteld en hij zou zich hiermee ongetwijfeld in een gunstige startpositie voor de volgende stembusslag hebben gemanoeuvreerd. In de plaats daarvan is hij als een slechte verliezer overgekomen door over alle daken te gaan schreeuwen dat er bij de presidentsverkiezingen massaal fraude was gepleegd ten voordele van de Democraten. Iets wat hij met geen enkel bewijs kon staven en wat bovendien, behalve dan bij zijn trouwste en fanatiekste achterban, totaal ongeloofwaardig klonk. Hij ging nog meer in de fout toen hij in een vrij agressieve terminologie een oproep deed om tegen die zogenaamde vervalsing van de uitslagen te betogen. Last but tot not least: hij wachtte bijzonder lang om tussenbeide te komen toen de demonstratie waartoe hij had opgeroepen, in geweld ging ontaarden. En dat voor een zittende president, geef toe “ il faut le faire”…

Het hoge aantal kiezers die ook deze keer voor Trump heeft gestemd en de zeer talrijke betogers die gevolg hebben gegeven aan zijn oproep om hem in Washington komen steunen (sommigen onder hen hadden hier zelfs een zeer verre reis voor over, de vrouw die door de ordediensten dood geschoten werd, kwam uit Sacramento in Californië, een stad op ongeveer 5000 kilometer van het Capitool) tonen voldoende aan dat vele Amerikanen zich helemaal niet kunnen terugvinden in de links liberale ideologie die sinds jaren hun maatschappelijk leven overheerst. Een alerte politieke leider zou hun misnoegdheid en de politieke energie die ze doet ontstaan, kanaliseren rond meer ernstige thema’s dan een ongeloofwaardig verhaal  omtrent  gemanipuleerde verkiezingsuitslagen. Trump heeft zoiets blijkbaar nooit overwogen. Hij hield het bij een reflex van slecht humeur, vergelijkbaar met dat van een verwend nest waarvan het meest geliefde stuk speelgoed werd afgenomen.

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Maar indien het allesbehalve fatsoenlijk is om te betogen tegen een zogenaamde vervalsing van  verkiezingsresultaten, wat dan te denken van mensen die tegen een verkiezingsuitslag demonstreren, niet omdat ze er de legitimiteit van zouden betwisten maar doodgewoon omdat die niet is wat ze verhoopt hadden? Dat is nochtans wat de aanhangers van Hillary Clinton gedaan hebben toen deze laatste bij de verkiezingen van vier jaar geleden voor Trump de duimen had moeten leggen. De slogan“ Not my president” was over gans het land te horen. Ook in Washington op de dag van Trump’s  ambtsaanvaarding  Zou het kunnen dat de Amerikaanse Democraten op 6 januari van dit jaar op een broek getrakteerd werden die uit hetzelfde laken was gesneden? Het oude Vlaamse spreekwoord “ Wie wind zaait, zal storm oogsten” heeft blijkbaar nog niets aan waarde ingeboet.

Het mag trouwens gezegd worden dat de Amerikanen die toen betoogden omdat de uitslag van de verkiezingen hen niet aanstond, hiervoor de mosterd in het oude continent waren komen zoeken, onder meer in Vlaanderen. Op het einde van de jaren 80 en in het begin van de jaren 90 waren  betogingen tegen de uitslag van alle verkiezingen die voor het Vlaams Blok gunstig waren uitgevallen bij ons schering en inslag. Trouwens ook betogingen tegen de installatie van de gemeenteraden waarin voor de eerste keer mandatarissen van die partij zetelden. Dit ging vaak met geweld gepaard. Op de dag dat ondergetekende voor de eerste keer zijn eed in de Gentse gemeenteraad aflegde, werd aan het stadhuis een agent geraakt door een molotovcocktail die door een linkse betoger werd gegooid. Ik heb tot hiertoe geen enkele weldenkende horen beweren dat die demonstraties van toen aanslagen op de democratie waren. Integendeel, er werd – begrijpe wie kan – in naam van de democratie tegen normale en onbetwiste verkiezingsuitslagen geprotesteerd.  En wat de media uit die tijd betreft, zij rapporteerden in het beste geval over de incidenten  maar vonden het niet nodig ze te becommentariëren, laat staan ze te veroordelen.

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Wat een verschil met nu. De kranten staan al dagen vol over wat zich op 6 januari in de Amerikaanse hoofdstad heeft voorgedaan en over de nasleep ervan, televisie en radio op kop! De belangstelling voor wat zich in Washington afspeelt overtreft deze voor de pandemie, ook al veroorzaakt die nog dagelijks tientallen doden. Het is bijna alsof België de 51ste staat van de VS is geworden. Er wordt zelfs flink over een en ander in de Kamer gedebatteerd. Overdrijvingen worden hierbij meestal niet geschuwd . Zo wordt deze zwaar uit de hand gelopen demonstratie steevast een ‘coup’ genoemd. Zij die dit steeds weer herhalen, weten blijkbaar niet hoe het er bij een echte staatsgreep aan toe gaat. Daarvoor is wat meer nodig dan een via de sociale media verspreide oproep om te betogen. Een echte putsch vergt een degelijke organisatie en moet dus op voorhand goed gepland worden. Dan gaan op een afgesproken datum gewapende troepen (militairen of milities) al dan niet gesteund door een volksopstand, strategisch belangrijke plekken en instellingen bezetten – een presidentieel paleis, ministeries, kazernes, luchthavens, radio, TV etc. Dit zorgt ervoor dat het bewind niet meer bij machte is om efficiënt te reageren en dus gemakkelijk kan uitgeschakeld worden. Op televisiebeelden was duidelijk te zien dat de betogers die er In Washington in geslaagd waren het Capitool binnen te dringen, daarna niet wisten wat ze er moesten doen en dan maar doelloos rondliepen.

Men is bovendien ook vergeten dat er zich bij ons ook al vergelijkbare feiten hebben voorgedaan. In 1920  slaagden de toen nog zeer jonge oudstrijders van de Eerste Wereldoorlog die voor een beter pensioen betoogden, erin om door de cordon van de Rijkswacht te breken en het parlement te bezetten. De Gentse professor Grints die hier in de kranten aan herinnerde, vermeldde wel zeer uitdrukkelijk dat het toen in Brussel om een democratische betoging ging in tegenstelling met de poging tot “fascistische coup”  die zich in Washington had voorgedaan (sic). Een interessante suggestie voor een quizvraag “Zoek het verschil”, zou ik zeggen. Hij vergat ook te vermelden dat de aanwezige parlementsleden de benen namen, behalve die van de Vlaams-nationale Frontpartij. Die waren zelf oudstrijders…

Men is blijkbaar ook al vergeten dat de beruchte wallingant José Happart er ooit in geslaagd is om een jonge stier door het parlement te jagen. De man maakte later carrière als bijzonder populair Waals politicus. Hebt u iemand ooit horen beweren dat hij met zijn rund het parlement had ontwijd en de democratie had ondermijnd?

Het ergste is echter dat de Vivaldictatuur de incidenten die zich in de States hebben voorgedaan aangrijpt om een aantal maatregelen te treffen om de controle op de sociale media te verscherpen, om met andere woorden de vrije meningsuiting nog meer aan banden te leggen. Met zijn oproep tot protest tegen de verkiezingsresultaten in Amerika wordt Trump dus ongewild een bondgenoot van De Croo. Wie had dat verwacht?
 
Francis Van den Eynde

vendredi, 29 janvier 2021

Les grands défis et enjeux géostratégiques du monde multipolaire plein d’incertitudes qui vient...

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Les grands défis et enjeux géostratégiques du monde multipolaire plein d’incertitudes qui vient...

Entretien avec Caroline Galactéros

Propos recueillis par Alexandre del Valle

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien accordé par Caroline Galactéros à Valeurs Actuelles, consacré aux enjeux et aux défis géostratégiques de l'année 2021 dans le monde complexe et incertain qui nous entoure, que nous avons cueilli sur Geopragma.

Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

Les grands défis et enjeux géostratégiques de 2021… et du monde multipolaire plein d’incertitudes qui vient

Alexandre del Valle : La rivalité croissante-économique, technologique et stratégique- entre les deux superpuissances du nouveau monde multipolaire, la Chine et les Etats-Unis, est-elle une tendance lourde, que la crise sanitaire n’a fait que révéler un peu plus ?

Caroline Galactéros : En effet, l’affrontement de tête entre Washington et Pékin, qui structure la nouvelle donne stratégique planétaire, va bon train sur le front commercial, mais aussi sur tous les autres terrains (militaire, sécuritaire, diplomatique, normatif, politique, numérique, spatial, etc…). La planète entière est devenue le terrain de jeu de ce pugilat géant, en gants de boxe ou à fleurets mouchetés : l’Europe bien sûr, l’Eurasie, mais aussi l’Afrique (où Pékin nous taille des croupières), l’Amérique latine, la zone indo-pacifique (bien au-delà de la seule mer de Chine), et naturellement le Moyen-Orient. Le président chinois Xi Jing Ping a d’ailleurs saisi l’occasion de la curée américaine sur Téhéran pour lancer une contre-offensive redoutable et plus puissante qu’un droit de véto, à la manœuvre américaine de « pression maximale » qui ne fait que renforcer les factions dures à Téhéran. La Chine a en effet volé au secours de Téhéran en nouant cet été un accord de partenariat stratégique de 400 milliards de dollars d’aide et d’investissements (infrastructures, télécommunications et transports) assortis de la présence de militaires chinois sur le territoire iranien pour encadrer les projets financés par Pékin, contre une fourniture de pétrole à prix réduit pour les 25 prochaines années et un droit de préemption sur les opportunités liées aux projets pétroliers iraniens. Cet accord, véritable « Game changer », est passé quasi inaperçu en Europe. Ses implications sont pourtant cardinales : s’il est mis en œuvre, toute provocation militaire occidentale orchestrée pour plonger le régime iranien dans une riposte qui lui serait fatale, reviendra à défier directement la Chine… En attaquant Téhéran, Washington attaquera désormais Pékin et son fournisseur de pétrole pour 25 ans à prix doux. Un parapluie atomique d’un nouveau genre… Pékin se paie d’ailleurs aussi le luxe de mener parallèlement des recherches avec Ryad pour l’exploitation d’uranium dans le sous-sol saoudien…. Manifeste intrusion sur les plates-bandes américaines et prolégomène d’un équilibre stratégique renouvelé.

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ADV : Quel est votre regard sur l’outsider chinois depuis la crise sanitaire ? Doit-on combattre l’exemple anti-démocratique chinois qui séduit de plus en plus de pays du monde en voie de polarisation, donc de désoccidentalisation ?

CG : 2020 aura été l’année d’une accélération de la « guerre des capitalismes » qui fait rage désormais entre le capitalisme libéral occidental et son adversaire déclaré, le capitalisme politique chinois. Au grand dam de l’Occident, Pékin est en passe de résoudre la contradiction propre au système capitaliste occidental, qui détruit de l’intérieur la liberté des individus à force de l’exacerber, pour proposer une synthèse efficace et séduisante pour bien des pays, entre nation, développement collectif et prospérité individuelle. C’est du dirigisme, c’est une pratique autoritaire du pouvoir, c’est une restriction manifeste des « droits de l’homme », c’est le contrôle social direct grandissant des populations, oui. Mais c’est aussi la parade du pouvoir de Pékin à la déstabilisation extérieure ou au débordement intérieur par la multitude, c’est une réponse à la nécessité de sortir encore de la pauvreté des centaines de millions de personnes, et c’est le moyen de projeter puissance et influence à l’échelle du monde au bénéfice ultime des dirigeants mais aussi du peuple chinois. Au lieu de crier à la dictature, nous ferions mieux d’observer cette synthèse très attentivement et d’analyser sa force d’attraction. Les modèles de puissance et de résilience collective au mondialisme (tout en l’exploitant à son avantage) ont bougé depuis 30 ans. L’ethnocentrisme occidental et le moralisme dogmatique ne passent plus la rampe et brouillent le regard.

ADV : Sur le terrain des accords de libre-échanges en Asie, peut-on dire que la Chine a rempli le vide provoqué par le relatif désengagement américain sous l’ère Trump ? 

CG : Dans cette guerre « hors limites », et sans même parler ici de l’enjeu cardinal du contrôle – étatique ou via des GAFAM ou BATX (dans la version chinoise) complaisants – des données personnelles de centaines de millions de consommateurs-clients, Pékin vient de prendre magistralement l’avantage sur Washington avec la conclusion, le 15 novembre, du RECP (Regional Comprehensive Economic Partnership) avec quinze pays d’Asie. Cet accord constitue une bascule stratégique colossale et inquiétante dont ni les médias ni les politiques français ne pipent mot. Voilà le plus grand accord de libre-échange du monde (30 % de la population mondiale et 30 % du PIB mondial) conclu entre la Chine et les dix membres de l’ASEAN (Brunei, la Birmanie, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam), auxquels s’ajoutent quatre autres puissantes économies de la région : le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Cette nouvelle zone commerciale gigantesque se superpose en partie au TPP (Trans-Pacific Partnership) conclu en 2018 entre le Mexique, le Chili, le Pérou et sept pays déjà membres du RCEP : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Brunei, le Japon, la Malaisie, Singapour et le Vietnam. Un TPP dont les Etats-Unis s’étaient en effet follement retirés en 2017. Ainsi se révèle et s’impose soudainement une contre manœuvre offensive magistrale de Pékin face à Washington.  Où est l’UE là-dedans ? Nulle part ! Même l’accord commercial conclu en juin 2019 entre l’Union européenne et le Mercosur doit encore être ratifié par ses 27 parlements… Seule la Grande-Bretagne, libérée de l’UE grâce au Brexit, en profitera car elle vient habilement de sa rapprocher du Japon signataire du RCEP et du TPP…

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ADV : Passons à notre voisin continental : les relations Occident – Russie sont-elles irréparablement endommagées ? L’Europe est-elle condamnée à rester une “impuissance volontaire”, prise en tenailles entre Chine, empire américain et Turquie néo-ottomane ?

CG : Rien n’est irréparable mais le temps a passé, la Russie a évolué et compris qu’elle n’était ni désirée ni attendue. Aujourd’hui, Moscou ne croit plus en l’Europe. Quant à la France, elle parle beaucoup mais n’agit pas. Trop de d’espérances, trop d’illusions sans doute, et bien trop de déceptions.  La Russie n’a plus le choix et pivote décisivement vers l’Est et la Chine par dépit et nécessité.

Nous avions pourtant en commun tant de choses, et a minima, la commune crainte d’un engloutissement / dépècement chinois. Comme la Russie, l’Europe est en effet prise entre USA et Chine. Le point de rencontre -et de concurrence- Russo-chinois est l’Asie centrale. Certes, il existe depuis 2015 un accord d’intégration de l’UEE (Union économique eurasiatique) dans les projets des Nouvelles Routes de la Soie conclu entre les présidents Poutine et Xi Jing Ping. Mais c’est un accord très inégal, du fait des masses économiques et financières trop disparates entre Moscou et Pékin qui avance à grands pas avec l’OBOR et au sein de l’OCS (Organisation de Coopération de Shangaï) pour contrôler l’Asie centrale, pré-carré russe, puis se projeter vers l’UE. Moscou sait combien l’étreinte chinoise peut se transformer en un « baiser de la mort » si l’UE et la Russie ne se rapprochent pas autour d’enjeux économiques industriels et sécuritaires notamment. La Russie est en conséquence, n’en déplaise à tous ceux qui la voient encore comme une pure menace, l’alliée naturelle de l’UE dans cette résistance qui ne se fera ni par le conflit, ni par l’intégration stricte, mais par la coopération multilatérale et multisectorielle. C’est une évidence géopolitique, et il suffit de lire les stratèges anglo-saxons pour comprendre le piège dans lequel nous nous sommes laissés enfermés à notre corps consentant depuis bien trop longtemps. L’Europe est une courtisane sans grande ambition. Servile, soumise, paresseuse, ignorante de ses intérêts profonds qui auraient dû la porter à considérer la Russie comme un morceau d’Europe et d’Occident, un atout d’équilibre face à la domination américaine et un bouclier contre la vampirisation chinoise.

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ADV : Nous voilà revenus aux fondamentaux de la géopolitique de Mackinder et Spykman, du Russe Danilevski à l’Américain Brezinski : L’Eurasie et le Heartland, “pivot géographique de l’Histoire”…

CG : L’Eurasie est en tout cas sans équivoque l’espace naturel du maintien de la puissance économique européenne et de son renforcement stratégique à court, moyen et long terme. C’est le socle du futur dynamique de l’Europe. Nous devrions donc nous projeter vers cet espace plutôt que de nous blottir frileusement en attendant que Washington, qui poursuit à nos dépens ses objectifs stratégiques et économiques propres, consente à nous libérer de nos menottes. Les parties orientale et occidentale du continent eurasiatique sont en effet les deux plus grandes économies mondiales : l’UE et la Chine. Pour ne parler que de l’UEE -pendant de l’UE-, c’est un marché de plus de 180 millions d’habitants (sans parler de tous les accords de partenariat en cours de négociation). L’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS) rassemble quant à elle 43% de la population mondiale mais est dominée par la Chine. La force de l’Eurasie tient à son capital en matières premières et ressources minérales. 38% de la production mondiale d’uranium sont notamment concentrés au Kazakhstan. 8% du gaz et 4% du pétrole aussi, pour les seuls pays d’Asie centrale, sans compter naturellement la Russie. La construction d’infrastructures gigantesques à l’échelle continentale de l’Eurasie est la grande affaire du XXIème siècle. Avec le passage des corridors et routes de transit, on est face à un gigantesque hub de transit eurasiatique. 

ADV : Un rapprochement avec la Russie a-t-il vocation à être durablement bloqué par les sanctions contre une Russie (à cause de l’Ukraine) et la question de l’opposition “persécutée” par le pouvoir de Vladimir Poutine que beaucoup qualifient de « Démocrature » ?

CG : Si l’UE (et ses acteurs économiques petits ou grands) se rendait compte du potentiel économique, géopolitique et sécuritaire qu’un dialogue institutionnel et une coopération étroite avec l’Eurasie au sens large (Asie centrale plus Russie) recèle, elle sortirait ipso facto de sa posture si inconfortable entre USA et Chine, et constituerait une masse stratégico-économique considérable qui compterait sur la nouvelle scène du monde. Il faut en conséquence ne pas craindre d’initier des coopérations économiques, politiques, culturelles, scientifiques et évidemment sécuritaires entre ces deux espaces. Or, ce sujet n’est quasiment jamais abordé dans son potentiel véritable et est quasi absent des radars de l’UE et de celle de la plupart de nos entreprises. Par anti-russisme primaire, inhibition intellectuelle, autocensure, aveuglement.  L’UE veut certes bien collaborer avec l‘Asie centrale, mais en en excluant la puissance centrale et stratégiquement pivot ! Elle voit l’Eurasie à moitié. Ce n’est évidemment pas un hasard, mais c’est une erreur stratégique lourde qui procède d’un aveuglement atlantique. Encore une fois, nous faisons le jeu américain sans voir que nous en sommes la cible. 

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On me retorquera que rien n’est possible sans le règlement des questions de l’Ukraine et de la Crimée et surtout sans le règlement de « la grande affaire » fondamentale qui agite les chancelleries occidentales : le sort de l’opposant Alexei Navalny ? C’est ridicule ! Ce sont des « freins » largement artificiels et gonflés pour les besoins d’une cause qui n’est pas la nôtre et nous paralyse, pour justifier les sanctions interminables, pour limiter les capacités économiques et financières russes face à Pékin et neutraliser le potentiel économique européen. Ce sont aussi des prétextes que l’on se trouve pour se défausser de notre seule responsabilité véritable : reprendre enfin notre sort en main ! Tout cela saute aux yeux. Pourquoi, pour qui se laisser faire ? Il nous faut prendre conscience de l’urgence vitale qu’il y a à changer drastiquement d’approche en y associant des partenaires européens parfois contre-intuitifs, tels la Pologne, pont logistique idéal entre les deux espaces.

L’intégration continentale eurasiatique en tant que coopération des sociétés et des économies à l’échelle du continent eurasiatique tout entier doit donc devenir LA priorité pour l’UE et la nouvelle Commission européenne. La modernisation et la puissance économique sont en train de changer de camp. L’Europe s’aveugle volontairement par rapport à cette révolution. Ses œillères géopolitiques et l’incompréhension dans laquelle elle demeure face à la Russie qui est pourtant son partenaire naturel face à la Chine comme face aux oukases américains extraterritoriaux, l’empêchent de tirer parti des formidables opportunités économiques, énergétiques, industrielles, technologiques, intellectuelles culturelles et scientifiques qu’une participation proactive aux projets d’intégration eurasiatique lui permettrait. Il faut en être, projeter nos intérêts vers cet espace d’expansion et de sens géopolitique si proche et si riche, et cesser de regarder passer les trains en attendant Godot.

ADV : Passons au changement de pouvoir aux Etats-Unis. Le bilan de la présidence Trump est-il aussi horrible qu’on le dit ?  L’arrivée de Joe Biden est-elle une bonne nouvelle pour la France et l’UE ?

CG : Trump a été un président honni comme probablement aucun de ses prédécesseurs par « l’Establishment » au sens large qu’il avait défié par sa victoire et dont il a révélé sans tabou les turpitudes. En dépit de la curée politico-médiatique haineuse et sans trêve qui aura pourri toute sa présidence, avec un « Etat profond » à la manœuvre et des médias hystériques, il a réussi à remettre l’économie américaine en très bonne posture, à mener à bien (quoi qu’on en pense sur le fond), la grande manœuvre anti-iranienne de consolidation du front sunnite pétrolier contre Téhéran, sans pour autant céder à la guerre (en dépit de tous les efforts des bellicistes “néocons” emmenés par le très dangereux John Bolton). Sans la pandémie et son approche désinvolte et toute concentrée sur la nécessité de ne pas enrayer le moteur économique du pays, il aurait remporté un second mandat, ayant même réussi à séduire des franges de l’électorat noir et latino et à gagner près de 75 millions de voix (4 millions de voix de plus qu’en 2016) dans ce contexte de cabale permanente et jusqu’au-boutiste contre lui. 

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Avec Biden, on est repartis comme en l’an 40…. De mon point de vue, Joe Biden, quelles que soient ses qualités, est évidemment une très mauvaise nouvelle pour l’Europe et la France, qui voient se refermer la fenêtre d’opportunité inespérée que le discours trumpien – ouvertement humiliant et sans équivoque – nous avait offert pour enfin sortir de l’enfance stratégique, nous réveiller, faire nous aussi notre « Shift towards Asia » et nous projeter vers notre espace naturel de croissance économique et de densité géopolitique et sécuritaire que constitue l’Eurasie. Une projection qui passe évidemment par une complète révision de notre relation avec la Russie mais qui pourra seule nous permettre d’échapper à la double dévoration sino-américaine qui nous attend.

Ce sursaut salutaire, qui, aujourd’hui, en France ou en Europe, est capable d’en donner l’impulsion ? Je ne sais pas. Mais il est certain qu’avec Biden, ce n’est pas « un ami » que l’on a retrouvé (Les Etats n’ont pas d’amis) mais notre « doudou » ! Joe Biden est notre bon papa américain qui est enfin revenu pour nous protéger et nous rassurer. Atteints d’un syndrome de Stockholm géant, nous nous sentions depuis quatre ans stupidement orphelins de la férule américaine en gants de velours. Le problème est que ce président ne nous apportera rien d’autre qu’une excuse pour rester à jamais piégés dans une servitude consentie. Bref, je crains fort que nous ne sortions plus, sinon au forceps et sous l’impulsion d’un visionnaire courageux, de notre vassalité stratégique suicidaire vis-à-vis de Washington. L’Allemagne a d’ailleurs pris les devants des retrouvailles avec le puissant « oncle d’Amérique », et ce faisant, elle prend aussi le lead de l’Europe, là encore avec l’aval américain. C’est « le chouchou » de Washington et elle fera tout, y compris contre nous, pour le rester en donnant des gages… jusqu’à vendre des sous-marins à la Turquie ou affirmer que l’OTAN est à jamais l’alpha et l’oméga de la défense européenne. On est très loin de la « mort cérébrale » de l’Alliance ! Avec Biden c’est donc la méthode, non le fond qui va changer, et Berlin a clairement saisi la balle au bond, en réaffirmant sans états d ’âme sa soumission consentie aux oukases américains, enfonçant un dernier clou dans le cercueil de « l’Europe puissance », trop heureuse de rabattre leur caquet à ces Français qui rêvent mollement de ruer dans les brancards, de recouvrer leur souveraineté et osent même prétendre à l’ascendant politique sur elle, première puissance économique de l’Union. Le « couple franco-allemand » est un rêve de midinette française. L’alliance de la carpe et du lapin.

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ADV : L’accusation de tentative de “coup d’Etat” imputée au camp Trump est-elle sérieuse ? Trump a-t-il fracturé l’Amérique ?

CG : Ce qui s’est passé au Capitole n’est en tout cas pas une tentative de coup d’Etat. Le contresens politique et médiatique délibéré entonné sur tous les canaux d’information là-bas comme ici, est tellement énorme et rabâché comme une évidence qu’on finit par le croire pour ne pas devoir accuser nos journalistes de complaisance avérée ou d’aveuglement gravissime. Pour ma part, j’y vois la révolte d’un électorat qui a subitement compris qu’il devait rentrer dans sa boîte et ne s’y est pas résolu. Les insurgés du Capitole sont en fait nos gilets jaunes. Ils auront souffert le même déni et le même mépris. Cette intrusion aura incarné la très profonde crise de la démocratie américaine, c’est-à-dire de la représentativité du système politique existant qui est en lambeaux. Le divorce entre les élites et le peuple est profond et Trump s’en est fait le héraut. Ce n’est pas lui qui a fracturé la société américaine. Les fractures sont anciennes, grandissantes mais désormais béantes. Le « coup d’Etat », c’est en revanche le refus même du DOJ (Department of Justice) d’examiner les recours pour fraude, c’est le double « impeachment », ce fut l’interminable « Russia Gate », c’est l’exploitation sans vergogne du système institutionnel et médiatique et du juridicisme américains par les Démocrates pour étouffer à tout prix, via Trump, une menace populaire montante, perçue comme illégitime et dangereuse par les élites qui confisquent le pouvoir depuis des décennies dans ce pays.

ADV : Voit-on se confirmer la “vraie” nouvelle fracture idéologique qui oppose non plus gauche et droite mais “Patriotes” (terme cher à Trump) et mondialistes”, clivage visible aussi en Europe occidentale ?

CG : Les Européens, et singulièrement les gouvernants et médias français qui avalent cette pâtée ridicule sans une once d’esprit critique, hurlent avec les loups et assènent délibérément des contresens, montrent leur servitude mais aussi leur peur panique de voir cela leur arriver et bousculer leurs Landernau établis. Ils sont plus inquiets que jamais devant les éruptions démocratiques populaires au sein de l’UE, car elles menacent leurs positions acquises. C’est pourquoi ils vouent aux mêmes Gémonies que Trump ses avatars européens (hongrois, polonais ou tchèque), qui, comme lui, écoutent leurs peuples et essaient de faire entendre leurs voix. L’anathème contre le « populisme » est infiniment plus confortable que d’admettre que ce sont là des réflexes de survie des peuples européens qui ne veulent pas succomber à l’arasement identitaire et culturel et à la décadence politique et stratégique. Des peuples qui ne veulent pas d’avantage être noyés dans la « Cancel culture » ravageuse qui est en train d’instaurer, à coups d’excommunications rageuses et au nom de la morale et du progrès, une bien-pensance débilitante qui détruit les individus en prétendant protéger leur liberté narcissique débridée et en faisant sauter les ultimes verrous du bon sens et de la nature, au profit d’une terrifiante dictature des minorités et de tous leurs fantasmes déconstructeurs.

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ADV : Enfin, quelles perspectives pour le Moyen-Orient en 2021 ? Le possible retour des Etats-Unis de Biden dans l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, dont Trump s’était retiré, et le rapprochement entre Israël et plusieurs Etats arabes dans le cadre des accords d’Abraham sont-elles des bonnes nouvelles ? 

CG : L’année a débuté de façon à mon sens dangereuse avec l’assassinat en Irak, le 2 janvier 2020, du général iranien Qassem Soleimani, chef de la force al Qods des Gardiens de la Révolution. Figure héroïque et fer de lance de la politique d’influence régionale de l’Iran, il est assassiné alors même qu’il était chargé de transmettre via Bagdad un message d’apaisement à Ryad, notamment à propos de la sinistre et folle guerre du Yémen initiée par le prince Héritier Mohamed Ben Salman (MBS). Il fallait donc qu’il meurt, puisque la paix ou même le simple apaisement ne semble résolument pas une option séduisante à ceux que le conflit nourrit, et à leur puissant parrain d’outre Atlantique qui vit de et par la guerre, inépuisable source d’influence et de prospérité. Sans parler du fait qu’il fallait sans plus attendre, mettre un frein à l’influence iranienne en Irak que le général Soleimani consolidait activement via les milices chiites locales.

A l’autre bout de l’année, les « Accords d’Abraham », patronnés par Washington et signés en septembre 2020 entre Israël et son « protégé/obligé » saoudien d’une part, les EAU et Bahreïn désormais rejoints par le Soudan et le Maroc d’autre part, au nom de la normalisation des pays de la région avec l’Etat Hébreu, donnent une idée de la vaste manœuvre d’enveloppement et de récupération stratégique imaginée à Tel Aviv et à Washington. Judicieuse réunion de toutes les monarchies pétrolières sunnites contre l’Iran accusé de tous les maux, mais, bien au-delà de la question nucléaire, avant tout redouté en Israël pour sa ressemblance et non sa différence avec l’Etat hébreu en termes de profondeur culturelle et civilisationnelle, mais aussi de niveau intellectuel industriel, technologique. Bref, pour Tel Aviv, le jour où le marché iranien sera ouvert au monde, ce sera un concurrent redoutable dans le coeur de Washington. Tout n’est évidemment pas à jeter dans cette « manip » des Accords d’Abraham, notamment l’influence croissante des EAU qui sont sans doute les partenaires les plus avisés du coin. Mais la ficelle est grosse, la marginalisation définitive de la question palestinienne en est clairement l’un des effets indirects attendus, et la poursuite de la déstabilisation active des Etats récalcitrants (Liban Syrie, Libye) l’une des compensations manifestes. Même le Qatar semble désormais tenté de rejoindre cet attelage hétéroclite présenté comme « progressiste et moderne », ne serait-ce que pour porter financièrement secours au Hamas à Gaza …avec la bénédiction d’Israël. Il reste néanmoins probable que cette « coordination » sous tutelle n’apaisera pas la lutte pour le leadership du monde sunnite qui oppose Ryad à Ankara, mais aussi à Téhéran, Aman, Doha ou Casablanca, tout en faisant les affaires de Washington que la fragmentation régionale sert par construction. On voit par ailleurs que l’échec des interventions américaines directes ou par « proxys » occidentaux en Irak, Libye, Syrie, qui a permis à la Russie de revenir dans la région depuis 2015, doit être contrecarré en jetant la Turquie dans les pattes de Moscou en Libye, en Syrie et dans le sud Caucase notamment, et qu’il s’agit donc aussi, en polarisant au maximum l’affrontement avec l’Iran, de reprendre la main dans la région contre la Russie, mais aussi contre la Chine dont les diplomaties subtiles et très actives deviennent préoccupantes pour Washington.

ADV : Vous connaissez bien la Russie et le Caucase : que répondre à ceux qui estiment qu’en Libye et dans le Caucase, la Russie s’est humiliée devant Erdogan qui aurait freiné Haftar à Tripoli et aidé l’Azerbaïdjan à vaincre les Arméniens du Haut Karabakh en plein « étranger proche russe » … 

CG : Je ne crois pas qu’il faille psychologiser ainsi l’interprétation des événements. La Russie a fait son grand retour sur la scène internationale depuis 2015 et a démontré qu’en dépit de toute la diabolisation, les permanentes manœuvres et les pressions de tous ordres dont elle fait l’objet, elle est toujours une puissance globale dotée d’un pouvoir incarné et populaire, qui se bat pour sa stabilité, son développement et son influence sur l’ensemble de la planète.  

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Quant à l’émergence tonitruante de la Turquie comme puissance déstabilisatrice aux ambitions débridées, ce n’est pas un phénomène sui generis. Le président Erdogan ne pourrait se permettre un dixième de ses foucades et provocations sans le blanc-seing direct ou complaisant de Washington. L’irruption turque dans les affaires mondiales manifeste l’indifférence américaine pour la stabilité de l’Europe et son hostilité paléolithique pour Moscou. Les Etats-Unis utilisent et continueront d’utiliser Ankara comme « proxy » en Syrie, en Libye, dans le sud Caucase et en Asie centrale contre Moscou, en Méditerranée orientale contre les Européens, qu’il s’agit depuis toujours de diviser et d’empêcher de pouvoir jamais atteindre une quelconque forme de puissance collective.

ADV : Quel est le jeu de l’Allemagne dans cet échiquier mondial de plus en plus polycentrique ?

CG : Dans ce marché de dupes, Berlin est en convergence tactique (et évidemment stratégique) avec Washington contre Paris, et nous savonne aimablement la planche en se désolidarisant ouvertement de nos postures et gesticulations sur la souhaitable « souveraineté européenne » afin d’assurer la finalisation de Northstream2 en dépit de l’hostilité américaine. La Chancelière allemande fait sans vergogne payer à l’Europe la note du chantage migratoire turc tout en vendant des sous-marins au néo sultan qui exulte d’une telle inconscience. Pourquoi d’ailleurs s’en priver puisque nous ne disons rien ? Le Président Erdogan joue donc sur tous les tableaux car il se sait indispensable à chacun. Il achète des anti-missiles S400 à Moscou et fait fi du courroux américain. La Russie en joue, elle aussi, et manie habilement la carotte et le bâton envers Ankara, selon les zones et les sujets, y compris dans le Haut Karabakh en dépit des apparences. Chacun a besoin de l’autre notamment en Syrie, même si la poche d’Idlib devient bien étroite pour le jeu d’influence des uns et des autres. Sans doute Joe Biden goûtera-il moins que Trump la grossièreté du président turc et ses crises mégalomaniaques. Mais ne nous y trompons pas. Au-delà de probables « condamnations » médiatiques – que nous boirons comme du petit lait, naïfs chatons que nous sommes-, cela ne devrait malheureusement pas modifier en profondeur l’attitude américaine envers la Turquie, puissance majeure du flanc sud de l’Alliance atlantique et très utile caillou dans la chaussure russe, ni envers l’Europe, éternelle vassale appelée à prendre « ses responsabilités », c’est-à-dire, à tout sauf à l’autonomie ne serait-ce que mentale. Être « des Européens responsables » signifiera toujours, pour Washington, être des Européens dociles, obéissants et inconditionnellement alignés sur les prescriptions et intérêts ultimes de l’Amérique.

ADV : Et celui de la France ? 

CG : Quant à la France, que son suivisme abscons a plongée dans un discrédit global lourd depuis le milieu des années 2000 (quelles que soient nos épisodiques gesticulations martiales pour nous rassurer), elle est désormais clairement hors-jeu au Moyen Orient. Plus personne ne la prend au sérieux ni ne supporte ses leçons de morale hors sol. Notre incapacité à définir enfin les lignes simples d’une politique étrangère indépendante et cohérente nous coupe les ailes, sape notre crédibilité résiduelle et nous rend parfaitement incapables de constituer un contrepoids utile pour les « cibles » américaines qui ne sont pourtant pas les nôtres et dont la diabolisation ne sert en rien nos intérêts nationaux, qu’ils soient économiques ou stratégiques. Il faut sortir, et très vite, de cet aveuglement.

Pendant ce temps, la France plonge dans une diplomatie décidément calamiteuse qui l’isole et la déconsidère partout. Elle vient d’abandonner le Franc CFA pour complaire au discours débilitant sur la repentance et les affres de la Françafrique. On continue sur l’Algérie. On expie bruyamment. On ne sait pas vraiment quoi à vrai dire… Mais on se vautre dans les délices masochistes du renoncement. On laisse la place à Pékin, Washington, Moscou et même à Ankara. Il ne sert à rien de geindre sur « l’entrisme » de ceux-là en Afrique, quand on leur pave ainsi la voie. Il faudrait vraiment arrêter avec « le sanglot de l’homme blanc ». Il faut refondre notre diplomatie et aussi d’ailleurs remettre la tête à l’endroit de nombre de nos diplomates au parcours brillant mais incapables de sortir d’un prêt-à-penser pavlovien (anti russe, anti iranien, anti syrien, anti turc même !) qui nous paralyse et nous expulse du jeu mondial. Il faut enfin apprendre à répondre à l’offense ou à la provocation, et à ne pas juste se coucher dès que l’on aboie ou que l’on n’apprécie pas nos initiatives souvent maladroites ou sans consistance, mais aussi parfois courageuses. « Tendre l’autre joue » n’est tout simplement pas possible sur la scène du monde. On s’y fait vite piétiner. Pour être pris au sérieux, il ne faut pas toujours « calmer le jeu ». Il faut montrer les dents avec des « munitions », donc une vision, une volonté et des moyens affectés aux priorités régaliennes.

ADV : Quel enseignement tirez-vous de la crise sanitaire qui va être également une grave crise économique en 2021 et même socio-politique ? Quel bilan pour la France ?

CG : Je ne peux éluder ce qui fait cauchemarder les peuples et les dirigeants du monde entier et singulièrement ceux d’Occident depuis un an : la pandémie du COVID 19. Le premier enseignement est que fut initialement démontrée l’inanité de la solidarité et de la lucidité européennes, avec un lamentable retard à l’allumage dans la coordination des politiques. On laissa piteusement tomber les Italiens, on se vola des cargaisons de masques, bref le chacun pour soi a la vie dure, surtout quand certains Etats ferment intelligemment leurs frontières et que d’autres les laissent béantes « par principe ». J’en conclue tout d’abord que ce sont les Etats les plus décisifs, les plus « agiles », les plus pragmatiques et les plus capables de contraindre des franges de leurs populations – tout en maintenant leur économie active – qui s’en sortent le mieux économiquement et même sanitairement. En France, le bilan est lourd. Nous aurons démontré urbi et orbi non seulement la faillite de notre système de soins, autrefois excellent et toujours très généreux mais exsangue, mais plus encore celle de l’armature étatique et administrative de notre pays, embolisée par une bureaucratie en roue libre qui n’obéit plus. Il faut dire que l’autorité est un gros mot, l’esprit d’Etat un fossile et l’obéissance une vertu démonétisée du fait de la certitude de l’impunité en ce domaine comme en bien d’autres.

L’amateurisme politique, l’incurie logistique, et l’arrogance satisfaite de nos gestionnaires au petit pied, rien ne nous aura été épargné. Notre pays est moralement et économiquement à terre. Dès que nous serons sortis de la phase critique de la pandémie qui fait écran et permet au pouvoir de remplir à seaux le tonneau des Danaïdes au nom de l’urgence sanitaire, la déroute économique et sociale et le déclassement seront massifs. Les Français, à force d’infantilisation et de matraquage médiatique angoissant, en ont perdu leur latin et moutonnent en grommelant. Nos « responsables », dans un déni sidérant, se gargarisent indécemment de leur prétendue bonne gestion. Le réel est définitivement déconnecté de la perception, grâce à une communication quasi totalitaire et à un entêté « tout va très bien Madame la Marquise ! » qui veut rassurer le Français désabusé. Il sait pourtant bien, lui, que tout va très mal, mais il cherche protection jusque dans l’illusion et le renoncement. La politique ce n’est pas de la « com », de l’image, encore moins de la gestion à la petite semaine et au doigt mouillé. C’est une vision, du courage, l’acceptation du risque et de l’impopularité, de la planification, de la logistique implacable… et de l’autorité ancrée dans l’exemplarité. Pas du caporalisme ni de l’infantilisation de masse. De l’autorité, qui produit de la confiance et oblige chacun à l’effort.

Caroline Glactéros, propos recueillis par Alexandre del Valle (Geopragma, 22 janvier 2021)

Comment la Russie et la Chine remodèlent le Caucase du Sud

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Salman Rafi Sheikh

Comment la Russie et la Chine remodèlent le Caucase du Sud

Ex : https://journal-neo.org

La fin du conflit du Haut-Karabakh, négociée avec l'aide de la Russie, a jeté les bases d'une transformation géopolitique majeure du Caucase du Sud. Si le rôle joué par la Russie pour mettre fin au conflit militaire et maintenir le cessez-le-feu lui a permis de prendre en charge le Caucase du Sud, les développements ultérieurs montrent comment la Russie a élargi son rôle et consolidé sa position dans son arrière-cour. Son importance première réside dans le fait qu'aucune puissance extra-régionale et occidentale n'était ou n'est encore impliquée dans cette partie du monde, ce qui est l'une des raisons pour lesquelles le cessez-le-feu n'a pas été violé. Bien que la Turquie et l'Iran aient été impliqués dans la négociation du cessez-le-feu, la question a toujours été globalement une affaire russe. En outre, la Russie a négocié la paix et le cessez-le-feu aux dépens du Groupe de Minsk. Il a permis à la Russie d'éroder massivement la capacité des États-Unis à utiliser cette région pour allumer des feux à sa périphérie afin de créer les conditions nécessaires à l'expansion de l'OTAN vers l'Est.

Le contrôle de la région est important pour les États-Unis également parce qu'elle est apparue comme l'une des voies les plus appropriées pour l'extension de l'initiative chinoise "Belt & Road" (IRB) en Europe. Les États-Unis, en tentant de s’arcbouter au Sud du Caucase, voudraient contrôler une artère importante de l'IRB. Mais le Caucase du Sud, sous l'influence politique russe et les investissements économiques chinois, se transforme rapidement en un territoire très éloigné de la portée des tentacules américains.

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Comme le montrent les dernières données de la Banque mondiale, l'empreinte économique de la Chine a massivement augmenté ces dernières années. L'Azerbaïdjan est largement considéré comme un maillon important des nouvelles routes de la soie reliant la Chine à l'Europe. Depuis 2005, le chiffre d'affaires du commerce chinois avec l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie a augmenté d'environ 2070 %, 380 % et 1885 %, respectivement.

L'Azerbaïdjan revêt une importance particulière pour le corridor économique Chine - Asie centrale - Asie occidentale, principalement le corridor de transit transcaucasien (TCTC), qui relie la Chine à l'Europe par un réseau de chemins de fer, de ports maritimes, de routes et éventuellement de pipelines.

Si le volume actuel des échanges commerciaux entre la Chine et l'Azerbaïdjan n'est pas élevé, les tendances récentes montrent un important bond en avant. Selon les données de la Banque mondiale, "le volume des échanges commerciaux entre les deux pays était de 1,3 milliard de dollars US en 2018, soit environ 6 % du total des échanges commerciaux de l'Azerbaïdjan, et la moitié de ce montant en 2013". La Banque mondiale estime que le parachèvement de l'IRB dans la région est susceptible de transformer la capacité géoéconomique de l'Azerbaïdjan et que le PIB du pays pourrait augmenter de 21 % à long terme. La participation de l'Azerbaïdjan à la BRI pourrait lui permettre d'exploiter les chaînes de valeur mondiales et de diversifier son économie.

Le Haut-Karabakh étant désormais effectivement sous contrôle azéri et géré sous supervision russe, et la Chine ayant récemment signé un accord d'investissement avec l'UE, on doit s’attendre à ce que la Chine accorde une attention toute particulière à la construction d'une route de transit à travers cette région. La Chine développe une route commerciale via le Kazakhstan qui traverse la Caspienne depuis le port kazakh d'Aktau pour aboutir à Bakou. Les universitaires chinois ont décrit cette route comme étant la plaque tournante de l'IRB donc elle est absolument essentielle au succès de l'accord que Pékin vient de signer avec l'UE.

Les possibilités de connectivité et de création d'entreprises qu'offre la Chine sont également liées aux projets de la Russie visant à établir une nouvelle géographie du commerce entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. C'est ce qui est apparu clairement lors de la dernière réunion entre les dirigeants russe, azéri et arménien à Moscou. La réunion a été suivie par l'annonce de la mise en œuvre de "mesures impliquant la restauration et la construction de nouvelles infrastructures de transport nécessaires à l'organisation, la mise en œuvre et la sécurité du trafic international effectué à travers la République d'Azerbaïdjan et la République d'Arménie, ainsi que des transports effectués par la République d'Azerbaïdjan et la République d'Arménie, qui nécessitent de traverser les territoires de la République d'Azerbaïdjan et de la République d'Arménie".

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Le plan, tel qu'il se présente, est de réactiver les anciennes "Routes de la soie du Caucase" qui permettraient aux principaux pays de la région de se connecter avec la Russie et d'ouvrir ainsi des voies pour stimuler le commerce, ne laissant ainsi aucune marge de manœuvre, même minimale, aux puissances extrarégionales comme les États-Unis et la France pour jouer leur vieille politique du "diviser pour régner".

Tous ces développements indiquent également un recul de la présence et du rôle des États-Unis dans la région. Mais les États-Unis, sous l'administration Biden, dominée par les interventionnistes libéraux, vont probablement mettre de l'ordre dans leurs affaires intérieures d’abord et, ensuite, tenter un retour sous une forme ou une autre. En fait, les États-Unis sont déjà en train de faire leurs calculs de retour.

Le Congrès américain a récemment autorisé le directeur du renseignement national à présenter un rapport identifiant les principaux intérêts stratégiques des États-Unis dans la région, y compris l'assistance militaire américaine à l'Azerbaïdjan et à l'Arménie et la manière dont celle-ci pourrait être utilisée efficacement pour servir les intérêts américains.

En l'état actuel des choses, Washington se prépare déjà à une lutte géopolitique dans la région du Haut-Karabakh. En octobre 2020, le chef de la commission du renseignement de la Chambre des représentants à Washington, Adam Schiff, a "exhorté" les États-Unis à reconnaître le Haut-Karabakh ou la "République de l'Artsakh" comme un État indépendant. L'appel à la reconnaissance d'un "État indépendant" reflète la manière dont les États-Unis entendent s'insérer dans la région pour jouer leur politique habituelle de division.

Cependant, comme le montrent les détails donnés ci-dessus, de nombreuses politiques de connectivité sont planifiées et mises en œuvre pour contrer la politique de division que les États-Unis se préparent à mener.

Par conséquent, en l'état actuel des choses, les accords politiques et économiques qui sont conclus et mis en œuvre réduiront massivement la possibilité qu'un conflit réapparaisse et déstabilise la région. Ce n'est qu'à ce moment-là que les États-Unis pourront intervenir et faire pression pour réactiver le groupe de Minsk.

Salman Rafi Sheikh

Salman Rafi Sheikh, est analyste des relations internationales et des affaires étrangères et intérieures du Pakistan ; en exclusivité pour le magazine en ligne "New Eastern Outlook".

USA: Avec Biden l'Empire est de Retour

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Cafe Noir N.07

USA: Avec Biden l'Empire est de Retour

Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde. Émission du Vendredi 22 Janvier 2021 (enregistrée le 27/01/2021) avec Pierre Le Vigan & Gilbert Dawed.
 
– L'effacement du Politique (Pierre Le Vigan) https://bit.ly/2KTav9X
– Avez-Vous Compris les Philosophes ? Vol. IV (Pierre Le Vigan) https://bit.ly/3cc5dS9
 

08:02 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : joe biden, états-unis, politique internationale | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 26 janvier 2021

L'ère Biden : les Etats-Unis et leurs fractures internes

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L'ère Biden : les Etats-Unis et leurs fractures internes

Par Enric Ravello Barber

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Il y a des situations qui sont hautement symboliques. La cérémonie d'investiture de Joe Biden en tant que 46ème président des États-Unis a été entourée de mesures de sécurité sans précédent. Pour la première fois dans l'histoire, près de 30.000 agents ont été déployés pour assurer la sécurité. Le symptôme est clair et évident : le pays est divisé en deux moitiés de plus en plus éloignées l’une de l’autre et avec des secteurs internes de plus en plus radicalisés.

Ne disons pas que ce déploiement de sécurité n'était dû qu'à l'attaque du Congrès par les partisans de Trump, la raison est quelque chose de beaucoup plus profond. Les États-Unis sont plongés dans une violence permanente, physique et dialectique, depuis des mois. Rappelez-vous les épisodes de violence des BLM et d'Antifa, qui ont causé plusieurs morts, et rappelez-vous aussi des phrases comme celle d'Hilary Clinton qui a qualifié les électeurs de Trump de "white trash", ou qui a déclaré que "les États-Unis ont condamné Trump", méprisant de façon non représentative les 75 millions d'Américains qui ont voté pour lui, soit plus de 47% de la population, ou ce qui est la même chose, la moitié du pays, ou des phrases comme celle du journaliste John Carlin qui dans La Vanguardia a dit : "La défaite de Trump est un soulagement pour l'ensemble du monde de la pensée", insultant et qualifiant la moitié de la population des États-Unis de "non-penseurs" ou d’"analphabètes". Tout cela, ainsi que les indices (non pas des certitudes mais des indications) de fraude électorale, plus le meurtre incroyable et injustifiable de la patriote Ashli Babbit par la police, ont créé un climat de tension politique maximale, qui, je le crains, va s'accroître pendant le mandat de M. Biden.

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Pour continuer avec le symbolisme, il faut rappeler que la personne choisie pour chanter l'hymne américain lors de la cérémonie d'inauguration était la chanteuse connue sous le nom de Lady Gaga, un exemple de vulgarité, de mauvais goût et de décadence, un autre signe de ce qui nous attend pendant le mandat de Biden.

Les premiers mots de Biden le jour de son investiture ont été "nous devons mettre fin à cette guerre incivile", ce qui signifie la reconnaissance de cette fracture interne des États-Unis de sa part, chose que nous ne pensons pas qu'il puisse résoudre et encore moins dans un nouveau contexte politique pour ces quatre années où il n'y aura pas de contrepoids politique ou institutionnel ; Pour la première fois depuis 70 ans, le parti démocrate obtient ce qu'on appelle le "trio gagnant" c'est-à-dire la présidence du gouvernement, la majorité au Congrès (Chambre des représentants) et la majorité au Sénat, ce qui va faire que le tandem Biden-Kamala va imposer son programme politique sous forme de montagnes russes, et on a déjà vu ce qu'il pense de la moitié du pays qu'ils vont gouverner, c'est un danger qui va faire augmenter les fractures internes. Une situation institutionnelle qui aura des conséquences négatives.

Un pays divisé

La fracture politique

Les résultats des élections présidentielles aux États-Unis ont donné 51 % des voix au vainqueur, Joe Biden, et 47,2 % à Donald Trump, le candidat "battu" a obtenu plus de 72 millions de voix, soit plus de soutien que presque tous les précédents présidents élus. La différence de voix signale une scission en plein milieu d'un pays, précisément entre un parti démocrate qui n'a jamais été aussi loin à gauche et un parti républicain qui n'a jamais été aussi loin à droite. Loin de la prétention d'Hillary Clinton, les Américains sont loin d'avoir "enterré" le trumpisme,

Fracture interne du Parti démocrate

Le président Biden et la vice-présidente Harris représentent chacun les deux sensibilités internes qui cohabitent au sein du Parti démocrate. Le premier, un homme de l'équipe d'Obama, plus modéré et centriste, une sorte de social-démocrate en termes européens ; Harris représente l'aile gauche du parti qui avait soutenu le sénateur Sanders comme candidat à l'investiture et qui a maintenant été rejointe par le soi-disant SQUAD, les femmes parlementaires de l'aile gauche du parti, dirigé par la députée portoricaine Alexandra Ocasio-Cortez et dont Ilhan Omar, la première députée musulmane aux États-Unis, est membre. Rappelons que Harris, qui serait présidente si Biden meurt pendant ces quatre années, a un père jamaïcain et une mère originaire d'Inde. Kamala se formera dans l'environnement politique auquel sa mère appartenait, celui des groupes noirs radicaux des années 60-70 : les Black Panthers et le Black Power, les organisations politiques violentes des suprémacistes noirs.

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Le jour même de l'assaut contre le Capitole, le parti démocrate a engrangé une victoire clé en remportant les deux sénateurs pour l'État de Géorgie, alors que tous les sondages précédents prédisaient que l'un irait à eux et l'autre aux républicains, ces deux candidats démocrates élus représentent également chacune de ces deux factions internes. La tête de liste, l'Afro-Américain Raphael Warnock, représente l'aile gauche, l' agenda millénien et est ouvertement pro-palestinien, le numéro 2, le médecin judéo-américain Jon Ossoff, est le représentant du secteur centriste. Ajoutons que le puissant lobby juif, y compris pour l'instant George Soros, du parti démocrate soutient ce e centre-gauche dirigé par Biden, et est représenté de façon frappante dans la composition de la nouvelle administration américaine.

Biden va essayer par tous les moyens de combiner ces deux sensibilités internes en forgeant des équilibres, peut-être y réussira-t-il, le centre-gauche a toujours été plus "discipliné" dans ces questions internes, bien que, pour cela, il doive prendre des rendez-vous comme celui récent avec Anita Dunn, qui a été démise de ses fonctions de conseillère en communication de la Maison Blanche par Obama lui-même, lorsque ses déclarations sur le dictateur communiste criminel, Mao Tse toung, que Dunn avait décrit comme "l'un de ses philosophes préférés", ont été rendues publiques : elle revient maintenant faire partie de la nouvelle administration dirigée par Joe Biden. Et un troisième facteur semi-intérieur auquel Biden devra faire face est celui du BLM et d'Antifa, créés pour servir la cause démocrate mais qui commencent maintenant à qualifier Biden de "modéré" et à réclamer une "vengeance" contre les républicains. Le lendemain de son investiture, des militants de ces groupes ont attaqué le siège du parti démocrate à Seattle, ce qui pourrait être un avertissement.

Fracture au sein du parti républicain

Au sein du Parti républicain, la fracture n'est pas des moindres. Trump a été dès le début un outsider mal reçu par la structure traditionnelle du parti, qui n'a pas soutenu sa nomination interne, et une fois qu'il a été nommé, il n'a pas été soutenu pendant la campagne électorale, l'absence des précédents présidents républicains dans leurs manifestations (Bush père et fils) a été notoire, a également été flagrante à la fin de son mandat, où non seulement de nombreux dirigeants républicains se sont dissociés et se sont opposés à la stratégie de Trump, mais même plusieurs membres républicains du Congrès ont voté pour sa "destitution". Trump, d'une certaine manière, est un autre reflet d'un courant sociologique qui s’était déjà manifesté avec Sarah Pallin, le Tea Party, et qui fait dériver son idéologie des principes du Mayflower et des "pères fondateurs des Etats-Unis", auquel on pourrait ajouter Pat Buchanan - notons qu'il est catholique et donc pas WASP mais spécifiquement White Conservative - et David Duke lui-même, qui - rappelons-le - était membre du Congrès pour la Louisiane et candidat au poste de gouverneur de cet État pour le parti républicain, obtenant 40% des voix, soit près de 60% des voix de la population blanche.

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Pat Buchanan.

Depuis les années 1970, le parti démocrate a abandonné l'électeur du Midwest : blanc, travailleur qualifié, fermier ou petit propriétaire terrien, religieux et amoureux de son pays, de plus en plus radicalisé et prêt à soutenir des options patriotiques puisque beaucoup d'entre eux sont devenus une classe sociale dangereusement précarisée en raison de la crise économique et de la négligence de l'administration centrale, qui subventionne les minorités et oublie les pauvres et les déclassés de la majorité blanche.

Dans ce contexte politique interne, il existe plusieurs options :

  • Que l'appareil de parti traditionnel prenne à nouveau le contrôle du parti, alors la question est la suivante : Trump et ses semblables accepteront-ils d'être relégués au second plan, et une autre question encore plus importante, les électeurs qui ont soutenu Trump, le feront-ils à un parti républicain centriste et modéré ?
  • Si les deux réponses aux questions ci-dessus sont négatives - ce qui est le plus logique - alors Trump fonderait un troisième parti et la question immédiate serait de savoir si les électeurs blancs de plus en plus "radicalisés" du Midwest et du Sud reconnaîtraient Trump comme leur chef ? Parce qu'il y a déjà de nombreuses milices patriotiques qui l'accusent d'être "faible et traître". Et le Trumpisme lui-même a des contradictions internes, rappelons par exemple que sa fille Ivanka, mariée, veut être l'héritière politique de son père et, si c'est le cas, nous doutons fort qu'elle soit acceptée comme référence par ceux qui ont jusqu'à présent soutenu son père.
  • Nous pourrions alors nous pencher sur le cas d'un tiers, qui pourrait même ne pas être dominé par Trump ou le trumpisme, et qui serait une réalité politiquement intéressante, et à laquelle nous prêterions une attention particulière sur ce blog, si elle devait se produire. Certains analystes soulignent que ce parti chercherait un leader plus dur que Trump, et qu'en raison de la démographie des États-Unis et de la distance croissante entre l'administration centrale et les États du centre et du sud, il n'aspirerait plus à être le moteur d'un renouveau national de "Make America Great Again", pour défendre progressivement l'idée d'une possible scission dans les États où ils sont majoritaires sur le plan démographique et politique.

La fracture ethno-géographique

Il suffit de regarder la carte des résultats des élections présidentielles pour voir à quel point le pays est divisé en deux. Trump gagne dans tous les États centraux, tandis que Biden gagne dans les États littoraux du Pacifique et de l'Atlantique. Et si nous analysons les résultats de certains États dans ces deux régions, nous constatons que là où Trump gagne, il le fait avec une énorme différence (par exemple, l'Oklahoma et le Wyoming), tandis que là où Biden gagne, il le fait aussi avec un énorme avantage (par exemple, la Californie et New York). Les États dont les résultats ont été remis en question (Nevada, Michigan, Pennsylvanie, Géorgie) se trouvent précisément dans la zone de transition entre les deux zones.

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La géopolitique souligne qu'il existe deux réalités en contradiction permanente : une réalité maritime, de mentalité commerciale, de pouvoir thalassocratique et d'idéologie politique libérale-mercantiliste, et une autre réalité intérieure de mentalité traditionnelle, de travail avant le commerce, de mentalité protectionniste, continentaliste et conservatrice. Bien que la géopolitique ne soit pas une science exacte et encore moins lorsqu'elle prétend être déterministe, c'est une science auxiliaire qui aide à analyser la réalité et, dans ce cas, elle le fait effectivement.

Mais la fracture n'est pas seulement géopolitique mais aussi ethno-politique : les côtes sont avant tout des sociétés multiraciales et multiculturelles, où l'élite WASP est principalement d'origine anglaise et néerlandaise, avec une présence importante de blancs irlandais et italiens, et - comme nous le disons - dans un contexte fortement multiracial, alors que les États de l'intérieur sont majoritairement blancs (sauf pour certains dans le sud), et que cette population blanche est principalement d'origine allemande, ensuite nord-irlandaise (les soi-disant ‘’Écossais-Irlandais’’) et enfin (dans le nord), elle est descendante de colons scandinaves.

À la tendance à la séparation de la Californie, qui, si Trump avait gagné, se serait accentuée, et à la séparation naissante du Texas, s'ajoutera cette situation de rupture progressive de l'intérieur blanc. Beaucoup ont déjà fait remarquer que les États-Unis allaient se pencher sur cette situation interne, il y a plusieurs décennies, ce qui ne serait rien d'autre que la vérification que le creuset ne fonctionne pas même dans le pays qui l'a adopté comme moyen de se construire.

Quant aux autres questions qui caractériseront l'ère Biden, elles seront nombreuses et toucheront tous les aspects politiques, médiatiques, sociaux et économiques du pays, mais dans cet article nous voudrions en souligner trois.

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Rachel Levine.

Imposition de l'idéologie mondialiste sous tous ses aspects : la récente nomination de Rachel Levine, une transsexuelle, au poste de ministre de la santé montre l'implication de l'administration Biden dans ce que l'on a appelé "l'idéologie du genre" et qui n'est rien d'autre que la destruction de toute normalité dans les domaines de la sexualité et de la famille. La récente proposition du parti démocrate à la Chambre des représentants d'interdire l'utilisation de noms spécifiques au genre tels que : père/mère, fils/fille frère/sœur, oncle/tante est un autre signe malheureux de ce qui est à venir.

Portes ouvertes à l'immigration : M. Biden a promis un changement de la politique d'immigration, ce qui, nous le savons, signifie faciliter l'entrée de millions de nouveaux immigrants. Ces jours-ci, nous avons vu d'interminables colonnes de Centraméricains se diriger vers les États-Unis. Nous savons tous ce que signifie cette nouvelle immigration et l'impact social et économique qu'elle aura sur les États-Unis, où une fois de plus les grands perdants seront la classe ouvrière blanche, ce qu'Hilary appelle les "white trash", qui ne reçoivent jamais les avantages et les subventions que les "minorités raciales" reçoivent parce qu'elles sont blanches.

Pour sa part, Kamala Harris a déjà annoncé un plan visant à légaliser 11 millions d'immigrants illégaux d'ici 2028. D'ici 2028, en effet, le facteur déterminant sera constitué par ces immigrés clandestins régularisés par les démocrates qui, évidemment, voteront tous démocrate, également dans une situation où, dans 8 ans, les chiffres de la démographie euro-américaine auront régressé quantitativement. La conséquence de tout cela est la volonté claire des démocrates de gagner en 2024 - par la diabolisation de l'opposition - et de créer d'ici 2028 une situation démographique et politiquement irréversible pour les blancs, et en général pour toute option patriotique, grâce à l'augmentation numérique des immigrés légalisés et disposant ipso facto du droit de vote. C'est la démographie appliquée à la politique.

Economie : Trump a réactivé l'économie américaine et a fait baisser le chômage, ce que même ses plus grands ennemis ne contestent pas. La gestion de Trump était basée sur une politique tarifaire qui empêchait l'entrée des produits chinois à bas prix et les délocalisations d'entreprises, notamment vers le Mexique. Biden mettra fin à ces politiques, étant un ennemi des tarifs qu'il considère comme du "nationalisme", de sorte que le chômage et la désindustrialisation reviendront aux États-Unis. En outre, nous avons le fait que Biden a annoncé un stimulus fiscal de 1,9 trillion de dollars américains. La bourse a réagi avec un certain scepticisme au plan de Biden, car il pourrait entraîner une inflation rapide du pays. Comme l'a dit le prix Nobel Krugman, l'endettement est toujours possible, mais tant que l'argent est investi dans des projets économiquement rentables, tels que les infrastructures ou les énergies renouvelables, le problème, le soupçon est que Biden dépensera une partie importante de cet argent pour couvrir la dette des Etats sous contrôle démocrate en dettes et subventions aux minorités raciales et aux institutions de propagande du politiquement correct, ce qui plongerait les Etats-Unis dans un grave chaos.

Comme l'affirme le célèbre économiste Richard Wolff, Biden veut revenir à la "normalité" d'avant la crise, c'est-à-dire revenir à la normalité du capitalisme mondial.

Ce sont les questions clés auxquelles la nouvelle administration américaine est confrontée, et nous prévoyons quelques années difficiles, intenses et, pour reprendre le terme de Spengler, décisives. Dans un prochain article, nous analyserons la réalité internationale et son impact sur la politique mondiale qu'aura l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche.

Enric Ravello Barber.

dimanche, 24 janvier 2021

Trump: l'espoir d'une défaite programmée

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Trump: l'espoir d'une défaite programmée

par Franck Buleux

De ces quatre dernières années est née une nouvelle forme de populisme : le populisme comme expression du pouvoir plutôt qu’une simple force protestataire.

En effet, le président américain élu en 2016 Donald Trump a réussi à faire passer, souvent difficilement, un message à caractère populiste au cœur des États-Unis et sans doute au-delà (victoire de Bolsonaro au Brésil par exemple).

Certes, il vient de rater sa propre réélection. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Depuis 2016, il n’a été question que d’impeachment à l’américaine, de soupçons de manipulation des élections avec les Russes, de contacts souterrains avec l’Ukraine pour faire tomber Joe Biden… Et tout cela aurait échoué sans la crise sanitaire. Il est clair que la Covid-19 a été la cause principale de la courte et discutable défaite du leader charismatique yankee. Souvenez-vous, les milieux médicaux, relayés par les médias, ont annoncé la diffusion d’un vaccin, quelques jours seulement après la supposée victoire des Démocrates alors que l’administration Trump avait été à l’initiative de cette recherche rapide.

Que restera-t-il de Trump ?

Compte tenu de son âge et de la modération de nombreux dirigeants Républicains, il apparaît difficile de mettre en place une nouvelle candidature en 2024. Les Républicains « modérés » préféreront une figure plus « crédible » ; plus consensuelle (c’est-à-dire des personnalités sans charisme et atones comme John Mc Cain ou Mitt Romney, tous deux battus par Obama en 2008 et 2012). Face à la représentante des minorités (jusqu’à quand ?) Kamala Harris, il ne s’agira pas de présenter un candidat susceptible d’empêcher « la marche de l’histoire », celle qui doit consacrer la défaite de candidats trop « blancs ».

En l’absence de nouvelle candidature de Donald Trump, une nécessaire refonte de la partitocratie américaine s’impose. Si Trump devait disparaître, nul n’en doute, le trumpisme lui survivrait. Les émeutes de Washington lors de la validation des représentants de Biden par le Congrès le prouvent clairement : seul un mouvement populaire peut créer ce type de manifestation. Il s’agissait plus d’une réaction de désespoir que d’un refus de la démocratie.

L’échec de Fillon en 2017 dès le premier tour et celui de Marine Le Pen deux semaines plus tard n’ont suscité aucune tristesse populaire. Chacun a zappé de chaîne en chaîne pour entendre la même chose avant de s’éclipser dans ses occupations dominicales et de sombrer dans les bras de Morphée.

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Seule une force populaire, même vaincue, est susceptible de se projeter vers une future et accessible victoire.

Le Parti républicain américain ne peut se satisfaire de représentants dont les candidatures ne sont plus que des candidatures de témoignages face à la Californie, Eden du numérique et à l’Est « intellectuel » du pays. Le cœur des États-Unis n’est pas représenté, les rivages océaniques (Pacifique comme Atlantique) l’emportent, par leur force médiatique incontestable, sur les territoires oubliés du centre du pays. Après l’espoir du « Tea Party », qui n’est jamais parvenu à se soustraire du parti « rouge » (celui représenté par un éléphant), il est largement temps que l’aile droite du parti de Reagan prenne ses distances et son indépendance. Le bipartisme américain n’est pas une obligation, rien n’empêche l’émergence d’une « troisième force » qui deviendrait un nouveau pilier institutionnel. En 1992, le candidat de droite Ross Perot inscrira un score de 20 % permettant (malheureusement) la première élection de Clinton avec un peu plus de 40 % face au sortant républicain, Bush (le père). C’est un « challenge » que doit relever Trump, non en qualité de futur candidat, mais d’énergie visant à créer des conditions favorables à cette émergence. Trump se doit de montrer le chemin de la fondation d’un néo-parti républicain.

Mais au-delà de la lointaine Amérique, le trumpisme peut aussi avoir son expression politique en Europe : une droite décomplexée (avec une liberté d’expression et d’opinion retrouvées, mais pas celle de Charlie…) qui imposerait une ligne permettant de rassembler les défenseurs d’une nation forte et traditionnelle. Ce défi-là repose sur les droites européennes.

J’ai lu, ici et là, que les manifestants pro-Trump au Capitole rappelaient, à nos journalistes, la première version des Gilets jaunes, ceux qui démarrèrent la lutte contre l’abus de fiscalité en novembre 2018. Sans doute. Mais cette envie populiste doit se retrouver, dans la rue comme dans les urnes. Pour ce, une seule condition s’avère nécessaire : la légitimation du combat, c’est-à-dire faire en sorte que le combat mené est le bon plutôt que de s’approprier les thèmes de l’adversaire.

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La maladie infantile et pérenne de la droite est de comprendre les idées de gauche, voire de les appliquer à la place de la gauche. Démarrons cette décennie avec ce rêve américain, celui de la naissance de mouvements populistes, représentant à la fois la défense de l’identité nationale et la dénonciation de l’abus fiscal imposé par l’État profond.

En France s’installe l’idée d’un Macron « de droite » qui, par sa posture, ne nécessiterait pas la présence de candidat pertinent à sa droite. Seule, éventuellement, Marine Le Pen pourrait limiter la large victoire du président au second tour.

La défaite programmée de Donald Trump doit être un révélateur, un déclencheur de la possibilité d’une opposition vigoureuse, virulente et sans concession. Il n’y a pas encore, à ma connaissance, de vaccin contre cette option.

vendredi, 22 janvier 2021

Le défi géostratégique de l'Arctique

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Le défi géostratégique de l'Arctique

par Daniele Perra

Ex : https://osservatorioglobalizzazione.it

Le grand juriste allemand Carl Schmitt a dit que l'histoire des peuples est toujours une histoire d'appropriation de la terre. La conquête/acquisition de nouveaux espaces a toujours une influence décisive sur la position géopolitique des États. En effet, une acquisition de terres implique toujours le risque de déstabiliser un statut hégémonique précis ou un ordre établi. Sur une surface terrestre presque entièrement occupée par l'homme, il existe encore deux zones de compétition entre les grandes puissances : la région arctique et l'espace extérieur entourant le globe. Dans cet article, nous aborderons la première.

La proposition du président américain Donald J. Trump d'acheter le Groenland, et l'annulation subséquente de la réunion de Copenhague avec les dirigeants politiques danois une fois l'offre refusée, ont fait sensation en 2019.

Cependant, ce qui semblait être une déclaration impromptue d'un "président peu orthodoxe" avait en fait des raisons géopolitiques très spécifiques. Et afin de mieux comprendre ces motivations, il sera utile d'examiner en détail les déclarations de Mark T. Esper (secrétaire d'État à la défense) au Royal United Services Institute de Londres et le rapport du ministère américain de la défense sur la stratégie arctique au Congrès de juin 2019.

Les déclarations d'Esper sont particulièrement éloquentes. En effet, le secrétaire à la défense a mentionné à plusieurs reprises la menace que l'agressivité russe et la puissance économique chinoise feraient peser sur la sécurité et l'ordre mondial actuels.

"La concurrence entre les grandes puissances" - a déclaré M. Esper au public londonien - "est la principale préoccupation pour la sécurité nationale des États-Unis". Les États-Unis, selon l'ancien étudiant de West Point, s'occupent déjà de cette question, mais il devient nécessaire que les "nations aimant la liberté" reconnaissent cette menace et jouent leur rôle pour assurer la sécurité du monde.

En outre, la Chine et la Russie feraient peser des menaces spécifiques sur la "prospérité américaine" : des menaces qui pourraient s'aggraver à l'avenir si elles ne sont pas traitées rapidement.

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En conclusion, M. Esper, en pleine conformité avec la ligne de conduite de Trump, a suggéré que les alliés des États-Unis, et en particulier les États membres de l'OTAN, augmentent leurs dépenses militaires.

Les déclarations du secrétaire à la Défense font parfaitement écho à la substance du rapport susmentionné, remis au Congrès et consacré à la stratégie arctique, rapport qui mentionne explicitement le comportement "malveillant et coercitif" de la Russie et de la Chine, une "approche holistique" de la protection des intérêts nationaux américains dans la région arctique et la croissance de l'influence de Washington dans la région. Ce rapport, à son tour, fait écho à la stratégie de sécurité nationale de 2017 dans laquelle un accent particulier est mis sur "la protection du mode de vie américain" et, une fois de plus, sur "la promotion de la prospérité américaine, à préserver même par la force".

En outre, le rapport présenté au Congrès en juin fait écho presque intégralement au document de stratégie pour l'Arctique de 2013, publié sous l'administration Obama, prouvant, s'il en était besoin, qu'indépendamment des aspects extérieurs, des spectacles politiques de M. Trump, il existe une ligne de continuité substantielle entre les deux présidences.

À cet égard, il est également indéniable que les États-Unis avaient déjà commencé à ignorer l'accord nucléaire iranien bien avant l'élection de Trump.

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J'ai souvent soutenu que le trumpisme n'est rien d'autre qu'une tentative (plus ou moins) désespérée de sauver la "mondialisation américaine", et que la devise électorale "Make America Great Again" a simplement entraîné une nouvelle course aux armements et la militarisation plus ou moins forcée des régions soumises à la concurrence stratégique entre les grandes puissances.

Le regain d'intérêt pour l'Arctique s'inscrit dans ce contexte. Limiter ou empêcher l'expansion sino-russe dans la région signifie avant tout éviter l'une de ces "acquisitions de nouveaux espaces" qui pourraient mettre en crise l'hégémonie mondiale nord-américaine.

La valeur de l'Arctique

Situé à l'intersection de 3 plateaux continentaux, avec 14 millions de kilomètres carrés, 13% des réserves mondiales de pétrole et 30% des réserves de gaz encore à exploiter, l'Arctique est une zone d'une énorme valeur géostratégique. L'exploitation d'une telle richesse, également en termes de routes commerciales et militaires, aurait pour conséquence soit la conservation inchangée de l'hégémonie nord-américaine, soit son dépassement définitif si Washington devait perdre le défi lancé à ses concurrents.

Il n'est donc pas surprenant que le rapport susmentionné au Congrès sur la stratégie arctique mentionne clairement l'objectif de "limiter la capacité de la Chine et de la Russie à exploiter la région comme un corridor de concurrence stratégique, visant à limiter la projection mondiale de la puissance américaine".

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En fait, l'ouverture de la route arctique, en évitant le canal de Suez, réduirait de dix jours la durée du voyage de l'Asie vers l'Europe et compromettrait sérieusement le contrôle américain sur les flux énergétiques. En outre, en ce qui concerne les objectifs géostratégiques sino-russes, la route arctique serait plus sûre et plus stable que les couloirs terrestres de l'initiative "Belt and Road", qui sont susceptibles de passer par des zones de turbulences, à forte présence de groupes terroristes largement alimentés et exploités par les services de renseignement des forces hostiles à l'évolution de l'ordre mondial dans un sens multipolaire.

En effet, la route arctique joue un rôle majeur dans le projet Belt and Road. La Chine, qui est un observateur permanent au Conseil de l'Arctique, a déjà investi pas mal de ressources dans la région. Et l'intérêt de l'Amérique du Nord à acheter le Groenland fait partie du plan visant à contrer l'expansion économique chinoise dans la région. Cette expansion suit les lignes tracées par la vision chinoise de la coopération maritime dans le cadre de l'initiative "Belt and Road", où l'esprit du projet d'infrastructure chinois est interprété en termes de "coopération, ouverture, inclusion, apprentissage et bénéfice mutuel". Dans cette déclaration de 2017, la relation entre l'homme et les océans est interprétée comme une exploitation des routes maritimes visant à réaliser un développement commun.

La valeur stratégique du Groenland

Le Groenland est au cœur du défi pour l'Arctique car on estime que son sous-sol abrite la sixième plus grande réserve de terres rares au monde : un élément clé dans la construction d'équipements technologiques et militaires. En outre, il existe d'autres ressources clés (or, uranium, diamants, pétrole). À cet égard, un projet visant à extraire ces ressources est déjà cogéré par une société chinoise : la Shenghe Resources Holding LTD.

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Les terres rares sont le principal facteur d'attractivité pour les États-Unis. Grâce à elles, la Chine (qui contrôle entre 85% et 95% de leur production mondiale) est en train de gagner la guerre commerciale contre les Etats-Unis. Ce n'est pas un hasard si elles sont l'un des rares produits chinois que les États-Unis ont exclus des droits de douane et des restrictions.

Prendre possession du Groenland et commencer l'exploitation définitive de cette immense ressource dans son sous-sol permettrait sans aucun doute aux États-Unis de réduire leur dépendance vis-à-vis des terres rares de la Chine et d'obtenir un contrôle total sur les deux extrémités arctiques du continent nord-américain : l'Alaska à l'ouest et l'île dite "verte" à l'est.

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Il va sans dire que dès 1860, avant même l'achat de l'Alaska à la Russie, William H. Seward (futur secrétaire d'État d'Abraham Lincoln) avait prédit que l'Arctique deviendrait l'avant-poste septentrional des États-Unis.

Comme mentionné au début de cet article, la proposition des trumpistes, comme celle avancée par l'administration Truman à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a rencontré une réponse négative. Cependant, la sujétion presque totale de la classe politique de l'île envers Washington est bien connue. Et on ne peut exclure la possibilité que Washington profite de cette influence pour empêcher une expansion chinoise excessive dans le protectorat danois.

Le défi dans le Grand Nord entre la Chine et les États-Unis

Mais le Groenland n'est pas le seul souci des États-Unis. Outre la mise en service de sept brise-glaces, la Chine a également montré un intérêt considérable pour la construction du tunnel sous-marin Helsinki-Tallin, qui permettrait à la Chine de compléter un réseau d'infrastructures couvrant l'ensemble du continent eurasiatique.

Paradoxalement, dans cette course à l'Arctique, les États-Unis se sont retrouvés avec un lourd retard technologique par rapport à leurs principaux concurrents. La Russie, en effet, outre la création d'un Strategic Interforce Command pour l'Arctique dès 2014, dispose de la plus grande flotte pour la navigation en eaux froides (39 brise-glaces dont 6 à propulsion nucléaire) et vient d'achever la construction de la première centrale atomique flottante. Cette centrale, après un voyage de 5000 km le long de l'Arctique russe, a été rapidement placée à Pevek, à l'extrême nord-est, où elle fournira de l'énergie aux usines industrielles et minières de la région.

En outre, si les "prévisions géologiques" devaient être confirmées par les faits, l'exploitation du plateau arctique occidental de la Russie donnerait à Moscou une projection de puissance énergétique encore plus élevée que celle des États-Unis. Il n'est donc pas surprenant que la Russie ait également installé des batteries de missiles S-400 sur les péninsules de Kola et du Kamtchatka pour assurer la défense de la région.

Il est clair que les États-Unis vont une fois de plus répondre à ce double défi géostratégique et technologique en militarisant la région arctique et en faisant porter les coûts sur les épaules de leurs alliés. Et il est tout aussi clair que la course à l'Arctique peut être interprétée comme un nouveau chapitre de la lutte entre les puissances terrestres et maritimes qui a caractérisé l'histoire des peuples depuis l'antiquité. Cependant, au moins à cette occasion, la puissance thalassocratique nord-américaine semble être réellement obligée de se défendre.

 

L'administration Biden : ses projets pour le Groenland et le gazoduc Nord Stream 2

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L'administration Biden : ses projets pour le Groenland et le gazoduc Nord Stream 2

par Giuseppe Gagliano

Ex : https://www.startmag.it

Comment Biden va-t-il agir à la fois sur la question de l'Arctique (l'intérêt américain pour le Groenland) et sur celle, non moins complexe, du Nord Stream 2. Des différences vraiment pertinentes par rapport à Trump ? L'analyse de Giuseppe Gagliano.

Au-delà de la rhétorique évidente - et prévisible - liée à l'investiture du nouveau président américain Biden, considéré comme le nouveau messie par l'intelligentsia des gauches européennes, il est légitime de se demander comment le nouvel occupant de la Maison Blanche va évoluer par rapport à la fois à la question de l'Arctique (que nous avons abordée à plusieurs reprises dans ces pages) et à celle non moins complexe du Nord Stream 2.

Commençons par la première question et les positions prises jusqu'à présent par l'administration Trump.

À la mi-2019, le président américain Donald Trump et Mike Pompeo devaient se rendre au Danemark pour discuter de questions principalement liées aux investissements militaires et commerciaux américains au Groenland et à la présence croissante des États-Unis, de la Russie et de la Chine dans la région.

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La base américaine de Thulé au Groenland.

Les États-Unis ont l'intention d'acheter le Groenland et de concrétiser ainsi leur revendication sur cette région et ses ressources. Le Danemark a rejeté toute proposition de vente du Groenland et le gouvernement américain a annulé toutes les réunions prévues. La visite de Pompeo au Groenland a été annulée après que la Chine ait fait des efforts pour investir dans une série d'aéroports et une base militaire abandonnée sur l'île. L'objectif des États-Unis est de contrer l'influence de Pékin, qui a proposé en 2018 d'établir une "route de la soie polaire". L'objectif est d’empêcher les Chinois de prendre pied sur l'île en leur réservant toutefois la possibilité de faire de lourds investissements pour militariser le Groenland.

Outre la coopération économique entre la Chine et la Russie dans l'Arctique, Mike Pompeo a déclaré que le Pentagone avait averti que la Chine pourrait utiliser sa présence civile en matière de recherche dans l'Arctique pour renforcer sa présence militaire, notamment en déployant des sous-marins dans la région comme moyen de dissuasion contre les attaques nucléaires. "Nous devons examiner attentivement ces activités et garder à l'esprit l'expérience des autres nations. Le comportement agressif de la Chine dans d'autres régions influencera la manière dont elle traitera l'Arctique". Ces commentaires sur les éventuelles capacités militaires stratégiques de la Chine dans l'Arctique soulèvent légitimement la question des plans américains pour le Groenland.

Malgré le différend diplomatique de l'année dernière, l'administration Trump semble avoir fait marche arrière par rapport à son projet d'achat du Groenland. Le 22 juillet 2020, Mike Pompeo et Jeppe Kofod ont organisé une conférence commune à Copenhague. L'actuel ministre des affaires étrangères a déclaré que les États-Unis sont "l'allié le plus proche" du Danemark et qu'ils travaillent ensemble pour assurer une "société internationale fondée sur des règles". Par conséquent, tous les pays que les États-Unis considéreraient comme des adversaires se présentent comme des menaces pour l'économie mondiale (comme la Chine) ou comme nuisibles à l'environnement, comme le montre la tentative de régulation du trafic maritime dans l'Arctique par des navires battant pavillon russe. Pompeo a souligné : "Je suis venu ici parce que le Danemark est un partenaire solide. Il ne s'agit pas seulement de nous unir contre la Chine qui sape et menace notre sécurité nationale". Pompeo et Kofod se sont mis d'accord sur un front commun contre la Chine au Groenland et les États-Unis ont promis que le Groenland serait financièrement récompensé pour la présence, là-bas, de la base aérienne américaine de Thulé. Le secrétaire d'État américain a déclaré que le Danemark se verrait offrir de nouveaux liens commerciaux plus solides en échange de l'opposition aux investissements chinois et russes sur leur territoire.

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L'intention des États-Unis d'accroître leur influence dans les régions de l'Atlantique Nord et de l'Arctique par des moyens financiers a été clairement exprimée par Pompeo. Une approche économique de soft power est utilisée par les États-Unis pour assurer le contrôle du Groenland et des îles Féroé. Entre-temps, l'influence américaine sur le Groenland s'accroît déjà depuis qu'elle a ouvert un consulat sur l'île en juin avec l'approbation du gouvernement danois, fournissant une aide de 12,1 millions de dollars en avril.

Outre les facteurs économiques, il y a aussi un aspect stratégico-militaire puisque l'ambassadrice américaine au Danemark, Carla Sands, s'est rendue dans les îles Féroé pour demander la possibilité d'ouvrir un consulat diplomatique et de permettre à la marine américaine d'utiliser ses ports pour des opérations dans l'Arctique.

Un tel accord permettrait aux États-Unis de créer un corridor d'importance militaire s'étendant du Groenland, de l'Islande et des îles Féroé à la Norvège, qui pourrait servir d'outil géopolitique puissant contre les activités chinoises et russes dans la région.

Lors de sa visite au Danemark, Pompeo avait également réussi à organiser une rencontre avec Anders Fogh Rasmussen à l'ambassade des États-Unis à Copenhague. Rasmussen est membre du parti politique libéral "Venstre". Il dirige actuellement sa propre société de conseil politique appelée "Rasmussen Global" et est conseiller principal à la banque américaine Citigroup. Il est important de noter que Rasmussen est un fervent défenseur de l'hégémonie américaine dans le monde et qu'il a été personnellement responsable de la participation du Danemark à la guerre en Irak en 2003.

Après leur rencontre, M. Rasmussen a révélé que le sujet de son entretien avec Pompeo portait sur la manière d'empêcher "des régimes autocratiques comme la Russie et la Chine" d'investir au Groenland et dans les îles Féroé. Rasmussen a conseillé à Pompeo que "si nous voulons empêcher les nombreux investissements chinois au Groenland et dans les îles Féroé, nous avons besoin d'une plus grande participation américaine en termes d'argent. [...] C'est pourquoi j'ai proposé d'aider à soutenir les investissements américains au Groenland et dans les îles Féroé".

L'implication est claire : les États-Unis utilisent également des groupes de pression locaux pour faire avancer leur programme dans les régions de l'Atlantique Nord et de l'Arctique. La prochaine étape est la poursuite de la militarisation de la région, qui pourrait devenir, avec le temps, un futur champ de bataille entre les États-Unis, la Chine et la Russie.

Il semble que les États-Unis, en établissant des consulats au Groenland et dans les îles Féroé, tentent d'influencer directement les acteurs locaux de la région, notamment par des incitations financières telles qu'une subvention de 11 millions d'euros.

Le fait que des acteurs politiques appellent à la sécession du Groenland et des îles Féroé, qui abandonneraient ainsi leurs liens anciens avec le Danemark, est certainement quelque chose que Washington utilisera à son avantage.

Si le Danemark exprime son refus, les États-Unis pourraient commencer à soutenir activement ces mouvements sécessionnistes afin de "diviser pour régner". Les États-Unis n'hésiteront pas à recourir à de telles actions s'ils estiment que leur propre hégémonie est ainsi préservée au détriment de la Chine et de la Russie. Nous doutons que la nouvelle administration américaine modifie ce choix, d'autant plus que la Chine et la Russie sont et restent les principaux antagonistes des États-Unis.

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Passons maintenant à la question complexe du Nord Stream.

Bien que le ministre allemand des affaires étrangères, Heiko Maas, ait espéré pouvoir résoudre la question des sanctions mises en place par Trump, la coopération sino-allemande a été consolidée avec la signature d'un nouvel accord sur les investissements réciproques, accord signé avec la Chine pendant la présidence allemande du Conseil européen. Cet accord a été lu comme une posture offensive anti-américaine par Washington.

Ce n'est pas une coïncidence si Antony Blinken, le nouveau secrétaire d'État, a clairement indiqué que non seulement l'Amérique n'a pas l'intention de permettre l'achèvement du Nord Stream 2, mais que la Chine reste le principal adversaire. Ces menaces discrètes ne rappellent-elles pas les positions de Mike Pompeo ?

En dernière analyse - au-delà des discours tonitruants et creux de la gauche italienne en faveur de la nomination de Biden - nous sommes persuadés - comme l'ont fait valoir Arduino Paniccia et Alberto Negri - que les lignes de force mises en place par l'administration Trump ne différeront pas en substance de celles qui seront appliquées par la nouvelle administration américaine. Si une différence devait apparaître, nous pensons qu'elle se situerait uniquement au niveau des accents et non au niveau de la substance des choix de politique étrangère.

mercredi, 20 janvier 2021

Géopolitique du Brésil : entre Terre et Mer

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Géopolitique du Brésil : entre Terre et Mer

Par Raphael Machado, dirigeant de « Nôva Resistencia » (Brésil)

Ex: https://therevolutionaryconservative.com

Selon Carl Schmitt, l'essence de la politique est la distinction ami-ennemi. Nous trouvons également, chez Schmitt, une opposition fondamentale dans la géopolitique. En l'occurrence, l'opposition Terre-Mer, à laquelle Schmitt lui-même a consacré d'innombrables pages, mais dont la première formulation se perd dans le brouillard de l'histoire. Cicéron déjà, dans son De Re Publica, fustigeait les thalassocraties de Carthage et de Corinthe pour leur propension à la décadence, associée à une nature "aquatique" selon lui qui s'exprimait concrètement dans leurs stratégies respectives d'expansion coloniale, alors qu'il tenait en haute estime la vertu de la majorité des peuples enracinés dans la terre.

Il pourrait sembler qu'il s'agisse ici d'un sujet extrêmement métaphysique, voire d'un délire symbolique, mais la question de l'opposition terre-mer est si classique qu'elle devient universelle chez les penseurs géopolitiques, indépendamment de leurs orientations idéologiques. En fait, il a été possible de trouver une réciprocité entre les différentes formes d'expressions classiques du pouvoir (terrestre - aquatique) et une sorte de caractère ou de psyché des peuples.

En résumé, les civilisations de la Terre, généralement caractérisées par la présence d'une capitale et de provinces dans les terres voisines, seraient délimitées, en même temps, par un plus grand sens de la continuité, des frontières et des distinctions claires, par une plus grande propension à l'ascétisme et à la guerre ouverte. Les civilisations de la mer, pour la plupart, généralement organisées dans le cadre des relations entre métropole et colonies étrangères, seraient propices à l'indifférenciation, avec une relativisation des concepts et des frontières, avec une tendance psychologique à l'individualisme, à l'utilitarisme et au commerce.

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Ce dualisme évident pourrait avoir des résonances intéressantes et pourrait aussi exprimer avec clarté notre perception des inimitiés historiques telles celles de Rome et de Carthage, de Sparte et d’Athènes, de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne ou des États-Unis et de la Russie. Cependant,  nous sommes également confrontés à des exemples historiques plus complexes, plus prompts à générer de la confusion, exemples que sont le Portugal et l'Espagne, qui devraient nous intéresser grandement en tant qu'Ibéro-Américains.

Après tout, les États ibériques ont effectivement construit de grands empires coloniaux à l'étranger, organisés selon la logique des relations entre les métropoles qui commandent et les colonies dont on extrait des biens matériels. Alors, ces puissances ibériques étaient-elles des empires thalassocratiques ? Le Portugal et l'Espagne sont-ils liés par la symbolique de la mer ? Le problème est que, d'un point de vue spirituel, psychologique ou sociologique, ce qui signifie que, dans le contexte de l'examen de l'âme d'un peuple, il semble évident que le Portugal et l'Espagne sont liés par la symbolique de la Terre, ils étaient des empires tellurocratiques. Comment résoudre cette contradiction qui implique les patries ibéro-américaines ?

Le professeur André Martin, dont les analyses sont très pertinentes, affirme que le Brésil a une nature "amphibie", c'est-à-dire qu'il est délimité par un mélange entre terre et mer, et que cela devrait déterminer sa géopolitique. Avec tout le respect que je lui dois, nous osons ne pas être d'accord avec cette vision du Brésil. Cela nous semble être une tentative d'échapper à la contradiction fondamentale au lieu d'essayer de la résoudre. En fait, le Brésil a des éléments liés à ces deux symbolismes, mais cela est vrai pour tous les autres peuples, surtout aujourd'hui.

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L'élite brésilienne, concentrée sur la côte, incarne les valeurs commerciales et cosmopolites de la mer. Alors que les masses brésiliennes, qui vivent à l'intérieur des terres, incarnent les valeurs conservatrices et enracinées de la Terre. Ce choc, dans lequel les intérêts conservateurs et collectifs d'une masse populaire font face aux intérêts libéraux et individualistes d'une élite cosmopolite, explique en grande partie les phénomènes et les événements politiques au Brésil.

Quelle est l'importance de tout cela ? Si, en dépit de leurs élites, la nature du Brésil est tellurocratique, alors sa géopolitique doit être orientée vers l'autarcie continentale, vers la rencontre civilisationnelle avec ses voisins, et non par la recherche de partenaires commerciaux à l'étranger.

Le Brésil, qui s'est éloigné de nos frères ibéro-américains et s'est rapproché de l'Atlantique, doit retrouver son chemin.

Source :

MACHADO, Raphaël. "Columna de Opinión Internacional (Brasil) del 15.07.2020". Diario La Verdad. Lima, Pérou.

Disponible à l'adresse suivante :

https://comitecentralameri.wixsite.com/ccla/post/la-geopolítica-brasileña-entre-tierra-y-mar

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lundi, 18 janvier 2021

La politique russe en Libye

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La politique russe en Libye

Une étude de Can Acun (revue de presse: TRT en français – 16/1/21)*

Ex: http://www.france-irak-actualite.com

Si la Libye est un pays important par sa position géopolitique dans le contexte de l'Afrique du Nord, de la Méditerranée orientale et de l'Europe du Sud, c'est aussi un pays très riche en ressources énergétiques. Dans ce contexte, les puissances régionales et mondiales cherchent à être efficaces dans la lutte pour le pouvoir en cours dans le pays et à avoir leur mot à dire dans la construction de l'avenir de la Libye. La Russie vient en tête de ces pays.

Avant le renversement de Kadhafi en 2011, la Libye a suivi une politique indépendante de Moscou bien qu’elle soit un pays socialiste. Malgré cela, les relations entre la Libye et la Russie incluaient une coopération militaire et économique très profonde. Cependant, après la dissolution de l'Union soviétique, cette coopération a pris fin avec notamment le soutien politique de Moscou aux sanctions internationales imposées à la Libye. Cependant, la Russie, qui a commencé à se renforcer sous Poutine, a rétabli ses relations avec la Libye en revenant sur la scène politique mondiale.

Elle a commencé à être efficace en Libye en concluant des accords importants sur les armes et l'énergie jusqu'à la révolution et l'intervention étrangère qui ont commencé dans le pays avec l’impact du printemps arabe. Lorsque l'intervention dirigée par l'OTAN a renversé Kadhafi, la Russie a été mise à l'écart en Libye. Alors que la Russie a longtemps été indifférente aux conflits internes en Libye, elle a finalement recommencé à devenir active en 2017 en profitant du vide de pouvoir dans le pays.

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En se rapprochant du général insurgé Haftar, elle a gagné en influence notamment dans l'est du pays en déployant ses forces militaires mercenaires comme Wagner et a préféré parvenir à un compromis avec des pays comme les Emirats Arabes Unis (EAU). Aujourd'hui, la politique russe en Libye vise à amener officiellement le Gouvernement d’entente nationale (GNA) et l'Armée nationale libyenne (ANL) à la table des négociations. Essayant d'assumer le rôle d ‘ « arbitre neutre », Moscou se présente comme le défenseur d'une solution politique à la crise. Cependant, la situation sur le terrain montre le contraire.

Moscou est connue pour fournir un soutien non seulement politique mais aussi militaire à l'armée de Haftar. Les armes russes sont souvent retrouvées entre les mains des combattants de l’ANL et des mercenaires sont présents dans les zones de conflit. Cependant, le Kremlin continue de nier la présence de mercenaires et la vente d'armes.

Ces dernières années, Moscou a tendance à appliquer des « méthodes non traditionnelles » comme les mercenaires et le Groupe de contact dans sa politique en Libye. Dans ce contexte, le cours de la politique étrangère de la Russie en Libye est marqué par le président de la République tchétchène, Ramazan Kadirov, qui joue le rôle de représentant de la Russie au Moyen-Orient. En outre, Ramazan Kadirov et ses conseillers Adam Delimkhanov et Lev Dengov, forment le Groupe de contact russe pour la Libye, créé en 2015.

Par conséquent, la Russie a été efficace sur le terrain en profitant du vide de pouvoir en Libye, elle a commencé à soutenir militairement Haftar et amélioré ses relations avec la famille Kadhafi, en particulier avec Saïf al-Islam. En s'engageant avec des pays comme les Émirats arabes unis et l'Égypte, elle a placé Wagner en Libye et acquis une influence significative, en particulier à l'est. À l’heure actuelle, elle souhaite principalement garder son influence pertinente.

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L'un des objectifs de la Russie en Libye est d'essayer de devenir un acteur efficace sur le marché énergétique méditerranéen en créant une atmosphère politique appropriée pour ouvrir des espaces aux entreprises énergétiques russes telles que « Rosneft », « Tatneft » et « Gazprom ». En outre, la participation de Moscou à la lutte pour le pouvoir en Libye est déterminée par son désir d’obtenir certains gains politiques qui stabiliseront sa présence dans le pays.

En outre, Moscou vise à étendre sa présence sur le continent africain, en particulier dans la région de la Méditerranée orientale. Ainsi, la Libye, qui est riche en énergie et qui possède le plus long littoral méditerranéen de la « région », a gagné une place dans l'agenda de politique étrangère russe. Malgré son importance économique, la résolution du conflit libyen n'est pas l'un des problèmes les plus vitaux pour Moscou. Malgré cela, la Russie entend montrer son influence auprès d'autres acteurs régionaux en s’impliquant dans la crise libyenne.

Can Acun est chercheur sur la politique de la Russie en Libye à la Fondation des études politiques, économiques et sociales (SETA), un think tank proche de l'AKP.

*Source : TRT en français

dimanche, 17 janvier 2021

Arctique : Douche froide pour les ambitions - nucléaires - des Etats-Unis

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Arctique : Douche froide pour les ambitions - nucléaires - des Etats-Unis

Ex: https://zebrastationpolaire.over-blog.com

L'un des derniers foyers de tension allumés par l'administration Etasunienne sortante a été de développer des " stratégies pour l'Actique " avec en autres avatars la publication de doctrines pour l' Us Navy   [ pdf ] ,  l'USCG et même une doctrine pour le Département de la Sécurité Intérieure [ pdf ] . Ces doctrines ont pour ambition , on s'en doute un peu , de lutter contre l'influence de la Russie mais aussi désormais de la Chine dans cette région . L'un des objectifs affichés de cette stratégie est de contrer la montée en puissance de la " Route de la soie Polaire " " Polar Silk Road "  que j'ai évoqué ce blogue dans le cadre d'un article sur le concept d' Arcto-Pacifique .

Si l'ex-Sénatrice  Sarah PALIN pouvait " garder un oeil sur la Russie " de la fenêtre de sa maison dans l'Alsaka , le Secrétaire d'Etat sortant Mike POMPEO pouvait lui "voir les traces des bottes Russes" dans l'Arctique ! 

L'un des axes majeurs de cette stratégie de " containment " et même de " roll-back " de la Russie mais aussi de la Chine dans l'Arctique était de doter l' USCG de brise-glaces à propulsion nucléaire . C'était du moins la situation au courant de l'été 2020 . Ces brise-glaces devaient même être armés selon certain projets . Cette flotte de brise-glaces se devait aussi d'être un " couteau suisse " des intérêts Etasuniens dans l'Arctique puisqu'ils devaient être capables à la fois d'assurer la surveillance des pêches dans le détroit de Béring , d'aider à la pose de câbles sous-marins , d'assurer leur intégrité et de servir de plateformes à drones aériens et sous-marins .  Le déploiement de cette flotte de brise-glaces était prévue pour 2029 avec en plus la construction d'un port en eau profonde pour l'abriter .  Certains analystes Etasuniens comme Dan GOURE voient dans la construction de cette infrastructure la possibilité d'un " effet de levier " stratégique qui obligerait la Russie à divertir des ressources militaires d'autres théâtres d'opération pour contrer cette nouvelle menace . 

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Un coup de froid vient d'être donné à cette stratégie ambitieuse avec l'annonce faite par le commandant de l'USCG ,  l'amiral Karl Leo SCHULTZ le 13 janvier 2021 : L'USCG renonce à équiper sa flotte de brise-glaces à propulsion nucléaire . L'amiral Karl SCHULTZ a affirmé qu'il se concentrait sur la stratégie " Six - Trois - Un " . " Nous avons besoin de six brise-glaces . Parmi eux trois doivent être des brise-glaces lourds ou Polar Security Cutters comme nous les appellons . Et nous en avons besoin d'un tout de suite "  La construction du premier Polar Security Cutter aux chantiers VT Halter Marine est censée commencer cette année pour des essais à la mer en .... 

Pour effectuer le " tuilage " des capacités opérationnelles de l' USCG dans l'Arctique l'amiral SCHULZ a évoqué l'idée de louer des brise-glaces ( au Canada , à la Finlande , à la Norvège , ... Voir tableau ci-dessous ) mais à rejeté l'idée de renforcer - " briseglaciser " des navires garde-côtes existants !

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Ceux-ci ont d'ailleurs d'autres lièvres de mer à courir : Traquer les " narcos " au large du bouchon de Darien , traquer les pêcheurs Pékinois au large de l'île de Guam et même dans l'Atlantique-Sud . La premiére option quand à elle peut engendrer des limitations quand à la nature des missions , en particulier si elles ont un caractère sécuritaire , d'exercice de souveraineté de l'état en mer ou militaire et non plus seulement logistique ou scientifique . Le cas peut se compliquer encore lorsqu'il s'agit de données scientifiques destinées à un usage militaire comme ce fut le cas avec la mission de l' USCGC Healy au cours de l'été 2020 . L'USCG ne dispose que de deux brise-glaces de type " slush-breaker "™© , l'un d'entre eux , l' USCGC Healy est resté indiponible pendant des semaines suite à un incendie survenu en aout 2020 et l'autre , l' USCGC Polar Star , est agé de 44 ans ... 

Il est fort probable que pour la décennie qui s'ouvre la Russie restera la seule nation à disposer de brise-glaces à propulsion nucléaire ; capacité qu'elle partagera peut-être au cours ou à la fin de cette période  avec la Chine ?  

Pour comprendre l'utilité d'un brise-glace à propulsion nucléaire comme l'Arktika qui vient d'être lancé par la Russie au mois de septembre 2020 dans la maîtrise de l'Arctique il faut regarder la mésaventure survenue au navire de ravitaillement Russe Sparta III en décembre 2020-janvier 2021  

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Ce navire dont la mission est de ravitailler les bases militaires Russes de l'Arctique s'est retrouvé prisonnier des glaces le 13 décembre dernier dans l'embouchure du fleuve Iénissei au cours d'un trajet Dudinka -Arkhangelsk . Son capitaine avait très probablement refusé de se conformer à l'ordre d'interdiction de naviguer émis par l'administration de la Route Maritime Nord en raison des conditions de glace . Au bout de trois semaines ce porte-conteneurs chargé du ravitaillement des bases militaires Russes dans l'Arctique a été délivré par le brise-glace à propulsion nucléaire Vaygach envoyé par la compagnie Rosatomflot  Le Sparta III navigue désormais vers la mer de Barents escorté par le brise-glace Amiral Makarov .

On peut analyser - et même polémiquer sans raisons comme le fait la feuille de chou électronique Otanienne The Barents Observer - de diverses manières cette odyssée . Voici mon analyse : Une mission  logistique de ravitaillement de bases mlilitaires dans l'Arctique a été remplie grâce à au déploiement d'un brise glace à propulsion nucléaire même si elle a été annulée au départ en raison de conditions de banquise extrêmes !

Rédigé par DanielB

vendredi, 15 janvier 2021

Quel est l'avenir de l'Afghanistan après l'échec de Trump ?

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Quel est l'avenir de l'Afghanistan après l'échec de Trump ?

par Andrew Korybko

Ex: https://oneworld.press

Le représentant spécial du président russe pour l'Afghanistan, Zamir Kabulov, est quasi certain que le président élu Biden ne fera pas grand-chose pour inverser la tendance au retrait d’Afghanistan du président sortant Trump, malgré la nouvelle législation promulguée qui entrave la perspective de nouvelles réductions, mais il craint également que les troupes américaines soient remplacées par des entrepreneurs militaires privés dans un scénario dont il a averti qu'il serait une erreur.

Les prévisions de la Russie pour l'Afghanistan

De nombreuses questions demeurent en suspens sur la politique étrangère du président élu Biden, à l'occasion de son investiture imminente la semaine prochaine, mais l'une des questions les plus pertinentes pour toute l'Eurasie est la position qu'il adoptera face à la guerre apparemment sans fin des États-Unis contre l'Afghanistan. Le représentant spécial du président russe pour l'Afghanistan, Zamir Kabulov, est quasi certain que le président élu Biden ne fera pas grand-chose pour inverser le cours des choses concernant le retrait d’Afghanistan préconisé par le président sortant Trump, malgré la législation qui entrave la perspective de nouvelles réductions, mais il craint également que les troupes américaines soient remplacées par des entrepreneurs militaires privés dans un scénario qui, selon lui, serait une erreur. Il s'agit d'une prévision assez sérieuse qui mérite d'être approfondie afin de mieux comprendre la logique qui la sous-tend.

La nouvelle stratégie américaine en Asie centrale

J’ai expliqué l'année dernière que "la stratégie américaine en Asie centrale n'est pas aberrante, mais cela ne signifie pas qu'elle va réussir". Il a été souligné que la vision officielle de Trump pour la région, telle qu'elle est articulée par le document "Stratégie pour l'Asie centrale 2019-2025" de son administration, contraste fortement avec celle, non déclarée, de ses prédécesseurs. Au lieu de se concentrer sur la guerre hybride, qui consiste à « diviser pour régner », menée contre les terroristes, elle se concentre principalement sur un projet de connectivité régionale pacifique afin d'étendre calmement l'influence américaine dans le cœur géostratégique de l'Eurasie. Il convient de saluer la volonté de mettre en œuvre des moyens non violents, avec lesquels on peut compter dans le cadre du soft power, même s'il ne faut pas exclure la possibilité que certains éléments des anciennes stratégies informelles restent en place, en particulier après l'inauguration de Biden.

L'argument contre une autre « avancée violente »

L'ancien vice-président ramène à la Maison-Blanche un groupe de fonctionnaires influents de l'ère Obama, d'où la crainte, chez bon nombre d’observateurs, qu'il envisage sérieusement de répéter la fameuse "avancée" de l'ancienne administration, qui a finalement échoué. La donne géopolitique a cependant beaucoup changé depuis lors, et il ne semble pas y avoir de réel intérêt à la réitérer dans les conditions actuelles. Non seulement la planète est en train de se remettre de ce que l'auteur a décrit comme la "guerre mondiale C" - qui fait référence aux processus de changement de paradigme à grande échelle déclenchés par les efforts non coordonnés de la communauté internationale pour contenir le COVID-19 - mais l'Amérique est sur le point de lancer une version nationale de sa "guerre contre le terrorisme" en réponse à la prise d'assaut du Capitole la semaine dernière et les États-Unis doivent également s'adapter au rôle croissant de la Chine dans le monde. Ces deux tâches ont la priorité sur les Talibans.

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L'amélioration des liens entre les États-Unis et le Pakistan est de bon augure pour l'Afghanistan

J’ai évoqué ces derniers développements ainsi que le manque de confiance de l'administration Biden dans le gouvernement de Modi perceptible dans l'analyse qu'il a faite en début de semaine pour le Pakistan Tribune Express sur "Les trois facteurs qui vont façonner l'avenir des relations américano-pakistanaises". Cette analyse conclut que les relations bilatérales s'amélioreront à la suite de ces pressions, ce qui réduira encore la possibilité de voir les États-Unis augmenter leur participation à la guerre contre l'Afghanistan, qui, de toute façon, a d’ores et déjà échoué. Le processus de paix dansle dossier des Talibans, aussi imparfait soit-il, a véritablement donné des résultats notables au cours de l'année écoulée. Non seulement ce serait du gâchis pour Biden d'abandonner tout cela juste pour faire le contraire de ce que fit son prédécesseur, mais cela ne servirait pas à grand chose de toute façon, vu les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la stratégie de l'administration Trump pour l'Asie centrale.

Trump & Biden : des visions différentes, des intérêts partagés

En fait, c'est en Asie centrale que Trump et Biden ont une confluence d'intérêts unique. La politique d'engagement économique du premier s'accorde bien avec les projets du second de créer, dans cette région du monde, une "Alliance des démocraties". Les deux projets sont des moyens non militaires d'étendre l’influence américaine et se complètent parfaitement. S'il est probable que Biden maintiendra la présence des troupes américaines en Afghanistan ou même qu'il l'augmentera légèrement pour des raisons de politique intérieure s'il le juge opportun, il est peu probable qu'il consacre autant de temps et d'efforts militaires à ce conflit qu'Obama ne l'a fait pour les raisons mentionnées plus haut. Si les républiques d'Asie centrale ne pratiquent pas des formes occidentales de démocratie, les États-Unis les considèrent néanmoins comme étant différentes en substance des modèles de gouvernement de la Russie et de la Chine, et donc comparativement plus "légitimes",ce qui leur permettra de s'associer à elles.

L'influence pernicieuse du complexe militaro-industriel

Malgré cela, le puissant complexe militaro-industriel des États-Unis n'acceptera pas que ses intérêts les plus directs soient menacés dans la région par la décision du gouvernement civil de maintenir les troupes à un niveau historiquement bas. Compte tenu de cela, il est logique que Biden exécute la proposition de l'administration Trump de privatiser le conflit par l'intermédiaire d'entrepreneurs militaires privés (PMC), car ces derniers constituent une partie importante, avant-gardiste, du complexe militaro-industriel, surtout parce qu'ils permettent à Washington de conserver un degré de "déni plausible". De nombreux anciens militaires passent des forces armées aux PMC après leur démobilisation parce que cela paie beaucoup mieux, faisant ainsi de ces entités pratiquement une seule et même entité, sauf au sens juridique, les deux remplissant la tâche importante de garder le trillion de dollars de minéraux et de terres rares de l'Afghanistan.

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Réflexions finales

Pour l'avenir, Biden (ou plutôt, la structure du pouvoir qui se profile derrière lui) ne fera peut-être pas beaucoup de progrès politiques dans la résolution de la guerre américaine contre l'Afghanistan, mais il n'aggravera probablement pas les choses non plus. Au contraire, cette "guerre sans fin" pourrait continuer à persister, mais devenir simplement de plus en plus "oubliable" dans les médias. S'il estime qu'il serait politiquement commode de le faire au niveau national, il pourrait alors soit augmenter légèrement le niveau des troupes, soit annoncer publiquement que certaines des troupes existantes seront remplacées par des PMC. Ses services de renseignement continueront probablement à fomenter des scénarios de déstabilisation de faible intensité dans toute la région, mais ils ne concentreront probablement pas trop d'efforts sur ce point, car la grande orientation stratégique des États-Unis se déplace ailleurs, à la lumière des nouvelles conditions nationales et internationales dans lesquelles l'hégémonie unipolaire en déclin est forcée de s'adapter.

jeudi, 14 janvier 2021

Trump a été englouti par le marais parce qu'il n'a pas eu la force de le drainer

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Trump a été englouti par le marais parce qu'il n'a pas eu la force de le drainer

par Andrew Korybko

Ex: https://oneworld.press

Trump pensait sincèrement qu'il pouvait apporter des changements irréversibles sur le long terme dans la manière dont l'Amérique est dirigée en "asséchant le marais" que tous ses partisans méprisent si profondément, mais il a finalement manqué de force à maintes reprises pour prendre les mesures décisives nécessaires à la réalisation de cette grande vision stratégique, et ce pour plusieurs raisons importantes qui méritent d'être longuement débattues.

Le Commandant en chef capitule

L'ère de Trump est terminée après que le président sortant ait annoncé, au lendemain de la prise d'assaut du Capitole américain mercredi, que "mon objectif est maintenant d'assurer une transition du pouvoir en douceur, ordonnée et sans heurts", ce qui a été largement interprété par ses amis et ses ennemis comme la concession tacite qu'il avait promis de ne jamais faire un peu plus de 24 heures auparavant lors de son discours au rallye "Save America". Lors de cet événement, il a littéralement déclaré que "nous n'abandonnerons jamais". Nous ne céderons jamais, cela n'arrivera pas. On ne fait pas de concession quand il y a un vol", mais il a complètement changé de ton après les événements tumultueux de la journée du 6 janvier et après avoir mystérieusement "sombré" pendant plus de 24 heures, période pendant laquelle certains spéculent qu'il a été forcé par ses ennemis de la bureaucratie militaire, du renseignement et de la diplomatie permanente ("l’état profond") d'abandonner le combat.

Trahir sa base

Cela a totalement dévasté ses partisans qui l'ont élu principalement dans le but d'exécuter sa principale promesse de "vider le marais" qu'ils méprisent tous si profondément. Ils croyaient sincèrement qu'il pouvait apporter des changements irréversibles sur le long terme dans la façon dont l'Amérique est gérée, ce que Trump lui-même pensait sincèrement qu'il pouvait faire également, mais il n'a finalement pas eu la force de prendre les mesures décisives nécessaires pour y parvenir. Ainsi, il a fini par se faire avaler par le même "marécage" qu'il a tenté de drainer, qui se lèche les babines après s'être régalé de la carcasse politique qu'il est devenu depuis lors à la suite de sa capitulation. Malgré tout l'espoir qu'il a inspiré à ses partisans et le respect que beaucoup d'entre eux lui portent encore, la plupart d'entre eux sont profondément déçus qu'il ait abandonné et qu'il n'ait pas emporté le combat.

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Cela ne veut pas dire que la grande majorité d'entre eux s'attendaient à ce qu'il résiste avec force à l'inauguration imminente de Biden, mais simplement qu’ils ne pensaient pas voir le jour où il capitulerait publiquement après avoir soigneusement cultivé une réputation de combattant aussi convaincante parmi eux. Surtout lui qui a littéralement dit un peu plus de 24 heures auparavant que "Nous n'abandonnerons jamais". Nous ne céderons jamais, cela n'arrivera tout simplement pas". Cela a déclenché un processus d'introspection permanente parmi les plus sobres d'entre eux qui ne sont pas endoctrinés par le cultissime Q-Anon qui prétend que Trump a toujours un soi-disant "plan directeur" qu'il se prépare à mettre en œuvre après ce dernier coup d'"échecs 5D". C'est fini, l'ère Trump est terminée et le mouvement "Make America Great Again" (MAGA), qu'il a inspiré, risque maintenant d'être déclaré organisation "terroriste nationale" dans un futur proche.

L'erreur de calcul politique la plus fatale de Trump

"L'Amérique de Biden serait un enfer dystopique", comme je l’avais prédit il y a quelques mois, et tous les partisans de Trump le savent. Certains s'étaient déjà résignés à son apparente inévitabilité après l'échec de ses efforts pour inverser légalement les résultats contestés des dernières élections pour diverses raisons que la plupart d'entre eux attribuent à la corruption du "marais", mais ils sont néanmoins restés aussi positifs que possible après avoir cru que leur héros allait sombrer avec eux jusqu'au bout. Personne n'a jamais réfléchi à deux fois à sa promesse de "ne jamais abandonner, ne jamais concéder", et ils s'attendaient même à ce qu'il doive être escorté hors de la Maison Blanche le 20 janvier, pourtant sa concession tacite oblige nombre d'entre eux à réévaluer avec le recul leur opinion sur lui. Non seulement il sort en gémissant selon les termes dictés par "l'État profond", mais il n'a jamais complètement "asséché le marais".

L'erreur de calcul politique la plus fatale de Trump est qu'il pensait pouvoir changer le système de l'intérieur après en avoir pris le contrôle symboliquement - mais surtout pas substantiellement - en tant que premier président américain "étranger" des temps modernes. Il est immédiatement passé d'un "outsider" à un "insider" peu après son investiture en capitulant aux demandes de l'"Etat profond" de renvoyer l'ancien conseiller à la sécurité nationale Flynn, ce qui était son "péché originel" qui a ouvert la voie à tout ce qui allait suivre par la suite. Le "faiseur de marché" autoproclamé pensait qu'il pouvait trouver un "compromis" avec ses ennemis par ces moyens, mais tout ce qu'il a fait, c'est les encourager à intensifier leurs faux efforts médiatiques pour l'évincer et continuer à le saboter de l'intérieur par le biais des mêmes créatures "du marais" dont il continuait naïvement à s'entourer.

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RINOs + MSM = La défaite de Trump

La plus vilipendée d'entre elles aux yeux de sa base est "Javanka", le populaire portemanteau du gendre de Trump, Jared Kushner, et de sa fille Ivanka. Il continue d'écouter ces "Républicains de nom seulement", ou RINO comme les décrivent de nombreux membres de MAGA, ainsi que beaucoup d'autres comme ceux qui siègent encore au Congrès mais qui ont prétendu être son ami juste pour gagner leur réélection. De plus, l'influence que son ancienne carrière de télé-réalité a exercée sur lui a fait que Trump est resté obsédé par la façon dont ses ennemis pourraient le diffamer dans les médias traditionnels (MSM) pour toute action décisive qu'il aurait prise pour détruire l'"État profond". Cette faiblesse de caractère s'est avérée être son plus grand défaut personnel puisqu'il aurait dû suivre son instinct au lieu de se soumettre au désir égoïste d'être "aimé" par ses ennemis.

Il a été tellement influencé par les MSM que ses ennemis ont pu utiliser les astuces les plus basiques de la "psychologie inversée" pour le manipuler afin qu'il "joue la sécurité" dans sa lutte contre l'"état profond". Ils craignaient, avant même qu'il n'entre en fonction, qu'il ne devienne un soi-disant "dictateur", mais il n'a jamais sérieusement envisagé de prendre de telles mesures autoritaires dans cette direction, bien qu'il ait toujours eu la possibilité d'utiliser les immenses pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution pour le faire s'il l’avait sincèrement voulu. Ses partisans de MAGA ont plaidé avec passion pour qu'il devienne le pire cauchemar de ses ennemis en déclarant au moins une loi martiale limitée en réponse à la guerre de terreur hybride contre l'Amérique qui a duré des décennies et qui a finalement pris son essor l'été dernier après qu'Antifa et "Black Lives Matter" (BLM) aient orchestré des émeutes nationales pour l'évincer.

Les trois plus grands échecs de Trump

A rebours de sa base, Trump n'a pas non plus réussi à révoquer l'article 230, malgré les craintes désormais avérées qu'il donne ainsi à Big Tech le pouvoir de le censurer, lui et ses partisans. Il n'a pas non plus contrecarré les projets de vote par correspondance des démocrates ni l’instauration du système de vote Dominion qui, selon eux, les ont finalement conduits à voler l'élection. Sa décision de ne pas empêcher les gouverneurs démocrates de confiner leurs populations pour des raisons politiques sous le prétexte commode du COVID-19 était tout aussi inquiétante. J’ai abordé toutes ces questions dans mon analyse publiée peu après l'élection sur les raisons pour lesquelles "la phase de changement de régime anti-Trump vaut la peine d'être étudiée". Trump aurait pu légalement exercer des pouvoirs quasi "dictatoriaux" pour éviter tout cela et ainsi sauver l'Amérique telle que ses partisans la voient, mais à maintes reprises, il n'a pas réussi à rassembler la force nécessaire pour le faire en raison de ses profonds défauts personnels.

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La guerre hybride contre l'Amérique est terminée

Bien que Trump ait été incontestablement victime de l'"Etat profond" pendant toute la durée de son mandat, il n'est plus aussi martyr qu'il l'était après avoir soudainement abandonné le combat suite à l'assaut du Capitole américain mercredi dernier. Il s'est rendu, en heurtant sa base, a ensuite été avalé par le "marécage", et est maintenant impitoyablement détruit, signe inquiétant de ce qui attend le reste du mouvement MAGA à l'ère Biden-Kamala. S'il était allé jusqu'au bout du combat et n'avait "jamais abandonné" comme il l'avait promis, ce serait une toute autre histoire, mais au lieu de cela, son instinct de "faiseur de marché", trop exacerbé, a pris le dessus à la toute dernière minute et il a cru bêtement qu'il pourrait se sauver en capitulant devant leurs exigences. L'"État profond" lui montre maintenant sa "reconnaissance" en le censurant sur les médias sociaux et en poussant à sa destitution.

Le mouvement MAGA a toujours pensé que le pays était déjà en "guerre" depuis des années, même si la plupart ne pouvaient pas en exprimer la nature hybride comme je l’ai fait dans mon article de l'été dernier sur la façon dont "la guerre de terreur hybride contre l'Amérique était en cours depuis des décennies". Ils ont vraiment eu le sentiment que Trump partageait leur évaluation de la menace après avoir été sauvagement attaqué par l'"Etat profond" dès la seconde où il s'est lancé dans la campagne électorale, mais il s'est avéré qu'il sous-estimait la menace même si ses ennemis ne l'ont jamais fait. Pour l'"État profond" et ses mandataires démocrates publics, il s'agissait toujours d'une "guerre" à leur manière, qu'ils n'ont jamais hésité à exprimer. L'ironie suprême est que si Trump a fustigé les "républicains faibles" dans son discours du rallye "Save America", il a lui-même fini par incarner cette même faiblesse en se rendant un peu plus tard.

L'État profond" a gagné

Ses adversaires ne connaissent pas de limites et croient à la mode machiavélienne classique selon laquelle "la fin justifie les moyens", alors qu’il pensait pouvoir jouer selon les règles - et même pas toutes les règles comme on l'a expliqué très tôt en soulignant son refus d'utiliser les pouvoirs quasi "dictatoriaux" que lui confère la Constitution - et quand même s'imposer. Sa naïveté restera dans l'histoire car c'est elle qui est le plus directement responsable du fait qu'il n'ait pas pleinement reconnu la gravité de la guerre sans merci que l'"État profond" lui a livrée, ainsi qu'au reste de l'Amérique. Né et élevé à New York, Trump a perfectionné l'art de la langue de bois, à tel point qu'il a même réussi à faire croire à sa base qu'il partageait leur évaluation de la menace que représente la guerre de terreur hybride contre l'Amérique, qui dure depuis des décennies. Ils se sont laissé prendre à cette mascarade car ils voulaient désespérément croire qu'il restait encore un peu d'espoir.

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Mais il n'y en a plus, puisque la guerre est terminée et que l'"État profond" a gagné une fois pour toutes. Le "Grand Reset"/"Quatrième Révolution Industrielle" provoquée par la guerre mondiale avance à toute vitesse, et pratiquement toutes les réalisations nationales que Trump a à son actif seront probablement annulées par Biden-Kamala au cours de leur première année de mandat, d'autant plus que les mandataires démocrates de l'"État profond" contrôlent désormais toutes les branches du gouvernement (en se rappelant que la supposée "supermajorité conservatrice" de la Cour suprême n'est en réalité constituée que de RINO, comme l'a prouvé leur refus d'entendre les cas convaincants de fraude électorale). Après "l'analyse de l'échec du mouvement MAGA en matière de sécurité démocratique", mercredi, il est clair que quel que soit le "plan directeur" que lui et/ou le mouvement MAGA auraient pu avoir, il s'est retourné contre eux et a été en fait exploité par leurs adversaires.

Le vrai "plan directeur"

En fait, le seul véritable "plan directeur" était celui de "l'Etat profond", qui a effectivement contrecarré chacun des mouvements de Trump et a finalement transformé le "dernier hourra" de ses partisans lors d'un rassemblement essentiellement pacifique en un clou qui sera maintenant enfoncé dans le cercueil du mouvement MAGA. Il est extrêmement suspect que le Capitole américain ait été si mal défendu malgré la tenue d'une session du Congrès en ce jour historique et après des semaines de préparation pour assurer la sécurité du site avant la Marche pour la sauvegarde de l'Amérique prévue depuis longtemps par Trump. Il est encore plus déconcertant de constater que certains policiers ont levé les barricades et même ouvert les portes à certains des manifestants, ce qui, avec le recul, laisse penser que l'"État profond" a voulu tenter les plus "passionnés" d'entre eux (sans parler des provocateurs présumés) pour prendre d'assaut le site comme prétexte à ce qui a suivi.

En facilitant passivement ce scénario par l'exploitation magistrale de la psychologie des foules, l'objectif était de jeter les bases d'une répression nationale globale contre le mouvement MAGA au motif qu'il est désormais "prouvé" qu'il s'agit d'un groupe "terroriste national". Cela explique la mise en accusation de Trump moins de deux semaines avant qu'il ne reconnaisse lui-même, l'autre jour, qu'il quittera ses fonctions après avoir assuré la "transition du pouvoir". S'il ne s'était pas rendu, il serait probablement encore un martyr pour la plupart des membres du mouvement MAGA, mais maintenant il n'est plus qu'un otage du palais qui attend son exécution politique très médiatisée comme première salve des représailles de l'"État profond", mené par les démocrates, contre ses partisans au nom de la "défense contre le terrorisme intérieur". Ce n'est pas ce que Q-Anon imagine, c'est le véritable "plan directeur", et il a réussi.

Réflexions finales

Trump a été englouti par le "marais" parce qu'il n'avait pas la force de le vider. Chaque membre de MAGA doit accepter cette dure vérité, aussi douloureuse soit-elle. À maintes reprises, il n'a pas réussi à rassembler la force nécessaire pour accomplir de manière significative ce que beaucoup croyaient sincèrement être son destin. Cela est dû à son erreur politique fatale qui a consisté à se transformer d'un "outsider" en un "insider" dans une tentative vouée à l'échec de changer le système de l'intérieur. Il a continué à s'appuyer sur les RINO malgré leur manque de fiabilité avéré. L'obsession de Trump pour la façon dont ses ennemis le dépeignaient dans le MSM l'a également conduit à ne jamais sérieusement contrecarrer l'utilisation des pouvoirs quasi "dictatoriaux" qui lui sont conférés par la Constitution pour sauver l'Amérique. Il a pathétiquement capitulé après la réussite du "plan directeur" de l'"État profond", et maintenant il ne peut même pas entrer dans l'histoire comme un martyr.

mercredi, 13 janvier 2021

L'UE et les États-Unis - Entretien avec Tiberio Graziani

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L'UE et les États-Unis

Entretien avec Tiberio Graziani, président de Vision & Global Trends. Institut international pour les analyses globales

Ex : https://en.interaffairs.ru/article/eu-and-usa/

Quelle est l'attitude de l'Union européenne face aux événements aux États-Unis, y compris la prise du Capitole américain par les partisans de Donald Trump ?

En ce qui concerne la récente attaque du Capitole américain par les partisans de Trump, les dirigeants européens ont publiquement exprimé leur stupéfaction et critiqué cette action.

Au niveau national, les dirigeants politiques des principaux partis, même ceux considérés comme eurosceptiques, nationalistes et/ou populistes, ont crié au scandale, affirmant que l'attaque du Capitole américain était une attaque contre la démocratie tout court.

Une telle déclaration - attaque du Capitole = attaque de la démocratie - de la part des dirigeants européens et des hommes politiques, issus des différentes nations membres de l'Union européenne, mérite au moins deux réflexions.

L'une de ces réflexions a un caractère général : les dirigeants européens sont incapables de concevoir un type de démocratie différent du modèle démocratique libéral, c'est-à-dire du modèle que les États-Unis ont répandu et exporté depuis 1945 dans une grande partie de la planète et qui constitue la superstructure - à la fois idéologique et opérationnelle - du système occidental dirigé par les États-Unis. Du point de vue de la culture politique, cette incapacité fait que les positions et les intérêts exclusifs de Washington sont automatiquement privilégiés dans les décisions prises par les classes dirigeantes européennes et par leurs hommes politiques en matière de politique économique et sociale intérieure et en politique étrangère. Tout cela se traduit par des choix politiques qui - outre la non prise en compte des diverses identités culturelles propres et des intérêts spécifiques du Vieux Continent - à moyen et long terme pourraient s'avérer très négatifs pour la mise en œuvre de l'intégration européenne elle-même et l'évolution de l'UE dans un sens unitaire.

Une autre réflexion - plus attentive aux circonstances actuelles - concerne plutôt l'intérêt pratique de l’eurocratie de Bruxelles et des classes dirigeantes européennes en général qui ne cherchent qu’à plaire à la nouvelle administration qui sera dirigée à partir du 20 janvier par le démocrate Joe Biden.

Quelles seront les conséquences de la situation politique aux États-Unis sur les relations entre l'UE et les États-Unis ?

À long terme, il n'y aura pas de conséquences notables, à moins qu'il n'y ait des changements - actuellement non prévisibles - dans la direction actuelle de l'Union européenne. La politique de Bruxelles, par ailleurs, pourrait être influencée par le positionnement de certains gouvernements nationaux. En particulier, en ce qui concerne l'Europe centrale et occidentale, il faudra accorder une grande attention à la France, et dans une certaine mesure à l'Allemagne, pour ce qui est de la mise en œuvre des politiques étrangères individuelles de ces deux pays à l'égard de la Chine, de la Russie et de l'Iran. L'harmonie manifestée en certaines occasions entre Paris et Berlin, concernant leurs intérêts nationaux vis-à-vis de la Chine et de la Russie, pourrait aussi se refléter dans certaines décisions futures de Bruxelles à l'égard des deux puissances eurasiennes, décisions qui s’avèreront dès lors stratégiques pour son évolution : les États-Unis, évidemment, n'entraveraient pas de telles éventualités. Quant à l'Europe de l'Est, la situation semble moins claire, en raison des effets que les initiatives ambiguës et conflictuelles de Budapest et de Varsovie et leurs relations spéciales avec les États-Unis pourraient avoir sur Bruxelles. La Hongrie d'Orban, rhétoriquement critique de la vision libérale et démocratique de Bruxelles et, dans une certaine mesure, plus proche de la "doctrine de Trump", pourrait subir de lourdes "représailles" de la part de la nouvelle administration américaine, compte tenu de certaines "sympathies" existant entre Budapest et Moscou. En cas de "représailles", des processus qui pourraient conduire à une sorte de "révolution de couleur" sur le modèle de ce qui a été vécu en Ukraine, visant à éliminer Orban, ne peuvent être exclus. La Pologne, tout aussi critique de Bruxelles que de la Hongrie, reste cependant le "meilleur ami" des États-Unis en Europe : c'est pourquoi je ne pense pas qu'elle subira de "représailles" de la part de Biden. Au contraire, la fonction anti-russe et pro-ukrainienne de la Pologne sera renforcée par le nouvel occupant de la Maison Blanche.

Les relations bilatérales entre l'Union européenne et les États-Unis changeront-elles sous la présidence de Joe Biden et si oui, dans quelle mesure ?

Les États-Unis, même sous la présidence démocratique de Biden, ne changeront pas leur stratégie désormais séculaire à l'égard de l'Europe. Dans le cadre de la stratégie américaine, l'Europe est considérée comme une tête de pont jetée sur la masse eurasienne et sur le continent africain, notamment par l'intermédiaire de l'Italie : l'administration Biden restera donc fidèle à cette perspective, vitale pour la survie des États-Unis en tant que puissance mondiale. Dans cette perspective, il faut s'attendre à ce que la nouvelle administration soit encore plus affirmatrice que la précédente, qui était républicaine, à l'égard de Bruxelles et des États membres de l’UE. Il est probable que Biden prendra des mesures encore plus résolues que Trump pour contrer le projet russo-allemand North Stream 2 ou d'autres initiatives de partenariat similaires entre Moscou et Berlin mais aussi entre Moscou et Paris. Il est également réaliste de prévoir que Biden fera obstacle à tout type d'initiatives de partenariat euro-chinois, centrées, de diverses manières, sur le projet de la nouvelle route de la soie. À la lumière de cela, la contradiction entre les véritables intérêts européens et américains ne peut cesser d’exister que si l'Allemagne et la France mènent une bataille commune au nom de la refondation de l'Union européenne en tant qu'acteur indépendant dans le nouveau scénario mondial, apparemment polycentrique.

Aspects de la stratégie maritime américaine

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Aspects de la stratégie maritime américaine

Par Giuseppe Gagliano

Ex : https://moderndiplomacy.eu

Partons d'une prémisse qui devrait être tout à fait évidente d'un point de vue stratégique : toute stratégie maritime, qu'elle soit anglaise - du XVIIIe siècle à la Seconde Guerre mondiale - ou américaine, est nécessairement une stratégie à long terme et nécessite donc des investissements à long terme tout en cherchant où il est possible d'anticiper les défis futurs. Nous pensons à cet égard aux porte-avions nucléaires de la classe Gerald Ford dont la première série devrait être mise en place l'année prochaine. Si les États-Unis ont décidé d'investir des ressources importantes pour la projection de leur puissance maritime, cela résulte de la nécessité de consolider leur puissance navale, consolidation qui est possible à la fois grâce à la puissance économique et financière dont ils disposent au moins jusqu'à aujourd'hui et grâce à l'innovation technologique. (pensons par exemple au fait que les Etats-Unis sont le seul pays à construire des catapultes pour les porte-avions à pont plat et au fait qu'avec la nouvelle classe de porte-avions Ford, la marine va se doter de catapultes électromagnétiques qui pourront augmenter d'environ un tiers les capacités actuelles des catapultes).

Bien entendu, des investissements aussi importants pour les porte-avions ne sont certainement pas accidentels, car ceux-ci jouent un rôle fondamental dans la dissuasion traditionnelle - à la fois dans le sens où ils peuvent menacer d'une intervention armée en cas de crise - et de la dissuasion nucléaire, dans la mesure où les avions qui quittent les porte-avions sont équipés d'armes nucléaires, bien qu'à faible potentiel. Ils jouent donc un rôle dissuasif très important. En bref, le porte-avions permet de recourir à une dissuasion graduelle ou souple.

Mais pour que la puissance navale américaine soit effectivement consolidée - notamment dans le cadre de l'espace indo-pacifique donc en fonction de l'endiguement de la Chine - aujourd'hui comme hier (on fait allusion à la guerre froide), les infrastructures militaires américaines présentes dans les principaux carrefours stratégiques au niveau mondial lui permettent d'exercer efficacement sa puissance navale : le renforcement du partenariat militaire avec le Japon, la Corée du Sud, Taiwan et les Philippines doit être lu comme un intérêt renouvelé de la part des Américains pour le rôle fondamental de la puissance navale. Toutes ces raisons réunies ne peuvent que nous amener à définir les États-Unis comme une véritable thalassocratie moderne.

Ce n'est pas un hasard, en revanche, si l'administration Obama a tourné son attention vers l'Asie de l'Est et du Sud à partir du constat que l'avenir du monde se joue dans ces environnements géopolitiques.

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En effet, sur le front de la concurrence économique avec la Chine, le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) a été signé en 2016, un traité auquel ont adhéré - entre autres - Brunei, le Japon, la Malaisie, Singapour, le Vietnam, à l'exclusion de la Chine. Barack Obama a défini son programme de politique étrangère, appelé "La doctrine Obama", en rejetant l'isolationnisme et en soutenant le multilatéralisme. En d'autres termes, Obama a explicitement poursuivi la tradition de réalisme incarnée par Bush "senior" et par Scowcroft : les interventions militaires, trop souvent soutenues par le Département d'Etat, le Pentagone et les think tanks, ne devraient être utilisées que lorsque l'Amérique est sous une menace imminente et directe. Dans un environnement où les plus grands dangers sont désormais climatiques, financiers ou nucléaires, il appartient aux alliés des États-Unis d'assumer leur part du fardeau commun. Tout en convenant que les relations avec la Chine seront les plus critiques de toutes, son programme politique souligne que tout dépendra de la capacité de Pékin à assumer ses responsabilités internationales dans un environnement pacifique. Si elle ne le fait pas et se laisse conquérir par le nationalisme, l'Amérique devra être résolue et prendre toutes les initiatives visant à renforcer son multilatéralisme dans la fonction d'endiguement anti-chinois. Il est donc très probable que l'actuel président américain Biden mène une stratégie de cette nature.