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mardi, 31 août 2021

La nécessité des apocalyptiques: le dernier essai de Geminello Alvi

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La nécessité des apocalyptiques: le dernier essai de Geminello Alvi

Giovanni Sessa
Ex: ereticamente.net/2021/08/la-necessite-degli-apocalittici-lultimo-saggio-di-geminello-alvi-giovanni-sessa.html

Le dernier projet éditorial de Geminello Alvi peut être défini comme le livre de sa vie. De l'avis de l'auteur, il en est ainsi pour deux raisons. D'abord, parce qu'il est le résultat des réflexions de cet éminent universitaire sur le texte de l'Apocalypse depuis des décennies. Ensuite, parce que le volume, qui a la prétention justifiée d'être un commentaire du texte sacré, présente, à première vue, un trait labyrinthique et aporétique, en harmonie évidente avec l'Apocalypse elle-même. C'est ce qui rend l'exégèse d'Alvi véritablement "traditionnelle": elle est fidèle à la nature non transparente du texte, et non à ses aspects accessoires. Pour ceux qui sont habitués à des classifications simplistes, le livre est un exemple certainement réussi de non-fiction érudite et cultivée.

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Alvi y parcourt les vicissitudes herméneutiques-philologiques que l'Apocalypse a subies au cours des millénaires de son histoire mais, en même temps, il est soutenu par un afflatus "poétique" irrépressible, au sens étymologique grec du terme, qui rend sa lecture, si elle est accompagnée du texte de l'Apocalypse, légère et libératrice. Nous faisons référence à La necessità degli apocalittici (La nécessité des apocalyptiques) publié dans le catalogue Marsilio (pp. 460, €30.00). Le sens du livre est clair dès l'incipit. L'Apocalypse est un texte qui ne peut être normalisé par une approche logico-philologique. Son contenu a un développement en spirale, labyrinthique. Il ne peut être simplement lu, mais nécessite une relecture continue pour révéler de nouvelles portes d'accès. Le sien est : "Une extermination de moins en moins dominable" (p. 11). L'interprète avisé sait que l'Apocalypse est: "encadrée entre le temps accéléré [...] et la fin des temps [...]. Le temps éteint se révèle être le seul vrai " (p. 12). Il parle non seulement au début du christianisme, mais dans tous les précipices du temps. Aujourd'hui plus qu'hier, parce que: "le film à happy end du progrès s'est transformé en cauchemar" (p. 12).

Dans le présent, le progrès a pris le visage de l'horreur. Dans chaque précipitation du temps, la force apocalyptique révèle un espace d'une verticalité impensable, induit la métanoïa chez l'individu qui en devient le porteur et, en un, la métamorphose du monde. Alvi conclut: "La seule révolution nécessaire est celle qu'impose l'Apocalypse, et dont le lecteur obtient une transmutation de lui-même et du monde qui est bien plus que comprendre, elle est agir" (p. 304-305). C'est pourquoi il ne s'attarde pas simplement sur l'analyse du texte, mais présente le monde idéal de quarante-deux "contaminés" par l'Apocalypse qui, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, ont reproposé la gnose chrétienne.

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Tout d'abord, l'auteur prévient le lecteur que toute analyse du texte est compromise par les polarités antithétiques qui y apparaissent. Il rappelle donc les apports herméneutiques fournis par Robert Henry Charles et par le théologien Bousset, concernant l'identification probable de l'auteur de l'Apocalypse, retracée par les deux savants non pas à Jean l'Apôtre, mais à Jean le Presbytre. L'analyse d'Alvi procède en stigmatisant négativement la perversion rhétorique de l'Apocalypse, réalisée par des philologues peu avisés, opérant même dans les Églises: "Depuis au moins soixante-dix ans, presque toute la théologie de Rome [...] a en effet jugé l'Apocalypse comme un livre irréfléchi et incompréhensible" (p. 23), au point de la réduire à une œuvre anti-romaine de l'apocalyptique juive tardive. Le point de non-retour, dans la lignée de ces interprétations qui mènent au sociologisme, se trouve dans la thèse du dominicain Boismard, pour qui: "Une équation du premier degré aurait suffi à résoudre les énigmes de l'Apocalypse" (p. 25). L'apocalyptisme ne peut être catalogué par l'esprit abstrait, intellectualiste et combinatoire.

En outre, le critère d'ordre du texte se retrouve dans le retour des chiffres obsessionnels, renvoyant à une arithmétique qualitative et aux rythmes internes de l'écriture. Pour entrer dans les choses vivantes de l'Apocalypse, il faut se sentir "perdu dans ce temps et vouloir être apocalyptique, c'est-à-dire dans la torsion du texte pour être révélé, transmuté à un autre" (p. 29). L'Apocalypse subvertit le temps et l'espace, comme ont pu le faire deux des "apocalyptiques nécessaires", Guido de Giorgio, submergé par l'ouragan de dévotion qui lui a apporté l'expérience de l'inversion du temps, et Pavel Florenskij, à la recherche d'un espace analogique et non euclidien. Les premiers vivaient isolés dans un presbytère de montagne près de Mondovì. Le sodal d'Evola dans le "Groupe Ur" magique, il se rendit en train, immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, pour rencontrer Padre Pio en personne à San Giovanni Rotondo: il fut tellement frappé par la rencontre qu'il jeûna pendant deux jours et écrivit, à l'improviste, pendant la célébration de la messe, ces mots: "nous transitoires, toi seul permanent, toi inconcevable infini, nous plate-forme de la mort" (p. 32).

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Ce n'est qu'en comprenant la dimension du miracle qu'il est possible d'accéder aux profondeurs apocalyptiques. Florensky était un moine, mathématicien et philosophe. Dans son œuvre, l'espace apocalyptique a trouvé sa pensabilité, suggère Alvi. C'est l'espace dont témoignent les icônes: "géométrie à courbure variable conquise par la prière, imperturbable" (p. 37). C'est l'espace dans lequel l'invisible fait irruption dans le visible, la "porte royale et dorée" ouverte sur l'au-delà. Le réalisateur Tarkovski a eu la même perception lorsqu'il a décrit l'Apocalypse comme étant "la plus grande création poétique qui ait jamais existé sur terre... C'est, en dernière analyse, un récit de notre destin" (p. 37).

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C'est pourquoi, à notre avis, le plexus le plus significatif et le plus révélateur du livre se trouve dans l'analyse du Parsifal de Wagner. Parsifal, le fou pur, fait l'expérience de la subversion de la perception habituelle, il fait l'expérience "du renversement du lien qui proportionne le temps à l'espace écoulé. Pour lui, le temps est désormais éteint, dilaté au-delà de toute distance" (p. 304). Il est nécessaire de ressentir ce que ressent Parsifal : "l'éternel qui s'accélère, la fin de toute mesure, sans précédent" (p. 304), afin d'expérimenter la "libération". De plus, notre auteur sait que de nombreux plexus de l'Apocalypse présentent une régression par rapport au mythe. Le programme exposé par Wagner, dans Religion et art, n'était-il pas une tentative de sauver, à une époque de sécularisation avancée, le Kern "chrétien par une œuvre d'art élevée au mystère" (p. 296)? En bref, le Graal de Parsifal est un rituel de l'ego qui, s'étant engagé sur la voie de la recherche, se trouve être apocalyptique. En conclusion: "Le mythe de Parsifal complète l'Apocalypse" (p. 297).

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L'Apocalypse sape l'idée de réalité mais, en même temps, possède en elle-même, selon son prologue, un trait fondateur. Par conséquent, face au risque pandémique que nous vivons, occasion qui permet au Pouvoir homologuant de mettre en œuvre la dernière phase de son action dissolvante, il ne reste plus qu'à se tourner vers le salut apocalyptique. En effet: "Le souffle qui infecte est distrait, d'une âme séparée du ciel. Respirer, c'est prier, c'est monter à la colonne" (p. 423).

Giovanni Sessa

Giovanni Sessa est né à Milan en 1957. Il vit à Alatri (Fr) et est professeur de philosophie et d'histoire dans les écoles secondaires, ancien professeur adjoint de philosophie politique à la Faculté des sciences politiques de l'Université "Sapienza" de Rome et ancien professeur contractuel d'histoire des idées à l'Université de Cassino. Ses écrits ont été publiés dans des magazines, des journaux et des périodiques. Ses essais sont parus dans divers volumes et actes de conférences nationales et internationales. Il a publié les monographies Oltre la persuasione. Saggio su Carlo Michelstaedter, Settimo Sigillo, Rome 2008 et La meraviglia del nulla. Vita e filosofia di Andrea Emo, Bietti, Milan 2014, préface de R. Gasparotti, in Appendix Quaderno 122, inédit du philosophe vénitien. Il a également publié un recueil d'essais Itinerari nel pensiero di Tradizione. L'Origine o il sempre possibile, Solfanelli, Chieti 2015. Il est secrétaire de l'École romaine de philosophie politique, collaborateur de la Fondation Evola et porte-parole du Mouvement de pensée "Pour une nouvelle objectivité".

 

Avant-propos à "Pandémie et confinement": le retour des dieux forts

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Voici le prologue qu'Eduard Alcàntara a écrit pour le livre Pandemia y confinamiento. El retorno de los dioses fuertes, écrit par Gonzalo Rodríguez et publié par Editorial Eas.

Avant-propos à "Pandémie et confinement. Le retour des dieux forts"

Eduard Alcántara

Ex: https://septentrionis.wordpress.com/2021/08/28/prologo-a-pandemia-y-confinamiento-el-retorno-de-los-dioses-fuertes/

Nous avons été heureux de recevoir l'offre d'écrire l'introduction à ces annotations et réflexions élaborées par Gonzalo Rodríguez. Et notre gratitude pour cette offre est double. D'une part, en raison de la haute estime personnelle que nous avons pour l'interdit, et d'autre part parce que, connaissant la trajectoire intellectuelle de l'auteur, nous savons d'avance que ce qu'il a écrit ne sera certainement pas banal mais, au contraire, substantiel quant à la conception que l'on doit avoir de l'homme et nous dirions presque vital dans la situation anormale d'enfermement/confinement dans le cadre duquel ces lignes ont été écrites par Gonzalo.

En effet, nous ne nous sommes pas trompés en pensant à la nature de ce que nous allions trouver en commençant la lecture de ce journal du confinement. Dès les premières lignes, une lumière après l'autre s'est mise à clignoter devant nous, toutes fidèles à un fil d'argument cohérent, qui n'est autre que le fil de l'argument de la vie,c'est-à-dire de la vie qui mérite d'être réellement appelé vie. La vie comme une mission. La vie comme un chemin sur lequel il faut lutter pour éveiller en soi ce qui, en étant plus que la vie, nous libère d'une condition purement végétative et esclave des inerties pulsionnelles dominantes de cette anomalie que représente le monde moderne.

Gonzalo, bien qu'il postule une conception supérieure de la vie et de l'existence, ne se détache jamais du quotidien. Il est fait d'un bois incompatible avec les postures escapistes. Se perdre dans la métaphysique et renoncer au physique ne lui convient pas. Il est clair pour lui que pour conquérir le surhumain, il faut s'attaquer au terrain de l'humain. Il ne doute pas que le ring dans lequel il faut se battre pour prendre d'assaut le Ciel se trouve sur la Terre. Il n'hésite pas à dire que la vie est le ring sur lequel il faut se battre pour atteindre l'Eveil au Transcendant.

Et parce que, bien qu'il ne cesse de regarder vers le haut, il ne laisse pas tomber ce qui est ici-bas, il nous exhorte à ne pas oublier les liens que nous avons avec notre famille et nos amis, et donc à profiter des jours de réclusion forcée pour communiquer avec eux et leur offrir, si cela est jugé opportun, notre soutien et notre affection. Avec un esprit égoïste, maussade, sans soutien et, en bref, brutalisé, on ne peut aspirer à rien de plus élevé. La spiritualisation de l'âme est une chimère si elle est saturée de mauvaises pensées et de sentiments mauvais et misérables. En même temps, éviter de tomber dans l'individualisme égoïste de notre époque atomisée doit nous inciter à renforcer nos liens familiaux et communautaires.

C'est pourquoi Gonzalo nous conseille: "...à travers les réseaux et les téléphones, garder le contact et se sentir unis avec les amis, la famille, les connaissances et les proches" et nous rappelle également que "les moments de découragement arriveront". Et quand ils arriveront, les plus forts et les plus résistants devront aider les plus faibles...". Ce qui devrait nous inciter à revêtir nos armures, à monter sur nos chevaux, à manier nos lances, à ceindre nos épées et à devenir des chevaliers errants comme ceux qui, dans le brillant Moyen Âge, parcouraient les routes en cherchant à réparer les torts et à aider les plus faibles.

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Peut-être que certains d'entre nous supportent bien cet enfermement, mais peut-être que certains de nos proches ne le supportent pas. Peut-être que pour certains d'entre nous, cet enfermement nous aide à consacrer plus de temps à essayer d'Être, mais peut-être que certains de nos proches se retrouvent seuls avec leur simple et indescriptible existence et donc, face à un soi vide et permanent, ils peuvent recevoir notre soutien, notre compréhension et notre considération comme de l'eau sous le pont. Et si, ce faisant, nous pouvons faire quelque chose pour essayer de leur ouvrir les yeux sur des réalités qui ne sont pas seulement matérielles, notre intervention aura été précieuse.

Ceux qui ne sont pas ignorants de la permanence pourraient bien avoir profité de cette période de quarantaine grumeleuse. Elle l'a peut-être aidé à consacrer plus de temps au regard intérieur, elle a peut-être allégé la saturation du regard extérieur afin qu'il puisse commencer à in-sistere (être vers l'intérieur) de plus en plus et ex-sistere (être vers l'extérieur) de moins en moins. Il n'est donc pas étonnant que Gonzalo commente que "parfois je pense que certains d'entre nous regretteront le temps de recueillement forcé qu'implique le confinement". 

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C'est dans ce sens que notre estimé confrère de Tolède commente que "...le premier moteur de la vie a toujours été le même: (...) lutter pour maintenir notre 'centre intérieur' (...) être 'capitaines de nous-mêmes'". Comme le préconisait Julius Evola, ce champion hors pair de la Tradition, il s'agit de s'efforcer d'aspirer à être "maître de soi", de devenir "le grand autochtone" qui n'est pas soumis aux apports aliénants de l'extérieur et qui se gouverne lui-même parce qu'il a atteint la vraie Liberté: celle qui ne connaît aucun lien d'aucune sorte. Celui qui n'est pas médié par des pulsions compulsives, ou par des instincts bas, ou par des émotions exacerbées, ou par des passions incontrôlées, ou par des émotions confinées.

Celui qui ne se comporte pas habituellement comme une entité atomisée, individualiste, déracinée, sans liens spirituels, sociaux et/ou communautaires, ne se sentira jamais seul, même s'il a passé cette période exceptionnelle sans compagnie, car il se sentira toujours en communion avec les siens: avec cette sorte d'ordre officieux mais implicite qui réunit ceux qui partagent l'Idée avec lui ou, comme l'a commenté il n'y a pas longtemps le professeur Javier Barraycoa, avec la congrégation de l'Église dont il se sent membre ou avec ceux qui s'identifient, comme lui, à certaines positions sociopolitiques. Le professeur lui-même a commenté à l'époque qu'il était peut-être isolé mais pas seul.

Dans une autre entrée de son journal de confinement, Gonzalo Rodríguez souligne les tribulations extrêmes causées par le fait de voir la mort de si près et en si grand nombre comme c'est le cas avec ce virus infâme. La société essaie de fermer les yeux sur ce phénomène. Nous ne sommes pas préparés à son irruption non désirée. Nous lui tournons le dos. C'est pourquoi Gonzalo nous dit que "la mort existe, mais parfois nous l'oublions... Nous sommes tellement trompés et distraits au cours de notre vie". La vie n'est telle que par opposition à son contraire: la mort. Ce dernier représente une transition inévitable entre le premier et ce qui se passe ensuite.

Face à l'effroi que suscite cette seule pensée, il ne serait pas faux de faire comme les samouraïs du Japon traditionnel: penser que chaque jour de leur existence pourrait être le dernier... penser que le jour même où ils vivaient la mort pouvait les frapper. Dans le même ordre d'idées, et à titre d'anecdote très illustrative, nous avons été frappés par "l'objet que l'écrivain Fernando Sánchez Dragó a placé sur son bureau: un cercueil, afin que, gardant à l'esprit à tout moment la possibilité que la mort frappe à sa porte, il ne s'attache pas trop à la vie, car s'y attacher signifie se détacher de ce qui est plus que la vie, c'est s'éloigner irrémédiablement de l'Éternel et de l'Impérissable. Ce cercueil semble lui rappeler continuellement le memento mori (souviens-toi que tu mourras) qu'un serviteur murmurait à l'oreille du général romain victorieux qui paradait dans les rues de Rome en louant la gloire et les foules, dans l'intention d'éviter que la vanité et l'ego excessifs ne le distraient de ses fonctions de serviteur de Rome et de sa conscience que la fin ultime de la vie se trouve dans l'Absolu.

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Chacune des réflexions de Gonzalo ouvre des portes qui nous invitent à entrer dans des ordres d'idées que, malheureusement, dans notre vie ordinaire et quotidienne, nous ne prenons généralement pas en compte autant que nous le devrions, mais que, grâce à notre auteur, nous pouvons placer en position prééminente dans notre ordre de priorités... encore plus, en profitant de situations anormales comme celle du confinement, qui, pour beaucoup, représente une dispense spéciale de temps supplémentaire pour pouvoir les placer - ces ordres d'idées - au premier plan.

L'une des réflexions les plus éclairantes de l'auteur est que "les racines amères portent des fruits doux ; et nous mûrissons et grandissons plus dans la douleur que dans la joie".

Nous pouvons y voir des idées telles que celles avancées par l'Allemand Ernst Jünger lorsqu'il nous montre comment à des moments extrêmes, presque au bord de la mort, se déchaîne une série de forces élémentaires qui font tomber les barrières de l'inertie rationnelle et petite-bourgeoise de l'être humain et peuvent ainsi rendre possible, ajouterions-nous, l'usurpation par un substrat encore inférieur du statut antérieur non désiré ou, au contraire, peuvent céder à la domination de forces qui élèvent l'être humain.

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Ce n'est pas sans rapport avec cela que l'on pourrait évoquer la certitude d'Evola qu'un environnement gris et dépersonnalisé comme celui des villes et de leurs blocs de béton est plus favorable à un chemin de réalisation intérieure que celui d'un beau jardin fleuri avec de belles fontaines, car ce dernier intoxique et étouffe les sens de l'homme, alors que le premier n'est pas propice à leur développement.... et la maîtrise du sensuel est une condition inaliénable pour garder l'âme-esprit sereine afin qu'elle soit ainsi en mesure d'entrer dans les méandres qui conduisent à la renaissance de l'homme à une réalité supérieure.

Un autre commentaire substantiel de notre confrère Gonzalo est que le sombre paysage post-pandémique qui se profile à l'horizon "...sera aussi un moment propice et une opportunité pour le retour des 'dieux forts'". Il n'y aura pas de place pour les demi-mesures ou les peureux. Si nous voulons faire face à l'état de décomposition accélérée vers lequel nous nous dirigeons, nous devrons adopter une attitude claire, nette, énergique et sans compromis, et nous devrons prendre pour étendard cette prétention du Donoso Cortés du XIXe siècle à postuler sans ambiguïté "des négations radicales et des affirmations souveraines". Les "dieux forts" de Gonzalo sont une merveilleuse prétention à bannir d'un seul coup toute cette "pensée liquide" typique de cette post-modernité déséquilibrée pour laquelle tout est relatif (non seulement les produits de l'esprit mais l'ordre naturel lui-même), tout est discutable, la réalité est ce que l'on souhaite à chaque instant et la vérité est ce que l'on fait sienne au gré des caprices, des modes ou des tendances (la soi-disant "post-vérité").

Non seulement la pensée est "liquide" mais les identités le deviennent aussi et, ainsi, on n'est pas ce que la nature nous dit d'être mais ce que l'on veut être ou ce que l'on sent être, dans un large éventail d'options sexuelles ou même en concevant une panoplie telle que l'on puisse inclure diverses espèces animales ou même des identités (végétales, inanimées,...) situées hors du règne animal...

Que les "dieux forts" rétablissent la pensée forte et les vérités éternelles !

Mais où chercher les "dieux forts" ? Car Gonzalo nous répond: "Les 'dieux forts' (...) ont toujours été là. Ils ne sont jamais partis. Parce qu'en réalité, ils sont dans notre sang. Dans nos veines. Ils forment une partie centrale de nous...".

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L'heureuse formule des "dieux forts" évoque la conjonction de deux archétypes auxquels succédera, selon l'expression d'Evola, "un type d'homme différencié", à savoir: le guerrier ou kshatriya dans son attribut, entre autres, de "fort" et le Héros, qui ne serait autre que le guerrier ayant achevé son processus de renaissance intérieure (la via remotionis) et ayant, par conséquent, conquis la divinité. Il revient à ces "dieux forts" de fulminer contre cette post-modernité liquide... et liquide, elle aussi, en l'assimilant à un acide corrosif et dissolvant.

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Il n'y a pas d'autre voie que celle du héros : c'est celle que le kshatriya entreprend pour sauver de l'oubli et de l'ignorance (avidja) ce qu'il est, l'atman ou Principe Suprême et éternel qui se niche au fond de lui; au fond de nous-mêmes. Ainsi, le guerrier aura été transformé en héros, en l'un de ces "dieux forts" qu'il est urgent de voir surgir dans cette phase terminale du kali-yuga ou âge de fer.

Pour le "type différencié d'homme" auquel, quelques lignes plus haut, nous avons fait allusion, il n'y aura aucun effet dérivé de cette situation de confinement forcé qui sera un obstacle insurmontable sur son chemin de rencontre avec sa divinité désormais endormie. On pourrait appliquer le célèbre aphorisme nietzschéen selon lequel "ce qui ne nous détruit pas nous rend plus forts". C'est pourquoi Gonzalo nous dit que "les psychologues appellent cela la croissance post-traumatique. Et c'est transformer les difficultés, les malheurs, les déceptions, les erreurs, la culpabilité et les blessures en leviers de maturité, de force et de cœur".

Même dans les situations les plus extrêmes, lorsque tout semble perdu, nous ne devons pas perdre courage, car notre destin est entre nos mains:

"La vie, c'est avant tout notre attitude, notre caractère et notre personnalité", nous rappelle notre confrère. Le cours de la vie sera fixé par nous si notre force est celle du guerrier indomptable. Il n'y a pas de fatalité pour celui qui aspire à être un homme de tradition. Il dessinera son propre chemin, comme le fait l'eau lorsqu'elle trace son cours (rien ni personne ne le trace pour elle) pour devenir une rivière. C'est la vraie liberté. Pas celle qui est formelle, mais celle qui est réelle et efficace. On est libre d'avoir la capacité et le pouvoir de fixer un cap dans la vie et de le suivre. Sinon, les libertés formelles (inopérantes pour une circonscription sans liens internes) avec lesquelles nous sommes divertis et flattés sous forme de narcotique ne servent à rien. La valeur de la liberté réside dans les œuvres qu'elle rend possibles, dans les fruits qu'elle peut porter, et non dans des entéléchies qui ne sont que du papier mouillé si on les place sur l'espèce d'échiquier que sont les vicissitudes de la vie.

Ne jamais abandonner est donc l'une des grandes leçons que Gonzalo nous transmet. Pas même dans les moments les plus critiques, car ceux-ci, contrairement à ce que pourrait penser l'homo vulgaris ou l'homme commun de notre époque, peuvent, au contraire, nous catapulter sur le chemin entrepris à la recherche de nos trésors intérieurs.

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Soyons comme l'aigle, qui semble avoir atteint la fin de son cycle de vie vers 40 ans, avec de vieilles plumes qui lui permettent à peine de voler, avec un bec excessivement courbé vers le bas et qui n'est donc plus fonctionnel pour déchirer la chair de ses proies, et avec des ailes déjà fragiles et inadaptées pour saisir et retenir ses proies. Il pourrait, dans cette situation, abandonner et laisser la mort s'abattre sur lui. Mais non. Il s'élance péniblement vers le haut pour grimper dans un endroit élevé, commence à frapper son bec vivement et douloureusement contre les parois rocheuses pour qu'il tombe, fait de même avec ses vieux ongles, attend un moment pour qu'il pousse un bec renouvelé et efficace et des ongles puissants, après quoi il perdra son ancien plumage et le remplacera par un nouveau. Elle aura, en somme, été renouvelée. Il aura renoué avec la vie. Il peut se réjouir de vivre encore 30 ans. Prenons donc exemple sur lui et ne nous laissons pas décourager, même dans les moments les plus critiques. Transformons le poison en remède. Transformons les situations les plus problématiques et extrêmes en un stimulant pour l'amélioration de soi. Soyons des guerriers indomptables dans tout scénario dantesque. Chevauchons le tigre pour qu'il ne finisse pas par nous dévorer. En le chevauchant, nous l'épuiserons et finirons par le vaincre... vaincre le tigre extérieur et le tigre intérieur.

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Nous ne voudrions pas clore cette introduction sans mentionner la délicieuse liste de livres recommandés par l'auteur. Le dicton "c'est à leurs œuvres que vous les connaîtrez" peut certainement être appliqué à un autre, qui pourrait être "c'est à leur lecture que vous les connaîtrez". Qu'il s'agisse d'essais, de doctrines sapientielles ou de romans, ces 10 livres reflètent parfaitement les axes existentiels et vitaux de Gonzalo : une conception sacrée de l'existence et l'humeur guerrière (agonale) que la vie requiert pour, d'une part, ne pas succomber à ses chants de sirènes et aux désagréments qu'elle peut apporter et, d'autre part, aspirer à conquérir cette sacralité.

Eduard Alcántara

Pour commander le livre: https://editorialeas.com/producto/pandemia-y-confinamiento/

dimanche, 29 août 2021

 L'ascétisme : un exercice de tradition

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L'ascétisme : un exercice de tradition

par Luca Siniscalco

Ex: https://www.latigredicarta.it/2015/10/30/ascesi-un-esercizio-della-tradizione/

L'image de l'ascèse passe des archétypes du mythe aux symboles de la connaissance mystique afin de faire survivre les intuitions originelles de la coïncidence entre condition supérieure et inférieure, également à travers l'utilisation du corps vers une action libre de tout finalisme.

L'ascétisme

Une pratique qui est une réminiscence étymologique du grec ἄσκησις, "exercice", une épreuve pédagogique et athlétique, un geste formateur d'une personnalité organique. Une réverbération originale qui se maintient dans la traduction du sens du terme, qui s'est élevé pour indiquer l'union de "l'attitude spirituelle et des doctrines visant à atteindre la purification rituelle et spirituelle et la conquête de la perfection religieuse" [1].

Une conquête qui, en vérité, est toujours une mise au seuil, un "rapprochement", au sens jüngerien, d'une unité originelle qui existe perpétuellement dans la rencontre entre l'homme et la transcendance. En ce sens, l'Ascèse fait allusion à un mouvement d'élévation, un rapprochement vers cet axis mundi qui relie les multiples dimensions de l'être dans la symbolique du pôle vertical, décliné de manière hétérogène dans différentes cultures: du mont Meru dans la tradition orientale au phallus divin de Śiva, le linga, d'Yggdrasil, l'arbre cosmique de la spiritualité scandinave, à l'équivalent chrétien de l'arbre de vie, pour n'en citer que quelques-uns.

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Cette topographie, inspirée d'un espace qualitatif dans lequel la quantité de matière se dissout dans la pratique spirituelle, intègre l'ascèse comme une dimension essentielle de l'épanouissement humain. L'ascension vers l'autre monde et la dimension supratemporelle commence généralement par une catabasis, une descente dans le monde souterrain - qu'il soit souterrain ou intérieur, puisque tout acte immanent renvoie à son corrélat transcendant - où l'on puise la sève spirituelle nécessaire à l'anabasis suivante.

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D'où l'étroite relation entre ascèse et crise: sans un tournant radical, souvent proche de l'anéantissement, la pratique ascétique ne porte aucun fruit. L'étymologie grecque même du mot "crise" peut éclairer cette juxtaposition: κρισις, qui dérive du verbe κρινω, "séparer", "diviser", "décider", incorpore tout le dualisme du moment décisif, celui qui divise puis réunit. Il s'agit en effet de la "sphère d'une option décisive, par laquelle il faut procéder à la révision du chemin parcouru jusqu'à présent, en inspirant le sens d'un tournant, en vue du salut commun" [2]. Ce principe est rappelé par les intellectuels les plus variés: du controversé Emil Cioran, selon lequel "l'échec est indispensable au progrès spirituel [...], c'est une expérience philosophique capitale et féconde" [3], à l'anthroposophe Massimo Scaligero, auteur du passage suivant: "Quelles que soient les ténèbres, ou la douleur, ou la lutte, rien ne peut empêcher l'ascension rythmique du chemin de la lumière : en effet, les ténèbres sont ce qui, en s'épaississant, pousse à faire jaillir la lumière des zones solaires de l'âme, interdites à la conscience ordinaire" [4].

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En touchant le point le plus bas, enfoui dans les roches de la terre comme dans les replis de l'âme, on rencontre le point le plus haut, la polarité complémentaire: c'est l'enseignement inégalé de la Table d'émeraude, la révélation d'Hermès Trismégiste sur laquelle tous les ésotéristes se sont longtemps interrogés. "Le plus bas est semblable en toutes choses au plus haut et le plus haut est semblable en toutes choses au plus bas, afin que s'accomplissent les miracles d'une seule chose" [5], tonne cette sagesse antique, renouant la polysémie du cosmos à l'image de l'unité originelle. L'ascèse, éclairée par cette conscience, vise donc à se mesurer aux différentes puissances élémentaires jusqu'à les dominer, afin qu'elles deviennent un moyen de propagation de l'esprit. La seule chose qu'il faut détruire, rappelle le savant Titus Burckhardt, c'est la tendance égocentrique qui déforme les forces en question, qui ne sont en elles-mêmes ni bonnes ni mauvaises (6). L'ascèse se réalise ainsi dans la posture impersonnelle du pratiquant qui, en renonçant aux fruits de ses actions, consacre son exercice à la processualité de l'Esprit.

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Le corps devient ainsi un pont vers l'au-delà, tout comme ce dernier est "somatisé", au sens étymologique du terme, devenant un corps (en grec soma) pour se déployer en harmonie avec les rythmes cosmiques. La dimension "économique" et finaliste disparaît, laissant l'action elle-même émerger au premier plan, dans sa plénitude et son autonomie intrinsèques. Cette même autarcie capable de conduire à une rupture de niveau ontologique, dans laquelle l'altérité se révèle à travers les fissures ouvertes par l'exercice traditionnel.

Dans le fragment du geste, on peut reconnaître l'organicité de l'ensemble: ainsi, dans la pratique ascétique complexe, non actualisée et, à bien des égards, pour nous contemporains lointains, dans ses déclinaisons les plus variées, se manifeste une sagesse digne d'attention.

C'est un éclat du Sacré, dont les présentes considérations éparses ne sont que de brèves notes en marge.

NOTES:

[1]    Voce “ascesi” nel Dizionario di filosofia (2009) Treccani, online (http://www.treccani.it/enciclopedia/ascesi_(Dizionario-di...).

[2]    Gian Franco Lami e Giuseppe Casale, Qui ed ora. Per una filosofia dell’eterno presente, Il Cerchio, Rimini 2011, p. 18.

[3]    Emil M. Cioran, Un apolide metafisico. Conversazioni, trad. it. di Tea Turolla, Adelphi, Milano 2004, p. 119.

[4]    Massimo Scaligero, La tradizione solare, Teseo, Roma s. d., p. 68.

    Tavola Smeraldina, cit., in Titus Burckhardt, Alchimia. Significato e visione del mondo, a cura di Ferdinando Bruno, Guanda, Parma 1996, p. 169.

[6]    Titus Burckhardt, Alchimia. Significato e visione del mondo, cit., p. 106.

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dimanche, 22 août 2021

Le début et la fin de la quatrième diaspora

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Le début et la fin de la quatrième diaspora

Alexandre Douguine

Ex: https://www.geopolitica.ru/article/nachalo-i-konec-chetvertoy-diaspory

Le 10 août de l'an 70 de notre ère, un événement très important s'est produit pour deux religions mondiales - le christianisme et le judaïsme. Ce jour-là, les légions romaines de l'empereur Titus font irruption à Jérusalem, gardée par les zélotes juifs qui s'étaient révolté contre l'autorité romaine. Les Romains soumirent les habitants à une répression d'une cruauté indicible, massacrant des centaines de milliers de personnes. Le second temple, construit par Zerubbabel après le retour des Juifs de la captivité babylonienne, fut rasé. La chute de la ville fut précédée d'une terrible famine qui coûta également la vie à des centaines de milliers d'habitants et s'accompagna d'événements monstrueux, notamment des faits de cannibalisme, comme le décrit de manière imagée l'historien juif  Flavius Joseph (buste, ci-contre).

flavius-josc3a8phe.jpgPour les Juifs, cet événement est considéré comme l'une des pires catastrophes de l'histoire sainte.

C'est le début de la quatrième et dernière dispersion des Juifs, qui, dans la religion juive, n'est pas un accident historique, mais une punition pour les péchés du peuple d'Israël. Selon la religion juive, ce déracinement général, appelé le Galut, ne s'achèvera qu'au moment de la venue de Moshiach, le Sauveur, le Messie. Et alors, seuls les Juifs pourront retourner en Terre promise. Ce qui a commencé le 10 août 70 se terminera tout à la fin de l'histoire. C'est à ce moment-là, croient les Juifs, que le Messie sera couronné roi des Juifs, qu'il franchira la Porte dorée et que le troisième temple sera construit.

Mais, jusqu'à la venue du Messie, toutes les portes du monde, sauf la porte des larmes, resteront fermées. C'est pourquoi le Mur occidental, vestige du Second Temple, est aujourd'hui appelé le Mur des lamentations. La seule porte d'entrée au monde des esprits qui subsiste pour les Juifs, ce sont les pleurs et les gémissements. Pour ce qui s'est passé le 10 août 70.

Pour les chrétiens, l'événement a une signification très différente. Les destins du judaïsme et du christianisme avaient déjà irrévocablement divergé en l'an 70 de notre ère. La chute de Jérusalem n'est pas un événement central dans les sources chrétiennes. C'est pourtant l'événement décisif: déjà, de son vivant, Jésus avait prophétisé que les Juifs qui n'avaient pas accepté le vrai Messie et attendaient encore quelqu'un d'autre perdraient bientôt Jérusalem, et que le temple serait détruit. Pour les chrétiens, le Christ est déjà venu, et il faut vivre cet événement, vivre par lui et sa nouvelle alliance, et ne pas insister sur la position de l'ancienne alliance. La chute de l'ancienne Jérusalem semblait confirmer que l'ancienne alliance et ses sanctuaires avaient définitivement disparu. Les élus parmi les Juifs ont été convertis au christianisme et sont devenus le noyau d'un nouveau peuple mondial, dans lequel il n'existe plus ni juif ni grec. Ceux qui ont obstinément rejeté le Christ et provoqué la persécution de ses disciples ont eu ce qu'ils méritaient.

Plus tard, au quatrième siècle de notre ère, l'empereur romain Julien, qui s'était tourné vers le paganisme et n'aimait pas les chrétiens, a décidé de reconstruire le temple de Jérusalem afin de défaire ce que ses prédécesseurs, les empereurs romains, avaient fait, mais ce projet est tombé à l'eau. Le chantier de construction du troisième temple brûle et Julien lui-même est bientôt assassiné.

Pour les chrétiens, c'était une preuve supplémentaire de l'irréversibilité de ce qui s'est passé le 10 août 70. Il était futile, pensaient les chrétiens, d'attendre Celui qui était déjà venu. Le nouveau troisième temple sera désormais l'Église chrétienne, jusqu'à la fin des temps.

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La chute de Jérusalem aux mains de Titus Vespasien (buste-ci-dessus) est revenue sur le devant de la scène au XXe siècle, lorsque l'État d'Israël a été créé après la Seconde Guerre mondiale, à la suite de la persécution monstrueuse des Juifs par le régime nazi d'Hitler. Le sionisme, qui avait déjà émergé au XIXe siècle, insistait sur le fait que, puisque le Messie repoussait toujours sa venue, les Juifs eux-mêmes devaient prendre en main leur propre destin - retourner en Palestine, où la quatrième dispersion avait commencé en 70, sans attendre le Moshiach. Le sionisme a décidé de prendre de l'avance et, au lieu de recourir au miracle promis par la religion, il a décidé de s'appuyer sur des méthodes banales - lobbying politique, machinations économiques et propagande généralisée. Ce n'est pas un hasard si parmi les principaux partisans de l'idée sioniste figuraient les barons Rothschild, intégrés depuis longtemps dans l'économie capitaliste pragmatique et séculière.

Au XXe siècle, Israël se construisait déjà selon des règles très réalistes et utilisait des méthodes modernes - nettoyage ethnique, opérations militaires, accaparement de terres, campagnes de relations publiques à grande échelle. Ainsi, en 1950, Israël a failli faire de Jérusalem, dont la moitié était encore sous domination arabe palestinienne, sa capitale, et a établi son contrôle sur Jérusalem Ouest puis sur Jérusalem Est pendant la guerre des Six Jours. Le côté séculaire et musclé de l'occupation de la Palestine était terminé, la communauté mondiale était imprégnée de compassion pour le sort des Juifs sous Hitler, ce qui leur apportait un soutien mondial, et ce n'était qu'une question de temps avant la reconstruction du troisième temple et la rencontre du Messie. Les courants religieux extrêmes du judaïsme - comme les Fidèles du Temple - s'y préparent déjà, en creusant des structures souterraines sous le Mont du Temple, évinçant les Arabes musulmans de leur sanctuaire, la mosquée Al-Aqsa. Mais le Messie tarde toujours à venir. L'un des courants du judaïsme,le courant traditionnel Naturei Karta, estime que, cette fois, la venue du Messie est retardée par les Juifs eux-mêmes - les sionistes, qui ont décidé avec audace et ambition de faire par eux-mêmes ce que seul un être surnaturel peut faire.

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Aux yeux des chrétiens, la chute de Jérusalem était irréversible. C'est pourquoi tout ce qui est lié à l'Israël actuel et aux préparatifs de la construction du troisième temple, parallèlement à la répression continue des Arabes et non juifs de Palestine, musulmans et chrétiens, semble plutôt être des signes de la venue de l'Antéchrist.

Voilà ce que peuvent nous révéler de bonnes éphémérides du mois d'août.

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mercredi, 18 août 2021

La véritable idéologie qui anime les Talibans

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La véritable idéologie qui anime les Talibans

Emanuel Pietrobon

Ex: https://it.insideover.com/politica/i-talebani-oltre-gli-stereotipi-e-le-apparenze.html

Les talibans sont revenus au pouvoir après vingt ans et pour l'Afghanistan, l'Asie centrale et l'Eurasie, à moins d'un revirement radical, une nouvelle phase historique s'ouvre. Une phase qui, selon certains, pourrait être marquée par un retour à l'instabilité de type terroriste des premières années des années 2000 - l'ère de la guerre contre la terreur - mais qui, selon d'autres, pourrait réserver de grandes et imprévisibles surprises - parmi lesquelles une stabilisation du théâtre afghan fonctionnelle pour catalyser la matérialisation des rêves eurasiens de la Russie et de la Chine et, donc, pour accélérer la multipolarisation du système international.

Ce sont les événements d'un avenir proche qui donneront raison aux premiers ou aux seconds, c'est-à-dire à ceux qui craignent les talibans ou à ceux qui se réjouissent de leur ascension, mais en attendant, nous disposons déjà de quelques éléments utiles à la formulation d'une prédiction. Nous savons, par exemple, que les talibans de Hibatullah Akhundzada ne cherchent pas l'auto-marginalisation, mais la reconnaissance internationale. Et nous savons qu'ils aimeraient acquérir la légitimité qui leur fait défaut aujourd'hui de diverses manières: amnistie générale pour les concitoyens ayant travaillé avec l'Alliance atlantique, ouverture aux investissements étrangers, inauguration d'un processus de réconciliation nationale et, enfin et surtout, mise en place d'un régime politique (très) conservateur mais non fondamentaliste.

Encore une fois, ce seront les événements du futur proche qui confirmeront ou non la bonté des proclamations des Talibans 2.0 - qui, par rapport à leurs prédécesseurs, semblent être plus "sociaux", c'est-à-dire plus enclins à utiliser le Net pour promouvoir leur image - mais une chose est sûre comme l'or: ils sont et restent des pragmatiques, ils sont et restent la manifestation la plus puissante de la géopolitique pakistanaise et ils sont et restent les porte-parole d'une force sociale plutôt nombreuse et représentative de l'Afghanistan pluri-ethnique - cela ne s'expliquerait pas, sinon, l'incapacité de l'Occident à offrir aux Afghans une alternative culturelle valable pour les érudits du Coran - dont les véritables origines remontent au Grand Jeu - Dost Mohammed Khan -, dont les valeurs s'inspirent du code d'honneur pachtoune (Pashtunwali) et dont l'interprétation de l'Islam est ancrée dans les enseignements de l'école déobandi.

La méthode pachtoune

Les tribus qui peuplent les terres sauvages et montagneuses d'Afghanistan vivent de dictons et de proverbes: ils sont leur pain quotidien, l'un de leurs principaux moyens d'exprimer leurs sentiments, leurs émotions et leurs pensées. Et si vous voulez comprendre l'éternel et incompréhensible puzzle qu'est l'Afghanistan, il vous suffit d'étudier les dires des gens qui y vivent, en particulier les Pachtounes.

Parce que les Pachtounes sont le groupe ethnique prédominant en Afghanistan. Ce sont les Pachtounes qui, inflexibles, indomptables, pugnaces et fiers, sont au centre des chroniques des conquérants européens depuis l'époque d'Alexandre le Grand. Et ce sont les Pachtounes qui, dit-on, trouvent toujours un chemin, même lorsqu'ils atteignent le sommet d'une montagne escarpée, et portent toujours une épée pour défendre l'honneur de l'Islam et de leurs frères.

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Il est essentiel de pénétrer dans l'esprit et le cœur des Pachtounes : le mouvement taliban est en effet une manifestation politico-religieuse appartenant largement à l'univers pachtoune, comme le montrent et le prouvent l'identité ethnique, les valeurs, le système organisationnel et la foi de ses membres. Parce que les Talibans, tout comme les Pachtounes, croient au Pashtunwali (la voie des Pachtounes, également connue sous le nom de code de vie) - même s'ils l'ont déformé et instrumentalisé pour satisfaire leur propre agenda -, ils se réunissent en jirga (l'assemblée des anciens), respectent les chefs tribaux (Khans) et pratiquent une forme particulière et hétérodoxe d'Islam (Deobandi).

Par certains aspects, le Pashtunwali rappelle l'ancien code d'honneur albanais, le Kanun, et repose sur treize piliers, dont trois sont considérés comme fondamentaux. Les trois piliers fondamentaux sont l'hospitalité envers le visiteur (melmastia), l'octroi de la protection et de la reddition aux ennemis qui le demandent (nanawatai) et la vengeance sanglante (nyaw aw Badal), qui ne connaît ni limites ni trêve.

Les dix autres piliers, que le temps a rendu aussi importants que les trois premiers, sont le devoir de courage face aux envahisseurs (turah), la loyauté envers la famille, les amis et la tribu (wapa), le respect de son prochain et de la création (khegara), le respect de soi-même et de sa famille (pat aw Wyar), la défense de l'honneur des femmes (namus) et des faibles (nang), la chevalerie (merana), la défense des coutumes et des traditions (hewad), la résolution des conflits par l'arbitrage (jirga) et la loyauté inébranlable envers Dieu (groh).

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Le groh explique, par exemple, pourquoi les talibans sont opposés à toute forme de sécularisation et d'exclusion du sacré hors de la vie publique. Le nanawatai, en revanche, explique pourquoi les érudits du Coran ont pardonné les policiers, les soldats et les agents du gouvernement qui ont déposé les armes et changé de couleur au premier (et unique) avertissement. Et le turah est le pilier qui, depuis l'époque d'Alexandre le Grand, encourage les Pachtounes à défendre leur terre avec un sens de l'abnégation plus unique que rare.

L'affreux nyaw aw Badal, en revanche, est la charnière qui légitime toutes les brutalités que les talibans ont coutume de commettre contre les ennemis qui ne se rendent pas ou ne renient pas leurs croyances : des lapidations aux pendaisons, et des tortures aux viols. Le nyaw aw Badal est la raison pour laquelle le dernier président de la République démocratique d'Afghanistan a été écorché vif, sans aucune pitié, puis pendu en plein centre de Kaboul. Le nyaw aw Badal explique pourquoi des hordes d'Afghans tentent de quitter le pays et pourquoi de nombreuses autres personnes, là où il n'y a ni caméras ni témoins, sont exécutées sur ordre des tribunaux talibans.

La foi des Talibans

Le Pachtoune, le redoutable berger-guerrier qui, au fil des siècles, a vaincu les Macédoniens, les Britanniques, les Soviétiques et les Américains, transformant l'Afghanistan en cimetière des empires, vit non seulement en respectant les règles non écrites du Pachtounewali, mais aussi en observant strictement les dictats des imams et des oulémas de l'école Deobandi.

Le déobandisme est né à l'époque du Grand Jeu dans l'Inde actuelle. Les fondateurs, parmi lesquels nous nous souvenons de Fazlur Rahman Usmani, Mehtab Ali, Nehal Ahmad, Muhammad Qasim Nanautavi et Sayyid Muhammad Abid, croyaient que la colonisation britannique du sous-continent aurait déterminé un processus de décadence des coutumes avec pour terminus une désislamisation totale. Un scénario auquel les musulmans indiens ne pouvaient échapper que d'une seule manière: en créant un nouvel islam, plus rigide, plus pur, plus ethnocentrique et, surtout, plus anti-impérialiste.

Ce type d'islam, conçu pour résister à la colonisation civilisatrice des occupants britanniques, aurait été forgé au sein de l'école Darul Uloom Deoband - créée à Deoband, dans l'Uttar Pradesh, en 1866 - dont il tire son nom. Influencé par le hanafisme, le maturidisme et les pratiques dérivées du soufisme, le déobandisme a historiquement invité les fidèles à vivre l'islam comme les purs ancêtres (al-salaf al-ṣāliḥīn) - à l'instar du wahhabisme - et a connu une première phase d'expansion qui a duré jusqu'au premier quart du XXe siècle, le répandant entre La Mecque et Kuala Lumpur.

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Le facteur ethnocentrique, l'accent mis sur le retour aux origines et la centralité de l'approche anti-impérialiste ont toutefois pris le dessus avec le temps sur l'universalisme et la modération, pour finir par déterminer une radicalisation de cette intéressante et intrigante école de pensée qu'est (ou était?) le déobandisme.

La radicalisation des enseignements déobandi est un phénomène qui a précédé et, en partie, accompagné l'émergence de la question afghane, et donc des moudjahidines et des talibans. Car, si au moment de la fondation, l'Ennemi était représenté par les Britanniques, avec l'avancée de la guerre froide, il deviendra l'Union soviétique. Et les musulmans qui acceptent moins l'impérialisme, en 1979 comme en 1866, trouveront dans le déobandisme une ancre à laquelle ils pourront s'accrocher pour résister à la force écrasante de la massification et défendre leur foi et leur ethnie.

En fin de compte, les Talibans ont réussi à surmonter l'obstacle imposant de la fragmentation ethno-tribale de l'Afghanistan en s'appuyant sur le pouvoir adhésif de ces deux facteurs que sont la culture (Pashtunwali) et la religion (Deobandi). Deux "substances adhérentes" qui leur ont permis, d'abord, de légitimer l'établissement d'un émirat aussi fermé (pachtoune) qu'ouvert (islamique) et ensuite de survivre pendant les années de l'occupation euro-américaine, en prospérant et en se reproduisant dans les montagnes et les zones rurales, d'où ils ont patiemment préparé la reconquête de tout le Pays.

lundi, 16 août 2021

Aleksandr Dugin : "Evola, le populisme et la quatrième théorie politique"

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Alexandre Douguine: "Evola, le populisme et la quatrième théorie politique"

Entretien recueilli par Andrea Scarabelli (2018)

Source: https://blog.ilgiornale.it/scarabelli/2018/06/25/aleksandr-dugin-evola-il-populismo-e-la-quarta-teoria-politica/

Un des traits de notre époque malheureuse consiste en la facilité avec laquelle on dispense des étiquettes, aux intellectuels comme aux courants et phénomènes politiques. De droite ou de gauche, populiste ou élitiste, progressiste ou conservateur... Mais en réalité, la seule distinction se fait entre les intellectuels du passé et ceux qui préfèrent être des contemporains de l'avenir. Le second groupe (qui n'est pas si nombreux, à vrai dire) est constitué d'esprits nés avec quelques décennies - voire quelques siècles, comme Nietzsche - d'avance sur le calendrier de l'Histoire, avant-gardes d'une réalité sur le point de se déployer bientôt dans sa totalité. L'histoire des grands précurseurs, de ces courts-circuits vivants du Temps, n'a pas encore été écrite. En attendant, il est bon d'apprendre à les reconnaître. La semaine dernière, Alexandre Douguine est venu à Milan pour présenter son ouvrage Poutine contre Poutine, qui vient d'être publié en Italie par AGA. Peu de temps auparavant, le "conseiller de Poutine" (qualification journalistique toujours rejetée au pied levé par l'intéressé) avait publié un monumental ouvrage intitulé La Quatrième théorie politique, aux éditions Nova Europa dans une traduction de Camilla Scarpa et avec une préface de Luca Siniscalco.

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Plus qu'un livre, La Quatrième théorie politique est un authentique carrefour du passé, du présent et de l'avenir, qui discute de l'épuisement des catégories de la modernité et des scénarios à venir. Dans l'état actuel des choses, comme nous le disions, Douguine est l'un des rares "contemporains de l'avenir", et ce livre en est la démonstration, l'inversion d'un esprit aigu visant à dépasser les trois théories politiques de la modernité - libéralisme, fascisme et communisme - qui, après avoir enflammé le vingtième siècle, le "siècle des idéologies" par excellence, ont perdu leur force propulsive, se révélant incapables d'interpréter le nouveau.

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Nous avons besoin d'une nouvelle herméneutique, de nouvelles pratiques, de nouvelles méthodes: les défis de notre temps l'exigent. Et nous devons nous montrer à la hauteur. C'est de tout cela qu'est née la Quatrième théorie politique, une "mise au rebut" (pour utiliser un terme à la page) des trois théories précédentes, un effort titanesque pour adhérer au Zeitgeist, une vision transversale et non-conformiste capable de combiner Tradition et modernité, universum et pluriversum - une "métaphysique du populisme", comme on peut le lire dans les pages de l'ouvrage. Un livre lié d'une certaine manière à la réalité historique et "destinale" de la Russie, mais aussi un manifeste pour un monde multipolaire, multidimensionnel, complètement contraire à celui, monothéiste, rêvé par les mondialistes et les globalistes et opposé au "racisme historiographique" qui voit dans la modernité le sommet suprême de l'évolution humaine.

Ceux qui recherchent des recettes faciles peuvent oublier ce travail car ce livre n'est pas pour eux. La Quatrième théorie politique n'est pas une doctrine, mais avant tout une méthode, une vision du monde. Il ne s'agit pas d'une idéologie, mais d'une métaphysique de l'histoire, allergique au militantisme comme fin en soi, tant à la mode aujourd'hui, et partisan d'un changement avant tout interne. La preuve en est, entre autres, la présence d'une série d'auteurs impolitiques (dans le sens donné par Thomas Mann) et non-alignés, parmi lesquels se distingue, dès les premières pages, Julius Evola, une vieille passion de Douguine, qui a fait il y a quelques années une analyse "de gauche" de ses idées. Pour ce qui concerne le philosophe romain, je suis allé interviewer Douguine avec Luca Siniscalco, lui demandant comment il a connu ses œuvres, et quel est le premier livre d'Evola qu'il a lu.

Et maintenant, donnons la parole à Douguine.

J'ai appris à connaître Evola par certains de mes professeurs et amis russes, qui avaient à leur tour découvert la pensée traditionaliste dans les années 1960. Je n'étais alors qu'un enfant. Au début des années 1980, je suis entré en contact avec un tout petit groupe, pratiquement inexistant en Russie, inconnu des milieux officiels et composé uniquement de dissidents. Ils étaient la minorité de la minorité, à un niveau presque infinitésimal. Comme dans le sens de Guénon, qui établit une différence entre infinitésimal et inexistant, n'est-ce pas ?

716mF1bpuyL.jpgDans les Principes du calcul infinitésimal, qui ont également été publiés en italien...

Certainement. Ils avaient une portée infinitésimale, mais ils existaient quand même. Plus tard, je suis tombé sur l'impérialisme païen, dans sa version allemande, Heidnischer Imperialismus. J'ai été tellement impressionné par ce travail que j'ai décidé de le traduire immédiatement en russe. C'était une rencontre cruciale, je dirais même radicale. L'univers décrit par Evola contenait le meilleur système idéal que j'avais jamais rencontré. À l'époque, je ne comprenais pas pourquoi: je venais d'une famille communiste, normale, de la classe moyenne, et pourtant j'avais le sentiment d'appartenir à l'univers décrit par Evola plus qu'à celui dans lequel je vivais. C'était une certitude sans aucune sorte de fondement. En même temps, j'eus l'occasion d'éditer la traduction de plusieurs livres de René Guénon à partir du français. Eh bien, depuis lors - c'était au début des années 1980 - je me considère comme un traditionaliste, et rien n'a essentiellement changé jusqu'à présent. J'appartiens à cet univers, à toutes fins utiles.

Quelles œuvres d'Evola avez-vous lues depuis lors ?

Chevaucher le Tigre, suivi de Révolte contre le monde moderne. Et puis tout le reste : la Tradition hermétique, le Mystère du Graal, la Métaphysique du sexe, les Hommes au milieu des ruines...

Quelle est votre œuvre préférée d'Evola ?

Les oeuvres d'Evola sont toutes très importantes, mais ma préférée reste Chevaucher le Tigre. Ce livre a eu une influence métaphysique fondamentale sur moi, notamment avec le concept de l'Homme différencié, qui est obligé de vivre dans la modernité tout en appartenant à un monde différent. C'est précisément à partir de cette idée que j'ai développé mes analyses du Sujet radical, c'est-à-dire de l'homme de la Tradition jeté dans un monde sans Tradition. Comment est-il possible pour un tel type humain, me suis-je demandé, de vivre dans un monde où la Tradition n'est pas présente, c'est-à-dire sans avoir reçu aucune sorte de tradition ? Eh bien, c'est là que surgit le sujet radical, qui ne s'éveille pas quand le feu du sacré est allumé, mais quand il ne trouve rien en dehors de lui qui soit lié à la Tradition.

Dans quel sens ?

L'essence de la vérité est sacrée. Aujourd'hui, le néant domine, mais il n'est pas possible que le néant existe. Le néant n'est qu'une forme extérieure, à l'intérieur de laquelle brûle le sacré. C'est précisément lorsque la transmission régulière des formes du sacré est rompue qu'apparaît ce que j'appelle le sujet radical. Et nous revenons ici à l'Homme différencié, qui est peut-être encore plus important aujourd'hui que la Tradition elle-même. Peut-être la Tradition a-t-elle disparu précisément pour laisser la place au Sujet radical. De ce point de vue, paradoxalement, le traditionalisme est aujourd'hui plus important que la Tradition elle-même. Toutes ces idées, déduites de Chevaucher le Tigre, n'impliquent évidemment pas la restauration de ce qui était, mais la découverte d'aspects qui n'existaient même pas dans le passé.

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Il ne s'agit donc pas d'un simple conservatisme.

Pas du tout. Nous ne voulons pas restaurer quoi que ce soit, mais revenir à l'Éternel, qui est toujours frais, toujours nouveau : ce retour est donc un mouvement vers l'avant, et non vers l'arrière. Le Sujet radical, en outre, se manifeste entre un cycle qui se termine et un cycle qui naît. Cet espace liminal est plus important que tout ce qui vient avant et que tout ce qui viendra après. Nous pourrions utiliser une image tirée de la doctrine traditionnelle des "quatre cycles", des quatre âges (d'or, d'argent, de bronze et de fer), répandue dans des traditions très différentes: la restauration de l'âge d'or, de ce point de vue, est moins importante que l'espace entre la fin de l'âge de fer et le début de l'âge d'or lui-même. Qui est l'espace dans lequel nous vivons. Tous ces aspects, pour revenir à Evola, sont à mon avis implicites dans son idée d'Homme différencié.

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Votre livre La Quatrième Théorie politique a récemment été publié en Italie. Le sujet appelé à cette nouvelle métaphysique de l'histoire est le Dasein, l'être-là dont parlait Martin Heidegger. Y a-t-il un écho du Sujet radical dans le Dasein ?

Jusqu'à un certain point. Le Dasein n'est en fait pas le Sujet radical, mais, comme on l'a dit, cette terminologie philosophique remonte à Heidegger. D'ailleurs, je pense qu'Evola n'a pas très bien compris Heidegger. Dans Chevaucher le Tigre, il porte sur lui un jugement superficiel: Heidegger est plus intéressant et plus profond. J'ai étudié sa pensée pendant des années, écrivant quatre livres sur lui. La chose importante à propos du Dasein est qu'il décrit l'homme non pas comme une entité donnée. Nous pensons habituellement à l'homme en utilisant des catégories telles que l'individu, la classe, la société, la nation, mais ce ne sont que des formes secondaires. Si nous voulons définir l'homme à sa racine la plus profonde, le Dasein est ce qui reste lorsque nous le libérons de toutes ces préconceptions culturelles. Ce n'est pas très facile à comprendre: il faut procéder à une destruction radicale - ou à une déconstruction - de tous les aspects socioculturels, historiques, religieux (voire traditionnels) attribués à l'homme. Le Dasein ne correspond à aucune des définitions de l'homme. Ce n'est pas un individu, ce n'est pas un collectif, ce n'est pas non plus une âme, un esprit ou un corps: tout cela est secondaire. Il s'agit plutôt d'une pure présence de l'intellect, qui ne s'ouvre que lorsque nous sommes confrontés à la mort.

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Cet être-à-la-mort dont parle Heidegger...

On ne peut pas parler du Dasein sans une confrontation avec la mort. À ce moment-là, il n'y a plus de noms, plus d'individus: c'est alors que s'ouvre l'essence du Dasein. Il est nécessaire, comme le propose Heidegger, de repenser tous les concepts du politique, de la société, de la philosophie, de la culture et des relations avec la nature, à partir de cette expérience radicale et existentielle, de ce moment de pensée. C'est seulement sur la base de cet espace existentiel libre de tout le reste qu'il est possible de reconstruire une ontologie scientifique, une ontologie politique, une ontologie socioculturelle... Mais toujours et seulement sur la base de cet éveil existentiel. Et cet éveil n'est pas une idée transcendante, mais une expérience immanente, qui doit redevenir la racine de la politique.

Dans la Quatrième théorie politique, vous avez également interprété le concept de peuple à la lumière du Dasein...

Le Dasein, à toutes fins utiles, est le peuple. Sans le peuple, aucune entité pensante ne peut exister. Le peuple assure en effet une langue, une histoire, un espace et un temps. Tout. A la réflexion, le Dasein devient des personnes. Je ne fais pas référence au concept de collectivité, qui n'est qu'une collection d'individus. En dehors du peuple, nous ne sommes rien. Et le peuple n'existe que comme Dasein, ni individuellement ni collectivement. C'est une manière existentielle de comprendre le peuple, qui s'oppose aux théories des libéraux, avec leur idée vide et insignifiante de l'individu; aux théories des communistes, basées sur les classes et les collectivités, concepts également vides qui ne s'opposent en rien aux libéraux, puisque ce type de collectivité n'est qu'une agglomération d'atomes individuels, comme nous l'avons déjà dit; et, enfin, aux théories des nationalistes, qui se réfèrent au concept d'État-nation, autre idée bourgeoise antithétique de l'Empire et de l'idée du Sacré. Evola, dans ce sens, a fait une critique très radicale du nationalisme. Les versions libérales, communistes et nationalistes sont toutes des tentatives désuètes d'interpréter le sujet de la politique.

Ce sont les trois théories politiques que la Quatrième théorie politique va mettre en avant....

C'est ainsi que nous arrivons au Dasein, le sujet de la Quatrième théorie politique. Elle ne peut se passer du peuple: il est en effet impossible de renoncer à la langue, à l'histoire, à une certaine mentalité... Il est impossible de penser sans une langue, n'est-ce pas ? La mienne est une vision métaphysique de l'intellect et de la linguistique, de l'histoire et de la société. Sur la base de tout cela, en renonçant aux trois théories politiques de la modernité - communisme, nationalisme et libéralisme - nous devons construire une nouvelle vision du monde, une politique au sens existentiel capable de répondre à tous les défis du présent : notre relation avec les autres, le genre, l'idée d'un monde multipolaire... Nous devons repenser tout cela en dehors de la modernité occidentale. Or, c'est précisément en comparant cette construction théorique et les trois régimes de la modernité occidentale que la Quatrième théorie politique est née.

Avez-vous vu cette théorie s'incarner dans une forme politique actuelle ?

Le chiisme moderne est une expression, dans la sphère islamique, de la Quatrième théorie politique. Mon livre a été traduit en persan, et on m'a fait remarquer qu'il traitait de la politique iranienne... ! Qui en fait n'est ni communiste, ni libérale, ni nationaliste. Je crois que le soi-disant "populisme" - y compris le populisme italien - est une forme de la Quatrième théorie politique. Même les populistes ne sont pas fascistes ou communistes, et ils sont profondément antilibéraux. Le populisme est une réaction existentielle des peuples, qui ne sont évidemment pas morts, comme le voudraient les libéraux, les mondialistes et les globalistes. Ce sont tous des exercices préparatoires à la Quatrième théorie politique - qui pourrait être définie comme une forme de populisme intégral. Ni de droite ni de gauche, naturellement doté de sympathies pour la justice sociale et l'ordre moral. De ce point de vue, la quatrième théorie politique est la métaphysique du populisme.

index.jpgPourtant, les aspects métapolitiques du soi-disant "populisme" sont passés inaperçus en Italie...

Le populisme est étiqueté de droite - fasciste, national-socialiste - ou de gauche - communiste, maoïste, trotskiste... Mais l'anticommunisme et l'antifascisme ne sont que des tentatives de diviser le peuple. Le populisme propose d'abandonner les deux, ainsi que les dogmes du nationalisme et du communisme, en unissant les forces populaires - droite et gauche - pour réaliser un populisme intégral, en faisant un front commun contre les libéraux, les mondialistes, les globalistes, les derniers vestiges du dernier cycle de l'Occident. Je suis convaincu que les mondialistes d'aujourd'hui sont les pires - pires que les fascistes ainsi que les communistes. Une révolution contre eux sera la dernière mission eschatologique de l'Occident. Le peuple va tenter une résistance organique, existentielle. La Quatrième théorie politique ouvre en outre la voie à la récupération de tout ce qui n'est ni moderne ni occidental: le pré-moderne, le post-moderne, l'anti-moderne, l'Asie, la tradition romaine, le christianisme orthodoxe, la Grèce, l'Islam. La modernité occidentale est la combinaison de tout ce qu'il y a de plus négatif, les Soros, les mondialistes, les libéraux... Mettre fin au libéralisme signifiera vaincre tout ce qui est néfaste en Occident. Il s'agit d'une lutte eschatologique, évidemment : et c'est là que la Quatrième théorie politique rejoint le traditionalisme. Toujours, cela va sans dire, avec un œil ouvert sur l'avenir.

Pour revenir à ce qui a été dit précédemment, le Dasein et le Sujet radical sont-ils donc différents ?

Ils sont similaires, mais je ne pense pas qu'il soit possible d'établir une identité. Ce sont des concepts nés dans des contextes différents. J'ai écrit un livre sur le sujet radical et son double - au sens que lui donnait Antonin Artaud, dans Le théâtre et son double. Pour moi, le sujet radical est une manière d'être contre le monde moderne, sans raison particulière, sans être aristocrate ou chrétien... Bref, sans avoir un quelconque contact avec une Tradition vivante. Eh bien, c'est le moment de la forme concrète et opératoire du Sujet radical, qui s'ouvre immédiatement à la Tradition, en étant une forme de celle-ci. Mais c'est une révolte qui ne vient pas de l'extérieur, mais de l'intérieur. Il s'agit évidemment d'une forme très particulière de métaphysique.

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Une métaphysique intérieure, pour ainsi dire...

C'est l'homme différencié, précisément. Pas en tant que comte ou baron, ni en tant que chrétien, païen, soufi ou quoi que ce soit de ce genre. L'Occident n'a rien de tout cela : c'est pourquoi, comme le prétend Evola, il arrivera le premier à la renaissance, à la restauration, au nouveau cycle, que l'Orient. L'Occident est maintenant au fond du gouffre. Mais c'est là que le sujet radical renaîtra.

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Le livre sur le sujet radical est évidemment en russe...

Bien sûr.

Il devrait être traduit...

Je pense que la seule langue, la seule culture qui pourrait le comprendre est l'italienne. La culture d'Evola, la langue dans laquelle Chevaucher le Tigre a été écrit, une culture qui possède un profond savoir traditionnel. Les Anglais ne connaissent pas du tout Evola. En France, il n'est considéré que comme l'un des nombreux disciples de Guénon, ou réduit au fascisme. Par conséquent, ils ne seraient pas en mesure de comprendre mon livre. Ce serait une excellente idée de le traduire en italien.

La Quatrième théorie politique critique l'Individu absolu d'Evola - précisant également que cette expression, au sens traditionnel, peut se référer à l'atman hindou. A votre avis, comment s'est opéré le passage d'Evola de l'Individu absolu aux grands espaces de la Tradition ?

Je pense qu'il s'agit simplement d'une question de terminologie. Je ne critique pas le concept de l'Individu absolu d'Evola, mais celui de l'individu, qui est un concept relatif par définition. L'expression "individu absolu" dépasse l'individualisme en soi. Je pense donc qu'il s'agit d'une simple question linguistique. La théorie d'Evola est mieux comprise, à mon avis, en recourant au concept de Personne, plutôt que d'individu. La personne est une forme qui peut être absolue ou relative, mais qui est toujours liée aux relations avec les autres - horizontalement ou verticalement, elle est toujours l'intersection de différentes relations. La Personne Absolue est donc la forme de l'Absolu personnifié. C'est l'idée traditionnelle de Selbst. Martin Heidegger parle par exemple du Selbst du Dasein: il s'agit précisément de l'individu absolu - ou sujet radical. On peut le comparer au Param Atman, qui est au centre de tout, même lorsqu'il n'est pas le centre, même en l'absence de symétrie pour lui donner une forme. Pour avoir un centre, nous devons en effet être en présence d'une figure qui le présuppose. Mais dans un monde postmoderne et rhizomatique, le centre est absent: le sujet radical est toujours le centre, même là où il n'est pas possible d'en avoir un. Il s'agit d'une forme de transcendance immanente.

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Il y a quelques années, vous avez développé une lecture intéressante d'Evola, pour ainsi dire "vu de gauche". Pouvez-vous expliquer brièvement de quoi il s'agit ?

C'était une petite provocation qui soulevait une question très sérieuse: il n'est pas possible de lire Evola comme le font beaucoup de petits-bourgeois et de conservateurs. Evola n'appartient pas à la droite économique: il est contre le monde moderne. Et le monde moderne peut être de gauche comme de droite. C'est une révolte absolue contre le monde qui nous entoure, contre le statu quo, une révolte incompatible avec le conservatisme de droite, le grand capital, la bourgeoisie, la xénophobie, toutes les positions qui résument le conformisme petit-bourgeois. Evola nous invite à nous engager dans un combat absolu, celui de la vérité. Ceux qui n'acceptent pas cette invitation défendent en fait le monde moderne. Il n'est pas possible d'être un traditionaliste et d'accepter les formes de l'occidentalisme moderne, le capitalisme, le libéralisme et le conservatisme. C'est pourquoi j'ai voulu souligner que la pensée d'Evola est révolutionnaire, conduisant à une révolte avec, en ce sens, une âme " de gauche ", visant à détruire tous les principes du statu quo. Le vôtre pourrait être, pour ainsi dire, un "anarchisme de droite", développé précisément dans Chevaucher le Tigre.

Dans cet essai, vous avez également réfléchi à l'interprétation "traditionnelle" des relations entre les travailleurs et la bourgeoisie...

Je crois que la défense par Evola et Guénon de la bourgeoisie contre le prolétariat est une erreur liée à l'application de la théorie qui voit quatre castes dans les sociétés indo-européennes. La première était sacerdotale et la seconde guerrière, du kshatrya: bien que, contrairement à Evola et Guénon, je sois convaincu que la troisième caste doit être identifiée à celle des paysans. Georges Dumézil a montré que dans la tradition indo-européenne, il y a trois castes et non quatre. Si c'est le cas, alors la bourgeoisie n'est même pas une caste, mais un groupe de paysans incapables de vivre dans les champs et qui ont déménagé dans les villes. Les plus honnêtes sont devenus des prolétaires; les pires sont devenus des capitalistes. La bourgeoisie devient ainsi une caste qui rassemble les pires guerriers, qui ont peur de se battre, et les paysans qui ne veulent pas travailler. C'était l'union des pires individus de toutes les castes. C'est pourquoi il ne faut pas défendre la bourgeoisie, car elle n'est pas une véritable caste indo-européenne. En haïssant les prêtres, les guerriers et les paysans, elle a créé une réalité défavorable à toutes les castes traditionnelles indo-européennes. Il est intéressant de noter que la révolution socialiste - le communisme soviétique - a d'abord été orientée contre la bourgeoisie, et pas tellement contre les guerriers, les prêtres ou les paysans. Je pense donc qu'il est possible de concevoir, pour ainsi dire, un socialisme - ou un communisme - indo-européen qui s'oppose complètement à la bourgeoisie, qui ne représente en aucun cas la Tradition. Cette analyse n'est pas une critique d'Evola, qui détestait la bourgeoisie, le statu quo et le monde moderne, mais plutôt une correction et une intégration de sa théorie.

Comment se présente alors l'Evola anti-bourgeois "vu de gauche" ?

Si aujourd'hui la bourgeoisie est l'ennemi absolu, tout ce qui n'est pas moderne, occidental et bourgeois, est de notre côté: les Chinois, les Russes, les Africains, les Arabes, tous les Occidentaux qui s'opposent au libéralisme. Cette dernière, en effet, est la pire cristallisation de l'âge des ténèbres dont parlaient les doctrines traditionnelles. Dans cette perspective, l'anti-moderne et anti-libéral Evola est un révolutionnaire total. On pourrait répéter à propos d'Evola ce que René Alleau a dit de Guénon en le qualifiant de "penseur le plus radical et le plus révolutionnaire de Marx". Il l'est bien plus que ces traditionalistes qui se vivent comme des bourgeois, se limitant à une lecture stérile et improductive de la pensée de la Tradition. Ce sont les traîtres à la Tradition: si c'est le cas, je préfère les anarchistes. Je crois que l'ordre bourgeois doit être détruit. Ma thèse est une conséquence logique des positions évolienne et traditionaliste.

Et comment se rapporte-t-elle à la Quatrième théorie politique ?

La Quatrième théorie politique propose la même chose, de manière plus académique, avec la déconstruction du libéralisme, de l'eurocentrisme et du modernisme. Il ne s'agit pas d'un dogme, mais d'une invitation à exercer la réflexion et la critique. Certains proposent de trouver un nom à cette théorie. Il est inutile de le faire: il délimitera un espace conceptuel qui trouvera son propre nom à un moment ultérieur, en temps voulu. Mais dès aujourd'hui, il est possible de travailler avec ce concept, en préparant le terrain pour sa manifestation. Les Iraniens, comme les Chinois, peuvent voir dans leur configuration politique une manifestation historique de la Quatrième théorie politique. C'est une invitation ouverte. C'est le côté faible mais aussi le côté fort de l'expression "Quatrième théorie politique". Je tiens à souligner qu'il ne s'agit pas d'une mascarade de la troisième théorie politique - du fascisme - mais d'un paradigme réellement alternatif aux trois premiers. Le fascisme, le communisme et le libéralisme sont pleinement imprégnés de modernité. Je critique le fascisme dans ses aspects bourgeois, racistes et nationalistes. La Quatrième théorie politique ouvre un autre espace conceptuel. Le problème est que presque tout ce que nous continuons à penser appartient à l'héritage des trois premières théories politiques. Une grande purification intérieure est nécessaire pour développer fructueusement le traditionalisme et en même temps la Quatrième théorie politique, qui est la forme logique d'un certain développement de certains aspects du traditionalisme lui-même.

jeudi, 12 août 2021

Fidélité et persévérance, la force d’orienter le combat (Julius Evola)

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Fidélité et persévérance, la force d’orienter le combat (Julius Evola)

 
Cette nouvelle vidéo s’appuie sur le petit texte de Julius Evola, « Orientations », destiné, comme son titre l’indique, à orienter la jeunesse de droite vers les bons principes, socle de toute action politique véritable. Julius Evola tente de montrer, dans cet opuscule, qu’avant de penser à la reconquête politique du pouvoir, il faut d’abord s’efforcer d’incarner en soi-même les changements que l’on souhaiterait voir dans l’État. La reconquête politique, en un mot, nécessite d’abord une renaissance intérieure.
 
 
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Musiques utilisées dans la vidéo :
Haydn : Symphony No. 45 Farewell - I. Allegro Assai
Haydn : Symphony No. 49 "La Passione" in F minor – I. Adagio
Mozart : Requiem in D Minor, K. 626 I. Introitus
Mozart : Requiem in D Minor K. 626 Dies Irae (Instrumental)

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vendredi, 06 août 2021

Pourquoi ce sont toujours les pires qui gouvernent dans une démocratie ?

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Pourquoi ce sont toujours les pires qui gouvernent dans une démocratie ?

"Ad punctum terre medium... ponderosa cuncta tendere naturaliter".
(Rolandino, Cronica, XII,8)

par Renzo Giorgetti

(extrait de La società da liquidare, cap. II ; republié sur heliodromos.it)

Il est un fait qui, dans tous les régimes démocratiques, se produit constamment, régulièrement et presque jamais sans exception. Tous les soi-disant représentants du peuple, ainsi que l'appareil gouvernemental, ministériel et tout ce que l'on pourrait appeler l'appareil du pouvoir, sont invariablement animés par une qualité humaine très basse, se distinguant au mieux par l'ignorance et l'incompétence ou, dans le pire des cas, par la nocivité intrinsèque, la méchanceté et la mauvaise foi systématique. Une sédimentation de spontanéité extravagante dans une sorte de grand réceptacle où convergent toutes les pires crapules antisociales, composées d'hommes d'affaires, d'escrocs, de fanfarons, de délinquants plus ou moins habituels, d'inadaptés, d'histrions, d'handicapés mentaux, d'intrigants de toutes sortes: un véritable " État dans l'État ", une petite république, non pas " des Lettres " mais de la pathologie criminelle.

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Cette "attraction gravitationnelle" de la racaille vers le sommet de l'État n'est pas du tout accidentelle et a en soi quelque chose d'inévitable, presque de mathématique, qui nous fait deviner l'existence de principes bien déterminés, encore à découvrir et à interpréter.

Selon un lieu commun abusif, la classe politique est le miroir de la nation : une banalité consolatrice et justificatrice qui doit être totalement rejetée, car elle est fausse et peu généreuse envers ceux qui mettent quotidiennement leurs qualités à profit, en construisant, en concevant et en agissant pour obtenir ensuite d'excellents résultats sur les plans personnel, professionnel et collectif. Toute personne ayant un minimum d'expérience peut facilement constater qu'en plus des nombreuses excellences individuelles, il y en a aussi beaucoup au niveau associatif dans les domaines de l'économie, de la science et de la culture, des hommes et des femmes réels qui, contre toute attente, s'honorent sur la scène nationale et internationale, malgré qu'ils soient souvent entravés par la politique.

Mais alors pourquoi ne pouvons-nous pas promouvoir une classe politique digne de respect ? La vieille critique selon laquelle la démocratie est un gouvernement de médiocres ne nous a jamais vraiment convaincus. La sélection inverse qui a lieu est trop précise, presque scientifique, pour être aléatoire, mais elle n'est même pas le produit d'un choix humain, car dans un tel cas, il devrait y avoir une marge d'erreur de toute façon. Il y a certainement quelque chose d'autre, une sorte de loi naturelle qui n'a pas encore été complètement clarifiée, qui agit dans ces contextes même à l'insu des protagonistes.

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Pour l'expliquer, il faut remonter très loin, à l'époque de la démocratie antique d'Athènes (la seule, d'ailleurs, à pouvoir porter ce nom). Cette institution, héritière directe de la polis gentilice, a atteint son apogée et sa gloire éternelle tant qu'elle a pu maintenir son ossature aristocratique, en essayant de transfuser l'idéal héroïque dans l'idéal civique. La tentative était d'ennoblir le peuple plutôt que de démocratiser l'aristocratie. La citoyenneté était un privilège, elle n'était pas automatique et permanente, toutes les épreuves et les devoirs auxquels le citoyen était soumis avaient pour but de créer un type humain capable de commander et d'obéir avec le même esprit, avec la même capacité, jamais par individualisme et toujours pour les intérêts supérieurs de la communauté. Mais ce modèle idéal a rapidement décliné, se vulgarisant et se dégradant dans la cacophonie démagogique et la confusion des masses amorphes.

9782081451674.jpgLa dégénérescence démocratique est clairement exprimée par Aristophane dans sa comédie Les Chevaliers ou Les Cavaliers (424 av. J.-C.), une représentation pas trop métaphorique des dernières années de la vie politique athénienne. Dans le gouvernement (dans la fiction théâtrale comme dans la réalité) se succèdent des individus de plus en plus mauvais, dans une course à la bassesse et à la vulgarité. Le personnage du Paphlagonien, un des serviteurs du vieux Démos, est en fait le maître de maison, et impose sa volonté aux autres habitants de la maison (on reconnaît en lui la figure de Cléon, le premier dirigeant politique athénien à ne pas appartenir à une famille de la noblesse antique). Il dissimule des lectures oraculaires qui parlent de l'avenir de la ville : ceux qui gouvernent ne peuvent être remplacés que par des individus toujours plus mauvais. Ses adversaires, ayant découvert cette prédiction, se sont mis à la recherche d'un antagoniste pour vaincre le Paphlagonien, et l'ont trouvé dans un charcutier, un "homme misérable et sans vergogne qui a grandi sur la place", qui a tout ce qu'il faut pour devenir le chef du peuple: "une voix épouvantable, une naissance ignoble, et des manières dignes de la rue". Métaphoriquement parlant, la prophétie d'Aristophane ne fait que prendre acte des événements qui se sont déjà déroulés au cours de ces années: après la mort de Périclès, des personnages de bien moindre envergure s'affirmeront, d'abord le marchand d'orge Eucrates, puis le marchand de bétail Lysikles, "qui détiendra le pouvoir jusqu'à ce que survienne un plus infâme que lui", à savoir Cléon lui-même.

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Aristophane.

En effet, on théorise ici une décadence qui est presque une nécessité naturelle, une loi physique, semblable à celle qui régit la chute des corps et qui, inéluctable dans son déroulement, ne peut que conduire à la fin des institutions et du modèle de vie qu'avait exprimé la polis.

Cette loi de la chute gravitationnelle est, à notre avis, la meilleure explication du très faible niveau humain de tous les représentants démocratiques, niveau qui ne cesse de se dégrader selon une accélération continue. René Guénon s'en rendait déjà compte et liait le démocratisme au poids, non seulement d'un point de vue strictement matériel mais aussi d'un point de vue "métaphysique". Selon son analyse, la tendance à la baisse du poids - que la philosophie Samkhya appelle tamas et qui peut aussi être assimilée à l'ignorance et à l'obscurité - "crée dans l'être une limitation toujours plus grande, qui en même temps va dans le sens de la multiplicité, représentée ici par une densité toujours plus grande". (1)

Une chute symbolique toujours plus basse, vers ce centre de la Terre, ce point vers lequel tend tout corps (selon l'expression de Dante "al qual si traggon d'ogne parte i pesi") (2).

Mais actuellement, nous avons une anomalie, car la chute va "vers le haut" et non plus "vers le bas": mais cela ne se produit que dans un sens relatif, en raison d'une erreur de perspective qui nous amène à voir les choses d'un point de vue inversé. Nous vivons actuellement dans un monde dit "à l'envers". Si l'on regarde de cette façon, tout est logique, car si la pyramide sociale est inversée, la montée n'est rien d'autre qu'une chute, et celui qui est au sommet l'est "méritoirement", mais seulement en vertu de ce bouleversement, comme dans le carnaval et les fêtes de fin d'année (dans toutes les cultures traditionnelles, dans toutes les cultures traditionnelles, dès les Babyloniens) où tout ordre est inversé et où les membres les plus vils de la population peuvent accéder à des postes de commandement, exerçant la souveraineté, même si ce n'est que pour une courte durée (il existe de nombreuses illustrations du "monde à l'envers" à l'époque moderne, mettant en scène des épisodes tels que des serviteurs commandant au maître, des élèves réprimandant les maîtres, le ciel à la place de la terre, etc.).

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On comprend maintenant pourquoi cette sélection en politique est si précise et infaillible, répondant à une loi non seulement physique, mais aussi hyper-physique, qui n'est pas affectée par l'erreur et n'admet guère d'exceptions (les meilleurs, ou les moins mauvais, spécimens qui ont accédé au pouvoir dans un régime démocratique l'ont toujours fait de manière contre nature, par un acte de force).

Pour s'en convaincre, on peut aussi ajouter le traditionnel parallélisme entre la tendance tamas (lourdeur, grisaille, obscurité) et les parias, les intouchables, les exclus, qui trouvent leur satisfaction dans ce que les autres rejettent. Le paria, selon Frithjof Schuon, est un sujet qui "constitue un type défini qui vit normalement en marge de la société" et qui a souvent "quelque chose d'ambigu, de déséquilibré, parfois de simiesque et de protéiforme, qui le rend capable de tout et de rien", "acrobate, acteur, bourreau", protagoniste de "toute activité illicite ou sinistre", attitudes qui le font également ressembler à certains saints, mais seulement "par analogie inverse, bien sûr." (3)

Ce qui est en haut se reflète dans ce qui est en bas, comme un reflet plausible mais déformé qui ne laisse entrevoir, et de surcroît de manière négative, que la réalité authentique du modèle à suivre. 

NOTES

1 R. Guénon, La crisi del mondo moderno, Mediterranee, Rome, 1972, p.110.

2 Inferno, XXXIV 111.

3 F. Schuon, Castes et Races, Edizioni all'insegna del Veltro, Parme, 1979, p.13.

Source: https://www.azionetradizionale.com/2021/07/05/perche-in-democrazia-governano-sempre-i-peggiori/

jeudi, 29 juillet 2021

Pierre-Emile Blairon: Qu'est-ce que la "Tradition primordiale"?

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Qu’est-ce que la «Tradition primordiale»?

par Pierre-Emile Blairon

Avant toute chose, je tiens à préciser que la dictature qui se met en place en France et dans le monde et que beaucoup ne font que découvrir maintenant, ne constitue pas une surprise pour ceux qui connaissent le système des  cycles et qui savent que nous sommes à la fin de l’Âge de Fer, le dernier âge avant le rétablissement des valeurs traditionnelles, avant le Grand retournement ; savoir ce qu’est la cyclologie et la Tradition primordiale qui sont les fondements de la spiritualité indo-européenne permet une vision cohérente de tout ce qui se passe actuellement.

Cette dictature constitue simplement l’un des éléments qui caractérisent une fin de cycle ; une fin de cycle s’appelle le Kali-Yuga en Inde, l’Age de Fer chez les anciens Grecs ; elle est composée de la réunion de plusieurs événements, certains provoqués par les hommes : par exemple, le dépeuplement des campagnes au profit des villes mondiales, comme l’avait bien montré Oswald Spengler dans Le Déclin de l’Occident ; ça peut être aussi une dégénérescence physique globale, là, il suffit de se promener dans les villes européennes pour s’en rendre compte, ça peut être un suicide collectif ou catégoriel, comme pour les paysans en France, etc., d’autres catastrophes sont naturelles, dans ce cas, le plus souvent des inondations, selon les études de Mircéa Eliade sur les déluges originels, mais ça peut être aussi d’énormes incendies, des tremblements de terre, des ouragans, etc., et, bien sûr, nous pouvons avoir un condensé des deux quand les hommes manipulent la nature et provoquent ces catastrophes qui ne sont donc plus naturelles.

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Mon nouveau livre, L’iceberg, qui vient de paraître il y a quelques jours, est constitué pour moitié de la recension des articles que j’ai écrit sur l’avènement prévisible de cette dictature avec l’invention de cette pseudo-pandémie ; le premier de ces articles en mai 2020 s’appelait tout simplement : les apprentis-dictateurs.

Ce nouveau livre est le dixième paru sous ma signature, hors livres collectifs et hors traductions étrangères.

L’Iceberg est le troisième volet d’une trilogie exclusivement consacrée à la connaissance de la Tradition primordiale et à la cyclologie.

La Tradition primordiale et la cyclologie

La signification de l’expression Tradition primordiale a été largement expliquée par René Guénon et Julius Evola qui considèrent qu’il s’agit d’un principe originel permanent et immuable qui a fondé toutes les traditions du monde sur toute la surface de la Terre ; ces traditions se réfèrent, consciemment ou non, à la Tradition primordiale et en sont une émanation ; sur le plan plus concret, la Tradition primordiale est représentée par un continent mythique, Hyperborée, lui aussi originel, enfoui désormais sous les glaces du Pôle arctique qui a essaimé son savoir sur la totalité du globe et a laissé de nombreuses traces, notamment architecturales.

Dans tous mes livres, je m’efforce de montrer que la Tradition primordiale est le lien qui réunit les trois mondes, comme déjà nos ancêtres les Gaulois l’avaient pressenti[1] : le cosmos, l’Homme et la nature. Ceci permet de montrer que le concept de Tradition primordiale n’est pas une croyance, une théorie intellectuelle, ou une idée d’ordre philosophique mais qu’elle constitue l’origine concrète de ce qui est à la fois visible et invisible.

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Il existe en effet un rapport constant, sur le plan concret, mathématique, entre le cosmos, l‘homme et la nature ; l’Homme se situe originellement à l’intersection de ces trois mondes en tant que régulateur de la nature, et non pas en tant que prédateur.

La cyclologie est une simple mise en forme conceptuelle élaborée à partir de l’observation par les anciens du fonctionnement de la nature et du cosmos ; tout ce qui vit fonctionne d’une manière cyclique : les jours, les semaines, les mois, les années, se suivent selon le même processus, la Terre tourne autour du Soleil, le soleil se lève chaque matin, les fleurs repoussent au printemps, les marées sont dépendantes des mouvements lunaires, et les femmes aussi. Le cycle basique : naissance, vie, mort, renaissance, vaut pour tout ce qui existe sur Terre, y compris les civilisations.

Le principe du cycle est toujours en involution comme tout ce qui vit sur Terre : on va toujours de la naissance à la mort, jamais de la mort à la naissance, ce qui serait une évolution, mais l’évolution appartient à l’au-delà ; sur Terre, tous les mouvements cycliques procèdent de l’involution ; c’est pourquoi le principe du « progrès » n’existe pas, excepté d’ordre technique, matériel ; le progressisme est une utopie, une invention humaine.

Pour les hommes qui ont compris le fonctionnement cyclique du temps, revenir en arrière n’est pas retourner vers le passé, c’est, au contraire, retourner à la source, retrouver une nouvelle jeunesse en s’y abreuvant. Re-venir, c’est se donner un nouvel à-venir. Le passé n’est pas un port où se réfugier et mourir, c’est un phare qui nous guide vers l’aventure du futur.

Rappelons une des règles fondamentales de la logique traditionnelle : plus une manifestation apparaît tardivement, plus elle est éloignée de la source originelle et, donc, plus elle est spirituellement dégradée. L’apparition de la civilisation américaine est un bon exemple de ce principe, laquelle est devenue civilisation sans passer par le stade culturel (parce que dépourvue de passé) selon la hiérarchie spenglérienne ; c’est sans surprise que l’on a vu apparaître à la fin du XIXe siècle à New-York et à Chicago les premiers gratte-ciels de l’Histoire qui sont des marqueurs du titanisme moderne.

Un autre exemple de cette règle nous est donné par Julius Evola à propos des « sauvages » (c’est le terme qu’il emploie, le politiquement correct n’existait pas encore à son époque) :

« Dans la plupart des cas, les sauvages, tant sur le plan de la race au sens biologique que sur le plan de la culture, sont des résidus crépusculaires de cycles d’une humanité si ancienne que, souvent, d’elle-même, le nom et le souvenir ont été perdus. Les sauvages ne représentent donc pas le commencement, mais la fin d’un cycle ; non la jeunesse, mais la sénilité extrême. Ce sont d’ultimes ramifications en voie de dégénérescence, donc l’exact contraire des « primitifs » au sens de peuples originels. »

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Un grand cycle, à la fois chez les Indiens et chez les Grecs, comprend quatre âges qui vont du meilleur au pire.

Chez les anciens Grecs, l’Âge d’or est suivi par l’Âge d’argent, puis par l’Âge de bronze et se termine par l’Âge de fer ; l’Âge d’or est représenté par un métal incorruptible, brillant comme le soleil, alors que le fer disparaît en rouillant.

Un autre exemple pour montrer ce qu’est le système cyclique : la montre. Si vous avez une montre classique, ronde, avec trois aiguilles, vous verrez que le cycle commence au zénith, les trois aiguilles en haut, sur le 12, elles sont triomphantes, puis ça se gâte, en descendant l’arc de cercle ver le 6 ; les trois aiguilles ont alors la tête en bas, les valeurs de l’Âge d’or sont alors inversées ; nous sommes au nadir, les trois aiguilles se rejoignant forment alors le 666, le temps de l’Apocalypse chez les chrétiens, le temps du Grand retournement ; le temps de remonter : c’est  l’Apocalypse, mais aussi la Révélation, et la remontée vers un nouvel Âge d’or.

La trilogie

Le premier ouvrage de cette trilogie, La Roue et le sablier, paru en 2015, donne une photographie du monde européen en ce début du XXIe siècle, tel qu’il en ressortait après des millénaires d’une histoire européenne toujours en train de se faire, et qui continuera à se faire : cet ouvrage explique les bases de la spiritualité indo-européenne.

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Le titre de ce livre est tout à fait symbolique : le monde, comme la Terre elle-même, tourne comme une roue à la fois sur le plan spatial et sur le plan temporel. Au centre, au moyeu de la roue, est lové le dieu qui fait tourner la roue ; le moyeu est l’élément immobile de la roue qui tourne autour de lui et dont il constitue le pivot, impassible, permanent ; c’est le principe de la Tradition primordiale, principe transcendant, immuable, pérenne ; la roue représente la succession des cycles temporels ; il y a aussi un autre déplacement, plus symbolique dans le concept de la roue : plus on monte vers le moyeu, plus on monte vers la spiritualité, plus on descend les rayons de la roue et plus on descend vers la matérialité, vers le cercle métallique extérieur qui délimite la roue, qui l’enferme et qui est en contact direct avec le sol, la matière.

Le deuxième terme de ce titre La Roue et le Sablier, le sablier, donc, m’a été inspiré par Georges Dumézil et le concept indo-européen des trois fonctions qu’il a redécouvert. Les trois fonctions sont, pour la première, celle des conducteurs, pouvoir sacerdotal et royal, la deuxième, celle des protecteurs : armée et police, qui sont là protéger le peuple et les frontières, la troisième, celle des producteurs, qui nourrissent, habillent, abritent les citoyens ; en temps de Kali-Yuga, le sablier est retourné, la fonction productrice est au sommet, mais elle ne produit plus rien, on ne fait plus travailler que l’argent, la classe des conducteurs est en bas, désavoué, niée, condamnée à se taire ; et, au centre, au goulet du sablier, l’armée ou la police deviennent des milices au service du pouvoir d’en haut.

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Le projet de La Roue et le sablier était de faire la recension des valeurs qui avaient fait la force et le génie de notre Europe afin de les préserver dans la tourmente de l’Age sombre, celle que nous vivons, pour qu’elles servent à nouveau de base au cycle futur, d’où le sous-titre de cet ouvrage : Bagages pour franchir le gué.

Enfin, je constate dans ce livre l’émergence d’une caste prométhéenne oligarchique et ploutocratique entièrement tournée vers la matière, atteinte par l’hubris, une vanité démesurée, dont le rêve est de remplacer Dieu ou les dieux, d’asservir le monde en transformant les hommes en robots ou en esclaves, et, surtout, de devenir matériellement immortelle ; le titre du livre du représentant de cette caste en France, le transhumaniste Laurent Alexandre, résume bien ce dernier projet : La Mort de la mort.

Cette secte n’est pas née d’hier, il faut faire remonter ses origines au moins au mythe de Prométhée : le Titan Prométhée vole le feu aux dieux pour le donner aux hommes, ses créatures ; ce n’est pas tout , lors du partage d’un bœuf, il tente de rouler les dieux en leur donnant les plus bas morceaux ; le psychothérapeute Paul Diel dit de Prométhée que c’est un dieu à mètis, un roublard, un menteur qui veut essayer de posséder Zeus, de lui jouer un tour » ; alors qu’ Evola traite ce même Titan de « tordu », c’est le mot exact qu’il emploie. Diel ajoute : « Zeus crée l'homme en tant qu'être spirituel, capable du choix juste, animé de l'élan évolutif, du désir essentiel ; le Titan crée l'homme en tant qu'être matériel, capable du choix faux, attaché à la Terre-mère, à la matière. »

« Les hommes, en tant que créatures de Prométhée, formés de boue et animés par le feu volé, réalisent la révolte du Titan et ne pourront que se pervertir. Guidés par la vanité de l'intellect révolté, fiers de leurs capacités d'invention et de leurs créations ingénieuses, les hommes s'imagineront être pareils aux dieux. La perversion des sentiments qui en résulte poussera les hommes à se disputer haineusement les biens matériels et fera ainsi régner la destruction »

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Le livre Chroniques d’une fin de cycle est le deuxième volet de cette trilogie ; il est paru fin 2019 ; il est essentiellement consacré à la manière dont cette caste mondiale désormais au pouvoir s’y prend pour saper les traditions des peuples et couper les hommes de leurs racines pour en faire des robots déboussolés, sans aucun repère.

Les enfers parodisiaques, c’est le sous-titre de ce livre qui rassemble une série d’articles qui décortique sur tous les sujets le fonctionnement du pouvoir mondial en place et dénonce ses mensonges ; une parodie de tous les instants que Guénon appelait « La Contre-Tradition » ; la Contre-Tradition a l’apparence de la Tradition mais c’est un leurre ; une manifestation des forces négatives ; le diable sous l’apparence du pape, par exemple ; l’art, l’architecture, la mode, la langue, la gastronomie, etc. tous ces domaines sont touchés par cette volonté d’éradication ; 37 articles en tout qui montrent comment toutes les valeurs qui constituaient la base stable d’une société sont exactement inversées ou systématiquement détruites ; c’est le règne de la quantité, de la matérialité, de l’argent, du mensonge.

L’Iceberg, mon nouveau livre donc, reprend, dans le premier chapitre, sept articles de fond parus dans différents sites en 2020, articles consacrés à la manipulation mondiale sous couvert sanitaire qui a marqué toute cette année passée.

La secte maléfique est passée à l’offensive plus tôt que prévu en inventant cette pseudo-pandémie pour soumettre et robotiser la population mondiale.

J’ai choisi ce titre, L’Iceberg, pour plusieurs raisons symboliques : d’abord parce que, comme tout ce qui est accessible à nos sens, on n’en voit que la partie apparente, qui ne constitue que le dixième de la réalité, en tout cas pour l’iceberg, parce qu’il est l’exacte représentation d’un cycle hyperboréen, c’est-à-dire européen, dans sa totalité.

Mon livre se veut de nature ésotérique et symbolique, le symbole étant le langage des dieux, donc un langage sacré, mais on va voir que ce langage s’applique tout aussi bien à des faits très concrets. Le titre et le sous-titre résument entièrement le livre.

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L’Iceberg est une montagne de glace ; la montagne, lieu éminemment sacré chez les anciens Européens ; ils pensaient, comme pour l’arbre sacré Yggdrasyl, que cette élévation était un chemin vers les dieux, l’axe et le centre du monde.

La montagne est l’attribut symbolique par excellence de la Tradition primordiale parce qu’elle exprime l’immuabilité et la stabilité.

L’iceberg, lui, représente le cycle : il est même emblématique de ce qu’est un cycle cosmique dans sa totalité, de sa naissance à sa fin, en parfaite involution, comme c’est le destin de tout ce qui vit sur la Terre : la couleur blanche, sacerdotale, symbole de pureté, et la glace des origines – l’Hyperborée, la civilisation primordiale, enfouie sous la banquise - mais aussi la lente dégradation (la fonte de la glace) et sa dérive finale, mot pris dans ses deux acceptions, physique et psychique, autrement dit le nomadisme, toutes conditions caractéristiques du Kali-Yuga.

De plus, l’iceberg peut se retourner comme un glaçon dans un verre et donc opérer le Grand retournement qui se manifeste à la fin du cycle ultime.

Le titre de ce livre m’a été inspiré, à l’origine, par un événement devenu mythique qui a marqué tous les esprits du XXe siècle : la collision d’un iceberg avec un bateau qui s’appelait le Titanic ; c’était en 1912, exactement le 15 avril 1912.

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Rien ne pouvait être plus allégorique des deux forces qui s’affrontent en cette fin de cycle et qui a donné le sous-titre de ce livre : La Tradition primordiale contre le Titanisme. Je fais remarquer au début de l’ouvrage que ce sont les forces traditionnelles qui battront les forces négatives, car c’est bien l’iceberg qui a coulé le Titanic et non l’inverse. Je vois dans cet événement une prémonition, d’autant plus que le naufrage du Titanic avait été exactement décrit par un roman prophétique : en 1898, donc 14 ans avant le naufrage du Titanic, Morgan Robertson, un écrivain new-yorkais, faisait paraître un roman qui s’intitulait The wreck of the Titan (Le naufrage du Titan). Ce livre racontait le naufrage d’un navire dénommé Titan qui coule en avril à la suite d’une collision avec un iceberg et il annonçait toutes les caractéristiques techniques du Titanic et les circonstances dans lesquelles il coulerait, incluant le nombre presque exact des disparus.

Une autre catastrophe, dont on ne sait toujours pas si elle est d’origine criminelle ou pas, aura le même impact émotionnel sur les populations, un peu plus d’un siècle plus tard, c’est l’incendie de Notre-Dame de-Paris ; elle se produira le... 15 avril 2019, le même jour que le naufrage du Titanic. C’est peut-être une coïncidence, peut-être pas.

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Je montre, dans ce livre, que les manifestations d’ordre sacré, symboles et nombres, peuvent être aussi vérifiées concrètement ; par exemple, 1,618, le nombre d’or, si bien nommé parce qu’il est la traduction mathématique de l’harmonie, la divine proportion, dans le domaine architectural ou musical notamment, mais aussi chez l’être humain : on constate que le rapport de la taille d’une personne avec la hauteur de son nombril est proche du nombre d’or. Il est aussi présent dans beaucoup d’éléments naturels, notamment d’ordre végétal : on le retrouve dans la logique d’agencement des parastiches du tournesol (les parastiches sont les réseaux de spirales qui constituent le cœur de la fleur de tournesol). Cette logique est transmise mathématiquement par la « suite de Fibonacci », qui est une extension des principes qui règlent l’application du « nombre d’or ». Fibonacci, savant médiéval qui a donné son nom à sa découverte, l’a ainsi énoncé : chacun des termes de la suite est égal à la somme des deux précédents : 1.1.2.3.5.8.13.21.34.55.89.144… Cette suite se retrouve aussi dans les écailles de pommes de pin, d’ananas, les coquilles d’escargot, dans les étamines de fleurs de magnolias, les cœurs de chardons ou d’artichauts…

Autre exemple qui tend à prouver le lien réel qui existe entre les trois mondes précédemment cités : le nombre 25920, qui est un nombre cosmique, donc sacré, est aussi présent dans plusieurs manifestations concrètes et même humaines :  c’est d’abord le temps que dure l’Âge d’or selon la tradition indienne, mais ce nombre a aussi des applications plus courantes : Faisons le calcul d’une journée, mais, cette fois, pour faire un mois : 60 secondes x 60 minutes = 3600 x 24 heures = 86400 secondes. En un mois, moyenne de 30 jours : 86400 x 30 = 2 592 000 secondes.

On pourrait penser qu’il s’agit d’un hasard si je donne un autre calcul à faire : la vitesse de la lumière est de 300 000 km par seconde, comme il y a 86400 secondes en un jour, la lumière parcourt donc 25920 millions de kilomètres par jour.

Encore une coïncidence ? La vitesse de la Terre autour du Soleil est de 30 km par seconde. Elle couvre donc 2 592 000 km par jour.

La Terre tourne sur elle-même et elle tourne autour du Soleil, mais un troisième mouvement l’anime, ce mouvement est connu par l’expression « précession des équinoxes ». L’axe de la Terre n’est pas fixe, il tourne lui-même selon un mouvement qu’on pourrait comparer à celui d’une toupie en bout de course ; le mouvement du pôle terrestre est cependant régulier et ne va pas s’arrêter, du moins pas avant quelques milliards d’années.

Ce mouvement met, vous l’avez deviné, 25920 ans pour dessiner une révolution complète.

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Ce nombre cosmique est pleinement analogique et prouve que l’Homme est un être cosmique, si l’on considère que le nombre moyen de respirations de l’être humain est de 18 par minute, soit, pour une journée : 25920.

Sur le plan zodiacal, nous allons entrer dans l’ère du Verseau, qui succède à celle des Poissons. Chacune de ces ères compte 2160 années ; on définit approximativement l’ère des Poissons comme ayant commencé avec la naissance du Christ, voire quelques dizaines d’années auparavant avec la naissance de Mithra dont le Christ est une sorte de calque. La totalité du cycle zodiacal compte 12 ères de 2160 années chacune, soit… 25920 ans.

L’iceberg est, par excellence, un symbole ésotérique qui cache 90% de son essence, de sa vérité, les 10% restants accessibles aux sens humains, ne constituant que la partie exotérique et superficielle de l’iceberg. « Le visible n’est que la trace de l’invisible », disait Léon Bloy. L’iceberg s’apparente alors à l’être humain, dont on ne voit que le corps physique mais qui est pourtant composé en outre de plusieurs corps dits subtils, invisibles pour le commun des mortels, qui manque de subtilité

L’iceberg, en tant que concept ou symbole, représente aussi la rupture provoquée par les hommes entre histoire et préhistoire, entre science profane et science sacrée, histoire et sciences des hommes versus histoire et science des dieux. L’immense partie immergée, donc cachée aux regards profanes, représente le monde des dieux, et sa partie émergée, celle que l’homme moderne peut appréhender avec ses sens atrophiés, le monde de l’humanité profane.

René Guénon avait posé les frontières entre ces deux mondes et, donc, aussi, entre l’intuition intellectuelle et la connaissance profane :

« Cette perception directe de la vérité, cette intuition intellectuelle et supra-rationnelle dont les modernes semblent avoir perdu jusqu’à la simple notion, c’est véritablement la « connaissance du cœur ».

Julius Evola avait bien compris la nature de cette rupture lorsqu’il distinguait la Voie des Pères introduite par le Titan Prométhée qui donne le pouvoir à l’Homme qui se survit à lui-même par la lignée, et la Voie des Dieux, ou Voie olympienne, où l’Homme admet et respecte la supériorité divine tout en s’efforçant d’atteindre à nouveau ce statut perdu.

Les transhumanistes pourront y consacrer tous les milliards du monde, ils pourront décortiquer le corps de tous les humains, le recomposer en pièces métalliques, ils n’accèderont jamais au mystère élucidé par les penseurs et les poètes, ils ne découvriront jamais le principe de régénération déclenché par la petite étincelle qui les anime car elle est de nature divine. La fin de mon livre explique ce combat final qui, donc, ne se fera pas sur un champ de bataille dans le sang, le bruit et la fureur, mais dans le silence des labos, qui est aussi celui des agneaux, ou… des moutons.

Notes:

[1] Les Gaulois estimaient qu’il existait trois mondes : celui d’en haut, celui d’en bas, et le monde des hommes. ; le principe de l’analogie et celui de la concordance constitue les principales caractéristiques de l’ésotérisme.

Commandes aux éditions du Lore:

Pour commander L'Iceberg: http://www.ladiffusiondulore.fr/home/897-l-iceberg-la-tradition-primordiale-contre-le-titanisme.html

Pour commander Chroniques d'une fin de cycle: http://www.ladiffusiondulore.fr/home/781-chroniques-d-une-fin-de-cycle-les-enfers-parodisiaques.html?search_query=blairon&results=3

mardi, 13 juillet 2021

Sur Evola en anglais

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Sur Evola en anglais

par Bastien VALORGUES

Ex: http://www.europemaxima.com

Le Londonien Troy Southgate est un infatigable militant des radicalités albo-européennes. Dans le cadre des éditions Black Front Press (clin d’œil plaisant au Front noir des frères Strasser), il offre au public anglophone les textes traduits des penseurs du renouveau européen (Nietzsche, Codreanu, Spengler, Jünger, etc.). Le fondateur, responsable et théoricien du « national-anarchisme » leur fait ainsi découvrir des thèses dissidentes variées. Avec Protector of the Sacred Flame. Essays on the life and Thought of Julius Evola (« Protecteur de la Flamme sacrée. Essais sur la vie et la pensée de Julius Evola »), c’est la vie et l’œuvre du Baron romain qui traverse la Manche, l’Atlantique et le Pacifique sous la forme d’un recueil rassemblant les contributions de neuf auteurs réparties en quatorze chapitres.

On y trouve cinq écrits de Troy Southgate, deux de Robert Steuckers sans oublier les analyses de João Franco, d’Alberto Lombardo, de K.R. Bolton, de Primo Siena, de Sean Jobst et de Von Sanngetall. On y relève la version anglaise de « La voie herculéenne de la Tradition. Spiritualité, puissance et identité chez Julius Evola » de Georges Feltin-Tracol déjà disponible en espagnol.

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Dans l’un de ses articles, Troy Southgate confronte les analyses évoliennes avec celles de Georges Bataille. Il constate que « Evola se distingue clairement de Bataille en ce qu’il privilégie les principes masculin, solaire et apollinien au-delà de ceux du féminin, de la Lune et du dionysiaque, ce que Bataille aurait considéré comme une aveuglement utopique bon marché que l’on pourrait même trouver parmi les marxistes sous la forme d’une lumière de rédemption s’élevant au-dessus du monde, au-dessus des classes, le débordement de l’élévation spirituelle ».

Cette comparaison rappelle l’étude de Charles Champetier sur « Georges Bataille et le fascisme » dans le numéro 50 de Nouvelle École (1998). Malgré les dénégations véhémentes et vaines des universitaires en Cour, le sociologue de droite Jules Monnerot fréquenta avant-guerre Georges Bataille et le Collège de Sociologie. Von Sanngetall propose « Une méditation sur le Souverain » dans laquelle il n’hésite pas là encore à se référer à Georges Bataille.

Concluant son travail par une « transcendance post-évolienne dans l’anarque païen », Sean Tobst y examine les liens et autres réciprocités entre l’initiation traditionnelle et la transcendance à l’aune d’Evola, mais aussi d’une « anarchie » (« a-cratie » ?) à venir. Quant au Portugais João Franco, il évoque « Le Prophète de l’Empire endormi ». Il souligne qu’« à une époque de dévastation et de désertification, [Julius Evola] est resté fidèle à l’Idée à laquelle il a consacré sa vie et a contribué à entretenir une flamme ».

Les éclairages toujours pertinents de Robert Steuckers portent, d’une part, sur « L’influence de J.J. Bachofen sur Julius Evola » et, d’autre part, sur la « Lecture évolienne des thèmes de H.F.K. Günther ». L’Italien Alberto Lombardo aborde « L’anti-américanisme “ traditionnel ” de Julius Evola ». K.R. Bolton traite d’« Evola sur l’État organique et la caractère du travail ».

On ne peut que se féliciter de l’existence dans le monde anglo-saxon d’une si belle introduction à la vue du monde du penseur traditionaliste radical européen d’expression italienne. Il complète fort utilement Evola : Thougths & Perspectives (2011) (« Evola : Réflexions & Perspectives ») et The World Through a Monocled Eye. A Detailed Exposition of Julius Evola’s Men Among the Ruins (2017) (« Le monde à travers le monocle. Une exposition détaillée des hommes de Julius Evola parmi les ruines ») déjà édités aux Black Front Press.

Mentionnons afin la couverture, originale et superbe, dessinée par l’artiste sud-africain Sean Verster. Les anglophones ont bien de la chance d’avoir un tel ouvrage.

Bastien Valorgues

• Troy Southgate (edited by), Protector of the Sacred Flame. Essays on the life and Thought of Julius Evola, Black Front Press, 2021, 180 p., 22 €.

00:37 Publié dans Livre, Livre, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, tradition, traditionalisme, julius evola | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Monde moderne et sagesse ancienne selon Arnaud Desjardins

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Monde moderne et sagesse ancienne selon Arnaud Desjardins

Joan Montcau

Ex: https://septentrionis.wordpress.com/2021/07/11/mundo-moderno-y-sabiduria-antigua-arnaud-desjardins/

"L'homme moderne a rompu avec les deux religions ; celle qui l'unissait au haut, parce qu'il a fait l'expérience qu'il est possible de vivre sans DIEU, et celle qui le reliait au bas, parce qu'il s'est éloigné de la terre... s'installant dans l'utopie (idéologies modernes et postmodernes). La meilleure illustration de cet homme est sans doute la plante artificielle. Il manque de racines. Pas vers le haut, puisqu'il ignore la lumière du soleil. Pas vers le bas, puisqu'il ne reçoit pas l'humidité de la terre". (ALFREDO SÁENZ)

TITRE ET AUTEUR : 

MONDE MODERNE ET SAGESSE ANCIENNE, Arnaud Desjardins.

1 Quel genre de livre est-ce ? 

   Fondamentalement un livre de critique de la civilisation actuelle (plutôt une parodie grotesque de celle-ci) que l'auteur commence avec la montée de l'Humanisme, camouflé en "Renaissance" (pas précisément en termes spirituels celle-ci, comme Evola dirait d'un point de vue traditionnel la vraie RENAISSANCE était le haut médiéval gibelin). Plusieurs auteurs traditionnels ont déjà signalé quelque chose de très caractéristique de la subversion moderne, qui est aujourd'hui si actuelle mais qui remonte à des siècles, comme la manipulation du langage, l'inversion diabolique du sens des mots... 

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Sur la base de la Sagesse antique et de la Tradition sapientielle, l'auteur énumère et analyse les contradictions intrinsèques de cette civilisation, les menaces qu'elle fait naître elle-même et qui sont de plus en plus nombreuses, les graves dangers matériels et psychologiques (pour ne pas dire spirituels) que court l'humanité, l'insatisfaction, l'agitation et l'opposition croissante, le niveau de folie, de bêtise, d'imbécillité et de mal généralisé, tous "signes de ces temps" (où de plus en plus "le désert croît et avance..."), "autorisez-nous à mettre les "signes de ces temps" (où de plus en plus "le désert croît et avance..."), "autorisez-nous à mettre les "signes de ces temps" (où de plus en plus "le désert croît et avance..."). ), "nous autorisent à nous interroger sur la solidité et la valeur des fondements sur lesquels nous, les hommes, avons construit le monde moderne" (A. Desjardins) ; bien qu'il serait plus juste de dire CONSTRUITS par ceux qui ont réellement conspiré contre la Tradition pour préparer l'avènement d'un "monde gouverné par des personnages qui ne peuvent même pas être imaginés par ceux dont les yeux ne pénètrent pas dans les coulisses", comme le disait Benjamin Disraeli (un Juif, soit dit en passant...), personnage infâme et ouvertement anti-traditionnel... 

   En simplifiant un peu, une des caractéristiques fondamentales de la Modernité en général et de cette ère crépusculaire en particulier - et très typique des systèmes démoplutocratiques actuels -, est celle du charlatanisme grossier, vide et insubstantiel, de la haine, de la saleté, du bruit, d'un activisme contre nature, écœurant et avilissant, la répugnance pour la stabilité, la beauté, l'ordre, le culte du simple ÊTRE sur l'ÊTRE, la prédominance du PATHOS sur l'ETHOS, la pseudo-civilisation du Moi égotique sur la vraie civilisation du Moi intérieur, le manque absolu de valeurs et de référents vraiment élevés dans un monde détestable où tout est relatif, sujet au doute et discutable ; comme l'a dit José Antonio, nous sommes déjà immergés dans un monde où les entités de valeur permanente n'existent plus. Antonio Medrano lui-même distingue ceux dont la "vie" se limite à un simple EXISTANT, c'est-à-dire ceux qui vivent complètement décentrés, sans principes ni valeurs ni référents vraiment élevés ; puis il y a ceux dont la vie -féroce, ardente et authentiquement vivante-, est un INSISTANT continu, c'est-à-dire qui vivent à l'intérieur de soi, autour d'un Centre spirituel et métaphysique, avec une Norme et un Guide existentiel. C'est la différence fondamentale entre le sous-homme moderne et démocratique par rapport à l'Homme de la Tradition, c'est la différence essentielle entre une civilisation de l'être et une civilisation de l'être : alors que la première vit sur des sables mouvants et sur le Mensonge, la seconde vit sur la Vérité, sur ce qui est Eternel et Immuable. LE MONDE MODERNE OU LA SAGESSE ANCIENNE. L'homme de la subversion ou l'homme de la tradition, il n'y a pas plus... 

   "Être" est le mot clé, et encore plus à notre époque où l'on a implanté dans les sociétés un système infernal de vie purement végétative, ou tout au plus, animaliste. Un monde qui renonce à l'Être et à la Sagesse est fatalement condamné à périr sous des souffrances et des destructions indescriptibles, c'est un monde déjà spirituellement mort et bientôt les vers et les rats dévoreront ce cadavre : "Les hommes, dans le monde moderne, tournent dans l'angoisse, comme des rats dans un labyrinthe de laboratoire" (N. G. Dávila). Les sociétés traditionnelles étaient fondées sur la certitude que le véritable sens de la vie humaine "en ce monde" reposait sur l'Être et non sur l'Avoir, voie préparatoire à l'accès à la Patrie céleste ou, dans d'autres cas, à la conquête de la véritable Immortalité. 

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   Il est évidemment vrai qu'il faut un minimum d'avoir pour être. Cet avoir peut être matériel, intellectuel ou affectif : des vêtements, une maison, de la nourriture, des amis, des camarades, un conjoint, des enfants, des connaissances, etc. Mais nous ne devons pas confondre ce qui est nécessaire pour pouvoir fonctionner dans ce monde avec ce qui est vraiment fondamental et essentiel. La vraie Libération (avec une majuscule), contrairement à ce que proclame la populace démocratique et démo-bourgeoise, ce n'est pas quand on "a plus" mais quand on "est plus", quand on parvient à forger une véritable personnalité autour d'une Vision sacrée du Monde. " Le monde moderne ne reconnaît aucun fondement métaphysique ; il se vante, au contraire, d'avoir fait de la réalité apparente, celle de l'homme et de l'univers, le sol ferme sur lequel il a construit sa civilisation, aujourd'hui chancelante " (A. Desjardins). La LOI DE L'AVOIR et la LOI DE L'ÊTRE sont les deux formes existentielles catégoriques et paradigmatiques qui séparent spirituellement la sous-humanité de la véritable humanité ; les "Deux Races" - comprises d'un point de vue ontologique et métaphysique -, comme l'a exposé un intéressant groupe de caractère néo-fasciste et évolutionniste en Italie (Groupe des Dioscures) dans l'un de ses manifestes dans les années 60 du siècle dernier. 

   L'entraînement, la lecture constante, la méditation et la prière, la Sagesse active contre l'activisme débridé et diabolique de la Modernité, la montagne, le sport, l'union de l'Action et de la Contemplation dans une synthèse supérieure, telles sont les formes d'héroïsme que nous invitons d'ici à embrasser tous ceux qui, existentiellement et spirituellement, se considèrent comme des ennemis ou sont en marge "d'un monde où l'idéal est de devenir grégaire" (Henry de Montherlant). SAVOIR C'EST ÊTRE... 

   "Dès l'instant où l'Homme est apparu sur terre sous sa forme actuelle, deux instincts profonds, deux âmes, deux races s'affrontent en permanence dans une guerre unique dont les objectifs opposés s'appellent ESPRIT et MATIÈRE, INTEGRATION et DISSOLUTION. 

   "Deux instincts profonds, mais signifiant, en réalité, une vocation spirituelle claire et lumineuse opposée à une sombre perte de forme et de sensations ; deux âmes, mais l'une d'origine divine et l'autre tendant à devenir sous-humaine ; deux races, mais l'une est la race par excellence puisque l'Esprit tend à s'unir à la Matière dans une parfaite harmonie, et l'autre, la race de la horde et du chaos qui rugit anxieusement pour se perdre dans les dimensions illusoires du temps et de l'espace".

Les Dioscures. Les Deux Races, 1969 ( ?)

2.- Résume son sujet 

   En termes généraux, une négation totale de la Modernité et de toutes les pseudo-valeurs qui en ont émané. Au contraire, la Tradition sapientielle est la Norme et l'Axe, le germe impérissable de tout ce qui est sacré, de tout l'Univers manifesté -Macrocosme et Microcosme-, le fondement de toutes les traditions secondaires, le dépôt éternel de la Doctrine et de la Connaissance divine, en un mot, le Temple de la Vérité éternelle et impérissable, l'IDEE toujours fraîche et jeune (notre vraie Patrie comme disait Evola). " Le printemps attendu par le Ciel, la Terre et la Mer " dans un monde qui se consume, pleure et gémit dévoré par le Mal et les Ténèbres. 

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3.- Qui en est l'auteur ? 

   Arnaud Desjardins (18 juin 1925 - 10 août 2011) est l'un des premiers Occidentaux à découvrir et faire découvrir, à travers des documentaires télévisés, les grandes traditions spirituelles ignorées des Européens : l'hindouisme, le bouddhisme (tibétain et zen) et le soufisme en Afghanistan. Né en France dans l'hérésie protestante, sa forte spiritualité l'a fait s'en éloigner et il est entré dans un monastère cistercien catholique. Plus tard, il s'est intéressé à l'hindouisme et au bouddhisme. 

4 Est-il partial ou impartial dans son sujet ?

   Totalement biaisé. 

5.- Détails de l'édition 

  EDITIONS DE LA TABLE RONDE, Editorial Sirio, 1987. 

6.- Désaccords, anecdotes sur lui et relation personnelle avec lui. 

   Je ne le connaissais pas avant de lire ce livre. Certains désaccords avec l'orientalisme excessif de l'auteur, très dans la lignée de René Guénon. À cet égard, Julius Evola, dans son "Riding the Tiger", critiquait ceux qui, dans cette phase finale du Kali-Yuga, recherchaient de prétendus "paradis spirituels" en Orient : "le désert avance", et de surcroît à une vitesse de plus en plus écrasante et globale. Evola précise également qu'en ce qui concerne les doctrines spirituelles et sapientielles, l'Occident n'a rien à envier à l'Orient non plus. D'autre part, il souligne que si l'aberration moderne a d'abord conquis l'Occident pour ensuite répandre ses erreurs dans le monde entier, cela ne signifie pas que dans un avenir plus ou moins proche nous serons les premiers à nous débarrasser de cette monstruosité (bien qu'il soit difficile de le voir aujourd'hui à notre époque...). 

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7.- Pourquoi avez-vous choisi de le lire ? 

   Le titre du livre est en soi très suggestif, et son sujet l'est encore plus. 

8.- Quelle est votre évaluation du livre en tant que tel, et de son sujet ? 

   Les deux sont très positifs.

9.- A qui s'adresse ce livre ? 

   Pour tous ceux qui considèrent la Modernité comme une authentique anomalie et subversion, une calamité qui nous a conduits à l'actuelle "Grande Parodie" (René Guénon), c'est-à-dire à la rupture avec la Tradition et à l'établissement de la civilisation la plus entièrement matérialiste et titanesque de l'Histoire. 

10.- A qui le recommanderiez-vous ? 

   A tout homme de tradition.

Joan Montcau

  

 

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lundi, 12 juillet 2021

Le symbolisme du serpent dans la mythologie grecque

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Le symbolisme du serpent dans la mythologie grecque

Ex: https://animasmundi.wordpress.com/2021/07/09/el-simbolismo-serpentino-en-la-mitologia-griega/

Dans la mythologie et la religion, et notamment dans la mythologie grecque, le terme chthonique (du grec ancien χθόνιος khthónios, " qui appartient à la terre ", " de la terre ") désigne ou fait référence aux dieux ou esprits des enfers, par opposition aux divinités célestes, notamment Hadès et Perséphone. Toutes ces divinités étaient simultanément liées aux notions de vie et de mort dans la mesure où les végétaux, source et symbole de la vie, plongent leurs racines et puisent leur nourriture dans les profondeurs de la terre.

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L'animal chthonique par excellence était le serpent, et en tant que tel, il figurait sur le caducée d'Asclépios, dieu de la médecine. Dans la mythologie grecque, Asclépios ou Asclépios (en grec Ἀσκληπιός), Esculape pour les Romains, était le dieu de la Médecine et de la guérison, vénéré en Grèce dans divers sanctuaires. Asclépios devient le centre du culte populaire. Des temples ont été construits en son honneur dans toutes les villes de Grèce. Des foules de gens passaient la nuit dans des pièces spéciales où ils dormaient. Ils y espéraient que le dieu les guérisse directement par le biais d'une apparition en rêve ou que leurs rêves indiquent une guérison ou des signes que le prêtre du temple pouvait interpréter.  Le pouvoir de ressusciter les morts était le motif qui a incité le dieu Zeus à mettre fin à la vie d'Asclépios. Le dieu Zeus n'était pas très heureux de la résurrection des mortels car il craignait que cela ne complique l'ordre du monde. Asclepius est monté dans les cieux et est devenu la constellation Serpentarium.

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Il faut noter que le serpent était un animal très accepté dans la Grèce antique. En tant qu'animal de l'âme, le serpent était particulièrement lié à la tombe et notamment à celle du héros, représenté comme un symbole de fertilité et de survie. Cette fonction particulière du serpent s'est développée à partir de sa position d'animal protecteur de la maison, bien que les Grecs eux-mêmes aient parfois suggéré que la moelle des os d'un cadavre devenait un serpent. Le serpent représente également une icône religieuse, un véhicule du sacré à travers lequel la réalité métaphysique et les vérités primordiales se manifestent dans l'imaginaire grec. Il suffit de regarder les principaux mythes grecs : le combat cosmogonique entre Zeus et Typhon, la lutte d'Apollon avec le serpent Python pour la possession du sanctuaire de Delphes, le combat de Cadmos avec le serpent thébain et les voyages initiatiques de Jason en Colchide, d'Héraclès au Jardin des Hespérides, de Méduse et de Persée, entre autres.

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Au sein du mythe, le serpent joue un rôle prépondérant avec de multiples significations et interprétations telles que le fait que le serpent est dépouillé de la vieillesse en renaissant, la relation avec la guérison et la capacité de restaurer la vie, sa relation avec le phallus masculin et la fertilité féminine, avec l'éternité et sa configuration tardive comme symbole du temps qui revient à lui-même, son rôle de gardien des sources de vie et de l'immortalité ; les croyances concernant son androgynie, son omniscience, son agressivité, son insomnie, son éveil, ainsi que son union avec les forces obscures et sa considération comme un être qui effectue, facilite ou entrave la transition entre les niveaux, brisant ainsi l'espace même de la réalité actuelle. En bref, la croyance en une force spéciale, résidente, émanée, inhérente ou symbolisée dans le serpent, une force, une énergie alignée du côté du primordial, de la force pure et seule : en somme, la vie, avec tous ses paradoxes et ses complexités.

D'autre part, le thème du serpent compris comme âme des morts n'est pas trop objectif, puisque le terme "âme" est utilisé sans réflexion sur la relation entre la psyché comme âme des morts et le serpent. Hésiode a décrit la mue d'un serpent par les mots "seule la psyché demeure". Il est possible que l'attribution du psychisme à un serpent soit liée au rare pouvoir de muer la peau que possède cet animal.

L'analyse de ce symbole dans la culture grecque montre que le mythe du serpent n'est jamais vraiment mort, puisque sa morphologie versatile, sa capacité d'adaptation et la longue liste de mythes et de situations religieuses auxquels il était lié, lui ont garanti une longue survie, dont le message est de rapprocher l'homme de l'inintelligible.

Dans la mythologie grecque, nous pouvons citer Typhon, fils de Gaïa, de la terre et du Tartare, l'abîme du sous-sol, c'est-à-dire un monstre d'origine chthonique. Hésiode, dans la Théogonie, écrit :

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" De ses épaules naquirent cent têtes de serpents, terribles dragons, piquant de leurs langues sombres. Des yeux de leurs têtes ineffables, sous leurs sourcils, brillait le feu. De toutes leurs têtes, le feu jaillissait quand ils regardaient.

Dans toutes, il y avait des voix qui lançaient une rumeur variée et indicible ; parfois elles émettaient des articulations, comme pour comprendre les dieux ; (...) d'autres, les riguidos d'un lion sans pitié (...) d'autres encore sifflaient et les énormes montagnes lui faisaient écho. (Théogonie 836-68)

L'écrivain José Carlos Fernandez souligne le symbolisme du serpent sur les points suivants :

    - Sagesse, de la perfection et du dynamisme du Réel ; elle représentait aussi la régénération psychique et l'immortalité.
    - C'est l'image de l'âme qui se réincarne et "revêt une nouvelle peau". Il fait également référence au premier rayon de lumière émanant du Mystère Divin.
    - C'est un symbole de l'Éternité, de ce qui s'est produit sans interruption.
    - En outre, pour compléter la signification précédente, il est un symbole du temps et de ses cycles.
    - Comme presque tous les premiers symboles, il s'agit d'un double symbole : il est la lumière, à la fois physique et spirituelle, mais aussi le symbole de son ombre, de l'obscurité de la matière, du mal, de la substance spirale qui emprisonne l'âme dans son tourbillon.
    - Le serpent est le symbole du Soleil Spirituel (le Soleil Central des traditions occultes) et de son "corps", le Soleil visible ; symbole, donc, du Logos Créateur comme de l'Intelligence glissant dans l'Eternité. Mais aussi, par exemple, en Égypte, il était lié, astronomiquement, aux éclipses, comme un serpent qui veut dévorer le Soleil, par exemple, Apap en Égypte.
    - Avec plusieurs têtes en mouvements spasmodiques, il est le symbole des passions humaines, mais aussi des pouvoirs psychiques.
    - C'est un symbole de la grande Vie Unique, le Jiva-Prana des hindous, et de son mouvement, qui appelle les mondes à l'existence.
    - Mais aussi de la mort et du guide qui accompagne le défunt, dans le royaume invisible.
    - Il fait référence aux sages, aux éternels vivants, mais aussi aux âmes désincarnées.
    - Le serpent est un symbole de l'énergie sexuelle, des corps qui tentent de perpétuer leurs formes, et des âmes qui tentent de se perpétuer dans leurs essences inaltérables.
    - Il est le symbole de la Terre, de ses énergies et de ses potentialités, la "mère de tout ce qui bouge" des textes sacrés hindous.

Source : Bremmer, J. N :

Bremmer, J. N. "Le concept de l'âme dans la Grèce antique". Ediciones Siruelas.

lundi, 05 juillet 2021

L'opposition continue de la philosophie japonaise à la mondialisation

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L'opposition continue de la philosophie japonaise à la mondialisation

Par Troy Southgate

Ex: https://grupominerva.com.ar/2021/07/la-continua-oposicion-de-la-filosofia-japonesa-a-la-globalizacion/

Certains utilisent les efforts de l'école de Kyoto pour faciliter les échanges intellectuels entre l'Est et l'Ouest comme une excuse commode pour promouvoir le soi-disant multiculturalisme. Cependant, bien que l'attitude plus ouverte du Japon à l'égard de l'Occident à partir de la fin du XIXe siècle ait conduit nombre de ses principaux penseurs à explorer en profondeur la philosophie et la métaphysique de Kant, Schelling, Hegel, Nietzsche, Heidegger et d'autres, l'école de Kyoto était une réaction à l'empiètement du monde moderne et reste donc fermement opposée aux valeurs pernicieuses du mondialisme. Comme l'explique le philosophe de la troisième génération du mouvement, Ueda Shizuteru (photo) :

    "Il faut dire que la sinistre réalité mondiale d'aujourd'hui est la formation d'un monde unique qui vide de leur sens les différences entre l'Est et l'Ouest, et invalide ainsi l'entreprise historique de Nishida comme de Nishitani. L'hyper-systématisation du monde entraîne un processus rapide et puissant d'homogénéisation, superficielle mais profonde, qui génère à son tour des frictions et même des confrontations entre les groupes ethniques et leurs cultures ; la destruction accélérée de la nature ; des irrégularités et des troubles physiologiques humains, ainsi que l'approfondissement des fissures psychologiques intérieures ; la propagation d'un sentiment de vide ; et une frénésie folle et sans fin d'activités vides de sens. Malgré les efforts déployés pour parvenir à un monde plein de diversité, mais encore unifié par le contact entre les différentes traditions, il ne semble pas que ces efforts soient aujourd'hui capables de dégager la voie d'un mouvement contre-culturel mondial qui s'opposerait à l'hyper-systématisation contemporaine du monde et à son homogénéisation concomitante".

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Il n'y a pas grand-chose ici avec lequel le libéral de gauche moyen puisse se sentir à l'aise, malgré le fait que les travaux contemporains sur l'école de Kyoto sont invariablement imprégnés d'efforts visant à combiner les idées traditionnelles de ses principaux protagonistes avec des notions de multiculturalisme, de féminisme et d'autres formes de politiquement correct qui servent finalement l'agenda capitaliste mondial.

L'exposition soudaine du Japon il y a un siècle et demi, après des siècles d'isolement, ne signifie pas que les figures de proue de l'école de Kyoto se soient mises à la recherche de concepts philosophiques qui les éloigneraient du passé de leur pays pour les conduire vers un nouvel avenir occidentalisé. Au contraire, l'école de Kyoto était une réaction à la mondialisation et cherchait à défendre les valeurs traditionnelles du Japon en examinant la pensée occidentale avec un regard oriental. Comme le poursuit Ueda :

    "Le système mondial uniforme couvre de plus en plus une variété de zones et de scénarios, de sorte que cette variété elle-même devient insignifiante. Tout comme l'asphalte dans une métropole, le béton du système mondial uniforme recouvre progressivement mais densément le monde entier, même ce qu'on appelle l'espace extra-atmosphérique, et l'épaisseur de ce recouvrement correspond à l'écart du vide qui se répand. C'est comme si, indépendamment de ce moment historiquement vital de poser et de répondre à la question du néant, ce néant - situé au point de contact entre les versos de la question et de la réponse - s'était vidé, et que le béton du système mondial uniforme s'était déversé pour remplir ce vide du néant. Et maintenant, étouffant les voix de ceux qui posent les questions et de ceux qui y répondent, si ce n'est en leur bouchant la bouche et en les balayant, ce béton se répand sans fin."

La nouvelle selon laquelle les environs de la célèbre Acropole d'Athènes viennent d'être recouverts de béton, à la consternation des défenseurs de l'environnement, est peut-être une bonne analogie pour cette déclaration très pertinente. En attendant, il devrait être clair qu'il reste un énorme fossé entre ceux qui souhaitent créer un processus d'amélioration mutuelle entre les philosophies de l'Est et de l'Ouest et ceux qui, au contraire, cherchent à imposer le monotone terne de l'uniformité mondialiste.

jeudi, 10 juin 2021

Eduard Alcántara : "L'Imperium est la forme la plus achevée et la plus complète d'organisation socio-politique"

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Eduard Alcántara: "L'Imperium est la forme la plus achevée et la plus complète d'organisation socio-politique"

Ex: https://elcorreodeespana.com/libros/167428483/Eduard-Alcantara-El-Imperium-es-la-forma-mas-acabada-y-mas-completa-de-organizacion-politico-social.html

indexlie.pngLa maison d'édition Letras Inquietas vient de publier Imperium, Eurasia, Hispanidad y Tradición, une œuvre collective avec la participation de Carlos X. Blanco, Eduard Alcántara et Robert Steuckers. Les essais qui composent le livre recherchent dans la Tradition, dans l'Histoire et dans le présent, les éléments conceptuels nécessaires à une théorie de l'Empire qui rejette le modèle actuel, absorbant, prédateur et "impérialiste". À cette occasion, EL CORREO DE ESPAÑA s'entretient avec Eduard Alcántara, philosophe et expert de la pensée traditionaliste.

Qu'est-ce que l'Imperium ?

Pour la Tradition, la notion d'Imperium représente l'aspiration à transférer l'Ordre cosmique (l'Ordo dont on parlait au Moyen Âge ou le Ritá védique) aux constructions politico-sociales conçues par l'homme. Il s'agit de faire en sorte que le microcosme soit le reflet du macrocosme. Nous parlons de la prétention de consommer ce que l'adage hermétique-alchimique dit quand il exprime que "ce qui est en haut est en bas". L'harmonie qui régit dans les domaines célestes et qui a son corrélat dans la musique des sphères dont parlait déjà Pythagore, doit aussi régir dans les domaines terrestres. Les forces subtiles (numina) constituent le nerf de la charpente cosmique et, de même qu'elles s'interpénètrent de manière à harmoniser la dynamique du macrocosme, l'homme doit, au moyen du rite sacré, les activer afin que, par leur opérativité, elles rendent possible que l'harmonie qui gouverne en Haut gouverne aussi ici-bas sous la forme de l'Imperium ou du Regnum, tous deux donc de caractère sacré.

Quelles sont les implications de l'Imperium pour la Tradition et vice versa ?

Si l'ensemble du cadre nouménique a pour cause première d'harmonisation la force centripète représentée par le Premier Principe indéfinissable, indéterminé et éternel (Brahman, pour l'hindouisme) qui est à son origine, l'Imperium fonctionne de manière similaire, puisque toutes ses composantes agissent et interagissent en harmonie en "tournant" autour de la figure de l'Empereur comme axe vertébral, car il est revêtu de cette aura sacrée qui dégage un prestige, une dignité supérieure et une majesté qui ne nécessitent, par nature, aucune force coercitive pour maintenir la cohésion des différents corps sociaux, administratifs et territoriaux qui font partie de cet Imperium. L'empereur, dans la Tradition, assume le rôle de Pontifex, ou bâtisseur de ponts, entre le monde métaphysique et le monde physique. Il est donc la clé de la sacralisation des sociétés dont il est le recteur et le guide. Il agit comme un catalyseur et un exemple pour ceux qui, par volonté et potentiel spirituel, s'aventurent sur le chemin rigoureux, méthodique et ardu de la metanoia, de la transsubstantiation ou remotio intérieure, de la réalisation spirituelle. De même, à ceux qui n'ont pas cette volonté et ce potentiel, elle rend possible l'approche, par la participation à son projet, des vérités transcendantes.

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Quelle a été l'influence de l'Imperium dans l'évolution de l'histoire en général et de l'hispanité en particulier ?

Le Monde de la Tradition s'est toujours efforcé de se constituer en Imperium comme la forme la plus complète et la plus aboutie d'organisation politico-sociale. Il comprenait parfaitement que la fonction impériale était celle qui incarnait et reflétait le plus fidèlement les ordonnancements et les harmonies des plans métaphysiques de la réalité. C'est pourquoi nous l'avons vu se réaliser sous des latitudes lointaines : au Japon, en Chine, en Perse, à Rome ou dans l'Europe du Saint Empire romain germanique. En Amérique, l'Espagne se heurte à une forme d'empire déjà dégradée, dont la survie repose uniquement sur l'usage de la force. Il a rencontré un empire aztèque tombé dans une sorte de rituel du sang, de la coupe tellurique ; il a interagi avec des forces préternaturelles et non surnaturelles. Il a également rencontré un empire inca centré sur les cultes d'une solarité décadente et non olympique. Une solarité qui ne dérive pas du Principe Suprême et éternel, qui par essence est imperturbable, mais une solarité qui naît et meurt, qui est donc changeante et qu'ils tentent de réveiller en la nourrissant continuellement de sacrifices humains sanglants. Si nous faisons un parallélisme avec l'univers mythologique grec, nous dirions que le monde inca n'accomplissait pas de rites pour activer les pouvoirs du dieu solaire, immuable et olympien Apollon, mais du dieu soleil Hélios, qui meurt et ressuscite sans cesse. L'Espagne devient Imperium, et ainsi la monarchie hispanique remplace les formes dissolues des empires amérindiens précolombiens par un Imperium fidèle aux vérités impérissables et éternelles de la Tradition. En Amérique, en Europe et même en Asie, avec les Philippines, une Idée spirituelle, la Catholicité, et la figure qui l'incarnait (différents monarques) ont maintenu la cohésion de l'Imperium pendant trois siècles sans maintenir, une fois établie, pratiquement aucune force militaire d'origine péninsulaire dans les différents territoires qui s'y conformaient, parce que la dignité sacrée de l'Idée qu'elle incarnait est devenue le pôle d'attraction qui l'a rendu possible. Son existence de trois siècles constitue un fait quasi-miraculeux si l'on tient compte des temps qui couraient alors dans une Europe qui avait vu naître un humanisme et un anthropocentrisme qui poussaient l'homme à une sorte de solipsisme qui le faisait se regarder le nombril et tourner le dos au fait Transcendant. Une Europe où dominaient le subjectivisme, le relativisme et l'impossibilité de connaître le Supérieur en raison de l'irruption du protestantisme. Une Europe dans laquelle la raison d'Etat (la fin machiavélique qui justifie les moyens) s'élevait au-dessus des considérations d'ordre sacré ou dans laquelle le rationalisme cartésien du 17ème siècle et le mal nommé illuminisme du 18ème siècle luttaient avec succès pour laminer toute Vérité Supérieure en n'entrant pas dans la compréhension courte du raisonnement humain. Pourtant, même au cours du XVIIIe siècle, le miracle de l'Imperium hispanique ou de la Monarchie hispanique a survécu.

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Après Rome, l'Imperium s'est manifesté, selon vous, dans le Saint-Empire romain germanique et, plus tard, dans la tentative de récupération conçue par Charles Quint...

Oui, sans être trop polémique, on peut dire que le second prend le relais du premier et le troisième du second. Le Saint Empire Romain (S.I.R.G.) montre clairement cette intention de continuité jusque dans son nom même de Romain. Il représente une tentative de restauration du défunt Empire romain d'Occident. Malheureusement, en raison surtout de l'issue des guerres entre Guelfes et Gibelins à partir du XIIe siècle (les guerres dites des Investitures), le S.I.R.G. se dilue en raison du triomphe du camp guelfe, qui finit par enlever la potestas sacra à l'Empereur. Les conséquences en seraient finalement désastreuses, car désacraliser le chef du S.I.R.G. finirait par désacraliser, par osmose, tous les corps sociaux et territoriaux qui étaient sous son égide et accélérerait, de la sorte, tout un processus de décadence qui n'a guère eu de frein jusqu'à nos jours délétères. En fait, le seul frein a été mis par Charles V avec son projet de Monarchie Universelle qui, pour commencer, vivifierait les restes anodins et sans âme de ce qui avait été le S.I.R.G.. et, en outre, non seulement de la restituer à son territoire d'origine mais, surtout, à son être constitutif, qui n'était autre que celui de son essence spirituelle sous la forme de la catholicité ; D'où, par exemple, sa détermination à mettre fin au schisme protestant et son non-conformisme de simple catholique dévot face à la politique infâme du pape Clément VII, comme il l'a démontré avec le Sac de Rome de 1527; peut-être une gueule de bois gibeline de l'empereur Charles face au guelfisme symbolisé par la papauté ? Nous pouvons donc tracer des liens qui unissent l'Empire romain, le S.I.R.G. et l'Empire hispanique.

Tradition contre monde moderne : qu'est-ce que l'un et qu'est-ce que l'autre ?

La tradition consiste à vivre en se concentrant sur le Haut. C'est pourquoi les structures et les organismes politico-sociaux sont substantialisés et concrétisés de telle sorte qu'ils permettent à l'homme de vivre en consonance avec le Transcendant, même dans sa vie quotidienne la plus insignifiante ; ainsi, chacune de ses actions deviendra une sorte de rite. La tradition agit comme si elle était une force qui sacralise l'existence terrestre. La Tradition, par essence sacrée, est intemporelle et peut, par conséquent, se manifester et se concrétiser à n'importe quel moment de l'évolution de l'histoire de l'homme, bien que, certainement, plus le kali-yuga, dont parlent les textes sapientiels indo-aryens (ou l'âge de fer, auquel fait allusion le Grec Hésiode) devient omni-hégémonique, plus la possibilité d'une Restauration de l'Ordre Traditionnel se produit sous une certaine latitude. Le monde moderne, quant à lui, représente le triomphe de la matière sur l'Esprit. Au début, sa prépondérance n'est pas totale mais progressivement, parfois avec des accélérations brutales, son hégémonie devient de plus en plus étouffante et aliénante. Jamais le monde n'a été aussi grossièrement et extrêmement matérialiste, mais, comme nous l'avons souligné plus haut, la prostration actuelle est le résultat de l'action d'une série de facteurs et de processus de dissolution, tels que l'humanisme, l'anthropocentrisme, le protestantisme, le relativisme, le rationalisme, le positivisme, les Lumières, le "nouveau" monde, positivisme, les Lumières ou/et les révolutions libérales et communistes, les sous-produits culturels tels que l'évolutionnisme darwinien, l'utilitarisme ou la psychanalyse pour aboutir au dépotoir actuel, consumériste, individualiste, nihiliste et de relativisme et de subjectivisme faisant partie intégrante de la postmodernité. Voyez donc que le seul antidote intégral pour affronter le monde moderne corrosif et dissolvant est le monde de la Tradition.

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En quoi l'Imperium diffère-t-il de l'impérialisme exercé, par exemple, par les États-Unis ?

Nous avons vu que l'Imperium a une base métaphysique, tandis que l'impérialisme a une base matérielle, que ce soit en vue d'une domination simplement expansive-territoriale ou à des fins économiques-mercantilistes. L'Imperium prétend créer la civilisation et l'impérialisme se déplace avec des prétentions de pillage et d'exploitation des ressources matérielles (énergie, nourriture,...). L'impérialisme anglais, hollandais ou français présentait un caractère colonialiste plus qu'évident, consistant dans le pillage par la métropole des ressources des colonies et dans la non-industrialisation de celles-ci afin qu'elles n'aient d'autre choix que d'acheter les produits fabriqués dans les industries de la métropole. Par exemple, dans le cas des Anglais, ils sont allés jusqu'à détruire les métiers à tisser en Inde ou à couper les pouces des tisserands à Ceylan pour couper toute concurrence textile possible avec les industries métropolitaines. Là où les puissances impérialistes avaient l'habitude de créer des usines commerciales, l'Espagne, en revanche, a fondé des villes et les a dotées d'aqueducs et d'infrastructures de toutes sortes. Ses routes pénétraient vers l'intérieur car il s'agissait de civiliser l'ensemble du territoire. Ainsi, contrairement aux usines côtières anglaises ou néerlandaises, les villes étaient fondées et refondées à des centaines de kilomètres de la côte, car l'objectif n'était pas seulement de remplir les cales des navires marchands, mais aussi de diffuser le catholicisme et ses vecteurs culturels, tels que la langue, la scolastique et la théologie. La Bible a été traduite dans un bon nombre de langues précolombiennes (toutes non grammaticales jusqu'à l'arrivée des Espagnols), comme le quechua et le nahuatl. Vingt-cinq universités et un grand nombre de Colegios Mayores ont été fondés, ouverts à tout sujet de la couronne espagnole ; certaines de ces universités ont été créées un siècle avant que les Anglais ne fondent la première dans leurs colonies américaines : l'université de Harvard en 1636. Le cas des États-Unis est également paradigmatique de ce qui a été et est un empire prédateur, aux antipodes de l'Imperium Hispanico. Au XVIIe siècle, c'est la doctrine de la Destinée manifeste qui a guidé dans une large mesure l'élan colonialiste américain. Les protestants en général et les puritains en particulier qui sont arrivés sur le territoire des 13 colonies l'ont brandi comme un argument expansionniste. Selon eux, les nouveaux colons auraient été désignés par Dieu pour avoir, comme les Juifs avec la terre promise d'Israël, leur terre de promesse. La conquête de nouveaux territoires et l'enrichissement économique qui en découle seraient les signes du choix préalable que le Très-Haut en aurait fait ; dans la lignée, cette idée, des dogmes calvinistes qui, par ailleurs mais dans cette même lignée, ont tant contribué à l'apparition et à l'expansion ultérieures du capitalisme (une contribution, disions-nous, essentielle du calvinisme en particulier comme du protestantisme en général). Cette doctrine de la Destinée Manifeste a pris de nouveaux envols depuis la fin du 18ème siècle (avec l'indépendance des 13 colonies) et est arrivée jusqu'à nos jours avec la conviction que les Américains ont été choisis par la divinité pour exporter et implanter (par la force ou par la ruse) la démocratie dans le monde entier. Leur impérialisme repose donc sur le principe d'une souveraineté populaire (si chère à la démocratie) par laquelle le pouvoir n'est pas légitimé par le Haut (il n'a pas d'origine sacrée) mais par le Bas, par un démos qui un jour peut établir, par la moitié plus un des votes, que les valeurs à défendre sont certaines et le lendemain en choisir d'autres, brisant ainsi toute validité des Vérités et Valeurs éternelles qui ont toujours donné la stabilité aux sociétés traditionnelles et ont toujours été leurs points de référence supérieurs. Nous ne révélons aucune preuve qui n'est pas connue si nous dénonçons que derrière cet empressement "généreux" et "détaché" à étendre la démocratie à toute la planète, se cachent des intérêts économiques non dissimulés qui, dans leur avidité, n'ont aucune limite par rapport aux confins du monde.

"Les États ont déjà défenestré toute aspiration à constituer des unités politiques qui les dépassent et qui ont en vue un but élevé, parce que, au contraire, ils n'aspirent plus à restaurer l'Imperium. " Est-il encore possible de récupérer l'Imperium et la Tradition ?

La restauration de l'Ordre traditionnel et de sa forme impériale nous semble très compliquée étant donné les temps de dissolution que nous traversons dans tous les ordres, mais ce n'est pas un obstacle pour nous de soutenir qu'il n'est pas impossible que cela se produise. Le susdit Hésiode a écrit dans son œuvre Travaux et Jours que même dans les périodes de plus grande dispersion et de tribulations, il était possible de restaurer l'âge d'or dont parlait la mythologie grecque. L'homme n'est pas un être fatal, au destin irrévocablement écrit d'avance. Pour la Tradition, l'homme est libre de tracer son chemin, tant intérieur qu'extérieur, tout comme il chérit cette liberté qui peut lui permettre d'entreprendre un combat dont le but est de renverser le désordre ambiant et d'illuminer une nouvelle ère libérée des chaînes et des fardeaux lourds et aliénants que le monde moderne place depuis longtemps dans son empressement à bestialiser l'homme en l'amputant de sa dimension Transcendante.

Carlos X. Blanco, Eduard Alcántara et Robert Steuckers: Imperum, Eurasia, Hispanidad y Tradición. Letras Inquietas (juin 2021)

Pour commander l'ouvrage:

https://www.amazon.es/dp/B096HYCNL9?&linkCode=sl1&tag=microprensa-21&linkId=68b8bc9a4c1c22a214d7821626982eb5&language=es_ES&ref_=as_li_ss_tl

 

 

Luc-Olivier d’Algange: Notes sur l'Art sacré - L'Icône ou la vertu du paradoxe

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Luc-Olivier d’Algange

Notes sur l'Art sacré

L'Icône ou la vertu du paradoxe

Qu'est-ce que la Beauté ? Si l'on croit en une relativité générale des goûts et des valeurs, la question est dépourvue de sens. L'historicisme abonde extrêmement dans cette opinion qui veut à tout prix ôter de nos intelligences le pressentiment d'une clef de voûte. Tout, nous dit-on, est aléatoire, fugitif, le Vrai et le Beau n'ont ni essence, ni substance, livrés qu'ils sont au hasard des circonstances et des subjectivités. Telle est la doxa moderne: « Le message, c'est le médium », - la surface ne renvoie à rien d'autre qu'à elle-même, la forme est purement matérielle. Face à cette doxa dont la nature même est de devenir totalitaire, sans doute le moment est-il venu d'affirmer la vertu du paradoxe.

519WlWQKX2L._SX321_BO1,204,203,200_.jpgNous sommes quelques-uns uns à penser que la réalité est elle-même de nature paradoxale, que la nature du monde est une double nature. Au-delà de l'opinion, de la croyance, de la conviction, débute la seule véritable aventure spirituelle. Le Mystère religieux est le paradoxe suprême. Comment être à la fois homme et Dieu ? Se tenir au cœur de ce questionnement, c'est laisser s'approcher de soi le seuil de la beauté. Toute méditation sur la beauté naît d'un éloge du paradoxe. Dans la splendeur du Beau s'unissent les clartés intelligibles du Vrai et les flammes du pur amour. Alors que la doxa nous tient dans la dualitude de la croyance et de la non-croyance, l'expérience paradoxale de la déification nous fait tomber dans l'abîme de la clef de voûte du Très-Haut, - que les métaphysiques orientales nomment la non-dualité. La déification, la théosis, nous rappelle Jean Biès dans son beau livre Athos, la montagne transfigurée, est la fin dernière de l'être humain: « Les Pères en font la base, la raison d'être du christianisme, proclamant Dieu s'est fait homme pour que l'homme se fasse Dieu, avec d'innombrables variations sur le thème. Par sa philanthropie, Dieu devient homme afin que, par la grâce, l'homme devienne Dieu en réunissant dans son hypostase le divin et l'humain. Par sa naissance même, l'homme est un être qui tend à se dépasser, qui aspire vers tout autre que soi. Car il est consubstantiel à l'humanité du Christ, comme celui-ci l'est à la divinité du Père. Adage patristique: Dieu ne parle qu'aux dieux ».

Dans cette procession déifiante, les étapes sont des étapes de Beauté. Dans la perspective traditionnelle, qui est métaphysique et universelle, la Beauté n'est pas relative, hasardeuse, encore moins « matérielle ». La Beauté est l'empreinte, le sceau héraldique de l'invisible, qui n'est pas l'inconnu mais l'Intelligible. Dans la perspective métaphysique qui lui est propre, la Beauté advient dans l'irradiation d'une rencontre entre les mondes que séparent habituellement le Mal, la profanation, la veulerie ou l'habitude. La Beauté n'est pas aléatoire mais révélatrice, et tel est son divin paradoxe de montrer ce qu'elle voile et de dévoiler ce qu'elle révèle dans un seul geste. La méditation de la Beauté s'écarte ainsi du domaine un peu vague de la philosophie ou de l'esthétique pour entrer dans l'exactitude de la Gnose.

51wRpd9UHhL.jpgLa Gnose débute là où cessent les idées générales, les convictions, fussent-elles religieuses. Le sens de la Beauté révèle la beauté du Sens. Au sortir des ténèbres de l'insignifiance et de la laideur, qui sont, avec la brutalité, les caractères dominant du monde moderne, nous apercevons, écrit Jean Biès « ce que l'orthodoxie nomme l'éclat trisolaire et sans crépuscule de l'esprit, et l'Alchimie, la Rubedo ». La rubescence aurorale est le signe immanent du recommencement, - signe qui suppose, en ce monde, l'inscription transcendante du Symbole.

Alors que l'image moderne s'assujettit à l'objet, dans ce comble de l'idolâtrie et de l'aliénation qu'est le message publicitaire, l'image, dans la perspective métaphysique, est une pure émanation de la Présence. La différence entre le sacré et le profane est aussi simple et difficile à comprendre que la différence qui existe entre la Présence et la représentation. Quitter le monde profane, c'est quitter le monde des représentations pour entrer dans le monde de la présence. Ce que les kabbalistes nomment la descente sur nous de la Schekhina, correspond à l'effusion lumineuse du Paraclet. Ce qui est à jamais, ce qui est de tous temps, ce qui est par-delà tous les temps, dans l'exacte certitude du vif de l'Instant, c'est la Présence et la révélation de la Présence est la « clairière de l'être », pour reprendre la formule de Martin Heidegger. Etre dans la Présence, c'est quitter la fuite en avant des représentations qui s'abolissent les unes, les autres dans l'accélération de leur éloignement du Principe. L'être est l'éclaircie et le sens de la Présence est la lumière qui en émane.

Tout, dans l'image, se joue dans la lumière. L'image est un mode de révélation ou d'obstruction de la lumière, selon qu'elle invite à la Présence de l'être, qui est le site véritable de Prière, ou qu'elle nous emprisonne dans les représentations. L'icône est sans doute l'une des formes les plus accomplies de la révélation de la lumière à travers le visage, symbole de la sainteté de l'Autre dans sa rencontre avec le Même. Sainteté du visage, grandeur du regard, équanimité souveraine sur le seuil du plus grand péril, l'icône nous invite dans le silence bruissant du face à face, à reconnaître la douce clarté de la Présence. Enfin, nous sommes là, dans la clairière que le temps sacré dessine pour nous, non plus dans le ressassement du passé, avec ses ressentiments et ses griefs, non plus dans l'anticipation vaine et impie, mais au coeur.

107890383_o.jpgQu'est-ce que le péché contre l'Esprit, le seul irrémissible, si ce n'est être délibérément sans cœur ? Les terribles méfaits du monde moderne, ses aberrations meurtrières, ne proviennent-ils pas, pour l'essentiel, de l'exotérisme dominateur et des utopies sans charité qui sont autant de façon de déserter le cœur de la Présence, de choisir l'écorce et le futur ? L'Age Noir est bien l'âge des représentations meurtrières, soit qu'elles annihilent en nous le sens de la Beauté présente, soit qu'elles exigent que l'on tue pour elles. Entre la lumière et l'entendement, la représentation profane est un écran, alors que l'icône révèle en nous, lorsque nous nous abîmons dans sa contemplation, la lumière dont nous émanons: « Il n'était pas la lumière mais le témoin de la lumière. La lumière véritable qui illumine tout homme venait dans le monde. Elle était dans le monde et le monde existait par elle, et le monde ne l'a pas connue. » (Jean,I, 8-10)

Quelle est la provenance de la Lumière ? Au sens métaphysique, la lumière est elle-même primordiale, de même que toute primordialité est lumineuse. La Tradition primordiale se révèle par épiphanies, qui sont autant de signes de l'Intelligible dans le monde sensible. Dans le chapitre sur la lumière et la pluie, des Symboles fondamentaux de la Science sacrée, René Guénon souligne la connivence alchimique de l'eau et de la lumière. Des pluies lumineuses, invoquées par les Chamanes jusqu'à la rimbaldienne « mer allée avec le soleil », l'intelligence poétique sut toujours reconnaître, dans l'alliance de l'eau et de la lumière le Symbole par excellence. N'est-ce point par la médiation de l'eau que la lumière révèle les couleurs qui la composent ? La splendeur n'est-elle point l'œuvre de la surface des eaux lorsque l'éclat solaire s'y répercute ? Dans la tradition taoïste, l'épiphanie prend la forme de la rencontre nuptiale de la lumière et de l'eau. Ainsi que l'écrit Houai-nan Tseu: « Le Carré (la terre) préside au manifeste. Le manifeste est exhalaison de souffle, c'est pourquoi le feu est lumière extériorisée. Le caché est le souffle contenu; c'est pourquoi l'eau est lumière intériorisée. »

Or, tel est précisément le secret de l'icône: la rencontre par l'image, en elle, et au-delà d'elle, du feu de la lumière extériorisée, par les lignes et les ors, et de l'eau de la lumière intériorisée du regard. L'icône est une liturgie du regard. L'homme, face à l'icône est ravi par la dialogie subtile des prunelles. L'eau intériorisée du regard est l'infinie interprétation du feu de la lumière extériorisée de celui qui voit. Voir et être vu se confondent nuptialement en une seule opération de l'entendement. Cette opération outrepasse clairement le domaine de la mystique pour entrer dans celui de la Gnose, ou, plus exactement, de la métaphysique, au sens que René Guénon sut redonner à ce mot. L'image, conçue dans la perspective métaphysique donne lieu à une expérience intérieure où ce que les modernes, imbus de leurs caractères accidentels, nomment leur « subjectivité », n'a plus aucune part.

unnamedrgsfas.jpgPour prendre la mesure des possibilités d'éclaircissement intérieur de l'image, de ses vertus d'enseignement au sens prophétique, sans doute devrons-nous nous placer au cœur même de la question théologique, telle que surent la poser les mystiques rhénans, ainsi Maître Eckhart écrivant: « L’œil par lequel je vois Dieu et l'œil par lequel Dieu me voit sont un seul et même œil ». Le mystère de l'icône tient sa source dans le mystère de l'Incarnation. « Les sens affinés, écrit Paul Evdomikov, perçoivent sensiblement l'Insensible, ou mieux, le Transsensible. Le beau apparaît comme un éclat de la profondeur mystérieuse de l'être, de cette intériorité qui témoigne de la relation intime entre le corps et l'esprit. » L'icône nous est un enseignement sur la nature du monde et le secret du regard que le monde porte sur nous dans le silence de ses manifestations et que nous lui rendons dans la contemplation et dans l'oraison. « Dieu crée par la pensée, et la pensée devient œuvre » dit Jean Damascène. De même, écrit Paul Evdokimov, « pour Saint-Maxime, la nature sensible n'est pas matérialiste dans sa profondeur, elle est chargée des énergies et représente même une certaine condensation du monde spirituel et intelligible. On peut dire dans ce sens que la matière est l'épiphénomène de l'esprit. »

L'Art sacré nous invite à une vision iconologique du réel. L'icône est plus proche de la nature profonde du réel que ne l'est la réalité elle-même, emprisonnée dans ses représentations utilitaires. L'art « réaliste » est avant tout un art de l'illusion dont les mérites se limitent au savoir-faire de l'artiste. L'Art sacré, lui, donne accès, par l'amoureuse liturgie du regard, à la connaissance de la réalité, et, plus profondément encore, à la pensée qui donne naissance à la réalité. L'Art sacré nous porte à ce seuil de l'entendement divin où la pensée devient œuvre. C'est en ce sens que l'on peut dire que l'icône est plus proche de la pensée de Dieu que ne l'est la nature elle-même, pur épiphénomène de l'esprit. L'Art sacré, par l'oraison dialogique qu'il instaure au cœur le plus intérieur du réel, nous révèle la transparence du monde.

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Qu'est-ce que la transparence du monde ? Est-ce la destruction des surfaces, la triomphe de la lumière, l'abolissement de toute chose dans l'éclat ? Le mystère de l'Incarnation nous donne à penser la connaissance et le salut dans l'épreuve du temps. Mais épreuve ne signifie point soumission. L'Art sacré est là pour nous dire que le mystère de l'Incarnation transfigure la nature et la chair de l'intérieur. La glorification des corps débute par l'ensoleillement intérieur de la connaissance, de la Gnose: « L'éternité des créatures, précise Paul Evdokimov, n'est pas l'absence du temps, ni surtout notre temps tronqué de sa fin mais sa forme positive. C'est le temps dans lequel le passé est entièrement conservé et le présent ouvert sur l'infini des éons: c'est le Mémorial du Royaume, le fait de se référer et d'être totalement présent au regard de l'Eternel. »

Toute approche attentive et fervente d'une œuvre d'Art sacré établit le spectateur dans une autre temporalité où il cesse précisément d'être spectateur pour devenir le coauteur de l'œuvre qu'il contemple et dont la connaissance est sa propre connaissance autant que la connaissance du Tout-Autre. Si quelque incertitude subsiste quant à la distinction de l'Art sacré et de l'art profane, qu'il suffise de s'interroger sur la temporalité de la rencontre entre l'œuvre et la pensée. Certes, le motif religieux ne suffit pas à faire l'Art sacré, et l'absence apparente d'un symbolisme reconnaissable ne fait pas l'œuvre profane. Dans sa destination essentielle et son accomplissement, toute œuvre est sacrée, et l'on voit bien qu'un poème de Verlaine ou d'Apollinaire vaut bien, dans la charité du cœur et la justesse de la vision, toute la littérature dévote de ces deux derniers siècles, si imbue d'elle-même et si vaine ! L'image sacrée, du seul fait qu'elle nous délivre une véritable connaissance, universelle et métaphysique, change notre situation existentielle. Nous ne sommes plus un « moi » face à un « objet » mais le site miroitant d'un échange qui outrepasse toute condition. Ainsi, écrit Paul Evdokimov, « chaque instant peut s'ouvrir du dedans sur une autre dimension, ce qui nous fait vivre dans l'instant, dans le présent éternel. C'est le temps sacré ou liturgique. Sa participation à l'absolument différent change sa nature. L'éternité n'est ni avant, ni après le temps, elle est cette dimension sur laquelle le temps peut s'ouvrir. »

L'Art sacré est l'invitation faite à s'élever, à se retrouver dans la Chambre Haute, qui est le véritable lieu de la communion eucharistique. Ce qui est en Haut est au Cœur. Le fond du cœur est le point le plus haut de l'Intelligible que nous atteignons par l'intercession des Anges de la Présence. L'Art sacré est la Face de Dieu tournée vers le monde. Telles sont les prémisses élémentaires de toute compréhension de la science sacrée des Symboles: « Le Verbe, écrit René Guénon, le Logos, est à la fois Pensée et Parole: en soi Il est l'Intellect divin qui est le lieu des possibles; par rapport à nous, Il se manifeste et s'exprime par la Création où se réalisent dans l'existence actuelle certains de ces mêmes possibles qui, en tant qu'essence, sont contenues en lui de toute éternité. La Création est l'œuvre du Verbe; elle est aussi, et par là même, sa manifestation, son affirmation extérieure; et c'est pourquoi le monde est comme un langage divin pour ceux qui savent le comprendre. »

La coalescence, dans l'œuvre d'Art, de la vision et de l'Intellect, nous porte d'emblée sur l'orée où la nature et la Surnature, le monde physique et le monde métaphysique se rencontrent. Le monde, nous dit René Guénon, est un langage divin. La Création est l'œuvre du Verbe. L'Art sacré indique le site métaphysique de la compréhension du sens le plus profond de la Création. Ce que le monde des représentations, la « société du spectacle », pour reprendre l'expression pertinente de Guy Debord, nous interdit d'atteindre, c'est précisément le sens de la rencontre, le mystère de la communion des esprits. Monde de la séparation, diabolique si l'on en croit l'étymologie, le monde moderne apparaît comme une titanesque manœuvre de diversion opposée à la recherche du Vrai et du Beau, colonnes du Temple de la contemplation.

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La destruction de l'image par la publicité, la destruction du sens par l' « information », la destruction de la communion par la « communication » ne sont que des aspects de la destruction du Temps par la hâte frénétique des hommes à fuir ce qu'ils ont de meilleur en eux-mêmes. La destruction de la nature est la conséquence de l'incompréhension de la nature en tant que Symbole. Or, ce qui échappe à la connaissance devient ennemi. Comment le refus de la Gnose, - qui est connaissance amoureuse, - n'aurait-il pas pour effet la généralisation des inimitiés ? Ce monde étranger, ce monde incompréhensible, ce monde sans Dieu, ni âme du monde, ni intelligence agente, est ennemi. Les civilisations traditionnelles respectaient la nature sans l'idolâtrer car elles supposaient  une alliance métaphysique entre l'apparaître et la chose apparue « ... toute signification, écrit René Guénon, devant avoir à l'origine son fondement dans quelque convenance ou harmonie naturelle entre le signe et la chose signifiée ».

Le monde visible est Symbole du monde invisible, mais cette symbolisation demeure généralement inapparente et inintelligible. L'apparence et l'intelligibilité de la nature symbolique du réel sont littéralement l'œuvre de l'Art sacré et de la métaphysique. « Si le Verbe, écrit René Guénon, est Pensée à l'intérieur et Parole à l'extérieur, et si le monde est l'effet de la Parole divine proférée à l'origine des temps, la nature entière peut-être prise comme un symbole de la réalité surnaturelle. » C'est donc à la vertu professorale et prophétique de la parole extérieure que nous devrons d'atteindre à la Pensée intérieure des mondes, et c'est à partir de cette pensée que naissent les œuvres qui nous délivrent de l'ignorance et de la pesanteur. L'ignorance et la pesanteur séparent ce qu'il appartient au Symbole d'unir. « En grec, note Paul Evdokimov, les mots qui désignent le diable et le Symbole ont  la même racine, mais le diable sépare ce que le Symbole lie ».

La formule de Renan selon laquelle les hommes ont créé sur terre l'enfer auquel ils ne croyaient plus, trouve une puissante confirmation dans cette observation étymologique. Le diable, et donc l'enfer, s'installent là où le Symbole cesse d'être l'opérative jonction des rives visibles et invisibles. Les formes infernales que prennent les « exotérismes dominateurs » dans le monde moderne, n'ont pas d'autre explication. Mais ce qui est vrai dans l'ordre du politique ne l'est pas moins dans l'ordre individuel; notre vie ne cesse d'être dysharmonieuse que par un acte de remémoration liturgique, une anamnésis numineuse de l'être s'éclairant lui-même des tréfonds et des hauteurs de la Toute-Possibilité.

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L'anamnésis, le ressouvenir, précède dans la contemplation du Symbole, l'épiclèse, qui est l'invocation de l'Esprit. Le Symbole opère en nous la transmutation essentielle aussitôt que nous sommes saisis par la vague mémoriale. Tout dans l'accomplissement épiphanique de l'Art sacré se joue dans la remémoration de l'Invisible à partir du visible, du métaphysique à partir du physique. Rien, à dire vrai, n'est abstrait. Le Symbole n'est ni abstrait, ni abstracteur mais advenant. L'advenue de la lumière incréée sur la surface des eaux, la correspondance du ciel et de la terre, à laquelle nous faisions allusion plus haut à propos d'un texte taoïste, se retrouve dans la Jérusalem Céleste, et plus généralement dans le symbole de la nef. « Navire eschatologique, écrit Paul Evdokimov, la nef, surmontée de la forme sphérique de la coupole, synthétise l'union du cercle et du carré, mesure et chiffre du ciel et du Royaume. Le sanctuaire, dit Saint-Maxime, éclaire et dirige la nef et cette dernière devient son expression visible. Une telle relation restaure l'ordre, rétablit ce qui était au Paradis et sera dans le Royaume. »

L'Art sacré est une partance. Aller au-devant de l'œuvre, c'est conquérir le Grand-Large de la mémoire retrouvée, et l'envol, et la délivrance, et le véritable Salut dans la salutation angélique. Notre âme devient alors l'arche de Noé telle « un bateau lancé dans les espaces et se dirigeant vers l'orient ». Ce voyage vers le Soleil de Justice est le salut lui-même, non plus administrativement attribué, mais conquis: « chemin du salut qui mène à la cité des Saints et la terre des vivants où luit le Soleil sans déclin. »

L'Art sacré est un chemin de connaissance. L'arche de Noé des couleurs vibre dans l'âme de l'artiste dans le pressentiment de sa proche glorification. Celui qui peint et ce qui est peint est le Même, - non certes par l'aboutissement sinistre d'une considération narcissique mais par l'abolition du Moi, c'est à-dire l'abolition du pire servage, qui est celui qui nous enchaîne à la représentation que nous nous faisons de nous-mêmes.

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La lumière primordiale de l'icône témoigne de la primordialité de la Tradition qui est la mémoire profonde de toutes les formes religieuses. L'Art sacré émane de la lumière primordiale et ne peut-être compris que par elle. Aussi bien faut-il se rendre à l'évidence magnifique que le germe de cette lumière gît dans les tréfonds de nos propres obscurités innées ou acquises. J.Thomas dans un article sur le thème de la splendeur cite l'expérience du Lucius des Métamorphoses d'Apulée:  media nocte vidi solem coruscantem, « en pleine nuit je vis le soleil étinceler de lumière blanche » et comme en écho, ces vers d'Apollinaire:

     « Descendant des hauteurs où pense la lumière

      Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles

      L'avenir masqué flambe en traversant les cieux... »

L'expérience visionnaire de la poésie unit en un seul feu des expressions humaines que séparent les millénaires ! Au seuil du troisième d'entre eux, à compter selon la chronologie chrétienne, sans doute le moment est-il venu d'apprendre à réduire l'importance de l'historicité et du Temps lui-même dans l'approche de l'Art sacré. Par ses incursions dans le monde « imaginal », l'Art sacré se situe hors des contingences historiques, sur l'orée resplendissante de l'Idée. La philosophie néoplatonicienne, mieux que d'autres, sut livrer à notre compréhension la procession lumineuse de l'âme à travers l'expérience visionnaire, sans l'intelligence de laquelle l'Art sacré n'est rien d'autre qu'un art profane avec des motifs religieux. L'étude de l’ « évolution des techniques » se substitue, chez certains historiens de l'Art à l'approche des œuvres. Certes, il n'existe point de savoir qui soit totalement vain; il n'en demeure pas moins que la perspective historique est fort peu opportune pour éclairer des œuvres qui émanent d'une région qui échappe par définition aux vicissitudes du temps. L'idée même que certaines œuvres naissent d'une perspective métaphysique, et s'y reflètent dans la spéculation sans fin de leurs aspects, demeure aussi étrangère à la mentalité moderne que la théorie de la multiplicité des états de l'être.

Le refus radical de l'herméneutique, l'acharnement à maintenir dans une perspective qui n'est pas la sienne l'œuvre d'art, n'est sans doute rien d'autre que la forme extrême de ce que les bouddhistes nomment « l'attachement à l'ignorance » et qui n'est autre que passion de la discontinuité. « On détruit le réel, écrit Paul Evdokimov, en dissociant ses éléments, en suscitant des discontinuités infranchissables. Il ne reste plus à l'homme que la spiritualité de l'âme, foncièrement acosmique ou un moralisme de la volonté, qui l'une et l'autre lui interdisent l'atteinte transfigurante de la matière. » Le refus de l'herméneutique et de sa perspective métaphysique est une annihilation du regard, mais cette annihiliation n'est pas fatale. L’éthique héroïque oppose la création du regard à l'annihilation du regard. L'Art sacré et la poésie disposent du privilège d'éveiller le flamboiement intérieur des choses, de ressusciter le Logos enclos dans l'immanence de la nature. Les plus vastes embrasements naissent d'un secret « iota » philosophal qui se trouve souvent, sans que nous sachions le discerner, dans une extrême proximité. L'exigence sacerdotale de l'Art, sa vertu pontificale, ou diplomatique, de passage entre les mondes renaît de la profanation elle-même par la simple perception de la Présence. « La liturgie nous enseigne, écrit P. Evdokimov, aujourd'hui plus qu'hier que l'Art se décompose non parce qu'il est enfant de son siècle mais parce qu’il est réfractaire à ses fonctions sacerdotales: faire l'art théophanique, au cœur des espérances trompées et enterrées, poser l'icône, l'Ange de la Présence en robe bariolée de toutes les couleurs, Beauté sophianique de l'Eglise. Son visage est humain; d'une part c'est la Sainte Face du Dieu-homme et, d'autre part, c'est la Femme habillée de soleil, Joie de toutes les joies, celle qui combat toute tristesse et ruisselle de tendresse sans déclin. »

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Paul Evdokimov.

Alors que l'art moderne se voue à l'apologie du support ou de la conception insolite et s'efforce laborieusement de réduire par tous les moyens l'œuvre d'art à sa nature d'objet, et, par voie de conséquence, de marchandise, l'Art sacré est une tentative de réconcilier les mondes, de réinventer une communion des âmes dans le creuset d'une supra-temporalité conquise de haute-lutte. Les récentes polémiques autour de certaines formes d'Art contemporain ont montré à quel point l'Art, aussi marginal et dérisoire soit-il rendu demeure un enjeu décisif. Le discours sur l'Art, quoiqu'il en semble, engage l'essentiel du sens de la destination humaine. Les deux grandes possibilités de l'œuvre d'art, la fascination et la communion, s'affrontent dans les œuvres et dans le discours critique avec une virulence jamais atteinte. L'histoire de l'Art, telle qu'on l'enseigne, et qui est de toutes les historiographies l'une des plus falsifiées, est avant tout l'expression de l'idéologie dominante du moment. A une société dominée par la caste marchande correspond la théorie de l'œuvre d'art en tant qu'objet de tractations commerciales. L'acharnement du Moderne à défendre un art-objet, c'est-à-dire un art réduit à son support et à sa surface, correspond à l'acharnement du vendeur à défendre son fond de commerce. Il n'en demeure pas moins légitime de défendre une Idée de l'Art, qui échappe à la fois à la réification marchande et à la représentation publicitaire, mais cette légitimité rencontre, et nous sommes bien placés pour le savoir, une permanente mise-en-cause au nom de la morale.

Le monde moderne est le plus moralisateur qui soit car ayant perdu le sens du Beau et du Vrai, il s'attache éperdument à un « Bien » dont il fait une idole et qu'il sert avec inhumanité. La sacralité de l'Art est, dans le monde moderne, une notion scandaleuse. Tout chez l'artiste « moderne » doit aboutir à la profanation, à la démystification, à la négation des idées d'inspiration et d'intelligence divine. Tout doit ramener l'art au travail et au négoce, placé sous l'égide d'une vantardise et d'une fatuité sans limite. Le règne de la Quantité dont parle René Guénon est aussi le règne de la platitude. Le monde de l'Art profané est un monde plat. La dimension de la Hauteur et de la Profondeur lui fait défaut. Or tout, dans la création artistique, se joue dans le Symbolisme de la croix. Le livre de René Guénon, ainsi intitulé, et son complément, Les Etats multiples de l'Etre, donnent la vue à la fois ascendante et plongeante nécessaire à la révélation du site réconciliateur de la Beauté.

"Qu'une ligne horizontale, partie de n'importe quel point de l'espace rencontre une ligne verticale partie de n'importe quel autre point, écrit Jean Biès, voilà une possibilité de télescopage qui avait une chance sur des milliards de se produire dans l'immensité sidérale. Or, c'est ce qui s'est un jour produit, quand, au regard de l'homme a surgi la figure de la croix: la plus simple, la plus élémentaire qui soit, et pourtant la plus lourde et révélatrice de la gnose paradoxale. Noces de la terre et du ciel, le miracle des miracles est là: qu'une horizontale épouse une verticale et par là réussisse la première conciliation d'opposés, - véritable défi lancé à l'unilatéralité du rationalisme dualiste."

Le_symbolisme_de_la_croix.jpgUnilatérale: telle est bien la mentalité moderne qui s'efforce de restreindre autant que faire se peut le champ de la vision humaine. Ne rien voir, ne rien comprendre, c'est à cette fin que se multiplient les images sur les écrans. Comprendre l'exigence de l'Art sacré, entrer en résonance avec lui, c'est entrer dans la gnose paradoxale de la déification. Cette gnose outrepasse la forme religieuse, - et comment ne pas voir, par exemple, que dans son éclairage propre, l'œuvre de Cézanne est plus immédiatement « théocentrique » que les innombrables « saint-sulpiceries » catholiques ou « New-Age » qui dilapident le Symbolisme religieux au lieu d'en centrer l'entendement, comme le fait Cézanne, par un renversement herméneutique sur le cosmos, vu de l'intérieur de la lumière.

L'Art sacré n'est pas un art, appliqué à des motifs sacrés et dont le « sacré » serait pour ainsi dire ajouté à l'Art. L'Art sacré se laisse comprendre, au sens platonicien,  par la clef de voûte de l'Idée. L'Art n'est sacré que parce qu’il est une émanation du Sacré. Ce n'est point le Sacré qui qualifie l'Art mais l'Art qui est qualifié par le Sacré, dans un sens beaucoup plus métaphysique que grammatical, encore que la métaphysique et la grammaire fussent unis par des liens impérieux, l'Art n'est ainsi qu'une réverbération humainement perceptible du Sacré. Telle est la gnose paradoxale: à la fois en marge de la doxa, de la croyance et de l'opinion communes et science des orées et des seuils. L'œuvre naît de la Gnose et nous délivre le secret du site paradoxal de la vision la plus haute et la plus profonde.

« Dieu lui-même, écrit Jean Biès, est à la fois Essence et Suressence; sa ténèbre est plus que lumineuse: elle est lumière plus que lumière, ténébreuse par excès d'éclat; et elle est obscurité la plus noire, parce qu'au-delà de toute lumière. Elle est en outre Tenèbre plus que lumineuse du Silence, - admirable synesthésie métaphysique qui marie la vue et l'ouïe ! ». L'Art sacré est la signature ici-bas de cette gnose ténébreuse-lumineuse, synesthésique, où toute méditation symbolique invite à se retrouver « dans une âme et un corps », selon la formule abellienne, par l'appel aux splendeurs supra-sensibles de l'Esprit ! L'Art sacré, à la différence de l'Art profane, est toujours une manifestation du Logos et l'image qu'il donne de la réalité sensible et intelligible est issue d'un plan de la réalité plus profond et plus directement relié au Verbe dont la Création, dans ses innombrables aspects, témoigne.

« Dans le divers, écrit Maxime le Confesseur, est caché Celui qui est un, dans ce qui est composé, Celui qui est parfaitement simple, dans ce qui a commencé un jour, Celui qui n'a pas de commencement, dans le visible, Celui qui est invisible, dans le tangible, Celui qui est intangible. » Le devenir de toute métaphore esthétique s'incline sous l'impérieuse évidence du Logos. « En chaque chose créée, écrit Jean Biès, se dit et se tait le Logos ». L'image naît du Logos et la sacralité de l'Art témoigne de sa filiation. Si la parole humaine témoigne de la majesté du silence, le silence lui-même est le témoin du Logos glorieux. Toute la différence entre le pouvoir profane et fascinateur des images et l'Autorité de l'Art sacré tient entre le silence imposé et le silence conquis. L'image fascinatrice nous réduit au silence. L'icône, elle, nous laisse conquérir le Grand-Large du silence face au Logos.

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L'essentiel du message de l'Art sacré est compris lorsque le Soleil-Logos embrase la silencieuse surface des eaux. Dans l'instant paradoxal du calme hauturier c'est l'eau qui fait silence et le soleil qui résonne. Tel est le mystère de l'Apparaître. Nul ne peut le connaître en son entièreté mais chacun est un jour nommé par ce mystère pour y inscrire son nom secret. Toute œuvre est œuvre de connaissance: voyez ces grandes vagues d'anamnésis avec leurs écumes scintillantes, lorsque le soleil redevient silence et l'eau, musique ! Lorsqu'elles tombent sur vous, c'est pour vous abolir dans la recouvrance d'une nudité lustrale. Le Soi ruisselant, glorieux, surgit de la disparition du Moi, cette gangue d'inné et d'acquis, misérable représentation que les idéologies profanes prétendent seule existante dans l'enténèbrement de la Présence.

L'Art sacré est un art opératif. Il ne suppose pas un spectateur, même avisé, mais un acteur. L'Art sacré se réalise non dans l'objet mais dans l'opération transfiguratrice de l'entendement. L'œuvre est ouvrante. L'œuvre, à la différence d'un « travail » poursuit son mouvement au-delà de la forme qui lui est assignée. Dans l'Œuvre, le sens n'est pas immanent à la forme car la forme manifeste la vertu du paradoxe. Ce qui est dit est à la fois là et ailleurs, par sa forme et dans la transcendance de la forme. L'Art moderne qui se veut « travail des formes et des couleurs » n'est rien d'autre que la répudiation du paradoxe, le refus de s'engager dans la complexité du réel. Réduire l'Art au « travail » et l’œuvre à l'objet, c'est refuser l'expérience dialogique, nier la science des orées et des seuils et tenter ainsi d'enfermer l'homme dans l'immanence totalitaire. A cette tentation, si grandes sont les séductions du confort intellectuel, le monde moderne céda plus que de raison, entraînant le rationalisme lui-même dans l'apologie déraisonnable d'un « tout » que rien ne peut transcender. L'Art sacré n'en persiste pas moins à apporter son magnifique démenti aux règnes de l'uniformité et de la Quantité. Qualifiant le temps et l'espace, ouvrant d'un geste magnanime le champ des possibles et des nuances, l'Art sacré nous sauve à la fois de l'hybris et du nihilisme, de la tentation d'être tout et de n'être rien, en jetant dans nos tumultes et nos outrances l'échelle du vent des Symboles. Tout honneur désormais sera dans le pressentiment qui nous délivre de la pesanteur.

Luc-Olivier d'Algange.

vendredi, 28 mai 2021

La Troisième Rome et le « Culte de la Victoire »

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La Troisième Rome et le « Culte de la Victoire »

par Vladimir Karpets

Aujourd’hui, nous pouvons parler ouvertement de développer une « religion civique » en Russie, le « culte de la Victoire », en la combinant avec une « nouvelle idéologie nationale », qui est en gestation depuis longtemps. De plus, pour quelques « nouveaux étatistes » et pour une partie des communistes, incluant le contexte plus large des « soviets », de l’« URSS-2 », etc., c’est presque le salut, alors que pour d’autres, particulièrement les libéraux et les « petits-nationalistes », et même les « régionalistes » (ou séparatistes, si vous préférez), cela cause une tempête d’émotions. La sympathie pour notre armée et opposants politiques de la dernière guerre mondiale unit une variété de groupes : des libéraux aux nazis russes, des oligarques juifs aux antisémites quasi-déments. Malheureusement, certains membres du dénommé « spectre blanc » s’y sont joints, et à notre avis, n’ont fait que pousser les Russes à se détourner de la « cause blanche », d’une sympathie qui était plus répandue au début des années 90. Il faut noter que cela ne concerne pas « le fascisme et l’antifascisme » de l’idéologie nationale-socialiste (c’est une question particulière), mais surtout la campagne militaire de l’Allemagne dans les années 40.

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Cependant, le « culte de la Victoire » existe manifestement, et certains pensent qu’il a remplacé (même dans l’Union Soviétique) le « culte de la révolution ». D’autres, au contraire, pensent qu’en le renforçant, nous perpétuons notre « héritage soviétique », rendant le « culte d’Octobre » irrévocable. En tous cas, nous ne portons pas de jugement: que chacun tire ses propres conclusions. Le sens est important, et nous devons commencer par le concept de « religion civique ». N’importe laquelle, mais pas celle-ci… Littéralement, le « citoyen » est un « bourgeois », un simple résident d’une ville. Donc, un paysan ou un militaire n’est pas un citoyen. Un Russe n’est pas un « citoyen », un « monsieur », un « ami » - il peut tout être, même un « cher » ou un « bon homme ». Mais pas un « citoyen ». Un « citoyen » est un « chef » ou un « enquêteur ».

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Nous devrions prendre cela en compte. Ni la « société civile » ni la « religion civique » ne viennent « de chez nous ». Mais de quoi s’agit-il ? Et quel lien cela a-t-il avec l’Orthodoxie ?

En fait, la Troisième Rome, qui fut nommée aux XVIe/XVIIe siècles (par le Métropolite Zosime à Philothée de Pskov) en relation avec l’héritage de la Nouvelle (Seconde) Rome, l’« Empire des Romains » chrétien (l’empire byzantin) après la chute de l’Empire russe et de l’URSS « athée », légitimise soudain l’héritage de l’Ancienne (Première) Rome avec la Rome préchrétienne et partiellement le début de la Rome chrétienne, ce qui est clairement « spontané ».

Comme nous le savons, l’ancienne Rome avait des cultes religieux parallèles (c’est-à-dire associés à l’Autre monde), qui comportaient un hommage à l’empereur en tant que Pontifex Maximus, le plus grand constructeur-de-pont. L’adoration du « génie de l’Empereur », c’est-à-dire l’« esprit gardien », était accomplie en brûlant de l’encens à coté de sa statue. Nous devons noter que l’encens était brûlé mais qu’il n’y avait pas de sacrifice (et surtout pas de sacrifice humain), ainsi qu’on le suppose parfois, et pas à l’Empereur lui-même mais seulement à son « génie ». Cela n’a rien en commun avec la forme originelle du vrai « paganisme » ontologique, c’est-à-dire les sacrifices humains. En fait, c’est tout à fait différent de ce qui était pratiqué par les plus anciens prêtres et rois (mais pas par tous).

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Le véritable « culte de la Victoire » était lié à ce culte qui, en fait, « changea de visage ». L’Autel de la Victoire qui était situé dans le bâtiment du Sénat (la Curie) incluait une statue en or de la Victoire avec des ailes et tenant la couronne de lauriers du vainqueur dans une main. Elle fut placée ici par Octave en 29 av. J.C. L’autel fut enlevé de la Curie par l’Empereur Constantin II en 357, y fut replacé par Julien l’Apostat, puis à nouveau enlevé par Gratien en 382. Cela fut suivi par des changements radicaux. En 381, l’Empereur Théodose le Grand (qui était le co-souverain à cette époque) adopta une loi privant les apostats chrétiens de tous leurs droits civiques. En 382, Gratien refusa de porter le titre de Pontifex Maximus. Après la mort de Gratien, le préfet de Rome Quintus Aurelius Symmachus demanda à plusieurs reprises à Valentinien II de restaurer l’autel. Ses demandes soulevèrent une forte opposition de la part de Saint Ambroise, et Symmachus dit que la destruction de l’Autel de la Victoire était une barbarie injustifiée. Cet autel était « la garantie d’un accord général et de la loyauté de chacun » ; il était le gardien de la gloire de Rome et de la moralité romaine. Toutes les autres demandes pour restaurer l’autel furent rejetées, mais il fut restauré par l’usurpateur Eugène durant son bref règne en 392-394, puis il fut définitivement enlevé du bâtiment du Sénat. Son sort ultérieur est inconnu.

C’était plutôt une cérémonie symbolique, pas un culte ; du moins, nous n’avons aucune information sur de véritables « mises à mort et résurrections » ou à d’autres cultes romains durant cette époque. Si elles étaient réelles, nous en aurions quelques indications. Les sophistes et Socrate ont vécu bien longtemps avant cela, et pourtant les mystères sacrés ont apparemment tout préservé.

En fait, l’Union Soviétique avait à peu près la même chose. En même temps, la nature du culte est la chose importante, et voyons maintenant comment ses participants l’expliquent. Si la victoire soviétique de 1945 fut expliquée par l’invincibilité de l’idéologie communiste ou du « patriotisme du peuple soviétique » (parfois, Staline disait « des Russes »), après le rejet de l’aspect « soviétique », et spécialement après l’effondrement de l’URSS, le renouveau de la mémoire de l’aspect spirituel de la Victoire et le renouveau par Staline de la position de l’Eglise russe et le lien entre la prière des croyants et la victoire militaire commencèrent. Cela s’est conservé, et c’est très bien. De plus, c’est la position de l’Eglise qui était partiellement légitimée et qui légitime encore le pouvoir soviétique pour de nombreux croyants orthodoxes, contribuant ironiquement au « bloc des communistes et des non-membres du Parti » (bien qu’aujourd’hui les deux ont d’une certaine manière échangé leur place: la minorité communiste n’est pas au pouvoir).

Nous devons être honnêtes. Personnellement, j’ai clairement une attitude orthodoxe envers la « Grande Victoire » et je peux voir que tout le monde ne voit pas les choses de cette manière, et je ne parle pas de la « classe créative » et de l’opposition délibérée, mais de la « majorité morale », de la « majorité soviétique », qui a généralement conservé la vision-du-monde « soviétique ». Pour beaucoup d’entre eux, toute révision de la vision soviétique est vue comme une trahison. Il y a beaucoup de gens qui ont cette opinion, et bien sûr, ils ont raison de leur point de vue.

Pendant les années d’anarchie, les libéraux réussirent à discréditer tout ce qui était « non-soviétique ». Ceux pour qui la « marque URSS » s’était transformée en fonds de commerce politique spéculent là-dessus (c’est un phénomène nouveau, mais très caractéristique). Il y a ceux qui ne peuvent pas « accepter » les tragiques antinomies de l’Ancien Testament dans le christianisme, et qui s’orientent donc vers un « nouveau paganisme ». Il y a ceux qui ne sont pas prêts à accepter la base ascétique de l’Eglise et qui remarquent donc avec enthousiasme que les croyants orthodoxes ne la respectent pas, particulièrement les prêtres. Et il y a les simples incroyants (bien que cela soit une illusion). Mais le fait demeure : la « minorité immorale » veut surtout que la « majorité morale » entre en conflit avec l’Eglise. La dernière tentative sérieuse fut faite sous Khrouchtchev, et s’il était resté au pouvoir, elle aurait probablement été victorieuse. Khrouchtchev, contrairement aux « intellectuels athées des années 1920 », misait sur les « gens ordinaires ». Il ne faut pas se faire d’illusions ici.

En général, la situation avec le « culte de la Victoire » rappelle la période entre les règnes de St. Constantin le Grand (306-337) et de St. Théodose le Grand (379-384, co-souverain avec Gratien, –395), le dernier souverain de l’Empire non-divisé. Il fut le premier de tous les empereurs romains à ne pas se faire appeler Pontifex Maximus, et l’empire s’effondra sous son règne. Sans remettre en question la sainteté de St. Ambroise (qui ne dépend pas de sa position politique, mais de ses réussites et de ses dons spirituels), nous pouvons nous demander: Symmaque avait-il politiquement raison, même historiquement? En tous cas, c’est ainsi que cela se passa, et la Nouvelle (Seconde) Rome, entièrement basée sur un christianisme strict, exista pendant plus de mille ans, la durée maximale pour un empire, d’après la théorie des cycles historiques. Et cela sans le culte de la Victoire.

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Le fameux article « L’Empire et le Désert » de l’archiprêtre Giorgy Florovsky fut écrit du point de vue d’un « homme de l’Eglise », l’Ecclesia, et non de l’Empire. Il écrit : « le monachisme n’était pas considéré originellement comme une voie pour des hommes particuliers, mais plutôt comme une application cohérente des vœux chrétiens universaux et obligatoires. Parmi tous les compromis historiques, c’était un appel et un rappel puissant. Mais le pire compromis apparut quand le monachisme fut réinterprété comme une voie exceptionnelle. Non seulement la société chrétienne fut divisée en “religieux” et en “laïcs”, mais l’idéal chrétien lui-même fut rejeté, ce qui introduisit une distinction insidieuse entre “essentiel” et “mineur”, “obligatoire” et “optionnel”, entre “règle” et “conseil”. En fait, toutes les “règles” chrétiennes sont des conseils, et tous les “conseils” sont obligatoires. L’esprit de compromis s’introduit dans la réalité chrétienne, quand “bon” à la place de “meilleur” est officiellement permis et même encouragé. Ce compromis est peut-être presque inévitable, mais il doit être honnêtement reconnu comme un compromis ».

Florovsky, dont le parcours est très caractéristique, commença ses œuvres scientifiques et littéraires en tant que patriote orthodoxe russe et membre du mouvement eurasiste, et termina sa vie en œcuméniste convaincu et en partisan de la politique US. Le lien épistémologique entre l’« Empire » et le « désert » est facilement visible dans son cas. Florovsky était un partisan du « Christianisme raffiné » et n’aimait pas l’idée d’Empire. D’une manière générale, c’est une position « judéo-chrétienne » et pas « helléno-chrétienne », bien que l’archiprêtre Georgy était ethniquement russe.

C’est la position de la « justesse destructrice ». On peut reconnaître la justesse de la vision de l’archiprêtre Georgy. L’Empire était un compromis, spécialement dans des questions importantes comme le mariage, la vie de famille, et l’ascétisme. Il y a de nombreuses indications historiques que la persécution des chrétiens ne fut pas associée au refus de « brûler de l’encens » en hommage à l’Empereur, mais au refus (spécialement de la part des femmes chrétiennes) d’une vie sexuelle, incluant le mariage, ce qui causa l’irritation de la foule romaine. Oui, quand l’Empire refusa d’accepter cela, une grande partie des évêques accepta l’impératif du mariage du corps « pour le bien du monde », puisque « le sel commençait à perdre de son pouvoir ». Mais le contraire est vrai aussi, à savoir la « pratique religieuse »  régulière et l’« ascétisation » de l’Empire. La transformation complète en église, avec toutes ses conséquences, aurait signifié son autodestruction. La position juste de Florovsky est morte, et même sacrifiée. Non seulement un « compromis » était nécessaire, mais aussi une  « justification du compromis ». De même qu’au temps de l’URSS, il y avait besoin d’une justification du « compromis de Souslov » entre le socialisme « révolutionnaire » et le socialisme « réel », et peu de gens à part Souslov comprenaient cette « dialectique défensive ». Maintenant cela ne compte plus : il n’y a plus d’Union Soviétique, et le « marxisme-léninisme » est mort. Mais la combinaison du « chrétien » et du « pas trop chrétien » dans la société russe moderne est extrêmement importante.

En fait, cela revient en fin de compte à la relation entre « Rome et Jérusalem ».

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Il y eut des tentatives de construire la Nouvelle Jérusalem à l’intérieur de Moscou : le Palais de l’Opritchina d’Ivan le Terrible. La foudre l’incendia, mais personne ne fut brûlé. Le Tsar comprit (il comprenait toujours tout) que la construction devait être stoppée. Boris Godounov voulut reconstruire le Kremlin en accord avec l’image de Jérusalem; le sort de Moscou durant le Temps des Troubles est bien connu. Le patriarche Nikon le construisit près de Moscou, mais pas à Moscou. La situation fut compliquée par la réforme désastreuse, incluant la « réforme du Livre » – elle eut bien lieu, mais le monastère fut construit quand même.

Dans le contexte soviétique laïc, « inférieur », nous pouvons réduire le problème aux concepts de compromis d’une part, et d’utopie d’autre part. Durant les années soviétiques, peu avant la fin de l’Union Soviétique, le même utopisme (bien que différemment interprété) apparut dans les appels à « faire de Moscou une ville communiste modèle » (ironiquement, selon Florovsky).

Nous devons revenir directement au culte. La liturgie orthodoxe est claire maintenant. « Le culte de la Victoire », tel qu’il existait à Rome, n’était pas vraiment religieux. S’il en avait quelques éléments (brûler de l’encens, comme un écho du sacrifice des victimes), nous n’en avons aucun. Le « culte de la Victoire » est stérile. Oui, le « culte de la Victoire » est une sorte de religion (un lien entre les gens de ce monde et de l’Autre monde) de la « majorité morale » nationale-soviétique, qui continue à être soviétique (sans porter de jugement), en dépit de la « minorité créative et immorale ».

Mais, à la différence du vieux christianisme romain et du vieux « paganisme » romain, l’Orthodoxie et le « culte de la Victoire » dans l’actuelle période de transition de la « Nouvelle Russie » ne se contredisent pas, comme aujourd’hui dans la controverse entre l’Orthodoxie et, par exemple, le « nouveau paganisme ». Ce dernier aspire en fin de compte à remplacer le christianisme dans la vie du peuple russe. De plus, il est prêt à devenir une alternative à l’Europe postchrétienne libertarienne. Mais le « culte de la Victoire » n’a pas de telles intentions. C’est une forme largement spontanée de « sentiment populaire » qui ne coïncide pas complètement avec l’esprit de l’Eglise, mais qui ne le contredit pas non plus.

Le « culte de la Victoire », qui s’est graduellement développé en Union Soviétique non sans l’appui de cercles militaires influents, n’a jamais été anti-orthodoxe (comme l’« athéisme scientifique ») ni désireux de « brûler de l’encens à des idoles ». Nous pouvons voir l’anti-Orthodoxie dans d’autres fêtes soviétiques comme le 7 novembre, le 1er mai (la « Nuit de Walpurgis »), et le 8 mars, mais pas le 9 mai (bien que la guerre se soit terminée le 6 mai en souvenir de St. Georges). Le service de mémorial de l’Eglise le Jour de la Victoire n’est pas opposé à l’Etat ou à la compréhension purement impériale de celui-ci sans affecter le communisme ou le marxisme, étant en même temps dans une « zone de l’Année » avec la Radonitsa [le « Jour de la Joie », la commémoration des défunts, dans le calendrier orthodoxe, NDT] et le samedi de la Trinité. Cela devient plus évident de nos jours. Oui, c’est la Nouvelle Jérusalem à l’intérieur des frontières de la Troisième Rome. Pas séparée, mais pas fusionnée. Cela reflète en fait la manière dont le Patriarche Nikon construisit son projet près de Moscou.

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En même temps, nous avons reçu une réponse directe à la question cachée. L’année dernière, le Jour de la Victoire nous a montrés exactement ce qu’il devait être. Nous parlons de l’apparition, en fait, du Régiment Immortel.

Les morts sont venus. En personne. Directement et immédiatement.

Ils sont venus après que le requiem et le lithium aient été prononcés. Ils sont venus, ont assisté à toutes les prières ici et là, invisibles. Ils sont venus vers chacun de nous : vous, lui, et elle, dans les rues de nos villes. Vers ceux qui ont foi en Dieu, et vers ceux qui pensent qu’il ne croit pas en eux. C’est aussi vrai que pour ceux qui pensent qu’ils ne croient pas en Dieu, mais qui croient tout de mème en lui, comme c’était le cas à l’époque soviétique, sous l’apparence du « Il n’y a pas de Dieu ».

L’athéisme soviétique, russe en fait, était la théologie apophatique de la Sainte Russie. La vie apophatique soviétique est « la manière dont l’acier fut trempé », et la théologie apophatique soviétique est la « Terre » de Dovzhenko : « notre terre noire » sur laquelle ils dansent.

Mais il n’y a pas de retour vers cet athéisme. Plus probablement, c’était la seule épiphanie dans son genre. L’athéisme d’aujourd’hui, même celui de Nevzorov, qui est russe, que cela lui plaise ou non (il est « le héros de Dostoïevski » qu’on peut parfaitement voir « sans rayons X »), n’est pas l’athéisme de l’Union Soviétique mais se dirige à toute vapeur vers l’Occident légal libertarien. Mais c’est la « seconde mort », et pas celle de Pavel Korchagin.

Les morts russes rendent visite aux vivants russes, pratiquants ou non, justes ou pécheurs ! Le Jour de la Victoire russe.

Ainsi, nous pouvons tirer des conclusions politico-historiques.

Le Jour de la Victoire est une célébration de la victoire, ou plutôt des victoires du passé et du futur, de tout le monde russo-slave, en Eurasie, contre l’Europe Unie – depuis l’usurpation de l’Empire carolingien jusqu’à l’(inévitable) Union Européenne. Oui, l’image historique de la victoire fut faite à partir de la victoire sur Hitler. Mais plus sérieusement, cela n’a aucun rapport avec le combat entre les deux « idéologies de la modernité », le fascisme et le communisme. Pour être plus précis, ceux-ci représentent une réalité complètement différente, et aujourd’hui cela apparaît de plus en plus. Ceux qui parlent de fascisme et de communisme concernant le Jour de la Victoire se trompent ou trompent les autres, même inconsciemment.

La corrélation entre l’Orthodoxie et le culte de la Victoire représente la situation réelle. En participant au « Régiment Immortel » de l’an dernier, qui unissait les vivants et les morts, les orthodoxes, les musulmans, les bouddhistes, les « nouveaux païens » et tous les autres, incluant bien sûr les athées (dont on ne discutera pas maintenant), le Chef de l’Etat, le Dirigeant Suprême – qu’il ait des pouvoirs limités ou soit idéalement le Tsar, l’Empereur – se révélait ici et maintenant comme étant le Pontifex Maximus de l’Ancienne Rome. Après tout, d’une façon ou d’une autre, le « Régiment Immortel », incluant « nos morts », est en fait d’une nature religieuse.

Poutine a bien fait les choses. Lorsqu’on lui suggéra de célébrer le Jour de la Victoire comme une fête orthodoxe, il dit « non », mais ajouta immédiatement qu’il était un croyant orthodoxe. Ainsi, il montrait la distance les séparant. En coupant court à toute autre discussion sur ces questions, il disait silencieusement que nous ne devions pas nous presser, car il n’est pas le Tsar, et qu’il n’y a pas encore de Tsar. Sous un Tsar, tout serait différent. Après tout, « Poutine » vient du mot russe « put’ », signifiant « la voie » ou « le chemin ».

Mais même sous le Tsar, la symphonie moderne de l’Eglise et de l’Etat ne peut pas être très différente de l’ancienne, qu’elle soit romaine ou russe. Le retour à un « mécanisme de foi » étatique est impossible. Interdire le blasphème et la propagande antichrétienne est impossible. Il n’y a pas d’« Inquisition de la confession ».

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La foi est approuvée par le Tsar et par le Tsar. Les gens sont renforcés dans leur foi en regardant le Tsar, sa femme, et leurs enfants. Mais pour l’instant, il est trop tôt pour parler de cela. Le Tsar n’est pas encore apparu.

Cependant, la participation du Chef de l’Etat au « Régiment Immortel » et, en fait, le fait qu’il le dirige – avec le rang de colonel ! – est le premier pas vers un retour à la légitimité du gouvernement russe pour la première fois depuis février et mars 1917. Ce sont les premiers pas vers la restauration de la légitimité multilatérale de l’Etat – sa cristallisation, sa symphonie, sa synergie.

Eschatologie du conflit russo-turc

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Eschatologie du conflit russo-turc

Netwars

Euro Continentalism

Solidarité orthodoxe

Le 26 novembre 2015 dans le centre d’Athènes, des protestataires ont brûlé les drapeaux US et turc lors d’une manifestation pro-russe. Une manifestation similaire a eu lieu en Bulgarie. Les deux pays sont des voisins et des adversaires historiques de la Turquie, et sont peuplés principalement par des coreligionnaires de la Russie.

Les récents événements du Moyen-Orient ont accru les sentiments antiturcs parmi les peuples orthodoxes chrétiens à l’intérieur de l’espace byzantin : Grecs, Serbes, Bulgares et Roumains. Les tensions croissantes ont conduit beaucoup de gens dans la région et dans d’autres pays orthodoxes chrétiens, incluant la Russie, à se référer aux prophéties des Saints orthodoxes sur la guerre entre la Russie et la Turquie.

Prophéties orthodoxes

Le Père Paisius du Mt. Athos et beaucoup d’autres Saints orthodoxes, incluant Saint Cosmas d’Etolie, ont prophétisé que l’Istanbul moderne redeviendra un jour orthodoxe, et très  probablement à l’intérieur de notre temps de vie. Selon la prophétie, la Turquie mènera une guerre contre la Russie, et sera vaincue et démembrée.

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D’après Saint Paisius, dans la guerre entre la Russie et la Turquie, les Turcs croiront d’abord qu’ils sont en train de gagner, mais cela conduira à leur destruction. Les Russes, pour finir, gagneront et s’empareront de Constantinople. Après cela, elle sera donnée à la Grèce.

Les saints prédisent qu’un tiers des Turcs repartiront d’où ils sont venus, des profondeurs de la Turquie. Un autre tiers sera sauvé parce qu’ils deviendront chrétiens, et le dernier tiers sera tué dans cette guerre.

La prophétie la plus importante qui circule, et qui peut le plus facilement être justifiée en ce moment, est que la Turquie sera disséquée en trois ou quatre parties, et que l’une des parties appartiendra à un Kurdistan indépendant.

La position des islamistes radicaux

Du point de vue des radicaux sunnites, les récents événements seront suivis par la Grande Guerre, où la Russie combattra les musulmans et représentera la force de Dadjal (l’Antéchrist).

Ils soutiennent le président islamique turc Erdogan dans sa lutte possible contre la Russie. Ils s’opposent fortement à l’Iran, et perçoivent les musulmans chiites comme des hérétiques. Donc l’alliance russe-chiite est perçue par eux comme une menace apocalyptique.

indexhossein.jpgLa vision de l’islam continental

L’éminent érudit islamique contemporain Sheikh Imran Hossein rejette leur opinion, et appelle les musulmans à rendre Constantinople aux chrétiens orthodoxes. Il dit que cela se produira après la Grande Guerre, où les forces du vrai islam combattront aux cotés des chrétiens orthodoxes contre la Turquie. Cette prédiction est basée sur les arguments suivants :

- De ce point de vue, la Russie est la Rūm du Coran, mentionnée dans la sourate ar-Rum, et elle sera l’alliée des vrais croyants musulmans contre le Dadjal (Antéchrist). Dans son interprétation, Rum (dérivé de Rome) est la Troisième Rome, la civilisation orthodoxe russe et chrétienne qui succède à l’empire byzantin, la Seconde Rome, et pas à l’Occident.

- L’Empire ottoman et la Turquie furent toujours un instrument du Dadjal et de l’Occident judéo-chrétien ou athée, dans le combat contre l’islam authentique et l’Orthodoxie. La conquête de Constantinople d’après le Prophète Mahomet surviendrait à la fin des temps.

- Par conséquent la conquête de Constantinople en 1453 par le Sultan Muhammad Fatih n’avait rien à voir avec la prophétie.

- Les Etats pétroliers wahhabites du Golfe Persique aussi bien que les extrémistes pseudo-Islamiques sont des hérétiques du monde musulman et ont été créés avec l’aide des puissances atlantistes. Et en tant qu’hérétiques ils combattront aux cotés de Dadjal dans la guerre à venir.

D’après Imran Hossein, une armée géante d’Etats islamiques non-fondamentalistes (Iran, Egypte, Syrie) attaquera et vaincra la Turquie. Ce sera la Malhama (grande guerre) prophétisée par le Prophète Muhammad, qui conduira à la conquête de Constantinople. Après la victoire des vrais musulmans, la ville sera rendue aux chrétiens orthodoxes. Après cela, les deux armées combattront contre le Dadjal qui sera soutenu par l’Occident moderne et Israël dans le pays de Syrie.

La vision des "dispensationalistes" américains

Les protestants radicaux américains ont toujours perçu la Russie comme une menace apocalyptique. Cette vision est basée sur leur interprétation d’Ezéchiel 38-39. Ce groupe est très puissant aux USA et dans l’élite américaine. Ils croient que la Russie est le Magog biblique et qu’avec la Perse (Iran), Israël sera attaqué et envahi, et ce dernier sera soutenu par les protestants américains.

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Magog par Russell Dauterman.

Le renforcement de la présence russe au Moyen-Orient est considéré par eux comme une menace imminente, et dans toute guerre potentielle ils croient que la Russie est la force de Satan.

Etranges alliances

C’est étrange, mais le fait qu’en dépit des différences religieuses dans les croyances des fondamentalistes protestants américains pro-Israël et des radicaux sunnites, leurs vues concernant la Russie sont très proches. Tous deux pensent et agissent comme si la Russie et l’Iran étaient leurs ennemis eschatologiques. Tous deux croient qu’ils combattront dans une bataille d’Armageddon contre la Russie. Cette question révèle la nature atlantiste du radicalisme sunnite moderne. Conduits par ces vues, les islamistes voudront toujours être un instrument dans les mains des Atlantistes.

Dans l’autre camp se trouvent les forces de l’islam traditionaliste, qui est davantage pro-russe que pro-occidental. Son eschatologie géopolitique coïncide presque avec l’eschatologie orthodoxe chrétienne. Cela crée un espace pour forger une autre alliance, l’alliance du Monde Orthodoxe et de l’Islam Traditionnel.

lundi, 10 mai 2021

Les cathédrales gothiques: temples, forêts et cavernes

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Association Minerva

Les cathédrales gothiques: temples, forêts et cavernes

par Alejandro Linconao

Ex: https://grupominerva.com.ar/

Quiconque visite les grandes cathédrales gothiques européennes fait l'expérience d'une rencontre avec le sacré. Dans une sélection fantaisiste, nous pouvons citer la cathédrale italique de Milan, la cathédrale germanique de Cologne, les cathédrales espagnoles de Burgos et de León, les cathédrales françaises de Reims, Notre Dame ou Sainte-Chapelle. Ces magnifiques édifices échappent aux clivages religieux et donnent matière au divin.

Composés autant de génie technique que d'inspiration, ces nobles bâtiments se rebellent contre la cendre de la vie moderne. Ils ramènent l'être humain à des étapes plus saines où le sacré entourait l'homme.

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Seule une personne fortement désorientée peut voir dans ces cathédrales les bâtiments d'une certaine religion. Comme quelqu'un qui, devant un poème, ne perçoit que les mots et laisse échapper la rime et la beauté des vers. Les temples gothiques construits par le christianisme, une croyance exotique et relativement nouvelle, remontent à des millénaires. Ils évoquent la relation même entre l'homme et le sacré.

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Ces édifices, brillants exemples de technique et d'art, sont le prolongement d'autres qui, avec peut-être moins de raffinement, convoquaient le sacré.

Les cathédrales sont le développement clairement européen d'un sentiment universel de proximité avec le divin. Le sacré est ici et maintenant, dans la grotte, la forêt ou le temple.

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Le divin omniprésent est dépeint et évoqué dans ces lieux. Ils sont les héritiers dans le registre humain de Stonehenge, des Externsteine ou du Machu Pichu. Ils sont le raffinement des ziggourats et des hauts lieux de l'Antiquité. Les dômes exotiques des Yazidis s'affinent pour devenir ceux des cathédrales.

La plupart du temps érigées sur des lieux sacrés millénaires, les cathédrales sont des lieux de contact avec le dieu trinitaire millénaire, la trinité védique ou la triade capitoline, peu importe la désignation.

Chaque cathédrale est un kaléidoscope, où les couleurs des vitraux se combinent dans un jeu d'ombre et de lumière. En pleine journée, les arches convoquent les heures du crépuscule et son grand volume libère de tout fardeau. La lumière tamisée n'inspire pas la peur de la nuit mais invite à la méditation. L'atmosphère évoque la caverne, elle devient intime, elle devient un ventre. Et comme dans les cavernes archaïques du culte, au bout du voyage, le numineux apparaît incarné, le plus souvent sous la forme de la Vierge Mère atavique. Là encore, les noms sont superflus. La fertilité prendra le nom d'Ishtar, Cihuacóatl, la fertile Párvati, Aphrodite ou Miriam, Maria.

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Les cathédrales portent en elles la caverne ventrale des millénaires dans la beauté des forêts de colonnes de pierre. Les colonnes ne sont que cela, des arbres, des axis mundi par lesquels tout arrive et par lesquels le sacré s'impose.

Les cathédrales sont des enceintes où, dans un lieu central très orné, est placé le Lararium romain, aujourd'hui appelé tabernacle. Dans les temples modernes qui gardent tout, à l'extérieur et à l'intérieur, l'ancien Ankh égyptien, la Chacana inca, le Wuñelfe mapuche, le Tirso romain et Lábaro, la Croix. Le bois cruciforme, l'arbre sacré qui évoque et protège, canalise et exprime le divin. Ces bijoux de granit éveillent les sens à ce que nous avons oublié de percevoir. Parce que les dieux ne se sont pas tus et que les pierres n'ont pas cessé de chanter le flux du sacré. Il suffit à l'homme de s'éveiller au temple, à la forêt et à la caverne et d'écouter le murmure du sacré.

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mercredi, 05 mai 2021

Actualité de la voie herculéenne de la Tradition

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Actualité de la voie herculéenne de la Tradition

par Bastien VALORGUES

En 2010 paraissait la seconde édition, revue et augmentée, d’Evola envers et contre tous ! dans la collection « Orientation » chez Avatar. On y trouvait les contributions du pasteur Jean-Pierre Blanchard, de Christian Bouchet, de Claudio Mutti, d’Alessandra Colla, de Daniel Cologne, d’Alexandre Douguine, de Jean Parvulesco, etc. Georges Feltin-Tracol y apportait son regard d’historien des idées avec une étude sur « La voie herculéenne de la Tradition. Spiritualité, puissance et identité chez Julius Evola ».

Ce texte substantiel qui éclaire d’un autre angle les écrits du penseur traditionaliste radical italien vient de paraître en espagnol aux éditions Letras Inquietas. Cette dynamique maison d’édition a déjà publié plus d’une trentaine d’ouvrages répartis en six collections. Certains titres sont alléchants tels Ensayos antimaterialistas (Essais anti-matérialistes) de Carlos X. Blanco, Nueva defensa de la Hispanidad (Nouvelle défense de l’Hispanité) d’Ernesto Ladrón de Guevara ou bien El Imperio y la Hispanidad (L’Empire et l’Hispanité), fruit d’un travail collectif. Dans la collection « Visegrado (Visegrad) », on peut même lire les analyses de Sergio Fernández Riquelme sur El nacionalismo serbo.

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Intitulé El camino hercúleo de la Tradición. Espiritualidad, poder e identidad en Julius Evola, l’essai de Georges Feltin-Tracol propose une interprétation inattendue et étonnante de l’œuvre évolienne. Dépassant les antagonismes habituels représentés par des archétypes boréens tels Apollon, Dionysos, Prométhée ou Faust, Georges Feltin-Tracol associe le métaphysicien romain à la figure de Hercule et à ses treize travaux, car l’auteur rapporte que d’après certains récits mythologiques, le fils de Jupiter et d’Alcmène aurait défloré « en une seule nuit cinquante jeunes filles ! » Il ne fait que prolonger les perspectives avancées dans Métaphysique du sexe. Il est évident que « le sexe a donc toute sa place dans la pensée évolienne parce qu’Evola en connaît l’importance physiologique, raciale et spirituelle. Cette acceptation sereine de la sexualité le distingue fortement de la plupart des contre-révolutionnaires qui la fustigent et la réduisent en agent aggravant de décadence ».

Plus surprenant encore, Georges Feltin-Tracol classe Julius Evola parmi les théoriciens folcistes (ou völkisch) bien que l’auteur des Hommes au milieu des ruines « voit le peuple comme une matière brute que seuls l’Idée et l’État arrivent à mettre en forme ». L’Idée ou, plus encore, le principe directeur de l’État vrai, de l’État organique, pose les bases fondatrices de l’Ordre de la Couronne de Fer imaginé par Evola. « Il conçoit son Ordre comme une communauté de vie combattante dont les membres seraient aptes à survivre à l’âpreté des temps et constitueraient une élite capable d’assumer la direction supranationale des peuples d’Europe désorientés ».

Avec cet essai désormais disponible dans tout le monde hispanophone, Georges Feltin-Tracol sort des sentiers battus et explore un domaine inédit par rapport aux gloses habituelles. Félicitons-nous qu’El camino hercúleo de la Tradición soit, après Elementos para un pensamiento extremo (Fides, 2018) et Por une Tercera Vía Solidarista (Fides, 2018), son troisième titre traduit et le cinquième si l’on prend en compte deux recueils collectifs, Frente a la crisis. ¡ Otra Europa ! Entrevistas iconoclastas (Usatges, 2014) et La Europa de las etnias. Construcciones teóricas de un mito europeísta (Editorial EAS, 2020).

El camino hercúleo de la Tradición s’ouvre avec une préface d’Eduard Alcantára, grand spécialiste espagnol de la philosophie traditionnelle. Son riche texte – qu’on peut espérer voir bientôt disponible en français – confirme toute la pertinence de l’approche « herculéenne ». Réjouissons-nous par conséquent de cette parution de l’autre côté des Pyrénées.

Bastien Valorgues

• Georges Feltin-Tracol, El camino hercúleo de la Tradición. Espiritualidad, poder e identidad en Julius Evola, préface d’Eduard Alcantára, Letras Inquietas, coll. « Identidades », 2021, 60 p., 9,99 €.

https://www.letrasinquietas.com/el-camino-herculeo-de-la-...

mercredi, 21 avril 2021

Bernard Rio (Un dieu sauvage) : « Le monde occidental est désenchanté et même déprimant si on ne prend pas un peu de recul »

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Bernard Rio (Un dieu sauvage) : « Le monde occidental est désenchanté et même déprimant si on ne prend pas un peu de recul »

Ex: https://www.breizh-info.com/

Bernard Rio mène une double carrière d’écrivain et de journaliste. Il est l’auteur d’une soixantaine de livres, et a été couronné par plusieurs prix littéraires pour ses essais historiques et ethnologiques, notamment « Voyage dans l’au-delà : les Bretons et la mort » en 2013 (prix Histoire de l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire), et « Pèlerins sur les chemins du Tro Breiz » en 2016 (Prix du salon du Livre de Vannes). Il est aussi l’auteur de quatre romans : « Un dieu sauvage » publié chez Coop Breizh en 2020, « Le voyage de Mortimer » et « Les masques irlandais » publiés aux éditions Balland en 2017 et 2018, « Vagabond de la belle étoile » aux éditions L’Age d’Homme en 2005.

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Nous l’avons interrogé au sujet de son dernier ouvrage, « Un dieu sauvage ».

Breizh-info.com : D’où vous est venue l’idée d’écrire « un dieu sauvage » ?

C’est une question que je ne m’étais pas encore posée. D’où vient l’idée d’écrire une fiction ? Il y a des livres qui s’inscrivent dans une actualité, ceux publiés à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte par exemple. Il y en a d’autres qui correspondent à une recherche personnelle et originale, ce fut le cas par exemple de mes essais « L’arbre philosophal », « Voyage dans l’au-delà » ou encore « Le cul bénit, amour sacré et passions profanes ». Mes romans relèvent d’une autre perspective. Ils s’imposent à moi. Pour chacun d’entre eux, j’ai dérogé à mes règles d’écriture, abandonnant ainsi la recherche préliminaire et le plan, pour privilégier l’intuition et l’imagination. Ceci dit, « Un dieu sauvage » est un roman à part car je ne l’ai pas écrit d’un seul jet. Je l’ai pris et repris périodiquement pendant plusieurs années jusqu’à la dernière version achevée en décembre 2019. Il a été chroniqué qu’il s’agissait d’un roman prémonitoire Le récit a certes été écrit avant la crise sanitaire du Coronavirus, et contient des correspondances avec la situation actuelle. Néanmoins, les mesures politico-sanitaires qui attentent aux libertés de l’homme de la rue et que celui-ci découvre, avec ingénuité aujourd’hui, ont été décrites depuis des années dans des sphères aussi différentes que des revues scientifiques ou des ouvrages de science-fiction. Sans doute ai-je été plus attentif aux intersignes de l’invisible (le monde des dieux) et ai-je exercé mon esprit critique sur ce que je voyais et entendais depuis des lustres (le monde des hommes), ce qui m’a conduit a écrire cette dystopie. Ce roman participe cependant moins de la veine d’Aldous Huxley ou de George Orwell que d’un autre genre. Selon une critique littéraire, « Un dieu sauvage » serait plus proche d’« Au château d’Argol » (Julien Gracq), « Sur les falaises de marbre »  (Ernst Junger) et « Le désert des tartares » (Dino Buzatti). J’y souscris pleinement.

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Breizh-info.com : Peut-on dire que votre livre est archéofuturiste, dans le sens où il mêle notre Antiquité la plus profonde, et notre futur le plus proche… ?

Oui, vous pouvez le qualifier ainsi. Mon récit revisite les mythes antiques tout en s’inscrivant dans une réflexion contemporaine : le devenir de l’homme dans un monde totalitariste et ses capacités de survie, d’évasion et de liberté.

Le récit fonctionne sur trois plans : la terre, l’homme et le divin. De même que les hommes croient dominer le monde et le temps alors qu’ils ne sont que des marionnettes entre les mains des dieux (selon l’heureuse formule d’Alain Daniélou), la caste au pouvoir que je décris est davantage dans l’illusion que dans la réalité. Le matérialisme recouvert d’un vernis moral n’est qu’un faux semblant. Je développe aussi dans cette fiction une idée qui m’est chère, et qui pourrait s’apparenter à la physique quantique. Et si le temps n’était pas linéaire ? Si une autre logique inversait la cause et la conséquence ? Si le futur était déjà réalisé, si le passé était encore là, si le présent était une chimère ? Ce qui n’est pas la conséquence du passé pourrait-il être la conséquence du futur ?

Le roman illustre le concept de rétro-causalité. Il revisite le concept de l’espace-temps en lui octroyant une flexibilité par commutation de lignes d’univers. Dans le livre, le personnage du mystérieux Ignotus, invisible pour les Prêcheurs au pouvoir mais réel aux yeux des femmes, incarne cette permanence du passé, ce futur réalisé et ce présent illusoire. Il est le messager, celui qui condamne, celui qui enfante, celui qui fait peur et celui qui enchante.

Ce serait une sinistre infirmité que de penser la réalité comme un temps fini et un espace réduit au visible. La raison est ici soumise à la critique de l’illusion. La matière est assujettie à la conscience. L’ordre, qui n’est qu’un désordre organisé par le pouvoir, se décompose. La peur qui cimente le pouvoir disparait mot après mot, image après image. Albert Camus écrivait dans « L’homme révolté » (1951) que tout blasphème était une participation au sacré.

Breizh-info.com : En choisissant un personnage féminin comme élément déclencheur de la révolte, ne faites-vous pas du conformisme dans les temps actuels, bénis pour les femmes ?

Ah Ah ! Me tenant éloigné des faux-débats télévisés, je me contrefous de ce qui est bien ou mal pensant, normé, genré ou je ne-sais-quoi encore. Senta la tisseuse est à l’image de la Pythie de Delphes ou de la Morrigan irlandaise. 

L’histoire est « animée » par sept personnages : Quatre femmes symbolisant les trois Grâces et leur muse, et un trio d’hommes composé de l’inconnu incarnant un cavalier de l’Apocalypse ainsi que du duo de médecins représentant l’antagonisme du pouvoir. Ces septénaires contribuent tous, délibérément ou involontairement, à la destruction de l’ordre correspondant à chacune des sept étapes de l’évolution spirituelle : pulsion (conscience du corps physique), émotion (conscience des sentiments), raison (conscience de l’intelligence), intuition (conscience de l’inconscient), spiritualité (conscience du détachement), volonté (conscience de l’action), réalisation (conscience de l’éternité). Les quatre femmes ouvrent ainsi la voie à une spiritualisation, au renversement du positivisme des Prêcheurs, au retour de la conscience. Pour les suivre dans cette voie, il suffit simplement de changer de perspective et de se laisser emporter par l’intuition dans un univers elliptique où le visible et l’invisible s’enchevêtrent, où l’esprit domine la matière.

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Chacun de mes personnages se pose des questions au fur et à mesure que les événements improbables emportent la raison. Le hasard bouleverse la vie de celui qui l’accepte pour ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire un simple hasard, et pour ce qu’il est : le destin, une correspondance qui vient du futur. En se déconditionnant, les quatre femmes se laissent emporter par la crue des mots qui charrie les épaves du vieux monde. La résilience opère alors. La vie ne se profile plus comme une ligne droite mais se déroule comme une spirale. L’être humain est dans la main des dieux et cependant doté d’un libre-arbitre. Il a toujours le choix du chemin qu’il emprunte.

Breizh-info.com : Votre roman est une profonde critique de notre monde moderne. L’écrivain que vous êtes s’y sent-il étranger ? Qu’est-ce qui vous dérange le plus ?

Le monde occidental est désenchanté et même déprimant si on ne prend pas un peu de recul. C’est l’aboutissement d’une idéologie matérialiste apparue à la Renaissance qui a culminé à la Révolution française et a gangréné l’ensemble des classes sociales. Cependant je trouve la situation actuelle passionnante. J’estime d’ailleurs avoir eu la chance d’assister en direct en 1989 à l’effondrement du bloc soviétique (lequel a pris à contrepied tous les experts qui occupent les plateaux de télévision). Un de mes plus beaux souvenirs de journalisme fut la comparaison que je fis entre deux voyages à Berlin-Est, avant et après la chute du mur. Aujourd’hui, bis repetitae, c’est le capitalisme qui va s’effondrer. Je n’ai pas peur de ce qui va se passer et je n’entends pas jouer le rôle de supplétit pour conserver les petits privilèges matériels d’un monde voué à sa perte. Et il n’y a pas lieu à mes yeux de sauver ce système où plus rien n’est sacré. Dans ce système, j’inclus toutes les institutions civiles et religieuses. Il est symptomatique qu’en France toutes les églises et religions, (y compris les groupuscules néodruidiques qui se sont particulièrement ridiculisés en officiant masqués dans la nature), aient collaboré obséquieusement avec le pouvoir, en appelant leurs fidèles à courber l’échine. Ces « gens d’église » ont oublié que les sanctuaires ne relèvent pas du profane mais du sacré. Lors des épidémies, dans l’antiquité et au Moyen Age, il y avait une lecture magico-symbolique des événements, et donc une interprétation et une réponse appropriée. Par exemple, je pense notamment aux cultes et vertus prophylactiques de saint Sébastien et saint Roch. Les légendes hagiographiques sont comparables à des palimpsestes qui recèlent sous le vernis de la reformulation chrétienne, la présence de substrats mythologiques anciens. En l’occurence, saint Sébastien s’apparente au Sagittaire (du latin saggitarius, l’archer), dans le calendrier zodiacal, c’est-à-dire dans la mémoire d’un temps mythique. Le martyre par sagittation du saint peut être mis en parallèle avec le dieu archer de la mythologie grecque Apollon et ses flèches pourvoyeuses de la peste. Dans l’Iliade, le dieu à l’arc d’argent assouvit sa vengeance contre les Achéens en les frappant de ses flèches qui répandent l’épidémie dans la ville. Cette allégorie ne peut être qu’un motif littéraire si on se place sur un plan profane. Elle peut être aussi interprétée sur un plan sacré. Dans la mythologie, l’archer a une vocation particulière : contrôler, réactiver ou prendre l’énergie vitale de la nature. Lancer une flèche est une opération magique qui permet d’agir à distance, de réactiver le saint (Sébastien), le dieu (Apollon), le soleil en le piquant avec des flèches par une opération relevant de la magie sympathique, afin que l’astre ne meure pas et que le printemps advienne. Or, pendant l’épidémie, les sanctuaires ont été fermés avec la complicité du clergé. Ce qui est un sacrilège. Il a été interdit aux dévots d’honorer les saints protecteurs, ce qui est un non sens. Cette absence de sacralité et de mystère, voilà ce qui me gêne le plus dans la société contemporaine.

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Breizh-info.com : « Finalement, tout devient possible lorsque le monde se transforme en chaos » dites-vous. C »est à la fois un message terrifiant, mais aussi porteur d’énormément d’espoir non ?

Dans ce roman, la révolte solitaire devient universelle. Au sentiment de l’absurde d’une situation succèdent les temps de la rébellion, de la mort puis de la renaissance.

La révolte de mes héroïnes ne se résume pas à une contestation des esclaves, à une colère et à un affrontement, elle se place entre deux temps, le temps d’avant, la guerre, et le temps d’après, l’unité. Cette révolte des femmes prend peu à peu les allures d’une délivrance tandis que la révolte d’un autre personnage, le docteur, s’avère une aliénation. La première est métaphysique et suit les voies du sacré, c’est une évolution acceptée qui ne cherche pas à nier ou à tuer Dieu mais à intégrer et à manifester une part d’éternité. La seconde est une révolution manichéenne. Elle se limite à une alternative entre le bien et le mal, c’est un rapport de force entre le maître et l’esclave, le second n’aspirant qu’à remplacer le premier dans cette relation dominant-dominé. Dans la mythologie, l’un des travaux d’Hercule/Héraklès est de nettoyer les écuries du roi Augias, dont le nom signifie « brillant, rayonnant ». Le roi voit (il rayonne) ses 3000 bœufs mais ne sent pas leurs déjections. Ressentir, c’est sentir la chose (du latin res). Aujourd’hui les politiciens ne sentent plus la chose publique (res publica). Il appartient au héros de détourner les eaux des fleuves pour purger l’immonde.

« Un dieu sauvage », Bernard Rio, éditions Coop Breizh, 208 pages, 18 euros

Crédit photo : DR
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mardi, 20 avril 2021

L'esprit traditionnel dans la mythologie grecque

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L'esprit traditionnel dans la mythologie grecque

Álex Capua

Ex : https://animasmundi.wordpress.com/2021/04/16/el-espiritu-...

Pour comprendre l'esprit traditionnel, nous devons garder en tête un axiome irréfutable relatif au ‘’Principe des deux natures’’: il existe un ordre physique et un ordre métaphysique. Nous appelons ordre physique le monde tangible, visible (par les cinq sens), le devenir qui entraîne l'homme dans un monde sans direction et sans sens. Nous faisons référence au monde métaphysique lorsque nous parlons du monde invisible et, au-delà de celui-ci, de la sphère immatérielle.

Un exemple qui illustre ce que nous avons décrit dans les lignes précédentes se trouve dans la civilisation archaïque minoenne: le roi souverain Minos servait de pont, c'est-à-dire qu'il agissait comme un bâtisseur entre les deux mondes (physique-métaphysique) et exerçait son pouvoir sur les deux, en tant que roi et prêtre par la volonté et la protection de Poséidon et, à son tour, il était le fils de Zeus. De cette façon, les lois divines étaient promulguées de manière exacte, juste et équitable et appliquées dans le royaume, répondant à la vérité, puisque Minos lui-même parlait au nom non pas de sa propre personne (mortelle et éphémère) mais de l'intégrité entière d'une personne complète qui savait parfaitement comment combiner les deux mondes. Pour cette raison, le sang d'une progéniture procédant du divin (Zeus) et d'une mortelle (Europa) était ‘’récapitulatoire’’. Selon l'émanationnisme, il héritait de sa mère l'Atman, de Zeus la lignée divine, autrement dit, le roi souverain Minos avait une descendance non seulement de sang mais d'esprit. Si cette ascendance spirituelle et cette noblesse étaient perdues, elles devenaient des termes vides, un pont qui ne permettrait pas de se connecter aux deux mondes. Cette base provenait de la Tradition occulte qui mettait son poids et sa force dans le maintien de la lignée ou de la succession des Rois sacrés, formant ainsi un axe de lumière pérenne et d'éternité dans le temps.

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Après la rupture avec la Tradition et avec ce pont sacré et, au fur et à mesure que des mortels sans lignée divine se succédaient dans la fonction de roi souverain, ils ont commencé à former une politique de tyrans, de despotes et d'entourages qui abusaient non seulement du pouvoir, mais aussi de la distorsion des lois divines et de la rupture avec une tradition sacrée. On y explique, par exemple, le long processus de décadence de l'homme, dû à cette fracture avec les dieux, brillamment reflété dans les quatre âges. Précisément, Hésiode détaille le processus de chute par lequel passe l'homme de l'âge d'or à l'âge de fer, un cycle descendant par lequel l'homme ferait disparaître les forces subtiles ou nouménales de son monde physique. Cependant, Hésiode met en évidence les cycles dits héroïques où les castes de valeureux guerriers (Achille, Agamemnon, Héraklès, Thésée, entre autres) surmontent leur simple condition de mortel pour se connecter au Transcendant. Ainsi, par exemple, dans le mythe d'Héraclès, avec ses douze travaux, il finit par équilibrer son moi inférieur avec le monde céleste.

D'autre part, la Tradition mentionne également le premier Principe ou Élément, celui du feu, comme une composante de l'univers, cachée et invisible mais présente dans la nature qui nous entoure, comme une gaine lumineuse qui nous enveloppe. Cet agent invisible est appelé Agni et apparaît déjà chez les anciens Rishis de l'Inde, c'est-à-dire chez ces sages de l'antiquité védique qui vénéraient cet élément en accomplissant des rituels très solennels pour leurs guerriers. Héraclite, par exemple, a exprimé que : "Le feu est l'élément générateur et de ses transformations, qu'il soit raréfié ou condensé, naissent toutes choses (...)".

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Dans la mythologie, Achille est le héros qui hésite entre une vie tranquille, longue et familiale ou une vie immortelle, mais qui choisit finalement de perdre sa vie sur le champ de bataille avant de l'avoir vécue pleinement et de se coucher sur son lit de mort.

Achille est le fils d'un mortel, Pelée (un descendant de Zeus), et d'une néréide, Thétis, nymphe de la mer. Thétis ne voulait pas que ses enfants soient mortels comme leur père. Pour ce faire, elle soumet le petit Achille à un rituel impliquant l'action du feu afin de purifier la composante mortelle qu'Achille a héritée de son père Pelée. Mais Pelée a réussi à le tirer des flammes à temps, bien que le talon droit du garçon ait été endommagé par le feu. Plus tard, le centaure Chiron réparera les dommages causés par le rituel de Thétis en remplaçant l'os brûlé par celui d'un géant célèbre pour sa rapidité, qualité qui lui sera reconnue bien plus tard, car Achille sera connu comme "le pied léger". Il semble qu'Achille avait le don de courir à une vitesse exceptionnelle, mais avec son talon comme seul point vulnérable. Une autre version raconte que Thétis plongea Achille dans les eaux magiques de la rivière Styx, qui avaient la propriété de le rendre invulnérable, mais immergea tout le corps sauf le talon droit. Les deux versions prennent l'eau ou le feu comme éléments purificateurs. Le feu, lorsqu'il se condense, se vaporise, et cette vapeur prend consistance et devient de l'eau qui retourne à la terre.

Il est clair que l'homme (quelle que soit la civilisation consultée), aux temps de l'Age d'Or, avait bénéficié d'une connexion instinctive avec les forces intimes et cachées de la nature, ainsi qu'avec les énergies cosmiques, qu'il percevait directement dans la vie des éléments (feu, eau, air, terre), ou par une communion immédiate et directe avec le principe qui est à l'origine des choses. Pendant l'âge d'or, nous mettons en évidence la race aryenne (descendants directs de la branche atlante) qui s'était installée dans les chaînes de montagnes de l'Himalaya. Cette race a migré en formant les peuples indo-européens qui se sont répandus en Irlande, en Angleterre, dans le nord de la France, en Scandinavie ; tandis qu'au sud, ils ont donné naissance aux Aryens de l'Inde, en plus des Sarmates, des Germains, des Italiens et, bien sûr, du peuple grec Dorien. En tant qu'idéologie principale, les peuples indo-européens ont transmis les mystères et les hautes doctrines ésotériques avec lesquels la pensée religieuse indo-européenne allait commencer à évoluer, cet esprit glorieux que Hans Friedrich Karl Günther met en évidence dans son essai La religiosité nordique.

En suivant les directives de Günter, l'essence de la religiosité grecque de caractère indo-européen peut être résumée comme suit :

  • Elle n'est pas née d'une quelconque forme de peur.
  • Elle ne craint pas la mort.
  • Elle ne craint pas Dieu. Son Dieu n'est pas un dieu qui punit.
  • Elle ne croit pas que Dieu ait conçu le monde.
  • Pour le Grec, le monde était autrefois un ordre hors du temps: les hommes et les dieux ont leur siège, leur voie et leur mission.
  • Ils croient en une alternance éternelle de mondes qui naissent et disparaissent, en des "crépuscules répétés des dieux", par exemple, en des cataclysmes, des catastrophes cosmiques.
  • Ils ne croient pas au jugement dernier, ni à l'avènement d'un royaume de Dieu.
  • Ils n'ont pas été créés par Dieu, ni par la volonté d'un créateur.
  • L'origine de l'homme, comme du Cosmos, est la manifestation du principe suprême d'émanation. (Pour plus d'informations : s’informer sur l’Emanantisme).
  • Il n'est pas soumis à Dieu.
  • La religiosité grecque n'est pas une servitude.
  • Dieu est conçu comme la Raison suprême manifestée dans l'ordre du monde, un lien Dieu-Homme, l'essence même du monde grec, étant une rationalité commune. Ils ne doutaient pas d'une réalité supérieure qui leur était évidente.
  • Les Grecs recherchaient la sagesse.

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Le Grec a confiance en une communauté qui comprend les hommes et les dieux, la Polis d'Athènes. Les dieux, comme les hommes, doivent trouver l'origine de leur existence dans la manifestation (par émanation) du Principe suprême. Des héros comme Thésée (roi sacré d'Athènes) et Ulysse (roi sacré d'Ithaque) représentent le guerrier spirituel, qui restaure, équilibre et harmonise le microcosme en leur sein, faisant ainsi partie du monde suprasensible du macrocosme. L'enseignement des deux héros consiste à dépasser toute sorte de barrière qui fait obstacle au voyage initiatique qui mène à la Grande Libération et à revenir à sa genèse : inconditionnée, éternelle, divine ?

L'union des dieux autour d'une cité à des moments critiques devait répondre à l'union des hommes, une union dans laquelle la force et l'efficacité symbolique s'exprimaient dans des moments tels que les Panathénées. Tant les Panathénées à Athènes que les Hyacinthes à Sparte, pour donner l'exemple des fêtes les plus fastueuses de deux cités helléniques de référence, sont le moyen de renouveler le pacte qui unit la cité à ses dieux et qui garantissait l'ordre et la prospérité.

Les Grecs honoraient une divinité avec respect, politesse, ils priaient debout, les yeux dirigés vers le ciel, les bras tendus: "A Pallas Athéna, illustre déesse, je commence à chanter, l'œil de hibou, riche en industries, que possède un cœur indomptable, vénérable jeune fille, que protège la cité, vaillante, Tritogenia, que l'industrieux Zeus a seule engendrée sur sa tête sainte, d'armes guerrières dotées, dorées, resplendissantes" (28ème Hymne homérique, c. s. VII B.C).

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La religiosité grecque, de base indo-européenne, est la religiosité de notre monde et l'une de ses graines les plus caractéristiques est qu'ils ne connaissaient pas le sentiment de péché, ils ne se sentaient pas victimes, pour eux il n'y avait ni peur ni souffrance, ni mortification pour s'élever devant Dieu.

Curieusement, au sein de la chaîne indo-européenne qui s'est établie au Tibet, on trouve les Rishis (sages de l'antiquité védique), qui ont réussi à préserver et à transmettre une partie de leurs pouvoirs spirituels originels à travers une discipline qu'ils ont appelée "yoga", dont le fondement est d'unir l'esprit à la divinité par la pratique de la méditation et de l'ascèse spirituelle. Plus tard, les brahmanes furent les héritiers des Rishis et avec Krishna, chef et ascète de l'Himalaya, ils créèrent et innovèrent leur religion, Brahma étant le Dieu de l'univers, et Vishnu le "Verbe", deuxième personne de la divinité et sa manifestation invisible.

Avec le passage des âges ou périodes suivants, l'homme perdrait les capacités et facultés de l'âge d'or, comme, par exemple, le contact direct avec les puissances supérieures. Cette pensée élevée et transcendante des brahmanes, abritée et isolée dans leurs lointains ermitages de l'Himalaya, s'éloignait de plus en plus du monde du devenir et des plaisirs terrestres. Ainsi, l'homme a abandonné cette voie rigoureuse, stricte et ascétique, et il y a donc eu une séparation entre l'Homme et Dieu.

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Dans la Grèce antique, cependant, ils ont réussi à canaliser les souvenirs de cet âge d'or, et il est curieux qu'un personnage ait surgi pour renouer avec ces puissances supérieures: Orphée. Son nom signifie "celui qui guérit par la lumière". Orphée a réveillé le sens de la divinité avec sa lyre à sept cordes qu'il a lui-même sculptée et qui a ensuite été portée par Apollon, ce qui symbolise le fait de savoir vibrer dans les sept notes fondamentales de l'univers, qui correspondent aux sept planètes sacrées traditionnelles et qui ont également une analogie avec les sept chakras principaux. La religion orphique se manifeste progressivement au 6e siècle avant J.-C. et Orphée en est le prophète.

La grande vertu d'Orphée, d'origine thrace, était d'entretenir une relation particulière, intime et directe avec la nature. Grâce à sa subtilité, Orphée a pu capter l'essence que d'autres ne pouvaient ou ne savaient pas capturer. Ainsi, Orphée apparaît comme le médiateur entre la nature et l'homme, une sorte d'interprète du langage merveilleux des choses au langage ordonné des mots et de la musique qui est en relation directe avec l'univers. De cette façon, elle devait transcender et dépasser la médiocrité de la vie humaine et son transit pauvre et éphémère dans le monde. Sans doute Orphée avait-il le don de divination, puisqu'il a lui-même institué les Mystères de Dionysos, version orphique, et répandu son culte. Selon les Orphiques, Dionysos, qui représente le "moi" cosmique, a été détruit et mis en pièces par les Titans, mais grâce à Athéna, il a été recomposé car elle lui a redonné vie et l'a offert à Zeus. Zeus fulmina contre les Titans ; les frappa de sa foudre et, de leurs cendres, qui tombèrent sur la terre naquit l'humanité qui avait transgressé les lois divines et qui devait se racheter. L'humanité avait d'une part cette part titanesque et d'autre part une part divine, représentée par Dionysos. L'homme, en effet, possède en lui le feu latent (Agni) qu'il devait allumer, telle une étincelle, et vivre une vie spirituelle en lien avec les dieux. Ulysse, Héraklès, Thésée, entre autres héros, ont atteint ce degré de connexion divine, grâce à la réalisation de certains travaux ésotériques qu'ils ont dû accomplir sur le plan terrestre pour élever leur âme, passant de cette manière symbolique de l'homme terrestre Dionysos à l'homme divin Dionysos, c'est-à-dire qu'il y a une transmutation de l'être terrestre à l'être spirituel. C'est pourquoi Orphée est également lié à une société de guerriers, avec leurs rites d'initiation, comme en témoignent les peuples indo-européens.

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Chaque héros qui entrait en contact avec Orphée savait qu'il avait la possibilité d'acquérir des capacités surhumaines. Orphée accompagne Jason et les Argonautes dans leur quête de la Toison d'or. Dans cette histoire, nous pouvons déjà voir qu'Orphée escorte ces héros vers le monde du divin, leur montrant le chemin de la libération des âmes et de leur ascension finale, après les rites pertinents de purification et d'initiation et, enfin, les conduisant à la recherche de la sagesse.

De même, le mythe de la descente de Dionysos dans l'Hadès pour sauver sa mère Sémélé est étroitement lié, sur le plan symbolique, à l'histoire de la descente d'Orphée pour retrouver sa femme Eurydice. Le mythe lui-même a été développé sous la vision orphique comme un paradigme mythique de la libération de l'âme et de la bénédiction que Dionysos lui-même a pu accorder à ses dévots dans l'Hadès.

Ainsi, dans l'orphisme, Dionysos est le fils de Zeus et de Perséphone et a la capacité d'intercéder auprès d'elle pour que ses initiés reçoivent un destin heureux dans l'autre monde.

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En synthèse, les différentes religions ésotériques exposées dans les paragraphes précédents avaient pour objectif fondamental d'exposer les principes des lois naturelles du cosmos, la feuille de route ésotérique que l'homme devait suivre pour atteindre l'éveil de la divinité, jusqu'à atteindre l'ascèse mystique. Par l'intermédiaire des fondateurs de leurs religions, cet ascétisme pouvait être atteint par un contact direct.

Il faut noter que, malgré la pluralité des dieux et des prophètes, ils partent tous de la même source, puisqu'il n'y avait pas tant de vérités différentes, mais une seule vérité vue par différents prophètes et une pluralité de dieux ; la diversité des dieux n'est pas contradictoire avec l'idée d'unité du divin.

Cela nous fait comprendre que, grâce à une base ésotérique qui se manifeste sans en altérer les principes, l'évolution d'un peuple est également en accord avec elle.

Les religions ésotériques se caractérisaient par leur spiritualité supérieure, laissant de côté le païen. De ce point de vue, elles sont considérées comme des religions de salut. À Éleusis, ils présentaient une série de cérémonies et de représentations dramatiques dans lesquelles Déméter jouait un rôle fondamental, tandis que sa fille Perséphone représentait un témoin muet. Les fidèles étaient captivés et abstraits par la magie de l'environnement et sa musicalité, qui réveillait les recoins invisibles et insondables des initiés, où ils reconnaissaient en Perséphone le symbole de leur âme immortelle. Déméter accordait deux dons: le blé, source de vie, et les mystères, promesse d'une vie meilleure, au-delà du plan terrestre.

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À Delphes, Dionysos était vénéré dans un culte extatique où l'initié ressentait une mutation intérieure de la conscience qui changeait radicalement sa perception du monde et de lui-même. Par une transe, il s'est laissé posséder par l'esprit de Dionysos, une énergie plus puissante et infinie. Il ne s'agissait pas de perdre conscience, mais de laisser parler la folie originelle et sacrée qui est en soi. Très probablement, et suite aux tragédies des classiques, les initiés ont perdu la notion du temps et ont soustrait tout sens lié à la vue, l'ouïe et la parole. La grande étape de la libération de l'âme serait sûrement le Mont Parnasse, qu'ils verraient comme un reflet du cosmos, et l'initié se sentirait relié à lui par son âme. En perdant cette conception de l'espace, vous n'auriez pas non plus la conception du temps, car le but ultime était d'être le phénomène de la nature qui est sur le point de naître en vous. Chaque geste, chaque danse, chaque action serait parfaite. Il n'y avait pas de marge d'erreur, il n'y avait pas de plan ou d'intention préméditée. Dionysos représentait dans cet instant infini l'action pure dans l'éternel présent. Dans Les Bacchantes d'Euripide, il s'exprime (73-151) :

"Heureux l'initié béat aux mystères des dieux qui consacre sa vie et offre son âme comme compagne à la tante du dieu, dansant sur les montagnes comme les Bacchantes dans les saintes purifications (...) Le lait coule de la terre, le vin coule, le nectar des abeilles coule. On respire un arôme semblable à l'encens de Syrie lorsque Bacchus élève haut dans les airs la flamme rouge de la torche de pin avec son feu, laissant dans l'air ses boucles délicates et avec des danses et des hurlements il fait bouger les femmes en délire qui rugissent avec des cris d'évohé".

Grâce à l'état de délire et de possession divine, les dévots pouvaient réaliser toutes sortes de prodiges dans leurs danses et chants dans la montagne, entre les rites de chasse et de mort d'un animal, ainsi que d'autres "miracles" dionysiaques, liés aux domaines du dieu (la végétation, la vigne...).

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En conclusion, comme le nom de Dionysos n'a pas de racine indo-européenne, il relève d’une influence orientale. Certains auteurs relient le dieu à l'Inde, bien que la ligne continue des cultes archaïques, qui reliait directement la Méditerranée à l'Inde par le Moyen-Orient et la Perse, ait été perdue pour une bonne part. Sa transcription indienne serait Shiva. Shiva correspondrait au principe destructeur qui conformerait la trinité hindoue, Brahma étant le principe créateur et Vishnu, le principe conservateur. Shiva, comme Dionysos, représenterait non seulement le principe destructeur, mais symboliserait également le phallus, en tant qu'expression de la fécondité. Il est également représenté comme le seigneur de la danse cosmique. Plus tard, les peuples aryens lui ont donné une place dans leurs rituels et l'ont associé au protecteur de la nature et des animaux sous le nom de Pashupati. On reconnaît à Shiva les traits suivants, très semblables à ceux de Dionysos: la vigne, la fertilité de la terre, le seigneur des animaux, l'invocation de la danse ou du théâtre, liée à des forces incontrôlées, oscillant entre la vie (festins, orgies nocturnes) et la mort. Progressivement, les traces du shivaïsme ont été intégrées au brahmanisme védique, le transformant profondément, d'où la difficulté de le rattacher à ses origines. Il en va de même pour Dionysos, dont l'origine est ambiguë et dont le culte est resté sous-jacent malgré la vague d'invasions et les guerres qui en découlaient. Quoi qu'il en soit, si nous devions penser que le Dionysos archaïque a été la même divinité que le Shiva de la religion védique, nous trouverions des divinités "identiques" dans différentes religions, et cette possibilité est également très valable pour relier les religions occidentales et orientales.

Bibliographie

Burkert, W. Cultos mistéricos antiguos. Ed. Trotta.

Capelle, W. Historia de la Filosofía Griega. Ed. Gredos

Bernabé, A. Orfeo y la tradición órfica. Akal Universitaria. Serie Religiones y mitos.

Günter, H. Religiosidad nórdica. Ed. EAS.

Montes, A. Repensar a Heráclito. Ed. Trotta.

Grimal, P. Diccionario de mitología griega y romana. Ed. Paidos.

Bhagavad Gita: el canto del Señor. Círculo de Lectores.

Liens intéressants :

El Emanacionismo

Dionisos y Shiva

 

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lundi, 12 avril 2021

Contre le féminisme et le virilisme, la Métaphysique des sexes (Julius Evola)

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Contre le féminisme et le virilisme, la Métaphysique des sexes (Julius Evola)

Dans cette vidéo, nous nous pencherons sur la conception métaphysique des sexes dans la philosophie d'Evola. Face aux délires de certaines utopies égalitaires niant l'importance de la distinction sexuelle, Evola montre qu'il faut partir du haut, de ce que signifient d’un point de vue métaphysique et absolu les pôles masculins et féminins pour leur opposer une force contraire.
 
 
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Musiques utilisées dans la vidéo :
- Haendel : la Sarabande
- Chopin : Prelude in E-Minor (op.28 no. 4)
 
La lecture de l'extrait du "Petit héros" de Dostoïevski provient de l'épisode 10 de la série russe "Отчий Берег".

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samedi, 10 avril 2021

Dojo. Arc, lance et bâton: à la découverte du Kyudo, du Jodo et du Naginata

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Dojo. Arc, lance et bâton: à la découverte du Kyudo, du Jodo et du Naginata

La formation des guerriers (et des individus) par l'utilisation des armes dans l'histoire (synthétique) de trois disciplines des anciens samouraïs

par Cristina Di Giorgi

Ex : https://www.barbadillo.it/

jpg.jpgAu Japon, les arts martiaux ont des origines très anciennes et sont profondément ancrés dans la culture traditionnelle du pays. Parmi les disciplines qui, de ce point de vue, sont les plus éloignées dans le temps, il y a certainement le tir à l'arc, qui se pratiquait à pied ou à cheval. Dans ce dernier cas, on parle de yabusame alors que dans le premier cas, on parle de kyujutsu. C’est donc l'ancêtre du Kyudo, discipline plus moderne.

Le yabusame (diffusé principalement dans les classes aristocratiques) est né durant la période Kamakura (1185-1333) et il existe encore quelques endroits où il est pratiqué aujourd'hui (dont le sanctuaire Tsurugaoka Hachimangu de Kamakura, à une heure de train de Tokyo). Quant au tir à l'arc à pied, il s'est développé pendant la période féodale comme un art de combat. L'une des premières écoles formelles de kyujutsu, qui a introduit une approche scientifique du tir à l'arc, est l'Ogasawara-Ryu, fondée au 14ème siècle et spécialisée dans le cérémonial accompagnant la pratique. L'école coexistante Heki, qui privilégie les techniques de tir, a également été suivie.

On peut lire à ce sujet ce qui suit sur le site de l'Association italienne de Kyudo, qui regroupe les pratiquants italiens de la discipline:

"Bien que coexistantes, les deux écoles sont restées bien distinctes, chacune dans sa propre sphère. Plus tard, cependant, au fil du temps et en fonction de l'évolution des conditions sociales, toutes deux ont cherché le moyen de concilier certaines de leurs différences respectives" et "elles ont rapidement acquis la conviction que le cérémonial séparé de la technique et de l'habileté ne pouvait pas vraiment être appelé tir à l'arc", car représentant avec les deux éléments, ensemble, l'essence unique d'une discipline qui est ensuite progressivement devenue aussi spirituelle.

Quoi qu'il en soit, depuis 1543, date à laquelle le Soleil Levant a commencé à utiliser le fusil à mèche, l'utilisation de l'arc a commencé à décliner et l'art connexe (kyujutsu), sans rapport avec la guerre, est devenu une discipline martiale (kyudo) qui, tout en maintenant la tradition, vise toujours à l'amélioration individuelle de ceux qui le pratiquent.

En outre, après la Seconde Guerre mondiale, avec la fondation de la All Nippon Kyudo Federation (1949) d'abord, puis de la Fédération internationale de Kyudo (2006), l'art du tir à l'arc a été codifié dans des normes de pratique uniformes, élaborées par des maîtres appartenant à différentes écoles et styles anciens, car elles étaient liées à l'origine régionale, en rapport avec une orientation philosophico-religieuse spécifique et à l'accent mis sur certains aspects du tir.

imageskyudo.jpgDeux mots sur les instruments et la pratique du Kyudo: tout d'abord l'arc (yumi). Il est grand (environ 2 mètres) et il est fait d'éléments en bois et en bambou, ce qui le rend élastique et résistant à la fois. Les flèches étaient et sont de formes et de matériaux différents selon leur utilisation et leur lieu de fabrication. Quant aux compétitions, on lance généralement une cible à 28 ou 60 mètres et le vainqueur est décrété non seulement en fonction du nombre de flèches qui ont atteint la cible (efficacité du tir) mais aussi en fonction de l'exécution correcte des mouvements et des positions de base. En effet, le but du Kyudo n'est pas seulement de participer à des compétitions, mais de cultiver l'esprit et le corps comme une méthode d'amélioration de soi par la recherche de la perfection du tir combinée à la pureté de l'esprit et à l'harmonie intérieure et extérieure.

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Nous avons vu qu'au centre de la pratique du Kyudo se trouve l'arc japonais. En ce qui concerne le Jojutsu, le même ancien art martial japonais, l'arme utilisée est le Jo, c'est-à-dire un bâton court (le Bo, au contraire, est le bâton long) avec lequel on frappe l'adversaire en utilisant les deux extrémités et en l'utilisant aussi bien comme une épée que comme une lance. On croit généralement que le Jo-jutsu a été fondé en 1600 par Muso Gonnosuke, qui, selon la légende, est le seul guerrier à avoir battu en duel, à l'aide d'un bâton court, le célèbre samouraï Miyamoto Musashi.

En 1940, le Jojutsu est devenu le Jodo moderne. Cette évolution s'est faite par la codification, par les grandes écoles de l'époque, d'un programme officiel de douze formes fondamentales de base (kata), qui a permis, entre autres, de standardiser la méthode de transmission.

Une fois ceux-ci appris, on procède à d'autres séries de kata anciens et à l'approfondissement des différents aspects de la discipline, en donnant de plus en plus d'importance non seulement à la précision du geste, mais aussi à la qualité et à la quantité d'énergie employée dans l'exécution, qui influent sur l'efficacité de la technique utilisée.

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Les katas du jodo, divisés en séquences de mouvements de base (kihon), sont exécutés en tenant compte de la distance, du rythme, de la vitesse et de la force, qui varient selon l'expérience du pratiquant. Ils sont toujours exécutés par deux: l'un des pratiquants -comme il est expliqué sur la page de la discipline sur le site de la Confédération italienne de kendo, qui regroupe également les pratiquants de iaido, naginata et jodo- tient un bâton (Jo), l'autre un sabre (bokken ou bokuto). L'épéiste (généralement le professeur ou un élève expert) attaque et le Jodoka se défend, en appliquant différentes techniques en fonction du type d'attaque. Ces techniques comprennent des coups de sabre, des mouvements de pointe de lance droite (yari) et des mouvements circulaires de la lance incurvée (naginata).

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Parlons de la lance. Dans les temps anciens, il existait au Japon de nombreuses écoles qui étudiaient les différentes façons d'utiliser cette arme et les techniques de combat associées. Tout d'abord, il convient d'apporter une petite précision concernant le terme "lance": la véritable lance était appelée yari, tandis que la naginata (littéralement "longue épée") avait à son sommet la lame d'une véritable épée.

"Cette arme - lit-on sur le site de Kendo Roma, l'un des dojos de la capitale italienne où l'on pratique également le Naginata-do - est devenue célèbre pour son énorme polyvalence et pour le grand nombre d'écoles qui se sont consacrées à l'étude et à l'application de cette arme dans le combat et la guerre".

Apparu sur les champs de bataille de la période Kamakura (1185-1333), pendant l'ère Tokugawa, le naginata a ensuite été de moins en moins utilisé dans les guerres et de plus en plus dans les combats individuels pour défendre les bâtiments et les maisons privées. Sous ce dernier aspect, il convient de rappeler que lorsque les pères, maris et/ou fils étaient absents (et cela arrivait souvent, surtout à l'époque féodale), c'était aux femmes d'administrer et d'assurer la sécurité de leur foyer. C'est également pour cette raison que les Japonaises ont appris très tôt à utiliser le naginata, qui, entre autres choses, étant une arme à emboîtement qui permet de maintenir l'adversaire à une certaine distance, compense au moins partiellement les déséquilibres liés au poids, à la taille et à la force des combattants.

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Quant à la diffusion de l'art martial relatif (d'abord appelé naginata-jutsu et ensuite naginata-do, lorsque l'aspect guerrier y a été joint, comme dans beaucoup d'arts martiaux, également l'aspect spirituel et mental), nous devons nous rappeler qu'à l'époque moderne (en 1955 pour être précis) le naginata a été codifié par le Zen Nihon Naginata Renmei, qui a fixé les bases (kihon), les kata et les règles. Dans notre pays, les pratiquants de Naginata-do sont membres de la Confédération italienne de kendo, qui soutient et promeut également cette discipline martiale.

Cristina Di Giorgi

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lundi, 29 mars 2021

Mettre l'Ego à l’épreuve - Evola et la philosophie

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Mettre l'Ego à l’épreuve - Evola et la philosophie

Par Giovanni Sessa

Ex : https://www.ereticamente.net/

Les études les plus sérieuses et les plus significatives consacrées à la pensée d'Evola partent ou, en tout cas, ont comme thème central de discussion, ses œuvres spéculatives. Pensez au travail pionnier de Roberto Melchionda, brave exégète d’Evola récemment décédé, qui a mis en évidence la puissance théorique de l'idéalisme magique, ou à l'étude d'Antimo Negri, critique à l’égard des résultats atteints par la philosophie du traditionaliste italien. Depuis plus d'une décennie, dans le travail d'analyse de ce système de pensée, se distinguent des auteurs comme Giovanni Damiano, Massimo Donà et Romano Gasparotti, dont les essais sont motivés par une authentique vocation exégétique et loin des conclusions hâtives ou motivées par des jugements politiques, qu'ils soient positifs ou négatifs.

9788855291293_0_0_626_75.jpgUn élève de Donà, le jeune Michele Ricciotti, a récemment publié une monographie consacrée au philosophe, qui s'impose comme un livre important dans la littérature critique sur le sujet. Nous nous référons à "Prouver l'ego". Julius Evola et la philosophie, paru dans le catalogue de l'éditeur InSchibboleth (pour les commandes : info@inschibbolethedizioni.com , pp. 217, euro 20.00).

L'auteur parcourt et discute, avec une évidente compétence théorique et historico-philosophique, l'itinéraire d'Evola, en utilisant une bibliographie des plus actuelles, mû par la conviction, rappelée par Donà dans la préface, que: « le vrai philosophe, pour Evola, ne peut se limiter à "démontrer". Mais il doit d'abord faire l'expérience, sur sa propre peau, de la véracité des acquis qui, en vérité, ne peuvent jamais être simplement ‘’théoriques’’ » (pp. 11-12). Il ressort clairement des pages du livre qu'Evola est resté fidèle à cette hypothèse tout au long de sa vie. Naturellement, son parcours n'a pas été linéaire, mais caractérisé, en particulier, à partir de la fin des années 20, par le "tournant" traditionaliste imposé par sa rencontre avec René Guénon.

Afin de présenter au lecteur la complexité d'une pensée très articulée, Ricciotti a divisé le texte en trois chapitres. Dans le premier chapitre, il affronte, avec des accents et des arguments convaincants, l'expérience dadaïste d'Evola, au cours de laquelle se dessine le "problème" théorique, central pour lui, lié à l'Ego : "de son affirmation et de sa "preuve"", mais: "non sans avoir brièvement thématisé la signification spirituelle que l'Art de la Règle" (p. 17) tient dans la réalisation d'une telle tâche. Oui, l'idéalisme d'Evola était "magique", capable d'intégrer, en termes de praxis, le besoin de certitude propre à l'idéalisme classique et l'actualisme gentilien, considéré comme le sommet de la pensée moderne.

Dans le deuxième chapitre, ce n'est pas un hasard, le rapport d'Evola avec l'idéalisme est abordé, en particulier avec sa déclinaison actualiste. Le lecteur doit savoir que les pages consacrées par Ricciotti au dépassement par Evola du gentilisme (c’est-à-dire du corpus philosophique de Gentile) sont parmi les plus profondes de celles écrites jusqu'à présent: "L'actualisme se configure à notre avis comme une station qui doit nécessairement être franchie par l'Ego pour devenir - de transcendantal qu'il est - "magique"" (p. 18). La philosophie et la magie, en effet, comme Donà l'a bien illustré, ont historiquement partagé le même horizon, dans lequel la pensée et l'action correspondaient. L'individu absolu est celui: "qui est certain du monde grâce au fait qu'il se rend identique à lui, en vertu de sa capacité à en faire une image dont le pouvoir magique s'identifie à la même volonté inconditionnelle du Moi" (p. 19). Le troisième chapitre traite du thème de la descente de l'individu absolu dans l'histoire, suivi de la tentative du philosophe de construire un symbolisme du processus historique. Pour ce faire, le penseur s'est servi des apports théoriques de Bachofen, synthétisés dans la méthode empathique-‘’antiquiste’’, ainsi que de Guénon et de la "méthode traditionnelle". Une courte phrase peut bien clarifier ce que Ricciotti pense du processus de la pensée évolienne: "de l'image magique du monde au symbole", où le premier terme détient une valeur positive et le second représente une diminutio, une dé-potentialisation théorique. Cette torsion des acquisitions magico-dadaïstes initiales se manifeste, explique Ricciotti, à partir des pages d’Impérialisme païen, une œuvre au centre de laquelle se trouve: "un sujet souverain capable d'établir la loi en se plaçant en dehors et au-dessus d'elle, se faisant le représentant d'une liberté inconditionnelle " (p. 27).

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L'individu souverain a des caractéristiques similaires à celles de l'individu absolu, car en tant que sage taoïste, il le sait: "Avoir besoin de pouvoir est une impuissance [...] exprime une privation d'être " (p. 29). D'autre part, le sujet souverain, identifié au Rex de la Tradition, est ici placé dans un contexte historico-chronologique et, par conséquent, est dépourvu de pouvoir par l'"absoluité" du sujet magique. La même situation se retrouve dans les pages de La Tradition hermétique. D'une part, la transmutation alchimique y fait allusion à la " reconstitution du royaume de Saturne [...] et au comblement de la privation dont la matière est le symbole" (p. 37); d'autre part, dès l'organisation du volume, se manifeste l'adhésion du penseur à la méthode traditionnelle. Elle consiste, d'un point de vue général, à tenter de retrouver dans l'histoire le patrimoine symbolique commun à toutes les civilisations traditionnelles, mais aussi à retracer les interférences avec la suprahistoire et la souveraineté. De cette manière, le dualisme réapparaît fortement chez Evola. Elle animera le contraste entre Tradition et Modernité dans les pages de Révolte contre le monde moderne et dans les œuvres de la période "traditionaliste".

Dans cette voie, affirme Ricciotti, Evola arrive à la définition d'une métaphysique de l'histoire centrée "sur une théorie spécifique du symbole compris [...] comme facteur opératoire de l'histoire elle-même" (p. 177). Le traditionaliste y incorpore l'idée guénonienne centrée sur la valeur supra-historique du symbole, à l'idée bachofénienne qui soulignait, au contraire, son historicité. Pour cette raison, le philosophe ne pourra pas "sauver" in toto, même en faisant référence à un éventuel "cycle héroïque", le dynamisme de l'arché. La tradition, paradoxalement, placée dans un passé ancestral, finit par pouvoir être récupérée dans une projection utopique, dans le futur. L'auteur rappelle que seule la réflexion sur les thèses de Jünger, sur le retour de l'élémentaire et du pouvoir négatif dans le monde contemporain, a permis à Evola de retrouver la Nouvelle Essence, l'horizon existentiel et cosmique de l'individu absolu. Les pages de Chevaucher le Tigre en témoigneraient.

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C'est la structure générale du volume. Nous ne pouvons manquer de signaler quelques plexus théoriques pertinents, explicités dans ses pages: tout d'abord, le concept de "valeur" dans l'idéalisme magique. Il indique la résolution de ce qui est matière dans ce qui est forme. Dans toute expérience, le Moi doit s'élever de la forme de l'expérience:  à la forme de toute forme [...] il faudra rendre la forme coextensive au réel, la valeur coextensive à l'être" (p. 96). Cela explique le titre du livre, Provare l’Ego. En effet, "rendre raison de l'Ego signifiera rendre raison de toute la réalité, à partir de l'identité de l'Ego avec la déterminité empirique" (pp. 99-100).

Le livre de Ricciotti remet sous les projecteurs du débat philosophique une pensée puissante et trop longtemps négligée.

Giovanni Sessa.

dimanche, 21 mars 2021

L'équinoxe de printemps, le mariage divin entre le Ciel et la Terre

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L'équinoxe de printemps, le mariage divin entre le Ciel et la Terre

Par Carlomanno Adinolfi & Flavio Nardi

Ex: https://www.ilprimatonazionale.it/

L'équinoxe de printemps a toujours marqué la transition vers le moment où la nature refleurit, où la vie s'épanouit, où la terre renaît. Dans de nombreuses cultures, l'équinoxe a été lu dans sa promesse de régénération comme le début de l'année. Le mythe du viol de Proserpine est emblématique à cet égard. Proserpine, fille de Cérès, enlevée par Hadès, suite à l'intervention du Père des Dieux, revient sur la Terre Mère, mais seulement pour les six mois du printemps et de l'été. L'équinoxe est donc un point fondamental de la Révolution propre au cycle annuel. Mais il n'y a pas que l'aspect "naturel" dans ce passage important de l'année. Dans les religions indo-aryennes, les cycles liés à la terre et à la nature étaient évidemment importants, mais ils n'étaient pas la seule charnière sur laquelle reposait la vision spirituelle, et donc la vision du monde. Ils étaient en fait intégrés dans une vision cosmique beaucoup plus large. C'est pourquoi l'équinoxe de printemps, moment où la lumière a grandi au point d'égaler les ténèbres et est finalement sur le point de les vaincre, n'a marqué l'épanouissement de la terre que dans son sens "inférieur", tandis qu'il a pris un sens beaucoup plus "élevé" en indiquant la porte qui mène à la voie anagogique de l'ascension vers le Ciel.

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Ce n'est pas une coïncidence si, pendant la période équinoxiale à Rome, la classe patricienne, à partir de la deuxième guerre punique, a mis côte à côte avec les cultes populaires et plébéiens de Liberalia en l'honneur des dieux Libero et Libera - étroitement liés à la terre, à la fertilité et au grain - les festivités en l'honneur de la Magna Mater Cybèle. Cybèle était une déesse très différente des grandes mères méditerranéennes honorées par les populations dans les cultes pré-aryens. Elle n'était pas du tout liée à la terre, à la fécondité du monde terrestre et naturel, et n'avait pas non plus les aspects "cannibales" classiques des divinités matriarcales qui génèrent la vie animale et végétale mais auxquelles tout revient pour se dissoudre dans un cycle continu sans débouchés verticaux.

Cybèle, selon les mots du dernier grand empereur païen Julien, est la "source des dieux intellectuels et démiurgiques qui gouvernent les dieux visibles" (1). Pour Julien le païen comme pour son ami Salluste, le dernier grand penseur néoplatonicien, tout le mythe de Cybèle représente l'arrêt de la génération (la mutilation d'Attis) et le retour non pas à la Terre Mère mais à l'origine des Dieux dans une anabasis céleste, à travers les rayons d'Hélios "qui partage le trône avec la Mère et qui, avec elle, est le démiurge de toutes choses" et le long du fleuve Gallus, ou la Voie lactée, le chemin que les âmes immortelles empruntent dans leur parcours descendant d'incarnation et ascendant de retour aux Dieux.

L'équinoxe de printemps marque également l'entrée dans le signe du Bélier, un signe strictement martial - nous sommes en mars, sans surprise - représentant le Feu céleste "principe viril de toute génération, manifestation directe de la puissance de l'Or" (2). Ce n'est pas un hasard si les deux choses coïncident et si les fêtes de la Magna Mater sont célébrées en mars et en même temps que deux fêtes dédiées à Mars : l'Agonalia du 17 et le Tubilustrium du 23. Comme le note Alexandre Giuli dans son essai fondamental sur la Magna Mater, "la matrice cosmique des Dieux intelligibles reste une feuille végétative infertile si elle n'est pas illuminée par le feu céleste viril et actif émis par le Bélier bicéphale" (3). A l'équinoxe de printemps, nous célébrons ce mariage mystique entre le principe viril céleste et la matrice universelle d'où doit naître la vie.

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Dans le nord germanique, le début du printemps était dédié à la déesse Eostre, qui devint ensuite Ostara d'où Ostern et Easter, respectivement Pâques en allemand et en anglais. La divinité était liée à la fertilité, il suffit de penser au lièvre, animal fertile par excellence, qui accompagne toujours la déesse et qui, dans le folklore, est devenu le "lapin de Pâques", mais elle était aussi liée à l'aube - Eostre vient du proto-indo-européen Hewsos ou Ausos d'où le grec Eos et le latin Aurora - dont la splendeur annonce la lumière qui remplacera les ténèbres. Tout comme Ostara est l'"étoile de l'Est" ou Vénus, l'étoile qui annonce le matin.

Le concept de l'aurore cosmique annonçant la lumière annuelle et non seulement quotidienne est une réminiscence de la patrie polaire indo-aryenne où l'alternance obscurité/lumière a pour nous une durée annuelle et où l'aurore marque le retour de la vie. Parmi les symboles d'Eostre, on trouve également l'œuf - qui est ensuite devenu un symbole de Pâques - qui renvoie au concept de "matrice cosmique des dieux" et de "source" avant toute chose. Mais même ici, l'œuf reste infertile sans le feu viril et actif, qui intervient par l'intermédiaire de Thor qui, avec son marteau et sa foudre, qui correspondent au même feu céleste et principe viril vus précédemment, féconde l'œuf et le "casse" pour libérer le potentiel de vie qu'il contient.

Le sens ultime de l'équinoxe est donc celui du mariage divin, de la synthèse entre le Ciel et la Terre et de la génération d'une vie nouvelle, mais la Vie qui naît de ce mariage mystique n'est pas seulement celle qui naît de la génération matérielle, qui n'est que l'aspect extérieur. La Vie qui éclate en mars est donc bien plus qu'une promesse de régénération : c'est le fruit de la Lumière qui participe éternellement à la splendeur, et qu'il faut faire nôtre. C'est la vie "intelligible", telle que définie par l’Empereur Julien, une ‘’vie intelligible’’ qui ne se contente pas de jouer un rôle dans le cycle caduc de la naissance et du retour à la terre, mais qui participe à cette étincelle divine née dans l'obscurité solsticiale, qui s'est transformée en flamme à Imbolc/Chandeleur et qui brille maintenant d'une lumière aurorale, la vie qui est prête à parcourir le chemin ascendant indiqué par les rayons d'Helios et qui est prête à accompagner son chemin céleste si elle est correctement façonnée et guidée.

Carlomanno Adinolfi et Flavio Nardi

Notes :

1 - Flavio Claudio Giuliano, Hymne à la Mère des Dieux in Uomini e Dei, ed. Mediterranee

2 - Julius Evola, La Tradizione Ermetica, ed. Mediterranee

3 - Alessandro Giuli, Venne la Magna Madre, Settimo Sigillo ed.