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dimanche, 09 novembre 2008

Knut Hamsun de volta

Knut Hamsun de volta

ex: http://penaeespada.blogspot.com/

Knut Hamsun de volta

Knut Hamsun, galardoado com o Prémio Nobel da Literatura em 1920, volta ao panorama editorial português pela mão da Cavalo de Ferro, com a publicação de “Fome”, traduzido do norueguês por Liliete Martins, com prefácio de Paul Auster e com a coragem de afirmar no breve texto de apresentação sobre o escritor: “figura social controversa, acusado de ser simpatizante nazi aquando da ocupação do seu país, tal como L.-F. Céline será, também ele, perseguido pela justiça depois da II Guerra Mundial e os seus livros queimados na praça pública”. Sim, porque nem só os regimes considerados “malditos” hoje queimaram livros, como alguns nos querem impingir. E, já agora — porque nunca é demais dizê-lo —, para mim, queimar livros é um crime hediondo.

No prefácio à edição portuguesa de “Pan”, publicada em 1955 pela Guimarães, o tradutor da obra, César de Frias, escreve: “Não poucas críticas hão proclamado esta obra de Knut Hamsun como a culminante no seu avultado e precioso legado literário. Se hesitamos em assentir nisso é porque nos merece também, embora por diferentes atributos, franca admiração o romance Fome — que, diga-se por tangência, sofre do equívoco de muitos lhe atribuírem, antes de o lerem e tocados apenas pelo tom angustioso do título, o carácter de obra de intuitos panfletários, grito de revolta contra as desigualdades e injustiças sociais, quando é somente, mas em elevado grau de originalidade, um singular documento humano e como tal considerado único nos anais do género. Não há burguês, por mais egoísta e cioso de sua riqueza, que, ao lê-lo, perca o apetite e o sono, por se lhe afigurar que de aquelas páginas vão surdir acerbas invectivas e punhos cerrados contra o que mais estima no Mundo. A ordem pública não corre ali o risco de uma beliscadura sequer, nem erra por lá o acusador fantasma da miséria do povo, convocado por tantos outros romancistas. A tal respeito não se poderia exigir coisa mais inócua e mansarrona. Assim o juramos à fé de quem somos.
Agora o que Pan tem mais a seu favor, o que lhe requinta a sedução, é o facto de ser um livro trasbordante de claridade e de poéticas intuições. Tutela-o, inspira-o de lés a lés — e isso conduziu o autor a denominá-lo de tal jeito — essa divindade grotesca mas amável, simplória e prazenteira como nenhuma outra, da arraia miúda das velhas teogonias mas tão imortal como os deuses da alta, que, em se pondo a tanger a sua frauta, faz andar tudo num rodopio. Baila ele, bailam à sua volta as ninfas, não há nada que não baile. E assim também cada um de nós se sente irresistivelmente levado na alegre ronda, pois do seu teor se desprende uma sugestão optimista e festiva. E a despeito de lhe sombrear o desfecho a morte do herói, a cujo convívio nos habituára-mos e se entranhara na nossa afeição — morte que é nota esporádica da novelística do autor, um dos que menos “assassinaram” as suas personagens, preferindo deixá-las de pé e empenhadas em prosseguir sempre na grande aventura da Vida —, termina-se a leitura com o espírito deliciosamente impregnado de um súbtil, inefável sabor a Primavera.
Referências blogosféricas para saber mais sobre Hamsun:

In Pena e Espada, 01 de Novembro de 2008

Ecrits de guerre, mobilisation totale et "Travailleur": Jünger, penseur politique radical

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Ecrits de guerre, mobilisation totale et «Travailleur»: Jünger, penseur politique radical

 

 

Wolfgang HERRMANN

 

Toutes les idées que le nationalisme révolutionnaire a développé pendant les dix premières années qui ont suivi la Grande Guerre ont trouvé leur apex dans l'œuvre d'Ernst Jünger. Les résidus du Mouvement de Jeunesse —qui avait littéralement “fondu” au cours des hostilités—  les éternels soldats par nature, les putschistes, les révolutionnaires et les combattants du Landvolk  ont toujours trouvé en Jünger l'homme qui exposait leurs idées. Mais Ernst Jünger est allé beaucoup plus loin qu'eux tous, ce qu'atteste le contenu du Travailleur. Il n'en est pas resté à une simple interprétation des événements de la Guerre, ce qui fut son objet dans Der Kampf als inneres Erlebnis,  résumé de ces impressions de soldat. Ce mince petit volume sonde les sensations du soldat de la première guerre mondiale, en explore la structure. Et ce sondage est en même temps l'expression d'une nouvelle volonté politique, la première tentative de fonder ce “réalisme héroïque”, devenu, devant les limites de la vie, sceptique, objectif et protestant. En revenant de la guerre, Jünger a acquis une connaissance: l'empreinte que ce conflit a laissé en lui et dans l'intériorité de ses pairs, est plus mobilisatrice, plus revendicatrice et plus substantielle que le message des idéologies dominantes de son époque. Voilà pourquoi la Guerre a été le point de départ de ses écrits ultérieurs, dont Le Travailleur et La mobilisation totale.  Ces deux livres pénètrent dans une nouvelle “couche géologique” de la conscience humaine et modifient la fonction de celle-ci dans le monde moderne. Les deux livres partent du principe de la mobilisation totale, que la Guerre a imposé aux hommes. D'un point de vue sociologique, la guerre moderne est un processus de travail, de labeur, immense, gigantesque, effroyable dans ses dimensions; elle mobilise l'ensemble des réserves des peuples en guerre. Les pays se transforment en fabriques géantes qui produisent à la chaîne pour les armées. Par ailleurs, la guerre de matériel devient pour les troupes combattantes elles-mêmes une sorte de processus de travail, que les techniciens de la guerre ont la volonté de mener à bien. Le nouveau type d'homme qui est formé dans un tel contexte est celui du Travailleur-Soldat, chez qui il ne reste rien de la poésie traditionnelle du Soldat et qui ne jette plus son enthousiasme mais son assiduité dans la redoute qu'il est appelé à occuper. Jünger sait désormais que “la mobilisation totale, en tant que mesure de la pensée organisatrice, n'est qu'un reflet de cette mobilisation supérieure, que le temps accomplit en nous”. Et cette mobilisation-là est inéluctable, la volonté consciente de l'individu ne peut rien y changer. La mobilisation totale des dernières énergies prépare, même si elle est en elle-même un processus de dissolution, l'avènement d'un ordre nouveau. La figure qui forgera cet ordre nouveau est celle du Travailleur. L'image de ce Travailleur, de ce phénomène qui fait irruption dans notre XXième siècle, nous la trouvons dans l'éducation et les arts modernes; Jünger l'a conçue d'après les caractéristiques du Soldat du Front et d'après le modèle russe où le Travailleur devient le Soldat de la Révolution. Jünger ne conçoit pas la catégorie du Travailleur comme un “état” (Stand)  de la société, comme le veut la science bourgeoise, ou comme une classe, à l'instar du marxiste, mais voit dans le Travailleur un nouveau type humain en advenance, une nouvelle mentalité en gestation, qui réussira la fusion de la liberté et du pouvoir. Seul le Travailleur entretient encore une “relation illimitée avec les forces élémentaires”, qui ont pénétré dans l'espace bourgeois, en opérant leur œuvre de destruction. Conservateurs traditionnels et Chrétiens ont attaqué ce livre radical avec une véhémence affirmée. Le Travailleur  reste néanmoins un ouvrage difficile à lire: il recèle une indubitable dimension philosophique; il aborde la problématique en changeant constamment de point de vue, ce qui exige de la part du lecteur une communauté de pensée et une capacité à se remettre perpétuellement en question. (...).

 

Wolfgang HERRMANN.

(extrait de Der neue Nationalismus und seine Literatur,  San Casciano Verlag, Postfach 1306, D-65.533 Limburg; trad. franç.: Robert Steuckers).

mercredi, 05 novembre 2008

L'aréopostale ou l'esprit du désert

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L'AéROPOSTALE OU L'ESPRIT DU DéSERT

 

Une figure littéraire et intellectuelle telle que celle de Joseph Kessel a trop peu souvent abordée, sauf, hélas, pour des commentaires trop conventionnels. Et pour cause, ce personnage, juif russe né en Argentine en 1898, ayant pris part dans le camp français lors du prernier conflit mondial, volontaire pour l'expédition française en Sibérie, grand-reporter lors de l'insurrection irlandaise de 1920, gaulliste aviateur dans les FFL à la carrière d'écrivain couronnée par sa réception à l'Académie Française en novembre 62, et mort en 1979 célébré dans toutes les écoles pour son Lion,  laisse perplexe et désoriente. Et pourtant...

 

Et pourtant la récente réédition chez Gallimard (collection Folio) du document Vent de Sable, histoire d'une rencontre avec l'excellence humaine, incarnée par l'héroïsme au quotidien des pilotes à tout à faire de l'Aéropostale, totalise un éclatant message de nietzschéisme ordinaire, aisément assimilable et à la méditation fort profitable pour tous.

 

un éclatant message de nietzschéisme ordinaire

 

L'Aéropostale, une aventure française (la dernière peut-être...) inaugurée le 25 décembre 1918 par le projet apparemment fou pour l'époque de M. Latécoëre de rallier Toulouse au Maroc puis à Dakar afin d'acheminer le courrier vital à la liaison métropole- empire saharien. Il faudra quatre années et des souffrances indescriptibles pour assurer enfin le raccord tant espéré. C'est cette histoire que nous retrace Kessel, un voyage entre Casablanca et Dakar, auquel il prit part et qui lui fit rencontrer, pour mieux se révéler à lui-même, la phalange exceptionnelle des héros qu'étaient les «gars» de l'Aéro, anonymes pour la plupart: Lécrivain, Reine, Serre, Daurat, Riguelle, Nubade et tant d'autres, célébrissimes pour quelques rares élus: Mermoz, Saint-Exupéry. Traversant le Sahara, passant successivement par Casa, Agadir, Fort Luby, Villa Cisneros, Nouakchott, Kessel fera la découverte d'une véritable armée de chefs, mécanos, pilotes, ingénieurs, relais dans le désert, traducteurs, tous régis par la même discipline cruciale qu'impose le désert aveugle, guerriers sans armes, aventuriers mystiques menés par l'élan de la jeunesse et les souvenirs des «cadavres sacrés» des hommes disparus pour la ligne.

 

Des hommes dont la seule noblesse est le service

 

De fait, Kessel s'attache plus à immortaliser le style de ces hommes héritiers des Guynemer, Fonck ou Nungesser, qu'user sa plume à célébrer les charmes cruels des sables brûlants de l'Ouest Saharien. Des hommes, tout au plus âgés de trente ans, presque des enfants, emplis d'un lyrisme simple, purs, vierges de l'influence néfaste des villes surpeuplées, animés par un sentiment de devoir quasi-religieux d'acheminer à bon port les précieux sacs postaux. Une foi dénuée de toute réflexion, nourrie par l'expérience, la fascination des espaces immaculés que saura si justement restituer Saint-Exupéry dans Terre des hommes  ou Vol de Nuit  (un prochain portrait littéraire de NdSE sera consacré à la figure d'Antoine de Saint-Exupéry), et que Kessel ressentira comme une catharsis fiévreuse imposée par la peur de la panne, la mise à mort par les rebelles maures, la soif étouffante, le soleil implacable, l'immensité désertique, le Rio de Oro («fleuve d'or») chanté par les garnisons espagnoles du Sahara Occidental.

 

Dans cette nudité absolue, détaché du monde moderne, Kessel redécouvre les vertus nées de 14 qu'il avait déjà relatées dans son livre L'Equipage, la fraternité exempte d'intérêt, «la camaraderie immédiate qui est le propre des hommes qui vivent dans le danger», le charme des risque-tout «pour le coup», la franche gaieté de ceux qui en reviennent, le souvenir recueilli mais sans voyeurisme de ceux qui sont tombés. Une philosophie de l'être excluant tout sens du tragique car vécu par des hornmes dont la seule noblesse est le service, et le destin, si capricieux pourtant, sans cesse nargué, méprisé.

 

Certains passages, dans un esprit éminemment proche de celui de Saint-Ex (qui à l'époque venait de publier Courrier Sud), percent à jour dans un style fluide et épuré l'intimité de cette caste nouvelle ayant dormé une âme à la mécanique, à l'inconnu qui ne connaîtra jamais les mille périls encourus par ces postiers de l'impossible.

 

«Ici le vertige de la vitesse et, surtout, le magnétisme, le sens du danger troublent ceux qui sont attirés sur des sables ou des fleuves inconnus, par le jeu éternel de la vie et de la mort (...) Ils ne portaient pas d'uniforme, chacun était vêtu à son goût et selon ses propres moyens. Ils n'avaient pas à risquer le bombardement ou le combat aérien. Mais les différences avec ceux qui vécurent en escadrilles les armées de guerre étaient toutes superficielles_ Le même signe était sur eux, la même insouciance, la même habitude du danger et la même simplicité (...) S'ils n'avaient pas d'ennemis humains à combattre, ils affrontaient chaque jour les sierras d'Espagne, les brumes nocturnes, les vents de sable, la chaleur, le désert. S'ils menaient une apparence de vie civile, une discipline tout aussi rigoureuse que celle de l'armée les régissait (...) Ce qui les rendaient surtout pareils à ceux que j'avais connus au front, c'était leur étonnante liberté d'allure et d'esprit, leur quiétude morale».

 

Une belle et intemporelle leçon d'humanisme

 

Ce texte, court reflet d'une époque et d'une mentalité en finalité analogue à celle des corps-francs transfigurés par les frères Jünger ou Ernst von Salomon dans des circonstances bien plus troubles, peut aujourd'hui paraître désuet et Kessel le savait qui prévoyait dejà le perfectionnement exponentiel et oublieux de l'aéronautique moderne.Il nous lègue néanmoins une belle et intemporelle leçon d'humanisme, écrivant en hommage posthume à l'écrivain, qui devait bientôt disparaître englouti par l'Atlantique, cet appel sans réserve à la jeunesse: «sans cette flamme intérieure qui le brûle et le dépasse  —qu'elle s'applique à une croyance, à une patrie, à un amour fou ou à leur métier— l'homme n'est qu'une mécanique indigne ou désespérée».

 

Laurent SCHANG.

 

Joseph KESSEL, Vent de Sable, Folio Gallimard, cat. 2, n°3004.

 

mardi, 04 novembre 2008

J.C. Albert-Weil: Veillons au salut de l'Empire!

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Veillons au salut de l'Empire!

 

«Le grand Empire, l'Empire central, l'Imperium, par opposition à l'Occident»

(Jean-Claude Albert-Weil, Sont les Oiseaux, 1996)

 

Fiction: en juillet 1940, Hitler parvient à forcer la main au général Franco qui laisse passer les troupes allemandes sur son territoire. Gibraltar tombe et les panzers, après avoir traversé le Maroc et l'Algérie, foncent sur Le Caire. 300.000 prisonniers français sont libérés et commis aux moissons. La popularité du vieux maréchal est au zénith. Un débarquement allemand a lieu en Irlande du Sud. Malte tombe aux mains des paras de la Luftwaffe de Goering. Churchill est mis en minorité et remplacé par Lord Halifax, qui fait la paix, en échange des puits de pétrole du Moyen Orient, qui restent sous contrôle britannique. Pourquoi faire la guerre dans ces conditions? Le succès de l'opération Barbarossa est quasi complet et, rapidement, les troupes de l'Axe font jonction dans le Caucase. Par un coup d'audace inouï (Skorzeny?), Vladivostok tombe. C'est la panique au Japon, qui se rapproche des Américains. Dans l'Empire, c'est le délire: d'ailleurs, à Berlin, on joue Sartre à guichets fermés! Dans cette atmosphère de triomphalisme, l'épuration ethnique dont sont victimes les Juiffss prend heureusement fin et l'Empire favorisera même, pour gêner les Anglais, la naissance d'un Etat hébreu, armé par l'Allemagne. A Berlin, l'aile modérée menée par Bibbentrop, le cher Otto Tabetz, ou Krommel élimine les “natzis” forcenés. Une fausse explosion nucléaire, vers 1943, calme les Américains, qui se contentent d'armer la résistance soviétique (Staline combat toujours en Yakoutie). Une vraie bombe, que le Führer obtient grâce à ses réseaux d'espions (juiffss?) aux Etats-Unis, assure définitivement la neutralité américaine. Hitler meurt le 30 décembre 1946, à la veille du réveillon. Speer, l'amiral Panaris et surtout Gersdorff entreprennent une première “dénatzification” et, de 59 à 78, Stendel, le Führer suivant, proscrit le racisme et le remplace par le différentialisme critériologique: les Juiffss sont incités à collaborer ou à émigrer en Israël, où ils forment une tête de pont de l'Empire.

 

L'existencisme: doctrine impériale

 

Mais le grand Führer, c'est Gessler (1978-1993): avec lui, l'Empire décolle. La Panfoulia, grande autostrade de Duinkerke à Vladivostok draine des millions de Volkswagen et l'élite du Parti se détend à l'hôtel Heidegger, un gigantesque paquebot planté sur le Mont Blanc. L'aide sociale est généralisée, mais jamais en argent: distributeurs de nourriture, soins médicaux, vêtements, tout est gratuit, et de qualité (pas d'engrais chimiques, d'élevage aux hormones, d'où un taux de cancer ridiculement bas dans l'Empire). Les sciences atteignent un niveau inouï: manipulations génétiques, chirurgie esthétique, drogues diverses... et la fameuse base secrète de Tsarskoïe Sélo!

 

La doctrine impériale est appelée “existencisme”, elle garantit le droit aux plaisirs sexuels les plus raffinés pour tous les citoyens. La publicité est interdite, l'intrusion télévisuelle limitée (TV interdite les samedis et dimanches de la Norvège à la frontière coréenne, interdiction de toute permanence médiale: après un an, les journalistes cèdent leur place et changent de service; pas de femme de minlstre qui bave à l'écran!), le sport spectacle est banni (un joueur de l'équipe de Milan est vraiment né dans cette ville... de parents milanais), l'endettement exagéré est illégal. Des lois favorisent les PME et forcent les gens à faire réparer tout appareil un certain nombre de fois, d'où l'existence de castes de réparateurs prospères et heureux. Toutes ces lois saines et de bon sens déclenchent la fureur de la presse “ploutocrato-ergono-aliénée-croyancialo-marxo-cosmopolito-médiacrato-religio-éthico pseudo-égalitaire-hyperdémographico-universo-droit de l'hommesque-planèto-destructive”.

 

L'Empire est résolument non humaniste et rejette sagement les droits de l'homme, qui ne sont jamais que “les droits du client”: “droit de chier des litanies de progénitures débilo-crédulo-proliférantes, pulluliques, malsaines, ivres de tuer leur prochain ou de leur passer la Grande Maladie”. Car la Maladie, venue de l'Ouest est interdite dans l'Empire: un corps d'élite veille et nettoie, liquidant impitoyablement malades infiltrés par les démothalassocrates, agents d'influence de la pourriture utilitairo-protestante et militants nationalistes (des Gagaouzes aux Vourdalaks). Pas question d'affaiblir l'Empire! Les chrétiens, et les croyeux  de tous poils, sont l'objet d'une attention toute spéciale: les chefs n'ont pas oublié leur rôle de pourrisseurs de l'Empire romain. On ne les laissera pas recommencer! Et des villes entières reparlent latin, la langue des origines. On y sacrifie à Jupiter... Gessler le Grand a compris qu'il n'y avait que deux manières de gérer l'humanité: les couilles pleines, à l'anglo-saxonne (frustration/culpabilisation-ambition-production), ou les couilles vides, à l'européenne (satisfaction-réalisation-assomption). Dans l'Empire, il est difficile de les garder pleines longtemps: des esclaves de Hollande ou du Kouban, expertes et motivées, sont fidèles au poste.

 

Ainsi parla Gessler...

 

Une monnaie unique, le franmark européen, est garantie par d'immenses réserves d'or, au contraire de l'immonde dollar usaïque, fabriqué à partir de rien, manipulé au dépens de populations ignorantes, abruties par un plouto-démocratisme hypermédiatisé. Les différences sont exaltées: pulpeuses Kalmouks et beaux Italiens peuvent bien se payer des orgasmes cosmiques, mais, attention, pas de métis! L'immigration est bien entendu interdite: «Autrefois, un peuple qui rentrait dans un autre, c'était clair, c'était une invasion... Peut-on aujourd'hui laisser librement les peuples qui n'ont aucune discipline nataliste et qui se multiplient à l'infini se répandre chez nous avec leurs drogues et maladies, chez nous qui réglementons nos naissances? La partie n'est pas égale! C'est s'abandonner à la catastrophe, à la barbarie, à l'effacement radical... Suicidons-nous collectivement tout de suite pour laisser la place aux autres, et qu'on n'en parle plus...». Ainsi parla Gessler, quatrième Führer de l'Empire. Dans ce monde braziloïde, un cauchemar pour les cosmopoliens et le rêve pour tous les autres, on suit l'ascension de Carl, membre de la DPSE (l'ordre beige), mais fréquentant, de Degrellstadt à Paris (Boulevard Céline) la fine fleur de l'aristocratie impériale: Lily Jünger, cette chère Pamela Horthy, l'exquis Vlady Vlassov, Anne-Ingrid de Munsbach-Lothringen et, bien sûr, le Protonotaire Parvulesco.

 

Patrick CANAVAN.

 

J. C. ALBERT-WEIL, Sont les oiseaux, Ed. du Rocher, 1996, 149 FF.

lundi, 03 novembre 2008

De literaire voorkeuren van J. van Severen tijdens de Eerste Wereldoorlog (1914-1918)

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De literaire voorkeuren van Joris van Severen

tijdens de Eerste Wereldoorlog (1914-1918)

Kurt Ravyts, Brugge

Zoals ik reeds in de inleiding van mijn artikel over Joris van Severen en de avant-garde in de spiegel van Ter Waarheid (1921-1924)1 schreef wordt Van Severen bij talrijke historici en het grote publiek ook anno 2004 nog altijd gereduceerd tot de militaristische en fascistische leider van het anti-democratische en virulent antisemitische Verdinaso.2 Het Jaarboek Joris van Severen en het Studiecentrum Joris van Severen bewijzen nu echter reeds bijna tien jaar en dit in opvolging van het Nationaal Studie- en Coördinatiecentrum in Aartselaar, dat dit beeld op zijn zachtst gezegd best wordt bijgesteld en geven historici die naar volledigheid en objectiviteit streven volop de gelegenheid om ook een  ‘andere’  Joris Van Severen te leren kennen.3 

Dat er ook een ‘andere’ Van Severen bestond werd echter zelfs voor specialisten pas volledig duidelijk doorheen het beschikbaar worden van het privé-archief van Joris van Severen dat  door zijn neef ere-notaris Rudy Pauwels, zoon van Jeanne van Severen, aan het universiteitsarchief van de Katholieke Universiteit Leuven werd geschonken. Sinds januari 2004 berust het volledige privé-archief van Joris van Severen in dit archief dat zich in de indrukwekkende Leuvense universiteitsbibliotheek bevindt.

Met dit onderzoek wilde ik opnieuw aanknopen bij mijn bijdrage uit 1997 over de invloed van Gabriele D’Annunzio en Leon Bloy op de jonge Joris van Severen tijdens de eerste wereldoorlog.4  Ik erkende toen voor mijn bronnen bijna volledig schatplichtig te zijn aan het Oorlogsdagboek van Van Severen, een mijns inziens bijzonder aangrijpend document waarin hij zijn diepste zieleroerselen maar ook meer intellectuele en literaire beschouwingen neerpende. Dit maal koos ik voor een bredere benadering waarbij ik zal proberen de lezer een beeld te geven van de literatuur die Joris van Severen tijdens de Eerste Wereldoorlog verzamelde en las. Zoals ik ook al in 1997 beklemtoonde is de receptie, verwerking en evaluatie van deze literatuur bij Van Severen altijd verweven met persoonlijke, subjectieve factoren. M.a.w. de omstandigheden, noodlottigheden, spanningsvelden, karakterschetsen, enz… die hij in verscheidene romans las koppelde hij vaak terug naar zijn eigen wedervaren en hiermee gepaard gaande gevoelens. In die zin voegt een belichten van de door Joris van Severen’ gelezen literatuur tijdens de Eerste Wereldoorlog ook opnieuw enkele tot nog toe vrijwel onbekend gebleven elementen toe aan zijn biografie. Kortom, literatuur speelde ook bij Joris van Severen een essentiële rol bij het tot stand komen van de grondlijnen van zijn persoonlijkheid.

Ook nu vormen de oorlogsdagboeken de belangrijkste bron voor deze bijdrage. De ‘oorlogslectuur’ van Van Severen werd naast mijn bijdrage over de invloed van Léon Bloy en Gabriele D’Annunzio enkel nog maar door Luc Pauwels van nabij onder de loupe genomen. Arthur de Bruyne beperkte zich in zijn bekende biografie Joris van Severen. Droom en daad tot de mededeling dat Van Severen tijdens de Eerste Wereldoorlog veel las en tot het opsommen van een aantal auteurs. Rachel Baes daarentegen, ging in Joris Van Severen. Une âme wel in op de literaire keuzes van Van Severen maar putte vrijwel uitsluitend uit Van Severens briefwisseling met Charles Gouzée de Harven met wie zij bevriend was.5

In zijn zeer gedegen licentiaatsthesis De ideologische evolutie van Joris van Severen (1894-1940).Een hermeneutische benadering behandelde Luc Pauwels echter op de eerste plaats de totale bibliotheek van Van Severen en splitste hij voor zijn onderzoek de lectuur uit de oorlogsdagboeken dus niet af.  Boven bestudeerde hij deze bibliotheek en de oorlogslectuur vooral als bronnen voor de studie van Van Severens ideologie. Volgens Luc Pauwels werd de ideologie van Joris van Severen via het antimilitarisme vanaf einde 1916 uitgesproken links-revolutionair. Hij noemt het zelfs een  “emotioneel bolsjewisme verbonden met Vlaams-nationale motieven”. Volgens Pauwels betreft het een “nationaal-revolutionaire” ideologie die vanaf 1922 om-zwaait naar ultramontaans katholicisme, enkele jaren later naar solidarisme en nationaalsolidarisme en in de jaren dertig zelfs naar politiek corporatisme.6

Ik ben het slechts ten dele eens met de bevindingen van Luc Pauwels. Diens benadering was geen onderzoek naar de literaire interesses van Joris van Severen an sich en zeker niet naar de appreciatie en persoonlijke verwerking van Van Severen van deze literaire keuzes. Mocht Luc Pauwels een meer gediversifieerde benadering hebben verkozen dan zou hij hebben gemerkt dat van zeer duidelijke, uitgekristalliseerde ideologische evoluties en breuklijnen bij Van Severen eigenlijk niet direct sprake is. Ik zou het eerder accentverschillen noemen en wisselende uitingen van een wezenlijk  “eclectische” en  “caleidoscopische” persoonlijkheid. Wat hij dus in het begin van de  “Grote Oorlog” over zichzelf schreef bleef eigenlijk relevant in en voor zijn verdere leven: “Echt en hevig rechtzinnig revolutionair. Overgevoelig. Schrijnend lijdend aan liefdeloosheid en nood aan een diepe vrouwenziel. Zo individualistisch en anarchist als het maar zijn kan. En toch in mijzelf een behoefte voelend en een begeerte naar orde, tucht, hiërarchie en sociale inrichting.

Geestelijke wildheid, primitiefheid, Dostojevski en vagebond. Maar diep in mij meer de Goethiaansche orde, natuur die alle dingen juist meet en op haar nodige plaats wil.

Socialistische armoedigheid, als een zwerver aangekleed en leven. En toch ook begeerte naar een gentleman, aristocratisch, mooie klederdracht en hoofse gemanierdheid.

Eenzame dromer en apostel, werkdadige Leider van een Beweging. Hooghartig misprijzen, pose en medelijden.”7. Deze zelfanalyse vormt als het ware een programma voor zijn verdere leven waarvan hij, mee evoluerend met de historische context,  bepaalde facetten van beklemtoonde en realiseerde maar ook weer afbouwde. Hetzelfde persoonlijkheids-programma zien we ook weerspiegeld in zijn literaire keuzes tijdens de Eerste Wereldoorlog zoals ik ze tijdens deze uiteenzetting aan u presenteer.

______________________

1. Ravyts, K., Joris van Severen en de avant-garde in de spiegel van Ter Waarheid, in Jaarboek Joris van Severen 4, Ieper, 2000, pp.45-123.

2. Illustratief is het artikel  ‘Zwart gaat moeilijk af’ van ene Dimitri Verhulst in De Morgen van 9 juli 2003. Dit artikel werd opgenomen in het boek  Hij was een zwarte dat naast de in 1946 geschreven gelijknamige reportage van Louis Paul Boon ook teksten van literatuurwetenschapper en Boon-biograaf Kris Humbeeck en historicus Chris van der Heijden bevat.  Verhulst schrijft wanneer hem door zijn gesprekspartner gevraagd wordt of hij weet wie Van Severen is volgende onzin : “Tenzij er een andere Joris van Severen is dan die kleine, magere man uit Wakken die vaker van politieke overtuiging dan van onderbroek veranderde, die een tijdschrift oprichtte waarin aanvankelijk nog socialisten publiceerden, uiteindelijk het Verdinaso stichtte, ontroerd raakte bij de aanblik van jonge knaapjes die met wimpeltjes en pennoentjes en trommeltjes voor hem paradeerden, wiens geluk niet opkon als hij maar even Mussoliniaans kon salueren naar pakweg een door duiven bescheten standbeeld van Willem van Oranje, en die ontgoocheld was in vele fascistische partijen omdat ze niet ondemocratisch en antisemitisch genoeg waren naar zijn gedacht, en die ze aan het begin van de grote wereldbrand in Abbeville hebben omgebracht… tenzij er nog een andere Von, pardon, di Severini is, weet ik over wie J. het heeft.”.

3.Die ‘andere’ Van Severen treedt sterk naar voor in de fascinerende biografie van Rachel Baes, in 2002 gepubliceerd door de Brugse publicist Patrick Spriet, Een tragische minnares. Rachel Baes, Joris van Severen, Paul Léautaud en de surrealisten, Leuven, 2002.

4. Ravyts, K., De invloed van Gabriele D’Annunzio en Léon Bloy op de persoonlijkheid en de religiositeit van de jonge Joris van Severen, in Jaarboek Joris van Severen, Ieper, 1997, pp.67-119.

5. Ravyts, K., Joris van Severen en de avant-garde in de spiegel van Ter Waarheid, in Jaarboek Joris van Severen 4, Ieper, 2000,  pp.45-123.

6. Pauwels, L.. De ideologische evolutie van Joris van Severen (1894-1940). Een hermeneutische benadering. Deel I, Leuven, 1998, pp.264-267.

7 Van Severen, A., Joris van Severen, het verhaal van een leven. Deel 1: Van 1894 tot 1929, Brugge, 1995,  p.79.

mercredi, 29 octobre 2008

H. von Hofmannsthal et "l'enténèbrement du monde"

Hugo von Hofmannsthal et « l’enténèbrement du monde »

vendredi, 17 octobre 2008

Vision du futur

VISION DU FUTUR

Trouvé sur: http://coterue.over-blog.com

Un passage du grand romancier américain Ray Bradbury (auteur notamment de Fahrenheit 451 sur la criminalisation du livre dans un monde futur) qui imagine pour les environs de 2006, plusieurs décennies avant, certains changements qui pourraient affecter notre société. Il s’agit bien sûr de science-fiction apocalyptique, mais tout n’est pas si faux dans sa vision d’une censure moderne, de l’apparition d’un nouveau politiquement correct et du pouvoir grandissant donné aux communautés aux dépens de l’intérêt général.

 

 

« Ça a commencé en douceur. En 1999, ce n’était qu’un grain de sable. On s’est mis à censurer les dessins humoristiques, puis les romans policiers, et naturellement les films, d’une façon ou d’une autre, sous la pression de tel ou tel groupe, au nom de telle orientation politique, tels préjugés religieux, telles revendications particulières ; il y avait toujours une minorité qui redoutait quelque chose, et une grande majorité ayant peur du noir, peur du futur, peur du passé, peur du présent, peur d’elle-meme et de son ombre. Peur du mot "politique" (qui était, parait-il, redevenu synonyme de communisme dans les milieux les plus réactionnaires, un mot qu’on ne pouvait employer qu’au péril de sa vie). Et avec un tour de vis par-ci, un resserrage de boulon par-là, une pression, une traction, une éradication, l’art et la littérature sont devenus une immense coulée de caramel mou, un méli-mélo de tresses et de noeuds lancés dans toutes les directions, jusqu’à en perdre toute élasticité et toute saveur. Ensuite, les caméras ont cessé de tourner, les salles de spectacle se sont éteintes, et les imprimeries d’où sortait un flot niagaresque de lecture n’ont plus distillé qu’un filet inoffensif de produits "épurés". Oh, le mot "évasion" aussi était extrémiste, faites-moi confiance ! [...]

 

Chacun, disait-on, devait regarder la réalité en face. Se concentrer sur l’Ici et le Maintenant ! Tout ce qui ne s’y conformait pas devait disparaitre. Tous les beaux mensonges littéraires, tous les transports de l’imagination devaient être abattus en plein vol ! Alors on les a alignés contre un mur de bibliothèques un dimanche matin de 2006 ; on les a tous alignés, le Père Noel, le Cavalier sans tête, Blanche-Neige, le Petit Poucet, ma Mère l’Oie – oh, quelle lamentation ! Et on les a abattus. On a brûlé les chateaux en papier, les grenouilles enchantées, les vieux rois, tous ceux qui "vécurent toujours heureux" (car naturellement, il était bien connu que personne ne vivait toujours heureux !) et "il était une fois" est devenu "plus jamais". On a dispersé les cendres de Rickshaw, le fantome ainsi que les décombres du pays d’Oz ; on a désossé Clinda la bonne et Ozma, fait voler la polychromie en éclats dans un spectroscope, et meringué chaque Tête de Citrouille pour les servir au bal des Biologistes ! La tige du haricot magique est morte étouffée sous les ronces de la bureaucratie ! La Belle au Bois-Dormant s’est réveillée au baiser d’un scientifique pour expirer sous la piqure fatale de sa seringue. Ils ont fait boire à Alice une potion qui l’a fait rapetisser au point qu’elle ne pouvait plus s’écrier : "De plus en plus curieux", et d’un coup de marteau, ils ont fracassé le Miroir et chassé tous les Rois rouges et toutes les Huitres. »

 

 

Ray Bradbury, "Usher II" in. "Chroniques Martiennes", Denoel, 1997, p.210-212

mercredi, 15 octobre 2008

Henry Bauchau dans la tourmente du XX siècle

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Henry Bauchau dans la tourmente du XXe siècle

Geneviève Duchenne, Vincent Dujardin et Myriam Watthee-Delmotte publient "Henry Bauchau dans la tourmente du XXe siècle. Configurations historiques et imaginaires" aux éditions Le Cri. 
Né en 1913, Henry Bauchau a traversé le siècle. Il ne publie son premier recueil poétique qu’en 1958. Pourtant, il y a un poète qui s’ignore dans le chroniqueur d’avant-guerre, dans le combattant de 1940, dans le citoyen engagé dans l’action sociale sous l’Occupation ; il y a un être d’action dissimulé dans l’écrivain. Ce sont ces deux pans de la vie de Bauchau qui sont abordés dans ce travail, fruit des efforts conjugués de deux historiens et d’une spécialiste de la littérature contemporaine. Le travail des premiers, – bâti sur la base d’archives pour une bonne part inédites –, trouve son prolongement naturel dans l’analyse de la seconde : aucun des deux objets, historique et imaginaire, n’est indépendant, et leur corrélation permet d’éclairer un parcours certes singulier, mais inscrit dans une dynamique générationnelle.

L'ouvrage sera lancé le jeudi 6 mars 2008 au Musée de Louvain-la-Neuve, lors du vernissage de l'exposition "L'atelier d'Henry Bauchau".

Ce qu'on en dit

"De quels chemins ombrés a surgi la vocation tardive d'Henry Bauchau et de quelle expérience, de quel traumatisme en l'occurrence, s'est nourrie la substance de ses livres ? Deux historiens, Geneviève Duchenne et Vincent Dujardin, tous deux historiens et professeurs à l'UCL, ainsi que Myriam Watthee-Delmotte, professeur de littérature à l'UCL et spécialiste de l'oeuvre d'Henry Bauchau, apportent à ces questions l'éclairage d'une enquête rigoureusement documentée à partir de lettres, d'archives, d'entretiens, de mémoires, de témoignages et faite dans un esprit de collaboration où, aux recherches des premiers, répond en écho l'analyse des textes de la troisième."

Monique Verdussen, "Bauchau avant Bauchau", La Libre Belgique, 18 avril 2008 (article accessible via le site de La Libre)

SYNERGIES EUROPEENNES - Ecole des cadres/Wallonie - Lectures - Octobre 2008

vendredi, 10 octobre 2008

Céline, la danse et les danseuses

Trouvé sur: http://ettuttiquanti.blogspot.com

Céline, la danse et les danseuses

"Il n'était pas évident que cet écrivain qui semble ou prétend n'écrire que pour se délivrer de souvenirs insupportables et décharger sa bile soit sensible à d'autres arts qu'à cette prose narrative dans laquelle il s'est lancé comme malgré lui.

Or sa relation avec plusieurs de ces arts a à voir, quoique pas toujours de la même manière, avec sa pratique de romancier, et tout se passe même comme si ses attirances premières avaient été tournées vers des arts qu'il passe ensuite sous silence, en tout cas dans ce Voyage au bout de la nuit qui dessine pour longtemps son image dans l'opinion.

Aucun ne le hante plus continûment et sous des formes plus diverses que la danse, cette mise en forme et en valeur du corps, pour lui avant tout du corps féminin. Sans doute fait-il cette découverte de la danse, comme il le dit, dans le music-hall londonien au cours de son séjour de 1915-1916. Il le retrouvera plus tard à Paris, dans les intermèdes dansés de séances de cinéma au temps du muet. L'épisode du Tarapout dans Voyage au bout de la nuit se souvient de ces expériences. « Ce que je trouve remarquable, dit Céline d'une des danseuses à un journaliste à qui il a donné rendez-vous dans un de ces cinémas, c'est que l'esprit ne cesse pas de dominer les muscles et le métier.» L'instant d'après, il lui parle de « l'infini de la danse ».



L'émerveillement durable dans lequel le plonge Elizabeth Craig quand il la rencontre en 1926 ne tient pas seulement aux qualités de corps et d'esprit de la jeune femme, mais aussi au fait qu'elle fait entrer la danse dans sa vie. À partir de ce moment, il n'aura plus de relation intime durable qu'avec des danseuses, comme s'il avait besoin d'avoir en permanence auprès de lui ce témoignage d'un accomplissement de la vie. Il en a besoin comme d'un contrepoids aux aspects négatifs de cette vie dont son imaginaire fait la matière des romans qu'il écrit. Il s'intéresse au travail intense auquel se plient ses compagnes pour se maintenir au niveau qu'exige leur art; il fréquente les cours qu'elles suivent pour bénéficier de l'expérience de leurs aînées. C'est à l'un d'entre eux, celui de Mme d'Alessandri, qu'en 1935 il rencontre Lurette Almansor, qui se spécialise dans les danses de caractère, d'inspiration espagnole ou orientale. Il vivra avec elle jusqu'à sa mort.

Ce choix n'est pas seulement affaire de relations féminines, il n'est pas exagéré de le dire existentiel, tant il est enraciné au plus profond de sa sensibilité et de son imaginaire. Dans la danseuse, Céline admire une lutte de chaque jour contre les effets que le temps fait subir au corps humain, en le soumettant toujours plus à la pesanteur et en ne lui laissant plus accomplir que des mouvements de moins en moins harmonieux - lutte donc, au repos, contre l'avachissement, l'affaissement, la perte des formes, lorsque les muscles ne suffisent plus à remplir et à tendre la peau qui auparavant les dessinait à la surface,- dans le mouvement, lutte contre la perte de souplesse qui désaccorde les parties du corps dans leur relation les unes avec les autres danseuse est l'être humain qui mène avec le plus d'évidence contre cette mort avant la mort une action perdue d'avance mais glorieuse.

Il est donc logique que Céline s'intéresse autant, et peut-être plus, au travail à la barre et aux répétitions qu'au spectacle final, et qu'à côté de l'envol et des pointes de la danseuse classique il fasse place dans son empyrée à la danseuse de music-hall.
Les circonstances ont fait que le développement le plus long et le plus lyrique que lui ait inspiré la danse soit situé à l'orée des trois cents pages de fureurs et d'éructations de Bagatelles pour un massacre: « Dans une jambe de danseuse le monde, ses ondes, tous ses rythmes, ses folies, ses voeux sont inscrits!... jamais écrits!... Le plus nuancé poème du monde!... émouvant! [ ... ] Le poème inouï, chaud et fragile comme une jambe de danseuse en mouvant équilibre est en ligne, [ ... ] aux écoutes du plus grand secret, c'est Dieu! C'est Dieu lui-même! Tout simplement! [ ... ] La vie les saisit, pures... les emporte... au moindre élan, je veux aller me perdre avec elles... toute la vie... frémissante, onduleuse... » (Bagatelles pour un massacre)

C'est explicitement la raison pour laquelle il insère trois arguments de ballet (« bagatelles ») dans le texte de ce pamphlet, les deux premiers avant de se déchaîner, le troisième pour terminer le livre dans le calme après tant de violences. Il en attend la possibilité, s'ils étaient mis en musique et dansés, de « se rapprocher des danseuses » et, grâce à elles, de mourir « par une onde... la plus dansante... la plus émue... » (Bagatelles). À l'époque où il écrit ces lignes, il ne manque pas de relations personnelles avec des danseuses. Depuis qu'Elizabeth Craig l'a quitté, il voit régulièrement lors de leurs passages à Paris la Danoise Karen Marie Jensen et ses amies américaines, qui se produisent notamment au Radio City Hall de New York. Mais assister aux répétitions d'un ballet dont il aurait écrit l'argument serait être associé aux danseuses dans leur travail, et même accéder à leur saint des saints, si cela pouvait avoir lieu avec le corps de ballet de l'opéra de Paris.

Auparavant, à l'époque où il vivait avec Elizabeth, il avait tenté de mêler autrement danse et écriture. Ses deux pièces de 1926 et 1927, L'Église et Progrès, qui préfigurent, la première Voyage au bout de la nuit, la seconde Mort à crédit, comprenaient des personnages de danseuses et les faisaient danser sur scène, afin, disait Céline au même journaliste (voir p. 83), qu'en elles «sex-appeal» ou encore «attirance biologique » s'imposent directement au spectateur. Ils agiraient sur lui non, comme habituellement dans les pièces, à travers compliments et commentaires, mais comme des évidences ressenties.

Il est cependant significatif que, lorsqu'à deux reprises Céline reprend sous forme romanesque une histoire dont la plupart des éléments subsistent, en revanche la danse et la danseuse disparaissent. Grâce à son intimité avec des danseuses, il parvient, dans sa vie personnelle, à faire contrepoids à tout ce qui le rebute et le fait souffrir dans la réalité. Mais il n'est pas si facile de juxtaposer le positif et le négatif dans une création artistique fondée sur une représentation de cette réalité. Alors, c'est l'imaginaire qui commande et peut seul, par sa cohérence propre et sa correspondance avec le style, faire la valeur de l'œuvre dans l'ordre de la littérature. En Céline, le sens et le désir de la création littéraire, de même que l'intuition sinon la conscience de ses lois, ne sont pas moins forts que l'attachement à la danse. Rien n'est plus éloquent dans ce domaine que les transformations qu'il fait subir à l'histoire des aventures de Bardamu quand il passe du théâtre au roman : il les fait commencer par l'évocation de la guerre, qui devient la clé du roman tout entier. En revanche, il supprime de l'épisode new-yorkais les danseuses et leurs exercices sur scène.

[Photo : Le cours de Mme d'Alessandri avec Lucette Almansor (au milieu)] Quand L'Église fut jouée dans une mise en scène qui lui rendait justice, en 1992, les spectateurs qui gardaient le roman présent à l'esprit découvraient à quel point le choix d'une danseuse professionnelle pour tenir le rôle d'Elizabeth Craig suffisait à lui seul à déplacer le centre de gravité de l'histoire. Sa présence et les mouvements qu'elle exécutait devant Bardamu - et donc devant les spectateurs -, si ces scènes avaient été maintenues dans le roman, auraient fait perdre au reste des expériences du narrateur une partie de l'impact qu'elles ont à la lecture. La note de violence et de noirceur qui était destinée, pour le meilleur et pour le pire, à devenir la marque de Céline dans la littérature de son temps n'était pas compatible avec l'évidence physique de la danse. Quel que soit le secours que Céline tirait personnellement de celle-ci, dont il n'est pas exagéré de dire qu'elle l'aidait à vivre, il était trop écrivain-né pour ne pas en tirer les conclusions qui s'imposaient."

Source : Henri Godard, Un autre Céline, de la fureur à la féerie, Textuel, 2008.

jeudi, 09 octobre 2008

Bulletin célinien, n°301

Le Bulletin célinien

Sommaire du n° 301, octobre 2008 :

Marc Laudelout : « Sur Céline » de Philippe Alméras
Jean-Pierre Doche : Céline parmi nous
Alain Ajax : Céline au bout du communisme
Marc Laudelout : Céline dans la presse
Tomohiro Hikoe : « Progrès » et le music-hall
Michel P. Schmitt : Toujours à propos du 300ème numéro du BC

Le Bulletin célinien
B P 70
1000 Bruxelles 22
Belgique

http://louisferdinandceline.free.fr
celinebc@skynet.be




Numéro disponible contre 6 € (en timbres-poste ou par chèque à l'ordre de M. Laudelout)

mardi, 30 septembre 2008

R. Poulet: "D'un château l'autre"

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Robert Poulet:

« D’un château l’autre »

[1957]

Il est toujours dangereux d’enterrer les gens ; ils ressuscitent à l’improviste et on ne sait plus où les mettre. Depuis Féerie pour une autre fois, on posait en fait que le grand Céline, celui du Voyage au bout de la nuit, était mort. Erreur complète ! Le prétendu défunt détrompe son monde en poussant un nouvel éclat de rire dont les échos ont même réveillé les critiques parisiens, dans leur fauteuil à roulettes. Et ces messieurs en oublient que – par convention tacite, conclue en 1944 – « Céline, ce n’est rien », « un personnage très surfait », grossier comme un chauffeur de car, artificieux, puéril ; d’ailleurs tout à fait inconnu de la jeunesse. Inconnu, justement, parce que pendant dix ans on s’est abstenu de le faire connaître !... Est-ce que les jeunes connaîtraient Proust si la conspiration du silence s’appliquait à la Recherche du temps perdu ?... Pendant qu’Aristarque effaré et irrité s’empêtre ainsi dans ses contradictions, proclamons tranquillement que D’un château l’autre, s’il était signé Tartempion, ferait pousser des hurlements d’admiration et de stupeur à toute l’avant-garde littéraire, dont les choryphées se sont signalés par des innovations qui paraissent imperceptibles au prix de ce discours prodigieux, encore bien plus hardi et plus expressif que celui du Voyage.

Seulement ce livre-là contenait un sentiment, valable pour tous les hommes de ce siècle. Sentiment de découverte furieuse, de scandale qui répond au scandale ; la vie moderne, non plus décrite, mais vomie toute fumante ; et par-dessus le marché la Rigolade : un être qui tombe des nues, qui voit le monde où nous sommes – la civilisation faussée, l’âme salie, l’esprit plein de mensonges – et qui se tord.

Des deux inventions énormes qui constituent (renforcée dans Mort à crédit) la surprise célinienne, il ne reste évidemment que la seconde ; celle qui a pour fin d’introduire dans la littérature le langage de notre temps. Le vrai, non celui que jargonnent les romanciers réalistes, populistes, néo-naturalistes, etc.  Il suffit de contempler le hachis et le pataugis des sous-Céline, dont quelques-uns portent des noms partout vantés, pour mesurer l’habileté cachée de notre homme, faux cacographe, pseudo-débraillé, qui calcule ses diatribes à une virgule près, et qui s’apparente bien plus, pour le souci du style, à José-Maria de Hérédia qu’au Père Duchesne.

Que nous conte-t-il cette fois ? Tout ce qui lui passe par la tête. Et d’abord ses malheurs, ses aventures, ses observations d’émigré malgré lui, en 1944-45. On sait que le père de Bardamu s’enfuit à la Libération, encore qu’en réalité il n’eût même pas mis le bout du doigt dans les engrenages de la Collaboration ; mais, comme il le dit très bien, à Paris on lui aurait arraché les tripes. Grâce à ce malentendu tragi-comique, nous avons ici, sur l’Allemagne aux abois, sur Sigmaringen (où vivaient onze cents condamnés à mort), sur les geôles et les geôliers danois (qui tinrent dans une oubliette, pendant six ans, le pauvre Louis-Ferdinand,  accusé  là-bas d’avoir « vendu les plans de la Ligne Maginot »), sur les rapports  de  l’auteur avec son éditeur, « ce salaud de Gaston » (et l’impossibilité du seigneur Gallimard, tirant à moult exemplaires les injures dont il est abreuvé, ajoute encore à l’effet d’hilarité) un témoignage sans doute inexact – les poètes ni les prophètes ne voient les choses comme elles sont – mais épique. Sur un fond de vociférations, d’hallucinations et de protestations, dans la matière desquelles il n’entre pas une seule phrase : rien que de petits groupes de mots démantibulés, qui hoquètent et qui cliquètent ; dents d’une roue sans fin, que meut un moteur inquiétant, plein d’éclairs et de fumée.

Mais quand le mouvement s’arrête, avec sa charge d’images puissantes, de sarcasmes inouïs et de plaintes enfantines, on s’avise qu’à l’origine de tout ce tumulte, strictement distribué par le génie le plus mécanique de l’ère contemporaine, il pourrait bien y avoir ceci : une forme désespérée de la grandeur d’âme. Une sensibilité, une générosité, qui se mutilent et se meurent elles-mêmes, comme dans le conte d’Edgar Poë.

Robert POULET

(Pan, 26 juillet 1957)

 

dimanche, 28 septembre 2008

Sur "Gobalia" de Jean-Christophe Rufin

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Ecole des cadres - Synergies Européennes - septembre 2008

Sur "Golbalia" de Jean-Christophe Rufin

http://users.skynet.be/pierre.bachy/rufin-globalia.html...

A lire à la suite de nos travaux sur George Orwell et Aldous Huxley

samedi, 27 septembre 2008

A propos du 300ième numéro du Bulletin Célinien

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À propos d'un trois centième numéro du Bulletin célinien

J'ai entendu parler pour la première fois du Bulletin célinien  à l'époque déjà ancienne où j'assurais, au moins nominalement, la présidence de la Société des Études céliniennes naissante. J'en étais en tout cas le parrain pour avoir imaginé l'intitulé. Elle était destinée à servir de liaison entre la poignée de chercheurs qui s'intéressaient alors à Céline, et – après mes expériences américaines – j'y mettais naturellement mes espoirs. C'est pourquoi je me souviens avec netteté des sentiments que suscita à Paris la naissance du Bulletin célinien à Bruxelles. On en parlait avec réserve, pas mal de suspicion, mais comme d'une chose transitoire.

 

Or, voici le 300ème numéro. Le BC a non seulement vécu et survécu mais il s'est imposé, il est devenu une institution ; comment expliquer la chose ?

 

J'y vois d'abord un effet de la distance. Cela ne pouvait sans doute se faire que dans cette Belgique qui, à travers Denoël, Évelyne Pollet et Marc Hanrez, avait élu Céline. On y était suffisamment loin de Paris pour ne pas ressentir le clapotis parisien. Vivant avec tranquillité affrontements et conflits, sa double nature flamande et française lui assure la placidité nécessaire devant les mauvais coups : on sait encaisser.

 

Quand j'ai aperçu Marc Laudelout pour la première fois dans l'un des colloques qui se tint vers là-bas j'avais été surpris par sa jeunesse, mariée à une réserve sénatoriale. Cela contrastait avec la nervosité ou la fébrilité de céliniens rencontrés de part et d'autre de l'Atlantique. Ce tempérament lui a permis de négocier les emballements, les compétitions, les conflits et les paniques périodiques que provoque Céline. Non pas que le directeur du BC ait le cuir épais, je le crois sensible et même ultra sensible aux critiques, mais la périodicité mensuelle lui donne le temps de voir. De Bruxelles-Sirius,  on distingue mieux le qui du quoi.  Chacune des  chapelles  de la cathédrale chante l'évangile à sa façon, et tout en veillant au respect de la lettre, le directeur du BC se garde des procès aux hétérodoxes et aux dissonants, à moins de croire le grand homme attaqué.

 

Il a maintenu ce calme et ce sérieux d'arbitre dans les empoignades qui ont mis périodiquement aux prises les officiants qui s’assomment à coup d'encensoirs  comme les moines des différentes confessions à l’entrée du Saint-Sépulcre. Céliniens de gauche ou de droite, ayants droit, celtisants, passionnés de la virgule et du texte pour le texte, acharnés du  petit fait vrai ou de la mémoire du lieu, experts en exploration d'archives, collectionneurs et marchands de reliques, tous ont reçu leur dû chez lui. Il n'y a eu,  je crois, qu'un chanoine  pour refuser le contact. Ces rares qualités ont permis à Marc Laudelout de tenir la gageure du sujet unique.

 

Encore fallait-il que ce sujet tint lui-même en  haleine, et c'est justement la survie exceptionnelle de Céline qui permet au Bulletin à lui consacré de vivre depuis  trente ans.

 

Il m'a toujours semblé que chacun des admirateurs de Céline élisait l'une de ses qualités ou de ses défauts pour les cultiver dans son laboratoire, certains le misérabilisme, d'autres la folle audace associée à une extrême prudence, d'autres encore la peur des riches et des puissants, je passe sur les mimétiques de la forme,  Laudelout, lui, me paraît avoir élu le désir de vie de l’increvable qui, tout en parlant périodiquement de « se filer au gaz », a sans doute été le moins suicidaire des écrivains du temps.

 

La tentation d’en finir avec ce Bulletin, qui lui apportait à longueur d’année palpitations et vertiges devant le numéro à remplir, à boucler et à payer, a dû se présenter dix fois. Il lui a résisté, il a tenu grâce à celui qui – il faut le constater – n’a pas connu une année de purgatoire depuis la publication de L’Herne, les colloques de J.-P. Dauphin ou le premier numéro du Bulletin célinien.

 

Montherlant s’est lourdement trompé en disant qu’on ne lirait pas plus Céline dans cinquante ans qu’on ne lisait Paul Alexis ou Paul Lombard. On pourrait même croire qu’il a payé son erreur. Et ceci nous amène fatalement à la question inéluctable : pourquoi lit-on l’un et plus l’autre ? Une fois écartée la fausse réponse du style, il faut imaginer le lecteur, jeune ou vieux, gavé de l’aube au crépuscule de bons sentiments, envers les femmes, les immigrés et les sans-papiers, sommé de tenir tous les bipèdes pour ses semblables et convaincu de culpabilités rétrospectives variées, il faut imaginer ce lecteur découvrant la prose lyrique du seul qui sache piétiner nos tabous les plus chers entre deux ballets et trois idylles. L’impunité fournie par le temps et le talent assure la renaissance du phénix.

 

Laudelout s’est fait une spécialité d’évoquer le drôle d’oiseau, et il a encore le temps de voir. Son secret de longue vie tient au fait qu’il n’a rien à prouver, rien à démontrer.

 

Philippe ALMÉRAS

 

Auteur de deux thèses de doctorat sur Céline : L’évolution du langage romanesque de Louis-Ferdinand Céline (Université de Californie [Santa Barbara], 1971) et Les idées de Céline (Université de Paris VII, 1987). Cette thèse a été éditée par la BLFC (1987), puis rééditée par Berg International (1992) et Dualpha (2004).  Auteur d’une biographie, Céline. Entre haines et passion  (Robert Laffont, 1994 ; rééd. Dualpha, 2002) et d’un Dictionnaire Céline. Une œuvre, une vie (Plon, 2004).  Autres livres publiés sur le sujet : Je suis le bouc. Céline et l’antisémitisme (Denoël, 2000) ; Voyager avec Céline (Dualpha, 2003) et Sur Céline (Éditions de Paris, 2008).  A également édité et préfacé Lettres des années noires (Berg International, 1994).

 

     

 

 

 

dimanche, 21 septembre 2008

Citation de Louis-Ferdinand Céline

Cassez vos télévisions

 

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C'est un prodigieux moyen de propagande. C'est aussi, hélas! un élément d'abêtissement en ce sens que les gens se fient à ce qu'on leur montre. Ils n'imaginent plus. Ils voient. Ils perdent la notion de jugement et ils se prêtent gentiment à la fainéantise. La TV est dangereuse pour les hommes. L'alcoolisme, le bavardage, et la politique en font déjà des abrutis. Etait-il nécessaire d'ajouter encore quelque chose?

Louis-Ferdinand Céline

vendredi, 19 septembre 2008

Jünger et l'Allemagne secrète

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Jünger et l'Allemagne secrète

 

Antonio GIGLIO

 

La polémique qui s'est déclenchée à propos d'Ernst Jünger, remet à l'avant-plan, une fois de plus, les fan­tasmes nés de la guerre civile européenne et du passé qui ne passe pas, mais, pire encore, les fan­tasmes plus insidieux générés par l'incompréhension totale de nos contemporains face à l'histoire poli­tique et culturelle de ce siècle. A Jünger qui est aujourd'hui, à 100 ans, le plus grand écrivain européen vi­vant, on a reproché d'être, dans le fond, un complice des nazis. Pour clarifier cette question, il nous appa­raît opportun de récapituler, depuis le début, l'histoire des activités politiques et culturelles de Jünger, le héros de la Première Guerre mondiale, un des rares soldats de l'armée impériale, avec Rommel, à avoir reçu la plus haute décoration militaire allemande, l'Ordre “Pour le Mérite”. Le thème des premières œuvres littéraires de Jünger est l'expérience de la guerre, dont témoigne notamment son célèbre roman Orages d'acier.  Ces livres de guerre lui ont permis de devenir en peu de temps l'un des écrivains les plus lus et les plus fameux de l'Allemagne. En outre, Jünger est rapidement devenu l'un des chefs de file du nouveau nationalisme, suscité par les conditions de paix très dures imposées à l'Allemagne. Il réussit à forger une série de mythes politiques représentant la synthèse ultra-révolutionnaire de tout ce que la droite alle­mande avait produit à cette époque.

 

L'écrivain évoluait entre les bureaux d'études de l'armée, les groupes paramilitaires et nationaux-révolu­tionnaires, et réussissait à fusionner plusieurs projets politiques: celui du philologue Wilamowitz visant la création d'un Etat régi par un Ordre ascétique ou une caste sélectionnée d'hommes de culture et de science, celui de Spengler visant le contrôle et la domination des nouvelles formes technologiques en train de transformer le monde, celui du poète Stefan George chantant une nouvelle aristocratie, celui de Moeller van den Bruck axé sur la nécessité de rénover de fond en comble le “conservatisme” ou plutôt sur la nécessité de lancer une “révolution conservatrice”, formule inventée par le poète Hugo von Hoff­mann­sthal et traduite par Jünger en termes ultra-nationalistes et guerriers. Pourtant, Jünger, in­fluencé par la fu­rie iconoclaste de Nietzsche, propose à l'époque de détruire totalement la société bour­geoise, ce qui lui permet d'utiliser aussi les mythes politiques de la gauche, dont l'idée bolchévique sug­gérée par Lénine, soit la mobilisation totale et militaire de l'Etat, utilisée auparavant en Allemagne par le Général Erich Ludendorff; chez Jünger, cette mobilisation totale deviendra la mobilisation totale de tout ce qui est allemand. Enfin, il utilise le mythe du travailleur-soldat, déjà loué par Trotsky; Jünger l'adopte et le pro­po­se, transformé par la pensée du philosophe Hugo Fischer. Cette synthèse de Lénine, Trotsky et Fischer deviendra Le Travailleur, au moment même où Jünger est l'allié du national-bolchévique Ernst Niekisch. Il faut encore noter que la pensée philosophique et politique de Heidegger a été profondément influencée par ce célébrissime essai de Jünger, qui moule audacieusement en une puissante unité philo­sophique la technique, le nihilisme et la volonté de puissance.

 

Parallèlement, l'écrivain se propose d'unifier tous les mouvements nationalistes allemands; c'est cette in­tention qui explique sa tentative initialement favorable à Hitler; il suffit de penser à la dédicace rédigée de son livre de 1925, Feuer und Blut  (= Feu et Sang) à l'intention du “Führer national” Adolf Hitler, même si l'année précédente, il avait désapprouvé la décision des nazis d'adopter des méthodes légales et craint une trahison nationale-socialiste à l'égard de la pureté des idéaux nationaux-révolutionnaires. Quoi qu'il en soit, en 1927, Hitler propose à Jünger un siège au Parlement, mais l'écrivain ne l'accepte pas parce qu'il refuse le parlementarisme et toute forme de parti. Après 1933, Jünger se retire complètement de la politique parce qu'il est trop élitaire, aristocratique et révolutionnaire pour accepter qu'un mouvement de masse s'accapare de ses idées; par ailleurs, il se sent trop impliqué dans bon nombre d'idées nationa­listes pour pouvoir critiquer ouvertement le nouveau régime. En 1939, cependant, Jünger semble vouloir inter­venir directement, de manière critique, dans le régime nazi, en publiant son roman Sur les falaises de marbre. Selon un philosophe allemand contemporain, Hans Blumenberg, Jünger a rassemblé dans ce ro­man toutes les allusions aux événements de l'époque dans un scénario mythique, surtout après l'élimi­na­tion des opposants à Hitler lors de la “nuit des longs couteaux”, décidant ainsi de n'opposer plus qu'une résistance animée par la pure force de l'esprit. Un spécialiste plus connu du nazisme, George L. Mosse affirme que Jünger, dans ce roman, rejette les idées de sa jeunesse et retourne au protestan­tisme. En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes.

 

De fait, Jünger, en 1938, dans la seconde version de son livre Le cœur aventureux,  fait allusion pour la première fois au mystérieux Ordre des Maurétaniens, une élite mystique de mages savants et guerriers, qui deviendra le protagoniste collectif du roman Sur les falaises de marbre, et, par la suite, de tous les autres romans de l'auteur. En premier lieu, nous devons souligner que Jünger et les révolutionnaires na­tionalistes de sa génération sont obsédés par le mythe politique d'un Ordre qui régit l'Etat et guide les masses. Les Maurétaniens sont à mi-chemin entre les Templiers et les Chevaliers Teutoniques, ils sont l'incarnation de ce mythe.

 

Donc, en 1938, Jünger écrit qu'au lieu de rester coincé dans ses chères études, il va s'introduire dans le milieu des Maurétaniens, qu'il définit comme des polytechniciens subalternes du pouvoir, parmi lesquels il nomme Goebbels et Heydrich, un des chefs de la SS. Ce n'est dès lors pas un hasard si Carl Schmitt écrit, dans son journal, que les Maurétaniens sont une allégorie des SS. Jünger, en outre, ajoute textuel­lement qu'«une équipe sélectionnée des nôtres est au travail dans les lieux secrets du plus secret Thibet». Effectivement, à cette époque, existait une organisation culturelle liée à la SS et dénommé l'Ahnenerbe  (= l'Héritage des Ancêtres), qui organisait entre autres choses des expéditions plus ou moins secrètes au Thibet, et était reçue par le Dalaï Lama en personne. Par ailleurs, il faut signaler que cette structure avait été mise sur pied, au départ, par un ami de Jünger, Friedrich Hielscher, le chef spiri­tuel des jeunes nationalistes allemands, avant d'être incluse par Himmler dans les institutions SS. Mais quand paraît le roman-pamphlet Sur les falaises de marbre, certains nazis, ignorant ces faits, réclament la tête de Jünger, qui sera défendu par le “Maurétanien” Goebbels, et ensuite par Hitler lui-même, qui, ne l'oublions pas, avait confessé à Rauschning, stupéfait et attéré, avoir fondé un Ordre mystérieux. Nous sommes donc en présence d'un mystère historiographique et politique du 20ième siècle.

 

Le roman de Jünger est probablement le témoignagne d'un conflit politique et culturel qui se déroulait à l'intérieur du noyau dirigeant national-socialiste, et aussi, sans doute, à l'intérieur même de cet Ordre mystérieux, pour savoir comment imposer et diriger la politique intérieure et extérieure du IIIième Reich. Jünger, qui plus est, considère que l'un des protagonistes du roman, le Maurétanien Braquemart, est semblable à Goebbels, et que la figure démoniaque et destructive du Forestier peut être ramenée à Staline. Ensuite, en 1940, il attribue la victoire fulgurante des troupes allemandes en France à la Figure du Travailleur, décrite dans son livre Der Arbeiter.  En 1942, il fait rééditer son essai sur la mobilisation totale, au moment même où Hitler mobilise totalement et désespérément tout ce qui est allemand. Ce conflit in­terne entre les Maurétaniens, dans lequel Jünger entendait bel et bien intervenir en publiant son roman-pamphlet, s'est avivé pendant la durée du conflit, à cause des conséquences catastrophiques de la guerre voulue par Hitler et non par les autres membres de l'Ordre des Maurétaniens. Voilà pourquoi Jünger et son ami Hielscher en sont arrivés à comploter contre le Führer: ils voulaient désespérément éviter le destin tragique qui allait frapper l'Allemagne, ou au moins l'atténuer.

 

Jünger, en effet, fut l'un des organisateurs de la tentative de coup d'Etat du 20 juillet 1944, qui aurait dû avoir lieu après l'attentat contre Hitler. A Paris, où il est officier d'état-major dans le Haut Commandement des troupes d'occupation, centre du complot contre Hitler, Jünger écrit l'essai La Paix  qui est, en fait, le texte politique essentiel de ce complot, et dont le manuscrit avait été lu et approuvé par Rommel, le seul officier supérieur capable de mettre un terme à la guerre sur le front occidental et à affronter la guerre ci­vile. Mais le complot échoue, Rommel est contraint au suicide parce qu'il est condamné à mort. Le Maurétanien Hielscher est arrêté à son tour. Jünger semble vouloir nous dire que le Prince Sunmyra, un des auteurs malchanceux de l'attentat contre le Forestier dans le roman-pamphlet, peut être comparé au Colonel von Stauffenberg, l'auteur malchanceux de l'attentat contre Hitler. Claus von Stauffenberg, héros de la “Résistance allemande”, était un disciple de Stefan George, donc un représentant de ces Maurétaniens qui s'étaient donné le devoir de préserver l'Allemagne secrète. Et Hitler ne pouvait pas con­damner à mort l'Allemagne secrète, incarnée dans l'œuvre et la personne de Jünger.

 

Antonio GIGLIO.

(article extrait de l'Italia settimanale, n°13/1995; trad. franç.: Robert Steuckers).

jeudi, 18 septembre 2008

J. Evola: Jünger et l'irruption de l'élémentaire dans l'espace bourgeois

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Julius EVOLA:

 

Jünger et l'irruption de l'élémentaire dans l'espace bourgeois

 

Il est visible et il nous paraît évident qu'à travers l'économie se sont réveillées des forces «élémentaires», qui, en de nombreux domaines, échappent au contrôle du bourgeois et, ainsi, deviennent le substrat d'une nouvelle unité, collective cette fois.

 

Ce constat nous amène effectivement à certains aspects de la crise du monde bourgeois et à les étudier; selon Jünger, il faut tourner notre attention vers quelques traits caractéristiques du bourgeois qui correspondent à son idéal de sécurité commode et d'exclusion de toute force élémentaire hors de sa vie.

 

Le concept d'élémentaire joue un rôle central dans le livre de Jünger. Comme chez d'autres auteurs allemands, le terme «élémentaire» n'est pas utilisé chez Jünger dans le sens de “primitif”; il désigne bien plutôt les puissances les plus profondes de la réalité qui échappent aux structures intellectuelles et moralistes et qui sont caractérisées par une transcendance, positive ou négative selon l'individu: c'est comme si l'on parlait des forces élémentaires de la nature. Dans le monde intérieur, il existe des puissance qui peuvent faire irruption dans la vie, tant la vie personnelle que la vie collective, en venant d'une strate psychique plus profonde. Quand Jünger parle de l'exclusion de l'élémentaire dans le monde bourgeois, il est évident qu'il s'associe à la polémique développée par plusieurs courants d'idées contemporains, depuis l'irrationalisme, l'intuitionnisme, la religion de la vie (ou vitaliste) jusqu'à la psychanalyse et à l'existentialisme; il s'insurge contre la vision rationaliste-moraliste de l'homme, prédominante hier encore. Mais nous allons voir que la position de Jünger est originale dans ce contexte, car il conçoit des formes actives, lucides, non régressives des rapports de l'homme à l'élémentaire, ce qui le distingue de l'orientation problématique, propre à la grande majorité des courants que nous venons de mentionner.

 

La préoccupation constante du monde bourgeois est donc «de fermer hermétiquement l'espace vital à tout irruption de l'élémentaire», de «se créer une ceinture de sécurité face à l'élémentaire». De ce fait, la sécurité dans la vie est donc l'exigence de ce monde, que devra consolider et légitimer le culte de la raison: une raison «pour laquelle tout ce qui est élémentaire équivaut à l'absurde et à l'insensé». Inclure l'élémentaire dans l'existence, avec tous les problèmes et les risques que cela peut impliquer, voilà ce qui apparaît inconcevable au bourgeois; pour lui, c'est une aberration qu'il faut prévenir par le truchement de techniques pédagogiques adéquates. Jünger écrit: «Le bourgeois ne se sent jamais assez hardi pour se mesurer au destin en luttant et en s'exposant aux dangers, parce que l'élémentaire réside en dehors de son monde idéal; pour lui, l'élémentaire est l'irrationnel voire l'immoral. Il cherchera donc à le tenir toujours à distance, que celui-ci lui apparaisse sous le mode de la puissance ou de la passion, ou se manifeste dans les forces de la nature, dans le feu, l'eau, la terre ou l'air. De ce point de vue, les grandes villes du début du siècle apparaissaient comme les citadelles de la sécurité, comme le triomphe des murs qui, à ce moment-là, cessaient d'être les murs antiques des enceintes fortifiées et se manifestaient désormais comme pierres, asphalte et vitres encerclant la vie, similaires à la structure des rayons d'une ruche, pénétrant jusqu'à la trame la plus intime de la vie. Dans ce sens, toute conquête de la technique est un triomphe de la commodité et toute apparition de l'élémentaire est régulée par l'économie».

 

Pour Jünger, le caractère anomal de l'ère bourgeoise ne réside pas tant dans la recherche de la commodité «que dans ce trait spécifique qui s'associe à ces tendances: c'est-à-dire dans le fait que l'élémentaire se présente comme l'absurde et, partant, que les murs d'enceinte de l'ordre bourgeois se présentent simultanément comme les murs d'enceinte de la rationalité». Tel est donc bien le point d'ancrage de la polémique anti-bourgeoise de Jünger. Il distingue bien la rationalité du culte de la raison et conteste l'idée qui veut qu'un ordre et une mise en forme rigoureuse de la vie soient possibles et concevables seulement selon le schéma rationaliste, partant d'une imperméabilisation de l'existence face à l'élémentaire. Parmi les tactiques utilisées par le bourgeois, il y a celle qui consiste à «présenter toute attaque contre le culte de la raison comme une attaque contre la raison en elle-même, afin de pouvoir bannir cette attaque dans l'aire de l'irrationnel». En vérité, toute attaque peut s'identifier à une autre, mais seulement selon la vision bourgeoise, c'est-à-dire seulement sur base de «la conception spécifiquement bourgeoise de la raison, caractérisée par une “inconciliabilité” avec l'élémentaire». Cette antithèse ne peut être retenue comme valide par un nouveau type humain: du reste, cette antithèse est dépassée de fait par des figures «comme, par exemple, celles du croyant, du guerrier, de l'artiste, du navigateur, du chasseur, du travailleur et, aussi, finalement, du délinquant»; pour toutes ces figures, à l'exception de la dernière, le bourgeois nourrit une aversion plus ou moins ouverte, parce que «pour ainsi dire, elles portent déjà à l'intérieur même des cités, par leurs apparences, l'odeur du danger, parce que déjà leur simple présence représentent une instance dirigée contre le culte de la raison».

 

Mais «pour le guerrier la bataille est un événement dans lequel se réalise un ordre suprême, pour le poète les conflits les plus tragiques sont des situations où le sens de la vie peut se condenser en un mode particulièrement net»; la délinquence elle-même peut être expliquée par une rationalité lucide; quant au croyant, «il participe à la sphère plus vaste d'une vie pleine de signification. Soit par le malheur ou le danger ou le miracle, le destin l'englobe directement dans un tissu d'événements plus puissants. Les dieux aiment se manifester dans les éléments, dans les astres enflammés et dans la foudre, dans les ronces que la flamme ne consume pas». L'élément décisif qu'il s'agit surtout de reconnaître ici est que «l'homme peut demeurer en rapport avec l'élément(aire) sur un plan supérieur ou sur un plan inférieur et qu'en conséquence, multiples sont les plans sur lesquels tant la sécurité que le danger retournent dans l'ordre. Au contraire, dans le bourgeois, on perçoit un homme qui ne reconnaît comme valeur suprême que la sécurité, et détermine sa conduite de vie sur base de cet idéal de sécurité». «Les conditions pour promouvoir cette sécurité, que le progrès cherche à réaliser, sont corollaires de la domination universelle de la raison bourgeoise, laquelle devrait non seulement limiter, mais, en bout de course, détruire, toutes les sources de danger. Et, comme à la lumière de cette raison, le danger est présenté comme étant l'irrationnel, on ôte à celui-ci tout droit de faire partie de la réalité. Il est fort important, dès lors, dans un tel mode de penser, de voir l'absurde dans tout danger: celui-ci semble éliminé dès le moment où, dans le miroir de la raison, il apparait comme une erreur».

 

«Dans les ordonnancements tant spirituels qu'objectifs du monde bourgeois, on peut constater tout cela», poursuit Jünger. «En grand, on peut le voir dans la tendance à concevoir l'Etat  —lequel, normalement, se base pour l'essentiel sur la hiérarchie, en termes de société—  comme une forme ayant pour principe fondamental l'égalité et se constituant par le truchement d'un acte de la raison. Cette vision révèle la volonté d'imposer une organisation complexe, un système de sécurité devant ventiler et atténuer toutes les formes de risques, non seulement dans le domaine de la politique intérieure et extérieure, mais aussi dans celui de la vie individuelle, ce qui constitue une tendance à dissoudre le destin par un calcul de probabilités. Cette vision révèle enfin, dans ses multiples et complexes tentatives de ramener la vie de l'âme à des rapports de cause à effet, dans sa volonté de transférer la vie de l'âme du domaine de l'imprévisible à celui du calculable, et puis de l'insérer dans la sphère “éclairée” de la conscience extérieure». Dans tous les domaines, la tendance est d'éviter les conflits et de démontrer leur “évitabilité”. Mais vu que les conflits surviennent malgré tout, pour le bourgeois, «l'important est de démontrer qu'ils sont une erreur que l'éducation et une pédagogie “éclairée” des esprits devront empêcher la répétition».

 

Mais un tel monde ne serait qu'un monde d'ombres, où l'idéologie des Lumières surévaluerait ses propres forces, en croyant qu'il puisse tenir vraiment debout. En réalité, «le danger est toujours présent; comme un élément de la nature, il cherche continuellement à briser la digue que l'ordre a construit pour l'enserrer; et, par l'effet des lois d'une mathématique occulte mais infaillible, il se fait d'autant plus menaçant et mortel que l'ordre cherche à l'exclure. En fait, le danger veut être non seulement un élément de cet ordre mais, en plus, le principe d'une sécurité supérieure, que jamais le bourgeois ne pourra connaître». En règle générale, si l'on peut exclure l'élémentaire dans un type donné d'existance, cette exclusion «doit être soumise à certaines lois, parce que l'élémentaire n'existe pas seulement dans le monde externe mais est aussi inséparable de la vie de chaque individu». L'homme vit dans l'“élémentarité” dans la mesure où il est un être naturel, un être mu spirituellement par des forces profondes. «Aucun syllogisme ne pourra jamais se substituer au battement du cœur ou à l'activité des reins; il n'existe aucune grandeur qui puisse naître de la seule raison, qui, de temps en temps, doit bien se soumettre aux passions, nobles ou ignobles». Enfin, se référant au monde économique, Jünger note que «s'il est beau le mode par lequel nous nous voyons imposer des calculs, et si l'unique résultat de ceux-ci doit être le bonheur, il restera toujours un résidu qui se soutraira à toute analyse et l'être humain aura le sentiment d'être appauvri, de vivre une désespérance croissante».

 

Mais l'élémentaire a une double source. «D'une part, il a sa source dans un monde qui est toujours dangereux, comme la mer recèle en elle le danger même quand elle n'est pas troublée par le moindre ventelet. D'autre part, il a d'autres sources dans l'âme humaine, qui a soif de jeu et d'aventure, d'amour et de haine, de triomphe et de chute, qui ressent tant le besoin du risque que de la sécurité; et donc, pour cette âme humaine, un Etat absolument sécurisé apparaît comme un Etat d'incomplétude». En prononçant d'aussi audacieuses paroles, Jünger se réfère implicitement à un type humain différent de celui véhiculé par le monde bourgeois, mais que ce monde génère malgré lui.

 

La domination des valeurs bourgeoises peut donc se mesurer «à la distance que l'élémentaire semble avoir prise en se retirant de l'existence». Jünger dit “semble”, parce que l'élémentaire se sert de multiples masques et trouve toujours un moyen de se nicher au centre même du monde bourgeois, pour en miner les ordonnancements rationalisants et émerger dès que survient une crise. Par exemple, Jünger rappelle comme déjà dans le passé, sous le signe de la Révolution française, quelles noces cruelles furent celles qui unirent la bourgeoisie et le pouvoir. Le dangereux et l'élémentaire se sont réaffirmés «face aux astuces les plus subtiles par lesquelles on a cherché à les circonvenir; ils s'introduisent de façon imprévue dans les rouages mêmes de ces astuces, en prennent les travestissements, ce qui fait que tout ce qui est civilisation [au sens bourgeois] présente un visage ambigu; nous connaissons tous les rapports qui existent entre les idéaux de fraternité universelle et les gibets, entre les droits de l'homme et les massacres». Non que ce soit le bourgeois lui-même qui veuille imposer de telles circonstances contradictoires: car quand il parle de rationalité et de moralité, il se prend terriblement au sérieux: «tout cela est plutôt un terrible rire sarcastique qu'adresse la nature aux masques se présentant sous le visage de la moralité, une exultation frénétique du sang dirigée contre l'intellect, après que se soit achevé le prélude des beaux discours». En revanche, ce qui mérite d'être remarqué, c'est «le jeu ingénieux des concepts par lequel le bourgeois cherche à faire ressortir ces vertus et à ôter aux mots tout ce qu'ils ont de dur et de nécessaire, afin que transparaisse seulement une moralité que tous sont tenus de reconnaître». Par exemple, cette attitude est bien visible sur le plan international, «quand on cherche à présenter la conquête d'une colonie comme étant une pénétration pacifique ou comme une opération civilisatrice, ou l'incorporation d'une province appartenant à un pays voisin comme un effet de la libre auto-décision des peuples, ou, enfin, les rapines perpétrées par les vainqueurs comme des réparations». Il est évident qu'à ces exemples avancés par Jünger on pourrait facilement ajouter des faits plus récents. Parmi les cas les plus typiques, nous pourrions ajouter les «nouvelles croisades», les tribunaux de vainqueurs, les «aides aux pays sous-développés», etc.

 

Dans ce même ordre d'idées, est exact ce que dit Jünger quand il relève que c'est justement à l'époque où se sont officiellement et bruyamment propagées les valeurs bourgeoises de “civilisation” que l'on a assisté à des événements que l'on n'aurait plus cru possibles dans un monde éclairé: des phénomènes de violence et de cruauté, de délinquence organisée, de déchaînements d'instincts, de massacres. Tous ces événements représentent «la réduction à l'absurde de l'utopie bourgeoise de la sécurité». En guise de bon exemple, Jünger signale les conséquences qu'a déjà eues le prohibitionnisme aux Etats-Unis: il constitue une tentative moralisatrice, promise par une littérature faite d'utopisme social, et qui semble avoir été conçue comme une mesure de sécurité; elle n'a cependant réussi qu'à attiser des forces élémentaires du plus bas niveau. Ainsi, l'Etat, en suivant rigidement le principe bourgeois, se réfère à des catégories abstraites, rationnelles et moralisantes, et exclut l'élémentaire; mais, en réalité, cet Etat fait en sorte que cet élémentaire s'active en dehors du cadre qu'il installe. «Le moral et le rationnel n'étant pas des liens primordiaux mais seulement des liens propres à l'esprit abstrait, dit Jünger, toute autorité ou tout pouvoir qui veulent se baser sur eux, ne seront qu'autorité ou pouvoir apparents, et, simultanément, la sécurité bourgeoise ne tardera pas à manifester son caractère utopique et éphémère». Il serait bien difficile de contester la réalité de cette dialectique, surtout dans la période qui a suivi la rédaction du Travailleur. C'est effectivement à cette dialectique que se rapportent, d'une part, l'un des facteurs principaux de la crise du monde bourgeois, et, d'autre part, cette autre face, informe, obscure et dangereuse des structures sociétaires modernes, ordonnées et régulées seulement en surface, mais privées tant d'un sens supérieur que de racines dans les strates psychiques les plus profondes.

 

Déjà au moment de la rédaction du Travailleur,  après la première guerre mondiale, il était clair qu'un phénomène analogue de contre-coup allait se produire quand on allait appliquer de tels principes, notamment celui qui se profile derrière le concept bourgeois de liberté abstraite: dans la mesure où l'on reconnaît au principe de la démocratrie nationale une validité universelle, sans opérer la moindre discrimination, on aboutit automatiquement à un état d'anarchie mondiale, suscitant de nouvelles causes de crise au sein de l'ordre ancien, telle la révolte des peuples colonisés et de toutes les forces auxquelles, en Europe et ailleurs, le principe d'auto-détermination des peuples a donné une souveraineté politique même quand il s'agissait de tribus ou de populations, explique Jünger, «dont le nom n'était pas connu de l'histoire politique mais seulement, à la rigueur, des manuels d'ethnologie. Cet état de choses a pour conséquence naturelle la pénétration dans l'espace politique de courants purement élémentaires, de forces appartenant moins à l'histoire qu'à l'histoire naturelle». Aujourd'hui, ce constat est encore plus exact qu'hier.

 

Pour nous, il est cependant plus important d'examiner la crise du système dans ses aspects spirituels. Jünger parle surtout de formes de défense et de compensation qui se sont déjà manifestées en marge de la société bourgeoise, avec le phénomène du romantisme. «Il y a des périodes où les relations de l'homme avec l'élémentaire se manifestent sous l'aspect de propensions au romantisme, lesquelles constituent déjà en soi un point de fracture. Selon les circonstances cette fracture se fera visible: on se perdra dans le lointain (l'exotique), dans l'ivresse, la folie, la misère ou la mort. Ce sont là toutes des formes de fuite où l'homme isolé, après avoir cherché en vain une voie de sortie dans tout l'espace du monde spirituel ou matériel, met bas les armes. Mais, en tant que telle, la capitulation, peut aussi revêtir les apparences d'une attaque, comme quand un navire de guerre, en sombrant, tire encore une ultime bordée à l'aveuglette».

 

«Nous avons su reconnaître la valeur de la sentinelle tombée sur sa position perdue, continue Jünger. Nombreuses sont les tragédies auxquelles se lient de grands noms, mais il y a aussi beaucoup de tragédies anonymes, où des groupes entiers, des strates sociales entières, qui subissent une raréfaction de l'air nécessaire à la vie, comme s'ils avaient été pris par un vent de gaz toxiques». Ce que Jünger ajoute ensuite a une base autobiographique et reflète ses propres expériences de jeunesse, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler: «Le bourgeois a presque réussi à persuader le cœur aventureux que le danger n'existe pas, qu'une loi économique gouverne le monde et l'histoire. Mais les jeunes gens qui dans la nuit et le brouillard abandonnent la maison de leur père ont le sentiment intime de devoir aller très loin à la recherche du danger, au-delà de l'océan, en Amérique, à la Légion Etrangère, dans des pays où poussent les arbustes qui donnent le poivre. Mais surgissent aussi des figures qui n'auront pas le courage de s'exprimer dans ce langage propre et supérieur, comme celle du poète qui se sent pareil au pétrel dont les ailes puissantes, créées pour la tempête, ne deviennent, hélas, plus qu'un objet de curiosité inopportune dans un milieu étranger, sans vent, ou comme celle du guerrier né, qui semble n'être qu'un bon à rien, parce que la vie du marchand le remplit de dégoût».

 

Pour Jünger, le point décisif de fracture a eu lieu pendant la première guerre mondiale. «Dans la joie, les volontaires l'ont saluée (écrit Jünger en se souvenant visiblement de ce qu'il a lui-même vécu) parce qu'elle leur procurait un sentiment de libération des cœurs et que, d'un trait, se révélait à eux une vie nouvelle, plus dangereuse. Dans cette joie, se cachait aussi, tapie, une protestation révolutionnaire contre les valeurs anciennes, tombées irrémédiablement en désuétude. A partir de ce moment-là, dans tous les courants de pensée, dans tous les sentiments et dans tous les événements, s'est infusé une couleur nouvelle, élémentaire». L'important, ici, est de voir comment, par la force même des choses, un nouveau mode d'être a commencé à se différencier. Jünger relève aussi le rôle qu'ont joué dans la jeunesse combattante, entraînée dans la complexité de cette guerre, les enthousiasmes, les idéaux et les valeurs du patriotisme conventionnel lié au monde bourgeois. Mais, bien vite, il est apparu clairement que cette guerre réclamait des réserves de forces bien différentes de celles nourries à ces sources bourgeoises: et cette différence est celle qui distingue les sentiments d'enthousiasme des troupes quittant les gares, d'une part, et «leur action entre les cratères, sous le fer et le feu d'une bataille de matériel», d'autre part. Alors, dans cette épreuve du feu, disparait le contexte qui justifiait la protestation romantique. Cette protestation-là, écrit Jünger, «est condamnée au nihilisme, là où elle est fuite, simple polémique contre un monde qui sombre, or en tant que telle, elle reste conditionnée par lui. Elle ne devient force que quand elle donne lieu à un type spécial d'héroïsme». Là s'annonce le thème central du Travailleur:  traverser une zone de destruction sans être soi-même détruit. La même expérience aura des effets totalement opposés chez des hommes d'une même génération: «les uns se sont sentis déchirés par elle, les autres ont participé à un vécu jamais expérimenté auparavant, grâce à l'extrême proximité de la mort, avec le feu et le sang». La discordance découle de l'ambigüité d'avoir eu comme uniques béquilles les valeurs bourgeoises qui se basaient sur l'individu et sur l'exclusion de l'élémentaire, et d'avoir été capables de vivre une nouvelle liberté. S'il avait été déchiré, brisé, par la guerre, Jünger aurait pu se référer aux mots qu'Erich Maria Remarque a mis en exergue de son fameux livre A l'Ouest rien de nouveau:  «Ce livre ne veut ni accuser ni démontrer une thèse; il veut seulement dire quelle fut une génération, déchirée par la guerre même quand les obus l'ont épargnée». Mais comme Jünger est de ceux qui savent intimement qu'ils ont vécu une expérience unique, il voit en ses compagnons de combat ceux qui anticipativement ont constitué le «type»: c'est-à-dire un homme qui se tient debout parce qu'il veut se rendre capable d'un rapport actif avec l'élémentaire, et, parallèlement, développer des formes supérieures de lucidité, de conscience et de maîtrise de soi, parce qu'il veut se dés-individualiser et accepter un réalisme absolu, parce qu'il connaît le plaisir des prestations absolues, de la plénitude maximale de l'action, assortie d'un minimum de “pourquoi?” et de “dans quel but?”. C'est là que «les lignes de la force pure et celles de la mathématique se rencontrent»; dans l'aire d'une conscience accrue, «il est possible de potentialiser les moyens et les énergies premières de la vie, dans un sens inattendu, jamais encore expérimenté».

 

«Dans les centres occultes de la force, par laquelle on domine la sphère de la mort, on rencontre une humanité nouvelle, qui se forme par le biais d'exigences nouvelles», écrit Jünger. «Dans un tel paysage, on ne peut plus apercevoir l'individu qu'avec beaucoup de difficultés; le feu a calciné tout ce qui n'a pas un caractère objectif». Les processus en plein développement sont tels que toute tentative de la raccorder encore au romantisme et à l'idéalisme de l'individu finissent par sombrer irrémédiablement dans l'absurde. Pour dépasser victorieusement «quelques centaines de mètres où règne la mort mécanique», on n'a nul besoin des valeurs abstraites, morales ou spirituelles, de la libre volonté, de la culture, de l'enthousiasme ou de l'ivresse aveugle qui méprise le danger. Pour cela, il faut une énergie nouvelle et précise, tandis que «la force combattive du milieu dans son ensemble assume un caractère moins individuel que fonctionnel». En outre, on découvre des correspondances entre le point de destruction et l'apogée spirituelle d'une existence; c'est là que se déchaînent les prémisses de la personne absolue. Les rapports avec la mort se transforment et «la destruction peut surprendre l'homme singulier dans ces instants précieux où on lui demande un maximum d'engagement vital et spirituel». Alors, «à la fin, on peut aussi reconnaître la liberté la plus élevée». Tout cela devient, finalement, un part naturelle, voulue d'avance, d'un nouveau style de vie. Finalement se présentent «des figures d'une suprême discipline du cœur et des nerfs, indices d'une froideur quasi métallique, extrême et lucide, où la conscience héroïque se montre capable d'utiliser le corps comme un pur instrument, en lui imposant une série d'actions complexes, au-delà de l'instinct de conservation. Entre les flammes d'un avion touché, dans les chambres d'air d'un submersible qui coule, on accomplit encore un travail qui, au sens propre, transcende la sphère de la vie et dont jamais aucun communiqué ne signalera». Les deux termes qui s'unissent dans ce «type» sont donc l'élémentaire en acte, en soi et en dehors de soi, d'une part, et la discipline, l'extrême rationalité, l'extrême objectivité, c'est-à-dire un contrôle abstrait et absolu de l'activation totale de son être propre, d'autre part.

 

C'est ainsi, d'après Jünger, que déjà au cours de la première guerre mondiale, s'annonçait l'avènement d'une nouvelle «forme intérieure», et nous avons déjà eu l'occasion de dire qu'en elle, il voyait ce qui allait devenir décisif pour l'humanité en devenir, c'est-à-dire les culminations exceptionnelles, à l'image des extériorisations guerrières. La crise finale du monde bourgeois et de toutes les valeurs anciennes, pour Jünger, découle de la civilisation de la technique et de la machine, et de toutes les formes d'élémentarité qui leur sont consubstantielles. Et substantiellement identique serait le type d'homme qui, spirituellement, n'est pas le vaincu mais le vainqueur, que ce soit sur les champs de bataille modernes ou dans un monde absolument technicisé. Substantiellement identique serait le type de dépassement et de formation intérieure qui serait requis dans les deux cas. C'est ainsi que s'ébauche la figure de l'homme que Jünger nomme le “Travailleur”, qu'une continuité idéale unirait «au soldat vrai, invaincu, de la Grande Guerre».

 

Julius EVOLA.

(Chapitre extrait de L'«Operaio» nel pensiero di Ernst Jünger,  éd. Volpe, Rome, 1974; trad. franç.: Robert Steuckers).

Julius EVOLA

mercredi, 17 septembre 2008

Citation de Chateaubriand

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E. Jünger: 70 s'efface, IV

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70 s'efface, IV

 

 

Karlheinz SCHAUDER

 

Il a largement dépassé le grand âge de Goethe: Ernst Jünger, le Patriarche de Wilflingen, vient de fêter ses 100 ans le 29 mars 1995. L'écrivain se sent comme l'Ahasver de la légende et s'étonne d'avoir atteint cet âge après toutes ses “tribulations”. Lui, l'auteur d'une œuvre exemplaire dans la littérature contemporaine, respectée par ses adversaires, remarque, à ce propos: «Depuis des années, l'âge avance, se place à l'avant-scène, se mue en une qualité que je n'avais pas prévue. Je suis frappé, comme toujours, par le nombre impressionnant de perspectives différentes par lesquelles je suis passé, depuis que je suis capable de penser. Cela a l'avantage de donner plus de poids à mes assertions, mais je n'en suis pas responsable».

 

Cette phrase se trouve dans le quatrième volume des Journaux qu'écrit Jünger depuis son 70ième anniversaire sous le titre de Siebzig verweht, traduit en français par Soixante-dix s'efface. Ce quatrième volume constitue, une fois de plus, une collection impressionnante de notules personnelles, rédigées entre janvier 1986 et décembre 1990. Avec les sens toujours en éveil, avec une force expressive intacte, Jünger enregistre ainsi toutes ses rencontres et ses conversations, ses lectures et ses réflexions. Une fois de plus, on est fasciné de voir comment cet écrivain et ce contemporain parvient à tirer l'essentiel d'une journée, à y goûter: «Parmi mes bonnes œuvres, il y a le fait que j'incite beaucoup de mes contemporains à tenir un journal. Quelle qu'en soit la teneur, il demeurera une prestation qui aura une valeur personnelle et documentaire. Ensuite, cette rédaction satisfait une pulsion: notre cheminement est balisé. Le sacré peut advenir; l'homme est seul avec lui-même. Il est bon qu'un Journal commence tôt dans la vie; mieux: qu'il se poursuive jusqu'à la fin, jusqu'à proximité de la mort».

 

En ce siècle, quelques écrivains et philosophes ont choisi d'écrire des notes quotidiennes, pour refléter leur temps et transmettre une pensée vraiment vivante. Ce sont particulièrement Léon Bloy et André Gide, Julien Green et Paul Léautaud qui ont veillé à ce que le Journal ne soit pas une simple habitude privée, mais un genre littéraire, permettant de communiquer des impressions ou des idées, créant un espace où l'on peut raconter et rêver. Chez Ernst Jünger également, les notes quotidiennes occupent une place essentielle dans l'œuvre complète. Lorsqu'il écrit ses Journaux, il ne néglige pas les autres formes de création littéraire, mais hisse tout simplement ses notes au rang d'une forme littéraire significative.

 

Dans ses notes de voyage et ses souvenirs, ses anecdotes et ses considérations, il s'exprime tout à la fois comme écrivain et comme penseur. Cette démarche n'autorise aucune dissipation ni aucun bavardage, comme c'est parfois le cas chez Thomas Mann. Les notes sont séparées par des dates ou des astérisques; souvent pendant plusieurs jours, voire pendant toute une semaine, on ne trouve rien. Sans nul doute, Jünger stylise et rédige ces notes pour qu'elles soient publiées ultérieurement. Il choisit et sélectionne celles qui lui paraissent les plus significatives, les plus chargées de sens, les plus précieuses. Ce qu'il veut communiquer est dit avec précision et concision. Certes, ces qualités-là ôtent quelque lambeaux de spontanéité et d'authenticité à l'écriture immédiate. La construction des phrases est objective et distanciée, souvent certains thèmes s'y répètent, ou un ton docte s'y insinue.

 

Les impressions de l'environnement le plus proche, du paysage des alentours de Wilflingen occupent un vaste espace dans ces annotations. Le très vieil écrivain vit intensément au rythme de la nature, note les observations qu'il glâne dans son jardin ou au cours de ses promenades. Il consigne les transformations saisonnières que subissent plantes et animaux, s'occupe d'ornithologie et de botanique, et surtout d'entomologie. Jünger est d'ailleurs devenu un entomologiste célèbre qui s'est fait un nom dans l'univers scientifique, si bien que quelques espèces portent son nom. C'est avec joie qu'il commente les envois d'insectes que des amis du monde entier lui expédient. C'est pour se livrer aux «chasses subtiles» que le nonagénaire entreprend encore de longs voyages vers les pays exotiques: en Malaisie par exemple où il a pu observer la comète de Halley qu'il avait vu pour la première fois il y a 76 ans avec ses parents, ses frères et ses sœurs; enfin, à Sumatra, dans les Seychelles et à l'Ile Maurice.

 

L'envie de voyager de l'écrivain, sa curiosité envers le monde, sont demeurées intactes. Sans cesse, il prend des vacances en compagnie de sa femme Liselotte, qu'il appelle affectueusement «Petit Taureau», et séjourne dans les pays européens, où il visite les bouquinistes et flâne dans les musées. Ou il circule en France, est reçu par les Chevaliers du Taste-Vin, visite en compagnie de Rolf Hochhuth les grottes de Lascaux et revient, en bout de course, dans l'appartement de Paris. L'octroi de prix ou de doctorats honoris causa le conduit à Palerme, à Rome ou à Bilbao, ce qui lui rappelle de nombreux souvenirs, ravive en lui des impressions anciennes. Jünger rencontre à Berne ou à Munich des amis et des collègues, participe aux jubilés et aux fêtes villageoises de Wilflingen. Dans la gestion quasi ménagère de son œuvre, Jünger consigne dans ses Journaux le meilleur de son courrier et les messages de remerciement. En dépit de tous les honneurs qu'on lui accorde, il conserve une distance par rapport à la gloire: «Les étapes de la gloire et leur mi-temps: depuis le moment où l'on arrive dans le dictionnaire jusqu'au moment où on en est radié. Un chapitre en soi: le rapport entre la gloire et l'après-gloire, riche en déceptions et en surprises, sans intérêt pour la personne concernée».

 

Outre les impressions de voyage, l'auteur honore les moments qu'il a vécu avec ses contemporains et ses compagnons de route: il nous évoque ainsi une visite du dramaturge allemand Heiner Müller, une virée avec Ionesco, une correspondance avec Wolf Jobst Siedler ou avec Rainer Hackel, d'anciennes rencontres avec Ernst Niekisch et Ernst von Salomon, des souvenirs d'Alfred Kubin et de Valeriu Marcu. Le nonagénaire relit ses anciennes lettres, se souvient de son père, de sa première femme, se rappelle avec chagrin de son frère Friedrich Georg, qui, lui aussi, fut un grand écrivain, et avec douleur de son fils Ernstel, tombé au champ d'honneur en Italie pendant la seconde guerre mondiale. Quand Jünger rumine tous ses souvenirs douloureux, il ne pense presque jamais à sa propre mort, mais surtout à la présence des disparus. Les défunts sont tout particulièrement présents dans les rêves du vieil homme.

 

Jünger accorde aux rêves une grande importance: ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ce quatrième volume de Soixante-Dix s'efface commence et se termine par la description d'un rêve. Dans un cas précis, Jünger raconte pendant quatorze pages en détails et avec minutie une de ses visions nocturnes. A côté du monde bizarre des rêves, il nous décrit une manifestation de l'inconscient, qu'il désigne comme “troisième voie”. Les Journaux offrent ainsi matière à réflechir pour les psychanalystes. Pour les jeux et joutes d'idées pendant l'éveil, la lecture est indispensable; on ne peut y renoncer et Jünger écrit: «Même si la journée d'hier a été fatigante, j'ai encore lu, la nuit tombée, quelques pages du Journal de Renard. Je ne peux imaginer un jour sans lecture et je me demande souvent si, au fond, je n'ai pas vécu la vie d'un lecteur. Le monde des livres serait ainsi le monde réel, et le vécu n'en serait que la confirmation —et cet espoir serait toujours déçu. Ce qui pourrait avoir pour effet que les auteurs présentent la matière sur un plan supérieur et que cette matière s'inscrusterait mieux que le tissu des hasards biographiques. Nous ne voyons que le dos du gobelin. Voilà pourquoi je m'y retrouve mieux dans un bon roman que dans ma propre biographie».

 

Jünger se préoccupe ensuite, dans ce quatrième volume de Soixante-Dix s'efface, des célèbres cas juridiques de Pitaval, se penche encore sur Montaigne, Léon Bloy et Léautaud, relit les œuvres de Tourgueniev, Dostoïevski et Tolstoï. Il note encore le texte d'antiques sagesses d'Egypte, des proverbes chinois dans ses chroniques quotidiennes et fait référence à des versets de l'Ancien et du Nouveau Testament. Pour ce qui concerne la littérature contemporaine, il a été séduit par un roman de Gabriel Garcia Márquez et sait apprécier les poèmes de Helena Paz, la fille d'Octavio Paz.

 

En guise d'anticipation à la publication prochaine de sa correspondance, Jünger reprend de nombreux extraits de lettres dans son Journal. Il cite des parties de lettres qui lui ont été adressées, note des salutations originales issues de cartes postales, nous révèle des réponses à ses traducteurs Henri Plard et Pierre Morel, qu'il consulte toujours en cas de litige. Avec des remarques bien étayées, il commente la préface qu'a rédigée Julien Hervier pour l'édition française du Travailleur, ou il reproduit le texte d'un interview téléphoné qu'il a accordé au Figaro. Il nous parle du travail qu'il a effectué dans le texte des Ciseaux,  où il tente de nous léguer une théodicée, et introduit dans son Journal un passage qu'il a ôté du texte définitif. Il s'occupe de subtilités grammaticales et stylistiques avec une telle intensité que cette précision lui apparaît comme un phénomène de vieillissement! Autrement, il n'a que de petits tracas, constate-t-il: le principal, c'est qu'ils ne se répercutent pas sur sa prose.

 

En tant qu'anarque —c'est ainsi qu'il s'“auto-désigne”—  il a l'impression de vivre davantage dans les livres que dans “notre misérable réalité”. Les rencontres immédiates avec la réalité, avec les événements politiques et culturels, sont quasiment absentes de cette partie du Journal, elles ne sont pas transposées dans l'écriture. Ainsi, les visites répétées à Wilflingen du Chancelier fédéral et du Président Mitterrand ou du Premier Ministre espagnol Gonzales. Ainsi, ses vols en hélicoptère vers Bonn, à l'invitation du Chancelier ou sa participation aux fêtes du jubilé du Traité d'amitié franco-allemand à Paris. Quand on a dépassé 100 ans, les événements du jour n'ont plus trop d'importance, car on a déjà vécu tout et le contraire de tout. Pourtant, deux événements l'ont touché: la fête en l'honneur de son 95ième anniversaire dans le Neuer Schloß de Stuttgart et le nuit de la réunification allemande en novembre 1989.

 

Le Journal de Jünger n'est nullement un “journal intime”, qui, en première instance, sert à exprimer les sentiments du moi qui écrit. Tout, dans les notices de ce Journal, semble être parfaitement maîtrisé, soupesé; la prose admirablement ciselée de ce monologue mis en écriture montre que le Journal de Jünger, en fait, est un moyen de prendre distance et non pas de rester trop proche du vécu. Il s'agit des visions et des expériences d'un homme qui, sans mélancolie, se meut dans la sphère du très grand âge, avec froideur, comme s'il n'était pas concerné. La propre vie et la propre œuvre de l'auteur lui servent à relier et à rapprocher les événements immédiats et lointains, le proche et l'éloigné, le rêve et l'imprimé. Les remarques philosophiques, culturelles, sociologiques et critiques de Jünger, les idées qu'il exprime sur l'histoire et la civilisation ne sont nullement des plaintes pessimistes. Il se borne à enregistrer les évolutions et les bouleversements, il décrit la destruction de la nature due à l'avancée de la technique. Sur notre situation globale, il écrit: «Ce que notre situation a de particulier et peut-être d'unique, c'est que nous sommes plongés non pas seulement dans une révolution mondiale mais aussi et surtout dans une révolution tellurique. Ainsi culmine la résistance qui s'oppose tant à l'artiste qu'au philosophe. Leur œuvre sera soit insuffisante soit provisoire. L'insuffisant sera détruit par les événements, mais le provisoire pourra se révéler si significatif que les événements ne le rattraperont pas».

 

Malgré des observations contrariantes et des détails effrayants, Jünger cherche la loi secrète, l'ordre caché, qui régit tout cela. Qu'il formule des observations sur une couleur ou sur une spirale, qu'il examine un insecte ou décrit une floraison, il s'efforcera toujours de déchiffrer l'«écriture imagée immédiate», de se rapprocher de la plénitude et de l'harmonie du tout cosmique. Il demeure animé par une volonté inconditionnelle de sens et ne se montrera jamais prêt à abandonner la foi en ce sens. Un jour, il s'est demandé: «Qu'est-ce qui est le plus important pour un écrivain? La redécouverte de l'impassable dans le temps passé: l'Etre dans l'existence».

 

Pour Jünger, l'écrivain est une personne morale qui s'est extraite de la quotidienneté sociale, qui, par la force de son imagination, peut reconnaître les rapports entre les choses. Ce quatrième volume de Soixante-Dix s'efface  est lui aussi un outil idéal et sublime pour pénétrer, avec son «regard stéréoscopique», dans le monde pour le révéler, pour pénétrer dans sa pensée qui est un “voir” dans l'espace et dans les profondeurs. Cette collection de notices et de témoignages, de souvenirs et de lettres est un document littéraire de tout premier rang, une chambre aux trésors où l'on trouve les plans et les analyses les plus fines sur notre temps. Une lecture indispensable, captivante, fécondante.

 

Karlheinz SCHAUDER.

(recension tirée de Criticón,  n°146/1995; adresse: Criticón Verlag, Knöbelstrasse 36/0, D-80.538 München; abonnement: DM 64; étudiants: DM 42; trad. franç. : Robert Steuckers).

samedi, 13 septembre 2008

Réflexions sur la figure esthétique et littéraire du dandy

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Réflexions sur la figure esthétique et littéraire du “dandy”

 

Intervention de Robert Steuckers au séminaire de “SYNERGON-Deutschland”, Basse-Saxe, 6 mai 2001

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais formuler trois remarques préliminaires:

◊ 1. J’ai hésité à accepter votre invitation à parler de la figure du dandy, car ce type de problématique n’est pas mon sujet de préoccupation privilégié.

 

◊ 2. J’ai finalement accepté parce que j’ai redécouvert un essai aussi magistral que clair d’Otto Mann, paru en Allemagne il y de nombreuses années (i. e. : Dandysmus als konservative Lebensform) (*). Cet essai mériterait d’être à nouveau réédité, avec de bons commentaires.

 

◊ 3. Ma troisième remarque est d’ordre méthodologique et définitionnel. Avant de parler du “dandy”, et de rappeler à ce sujet l’excellent travail d’Otto Mann, il faut énumérer les différentes définitions du “dandy”, qui ont cours, et qui sont contradictoires. Ces définitions sont pour la plupart erronées, ou superficielles et insuffisantes. D’aucuns définissent le dandy comme un “pur phénomène de mode”, comme un personnage élégant, sans plus, soucieux de se vêtir selon les dernières modes vestimentaires. D’autres le définissent comme un personnage superficiel, qui aime la belle vie et pérégrine, oisif, de cabaret en cabaret. Françoise Dolto avait brossé un tableau psychologique du dandy. D’autres encore soulignent, quasi exclusivement, la dimension homosexuelle de certains dandies, tel Oscar Wilde. Plus rarement on assimile le dandy à une sorte d’avatar de Don Juan, qui meuble son ennui en collectionnant les conquêtes féminines. Ces définitions ne sont pas celles d’Otto Mann, que nous faisons nôtres.

 

L’archétype: George Bryan Brummell

 

Notre perspective, à la suite de l’essai d’Otto Mann, est d’attribuer au dandy une dimension culturelle plus profonde que toutes ses superficialités “modieuses”, épicuriennes, hédonistes, homosexuelles ou donjuanesques. Pour Otto Mann, le modèle, l’archétype du dandy, reste George Bryan Brummell, figure du début du 19ième siècle qui demeurait équilibrée. Brummell, contrairement à certains pseudo-dandies ultérieurs, est un homme discret, qui ne cherche pas à se faire remarquer par des excentricités vestimentaires ou comportementales. Brummell évite les couleurs criardes, ne porte pas de bijoux, ne se livre pas à des jeux sociaux de pur artifice. Brummell est distant, sérieux, digne; il n’essaie pas de faire de l’effet, comme le feront, plus tard, des figures aussi différentes qu’Oscar Wilde, que Stefan George ou Henry de Montherlant. Chez lui, les tendances spirituelles dominent. Brummell entretient la société, raconte, narre, manie l’ironie et même la moquerie. Pour parler comme Nietzsche ou Heidegger, nous dirions qu’il se hisse au-dessus de l’«humain, trop humain» ou de la banalité quotidienne (Alltäglichkeit).

 

Brummell, dandy de la première génération, incarne une forme culturelle, une façon d’être, que notre société contemporaine devrait accepter comme valable, voire comme seule valable, mais qu’elle ne génère plus, ou plus suffisamment. Raison pour laquelle le dandy s’oppose à cette société. Les principaux motifs qui sous-tendent son opposition sont les suivants : 1) la société apparaît comme superficielle et marquée de lacunes et d’insuffisances; 2) le dandy, en tant que forme culturelle, qu’incarnation d’une façon d’être, se pose comme supérieur à cette société lacunaire et médiocre; 3) le dandy à la Brummell ne commet aucun acte exagéré, ne commet aucun scandale (par exemple de nature sexuelle), ne commet pas de crime, n’a pas d’engagement politique (contrairement aux dandies de la deuxième génération comme un Lord Byron). Brummell lui-même ne gardera pas cette attitude jusqu’à la fin de ses jours, car il sera criblé de dettes, mourra misérablement à Caen dans un hospice. Il avait, à un certain moment, tourné le dos au fragile équilibre que réclame la posture initiale du dandy, qu’il avait été le premier à incarner.

 

Un idéal de culture, d’équilibre et d’excellence

 

S’il n’y a dans son comportement et sa façon d’être aucune exagération, aucune originalité flamboyante, pourquoi la figure du dandy nous apparaît-elle quand même importante, du moins intéressante? Parce qu’elle incarne un idéal, qui est en quelque sorte, mutatis mutandis, celui de la paiedeia grecque ou de l’humanitas romaine. Chez Evola et chez Jünger, nous avons la nostalgie de la magnanimitas latine, de l’hochmüote des chevaliers germaniques des 12ième et 13ième siècles, avatars romains ou médiévaux d’un modèle proto-historique perse, mis en exergue par Gobineau d’abord, par Henry Corbin ensuite. Le dandy est l’incarnation de cet idéal de culture, d’équilibre et d’excellence dans une période plus triviale de l’histoire, où le bourgeois calculateur et inculte, et l’énergumène militant, de type hébertiste ou jacobin, a pris le pas sur l’aristocrate, le chevalier, le moine et le paysan.

 

A la fin du 18ième siècle, avec la révolution française, ces vertus, issues du plus vieux fond proto-historique de l’humanité européenne, sont complètement remises en question. D’abord par l’idéologie des Lumières et son corrolaire, l’égalitarisme militant, qui veut effacer toutes les traces visibles et invisibles de cet idéal d’excellence. Ensuite, par le Sturm und Drang et le romantisme, qui, par réaction, basculent parfois dans un sentimentalisme incapacitant, parce qu’expression, lui aussi, d’un déséquilibre. Les modèles immémoriaux, parfois estompés et diffus, les attitudes archétypales survivantes disparaissent. C’est en Angleterre qu’on en prend conscience très vite, dès la fin du 17ième, avant même les grands bouleversements de la fin du 18ième : Addison et Steele dans les colonnes du Spectator et du Tatler, constatent qu’il est nécessaire et urgent de conserver et de maintenir un système d’éducation, une culture générale, capables de garantir l’autonomie de l’homme. Une valeur que les médias actuels ne promeuvent pas, preuve discrète que nous avons bel et bien sombré dans un monde orwellien, qui se donne un visage de “bon apôtre démocratique”, inoffensif et “tolérant”, mais traque impitoyablement toutes les espaces et résidus d’autonomie de nos contemporains. Addison et Steele, dans leurs articles successifs, nous ont légué une vision implicite de l’histoire culturelle et intellectuelle de l’Europe.

 

L’idéal de Goethe

 

Le plus haut idéal culturel que l’Europe ait connu est bien entendu celui de la paideia grecque antique. Elle a été réduite à néant par le christianisme primitif, mais, dès le 14ième siècle, on sent, dans toute l’Europe, une volonté de faire renaître les idéaux antiques. Le dandy, et, bien avant son émergence dans le paysage culturel européen, les deux journalistes anglais Steele et Addison, entendent incarner cette nostalgie de la paideia, où l’autonomie de chacun est respectée. Ils tentent en fait de réaliser concrètement dans la société l’objectif de Goethe: inciter leurs contemporains à se forger et se façonner une personnalité, qui sera modérée dans ses besoins, satisfaite de peu, mais surtout capable, par cette ascèse tranquille, d’accéder à l’universel, d’être un modèle pour tous, sans trahir son humus originel (Ausbildung seiner selbst zur universalen und selbstgenugsamen Persönlichkeit). Cet idéal goethéen, partagée  anticipativement par les deux publicistes anglais puis incarné par Brummell, n’est pas passé après les vicissitudes de la révolution française, de la révolution industrielle et des révolutions scientifiques de tous acabits. Sous les coups de cette modernité, irrespectueuse des Anciens, l’Europe se retrouve privée de toute culture substantielle, de toute épine dorsale éthique. On en mesure pleinement les conséquences aujourd’hui, avec la déliquescence de l’enseignement.

 

A partir de 1789, et tout au long du 19ième siècle, le niveau culturel ne cesse de s’effondrer. Le déclin culturel commence au sommet de la pyramide sociale, désormais occupé par la bourgeoisie triomphante qui, contrairement aux classes dominantes des époques antérieures, n’a pas d’assise morale (sittlich) valable pour maintenir un dégré élevé de civilisation; elle n’a pas de fondement religieux, ni de réelle éthique professionnelle, contrairement aux artisans et aux gens de métier, jadis encadrés dans leurs gildes ou corporations (Zünfte). La seule réalisation de cette bourgeoisie est l’accumulation méprisable de numéraire, ce qui nous permet de parler, comme René Guénon, d’un “règne de la quantité”, d’où est bannie toute qualité. Dans les classes défavorisées, au bas de l’échelle sociale, tout élément de culture est éradiqué, tout simplement parce que chez les pseudo-élites, il n’y a déjà plus de modèle culturel; le peuple, aliéné, précarisé, prolétarisé, n’est plus une matrice de valeurs précises, ethniquement déterminées, du moins une matrice capable de générer une contre-culture offensive, qui réduirait rapidement à néant ce que Thomas Carlyle appelait la “cash flow mentality”. En conclusion, nous assistons au déploiement d’une barbarie nantie, à haut niveau économique (eine ökonomisch gehobene Barbarei), mais à niveau culturel nul. On ne peut pas être riche à la mode du bourgeois et, simultanément, raffiné et intelligent. Cette une vérité patente : personne de cultivé n’a envie de se retrouver à table, ou dans un salon, avec des milliardaires de la trempe d’un Bill Gates ou d’un Albert Frère, ni avec un banquier ou un fabricant de moteurs d’automobile ou de frigidaires. Le véritable homme d’esprit, qui se serait égaré dans le voisinage de tels sinistres personnages, devrait sans cesse réprimer des baillements en subissant le vomissement continu de leurs bavardages ineptes, ou, pour ceux qui ont le tempérament plus volcanique, réprimer l’envie d’écraser une assiette bien grasse, ou une tarte à la façon du Gloupier, sur le faciès blet de ces nullités. Le monde serait plus pur —et sûrement plus beau— sans la présence de telles créatures.

 

La mission de l’artiste selon Baudelaire

 

Pour le dandy, il faut réinjecter de l’esthétique dans cette barbarie. En Angleterre, John Ruskin (1819-1899), les Pré-Réphaélites avec Dante Gabriel Rossetti et William Morris, vont s’y employer. Ruskin élaborera des projets architecturaux, destinés à embellir les villes enlaidies par l’industrialisation anarchique de l’époque manchesterienne, qui déboucheront notamment sur la construction de “cités-jardins” (Garden Cities). Les architectes belges et allemands de l’Art Nouveau ou Jugendstil, dont Henry Vandervelde et Victor Horta, prendront le relais. A côté de ces réalisations concrètes  —parce que l’architecture permet plus aisément de passer au concret—  le fossé ne cesse de se creuser entre l’artiste et la société. Le dandy se rapproche de l’artiste. En France, Baudelaire pose, dans ses écrits théoriques, l’artiste comme le nouvel “aristocrate”, dont l’attitude doit être empreinte de froideur distante, dont les sentiments ne doivent jamais s’exciter ni s’irriter outre mesure, dont l’ironie doit être la qualité principale, de même que la capacité à raconter des anecdotes plaisantes. Le dandy artiste prend ses distances par rapport à tous les dadas conventionnels et habituels de la société. Ces positions de Baudelaire se résument dans les paroles d’un personnage d’Ernst Jünger, dans le roman Héliopolis : «Je suis devenu le dandy, qui prend pour important ce qui ne l’est pas, qui se moque de ce qui est important » («Ich wurde zum Dandy, der das Unwichtige wichtig nahm, das Wichtige belächelte»). Le dandy de Baudelaire, à l’instar de Brummell, n’est donc pas un personnage scandaleux et sulfureux à la Oscar Wilde, mais un observateur froid (ou, pour paraphraser Raymond Aron, un “spectateur désengagé”), qui voit le monde comme un simple théâtre, souvent insipide où des personnages sans réelle substance s’agitent et gesticulent. Le dandy baudelérien a quelque peu le goût de la provocation, mais celle-ci reste cantonnée, dans la plupart des cas, à l’ironie.

 

Les exagérations ultérieures, souvent considérées à tort comme expressions du dandysme, ne correspondent pas aux attitudes de Brummell, Baudelaire ou Jünger. Ainsi, un Stefan George, malgré le grand intérêt de son œuvre poétique, pousse l’esthétisme trop loin, à notre avis, pour verser dans ce qu’Otto Mann appelle l’«esthéticisme», caricature  de toute véritable esthétique.Pour Stefan George, c’est un peu la rançon à payer à une époque où la “perte de tout juste milieu” devient la règle (Hans Sedlmayr a explicité clairement dans un livre célèbre sur l’art contemporain, Verlust der Mitte, cette perte du “juste milieu”). Sedlmayr mettait clairement en exergue cette volonté de rechercher le “piquant”. Stefan George le trouvera dans ses mises en scène néo-antiques. Oscar Wilde ne mettra rien d’autre en scène que lui-même, en se proclamant “réformateur esthétique”. L’art, dans sa perspective, n’est plus un espace de contestation destiné à investir totalement, à terme, le réel social, mais devient le seule réalité vraie. La sphère économique, sociale et politique se retrouve dévalorisée; Wilde lui dénie toute substantialité, réalité, concrétude. Si Brummell conservait un goût tout de sobriété, s’il gardait la tête sur les épaules, Oscar Wilde se posait d’emblée comme un demi-dieu, portait des vêtements extravagants, aux couleurs criardes, un peu comme les Incroyables et les Merveilleuses au temps de la révolution française. Provocateur, il a aussi amorcé un processus de mauvaise “féminisation/dévirilisation”, en se promenant dans les rues avec des fleurs à la main. A l’heure des actuelles “gay prides”, on peut le considérer comme un précurseur. Ses poses constituent tout un théâtre, assez éloigné, finalement, de ce sentiment tranquille de supériorité, de dignité virile, de “nil admirari”, du premier Brummell.

 

Auto-satisfaction et sur-dimensionnement du “moi”

 

Pour Otto Mann, cette citation de Wilde est emblématique : « Les dieux m’ont presque tout donné. J’avais du génie, un nom illustre, une position sociale élevée, la gloire, l’éclat, l’audace intellectuelle ; j’ai fait de l’art une philosophie et de la philosophie un art; j’ai appris aux hommes à penser autrement et j’ai donné aux choses d’autres couleurs... Tout ce que j’ai touché s’est drapé dans de nouveaux effets de beauté; à la vérité, je me suis attribué, à juste titre, le faux comme domaine et j’ai démontré que le faux, tout comme le vrai, n’est qu’une simple forme d’existence postulée par l’intellect. J’ai traité l’art comme la vérité suprême, et la vie comme une branche de la poésie et de la littérature. J’ai éveillé la fantaisie en mon siècle, si bien qu’il a créé, autour de moi, des mythes et des légendes. J’ai résumé tous les systèmes philosophiques en un seul épigramme. Et à côté de tout cela, j’avais encore d’autres atouts». L’auto-satisfaction, le sur-dimensionnement du “moi” sont patents, vont jusqu’à la mystification.

 

Ces exagérations iront croissant, même dans l’orbite de cette virilité stoïque, chère à Montherlant. Celui-ci, à son tour, exagère dans les poses qu’il prend, en pratiquant une tauromachie fort ostentatoire ou en se faisant photographier, paré du masque d’un empereur romain. Le risque est de voir des adeptes minables verser dans un “lookisme” tapageur et de mauvais goût, de formaliser à l’extrême ces attitudes ou ces postures du poète ou de l’écrivain. En aucun cas, elles n’apportent une solution au phénomène de la décadence. En matière de dandysme, la seule issue est de revenir calmement à Brummell lui-même, avant qu’il ne sombre dans les déboires financiers. Car ce retour au premier Brummell équivaut, si l’on se souvient des exhortations antérieures d’Addison et Steele, à une forme plus moderne, plus civile et peut-être plus triviale de paideia ou d’humanitas. Mais, trivialité ou non, ces valeurs seraient ainsi maintenues, continueraient à exister et à façonner les esprits. Ce mixte de bon sens et d’esthétique dandy permettrait de dégager un objectif politique pratique : défendre l’école au sens classique du terme, augmenter sa capacité à transmettreles legs de l’antiquité hellénique et romaine, prévoir une pédagogie nouvelle et efficace, qui serait un mixte d’idéalisme à la Schiller, de méthodes traditionnelles et de méthodes inspirées par Pestalozzi.

 

Retour à la religion ou “conscience malheureuse”?

 

La figure du dandy doit donc être replacée dans le contexte du 18ième siècle, où les idéaux et les modèles classiques de l’Europe traditionnelle s’érodent et disparaissent sous les coups d’une modernité équarissante et arasante. Les substances religieuses, chrétiennes ou pré-chrétiennes sous vernis chrétien, se vident et s’épuisent. Les Modernes prennent le pas sur les Anciens. Ce processus conduit forcément à une crise existentielle au sein de l’écoumène civilisationnel européen. Deux pistes s’offrent à ceux qui tentent d’échapper à ce triste destin : 1) Le retour à la  religion, ou à la tradition, piste importante mais qui n’est pas notre propos aujourd’hui, tant elle représente un continent de la pensée, fort vaste, méritant un séminaire complet à elle seule. 2) Cultiver ce que les romantiques appelaient la Weltschmerz, la douleur que suscitait ce monde désenchanté, ce qui revient à camper sur une position critique permanente à l’endroit des manifestations de la modernité, à développer une conscience malheureuse, génératrice d’une culture volontairement en marge, mais où l’esprit politiquepeut puiser des thématiques offensives et contestatrices.

 

Pour le dandy et le romantique, qui oscille entre le retour à la religion et le sentiment de Weltschmerz, cette dernière est surtout ressentie de l’intérieur. C’est dans l’intériorité du poète ou de l’artiste que ce sentiment va mûrir, s’accroître, se développer. Jusqu’au point de devenir dur, de dompter le regard et d’éviter ainsi les langueurs ou les colères suscitées par la conscience malheureuse. En bout de course, le dandy doit devenir un observateur froid et impartial, qui a dominé ses sentiments et ses émotions. Si le sang a bouillonné face aux “horreurs économiques”, il doit rapidement se refroidir, conduire à l’impassibilité, pour pouvoir les affronter efficacement. Le dandy, qui a subi ce processus, atteint ainsi une double impassibilité : rien d’extérieur ne peut plus l’ébranler; mais aucune émotion intérieure non plus. Pierre Drieu La Rochelle ne parviendra jamais à un tel équilibre, ce qui donne une touche très particulière et très séduisante à son œuvre, tout simplement parce qu’elle nous dévoile ce processus, en train de se réaliser, vaille que vaille, avec des ressacs, des enlisements et des avancées. Drieu souffre du monde, s’essaie aux avant-gardes, est séduit par la discipline et les aspects “métalliques” du fascisme “immense et rouge”, en marche à son époque, accepte mentalement la même discipline chez les communistes et les staliniens, mais n’arrive pas vraiment à devenir un “observateur froid et impartial” (Benjamin Constant). L’œuvre de Drieu La Rochelle est justement immortelle parce qu’elle révèle cette tension permanente, cette crainte de retomber dans les ornières d’une émotion inféconde, cette joie de voir des sorties vigoureuses hors des torpeurs modernes, comme le fascisme, ou la gouaille d’un Doriot.

 

Blinder le mental et le caractère

 

En résumé, le processus de deconstruction des idéaux de la paideia antique, et de déliquescence des substantialités religieuses immémoriales, qui s’amorce à la fin du 18ième siècle, équivaut à une crise existentielle généralisée à tous les pays occidentaux. La réponse de l’intelligence à cette crise est double : ou bien elle appelle un retour à la religion ou bien elle suscite, au fond des  âmes, une douleur profondément ancrée, la fameuse Weltschmerz des romantiques. La Weltschmerz se ressent dans l’intériorité profonde de l’homme qui fait face à cette crise, mais c’est aussi dans son intériorité qu’il travaille silencieusement à dépasser cette douleur, à en faire le matériel premier pour forger la réponse et l’alternative à cette épouvantable déperdition de substantialité, surplombée par un économicisme délétère. Il faut donc se blinder le mental et le caractère, face aux affres qu’implique la déperdition de substantialité, sans pour autant inventer de toutes pièces des Ersätze plus ou moins boîteux à la substantialité de jadis. Baudelaire et Wilde pensent, tous deux à leur manière, que l’art va offrir une alternative, plus souple et plus mouvante que les anciennes substantialités, ce qui est quasiment exact sur toute la ligne, mais, dans ce cas, l’art ne doit pas être entendu comme simple esthétisme. Le blindage du mental et du caractère doit servir, in fine, à combattre l’économicisme ambiant, à lutter contre ceux qui l’incarnent, l’acceptent et mettent leurs énergies à son service. Ce blindage doit servir de socle moral et psychologique dur aux idéaux de combat politique et métapolique. Ce blindage doit être la carapace de ce qu’Evola appelait l’«homme différencié», celui qui “chevauche le tigre”, qui erre, imperturbé et imperturbable, “au milieu des ruines”, ou que Jünger désignait sous le vocable d’«anarque». “L’homme différencié qui chevauche le tigre au milieu des ruines” ou “l’anarque” sont posés d’emblée comme des observateurs froids, impartiaux, impassibles. Ces hommes différenciés, blindés, se sont hissés au-dessus de deux catégories d’obstacles : les obstacles extérieurs et les obstacles générés par leur propre intériorité. C’est-à-dire les barrages dressés par les “hommes de moindre valeur”  et les alanguissements de l’âme en détresse.

 

Figures tchandaliennes de la décadence

 

La crise existentielle, qui débute vers le milieu du 18ième siècle, débouche donc sur un nihilisme, très judicieusement défini par Nietzsche comme un “épuisement de la vie”, comme “une dévalorisation des plus hautes valeurs”, qui s’exprime souvent par une agitation frénétique sans capacité de jouir royalement de l’otium, agitation qui accélère le processus d’épuisement. La mise en schémas de l’existence est l’indice patent que nos “sociétés”ne forment plus des “corps”, mais constituent, dit Nietzsche, des “conglomérats de Tchandalas”, chez qui s’accumulent les maladies nerveuses et psychiques, signe que la puissance défensive des fortes natures n’est plus qu’un souvenir. C’est justement cette “puissance défensive” que l’homme “différencié” doit, au bout de sa démarche, de sa quête dans les arcanes des traditions, reconstituer en lui. Nietzsche énumère très clairement les vices du Tchandala, figure emblématique de la décadence européenne, issue de la crise existentielle et du nihilisme: le Tchandala est affecté de pathologies diverses, sur fond d’une augmentation de la criminalité, de célibat  généralisée et de stérilité voulue, d’hystérie, d’affaiblissement constant de la volonté, d’alcoolisme (et de toxicomanies diverses ajouterions-nous), de doute systématique, d’une destruction méthodique et acharnée des résidus de force. Parmi les figures tchandaliennes de cette décadence et de ce nihilisme, Nietzsche compte ceux qu’il appelle les “nomades étatiques” (Staatsnomaden) que sont les fonctionnaires, sans patrie réelle, serviteurs du “monstre froid”, au mental mis en schémas et, subséquemment, générateurs de toujours davantage de schémas, dont l’existence parasitaire engendre, par leur effroyable pesanteur en progression constante, le déclin des familles, dans un environnement fait de diversités contradictoires et émiettées, où l’on trouve

 

-         le “disciplinage” (Züchtung) des caractères pour servir les abstractions du monstre froid,

-         la lubricité généralisée comme forme de nervosité et comme expression d’un besoin insatiable et compensatoire de stimuli et d’excitations,

-         les névroses en tous genres,

-         les fascinations morbides pour les mécanismes et pour les enchaînements, limités, de sèches causalités sans levain,

-         le présentisme politique (Augenblickdienerei) où ne dominent plus, souverainement, ni longue mémoire ni perspectives profondes ni sens naturel et instinctif du bon droit,

-         le sensibilisme pathologique,

-         les doutes inféconds procédant d’un effroi morbide face aux forces impassables qui ont fait et feront encore l’histoire-puissance,

-         une peur d’arraisonner le réel, de saisir les choses tangibles de ce monde.

 

Victor Segalen en Océanie, Ernst Jünger en Afrique

 

Dans ce complexe de froideur, d’immobilisme agité, de frénésies infécondes, de névroses, une première réponse au nihilisme est d’exalter et de concrétiser le principe de l’aventure, où le contestataire quittera le monde bourgeois tissé d’artifices, pour s’en aller vers des espaces vierges, intacts, authentiques, ouverts, mystérieux. Gauguin part pour les îles du Pacifique. Victor Segalen, à sa suite, chante l’Océanie primordiale et la Chine impériale qui se meurt sous les coups de l’occidentalisme. Segalen demeure breton, opère ce qu’il appelait le “retour à l’os ancestral”, dénonce l’envahissement de Tahiti par les “romances américaines”, ces “parasites immondes”, rédige un “Essai sur l’exotisme” et “Une esthétique du divers”. Le rejet des brics et brocs sans passé profond ont valu à Segalen un ostracisme injustifié dans sa patrie : il reste un auteur à redécouvrir, dans la perspective qui est nôtre.

 

Le jeune Jünger, encore adolescent, rêve de l’Afrique, du continent où vivent les éléphants et d’autres animaux fabuleux, où les espaces et les paysages ne sont pas meurtris par l’industrialisation, où la nature et les peuples indigènes ont conservé une formidable virginité, permettant encore tous les possibles. Le jeune Jünger s’engage dans la Légion Etrangère pour concrétiser ce rêve, pour pouvoir débarquer dans ce continent nouveau, perclus de mystères et de vitalité. 1914 lui donnera, à lui et à toute sa génération, l’occasion de sortir d’une existence alanguissante. Dans la même veine, Drieu La Rochelle parlera de l’élan de Charleroi. Et plus tard, Malraux, de “Voie Royale”. A “gauche” (pour autant que cette dichotomie politicienne ait un sens), on parlera plutôt d’ “engagement”, où ce même enthousiasme se retrouvera surtout lors de la Guerre d’Espagne, où Hemingway, Orwell, Koestler, Simone Weil s’engageront dans le camp des Républicains, et Campbell dans le camp des Nationalistes, qui fut aussi, comme on le sait, chanté par Robert Brasillach. L’aventure et l’engagement, dans l’uniforme du soldat ou des milices phalangistes, dans les rangs des brigades internationales ou des partisans, sont perçus comme antidotes à l’hyperformalisme d’une vie civile sans couleurs. “I was tired of civilian life, therefore I joined the IRA”), est-il dit dans un chant nationaliste irlandais, qui, dans son contexte particulier, proclame, avec une musique primesautière, cette grande envolée existentialiste du début du 20ième siècle avec toute la désinvolture, la verdeur, le rythme et la gouaille de la Verte Eirinn.

 

Ivresses? Drogues? Amoralisme?

 

Mais si l’engagement politique ou militaire procure, à ceux que le formalisme d’une vie civile, sans plus aucun relief ni équilibre traditionnel, ennuie, le supplément d’âme recherché, le rejet de tout formalisme peut conduire à d’autres attitudes, moins positives. Le dandy, qui quitte la pose équilibrée de Brummell ou la critique bien ciselée de Baudelaire, va vouloir expérimenter toujours davantage d’excitations, pour le seul plaisir stérile d’en éprouver. La drogue, la toxicomanie, la consommation exagérée d’alcools vont constituer des échappatoires possibles: la figure romanesque créée par Huysmans, Des Esseintes, fuira dans les liqueurs. Thomas De Quincey évoquera les “mangeurs d’opium” (“The Opiumeaters”). Baudelaire lui-même goûtera l’opium et le haschisch. Ce basculement dans les toxicomanies s’explique par la fermeture du monde, après la colonisation de l’Afrique et d’autres espaces jugés vierges; l’aventure réelle, dangereuse, n’y est plus possible. La guerre, expérimentée par Jünger, quasi en même temps que les “drogues et les ivresses”, cesse d’attirer car la figure du guerrier devient un anachronisme quand les guerres se professionnalisent, se mécanisent et se technicisent  à outrance.

 

Autre échappatoire sans aucune positivité : l’amoralisme et l’anti-moralisme. Oscar Wilde fréquentera des bars louches, exhibera de manière très ostentatoire son homosexualité. Son personnage Dorian Gray devient criminel, afin de transgresser toujours davantage ce qui a déjà été transgressé, avec une sorte d’hybris pitoyable. On se souviendra de la fin pénible de Montherlant et on gardera en mémoire l’héritage douteux que véhicule encore aujourd’hui son exécuteur testamentaire, Gabriel Matzneff, dont le style littéraire est certes fort brillant mais dans le sillage duquel de bien tristes scénarios se déroulent, montés en catimini, dans des cercles fermés et d’autant plus pervers et ridicules que la révolution sexuelle des années 60 permet tout de même de goûter sans moralisme étriqué à beaucoup de voluptés gaillardes et goliardes. Ces drogues, transgressions et sexomanies bouffonnes constituent autant d’apories, de culs-de-sac existentiels où aboutissent lamentablement quelques détraqués, en quête d’un “supplément d’âme”, qu’ils veulent “transgresseur”, mais qui, pour l’observateur ironique, n’est rien d’autre que le triste indice d’une vie ratée, d’une absence de grand élan véritable, de frustrations sexuelles dues à des défauts ou des infirmités physiques. Décidément, ne “chevauche pas le  Tirgre” qui veut et on ne voit pas très bien quel “Tigre” il y a à chevaucher dans les salons où le vieux beau Matzneff laisse quelques miettes de ses agapes sexuelles à ses admirateurs un peu torves...

 

Ascèse religieuse

 

L’alternative véritable, face au monde bourgeois, des “petits jobs” et des “petits calculs”, moqués par Hannah Arendt, dans un monde désormais fermé, où aventures et découvertes ne sont plus que répétitions, où la guerre est “high tech” et non plus chevaleresque, réside dans l’ascèse religieuse, dans un certain retour au monachisme de méditation, dans le recours aux traditions (Evola, Guénon, Schuon). Drieu la Rochelle évoque cette piste dans son “Journal”, après ses déceptions politiques, et rend compte de sa lecture de Guénon. Les frères Schuon sont exemplaires à ce titre : Frithjof part à la Légion Etrangère, arpente le Sahara, fait connaissance avec les soufis et les marabouts du désert ou de l’Atlas, adhère à une mystique soufie islamisée, part ensuite dans les réserves de Sioux aux Etats-Unis, laisse une œuvre picturale étonnante et époustouflante. Son frère, nommé le “Père Galle”, arpente les réserve améridiennes d’Amérique du Nord, traduit les évangiles en langue sioux, se retire dans une trappe wallonne, y dresse des jeunes chevaux à la mode indienne, y rencontre Hergé et se lie d’amitié avec lui. Des existences qui prouvent que l’aventure et l’évasion totale hors du monde frelaté de l’occidentisme (Zinoviev) demeure possible et féconde.

 

Car la rébellion est légitime, si elle ne bascule pas dans les apories ou ne débouche pas sur un satanisme de mauvais aloi, comme dans certaines sectes néo-païennes, plus ou moins inspirées par les faits et gestes d’un Alistair Crowley. Ce dérapage s’explique : la rébellion, faute de cause, devient hélas service à Satan, lorsque le mal en soi  —ou ce qui passe pour le “mal en soi”—  est devenu l’excitation existentielle considérée comme la plus osée. Dans un monde désenchanté, comme le nôtre, livré aux plaisirs stupides et passifs fournis par les médias, ce satanisme, avec son cortège sinistre de gesticulations absurdes et infécondes, séduit des esprits faibles, comme ceux qui traînent, par puritanisme mal digéré et mal surmonté, dans les salons où agit Matzneff et “passivent” ses voyeurs d’admirateurs. Ce n’est en tout cas pas l’attitude que souhaitait généraliser Brummell.

 

Robert STEUCKERS,

Forest/Flotzenberg, Vlotho im Weserbergland, mai 2001.

 

Note:

(*) : Otto MANN, “Dandysmus als konservative Lebensform” in: Gerd-Klaus KALTENBRUNNER (Hrsg.), Konservatismus International, Seewald Verlag, Stuttgart, 1973, ISBN 3-51200327-3, pp.156-170.

vendredi, 12 septembre 2008

Hermann Hesse: Le jeu des perles de verre

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Laurent SCHANG :

 

HERMANN HESSE (1877-1962): «Le jeu des perles de verre»

Essai de biographie du Magister Ludi  Joseph Valet accompagné de ses écrits posthumes

 

Mis en chantier à l'avènement du IIIième Reich mais édité dans sa version finale en 1943, Le jeu des perles de verre  est de l'aveu même de Hermann Hesse le chef-d'œuvre de sa carrière d'écrivain.

 

Situé à une époque mal définie, estimée à 2500 ans après J.C., «2000 ans après la fondation de l'Ordre de Saint-Benoît et postérieurement à la mort de Pie XV», dans un monde utopique, la Castalie, province pédagogiaque réservée au seul talent et à l'expression élitiste du savoir, le “jeu des perles de verre”  est la pierre philosophale qui ouvre l'humanité à un nouveau champ de perception. Alignement de perles multicolores sur un boulier rustique, le Jeu consiste en un système élaboré de combinaisons savantes maniées par une caste d'élus, synthèse suprême des arts et des sciences dont les clefs sont autant d'ouvertures à la catharsis et l'intégration dans le “Grand Tout” chanté par Hermann Hesse. Du monde castalien il dira: «Je n'eus pas besoin de l'inventer ni de le construire: sans que je m'en rendisse compte, il était préfiguré en moi depuis longtemps. Et du même coup j'avais trouvé ce que je cherchais: un lieu où respirer librement» (correspondance-lettre à Rudolf Pannwitz, 1955).

 

A travers le personnage central du roman, Joseph Valet, Hermann Hesse invite le lecteur à le suivre dans son initiation de jeune promu aux plus hautes responsabilités de l'Ordre, jusque son accession à la dernière marche: Maître du Jeu des Perles de Verre. Doté des meilleures dispositions, brillant intellectuel, humaniste raisonné, désintéressé et charismatique, Valet, au terme de sa progression dans les échelons castaliens, se détournera pourtant du pouvoir suprême pour ne plus se consacrer qu'à la méditation solitaire en simple précepteur.

 

Le jeu des perles de verre  est l'occasion pour Hermann Hesse de rappeler les principes essentiels de sa conception de la place de l'Homme dans l'univers, qui le rapproche incontestablement des Ernst Jünger et autres Knut Hamsun, à savoir l'inopérance du pur intellect, le primat de l'âme et de l'irrationnel, la critique de toute collectivité et de l'étatisation des sociétés, l'éternel dilemme nature/culture. Sa quête de la réconciliation du piétisme mystique de son enfance et du rationalisme éclairé de l'Aufklärung s'effectuant sous les auspices des textes bouddhiques, de Lao Tse et de Nietzsche.

 

Un “Tolstoï” allemand?

 

Considéré par ses contemporains comme le Tolstoï allemand, précurseur de Kerouac et des écologistes, admiré de Mann, Gide et Rolland, Hermann Hesse, rebelle aristocrate et solitaire retiré dans le Tessin suisse dès avant 1914, a laissé à la postérité une œuvre dense, riche, à l'écriture musicale et au style ciselé où court de pages en pages la critique fondamentale de la société moderne qu'exprime avec le plus d'acuité le renforcement jusque dans les structures sociales les plus privées de la prégnance de l'Etat. De sa méfiance envers une démocratie, «cet Etat inconsistant, vide d'esprit et issu du vide et de l'épuisement qui ont suivi la guerre mondiale»,  dont il ne perçoit la déviance totalitaire  —à l'instar de son compatriote Ernst von Salomon— qu'en tant que son expression la plus aboutie, prendra progressivement forme la Castalie.

 

Mais l'exemplarité du Jeu ne provient pas tant de son alternative que de la profonde sincérité de Hesse, qui dans son scepticisme rigoureux, se défie de son propre idéalisme et conserve à l'égard de sa création une position distante, n'omettant pas, après exposition des qualités de l'institution de Celle-les-Bois, d'en mentionner les tares inhérentes à tout corps administrativement constitué, mécanique bureaucratique parfaitement huilée qui, fonctionnant en roue libre, court le risque fatal de s'enliser dans sa routine scientifique, poussiéreuse et déshumanisante.

 

Moins sombre que George Orwell et Aldous Huxley mais davantage perspicace que Thomas More, Hesse, en orientaliste distingué, ne sépare jamais le yin du yang. Son Jeu des perles de verre  vient ainsi parachever une vie de labeur littéraire où perce une image originale de la société occidentale, pour laquelle ses mots ne sont jamais assez durs: «La “société”, laquelle n'a plus qu'un semblant d'existence depuis que notre humanité s'est ou bien transformée en une masse uniforme et sans visage, ou bien fragmentée en des milliers d'individus isolés que rien ne rattache plus les uns aux autres, .sauf la peur de l'avenir et le regret du passé».

 

“Réfractaire au “tu dois”» selon la formule de Linda Lê, lecteur de Schopenhauer, Dostoïevski mais aussi Spengler, Klages ou encore Keyserling, le chemin vers les étoiles de Hermann Hesse est celui de la quête de toute une vie d'une spiritualité différente, éloignée de tous les dogmes incapacitants, ultime résonance d'un Age d'Or oublié. «...Je n'accorde qu'une place restreinte au temporel dans le compartiment supérieur de mes pensées», «il m'est impossible de vivre sans témoigner de la vénération à quelque chose, sans consacrer ma vie à un dieu», «Je n'ai jamais vécu sans religion et ne pourrais vivre un seul jour sans religion mais je m'en suis tiré pendant toute ma vie sans Eglise» (Mein Glaube).

 

Apoliteia

 

De nature rebelle, sa détestation de la bourgeoise Allemagne wilhelminienne le confirme dans sa soif de solitude et sa conscience d'artiste, si magistralement rendues dans sa nouvelle Le Choucas, extraite du recueil Souvenirs d'un Européen, où l'oiseau n'est autre que son double animalier: «Il vivait seul, n'appartenait à aucune communauté, n'obeissait à aucune coutume, à aucun ordre, à aucune loi (...) Bouffon pour les uns, obscur avertissement pour les autres (...)». Imprégné de l'idée du cycle naturel et cosmique, il se fait prophète, un demi-siecle avant Guénon et Evola, du Kali-Yuga, équivalent indien de l'Apocalypse dont il pressent tous les signes annonciateurs dans la décadence de l'Occident. En 1926, Hesse, répondant à une sollicitation de l'Ostwart-Jahrbuch, leur écrit: «J'estime que notre tâche est de consommer notre ruine et non pas de proposer pour modèles des œuvres et des discours dans lesquels nous tenterions de sauver quelque reste de la culture agonisante (...). Notre devoir est de disparaître dans les profondeurs, de nous en remettre à la nécessité et non pas d'en tirer des commentaires ingénieux. La façon dont Nietzsche, des dizaines d'années avant tous, a suivi le rude et solitaire chemin de l'abîme constitue un véritable exploit».

 

Apoliteia convaincu, opposant au titre d'“écrivain engagé” alors si abondamment représenté de par l'Europe (citons pour l'exemple Mann, Drieu, Malraux, Aragon, Shaw et Brecht) celui d'“auteur dégagé”, c'est dans le Moyen-Age, un Moyen-Age enchanteur et mythologique, et l'Orient, un Orient de lecture et de méditation, que Hesse puise l'essence de son art, et son attitude, toute de hauteur d'esprit et d'humilité, pourrait se résumer par ce livre de Romain Rolland: Au-dessus de la mêlée.

 

Ses ouvrages, du premier, Peter Camenzind,  écrit en 1903, évocation de la communion intime de l'homme et de la nature accueillante une fois libérée du poids de la civilisation, à Siddharta en 1922, où Hesse expose toute sa passion pour l'hindouisme, sont un pas supplémentaire franchi dans l'élaboration progressive de sa foi profonde et intime. Anticipant sur le personnalisme d'Emmanuel Mounier, Hesse, dans une lettre envoyée à un admirateur, précise: «Chacun de vous doit tirer au clair la nature de sa propre personnalité, de ses dons, de ses possibilités et de ses particularités, il doit consacrer sa vie à se perfectionner moralement et à devenir ce qu'il est. Si nous accomplissons cette tâche, nous servons en même temps la cause de l'humanité (...) l'“indiviclualisme”, si souvent décrié, devient le serviteur de la communauté et perd le caractère odieux de l'égoïsme».  Son roman le plus fameux, Le Loup des Steppes  (l927), tirera toute sa substance de cette profession de foi.

 

Sollicité de toutes parts, collaborant a moultes revues littéraires, partageant son temps entre l'écriture et la peinture, c'est dans l'art et la culture que Hesse discernera finalement la dernière, et peut-être la seule trace de Dieu sur Terre, expression la plus pure et parfaite de la part de génie qui réside en tout homme, dès lors que celui-ci est à même de se développer en harmonie avec l'Univers, Alpha et Omega de son maître-roman, Le Jeu des perles de verre.

 

Laurent SCHANG.

 

indices bibliographiques:

- Le Jeu des Perles de Verre, Calmann-Lévy, 1996.

- Lettres (1900-1962), Calmann-Lévy, 1981.

- Souvenirs d'un Européen, Livre de Poche, 1994.

 

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jeudi, 28 août 2008

Brève note sur Heimito von Doderer

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Brève note sur Heimito von Doderer

Né le 5 septembre 1896, sous le nom de Franz Carl Heimito, Chevalier von Doderer, à Hadersdorf-Weidlingau et mort à Vienne le 23 décembre 1966, Heimito von Doderer fut un é­crivain autrichien, fils d'un architecte et entrepreneur de tra­vaux de construction. Il a servi comme aspirant dans un régiment de dragons pendant la première guerre mondiale. Il a été prisonnier pendant quatre ans en Russie [ndt: plus exac­tement, en Sibérie]. En 1920, il revient en Autriche, où il étudie l'histoire à Vienne, notamment sous la férule du Che­valier Heinrich von Srbik [ndt: et obtient son diplôme en 1925]. Sous la forte influence d'Albert Paris Gütersloh, il tente de s'initier au difficile métier d'écrivain. Il a com­men­cé, ainsi, mais sans grand succès, par publier des poèmes, de brèves nouvelles et des romans. En 1933, il adhère à la NSDAP, qui est interdite en Autriche à l'époque, mais la quit­te en 1938. Cette année-là, il accède enfin à une plus vaste notoriété grâce au roman Ein Mord den jeder begeht. En 1940, après sa conversion, il est accepté au sein de l'E­glise catholique. Pendant la seconde guerre mondiale, il sert en tant qu'officier de la force aérienne. Finalement, il acquiert la gloire par la publication de deux grands romans à thématique sociale, Die Strudlhofstiege (1951) et Die Dä­monen (1956).

La prose de Doderer se caractérise par une langue imagée, totalement inédite. Une série de motifs revient sans cesse dans son écriture, dont une critique systématique du pro­grès technique et de la civilisation moderne des grandes mé­tropoles; Doderer rejette aussi tous les linéaments de l'è­re des masses, qui empêchent, dit-il, le déploiement op­ti­mal de l'individualité personnelle. Il écrit, à ce propos: «Ce­lui qui appartient aux "masses", a d'ores et déjà perdu la liberté et peut s'installer où il veut».

Une adhésion à la plénitude complète du réel

[ndt: Le style littéraire de Doderer est largement influencé par Marcel Proust et Robert Musil, dans la mesure où, tout entier, il part, lui aussi, à la "recherche du temps perdu"; chez lui, cette recherche vise à retrouver les innombrables fractions de bonheur de l'Autriche-Hongrie d'avant 1914, en replongeant dans l'histoire sociale des hommes et des familles. Pour Doderer, le chaos de la société moderne ex­prime la crise de l'universalité, raison pour laquelle la tâ­che de l'écrivain doit être d'esquisser une nouvelle univer­salité, qui n'est évidemment pas un universalisme idéolo­gique à côté d'autres universalismes idéologiques, mais une adhésion à la plénitude complète du réel, comme on l'é­prou­vait généralement sans détours dans l'ancien empire da­nubien austro-hongrois. L'homme universel n'est pas un mo­dèle abstrait, taillé sur mesure une fois pour toutes, mais un être qui se manifeste sous des "variations multi­ples". En revanche, plongé dans le carcan étroit d'une "réa­lité seconde", faite de restrictions mutilantes de nature idéo­logique, il perd et son universalité et ses variations pour n'être plus qu'un instrument au service des pires bar­baries politisées de l'histoire. Heimito von Doderer dénonce l'idiotie immanente de toutes les positions doctrinaires, quel­les qu'elles soient. En cela, Doderer est disciple de Hoff­mansthal, qui disait: «L'idiotie, comme l'indique l'éty­mologie de ce mot étranger, n'est rien d'autre que l'auto-li­mitation de l'homme par lui-même». Une telle posture im­pli­que de revaloriser les communautés humaines, avec leurs échelles variables de formes sociales et de classes, contre l'uniformité grise des sociétés totalitaires, plaide si­mul­tanément pour une restauration des qualités humaines contre les affres de la quantité (Musil, Guénon). Uni­ver­sa­lité, variété et qualité impliquent de ce fait de respecter et de conserver le jeu des interpénétrations créatrices entre les éléments contradictoires du réel prolixe pour unir l'esprit conservateur et l'esprit émancipateur dans une quê­te permanente de la "totalité" (Ganzheit) ou, comme on le dit plus justement aujourd'hui en philosophie, l'"holicité" - RS].

Dans les ouvrages de Doderer, nous trouvons donc trois con­cepts centraux, présentés sous des facettes diverses: celui d'"aperception" (Apperzeption), celui de "seconde réalité" (zweite Wirklichkeit) et celui du "devenir-homme" (Mensch­werdung). Celui qui refuse de percevoir la réalité (telle qu'elle est), c'est-à-dire la réalité première, dit Doderer, fait éclore en lui, justement par ce refus de l'aperception, une seconde réalité, sous la forme d'une représentation fi­xiste (fixe Vorstellung) ou d'une idée-corset ou idée-cangue (Zwangsidee), ce qui correspond à une image du donné vi­ciée par l'idéologie. Doderer considère que l'Etat totalitaire constitue une "seconde réalité" de ce type, de même que ces volontés révolutionnaires et fébriles de vouloir tout changer, que le primat accordé névrotiquement à la politi­que, que les complexes d'ordre sexuel, que les névroses et que l'attachement forcené à certains systèmes et ordres.

La vie telle qu'elle est

Une bonne partie des personnages de l'univers romanesque de Doderer sont en lutte contre les formes de "seconde réa­lité". Les dépasser n'est possible que par un processus de "de­venir-homme", soit par le fait que l'homme revient ainsi à sa véritable destination, en s'ouvrant, de manière incon­ditionnelle, à la première réalité, la seule vraie, qui, pour Do­derer, est la vie civile naturelle, sans fard et sans exci­tations artificielles. Dans ce contexte, Doderer se réclame "de la vie telle qu'elle est" et nous enjoint de l'accepter. Il faut dès lors se détourner des fixismes idéologiques —qu'il désigne comme les "hémorroïdes de l'esprit"— des convic­tions et des idéaux qui sont soi-disant sublimes, pour s'a­don­ner à l'aperception pleine et entière du réel. Cette a­per­ception est essentiellement conservante  —ici, Doderer ar­ticule clairement sa position—  car celui qui adopte cette po­sition ne souhaite pas voir modifier ce qu'il aime ré­cep­tionner par "aperception" et se trouve autour de lui. Raison pour laquelle Doderer dit: «L'attitude fondamentale de l'hom­me apercevant est conservatrice».

Dr. Ulrich E. ZELLENBERG.

(extrait de "Lexikon des Konservatismus" - Caspar v. Schrenck-Notzing /Hrsg. - Leopold Stocker Verlag, Graz, 1996 - ISBN 3-7020-0760-1; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

vendredi, 22 août 2008

Brèves réflexions sur l'oeuvre de H. G. Wells

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Werner OLLES:

 

Brèves réflexions sur l’oeuvre de H. G. Wells

 

Incontestablement,  Herbert George Wells est l’un des plus intéressants écrivains du 20ème siècle, à facettes multiples. Son oeuvre complète comprend près de cent volumes et va de la théorie (en biologie, en histoire contemporaine, en philosophie et en politique) à ces romans et récits devenus si célèbres dans le monde entier. Toutes ces créations littéraires sont des exemples de perfection en matière de littérature fantastique et utopique: de véritables classiques de la narration contemporaine. Wells est entré dans l’histoire intellectuelle de notre monde comme le père fondateur de la littérature de science-fiction et comme l’un des plus géniaux écrivains de ce genre.

 

H. G. Wells est né le 21 septembre 1866 dans la petite ville de Bromley dans le Comté de Kent en Angleterre. Son père était jardinier; plus tard, ses économies lui permirent d’ouvrir un petit commerce d’étoffes mais sa carrière de commerçant ne fut guère brillante. Le foyer parental était petit bourgeois, bigot, ce qui limitait les perspectives du jeune Wells. De cette époque de jeunesse date également son antipathie profonde à l’encontre du catholicisme qu’il abhorrait véritablement, l’accusant d’être une pensée pré-bourgeoise. La haine intense qu’il cultivait pour le culte “romain”, accusé d’être contre-révolutionnaire et médiéval, hostile à la modernité, l’amena même à plaider, pendant la seconde guerre mondiale, pour une destruction complète de Rome par les bombardiers alliés. Cette violente position anti-catholique le mettait pourtant en porte-à-faux par rapport à de nombreux intellectuels et écrivains anglais de son époque mais ne le dérangeait pas outre mesure: beaucoup d’écrivains anglicans en effet, comme Graham Greene, Evelyn Waugh, G. K. Chersterton ou Julien Green se convertirent au catholicisme.

 

Déjà dans ses premiers ouvrages, comme “La machine à remonter le temps”, un récit fantastique où un inventeur s’envole vers le futur, il se percevait lui-même en héros. De manière parfaitement prosaïque, il décrit un petit paradis où débarque son “voyageur à travers le temps”; y vivent les “Eloïs”, des créatures affables qui vivent en dehors de tous soucis. Mais bien vite, l’inventeur et voyageur remarque que cette société, en apparence si paisible, est pourtant soumise à la terreur le plus brutale. Les “Eloïs”, en effet, sont rançonnés et exploités par les Morloks, des monstres souterrains qui les massacrent sans pitié.

 

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Dans “L’Ile du Dr. Moreau”, le héros est un scientifique expulsé d’Angleterre qui mène des  expériences dans une île du Pacifique Sud, afin de transformer des animaux en demi-êtres à la suite d’opérations chirurgicales précises. Moreau, vivisectionniste démoniaque, est simultanément un Prométhée et un dieu punisseur. Les parallèles avec le récit de la Genèse sont flagrants: l’homme est toujours menacé de glisser à nouveau vers l’état de la bête et, à l’instar des créatures fabriquées par Moreau, les hommes, eux aussi, sont condamnés à la souffrance.

 

Wells s’était engagé dans la “Fabian Society”, une association de socialistes britanniques mais ce ne fut que pour une courte durée. Ses rêves sociaux-révolutionnaires se sont assez rapidement évanouis et il se tourne alors vers la métaphysique. Dans “La guerre des mondes”, il décrit comment des extra-terrestres réduisent l’Angleterre en cendres. Dans les années 30, Orson Welles fit de ce récit un reportage radiophonique qui semblait si vrai que des dizaines de milliers  d’Américains prirent la fuite, en panique devant cette invasion imminente de Martiens. Dans “Les géants arrivent”, il pose la question: les hommes, comme jadis les dinosaures, sont-ils condamnés à disparaître?

 

A la fin de sa vie, l’évolution de la politique et le développement des technologies firent de lui un pessimiste (voir son essai: “L’esprit est-il au bout de ses possibilités?”). H. G. Wells meurt le 13 août 1946 à l’âge de 79 ans à Londres.

 

Werner OLLES.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°33/2006; trad. franç.: Robert Steuckers).

jeudi, 21 août 2008

Le grand bouleau est tombé... Hommage à A. Soljénitsyne

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“De Brave Hendrik” /  ’t Pallieterke:

Le grand bouleau est tombé...

Hommage à Alexandre Soljénitsyne (1918-2008)

Le bouleau est un type d’arbre à l’écorce blanche argentée, dont le bois est fort clair et très dur. En Sibérie et dans de nombreuses régions de l’immense plaine russe, avec ses marécages gelés et enneigés, cet arbre est familier, appartient au paysage. La barbe et les cheveux gris de Soljénitsyne, écrivain, chrétien orthodoxe que Staline n’était pas parvenu à éliminer, rappelaient, depuis quelques années déjà, les couleurs de cet arbre si emblématique, qui jaillit partout de la terre russe.

Sa vie connut un premier bouleversement en 1945, lorsque, dans une lettre à un camarade, il décrit “l’homme à la moustache” (= Staline) comme incompétent sur le plan militaire. Soljénitsyne était alors en Prusse orientale et participait aux combats pour prendre la ville de Königsberg (que l’on appelle aujourd’hui Kaliningrad, dans l’enclave russe sur les rives de la Baltique). Il est arrêté: une routine sous la terreur soviétique de l’époque. Il ne sera libéré que huit ans plus tard, en 1953, à l’époque où la paranoïa du dictateur atteignait des proportions à peine imaginables, tandis que sa santé diminuait à vue d’oeil. Staline ne voyait alors dans son entourage que complots juifs ou américains; de 1953 à 1956, Soljénitsyne, professeur de mathématiques de son état, réside, libre mais banni, au Kazakhstan. En 1956, on le réhabilite et en 1962, il amorce véritablement sa carrière d’écrivain en publiant dans la revue “Novi Mir” une nouvelle, “Une journée dans la vie d’Ivan Denissovitch”. Mais c’est en 1968 que ce dissident acquiert la  notoriété internationale, à cinquante ans, quand sortent de presse “Le pavillon des cancéreux” et “Le premier cercle”; il a réussi à faire passer clandestinement ses manuscrits à l’étranger; rapidement, ils sont connus dans le monde entier, par des traductions qui révèlent l’atrocité de son vécu de bagnard dans l’Archipel du goulag. En 1970, il est le deuxième Russe (le premier fut Ivan Bounine) à recevoir le Prix Nobel de littérature.

Celui qui veut comprendre et apprendre un maximum de choses sur la littérature russe dans l’espace linguistique néerlandophone, doit lire les écrits du grand slaviste Karel van het Reve (1921-1999), car celui-ci, mieux que quiconque, a pu, dans ses nombreux livres et essais, décrypter les mystères russes. Mais sa “Geschiedenis van de Russissche literatuur” (1) s’arrête malheureusement à Anton Tchekhov. Pour mieux comprendre la dissidence et l’intelligentsia russes, il me paraît toutefois utile de relire les travaux de ce slaviste, dont les titres sont éloquents: “Met twee potten pindakaas naar Moskou” (1970; “Avec deux pots de crème de cacahouète à Moscou”), “Lenin heeft echt bestaan” (1972; “Lénine a vraiment existé”) et “Freud, Stalin en Dostojevski” (1982; “Freud, Staline et Dostoïevski”). Dans un ouvrage posthume, paru en 2003, et intitulé “Ik heb nooit iets gelezen” (= “Je n’ai jamais rien lu”), ce grand connaisseur de la Russie, au regard froid et objectif mais néanmoins très original, émet force assertions qui témoignent de sa connaissance profonde des lettres russes. De son essai “De ondergang van het morgenland” (1990; “Le déclin de l’Orient”), je ne glanerai qu’une seule et unique phrase: “Selon le régime, en 1917, c’est la classe ouvrière, que l’on appelle également le prolétariat, qui est arrivée au pouvoir, alliée, comme on le prétend officiellement, aux paysans. C’est là une déclaration dont nous n’avons pas à nous préoccuper, si nous entendons demeurer sérieux. Surtout, ces paysans, que l’ont a tirés et hissés dans la mythologie révolutionnaire, font piètre figure, prêtent à rire (jaune): le régime a justement exterminé une bonne part du paysannat. Pour ce qui concerne les ouvriers, il est bien clair que ce groupe au sein de la population n’a quasiment rien à dire dans un régime communiste, et sûrement beaucoup moins que sous Nicolas II ou sous Lubbers et Kok aux Pays-Bas”.

Un changement qui doit surgir de l’intérieur même du pays...

Soljénitsyne n’était pas homme à se laisser jeter de la poudre aux yeux; prophète slavophile, il a progressivement appris à détester les faiblesses spirituelles et le matérialisme de l’Occident, pour comprendre, au bout de ses réflexions, que l’effondrement de l’Union Soviétique ne pouvait pas venir d’une force importée mais devait surgir de l’intérieur même du pays. La révolution, comme on le sait trop bien, dévore ses propres enfants. Le régime soviétique, lui, avec la “glasnost”, a commencé à accepter et à exhiber ses propres faiblesses, si bien que les credos marxistes ont fini par chanceler et le régime par chavirer. Déjà en 1975, la revue “Kontinent”, épaisse comme un livre, qui était un forum indépendant d’écrivains russes et est-européens, avait amorcé un débat sur l’idéologie en URSS en se référant à la “Lettre aux dirigeants de l’Union Soviétique” de Soljénitsyne, en la commentant à fond, avec des arguments de haut niveau. Un poète fidèle au régime avait même déclaré, à propos de ce débat: “Nous avons fusillé la Russie, cette paysanne au gros postérieur, pour que le ‘Messie communisme’ puisse marcher sur son cadavre et ainsi, y pénétrer”.

Pour donner un exemple du ton de Soljénitsyne, impavide et inébranlable, courageux et solide, j’aime citer une réponse claire qu’il adressa un jour à son compatriote Sakharov, une réponse qui garde toute sa validité aujourd’hui: “Nous devrions plutôt trouver une issue à tout ce capharnaüm omniprésent de termes tels impérialisme, chauvinisme intolérant, nationalisme arrogant et patriotisme timide (c’est-à-dire vouloir rendre avec amour service à son propre peuple, posture intellectuelle combinée avec des regrets sincères pour les péchés qu’il a commis; cette définition s’adresse également à Sakharov)”. Et il y a cette citation plus humaine encore: “Cette hypocrisie ne suffit-elle pas? Comme un électrode rouge, elle a laminé nos âmes pendant cinquante-cinq ans...”.

Les meilleurs livres de Soljénitsyne sont sans doute ceux qui sont le moins connus: je pense surtout à “Lénine à Zurich” (1975) et “Les erreurs de l’Occident” (1980). Quoi qu’il en soit, cet homme a surtout eu le grand mérite d’avoir, à temps et sans cesse, ouvert nos yeux, à nous ressortissants du riche Occident, alors qu’ils étaient aveuglés ou trompés; de nous avoir apporté son témoignage sur son époque et sa patrie (l’Orient ou la “Petite Mère Russie”) dans ses livres tout ruisselants d’authenticité; de nous avoir ainsi libérés des griffes du communisme, idéologie catastrophique et inhumaine.

Il a pu être enterré solennellement dans le sol de sa patrie russe et non pas en Suisse ou en cette lointaine Amérique, ses terres d’exil. Personne ne l’aurait cru, n’aurait osé le prévoir, il y a vingt ou trente ans.

“De brave Hendrik”,

(article paru dans “ ’t Pallieterke”, Anvers, 13  août 2008, trad. franç. : Robert Steuckers).

Note:

(1) paru à Amsterdam chez van Oorschot, cinquième édition revue et corrigée, 1990.

mercredi, 20 août 2008

Refuser le mensonge: hommage à A. Soljénitsyne

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J.K.: ’t Pallieterke :

Refuser le mensonge: hommage à Soljénitsyne

“C’est justement ici que se trouve la clef, celle que nous négligeons le plus, la clef la plus simple, la plus accessible pour accéder à notre libération: ne pas participer nous-mêmes au mensonge! Le mensonge peut avoir tout recouvert, peut régner sur tout, ce sera au plus petit niveau que nous résisterons: qu’ils règnent et dominent, mais sans ma collaboration!”.

Ces phrases sont tirées d’un essai de Soljénitsyne, intitulé “Ne vis pas avec le mensonge!”. Elles caractérisent parfaitement l’écrivain russe, décédé début août 2008. Il avait été le plus célèbre des dissidents et Prix Nobel de littérature. Il n’a pas participé au mensonge, effectivement, ce qui lui permit de donner une impulsion à la résistance contre le régime soviétique, impulsion qui, à terme, a conduit à l’effondrement de l’Etat totalitaire alors que, jadis, il avait semblé si invincible. 

“Ce fut Alexandre Soljénitsyne qui ouvrit les yeux du monde sur la réalité du système soviétique. C’est pourquoi, son vécu a une dimension universelle”, a déclaré le président français Sarközy après avoir appris la mort de l’écrivain. Les réactions officielles post mortem n’ont généralement rien de bien substantiel. Quoi qu’il en soit, en France, le pays de Sarközy, l’oeuvre littéraire de Soljénitsyne avait provoqué un gigantesque retournement des esprits. Gramsci, marxiste italien, savait que toute société est dirigée par ceux qui influencent la pensée. En France, dans le sillage de mai 68, fourmillaient les “compagnons de route”, souvent des intellectuels bien intentionnés, qui voyaient dans l’Etat soviétique la réalisation du paradis sur la Terre. La publication de “L’Archipel Goulag”, oeuvre littéraire monumentale où Soljénitsyne règle ses comptes avec le régime de terreur communiste, ouvre les yeux à de nombreux intellectuels français. C’est le début de la fin pour le communisme, en France et en dehors des frontières de l’Hexagone. Plus que n’importe quel autre écrivain, Soljénitsyne dévoila la vérité quant à l’oppression subie par son peuple sous la dictature communiste. Parce qu’il ne voulait pas participer au mensonge.

Qui connait encore Soljénitsyne?

La biographie de Soljénitsyne a été révélée dans ses grandes lignes dans notre presse flamande. Soldat de l’Armée Rouge, il est fait prisonnier par sa propre hiérarchie et déporté en Sibérie parce qu’il avait émis des critiques contre Staline dans une lettre à un ami; il fut condamné à huit années de camp de travail et ensuite à cinq années de bannissement intérieur. Auteur d’ouvrages critiques à l’endroit du régime, il oeuvre dans un premier temps avec l’accord de Khrouchtchev, leader du parti, qui espère tirer un profit personnel en autorisant certaines critiques contre Staline. Plus tard, contre l’avis des autorités soviétiques, Soljénitsyne obtint le Prix Nobel de littérature; il n’ira pas lui-même le chercher de crainte de ne pouvoir rentrer en Russie; il sera malgré tout banni du pays après la publication en Occident de “L’Archipel Goulag”. Pendant des années, il vivra reclus aux Etats-Unis, dans une propriété enneigée et plantée de pins dont les allures lui rappellaient la Russie. Réhabilité après la chute du communisme, il revient en Russie en 1994, où il se posera, une fois de plus, comme un critique non conformiste, hostile aux pouvoirs établis.

La presse flamande n’a pas raconté beaucoup d’autres choses à la suite de son décès. “La Libre Belgique” en a fait son grand titre, exactement comme “Le Monde” à Paris et d’autres quotidiens de qualité ailleurs en Europe. Chez nous, seulement de brefs articulets, quelques analyses toutes de platitude dans les pages intérieures des journaux. Rik van Cauwelaert fit exception dans les colonnes de l’hebdomadaire “Knack”, où un éditorial bien ficelé fut entièrement consacré à Soljénitsyne.

D’où question: nos journalistes ne connaissent-ils plus Soljénitsyne? L’ont-ils jamais lu? Ou bien, l’appellation de “fossoyeur du régime soviétique”, dont on l’a si souvent gratifié, les effraie-t-elle? La Flandre a démontré, la semaine dernière, sa petitesse.

Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi dans nos régions. “Le premier cercle” contenait, en page 202 de son édition néerlandaise, un phrase caractéristique: “Il y a toujours eu l'une de ces idées pour fermer la bouche à ceux qui voulaient crier la vérité ou monter sur la brèche pour la justice”. “Le pavillon des cancéreux”, “Lénine à Zurich”, “La Russie sous l’avalanche”, “La fille d’amour et l’innocent”, “Flamme au vent”, “Pour le bien de la cause”, “Août 1914”, “Une journée dans la vie d’Ivan Denissovitch”, “L’Archipel Goulag”, “Le chêne et le veau”, “Lettre ouverte aux dirigeants de l’Union Soviétique”, “Discours américains”, etc., tous furent rapidement traduits en néerlandais et connurent de réels succès éditoriaux. Les éditions successives se bousculaient à un rythme constant.

Aujourd’hui, on ne peut plus acheter neuf qu’”Une journée dans la vie d’Ivan Denissovitch” en librairie.  Même “L’Archipel Goulag” est épuisé.

Le mensonge en lui-même

Partout dans le monde, l’intérêt pour l’auteur et ses idées s’est rapidement estompé après son bannissement à l’Ouest. Pour les clans de la gauche, Soljénitsyne resta suspect, alors que, pourtant, l’Amérique libérale, à son tour, était devenue la cible de ses critiques. La prise du pouvoir par les communistes, il l’a toujours considérée comme une “importation occidentale” (Marx était allemand) qui, par voie de conséquence, s’opposait diamétralement aux ressorts de l’âme russe. Le capitalisme était pour lui une horreur. Mais après la chute du communisme, il ne ménagea pas ses critiques à l’encontre de Gorbatchev et surtout d’Eltsine, qui, selon lui, vendaient le pays aux plus offrants et le transformaient en un marécage sordide où dominait une culture glauque, décadente, sans contenu réel.

En 1999, Soljénitsyne écrit “L’effondrement de la Russie”, une synthèse de toutes les idées qui ont émaillé son oeuvre. Il règle ses comptes avec l’idéologie de la privatisation et déplore le déclin du patriotisme. La nouvelle norme est hélas devenue la suivante, elle se résume en une question: “Qu’est-ce que cela rapporte?”. Pour Soljénitsyne, le patriotisme est un sentiment organique, “la conviction que l’Etat vous protège dans les moments difficiles”. La patrie jouait un grand rôle pour Soljénitsyne. Mais Dieu aussi. Et Dieu disparaît également, ou alors on n’écrit plus son nom qu’avec un “d” minuscule.

La ligne de démarcation

Il est clair que Soljénitsyne ne visait pas le succès auprès des détenteurs du pouvoir. Mais les intellectuels contemporains, ceux qui se targuent d’être dans le vent, n’aiment pas  davantage ce conservateur fondamental, avec sa tête et son visage comme taillés dans du bois de chêne. “Il est dépassé”: tel est sans doute le commentaire le plus courant et le plus aimable qu’on a entendu à son propos. La plupart le rejetait en ne tenant compte que de la caricature que l’on avait faite de lui.

Il a survécu à l’Union Soviétique mais est revenu dans une Russie où toutes les non valeurs, comme la corruption, le matérialisme, la superficialité et la décadence étaient omniprésents.

Dans une recension remarquable, aux arguments solides comme l’acier, Hubert Smeets, dans les colonnes du “NRC-Handelsblad” (15 janvier 1999), évoque Wayne Allensworth qui était, dans les années Clinton, analyste auprès du “Foreign Broadcast Information Service”, une officine gouvernementale américaine qui suit la presse non anglophone du monde entier. Wayne Allensworth y défendait Soljénitsyne contre tous les critiques américains et étrangers. Selon Allensworth, en effet, Soljénitsyne était logique avec lui-même, suivait toujours sa même piste: la lutte contre LE mensonge, “contre la croyance en la possibilité qu’aurait l’homme de transformer sa propre nature, de manipuler l’univers et de créer un paradis sur la Terre”. C’est dans ce grand mensonge-là que se retrouvent, tous ensemble, les communistes, les capitalistes, les révolutionnaires et les libéraux.

“Ce que les Occidentaux, convaincus de la supériorité du capitalisme, devraient comprendre, c’est que Soljénitsyne ne perçoit pas les racines de la misère économique et écologique de la Russie dans le socialisme en soi, mais dans le manque d’humilité de l’humanité moderne”.

Pour Allensworth, on ne peut dès lors pas considérer Soljénitsyne comme un slavophile, simple héritier et imitateur des slavophiles russes du 19ème siècle, ni comme un idéologue “Blut-und-Boden” (à la mode allemande) mais comme un personnaliste contemporain, se situant dans la tradition d’Edmund Burke, James Burnham ou Christopher Lash.

Concluons en citant Soljénitsyne lui-même: “La ligne de démarcation entre le bien et le mal ne passe pas entre les Etats, les classes ou les partis, mais à l’intérieur même de chaque coeur d’homme”. Le coeur de Soljénitsyne, lui, s’est arrêté de battre à 89 ans.

J. K.

(article paru dans “’t Pallieterke”, Anvers, 13 août 2008; trad. franç.: Robert Steuckers).

mardi, 29 juillet 2008

Sur "La Stratégie des Ténèbres" de J. Parvulesco

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Sur "La stratégie des Ténèbres" de Jean PARVULESCO

Un roman dangereux - un livre pour tous et pour personne

 

N'a-t- il pas été dit que Tout est Pur aux Purs? (Le RP Jean-René de Valsan à Liana Carducci)

 

Si je dirigeais un service politique ou une faculté de théologie  —mais des plus confidentielles—  parmi les textes et les livres auxquels je soumettrais mes hommes, car ce sont les livres qui nous soumettent et non l'inverse, je leur donnerais à méditer le dernier roman de Jean Parvulesco, La Stratégie des Ténèbres.

 

Roman d'espionnage, roman politico-stratégique, songe cinématographique, œuvre de haute magie et de hardiesse théologique tout à la fois… Mais ne me l'avait-il pas dit : C'est un roman dangereux… Oui, en effet, dangereux, mais, ceux qui veulent s'approcher du Salut, de la grande salvation, doivent aussi s'approcher du Danger. Toujours. Il n'est pas d'autre voie.

 

Dernier roman et assurément l'un des plus grands, sinon peut-être le meilleur. En effet, avec cet opus, Parvulesco monte au faîte de son art; l'ouvrage rejoint à mon avis son autre chef d'œuvre qu'était et que reste le songe de combat, L'Etoile de L'Empire Invisible.

 

Dans La stratégie des Ténèbres, le rythme de l'action et de l'écriture porte véritablement l'œuvre, les séquences nous entraînent les unes après les autres vers une horreur et un dévoilement aussi décisif qu'hallucinatoire, hallucinatoire car il s'agit de sortir du cauchemar dans lequel vit la France et, par delà, notre misérable condition humaine actuelle, bref on aura compris qu'il s'agit d'une vision salvatrice, peut-être de celle qui sauve, car si savoir, c'est pouvoir, savoir, c'est aussi avoir vu.

 

Le rythme donc, mais d'ailleurs tout l'ouvrage semble avoir été écrit pour le cinématographe… Ah ! Je rêve d'un réalisateur qui accepterait d'adapter La stratégie des Ténèbres!  Cet élément fondamental et essentiel de l'univers parvulesquien, comme souvent, est omniprésent dans l'œuvre, sur l'œuvre et au-delà de l'œuvre. C'est son écriture, qui le sous-tend mais aussi la comédienne Armande Béjan et son adaptation de la figure de Jeanne d'Arc, personnage qui hante le cinéma depuis Carl Theodor Dreyer  en passant par Robert Bresson.

 

Le cinéma donc : souvenez-vous des ambiances melvilliennes de L'Etoile de L'Empire invisible  quand Jean Parvulesco décrivait des zones banlieusardes d'un autre âge, sillonnées par des Citroën DS noires plus ou moins clandestines qui venaient s'y réfugier, des zones qui flanquaient sérieusement la trouille puisqu'elles interpellaient la longue disparition de nous-mêmes… que d'autres espaces, d'autres lieux; tout autant vénusiens que géopolitiques et eurasiens qui venaient suractiver et contre-attaquer jusqu'à la rupture même et l'éradication de la Balance; de tout Balance of Power…

 

Mais revenons à La Stratégie des Ténèbres, réussite du rythme et du découpage, où l'action se resserre, en France certes, mais aussi à l'extérieur du territoire. On retrouve, l'univers des Villas parisiennes, de Neuilly ou de Saint-Cloud, de ces Villas qui atteignent l'orée des Bois, du Bois de Boulogne notamment, ces villas où se jouent si souvent tout et rien, et c'est là une position des plus troublantes, ce “tout et rien”… De ces réceptions mondaines, plus ou moins sorties de l'univers d'Eric Rohmer  et donc de la vie parisienne elle-même; qui entremêle si bien cinéma et réalité, pour le meilleur et pour le pire.

 

Les héros du roman vont devoir contrer l'œuvre du Mal Absolu qui court sur le Territoire et qui ressere son emprise toujours plus fort, toujours au plus mal, le mal de la Malemort. J'aimerais dire combien les scènes qui entourent la fugue mystique de la comédienne Armande Bejan sont d'une grande, d'une très grande réussite, notamment quant à l'entrée en scène du Mal; et c'est un lecteur de Raoul de Warren et de Lovecraft qui vous le dit; c'est dire si je pèse mes mots. L'apparition du diable, d'un Satan sodomiste , abominablement repoussant et puant,  suintant à travers les pages même du livre, est un coup de maître, non teinté d'une certaine  dose d'humour, car à ce moment-là du livre on peut encore rire (surtout quand, comme moi, on croit reconnaître le jean-foutre qui a servi de modèle, ainsi que sa jeune victime; dont la vie deviendra une non-vie à partir du  moment de sa contre-initiation rectale, furibarde et diabolique, une errance d'écorce morte sera alors le lot du jeune Damanski…).

 

A propos de peur montante et environnante, c'est avec un talent, qui rejoint celui de Raoul de Warren, que Parvulesco nous plonge par la suite dans une inquiétude des plus vivaces quant au cœur du mal, qui ronge et qui grandit et notamment les campagnes du Pays de France… Il me vient des frissons face à une apparition maléfique d'une sarabande de sorcières hideuses; témoignage de la transe du Mal et de ses suppôts disséminés.

 

Mais après l'inquiétude et l'angoisse, le décor ainsi planté, c'est bel et bien l'horreur la plus noire, la plus abjecte, la plus totale qui vit et qui se joue —et contre laquelle vont décider de s'activer des hommes qui savent, que derrière la mise en place de la sexualité la plus déviante, la plus abjecte et inhumaine (contre laquelle Parvulesco développe toujours —et je dirais “contre-offensivement”; car l'homme n'est pas un bigot et connaît bien la Chair, une sexualité surhumaine, incandescente qui, dans les épanchements les plus sensuels et charnels, découvre le mystère de l'Incendium Amoris); car il s'agit bien des pires perversions, de la mutilation, de la destruction tortionnaire et totale des corps de jeunes filles voire de jeunes enfants, perversion  filmée, vomissant du chaos de monstrueux snuff-movies.

 

Perversions, mutilations et destructions “filmées”, disais-je: comprend-on donc bien l'enjeu de ce qui se joue là, du combat absolument irréductible et du signe qui nous est jeté, entre notre propre devenir et le devenir même d'un cinéma toujours plus nécrosé… Je ne veux en dire plus ici, mais je rappelle simplement que c'est par son film L'Argent que Robert Bresson a terminé son œuvre, à moins que ce ne soit l'argent et la mort, tous deux, ensemble, qui l'aient achevé…

 

Dans cette situation, les héros du roman vont passer à l'action;  ce qui va les amener à toute une série d'opérations  risquées afin de lutter contre ce mal absolument maléfique. Et c'est ici que Parvulesco apparaît comme un écrivain qui prend ses responsabilités à la différence de bien des baudruches qui flagornent ou qui se coupent totalement de notre contemporéanéité; funeste erreur pour un romancier. Ainsi, il incorpore le motif littéraire d'une sexualité à rebours de toute sexualité, d'une morbidité rampante et galopante  dont témoigne  ces pratiques monstrueuses, qui ne viennent pas de nulle part, car… nulle part c'est tout de même quelque part.

 

Le Néant et le Non-Etre sont donc localisables dans la géographie sacrée et dans la géopolitique mystique des romans de Jean Parvulesco, mais cette fois-ci, c'est le lieu du mal qu'il désigne.

 

L'auteur montre à travers l'action de ses héros que les abominations qui ensanglantent le territoire ainsi qu'une certaine jeunesse, sacrifiée dans les pires conditions et pour les pires conditions à venir, et ce, à travers des réseaux des plus criminels,  proviennent d'une action pensée et voulue par les forces du Néantissement, du Vomito Nero le plus noir.

 

Quelles sont-elles? Je ne veux ni ne peux le dire ici, mais, que l'on sache qu'Alexandre Malar et ses compagnons François d'Espart et le fameux Tony Richmont vont avoir recours à l'aide, à l'appui et au soutien méta-stratégique de Jean le Chardonnais, dont l'identité dogmatique a reçu sa vivification indo-christianique sur les Hauts Plateaux himalayens.

 

Ce Jean le Chardonnais, le bien nommé, anime le Mouvement Social Européen d'Empire, le MSEE, qui devra venir en aide au Département Evaluation Stratégie (DES) que nos compagnons représentent  avec l'appui, solitaire, du Président de la République.

 

Il faudrait encore signaler les présences de ces contre-feux méta-théologiques que sont le RP Valsan, jésuite des plus hétérodoxes, prêt à allumer le brasier d'une nouvelle théologie de la Chair aimante et irradiante, ainsi que l'influence et le corps d'enjeu que signale la présence de Raymond Abellio, lui aussi, foyer contre-stratégique dans la lutte contre le mystère d'Iniquité qui rampe et qui, en ces Temps, entend cesser sa reptation pour se dresser. Face à lui , il trouvera un autre Mystère, celui de l'Incendium Amoris et de ses fidèles, les Fidèles d'Amour (*).

 

Et ces Fidèles d'Amour, qu'il faut savoir toujours reconnaître dans la réalité triviale qui nous entoure, qui nous encercle toujours plus, sont ceux qui forment le groupe rejoint par Alexandre Malar; ces Fidèles d'Amour seront transfigurés par le combat contre l'«Homme noir à la tête d'insecte», épicentre ontique du Mal Absolu; ces Fidèles d'Amour, ne sont-ils pas les incarnations hohenstaufiques d'un certain Catholicisme marial et dantesque au service de «La Révolution Eurasiatique du Grand Renouveau Final», dont les bannières invisibles se gonflent du vent divin issu des Hauts Plateaux de l'Himalaya?

Fidèles d'amours vous disais-je!

Le vent souffle, où il veut.

 

Max STEENS

(Bruxelles, juillet 2003).

 

(*) (ndlr) Et ceux qui savent, parmi nous, reconnaîtront le leitmotiv cardinal de l'action, à la fois ouverte et souterraine, de René Baert, martyrisé par les Iniques, et de Marc. Eemans, condamné par les mêmes Iniques à l'errance éveillée, à un ostracisme cruellement dosé, où on l'a forcé à voir comment on tuait l'esprit de Dante et de Frédéric II de Hohenstaufen, auquel il a consacré un manuscrit, toujours inédit, mais qui attend son heure, pour lancer sa charge contre les hordes hurlantes du Non-Etre.

 

 

 

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