samedi, 21 juin 2025
Freud contre Wilson et le traité de Versailles
Freud contre Wilson et le traité de Versailles
Nicolas Bonnal
C’est un grand moment de l’histoire de la pensée antimoderne. Freud, qui est souvent plus conservateur qu’on ne croit, se déchaîne contre le traité de Versailles, la disparition des empires centraux et l’abominable Wilson, qui voulait faire du monde un lieu sûr pour la démocratie occidentale ; et comme on sait cette démocratie préfère anéantir le monde que ne pas l’avoir fait TOTALEMENT à son image.
L’universitaire et psychanalyste Mark Stafford écrit dans un texte hélas trop bref qu’il est indispensable de relire et méditer :
« Je m’apprête à découvrir à quoi ressemble vraiment un porc-épic. »
Remarque attribuée à Freud avant son départ pour les États-Unis sur le vapeur George Washington en 1909 (ce même paquebot qu’empruntera le président américain Woodrow Wilson, dix ans plus tard, pour, selon lui, garantir la paix à l’Europe et apporter une « assurance à 99% contre toute guerre future »)… »
Freud est en fait un antiaméricain primaire (et quel grand esprit, y compris américain, alors ne l’était pas ?) :
« …l’idée d’une civilisation « américaine » avait déjà produit une influence sur Freud via l’analyse par George Beard de la neurasthénie – la « maladie américaine 3 ». Si le livre de George Beard n’est jamais mentionné dans l’ouvrage Le président Thomas Woodrow Wilson. Portrait psychologique (objet de cet article), l’influence de la thèse de Beard d’une « faiblesse » imputable à la culture américaine n’a jamais été absente de la pensée de Freud. »
La psychanalyse deviendrait alors une peste apportée pour de bonnes (et non de mauvaises, comme on croyait encore) raisons :
« La remarque apocryphe de Freud – « Ne réalisent-ils pas que nous leur apportons la peste ? » – se comprend si l’on tient compte, en arrière-plan, de l’acceptation par Freud du diagnostic de Beard sur les Américains – leur propension au surmenage et leur création d’un culte moderne de la vitesse, de l’efficacité et de la mécanisation les ayant conduits in fine à l’impuissance psychique. »
Freud se débarrassa dans un livre maudit de la troublante, catastrophique et dramatique personnalité de Wilson ; Stafford ajoute :
« L’ouvrage Le président Thomas Woodrow Wilson - Portrait psychologique concentrait à la fois la colère de Freud et les caractéristiques névrotiques que favorisait, selon lui, la culture américaine. Cependant, lorsque l’ouvrage parut en 1967, il embarrassa les freudiens américains… »
… et nos historiens européens, toujours plus médiocres, qui justifièrent ce traité monstrueux (voyez nos textes sur Keynes, Le Bon ou Bainville) ; Freud vécut ce traité comme une catastrophe et écrivit dans son livre publié avec Bullitt :
« Cet étrange ouvrage était une réponse à deux échecs, l’un infligé par les analystes américains et leurs adeptes supposés, l’autre relatif au sujet lui-même, Woodrow Wilson. Lorsque Freud rencontra William Bullitt, dont il suivait la compagne, Louise Bryant, en analyse, il saisit l’opportunité pour exprimer sa propre thèse de la catastrophe qu’avait provoquée le traité de Versailles en Europe. »
Le vieux sage dénonce le redoutable (et increvable comme on sait, depuis 1815) condominium franco-britannique :
« L’amertume de Freud au sujet du refus de la France et de la Grande-Bretagne de mettre de côté leurs ambitions impérialistes et de mettre en œuvre un traité de paix équitable le conduisit à une collaboration avec un écrivain quasiment profane en matière de psychanalyse, amoindrissant ainsi considérablement l’intérêt analytique du texte. »
Stafford ajoute sur ce thème (le duo infernal se muant en trio) :
« Freud présente Wilson comme un cas exemplaire d’« échec », et considère comme une conséquence de l’effet du surmoi sur la transmission son incapacité à déjouer les actions de Lloyd George et de Georges Clemenceau visant à humilier les empires centraux, et donc semer les germes d’une guerre future. »
Le point de vue du sage était définitif. Stafford :
« Si nous trouvons chez Freud relativement peu de références à la montée du totalitarisme, c’est en partie dû, selon moi, à ses recherches acharnées des raisons de l’échec du traité de Versailles. Freud conclut qu’avec ce document, l’arrêt de mort de la civilisation européenne avait été signé. »
La guerre prochaine était prête :
« La catastrophe était inévitable et la facilité avec laquelle de petits groupes fanatiques pourraient tirer parti de cette faiblesse était plus qu’évidente, à tel point que Freud lui-même a pu sous-estimer la rapidité avec laquelle le libéralisme du 19ème siècle pourrait s’effondrer… »
Celui qui l’avait compris c’était Veblen (voyez notre texte). Le Bon regrettait qu’on eût laissé une Allemagne surpuissante et haineuse à la fois (et avec de bonnes raisons de l’être) ; Bainville aussi. Mais qui les écouta ? Le monde des démocrates est celui du narcissisme psychique, pour parler comme Freud ; il n’a que faire de la protestation violente de la réalité…
Stafford décrit la volonté US de détruire la vieille Europe, celle de Zweig ou de Freud :
« La vision d’une catastrophe européenne résultant de l’action du président Wilson s’est conjuguée avec la « suspicion » de longue date de Freud au sujet de la forme et de l’intérêt de la culture américaine. L’Amérique, qui de longue date souhaitait rester à l’écart de l’Europe et avait tenté, par sa politique isolationniste et sa destinée évidente, de dissimuler sa dette symbolique à l’égard de la civilisation européenne, avait remis en jeu, par l’entremise du président Woodrow Wilson, le meurtre de son père « symbolique ».
Et de citer Karl Kraus, cet autre rebelle juif du monde moderne américanisé :
« En outre, Freud, dans cet ouvrage, proposait une analyse de la société américaine comme productrice d’une « faiblesse » pathologique. Selon lui, le modèle social sur lequel se fondait l’Amérique n’était pas acceptable, et il n’y avait lieu ni de l’adopter, ni de s’y adapter. Les écrits de Freud ont parfois les accents de Karl Kraus, l’un de ses contempteurs, lorsqu’il cherche à décrire « l’Américain ».
L’establishment anglo-américain créa (avec les Français, cocus de cette alliance contre nature depuis deux siècles) Hitler et les conditions de la guerre future. Nous l’avons expliqué ailleurs. C’est pourquoi la lecture de Freud devient aussi importante.
Sources :
La pathologie de la norme : la troublante analyse de Woodrow Wilson par Freud - Mark Stafford
https://shs.cairn.info/revue-essaim-2013-2-page-19?lang=f...
https://lesakerfrancophone.fr/todd-et-freud-au-chevet-des...
https://lesakerfrancophone.fr/le-narcissisme-occidental-f...
https://lesakerfrancophone.fr/comment-les-anglo-saxons-cr...
https://lesakerfrancophone.fr/comment-lestablishment-angl...
https://les4verites.com/1920-jacques-bainville-explique-h...
https://www.amazon.fr/HITLER-VERSAILLES-PETITS-ESSAIS-HIS...
https://tuvntana.wordpress.com/wp-content/uploads/2015/06...
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vendredi, 20 juin 2025
Waterloo: tout sauf une victoire britannique…
Waterloo: tout sauf une victoire britannique…
Jan Huijbrechts
Source: https://www.facebook.com/jan.huijbrechts.9
"Ça a été sacrément beau – le plus beau que vous ayez jamais vu de votre vie", aurait dit le commandant en chef britannique Wellington après la bataille de Waterloo, le 18 juin, il y a donc exactement 210 ans. "Par Dieu !", ajouta-t-il, – incarnant ainsi la modestie même – "je ne pense pas que cela aurait été le cas si je n’avais pas été là." Ce que lui-même et beaucoup d’historiens britanniques oublient, c’est que la victoire à Waterloo n’était pas une victoire britannique, mais surtout une victoire alliée...
L’histoire de Waterloo est en effet imprégnée depuis 200 ans d’ambivalence et de distorsions historiques. Souvent, on oublie par exemple que la butte escarpée surmontée du lion de bronze menaçant, pointant vers la France et dominant le champ de bataille, n’a pas été édifiée en l’honneur de Wellington ou même du maréchal prussien Blücher, qui lui vint en aide à un moment critique à Waterloo, mais en souvenir du fait que le prince d’Orange fut blessé en cet endroit, alors qu’il menait les troupes néerlandaises au combat…
La bataille de Waterloo mit fin définitivement aux ambitions sans limite de l’empereur français Napoléon Bonaparte. Après sa désastreuse campagne de Russie en hiver 1812-1813 et les défaites françaises qui suivirent sur tous les fronts, il fut contraint de démissionner le 11 avril 1814 et fut exilé sur l’île d’Elbe. Le Premier Empire français fut dissous et la monarchie des Bourbons rétablie, mais en février 1815, Napoléon s’échappa de son exil et retourna en France pour reprendre le pouvoir. Pour consolider ce pouvoir, il était cependant nécessaire de vaincre la force alliée commandée par Wellington, qui se trouvait à sa frontière nord.
Au début, les dieux semblaient favorables à Bonaparte. Le 16 juin, il infligea aux Prussiens une lourde défaite à Ligny, tandis que le même jour, un peu plus loin, à Quatre-Bras, la confrontation avec les Britanniques et les Néerlandais resta indécise. Le 18 juin, il décida de jouer sa dernière carte. Avec son armée, il prit un pari audacieux : battre les forces de Wellington et de Blücher séparément avant que la coalition ne puisse lancer une contre-offensive à pleine puissance. Pendant plus de dix heures, 180.000 hommes se battirent férocement sur ce terrain ondulé au sud de Bruxelles pour le sort de l’Europe...
Le Prince Guillaume d'Orange à la Bataille des Quatre-Bras, où meurt au combat le Duc Friedrich-Wilhelm de Brunswick.
L’armée de Wellington, comme dit, était une armée composées essentiellement d’alliés. Seuls 36% des troupes engagées pouvaient être qualifiées de britanniques (anglaises, irlandaises, galloises et écossaises). Le reste comprenait des hommes originaires de Prusse, du Hanovre, du Brunswick, de Saxe, des Pays-Bas et, non moins important, de Flandre et de Wallonie, qui faisaient alors partie intégrante du Royaume uni des Pays-Bas. Sur les 26 brigades d’infanterie dans l’armée de Wellington, forte de 70.000 hommes, seulement neuf étaient britanniques; sur les 12 brigades de cavalerie, seulement 7 étaient britanniques… La moitié des 29 batteries d’artillerie était hanovrienne ou néerlandaise. Et je ne parle même pas des 53.000 Prussiens qui finirent par faire basculer la bataille en faveur de Wellington, lorsqu’ils arrivèrent en dernier recours, après une marche forcée, sur le champ de bataille de Plancenoit.
L'infanterie de Nassau au combat à Waterloo.
Des décennies durant, les historiens ont fermé les yeux sur le fait que tous les trois points stratégiques de Wellington à Waterloo — le hameau de Papelotte, et les fermes de La Haye Sainte et de Hougoumont — étaient défendus par des troupes allemandes. Papelotte, à l’extrême gauche de Wellington, fut défendu par la brigade de Bernhard de Saxe-Weimar, composée d’Allemands du régiment d’Orange-Nassau et du 2e régiment de Nassau. La ferme centrale de La Haye Sainte fut défendue par un bataillon de la King's German Legion (ill. ci-dessous), un groupe d’environ 400 hommes venus du Hanovre et placés sous commandement britannique.
Le roi George III d’Angleterre était en effet, par ascendance, le prince-évêque électeur de Hanovre, avant que cette cité-État nord-allemande ne soit envahie par Napoléon en 1803. Ce bataillon, habilement commandé par le major Baring, réussit à ralentir l’avance française dans cette zone cruciale pendant plusieurs heures, se battant jusqu’à la dernière balle.
Le gouvernement britannique dépensa il y a quelques années plus d’un million d’euros pour restaurer et conserver Hougoumont, le troisième point stratégique de Wellington. C’était tout à fait justifié, car il était farouchement défendu par 600 hommes de la division des Foot Guards britanniques, mais on oublie trop souvent qu’en plus de ces Britanniques, une multitude de soldats allemands participèrent aux lourds combats défensifs autour de cette ferme, notamment un bataillon du 2e Nassau sous le commandement du major Busgen, plusieurs compagnies de chasseurs hanovriens, quelques compagnies légères du corps de Brunswick, et une partie de la brigade de la Landwehr hanovrienne sous le commandement du général britannique Halkett.
Malgré ces faits indiscutables, Wellington — en véritable chercheur de gloire —, suivi de près par de nombreux historiens, passa des années à induire délibérément le grand public en erreur sur divers aspects de la campagne, minimisant consciemment le rôle de ses alliés, ce qui fit que leurs efforts furent relégués au second plan. Même des mensonges flagrants furent longtemps tolérés.
Par exemple, les Britanniques avancèrent que les troupes néerlandaises s’étaient plusieurs fois comportées de manière lâche durant la bataille. La brigade du général Van Bijlandt aurait abandonné le combat, et les trois régiments de cavalerie lourde sous le général Trip auraient refusé de charger à un moment donné. La brigade Bijlandt se trouvait en première ligne face à plus de 50 canons de la Grande Batterie de Napoléon, qui bombardait sans relâche les lignes alliées en face. Wellington limita les pertes britanniques dans cette zone en déployant ses troupes derrière une longue crête, hors de vue, et en grande partie hors de portée des canons français. De plus, il ordonna à ses hommes — infanterie comme cavalerie — de se coucher à plat ventre pour se protéger du tir de l’ennemi. La brigade Bijlandt, majoritairement composée de recrues inexpérimentées, ne put suivre cet ordre ; elle subit de lourdes pertes. Il n’était donc pas surprenant que plusieurs recrues succombèrent, mais les hommes plus expérimentés du 7e bataillon de ligne, majoritairement flamands, parvinrent à maintenir la ligne malgré les attaques françaises très violentes…
L’incident avec la cavalerie de Trip était quant à lui dû à un manque de communication. Au plus fort de la bataille, Lord Uxbridge — l’un des favoris de Wellington — reçut soudain le commandement de la cavalerie, mais Trip n’en fut jamais informé. Quand l’enthousiaste Uxbridge arriva en criant et donna l’ordre de charger en anglais, cela aurait pu tout aussi bien se passer en chinois, car Trip ne parlait pas un traître mot d’anglais, et ses cavaliers restèrent immobiles, hésitants. Personne n’avait envie de suivre cet officier anglais, inconnu pour eux… Plus tard, ils se rattrapèrent en effectuant quelques charges remarquables, ce qui transforma immédiatement leur prétendue lâcheté en un simple bobard.
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mercredi, 18 juin 2025
Sur Eisenhower et son complexe militaro-industriel
Sur Eisenhower et son complexe militaro-industriel
Nicolas Bonnal
On est en 1961, année peu rassurante de ma naissance. Premier souvenir télé deux ans après, avec Kennedy à Dallas. Le 17 janvier 1961 Eisenhower fait ce speech, alors que Debord écrit : « …l’année 1961 est certainement le tournant décisif de la guerre froide, un saut qualitatif dont on distinguera plus tard l’immense importance dans le processus de formation d’une société totalitaire cybernétisée à l’échelle planétaire (bio de l’ami Bourseiller, p. 241) ». L’œuvre de Kubrick va dans le même sens : Folamour, 2001 et Orange cybernétique (ou pharmaceutique)…
Ce discours étonnant a plus de soixante ans et ne cesse de nous étonner. Comment un chef d’Etat US, venu du Pentagone de surcroît, a pu le commettre ? Etait-ce une preuve de bonne foi ou de naïveté, ou un simple piège tendu façon Kennedy aux humanistes qui restaient ? Aujourd’hui il n’y a plus d’humanistes, et tous les chefs d’Etat ont basculé dans le techno-fascisme et les peuples dans l’hébétude, mot-clé qu’on retrouve déjà (ce monde moderne, tout de même…) sous la plume de Mgr Gaume, Tocqueville, Chateaubriand, Drumont, Baudrillard, etc. : bref c’est le maître-mot pour comprendre la civilisation nécro-politique qui s’achève en nous achevant. Alors, pas d’inquiétude.
Debord donc sur cette gentillesse, ce cadeau que nous a fait (nous aurait fait, ne sous-estimons personne) Eisenhower :
« De vieux préjugés partout démentis, des précautions devenues inutiles, et jusqu’à des traces de scrupules d’autres temps, entravent encore un peu dans la pensée d’assez nombreux gouvernants cette compréhension, que toute la pratique établit et confirme chaque jour. Non seulement on fait croire aux assujettis qu’ils sont encore, pour l’essentiel, dans un monde que l’on a fait disparaître, mais les gouvernants eux-mêmes souffrent parfois de l’inconséquence de s’y croire encore par quelques côtés. Il leur arrive de penser à une part de ce qu’ils ont supprimé, comme si c’était demeuré une réalité, et qui devrait rester présente dans leurs calculs ».
Je me souviens, c’est l‘époque de mes dissertations de jeunesse: il allait faire une synthèse pour réconcilier tout le monde. C’est ce que va proposer le vieux président qui s’en va et rappelle (sans rire !) le projet humaniste américain :
« Nous vivons aujourd'hui dix ans après le milieu d'un siècle qui fut le témoin de quatre guerres majeures entre de grandes nations. Trois d'entre elles ont impliqué notre propre pays. En dépit de ces holocaustes l'Amérique est aujourd'hui, la nation la plus forte, la plus influente et la plus productive au monde. S'il est compréhensible que nous soyons fiers de cette prééminence, nous nous rendons pourtant compte que la première place et le prestige des USA ne dépendent pas simplement de notre progrès matériel inégalé, de notre richesse et de notre force militaire, mais aussi de la façon dont nous employons notre puissance dans l'intérêt de la paix dans le monde et de l'amélioration de la condition humaine. »
Il en remet une couche même :
« Au travers de l'aventure d'un gouvernement dans la liberté pour l'Amérique, nos buts premiers ont été de préserver la paix, de stimuler les progrès de la réalisation humaine et d'en faire grandir la liberté, la dignité et l'intégrité parmi les peuples et les nations. Ne pas s'efforcer d'en faire autant serait indigne d'un peuple libre et religieux. Tout manquement dû à l'arrogance, au manque de compréhension ou de promptitude au sacrifice nous infligerait d'ailleurs un grave préjudice moral, ici comme à l'étranger. »
Presque du Leslie Nielsen.
Puis il y a les ombres au tableau :
« Mais des menaces, nouvelles de par leur nature ou leur degré, surgissent constamment. Je n'en mentionnerai que deux ici. »
La première est la formation du monstre tératologique militaire :
« Un élément essentiel pour conserver la paix est notre système militaire. Nos bras doivent être puissants, prêt pour une action instantanée, de sorte qu'aucun agresseur potentiel ne puisse être tenté de risquer sa propre destruction. Notre organisation militaire est aujourd'hui sans rapport avec ce que connurent mes prédécesseurs en temps de paix, ou même les combattants de la Deuxième Guerre Mondiale ou de la Guerre de Corée. »
Les chiffres sont déjà énormes :
« Jusqu'au plus récent conflit mondial, les États-Unis n'avaient pas d'industrie d'armement. Les fabricants américains de socs de charrues pouvaient, avec du temps et sur commande, forger des épées. Mais désormais, nous ne pouvons plus risquer l'improvisation dans l'urgence en ce qui concerne notre défense nationale. Nous avons été obligés de créer une industrie d'armement permanente de grande échelle. De plus, trois millions et demi d'hommes et de femmes sont directement impliqués dans la défense en tant qu'institution. Nous dépensons chaque année, rien que pour la sécurité militaire, une somme supérieure au revenu net de la totalité des sociétés US. »
Après, Eisenhower montre que la matrice militaire US couvre le territoire : elle est partout (Castellani a parlé de l’ubiquité de l’Antéchrist…). Et d’évoquer l’influence SPIRITUELLE du lobby :
« Cette conjonction d'une immense institution militaire et d'une grande industrie de l'armement est nouvelle dans l'expérience américaine. Son influence totale, économique, politique, spirituelle même, est ressentie dans chaque ville, dans chaque Parlement d'Etat, dans chaque bureau du Gouvernement fédéral. Nous reconnaissons le besoin impératif de ce développement. Mais nous ne devons pas manquer de comprendre ses graves implications. Notre labeur, nos ressources, nos gagne-pain... tous sont impliqués ; ainsi en va-t-il de la structure même de notre société. »
Ici intervient le point important : menace sur la liberté et les « processus démocratiques ». On peut rappeler que tout menace nos libertés : les fous de Bruxelles, l’ONU, les agences mondialistes, les clubs de rencontres au sommet, les GAFAM, etc. Et que le monde multipolaire n’est qu’un leurre : partout règne la dictature militariste technocratique, militariste et cybernétique. Inde, Chine, Pakistan, Russie, Afrique du sud font rire tout le monde. Bizarrement le seul pays où l’on observe une résistance de poids mais maladroite est l’Amérique. Le reste est soumis à l’autoritarisme de l’Angleterre (toujours elle, depuis 1066) et de Bruxelles.
« Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu'elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel d'une désastreuse ascension d'un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. »
La résistance cyber vient j’insiste pour les distraits des USA et Eisenhower reprend à son compte la tradition antisystème et libertarienne américaine, inexistante (pour prendre l’exemple le plus dérisoire) en France :
« Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l'énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble. »
Eisenhower souligne un point important : la recherche a perdu son « air d’innocence ».
« De même la révolution technologique des décennies récentes fut en grande partie responsable des changements radicaux de notre position militaro-industrielle. Dans cette révolution, la recherche est devenue centrale, elle est également plus formalisée, plus complexe, et coûteuse. Une part toujours croissante en est conduite pour, par, ou sous la direction du Gouvernement fédéral. »
Il précise :
« Aujourd'hui, l'inventeur solitaire, bricolant au fond de sa boutique, a été dépassé par des troupes de choc formées de scientifiques dans les laboratoires et des centres d'essai. De la même manière, l'université libre, historiquement source d'idées et de découvertes scientifiques nées dans la liberté, a vécu une révolution dans la conduite de la recherche. En bonne partie à cause des coûts énormes impliqués, obtenir un contrat avec le gouvernement devient quasiment un substitut à la curiosité intellectuelle. »
Il se permet même une brillante formule :
« Pour chaque vieux tableau noir il y a maintenant des centaines d'ordinateurs. »
Ici on dirait qu’il prêche dans le vide en toute connaissance de cause (le monde va réagir, nous allons parier sur le futur, nous redresser, etc.) :
« Un autre facteur de maintien de l'équilibre implique l'élément de temps. Alors que nous envisageons la société future, nous devons - vous et moi et notre gouvernement - éviter la tentation de vivre seulement pour le jour qui vient, pillant pour notre propre aisance, et à notre convenances les précieuses ressources de demain. Nous ne pouvons pas hypothéquer les actifs de nos petits-enfants sans risquer de dilapider également leur héritage politique et spirituel. Nous voulons que la démocratie survive pour les générations qui viennent, non pour devenir le fantôme insolvable de demain. »
Le fantôme insolvable de demain c’est bien ce qu’est devenue l’Amérique de l’American rigolo Trump, non ?
Le projet déclaré est humaniste et mondialiste dans le respect des peuples (cf. notre texte sur le discours d’Ulysse S. Grant, 1877) :
« Nous prions pour que les peuples de toutes fois, de toutes races, de toutes nations, puissent voir leurs plus principaux besoins satisfaits. Pour que ceux qui actuellement n'ont pas cette occasion puissent l'apprécier un jour entièrement ; que tous ceux qui aspirent à la liberté puissent en éprouver ses bénédictions spirituelles ; que ceux qui possèdent la liberté comprennent les grandes responsabilités [qu'elle engendre] ; que tous ceux qui sont peu sensibles aux besoins des autres apprennent la charité ; que les fléaux de la pauvreté, de la maladie et de l'ignorance soient amenés à disparaître de la surface de la terre, et que, avec le temps, tous les peuples viennent à vivre ensemble dans une paix garantie par la force du respect et de l'amour mutuels qui les lient. »
Eisenhower (qui était témoin de Jéhovah) évoque cette liaison intéressante entre la liberté et le bienfait spirituel. On rappellera que la liberté a commencé à disparaître partout avec sa proclamation et sa pratique occidentale, en même temps que les bienfaits spirituels. Mais il est bon de souligner ce lien essentiel pour comprendre le messianisme américain à sa grande époque.
« Au travers de l'aventure d'un gouvernement dans la liberté pour l'Amérique, nos buts premiers ont été de préserver la paix, de stimuler les progrès de la réalisation humaine et d'en faire grandir la liberté, la dignité et l'intégrité parmi les peuples et les nations. Ne pas s'efforcer d'en faire autant serait indigne d'un peuple libre et religieux. Tout manquement dû à l'arrogance, au manque de compréhension ou de promptitude au sacrifice nous infligerait d'ailleurs un grave préjudice moral, ici comme à l'étranger. »
L’autre problème est bien sûr la Russie, pardon le communisme (on a bien vu que la disparition du communisme a rendu l’Occident plus fou et dangereux depuis quarante ans maintenant) :
« La progression vers ces nobles buts est constamment menacée par le conflit qui s'empare actuellement du monde. Il commande notre attention entière et absorbe nos êtres mêmes. Nous faisons ici face à une idéologie globale hostile, athée dans son caractère, impitoyable dans ses buts et insidieuse dans ses méthodes. Malheureusement le danger qu'elle présente promet de durer longtemps. Pour y faire face avec succès, nous sont demandés, non pas tant les sacrifices passionnés et transitoires des temps de crise, que ceux qui nous rendront capables de porter sans faillir, sûrement et sans se plaindre le fardeau d'une longue et complexe lutte, dont le prix est la liberté. C'est seulement ainsi que nous resterons, en dépit des provocations, sur le chemin que nous nous sommes fixés vers une paix permanente et l'amélioration du genre humain. »
L’idéologie globale hostile peut être le nationalisme (Eisenhower parla comme on sait de croisade en Europe…), le communisme, l’islamisme, l’hétérosexualité… : l’important est d’avoir un ennemi qui nous permette de ne jamais arriver à destination (la liberté US et ses bienfaits spirituels).
Tout de même quand on compare American rigolo Trump ou Biden à Eisenhower on mesure le chemin parcouru. Et on ne parlera pas de la France.
Le reste est chez Tocqueville et Kubrick : un pouvoir absolu pourvu de la technologie...
Quelques sources :
https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictio...
https://lesakerfrancophone.fr/theodore-kaczynski-enfin-vu...
https://achard.info/debord/CommentairesSurLaSocieteDuSpec...
https://www.amazon.fr/Vie-mort-Debord-Christophe-BOURSEIL...
https://www.amazon.fr/STANLEY-KUBRICK-GENIE-DU-CINEMA/dp/...
https://www.dedefensa.org/article/le-president-grant-et-l...
https://www.dedefensa.org/article/tocqueville-et-la-priso...
11:11 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hitoire, eisenhower, dwight eisenhower, états-unis, nicolas bonnal | |
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lundi, 09 juin 2025
Le continent oublié: l'Europe de l'Est
Le continent oublié: l'Europe de l'Est
Boris Nad
Extrait de After the Virus: The Rebirth of a Multipolar World (PRAV Publishing, 2022), traduit par Jafe Arnold.
Après la Seconde Guerre mondiale, l'Europe a été divisée entre l'Est et l'Ouest. L'Est était sous la domination de Moscou, et l'Ouest sous la domination incontestée de Washington. L'ancienne division entre « l'Est » et « l'Ouest » a ainsi été particulièrement absolutisée pendant la guerre froide, cimentée par le rideau de fer. Après la chute du mur de Berlin, lorsque le drapeau de « l'Europe unie » a été hissé, il ne devait y avoir qu'une seule Europe, forte et unique, unie sous l'égide de l'OTAN et de l'UE. À cet égard, l'Europe de l'Est — la « périphérie européenne » — était censée faire partie de l'Occident et oublier ou surmonter son héritage historique et ses traditions historiques, qui étaient déclarées rétrogrades, à l'instar du « lourd fardeau du communisme » ou de l'orthodoxie. Ce projet s'est rapidement révélé utopique. La réalité était et reste différente. L'Europe se compose de différents ensembles et régions, chacun ayant son propre cheminement et ses propres intérêts.
La particularité de l'Europe de l'Est réside dans le fait qu'elle a toujours représenté un carrefour, une « zone de contact » et un pont entre les civilisations. Mais la division civilisationnelle la plus importante n'est pas la dichotomie entre « l'Ouest » et « l'Est ». En réalité, l'Europe de l'Est n'a jamais été « l'Ouest », ni « l'Est » tel qu'on l'imaginait, mais quelque chose de tiers et d'incomparablement plus important.
C'est ce qu'a déclaré Mircea Eliade, « historien des religions, humaniste, orientaliste, philosophe et écrivain prolifique », dont l'ami et collaborateur de longue date Joseph Mitsuo Kitagawa a écrit : « Eliade est né à Bucarest, en Roumanie, tout près de la ligne imaginaire où l'Occident rencontre l'Orient. » Depuis cette « ligne frontière » incertaine, Eliade s'est d'abord rendu en Orient : « Il a passé près de cinq ans en Inde, où il a étudié la philosophie indienne avec Surendranath Dasgupta à l'université de Calcutta. Il a ensuite passé six mois dans un ashram près de Rishikesh, dans l'Himalaya. »
Après 1945, Eliade vécut en Occident: dix ans, de 1945 à 1955, à Paris, puis trente ans en Amérique, où il travailla à l'université de Chicago. Mircea Eliade n'était pas du tout un Occidental, mais un « homme d'une troisième culture » : « Il avait toutes les raisons de concevoir son travail dans une perspective hautement comparative. » En effet, il a consacré sa vie à confirmer une thèse: l'unité essentielle des traditions de l'Eurasie. « Eliade avait une forte conscience de cette unité », écrit le professeur italien Claudio Mutti, « et pendant la période la plus intense de la guerre froide, il n'a pas accepté de définir l'Europe dans les frontières étroites que les apologistes de la « civilisation occidentale » cherchaient à imposer » (cf. http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2023/10/28/claudio-mutti-quelle-eurasie.html ).
« Le fait est qu'Eliade était roumain, et non occidental », souligne le professeur Mutti, et qu'il appartenait à une « nation qui s'est formée à un carrefour géographique ». La culture roumaine n'est pas « occidentale », mais une culture qui a traditionnellement joué le rôle de médiateur entre les différentes traditions et civilisations de l'Est et de l'Ouest. Les influences qui l'ont traversée sont nombreuses, parfois directes, parfois fluides et presque imperceptibles. C'est une « culture de médiation » et une culture de grandes synthèses créatives. « La culture roumaine », telle qu'Eliade la voyait, « a représenté une sorte de pont entre l'Occident et Byzance, entre l'Occident et le monde slave, entre l'Orient et la Méditerranée ». « Ce qu'Eliade affirme à propos de la culture de son propre pays », déclare Mutti, « s'avère vrai pour toute l'Europe du Sud-Est ». En effet, on peut en dire autant de toute l'Europe de l'Est.
D'une manière générale, l'Orient et l'Occident existent-ils comme deux cultures antithétiques et incompatibles ? L'Europe occidentale est-elle la seule « véritable Europe », qui revendique tous les droits à l'universalité et à la modernité, au passé et à l'avenir ? À l'opposé de cette vision se trouve l'Europe de l'Est, « arriérée », « primitive » et bien sûr démunie, dont les cultures et les traits historiques sont censés être effacés et oubliés dès que possible afin de rejoindre « l'Occident progressiste ».
Telle est la conception occidentale de l'histoire moderne de l'Europe. Elle nie à l'Europe de l'Est toute identité culturelle et toute singularité. Mircea Eliade a écrit précisément à ce sujet avec un sentiment de ridicule et de sarcasme :
"Il existe encore parmi les intellectuels des personnes honnêtes pour qui l'Europe s'arrête au Rhin ou, au mieux, à Vienne. Au-delà commence ce qui est pour eux un monde inconnu, peut-être charmant mais incertain. Ces puristes seraient tentés de découvrir sous la peau d'un Russe ce fameux Tatar dont ils ont entendu parler à l'école ; en ce qui concerne les Balkans, c'est là que commence cet océan ethnique confus d'autochtones qui s'étend jusqu'en Malaisie".
Pour ces « puristes intellectuels » et ces « personnes honnêtes », l'Asie commence « en dehors de Vienne ». C'est là que s'arrête la « civilisation » — et la civilisation existe exclusivement au singulier, comme dans « civilisation occidentale ».
L'Autriche n'est qu'une forteresse en saillie, comme son nom l'indique : « Austria », ou Österreich, vient de l'ancien allemand Ostarrîchi, qui signifie « Reich oriental », la frontière orientale du Saint-Empire romain germanique. Au-delà, ce sont des sauvages ou des barbares. Le mot « barbare » est un emprunt à l'ancien grec, dans lequel il s'agissait d'une onomatopée composée de syllabes censées imiter des cris d'animaux. « Bar-bar » – d'où « barbare » – désignait toute personne qui ne possédait pas le langage humain et qui était donc assimilée à un animal muet. Pour les Occidentaux, « en dehors de Vienne » commence « l'Orient », cette sombre Scythie qui, selon les mots de Carl Gustav Jung, ne cesse de troubler et d'effrayer la petite bourgeoisie allemande ; la Scythie d'où « soufflent toujours des vents nouveaux et différents ». Ces « barbares » sont, en fait, principalement des Slaves.
Cette conception raciste a été proclamée assez ouvertement par le Troisième Reich d'Hitler, pour lequel les Slaves étaient des sous-humains et les Aryens allemands les porteurs de la culture. Ce racisme occidental n'a pas disparu avec Hitler, mais est seulement devenu subliminal et s'est déplacé dans le domaine de l'inconscient, ce qui ne l'a en aucun cas rendu moins dangereux ou mieux intentionné. Le cas de l'Union européenne contemporaine est le même. Elle est habilitée à prescrire les règles, car elle représente la seule véritable civilisation. Il appartient à tous les autres, y compris l'Europe de l'Est (qui reste par ailleurs essentiellement « barbare »), d'accepter ces normes comme si elles étaient réellement les normes de la civilisation elle-même, comme des conditions préalables élémentaires à une vie civilisée. Le racisme postmoderne évite de parler de supériorité biologique, mais il a remplacé cette idée par la supériorité civilisée de l'Occident.
Il est impossible de déterminer avec précision les frontières à l'intérieur desquelles s'étend cette « civilisation » imaginaire. Au cours du XIXe et même du XXe siècle, pour les gentlemen libéraux anglais, les Allemands étaient des « barbares » et des « Huns », et cette propagande a été relancée pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale. Du même raisonnement est né un autre concept : celui d'« Europe centrale », qui marquait une sorte de « transition » entre l'Occident civilisé et l'Orient sauvage, c'est-à-dire quelque chose qui n'était pas le « véritable Occident », mais qui n'était pas non plus, ou pas complètement, barbare ou « arriéré ».
Toute cette bravade est une image inexacte et fausse que l'Occident a cultivée autour de lui et imposée aux autres, en premier lieu à l'Europe de l'Est qui, encore hier « communiste », est condamnée à porter le lourd fardeau d'un « héritage totalitaire » issu de ses « dictatures communistes ».
La plaine pannonienne (carte, ci-dessus) appartient à cette prétendue « Europe centrale ». Ce positionnement, note Aleksandar Gajić dans son ouvrage La position géopolitique de la Voïvodine, est ancré dans la communauté des experts et le grand public serbes, où l'on considère que la région de la province serbe septentrionale de Voïvodine et toute la plaine pannonienne sont situées en Europe centrale, tandis que le reste est constitué des « Balkans primitifs ». Le cours du Danube et de la Sava est considéré comme marquant une « frontière fixe entre différentes entités géopolitiques et civilisationnelles ».
Cette thèse est bien sûr profondément erronée, comme le fait remarquer Gajić : « Ces opinions sont le résultat de préjugés qui se sont enracinés en raison des circonstances historiques des derniers siècles, lorsque la région de Voïvodine était une zone de contact et une zone frontalière entre les empires habsbourgeois et ottoman, puis plus tard la frontière entre l'Autriche-Hongrie et la Serbie ».
Milomir Stepić rappelle que le Danube constituait l'épine dorsale de l'empire des Habsbourg : « Les plaines pannoniennes étaient le cœur de ce grand et puissant État, et l'espace de l'actuelle Voïvodine, avec ses défenseurs serbes, servait d'amortisseur lors des incursions turques et de « tremplin » géostratégique pour les contre-offensives vers le sud ».
Les intérêts hongrois, dont les ambitions comprenaient l'unification politique et territoriale, en tant que « grande puissance », de l'ensemble des plaines pannoniennes, s'accordaient bien avec les pénétrations germaniques rapides vers le sud et l'est. En conclusion, Gajić affirme : « Le point de vue selon lequel cette région faisait partie d'une Europe centrale catholique exclusive et culturellement supérieure, dont les habitants orthodoxes n'étaient que de simples intrus, et qu'au-delà de cette « frontière civilisationnelle » n'existaient que la barbarie et l'absence de culture, était tout à fait justifié du point de vue géostratégique des Habsbourg ».
Qu'est-ce donc que la Pannonie, si ce n'est « l'Europe centrale » ? Depuis l'Antiquité, la Pannonie est un « espace de contact », un lieu d'interactions, de rencontres et de conflits entre la périphérie européenne et les steppes eurasiennes. Bien que partiellement isolée par les Carpates et les Tatras à l'est, la plaine pannonienne était et reste « la partie la plus occidentale du grand espace steppique de l'Eurasie ». C'est par ces chemins, depuis l'est et le nord-est, que les plus anciennes migrations connues de nomades (indo-européens) se sont dirigées vers la vallée pannonienne, créant entre autres les foyers des premières civilisations en Europe.
C'est ici, en effet, que se rencontrent au moins trois « grands espaces » géopolitiques différents : l'espace occidental, émanant du centre du Rimland européen, l'espace de l'Eurasie russe et l'espace de la Méditerranée et du Moyen-Orient.
C'est en Pannonie et dans les Balkans, dont les frontières n'ont jamais été ni culturelles ni géopolitiques, mais uniquement géographiques, que les premières civilisations ont vu le jour : la culture mésolithique et néolithique de Lepenski Vir (entre 9500 et 5500 avant J.-C. environ), la culture néolithique moyenne de Starčevo (au cours des 5e et 4e millénaires avant J.-C.), puis la culture de Vinča qui, selon certains chercheurs, comprenait des migrants venus d'Anatolie.
Les porteurs de la culture de Vučedol (3000 - 2200 avant J.-C. - carte, ci-dessus + ill.) étaient les peuples indo-européens de la steppe eurasienne, dont l'épicentre était situé dans le Srem et la Slavonie et dont l'influence s'étendait sur un espace beaucoup plus vaste, de la Slovénie à l'ouest, à la Serbie à l'est, en passant par Prague et le bassin de Vienne au nord. Le fait est que la culture néolithique de l'Europe a commencé ici (à Lepenski Vir) », conclut l'archéologue Djordje Janković, « et la culture de Vinča est vraiment le plus ancien État d'Europe ».
Il n'existe donc pas d'entité civilisationnelle et géopolitique unique qui s'étende vers le sud depuis l'Europe centrale jusqu'à la Sava et au Danube, à l'exception de celle qui n'est apparue que très tard dans l'histoire (la monarchie des Habsbourg). La vérité est plutôt tout le contraire.
L'Europe de l'Est a ses propres particularités et son propre patrimoine culturel extrêmement riche. À bien des égards, c'est un monde à part entière. L'Europe de l'Est est également un espace entre deux civilisations dont les frontières ne sont ni immuables ni fixes : l'Europe occidentale et la Russie. Dans son ouvrage monumental Noomakhia, dans le volume consacré au « Logos slave », le penseur russe Alexandre Douguine note : « C'est précisément ici que se trouvait la frontière entre les civilisations nomades, indo-européennes et patriarcales de Turan et les civilisations matriarcales de la vieille Europe (qui sont apparues en Anatolie et se sont répandues dans les Balkans et en Europe du Sud), ainsi qu'entre l'Occident catholique (latin) celto-germanique et l'Orient russe orthodoxe. »
Le facteur sarmate-scythe a sans aucun doute joué un rôle important et probablement déterminant dans l'ethnogenèse des Slaves. Mais bien avant l'arrivée des premiers Indo-Européens dans les Balkans et en Pannonie, pense Douguine, il existait ici un « ancien matriarcat – la civilisation de la Grande Mère – dont on trouve des vestiges à Lepenski Vir, Vinča et ailleurs ». Il est donc erroné d'imaginer les Balkans comme la périphérie de l'Europe. Les Balkans étaient le véritable centre de l'Europe. Les civilisations néolithiques telles que celles de Lepenski Vir ou de Vinča n'étaient pas seulement les plus anciennes civilisations et États, ou proto-États, d'Europe, mais elles étaient aussi, comme l'ont montré les travaux du professeur Radivoje Pešić, le berceau même de l'écriture européenne, bien que cela soit nié aujourd'hui.
Dans un certain sens, dit Douguine, c'est aussi ici que se trouve le berceau de la paysannerie européenne, et la paysannerie européenne a été la génératrice de nombreux éléments clés de l'identité européenne. Il serait peut-être superflu de le préciser, mais nous le ferons quand même : ces « éléments clés » de l'identité européenne sont ceux qui ont été oubliés ou profondément refoulés.
À ce jour, l'ethnie dominante en Europe de l'Est et dans les Balkans reste celle des Slaves. Pourtant, en raison d'un certain nombre de circonstances historiques, l'ensemble de l'Europe de l'Est a toujours été un conglomérat complexe de différentes ethnies, peuples et confessions. De plus, dans le passé, cet espace n'a jamais été géopolitiquement unique. « Mais, écrit Douguine, cela ne signifie pas que les peuples d'Europe de l'Est ne peuvent pas développer à l'avenir une unité civilisationnelle et retrouver une identité culturelle fondée sur un Dasein commun à l'Europe de l'Est. »
L'histoire, comme le fait remarquer le chercheur belge Robert Steuckers, est aujourd'hui réduite de manière inadmissible à une version occidentale, tandis que l'héritage de nombreux peuples – Scythes, Sarmates et Slaves – a été effacé de la mémoire collective. Redécouvrir cet héritage perdu est vital non seulement pour l'avenir de l'Europe, à l'Est comme à l'Ouest, mais aussi pour toute l'Eurasie. Les futures études approfondies doivent prendre en compte « toutes les composantes du territoire commun de l'Europe et de l'Asie » et se concentrer sur « des études approfondies qui découvrent les convergences, et non les raisons des hostilités ». La première étape dans cette direction consiste à « rechercher les convergences entre les puissances d'Europe occidentale et la Russie comme base de l'unité de l'Eurasie ».
Dans cette optique, Steuckers cite l'exemple du philosophe Leibniz. En tant que diplomate, Leibniz se méfiait initialement de la Russie, qu'il considérait comme un « nouveau khanat mongol » ou une « Tartarie » susceptible de constituer une menace pour l'Europe. Puis, après avoir étudié le développement de la Russie pétrine, il « a commencé à percevoir la gigantesque Russie comme un lien territorial nécessaire qui pourrait permettre à l'Europe de se relier à deux anciens espaces civilisationnels, la Chine et l'Inde, qui, à l'époque, avaient un niveau civilisationnel plus élevé que l'Europe ».
L'historien français Arthur Conte a également souligné l'importance de la Sarmatie dans la formation des peuples slaves: « L'élément sarmate est important non seulement pour les peuples slaves, mais aussi pour l'Occident, qui a tenté d'effacer leur héritage de la mémoire collective. » Les Sarmates constituaient autrefois l'épine dorsale de la cavalerie romaine, qui « en Grande-Bretagne romaine était en partie ou en grande partie composée de chevaliers sarmates ». Aujourd'hui, les historiens britanniques reconnaissent que ces Sarmates et leur héritage sont à l'origine des mythes celtiques arthuriens (tels que « l'épée dans la pierre » et la légende du Saint Graal).
Dans son livre Empires of the Silk Road: A History of Central Asia from the Bronze Age to the Present, le professeur Christopher Beckwith soutient que dans un passé lointain, ce sont les tribus cavalières indo-iraniennes (principalement les Scythes et les Sarmates) qui ont établi l'ensemble des règles sur lesquelles se sont fondés tous les futurs schémas organisationnels des royaumes et des empires le long de la route de la soie. L'histoire ancienne se répète à sa manière : la « nouvelle route de la soie » relie la Chine aux vastes étendues de l'Asie centrale et de la Russie, s'étendant vers l'Europe de l'Est et l'Occident. Hier comme aujourd'hui, la route de la soie représente l'axe de l'Eurasie, sa colonne vertébrale, autour de laquelle se sont formés à maintes reprises des empires et des zones de prospérité mutuelle, fruits des efforts visant à instaurer la paix sur le vaste territoire entre l'Europe occidentale et la Chine. Tout cela diffère complètement des conceptions sur lesquelles reposent et sont mises en œuvre les politiques occidentales actuelles, telles que le projet de Brzeziński, qui encourage une guerre durable, contrairement à l'initiative chinoise « Une ceinture, une route », « le projet le plus sérieux du XXIe siècle ».
Réduire l'histoire exclusivement à la version occidentale européenne est un « réductionnisme intellectuellement inacceptable ». En fait, il s'agit d'une fraude intellectuelle et d'une manipulation politique, dans laquelle les faits historiques sont systématiquement ignorés, selon les termes de Steuckers, « uniquement parce qu'ils ne cadrent pas avec les schémas des interprétations superficielles des Lumières actuellement recherchées par les puissances occidentales, qui ont provoqué toute une série de catastrophes ».
14:00 Publié dans Actualité, Eurasisme, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : europe orientale, europe de l'est, plaine pannonnienne, balkans, europe, histoire, eurasisme | |
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samedi, 07 juin 2025
Genèse de la pensée unique
Genèse de la pensée unique
Claude Bourrinet
« Il n’y eut plus de rire pour personne » (Procope de Césarée).
Polymnia Athanassiadi, professeur d’histoire ancienne à l’Université d’Athènes, spécialiste du platonisme tardif (le néoplatonisme) avait bousculé quelques certitudes, dans son ouvrage publié en 2006, « la lutte pour l’orthodoxie dans le platonisme tardif », en montrant que les structures de pensée dans l’Empire gréco-romain, dont l’aboutissement serait la suppression de toute possibilité discursive au sein de l’élite intellectuelle, étaient analogues chez les philosophes « païens » et les théologiens chrétiens. Cette osmose, à laquelle il était impossible d’échapper, se retrouve au niveau des structures politiques et administratives, avant et après Constantin. L’État « païen », selon Mme Athanassiadi, prépare l’État chrétien, et le contrôle total de la société, des corps et des esprits. C’est la thèse contenue dans une étude éditée en 2010, Vers la pensée unique. La montée de l’intolérance dans l’Antiquité tardive.
Un basculement identitaire
L’Antiquité tardive est l’un de ces concepts historiques relativement flous, que l’on adopte, parce que c’est pratique, mais qui peuvent susciter des polémiques farouches, justement parce qu’ils dissimulent des pièges heuristiques entraînant des interprétations diamétralement apposées. Nous verrons que l’un des intérêts de cette recherche est d’avoir mis au jour les engagements singulièrement contemporains qui sous tendent des analyses apparemment « scientifiques ».
La première difficulté réside dans la délimitation de la période. Le passage aurait eu lieu sous le règne de Marc Aurèle, au IIe siècle, et cette localisation temporelle ne soulève aucun désaccord. En revanche, le consensus n’existe plus si l’on porte le point d’achoppement (en oubliant la date artificielle de 476) à Mahomet, au VIIe siècle, c’est-à-dire à l’aboutissement désastreux d’une longue série d’invasions, ou aux règnes d’Haroun al-Rachid et de Charlemagne, au IXe siècle, voire jusqu’en l’An Mil. Ce qui est en jeu dans ce débat, c’est l’accent mis sur la rupture ou sur la continuité.
Le fait indubitable est néanmoins que la religion, lors de ce processus qui se déroule quand même sur plusieurs siècles, est devenue le « trait identitaire de l’individu ». L’autre constat est qu’il s’éploie dans un monde de plus en plus globalisé – l’orbis romanus – dans un empire qui n’est plus « romain », et qui est devenu méditerranéen, voire davantage. Une révolution profonde s’y est produite, accélérées par les crises, et creusant ses mines jusqu’au cœur d’un individu de plus en plus angoissé et cherchant son salut au-delà du monde. La civilisation de la cité, qui rattachait l’esprit et le corps aux réalités sublunaires, a été remplacée par une vaste entité centralisée, dont la tête, Constantinople ou Damas, le Basileus ou le calife, un Dieu unique, contrôle tout. Tout ce qui faisait la joie de vivre, la culture, les promenades philosophiques, les spectacles, les plaisirs, est devenu tentation démoniaque. La terre semble avoir été recouverte, en même temps que par les basiliques, les minarets, les prédicateurs, les missionnaires, par un voile de mélancolie et un frisson de peur. Une voix à l’unisson soude les masses uniformisées, là où, jadis, la polyphonie des cultes et la polydoxie des sectes assuraient des parcours existentiels différenciés. Une monodoxie impérieuse, à base de théologie et de règlements tatillons, s’est substituée à la science (épistémé) du sage, en contredisant Platon pour qui la doxa, l’opinion, était la source de l’erreur.
Désormais, il ne suffit pas de « croire », si tant est qu’une telle posture religieuse ait eu sa place dans le sacré dit « païen » : il faut montrer que l’on croit. Le paradigme de l’appartenance politico-sociale est complètement transformé. La terreur théologique n’a plus de limites.
Comme le montre Polymnia Athanassiadi, cet aspect déplaisant a été, avec d’autres, occulté par une certaine historiographie, d’origine anglo-saxonne.
Contre l’histoire politiquement correcte
La notion et l’expression d’« Antiquité tardive » ont été forgées principalement pour se dégager d’un outillage sémantique légué par les idéologies nationales et religieuses. Des Lumières au positivisme laïciste du XIXe siècle, la polémique concernait la question religieuse, le rapport avec la laïcité, le combat contre l’Église, le triomphe de la raison scientifique et technique. Le « récit » de la chute de l’Empire romain s’inspirait des grandes lignes tracées par Montesquieu et Gibbon, et mettait l’accent sur la décadence, sur la catastrophe pour la civilisation qu’avait provoquée la perte des richesses antiques. Le christianisme pouvait, de ce fait, paraître comme un facteur dissolvant. D’un autre côté, ses apologistes, comme Chateaubriand, tout en ne niant pas le caractère violent du conflit entre le paganisme et le christianisme, ont souligné la modernité de ce dernier, et par quelles valeurs humaines il remplaçait celles de l’ancien monde, devenu obsolètes.
C’est surtout contre l’interprétation de Spengler que s’est élevée la nouvelle historiographie de la fin des années Soixante. Pour le savant allemand, les civilisations subissent une évolution biologique qui les porte de la naissance à la mort, en passant par la maturité et la vieillesse. On abandonna ce schéma cyclique pour adopter la conception linéaire du temps historique, tout en insistant sur l’absence de rupture, au profit de l’idée optimiste de mutation. L’influence de Fernand Braudel, théoricien de la longue durée historique et de l’asynchronie des changements, fut déterminante.
L’école anglo-saxonne s’illustra particulièrement. Le maître en fut d’abord Peter Brown avec son World of late Antiquity : from Marcus Aurelius to Muhammad (1971). Mme Athanassiadi n’est pas tendre avec ce savant. Elle insiste par exemple sur l’absence de structure de l’ouvrage, ce qui ne serait pas grave s’il ne s’agissait d’une étude à vocation scientifique, et sur le manque de rigueur des cent trente illustrations l’accompagnant, souvent sorties de leur contexte. Quoi qu’il en soit, le gourou de la nouvelle école tardo-antique étayait une vision optimiste de cette période, perçue comme un âge d’adaptation.
Il fut suivi. En 1997, Thomas Hägg, publia la revue Symbolae Osbenses, qui privilégie une approche irénique. On vide notamment le terme le terme xenos (« étranger ») de son contenu tragique « pour le rattacher au concept d’une terre nouvelle, la kainê ktisis, ailleurs intérieur rayonnant d’espoir ». Ce n’est pas un hasard si l’inspirateur de cette historiographique révisionniste est le savant italien Santo Mazzarino, l’un des forgerons de la notion de démocratisation de la culture.
La méthode consiste en l’occurrence à supprimer les oppositions comme celles entre l’élite et la masse, la haute et la basse culture. D’autre part, le « saint » devient l’emblème de la nouvelle société. En renonçant à l’existence mondaine, il accède à un statut surhumain, un guide, un sauveur, un intermédiaire entre le peuple et le pouvoir, entre l’humain et le divin. Il est le symbole d’un monde qui parvient à se maîtriser, qui se délivre des entraves du passé.
Polymnia Athanassiadi rappelle les influences qui ont pu marquer cette conception positive : elle a été élaborée durant une époque où la détente d’après-guerre devenait possible, où l’individualisme se répandait, avec l’hédonisme qui l’accompagne inévitablement, où le pacifisme devient, à la fin années soixante, la pensée obligée de l’élite. De ce fait, les conflits sont minimisés.
Un peu plus tard, en 1999, un tome collectif a vu le jour: Late Antiquity. A Guide to the postclassical World. Y ont contribué P. Brown et deux autres savants princetoniens : Glen Bowersock et Oleg Grabar, pour qui le véritable héritier de l’empire romain est Haroun al-Rachid. L’espace tardo-antique est porté jusqu’à la Chine, et on met l’accent sur vie quotidienne. Il n’y a plus de hiérarchie. Les dimensions religieuse, artistique politique, profane, l’écologique, la sexuelle, les femmes, le mariage, le divorce, la nudité – mais pas les eunuques, sont placées sur le même plan. La notion de crise est absente, aucune allusion aux intégrismes n’est faite, la pauvreté grandissante n’est pas évoquée, ni la violence endémique, bref, on a une « image d’une Antiquité tardive qui correspond à une vision politiquement correcte ».
La réaction a vu le jour en Italie. Cette même année 1999, Andrea Giardina, dans un article de la revue Studi Storici, « Esplosione di tardoantico », a contesté « la vision optimiste d’une Antiquité tardive longue et paisible, multiculturelle et pluridisciplinaire ». Il a expliqué cette perception déformée par plusieurs causes :
- la rhétorique de la modernité,
- l’impérialisme linguistique de l’anglais dans le monde contemporain (« club anglo-saxon »),
- une approche méthodologique défectueuse (lecture hâtive).
Et, finalement, il conseille de réorienter vers l’étude des institutions administratives et des structures socio-économiques.
Dans la même optique, tout en dénonçant le relativisme de l’école anglo-saxonne, Wolf Liebeschuetz, (Decline and Fall of the Roman City, 2001 et 2005), analyse le passage de la cité-État à l’État universel. Il insiste sur la notion de déclin, sur la disparition du genre de vie avec institutions administratives et culturelles légués par génie hellénistique, et il s’interroge sur la continuité entre la Cité romaine et ses successeurs (Islam et Europe occidentale). Quant à Bryan Ward-Perkins, in The fall of Rome and the End of Civilization, il souligne la violence des invasions barbares, s’attarde sur le trauma de la dissolution de l’Empire. Pour lui, le déclin est le résultat de la chute.
On voit que l’érudition peut cacher des questions hautement polémiques et singulièrement contemporaines.
Polymnia Athanassiadi prend parti, parfois avec un mordant plaisant, mais nul n’hésitera à se rendre compte combien les caractéristiques qui ont marqué l’Antiquité tardive concernent de façon extraordinaire notre propre monde. Polymnia Athanassiadi rappelle, en s’attardant sur la dimension politico-juridique, quelles ont été les circonstances de la victoire de la « pensée unique » (expression ô combien contemporaine !). Mais avant tout, quelle a été la force du christianisme?
La révolution culturelle chrétienne
Le christianisme avait plusieurs atouts à sa disposition, dont certains complètement inédits dans la société païenne.
D’abord, il hérite d’une société où la violence est devenue banale, du fait de la centralisation politico-administrative, et de ce qu’on peut nommer la culture de l’amphithéâtre.
Dès le IIe siècle, en Anatolie, le martyr apparaît comme la « couronne rouge » de la sainteté octroyée par le sens donné. Les amateurs sont mus par une vertu grecque, la philotimia, l’« amour de l’honneur ». C’est le seul point commun avec l’hellénisme, car rien ne répugne plus aux esprits de l’époque que de mourir pour des convictions religieuses, dans la mesure où toutes sont acceptées comme telles. Aussi bien cette posture est-elle peu comprise, et même méprisée. L’excès rhétorique par lequel l’Église en fait la promotion en souligne la théâtralité. Marc Aurèle y voit de la déraison, et l’indice d’une opposition répréhensible à la société. Et, pour une société qui recherche la joie de vivre, cette pulsion de mort paraît bien suspecte.
Retenons donc cette aisance dans l’art de la propagande – comme chacun sait, le nombre de martyrs n’a pas été si élevé qu’on l’a prétendu – et cette attirance morbide qui peut aller jusqu’au fond des cœurs. Le culte des morts et l’adoration des reliques sont en vogue dès le IIIe siècle.
Le leitmotiv de la résurrection des corps et du jugement dernier est encore une manière d’habituer à l’idée de la mort. Le scepticisme régnant avant IIIe siècle va laisser place à une certitude que l’on trouve par exemple chez Tertullien, pour qui l’absurde est l’indice même de la vérité (De carne christi, 5).
L’irrationalisme, dont le christianisme n’est pas seul porteur, encouragé par les religions orientales, s’empare donc des esprits, et rend toute manifestation surnaturelle plausible. Il faut ajouter la croyance aux démons, partagée par tous.
Mais c’est surtout dans l’offensive, dans l’agression, que l’Église va se trouver particulièrement redoutable. En effet, de victimes, les chrétiens, après l’Édit de Milan, en 313, vont devenir des agents de persécution. Des temples et des synagogues seront détruits, des livres brûlés.
Peut-être l’attitude qui tranche le plus avec le comportement des Anciens est-il le prosélytisme, la volonté non seulement de convertir chaque individu, mais aussi l’ensemble de la société, de façon à modeler une communauté soudée dans une unicité de conviction. Certes, les écoles philosophiques cherchaient à persuader. Mais, outre que leur zèle n’allait pas jusqu’à harceler le monde, elles représentaient des sortes d’options existentielles dans le grand marché du bonheur, dont la vocation n’était pas de conquérir le pouvoir sur les esprits.
Plotin, l’un des derniers champions du rationalisme hellène, s’est élevé violemment contre cette pratique visant à arraisonner les personnes. On vivait alors de plus en plus dans la peur, dans la terreur de ne pas être sauvé. L’art de dramatiser l’enjeu, de le charger de toute la subjectivité de l’angoisse et du bon choix à faire, a rendu le christianisme particulièrement efficace. Comme le fait remarquer Mme Athanassiadi, la grande césure du moi, n’est plus entre le corps et l’âme, mais entre le moi pécheur et le moi sauvé. Le croyant est sollicité, sommé de s’engager, déchiré d’abord, avant Constantin, entre l’État et l’Église, puis de façon permanente entre la vie temporelle et la vie éternelle.
Cette tension sera attisée par la multitude d’hérésie et par les conflits doctrinaux, extrêmement violents. Les schismes entraînent excommunications, persécutions, batailles physiques. Des polémiques métaphysiques absconses toucheront les plus basses couches de la société, comme le décrit Grégoire de Nysse (ill.) dans une page célèbre très amusante. Les Conciles, notamment ceux de Nicée et de Chalcédoine, seront des prétextes à l’expression la plus hyperbolique du chantage, des pressions de toutes sortes, d’agressivité et de brutalité. Tout cela, Ramsay MacMullen le décrit fort bien dans son excellent livre, Christianisme et paganisme du IVe au VIIIe siècle.
Mais c’est surtout l’arme de l’État qui va précipiter la victoire finale contre l’ancien monde. Après Constantin, et surtout avec Théodose et ses successeurs, les conversions forcées vont être la règle. À propos de Justinien, Procope écrit : « Dans son zèle pour réunir l’humanité entière dans une même foi quant au Christ, il faisait périr tout dissident de manière insensée » (in 118). Des lois discriminatoires seront décrétées. Même le passé est éradiqué. On efface la mémoire, on sélectionne les ouvrages, l’index des œuvres interdites est publié, Basile de Césarée (vers 360) (ill.) établit une liste d’auteurs acceptables, on jette même l’anathème sur les hérétiques de l’avenir !
Construction d’une pensée unique
L’interrogation de Polemnia Athanassiadi est celle-ci : comment est-on passé de la polydoxie propre à l’univers hellénistique, à la monodoxie ? Comment un monde à l’échelle humaine est-il devenu un monde voué à la gloire d’un Dieu unique ?
Son fil conducteur est la notion d’intolérance. Mot piégé par excellence, et qui draine pas mal de malentendus. Il n’a rien de commun par exemple avec l’acception commune qui s’impose maintenant, et dont le fondement est cette indifférence profonde pour tout ce qui est un peu grave et profond, voire cette insipide légèreté contemporaine qui fuit les tragiques conséquences de la politique ou de la foi religieuse. Serait intolérant au fond celui qui prendrait au sérieux, avec tous les refus impliqués, une option spirituelle ou existentielle, à l’exclusion d’une autre. Rien de plus conformiste que la démocratie de masse !
Dans le domaine religieux, le paganisme était très généreux, et accueillait sans hésiter toutes les divinités qu’il lui semblait utile de reconnaître, et même davantage, dans l’ignorance où l’on était du degré de cette « utilité » et de la multiplicité des dieux. C’est pourquoi, à Rome, on rendait un culte au dieu inconnu. Les païens n’ont jamais compris ce que pouvait être un dieu « jaloux », et tout autant leur théologie que leur anthropologie les en empêchaient. En revanche, l’attitude, le comportement, le mode de vie impliquaient une adhésion ostentatoire à la communauté. Les cultes relevaient de la vie familiale, associative, ou des convictions individuelles : chacun optait pour un ou des dieux qui lui convenaient pour des raisons diverses. Pourtant les cultes publics concernant les divinités poliades ou l’empereur étaient des actes, certes, de piété, mais ne mettant en scène souvent que des magistrats ou des citoyens choisis. Ils étaient surtout des marques de patriotisme. À ce titre, ne pas y participer lorsqu’on était requis de le faire pouvait être considéré comme un signe d’incivisme, de mauvaise volonté, voire de révolte.
En grec, il n’existe aucun terme pour désigner la notion de tolérance religieuse. En latin, l’intolérance : intolerentia, est cette « impatience », « insolence », « impudence » que provoque la présence face à un corps étranger. Ce peut être le cas pour les païens face à ce groupe chrétien étrange, énigmatique, considéré comme répugnant, ou l’inverse, pour des chrétiens qui voient le paganisme comme l’expression d’un univers démoniaque. Toutefois, ce qui relevait des pratiques va s’instiller jusqu’au fond des cœurs, et va s’imprégner de toute la puissance subjective des convictions intimes.
En effet, il serait faux de prétendre que les païens fussent ignorants de ce qu’une religion peut présenter d’intériorité. On ne s’en faisait pas gloire, contrairement au christianisme, qui exigeait une profession de foi, c’est-à-dire un témoignage motivé, authentique et sincère de son amour pour le dieu unique. Par voie de conséquence, l’absence de conviction dûment prouvée, du moins exhibée, était rédhibitoire pour les chrétiens. On ne se contentait pas de remplir son devoir particulier, mais on voulait que chacun fût sur la droite voie de la « vérité ». Le processus de diabolisation de l’autre fut donc enclenché par les progrès de la subjectivisation du lien religieux, intensifiée par la « persécution ». Au lieu d’un univers pluriel, on en eut un, uniformisé bien que profondément dualiste. La haine fut érigée en vertu théologique.
Comment l’avait décrit Polymnia Athanassiadi dans son étude de 2006 sur l’orthodoxie à cette période, la première tâche fut de fixer le canon, et, par voie de conséquence d’identifier ceux qui s’en écartaient, à savoir les hérétiques. Cette classification s’élabora au fil du temps, d’Eusèbe de Césarée, qui procéda à une réécriture de l’Histoire en la christianisant, jusqu’à Jean Damas, en passant par l’anonyme Eulochos, puis Épiphane de Salamine.
Néanmoins, l’originalité de l’étude de 2010 consacrée à l’évolution de la société tardo-antique vers la « pensée unique » provient de la mise en parallèle de la politique religieuse menée par l’empire à partir du IIIe siècle avec celle qui prévalut à partir de Constantin. Mme Athanassiadi souligne l’antériorité de l’empire « païen » dans l’installation d’une théocratie, d’une religion d’État. En fait, selon elle, il existe une logique historique liant Dèce, Aurélien, Constantin, Constance, Julien, puis Théodose et Justinien.
L’édit de Dèce, en 250, est motivé par une crise qui faillit anéantir l’Empire. La pax deorum semblait nécessaire pour restaurer l’État. Aussi fut-il décrété que tous les citoyens (dont le nombre fut élargi à l’ensemble des hommes libres en 212 par Caracalla), sauf les Juifs, devaient offrir un sacrifice aux dieux, afin de rétablir l’unité de foi, le consensus omnium.
Deux autres persécutions eurent lieu, dont les plus notoires furent celles en 257 de Valérien, en 303 de Dioclétien, et en 312, en Orient, de Maximin. Entre temps, Aurélien (270 – 275) conçut une sorte de pyramide théocratique, à base polythéiste, dont le sommet était occupé par la divinité solaire.
Notons que Julien, le restaurateur du paganisme d’État, est mis sur le même plan que Constantin et que ses successeurs chrétien. En voulant créer une « Église païenne », en se mêlant de théologie, en édictant des règles de piété et de moralité, en excluant épicuriens, sceptiques et cyniques, il a consolidé la cohérence théologico-autoritaire de l’Empire. Il assumait de ce fait la charge sacrale dont l’empereur était dépositaire, singulièrement la dynastie dont il était l’héritier et le continuateur. Il avait conscience d’appartenir à une famille, fondée par Claude le Gothique (268 – 270), selon lui dépositaire d’une mission de jonction entre l’ici-bas et le divin.
Néanmoins, Constantin, en 313, lorsqu’il proclama l’Édit de Milan, ne saisit probablement pas « toute la logique exclusiviste du christianisme ». Était-il en mesure de choisir ? Selon une approximation quantitative, les chrétiens étaient loin de constituer la majorité de la population. Cependant, ils présentaient des atouts non négligeables pour un État soucieux de resserrer son emprise sur la société. D’abord, son organisation ecclésiale plaquait sa logique administrative sur celle de l’empire. Elle avait un caractère universel, centralisé. De façon pragmatique, Constantin s’en servit pour tenter de mettre fin aux dissensions internes génératrices de guerre civile, notamment en comblant de privilèges la hiérarchie ecclésiastique. Un autre instrument fut utilisé par lui, en 325, à l’occasion du concile de Nicée. En ayant le dernier mot théologique, il manifesta la subordination de la religion à la politique.
Mais ce fut Théodose qui lança l’orthodoxie « comme concept et programme politique ». Constantin avait essayé de maintenir un équilibre, certes parfois de mauvaise foi, entre l’ancienne religion et la nouvelle. Pour Théodose, désormais, tout ce qui s’oppose à la foi catholique (la vera religio), hérésie, paganisme, judaïsme, est présumé superstitio, et, de ce fait, condamné. L’appareil d’État est doublé par les évêques (« surveillants » !), la répression s’accroît. À partir de ce moment, toute critique religieuse devient crime de lèse-majesté.
Quant au code justinien, il défend toute discussion relative au dogme, mettant fin à la tradition discursive de la tradition hellénique. On élabore des dossiers de citations à l’occasion de joutes théologiques (Cyrille d’Alexandrie, Théodoret de Cyr, Léon de Rome, Sévère d’Antioche), des chaînes d’arguments (catenae) qui interdisent toute improvisation, mais qui sont sortis de leur contexte, déformés, et, en pratique, se réduisent à de la propagande qu’on assène à l’adversaire comme des coups de massue.
La culture devient une, l’élite partage des références communes avec le peuple. Non seulement celui-ci s’entiche de métaphysique abstruse, mais les hautes classes se passionnent pour les florilèges, les vies de saints et les rumeurs les plus irrationnelles. L’humilité devant le dogme est la seule attitude intellectuelle possible.
Rares sont ceux, comme Procope de Césarée, comme les tenants de l’apophatisme (Damascius, Pseudo-Denys, Évagre le Pontique, Psellus, Pléthon), ou comme les ascètes, les ermites, et les mystiques en marge, capables de résister à la pression du groupe et de l’État.
Mise en perspective
Il faudrait sans doute nuancer l’analogie, la solution de continuité, entre l’entreprise politico-religieuse d’encadrement de la société engagée par l’État païen et celle conduite par l’État chrétien. Non que, dans les grandes lignes, ils ne soient le produit de la refonte de l’« établissement » humain initiée dès le déplacement axiologique engendré par l’émergence de l’État universel, période étudiée, à la suite de Karl Jaspers, par Marcel Gauchet, dans son ouvrage, Le désenchantement du monde. Le caractère radical de l’arraisonnement de la société par l’État, sa mobilisation permanente en même temps que la mise à contribution des forces transcendantes, étaient certes contenus dans le sens pris par l’Histoire, mais il est certain que la spécificité du christianisme, issu d’une religion née dans les interstices de l’Occident et de l’Orient, vouée à une intériorisation et à une subjectivité exacerbées, dominée par un Dieu tout puissant, infini, dont la manifestation, incarnée bureaucratiquement par un organisme omniprésent, missionnaire, agressif et aguerri, avait une dimension historique, son individualisme et son pathos déséquilibré, la béance entre le très-haut et l’ici-bas, dans laquelle pouvait s’engouffrer toutes les potentialités humaines, dont les pires, était la forme adéquate pour que s’installât un appareil particulièrement soucieux de solliciter de près les corps et les âmes dans une logique totalitaire.
La question de savoir si un empire plus équilibré eût été possible, par exemple sous une forme néoplatonicienne, n’est pas vaine, en regard des empires orientaux, qui trouvèrent un équilibre, un compromis entre les réquisits religieux, et l’expression politique légitime, entre la transcendance et l’immanence. Le néoplatonisme, trop intellectuel, trop ouvert à la recherche, finalement trop aristocratique, était démuni contre la fureur plébéienne du christianisme. L’intolérance due à l’exclusivisme dogmatique ne pouvait qu’engager l’Occident dans la voie des passions idéologiques, et dans une dynamique conflictuelle qui aboutirait à un monde moderne pourvu d’une puissance destructrice inédite.
Il faudra sans doute revenir sur ces questions. Toutefois, il n’est pas inutile de s’interroger sur ce que nous sommes devenus. De plus en plus, on s’aperçoit que, loin d’être les fils de l’Athènes du Ve siècle avant le Christ, ou de la République romaine, voire de l’Empire augustéen, nous sommes dépendants en droite ligne de cette Antiquité tardive, qui nous inocula un poison dont nous ne cessons de mourir. L’Occident se doit de plonger dans son cœur, dans son âme, pour extirper ces habitus, ces réflexes si ancrés qu’ils semblent devenus naturels, et qui l’ont conduit à cette expansion mortifère qui mine la planète. Peut-être retrouverons-nous la véritable piété, la réconciliation avec le monde et avec nous-mêmes, quand nous aurons extirpé de notre être la folie, la « mania », d’exhiber la vérité, de jeter des anathèmes, de diaboliser ce qui nous est différent, de vouloir convertir, persuader ou contraindre, d’universaliser nos croyances, d’unifier les certitudes, de militariser la pensée, de réviser l’histoire, d’enrégimenter les opinions par des lois, d’imposer à tous une « pensée unique ».
13:11 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire, religion, christianisme, paganisme, antiquité tardive, christianisme primitif, paganisme tardif, empire romain, bas empire, antiquité | |
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mercredi, 28 mai 2025
Le “moment Constantin” et la force des choses divines
Le “moment Constantin” et la force des choses divines
Claude Bourrinet
Source: https://www.facebook.com/profile.php?id=100002364487528
Les Antonins, au IIe siècle, portèrent l’Empire, fondé par Auguste sur les ruines restaurées d’une Res publica de façade, à un degré de puissance et d’équilibre inégalé, dont le forum de Trajan, le conquérant, témoigne. La tâche d’Hadrien était désormais, une fois les limites de la sécurité militaire atteintes, d’incarner dans une politique philhellène méthodique, au travers de pérégrinations touristiques aux confins de l’Empire et de réalisations architecturales qui synthétisaient dans une harmonie et une plénitude enfin retrouvées, la vérité dans la beauté, en quoi se reconnaît le génie grec. Mais c’était un point d’équilibre précaire. Jamais la civilisation n’avait atteint ce degré d’épanouissement classique, mais tandis que les formes affichaient une froideur pour ainsi dire officielle, publique, politique, et qu’elles rendaient par là les fruits de la paideia, de la culture humanistique des hautes classes imprégnées de rhétorique, de philosophie et d’art grecs, une inquiétude souterraine minait les cœurs et les consciences. C’est le paradoxe d’une époque louée par Aelius Aristide en 147 devant Antonin le Pieux, âge de la pax romana, d’une prospérité universelle, d’une politique sage dans le respect de l’ordre. Mais c’est ce même Aristide, hypocondriaque, malade chronique, qui vouera à Asclépios un culte dont les relents s’apparentent à la superstition populaire que les Grecs, sans la condamner, opposaient à la sagesse philosophique.
On doit bien avoir à l’esprit cette faille spirituelle intérieure pour juger à sa juste mesure un Nietzsche un peu trop influencé par Gibbon. Non qu’il ne faille voir, si l’on veut, dans la prise du pouvoir par Constantin, un pronunciamento qui a réussi; mais il faut préciser plusieurs traits de cet Empire qui était destiné, selon le philosophe au marteau, à durer quasi éternellement. Peut-être au demeurant aurait-il été plus fidèle aux présocratiques, qu’il prisait tant, comme Héraclite, par exemple, en rectifiant son assertion un peu aventureuse. Giuseppe Tomasi de Lampedusa, dans Le Guépard, est certainement plus proche de la réalité lorsqu’il place dans la bouche du prince la fameuse boutade : « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change… ». L’Empire « byzantin », tel que l’institua génialement (même si l’on n’aime pas le personnage, il faut bien reconnaître sa grandeur, et ce n’est pas déchoir que de percevoir dans ses pires ennemis les vertus qu’on loue par ailleurs) Constantin, était la continuation par d’autres moyens de l’entreprise que Dioclétien avait mise en place par sa formule de la tétrarchie, et surtout de la légitimation de l’ordre politique par l’ordre divin – idée qui hantait les laudateurs de princes depuis les diadoques au moins – stoïciens et, plus tard, néoplatoniciens n’étant pas en reste pour donner aux rudesses du régime impérial les lustres d’une onction supraterrestre. Avec les empereurs illyriens, il s’agit d’une politique consciente, méthodique, brillamment appliquée, réorganisation administrative, financière, militaire, religieuse qui sauva l’Empire. La seule erreur de perspective de Dioclétien fut la croyance qu’on pût coopter le meilleur, comme sous les Antonins. Cependant, on peut dire qu’il assit les fondations du nouvel Empire sur un terrain solide, que Constantin étaya avec le christianisme. La « seconde Rome » allait durer encore plus de mille ans.
Néanmoins, pourquoi le christianisme ? Pourquoi pas, comme fut tenté de le faire un temps Constantin, le culte d’Apollon, ou bien, comme Aurélien, celui du Sol Invictus ? Il faut bien sûr faire la part des influences. Constantin était entouré d’aristocrates christianisés, à commencer par sa mère, Hélène, et de nombreux soldats avaient été convertis au galiléisme. Les facteurs sont autant subjectifs qu’opportunistes. Peut-être faudrait-il invoquer un machiavélisme de tout temps, celui des hommes d’État, ou les caprices d’un homme qui joignait au réalisme une âme inquiète et impulsive, comme la plupart de ses contemporains.
Néanmoins, il faut resituer le « moment Constantin » dans une plus large perspective, et s’interroger sur la « force des choses », une nécessité qui vient de loin, et qui s’inscrit dans un fatum par définition irrésistible. Non qu’il faille accepter la fable magistralement élaborée par l’âme damnée de Constantin, Eusèbe de Césarée, qui réécrivit l’histoire romaine en l’interprétant théologiquement à la lumière de la saga chrétienne, depuis la création du monde jusqu’à l’avènement du dominus vénéré. Cependant, il existe une logique interne à un phénomène que Jaspers a nommé le basculement axial, c’est-à-dire, de fait, la naissance de l’État il y a cinq mille ans. La relation vivante de l’homme avec le divin subit alors une fracture, ou plus précisément un éloignement du principe, de l’origine, qui, en offrant une certaine autonomie au champ politique, et donc le moyen pour des spécialistes de l’administration et de la religion d’arraisonner les consciences, les cœurs et les corps, ont intériorisé la piété, et ouvert dans l’abîme individuel un puits sans fond d’angoisse et d’espérance.
Comme l’explique Marcel Gauchet dans Le Désenchantement du monde, cette dynamique politique ne pouvait que s’élargir à l’Empire universaliste, à une paradoxale égalité des destinées, face à la mort et à la survie de l’âme, doublée d’une hiérarchisation drastique des conditions sociales et économiques. Le processus s’est effectué sur une longue durée, avec des phases de ralentissement ou de précipitation, de l’Est vers l’Ouest, selon des modalités ethno-historiques différentes (la polis grecque n’étant pas l’Empire achéménide), mais toujours dans le sens d’une prise en main par les hommes de leur propre destinée, et par un dessaisissement du divin, une dépossession de la part du sacré transcendant. La véritable question résidait, en ce qui concerne l’Empire romain, non sur son régime, car il était, d’une façon ou d’une autre, voué au totalitarisme, mais à l’identité de la religion, ou de la métaphysique, qui allait emporter le morceau. Et ce fut le christianisme.
L’Empire despotique et universaliste avait à sa disposition plusieurs dispositifs sacro-idéologiques (liant là-bas et ici, et diffusant dans le corps social une légitimation puisées aux sources de l’ailleurs et du tout autre); ainsi la tétrarchie dioclétienne tenta-t-elle un « revival » polythéiste enté dans le passé païen. Dioclétien est littéralement un réactionnaire, il réagit aux défis et à l’urgence en s’emparant de ce que le patrimoine gréco-romain lui lègue. Cependant, et Julien, un siècle plus tard l’apprendra à ses dépens, les statues polythéistes se sont progressivement pétrifiées, ont perdu de leur vie sacrale, avec leurs socles, qui étaient la polis, la cité-État antique, laquelle s’est vue dépossédée de ses prérogatives politiques et militaires par un État central qui ne lui a laissé que la gestion municipale et sa culture propre. Jupiter ne pouvait plus faire vraiment concurrence au Dieu jaloux des Juifs, au moment où la tendance lourde de l’aspiration religieuse était au monothéisme.
Les empereurs orientaux, comme Aurélien, l’avaient saisi, de par leur origine, et parce que l’esprit du temps les frappait particulièrement, eux qui venaient d’une terre pourvoyeuse de divinités. Car si le syncrétisme marquait les consciences en recherche depuis surtout le IIe siècle, mêlant Osiris, Jupiter, Cybèle, Jésus, que sais-je encore ?, des cristallisations se réalisaient autour de certaines figures particulièrement séduisantes, le Soleil, notamment, qui voit tout et semble donner l’existence à tout ce qui vit, et Mithra, la divinité iranienne dispensatrice de lumière, dont le culte était répandu dans les légions, du fait de son caractère martial et de son dualisme radical (sa luminosité étant perçue comme un symbole de lutte du Bien contre les forces ténébreuses du Mal).
Toutefois, ces religiosités possédaient maints traits qui les invalidaient: le culte du Sol invictus, trop abstrait, moins personnifié que celui du Christ, ne survivra qu’après sa récupération comme symbole (par exemple dans le choix du 25 décembre comme date de la nativité); celui de Mithra, outre qu’il était pratiqué par des soldats qui n’étaient pas très aimés des populations, avaient le défaut rédhibitoire d’être la religion de l’ennemi héréditaire, des Perses. Il reviendra en Occident, au Moyen Âge, avec sa déclinaison chevaleresque. Il faut aussi évoquer la mystique platonicienne, bien trop intellectuelle pour déborder des cercles restreints. L’homme angoissé parviendrait-il à prier l’Un pour guérir ses blessures existentielles ? Certes, la théologie, la métaphysique, néo-platonicienne était d’une rare profondeur, en quoi elle constituait un danger latent pour l’orthodoxie ecclésiale, dans la mesure même où elle influait sur les esprits de manière prégnante (par exemple, Augustin, après sa période manichéenne, y viendra, avant de s’abandonner au christianisme). Mais la métaphysique de Plotin – pour n’évoquer que le meilleur penseur, le disciple, avec Origène, de l’Alexandrin Ammonius Saccas (ill. ci-dessous), nourrira la théologie chrétienne et même islamique.
L’apophatisme, son aboutissement logique, dont Damascius est un des principaux représentants (et, dans sa version chrétienne, le pseudo-Denys l’« Aréopagite »), ne sera pas sans conséquences pour la pensée européenne. Néanmoins, il n’y avait pas dans ses trésors philosophiques, malgré leur pendant théurgique (Jamblique, Porphyre) combattu par l’Église, la charge émotive susceptible de mouvoir les masses. Quant au christianisme, il avait l’inappréciable avantage d’être une religion apte à les toucher subjectivement, à leur offrir une espérance eschatologique fondée sur la foi, à manier la terreur supranaturelle et celle, plus matérielle, du bras séculier, à déployer de façon méthodique un appareil de propagande, d’endoctrinement, et, finalement, peut-être son atout principal, à offrir à l’État un appareil de quadrillage, de contrôle et de mobilisation du corps social dont l’Empire, ce camp retranché, cette forteresse assiégé, avait tant besoin pour assurer un maximum de cohésion. Tout cela a été répété dans d’excellents ouvrages. L’Église est donc la grande gagnante du renversement de monde, de mentalité, de vision qu’a constitué l’Antiquité tardive.
Il est indispensable cependant d’apporter quelque repentir à cette ligne directrice. En effet, si victoire il y eut, elle ne fut pas totale. D’abord subsistaient des poches importantes de résistance, surtout dans la pars occidentalis de l’Empire, notamment dans l’aristocratie, mais aussi dans la paysannerie, qui restera par ailleurs attachée, malgré la christianisation des campagnes, à ses us et coutumes, quitte à les décorer du vernis galiléen. Ce que l’on nommera plus tard la superstition, la magie, ou tout simplement le folklore, n’est qu’une persévérance dans les certitudes païennes, lesquelles seront encore présentes dans nos campagnes jusqu’au XIXe siècle.
Ramsay MacMullen a très bien montré combien ces traditions étaient encore très vivantes, avec leur pittoresque, leur chaleur, en plein siècle constantinien. Il semble bien que leur réduction se soit faite surtout par tout un tas de moyens de coercition et d’influence. Si le christianisme a eu du succès, ce fut tout autant pour des raisons politiques que pour des causes sociales ou psychologiques touchant les esclaves et les femmes, explication qu’il ne faudrait pas au demeurant exagérer, l’Église étant aussi conservatrice en ce domaine que le milieu dans lequel elle baignait.
En revanche, s’il faut à tout prix s’aventurer dans le secteur économique pour chercher les racines du triomphe chrétien, il paraît douteux qu’on les trouve dans la stratégie des puissants locaux, des maîtres campagnards qui, pressés par un fisc envahissant et exigeant, auraient sauté sur l’occasion d’instiller à des colons au statut plus libre que celui des esclaves les vertus du travail et l’attachement à des tâches pénibles. Le régime social du colonat, du fait de la raréfaction de la main d’œuvre servile, les conquêtes ayant cessé à partir du IIe siècle, ne saurait expliquer à lui seul les progrès du christianisme, dont une extrapolation rétrospective nous souligne la morale de responsabilité, l’individuation, voire l’individualisme, et la réhabilitation du travail humain. Outre que l’invocation de l’économie comme génératrice de comportement et de mentalité paraît largement sujette à caution, du fait de sa simplicité, de son schématisme abusif (il est inutile de reprendre toutes les critiques, justifiées, qui ont été portées à ce sujet contre le marxisme), une telle hypothèse rencontre des objections sérieuses. Écartons l’hypothèse naïve qui voudrait qu’on eût fait appel au Charpentier divin pour revaloriser un travail mis à mal par les préjugés antiques, qui l’associaient au mépris de l’esclave.
L’otium était un luxe aristocrate; dans la pratique, le paysan, libre ou non, ne se posait pas un type de questionnement restant le privilège de ceux qui avaient le loisir de penser : il travaillait rudement, par besoin, pour offrir à sa famille le minimum pour vivre (l’économie, comme celle du Tiers-Monde aujourd’hui, ou celle de l’Ancien Régime, ayant été sujette à une précarité permanente). Dans la réalité, il n’existait pas toujours de différence entre l’esclave, considéré comme chose, et le cultivateur « libre », lié par la nécessité à la terre et au maître qui la possédait. Qu’il eût à fournir un labeur épuisant ne relevait pas d’un choix.
Le paganisme offrait un cadre existentiel capable de justifier le rôle de chacun dans l’économie des devoirs et des droits. La vie d’un humble se situait surtout à l’échelle de sa famille. L’antique religiosité polythéiste comportait assez d’arguments pour persuader le paysan de remplir ses charges. Non qu’il ne pût, parfois, quitter, à ses risques (car Dioclétien avait institué la fixité des conditions, de génération en génération) son lieu de survie. Mais pour quelle aventure ? Peut-être la ville (qui était surveillée), sans doute le brigandage. Mais c’étaient des destins individuels (une autre option était, comme on le verra, le monastère, l’érémitisme). Cependant, dans l’hypothèse où l’explication du colonat serait fondée pour éclairer la victoire du christianisme, pourquoi lui a-t-il fallu plusieurs siècles pour s’imposer, dans le même temps que le colonat se répandait ? Ensuite, il se trouve que c’est dans la partie orientale de l’Empire que la religion du Christ s’est le plus divulguée, par exemple à Antioche, ou à Alexandrie, là où justement le colonat était beaucoup moins adopté qu’en Europe occidentale, qui a mis tant de mal à se donner au christianisme ?
En Asie se trouvaient des villages de paysans libres, autogérés, ou sans protection. L’un des atouts de l’Église a été de déposséder les anciens protecteurs pour se substituer à eux, ou bien de les incorporer à son appareil. Mais n’oublions pas une chose essentielle, que l’on a tendance à occulter, et qui est réapparue dans sa vérité à l’avènement de la modernité, après que le christianisme médiéval, qui drainait d’antiques réflexes, eut laissé la place à un monde individualisé et citadin : le christianisme est par essence une religion du déracinement, donc anti-paysanne, et son anthropologie relève de la ville, du nomadisme, de l’individu face au Dieu unique, et d’une intersubjectivité en principe délivrée des attaches traditionnelles. Elle est porteuse d’un projet dynamique qui pousse l’avenir, transmute la personne et la rive à un avenir eschatologique indéfini.
Enfin, si le dominus a pu s’appuyer, par hypothèse, sur la vertu d’obéissance qu’on prête à la morale chrétienne, le contraire est non moins vrai, car non seulement la révolte au nom de Dieu, du moins la réprobation des princes de ce monde, peut éventuellement être justifiée (et combien de soulèvements, dans l’Empire byzantin, ont-ils eu lieu !), mais il n’est pas donné que l’intégration au siècle soit assurée. Il n’est qu’à évoquer l’anachorétisme, qui s’est justement répandu au moment du triomphe chrétien, et qui a vu des dizaines de milliers de paysans, à qui on faisait parfois la chasse, fuir dans le désert, ou se réfugier dans des monastères. Si c’était là un calcul, il s’est avéré coûteux. De fait, le travail comme valeur productive, après avoir été une pénitence durant de nombreux siècles pour les religieux, n’est devenu un facteur économique sérieux qu’à partir du XIe siècle, sous l’influence conjuguée du monachisme (surtout de son courant cistercien) et de la ville, qui, progressivement, s’émancipe des contraintes morales du passé, tout en revalorisant l’argent, le profit, le travail productif. Lexicalement, le terme « travail » remplace labeur seulement à la fin du Moyen Âge. Quant à l’Antiquité tardive, qui est pesamment redevable du monde du passé, et qui, dans son mode de vie, en reprend toutes les structures, on ferait un anachronisme de lui octroyer des caractéristiques qui n’appartiennent qu’au futur.
En revanche, il semble que le christianisme soit parvenu à répondre aux attentes des masses, dont MacMullen souligne l’homogénéité mentale, quelles que soient les origines sociales (pour lui, l’Empire de Dioclétien a remplacé les anciennes élites par de nouvelles, moins cultivées et partageant de plus en plus la vision du bas peuple). Il est très difficile d’expliquer l’émergence et le succès d’une religion. Beaucoup trop de causes se mélangent. Toutefois, certains signes peuvent se lire, notamment dans ce qui constitue la haute expression de la sensibilité, de l’esprit et de la culture, à savoir l’art. Bernard Andrae, dans le superbe ouvrage qu’il consacra à l’art de l’ancienne Rome, aux éditions Mazenod, a suivi pas à pas l’évolution des reliefs des sarcophages à partir du IIe siècle, le rituel de l’inhumation ayant à cette époque tendu à remplacer l’incinération, les catacombes à loculi, les columbaria.
Je reprends son chemin exégétique, pour mettre en évidence l’évolution spirituelle des habitants de l’Empire, tout autant dans les hautes classes (qui sont plus analysées ici) que dans les basses (finalement plus prémunies contre les révolutions radicales). Le sarcophage de Velletri (140 – 150) présente, dans la scène intitulée « Les travaux d’Hercule », l’espérance d’une survie après la mort, souci relativement délaissé par la mentalité païenne traditionnelle. Cette angoisse se rencontre dans le culte du favori d’Hadrien Antinoüs, disparu tragiquement et divinisé par son amant, lui-même rongé par une inquiétude cachée par le vernis hellénique. C’est à cette époque que la piété, dans les œuvres philosophiques, rencontre la notion de responsabilité morale, là aussi phénomène relativement inédit dans la vision antique.
L’art, à partir de ce moment, va transposer les valeurs de sacralité et surtout l’aspiration à l’éternité. Les sarcophages à bas-reliefs sont originaires de l’Orient, ce qui n’est pas sans intérêt religieux. Les tombeaux sur la voie Appienne, la via Latine, ou la via portuense sont un témoignage des nouvelles habitudes des classes aisées. On a retrouvé, sous les thermes de Caracalla, une peinture sur fond rouge, datée sous Hadrien entre 130 et 138. « Elle exprime une agitation intérieure étrangère au véritable classicisme, un abandon mystique total au charme du monde dionysiaque. Ces figures […] trahissent […] le déchirement entre la ratio et l’anima qui fut le destin de cette époque ». D’un point de vue technique, la sculpture adopte une nouvelle méthode: l’utilisation de la vrille et du burin donne plus d’intériorité aux iris et pupilles, tandis que celle de la vrille sans interruption, afin d’obtenir un sillon continu, dématérialise cheveux et vêtements.
À Portonaccio, en 190, sous Marc-Aurèle, une « Bataille contre les Barbares » (ill. ci-dessus), masse bouillonnante découpée par l’ombre et la lumière, montre des « êtres épuisés, émaciés, marqués par le chagrin et l’humiliation », symbole de la fragilité humaine. Andrae insiste sur la rupture brutale que constitue la période qui va du règne d’Antonin à celui de Marc-Aurèle : « ce tournant a été l’un des événements les plus profondément marquants pour la conscience humaine en Occident. C’est le seuil entre l’Antiquité et le Moyen Âge. Il signifie la relève du concept empirique fondé sur l’observation de la nature par une notion spéculative, métaphysique. Si réfléchie que soit cette nouvelle acception de l’art, son mobile n’en est pas moins l’irrationnel, la quête de la vérité intérieure des phénomènes, de leur transcendance. »
De même, la composition de la colonne Aurélienne (ill. ci-dessus) exprime à sa manière ce tournant, en dédaignant l’espace au profit d’une monotonie quasi abstraite et la préférence pour un alignement frontal, comme si la projection dans une autre dimension, spirituelle, gommait les aspérités du réel naturaliste. Cette logique s’accentue avec les empereurs-soldats. La série des portraits impériaux du IIIe siècle, notamment, montre des traits qui se dématérialisent et qui expriment une grande intensité émotionnelle, une violence intériorisée et une angoisse sous jacente. À moins qu’ils ne nous offrent, comme celui du fils de l’empereur Valérien, Gallien (ill. ci-dessous), la « forme hiératique d’une image de sauveur, un nouvel idéal de l’être animé par le pneuma prôné par la philosophie de l’époque ».
Ces bustes semblent fixer un lointain inaccessible, peut-être cette éternité qui apparaît sur un sarcophage sous la figure de Vénus, sur ce bas-relief qui décrit une chasse au lion, animal symbole de la mort. Les chrétiens chantaient : « Libera nos de ore leonis », « Délivre-nous, Seigneur, de la gueule du lion », c’est-à-dire de la mort terrestre. Sur le sarcophage du musée de Prétextat, les Dioscures font référence au destin eschatologique de l’âme, au salut. Sur celui de Flavius Arabianus (270 – 280), « nous voyons un alignement sévère, l’espace est devenu plan. Corps et costumes sont également épurés, dématérialisés. […] Au centre, […] le couple nuptial […]; les regards se cherchent avec une intensité douloureuse ».
Le sarcophage du musée Tolonia (597) nous lègue l’« idéal de l’aner musicos, de l’homme cultivé qui, dans ce monde en proie aux troubles extérieurs, a édifié un nouvel univers intérieur et su trouver en son sein, autant que dans les cérémonies de la vie publique, repos et éternité ». Celui du Latran, monumental, montre un philosophe enseignant : il a « le front très haut, chargé de pensées, au regard interrogateur ». Les figures sont pourvues de grandes mains, à « la recherche de la transcendance ». Le grand sarcophage « Ludovisi » (ill. ci-dessous), au musée des Thermes à Rome, annonce déjà le Moyen Âge dans les visages douloureux et terriblement humains des barbares prisonniers. Dans les représentations des tétrarques, les traits, par contre, sont « désindividualisés » : l’accent est mis sur la fonction symbolique.
Avec l’Arc de Constantin, qui porte des bas-reliefs de l’Arc de Dioclétien, nous sommes « en face d’un dessin purement linéaire, sans volume ». « À travers la surface des linéaments abstraits, [on devine] la forme incorporelle des anges chrétiens et des saints qui allaient décorer les enceintes de marbre des chœurs et illustrer dans un autre style, celui de la mosaïque, l’intérieur des églises chrétiennes. » Les figures, qui ont perdu toute individualité, sont disposées, sur la frise qui décrit la scène de distribution d’argent, « selon un ordre hiérarchique qui assigne à chacun sa place fixe ». Dans la basilique édifiée par Maxence, la statue de l’empereur (Palais des conservateurs à Rome - ill. ci-dessous) montre « le nouveau souverain, créature humaine siégeant dans l’Au-Delà », dépassé par la majesté divine. Le « visage limpide, calme, aux yeux immenses, rayonnants, […] témoigne d’une nouvelle certitude transformant de fond en comble toutes les valeurs ».
Le sarcophage de porphyre d’Hélène, mère de Constantin, à Trèves, comporte un lien de parenté avec la « Dea Barberini » du palais du Latran, la fresque du plafond du palais de Crispus, le sol mosaïque de la villa constantinienne de Daphné. « Toutes ces œuvres ont un caractère commun : elles ne cherchent plus à traduire une réalité extérieure, soumise à la loi naturelle organique, à la pesanteur, aux impératifs de l’espace euclidien; elles créent un univers spirituel lumineux qui transcende la vie terrestre. [Au] palais de Trèves, les incrustations de marbre poli qui, grâce à des fenêtres cintrées, fondent en lumière l’immense espace de la cour, ainsi sur le fond lumineux de porphyre du sarcophage géant se détache, affranchie de la pesanteur, la charge triomphale des lanciers au-dessus des ennemis enchaînés et terrassés. L’espace qui emporte l’adversaire dans un tourbillon est un espace dans un tourbillon est un espace abstrait, insaisissable, les vainqueurs rayonnant dans la lumière réfléchie flottent plutôt qu’ils ne chevauchent. La formidable pesanteur du bloc de roche est abolie dans l’éclat et le scintillement du porphyre poli ».
Ainsi Constantin se vit-il comme le restaurateur, le continuateur, celui qui résumait en un nouvel empire l’ancien et le nouvel homme, spirituel, mystique et jouant son existence éternelle dans la cité terrestre. Jamais il n’eut la prescience qu’il rompait radicalement avec l’Empire pérenne. Au contraire, il lui assurait une vie supérieure en le spiritualisant. Qu’il se soit trompé, qu’il ait installé une religion qui serait, comme le démontre Marcel Gauchet, la religion de la sortie de la religion, comment l’aurait-il su ?
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mardi, 27 mai 2025
René Guénon et la conspiration mondialiste en 1920
René Guénon et la conspiration mondialiste en 1920
Nicolas Bonnal
On rappelle la phrase éternelle de Chateaubriand, extraite de la conclusion de ses Mémoires:
« La folie du moment est d'arriver à l'unité des peuples et de ne faire qu'un seul homme de l'espèce entière… »
On pourrait croire que René Guénon s’adresse à un aréopage d’apprentis-initiés en rupture de ban avec le monde moderne et en recherche d’une sûre spiritualité. Rien de plus erroné. Il a publié nombre de livres et de textes pratiques, informés contre le monde moderne et ses conspirations, ou contre le monde moderne et son abrutissement (sa dénonciation du courtisan moliéresque à perruque, ignorant du moyen âge, montre que ce monde moderne est apparu d’un coup, vers et après la Renaissance). Les noms ont à peine changé, les méthodes et les objectifs restent les mêmes : conspiration, universalisme, gouvernement global, exotisme androïde, humanitarisme cool, régime alimentaire !
Parmi ces livres, celui sur le théosophisme. Il annonce la belle conspiration mondiale, multiraciale et occultiste sous l’égide anglo-saxonne et en particulier britannique. Ce livre devait attaquer la secte sur le plan spirituel, mais Guénon ne résiste pas dans les derniers chapitres de son livre à dévoiler ce qui se trame derrière la coulisse, comme disait notre bon Disraeli.
Et cela donne par exemple ces lignes sur l’orientation humaniste ou même végétarienne de la secte :
… il est facile de se rendre compte que le but déclaré de presque toutes ces associations, en mettant à part celles qui ont un caractère très spécial et ouvertement théosophiste, se rattache à peu près exclusivement à un certain nombre d'idées directrices à base sentimentale : humanitarisme, pacifisme, antialcoolisme, végétarisme, qui sont particulièrement chères à la mentalité essentiellement moraliste du Protestantisme anglo-saxon. Certains mouvements actuels, certaines campagnes antialcooliques par exemple, ont des dessous fort curieux à étudier…
Sur cette base humanitaire on déclare tout le temps la guerre, y compris à son système digestif.
Guénon remarque sur le végétarisme (cf. les interdits hitlériens à cet égard) :
… nous sommes les frères des animaux, disent-ils, et on ne doit pas dévorer ses frères, même s'ils sont moins « évolués » que nous ; on pourrait leur répondre que, de la façon dont ils comprennent l'évolution, nous sommes aussi les frères des végétaux, voire même des minéraux, de sorte que leur raisonnement, rigoureusement poursuivi et appliqué, nous condamnerait à mourir de faim purement et simplement.
Dans le chapitre-clé, le XXIX, Guénon indique que la secte est à dominante anglaise et surtout impérialiste :
…si la Société prise dans son ensemble est en effet internationale, sa direction n'en est pas moins devenue purement anglaise ; aussi, quelles qu'aient pu être parfois les apparences, nous avons la conviction, nous pourrions même dire la certitude, que le théosophisme, envisagé sous ce rapport, est surtout un instrument au service de l'impérialisme britannique.
La secte pensait garder le contrôle de l’Inde, qui n’a jamais su se libérer de l’emprise occidentale. Considérez cette abolition du cash, qui sent le sectiféré.
« Beaucoup de vieux Indiens et plusieurs livres sur la révolte de l'Inde parlent de la manière incompréhensible dont les nouvelles d'événements ayant lieu à distance pénétraient quelquefois dans les bazars des natifs avant qu'elles arrivassent aux Européens, dans les mêmes endroits, malgré l'emploi des moyens de communications les plus rapides dont ils pouvaient disposer. L'explication qui m'a été donnée de ce fait est que les Frères (c'est-à-dire les « Mahatmas »), qui à cette époque désiraient conserver le pouvoir britannique parce qu'ils le regardaient comme préférable pour l'Inde à tout autre système de gouvernement venant des natifs. »
Un bon gouvernement mondial pour tout le monde - à dominante humanitaire. Pour G. K. Chesterton comme pour Jack London il en va de même à la même époque. Chesterton décrit le règne de la femme et l’abolition impériale du peuple anglais.
Un peu de Jack London pour la piqure de rappel. Il parle déjà de nos élites dans le Talon de fer :
Ils se croyaient les sauveurs du genre humain, et se considéraient comme des travailleurs héroïques se sacrifiant pour son plus grand bien.
Jack London rajoute :
« Ils étaient convaincus que leur classe était l’unique soutien de la civilisation… Sans eux, l’anarchie régnerait et l’humanité retomberait dans la nuit primordiale d’où elle eut tant de peine à émerger. »
Et l’élite finit alors par haïr le peuple :
« Telle était la bête (le peuple) qu’il fallait fouler aux pieds, et son écrasement constituait le suprême devoir de l’aristocrate ».
Retour à René Guénon qui va préciser une autre fois les objectifs mondiaux de la bonne vieille secte impériale (tout empire est par essence multiracial ; et plus une république est multiraciale plus elle devient impériale – ou l’inverse) :
« Voici le texte de ce serment, dont le début ne laisse place à aucune équivoque : « Estimant que l'intérêt primordial de l'Inde est de se développer librement sous le pavillon britannique, de s'affranchir de toute coutume qui puisse nuire à l'union de tous les habitants, et de rendre à l'Hindouisme un peu de flexibilité sociale et de fraternisme vécu, je promets (…) : 5° de ne tenir aucun compte, dans la vie sociale et politique, des différences de couleur et de race ; de faire ce que je pourrai pour favoriser l'entrée libre des races de couleur dans tous les pays, sur le même pied que les émigrants blancs ; 6° de combattre activement tout ostracisme social en ce qui concerne les veuves qui se remarient ; 7° d'encourager l'union des travailleurs dans tous les domaines de progrès spirituel, éducatif, social et politique, sous la direction du Congrès National Hindou ».
Annulation des nations et création d’un réseau de frères ! Guénon précise :
« Ce prétendu « Congrès National Hindou », il est bon de le dire, fut créé par l'administration Anglaise avec la coopération des théosophistes… »
Et il rappelle que l’on a fait mine d’arrêter alors l’agent (pardon, la grande initiée) Annie Besant (photo) :
« On a bien essayé, en 1916, pour la réhabiliter aux yeux des Hindous et donner à ceux-ci quelque confiance en elle, d'un simulacre d'internement dans sa propre villa de Gulistan, ce qui ne l'empêcha d'ailleurs nullement d'y tenir des réunions ; mais cette ruse assez grossière ne put tromper personne, et il n'y a qu'en Europe que quelques-uns ont cru que cette mesure avait été motivée par un changement réel dans l'attitude politique de Besant. »
Et Guénon termine par les buts messianiques de l’époque.
« …l'Angleterre est appelée à dicter ses lois au monde entier (le rôle essentiel du Manou est, en effet, le rôle de législateur). Ce sera bien la réalisation des « Etats-Unis du Monde », mais sous l'égide de la « nation dirigeante et à son profit exclusif ; ainsi, l'internationalisme des chefs du théosophisme, c'est bien, tout simplement, l'impérialisme britannique porté à son degré le plus extrême… »
Un autre qui avait bien décrit la méthode impériale est cet auteur :
« Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de production; elle les force à introduire chez elles ce qu'elle appelle civilisation, c'est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image. »
Sous peine de mort : Marx a tout dit. Quand vous calculerez le nombre de civilisations que les Anglo-Saxons - ou les Occidentaux- ont détruites dans le monde entier…
Bibliographie:
Chateaubriand – Mémoires d’Outre-tombe (conclusion)
Chesterton – Un nommé jeudi – Hérétiques – Le retour de Don Quichotte
Mgr Henri Delassus – La conjuration antichrétienne
René Guénon – Le théosophisme, histoire d’une pseudo-religion – Le règne de la quantité – L’erreur spirite – La Crise du monde moderne
Jack London – Le Talon de fer
Marx - Manifeste du parti communiste
Nicolas Bonnal – Littérature et conspiration : les grand auteurs à l’âge des complots (Dualpha) – Chroniques sur la Fin de l’Histoire (Amazon-Kindle)
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mardi, 06 mai 2025
Cinquante ans plus tard: réflexions sur la fin de la guerre du Vietnam
Cinquante ans plus tard: réflexions sur la fin de la guerre du Vietnam
Alexander Azadgan
Un demi-siècle depuis la chute de Saigon
Le 30 avril 2025 marque le cinquantième anniversaire de la chute de Saigon et de la fin officielle de la Guerre du Vietnam, un moment qui non seulement a conclu l'un des conflits les plus polarisants de l'histoire moderne, mais a également initié un long processus de guérison, de commémoration et de réconciliation, qui se poursuit encore.
Ce jour-là, en 1975, les forces nord-vietnamiennes sont entrées dans la capitale sud-vietnamienne, mettant fin à une guerre qui s'était étendue sur plus de deux décennies et avait causé un coût humain effroyable. Les images de nos hélicoptères américains évacuant des civils désespérés depuis les toits restent gravées dans la mémoire mondiale — symboles à la fois de la défaite et du soulagement.
Une guerre qui a défini une génération
La Guerre du Vietnam a commencé dans l'ombre de la Guerre Froide, enracinée dans une lutte mondiale entre le communisme et le capitalisme. Pour nous, Américains, le Vietnam était un champ de bataille par procuration, où la théorie de l'endiguement rencontrait la dure réalité de la jungle. Plus de 58.000 de nos soldats américains y ont perdu la vie, et des centaines de milliers d'autres sont revenus physiquement ou psychologiquement marqués.
Pour les Vietnamiens, la guerre était aussi la continuation d'une lutte plus longue pour l'indépendance, d'abord contre le colonialisme français puis contre notre intervention américaine. Le nombre de victimes civiles se chiffrait chez eux en millions. Des villages entiers ont été détruits, et les paysages ont été à jamais modifiés par le napalm et l'Agent Orange. Ce n'est qu'en 1995 que le Vietnam a publié son estimation officielle des morts de cette guerre: jusqu'à 2 millions de civils des deux côtés et quelque 1,1 million de combattants nord-vietnamiens et du Viet Cong. L'armée américaine a estimé qu'entre 200.000 et 250.000 soldats sud-vietnamiens sont morts pendant la guerre.
Division au pays, transformation à l'étranger
La guerre a profondément divisé notre société américaine. Au fur et à mesure qu'elle progressait, le soutien s'est érodé et les manifestations anti-guerre se sont multipliées, notamment parmi les étudiants, les militants des droits civiques et les anciens combattants eux-mêmes. La confiance dans le gouvernement américain a subi un coup majeur, en particulier après la publication des Pentagon Papers, qui ont révélé des années de désinformation et de motivations cachées.
Sur le plan international, la guerre a mis à rude épreuve nos alliances américaines et a remodelé la politique étrangère, conduisant à une approche plus prudente au cours des décennies suivantes. Pour le Vietnam, la réunification sous la direction communiste a marqué le début d'un long et difficile chemin vers le rétablissement.
De l'ennemi au partenaire
Aujourd'hui, les États-Unis et le Vietnam entretiennent une relation étonnamment chaleureuse. Les liens diplomatiques ont été officiellement rétablis en 1995, et les deux nations collaborent désormais dans le commerce, l'éducation et la sécurité régionale. Les efforts conjoints pour éliminer les munitions non explosées, aider les victimes de la guerre chimique et récupérer les soldats disparus témoignent d'un engagement partagé à assumer le passé.
Commémoration et réflexion
Alors que le monde célèbre ce sombre anniversaire, des mémoriaux et des cérémonies sont organisés des deux côtés du Pacifique. Les histoires des anciens combattants sont revisitées, leurs contributions honorées et leurs expériences enseignées à une nouvelle génération peu familière avec les réalités de la guerre.
Cet anniversaire sert non seulement de souvenir de ceux qui ont été sacrifiés, mais aussi d'appel à apprendre de l'histoire. Il nous invite à réfléchir de manière critique au coût humain des décisions politiques et à nous efforcer de faire preuve de diplomatie et de compréhension dans un monde de plus en plus complexe.
Quelles sont les leçons qui, espérons-le, ont été apprises de la guerre du Vietnam ?
La Guerre du Vietnam a enseigné plusieurs leçons essentielles aux États-Unis et au monde, et elles concernent la stratégie militaire, la politique étrangère, l'opinion publique et les réalités géopolitiques. Voici quelques-uns des enseignements les plus importants :
- Les limites de la puissance militaire: malgré une technologie et une puissance de feu supérieures, les États-Unis n'ont pas pu remporter une victoire décisive. La guérilla, le terrain inconnu et un ennemi déterminé ont montré que la puissance militaire seule ne peut garantir le succès.
- L'importance du soutien populaire : un soutien populaire constant est crucial dans les conflits prolongés. Au fur et à mesure que la guerre s'éternisait et que les pertes augmentaient, l'opinion publique américaine s'est résolument retournée contre la guerre, influençant les décisions politiques.
- Hypothèses et renseignements erronés : les décideurs américains ont sous-estimé la détermination du Nord-Vietnam et du Viet Cong et surestimé la force et la légitimité du gouvernement sud-vietnamien.
- La théorie du domino a été reconsidérée : la guerre a remis en question l'idée que la chute d'un pays communiste entraînerait une réaction en chaîne. Après le retrait américain, bien que le Vietnam soit tombé sous le communisme, l'effondrement régional prédit ne s'est pas produit.
- Influence des médias sur la perception de la guerre : le Vietnam a été la première "guerre télévisée". Une couverture graphique a apporté la guerre dans les salons américains et a joué un rôle clé dans la formation de la perception et de l'opposition du public.
- Tensions civilo-militaires : la guerre a mis en évidence les frictions entre les dirigeants politiques et les commandants militaires, avec des débats sur la stratégie et les objectifs conduisant à la méfiance et à l'inefficacité.
- Coût de l'intervention étrangère : les coûts humains, financiers et politiques de l'intervention dans un conflit civil au sein d'une autre nation ont soulevé des doutes quant à l'efficacité et à la moralité d'une telle implication.
- Traitement et réintégration des anciens combattants : le traitement souvent médiocre des anciens combattants revenus au pays a souligné la nécessité de meilleurs systèmes de soutien pour ceux qui servent dans les zones de guerre.
Conclusion : la fin qui fut un commencement
La fin de la Guerre du Vietnam ne fut pas simplement la fin d'une campagne militaire. Ce fut le début de décennies de réflexion, de guérison et de changement. Cinquante ans plus tard, nous nous souvenons non seulement des batailles menées, mais aussi des leçons apprises. En honorant le passé, nous façonnons un avenir plus éclairé et plus compatissant.
AVIS DE NON-RESPONSABILITÉ : Je maintiens mon droit du 1er amendement à pouvoir exprimer mes propres opinions personnelles sur différentes questions, en particulier celles qui sont controversées. Je ne promeus, n'ai jamais promu et ne promouvrai jamais la "propagande" de quiconque. Je suis un critique impartial et un érudit américain 100% indépendant financièrement et idéologiquement, et patriote, dont la responsabilité académique fondamentale et l'obligation morale est de dire la vérité et de sensibiliser. Je suis guidé par Jean 8:32 qui dit : "La vérité vous rendra libres." En tant que tel, le contenu de toutes mes publications sur les réseaux sociaux, interviews télévisées, conférences, podcasts, webinaires, articles publiés, etc. (qui sont tous à titre personnel) sont présentés UNIQUEMENT comme mes propres opinions. Par conséquent, mes points de vue ne doivent pas être mal interprétés, mal labellisés et/ou mal compris comme une déclaration de promotion d'AUCUNE personne(s), d'AUCUNE cause politique, d'AUCUNE organisation, d'AUCUN gouvernement et/ou d'AUCUN pays. Toute affirmation contraire est catégoriquement fausse et constitue une déformation des faits et serait considérée comme diffamatoire et calomnieuse, c'est-à-dire une diffamation de mon caractère personnel et de ma personnalité publique. J'exerce simplement mon droit du 1er amendement en tant que fier citoyen américain, qui est la liberté de parole et la liberté de pensée.
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jeudi, 01 mai 2025
France-Algérie: la querelle révèle l’état de désagrégation avancée des deux nations
France-Algérie: la querelle révèle l’état de désagrégation avancée des deux nations
Pierre-Emile Blairon
Les causes du différend
Elles trouvent, évidemment, leurs véritables origines dans la cession par De Gaulle, en 1962, d’une partie importante du territoire français qu’il a abandonnée entre des mains qui ne la méritaient pas et qui n’ont pas su la faire grandir et prospérer bien qu’elles aient eu toutes les chances de leur côté.
Le Figaro du 14 avril énumérait les cinq étapes qui, en quelques mois, avaient conduit à la crise diplomatique actuelle qui oppose les gouvernements français et algérien.
Reconnaissance du Sahara occidental par la France
« Le 30 juillet 2024, M. Macron adressait en effet au roi du Maroc, Mohammed VI, un courrier consacrant solennellement le ralliement de la France à la thèse de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. »
Rappel de l’ambassadeur de l’Algérie en France
Le gouvernement algérien décidait, le 30 juillet 2024, le « retrait avec effet immédiat » de son ambassadeur en France, après l’annonce du soutien français au plan d’autonomie marocain pour le territoire contesté du Sahara occidental (ancienne colonie espagnole de 266.000 km2 (la moitié de la France), riche en eaux poissonneuses et en phosphates ; l’Algérie soutient le Front Polisario qui revendique ce territoire).
Arrestation de Boualem Sansal
Arrêté à l’aéroport d’Alger le 16 novembre 2024, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été condamné le 27 mars à cinq ans d’emprisonnement pour avoir critiqué les frontières actuelles de l’Algérie dans le magazine Frontières, en reprenant la position du Maroc (voir ci-dessus).
Plusieurs influenceurs algériens arrêtés
Ces « influenceurs » présentent tous le même profil : exerçant leurs activités en France, ils sont Algériens ou Franco-Algériens, ils soutiennent le pouvoir en place en Algérie et ils dénoncent, insultent ou menacent d’égorgement ceux de leurs compatriotes qu’ils estiment traîtres à leur patrie (d’origine) ; la même patrie qui les renvoie en France lorsqu’ils sont expulsés par la France. On ne s’étonnera pas que l’un d’entre eux « présentait les membres de la diaspora algérienne en France comme des « soldats dormants » prêts à devenir « des martyrs ».
« Ces derniers jours, plusieurs ressortissants algériens ou franco-algériens ont été arrêtés en France après avoir posté des vidéos sur TikTok propageant des appels à la haine et ont été mis en examen. Hier, jeudi 9 janvier 2025, l’un d’entre eux a été envoyé en Algérie avant d’être renvoyé en France, l’Algérie l’ayant interdit de territoire.
« L’Algérie cherche à humilier la France », a estimé ce vendredi le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. » (Ouest-France, 10 janvier 2024)
Une « influenceuse » franco-algérienne, Sofia Benlemmane (photo), qui « avait été interpellée elle aussi début janvier, avait insulté une femme : Nique ta mère toi et ta France, lui avait-elle lancé. J’espère que tu seras tuée, j’espère qu’ils vont te tuer. »
Si elle critiquait vivement le président algérien Abdelmadjid Tebboune dans une vidéo de 2020, son discours a depuis radicalement changé et elle affiche désormais un soutien au gouvernement d’Alger. »
Les autorités françaises ne semblent pas s’offusquer outre-mesure de ce qui, en d’autres temps et, surtout, en d’autres pays, constituerait, de l’aveu même des protagonistes, une « cinquième colonne » ; cette femme a été condamnée à du sursis et à des « heures de travail d’intérêt général »…
L’attentat de Mulhouse
Interrogé sur TF1, le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, a indiqué que le suspect, qui a tué une personne et en a blessé six autres, faisait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et a accusé l'Algérie de l'avoir refusé à dix reprises. « Il n’y aurait pas eu d’attentat à Mulhouse si l’Algérie avait respecté le droit et ses obligations » a-t-il déclaré.
Il s’est ensuivi ce feuilleton ridicule où les deux parties expulsent à tour de bras et réciproquement les agents consulaires adverses.
Ainsi, « Samedi 12 avril, Alger a vivement protesté contre la mise en examen la veille d'un de ses agents consulaires. L'homme est soupçonné d'être impliqué dans l'enlèvement sur le sol français d'un influenceur et opposant algérien. » (France Info du 13 avril 2025)
Une question d’honneur ?
On a beaucoup parlé dans cette affaire d’humiliation et d’honneur bafoué.
Cette histoire prend une tournure pathétique, les représentants de ces deux pays largement déconsidérés dans le monde (pour les raisons que nous allons évoquer dans les chapitres suivants) ne cessant de bomber le torse comme des coquelets qui tentent d’affirmer leur virilité devant leurs basses-cours goguenardes et invoquant des questions d’honneur dont ni les uns ni les autres ne sont en mesure de prouver qu’ils savent de quoi ils parlent [1], parce que tout, dans le passé dont ils sont comptables, ou dans leur attitude dans la gestion des affaires actuelles vient infirmer leur compétence en ce domaine, à commencer par le président Macron, qui n’a pas hésité à fouler aux pieds les prises de position de ses ministres en les contredisant et venant soutenir les… Algériens et leur président Tebboune. Les Pieds-Noirs n’auront pas oublié que, le 15 février 2017 à Alger, il avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité ».
Pour remonter le niveau sur ce sujet, et pour bien montrer la différence abyssale qu’il peut exister entre nos ancêtres européens et les paltoquets au pouvoir à notre présente époque, je vais évoquer le glorieux fait d’armes rapporté par Bernard Lugan dans son livre Histoire des Algéries [2], qui s’est déroulé lors de la première guerre punique opposant les Romains et les Carthaginois : « En 255 av. J.-C., ils [les Romains] mirent ainsi à terre un corps expéditionnaire à proximité de Carthage. Le consul Marcus Atilius Regulus qui le commandait remporta une première victoire, puis il fut battu par le grec Xanthippe, chef des mercenaires carthaginois. Capturé, il fut libéré sur parole deux ans plus tard contre la promesse de se constituer prisonnier en cas d’échec de la mission de paix dont les Carthaginois l’avaient chargé. Regulus prit la parole devant le Sénat romain et il défendit au contraire l’option de la guerre ; puis, respectant sa parole, il retourna à Carthage pour s’y constituer prisonnier… Les Carthaginois l’auraient torturé à mort. »
La France des « repentants », incluant tout le médiocre personnel diplomatique macronien, ne comprenant rien à la mentalité des peuples à qui ils ont affaire, ont eu, dans cette aventure grotesque, une attitude exactement à l’inverse de ce qu’il convenait de faire ; les Arabes, dans ce domaine, ne respectent que la force. Au contraire des atermoiements craintifs de nos politiciens indigents, il suffisait de taper du poing sur la table (ou simplement du pied sur le sol) pour se faire respecter, accompagnant cette fermeté de ton de quelques mesures immédiates et sans équivoque, comme de couper toutes les aides trop généreusement consenties à l’Algérie à laquelle la France ne doit rien. Bien au contraire. La députée européenne Sarah Knafo a chiffré à 9 milliards d’euros par an les aides apportées par la France à l’Algérie, soit 3 fois le budget de nos départements d’outre-mer et plus que le budget accordé chichement à nos paysans qui meurent…
Pourquoi la France s’est-elle emparée de l’Algérie?
La raison a été simplement et d’une manière très concise expliquée dès la première phrase de l’excellent livre de Georges Fleury, Comment l’Algérie devint française ? : « Ainsi que les Algériens l’affirmeront en inaugurant leur indépendance en 1962, les guerres d’Algérie ont commencé lorsque le général de Bourmont s’empara d’Alger pour le compte de Charles X le 5 juillet 1830 avec, hormis l’Angleterre, la bénédiction des Etats européens dont les ressortissants étaient en Méditerranée victimes de la piraterie barbaresque [3]. »
On estime que les pirates barbaresques qui ont commencé à écumer la Méditerranée après l’invasion des Arabes en Afrique du Nord ont soumis en esclavage jusqu’à 1.250.000 chrétiens, pratiquant leurs razzias jusqu’en Islande.
En Provence, vers 889, un raid de Sarrasins s'empara de Fraxinetum, La Garde-Freinet, où ils fortifièrent un nid d’aigle à partir duquel ils purent effectuer des razzias tout le long de la future Côte d’Azur jusqu’en Italie et remonter les Alpes. C’est seulement en 973, 84 ans plus tard, qu’une coalition provençale et piémontaise commandée par le comte de Provence Guillaume put les battre. L’Histoire retiendra son nom et sa geste en le dénommant Guillaume le Libérateur [4].
« Les corsaires barbaresques ont capturé des milliers de navires chrétiens et ont attaqué à plusieurs reprises la plupart des localités côtières des rives nord de la mer Méditerranée. En conséquence, les résidents ont abandonné leurs anciens villages côtiers en Espagne, France et en Italie et en ont construit d'autres, souvent fortifiés, au sommet des buttes et des collines. Les raids ont été un tel problème que les côtes sont restées en partie désertes jusqu'au début du XIXe siècle… Après les guerres napoléoniennes et le Congrès de Vienne de 1814-1815, les puissances européennes sont convenues d'éliminer complètement les corsaires barbaresques, et leur menace a largement été atténuée. Des incidents occasionnels se sont produits, y compris deux guerres barbaresques entre les États-Unis et les États barbaresques, jusqu'à ce que leur activité ait finalement pris fin avec la conquête française d'Alger en 1830. » (Wikipédia).
Les barbaresques auront donc accompli leurs forfaits pendant 1000 ans.
Le grand écrivain espagnol Miguel de Cervantes fut capturé en mer par les barbaresques le 26 septembre 1575 et resta prisonnier des pirates pendant 5 ans à Alger : « On me mit une chaîne, plutôt en signe de rachat que pour me tenir en esclavage, et je passais ma vie dans ce bagne, avec une foule d'hommes de qualité désignés aussi pour le rachat. Bien que la faim et le dénuement nous tourmentassent quelquefois, et même à peu près toujours, rien ne nous causait autant de tourment que d'être témoins des cruautés inouïes que mon maître exerçait sur les chrétiens. Chaque jour, il en faisait pendre quelques-uns ; on empalait celui-là, on coupait les oreilles à celui-ci et cela pour si peu de chose, ou plutôt tellement sans motif, que les Turcs eux-mêmes reconnaissaient qu'ils ne faisaient le mal que pour le faire et parce que son humeur naturelle le portait à être le meurtrier de tout le genre humain ».
La Constitution des deux pays est fondée sur deux gros mensonges
J’ai bien parlé, dans le titre de cet article, de la « désagrégation avancée des deux nations », et non pas « des deux gouvernements » ou « des deux Etats » car il faut inclure les peuples français et algérien dans cette déliquescence en cours parce que ni l’un ni l’autre, sauf quelques courageuses exceptions, ne s’est levé pour arrêter le processus de déclin initié par leurs gouvernements corrompus ni pour se libérer des contraintes que les hommes de pouvoir ont fait peser sur eux.
Ce n’est pas seulement le corps physique de ces nations qui a été atteint mais aussi le corps éthérique, vital, l’âme, que des forces extérieures malsaines ont commencé à ronger.
Ce processus de décadence a commencé en 1962, pour les deux pays, lors de l’exode massif des Européens d’Algérie obligés de se réfugier, pour la plupart, en France - cette France qui les avait abandonnés - sous la menace des barbares islamistes qui ont pris le pouvoir en Algérie et qui ne leur ont laissé d’autre choix que « la valise ou le cercueil », et ce n’était pas juste une formule. Beaucoup d’entre eux ont payé de leur vie sa vérification.
Les indigènes, d’origine kabyle d’abord et arabe ensuite, qui ont proliféré[5] sur le territoire que les Français ont dénommé « Algérie », parce qu’il fallait bien lui trouver un nom, se sont rapidement retrouvés sans ressources alors que la France, représentée par les Français d’Algérie, leur avait laissé un morceau du pays (13 départements français en parfait état de fonctionnement[6]) qu’ils ont lentement laissé se dégrader, ne voulant pas, et ne sachant pas, l’entretenir.
La première Constitution algérienne a vu le jour en 1963, constamment révisée, elle a consacré la dictature du parti unique islamique, le FLN, aux mains des militaires au pouvoir depuis 1962.
En France, la Constitution du 4 octobre 1958 est celle qui a fondé la Cinquième République et qui est toujours valide. Ce sont les Européens d’Algérie qui en sont à l’origine puisque ce sont eux qui ont alors appelé De Gaulle pour rétablir l’ordre en Algérie d’abord et, par voie de conséquence, en France.
Le Mensonge de De Gaulle en 1958 : il n’a jamais eu l’intention de garder l’Algérie à la France
Ce que les Pieds-Noirs ont reproché à De Gaulle, ce sont surtout ses mensonges et les conditions épouvantables[7] dans lesquelles ils ont été contraints de quitter leur terre.
De Gaulle est arrivé au pouvoir grâce aux Pieds-Noirs en leur faisant croire qu’il œuvrerait pour le maintien de la France en Algérie alors qu’il savait déjà qu’il ne respecterait pas les nombreuses promesses qu’il avait faites à la foule des Français d’Algérie et des musulmans fidèles à la France réunis par dizaine de milliers dans les villes d’Algérie en 1958 auprès de laquelle il venait porter la (fausse) bonne parole. Ne déclarait-il pas pertinemment le 16 septembre 1959 à l’ancienne RTF : « Depuis que le monde est monde, il n’y a jamais eu d’unité, ni à plus forte raison, de souveraineté algérienne. Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes syriens, Arabes de Cordoue, Turcs, Français, ont tour à tour pénétré le pays sans qu’il y ait eu à aucun moment, sous aucune forme, un Etat algérien. »
D’autant plus que le terme lui-même, « Algérie », a été inventé par le général Schneider en 1839. Cette seule citation de De Gaulle suffirait pour exonérer les Français d’Algérie de tout procès d’occupation d’un « pays qui ne leur appartenait pas », puisqu’il n’appartenait à personne[8] et qu’ils ont su le mettre en valeur et mettre en valeur ses richesses au-delà de toute espérance. On se souviendra de la phrase du Bachaga Boualem (photo), qui fut un temps vice-président de l’Assemblée nationale française, chef de la tribu des Beni-Boudouane, musulmans fidèles à la France, né à Soukh Arhas (comme le « pied-noir » de l’époque romaine, Saint-Augustin) : « Que de volonté il a fallu à ces premiers Pieds-Noirs dans ce pays hostile, luttant contre la fièvre, la chaleur, les pillards. Le fils à la charrue, la fille à pétrir le pain, la femme à soigner les musulmans, ils ont tout sacrifié à cette terre[9]. »
De Gaulle avait confié à Alain Peyrefitte, qui l’a retranscrite dans C’était de Gaulle, cette assertion : « Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ! ».
Ce qui s’est effectivement produit, avec et sans De Gaulle, qui n’a pris aucune mesure pour empêcher cette invasion alors qu’il en était encore temps et qu’il était donc parfaitement conscient du danger. Il a disposé de six années pour contrer cette menace. Qu’a-t-il fait ?
Que ce départ des Français d’Algérie ait été inéluctable est une autre question, question d’autant plus épineuse que les militaires français avaient gagné sur le terrain la bataille contre les terroristes islamiques du FLN.
Cette victoire est d’autant moins étonnante que, même après les horribles massacres dont ils ont été victimes, les musulmans fidèles à la France étaient au moins 4 fois plus nombreux que les partisans de la séparation.
Selon Bernard Lugan, qui se base sur des sources parlementaires algériennes, les trois-quarts des 2 millions de porteurs de la carte de moudjahidine sont des faux. « Le mythe d’un peuple unanimement dressé contre le colonisateur connaît donc de sérieuses lézardes. D’autant plus que ceux que l’histoire officielle présente comme une minorité de « collaborateurs » et de « traîtres » semblent avoir été plus nombreux que les moudjahidines… En effet, (…) alors que le processus menant à l’indépendance était clairement engagé, 307.146 Algériens servaient alors dans l’armée française (selon les minutieux registres de cette même armée, NDLR) contre environ 65.000 moudjahidines. »
C’est à ce même moment de victoire totale de la France contre les rebelles que De Gaulle leur a offert cet immense territoire français (2.382.000 km2, dont 2.000.000 de km2 pour le seul Sahara qui regorge de ressources naturelles, notamment pétrolifères) sans contrepartie, si ce n’est ces scandaleux « Accords d’Evian » qui n’ont jamais été respectés par le FLN.
Pourquoi avoir envoyé à la mort ces dizaines de milliers de soldats français, de Pieds-Noirs, de harkis, sachant que c’était en pure perte[10] ?
Cette félonie ne lui a pas réussi puisqu’il a été obligé de quitter le pouvoir six ans après sa trahison. La décadence française n’a cessé de s’amplifier après sa forfaiture, chaque président de la France se révélant plus nocif et plus anti-Français que son prédécesseur, chacun rivalisant d’ingéniosité pour détruire le pays qu’il était chargé d’administrer, jusqu’à l’apothéose : Macron. Il faut beaucoup d’imagination pour concevoir pire que lui dans l’avenir.
Le Mensonge du pouvoir algérien en 1954 : le FLN était composé d’islamistes et non d’indépendantistes
Dans une interview au Monde datée du 4 décembre 1980, Ben Bella, le premier président de la République algérienne déclarait : « Plus que l’arabisme, c’est l’islamisme qui offre le cadre les plus satisfaisant, non seulement parce qu’il est plus large et donc plus efficace » et il avouera au même journaliste que le nationalisme ne fut « qu’une posture, une tactique, une ruse ».
« D’aucuns diraient une manifestation de la taqîya, disposition coranique qui autorise la dissimulation de ses objectifs religieux… » rajouteront les journalistes de Valeurs actuelles dans le remarquable hors-série n° 21 qu’ils ont publié sur la guerre d’Algérie.
C’est donc le chef du FLN lui-même qui reconnaît que l’objectif principal qui avait motivé cette rébellion n’était pas d’ordre politique mais religieux ; ce n’était pas le nationalisme, façon romantique, dont s’étaient entiché les progressistes de l’époque (qui serviront de « porteurs de valise » aux terroristes), ni même le panarabisme qui était le but de ce soulèvement brutal et inattendu, mais l’islamisation de la population indigène[11]. On comprendra ensuite que ce qui intéressait vraiment les moudjahidin, les « combattants de la foi », c’était le djihad, la guerre sainte et puis, ensuite, la prise de pouvoir et la mise en place d’une organisation stricte pour garder ce pouvoir, et surtout pour contrôler le profit que génèrera l’énorme cadeau que leur avait fait De Gaulle en leur offrant le Sahara.
Il suffisait de désigner la colonisation et la France comme uniques responsables des déboires de leur population afin de masquer la corruption des dirigeants et leur incapacité à gouverner ; j’ai décrit dans un article précédent daté du 8 juin 2024, Les Algériens exigent de la France repentance et compensations : Ah bon ? Et de quel droit ? la façon dont les dirigeants algériens ont, depuis leur accession au pouvoir en 1962, élaboré et entretenu un sentiment de haine de la France et des Français auprès de leur population, et particulièrement de leur jeune population, ce qui explique le comportement excessivement agressif et les intolérables exactions des jeunes Algériens, Franco-Algériens ou Français d’origine algérienne à l’encontre du pays qui les accueille et qui les nourrit[12].
Pierre-Emile Blairon
Notes:
[1] https://tvl.fr/algerie-macron-l-humiliation-de-trop-jt-du-mercredi-16-avril-2025
[2] Bernard Lugan, Histoire des Algéries des origines à nos jours, 2025, p.19., édition Ellipses.
[3] Y compris la Russie, NDLR.
[4] Voir mon ouvrage : Guide secret de la Côte d’Azur, éditions Ouest-France, p. 18-19.
[5] La population indigène a été estimée à 2,5 millions d’habitants en 1830, 12 millions en 1962 et elle est évaluée à 47 millions en 2025 ; voir aussi les études du CDHA : https://www.cdha.fr/partie-1-levolution-demographique-de-lalgerie-francaise-et-ses-consequences
[6] L’Algérie n’était pas une « colonie » française comme on ne cesse de le répéter ; c’était une partie du territoire français constituée par 13 départements français.
[7] Voir notre article : https://nice-provence.info/2023/07/07/oran-5-juillet-1962-fin-un-monde/
[8] « Le dey Mustapha Pacha régnait en maître absolu au nom du sultan de Constantinople sur les 40 000 habitants d’Alger et, de manière plus informelle, sur les 2 millions d’Arabes et de Berbères qui peuplaient le reste du pays divisé en plus de 1000 tribus dont à peine le tiers lui acquittait l’impôt. » (Comment l’Algérie devint française, Georges Fleury, éditions Perrin)
[9] Pour remettre les idées à l’endroit, prenez le temps de regarder cette courte vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=fZGWsnc1SJ8
[10] Nous pourrions nous retrouver dans la même situation si Macron persiste à provoquer la Russie alors que tout le monde connaît l’issue de cette bataille qui serait fatidique pour la France.
[11] Les premières victimes et les plus nombreuses de la guerre d’Algérie (environ 200 000) furent des musulmans pour la plupart abominablement torturés, que les membres du FLN voulaient montrer en exemple à leurs coreligionnaires afin de les dissuader de collaborer avec les Français, ce qu’ils avaient fait en toute bonne conscience depuis des générations.
[12] Voir mon article du 8 juin 2024 : https://nice-provence.info/2024/06/08/algeriens-exigent-france-repentance-compensations-de-quel-droit/
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mardi, 29 avril 2025
Nikolai Troubetskoï: la critique de l'eurocentrisme russe
Nikolai Troubetskoï: la critique de l'eurocentrisme russe
Leonid Savin
Le 16 avril marque le 135ème anniversaire de la naissance du prince Nikolaï Sergueïevitch Troubetskoï, linguiste et scientifique hors pair, l'un des fondateurs de l'eurasisme. Il est entré dans l'histoire comme l'un des pionniers de la critique de l'eurocentrisme. Bien que les slavophiles aient raisonné sur une base similaire avant lui dans le conflit qui les opposait aux occidentalistes, la critique de Troubetskoï (et des Eurasiens) était plus profonde et s'appuyait sur un programme positif qui affirmait la nécessité de construire une nation commune avec les peuples touraniens (turcs, ougriens) sur la base d'une histoire commune et d'une proximité repérable dans leurs diverses visions du monde.
Nikolai Troubetskoï est né à Moscou le 3 avril 1890, ancien calendrier (soit le 16 avril dans le nouveau calendrier suite au passage du calendrier julien au calendrier grégorien), dans la famille du philosophe Sergei Troubetskoï, élu recteur de l'université d'État de Moscou en 1905. Son oncle Evgueny Troubetskoï n'est pas moins célèbre pour ses travaux sur la philosophie religieuse. Le peintre et sculpteur Pavel (Paul) Troubetskoï était leur cousin. Il est l'auteur de la sculpture d'Alexandre III, qui se trouve aujourd'hui dans la cour du Palais de Marbre à Saint-Pétersbourg.
Dans sa jeunesse, Nikolai Troubetskoï opte pour la linguistique afin d'en faire sa tâche future, faisant preuve de remarquables compétences linguistiques, même s'il s'intéressait aussi à d'autres sujets. En particulier, ses premiers travaux scientifiques sont des études ethnographiques sur l'histoire et les traditions du Caucase.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, son premier ouvrage, largement reconnu par le public, fut un livre intitulé « L'Europe et l'humanité », publié à Sofia en 1920. Il y soumet à une critique raisonnée et détaillée la position arrogante de la culture romano-germanique et la prétendue supériorité de cette « race européenne » sur toutes les autres. Comme Nikolaï Miklouho-Maclay, qui a défendu les aborigènes d'Océanie dans les facultés des universités européennes, Nikolai Troubetskoï affirme qu'il n'y a pas de races supérieures et inférieures, qu'il n'y a pas de division entre peuples développés et peuples barbares, mais qu'une telle distinction procède uniquement d'attitudes pseudo-scientifiques imposées pour des raisons politiques évidentes, dont l'une était la colonisation.
L'intelligentsia des pays ainsi européanisés doit enlever ses œillères et se libérer de la séduction de la mentalité romano-germanique. Elle doit comprendre clairement, fermement et irrévocablement qu'elle a été trompée; que la culture européenne n'est pas quelque chose d'absolu, ni n'est la culture de toute l'humanité, mais seulement la création d'un groupe ethnique ou ethnographique limité et défini de nations ayant une histoire commune; que la culture européenne n'est nécessaire qu'au groupe particulier de nations qui l'a créée; qu'elle n'est en aucun cas plus parfaite ou « supérieure » à toute autre culture créée par n'importe quel autre groupe ethnique. ... que l'européanisation est donc un mal inconditionnel pour toute nation non germano-romaine... », souligne Troubetskoï dans son livre.
Un an plus tard, à Sofia, naît le mouvement eurasien, phénomène unique au sein de l'émigration russe, qui propose son propre programme idéologique, radicalement différent des positions des monarchistes ou des libéraux, qui ont également fui la Russie après la révolution d'octobre.
Bien qu'il se soit installé à Vienne pour travailler à l'université, Troubetskoï a continué à écrire régulièrement des articles sur divers sujets d'actualité, dans lesquels il revenait constamment à la critique de l'eurocentrisme.
Dans son article intitulé « Sur le vrai et le faux nationalisme », Nikolai Troubetskoï note que les Romano-Germaniques ont une psychologie égocentrée, ce qui explique qu'ils pensent que leur culture est la plus haute et la plus parfaite. Cela a conduit à l'émergence d'une forme particulière de chauvinisme et d'eurocentrisme. Dans une autre de ses publications, « Sur le racisme », le problème du racisme allemand basé sur le matérialisme biologique a déjà été clairement mentionné. Cela dit, l'accent est mis sur le fait que rien ne justifie une telle approche.
Cette publication a coûté la vie au prince Troubetskoï. En 1938, après l'Anschluss (l'annexion) de l'Autriche à l'Allemagne, la Gestapo a fait une descente chez lui. Les limiers d'Hitler emportent également ses manuscrits scientifiques, ce qui provoque une crise cardiaque chez Nikolaï Sergueïevitch. Les soins qu'on lui a prodigués à l'hôpital ont hélas été inutiles: il meurt le 15 juin. Le monde a ainsi perdu un scientifique exceptionnel qui était encore loin d'avoir atteint son plein potentiel.
Une autre question d'actualité est celle du séparatisme ukrainien, auquel Troubetskoï a consacré son ouvrage « Sur le problème ukrainien », dans lequel il souligne à juste titre que même sous le régime soviétique, la Petite Russie a connu un afflux « d'intelligences issues de Galicie, dont l'identité nationale a été complètement défigurée par des siècles de communion avec l'esprit du catholicisme, ainsi que par l'esclavage polonais et ce nationalisme (ou plutôt ce nationalisme linguistique !), qui est provincial et séparatiste, a toujours été une caractéristique des provinces de l'ex-Autriche-Hongrie »). Et « les Ukrainiens se transforment en une sorte de fin en soi et génèrent un gaspillage non économique et non rentable des forces nationales », a-t-il noté. Troubetskoï espère qu'à l'avenir, la vie dans la Petite Russie éliminera « l'élément caricatural que les maniaques fanatiques du séparatisme culturel ont introduit dans ce mouvement », car le bon développement de l'identité ukrainienne et sa véritable tâche consistent à « être une identité ukrainienne spéciale et particulière de la culture panrusse ».
Comme le montrent les expériences de 2004 et 2014, cette caricature est non seulement revenue à l'avant-plan, mais elle a également triomphé sous la direction de nouveaux fanatiques alimentés par l'argent et le soutien politique de l'Occident. Apparemment, cent ans ne suffisent pas à guérir la maladie du chauvinisme ukrainien, qui a tenté d'imiter le racisme romano-germanique et, à certains égards, l'a même surpassé.
Troubetskoï, comme ses collègues eurasiens, était bien conscient qu'une approche holistique et intégrée était nécessaire pour résoudre ces problèmes. « La culture de toute nation vivant selon un mode de vie étatique doit nécessairement inclure des idées ou des enseignements politiques comme l'un de ses éléments. Par conséquent, l'appel à la création d'une nouvelle culture comprend, entre autres, un appel au développement de nouvelles idéologies politiques », écrit-il dans l'article programmatique “Nous et les autres”. Et dans un autre ouvrage, « Sur le système étatique et la forme de gouvernement », il propose un modèle d'idéocratie qui va au-delà de la démocratie et de l'aristocratie, caractéristiques de l'Europe de l'époque (auxquelles s'ajoute l'oligarchie, toujours invisiblement présente dans le système de pouvoir occidental). Mais à quoi ou à qui sert alors l'idéocratie ? Pour Nikolaï Troubetskoï, il s'agit d'un « ensemble de peuples habitant un lieu de développement économiquement autosuffisant (autarcique) et liés non par la race, mais par un destin historique commun, par un travail commun pour la création d'une même culture ou d'un même État ». Et encore : « l'idée-directrice d'un État véritablement idéocratique ne peut être que le bénéfice de la totalité des peuples habitant ce monde autarcique particulier ».
Il ne fait aucun doute que Troubetskoï parlait avant tout de la Russie-Eurasie, de la culture spécifique de la civilisation russe. Et ses idées n'ont pas perdu de leur pertinence. Qu'il s'agisse de la création de l'Union économique eurasienne, de l'éradication du néonazisme ukrainien par une opération militaire spéciale sur les terres qui sont historiques russes et tombées sous l'influence corruptrice de l'Occident (de la culture romano-germanique), ou d'une série de décrets récents du président de la Russie ainsi que les tentatives de la Serbie de préserver son indépendance et sa souveraineté des actions agressives de l'UE, comme l'a récemment mentionné le vice-premier ministre du pays, Alexandar Vulin, en critiquant la politique de Bruxelles, confirment la justesse des Eurasiens et la pertinence de leur programme métapolitique.
12:16 Publié dans Eurasisme, Histoire, Hommages, Langues/Linguistique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nikolai troubetskoï, histoire, eurasisme, russie, ukraine | |
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mercredi, 23 avril 2025
Sur la géopolitique de l'Iran
Sur la géopolitique de l'Iran
Jan Procházka
Source: https://deliandiver.org/referat-o-geopolitice-iranu/
Une introduction au pays que Donald Trump s'apprête, paraît-il, à bombarder, et aux conséquences que cela peut entraîner, s'il ne s'agit pas seulement d'une menace proférée par un homme puissant.
L'Iran (en persan, Eran Shahr « Royaume des Aryens »), historiquement la Perse, a une population de près de 90 millions d'habitants et une superficie de 1,6 million de kilomètres carrés, soit l'équivalent de quatre fois et demi le territoire allemand. L'Iran dispose d'excellentes frontières naturelles, d'une situation stratégique, d'une confiance en soi nationale bien distincte et d'une tradition profonde confortant son statut d'État propre. Son orientation géopolitique, sa situation, la structure et la répartition favorables de sa population (continentale), son orientation vers l'industrie et son isolement forcé dans le commerce international font de l'Iran l'une des dernières puissances terrestres (par opposition à une puissance océanique). Les spécificités du système bancaire iranien peuvent également être mentionnées dans ce contexte: la loi sur les banques interdit l'usure et la spéculation boursière. L'Iran a une balance du commerce extérieur positive, une balance des paiements active et une faible dette extérieure (peut-être en raison des sanctions).
L'Iran se situe dans la partie méridionale de l'Eurasie, entre les macro-régions du Moyen-Orient et le sous-continent indien, entouré par les chaînes de montagnes limitrophes, la mer Caspienne et l'océan Indien. La Perse historique (l'Iran, l'Afghanistan, le Tadjikistan et peut-être le Turkménistan et l'Ouzbékistan actuels) peut être désignée par le terme colonial britannique de « Moyen-Orient ».
Frontières naturelles
Les monts Zagros constituent les frontières naturelles entre le Mashriq (Orient arabe) et le noyau historique de la Perse. Un mur de forêts de chênes de quatre kilomètres de haut a toujours protégé la Perse de l'ouest, et peu d'armées ont réussi à le franchir, à l'instar des Araméens, d'Alexandre de Macédoine et enfin des Omeyyades, qui ont envahi la Perse au milieu du 7ème siècle et y ont établi l'islam. C'est à cette chaîne de montagnes que l'Iran doit son statut d'État moderne. Lorsque l'armée irakienne a envahi l'Iran en 1980 avec le soutien des Américains et des Soviétiques, les Irakiens n'ont pas réussi à traverser les marais de Mésopotamie et la chaîne de montagnes du Zagros. Dans les contreforts des monts Zagros, il existe des failles géologiques et des dépressions avec des sables marécageux non solidifiés (appelés gilgai) qui sont difficiles à traverser, ce qui rend le passage des convois blindés extrêmement difficile.
La capitale, Téhéran, est une cité colossale de type asiatique qui compte 9 millions d'habitants et représente la moitié de l'industrie iranienne. Au nord de l'Iran, la capitale est protégée par les hauts plateaux arméniens, qui sont bordés par les monts Alborz. Le point principal des monts Alborz est le volcan de Damavand, qui culmine à 5609 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le pays est séparé de l'ancienne Russie tsariste, de l'Union soviétique et de l'actuel Turkménistan par le mur de 600 km de long constitué par les monts Köpetdag (environ 3000 m d'altitude), avec des pentes non solides, un relief karstique et de fréquents tremblements de terre. Le Köpetdag forme également une sorte de rempart qui protège le pays en son septentrion et, là encore, peu de conquérants ont réussi à le franchir au cours de l'histoire. En fait, seuls les Parthes, les Turcs seldjoukides au 11ème siècle et, plus récemment, les Mongols au 13ème siècle ont réussi à le franchir.
L'Iran lui-même est très montagneux. Des chaînes de montagnes occupent également le centre du pays (un plateau dont les plus hauts sommets culminent à près de 4500 mètres au-dessus du niveau de la mer), et entre les crêtes montagneuses se trouvent des bassins salins avec des structures de diapir (dômes de sel) auxquels sont liés des gisements de pétrole et de gaz (l'Iran possède les troisièmes ou quatrièmes réserves mondiales de pétrole après le Venezuela, le Canada et l'Arabie saoudite, et les deuxièmes réserves mondiales de gaz naturel après la Russie, d'après les estimations de Gazprom). Les déserts de sel et de sable sont inhabitables et représentent environ un tiers du pays.
En cas d'attaque terrestre américaine contre l'Iran, la géographie favorise les options défensives. Avec ses chaînes de montagnes intérieures, les villes devraient être très bien protégées si l'Iran se dote de moyens de défense aérienne suffisants. La défense aérienne est donc un élément de défense absolument essentiel pour l'Iran, et ce seul fait plaide en faveur d'une coopération avec la Russie (les Israéliens et les Américains le savent, bien sûr, et c'est pourquoi ils menacent de bombarder l'Iran alors que la Russie est occupée en Ukraine et doit se servir de tous ses systèmes S300 et S400). L'Iran dispose également d'un réseau de transport peu dense. De nombreux couloirs de transport reliant les grandes villes sont entourés de désert et longent des chaînes de montagnes, ce qui donne un avantage aux défenseurs, et le déplacement des convois américains sur un tel terrain, combiné aux tempêtes de poussière et aux blizzards, peut se transformer en un cauchemar similaire à celui de l'Afghanistan.
Dans le nord de l'Iran, le climat est tout aussi rude, avec des oasis au milieu de la steppe eurasienne, qui étaient autrefois habitées par des nomades. Le climat y est continental et la présence d'une grande étendue de mer, celle de la Caspienne, provoque régulièrement des blizzards semblables à ceux de l'État du Michigan. En 1972, un blizzard a provoqué une chute de neige haute de 10 mètres en une semaine et a fait 4000 victimes.
La tradition d'État
C'est peut-être en raison des frontières naturelles mentionnées ci-dessus qu'une remarquable et très profonde tradition d'État s'est développée ici. Même dans les périodes les plus difficiles, l'État iranien a eu tendance à réapparaître et à persister. Après tout, c'est ici, sur les rivières Karun et Kerch, que le plus ancien empire de l'humanité que nous connaissons - l'empire d'Élam avec sa capitale Suse - a été fondé au 7ème millénaire avant Jésus-Christ. Il s'agit d'une région de la Perse historique, limitrophe de la Mésopotamie.
À partir du 4ème millénaire, des tribus aryennes pénètrent en Élam. Malgré l'invasion des Araméens (Syriens) au 8ème siècle avant J.-C., l'identité aryenne, y compris les langues dites aryennes, a été préservée jusqu'à aujourd'hui. Les Iraniens ne sont en aucun cas des Arabes et ne parlent pas couramment l'arabe. Les Iraniens des montagnes et des campagnes sont plus clairs de complexion et parlent des langues indo-européennes, tandis que les groupes ethniques persans rappellent davantage les Balkans que les régions peuplées de Turcs ou d'Arabes, et certains ont même les cheveux clairs et les yeux bleus.
Les Achéménides, les Parthes et les Sassanides se succèdent jusqu'au 7ème siècle, lorsque la Perse est conquise par les Omeyyades (Arabes), une dynastie sunnite de califes originaires de Damas. Cette dynastie a été renversée par une révolte chiite de masse qui a amené au pouvoir la dynastie sunnite des Abbas de Bagdad, à partir de laquelle cette dynastie a régné sur la Perse.
Les Turcs (Seldjoukides) ont envahi la Mésopotamie au 11ème siècle, suivis par les Mongols au 12ème siècle. Le petit-fils de Gengis Khan, Hülegü, a conquis Bagdad en 1258, dont le sort fut bien pire que celui de Riazan et de Kiev à peu près à la même époque. Les Mongols ont massacré les 100.000 habitants de Bagdad et ont empilé leurs crânes en monceaux après leur victoire. C'est ainsi que se sont achevés l'apogée et l'âge d'or de l'empire arabe. Dans ce contexte, il convient de rappeler que les Mongols n'étaient pas des primitifs, qu'ils étaient parfaitement organisés, qu'ils disposaient de connaissances géographiques détaillées et d'une excellente logistique et que les sapeurs chinois construisirent diverses machines de siège et produisirent de la poudre à canon pour les Mongols (l'historien Lev Gumilev a écrit sur la manière dont cet « élément des steppes » a été constitutif et formateur de culture dans l'histoire de la Russie, par exemple). En Mésopotamie, les Mongols se sont convertis au chiisme et y ont établi un empire, l'Ilkhanat (le premier shah chiite de la branche ithnā casharīya fut Ismāʿīl en 1501, fondateur de la dynastie Safī). Les diverses minorités chiites disséminées au Proche et au Moyen-Orient, notamment au Liban, à Bahreïn et en Irak (mais aussi en Inde et en Afghanistan), qui fonctionnent comme des bras armés de l'Iran, datent également de cette période. En Iran même, on se demande dans quelle mesure les Alaouites de Turquie (environ 20% de la population) et de Syrie (environ 10% de la population) - de religion chiite différente de celle de l'Iran - peuvent aussi être des alliés naturels ; il en va de même pour les Zaïdites du Yémen.
Au début du 18ème siècle, régnait le dernier des grands Shahs de Perse, Nadir - le « Bonaparte de l'Asie ». Nadir Shah conquiert l'Irak, envahit l'Inde et met à sac Delhi. La Perse, comme la Chine, s'est alors repliée sur elle-même et a stagné, tandis que l'Occident acquérait une énorme supériorité technologique. Les Lumières n'ont pas pris racine en Perse ou en Chine (contrairement, par exemple, à l'Empire ottoman). La Perse a continué à se rétrécir tout au long de l'histoire, avec des dynasties de moins en moins importantes qui se succédaient, les Perses embrassant l'isolationnisme (en cela, ils ressemblaient à la Russie tsariste et aux Chinois) jusqu'à ce qu'en 1941, la Perse devienne un État colonial fantoche.
Depuis Nadir Shah, l'Iran est sur la défensive et n'a attaqué directement aucun de ses voisins pendant ces 200 dernières années. Au cours des dernières décennies, l'Iran a été en mesure de construire habilement des réseaux d'influence au Moyen-Orient, en approvisionnant les combattants libanais du Hezbollah qui bombardent Israël, les chiites irakiens, l'Armée dite du Mahdi, qui ont déclenché trois soulèvements anti-américains sanglants en Mésopotamie, et en exploitant diplomatiquement la minorité chiite en Afghanistan (les Hazaras persophones de souche mongole) et au Bahreïn. L'Iran est détesté par les Israéliens et les salafistes (en particulier l'Arabie saoudite) qui le considèrent comme un concurrent géopolitique au Moyen-Orient dans une version sunnite-chiite de la guerre de Trente Ans. Les salafistes ne considèrent pas les chiites comme des musulmans, mais comme des diables et des apostats.
La position stratégique de l'Iran
Depuis 1941, l'Iran est un État fantoche contrôlé par les Britanniques et les Américains. Muhammad Reza Shah Pahlavi Aryamehr (= Roi des Pahlavi, « Lumière des Aryens ») de l'ethnie Mazani est placé à la tête du pays. Le Shah maintient l'unité du pays (en réprimant les séparatistes kurdes et turcs), mais la sécularisation forcée provoque le mécontentement populaire. En 1953, le premier ministre du Shah, Muhammad Mossadek, s'empare des champs pétroliers iraniens au détriment des Américains et des Britanniques. La même année, Mossadek est renversé par un coup d'État militaire fomenté par la CIA (l'opération Ajax) et emprisonné à vie, placé en résidence surveillée sur l'intercession du Shah (les Américains eux-mêmes avaient proposé la peine de mort). Les Américains ont rétabli une monarchie fantoche avec le Shah Pahlavi à sa tête.
L'importance de l'Iran réside dans le fait que la Russie, qu'elle soit tsariste ou soviétique, pourrait obtenir, grâce à l'Iran, outre des réserves d'hydrocarbures, un libre accès à l'océan Indien et, ainsi, son premier port en eaux chaudes. L'Iran possède quelque 500 km de côtes sur la mer d'Oman, d'où il peut accéder librement à l'océan Indien, y compris à l'important port de Chahbahar, à la frontière avec le Pakistan. La stratégie anglo-saxonne consistant à empêcher la Russie en Asie d'accéder à l'océan libre et non gelé s'appelait le Grand Jeu dans l'Empire britannique du 19ème siècle; au 20ème siècle, la même activité était appelée stratégie d'endiguement du communisme par les Américains (plus récemment, ce blocus naval de l'Asie a été appelé la guerre contre la terreur, et s'appelle maintenant Make America great again).
Les Occidentaux se sont aussi pratiquement limités à contrôler la bande côtière lorsque l'Iran a été soumis, et ont soutenu le Shah pour maintenir l'unité du pays - par crainte que les provinces séparatistes du Kurdistan et de l'Azerbaïdjan du Sud ne soient absorbées par l'Union soviétique, laquelle se rapprocherait ainsi dangereusement du golfe Persique.
En 1978, un événement totalement inattendu s'est produit. Des étudiants radicaux ont fait revenir d'exil le clerc populaire, poète et mystique, l'ayatollah Khomeini. Le Shah est renversé en 1979 lors du soulèvement chiite et les Américains sont contraints d'évacuer leurs bases (une soixantaine de diplomates américains sont retenus en otage en Iran jusqu'en 1981). Les champs pétroliers sont nationalisés et l'Iran se retrouve soumis à un blocus naval et à de lourdes sanctions économiques qui perdurent encore aujourd'hui. La Perse a également été rebaptisée « Iran » et le nom ethnique « Perse », qui ne désignait qu'une seule nationalité, a été remplacé par un nom plus général qui n'entraînerait pas de frictions ethniques. La révolution islamique chiite n'est-elle pas précisément la « troisième voie » tant recherchée par Cuba, l'Égypte et l'Inde (ou peut-être aussi par les droites française et italienne des années 1960 et 1970), et qui n'a finalement été réalisée que par l'Iran et la Chine ?
En 1980, en représailles à l'humiliation subie et à la nationalisation des champs pétroliers, les Américains ont armé l'Irak et donné à Saddam Hussein un « chèque en blanc » pour attaquer l'Iran en représailles au démantèlement du parti communiste par l'Union soviétique. La guerre immensément sanglante, avec ses tranchées, ses gaz de combat et ses enfants soldats, a duré 8 ans. Au prix d'un million de morts, l'Iran a défendu son indépendance.
La République islamique d'Iran est une théocratie de fait, malgré le mot « république » dans son nom officiel. Le pays est dirigé par un chef spirituel chiite élu par le « Conseil des experts » selon un processus qui rappelle l'élection du pape (dans l'islam chiite, chaque croyant choisit son propre chef spirituel; cette « succession apostolique » de lignées d'initiés est absolument cruciale dans la théologie chiite). Le chef spirituel actuel est l'ayatollah Sayyid Ali Khamenei, un homme doux, calme, pieux et humble qui a été élu chef spirituel par le Conseil des experts en 1989 contre sa volonté. Il était un « simple » ayatollah (il y en a environ 200 en Iran), et non un « grand ayatollah » comme son prédécesseur Mousavi Khomeini; l'Iran compte une quinzaine de "grands ayatollahs". Je recommande au lecteur d'écouter les discours de Khamenei ; Khamenei n'est pas un révolutionnaire charismatique du type Che Guevara comme Khomeini, il rappelle davantage les papes post-civils ou ces pasteurs conservateurs secs qui disent toujours ce que l'on attend d'eux. Après tout, il a presque 90 ans et n'a jamais voulu être un chef spirituel. Il existe également une opposition pro-occidentale en Iran, visibilisée en Amérique, en France et en Grande-Bretagne, mais elle n'est pas très importante numériquement et rappelle davantage les maniaques de la Tchécoslovaquie de Husak (on dit qu'ils sont recrutés parmi les chrétiens arméniens et géorgiens ou les membres de la secte bahá'íe, qui est interdite). C'est la corde que jouent les Israéliens, qui appellent sans cesse la population perse à « renverser les tyrans ». Si l'on en croit Henry Kissinger, cette opposition interne a été écrasée après les manifestations de 2009, et si l'on en croit le professeur Komarek, les institutions comme la police secrète ou l'armée en Iran attirent de véritables élites sociales, et non des opportunistes.
Population
Au-delà des frontières naturelles, la culture et la religion rassemblent tous les groupes ethniques de l'Iran. Les peuples chiites formant l'État sont les Perses, les Turcs de la tribu des Azéris, les Lurs iraniens habitant le Zagros et les Mazanis habitant l'Alborz. Le fondateur de la dynastie Safi, Ismail, l'actuel chef spirituel de l'Iran, l'ayatollah Khamenei, et l'ancien président Ahmadinejad sont des Turcs chiites (Azeris) et non des Perses. Les minorités sunnites - et donc potentiellement problématiques - sont les Baloutches, les Kurdes, les Tadjiks, les Arabes et les Turkmènes. L'Iran compte également un quart de million de mazdéistes. Les membres de ces minorités ne peuvent pas postuler à des postes de haut niveau dans la fonction publique, la police ou l'armée.
La religion d'État en Iran est l'islam chiite, Isna Aashariyya, un islam apocalyptique qui attend la venue de l'imam caché, le Mahdi. Les Iraniens ont une culture qui leur est propre. Comme partout ailleurs en Orient (par exemple en Turquie ou en Chine), ils possèdent un système complexe de diplomatie et d'étiquette, appelé tarof. Ceux qui ne connaissent pas cette étiquette ont souvent l'impression quelque peu illusoire que les Iraniens sont merveilleusement gentils, aimables et hospitaliers ; les touristes mal informés, en particulier, brutalisent involontairement les habitants qui les invitent à déjeuner et leur achètent des billets de train, sans aucun consentement (en fait, l'absence d'étiquette complexe fait le jeu des barbares - des peuples jeunes, prédateurs, plébéiens et technocrates comme les Américains et les Australiens, qui se contentent d'asséner des vérités objectives à leurs interlocuteurs lors des négociations, ce qui leur permet de prendre des décisions efficaces (la diplomatie perse, en revanche, est redoutable et les Iraniens sont d'excellents négociateurs - après tout, ils ont réussi à construire un réseau d'influence au Moyen-Orient et un corridor terrestre vers le Liban au cours des 20 dernières années sans que personne ne s'en aperçoive.
La société persane est conservatrice, par exemple, elle fait encore la différence entre les sexes comme il y a 100 ans dans notre pays (différencier se dit discriminare en latin, si les féministes veulent le traduire ainsi, que cela soit), il y a donc des écoles masculines et féminines avec des directeurs et des directrices où les garçons et les filles vont séparément. Des coutumes similaires existent sur le lieu de travail - il y a des usines masculines et féminines. Personnellement, je ne verrais pas en cela une raison pertinente de bombarder une civilisation ancienne.
Les dirigeants iraniens savent que les Américains voudront revenir ; Henry Kissinger l'a d'ailleurs clairement indiqué. Les armes nucléaires et des vecteurs hypersoniques sont les seuls moyens d'atteindre la parité. Entre 2010 et 2012, les Israéliens ont assassiné cinq physiciens nucléaires iraniens, et un autre assassinat a été perpétré en 2020. Les assassinats israéliens découlent de la crainte que l'Iran, s'il se dote d'une arme nucléaire, ne tienne Israël en échec en menaçant d'armer ses affiliés chiites en Irak et au Liban. En tant que « plus grande base militaire de l'Amérique », Israël serait le premier touché en cas de conflit avec les États-Unis.
En janvier 2020, le président Donald Trump a fait assassiner le plus haut général iranien, Qassim Suleimani, commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique (c'est-à-dire les forces armées iraniennes), lors d'une visite d'État en Irak. Peu après, une série d'autres assassinats ont eu lieu et Israël a bombardé les ambassades iraniennes en Syrie et au Liban. En juillet 2024, les Israéliens ont assassiné un dirigeant modéré du Hamas, Ismail Haniyeh, à l'aide d'un missile guidé lors d'une visite d'État en Iran. Toutes ces actions sont profondément offensantes, scandaleuses et douloureuses pour l'Iran, mais sa réponse est trop limitée.
Le secteur primaire
L'économie iranienne est soumise à de lourdes sanctions depuis 1978, et le pays a également été épuisé par le long conflit avec l'Irak. Bien qu'il dispose de certaines des plus grandes réserves pétrolières du monde, il n'a pas d'autre débouché que l'exportation de pétrole brut et de produits de raffinage peu complexes vers la Chine, à un prix inférieur à celui du marché. Dans le même temps, il a été soumis à un blocus naval et n'a pratiquement pas participé au commerce international; les denrées alimentaires ont été exemptées de sanctions depuis le début et les médicaments depuis 2000; les sanctions commerciales ont été brièvement assouplies après 2000 et l'Iran a eu accès à des composants occidentaux et à des licences dans le secteur de l'ingénierie. L'Iran ne dispose pas d'un grand secteur agricole en raison de ses conditions naturelles et dépend des importations de blé et d'aliments de base (il n'exporte que des produits agricoles insignifiants - raisins secs, dattes, miel, melons, pêches, caviar et safran). L'Iran n'a jamais fait l'objet d'une prospection géologique détaillée, mais il possède probablement de grandes richesses minérales. En 2023, l'Iran a annoncé la découverte du troisième plus grand gisement de lithium au monde.
Axe Moscou-Téhéran
La crise ukrainienne, qui a coupé la Russie de l'Europe, a donné à l'axe nord-sud, soit l'axe Moscou-Téhéran, une importance sans précédent (qui l'aurait imaginé il y a cent ans !). L'Iran a construit le port de Shahid Rajaee à Ormuz, qui permettra à la Russie d'accéder à l'océan Indien. En Iran, les Russes construisent un corridor ferroviaire entre Ormuz et le port de Rasht, sur la mer Caspienne. De là, ce corridor passera par Astara et l'Azerbaïdjan pour rejoindre la Russie. L'Azerbaïdjan, allié clé d'Israël en Asie centrale, est une plaie pour la Russie et l'Iran, mais il peut être contourné par la mer Caspienne sans problème pour le moment.
En 2024, l'Iran a rejoint les BRICS et a signé un accord de partenariat stratégique avec la Russie la veille de l'investiture de Trump. Pourtant, les Iraniens n'ont jamais eu jadis de bonnes relations avec les Russes ; ils considèrent à juste titre les Russes comme une variété légèrement différente d'Occidentaux, et leur coopération découle davantage d'une nécessité mutuelle que de sympathies plus profondes. Si les États-Unis sont le « grand shaytan », l'Union soviétique était le « petit shaytan ». Les Iraniens ont également à l'esprit deux guerres perdues contre l'Empire russe au 19ème siècle - sans l'invasion de la Russie par Napoléon Bonaparte en septembre 1812, les Cosaques auraient pu tremper leurs bottes dans l'océan Indien.
Enfin, même au Moyen-Orient, les Russes et les Iraniens ont toujours eu des intérêts légèrement différents. Alors que les Russes ont soutenu les régimes baasistes de Syrie et d'Irak afin d'affaiblir la domination anglo-saxonne, l'ayatollah Khomeini a qualifié les États du Moyen-Orient de fausses créations, façonnées par des tyrans coloniaux et destinées à briser l'unité de l'oumma des fidèles en créant des nations artificielles (c'est pourquoi, par exemple, les ayatollahs ont accueilli favorablement le printemps arabe, mais pas les Russes).
L'Iran construit des oléoducs stratégiques à travers le Pakistan vers l'Inde, ce qui lui permettra de contourner les sanctions antirusses et le blocus naval américain dans le cadre des BRICS et d'exporter ses propres hydrocarbures, ceux du Turkménistan et de la Russie vers le sous-continent indien. C'est également la raison pour laquelle les États-Unis soutiennent les séparatistes et les terroristes wahhabites dans le Baloutchistan iranien, où l'Iran et le Pakistan partagent une frontière commune. Plutôt que de risquer des opérations terrestres en Iran, qui, compte tenu du patriotisme de sa population et des conditions naturelles, ressembleraient à deux ou trois Afghanistans réunis, ils tentent de faire du Baloutchistan une "Ukraine des Iraniens", ce qui bloquerait également le corridor vers le Pakistan, qui ne peut être contourné par aucune autre voie. (Cette stratégie est rendue encore plus compliquée par le fait que les Baloutches ne sont pas une nation industrielle développée comme les Ukrainiens, mais une nation de pasteurs vivant dans les déserts).
Une autre option que les Américains envisagent probablement est de bombarder l'Iran à titre préventif - détruire les infrastructures, les ponts, les nœuds ferroviaires, les gazoducs, l'industrie, les centrales électriques et les ports, en espérant que le chaos sera exploité par l'opposition pour un coup d'État ou par les séparatistes des minorités ethniques auxquels les Américains pourraient fournir des armes au moment opportun (le Shah et l'Ayatollah Khomeini ont eu des problèmes avec les séparatistes au Khuzestan, au Baloutchistan, au Kurdistan et ailleurs, mais ils ont réussi à maintenir l'unité du pays).
Ou les Américains auront la même approche qu'ils ont eue précédemment en Yougoslavie, en Libye, en Syrie et en Irak - mais ces pays ne disposaient pas de telles capacités de défense, étaient beaucoup plus fragmentés sur le plan ethnique et, contrairement à l'Iran, n'avaient pas de tradition étatique propre; il s'agissait en fait d'États créés de toutes pièces, tracés sur la carte par les Britanniques et les Français au début du 20ème siècle.
Les accords de coopération avec la Russie peuvent-ils dissuader suffisamment les Américains et les Israéliens? Difficile à dire. Après tout, l'influent géographe israélien Robert Kaplan indique clairement que l'Iran idéal, après la chute du régime chiite, sera « amorphe », morcelé en "-stans" particularistes. Ensuite, comme le dit Henry Kissinger, les Américains reviendront et joueront à nouveau leur « rôle d'équilibriste », c'est-à-dire qu'ils opposeront et balkaniseront les différents "-stans", attisant les inimitiés des uns contre les autres, à la manière de ce qui fut réalisé en Yougoslavie.
En effet, c'est l'infrastructure énergétique qui constitue le maillon faible de la défense de l'Iran. L'ensemble du pays dépend de sa propre structure gazière et de ses centrales électriques au gaz. Une détérioration du réseau de gazoducs pourrait priver de grandes parties du pays de chauffage et d'électricité, et donc d'industrie.
L'industrie
L'enseignement technique n'a pas de longue tradition en Iran. Le formidable essor de la science arabe a été violemment interrompu par l'invasion mongole, et les Persans ont toujours été plutôt des lettrés, des diplomates, des juristes, des mystiques et des poètes; le persan était la lingua franca du Moyen-Orient, la langue de cour chez les moghols et les ottomans. Bien entendu, même cette situation est en train de changer, il est difficile de créer une industrie à partir de rien dans un pays sans aucune tradition technique (il est facile de se moquer des Iraniens ; d'un autre côté, l'existence d'une quelconque industrie dans ce pays relève du miracle). Mais au rythme actuel de la désindustrialisation en Europe, nous pourrions les envier dans cinquante ans...). L'Iran produit également des pétroliers et des trains (sous licence française), des sous-marins diesel-électriques, des raffineries, des machines agricoles et de construction, des répliques d'équipements militaires soviétiques, nord-coréens et américains, des plates-formes de forage et des ogives, des turbines à gaz, des centrales électriques, des chaudières, des climatiseurs, des tôles d'aluminium et des lingots d'acier. À partir de 2022, l'Iran s'est mis à produire des drones militaires bon marché et de haute qualité, les Shahid.
L'Iran exporte des drones suicides équipés de moteurs à réaction vers la Russie, où est également produit le modèle Geran sous licence. L'Iran dispose également de son propre système de navigation par satellite (ses satellites ont été mis en orbite par les Russes). En réponse aux assassinats et aux attentats terroristes israélo-américains, l'Iran a lancé cette année quelque 200 missiles sur des aérodromes militaires israéliens qui, à la grande horreur des Occidentaux, ont volé sans problème sur des distances de 1500 km à travers l'espace aérien de l'Irak et de la Jordanie, pénétrant largement dans le système "Dôme de fer" (on pense que le lanceur balistique manœuvrant et volant à basse altitude, d'une portée prévue de 7000 à 10.000 km, a été construit par l'Iran avec l'aide de la Russie ou de la République populaire démocratique de Corée). Si l'Iran accumule un stock important de missiles et met au point une bombe nucléaire, les Occidentaux devront vraiment commencer à traiter avec lui par d'autres moyens que les menaces, les sanctions, les assassinats et le terrorisme.
Conclusion
L'Iran est le représentant par excellence d'une puissance continentale eurasienne et un acteur régional important. La malédiction du Moyen-Orient est que l'Islam vit une sorte de version orientale des guerres de la Réforme et de la Guerre de Trente Ans - Wahhabites contre Chiites. Cette rivalité régionale est habilement exploitée par les Israéliens et les Américains.
Malgré cela, l'Iran dispose d'un atout géopolitique. En cas de conflit avec les atlantistes, il peut bloquer environ 20% du commerce mondial de pétrole et de GNL en fermant le détroit d'Ormuz, mettant ainsi les Américains sous pression internationale (l'Iran est également membre du cartel de l'OPEP, même s'il en est plutôt un membre récalcitrant). Et s'il parvient à armer les « hashashin » au Yémen, le risque de bloquer le Bab al Mandab - et donc le canal de Suez - est important.
Donald Trump osera-t-il provoquer un conflit dont les conséquences seront palpables dans toute l'Eurasie ? Personne ne le sait à part lui-même, bien sûr, mais on peut supposer qu'il osera. Après tout, les Américains n'ont pas besoin de Suez, et avec l'avènement de la fracturation du gaz de schiste en Oklahoma, ils n'ont pas tellement besoin du Golfe. L'idée d'une fermeture d'Ormuz pendant des mois, avec des pétroliers qui s'entassent dans le Golfe alors que les prix du pétrole montent en flèche, peut horrifier les pays industrialisés; d'un autre côté, ce ne serait certainement pas aussi radical que la première crise pétrolière et la fermeture de Suez après la guerre des Six Jours - il y a beaucoup plus de gisements de pétrole connus aujourd'hui qu'à l'époque.
Jusqu'à présent, les Américains ont réussi à perturber le commerce entre l'Europe et la Russie. En brisant l'Iran, ils pourraient couper la Russie de l'océan Indien, du sous-continent indien et du Moyen-Orient. De plus, si l'Iran riposte en bloquant Ormuz et le Bab al Mandab, il pourrait également couper l'Europe de l'approvisionnement en gaz qatari et du commerce avec la Chine. L'Europe sera alors d'autant plus dépendante de l'achat des excédents américains, s'il y en a. Couler l'Eurasie selon les instructions britanniques du 19ème siècle, est-ce peut-être la recette miracle de Trump pour rendre facilement et rapidement l'Amérique à nouveau "grande" ?
15:22 Publié dans Géopolitique, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, géopolitique, iran, moyen orient, asie, affaires asiatiques | |
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jeudi, 17 avril 2025
L'UE est une création des États-Unis
L'UE est une création des États-Unis
Par L. Perona
Source: https://infoposta.com.ar/notas/14039/la-ue-fue-una-creaci...
Il y a des indications que la Communauté économique européenne, aujourd'hui devenue un gros éléphant bureaucratique, maladroit et liberticide, a été créée par la CIA et son prédécesseur, l'OSS. Joshua Paul, chercheur à l'université de Georgetown, selon un article publié par Ambrose Evans-Pritchard dans le Telegraph de Londres le 19 septembre 2000, a trouvé des documents déclassifiés du gouvernement américain qui suggèrent l'implication des États-Unis dans la promotion de l'intégration européenne au cours des années 1950 et 1960. La nation américaine est devenue un empire menaçant pour l'Europe depuis son agression contre l'Espagne en 1898. À cette époque, comme l'a souligné à plusieurs reprises le philosophe Carlos X. Blanco dans ses ouvrages, « les nations du monde ne sont pas seulement puissantes, elles sont aussi les plus puissantes ». Les nations européennes se sont croisées les bras et ont permis l'humiliation de l'une des leurs », écrit Blanco dans ses ouvrages. L'Amérique espagnole n'est plus la seule à être à leur merci. Il s'agit désormais de contrôler le « Vieux Continent ». L'intervention opportune et opportuniste dans les deux guerres mondiales a permis aux Yankees d'accroître leur ingérence.
Voici ce que Joshua Paul a découvert :
Le professeur Paul a découvert des dossiers dans les archives nationales américaines qui indiquent que les services de renseignement américains, notamment par l'intermédiaire du Comité américain pour une Europe unie (ACUE), créé en 1948, ont financé et dirigé des mouvements fédéralistes européens, tels que le dit "Mouvement européen". L'ACUE, présidé par William J. Donovan (ancien chef de l'OSS, ancêtre de la CIA) et dont Allen Dulles (directeur de la CIA dans les années 1950) était le vice-président, canalisait des fonds provenant de fondations telles que les fondations Ford et Rockefeller, ainsi que de groupes d'affaires proches du gouvernement américain, pour soutenir des initiatives en faveur d'une Europe unie. Les moteurs de recherche automatique d'informations ainsi que les forums de discussion sur l'IA insistent pour dire à l'utilisateur que « canaliser des fonds », ce n'est pas payer pour la création institutionnelle de l'Union européenne (ou de ses précédents). Laissons au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions.
Il existe un mémo daté du 26 juillet 1950, signé par Donovan, qui donne des instructions précises sur une campagne de promotion d'un parlement européen pleinement constitué. En outre, le département d'État américain a joué un rôle important, comme en témoigne une note de 1965 conseillant au vice-président de la Communauté économique européenne, Robert Marjolin, de procéder à l'union monétaire de manière discrète, en évitant les débats publics jusqu'à ce que les propositions aboutissent inévitablement en pratique. En réalité, tout le processus d'unification européenne s'est déroulé de la sorte : à pas feutrés et discrets, dans le dos des peuples, en leur présentant des « produits » tout faits. Les dirigeants eux-mêmes - comme aujourd'hui la néfaste Ursula von der Leyen - disposent d'une autorité croissante, non soutenue par le suffrage, étrangère à toute velléité de « souveraineté populaire ». Elle met parfaitement en corrélation la dépossession de la souveraineté nationale des peuples d'Europe avec l'autoritarisme et l'ingérence sans cesse croissants et incontestés de l'UE. La guerre actuelle en Ukraine, dans laquelle l'UE s'est révélée être le bras civil propagandiste de l'OTAN, ainsi que la passivité, voire la partisanerie pro-sioniste de l'Union européenne, reflètent le fait que l'argent des fondations américaines continue de contrôler le racket européiste.
Comment cela s'est fait
Ces fonds américains ne sont pas allés directement à la création du marché commun européen (la CEE, établie par le traité de Rome en 1957), mais ont soutenu des mouvements et des initiatives qui promouvaient l'idée d'une Europe unie, tels que la Campagne européenne de la jeunesse et le Mouvement européen lui-même. Des personnalités telles que Robert Schuman, Paul-Henri Spaak et Joseph Retinger, dirigeants du Mouvement européen, ont reçu un soutien financier des États-Unis, en dollars, bien que ce flux de papier vert ait été traité comme une opération secrète. Lorsque Retinger a tenté de lever des fonds en Europe pour réduire sa dépendance à l'égard des États-Unis, il a été rapidement réprimandé par les bailleurs de fonds américains. Il est à noter que l'intervention américaine a été constante depuis le débarquement de leurs troupes sur le « Vieux Continent ». L'existence de centaines de bases militaires (fortement concentrées dans les pays vaincus, l'Allemagne et l'Italie, mais aussi dans les autres États d'Europe occidentale) rappelle aux Européens qu'ils ne disposeront jamais d'une armée unie et que, séparément, ils n'auront jamais de souveraineté défensive. Il s'agissait, et il s'agit toujours, d'avoir « l'Allemagne en dessous et la Russie en face », mais aussi « les Etats-Unis au sommet ».
L'Union européenne, loin d'être un simple instrument d'ordre commercial, dans une certaine mesure nécessaire puisque les pays européens sont très petits, est devenue, au fil du temps, un instrument pour soumettre l'Europe plus qu'elle ne l'était déjà par la « crétinisation générale de la population » (selon des auteurs espagnols comme J. M. de Prada et Carlos X. Blanco), d'abord avec des musiques et des danses africoïdes, ensuite avec Hollywood et la « Caja Tonta » et maintenant avec les réseaux sociaux et l'idéologie wokiste.
Les documents suggèrent que les États-Unis voyaient dans l'intégration européenne un moyen de stabiliser le continent, de contrer l'influence soviétique pendant la guerre froide et de faciliter le contrôle politique en traitant avec un bloc unifié plutôt qu'avec de multiples gouvernements nationaux. Ces stratégies vont de pair avec le financement et la corruption de partis, de syndicats et même de groupes terroristes. En Espagne, par exemple, le groupe séparatiste et terroriste ETA était, comme le parti nationaliste basque, étroitement lié aux Américains (auparavant, aux Britanniques et au MI6). Les livres de l'historien Armando Besga sont à recommander fortement sur ce chapitre. Rappelons que l'argent et les manœuvres yankees ont été à l'origine de l'assassinat de l'amiral Carrero Blanco, bastion de la souveraineté espagnole face à la puissance de l'empire yankee. La disparition du gaullisme français et du franquisme espagnol a été déterminante pour la colonisation de l'ensemble de l'Europe occidentale.
Certains analystes, comme Paul Craig Roberts, ont interprété ces résultats comme la preuve que l'Union européenne était une « création de la CIA ». L'intégration européenne a été menée par des dirigeants européens qui avaient leurs propres objectifs, mais ils ont également travaillé en tant que serviteurs de l'Empire occupant, et les fonds américains ne représentaient qu'une partie de l'effort ; il y avait également des finances locales derrière le projet, des finances ploutocratiques dans tous les cas. Les documents indiquent au moins que les États-Unis ont soutenu des mouvements qui correspondaient à leurs intérêts géopolitiques.
Les travaux de Joshua Paul révèlent le soutien financier et politique occulte des États-Unis au bénéfice de mouvements pro-européens et permettent dès lors de soupçonner que le marché commun européen a été créé avec de « l'argent américain », au moins de manière indirecte. La CEE a été financée et mise en place par les pays fondateurs (France, Allemagne de l'Ouest, Italie, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg) et par la CIA. Aujourd'hui, cette Europe « unie », dans son manque de souveraineté, parie sur la prolongation de la guerre en Ukraine, en la payant de sa poche, en se ruinant par la même occasion, et détourne le regard sur la question du génocide à Gaza, ignorant que bientôt le génocide sera perpétré dans les propres colonies des Yankees: dans les propres États bananiers de l'UE.
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mardi, 11 mars 2025
La chanson française ou la déconstruction en douceur
La chanson française ou la déconstruction en douceur
par Daniel COLOGNE
Texte préalablement paru sur le site Europe Maxima, le 29 novembre 2020
En 1860 est fondé le cabaret montmartrois « Le Lapin agile » (initialement « Lapin à Gilles », du nom de son fondateur André Gilles). Un siècle plus tard, Claude Nougaro y fait ses débuts, tandis que Jacques Brel et Georges Brassens chantent dans des cabarets concurrents comme « Les trois baudets » ou « Patachou ».
Bien que traversée par des courants très divers, la chanson française séculaire puise son inspiration dans l’amour du pays, de sa capitale, de ses terroirs, de son histoire souvent tourmentée et de ses paysages métamorphosés par les cycles saisonniers.
Des gens qui sont de quelque part
Rappelons-nous la Douce France de Charles Trénet et La Paimpolaise de Théodore Botrel qui exalte sa Bretagne comme Tino Rossi célèbre son « Île de Beauté ». De Fréhel à Édith Piaf en passant par Damia et Berthe Sylva, la chanson misérabiliste rend hommage au petit peuple parisien, à ses ouvrières qui meurent trop jeunes (Les Roses blanches), à ses gamins affligés d’un handicap (Le petit bosco), à ses accordéonistes qui demandent l’aumône sur les quais de la Seine en jouant l’air de L’Hirondelle du faubourg, des Petits pavés ou de la Valse brune.
Vainqueur du premier concours Eurovision en 1956, André Claveau est la figure emblématique de cette chansonnette bien enracinée, amoureuse du petit train montagnard qui part pour son dernier voyage, nostalgique de la diligence qui mettait une semaine pour aller de Paris à Tours. Avec leur souvenir de la marelle enfantine sous les cerisiers roses et les pommiers blancs, ces refrains peuvent paraître surannés, mais savent parfois se revêtir d’une parure sensuelle de bon goût (Domino). Claveau change de registre lorsqu’il ravive la mémoire des combats vendéens (Les Mouchoirs rouges de Cholet, Prends ton fusil, Grégoire). Dans Trop petit, mon ami s’exprime une ferveur chrétienne qui rappelle La petite église de Jean Lumière.
Après la Seconde Guerre mondiale s’affirme la brillante génération des chanteurs nés vers 1930, dont les répertoires glorifient encore souvent les lieux qui les ont vus naître. Pensons par exemple à Gilbert Bécaud, à ses Marchés de Provence ou à ce petit chef-d’œuvre intitulé C’est en septembre. Mais dans certaines discographies se glissent déjà des thèmes qui annoncent la « grande libéralisation » (David Goodhart) censée conduire vers l’Eldorado du village planétaire.
« Quand on n’a que l’amour »
Mon admiration pour cet artiste hors normes comporte sans doute une part de chauvinisme patriotique. Jacques Brel a fait revivre le Bruxelles des gibus et des crinolines. Il a dépeint les « chemins de pluie » du « plat pays » flamand. Il a saisi l’étrange atmosphère d’une cité wallonne figée par les rigueurs des nuits hivernales (Il neige sur Liège). Mais il ne faut pas oublier les maladresses de ses premiers « 78 tours » (La Foire, Au printemps, Il peut pleuvoir). Que serait-il advenu de lui sans la soudaine notoriété que lui confère une chanson de 1956 rivalisant d’audience radiophonique avec le Bambino de Dalida et le Deo d’Harry Belafonte ?
Quand on n’a que l’amour annonce déjà les appels d’aujourd’hui à accueillir toute la misère du monde.
« Quand on n’a que l’amour
À offrir à ceux-là
Dont l’unique combativité
Est de chercher le jour. »
Brel confond, comme la bien-pensance actuelle, le légitime désir d’éradiquer la misère et la glorification du délinquant, dans la ligne du Victor Hugo des Misérables (le bon Valjean, ex-bagnard, contre le méchant policier Javert).
« Quand on n’a que l’amour
Pour habiller matin
Pauvres et malandrins
De manteaux de velours. »
Mieux encore qu’aux Misérables hugoliens c’est aux Voyous de velours de Georges Eekhoud qu’il faut ici se référer. Et voici un autre couplet :
« Quand on n’a que l’amour
Pour parler aux canons
Et rien qu’une chanson
Pour convaincre un tambour. »
Arrivé à Paris en 1953, Brel est comme une éponge qui s’imbibe du pacifisme germano-pratin, des appels à la désertion de Boris Vian et de Mouloudji, du dégoût existentialiste inspiré par les guerres d’Indochine et d’Algérie. Mais cet irénisme va conduire l’Europe à oublier le vieil adage romain Si vis pacem, para bellum et notre continent deviendra un nain géopolitique dominé à l’Ouest par le pragmatisme anglo-saxon, menacé au Sud par un terrorisme religieux et condamné à l’Est à se heurter au Rideau de fer, puis à la muraille de Chine.
Quelques thèmes déconstructeurs seront ainsi charriés par le répertoire brellien que nous continuerons toutefois d’aimer jusque dans l’ultime petit chef-d’œuvre intitulé Orly et la dernière exclamation du grand Jacques trop tôt disparu :
« Mais nom de Dieu que c’est triste
Orly le dimanche
Avec ou sans Bécaud. »
« Je suis blanc de peau »
Les interprètes les plus mièvres se surpassent quand ils évoquent leur lieu de naissance : par exemple, Marseille et son accent que Mireille Mathieu a gardé depuis qu’elle a vu le jour dans la cité phocéenne.
Que dire alors de Claude Nougaro, sublime quand il célèbre Toulouse : sommet d’un répertoire à forte personnalité, où se marient le jazz et la java, où les rythmes de La Nouvelle-Orléans s’intègrent au texte sans nuire à sa qualité poétique et où il est bien légitime que le fils d’un artiste lyrique du Capitole (« Papa, mon premier chanteur de blues ») rende hommage à Louis Armstrong. Mais pourquoi donc dénier à la race blanche l’aptitude à l’élan mystique ?
« Quel manque de pot
Je suis blanc de peau
Pour moi, rien ne luit là-haut
Les anges zéro
Je suis blanc de peau. »
« Il faut tourner la page
Déchirer le cahier
Le vieux cahier des charges. »
Vive l’humanité exonérée de ses devoirs ! C’est ce que semble s’écrier cette autre chanson, plus tardive, elle aussi bien construite, comme Quatre boules de cuir. Amoureux de la boxe, comme Maurice Maeterlinck, Nougaro se souvient que dans sa « ville rose » où « l’Espagne pousse un peu sa corne », « même les mémés aiment la castagne ». « Ici, si tu cognes, tu gagnes. » De la très bonne chanson, où se faufile insidieusement un embryon de la guerre des races où les villageois planétaires veulent nous entraîner.
« Entre copains de tous les sexes »
La chanson « idiote » d’autrefois ne se moque pas seulement – et gentiment – des homosexuels, comme Fernandel dans Il en est. Milton brocarde les cocus et les couples mal assortis. Georgius ridiculise l’enseignement (Le lycée Papillon). Les jongleries verbales d’Ouvrard (« J’ai la rate qui se dilate », « Les rotules qui ondulent », etc.) sont une trouvaille de jeune recrue voulant se faire réformer.
Comme ils disent (1972) de Charles Aznavour est à mi-chemin entre Il en est et les gay prides échevelées qui dégénèrent en paradodies de fêtes nationales. Le personnage retrouve chaque matin « son lot de solitude » après ses amours « dérisoires et sans joie », après son numéro de déshabillage finissant en nu intégral, après sa virée nocturne avec « des copains de tous les sexes » qui « lapident » les gens qu’ils « ont dans le nez » avec « des calembours mouillés d’acide ».
Voici donc l’immense Aznavour précurseur de la théorie du genre et de la multi-parentalité. Ces fleurons de la cynique ultra-modernité s’insinuent discrètement dans une œuvre gigantesque bercée par la nostalgie de la musique tzigane (Les deux guitares), obsédée par la rupture sentimentale (Et pourtant, Sur ma vie, Il faut savoir, Deux pigeons, Que c’est triste, Venise), magnifiée par le rappel du génocide arménien trop longtemps occulté.
« C’est une romance d’aujourd’hui »
Restons en 1972. Le grand succès de l’été est la Belle Histoire de Michel Fugain. C’est la rencontre d’un nomade et d’une citoyenne du monde. Ils s’étreignent au bord d’une route avant de repartir, l’un vers les brumes du Nord, l’autre vers le Soleil du Midi. La Providence est convoquée pour adouber cet amour éphémère. Plus tard, Fugain nous invitera à « marcher sur la tête pour changer les traditions ».
Il y a des années-charnières, des points d’inflexion de l’histoire de tous les secteurs, y compris ceux du sport, du cinéma et de la chanson. L’arrêt Bosman de 1995 transforme les équipes de football en tours de Babel, alors qu’en Belgique, par exemple, jusqu’en 1961, un joueur étranger devait évoluer une saison parmi les réserves avant d’accéder à une place de titulaire.
À partir de 1966 et de La Grande Vadrouille, les films détenant le record du nombre d’entrées dans les salles obscures sont presque exclusivement des comédies, alors qu’auparavant, le même record est détenu par Les Misérables, Quai des Orfèvres et Autant en emporte le vent. 1972 pourrait être le millésime-tournant de l’histoire de la chanson et 1974 celui de l’Eurovision. Vive le groupe Abba. Oubliés Jacqueline Boyer, Jean-Claude Pascal, Isabelle Aubret, France Gall et sa poupée offerte par Gainsbourg, le vainqueur espagnol de 1968 en qui l’on voyait un futur « Aznavour catalan ».
« Car le monde et les temps changent. »
Il nous grise avec son histoire de marin qui revient au pays. Il nous fait partager son émotion pour Céline et sa colère contre L’Épervier. Il nous conte une mésaventure sentimentale survenue quand refleurissent les jonquilles et les lilas. Il laisse gravé dans notre mémoire le « fameux trois-mâts » où Dieu est seul maître à bord (Santiano). Mais dans une de ses nombreuses adaptations de Bob Dylan, Hugues Aufray enjoint aux parents de « rester crachés ». « Vos enfants ne sont plus sous votre autorité », reprend l’icône noire Joséphine Baker peu avant son décès. « Le monde et les temps changent. »
Sans aller jusqu’aux répertoires actuels, que je connais trop mal, on peut déceler la même ambiguïté chez des chanteurs nés vers 1950. Bernard Lavilliers peut à la fois se faire l’aède du nouveau nomadisme (On the road again) et exalter les travailleurs aux « mains d’or » de la sidérurgie de Thionville. Laurent Voulzy aime se produire dans les cathédrales où sa Jeanne trouve un décor de rêve, mais Le Pouvoir des Fleurs illustre l’utopique naïveté d’une certaine jeunesse d’après-guerre.
« Changer les choses
Avec des bouquets de roses. »
Mais revenons à Huges Aufray avec une autre chanson de la mer, au texte élaboré, au rythme entraînant, au contenu quasi messianique.
« Le jour où le bateau viendra »
C’est l’histoire d’un navire qui débarque sur un littoral imaginaire. Elle s’adresse aux hommes de la Fin des Temps. Ils pourront reposer sur le sable « leurs pieds fatigués », tandis que, planant au-dessus des dunes, « les oiseaux auront le sourire » et qu’au grand large, les pharaons sont promis à la noyade.
Ce navire a peut-être un lien avec « le bateau pensant et prophétique » de Léo Ferré, qui prend « le chemin d’Amérique », c’est-à-dire « le chemin de l’amour ». Il s’en va avec une Madone attachée « en poupe par le col », mais à son retour, il porte dans la même position une Madone « d’une autre couleur ».
Le bateau espagnol est un des plus beaux textes de poésie française mise ne musique, mais il n’est pas interdit d’y voir jaillir une des premières étincelles du feu que certains se plaisent à attiser aujourd’hui : celui de la guerre des races sur fond de revanchisme post-colonial.
Daniel COLOGNE
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vendredi, 07 mars 2025
Les grèves ont toujours existé...
Les grèves ont toujours existé...
Jan Huijbrechts
Quelle: https://www.facebook.com/jan.huijbrechts.9
Les prochains jours, semaines et peut-être même mois seront largement marqués par l’agitation sociale, avec des manifestations et des grèves contre les projets du gouvernement De Wever. Cela pourrait vous surprendre, mais les grèves ont existé de tout temps. La plus ancienne grève documentée de l’histoire a eu lieu pendant la construction des pyramides de Khéops, quelque part entre 2551 et 2472 avant notre ère. Lorsque les ouvriers de cet immense chantier ont constaté que leurs rations contenaient de moins en moins d’ail – l’assaisonnement local par excellence – ils ont spontanément cessé le travail. Mille ans plus tard, leurs descendants, qui bâtissaient plusieurs monuments pour le pharaon Ramsès III dans la Vallée des Rois, se mirent en grève après de graves retards dans l’approvisionnement alimentaire. Ils ne reprirent leurs marteaux et leurs burins qu’après la résolution définitive de ces problèmes.
Dans la Rome antique existait la secessio plebis, une forme d’action informelle exercée par les plébéiens – citoyens ordinaires, souvent agriculteurs ou artisans propriétaires de terres – dans leurs conflits avec les patriciens, la classe dirigeante. Les plébéiens cessaient le travail et quittaient massivement la ville avec leurs familles. Une tactique qui mettait les patriciens, dépendants de la plèbe, dans une position difficile et qui porta ses fruits pour la première fois en 495 avant notre ère. Cette grève visait le sévère homme d’État aristocratique Appius Claudius Sabinus Irregillensis et un droit réglementant les dettes, que l'on jugeait injuste. Ce n’est qu’après l’annulation de leurs dettes et l’octroi d’une partie du pouvoir patricien à un tribun du peuple représentant la plèbe que les grévistes revinrent à Rome et reprirent le travail. La secessio plebis, utilisée avec succès en 449 et 287 avant notre ère, s’imposa comme un puissant moyen de pression permettant aux plébéiens d’obtenir davantage de droits et de lois en faveur du peuple.
Durant le Moyen Âge tumultueux, l’Europe fut le théâtre de tensions socio-économiques récurrentes. Le comté de Flandre et le duché de Brabant se distinguèrent particulièrement par une agitation sociale qui, dans certains cas, déboucha sur de véritables révoltes. Jusqu’à la fin du 14ème siècle, lorsque les comtes de Flandre et les ducs de Brabant commencèrent à accorder des privilèges à leurs villes, les tensions politiques et sociales s’intensifièrent. La concentration de population, de pouvoir et de capitaux entraîna des conflits fréquents. Associé à une prise de conscience politique croissante, ce contexte donna naissance à une tradition quasi révolutionnaire dans les villes flamandes et brabançonnes, où la grève devint une arme redoutable. Dès 1240, on observe, notamment dans les grandes villes, les premières grèves. Les travailleurs – en particulier les fileurs, foulons, tisserands et teinturiers – mirent en place des bussen, sortes de caisses de solidarité destinées à venir en aide aux familles de compagnons décédés. Les autorités, craignant qu’elles ne servent aussi de caisses de grève, interdirent ces fonds. Cette crainte était fondée: après 1302, les guildes et corporations gagnèrent non seulement en autonomie, mais aussi en pouvoir politique. Elles soumirent des pétitions ou des lettres de doléances aux autorités et organisèrent des manifestations. Ces actions étaient souvent suivies de grèves ou de takehans, des confrontations directes avec les pouvoirs en place. Lorsqu’un arrêt de travail se produisait, on parlait de ledichganck. Parfois, les travailleurs organisaient une uutganck, une « sortie » massive vers une autre ville, comme les plébéiens romains lors de la secessio plebis. Pour éviter l’anarchie et le chaos, les villes conclurent des accords interdisant l’accueil d’ouvriers en grève venus d’ailleurs.
Sous l’Ancien Régime, la grève demeura un instrument de lutte sociale. L’exemple le plus célèbre est celui des grèves du printemps 1717 à Gand, Anvers, Malines et Bruxelles contre les nouvelles taxes exorbitantes imposées par les autorités de Vienne à nos provinces. À Bruxelles, les doyens des nations et des guildes invoquèrent les anciens privilèges urbains pour rejeter catégoriquement ces impôts. Lorsque cette vague de grèves menaça de se transformer en révolte ouverte, la ville fut occupée par les troupes impériales et une répression brutale s’ensuivit. Cela n’empêcha pas une nouvelle grève en 1719, accompagnée d’émeutes. Pour rétablir l’ordre, cinq doyens des corporations bruxelloises furent emprisonnés pendant six mois, et l’un d’eux, Frans Anneessens, âgé de 60 ans, fut décapité sur la Grand-Place le 19 septembre 1719 pour son rôle de leader dans les troubles.
Les grèves furent totalement interdites par Napoléon Bonaparte, qui exécrait l’agitation sociale. Peu après la Révolution française, le 14 juin 1791, la loi Le Chapelier fut adoptée en France, supprimant les guildes et autres organisations professionnelles, interdisant les syndicats et criminalisant les grèves. Après l’occupation française de nos territoires, cette loi fut intégrée dans le Code Napoléon et appliquée ici aussi.
Dans la jeune Belgique, la loi Le Chapelier fut largement considérée – à juste titre – comme une atteinte au droit constitutionnel d’association et fut abrogée le 25 mai 1867. Cela ne signifiait cependant pas que les grèves étaient tolérées: l’article 310 du code pénal, qui remplaça la loi Le Chapelier, rendait toujours les grèves illégales. Cela n’empêcha pas la première vague de grèves, entre 1868 et 1880, souvent réprimée avec violence par la gendarmerie, l’armée et la garde civique. Ces confrontations sanglantes firent de nombreux morts.
Avec la fondation du Parti Ouvrier Belge (POB) en 1885, la véritable organisation du mouvement ouvrier commença. Cette structuration exerça sans doute une pression supplémentaire, mais n’apporta pas immédiatement d’amélioration des conditions de travail ni des salaires, parmi les plus bas d’Europe.
Au fil des décennies suivantes, les syndicats eurent de plus en plus recours aux grèves générales ou massives, qui devinrent une composante essentielle de l’histoire sociale du pays. Les grèves générales de 1886, 1893, 1902, 1913, 1936, 1941, 1950, 1960-61 et 1993 mobilisèrent de larges pans de la population active. Ces actions débouchèrent souvent, mais pas toujours, sur des avancées sociales significatives.
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lundi, 03 mars 2025
Comment la CIA est à l'origine du commerce moderne de la drogue en Amérique
Comment la CIA est à l'origine du commerce moderne de la drogue en Amérique
Source: https://dissident.one/hoe-de-cia-de-moderne-drugshandel-i...
Cette semaine, des responsables anonymes ont informé les principaux médias américains du nouveau rôle « bienveillant » de la CIA: faire voler des drones MQ-9 Reaper au-dessus du Mexique pour espionner les cartels de la drogue. Qu'est-ce qui cloche avec ce narratif?
Ces rapports soigneusement rédigés, publiés à 24 heures d'intervalle, interviennent après que le département d'État a désigné huit grands réseaux de trafiquants de drogue latino-américains comme « organisations terroristes mondiales », rapporte Sputnik.
Malheureusement pour la CIA, toute personne un tant soit peu familiarisée avec ses activités sait que l'agence est un allié plutôt qu'un ennemi des trafiquants de drogue qui sèment la violence et la mort dans les communautés américaines.
En 1985, le scandale Iran-Contra a éclaté au grand jour. Il a révélé que l'administration Reagan avait facilité des ventes secrètes d'armes à l'Iran pour financer les rebelles au Nicaragua. En outre, la CIA a été impliquée dans le trafic de cocaïne de la Contra vers les États-Unis.
En 1996, le journaliste d'investigation Gary Webb a confirmé, après avoir travaillé de manière indépendante et fourni une étude détaillée, les allégations selon lesquelles l'épidémie de crack dans les quartiers défavorisés des États-Unis était liée à des trafiquants de drogue bénéficiant de la protection de la CIA.
Le gouvernement fédéral et les principaux médias américains ont enquêté sur le reportage de Gary Webb, mais toute information sur l'implication de la CIA a été balayée. Webb a été retrouvé mort à son domicile en 2004, tué de deux balles dans la tête. Sa mort a été considérée comme un suicide.
L'affaire Iran-Contra n'était qu'une petite partie de l'empire mondial de la CIA en matière de trafic de drogue. Examinons d'autres faits avérés:
Paul Helliwell, avocat, banquier, officier de l'OSS et de la CIA, a été qualifié de « pionnier du trafic de drogue de la CIA ».
En 1962, Paul Helliwell a fondé la Castle Bank & Trust aux Bahamas pour soutenir les opérations de la CIA contre le Cuba de Castro et d'autres forces anti-américaines en Amérique latine. Auparavant, il avait dirigé Overseas Supply, une société écran de la CIA qui faisait passer en contrebande de l'opium de Birmanie pour financer une sale guerre contre la Chine.
Le scandale des Bahamas a éclaté en 1973 lors d'une enquête de l'IRS sur des fraudes fiscales, au cours de laquelle Richard Nixon a tenté de couper les ailes de la CIA en créant la Drug Enforcement Agency (DEA). Certains pensent que cette initiative, combinée à l'obsession de Nixon pour l'assassinat de JFK, est à l'origine du Watergate et de la démission ignominieuse du président en 1974 (Nixon savait pour les Juifs, il est plus probable que ce soit la raison - Dissident).
Barry Seal, célèbre trafiquant américain de drogue et d'armes, a passé de la drogue en contrebande pour le compte du cartel de Medellin et a été recruté comme agent double, selon les autorités américaines. Mais le journaliste d'investigation Alexander Cockburn et d'autres ont affirmé que Seal était un agent de la CIA depuis la Baie des Cochons et la guerre du Vietnam, et qu'il était impliqué dans la collaboration avec les Contras.
En 2017, Juan Pablo Escobar, fils du tristement célèbre fondateur du cartel de Medellin, a confirmé que son père « travaillait pour la CIA » et a affirmé que de la drogue était passée en contrebande, par Seal et d'autres, directement vers une base militaire américaine en Floride.
Le journaliste indépendant Manuel Hernandez Borbolla a documenté la formation de grands cartels mexicains sous l'égide de la Direction fédérale de la sécurité, que le journaliste a décrite comme étant « pratiquement des employés de la CIA, ainsi que certains anciens présidents mexicains ».
Les liens étaient si complexes, rappelle Hernandez Borbolla, que le célèbre agent de la CIA Felix Ismael Rodriguez était présent lorsque des membres du cartel de Guadalajara ont torturé et tué l'agent de la DEA Kiki Camarena en 1985, après avoir découvert des activités de contrebande de drogue et d'armes liées aux Contras.
La CIA aurait également été impliquée dans le meurtre, en 1984, du journaliste mexicain Manuel Buendia, qui enquêtait sur le trafic de drogue de la CIA et l'implication de fonctionnaires corrompus.
En 2012, le journaliste chilien Patricio Mery a découvert un complot de la CIA visant à faire passer de la cocaïne de la Bolivie vers le Chili, l'Europe et les États-Unis. Il voulait ainsi récolter des fonds pour financer des opérations de déstabilisation du gouvernement du président équatorien Correa.
La CIA n'est d'ailleurs pas la seule agence américaine à trois lettres impliquée dans le trafic de drogue et la coopération avec les cartels de la drogue.
En 2010, le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives (communément appelé ATF) a été accusé d'avoir « délibérément permis à des marchands d'armes agréés de vendre des armes à des acheteurs de paille illégaux, dans l'espoir de remonter jusqu'à des chefs de cartels mexicains et de les arrêter », sans qu'aucune arrestation n'ait jamais eu lieu. L'affaire, communément appelée « Opération Fast and Furious », a été qualifiée par Forbes d'être un « Watergate » potentiel pour l'administration Obama.
Quelques années plus tard, El Universal a publié des documents judiciaires montrant que la DEA a coopéré avec le cartel de Sinaloa, dirigé par Joaquin « El Chapo » Guzman, entre 2000 et 2012. La DEA a ainsi fermé les yeux sur l'introduction clandestine de drogues aux États-Unis en échange d'informations sur les cartels rivaux.
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jeudi, 27 février 2025
Les relations entre les grandes puissances à l'aube du nouveau millénaire
Les relations entre les grandes puissances à l'aube du nouveau millénaire
L'ère des puissances hégémoniques et maritimes [1500 - 2000] touche à sa fin
par Youri Tavrovski
Source: https://unser-mitteleuropa.com/160279
Le décès du président américain Jimmy Carter le 29 décembre 2024 nous rappelle à nos souvenirs de l'ancien « mariage de raison » entre la Chine et les Etats-Unis. Tout a commencé en 1979 avec la visite aux États-Unis de Deng Xiaoping, le président du conseil militaire du comité central du Parti communiste chinois.
Un mois seulement après avoir été confirmé comme premier homme de facto de la Chine lors du 3ème plénum du 11ème Comité central du Parti communiste chinois, qui s'était tenu du 18 au 22 décembre 1978, Deng Xiaoping s'est rendu à Washington. Il s'agissait de la première visite d'un dirigeant chinois aux États-Unis depuis la proclamation de la République populaire de Chine en 1949.
Deng Xiaoping disposait du soutien des dirigeants de son pays pour mettre en œuvre une série de réformes qui nécessitaient également une aide extérieure et qui ont été connues par la suite sous le nom de « socialisme à la chinoise »:
- L'Union soviétique a aidé Mao Zedong à jeter les bases d'un système socialiste.
- Selon Deng Xiaoping, les États-Unis devaient contribuer à compléter l'économie socialiste par une économie capitaliste et à ouvrir le marché mondial à la Chine.
Lors de sa rencontre à Washington, Deng Xiaoping a fait au président américain Jimmy Carter « une offre qu'il ne pouvait pas refuser » :
- Mettre en place un « front mondial anti-hégémonique » contre l'URSS et ses alliés !
La construction de ponts entre Washington et Pékin avait commencé au début des années 1970 avec la diplomatie dite du « ping-pong ». Elle a été couronnée par la visite du président Richard Nixon [et de Henry Kissinger] en Chine et sa rencontre avec Mao Zedong. Pour diverses raisons, ce « mariage » n'a toutefois pas permis d'obtenir des résultats tangibles immédiats.
La visite de Deng s'est étalée sur plusieurs jours. Un point particulier du programme, comme la visite de Deng au quartier général de la CIA, n'a toutefois pas été rendu public :
- Il a été convenu de faire installer des stations d'écoute américaines dirigées contre l'URSS dans le nord-ouest de la Chine.
L'accord proposé par Deng Xiaoping dans son ensemble était si vaste que cinq sommets et des dizaines de réunions de diplomates de haut niveau ont été nécessaires. Des documents importants ont été signés, tels que :
- le traité de coopération scientifique et technique;
- le traité de coopération culturelle.
Les deux pays ont convenu de coopérer dans les domaines de l'éducation, du commerce et de l'espace. Les chefs d'État ont également convenu de compléter les relations diplomatiques établies en décembre 1978 par des relations consulaires et d'établir des consulats généraux.
La preuve la plus éloquente de la décision de la RPC de se ranger du côté du camp impérialiste dans la résistance contre le monde socialiste sera la guerre de la Chine contre le Vietnam:
- La guerre sino-vietnamienne du 17 février au 16 mars 1979 a commencé deux semaines après le retour de Deng Xiaoping des Etats-Unis le 17 février 1979 !
La formule de « partenariat raisonnable » créée par Jimmy Carter et Deng Xiaoping correspondait aussi bien aux intérêts nationaux des États-Unis qu'à ceux de la RPC et a tenu pendant environ trois décennies.
Avec l'aide de l'Occident, la Chine a élargi son potentiel économique, mais « est restée dans l'ombre » [des États-Unis], sans mener de politique étrangère indépendante. Dans le même temps, Pékin soutenait ouvertement ou non l'Occident dans sa confrontation avec l'Union soviétique. Cela a contraint Moscou à se préparer à une guerre sur deux fronts.
Finalement, Deng Xiaoping a mis Jimmy Carter au pied du mur: avec l'aide des États-Unis et de tout l'Occident, lui et ses partisans ont fait du pays la deuxième économie mondiale. Washington n'a pris conscience de ces conséquences inattendues du « mariage de raison » que sous la présidence de Barack Obama. Après s'être rendu à Pékin en 2009, Obama a proposé de créer une nouvelle architecture des puissances selon une formule dite «G-2»:
- Cela aurait été l'équivalent d'une domination commune américano-chinoise sur le monde, mais avec les États-Unis à sa tête !
Cette formule a été rejetée par la Chine et le soi-disant « endiguement » de la Chine allait bientôt être proclamé [par l'Occident]:
La stratégie américaine « Pivot to Asia » [Pivot vers l'Asie] a été lancée, qui prévoyait la concentration des forces globales des États-Unis et de leurs alliés dans la région du Pacifique. L'accord de partenariat transpacifique (TTP) devait isoler l'Empire du Milieu sur le plan commercial et économique afin de tenir à l'écart la première puissance commerciale de la région et du monde, c'est-à-dire la Chine.
Ces stratégies n'ont toutefois jamais été entièrement mises en œuvre en raison de l'implication des États-Unis dans des conflits dans différentes parties du monde. Dans le même temps, un affrontement entre les anciens participants au « mariage de raison » semblait inévitable :
- Le « divorce avec fracas » a commencé en 2018, lorsque le président Donald Trump a fait adopter le premier grand train de sanctions contre les marchandises chinoises !
La Chine a répondu « point par point » et une guerre commerciale a suivi son cours. Au cours des années suivantes, sous l'administration de Donald Trump et de son successeur Joseph Biden, la confrontation a pris les proportions d'une guerre froide à part entière et s'est même étendue aux sphères militaire, financière, technologique et humanitaire. La confrontation a été exacerbée par la direction actuelle du Parti communiste chinois, dirigée par Xi Jinping: « Xi a corrigé la politique de Deng Xiaoping, qui consistait à faire pression sur les pays occidentaux pour qu'ils adoptent une attitude plus ouverte à l'égard de la Chine:
- soit approvisionner les marchés occidentaux en marchandises chinoises bon marché, au détriment de l'exploitation de son propre peuple, d'une politique étrangère passive et de la méfiance envers Moscou.
A la fin du mandat de Joseph Biden, les relations entre les Etats-Unis et la Chine avaient atteint leur niveau le plus bas depuis la rencontre entre Jimmy Carter et Deng Xiaoping.
Washington, initiateur de cette dégradation constante des relations, ne semble pas prêt à accepter la perte de sa position d'hégémon mondial.
Pékin, en revanche, continue de proposer sa formule de « relations entre grandes puissances », à l'image des relations sino-russes, qui prévoient l'égalité dans les relations bilatérales et internationales ainsi que des responsabilités d'égal à égal en ce qui concerne le destin du monde.
Jimmy Carter et Deng Xiaoping ont gagné leur place dans l'histoire comme symboles de la possibilité de revirements soudains entre grandes puissances.
Mais seul l'avenir nous dira si, comme l'a dit Xi Jinping, « des changements grandioses, comme on n'en a pas vu depuis 100 ans », attendent l'humanité à l'avenir.
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lundi, 10 février 2025
Précurseur du syndicat mondial du crime: le commerce de l'opium au 19ème siècle
Précurseur du syndicat mondial du crime: le commerce de l'opium au 19ème siècle
Source: https://dissident.one/voorloper-van-het-wereldwijde-misda...
Le commerce de l'opium chinois au 19ème siècle a joué un rôle déterminant dans la formation première du syndicat mondial du crime, en le faisant passer à la vitesse supérieure. Selon Russ Winter, il s'agit du modèle idéal d'exploitation criminelle, permettant l'intelligence de l'État profond, et du pillage massif pour lancer, enrichir et connecter les précurseurs du système d'aujourd'hui.
Récapitulons : au cours du premier quart du 19ème siècle, les Britanniques se trouvaient dans une situation désespérée car ils ne pouvaient fournir des biens échangeables aux Chinois. La Chine ne s'intéressait qu'à l'or et à l'argent.
Sassoon & Sons
C'est là qu'intervint le peu scrupuleux David Sassoon (1792-1864), un négociant juif de Bombay, qui développa le commerce de l'opium. Cette culture de rente convenait parfaitement aux conditions qui régnaient alors aux Indes, notamment au Bengale et à Madras. Sassoon envoya ses agents en Chine et, finalement, ses six fils, qui se révélèrent d'impitoyables criminels, habiles à mener à bien les pillages adéquats. Ils se sont transformés ainsi en « Rothschild de l'Orient ».
Il est d'ailleurs évident que Wikipédia a été nettoyé de fond en comble par « quelqu'un », puisque le rôle de Sassoon dans la création du fonds de l'opium (coté en bourse) de Shanghai n'est que brièvement mentionné. La quasi-totalité du texte est consacrée au filage du coton indien par Sassoon avec l'aide d'esclaves. Une version plus précise est disponible sur Wikispooks.
En réalité, Sassoon et ses agents ont lancé le marché chinois de l'opium en Chine. Comme l'admet sans hésitation l'Encyclopédie juive, ils avaient le monopole du commerce de l'opium en Chine et au Japon. La dite encyclopédie poursuit en disant que Sassoon dut son grand succès à l'utilisation de ses fils comme agents.
Bien entendu, les Britanniques étaient impliqués dans l'affaire et complètement corrompus. Au début, le transbordement vers la Chine était assuré par des entreprises britanniques, telles que Jardine Matheson & Co.
La première guerre de l'opium a fait de la distribution et de l'exploitation des drogues psychotropes la pierre angulaire de la politique impériale britannique. Quiconque en douterait n'a qu'à se pencher sur cette déclaration de principe faite par Lord Palmerston dans un communiqué de janvier 1841 adressé à Lord Auckland, alors gouverneur général de l'Inde:
"La rivalité des fabricants européens exclut rapidement nos productions des marchés européens, et nous devons essayer sans relâche de trouver de nouveaux débouchés pour notre industrie (c'est-à-dire l'opium - ndlr) dans d'autres parties du monde... Si nous réussissons notre expédition en Chine, l'Abyssinie, l'Arabie, les pays de l'Indus et les nouveaux marchés de la Chine permettront, dans un avenir proche, une extension très importante de la portée de notre commerce extérieur".
En 1839, cette opération criminelle de drogue avait réduit en esclavage et zombifié environ cinq à dix millions de Chinois et avait fait reculer les conditions sociales et économiques de ce pays de plusieurs siècles. Il s'agissait de l'une des meilleures stratégies de division et de conquête jamais conçues par le syndicat mondial du crime.
L'opium était interdit en Chine et l'empereur mandchou n'a pas cédé à la propagation de l'épidémie d'opiomanie sans se battre. Au contraire, il a adopté une approche vigoureuse du phénomène criminel en déversant une fortune en opium marchand dans la baie de Canton et en détruisant les installations de production.
Sassoon et sa bande ont ensuite fait pression avec succès pour obtenir une intervention militaire. La Grande-Bretagne a envoyé un corps expéditionnaire depuis l'Inde pour intervenir en Chine et a ravagé le littoral chinois au cours d'une série de batailles. Elle finit par dicter les termes d'un accord.
Le traité de Nankin de 1842 a ouvert la voie à une nouvelle expansion du commerce de l'opium, qui s'est poursuivi jusqu'à ce que les communistes maoïstes y mettent un terme un siècle plus tard. À un moment donné, on a estimé qu'au moins 30 millions de Chinois étaient dépendants de l'opium.
En outre, la Grande-Bretagne s'est emparée du territoire de Hong Kong, a fixé unilatéralement les droits de douane chinois à un faible niveau (procédé qui est également connu sous le nom de « libre-échange ») et a fait empocher aux « commerçants » de Canton 3 millions de dollars en compensation de la perte de leurs biens illégalement acquis.
Les affaires de la famille Sassoon se sont ensuite installées à Hong Kong, où elles se développèrent dans le domaine de la banque d'affaires. Plusieurs négociants en opium créèrent la Hong Kong and Shanghai Bank. Avec le temps, la banque - aujourd'hui connue sous le nom de HSBC - étend son champ d'action à la drogue du Moyen-Orient et de l'Amérique latine.
Au cours du 19ème siècle, les familles britanniques Matheson, Keswick, Swire, Dent, Inchcape et Baring, ainsi que les familles Sassoon et Rothschild contrôlent le commerce de la drogue en Chine.
En 1887, les grands clans Sassoon et Rothschild fusionnent par intermariage. Ils opèrent alors depuis Londres, où ils se mêlent à l'aristocratie britannique (à la City of London), sont anoblis et continuent à financer et à promouvoir les mouvements bolchevique et sioniste et Dieu sait quoi d'autre encore.
Le butin revient aux vainqueurs et, au fil du temps, la véritable histoire du commerce de l'opium a été blanchie et occultée par ces puissants intérêts. Ils se sont étendus au contrôle des médias, ce qui explique aujourd'hui la nature criminelle de cette influence à laquelle on ne peut se fier et que je documente constamment.
Il m'est impossible de faire le tour de ce sujet dans cet article introductif, mais je pense qu'il faut au moins prendre conscience de nos intuitions de base sur la façon dont le monde fonctionne. À maintes reprises, vous constaterez que ces acolytes du Syndicat du crime occupent des postes de premier plan dans les services de renseignement et la finance. Depuis sa création, Israël en a abrité de nouvelles manifestations.
Après avoir essuyé des vents contraires de façon constante, les Britanniques ont mené une deuxième guerre de l'opium en Chine de 1856 à 1860. Avec le temps, l'opium a été cultivé en Chine même, en particulier dans la province du Sichuan, ce qui a permis à une nouvelle génération d'entreprises criminelles de se développer. Cette deuxième guerre a ouvert le marché à de nouveaux acteurs.
Dans un style typiquement moderne, une « campagne de marketing » du syndicat du crime a vu le jour, présentant la consommation d'opium comme un passe-temps à la mode, voire comme un art de vivre sophistiqué. Les opiacés ont joué un rôle important dans le lancement d'un certain nombre de sociétés pharmaceutiques internationales.
Les Américains entrent en scène
La déstabilisation de la Chine et la construction des chemins de fer dans l'ouest des États-Unis ont ouvert la voie à la traite des êtres humains (Shanghai'ing, comme ils l'appelaient) et à l'expansion du commerce de l'opium chinois par les Américains. Les familles américaines Perkins, Astor et Forbes ont gagné des dizaines de millions grâce au commerce de l'opium. Les Perkins ont fondé la Bank of Boston, connue aujourd'hui sous le nom de Crédit Suisse.
William Hathaway Forbes (photo) était directeur de la Hong Kong Shanghai Bank peu après sa création en 1866. John Murray Forbes était l'agent américain de la famille bancaire Barings, qui finançait la majeure partie du commerce de la drogue à ses débuts. Les héritiers de la famille Forbes ont ensuite lancé le magazine Forbes. J'ai également écrit sur la lignée des secrétaires d'État de la famille John Forbes Kerry.
Le grand-père du président américain Franklin Delano Roosevelt, Warren Delano (photo), s'est enrichi grâce au trafic d'opium en Chine. Comme le secrétaire d'État américain John Forbes Kerry, FDR a prétendu ne rien savoir à ce sujet.
Le cloaque des « personnes connectées », issues de ce cartel de l'opium composé de l'élite britannique, des brahmanes américains et des Sassoon-Rothschild, est profond et s'est étendu jusqu'à aujourd'hui. Ayant à peine effleuré le sujet, je constate aujourd'hui que je n'ai pas pleinement apprécié le rapport entre l'opium et certains liens de sang.
Est-ce une simple coïncidence si tant de personnes influentes au niveau mondial sont aujourd'hui issues de cette ancienne lignée, spécialisée en activités criminelles ? Il n'y a rien à voir ici, circulez...
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À propos de l’Ère dorée
À propos de l’Ère dorée
par Georges Feltin-Tracol
Pendant son discours d’investiture du 20 janvier dernier, Donald Trump a plusieurs fois évoqué l’« Ère dorée » des États-Unis. Extraite d’une citation de l’écrivain Mark Twain, cette expression - « Gilded Age » en anglais – équivaut à peu près outre-Atlantique à la « Belle Époque » en Europe occidentale, nonobstant la non-coïncidence des dates.
Cette période charnière de l’histoire des États-Unis commence, selon certains historiens, au lendemain de la Guerre de Sécession avec le temps de la « Reconstruction » (1865 – 1877). Elle s’achève en 1913 à l’entrée en fonction du président démocrate Thomas Woodrow Wilson. Trois phénomènes répétitifs caractérisent ce moment déterminant : une grande instabilité économique due à des crises bancaires fréquentes, de graves conflits sociaux et une expansion territoriale qui s’extrait des mythes de la « Frontière » et de l’« Ouest sauvage ». Le président Andrew Johnson acquiert par exemple en 1867 l’Alaska à la Russie. Le 24 septembre 1869, New York pâtit d’un « vendredi noir », pourvoyeur de faillites d’entreprises en raison d’une spéculation massive sur l’or. Les économistes rappellent volontiers une terrible dépression économique de 1873 à 1896 visible par la fermeture soudaine de nombreuses banques.
Aux temps de la « Reconstruction » apparaissent les premiers trusts. Intéressé dès 1870 par l’« or noir », John David Rockefeller fonde la Standard Oil. Le succès est si grand qu’en 1892, Rockefeller détient une quarantaine de sociétés souvent en situation de monopole au point qu’en 1900, on le considère comme l’homme le plus riche du monde. De nos jours, ce ne sont plus les hydrocarbures, mais bien la high tech qui permet d’amasser des fortunes colossales. L’« Ère dorée » excite l’appât du gain et stimule le succès rapide. Outre le pétrolier Rockefeller, mentionnons d’autres capitaines d’industrie sans foi ni loi qui construisent des entreprises monopolistiques. Ainsi Jay Gould et Cornelius Vanderbilt investissent-ils dans les chemins de fer et le transport fluvial. Pour sa part, JP Morgan lance un cartel de l’acier dans le cadre de l’United States Steel Corporation. D’autres (James Buchanan Duke, William Andrews Clark ou Marshall Field) font fortune dans le tabac, l’électricité ou l’exploitation du cuivre. La plupart se fait connaître sous le sobriquet de « barons-voleurs » parce qu’ils n’ont aucun scrupule et s’offrent au moyen de la corruption la presse, la politique et la justice.
L’affirmation de cette véritable oligarchie ploutocratique ne bénéficie pas au plus grand nombre. L’écart entre les revenus est gigantesque et une ambiance de chaos s’installe partout, en particulier dans les mines et dans les usines. Les États-Unis connaissent alors une série de grèves violentes et d’émeutes sanglantes (une vingtaine de morts aux aciéries de Homestead) ainsi que des krach boursiers retentissants. Celui du 27 juin 1893 ouvre quatre longues années de marasme économique. Dans ce contexte difficile, le militantisme syndical se développe en parallèle aux revendications socialistes et à l’agitation libertaire. Des anarchistes assassinent en 1881 le président Garfield, puis, en 1901, le président McKinley. Ces attentats heurtent une opinion publique volatile et incandescente. Dans le même temps, dans l’Ouest émerge un troisième parti, le parti populiste. Le dynamisme des populistes, des socialistes et des syndicalistes n’entame pourtant pas l’hégémonie du parti républicain sur la présidence des États-Unis.
La domination républicaine est presque totale sur quarante-cinq ans. Entre 1869 et 1913, huit républicains logent à la Maison Blanche : Ulysses Grant (1869 – 1877), Rutherford Birchard Hayes (1877 – 1881), James Abram Garfield (1881), Chester Alan Arthur (1881 – 1885), Benjamin Harrison (1889 – 1893), William McKinley (1897 – 1901), Theodore Roosevelt (1901 – 1909) et William Howard Taft (1909 – 1913). Le seul président démocrate s’appelle Grover Cleveland. 22e président de 1885 à 1889, il perd en 1888 face à Benjamin Harrison, petit-fils du 9e président, William Henry Harrison décédé en 1841 après un mois de présidence. William Harrisson avait tenu que son investiture se fît en extérieur malgré un temps détestable. Il attrapa une pneumonie mortelle. En 1892, Cleveland bat Harrisson et devient le 24e président de 1893 à 1897.
La mainmise des républicains sur l’appareil administratif fédéral facilite l’épuration systématique des fonctionnaires de sensibilité démocrate. Elle incite aussi à adopter des mesures protectionnistes justifiées par l’ardente obligation de maintenir le niveau de vie des travailleurs étatsuniens. Le tarif McKinley de 1890 donne au chef de l’État le pouvoir d’imposer des droits sur le sucre, les mélasses, le thé, le café et les peaux exportées par un État qui imposerait des droits sur les produits made in USA. En 1909, Taft approuve le tarif douanier Payne – Aldrich qui institue un minimum et un maximum en matière de taux pour les importations. La soumission des républicains aux trusts n’empêche pas des réactions salutaires. Le sénateur républicain de l’Ohio John Sherman fait adopter en 1890 le Sherman Act contre les monopoles économiques qui faussent la concurrence. Si les effets de cette loi ne se manifestent pas immédiatement, elle contraint néanmoins en 1900 l’homme le plus riche du monde, John David Rockefeller, à diviser son empire en trois sociétés distinctes. À l’initiative du président Theodore Roosevelt, l’État, le patronat et les syndicats commencent à se concerter, d’où quelques avancées sociales non négligeables pour les seuls salariés WASP. En revanche, les Afro-Américains et les immigrés récents (Irlandais et Italiens) en sont écartés.
L’« Ère dorée » contribue à la réflexion géopolitique de l’amiral Alfred Mahan (1840 – 1914). Sa vision thalassocratique mondiale s’appuie sur la construction, dans l’océan Pacifique, d’un domaine maritime qui demeure en 2025 le premier au monde. Déjà en 1857 – 1858, l’US Navy s’était emparée dans le Pacifique central et méridional de l’atoll Baker et des îles Howland et Jarvis riches en guano. En 1867, les États-Unis prennent possession des îles Midway dans le Pacifique Nord. Dès 1898, Washington ordonne l’occupation de Hawaï qui est annexé sept ans plus tard. La même année, suite à une manipulation de l’opinion sous faux-drapeau, éclate la guerre contre l’Espagne. Au traité de Paris de 1898, Cuba s’affranchit de la tutelle espagnole pour devenir un protectorat étatsunien. Les États-Unis versent à Madrid vingt millions de dollars pour obtenir la pleine souveraineté sur les îles micronésiennes de Wake et Guam, Porto Rico dans les Antilles et les Philippines. Le 2 novembre 1899, Washington et Berlin se partagent toujours dans le Pacifique les Samoa. À côté de la constitution d’un État panaméen émancipé de la Colombie et de la réalisation d’une zone du canal sous le contrôle direct des États-Unis, plusieurs interventions militaires yankees s’effectuent à Saint-Domingue en 1905, au Honduras en 1907, à Cuba et au Nicaragua en 1912 et même en Haïti en 1915.
Aujourd’hui, l’accroissement de territoires vise le Groenland, le canal de Panama, le Canada, voire la planète Mars… La continuité est réelle ! Donald Trump synthétise la doctrine Monroe (1823) qui postule le droit impérieux des États-Unis à s’occuper de tout le continent américain, et la « Destinée Manifeste » aux forts relents messianistes planétaires, d’où un « exceptionnalisme » étatsunien assumé qu’on retrouve dans le passage toponymique du golfe du Mexique en golfe de l’Amérique. Souhaitons seulement que ce changement de nom attise l’annonce prochaine d’un troisième empire mexicain de San José au Costa Rica jusqu’à San Francisco en Californie.
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 142, mise en ligne le 5 février 2025 sur Radio Méridien Zéro.
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dimanche, 02 février 2025
L’outre-mer danois d’hier à aujourd’hui
L’outre-mer danois d’hier à aujourd’hui
par Georges Feltin-Tracol
Les revendications étatsuniennes sur le Groenland rappellent que cette immense île arctique dépend encore du royaume de Danemark. En effet, cet État se compose de trois pays constitutifs: le Danemark proprement dit, le Groenland et, en Atlantique Nord, l’archipel des Féroé.
Le Groenland et les Féroé disposent de leur propre gouvernement et d’un premier ministre distinct de celui de Copenhague. Le lien avec la couronne repose sur un haut-commissaire nommé. En outre, le Groenland et les Féroé ne sont pas membres de l’Union dite européenne. En théorie, la convention de Schengen sur la libre-circulation des personnes ne s’y applique pas. Ces deux territoires dotés d’une large souveraineté interne représentent les derniers vestiges d’un domaine ultra-marin bien méconnu.
Longtemps, le Danemark fut une puissance scandinave et maritime de premier ordre. L’actuelle famille royale danoise de la branche cadette de la maison d'Oldenbourg, les Schleswig – Holstein – Sonderbourg – Glücksbourg, cousine avec les familles royales britannique et norvégienne. Souvent allié de la France, en particulier au temps de Napoléon Ier, le Danemark regarde plutôt vers l’Atlantique et la mer du Nord, lointaine réminiscence de l’empire nordique de Knut le Grand (985/995 – 1035) qui régnait sur le Danemark, la Norvège et l’Angleterre bien avant l’Union de Kalmar (1397 – 1438 ou 1448) regroupant le Danemark, l’Islande, la Norvège et la Suède. Avant de revenir à l’Écosse en 1468 – 1469, les îles Orcades et Shetland étaient danoises.
À partir de 1536 commence une longue période d’union personnelle entre le Danemark et la Norvège. Vers 1660 apparaît dans ces « royaumes – jumeaux » une structure étatique commune dans laquelle se pratiquaient les langues officielles danoise et allemande sans pour autant limiter l’emploi des autres langues vernaculaires.
Le Groenland devient danois en 1397 et l’Islande en 1536. Le traité de Kiel en 1814 contraint Copenhague à céder la Norvège à la Suède d’un certain général Bernadotte désormais connu sous le nom de Charles XIV - Jean. Ainsi la Norvège eut-elle des monarques d’origine française jusqu’en 1905, année de la séparation pacifique et de son indépendance nationale.
Le Danemark ne se contente pas des horizons boréaux. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, des navires au service des compagnies commerciales coloniales privées parcourent les océans et fondent, le cas échéant, des postes marchands. La ville de Canton en Chine présente un quartier danois. Les Danois bâtissent vers 1618 au Bengale occidental en Inde Tranquebar et cinq autres comptoirs (dont Serampore) avant de s’emparer en 1756 des îles Nicobar en mer d'Andaman. En Afrique existe dans l’actuel Ghana la Côte-de-l’Or danoise, territoire que convoite la colonisation brandebourgeoise, c’est-à-dire de la future Prusse… Les Danois parcourent enfin la mer des Caraïbes et débarquent vers 1672 sur les îles Saint-Thomas, Saint-John et Sainte-Croix qui forment les îles Vierges danoises (à ne pas confondre avec leurs voisines, les îles Vierges britanniques). Ces trois îles antillaises relèvent alors de la Compagnie danoise des Indes Occidentales et de Guinée.
Scandinavie, Atlantique Nord, océan glacial Arctique, mer du Nord, Extrême-Orient, Afrique du golfe de Guinée et Petites Antilles, l’expansion coloniale du Danemark est incontestable. Pourtant, les dirigeants montrent assez tôt une lassitude envers ce domaine d’outre-mer qui pourrait, tôt ou tard, leur poser problème. Le Danemark choisit alors de vendre ses territoires ultra-marins. La Grande-Bretagne achète en 1845 Tranquebar, en 1850 la Guinée danoise pour environ 50.000 livres anglaises, et en 1868 l’archipel des Nicobar. En 1917, Washington acquiert pour un montant de vingt-cinq millions de dollars les îles Vierges qui deviennent un territoire non incorporé des États-Unis d’Amérique.
La disparition de l’outre-mer danois se poursuit ensuite au gré des événements historiques. Les visées étatsuniennes sur le Groenland ne sont pas récentes. En 2019 et en 2024, Donald Trump ne fait que reprendre de vieilles revendications. Forts de l’achat de l’Alaska en 1867, les États-Unis proposent cette année-là au Danemark de lui vendre le Groenland et l’Islande. En 1946, le président Truman offre cent millions de dollars pour acquérir le seul Groenland.
Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Groenland devient un point stratégique occidental crucial dans sa confrontation avec l’URSS. Les accords conclus avec le Danemark autorisent l’implantation de l’US Army qui y installe des missiles à têtes nucléaires. Territoire protégé dans le cadre de l’OTAN, le Groenland est de facto un protectorat des États-Unis. Libérée de toute tutelle danoise, Nuuk, la capitale groenlandaise, serait bien incapable d’adopter une neutralité complète. Plutôt que l’indépendance ou même l’intégration aux États-Unis, un statut d’État libre associé inspiré du cas de Porto Rico ne serait-il pas une solution plus réaliste ?
Membre fondateur de l’Alliance Atlantique, l’Islande est le seul État de l’OTAN à ne pas avoir d’armée. En 1940, les Britanniques envahissent l’île afin de pouvoir mieux coordonner la lutte sous-marine. Ils sont suivis l’année suivante par les Étatsuniens. Cette occupation favorise l’émancipation envers le Danemark lui aussi occupé par les Allemands. En 1944, le royaume d’Islande dont le souverain est le roi de Danemark est aboli en faveur d’une république indépendante. Cette situation aurait aussi pu concerner les Féroé. En avril 1940, Churchill déclenche l’opération Valentin et permet l’invasion britannique de cet archipel. Cette occupation militaire jusqu’en septembre 1945 est si paisible que des soldats britanniques vont trouver des épouses parmi les Féringiennes. Cependant, à la différence de l’Islande sous influence yankee, Londres y réaffirme la souveraineté danoise. Les Britanniques empêchent les indépendantistes féringiens de rompre avec le Danemark en échange de l’autonomie obtenue dès 1948.
Ces derniers temps, l’idée de l’indépendance redevient tendance au Groenland et aux Féroé où se pratique toujours la chasse à la baleine. Le gouvernement danois n’exprime aucune hostilité à l’égard de l’indépendance peut-être prochaine de ses deux territoires d’outre-mer à la condition sine qua non que les deux futurs États, nonobstant leur indépendance nominale, demeurent dans le giron occidental. D’ailleurs, leurs faiblesses démographiques et économiques en font dès à présent des proies géopolitiques faciles, d’où une surveillance sourcilleuse permanente de la part de l’Oncle Sam et de Sa Gracieuse Majesté.
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 141, mise en ligne le 28 janvier 2025 sur Radio Méridien Zéro.
13:15 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : groenland, danemark, îles féroé, islande, atlantique nord, états-unis, histoire, europe, affaires européennes | |
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mercredi, 22 janvier 2025
Il n'y a pas d'histoire sans philosophie
Il n'y a pas d'histoire sans philosophie
Alexandre Douguine
L'histoire est une séquence de blocs sémantiques appelés « événements ». Ceux-ci comprennent des personnalités, des processus, des changements, des oppositions, des catastrophes, des réalisations, des paysages sur lesquels tout cela se déroule et, en fin de compte, tout ce riche bloc de réalité à plusieurs niveaux s'élève jusqu'à sa signification. Et la signification d'un événement, à son tour, est inextricablement liée à la signification d'autres événements. C'est ainsi que se tisse la trame de l'histoire. En même temps, le sens d'un événement inclut la richesse infinie de ce qui constitue sa nature, son fondement.
L'histoire est donc quelque chose de spirituel, qui ne se révèle qu'à l'esprit philosophique rompu à la pratique de la contemplation des idées. L'histoire est un concept philosophique et même théologique; ce n'est pas par hasard que l'on parle d'histoire sacrée, où le sens des événements est révélé par des dogmes et des axiomes religieux, qui à leur tour révèlent ces dogmes et ces axiomes de manière détaillée et riche.
Toute l'histoire est structurée comme l'histoire sainte. Seules les versions séculières ont des dogmes et des axiomes différents - athées et matérialistes. Ici, à la place de Dieu, de l'Alliance, de l'Incarnation, du Salut, de la Providence, de l'eschatologie, se trouvent les lois immanentes de la terre, de la société, de la bio- et physio-logie, de la lutte inter- et intra-espèces, du destin, du climat, de la technologie, de la volonté de puissance, des formations historiques, etc.
L'histoire n'existe pas en dehors d'un système religieux ou idéologique
L'histoire n'existe pas en dehors d'un système religieux ou idéologique. Nous sommes aujourd'hui sur la voie des Lumières historiques. Il y a tout un décret présidentiel à ce propos. Mais nous n'avons pas de décret sur l'idée russe et la philosophie russe. Cela reste facultatif. De même, l'histoire reste suspendue dans un vide dogmatique et axiomatique. Pour l'un, cet événement signifie une chose, pour l'autre une autre, un troisième nie la signification même de cet événement, un quatrième en nie la réalité. Et il est impossible de réduire de force ce chaos et cet arbitraire en quelque chose d'unifié par un décret portant sur la seule histoire. Dans le meilleur des cas, un modèle artificiel superficiel sera formé, qui ne vivra de toute façon pas, même s'il est imposé à tous.
Nous devons nous engager à fond dans la philosophie
Jusqu'à présent, les autorités n'y prêtent aucune attention et la société ne s'y intéresse pas. Or, la philosophie, c'est le travail sur le code de programmation de la société. C'est le travail des programmateurs spéciaux de l'Esprit. Si nous n'avons pas de programmateurs souverains de l'Esprit, toutes nos disciplines historiques, sociales et humanitaires seront créées en dehors de la Russie, ce qui signifie que nous ne pouvons pas parler de souveraineté. Si l'État-Civilisation n'a pas de philosophie souveraine, cette souveraineté n'est finalement qu'une fiction.
Les philosophes sont en charge du sens des événements. Cela signifie qu'ils gèrent aussi les événements eux-mêmes. Il n'y a d'histoire à part entière que dans la société où il y a une philosophie à part entière. Sinon, la société et le pays vivent à la périphérie d'une autre civilisation, extérieure, dont les codes sont définis à l'extérieur et restent incompréhensibles. L'absence de souveraineté fait d'une société sans philosophie, et sans histoire, une société contrôlée de l'extérieur.
C'est pourquoi nous, Russes, n'avons pas de consensus sur les débuts de la Rus - sur les Slaves, Rurik, la tradition pré-chrétienne, l'acceptation du christianisme.
Nous n'avons pas de consensus sur l'État kiévien, ni sur sa fragmentation, ni sur les conquêtes mongoles et l'existence de la Russie en tant que partie de l'empire de Gengis Khan et de la Horde d'or.
Nous n'avons pas de consensus sur Ivan le Terrible, la zemshchina, l'oprichnina et la théorie de Moscou-Troisième Rome. L'interprétation de la relation de notre Église avec le Phanar n'est pas claire.
Nous n'avons pas de consensus sur les premiers Romanov, et nous comprenons encore moins le schisme russe.
Nous avons une divergence d'opinion totale sur le 18ème siècle pétrinien.
Nous n'avons pas de vision commune du 19ème siècle et de son tournant conservateur. La querelle entre slavophiles et occidentaux est réduite à peu de choses, elle est abandonnée, bien qu'elle ne soit pas terminée.
Il n'est pas surprenant que nous n'ayons pas de consensus sur les événements de 1917. Aujourd'hui, nous ne comprenons apparemment pas la signification de ces événements et sommes enclins à croire qu'ils n'ont pas eu lieu du tout.
Nous ne comprenons pas du tout pourquoi l'URSS a pris fin et comment il se fait que les années 90 ont commencé et que le pays s'est effondré et a perdu sa souveraineté, se transformant en une colonie de l'Occident.
Nous ne comprenons pas comment et d'où vient Poutine en tant que phénomène historique. Nous comptons beaucoup sur lui, mais nous ne sommes pas en mesure de l'expliquer ou de l'interpréter, ni de comprendre les conditions qui ont conduit à son règne. Je veux dire dans le contexte historique où la philosophie fonctionne.
Nous ne comprenons pas la raison d'être de Medvedev, ni ce qu'il fait aujourd'hui sur son canal Telegram.
Nous ne comprenons pas bien pourquoi nous avons commencé l'Opération militaire spéciale en 2022 et pourquoi nous ne l'avons pas fait en 2014. Il n'y a pas de consensus. Chacun à sa manière de voir et d'interpréter l'événement.
Personne n'est déconcerté par le fait qu'au cours des 40 dernières années, presque la même élite russe a changé à plusieurs reprises d'idéologie pour en adopter une autre, mais avec une apparence intelligente et importante, aujourd'hui grise et décrépite, elle continue à enseigner au peuple aveugle quelque chose qui lui est propre et que l'on ne comprend guère. Nous ne pouvons expliquer à personne, et d'abord à nous-mêmes, comment un membre du Komsomol devient un libéral, et un libéral devient un anti-libéral et un patriote, et ensuite, très probablement, un libéral et un anti-patriote à nouveau. La seule clé d'interprétation dont nous disposons est la célèbre chanson de la popstar Instasamka (photo).
Mais à partir de tout cela, il est tout simplement impossible de tresser le tissu spirituel de l'histoire russe. Et une nation qui n'a pas d'histoire n'a pas d'avenir. Or, l'avenir est aussi l'histoire, sa dimension nécessaire.
Dans un récit de Yuri Mamleyev, il y avait un personnage, une femme victime de violence, qui, lorsque le juge lui demandait s'il y avait eu violence ou non, bégayait soudain et répondait une seule phrase étrange : « C'est tombé tout seul ». C'est à cela que ressemble notre histoire: quelque chose est tombé tout seul. On ne sait pas très bien quoi, quand, où, qui l'a poussé, pourquoi... Mais ce n'est pas ce qu'est l'histoire. Ce n'est pas du tout cela.
18:47 Publié dans Actualité, Histoire, Nouvelle Droite, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, russie, alexandre douguine, hisoire, philosophie, nouvelle droite, nouvelle droite russe | |
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mardi, 07 janvier 2025
Le fascisme et la psychanalyse
Le fascisme et la psychanalyse
Par Chiara (Blocco Studentesco)
Source: https://www.bloccostudentesco.org/2024/12/06/bs-fascismo-e-psicanalisi/
« À Benito Mussolini, avec les salutations respectueuses d’un vieil homme qui reconnaît dans le détenteur du pouvoir un héros de la civilisation ».
Ce qui pourrait sembler être la pensée d’un fervent en chemise noire n’est autre, à la grande surprise générale, qu’une dédicace de Sigmund Freud. En avril 1933, à la suite d’une visite d’Edoardo Weiss et de Gioacchino Forzano dans son cabinet viennois, Freud signa ainsi l’ouvrage « Warum Krieg? » (Pourquoi la guerre ?) écrit avec Albert Einstein.
Très souvent, avec beaucoup de difficulté, certains ont tenté de justifier cet acte. Ils ont avancé l’argument de la passion de Freud pour l’archéologie et la réhabilitation par Mussolini des forums impériaux. D’autres ont supposé qu’il voyait en lui un possible rempart contre l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne d’Adolf Hitler, récemment élu.
Peut-être, aussi difficile que cela soit à accepter, s’agissait-il d’une admiration sincère et réelle.
Quoi qu’il en soit, environ un mois plus tard, un article paru dans Il Popolo d’Italia révélait que Mussolini considérait la psychanalyse comme une imposture.
La psychanalyse fit son apparition en Italie dès les années 1910. À cette époque, une conception proche de celle de Cesare Lombroso prévalait encore, selon laquelle les névroses avaient une origine organique, ce qui valut à la psychanalyse d’être qualifiée d’anti-scientifique.
Malgré les nombreuses réticences, la nouvelle discipline trouva un espace à Trieste. Entre les années 1920 et 1930, le psychiatre Edoardo Weiss, formé à Vienne sous la direction de Freud, y exerça dans l’asile de la ville.
Dans une Trieste encore marquée par son passé austro-hongrois, la psychanalyse devint un phénomène culturel. Italo Svevo en fit le thème central de son roman La Conscience de Zeno. Umberto Saba, qui fut lui-même patient de Weiss, s’inspira de cette thérapie pour écrire son recueil Il piccolo Berto.
Au début des années 1930, Edoardo Weiss s’installa à Rome, où il entama une véritable activité de vulgarisation scientifique de la psychanalyse. C’est ainsi que naquit la première revue spécialisée, la Rivista Italiana di Psicoanalisi.
Cette discipline fut perçue comme une vision du monde alternative à la philosophie néo-idéaliste alors dominante.
Par ailleurs, durant cette même période, un groupe d’intellectuels fascistes favorables à cette nouvelle théorie fonda la revue Il Saggiatore. Ils pensaient que l’humanité traversait une profonde crise de valeurs et que l’idéalisme de Giovanni Gentile était incapable d’offrir les outils nécessaires pour y faire face. Selon eux, la psychanalyse permettrait de rétablir un équilibre entre l’eros et le logos, restituant ainsi à l’homme sa dimension instinctive, émotionnelle et affective.
En revanche, pour des intellectuels tels que Giovanni Gentile et Benedetto Croce, il était inconcevable de placer l’inconscient au-dessus du sujet lui-même. Toutefois, ni l’un ni l’autre ne firent obstacle à la diffusion de la psychanalyse et encouragèrent même la traduction en italien des ouvrages de Freud.
Sans grande surprise, l’opposant principal à la psychanalyse ne fut pas le fascisme, mais l’Église. Celle-ci rejeta son déterminisme et contesta l’idée que la religion était une illusion. De plus, elle se montra extrêmement sceptique quant à l’importance accordée par Freud à la sexualité. Cependant, certains catholiques furent plus nuancés : le père Agostino Gemelli lui attribua le mérite d’avoir reconnu le caractère dynamique de la psyché et le rôle des instincts, tout en restant prudent et réservé.
Mussolini lui-même ne fut pas un partisan de la psychanalyse. On ignore ce qu’il pensait exactement à ce sujet, mais l’article mentionné précédemment dans Il Popolo d’Italia ne laisse guère de place au doute. Il est néanmoins important de noter qu’il était un grand admirateur de Gustave Le Bon, le père de la psychologie des foules, et qu’il avait intégré ses théories.
La situation changea en 1934, lorsque la Rivista Italiana di Psicoanalisi fut bannie sous la pression des autorités ecclésiastiques. De plus, avec l’intensification des politiques antisémites, de nombreux psychanalystes, souvent d’origine juive, émigrèrent, mettant fin à cette collaboration intellectuelle. Des articles hostiles à la psychanalyse furent alors encouragés, non par une réelle aversion envers la discipline, mais pour s’aligner sur la politique raciale du régime.
En conclusion, attribuer au fascisme la responsabilité d’avoir combattu la psychanalyse en Italie serait une simplification historique. Bien qu’elle n’ait jamais été pleinement adoptée par le régime, la psychanalyse ne fut pas l’objet d’une véritable campagne de répression. Au contraire, certains intellectuels fascistes y voyaient un outil utile pour affronter la crise de valeurs de l’époque et rétablir un équilibre entre la raison et l’instinct. Ce furent davantage les politiques raciales et l’Église qui limitèrent l’expansion d’une discipline qui, malgré les obstacles, parvint à trouver un écho et des interlocuteurs en Italie, laissant une empreinte significative dans le paysage culturel de l’époque.
20:05 Publié dans Histoire, Psychologie/psychanalyse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, psychanalyse, fascisme, italie, sigmund freud, edoardo weiss | |
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lundi, 30 décembre 2024
La vision d'Arnold Toynbee: Moscou héritière de l'Empire romain d'Orient
La vision d'Arnold Toynbee: Moscou héritière de l'Empire romain d'Orient
Dans « Civilisation by comparison », l'historien anglais prévoyait la Russie d'aujourd'hui, quand Staline régnait encore.
par Paolo Becchi
Source: https://www.barbadillo.it/117638-la-visione-di-arnold-toy...
Arnold J. Toynbee dans Civilisation on Trial
La Russie retrouve la dignité qu'elle semblait avoir perdue avec la dissolution de l'URSS. Cette Union a pris fin et, avec elle, le récit du communisme (seulement celui-là: en URSS, le « communisme », au sens de Marx et de Bordiga, n'a jamais existé). Mais la civilisation russe, son héritage byzantin, gréco-chrétien, ne pouvait pas disparaître. Cette civilisation, sœur de la nôtre, n'a pas non plus disparu avec l'URSS. Comme l'a souligné Arnold J. Toynbee en 1948 dans Civilisation on Trial (traduit en italien par Bompiani), la Russie a toujours cherché son salut dans cette institution politique qu'était l'Empire romain d'Orient.
Sauver la façade
« Le Grand-Duché de Moscou a été la forge de cette expérience politique. La tâche accomplie par Moscou, ainsi que sa récompense, était la consolidation, sous son autorité, d'un groupe de faibles principautés en une grande puissance. Cet édifice politique moscovite a été doté à deux reprises d'une nouvelle façade, d'abord par Pierre le Grand, puis par Lénine, mais la structure essentielle est restée inchangée et l'Union soviétique d'aujourd'hui reproduit, comme le Grand-Duché de Moscou au 14ème siècle, les traits saillants de l'Empire romain d'Orient médiéval » (p. 259).
Selon Carl Schmitt
La façade, pour la troisième fois, c'est Poutine. Cet héritage byzantin, avec ses valeurs et traditions chrétiennes-orthodoxes, ne pouvait pas échouer et a été réaffirmé en contraste avec un Occident (ou plutôt avec l'« hémisphère occidental », comme Carl Schmitt l'a défini) de plus en plus corrompu dans ses coutumes, décadent et profane.
La capitulation à l'Ouest
En 1989, le mur de Berlin s'effondre. L'année suivante, avec la réunification de l'Allemagne, un État du Pacte de Varsovie, la République démocratique allemande, est annexé à la République fédérale d'Allemagne. Cet État disparaît et devient membre de l'OTAN.
En 1991, l'Union soviétique a implosé, d'une manière qui attend peut-être encore d'être reconstituée historiquement dans tous ses détails. Le jour de Noël de cette année-là, Gorbatchev a démissionné parce que l'URSS n'existait plus et que le « processus de démocratisation » avait commencé, ce qui signifiait alors la capitulation devant l'Occident. Mais le peuple soviétique souhaitait-il cette dissolution ?
Les négociations occidentales avec Gorbatchev ont au moins laissé entendre, pour autant que nous le sachions, que l'OTAN n'irait pas plus loin. L'annexion de l'Allemagne de l'Est aurait pu suffire. Mais nous savons ce qu'il en est advenu.
L'esprit de Vladimir
Boris Eltsine achevait le travail commencé par Gorbatchev en vendant le pays. D'aucuns, aux États-Unis, parlaient même de la fin de l'histoire, c'est-à-dire de la fin de la Russie, alors même que Poutine mettait fin au processus de dissolution. Le destin a voulu qu'un homme incarne de manière hégélienne l'esprit de son monde, le sens d'une civilisation millénaire et s'oppose à sa disparition.
Multiethnique, multiculturel
Poutine se devait de réagir lorsque, dans la perspective de l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, alors que l'Alliance atlantique avait déjà intégré les républiques baltes, la sécurité non seulement de la Russie, mais aussi de la Fédération tout entière, aurait été mise en péril. Une Fédération multiethnique et multiculturelle, composée de populations dont la cohabitation est garantie par la Russie. En effet, le phare de la Fédération est toujours le même : Moscou.
Le siège et la sortie
Après la chute de l'URSS, l'Occident a tenté de frapper la Russie, de l'asservir, de lui faire perdre son âme : la Russie ne pouvait que se défendre. Poutine a attendu, accepté des négociations qui, avec le recul, ne visaient qu'à affaiblir le pays. Finalement, il a dû réagir et peut-être a-t-il réagi trop tard.
Pour comprendre le sens de la guerre et pourquoi elle ne peut se terminer qu'avec la capitulation de l'Ukraine, il faut renverser la perspective dominante. La Russie se sent assiégée, elle n'a pas d'autre choix que de se défendre et de défendre sa civilisation. Et elle le fera. Moscou est la troisième Rome, pas la quatrième Washington.
21:23 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : histoire, russie, arnold j. toynbee, byzantinislme | |
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samedi, 28 décembre 2024
Dans "Histoire africaine de l'Afrique", nous retrouvons l'écho de Frobenius et Davidson
Dans "Histoire africaine de l'Afrique", nous retrouvons l'écho de Frobenius et Davidson
Journaliste de la BBC, la Soudanaise Zeinab Badawi élargit le regard sur un continent sous-estimé
Par Carlo Romano
Source: https://www.barbadillo.it/117744-nella-storia-africana-de...
La civilisation africaine (édition italienne: Einaudi, 1971)
Dans un livre qui, depuis la fin des années 1960, est resté une référence pour les lecteurs italiens, l’historien, journaliste et – entre autres qualifications – officier de liaison entre les forces alliées et la Résistance en Ligurie, Basil Davidson, avait formulé cet objectif :
« Présenter un résumé de ce que l’on sait aujourd’hui des idées et systèmes sociaux, des religions, des valeurs morales, des croyances magiques, des arts et de la métaphysique d’une série de peuples africains, en particulier ceux d’Afrique tropicale. Ensuite, examiner les façons dont ces éléments se sont développés et transformés depuis le passé lointain jusqu’à aujourd’hui. Enfin, replacer ces aspects de la civilisation africaine dans leur perspective contemporaine en tant que parties cohérentes d’un ensemble vital ».
En s’éloignant des préjugés coloniaux, avec La civilisation africaine (Einaudi, 1971) et une vaste œuvre de vulgarisation accompagnée d’une série de documentaires, Davidson a pleinement atteint son objectif. Avec le temps, ce livre – bien qu’il ne soit pas strictement académique, même s’il a été adopté par de nombreuses universités – n’a pas été complété par beaucoup d’autres études. Cependant, une édition actualisée, également intitulée La civilisation africaine, a été publiée en 1997.
Avant cet ouvrage, on pouvait se référer à Histoire de la civilisation africaine/Kulturgeschichte Afrikas (Einaudi, 1950 et Adelphi, 2013) de Leo Frobenius, ethnologue, fondateur de divers instituts, correspondant avec Ezra Pound sur des questions économiques, et auteur en 1910 du magnifique compendium de légendes africaines Le Décaméron noir (Rizzoli, 1971).
Ce livre a influencé le concept de Négritude, de Aimé Césaire à Léopold Sédar Senghor, selon lesquels Frobenius « avait restitué à l’Afrique sa dignité et son identité ». La phrase « chaque fois qu’un vieillard meurt en Afrique, c’est une bibliothèque entière qui disparaît » semble illustrer parfaitement le contenu de Der schwarze Dekameron.
Des ouvrages comme ceux de Frobenius et Davidson ont renversé l’idée nuisible du « sauvage noir », réduisant les traditions et les arts africains à de simples visions exotiques, tout au plus décoratives. Cependant, d’autres livres et pamphlets – notamment à partir de Malcolm X – qui ont politisé l’idée même de civilisation africaine, ont parfois montré un préjugé inverse à celui du colonialisme, revendiquant par fierté de prétendues suprématies.
On pense ici au livre d’un spécialiste de la Grèce ancienne auprès de l’université Cornell, Martin Bernal, dont la publication a suscité de vifs débats, bien que beaucoup se soient arrêtés au titre provocateur, Black Athena (Pratiche Editrice, 1992). Bernal identifiait deux modèles historiographiques: l’« antique », élaboré par les Grecs eux-mêmes, et l’« aryen », imprégné de romantisme et influencé par des éléments extérieurs et idéologiques, comme le racisme. Bernal va même jusqu’à affirmer que les langues indo-européennes auraient un substrat d’origine africaine.
Ses thèses ont été contestées par de nombreux spécialistes du classicisme, notamment dans le volume collectif Black Athena Revisited (1996).
Avec An African History of Africa/Une Histoire africaine de l’Afrique de la journaliste soudanaise Zeinab Badawi – diplômée d’Oxford, ancienne présidente de la Royal African Society et collaboratrice de la BBC, où elle a présenté The History of Africa, une série de documentaires basée sur les rapports de l’UNESCO et sur l’ouvrage Histoire générale de l’Afrique qui en a découlé – nous avons aujourd’hui un essai de grande vulgarisation. Ce travail intègre l’expérience que l’auteure a acquise aussi bien avec les chercheurs africains qu’avec les gardiens des traditions orales.
L’histoire de l’Afrique est celle des origines de la civilisation humaine, mais on discute peu de son histoire ancienne et moderne, étouffée par les récits occidentaux évoquant la pauvreté, l’esclavage et le colonialisme. Ainsi, les récits fascinants des reines guerrières, des puissantes civilisations, des bâtiments somptueux et des marchés animés restent méconnus, alors que l’Afrique est bien plus que ce que nous imaginons.
22:32 Publié dans Histoire, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : afrique, livre, zeineb badawi, leo frobenius, basil davidson, histoire | |
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jeudi, 19 décembre 2024
La Russie et son double
La Russie et son double
Ouvrage édité par "Perspectives libres", novembre 2023
Exposé liminaire
par Gérard Conio
J’ai écrit ce livre pour donner de la Russie une autre image que celle propagée par une russophobie délirante fondée sur l’ignorance et le dénigrement systématique.
J’ai voulu montrer tout d’abord l’état rédhibitoire de la Russie que j’ai constaté en 1996 pour qu’on puisse le comparer à l’essor qu’elle connaît aujourd’hui grâce au redressement opéré par Vladimir Poutine, depuis son accession à la présidence.
Ce que j’ai observé d’une manière subjective est confirmé par les statistiques objectives des économistes et des politologues indépendants qui ont refusé de se plier à la doxa officielle.
Le conflit entre la Russie et l’Occident est avant tout un choc des civilisations qui oppose des visions du monde et on peut comprendre que les adorateurs de la démocratie regrettent une évolution qui écarte la Russie de la sacro-sainte liberté individuelle au nom de laquelle elle a été entraînée dans un paradis qui s’est révélé pour elle un enfer.
Les débats fondés sur des axiomes et des pétitions de principe engendrent le déni des réalités vécues par le peuple russe dans son adhésion à une autorité qui lui rendait sa souveraineté et son indépendance en lui apportant une sécurité et une stabilité retrouvées ainsi que l’amélioration de ses conditions de vie détériorées par l’emprise de quelques prédateurs sur la société russe.
Le narratif occidental sur « l’opération spéciale » a le tort de se polariser sur un moment isolé de son contexte, sans tenir compte de tous les facteurs qui ont pesé sur une rupture dont les conséquences n’ont été sérieusement envisagées ni dans une décision que le président russe jugeait inévitable ni dans les « sanctions » qu’elle a suscitées et qui se sont retournées contre leurs auteurs.
Une « agression » aux objectifs limités a provoqué « le basculement du monde », parce qu’elle avait des origines très anciennes.
Ce moment n’est pas né « par hasard », il s’inscrit dans un devenir historique.
C’est pourquoi j’ai jugé bon de relater mon expérience des stades successifs d’une évolution dont j’ai été le témoin.
Mais, pour éclairer une opinion abusée par la fausse parole, il importe en tout premier lieu de remettre la Russie à sa place sur la carte du monde.
L’histoire de la Russie est déterminée par « le fait géographique » qui l’ouvre vers l’Ouest et vers l’Est, l’Europe et l’Asie. Dépourvue de frontières naturelles, elle a dû se défendre contre les invasions qui, depuis des siècles, sont venues se briser contre le Heartland, le coeur du monde, ainsi nommé par Mackinder, le fondateur de la géopolitique au 19ème siècle qui avait déduit le résultat de ses observations dans une formule restée célèbre: «Qui contrôle l’Europe de l’est, contrôle le Heartland, qui règne sur le Heartland, règne sur le monde». Mackinder désignait ainsi l’Empire russe couvrant « la plaine qui s’étend de l’Europe centrale à la Sibérie occidentale et rayonne sur la mer Méditerranée, le Moyen Orient, l’Asie du Sud et la Chine ».
Un géopoliticien américain, Nicolas Spykman (photo), appliquera cette théorie à la deuxième guerre mondiale. Il ajoute au Heartland la bande de terre côtière qu’il appelle le Rimland et il critique Mackinder en parodiant sa formule: « Qui contrôle le Rimland contrôle l’Eurasie, qui règne sur l’Eurasie contrôle le destin du monde ». Et il souhaite que les Américains contrôlent le littoral européen afin de contenir l’expansion du Heartland.
La vision de Spykman est à la base de la "politique d'endiguement" formulée par le diplomate Georges Kennan (photo) dans son article, The Sources of Soviet Conduct (juillet 1947) et mise en œuvre par les États-Unis dans la guerre froide.
Il s’agissait « d’endiguer » le Heartland en contrôlant la zone tampon du Rimland, auquel appartenaient les satellites de la Russie soviétique, dont l’Ukraine était le maillon fondamental.
On tient dans ce schéma tous les paramètres de l’évolution qui a mené la Russie de la chute de l’URSS sous Gorbatchev à sa déliquescence sous Boris Eltsine, puis à son redressement sous Vladimir Poutine.
La chronologie de cette évolution s’inscrit entre deux catastrophes, la fin de l’URSS et la guerre en Ukraine.
Mais on doit inscrire en filigrane de cette évolution une continuité dans la pensée géopolitique occidentale manifestée par Mackinder, Spykman, Kennan, et plus tard Brzezinski.
Mackinder se disait convaincu de la suprématie des Anglo-Saxons qui leur donnait le droit de dominer le monde et donc de s’emparer du Heartland. Il opposait les puissances de la terre aux puissances de la mer et redoutait l’émergence d’une Allemagne forte pouvant s’allier à l’Empire russe.
Or, cette obsession a été partagée par les dirigeants américains qui n’ont cessé d’oeuvrer pour empêcher une alliance aussi favorable au développement de l’économie européenne que nuisible à leurs intérêts. Ils l’ont sapée définitivement en détruisant le Nordstream 2 et en privant l’Allemagne d’une source d’énergie indispensable pour son industrie. Aujourd’hui, les entreprises allemandes sont contraintes, pour exister, de se délocaliser aux Etats-Unis.
Spykman, en donnant la primauté au Rimland sur le Hearland, posait déjà la question du rapport de force entre la Russie et l’Union européenne. En se concentrant sur les choix de l’Ukraine, cet antagonisme est à l’origine d’un conflit localisé qui, en s’aggravant, met à présent le monde au bord de l’escalade nucléaire.
Les stratèges américains ont fait fausse route en misant sur la supériorité du Rimland et en minimisant la puissance du Heartland russe.
Au lieu d’affaiblir la Russie en instrumentalisant l’Ukraine, l’Occident a démontré sa propre faiblesse dont visiblement il n’avait pas conscience et en s’infligeant des échecs imputables à ses erreurs de calcul.
Mon témoignage sur une Russie qui, dans les années 90, sombrait dans l’anarchie et le chaos, trouve un éclairage paradoxal dans Le Grand Echiquier de Brzezinski paru en 1997, la veille de la faillite financière de l’État russe sous le gouvernement de Boris Eltsine.
En cette même année 1998, où la Russie a été sur le point de disparaître, Soljénitsyne consignait dans La Russie sous l’avalanche un constat analogue sur le désespoir d’une population décimée par les privatisations et par l’emprise des oligarques qui avaient pris le pouvoir, ces oligarques n’étant que les prête-noms des « bandits dans la loi » qui sévissaient déjà à l’époque soviétique.
En dépit de cette situation désespérée qui semblait ôter tout soupçon de velléité impérialiste, Brzezinski reprend les idées de Mackinder et de Spykman en les actualisant et il considère que, malgré la disparition de sa puissance, la Russie, par sa position dominante dans le Heartland, restait une menace pour l’ordre du monde instauré par les Etats-Unis.
Il en avait conclu qu’il fallait séparer l’Ukraine de la Russie pour enlever à celle-ci toutes les chances de redevenir une grande puissance.
Si l’on admet que les analyses de Mackinder et de Spykman trouvaient un fondement dans un empire qui détenait le Heartland en couvrant la moitié de l’Europe, il est plus difficile de sonder les motivations de Brzezinski quand il souhaitait la destruction d’une Russie qui s’était déjà détruite elle-même.
Et il convient de rappeler que Kennan, pourtant promoteur de la politique d’« endiguement » contre l’URSS, a été très circonspect sur les « guerres humanitaires » menées par des politiciens incompétents et aventureux qui prenaient leurs désirs pour des réalités. On le donne même en exemple aujourd’hui en Russie en l’opposant à la courte vue des dirigeants qui lui ont succédé.
Il a fortement désapprouvé l’élargissement de l’Otan qui a été le coup d’envoi d’une escalade dont il prévoyait les dangers pour la paix du monde.
On ne saurait comprendre le processus qui a mené de la fin de l’URSS à la guerre en Ukraine, sans faire état du « syndrome occidental » qui a pesé de tout temps sur la mentalité et la politique russe.
La Russie a été sans cesse confrontée à son double par son désir passionné d’être reconnue par l’Occident comme un partenaire à part entière. Et Vladimir Poutine lui-même n’a pris conscience que fort tard du péril auquel il exposait la sécurité de la Russie en accordant sa confiance à des interlocuteurs qui après la réunification de l’Allemagne, ont refusé la main tendue par les Russes dans l’espoir d’une coopération économique qui devait se substituer à leurs yeux au conflit entre les deux idéologies en lice dans la guerre froide.
En sacrifiant son empire, sans contre partie, la Russie avait donné un gage de sa volonté de devenir une démocratie qui entrerait de plain-pied dans le concert européen.
Et cette coopération s’appuyait sur des intérêts réciproques qui auraient assuré la consolidation de la paix et une meilleure prospérité dans le continent européen.
Mais les passions idéologiques ont pris le pas sur les intérêts économiques et cet espoir a été battu en brèche à trois reprises, lorsque l’Otan n’a pas tenu la promesse de ne pas s’étendre à l’est, lorsque les accords de Maïdan, garantis par la signature de trois ministres européens, ont été violés sans autre forme de procès, et enfin quand les accords de Minsk, destinés à réintégrer à l’Ukraine les républiques séparatistes, ont été signés sans la volonté de les appliquer pour réarmer le gouvernement de Kiev, issu d’un putsch, et continuer la guerre inaugurée par «l’opération contre- terroriste » déclenchée en 2014 par le gouvernement de Kiev contre des populations civiles.
Même si on juge obsolètes aujourd’hui les prophéties de Fukuyama sur la fin de l’histoire et les assertions de Brzezinski, en 1997, sur la nécessité de mettre un terme au danger potentiel représenté par la Russie, il n’en reste pas moins que ces convictions triomphalistes étaient conformes à la doctrine Wolfowitz (photo) qui, dès 1992, avait annoncé l’invasion de l’Irak pour pérenniser la domination des Etats-Unis sur le monde.
Si le bellicisme des néo-conservateurs peut s’expliquer du point de vue des Etats Unis, il apparaissait alors contraire aux intérêts de l’Europe, c’est pourquoi la France et l’Allemagne, en accord avec la Russie et la Chine, ont dénoncé une violation du droit international qui ne pouvait mener qu’à un désastre humanitaire.
Mais on est en droit de s’interroger sur les raisons qui poussent aujourd’hui les Européens à ruiner leur économie en participant à fonds perdus à la guerre en Ukraine en se soumettant, contre leurs intérêts, au diktat des Etats-Unis et en reprenant à leur compte les arguments des anciens satellites de l’URSS qui brandissent le spectre d’une menace russe.
L’agression de l’Ukraine confirme à leurs yeux cette menace, qui apparaît d’autant plus irréelle que, nonobstant la supériorité militaire acquise par Vladimir Poutine, la Russie n’aurait pas les moyens de la mettre en exécution, du fait de sa démographie et des rapports de force avec la coalition de l’Otan.
Et pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de la rupture consommée le 24 février 2022, il n’est pas inutile de revenir a posteriori sur les raisons qui poussaient Wolfowitz en 1992 et Brzezinski en 1997 à se lancer dans une confrontation qui met aujourd’hui le monde au bord du gouffre.
On assiste, en effet, à une fuite en avant de la part des néo-conservateurs qui, malgré leurs échecs successifs refusent de voir en face les conséquences planétaires de leur aventurisme. A cause de leurs tentatives mal calculées, mal engagées, ils ont provoqué la méfiance croissante des trois quarts de la planète à l’égard des Etats-Unis qui ne sont plus en mesure d’imposer au monde leur hégémonie par la suprématie du dollar.
Le réveil de la Russie a été le facteur principal de ce renversement du monde unipolaire auquel l’Occident reste attaché comme le pendu à sa corde.
L’Occident démocratique subit aujourd’hui la même psychose qui a entraîné l’Union soviétique à sa perte.
On assiste à une inversion des rôles et il faut considérer que, pour redevenir une puissance « normale », uniquement soucieuse de son indépendance et de sa souveraineté, sans céder à la mégalomanie messianique, la Russie devait passer par la cure d’une démocratisation ratée qui alimente encore les rêves de sa minorité libérale.
Après avoir, dans cette première partie, évoqué, à des fins pédagogiques, ce passé douloureux, je me suis appuyé sur quelques-uns de mes travaux pour montrer l’apport de la Russie au patrimoine culturel, artistique et scientifique de l’humanité.
Dans « La vision russe du cosmos », j’ai indiqué les sources spirituelles du cosmisme russe fondé par le philosophe Nicolas Fiodorov, qui a été le mentor de Tsiolkovski, dont les travaux sur les fusées ont abouti au vol de Gagarine.
Au moment où l’on glose sur la renaissance de la religion pour compenser le vide idéologique, j’ai retracé dans « L’Empire russe et Moscou Troisième Rome », les relations ambivalentes entre l’orthodoxie et l’autocratie.
Dans « La dialectique du double chez Dostoïevski », j’ai analysé dans le thème du double la parodie romanesque de la dialectique de Hegel dans une esthétique de la création verbale qui trouvera son accomplissement chez les futuristes.
Dans « Le dernier dialogue de Bakhtine », j’ai tiré la quintessence des mémoires parlés du grand philosophe russe dans ses entretiens avec Douvakine, professeur de Siniavski et Daniel dont il a pris la défense lors de leur procès.
Puis, j’ai analysé longuement le thème du MLB ( « la plongée dans le sein maternel ») dans Ivan le Terrible d’Eisenstein et dans sa mise en scène de la Walkyrie au Bolchoï en 1940.
En raison du rôle controversé de la Pologne dans le conflit ukrainien, j’ai tenu à rendre hommage à Wat et Mlosz, deux auteurs polonais que j’ai traduits et commentés pour mettre en exergue leur russophilie qui n’était pas incompatible à leurs yeux avec leur critique du communisme totalitaire. Cette largeur de vue chez ces «dissidents » antisoviétiques tranche sur l’amalgame raciste et imbécile pratiqué aujourd’hui entre la culture et la politique vis-à-vis de la Russie.
Enfin j’ai cité mes interventions à un colloque sur « L’URSS, un paradis perdu ».
Et j’ai mis en conclusion une réflexion sur les deux Russies qui s’opposent aujourd’hui à propos de la guerre en Ukraine.
Chaque livre est une bouteille à la mer et j’espère que celui-ci trouvera les bons lecteurs qui sauront en tirer la substantifique moelle.
12:09 Publié dans Actualité, Histoire, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, histoire, livre, russie, gérard conio, géopolitique | |
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dimanche, 01 décembre 2024
De Gaulle et le journalisme de collaboration mondialiste
De Gaulle et le journalisme de collaboration mondialiste
Nicolas Bonnal
« Je vous supplie de ne pas traiter les journalistes avec trop de considération ».
La presse étatique-ploutocratique en France se mobilise pour notre extermination: elle veut la vaccination à mort, la lutte contre le carbone et les sexes à mort, elle veut l’invasion migratoire à mort (et ce depuis quarante ans), elle veut la censure médiatique à mort, et maintenant en bon petit Hitler elle veut la guerre contre la Russie et contre les USA. Elle est totalement psychopathe.
Malheureusement ce n’est pas très neuf et c’est ce qui motiva les pamphlets de Céline et les réflexions de Cochin, penseur extraordinaire et génie passé sous silence (mais pourquoi donc ?), que je découvris un beau jour grâce au courageux et isolé (quoique prestigieux) François Furet.
On va citer Cochin avant le Général, président beaucoup moins populaire et idolâtré par le journaliste franchouillard que Macron :
« Avec le régime nouveau les hommes disparaissent, et s’ouvre en morale même l’ère des forces inconscientes et de la mécanique humaine. Celui-ci (le régime) pousse son chemin de désastre en désastre, produisant une forêt de lois contre-nature dont le succès dans les sociétés et le vote à la Convention sont aussi fatals, que leur exécution dans le pays est absurde ou impossible. »
Le résultat le voilà :
« Le « peuple » parle, c’est-à-dire la foule anonyme, pêle-mêle, d’adeptes, de meneurs machinistes et de simples badauds, entourés, dirigés par les gens de la machine. »
La dissociation morale est déjà là :
« Le patriote est soumis à un travail de dissociation morale qui lui fait perdre et de fait et de droit toute autonomie, toute indépendance personnelle et toute chance de la retrouver jamais pour peu que l’entraînement soit complet. La machine ne peut s’accommoder en effet que d’instruments impersonnels et la dissociation morale dont nous avons essayé de donner une idée est la garantie de cette impersonnalité et le moyen pour l’obtenir. »
Revoir mes textes sur Cochin.
Je vais citer grâce à l’excellente Echelle de Jacob les réflexions de Charles de Gaulle :
«Le Général me répète, avec encore plus d’énergie, ce qu’il m’a dit déjà plusieurs fois au sujet des journalistes :
« Peyrefitte, je vous supplie de ne pas traiter les journalistes avec trop de considération. Quand une difficulté surgit, il faut absolument que cette faune prenne le parti de l’étranger, contre le parti de la nation dont ils se prétendent pourtant les porte-parole. Impossible d’imaginer une pareille bassesse – et en même temps une pareille inconscience de la bassesse. Vos journalistes ont en commun avec la bourgeoisie française d’avoir perdu tout sentiment de fierté nationale. »
C’est une donnée à travers les siècles cette perte de fierté nationale, ce besoin de s’inféoder à toutes les puissances du monde, Israël, Washington, Londres, l’ONU de New York, Davos, les fous de Bruxelles ou Moscou-Staline. Céline disait qu’on a toujours été trahi et à toutes les époques encore (voir mon livre). On peut dire que cela avait commencé au dix-huitième siècle (les philosophes des Lumières adorateurs de l’Angleterre) avant de se systématiser et de s’industrialiser grâce à la presse au dix-neuvième siècle, quand le Second Empire puis la République commencent à nous soumettre à la « baleine » anglo-saxonne. Dans mon recueil sur de Gaulle et la Russie j’ai bien insisté sur deux points : un, le Général adorait la Russie ; deux, ce grand amour platonique était impossible. Trop de résistances atlantistes ou autres...
De Gaulle ajoute que la bourgeoisie trahit toujours, trahit partout, rien que pour continuer de bouffer en ville :
« Pour pouvoir continuer à dîner en ville, la bourgeoisie accepterait n’importe quel abaissement de la nation. Déjà en 40, elle était derrière Pétain, car il lui permettait de continuer à dîner en ville malgré le désastre national. Quel émerveillement ! Pétain était un grand homme. Pas besoin d’austérité ni d’effort ! Pétain avait trouvé l’arrangement. Tout allait se combiner à merveille avec les Allemands. Les bonnes affaires allaient reprendre. »
Je dis cela alors que mon ami bourguignon Antoine me certifie que toutes les brasseries ferment à Paris-la-frugale-écolo…
Le problème – on retourne à Cochin – c’est que la Révolution a profité à 5% de la population, ces juristes et députés dont les cousins ont acheté les fameux biens du clergé, et dont les neveux ont écrit l’histoire de la Révolution et de l’Empire ; et de Gaulle enfonce le clou encore :
« Bien sûr, cela représente 5% de la nation, mais 5% qui, jusqu’à moi, ont dominé. La Révolution française n’a pas appelé au pouvoir le peuple français, mais cette classe artificielle qu’est la bourgeoisie. Cette classe qui s’est de plus en plus abâtardie, jusqu’à devenir traîtresse à son propre pays. Bien entendu, le populo ne partage pas du tout ce sentiment. Le populo a des réflexes sains. Le populo sent où est l’intérêt du pays. Il ne s’y trompe pas souvent. »
De Gaulle premier gilet jaune ? On ricane bien sûr. Il résume parfaitement le Truman show (comme dit ma lectrice Amal) de la vie politique républicaine :
« En réalité, il y a deux bourgeoisies. La bourgeoisie d’argent, celle qui lit Le Figaro, et la bourgeoisie intellectuelle, qui lit Le Monde. Les deux font la paire. Elles s’entendent pour se partager le pouvoir. Cela m’est complètement égal que vos journalistes soient contre moi. Cela m’ennuierait même qu’ils ne le soient pas. J’en serais navré, vous m’entendez ! Le jour où Le Figaro et l’Immonde me soutiendraient, je considérerais que c’est une catastrophe nationale ! »
Elles ont fusionné ces bourgeoisies avec l’union de Macron et Barnier, du bourgeois catho et du bourgeois homo, du crétin utile catho-souverainiste et du mondialiste branché, festif et fervent.
Jeff Bezos courageusement et intuitivement a parlé du mur de la réalité. Pour l’instant tout le monde s’en tape en France : il faut mutiler sexuellement les enfants ; il faut raser la Russie de Poutine et l’Amérique de Trump au nom de cette lutte contre l’hitlérisme dont on reprend les marottes (exterminer simultanément si possible les deux plus grandes puissances militaires du monde) ; il faut exterminer le carbone et faut remplacer la population. Le réel, disait Muray, ce sera pour une autre fois. Déjà leur euro-jacobinisme (jacobinisme qui comme je le prévoyais dans mon Coq hérétique a conquis l’Europe) repousse toutes les lois de la réalité.
Répétons Cochin :
« Avec le régime nouveau les hommes disparaissent, et s’ouvre en morale même l’ère des forces inconscientes et de la mécanique humaine. Celui-ci (le régime) pousse son chemin de désastre en désastre, produisant une forêt de lois contre-nature dont le succès dans les sociétés et le vote à la Convention sont aussi fatals, que leur exécution dans le pays est absurde ou impossible. »
La dissociation morale est déjà là et il ne sert à rien de tempêter contre les automates et les machines-Barbie de la télé. Cochin nous avait déjà prévenus :
« La machine ne peut s’accommoder en effet que d’instruments impersonnels et la dissociation morale dont nous avons essayé de donner une idée est la garantie de cette impersonnalité et le moyen pour l’obtenir. »
L’homme typographique de Macluhan, homme franco-britannique, quelle belle invention…
Sources :
https://strategika.fr/2020/07/19/augustin-cochin-et-le-pi...
https://www.dedefensa.org/article/cochin-et-la-reprogramm...
https://www.amazon.fr/C%C3%A9tait-Gaulle-Alain-Peyrefitte...
https://www.amazon.fr/Autopsie-lexception-fran%C3%A7aise-...
13:35 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journalisme, charles de gaulle, augustin cochin, nicolas bonnal | |
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