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lundi, 26 juin 2023

Andrea Zhok, "Au-delà de la droite et de la gauche" (Il Cerchio, 2023)

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Andrea Zhok, "Au-delà de la droite et de la gauche" (Il Cerchio, 2023)

Compte rendu de Venceslav Soroczynski

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/25758-venceslav-soroczynski-andrea-zhok-oltre-destra-e-sinistra-il-cerchio-2023.html

On sait qu'il y a essentiellement deux façons de voter: avec les enfants et sans les enfants. Lorsqu'on est parent, on manipule délicatement le bulletin de vote, on entre dans l'isoloir comme dans les églises d'autres religions mystérieuses, on lit les noms pensivement et on fait son choix le cœur sur la main. Le vote, après avoir commis l'imprudence de confier un enfant à la réalité, semble avoir plus de poids dans l'histoire de l'humanité. C'est pourquoi, dans ces moments-là, l'idée fulminante et insoutenable de Flaiano selon laquelle, si l'on n'est pas de gauche à vingt ans et de droite à cinquante ans, on n'a rien compris à la vie, ne nous vient même pas en aide. C'est une plaisanterie, bonne pour les années soixante-dix, mais désormais inadaptée. Aujourd'hui, au contraire, on est, mais seulement par instinct, de gauche à cinquante ans et de droite à quatre-vingts ans, étant donné qu'à vingt ans, on sait publier une vidéo sur TikTok et qu'à cinquante ans, quelqu'un est encore engagé dans un stage gratuit.

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L'aphorisme de Flaiano, cependant, a toujours du sens et est très clair: quand on est jeune, on vote pour révolutionner; quand on est vieux, pour conserver. Parfois, l'impulsion persiste et l'on continue à croire que la gauche est progressiste et la droite modérée.

Mais l'impulsion est la grande erreur, c'est la croyance, c'est l'exercice d'une confiance inexplicable, voire infondée. En effet, les résultats des dernières élections suggèrent que le calcaire fidéiste est en train de fondre, mais ils laissent aussi le soupçon que le corps électoral est passé d'une erreur à l'autre: lorsque nous votons, nous nous trompons. Nous n'en faisons pas une seule de bonne. Mais pourquoi ? Parce que nous ignorons une grande partie de la géographie, une longue période de temps, une grande partie de la réalité.

Ce qu'Andrea Zhok tente de faire avec ce court essai, c'est de combler ces lacunes: de nous expliquer, patiemment, avec des mots compréhensibles, dans un texte qui n'est pas du tout maniable, que la droite et la gauche ne sont que des "simulacres".

Zhok est professeur de philosophie, donc obstinément attiré par la recherche de la clarté, de la vérité, des relations de cause à effet. Et de temps en temps, cela ne nous fait pas de mal non plus de nous plonger dans cette chose curieuse et peu fréquentable qu'est la réalité. C'est pourquoi, au lieu de lire les journaux les plus populaires et les plus distrayants de notre époque, je me suis jeté sur "Au-delà de la droite et de la gauche", comme quelqu'un qui se noie dans l'information mais qui passe à côté de la vue d'ensemble.

L'auteur part d'une analyse historique qui explique comment le "progressisme", depuis le 19ème siècle, a été l'expression du besoin de la bourgeoisie de changer, de progresser afin de se défaire des privilèges de la propriété foncière. Mais, sous le couperet de la révolution industrielle, les classes populaires, les paysans, les enfants, les mères, ont fini. Ainsi, le progrès pour les uns signifie déjà la régression pour les autres. En effet, l'auteur souligne que ses effets n'ont été positifs que pour un dixième des personnes concernées, tandis que pour les neuf autres, les conditions se sont dégradées. Le progressisme devient donc déjà libéral-capitaliste.

Dès lors, le Manifeste de Marx et Engels ne pouvait qu'être critique à son égard, affirmant qu'il ne suffit pas de progresser dans le sens du changement, mais qu'il faut corriger les erreurs du passé, tout en préservant sa valeur - aujourd'hui, nous dirions "ses valeurs". Ainsi, si le progressisme est une impulsion névrotique ou cynique au profit de certains, le progrès est le résultat d'une action réfléchie au profit de tous.

51uUcjWjmQL.jpgLe progressisme critiqué par Marx est un progressisme libéral, qui supporte mal les contraintes car il n'a pas de temps à perdre: il doit chercher de nouveaux marchés et accumuler du capital. Il nage bien dans la société liquide qui est telle d'un point de vue social, identitaire, anthropologique. Le socialisme scientifique perd sa connotation historique originelle et se disperse dans le sens scientifique de la science naturelle. Ce que la science rend possible est autorisé, surtout si cela sert le capital, indépendamment des dispositions naturelles de l'individu. Aujourd'hui encore, l'"expert" influence l'opinion des masses, tandis que l'intellectuel n'est pas écouté. Il est impossible de ne pas évoquer, à cet égard, les paroles lumineuses de Thomas Stearns Eliot : "Où est la sagesse que nous avons / Perdue dans la connaissance / Où est la connaissance que nous avons / Perdue dans l'information" (The Rock, 1934).

Ainsi, dans les pays "avancés", la gauche et la droite copient les pires modèles, qui érodent la qualité et la quantité des services publics essentiels, sous prétexte d'alléger la machine étatique. Les droits sociaux, sous prétexte d'augmenter la flexibilité. Comme le dit l'auteur, gauche et droite sont devenues de simples variantes du progressisme libéral (rappelons d'ailleurs que Gianni Agnelli avait laissé entendre qu'en Italie, seule la gauche pouvait faire des réformes de droite. Et, de fait, quelques années plus tard, c'est le gouvernement PD/socialiste de Renzi qui a dépriorisé les protections inscrites à l'article 18 du Statut des travailleurs).

Zhok affirme qu'il y a maintenant une véritable attaque contre la nature humaine, une attaque visant à éliminer toute institution non négociable, y compris la famille : "... tout lien de caractère affectif stable représente un problème du point de vue du capital, parce qu'il rend le comportement de l'individu dépendant d'une contrainte étrangère aux exigences du marché". Et si l'on considère que "... la famille est le lieu principal où se déchargent toutes les tensions et contradictions du monde, où elles s'amortissent, et où elles cherchent, laborieusement, une solution. Les familles, surtout celles qui fonctionnent bien, sont donc des lieux de travail intensif, de travail sur les attentes, sur la communication, sur la construction des motivations, sur le sens de l'existence", on comprend bien la dévastation sociale que la thèse laisse présager.

L'auteur poursuit en nous donnant des exemples de la manière dont le progressisme libéral sape les institutions sociales et les institutions intimes de l'individu : la gestation pour autrui, qui commence à ressembler à une rente de plus ; la fluidité des genres, qui rend désormais les identités biologiques floues, fuzzy, adaptables, flexibles, précaires; le "féminisme de la deuxième vague", qui n'a plus pour objectif propre l'égalité, mais vise à identifier l'autre sexe comme sujet exploiteur: ce n'est donc pas la nouvelle société libérale qui est source d'injustice, mais un homme qui est dans le rouage de la structure.

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Le livre dit beaucoup plus, diagnostiquant ainsi précisément un malaise dont le symptôme est corroboré par le fait qu'après tout, nous ne votons pas: nous achetons des marchandises. Selon Debord, "toute la vie des sociétés où règnent les conditions modernes de production se présente comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était vécu directement a reculé dans une représentation" (La société du spectacle, 1967). Nous choisissons des images, nous achetons des billets pour des monologues, en fait "le spectacle est le contraire du dialogue" (Debord encore). Alors, où en sommes-nous ? J'ai le sentiment que, pendant la décennie de distraction, le navire a simplement fait un lent virage à droite. La politique intérieure - parce que la politique étrangère, nous le savons maintenant, n'est rien d'autre que l'exécution des ordres des États-Unis - est de droite.

Et cette droite est soit libérale, soit libéraliste, soit fasciste. En matière de politique fiscale, elle est libérale : pour les parts de revenus même très élevées, le contribuable peut appliquer une flat tax violemment inconstitutionnelle - et ce n'est pas un fait théorique: simplement, ceux qui ont plus paient proportionnellement moins. En matière de politique de santé, soit on est libéral (s'il a des moyens matériels, le malade peut payer une visite privée pour 150 euros ; s'il n'en a pas, il attend 14 mois pour une visite), soit on est fasciste (soit vous vous injectez une substance inefficace et potentiellement toxique, soit vous renoncez à votre salaire et vous rejoignez les rangs des sans-protection de la loi Zan). Je n'ai donné que quelques exemples.

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La politique italienne, dans ses grands choix, se déplace sur des rails de tramway et le conducteur du tramway ne peut pas tourner à gauche ou à droite quand il le souhaite. Le conducteur du tramway, pour les choses importantes, doit suivre la route de fer dont le concepteur se trouve de l'autre côté de l'Atlantique et nous regarde comme on regarde un allié dont on peut se passer. Ce dans quoi nous sommes impliqués n'est pas la guerre de la Russie contre l'Ukraine : c'est la guerre des États-Unis contre toute l'Europe. Ils nous ont pris l'approvisionnement en matières premières bon marché, les marchés de débouchés pour les produits de luxe italiens, les touristes qui avaient l'habitude de dépenser davantage sur nos plages et dans nos montagnes. Ils nous ont pris tout cela, et peut-être pour des décennies. Et ils s'efforcent de nous priver de l'industrie manufacturière chinoise.

Comme l'a admirablement écrit le même auteur il y a quelque temps, "nous ne sommes pas sous le parapluie de l'OTAN, nous sommes le parapluie de l'OTAN". À mon avis, elle agit comme la mafia, c'est-à-dire qu'elle vient vous voir et vous dit : "Vous avez besoin de quelqu'un pour vous protéger de ceux qui veulent mettre le feu à votre magasin". Il se trouve que si vous ne payez pas sa "protection", votre magasin est effectivement incendié, mais c'est la mafia elle-même qui a fait cela. Ce "modèle d'entreprise" est le même que celui qui a été appliqué à l'Italie chaque fois qu'elle a voulu se passer de la protection imposée par le bloc d'intérêts basé aux États-Unis et au Royaume-Uni, depuis l'assassinat de Mattei.

Nous ne pouvons certainement pas ignorer l'avertissement de Machiavel, qui a observé que dès qu'une personne "populaire" s'élevait au rang des "seigneurs" dans le gouvernement de Florence, elle affaiblissait ses revendications révolutionnaires, car elle se rendait compte des réalités de la République : "Et comme il était monté à cette place et qu'il voyait les choses de plus près, il connut les désordres d'où ils provenaient et les dangers qui en résultaient et la difficulté d'y remédier ... et il devint immédiatement d'un autre esprit et d'une autre pensée" (Discorsi, I, 47). Et manifestement, même à notre époque, une force politique, tant qu'elle est dans l'opposition, peut facilement critiquer l'action des gouvernants, mais lorsqu'elle en vient à comprendre les véritables rapports de force, elle finit par reproduire la politique précédente.

Cela ne signifie pas qu'il faille baisser les bras, mais qu'il faut au moins avoir la lucidité de juger un parti non pas lorsqu'il est dans l'opposition, mais lorsqu'il gouverne. Et surtout, que nous avons encore une chance : donner confiance à ceux qui ne sont ni de droite ni de gauche, parce qu'ils ne sont pas encore "montés à cette place".

 

Qu'est-ce que la propagande? Réflexions sur un livre ancien de Jacques Ellul

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Qu'est-ce que la propagande? Réflexions sur un livre ancien de Jacques Ellul

par Pierluigi Fagan

Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/propaganda

Ce livre de Jacques Ellul sur la propagande a été écrit en 1962, donc sans des phénomènes tels que l'Internet et les réseaux sociaux, la mondialisation, la télévision privée, les chaînes de télévision en ligne, la diffusion par satellite et par câble, la mobilité cellulaire, la segmentation statistique psychographique et le Big Data. Cependant, le livre d'Ellul reste un ouvrage de référence pour l'étude du phénomène 'propagande", tel qu'il est encore enseigné dans de nombreuses facultés (avec Bernays, Lasswell, Dobb jetant toujours un coup d'œil en privé sur Goebbels, un coup d'oeil grossier mais efficace). La première considération à faire est de savoir combien de penseurs, en Europe mais souvent aussi aux Etats-Unis, avaient dans les années 60 des idées très claires sur les contours fondamentaux de la société qui est encore la nôtre, une société devenue pire sous certains traits. Plutôt que de porter un jugement d'actualité, nous devrions nous demander pourquoi nous redécouvrons aujourd'hui mille et une fois une eau chaude qui avait déjà été chauffée pour de bon il y a soixante ans. Il est clair qu'un des problèmes majeurs qui se pose aux idées et aux systèmes mentaux critiques et donc non dominants est leur dispersion dans le temps, ils ne s'accumulent pas, ils ne font pas masse.

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L'auteur, Ellul, est un Français inclassable. Historien du droit, théologien protestant, critique de la société technique telle qu'abordée par Gunther Anders, de tendance anarcho-libertaire, marxologue non marxiste, il a anticipé les thèmes de la décroissance. Jacques Ellul est ici dans le rôle du sociologue, peut-être sa spécialité la plus complète et la plus pointue.

Compte tenu du sujet et de l'actualité récente, il convient de commencer par dire qu'"il y a propagandiste et propagandiste". Le premier est souvent un fonctionnaire du système qui doit fondre psychologiquement les individus en une masse pour qu'ils se conforment au système. Cela s'applique aussi bien aux dictatures qu'aux démocraties ou pseudo-démocraties. Selon Ellul, la propagande (qui coïncide avec la diffusion d'une image précise de l'homme et du monde qui lui donne raison et sens) est une nécessité pour les sociétés modernes et techniques, quel que soit le régime politique. Le propagandiste connaît la psychologie sociale, l'individu, la psychologie profonde, la sociologie, la mythologie, les formes religieuses, de sorte que, du haut de son pouvoir cognitif, il méprise le propagandisé, même s'il l'a bien étudié, ou peut-être à cause de cela.

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Elle implique le rationnel et l'irrationnel, le public et le privé, le conscient et l'inconscient, ainsi que tous les médias possibles et imaginables, ceux-ci étant toujours la propriété de l'État ou des capitalistes, comme en Occident. Mieux vaut un seul média, ou au moins quelques-uns et accordés entre eux.

Dans les sociétés "libérales", la liberté ,e peut se mouvoir que dans deux camps qui se détestent et sont incapables de dialoguer, d'où la mortification de la pâle prétention au pluralisme démocratique au profit d'un bipolarisme de fait. De toute façon, deux pôles font le milieu du jeu, et c'est donc finalement la structure de pouvoir qui gouverne de toute façon. Cela cristallise les images du monde à partir d'un puissant travail de simplification dont le propagandiste est l'artisan.

Que d'angoisses dues à l'impréparation et à la peur engendrées par la cascade de nouvelles incompréhensibles, inquiétantes et anxiogènes ! Puisque les pouvoirs ont toujours besoin d'une légitimité donnée par le peuple et qu'on voit mal comment des gens qui travaillent huit heures par jour, plus le temps passé dans les transports et le temps destiné aux soins personnels, peuvent savoir vaguement quoi que ce soit sur l'économie, la finance, la technologie, la géopolitique, la culture, la politique, la société, l'avenir, l'environnement, etc, Ce sont des mots à la mode, des mantras, des refrains pré-packagés, des slogans, des témoignages, des experts, des fragments de rationalité lubrifiés avec d'importantes doses d'émotivité pour des cerveaux faibles, distraits, sans mémoire, dépendants, déstabilisés et rendus incertains par une ignorance évidente, avides de Vérité et de bonnes choses à penser.

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Aujourd'hui, avec des problèmes de plus en plus complexes et globaux, la propagande devient de plus en plus exaspérante, pointilliste, des étincelles d'attention déconnectées du tout, des kaléidoscopes impressionnistes.  L'efficacité de la propagande est conditionnée par son immensité enveloppante, sa continuité, sa cohérence invisible, sa répétitivité et, de façon perverse, son utilité pour donner de la raison et du sens à ce qui n'en a pas. Plus il y a de "sens" moins il y aura de dissidence. 

La connaissance et l'exploitation scientifique des mécanismes de contagion et de synchronisation des masses, du fait que, comme le disait Durkheim, "le groupe pense et agit d'une manière complètement différente de celle dont ses membres individuels penseraient et agiraient s'ils étaient isolés", de l'isolement mutuel actuel entre des personnes qui ne transmettent pas réciproquement des informations et des connaissances (elles ne débattent pas) mais proposent des données et des interprétations provenant d'une source unique, le public qui se fait une opinion ou plutôt acquiert l'opinion qu'on lui donne puisqu'il n'a pas le temps ou les outils pour se faire sa propre opinion, créent la situation idéale.  La propagande, comme la publicité, n'invente presque rien, elle pêche parmi les préjugés, les stéréotypes, les catégorisations, les modèles, les traditions, les conformismes, les mythes profonds (il y a une faim primitive de mythe, surtout du côté masculin), qui existent déjà (la Nation, le travail, le Héros, le bonheur, la liberté).

Un mythe éternel est celui du Grand Homme que l'on adore tout en le manipulant et en l'entubant; un autre de ces grands hommes (Berlusconi) vient de mourir, un "grand homme" qui a recodé nos codes socioculturels, éthiques, moraux et politiques sous les applaudissements convaincus de ses adorateurs propagandistes. Je me suis mis en tête de faire la liste des orphelins éplorés à son enterrement, de Boldi à Razzi, un instantané sociologique du niveau de l'imaginaire national de ces trois dernières décennies, puis j'ai laissé tomber, c'est de toute façon inutile par les temps qui courent. Si l'imbécile était capable de se rendre compte qu'il en est un, il n'en serait pas un.

La taxonomie d'Ellul est élaborée. Il y a la propagande politique et sociologique, verticale et horizontale, l'agitation et l'intégration (modèle de lutte des partis, puis de gouvernement qui change radicalement d'arguments et de ton), le rationnel et l'irrationnel. En Occident, elle tend à s'adapter à une société de masse individualiste et abrutissante après la destruction ou l'affaiblissement de toute structure intermédiaire. Les allusions au prototype américain de son époque donnent l'idée d'un véritable "rayonnement social", ce sont les formes, les modes, les symboles mêmes de notre société environnante qui communiquent avant qu'on leur ordonne de parler.

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Un autre sociologue plus récent, George Ritzer (2005), a publié dix livres en anglais jusqu'à il y a deux ans, avec un livre sur la "forme McDonal"d de nombreuses structures sociales: efficacité, calculabilité, prévisibilité, uniformité dans un univers de McUniversité, McMedia, McChildren et, en fin de compte, une McConscience de soi. Tout cela rayonne avec cohérence directement de la société, le discours propagandiste ne devenant qu'un simple accompagnement. La nécessité de simplifier le discours correspond à la nécessité de simplifier la société. Ses effets ne sont pas superficiels et transitoires, ils façonnent l'esprit avant le contenu par les formes, par exemple en dichotomisant tout (bien-mal, juste-mal), en jugeant avant même d'analyser, en ordonnant la pensée dans les chemins déjà tracés (dont on sait déjà où ils aboutissent de toute façon), en étant obsédé névrotiquement par le présent pour que les causes s'échappent, en ne se demandant jamais "pourquoi"... en essayant bien sûr de dépasser les réponses de pacotille des historiettes qui nous sont assénées.

Dernièrement, pousser compulsivement des boutons sur un parallélépipède plat à tenir devant ses yeux. L'efficacité de la propagande a pour condition préalable l'immensité enveloppante, la continuité, la cohérence invisible, la répétitivité.

L'autre soir, je suis tombé sur une soirée Rampini sur la 7, avec pour thème les Etats-Unis d'Amérique (et dont le decorum reproduisait les couleurs et les formes du drapeau) suivie d'une autre sur la Chine. Selon Rampini, qui revendiquait fièrement sa nouvelle citoyenneté américaine, les Etats-Unis sont forts, inatteignables et gagnants dans tous les grands domaines de la puissance (armes, dollar, PIB, technologie, démographie) et le resteront, heureusement pour nous, encore longtemps. Le seul problème, c'est que ces derniers temps, ils semblent manquer de confiance en eux (zut !).

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J'ajouterai encore quelques remarques sur cette Nathalie Tocci, "experte" convoquée pour nous expliquer les choses. La dame semble diriger un think tank italien de politique internationale. Mais l'on découvre sur son site qu'il reçoit près de 50% de ses fonds d'"organismes et fondations étrangers" (pas de honte). La dame avait tendance, lorsqu'elle parlait des Etats-Unis, à hausser les pointes intérieures de ses sourcils puis à les abaisser, comme si elle parlait sous les traits d'un pauvre petit chaperon rouge en proie aux mille embûches de la forêt mondiale. Lorsqu'elle parlait de la Russie et de la Chine, elle faisait l'inverse, abaissant les pointes intérieures et relevant les pointes extérieures, comme si elle parlait du grand méchant loup qui s'apprêtait à dévorer la pauvre grand-mère. Après tout, il était tard dans la soirée et les histoires à dormir debout ont leur public. Je me suis senti nostalgique de Luttwak. 

Nous en sommes à la régression infantile des opinions publiques, qui va de pair avec un autre concept de la sociologie contemporaine, la "gamification", c'est-à-dire l'introduction de mécanismes de jeu dans des environnements non ludiques tels que l'internet, les systèmes sociaux, d'apprentissage ou d'entreprise, en sollicitant une participation active et "spontanée". Le récent déclin qualitatif des propagandistes correspond à celui des propagandistes et, plus généralement, à l'esprit du temps.

Je termine sur une note positive, que faire, quels antidotes, comment surmonter cette condition de servitude psycho-intellectuelle volontaire, propédeutique à la servitude volontaire de participation à la termitière sociale au rythme des tambours joués pour nous par les propagandistes du système ? Le temps. Passer du travail sur les choses au travail sur soi, gagner du temps à consacrer à l'auto-formation de sa mentalité. Une mentalité, formée a maintenir une distance critique par rapport à la propagande, brise la magie, l'enchantement, devient immunisée, regarde de haut le fatras propagandiste, rompant ainsi la servitude volontaire. Mais au milieu de plus de tradition, plus de travail, plus d'ordre, plus de justice, plus de liberté, plus d'innovation, plus de sécurité, plus d'opportunités, la propagande politique semble unanime à éviter de promettre le seul plus dont vous avez besoin pour décider pour vous-mêmes, juger par vous-mêmes, agir avec le plein sens de vous-mêmes: le plus de temps.

Moins de travail, plus de temps, moins de propagande. C'est l'utopie ultime et irréalisable.

jeudi, 22 juin 2023

Des guerres plus "démocratiques" que "justes"

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Des guerres plus "démocratiques" que "justes"

par Theodore Katte Klitsche de la Grange

Source: http://italiaeilmondo.com/2023/06/18/guerre-piu-democratiche-che-giuste-di-teodoro-katte-klitsche-de-la-grange/

Cet article a été publié dans la revue "Il giusto processo" n° 18/19 (octobre 2005 - avril 2006).

Il est courant aujourd'hui de considérer que les guerres justes sont celles qui sont menées pour exporter les "valeurs" (et les institutions) de la démocratie libérale, parmi lesquelles figure (et se distingue) l'idéologie des droits de l'homme. À cela s'ajoute la thèse - souvent liée - selon laquelle des tribunaux internationaux sont nécessaires pour prévenir les "guerres injustes" et punir leurs auteurs. Ce qui revient à inverser, ou plutôt à appliquer dans un mauvais contexte, le jugement de De Maistre selon lequel "là où il n'y a pas de jugement, il y a affrontement".

Disons que le contexte est mauvais car De Maistre est la synthèse d'un discours sur la souveraineté dont l'exemple est précisément le Tribunal: "On voit dans les Tribunaux la nécessité absolue de la souveraineté; parce qu'il faut gouverner les hommes comme il faut les juger, et par la même raison; c'est-à-dire, parce que là où il n'y a point de jugement, il y a affrontement". Mais chez De Maistre, le tout présuppose la souveraineté et l'État, et un tribunal - l'office de ce dernier.

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Au contraire, dans la pensée postmoderne, le tribunal (international) est l'alternative/substitution de l'État. En d'autres termes, c'est le contraire du jugement de Hegel selon lequel "il n'y a pas de préteur parmi les États" [2]. Ici, au contraire, on suppose qu'il peut y en avoir un, et qu'il est capable d'appliquer (c'est-à-dire de faire appliquer) ses jugements, tout comme le font, au sein de l'État, la police et d'autres services et bureaux de l'État, en se prévalant du monopole (de l'État) quant à l'usage légitime de la force. On oublie cependant que c'est bien là le problème et non celui du jus dicere, tout comme les diverses expériences historiques qui le prouvent.

Mais ce type de guerre est-il vraiment juste ?

Et est-elle conforme aux véritables critères de justice ? Un examen historique peut contribuer à la réponse.

À l'aube du jus publicum europaeum, la théologie chrétienne, qui en a esquissé les principes, a identifié les exigences de la guerre juste dans l'autorité (légitime) de ceux qui la mènent (et la déclarent), dans le bon motif (de la guerre), dans la bonne intention et dans la bonne manière de la mener. La juste cause était comprise dans le sens juridique "classique", c'est-à-dire comme la protection des droits concrets violés. La nécessité (et la légitimité) de la guerre découlait alors de l'absence d'une autorité capable de régler les différends en réparant les violations des droits par un ordre efficace et applicable par les parties au différend. Dans cette construction juridique, il n'y a pas de place pour des "droits" abstraits, mais seulement pour des droits (très) concrets. Suarez, en énumérant des exemples de "causes justes" pour la guerre, fait presque une énumération des "actions" reconnues dans le droit romain pour la restauration des droits violés: occupation des provinces d'autrui (rivendica), entrave au transit (confessoria servitutis), ainsi que les blessures infligées au droit d'entretenir des relations économiques coutumières. Il s'agit de droits fondés sur l'histoire et la coutume, c'est-à-dire sur un ordre concret, au maintien et à la préservation duquel le recours à la guerre contribue.

L'évolution ultérieure a conduit à faire de la guerre juste, plutôt qu'un moyen de rétablir le droit, le moyen de préserver la puissance (la sécurité, l'équilibre) des États, et par conséquent de la communauté internationale, fondée sur le pluralisme des unités politiques. Ce n'est pas que la protection du droit (qui est en soi une puissance) ne constitue plus une cause juste, mais à côté, ou plutôt au-dessus, s'est ajoutée (et a prévalu) la raison de la défense de la puissance. Montesquieu en donne un exemple : "La vie des États est semblable à celle des hommes: ceux-ci ont le droit de tuer pour se défendre, ceux-là ont le droit de faire la guerre pour se conserver" et poursuit "Entre citoyens, le droit de légitime défense n'implique pas la nécessité de l'attaque. Au lieu d'attaquer, ils n'ont qu'à recourir aux tribunaux. Ils ne peuvent donc exercer ce droit de défense que dans des cas subjectifs, dans lesquels ils seraient perdus s'ils attendaient le secours de la loi. Mais au niveau des Etats, le droit de légitime défense implique quelquefois la nécessité d'attaquer, lorsqu'un peuple s'aperçoit qu'une paix plus longue donnerait à un autre État la possibilité de le détruire, et que l'attaque est à ce moment le seul moyen d'empêcher cette destruction" pour conclure: "Le droit de guerre dérive donc de la nécessité et d'un strict respect de la justice. Si ceux qui dirigent la conscience ou les conseils des princes ne se conforment pas à ces règles, tout est perdu; et, s'il faut les fonder sur des principes arbitraires de gloire, de bien-être, d'utilité, des flots de sang inonderont la terre" [3].

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Que le droit de guerre découle de la nécessité ne signifie rien de plus, puisque necessitas non habet legem, qu'il n'est pas nécessaire de rétablir un droit: au contraire, qu'en cas de nécessité, il est légitime de violer le droit.

La situation a changé avec la Révolution française : jusqu'alors, il était normal que les guerres soient un moyen de régler des conflits (de pouvoir ou de droit) entre des États qui se reconnaissaient et se respectaient. La conséquence en était l'intangibilité du droit interne et des États eux-mêmes. Les guerres se terminaient par la "remise" de quelques provinces ou (plus souvent) de quelques colonies qui laissaient l'ordre en l'état.

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Ce système a commencé à être ébranlé par la Révolution française: avec le décret La Révellière-Lépeaux de la Convention sur l'exportation des principes révolutionnaires, l'"indifférence" des événements de guerre à l'égard de l'ordre interne des États concernés a commencé à être ébranlée. De même, le respect de l'existence des États qui, pendant la période révolutionnaire et napoléonienne, s'est traduit par la création d'États entièrement nouveaux (les républiques-sœurs puis les États du système napoléonien), lesquels étaient politiquement homogènes avec le vainqueur, ce qui a porté une atteinte positive au droit "constituant" et originel de former une communauté.

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Kant écrit que contre l'ennemi injuste, les vainqueurs ne peuvent aller "jusqu'à se partager le territoire de cet État et à faire disparaître un État de la terre, car ce serait une véritable injustice à l'égard du peuple qui ne peut perdre son droit originel de former une communauté" [4]. Et ce qu'il dit pour la disparition des Etats s'applique également à la création de nouveaux Etats par le vainqueur. Ce qui est également intéressant, c'est qu'avec la formule "guerre aux châteaux, paix aux chaumières", l'exportation de principes formulés de manière abstraite a commencé et a été légitimée, étrangère aux communautés qui ont dû les importer de force et générant souvent une "nouvelle" forme de guerre, la guerre partisane (moderne) dans laquelle la communauté "importatrice", par le biais du mouvement de guérilla, ne pouvait pas être la seule à avoir le droit de former une communauté.

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La communauté importatrice, à travers le mouvement de guérilla, prend progressivement le caractère de l'ennemi (et du sujet belligérant), en tant que peuple en armes. Les formulations les plus radicales sont celles de Mao-tse-dong et la pratique associée est celle des guerres anticoloniales du 20ème siècle.

La conclusion de la Seconde Guerre mondiale l'a confirmé dans un contexte complètement différent: il était déjà écrit dans la Charte de l'Atlantique que les gouvernements des États-Unis et du Royaume-Uni déclaraient à l'époque qu'ils "respectent le droit de tous les peuples de choisir la forme de gouvernement sous laquelle ils désirent vivre, et souhaitent le rétablissement des droits souverains et du libre exercice du gouvernement à ceux à qui ils ont été enlevés par la force", comme cela a été confirmé à Yalta [5] "pour chaque État libéré en Europe, pour chaque ancien État satellite de l'Axe". Et ce, même si personne n'en avait exprimé l'intention.

La mise en œuvre de cette déclaration a consisté, comme on le sait, à ce que chacun des États libérés se dote d'une forme de constitution correspondant "à la couleur des uniformes des libérateurs (occupants)".

Le pouvoir constituant, tel qu'il était alors explicitement prévu pour la souveraineté, était (pour le moins) limité. Et l'on peut se demander, à ce stade, si limiter des pouvoirs en eux-mêmes illimités (comme, précisément, le pouvoir constituant et la souveraineté) ne revient pas à les nier à la base, comme le fait implicitement la doctrine de l'État moderne de Sieyès à Victor Emmanuel Orlando.

Quant aux tribunaux pénaux internationaux, institutions qui se sont généralisées au siècle dernier, pour juger l'ennemi vaincu (par les vainqueurs), ils étaient totalement inconnus, car rejetés par le jus publicum europaeum, dans lequel le principe in parem non habet jurisdictionem était en vigueur. Ainsi, entre États souverains, l'un ne pouvait juger l'autre (et cela valait aussi bien pour les organes "faîtiers" que pour les autres); en outre, Kant considérait que la "clause d'amnistie" (réciproque) entre les parties contractantes était inhérente à tout traité de paix. Ce qui frappe le plus dans cette pratique (consolidée pendant des siècles), c'est son réalisme qui l'adapte, bien mieux que le pan-juridisme contemporain, à l'ordre concret des communautés dotées de droits et de dignités égaux. En premier lieu, parce que le problème de la justice (et du droit) en termes concrets se pose: l'activité du juge n'est pas un simple énoncé de normes, mais l'application de normes à un fait concret: même des normes justes et acceptées si elles sont appliquées de manière sélective, ou par un juge non partial, ou si elles aboutissent à des jugements inapplicables, ne possèdent pas les caractéristiques communément attribuées à la justice, ni l'utilité réelle de la justice.

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Les caractéristiques communes de ces tribunaux sont: (toujours) que l'accusé coïncide avec le vaincu; (très souvent) que les juges sont les vainqueurs; que pour des raisons pratiques (c'est-à-dire pour conformer le nouvel ordre à la situation de fait -et de pouvoir- créée à la suite de la guerre), les décisions des tribunaux n'ont aucune incidence. La fonction dominante est liturgique: revêtir des habits solennels de la justice ce qui a été décidé pendant la guerre, en disqualifiant moralement l'ennemi vaincu. Ils sont par essence l'autodafé à l'ère de la mondialisation.

Mais que la nécessité à résoudre ait déjà été résolue avec la guerre, dont l'issue est en réalité la "conformité" à l'ordre, et que le jugement du tribunal n'y ajoute ni n'y retranche rien, c'est évident. Contrairement à celui d'un juge "interne" dont la décision est essentielle pour les droits (et la vie) du jugé.

Ces deux "innovations" ont en commun le caractère "démocratique" que l'État et la guerre moderne ont acquis au cours des deux derniers siècles. Ainsi, la démocratie, considérée comme un bien précieux par les peuples qui ont lutté pour l'acquérir, serait un cadeau - tout aussi important - pour ceux qui n'en ont jamais rêvé. Mais, très probablement, ils ne l'ont pas fait parce qu'ils ne la considéraient pas si précieuse qu'elle valait la peine d'une guerre ou d'une révolution. En outre, et plus encore, les guerres "d'exportation" et les tribunaux internationaux sont liés à une aspiration (illusion) à la paix. On considère qu'il est préférable d'avoir des gouvernements démocratiques au pouvoir dans d'autres pays parce qu'ils sont jugés moins enclins à la guerre; et les tribunaux seraient le moyen de préserver la paix en punissant ceux qui la violent.

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Mais pour ce qui est du premier point, l'histoire montre que les démocraties ne sont pas moins bellicistes que les autres formes d'État: en fait, elles le sont même davantage en termes d'intensité de la guerre. Déjà en décrivant le caractère de l'Athénienne, Périclès, dans le discours rapporté par Thucydide [6], jette la main, pour ainsi dire, sur ses exploits (et ses vertus) guerriers. Plus encore, à l'époque moderne, la démocratie s'est (le plus souvent) combinée avec la levée en masse et l'intensification de l'hostilité.

Mais si, pour la démocratie, on peut encore espérer que l'aspect "moderne" de celle-ci l'emporte (selon la distinction bien connue de Benjamin Constant), c'est-à-dire l'élément libéral, la tolérance, l'esprit de commerce qui conditionne de toute façon l'esprit de conquête, pour le remède des tribunaux, aucun espoir raisonnable n'est en vue.

Car dans ce cas, il s'agit essentiellement de remplacer la politique (et le politique) par le droit. C'est une vieille recette, qui ne peut fonctionner que si le tribunal prend des connotations politiques, c'est-à-dire qu'il cesse d'être un organe (purement) judiciaire et devient - sur le plan organisationnel et fonctionnel - une unité politique ou un organe de ce dernier. C'est-à-dire capable d'utiliser la force (donc avec une organisation spéciale) et donc d'être un "pouvoir" au sens wébérien, c'est-à-dire capable de faire respecter - concrètement - ses ordres. Ceux qui croient cela pensent avoir inventé la politique sans (les moyens de) la force. Un Prince tout renard et non pas lion. Un sujet qui n'est pas encore apparu dans l'histoire, et qui, étant contraire à une conception réaliste de l'homme, ne semble pas pouvoir y apparaître un jour. Aussi parce que si la Cour utilise la force des Etats, c'est elle, et non le jugement, qui déterminera la relation réelle entre la justice internationale et l'Etat (ou les Etats) exécutant(s): puisque l'exécution des jugements est le fait décisif, ce sera la capacité ou la volonté de le faire qui déterminera la possibilité de ce qui compte vraiment; que la décision soit observée et passe de l'imaginaire normatif à l'ordre concret, en s'y conformant.

En outre, le rationalisme qui sous-tend la doctrine de l'État moderne a construit comme son "mode d'emploi" la Raison d'État. La "raison d'État" était fondée - et c'était l'une de ses conséquences - à la fois sur la sécularisation, se configurant (également) comme une séparation/limitation entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, et sur l'autonomie du politique, sur son extranéité/indifférence par rapport aux autres sphères de l'expérience humaine.

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L'objectif spécifique de la politique était également déterminé par ce dernier: la protection, la sécurité et le bien-être de la communauté de référence, avec l'exclusion - ou le passage à l'arrière-plan - des objectifs de nature religieuse ou morale. Si un pape du Moyen Âge pouvait proclamer une croisade, il n'en va pas de même pour un monarque absolu de l'époque moderne, dont la fonction spécifique est celle mentionnée ci-dessus, et non de promouvoir la diffusion d'une foi ou d'une morale. Il en va différemment, mais seulement en partie, pour le (ou les) droit(s): dans ce cas, la protection de ceux-ci, s'ils correspondent à un intérêt de l'État, est la tâche de l'État lui-même. Cependant, selon la doctrine du jus publicum europaeum, le terme "droit" signifie dans ce cas le droit appartenant à l'État et à ses sujets ; d'autre part, il est exclu [7] qu'il soit justa causa belli de protéger des droits qui n'appartiennent pas à son propre État ou à ses propres sujets. Ce qui, dans les "guerres pour la démocratie", est sacrifié à un altruisme démesuré, et dont l'effet probable (et visible) est de multiplier les conflits (les justae causae).

C'est précisément ce que la rationalité des juristes-théologiens (voir note 7 ci-dessus) de la Contre-Réforme cherchait à éviter.

En ce sens, cette conception était conforme à la théorie de la Raison d'État: qui n'est pas une conception juridique (bien qu'elle ait de grandes répercussions juridiques) en ce sens qu'elle ne repose pas sur le concept de droit, mais plutôt sur le concept d'intérêt: il incombe à l'État de protéger l'intérêt (public-général) de la communauté politique (salus rei publicae suprema lex). Ce qui est conforme à cet intérêt est licite et doit être fait. En revanche, dans le cas des "guerres démocratiques", la lex suprema de l'intérêt de l'État finit, précisément dans les situations d'exception, par passer à l'arrière-plan; et au premier plan se trouve plutôt une justice abstraite, promouvant des droits dont il n'est pas clair si et dans quelle mesure les "protégés" aspirent à en jouir (et combien ils veulent sacrifier pour cela). L'objectif de la politique et de l'État n'est plus principalement le bien commun de l'État et de la communauté, mais l'affirmation et la protection de droits (abstraits) ou d'un régime politique.

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Certes, les intérêts de l'État et la défense des démocraties libérales peuvent coïncider, comme dans l'aide apportée par Roosevelt à la Grande-Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale, avant même l'entrée en guerre des États-Unis [8]; mais le fait que le motif idéologique soit extériorisé et celui de la puissance dissimulé, confirme, et constitue une application sui generis, de la théorie parétienne des résidus et des dérivations, comme de l'oubli de la leçon de Thucydide [9] selon laquelle le premier déterminant de l'action politique est (la défense, la préservation, l'accroissement de) la puissance.

La preuve en a été faite, à maintes reprises, pendant la guerre froide: les États-Unis ont très souvent laissé faire, voire soutenu et eu pour alliés des régimes politiques qui n'avaient pas meilleure réputation en termes de démocratie que les régimes soviétiques, c'est-à-dire la même réputation que celle de véritables ennemis.

Un choix aussi politiquement correct qu'idéologiquement contradictoire.

En effet, les exemples cités ci-dessus démontrent le caractère essentiel de la bonne perception de l'ennemi. Si l'ennemi est perçu comme tel parce qu'il a un ordre différent, un régime politique différent ou d'autres valeurs de référence, comme la politique (et l'ordre international) est un plurivers de communautés humaines différentes, chaque peuple, auquel on reconnaît en soi le droit de se donner l'ordre qu'il préfère, devient, du seul fait de l'ampleur des différences, un ennemi. Il le devient parce que son mode d'existence politique et sociale n'est pas homogène avec celui de la (ou des) puissance(s) "dominante(s)". Il est un ennemi non pas en raison des actions qu'il accomplit (à la limite des actions qu'il peut accomplir) mais seulement parce qu'il existe d'une certaine manière: dans ce cas, les "guerres pour la démocratie" deviennent facilement le moyen de promouvoir l'homogénéisation politique, qui à son tour peut conduire non pas tant à la mondialisation (politique) qu'à la construction d'une nouvelle entité politique, impériale et non étatique, avec des règles, des formes, des types de comportement que nous ne connaissons pas encore, mais dont on entrevoit quelque chose. En particulier, on peut entrevoir la perte (partielle) de l'impénétrabilité de l'État, dont les frontières marquaient la limite entre l'intérieur et l'extérieur, entre l'ordre interne et l'ordre international.

D'autre part, un tel critère de choix de l'ennemi conduit à contredire la première règle de l'action politique, qui est de réduire le nombre d'ennemis possibles. Cette règle s'est exprimée dans l'histoire de multiples façons, tant au niveau de la politique intérieure qu'internationale: de la pratique politique du Sénat romain, dont la maxime constante était de diviser les peuples [10] potentiellement ennemis (diviser pour régner), au précepte "jamais de guerre sur deux fronts" de la stratégie allemande au siècle dernier, violé à deux reprises, avec les résultats que l'on sait. Si l'on ajoute à l'ennemi réel (c'est-à-dire celui qui l'est par les actions et les contrastes de pouvoir et d'intérêts) celui (ou ceux) qui le sont par les différences d'idéaux, la règle est définitivement violée.

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Les "guerres démocratiques" apparaissent ainsi comme la négation de certaines idées propres à l'État et à la politique modernes, telles qu'elles ont été définies à partir de la Renaissance, grâce à la forme particulière d'unité politique de l'époque post-médiévale, à savoir l'État, mais anticipées et en tout cas pratiquées depuis des millénaires.

C'est précisément l'État qui est la première victime de ce changement de perspective. Ses traits saillants: la distinction entre l'intérieur et l'extérieur, le temporel et le spirituel, l'impénétrabilité, le monopole du politique (et de la violence légitime) sont plus ou moins contredits par la diffusion des "guerres pour la démocratie". La conséquence en est l'imposition d'un régime politique, avec ses institutions et ses valeurs de référence, d'une prétention à la perméabilité des frontières, et donc à une souveraineté limitée sur son propre territoire, où s'affrontent différents pouvoirs (de commandement). Tout cela est incompatible avec le jus publicum europaeum. Celui-ci a été fondé sur la tentative (réussie pendant des siècles) de faire vivre ensemble des peuples différents. A cela a succédé l'actuelle tentative de le faire avec des peuples (relativement et artificiellement) homogènes, au prix d'un accroissement du pouvoir "supranational".

Certes, la démocratie repose sur une certaine homogénéité des peuples, mais il s'agit là d'un présupposé, non d'une conséquence du choix du régime politique [11]; et, de toute façon, il s'agit ici de relations extérieures entre États, non de relations intérieures entre les différentes composantes d'une communauté. À moins qu'il ne s'agisse des prémisses de l'établissement d'une nouvelle forme politique impériale, dans laquelle les relations entre États sont remplacées par celles à l'intérieur de l'empire. Dans ce cas, la logique interne/externe (et autres) aurait un sens différent, qui reste à écrire.

Cependant, étant donné que les formes politiques impériales étaient (principalement) caractérisées par la répartition du jus belli entre les différents sujets de l'unité politique, il reste à voir si un avenir d'union entre des États (institutionnellement) homogènes est plus pacifique que la coexistence entre des États différents, sur laquelle reposait le jus publicum europaeum.

Notes:

[1] V. Du Pape, II, 1, trad. it. par A. Pasquali, Milan 1995, p. 155).

[2] Grundlinien der Philosophie des rechts, § 313.

[3] Ésprit des lois, X, 2, trad. it. 1965, pp. 247-248.

[4] I. Kant, Metaphysik der Sitten § 61.

[5] Voir sur ce point Jeronimo Molina Cano, La costituzione come colpo di Stato, in Behemoth n° 38, juillet-décembre 2005.

[6] La guerre du Péloponnèse, II, 35-47.

[7] Voir par exemple. Suarez De Charitate- De Bello, Sectio IV "Unde, quod quidam aiunt, supremos reges habere potestatem ad vindicandas iniurias totius orbis, est omnino falsum, et confundit omnem ordinem, et distinctionem iurisdictionum : talis enim potestas, neque a Deo data est, neque ex ratione colligitur" ; voir aussi Bellarmin maintenant dans Scritti politici, Bologne 1950, p. 260.

[8] La phrase bien connue du président, selon laquelle les États-Unis seraient "l'arsenal des démocraties", n'exprimait pas le fait que l'intérêt des États-Unis était d'aider la Grande-Bretagne et de contenir l'Allemagne et le Japon, même si les régimes politiques de ces trois puissances ne l'étaient pas.

[9] Voir la célèbre ambassade des Athéniens auprès du peuple de Mélos.

[10] V. Montesquieu Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, ch. VI.

[11] La dernière tentative de former une unité politique entre musulmans et chrétiens, turcs et slaves, protestants et orthodoxes a été le Traité d'Union prévu par Gorbatchev et qui s'est terminé comme chacun sait. Nous renvoyons à ce sujet à notre article Du communisme au fédéralisme, paru dans L'Opinione - juin 1991.

mardi, 20 juin 2023

La tentation malsaine du "marxisme occidental"

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La tentation malsaine du "marxisme occidental"

par Greg Godels (*)

Source: https://www.sinistrainrete.info/marxismo/25743-greg-godels-la-malsana-tentazione-del-marxismo-occidentale.html

L'histoire du marxisme trouve son reflet dans celle de l'antimarxisme - les courants intellectuels qui se présentent comme le véritable marxisme.

Avant même que le marxisme ne constitue une idéologie cohérente, Marx et Engels ont consacré une partie souvent négligée de leur Manifeste communiste de 1848 à démolir les idéologies rivales qui aspiraient à représenter le véritable socialisme.

Alors que le mouvement ouvrier s'efforçait de trouver un système de pensée susceptible d'inspirer sa réaction au capitalisme, les idées de Karl Marx et Friedrich Engels ont progressivement gagné les travailleurs, les paysans et les opprimés. Cette victoire n'a pas été facile à remporter. Le libéralisme - l'idéologie dominante de la classe capitaliste - avait aidé la lutte des ouvriers et des paysans contre la tyrannie absolutiste.

Une fois le capitalisme et les institutions libérales consolidés, l'anarchisme - l'idéologie de la petite bourgeoisie désillusionnée - a commencé à défier le marxisme pour la direction du mouvement ouvrier. Cependant, les anarchistes, qui professaient contradictoirement un individualisme extrême et une démocratie utopique dérivée du capitalisme, tout en manifestant une haine féroce pour les institutions et les structures économiques du capitalisme, n'ont pas été en mesure d'offrir une issue viable à la lourde oppression capitaliste.

Avec la prise du pouvoir par le bolchevisme en 1917, le mouvement ouvrier s'est trouvé face à un exemple de socialisme authentique et existant, dirigé par des marxistes authentiques et avoués - un puissant phare montrant la voie à suivre dans la lutte contre le capitalisme.

La victoire de la révolution russe a consolidé le rôle du marxisme en tant que voie la plus prometteuse pour la majorité des exploités, et celui du léninisme en tant que seule idéologie victorieuse pour le changement révolutionnaire et le socialisme. Aujourd'hui encore, le léninisme reste la seule voie éprouvée vers le socialisme.

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Cependant, peu après la révolution, des "marxismes" rivaux sont apparus.

L'échec des révolutions européennes ultérieures en dehors de la Russie, en particulier la révolution allemande, a conduit au détachement de nombreux intellectuels, tels que Karl Korsch et György Lukács, qui ont émis l'hypothèse d'une voie différente et prétendument meilleure vers la révolution prolétarienne. Les critiques et les détracteurs du léninisme, forts du soutien matériel que leur apportaient divers bienfaiteurs, de leur nomination à l'université et de l'appui de nombreuses personnes désireuses de consommer la trahison de classe, ont ainsi commencé à se multiplier.

C'est surtout en Occident - en Amérique du Nord et en Europe - où la classe ouvrière était importante et se développait rapidement, que la dissidence, la trahison de classe et l'opportunisme sont apparus comme des forces perturbatrices au sein du mouvement communiste mondial - des forces que les classes dirigeantes capitalistes étaient heureuses de favoriser. Les jeunes, les travailleurs non qualifiés, les intellectuels en herbe et les éléments déclassés étaient particulièrement vulnérables aux sirènes de l'indépendance, de la pureté, de l'idéalisme et des valeurs libérales. L'argent, les opportunités de carrière et la célébrité étaient à la portée de ceux qui étaient prêts à vendre ce genre d'idées.

En réalité, tous les critiques du marxisme-léninisme - c'est-à-dire du communisme révolutionnaire - n'étaient pas ou ne sont pas de mauvaise foi ou sans mérite ; si nous voulons être honnêtes, nous devons cependant reconnaître qu'aucun véritable partisan du renversement du capitalisme n'a jamais pu aspirer à un rôle de premier plan, à la célébrité ou à la prédominance médiatique dans l'Occident capitaliste. Tout au plus peut-il constituer une curiosité, ou un pion exhibé pour sauver les apparences - une marionnette.

Et inversement, toute figure intellectuelle ou politique qui gagne effectivement en importance ou en influence ne peut constituer une véritable menace existentielle pour le capitalisme lorsque le chemin vers l'importance et l'influence est patrouillé par les gardiens du capitalisme.

Malgré cela, le mouvement syndical a toujours été en proie à des tendances idéologiques ou à des modes qui divisent et qui sont promues par des acteurs indépendants qui, intentionnellement ou non, se laissent exploiter par la classe capitaliste et jouent son jeu.

En Occident, il est presque impossible pour un jeune radical de résister à la tentation exercée par un véritable marché idéologique de théories prétendument anticapitalistes ou socialistes qui se disputent sa loyauté. Après la fin du socialisme réel et sans fioritures de l'Union soviétique, la désorientation de nombreux partis communistes et ouvriers a rendu cette concurrence des idées encore plus confuse.

Il est clair que le mouvement ouvrier, le mouvement socialiste révolutionnaire, a besoin d'être guidé pour échapper aux distractions, aux fausses théories et aux idéologies contrefaites. Le fait que des néophytes politiques se perdent dans une galerie marchande où l'on vend des idéologies spécieuses et fantastiques est une grande tragédie, surtout lorsque ces idées sont déguisées en marxisme.

* * * *

Heureusement, une nouvelle génération de penseurs marxistes défie les sirènes du faux marxisme, en particulier ce que l'on appelle le "marxisme occidental". Un article positif de Wikipedia offre peut-être la meilleure définition que l'on puisse souhaiter de cette expression : "L'expression désigne un ensemble peu cohérent de théoriciens qui ont promu une interprétation du marxisme qui diffère autant du marxisme classique et orthodoxe que du marxisme-léninisme soviétique". La définition ne pourrait être plus claire : le marxisme occidental peut être tout sauf le marxisme-léninisme qui a animé les partis révolutionnaires des travailleurs depuis la révolution bolchevique !

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Le 21 novembre 2022, l'historien et journaliste marxiste Vijay Prashad a donné un séminaire à la Marx Memorial Library au cours duquel il a fustigé le marxisme occidental des années 1980 :

À cette époque, une attaque de grande envergure a été lancée contre le marxisme, menée par l'éditeur londonien New Left Books (aujourd'hui Verso Books), qui a publié Hegemony and Socialist Strategy d'Ernesto Laclau et Chantal Mouffe en 1985. Ce livre a prodigieusement exploité les travaux d'Antonio Gramsci pour lancer une attaque contre le marxisme et promouvoir ce que les auteurs ont appelé le "post-marxisme". Post-structuralisme, post-marxisme, post-colonialisme : tel est le ton dominant de la littérature académique produite dans les pays occidentaux depuis les années 1980... Surtout depuis l'effondrement de l'Union soviétique, notre capacité à contrer ce dénigrement du marxisme mené au nom du post-marxisme s'est avérée extrêmement faible... Lorsqu'ils [Laclau et Mouffe] parlent d'"agence", de "sujet", etc., ils montrent qu'ils ont essentiellement abandonné l'héritage interprétatif de l'économie politique, revenant à une époque pré-marxiste ; en fait, ils ne sont pas allés de l'avant, au-delà du marxisme, mais en arrière, à l'époque qui a précédé le marxisme. (Viewing Decolonisation through a Marxist Lens, publié dans Communist Review, hiver 2022/2023)

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Prashad place les travaux influents de Hardt, Negri, Deleuze et Guattari dans la même veine post-marxiste.

Il dresse un bilan négatif du tournant multiculturaliste, car il a "essentiellement enlevé le mordant de la critique anticoloniale et antiraciste ; globalement, nous avons assisté à la montée de la pensée "postcoloniale" et même de la "décolonialité" - comme dans : nous examinons le pouvoir, nous examinons la culture, mais nous n'examinons pas l'économie politique qui structure la vie quotidienne et le comportement et reproduit la mentalité coloniale ; cela doit rester en dehors du débat...". C'est ainsi que nous sommes entrés dans une sorte de marécage académique dans lequel le marxisme, pour ainsi dire, n'avait pas le droit d'entrer".

Prashad aurait également pu citer l'intrusion dans le marxisme de la théorie du choix rationnel qui s'est produite dans les années 1980 - une analyse tout à fait gratuite de la théorie marxiste menée à travers le prisme de l'individualisme méthodologique et de l'égalitarisme libéral. Un représentant prestigieux de ce que l'on appelle aujourd'hui le "marxisme analytique" a entrepris de démolir le solide concept marxiste d'exploitation en "démontrant" que si l'inégalité est une condition initiale, il est logique que l'inégalité se reproduise - une déduction plutôt triviale, qui ne contribue guère à la compréhension de l'évolution historique du concept d'exploitation de la main-d'œuvre...

Prashad aurait également pu mentionner l'influence persistante exercée sur la théorie marxiste - dans les années 1980 et par la suite - par le relativisme postmoderne, qui vise à démolir complètement l'idée que le marxisme est la science de la société. Pour les postmodernes, le marxisme ne peut être au mieux qu'une interprétation rivale de la société parmi d'autres, qui a sa propre cohérence au sein des cercles marxistes, mais dont toute prétention à l'universalité est niée. Les postmodernes nient en outre la possibilité de parvenir à une théorie globale valable du capitalisme, à un "méta-récit" capable de retracer la trajectoire d'un système socio-économique. S'il n'est pas possible de souligner ici les défauts de cette théorie, on peut rappeler que la regrettée historienne marxiste Ellen Meiksins Wood a dénoncé cette tendance académique avec une grande clarté.

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Une autre excellente critique contemporaine du marxisme occidental est offerte par les travaux de l'écrivain marxiste Gabriel Rockhill. Rockhill démolit habilement et radicalement l'école néo-marxiste de Francfort, et en particulier ses représentants les plus célèbres - Horkheimer, Habermas, Adorno et Marcuse - en démasquant ses liens avec divers sponsors. Ceux qui ont payé les factures ont obtenu des idéologies favorables en retour - un schéma que l'on retrouve souvent chez les partisans du marxisme occidental.

Rockhill démonte également sans pitié le faux marxiste le plus en vue actuellement, Slavoj Žižek. Dans un billet précédent, j'ai déjà eu le plaisir de faire l'éloge de la manière dont Rockhill a dégonflé le gigantesque ego de Žižek. Le démasquage de l'École de Francfort par Rockhill et la démolition du culte de Žižek constituent des lectures clés dans la bataille contre le marxisme occidental.

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Plus récemment, le philosophe Carlos L. Garrido s'est engagé dans un duel ambitieux avec le marxisme occidental dans son livre The Purity Fetish and the Crisis of Western Marxism, Midwestern Marx Publishing Press, 2023. L'argument central de Garrido est l'idée qu'au cœur de l'attaque des marxistes occidentaux contre le marxisme-léninisme se trouve un "fétichisme de la pureté". Cette thèse pointue et originale encadre efficacement un trait commun à toutes les stars de l'anticommunisme de gauche occidental : de Friedrich Ebert à Slavoj Žižek, tous ces "marxistes" ont hypocritement insisté sur le fait que les révolutionnaires sont tenus d'adopter des normes de gouvernance démocratique, de perfection judiciaire, de non-violence et de perfection politique supérieures à toute réalité existant dans la société bourgeoise ou raisonnablement réalisable dans une société révolutionnaire qui ne soit pas purement fantaisiste.

Les marxistes occidentaux n'ont aucune difficulté à passer sous silence l'histoire criminelle du capitalisme en matière de génocide, de déni de démocratie et d'exploitation, tout en reprochant aux partisans de Fidel d'avoir réglé leurs comptes avec quelques centaines de tortionnaires de Batista. Ils déplorent les grands changements introduits par les communistes soviétiques et chinois dans l'agriculture pour éviter les famines fréquentes qui ravageaient leurs pays, au motif que ces changements ont malheureusement coïncidé avec de graves famines - comme si les grands changements positifs étaient capables d'échapper aux catastrophes naturelles, ce qui ne peut se produire que dans leur imagination.

Ils ferment les yeux sur les coûts humains imposés à l'humanité par la résistance des élites dirigeantes aux grands changements, tout en dénonçant les révolutionnaires qui aspirent à ces changements et osent œuvrer pour un avenir meilleur. Le marxisme occidental minimise les grands succès obtenus par le socialisme réel, tout en dénonçant sans relâche les erreurs commises dans la construction du socialisme. Garrido met clairement en évidence les erreurs et les souffrances qu'implique inévitablement la construction d'un monde nouveau, libéré des griffes impitoyables du capitalisme.

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L'auteur observe :

C'est le genre de "marxisme" que l'impérialisme aime - ce que l'agent de la CIA Thomas Braden appelait "la gauche compatible". C'est ce "marxisme" qui sert d'avant-garde à une contre-hégémonie contrôlée.

Le résumé est donc éloquent :

Pour les marxistes occidentaux, le socialisme est, pour citer Marx, une question purement académique. Ils ne s'intéressent pas à la lutte réelle, au changement du monde, mais à la purification incessante d'une idée, destinée à être débattue par d'autres marxistes enfermés dans leur tour d'ivoire et à servir d'étalon pour évaluer le monde réel. L'étiquette "socialiste" ou "marxiste" est simplement utilisée comme une identité contre-culturelle et "branchée", reléguée en marge de la société réelle. C'est à cela que se réduit le marxisme en Occident : une identité individuelle.

J'ajouterais qu'une autre tendance typique des marxistes occidentaux est d'investir massivement dans le socialisme des autres. Au lieu de se référer à la classe ouvrière de leur propre pays, les marxistes occidentaux s'engagent dans des luttes "ersatz" pour le socialisme par le biais de mouvements de solidarité, en choisissant les batailles les plus "pures" et en discutant par procuration des mérites des différents socialismes.

Garrido approfondit le thème du "socialisme en tant qu'investissement identitaire" :

    - Dans le contexte du traitement hyper-individualiste du socialisme en tant qu'identité personnelle mis en œuvre en Occident, la pire chose qui puisse arriver à ces "socialistes" serait, précisément, la réalisation du socialisme. Elle impliquerait en effet la destruction totale de leur identité marginale et contre-culturelle. Leur aliénation absolue des masses laborieuses de leurs pays peut être interprétée en partie comme une tentative de rendre les idéaux socialistes si marginaux qu'ils ne pourront jamais conquérir les travailleurs - et par conséquent ne pourront jamais conquérir le pouvoir politique.

    - La victoire du socialisme entraînerait une perte d'individualité, une destruction de l'identité du socialiste au sein du capitalisme. Le socialisme occidental est fondé sur une identité qui déteste l'ordre existant, mais qui déteste encore plus la perte d'identité qu'impliquerait le dépassement de cet ordre.

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Garrido ne se contente pas de disséquer magistralement le marxisme occidental. En effet, il consacre également beaucoup d'attention à la critique du marxisme occidental à l'égard de la République populaire de Chine dans un chapitre intitulé "La Chine et le fétichisme de la pureté du marxisme occidental". Bien entendu, il a raison de déplorer la collaboration sans scrupules du marxisme occidental avec les idéologues bourgeois pour condamner toutes les politiques et initiatives mises en œuvre par la Chine populaire depuis la révolution de 1949. Comme dans le cas de l'URSS, toute évaluation honnête et raisonnée de la trajectoire de la Chine populaire ne peut que voir en elle - avec toutes ses limites - une étape positive dans le voyage de l'humanité vers le nécessaire dépassement du capitalisme.

En tant qu'anti-impérialistes, nous devons défendre le droit de la République populaire de Chine (et d'autres pays) à choisir sa propre voie.

Et en tant que marxistes, nous devons défendre le droit du parti communiste chinois à choisir sa propre voie vers le socialisme.

Cependant, Garrido va plus loin en se lançant dans une apologie passionnée mais partiale du socialisme chinois. Pour un partisan radical de la méthode dialectique, il s'agit là d'un curieux dérapage. Comme le souligne le prestigieux marxiste R. Palme Dutt, la question essentielle pour un matérialiste dialectique est "Où va la Chine ?", et non "La République populaire de Chine coïncide-t-elle ou non avec une forme pure et platonicienne de socialisme ?

Une évaluation plus équilibrée de la République populaire de Chine devrait tenir compte de l'importance de la base du Parti communiste, essentiellement composée de paysans, à l'époque de sa fondation, de sa relation avec le nationalisme chinois et des fortes tendances volontaristes qui caractérisent la pensée de Mao Zedong. Elle devrait tenir compte de la fracture qui s'est ouverte dans les années 1960 au sein du mouvement communiste mondial et du rapprochement de la Chine avec les éléments les plus réactionnaires du pouvoir américain dans les années 1970, couronné par l'aide matérielle honteuse apportée aux marionnettes américaines et sud-africaines pendant les guerres de libération de l'Afrique du Sud. La Chine populaire a financé Jonas Savimbi et l'UNITA pendant que des internationalistes cubains mouraient en les combattant, eux et leurs alliés de l'apartheid. Ce qui soulève la question suivante : la Chine populaire pourrait-elle faire davantage pour aider Cuba à faire face au blocus imposé par les États-Unis, comme l'Union soviétique l'a fait dans le passé ?

Une évaluation honnête devrait inclure l'invasion du Viêt Nam par la Chine populaire en 1979 et sa défense inconditionnelle des Khmers rouges. Tous ces éléments ne peuvent manquer d'avoir une incidence sur l'évaluation de la voie chinoise vers le socialisme.

Ces réalités inconfortables font qu'il est difficile de souscrire à l'affirmation de Garrido selon laquelle la République populaire de Chine a été "un phare dans la lutte anti-impérialiste".

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Aujourd'hui, bien sûr, la situation est tout à fait différente. Mon opinion personnelle est que les dirigeants du parti communiste chinois - pour reprendre une image typique du maoïsme classique - "chevauchent le tigre" d'un important secteur capitaliste. On peut débattre de la qualité de leur action, mais elle n'en est pas moins efficace. Il y a de nombreux signes prometteurs, mais aussi des signes inquiétants.

Quoi qu'il en soit, les camarades critiques ou sceptiques à l'égard de la voie chinoise ne méritent pas d'être sommairement jetés dans la poubelle du marxisme occidental.

Là où Garrido fait mouche avec son "fétichisme de la pureté", c'est dans son analyse de l'organisation socialiste aux États-Unis. L'auteur jette un regard critique sur le caractère de classe d'une grande partie de la gauche américaine, en soulignant sa matrice petite-bourgeoise et l'influence des idées petites-bourgeoises. Il identifie les vecteurs de ces idées dans le monde universitaire, les médias et les ONG. L'idéologie petite-bourgeoise trouve un soutien supplémentaire dans les entreprises à but non lucratif et, bien sûr, dans le parti démocrate.

La tendance petite-bourgeoise de la gauche américaine renforce son attitude hypercritique à l'égard des mouvements qui tentent de construire concrètement un avenir socialiste. Chaque fois que les socialistes ou les radicaux d'orientation socialiste sont confrontés aux énormes obstacles auxquels ils sont confrontés, de nombreux gauchistes les accusent d'être liés à des idéaux libéraux chevaleresques qui sont aussi irréalistes que garants d'échec. Garrido ridiculise l'insistance sur la pureté révolutionnaire : "...le problème est que les choses, dans le monde réel appelées socialisme, n'étaient pas vraiment du socialisme ; le socialisme en réalité est cette idée merveilleuse qui existe sous sa forme pure dans mon esprit...".

Le fétichisme de la pureté des classes moyennes infecte les radicaux qui méprisent les travailleurs en les qualifiant d'"arriérés" ou de "misérables". Garrido contrecarre cette obsession de la pureté en recourant à une magnifique citation de Lénine : "Nous pouvons (et devons) commencer à construire le socialisme non pas avec un matériel humain fantastique, spécialement créé, mais avec le matériel que le capitalisme nous a légué".

Sur la question du vote de la classe ouvrière en faveur de Trump, Garrido n'écarte pas la gauche américaine : ...elle ne réalise pas qu'implicitement, dans ce vote, il y a un désir de quelque chose de nouveau, quelque chose que seul le mouvement socialiste pourrait offrir - certainement pas Trump ou un quelconque parti bourgeois. Au contraire, il ne voit dans ce bloc de la classe ouvrière rien de plus qu'une masse de racistes, une menace "fasciste" qui ne peut être vaincue qu'en renonçant à la lutte des classes et en rejoignant les démocrates. Aussi stupide que cela puisse paraître, c'est la ligne qui domine le mouvement communiste contemporain aux États-Unis.

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Tous les gauchistes ne peuvent être blâmés pour cet échec, mais l'accusation fait mouche.

Enfin, Garrido critique la tendance d'une grande partie de la gauche américaine à rejeter sans appel toutes les tendances progressistes et les succès qui ont marqué l'histoire des États-Unis. De nombreux membres de la gauche minimisent les luttes héroïques menées tout au long de l'histoire des États-Unis en la dépeignant comme une succession ininterrompue de réaction, de racisme et d'impérialisme. Garrido met le doigt sur le problème lorsqu'il voit dans cette tendance un exemple de fétichisme de la pureté dans le négatif - en dénonçant chaque page de l'histoire américaine comme étant désespérément en faillite et bidon, "...les marxistes fétichistes de la pureté augmentent encore leur manque de pertinence dans la création des conditions subjectives de la révolution en s'isolant complètement des traditions que les masses américaines ont fini par s'approprier".

C'est sans doute vrai, mais il faut rappeler qu'il y a toujours un risque que l'histoire américaine soit célébrée avec tant d'ardeur que l'ardeur patriotique finisse par éclipser l'héritage de cruauté et de carnage sanglant qui pèse sur ce pays. Par exemple, à l'époque du Front populaire, le slogan "Le communisme est l'américanisme du 20ème siècle" promu par le dirigeant communiste Earl Browder signalait un surinvestissement dans l'américanisme en termes de justice sociale et un sous-investissement dans le communisme.

L'histoire et la tradition des États-Unis sont contradictoires, et un marxiste devrait toujours souligner cette contradiction - un héritage composé de changements sociaux grandioses et historiques et, en même temps, d'actes horribles et inhumains. Les origines de ce pays partagent un passé tragique de colonialisme et de colonisation avec des pays comme l'Australie et l'Afrique du Sud, en termes de génocides perpétrés contre les peuples indigènes. Les colons eux-mêmes ont introduit ou toléré l'exploitation brutale des Africains réduits en esclavage. Nous pouvons blâmer la classe dirigeante américaine, mais l'histoire des États-Unis est aussi faite de cela.

En même temps, la révolution américaine a été la plus radicale de son temps, et chaque génération successive a engendré un mouvement qui aspirait à corriger les erreurs du passé ou à élargir les horizons du progrès social. L'histoire du peuple américain est marquée par une guerre civile pour l'émancipation, l'élargissement du droit de vote, les conquêtes des travailleurs contre les entreprises, l'État-providence, les retraites et une myriade d'autres jalons.

En réfléchissant et en écrivant sur le bicentenaire de la Révolution française (Echoes of the Marseillaise), l'historien marxiste Eric Hobsbawm n'a pu s'empêcher d'être frappé par le peu d'influence que la Révolution américaine a eu globalement sur les changements sociaux du 19ème siècle. Selon lui, les réformateurs et révolutionnaires de l'époque étaient plus enclins à voir un point de départ "dans l'Ancien Régime français que dans les colons libres et les esclavagistes d'Amérique du Nord". Il ne fait aucun doute que la tache représentée par le génocide des peuples indigènes et l'esclavage brutal a influé sur cette attitude.

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Les remarques de Hobsbawm soulignent en effet le caractère contradictoire du passé américain. Ce jugement ne dépend pas d'un "fétichisme de la pureté", mais de la réalité concrète et factuelle de l'histoire américaine.

Malgré cela, Garrido a raison de rappeler les nombreux révolutionnaires - Marx, Lénine, Mao, Ho Chi Minh, William Z Foster, Herbert Aptheker, Fidel et d'autres - qui se sont inspirés (et ont transmis) les victoires populaires et la résistance acharnée contre l'oppression des classes dominantes qui ont marqué l'histoire américaine. À cet égard, il cite à juste titre le rejet par le dirigeant communiste Georgi Dimitrov du nihilisme national, qui consiste à dénigrer toute manifestation de fierté et de réussite nationales. Chaque identité nationale contient en son sein une identité qui mérite d'être célébrée dans la mesure où elle résiste à l'oppression et lutte pour une vie meilleure. Les travailleurs doivent apprendre l'humilité nationale à partir des échecs passés et, en même temps, tirer une fierté nationale des victoires contre l'injustice. Une gauche qui n'accomplit qu'une seule de ces deux tâches, et non les deux, ne sera pas en mesure de gagner la classe ouvrière.

*

Le marxisme occidental - un marxisme scolaire, déconnecté de la pratique révolutionnaire - égare trop de compagnons de route potentiels, sincères et avides de changement, sur le chemin ardu du socialisme. Il est rafraîchissant d'entendre des voix s'élever pour dénoncer la nature stérile et obscurantiste de cette tromperie, tout en défendant la tradition du marxisme-léninisme et du communisme. Nous devons encourager et soutenir des marxistes comme Prashad, Rockhill et Garrido dans cette bataille.

(*) zzs-blg.blogspot.com

vendredi, 16 juin 2023

Multipolarité et multilatéralisme

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Multipolarité et multilatéralisme

Leonid Savin

Source: https://katehon.com/ru/article/mnogopolyarnost-i-mnogostoronnie-otnosheniya

Il existe plusieurs termes similaires dans les sciences politiques occidentales qui rendent confus le contexte de l'émergence d'un ordre mondial multipolaire. Outre le terme de multipolarité, les mots "multipolarité" et "multilatéralisme" sont également utilisés. Cependant, si nous les déconstruisons, il sera évident qu'ils ont une signification différente. Avec la multipolarité, tout est plus ou moins clair, même si, encore une fois, en Occident, la polarité a d'abord été comprise comme une définition géographique, et comme il n'y a que deux pôles sur la Terre, le Nord et le Sud, elle a certaines connotations.

À l'époque de la guerre froide et de la bipolarité, elle soulignait même un certain caractère naturel des deux pôles. Cependant, si nous partons d'un point de vue différent, il pourrait y avoir beaucoup plus de pôles. En partant de l'explication de Martin Heidegger dans son Parménide, nous arrivons à la conclusion qu'il peut y avoir autant de pôles que de nations, et il y a ici un certain lien avec le concept de quatrième théorie politique d'Alexandre Douguine, où le Dasein est proposé comme base pour la projection et la fixation d'objectifs dans le temps et l'espace, qui se déploie dans les processus politiques.

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En ce qui concerne le multipolarisme, il est immédiatement évident que nous parlons d'une sorte de construction idéologique. La terminaison -isme nous renvoie aux modèles politiques théoriques et pratiques les plus divers, du communisme et du marxisme au libéralisme et au fascisme. Par conséquent, le multipolarisme apparaît comme un concept parapluie, bien qu'il n'existe pas d'idéologie du "multipolarisme" ou du "multipolarisme" en tant que telle. Il existe des visions disparates de la formation d'un système politique mondial multipolaire. D'une part, les États constituent certes des pôles, d'autre part, les pôles peuvent aussi être des alliances et des pactes, et enfin, ils peuvent être des civilisations (qui coïncident parfois avec des États, comme dans le cas de la Russie, de l'Inde et de la Chine).

Néanmoins, le terme multipolarisme lui-même peut servir de point de référence, de phare pour stimuler le développement des aspects pratiques de la multipolarité.

Dans le cas du multilatéralisme, nous sommes confrontés à une approche totalement différente des affaires internationales. Il s'agit d'un modèle proposé par les États-Unis sous l'administration de Barack Obama pour renforcer l'hégémonie de Washington. Seulement, le leadership américain dans ce format n'est pas si évident. C'est un peu comme la méthode "nudge" du behaviorisme social que Cass Sunstein (qui a également travaillé dans l'administration de la Maison Blanche sous Obama) a proposée. Le titre de l'un de ses livres, The Illusion of Choice, illustre parfaitement le principe du multilatéralisme. Les autres pays ont l'illusion d'avoir des connexions diverses et variées, mais toutes (en politique, en économie, en logistique, etc.) sont incluses dans la toile d'un système mondial contrôlé par un seul acteur - les États-Unis.

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Au sein des Nations unies, l'accent est souvent mis sur le multilatéralisme et un certain nombre d'agences spécialisées opèrent dans ce sens. Toutefois, comme dans le cas de la réglementation de l'internet, il y a des tentatives évidentes de la part d'une partie d'augmenter le nombre de voix au détriment des unités opérationnelles fictives, c'est-à-dire les entreprises privées, qui sont censées avoir le droit de participer à l'élaboration de nouvelles normes. Les États-Unis tentent ainsi d'utiliser cet outil pour maintenir leur domination.

Cependant, même parmi les partisans de la multipolarité et les critiques de l'hégémonie américaine, on entend parfois ce terme. Cela crée une certaine confusion. C'est pourquoi une révision adéquate et une utilisation réfléchie de la terminologie sont nécessaires. En développant une nouvelle approche des relations internationales (en particulier lorsqu'il s'agit d'une théorie non occidentale des relations internationales), les rudiments associés au mondialisme parasitaire doivent être éliminés.

mardi, 13 juin 2023

L'évolution du conservatisme américain

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L'évolution du conservatisme américain

par le comité de rédaction de Katehon

Source: https://www.ideeazione.com/levoluzione-del-conservatorismo-americano/

Le conservatisme américain est l'une des deux principales idéologies de la philosophie politique américaine (avec le libéralisme), une idéologie qui a été formulée pour la première fois dans l'ouvrage de Russell Kirk, Conservative Mind (1953), qui est devenu la source de ce courant politique. Les origines du conservatisme moderne aux États-Unis renvoient à l'Amérique du début des 18ème et 19ème siècles, conçue comme un projet de société moderne aux fondements capitalistes et individualistes.

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Le développement initial du conservatisme américain modéré-libéral traditionnel s'est transformé au fil du temps en politique libertaire (avec son individualisme radical) et néo-conservatrice (avec son hyper-mondialisme). Les conservateurs américains, qui représentent une variété de courants, s'appuient sur les idées exposées dans les œuvres d'Alexis de Tocqueville, d'Edmund Burke, d'Adam Smith, de Milton Friedman et de Friedrich von Hayek. [cf. Toropov E.A. The winding path of American conservatism : from Russell Kirk to the neoconservatives].

Dans le contexte politique, le conservatisme américain s'oppose aux "idéologies" [cf. Kirk R., The Conservative Mind, New York, 1953], est un mouvement qui défend les valeurs dites "américaines", qui s'expriment par une minimisation de l'influence de l'État sur l'économie et par les libertés individuelles des citoyens américains, ainsi que dans le soutien aux valeurs traditionnelles et chrétiennes.

Le conservatisme américain en tant que courant politique s'est formé en présence d'un large éventail de problèmes sociaux, notamment les problèmes liés à l'immigration, à la révolution industrielle et à la domination du mode de vie bourgeois.

À un moment donné de l'histoire américaine, les protestants d'orientation nativiste et anticatholique se sont qualifiés de conservateurs.

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Le pays étant protestant à plus de 95 % en 1840, la plupart des protestants n'étaient pas particulièrement heureux à l'idée de partager leur pays avec les catholiques irlandais, qui s'installaient massivement aux États-Unis, fuyant les problèmes économiques qui frappaient l'Irlande. L'afflux de catholiques a donné naissance au parti nativiste "Know-Nothing Party" ou, selon l'appellation officielle, au "Native American Party". Les militants du parti exigeaient que les écoles publiques organisent des lectures quotidiennes de la Bible et interdisaient aux catholiques d'y enseigner. Les positions anti-catholiques sont si fortes qu'aux élections de 1856, le candidat du Native American Party, Millard Fillmore (photo, ci-dessus), obtient près de 25 % des voix, soit le deuxième meilleur résultat obtenu par un tiers parti dans l'histoire du pays.

En ce qui concerne les questions politiques, il convient de s'attarder sur la situation interne des États-Unis qui s'est développée après la victoire du "Nord" dirigé par Lincoln lors de la guerre civile (1861-1865). Le parti républicain, qui est devenu la force politique dominante, avait des positions progressistes et soutenait de vastes réformes sociales et une plus grande intervention de l'État dans l'économie. Il a soutenu la création du système de la Réserve fédérale (Fed), a investi dans une urbanisation massive, a soutenu la Prohibition, le droit de vote des femmes et a modernisé d'autres domaines de la vie publique américaine auxquels s'opposaient les conservateurs du Sud. Pour tenter de maintenir le statu quo et sa domination politique, l'idéologie républicaine s'est transformée au fil du temps en un conservatisme bourgeois. Un événement emblématique a été la manipulation des élections en faveur des républicains en échange de la fin de la réintégration des États du Sud enclins au séparatisme (le Texas en est un exemple). La "reconstruction" radicale, qui impliquait l'armée et les procureurs du Nord, a radicalement affecté la formation des identités régionales dans les États du Sud.

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Le rythme de la croissance industrielle et l'émergence de grands propriétaires de capitaux ont minimisé les différences entre les républicains et les démocrates. Cependant, plus tard, dans les années 1960, le conservatisme a reçu un nouvel élan en raison des problèmes internes qui s'étaient accumulés aux États-Unis. Le taux de criminalité élevé, la révolution sexuelle, le problème de l'avortement, la crise énergétique, l'échec de la guerre du Viêt Nam, le scandale du Watergate : tous ces problèmes ont éveillé l'intérêt d'une partie de la société américaine pour la défense de ses valeurs traditionnelles à travers la formation de mouvements et d'organisations conservateurs.

Les organisations conservatrices aux États-Unis

Le mouvement conservateur aux États-Unis est constitué d'un vaste groupe d'organisations politiques et idéologiques unies par une position commune sur la préservation des valeurs traditionnelles dans le pays. Leurs origines remontent au milieu du 20ème siècle, lorsque des organisations bénévoles sont apparues dans tout le pays pour lutter pour la préservation des valeurs traditionnelles et résister aux réformes imposées par les "progressistes".

Dans les années 1960, le mouvement conservateur aux États-Unis est devenu si fort et si influent qu'il a conduit à la création de nombreuses institutions dont les activités visaient à défendre les valeurs traditionnelles des Américains.

Les organisations conservatrices ont différents types d'activités, depuis les groupes de réflexion, où les conservateurs effectuent un travail d'analyse, jusqu'aux activités publiques des organisations chrétiennes, qui visent à renforcer les valeurs familiales.

Les organisations conservatrices les plus connues aux États-Unis sont les suivantes :

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- Tea Party - Créé en réponse à la crise économique de 2008, le mouvement politique conservateur-libertaire Tea Party prône la réduction de l'appareil gouvernemental, la baisse des impôts et des dépenses publiques, la réduction de la dette nationale et du déficit budgétaire, ainsi que le respect de la Constitution américaine.

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- L'institut Heartland soutient les politiques d'économie de marché. L'orientation politique du Heartland Institute est décrite comme conservatrice et libertaire. L'institut promeut le déni du changement climatique, soutient les droits des fumeurs et la privatisation des ressources publiques, y compris la privatisation des écoles. Il soutient les réductions d'impôts et s'oppose aux subventions et aux allègements fiscaux pour les entreprises individuelles, ainsi qu'à un rôle plus important du gouvernement fédéral dans les soins de santé.

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- La Heritage Foundation est un institut de recherche stratégique américain qui mène un large éventail de recherches en matière de politique internationale. Elle a une orientation néo-conservatrice. Elle s'est engagée à soutenir l'expansionnisme américain.

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- Le Council for National Policy est une organisation faîtière et un groupe de réseautage pour les activistes conservateurs et républicains aux États-Unis. Le Conseil a été fondé en 1981, sous l'administration Reagan, par Tim Lahay et la droite chrétienne pour "donner plus d'importance et de force à la promotion du conservatisme".

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- Focus on the Family est une organisation sociale chrétienne évangélique américaine. Elle œuvre pour "nourrir et protéger l'institution de la famille telle qu'elle a été établie par Dieu et pour promouvoir la vérité biblique dans le monde entier". L'organisation produit des programmes radio, des magazines, des vidéos et des enregistrements audio sur des questions conservatrices.

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- La John Birch Society (JBS) est un groupe politique américain de droite. La John Birch Society se considère comme un opposant au soi-disant "gouvernement mondial" et soutient l'idée de réduire l'immigration aux États-Unis et de limiter l'influence des institutions internationales telles que les Nations unies, l'ALENA et d'autres accords de libre-échange.

Les néoconservateurs, une mutation du conservatisme américain

Le néoconservatisme est un mouvement politique et intellectuel apparu aux États-Unis dans les années 1960. Il s'agit d'une combinaison d'idées conservatrices et libertaires associées à une politique étrangère active basée sur les idéaux de "démocratisation" et d'expansionnisme américains.

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Les néoconservateurs se distinguent par leur volonté d'établir l'hégémonie américaine sur la scène internationale en promouvant les valeurs occidentales, qu'ils considèrent comme universelles.

Les grandes figures du mouvement néoconservateur, comme Norman Podhoretz et Irving Kristol, prônent un monde unipolaire en s'opposant à l'URSS et en éliminant les concurrents des États-Unis de la scène politique internationale. En politique intérieure, les néoconservateurs s'opposent aux programmes sociaux et gouvernementaux qui, selon eux, dévalorisent le "mode de vie américain" et menacent la sécurité nationale.

Parmi les exemples d'activités des néocons, on peut citer leur rôle dans le soutien aux opérations du Golfe en 1991, les invasions de l'Afghanistan et de l'Irak, et leur soutien à l'usage de la force dans d'autres régions.

Parmi les figures les plus influentes du mouvement néoconservateur moderne figurent Irving et William Kristol, Dick Cheney et Paul Wolfowitz.

Les paléoconservateurs en opposition aux néoconservateurs

Parallèlement, un courant de "paléoconservatisme" a vu le jour. Contrairement aux néoconservateurs, les paléoconservateurs adhèrent à une interprétation directe du droit constitutionnel et rejettent toutes les expériences sociales imposées à la société. Ils s'opposent également au militarisme international américain et à la volonté de "démocratiser le monde", en soulignant l'importance de la liberté et de la souveraineté nationale.

Les paléoconservateurs s'opposent aux politiques néoconservatrices menées sous la présidence de George W. Bush, qu'ils considèrent comme orientées vers l'expansionnisme américain et la promotion de la "démocratie" dans d'autres pays par tous les moyens. En outre, les paléoconservateurs rejettent le concept de "guerre préventive" et défendent l'idée de souveraineté nationale.

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Les paléoconservateurs (par exemple Patrick Buchanan - photo) ont également critiqué les politiques fiscales du gouvernement fédéral, défendant l'idée d'une intervention minimale de l'État. Les paléoconservateurs prônent de sévères restrictions à l'immigration, la décentralisation, l'isolationnisme et un retour à l'éthique et à la morale conservatrices en matière de genre, de culture et de société.

Le libertarianisme en tant que pseudo-conservatisme

De nombreux conservateurs américains se qualifient eux-mêmes de libertariens. Le libertarianisme de droite implique l'absence d'influence du gouvernement sur la liberté individuelle et la vie économique de la société. Les idéaux économiques du libertarianisme consistent en des relations de libre marché et de libre concurrence. En outre, selon les idées libertaires, les fonctions de l'État devraient être transférées au marché et remplacées par des initiatives individuelles, ce qui, d'une certaine manière, est cohérent avec les idées du mondialisme, où la plus haute autorité institutionnelle sera le "marché" impersonnel. Les auteurs qui ont influencé la formation du libertarianisme sont A. Smith, J. S. Mill, les représentants de l'école autrichienne d'économie, en particulier L. von Mises et F. von Hayek, ainsi que l'économiste américain M. Friedman.

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Les libertariens sont largement représentés sur la scène politique américaine. À l'initiative de l'activiste civil américain David Nolan, le Parti libertarien des États-Unis a été fondé en 1971. Selon la vision du monde du parti, "les libertariens s'opposent fermement à toute ingérence du gouvernement dans vos décisions personnelles, familiales et professionnelles". Ils estiment que "tous les Américains devraient être libres de vivre leur vie et de poursuivre leurs intérêts comme ils l'entendent, tant qu'ils ne nuisent pas à autrui". La position du parti s'est renforcée au fil des ans, indiquant une augmentation de l'individualisme et de l'égoïsme dans la société américaine.

Si l'on parle du libertarianisme comme d'un courant politique conservateur, il se concentre sur les questions économiques en ignorant l'identité collective américaine et ses aspects culturels inhérents. En revanche, pour d'autres mouvements conservateurs, le contexte culturel et historique des États-Unis revêt une grande importance. Pour les conservateurs traditionnels, le mouvement libertarien est associé à une vision commune des questions économiques et à un accent mis sur la liberté individuelle, qui ne doit toutefois pas être déformée par l'idéologie.

jeudi, 08 juin 2023

Le césarisme : entre hégémonie et contre-hégémonie

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Le césarisme : entre hégémonie et contre-hégémonie

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/es/article/cesarismo-entre-la-hegemonia-y-la-contrahegemonia

L'État que nous avons déjà eu maintes fois l'occasion de décrire, qui est imprégné d'hégémonie, mais qui lui résiste en partie, est un État césariste. Il dit : "Je n'entrerai pas demain (dans le jeu), je resterai aujourd'hui (ce que je suis), que mon aujourd'hui soit éternel". Le césarisme est un État qui ne s'oppose pas à l'hégémonie, mais qui se fige simplement dans le temps, devenant un moyen de dissuasion pour l'hégémonie afin de réaliser sa prochaine étape, mais seulement en tant qu'obstacle (temporaire) sur le chemin de l'hégémonie.

Le césarisme est une tentative d'interagir avec l'hégémonie et de s'y opposer en même temps. Le désir d'interagir avec l'hégémonie de cette manière consiste à la laisser partiellement entrer et, simultanément, à l'éviter tout aussi partiellement. Par exemple, la Fédération de Russie contemporaine est un cas typique de césarisme selon les termes de Gramsci.

Formellement, l'État césariste peut proclamer : "Nous sommes pour la souveraineté ! Mais si l'hégémonie est à l'intérieur comme le moule qu'elle est - idéologiquement, technologiquement, économiquement - alors il importe peu que cet État soit pleinement intégré dans l'hégémonie ou non. Peu importe de quel côté vient l'hégémonie : le fait de prendre un iPhone vous inclut déjà dans l'hégémonie, parce qu'il y a déjà différents programmes qui suivent votre profil, qui vous examinent. Vous êtes inclus dans leur réseau. L'hégémonie est un réseau, un rhizome.

La ligne de démarcation entre hégémonie et césarisme, d'une part, et entre contre-hégémonie et césarisme, d'autre part, sont des aspects fondamentaux de la science politique de Gramsci.

mercredi, 07 juin 2023

Un rebelle européen aux racines russes

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Un rebelle européen aux racines russes

Yana Panina

L'anarchisme classique à travers les yeux du radical russe Mikhaïl Bakounine

L'histoire du véritable anarchisme avec un arrière-plan russe est étroitement liée à la personnalité de Mikhaïl Bakounine, dont la contribution au destin du monde entier s'est avérée colossale. Véritablement russe, éduqué à la philosophie européenne, son objectif principal était de créer un monde où tous les hommes seraient égaux et libres, et où la vie ne serait pas mesurée par l'épaisseur de la bourse ou la hauteur du piédestal social. Les idées utopiques de Bakounine allaient à l'encontre des pensées de Marx, pour qui le radical n'était soudain plus que "ce gros Russe". Qui était-il donc et sa philosophie est-elle encore vivante aujourd'hui ?

Conditions préalables à la formation de l'anarchisme de Bakounine

Mikhaïl Bakounine a "hérité" des idées de liberté et d'égalité de son éducation au sein d'une famille nombreuse et très conviviale. Une petite communauté de 11 enfants, égaux en termes de conditions et de relations, formait une sorte de commune, où chacun grandissait spirituellement et développait sa propre "personnalité" : "... je veux dire une liberté digne de ce nom, une liberté offrant une pleine possibilité de développer toutes les capacités, intellectuelles et morales, cachées en chaque homme...", décrira plus tard Bakounine.

51NMMRE8DGL._SX195_.jpgMikhaïl Alexandrovitch n'était pas le seul représentant de la "nouvelle pensée révolutionnaire". Sa cousine, Catherine, n'était pas en reste. Selon ses souvenirs, dans sa jeunesse, la jeune fille était plutôt une "jeune fille innocente", mais à l'âge adulte, elle est devenue résolue et forte, une véritable manifestation de l'homme libre, comme Bakounine lui-même l'entendait. À force de persévérance, Catherine réussit à se faire engager comme sœur de miséricorde dans la ville assiégée de Sébastopol pendant la guerre de Crimée. "Je devais résister par tous les moyens et avec toute mon habileté au mal que divers fonctionnaires, fournisseurs, etc. infligeaient à nos malades dans les hôpitaux ; et je considérais que c'était mon devoir sacré de lutter et de résister", a déclaré plus tard Catherine pour décrire son véritable objectif. Son esprit rebelle de résistance à la bureaucratie, sa fermeté et sa persévérance ne sont pas passés inaperçus aux yeux de Nikolaï Pirogov : "Chaque jour et chaque nuit, on pouvait la trouver dans la salle d'opération, assistant aux opérations, alors que des bombes et des missiles traînaient autour d'elle. Elle faisait preuve d'une présence d'esprit difficilement compatible avec la nature d'une femme". Qu'est-ce que cela signifie ? Que Bakounine lui-même, mais aussi tous les membres de sa famille, n'étaient pas seulement de fortes personnalités, mais aussi des personnes qui n'avaient pas peur de s'affirmer, des personnes qui aimaient la liberté et la vérité. L'éducation et l'environnement ont beaucoup influencé le futur anarchiste et révolutionnaire.

Les idées de Mikhaïl Bakounine ont également été fortement influencées par l'esprit révolutionnaire de la Russie dans laquelle il est né et a grandi. Le petit Misha a connu le soulèvement de décembre 1925 à l'âge de onze ans. La société a alors l'espoir d'un changement sérieux de l'État, une grande partie de l'aristocratie russe y voit le véritable salut du pays. Divers cercles se forment, auxquels adhèrent de nombreuses personnalités des arts et des sciences et des membres influents de la noblesse russe. En 1835, après avoir été renvoyé d'une école d'officiers et avoir effectué un service militaire insipide, Bakounine s'est retrouvé dans l'un de ces cercles. C'est le manque de liberté de pensée et d'action, ainsi que la discipline rigide et les règles strictes pendant le service militaire qui, selon certains chercheurs, l'ont amené à penser que l'anarchisme était l'avenir de la Russie et, plus tard, de toute l'Europe.

Installé à Moscou, le jeune penseur se fait de nombreuses connaissances : Stankevitch, Pouchkine, Tchaadaïev, Belinsky, Botkine, Katkov, Granovsky, Herzen, Ogarev, pour ne citer que quelques-uns des membres du cercle social de Bakounine. C'est sous l'influence de Stankevitch que Mikhail Aleksandrovitch approfondit l'étude de la philosophie allemande : il commence à s'intéresser aux idées de Kant et de Fichte. Mais ce qui est vraiment intéressant, c'est que le futur anarchiste est à cette époque convaincu que l'amour de Dieu donne à l'homme la liberté, l'épanouissement personnel et l'indépendance.

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À la fin des années 1830, Bakounine est fasciné par les écrits de Hegel qui, selon lui, lui insuffle "une vie complètement nouvelle". Sur la base des doctrines du philosophe allemand, Michael publie un certain nombre de ses travaux sur l'esprit, la connaissance absolue, la réalité et la volonté de Dieu, etc. Inspiré par les enseignements de Hegel, Bakounine s'installe à Berlin en 1840 pour y recevoir une bonne éducation à l'allemande, mais il se désintéresse rapidement de la philosophie théorique et devient un véritable praticien de l'anarchisme, rejoignant les cercles des réformateurs européens, déplaçant "vers la gauche" ses opinions politiques.

Dès 1942, il publie un article intitulé "De la réaction en Allemagne", qui commence à refléter explicitement les idées de l'anarchisme auxquelles il restera fidèle pendant très longtemps: l'égalité sociale et les principes de liberté ne peuvent être atteints que par la destruction complète du modèle d'État politique existant. L'année suivante, Bakounine s'imprègne des idées communistes et publie un article dans lequel il affirme que "le communisme n'est pas une ombre sans vie. Il est né du peuple, et du peuple, une ombre ne peut jamais naître". Les idées plutôt radicales et critiques du "réformateur" ne sont pas du goût des autorités russes et Mikhaïl Bakounine devient littéralement un ennemi public dans son pays, si bien qu'un retour en Russie ne semble plus possible.

Au milieu des années 1840, l'anarchiste rencontre des théoriciens communistes, dont Marx. Ils deviendront bientôt des ennemis jurés pour toujours, mais nous y reviendrons plus tard.

Le rebelle en liberté : le rôle de Mikhaïl Bakounine dans les révolutions européennes de 1848-1849

Mikhaïl Aleksandrovitch a également joué un rôle majeur dans les soulèvements de libération en Pologne. C'est là qu'ont émergé ses idées de panslavisme - l'unification de tous les peuples slaves en une seule fédération. Selon Bakounine, pour construire un monde nouveau et libre, pour une pleine justice politique et sociale, il est nécessaire de couper les systèmes existants avec les racines, de tout détruire jusqu'au sol. Il pensait que grâce aux efforts conjoints des Slaves de l'Ouest et du Sud, il était possible de réaliser un changement en Russie: se libérer du "joug allemand" en renversant les dirigeants qui étaient les principaux ennemis du peuple slave.

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L'esprit de rébellion du maître russe des destinées de l'État a trouvé une application, non seulement dans les mots, mais aussi dans les actes. Bakounine attendait avec impatience la vague révolutionnaire en Europe, et il l'a finalement connue. En 1848, il participe activement à ce que l'on appelle le "printemps des nations", qui touche la France, l'Allemagne, la Pologne et d'autres pays. Le radicalisme de Mikhaïl Alexandrovitch a eu l'occasion de se manifester à Dresde. Le destin a voulu que ce noble russe, qui avait l'expérience du service militaire, se retrouve dans une ville saisie par un gouvernement provisoire. La légende veut qu'on lui ait demandé d'aider à organiser la défense et à stimuler l'esprit révolutionnaire des citoyens. Lorsque les troupes royales ont commencé à avancer, Bakounine a proposé des mesures de protection radicales: tout d'abord, accrocher de grandes œuvres d'art, dont la Madone Sixtine, sur les murs de la ville afin que les militaires, élevés dans l'amour et le respect de l'art et de l'histoire, n'osent pas tirer. Et s'ils avaient osé, ils auraient été traités de barbares et de vandales. Un peu plus tard, Mikhaïl Bakounine fait d'autres propositions: brûler les maisons des aristocrates locaux, faire sauter l'hôtel de ville et couper les arbres anciens qui gêneraient les troupes royales. Le gouvernement provisoire, cependant, décide de ne pas recourir aux idées du révolutionnaire russe et se rend sans combattre.

De quoi témoigne cette affaire, décrite plus tard dans les écrits de Herzen ? Tout d'abord, Bakounine pensait que le peuple russe était prêt pour la révolution, car il était pauvre et possédait déjà "les habitudes et les instincts d'une société démocratique", mais que les Européens devaient d'abord se débarrasser des "échos matériels du passé", dont les symboles sont les œuvres de Raphaël, le vieil hôtel de ville et les arbres centenaires. Et cela doit se faire rapidement, pas lentement.

Après cette tentative de renversement du gouvernement à Dresde, Bakounine est envoyé en exil, revient dans son pays et, après 8 ans d'emprisonnement, est envoyé en Sibérie, où il se marie puis s'enfuit en Europe via le Japon en 1861. L'année 1861 marque un nouveau chapitre dans ses activités philosophiques et pratiques. Au cours des 20 années suivantes, le bakounisme va littéralement envahir toutes les rues, même les plus reculées, des villes européennes, et Mikhaïl lui-même va devenir un symbole du mouvement socialiste.

Idées fondamentales de l'anarchisme, du fédéralisme et de l'État sans État

C'est au cours de cette période que se forge définitivement sa vision athée et matérialiste. Pour Bakounine, l'idéalisme conduit inévitablement "à l'organisation d'un despotisme grossier et à une exploitation mesquine et injuste sous la forme de l'Église et de l'État". Il semble que les opinions d'un homme sur de simples questions philosophiques changent parfois radicalement: jeune et encore immature, Bakounine restait fidèle à Dieu, voyant en lui la véritable liberté de l'homme. Mais au bout d'un certain temps, sous l'influence des idées communistes d'égalité et de fraternité, il a renoncé à la religion, montrant que la foi était l'une des manifestations d'une société déjà rassise, dépassée, opprimée, qui ne se tournait vers Dieu que pour supporter les conditions insupportables de la vie. En même temps, le philosophe pensait que la religion est une partie historique inhérente à toute nation et qu'elle doit être traitée avec soin pour ne pas lui nuire. "Avec l'aide de la religion, l'homme est un animal qui, sortant de l'animalité, fait le premier pas vers l'humanité", écrivait-il.

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Il est également intéressant de noter qu'un farouche opposant aux lois et au contrôle de l'État n'a pas nié l'existence possible d'un gouvernement provincial (un parlement composé de deux chambres : des représentants de l'ensemble de la population et des communautés), d'une constitution et d'un tribunal. Les communautés réunies en fédérations devaient "coordonner leur propre organisation avec les principaux fondements de l'organisation provinciale et obtenir pour cela l'autorisation du parlement provincial". En même temps, "la loi communale conservait le droit de s'écarter sur des points mineurs de la loi provinciale, mais pas de ses fondements". Dans la construction de l'État, Bakounine a mis en avant le principe de la "pyramide inversée", où les principaux "pouvoirs décisifs sont concentrés localement". Dans le même temps, il ne nie pas l'existence possible d'une structure de pouvoir verticale et note que toutes les actions des communautés doivent servir les intérêts de l'État lui-même.

Les idées de Mikhaïl Alexandrovitch prévoyaient la création d'un gouvernement national qui rédigerait une constitution, tout comme les provinces, à condition que ces dernières puissent s'en écarter sur des points mineurs. Les pouvoirs du Parlement national auraient inclus le contrôle des activités de l'exécutif élu, la rédaction et l'adoption des lois, l'établissement de relations internationales avec d'autres pays, etc. Sur le même principe, une fédération internationale de pays a été envisagée.

Lutte pour l'Internationale : comment d'anciens amis et compagnons d'armes, Marx et Bakounine, sont devenus des ennemis jurés

L'histoire des relations difficiles entre Bakounine et Marx commence en 1864. Mikhaïl Alexandrovitch se rend en Italie pour diffuser les idées de l'Internationale, où il va à l'encontre de la philosophie du prolétariat et tente de créer sa propre "Société révolutionnaire internationale" secrète, où tous seraient frères. Elle repose sur l'idée de détruire tous les États européens, à l'exception de la Suisse, afin d'éliminer le modèle de pouvoir centralisé. Le plan consistait à créer des communautés qui s'uniraient en fédérations à différents niveaux. Parallèlement, l'anarchiste considérait nécessaire le pouvoir du peuple sous la forme d'une communauté autonome de tous les citoyens adultes, en élisant des représentants des différents fonctionnaires, mais avec la condition obligatoire de leur remplacement permanent, ce qui, selon Bakounine, ne donnerait pas un statut privilégié et garantirait les libertés démocratiques. Tous les aristocrates sont exclus, tous les partisans d'un quelconque privilège,...". Car le mot démocratie ne signifie rien d'autre que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, c'est-à-dire la masse entière des citoyens - et à l'heure actuelle, nous devons ajouter les citoyens qui composent la nation", écrit Mikhaïl Aleksandrovitch.

federalisme_socialisme_antitheologie-1812-264-432.jpgEn 1868, Bakounine prépare un projet de "Fraternité internationale", dans lequel il formule les principes de base de l'anarchisme, qui impliquent "la destruction complète de tout État, de toute église, de toute institution religieuse, politique, bureaucratique, judiciaire, financière, policière, économique, universitaire et fiscale".

La transition vers le nouveau système devait être le résultat d'une révolution. Ses principaux moteurs, selon Bakounine, sont la paysannerie et la classe ouvrière, qui vouent une haine instinctive aux couches privilégiées de la société. Et leurs principaux outils sont la rébellion et la lutte pour la liberté. Élevé dans la pauvreté et l'esclavage, le peuple russe a une aversion pour l'État, car son principal désir est la terre libre, le travail commun et l'absence de bureaucratie et de propriété foncière. En même temps, seule une jeune intelligentsia révolutionnaire peut rassembler la paysannerie et la classe ouvrière et canaliser leur puissance dans une cause commune.

Il en résultera une société sans aucune autorité, où les gens se soumettront à l'autorité de l'opinion publique, et où les paysans et les ouvriers deviendront les seules classes existant en harmonie - "les uns sont propriétaires du capital et des instruments de production, les autres - de la terre, qu'ils cultivent de leurs mains ; les uns et les autres s'organisent, motivés par leurs besoins et leurs intérêts mutuels, également et en même temps absolument libres, nécessaires et naturels, se contrebalançant réciproquement".

La polémique de Bakounine avec Marx consistait principalement en des perspectives différentes. Tout d'abord, Mikhaïl Bakounine a déclaré que la dictature du prolétariat aboutirait au même résultat que celui auquel les révolutionnaires s'opposaient. En d'autres termes, le gouvernement et le régime politique changeraient, mais leur essence resterait la même, sauf que le pouvoir serait désormais concentré entre les mains du prolétariat. L'État est le vrai mal : "Là où commence l'État, finit la liberté individuelle, et vice versa... S'il y a État, il y a nécessairement domination, donc esclavage ; un État sans esclavage, ouvert ou déguisé, est impensable - c'est pourquoi nous sommes ennemis de l'État.

L'affrontement entre Bakounine et Marx culmine dans la tentative du premier de tirer à lui la couverture d'influence de l'Internationale. En fin de compte, la bataille d'idées s'est transformée en une guerre personnelle entre deux personnalités puissantes de l'époque. Marx estimait que les activités des bakounistes sapaient les idées de la dictature du prolétariat et, en 1972, les partisans de Mikhaïl Alexandrovitch ont été expulsés de l'Internationale.

Les adeptes contemporains du bakounisme

De nos jours, les idées du grand rebelle appartiennent au passé, bien que les adeptes de l'anarchisme russe existent toujours. Aujourd'hui, cependant, il ne s'agit pas seulement d'une alliance contre l'État, mais aussi d'une lutte idéologique contre certains problèmes mondiaux de l'humanité, tels que l'écologie et la protection de l'environnement. Dans le même temps, on observe une certaine crise parmi les anarchistes : il y a de moins en moins d'adeptes en raison du manque d'unité et d'intégrité du mouvement.

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En Russie, l'Union anarchiste russe a joué un rôle important à cet égard, car elle a fondé ses idées sur l'anarchisme national et ethnique. En d'autres termes, il s'agit d'une association de personnes de la même nationalité vivant sur le même territoire. Cela inclut le panslavisme de Bakounine et l'idée d'anti-ethnicité de Kropotkine. Oui, les gens croient encore à l'accomplissement de la révolution, et les protestations et les révoltes en sont le principal outil. Mais au début du XXIe siècle, le mouvement des adeptes de Bakounine, de Kropotkine et d'autres philosophes et figures révolutionnaires s'est transformé en une sorte de sous-culture et, dans l'esprit de la plupart des Russes, il est désormais associé à l'impuissance et à l'anarchie. Comme au 19ème siècle, les adeptes de l'anarchisme se positionnent comme un mouvement en dehors de toute force politique, mais en même temps, ils ne sont pas encore devenus une force motrice sérieuse capable d'influencer l'esprit des jeunes et de la société dans son ensemble.

Les idées de Mikhaïl Bakounine sont-elles pertinentes aujourd'hui ? Probablement pas. Dans le contexte actuel de lutte politique permanente, il est nécessaire de disposer d'une autorité centralisée claire, capable de maintenir l'unité du peuple. Même si l'on peut dire que des tentatives de liberté totale ont eu lieu dans les années 1990, il s'agissait d'un défi sérieux à la pérennité de l'État.

Malheureusement, les idées utopiques sur l'existence de fédérations composées de communautés de personnes sont impossibles. On peut être d'accord ou non, mais nous vivons une période de "guerre froide", où chaque pays se bat pour ses propres ressources et intérêts plus que pour des vies humaines. Pour survivre, il faut non seulement s'unir, mais aussi éviter que l'État ne soit détruit par l'absorption de ses petites "communautés", comme lors du schisme féodal. L'appartenance à une nation ne fera qu'engendrer davantage de disputes et de conflits. Certes, la liberté fait partie intégrante de la société démocratique à laquelle chacun aspire aujourd'hui. Mais en même temps, l'émergence d'une plus grande liberté dans certains domaines s'accompagne aussi de l'émergence de plus grands interdits dans d'autres. L'existence de l'anarchisme dans le contexte moderne est donc fortement remise en question. Et qu'elle reste ouverte...

dimanche, 21 mai 2023

Engels en tant que théoricien militaire

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Engels en tant que théoricien militaire

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2023/04/30/engels-som-militarteoretiker/

À l'époque du socialisme réel, on parlait souvent de "Marx et Engels", mais aujourd'hui, ce dernier semble avoir été relégué à l'arrière-plan. Ce n'est pas tout à fait surprenant, car Marx avait souvent une profondeur d'analyse qui manquait à Engels, et c'est aussi quelque chose qu'Engels lui-même soulignait souvent. En même temps, le "marxisme" moderne est fortement marqué par Engels, qui était lui aussi un penseur de premier plan. Par ailleurs, bien que Marx et Engels aient tous deux été, selon la terminologie moderne, homophobes et racistes, il y avait chez Engels un nationalisme allemand qui a été repris par la social-démocratie allemande.

Un aspect intéressant d'Engels réside dans ses écrits sur la théorie militaire, un aspect qui a été transmis dans de nombreuses parties de la tradition politique qu'il a contribué à façonner. Engels a acquis une expérience dans ce domaine lors d'une rébellion ratée en 1849, au cours de laquelle il s'est forgé une réputation de chef militaire courageux et compétent. Il a étudié et écrit sur de nombreux conflits et soulèvements au cours de sa vie, depuis les soulèvements de 1848-1849 et les guerres coloniales jusqu'à la guerre de Crimée et la guerre de Sécession. En matière de théorie de la guerre, c'est Engels, et non Marx, qui a été le maître reconnu, ce qui est intéressant compte tenu des succès militaires des guérillas marxistes-léninistes au 20ème siècle. Engels était "le premier Clausewitz rouge" (il est cité 6 fois dans La théorie du partisan de Carl Schmitt, 47 fois dans Lénine et 40 fois dans Mao).

Le major Michael A Boden développe ce sujet dans son livre The First Red Clausewitz : Friedrich Engels And Early Socialist Military Theory (Le premier Clausewitz rouge : Friedrich Engels et la théorie militaire socialiste primitive). Il aborde, entre autres, le fait que l'accent a souvent été mis sur Engels en tant que théoricien stratégique et que ses connaissances au niveau tactique et opérationnel ont souvent été négligées. La guerre moderne, la science de la guerre, la nation et la guérilla sont quelques-uns des thèmes intéressants abordés dans l'ouvrage de Boden.

Engels s'intéressait sans surprise à la relation entre la société et la guerre, à la manière dont les changements dans les forces et les conditions de production conduisaient à des changements militaires. En ce qui concerne la guerre moderne, il a pu écrire que "la guerre moderne est le produit nécessaire de la Révolution française. Sa condition préalable est l'émancipation sociale et politique de la bourgeoisie et des petits paysans". Il constate que le soldat citoyen est un phénomène nouveau, qui a aussi des répercussions sur les rapports de force entre les classes. Pendant un temps, Engels a espéré qu'une grande guerre européenne pourrait déboucher sur une lutte des classes. En même temps, il était conscient que les guerres modernes avaient tendance à être plus inhumaines, compte tenu des éléments de haine de classe et de haine nationale. Il a également décrit la guerre comme une "force sociale ayant une dynamique propre".

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Garibaldi. Chemises rouges formant les unités de combat garibaldistes.

Engels considérait la science de la guerre comme un phénomène nouveau, essayant activement et scientifiquement de développer une perspective et un ensemble de concepts pour ce phénomène. Ici aussi, il y avait un lien avec les relations de production ; il écrivait que "la nouvelle science de la guerre doit être tout autant un produit nécessaire des nouvelles relations sociales que la science de la guerre créée par la révolution et Napoléon était le résultat nécessaire des nouvelles relations engendrées par la révolution". Pour Engels, le caractère massif des armées est important, tout comme la mobilité et la rapidité. Garibaldi en est un exemple ; Engels écrit que "dans la guerre, et en particulier dans la guerre révolutionnaire, la rapidité d'action jusqu'à ce qu'un avantage décisif soit acquis est la première règle".

L'intérêt d'Engels pour les nations et le nationalisme est lié à l'approche scientifique de la guerre. Dans Les armées de l'Europe, il a compilé et analysé les conditions et les ressources des différentes armées. Il s'est penché sur des facteurs tels que les effectifs, la discipline, l'équipement et l'entraînement. Mais il a également abordé les caractéristiques nationales et raciales d'une manière qui serait totalement taboue aujourd'hui. Les Français sont décrits comme "une nation guerrière et pleine d'entrain, qui éprouve de la fierté pour ses défenseurs". L'armée autrichienne était, dans le vocabulaire d'aujourd'hui, caractérisée par la diversité ; Engels écrivait que "c'est là que réside le point faible de cette armée". Il trouve la même faiblesse dans l'armée danoise, avec les éléments allemands de la région du Schleswig-Holstein, et dans l'armée turque. Il décrit les Allemands comme le peuple guerrier par excellence en Europe, "la constance délibérée des Allemands les rend particulièrement aptes au service de l'artillerie. Par ailleurs, ils comptent parmi les peuples les plus pugnaces du monde, appréciant la guerre pour elle-même et allant souvent la chercher à l'étranger lorsqu'ils ne peuvent pas l'avoir chez eux. Depuis les Landsknechte du moyen âge jusqu'aux légions étrangères actuelles de la France et de l'Angleterre, les Allemands ont toujours fourni la grande masse de ces mercenaires qui se battent pour le plaisir de se battre. Si les Français les dépassent en agilité et en vivacité d'attaque, si les Anglais sont leurs supérieurs en dureté et en capacité de résistance, les Allemands dépassent certainement toutes les autres nations européennes dans cette aptitude générale au devoir militaire qui fait d'eux de bons soldats en toutes circonstances". Il décrit les soldats russes comme étant à la fois courageux et maladroits, les Turcs comme étant paresseux, fatalistes et tellement racistes qu'ils refusent d'adopter les méthodes européennes. L'attitude d'Engels à l'égard des peuples slaves, à l'exception des Polonais, est probablement bien connue.

Il considérait le nationalisme comme une forte source de motivation, ainsi que comme un problème important pour les États multiculturels. Engels a écrit sur plusieurs soulèvements nationaux et guerres de libération, en lien avec son intérêt pour la guérilla. Boden écrit qu'Engels a été l'un des premiers à analyser ce phénomène. Il écrit dans La défaite des Piémontais que "le soulèvement de masse, la guerre révolutionnaire, les détachements de guérilla partout - c'est le seul moyen par lequel une petite nation peut vaincre une grande, par lequel une armée moins forte peut être mise en position de résister à une armée plus forte et mieux organisée. Les Espagnols l'ont prouvé en 1807-1802, les Hongrois le prouvent aujourd'hui également". Dès 1852, il écrit sur les défis du chef de partisan, soulignant à nouveau l'importance du mouvement et de l'initiative ("la défensive est la mort de tout soulèvement armé"). Parallèlement, il s'intéresse à la relation entre les classes et la guerre. Pendant la guerre de Sécession, il écrit que les Sudistes pauvres auraient pu s'engager dans une guérilla, mais qu'ils auraient alors eu les anciens propriétaires d'esclaves contre eux, "il ne fait guère de doute, il est vrai, que les éléments du white trash, comme les planteurs eux-mêmes appellent les "pauvres blancs", tenteront la guérilla et le brigandage. Une telle tentative, cependant, transformera très rapidement les planteurs possédants en unionistes. Ils appelleront eux-mêmes les troupes des Yankees à leur secours".

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John S. Mosby, chef des pauvres sudistes qui auraient voulu entamer une guerre de guerilla.

Dans l'ensemble, Boden offre un aperçu lisible d'Engels en tant que théoricien militaire doué, avec des références à plusieurs articles théoriquement féconds, tous disponibles sur l'internet. Le théoricien de la guerre qu'est Engels n'apparaît pas non plus ici comme un déterministe ; la relation entre les conditions de production et la guerre est complexe, et de mauvais dirigeants peuvent détruire des conditions objectivement bonnes, du moins à court terme. Pour rappeler les contrastes entre "Marx et Engels" d'une part et la "gauche" d'aujourd'hui d'autre part, il est également utile de lire le théoricien militaire Engels. En ce qui concerne les caractéristiques nationales et raciales en tant que facteurs matériels, par exemple, il était plus proche de la droite alternative d'aujourd'hui que de la "gauche" contemporaine. Son analyse des relations sociales dans le Sud est également difficile à concilier avec la "critique blanche" (du "White nationalism") d'aujourd'hui. Mais il s'agit là d'une curiosité ; l'avantage durable réside dans la méthode d'Engels, qui intègre des facteurs tels que la nation, la classe, la motivation, la mobilité, le leadership et la technologie. L'importance relative de ces facteurs a peut-être quelque peu changé depuis le 19ème siècle, mais la valeur de l'approche demeure.

vendredi, 19 mai 2023

Le néolibéralisme ne meurt jamais

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Le néolibéralisme ne meurt jamais

Aucune catastrophe, financière ou sanitaire, ne semble pouvoir ébranler la capacité du système économique à surmonter les crises, à changer et à s'adapter aux circonstances.

Claudio Freschi

Source: https://www.dissipatio.it/il-neoliberismo-non-muore-mai/?...

Le terme "néolibéralisme" a été utilisé de manière si large et si diverse, parfois même de manière inappropriée, qu'il a été difficile d'en définir précisément la signification.

Comme nous le savons, le libéralisme est un système économique fondé sur la liberté absolue de production et d'échange, dans lequel l'intervention de l'État est autorisée dans de rares cas, essentiellement lorsque l'initiative privée ne répond pas aux besoins de la communauté. Bien que ses racines soient lointaines, cette école de pensée s'est développée grâce à ce que l'on appelle l'école autrichienne, avec des économistes comme Friedrich Hayek et Ludwig von Mises, et a connu une grande popularité au début du siècle dernier.

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Avec la grande crise de 1929 et la dépression qui s'ensuivit, le retour des politiques keynésiennes visant à atteindre le plein emploi (avec un recours important aux dépenses publiques), a éclipsé pendant quelques décennies l'idée d'un libéralisme absolu, qui a dû attendre les années 1970 pour revenir à la mode. Mais à cette époque, les choses ont changé : l'avancée politique des sociaux-démocrates en Europe a définitivement discrédité l'idée classique d'un libéralisme prêt à tolérer une pauvreté généralisée au nom d'une richesse croissante concentrée dans les mains d'un petit nombre.

C'est là que le terme néolibéralisme a commencé à faire son chemin, pour désigner ce courant de pensée qui acceptait volontiers la nécessité d'une intervention de l'État pour amener la plupart des gens au-dessus d'un certain seuil de revenu minimum. Mais une fois ce seuil atteint, il n'y aurait plus lieu de s'inquiéter des inégalités sociales, politiques ou économiques. La Grande-Bretagne de Margaret Thatcher, les États-Unis de Ronald Reagan et, dans une plus large mesure encore, le Chili de Pinochet, soutenus par de prestigieux économistes de l'école de Chicago, étaient des exemples d'un système combinant des degrés divers d'autoritarisme avec des politiques de libre-échange plutôt radicales. Rien à voir avec le souci légitime de la liberté d'expression qui animait les grands penseurs libéraux depuis John Stuart Mill, mais tout à fait dans la ligne de la pensée de Hayek pour qui l'enjeu fondamental était de préserver la liberté d'action de l'individu tout en minimisant l'ingérence des différents gouvernements.

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Malgré la fin de ces expériences plutôt "extrêmes", la conception néolibérale a dominé le monde occidental au cours des quarante dernières années. Une idée de l'économie de marché, avec le moins de régulation possible, sous des gouvernements déterminés à maîtriser les dépenses publiques et à assainir les budgets. En temps de crise, le dogme du petit État a été largement, voire temporairement, mis de côté au nom d'un pragmatisme politique souvent issu de calculs électoraux, mais l'idéologie de base est toujours restée.

La crise financière de 2009 a ébranlé les fondements du néolibéralisme. L'incapacité totale des économistes du courant dominant à prédire une catastrophe d'une telle ampleur a semblé mettre fin, sinon aux idées, du moins à la crédibilité de la plupart de ces universitaires, mais une fois que les marchés ont retrouvé un semblant de normalité, il est apparu clairement que l'idéologie néolibérale était loin d'être défunte.

Même la pandémie de Covid 19, récemment déclarée, a semblé mettre un terme à l'idée d'un marché tout-puissant qui, avec le temps, résout tous les problèmes en rétablissant l'équilibre sans aucune intervention extérieure. Des millions d'emplois ont disparu, des secteurs productifs entiers se sont effondrés, la bourse s'est effondrée, des milliards de crédits sont devenus progressivement irrécouvrables, créant une telle urgence que la nécessité d'agir dépassait largement le cadre des idéologies.

Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et même dans l'Union européenne austère, les politiques prudentielles ont été abandonnées avec de gigantesques injections de liquidités sur le marché et un recours massif aux dépenses publiques. Mais même dans ce cas, les annonces d'un renoncement définitif au néolibéralisme, suite aux événements déclenchés par la pandémie, ne se sont pas concrétisées. Au contraire, le retour de l'inflation a donné plus de force à tous ceux qui espéraient un retour à des politiques budgétaires strictes et, en général, à une réduction du rôle de l'État.

Certains pensent que le coup de grâce au néolibéralisme pourrait venir du pays même qui a fait du marché sa raison de vivre, les États-Unis d'Amérique. De nombreux analystes soulignent que le président Biden a passé les deux premières années de son mandat à promettre, comme l'ont souvent fait ses prédécesseurs, une expansion massive de la "protection sociale" et, en général, de puissants investissements publics. On se souvient que, dans l'un de ses premiers discours au Congrès, le président avait tenu à rappeler la centralité de l'intervention de l'État dans la construction des infrastructures qui ont permis à l'Amérique de devenir une grande puissance mondiale.

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Mais malgré ces déclarations d'intention, et l'antipathie naturelle des démocrates pour le reaganisme, aucune véritable stratégie économique alternative n'avait jamais été formulée. Le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a ouvertement parlé d'un nouveau "consensus de Washington", c'est-à-dire d'un principe directeur de la politique économique de la Maison Blanche qui tend à encourager l'intervention de l'État plutôt qu'à s'y opposer, à renforcer les protections des travailleurs plutôt qu'à déréglementer, et à réduire l'interdépendance économique entre les nations plutôt qu'à l'encourager. M. Sullivan a ensuite défini le nouveau modèle économique américain comme une critique ouverte du néolibéralisme, estimant que ce dernier repose sur trois hypothèses manifestement erronées. La première est que "les marchés alloueront toujours les ressources de manière productive et efficace", la deuxième est que "toute croissance est une bonne croissance" et la troisième que "l'intégration économique et la mondialisation rendront les nations plus responsables et favoriseront un processus de paix mondial".

Mais ce projet, qui, selon la plupart des enthousiastes, mettra fin à l'engouement des Américains pour le néolibéralisme, se heurte à un obstacle potentiellement insurmontable, à savoir que le "consensus de Washington" tant vanté pourrait manquer de... consensus. Ce n'est pas un mystère que l'idée d'augmenter les impôts et les dépenses publiques ne fait pas vraiment partie de l'agenda politique des Républicains. Et sans la coopération du parti de l'éléphant, il est fort probable que l'espoir de voir se concrétiser un nouveau paradigme économique allant au-delà du néolibéralisme reste lettre morte.

La vérité est que l'attrait du néolibéralisme, même s'il a été affaibli par diverses crises, reste fort parce qu'il est inhérent à la logique du capitalisme mondial. Sa nature est changeante, il évolue et s'adapte en fonction des situations. Nous pouvons donc nous attendre à ce qu'il continue à vivre comme il l'a toujours fait, en se transformant en fonction des différentes conditions, en surmontant les obstacles, en s'adaptant à la pensée commune, mais sans jamais changer ses paramètres de base. Pour paraphraser Mark Twain : "Désolé de vous décevoir, mais la nouvelle de la mort du néolibéralisme est largement exagérée".

A propos de l'auteur Claudio Freschi

Après des études d'économie, il est entré dans le monde des marchés financiers où il travaille depuis 30 ans. Passionné de voyages, d'échecs et de John Maynard Keynes, il collabore avec diverses publications imprimées et en ligne, écrivant sur la politique et l'économie.

vendredi, 05 mai 2023

La multipolarité et la montée des États civilisationnels

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La multipolarité et la montée des États civilisationnels

Zhang Weiwei

Transcription du discours de Zhang Weiwei lors de la conférence mondiale sur la multipolarité du 29 avril 2023.

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/multipolarity-and-rise-civilizational-states

À la veille de la visite du président chinois Xi Jinping en Russie, le 19 mars, j'ai été interviewé par Russia Today, qui m'a demandé comment je percevais les lourdes sanctions occidentales imposées à la Russie, et j'ai répondu que la Russie avait été isolée par l'Occident et que l'Occident avait été isolé par les autres. La raison en est simple: si l'opération militaire russe en Ukraine est controversée, l'un des objectifs avoués de la Russie est de transformer l'ordre mondial multipolaire dirigé par les États-Unis en un ordre mondial multipolaire, et cet objectif est largement soutenu ou du moins compris par le monde non occidental.

Leur soutien ou leur compréhension de cet objectif est renforcé par le fait que les grandes puissances non occidentales comme la Chine, la Russie, l'Inde et l'Iran, et d'autres encore, se qualifient ouvertement d'États civilisationnels. Ils peuvent diverger sur la définition exacte du terme "État civilisationnel", mais ils semblent s'accorder sur au moins trois thèmes : premièrement, ils constituent tous respectivement une civilisation unique, deuxièmement, ils en ont assez que l'Occident leur impose ses valeurs au nom de "valeurs universelles" et, troisièmement, ils résistent à l'ingérence de l'Occident dans leurs affaires intérieures.

Ces États civilisationnels en plein essor remettent en effet en question l'ordre mondial unipolaire dit libéral, et le monde assiste ainsi à un changement de l'ordre mondial, qui passe d'un ordre vertical, dans lequel l'Occident est au-dessus des autres, à un ordre horizontal, dans lequel l'Occident et les autres sont sur un pied d'égalité en termes de richesses, de pouvoir et d'idées. Sans parler des autres puissances non occidentales, la Chine à elle seule a contribué davantage à la croissance économique mondiale que les pays du G7 réunis (38 % contre 25 %) au cours des dix dernières années. L'utilisation du dollar par les États-Unis dans le cadre de leurs sanctions contre la Russie n'a fait qu'inciter de plus en plus de pays non occidentaux à abandonner l'utilisation du dollar dans leurs échanges internationaux, ce qui porte un coup terrible à l'ordre économique unipolaire existant. L'année dernière, 70 % des échanges sino-russes ont été réalisés dans les monnaies locales, et l'Inde, le Brésil, l'Iran, la Turquie, l'Indonésie et d'autres grands pays non occidentaux encouragent tous les échanges dans leurs monnaies locales.

Il est également vrai que dans les relations internationales, les puissances occidentales ont longtemps poursuivi une stratégie de "diviser pour régner" depuis l'époque coloniale. En revanche, les grandes puissances non occidentales, notamment la Chine, suivant sa tradition d'État civilisationnel, poursuivent exactement le contraire, c'est-à-dire "unir et prospérer", comme le montre sa vaste initiative "la Ceinture et la Route" (BRI), qui s'avère populaire auprès de la plupart des pays, et la Chine estime également que cet idéal d'union et de prospérité représente les meilleurs intérêts des Chinois ainsi que de la plupart des autres peuples.

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Le pouvoir politique et l'autorité morale de Washington s'affaiblissant rapidement tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, il est tout à fait naturel que les pays non occidentaux s'inspirent de leurs propres cultures et civilisations pour se démarquer du modèle libéral américain discrédité et de son hégémonie unipolaire.

Il est intéressant de noter que l'idée d'un État-civilisation est également attrayante pour de nombreuses personnes dans le monde occidental. Par exemple, face aux défis redoutables de la "renationalisation" de l'Europe, le président français Macron a presque ouvertement admiré l'idéal de l'État civilisationnel en citant la Chine, la Russie et l'Inde comme exemples et en déclarant que le destin historique de la France était de guider l'Europe vers un renouveau civilisationnel.

Pour la droite occidentale, le modèle de l'État civilisationnel est un moyen de défendre les valeurs traditionnelles et de résister à l'excès de l'ultralibéralisme et à la dégénérescence culturelle largement perçue, tandis que pour la gauche, ce modèle témoigne du respect dû aux cultures et aux traditions indigènes et constitue un moyen de rejeter l'impérialisme occidental et l'excès du néolibéralisme.

En effet, les États civilisationnels émergents d'Eurasie se définissent principalement contre l'Occident libéral, tandis que l'Occident s'efforce aujourd'hui de définir sa propre identité, ce qui semble plus difficile que pour la Chine ou la Russie. D'une part, les libéraux ont longtemps prêché des valeurs universelles au-delà des frontières nationales ou civilisationnelles et pensent que leurs valeurs sont universelles, ni occidentales, ni européennes, ni judéo-chrétiennes. Pourtant, le politologue européen Bruno Maçães affirme que l'"Occident" libéral est aujourd'hui mort, reflétant sa sympathie pour "une révolte contre le déracinement mondial".

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Cependant, l'Occident peut-il exister en tant qu'entité civilisationnelle indépendante ? L'universitaire britannique Christoph Coker note que "ni les Grecs ni les Européens du XVIe siècle... ne se considéraient comme "occidentaux", un terme qui ne remonte qu'à la fin du XVIIIe siècle".

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Certains libéraux occidentaux prônent un retour aux Lumières en Europe, mais il est évident que le libéralisme des Lumières, avec ses tendances universelles, a conduit l'Occident à son dilemme actuel, qui a coupé l'Occident, et l'Europe en particulier, de ses propres racines culturelles, comme le note Macaes : "Les sociétés occidentales ont sacrifié leurs cultures spécifiques au nom d'un projet universel." En effet, un Occident divisé culturellement, socialement et politiquement, comme c'est le cas aujourd'hui, a encore une bataille difficile à mener avant de façonner une identité civilisationnelle commune, si tant est qu'il y en ait une.

Dans une perspective à moyen et long terme, comme l'ordre mondial devient de plus en plus horizontal plutôt que vertical, et que l'Occident et les autres pays sont davantage sur un pied d'égalité en termes de richesse, de pouvoir et d'idées, il est probable que nous assistions à l'émergence d'un plus grand nombre de communautés ou d'États civilisationnels, autoproclamés ou authentiques, parmi lesquels il pourrait bien y avoir une communauté civilisationnelle occidentale sur un pied d'égalité avec d'autres. Il faut espérer que les "valeurs universelles" définies unilatéralement par l'Occident seront progressivement remplacées par certaines valeurs communes approuvées par l'ensemble de la communauté internationale, telles que la paix, l'humanité, la solidarité internationale et une seule communauté humaine, et que toutes les communautés civilisationnelles apporteront leur contribution à cette noble entreprise dans l'intérêt de l'humanité tout entière.

mercredi, 03 mai 2023

Manifeste du Groupe Feniks (Flandre): Pourquoi ai-je contribué à ce travail?

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Le manifeste du groupe Feniks en Flandre sera bientôt disponible!

Pourquoi ai-je contribué à ce travail?

Sacha Vliegen

Pour la plupart des gens, et c'est ma propre expérience qui le dit, l'opposition de "droite" est synonyme de populisme à bon marché sans trop manifester de substance. Se plaindre quotidiennement de l'immigration sans avoir une véritable vision alternative du monde. Personnellement, c'est la dernière raison pour laquelle j'arrive à être "à droite" dans la plupart des domaines.

Deuxièmement, ce travail est aussi une critique solide mais constructive de la droite. L'identitaire met trop l'accent sur un récit anti-migrants. La transmission de l'identité mérite une attention plus profonde que la simple aversion pour les migrants eux-mêmes. Il est nécessaire d'aborder des contextes plus larges, même si ce ne sont pas nécessairement les thèmes par lesquels on marque des points aux élections (c'est la raison pour laquelle la politique des partis n'ose pas anticiper en ces domaines).

La géopolitique et la philosophie, ainsi qu'un anticapitalisme économique, doivent également et principalement innerver une lutte politique nationale.

J'espère sincèrement que ce livre en choquera plus d'un et qu'il incitera les gens à réfléchir davantage à tous ces thèmes.

* * *

Notre premier manifeste est maintenant disponible en pré-vente!

Le livre compte 272 pages et est écrit de manière didactique, ne vous laissez donc pas décourager par la complexité apparente des disciplines qui y sont traitées.. Le prix du livre est de 30 euros, mais il n'est que de 25 euros en prévente. 

Vous pouvez le commander en cliquant sur le lien suivant : https://feniksvlaanderen.be/product/104855

lundi, 17 avril 2023

Le national-bolchevisme: de Nikolaï Oustrialov à l'opération militaire spéciale en Ukraine

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Le national-bolchevisme: de Nikolaï Oustrialov à l'opération militaire spéciale en Ukraine

Andrey Dmitriev

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/national-bolshevism-nikolai-ustryalov-special-military-operation-ukraine

On pense que l'idéologie du national-bolchevisme est apparue en Allemagne en 1919, lorsque le terme "national-bolchevisme" a été utilisé pour la première fois dans la presse allemande. En Allemagne, une sorte de parti informel composé de personnes désireuses de coopérer avec la Russie soviétique et qui voyaient l'avenir de l'Allemagne dans une alliance avec elle a commencé à se former. Il ne s'agissait pas de communistes, ni de gauchistes, mais plutôt de bolcheviks nationaux. Ernst Niekisch, éminent penseur du 20ème siècle, était le plus célèbre d'entre eux.

La formation idéologique du national-bolchevisme russe est associée au nom de Nikolaï Oustrialov. Nikolaï Oustrialov est né le 25 novembre 1890 à Saint-Pétersbourg. Il était avocat, professeur de droit, enseignant et politiquement actif en tant que membre du comité central du parti des Cadets. On sait que les Cadets étaient des libéraux de leur époque, au début du 20ème siècle. Mais bien qu'ils revendiquaient les libertés démocratiques et une Constitution, comme l'indique le programme du parti, ils étaient des impérialistes russes convaincus. Pavel Milyukov, l'un des dirigeants du parti, a exigé pendant la Première Guerre mondiale de prendre les détroits pour que le drapeau russe soit hissé sur Constantinople. Après la révolution, alors qu'il vivait à l'étranger (bien qu'il détestait les bolcheviks et les dirigeants soviétiques), il a soutenu la guerre d'hiver en déclarant: "J'ai besoin de Vyborg". Nikolaï Oustrialov était également un impérial et un homme d'État russe. Pendant la guerre civile, il a rejoint l'Armée blanche. Il était l'un des associés de Koltchak et dirigeait son service de presse. Peu à peu, cependant, en 1918-1919, pendant la guerre civile, il a commencé à perdre ses illusions sur le Mouvement blanc, à s'éloigner des idées et des pratiques du Mouvement blanc et à s'intéresser de près aux bolcheviks.

Comment cela s'est-il produit ? Tout d'abord, il a vu dans les bolcheviks une force plus puissante, un mouvement plus déterminé que celui représenté par les Blancs. En 1918, il part pour Perm, alors prise par les Rouges. Voici ses souvenirs: "Je me souviens qu'un jour où j'étais assis dans une cantine publique à Perm. Tout autour des tables, il y avait des soldats de l'Armée rouge, des commissaires, des "secouristes". Empreint d'une grande vivacité, coulé dans une forme martelée, le type jacobin est entré dans l'histoire. Il en va de même pour le type bolchevique; il est certain qu'il a déjà été moulé de la même manière - un type terrible. Mais on sent cette originalité, l'essentiel c'est la volonté, qui sera aussi exposée dans le musée de cire". Voici son point de vue sur les blancs: "Ni Alexeïev, ni Koltchak, ni Dénikine n'avaient l'Eros du pouvoir. Malgré leur courage personnel, ils étaient tous des "leaders bancals chez les bancals". Ce n'est pas un hasard, bien sûr. La révolution a réussi à donner chair à l'idée de pouvoir, à la combiner avec le tempérament du pouvoir. D'abord, il fallait choisir entre les solides et les vacillants. Et c'est en Lénine qu'il a vu l'Eros du pouvoir, par opposition aux dirigeants du mouvement blanc. Deuxièmement, en 1918-1919, la guerre civile se poursuivait avec force et vigueur, mais Lénine voyait déjà les bolcheviks comme des "collecteurs de terres russes" et écrivait ce qui suit: "Le centralisme bolchevik est une forme de centralisme". Et:  "Le centralisme bolchevique, qui n'est entouré qu'extérieurement de la démagogie de la libre définition des peuples, est une véritable terreur pour la ceinture vivante des 'nains du district' (ici, bien sûr, nous entendons l'Ukraine, la Géorgie et d'autres entités nationales périphériques). Et la mission nationale, qui aurait pu prendre plusieurs décennies à un gouvernement russe loyal, est maintenant promise à une exécution très déloyale, en moins de temps et avec moins de victimes". C'est ce qu'il écrit dans son journal en 1919. Puis il se forge une idéologie, se dit bolchevik national, partisan du pouvoir soviétique. En Mandchourie, alors qu'il travaille sur le chemin de fer sino-oriental, il suit son développement et publie des recueils d'articles qui sont étudiés attentivement à Moscou et en Occident. Ses idées sont discutées lors des congrès du parti, et nous soulignons qu'une fois de plus, comme les bolcheviks nationaux allemands, il ne devient ni communiste ni marxiste, mais, simultanément, il conclut que les bolcheviks sont la force qui peut faire revivre l'État russe. Il accueille favorablement les mesures qui vont dans ce sens, et il n'accueille pas favorablement celles qui ne vont pas dans ce sens. Cette voie a pris beaucoup de temps, un grand nombre de victimes ont été sacrifiées, mais finalement, tout s'est passé comme Oustrialov l'avait prédit, même si ce n'est pas immédiatement.

Les années 20 et 30 ont été marquées par la lutte entre deux tendances : le national-bolchevisme, la tendance centraliste (les bolcheviks nationaux en tant que partisans d'un grand État centralisé) et le national-communisme. Mikhaïl Agoursky, dans son ouvrage sur "L'idéologie du national-bolchevisme", publié pour la première fois en 1979 à Paris, écrit : "Si le national-bolchevisme est un mouvement étatiste, le national-communisme de la périphérie est pour les représentants du Parti communiste, des gens aux opinions de gauche radicale qui étaient, en plus, des nationalistes". Nationalistes géorgiens, nationalistes ukrainiens, tatars - ils étaient nombreux dans les partis communistes établis. Le plus grand cercle de communistes nationaux était celui des Ukrainiens.

Les années 20 et 30 ont été une période dramatique pour l'Ukraine. Dans un premier temps, avec la bénédiction de la direction du parti, la politique dite d'ukrainisation a été mise en œuvre, avant d'être interrompue au milieu des années 30. Nombreux sont ceux qui voudraient jeter la pierre aux dirigeants bolcheviques pour cette indigénisation. Je ne les contredirai pas : ce fut une grave erreur politique lorsque l'ukrainisation des régions russes d'origine s'est faite du haut vers le bas. Lorsque la presse a été traduite en ukrainien, des quotas ont été introduits pour l'admission dans la fonction publique, il était nécessaire de parler ukrainien, même dans les universités. L'identité ukrainienne a été formée artificiellement, et de nombreuses personnes ont protesté contre cela - des membres du parti, des travailleurs du Donbass, des habitants de Slavyansk, de Kharkov. Cette question a également été discutée et débattue au sein du parti. Pour défendre la direction bolchevique, nous pouvons dire, tout d'abord, qu'elle s'inscrivait toujours dans le cadre d'un État unique. Bien que la RSS d'Ukraine ait été formellement indépendante, la situation était entièrement contrôlée depuis Moscou - il n'y avait pas de phénomène de Svidomisme (séparatisme), comme nous l'observons aujourd'hui, et il n'aurait pas pu exister. Deuxièmement, ils ont lutté contre les excès, y compris le nationalisme ukrainien, au cours du processus d'ukrainisation. En d'autres termes, il y avait deux tendances : l'une était l'ukrainisation et l'autre la lutte contre ceux qui exprimaient clairement cette idéologie svidomiste. Enfin, la troisième est le résultat de ce processus. En conséquence, l'ukrainisation a été freinée au début des années 1930.

Skrypnik et le poète ukrainien Khvylevoi, auteur du slogan "Sortez de Moscou !" (qui publiait des romans dans lesquels il s'adressait aux intellectuels russes, soviétiques et moscovites: "Vous voyez Petlioura en nous, mais vous ne remarquez pas d'Oustrialovisme en vous") ont été fusillés pendant la répression ou se sont suicidés. L'ukrainisation s'est terminée au milieu des années 30. En 1937, au plus fort de la Grande Terreur, Oustrialov retourne à Moscou. Il a été fusillé, accusé d'espionnage, de travailler pour les services secrets japonais, d'activités antisoviétiques, etc. Il me semble que s'il était revenu après la Seconde Guerre mondiale, il aurait vécu paisiblement en URSS, tout comme Alexander Vertinsky ou Alexander Kazembek, qui était une figure marquante du Mouvement blanc. Nikolaï Oustrialov a eu la malchance de venir à Moscou en 1937. Il était également une figure trop importante et Staline avait besoin d'éliminer le témoin de l'évolution du bolchevisme vers l'idée russe.

Cependant, les idées de national-bolchevisme d'Oustrialov ont commencé à prévaloir. Tel est le sujet de l'intervention de notre premier orateur: le tournant politique, idéologique, culturel et historique de la fin des années 1930. Joseph Staline et Andreï Jdanov, secrétaire du Comité central du PCUS, ont réalisé un véritable coup d'État. Le court chemin de l'histoire du PCUS disparaît avec de nouvelles données historiques, quand il n'y a plus d'Empire russe, la "prison des nations", qui a été proclamée par l'école de Mikhail Pokrovsky, l'un des historiens soviétiques les plus éminents. Des films comme "Alexandre Nevski" et "Ivan le Terrible" de Sergey Eisenstein sortent sur les écrans. Le comte rouge Alexei Tolstoï écrit le roman Pierre I. Les noms des généraux et des tsars russes reprennent un sens positif. Ce virage national-bolchevique d'Oustrialov à la fin des années 1930 est arrivé à point nommé, car sans lui, il aurait été extrêmement difficile, voire impossible, de survivre et de gagner la Grande Guerre patriotique. Il n'est pas étonnant que le parti bolchevique ait trouvé les mots justes dans d'autres slogans, tels que "frères et sœurs", qui faisaient appel à l'histoire ancienne de la Russie. En fait, depuis la fin des années 1930, le parti national bolchevique est devenu une idéologie supplémentaire de la société soviétique, en plus du marxisme classique. Telle était la vision et la prédication d'Oustrialov - il est mort, mais ses idées ont été victorieuses.

Si nous passons à une autre période historique, la fin des années 80 et le début des années 90, nous voyons comment le communisme national a été ravivé dans les républiques soviétiques, lorsque Leonid Kravtchouk et d'autres figures de la nomenclature du parti ont commencé à dire : "Oui, nous sommes des marxistes, mais nous ne sommes pas des communistes"; "Oui, nous sommes des communistes, mais nous sommes avant tout des Ukrainiens". Ils ont alors participé avec succès à l'effondrement du pays - ils n'avaient pas besoin du communisme ou de l'Union soviétique. Il y a eu l'effondrement du pays, le pillage des biens et la culture d'une idéologie svidomiste, que nous observons sous une forme si laide chez l'ennemi aujourd'hui. Il est logique que dans les années 90, le national-bolchevisme ait été ravivé en tant qu'idéologie impériale. Le 1er mai 1993, après le célèbre massacre perpétré par les OMON dans le centre de Moscou, Alexandre Douguine et Edouard Limonov ont signé la Déclaration créant le Front national bolchevique en réaction à la trahison, à l'effondrement du pays, à Eltsine et à ce qu'il était en train de faire.

Le national-bolchevisme étant une idéologie d'État, l'attitude à l'égard de la question ukrainienne a été exprimée sans équivoque. Je suis sûr que tout le monde a vu la vidéo dans laquelle Limonov est interviewé lors d'une des manifestations des soi-disant patriotes rouges-bruns et des gauchistes. Il s'exprime ainsi : "Pourquoi diable le Donbass et ma ville natale de Kharkov (il est né à Dzerzhinsk, mais a grandi à Kharkov), la Crimée ont-ils été donnés à Kiev ? Nous devrons nous battre et verser du sang pour cela". Cela s'est produit 20 ans plus tard. Bien entendu, la question ukrainienne a toujours été importante pour le Parti national bolchevique, interdit, et pour le Parti de l'autre Russie de Limonov. Ainsi, en 1999, la bannière "Sébastopol est une ville russe" a été accrochée à la tour du Seamen's Club de la ville. À l'époque, le journal de la flotte russe de la mer Noire s'est opposé à cette action, affirmant que les bolcheviks nationaux utilisaient ce slogan provocateur pour s'interposer entre les Russes et les Ukrainiens. Puis il y a eu la première guerre de 2014-2015, à laquelle les nationaux-bolcheviks ont également participé activement. Le mouvement Interbrigade a été créé, et maintenant nous l'avons ravivé et continuons à le faire. L'un est au combat, l'autre est correspondant de guerre, un autre encore est travailleur humanitaire. C'est notre contribution à la victoire sur l'ennemi. Je voudrais souligner qu'il existe également une demande de national-bolchevisme, et c'est une très grande demande. À bien des égards, elle se produit spontanément, lorsque les gens regardent certaines des choses que font les autorités russes et ne les comprennent pas. C'est ce qui s'est passé lorsque certains de nos prisonniers ont été échangés contre de nombreux commandants du bataillon Azov et Viktor Medvedtchouk. Cela a provoqué une tempête d'indignation dans Telegram parmi les soldats, les officiers militaires et tous les autres observateurs du processus. Le correspondant de guerre de Saint-Pétersbourg, Roman Saponkov, écrit : "En regardant toutes ces choses cyniques qui se passent, je commence à comprendre l'atmosphère de la guerre russo-japonaise ou de 1916 - une stupidité et une dégradation impénétrables m'entourent - et j'ai de plus en plus de respect pour les bolcheviks du point de vue de la planification de l'État. Ils n'ont jamais eu le moindre doute ni la moindre réflexion". Par exemple, Staline a déclaré un jour : "Je n'échange pas des soldats contre des généraux". C'est-à-dire la même chose: pour les solides, contre les bancals. Si le gouvernement russe ne fait pas preuve de la fermeté nécessaire, et semble parfois hésiter, s'il n'y a pas un virage national-bolchevique du haut vers le bas pour mettre fin à l'héritage des années 90, c'est-à-dire aux oligarques qui n'ont pas quitté les cercles des élites russes, si les attaques contre l'idéologie rouge, contre l'histoire de l'Union soviétique (je ne parle pas de discussions historiques - nous pouvons débattre du rôle de Lénine et de Staline) ne sont pas arrêtées... Cela ne doit pas se produire au niveau de l'État, car cela provoque une scission entre les patriotes rouges et les patriotes blancs, et tout le monde comprend les conséquences de cette scission. Ce sera pire pour tout le monde si nous perdons. Il sera donc difficile, voire impossible, de vaincre l'ennemi sans ce virage national-bolchevique, sans la détermination nécessaire. Souvenons-nous de la leçon des années 1941-1945. Nous avons alors vaincu un ennemi encore plus fort.

QUESTIONS ET RÉPONSES

Nikolaï Aroutiounov : Le national-bolchevisme considère l'histoire de la Russie comme un tout, choisissant les points où il est possible de s'appuyer sur une réalité historique spécifique, tout en acceptant toutes les étapes de l'histoire et en ne les oubliant jamais. Et quelle est votre opinion, par exemple, sur le concept de monarchisme social, qui fait l'objet des livres de Vladimir Karpets ?

Andreï Dmitriev : Je ne peux pas en parler en détail parce que je ne l'ai pas lu, pour être honnête. Mais c'est effectivement vrai en ce qui concerne les traditions historiques de la perception du national-bolchevisme. L'histoire russe, y compris celle des bolcheviks, est perçue comme un processus continu depuis le tout début. Il est intéressant de savoir que les hommes de culture et les artistes, les gens de l'âge d'argent, ont été les premiers à le ressentir. Agursky examine ces aspects en détail, le poème "12" en étant l'un des symboles : "Dans une couronne de roses blanches, le Christ Jésus (traduit par Jon Stallworthy et Peter France) conduit un détachement de soldats de l'Armée rouge. Ou encore Maximilian Volochine et son "Le tsar Pierre fut le premier bolchevik" - nous avons également eu droit à des mentions des bolcheviks aujourd'hui. "Les commissaires ont l'esprit de l'autocratie, tout comme les tsars ont au fond d'eux la révolution qui explose. Il y a d'abord le mot "folie": "Les commissaires ont la folie de l'autocratie". Mais nous aimons aussi cette ligne avec le mot "esprit". Tout ceci considère le bolchevisme comme un phénomène russe profondément non-coïncidant. En outre, comme nous l'avons déjà mentionné, c'est grâce à cette idéologie que le bolchevisme a réussi à consolider ses positions, à survivre et à mener notre pays à travers les épreuves difficiles du 20ème siècle.

Nikolai Aroutiounov : Je voudrais dire quelques mots sur Vladimir Karpets. Je pense qu'il est l'un des plus grands philosophes russes, parmi nos contemporains. Qu'il repose en paix. Karpets n'est plus parmi nous. Dans ses œuvres, il affirmait que la vie avait deux facettes : matérielle et spirituelle. Les idées de la gauche conventionnelle, la justice sociale dans l'économie, qui sont nées en Russie, pour le peuple russe qui réclame douloureusement la justice autour de lui, se situent du côté matériel du spectre de la vie. En revanche, Vladimir Karpets considérait la Rus moscovite, avec ses idéaux d'orthodoxie quotidienne, comme la meilleure incarnation de l'image spirituelle. Celle-ci s'incarnait directement dans la vie, lorsqu'une personne s'orientait dans le temps et l'espace en fonction du calendrier ecclésiastique, car les lignes directrices de l'orthodoxie jouaient un rôle important pour elle. Dans la période prérévolutionnaire, l'idéal du monachisme était le plus élevé parmi le peuple (je ne parle pas de l'élite). Après la révolution, l'idéal du scientifique devient un modèle pour le peuple et l'élite pendant un certain temps. Le scientifique et le moine sont quelque peu similaires ici (le scientifique est bien sûr dans sa version moderne).

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Andreï Dmitriev : Encore une fois, le camarade Lénine percevait le parti bolchevique comme un ordre religieux et il a même déclaré : "Le parti est l'ordre de l'humanité";  "Le parti est l'ordre des épéistes". L'Église était comprise de la même manière. Souvenons-nous de la "réconciliation" des autorités avec l'Eglise Orthodoxe Russe qui a eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale. La célèbre visite du patriarche Alexis Ier à Staline est également une composante du tournant national bolchevique. Quant à l'après-guerre, il s'agit de la lutte contre le cosmopolitisme. En ce qui concerne le pro-occidentalisme, la lutte contre les cosmopolites sans racines était efficace et activement soutenue par la société. Nous pouvons considérer la Grande Époque de Staline comme un puzzle composé de nombreuses pièces. Si nous tenons compte de ce tournant national-bolchevique, tout s'ajoute pour donner une image tout à fait saine. Je voudrais vous rappeler que ce tableau - le stalinisme d'après-guerre de 1945 à 1953 - est le sommet de la puissance historique de notre pays pour toujours. Le règne de Nicolas Ier a été l'apogée de la puissance à l'époque tsariste, lorsque la Russie était le "gendarme de l'Europe". Lorsque Staline était au pouvoir, la moitié de l'Europe de l'Est était également sous notre contrôle et nous étions amis avec la Chine. Certes, il y a eu plus tard des révolutions à Cuba, mais la discorde avait déjà commencé dans le camp socialiste, par exemple, il y a eu une querelle avec la Chine pendant la période Khrouchtchev, etc. Par conséquent, après tout, l'apogée du pouvoir est le stalinisme d'après-guerre, 1945-1953. N'oublions pas sur quelle base tout cela a été construit.

Daniil Choulga : Pensez-vous qu'il soit possible d'interpréter les événements actuels de l'opération militaire spéciale comme faisant partie, si je puis dire, de la guerre civile reportée en Union soviétique, qui n'a pas eu lieu lors de l'effondrement de l'Union soviétique, mais qui devait logiquement avoir lieu de toute façon, et qui a eu lieu dans 30 ans ?

Andreï Dmitriev : C'est exactement comme cela qu'il faut l'interpréter. Comme l'a chanté Mikhail Elizarov : "Soyez maudit, Gorbatchev". Bien sûr, dans Belovejskaïa Pouchtcha, les hautes autorités du PCUS, aussi bien Gorbatchev que Boris Eltsine, sont à blâmer pour ces contradictions à résoudre à l'avenir. Certains conflits ont éclaté immédiatement, comme les conflits géorgien-abkhaze et arménien-azerbaïdjanais ou transnistrien. Il s'est avéré que quelque chose avait été reporté pendant un certain temps, et progressivement (Vladimir Poutine dirige le pays depuis plus de 20 ans, n'est-ce pas ?), cette compréhension s'est faite au fil des ans. D'abord le discours de Munich, puis la guerre des cinq jours, puis 2014-2015, et maintenant une opération spéciale en Ukraine. Les intellectuels de notre époque - Edouard Limonov, qui a dit que nous devrions nous battre, Alexander Prokhanov, Alexander Douguine - en étaient tous parfaitement conscients. Aujourd'hui, avec des conséquences sanglantes, nous sommes en train de défaire tout ce qui a été organisé par la nomenclature des partis à la fin des années 80 et au début des années 90, tant au niveau de l'Union que des républiques nationales.

Nikolai Aroutiounov : Chers collègues, pensez-vous que la modernisation est possible sans l'occidentalisation ? Aujourd'hui, Arkady Iourievitch, en référence à Karamzine, a parlé de son idée d'acquisition de technologies sans introduction de coutumes étrangères. Que peut-on faire aujourd'hui ? Si l'on considère que la Russie et les intellectuels russes ont parcouru un long chemin en se concentrant toujours sur l'Occident, comment pouvons-nous le faire aujourd'hui ? Comment pouvons-nous emprunter des technologies sans nous approprier, avec la culture de la consommation, l'ensemble des valeurs qui accompagnent l'acquisition des technologies ?

Daniil Choulga : En fait, il n'y a pas de problème. La mondialisation a aussi des aspects positifs. Nous vivons dans un monde où les Chinois, les Japonais et les Coréens, en particulier les Sud-Coréens, ont un potentiel scientifique et technique très élevé. En même temps, l'occidentalisation les affecte d'une certaine manière, mais d'une manière très, très particulière. Ainsi, à l'époque de Pierre le Grand, il n'était pas nécessaire de revêtir des costumes occidentaux ; mais à l'époque, il y avait d'autres temps, des communautés plus locales. Aujourd'hui, selon certaines technologies, la Russie est un pays avancé: derrière toutes les nouvelles de batailles, le fait qu'un réacteur fermé soit presque terminé a disparu. Les déchets, y compris nucléaires, seront traités dans le réacteur, et ce sera formidable. Nous disposons donc de nombreuses technologies de pointe, qui continueront d'évoluer. De plus, de nombreux centres scientifiques sont maintenant situés en Asie, et pour travailler en coopération scientifique dans les sciences exactes et naturelles avec la Chine et le Japon (il est plus facile de coopérer avec la Chine), nous n'avons pas besoin de reconnaître le génie de Mao Zedong ou de Deng Xiaoping. D'ailleurs, les Chinois, qui sont des gens pragmatiques, n'en ont pas besoin. Ils travaillent généralement sans politique, ce qui leur vaut d'être appréciés en Afrique et en Asie centrale. Ainsi, à mon avis, malgré les particularités nationales, il n'y a pas de problème. Après tout, nous sommes tous des Homo sapiens. À l'exception des Africains, nous avons tous un peu de Neandertal en nous, et nous ne sommes donc pas si différents. Nous vivons tous dans un monde de capitalisme progressif, quelle que soit notre origine nationale. Il est donc possible d'établir des relations scientifiques en accord avec les lois du monde extérieur. Il est clair que chaque communauté locale se développe selon ses propres lois, qui sont liées à la géographie, à l'histoire du peuple, à la composition nationale, etc.

Pour adopter les technologies occidentales, nous n'avons pas besoin d'adopter une image occidentale, d'autant plus que nous savons tous que le discours gaucho-libéral occidental (bien qu'il n'en reste pratiquement plus rien) a terni la réputation même de l'Occident. Ce n'est pas un hasard si, lors des dernières élections en France, Mme Le Pen a multiplié par 11 sa présence au Parlement. Il en a été de même lors des élections en Italie, etc. Quel est le discours de l'Occident ? Aux États-Unis, la différence entre les démocrates et les républicains est la même que la différence entre Puma et Adidas. En clair, ce sont à peu près les mêmes, seuls les groupes sont différents. En Europe, c'est différent. Par conséquent, l'occidentalisation sans occidentalisation est possible dans le monde moderne, tout comme la construction d'un système moderne. En Europe, nous faisons tous partie de la chrétienté, nous sommes tous issus d'une civilisation chrétienne, de ses différentes variantes. Il y a beaucoup d'États protestants et de catholiques en Occident, comme nous le savons. Mais en fait, la question de savoir qui est le plus proche - des orthodoxes des catholiques ou des orthodoxes des calvinistes - est une grande question lorsque nous parlons de catégories civilisationnelles-religieuses. Je pense donc que c'est tout à fait possible. L'essentiel est de faire preuve de bon sens, de rechercher des partenaires normaux et tout ira bien.

Nikolai Aroutiounov : Il y a eu une remarque sur la possibilité de nommer le niveau de civilisation de notre culture comme celui des Rossiyane (les citoyens de la Fédération de Russie par opposition aux Russes). Il me semble que ce terme n'a pas été retenu, car il peut être associé à l'époque d'Eltsine, aux années 90. On peut parler des Russes à deux niveaux : au niveau de la civilisation, comme l'a dit Staline ("Je suis un Géorgien de nationalité russe") mais il voulait dire qu'il était russe en termes de civilisation. Et en même temps, il y a aussi des Russes ethniques, que l'on peut réduire à la dénomination de "Grands Russes". Et je pense que c'est la bonne façon de procéder. Même en Occident, si une personne vient de Bachkirie ou de Mordovie, on l'appelle Russe. Il en était ainsi au 19ème et au 20ème siècle. Il me semble donc qu'il serait possible d'arrêter tranquillement de chercher et de développer cette direction. Quant à la recherche de partenaires, il me semble que sans une idéologie exprimée dans des concepts concrets, sans l'autorité elle-même ou au moins quelques groupes au sein de l'élite qui croient en cette idéologie, c'est impossible, car ceux qui ont une idée à long terme gagneront toujours. Il n'est possible que d'échanger des ressources. Mais à long terme, ceux qui ont des raisons et qui y croient gagneront. Nous pouvons prendre l'exemple de notre pays dans les années 70. C'est à cette époque que l'idéologie a tout simplement disparu de l'État. Peut-être est-elle restée chez les gens ordinaires, mais ceux qui parlaient du haut des tribunes n'avaient plus foi en ce qu'ils disaient. Et, à mon avis, c'est l'une des raisons les plus importantes de l'effondrement de l'Union: il n'y avait pas de personnes au pouvoir qui étaient prêtes à mettre en œuvre des idéaux. Aujourd'hui, il y a des gens qui ont des idéaux élevés. On peut les appeler différemment, mais ce qu'ils ont en commun, c'est l'amour de la Russie, de ses manifestations, de l'État, aussi particulier soit-il. Il est facile d'aimer la patrie, il est difficile d'aimer l'État à cet égard. Néanmoins, c'est notre partie, notre manifestation - la plus grossière, la plus extérieure. Encore une fois, il y a l'amour de la culture, de quelque chose qui peut rassembler différents éléments, parfois très divers.

Daniil Choulga : Le fait est que l'idéologie est mauvaise. Dans la Chine moderne, elle est abondante. Mais une autre chose est que les Chinois sont différents (c'est pourquoi ils sont mieux accueillis en Afrique que les Américains), parce qu'ils n'ennuient pas tout le monde en imposant que les choses soient faites comme ils le font. En termes de consommation intérieure, l'idéologie est parfaite. Pourquoi commencer à la vendre à tout le monde ? Pourquoi le monde occidental est-il aujourd'hui en désaccord avec l'Arabie saoudite ? Parce qu'essayer de harceler tout le monde avec l'idéologie conduit à de tristes conséquences. Comme tout le reste, l'idéologie est bonne mais avec modération seulement. Mais je suis d'accord avec vous. Comme dans le film soviétique classique: "L'idée est ma ligne de conduite". Et après ? Bien sûr, nous devons comprendre où nous en sommes en termes de développement, où nous en sommes en termes de mouvement. C'est une bonne chose d'y réfléchir et d'en discuter. Mais en même temps, nous ne devons pas oublier le pain quotidien ou la construction de l'État. Car, par exemple, sous Mao Zedong, la Chine était super-idéologisée et, franchement, elle était assez pauvre. Deng Xiaoping s'est avéré plus pragmatique. En fait, son groupe est appelé "pragmatique" dans l'histoire de la Chine. Ils ont construit une nouvelle Chine, qui est aujourd'hui le premier État au monde en termes de parité de pouvoir d'achat. En même temps, Deng Xiaoping ne s'est pas débarrassé du parti communiste, tout allait bien pour lui. Et le parti communiste existe toujours.

mardi, 11 avril 2023

Diego Fusaro: Pourquoi le capital aspire-t-il à détruire l'école?

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Pourquoi le capital aspire-t-il à détruire l'école?

Diego Fusaro

Source: http://adaraga.com/por-que-el-capital-aspira-a-destruir-la-escuela/

La pédagogie néolibérale dégrade l'école en tant qu'entreprise destinée à produire des compétences adéquates pour le fonctionnement du système. Elle célèbre donc le stockage des compétences et la primauté de l'action: elle dissout toute figure de la connaissance non liée au pragmatisme de l'efficacité.

C'est ainsi que triomphe sur tout l'horizon ce que l'on pourrait définir comme une "culture barbare", pour reprendre l'image de Veblen dans la Théorie de la classe oisive : une culture qui non seulement ne favorise pas l'émancipation de la société, mais qui la pousse dans la direction opposée, en réprimant tout désir possible d'échapper à la cage d'acier du monde réduit à la marchandise. Les anciens régimes brûlaient les livres : l'actuel, sous forme de marchandise, rend structurellement impossible la figure du lecteur.

Dans le triomphe de l'esprit de quantité sur l'esprit de finesse, le capital ne peut accepter l'existence d'esprits pensants autonomes, de sujets éduqués, dotés d'une identité culturelle et d'une profondeur critique, conscients de leurs racines et de la fausseté du présent. En d'autres termes, il ne peut accepter le profil bourgeois antérieur de l'homme éduqué, enraciné dans sa culture historique et ouvert à l'avenir dans la planification.
Elle aspire au contraire à voir partout les mêmes, c'est-à-dire des atomes consommateurs sans identité et sans culture, de pures têtes calculatrices et irréfléchies, capables de ne parler que l'anglais des marchés et de la finance et incapables de remettre en cause l'appareil technico-économique dans sa totalité expressive.

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C'est dans ce même cadre cognitif qu'il faut insérer le phénomène des soi-disant "universités numériques", qui offrent à leurs étudiants des cours à distance et des diplômes obtenus sans jamais avoir mis les pieds dans les espaces concrets de l'université comme lieu de discussion et de comparaison, de dialogue et d'exercice de la critique.

La nouvelle figure numérique, de ce point de vue, favorise les processus d'individualisation de masse, en neutralisant l'élément de confrontation humaine et de concentration des étudiants dans les mêmes lieux et, dans l'ensemble, en réduisant de plus en plus la connaissance à des modules pré-packagés administrés à distance, sans aucune relation humaine avec l'enseignant.

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C'est ce qu'ont théorisé, entre autres, Veen et Vrakking dans leur étude Homo zappiens : leur proposition théorique se concentre sur l'idée de rompre avec les formes pédagogiques traditionnelles et, selon eux, obsolètes, et d'adapter les lieux d'enseignement aux besoins de la génération du net. Internet et son modèle doivent donc remplacer les leçons frontales classiques avec lesquelles l'Occident a transmis le savoir doré de l'époque grecque au Moyen-Âge, de la Renaissance au 20ème siècle.

Au cours des vingt dernières années, l'école en Europe a été soumise à une dynamique radicale de corporatisation, qui l'a rapidement reconfigurée dans ses fondements mêmes.

D'un institut de formation d'êtres humains au sens plein, conscients de leur monde historique et de leur histoire, elle s'est transformée en une entreprise fournissant des aptitudes et des compétences inextricablement liées au dogme utilitaire du "servir à quelque chose".

Le phénomène de la "dette étudiante" qui caractérise les campus universitaires libéraux américains et la privatisation totale de la culture sont significatifs à cet égard. Les universités publiques et privées ne cessent d'augmenter les frais de scolarité, obligeant de fait les étudiants à s'endetter pour y accéder : ainsi, non seulement les universités sont transformées en avant-postes de la valorisation de la valeur et en usines à profit, animées par le désir d'avoir plus, désir célébré par le Second traité de gouvernement de Locke, mais les étudiants eux-mêmes se retrouvent prisonniers des mécanismes de captation de la dette. Ils deviennent, dès leur plus jeune âge, les esclaves d'une dette qu'ils tenteront (le plus souvent sans succès) de rembourser tout au long de leur existence.

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Dans le passage de l'Académie platonicienne et du Lycée aristotélicien aux écoles de commerce, on pourrait en effet diagnostiquer la parabole de l'Occident, à la merci du pathologique "pan-économisme utilitariste" théorisé par Latouche.

De l'éducation comprise au sens classique comme le développement complet et multiforme de la personnalité humaine, nous sommes passés sans effort à la formation comme accumulation intensive de compétences techniques et pratiques, fonctionnelles pour l'insertion dans le marché du travail instable, flexible et précaire.

Il en résulte une perversion du concept classique de l'école en tant que lieu où le temps est soustrait à l'emprise du profit et consacré à l'apprentissage en vue de la formation de soi.

À cet égard, il est utile de rappeler que les langues européennes appellent "école" (Schule, school, escuela) l'institution de formation primaire des jeunes, en référence directe au σχολή des Grecs, c'est-à-dire au temps libre, que les Romains définiront comme otium, et l'otium est, par essence, le contraire du negotium, qui est le temps occupé par l'entreprise au nom du profit. Le paradoxe de l'école à l'ère du capitalisme post-bourgeois est qu'elle se convertit de plus en plus ouvertement au principe du negotium, devenant une institution de préparation aux pratiques de travail et niant ainsi sa propre essence d'otium.

Même dans le cas de l'enseignement scolaire et universitaire, la règle générale du système chrématistique flexible et précaire s'applique : la corporatisation du monde de la vie se déroule en même temps que la dés-éthicisation du monde de la vie. La marchandisation intégrale repose sur la destruction des contraintes éthiques antérieures de la phase bourgeoise et sur l'apogée de l'individualisme consumériste.

L'introduction de la rationalité libérale dans la structure la plus profonde de la personnalité détermine l'occupation intégrale du matériel et de l'immatériel par la forme marchandise et son modèle calculateur et économiste corrélatif : ce paradigme imprègne intégralement le moi, mais aussi l'ego, la sphère magmatique et insaisissable des instincts et des pulsions ; il n'épargne pas non plus le surmoi, envahissant même le champ des questions morales et religieuses. C'est là que se situe ce que l'on a appelé la "néolibéralisation des sujets".

La pulvérisation de l'éthique et de ses racines va de pair avec la réoccupation de ses espaces par le système des besoins et la forme marchande. Cela se voit non seulement dans la redéfinition corporative des écoles publiques dans le cadre de l'ordre néolibéral, mais aussi dans la privatisation d'autres instituts éthiques fondamentaux tels que les systèmes pénitentiaire et hospitalier.

En ce qui concerne le premier, la monarchie du dollar est, dans ce cas également, à l'avant-garde du processus de post-modernisation : la privatisation du système pénitentiaire dans ce pays expose les prisonniers à un contrôle vexatoire, souvent clairement éloigné de la réglementation juridique et politique.

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Les coups brutaux et la malnutrition visible sont la règle et, dans l'ensemble, la mise en œuvre nécessaire du principe "business is business" : selon ce principe, le prisonnier cesse d'être considéré comme une personne à rééduquer et à réhabiliter, en vue de sa réinsertion dans la société civile, et commence à être considéré comme une ressource dont on peut extraire la plus-value.

Cela se traduit par la recherche spasmodique de nouvelles "ressources" à interner (pour qu'il n'y ait plus de places vides) et, par conséquent, par de nouvelles politiques répressives, y compris en ce qui concerne les soi-disant "délits mineurs".

En ce qui concerne le secteur de la santé, le régime libéral promeut, à son image, une "marchandisation" de plus en plus accentuée de la santé et de la vie. Cela permet d'affirmer que les soins de santé sont profondément malades : le soin, dans son acception spécifiquement scientifique (l'éradication de la maladie) et humaniste ("Sorge" comme modalité existentielle fondamentale, comme le suggère l'Être et le Temps), est remplacé par la figure corporative du profit comme finalité ultime de l'action.

La redéfinition libérale du paradigme médical produit des effets désastreux et hautement contradictoires, qui dépendent en fin de compte de la reconfiguration (toujours dans le sillage du modèle américain) de la santé, qui passe d'un droit du citoyen à un bien de consommation. Parmi les effets les plus regrettables, on peut citer la réduction drastique du personnel médical et infirmier, avec pour corollaire un ralentissement des délais d'intervention et un risque accru de mortalité pour les patients, devenus entre-temps des "consommateurs". Il ne faut pas non plus oublier que les crédits alloués à des maladies telles que le cancer et la réduction considérable des soins aux personnes handicapées et aux malades mentaux sont de plus en plus réduits.

Dans le second contexte, il est soutenu par l'émergence de la nouvelle figure de l'"entreprise de santé", qui remplace les anciens "hôpitaux" publics : plus généralement, le droit aux soins universellement reconnu pour chaque citoyen devient une marchandise disponible en fonction de la valeur d'échange, avec pour conséquence une croissance exponentielle à la fois dans le secteur de la santé de luxe de la chirurgie esthétique pour quelques-uns, et dans l'impossibilité, pour beaucoup, d'accéder à des traitements de base.

Diego Fusaro
Diego Fusaro (Turin, 1983) est professeur d'histoire de la philosophie à l'IASSP de Milan (Institute for Advanced Strategic and Political Studies) où il est également directeur scientifique. Il a obtenu son doctorat en philosophie de l'histoire à l'université Vita-Salute San Raffaele de Milan. Fusaro est un disciple du penseur marxiste italien Costanzo Preve et du célèbre Gianni Vattimo. Il est spécialiste de la philosophie de l'histoire, notamment de la pensée de Fichte, Hegel et Marx. Il s'intéresse à l'idéalisme allemand, à ses précurseurs (Spinoza) et à ses successeurs (Marx), avec un accent particulier sur la pensée italienne (Gramsci ou Gentile, entre autres). Il est éditorialiste pour La Stampa et Il Fatto Quotidiano. Il se définit comme un "disciple indépendant de Hegel et de Marx".

mardi, 21 mars 2023

Marx et/ou Piketty: Apocalypse ou rédemption?

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Marx et/ou Piketty: Apocalypse ou rédemption?

Constantin von Hoffmeister

Source: https://eurosiberia.substack.com/p/marx-vs-piketty-apocalypse-or-redemption?utm_source=post-email-title&publication_id=1305515&post_id=108450465&isFreemail=true&utm_medium=email

Dans les recoins obscurs de l'intellect humain, Karl Marx, géniteur du credo moderne du communisme, et Thomas Piketty, érudit de l'époque actuelle originaire du pays des Gaulois, sont accaparés par les mystères insondables de l'inégalité économique et par le spectre insaisissable de la justice sociale. Les esprits de Marx et de Piketty, enchevêtrés dans les profondeurs labyrinthiques de la pensée, sont déchirés par un profond schisme concernant les origines du gouffre béant de la disparité économique et les moyens les plus efficaces de l'expurger.

Marx considérait le capitalisme comme un système fondamentalement injuste qui, par nature, perpétue l'inégalité et l'oppression. Il a identifié la bourgeoisie riche comme la classe dominante qui contrôle les moyens de production, utilisant son pouvoir pour exploiter la classe ouvrière, ou prolétariat, en lui versant de maigres salaires pour son travail. Cette exploitation est le résultat de la logique de profit du système capitaliste, qui privilégie l'accumulation des richesses au détriment du bien-être des travailleurs. Selon Marx, la lutte des classes entre la bourgeoisie et le prolétariat est à l'origine de la perpétuation des inégalités sociales et économiques. En outre, il a reconnu que la classe dirigeante emploie des tactiques pour diviser la classe ouvrière, par exemple en jouant sur les différences raciales et ethniques, afin de l'empêcher de s'unir et de renverser ses oppresseurs. La compréhension de l'artifice du divida et impera n'échappait pas à la perspicacité de Marx, qui voyait dans ce stratagème nocif une arme redoutable dans l'arsenal de l'ordre dominant, utilisée pour subjuguer les multitudes infortunées en instillant en leur sein une culture pernicieuse de désunion et de discorde. Pour Marx, la seule solution à ce système d'exploitation est une révolution au cours de laquelle le prolétariat s'empare des moyens de production et établit une société sans classe fondée sur l'égalité et la coopération.

56372446_10874651-eb9cb.jpgEn revanche, Piketty affirme que l'inégalité économique est souvent liée à des systèmes sociaux et politiques qui privilégient certains groupes par rapport à d'autres sur la base de la race, de l'appartenance ethnique et d'autres facteurs. Selon lui, la question de l'inégalité économique n'est pas simplement une question de malchance ou de responsabilité individuelle, mais plutôt un problème systémique qui nécessite une solution systémique. Il estime que l'accumulation de richesses par une petite minorité d'individus est non seulement injuste, mais qu'elle constitue également une menace pour la stabilité sociale et la démocratie. Piketty considère la fiscalité progressive comme un outil essentiel pour résoudre ce problème, car elle contribuerait à redistribuer la richesse des plus hauts revenus vers le reste de la société. Cela permettrait de réduire l'écart entre les riches et les pauvres et de créer une répartition plus équitable des ressources. Cependant, Piketty reconnaît également que l'impôt progressif ne suffirait pas à lui seul à créer une société véritablement équitable. D'autres politiques, telles qu'un meilleur accès à l'éducation et aux soins de santé, seraient également nécessaires pour garantir que chacun ait les mêmes chances de réussir, quels que soient ses antécédents ou son statut social. En fin de compte, Piketty considère la redistribution des richesses comme une étape cruciale vers la création d'une société où chacun aura les mêmes chances de prospérer et de réussir.

Piketty appelle à la mise en place d'un organisme de contrôle qui collecterait des données sur la discrimination, y compris le racisme anti-blanc, qui, selon lui, sera probablement minime. En réalité, les profondeurs de la discrimination anti-caucasienne sont à la fois insondables et, très probablement, plus répandues que celles qui visent les individus d'origine non blanche. L'hypothèse erronée de Piketty n'est qu'une indication de sa compréhension et de sa perspicacité limitées en la matière. Son erreur de jugement met en lumière les complexités labyrinthiques du monde moderne interconnecté et les subtiles complexités de l'esprit humain, qui peuvent souvent obscurcir les vérités les plus flagrantes.

Piketty recommande l'utilisation de données tirées des recensements et des registres de salaires pour faire la lumière sur la discrimination. Il met toutefois en garde contre l'adoption de catégories rigides telles que celles utilisées aux États-Unis et au Royaume-Uni, car elles ont déjà causé des ravages et des dévastations. Dans les annales labyrinthiques du Rwanda, une division énigmatique et inéluctable est apparue entre deux tribus énigmatiques : les Hutus et les Tutsis. Les origines de cette division ont été enveloppées dans un voile impénétrable de bureaucratie et de politiques identitaires alambiquées, mises en œuvre par d'obscures figures d'autorité qui exerçaient leur pouvoir avec une insondable impunité - les colonisateurs belges. Cet obscur système de classification assignait les mortels du Rwanda à deux castes distinctes et immuables, chacune apparemment dotée de ses propres traits et attributs impénétrables. Les Hutus, un groupe opprimé et privé de ses droits, ont observé avec un ressentiment croissant leurs homologues tutsis jouir d'un statut privilégié et de l'insaisissable promesse d'un avenir meilleur. En fin de compte, ce système de division incompréhensible et kafkaïen a culminé dans un cataclysme cauchemardesque de violence, de mort et de destruction, laissant une marque obsédante et indélébile sur le pays et ses habitants.

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Au lieu de cela, Piketty propose de s'interroger sur l'ascendance globale d'un peuple plutôt que de l'assigner à des catégories raciales ou ethniques strictes. Piketty critique les quotas, qui ont été utilisés par les élites pour éviter d'investir dans l'éducation, les soins de santé ou les infrastructures, et qui ont également exacerbé les tensions entre les groupes, comme on le voit dans les coins sombres des États-Unis, où les murmures de cette question litigieuse résonnent dans les couloirs du pouvoir, en parlant des politiques de discrimination positive qui cherchent à accroître la représentation de ceux qui ont été longtemps marginalisés. Hélas, à chaque pas en avant, il y a une résistance, un retour de bâton de la part de ceux qui pensent que c'est injuste et que c'est une menace pour la majorité blanche. Leurs craintes se manifestent dans de vils débats qui pénètrent même les murs les plus solides du progrès, laissant la nation trembler dans l'incertitude. Cependant, Piketty invoque le nom de l'Inde, un pays entouré de mystères anciens et de légendes interdites, comme une lueur d'espoir, où la mise en œuvre des quotas a apporté une grande amélioration pour les sans-castes opprimés et, dans son sillage, a adopté une approche plus pragmatique et holistique de l'élévation socio-économique.

Dans ses grandes idéologies, Marx a affirmé qu'à travers les âges, la classe dirigeante a utilisé une pléthore de catégories pour justifier et perpétuer l'inégalité économique et sociale. L'aristocratie et la bourgeoisie ont toujours exercé leur pouvoir sur les classes inférieures, tandis que les colonisateurs et les maîtres d'esclaves ont catégorisé et assujetti les gens sur la base de leur race et de leur appartenance ethnique. Ces catégories sont des outils d'oppression qui permettent à la classe dirigeante de consolider son pouvoir et de maintenir son emprise sur la société. Ainsi, l'inégalité n'est pas un résultat inhérent ou prédestiné des systèmes économiques, mais plutôt le produit insidieux des machinations calculées par les puissants pour maintenir leur domination sociale et économique sur la classe ouvrière. Marx pensait que la lutte entre la majorité opprimée et la minorité privilégiée était inévitable et qu'elle culminerait finalement dans une confrontation apocalyptique. Dans sa vision inquiétante, les masses opprimées se soulèveraient contre leurs oppresseurs et la conflagration qui en résulterait consumerait l'ordre existant, laissant dans son sillage un monde nouveau marqué par le symbole de la bête, emblème du triomphe final du mal sur le bien.

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vendredi, 10 février 2023

L'élite et la démocratie souveraine

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L'élite et la démocratie souveraine

Constantin von Hoffmeister

Source: https://eurosiberia.substack.com/p/the-elite-and-sovereign-democracy?utm_source=post-email-title&publication_id=1305515&post_id=101653089&isFreemail=true&utm_medium=email

La supériorité "morale" autoproclamée avec laquelle le règne d'une petite élite sur les masses peut être justifié est garantie par des doctrines et des croyances socialement approuvées, telles que "le confinement correspond à l'idéologie des Lumières" ou "la diversité est la force". Ces axiomes font que le règne de ceux qui sont actuellement au pouvoir semble raisonnable à presque tous les membres de la société et satisfont le besoin instinctif des masses d'une domination légitime, par opposition à une domination alpha "forcée" sur le plan émotionnel. Aucune classe politique, quel que soit le système politique auquel elle professe son allégeance, n'admettra qu'elle gouverne parce qu'elle est la plus apte à le faire. Par conséquent, elle ne prononcera jamais ces mots à voix haute : "Nous sommes plus sages et voulons transférer nos intuitions visionnaires dans la conscience collective du peuple." Au contraire, il essaiera toujours de justifier son pouvoir par une abstraction, par exemple : "La volonté des citoyens nous a élus à ce poste."

Étant donné que les électeurs éligibles dans un système représentatif ne peuvent pas voter pour n'importe quel candidat qu'ils souhaitent, mais qu'ils ne peuvent choisir qu'entre les candidats nommés par la minorité dirigeante réelle, la démocratie au sens de "gouvernement par le peuple" devient pire fantasme. La démocratie représentative présente un danger particulier car la concurrence pour les votes signifie que les candidats cherchent toujours à satisfaire les souhaits des électeurs, évitant ainsi les mesures impopulaires mais nécessaires. Il est rare que la majorité des électeurs sache ce qui est bénéfique pour le corps politique. Les masses enclines aux sentiments démocratiques peuvent être neutralisées au mieux par une entité qui leur donne l'illusion de participer au pouvoir de l'État. La création d'un parti politique conduit inévitablement à une division interne de l'organisation et à une aliénation de l'élite organisationnelle par rapport aux membres de la base. Ce n'est pas l'abolition complète du parlement qui rend l'État fort, mais le transfert voilé des pouvoirs de décision du parlement vers le cercle restreint des élites, qui n'apparaissent pas en public mais restent dans l'ombre derrière les visages souriants de la télévision (le cercle extérieur).

La phrase clé est la démocratie souveraine, dans laquelle le pouvoir d'arbitrage revient au gouvernement dans l'intérêt du peuple, et surtout de sa santé et de son hygiène mentale. Les tendances antisociales de décadence et de dépravation du monde extérieur sont écartées en limitant strictement la consommation culturelle. La démocratie souveraine rétablit l'équilibre des pouvoirs entre la plus haute autorité et sa représentation : le souverain. Il devient le constituant, et au lieu d'être élu seulement tous les quatre ou cinq ans, il reçoit des droits souverains avec lesquels il peut contribuer à façonner la politie démocratique selon ses valeurs et ses priorités.

Le terme "élite" vient du français, où il était utilisé au 17ème siècle pour décrire ceux qui, à la suite d'une ségrégation sociale sur de nombreuses générations, ont atteint une position élevée dans la société. En réalité, ce sont des pouvoirs anonymes qui font tourner les roues de l'histoire. Essentiellement, le processus historique est déterminé par la concurrence impitoyable entre les élites publiques et secrètes appartenant à différentes factions (nationales, économiques ou culturelles).

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vendredi, 03 février 2023

Hybris, le mot clé de la politique américaine

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Hybris, le mot clé de la politique américaine

Alexander Bovdunov

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/hybris-la-parola-chiave-della-politica-americana

Mot du jour : ὕβρις (Hybris) est une catégorie négative de la culture grecque classique. Ce mot signifie manque de mesure, arrogance, ivresse du pouvoir, confiance excessive en soi.

Dans le réalisme classique de Hans Morgenthau, basé en grande partie sur l'Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide, la catégorie ὕβρις a une signification particulière. Les réalistes, qui proposent un retour aux origines (c'est-à-dire aux Grecs) par opposition aux néo-réalistes, chez qui les concepts d'"équilibre des forces", de "puissance" et d'"anarchie internationale" acquièrent des traits mécaniques, y prêtent une attention fondamentale.

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Hans Morgenthau.

Dans cette interprétation, c'est l'ὕβρις qui est la cause du déclin et des défaites d'Athènes. L'absence de la vertu de maîtrise de soi conduit au déclin du pouvoir hégémonique. Seule la maîtrise de soi, une mesure, permet de gouverner efficacement. Sinon, c'est le désastre.

"L'arrogance de la tragédie grecque et shakespearienne, le manque de retenue d'Alexandre, de Napoléon et d'Hitler sont des exemples de situations extrêmes et exceptionnelles", a noté Morgenthau.

Le succès et le pouvoir provoquent l' "ὕβρις", amènent les dirigeants des États, et donc les États eux-mêmes, à surestimer leur capacité à contrôler les événements, ce qui, comme dans les tragédies grecques, conduit au désastre. Les Grecs considéraient l' "ὕβρις" comme la propriété principale du début de l'ère titanique, qui se manifeste dans l'homme, conduisant à la peripeteia - la disparition de la fortune, suivie de la nemesis - le châtiment divin.

Ce n'est pas seulement l'équilibre des forces, mais aussi l'ordre, la loi, le "nomos" qui assurent la stabilité des relations entre les États. Le Nomos exige la mesure. Le manque de mesure et l'arrogance conduisent à l'anomie, qui ne peut être surmontée que par la création d'un nouvel ordre. La tragédie grecque devient un paradigme pour comprendre les relations internationales.

Dans notre histoire, l'"arrogance" de l'unique superpuissance, la violation des normes écrites et non écrites du droit international (nomos) l'ont de facto aboli, le manque de retenue dans la revendication du contrôle de territoires de plus en plus nombreux et l'imposition de ses propres attitudes civilisatrices a conduit à un retour de bâton de la part de la Russie et peut-être à l'avenir de la Chine. Le conflit ukrainien est une conséquence du déclin du pouvoir débridé des États-Unis, causé par le pouvoir lui-même. Mais la dimension tragique ouvre la perspective d'une purification si le nouveau pouvoir est fondé sur la loi sacrée, apportant avec elle l'ordre et la justice. Comme dans l'Antigone de Sophocle, le nouvel ordre naît dans la tragédie, lorsque la tentative de faire respecter la supposée "légalité" relève du titanique et du tyrannique, de l'ὕβρις .

Cependant, on peut continuer à raisonner dans ce sens. Le début d'une période titanique de l'histoire se caractérise non seulement par l'excès, mais aussi par la déficience, par le fait de ne pas aller jusqu'au bout, par l'abandon des limites finales. L'important n'est pas d'être des titans en pensée et en action. L'incertitude des limites, le flou de l'image est une caractéristique de ces pouvoirs. L'ordre exige la clarté, la compréhension, la clarté de l'objectif et la clarté de la vision, littéralement la "théorie".

katehon.com

jeudi, 02 février 2023

Carl Schmitt sur Hegel et Marx

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Carl Schmitt sur Hegel et Marx

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2023/01/15/lastips-carl-schmitt-om-hegel-och-marx/

Carl Schmitt a été une connaissance fréquente et précieuse pour notre site Motpol, en partie en tant parce qu'il est un analyste sobre de la politique. Ses arguments sur la distinction ami-ennemi, le souverain, le nomos, le partisan et l'état d'exception ont influencé les penseurs de droite comme de gauche. Le révolutionnaire conservateur Schmitt était également un critique, toutefois sous-estimé, de la civilisation, identifiant des aspects de la crise de l'Occident dans des œuvres telles que Hamlet ou Hécube. Il est intéressant de noter qu'il a cité Bruno Bauer, Nietzsche, Cortés et Baudelaire comme des voix importantes de la crise du 19ème siècle.

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Une ressource féconde pour le schmittien se trouve dans le compte youtube Der Schattige Wald (https://www.youtube.com/@derschattigewald3912/videos), lié à ce trésor de traductions d'Ernst et Friedrich Georg Jünger connu sous le nom de Jünger Translation Project (https://jungertranslationproject.wordpress.com/). Sur Der Schattige Wald, nous trouvons, entre autres, une traduction du texte de Schmitt de 1931 sur Hegel et Marx. Le point de départ de Schmitt est ce qui unit Hegel et Marx, la méthode dialectique; il note également qu'il faut appliquer la méthode de ces deux penseurs à soi-même.

Cette approche s'avère fructueuse. Schmitt note que lorsque le jeune Marx s'est opposé à la défense du statu quo par son aîné Hegel, c'est avec la méthode de ce dernier qu'il l'a fait. Marx savait que "la philosophie et la méthode dialectique de Hegel ne permettaient aucun sur-place ni aucun repos, et, à cet égard, elle était et restait le morceau de philosophie le plus révolutionnaire que l'humanité ait alors produit". Il est intéressant de noter que Schmitt identifie une logique qui mène de cela à l'intérêt de Marx pour l'économie politique. L'État, que Hegel considérait comme "le domaine de l'esprit objectif et présent", se trouvait pour Marx dans une phase de transition ("en partie une relique d'époques historiquement obsolètes, et en partie un instrument d'une société bourgeoise essentiellement économique et industrielle"). Le jeune hégélien a donc dû essayer de comprendre ce dernier phénomène, ce qui a finalement conduit à Das Kapital.

En même temps, Schmitt avait accès à des matériaux et des textes qui manquaient à Marx en ce qui concerne le jeune Hegel. Ceux-ci préfigurent en partie le radicalisme de Marx. "Aujourd'hui, nous sommes familiers avec le Hegel qui était un ami de Hölderlin" écrit Schmitt. Cela devient vraiment intéressant lorsque Schmitt note que "c'est le jeune Hegel qui a défini le premier le concept de bourgeois comme celui d'un homme essentiellement apolitique et ayant besoin de sécurité. La définition se trouve dans un article de 1802 sur la constitution allemande qui n'a pas été publié avant la fin du siècle". Nous trouvons des définitions similaires du bourgeois chez d'autres penseurs allemands, de Jünger à Schmitt lui-même. L'attitude anti-bourgeoise semble être un phénomène germanique qui ne mène qu'exceptionnellement aux conclusions tirées par Marx. L'attitude anti-bourgeoise germanique conduit normalement à d'autres idéaux sociaux et humains.

Le raisonnement de Schmitt sur les conditions préalables du socialisme moderne, tant en termes de critique sociale que de méthode dialectique, est également intéressant ("le socialisme n'est pas simplement un type possible de critique des maux communs à toutes les époques"). Les Gracques n'étaient pas socialistes, pas plus que l'anabaptiste du 16ème siècle Müntzer. La relation du socialisme à la raison dialectique présente à la fois des forces et des faiblesses. Schmitt présente un aspect du projet comme relativement sympathique, le désir de "construire l'histoire de l'humanité elle-même, de saisir l'époque actuelle et le moment présent, et de faire ainsi de l'humanité le maître de son propre destin" (comparez le discours de Marx qui parle de mettre fin à la préhistoire de l'humanité et de commencer son histoire consciente). Dans le même temps, le rapport à la dialectique implique une conviction de réussite qui n'est pas nécessairement ancrée dans la réalité mais qui constitue néanmoins une puissante force motrice. Schmitt décrit ici la conviction que si l'on peut expliquer un phénomène, un ordre ou une classe, sa fin est garantie. Pour le profane, cela peut sembler difficile à saisir, mais c'est un point de départ de la pensée de Marx. Schmitt écrit ici que "tant que la situation historique de cette classe ennemie n'est pas encore mûre, tant que la bourgeoisie n'est pas seulement du passé, mais a encore un avenir, il reste impossible de découvrir sa formule finale dans le cadre de l'histoire mondiale". Il y a une certaine logique à cela, tout comme la chouette de Minerve vole dans le crépuscule, il est difficile de comprendre une classe qui n'a pas encore épuisé ses possibilités.

Dans l'ensemble, il s'agit d'un texte passionnant qui démontre à la fois la justesse de Schmitt en tant qu'analyste de l'idéologie et offre des perspectives partiellement nouvelles sur Hegel et Marx. De plus, si la dialectique est aussi le mode de pensée germanique, ce qui est le cas, le texte devient particulièrement enrichissant.

A propos de l'auteur : Joakim Andersen

Joakim Andersen dirige le blog Oskorei depuis 2005. Il a une formation universitaire en sciences sociales et une formation idéologique en tant que marxiste. Ce bagage s'exprime aujourd'hui par un intérêt pour l'histoire des idées et une focalisation sur les structures plutôt que sur les personnes et les groupes (l'adversaire est, en somme, le Nouvel Ordre Mondial, pas les musulmans, les juifs ou d'autres groupes). Au fil des ans, l'influence de Marx a été complétée, entre autres, par Julius Evola, Alain de Benoist et Georges Dumezil, car le marxisme manque à la fois d'une théorie durable du politique et d'une anthropologie. Aujourd'hui, Joakim ne s'identifie pas totalement à une quelconque étiquette, mais considère que la fixation sur, entre autres, le conflit imaginaire entre "droite" et "gauche" est quelque chose qui obscurcit les véritables problèmes de notre époque. Son blog continue également à se concentrer sur l'histoire des idées, et il est heureux de présenter des courants étrangers à un public suédois.

Qu'est-ce que Motpol ?

Motpol est un groupe de réflexion identitaire et conservateur qui poursuit deux objectifs principaux : 1) mettre en lumière un spectre de la culture qui est essentiellement laissé de côté dans un espace public suédois de plus en plus encombré et monotone, et 2) servir de forum pour la présentation et le débat sur l'idéologie, sur la théorie et la pratique politiques. Les écrivains de Motpol viennent d'horizons divers et écrivent à partir de perspectives différentes.

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mercredi, 01 février 2023

Quand un État est-il vraiment souverain?

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Quand un État est-il vraiment souverain?

par Daniele Dell'Orco

Source : Daniele Dell'Orco & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/quand-e-che-uno-stato-e-davvero-sovrano

Le récent débat sur l'envoi de chars Leopard à l'armée ukrainienne a une fois de plus mis en évidence l'extraordinaire faiblesse de la (l'ancienne ?) locomotive de l'Europe : l'Allemagne.

Ce pays qui était considéré il y a encore quelques mois comme une puissance hégémonique sur le Vieux Continent s'est retrouvé littéralement mis à nu en l'espace de quelques mois et ce, dans plusieurs domaines: le domaine politique (l'instabilité persistante de l'ère post-Merkel), le domaine économique (la dépendance énergétique, la crise industrielle due aux sanctions) et le domaine militaire (l'armée réduite au niveau zéro).

Prise en tenaille, l'Allemagne a été contrainte de prendre des décisions contraires à son intérêt national en démantelant des années de planification politique en un temps très court.

C'est une bonne occasion d'utiliser l'exemple allemand comme étude de cas pour comprendre en quoi consiste réellement la "souveraineté" d'un pays.

Les macro-domaines qui donnent à une nation la possibilité d'être le maître de son propre destin (pour le meilleur ou pour le pire) sont au nombre de trois :

- la stabilité politique ;

- la puissance militaire ;

- la stabilité financière.

D'un point de vue politique, quelle que soit la forme de gouvernement que l'on puisse trouver dans les différents pays du monde, un leadership fort dans le cas des autocraties, une confiance massive dans le parti/leader dans les démocraties illibérales, ou un large consensus électoral dans les démocraties libérales (ou un système bipolaire derrière lequel se meut un État profond cohésif, rendant les élections non pertinentes sur de nombreuses questions) sont indispensables pour permettre à un gouvernement de prendre des décisions politiques, économiques (approvisionnement en énergie, État-providence, fiscalité, etc.) et militaires.

Cette dernière instance, l'instance militaire, est un outil indispensable pour affirmer sa souveraineté, a contrario des options prises pendant plusieurs décennies successives, où, dans de nombreux pays européens (en premier lieu ceux qui sont sortis perdants de la guerre mondiale comme l'Italie ou, précisément, l'Allemagne) régnait l'axiome selon lequel il serait plus sage d'externaliser la défense et de réduire les dépenses militaires au minimum parce que "vous pouvez construire des jardins d'enfants avec cet argent". Et c'est ce que nous constatons avec la guerre actuelle: ceux qui disposent d'une armée puissante (Turquie, Israël, Chine, France, en plus des grands acteurs directement impliqués dans le conflit) prennent les décisions, les autres rentrent dans le rang, tête basse.

Une armée "puissante" se mesure évidemment en termes de nombre, mais aussi en termes de préparation, de polyvalence (par exemple, avoir une force aérienne forte et une marine faible ne rend une armée puissante que dans certains scénarios) et surtout de suprématie industrielle et technologique.

Ce point est fondamental: si l'on achète ses propres armements, ou si on les fabrique dans le cadre de ce que l'on appelle officiellement un "partenariat" mais qui est pratiquement un contrat de sous-traitance, on n'est pas souverain, car on n'aurait pas la possibilité de disposer librement de ses propres armes en cas de besoin. Le programme F-35 en est un bon exemple.

Il est développé par Lockheed Martin, BAE et Leonardo, avec de bons emplois (proportionnellement) pour tous.

Mais les technologies, le soutien, le contrôle de leur utilisation sont la prérogative d'une seule puissance (à de très rares exceptions près).

Le potentiel industriel va de pair. Si l'on dispose de ses propres technologies, qu'elles soient obsolètes ou extraordinairement avancées, il faut aussi avoir la capacité pratique de les traduire en armements (donc aussi en potentiel industriel, en matières premières, en personnel, etc.) ou de les contracter à l'étranger avec de "vraies" formes de partenariat.

La stabilité financière est en quelque sorte le ciment de tout cela, car dans le monde globalisé, elle est à toutes fins utiles une arme.

Une dette publique trop importante dans des mains étrangères rend vulnérable.

Un déficit trop important lie les mains des gouvernements et ne permet pas la réalisation du PIB.

Un PIB trop faible crée du mécontentement et de l'instabilité.

Une trop grande instabilité fait des économies la proie d'attaques financières et fait tomber les gouvernements.

Etc.

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Aucune de ces sphères n'a la priorité sur l'autre, mais toutes sont autonomes et leur équilibre substantiel aboutit à la plus haute expression possible de la souveraineté.

Cependant, même en cas de déséquilibre, le fait de mettre l'accent sur deux d'entre eux, capable de minimiser les impacts de l'autre (l'exemple de la Turquie, en crise économique perpétuelle, est emblématique) pourrait être acceptable pour autant que l'on travaille sans cesse à les rééquilibrer.

Un déséquilibre dans deux, voire trois, de ces sphères ne peut en aucun cas rendre un pays réellement souverain, mais seulement en véhiculer le sentiment. C'est ce qui est arrivé à l'Allemagne: en temps de paix, elle semblait indestructible, avec le changement de décor, elle se découvre défaillante.

En utilisant ce simple miroir, il est possible de dresser une sorte de "bulletin" pour chaque étude de cas.

De mon point de vue, ces concepts montrent qu'en Europe (y compris au Royaume-Uni), aucun pays ne peut prétendre être véritablement souverain, à l'exception de la France. Laquelle a toutefois connu un déclin progressif au cours des dernières décennies, tant dans le domaine politique (elle est de plus en plus instable malgré une loi électorale qui la met autant que possible à l'abri des renversements antisystème) que dans le domaine financier.

En bref, son équilibre est précaire.

Mais au moins, elle est là.

D'où la raison pour laquelle, à ce jour, les destins de l'Europe ne se décident pas en Europe.

lundi, 30 janvier 2023

Si la "droite" a raison - à l'avenir, la pensée globaliste devra se combiner avec l'affirmation de soi localiste

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Neue Züricher Zeitung (NZZ)

Commentaire d'un lecteur

Si la "droite" a raison - à l'avenir, la pensée globaliste devra se combiner avec l'affirmation de soi localiste

L'Occident a longtemps réussi à exercer une domination politique, idéologique et technologique sur le monde. Aujourd'hui, il est confronté à de puissants rivaux extérieurs et au relativisme culturel qui sévit en son sein. Le réalisme et l'autolimitation sont de mise.

Heinz Theisen

Après l'échec de l'utopie visant l'égalité matérielle, les aspirations de la gauche se sont déplacées vers l'égalité culturelle et biologique. Sous le signe de l'arc-en-ciel, la diversité et l'égalité sont censées se compléter au sein de "l'humanité unique" - comme autrefois la liberté et l'égalité au sein des sociétés nationales.

La puissance de cette nouvelle idéologie provient de sa coalition avec le capitalisme mondial. L'appel à l'ouverture des frontières unit les acteurs économiques mondiaux et les moralistes à la pensée globaliste. La libre immigration est pour les uns ce que l'externalisation est pour les autres.

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Déconstruction du propre

Tous deux sacrifient pour cela l'affirmation de soi des communautés circonscrites, de la famille, de l'État-nation et de la culture. D'où la déconstruction, qui les caractérise, de toute identité originale, et leur haine de la culture occidentale, qui est la plus réussie et donc la plus inégalitaire. L'ordre du "monde unique" est attribué dans le grand reset à un centralisme numérisé d'instances mondiales.

La critique du manque de rationalité des intérêts ne s'adresse pas à un zèle religieux de substitution qui satisferait des aspirations profondes au bien. Non, ce manque de rationalité est critiquable parce qu'il s'agit d'un christianisme frelaté tant que son idéal d'universalité n'est pas associé au réalisme de la subsidiarité. L'amour du lointain risque de prendre le pas sur l'amour du prochain.

Lorsque les sociaux-démocrates danois veulent garantir l'État social en durcissant le droit d'asile, est-ce de gauche ou de droite ?

Le relativisme culturel de l'Occident était la condition préalable à son universalisme politique, jusqu'à justifier l'intervention dans des milieux culturels étrangers. Au sein de la société, les luttes culturelles étaient également programmées. Les valeurs et les structures occidentales étaient considérées comme transférables à satiété à d'autres cultures et, inversement, aux immigrés issus de cultures étrangères.

La coalition tricolore en Allemagne n'est pas le fruit du hasard. Un libéralisme galvaudé occupe une place centrale dans cette coalition arc-en-ciel. Il exige, jusque dans les rôles sexuels, la dissolution de toutes les formes d'identité communautaire au profit des identités individuelles. L'absence de limites est revendiquée même par rapport face aux contraintes naturelles.

Le moralisme de l'ouverture universelle revendique à son tour l'absoluité. Les positions opposées à ce Bien, posé comme tel, sont considérées comme mauvaises et ne méritent que d'être combattues. Toute forme d'affirmation de soi est considérée comme "de droite", la polarisation des sociétés suit son cours.

Les attaques venant du lointain sur tout ce qui est prochain et du futur sur le présent expliquent aisément les contre-mouvements furieux, observables de Trump au Brexit en passant par Le Pen et l'AfD. Mais ceux-ci ne constituent que des contre-pensées tant qu'ils ne proposent pas leur propre récit réaliste. Sans une compréhension plus profonde de la culture propre d'un terreau local/national, la volonté de le protéger ne peut être justifiée que par des peurs et des ressentiments. Et sans une reconstruction des éléments les meilleurs et les plus unificateurs de notre culture - comme en particulier l'histoire chrétienne bimillénaire de l'Europe - un sentiment de colère génère un rejet massif et renforce la polarisation.

Le mondialisme utopique délocalisé/délocalisant menace de générer des contre-extrémismes nationalistes et régressifs. L'État-nation n'est pas une fin en soi, comme le pensent certains romantiques identitaires. Il peut lui-même devenir l'agent d'un centralisme bureaucratique et détruire les petites communautés. Mais il n'y a aucune raison de le diaboliser tant qu'il agit de manière défensive et qu'il reste principalement axé sur l'affirmation de ses propres valeurs.

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Démondialisation et nouvelle multipolarité

Dans un monde multipolaire composé de grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine et la Russie, les nations européennes sont trop petites pour pouvoir assurer seules leur sécurité et leur prospérité. La voie médiane et praticable entre le mondialisme et le nationalisme résiderait dans un aménagement de l'espace entre les acteurs, dont la structure et la taille résulteraient de leur capacité à résoudre les problèmes.

En Europe, cela pourrait se faire dans le cadre d'une Union qui connaitrait ses limites à l'extérieur et à l'intérieur. Plus de diversité à l'intérieur permettrait plus d'unité et de force à l'extérieur, face aux adversaires que sont la Russie, la Chine et ceux du monde islamique. Il ne s'agit pas de sortir de cette Union, mais de la transformer en une "Europe qui protège" (Macron) - jusqu'à un marché unique européen qui sache exiger la réciprocité dans les échanges avec la Chine.

La guerre d'agression de Poutine a mis fin à tous les rêves mondialistes et multilatéraux. La déconnexion de la Chine, opérée dans le cadre de la pandémie, qui a placé le pays hors des contextes internationaux, et les sanctions décrétées contre la Russie ont renforcé les tendances à la déglobalisation qui étaient déjà en germe dans la pandémie. La rivalité, qui s'est déchaînée dans l'économie mondiale, exige une plus grande protection de la classe moyenne contre les tendances oligopolistiques. Les pertes de prospérité sont inévitables, mais une meilleure délimitation de ce ressac permettrait de garder et de consolider l'ordre.

D'autant plus que les valeurs woke de l'Occident, qui glissent de plus en plus vers un extrémisme débridé, suscitent plutôt le dégoût dans les cultures traditionnelles ailleurs dans le monde. Alors que les démocraties libérales font preuve d'une très grande tolérance à l'égard de l'islam, l'islamisme, de son côté, se montre intransigeant. Dans leur propre culture, les conservateurs culturels affirment que leur culture doit demeurer dominante, et dans l'espace de la culture étrangère, ils respectent sa primauté. De cette manière, même des cultures incompatibles pourraient coexister pacifiquement.

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La droite et la gauche se confondent

La préoccupation centrale de la "droite", des traditionalistes aux nationalistes, est l'auto-affirmation de ce qui lui est propre. Ce récit permettrait également au conservatisme de sortir de son dilemme consistant à toujours s'opposer aux nouveautés des autres.

La "lutte contre la droite" déclarée par beaucoup semble être menée avec d'autant plus d'acharnement qu'elle passe à côté du sujet. Lorsque les sociaux-démocrates danois veulent garantir l'État social en durcissant le droit d'asile, est-ce là une position de gauche ou de droite? Un libéral qui défend l'égalité des sexes contre la charia est-il libéral ou conservateur? De même, une protection accrue du commerce de détail par une taxation minimale d'Amazon à l'échelle européenne serait à la fois de gauche, libérale et de droite.

Face à tout ce qui doit être affirmé et préservé en termes de progrès social et d'émancipation, l'affirmation de soi est également une préoccupation incontournable pour la gauche et les libéraux. Le conservatisme ne signifie donc pas l'exaltation du passé, mais la reconnaissance des nécessités pour faire face à la réalité. On peut aussi appeler cela du "protectionnisme".

Avec la guerre d'agression menée par la Russie, le nationalisme connaît une renaissance, si ce n'est au profit de sa propre nation, il le connaît via le soutien à l'Ukraine. Les pacifistes verts sont devenus du jour au lendemain les plus fervents partisans de la livraison d'armes. Si les anciens objecteurs de conscience du gouvernement allemand, comme le chancelier et le vice-chancelier, défendent l'autodétermination nationale des Ukrainiens, ils peuvent difficilement la refuser à leur propre pays. Les mondialistes seront confrontés à un Canossa similaire lorsque les flux migratoires toucheront les quartiers aisés et commenceront à submerger les éthiciens de la pensée qui y vivent.

Mais en fin de compte, les contradictions entre les mondialistes et les protectionnistes devront être transformées en réciprocité, comme dans le cas du conflit entre le capital et le travail dans l'économie sociale de marché. Les sociétés vieillissantes ont besoin à la fois d'immigration et d'État social. Une migration maîtrisée nécessite des formes contrôlées d'ouverture et des formes différenciées de protection.

Les avantages comparatifs en termes de coûts du libre-échange sont indispensables au développement de la prospérité. Des compromis peuvent être trouvés sur les limites de la concurrence mondiale en faveur des qualités locales. Leur recherche commence dès lors que des discours ouverts sont tenus sur les limites de l'ouverture.

Heinz Theisen est professeur émérite de sciences politiques à l'Université catholique de Rhénanie du Nord-Westphalie à Cologne.

dimanche, 22 janvier 2023

Présentation de Multipolarité au XXIème siècle et de L'Europe, la multipolarité et le système international

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Présentation de Multipolarité au XXIème siècle et de L'Europe, la multipolarité et le système international

Age planétaire et nouvel ordre mondial

par Irnerio Seminatore

INSTITUT ROYAL D'ETUDES STRATEGIQUES de RABAT

8 Décembre 2022

TABLE DES MATIERES

Une vue d'ensemble

Alliance Anti-Hegemonique et nouveau Rimland

Crise de l'atlantisme et transition du système

Les issues du conflit ukrainien

L'hégémonie et le remodelage du système

Stabilité et sécurité. Alternance Hégémonique ou alternative systémique ?

Le conflits USA-Russie et la rupture de la continuité géopolitique Europe-Asie

Encerclement, politique des alliances et leçons de la crise

***

Une vue d'ensemble

L'ambition de ces deux publications sur la multipolarité, le tome 1 au titre La Multipolarité au XXIème siècle et le tome 2: L'Europe, la Multipolarité et le Système international. Age planétaire et nouvel ordre mondial, a été d'avoir essayé de dresser une vue d'ensemble sur la politique mondiale à l'époque où nous vivons.

Et cela, sous l'angle d'une pluralité de structures de souverainetés et donc d'équilibre des forces, mais également et surtout de l'antagonisme historique entre puissances hégémoniques et puissances montantes et donc d'un certain ordre politique et moral. On y repère ainsi les deux aspects principaux de tout narratif historique, l'acteur et le système, qui se projettent sur la toile de fond de l'action historique.

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L'acteur, ou la figure de l'Hégémon, y apparaît comme le signifiant universel d'une époque et le système, comme englobant général de tous les antagonismes et de toutes les rivalités, en est le décor.

Ces deux ouvrages couvrent la transition qui va de la fin du système bipolaire à l'unipolarisme américain qui lui a succédé, puis au multipolarisme actuel, en voie de reconfiguration.

Parmi les changements des structures de pouvoir et des ordres internationaux, trois thèmes constituent le fil conducteur de l'antagonisme qui secoue le système, des débats qui animent ses rivalités et ses conflits et, comme tels, l'axe directeur de mes deux ouvrages

- la triade des puissances établies, qui se disputent l'hégémonie de la scène planétaire (Etats-Unis, Russie et Chine), scène devenue durablement instable;

- l'environnement stratégique mondial, comme cadre historique, cumulant les trois dimensions de l’action, d’influence, de subversion ou de contrainte;

- l'Europe, comme acteur géopolitique inachevé et à autonomie incomplète.

Dans ce contexte, l’interprétation des stratégies de politique étrangère prises en considération, obéit aux critères, jadis dominants de la Realpolitik, remis à l’ordre du jour par le World Politics anglo-saxon.

L'option réaliste en politique internationale est adoptée non pas pour garantir l'idéal de la puissance ou de l'Etat-puissance, comme au XIXème siècle, ou encore pour justifier la matrice classique de la discipline, l'anarchie internationale, à la manière de R. Niebuhr, mais pour comprendre les mutations des idées et des rapports de forces, intervenues dans la politique mondiale depuis 1945.

C'est uniquement par l'approche systémique et par conséquent par une vue générale et exhaustive, que l'on peut saisir les conditions idéologiques et structurelles de la remise en cause de la souveraineté des Etats et des Nations et l'apparition d'un univers d'unités politiques interdépendantes et toutefois subalternes à une hégémonie impériale dominante.

Ainsi l'ensemble des essais ici réunis, prétend conférer à ces deux tomes un statut d'éclairage conceptuel pour la compréhension de l'évolution globale de notre conjoncture et pour l'analyse du "Grand Jeu" entre pôles de puissances établies, défiant la stabilité antérieure.

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Alliance Anti-Hégémonique et nouveau Rimland

Sont mises en exergue, dès lors :

l'alliance anti-hégémonique du pivot géographique de l'histoire, le Heartland, par la Russie, l'Iran et la Chine et, en position d'arbitrage la Turquie,

- la chaîne politico-diplomatique du  "containement" de la masse eurasienne, par la ceinture péninsulaire extérieure du "Rimland"mondial, constituée par la Grande Ile de l'Amérique, le Japon, l'Australie, l'Inde, les pays du Golfe et l'Europe, ou, pour simplifier, l'alliance nouvelle des puissances de la terre contre les puissances de la mer.

Dans cet antagonisme entre acteurs étatiques, l'enjeu est historique, le pari existentiel et l'affrontement est planétaire.

En soulignant le déplacement de l'axe de gravité du monde vers
l'Asie-Pacifique, provoqué par l'émergence surprenante de l'Empire du Milieu, ce livre s'interroge sur le rôle de l'Amérique et de la Russie, ennemies ou partenaires stratégiques de l'Europe de l'Ouest, justifiant par là le deuil définitif de "l'ère atlantiste" qui s'était imposée depuis 1945.

Crise de l'atlantisme et transition du système

La crise de l'atlantisme, ou du principe de vassalité est aujourd'hui aggravée par deux phénomènes:

- la démission stratégique du continent européen, en voie de régression vers un sous-système dépendant;

- les tentatives de resserrement des alliances militaires permanentes en Europe et en Asie-Pacifique (Otan, Aukus) prélude d'un conflit de grandes dimensions.

Ouvrages  didactiques, ces deux tomes prétendent  se situer dans la postérité des auteurs classiques du système international, R. Aron, Kaplan, Rosenau, H. Kissinger, K. Waltz, Allison, Brzezinski, Strausz-Hupé, et plus loin, Machiavel et Hobbes, tout aussi bien dans la lecture des changements des équilibres globaux et dans la transition d'un système international à l'autre, que dans la lecture philosophique sur la nature de l'homme, la morphologie du pouvoir  et  les caractéristiques intellectuelles de la période post-moderne. Ce qui est en cause dans toute transition est le concept de hiérarchie.

Sous ce regard de changement et de mouvement, le retour de la guerre en Europe représente le premier moment d'un remodelage géopolitique de l'ensemble planétaire et une rupture des relations globales entre deux sous-systèmes, euro-atlantique et euro-asiatique.

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Au sein de ce retournement, l'Europe y perd son rôle d'équilibre entre l'Amérique et la Russie et le grand vide de puissance, qui s'instaure dans la partie occidentale du continent, est aggravé par l'absence de perspective stratégique, par le particularisme des options diplomatiques des Etats-Membres de l'Union Européenne, par le flottement des relations franco-allemandes jadis structurantes et, in fine, par la difficile recherche d'un Leadership commun.

Les issues du conflit ukrainien

L'issue du conflit ukrainien, comme guerre par procuration mené par l'Amérique contre la Russie, a été présenté au Forum sur la sécurité internationale de Halifax, au Canada, par Lloyd Austin, Secrétaire américain à la défense, comme déterminant de la sécurité et de l'ordre mondial du XXIème siècle fondé, sur des règles. Ce conflit prouve la difficulté de l'Union européenne à assurer une architecture européenne de sécurité "égale et indivisible" car il intervient comme modèle de rupture dans les relations de coopération internationales et préfigure en Asie-Pacifique une relation d'interdépendance stratégique et d'alliances militaires opposées, entre puissances du "Rimland" et puissances du "Heartland", face à l'ouverture prévisible, d'une crise, concernant le "statut" de Taiwan.

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Dans la perspective d'une invasion de celle-ci par la Chine s'ouvriraient les portes de la géopolitique planétaire vers le Pacifique et l'Australie et changerait immédiatement le sens du conflit entre Moscou et l'Occident. Seraient particulièrement brouillés les calculs de Washington sur le rôle de la Russie en Europe, en Asie-centrale et en Asie-Pacifique, d'où le jeu ambigu de la Turquie et la recherche d'une profondeur stratégique pour l'emporter, qui demeure sans précédent.

Aujourd'hui, l'affrontement Orient et Occident est tout autant géopolitique et stratégique, qu'idéologique et systémique et concerne tous les domaines, bien qu'il soit interprété, dans la plupart des cas, sous le profil de la relation entre économie et politique.

Sous cet angle, en particulier, l'unipolarisme de l'Occident fait jouer à la finance, disjointe de l'économie, un rôle autonome pour contrôler, à travers les institutions multilatérales, le FMI et la Banque Mondiale, l'industrie, la production d'énergie, l'alimentation, les ressources minières et les infrastructures vitales de plusieurs pays.

Dans ce cadre les Etats qui soutiennent la multipolarité sont aussi des Etats à gouvernement autocratique, qui résistent au modèle culturel de l'Occident et affirment le respect de vies autonomes de développement, une opposition visant la financiarisation et la privatisation des économies , subordonnant la finance à la production de biens publics.

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L'hégémonie et le remodelage du système

Or le remodelage du système international pose le problème de l'hégémonie comme nœud capital de notre époque et inscrit ce problème comme la principale question du pouvoir dans le monde. En effet nous allons vers une extension sans limites des conflits régionaux, une politique de resserrement des alliances militaires, occidentales, euro-asiatiques et orientales, qui donnent plausibilité à l'hypothèse d'une réorganisation planétaire de l'ordre global, par le biais d'un conflit mondial de haute intensité.

La plausibilité d'un conflit majeur entre pôles insulaires et pôles continentaux crée une incertitude complémentaire sur les scénarios de belligérance multipolaire dans un contexte de bipolarisme sous-jacent (Chine-Etats-Unis)

C'est l'une des préoccupations, d'ordre historique, évoquées dans ces deux tomes sur la multipolarité.

A ce propos, le théâtre européen élargi (en y incluant les crises en chaîne qui vont des zones contestées des pays baltes au Bélarus et à l'Ukraine, jusqu'au Golfe et à l'Iran, en passant par la Syrie et le conflit israélo-palestinien), peut devenir soudainement l'activateur d'un conflit général, à l'épicentre initial dans l'Est du continent.

Ce scénario, qui apparaît comme une crise du politique dans la dimension de l'ordre inter-étatique, peut être appelé transition hégémonique dans l'ordre de l'histoire en devenir.

Bon nombre d'analystes expriment la conviction que le système international actuel vit une alternance et peut être même une alternative hégémonique et ils identifient les facteurs de ce changement, porteurs de guerres, dans une série de besoins insatisfaits , principalement dans l'exigence de sécurité et dans la transgression déclamatoire du tabou nucléaire, sur le terrain tactique et dans les zones d'influence disputées (en Ukraine, dans les pays baltes, en Biélorussie, ainsi que dans d'autres points de crises parsemées).

L'énumération de ces besoins va de l'instabilité politique interne, sujette à l'intervention de puissances extérieures, à l'usure des systèmes démocratiques, gangrenés en Eurasie par l'inefficacité et par la corruption et en Afrique, par le sous-développement, l'absence d'infrastructures modernes, la santé publique et une démographie sans contrôle.

En effet, sans la capacité d'imposer la stabilité ou la défendre, Hégémon ne peut exercer la suprématie du pouvoir international par la seule diplomatie, l'économie, le multilatéralisme, ou l'appel aux valeurs.

Il lui faut préserver un aspect essentiel du pouvoir international (supériorité militaire, organisation efficace, avancées technologiques, innovation permanente, etc).

Hégémon doit tenir compte de l'échiquier mondial, de la Balance of Power, de la cohésion et homogénéité des alliances, mais aussi de l'intensité et de la durée de l'effort de guerre. C'est pourquoi les guerres majeures relèvent essentiellement de décisions systémiques (R. Gilpin).

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Stabilité et sécurité. Alternance Hégémonique ou alternative systémique ?

La question qui émerge du débat actuel sur le rôle des Etats-Unis dans la conjoncture actuelle est de savoir si la "Stabilité stratégique" assurée pendant 60 par l'Amérique (R. Gilpin) est en train de disparaître, entrainant le déclin d'Hégémon et de la civilisation occidentale, ou bien, si nous sommes confrontés à une alternative hégémonique et à un monde post-impérial.

L'interrogation qui s'accompagne au déclin supposé des Etats-Unis et à la transition vers un monde multipolaire articulée, est également centrale et peut être formulée ainsi; "quelle forme prendra cette transition ?".

La forme déjà connue, d'une série de conflits en chaîne, selon le modèle de R. Aron, calqué sur le XXème siècle, ou la forme plus profonde d'un changement de la civilisation, de l'idée de société et de la figure de l'homme selon le modèle des "révolutions systémiques" de Strausz-Hupé, couvrant l'univers des relations socio-politiques du monde occidental et les grandes aires de civilisations connues?

Du point de vue des interrogations connexes, les tensions entretenues entre les Occidentaux et la Russie en Ukraine, sont susceptibles de provoquer une escalade aux incertitudes multiples, y compris nucléaires et des clivages d'instabilités, de crises ouvertes et de conflits gelés, allant des Pays baltes à la mer Noire et du Caucase à la Turquie. Ces tensions remettent à l'ordre du jour l'hypothèse d'un affrontement général, comme issue difficilement évitable de formes permanentes d'instabilité régionales, aux foyers multiples, internes et internationaux.

Cette hypothèse alimente une culture de défense hégémonique des Etats-Unis, dont la projection de puissance manifeste sa dangerosité et sa provocation en Europe, au Moyen Orient et en Asie.

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Le conflits USA-Russie et la rupture de la continuité géopolitique Europe-Asie

En ce sens le conflit avec la Russie, par Ukraine interposée, peut être interprété comme une tentative de désarticulation de la continuité géopolitique de l'Europe vers l'Asie (Brzezinski) et de la Chine vers la région de l'Indopacifique. C'est sous l'angle de fracturation et de la vassalité, que s'aggravent les facteurs d'incertitudes et les motifs de préoccupation sur les tendances stratégiques des Etats-Unis.

En effet la différenciation vis à vis du Leader de bloc distingue en Europe les pays d'obédience et d'influence atlantique stricte (GB, pays nordiques, Hollande, Belgique, Pays baltes et Pologne) des pays du doute et de la résistance (France, Italie et Allemagne).

Au niveau planétaire font partie des zones à hégémonie disputée et demeurent sujettes à l'influence grandissante de la Realpolitik chinoise la région des Balkans, de la mer Noire, de la Caspienne, du plateau turc, du Golfe, de l'Inde, d'Indonésie, du Japon et d'Australie.

Pariant, sans vraiment y croire sur la "victoire" de Kiev", face à Moscou, l'Amérique entend clairement faire saigner la Russie, en éloignant le plus possible la perspective d'un compromis et d'une sortie de crise.

Par ailleurs la vassalité de l'Europe centrale vis à vis de l'Amérique deviendra une nécessité politique et militaire, afin de décourager l'Allemagne, réarmée, de vouloir réunifier demain le continent. Une vassalité semblable pourrait opposer les pays asiatiques à la Chine dans la volonté de restituer de manière unilatérale, l'Asie aux Asiatiques.

Encerclement, politique des alliances et leçons de la crise

Du point de vue des leçons à tirer et de ses répercussions, la crise ukrainienne a mis à l'ordre du jour la réflexion sur la morphologie des systèmes internationaux, stables, instables ou révolutionnaires, et, en particulier la politique des alliances, qui ont fait grands les empires et inéluctables les guerres.

Comme l'Empire allemand avant 1914, la Fédération de Russie a pu se sentir encerclée par l'Otan et a choisi, en pleine conscience du danger, de passer d'un mode défensif à un mode préventif et offensif, au nom de ses intérêts de sécurité et de la conception commune et incontestable de la "sécurité égale et indivisible" pour tous les membres de la communauté internationale. Une sécurité égale qui était justifiée, avant la première guerre mondiale, par une équivalence morale entre les ennemis, comme l'a bien montré Carl Schmitt, contre la diabolisation de l'Allemagne.

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Telle est, à mes yeux, la vue d'ensemble de la conjoncture que nous vivons, si profonde et si grave, que j'ai essayé d'en décrire les formes et les enjeux et de la soumettre au jugement de nos contemporains, pour qu'en témoigne l'Histoire et pour qu'en tire profit la décision politique.  Et cela dans le but de décrypter les dilemmes de la paix et de la guerre et de percevoir dans la détérioration des systèmes internationaux, un espoir de compatibilité civilisationnelle et stratégique entre acteurs principaux, portant sur la stabilité ou le retour à la stabilité

Pour rendre moins aléatoire cette recherche j'ai adoptée tour à tour cinq niveaux de compréhension :

- théorique (attributs systémiques, système et sous-systèmes, homogénéité- hétérogénéité, stabilité et sécurité);

- historique (la scène planétaire et sa morphologie ,les acteurs et les constellations diplomatiques);

- géopolitique (enjeux globaux, géopolitique continentale et géopolitique mondiale océanique);

- stratégique (la triade, le condominium USA-Chine ou le duel du siècle, hégémonie et compétition hégémonique);

- institutionnel (la crise de l’unipolarisme et de l’atlantisme, l’Europe et la multipolarité);

et j'en ai conclu à et opté pour un indéterminisme probabiliste, qui gouverne le sort de l'homme et des sociétés, dans le sens de la liberté ou de celui de la tyrannie, de la vie ou de la mort.

Ce travail, qui m'a demandé quarante ans, ne m'a consenti aucune certitude et aucune sentence définitive et m'a toujours rappelé que l'histoire reste ouverte au choix du bien ou du mal et à celui de la volonté la plus déterminée, soit-elle terrifiante.

Ce qui se prépare aujourd'hui et qui est conforme à la théorie des grands cycles et à la situation du monde actuel, demeure le duel du siècle entre les Etats-Unis et la Chine. Mais "quid" alors de la Russie et avec autant d'inquiétude de l’Europe ?

Les interrogations proposent à l'action les grandes options de demain, mais ne donnent que l'image approximative du possible et jamais la solution accomplie. Celle-ci appartient à l'imprévu, qui est l'enfant naturel du risque et l'appétit le plus cruel de l'aventure humaine.

 

Bruxelles le 8 Décembre 2022

vendredi, 20 janvier 2023

Karl Marx et les crimes malthusiens des élites humanitaires

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Karl Marx et les crimes malthusiens des élites humanitaires

Nicolas Bonnal

Jamais la volonté exterminatrice des élites de Davos ne s’est montrée plus enragée et avérée que cette année; jamais la volonté d’en finir avec les pauvres de l’Europe n’a été aussi étalée au grand jour. Et en même temps on n’a jamais été si humanitaire et si écologiste et si désireux de préserver sans rire le climat ou la planète fût-ce au détriment de sept milliards de personnes choisies pour leur étique compte en banque.

Dans une page essentielle du capital (chapitre sur l’accumulation primitive), Marx montre que l’élite féodale britannique – qui dirige toujours ce monde d’une manière ou d’une autre – a toujours été humanitaire et écologiste. Elle est humanitaire à distance c’est-à-dire qu’elle aime le lointain (enfin, certains lointains) et qu’elle hait son prochain.

Le socialiste Hobson parlera de l’inconséquence (inconsistency) des impérialistes occidentaux. En fait ils savent ce qu’ils font; mais comme Tartufe ils tablent sur l’hypocrisie humanitaire qui sert en général à éliminer quelques millions – bientôt quelques milliards de personnes – avec l’aide des journaux qui n’ont jamais été que la voix officielle (voyez ce qu’écrit Marx sur The Economist par exemple) des maîtres. Mais comme nous parlions des victimes sans valeur, nous pouvons parler des missions à valeur humanitaire ajoutée. Armer l’Ukraine jusqu’à la disparition (déjà presque réalisée) de ce pays, de la Russie et de l’Europe abrutie par la sous-culture industrielle de la féodalité anglo-saxonne (cf. mes textes sur Céline, Zweig, Hesse…) sera ainsi le résultat de cette mission à forte valeur ajoutée humanitaire.

images.jpgJ’en reviens à Karl Marx  qui parle de l’effarante duchesse de Sutherland qui est anti-esclavagiste :

« Lorsque Mme Beecher Stowe, l'auteur de la Case de l'oncle Tom, fut reçue à Londres avec une véritable magnificence par l'actuelle duchesse de Sutherland, heureuse de cette occasion d'exhaler sa haine contre la République américaine et d'étaler son amour pour les esclaves noirs, - amour qu'elle savait prudemment suspendre plus tard, au temps de la guerre du Sud, quand tout cœur de noble battait en Angleterre pour les esclavagistes, je pris la liberté de raconter dans la New-York Tribune [Edition du 9 février 1853. Article intitulé : The Duchess of Sutherland and Slavery. (N. R.)] l'histoire des esclaves sutherlandais. »

Comme on l’a dit l’aristocratie féodale britannique aime bien dépeupler (car le dépeuplement est décoratif). Marx explique encore :

« George Ensor dit dans un livre publié en 1818 : les grands d'Écosse ont exproprié des familles comme ils feraient sarcler de mauvaises herbes; ils ont traité des villages et leurs habitants comme les Indiens ivres de vengeance traitent les bêtes féroces et leurs tanières. Un homme est vendu pour une toison de brebis, pour un gigot de mouton et pour moins encore... Lors de l'invasion de la Chine septentrionale, le grand conseil des Mongols discuta s'il ne fallait pas extirper du pays tous les habitants et le convertir en un vaste pâturage. Nombre de landlords écossais ont mis ce dessein à exécution dans leur propre pays, contre leurs propres compatriotes. »

Et il revient à sa duchesse (pensez à Greta, Ursula, Angela, Jacinda, etc.) qui veut du pâturage :

« Mais à tout seigneur tout honneur. L'initiative la plus mongolique revient à la duchesse de Sutherland. Cette femme, dressée de bonne main, avait à peine pris les rênes de l'administration qu'elle résolut d'avoir recours aux grands moyens et de convertir en pâturage tout le comté, dont la population… »

On aime tous l’Ecosse des Highlands, beau désert pour touristes. Problème : on en a fait un désert (pensez aux incendies géo-ingéniérés d’Australie qui ont facilité la concentration d’esclaves urbains) :

« De 1814 à 1820, ces quinze mille individus, formant environ trois mille familles, furent systématiquement expulsés. Leurs villages furent détruits et brûlés, leurs champs convertis en pâturages. Des soldats anglais, commandés pour prêter main-forte, en vinrent aux prises avec les indigènes. Une vieille femme qui refusait d'abandonner sa hutte périt dans les flammes. C'est ainsi que la noble dame accapara 794.000 acres de terres qui appartenaient au clan de temps immémorial. »

local_hero.jpgOn envoie ensuite les survivants des Highlands au bord de la mer (pensez au légendaire film écossais Local Hero) :

« Une partie des dépossédés fut absolument chassée; à l'autre on assigna environ 6.000 acres sur le bord de la mer, terres jusque-là incultes et n'ayant jamais rapporté un denier. Madame la duchesse poussa la grandeur d'âme jusqu'à les affermer, à une rente moyenne de 2 sh. 6 d. par acre, aux membres du clan qui avait depuis des siècles versé son sang au service des Sutherland. Le terrain ainsi conquis, elle le partagea en vingt-neuf grosses fermes à moutons, établissant sur chacune une seule famille composée presque toujours de valets de ferme anglais. En 1825, les quinze mille proscrits avaient déjà fait place à 131.000 moutons. Ceux qu'on avait jetés sur le rivage de la mer s'adonnèrent à la pêche et devinrent, d'après l'expression d'un écrivain anglais, de vrais amphibies, vivant à demi sur terre, à demi sur eau, mais avec tout cela, ne vivant qu'à moitié. »

Dans Local Hero la jolie fille a comme des oreilles de poisson…

En réalité la chasse a toujours servi à dépeupler et à martyriser non seulement les animaux mais surtout les humains (Taine en parle dans son Tome I des Origines: le paysan a moins de droits que le gibier du noble); et l’activité de Nemrod sert à développer l’éternel programme malthusien.

Marx :

« L'amateur à la recherche d'une chasse ne met, en général, d'autre limite à ses offres que la longueur de sa bourse... Les Highlands ont subi des souffrances tout aussi cruelles que celles dont la politique des rois normands a frappé l'Angleterre. Les bêtes fauves ont eu le champ de plus en plus libre, tandis que les hommes ont été refoulés dans un cercle de plus en plus étroit... Le peuple s'est vu ravir toutes ses libertés l'une après l'autre... Aux yeux des landlords, c'est un principe fixe, une nécessité agronomique que de purger le sol de ses indigènes, comme l'on extirpe arbres et broussailles dans les contrées sauvages de l'Amérique ou de l'Australie, et l'opération va son train tout tranquillement et régulièrement.»

Purger le sol de ses indigènes tel est le mot du jour. La purge est devenue systématique et écologique. On complètera Marx par une relecture (voir mon texte) du génial Polanyi et des destructions du monde traditionnel par le développement industriel de la culture moderne: fabriquer des abrutis prit du temps.

Sources:

https://traficantes.net/sites/default/files/Polanyi,_Karl...

https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-...

http://www.dedefensa.org/article/polanyi-et-la-destructio...

http://files.libertyfund.org/files/127/0052_Bk.pdf

 

jeudi, 19 janvier 2023

Non à la société multiculturelle néolibérale! Oui à la communauté sociale identitaire!

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Non à la société multiculturelle néolibérale! Oui à la communauté sociale identitaire!

Enric Ravello

Source: https://euro-sinergias.blogspot.com/2023/01/no-la-sociedad-multicultural-neoliberal.html

L'immigration de masse, le multiculturalisme, la substitution démographique sont la conséquence du paradigme idéologique actuel, de la superstructure idéologique - comme dirait Marx - qui détermine la structure sociale et économique. Ce paradigme, que beaucoup appellent désormais mondialisme ou mondialisation, n'est rien d'autre que le développement logique des principes de l'idéologie libérale. Pour guérir une maladie, la première chose à faire est de poser un bon diagnostic, d'examiner les symptômes et de déterminer la cause. Soyons clairs: le libéralisme est la cause principale de tous les problèmes angoissants dont souffrent les sociétés européennes aujourd'hui. Par conséquent, il est le grand ennemi à détruire.

Pour le libéralisme, l'homme naît "ex novo". C'est-à-dire qu'il ne fait pas partie d'une communauté, d'une tradition ou d'une identité, il est simplement un individu qui est mû par son propre intérêt individuel et économique. D'une certaine manière, le libéralisme est la théorie de l'individualisme absolu, dans laquelle l'individu, sans racines, sans passé et sans mémoire, et donc égal et interchangeable avec le reste des hommes, s'associe à d'autres pour défendre ses propres intérêts, qui sont très majoritairement de nature économique. Cet amalgame d'intérêts particuliers crée la société, comprise essentiellement comme un marché.

Conçu comme un pacte minimal, l'État est un "moindre mal" qu'il faut réduire au maximum pour que ce soit le marché - le totem libéral - qui régule les relations entre les individus.

De cette même logique libérale découle le concept ambigu et liquide d'"intégration", qui, dans l'imaginaire libéral, se traduit par l'incorporation plus ou moins ordonnée dans la société marchande de nouveaux individus en tant que simples producteurs/consommateurs.

Nous, les identitaires, sommes l'antithèse, tant au niveau de ses principes que de son application, de la pensée libérale. Pour nous, la société n'est pas créée par un contrat commercial (principe libéral) mais par l'histoire, le patrimoine et la tradition (principe identitaire). Une personne naît avec un patrimoine et dans un environnement particulier, elle fait, dès le premier instant, partie d'un groupe, et ce sont ces groupes, les peuples, qui créent les États. Pour les identitaires, le "nous" précède et conditionne le "je", tandis que le "je", détaché du "nous", est la base de l'idéologie libérale, uniformisante et mondialiste.

C'est pourquoi nous soulignons que le concept d'intégration est un sophisme. Les cultures, qui ne naissent pas spontanément, sont l'expression mentale et formelle d'un peuple. Si ce peuple disparaît, sa culture disparaîtra également. Il ne faut pas confondre "intégration" et "imitation" (des formes extérieures et de l'accès au marché du travail) - ce qui est l'affirmation libérale. Une culture est quelque chose de beaucoup plus élevé, beaucoup plus large et beaucoup plus complexe.

Dans la Grèce classique, berceau de la démocratie (le pouvoir du peuple), le "demos" était lié-légitimé avec l'ethnos. Elle n'a rien à voir avec un agrégat d'individus qui sont en relation les uns avec les autres par intérêt économico-marchand. Il est temps de retrouver le vrai sens de la démocratie.

Si la société est comprise comme une communauté qui partage des liens historico-culturels profonds, nous sommes aux antipodes du libéralisme et de son idée de réduire l'État au minimum. L'État est l'instrument politique de la communauté historico-identitaire et assurera donc la protection de tous ses membres et ne l'abandonnera pas à l'arbitraire injuste du "marché".

C'est pourquoi nous défendons un secteur public digne et fort qui assure la santé, les droits sociaux et l'éducation pour tous les membres de notre communauté nationale et populaire. Être identitaire inclut nécessairement un fort élément social, sinon c'est, soyons clairs, une trahison du peuple lui-même en tant que communauté organique.

Nous désignons donc le libéralisme comme l'ennemi absolu, ses œuvres et ses dirigeants, qui ne pourront jamais être une référence pour quiconque s'identifie à nos postulats, à titre d'exemple nous désignons l'infâme Margaret Thatcher et ses politiques néolibérales de privatisation du secteur public; nous récupérons la citation de Géraldine Vaughan, docteur en histoire et civilisation britannique, qui dans le cadre du référendum sur l'indépendance de l'Écosse en 2014 disait: "l'idéologie thatchérienne s'est attaquée aux valeurs écossaises profondément ancrées dans l'idée de communauté". Les politiques néolibérales de Thatcher ont pulvérisé l'État, ce qui a été ressenti comme une attaque contre l'idée de communauté. Une tranchée idéologique et morale s'est ouverte entre les Écossais en conséquence.

Contre tout libéralisme, individualisme et mercantilisme. Nous luttons pour un "niveau de vie" décent dans la sphère socio-économique et un "mode de vie" qui nous est propre dans la sphère communautaire et nationale.

Enric Ravello

 

vendredi, 13 janvier 2023

Partis et oligarchies expliqués par Pareto et Michels

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Partis et oligarchies expliqués par Pareto et Michels

par Nicolas Bonnal

On parle d’oligarchies en France, en Amérique et en Europe. Voyons de quoi il retourne, car cette notion est vieille comme la lune.

Dans son livre sur les partis politiques (sixième partie, chapitre deux), le légendaire Robert Michels reprend (et n’établit pas), à partir des théoriciens Mosca et Taine, sa thèse sur la loi d’airain des oligarchies. Et cela donne, dans l’édition de 1914 :

« Gaetano Mosca proclame qu'un ordre social n'est pas possible sans une « classe politique », c'est-à-dire sans une classe politiquement dominante, une classe de minorité. »

Michels indique aussi, sur la démocratie et son aristocratie parlementaire ou intellectuelle :

« La démocratie se complaît à donner aux questions importantes une solution autoritaire. Elle est assoiffée à la fois de splendeur et de pouvoir. Lorsque les citoyens eurent conquis la liberté, ils mirent toute leur ambition à posséder une aristocratie ».

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Il sent la menace bolchévique et stalinienne trente ans avant qu’elle n’apparaisse. Il suffit pour lui de lire Marx (un autre qui le voit bien à cette époque est notre Gustave Le Bon) :

« Marx prétend qu'entre la destruction de la société capitaliste et l'établissement de la société communiste, il y aura une période de transition révolutionnaire, période économique, à laquelle correspondra une période de transition politique et « pendant laquelle l'Etat ne pourra être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat » ; ou, pour employer une expression moins euphémique, nous assisterons alors à la dictature des chefs qui auront eu l'astuce et la force d'arracher aux mains de la société bourgeoise mourante, au nom du socialisme, le sceptre de la domination. »

On aurait donc une oligarchie vieille maison (Blum) et une autre de déraison, celle des communistes. Mais la démocratie parlementaire occidentale a tendance aussi à servir la minorité des possédants. Seul Bakounine le reconnaissait – et Michels le rappelle :

« Bakounine était l'adversaire de toute participation de la classe ouvrière aux élections. II était en effet convaincu que dans une société où le peuple est dominé, sous le rapport économique, par une majorité possédante, le plus libre des systèmes électoraux ne peut être qu'une vaine illusion. “Qui dit pouvoir, dit domination, et toute domination présume l'existence d'une masse dominée”. »

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Bakounine énonce dès 1871 : ce peuple (le Français) n’est plus révolutionnaire du tout. Il redoutait aussi les marxistes.

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Michels fait au moins une bonne prédiction sur le socialisme autoritaire façon soviétique :

« Le socialisme fera naufrage pour n'avoir pas aperçu l'importance que présente pour notre espèce le problème de la liberté… »

Loin de promouvoir le fascisme comme le prétendent les gazetiers, Michels analyse son siècle. Sur l’Italie il écrit :

« Buonarotti dit que “La république idéale de Mazzini ne différait de la monarchie qu'en ce qu'elle comportait une dignité en moins et une charge élective en plus”. »

Michels subodore aussi un présent perpétuel puisqu’il cite le fameux Théophraste, contemporain d’Aristote et auteur des caractères qui inspirèrent ceux de La Bruyère. Sur les partis socialistes, les plus traîtres qui soient, et où que ce soit, il note cette évidence éternelle :

« Mais il existe un autre danger encore : la direction du parti socialiste peut tomber entre les mains d'hommes dont les tendances pratiques sont en opposition avec le programme ouvrier. Il en résultera que le mouvement ouvrier sera mis au service d'intérêts diamétralement opposés à ceux du prolétariat ».

Plus philosophique, ce point de vue qui montre que, comme Bruxelles ou le Deep State, toute bureaucratie échappe à son mandat et devient entropique et dangereuse :

« Le parti, en tant que formation extérieure, mécanisme, machine, ne s'identifie pas nécessairement avec l'ensemble des membres inscrits, et encore moins avec la classe. Devenant une fin en soi, se donnant des buts et des intérêts propres, il se sépare peu à peu de la classe qu'il représente.

Dans un parti, les intérêts des masses organisées qui le composent sont loin de coïncider avec ceux de la bureaucratie qui le personnifie. »

Sur cette notion de machine, étudier et réétudier Cochin et Ostrogorski. On comprend après que l’Etat finisse par servir la minorité qui le tient et en joue :

« Conformément à cette conception, le gouvernement ou, si l'on préfère, l'Etat ne saurait être autre chose que l'organisation d'une minorité. Et cette minorité impose au reste de la société l' « ordre juridique », lequel apparaît comme une justification, une légalisation de l'exploitation à laquelle elle soumet la masse des ilotes, au lieu d'être l'émanation de la représentation de la majorité. »

C’est que l’ilote se contente de peu : manger, boire, regarder la télé, deux semaines de vacances…

Après cette loi d’airain, les conséquences et les inégalités qui vont avec :

« … il surgit toujours et nécessairement, au sein des masses, une nouvelle minorité organisée qui s'élève au rang d'une classe dirigeante. Eternellement mineure, la majorité des hommes se verrait ainsi obligée, voire prédestinée par la triste fatalité de l'histoire, à subir la domination d'une petite minorité issue de ses flancs et à servir de piédestal à la grandeur d'une oligarchie ».

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Plus grave, et plus amusante aussi, cette observation :

« Il n'existe aucune contradiction essentielle entre la doctrine d'après laquelle l'histoire ne serait qu'une continuelle lutte de classes, et cette autre d'après laquelle les luttes de classes aboutiraient toujours à la création de nouvelles oligarchies se fusionnant avec les anciennes. »

Et de conclure en souriant, sur le ton du vieil Aristophane :

« On est tenté de qualifier ce processus de tragicomédie, attendu que les masses, après avoir accompli des efforts titaniques, se contentent de substituer un patron à un autre. »

Une parenthèse personnelle: le brave député, le chef d’entreprise aisé, le bon ministre insulté du coin n’est pas un oligarque. Un oligarque est une tête pesante et pensante qui conspire pour contrôler et étendre ses réseaux sur le monde. Et personne n’a mieux défini les oligarques de la présente mondialisation que Frédéric Bernays, qui écrivait en 1928, longtemps avant les Brzezinski, Soros et autres Bilderbergs :

« La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays. »

Bernays ajoutait froidement :

« C'est là une conséquence logique de l'organisation de notre société démocratique. Cette forme de coopération du plus grand nombre est une nécessité pour que nous puissions vivre ensemble au sein d'une société au fonctionnement bien huilé… nos chefs invisibles nous gouvernent en vertu de leur autorité naturelle, de leur capacité à formuler les idées dont nous avons besoin, de la position qu'ils occupent dans la structure sociale. Peu importe comment nous réagissons individuellement à cette situation puisque dans la vie quotidienne, que l'on pense à la politique ou aux affaires, à notre comportement social ou à nos valeurs morales, de fait nous sommes dominés par ce nombre relativement restreint de gens – une infime fraction des cent vingt millions d'habitants du pays – en mesure de comprendre les processus mentaux et les modèles sociaux des masses. Ce sont eux qui tirent les ficelles : ils contrôlent l'opinion publique, exploitent les vieilles forces sociales existantes, inventent d'autres façons de relier le monde et de le guider. »

Bernays ajoute que le président US devient un dieu :

« On reproche également à la propagande d'avoir fait du président des États-Unis un personnage à ce point considérable qu'il apparaît comme une vivante incarnation du héros, pour ne pas dire de la divinité, à qui l'on rend un culte ».

Pas besoin de fascistes avec des démocrates comme ça. On rappelle avec Onfray que Bernays inspirait Goebbels et que son oncle Sigmund Freud envoyait ses livres dédicacés à Benito Mussolini.

Sources:

Robert Michels – Les Partis Politiques – Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, Flammarion, 1914 (archive.org)

Frédéric Bernays – Propagande (introduction)

Nicolas Bonnal – Nev le bureaucrate ; chroniques sur la fin de l’histoire (Kindle_Amazon)

 

mardi, 10 janvier 2023

Le thomisme et la guerre juste

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Le thomisme et la guerre juste

Carlos X. Blanco

Source: https://www.geopolitika.ru/es/article/el-tomismo-y-la-guerra-justa

L'Europe souffre une fois de plus dans la guerre et à cause de la guerre. L'Europe est à nouveau ce qu'elle a été trop souvent, un vaste champ de bataille. L'Europe est également un jouet aux mains de sa propre excroissance, l'anglosphère. Main dans la main avec une organisation militaire qui ne sert en rien la défense commune des Européens mais la défense des intérêts anglo-américains, l'Europe va vers son propre suicide. Elle se prête à la politique insensée d'expansion de l'OTAN vers l'Est, cherchant également à faire en sorte que l'anaconda s'enroula autour de sa proie, afin d'étrangler la Russie et de la laisser sans son cercle naturel de pays partenaires et de satellites. 

Avec l'intervention militaire spéciale de l'armée russe en Ukraine, il est logique que les considérations philosophiques-morales et théologiques classiques de la guerre juste reviennent à notre esprit. Nous détestons la guerre et nous savons que ce cavalier de l'Apocalypse est la grande calamité qui plane sur l'humanité, la hantant depuis aussi longtemps qu'elle vit sous une forme civilisée à la surface de la terre. Mais cela ne fait pas de nous des pacifistes, car nous ne sommes pas non plus des utopistes naïfs, et nous voyons une grande folie et un grand fanatisme dans le pacifisme. Ce pacifisme est une folie alors qu'il y a des menaces très réelles et très concrètes en face de nous. Nous sommes d'accord avec Spengler lorsqu'il voit dans le pacifisme et le mépris de l'armée un simple produit de la décadence, ce que les anciens savaient déjà. Les civilisations vieilles et fatiguées, à l'intérieur des murs artificiels qui séparent le cosmopolite, l'hédoniste apatride, autiste par rapport à la réalité, se permettent de dormir dans le pacifisme jusqu'à ce qu'un jour, sans crier gare, les nouveaux barbares (les barbares apparaîtront toujours à l'horizon) arrivent et fassent des montagnes de têtes coupées. Ils verront les veuves violées et des tours de cadavres s'élever avec les pacifistes qui les attendaient, portes et mains ouvertes et fleurs sur la tête.

Un vrai chrétien aime la paix, mais il n'est pas un fanatique (ni de la paix, ni de la guerre) et il aime la milice christique et les hommes qui s'y dévouent, car l'hidalgo chrétien sait qu'en de nombreuses occasions, la foi, la patrie et la paix dépendent existentiellement de cette milice. Saint Thomas d'Aquin, le grand exposant du catholicisme philosophique, explique clairement qu'il existe des guerres justes. Il n'y a pas d'autre choix que de faire la guerre, si le méchant existe, si le mal rôde. 

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Aujourd'hui, alors que tant d'idéologues se précipitent pour condamner Poutine, comme ils l'ont fait hier dans les cas de la Serbie, de la Syrie et de l'Irak, il convient de supprimer cette fausse idée du Pentagone et de tous ses chiens galeux et dressés : l'idée que seuls les Yankees et leurs franchises (OTAN, UE...) ont le droit de faire la guerre ou de la bénir. Le jour viendra où une civilisation chrétienne sera restaurée, restaurée à partir des deux méridiens éloignés, le méridien hispano-catholique à l'ouest en Espagne, et le méridien slave-orthodoxe à l'est de nos pays. Depuis les deux méridiens, embrassant la sphère terrestre dans les deux sens, la parole du Christ-Roi peut être entendue par les hommes. Un autre concept de civilisation, peut-être, un concept chrétien mais non puritain, un concept catholique et orthodoxe, est celui qui peut renaître des cendres, comme un germe de vie surgissant des ossements et des ruines, comme un rayon de lumière au milieu de la tragédie subie par nos frères slaves.

La guerre n'est pas toujours un péché. Saint Thomas fixe la justice comme critère. Pour qu'il y ait une guerre juste, il faut d'abord qu'il y ait une puissance publique pour la mener, un prince, dans le langage de son temps. Dans la Summa Theologiae, la guerre privée est condamnée. Le prince, sur terre, est un exécuteur de la justice divine.

[...] l'autorité du prince sous le commandement duquel la guerre est menée. Il n'appartient pas à l'individu privé de déclarer la guerre, car il peut faire valoir son droit devant une instance supérieure ; l'individu privé n'est pas non plus compétent pour convoquer la communauté, qui est nécessaire pour faire la guerre. Or, puisque le souci de la république a été confié aux princes, il leur appartient de défendre le bien public de la cité, du royaume ou de la province placés sous leur autorité. En effet, de même qu'il la défend légitimement avec l'épée matérielle contre les perturbateurs intérieurs et punit les malfaiteurs, selon les paroles de l'Apôtre : "Ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée, car il est serviteur de Dieu pour faire régner la justice et punir le malfaiteur" (Rm 13,4), de même il lui incombe de défendre le bien public avec l'épée de guerre contre les ennemis extérieurs. C'est pourquoi il est recommandé aux princes : Délivrez le pauvre et sauvez l'impotent des mains du pécheur (Ps 81,41), et Saint Augustin, pour sa part, dans le livre Contre Faust, enseigne: l'ordre naturel, adapté à la paix des mortels, postule que l'autorité et la délibération d'accepter la guerre appartiennent au prince. [II C.40. 1]

La deuxième condition est celle du motif valable. Tout caprice est exclu. Tout arbitraire est proscrit. La guerre motivée uniquement par le désir de pouvoir ou par la satisfaction de la concupiscence des princes ou des peuples n'est pas autorisée.

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Deuxièmement, une cause juste est requise. C'est-à-dire que ceux qui sont attaqués le méritent pour une cause quelconque. C'est pourquoi saint Augustin écrit aussi dans le livre Quaest : Les guerres sont généralement appelées justes lorsqu'elles vengent des blessures ; par exemple, s'il y a eu place pour punir le peuple ou la ville qui néglige de punir l'outrage commis par les siens, ou pour restituer ce qui a été injustement volé [II C.40. 1.].

Il ressort clairement du texte qu'il existe une vengeance juste. S'il y a eu une infraction (matérielle, sanglante, ou même une atteinte à l'honneur), en toute justice on peut alors faire la guerre. Il y a également une justice dans la guerre lorsque le prince et ses conseillers observent des indices raisonnables qu'un ennemi, qu'il soit interne ou externe, va commettre un préjudice à leur égard. Cela irait à l'encontre de l'essence de la fonction du prince, qui est de veiller à la justice et à l'ordre, de rester les bras croisés et d'attendre un préjudice très probable.

La troisième exigence que le Docteur angélique pose est celle de l'intention juste :

Il est exigé, enfin, que l'intention des parties au litige soit droite, c'est-à-dire une intention visant à promouvoir le bien ou à éviter le mal. C'est pourquoi saint Augustin écrit également dans le De verbis Dom : "Chez les vrais adorateurs de Dieu, les guerres elles-mêmes sont pacifiques, puisqu'elles ne sont pas promues par cupidité ou cruauté, mais par un désir de paix, afin de réfréner le mal et de favoriser le bien. Il peut cependant arriver que, bien que l'autorité de celui qui déclare la guerre soit légitime et la cause juste, elle soit néanmoins illégale en raison d'une mauvaise intention. Saint Augustin écrit dans le livre Contre Faust : En effet, le désir de nuire, la cruauté de la vengeance, un esprit impitoyable et implacable, la férocité dans le combat, la passion de dominer, et autres choses semblables, sont, en justice, répréhensibles dans les guerres. [II C.40. 1].

Dieu nous a créés comme des hommes, non comme des anges. Le mal se niche parmi les hommes, et l'une des façons dont le mal peut se nicher est l'obscurcissement de nos cœurs. Même lorsque nous sommes aidés par des causes raisonnables et justes, et - à titre d'exemple - lorsqu'il est évident que nous avons été injustement attaqués sans raison, nous pouvons nous jeter dans le combat non plus avec un désir légitime de réparation du tort que nous avons subi, mais avec un désir sinistre et malin d'augmenter le mal dû à l'ennemi à punir. La colère, l'envie de causer plus de mal que ce qui est proportionnel à la punition, le désir irrépressible de faire du mal au-delà des causes et en dehors des voies appropriées, voilà ce qui nuit aux bonnes intentions de ses actions. On va à une guerre juste avec une bonne intention. Sans elle, la cause juste qui permet la guerre, ainsi que tous les antécédents qui justifient la rupture de la paix, sont réduits au statut de simples excuses. Et n'oublions pas que la guerre, si elle est juste, est menée au nom d'une paix supérieure, tout comme Dieu permet le mal au nom d'un bien supérieur. L'hidalgo chrétien est, dans un certain sens, pacifique lorsque son combat est subordonné à une paix plus élevée, plus durable et plus authentique.

Dans la même Question, à l'article 3, le Saint Docteur rappelle qu'il n'est pas licite de tromper l'ennemi (par des stratagèmes), et que même avec l'ennemi on doit respecter les pactes. Cela ne signifie pas lui révéler ses secrets, rendre ses intentions publiques :  

"...personne ne doit tromper l'ennemi. En effet, il existe des droits de guerre et des pactes qui doivent être respectés, même entre ennemis, comme l'affirme saint Ambroise dans De Officiis.

Mais il existe une autre façon de tromper par les mots ou les actes; elle consiste à ne pas faire connaître notre but ou notre intention. Nous ne sommes pas obligés de le faire, car, même dans la doctrine sacrée, il y a beaucoup de choses qui doivent être cachées, surtout aux incrédules, de peur qu'on ne se moque d'eux, suivant ce que nous lisons dans l'Écriture : "Ne jetez pas ce qui est saint aux chiens" (Mt 7,6). C'est donc une raison de plus de dissimuler à l'ennemi les plans préparés pour le combattre. Ainsi, parmi les instructions militaires, la première place est accordée à la dissimulation des plans afin d'éviter qu'ils n'atteignent l'ennemi, comme on peut le lire dans Frontino. Ce type de dissimulation appartient à la catégorie des stratagèmes qui sont licites dans une guerre juste, et qui, à proprement parler, ne s'opposent pas à la justice et à la volonté ordonnée. Ce serait, en effet, un signe de volonté désordonnée que de prétendre que rien ne doit être caché aux autres [II C.40. 3].

Si garder des secrets ou ne pas tout révéler est quelque chose qui se fait - et peut et doit se faire - dans la doctrine sacrée, que dire de l'art militaire. À l'époque où nous vivons, dans ce qu'on appelle la "société de l'information", les États sont puissants non seulement en raison de leur portée économique, militaire et technologique, mais aussi en raison de leur capacité à obtenir des informations de leurs ennemis, de leurs rivaux et même de leurs partenaires et amis, et aussi en raison de leur capacité à les conserver. 

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Au sein des États, il existe une sorte de guerre privée qui, s'il n'y a pas d'effusion de sang, pourrait plutôt être appelée une querelle. Selon Thomas d'Aquin, elle implique toujours un péché - véniel ou mortel, selon le niveau d'excès dans lequel la personne est impliquée - et ceux qui, de manière juste et avec la modération qui s'impose, se limitent à se défendre contre les insultes, en sont épargnés. La politique des États démocratiques est une querelle permanente ("demogresca" est la façon dont l'écrivain Juan Manuel de Prada la décrit avec sa fine ironie). Tout le monde se dispute et s'enivre de passions désordonnées. Les politiciens d'aujourd'hui, chicaneurs professionnels, devraient écouter les mots de la Summa : 

"...la querelle est comme une guerre privée qui a lieu entre des personnes privées, non pas en vertu de l'autorité publique, mais par une volonté désordonnée. Par conséquent, il implique toujours le péché (II C.41, 1).

Thomas d'Aquin fait une distinction entre la guerre, la querelle et la sédition. Dans la guerre: pour qu'il y ait une vraie guerre au sens propre et de caractère juste, il faut qu'il y ait un prince, c'est-à-dire une puissance publique qui, par ses moyens, recherche réellement la paix. 

Dans une querelle, pour ne pas tomber dans le péché, seuls ceux qui se défendent avec raison et de manière proportionnée sont exonérés, car une querelle est comme une guerre, mais entre particuliers. Dans toutes les démocraties actuelles, nous vivons dans un état permanent de querelles. Les citoyens privés et les politiciens des partis (qui sont aussi des "partis" et ne représentent donc pas vraiment le peuple dans son ensemble ou l'État en tant que chose commune lorsqu'ils se disputent) sapent la paix dans leur "demogresca". Ils encouragent la guerre privée, la querelle qui, si elle entraîne une effusion de sang et une rupture irréversible de la coexistence, conduit à la guerre civile. 

La sédition est conceptuellement différente de la querelle en général. Aujourd'hui, alors que l'on parle tant, dans cette malheureuse Espagne, du "crime de sédition", redéfini ad hoc pour plaire aux traîtres politiciens de Catalogne (avec leur double trahison, contre l'Espagne et contre une partie de celle-ci, la Catalogne), il vaut la peine de revenir à saint Thomas, qui est, en plus de tant d'autres choses, un maître dans la rigueur des définitions: 

"...que les séditions sont des tumultes pour le combat, fait qui a lieu lorsque les hommes se préparent au combat et le recherchent. Elle en diffère aussi, en second lieu, parce que la guerre est faite, à proprement parler, avec des ennemis de l'extérieur, comme une lutte de peuple à peuple; la querelle, au contraire, est une lutte d'un individu contre un autre, ou de quelques-uns contre quelques autres; et la sédition, au contraire, a lieu, à proprement parler, entre les parties d'une foule qui se querellent entre elles; par exemple, quand une partie de la ville excite des tumultes contre l'autre. Par conséquent, puisque la sédition s'oppose à un bien particulier, à savoir l'unité et la paix de la multitude, elle constitue un péché particulier." [II C 42, 1].

Et en réponse à la première objection, il dit : 

"On appelle séditieux celui qui provoque la sédition, et comme la sédition implique une certaine discorde, est séditieux celui qui provoque non pas n'importe quelle discorde, mais celle qui divise les parties d'une même multitude. Mais le péché de sédition n'est pas seulement dans ceux qui sèment la discorde, mais aussi dans ceux qui dissertent avec désordre entre eux".

Il est bien connu que les temps modernes ont convulsé et même éviscéré le système de la philosophie politique. La catégorie "guerre" a rempli tous les espaces, et l'amoralisme le plus grossier domine chaque type de lutte. Les agressions contre les États sont devenues des guerres privatisées, et les querelles privées et les séditions internes sont devenues, à leur tour, des armes avec lesquelles les puissances étrangères mettent à genoux des États souverains. 

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Regardez le cas lamentable de l'Espagne: comment les Anglais, les Français et les Américains ont-ils réussi à mettre cette nation à genoux, démunie et sans voix propre dans le concert mondial ? Depuis la guerre de succession elle-même, dans un premier temps, l'Espagne a été occultée, devenant une colonie de la France et, plus tard, une colonie des Anglais et des Américains. Depuis la guerre contre Napoléon, dans un deuxième temps, nous n'avons connu que des querelles, des tueries caïnites, des séditions. Toute notre énergie nationale a été gaspillée dans la haine de notre frère de sang et de notre compatriote. Aujourd'hui, alors que nous entendons si souvent parler de "guerres hybrides" dans lesquelles les grandes puissances s'immiscent dans la vie de nations rivales ou gênantes, et qu'il est considéré comme acquis que les "informations" ainsi que les groupes d'individus financés par l'étranger participent à ces guerres, nous devrions réfléchir et prendre en charge notre situation: dans ce monde infecté jusqu'à la moelle par le péché, il n'y a d'espoir pour les individus, les familles et les nations que si nous avons un haut degré de conscience de ce que signifie le Bien Commun. Fuir les querelles, dénoncer et poursuivre les séditieux, défendre avec courage ce qui nous revient de droit, et s'efforcer de faire de notre patrie un havre pour le Règne de Jésus-Christ. Si nous sommes également conscients que notre Patrie est très vaste, car elle comprend non seulement la péninsule ibérique et l'ensemble des îles, ainsi que les parties correspondantes de l'Afrique (dont certaines ont été cédées à la mauvaise époque), mais aussi l'Amérique, qui vibre encore de son Hispanidad, une Hispanidad castillane ou lusophone, alors et seulement alors nous commencerons à réparer tant de siècles d'iniquité.