Thibault Mercier est avocat, co-fondateur du Cercle Droit & Liberté (www.cercledroiteetliberte.fr) et auteur d’un livre brillant, sur lequel nous l’avions interrogé : Athéna à la borne. Discriminer ou disparaître. Alors qu’il est revenu cette semaine, pour nos confrères de Sputnik, sur l’affaire Zemmour et la cabale médiatique déclenchée à son encontre (et judiciaire), nous l’avons interrogé sur cette évolution notable de nos sociétés, dans lesquelles désormais les juges (au pénal comme au tribunal médiatique) semblent faire la pluie et le beau temps, et confisquer la démocratie.
Entretien à ne pas manquer !
Breizh-Info.com : Nous avons échangé au sujet de votre dernier ouvrage, Discriminer ou disparaître. Les évènements actuels (voile, communautarisme, débat sur l’immigration, l’islamisation) ne confirment-ils pas l’impératif de discriminer dans la société française, c’est-à-dire de distinguer et de séparer ?
Thibault Mercier : Alors que les combattants de l’Islam politique accusent la France d’avoir imposé un racisme systémique et les Français de les discriminer, il apparaît au contraire que ce sont eux qui se discriminent en affichant clairement leur volonté tant de se distinguer de tout ce qui se rapproche de la culture française que de vivre séparément de la seule communauté qui était auparavant reconnue en France : la communauté nationale.
Malheureusement nos gouvernants, à l’image d’un Macron qui pense qu’il « n’y a pas de culture française » (Lyon, février 2017) et que le voile dans l’espace public « n’est pas son affaire » (La Réunion, octobre 2019), donnent dans le pacifisme niais et refusent d’admettre la nécessité de défendre la civilisation européenne. « Qu’un peuple n’ait plus la force ou la volonté de se maintenir dans la sphère du politique, ce n’est pas la fin du politique dans le monde. C’est seulement la fin d’un peuple faible », écrivait Carl Schmitt.
Breizh-info.com : Ce sont finalement des petits groupes de pression influents (CCIF, antifas, extrême gauche, ligues de vertus, associations LGBT) qui entraînent bien souvent en France des cabales, des censures, des persécutions judiciaires, des interdictions. Comment remédier à cela ?
Thibault Mercier : Il est vrai que nous vivons dans une société où les postures victimaires permettent à chacun d’agir en justice pour chaque pseudo-humiliation ou blessure de l’ego. Les lois voulant interdire l’incitation à la haine ont d’ailleurs favorisé cette guerre victimaire de tous contre tous en créant une myriade de catégories bénéficiant chacune de la protection exorbitante du Législateur au détriment de l’intérêt national.
Pour y remédier la réponse ne sera pas que juridique. Et il pourrait apparaître pertinent de réhabiliter des valeurs comme la pudeur et la dignité. En effet, nul besoin alors de lois antiracistes quand le sens de la dignité vous défendait d’exiger un droit à être protégé des propos désobligeants des autres. Jamais un homme digne ne pouvait demander, sans mourir de honte, d’être légalement protégé de propos « haineux » ou de « phobies » supposées dont il serait victime.
À l’opposé d’un droit de ne pas être « victime » de propos « haineux », c’est au contraire un devoir d’indifférence qu’il s’agit de développer
Breizh-info.com : Vous qui êtes avocat, comment percevez-vous l’évolution globale de la magistrature en France ? N’est-elle pas aujourd’hui en train de définitivement tourner le dos au peuple de par ses actions menées ?
Thibault Mercier : La magistrature ne tourne le dos au peuple que par démission du pouvoir politique.
Rappelons que notre Constitution prévoit que les juges sont censés exercer leurs attributions « au nom du peuple français ».
Pourtant, depuis plusieurs décennies (et notamment depuis le « coup d’État » du Conseil constitutionnel de 1971), les juges, qui n’étaient que les serviteurs de la loi (édictée de manière démocratique) en sont maintenant devenus ses censeurs. Aussi se permettent-ils de contrôler la loi sous couvert de « liberté », « égalité », « équité » ou encore « justice » qui sont des principes aux multiples acceptions possibles, ce qui leur laisse un pouvoir énorme d’interprétation.
On peut par exemple citer la récente décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018 qui est venue conférer une portée normative à la « fraternité » de notre devise républicaine et dépénaliser l’aide aux clandestins (mettant fin à ce qu’il était commun d’appeler faussement un « délit de solidarité »). Pour l’avenir, cette nouvelle construction prétorienne permet au juge de se doter d’une nouvelle arme polyvalente sachant qu’aucun texte ne précise ce qu’est juridiquement cette « fraternité ».
Tristement, l’isoloir ne sert plus à grand-chose puisque tout se passe désormais dans le prétoire. Et nos politiques et gouvernements de devenir de simples exécutants des arrêts des juges.
Pour contrer cela pourquoi ne pas revenir à un ancien article de notre Code pénal qui disposait jusqu’en 1994 que les juges seraient coupables de forfaiture et punis de la dégradation civique en cas d’immixtion dans l’exercice du pouvoir législatif ?
Breizh-info.com : Plusieurs entreprises, plusieurs assureurs, ont fait des menaces économiques vis à vis de diffuseurs d’Éric Zemmour. Certains ont cessé toute collaboration suite à la polémique. Ne s’exposent-elles pas à un retour de bâton ? Comment expliquez-vous qu’à une époque où les masses semblent pourtant populisto compatibles, les groupes économiques préfèrent prendre le risque de se saborder en jouant le jeu des minorités ?
Thibault Mercier : Il est assez sidérant de voir avec quelle facilité de grandes multinationales se couchent devant le moindre appel au boycott, alors même que, une polémique en chassant une autre en quelques jours sinon quelques heures, les conséquences économiques de telles actions seront certainement minimes. Ces entreprises ont une sorte de peur panique du « bad buzz ». Le courage ne faisant généralement pas partie de leur système de fonctionnement elles préféreront en générale céder préventivement plutôt que de se défendre. Starbucks ou encore Etam en ont récemment fait les frais.
Quoiqu’il en soit je ne crois d’ailleurs pas que les grands groupes se sabordent en jouant le jeu des minorités. Un auteur américain dont le nom m’échappe expliquait dans un ouvrage récent que les minorités profitaient d’une sorte de prime à l’intolérance. Il prenait pour exemple le cas de l’abattage rituel : puisque qu’un catholique ou un athée pourra tout à fait consommer de la viande hallal ou casher (alors qu’un juif ou un musulman ne pourra consommer que de la viande sacrifiée), pourquoi les entreprises pratiqueraient-elles deux types d’abattage ? Voilà comment la logique économique peut servir l’expansion des revendications de minorités.
Breizh-info.com : Faut-il revoir les notions d’incitation à la haine et de « discrimination », dans le code pénal français selon vous ? Ces notions semblent en effet dévoyées et utilisées à toutes les sauces aujourd’hui… Êtes-vous inquiet pour l’avenir de la liberté d’expression en France ? Que faire alors ?
Thibault Mercier : Dans une tribune intitulée « Comment la haine est sur le point de prendre le dessus » et publiée la semaine dernière par Libération, un confrère appelle à « protéger les musulmans de France dans nos discours ». Dans un laïus en langage inclusif, il déclare que le « racisme anti-musulman » est devenu un « sport national » et en appelle au respect des droits de l’homme et des libertés individuelles pour justifier notamment le port du voile. Plusieurs remarques nous viennent à l’esprit après une telle lecture. Tout d’abord on peut se demander pourquoi les musulmans de France (vous noterez qu’il n’est pas question dans cette tribune de « Français musulmans ») devraient bénéficier d’une protection particulière (que les autres groupes n’ont pas). Ensuite on voit bien que cette accusation de haine sert bien souvent à éviter toute autocritique et à museler ses adversaires politiques. Enfin, cela confirme que le discours des droits de l’homme est désormais utilisé à tout va par certaines minorités pour imposer des pratiques et des modes de vie contraires à ceux des cultures historiquement présentes en Europe.
Il serait donc plus qu’utile de supprimer la notion d’incitation à la haine dans notre code pénal. La haine est un sentiment humain, il n’est pas matérialisable et jusqu’à preuve du contraire ce n’est ni à l’État ni au Juge de venir vous interdire de ressentir des sentiments. Nous obligera-t-on bientôt à exprimer de force notre amour de ceux qui nous entourent ? Il y a quelque chose de totalitaire dans ce texte de loi qui voudrait venir vous changer en votre for intérieur et qui permet au juge de se faire inquisiteur.
Et d’ailleurs qui décide ce qu’est un discours de haine ? Est-ce la victime présumée de ces propos ? Le juge ? Un consensus politique ? Il y a bien trop de subjectivité dans cette notion pour permettre une application impartiale de la loi.
Quant à la discrimination, j’ai pu exposer longuement dans mon essai l’urgence de réfléchir aux dommages collatéraux de ces lois qui sont venues pernicieusement interdire à la Nation de se défendre et ont participé activement du délitement du lien social.
• Propos recueillis par Yann Vallerie
• D’abord mis en ligne sur Breizh-Info, le 4 novembre 2019.