Gallovacantisme
par Georges FELTIN-TRACOL
Ce comportement proprement schizophrène n’est pas récent. Qu’on se souvienne des déchirements tragiques du camp patriotique entre 1940 et 1945 ! En remontant le temps, soulevons la faute magistrale de Maurras et de l’Action française qui, par germanophobie viscérale, conclurent un « compromis historique » avec la IIIe République dans le cadre de l’« Union sacrée ». Au même moment et dans le même élan de communion nationale, le prétendant légitimiste aux trônes de France et d’Espagne, le duc d’Anjou et de Madrid, demandait à ses partisans espagnols, les carlistes, d’atténuer leur germanophilie et de prier pour le salut de la France. Mentionnons aussi l’erreur considérable du pape Léon XIII d’appeler les catholiques de France au « Ralliement »… Passons charitablement sur l’énorme bourde des légitimistes de se retirer, par fidélité indéfectible à la dynastie légitime, dans leurs manoirs campagnards après 1830, délaissant ainsi le champ politique. Et que penser des discrètes manœuvres de l’ambassadeur du Piémont-Sardaigne, Joseph de Maistre, à Saint-Pétersbourg afin de freiner l’appétit territorial des Coalisés en 1814 – 1815 ?
À l’énoncé de ces quelques exemples, on a l’impression que les « conservateurs », les « réactionnaires », les « contre-révolutionnaires », se fourvoient avec les meilleurs intentions dans un incroyable jeu de dupe. La préservation des principes spirituels de légitimité et d’aristocratie traditionnelle semble passer après des intérêts politiques plus immédiats.
Il ressort de ces brèves considérations que de nombreux patriotes ne parviennent plus à distinguer la France idéale qui se perpétue en leur for intérieur et un Régime toujours plus détestable. Dans un essai bien senti, malheureusement passé assez inaperçu, Les deux patries (1), l’historien Jean de Viguerie relevait une dichotomie entre une patrie traditionnelle irriguée par des corps intermédiaires florissants et une patrie républicaine, abstraite, régie par des valeurs universalistes et individualistes. Ce distinguo est plus que jamais d’actualité au moment où Fadala Amara rêve publiquement d’une « République métissée » (2). Lentement mais sûrement, l’Hexagone dissout la France aux indéniables racines européennes, notre France historique. Arnaud Guyot-Jeannin remarque fort bien que « les nationalistes aiment la France. Tout le problème vient de ce que la France ne les aime pas. Non pas la France traditionnelle et enracinée, mais la France fraternitaire et cosmopolite Black-Blanc-Beur. L’atomisation du corps social qui en résulte, standardise alors les comportements individuels et collectifs. L’uniformisation qui découle de l’individualisme désagrège tous les modes de vie soudant les communautés naturelles » (3). Ne serait-il pas temps de prendre acte de cette césure fondamentale et d’agir en pleine connaissance de cause ?
Quitte à choquer, la défense acharnée de ce qu’on croît être la France et qui n’est en fait qu’une république francophage, variante spécifique et locale de l’idéologie mondialiste, n’est plus soutenable et se montre même en certaines circonstances contre-productive pour la mouvance rebelle et anticonformiste. Plus abruptement dit, les patriotes authentiques ne devraient plus se ranger de manière systématique et quasi-pavlovienne derrière un « patriotisme » officiel ou une volonté de « défense nationale » en fait délétère pour une conception du monde traditionnelle ou non-moderne. On pense combattre pour la France et on favorise au final l’assassinat systématique des cultures, des peuples et des identités.
La France que nous chérissons meurt étranglée par un mondialisme rapace, des instances eurocratiques pesantes et une République subrepticement totalitaire. Comme le fut jadis l’U.R.S.S. pour la Russie, la République hexagonale représente pour les Français les plus lucides un organisme parasitaire meurtrier de masse : le populicide vendéen, l’ethnocide des langues vernaculaires perpétré par les « hussards noirs », les massacres répétitifs de la paysannerie au cours des guerres de la Révolution, de l’Empire et de 1914 – 1918 en sont des preuves flagrantes et terribles !
Ce processus criminel, cette lente extermination des peuples enracinées de France, se poursuit et s’accélère avec la substitution en cours des populations autochtones par une immigration extra-européenne incontrôlée. La diversité ethnique et confessionnelle grandissante de la société oblige les pouvoirs publics et para-publics à recourir au seul ciment civique à leurs yeux valable, les dénommées « valeurs républicaines ».
Il en découle un martèlement croissant du discours républicain en tout lieu et à tout moment. Cette propagande suscite une phobie anti-discriminatoire qui frôle la pathologie mentale lourde. La quête harassante en faveur d’une diversité de façade imposée – s’il le faut par la contrainte – par la H.A.L.D.E., peint de couleurs exotiques variées une domination sur les esprits centrée sur la marchandisation, l’individualisme et le rejet de toute spiritualité.
L’Hexagone républicain n’est pas la France. Sait-on d’ailleurs que dans les réunions internationales, les documents officiels ne parlent jamais de France et toujours de République française ? Certes, s’il existe une République algérienne démocratique et populaire, il y a surtout une République fédérale d’Allemagne, une République de Pologne, une République populaire et démocratique de Corée, et non une République fédérale allemande, une République polonaise ou une République populaire coréenne… L’Hexagone reprend (fortuitement ?) la titulature du dernier Louis XVI, de Napoléon Ier, de Louis-Philippe et de Napoléon III qui était « roi (ou empereur) des Français ». Les masses se substituent à l’idée sapientielle ! Nullement français, l’Hexagone black-blanc-beur ne peut être une res publica au sens que l’entendaient les Anciens, ni un oïkos post-moderne (ou une République-site).
Les « hexagonophobes » doivent-ils pour autant délaisser la patrie nationale, s’en détourner irrémédiablement ? Nullement ! Ils doivent au contraire accompagner la métamorphose, la mutation en cours, fut-ce au prix d’entériner l’éclipse de la France. Oui, la République jacobine a volontairement occulté la France traditionnelle dont la légitimité a disparu irrémédiablement le 24 août 1883 à Froshdorf. Depuis, et à part l’exception incarnée par Charles de Gaulle entre 1940 et 1969, la légalité sert de pis-aller. En attendant qu’une nouvelle légitimité européenne et impériale surgisse des aléas de l’histoire, la seule posture désormais satisfaisante est le francovacantisme ou le gallovacantisme (4).
Le gallovacantiste ou francovacantiste postule d’abord que les structures républicaines occupent l’espace géographique et mentale de la France, ensuite qu’il est vain de soutenir un Hexagone qui est l’anti-France par excellence. On ne cesse d’invoquer l’« identité républicaine », le « civisme républicain », l’« école républicaine »… Ira-t-on bientôt jusqu’à expulser royalistes, européistes et régionalistes qui n’adhèrent pas au républicanisme laïc, gratuit et obligatoire ?
Bousculons donc les douillettes certitudes des souverainistes et autres nationalistes qui agissent en parfaits valets du Système. Dissocions la France historique de l’Hexagone républicain mondialiste. Repensons globalement le combat essentiel des identités autochtones d’Europe, et abandonnons aux fétichistes de l’État-nation républicain La Marseillaise, Marianne, le coq, sa devise inepte et le drapeau tricolore. Osons nous affirmer anti-républicains, Français d’Europe et localistes enracinés!
Telle est la véritable révolution intellectuelle qui s’ouvre à nous ! C’est au nom des valeurs républicaines prépondérantes qu’on exige l’assimilation, qu’on célèbre l’intégration et qu’on chasse la burqa. Dans le même temps, le Régime délaisse les zones rurales ou péri-urbaines, fait fermer hôpitaux de proximité, agences postales de villages et petites gares ferroviaires et prépare l’imposition des ménages rurbains fuyant l’exécrable multi-ethnicité des centres urbains au moyen de la fameuse « taxe carbone ».
Les patriotes identitaires se doivent d’exprimer une dissidence radicale à la République. Loin de la préserver, ils doivent préparer son effondrement en se tenant prêts à l’imprévu. Qu’ils s’inspirent pour la circonstance de l’exemple des républicains sous le Second Empire. En effet, le 4 septembre 1870, dès l’annonce de la défaite française de Sedan et de la reddition de l’Empereur aux Prussiens, les républicains parisiens profitèrent du désarroi gouvernemental pour proclamer la République alors que cinq mois plus tôt, un plébiscite confirmait massivement l’assise populaire de l’institution impériale. Certes, les républicains mettront presque dix ans pour s’emparer définitivement de l’ensemble des pouvoirs, mais le mouvement initial, décisif, fondateur, était lancé. Soyons par conséquent aux aguets, aptes à répondre au Kairos. Le gallovacantisme doit nous aider à penser autrement notre vision de la France.
Georges Feltin-Tracol
Notes
1 : Jean de Viguerie, Les deux patries. Essai historique sur l’idée de patrie en France, Dominique Martin-Morin Éditeur, 2004, première édition en 1998.
2 : « Nous sommes en train d’accoucher d’une France diverse, d’une République métissée. Le mouvement n’est pas spectaculaire et ne se voit pas devant des caméras. » Amara Fadala, in Le Monde, 4 et 5 octobre 2009.
3 : Arnaud Guyot-Jeannin, « Une Europe néo-carolingienne est-elle envisageable pour l’avenir ? », in Benjamin Guillemaind (s.d.), La subsidiarité. Un grand dessein pour la France et l’Europe, Éditions de Paris, coll. « Les Cahiers de l’As de Trèfle », 2005, p. 99.
4 : « Gallovacantisme » ou « francovacantisme » sont deux néologismes dont il appartient à l’usage de valider l’un ou l’autre. Ces deux termes se construisent sur le modèle du sédévacantisme. Sans entrer dans les détails, le sédévacantisme considère que, depuis le concile Vatican II, tous les papes qui occupent le siège de Saint-Pierre sont illégitimes et hérétiques. Il en découle une vacance de la papauté. Une frange moins radicale de ce courant, le sédéprivatisme, considère que le siège pontifical est occupé dans les faits par une personne qui n’en est toutefois pas digne si elle entérine les conclusions conciliaires. Sédévacantistes et sédéprivatistes suivent donc des messes non in cum, c’est-à-dire hors de toute communion avec la hiérarchie ecclésiastique et les souverains pontifes.