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jeudi, 09 octobre 2025

Friedrich Ratzel fonde la géopolitique, mais sa pensée a longtemps été déformée

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Friedrich Ratzel fonde la géopolitique, mais sa pensée a longtemps été déformée

Deux livres de ses essais redécouvrent le géographe allemand, qui n’avait pas été réédité en Italie depuis plus d’un siècle

par Telmo Zarra

Source:  https://www.barbadillo.it/125257-friedrich-ratzel-fonda-l...

Souvent confondue avec l’histoire de la politique étrangère ou la théorie des relations internationales, la géopolitique est une science dont on parle souvent à tort et à travers. Mais en Italie, il existe des revues qui s’y réfèrent: Limes et Eurasia. En 1939, a également vu le jour, à l’Université de Trieste, sous l’égide de Giuseppe Bottai, la revue Geopolitica, animée par Ernesto Massi et Giorgio Roletto, parue jusqu’en juillet 1943.

Les deux fondateurs sont héritiers de la tradition géographique nationale remontant aux Lumières lombardes, qui se prolonge au 19ème siècle et résonne, au début du 20ème, dans les réflexions d’irrédentistes comme Cesare Battisti et Ruggero Fauro Timeus.

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Pour éviter les contresens, il faut donc puiser chez les pères fondateurs de la discipline. Deux livres d’essais de Friedrich Ratzel (1844-1904), un des pères de la discipline, viennent de paraître : La mer comme source de la grandeur des peuples. Une étude politico-géographique (Anteo Ed., 140 p., 18 €) et Espace vital. Un concept géopolitique controversé (Carocci, 214 p., 24 €). Ce dernier propose la traduction commentée de Über den Lebensraum (1897) et Der Lebensraum (1901), accompagnée d’essais intelligemment coordonnés par le responsable du volume, Matteo Marconi, qui abordent la pensée du géographe allemand sans préjugés.

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Les frères Grimm, Goethe et l’idée de l’Allemagne

On doit à Ratzel un usage particulier du concept de Lebensraum, traduit par « espace vital ». Mais il ne l’a pas inventé. Le terme figure déjà dans les travaux des frères Grimm et de Goethe et prendra des connotations politiques considérables à partir des années 1920.

Les deux essais rassemblés dans le volume publié par Carocci, ainsi que Marconi lui-même dans l’introduction et son intervention, montrent combien il est réducteur de faire de Ratzel un déterministe biologique ou un impérialiste. Si Ratzel part de la « définition philosophique de tout être comme quelque chose qui occupe un espace », cet espace prend un sens particulier lorsqu’il s’agit de l’homme, et pas seulement du gland du chêne, de la mousse ou du corail.

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Déterministe ? Jamais

Si la conquête de l’espace est « un phénomène général de la vie », concernant donc tous les êtres vivants, lorsque c’est l’homme ou un peuple qui l’occupe, nature et culture s’y entremêlent. Loin de réduire tout à un simple lien mécanique de cause à effet, Ratzel, qui disparaîtra prématurément, n’aura pas approfondi le thème de l’espace vital humain et de la vie associative. Mais on comprend à la lecture de ses travaux qu’il considère l’homme et les peuples comme des réalités dotées de volonté et de créativité qui, en interagissant avec le territoire, le modèlent et l’adaptent à leurs besoins. Le géographe allemand adopte une méthode anthropo-géographique, différente du déterminisme physique positiviste.

Volk, Lage, Raum, Kultur

Dans son approche, l’action humaine, l’individualité des peuples (Volk), la position géographique (Lage) qu’ils occupent, sont des variables qui, avec la nature elle-même, interagissent dans l’espace (Raum) et lui donnent une forme spécifique. C’est là la caractéristique des peuples dotés de Kultur, qui pour Ratzel correspond à la capacité d’organisation du sol, c’est-à-dire à la capacité d’adapter l’environnement à ses besoins.

Pour Ratzel, les organismes politiques, « pour être cohérents et survivre – écrit Marconi – doivent se lier autant que possible au sol par leur capacité à transformer l’environnement ». Ce qui distinguerait donc l’organisme politique du biologique serait l’homo faber, dont le travail, en commun avec celui des autres hommes, adapterait le territoire à ses besoins, créant également de nouveaux liens de solidarité. Ainsi, la conquête de l’espace par les organismes prend une signification différente de celle qui lui sera attribuée dans l’Allemagne de 1920 à 1945. Il ne faut pas la comprendre seulement en termes d’expansion, mais aussi comme croissance et développement, tous deux fruits du travail communautaire des hommes sur le sol. Ceux qui, pour des raisons idéologiques, « simplifiaient » Ratzel, le falsifiaient le plus souvent.

mercredi, 08 octobre 2025

L’accord Moscou-Téhéran redessine la carte stratégique de l’Arctique à l’océan Indien

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L’accord Moscou-Téhéran redessine la carte stratégique de l’Arctique à l’océan Indien

Un nouveau corridor relie exportations de gaz, infrastructures nucléaires et systèmes militaires dans un bloc non occidental

par Global GeoPolitics

Source: https://ggtvstreams.substack.com/p/moscowtehran-agreement...

Le partenariat stratégique global entre la Russie et l’Iran, entré en vigueur en 2025, exige une analyse approfondie. Les partisans présentent l’accord comme un réalignement souverain et un rempart contre l’hégémonie occidentale. Les sceptiques mettent en garde contre des pièges cachés : un cartel énergétique déguisé, une subvention à l’escalade, et une fracture structurelle des chaînes d’approvisionnement mondiales. Aucune de ces lectures n’est suffisante seule. Le pacte incarne des contradictions qui définiront la géopolitique de la prochaine décennie.

Le traité instaure un cadre de 20 ans liant la Russie et l’Iran dans les domaines de l’énergie, des transports, de la défense, de la finance, de la technologie et de la diplomatie. Sa ratification a déjà été approuvée par la Douma russe. La mise en œuvre de ses dispositions testera les limites imposées par les sanctions, la méfiance, les capacités internes et la pression extérieure. Ses effets se feront sentir en Europe, au Moyen-Orient, en Asie du Sud et sur la carte énergétique mondiale.

Au cœur de l’alliance, la résilience stratégique mutuelle est l’objectif. La Russie cherche des échappatoires aux points d’étranglement occidentaux. L’Iran souhaite des technologies avancées, des garanties de sécurité et des marges de manœuvre face aux pressions. Le traité formalise la coopération dans le nucléaire civil (rôle de Rosatom sur quatre réacteurs iraniens, pour environ 25 milliards de dollars), un gazoduc passant par l’Azerbaïdjan vers l’Iran (potentiellement 55 milliards de m³ annuels), et la relance des échanges via le Corridor de transport international Nord-Sud (INSTC) afin de contourner les routes maritimes occidentales. Ce gazoduc serait comparable à l’ancien Nord Stream. L’Iran prévoit aussi de fournir 40 turbines MGT-70 à la Russie, sous licence Siemens, desserrant la pression sur les centrales thermiques russes soumises aux sanctions. Des mesures fondamentales comme l’intégration des systèmes de paiement (Mir en Russie, Shetab en Iran) figurent dans l’accord. La logique spatiale est claire : réorienter le commerce via l’Iran, réduire la dépendance au canal de Suez, à la mer Rouge, au Bosphore, à la Méditerranée, et concentrer les flux énergétiques sous un nouvel axe.

La dimension énergétique est la plus évidente. Si la Russie peut acheminer du gaz via l’Iran, elle gagne des routes d’exportation alternatives, moins vulnérables aux blocages. L’Iran devient un hub de transit, gagnant à la fois des droits de passage et un levier stratégique. Chine, Inde, Pakistan, Turquie et Irak sont tous sur des trajectoires potentielles. Le traité facilite aussi les investissements russes dans le pétrole/gaz et les infrastructures iraniennes, allégeant les contraintes capitalistiques imposées par les sanctions occidentales. Pour l’Iran, dont la croissance de la production gazière a ralenti (2 % par an récemment) tandis que la consommation explose et que l’infrastructure se dégrade, le capital et la technologie russes offrent un certain soulagement. Mais l’Iran fait face à un déficit gazier chronique (historiquement 90 millions de m³/jour, pouvant atteindre 300  millions en hiver). Sans aide extérieure, son réseau électrique s’effondre, les raffineries sous-performent, les industries tournent au ralenti. Le traité constitue une bouée partielle.

Cependant, les défis sont de taille. Un rapport du Stimson Center prévient que la construction de pipelines, l’exposition aux sanctions, les risques de transfert technologique, les inefficacités de gestion et la dépendance excessive au capital russe sont des dangers majeurs. L’Iran doit moderniser ses installations vieillissantes, surmonter les blocages du financement extérieur, corriger les mauvais incitatifs et gérer corruption et bureaucratie internes. La Russie doit assumer le risque d’investissements sous sanctions, dans des terrains difficiles, et faire confiance aux capacités de l’Iran.

La confiance politique et stratégique reste fragile. Les renseignements britanniques ont souligné la méfiance persistante et reconnu que le traité n’apportera peut-être pas de percées majeures. Eurasia Review qualifie l’alliance de « tiède », notant la concurrence énergétique entre Moscou et Téhéran, des volumes commerciaux modestes (environ 5 milliards de dollars), et l’inexécution d’accords antérieurs. En pratique, la Russie a refusé une clause de défense mutuelle complète. Le pacte interdit d’aider un agresseur tiers mais n’engage pas à une assistance militaire directe. La diplomatie iranienne a insisté sur le refus d’être entraînée dans des blocs militaires. Lors des récentes frappes américaines et israéliennes sur des sites nucléaires iraniens, Moscou a publiquement condamné les attaques mais n’a offert aucune réponse militaire. Ce fossé révèle la différence entre alliance rhétorique et pacte opérationnel.

Le traité modifie aussi la dynamique des sanctions et des juridictions légales. La Russie a déjà rejeté la récente réactivation des sanctions de l’ONU contre l’Iran (via le mécanisme de retour automatique) comme illégale et non contraignante. Cette position construit de fait une légalité parallèle où Moscou agit comme si les sanctions ne la concernent pas, favorisant ainsi leur contournement ou non-respect. Téhéran menace également de refuser inspections ou coopération avec l’AIEA si les sanctions perdurent. Avec deux grandes puissances ignorant ouvertement les mécanismes de coercition occidentaux, l’application des règles devient asymétrique. Les pays qui souhaitent commercer avec l’une ou l’autre seront exposés à des risques juridiques, diplomatiques ou devront compartimenter leurs relations.

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Les implications régionales sont profondes. Dans le Caucase du Sud, le gazoduc passera probablement par l’Azerbaïdjan, donnant à Bakou un rôle de hub mais l’exposant aussi aux pressions concurrentes de Moscou, Téhéran et l’Occident. Les intérêts arméniens peuvent être affectés. Pakistan et Inde pourraient chercher à utiliser le corridor pour l’énergie et le commerce. L’INSTC vise à contourner Suez et à raccourcir de 40 % le transit Russie-Inde, offrant une alternative aux routes maritimes dominées par les marines occidentales. Pour l’Europe, de nouveaux flux gaziers pourraient réduire certains marchés ou leur pouvoir de négociation. Pour le Sud global, ce nouveau corridor offre une diversification potentielle des échanges, mais la plupart des États n’ont pas la capacité de gérer les risques géopolitiques.

Sur le plan énergétique mondial, le pacte favorise la dédollarisation. Russie et Iran privilégient les échanges bilatéraux en monnaies locales et les systèmes de paiement alternatifs. À terme, cela peut éroder la domination du dollar sur certains marchés de l’énergie, surtout parmi les pays tolérants aux sanctions. Le traité ne vise pas à renverser à lui seul la primauté monétaire américaine, mais il contribue à l’infrastructure de la fragmentation systémique.

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Il faut se demander si le traité fait partie d’un plan « sombre » ou d’un virage souverain rationnel. L’architecture énergétique et de transport construite ici n’est pas neutre : contrôler les flux, les goulots d’étranglement, les dépendances et la fixation des prix, c’est le pouvoir. Cela peut favoriser l’escalade dans les conflits. La Russie utilise déjà des drones iraniens (Geran/Shahed) en Ukraine ; l’Iran accède à la défense anti-aérienne russe (S-400) et aux plateformes Su-35. Ce transfert accroît le risque militaire au Moyen-Orient et au-delà. Mais l’absence de clause de défense mutuelle indique que chaque partie souhaite préserver sa liberté d’action, sans engagement en cas d’escalade.

Des analystes indépendants, comme ceux du Centre for Analysis of Strategies and Technologies (CAST, basé à Moscou mais indépendant), notent que la logique des exportations d’armes russes s’aligne naturellement sur les besoins iraniens. L’Iran tire profit de l’accès à des systèmes lourds pour sa sécurité intérieure. Mais CAST relève aussi le risque d’une dépendance excessive, de fuite technologique et de contrecoups diplomatiques.

L’équilibre international se modifie. L’Occident ne peut traiter la Russie et l’Iran de la même façon : la Russie demeure économiquement plus stable, militairement plus puissante et centrale en Eurasie. L’Iran est un partenaire junior, limité par la démographie, la fragilité économique, les sanctions et la contestation interne. L’axe est donc asymétrique. La Russie gagne en influence, l’Iran obtient protection et investissement. Mais le danger réside dans des attentes démesurées: si la Russie échoue à livrer, la désillusion iranienne peut nourrir instabilité, coups d’État ou dérives agressives.

Il faut aussi juger le coût de la réaction occidentale. Les États-Unis peuvent sanctionner les entreprises tierces impliquées dans la construction du pipeline, bloquer les transferts de technologie, exercer des pressions sur les États du Golfe ou imposer des sanctions secondaires. Ces leviers existaient déjà partiellement. Le traité amplifie la confrontation : pipelines via l’Azerbaïdjan, corridors étendus via le Pakistan ou l’Inde suscitent des réactions régionales. Les pays situés sur la route peuvent subir des pressions.

Le risque d’escalade demeure élevé. Si les tensions avec Israël ou l’Arabie saoudite s’aggravent, l’Iran peut utiliser sa position énergétique ou son poids politique. Cela mettra la Russie sous pression pour répondre ou risquer la vassalisation. Le traité brouille la frontière entre géopolitique de l’énergie et sécurité. En Afrique, Amérique latine et Asie du Sud-Est, les pays observant cette alliance peuvent réévaluer leurs propres alliances. Certains s’aligneront, d’autres temporiseront.

Pourtant, le récit du virage souverain a du sens. Le traité élargit la multipolarité. Il offre aux États non occidentaux une alternative structurelle à la dépendance. Pour les pays soumis à des sanctions ou à la coercition occidentale, l’exemple est parlant : commerce via l’Iran, contrats énergétiques hors dollar, cadres juridiques contournant les tribunaux occidentaux, chaînes d’approvisionnement indépendantes. Dans les petits États (Venezuela, certaines régions d’Afrique, certains États asiatiques), l’alliance propose de nouveaux modèles. Si le corridor fonctionne et que les échanges augmentent, le traité pourrait contribuer à créer une économie mondiale parallèle.

Mais cela dépendra de la mise en œuvre, de la discipline et de la coordination mutuelle. De nombreux traités visionnaires échouent à l’application. La Russie doit éviter la surextension ; l’Iran doit maintenir les réformes structurelles ; les États non alignés doivent éviter d’être entraînés dans des conflits par procuration.

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Le plus grand danger du traité réside dans la surconfiance. Si la Russie s’implique militairement trop tôt, elle risque l’enlisement. Si l’Iran attend trop de soutien, il pourrait provoquer une répression. L’architecture reste déséquilibrée, l’énergie, le transport et la finance étant largement russes. Mais le risque stratégique pèse sur les deux.

En somme, le traité Russie-Iran de 2025 fait partie d’une reconfiguration progressive de l’ordre mondial. Il ne s’agit pas simplement d’une réaction à la pression occidentale, ni d’une tentative conspirationniste de briser l’ordre mondial. Il s’agit plutôt de diplomatie d’État, où les puissances cherchent à accroître leur influence, à sécuriser des voies stratégiques et à affirmer leur autonomie. L’issue dépendra de l’exécution, de la dynamique de la guerre des sanctions, des évolutions régionales, du niveau de confiance réciproque et des capacités internes des acteurs. Les observateurs, surtout hors du récit dominant, devront voir si le corridor est à la hauteur des ambitions ou s’effondre sous la pression.

Rédigé par : GGTV

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samedi, 04 octobre 2025

La rivalité entre Moscou et Washington dans le monde turcophone

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La rivalité entre Moscou et Washington dans le monde turcophone

Stefano Vernole

Source: https://telegra.ph/La-rivalit%C3%A0-tra-Mosca-e-Washingto...

Le grand partenariat eurasiatique représente en effet la seule carte dont disposent Moscou et Pékin pour concilier leurs projets d’infrastructures dans la région.

Tandis que l’administration Trump joue la carte de la séduction face aux «swing states» en les attirant avec de nouveaux accords énergétiques — comme celui proposé à la Turquie pour l’achat de son GNL, devenu manifestement moins attrayant après le doublement de la connexion énergétique russo-chinoise — et dans les secteurs de la technologie nucléaire civile et de l’aviation, ou proposé au Kazakhstan et à l’Ouzbékistan, avec 12 milliards de dollars dans les secteurs aérien, ferroviaire et dans celui des matières premières, la Russie mise sur une stratégie globale et promeut le concept « Altaï, patrie des Turcs » ainsi que le projet « Grand Altaï » comme contrepoids à l’Organisation des États turciques (OTS). Par le biais de conférences, d’expéditions et d’initiatives soutenues par l’État, Moscou cherche à se positionner non comme un acteur marginal dans le monde turc, mais comme son centre historique et culturel, notamment après la médiation nécessaire atteinte avec Istanbul en Syrie après la chute d’Assad.

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Selon divers documents publiés, la Russie commence à percevoir l’OTS comme un défi à sa présence en Asie centrale, et la narration de l’Altaï présente la région Sayan-Altaï comme le berceau des langues, des États et de la culture turcs aux 6ème-7ème siècles. Les historiens et fonctionnaires russes soulignent combien l’Altaï est le lieu d’origine sacré des peuples turcs et représente un espace de coexistence entre communautés slaves et turques au nom d’une origine eurasiatique commune.

Cette vision de la translatio imperii permet à Moscou de se présenter en «gardienne» du patrimoine turc, tout comme la Turquie l’a fait, à l’inverse, avec la gestion de Sainte-Sophie à Istanbul.

Des conférences comme le Forum international de l’Altaï à Barnaoul, la publication de la Chronique de la civilisation turque et des programmes pour la jeunesse en turcologie donnent à ce récit un certain poids académique. Cette approche met en lumière le rôle de la Russie comme centre de civilisation et non comme périphérie.

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Moscou promeut le projet « Grand Altaï » comme une initiative transfrontalière reliant la Russie, le Kazakhstan, la Mongolie et la Chine. Les objectifs proclamés du projet en matière d’écologie, d’échanges scientifiques et de renaissance culturelle s’alignent sur des objectifs politiques plus larges: renforcer le patrimoine turc dans une identité eurasiatique; étendre le soft power russe à travers des projets transfrontaliers; démontrer la capacité à établir des plateformes d’interconnexion alternatives.

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En juillet 2025, le Premier ministre Mikhaïl Michoustine a accueilli à Manzherok, en République de l’Altaï, des dirigeants venus du Kazakhstan, d’Arménie, de Biélorussie et d’autres pays. Bien que présenté officiellement comme un forum environnemental, l’événement a aussi servi de plateforme pour discuter d’intégration et de commerce, révélant ainsi sa nature géopolitique sous couvert culturel.

Les États d’Asie centrale cherchent à équilibrer prudemment les deux cadres.

Le Kazakhstan a reconnu l’Altaï comme une « patrie sacrée de la civilisation turque », tout en s’engageant activement dans des projets lancés par l’Organisation des États turciques (OTS), tels que le livre d’histoire turc commun et l’alphabet unifié. L’Ouzbékistan et le Kirghizistan participent à des festivals et expéditions sur l’Altaï, obtenant une légitimité culturelle sans engagements politiques plus profonds.

Pendant ce temps, les initiatives de l’OTS continuent de progresser. Le livre d’histoire, coordonné par l’Académie turque, est en cours de rédaction et l’alphabet unifié, approuvé en 2024, est introduit progressivement. La Russie observe les deux initiatives avec suspicion, craignant que le nationalisme turcophone ne soit utilisé contre l’intégration eurasiatique.

Plutôt que d’affronter directement l’OTS, la Russie insère l’Altaï dans des stratégies eurasiatiques plus larges, y compris les programmes culturels de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et le dialogue avec l’Union économique eurasiatique (UEE). La compétition concerne cependant moins l’interprétation historique que la définition de futures constellations d’influence.

La stabilité de l’Asie centrale est devenue une composante essentielle de la stabilité même de la République populaire de Chine. Le Traité de bon voisinage, d’amitié et de coopération éternelle, signé à Astana le 17 juin 2025, engage six parties à ne pas s’aligner l’une contre l’autre, à la modération réciproque, aux consultations et à l’élargissement de la coopération en matière de sécurité et d’économie, tout en intégrant les principes de souveraineté et d’intégrité territoriale, et en permettant des liens opérationnels plus profonds.

Les récents sommets de Xi’an et d’Astana ont créé 13 plateformes de coopération et mis en place un Secrétariat pour en coordonner la mise en œuvre. En juillet 2025, la Chine et ses partenaires d’Asie centrale ont inauguré des centres de coopération au Xinjiang pour la réduction de la pauvreté, l’échange éducatif et la prévention de la désertification. Leur mission est pratique: emplois ruraux, formation professionnelle, transfert de technologies et gestion environnementale afin de réduire les racines de l’insécurité.

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Les corridors économiques terrestres à travers le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan revêtent aujourd’hui une importance stratégique. L’Asie centrale offre à Pékin une diversification des routes, des tampons physiques contre les chocs maritimes et un accès aux marchés adjacents. La Chine a approuvé la troisième connexion ferroviaire Chine-Kazakhstan, a avancé la ligne Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan après des décennies de négociations et a amélioré les routes avec le Tadjikistan. Les services de conteneurs se sont étendus et le corridor transcaspien a vu sa capacité et sa coordination améliorées. Pékin combine la logistique au pilotage sécuritaire: gestion des frontières, partage de données et formations conjointes, souvent sous l’égide de l’OCS.

Le grand partenariat eurasiatique représente en effet la seule carte dont disposent Moscou et Pékin pour concilier leurs projets d’infrastructures dans la région, fournir à l’Asie centrale la connectivité nécessaire à son essor économique et empêcher les États-Unis d’y créer un foyer de déstabilisation de toute l’Eurasie.

La stratégie du président Vladimir Poutine de centraliser le pouvoir dans la Fédération de Russie a des implications particulières pour les régions frontalières russes, qui ont poursuivi un dialogue avec les États voisins. Le territoire de l’Altaï et la République de l’Altaï — deux régions frontalières russes du sud-ouest de la Sibérie — participent ainsi à une initiative régionaliste avec les régions voisines de la Chine, du Kazakhstan et de la Mongolie. Cette alliance régionale multilatérale entre administrations infranationales vise à coordonner les politiques de développement économique dans la sous-région des monts Altaï. Ses perspectives dépendent en grande partie du soutien politique et économique des autorités fédérales russes, mais aussi du consensus chinois et de l’élaboration d’un soft power eurasiatique plus que jamais nécessaire au vu des défis géostratégiques actuels.

vendredi, 03 octobre 2025

Emergence et développement des BRICS: un point de vue européen

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Emergence et développement des BRICS: un point de vue européen

Robert Steuckers

(Texte rédigé en septembre 2024)

Par le poids déterminant mais non oblitérant de la Russie et de la Chine dans le phénomène des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), ce dernier apparaît bien évidemment comme un fait géopolitique et géoéconomique propre à la masse continentale eurasienne, située à l’Est du Niémen, du Dniepr, du Bosphore et du Caucase. Notre espace, situé à l’Ouest de cette ligne floue n’aurait rien à voir avec ce monde de steppes infinies, au-delà duquel la race jaune domine. C’est oublier un peu vite que l’Europe a été matériellement une pauvre civilisation repliée sur elle-même (ce qui ne minimise aucunement la richesse spirituelle du moyen âge), une civilisation « enclavée », et qui cherchait désespérément à se désenclaver (1), position fragile que l’esprit de croisade tentera en vain d’annuler. Seules les villes marchandes italiennes, Venise et Gênes, resteront vaille que vaille branchées sur les routes de la Soie. La pression ottomane, surtout après la chute de Byzance (1453), semblait inamovible. Les initiatives maritimes portugaises suite aux travaux scientifiques et géographiques du Prince Henri le Navigateur, la découverte de l’Amérique par Colomb et la conquête russe du bassin de la Volga et des premières terres sibériennes effaceront cet enclavement européen. On connaît la suite. Toutefois, à la fin du 18ème siècle, avant la totale mainmise britannique sur le sous-continent indien, la Chine et l’Inde demeuraient les principales puissances industrielles, les civilisations les plus riches. La parenthèse miséreuse de l’Inde et de la Chine n’aura finalement duré que moins de deux siècles. Nous assistons aujourd’hui, voire depuis trois décennies, au retour à la situation d’avant 1820 (2).

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Le désir de désenclavement était bien présent dans l’esprit de nos ancêtres aux 15ème et 16ème siècles. Pour ce qui concerne la Moscovie (on ne parlait pas encore de « Russie »), le personnage le plus emblématique fut Sigismund von Herberstein (3) (illustration). Diplomate au service des empereurs germaniques Maximilien I, Charles-Quint et Ferdinand I, il exécuta deux missions en Russie en 1517-1518 et 1526-1527, à l’époque où régnait Vassili III, père d’Ivan IV le Terrible. Sigismund von Herberstein ramène de ces deux voyages une description détaillée et inédite du territoire de la Russie-Moscovie, plus particulièrement de son hydrographie, les fleuves étant les principales voies de communication depuis les Varègues (et probablement de peuples divers avant eux) (4). La mission de von Herberstein était de plaider la paix entre la Pologne-Lituanie et la Moscovie afin d’organiser une vaste alliance entre ces puissances slaves ou balto-slaves et le Saint-Empire contre les Ottomans, puissance montante à l’époque. Dès les premières décennies du 16ème siècle, la raison civilisationnelle postulait une alliance entre l’Europe centrale (et bourguignonne car Philippe le Bon et Charles le Hardi entendaient tous deux reprendre pied sur le littoral de la mer Noire) et les Etats polono-lituanien et moscovite, tout en annulant, par l’art de la diplomatie, les belligérances entre ces derniers. Une sagesse qui n’a pas été réitérée dans l’actuel conflit russo-ukrainien.

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Plus tard, après que le Saint-Empire a été ravagé par les armées de Louis XIV (allié aux Ottomans pour prendre l’Autriche à revers), les universités, dont Heidelberg, avaient été réduites en cendres, laissant une quantité d’étudiants et de professeurs sans emploi. Le Tsar Pierre le Grand entreprend, au même moment, une modernisation-germanisation de la Russie et fait appel à ces cadres déshérités, tout en recevant les conseils de Gottfried Wilhelm Leibniz (portrait), le célèbre philosophe et mathématicien allemand. Pour Leibniz, intéressé par la pensée chinoise, la Moscovie du Tsar Pierre, en commençant à gommer le chaos de toutes les terres sises entre l’Europe et la Chine, fera de cet espace un « pont » entre l’écoumène européen, centré sur le Saint-Empire (à reconstituer), et la Chine. L’harmonie devra alors, à terme, régner sur cet ensemble à trois piliers. L’eurasisme, avant la lettre, est donc né dans la tête de ce philosophe et mathématicien hors pair (pour son époque), qui oeuvrait sans relâche dans la bonne ville de Hanovre, à la charnière des 17ème et 18ème siècles.

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Plus tard, sous la République de Weimar, les cercles nationaux-révolutionnaires, qu’Armin Mohler comptait parmi les avatars de la « révolution conservatrice », évoquaient une « Triade » germano-soviéto-chinoise, reposant sur le Kuo Min Tang de Tchang Kai Tchek, le PCUS sous la houlette de Staline et un pôle révolutionnaire allemand anti-occidental qui devait encore prendre le pouvoir : cet aspect de la diplomatie et de la géopolitique nationales-révolutionnaires de l’ère de Weimar n’a guère été exploré jusqu’ici. En effet, mis à part une thèse de doctorat de Louis Dupeux (5), ni la littérature scientifique ni la très nécessaire littérature militante et vulgarisatrice n’ont abordé en profondeur cette notion de « Triade » qu’analyse pourtant un témoin direct des activités de ces cercles nationaux-révolutionnaires sous la république de Weimar, Otto-Ernst Schüddekopf (6). Ce dernier fréquenta les cercles autour d’Ernst Niekisch, Ernst Jünger et Friedrich Hielscher à partir de 1931. Il se spécialisa dans l’histoire de la marine et des forces aériennes britanniques et dans la politique des points d’appui du Reich de Guillaume II au cours de ses études de 1934 à 1938. Plus tard, il fut affecté à l’Abwehr (pour des opérations antibritanniques, notamment en Irlande) puis à l’Ahnenerbe (dont le directeur Wolfram Sievers était un ami de Hielscher) et, finalement, au RSHA. En dépit de cette inféodation aux sphères prétoriennes du Troisième Reich, Schüddekopf et Sievers aideront des dissidents proches des cercles NR et seront au courant de la tentative d’attentat contre Hitler, qui fut ultérieurement perpétrée par Stauffenberg, sans pour autant subir les foudres de la police politique. En 1945, Schüddekopf sera incarcéré pendant trois ans dans une prison de haute sécurité à Londres puis entamera une carrière universitaire en République Fédérale (7).

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Un autre personnage précurseur de l’eurasisme, style BRICS, sera l’officier Richard Scheringer (1904-1986) (photo), natif d’Aix-la-Chapelle. Sa qualité d’officier ne l’empêcha pas d’avoir eu plutôt une carrière rouge de rouge. L’analyse des textes parus dans sa revue Aufbruch (8) révèle un tropisme chinois, inséré dans l’espoir de voir triompher une « Triade » anti-occidentale, tropisme chinois qui agitait certains esprits dans les coulisses de la diplomatie belge (et dont la trace la plus visible reste la présence de Tchang, l’ami d’Hergé, à Bruxelles dans les années 30 et la parution de l’album de Tintin, Le Lotus bleu, clairement sinophile). En dépit de son militantisme communiste, Scheringer servira dans la Wehrmacht en territoire soviétique sans être inquiété par les services allemands et reprendra son militantisme rouge, avec ses fils et sa petite-fille (qui seront tous députés PDS, ancêtre de Die Linke). Au soir de sa vie, il appellera à manifester contre la « double décision de l’OTAN » et contre l’implantation de missiles américains sur le territoire de la RFA. Il tentera de mobiliser son vieux camarade Ernst Jünger pour qu’il en fasse autant. Jünger envoya une couronne de fleurs à son enterrement à Hambourg avec la mention « Au vieil ami ». Il resterait à analyser les rapports entre les universités allemandes de l’entre-deux-guerres et des dizaines d’étudiants indiens, désireux de secouer le joug britannique. Ces étudiants appartenaient à toutes les tendances révolutionnaires et indépendantistes possibles et imaginables et cherchaient des appuis allemands tant sous la république de Weimar que sous le régime national-socialiste. La question des rapports germano-indiens est extrêmement complexe et excède le cadre de ce modeste article (9). Aujourd’hui, les étudiants indiens sont, dans Allemagne en déclin du Post-Merkelisme et de Scholz, les plus nombreux parmi les étudiants étrangers inscrits dans les universités.

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La « Triade » semble être aujourd’hui une chimère imaginée par des personnages en marge des politiques dominantes et triomphantes de l’entre-deux-guerres allemand. Mais son émergence, même marginale et diffuse, est la hantise des services anglo-saxons. Or, force est de constater qu’en dépit des élucubrations impolitiques répandues par les médias, en coulisses, la « Triade » était devenue, tacitement, un fait accompli. La Russie fournissait le gaz de l’Arctique à un prix défiant toute concurrence, lequel gaz passait dans les eaux de la Baltique, bordée jusqu’il y a quelques mois par des Etats neutres non inféodés à l’OTAN (Finlande, Suède). La Chine était le premier partenaire commercial de l’Allemagne. L’Ostpolitik des socialistes (Brandt, Schmidt, Schröder), préconisant des relations normalisées avec l’Union Soviétique d’abord avec la Russie ensuite, et la Fernostpolitik des démocrates-chrétiens (Strauss), favorisant tous les liens possibles avec la Chine, avaient, avec un réel succès, pris le relais des spéculations sans lendemain des intellectuels non conformistes du temps de la république de Weimar.

La Terre du Milieu russe (ou le « Pont » de Leibniz) avait apaisé le Rimland centre-européen, apaisé l’Iran des mollahs et forgé une alliance pragmatique avec une Chine qui se débarrassait des colifichets idéologiques du maoïsme de la « révolution culturelle », tout en gardant les bons rapports avec l’Inde forgés depuis l’indépendance du sous-continent en 1947. Deux cauchemars de la géopolitique anglo-saxonne de MacKinder et de Spykman s’étaient installés dans le réel : 1) la Terre du Milieu avait avancé pacifiquement ses glacis, rendant plus difficile toute stratégie d’endiguement ; 2) Un morceau considérable du rimland sud-asiatique, l’Iran, était désormais relié aux réseaux ferroviaires financés par la Chine et branchés sur le Transsibérien russe, qui, en fait, est le véritable « pont », bien concret, rêvé par Leibniz du temps de Pierre le Grand. Les deux gazoducs de la Baltique soudaient, dans une concrétude énergétique tout aussi tangible, l’alliance germano-russe préconisée par quantité d’hommes d’Etats depuis Gneisenau, Clausewitz, Bismarck, Rathenau, etc. 

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Pour briser cette dynamique, il fallait agir en actualisant de vieilles stratégies d’endiguement, de propagande et de zizanie belliciste. Rendre purulent l’abcès ukrainien, en réactivant de vieilles querelles entre Slaves (le contraire de la politique préconisée par Sigmund von Herberstein), en hissant partout au pouvoir en Europe des politiciens de bas étage, des idéologues fumeux et incultes, des juristes ou des banquiers dépourvus de culture historique, des écologistes véhiculant les délires woke, etc. Ce personnel, en rupture de ban avec toutes les écoles diplomatiques, fera une politique dictée par Washington : reniement des politiques socialistes en Allemagne (avec ostracisme à l’encontre de Schröder, qui présidait la gestion des gazoducs de la Baltique), réalignement de la France sur les délires atlantistes depuis Sarközy, abandon des politiques de neutralité en Suède, Finlande et même Suisse (seule l’Autriche résiste mieux grâce à la solide présence de la FPÖ dans les assemblées fédérale et régionales et à la proximité de la Hongrie), création du chaos wokiste et multiculturel dans toutes les sociétés ouest-européennes et même en Pologne depuis le retour de Tusk au pouvoir.

L’émergence, le développement et la consolidation du Groupe BRICS vient donc d’une volonté d’organiser l’ensemble du territoire eurasien des rives orientales du Don et de la Volga jusqu’aux littoraux du Pacifique, d’échapper à un Occident devenu fou, plus rébarbatif encore que l’Occident fustigé par les intellectuels non conformistes des années 1920 et 1930, d’une volonté d’appliquer les recettes d’un économiste pragmatique du 19ème siècle, Friedrich List. Pour cet économiste libéral, ou considéré tel, le rôle premier de l’Etat est d’organiser les communications à l’intérieur de ses frontières, de rendre ces communications rapides et aisées, de créer des flux permanents de marchandises et de personnes, notamment afin de fixer les populations sur leur propre sol et d’empêcher toute hémorragie démographique, telle celle que les Etats allemands (avant l’unification) avaient connu au bénéfice des Etats-Unis.

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List (illustration) a exercé une influence prépondérante dans l’Allemagne de son temps mais a également œuvré aux Etats-Unis, préconisant de grands travaux (chemins de fer, canaux, etc.) qui, après leur réalisation, ont donné aux Etats-Unis les assises de leur puissance et permis l’éclosion de leur atout majeur : la bi-océanité. L’idée d’organiser les communications terrestres sera reprise par les dirigeants russes qui créeront le Transsibérien et par des penseurs pragmatiques du Kuo Min Tang chinois, oubliés suite aux vicissitudes tragiques de l’histoire chinoise des 19ème et 20ème siècles. C’est cette volonté véritablement politique de créer des infrastructures, présente en Chine, qui incitera Xi Jinping à lancer son fameux projet des « routes de la Soie » ou BRI (« Belt and Road Initiative »).

La Chine est passée ainsi du maoïsme et de son interprétation naïve et schématique de Marx à un listisme concret et créatif et, ensuite et surtout, à un intérêt pour Carl Schmitt, théoricien qui refusait explicitement toute immixtion étrangère dans les affaires intérieures d’un autre « grand espace ». Dès la fin des années 1980, la Chine avait émis « les cinq principes de la coexistence pacifique », l’adoption planétaire desquels garantissant à tous d’emprunter les « bons taos » (les « bonnes voies », les « bon chemins ») (10). Parmi ces cinq principes figure, bien évidemment, celui qui vise à préserver chaque entité étatique de toute immixtion indue et corruptrice en provenance de puissances lointaines, développant un programme hégémonique ou cherchant à monter des alliances interventionnistes à prétention planétaire, comme l’est, par exemple, l’OTAN. Les BRICS, le noyau initial comme les nouveaux pays adhérents, entendent justement emprunter de « bon taos », qui postulent le contraire diamétral de ce que préconise le « nouvel ordre mondial » de Bush et de ses successeurs à la Maison Blanche ou des dispositifs que veut mettre en place la nouvelle direction de l’OTAN (Stoltenberg, Rutte).

Les deux postulats principaux qui animent les pays du groupe BRICS sont : 1) le développement sans entraves de voies de communications terrestres et maritimes sur la masse continentale ou autour d’elle (le long des littoraux des pays du rimland selon MacKinder et Spykman) et le refus de toute immixtion visant l’hégémonie unipolaire (américaine) ou le blocage des communications entre les rimlands et l’intérieur des continents ou l’endiguement de toute exploitation des nouvelles routes maritimes (Arctique, Mer de Chine du Sud, côtes africaines de l’océan Indien). Voyons comment cela s’articule pour chaque pays participant à la dynamique des BRICS :

La Russie a toujours cherché un débouché sur les mers chaudes ; elle est actuellement attaquée sur deux fronts : celui de l’Arctique-Baltique et celui de la mer Noire. Elle n’a les mains libres qu’en Extrême-Orient, justement là où l’appui britannique au Japon en 1904 avait manœuvré pour lui interdire un accès facile au Pacifique, quatre ans après les 55 jours de Pékin ; les sanctions, forme d’immixtion et de guerre hybride, permettent paradoxalement de développer un commerce des matières premières avec l’Inde et la Chine, totalisant près de trois milliards d’habitants. Le chaos créé en mer Noire bloque (partiellement) l’exportation des céréales russes et ukrainiennes vers la Méditerranée et l’Afrique : le développement de l’agriculture russe sous Poutine est un atout de puissance, que la Russie des Tsars était sur le point de se doter avant que certains services n’utilisent des révolutionnaires utopistes pour éliminer Stolypine et ne favorisent l’émergence d’un bolchevisme anti-agraire. Cette défaillance sur le plan agricole a rendu le communisme soviétique faible et caduc au bout de sept décennies. Il est dans l’intérêt de tous de voir les agricultures russe et ukrainienne se développer et trouver des débouchés, notamment en Afrique. La création d’un foyer durable de turbulences aux embouchures du Don, du Dniepr et du Dniestr contrecarre les intérêts de bon nombre de pays, d’où l’intérêt pour le groupe BRICS de l’Ethiopie, de l’Egypte et de l’Algérie, voire d’autres pays d’Afrique subsaharienne.

La Chine a développé, dans la phase post-maoïste de son histoire récente, une modernité technologique étonnante pour tous ceux qui la croyaient condamnée à une stagnation archaïsante. Dès la moitié du 19ème siècle, les visées américaines sur l’Océan Pacifique, entendaient conquérir le marché chinois pour une industrie américaine à développer qui ne comptait pas encore sur les marchés européens. Ce marché chinois, espéré mais jamais conquis, relevait d’une puissance sans forces navales, non thalassocratique, qui pouvait s’étendre vers l’Ouest, le « Turkestan chinois » (ou Sinkiang) et le Tibet. Washington acceptait une Chine continentale et refusait implicitement une Chine dotée d’un atout naval. L’industrialisation de pointe de la Chine au cours de ces trois dernières décennies a obligé Pékin à protéger les lignes de communications maritimes en mer de Chine du Sud, autour du « point d’étranglement » (choke point) qu’est Singapour pour accéder aux sources d’hydrocarbures que sont les rivaux iranien et saoudien. Par ailleurs, Chinois et Russes tentent de rentabiliser la route arctique qui mène plus rapidement à l’Europe, aux ports de Hambourg, Rotterdam et Anvers-Zeebrugge (ces deux derniers alimentant la Lorraine, l’Alsace, la Bourgogne, la Champagne et partiellement la Franche-Comté, via l’axe du Rhin) (11).

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La fonction de « pont » passant ainsi à l’Arctique et doublant le Transsibérien et les nouvelles voies ferroviaires prévues par les Chinois. La construction du Transsibérien et son parachèvement en 1904 avait suscité les réflexions de MacKinder sur la nécessité d’endiguer le « Heartland » russe. Le projet à tracés multiples de Xi Jinping suscite le bellicisme actuel des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l’OTAN. A cela s’ajoute que la Chine dispose de réserves considérables de terres rares, indispensables à la fabrication de matériels informatiques, fait qui ne devraient pas laisser nos dirigeants indifférents et les inciter à poursuivre une politique européenne rationnelle, visant à ne pas être dépendants et à ne pas être entraînés dans les stratégies vengeresses et destructrices des Etats-Unis.

L’Inde britannique était une masse territoriale capable d’offrir une vaste base territoriale pour contrôler le rimland de la Méditerranée à l’Indochine, sans oublier la façade africaine de l’Océan Indien jusqu’au Grands Lacs et jusqu’au-delà du Nil ; au Soudan et en Egypte. Le combat pour l’indépendance fut long pour tous les Indiens, qu’ils soient musulmans, sikhs ou hindous.  L’émancipation de l’Inde impliquait une nouvelle orientation géopolitique : le sous-continent ne devait plus être la base principale, la plus vaste et la plus peuplée, destinée à parfaire la stratégie de l’endiguement de la Russie/de l’Union Soviétique mais devenir à terme une éventuelle fenêtre du Heartland sur l’Océan du Milieu. Les rapports indo-soviétiques furent toujours optimaux, puisque l’URSS restait seule en piste après l’élimination de l’Allemagne en 1945, mais l’Inde a toutefois servi de barrage contre la Chine, abondant ainsi directement dans le sens de la géopolitique thalassocratique anglo-américaine : dans l’Himalaya (Ladakh) et dans toutes ses entreprises visant à soutenir le Tibet. Le conflit indo-pakistanais a induit une géopolitique particulière : les Etats-Unis incluaient le Pakistan dans l’alliance endiguante que fut le Pacte de Bagdad (Turquie, Irak avant 1958, Iran, Pakistan), ce qui obligeait l’Inde à maintenir ses bons rapports avec l’URSS, tout en demeurant l’un des pays-phares du non-alignement de Bandoeng. Le Pakistan demeurait l’ennemi et cet ennemi était ancré dans des structures militaires « défensives » pilotées par les Etats-Unis. Et pour être plus précis, quand la Chine et les Etats-Unis deviennent de facto alliés à partir de 1972, suite à l’œuvre diplomatique de Kissinger, le Pakistan offre à la Chine un débouché sur l’Océan Indien.

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L’art de la diplomatie des Indiens est subtil : il navigue entre l’amitié traditionnelle avec la Russie, le non-alignement et ses avatars actuels et une ouverture méfiante mais réelle à l’anglosphère, héritage de son imbrication dans l’ancien Commonwealth britannique et résultat du statut de langue véhiculaire qu’y revêt l’anglais. On s’aperçoit ainsi que l’Inde bascule vers la multipolarité, surtout à cause de ses relations économiques avec la Russie et de sa volonté de « dé-dollariser », mais participe aux manœuvres militaires de l’AUKUS dans la zone indo-pacifique, lesquelles manœuvres visent la Chine. L’Inde entend réactiver les initiatives des « non-alignés » qui avaient joint leurs efforts dès le grand congrès de Bandoeng (Indonésie) en 1955. Le non-alignement avait perdu de son aura : avec la multipolarité qui se dessine à l’horizon, il semble revenir à l’avant-plan avec Narendra Modi.

L’Iran, dont on ne saurait juger la politique extérieure en ne tenant compte que des aspects du régime des mollahs à l’intérieur, a été une grande puissance jusqu’à l’aube du 19ème siècle. Comme l’Inde et la Chine, l’irruption de l’impérialisme anglais dans l’espace des océans Indien et Pacifique a induit un ressac dramatique de la puissance persane, laquelle avait déjà subi les coups de butoir russes dans l’espace sud-caucasien. L’Iran s’est alors retrouvé coincé entre deux empires : celui des Russes puis des Soviétiques, menace terrestre, au nord et surtout dans les zones de peuplement azerbaïdjanais ; celui des Britanniques à l’Est d’abord, dans les régions du Beloutchistan, à l’Ouest ensuite, dès sa présence en Irak suite à l’effondrement de l’Empire ottoman en 1918 et dès sa mainmise sur les pétroles de Mésopotamie (Koweit, Kirkouk, Mossoul).

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Comme Atatürk en Turquie post-ottomane, le premier Shah de la dynastie de Pahlavi opte pour une modernisation qu’il ne peut réellement mener à bien malgré des aides européennes (allemandes, italiennes, suisses, suédoises). La neutralité iranienne est violée par les Britanniques et les Soviétiques en 1941, immédiatement après le déclenchement de l’Opération Barbarossa : l’Iran est partagé en zones d’influences et, en 1945, après l’élimination de l’Axe, Staline entend rester dans les régions azerbaïdjanaises, quitte à y faire proclamer une république provisoire qui demanderait bien vite son inclusion dans l’URSS. Le nouveau Shah, dont le père venait de mourir en exil dans les Seychelles britanniques, perçoit le danger soviétique comme la menace principale et s’aligne sur les Américains qui n’ont pas de frontière commune avec l’Iran. Son ministre Mossadegh, qui voulait nationaliser les pétroles de l’Anglo-Iranian Oil Company, est évincé en 1953, suite à des opérations que le peuple iranien n’oublia pas. L’Iran adhère au Pacte de Bagdad ou au CENTO, prolongement de l’OTAN et de l’OTASE, organisant au profit des Etats-Unis et selon les doctrines géopolitiques de Nicholas Spykman l’ensemble du rimland euro-asiatique pour endiguer et l’URSS et la Chine. Le CENTO ne durera que jusqu’en 1958, année où la révolution baathiste irakienne arrive au pouvoir à Bagdad.

La révolution chiite fondamentaliste de 1978-79, dont les avatars actuels sont anti-américains, a d’abord été favorisée par les Etats-Unis, Israël, le Royaume-Uni et la France de Giscard d’Estaing. Le Shah évoquait un « espace de la civilisation iranienne », qu’il entendait faire rayonner sans tenir compte des projets stratégiques américains, avait signé avec la France et l’Allemagne les accords de l’EURATOM (déjà la question du nucléaire !), avait développé une marine en toute autonomie, avait eu des velléités « gaulliennes », avait conclu des accords gaziers avec Brejnev et réussi quelques coups diplomatiques de belle envergure (liens renforcés avec l’Egypte, paix avec les Saoudiens et accords pétroliers avec Riyad, accords d’Alger avec l’Irak pour régler la navigation dans les eaux du Shat-el-Arab). Ces éléments ne sont plus mis en exergue par les médias aujourd’hui et le rôle joué par les Occidentaux dans l’élimination du Shah est délibérément occultée, notamment par une gauche qui fut, à la fin des années 1970, le principal agent de propagande pour justifier, dans l’opinion publique, ces manœuvres américaines contre leur principal allié théorique dans la région.

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Plusieurs historiens et l’ancien ministre du Shah, Houchang Nahavandi, ont cependant analysé les événements d’Iran en ce sens, ce que j’ai bien mis en évidence dans un texte antérieur (12). Il semble que les services américains aient voulu agir sur deux plans : premièrement, éliminer le Shah qui avait créé une synergie nucléaire et industrielle avec l’Europe et gazière avec l’URSS (l’objectif premier a été de nuire à l’Europe et de ruiner toute coopération énergétique avec l’URSS) ; deuxièmement, installer un régime très différent des régimes occidentaux, ce qui permettait d’orchestrer sans cesse une propagande dénigrante contre lui, de créer une sorte de « légende noire » anti-iranienne, comme il en existe contre l’Espagne, l’Allemagne, la Russie, la Chine ou le Japon qui peuvent être réactivées à tout moment.  L’Iran est donc un exemple d’école pour démontrer a) la théorie de l’occupation d’une part du rimland asiatique à des fins d’endiguement ; b) la relativité de la notion d’« allié », dans la pratique américaine, dans la mesure où un « allié », sur le rimland, ne peut chercher à se réinscrire dans sa propre histoire, à développer une diplomatie originale neutralisant des inimitiés que l’hegemon entend laisser subsister pour créer des conflits régionaux affaiblissants, à renforcer son potentiel militaire, à sceller des accords énergétiques avec des pays tiers même alliés (en l’occurrence l’Europe, l’URSS et l’Arabie Saoudite) ; c) la pratique de créer des mouvements extrémistes déstabilisateurs, de les appuyer dans un premier temps puis de les dénigrer une fois leur pouvoir établi et d’organiser boycotts et sanctions contre eux sur le long terme afin de prévenir la réactivation de toutes les synergies autonomes qu’avaient amorcé à feu doux le régime initial.

Ce sont précisément ces exemples d’école, perceptibles dans le cas iranien, qui ont donné aux puissances émergentes (ou réémergentes comme la Russie de l’après-Eltsine) l’impulsion première qui les amènent, aujourd’hui, à joindre leurs efforts économiques. Il convenait d’échapper à ce quadruple danger qu’avait révélé l’histoire iranienne de ces cinquante dernières années. Les stratégies économiques des BRICS, suivies de l’organisation de la nécessaire protection militaire des nouvelles voies ou systèmes de communication, visait à annuler la stratégie d’endiguement en organisant des routes nouvelles reliant le Heartland russo-sibérien aux périphéries (rimlands), les régions orientales de la Chine à l’intérieur des terres (Sinkiang) et au reste de l’Asie centrale (Kazakhstan), les réseaux intérieurs chinois aux ports du Pakistan (et, de là, aux sources arabiques d’hydrocarbures). Ces axes de communications se portent vers l’Europe, réalisant le vieux vœu de Leibniz. Les diabolisations russophobes, sinophobes (etc.) ne permettent pas de créer une diplomatie globale efficace et fructueuse. L’entretien médiatique de « légendes noires » n’est donc pas de mise, comme le soulignaient déjà les « amendements » chinois au programme du « nouvel ordre mondial » dans les années 1990.

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La notion d’« allié », battue en brèche par la doctrine Clinton depuis ces mêmes années 1990, n’existe plus en réalité car elle a été bel et bien remplacée par la notion d’« alien countries », ce qui explique l’adhésion aux BRICS d’anciens alliés des Etats-Unis comme l’Arabie Saoudite ou l’Egypte et les velléités turques. Enfin, la pratique de soutenir des mouvements extrémistes déstabilisateurs ou de monter des « révolutions de couleur » ou des « printemps arabes » oblige les puissances du monde entier à une vigilance commune contre l’hyperpuissance unipolaire, allant bien au-delà d’inimitiés ancestrales ou de la fadeur de l’internationalisme simpliste des communismes de diverses moutures. La leçon iranienne a été retenue partout, sauf en Europe.

Il est évident que les BRICS ont leur noyau solide en Asie, plus exactement en Eurasie, l’Afrique du Sud, bien que potentiellement riche, est une projection afro-australe de cette nouvelle grande synergie eurasiatique qui ne pourra être pleinement intégrée à la dynamique si les Etats de la Corne de l’Afrique, dont l’Ethiopie, nouvelle adhérente aux BRICS, retrouvent stabilité et organisent leurs réseaux de communication intérieurs. Le Brésil, où les Etats-Unis ont encore de solides alliés, est certes un géant mais il est fragilisé par la défection de l’Argentine de Miléi. Seules les communications transcontinentales en Amérique du Sud, reliant les littoraux du Pacifique à ceux de l’Atlantique, donneront corps à un véritable pôle ibéro-américain dans la multipolarité de demain. De même, la coopération sino-brésilienne sur le plan de l’agro-alimentaire, sur base d’échanges dé-dollarisés, laisse envisager un avenir prometteur.

La multipolarité en marche dispose d’atouts de séduction réels :

Le gaz russe et les autres hydrocarbures sont incontournables pour l’Europe, l’Inde, la Chine et le Japon. L’effondrement économique de l’Allemagne (but visé par Washington) et de son industrie automobile est dû aux sanctions et au sabotage des gazoducs de la Baltique, renforcé par la politique énergétique inepte dictée par les Verts, téléguidés en ultime instance par le soft power américain et les services de Washington : le refus du nucléaire (et la politique de s’attaquer au nucléaire français) s’inscrit bel et bien dans le cadre d’une vieille politique américaine d’affaiblir l’Europe, le pari sur les énergies solaire et éolienne correspond aux objectifs du fameux « Plan Morgenthau », visant, en 1945, avant la généralisation du Plan Marshall, à transformer le centre du sous-continent européen en une aimable société pastorale, comme l’a souligné avec brio la Princesse Gloria von Thurn und Tassis (13). Ces énergies, dites « renouvelables » ne suffisent pas pour alimenter une société hautement industrialisée.

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Autre atout : le blé (14). La fin du communisme et aussi du néolibéralisme en Russie, en 1991 et en 1999, a permis, sous Poutine, de relancer l’agriculture et d’en faire un atout majeur de la politique russe. De même, avant les événements, l’Ukraine, elle aussi, était devenue une puissance agricole qui comptait. Ce blé est indispensable à de nombreux pays d’Afrique, qui, sans lui, risqueraient en permanence la famine et l’exode vers l’Europe d’une bonne fraction de leur jeunesse. La confrontation russo-ukrainienne, outre qu’elle ramène la guerre en Europe, ruine les bénéfices qu’avait apportés la résurrection de l’agriculture dans les anciennes républiques slaves de l’URSS. La coordination des productions agricoles est en voie de réalisation rationnelle dans les pays BRICS, y compris en Inde qui, de vaste pays souvent victime de famines jusque dans les années 1960, est devenu un exportateur de céréales et de riz (15).

La consolidation lente de pays BRICS, malgré les embûches systématiques perpétrés par les services américains, progresse, accompagnée du phénomène de la « dé-dollarisation », qui inquiète les décideurs étatsuniens. Ainsi, le sénateur américain Marco Rubio, de Floride, vient de présenter au Congrès un projet de loi visant à punir les pays qui se désolidariseraient du dollar. Le projet de loi vise à exclure du système mondial du dollar les institutions financières qui encouragent précisément la dédollarisation et utilisent les systèmes de paiement russe (SPFS) ou chinois (CIPS) (16).  

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Cette pression constante et ces interminables sanctions, procédés éminemment vexatoires, n’empêchent nullement l’ANASE (ASEAN), le marché commun de l’Asie du Sud-Est, de se rapprocher de la Chine et donc du groupe BRICS, détachant ainsi partiellement un marché de 600 millions de clients potentiels des réseaux dominés par les Etats-Unis (17). Des basculements de telle ampleur risquent à terme de réduire considérablement, voire d’annuler, la suprématie occidentale et de la ramener à ce qu’elle était à la fin du 18ème siècle. L’Europe, par son inféodation inconditionnelle et irrationnelle à Washington, risque tout bonnement une implosion de longue durée si elle persiste dans cette alliance atlantique contre-nature. Il est donc temps d’unir les esprits véritablement politiques de notre sous-continent et de combattre les tenants délirants de toutes les nuisances idéologiques, insinués dans les mentalités européennes par le soft power américain. Car l’Europe est perdante sur tous les tableaux.

A l’Est de l’Europe, une guerre lente persiste, handicapant les communications entre des parties du monde qui ont toujours été des débouchés pour nous, depuis la plus haute antiquité : origines steppiques des cultures kourganes, présence grecque en Crimée et à l’embouchure du Don, domination des fleuves russes par les Varègues et présence scandinave dans la place de Bolgar en marge de l’Oural, nécessité des croisades pour reprendre pied dans toutes les régions-portails du Pont, du Levant et du delta du Nil, présence des Génois et des Vénitiens aux terminaux pontiques de la route de la Soie, etc. Une Ukraine qui serait demeurée neutre, selon les critères mis au point lors des pourparlers soviéto-finlandais à partir de 1945, aurait été bénéfique à tous, y compris aux Ukrainiens qui seraient demeurés maîtres de leurs richesses minérales et agricoles (au lieu de les vendre à Monsanto, Cargill et Dupont).

La pire défaite de l’Europe (et de la Russie !) dans le contexte hyper-conflictuel que nous connaissons aujourd’hui se situe dans la Baltique. La Baltique était un espace neutre, où régnait une réelle sérénité : l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN fait de cette mer intérieure du Nord de l’Europe un espace de guerre chaude potentielle. Le territoire finlandais, désormais otanisé, permet de faire pression sur la mer Blanche et sur l’espace arctique, à l’heure où la « route de la Soie maritime » du Grand Nord permettrait de raccourcir considérablement la distance entre l’Europe et l’Extrême-Orient chinois, japonais et coréen, sans compter l’ensemble des pays de l’ANASE.

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L’Europe est donc face à un triple verrou : a) le verrou baltique-arctique (avec suppression des gazoducs Nord Stream, et blocage potentiel de la route arctique) ; b) le verrou pontique en mer Noire qui entrave la ligne Danube-Pont-Don-Volga-Caspienne-Iran et que les Russes cherchent à contourner en organisant avec les Iraniens et les Indiens le « Corridor économique Nord-Sud », partant de Mumbai, traversant l’Iran et la Caspienne ou longeant celle-ci à travers l’Azerbaïdjan (18) ; c) le verrou est-méditerranéen ou israélien, qu’il serait judicieux de nommer le « mur hérodien », érigé par les Britanniques et ensuite entretenu par les Américains, afin de créer un chaos permanent au Levant et en Mésopotamie. Les lecteurs de Toynbee et de Luttwak sauront que les rois Hérode de l’antiquité étaient en place grâce à l’appui romain pour contrer toute avancée perse en direction de la Méditerranée : le sionisme israélien est un avatar moderne de ce mur romain, incarné par les rois Hérode. L’énergie russe ne passe plus par les gazoducs de la Baltique ; dans quelques semaines, le gouvernement Zelenski fermera les gazoducs ukrainiens qui amènent le gaz aux Slovaques, aux Hongrois et aux Autrichiens, trois pays récalcitrants dans l’OTAN et l’UE. Il restera le gazoduc turc mais quid si Erdogan pique une crise d’anti-européisme ou si l’Occident américanisé impose des sanctions à Ankara, si la Turquie s’aligne sur les BRICS ou continue à avoir des relations normales avec Moscou ?

Le monde bouge, les cartes sont redistribuées chaque jour qui passe. Cette mobilité et cette redistribution postule une adaptation souple, allant dans nos intérêts. L’Europe n’était pas une aire enclavée mais était ouverte sur le monde. Elle risque désormais l’enclavement. Elle se ferme au risque de l’implosion définitive, parce qu’elle s’est alignée sur les Etats-Unis et a adopté, contre ses intérêts, des idéologies nées aux Etats-Unis : hippisme, néolibéralisme, irréalisme diplomatique (alors que Kissinger préconisait un réalisme hérité de Metternich), wokisme. Il est temps que cela change. La montée des BRICS est un défi, à relever avec des dispositions mentales très différentes, que nous enseignent les grandes traditions pluriséculaires, surtout celles nées aux périodes axiales de l’histoire.

Notes :

  • (1) Lire le livre de Jean-Michel Sallmann, Le grand désenclavement du monde 1200-1600, Payot, 2011.
  • (2)Ian Morris, Why the West Rules – For Now, Profile Books, London, 2011.
  • (3) Gerd-Klaus Kaltenbrunner, « Sigmund von Herberstein – Ein österreichischer Diplomat als ‘Kolumbus Russlands’ », in : Vom Geist Europas – Landschaften – Gestalten – Ideen, Mut-Verlag, Asendorf, 1987.
  • (4) Lecture indispensable : Cat Jarman, River Kings. The Vikings from Scandinavia to the Silk Roads, Collins, London, 2021.
  • (5) Louis Dupeux, Stratégie communiste et dynamique conservatrice. Essai sur les différents sens de l'expression « National-bolchevisme » en Allemagne, sous la République de Weimar (1919-1933), (Lille, Service de reproduction des thèses de l'Université) Paris, Librairie H. Champion, 1976.
  • (6) Otto-Ernst Schüddekopf, National-Bolschewismus in Deutschland 1918-1933, Ullstein, Frankfurt/M-Berlin-Wien, 1972. J’inclus bon nombre de faits, mentionnés par Schüddekopf dans le chapitre intitulé « Conférence de Robert Steuckers à la tribune du ‘Cercle non-conforme’ » (Lille, 27 juin 2014), in : R. S., La révolution conservatrice allemande, tome deuxième, Editions du Lore, s. l., 2018.
  • (7) Fiche Wikipedia d’Otto-Ernst Schüddekopf : https://de.wikipedia.org/wiki/Otto-Ernst_Sch%C3%BCddekopf
  • (8) Reprint partiel de cette revue « nationale-communiste » : « Aufbruch » - Dokumentation einer Zeitschrift zwischen den Fronten, Verlag Dietmar Fölbach, Koblenz, 2001.
  • (9) On lira toutefois la passionnante étude de Kris Manjapra, Age of Entanglement. German and Indian Intellectuals Across Empire, Harvard University Press, Cambridge/London, 2014.
  • (10) Robert Steuckers, « Les amendements chinois au ‘Nouvel Ordre Mondial’ », in ; Europa – vol. 2 – De l’Eurasie aux périphéries ; une géopolitique continentale, Bios, Lille, 2017.
  • (11) Voir : https://market-insights.upply.com/fr/la-carte-verite-des-...
  • (12) Robert Steuckers, « L’encerclement de l’Iran à la lumière de l’histoire du Grand Moyen-Orient » & « Réflexions sur deux points chauds : l’Iran et la Syrie », in Europa, vol. III – L’Europe, un balcon sur le monde, Bios, Lille, 2017. Voir aussi, R. S., « Le fondamentalisme islamiste en Iran, négation de l’identité iranienne et création anglo-américaine », in Europa, vol. II – De l’Eurasie aux périphéries, une géopolitique continentale, Ed. Bios, Lille, 2017.
  • (13) Daniell Pföhringer, « Plan Morgenthau et Nord Stream: Gloria von Thurn und Taxis en remet une couche », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/10/08/m...
  • (14) Stefan Schmitt, « Les céréales et la guerre », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/07/31/l...; Enrico Toselli, « Le blé ukrainien contre les agriculteurs polonais. Et le blé russe nourrit l'Afrique », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2023/04/14/l...; un point de vue russe sur le problème : Groupe de réflexion Katehon, « La crise du blé et la sécurité alimentaire », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/07/19/l... ; pour réinsérer la question dans une vaste perspective historique : Andrea Marcigliano, « Sur le blé: de l'antiquité à la guerre russo-ukrainienne », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/06/22/s...
  • (15) Pour bien comprendre la problématique, ainsi que celle du stockage stratégique du grain (dont la Chine est l’incontestable championne), lire le chapitre IV de : Federico Rampini, Il lungo inverno – False apocalissi, vere crisi, ma nonci salverà lo Stato, Mondadori, Milan, 2022.
  • (16) Le dossier présenté par Thomas Röper, sur base d’une analyse d’Asia Times : «La dédollarisation, voie vers la liberté financière mondiale », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/09/09/l...; voir aussi : Bernhard Tomaschitz, « Les États-Unis veulent désormais sanctionner les pays qui abandonnent le dollar - Un sénateur veut stopper la dédollarisation progressive par des sanctions », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/08/18/l...
  • (17) Enrico Toselli, « Pour la première fois, les pays de l'ANASE préfèrent la Chine aux États-Unis en matière d'investissement dans la défense militaire », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/04/05/p...
  • (18) Arthur Kowarski, « L'Inde intensifie sa coopération avec l'Iran dans le domaine des infrastructures de transport », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/05/15/l... ; Pepe Escobar, « L'interconnexion de la BRI et de l'INSTC complètera le puzzle eurasien », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/08/22/l...

 

 

lundi, 29 septembre 2025

Les racines profondes de la géopolitique actuelle

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Les racines profondes de la géopolitique actuelle

Peter Turchin

Source: https://geoestrategia.eu/noticia/45185/geoestrategia/las-...

Chine, Russie et Iran : quel est leur dénominateur commun ? Le plus évident est qu’ils sont aujourd’hui les principaux rivaux géopolitiques des États-Unis. Comme l’a récemment écrit Ross Douthat dans une tribune du NYT, intitulée "Qui est en train de gagner la guerre mondiale ?", « il est utile que les Américains considèrent notre situation à l’échelle globale, avec la Russie, l’Iran et la Chine formant une alliance révisionniste qui met à l’épreuve notre puissance impériale » (voir: https://www.nytimes.com/2025/07/12/opinion/trump-russia-c... ).

La publication d’aujourd’hui porte sur une similitude beaucoup moins reconnue entre ces trois puissances challengeuses, liée à l’histoire profonde de ces empires eurasiens.

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Comme je l’ai soutenu dans une série de publications au cours des vingt dernières années, et que je soutiendrai de manière plus détaillée dans mon prochain livre, le principal moteur de « l’impériogenèse » (les processus sous-jacents à l’essor des empires) est la compétition interétatique. L’intensité de cette compétition est, à son tour, amplifiée par les avancées dans les technologies militaires. Chaque révolution militaire génère ainsi une série de méga-empires. Nous vivons aujourd’hui encore à l’ombre de deux anciennes révolutions militaires majeures.

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La révolution de la cavalerie bardée de fer remonte à environ 1000 av. J.-C. Bien que l’équitation et la fonte du fer aient été inventées indépendamment (et dans des régions différentes, voir l’infographie ci-dessous), vers 500 av. J.-C., elles se diffusaient conjointement (pour voir les cartes d’expansion, voir les figures 2 et 3 de notre article « L’essor des machines de guerre ») (ici: https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/jour...). L’histoire détaillée de cette révolution militaire et de ses effets profonds sur l’histoire mondiale se trouve dans mon livre Ultrasociety.

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En résumé, la révolution de la cavalerie bardée de fer a transformé la Grande Steppe eurasienne en une zone motrice d’impériogenèse. Ce cœur continental était le foyer de pasteurs nomades, dont la principale force militaire reposait sur des archers montés à cheval. La plupart des méga-empires prémodernes se trouvaient sur les « rives » de cette « mer d’herbe » (voir la seconde infographie ci-dessous).

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L’un de ces ensembles impériaux, le nord de la Chine, bordait la région steppique orientale (Grande Mongolie). Un autre, l’Iran, faisait face à la steppe centrale (Turkestan). Le troisième, la Russie, s’est développé sous l’influence de la steppe occidentale (région pontique-caspienne). Le nord-est de l’Europe a été intégré un peu tardivement, ses régions forestières n’ayant adopté l’agriculture que vers la fin du premier millénaire de notre ère. Mais ce qui unit ces trois régions impériales – Chine, Iran et Russie – c’est leur développement en interaction étroite avec l’Asie intérieure.

L’autre révolution déterminante fut, bien sûr, celle qui a pris naissance en Europe occidentale autour de 1400 apr. J.-C. Ses deux composantes furent les armes à poudre et les navires transocéaniques. C’est pourquoi je l’appelle la « Révolution des canonnières ». Les parallèles entre ces deux révolutions sont frappants. Les Asiatiques de l’intérieur montaient à cheval et tiraient des flèches, tandis que les Européens naviguaient et tiraient des boulets de canon. L’océan mondial a joué le même rôle que la « mer d’herbe ». Les historiens ont noté ces similitudes. Par exemple, l’historien du Sud-Est asiatique Victor Lieberman a qualifié les Européens d' « Asiatiques de l’intérieur de race blanche ».

Les lecteurs familiers des théories géopolitiques de Mackinder, Mahan, Spykman et autres (sinon, consultez cet article Wikipédia: https://en.wikipedia.org/wiki/Geopolitics) reconnaîtront immédiatement les similitudes entre ce que j’aborde ici et plusieurs concepts géographiques centraux de ces théories (le Heartland, le Rimland, les îles…). Mon analyse historique montre que le conflit entre l’Empire américain et la Chine, la Russie et l’Iran a été marqué par les deux grandes révolutions militaires, ce qui éclaire et affine les théories géopolitiques traditionnelles.

Ainsi, la Grande Steppe (considérée comme une région cruciale par diverses théories géopolitiques) n’a aujourd’hui que peu d’importance, sauf par son impact historique. Vers 1900, la Russie et la Chine l’avaient complètement dominée. Aujourd’hui, elle abrite un groupe d’États faibles et insignifiants sur le plan géopolitique, comme la Mongolie et les « -stans ». Les successeurs des anciens méga-empires qui se sont formés aux frontières de la steppe sont aujourd’hui les véritables détenteurs du pouvoir eurasiatique.

Le second pôle de pouvoir est l’Océanie, qui est né sur les côtes occidentales de l’Eurasie au 16ème siècle (Portugal, Espagne, Pays-Bas et îles Britanniques), puis s’est étendu à travers l’Atlantique pour devenir aujourd’hui un empire global, gouverné depuis Washington, avec Bruxelles comme capitale secondaire (même si des fissures existent entre ces deux centres de pouvoir à cause des politiques de Donald Trump). Une bonne façon de visualiser cette entité géopolitique est une carte des bases militaires américaines.

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Autres cartes: https://www.basenation.us/maps.html

La logique géopolitique de l’Océanie — l’encerclement des empires eurasiatiques — est évidente.

Comme je l’ai mentionné précédemment, l’unité de cette Océanie a été en partie sapée par les politiques de Donald Trump. Mais il ne faut pas non plus surestimer l’unité de la ceinture impériale eurasienne. La principale raison de l’alliance étroite actuelle entre la Chine et la Russie est la pression géopolitique exercée par les États-Unis et leurs alliés. L’Iran est le membre le plus faible de cette triade et le moins intégré avec les deux autres (même s’il est probable que cela change à l’avenir, car il subit une forte pression du tandem Israël/États-Unis).

Cela m’amène à une dernière observation. Contrairement aux puissances terrestres impériales, les puissances maritimes ploutocratiques sont traditionnellement réticentes à utiliser leurs propres citoyens comme chair à canon. Ainsi, les républiques marchandes italiennes faisaient appel à des mercenaires. L’Empire britannique préférait employer des troupes indigènes, comme les fameux Gurkhas. Aujourd’hui, l’Empire américain hésite à engager des soldats américains dans des guerres ouvertes et tend donc à recourir à des États clients : Taïwan contre la Chine, l’Ukraine contre la Russie et Israël contre l’Iran.

samedi, 06 septembre 2025

La politique intérieure et la politique étrangère ne sont pas deux mondes distincts

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La politique intérieure et la politique étrangère ne sont pas deux mondes distincts

Association Feniks (Flandre)

La politique intérieure et la politique étrangère sont souvent séparées artificiellement, mais en réalité, elles forment un tout cohérent. L'idée centrale est que la géopolitique est le facteur sous-jacent qui façonne ces deux domaines. Les décisions relatives à l'économie, à la sécurité ou à la culture à l'intérieur des frontières nationales ne sont jamais isolées : elles s'inscrivent dans un contexte mondial de rapports de force et d'événements.

À l'inverse, les développements sur la scène internationale ont des implications directes pour l'ordre intérieur. Une perspective géopolitique montre que ce qui se passe «chez soi» et ce qui se passe «dans le monde» sont inextricablement liés.

La géopolitique structure l'ordre intérieur

À première vue, les questions intérieures – sécurité, culture, idéologie – semblent être des affaires internes. Pourtant, elles sont profondément déterminées par le contexte géopolitique. Dans la pratique, l'État-nation fonctionne comme un pion sur l'échiquier mondial, et les structures internes s'adaptent aux dynamiques de pouvoir mondiales. Ainsi, pendant la guerre froide, la politique intérieure de nombreux pays d'Europe occidentale était dictée par un conflit externe : l'Occident contre le bloc de l'Est. Même après la chute du mur, cette logique a continué à fonctionner. Nous assistons aujourd'hui à la poursuite d'une lutte idéologique, sous une nouvelle forme.

L'ordre mondial libéral globalisé cherche de nouveaux adversaires pour confirmer sa raison d'être. Cela se traduit par des discours nationaux dans lesquels un ennemi étranger – par exemple la Russie ou une autre grande puissance – est présenté comme une menace afin de masquer les faiblesses internes et d'imposer la cohésion sociale.

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Les appareils de sécurité intérieure et la législation s'adaptent aux menaces géopolitiques : les mesures antiterroristes, la propagande et la surveillance s'intensifient en cas de tensions internationales. Les frontières entre les conflits extérieurs et l'État sécuritaire intérieur s'estompent.

Les évolutions culturelles et idéologiques internes ne sont en aucun cas isolées de la géopolitique. Au cours des dernières décennies, les sociétés occidentales ont été imprégnées d'une idéologie libérale cosmopolite imposée par le haut comme courant dominant. Cela s'est produit dans l'ombre de l'hégémonie américaine après 1945, où l'influence de l'OTAN et des institutions internationales a « entraîné » la psyché de l'Europe.

Les pays européens croyaient profondément en la supériorité de leur modèle de démocratie libérale et de mondialisation du marché, à tel point qu'ils pensaient que l'histoire avait atteint son point culminant en Occident. Cela a engendré une certaine complaisance. On ne réfléchissait plus de manière critique aux réalités géopolitiques, car on supposait que son propre système était universel et définitif. Ainsi, une sorte de pergélisol idéologique s'est formé dans la culture nationale : une couche gelée de confiance collective et de manipulation de masse, dans laquelle le statu quo n'est guère remis en question.

Cette situation « figée », caractérisée par un narcissisme complaisant et une adhésion aveugle au discours dominant, maintient la population dans un état de dépolitisation. En conséquence, les discussions de fond sur les rapports de force ou les voies alternatives sont devenues rares. En d'autres termes, la géopolitique a structuré l'ordre intérieur en imposant un cadre de pensée uniforme.

Les traditions et les expressions culturelles autonomes ont souvent été écrasées sous un modèle mondial uniforme de consommation et d'idées. Les identités et les valeurs locales, autrefois différentes d'un pays à l'autre, ont été de plus en plus façonnées selon le même modèle. La Belgique ne diffère guère de l'Angleterre ou même des États-Unis en termes de mode de vie et de mentalités, précisément en raison de cette tendance culturelle mondialisée. Ce qui semble à première vue relever de la politique nationale – comme les débats sur l'identité, la souveraineté ou l'orientation économique – est en fait le chapitre local d'un récit géopolitique plus vaste.

Nouvelles routes de la soie, BRICS et interdépendance économique

Les changements actuels dans l'équilibre mondial du pouvoir illustrent de manière tangible comment la politique étrangère et les conséquences nationales vont de pair. Au 21ème siècle, le centre de gravité économique se déplace vers l'Est. Des initiatives telles que les « nouvelles routes de la soie » – l'ambitieuse initiative chinoise « Belt and Road » – créent de nouvelles connexions entre les continents et réorganisent les flux de marchandises, de capitaux et d'influence.

Ces projets géopolitiques ont des implications directes pour les économies nationales. Les pays européens, par exemple, voient leurs ports, leurs chemins de fer et leurs entreprises énergétiques liés, investissement après investissement, à des projets d'infrastructure chinois. Certaines parties de l'économie européenne tombent ainsi entre des mains étrangères ou sous influence étrangère. Il ne s'agit pas seulement d'une question de commerce : celui qui contrôle les nouvelles routes commerciales exerce inévitablement une influence politique et stratégique.

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Lorsque la Chine investit en Asie, en Afrique et même en Europe, cela se traduit par un rééquilibrage des rapports de force dont les gouvernements nationaux doivent tenir compte dans leur politique intérieure. Il en va de même pour les alliances de puissances émergentes telles que les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Ces pays unissent leurs forces pour réduire leur dépendance vis-à-vis de l'Occident traditionnel. Ils mettent en place des institutions financières parallèles et des partenariats stratégiques, ce qui rend le terrain mondial multipolaire. Pour les pays occidentaux, ce n'est pas une mince affaire : cela implique que les certitudes d'autrefois – matières premières bon marché, domination évidente du marché, influence diplomatique – sont en train de changer.

La prospérité intérieure et la marge de manœuvre politique sont dès lors mises sous pression. L'industrie et la consommation européennes sont en effet étroitement liées aux chaînes d'approvisionnement mondiales. Pensons aux matières premières essentielles: les métaux rares pour la haute technologie, les sources d'énergie telles que le pétrole et le gaz, ou les produits agricoles. Beaucoup d'entre elles proviennent de régions non occidentales ou sont contrôlées par celles-ci. Lorsque ces producteurs forment leurs propres coalitions (comme l'OPEP+ pour le pétrole ou la coopération entre la Russie et la Chine pour l'approvisionnement en gaz), l'Europe ne peut plus négocier en position de monopole.

Un conflit géopolitique loin de nos frontières se répercute alors directement sur les prix à la pompe ou sur la facture énergétique des ménages. Récemment, les ménages européens ont découvert comment un conflit sur le flanc est de l'Europe, accompagné de sanctions et de contre-sanctions, a provoqué une vague d'inflation et d'insécurité énergétique à l'intérieur de leurs propres frontières. La politique étrangère a fait irruption dans les foyers sous la forme d'une augmentation du coût de la vie et de plans de rationnement. Cela illustre clairement que la stabilité économique intérieure dépend des relations stratégiques extérieures.

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Les migrations constituent un autre point de convergence évident. Les guerres et l'instabilité au Moyen-Orient et en Afrique, souvent liées à la politique des grandes puissances et aux stratégies en matière de matières premières, ont poussé des masses de personnes à fuir.

La crise des réfugiés de 2015, par exemple, a résulté de la guerre en Syrie et d'autres conflits dans lesquels les puissances occidentales et régionales étaient impliquées. Les gouvernements européens ont soudainement été confrontés à un défi interne de grande ampleur : l'accueil et l'intégration de centaines de milliers de demandeurs d'asile. Cette question humanitaire et sociale est rapidement devenue un sujet de débat national et de polarisation politique dans plusieurs pays de l'UE. Mais son origine réside dans des interventions militaires étrangères et des jeux de pouvoir géopolitiques.

La migration économique est également liée à l'ordre mondial : le libre-échange mondial et les accords d'investissement peuvent perturber les économies locales dans les pays du Sud, incitant les populations à chercher leur bonheur ailleurs. Dans le même temps, le marché du travail occidental vieillissant a besoin de main-d'œuvre bon marché et la migration est même encouragée par certaines élites pour des raisons démographiques ou économiques.

Nous constatons donc que les flux migratoires ne sont pas un phénomène purement interne, mais le résultat de forces géopolitiques et économiques. La cohésion sociale interne, l'identité culturelle et le débat sur l'intégration – tous des aspects de la politique intérieure – sont ainsi directement influencés par des décisions et des événements qui se produisent au-delà des frontières nationales.

L'incapacité à percevoir les liens entre les phénomènes

Compte tenu de cette imbrication entre les affaires intérieures et extérieures, on pourrait s'attendre à ce que les décideurs politiques et les intellectuels établissent constamment des liens entre les deux. Pourtant, notre époque se caractérise par une fragmentation frappante de la pensée. Elle est marquée par la spécialisation des domaines et une tendance à diviser les problèmes en catégories isolées. Les politiciens traitent l'économie, la sécurité et la culture comme des dossiers distincts, et les universitaires se plongent dans des domaines d'expertise de niche sans toujours tenir compte du contexte plus large. Cette pensée moderne fragmentée rend difficile la compréhension de la complexité des phénomènes et des liens qui existent entre eux.

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Nous avons tendance à diviser le monde en catégories, conséquence d'une tradition intellectuelle fortement analytique et réductionniste. En termes philosophiques, on pourrait dire que l'« emissarium » (le côté exécutif et analytique de l'esprit) a pris le pas sur la « maîtrise » (le côté holistique, qui, lui, voit les liens). Il y a une prédominance de la pensée linéaire et simplificatrice qui dissèque tout, et un manque de vision intégrale qui recrée l'ensemble à partir des parties.

Cette mentalité contribue à ce que la politique intérieure et la politique étrangère soient souvent considérées comme deux mondes distincts. Par exemple, la migration est perçue soit comme un problème purement interne lié à un échec de l'intégration, soit comme une question externe relevant du contrôle des frontières, au lieu d'être comprise comme un phénomène continu qui relie les pays d'origine et les pays de destination à travers la guerre, l'économie et les expériences humaines.

De même, l'augmentation de la dette publique est principalement discutée en tant que politique financière nationale, sans tenir compte de la structure financière mondiale qui dicte le crédit bon marché ou provoque la fuite des capitaux. L'incapacité à voir ces liens découle en partie d'une culture qui craint la complexité. Les discours politiques modernes sont souvent axés sur des résultats immédiats, mesurables et à court terme dans un domaine particulier. Cela rend aveugle aux effets indirects à long terme dans d'autres domaines.

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De plus, l'idéologie joue un rôle dans cette fragmentation. Le discours libéral dominant a élevé certaines catégories de pensée et en a marginalisé d'autres. L'attention portée aux facteurs géopolitiques peut même être considérée comme « inconvenante » dans les cercles qui veulent tout voir à travers un prisme purement moral ou juridique au niveau national.

Ainsi, pendant longtemps, toute suggestion selon laquelle les interventions occidentales, par exemple, étaient en partie responsables de la menace terroriste ou des vagues migratoires a été rejetée comme un relativisme inapproprié. On préférait s'en tenir à un récit unidimensionnel : les problèmes externes sont totalement indépendants de nos propres choix politiques.

Ce confort cognitif – la préférence pour ne pas devoir comprendre des réseaux causaux trop complexes – fait partie du conditionnement moderne. Il explique pourquoi les sociétés ont du mal à combler le fossé entre l'intérieur et l'extérieur dans leur compréhension. Nous disposons de quantités de données et de connaissances sans précédent, mais sans une vue d'ensemble, nous continuons à nous perdre dans les détails. En fait, un changement philosophique s'impose : il faut prendre conscience que la vérité ne réside pas seulement dans les différentes parties, mais dans le schéma qu'elles forment ensemble.

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Vers une culture géopolitique

Si la politique intérieure et la politique étrangère sont intrinsèquement liées, cela exige un changement d'attitude et de culture. Il est donc nécessaire de développer une culture géopolitique: une mentalité et un style politique qui intègrent automatiquement la dimension géopolitique dans chaque question intérieure. Cela signifie que les citoyens et les dirigeants doivent prendre conscience du contexte mondial des problèmes locaux.

Une culture géopolitique implique, par exemple, que lorsque nous parlons d'approvisionnement énergétique, nous pensons également aux dépendances stratégiques vis-à-vis des fournisseurs étrangers et aux positions des grandes puissances dans ce secteur.

Lors des débats sur la confidentialité numérique ou les télécommunications, il faut être conscient de l'influence des entreprises technologiques étrangères et des États sur notre sphère informationnelle. L'enseignement de l'histoire et de l'éducation civique devrait apprendre aux jeunes que leur propre pays fait toujours partie de zones d'influence géographiques plus vastes.

Concrètement, une culture géopolitique se traduit par une réflexion stratégique au niveau national. Les pays européens – et la Flandre en tant que communauté au sein de l'Europe – ne devraient pas se considérer uniquement comme des entités culturelles et historiques, mais aussi comme des acteurs géopolitiques. Cela implique de considérer l'Europe non seulement comme une entité culturelle, mais aussi comme une entité géopolitique, avec ses propres intérêts qui ne coïncident pas toujours avec ceux de ses alliés traditionnels tels que les États-Unis.

Une telle conscience était présente dans le passé chez des hommes d'État tels que le général De Gaulle, qui prônait « ni Moscou, ni Washington », c'est-à-dire une voie indépendante. Aujourd'hui, cela se traduit par la prise de conscience que l'Europe doit se battre pour trouver sa place dans un monde multipolaire et regagner son autonomie.

Après des décennies de complaisance et d'ancrage dans un système unipolaire, les pays européens ont quelque peu perdu ce réflexe. Une culture géopolitique impliquerait de le rétablir : l'Europe doit développer sa propre stratégie globale qui tienne compte des blocs de pouvoir eurasien, des économies émergentes et de la nécessité de garantir l'approvisionnement en matières premières. Il ne s'agit pas ici de plaider en faveur de la confrontation, mais de prendre conscience et de diversifier. Tout comme les pays asiatiques et africains tentent de définir leur propre voie au milieu de grandes puissances rivales, la politique européenne doit également apprendre à penser en termes d'équilibre des pouvoirs, de formation de coalitions et de défense des intérêts à long terme.

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Dans une culture géopolitique, on comprend en outre que des concepts tels que la souveraineté nationale et l'identité culturelle ne sont pas réactionnaires ou ne relèvent pas de « politiques à l'ancienne », mais sont des instruments essentiels pour permettre à un peuple de résister aux tempêtes mondiales.

Comme nous l'avons déjà souligné sur la plateforme Feniks, la principale opposition dans la politique mondiale actuelle est celle entre l'impérialisme mondialiste d'une part et la souveraineté populaire d'autre part. Les oppositions gauche-droite s'estompent à la lumière de ce théâtre d'opérations plus vaste. Il ne s'agit pas d'opposer des valeurs conservatrices à des valeurs progressistes, mais de la capacité d'une communauté – qu'il s'agisse d'un État-nation ou d'un continent – à s'organiser selon ses propres convictions, plutôt que sous le dictée des forces mondiales.

Une culture géopolitique favorise donc également la cohésion interne: elle unit les citoyens autour d'intérêts communs au lieu de les diviser selon des clivages idéologiques qui éludent la question fondamentale. Lorsque les gens comprennent, par exemple, que les défis liés à la migration et les fluctuations du marché du travail proviennent de la même source, à savoir les forces de la mondialisation, un sentiment d'appartenance plus large peut émerger. On se rend alors compte que l'« adversaire » dans le débat national n'est pas le voisin qui a une opinion politique différente, mais que les véritables défis sont de nature externe ou, du moins, exacerbés par des facteurs externes.

Conclusion

La politique intérieure et la politique étrangère ne sont pas deux mondes distincts : ce sont les deux faces d'une même médaille, dont la géopolitique est le lien. La géopolitique constitue le contexte dans lequel les sociétés nationales se développent et influence leur sécurité, leur prospérité et même leur identité. La séparation artificielle entre les affaires intérieures et extérieures conduit à une cécité politique : on combat les symptômes dans son propre pays sans reconnaître la cause dans le système mondial, ou on mène une politique étrangère sans tenir compte des répercussions intérieures. Nous avons payé cher ces deux erreurs ces dernières années, sous la forme d'interventions irresponsables qui ont entraîné le chaos et des flux de réfugiés, aussi sous les formes 1) d'une mondialisation économique qui a déstabilisé les communautés locales et 2) de monocultures idéologiques qui ont étouffé la pensée critique.

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La thèse centrale – selon laquelle la géopolitique est le facteur sous-jacent qui façonne tant la politique intérieure que la politique étrangère – recèle une leçon importante. À savoir que les solutions à nos grands problèmes commencent par une approche intégrée. La sécurité dans les rues est liée à la stabilité dans les régions voisines ; la conscience culturelle nécessite une protection contre l'uniformité mondiale ; la justice économique interne exige un rééquilibrage mondial des rapports de force. Si nous voulons préserver une société juste, stable et libre, nous devons aiguiser notre conscience géopolitique.

Le développement d'une culture géopolitique est essentiel à cet égard. Cela ne signifie pas que chaque individu doit faire des analyses stratégiques de pays lointains, mais bien que notre classe politique et nos leaders d'opinion doivent prendre conscience du fait qu'aucun domaine politique n'est isolé.

Au final, nous élargissons ainsi notre marge de manœuvre: nous pouvons naviguer de manière proactive dans un monde complexe, au lieu de réparer à chaque fois les dégâts causés par des chocs « externes » que nous n'avons soi-disant pas vu venir. La politique intérieure et la politique étrangère s'entremêlent comme l'eau dans une rivière ; ce n'est que lorsque nous le reconnaissons que nous pouvons les diriger efficacement.

Références

Zwitser, T. (2016). Permafrost : Un essai philosophique sur la géopolitique occidentale de 1914 à nos jours. Groningue : Éditions De Blauwe Tijger.

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Frankopan, P. (2019). Les nouvelles routes de la soie : Le présent et l'avenir du monde. Amsterdam : Unieboek/Het Spectrum.

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McGilchrist, I. (2009). The Master and His Emissary: The Divided Brain and the Making of the Western World. New Haven, CT : Yale University Press.

McGilchrist, I. (2021). The Matter With Things: Our Brains, Our Delusions, and the Unmaking of the World. Londres : Perspectiva Press.

Feniks. (2024). Essais contre le récit du mondialisme (manifeste). Anvers : Feniks Vlaanderen.

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Feniks-debat: Cultuur, identiteit en beschaving — in confrontatie

De 21ste eeuw wordt gekenmerkt door verwarring: identiteitspolitiek, massamigratie, hyperindividualisme, botsende culturen en een diepgaande crisis van zingeving. Zijn dit tijdelijke spanningen of symptomen van een beschavingscrisis? Feniks brengt twee intellectuele stemmen samen die elk hun eigen diagnose stellen:

Avondlandenidentiteit-2366553279.pngSid Lukkassen, auteur van oa "Avondland en identiteit" en "Realistisch allochtoon", die waarschuwt voor culturele zelfdesintegratie en de fatale gevolgen van nihilisme. Hij heeft scherpe kritiek op de progressieve houding van onze politieke elite.

front-medium-4063991216-3712471325.jpgKhalid Benhaddou, auteur van ´Monsters van onze tijd´, die reflecteert over moderniteit, spiritualiteit en het zoeken naar nieuwe verbinding in een versnipperde samenleving. Hij probeert een brug te slaan tussen Europese en de islamitische waarden.

Tijdens dit scherpe en diepgravende debat staan onder meer volgende vragen centraal: Kan een seculier en geglobaliseerd Europa nog samenhang bieden? Is de islam fundamenteel verenigbaar met Europese waarden? Verlamt cultuurrelativisme ons vermogen om onze eigen identiteit te verdedigen? Staan we op de drempel van een beschavingstransitie: ondergang of renaissance? Dit is géén vrijblijvende gedachtewisseling, maar een confrontatie met de fundamentele vragen die ons tijdperk bepalen.

Praktisch:
- Zondag 28 september 2025, start: 15u, einde: omstreeks 17u
- Locatie: Diest (exacte locatie volgt via mail)
- Tickets: https://eventix.shop/fcw95aa2
- Meer info via: e-mail - info.feniksvlaanderen@gmail.com

vendredi, 05 septembre 2025

Centre et périphérie

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Centre et périphérie

Jan Procházka

Source: https://deliandiver.org/jadro-a-periferie/

Nous considérons comme régions centrales celles où sont prises les décisions importantes, où réside la population, où se trouvent l'administration, les centres commerciaux et financiers. Les régions centrales se sont toujours situées là où passaient les grandes voies de communication, où le commerce était florissant, où s'échangeaient les marchandises, les connaissances et les technologies. Ces régions avaient également accès à la richesse issue du commerce international.

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La stratégie Anaconda - Carte illustrant le plan Anaconda de Scott datant de 1861

Depuis le début de l'ère moderne en Europe jusqu'à nos jours, le monde s'est inversé de manière étonnante. Dans le monde prémoderne, les régions centrales se trouvaient principalement à l'intérieur des terres, où passaient les fleuves navigables et les routes caravanières. À l'ère du transport international par conteneurs, c'est exactement le contraire: les zones centrales sont liées à l'interface entre la terre et la mer, tandis que les régions qui étaient développées, densément peuplées et riches à l'époque prémoderne sont aujourd'hui des périphéries reculées. Prenons par exemple l'actuelle Tombouctou (dans l'actuel Mali) ou Samarcande et Khorezm (dans l'actuel Ouzbékistan).

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Les mégalopoles situées à l'intérieur des terres et sans accès à la mer sont en réalité très rares dans le monde actuel (1). La plupart des êtres humains vivent aujourd'hui à proximité de la mer et le taux d'urbanisation mondial (c'est-à-dire le nombre de personnes vivant dans les villes) atteint 54%. Après la destruction de l'Allemagne en 1945, les dernières puissances continentales importantes restantes sont la Russie – Moscou, avec ses 14 millions d'habitants, est située au cœur de l'Europe continentale orientale, l'Iran – Téhéran, avec ses neuf millions d'habitants, est entourée par le désert dans les contreforts du massif d'Alborz, et grâce à son arsenal, la Corée du Nord, dont la capitale occupe une position similaire sur la péninsule coréenne à celle de Sparte dans le Péloponnèse ou de Tenochtitlan dans l'empire aztèque (2).

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À l'époque prémoderne, le prix des matériaux et du transport représentait la plus grande partie du prix d'un produit, tandis que le travail humain n'avait pratiquement aucune valeur. Il était extrêmement difficile de produire de l'acier de qualité et encore plus difficile de le transporter à dos de chameau de Delhi à Damas pour y être transformé, puis à Francfort et de là en Moravie. Aujourd'hui, alors que l'extraction et la transformation des matières premières sont mécanisées, que les porte-conteneurs mesurent 450 m de long, ont une distance de freinage de 100 km, un tirant d'eau de 25 m et transportent 24.000 conteneurs normalisés (un navire équivaut donc à 24.000 camions) et dont l'équipage est composé de moins de 10 personnes, c'est exactement le contraire. Le prix de tout produit reflète principalement le coût de la main-d'œuvre, tandis que les coûts des matériaux et du transport sont négligeables. Après tout, il est aujourd'hui rentable d'importer dans un supermarché d'une petite ville tchèque une barquette de myrtilles du Pérou, qui coûte environ 30 couronnes tchèques.

Le système de libre marché fonctionne toujours sur la base de l'opposition entre le centre et la périphérie. Si tous les pays du monde avaient la même géographie, les mêmes conditions pour les entreprises, si partout le coût de la main-d'œuvre, le niveau de sécurité sociale et les impôts étaient les mêmes, personne n'aurait intérêt à investir à l'étranger.

Les régions centrales, qui ont un pouvoir d'achat plus élevé, tendent naturellement vers un modèle de libre marché, vers la primauté de l'économie sur la politique, tandis que les régions périphériques tendent vers l'autoritarisme et la planification, vers la primauté de la politique (Russie, Chine) ou de l'autorité spirituelle (Iran) sur l'économie. Les puissances océaniques gagnent en puissance depuis le XVIe siècle, dans le contexte du développement des expéditions transocéaniques et du capitalisme (la Compagnie néerlandaise des Indes orientales a été fondée en 1602), tandis que depuis la fin du XVIIIe siècle, les puissances continentales sont plus ou moins sur la défensive à l'échelle mondiale.

La population se déplace également de manière spontanée de la périphérie vers le centre, tout comme la terre glisse d'une pente ou le vent souffle d'une zone de haute pression vers une zone de basse pression. Les pays périphériques – les pays enclavés sans accès à un océan libre et non gelé – sont menacés depuis 1991 par une catastrophe démographique insoluble.

Il semble que le communisme ait constitué une sorte de défense instinctive contre la force hypnotique et attirante de l'océan et qu'il ait réussi, à un niveau inconscient, à empêcher de manière répressive le dépeuplement. Il s'est efforcé de développer la périphérie et de maintenir les services publics et l'industrie dans les zones rurales, même si cela n'était pas rentable sur le plan économique. Il a empêché le dépeuplement des campagnes en déployant des dissidents dans des endroits reculés ou en imposant des affectations professionnelles, et il a empêché l'exode de la population grâce au rideau de fer (rien qu'en 1870, 70.000 personnes ont fui la région tchèque de Šumava pour émigrer au Brésil ! – la plupart d'entre elles y sont probablement mortes rapidement de la malaria).

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En Chine, le transfert de centaines de milliers de personnes impliquées dans les événements de Tiananmen vers le Sichuan (photo) et le Tibet extérieur a permis de développer et de revitaliser ces provinces reculées. La réinstallation des « peuples traîtres » à partir de 1944 a permis de repeupler la Sibérie détruite par la guerre civile (1917-1921). De la même manière, les Britanniques ont colonisé l'Australie, autrement peu attrayante, avec leurs dissidents.

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D'un point de vue géographique, l'alliance actuelle entre la Russie et la Chine peut être interprétée comme une révolte des périphéries contre les régions centrales, contre une géographie défavorable, une révolte des pays étranglés par l'anaconda américain.

En regardant la carte politique du monde, le lecteur remarquera certainement que la même cage géopolitique dans laquelle est enfermée la Russie – un grand pays sans accès à un océan non gelé – s'est également abattue sur la Chine, dont les débouchés vers l'océan Indien dépendent essentiellement du détroit de Malacca, large de 3 km et profond de 24 m, tout comme les débouchés chinois vers l'océan Pacifique dépendent des mers autour de Taïwan, que les « nouveaux Phéniciens » peuvent bloquer à tout moment (la mer d'Okhotsk gèle, plus au sud se trouvent le Japon et les Ryūkyū avec la plus grande base militaire américaine dans l'Indo-Pacifique sur l'île d'Okinawa, puis Taïwan, les Philippines, l'Indonésie, la Malaisie et Singapour. Tous ces États ont conclu des pactes militaires avec la « nouvelle Carthage ». Les routes commerciales dans l'océan Indien sont également contrôlées par les Américains grâce à la location forcée des îles britanniques des Chagos, où se trouve la base militaire de Diego Garcia).

Est-ce un hasard si la Russie est précisément proche politiquement de cette région qui était autrefois riche (Tombouctou se trouve au Mali !), mais qui est aujourd'hui prise dans les griffes géopolitiques de l'intérieur de l'Afrique ? Le Corps africain russe du ministère de la Défense est présent dans presque tous les pays du Sahel qui n'ont pas d'accès à la mer : le Niger, le Mali, la République centrafricaine, le Burkina Faso et le Nord-Kivu. Les États de la Confédération du Sahel sont la « Biélorussie de l'Afrique » ; ils ont rejeté le consensus de Washington et l'offre d'« aide » du Fonds monétaire international et ont interdit le programme LGBT. Le nombre d'habitants est également éloquent: le Nigeria maritime compte 220 millions d'habitants, le Niger continental dix fois moins. Le Nigeria et le Ghana, en tant que régions centrales à la jonction entre la terre ferme et l'océan, ont les deux pieds dans l'anglosphère et, d'un point de vue géopolitique, sont clairement du côté des « adorateurs de l'anaconda ».

Notes :

(1) À l'intérieur des terres se trouvent également d'autres grandes villes du monde telles que Mexico (23 millions d'habitants dans toute la zone métropolitaine), Delhi en Inde (plus de 22 millions d'habitants), Chengdu en Chine (21 millions d'habitants), Lahore au Pakistan (environ 20 millions d'habitants dans toute la zone métropolitaine), Bogotá en Colombie (9 millions), Hyderabad en Inde (6 millions) et l'agglomération sud-africaine Johannesburg-Pretoria (5 à 6 millions d'habitants).

(2) Il existe toute une série d'États enclavés, mais ceux-ci sont généralement dépourvus de véritable souveraineté (comme la Mongolie, appendice minéralier de la Russie et de la Chine) ou d'importance stratégique (comme le Paraguay ou le Kirghizistan). Parmi les États plus importants, la Serbie, la Biélorussie, la Bolivie ou la Confédération du Sahel sont également prisonniers involontaires de leur continent. L'Inde et la Chine ne sont pas des États continentaux tout à fait typiques. Si la Chine a acquis une profondeur stratégique et construit des chemins de fer vers l'Asie centrale, elle aspire également à l'océan et achète des ports dans le monde entier. Ces deux pays sont en passe de réunir les avantages des civilisations océaniques et continentales et de menacer à l'avenir l'hégémonie mondiale américaine, même si, pour de nombreuses raisons, leur géographie n'est pas aussi favorable que celle de l'Amérique. Des pays comme Cuba, le Vietnam ou le Nicaragua peuvent également être considérés comme des États continentaux. Cuba est certes une île, mais elle est située dans une mer fermée et, depuis l'instauration du socialisme en 1960, elle est soumise à un blocus maritime et à de sévères sanctions de la part des États-Unis, comme s'il s'agissait d'un État enclavé.

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Les tentatives de transférer la capitale de la côte vers l'intérieur des terres afin de revitaliser la structure urbaine, comme dans le cas de la Turquie (transfert de la capitale d'Istanbul vers Ankara, à l'intérieur des terres, par Mustafa Kemal) du Myanmar (où la junte militaire soutenue par la Russie et la Chine a transféré la capitale de la ville portuaire de Rangoon à Naypyidaw), du Brésil (Brasília a été construite dans les années 50/60 à l'intérieur des terres pour remplacer les mégalopoles côtières telles que Rio de Janeiro et São Paulo) ou de l'Australie (Canberra, située à l'intérieur des terres, était censée remplacer Sydney et Melbourne) – n'ont presque jamais abouti. Dans tous les cas, ces tentatives sont en quelque sorte l'expression d'un désir de terre et de continent. Après tout, les Turcs sont un peuple dont les racines se trouvent dans les steppes au cœur même de l'Eurasie, dans le bassin de Dzoungarie, le point géographiquement « le plus continental » de la planète.

 

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jeudi, 04 septembre 2025

Amérique latine: les États-Unis reviennent à la diplomatie des canonnières

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Amérique latine: les États-Unis reviennent à la diplomatie des canonnières

Leonid Savin

La semaine dernière, le président américain Donald Trump a décidé d’envoyer une flotte de navires de guerre et un sous-marin au large du Venezuela dans le cadre d’une opération spéciale ciblant les cartels de la drogue internationaux. La porte-parole de la Maison-Blanche, Carolyne Levitt, a également déclaré que la force militaire serait utilisée, si nécessaire, contre le Venezuela.

Étant donné qu’auparavant, le président du Venezuela, Nicolás Maduro, avait déjà été accusé d’être à la tête du cartel de la drogue "Sun" et de ne pas être un président légitimement élu, il y a toutes les raisons de penser que ce geste démonstratif de force pourrait dégénérer en une provocation sérieuse avec des conséquences imprévisibles pour toute la région.

La flotte américaine comprend trois destroyers de classe Arleigh Burke équipés de missiles guidés, un sous-marin et trois navires de débarquement transportant environ 4500 marines. Si la cible était des cartels de la drogue utilisant de petits bateaux ou des sous-marins artisanaux, souvent utilisés une seule fois, une telle flotte, aussi puissante, ne serait pas nécessaire. Il serait plus logique d’utiliser des avions de reconnaissance en coordination avec des bâtiments des garde-côtes, qui patrouillent le long des routes présumées empruntées par les trafiquants. Bien que, selon certaines déclarations, des avions de détection à longue portée Boeing P-8-A Poseidon de la marine américaine participent également à cette opération.

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La diabolisation de la direction vénézuélienne n’a pas été un événement isolé. L’ancien procureur général américain William P. Barr a déclaré précédemment que "depuis plus de 20 ans, Maduro et plusieurs collègues de haut rang auraient conspiré avec les FARC (groupe rebelle colombien d’extrême gauche), ce qui aurait permis à des tonnes de cocaïne d’entrer dans les circuits américains et, par suite, de les dévaster."

En février 2025, Donald Trump a inscrit le groupe Tren de Aragua, actif aux États-Unis, sur la liste des organisations terroristes. Des mesures similaires ont été prises contre la MS-13 salvadorienne et six autres groupes mexicains. Il faut souligner qu’il n’y a aucune preuve qu’il existe des cartels de la drogue à l’intérieur du Venezuela ou que le gouvernement de ce pays ait des liens avec des gangs aux États-Unis. Il s’agit d’une désinformation pure, utilisant des méthodes similaires à celles employées auparavant contre la Russie.

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En réalité, toutes les accusations portées contre le gouvernement vénézuélien sont tirées par les cheveux et basées sur un faux rapport rédigé par Joseph Humire, directeur du Center for a Safe and Free Society, un think tank conservateur lié à l’extrême droite américaine.

Ce rapport a été publié le 5 décembre 2024 par la Heritage Foundation et présenté comme un document stratégique pour la «sécurité de l’hémisphère».

Selon le journal britannique The Guardian, Humire aurait utilisé des données fictives et manipulé des déclarations à l’encontre du gouvernement vénézuélien dans divers médias américains, en mentant également lors d’audiences au Congrès américain.

Il est aussi mentionné que les déclarations de Humire concernant les liens entre le gouvernement de Maduro et des groupes criminels organisés ont suscité des doutes, y compris dans la communauté du renseignement américain.

Néanmoins, ces fausses accusations ont fonctionné: une récompense de 50 millions de dollars a été offerte pour Nicolás Maduro (probablement pour inciter l’armée vénézuélienne à commettre un coup d’État), de nouveaux prisonniers ont été envoyés à Guantanamo, en janvier 2025, la loi anti-immigration de Laken Riley a été adoptée aux États-Unis, et le Venezuela a été qualifié d’« État sponsor du terrorisme » (ce qui entraînera de nouvelles sanctions et autres mesures restrictives si la liste officielle est modifiée). Le dernier prétexte invoqué est la lutte contre les cartels de la drogue (dont au moins un, "Sun", est fictif), qui représentent une menace pour les États-Unis, pour laquelle Donald Trump a autorisé l’usage de la force armée.

Il faut aussi noter que, parallèlement, les États-Unis continuent de négocier avec Caracas pour l’extraction de pétrole, mais cela n’est pas beaucoup médiatisé. Probablement, la diabolisation du gouvernement vénézuélien vise aussi à renforcer la position de Washington dans ces négociations.

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Mais Caracas a répondu fermement à ces provocations américaines par une déclaration de mobilisation. Le ministre de la Défense, Vladimir Padriño Lopez, a déclaré que « la patrie ne se discute pas, la patrie se défend ». Nicolás Maduro a donc annoncé la mobilisation de la milice bolivarienne, dont les membres ont été appelés à se rendre dans les points de rassemblement les 23 et 24 août. Le soutien au gouvernement vénézuélien a été exprimé par divers partis politiques, syndicats et organisations non gouvernementales, dont certains sont russes.

Une réunion extraordinaire d’ALBA-TCP a été organisée, au cours de laquelle les actions des États-Unis contre le Venezuela ont été condamnées. Dans la déclaration, il est dit que « nous rejetons catégoriquement les ordres du gouvernement américain concernant le déploiement des forces armées sous des prétextes fallacieux, avec l’intention évidente d’imposer une politique illégale, interventionniste et contraire à l’ordre constitutionnel des États d’Amérique latine et des Caraïbes. Le déploiement militaire américain dans les eaux des Caraïbes, déguisé en opérations anti-drogue, constitue une menace pour la paix et la stabilité dans la région. »

Ils ont également exigé de Washington qu’il mette fin immédiatement à toute « menace ou action militaire qui viole l’intégrité territoriale et l’indépendance politique » des pays de la région, ainsi que le « respect sans condition du cadre juridique international et des mécanismes multilatéraux de règlement pacifique des différends ».

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Outre Cuba, le Nicaragua et la Bolivie, des critiques à l’égard de Washington ont été exprimées par les dirigeants du Mexique, de la Colombie et du Brésil, ainsi que par de petits États insulaires des Caraïbes: République Dominicaine, Antigua-et-Barbuda, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Saint-Christophe-et-Niévès, Grenade et Sainte-Lucie.

Quant à l’évolution possible du scénario, il est probable que Washington tentera d’utiliser le conflit territorial entre le Venezuela et le Guyana, en entrant dans les eaux territoriales que le Venezuela considère comme étant siennes, mais que le Guyana ne reconnaît pas (notamment où se trouvent d’importants gisements de pétrole). Même sans l’accord du gouvernement guyanais, il est peu probable que ce pays puisse empêcher une telle opération de piraterie.

Il est également évident que, dans un contexte géopolitique plus large, les États-Unis veulent jouer la carte de la force face à la Colombie et au Brésil, dont la direction n’est pas actuellement sous influence de Washington. Avec le renforcement de leur influence en Argentine, en Uruguay, au Paraguay, au Pérou, en Équateur, au Panama et en Bolivie (après les dernières élections générales où le Mouvement pour le socialisme a perdu face à des candidats et partis pro-américains), il semble qu’un plan systématique est en marche pour contrôler toute l’Amérique latine. Et le Venezuela reste un obstacle difficile à franchir.

jeudi, 28 août 2025

La chute de l'Arménie et le «corridor Trump»

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La chute de l'Arménie et le «corridor Trump»

Leonid Savin

La signature de l'accord de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, qui a eu lieu à Washington le 8 août 2025 en présence du président américain Donald Trump, marque la victoire des forces mondialistes en Eurasie. Malgré le ton modérément positif des déclarations des dirigeants russes sur l'importance de cet accord, attendu depuis de nombreuses années, il convient de noter que Moscou avait auparavant imaginé un scénario complètement différent.

Tout d'abord, il y avait le Groupe de Minsk de l'OSCE, qui était médiateur et observateur du règlement des litiges entre les républiques caucasiennes. Ensuite, il y avait le plan Lavrov, qui prévoyait la restitution d'un certain nombre de localités à l'Azerbaïdjan, après quoi un traité de paix devait être signé et les frontières délimitées. Bakou était prêt à accepter cette option, mais Nikola Pashinyan, l'homme de main de Soros, a saboté ce processus.

En conséquence, Ilham Aliyev, tenant compte de l'opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine, ainsi que de l'implication militaire de la Russie en Syrie, a décidé de mener une campagne militaire contre le Haut-Karabakh et l'Arménie, qui s'est avérée fructueuse. Les forces de maintien de la paix russes ont été retirées de la région (après avoir subi des pertes à la suite des tirs de l'armée azerbaïdjanaise).

Troisièmement, la signature de l'accord à Washington a eu lieu dans un contexte de détérioration des relations entre la Russie, d'une part, et l'Azerbaïdjan et l'Arménie, d'autre part. Le premier soutient activement l'Ukraine, développe sa coopération avec l'OTAN et mène des campagnes de répression contre les russophiles à l'intérieur du pays. Quant aux autorités du second, elles menacent ouvertement de se retirer de l'OTSC (Organisation du traité de sécurité collective) et de l'UEE (Union économique eurasienne), laissant entendre un possible renforcement de la coopération avec les États membres de l'UE et les États-Unis (ce qui, en fait, est en train de se produire).

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Il convient de noter que la rencontre des chefs des trois États aux États-Unis s'est déroulée dans une atmosphère pompeuse. Aliyev et Pashinyan ont tous deux fait l'éloge de Donald Trump, soulignant la nécessité de sa nomination au prix Nobel de la paix. Dans le même temps, Trump lui-même a indiqué qu'il souhaitait organiser la signature d'un accord similaire entre la Russie et l'Ukraine, insistant ainsi sur son importance exceptionnelle.

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Au-delà de cela, Pashinyan a offert à Trump un manuscrit arménien ancien et unique, représentant l'une des plus anciennes copies du livre de prières mondialement connu de Grigor Narekatsi, « Le Livre des Lamentations » (Xème-XIème siècles après J.-C.). On ne sait pas pourquoi Trump, qui est évangélique de confession religieuse, a besoin de ce trésor culturel de l'Église apostolique arménienne. Mais cette décision de Pashinyan a déjà suscité l'indignation des Arméniens. Sur le plan symbolique, voire métaphysique, un tel geste de la part du Premier ministre arménien signifie une renonciation volontaire à la souveraineté, qui se manifeste non seulement dans les décisions politiques, mais aussi dans les codes métaculturels.

L'un des points clés de l'accord entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan est le corridor de Zangezur, une section terrestre d'environ 50 km de long reliant l'enclave azerbaïdjanaise de la République autonome du Nakhitchevan et l'Azerbaïdjan continental, qui traverse le territoire de la région de Syunik en Arménie. L'exploitation et la gestion du corridor ont été transférées aux États-Unis, officiellement dans le cadre d'un bail de 99 ans. Des sociétés militaires privées américaines devront assurer la sécurité dans ce corridor. Cette section a déjà été baptisée « corridor Trump » (son nom officiel est toutefois « Trump Route For International Peace and Prosperity » (TRIPP)).

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Compte tenu de l'étroite coopération entre la Turquie et l'Azerbaïdjan, on peut tout aussi bien parler de la création d'un corridor turc. Ankara, via l'Arménie et l'Azerbaïdjan, accède ainsi aux pays d'Asie centrale, qui font partie du système de l'Organisation des États turcs (OTS), un projet pan-turc aux objectifs flous et aux formulations vagues. Il ne fait aucun doute que la Turquie d'Erdogan se précipitera pour profiter de cette nouvelle opportunité et poursuivra son expansion culturelle, économique et politique dans le Caucase et à travers lui.

Il va sans dire que l'émergence d'un tel format de corridor de transport, légalement lié aux États-Unis, porte atteinte aux intérêts de la Russie et des autres acteurs du Caucase, en particulier l'Iran. Auparavant, les autorités de ce pays avaient réagi de manière critique à la participation éventuelle d'une tierce partie à l'exploitation du corridor de Zangezur, qu'il s'agisse de la Turquie ou de tout autre pays. Mais avec l'arrivée des États-Unis, Téhéran considère cela non seulement comme un signal d'alarme, mais aussi comme une menace claire.

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Le brigadier général Yadollah Javani (photo), commandant adjoint chargé des affaires politiques du Corps des gardiens de la révolution islamique, a déclaré, à propos de la signature de l'accord entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, qu'ils avaient commis une « erreur bien plus grave » que Zelensky. Il ne s'agit pas d'un traité de paix en soi, mais du transfert du corridor de Zangezur aux États-Unis pour une durée de 99 ans. Il est évident que cette zone terrestre adjacente à la frontière iranienne sera utilisée non seulement pour la circulation des civils et des marchandises, mais aussi à des fins militaires et de renseignement. Tout d'abord, contre l'Iran.

L'Azerbaïdjan coopère depuis longtemps avec Israël sur cette question (lors du dernier conflit militaire entre Israël et l'Iran, l'ajustement des tirs a également été effectué depuis le territoire de l'Azerbaïdjan). Javani a promis d'empêcher la mise en œuvre de ce projet par la force des armes. Cependant, les affrontements précédents avec les États-Unis et Israël ont montré que l'Iran dispose en réalité de capacités limitées, même s'il fait des déclarations assez sérieuses et bruyantes au niveau officiel. Compte tenu du retrait de l'Iran de Syrie, ainsi que des difficultés au Liban et en Palestine, Téhéran disposera désormais d'encore moins d'outils pour mener sa propre politique dans la région.

Quant à la Russie, l'hostilité croissante de l'Azerbaïdjan est également source de préoccupation. La République d'Azerbaïdjan a une frontière directe avec la Fédération de Russie. En outre, l'Azerbaïdjan a participé au corridor de transport nord-sud et il était prévu qu'une ligne secondaire terrestre le traverse. Si les relations entre l'Azerbaïdjan, la Russie et l'Iran se compliquent, Bakou bloquera tout simplement cette ligne. Il ne restera alors que l'option d'une voie navigable à travers la mer Caspienne. Cependant, en raison de la capacité limitée des infrastructures portuaires sur les côtes iraniennes et russes, cette direction ne permettra pas d'assurer le transit de volumes importants de marchandises.

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En outre, la sécurité globale dans le Caucase sera soumise à une érosion plus sévère. Les agents des services de renseignement turcs et britanniques sont déjà très actifs dans cette région. Au-delà de cela, des émissaires religieux des pays du golfe Persique y travaillent depuis longtemps, engagés dans la diffusion de valeurs étrangères aux peuples du Caucase, bien que sous le couvert d'une culture musulmane commune. Cela augmentera le risque de conflits intra-religieux et inter-religieux.

Les dirigeants actuels de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan, quant à eux, présenteront chacun l'accord signé comme le meilleur scénario possible, avec des plans ambitieux de développement économique: création de nouveaux pôles, investissements étrangers, etc. Il est logique de supposer que les pays de l'UE ne coopéreront pas avec la Russie pendant longtemps et que la zone du Caucase sera utilisée comme voie de transit entre la Chine et d'autres pays asiatiques vers l'Europe. Dans cette perspective, la Géorgie, qui tente d'équilibrer les intérêts des différents pays, mais ne se laisse pas entraîner dans des aventures politiques et développe ses propres infrastructures de transit, se rapprochera progressivement de l'Occident, voyant les avantages de sa position géostratégique et s'appropriant une partie des flux de marchandises et de ressources énergétiques.

À long terme, on peut donc noter que l'accord actuel entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan dans le contexte géopolitique mondial va à l'encontre des intérêts de la Russie.

Le corridor du Zangezur: un corridor américain dans le Caucase

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Le corridor du Zangezur: un corridor américain dans le Caucase

Daniele Perra

Source: http://newsnet.fr/288452

L’accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan (avec tous ses retentissements géopolitiques) constitue une étape nouvelle vers la fin de l’influence russe dans le Caucase du Sud et la construction définitive d’un espace sous un contrôle partagé par la Turquie et les États-Unis, auquel s’ajoute la présence discrète (mais très envahissante) d’Israël.

On distingue généralement trois écoles géopolitiques qui caractérisent la projection stratégique de la Turquie contemporaine :

1) la doctrine de la "patrie bleue" de l’amiral Cem Gürdeniz (dont le rôle intérieur a été minimisé en raison d’un supposé lien avec le réseau terroriste lié à Fethullah Gülen) ;

2) le "panturquisme" largement soutenu par l’ancien ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoğlu, qui prône une extension de l’influence turque vers les peuples "frères" d’Asie centrale ;

3) le "néo-ottomanisme" qui semble être la principale référence de l’erdoganisme et qui constitue la base du rôle actif de la Turquie dans la dislocation de la Syrie en zones d’influence, de l’intérêt croissant pour l’Irak et des ambitions ouvertement affichées en Libye.

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La doctrine de la "patrie bleue" est particulièrement intéressante car elle propose une vision de l'hégémonie turque non seulement sur les mers adjacentes à l’Anatolie (source d’inquiétude pour la Grèce, qui conserve sa souveraineté sur plusieurs îles situées à quelques kilomètres de la côte turque), mais aussi en mer Caspienne, qui est considérée comme une "mer intérieure du monde turc". Un aspect qui, à son tour, peut être perçu comme une source d’inquiétude pour d’autres puissances régionales, principalement la Russie et l’Iran (sans oublier que l’URSS et l’Iran avaient signé en 1940 un accord pour l’exploitation exclusive des ressources caspiennes — accord évidemment abandonné avec l’effondrement du géant soviétique).

La participation active de la Turquie dans les événements du Caucase ces dernières décennies s’inscrit comme l’expression directe de la volonté d’Ankara de construire un pont vers l’Asie centrale turcophone, et plus précisément, elle résulte d’une fusion géopolitique entre la pensée de Gürdeniz et un panturquisme jamais abandonné, qui depuis l’époque d’Enver Pacha caractérise le rêve (plus ou moins secret) d’une large partie de l’élite turque.

De plus, la volonté turque de devenir le nœud central des flux énergétiques vers l’Europe doit être comprise dans cette optique. La participation active d’Ankara à des projets infrastructurels tant "orientaux" qu’"occidentaux" doit donc être interprétée comme une tentative de s’imposer comme un hub stratégique. Son soutien géopolitique au "corridor du Zangezur" est absolument cohérent dans cette dynamique. Mais de quoi s’agit-il réellement?

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Ce corridor serait le fruit de l’accord de paix signé lors d’un sommet trilatéral récent entre les États-Unis, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Un accord, accompagné d’une déclaration conjointe, qui doit de fait mettre fin à des décennies de conflit à intensité variable entre ces deux pays du Caucase concernant le contrôle du Nagorny Karabakh. C'est en cette région-là, au moment de l’effondrement de l’URSS, que les Arméniens et Azerbaïdjanais se sont combattus dans l’un des nombreux conflits ethno-tribaux issus de cette politique soviétique des nationalités, selon laquelle la majorité ethnique dans les républiques de l’Union devait toujours être accompagnée d’une minorité pour éviter toute ambition d’autonomie totale. Ce qui a permis à Moscou de se présenter, pendant plusieurs décennies (avec un succès indéniable, malgré des épisodes tragiques comme la déportation de peuples entiers), comme garant de la protection des minorités et du concept de "peuples frères".

De toute façon, le premier conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan (comme d’autres dans la région) a également été utilisé par Moscou comme un outil pour maintenir une emprise sur la zone, qui lui échappait rapidement, et pour ralentir le rapprochement azéri avec l’Occident.

Il n’est donc pas surprenant que les tensions au Nagorno-Karabakh se soient accrues chaque fois qu’un accord pétrolier entre des compagnies occidentales et la République azérie naissante semblait imminent. En même temps, il faut rappeler que l’Azerbaïdjan, durant toute la décennie 1990, avec l’aide de sociétés pétrolières de façade, gérées directement par la CIA, est devenu une sorte de point d’entrée du terrorisme islamiste dans le Caucase — un rôle similaire à celui joué par la Turquie avec "l’autoroute du djihad" en Syrie.

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Grâce à l’aide russe, en partie par intérêt propre et en partie (ironiquement) avec l’accord iranien, les Arméniens ont réussi à s’emparer, entre 1992 et 1993 (malgré la condamnation par l’ONU de leur avancée), de toute la région du Nagorny-Karabakh, qu’ils considèrent comme le cœur battant de leur patrie ancestrale, avec plusieurs zones adjacentes, pour établir la République de l’Artsakh (qui occupait 20% du territoire azéri). La situation n’a changé qu’à partir de la reprise du conflit en 2020, en partie à cause de l’incapacité politique des dirigeants arméniens, et avec l’expulsion définitive des Arméniens du territoire azéri en 2023 (plus de 100.000 réfugiés, tragédie dont peu de médias ont parlé).

Avant d’aller plus loin dans l’analyse de la fonction géopolitique du corridor du Zangezur, il est opportun de faire une brève parenthèse sur le contexte culturel-politique propre aux dirigeants des deux pays. Ilham Aliyev, comme cela est connu, est le fils de Heydar Aliyev (membre de la vieille nomenklatura communiste), qui a longtemps dirigé l’Azerbaïdjan après la chute de l’URSS, en pratiquant le népotisme. Il n’est pas surprenant que le même Ilham ait été vice-directeur de la compagnie pétrolière nationale lorsque, en 1994, a été signé le "contrat du siècle" entre le gouvernement azéri et un consortium multinational dirigé par BP.

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Ce contrat avait pour but de faire de l’Azerbaïdjan une filiale pétrolière de l’Occident, pour exclure la Russie des routes énergétiques dans le Sud du Caucase. La construction du pipeline Bakou-Tbilisi-Ceyhan, de grande importance stratégique, est également liée à ce contrat, et cette infrastructure constitue aujourd’hui un point clé pour Israël, qui y tire une partie de ses besoins énergétiques. Il n’est pas surprenant qu'Israël, avec la Turquie, ait joué un rôle majeur dans la fourniture d’armes à Bakou pour soutenir ses efforts militaires contre l’enclave arménienne.

L’Iran, quant à lui, a souvent pointé du doigt l’Azerbaïdjan, le considérant comme une base sioniste dans la région, utilisée par Tel Aviv pour lancer des attaques asymétriques contre Téhéran (une implication azérie dans la récente "guerre de douze jours" n’est pas à exclure). Geydar Aliyev a également souvent persécuté et opprimé des mouvements religieux inspirés du khomeinisme, qui auraient pu facilement prendre pied dans un pays où la majorité est encore chiite, malgré les aspirations laïques de l'élite dirigeante.

Rappelons que, juste avant la mort de son père, qui avait au début des années 2000 amélioré ses relations avec la Russie, Ilham Aliyev avait déclaré que les principaux alliés de l’Azerbaïdjan étaient les États-Unis et la Turquie. Cela illustre bien la nature de sa politique. Plus récemment, il a encore accru la tension avec la Russie, avec l’arrestation d'hommes d'affaires russes à Bakou et avec l’augmentation des exportations azéries de pétrole vers l’Ukraine (la Russie a bombardé plus de 17 dépôts de la compagnie azérie en Ukraine ces derniers mois). Alyiev a déclaré par provocation (et de façon menaçante) que l’armée azérie n’était pas une masse de prisonniers libérés, mais la force la plus nombreuse du Caucase du Sud: 130.000 soldats en service actif, 300.000 réservistes, bien entraînés et équipés de drones turcs et israéliens, prêts à la guerre. "Réfléchissez bien, surtout maintenant, après avoir perdu près de 800.000 soldats en Ukraine."

L’histoire du Premier ministre arménien Nikol Pashinyan est tout aussi révélatrice. Il est arrivé au pouvoir après ce qui pourrait être qualifié de "révolution de couleur", bien qu’avec un soutien initial limité de l’Occident. Le mouvement qui l’a mené à la tête, Yelk ("sortir" ou "issue", parce qu'hostile dès le départ à l’adhésion à l’Union eurasiatique), reposait sur une stratégie classique: transformer une minorité (Yelk a obtenu environ 7% lors des élections de 2018) en une majorité, et créer une "vérité sur mesure" pour que l’opinion publique, interne et internationale, soutienne les manifestants. Plusieurs parlementaires azéris ont également ouvertement soutenu la protestation qui a abouti à déposer le Premier ministre Sargsyan.

Pashinyan a aussi souvent affirmé que les accords militaires avec la Russie étaient désormais obsolètes et que seuls les États-Unis (ou l’Occident en général) pouvaient garantir la sécurité de l’Arménie.

Ainsi, l’accord sur le corridor de Zangezur peut aussi être interprété comme la dernière étape de la politique actuelle de l’Arménie qui vise un tropisme occidental. Il prévoit la construction d’une voie ferrée, d'oléoducs, de gazoducs et d’un réseau de fibres optiques reliant l’Azerbaïdjan à sa partie occidentale (le Nakhchivan), en passant par 32 km de territoire arménien (sur la frontière avec l’Iran). Les États-Unis obtiennent ainsi des droits sur le développement et la construction du corridor, et une présence économique et financière accrue dans la région (souvent accompagnée de présence militaire et d'agents du renseignement).

Ce projet va à l’encontre de la Route de la Soie chinoise (il faut penser aussi à sa connexion avec le pipeline Bakou-Tbilisi-Ceyhan) et du "middle corridor" reliant la Chine à l’Europe par la mer Caspienne, l'Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie, ce qui montre l’intention de construire une véritable barrière sanitaire le long de la frontière nord de l’Iran. De plus, cela ébranle encore davantage le mythe de l’isolationnisme trumpiste. Le corridor de Zangezur apparaît clairement comme une nouvelle intervention étrangère des États-Unis, masquée par le business et la nouvelle administration.

mardi, 26 août 2025

L'importance de la rencontre Poutine/Trump en Alaska

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L'importance de la rencontre Poutine/Trump en Alaska

Alex Krainer

Le vendredi 15 août, Donald Trump et Vladimir Poutine se sont rencontré en Alaska. Le choix de ce lieu a envoyé un message très encourageant au monde entier.

Source: https://alexkrainer.substack.com/p/the-significance-of-alaska

Mise à jour [12 août 2025] : J'ai établi la chronologie du projet visant à relier les États-Unis et la Russie à travers le détroit de Béring à partir du Substack de Matthew Ehret (lien ci-dessous), mais j'ai omis de mentionner l'économiste visionnaire et candidat à la présidence Lyndon LaRouche, qui a conceptualisé le projet dès les années 1980 et « fait du programme du détroit de Béring le centre de sa stratégie internationale » dès 1993. Pour en savoir plus, cliquez sur ce lien: https://x.com/CHahnT/status/1955161957297733710.

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La semaine dernière, j'ai eu le privilège de m'entretenir avec un auteur et géostratège chevronné, l'amiral Davor Domazet, que j'ai mentionné ici le mois dernier dans « La défaite de la stratégie du chaos de l'Occident » (https://trendcompass.substack.com/p/defeat-of-the-wests-strategy-of-chaos). Alors que nous discutions des événements géopolitiques en cours, le sommet entre le président américain Trump et son homologue russe venait d'être annoncé.

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L'amiral Domazet (photo) a déclaré que le choix du lieu du sommet serait extrêmement important et qu'il constituerait en soi un message adressé au monde entier. Il n'était sûr que d'une chose : ce ne serait pas en Europe occidentale.

Nous n'avions pas deviné que ce serait l'Alaska, mais une fois ce choix annoncé, cela nous a paru tout à fait logique. Cela envoie un message très important : la Russie et les États-Unis se rapprochent dans la paix, achevant ainsi un cycle historique important mais interrompu. J'y ai fait allusion dans un article que j'ai rédigé en février de cette année : https://alexkrainer.substack.com/p/is-a-grand-bargain-between-us-and

L'histoire inachevée

L'Alaska est l'endroit où les États-Unis sont limitrophes de la Russie et où les deux puissances peuvent et doivent se rapprocher. Comme Matthew Ehret l'a superbement résumé dans son récent article Substack (https://matthewehret.substack.com/p/will-upcoming-putin-trump-summit ), l'idée de relier physiquement les États-Unis et la Russie à travers le détroit de Béring est une idée ancienne, car elle est assez évidente. Elle a été avancée pour la première fois sous la présidence d'Abraham Lincoln en 1864, mais elle est malheureusement morte avec lui. Elle a été relancée en 1890 par William Gilpin, ancien gouverneur du Colorado, sous la forme de son projet « Cosmopolitan Rail », qui prévoyait la construction d'un tunnel sous le détroit de Béring.

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L'importance de ce projet n'a pas échappé au gouvernement russe sous le tsar Nicolas II et à son ministre des Finances, Sergei Witte, qui ont engagé en 1905 plusieurs ingénieurs ferroviaires américains et français pour réaliser des études de faisabilité. Malheureusement, le tsar a rapidement été contraint d'abdiquer, son Premier ministre a été assassiné et le projet n'a jamais vu le jour.

La paix future

Il fut relancé sous l'administration de Franklin Delano Roosevelt et discuté en 1942 par son vice-président Henry Wallace et le ministre des Affaires étrangères de Staline, Molotov. Wallace a exprimé ainsi l'importance de relier physiquement les États-Unis à la Russie :

« Il serait très important pour la paix future qu'il existe un lien tangible de ce type entre l'esprit pionnier de notre propre Ouest et l'esprit frontalier de l'Est russe. »

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Cependant, Wallace (photo) fut rapidement écarté et remplacé par Harry Truman, l'instrument aveugle de l'oligarchie britannique. Une fois FDR mort, le projet fut à nouveau relégué aux oubliettes : relier les deux superpuissances, que ce soit physiquement, politiquement, socialement, culturellement ou commercialement, tomba en disgrâce.

Dans son discours sur le « rideau de fer » en 1946, Winston Churchill déclara l'Union soviétique ennemie de l'Occident. Il prononça ce discours devant Harry Truman et, au lieu de cultiver une coopération productive entre les États-Unis et la Russie, l'Occident opta pour la guerre froide.

Le soleil brille déjà différemment

L'idée de rapprocher les deux puissances et les deux continents n'est cependant jamais morte, et les dirigeants actuels de la Russie et des États-Unis sont clairement désireux de la faire revivre. En 2008, le Premier ministre de l'époque, Vladimir Poutine, a approuvé le projet de construction d'une ligne ferroviaire vers le détroit de Béring dans le cadre du plan de développement des infrastructures de la Russie à l'horizon 2030. Ce projet prévoyait la construction d'un tunnel de 60 miles (près de 100 km) entre Tchoukotka, dans l'Extrême-Orient russe, et l'Alaska, pour lequel la Russie proposait de financer les deux tiers du coût total.

La Russie a proposé ce projet à ses « partenaires occidentaux » en 2011 et en mai 2014, mais à l'époque, l'Occident dans son ensemble avait des projets tout à fait différents concernant la Russie. Aujourd'hui, ces projets ont tous échoué et le peuple américain a voté pour un changement radical de cap en élisant Donald Trump à la Maison Blanche.

Reste à voir si l'administration Trump réussira à mener à bien ce changement de cap, mais la volonté du peuple américain, exprimée lors de trois élections présidentielles consécutives, donne un nouvel espoir au monde. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, a exprimé cet espoir après la deuxième investiture de Trump en janvier, en déclarant que « le soleil brille déjà différemment ».

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Pour sa part, le président Trump nous a donné quelques indications de son intérêt pour le raccordement ferroviaire de l'Alaska au continent lorsqu'il a annoncé, en septembre 2020, son approbation du projet de liaison ferroviaire de 2579 kilomètres entre l'Alaska et l'Alberta (A2A).

Le projet A2A était une initiative privée qui a finalement échoué, apparemment en raison d'une mauvaise gestion, mais en soulignant son approbation du projet, Trump nous a donné une indication de ses intentions, qui ont peut-être influencé l'accord entre la Russie et les États-Unis pour tenir le sommet imminent entre les deux pays en Alaska. Le message derrière ce choix est indéniablement celui de la paix, de la construction de ponts de confiance, de respect mutuel et de coopération constructive.

Il est important de noter qu'en accueillant Vladimir Poutine sur le territoire américain, l'administration Trump signale qu'elle ne reconnaît pas la condamnation de Poutine comme criminel de guerre par le tribunal de La Haye. Ce faisant, elle légitime l'opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine.

* * *

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La question du Canada

Incidemment, la connexion entre la Russie et l'Alaska et entre l'Alaska et le continent américain pourrait également être liée à l'intention déclarée de Trump d'absorber certaines parties du Canada dans les États-Unis. Si l'Alberta, la Colombie-Britannique et le Yukon devenaient partie intégrante des États-Unis, leur territoire serait relié à l'Alaska, créant ainsi un pont terrestre contigu vers la Russie.

Si les États-Unis annexaient également les territoires nordiques du Canada et le Nunavut, ils pourraient se relier territorialement au Groenland et partager la zone arctique avec la Russie afin de rejoindre le projet de la Route de la soie arctique. En février, j'écrivais ce qui suit :

Ces développements pourraient-ils faire l'objet d'un futur accord majeur entre Vladimir Poutine et Donald Trump ? Je pense que c'est possible. Du point de vue actuel, tout cela peut sembler être un changement radical et dangereux par rapport au statu quo d'après-guerre, mais ce statu quo n'était peut-être qu'une pause dans les processus géopolitiques qui ont commencé à se dessiner dès le 19ème siècle.

Nous le saurons peut-être dans quelques jours. Il est certain que si les deux dirigeants ont déjà convenu de se rencontrer, une sorte de grand accord a déjà été conclu entre leurs représentants respectifs. Nous en saurons bientôt plus, notamment grâce à la manière dont les dirigeants canadiens, britanniques et européens qualifieront les résultats du sommet très attendu de cette semaine en Alaska.

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La signification du 15 août

La date du sommet, le 15 août 2025, est également significative à plusieurs égards. Le 15 août 1971, Richard Nixon a temporairement (bien sûr) suspendu la convertibilité du dollar américain en or. Le 15 août 1945 a été une date charnière dans l'histoire de la Chine : elle a marqué la capitulation du Japon devant les Alliés, mettant fin à la guerre de résistance contre le Japon.

Le 15 août revêt une profonde signification religieuse pour les chrétiens catholiques et orthodoxes, car c'est le jour de la fête de l'Assomption (ou Dormition dans la tradition orthodoxe), qui commémore la croyance selon laquelle la Vierge Marie, mère de Jésus, a été élevée corps et âme au ciel à la fin de sa vie terrestre.

dimanche, 24 août 2025

« Le corridor de Trump »: les lignes de fracture entre la Russie et l'Iran

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« Le corridor de Trump »: les lignes de fracture entre la Russie et l'Iran

Source: https://report24.news/trumps-korridor-die-bruchlinien-zwi...     

Une analyse géopolitique montre comment le « corridor Trump » dans le Caucase du Sud révèle les lignes de fracture entre Moscou et Téhéran. Alors que les partisans de la ligne dure en Iran condamnent ce projet comme une menace existentielle, les « réformateurs » y voient une opportunité pour la paix et les investissements. Pour la Russie, cette division entre ses partenaires signifie avant tout une chose : en cas de crise, son allié supposé pourrait lui-même devenir un risque.

Dans un article publié sur Pogled.info, le journaliste bulgare Sergej Latichev décrit une évolution qui ne devrait pas plaire à Moscou. Sous le titre « Le corridor Trump révèle le problème de la Russie : un allié clé s'arme pour vous poignarder dans le dos ? », il dresse le tableau d'une constellation explosive dans le Caucase du Sud. Il s'agit du corridor dit « Zangezour » (désormais appelé avec dérision « corridor Trump »), qui doit relier l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Ce qui est présenté à Washington comme un succès diplomatique révèle surtout, selon Latichev, le rôle fragile et profondément contradictoire de l'Iran en tant que partenaire de la Russie.

Latichev souligne que Téhéran est divisé sur cette question. Alors que des partisans de la ligne dure comme Ali Akbar Velayati, conseiller du Guide suprême, qualifient le corridor de « menace existentielle » et préviennent qu'il pourrait devenir un « cimetière pour les mercenaires américains », des représentants du gouvernement comme Abbas Araghchi voient les choses tout autrement. Selon eux, il s'agit simplement d'une route de transit contrôlée par les Arméniens, qui pourrait favoriser la paix et la stabilité dans le Caucase du Sud. Le général Yadollah Djavani, membre des Gardiens de la révolution, est allé encore plus loin en avertissant Bakou et Erevan qu'ils pourraient subir « le sort de l'Ukraine » s'ils se laissaient entraîner dans le jeu de Washington. Le président Masud Pezeshkian s'est quant à lui montré modéré, évoquant simplement la nécessité de « surveiller de près les mesures américaines ».

Selon Latichev, ces positions contradictoires montrent clairement que l'Iran est tout sauf un allié fiable. Alors que certains à Téhéran attisent le conflit, d'autres rêvent d'investissements occidentaux. La Russie, quant à elle, doit se rendre à l'amère réalité que le partenaire avec lequel elle vient de signer un accord stratégique peut à tout moment basculer entre une hostilité sans compromis envers l'Occident et une coopération servile. Pour Moscou, selon cette analyse, cela signifie qu'en cas de crise, elle ne peut compter sur aucun soutien sûr.

Le « corridor Trump » est donc bien plus qu'un simple projet d'infrastructure régional. Il s'agit d'un levier géopolitique que les États-Unis utilisent habilement pour affaiblir la Russie dans le Caucase, diviser l'Iran et, dans le même temps, porter un coup à la stratégie de la Route de la soie de la Chine. Latichev cite le sinologue russe Nikolaï Vavilov, qui qualifie le projet de « poste de contrôle contre la nouvelle route de la soie ». Washington, selon lui, vise trois adversaires à la fois et utilise l'Arménie comme tête de pont.

La conclusion de cette analyse est claire : Moscou ne peut pas se fier aveuglément à Téhéran. Un empire aussi déchiré que l'Iran ne pourrait pas servir de bouclier en cas d'urgence, mais plutôt de poignard dans le dos. C'est précisément ce qui fait du « corridor Trump » une bombe géopolitique et un défi pour la politique étrangère russe.

mercredi, 20 août 2025

La géographie, clé de l'histoire

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La géographie, clé de l'histoire

Source: https://pangea.blog.hu/2014/06/29/a_foldrajz_a_tortenelem...

"La géographie, c'est la clé de l'histoire". C'est ce qu'affirmait au début du siècle dernier un professeur écossais déjà dans la fleur de l'âge. En 1904, ce professeur écossais publia son ouvrage influent intitulé « La géographie est la clé de l'histoire », dans lequel il posait les bases de la géopolitique classique et gravait son nom à jamais dans l'histoire. Son livre fut véritablement révolutionnaire et créa une nouvelle ère. Il a créé une époque, car son livre et ses thèses géopolitiques publiées par la suite sont devenus la doctrine politico-militaire la plus importante du début du 20ème siècle et, avec une légère exagération, on peut affirmer qu'ils ont déterminé les principaux événements géopolitiques du 20ème siècle. L'influence de ses thèses est perceptible dans les traités de paix qui ont mis fin à la Première Guerre mondiale, dans les événements militaires de la Seconde Guerre mondiale et dans la guerre froide. Mon article est centré sur Sir Halford John Mackinder, dont le nom est sans doute familier aux experts en politique de sécurité, aux historiens et aux géographes.

Mackinder a mené une vie extrêmement mouvementée, ses contemporains lui reprochaient souvent que « sa carrière aurait suffi à occuper cinq personnes », car Mackinder n'était pas seulement géographe, mais aussi homme politique actif et représentant élu, explorateur, professeur de lycée et d'université et diplomate. Sa vie active a porté ses fruits. Grâce à ses connaissances en de nombreux domaines et à sa perspicacité, il comprit que l'année 1900 marquait un tournant dans la vie de la Grande-Bretagne victorienne.

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Le « cycle de vie » de l'Empire britannique, son apogée et son déclin 

L'Empire britannique victorien comptait un quart de la population mondiale (400 millions d'habitants) et s'étendait sur près de 32 millions de kilomètres carrés. Mais l'empire commençait à perdre sa position dominante dans la politique et l'économie mondiales. Mackinder savait que le départ de près de 10 millions de personnes de Grande-Bretagne entre 1871 et 1911 pouvait entraîner un rééquilibrage des pouvoirs. Il croyait voir d'autres signes de faiblesse dans les guerres contre les Boers en Afrique du Sud. Au début, les habitants du Transvaal et de l'Etat d'Orange ont réussi à se défendre contre les Britanniques. Les progrès technologiques de la deuxième révolution industrielle ont également transformé les transports. Le transport ferroviaire a pris le pas sur le transport maritime. C'est un coup dur pour un pays qui était avant tout une puissance maritime et qui imposait sa volonté grâce à sa supériorité navale. L'ouverture de la ligne ferroviaire transsibérienne en 1905 a mis un point final à cette situation. Mackinder a compris que l'ère des puissances maritimes était révolue.

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Le chemin de fer mondialement connu qui a vaincu le transport maritime 

Mackinder a consacré sa vie à l'Empire britannique. En tant que patriote, il s'est efforcé d'attirer l'attention de l'opinion publique et des décideurs sur tous les remaniements du pouvoir qui touchaient l'Empire. Quatre ans après le tournant du siècle, il donna une conférence intitulée « La géographie est la clé de l'histoire », puis, quelques mois plus tard, il publia un livre dans lequel il exposait sa "théorie du pivot", qui reste encore aujourd'hui très influente.

Sa théorie du pivot repose sur une approche géographique du pouvoir. La situation géographique des continents et des pays qui les composent détermine fondamentalement, ou du moins influence, quels pays peuvent devenir des puissances mondiales. Les fondements de sa théorie sont donc ancrés dans le déterminisme environnemental, mais son point de vue diffère néanmoins de celui de ses contemporains. Le Suédois Rudolf Kjellén (également géopolitologue) se vantait par exemple de pouvoir déterminer le niveau de civilisation d'un pays donné à partir de sa latitude et de sa longitude. Mackinder abordait le problème de manière plus subtile et, bien sûr, du point de vue de l'Empire britannique.

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La division du monde selon Mackinder, avec le Pivot au centre

Mackinder a désigné une zone centrale, comprenant le nord de l'Eurasie et l'Asie centrale. Il a appelé cette zone le Pivot, autour duquel s'organise le reste du monde. Cette zone centrale est en grande partie détenue par la Russie, qui a pris le relais de l'ancien Empire mongol. Il estime que son isolement géographique rend le Pivot difficile, voire impossible, à occuper. Même si cela était possible, il serait impossible de le conserver longtemps en raison de la rudesse du climat.

Le Pivot est entouré d'un demi-cercle, la Ceinture intérieure ou Marginal Perimeter, qui comprend l'Europe continentale, l'ancienne Turquie (y compris l'Afrique du Nord), l'Iran, l'Inde et la Chine. Mackinder soulignait que l'État qui détient le pivot ne peut à lui seul devenir une puissance mondiale, mais seulement s'il s'allie à un État de la ceinture intérieure plus puissant que l'Angleterre et qu'ils puissent la vaincre ensemble. Il fallait donc empêcher l'Allemagne, qui se renforçait et se développait rapidement en Europe continentale, de conclure une alliance avec la Russie.

La troisième et dernière zone à statut particulier était celle des îles du monde, qui comprenait le continent américain, l'Afrique subsaharienne, l'Australie, le Japon et, bien sûr, l'Angleterre. Il est intéressant de noter que les États-Unis, qui n'étaient encore qu'une puissance marginale dans les jeux géopolitiques du début du 20ème siècle, n'étaient pas considérés comme une menace.

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Visualisation de la théorie de Hearland, qui souligne l'importance de l'Europe centrale

La Première Guerre mondiale affaiblit encore davantage l'Empire britannique, et il publie une version modifiée de sa théorie en 1919, à la veille des traités de paix qui mettent fin à la Première Guerre mondiale. Il l'appelle théorie du Heartland (le Heartland correspond à son ancienne zone pivot). Il y soulignait l'importance géopolitique de l'Europe centrale et rêvait d'une Europe centrale composée de nombreux petits États situés entre l'Allemagne et la Russie, dont la plupart seraient alliés à la Grande-Bretagne ou à l'Entente, et dont la tâche principale serait d'empêcher l'alliance germano-russe. Ils ne parvinrent pas à empêcher la conclusion de l'alliance, et le pacte Molotov-Ribbentrop fut signé en 1939.

À cette époque, il ne publiait plus ses doctrines en tant que simple professeur d'université, mais en tant que haut représentant britannique en Russie méridionale, et entretenait de bonnes relations avec Lord Curzon, qui proposait de redessiner les frontières orientales de la Pologne. À partir de 1920, il fut président de la Commission impériale britannique de la marine marchande, le premier responsable de cette commission qui gérait les affaires maritimes de tout l'Empire britannique, sur lesquelles reposait la position de puissance mondiale qu'était cet empire. Considéré comme l'un des hommes les plus influents de l'Angleterre de l'époque, sa théorie a atteint les plus hauts niveaux, et ses thèses ont donc pu jouer un rôle décisif dans le tracé des frontières en Europe centrale, par exemple dans la définition des détails du traité de Trianon.

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La thèse principale de Mackinder 

Sa théorie du Heartland peut être résumée en quelques phrases, qui sont d'ailleurs devenues des expressions courantes. La première thèse est la suivante : « Celui qui domine l'Europe centrale et orientale commande le Heartland ». La deuxième : « Celui qui domine le Heartland commande les îles du monde », et la troisième : « Celui qui commande les îles du monde domine le monde ». Ergo, si l'Empire britannique contrôle la majeure partie de l'Europe centrale, ni la Russie ni l'Allemagne ne constituent une menace pour lui, et sa position de puissance mondiale est assurée.

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Le Lenaland. La vision d'un espace de pouvoir dans l'Atlantique Nord

Sa dernière théorie géopolitique, intitulée Lenaland, a été publiée en 1943, quelques années avant sa mort. Il a été fortement influencé par la période de l'entre-deux-guerres, où il voyait déjà l'émergence d'une nouvelle puissance, à savoir les États-Unis. Dans cette théorie, il envisageait la création d'un espace de pouvoir nord-atlantique, c'est-à-dire la naissance de la coopération militaire et politique de l'OTAN. La thèse du Lenaland s'appuyait sur ses théories antérieures, auxquelles il ajoutait que les États-Unis étaient devenus un acteur géopolitique déterminant. En outre, il séparait la région de la Léna (c'est-à-dire la plaine de Sibérie orientale) du cœur de la Russie et du Pivot.

La question se pose de savoir comment Mackinder a influencé la guerre froide, étant donné que ses théories portaient sur la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la Russie, et ne mentionnait pas l'opposition américano-russe/soviétique dans ses thèses. La réponse est qu'après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Américains ont repris le rôle de puissance mondiale dominante et ont également repris les idées de Mackinder, qu'ils ont adaptées à leur propre situation. Cependant, la question clé n'était plus la situation de l'Europe centrale, puisque l'Union soviétique l'avait déjà annexée, mais celle de la ceinture intérieure et des îles mondiales. Les États-Unis se sont donné pour mission première d'empêcher l'Union soviétique de poursuivre son expansion dans la ceinture intérieure ou sur les îles mondiales. C'est ici que reviennent les conflits bien connus de la guerre froide, en Corée, à Suez, en Grèce, au Guatemala, au Vietnam et en Afghanistan.

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Caricature de propagande durant la guerre froide qui montre clairement les principaux axes le long desquels les Soviétiques cherchaient à s'étendre afin de sortir de leur isolement et de placer la Ceinture intérieure sous leur influence.

Mackinder était un personnage peu connu de l'histoire, qui a œuvré dans l'ombre et accompli de grandes choses, mais dont le nom n'apparaît que rarement dans les ouvrages des historiens. Sa grandeur est éclipsée par les noms des hommes d'État de son époque, alors qu'il était l'un des rares à avoir véritablement compris les orientations de la politique mondiale. Il a reconnu, mais n'a pas pu empêcher la chute de l'Empire britannique, qui a culminé avec une série de déclarations d'indépendance de ses anciennes colonies.

 

lundi, 18 août 2025

Du Zangezour au Corridor de David: la refonte silencieuse du commerce mondial et la voie vers la guerre avec l'Iran

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Analyses:

Du Zangezour au Corridor de David: la refonte silencieuse du commerce mondial et la voie vers la guerre avec l'Iran

Ibrahim Majed

Source: https://geoestrategia.eu/noticia/44912/geoestrategia/del-...

Sur l'échiquier changeant de la géopolitique mondiale, peu d'événements sont aussi importants et aussi peu médiatisés que l'émergence de deux corridors: le corridor de Zangezur et le corridor de David.

Ces projets, qui s'étendent du sud du Caucase au nord de l'Irak, ne sont pas seulement des infrastructures: ils sont les instruments d'un nouvel ordre géopolitique.

Ce ne sont pas seulement les flux commerciaux et énergétiques mondiaux qui changent, mais aussi le paysage stratégique de toute guerre future contre l'Iran.

Le corridor de Zangezur: rompre le lien Est-Ouest de l'Iran

Le corridor de Zangezur, qui traverse la province arménienne de Syunik, est conçu comme un pont terrestre reliant l'Azerbaïdjan à son enclave du Nakhitchevan et, au-delà, à la Turquie.

Avec le soutien de la Turquie et d'Israël et un appui solide des intérêts énergétiques alignés sur l'Occident, ce corridor contourne efficacement l'Iran en tant que centre de transit régional, ce qui sape sa valeur géopolitique le long de la route de la soie Est-Ouest.

- Contournement stratégique de l'énergie: le projet Zangezur est étroitement lié au transport de l'énergie. Il permet au gaz de la Caspienne, provenant d'Azerbaïdjan et d'Asie centrale, d'atteindre l'Europe via la Turquie, sans dépendre de l'Iran ou de la Russie.

- Asphyxie économique de l'Iran: comme l'initiative chinoise « Belt and Road » et le corridor de transport nord-sud de la Russie dépendaient autrefois de l'Iran, ce changement redirige le commerce de l'Iran, l'isolant économiquement des principaux marchés eurasiatiques.

- Influence d'Israël et de l'OTAN: la présence militaire et les services de renseignement israéliens en Azerbaïdjan se sont considérablement renforcés, profitant de ce corridor pour recueillir des renseignements et, à l'avenir, établir des bases militaires sur le front nord de l'Iran.

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Le corridor de David : une porte dérobée vers le flanc occidental de l'Iran

Alors que le corridor de Zangezur affecte l'Iran depuis le nord, le corridor de David (terme désignant la route terrestre émergente qui part de la Palestine occupée, traverse la Jordanie et la Syrie et se dirige vers l'Irak) remplit une double fonction: logistique et militaire.

Accès stratégique pour Israël: cette route offre à Israël une connexion terrestre potentielle avec les forces américaines et alliées stationnées dans le Kurdistan irakien. Il s'agit d'un point d'inflexion en termes de déploiement logistique, de surveillance et même d'armement.

Déstabiliser le Levant: le succès du corridor dépend de la fragmentation de la Syrie et de l'Irak, en maintenant ces deux pays trop faibles ou trop divisés pour résister à sa formation.

Contrôle par les puissances en Irak: le nord de l'Irak, en particulier la région kurde, est devenu une plate-forme non seulement pour les militaires américains et israéliens, mais aussi pour l'extraction d'énergie qui échappe au contrôle de Bagdad.

Redessiner la carte du commerce mondial sous couvert militaire

Ensemble, ces corridors représentent une stratégie sur deux fronts :

- Au nord, le corridor de Zangezur vise à couper les artères économiques de l'Iran, en redirigeant les oléoducs, les chemins de fer et les infrastructures numériques hors du contrôle de Téhéran.

- À l'ouest, le corridor de David offre une voie logistique militarisée directement vers le flanc ouest vulnérable de l'Iran, raccourcissant ainsi le champ de bataille pour une éventuelle guerre future.

Il ne s'agit pas seulement de commerce : c'est une guerre des infrastructures.

Le tableau d'ensemble : l'encerclement et l'isolement de l'Iran

Ces corridors ne sont pas des phénomènes isolés, mais font partie d'une stratégie d'encerclement coordonnée :

- L'Azerbaïdjan est désormais une base avancée pour les opérations israéliennes près du nord de l'Iran.

- Le nord de l'Irak est en train de se transformer en une zone militaire molle avec une forte présence israélienne et américaine.

- Le Levant, en proie à la guerre et aux divisions, offre suffisamment de chaos pour permettre au Corridor de David de s'étendre sans être remarqué.

Pendant ce temps, les exercices militaires de l'Iran à la frontière avec l'Azerbaïdjan, ses liens de plus en plus étroits avec la Russie et la Chine et ses efforts pour sécuriser des routes alternatives vers l'est sont autant de signes que Téhéran voit se former un piège.

Que la guerre commence bientôt ou non, le champ de bataille est déjà en train d'être préparé, corridor par corridor.

* * * 

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Analyse:

Le « Corridor David », offensive d'Israël pour balkaniser la Syrie et imposer les « Accords d'Abraham »

Alfredo Jalife-Rahme

Bien que cela puisse sembler inconcevable, Israël a lancé un projet d'expansion territoriale qui comprend l'annexion... de la capitale syrienne ! Le président autoproclamé de ce dernier pays semble déjà avoir cherché refuge à Idlib, avec sa famille, sous la protection de la Turquie.

À l'époque du « collectif Biden » – groupe imposteur de la Maison Blanche qui a suppléé l'illégale et trompeuse « auto-pen » (fausse « auto-signature » automatisée) de l'ancien président handicapé –, le corridor géoéconomique projeté depuis l'Inde, passant par les Émirats arabes unis (EAU), l'Arabie saoudite jusqu'à Israël et l'Europe a été bouleversée par l'étrange attaque de la guérilla palestinienne du Hamas de Gaza, aujourd'hui décimée au maximum.

Le corridor géoéconomique Inde-EAU-Arabie saoudite-Israël-Europe «soutenu par les États-Unis» et annoncé lors du sommet du G20 à New Delhi, visait à «rivaliser avec la nouvelle route de la soie de la Chine» [1]. On suppose que l'un des objectifs de la « guerre de 12 jours » menée par Israël et les États-Unis contre l'Iran était de saboter le carrefour géoéconomique de ce pays, âme des BRICS, afin de le déconnecter à la fois de la Route de la Soie avec la Chine et du Corridor de transport international Nord-Sud, qui relie la Russie à l'Inde en passant par l'Azerbaïdjan et l'Iran [2].

Le Moyen-Orient est en proie à la collision des corridors géoéconomiques des trois superpuissances (États-Unis, Russie et Chine) qui définiront la connectivité tricontinentale entre l'Asie/le Moyen-Orient (et l'Afrique) et l'Europe. En parallèle, la puissance régionale (Israël), soutenue par Trump comme jamais auparavant dans l'histoire des États-Unis, cherche à imposer son « Corridor David » [3], qui relie ses deux alliés ethniques et théologiques: les Druzes et les Kurdes du nord-est de la Syrie (la région du Rojava) [4].

Dans mon interview avec NegociosTV, en Espagne [5], j'ai expliqué qu'Israël a intérêt à la balkanisation du Moyen-Orient afin de démembrer les pays et de mieux les contrôler. L'objectif du « Corridor David » est de positionner Israël à la frontière de l'Irak pour tenter de le balkaniser en trois morceaux, et ainsi atteindre les frontières de l'Iran pour lui porter un coup nucléaire sur l'une de ses sept frontières terrestres, qui sont neuf si l'on ajoute ses deux autres frontières maritimes dans la mer Caspienne (ancienne mer des Khazars), la Russie et le Kazakhstan.

Le Premier ministre Netanyahu se heurte au mauvais moment au putschiste syrien Al-Jolani, décapiteur professionnel – condamné hier par les États-Unis pour être le chef d'une des branches d'Al-Qaïda/Daech et dont la capture était récompensée par 10 millions de dollars, mais aujourd'hui sanctifié comme « héros » par l'Europe et Washington –, qui extermine sans distinction les minorités alaouites, chrétiennes et druzes.

Israël a détruit le ministère de la Défense à Damas, ce qui a contraint le décapiteur al-Jolani à fuir avec sa famille vers la région nord d'Idlib, sous la protection de la Turquie. Les médias arabes et turcs ont commencé à dévoiler le plan israélien et son « corridor David », qui vise à intégrer le plus grand nombre de pays démembrés aux « accords d'Abraham ».

Abraham, accepté par les trois religions monothéistes, était originaire d'Ur, à 16 kilomètres du fleuve Euphrate, puis a émigré vers ce qui est aujourd'hui connu sous le nom d'Israël. Il convient de noter que le drapeau israélien comporte deux bandes bleues représentant les deux fleuves, le Nil et l'Euphrate, prétendues frontières du « Grand Israël » : projet talmudique eschatologique du Khazar Netanyahu, d'origine polonaise et dont le nom de famille d'origine est Mileikowsky, dont le père était un collaborateur de Jabotinsky, doctrinaire du révisionnisme sioniste.

Les Kurdes du nord-est de la Syrie, alliés d'Israël, sont installés dans le bassin de l'Euphrate, le plus grand fleuve d'Asie du Sud-Ouest avec ses 2800 kilomètres, qui prend sa source en Turquie et traverse la Syrie et l'Irak. Grâce à l'annexion de la région druze syrienne des hauteurs du Golan et à sa nouvelle pénétration autour du mont Hermon, Israël positionne ses troupes à 10 kilomètres de Damas [6], la capitale syrienne, que son ministre des Finances Bezalel Smotrich exige d'envahir [7].

Pour plaisanter, on dit au Liban que Netanyahu s'apprête à ajouter une troisième bande bleue à son drapeau, qui représenterait le fleuve Litani, toujours sous le contrôle du Hezbollah.

Notes:

[1] «Le corridor Inde-Europe soutenu par les États-Unis qui veut rivaliser avec la nouvelle route de la soie chinoise », Nikhil Inamdar, BBC News, 4 octobre 2023.

[2] « International North-South Transport Corridor (INSTC) », Piyush Shukla, Adda247, 2 août 2022.

[3] « David’s Corridor : The Hidden Axis Behind Israel’s Expansion into Syria and Iraq », Times Headline, 18 juillet 2025.

[4] «La région kurde du Rojava, dans le nord de la Syrie, face à un avenir incertain », Christopher Phillips, Majalla, 28 mars 2023.

[5] «50 jours passionnants à venir ! : Kaléidoscope des balkanisations au Moyen-Orient », Alfredo Jalife, YouTube, 15 août 2025.

[6] « Syrie : la dangereuse stratégie israélienne », Éditorial, Le Monde (France), 18 juillet 2025.

[7] « Smotrich : l'avenir d'Israël est de « s'étendre jusqu'à Damas » », Middle East Monitor, 13 octobre 2024.

L'évolution de la pensée de Mackinder dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale

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L'évolution de la pensée de Mackinder dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale

Source: https://pauljpizz.blogspot.com/2015/09/the-evolution-of-m...

En juillet 1943, alors que la Seconde Guerre mondiale battait encore son plein et que son issue était encore incertaine, Sir Halford J. Mackinder publiait dans Foreign Affairs un article intitulé The Round World and the Winning of the Peace.

Son objectif principal était de déterminer si le concept stratégique de « Heartland », déjà exprimé dans les réflexions antérieures de l'auteur géopolitique dans l'article The Geographical Pivot of History (1904) et dans l'essai Democratic Ideals and Reality (1919), avait perdu de sa signification dans le contexte de la guerre moderne, en particulier face à la montée en puissance de l'aviation.  

Mackinder commence sa dissertation en reconstruisant l'ensemble du concept de Heartland afin d'en souligner la pertinence intrinsèque et intemporelle. Il commence par évoquer ses souvenirs d'enfance et ce que la défaite française à Sedan, en 1870, face à l'armée prussienne, avait signifié pour l'opinion publique anglaise. Bien qu'il fût encore un jeune garçon à l'époque, Mackinder se souvient de la profonde inquiétude de l'Angleterre face à la victoire totale de la nouvelle machine de guerre prussienne/allemande contre cette puissance, la France, qui, soixante ans auparavant, avait été stoppée avec difficulté et au prix de nombreux sacrifices à Trafalgar et Waterloo. Pourtant, en 1870, l'importance de cette victoire prussienne n'était pas encore très claire: la Grande-Bretagne ne la comprendrait que lorsque sa suprématie sur les mers serait en jeu. À cette époque, le seul danger que la Grande-Bretagne voyait pour son empire d'outre-mer résidait dans les positions acquises par la Russie impériale en Asie. En effet, la puissance maritime britannique d'un côté et la puissance terrestre russe de l'autre occupaient le centre de la scène internationale.

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Cependant, la situation changea lorsque, au tournant du 20ème siècle, le nouvel empire allemand commença à construire une flotte de haute mer: cet événement soudain pouvait véritablement remettre en cause la suprématie britannique sur les océans. Cela signifiait également que la nation allemande, qui possédait déjà le plus grand territoire organisé et occupait une position stratégique centrale en Europe, était sur le point de se doter d'une puissance maritime suffisamment forte pour neutraliser celle de la Grande-Bretagne. De plus, à cette époque, les États-Unis d'Amérique étaient également en train de s'élever pour devenir l'une des grandes puissances mondiales. En d'autres termes, l'Allemagne et les États-Unis se hissaient rapidement aux côtés de la Grande-Bretagne et de la Russie sur la scène animée par les grands empires.

À ce stade, Mackinder examine les événements qui ont donné naissance à l'idée du Heartland. Il y en a deux : 1) la guerre anglo-boer (1899-1902) et 2) la guerre russo-japonaise (1904-1905). En effet, le contraste entre les guerres menées par les Britanniques contre les Boers en Afrique du Sud et la guerre menée par la Russie en Mandchourie à travers l'Asie suggérait naturellement un parallèle entre l'Europe occidentale, qui avait contourné le cap de Bonne-Espérance grâce à Vasco de Gama pour se rendre aux Indes, et l'Europe orientale, qui avait traversé l'Oural avec Yermak le Cosaque pour se répandre en Sibérie. Cette comparaison a conduit à son tour à un examen des longues séries de raids menés par les peuples nomades touraniens d'Asie centrale, tout au long de l'Antiquité classique et du Moyen Âge, contre les populations sédentaires du Croissant marginal des sous-continents eurasiens : l'Europe, le Moyen-Orient, les Indes et la Chine proprement dite (voir le Geographical Pivot of History pour un résumé exhaustif). En conséquence, Mackinder déclara en 1904 :

« Au cours de la décennie actuelle [1900-1910], nous sommes pour la première fois en mesure de tenter, avec un certain degré d'exhaustivité, d'établir une corrélation entre les grandes généralisations géographiques et les grandes généralisations historiques. Pour la première fois, nous pouvons percevoir quelque chose de la proportion réelle des caractéristiques et des événements sur la scène mondiale et rechercher une formule qui exprime certains aspects, en tout cas, de la causalité géographique dans l'histoire universelle. Si nous avons de la chance, cette formule devrait avoir une valeur pratique en mettant en perspective certaines des forces concurrentes de la politique internationale actuelle ».

En effet, le mot « Heartland » apparaît pour la première fois dans la pensée de Mackinder en 1904, bien qu'à l'époque, le sens du terme était plus descriptif que technique. L'auteur préférait exposer ses théories géopolitiques en utilisant d'autres expressions telles que « Pivot Area » (zone pivot) ou « Pivot State » (État pivot) pour décrire ce qui allait devenir plus tard le Heartland. Comme certains s'en souviennent peut-être, dans son ouvrage intitulé Geographical Pivot of History, Mackinder avait introduit la question de l'importance stratégique de la zone pivot du monde en ces termes :

« Le renversement de l'équilibre des pouvoirs en faveur de l'État pivot, entraînant son expansion sur les terres marginales de l'Eurasie, permettrait d'utiliser les vastes ressources continentales pour construire une flotte, et l'empire mondial serait alors à portée de main. Cela pourrait se produire si l'Allemagne s'alliait à la Russie. En conclusion, il convient de souligner expressément que le remplacement du contrôle de la Russie par un nouveau contrôle de la zone intérieure ne tendrait pas à réduire l'importance géographique de la position pivot. Si les Chinois, par exemple, organisés par les Japonais, renversaient l'Empire russe et conquéraient son territoire, ils pourraient constituer un péril jaune pour la liberté du monde, simplement parce qu'ils ajouteraient un front océanique aux ressources du grand continent [l'Eurasie] » (c'est nous qui soulignons).

Comme on peut le voir, tout est une question d'hégémonie mondiale, car la puissance qui contrôle le Heartland serait en mesure de régner sur le reste du monde, en particulier lorsqu'elle est adjacente à une puissance maritime rayonnant depuis le croissant marginal vers la puissance terrestre intérieure du Heartland lui-même.

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Plus tard, en 1919, à la fin de la Première Guerre mondiale, Mackinder reformule ses théories dans son célèbre essai Democratic Ideals and Reality. À cette époque, le terme « pivot » n'était plus adapté à la situation internationale telle qu'elle était ressortie des événements de cette première crise mondiale commune et de la guerre. L'idée même de « région pivot » a donc évolué de manière plus subtile et plus complexe, ne se limitant plus à la description d'une réalité géographique, pour devenir les concepts d'« idéaux », de « réalités » et, surtout, de « Heartland ». Néanmoins, ce qu'il faut surtout souligner, c'est que la thèse de 1904, bien qu'elle ait modifié l'idée principale du sujet évoqué, restait parfaitement valable, aux yeux de Mackinder, pour la situation internationale mondiale de 1919. Les termes « zone pivot » et « cœur du continent » étaient utilisés pour décrire une réalité immuable: celle de l'hégémonie suprême de la puissance qui contrôlerait la zone en question.

Tout en décrivant une nouvelle fois l'étendue du Heartland, Mackinder en délimite les frontières en précisant qu'il comprend la partie nord et l'intérieur de l'Eurasie, et qu'il s'étend de la côte arctique jusqu'aux déserts centraux, avec pour limites occidentales le large isthme qui sépare la mer Baltique de la mer Noire. Le géographe britannique ne cache pas que le concept même de cette zone ne peut faire l'objet d'une définition géographique précise sur une carte, mais il ajoute qu'elle comprend trois caractéristiques physico-géographiques évidentes :

1) Cette région abrite de loin la plus vaste plaine du globe.

2) Des fleuves navigables traversent cette vaste plaine, dont certains se dirigent vers le nord, vers la mer Arctique, et sont inaccessibles depuis les océans en raison de la glaciation de cette mer, tandis que d'autres se jettent dans des eaux intérieures telles que la mer Caspienne, sans issue vers l'océan.

3) Il existe une zone de prairies qui, jusqu'au milieu du 19ème siècle, offrait les conditions idéales pour le développement d'une grande mobilité des nomades chameliers et cavaliers.

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La région pivot (1904) et le cœur du continent (1919)

En 1943, lorsque Mackinder présente son article The Round World and the Winning of the Peace, il peut désormais affirmer avec certitude que le territoire de l'Union soviétique correspond à celui du cœur du continent. Il estime toutefois que cette affirmation est vraie sauf dans une direction: la région autour du fleuve sibérien Lena, qu'il appelle Lenaland : selon lui, cette vaste région n'est pas incluse dans le Heartland russe. Le Heartland russe se trouve plutôt à l'ouest du fleuve Ienisseï.

L'idée d'un Heartland entièrement englobé dans l'Union soviétique soulève des préoccupations stratégiques pour l'alliance des États du Pacte de Varsovie qui succède à l'URSS, qui a permis à cette dernière, puissance presque entièrement située dans le Heartland, d'acquérir les caractéristiques d'une puissance maritime en annexant des portions des terres situées sur le Croissant marginal, confirmant ainsi l'affirmation de Mackinder selon laquelle le souverain de l'Europe orientale est le souverain du Heartland et, par conséquent, de l'Île mondiale.

Pour bien comprendre la valeur stratégique du Heartland russe, ou plutôt soviétique, Mackinder compare cette région à la France. Selon lui, la France dispose d'un espace suffisant pour assurer sa défense en profondeur et sa retraite stratégique et, à l'exception de ses frontières nord-est, elle est entourée de frontières naturelles: les mers, les Alpes et les Pyrénées. De même, la Russie reproduit le modèle de la France, mais à plus grande échelle: à l'arrière se trouve la vaste plaine du Heartland, utile pour la défense en profondeur et la retraite stratégique; plus loin, cette plaine s'enfonce vers l'est dans les remparts naturels des côtes inaccessibles de l'Arctique, la région sauvage du Lenaland derrière le Iénisséi et la frange montagneuse qui s'étend de l'Altaï à l'Hindu Kush, adossée aux déserts de Gobi, du Tibet et d'Iran. En effet, ces barrières naturelles, qu'il cite, possèdent une telle ampleur et une telle substance qu'elles dépassent de loin, en valeur défensive, les côtes et les montagnes qui entourent la France. Il est vrai, note Mackinder, qu'aujourd'hui les brise-glaces peuvent transformer la mer Arctique en une voie navigable, mais il est également vrai que, malgré cela, il est peu réaliste d'envisager une invasion terrestre complète à partir de là.

Deux ans avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, Mackinder prédisait que si l'URSS avait conquis l'Allemagne, elle serait devenue la plus grande puissance terrestre du monde, ainsi que la puissance occupant la position défensive la plus forte sur le plan stratégique, en contrôlant entièrement le Heartland, qui est la plus grande forteresse naturelle de la planète, la citadelle de la puissance terrestre sur le plus grand continent du monde, l'Eurasie. Ce que l'auteur avait prévu allait devenir encore plus réaliste après la division de l'Allemagne en deux républiques et la création du système d'alliances du Pacte de Varsovie.

À ce stade, Mackinder introduit l'idée de créer après la guerre, en cas de victoire des Alliés, un nouvel ordre mondial fondé sur une coopération entre les puissances maritimes occidentales et la puissance terrestre soviétique afin d'encercler l'Allemagne et de la contraindre à combattre continuellement sur deux fronts. Dans l'intérêt de la paix future, le géographe affirmait que les Allemands devaient prendre conscience que toute nouvelle guerre menée par l'Allemagne serait contre deux fronts inébranlables: la puissance terrestre à l'est dans le Heartland et la puissance maritime à l'ouest dans le bassin de l'Atlantique Nord.

En ce qui concerne l'alliance occidentale, Mackinder a réparti les rôles des démocraties maritimes dans le cadre d'un concept stratégique très précis. Il estimait que, au sein de la communauté occidentale des puissances maritimes, les États-Unis et le Canada représenteraient la zone utile pour une retraite stratégique ou une défense en profondeur, la Grande-Bretagne une sorte de forteresse avancée entourée de douves, à l'image d'une île de Malte à plus grande échelle, et la France la tête de pont défendable sur le continent. Nous reviendrons sur ces concepts plus tard.

En grand stratège qu'il était, Mackinder estimait que « la puissance maritime doit en dernier ressort être amphibie si elle veut contrebalancer la puissance terrestre », et cette affirmation révèle le rôle stratégique très important que la France peut jouer. Il pensait également que les trois (quatre avec le Canada) puissances occidentales devaient coopérer avec la Russie pour éviter un nouveau réveil allemand à l'avenir.

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Cependant, à cette époque, Mackinder ne peut ignorer la pertinence de la puissance aérienne en tant que facteur perturbateur de son schéma théorique de la puissance terrestre et de la puissance maritime. Bien que pleinement conscient des changements potentiels dans les questions géostratégiques induits par la mobilité rapide et omniprésente de la puissance aérienne, il reste convaincu que, malgré la guerre aérienne, la pertinence du Heartland et des autres éléments de sa théorie reste inchangée.

À ce stade, Mackinder introduit une description géographique extrêmement importante, inédite dans ses écrits précédents, celle de la « ceinture géographique mondiale ». Cette ceinture peut être considérée comme une nouvelle interprétation géographique de la carte du monde selon Mackinder, et elle est, selon nous, l'évolution logique de la carte interprétative précédente basée sur les concepts d'île-monde, de croissant marginal et de Heartland (voir à nouveau The Geographical Pivot of History). De plus, l'idée d'une ceinture géographique mondiale ne peut être pleinement comprise qu'avec l'avènement de la puissance aérienne et du système international qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, avec un nouveau rôle fondamental des États-Unis d'Amérique et de l'océan Atlantique Nord.

Selon Mackinder, une ceinture s'étend autour des régions polaires nordiques: elle commence par le désert du Sahara, se poursuit avec les déserts d'Arabie, d'Iran, du Tibet et de Mongolie, puis s'étend dans les régions sauvages de la région de la Léna (« Lenaland »), de l'Alaska et du bouclier laurentien du Canada jusqu'à la ceinture subaride de l'ouest des États-Unis. Cette ceinture de déserts, de terres incultes et de régions sauvages est une caractéristique de première importance dans la géographie mondiale: elle renferme deux éléments connexes d'une importance presque égale:

1) Le Heartland, qui est situé dans une ceinture de larges défenses naturelles: la mer polaire recouverte de glace, le Lenaland boisé et accidenté, et le plateau montagneux et aride de l'Asie centrale. La ceinture du Heartland est néanmoins incomplète en raison de la porte ouverte qui mène de la péninsule européenne à la plaine intérieure par le large isthme qui sépare la mer Baltique de la mer Noire.

2) Le bassin de l'océan central (c'est-à-dire l'Atlantique Nord) avec ses quatre mers secondaires: la Méditerranée, la Baltique, l'Arctique et les Caraïbes.

À l'extérieur de la ceinture se trouve le Grand Océan, qui comprend le Pacifique, l'océan Indien et l'Atlantique Sud, ainsi que les terres qui s'y déversent : les terres asiatiques soumises à la mousson, l'Océanie, l'Amérique du Sud et l'Afrique au sud du Sahara.

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La nouvelle division géographique du monde selon Mackinder (1943)

Après avoir donné naissance à cette subdivision totalement nouvelle de la carte du monde, Mackinder termine son article en examinant deux autres éléments: le nouveau rôle de l'Allemagne dans le système international et le concept géographique de l'océan Midland. En ce qui concerne l'Allemagne, cette nation devrait être dissuadée à l'avenir de mener de nouvelles guerres en raison de la nouvelle menace que représente la possibilité permanente d'un affrontement sur deux fronts contre les nations amphibies que sont l'Amérique, la Grande-Bretagne et la France d'une part, et la puissance terrestre de l'URSS d'autre part.

Quant à l'« océan central », cette expression ne désigne rien d'autre que l'océan Atlantique Nord lui-même, qui revêt un intérêt stratégique fondamental depuis la Seconde Guerre mondiale. L'océan central comprend certaines mers et bassins fluviaux dépendants et devrait être contrôlé par les puissances amphibies, chacune ayant un rôle stratégique propre, dont nous avons déjà parlé précédemment :

1) La France serait la tête de pont de la communauté des puissances maritimes de l'Atlantique Nord sur le continent.

2) La Grande-Bretagne serait une sorte de bastion avancé fortifié par des douves.

3) Les États-Unis et le Canada représenteraient la réserve territoriale de main-d'œuvre et l'approvisionnement en produits agricoles et industriels.

Dans ce cadre de l'après-Seconde Guerre mondiale, Mackinder estime que la Chine et l'Inde devraient jouer le rôle de contrepoids aux autres puissances et jouer un rôle central dans le développement des populations de l'hémisphère sud.

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L'océan central

En bref, ce que Mackinder souhaite véritablement pour la paix mondiale future, c'est l'idée d'un équilibre entre les puissances mondiales, afin de libérer les peuples du monde. Nous pouvons affirmer sans aucun doute que la pensée politique et sociale de Mackinder descend directement de la notion historique britannique d'« équilibre des pouvoirs ».  

Références :

H. J. Mackinder, "The Round World and the Winning of Peace", Foreign Affairs, juillet 1943.

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vendredi, 15 août 2025

La Turquie défie la Grèce et Chypre en bloquant des projets clés en Méditerranée orientale

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La Turquie défie la Grèce et Chypre en bloquant des projets clés en Méditerranée orientale

Par Tasos Kokkinidis

Source: https://www.defenddemocracy.press/turkey-challenges-greec...

La Turquie intensifie ses efforts pour faire obstacle à des projets d'infrastructure clés impliquant la Grèce et Chypre en Méditerranée orientale, notamment le Great Sea Interconnector (GSI) et l'East to Med Data Corridor (EMC). Ankara tire parti de sa revendication sur le « plateau continental turc » pour créer des obstacles géopolitiques qui compromettent la viabilité des projets et entraînent des retards importants.

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Les projets GSI et EMC créent un nouvel axe de connectivité reliant la Grèce, Chypre, Israël et l'Arabie saoudite à l'Europe. La Turquie considère ces initiatives comme une tentative de la contourner et de réduire son influence régionale.

La semaine dernière, Ankara a suspendu les travaux d'étude pour l'EMC. Des sources turques proches de la défense ont confirmé que le navire de recherche battant pavillon de Gibraltar, le Fugro Gauss, avait été intercepté pour avoir opéré sans autorisation dans des eaux que Ankara revendique comme faisant partie de son plateau continental. Le navire effectuait des études pour l'EMC, un projet de câble à fibre optique reliant Israël à la France via Chypre et la Grèce.

La rhétorique et les tactiques de la Turquie sont calquées sur celles utilisées contre le GSI. La Turquie s'est opposée à plusieurs reprises à ce projet, des sources du ministère turc de la Défense qualifiant les activités prévues de « provocatrices » et accusant la Grèce et Chypre de les poursuivre sans le consentement de la Turquie. Ces sources ont ajouté que ces efforts, motivés par ce qu'elles ont qualifié d'« ambitions maximalistes », sont mal conçus et ne disposent pas des ressources nécessaires.

Cela démontre une stratégie cohérente visant à entraver toute infrastructure qui contourne la Turquie, qu'il s'agisse d'énergie ou de télécommunications. La participation d'un consortium dirigé par Saudi Telecom et la Public Power Corporation (PPC) grecque souligne la volonté de la Turquie de faire pression sur les pays tiers qui collaborent avec la Grèce et Chypre.

Les actions de la Turquie s'inscrivent dans le cadre d'une doctrine plus large, celle de la « patrie bleue » (Mavi Vatan), une politique maritime qui revendique de vastes zones de la Méditerranée orientale. En émettant des contre-avis NAVTEX et en déployant des forces navales et aériennes, la Turquie vise à empêcher les études des fonds marins et la construction de projets qui ne l'incluent pas ou ne lui profitent pas.

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La Turquie n'est pas signataire de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), qui définit les modalités de délimitation des zones économiques exclusives (ZEE). Elle soutient que des îles telles que la Crète, Kasos et Karpathos n'ont pas droit à un plateau continental complet, contestant la ligne médiane entre ces îles grecques et le continent anatolien.

En créant de l'instabilité et de l'incertitude, Ankara cherche à faire pression sur ces pays et les acteurs internationaux pour qu'ils l'incluent dans leurs futurs projets ou négociations, se positionnant ainsi comme un acteur régional clé.

Le GSI : la Turquie harcèle la Grèce et Chypre

Le GSI est un projet ambitieux visant à créer un câble électrique sous-marin reliant les réseaux électriques de la Grèce (via la Crète), de Chypre et d'Israël. Il est considéré comme un projet d'intérêt commun (PIC) par l'Union européenne, qui a fourni un financement substantiel (environ 657 millions d'euros) pour mettre fin à l'isolement énergétique de Chypre et de la Crète.

La première phase du projet, qui relie la Crète et Chypre, a démarré, et la fabrication de certains câbles est en cours par la société française Nexans. Cependant, les tensions géopolitiques ont entraîné le gel des études depuis juillet 2024. Le harcèlement naval des navires de recherche par la Turquie est l'une des principales raisons du gel des études des fonds marins.

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Le gouvernement chypriote et son autorité de régulation de l'énergie, la CERA, ont hésité à accorder les autorisations financières et réglementaires nécessaires, invoquant les risques géopolitiques et une charge potentielle pour les consommateurs. Cela a été une source de tension avec la Grèce et l'UE.

Le fabricant de câbles Nexans s'est déclaré prêt à réaffecter ses ressources et les câbles fabriqués à d'autres projets si le GSI continue à faire face à des retards et à des incertitudes. Cette déclaration, bien que formulée avec prudence, témoigne de la patience limitée de l'entreprise et fait pression sur les parties prenantes pour qu'elles résolvent les problèmes.

La Grèce a fermement déclaré que le projet allait se poursuivre, mais a gardé secret le calendrier de reprise des opérations de recherche sous la pression croissante de la Turquie.

Le ministre grec des Affaires étrangères, George Gerapetritis, a reconnu l'incertitude qui entoure le calendrier de reprise des recherches, déclarant lors du Forum de Delphes au début de l'année : « Les recherches et la pose des câbles reprendront au moment opportun. Il n'y a jamais eu de date fixe pour cela. Nous procéderons comme nécessaire, lorsque le moment sera venu. »

mercredi, 13 août 2025

L'Asie centrale, un point névralgique vulnérable dans la Grande Eurasie

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L'Asie centrale, un point névralgique vulnérable dans la Grande Eurasie

Par Glenn Diesen

Source: https://steigan.no/2025/08/sentral-asia-som-et-sarbart-kn...

L'Asie centrale est un carrefour éminemment central au cœur géographique du partenariat eurasien et constitue un maillon fragile en raison de la relative faiblesse de ses pays, de la concurrence pour l'accès aux ressources naturelles, de la faiblesse des institutions politiques, de l'autoritarisme, de la corruption, des tensions religieuses et ethniques, entre autres problèmes.

Ces faiblesses peuvent être exploitées par des puissances étrangères dans le cadre de la rivalité entre grandes puissances géopolitiquement centrées sur la Grande Eurasie. L'Asie centrale est vulnérable à la fois à la rivalité «interne» au sein du partenariat eurasien pour éventuellement obtenir un format plus favorable et au sabotage «externe» de ceux qui cherchent à saper l'intégration régionale afin de rétablir l'hégémonie américaine. Cet article esquisse les facteurs externes et internes qui pourraient permettre de manipuler l'Asie centrale.

Ingérence externe : maintenir l'Eurasie divisée

Les puissances maritimes européennes ont acquis leur domination dès le début du 16ème siècle en reliant physiquement le monde à la périphérie maritime de l'Eurasie, comblant ainsi le vide laissé par la dissolution de l'ancienne Route de la Soie. L'expansion de l'empire russe à travers l'Asie centrale au 19ème siècle, soutenue par le développement des chemins de fer, a relancé les liens qui avaient existé aux temps de l'ancienne Route de la Soie. Au début du 20ème siècle, Halford J. Mackinder a développé la théorie du « cœur de l'Eurasie » en réponse au défi que représentait la Russie, qui cherchait à rassembler les régions centrales de l'Eurasie par voie terrestre et menaçait ainsi de saper les fondements stratégiques de la domination britannique en tant que puissance maritime.

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L'Asie centrale est le centre géographique où se rencontrent la Russie, la Chine, l'Inde, l'Iran et d'autres grandes puissances eurasiennes. Afin d'empêcher l'émergence d'une hégémonie eurasienne, l'Asie centrale est désormais devenue un champ de bataille important. Le grand jeu du 19ème siècle s'est largement terminé par la création de l'Afghanistan en tant qu'État tampon pour séparer l'Empire russe de l'Inde britannique.

À mesure que les États-Unis devenaient la puissance hégémonique maritime, ils ont adopté une stratégie visant à empêcher l'émergence d'une puissance hégémonique eurasienne et la coopération entre les puissances eurasiennes. Kissinger a fait valoir que les États-Unis devaient donc adopter la politique de leur prédécesseur, la Grande-Bretagne:

81IcoIaiR5L._SL1500_-1476612391.jpg« Pendant trois siècles, les dirigeants britanniques ont agi en partant du principe que si les ressources de l'Europe étaient gérées par une seule puissance dominante, ce pays aurait les moyens de contester le contrôle de la Grande-Bretagne sur les mers et, par conséquent, de menacer son indépendance. D'un point de vue géopolitique, les États-Unis, également une île au large des côtes de l'Eurasie, auraient dû, selon le même raisonnement, se sentir obligés de s'opposer à la domination de l'Europe ou de l'Asie par une seule puissance, et plus encore, au contrôle des deux continents par la même puissance ». (Kissinger, H., Diplomacy, New York, Touchstone, 1994, p. 50-51.)

La stratégie visant à empêcher l'émergence de l'Union soviétique en tant qu'hégémon eurasien a dicté la politique américaine tout au long de la guerre froide. La Russie et l'Allemagne ont été divisées en Eurasie occidentale, et dans les années 1970, la Chine a été séparée de l'Union soviétique.

La stratégie visant à maintenir la division de l'Eurasie a été expliquée, dans les termes jadis forgés par Mackinder, dans la stratégie de sécurité nationale des États-Unis de 1988: "Les intérêts fondamentaux de la sécurité nationale des États-Unis seraient menacés si un État ou un groupe d'États hostiles venait à dominer le continent eurasien, cette région du globe souvent qualifiée de « cœur du monde»". Nous avons mené deux guerres mondiales pour empêcher que cela ne se produise ». (White House 1988. National Security Strategy of the United States, White House, avril 1988, p. 1.)

Après la guerre froide, la stratégie américaine pour l'Eurasie est passée de la prévention de l'émergence d'une hégémonie eurasienne à la préservation de l'hégémonie américaine. Les États-Unis ont ainsi tenté d'empêcher que l'unipolarité ne soit remplacée par l'émergence d'une Eurasie multipolaire équilibrée. Le système d'alliances, qui repose sur un conflit permanent, est essentiel pour diviser le continent eurasien en alliés dépendants et adversaires encerclés.

Si la paix devait s'établir, le système d'alliances s'effondrerait et les fondements de la stratégie de sécurité par la domination seraient ébranlés. Brzezinski affirmait que la domination en Eurasie dépendait de la capacité des États-Unis à « empêcher la coopération et maintenir la dépendance sécuritaire entre les vassaux, garder les alliés tributaires dociles et protégés, et empêcher les barbares de s'unir ». (Brzezinski, Z., 1997, The Grand Chessboard: American Primacy and its Geopolitical Imperatives, Basic Books, New York, p.40.)

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Moins de deux mois après l'effondrement de l'Union soviétique, les États-Unis ont élaboré la "doctrine Wolfowitz" pour assurer leur primauté mondiale. Le projet de directive sur la planification de la défense américaine (DPG) de février 1992, qui a fait l'objet d'une fuite, rejetait l'internationalisme collectif au profit de l'hégémonie américaine. Le document reconnaissait qu'« il est peu probable qu'un défi conventionnel mondial à la sécurité américaine et occidentale réapparaisse dans le cœur de l'Eurasie dans les années à venir », mais appelait à empêcher l'émergence de rivaux potentiels. Au lieu d'avoir des liens économiques croissants entre de nombreux centres de pouvoir, les États-Unis doivent « tenir suffisamment compte des intérêts des nations industrialisées avancées pour les dissuader de contester notre leadership ou de tenter de renverser l'ordre politique et économique établi ».

Afin de promouvoir et de consolider le moment unipolaire des années 1990, les États-Unis ont développé leur propre concept de « Route de la soie » visant à intégrer l'Asie centrale sous leur leadership et à la couper de la Russie et de la Chine. La secrétaire d'État américaine Hillary Clinton a ainsi donné la priorité à une connexion entre l'Asie centrale et l'Inde :

OIP-4137701444.jpg« Travaillons ensemble pour créer une nouvelle Route de la Soie. Pas une seule route principale comme son homonyme, mais un réseau international et un maillage de relations économiques et de liaisons de transport. Cela signifie construire plusieurs lignes ferroviaires, autoroutes et infrastructures énergétiques, comme le projet de gazoduc qui doit relier le Turkménistan à l'Inde en passant par l'Afghanistan et le Pakistan ». (Clinton, H.R. 2011a. Secretary of State Hillary Rodham Clinton Speaks on India and the United States: A Vision for the 21st Century, 20 juillet 2011.)

L'objectif de la route de la soie américaine n'était pas d'intégrer le continent eurasien; son objectif principal était plutôt de rompre le lien entre l'Asie centrale et la Russie. La route de la soie américaine était en grande partie basée sur les idées de Mackinder et la formule de Brzezinski pour la suprématie mondiale. (Laruelle, M., 2015. The US Silk Road: geopolitical imaginary or the repackaging of strategic interests?, Eurasian Geography and Economics, 56(4): 360-375.)

1687867657120-1607138630.pngL'occupation de l'Afghanistan pendant deux décennies, le gazoduc Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde (TAPI), le corridor énergétique Géorgie-Azerbaïdjan-Asie centrale et d'autres objectifs politiques similaires reposaient sur la conviction que l'Asie centrale ne devait pas devenir un nœud de connexion eurasien. Tout comme l'Ukraine servait de point de connexion vulnérable entre l'Europe et la Russie, susceptible d'être perturbé par les États-Unis, l'Asie centrale représente également un point faible dans le cadre plus large de la Grande Eurasie.

Divisions internes : formats concurrents pour l'intégration eurasienne

La Russie, la Chine, l'Inde, le Kazakhstan, l'Iran, la Corée du Sud et d'autres États ont développé différents formats d'intégration eurasienne afin de diversifier (répartir, étendre, ndlr) leurs liens économiques et de renforcer leurs positions dans le système international. Le système économique international dominé par les États-Unis n'étant manifestement plus viable, l'intégration eurasienne est reconnue comme un moyen de développer un système international multipolaire. L'Asie centrale est au cœur de la plupart des initiatives. Cependant, bon nombre des formats et initiatives d'intégration sont en concurrence.

La Chine est clairement le premier acteur économique en Eurasie, ce qui peut faire craindre des intentions hégémoniques. Des pays comme la Russie semblent accepter que la Chine soit la première économie, mais ne veulent pas accepter la domination chinoise. La différence entre une économie dominante et une économie leader réside dans la concentration du pouvoir, qui peut être atténuée en diversifiant les connexions en Eurasie. Par exemple, le corridor de transport international nord-sud (INSTC) entre la Russie, l'Iran et l'Inde rend l'Eurasie moins centrée sur la Chine.

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La Chine a reconnu les préoccupations liées à la concentration du pouvoir et a tenté de répondre à d'autres initiatives visant à faciliter la multipolarité. Son projet « One Belt, One Road » (OBOR) a été largement rebaptisé « Belt and Road Initiative » (BRI) afin de communiquer une plus grande inclusivité et flexibilité, ce qui suggère qu'il pourrait être harmonisé avec d'autres initiatives. Les efforts visant à harmoniser l'Union économique eurasienne (EAEU) et la BRI sous l'égide de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) ont constitué une autre tentative pour éviter les formats à somme nulle en Asie centrale.

(La somme nulle décrit une situation dans laquelle la somme des pertes et des gains de tous les participants est à tout moment égale à zéro. Les gains et les pertes s'équilibrent. Wikipédia.)

Il est plus facile de gérer la concurrence entre les puissances eurasiennes en Asie centrale que d'empêcher le sabotage des États-Unis en tant qu'acteur extérieur. La stratégie américaine visant à maintenir son hégémonie se traduit par une politique de somme nulle extrême, car toute division ou perturbation en Asie centrale peut servir l'objectif d'une Eurasie dominée par les États-Unis depuis la périphérie maritime. À l'inverse, les puissances eurasiennes tirent profit d'une interconnexion eurasienne accrue. Des États tels que la Russie, la Chine et l'Inde peuvent avoir des initiatives concurrentes, mais aucune des puissances eurasiennes ne peut atteindre ses objectifs sans la coopération des autres. Il existe donc de fortes incitations à trouver des compromis et à harmoniser les intérêts autour d'une Eurasie multipolaire décentralisée.

Cet article a été publié par le Valdai Discussion Club: https://valdaiclub.com/a/highlights/central-asia-as-a-vulnerable-node/

Une source intéressante à suivre est BRICS Today: https://bricstoday.com/

mardi, 05 août 2025

À propos de la multipolarité structurelle

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À propos de la multipolarité structurelle

Leonid Savin

Si l'on examine l'état actuel du système international, on constate sans aucun doute qu'il se trouve dans une phase de transition, où les processus de transformation touchent l'économie, la politique, la géopolitique, les normes juridiques et même les religions. Une période de transition avait déjà été évoquée dans les années 1990, lors de l'effondrement du système bipolaire. Quelles sont les différences fondamentales entre la transition actuelle et la précédente, et vers quoi tend le système ?

Les pays occidentaux parlent aujourd'hui de la nécessité de préserver un certain « ordre fondé sur des règles », dont les origines remontent à la fin de la Seconde Guerre mondiale et à la naissance du modèle économique international de Bretton Woods. Cette position montre clairement que la période de transition précédente ne concernait pas cet ordre occidento-centrique, mais visait à changer les régimes des pays qui s'opposaient ou critiquaient le modèle capitaliste en économie et le libéralisme en politique.

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À l'époque, l'Occident parlait avec enthousiasme de la transition de l'autoritarisme à la démocratie et proposait, ou plutôt imposait, sa vision de l'État et des relations internationales. Dans le même temps, l'Occident, en particulier les États-Unis, soutenait activement les autocraties au Moyen-Orient et dans d'autres régions, à condition qu'elles suivent la politique du consensus de Washington. Cette politique de deux poids deux mesures perdure aujourd'hui, comme en témoigne le soutien apporté par l'Occident à la politique de génocide pur et simple menée par Israël à l'encontre des Palestiniens, parallèlement à ses critiques à l'égard de la Russie qui, depuis 2014, défend les droits des civils en Ukraine, notamment leur droit de s'exprimer dans leur langue maternelle, le russe.

Aujourd'hui, l'Occident collectif dénonce la menace du révisionnisme de la part des pays qui ne partagent pas sa vision des relations internationales, ou plus précisément, qui critiquent la pratique du néocolonialisme et de l'hégémonie culturelle utilisée comme instrument de politique étrangère par les États-Unis et leurs satellites.

product_8345_1.jpgDans le même temps, même aux États-Unis, les responsables politiques ont commencé à parler d'une transition vers le multipolarisme et à élaborer leur nouvelle politique étrangère en fonction de ce paradigme.

Le thème de la multipolarité n'est pas un phénomène récent, même si l'opération militaire spéciale russe a sans aucun doute servi de catalyseur à ce processus. Il existe différentes théories de la multipolarité, certaines mettant l'accent sur des critères spécifiques, d'autres se limitant à des affirmations abstraites. Il est nécessaire de les examiner brièvement pour bien comprendre ces débats, ce qui permettra de clarifier la situation actuelle de crise du système international.

La caractérisation la plus succincte des pôles dans le système politique international a été donnée par le politologue américain Richard Rosenkrants en 1963: « Les systèmes internationaux multipolaires, bipolaires et unipolaires peuvent être distingués comme suit: la multipolarité est un système comportant de nombreux blocs ou acteurs; la bipolarité est un système comportant deux blocs ou acteurs; l'unipolarité nécessite l'existence d'un bloc dirigeant ou dominant ».

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Karl Deutsch (photo) et David Singer considéraient la multipolarité comme un moyen d'inciter les principaux acteurs à coopérer davantage. Ces auteurs affirmaient que le passage d'un système bipolaire à un système multipolaire devrait entraîner une diminution de la fréquence et de l'intensité des conflits, et que le système multipolaire lui-même se caractérisait par une stabilité beaucoup plus grande que le système bipolaire.

51DEFuScgKL._UF1000,1000_QL80_.jpgIl existe également une théorie de la multipolarité nucléaire, dans laquelle les pôles sont les puissances dotées d'armes nucléaires. Cette théorie fait toutefois l'objet d'évaluations divergentes. Kenneth Waltz partait du principe que les États sont des acteurs rationnels, enclins à minimiser les risques. Les puissances nucléaires, lorsqu'elles ont affaire les unes aux autres, se comportent avec une extrême prudence, car elles comprennent que le prix d'un conflit peut être trop élevé. Selon lui, les États dotés d'un faible potentiel nucléaire peuvent appliquer avec succès une stratégie de dissuasion à l'égard de puissances nucléaires beaucoup plus puissantes. Cependant, Stephen Simbala a fait remarquer que « contrairement à l'époque de la guerre froide, un monde multipolaire composé de puissances nucléaires régionales rivales pourrait créer un test de résistance ingérable pour vérifier les hypothèses fondées sur le réalisme ou la dissuasion rationnelle ».

Au milieu des années 80, Frank Weiman a introduit le concept de multipolarité en grappes. Il a noté que « le système de pouvoir est multipolaire lorsque les capacités sont réparties de manière plus uniforme que dans un système bipolaire et lorsque l'hostilité reste élevée... Le système est multipolaire en grappes lorsque les États sont répartis plus uniformément dans l'espace, avec de grandes possibilités pour les intermédiaires et de nombreuses loyautés transversales qui tempèrent l'hostilité... Le pouvoir bipolaire et le pouvoir multipolaire sont des catégories mutuellement exclusives... ».

61ImOQCB-FL._UF1000,1000_QL80_.jpgJohn Mearsheimer a proposé deux modèles de multipolarité. Dans son livre « La tragédie des grandes puissances », il écrit : « Je qualifie de « multipolarité déséquilibrée » la configuration du pouvoir qui suscite le plus de crainte et qui est un système multipolaire comprenant un hégémon potentiel ». Un système multipolaire sans hégémon potentiel est donc une « multipolarité équilibrée » et vise à préserver les asymétries de pouvoir entre ses membres. Par conséquent, la multipolarité équilibrée produit moins de peur que la multipolarité déséquilibrée, mais plus que la bipolarité.

En fait, tous les théoriciens présentés appartiennent à l'école du réalisme ou du néoréalisme dans les relations internationales.

Dans le contexte de la situation internationale actuelle et des changements en cours, on peut conclure que, en l'absence d'une hégémonie mondiale claire des États-Unis, la situation pourrait s'améliorer considérablement, car il y aurait davantage de pôles de puissance. Si la disparition de l'hégémonie de Washington rend automatiquement l'Union européenne plus indépendante et souveraine, on pourra alors parler de quatre pôles, avec la Russie et la Chine. Avec l'Inde, ils seront cinq. Il est encore difficile de dire comment se déroulera l'intégration en Afrique et en Amérique latine, qui pourraient potentiellement devenir des pôles de puissance à l'avenir.

Mais dans quelle mesure cela correspond-il à la réalité ? Quels sont les critères visibles d'une transition vers le multipolarisme ? Par exemple, si tous les pays africains travaillent plus intensément à l'intégration de la région, cela signifie-t-il qu'un pôle sera créé ? Il existe une Union africaine, mais quel est son rôle dans la politique mondiale ? Est-elle équivalente à d'autres associations supranationales ? Peut-on considérer l'ASEAN comme un pôle distinct, compte tenu de la démographie des pays et de la participation des États membres de cette association à l'économie mondiale?

1af56e0199422c7a143ad0a08f77c39e.jpgDans l'ensemble, derrière la création d'un pôle géopolitique mondial, qu'il soit unique ou multiple, se cache une grande puissance qui assume la responsabilité de former une structure spécifique, c'est-à-dire un système de pouvoir unique comprenant des éléments politiques, idéologiques (vision du monde), économiques et militaires (sécurité), qui sont interconnectés par divers accords et formats d'interaction. Dans un ordre mondial bipolaire, ils étaient évidents. Il s'agissait de l'URSS en tant que grande puissance et camp socialiste, avec le Conseil d'assistance économique mutuelle dans le domaine économique, l'Organisation du traité de Varsovie dans le domaine de la défense et de la sécurité, ainsi qu'une idéologie commune du marxisme et de la lutte des classes. De l'autre côté, il y avait les États-Unis et les États capitalistes. Le dollar américain était utilisé comme monnaie de réserve mondiale, dépassant le cadre de la zone de contrôle politique formelle de Washington. L'OTAN était le principal bloc militaire, bien que les États-Unis aient conclu d'autres accords avec des États asiatiques, africains et latino-américains qui ont officialisé la présence militaire américaine dans le monde entier.

Par conséquent, un pôle réellement actif dans les relations internationales n'est pas seulement une puissance nucléaire ou une grande puissance. Par exemple, le Pakistan possède des armes nucléaires, mais cet État n'est pas une grande puissance et ne peut être un pôle selon de nombreux critères et indicateurs.

Un pôle réellement actif dans la géopolitique mondiale est une structure régionale ou transrégionale où une grande puissance peut agir comme principal moteur des processus et centre de réflexion.

FxJXrcyaUAAvZOc.jpgCe n'est pas un hasard si la question de l'unipolarité a été soulevée avant même l'effondrement de l'Union soviétique, car depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et le changement de régime dans les pays d'Europe de l'Est, les processus de désintégration de l'Organisation du Traité de Varsovie, qui était un élément clé de la sécurité en Eurasie, étaient évidents. C'est précisément pour cette raison que Charles Krauthammer a intitulé son article « Le moment unipolaire », rédigé à partir d'une conférence donnée à Washington en septembre 1990. Krauthammer admettait l'émergence d'un multipolarisme, mais, compte tenu de l'opération « Tempête du désert » en Irak, il soulignait la puissance réelle des États-Unis et mettait en garde contre les troubles internes afin de préserver cette position de seule puissance mondiale à l'avenir.

D'ailleurs, Fidel Castro avait soulevé une question similaire. Il avait exprimé cette idée pour la première fois en décembre 1989, soulignant que si certaines tendances très négatives se poursuivaient, le monde passerait de la bipolarité à l'unipolarité sous la domination des États-Unis. Le mur de Berlin était tombé un mois avant sa mise en garde. Et Fidel avait prévu un scénario possible, qui s'est ensuite réalisé.

L'Organisation du Traité de Varsovie a mis fin à sa coopération militaire en février 1991 et a été officiellement dissoute le 1er juillet de la même année. Le Conseil d'assistance économique mutuelle a cessé d'exister le 28 juin 1991.

Et l'Union soviétique a cessé d'exister en décembre 1991. Il convient de noter qu'au début, ce n'est pas l'acteur principal du deuxième pôle qui s'est désintégré, mais ses éléments structurels sous la forme d'un organe chargé de la sécurité et d'un autre lié à l'économie.

cf4776c4b78beda865620c3327a9f8e6.jpgEt rien de similaire n'a encore été créé pour les remplacer. Bien sûr, la Russie est devenue beaucoup plus forte qu'elle ne l'était immédiatement après l'effondrement de l'URSS. À l'initiative de Moscou, l'Organisation du traité de sécurité collective et l'Union économique eurasienne ont été créées, mais leur effet est assez insignifiant par rapport à ce qui existait à l'époque de l'URSS.

Dans le même temps, l'hégémonie du dollar se maintient et la plupart des transactions bancaires dans le monde sont effectuées dans cette devise, même s'il existe une pratique de règlement en monnaie nationale et que la part du yuan chinois augmente progressivement.

Le bloc de l'OTAN s'est considérablement élargi, notamment grâce à l'adhésion d'anciens membres du Pacte de Varsovie. Ses objectifs déclarés dépassent largement les frontières de l'Atlantique Nord, il a mené une intervention militaire en Afrique (Libye) et l'alliance a conclu des accords avec des pays du Moyen-Orient et d'Asie.

Par conséquent, même si l'on parle de l'émergence d'un multipolarisme, en réalité, si l'on considère la situation du point de vue des structures et non des grandes puissances ou des unions supranationales telles que l'UE, il existe toujours un pôle puissant, qui a été établi par les États-Unis. Et malgré les divergences actuelles entre les États-Unis et l'UE, ce modèle perdure. De plus, ce pôle est devenu plus grand et plus influent grâce à l'élargissement de ses éléments structurels.

Malgré ses énormes succès économiques et politiques, la Chine ne peut opposer rien de tel à l'Occident. L'initiative « Belt and Road » n'est pas une nouvelle version du Conseil d'assistance économique mutuelle, mais la mise en œuvre d'une partie de la politique étrangère chinoise. Elle est intrinsèquement centrée sur la Chine. L'Organisation de coopération de Shanghai a également été conçue par Pékin pour servir ses propres intérêts, et la présence en son sein de pays en conflit permanent, comme l'Inde et le Pakistan, montre qu'il n'y a pas de véritable unité d'objectifs.

C'est pourquoi, du point de vue de la multipolarité structurelle, on ne peut que parler d'une certaine renaissance de la bipolarité, où la Russie est l'acteur clé, mais ce pôle fonctionne sous un autre format et a été catalysé par l'opération militaire spéciale en Ukraine.

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Les nouveaux accords conclus par Moscou avec Minsk, Pyongyang et Téhéran ont permis d'établir un niveau particulier de relations entre la Russie et ces États partenaires. Le déploiement d'armes nucléaires en Biélorussie, la participation des troupes nord-coréennes à la guerre en Ukraine et la fourniture d'équipements nécessaires par l'Iran témoignent d'un nouveau modèle de sécurité en gestation en Eurasie. Dans le même temps, l'OTSC et l'UEE fonctionnent parallèlement à ce processus.

Par conséquent, si l'on parle de multipolarité structurelle, celle-ci est en réalité inexistante. Mais elle sera nécessaire pour mettre fin à l'hégémonie unipolaire. Il ne faut donc pas se laisser bercer par les illusions des politiciens occidentaux qui parlent de l'avènement du multipolarisme, à l'instar de Joe Biden naguère. Certes, les États-Unis connaissent actuellement une série de problèmes, mais leurs agents financiers, incarnés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, continuent de travailler activement et de défendre l'hégémonie du dollar. L'OTAN augmente ses dépenses de défense et a récemment accueilli de nouveaux membres, la Suède et la Finlande. Parallèlement, diverses formes de partenariat se mettent en place en dehors de l'Atlantique Nord, par exemple avec la République d'Azerbaïdjan, ce qui témoigne des intérêts mondiaux de l'OTAN. De plus, la Serbie, victime des bombardements de l'OTAN, a également conclu une série d'accords avec cette organisation, ce qui indique clairement le renforcement du contrôle géopolitique de l'OTAN en Europe.

Néanmoins, l'expérience de la Russie peut être appliquée dans d'autres régions, créant ainsi une multipolarité plus tangible. On veut croire que la coopération de Moscou en Afrique et en Amérique latine donnera une impulsion appropriée à cette orientation. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Hugo Chávez a proposé de créer une alliance défensive pour les pays d'Amérique latine, une idée qui a ensuite été reprise par le Brésil sous la forme d'un Conseil de défense des États latino-américains. Mais ce projet n'a jamais vu le jour, car les États-Unis ont parfaitement compris la menace que représenterait pour leurs intérêts la création d'un pôle géopolitique indépendant dans l'Atlantique Sud. Espérons qu'après le règlement des différends et des contradictions entre plusieurs pays de la région, cette idée sera finalement mise en œuvre sous la forme nécessaire à la création d'une structure polaire à part entière, qui constituera une contribution digne de ce nom à la multipolarité qui se dessine actuellement.

samedi, 02 août 2025

La guerre des corridors. Analyse

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« Pont Trump » à Syunik : l'Arménie cède le contrôle d'un corridor clé aux États-Unis pour 99 ans

La guerre des corridors. Analyse

Source: https://geoestrategia.eu/noticia/44900/geoestrategia/puen...

L'Arménie a provisoirement accepté de céder la gestion du corridor de Zanguezour à une entreprise américaine, selon la publication espagnole Periodista Digital.

Ce corridor, long de 42 km, reliera l'Azerbaïdjan au Nakhitchevan, à la Turquie et à l'Asie centrale. Il s'agit en substance d'une nouvelle « route de la soie », mais sous le contrôle de Washington. Il a déjà un nom: «Pont Trump».

Qu'est-ce que cela signifie ?

- La Russie est en train d'être évincée de ses frontières méridionales, contournant l'OTSC et sans gardes-frontières russes.

- Les États-Unis gagnent du terrain dans la région pour la première fois depuis l'époque soviétique, faisant de l'Arménie un bastion.

- L'Iran perd le contrôle du corridor au profit de la Caspienne ; la présence américaine à Zanguezour lui est extrêmement défavorable.

40% des revenus iront à l'entreprise américaine, 30% à l'Arménie et le reste aux infrastructures. Le chiffre d'affaires potentiel s'élève à 100 milliards de dollars par an.

Pashinyan vend le contrôle d'une artère stratégique en échange de la loyauté de l'Occident, mettant ainsi fin aux derniers vestiges de l'influence russe dans la région.

La tension monte en Arménie: l'opposition accuse Pashinyan de « vendre le pays », rappelant que Bakou a menacé à plusieurs reprises d'ouvrir le corridor par la force.

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Selon le plan publié, le corridor de transport de 42 kilomètres de long traversera la région de Syunik, dans le sud de l'Arménie. Officiellement, ce territoire appartiendra à l'Arménie, mais il sera contrôlé par une entreprise américaine sous licence.

Cela permettra aux États-Unis d'effectuer des missions de reconnaissance près des frontières avec l'Iran tout en contrôlant les deux pays. L'Azerbaïdjan bénéficiera d'une connexion terrestre avec sa région autonome du Nakhitchevan et la Turquie.

L'offensive américaine en Azerbaïdjan : une menace directe pour l'Iran et la Russie

Les États-Unis étendent agressivement leur influence en Azerbaïdjan, profitant du corridor de Zanguezour et des partenariats énergétiques pour isoler l'Iran et affaiblir la Russie.

Le revirement de l'Azerbaïdjan — Depuis 2023, la position de Bakou vis-à-vis de Moscou est devenue agressive:

- Arrestation de journalistes russes, annulation des liens culturels avec Moscou.

- Aliyev a publiquement affiché son alignement avec l'Ukraine (par exemple, aide énergétique de 40 millions de dollars, rhétorique pro-Kiev).

- Les services de renseignement russes affirment que les réseaux de la diaspora azerbaïdjanaise ont contribué à la campagne de sabotage, dite « La Toile », menée par l'Ukraine contre des bases militaires.

Menaces de l'Azerbaïdjan contre l'Iran :

- Organisation de pourparlers trilatéraux entre les États-Unis, Israël et l'Azerbaïdjan, axés sur le flanc nord de l'Iran.

- Champ d'essai de drones israéliens (utilisés contre l'Iran pendant la guerre des 12 jours).

- Centre d'opérations de la CIA/Mossad pour la déstabilisation du Caucase.

La tactique adoptée à propos du Zanguezour : les États-Unis veulent un bail de 100 ans.

- La dernière mesure prise par Washington consiste à exiger un bail d'un siècle pour le corridor de Zanguezour en Arménie, une voie de transport cruciale à proximité de l'Iran.

- Le corridor est limitrophe de l'Iran, ce qui en fait une plate-forme idéale pour les opérations de renseignement américaines, les pressions, les sanctions et d'éventuelles provocations futures.

- En obtenant un bail de 100 ans, les États-Unis militariseraient de fait le territoire souverain de l'Arménie, le transformant en une autre base avancée contre Téhéran.

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Pourquoi les États-Unis veulent le corridor de Zangezur :

- Ils veulent rediriger le commerce eurasien via le Zanguezour, en contournant les corridors contrôlés par la Russie.

- Les exportations de pétrole et de gaz de l'Azerbaïdjan vers l'Europe via des oléoducs tels que le BTC et le TANAP constituent une alternative clé à l'énergie russe.

- Ils veulent perturber l'initiative chinoise « Belt and Road » et maintenir l'hégémonie occidentale sur les chaînes d'approvisionnement mondiales.

Guerres énergétiques : l'axe États-Unis-Turquie-Israël contre l'Iran :

- Les accords gaziers de l'Azerbaïdjan avec Israël (par exemple, une participation de 10% dans le champ gazier de Tamar) et les exportations d'énergie vers l'UE (12 milliards de dollars depuis 2021) s'alignent sur les objectifs américains visant à affaiblir la domination énergétique régionale de l'Iran.

- Le corridor du Zanguezour pourrait rediriger 60% du commerce du Caucase iranien vers des routes contrôlées par les États-Unis et la Turquie.

L'Iran en alerte :

- 20 millions d'Azéris ethniques en Iran : les liens de Bakou avec Israël pourraient radicaliser cette minorité agitée, une ligne rouge pour Téhéran.

- Exercices militaires : les exercices Syunik de l'Iran 2021-2025 révèlent les craintes d'un encerclement par l'OTAN/la Turquie.

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L'Azerbaïdjan est-il la « prochaine Ukraine » ?

Les aérodromes d'Azerbaïdjan pourraient être utilisés par l'OTAN pour surveiller et attaquer la Russie, reflétant le rôle dévolu à l'Ukraine avant 2022.

Les bases azerbaïdjanaises ont déjà accueilli des drones israéliens testés près de l'Iran en 2025.

L'alignement de l'Azerbaïdjan sur l'Ukraine et ses provocations anti-russes risquent de dégénérer en un conflit de pouvoir.

L'accord secret de Pashinyan avec les États-Unis: l'Arménie a secrètement accepté de céder le contrôle de la province de Syunik à un corridor soutenu par les États-Unis, appelé « Pont Trump ».

- Une entreprise privée américaine gérera le corridor, ne laissant à l'Arménie que 30% des revenus.

- 1000 soldats PMC américains seront déployés en Arménie.

- L'OTAN encercle ainsi complètement la Russie.

- L'Arménie cède un territoire souverain sans compensation réelle, avec un risque élevé de conflit avec l'Iran et la Russie.

Turquie + Azerbaïdjan + Syrie : une nouvelle Ukraine en gestation — La « zelenskisation » d'Erdogan, Aliyev et Julani est presque achevée

Une convergence volatile de menaces se forme rapidement le long des flancs ouest et nord-ouest de l'Iran, impliquant plusieurs cadres hostiles. D'une part, la sécurité des frontières iraniennes est soumise à une nouvelle offensive des factions séparatistes kurdes telles que le PJAK, avec des attaques meurtrières dans des zones sensibles près de la frontière irakienne. Dans le même temps, l'Azerbaïdjan a intensifié ses activités de reconnaissance près de la frontière iranienne, tout en s'armant et en armant la Turquie avec des armes lourdes, dont une grande partie provient directement d'Israël ou a été détournée d'armes américaines initialement destinées à Tel-Aviv. Ces développements reflètent un axe croissant de militarisation contre l'Iran et le camp de la résistance irakienne, Ankara et Bakou servant de points avancés d'escalade.

Ils se rapprochent maintenant de l'Arménie pour la tromper, afin d'ouvrir le corridor de Zanguezour et de construire un autre axe de menace contre l'Iran.

Au Kurdistan irakien, le complexe sécuritaire américain basé à Erbil serait en train d'organiser des provocations avec des attaques de drones préfabriqués afin de faire porter la responsabilité aux factions de la résistance irakienne. Dans le même temps, la Turquie a lancé une répression politique et religieuse ouverte sous le prétexte d'un « nettoyage islamique » interne, réprimant les militants pro-palestiniens en les accusant et en les désignant comme partisans d'Imamoglu et d'Atatürk afin de masquer la réalité. Erdogan exige également des serments informels d'allégeance aux imams dans les mosquées, craignant une réaction idéologique contre son alignement de plus en plus profond avec la brutalité sioniste à venir.

Pendant ce temps, la pression politique s'intensifie au Liban, où plus de 2000 ressortissants syriens sont toujours emprisonnés, dont beaucoup sans inculpation. La question a désormais dégénéré en un conflit diplomatique, le nouveau gouvernement intérimaire syrien dirigé par Julani menaçant d'intensifier ses mesures contre Beyrouth si les détenus ne sont pas jugés ou renvoyés. Ces prisonniers se divisent en trois grandes catégories: les détenus politiques anciennement opposés à Assad, les suspects liés aux djihadistes, pour la plupart sans procès, et les criminels pris au piège du système judiciaire défaillant du Liban. Julani utilise cette carte pour attaquer politiquement le Liban.

Au-delà de ces développements, un tableau stratégique plus large se dessine: la Turquie, l'Azerbaïdjan et le nord de la Syrie sont en train d'être façonnés pour devenir la prochaine Ukraine, non pas pour viser l'Europe, mais comme une zone tampon avancée destinée à affaiblir l'Iran, l'Irak et l'Axe de la Résistance. La « zelenskisation » de Julani est déjà en marche. La militarisation d'Aliyev est achevée, et Erdogan est en pleine transformation finale, qui n'est pas encore terminée, mais qui s'effondre déjà publiquement. Ce qui va se passer ensuite ne sera pas un conflit par procuration. Ce sera le débordement d'années où se sont accumulés des points de tension qui se chevauchent, alimentés par les mêmes forces mondiales qui tentent de déstabiliser les derniers bastions de résistance en Asie occidentale. Ils peuvent se répartir les rôles par région : Julani pour semer la terreur au Liban, l'Azerbaïdjan contre l'Iran et la Turquie contre l'Irak.

Cependant, la classe aveuglée, creuse et bruyante qui s'impose partout dans le monde continuera à chanter l'avènement d'un califat ou tout ce qu'elle prie aveuglément. Vous comprendrez alors pourquoi l'Azerbaïdjan provoque la Russie aujourd'hui, non pas parce qu'il veut un conflit, mais parce que l'Europe ne soutiendra Bakou que si les alliés régionaux de l'Iran sont neutralisés. Les Américains utilisent les Européens pour déclencher une nouvelle Ukraine contre l'Iran, et les mêmes discussions de la troïka s'effondreront comme l'ont fait le dialogue d'Oman, et soudainement, le jeu commencera et Pezeshkian et son ministre Aragchi cacheront leur tête dans le sable comme des autruches...

L'Iran assiégé : la menace du triangle soutenu par les États-Unis

L'axe Bakou-Tel Aviv-Ankara resserre son emprise, encerclant l'Iran avec du pétrole, des armes et de l'espionnage. Mais la patience stratégique de Téhéran cache des dangers croissants.

Menaces clés

Les bases azerbaïdjanaises du Mossad surveillent l'Iran depuis les années 90

Accords pétrole contre armes: l'Azerbaïdjan alimente la machine de guerre israélienne en échange de drones d'attaque (utilisés contre l'Arménie)

Le corridor de Zanguezour menace de couper la liaison entre l'Iran et l'Arménie

Le corridor de Zanguezour

Une route terrestre stratégique traversant la province de Syunik en Arménie qui:

- Relie l'Azerbaïdjan à son enclave du Nakhitchevan.

- Contourne l'Iran, créant un accès direct de la Turquie à l'Asie centrale.

Réponse calculée de l'Iran

Malgré le rôle de l'Azerbaïdjan dans les attaques israéliennes, Téhéran évite l'escalade - pour l'instant. Mais les avertissements du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) se font plus pressants :

- 15 millions d'Azerbaïdjanais ethniques en Iran rendent la situation explosive.

- Les lacunes pétrolières de la Turquie révèlent son hypocrisie à Gaza.

- Les « accords d'Abraham 2.0 » favorisent la trahison régionale.

Point de rupture ?

L'axe de la résistance tient bon, mais, pour le soutenir, l'Iran a des limites. Si la pression s'intensifie, l'Iran n'aura d'autre choix que de riposter.

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Analyse : Le corridor de Zangezur et le nouvel ordre géopolitique dans le Caucase du Sud

Koldo Díaz

L'accord controversé qui pourrait céder le contrôle du corridor de Zanguezour aux États-Unis, comme l'a révélé The Cradle, soulève une série d'implications géopolitiques de grande envergure, reconfigurant l'équilibre des pouvoirs dans le Caucase du Sud et au-delà. Cette analyse examine les avantages et les inconvénients pour plusieurs acteurs clés, en soulignant comment ce corridor pourrait devenir un point de basculement dans la région.

Cependant, il faut comprendre que cet accord est un protocole d'accord, c'est-à-dire qu'il ne s'agit ni d'un accord, ni d'un traité, ni d'une convention. Il s'agit plutôt d'une déclaration d'intention qui ne crée aucune obligation juridique.

Les protocoles d'accord ont généralement pour fonction de tâter le terrain ou d'établir des relations qui n'ont pas le caractère contraignant d'un traité, c'est-à-dire qu'ils s'apparentent à un pré-accord dont la fonction est de faire connaître une idée ou un projet, mais sans le niveau d'exigence, le protocole et le caractère contraignant d'un accord international. En fait, ils servent de préliminaire à celui-ci.

En outre, l'Azerbaïdjan est engagé dans une guerre diplomatique claire et ouverte contre l'Iran en apportant son soutien à Israël dans la guerre contre la République islamique d'Iran et contre la Fédération de Russie à la suite du démantèlement des mafias azéries sur son territoire, qui a poussé l'Azerbaïdjan à lancer une campagne absurde et disproportionnée contre Moscou.

La Turquie : le grand bénéficiaire

La Turquie apparaît comme l'un des principaux bénéficiaires de cet accord. La connexion Turquie-Nakhitchevan-Zanguezour-Azerbaïdjan-Caspienne-Asie centrale représente une ambition de longue date d'Ankara.

En effet, ce corridor est tout aussi important pour la Turquie que le fait d'avoir placé ses djihadistes d'Idlib au pouvoir en Syrie. Pour la Turquie, il s'agit désormais d'une réédition des guerres ottomanes contre les safavides perses pour le contrôle de l'Euphrate (qui est déjà sous contrôle turc) et de la Transcaucasie (également). La prochaine étape pour la Turquie sera Bagdad, Erdogan voulant imiter Murad IV Bagdad Fatihi. Ce corridor consoliderait non seulement son influence dans le monde turc, mais lui apporterait également :

- Un accès direct à l'Asie centrale : en éliminant la dépendance vis-à-vis de pays tiers pour le transit des marchandises et de l'énergie.

- Un hub énergétique : en renforçant sa position en tant que centre clé pour le transport des ressources énergétiques de la région caspienne vers l'Europe, réduisant ainsi la dépendance européenne vis-à-vis de la Russie.

- Approfondissement de l'alliance avec l'Azerbaïdjan: en renforçant ses relations stratégiques et militaires avec Bakou, projetant ainsi sa puissance dans le Caucase du Sud.

États-Unis : stratégie d'endiguement et présence renforcée

La présence des États-Unis dans le corridor de Zanguezour, par l'intermédiaire d'une société militaire privée (PMC), a des implications stratégiques importantes:

- Endiguement de l'Iran: établir un point d'appui militaire à la frontière iranienne, permettant une plus grande capacité de surveillance et potentiellement d'influence dans la région.

- Projection de puissance dans la Caspienne : assurer une présence dans une région riche en ressources énergétiques et stratégique pour la concurrence avec la Russie et la Chine.

- Soutien à ses alliés : Renforcer la sécurité de l'Azerbaïdjan et, par extension, de la Turquie, deux alliés clés dans la région.

Israël, consolidation de son pouvoir et de son influence contre l'Iran

L'alliance entre Israël et l'Azerbaïdjan, fondée sur la coopération en matière de sécurité, d'énergie et de technologie, serait renforcée par le corridor de Zanguezour. Ce corridor garantirait non seulement l'approvisionnement énergétique d'Israël via l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, mais aussi:

- Élargirait la portée de son influence: en fournissant une plate-forme pour projeter sa puissance dans le Caucase du Sud et vers l'Asie centrale.

- Permettrait de contrer l'influence iranienne : dans une région où l'Iran cherche à étendre son influence, la présence israélienne en Azerbaïdjan sert de contrepoids stratégique.

En effet, avec les accords d'Abraham dans le sud (Bahreïn et Émirats arabes unis), cela ferait géographiquement les pinces à l'Iran.

Les perdants : la France, l'Iran et la Russie

Cet accord porte un coup aux intérêts de la France, de l'Iran et de la Russie dans la région:

Pour la France: perte d'influence en Arménie, traditionnellement alliée, en raison de l'influence croissante des États-Unis et de la Turquie dans la région.

Pour l'Iran: l'établissement d'une présence militaire américaine à sa frontière, menaçant sa sécurité nationale et limitant sa capacité à projeter son influence dans le Caucase du Sud. La connexion directe de la Turquie avec l'Azerbaïdjan via le Nakhitchevan sape l'importance stratégique de l'Iran en tant que voie de transit alternative.

Pour la Russie : la perte d'influence en Arménie serait définitive, car l'accord pousserait Erevan dans l'orbite occidentale. L'accord limiterait sa capacité à servir de médiateur dans le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et son rôle de garant de la sécurité dans la région serait compromis. La présence américaine dans le corridor de Zanguezour remet directement en cause son hégémonie dans le Caucase du Sud.

Conclusion

Le corridor de Zanguezour pourrait marquer un tournant dans la géopolitique du Caucase du Sud. Pour la Turquie, il représente la réalisation d'une ambition de longue date. Pour les États-Unis et Israël, c'est une occasion de projeter leur puissance et de contrer l'influence de l'Iran et de la Russie. Pour la France, l'Iran et la Russie, cet accord représente toutefois un coup porté à leurs intérêts et une reconfiguration de l'équilibre des pouvoirs dans la région. La mise en œuvre et les conséquences à long terme de cet accord seront déterminantes pour l'avenir du Caucase du Sud.

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Routes commerciales à travers l'Afghanistan: projets clés

Le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Pakistan, Ishaq Dar, arrive à Kaboul pour la signature de l'accord-cadre sur l'étude de faisabilité conjointe du projet ferroviaire Ouzbékistan-Afghanistan-Pakistan (UAP).

Selon les autorités, la réunion réunira les autorités ferroviaires des trois pays et l'accord-cadre trilatéral pour le chemin de fer UAP sera officiellement signé.

Le ministère pakistanais des Affaires étrangères a également déclaré que le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Ishaq Dar, accompagné d'une délégation de haut niveau, rencontrera des responsables ferroviaires afghans afin de renforcer la coopération.

Le chemin de fer UAP est un projet stratégique qui relie l'Ouzbékistan au Pakistan via l'Afghanistan, dans le but de relier l'Asie centrale aux ports maritimes pakistanais.

La délégation pakistanaise devrait également s'entretenir avec le ministre des Affaires étrangères par intérim de l'Afghanistan, Mawlawi Amir Khan Muttaqi, sur la future collaboration liée au projet.

Le projet ferroviaire Ouzbékistan-Afghanistan-Pakistan (UAP) comprendra des trains de passagers et de marchandises, ce qui facilitera les déplacements entre les trois pays. Ce projet vise à améliorer la connectivité et le commerce régional, avec une ligne ferroviaire conçue pour transporter à la fois des passagers et des marchandises. Le projet est encore en cours d'élaboration, et les efforts se concentrent sur la finalisation du tracé et la résolution de problèmes techniques tels que les différences de largeur des voies.

Le coût du projet est estimé à environ 4 milliards de dollars.

Après la reconnaissance de l'autorité des talibans par la Russie, l'Afghanistan est devenu un maillon essentiel des chaînes logistiques et commerciales en Asie centrale et du Sud.

Principales routes logistiques traversant l'Afghanistan :

- Le corridor transafghan

Longueur : 1200 km. Il relie l'Asie centrale au Pakistan et à l'Inde. Il s'agit d'une route stratégique pour le transport de marchandises, notamment le pétrole et le gaz, du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan vers le Pakistan et l'Inde.

- Le chemin de fer Dosti-Kulm

Reliant l'Afghanistan à l'Ouzbékistan, cette ligne ferroviaire de 75 km a été inaugurée en 2018. Une augmentation du volume de fret de 1 à 3 millions de tonnes par an est prévue.

- Port de Chabahar

Chabahar est un port clé situé sur la côte sud-est de l'Iran, qui donne accès à l'océan Indien.

Le port est activement utilisé pour la livraison de marchandises vers l'Afghanistan et d'autres pays d'Asie centrale.

À partir de 2024, l'Iran et l'Inde investiront 120 millions de dollars dans le développement des infrastructures portuaires.

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- Transports via le Turkménistan

Un nouveau corridor de transport via le Turkménistan vers l'Afghanistan a été inauguré en 2023, permettant la livraison de marchandises depuis la région de la Caspienne vers l'Asie du Sud.

- Le Corridor international de transport nord-sud (INSTC)

L'INSTC est une route commerciale multimodale qui relie l'Inde, l'Iran, la Russie et d'autres pays d'Asie centrale, conçue pour réduire le temps et le coût du transport des marchandises entre les régions.

L'Afghanistan joue un rôle crucial dans ce réseau, car il sert de centre de transit entre l'Iran et l'Asie centrale.

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Les Houthis font sombrer les rêves néocoloniaux européens

The Economist vient de confirmer ce que les Houthis démontrent depuis des mois: la très médiatisée « opération Aspides » de l'Europe s'est soldée par l'arrivée de deux frégates isolées et d'un seul hélicoptère. Lorsque le Magic Seas et l'Eternity C ont été bombardés et coulés, un officier a appelé à l'aide, mais n'a entendu que l'écho :

« Aspides n'avait tout simplement pas de navires dans la zone. »

Bruxelles avait prévu un budget de 17 millions d'euros pour toute l'année, soit environ ce que Washington dépense en café de marque pour un groupe de porte-avions. Le contre-amiral Vasileios Gryparis a averti qu'il faudrait « au moins dix navires » et une couverture aérienne supplémentaire. Bruxelles a haussé les épaules.

Bilan de la marine européenne: trois porte-avions. Celui des États-Unis : onze... mais même cette armada n'a pas réussi à briser le contrôle des Houthis sur les routes maritimes.

Résultat ? Le trafic dans le canal de Suez a chuté de 60%, les primes d'assurance ont grimpé de 0,2-0,3% à 1% de la valeur d'un navire, et les pétroliers brûlent des semaines de carburant plus du carburant supplémentaire en contournant le cap de Bonne-Espérance, tout cela parce qu'un mouvement yéménite armé d'ingéniosité (et de missiles relativement bon marché) continue d'attaquer les navires sionistes.

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L'offre de BlackRock sur les ports se heurte à la puissance maritime de la Chine

Le différend en cours, concernant l'offre de BlackRock visant à acquérir des infrastructures portuaires mondiales clés, concerne un conglomérat basé à Hong Kong et n'est que la partie émergée de l'iceberg d'une tendance mondiale qui montre que les fortunes maritimes du 21ème siècle appartiennent à la Chine.

Une nouvelle carte du WSJ illustre l'énorme puissance portuaire de la Chine en Europe, en Asie du Sud-Est, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Amérique latine, avec une propriété chinoise variant de 25 à 100%.

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Les participations de CK Hutchinson (drapeau en photo, ci-dessus), basé à Hong Kong, et du géant chinois des transports maritimes et de la logistique COSCO en Europe s'étendent de la Grèce, l'Italie et l'Espagne au Benelux, l'Allemagne, le Royaume-Uni et les pays baltes.

Dans les pays en développement, la Chine a contribué à la création d'un tout nouveau réseau d'infrastructures maritimes qui s'intègre à de nouveaux réseaux routiers et ferroviaires.

Le WSJ a rapporté en début de semaine que la Chine avait menacé de bloquer les projets menés par BlackRock et MSC visant à acheter plus de 40 ports appartenant à CK Hutchison, à moins que COSCO ne fasse partie de l'accord.

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Un appel filtré: pourquoi la Thaïlande et le Cambodge ont-ils commencé à se battre?

Koldunova Ekaterina Valerievna

Tôt dans la matinée du 24 juillet, la Thaïlande et le Cambodge ont engagé des combats dans une zone frontalière contestée. Les deux parties ont échangé des tirs et se sont mutuellement accusées d'avoir déclenché le conflit, et des pertes ont été signalées, y compris parmi la population civile. Des informations sur l'affrontement armé entre les deux États bouddhistes, ses causes et les risques pour les touristes sont disponibles dans le matériel de RTVI.

Comment les combats ont-ils commencé ?

L'escalade à la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande a commencé le 24 juillet par des tirs nourris entre les forces terrestres dans plusieurs zones frontalières. Le porte-parole du ministère thaïlandais de la Défense, Surasant Kongsiri, a déclaré que des combats avaient eu lieu à au moins six points frontaliers, selon l'agence AP .

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Selon Reuters , les affrontements ont éclaté près du complexe du temple Ta Moan Thom, un monument de l'empire khmer et objet d'un différend territorial entre la Thaïlande et le Cambodge. Les parties ne se sont pas limitées à l'utilisation d'armes légères : le Cambodge a lancé une attaque dans la zone frontalière de la province de Sisaket avec un missile balistique intercontinental BM-21 Grad, et la Thaïlande a riposté par une attaque aérienne avec des chasseurs F-16.

Les combats ont éclaté après une détérioration significative des relations diplomatiques entre les deux pays. Le 23 juillet, la Thaïlande a rappelé son ambassadeur au Cambodge et expulsé son homologue cambodgien de Bangkok pour protester contre l'explosion d'une mine à la frontière qui a blessé plusieurs soldats thaïlandais. Bangkok a accusé le Cambodge d'avoir placé d'autres engins explosifs, ce que Phnom Penh nie.

Les autorités cambodgiennes ont admis que des militaires thaïlandais avaient marché sur des mines non explosées datant du siècle dernier et ont convenu de réduire mutuellement le niveau de leurs relations diplomatiques en retirant leur personnel de l'ambassade du Cambodge à Bangkok.

Les relations entre les deux pays asiatiques se sont considérablement détériorées en mai, lorsqu'un soldat cambodgien a été tué lors d'un conflit frontalier. Cet incident a déjà provoqué une montée du sentiment nationaliste, souligne The Guardian .

D'où vient ce conflit ?

Le conflit entre la Thaïlande et le Cambodge existe depuis les années 1960 et trouve son origine dans un différend territorial concernant le temple de Preah Vihear et les terres adjacentes, selon Ekaterina Koldunova, directrice du Centre ASEAN à l'IMI et professeure associée au département d'études orientales de l'université MGIMO du ministère russe des Affaires étrangères, qui s'est exprimée sur RTVI. En 1962, la Cour internationale de justice a donné raison au Cambodge, mais de nombreuses forces politiques thaïlandaises contestent cette décision.

À l'époque, les opposants à l'ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra l'avaient accusé, lui et ses protégés, de soutenir le Cambodge, car jusqu'à récemment, le politicien entretenait des liens d'amitié étroits avec le Premier ministre cambodgien Hun Sen (en 2023, il a cédé son poste à son fils Hun Manet). Mme Koldunova a souligné que ce fait avait été utilisé pour attiser les sentiments nationalistes et les conflits politiques internes.

La situation actuelle rappelle en partie l'escalade précédente, a déclaré l'expert. Elle reflète également la division politique interne en Thaïlande, où l'armée est en conflit avec la Première ministre Phetontan Shinawatra, fille de Thaksin. Le 1er juillet, la Cour constitutionnelle thaïlandaise a suspendu ses pouvoirs dans l'attente d'une enquête sur le scandale entourant la fuite de la conversation téléphonique entre Shinawatra et Hun Sen.

 « Lors d'une conversation téléphonique avec Hun Sen, elle a commis l'imprudence d'accuser l'armée d'inciter à un conflit frontalier. La conversation a été rendue publique et des affrontements ont éclaté à la frontière », a résumé Mme Koldunova dans une interview accordée à RTVI.

Le conflit aura-t-il des répercussions sur le tourisme ?

La Thaïlande et le Cambodge sont des destinations touristiques très prisées. Selon les informations communiquées par l'Union russe de l'industrie touristique à RBC, l'escalade du conflit en Asie du Sud-Est n'aura pas d'incidence sur les touristes russes en Thaïlande. « Les touristes russes sont actuellement en parfaite sécurité », a assuré Irina Setun, membre de l'Union russe de l'industrie touristique et directrice générale du voyagiste Satmarket, suite à la publication.

L'Association des voyagistes russes a informé TASS que les centres touristiques de Thaïlande sont situés loin du territoire où se déroulent les combats et qu'il n'y a pas d'afflux massif de touristes vers le Cambodge. « Les excursions transfrontalières sont suspendues depuis longtemps », a déclaré l'agence dans un communiqué.

Le projet de chemin de fer Kunming-Singapour, inscrit dans le cadre de la Belt and Road Initiative chinoise, serait-il le véritable objectif des agendas et des acteurs étrangers derrière le conflit actuel entre la Thaïlande et le Cambodge ?

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The Hill (États-Unis) : Que pourraient-ils inventer d'autre pour éloigner la Russie et la Chine ?

« Une guerre qui se solderait par un bain de sang, mais pas par la défaite de la Russie, est clairement la préférence de la Chine. Une Russie affaiblie, empêtrée dans une guerre impossible à gagner, serait punie, mais resterait vassale de Pékin, sans autre alternative que de s'humilier devant son maître chinois. Une telle Russie est idéale pour la Chine », déclare Alexander Motyl, de l'université Rutgers, à Newark.

Selon l'auteur, il n'est pas nécessaire de prolonger la guerre pour atteindre cet objectif : « Elle pourrait se terminer demain, car la Russie n'est plus que l'ombre d'elle-même. Son armée est vaincue, son économie est au bord d'une grave crise et la population, bien que majoritairement favorable à la guerre, connaît des difficultés économiques croissantes ».

Selon Motyl, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, « a probablement agi avec naïveté » en admettant récemment devant la haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Kaja Kallas, que Pékin « ne peut accepter la défaite de la Russie dans la guerre contre l'Ukraine, car cela pourrait permettre aux États-Unis de détourner complètement leur attention vers la Chine ».

Comme le montre la logique de la présentation, l'analyste américain tente, à l'aide de constructions simples, de donner l'impression que la Chine est sur le point d'adopter la position des États-Unis et de l'OTAN en matière de gel du conflit en Ukraine.

Motyl est même allé jusqu'à affirmer que la Russie « représente un problème de sécurité beaucoup plus pressant, voire une menace pour la Chine » que pour les États-Unis. En effet, les États-Unis ne sont pas son voisin et ne sont pas engagés dans une guerre acharnée. Même « malgré les aboiements de l'administration Trump, ils n'ont pas encore recouru à la morsure » en matière tarifaire.

Oubliez le détroit de Béring. Le plus intéressant est de savoir qui tente alors de séparer officiellement Taïwan de la Chine par le biais d'une souveraineté formelle progressive. Qui a élaboré un plan pour contenir la Chine le long des chaînes d'îles et se prépare à son blocus naval ? Qui commence à déployer des systèmes de missiles terrestres à courte et moyenne portée sur ces chaînes ? Qui considère la Chine comme le principal défi géopolitique des États-Unis au 21ème siècle ? Ce n'est certainement pas la Russie.

Nous assistons à une tentative maladroite et franchement faible de manipuler Pékin afin de créer une brèche dans les relations entre la Russie et la Chine.

Bien sûr, les intérêts géopolitiques de la Russie et de la Chine ne sont pas identiques, mais elles ont un ennemi commun : les États-Unis. Quant au prochain test de la solidité des relations entre la Chine et la Russie, il est imminent : l'ultimatum de 50 jours de Trump sur les sanctions secondaires expire le 2 septembre.

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dimanche, 27 juillet 2025

Syrie : le conflit par procuration entre la Turquie et Israël

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Syrie: le conflit par procuration entre la Turquie et Israël

par Davide Malacaria

Source: https://www.piccolenote.it/mondo/siria-il-conflitto-per-p...

Les affrontements en Syrie – au centre desquels il convient d'évoquer ceux qui se sont déroulés dans la région de Sweida, habitée par les druzes – ont causé plus de 500 victimes, avec la menace d’une forte augmentation, car le fragile cessez-le-feu, obtenu avec difficulté, vacille.

Tout a commencé avec le chaos qui a suivi la chute d’Assad, lorsque le terroriste de confiance de l’Occident, Ahmed Al-Sharaa, anciennement Mohammad al Golani, a été porté au pouvoir à Damas. Il était d’abord le chef d’une faction de l’État islamique, puis d'Al-Nusra, la branche syrienne d’Al-Qaïda, un terroriste formé, comme le leader de l’État islamique al-Baghdadi et beaucoup d’autres, dans les prisons américaines, dont il a été libéré en 2011, au début des événements qui visaient le changement de régime en Syrie.

Après la chute d’Assad, Ahmed Al-Sharaa, aidé par Ankara qui l’avait guidé pour le compte de l’Occident lors du changement de régime, a eu du mal à recoller les morceaux de la Syrie, largement causés par sa propre action. Mais peu à peu, grâce à Ankara, il a réussi à rétablir une apparence d’État, même si beaucoup ne faisaient pas confiance à ce terroriste en costume-cravate, et refusaient de lui remettre les armes.

Cela a donné lieu, en mars dernier, aux pogroms de Latakia et Tartus, où plus de mille alaouites, branche dissidente du chiisme ayant soutenu le président Assad, ont été brutalement massacrés par ces anciens terroristes qui avaient pris le pouvoir.

Une partie aussi de la communauté druze, minorité avec une religion très particulière, a évité la consigne, mais leur insubordination a été en partie tolérée, car cette communauté bénéficiait de la protection israélienne qui, après la chute d’Assad, a étendu son influence dans le Golan et les régions environnantes, déclarées unilatéralement zones démilitarisées.

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Tous les druzes ne sont pas heureux de recevoir cette protection intéressée, bien au contraire. Beaucoup la rejettent comme une ingérence indue, mais pour les ambitions expansionnistes de Tel Aviv, déterminée à devenir une puissance mondiale grâce à sa mainmise sur le Moyen-Orient, cela ne représente qu’un détail secondaire.

Passons aux derniers événements: ce qui a déclenché le chaos actuel, qui a commencé, incidemment, un autre 11, funeste, précisément le vendredi 11 juillet, lorsqu’un jeune druze a été enlevé alors qu’il se rendait à Damas. Un événement plutôt fréquent dans cette région, où depuis longtemps, il y avait des frictions et des affrontements entre druzes et bédouins locaux.

Mais cette fois, les combats ont été de plus grande ampleur, obligeant Damas à intervenir en force. Mais au lieu d’éteindre l’incendie, l’intervention l’a en fait enflammé, les druzes accusant les forces de Damas de protéger leurs amis bédouins, également musulmans sunnites, et de déclencher des affrontements plus vastes entre druzes et l’armée syrienne, qui ont fait plus de 100 victimes.

Un conflit inégal, où les druzes sont voués à souffrir. Mais comme il était évident, Tel Aviv a envoyé ses forces pour défendre les druzes, qui constituent aussi une minorité bien intégrée dans l’État israélien.

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Et voici que la situation se retourne: l’armée syrienne ne pouvait rien contre l’aviation israélienne, qui non seulement a bombardé Damas, mais a également lancé des attaques contre la capitale, frappant le ministère de la Défense, en guise d’avertissement aux maîtres du jeu.

Une intervention qui a fait s’effondrer le réseau, que Washington a patiemment tissé ces derniers mois, espérant faire de la Syrie une sorte de pont entre la Turquie et Israël, consolidant la mainmise d’Ankara sur le pays tout en renforçant celle d’Israël sur le Golan, avec, pour couronner le tout, l’adhésion de Damas aux Accords d’Abraham, ce qui constitue un autre cadeau pour Tel Aviv. Le tout financé par l’argent du Qatar et d’autres monarchies sunnites, à qui Washington a confié la reconstruction du pays, dont bénéficieraient les intérêts turcs et israéliens.

Tous heureux, en apparence. Si ce n’est que le chaos créatif, soit la stratégie des néoconservateurs américains déployée depuis longtemps pour remodeler le Moyen-Orient, fonctionne peu lorsqu’on l’applique à la réalité, car le chaos est par nature destructeur.

Ni les convergences parallèles entre Netanyahu et Erdogan, évidentes dans de nombreux dossiers au Moyen-Orient malgré leur antagonisme joué pour la galerie, ne peuvent suivre un parcours non conflictuel comme d’autres partenariats à distance. L’expansionnisme d’Israël ne peut que entrer en conflit avec le rêve néo-ottoman d’Erdogan.

Si le fragile cessez-le-feu actuel, déjà brisé par des affrontements localisés risquant de déclencher de nouveaux incendies, a été une petite victoire de Washington, qui a négocié entre les parties en rassurant la Turquie qui voyait vaciller son influence sur le pays voisin, il est également vrai que cette fois la Russie et la Chine sont entrées en jeu pour préserver un minimum d’ordre dans la région.

Car elles savent toutes deux que l’objectif d’Israël est toujours le même: provoquer le chaos aux portes de l’Iran. Si la Syrie tombe dans le chaos, celui-ci se propagera inévitablement en Irak, qui redoute depuis longtemps cette possibilité, au point d’avoir renforcé ses frontières.

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Sans compter que la situation menace aussi le fragile Liban, déjà confronté aux incursions israéliennes incessantes et illégitimes, ainsi qu’aux pressions de l’envoyé américain pour le Liban et la Turquie, le funeste Tom Barrack, qui opère en tant que gouverneur colonial dans la politique du pays des cèdres.

Sa mission est d’éliminer le Hezbollah du Liban, en commençant par son désarmement, pour le livrer ensuite aux mains d’Israël. Il agit avec une certaine agressivité, allant jusqu’à proférer des menaces: si la milice chiite ne respectait pas les diktats de Washington, le pays reviendrait à l’époque de Bilad al-Sham, quand il faisait partie de la Grande Syrie.

Un projet qui, bien qu’il soit démenti, est toujours chuchoté par les néoconservateurs et par Ankara, comme le montre un article de The Cradle sur l’influence turque croissante, par le biais d’un bureau spécial à Damas et dans la ville libanaise de Tripoli, dont le port constitue une infrastructure éminemment stratégique. À cela s’ajoutent des rumeurs recueillies par i24NEWS sur la demande des autorités syriennes aux États-Unis de prendre le contrôle de la ville en échange de leur adhésion aux Accords d’Abraham. Telle est la sinistre nature du chaos créatif, qui a déjà causé beaucoup de souffrances dans la région.

mercredi, 09 juillet 2025

Russie et Azerbaïdjan: analyse d'une aliénation rampante

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Russie et Azerbaïdjan: analyse d'une aliénation rampante

Par Elena Fritz

Source: https://pi-news.net/2025/07/russland-und-aserbaidschan-an...

Les relations entre la Russie et l'Azerbaïdjan se sont nettement refroidies au cours des dix-huit derniers mois. Alors que les deux États coopéraient étroitement jusqu'en 2022 et que la Russie considérait l'Azerbaïdjan comme un partenaire important sur les plans de l'économie et de la sécurité, une distance notable s'est aujourd'hui installée entre les deux pays, tant sur le plan diplomatique que stratégique. Ce changement ne s'est pas produit de manière brutale, mais résulte de bouleversements structurels, de divergences dans les priorités de politique étrangère et d'une nouvelle constellation des pouvoirs dans la région.

Historiquement, la Russie était considérée comme la puissance protectrice de l'Azerbaïdjan, en particulier depuis le début des années 1990. Après la fin de la guerre du Haut-Karabakh en 1994 et la prise du pouvoir par Heydar Aliyev, une relation de coopération s'est établie entre Moscou et Bakou, soutenue par des liens économiques – notamment via la diaspora azerbaïdjanaise en Russie – et par des accords en matière de politique de sécurité. Au cours de cette phase, la Russie s'est imposée avec succès comme la médiatrice entre les parties prenantes du conflit, l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Le statut gelé du Haut-Karabakh – qui, selon le droit international, fait partie de l'Azerbaïdjan, mais qui était en réalité sous contrôle arménien – a créé un cadre dans lequel la Russie a pu se présenter comme garante de la stabilité dans le Caucase du Sud.

Cet équilibre a commencé à vaciller au plus tard avec le changement de gouvernement en Arménie en 2018. L'arrivée au pouvoir du Premier ministre Nikol Pachinian, soutenu par un mouvement de réforme soutenu par la "société civile", a été jugée d'un œil critique à Moscou. Les relations russo-arméniennes se sont refroidies, tandis que Moscou s'efforçait parallèlement de renforcer sa coopération avec Bakou. La coopération croissante entre l'Azerbaïdjan et la Turquie en matière de politique énergétique et militaire n'a pas été considérée comme un défi immédiat.

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Le tournant : les conflits du Karabakh en 2020 et 2023

L'offensive militaire de l'Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh en 2020 a constitué un tournant décisif. La Russie s'est abstenue de condamner ouvertement l'opération azerbaïdjanaise et a plutôt négocié un accord de cessez-le-feu qui devait être supervisé par les forces de maintien de la paix russes. L'opération a été considérée par une partie des dirigeants russes comme un moyen de réduire l'influence de l'Arménie sous Pachinian sans compromettre les relations avec l'Azerbaïdjan. La deuxième offensive militaire de l'Azerbaïdjan en 2023, qui a conduit à la prise de contrôle totale de la région, a également été acceptée par Moscou.

Cette passivité a toutefois eu des conséquences stratégiques. Alors que l'Azerbaïdjan a atteint ses objectifs territoriaux et réduit de facto sa dépendance vis-à-vis de la Russie, cette dernière a perdu une position d'influence importante dans le Caucase du Sud, sans obtenir de contrepartie claire en échange. L'Azerbaïdjan a intensifié sa coopération avec la Turquie et Israël, en particulier dans le domaine des technologies militaires. Parallèlement, les relations entre Bakou et Téhéran se sont détériorées après la publication d'informations faisant état de l'utilisation de l'espace aérien azerbaïdjanais par des drones de reconnaissance israéliens.

Facteurs économiques et divergences stratégiques

Des tensions sont également apparues sur le plan économique. L'Azerbaïdjan avait misé sur la création d'un hub gazier turc qui devait servir de plateforme de distribution pour les exportations d'énergie vers l'Europe, en intégrant les flux gaziers russes. Ces projets ont été accueillis avec scepticisme à Moscou et sont restés largement lettre morte. À cela s'ajoute le blocage du transit de l'énergie azerbaïdjanaise par l'Ukraine, qui a privé l'Azerbaïdjan d'un marché important.

En outre, la Russie a renforcé ses mesures contre les structures criminelles liées à certaines franges de la diaspora azerbaïdjanaise. Le démantèlement de ces réseaux a également porté atteinte aux intérêts économiques de certaines élites azerbaïdjanaises qui avaient jusqu'alors profité de ces relations informelles.

Réticence diplomatique malgré des points de friction manifestes

Bien que les lignes de conflit soient clairement identifiables, le gouvernement russe a jusqu'à présent réagi avec retenue. Les instruments diplomatiques se sont limités à convoquer l'ambassadeur azerbaïdjanais et à lui remettre une note de protestation. Officiellement, la Russie parle d'acteurs externes non spécifiés qui auraient intérêt à voir les relations se détériorer. Cette formulation laisse une marge d'interprétation et permet d'éviter une escalade pour l'instant.

Dans le même temps, de plus en plus d'indices laissent penser que la Russie examine des options stratégiques vis-à-vis de l'Azerbaïdjan, par exemple en se rapprochant prudemment de l'Arménie ou en intensifiant sa coopération avec l'Iran. Cependant, aucune mesure concrète n'a été annoncée à ce jour.

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Perspectives

À court terme, il ne faut pas s'attendre à une normalisation des relations entre la Russie et l'Azerbaïdjan. La politique étrangère de Bakou reste clairement orientée vers l'Occident et la Turquie, tandis que la Russie mise sur un réseau de partenariats régionaux dont l'Azerbaïdjan ne fait actuellement plus partie. La coopération en matière de politique de sécurité est de facto suspendue et les intérêts économiques divergent. Il est toutefois concevable que les relations se stabilisent à nouveau à moyen terme, par exemple dans le contexte de changements géopolitiques ou de changements de personnel au sein des dirigeants politiques des deux pays.

À long terme, l'évolution des relations bilatérales dépendra fortement de la situation internationale, de l'architecture de sécurité régionale et de la dynamique politique interne à Bakou. Le gouvernement russe ne semble actuellement pas disposé à la confrontation, mais tente de préserver ses derniers canaux d'influence. La question de savoir s'il y parviendra reste ouverte.

mardi, 08 juillet 2025

Caucase: le nouveau front ?

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Caucase: le nouveau front ?

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/caucaso-il-nuovo-fronte/

Il n’y a pas de paix à l’est. L’Ukraine s’effondre sous les coups de Moscou, désormais clairement abandonnée par Washington. Mais cela ne signifie pas qu’une paix prochaine se profile à l'horizon. Car de nouvelles mines explosent dès maintenant et elles sont capables de provoquer un affrontement entre la Russie et l’Occident.

Il y a l'Azerbaïdjan. Un petit État, mais situé sur une position géographique extrêmement difficile. Cruciale. La majorité des Turcs azéris vit en Iran. Ali Khamenei fait également partie de cette ethnie non persane.

Dans la République d’Azerbaïdjan, il ne reste donc qu’une minorité d'Azéris. Environ cinq millions, qui sont principalement chiites.

Cependant, dans ce cas, la confession religieuse compte peu. L’Azerbaïdjan est un État laïque. Depuis l’effondrement de l’URSS, il est gouverné par la famille Aliyev. Le pays est quasiment sa propriété personnelle, depuis Heydar, un haut fonctionnaire soviétique, qui était même sur le point de devenir Secrétaire général du PCUS, position finalement attribuée à Gorbatchev. Un autre Caucasien en cette fonction, après Staline, aurait été trop difficile à faire accepter.

Après Heydar, le pouvoir est passé entre les mains de son fils Ilham, qui a poussé à la modernisation du pays, aujourd’hui le plus avancé de toute la région caucasienne. Et ce malgré la tension persistante avec l’Arménie à propos de la région du Nagorno-Karabakh. Longtemps disputée, occupée pendant une décennie par les Arméniens avec le soutien des Russes. Aujourd’hui revenue sous le contrôle de Bakou, aussi parce que Moscou s’est retirée d’un conflit jugé insensé.

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Insensé, car le Nagorno-Karabakh est une province peu peuplée, pauvre, insignifiante d’un point de vue stratégique et encore moins d'un point de vue économique.

Les années de tension avec Moscou ont toutefois laissé des traces. La position politique de l’Azerbaïdjan est indiscutablement difficile, dans une certaine mesure ambiguë.

En effet, une base israélienne existe sur le territoire azerbaïdjanais, qui observe, ou plutôt espionne, l’Iran voisin.

De plus, la présence diplomatique occidentale, et pas seulement diplomatique, en Azerbaïdjan est forte.

L'Azerbaïdjan, semble-t-il, s’est efforcé depuis près d’une décennie de stabiliser et d’améliorer ses relations avec Moscou.

Il trouve une pleine disponibilité chez Poutine, qui s’est employé à stabiliser les régions non russes du Caucase.

Cependant, en ce moment précis, la position de Bakou, suspendue entre l’Occident britannique et l’Orient russe, est devenue extrêmement difficile.

Et il existe des forces, des puissances internationales qui agissent derrière Londres, qui poussent à ce qu’Azerbaïdjan se retrouve en conflit ouvert avec la Russie. Et, bien sûr, avec l’Iran.

Ce pourrait être, en fin de compte, le nouveau front que ces forces voudraient ouvrir contre Moscou, après leur défaite qui est désormais claire en Ukraine.

Beaucoup, mais pas tout, dépendra de la capacité d’Aliyev à se dépêtrer dans ce bourbier. Et dépendra beaucoup, aussi, de ce que fera Erdogan. La Turquie, étroitement liée à l’Azerbaïdjan, adopte en effet une attitude extrêmement ambiguë. Et, par conséquent, dangereuse.

Aliyev peut compter, cependant, sur un fait : Washington, contrairement à Londres, souhaite un apaisement et une normalisation des relations avec le Kremlin.

Et reste, par conséquent, demeure essentiellement en dehors, voire opposé, à ces vents de guerre qui commencent à souffler sur le Caucase.

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dimanche, 29 juin 2025

Grand dérangement au Moyen-Orient

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Grand dérangement au Moyen-Orient

par Georges Feltin-Tracol

Les dirigeants du Hamas se doutaient-ils qu’en lançant leur offensive–éclair le 7 octobre 2023, ils changeraient le visage du Moyen-Orient ? Ne faut-il pas maintenant s’interroger sur l’existence d’un enchâssement machiavélique de plans destinés à briser l’« Axe de la Résistance » contre Israël ? Les guerres de Benyamin Netanyahou lui permettront-elles de remodeler à sa guise toute une région et d’arrêter l’apparition d’un monde multipolaire aux valeurs pluriverselles?

À l’origine, les services secrets israéliens ont encouragé l’essor du Hamas opposé à l’OLP de Yasser Arafat. Une fois encore, le golem s’est retourné contre ses maîtres. Malgré le départ des colons israéliens et le retrait des troupes de Tsahal en 2005 sur l’ordre du premier ministre israélien d’alors, Ariel Sharon, Tel-Aviv n’a jamais cessé de surveiller dans le détail la Bande de Gaza dont la superficie correspond à peu près à trois fois Paris (bois de Boulogne et de Vincennes inclus). Par ailleurs en pointe dans le contrôle numérique de masse, Israël a proscrit l’argent liquide et sait parfaitement identifier une population gazaouie désormais martyre.

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En agressant l’Iran sans prendre la peine de lui déclarer la guerre tel un autre 1er septembre 1939, Israël ouvre un cinquième front à la suite de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est occupés, du Liban et de la Syrie. Ces différents conflits quasi-simultanés occultent les procès en corruption qui frappent Netanyahou et détournent l’attention de l’opinion publique du contentieux féroce entre la Cour suprême et l’exécutif. Cette nouvelle guerre préventive d’agression soude pour le moment les six partis de la coalition gouvernementale.

Le gouvernement Netanyahou invente un danger nucléaire iranien imminent alors que le premier Guide suprême de la Révolution, Rouhollah Khomeiny, avait émis une fatwa condamnant cette arme redoutable. Ce fait importe peu pour Tel-Aviv qui rêve de briser la « Pieuvre » tant ses tentacules que sa tête. Dans Le Figaro Magazine des 23 et 24 mai 2025, Alexandre Devecchio interroge Stéphane Simon, co-auteur avec Pierre Rehov du 7 Octobre. La Riposte (Fayard, 2025). Stéphane Simon déclare qu’« aujourd’hui, Israël prépare la dernière manche qui vise la fin du régime de Téhéran ». Pourquoi ? Parce que l’instant lui est propice.

La Syrie néo-baasiste de Bachar al-Assad a disparu en décembre 2024 au profit de forces islamistes subventionnées par la Turquie et le Qatar. L’état-major israélien a aussi tiré tous les enseignements de la guerre de 2006 contre le Hezbollah. Quelques exemples rapportent la haute fiabilité des réseaux de renseignement qui associent données satellitaires - numériques et collectes précises d’informations sur le terrain, d’où l’assassinat de Hassan Nasrallah, secrétaire général charismatique du Hezbollah, le 27 septembre 2024. Évoquons aussi le piège des talkies walkies et autres bipeurs qui a tué, blessé ou handicapé plusieurs milliers de cadres du Hezbollah. Produits en Israël, les trois grammes d’explosif implantés, les bipeurs sont cédés à une société hongroise qui les vend ensuite au Hezbollah. Israël avait donc bien préparé cette opération depuis plusieurs trimestres, voire années… Ainsi peut-on se demander si, à l’instar de Franklin Delano Roosevelt qui sût la veille du 7 décembre 1941 l’attaque-surprise japonaise sur Pearl Harbor, Benyamin Netanyahou était au courant de l’action sanglante du 7 octobre sans penser à son ampleur, ni à son impact tragique. Dès son premier mandat de premier ministre (1996 – 1999), il considère l’Iran comme son ennemi principal. Il déteste l’Iran qui signifie « royaume des Aryens ». Cette appellation servirait-elle de prétexte à une susceptibilité mémorielle excessive ?

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L’agression contre l’Iran n’est pas une foucade du régime suprémaciste de Tel-Aviv, mais une action de guerre mûrement réfléchie. Appliquant les méthodes opérationnelles de l’OTAN, l’aviation israélienne se serait rendue maîtresse du ciel iranien en dépit des 1500 – 2000 km de distance entre les deux États.

On reste toutefois pantois devant l’impréparation de l’Iran, pourtant puissance régionale de plus de 82 millions d’habitants, face à une guerre préventive aérienne: pas d’abris de défense pour les civils, sécurité publique déficiente, faiblesse de la protection autour des responsables militaires iraniens. À ces manques s’ajoute une absence flagrante de réactions de la part des « tentacules », à savoir d’alliés affaiblis (Hezbollah, Hamas), lointains (les « partisans d’Allah » houthistes du Yémen) ou dubitatifs (les milices populaires irakiennes). L’assassinat de hauts responsables militaires et scientifiques, la destruction de centres stratégiques militaires et nucléaires, le bombardement des locaux de la télévision officielle indiquent la présence en Iran d’agents secrets, de forces spéciales et de collaborateurs locaux, et ce depuis de nombreux mois, même de nombreuses années.

À la lumière des récents événements, deux faits confirment la forte implication d’Israël dans le désordre intérieur iranien. L’un se passe le 31 juillet 2024. Ce jour-là, le chef du Hamas, « Ismaël Haniyeh, rapporte encore Stéphane Simon, meurt dans sa chambre piégée d’une bombe au cœur d’une résidence sécurisée du palais présidentiel » iranien. Toujours pour Stéphane Simon, c’est « la démonstration de l’infiltration du Mossad au cœur du régime iranien ». Sous l’empire Pahlavi, le Shah d’Iran était un allié précieux pour Israël au même titre d’ailleurs que la Turquie laïque et les Kurdes d’Irak et de Syrie. Cette proximité stratégique n’a pas empêché les États-Unis de fomenter en partie la révolution islamique afin de surseoir au développement nucléaire de l’Iran.

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Le second concerne la révolution de couleur « Femme – Vie – Liberté », processus incontestable de déstabilisation socio-politique qui s’apparente à une intense action de guerre psychologique. Les manifestants et les manifestantes hostiles aux institutions de la République islamique agissent en idiots utiles du suprémacisme israélien anti-iranien. À côté des actions clandestines montées par les services israéliens sur le sol iranien, « Femme – Vie – Liberté » signale la réalité d’une cinquième colonne qui a pour objectif le renversement de la république islamique. Par qui la remplacer ? Israël ne se tournera pas vers Maryam Radjavi, présidente des Moudjahiddines du peuple qui ont longtemps séjourné dans l’Irak baasiste de Saddam Hussein. Quant à recourir au prétendant impérial en exil Reza Pahlavi, ce ne serait guère judicieux, car il deviendrait aussitôt un nouveau repère d’unité nationale pour tous les Iraniens.

Il est possible que le gouvernement israélien mise sur un éclatement, effectif ou latent, de l’Iran en jouant sur des minorités ethniques. Au Sud-Est, les indépendantistes baloutches pourraient ériger un État qui attirerait ensuite vers lui le Baloutchistan pakistanais. Au Nord-Ouest, les Kurdes édifieraient un territoire autonome à l’image du Kurdistan irakien et, peut-être, du Rojava syrien. Au Sud-Ouest, les arabophones (plus d’un tiers de la population locale) du Khouzistan (ou Arabistan), assez rétifs à la tutelle de Téhéran, s’en sépareraient pour mieux se rapprocher de l’Irak. Mais la plus grande menace provient du Nord, des portes du Caucase.

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Les Occidentaux oublient que l’Arménie, encerclée à l’Est et à l’Ouest par la Turquie et l’Azerbaïdjan, y compris par son exclave du Nakhitchevan, entretient d’assez mauvaises relations avec son voisin géorgien. Le seul État qui persiste à aider Erevan s’appelle l’Iran. Pendant la guerre de reconquête de l’Artsakh, l’Azerbaïdjan a bénéficié de l’aide militaire israélienne. La fragilisation poussée de l’Iran inciterait l’Azerbaïdjan à s’emparer des régions iraniennes de langue azérie au nom des vieilles revendications rattachistes, puis d’effacer définitivement l’Arménie des cartes en se partageant avec la Turquie son territoire. Un Grand Azerbaïdjan pèserait alors de tout son poids sur l’avenir non seulement de l’Iran, mais aussi de l’Asie centrale avec le risque accru d’irriter une Russie attentive à son étranger proche et d’encourager les forces islamistes les plus extrémistes à renverser les gouvernements du Kazakhstan, du Tadjikistan, de l’Ouzbékistan, du Turkménistan et du Kirghizistan à partir du foyer inflammable de la vaste vallée de la Ferghana.

L’effondrement de l’Iran assurerait à l’actuel gouvernement israélien la satisfaction de ses visées messianiques dans la reconfiguration géopolitique du Moyen-Orient. La fin de l’« Axe de la Résistance » lui faciliterait la déportation massive des Palestiniens de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est vers le Liban, la Syrie, la Jordanie et l’Égypte aux frontières redessinées, mais aussi vers l’Europe. Le régime de Tel-Aviv ferait deux pierres d’un coup : résoudre la question démographique palestinienne lancinante et semer les ferments de division multiculturalistes chez l’héritière d’Édom, la civilisation européenne d’essence boréenne, qu’il exècre. L’Iran ou le dernier avant-poste de l’Europe boréale ? L’histoire est plus que jamais imprévisible et surprenante.

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 162, mise en ligne le 24 juin 2025 sur Radio Méridien Zéro.

mercredi, 25 juin 2025

L'Iran est la clé de l'équilibre multipolaire au Moyen-Orient

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L'Iran est la clé de l'équilibre multipolaire au Moyen-Orient

par Stefano Vernole

Source : Strategic Culture & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-iran-e-la-chiav...

Comme signalé il y a quelques semaines, la D.I.A. américaine avait pris l'Iran pour cible. En résumé, les raisons en étaient les suivantes: l'Iran possède une capacité de représailles directes et pas seulement par procuration via l'Axe de la Résistance au Moyen-Orient ; l'Iran développe d'importantes capacités en matière de missiles et de drones ; l'Iran a des ambitions nucléaires, même s'il est encore loin de pouvoir développer une bombe atomique. Sur ce dernier point, Donald Trump (idole des "altermondialistes malins") a sèchement contredit le chef des services secrets américains, Tulsi Gabbard, en déclarant : « Je me fiche de ce qu'elle a dit. Je pense qu'ils étaient très près d'en avoir une ».

En réalité, dans le rapport de l'agence de renseignement de Washington, ce sont les motivations géopolitiques qui semblaient prévaloir. La coopération de l'Iran avec la Russie, la Chine et la Corée du Nord méritait, du point de vue américain, un durcissement des sanctions économiques, étant donné que la mise en service du corridor ferroviaire entre Téhéran et Pékin permettait de transporter le pétrole en 15 jours au lieu de 40 et de contourner le détroit de Malacca, qui risquait d'être fermé en cas de conflit pour Taïwan.

Ce n'est pas un hasard si les analystes militaires chinois ont immédiatement porté leur attention sur l'agression d'Israël contre l'Iran et en ont tiré des conclusions peu encourageantes: une profonde infiltration des services secrets sionistes dans la chaîne de commandement iranienne suivie de lourdes pertes militaires (celles subies par les Houthis au Yémen ne sont même pas comparables) ; une défense antiaérienne iranienne inefficace ; un manque de vigilance et de préparation dû à une certaine indolence des dirigeants iraniens ; l'échec de la politique de dissuasion iranienne ; crise totale de la tentative de réforme économique lancée par Raisi, puis brisée à la fois par la mort de l'ancien président iranien (difficile aujourd'hui de penser à un accident) et par l'instabilité régionale provoquée par Israël avec la chute d'Assad, l'attaque contre le Liban et le génocide des Palestiniens [1].

Bien sûr, la Chine, la Russie, la Turquie et les pays du golfe Persique, en premier lieu l'Arabie saoudite, ont sévèrement condamné l'attaque militaire israélienne et souhaiteraient sauver le gouvernement de Téhéran du « changement de régime » évoqué par Londres, Washington et Tel-Aviv. La Grande-Bretagne a mis ses bases militaires à la disposition de l'armée de l'air israélienne, transformant ainsi le territoire britannique en une zone de préparation directe pour les opérations contre l'Iran, fournissant à Tel-Aviv non seulement des bases aériennes, mais aussi ses services de renseignement. Elon Musk a activé le système satellitaire Starlink au-dessus de l'Iran, conférant à la coalition occidentale un avantage crucial en matière de communication et de navigation des données, tandis que le porte-avions américain Nimitz, en provenance de la mer de Chine méridionale, se dirige vers le golfe Persique. L'Occident dans son ensemble, avec le communiqué du G7, a fourni une légitimation formelle et « morale » au renversement du gouvernement iranien actuel.

La modalité de l'agression militaire israélienne est identique, tant sur le plan technique (lancement de drones à l'intérieur du pays) que politique (alors que l'Iran était en pourparlers avec les États-Unis), à celle de l'attaque ukrainienne contre les sites nucléaires et les bases russes il y a quelques semaines: la main est manifestement la même.

Pour la Russie, dont l'accord de partenariat stratégique avec l'Iran a été approuvé par Vladimir Poutine lui-même le 21 avril dernier, mais par Téhéran il y a seulement quelques jours, une défaite des ayatollahs serait un désastre géopolitique bien plus grave que la chute d'Assad en Syrie. L'Iran joue un rôle essentiel dans l'équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient et est un allié indispensable dans la résistance à la domination mondiale occidentale; en particulier, l'équilibre stratégique dans la mer Caspienne serait rompu et les intérêts de Moscou dans le secteur énergétique seraient menacés au profit des États-Unis qui veulent exporter leur gaz naturel liquéfié.

De plus, un effondrement de l'Iran signifierait: l'effondrement du système d'alliances régionales de Moscou; la domination totale de l'Occident dans la région; l'isolement de la Russie et de ses principaux partenaires. La perte de l'Iran, membre des BRICS, deviendrait une catastrophe géopolitique pour le multipolarisme et confirmerait la capacité de l'Occident à résoudre par la force toutes ses contradictions géopolitiques. La vision à long terme esquissée par Brzezinski dans les années 1990 et par les néoconservateurs américains après le 11 septembre 2001 se réaliserait alors presque définitivement.

De son côté, Benjamin Netanyahu écarterait tout risque d'être remis en cause pour ses crimes évidents, devenant le symbole de la victoire atlantiste au Moyen-Orient.

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La Chine, qui a également conclu un accord de partenariat stratégique avec l'Iran et qui dépend fortement du pétrole iranien (environ 90% du pétrole transitant par le détroit d'Ormuz est destiné à Pékin), ne peut se permettre de perdre un partenaire indispensable à ses ambitions géopolitiques.

Que peut-il se passer maintenant ? Si la tentative de médiation diplomatique des pays d'Eurasie et des États voisins échoue, comme cela semble désormais évident, l'escalade devient inévitable.

Les États-Unis, la Grande-Bretagne et Israël, avec le plein consentement de leurs vassaux européens, recherchent des acteurs locaux capables de remplacer Khamenei et de conduire l'Iran vers une rupture avec Moscou et Pékin. Si les dirigeants actuels de Téhéran perçoivent le danger d'un renversement qui pourrait se produire si les États-Unis entrent directement en scène avec leurs forces armées, ils n'auront d'autre solution que d'augmenter le prix du conflit en dépassant toutes les « lignes rouges ». Mobiliser l'Axe de la Résistance, fermer le détroit d'Ormuz au passage des navires (avec le consentement de Pékin, désormais résigné à une guerre totale dans la région) et changer l'inertie de la bataille par une intervention terrestre depuis le Liban, la Syrie et l'Irak, sont les seules cartes dont elle dispose, compte tenu de la domination totale du ciel par Israël.

Plusieurs inconnues subsistent. Certes, la Chine n'interviendrait pas directement (tout comme la Russie engagée en Ukraine), mais elle pourrait aider l'Iran en lui fournissant du matériel militaire et en poussant le Pakistan à entrer en scène (le ministre pakistanais de la Défense a non seulement manifesté sa solidarité immédiate avec Téhéran, mais s'est également déclaré prêt à attaquer Israël en cas d'intervention militaire américaine contre l'Iran). Islamabad, seule puissance nucléaire islamique, apporterait une aide indispensable et pourrait également inciter l'Égypte et la Turquie (dont les dirigeants restent dans le collimateur de Tel-Aviv et le seront de toute façon dans un avenir pas trop lointain) à intensifier leur pression contre Israël. Reste à savoir si cet effet domino complexe n'impliquerait pas également d'autres acteurs mondiaux, à commencer par l'Inde, en quête de revanche après l'échec subi dans la bataille aérienne qui a suivi la crise du Cachemire.

La Troisième Guerre mondiale, évoquée ces dernières heures par Steve Bannon et Tucker Carlson, est-elle peut-être plus proche que nous ne l'imaginons ?

NOTE:

[1] Wang Shichun, "L'Iran sera-t-il la deuxième Syrie d'Assad?", guancha.cn, 14 juin 2025. L'analyste militaire chinois souligne également un conflit interne à l'appareil iranien entre la position du Guide suprême Khamenei, la ligne médiane de Pezeshkian qui attribue une grande partie de la corruption du pays aux Gardiens de la révolution et celle des libéraux qui souhaiteraient privatiser totalement l'économie.

Téhéran ne cède pas, Israël mise sur les États-Unis: premier bilan de la guerre entre Israël et l'Iran

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Téhéran ne cède pas, Israël mise sur les États-Unis: premier bilan de la guerre entre Israël et l'Iran

Andrea Muratore

Bron: https://it.insideover.com/guerra/teheran-non-crolla-israele-punta-sugli-usa-un-primo-bilancio-della-guerra-israele-iran.html  

Après plus d'une semaine, la guerre entre Israël et l'Iran présente des scénarios stratégiques de toute première importance qui sont encore en cours de consolidation, mais dont l'analyse permet de se frayer un chemin à travers un flot de propagande extrêmement visqueux et de comprendre comment le conflit le plus problématique de l'histoire récente du Moyen-Orient pourrait évoluer et façonner la région.

Récit contre réalité, la guerre d'Israël contre l'Iran

Comme toute guerre, celle entre Tel-Aviv et Téhéran est faite de récits autant que de faits. Des récits qui s'avèrent souvent fallacieux à l'épreuve des faits concrets et qui doivent être présentés comme tels. Nous le constatons dans l'attitude des acteurs sur le terrain, directement ou indirectement impliqués dans la guerre, qui a fortement changé au cours des journées où ce conflit s'est développé.

La première tendance, double, est la prémisse nécessaire à tout le reste. Nous constatons en effet que la justification israélienne d'une guerre préventive visant à empêcher Téhéran d'accéder rapidement à une forme de dissuasion nucléaire s'est avérée insuffisante pour expliquer la réelle volonté de Tel Aviv d'entrer en guerre, justifiée en réalité par la tentative d'affaiblir et de saper les fondements du régime iranien.

Après le bombardement de Be'er Sheva jeudi, le ministre de la Défense de Benjamin Netanyahu, Israel Katz, l'a clairement indiqué en désignant l'ayatollah Ali Khamenei comme une cible militaire légitime. Au cours de ces mêmes jours, le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Rafael Mariano Grossi, a rejeté l'hypothèse selon laquelle, malgré les critiques de l'organe de Vienne pour avoir violé ses obligations en matière de prolifération, l'Iran accélérerait réellement la possibilité de se doter de la bombe par excellence.

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Le régime ne s'effondre pas

Deuxièmement, nous constatons que malgré les coups très durs subis et l'éclaircissement continu des rangs supérieurs des forces armées, l'appareil du pouvoir iranien ne s'est pas effondré. L'architecture dite "baroque", qui pose la structure fondée sur le rôle du Guide suprême et des Gardiens de la révolution sur le gouvernement proprement dit et sur les forces armées traditionnelles, s'est révélée plus souple que prévu.

En particulier, le discours de Netanyahu, repris par de nombreux représentants des camps libéral et conservateur en Europe et aux États-Unis, selon lequel la libération de l'Iran du système de pouvoir actuel serait le résultat des raids de Tel-Aviv, ne s'est pas concrétisé. Indépendamment du jugement global sur le système de la République islamique et sur le Guide suprême, on constate qu'un régime en difficulté sur de nombreux fronts, de l'économie en crise aux questions sociales pressantes, n'a à ce jour aucune alternative crédible dans la société iranienne, que l'idée d'exporter un système démocratique à coups de bombes, une vieille tentation qui refait surface, semble pour le moins fallacieuse et que la ligne de réponse à Israël sur le terrain n'a pas provoqué de protestations ou de soulèvements.

Khamenei refuse la reddition, le système iranien ne s'effondre pas

À cet égard, le discours prononcé jeudi par Khamenei, dans lequel il a rejeté toute hypothèse de « reddition » du pays, comme l'avait demandé le président américain Donald Trump, a eu une importance politique considérable, dictant une ligne de conduite et mettant au défi les éventuels opposants de se manifester: aucun conflit ne semble avoir émergé dans l'architecture pourtant difficilement pénétrable du régime iranien.

Tout bien considéré, l'Iran subit les durs coups de l'offensive aérienne et balistique israélienne et tente de riposter avec une dissuasion balistique bien plus réduite, mais qui ne semble pas inexistante, loin de là. À ce jour, en substance, l'attaque de Tel-Aviv n'a pas encore provoqué le démantèlement total du nucléaire, n'a pas, jusqu'à présent, comme le confirme également le Jerusalem Post, ouvert de fissures irréparables dans le régime et n'a pas, troisième point de la confrontation entre le récit et la réalité, convaincu les États-Unis d'entrer en guerre pour porter un coup décisif à Téhéran, en évitant toute solution diplomatique.

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Le dilemme américain et l'heure de la diplomatie

Trump a été sollicité de toutes parts: plusieurs faucons du Parti républicain, menés par les sénateurs Ted Cruz et Lindsey Graham, poussent à s'engager aux côtés d'Israël, et le général Michael Erik Kurilla, à la tête du Commandement central (Centcom) chargé des opérations au Moyen-Orient, semble partager cet avis.

Dans le même temps, on note la froide réticence de l'aile proche du vice-président J. D. Vance et des figures politiques, commentateurs et faiseurs d'opinion proches du monde "Maga", comme le présentateur Tucker Carlson. Mais jeudi, The Donald a déclaré vouloir donner une nouvelle place à la diplomatie, ouvrant une fenêtre de deux semaines pour d'éventuelles rencontres diplomatiques avec les dirigeants de Téhéran.

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La « résurrection » de Shamakhani

À ce sujet, certaines informations intéressantes méritent d'être soulignées: tout d'abord, après que Trump ait ouvert cette fenêtre, l'Iran a annoncé que l'amiral Ali Shamakhani, haut conseiller de Khamenei et figure centrale de la diplomatie atomique avec Washington, était vivant et se remettait des blessures subies le 13 juin lors des attaques israéliennes qui ont déclenché la guerre. À propos de récits: Shamakhani avait été déclaré mort sur la base des communiqués militaires israéliens qui annonçaient son élimination.

Tel Aviv pensait avoir tué l'habile négociateur qui, jusqu'à il y a un mois, présentait des demandes pour le moins modérées dans ses discussions avec Washington: ouverture à l'abandon de l'uranium hautement enrichi, négociations directes et continues avec les États-Unis, politique permanente visant la désescalade. La nouvelle de la survie de Shamakhani ouvre la possibilité de recréer l'axe avec le ministre des Affaires étrangères Abbas Araghchi au nom de la désescalade. Hier, les premières discussions ont eu lieu à Genève avec les diplomates de l'E3, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni.

À propos de changement de discours: l'Europe, qui n'est pas intervenue dans les négociations entamées en avril par les États-Unis et l'Iran et qui, au début de la guerre, avait largement épousé le discours israélien et les raids, adopte désormais une approche plus inquiète, ouverte aux négociations et au cessez-le-feu. La volonté prématurée de venir en aide au (présumé) vainqueur a atteint son apogée lors du G7, lorsque le chancelier Friedrich Merz a déclaré qu'Israël « faisait le sale boulot pour nous tous ». La situation s'est avérée, comme dirait Giulio Andreotti, « un peu plus complexe ». Et le discours, éternel fléau de la politique internationale, a cédé la place au pragmatisme et à un plus grand réalisme. Ce qui, dans les affaires internationales, devrait toujours être bienvenu.