On en examine régulièrement des signes sur ce site, encore récemment avec le cas du porte-avions USS Gerald R. Ford, et le 12 novembre avec « Suicide, mode d’emploi ». Dans ce dernier article, nous signalions un texte très récemment paru et d’un grand intérêt, sur lequel nous voudrions revenir pour nous attarder sur certains de ses aspects : « On notera qu’un complément de très grande qualité et extrêmement détaillé sur l’état catastrophique de la puissance militaire US, de sa base industrielle et technologique, du technologisme, etc., se trouve dans un très long article d’analyse de SouthFront.org. »
Il y a notamment un passage, concernant essentiellement les forces aéronavale embarquées sur les porte-avions, qui met en évidence la fragilité structurelle des forces US, derrière la massivité des chiffres.
« Le deuxième problème, qui est peut-être plus grave encore, est le fait que les escadrons F/A-18 sur lesquels la Navy s'appuie pour effectuer presque toutes les tâches aéronavales de ses porte-avions, et surtout les missions d’attaque, de supériorité aérienne, de défense de la flotte, de ravitaillement en vol, de guerre sous-marine et de surveillance, sont dans un état de délabrement alarmant. En février 2017, la Marine a annoncé que les deux tiers, soit 62% de tous les F/A-18 Hornet et Super Hornet, étaient incapables d’accomplir leur mission en raison de problèmes de maintenance. Vingt-sept pour cent de ces aéronefs subissaient non pas des travaux de maintenance mineurs et de routine mais de très importants travaux de réhabilitation. Sur les 542 Hornet F/A-18 et E/F-18, 170 seulement sont capables de remplir leur mission avec une maintenance normale. [...] La décision a également été prise d’utiliser 140 des Hornet des plus vieilles versions (variantes A/C) de la Navy et de les cannibaliser pour des pièces ou de les transférer aux escadrons de l'USMC qui rencontrent des problèmes de maintenance similaires. Dans le cas de l'USMC, ils attendent depuis si longtemps les nouveaux F-35B que leurs anciens F-18 tombent en ruines. [...]
» Le fait que 62% des F-18 de la US Navy ne soient pas capables de remplir mission n’est pas une anomalie. En 2017, environ 72% des avions de l’US Air Force n’étaient pas capables de remplir leur mission. [...]La marine et l'armée de l'air affirment que leurs budgets respectifs ne disposent pas de suffisamment d'argent pour se procurer les pièces de rechange nécessaires à la poursuite du service normal ces avions. On pourrait se demander pourquoi, dans ce cas, des dizaines de milliards de dollars sont investis dans de nouveaux aéronefs [aux capacités incertaines et non démontrées] alors que les flottes existantes sont délabrées. Les décisions prises à l'échelon supérieur du DoD sont assez déconcertantes pour les milliers de soldats, marins et aviateurs qui luttent pour que les armes et les véhicules soient prêts à l’action. »
... On comprend que la dernière phrase concerne l’inévitable JSF/F-35, dont il a été question entre les deux extraits, pour décrire et déplorer cette incroyable catastrophe qui pompe tous les budgets disponibles et empêche de ce fait le maintien en état de vol et/ou le renouvellement en partie de la flotte des avions de combat venus des années 1970 (A-10, F-15, F-16 et F-18) constituant l’essentiel sinon la quasi-entièreté de l’aviation de combat des États-Unis. (La crise vient de loin et tout le monde est au courant ; elle est largement documentée sur ce site, notamment concernant les F-15 de l’USAF, et puis le reste de l’USAF également.)
La catastrophe-JSF est assez unique en son genre, dans ce sens qu’en plus de s’autoproduire sous la forme d’un monstre inutilisable, elle dévore autour d’elle tout ce qui fait la puissance de l’USAF, – pour ce cas spécifique de l’USAF comme principal utilisateur de l’avion, les autres services étant logés à la même enseigne. Le JSF/F-35 reste un mystère considérable, qui porte la marque de la catastrophique destinée du technologisme. Si l’on peut aisément détailler les divers aspects de cette catastrophe, tant au niveau des technologies que des aspects budgétaires, que des aspects bureaucratiques, le mystère est complet au niveau général de l’appréciation du désastre dans tous ses effets et conséquences stratégiques pour la puissance des USA. Ce mystère se résume à quelques questions fondamentales : comment la direction politico-militaire des USA n’a-t-elle pas réalisé ne serait-ce que la possibilité de l’ampleur du désastre qui se profilait de plus en plus précisément ? Comment n’a-t-elle pas admis qu’il était nécessaire de garder quelques options annexes ou complémentaires, pour limiter ces éventuels effets et ces conséquences, notamment en réservant une part budgétaire pour entretenir et renouveler en partie le parc existant depuis 1970 de l’aviation de combat ?
En cela, du fait que ces questions restent sans réponse, on mesure la confusion de la pensée et le désarroi psychologique où se trouve cette direction politico-militaire. Le même texte qu’on a pris comme référence insiste sur un autre aspect, qui montre une autre facette de cette confusion et de ce désarroi, dans une partie très longue qu’il nomme « L’obsession des MRAP » (MRAP pour Mine Resistant Ambush Protecteddésignant les véhicules résistant aux mines et autres explosifs d’embuscade, ou IED [Improvised Explosive Devices]). Il s’agit du développement, à partir de 2003, de véhicules pouvant résister aux attaques par mines et embuscades du fait de la résistance, en Irak et en Afghanistan. Les pertes du fait de ces attaques au sein des innombrables convois de ravitaillement et de livraison de la logistique, spécialité US s’il en est, déclenchèrent dès la fin 2003 une grande panique au Pentagone, où l’on se lança dans le développement et la production de MRAP de différents modèles et de plus en plus monstrueux, croulant sous les amas de blindage. La production a dû atteindre entre 45 000 et 50 000 unités depuis 2003, pour un coût affiché d’autour de $45 milliards...
« Le DoD [Pentagone]a consacré des milliards de dollars en contrats pour des véhicules blindés protégés contre les mines (MRAP) entre 2003 et aujourd'hui. Le coût total d’acquisition des différents MRAP commandés et mis en service de manière conservatrice dépasse 45 milliards USD. L'armée américaine ne compte pas moins de sept types différents de MRAP en service à ce jour, plus que tout autre pays de loin. Alors que les États-Unis ont réduit leur présence active en Afghanistan et en Irak, ils ont vendu bon nombre de ces véhicules aux forces de sécurité locales, et même aux forces de police nationales des États-Unis, ceux-ci n’étant de guère d’utilité sur un champ de bataille ouvert où l'armée américaine livrerait un conflit conventionnel avec un puissant adversaire... »
Ce cas est particulièrement intéressant pour montrer, non seulement la confusion et le désarroi que nous mentionnons plus haut, mais plus encore la perversion des esprits qui habite (qui habita à partir de la fin de la Guerre froide) la direction politico-militaire des USA. Il y eut donc cette panique déclenchée par le fait que l’“offre US” (démolition sauvage du pays puis conquête quasi-évidente des cœurs et des esprits [harts & minds] par la démocratie américaniste) avait reçu comme réponse les mines et les IED sur les routes qui réduisaient en cendres la doctrine de la guerre “zéro-mort”, autre legs de la présidence Clinton, et cette panique débouchant sur une production compulsive de plusieurs dizaine de milliers de monstres blindés sans la moindre utilité hors des bourbiers auto-créés par la politique Système dans les pays pulvérisés par les bombes very-intelligentes (smart bombs).
Mais il y a surtout ceci ; à côté et largement au-dessus, il y avait la conviction que de toutes les façons on se trouvait “à la fin de l’Histoire” aux conditions dictées par le Pentagone, et donc à part les paniques en passant produisant autour de 50 000 MRAP qui finiraient par faire de la figuration dans les blockbusters d’Hollywood, rien n’était à craindre. Cet état d’esprit explique que la puissance militaire US s’est trouvée largement distancée ces quinze dernières années au niveau de la vraie guerre conventionnelle.
(Au niveau de l’aviation de combat, et cela suggérant en partie des réponses aux questions posées plus haut, la stealth technology était censée verrouiller la “fin de l’Histoire” grâce à la formule-surprise type-air dominance.)
Tout cela se trouve largement suggéré, pour ce qui est de la philosophie inspirant cette situation, dans notre texte déjà référencé « Suicide, mode d’emploi »... Pour rappel :
« “La cupidité des entreprises américaines, l’idéologie de la globalisation et la conviction absolue d’être arrivé à la “fin de l’histoire” façon-Fukuyama sont, ensemble, sur le point de causer [et ont même d’ores et déjà causé] aux capacités de défense des États-Unis des dommages dont leurs opposants géopolitiques ne pouvaient même pas rêver.”
Cet “état de l’esprit”, qui confine à une “paralysie de l’esprit” rien de moins, s’est installé aux USA au lendemain de la Guerre froide et particulièrement durant la présidence Clinton, jusqu’à s’épanouir durablement durant le deuxième terme.
[...] Cette création fixait effectivement le monde en l’état, avec une domination-hégémonique des USA installée effectivement ad vitam aeternam. Tout juste était-il nécessaire de le rappeler de temps en temps pour les têtes de linottes françaises (à cette époque), russes, etc, pour ce cas au lendemain du 11-septembre sous la rubrique “virtualisme-narrative” (“Nous sommes un empire désormais, et lorsque nous agissons nous créons notre propre réalité”.) »
Puissance militaire US : fin du récit
Si nous avons développé ces remarques et rappelé la conception résumée dans notre texte référencé du 12 novembre, c’est pour aborder un autre aspect de la puissance militaire vers lequel un commentaire de ce texte d’un de nos lecteurs nous a orientés. Ce lecteur, se faisant “l’avocat du diable”, développe une appréciation de la puissance militaire US, autant que de l’état de la guerre. Nous nous arrêtons à un point de son commentaire, qui introduit notre propre commentaire d’une appréciation technique et métahistorique du destin de la puissance militaires américaniste, du “récit de son destin” si l’on veut, accordée à la psychologie et à la perception de l’américanisme :
« La faillite de l'armée US “finissante” a-t-elle été voulue ? Comme dans toutes les obsolescences précédentes (1917, 1941, etc.) sans aucun doute, mais voilà, à chaque fois les États-Unis en sont sortis plus puissants, et malgré tous les hélicoptères jetés par-dessus bord en 1975 lors de la Chute de Saigon, Nike est aujourd'hui le premier employeur privé du Viet-Nam… »
Ce texte implique qu’il y a eu plusieurs “faillites” des forces armées US, suivies d’autant de renaissance : en 1917 et en 1941, pour l’entrée dans les deux guerres mondiales avec une force militaire réduite, le “etc.” désignant par exemple le Vietnam. Cette interprétation sinusoïdale (des hauts et des bas, ou plutôt des bas suivis de hautes, avec renaissance des cendres comme un phénix) n’est pas la nôtre ; elle donne une idée qui est à notre avis trompeuse de la flexibilité et de l’adaptabilité de la puissance militaire US.
• Ni en 1917, ni en 1941 il n’y a eu faillite militaire US. Dans les deux cas, l’armée était quasiment inexistante, sauf l’US Navy dont l’existence qui garantit la sécurité des voies maritimes et du commerce est actée dans la Constitution d’un pays fondé sur le profit et sur le commerce. Quant à la chose militaire proprement dite, l’isolationnisme (sauf la parenthèse 1917-1918) domine jusqu’en 1941 et l’armée n’est qu’une force de police aux USA et dans les pays voisins (Mexique) ou un outil expéditionnaire pour les bonnes affaires à saisir (le Corps des Marines intervenant dans l’arrière-cour latino-américaine, à Cuba, etc., – avec l’extrême de l’intervention cruelle et dévastatrice aux Philippines [1899-1902] qui est l’amorce de la politique impérialiste post-1945.)
• En 1917, l’armée US partie de quasiment rien fut essentiellement formée et équipée par les conseillers français et l’industrie françaises, ce que les érudits américains commencent à reconnaître. Le Général Pershing avait obtenu ce qu’il cherchait : une structure d’armée moderne qu’il conserva et transmit malgré la réduction radicale des effectifs dès 1919. En 1941, la seule puissance militaire US opérationnelle existante fut largement liquidée à Pearl Harbor, mais selon une orientation qui fut une formidable fortune du sort : avec l’attaque, les Japonais avaient prouvé que le porte-avions était devenu le roi des mers à la place du cuirassé et ils avaient liquidé les cuirassés US de la Flotte du Pacifique, et épargné ses trois porte-avions... Quant à l’armée et à l’aviation US, leurs structures étaient prêtes, et le développement de l’industrie aéronautique militaire à partir de 1935-1936 pour l’exportation (Chine, France, Royaume-Uni) fournissait à cette expansion une base technologique exceptionnelle, – sans doute la période de l’histoire où les USA furent les plus efficaces, les plus inventifs et les plus performants en matière de technologie. (Le P-51 Mustang [d’abord A-36 Apache], le meilleur chasseur de la guerre, fut développé par North American en six mois au printemps 1940, sur commande britannique [et complète indifférence de l’USAAC, le corps aérien de combat US d’alors], pour un coût R&D de $40 000 ; les premiers exemplaires [Mustang Mark-I] furent livrés à la RAF à l’automne 1940 et l’avion fut adopté par l’USAAC/USAAF en 1942... A comparer avec le récit de la vie jusqu’ici et maintenant du F-35.)
• Au Vietnam, l’armée US ne fit pas faillite ni ne s’effondra sous les coups de l’ennemi. Simplement, elle se battit extrêmement mal, avec le marteau des bombes et des obus, comme d’habitude et comme toujours, et elle abandonna la partie pour la seule et unique raison que l’opinion publique US était au bord de la révolte et que cette révolte gagnait l’armée elle-même, par exemple avec l’épouvantable pratique courante à partir de 1969 du “freaking” (liquidation d’officiers par leurs propres hommes, selon la “technique” de jeter une grenade dans le bureau d’un officier). Le seul événement capital pour l’armée US au Vietnam fut l’abandon de la conscription en 1974, au profit d’une armée de métier, ce qui garantissait désormais l’inexistence d’un parti antiguerre aux USA et au sein de l’armée elle-même, – comme on le constate aujourd’hui.
• La seule fois dans l’histoire où l’armée US, non seulement fit faillite mais s’effondra littéralement, c’est à l’automne 1945 lorsque le Congrès décida une démobilisation en complet désordre, ce qui amena une désintégration totale de l’armée US dont le seul équivalent dans l’histoire est la désintégration de l’armée russe en 1917, après la première révolution de février. (Voir les principaux détails de cet épisode capital, totalement passé sous silence dans l’historiographie officielle, dans notre Glossaire.dde : « Le “Trou Noir” du XXème siècle ».)
Ce que nous voulons mettre en évidence essentiellement, c’est la linéarité du développement de la puissance militaire US : une droite ascensionnelle qui justement n’a jamais connu de “faillites” ni de défaites dues à l’adversaire, pour des raisons qui ne sont nullement héroïques mais tiennent simplement à la géographie. (Une spécialité des USA est d’entrer en guerre bien après ses alliés-supposés pour pouvoir s’imposer politiquement grâce à son poids, sans subir de dommages, la combinaison lui assurant la certitude d’une domination d’après-guerre.) Cette puissance a connu deux accidents internes, le plus grave (1945) ayant été passé sous silence, et le second lui ayant permis de ne plus dépendre de la volonté démocratique du pays ; aucun des deux n’a interrompu durablement le tracé rectiligne de sa montée en puissance, ni ne l’a modifié en aucune façon.
A partir de 1989-1991, s’appuyant sur un récit totalement faussaire de la fin de la Guerre froide, la puissance militaire US s’est installée sur ce qu’elle a considéré être son hégémonie absolue et elle n’a plus bougé de cette perception. La guerre a subi le même traitement que l’histoire et la réalité, selon les penseurs neocons & associés comme le rapporta Ron Suskind : au lieu du « Nous sommes un empire désormais, et lorsque nous agissons nous créons notre propre réalité », ce serait “Nous sommes la plus grande puissance militaire de tous les temps passés et à venir, et lorsque nous agissons nous créons notre propre guerre qui sera la seule guerre réelle possible”. Le moins qu’on puisse dire est que la vérité-de-situation n’a guère été impressionnée par cette profession-de-réalité : la puissance militaire US est partout, et partout elle est plus ou moins en guerre, elle n’arrive nulle part à gagner et se découvre dépassée dans des domaines qu’elle croyait verrouillés à jamais à son avantage.
(Nous sommes, quant à nous, d’avis que la possibilité d’une guerre conventionnelle de haut niveau est redevenue d’actualité, certainement dans l’esprit des militaires US qui l’affirment curieusement après avoir conclu que “la fin de l’Histoire” figeait éternellement leur supériorité, – mais la confusion et le désarroi des esprits expliquent beaucoup de choses. Entretemps, certes, les Russes ont fait l’une ou l’autre démonstration, en Crimée comme en Syrie. On peut se reporter au SACEUR d’alors, le Général Breedlove, en avril 2014, à propos de la Crimée : « Nous suivions plusieurs exercices simultanés au cours desquels des forces [russes]importantes étaient formées, manœuvraient puis s’arrêtaient... Et tout d’un coup, boum ! On les retrouve en Crimée, restructurée en une force prête au combat et fort bien préparée. »)
Au bout de ce périple, la puissance militaire US ne sait plus ce qu’est le concept de “victoire”, – si elle l’a jamais su, d’ailleurs, – parce que sa conception complètement figée et sa certitude d’être arrivée au sommet de la puissance l’empêchent autant qu’elles lui interdisent de voir une fin à quelque chose où elle serait impliquée.
Une “victoire” signifierait la fin d’une guerre, donc la réduction du rôle de la puissance militaire US, ce qui est impossible dans l’état actuel et d’ailleurs définitif de sa perception de l’histoire, savoir la “fin de l’Histoire” du type-Fukuyama. Cette paralysie touche également ses décisions bureaucratiques et technologiques, en même temps qu’elle transforme les énormes budgets annuels qu’elle reçoit en trous noirs sans fond où se contorsionnent et grouillent sur un même rythme ses propres “Quatre Cavaliers de l’Apocalypse”, – gaspillage, corruption, irresponsabilité et aveuglement. Au sommet de ce qu’elle croit être la puissance, la puissance militaire US déploie totalement et sans la moindre entrave une impuissance complète que secrète la paralysie de sa pensée alimentée par la pathologie schizophrénique de sa psychologie.
Comme on l’a compris, les USA suivent fidèlement le tracé de leur puissance militaire qui est devenue désormais leur raison d’être et leur façon d’être. Le contraste est d’ailleurs saisissant entre la communication triomphante de la puissance militaire US et la situation intérieure catastrophique des USA. La puissance militaire est la dernière structure, – ou disons, ce qu’ils croient être une structure, – à laquelle les dirigeants politiques washingtoniens s’accrochent. Washington D.C. suit aveuglément le Pentagone, pour pouvoir mieux jouer à “D.C.-la-folle” dans ses démentes querelles internes ; ce que Washington D.C. a omis de noter, c’est que le Pentagone suit aveuglément la puissance militaire US qui s’est totalement installée dans l’impuissance et la paralysie qui l’aveuglent elle-même ; c’est un défilé d’aveugles qui se guident les uns les autres, le pas ferme, vers le néant. Le pouvoir des États-Unis d’Amérique est un lieu incertain et dans un équilibre extraordinairement instable où plus personne ne sait rien de personne. Tout cela ne garantit rien de la forme et du parcours que prendra la chute, laquelle ne saurait se faire attendre puisqu’elle a déjà commencé.
Nous revenons sur un document rapidement mentionné dans notre F&C d’hier, l’« étude de la National Defense Strategy Commission, service interne au Pentagone, mettant en évidence la possible/probable incapacité de la puissance militaire US de l’emporter dans une guerre contre la Chine et/ou la Russie. » Nous le faisons parce qu’un texte de WSWS.org en fait une analyse détaillée sur un ton remarquable par son alarmisme. Gens sérieux, les analystes du site trotskiste ont lu avec attention le document, mais ils l’ont lu avec un état d’esprit particulier qui, dans son intensité, rencontre celui des membres de la commission qui ont rédigé la chose. Ainsi, deux choses nous intéressent dans ce texte :
ce qu’il nous dit du contenu du document, analysé avec précision et selon les axes qui importent comme fait d’habitude WSWS.org ;
la façon dont WSWS.org reçoit et commente ce document, selon un état d’esprit qui est similaire en intensité (bien que radicalement opposé d’un point de vue politique) à celui du document, ce qui mérite qu’on s’attache bien entendu à ce phénomène.
Contrairement à d’autres rapports sur ce document, WSWS.org insiste sur l’aspect d’un cri d’alarme et d’un appel à la mobilisation générale des forces armées US face à la probabilité d’une guerre massive avec l’une des deux puissances (ou les deux), – Chine et Russie, – dans un très court délai. Parmi les scénarios cités, il y a celui d’une guerre avec la Chine débutant en 2022 à la suite d’une déclaration d’indépendance de Taïwan et du lancement d'une invasion de Taïwan par la Chine. Le fait même d’un tel conflit n’est pas débattu dans toutes ses possibilités, et notamment et essentiellement la possibilité que les États-Unis puissent agir pour éviter le susdit conflit : la chose est présentée comme étant inéluctable, fatale, inarrêtable... « En énumérant les différents défis auxquels seraient confrontés les États-Unis pour combattre et gagner une guerre contre la Russie ou la Chine, aucun des membres distingués du comité n’est parvenu à la conclusion apparemment évidente selon laquelle les États-Unis ne devraient peut-être pas mener une telle guerre. »
D’une façon très affirmée, WSWS.org admet cette possibilité de l’absence de recherche d’une façon d’éviter un tel conflit dont la venue est par ailleurs affirmée comme une certitude alors qu’il ne s’agit que d’une hypothèse au profit de laquelle le comportement même des USA contribue très fortement. La comparaison est faite avec le comportement de Hitler tandis que la responsabilité d’un tel état d’esprit est portée au crédit du capitalisme en faillite et, – assez curieusement et sans démonstration aucune, – du “système des États-nation”...
« Mais en cela, [les rédacteurs du rapport] représentent l’énorme consensus au sein des cercles politiques américains. Dans ses derniers jours, Adolf Hitler aurait déclaré à maintes reprises que si la nation allemande ne pouvait pas gagner la Seconde Guerre mondiale, elle ne méritait pas d'exister. La classe dirigeante américaine est entièrement attachée à un plan d’action qui menace de faire disparaître non seulement une grande partie de la population mondiale, mais également la population américaine elle-même.
» Ce n'est pas la folie des individus, mais la folie d'une classe sociale qui représente un ordre social dépassé et en faillite, le capitalisme et un cadre politique également obsolète, le système des États-nation... »
L’état d’esprit de WSWS.org rencontre celui dont le rapport est imprégné tant les commentateurs trotskistes ne cessent d’annoncer la survenue inéluctable d’un conflit mondial, conventionnel au plus haut niveau, avec la panoplie des armes conventionnelles les plus puissantes, et jusqu’à l’escalade nucléaire que toute analyse raisonnable d’une telle hypothèse jugerait effectivement comme inévitable. Cela conduit le commentateur à affaiblir ou à ignorer des remarques qui sembleraient pourtant évidentes à la lecture d’un tel rapport, – à commencer, pour mémoire si mémoire il y a, une remarque à propos de l’équilibre de la psychologie collective de ces individus, en tant qu’individus tout simplement et individus américanistes, plus qu’en tant que représentant de cette “classe sociale qui représente un ordre social dépassé et en faillite”.
En effet, il n’y a pas un Hitler avec sa folie paranoïaque de la fin de la guerre parmi ces dirigeants-Système, et pas de climat qui puisse se rapprocher des années apocalyptiques 1944-1945 dans l’Allemagne nazie. Si l’on tient à cette comparaison il faut la replacer dans la chronologie et l’on observera qu’Hitler n’a jamais préparé et annoncé la guerre en doutant une seule seconde qu’il ne l’emporterait pas puisqu’il parlait au contraire d’un “Reich pour mille ans”, alors que les auteurs du rapport évoquent puissamment la possibilité d’une défaite pour une guerre dont tout semble indiquer que les USA auraient la part principale dans son déclenchement. Il est bien question ici d’un état mental en grand dérangement dans cette urgence de s’armer pour une guerre qu’on songe à déclencher soi-même sans être menacé le moins du monde, et dont on sait qu’on risque bien de la perdre. (Sans doute y a-t-il des lecteurs du Lincoln de 1839 parmi ces analystes : « ... En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant. »)
Finalement, les dispositions conseillées de toute urgence par la commission pour un réarmement d’urgence des USA relèvent d’une étrange logique et d’une vision en forme de monstrueux simulacre de la situation. Le Pentagone tourne à plein régime avec un budget colossal de plus de $700 milliards officiels, et dépassant largement les $1 000 milliards en réalité. Les capacités de production de l’armement sont aujourd’hui chaotique set florissantes aux USA, avec l’imbrication antagoniste de divers programmes (par exemple, l’imbroglio des avions de combat avec l’actuelle génération en pleine décrépitude mais privée de budget pour la remettre à niveau, et le maître du chaos qu’est le programme F-35). L’idée de “militariser” l’économie US en l’orientant vers un effort de guerre total, et cela dans les quatre années qui viennent puisqu’on suggère un conflit pour 2022, est surréaliste. (« Enfin, toute la société doit être mobilisée derrière l’effort de guerre. Une approche “pangouvernementale” doit être adoptée, notamment “la politique commerciale, l’enseignement des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques”. »)
Sur ce point, au reste, la présentation de WSWS.org rejoint également l’état d’esprit que le site trotskiste dénonce chez les auteurs du rapport. Cette présentation accrédite l’idée que la direction occulte des USA (les usual suspects du DeepState), se tenant aux manettes derrière la couverture factice des agitations de “D.C.-la-folle” qui n’auraient aucune importance, avanceraient masqués en cachant au public US cette préparation à une guerre totale(à ne pas confondre tout de même avec une “théorie complotiste”) :
« Il est impossible de comprendre quoi que ce soit dans la politique américaine sans reconnaître une réalité fondamentale: les événements et les scandales qui dominent le discours politique, qui font l'actualité du soir et qui font la une des journaux télévisés et des médias sociaux, ont peu à voir avec les considérations de ceux qui prennent réellement des décisions. Les responsables des médias jouent les rôles qui leur sont assignés, sachant qu’ils doivent limiter les sujets abordés dans des limites très circonscrites.
» Ceux qui élaborent les politiques – un groupe restreint de membres éminents du Congrès, de responsables du Pentagone et de personnel de groupes de réflexion, ainsi que des collaborateurs de la Maison Blanche – parlent entre eux une langue tout à fait différente et ils savent que leurs appréciations ne seront pas connues du grand public parce que les grands médias ne feront pas d’analyses sérieuses à cet égard.
» Ces personnes acceptent toutes comme un fait évident des déclarations qui, si elles faisaient la une des journaux télévisées de grande écoute seraient considérées comme des “théories complotistes”... »
On reste quelque peu étourdi d’étonnement... Il s’agit, selon les hypothèses envisagées d’une période de quatre ans, pour mobiliser une industrie énorme et fragmentée, aux capacités de production dévastées, pour rétablir une armée gonflée de $milliards, de gaspillages et de pléthores de matériels inutiles, et pour retourner toute une société vers la perspective d’une guerre totale de dévastation où les USA risqueraient, nous n’en sommes pas loin, d’être anéantis eux-mêmes. Tout cela se ferait dans l’esprit de confiance de la direction occulte et dissimulée, sans que le public ne s’aperçoive de rien, y compris sans doute lorsqu’il sera appelé à servir puisque de si grandioses alertes et démarches de ré-ré-réarmement (il y en a eu tant depuis 9/11) impliqueraient sans guère de doute le rétablissement au moins partiel de la conscription pour gonfler les effectifs, – à moins, certes, qu’on mobilise pour piloter les drones de la CIA, les chars de l’US Army et les avions (F-35, certes) de l’USAF, les troupes de Daesh et d’al Qaïda.
Peut-être bien que le théâtre de “D.C.-la-folle” est un simulacre comme les Folies Bergères et les Bouffes Parisiennes pour dissimuler le DeepState mais l’on se demande si le spectacle n’a pas finalement englobé et très fortement influencé tous les experts convoqués pour ce rapport et les diverses directions occultes qui pullulent à Washington, – et un tout petit peu, WSWS.org également... Tout cela, certes, hors de toute allusion à la moindre “théorie complotiste”.
Ci-dessous, adaptation en français du texte « Bipartisan panel: US must prepare for “horrendous,” “devastating” war with Russia and China », du 16 novembre 2018 sur WSWS.org.
dedefensa.org
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Se préparer à une guerre “horrible” et “dévastatrice”
Une commission bipartite nommée par le Congrès a publié mardi un long rapport soutenant les plans du Pentagone visant à préparer une guerre de « grandes puissances » contre la Russie, la Chine ou les deux, précisant que la politique belligérante de l’administration Trump était partagée par le Parti démocrate.
Conscients que ses conclusions ne seront jamais sérieusement relatées par les médias, les auteurs du rapport ne mâchent pas leurs mots concerenant les conditions d'une telle guerre. Une guerre entre les États-Unis et la Chine, qui, selon le rapport, pourrait éclater d'ici quatre ans, sera « horrible » et « dévastatrice ». L'armée « fera face à des pertes plus importantes qu'à tout autre moment depuis des décennies ». Une telle guerre pourrait conduire à une « escalade nucléaire rapide », et des cibles civiles américaines seront attaquées avec de nombreuses pertes.
Il est impossible de comprendre quoi que ce soit dans la politique américaine sans reconnaître une réalité fondamentale: les événements et les scandales qui dominent le discours politique, qui font l'actualité du soir et qui font la une des journaux télévisés et des médias sociaux, ont peu à voir avec les considérations de ceux qui prennent réellement des décisions. Les responsables des médias jouent les rôles qui leur sont assignés, sachant qu’ils doivent traiter des sujets abordés dans des limites très circonscrites.
Ceux qui élaborent les politiques – un groupe restreint de membres éminents du Congrès, de responsables du Pentagone et de personnel de groupes de réflexion, ainsi que des collaborateurs de la Maison Blanche – parlent entre eux une langue tout à fait différente et ils savent que leurs appréciations ne seront pas connues du grand public parce que les grands médias ne feront pas d’analyses sérieuses à cet égard.
Ces personnes acceptent toutes comme un fait évident des déclarations qui, si elles faisaient la une des journaux télévisées de grande écoute seraient considérées comme des “théories complotistes”.
Le dernier exemple de cette situation est un nouveau rapport publié par la Commission de la Stratégie de Défense Nationale, un organe créé par le Congrès pour évaluer la nouvelle stratégie de sécurité nationale du Pentagone publiée au début de cette année, qui déclare que « la compétition entre les grandes puissances, – et non le terrorisme, – est désormais le principal objectif » de l'armée américaine.
Les conclusions du panel peuvent se résumer comme suit : L’armée américaine a parfaitement raison de se préparer à la guerre avec la Russie et la Chine. Mais le Pentagone, qui dépense chaque année plus que les huit plus grandes forces militaires nationales combinées, doit bénéficier d’une augmentation massive de son budget, qui se fera aux dépens de coupes dans les programmes sociaux fondamentaux tels que Medicare, Medicaid et la sécurité sociale.
En d’autres termes, le rapport est une confirmation complète du Congrès de l’effort militaire de l’administration Trump, décrivant ce que le Congrès a accompli cette année lorsqu'il a adopté, avec un soutien écrasant des partis, la plus importante augmentation du budget militaire depuis la Guerre froide.
Mais au-delà de la reconnaissance du fait que les États-Unis doivent se préparer à une guerre imminente impliquant l’ensemble de la société, avec des conséquences « dévastatrices » pour la population américaine, le document met en garde contre une autre réalité fondamentale : les États-Unis pourraient très bien perdre une telle guerre, qui exige en effet la conquête militaire de la planète entière par un pays comptant moins de cinq pour cent de la population mondiale.
Les États-Unis « pourraient avoir du mal à gagner, ils pourraient même perdre une guerre contre la Chine ou la Russie », affirme le document. Ces guerres ne se dérouleraient pas uniquement à l’étranger, mais viseraient probablement la population américaine : « Il serait imprudent et irresponsable de ne pas attendre des adversaires qu'ils tentent des attaque de type cinétique, cybernétique ou d’autres actions paralysantes contre des Américains alors qu’ils chercheraient à vaincre nos forces armées à l’extérieur. »
Il ajoute: «En cas de guerre, les forces américaines devront faire face à des combats plus difficiles et à des pertes plus importantes qu’elles n’ont essuyés depuis des décennies. Il convient de rappeler que pendant la guerre des Malouines, un adversaire nettement inférieur, l’Argentine, a paralysé et a coulé un important navire de guerre britannique en le frappant avec un seul missile guidé. Le volume de destruction qu’un adversaire de grande puissance pourrait infliger aux forces américaines pourrait être d’une ampleur considérable. »
Pour illustrer son propos, le rapport décrit un certain nombre de scénarios. Le premier concerne la déclaration d'indépendance de Taiwan par rapport à la Chine en 2022, ce qui provoquerait des représailles de la part des Chinois. « Le Pentagone informe le président que les États-Unis pourraient probablement vaincre la Chine dans une longue guerre, si toute la puissance de la nation était mobilisée. Pourtant, ils perdraient d'énormes quantités de navires et d'aéronefs, ainsi que des milliers de vies, en plus de subir de graves perturbations économiques – le tout sans aucune garantie d'avoir un impact décisif avant que Taïwan ne soit envahie ... Mais éviter cette issue causerait des pertes horribles. »
Le rapport conclut que la solution est une armée beaucoup plus grande, financée par des augmentations constantes et pluriannuelles des dépenses. « La crise de la défense nationale doit faire face à une urgence extraordinaire », écrit-il.
L'armée a besoin de « plus de blindés, d’artillerie à longue portée, d’unités de logistique, d’unités de défense aérienne. » L'Armée de l'air a besoin de « plus de chasseurs et de bombardiers à longue distance furtifs, de ravitailleurs en vol, de capacités de transport, de plateformes de renseignement, de surveillance et de reconnaissance. » Les forces nucléaires ont besoin de plus de missiles. Et ainsi de suite.
Pour payer tout cela, il faut hacher dans les dépenses sociales. « Les programmes d’aide sociale obligatoire entraînent la croissance des dépenses », se plaint le rapport, exigeant que le Congrès se penche sur ces programmes, notamment Medicare, Medicaid et la sécurité sociale. Il avertit que « de tels ajustements seront sans aucun doute très douloureux ».
Enfin, toute la société doit être mobilisée derrière l’effort de guerre. Une approche « pangouvernementale » doit être adoptée, notamment « la politique commerciale, l’enseignement des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques ».
En énumérant les différents défis auxquels seraient confrontés les États-Unis pour combattre et gagner une guerre contre la Russie ou la Chine, aucun des membres distingués du comité n’est parvenu à la conclusion apparemment évidente selon laquelle les États-Unis ne devraient peut-être pas mener une telle guerre.
Mais en cela, ils représentent l’énorme consensus au sein des cercles politiques américains. Dans ses derniers jours, Adolf Hitler aurait déclaré à maintes reprises que si la nation allemande ne pouvait pas gagner la Seconde Guerre mondiale, elle ne méritait pas d'exister. La classe dirigeante américaine est entièrement attachée à un plan d’action qui menace de faire disparaître non seulement une grande partie de la population mondiale, mais également la population américaine elle-même.
Ce n'est pas la folie des individus, mais la folie d'une classe sociale qui représente un ordre social dépassé et en faillite, le capitalisme et un cadre politique également survécu, le système État-nation. Et il ne peut être combattu que par une autre force sociale: la classe ouvrière mondiale, dont les intérêts sociaux sont internationaux et progressistes, et dont l'existence même dépend de l'opposition aux objectifs de guerre mégalomane du capitalisme américain.
André Damon, WSWS.org