par Nicolas Bonnal
Ex: https://reseauinternational.net
La facilité avec laquelle s’installe l’horreur techno-mondialiste nécessite un rappel historique. La dictature pseudo-médicale est liée à l’ascension prodigieuse de l’État moderne. De grands penseurs très différents ont dénoncé cet État moderne : Marx, les anarchistes français (génial Proudhon…), Tocqueville. Mais quand on sait sur quoi ont débouché marxisme et libéralisme, on comprendra pourquoi je ne propose jamais de solution. Ma solution c’est Fly you fools dans la caverne de la Moria de Tolkien. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai publié plusieurs livres sur Tolkien, et qui tournent autour de cette question : comment les gens libres du monde traditionnel ou les rebelles du monde moderne peuvent-ils échapper à l’horreur du totalitarisme postmoderne occidental ? Le grand traditionaliste Coomaraswamy a écrit :
« …le gouvernement traditionnel de l’Inde est bien moins centralisé et bien moins bureaucratique que n’importe quelle forme de gouvernement connue des démocraties modernes. On pourrait même dire que les castes sont la citadelle d’un gouvernement autonome bien plus réel que ce qu’on pourrait réaliser par le décompte de millions de voix prolétaires. Dans une très large mesure, les diverses castes coïncident avec les corps de métier ».
Correspondant de Guénon, Coomaraswamy est alors proche des derniers grands écrivains catholiques Chesterton ou Bernanos. Son fils chirurgien a d’ailleurs écrit un livre contre Vatican II. Et on voit que le paganisme de l’Église romaine débouche sur son acquiescement au totalitarisme mondialiste sous le pontificat de l’autre. Je recommanderai aussi la lecture du jeune historien Yohann Chapoutot qui établit le lien entre occident et nazisme, cette machine coloniale à organiser pour dépeupler et contrôler.
La France est à la tête du totalitarisme néo dans le monde, et Macron a succédé au prince-président dont a génialement parlé Hugo dans Napoléon le petit. La France a toujours été à l’avant-garde de la tyrannie étatiste. Lisez Taine (le tome cinquième de sa France contemporaine) à ce sujet, l’Ancien Régime de Tocqueville, et même mon livre le Coq hérétique, publié en 1997, qui eut de nombreuses recensions en Angleterre… et en France.
Un qui en a bien parlé c’est Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte :
« On se rend compte immédiatement que, dans un pays comme la France, où le pouvoir exécutif dispose d’une armée de fonctionnaires de plus d’un demi-million de personnes et tient, par conséquent, constamment sous sa dépendance la plus absolue une quantité énorme d’intérêts et d’existences, où l’État enserre contrôle, réglemente, surveille et tient en tutelle la société civile, depuis ses manifestations d’existence les plus vastes jusqu’à ses mouvements les plus infimes, de ses modes d’existence les plus généraux jusqu’à la vie privée des individus, où ce corps parasite, grâce à la centralisation la plus extraordinaire, acquiert une omniprésence, une omniscience une plus rapide capacité de mouvement et un ressort, qui n’ont d’analogues que l’état de dépendance absolue, la difformité incohérente du corps social, on comprend donc que, dans un tel pays, l’Assemblée nationale, en perdant le droit de disposer des postes ministériels, perdait également toute influence réelle, si elle ne simplifiait pas en même temps l’administration de l’État, ne réduisait pas le plus possible l’armée des fonctionnaires et ne permettait pas, enfin, à la société civile et à l’opinion publique, de créer leurs propres organes, indépendants du pouvoir gouvernemental ».
Aujourd’hui cette armée de fonctionnaires, encore un peu pseudo-grévistes dans les années 90, se mettent goulument au service de la dictature cléricale et médicale de Macron. Le régime reste bourgeois et Marx explique pourquoi il y a cent-cinquante ans :
« Mais l’intérêt matériel de la bourgeoisie française est précisément lié de façon très intime au maintien de cette machine gouvernementale vaste et compliquée. C’est là qu’elle case sa population superflue et complète sous forme d’appointements ce qu’elle ne peut encaisser sous forme de profits, d’intérêts, de rentes et d’honoraires. D’autre part, son intérêt politique l’obligeait à aggraver de jour en jour la répression, et, par conséquent, à augmenter les moyens et le personnel du pouvoir gouvernemental, tandis qu’en même temps il lui fallait mener une guerre ininterrompue contre l’opinion publique, mutiler et paralyser jalousement les organes moteurs indépendants de la société, là où elle ne réussissait pas à les amputer complètement. C’est ainsi que la bourgeoisie française était obligée, par sa situation de classe, d’une part, d’anéantir les conditions d’existence de tout pouvoir parlementaire et, par conséquent aussi, du sien même, et, d’autre part, de donner une force irrésistible au pouvoir exécutif qui lui était hostile ».
Entre le lumpenprolétariat (la bohème de Marx, racailles d’aujourd’hui, suppôt du pouvoir rose-brun), la population superflue et l’ordre bourgeois, on conçoit que la France est mal partie pour réagir.
Marx ajoute dans le même élan :
« Napoléon acheva de perfectionner ce mécanisme d’État. La monarchie légitime et la monarchie de Juillet ne firent qu’y ajouter une plus grande division du travail, croissant au fur et à mesure que la division du travail, à l’intérieur de la société bourgeoise, créait de nouveaux groupes d’intérêts, et, par conséquent, un nouveau matériel pour l’administration d’État. Chaque intérêt commun fut immédiatement détaché de la société, opposé à elle à titre d’intérêt supérieur, général, enlevé à l’initiative des membres de la société, transformé en objet de l’activité gouvernementale, depuis le pont, la maison d’école et la propriété communale du plus petit hameau jusqu’aux chemins de fer, aux biens nationaux et aux universités. La république parlementaire, enfin, se vit contrainte, dans sa lutte contre la révolution, de renforcer par ses mesures de répression les moyens d’action et la centralisation du pouvoir gouvernemental ».
J’ai déjà cité cette phrase prodigieuse, alors je la répète :
« Toutes les révolutions politiques n’ont fait que perfectionner cette machine, au lieu de la briser. Les partis qui luttèrent à tour de rôle pour le pouvoir considérèrent la conquête de cet immense édifice d’État comme la principale proie du vainqueur ».
Aujourd’hui la machine se met au service du techno-mondialisme, des GAFAM, de l’écologisme malthusien, de Davos.
La suite avec Tocqueville : lui a décrit la triomphe de l’État et de sa bourgeoisie un peu comme Guénon dans Autorité spirituelle et pouvoir temporel. Tocqueville décrit déjà distanciation et isolement, et fin de la patrie :
« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie ».
Au-dessus de cette meute, l’État qui n’a pas attendu nos commentateurs télé pour découvrir qu’il faut maintenir les Français dans l’enfance (il faudra un jour comprendre qu’on n’était pas beaucoup plus libres avant le coronavirus) :
« Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »
On répète car c’est magnifique : que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?
Et bien c’est fait avec le vaccin et la télé et la grande confiscation de l’année prochaine.
Tocqueville ajoute :
« Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger ».
J’ai déjà parlé de l’hébétude, mot repris par Baudrillard dans sa Guerre de Troie et subtilement commenté par Mgr Gaume : c’est la fin de l’intelligence du baptême et l’abrutissement esclave, celui que vous et moi, rebelles impuissants, constatons autour de nous. Le rebelle découvre alors que lui aussi n’est pas libre sur le terrain…
Tocqueville explique la vraie raison de notre stupide soumission :
« Chaque individu souffre qu’on l’attache, parce qu’il voit que ce n’est pas un homme ni une classe, mais le peuple lui-même, qui tient le bout de la chaîne. Dans ce système, les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent ».
Ce qui nous arrive était écrit, comme dirait un beau rebelle arabe dans Lawrence d’Arabie, tourné près de chez moi en Andalousie.
Faites attention, l’État mondialiste a toute la technologie pour s’installer, et les « bourreaux volontaires » abondent. Il a son armée de politiciens, de drones, de fonctionnaires et de journalistes hypnotiques, de victimes hébétées.
Bonne année à ceux qui veulent vivre et résister.
Sources :
Nicolas Bonnal – Le coq hérétique (Les Belles Lettres)
Tocqueville – De la Démocratie en Amérique, volume II, part 4, chap VI.
Marx – Le dix-huit Brumaire…
Chapoutot – Libres d’obéir, nazisme et management





del.icio.us
Digg


La puissance économique douce de l'Amérique s'est construite autour de cette idée fausse. Les États-Unis ont soutenu l'émancipation des peuples vis-à-vis de l'oppression coloniale et, en même temps, ont soutenu les notions de "porte ouverte" et de libre-échange. Une de leurs principales critiques à l'égard des empires coloniaux européens était les échanges privilégiés entre ces empires et leurs métropoles. Le Commonwealth a été particulièrement visé lors des négociations du GATT (1947) et Washington a refusé de signer la Charte de La Havane (1948) qu'il avait souhaitée mais qui maintenait le principe des "préférences impériales" entre les pays européens et leurs colonies.


Julius Evola n'était ni "fasciste" ni "antifasciste" (comme il l'écrivait de façon polémique dans sa revue bimensuelle "La Torre" au début de 1930), et par conséquent il n'était ni "nazi" ni "anti-nazi" : était-il alors un incertain, un attentiste, un hypocrite, un - comme on le dit en Italie - "un poisson dans un tonneau" ? Non: il a accepté les idées, les thèses, les positions, les attitudes et les choix pratiques du fascisme, et donc du nazisme, qui étaient en accord avec ceux d'une droite traditionnelle et, plus tard, de ce que l'on a appelé la révolution conservatrice allemande. Une vision qui était à l'époque gibeline, impériale, aristocratique, qui - même si elle est "utopique" - l'éloignait certes de la Weltanschauung populiste "démocratique" et "plébéienne" du fascisme mais surtout du nazisme, dont le matérialisme biologique lui était totalement insupportable. Il ne s'agit pas de justifications a posteriori, comme quelqu'un l'a malicieusement pensé en lisant les pages de Il cammino del cinabro (1963), car Evola n'est pas ce qu'on appelle aujourd'hui un "repenti" : il n'a jamais rien répudié ni rejeté de son passé ; même s'il a rectifié et pris ses distances par rapport à certaines de ses positions de jeunesse (tout le monde oublie ce qu'il a écrit sur l'impérialisme païen en 1928 : "Dans le livre, dans la mesure où il suivait - je dois le reconnaître - l'impulsion d'une pensée radicaliste faisant usage d'un style violent, il était typique d’une absence juvénile de mesure et de sens politique et à une utopique inconscience de l'état des choses" : non pas "le repentir" mais la maturation logique d'un homme de pensée). Le fait que ce ne sont pas des justifications est démontré par les documents qui, au fil des ans, après sa mort en 1974, sont lentement apparus dans les archives publiques et privées italiennes et allemandes. D'eux émerge un Julius Evola qui était tout sauf "organique au régime" comme on l'a écrit, mais même pas aussi marginal qu'on le croyait : un essayiste, journaliste, polémiste, conférencier, qui a connu des hauts et des bas et qui, après la crise de 1930 avec l’interdiction de "La Torre" et sa marginalisation, a accepté de se rapprocher de personnalités comme Giovanni Preziosi, Roberto Farinacci, Italo Balbo, c'est-à-dire, on pourrait dire, les fascistes les plus "révolutionnaires" et les plus "intransigeants", afin d'exprimer ses idées critiques à l'abri de ces niches, agissant comme une sorte de "cinquième colonne" traditionaliste pour tenter l'entreprise utopique de "rectifier" le Régime dans ce sens : Il commence donc à écrire à partir de mars 1931 dans "La Vita Italiana", à partir de janvier 1933 dans "Il Corriere Padano" et "Il Regine Fascista", puis - sortant du "ghetto" des disgraciés - à partir d'avril 1933 dans "La Rassegna Italiana", à partir de février 1934 dans la revue d’inspiration autoritaire "Lo Stato" et dans "Roma", à partir de mars 1934 dans "Bibliografia Fascista".
Une adhésion très critique, donc, celle de Julius Evola, de manière à ne pas pouvoir le définir de manière simpliste ni comme un "fasciste", ni comme un "nazi" de droit. Son point de référence était plutôt la Révolution conservatrice et ses représentants de l'époque. Écoutons ses propres mots extraits de Le Chemin du Cinabre : "Déjà l'édition allemande de mon Impérialisme païen, où les idées de base avaient été détachées des références italiennes, avait fait connaître mon nom en Allemagne dans les cercles maintenant connus. En 1934, j'ai fait mon premier voyage dans le nord, pour donner une conférence dans une université de Berlin, une deuxième conférence à Brême dans le cadre d'une conférence internationale sur les études nordiques (le deuxième Nordisches Thing, parrainée par Roselius), et, surtout, un discours pour un petit groupe du Herrenklub de Berlin, le cercle de la noblesse allemande conservatrice dont on connaît la part importante dans la politique allemande plus récente. C'est ici que j'ai trouvé mon environnement naturel. Dès lors, une amitié cordiale et fructueuse s'est établie entre moi et le président du cercle, le baron Heinrich von Gleichen. Les idées que j'ai défendues ont trouvé un terrain propice à la compréhension et à l'évaluation des problèmes de l’époque. Et c'est également sur cette base qu'une de mes activités a été menée en Allemagne, suite à une convergence d'intérêts et d'objectifs".
Il manque encore des études complètes sur une initiative qui était unique dans la période fasciste en termes d'intentions et de complexité : un véritable projet culturel avec lequel Julius Evola entendait exposer de manière constructive et critique le point de vue de la droite traditionnelle et conservatrice par rapport au fascisme. De nombreux représentants officiels de la culture européenne de cette tendance ont écrit sur cette page : des Italiens, mais aussi des Allemands, des Autrichiens, des Français et des Anglais. Parmi les Allemands, il y avait aussi le médecin et poète Gottfried Benn, avec lequel Evola correspondait depuis 1930.



L'empire khazar s'est effondré avec l'expansion de la nouvelle puissance émergente dans la région : la Russie. De plus, nous savons que lorsque le souverain de la Russie de Kiev, Vladimir le Saint, a décidé de choisir une religion monothéiste pour son peuple, il a également considéré le judaïsme en plus du christianisme et de l'islam : il semble donc que l'exemple des Khazars ait été pris en considération.
Sand a procédé à une déconstruction radicale de l'identité israélienne, et cite des exemples de croyants au judaïsme qui n'appartiennent pas à la population qui était installée en Terre Sainte dans l'Antiquité : le cas le plus célèbre est celui des Falasha, les Juifs éthiopiens. Mais il existe d'autres manifestations significatives d'une propension missionnaire du judaïsme : le royaume himyarite au IVe siècle, le règne de la reine berbère Kahina en Afrique du Nord, les témoignages latins des anciens Romains convertis à la religion de Moïse...
Parmi ces intellectuels figure Georges Sorel, dont un ouvrage a été récemment réédité, l'un des moins connus de ses lecteurs. Nous nous référons à La religione d'oggi, qui est parue en librairie grâce aux éditions OAKS (pour les commandes : info@oakseditrice.it, p. 126, 16 euros).
Le problème posé par Marx n'est pas, sic et simpliciter, économique, mais moral. Dans le travail en usine, l'ouvrier s'aliène sa propre condition d'être de raison. Kant, se référant dans la Raison pratique à la dignité de l'homme, n'avait fait que synthétiser les préceptes qui avaient initialement émergé de la bonne nouvelle chrétienne : "Derrière le concept d'aliénation [...] il y a la notion d'être humain développée par la philosophie moderne [...] à partir de la notion chrétienne d'égale dignité humaine" (p. XI). Quelle est la voie à suivre, selon Marx et Sorel, pour parvenir à la désaliénation ? La Révolution. Seul l'acte révolutionnaire humaniserait les circonstances historico-économiques dans lesquelles, en fait, l'homme vit concrètement. Le "soupir religieux" de la créature opprimée se transformerait ainsi en une lutte socio-politique : en elle, l'exigence éthique reste primordiale. Pour accéder aux thèses de Sorel dans le domaine religieux, il ne suffit pas de se référer au marxisme. En effet, à partir de la fin du XIXe siècle, les certitudes gnoséologiques du positivisme et du néo-positivisme ont progressivement disparu. Sorel soutient, dans le livre que nous présentons, les thèses probabilistes de Boutroux, selon lesquelles dans la sphère scientifique, il fallait toujours passer du dogmatisme positiviste au raisonnement suivant : « passer du nécessaire au probable, passer des mathématiques de la certitude aux mathématiques de l'incertitude" (p. XIV).
Pour Sorel, la ligne moderniste en France était née dans le sillage des thèses d'Ernest Renan et du philosophe Eduard Hartmann. Les deux penseurs estimaient que l'affaiblissement dogmatique de la foi conduirait à l'émergence d'une religiosité intérieure plus authentique. Il s'agirait de vivre véritablement l'expérience religieuse, d'en témoigner concrètement dans les actes de la vie. Cela aurait déterminé la réduction du nombre de fidèles, qui se seraient toutefois transformés en authentiques croyants. Sorel, qui proposait aux masses le mythe de la grève générale, a montré, même si c'était avec une certaine ambiguïté, un intérêt sincère pour cette possible religion du futur. À notre avis, il était naïf, les instances modernistes au sein de l'Église, ainsi que dans la société, se sont avérées, en réalité, fonctionnelles au plein déploiement de la Forme-Capital, qui est devenue définitivement mondiale, des décennies plus tard, dans la mythique « révolution » de Soixante-Huit. Puis le Père, symbole de la Loi et de la Tradition, a été assassiné. De son sang est né le royaume de la marchandise absolue, dans lequel nous vivons encore.
Les Cantos sont, dans l'histoire de la poésie mondiale, un événement unique. Rien n'y ressemble de près ou de loin. Tout au plus pouvons-nous laisser se réverbérer en nous, à son propos, les ors fluants de la prosodie virgilienne, un art odysséen de la navigation, et le dessein récapitulatif et prophétique de La Divine Comédie. L'œuvre ne choisit pas entre l'amplitude et l'intensité, entre l'horizontalité et la verticalité. La vastitude des Cantos loge des formes brèves, des aphorismes qui s'ouvrent allusivement sur d'autres vastitudes. Pound est, avec Saint-John Perse, l'un des très-rares poètes modernes à ne point dédaigner ni le réel, ni le mythe. Les hommes dans le poème de Pound tracent les figures de leurs destinées entre les choses et les dieux. De surprenantes collisions s'opèrent, les temporalités se rencontrent et se traversent selon leurs propriétés et selon leurs signes. 
Pound exige beaucoup de son lecteur, c'est sa façon de l'honorer, de le considérer comme son égal. Il est impossible de lire les Cantos sans parcourir les espaces, les savoirs, les songes qu'Ezra Pound lui-même parcourut pour les écrire. Les Cantos sont, à cet égard, une prodigieuse mise en demeure. Ils nous somment de vaincre notre paresse et notre ignorance. Ces chants sont des passerelles entre des mondes qu'il nous faut élever hors de l'oubli par l'attention et la remémoration. Le confucianisme de Pound est ainsi une méditation sur la Mesure qui unit le Ciel et la Terre, les configurations célestes, que traversent les formations ailées des vocables et les événements de l'histoire du monde. 





Pour le libéralisme, l'homme est né "ex novo". C'est-à-dire qu'il ne fait pas partie d'une communauté, d'une tradition ou d'une identité, il est simplement un individu qui est mû par son seul intérêt individuel et économique. D'une certaine manière, le libéralisme est la théorie de l'individualisme absolu, dans laquelle l'individu, sans racines, sans passé ni mémoire, et donc égal et interchangeable avec le reste des hommes, s'associe à d'autres pour défendre ses propres intérêts qui sont essentiellement de nature économique. Cet amalgame d'intérêts particuliers crée la société, comprise essentiellement comme un marché.

Ainsi, nous désignons le libéralisme comme l'ennemi absolu, ses œuvres et ses dirigeants, qui ne peuvent jamais être une référence à quiconque s'identifie à nos postulats, à titre d'exemple nous citons la malfaisante Margaret Thatcher et ses politiques néolibérales de privatisation du secteur public ; nous reprenons la citation de Géraldine Vaughan (photo), docteur en histoire et civilisation britanniques, qui dans le contexte du référendum sur l'indépendance de l'Écosse en 2014 a déclaré : "L'idéologie thatcherienne a attaqué les valeurs écossaises profondément ancrées dans l'idée de communauté. L'exaltation de l'individualisme n'est ni comprise ni acceptée. La politique néolibérale de Thatcher a pulvérisé l'État, et cela a été ressenti comme une attaque contre l'idée de communauté. Un fossé idéologique et moral s'est ainsi ouvert avec les Écossais".
En grec ancien, le mot μῦθος signifie "tradition", "mythe". Un mythe est une chose qui se raconte oralement et se transmet de génération en génération. Si le mythe se raconte de lui-même, alors la mythologie (μῦθος + λόγος) est déjà une narration et une réflexion sur le mythe lui-même et son contenu ; la mythologie est une image rationalisée et généralisée, dont les intrigues dans le mythe lui-même sont données séparément et poétiquement.
L'un des plus éminents penseurs allemands du 20ème siècle, Friedrich Georg Jünger, frère d'Ernst Jünger, analysant le contenu de la mythologie grecque au milieu du 20ème siècle, [2] conclut que les trames mythologiques sont intemporelles. Le mythe est une méta-histoire, ce qui se situe au-dessus des réalités historiques comme toile de fond du cours des événements ; en d'autres termes, malgré les changements de la société humaine, de la religion, de l'idéologie, des valeurs et des points de vue, l'humanité au plus haut niveau, sous une forme ou une autre, incarne, joue avec les trames des mythes paradigmatiques. Voici une question ouverte : les gens, dans leur destin, incarnent-ils cycliquement différents mythes, ou toute l'histoire humaine n'incarne-t-elle qu'un seul mythe de base ? Pour l'Europe, les mythologies grecque et romaine sont devenues une source inépuisable d'images, de métaphores, de modèles et de personnages, qui sont encore sans cesse reproduits dans la culture, l'art verbal et visuel. Ils sont présents dans le discours quotidien sous forme de phrases établies ou de noms communs, servent de sources à la terminologie scientifique et de modèles pour l'interprétation de la culture, c'est-à-dire pour la réflexion. Comme l'a dit Losev, le passé grec est devenu un passé commun pour toute l'Europe et pour les jeunes qui commencent tout juste à entrer dans la période de maturité.
La deuxième approche est associée à l'école française du structuralisme et à la figure de l'éminent linguiste et mythologue Georges Dumézil. Dans ses écrits [4], il a montré et démontré que la grande majorité des mythes indo-européens sont basés sur une même structure, qu'il a appelée tripartite ou trifonctionnelle. En se basant sur l'analyse d'une grande variété de légendes et de mythologies européennes, indiennes, caucasiennes (surtout ossètes) et orientales, il montre que la structure de la société indo-européenne, héritée par des peuples et des traditions ultérieurs distincts, est composée de trois fonctions principales, au sein desquelles presque tous les individus sont répartis. Prêtres, guerriers et agriculteurs ou artisans. Cette division de l'ensemble de la société en une pyramide à trois parties (les exclus, les esclaves, les criminels, etc. en sortent) peut être retracée à travers l'histoire ancienne avec des changements mineurs. Par exemple, en matière de pouvoir séculier et politique, le sommet de la pyramide est généralement occupé par des soldats, et en matière de pouvoir et de culte sacré, il est dominé par les prêtres. Cette division de la société a été clairement préservée jusqu'à la fin du Moyen Âge et n'a pas complètement disparu jusqu'à présent, surtout dans les régions les plus conservatrices. Le lien de cette structure avec les mythologies réside dans le fait que la structure de la société est un dérivé de la mythologie du peuple, dans laquelle J. Dumézil montre la présence des trois fonctions issues des figures divines : les dieux suprêmes donnent naissance à la classe des prêtres et à leur place et rôle social ; les dieux de la guerre et de la justice donnent naissance au pouvoir militaire des rois et au pouvoir politique ; les dieux de la fertilité, des récoltes et de la terre donnent naissance au mode de vie et aux valeurs incarnées dans le tiers état : agriculteurs, artisans, pêcheurs, etc. En d'autres termes, le mythe sacré est le prototype (l’icône) de l'ordre social qui s'incarne dans le monde réel. Là où dans la mythologie il y a des dieux de la fertilité, dans la société il y a une caste d'agriculteurs et leurs propres cultes et traditions. Il en va de même pour les guerriers, les dirigeants, les chamans et les prêtres. Dans une société mythologique, le pouvoir vient des dieux, de haut en bas, du mythe au social. Ainsi, Dumézil aborde l'étude du mythe par un autre côté, mais confirme indirectement la thèse sur "l'éternité du mythe" et le rôle de ses formes (structures) dans la vie des peuples, structures qui ne sont pas effacées de l'histoire.
La question du pouvoir, du mythe politique et culturel est au centre de l'attention des spécialistes de la culture, des anthropologues, des sociologues et des philosophes du 20ème siècle, surtout dans la période de l'après-guerre. Selon la sémiotique de Roland Barthes, la société moderne, comme dans l'Antiquité, se développe dans un environnement et croit en divers mythes. Ce n'est qu'aujourd'hui que l’on ne cherche plus des exemples d'excellence chez les Grecs ou chez les Allemands, mais dans la mythologie de la culture pop, des médias et de la propagande politique, ce qui apparaît clairement dans l'histoire des régimes totalitaires. Dans la pensée quotidienne, nous rencontrons ces mythes sous forme de stéréotypes, de préjugés, de fascination pour des idoles pop ou des personnalités politiques que nous ne connaissons pas, mais nous voyons constamment leur image artificielle sur les émissions de télévision ou sur YouTube. Ainsi, il a été démontré que, malgré le passage de la pensée traditionnelle à la pensée scientifique, la grande majorité de la société continuait à vivre dans un environnement d'images irrationnelles et fantomatiques, ne changeant que le langage : on ne se réfère plus à la mythologie grecque classique, par exemple, mais à un journal, un parti politique ou une chaîne de télévision. En même temps, la croyance mythique dans l'importance d'une pop star ou d'un chef de parti lui redonne une certaine autorité, fait de lui un modèle moral et un berger de ses fans. Mais maintenant que cette mythologie se construit de bas en haut, le pouvoir de l'idole dépend du caractère de masse de son fan club. Les mécanismes par lesquels la mythologie de la société capitaliste moderne et celle des médias façonnent le pouvoir et influencent la société et la personne en particulier sont examinés en détail et de façon critique dans les travaux de M. Foucault, R. Barthes, J. Baudrillard et d'autres. Les opposants à la société mythologique - par exemple, R. Bultmann et P. Riker - ont insisté sur la nécessité d'une purification et d'une rationalisation strictes de la culture et même de la religion, afin de séparer les significations de la nébuleuse de l'irrationnel. Il convient de rappeler ici la critique de la méthodologie scientifique, qui est traditionnellement opposée à toute forme de mythologie, en tant que système strict, logique et rationnel de preuves objectives. Dans ses écrits, le philosophe Paul Fayerabend a clairement montré que la science et les scientifiques violent constamment, et même n'ont jamais observé, les méthodes d'investigation scientifique ou les propres résultats expérimentaux établis par eux. Outre la critique de la société de masse moderne du côté de la philosophie française, il a également pris en compte la critique de la modernité du point de vue de Julius. Evola et Ernst Jünger - partisans du mythe, il est possible de lire toute la perception scientifique moderne du monde comme une forme spéciale et originellement arrangée de la même mythologie, où les docteurs en sciences prennent la place des prêtres, et les ingénieurs et les mécaniciens celle des agriculteurs. Aujourd'hui, un nouveau monde "magique" est également présent, celui de la réalité virtuelle et de sa mythologie (ce que nous appelons New-Age, Wicca, néo-paganisme, parapsychologie, etc.)































Sans doute sommes-nous fort mal placés en nos temps rationalistes et déraisonnables pour comprendre la méfiance grecque à l'égard de l'hybris, de la démesure. Nous sommes si aveuglément dévoués à la démesure que nous n'en concevons plus même le contraire. Notre démesure est devenue si banale que toute mesure nous paraît extravagante ou coupable. Comment, alors servir la Mesure, par quels noms l'évoquer et l'invoquer sans la trahir ? Par le seul nom de Légèreté ! Les claires escadres de la raison d'être de nos actes et de nos chants sont légères; c'est à peine si elles touchent les vagues amies. Entre l'horizon et le plus fort de notre combat, elles franchissent la distance en se jouant. Non seulement la Mesure est légère, elle ne se pose ni ne s'impose, sinon prosodique; elle est fondatrice de la légèreté en ce monde. Les Anciens croyaient en la terre dansante et en la terre céleste. La Mesure nous sauve de la lourdeur et de l'inertie. Bien qu'elle soit plus que la vie, ayant partie liée aux Immortels, elle nous sauve de la mort. Lorsque la Mesure est ignorée les titans outrecuident, et les hommes se livrent sans vergogne à l'infantilisme et à la bestialité.


En effet, la doctrine maritime américaine a fait preuve d'une constance de plusieurs siècles depuis qu'elle a été élaborée pour la première fois par Alfred Thayer Mahan, l'influent amiral qui a systématisé les bases théoriques de l'influence de la puissance maritime sur l'histoire, fournissant aux États-Unis l'étoile polaire qui a guidé leur politique navale dans le monde entier depuis la fin du XIXe siècle. Pour Mahan, en effet, les États-Unis étaient les héritiers nécessaires de l'empire maritime britannique, un héritage qui les a élevés au rang de "véritable île contemporaine", d'"île majeure" et qui, après être devenu le seul État à avoir atteint une hégémonie régionale complète, sûrs de leur "caractère insulaire" à l'échelle du continent, ont projeté leur puissance navale dans le monde entier grâce à leur domination sur la puissance maritime. Et dans cette optique, les États-Unis empêchent tout autre acteur de devenir hégémonique dans sa propre région, ce qui impliquerait l'expulsion de la marine américaine des eaux de cette région.










Animal solaire, le sanglier participait des trois fonctions de l’idéologie tripartite des indo-européens, et c’est à ce titre que la compréhension de sa symbolique est particulièrement difficile. Perçu distinctement par les castes, sa valeur magico-religieuse était conflictuelle. Cette situation se maintiendra jusqu’au moyen-âge, illustrée en Seine-et-Marne par la légende de Ste Osmanne.

Frey est le dieu de la fertilité, le dieu de la troisième fonction chez les Scandinaves. « Voici un animal qui peut courir nuit et jour, aussi bien sur terre que dans le ciel et sur l’eau. Il va plus vite que n’importe quel cheval. Et ses soies d’or resplendissent tant qu’elles peuvent éclairer les ténèbres les plus profondes. » (6) Du martellement des forges de Brokk, naissent la fidélité, la puissance et la maîtrise. La maitrise du temps et de l’espace.
L’archéologie irlandaise de son côté, nous confirme la présence de diverses crosses sur les sites cultuels, de même curieusement, que certains monuments mégalithiques. (7) Sur le côté de la stèle, on peut également distinguer la présence d’un œil. La valeur magico-relieuse de l’ensemble, nous permet d’imaginer le troisième œil, celui qui voit, celui de qui vient la religion. (lat. religio = qui relie)


Dans les années 1930, une vingtaine d'intellectuels juifs allemands, principalement (mais pas tous) associés à l'école de Francfort (par exemple, Wilhelm Reich), se sont engagés à mettre en évidence les conditions psychologiques et socio-économiques responsables de la formation de la personnalité autoritaire.


Un examen actuel de l'échelle F d'Adorno, censée définir la personnalité autoritaire, révèle que ce sont en fait les progressistes et les libéraux qui manifestent la quintessence des tendances fascistes. Alors que la corrélation des conservateurs et des nationalistes contemporains avec l'échelle F ne peut pas dépasser 0,12 (1 trait sur 9), la corrélation des libéraux et des progressistes avec l'échelle F d'Adorno peut atteindre 0,88 (8 sur 9).
Mishima, dans la lignée de la tradition japonaise, a conçu l'existence comme un équilibre entre des hypothèses opposées, la liberté et la répression, la vie et la mort. La vie est mieux contemplée dans l'ombre de la mort ; sous la teinte mortelle, le vital est lumineux, rayonnant. Embrasser l'existence implique d'embrasser à la fois la vie et la mort, et de cette fusion découlera la vitalité. La vie doit nécessairement être équilibrée avec la mort, sinon la vie sera informe, grotesque, désordonnée.

Après plusieurs années de santé défaillante, Vladimir Avdeyev est mort du COVID le 5 décembre à Moscou. J'avais rencontré Avdeev lors de la première rencontre dite « du monde blanc » (2006) organisée par le philosophe russe identitaire Pavel Tulaev.Cette initiative fut un jalon dansle combat métapolitique pour la défense de notre identité et de notre civilisation, une première étape dans la collaboration entre divers penseurs de l'identité de l’Europe, de la Russie et de l'Amérique européenne. Nous avons tous deux prononcé nos discours respectifs, tout comme les autres participants, dans un environnement véritablement stimulant sur le plan intellectuel. Après la clôture des conférences de ce premier « Congrès du monde blanc », un concert de musique classique a été organisé dans la Maison de la musique slave en l'honneur des participants par l'Orchestre de l'Académie nationale russe dirigé par le maestro Anatoly Poletaev, qui a dirigé des morceaux de Grieg, Glinka, Tchaïkovski et Rachmaninov. Le lendemain, visite de la galerie Tretiakov où nous avons pu apprécier des chefs-d'œuvre de l'art russe, et enfin visite du musée du peintre Konstantin Vassiliev, une remarquable peinture de l'époque soviétique à thèmes historiques et mythologiques.




En 1624, Thomas Morton, un avocat anglais, un des fondateurs du Massachusetts, vendait déjà des armes aux indigènes au nom du vieux paganisme. En 1629, les puritains l'arrêtent après avoir organisé une fête du "mât de mai", équivalent des rites païens de consécration de l'arbre de vie. Ceux qui assistaient à la fête portaient des cornes de cerf et pratiquaient des rites orgiaques. Brûlé à son domicile et arrêté, il est déporté en Angleterre ; il retourne en 1643 en Amérique et est arrêté à nouveau, il meurt en 1647.





Pour Pierre Boutang, comme pour Dante ou pour Maurice Scève, la raison procède de la poésie, et non l'inverse. La raison poétique est la meilleure, car elle est une raison d'être. La poésie ouvre la voie de l'ontologie et de la métaphysique. En amont de la raison (mais non contre elle, comme le préconisaient les Surréalistes qui demeurent là, à leur façon, des positivistes) l'être est l'ensoleillement intérieur du Logos, sa gloire secrète. La poésie est raison d'être, car elle est victoire sur l'oubli de l'être, ressouvenir et pressentiment d'une civilité perdue. Qui entendre et de qui se faire entendre, si le chant ne domine point, si un Songe plus vaste que nous ne nous environne ? Pierre Boutang est poète, car il nous délivre de l'humanisme de la démesure, de l'humanisme outrecuidant.
Délivrée de la subjectivité qui outrecuide, et de la bête de troupeau, l'aventure odysséenne de la pensée débute sous des auspices heureux : « Cette trace que nous suivons, lumineuse dans les mémoires, indistincte sous la poussière des livres, soudain fraîche comme les joues de la belle Théano, est celle de l'Aède divin. Tout ce qui est de lui nous trouble et nous enchante ». L'humilité est de consentir au ressouvenir et au trouble et à l'enchantement. Les retrouvailles de la poésie et de la raison disent ce consentement de la grande âme reçue par la grandeur du monde. L'intelligence n'est pas l'ennemie de l'enchantement. L'exactitude est enchanteresse, elle compose pour nous, à travers nous, un chant dont nous sommes les messagers. Nous traversons notre chant et ses possibilités prodigieuses de pensée comme Ulysse la mer violette, lorsque l'orage menace, que surviennent les éclaircies, que la chance magnifique est offerte.
Pierre Boutang, et c'est tout l'enseignement de son Art poétique, ne croit pas en la formulation, il croit au silence antérieur, au silence lumineux de la toute-possibilité. Le « nationalisme » de Pierre Boutang ne se fonde pas sur un quelconque idéal « identitaire » (l'atrocité du néologisme trahissant déjà l'impasse de la pensée). Notons, en passant que De Gaulle ne parle pas davantage d'identité française, mais d'Idée, dans un sens platonicien. Certes, la formulation n'est pas hasardeuse, gratuite ou aléatoire, mais elle n'est point le tout. Elle témoigne d'une possibilité souveraine qui la dépasse et que Pierre Boutang nomme la « vox cordis », la voix du cœur : « A la différence de tous les "nationalitaires", écrit Pierre Boutang, comme Fichte, dont procèdent toutes les hérésies allemandes racistes ou national-socialistes, Maurras maintenait l'unité de l'esprit humain et se bornait à reconnaître dans la beauté athénienne, l'ordre romain et la civilisation française classique des réussites presque miraculeuses de l'humanité essentielle ».
Le poète se tient dans le silence royal et sacré, il appartiendra au traducteur d'oser le même séjour, de faire par l'imagination créatrice ce retour au temps et au site excellents où l'image se manifestera, où elle surgira, prompte et souveraine, pour se saisir des mots qui n'attendaient qu'elle pour renaître des écorces de cendre de leurs usages profanes et profanateurs. Croire en la possibilité de la traduction, c'est parier sur l'esprit qui vivifie contre la lettre morte, c'est interroger la lettre, la prier, l'exhorter, la ravir amoureusement jusqu'à ce qu'elle cède et révèle la lumière incréée. Les lettres qu'écrivent les poètes sont des lettres de feu; elles scintillent dans les ténèbres avant d'être de nuit d'encre sur le papier. Elles sont la trace lumineuse, la trace de la lumière qui, hors d'elle, retrace dans l'entendement du traducteur, un autre poème, qui est le même.