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mardi, 22 septembre 2009

"Le conquistador aux pieds nus" d'Abel Posse

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"Cabeza de vaca le conquistador aux pieds nus" d'Abel Posse

Romans, nouvelles, récits
Textes latino-américains
Traduit  de l' espagnol (Argentine)
Romain Magras (Traducteur)

avril 2008  / 11,5 x 21,7 / 304 pages
ISBN 978-2-7427-7421-0
prix indicatif : 22,00 €

 

Le conquistador sans conquête de Charles Quint vit sa dernière année dans une modeste demeure sévillane. Sous couvert de lui faire vérifier des cartes du Nouveau Monde, une bibliothécaire charmeuse sollicite le vieillard sentimental, lui offrant du papier filigrané à ses armes. C’est qu’elle espère le récit des années escamotées dans ses Naufrages. Et le chimérique gouverneur du rio de La Plata de libérer sa mémoire pour des révélations qui bien souvent mettent à mal l’histoire officielle de la Conquête. C’est ce manuscrit imaginaire qui nous est rendu.
L’infatigable voyageur qui a parcouru, pieds nus, 8 000 kilomètres, lutté contre l’inceste et la polygamie, aboli l’esclavage, avoue l’inavouable osmose avec la culture indigène. Nature matricielle, magie, fusion avec le cosmos, plaisir des sens, contre barbarie espagnole, fièvre de l’or, croix inquisitrice et épée tolédane. Par amour, il a jeté un pont entre deux terres aux antipodes l’une de l’autre et qui ne devaient simplement pas se rencontrer. Son nom restera dans l’histoire. A-t-il à lui seul, comme le pensait Henry Miller, racheté tous les crimes des conquistadors ? Une seule évidence : l’hidalgo andalou, né riche et heureux, est mort pauvre et seul, mais probablement amoureux.

Abel Posse est né à Córdoba en 1934. Diplomate, il parcourt le monde pendant une quarantaine d’années avant de regagner Buenos Aires. Il est considéré comme un des maîtres du nouveau roman historique. Ses textes condensent les mythes et les histoires vraies ou fictives du continent latino-américain.

Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, essentiellement romanesques, dont deux ont paru en France : La Guerre au roi (Alta, 1981), et Les Chiens du paradis (Belfond, 1986).



lundi, 21 septembre 2009

"Pierre de scandale" de Nicolas Buri

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"Pierre de scandale" de Nicolas Buri

L’année 2009 est le cinq centième anniversaire de naissance de Jean Calvin. C’est donc dire que le roman de Nicolas Buri, mettant le personnage de Calvin en évidence, tombe à point. À travers Calvin Pierre de scandale nous décrit aussi toute une époque. Celle d’une chasse aux sorcières tous azimuts qui ne laissait place à aucune compassion. Les tenants de la Réforme protestante n’ont trouvé rien de mieux que d’imiter l’Inquisition catholique. Ce roman nous montre la bêtise des maniaques de dieu portant des œillères faites de récits bibliques interprétés d’obtuse façon.

 

Cruels, humains, trop humains, sont les tenants de l’orthodoxie biblique. Les ennemis du dogme, les amis de la liberté de parole « … avaient fui, chassés, une main en moins pour l’avoir levée contre un pasteur, la langue percée au fer pour blasphème, ou tués sous la torture, pour paillardise, adultère, sorcellerie, ou simplement par ignorance de ce que lui, Calvin, tenait pour vrai. » On a beau dire que cela se passait au XVIème siècle mais force est de constater qu’il en reste quelques relents de nos jours.

Calvin, âgé de vingt-sept ans arrive un jour de l'année 1536 à Genève, ville que l'on dit la plus sale et la plus paillarde d'Europe. Avant d'en devenir le maître, il livre une lutte à mort contre les ennemis de l'intérieur, ceux qui ne se conforment pas aux diktats de la bible telle qu’il se plait à l’interpréter. Cette Cité de Dieu, Jérusalem nouvelle, devient le havre de ces hérétiques que l'on appelle 'protestants'. Si Calvin crée pour eux une ville cosmopolite, pour beaucoup de Genevois il reste 'le Français', l'étranger, l'homme à abattre, pourfendeur de leurs libertés et juge de leur quotidien, leur imposant jusqu'à la couleur des vêtements et la forme des chaussures. Désormais, catholiques et protestants forment deux blocs qui se font face. Dans un camp comme dans l'autre, il y a des excommuniés, des résistants. L'âpre théorie des guerres de religion peut commencer de dévaster l'Europe.

Calvin, dans le roman de Buri, est la figure même de l’intolérance, de l’irrationalisme, de l’aveuglement biblique et de la bêtise. Pour mieux comprendre certaines attitudes contemporaines de fondamentalistes è tout crin, un roman à lire.

 

 

Nicolas Buri est né en 1965 à Genève. Il en est à son premier roman. Il travaille comme rédacteur-concepteur. Il est également l'auteur de scénarios réalisés pour la télévision et le cinéma.

 

Nombre de pages : 304
Prix suggéré : 22,8 €

Éditions Actes Sud
www.actes-sud.fr

samedi, 19 septembre 2009

Céline - Bloy

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Céline – Bloy

Ex: "Bulletin célinien", n°270, n°12, 2005

Le texte que François Gibault avait donné en 1988 au « Cahier de l’Herne » consacré à Léon Bloy vient d’être réédité. Il s’agissait de considérer combien Bloy et Céline ont des traits communs. Extraits de l’avant-propos inédit.

 

Tous les géants se ressemblent, ils ont des points de correspondance. D’abord, ils sont grands, on leur compte quelques têtes de plus que les autres, certains sont même immenses. Ils ont aussi l’habitude de ne pas faire comme tout le monde, de se démarquer des hommes du commun et de mettre volontiers leurs pieds dans les plats. La parenté entre le géant Bloy et le géant Céline était à ce point évidente que je n’ai pas résisté au plaisir de les confronter, comme je confronte actuellement, pour le Dictionnaire de Gaulle, Louis-Ferdinand Céline et le Général (sans être certain de voir mon article publié), comme je travaille à une confrontation entre Louis Destouches et Jean Dubuffet, autre génie français, singulier, solitaire, anarchiste, créateur, lui aussi, d’un style inimitable et d’une œuvre qui ne doit rien à personne.

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C’est en rangeant des papiers, et Dieu sait que ce ne sont pas les papiers à ranger qui manquent chez moi, que je suis tombé sur le Cahier de l’Herne consacré à Léon Bloy. Il faut dire que je croule sous des montagnes de livres en désordre, de dossiers déclassés et de papiers entassés n’importe comment. (…) C’est à l’effondrement d’une pile, haute comme un homme debout, que je dois d’avoir retrouvé ce Cahier Bloy, et c’est à Jean-Paul Louis que cet article doit d’être réédité. (…) Malgré l’envie que j’en avais, je n’ai pas « lifté » ce texte, pas changé un mot ni ajouté ni supprimé quoi que ce soit. Il y manque pourtant quelques citations pour montrer que la violence de Bloy valait bien celle de Céline. Ainsi, dans son journal, le 23 février 1901, au lendemain du décès de la reine d’Angleterre : « Crevaison de l’antique salope Victoria » et, après l’incendie du Bazar de la Charité, à un ami : « ...à la lecture de cet événement épouvantable, j’ai eu la sensation nette et délicieuse d’un poids immense dont on aurait délivré mon cœur. Le petit nombre de victimes, il est vrai, limitait ma joie ». Je m’en veux aussi de n’avoir pas cité Léon Bloy écrivant dans Le Sang du pauvre : « Je vis, ou, pour mieux dire, je subsiste douloureusement et miraculeusement ici, en Danemark, sans moyen de fuir, parmi des protestants incurables qu’aucune lumière n’a visité depuis bientôt quatre cents ans que leur nation s’est levée en masse et sans hésiter une seconde à la voix d’un sale moine pour renier Jésus-Christ... ». Quant aux Danois, il les croyait « ...capables de faire mieux que les bourreaux de Jérusalem ». Un demi-siècle plus tard, écrivant de la prison à sa femme, Céline n’était pas plus indulgent pour ses hôtes : « Nous avons affaire à d’épouvantables danois hypocrites – Toute la férocité des vikings, le mensonge des juifs et l’hypocrisie des protestants – des monstres sans pareil ». Qui peut nier, après avoir lu ces lignes, l’existence de fils invisibles entre ces deux hommes ?

Puisque j’ai pris le parti de republier mon texte sans y rien changer, les voici donc, ces deux monstres, dans l’état où je les ai laissés il y a quelque vingt ans, toujours aussi furieux, teigneux, vociférants, géniaux.

 

François GIBAULT

 

© François Gibault, Céline – Bloy, Du Lérot, 2005, 40 pages. Édition tirée à 400 exemplaires sur bouffant et quelques exemplaires hors commerce sur vélin de Rives réservés à l’auteur (10 €).

jeudi, 17 septembre 2009

Trois études allemandes sur Henri Michaux

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

 

 

Robert Steuckers:

 

Trois études allemandes sur Henri Michaux

 

 

 

Henri Michaux (1): Un barbare en voyage

 

Dans une collection dirigée par l’écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger et publiée chez Eichborn à Francfort, nous avons trouvé une traduction de Henri Michaux, Ein Barbar auf Reisen  (= Un barbare en voyage), où l’écrivain né à Namur découvre à 30 ans, à une époque où les nuées de touristes chamarrés et ventripotents ne souillaient pas encore les paysages, l’Inde, la Chine, l’Equateur, Bali, etc. Michaux explique comment il a accepté et assimilé en lui cette découverte des Autres, comment il a été fasciné, sans cultiver le moindre esprit missionnaire, par leur altérité. Michaux est un “barbare” pour ces Indiens et ces Chinois: il ne se convertira pas à leurs mœurs, il ne les imitera pas de manière grotesque comme certains touristes ou certains enthousiastes se piquant de modes ou de philosophies orientales, il restera lui-même, tou­t en admirant leur culture authentique. Un message impor­tant à l’heure où Européens comme Asiatiques sont sommés de s’aligner sur l’étroitesse mentale des parvenus de la middle class  new-yorkaise, sous peine d’être ratatinés sous un tapis de bombes comme les enfants de Hambourg en 1943, comme ceux de Bagdad en 1991 (Ein Barbar auf Reisen, 384 p., ISBN 3-8218-4161-3, DM 49,50, Eichborn Verlag, Kaiser­strasse 66, D-60.329 Frankfurt a. M., http://www.eichborn.de).

 

Henri Michaux (2): Mescaline

 

Comme Ernst Jünger, Michaux, qui était poète et peintre («Je peins comme j’écris», a-t-il dit en 1959), a fait l’expérience d’une drogue, la mescaline, mais sous contrôle médical, entre 1954 et 1959. L’objectif de cette expérience était d’élargir les limites de la perception et de la conscience. Il en a découlé deux séries de dessins: les dessins dits de la mescaline, puis, entre 1966 et 1969, les dessins dits d’après la mescaline, en d’autres mots, les “dessins de la désagrégation”. Pour Mi­chaux, l’expérience de la mescaline lui a servi à réorienter sa conscience, à expérimenter l’élasticité de l’espace et du temps, etc. Peter Weibel, Victoria Combalia et Jean-Jacques Lebel accompagnent la nouvelle édition allemande de ces dessins, parue au “Verlag der Buchhandlung Walther König” de Cologne (Henri Michaux, Meskalin, 170 ill., ISBN 3-88375-329-7, Verlag der Buchhandlung Walther König, Ehrenstrasse 4, D-50.672 Köln).

 

Henri Michaux (3): Drogues, langues et écritures

 

Décidément, l’édition allemande prépare bien le prochain centenaire de Henri Michaux, né en 1899. A noter également, chez l’éditeur Droschl à Graz en Autriche, deux versions alle­mandes d’œuvres de Michaux: Erkenntnis durch Ab­grü­n­de, le dernier des ouvrages de Michaux sur l’expérien­ce des dro­gues, où l’“arrêt” , la “catatonie”, est la préoccupation majeure du poète; Von Sprachen und Schriften, où Michaux se de­mande si le langage est apte à exprimer les situations extrê­mes, l’expérience des catastrophes, de la folie, le cas des en­fants sauvages découverts en forêt et qui ont une telle expé­rien­ce de l’immédiateté des choses naturelles. Car Michaux veut instituer une langue véritablement vivante, qui ne sert pas seulement à communiquer des rapports secs, mais puisse transmettre la vitalité, les sentiments réels dans toute leur complexité, les situations avec tout ce qu’elles impliquent comme relations parallèles (H. M., Erkenntnis durch Abgrün­de, öS 300 ou DM 44; Von Sprachen und Schriften, öS 150 ou DM 22; Literaturverlag Droschl, Albertstrasse 18, A-8010 Graz; e-mail: droschl@gewi.kfunigraz.ac.at)

 

mercredi, 16 septembre 2009

Ne laissons pas "Les Deux Etendards" sous "Les Décombres"!

« Ne laissons pas "Les Deux Etendards" sous "Les Décombres" ! »

Entretien avec Gilles de Beaupte des Etudes rebatiennes

 

rebatet-2 [1]

Paru dans http://livr-arbitres.over-blog.com/ [2]

Vous êtes le président-fondateur des Etudes Rebatiennes, pouvez-vous les présentez brièvement à nos lecteurs ? Comment sont-elles nées ? Quels sont les objectifs, à court et plus long terme de votre association ?

Les Etudes rebatiennes sont nées fin 2008, quelques mois seulement après la lecture des Deux Etendards ; elles ont été crées avec un autre professeur de lettres, Nicolas Degroote, captivés également par cette découverte. L’éblouissement qu’ont été pour moi Les Deux Etendards est tout de suite allé de paire avec l’étonnement devant cette lacune évidente de l’histoire littéraire. Cinq livres seulement ont été écrits sur Rebatet. Un silence assourdissant entoure donc ce chef d’œuvre. Prenant acte de mon émerveillement, je décide de fonder une association afin de contribuer au rayonnement de l’œuvre littéraire de Lucien Rebatet.

Le travail risque d’être long et difficile. Les mécompréhensions ont d’ores et déjà commencées puisque je reçois aussi bien des lettres d’insultes que, pire, des lettres d’admiration pour de mauvaises raisons… Heureusement certaines sont d’authentiques amoureux de littérature : ceux-là même à qui nous nous adressons. Mais la rigueur et le discernement finiront par l’emporter !

Nous aurons accompli notre tâche lorsque Les Deux Etendards seront publiés à la fois en poche et en Pléiade. A moins long terme, nous souhaitons faire paraître un Dossier H sur Rebatet. A très court terme – et c’est ce à quoi nous nous attachons surtout aujourd’hui – nous cherchons à élargir la liste des écrivains, historiens, critiques littéraires, etc. susceptibles d’écrire sur Rebatet ; ce qui ne va pas sans difficulté tant l’œuvre est méconnue.

Pourquoi ne pas vous être appelé « Les amis de Lucien Rebatet » ?

Je vous répondrais d’abord que je me fais une assez haute idée de l’amitié. Rebatet étant mort deux ans avant que je ne naisse, la question ne se pose pas. Mais admettons, pour les besoins de la conversation, qu’on fasse abstraction de la chronologie, qu’en aurait-il été ? Des paroles de Jean Dutourd répondent à cette question lorsqu’il avertit : « Si j’avais rencontré Lucien Rebatet en 1943, je lui aurais tiré dessus à coup de revolver » et, quelques lignes plus loin, ajoute : « Il avait écrit dans sa cellule de condamné un des plus beaux romans du XXème siècle : Les Deux Etendards que j’admirais avec fanatisme »[1]. Mutatis mutandis (car il est aisé de se prendre pour Jean Moulin avec 60 ans de retard), les Etudes rebatiennes s’alignent sur cette position. Autrement dit, chez Lucien Rebatet coexistent « une barbarie explicite et la création d’une œuvre d’art classique, imaginative et ordonnée [...] un des chefs d’œuvre secrets de la littérature moderne »[2]. Il est pour le moins difficile de lier amitié avec Lucien Rebatet dont la plume dénonça et provoqua l’arrestation de résistants.

Je précise aussi qu’en répondant à vos questions, je ne vous présente qu’une lecture de Rebatet, même si cette lecture se veut documentée et argumentée. Le conflit des interprétations, qui fait la vie de la critique, n’a pas encore véritablement commencé. Les Etudes voudraient en être le terrain privilégié.

Sur la dénomination, précisons encore que l’emploi du terme « études » indique le registre universitaire des participants. (Et, pour tout dire, « rebatiennes » plutôt que « rebatetiennes » car, par delà la laideur de l’expression, le « t » final du nom étant muet, l’élision était possible).

Les Etudes rebatiennes se structurent de la manière suivante : 1) Inédits 2) Entretiens et témoignages 3) Articles (critique littéraire) ; actualité rebatienne ; vie de l’association. Toutes les contributions sont les bienvenues à condition qu’elles soient œuvres de qualité. Le premier numéro devrait sortir dans un an. J’appelle les collaborateurs et souscripteurs (on peut être l’un et l’autre). En adhérant à l’association, vous souscrivez au n°1 des Etudes rebatiennes tout en contribuant à leur publication. Pour nous faire connaître un site a d’ores et déjà été créé (http://www.etudesrebatiennes.overblog.com [3]). Il livre de passionnants témoignages, une bibliographie, des critiques, etc.

Vous évoquez des inédits. De quoi s’agit-il ? Sont-ils importants ? Que pensez-vous publier ?

Cela ne peut se faire sans l’accord de l’ayant droit, Nicolas d’Estienne d’Orves, avec qui nous entretenons de très cordiales relations. Nous faisons partie de la même génération et la littérature nous importe davantage que la liste noire du CNE [Comité National des Ecrivains chargé de l'épuration dans le monde de la presse et de l'édition NDLR]. Que publier ? Au regard de la production contemporaine, je me dis souvent que toute l’œuvre littéraire mériterait de l’être ! Mais on ne peut le faire n’importe où et les éditeurs semblent encore ignorer sa grandeur.

Pour vous donner une idée de l’importance des inédits, faisons un détour par Gide qui écrivit, selon Genette, « le seul » journal de bord»  entièrement et exclusivement consacré à la genèse d’une œuvre »[3] : le Journal des Faux-monnayeurs. Gide décrivait ainsi son projet : « au lieu de me contenter de résoudre, à mesure qu’elle se propose, chaque difficulté [...], chacune de ces difficultés, je l’expose, je l’étudie. Si vous voulez, ce carnet contient la critique continue de mon roman ; ou mieux : du roman en général. Songez à l’intérêt qu’aurait pour nous un semblable carnet tenu par Dickens, ou Balzac ; si nous avions le journal de L’Education Sentimentale, ou des Frères Karamazov ! L’histoire de l’œuvre, de sa gestation ! mais ce serait passionnant… plus intéressant que l’œuvre elle-même »[4]. Eh bien, il existe un autre journal de ce type et il est fascinant ! C’est l’Etude sur la composition. Au travers de trois cents pages, nous pénétrons dans l’atelier invisible de l’écrivain : non pas seulement ses brouillons mais mieux : l’atelier lui-même avec tous ses outils. Rebatet y expose ses conceptions littéraires au travers des difficultés rencontrées au cours des différents stades de la création. La simple existence de l’Etude sur la composition en fait, en soi, un aérolite de l’histoire de la littérature.

Par ailleurs, la masse de documents inédits est considérable. On y trouve un journal fleuve et rien moins que deux romans ! Margot l’enragée et La Lutte Finale. C’est un chantier immense. Existe également toute la masse non pas inédite mais dispersée des plusieurs milliers d’articles de critique littéraire, cinématographique, musicale… dont on attend une sélection prochainement. Déjà dans Les Deux Etendards on trouve grâce aux réflexions des personnages, « intoxiqués de littérature »[5], des pages de critiques acerbes et sagaces « qui valent bien un manuel entier et qui confirment les qualités de critique de Rebatet »[6].

Le postulat qui sous-tend votre démarche signifie-t-il qu’il est possible de faire une césure absolue entre le Rebatet écrivain et le Rebatet politique comme certains en font une entre le Céline du Voyage et celui des pamphlets ?

Il ne s’agit pas de faire une « césure » – et encore moins « absolue » – entre l’écrivain et le politique puisque chez Rebatet l’écrivain n’est jamais tout à fait apolitique et le politique souvent écrivain. Ce qu’il s’agit de dissocier méthodologiquement, c’est l’engagement politique d’un homme d’avec la qualité d’une œuvre littéraire. Comment faire ce partage ? En faisant de la critique littéraire !

Faisons brièvement un peu de philosophie de la littérature. Un écrivain écrit un texte 1) avec une intention 2) dans une situation 3) pour un public. Or, le texte lui-même exige que soit fait abstraction de ces trois déterminations : c’est l’autonomie du texte. Citons Ricœur : « Autonomie triple : à l’égard de l’intention de l’auteur ; à l’égard de la situation culturelle et de tous les conditionnements sociologiques de la production du texte ; à l’égard enfin du destinataire primitif. Ce que signifie le texte ne coïncide plus avec ce que l’auteur voulait dire ; signification verbale et signification mentale ont des destins différents. Cette première modalité d’autonomie implique déjà la possibilité que la » chose du texte»  échappe à l’horizon intentionnel borné de son auteur, et que le monde du texte fasse éclater le monde de son auteur. Mais ce qui est vrai des conditions psychologiques l’est aussi des conditions sociologiques ; et tel qui est prêt à liquider l’auteur est moins prêt à faire la même opération dans l’ordre sociologique ; le propre de l’œuvre d’art, de l’œuvre littéraire, de l’œuvre tout court, est pourtant de transcender ses propres conditions psychosociologiques de production et de s’ouvrir ainsi à une série illimitée de lectures, elles-mêmes situées dans des contextes socioculturels toujours différents ; bref, il appartient à l’œuvre de se décontextualiser, tant au point de vue sociologique que psychologique, et de pouvoir se recontextualiser autrement ; ce que fait l’acte de lecture. [...] avec l’écriture, le destinataire originel est transcendé. Par delà celui-ci, l’œuvre se crée elle-même une audience, virtuellement étendue à quiconque sait lire »[7]. En fait, les Etudes rebatiennes font simplement leur, la célèbre formule de Proust : « un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices »[8].

Pour bien aborder Les Deux Etendards, il faudrait donc oublier le collaborateur ? Cela signifie-t-il que Les Deux Etendards soit une œuvre apolitique ?

Entendons-nous bien. Avec la proclamation de l’autonomie des Deux Etendards en tant qu’œuvre d’art, je n’entends pas réhabiliter en sous-main la haine rebatienne. Il s’agit donc, non pas de cacher l’homme par l’œuvre – ni a fortioriL’Emile malgré l’abandon de ses enfants par Jean-Jacques. de cacher l’œuvre par l’homme – mais d’étudier l’œuvre qui se soutient d’elle-même. L’étude littéraire doit pouvoir s’élaborer en mettant méthodologiquement la biographie de l’auteur entre parenthèses comme il faut étudier la philosophie rousseauiste de l’éducation de

On a pu écrire qu’« il n’est pas question de politique dans Les Deux Etendards »[9]. A l’inverse, certains ont affirmé : « Si Les décombres a été la chronique de la mort annoncée des Juifs, Les Deux Etendards instruit le procès du dieu chrétien et de l’homme qui se voient également condamné à mort, au nom de la lutte contre les valeurs judéo-chrétiennes et la démocratie. Dans cet ouvrage, Rebatet prône l’avènement d’une morale substitutive, le paganisme vitaliste, un sacré abâtardi dont les fascismes se sont également inspirés, pour tenter de liquider des références judéo-chrétiennes de la civilisation occidentale. Le mode d’expression a changé, mais le message demeure »[10]. C’est aller de Charybde en Scylla.

Les Deux Etendards ne sont pas une « parabole fasciste » : ils ne constituent pas la contrepartie romanesque d’une quelconque « fidélité au national-socialisme ». Car ils ne sont pas une œuvre politique mais, primordialement, une œuvre d’art. Cela signifie-t-il que la politique en soit absente ? Non ; elle y tient bien une place puisqu’on peut y déceler une présence d’antidémocratisme, d’antisémitisme, de racisme, de mépris du peuple, d’anticommuniste, d’antibourgeoisisme… mais cela ne fait pas partie des thèmes centraux du roman.

De surcroît, il convient de rappeler qu’« il n’est de toute façon pas question de condamner l’ouvrage pour les idées de ses acteurs, quand bien même celles-ci occuperaient une place beaucoup plus importante, puisque la valeur d’une œuvre n’est certainement pas proportionnelle à la qualité morale de ses protagonistes. De même qu’un roman qui a pour personnage central un meurtrier ne préconise pas nécessairement le meurtre, celui de Rebatet, dont certains acteurs et même le narrateur penchent clairement vers l’extrême-droite, ne fait pas nécessairement l’apologie de leurs idées »[11]. Bref, n’ensevelissons pas Les Deux Etendards sous Les Décombres !

S’il y a une continuité à établir entre les deux ouvrages, c’est surtout dans la stylistique qu’on la trouvera. En laissant de coté les catégories impropres de forme et de fond, se présentent bien un style pour deux thèmes (et non deux styles pour un thème). « Si la passion change d’objet des Décombres aux Deux Etendards, elle ne change pas de ton : c’est la même véhémence, la même jubilation jusque dans la grossièreté, la même volonté de se servir de tous les moyens, la même rage de convaincre, la même violence exaspérée »[12]. D’un livre à l’autre, Rebatet suivait son plan : d’abord « témoigner, militer par un livre, puis en entreprendre aussitôt après un autre, qui serait enfin une œuvre d’imagination. [...]. J’avais maintenant un adversaire d’une tout autre taille avec qui polémiquer : Dieu »[13]. A son habitude, Rebatet bourre son ouvrage d’explosifs en tous genres, et « le fracas de cette explosion remplit le livre, comme le déchirement du patriotisme remplissait Les Décombres. D’ailleurs, le génie est le même : la même puissance lyrique, même déferlement de l’image et du verbe, même amertume. Mais ce qui distingue Rebatet parmi d’autres polémistes, parmi Bloy, Péguy, Daudet, Bernanos, c’est la volonté de convaincre. Pour lui, tous les arguments sont bons. » Quand on se bat, dit son héros, on ne songe pas à se demander si les armes ont déjà servi» . Tantôt il trace une satire extraordinaire des jésuites, tantôt il se lance dans d’interminables analyses de textes, tantôt il descend aux critiques les plus vulgaires, mais aussi les plus frappantes. Nos seules épopées sont des œuvres individuelles et des œuvres de protestation : ce sont Les Châtiments, Les Tragiques. Voici l’épopée de l’athéisme »[14].

Mais de quoi parle au juste Les Deux Etendards ?

D’amour ! Il n’y a pas moins original mais pas plus essentiel. Le thème des Deux Etendards se trouve magnifiquement énoncé dans le roman lui-même lorsque Michel reçoit sa vocation de romancier : « L’amour, feu central, avait embrasé cette matière inerte du passé, du présent, de l’avenir, du réel, de l’imaginé, que Michel portait au fond de lui ; l’amour l’avait fondue, et grâce à lui seul elle prendrait forme. L’amour serait célébré dans tous ses délices et toutes ses infortunes. Mais le livre dirait aussi la quête de Dieu, les affres de l’artiste. La poésie, les secrets des vices, les monstres de la bêtise, la haine, la miséricorde, les bourgeois, les crépuscules, la rosée des matins de Pâques, les fleurs, les encens, les venins, toute l’horreur et tout l’amour de la vie seraient broyés ensemble dans la cuve »[15].

Comment Rebatet/Michel s’y prendra-t-il pour réussir une telle gageure ? Il va « refaire du Proust sur nature » comme Cézanne refit du Poussin sur nature. Qu’est-ce à dire ? Pour le dire brutalement, Rebatet a transposé « certaines méthodes de l’analyse proustienne à une histoire, à des sentiments plus consistants que les sentiments, les histoires du monde proustien (on peut tout de même prétendre qu’une grand expérience religieuse, par exemple, est humainement plus importante que les snobismes et contre-snobismes d’un grand salon) »[16]. Ainsi, « les modernes s’étaient forgés des instruments d’une perfection, d’une souplesse, d’une nouveauté admirables. Mais ils ne les employaient guère qu’à disséquer des rogatons, à décrire des snobismes, des démangeaisons du sexe, des nostalgies animales, des affaires d’argent, des anatomies de banquiers ou de perruches mondaines. Michel connaissait leur scalpels, leurs microscopes, leurs introspections, leurs analyses, mais il s’évaderait des laboratoires. Le premier, il appliquerait cette science aux plus grandioses objets, à l’eternel conflit du Mal et du Bien, trop vaste pour ne point déborder les petits encéphales des physiologistes »[17]. Par delà la caricature proustienne, retenons la mobilisation d’un art d’écrire contre la foi, une croisade antireligieuse.

D’un point de vue narratif, le roman « raconte la maturation, l’amitié profonde, puis la séparation de deux jeunes gens dans la France de l’entre-deux-guerres. Ils sont épris de la même jeune femme, qui, par sa plénitude de vie, son rayonnement physique et psychologique, est une créature comparable à la Natacha de Tolstoï. L’articulation de cette relation à trois et de la grande fugue de l’accomplissement érotique sur laquelle s’achève le roman sont de grands actes de l’imagination. [...] le roman de Rebatet a l’autorité impersonnelle, la beauté formelle pure de l’art classique »[18]. En effet, le roman se présente d’abord comme un Bildungsroman (éducation sentimentale) dans la lignée de la trilogie balzacienne ou du Rouge et Noir. Deux amis Régis, l’amant mystique, et Michel, l’amoureux éperdu, engagent une guerre fratricide dont Anne-Marie sera la victime principale. Il serait très éclairant que quelqu’un entreprenne un jour une lecture girardienne des Deux Etendards. La médiation interne qu’est Régis pour Michel, de modèle se mue en obstacle. La rivalité mimétique s’exacerbe au détriment de ce que furent tour à tour les objets du désir : Dieu et Anne-Marie. Le mensonge romantique est-il dénoncé et la vérité romanesque dévoilée dans le roman ? Quoi qu’il en soit, nous avons là une des plus grandes analyses de la passion amoureuse.

« Balzac avait besoin d’un trône et d’un goupillon ; Zola, du transformisme et de la médecine : il faut à Rebatet l’athéisme et l’anarchie. Fort de ces principes, il accorde à chacun son dû : aussi bavard que celui de Thomas Mann, son jésuite me parait plus riche, plus nuancé : plus attachant ; aussi pieuse que lesbienne, aussi lesbienne qu’intelligente, aussi intelligente qu’espiègle, aussi espiègle que baiseuse, ah ! la charmante enfant, Anne-Marie, la maîtresse rêvée ! Quant à Michel ! C’est Rebatet, disent les gens qui savent. Erreur. Michel, c’est vous, c’est moi. Michel, c’est notre jeunesse. – C’est aussi Lucien Rebatet ! – C’est surtout Lucien Leuwen »[19]. Mais l’épilogue est tragique. Anne-Marie, brûlée vive entre un amour désincarné et un amour despiritualisé, entre l’éther et l’orgie, écrira une inoubliable lettre de rupture « toute imprégnée du contrepoint de la solitude, si inflexiblement résignée à la définitive destruction, et qui évoque le destin frustré du véritable amour au point que les deux étendards confondent leurs coutures afin de mieux former un suaire »[20]. Rebatet concluait : « Trois mystiques vagabonds se sont heurtés au catholicisme. Le prêtre s’est soumis, » obéissant très vulgairement à sa fonction éternelle, et s’asseyant sereinement dans les duperies de son rôle» . Anne-Marie » est retournée naturellement aux orgies des rites primitifs» . Michel » a vu que s’il n’y a aucun chemin entre Dieu et les hommes, c’est peut-être et d’abord parce que les religions les bouchent tous »[21].

Rebatet parvient-il à ses fins avec son « épopée de l’athéisme » ? Triomphe-t-il de toute croyance ?

Rebatet s’emporte facilement sur le sujet sans plus faire aucune distinction : « Je hais les religions à mort. Je vois quelquefois, les égyptiennes, les babyloniennes, les tibétaines, les aztèques, l’Islam, le catholicisme médiéval, le puritanisme yankee, comme des spectres grotesques et dégoulinants de sang. Ce sont les plus atroces fléaux de l’humanité »[22]. Toutefois, on trouve de temps à autre sous sa plume une sensibilité plus amène : « il est assez difficile de se trouver l’avant vielle ou la vieille de Pâques sans se rappeler que le Christ est le grand patron de tous les condamnés à mort. Je l’avoue, je n’écouterais pas très volontiers ce soir les stoïques et autres philosophes qui ont moqué les angoisses du jardin des oliviers »[23].

La question de Dieu n’est pas si simple et pauvre pour qu’on puisse la laisser à l’opinion de chacun. Par exemple, il n’est pas du tout certain que l’athéisme soit l’ennemi de la foi. Si l’athéisme combat la piété vouée aux dieux mythiques des religions archaïques et sacrificielles, alors l’athéisme peut être enrôlé dans la lutte contre l’idolâtrie. En ce sens Levinas écrivait : « Le monothéisme marque une rupture avec une certaine conception du sacré. Il n’unifie ni ne hiérarchise ces dieux numineux et nombreux ; il les nie. A l’égard du divin qu’ils incarnent, il n’est qu’athéisme. [...]. Le monothéisme dépasse et englobe l’athéisme, mais il est impossible à qui n’a pas atteint l’âge du doute, de la solitude, de la révolte »[24].

Mais tournons-nous plutôt vers le roman. Je ne crois pas que Les Deux Etendards soient une apologétique athée, non plus qu’une épopée. Michel y fait bien une tentative de conversion qui tourne en « déconversion »[25]. Mais celle-ci n’est pas une inversion pure et simple, elle n’est pas du « Michel-Ange inversé »[26] puisque Michel se défend d’être athée[27]. D’ailleurs, n’était l’homophonie avec Le Diable et le Bon Dieu, le roman se fut appelé Ni Dieu ni Diable. L’agnostique Michel ne s’épuise pas plus à toujours nier, qu’il ne cherche en gémissant. L’aporie de la confrontation finale ferait-elle alors signe vers un néo-paganisme ? Plus précisément : vers la désolation que laisserait l’impossibilité d’un retour du sacré[28] ? Michel ne se ferait-il pas parfois une plus juste idée du Christianisme qu’il ne le laisse paraître, idée au nom de laquelle il déboulonne les idoles ? Ces questions restent ouvertes.

Toutefois, avec ces problèmes théologiques, il ne faudrait pas laisser penser qu’on aurait affaire à un roman, à thèse et encore moins un manuel d’athéologie. Blondin notait bien : « On a qu’un voyage pour sa nuit. Celle de Lucien Rebatet est somptueusement agitée. Elle ravit aux professeurs travestis, et avec quel éclat, le monopole de l’inquiétude métaphysique et [...] rend le Diable et le Bon Dieu à une vie quotidienne passionnante, passionnée. [...]. Il va chercher Dieu sur son terrain qui est celui de la crainte, de l’espérance, du tremblement, de la passion titubante. Sous cette forme romanesque, le problème de la religion recouvre ses plus chauds prestiges »[29]. Un grand roman, « non de la démonstration d’une thèse : des êtres s’affrontent, non des allégories. Il reste que Les Deux Etendards constituent un arsenal d’armes de tous calibres contre le christianisme. Il y a des armes les plus savantes : critiques des textes sacrés, interpolations, interprétations douteuses, dogmes tirés de textes peu sûrs ou trop sollicités, etc. Il arrive que Régis perde pied devant des coups inattendus. Nous avons des exégètes qui répondent très bien, dit-il, quand il se reprend. Réponse trop facile, peut-être, mais moins faible qu’on ne pourrait le croire. On ne peut passer sa vie dans la controverse, et pour Régis, la foi ne dépend pas de tel ou tel point de dogme. Elle est au-delà des constructions intellectuelles auxquelles elle impose d’adhérer. La discussion entre les deux garçons ne peut jamais avancer. Michel ne néglige pas, à coté de cela, des armes plus vulgaires, instinctives, grosses plaisanteries. Ce roman compte une étonnante galerie de prêtres tous obtus, libidineux, hypocrites. Avec tout cela, cette partie polémique date : le moralisme étroit, inhumain, qui encolère Michel n’est plus aujourd’hui le défaut d’une Eglise qui s’est beaucoup débridée [Rebatet en viendra même dans son Journal à se considérer ironiquement comme le dernier catholique !] Si l’on se passionne pour cette controverse, c’est parce que l’on se passionne pour les trois héros »[30]. Sur cette lancée, ira-t-on jusqu’à affirmer que Les Deux Etendards « pourrait ainsi passer à force de vie et de vérité, gonflant des héros en tous points admirables, pour une apologie du spiritualisme »[31] ? Le dernier mot du roman est laissé au jésuite. Il est même probable qu’il ait raison quand il affirme que lui, au moins, laissera un souvenir lumineux à Anne-Marie, jeune fille fichue, laissée à une tristesse infinie. Bien évidemment, c’est une victoire à la Pyrrhus : il vaut mieux avoir tort avec Michel que raison avec Régis. Car depuis bien longtemps nous avons quitté le débat théologique pour rejoindre le tragique de l’existence.

A moins que le débat théologique ne se pose justement sur le terrain de l’existence. Et c’est peut-être là l’intérêt fondamental de l’œuvre de Rebatet. En effet, il n’est pas du tout évident, malgré une longue tradition, que la question de Dieu doive se poser par le biais de savoir s’il est ou pas. Il se pourrait même que ce soit une fort mauvaise question. Levinas exprime bien la descente de la question du ciel sur la terre quand il proposa d’« interdire à la relation métaphysique avec Dieu de s’accomplir dans l’ignorance des hommes et des choses. La dimension du divin s’ouvre à partir du visage humain. [...] la métaphysique se joue là où se joue la relation sociale. Il ne peut y avoir, séparée de la relation avec les hommes, aucune » connaissance»  de Dieu. Autrui est le lieu même de la vérité métaphysique et indispensable à mon rapport à Dieu »[32]. Disons le autrement et radicalement avec Maître Eckhart : « Si quelqu’un était dans un ravissement comme saint Paul [!] et savait qu’un malade attend et qu’il lui porte un peu de soupe, je tiendrais pour bien préférable que, par amour, tu sortes de ton ravissement et serves le nécessaire dans le plus grand amour »[33].

Le lecteur se fait une idée du dieu de Régis à partir de son comportement. Or, la narration met au grand jour les ressorts cachés des faits et gestes de Régis : une sensualité mal camouflée, une jalousie drapée dans le désintéressement, une « attitude inhumaine, follement orgueilleuse, de condamner tout l’amour et de ne l’autoriser qu’à [lui] seul »[34]… Surtout, il décèle la sombre haine jusque dans l’amour lumineux : ce que Nietzsche, lecture de chevet de Rebatet, appelait « la fine fleur du ressentiment » : « cet amour est sorti de la haine, il en est la couronne, couronne du triomphe qui grandit dans la pure clarté d’une plénitude solaire et qui, dans le royaume de la lumière et des hauteurs, poursuit les mêmes buts que cette haine : la victoire, le butin, la séduction, du même élan que portait cette haine avide et opiniâtre à pousser ses racines de plus en plus loin dans tout ce qu’il y avait de ténébreux et de méchant »[35]. Rebatet disposait de cet « œil exercé » dont parle Scheler quand il affirme à propos de l’amour qu’« il n’est pas de notion que le ressentiment puisse mieux utiliser à ses propres fins, en lui substituant une autre émotion, grâce à un effet d’illusion si parfait que l’œil le plus exercé ne parvient plus à discerner du véritable amour un ressentiment où l’amour ne serait plus qu’un moyen d’expression »[36].

L’antichristianisme virulent ne s’exprime pas tant dans les arguments, bons ou mauvais, opposés à Régis que dans la simple description de la vie du futur jésuite. Les Deux Etendards ont l’immense mérite de mettre en scène, non pas seulement la foi et l’incroyance mais, plus fondamentalement, comme le dit avec raison Rebatet lui-même : le « conflit entre l’amour et Dieu. Un grand thème je crois. Il me semble qu’il n’y en a pas de plus grand : l’homme devant l’amour, l’homme devant Dieu »[37]. Puisque l’amour seul est digne de foi, Les Deux Etendards s’en prennent au cœur du christianisme. « Qu’as-tu fais de ton amour ? ». Telle pourrait être la question centrale du roman. La force de Rebatet c’est de retourner l’amour contre ceux qui s’en réclament. Mais si l’arme est l’amour, quelle portée peut-elle bien avoir devant un Dieu qui se définit par l’amour (I Jean 4, 8) ?

Pourriez-vous nous dire un mot du style des Deux Etendards ?

Disons-le d’emblée, Rebatet ne fut pas un créateur de style comme Proust ou Céline. Les Deux Etendardsème. Rebatet se plaçait résolument dans la catégorie des écrivains qui clarifient une matière compliquée sans recherche de l’innovation technique pour elle-même. Il écrivait : « J’aurais aimé que l’ont pût me faire l’honneur de quelques procédés nouveaux de narration. Je m’y sentais peu porté par nature, à moins que ce ne fût le métier qui me manquait. Mon roman n’était pas une forme singulière, imprévue, conçue a priori, et que je voulais remplir avec un thème et des personnages plus ou moins adéquats. C’était une histoire touffue, que je voulais raconter aussi complètement et clairement que possible. Je m’affirmais – un peu pour calmer mes regrets de ne pas suivre l’exemple de Joyce – que cette histoire était suffisamment complexe pour que je ne m’ingéniasse pas à la rendre indéchiffrable par des complications de forme. Mon esthétique, au cinéma, en littérature, comme en peinture et en musique, a d’ailleurs toujours été hostile aux procédés qui ne sont pas commandés par une nécessité intérieure »[38]. appartiennent plutôt à la lignée des grands romans classiques du XIX

Il y a pourtant bien une originalité stylistique du roman : elle réside dans la concomitance du sublime et de la fange. « Dans son projet d’ensemble, le roman est un pur produit du classicisme NRF et il n’est littérairement pas surprenant que Gallimard en ait été l’éditeur. Quand elle le veut bien, la langue n’y déroge jamais et nombreux y sont les passages où s’entend en quelque sorte la voix de Gide, dans l’économie des moyens et la pureté néoclassique du style. [...] Mais à l’intérieur même de cette épure stylistique, de ce dessin d’ensemble qui est comme le continuo du livre, l’écrivain loge tout autre chose : un véritable baroque célinien, l’usage de tous les registres de la langue à commencer par l’argot et, par-dessus tout peut-être, une crudité récurrente à la mesure de la présence d’Éros dans le récit. Car dans Les deux étendards, l’amour s’exprime sur tous les registres et si l’analyse du sentiment amoureux (selon une formule classique du roman français) n’est nullement étrangère à Rebatet, le lecteur retient surtout les nombreux passages érotiques qui sont ressentis comme autres sans que la perfection littéraire en soit moindre »[39].

Insistons-y : « L’originalité la plus vive de Rebatet, – la difficulté majeure, et vaincue de son entreprise, – c’a été de prêter un accent gothique aux débats de la plus haute psychologie et un accent de tendresse pudique à l’érotisme le plus orageux. Cela qui fit scandale, – comme toutes les nouveautés auxquelles on n’était pas préparé, – sera reconnu demain comme une des expériences magistrales (avec celle de Proust et de Céline) du vingtième siècle. [...] Aussi intelligent que La Montagne magique, aussi romanesque que Lucien Leuwen, aussi passionné que Les Possédés, Les Deux étendards, avec ses fougues et ses nonchalances, la déraison de ses mythes et la sagesse de sa bohème, sa fureur et sa grâce, ses sentiments stables et ses sentiments ambigus, ses caprices, ses détours et ses haines dans un Lyon aussi envoûtant que le Londres de Dickens, – Les Deux étendards ne cesseront pas de plaider la cause de Rebatet »[40].

Rebatet lui-même reprendra à son compte cette expression d’écrivain « gothique » : « Je dois dire que j’en ai été entièrement satisfait parce que j’aime beaucoup l’art gothique, un art fourre-tout où il y a des sommets lyriques, des bas-fonds, des rosaces éblouissantes, des images grotesques sculptées sur les portails, où il y a la théophanie et le péché originel. Et puis il y a aussi les peintres gothiques : Breughel et Jérôme Bosch »[41]. Grandeur et misère de l’homme ! Ainsi, Michel passe par « tous les stades, du platonisme mystique à l’obsession sexuelle »[42] car « littérairement, les termes les plus crus peuvent très bien alterner avec les plus délicats raffinements, comme dans les cathédrales, comme dans Shakespeare »[43]. C’est le génie de Rebatet, un des plus grands romanciers de la sensualité, que d’avoir su se tenir sur cette ligne de crête de laquelle on dérape si facilement soit dans la pornographie, soit dans le roman feuilleton.

Vous ne tarissez pas d’éloges sur le roman, mais comment pouvez-vous être certain qu’il soit un chef d’œuvre au regard du silence qui l’entoure ? Cela n’indiquerait-il pas plutôt que la non reconnaissance depuis 50 ans est méritée ? N’êtes vous pas fasciné par le mythe romantique de l’écrivain maudit ?

Voici comment Rebatet décrivait Pound : « Ezra Pound rejoint Villon, Rabelais pourchassé, demi-clandestin, Balzac dans sa turne, Stendhal ignoré dans son trou, Nerval le vagabond pendu, Dostoïevski le forçat, Baudelaire trainé en correctionnelle, Rimbaud le voyou, Verlaine le clochard, Nietzsche publié à compte d’auteur, Joyce sans feu ni lieu, Proust cloitré dans un garni, moribond, mais la plume à la main, Brasillach écrivant ses Bijoux les chaines aux pieds, Céline foudroyé à sa table dans son clapier du Bas-Meudon. Après tant d’exemples, comment douter que Pound est dans le bon camp, le vrai camp, le seul qui compte, celui qui enrichit les hommes, survit dans leur mémoire ? »[44]. Cette présentation de Pound en est une, à peine voilée, de Rebatet lui-même. Elle est romantique. Rebatet se prête facilement à cette mythologie quand on sait que Les Deux Etendards furent écrit par un condamné à mort dont les chaînes retentissaient dans une cellule où l’eau gelait nuit et jour.

Sans nous laisser obnubiler sur le soi-disant « seul camps qui compte », il faut bien reconnaître que Rebatet n’a pas la place qu’il mérite. Les Deux Etendards sont un chef d’œuvre car c’est un classique. Un classique de premier ordre même, puisque Les Deux Etendards sont à mes yeux la poursuite de l’œuvre nietzschéenne par d’autres moyens. Le niveau d’un tel affrontement entre l’homme et Dieu trouve son équivalent dans Les Frères Karamazov. Mais la question rejaillit : comment sait-on que c’est un classique me direz-vous ? Pour répondre plus amplement à votre question, il est nécessaire de refaire un peu de philosophie de la littérature.

Une œuvre littéraire – une œuvre d’art en général – transcende par définition ses propres conditions psychosociologiques de production. Elle s’ouvre ainsi à une suite illimitée de lectures. Celles-ci sont elles-mêmes situées dans des contextes socioculturels différents. Ainsi l’œuvre se décontextualise et se recontextualise. Si elle ne le faisait pas, si une œuvre n’était que le reflet de son époque, alors elle ne se laisserait pas recontextualiser et ne mériterait donc pas le statut d’œuvre d’art. La capacité d’échapper à son temps fait la contemporanéité de l’œuvre. Ecoutons Gadamer : « Entre l’œuvre et chacun de ses contemplateurs existe vraiment une contemporanéité absolue qui se maintient intacte malgré la montée de la conscience historique. On ne peut pas réduire la réalité de l’œuvre d’art et sa force d’expression à l’horizon historique primitif dans lequel le contemplateur de l’œuvre était réellement contemporain de son créateur. Ce qui semble au contraire caractériser l’expérience de l’art, c’est le fait que l’œuvre possède toujours son propre présent [...] l’œuvre d’art se communique elle-même »[45]. Ainsi, à la question « qu’est-ce qu’un livre classique ? », on peut répondre, avec Sainte-Beuve : une œuvre « contemporain[e] de tous les âges »[46]. Echappant au contexte qui l’a vu naître, sans prétendre illusoirement à l’intemporalité, le classique traverse les modes et les aléas de l’histoire. Or, aux questions soulevées par Rebatet est inhérent un surcroît de sens permanent.

Quant au peu de critiques et à l’ignorance du public cultivé, on a pu avancer plusieurs raisons plus ou moins légitimes : le prix du roman, sa longueur, sa complexité, le rejet de certains libraires, l’importance donnée à la question religieuse, etc. Mais « l’indiscutable vérité est que Les Deux Etendards continue à être ignoré aujourd’hui à cause du black-out qui le frappe et que ce black-out a été imposé pour des raisons politiques. [...]. L’on veut surtout espérer que notre époque est suffisamment mûre et suffisamment affranchie des passions déclenchées par les événements de la seconde guerre mondiale pour enfin considérer objectivement et du seule point de vue littéraire un roman aussi important que celui de Rebatet, et ce d’autant plus qu’elle est particulièrement pauvre en chefs-d’œuvre »[47].

Les deux étendards sont donc un roman à la fois classique et méconnu du fait de la conspiration du silence engendrée par les opinions politiques de l’auteur. Rappelons simplement qu’Etiemble s’est fait exclure des Temps Modernes par Sartre au prétexte de la reconnaissance du génie littéraire de Rebatet. En sommes-nous encore à ce point ? La situation est peut-être pire car la conspiration du silence a fonctionné et s’est depuis muée, le relativisme aidant, en indifférence. En plus d’amoureux de la littérature, il nous faut trouver des esprits libres !

Gilles de Beaupte, merci et longue vie à votre association !

Mais nous n’avons pas encore évoqué Les Epis Mûrs ou Une Histoire de la musique !

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[1] Jean Dutourd, « L’art et la morale », Matulu, Paris, n° 17, sept. 1972, p. 9.
[2] Georges Steiner, « Appel au meurtre », Extraterritorialité. Essais sur la littérature et la révolution du langage, Paris, Calmann-Lévy, 2002, p. 70.
[3] Gérard Genette, Seuils, Paris, Paris, Seuil, p. 362.
[4] André Gide, Les Faux-monnayeurs, Paris, Gallimard, Pléiade, 1958, p. 1083.
[5] Lucien Rebatet, Les Deux Etendards, Paris, Gallimard, 1951, p. 361.
[6] Pascal A. Ifri, Les Deux Etendards de Rebatet, op. cit., p. 152.
[7] Paul Ricœur, « Herméneutique et critique des idéologies », Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris, Seuil, 1986, p. 404-405.
[8] Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, 1954, p. 157.
[9] Laffont-Bompiani, Dictionnaire des œuvres, Paris, Laffont, 1986, p. 295.
[10] Robert Belot, « Lucien Rebatet », L’antisémitisme de plume 1940-1944, P.-A. Taguieff (dir.), Paris, Berg International, 1999, p. 225.
[11] Pascal A. Ifri, Les Deux Etendards de Lucien Rebatet. Dossier d’un chef d’œuvre maudit, Lausanne, L’âge d’homme, 2001, p. 81.
[12] Pol Vandromme, Rebatet, Paris, Editions Universiataires, 1968, p. 65.
[13] Lucien Rebatet, Mémoires d’un fasciste II, Paris, Pauvert, 1976, p. 113-114.
[14] Bernard de Fallois, « Le Chef d’œuvre de Rebatet », Opéra, 6 février 1952.
[15] Lucien Rebatet, Les Deux Etendards , op. cit., p. 181.
[16] Lucien Rebatet, Lettres de prison, Paris, Le Dilettante, 1992, p. 34.
[17] Lucien Rebatet, Les Deux Etendards, op. cit., p. 182.
[18] Georges Steiner, « Appel au meurtre », Extraterritorialité, op. cit., p. 70.
[19] René Etiemble, « A propos de Lucien Rebatet », (1953), Hygiène des Lettres II. La littérature dégagée 1942-1953, Paris, Gallimard, 1955, p. 210.
[20] Jacques Vier, « Il faut parler de Lucien Rebatet », Littérature à l’emporte-pièce VII, op. cit., p. 130.
[21] Lucien Rebatet, Etude sur la composition (inédit).
[22] Lucien Rebatet, Dialogue de « vaincus », Paris, Berg International Editeurs, 1999, p. 158.
[23] Lucien Rebatet, Lettres de prison, op. cit., p. 180.
[24] Emmanuel Levinas, « Une religion d’adulte », Difficile liberté, Paris, Livre de Poche, 1984, p. 29-31.
[25] Lucien Rebatet, Etude sur la composition, p. 63 (inédit).
[26] Jacques Vier, « Il faut parler de Lucien Rebatet », Littérature à l’emporte-pièce VII, Paris, Les éditions du Cèdre, 1974, p. 129.
[27] Lucien Rebatet, Les Deux Etendards, op. cit., p. 1086.
[28] Christophe Chesnot, « Les Deux Etendards de L. Rebatet, ou l’impossible exigence du sacré », Nouvelle Ecole, n° 46, Automne 1990, p. 11-31.
[29] Antoine Blondin, « Les Deux Etendards déchirent notre ciel », Ma vie entre les lignes, Paris, La Table Ronde, 1982, p. 103.
[30] Georges Laffly, « Lucien Rebatet », Ecrits de Paris, Paris, 1972, p. 99.
[31] Robert Poulet, Le caléidoscope, Lausanne, L’âge d’homme, 1982, p. 93.
[32] Emmanuel Levinas, Totalité et Infini, M. Nijoff, La Haye, 1968, p. 50-51.
[33] Maître Eckhart, Les traités, Paris, Seuil, 1971, p. 55.
[34] Lucien Rebatet, Les Deux Etendards, op. cit., p. 345.
[35] Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale, Œuvres Philosophiques Complètes VII, Paris, Gallimard, 1992, p. 232.
[36] Max Scheler, L’homme du ressentiment, Paris, Gallimard, 1970, p. 74.
[37] Lucien Rebatet, « » Derniers mots» . Entretien avec Michel Marmin », Matulu, Paris, n°17, sept 1972, p. 10.
[38] Lucien Rebatet, Les mémoires d’un fasciste II, op. cit., p. 110-111.
[39] Yves Reboul, « Lucien Rebatet : le roman inachevé ? », Études littéraires, vol. 36, n° 1, 2004, p. 25-26.
[40] Pol Vandromme, Rebatet, op. cit.
[41] Lucien Rebatet, « » Derniers mots» . Entretien avec Michel Marmin », Matulu, art. cit., p. 10.
[42] Lucien Rebatet, Lettres de prison, op. cit., p. 78.
[43] Lucien Rebatet, Dialogue de « vaincus », op. cit., p. 110.
[44] Lucien Rebatet, cité dans Pascal. Ifri, Rebatet, Paris, Pardès, 2004, p. 65.
[45] Hans-Georg Gadamer, « Esthétique et herméneutique », L’art de comprendre. Ecrits II. Herméneutique et champ de l’expérience humaine, Paris, Aubier, 1991, p. 139-140.
[46] Sainte-Beuve, Causeries du lundi, Paris, Garnier Frères, 1894, p. 598.
[47] Pascal A. Ifri, Les Deux Etendards de Lucien Rebatet, op. cit., p. 12-13.


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Concerning Louis-Ferdinand Céline

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Concerning Louis-Fredinand Celine

By Arno Breker  / http://meaus.com/

In the year 1940, I made the acquaintance of Louis-Ferdinand Celine in Paris at the German Institute. At that time he was considered among the most important writers of France. I knew his literary work; he, my sculptural work.

Celine was one of those who, notwithstanding existing differences between France and Germany, loved and understood my homeland. "The ultimate reconciliation and cooperation of our two countries--those are the things that matter most," he said to me during our first meeting.

The desire to do his portrait seized me at once. His facial features, strongly pronounced and enlivened, fascinated me. There was a physical peculiarity about him; this was the discrepancy between the volume of his head and the leanness of his neck, which was emanciated. A discrepancy which I wanted to make up for by means of a neck scarf, just as he always wore toward the end of his life.

Before the war I found Celine to be very elegant. And only afterward did he assume the behavior of a Bohemian of the 19th century. As everyone knows, he was surrounded by a number of cats and dogs and occupied in Meudon a large building that had already begun to decay a little. I visited him there one more time shortly before his death in 1961.

The atmosphere of his apartment was typically French. The furniture and objects that were around him, in their permanent appearance, had seemed for decades to be torpid and immovable. Dust and the patina of time began to cover them with a strange stillness.

On this afternoon Celine took a long look into my eyes, spoke very little, and really seemed to have said everything he had to say in his books. The few words he did say concerned human existence, its stay on earth, and eternity.

As I was leaving, Celine said to me, "This is not 'goodbye'! We shall remain." Taking his hand, I answered him full of emotion, "My dear, my great friend, so be it."

 

 Copyright 1999 Museum of European Art

samedi, 12 septembre 2009

Céline et l'homme européen

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« Céline et l’homme européen »

[1964]

Reproduit dans le "Bulletin célinien", n°262, mars 2005

 

Que pensait un jeune nationaliste européen de Céline dans les années soixante ? On peut s’en faire une idée en lisant cet article publié en 1964 dans la revue de Jean Thiriart (1922-1992), L’Europe communautaire. Céline n’échappait alors pas à une lecture très politisée de son œuvre. Un document.

 

   On a voulu tuer Céline, on a voulu faire taire ce corps et cette âme qui clamaient à la face du monde le dégoût qu’ils avaient des hommes, on a voulu éteindre cet incendie de vérité qui s’est allumé en 1932. Ils ont échoué dans leur entreprise criminelle ; aujourd’hui, plus que jamais, Céline revit en nous. Des livres, des études ont été consacrés au prophète de la décadence occidentale. La Pléiade lui consacre un ouvrage... Céline occupe dans l’histoire de la littérature européenne, avec Drieu La Rochelle et Brasillach, une place incontestable.

 

   Dans son œuvre, quelle est la place de l’Europe ; de cette Europe qu’avec beaucoup d’écrivains et d’hommes politiques, il prévoyait et espérait ?

 

   Le problème ici n’est pas de découvrir subitement un Céline politique : il avoue lui-même, dans plusieurs ouvrages et interviews, que seule la médecine l’intéressait et que, par ce biais, il a débouché dans un monde en folie, dans une France décadente, dans une Europe avortée. Plus qu’une conception politique, Céline avait de l’homme européen une conception quasi médicale ; plus que le continent, c’était l’homme qu’il voulait réformer.

   Dans D’un château l’autre il fustige les Français : « La sensibilité européenne s’émeut que pour tout ce qu’est bien anti-elle ! ennemis avérés ! tout son cœur ! masochisse à mort ! » Il prouvait par cette phrase qu’avant comme après la guerre, sa volonté de réforme était demeurée intacte.

 

De Bardamu au surhomme

 

   La première qualité que nous, Européens, devons reconnaître à Céline, c’est d’avoir dépeint magnifiquement et réellement nos défauts, vices et manies. Dès le Voyage au bout de la nuit, la fresque est esquissée ; à travers Bardamu, c’est le fond le plus lâche, timoré et vicieux de l’homme européen qu’il dépeint ; il en fait son credo, sa raison même de vivre : « Quand on sera au bord du trou faudra pas faire les malins, nous autres, mais faudra pas oublier non plus, faudra raconter tout sans changer un mot de ce qu’on a vu de plus vicieux chez les hommes et puis poser sa chique, puis descendre. Ça suffit comme boulot pour une vie tout entière » (Voyage au bout de la nuit).

 

   Le Français y est malmené, secoué comme un fétu de paille, submergé sous un flot de reproches assénés par une plume au vitriol. Mais l’homme malmené du Voyage au bout de la nuit à Nord n’est pas seulement le Français, c’est l’Allemand, l’Anglais, l’Américain... En un mot, l’homme blanc. Et si Céline s’emporte à propos des vices proprement spécifiques aux Français (le vin, poison national), il n’en néglige pas pour autant les tares de tous les autres Blancs. C’est cet homme qu’il attaque à travers des pages mouillées de bave rageuse, cet homme décadent. Bardamu – car c’est lui – si faible et si timoré dont le seul courage – mais un courage héroïque, propre à celui qui, se souvenant de sa grandeur passée se sent retomber dans la fange –, est une lucidité effroyable et cynique de son état. Bardamu, mais un Bardamu sans courage, c’est l’homme européen d’aujourd’hui, timoré, exclusivement jouisseur, négrophile, ayant perdu la fierté de son passé et de sa race ; et Céline de vaticiner une apocalyptique humanité de bâtards négrifiés, tous « ahuris par les Juifs au saccage, hypnotisés, dépersonnalisés, dressés aux haines absurdes, fratricides... » (L’École des cadavres). Ces Français, ces Européens, le docteur Céline les a bien connus, tâtés, diagnostiqués : foies cirrhosés, estomacs dilatés, yeux glauques... C’étaient eux, la race des seigneurs. Plus qu’un autre, il a réveillé les Aryens de leur torpeur à grands coups de gifles, il secouait leur apathie, leur incroyable naïveté, leur instinct de lucre et de jouissance...

   Mais mieux qu’un Savonarole, Céline a tracé le chemin de la Réforme.

 

Le Procès de l’Humanité

 

   Ce n’est pas tout de ramener l’homme à ce qu’il est vraiment, encore faut-il comparer les hommes entre eux, faire le procès de l’humanité, des races. Le mérite de Céline est d’avoir été scrupuleusement objectif ; s’il tempête contre les juifs, il lance à l’Aryen des épithètes peu flatteuses. Mais si l’Aryen est décadent, à qui la faute ? À son insatiable appétit de jouissance et, écrit Céline, si l’Aryen est devenu tellement jouisseur, la faute en revient aux juifs qui, poussés par le démon de l’argent, feraient n’importe quoi pour amener les gentils à acheter leurs marchandises et leurs idées. Le juif pour Céline est l’obsession, la hantise. Rendus responsables de tous les maux de l’humanité, Céline les aurait inventés s’ils n’avaient pas existé, tant ils nous apparaissent comme de parfaits boucs émissaires,  trop  parfaits  même.  Le  mot « juif », à force d’être écrit et martelé dans toutes les phrases, finit par devenir le symbole même de la décadence occidentale... Il n’émeut plus, et ce mot, dépassant son sens étymologique, constitue en fin d’analyse les quatre lettres symboliques de décadence, sans pour autant  qu’il faille  conclure  que le  mot « juif » signifie encore israélite.

 

   C’est à travers ces diatribes anti-juives qu’il fouette les Français, les Européens... Peuples paresseux, lâches, ahuris par l’argent, l’envie, l’alcool. « La France est extrêmement vendue, foie, nerf, cerveau, rognons aux grands intérêts vinicoles ». Peuple gourmand aussi, qui règle ses conflits diplomatiques autour d’une table bien garnie et dont les ministres promènent à l’envi leurs grosses bedaines satisfaites. Peuple où tout est conçu pour les sens... peu pour l’esprit. Et par-dessus cet amas de vices, viennent se greffer la haine et la méfiance, tous les hommes se méfient les uns des autres, construisent leur petit monde personnel, écartent le voisin. « Faire confiance aux hommes, c’est déjà se tuer un peu » (Voyage au bout de la nuit). Voilà pour le juif, voilà pour l’Aryen.

 

   Le nègre ne hante pas Céline : les Noirs, il les a connus tout au long de ses périples africains, nus et sauvages ; il a décrit leur situation dans les colonies avec réalisme et sincérité... ce qu’il n’aimait pas chez eux, a-t-il écrit dans Bagatelles pour un massacre, c’était surtout le bruit du tam-tam.

 

   Il ne pouvait deviner avant la guerre, la décolonisation, la « civilisation » ultra-rapide des fils de l’anthropophage. Il ne les prend guère au sérieux... Il a décrit avec sincérité certains mauvais traitements auxquels ils étaient soumis sous le drapeau français, il a fort bien raconté la vie des coloniaux, ces hommes d’Occident qui se décomposaient corps et âme sous le soleil meurtrier d’Afrique et qui se défoulaient parfois sur le nègre. Céline néglige le Noir, ce dernier ne peut être à l’heure actuelle un facteur de décadence, du moins tant qu’il reste en Afrique.

   Reste le Jaune : « Le jaune a toutes les qualités pour devenir le roi de la terre ». Céline ne cache pas l’admiration qu’il porte aux Asiatiques, il admire leur ascétisme, leur calme, leur impassibilité stoïque ; mais il les craint. Avant sa mort, le Jaune était devenu son obsession ultime, il voyait les hordes asiatiques jaillir en Europe et trucider allègrement les Aryens. Ce devait être sa dernière hantise.

 

Vers une ascèse européenne

 

   « On a honte de ne pas être plus riche en cœur et en tout et aussi d’avoir jugé quand même l’humanité plus  basse qu’elle  n’est vraiment au fond ». Après  avoir fait un procès terrible de l’humanité, Céline s’apaise et accorde aux hommes des qualités et des élans qui existent, cachés certes, mais qui, découverts, peuvent conduire un être vers le sommet de ses réalisations.

 

   L’ascétisme, voilà un grand mot pour définir une doctrine célinienne des hommes, ne voyons pas dans ce mot, somme toute fort bizarre, une forme mystique, a fortiori métaphysique ; Céline ne rêve pas de l’Européen ascète comme un Chinois ni comme un moine contemplatif, mais plutôt comme un guerrier nordique qui sait affronter la vie dans les meilleures conditions physiques et morales. L’homme devrait être une espèce de chevalier celtique qui sur son cheval se dirige dans une plaine battue par les vents, tout droit, l’œil fixé sur son but et indifférent à la tempête.

 

   Il ne faut pas non plus croire que l’homme européen devrait être « la belle bête sauvage » de Nietzsche, ou un surhomme en puissance ; ce serait se tromper lourdement sur les buts réformateurs de Céline. Buts qui ne visent qu’à rendre à l’homme une place conforme à ce qu’il est en réalité. Il n’y a pas de dépassement de la nature humaine souhaité par L.-F. Céline.

 

   Car s’il est vrai que l’homme est descendu bien bas, que l’Européen est menacé dans son existence même, il ne peut être sauvé qu’en vivant en conformité avec sa nature de mortel ; seul, écrit Céline, un ascétisme bien compris (un ascétisme à la Labiche, pour l’imiter) permettra à l’homme de contrôler et son corps et son esprit. Écoutons Céline répondre à l’écrivain belge Marc Hanrez qui lui demandait si, selon lui, la race future de l’humanité serait une race d’ascètes. « Ah, uniquement une race d’ascètes ! Des ascètes qui feraient une cure effroyable pour éliminer toutes ces tendances vers la tripaille... Autrement, c’est un monstre. On essayerait d’élever des cochons comme on élève les hommes ; personne n’en voudrait ; des cochons alcooliques ! Nous sommes plus mal élevés que les cochons, beaucoup plus mal élevés que les chiens, les canards ou les poules... Aucune race vivante ne résisterait au régime que suivent les humains. »

 

   Les fondements de cette doctrine de l’ascétisme se retrouvent à partir des pamphlets dont le style si différent des romans est lui-même un instrument éducateur. Comparer Bagatelles pour un massacre à La France juive d’Edouard Drumont serait comparer un volcan à un verre d’eau bouillante. Par le style même, Céline arrache le lecteur de sa béatitude bourgeoise, il le force à suivre, bon gré mal gré, un flot impétueux, dont les remous sont autant de coups infligés aux consciences reposées.

   C’est d’ailleurs la grande révolution des lettres françaises de ce siècle que ce style dont l’originalité et la subtilité ne sont plus à décrire... Car s’il y eut de grands moralistes, de grands réformateurs, force nous est de constater que pas un seul n’a remué autant ses lecteurs que Céline, pas un seul ne put être lu à la fois par l’ouvrier et l’intellectuel, aucun n’a osé appeler les choses par leur nom. La conception de l’homme chez Martin Heidegger – toute considération métaphysique mise à part – et chez Louis-Ferdinand Céline se rejoignent. L’existence de Bardamu, à cette différence près que le docteur Bardamu refuse de réaliser toutes ses possibilités, est que son long voyage au bout de la nuit n’est éclairé par aucun éclair de puissance extrahumaine.

 

La fraternité européenne

 

   « Haïr les Allemands est un acte contre nature ». Cette phrase de Céline que de Gaulle serait normalement le dernier à désapprouver est significative de l’esprit européen de son auteur. Voyageur, l’écrivain a connu l’Europe, l’Amérique et la Russie, il a vécu en Allemagne, en Angleterre, en Scandinavie. Spécialiste des hommes, Céline a compris combien au sein d’un groupe déterminé, les Européens par exemple, les différences artificielles s’estompent. C’est au nom de sa connaissance profonde de l’Européen qu’il se refusera à une guerre voulue – selon lui – par les juifs et les francs- maçons. Sa réponse à Maurras qui préconisait : « Ni Berlin ni Moscou » est significative, elle aussi, de son esprit européen... « Ce n’est pas “Ni Berlin, ni Moscou”, c’est “Avec les juifs ou contre les juifs' » (L’École des cadavres).

 

   Ayant vécu la guerre de 1914, il se permet tout contre elle, lui crache à la figure, l’engueule comme un charretier. Pol Vandromme devait écrire que Céline parle de la guerre non pas avec son cœur, mais avec ses entrailles. « Les Aryens d’Europe n’ont plus trente-six cartes dans leur jeu, deux seulement. La “carte anglaise”, et ils cèdent une fois de plus à l’Intelligence Service, se jetant une fois de plus dans le massacre franco-allemand, dans la plus pharamineuse, fulgurante, exorbitante, folle boucherie qu’on aura jamais déclenchée dans le cours des siècles (peut-être pour la dernière fois : les jaunes sont aux portes !) » (L’École des cadavres). Pourtant, contrairement aux pacifistes de nos jours, qui se prostitueraient au premier envahisseur venu, Céline, après avoir été le chantre du pacifisme, ira s’engager comme volontaire en 1939, opposant ainsi un démenti formel à ceux qui l’accusaient de lâcheté.

 

   Il désire ardemment une Europe « des Aryens » comme il l’appelle, ce qui dénote quand même un sens européen quelque peu obsessionnel.

 

   Mais ce qu’il désire par-dessus tout, c’est la fraternité européenne ; cette fraternité sans cesse violée le long de l’histoire par les caprices et les désirs des « grands » de ce monde. « Nous sommes séparés de l’Allemagne depuis 1100 ans de merde, de conneries furieuses, 1100 ans de mensonges sans arrêt, de trémolos ignobles, de palliatifs vaseux, de rémissions louches, de revanches toujours plus infectes, de solutions pourries » (L’École des cadavres).

 

   Et le voilà à vaticiner sur une Europe future franco-allemande. « Ensemble on commandera l’Europe » (L’École des cadavres), une Europe où toutes les haines «européennes seront sublimées contre les allogènes. Il faut de la haine aux hommes pour vivre, soit ! c’est indispensable, c’est évident, c’est l eur  nature.  Ils  n’ont  qu’à l’avoir pour les juifs, cette haine, pas pour les Allemands » (L’École des cadavres).«La guerre franco-allemande est la condition même, l’industrie suprême de l’Angleterre. C’est la prospérité anglaise toute cuite » (L’École des cadavres).

 

   Non, Céline ne comprenait pas fort bien toute la complexité du problème européen en 1939, et ce n’est certes pas en 1964 que nous devrions appliquer les idées d’un homme de génie, mais dont le « canular » était une raison d’être... Qu’on s’entende bien, je ne conteste pas un certain sens politique à Céline, mais de par son esprit sectaire et exclusif, Céline a faussé, consciemment ou non, beaucoup de données.

 

    Il n’empêche que les pages consacrées à la réconciliation européenne restent des exemples d’une volonté prête à tout faire pour réaliser cette union tant attendue.

 

La morale de l’histoire

 

    Et maintenant que ce souffle prodigieux qui ébranla l’Europe est tombé, que devons-nous attendre de celui qui écrivait dans Les beaux draps : « Une société civilisée, ça ne demande qu’à retourner à rien, déglinguer, redevenir sauvage, c’est un effort perpétuel, un redressement infini... »

   Tout d’abord, une grande leçon.

 

   Les prédictions de Céline se sont réalisées : depuis 1945, l’Europe agonise ; battue, divisée, des soldats étrangers se partagent son territoire, son indépendance économique et politique a disparu. À quand ce qui lui reste d’indépendance culturelle ? Partout nous avons été humiliés, en Algérie où nos soldats quasi vainqueurs ont amené le drapeau sous les huées de la foule et pour la plus grande gloire du communisme et du capitalisme international ; au Congo où nos femmes, nos filles, nos hommes ont été violés ou massacrés, alors que nous ministres traînant leurs gros ventres bégayaient vaguement à l’ONU des paroles de pleutres, de masochistes, de sous-hommes. Partout nous avons été chassés comme de la vermine sans que nous ayons accompli un geste d’homme fort, nous avons quitté le monde, honteux de nous-mêmes et de notre passé... Nous avons laissé au communisme et à l’américanisme l’Indochine française, l’Algérie française, le Congo belge, le Goa portugais, demain peut-être nous leur donnerons l’Angola portugais, l’Afrique du Sud européenne... À moins qu’un ultime sursaut de défense ne vienne nous tirer de notre béate torpeur – de notre merde, dirait Céline.

 

   Nos pays eux-mêmes sont en décomposition : putrides, ils sombrent dans la fange d’un démocratisme honteux et dégradant et dont la démagogie est le plus bel appel à la jouissance matérialiste et concupiscente que nous ayons eu en 2000 ans de Gloire et d’Histoire !

 

   Et que dire alors du peuple européen ahuri par la course à l’argent, par la furie de la jouissance qui le pousse à toutes les prostitutions, à tous les marchandages, à toutes les hontes possibles ?

   Que reste-t-il d’une jeunesse dévirilisée, « yéyétisée », ivre de « vivre », croupissant dans le bourbier du matérialisme jouisseur et despote qui règne en maître actuellement ?

 

   Il faut que le message de Céline résonne à nouveau, tel un oracle à nos oreilles, il faut que se relève de son ignominie l’homme d’Occident déchu. Le message de Céline doit être pour nous un message d’espoir et non le glas de notre destin.

   Revenons à un style de vie plus naturel, adapté à notre tempérament et à nos espérances. Retrouvons l’exacte mesure des choses et des hommes…

   Sinon, le jour de notre décadence, l’énorme rire dionysiaque et prophétique de Louis-Ferdinand Céline nous poursuivra jusque dans notre tombeau.

 

Georges DOMINIQUE

(L’Europe communautaire, 1964)

Knut Hamsun, l'ultimo pagano

Knut Hamsun, l’ultimo pagano

Marino Freschi / http://www.centrostudilaruna.it/

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E’ escluso che i giovani no global lo celebreranno, eppure se si dovessero rintracciare i precursori del nuovo movimento, tanto corteggiato dai vari leader della sinistra, da Cofferati a Bertinotti, affiorirebbero nomi impresentabili e tra questi vengono in mente subito Nietzsche, Hesse e Hamsun. Stranamente quest’anno ricorrono due anniversari: 40 anni della morte di Hesse, ricordati assai in sordina dai vari Goethe-Institute (rammento, invece, i due grandi convegni del 1992 promossi dai “Goethe” a Roma e a Milano, ma allora la politica culturale tedesca era in altre mani). Ma se qualche mostra e concerto per Hesse ci sarà, su Hamsun, di cui ricorre il 50° anniversario della scomparsa, cala ancora un ostinato, anacronistico silenzio, interrotto solo dal consueto coraggio culturale della casa editrice Adelphi, che ha appena ristampato Pan (pagine 190, € 13,43), il capolavoro dello scrittore norvegese, nato nel 1859 e morto il 19 febbrario 1952 nel completo isolamento a Nørholm, dopo tre anni d’internamento, dal ’45 al ’48, in un manicomio per la sua adesione al nazismo e il suo appoggio al governo collaborazionista di Quisling, e dopo un continuato ostracismo, che lo scrittore seppe squarciare con uno dei più amari e tremendi libri Per i sentieri dove cresce l’erba.

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Tutti sanno del suo attaccamento caparbio alla terra, a quel suo piccolo universo tra il fjord e il marken, la terra arabile, ma questo radicamento proviene, paradossalmente, da una conoscenza per quel tempo approfondita e vasta del mondo. Hamsun, ovvero Knut Pedersen come ancora si chiamava, era di umili origini, aveva fatto tutti i mestieri e per anni, in due riprese, era emigrato in America, insieme a tanti altri suoi ‘paesani’ alla ricerca di una improbabile fortuna, che invece incontrò in patria per la sua ostinata volontà di scrivere. Da giovane conobbe la vita randagia e se ne tornò in Norvegia, tra i boschi, con un risoluto piglio di rivolta e di anarchico rifiuto di quella modernità, sostanziata dallo sfruttamento e dalla bruttezza. Si ribellava, come Nietzsche e come Jack London (cui assomiglia anche per analoghi percorsi esistenziali) al mondo moderno, alla società capitalista, ma anche alla democrazia che omologava tutti, al socialismo massificante. E condannava e denunciava la minaccia che pesava sulla natura insidiata dai selvaggi processi dell’industrializzazione, allora (come in gran parte ancora oggi) incontrollati e distruttivi. Imbevuto di filosofia nietzschiana, affascinato dalla scrittura demonica di Dostoieewskij, nordicamente pessimista e insieme realista, senza illusioni sulle ideologie progressiste, Hamsun trova rapidamente, con Fame nel 1890, la sua originalità narrativa, incontra la sua lingua, il suo universo, cui rimase fedele, cocciutamente, nella raffigurazione epica dei suoi racconti, pervasi da brezze suggestive di animosità (più che di intellettualità) anarchica, antiborghese, reazionaria e insieme romantica, poeticissima.

Lavorava racconto dopo racconto, dramma dopo dramma, alla grande figura del vagabondo, libero e maledetto, senza meta, senza dimora, senza amore eppure col cuore gonfio di un caldo, estatico sentimento della natura. I successi si susseguono gli anni Novanta sono prodigiosamente creativi; Pan è del 1892-94; mette in cantiere due trilogie, lavora con un impeto straordinario anche a drammi, seguendo la grande lezione di Ibsen. In breve viene riconosciuto come il principale scrittore del Nord; Thomas Mann ne parla come del “più grande vivente”
e nel 1920 gli viene conferito il Premio Nobel. Ma l’orizzonte comincerà ad oscurarsi rapidamente con la sua inclinazione per il movimento hitleriano, che gli alienò numerose simpatie nel campo intellettuale.

Ma lui procede tenace nella sua ricerca con le sue scomode convinzioni. In Hamsun affiora un cosmo complesso, fosco persino tetro, disperato, ma anche robusto, tenace e irrefutabile nella sua coerenza e nella sua intima, seducente durezza. E’, il suo, un universo privo di orpelli, di facili lusinghe, di scorciatoie false, di accomodamenti e compromessi. Più che nazista, la sua fede è radicata in una sorta di mistica unione con la natura, vissuta paganamente, misteriosamente e insieme con l’ansia di chi sa, di chi prevede la prossima fine di un’epoca. Il suo credo è quello neopagano, destinato a frantumarsi non perché contraddetto o superato, ma perché è stato semplicemente ‘dimenticato’, derubricato; i vincitori non si sono nemmeno presa la briga di contrastare quel pensiero, di confutare quelle bizzarre tesi. Con lui avviene ciò che era successo con gli ultimi fedeli della religione pagana: gli dei sono morti, Pan è morto e ciò è ancora più atroce e definitivo di una contestazione, di una polemica. La divina, immensa natura madre del nord viene cancellata con le risate e le chiacchiere intorno al televisore, il nuovo idolo, il grande comunicatore. Non sembra possibile che sia esistita – ed era ancora ieri – un’epoca in cui l’uomo sapeva tacere, sapeva ascoltare la crescita dei fili d’erba.

Oggi in Italia Hamsun viene ricordato da un solitario foglio indipendente, “Margini” delle Edizioni Ar. Anche all’interno della comunità letteraria la sua lezione sembra esaurita, affondata da tutti i minimalisti globali. Ma forse non è proprio così: Peter Handke continua, come prova il suo recentissimo romanzo, la sua rivisitazione in un universo sempre più desolato e sempre meno cittadino e globale. E torna in mente uno strano giudizio di Benjamin sui personaggi di Hamsun. Nel 1929 il critico berlinese affermava che lo scrittore norvegese era “un maestro nell’arte di creare il personaggio dell’eroe sventato, buono a nulla, perdigiorno e malandato”. Ma questa strana resurrezione dell’eroe nella letteratura così antieroica del Novecento costituisce un fiume carsico che non si è mai interrotto che esplode in superficie improvvisamente con Ernst Jünger, con André Malraux o con Manes Sperber, avventurieri e scrittori di destra e di sinistra, in realtà sovranamente anarchici. Le nostre patrie lettere hanno D’Annunzio e non è poco, forse persino troppo per una letteratura che vive sempre più marginale e marginalizzata ai confini dell’impero, anche se talvolta – e lo dimostra proprio Hamsun all’estremità del mondo abitato – è proprio nelle lande più remote, in quelle meno protagoniste del grande show mediatico, che si avvertono gli scricchiolii e le nuove tendenze: penso al recente Il terzo ufficiale ( pagine 316,€15), il romanzo ‘eroico’ di Giuseppe Conte, appena uscito da Longanesi.

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Neopaganesimo, contatto con la natura, eroe, sono i temi dell’epica di Hamsun e questi racconti tramano l’eterna vicenda degli archetipi. Si può leggere la narrativa di Hamsun come una grandiosa rappresentazione sacra e insieme nudamente priva di dei, intesi quali comode speranze e arrendevoli comandamenti. Nella sua pagina affiorano, silenziosi, ostinatamente muti, gli antichi dei del Nord, i numi norreni delle saghe arcaiche, quando l’uomo vichingo si lanciava, incosciente del pericolo, su tutti i mari del mondo e la sua civiltà brillava da costa a costa, dalla Sicilia alla Normandia, dal Volga alle sponde ignote del Nuovo Mondo. E’ quel DNA che viene trasmesso dalle trilogie di Hamsun, come quella potente, intramontabile dei “Vagabondi”, intagliati nel legno duro degli outsider anarchici e dei ribelli.

L’autore intuisce nella natura la nostalgia segreta dell’anima moderna. L’uomo contemporaneo, gettato nelle metropoli di asfalto e cemento, nasconde un sogno struggente: il bosco e il mare. In tanti libri, da Fame a Pan, da La nuova terra del 1893 a Victoria del 1898 a Hamsun rincorre questo tema come il leitmotiv, che pervade la sua opera, continuamente diversa e costantemente fedele fino a una straordinaria monotonia, monomania, che ossessivamente cattura il lettore, riplasmandone l’immaginazione e la sua capacità di ricezione sia letteraria che esistenziale.

Ma il suo libro più stupefacente è Per i sentieri dove cresce l’erba del 1948, la sua ultima fatica letteraria, pubblicata a novant’anni. E’ uno scritto autobiografico, un diario stupendo e atroce, dettato dalla disperazione e da un’umiliazione tremenda. Come Ezra Pound e Céline, Hamsun fu uno dei rari intellettuali di fama mondiale ad aderire al fascismo, ad oltrepassare la frontiera, a volgere le spalle al proprio paese. Non si accorse, il grande vecchio, che il nazismo era l’estrema propaggine di quella degenerazione globalizzante che era il totalitarismo, e insieme una impotente e straziante negazione della modernità, da cui era pure completamente compenetrato. Per tutta la vita legato ai suoi dei segreti, come ricorda un altro suo libro bellissimo Misteri del 1892, ostinato e caparbio, aperto al richiamo della foresta simile a London, a D.H. Lawrence e a Hesse, anche Hamsun comprese con la sua narrativa, potentemente allucinata, visionaria, che l’uomo non può rinunciare alla natura se vuole sopravvivere. Solo che i sentieri dove cresce l’erba l’avrebbero dovuto condurre a una diversa coscienza, lontana dalla politica. Tuttavia il suo messaggio, ruvido e lirico, è ancora nella memoria antica dell’Occidente, in quel mondo senza età in cui Odino ascolta ancora gli incantesimi delle valchirie. Ecco la magia evocatoria di Hamsun.

* * *

Tratto da Il Giornale del 18 febbraio 2002.


jeudi, 10 septembre 2009

Ernst Jünger - La guerra y los coleopteros

Ernst Jünger - La guerra y los coleópteros

Publicado en diario El Pais, Suplemento de Cultura. EL PAÍS, Barcelona

Ex: http://elfrentenegro.blogspot.com/

En 1985, con motivo del 90 aniversario de Jünger, el periodista Julien Hervier realizó una serie de entrevistas al escritor en su refugio de Wilflingen destinadas a la radio alemana. En 1986 fueron publicadas en forma de libro por Gallimard y en 1990, en castellano, por Fondo de Cultura Económica. Las siguientes frases de Jünger han sido extraídas de esas entrevistas.

• «Cuando la vida de un hombre presenta una unidad, esto se debe a su carácter. Uno es arrojado a las situaciones más diversas. Pero en cuanto a lo que podríamos llamar la melodía de la vida, está allí desde el principio; y hasta que el barco se hunda, como en el Titanic, se la sigue tocando, se repite exactamente. Esto es cierto para cada existencia, pero no todas las melodías son encantadoras».

• «Yo he logrado conservar mi estilo, incluso en las guerras».

• «Para mí, un acontecimiento importantísimo fue la gran ofensiva del 21 de marzo de 1918. Fue un gran encuentro: millares de hombres perecieron en minutos. Es difícil describir tal fenómeno: por ejemplo, se suprimió el miedo. Esto ya es un signo de que grandes potencias se encuentran muy próximas. Pero debo decir que también estar en las selvas vírgenes, arriba de Río de Janeiro, sentado en un lindero, donde revolotean colibríes y se tiene la impresión de que las flores se están abriendo, es asimismo muy hermoso. O más bien, esto es lo bello, porque la guerra no lo es: no es sino terrible».

• «Me sería muy agradable consagrarme a mis coleópteros».

• «Hay que respetar la propia historia. Experimento por ese joven teniente que fui (el de Tempestades de acero) una verdadera simpatía, aunque me siento muy lejos de él».

• «Esa es la ventaja del orden estricto, del ejército prusiano, de la Compañía de Jesús o de la flota inglesa: cada uno sabe lo que tiene que hacer. Pero si usted va a un café frecuentado por literatos... ¡esa gente es mucho más pérfida que los generales!».

• «Cada generación recibe las cualidades que necesita para afrontar su tiempo».

• «El segundo poder de las profundidades es Eros; allí donde dos seres se aman, sustraen una parte de su terreno al Leviatán».

• «Mi interés por la droga me ha valido diversas dificultades. Pero tomo la droga muy en serio como para pensar que se puede hacer de ella un hábito».

• «La participación política no puede más que dañar lo que hay de esencial en un autor».

• «Desde el principio la fisonomía de Hitler me pareció sospechosa».

• «La descripción del paraíso nunca se hace con tal éxito como la del infierno».

samedi, 05 septembre 2009

Le destin tragique de Robert Denoël

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Le destin tragique de Robert Denoël

Entretien avec Louise Staman

Entretien paru dans le "Bulletin célinien", n°255, juillet-août 2004

 

 

Alors qu’une biographie de Robert Denoël était annoncée depuis plusieurs mois en France, c’est d’outre-Atlantique qu’est venue la surprise. Nous avons déjà évoqué ce travail (n°s 248 et 250) dû à un auteur américain, A. Louise Staman. Sa pugnacité de chercheuse et sa maîtrise des dossiers complexes ont abouti à un livre passionnant : With the Stroke of a Pen (A Story of Ambition, Greed, Infidelity, and the Murder of French Publisher Robert Denoël) (« D’un coup de plume. Une histoire d’ambition, de cupidité, de trahison ;  le meurtre de l’éditeur français  Robert Denoël  »).

« Tête romaine, figure romantique, mais empreinte d’énergie. Les yeux observateurs, sous les lunettes, pétillent d’esprit. ». Ainsi a-t-on décrit Robert Denoël dans la presse, trois ans avant sa mort. Dans la nuit du 2 décembre 1945, on lui tira une balle dans le dos. Six jours plus tard, sa maison d’édition changeait de propriétaire. Tels sont les faits bruts.

De  la  lointaine  Géorgie,  dans le sud-est  des  États-Unis d’Amérique, A. Louise Staman a bien voulu répondre aux questions que nous lui avons posées sur celui qui fut le premier éditeur de Céline.

 

 

Comment en êtes-vous venue à rédiger un livre sur Robert Denoël ?

Pendant des années, plusieurs professeurs et écrivains ont utilisé mes compétences de chercheuse.  Je n’oublierai jamais la première question que m’avait posée un professeur de français : « Qui est Pierre Frondaie ? ».  Il ne trouvait rien sur cet écrivain, pas même en France.  Après quelques semaines, je lui  ai envoyé 200 pages sur Frondaie, ancien époux de Jeanne Loviton, laquelle était dans l’auto avec Denoël la nuit de son meurtre.  J’avais trouvé la réponse à sa question, non en France, mais à l’Université de Michigan. Il m’a rapidement envoyé d’autres noms trouvés dans un certain dossier.  « Qui sont ces personnes ? », m’a-t-il demandé.  De la même façon, je lui ai adressé ce que j’avais découvert. C’était un travail plaisant pour moi.

Après quelques mois, il m’a envoyé une copie du dossier. Des centaines de pages de documents !  Un archiviste français, qui savait pertinemment que l’on ne pourrait jamais publier l’histoire de Denoël en France, avait signalé l’existence de ce dossier à cet ami américain qui étudiait la vie et l’œuvre de Jean Genet, un auteur de Denoël. Le dossier, sous scellés pendant près de quarante années, venait d’être ouvert aux chercheurs. Après avoir obtenu les permissions nécessaires, ce professeur américain en avait fait une copie.  « Le Dossier de non-lieu du 28 juillet 1950 » se compose des documents de la Cour et des enquêtes de police relatives à l’assassinat de... Robert Denoël.  D’abord, je ne souhaitais pas le lire.  Tant de pages ayant trait à une affaire judiciaire !   À contrecœur, j’ai néanmoins commencé. Surprise ! Les conclusions de ce dossier n’étaient pas du tout celles que je tirais moi-même de sa lecture !   J’ai alors acheté un dictionnaire juridique, et j’ai relu attentivement le dossier. Ma stupéfaction allait croissant !  Je l’ai lu une troisième fois… et ce que j’avais pensé la première fois se confirmait bel et bien.

J’ai d’abord travaillé en collaboration avec ce professeur, mais il s’intéressait plus à Genet qu’à Denoël.  En outre, il n’avait pas étudié le dossier et n’avait jamais lu Céline.  Puis il est devenu très malade et s’est désintéressé de cette affaire...  Mais, moi, désormais, rien ne me passionnait davantage que Robert Denoël. 

 

Pourquoi avoir choisi une forme romancée pour écrire cette biographie ?

La plupart de mes lecteurs sont américains.  Nous n’avons jamais été occupés par une armée étrangére.  Alors, il est très facile pour nous de dire : « Moi, je ne collaborerai jamais !  Jamais de la vie ! » Je voulais montrer que les choses ne sont pas si simples.  Pour la plupart des Français, la vie sous l’Occupation était très compliquée.  L’histoire de cette période est aujourd’hui présentée de manière manichéenne : héros contre méchants.  Moi, je voulais montrer un éditeur, un homme d’affaires, qui ne s’intéressait pas à la politique, qui n’était même pas Français d’origine.  Et je voulais que mon lecteur se dise : « Qu’aurais-je fait si j’avais été à la place de Denoël ? ». En fait, je voulais intéresser non pas l’érudit ou le connaisseur averti de cette période, mais le lecteur ordinaire.  Donc, j’avais besoin d’une histoire captivante au lieu d’une biographie en bonne et due forme,  destinée à un public sachant bien ce qui est arrivé durant ces années terribles. Deux observations à cet égard : 1) Comment faire d’une histoire si compliquée un récit facile à comprendre ?  Pour moi, la solution consistait à présenter au lecteur les réflexions du chercheur, qui peut ainsi proposer une déduction logique de choses ne s’expliquant pas aisément ; 2) Seul un chercheur peut trouver la vérité dans l’affaire Denoël. Aux États-Unis, deux bons chercheurs ont provoqué la démission d’un président (Richard M. Nixon).  Or, beaucoup de gens pensent que les recherches sont ennuyeuses.  Dans ce livre, je voulais aussi montrer l’excitation du chercheur face aux pistes qu’il suit. C’est comparable à une chasse au trésor. C’est pour toutes ces raisons que j’ai décidé d’écrire cette histoire sous forme romancée. 

 

Quelle place pensez-vous que Denoël occupe dans l'édition française ?  Comment jugez-vous son travail d'éditeur ?

Robert Denoël constitue toujours une sorte de bouc émissaire de l’édition française. En outre, il continue à être lié à la figure de Gaston Gallimard.  Si on regarde sur Internet, on verra le plus souvent que les vrais auteurs de Denoël sont présentés comme s’ils avaient été depuis le début des auteurs de Gallimard. Cette vision des choses commence à changer, mais très lentement.  

C’est aussi une destinée peu commune.  Robert Denoël est venu de Liège à Paris en 1926.  Il n’avait pas d’argent, pas d’amis importants, pas d’expérience véritable comme éditeur — rien.  Et avant sa mort en 1945, il a lancé les carrières d’Eugène Dabit, Blaise Cendrars, Luc Dietrich, Dominique Rolin, René Barjavel, Elsa Triolet, Jean Genet et Nathalie Sarraute.  ...Et bien entendu, celle de Louis-Ferdinand Céline !  Il a aussi édité Antonin Artaud, Paul Vialar, Robert Poulet, Jean de Bosschère, Louis Aragon, Lucien Rebatet, et René Laporte, parmi tant d’autres.   Ce n’est pas  tout :  avec  sa « Bibliothèque psychanalytique », il fut parmi les premiers à faire connaître les œuvres importantes de psychanalyse en France. Et avec sa « Collection des trois masques », il a présenté les nouvelles pièces du théâtre français. Robert Denoël était l’éditeur de ce qu’il y avait de nouveau en France dans plusieurs domaines : l’art, la littérature, le théâtre, et la psychologie.  Il s’est même intéressé à la littérature pour enfants. 

Ce qui me paraît vraiment incroyable, c’est le fait que les historiens de la littérature décrivent cet homme de grand talent comme l’éditeur collaborationniste par excellence et  affirment  sans  sourciller que sa  mort fut un « crime crapuleux » .

 

Si vous aviez à faire le portrait de Robert Denoël, quel serait-il ?

Trois personnes ont fait un bien meilleur portrait de lui que je ne pourrais le faire :  L.-F. Céline, Robert Poulet et Henri Thyssens.

Ceci dit, quand je pense à Robert Denoël, je vois ses yeux étincelants. Il est assis à une table avec d’autres personnes (des femmes, des hommes). Il joue aux cartes avec bravade, il prend des risques, mais étudie bien ses cartes. Il est très éloquent, mais on ne comprend pas toujours ce qu’il veut dire.  Il sourit...  Ses cartes sont très bonnes.  Est-ce qu’il triche ?  Il y a un mur derrière lui.  Et dans ce mur, un petit trou avec un œil qui observe les cartes de Denoël.  Tout le monde sourit.  Leurs conversations sont brillantes.  Mais les jeux sont faits...  

 

Pour quelle raison la revue Notre combat, créée par Denoël en 1939, fut-elle mise à l’index par l’occupant ?

Notre combat était une revue bien conçue (des écrivains de talent y donnaient des articles intéressants), et elle est rapidement devenue très en vogue.

Mais cette revue avait un ton très patriotique (et donc anti-allemand), ce qui valut des ennuis à Denoël lorsque les Allemands ont occupé le pays.

Sur un site Internet, où les éditions Denoël sont présentées, on peut lire que c’est pour maintenir à tout prix sa maison que Robert Denoël publia en 40 les Discours de Hitler, et ensuite les pamphlets de Rebatet. Est-ce à dire que cette initiative ne reflétait aucunement l’idéologie de l’éditeur et qu’il s’agissait en l’occurrence de pur opportunisme ?

Robert Denoël s’intéressait avant tout à la littérature.  Mais il souhaitait aussi que sa maison d’édition fût le reflet des idées politiques du temps. Sur ce point, il était d’accord avec son adversaire, Gaston Gallimard, qui pensait qu’un bon éditeur doit tout publier : Léon Blum aussi bien que Léon Daudet. Les deux hommes estimaient que ce n’était pas le rôle d’un éditeur de censurer les œuvres de leurs auteurs.  Durant les années trente, Denoël, comme la plupart des autres éditeurs français, a tout aussi bien publié des livres fascistes / antifascistes, communistes / anticommunistes, et philosémites /antisémites.  À l’époque, un éditeur digne de ce nom se reconnaissait précisément au fait qu’il publiait des auteurs aux idées politiques complètement différentes, voire même opposées.

On évoque souvent les livres fascistes ou antisémites publiés par Denoël, mais on ne rappelle jamais qu’il a aussi édité des livres signés Franklin D. Roosevelt ou... Staline.  Et on ne dit pas que Fayard et Grasset ont également édité Hitler, ou que Stock, Émile-Paul, Albin Michel, et Gallimard, parmi d’autres, ont, eux aussi, publié des œuvres très favorables à l’occupant.  Pourquoi cette discrimination ? 

C’est précisément l’un des sujets de mon livre. 

 

Pour quelle raison Denoël publia-t-il Les Beaux draps à l’enseigne des Nouvelles Éditions Françaises plutôt que sous celle des éditions Robert Denoël ?

C’est apparemment à la demande des Allemands que Denoël a créé cette collection de livres antisémites intitulée « Les Juifs en France ». Mais, ayant déjà payé cher pour ses publications anti-allemandes d’avant-guerre, il s’est sans doute demandé ce qui lui arriverait si les Alliés sortaient vainqueurs du conflit. Ainsi s’est-il décidé à regrouper ces livres antisémites sous l’égide des Nouvelles Éditions Françaises que même ses amis décrivaient comme une maison d’édition « très théorique ».

 

Était-il antisémite comme son auteur fétiche ?  On peut le penser en lisant son article « Louis-Ferdinand Céline, le contemporain capital » paru en novembre 1941 dans le premier numéro du Cahier jaune. Cet article constitue un véritable dithyrambe du Céline pamphlétaire. Qu’en pensez-vous ?

Dès 1936, Denoël défend, avec Apologie de « Mort à crédit », son auteur principal. Et il a continué avec des articles comme « Louis-Ferdinand Céline, le contemporain capital »,  « Comment j’ai connu et lancé Louis-Ferdinand Céline » et diverses interviews. C’est la raison pour laquelle on a pensé que Céline et son éditeur étaient liés par de solides liens d’amitié et une connivence parfaite sur le plan idéologique. Si on y regarde de plus près, on constate que ce n’était pas vraiment le cas. Par ailleurs, les relations entre les deux hommes étaient souvent houleuses, et Denoël a même confié, dans une interview à l’hebdomadaire Marianne, que Céline n’était pas un homme aimable.

On ignore aussi que Denoël partageait certaines critiques à l’encontre de Mort à crédit. Ainsi, René Lalou a fustigé la « monotonie du vocabulaire où les mots orduriers deviennent aussi conventionnels que les "flammes" et les "ondes" des poètes académiques. Monotonie surtout des sentiments » (Les Nouvelles littéraires, 23 mai 1936).   Denoël a précisément essayé de tempérer la violence, la monotonie,  et la noirceur de ce livre, disant à Céline : « Il ne faudrait pas qu’on nous taxât de pornographie… Nous avons acquis des sympathies précieuses. Ne nous les aliénons pas » (Robert Poulet, Entretiens familiers avec Bardamu, p. 53).  Mais à lire son apologie, on peut croire que Denoël était absolument sur la même longueur d’ondes que son auteur.  Et c’est la même chose avec ses autres prises de position en faveur Céline. On y trouve certes une dérive antisémite — et croyez bien que je ne l’excuse pas du tout —, mais le comportement de Denoël est assurément plus complexe. Sous l’Occupation, la plupart des éditeurs se sont séparés sans ménagement de leurs auteurs juifs. Denoël, lui, les aidait et en a même cachés dans sa maison, comme Elsa Kagan-Triolet. Par ailleurs, à cette époque, il a publié des auteurs juifs et/ou communistes (Aragon, par exemple), et il a conservé jusqu’à la fin de sa vie des liens amicaux avec son ex-associé, Bernard Steele, qui était juif. Pour survivre en tant qu’éditeur, Denoël était prêt à beaucoup de concessions, mais il faut se garder d’en tirer des conclusions trop hâtives sur le plan idéologique.

 

Un ami de Denoël, Victor Moremans, a évoqué son courage : « Denoël n’avait peur de rien », a-t-il dit. N’est-ce pas ceci qui lui a valu sa perte ?

En réalité, je crois que Denoël n’ignorait pas la peur. Il craignait avant tout la faillite ou la perte des éditions qu’il avait fondées et auxquelles il était très attaché. Céline et d’autres lui ont vivement conseillé de quitter la France après la Libération. Lui ne voulait pas abandonner la partie, c’est-à-dire sa maison d’édition. C’est elle, en fait, qui lui a valu sa perte.

 

En avril 1945, Denoël entreprend de publier, à l’enseigne des éditions de la Tour, une collection populaire à la gloire de la Résistance française.  Ici encore, pur opportunisme ?

Certes, il y a beaucoup d’opportunisme chez Denoël. À cette époque, la France avait besoin de héros, de la gloire française.  Denoël pensait  qu’il pourrait faire de l’argent avec une telle collection –, et il avait toujours besoin de l’argent.  En outre, si cette collection pouvait contrebalancer les livres favorables à l’occupant qu’il avait édités, c’était pour lui chose utile. Il ne faut pas oublier qu’il était dans l’attente d’un procès pour « atteinte à la sûreté de l’État » en raison notamment de ses publications anti-sémites et du prêt que lui avait fait un éditeur allemand, Wilhelm Andermann. Tout ceci ne signifie pas pour autant que Denoël n’avait pas d’estime pour la Résistance française. Encore une fois, les choses sont complexes...

 

Comment peut-on expliquer, étant donné ses activités d’éditeur sous l’Occupation, qu’en juillet 1945, il bénéficia d’une décision de classement devant la Commission d’épuration ? N’est-ce pas surprenant ?

Pas du tout.  À cette époque, il avait pour maîtresse  Jeanne Loviton. C’était une avocate intelligente qui connaissait beaucoup de personnes influentes. Nul doute qu’elle a agi efficacement à l’époque. Plus tard, elle a même obtenu un jugement selon lequel les éditions Denoël n’avaient rien fait de répréhensible sous l’Occupation ! Et on sait que Céline ne s’est pas privé d’utiliser ce jugement pour sa propre défense.

 

Précisément, Jeanne Loviton était aux côtés de Denoël lors du procès de juillet 1945 à l’issue duquel  il n’a pas été jugé coupable d’intelligence avec l’ennemi. Pensez-vous que l’influence de Jeanne Loviton eût pu être également décisive lors du procès qui devait avoir lieu en décembre 45 ?

En juillet 1945, Jeanne Loviton était la compagne de Robert Denoël. En novembre, quelque chose – j’ignore quoi – est survenu, et les sentiments de Denoël ont apparemment changé. Par ailleurs, il n’est pas douteux que, durant cette période, Jeanne Loviton était également la maîtresse de Paul Valéry, et ce jusqu’à sa mort en juillet 1945. Armand Rozelaar, l’avocat de Cécile Denoël, a, par ailleurs, fourni l’élément suivant : « Dans les derniers jours de novembre, Denoël téléphona à sa femme.  Cette communication fut surprise par la femme de chambre de Mme Denoël, qui pourra éventuellement la confirmer. Denoël déclara à sa femme que tout était changé et la pria d’abandonner, tout au moins momentanément, toute procédure de divorce, ajoutant que sa situation pourrait bien s’arranger sous peu » (Lettre au Juge Gollety, 21 mai 1946)

 

Quel a été, selon vous, le rôle de Gaston Gallimard avant le rachat de la maison Denoël ?

Gallimard était le principal concurrent et même l’adversaire de Denoël. Cette hostilité qui date de l’époque de la parution de L’Hôtel du Nord d’Eugène Dabit (1929) s’est poursuivie jusqu’à la mort de Denoël. Ces deux éditeurs se sont « volé » des auteurs et ne se sont guère ménagés. Le fait que Gallimard ait laissé échapper Céline a également joué un rôle important. On a même dit que Gallimard avait agi en coulisses pour que le Goncourt soit attribué à Mazeline (édité par lui) plutôt qu’à Céline (édité par son concurrent). Tout cela a donné lieu à un fameux scandale qui a profité, sur le plan commercial, à Céline et à son éditeur. En une année, plus de 100.000 exemplaires du Voyage furent vendus. Ce succès énorme a naturellement exacerbé la rivalité entre les deux éditeurs. Sous l’Occupation, la politique éditoriale de Gallimard ne fut pas neutre puisqu’il publia des livres fascistes et antisémites et qu’il confia les rênes de La Nouvelle Revue Française à Pierre Drieu La Rochelle très engagé, comme on sait, dans la collaboration. Par ailleurs, Gaston Gallimard lui-même accepta de se rendre à des réceptions organisées par l’Institut allemand. Avant son procès, Denoël affirmait que si on l’accusait de « collaboration », il allait alors montrer celle de ses confrères, et surtout celle de Gallimard. La nuit de son assassinat, le 2 décembre 1945, le dossier de sa défense disparut à jamais, en même temps que la copie qu’il en avait faite et cachée. Dans le troisième Rapport de la Préfecture de Police (25 mai 1950), il est avancé que le dossier de Denoël pourrait être la cause, ou l’une des causes, du crime.

 

Vous avez eu accès au dossier de police concernant son assassinat : quelle conclusion en avez-vous tirée ?

Quatre conclusions, en fait : 1) L’assassinat de Denoël n’était certainement pas un crime crapuleux ; 2) Une grande partie de l’élucidation de ce crime se trouve dans ce dossier ; 3) Les coupables ont été protégés par des scellés, et par des personnes très  importantes dans le gouvernement français ; 3) Il y avait vraiment des intouchables en France ; 4) On n’a pas simplement tué Denoël, on a aussi volé sa maison d’édition.

 

Et quelle conclusion tirez-vous de la manière dont la justice française s'est occupée de l'enquête ?

Ce qui est arrivé est l’une des conséquences directes de l’Occupation. Durant cette période, le pouvoir judiciaire français est devenu assujeti aux Allemands et à Vichy.  On pensait qu’après la Libération, le pouvoir judiciaire recouvrerait son indépendance. Ce n’est pas vraiment ce qui s’est produit.

 

Dans la version officielle de l’assassinat de Denoël, on dit qu’il se trouvait devant le Ministère du Travail la nuit du 2 décembre 1945 parce qu’il avait un pneu crevé. Est-ce donc par hasard qu’il se trouvait là où on l’a tué ?

C’est un exemple de ce que l’on trouve partout dans le dossier.  Madame Loviton raconte l’histoire du pneu crevé aux policiers.  Cette histoire devrait être facile à vérifier.  Mais où est ce pneu ?  Nulle part.  Personne (sauf Loviton) ne se souvenait d’un pneu crevé — ni la nuit du crime, ni après.  Les policiers qui ont emmené la voiture à la fourrière ne se sont pas souvenus d’un pneu crevé.  Personne n’a changé de pneu.  On dit que les policiers ont conduit la voiture au poste de police.  Comment a-t-on fait cela avec un pneu crevé ? Autant de questions que l’on peut se poser...

Même chose avec les clés de Denoël.  Les policiers ne les ont pas trouvées. Tout le monde (sauf Loviton) a dit que Denoël avait beaucoup de clés.  Loviton affirme qu’il n’en avait pas –, et on la croit.  Selon Loviton, il n’avait pas de papiers non plus et pas d’argent.  Dès le début de l’enquête, on s’aperçoit que les affirmations de Mme Loviton ne sont jamais mises en doute, et par conséquent, jamais vérifiées.

 

 

Vous avez publié tous les noms de personnes liées à cet assassinat : n'y avait-il donc aucun risque à le faire aux États-Unis ?

Aux États-Unis, un auteur peut écrire sur n’importe qui et si cette personne est décédée, personne ne peut menacer l’écrivain d’un procès. Il en va bien différemment en France.

 

En décembre 1948, Cécile Denoël a obtenu un jugement condamnant Jeanne Loviton à la restitution des parts de la société Denoël. Sur quoi se basait le tribunal pour ordonner cette restitution ?

Le 28 décembre 1948, le Tribunal de Commerce a estimé que les données indiquées par Jeanne Loviton étaient inexactes, notamment la date des cessions des parts. En fait, les dossiers officiels et la comptabilité des Éditions Domat-Montchrestien (de Mme Loviton) s’avéraient difficiles à vérifier. Le juge a, par ailleurs, établi que Robert Denoël n’était pas du tout  la personne désargentée que Mme Loviton a décrite. Il a annulé la « pseudo cession » [sic] des parts dont elle se prévalait depuis quatre ans pour diriger solidairement les Éditions Denoël avec les   Éditions Domat-Montcrestien. Jeanne Loviton a également été tenue de verser 500.000 francs de dommages et intérêts au fils de Robert Denoël. Toutes ces décisions furent remises en question par la Cour d’appel.

 

Qu’est-ce qui déclencha, en décembre 1949, une nouvelle information du Parquet dans l’affaire de l’assassinat de Robert Denoël ?  La simple demande de Cécile Denoël était-elle suffisante pour ouvrir une nouvelle information ? Y avait-il des éléments nouveaux dont elle pouvait se prévaloir ?

Selon le dossier, Cécile Denoël avait convaincu le Procureur général, Antonin Besson, que tous les éléments du dossier n’avaient pas été suffisamment pris en compte. J’ignore évidemment ce qui a pu se tramer en coulisses. En revanche, je puis affirmer ceci : il ne faut pas plus de quinze minutes de lecture du dossier pour un avocat, et surtout pour un procureur général, pour se rendre compte des contradictions et contrevérités qui s’y trouvent. Il y aussi beaucoup de versions successives et contradictoires de la part des témoins.

 

En 1950, la presse française a consacré de nombreux articles mettant en cause le témoignage de Jeanne Loviton dans l’affaire du meurtre de Denoël. Avez-vous eu connaissance de ces articles ? Si c’est le cas, que faut-il en penser ? La presse de l’époque fait-elle un rapprochement avec l’enregistrement au tribunal de commerce de la Seine, le 8 décembre 1945, de la cession de toutes les parts de Denoël en faveur de Jeanne Loviton ?

Bien entendu, j’ai lu tous ces articles.  Un des plus notables est celui d’Abel Manouvriez titré « La volonté du mort » et publié le 18 novembre 1949 dans Paroles françaises. Henri Thyssens l’évoque dans son article « Un cinquantenaire oublié »(accessible sur votre site Internet). Les journaux du temps prenaient position pour l’une ou l’autre des parties, en l’occurrence les deux dames : Cécile Denoël et Jeanne Loviton. Un autre article a paru dans Combat (3-4 décembre 1949) sous le titre « Un secret bien gardé » : il évoque l’influence de Jeanne Loviton dans le milieu judiciaire. Citation d’un juge consulaire rapporté dans cet article : « Jamais nous n’avons reçu tant de sollicitations et des plus diverses. » Durant la période du 13 au 20 janvier 1950, quand l’affaire fut à nouveau sous les feux de l’actualité judiciaire, presque chaque journal de la capitale commentait les positions des deux parties.

En ce qui concerne la cession des parts à Loviton, c’est essentiellement un article de Robert Dabois (Express-Dimanche, 30 avril 1950) qui l’a évoquée. Ce journaliste relève la décision de décembre 1948 et observe qu’il est étonnant que « le Parquet n’ait pas encore pris position dans cette affaire  ».

 

On a également parlé d’interventions exercées par le couple Bidault auprès des magistrats pour ce qui concerne les parts cédées à Loviton. Qu’en est-il exactement ?

 Georges et Suzanne Bidault étaient, dit-on, des amis de Jeanne Loviton.   La nuit de l’assassinat, Jeanne Loviton a téléphoné à Yvonne Dornès, amie proche de Suzanne Bidault et fille de Pierre Dornès, conseiller et maître de requêtes à la Cour des comptes. Cette personne avait des amis très haut placés, et aussi de l’influence à la Préfecture de Police de Paris.  Yvonne Dornès était également co-propriétaire des Éditions Domat-Montchrestien, fondées en 1929 (Denoël lui-même avait investi dans ces éditions et y a amené certains écrivains de renom). On relève souvent dans la presse de l’époque des allusions à l’influence des Bidault, mais sans les nommer directement. On évoque aussi l’influence de Germain Martin, ancien Ministre des Finances et ami personnel de Jeanne Loviton. Après la décision de non-lieu prononcée par Antonin Besson, procureur général de la République, les commentateurs favorables à Cécile Denoël font des allusions à l’intervention des Bidault, mais, encore une fois, sans les nommer précisément. On signale aussi la présence de Mlle Suzanne Pages du Port à l’hôpital Necker (où l’on avait transporté le corps de Denoël) dans la nuit de l’assassinat. Cette amie de Jeanne Loviton avait été pressentie par Denoël pour diriger officiellement les Éditions de la Tour après le départ de Maurice Bruyneel. Elle avait beaucoup d’influence dans la police, surtout auprès du Préfet de Police. On voit donc que, dès le début de l’enquête, Jeanne Loviton peut compter sur l’appui de personnes importantes.

 

Quelles sont, à votre avis, les découvertes qu'il y a encore à faire sur ce sujet ? Et quelles sont les archives auxquelles le chercheur ne peut avoir actuellement accès ?

À vrai dire, je crois qu’il y a encore des choses à tirer de ce dossier. Par ailleurs, au début de mes recherches, j’ai lu qu’il y avait un deuxième dossier secret de Denoël.  J’ai d’abord pensé que c’était faux.  Aujourd’hui, j’ai de bonnes raisons de penser que c’est vrai, et il n’est pas impossible qu’il existe toujours. À la fin de sa biographie de Gaston Gallimard, Pierre Assouline évoque des archives de cet éditeur auxquels il n’a pas pu avoir accès.  Gallimard a-t-il détruit ces archives ? Existent-elles toujours ? Assouline raconte que Gallimard ne parlait jamais de l’Occupation.  Pourquoi ? Il y a encore beaucoup de papiers juridiques à étudier de plus près. Le rôle occulte du parti communiste français entre 1945-1950 demeure largement méconnu. Quels documents liés à l’histoire de Denoël reste-t-il ? Peut-on étudier les documents des avocats français décédés ?  Je l’ignore.  Mais si on peut le faire, il y en a cinq au moins dans cette affaire dont on doit étudier les archives.  C’est capital.  Et aussi les documents privés de deux ou trois personnalités importantes du gouvernement de l’époque.

 

Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontée lors de la rédaction de ce livre ?

Ce que j’ai trouvé surprenant, c’est que ce crime connaît encore des prolongements aujourd’hui.  C’est incroyable, mais vrai.  D’abord des coupables, et puis leurs  héritiers et leurs parents, ont mis en garde chaque chercheur qui tentait de trouver la vérité à ce sujet. Ce qui est arrivé à l’archiviste évoqué plus haut est grave ; je ne peux malheureusement en dire davantage.

D’autres chercheurs ont également eu des ennuis. Moi-même, j’ai aussi fait l’objet de pressions. Et les réponses les plus fréquentes qui m’ont été adressées étaient : « “NON !” ; “Qui êtes-vous ?” et “Vous n’avez pas le droit” ».

 

Quelle a été la réception critique de votre ouvrage aux États-Unis ?

En Amérique, j’ai eu deux très bonnes critiques : une critique qui appréciait mon travail, et l’autre qui n’appréciait pas du tout le fait que, dans cette histoire, je donne la parole à la chercheuse.  Et ce qui est arrivé à mon éditeur est, selon moi, assez étrange.  Peu avant la parution de mon livre, on a laissé entendre que Von Holtzbrinck (propriétaire de ma maison d’édition) avait peut-être collaboré pendant la Deuxième guerre mondiale. En revanche, la presse n’a pas commenté mes conclusions ni évoqué l’attitude des éditions Gallimard sous l’Occupation.

Par ailleurs, mon éditeur a revu nettement à la baisse le tirage initialement prévu de mon livre et n’a consenti aucune publicité pour celui-ci. Hormis par Internet, il est difficile de se le procurer aujourd’hui.

La plupart des Américains qui ont lu mon livre ont été passionnés par cette histoire. Comme je l’espérais, beaucoup ont été amenés à se demander : « Qu’aurais-je fait à la place de Denoël ? »  Mais presque personne en Amérique ne connaît le nom de cet éditeur. Et sans publicité, le livre ne peut rencontrer le public auquel il est destiné.

 

Quels sont les obstacles éventuels à une édition française ?

On a acheté les droits pour faire publier une édition de ce livre en France.  On l’a traduit en français. Puis, les avocats s’en sont mêlés. Conclusion : le projet d’édition française du livre a été suspendu. J’ai aussi découvert que la liste des personnes qui peuvent intimider un chercheur en France est bien longue.

 

Avez-vous découvert d'autres éléments après la publication de votre livre ?

Oui, il y en a beaucoup.  À vrai dire, je ne souhaite pas abandonner mes recherches.  Deux choses m’apparaissent capitales : 1) L’enfance de Jeanne Loviton, telle qu’elle est racontée ici et là, n’est pas du tout conforme à la réalité ; 2) Bernard Steele est une personnalité plus importante qu’on ne le croyait.

 

Vous écrivez que le  meurtre de  Robert Denoël est l’un des plus importants de cette époque. Pourquoi ?

Je ne dis pas cela parce que l’on a tué un homme qui comptait dans l’édition française contemporaine, mais parce que cet assassinat, et l’enquête qui a suivie, est révélatrice de ce qui est arrivé à l’appareil judiciaire français suite à l’Occupation. Les Allemands et Vichy sont souvent intervenus dans les procès. Ceci a affaibli le rôle des juges, surtout celui du juge d’instruction qui était tout à fait indépendant avant la guerre. Bref, le pouvoir exécutif a pris le pas sur le pouvoir judiciaire. On était en droit de penser que ceci allait changer après la guerre. Or, divers historiens et même des juges suggèrent que de Gaulle et Bidault sont eux-mêmes intervenus de temps à autre dans des procès. Et des personnes influentes au sein du gouvernement étaient devenues intouchables. Leur bonne foi avait valeur de dogme, y compris dans le cas d’affaires liées à un meurtre.

 

Quid de cette affaire aujourd’hui ?

Pendant des décennies,  le dossier Denoël a été mis sous scellés, à l’instar du dossier de l’assassinat de John F. Kennedy qui l’est maintenant aussi aux États-Unis. Dans les deux cas, on doit se demander pourquoi.  Pour protéger les innocents ?  Pour des raisons de sécurité nationale  ?  Ou pour protéger les coupables ?  À ma connaissance, on a menacé de procès en diffamation chaque historien et chaque chercheur qui a essayé d’étudier le cas de Denoël, et il y en eut quelques-uns.   Et presque toujours lorsqu’on met un dossier sous scellés, les papiers les plus importants ont tendance à disparaître.  C’est vrai pour beaucoup de papiers concernant l’Occupation de la France… et cela va  certainement être vrai dans le cas de l’assassinat de Kennedy (où on a, d’ailleurs, déjà « perdu » pas mal d’éléments). Dire la vérité en histoire, c’est fondamental, surtout pour les nations libres. S’il est vrai qu’il y a beaucoup de faits dans l’histoire de la France et des États-Unis qui sont condamnables, je pense qu’il importe de les dénoncer afin que cela ne se répète plus.

Propos recueillis par Marc Laudelout

____

 

A. Louise Staman. With the Stroke of a Pen (A Story of Ambition, Greed, Infidelity and the Murder of French Publisher Robert Denoël), St. Martin’s Press [New York], 2002, 354 pages.

 

Disponible auprès de la Librairie La Sirène, 14 rue du Pont, B 4000 Liège, Belgique. Tél. 04/222.90.47. Courriel : sirene@easynet.be.  Prix : 25 €, franco. Règlement par chèque bancaire ou postal à l’ordre de Henri Thyssens.

mercredi, 02 septembre 2009

L. F. Céline: Que demande toute la foule moderne?

Louis-Ferdinand Céline :

"Que demande toute la foule moderne ?"

Ex: http://lepetitcelinien.blogspot.com/

Que demande toute la foule moderne ? Elle demande à se mettre à genoux devant l'or et devant la merde !... Elle a le goût du faux, du bidon, de la farcie connerie, comme aucune foule n'eut jamais dans toutes les pires antiquités... Du coup, on la gave, elle en crève... Et plus nulle, plus insignifiante est l'idole choisie au départ, plus elle a de chances de triompher dans le coeur des foules... mieux la publicité s'accroche à sa nullité, pénètre, entraîne toute l'idolâtrie... Ce sont les surfaces les plus lisses qui prennent le mieux la peinture.

Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre, 1937.

La riscoperta di Hamsun

La riscoperta di Hamsun

Ex: http://www.centrostudilaruna.it

Knut Hamsun (Vågå, 4 agosto 1859 – Nørholm, 19 febbraio 1952)

A quanto pare, in Norvegia il nome di Knut Hamsun sta tornando a essere considerato come quello di un grande personaggio della nazione. Così, dopo decenni di ostracismo ideologico – Hamsun rimase germanofilo sino alla morte, avvenuta da ultranovantenne nel 1952 – in occasione del 150esimo anniversario della nascita sono in corso numerose manifestazioni ufficiali di ricordo. Inoltre gli verrà dedicata una statua.

Io ho scoperto questo autore solo l’anno scorso; naturalmente “scoperto” in senso strettamente personale. Di lui aveva detto Thomas Mann: “Mai il Premio Nobel (che Hamsun vinse nel 1920) fu conferito a scrittore più meritevole”; Gide lo accostò a Dostoevskj, “sebbene Hamsun sia probabilmente più sottile del maestro russo”; Isaac Singer affermò che Hamsun “è il padre della scuola moderna di letteratura in ogni aspetto: nella sua soggettività, nell’impressionismo, nell’uso della retrospettiva, nel liricismo. Tutta la letteratura moderna del ventesimo secolo deriva da Hamsun”.

Dopo il primo libro (una raccolta della UTET degli anni sessanta), che avevo letto incuriosito dal lusinghiero giudizio espresso da Adriano Romualdi, ho letteralmente divorato tutto quello che è stato tradotto di lui in italiano; purtroppo la maggior parte dei suoi libri non sono più in commercio, e questo limita la sua conoscenza per lo più alle due opere più famose, Pan e Fame, che sono pubblicate da Adelphi, mentre non sono più disponibili nelle librerie opere come Il risveglio della Terra, Vagabondi, Misteri, Vittoria o L’estrema gioia.

Riporto di seguito un articolo sull’attuale repechage norvegese uscito il mese scorso sul New York Times, che parla al proposito di Reconciliation Therapy. E’ significativo che anche in quel paese le parole piene di astio e risentimento vengano dagli individui in assoluto più spregevoli: i politici.

Norwegian Nobel Laureate, Once Shunned, Is Now Celebrated
By WALTER GIBBS
Published: February 27, 2009

OSLO — It’s all you would expect of a national jubilee: street theater, brass bands, exhibitions and commemorative coins. A statue is to be unveiled, and a $20 million architectural gem of a museum is under construction.

Yet the honoree is not a war hero, nor even a patriot. It is the Norwegian novelist Knut Hamsun, who welcomed the brutal German occupation of Norway during World War II and gave his Nobel Prize in Literature as a gift to the Nazi propaganda minister, Joseph Goebbels. Hamsun later flew to meet Hitler at Hitler’s mountain lair in Bavaria.

Why the festivities, then? Call it reconciliation therapy, or a national airing out.

Hamsun died in 1952 at 92, shunned by his countrymen and heavily fined for his spectacular wartime betrayal. But as the author of revered novels like “Hunger,” “Pan” and “Growth of the Soil,” Hamsun has remained on school reading lists and in the hearts of many Norwegians.

“We can’t help loving him, though we have hated him all these years,” said Ingar Sletten Kolloen, author of “Dreamer & Dissenter,” a Hamsun biography. “That’s our Hamsun trauma. He’s a ghost that won’t stay in the grave.”

With the passage of time, however, Hamsun packs less of a fright. Several years ago King Harald V of Norway set off debate just by quoting a snippet of Hamsun’s prose in a speech. Last week, by contrast, Queen Sonja opened a yearlong, publicly financed commemoration of Hamsun’s 150th birthday called Hamsun 2009. Fanfare, musical comedy and a jovial outdoor crowd of several hundred greeted the occasion, and the queen spent a highly symbolic half-hour with Hamsun family members at the National Library. Together they viewed the author’s handwritten manuscripts.

“I hope there can be forgiveness soon,” Hamsun’s grandson Leif Hamsun, 66, said afterward. “It feels like there’s a healing taking place.”

But some still see nothing to celebrate — not the man, not the books.

“Hamsun wrote great novels, but they are completely overshadowed by his behavior as a Hitler lackey,” said Jo Benkow, 84, a former president of the Norwegian parliament. “At least for my generation, it’s outrageous to give more honors. He won the Nobel Prize in 1920. That should be enough.”

Mr. Benkow, who is Jewish, fled across the Swedish border in 1942 to avoid deportation to the prison camps in Poland, where more than 700 Norwegian Jews were killed. But as the war generation has dwindled, so has the collective ill will. Even some formerly uncompromising voices here have softened.

In 2001 a prominent wartime resistance leader, Gunnar Sonsteby, helped defeat a proposal to name a street in Oslo after Hamsun. Norway should dissolve parliament and declare a dictatorship first, he said. But he now says that commemorating Hamsun is acceptable, as long as his literary talent and his dark side receive equal focus.

La casa di Hamsun ad Hamaroy

La casa di Hamsun ad Hamaroy

That double-barreled approach was evident in Oslo last week. One of the largest framed items at the National Library was the May 7, 1945, edition of a collaborationist newspaper whose lead article on Hitler’s death was by Knut Hamsun. As most collaborators lay low, preparing alibis, Hamsun wrote, “He was a warrior, a warrior for mankind, and a prophet of the gospel of justice for all nations.”

Queen Sonja, leaving the exhibition, said only, “I think we’ll have to keep two thoughts in our head at the same time.”

After the war a court-appointed psychiatrist found Hamsun too “diminished” from age, deafness and a stroke to undergo prosecution for treason, but a civil court confiscated much of his fortune. A period of weak book sales followed, and some Norwegians tossed Hamsun’s collected works over his garden fence. Yet this former “poet chieftain” of his country soon returned to the best-seller list with “On Overgrown Paths,” his postwar apologia. He has remained one of the top-selling Norwegian authors at home and abroad.

In the United States the translator Sverre Lyngstad has contributed to a modest Hamsun resurgence with new English-language editions of Hamsun’s more luminous works, including his 1890 breakthrough novel, “Hunger.” The self-conscious protagonist of “Hunger” signals the arrival of European modernist literature by trying, at one point, to eat his own index finger.

Instead of merely narrating events, Hamsun peels away layers from his unnamed character’s flickering psyche. With typical bombast the young Hamsun declared at the time that he had outwritten Dostoyevsky and annihilated the social realism of Ibsen.

The author Isaac Bashevis Singer basically agreed. “The whole school of fiction in the 20th century stems from Hamsun,” Singer wrote in 1967, citing in particular “his subjectiveness, his fragmentariness, his use of flashbacks, his lyricism.”

In “Pan” and “Mysteries” Hamsun continued writing in this fathomless new way. But in 1898 came a simple, poetic love story, “Victoria,” and by middle age Hamsun had actually turned anti-modern. “Growth of the Soil” (1917) is an Old Testament-style portrayal of stolid mountain dwellers. Goebbels was so fond of its blood-and-soil ethos that he had a special edition printed for German soldiers in the field.

Many readers today, however, agree that the crude, reactionary impulses displayed by Hamsun during World War II are scarcely evident in his novels, the last of which appeared in 1936, when he was 77.

As part of Norway’s continuing celebration, Hamsun’s publisher, Gyldendal, is rolling out a new “Collected Works” in Norwegian. Its 27 volumes contain more than 30 novels, as well as essays and travelogues, including at least one that reveals an early racist streak in Hamsun that may surprise readers of his mature works.

The Hamsun 2009 festivities are supposed to peak on the honoree’s birthday, Aug. 4. On that day a new six-story Hamsun Center is scheduled to open in Hamaroy, where Hamsun grew up, north of the Arctic Circle. Resembling a large black cube, the structure was designed by the New York-based Steven Holl Architects to house both a museum and an assembly hall. Around the same time the sculptor Skule Waksvik plans to unveil Norway’s first statue of Hamsun.

It will be in bronze, he says — and larger than life.

mardi, 01 septembre 2009

Un libro fotografico su Céline

Un libro fotografico su Céline

http://www.centrostudilaruna.it

Louis-Ferdinand Céline in foto

Louis-Ferdinand Céline in foto

Andrea Lombardi mi segnala la recente uscita del libro da lui curato Louis-Ferdinand Céline in foto. Immagini, ricordi, interviste e saggi (Edizioni Effepi), che mi pare di particolare interesse.

Eccone la scheda di presentazione:

“Louis-Ferdinand Céline nelle parole di chi lo ha conosciuto (interviste, ricordi e saggi, per la maggior parte inediti in Italia, di Lucette Almansor, Arletty, Michel Aimé, Abel Bonnard, Arno Breker, Lucien Rebatet, Gen Paul, Ernst Jünger), nelle interviste alla televisione e alla radio francese, nella critica italiana, con interventi di Marina Alberghini Pacini, Paolo Badellino, Alberto Arbasino, Gabriele Armandi, Giovanni Raboni, Carlo Bo, Alberto Rosselli, Antonio Moresco, Alessandro Piperno, e attraverso una galleria di immagini: dall’infanzia di Céline alla prima guerra mondiale, da medico a romanziere di successo, le donne di Céline, la Parigi dell’Occupazione, la fuga in Danimarca, e gli ultimi anni a Meudon.

F.to 14×21, brossura, 218 pag., 85 foto in b/n, Euro 24,00. Effepi Edizioni, Genova 2009.

Potete richiederlo direttamente a: Effepi Edizioni – Telefono (0039) 010 6423334 – 338 9195220 – Indirizzo postale Via B. Piovera 7 – 16149 Genova
Posta elettronica effepiedizioni@hotmail.com

lundi, 31 août 2009

Bulletin célinien: spécial Pol Vandromme

Le Bulletin célinien

Sortie du Bulletin célinien n° 311, septembre 2009,

numéro spécial consacré à Pol Vandromme (1927-2009)

Au sommaire :
* Marc Laudelout :
Bloc-notes
* Jacques Aboucaya : Un spadassin des lettres
* Christian Dedet : Le plus germanopratin des grands écrivains belges
* Jean-Baptiste Baronian : Pol Vandromme : au bonheur des humeuristes
* Marc Laudelout : Entretien avec Pol Vandromme
* Marc Hanrez : Pol
* Bouquet d'hommages à Pol
(Jean Bourdier, François Cérésa, Christian Authier, Laurent Dandrieu, Michel Mourlet, Pascal Manuel Heu, Frédéric Saenen, Christopher Gérard)
* Frédéric Vitoux : Hommage à Pol Vandromme



Hommage à Pol Vandromme

Le Bulletin célinien n°311, Septembre 2009 : Quoi de plus naturel que de rendre hommage à Pol Vandromme qui nous a quittés au printemps ? Il fut l’un des premiers à signer une monographie sur Céline auquel il consacra, par ailleurs, trois autres essais que j’ai édités jadis sous l’égide de La Revue célinienne. Le premier, Robert Le Vigan, compagnon et personnage de L.-F. Céline, parut en 1980. Pol avait alors l’âge que j’ai aujourd’hui. Que l’on m’autorise cette confidence personnelle : le jeune homme que j’étais fut à la fois éberlué et ébloui de se voir proposer par ce grand critique l’édition de son prochain livre. Perplexe aussi car il ne connaissait alors rien à l’édition. Sans doute l’auteur ne fut-il pas mécontent de son éditeur néophyte puisqu’il lui confia le soin d’éditer deux autres livres sur le même sujet : Du côté de Céline, Lili (le premier livre consacré à Lucette) et Marcel, Roger et Ferdinand (sur les relations croisées entre Marcel Aymé, Roger Nimier et Céline). Devaient suivre un livre sur Brassens, un pastiche (célinien), deux pamphlets politiques et la réédition de son unique roman, Un été acide. Oui, Pol est le seul auteur dont j’ai édité huit livres !

Ce fut le début d’une belle amitié qui se manifestait surtout par de longues conversations téléphoniques : Pol Vandromme aimait à me lire des pages de son prochain livre ou commenter l’actualité. Le plus exaltant pour moi était de l’entendre évoquer l’histoire littéraire ou politique de l’avant-guerre à aujourd’hui. Son immense culture et son goût littéraire très sûr avaient assurément de quoi fasciner le béjaune de trente ans son cadet.

Dès le début de sa vie journalistique, Vandromme défendit Céline écrivain. Vint, quelques années plus tard, ce petit essai paru dans une collection consacrée aux « classiques du XXe siècle ». « Quelle était en 1963 la situation de Céline ? », se rappelait-il. « En gros, celle-ci, auprès de l’opinion dominante : ce ne pouvait être un grand écrivain parce que c’était un salaud. Quand Céline fut pris en charge par les glossateurs universitaires qui l’admiraient en linguistes pédants, on recourut au subterfuge d’un manichéisme spécieux : il ne cessait pas d’être un salaud, mais on consentait à reconnaître qu’il ne l’avait pas toujours été, du moins dans son œuvre. Il y avait donc le bon Céline, celui du Voyage et de Mort à crédit, et le mauvais, celui de Bagatelles pour un massacre et de L’École des cadavres. » Précisément, sur ces écrits appelés improprement « pamphlets », Pol donna, la même année, une interprétation originale aux « Cahiers de l’Herne » créés par Dominique de Roux (1).

Celui-ci affirmait qu’il n’existe que trois catégories de critiques : ceux qui ne savent pas lire, ceux qui ne savent pas écrire, et ceux qui ne savent ni lire ni écrire. Pol Vandromme, lui, appartenait à la quatrième : ceux qui savent à la fois lire et écrire. Il nous laisse une impressionnante somme d’essais où l’analyse littéraire prédomine. Mais il est aussi l’auteur de livres plus personnels comme ses souvenirs de jeunesse, puis de journaliste, et des évocations, souvent lyriques, de ce pays hennuyer qu’il a tant aimé (2).
Que ce numéro du BC à lui entièrement consacré suscite le désir de découvrir son œuvre vaste et multiple. Elle le mérite assurément.

Marc Laudelout

Notes
1. « L’esprit des pamphlets », L’Herne, n° 3, 1963, pp. 272-276.
2. À ceux qui ne connaissent pas cette partie de son œuvre, il faut conseiller la lecture d’Une mémoire de Wallonie. Mon pays d’hier à demain (Éditions Racine, 1996), Bivouacs d’un hussard (La Table ronde, 2002), Un garçon d’autrefois. Souvenirs de jeunesse (Éditions du Rocher, 2003) et Libre parcours (Éditions du Rocher, 2005).




Le Bulletin célinien
BP 70

B1000 Bruxelles 22.


Ce numéro, entièrement consacré à Pol Vandromme, 6 €
Chèque à l’ordre de M. Laudelout.

vendredi, 28 août 2009

Hamsun: francobollo commemorativo

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Hamsun: francobollo commemorativo

Come avevo immaginato, non una sola riga è apparsa sui giornali italiani riguardo il centocinquantesimo anniversario di Hamsun.

Intanto ieri in Norvegia è entrato in distribuzione questo francobollo commemorativo da 25 centesimi, stampato in un milione e mezzo di esemplari.

mardi, 04 août 2009

Knut Hamsun: un esprit peu commode

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Helge MORGENGRAUEN:

Knut Hamsun: un esprit incommode

 

Ses admirateurs comme ses ennemis sont d’accord sur un point: Knut Hamsun est l’un des plus importants romanciers de la littérature européenne contemporaine. Nombreux furent ses contemporains plus jeunes comme James Joyce ou Virginia Woolf qui bénéficièrent de son influence de manière décisive. Hamsun a aussi acquis une réelle importance en littérature américaine, notamment par l’influence qu’il exerça sur un écrivain comme William Faulkner: bon nombre d’historiens de la littérature le comptent dès lors parmi les pères fondateurs du roman américain moderne.

 

Des auteurs aussi différents que Maxime Gorki, Thomas Mann, Jakob Wassermann ou Stefan Zweig reconnaissent en Hamsun un géant de la littérature. Dans sa contribution à un “liber amicorum” publié en Norvège en 1929, à l’occasion du 70ème anniversaire de Hamsun, Gorki écrivit qu’il ne voyait personne dans la littérature de son temps “qui égalât Hamsun sur le plan de l’originalité et de la puissance créatrice”. L’écrivain russe alla jusqu’à écrire que “l’écriture de Hamsun relève d’une ‘écriture sainte” pour l’humanité toute entière”. Quant au style hamsunien, Gorki déclare qu’il est “sans aucune pompe artificielle” et que “sa beauté réside dans la simple, pure et aveuglante vérité qu’elle dévoile”. Gorki: “Les figures norvégiennes, qu’il dépeint, sont aussi belles que les statues de la Grèce antique”.

 

La même année, Thomas Mann prend, lui aussi, la parole, pour dire “que l’art magnifique de Hamsun est devenu l’un des ingrédients majeurs” de sa propre formation et que cet art du Norvégien l’a aidé “à déterminer sa propre notion du récit et de la poésie littéraires”. Jakob Wassermann constatait, pour sa part, que Hamsun, “comme tout grand écrivain, est capable de transformer un petit monde aux horizons réduits en un véritable cosmos”, tout “en devenant un témoin majeur de son époque”.

 

Knut Hamsun, pour Stefan Zweig, représente “la forme la plus noble de la virilité, parce qu’elle offre et une tendresse, qui sourd d’une grande force comme l’eau d’une source, et de la passion contenue, qui se dissimule derrière une rudesse abrupte”.

 

Quand certains critiques, appartenant souvent à la mouvance des littérateurs engagés à gauche, jugent d’importantes figures de la littérature universelle comme Knut Hamsun ou de grands voyageurs comme Sven Hedin, on est surtout frappé par leur absence totale de pondération et par leur esprit partisan et haineux; les propos tenus par ces gens-là sont aigres, partiaux et injustes.

 

Hamsun et Hedin sont deux Scandinaves qui, comme pratiquement personne d’autre, ont osé tenir tête à Hitler et lui demander des choses que tous imaginaient impossibles, comme de libérer certains détenus de camps de concentration, d’épargner des vies juives, etc. Lorsque Hamsun rencontra Hitler, l’interprète n’a pas osé traduire tous ses propos. Quand l’écrivain évoqua plus tard cet entretien à son fils Tore, il dira: “Il ne me plaisait pas. “Je”, “moi”, disait-il sans arrêt, “je”, “moi”, toujours “je” et “moi”!”. On ne peut pas dire qu’il s’agit là d’admiration inconditionnelle. Revenu en Norvège, l’écrivain, avec un humour au second degré, racontait “qu’il avait rencontré tant de gens lors de son voyage, qu’il ne se souvenait plus, s’il avait rencontré Hitler ou non”.

 

Sven Hedin a raconté par le menu ses tribulations dans la capitale allemande dans un remarquable livre de souvenirs, intitulé “Ohne Auftrag in Berlin” (“Sans ordre de mission à Berlin”).

 

En 1953, Pablo Picasso a pu rédiger un vibrant hommage à “son cher camarade Staline”, alors que celui-ci avait commandité des massacres à grande échelle qui ont causé la mort d’au moins 55 millions de personnes en Union Soviétique. Cet hommage ne choque pas les nigauds du “politiquement correct”. Ndlr: En revanche, l’hommage rendu par Hamsun à Hitler, quelques jours après le suicide du dictateur allemand, continue à faire des gorges chaudes, alors qu’on  sait très bien que Hamsun n’était pas un inconditionnel du national-socialisme: que seule comptait à ses yeux l’élimination du capitalisme anglo-saxon.

 

Cette hostilité hamsunienne au libéralisme et au capitalisme anglo-saxons est tirée de son propre vécu, lors de ses séjours successifs aux Etats-Unis. Hamsun n’a jamais compris l’attirance qu’éprouvaient la plupart des Norvégiens pour l’Angleterre et l’Amérique. Lors de la première guerre mondiale déjà, et dès le début des hostilités, la sympathie de Hamsun allait à l’Allemagne en guerre, au “peuple germanique frère” d’Europe centrale. Cette sympathie déplaisait à une majorité de Norvégiens.

 

Hamsun n’a jamais renoncé à cette sympathie germanophile, même quand les temps étaient très durs pour l’Allemagne: pour l’établissement marqué aujourd’hui par l’union des gauches et du “politiquement correct”, c’est en cette germanophilie constante que réside la faute majeure de Knut Hamsun. Il avait connu les affres du système américain, pseudo-démocratique et capitaliste et en avait souffert cruellement. Personne de raisonnable ne pourrait lui reprocher de préférer l’Allemagne, à qui il devait ses premiers succès éditoriaux et le lancement de sa carrière internationale, succès amorcés bien avant même que les nationaux-socialistes existèrent et n’exerçassent le pouvoir. De préférer cette Allemagne des lettres et de l’esprit à un monde anglo-saxon, dont le Dieu unique était et reste Mammon (ndlr: c’est exactement le cas de l’écrivain flamand de langue française Georges Eekhoud).

 

Hamsun est donc bien un héritier des Vikings, dans la mesure où jamais il ne choisit les chemins faciles et les pistes tracées à l’avance. Même quand il se trompait, Hamsun restait essentiellement un Germain contestataire de grand format.

 

Helge MORGENGRAUEN.

(article tiré de “zur Zeit”, Vienne, n°31-32/2009; trad. franç.: Robert Steuckers).

Hommage à Knut Hamsun pour son 150ème anniversaire

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Ellen KOSITZA:

 

 

 

Hommage à Knut Hamsun pour son 150ème anniversaire

 

 

 

Il y a cent cinquante ans, le 4 août 1859, naissait l’un des écrivains les plus chatoyants d’Europe. Il fut un homme fier, indocile, il cherchait la rébellion à tout prix mais demeure, malgré cela, un artiste aux sens très aiguisés.

 

Cette description ferait certes grommeler notre jubilaire: quoi, moi, un artiste? Pfff... les artistes, un ramassis qui n’a point besoin du monde! Chatoyant, moi? Fichtre, sous mes ongles, il y a de la terre sombre qui colle, alors, votre chatoyance, vos apparences... elles me laissent froid! Ecrivain, moi? Avec une rage contenue, cet homme de lettres si célèbre répondait à tous ses lecteurs qui lui écrivaient, en lui adressant leur courrier par un “A Monsieur l’Ecrivain Knut Hamsun”, qu’il était un paysan et rien de plus et que sans ses enfants, il “n’aurait même pas mérité une pierre tombale”.

 

Pour Hamsun, les hommages, qu’on lui rendait, n’avaient guère de sens. Il refusait très souvent les titres de docteur “honoris causa”, les décorations et les honneurs. Il n’avait pas l’habitude de lire les biographies qu’on lui consacrait, ni les recensions qu’on écrivait sur ses livres. Mais il s’insurgeait avec véhémence quand il voyait que la presse maltraitait un livre de sa femme Marie (en l’occurrence: “Les enfants de Langerud”, qui aujourd’hui encore reste un livre qui n’a pas pris une ride). Mieux: tout à la fin de sa carrière, il envoya la médaille du Prix Nobel, qu’il avait gagné en 1920, et qu’il jugeait “objet inutile”, à Joseph Goebbels, et, cerise sur le gâteau, rédigea une notice nécrologique pathétique à la mort d’Adolf Hitler, ce qui fit de lui, et définitivement, un personnage controversé.

 

Mais qui fut donc ce Knut Hamsun? Il était le fils d’un pauvre tailleur et d’une mère qui deviendra vite neurasthénique. Né Knud Petersen, il était le quatrième d’une famille de sept enfants, natifs du centre de la Norvège. Très jeune, il fut hébergé par un oncle, homme cultivé mais chrétien rigoriste et, par là même, incapable d’aimer, qui avait élu domicile très loin dans le Nord du pays. C’est là, parmi les animaux, les livres, en ne fréquentant qu’épisodiquement l’école, et sous des frimas qui duraient quasiment toute l’année, que Hamsun a grandi. L’adolescent était très soucieux de publier ses premiers écrits, qui n’ont pas été conservés; il en finançait l’impression et des colporteurs distribuaient ces courtes nouvelles pour quelques “öre” (quelques sous).

 

Hamsun ne s’est jamais fixé en un endroit précis: il travaillait ci et là comme instituteur, comme commis aux écritures dans l’administration ou comme ouvrier sur les chantiers des ponts et chaussées. Lorsqu’il émigra pour la première fois en Amérique en 1882 et y demeura plusieurs années, il avait déjà vécu quelques expériences à l’étranger. A vingt-neuf ans, et après de nombreuses tentatives opiniâtres, il perce enfin en littérature: un quotidien imprime son récit intitulé “La faim” (1890) en feuilleton. L’histoire se base sur les propres expériences de Hamsun à Christiana (l’actuel Oslo), où jeune artiste jeté dans les précarités de l’existence, il meurt presque de faim. Le récit attire lecteurs et critiques, qui en restent marqués à jamais.

 

Un an après, Hamsun publie un écrit polémique “Le vie intellectuelle dans l’Amérique moderne”, au ton acerbe, amer et virulent pour régler ses comptes avec l’esprit borné d’Outre-Atlantique, ressenti comme hostile à toute forme de culture. Hamsun avait demandé qu’on ne le réédite pas. Mais avec ces deux livres, son nom avait acquis célébrité. La bohème littéraire des grandes villes aimait se référer à ce poète rebelle, à ce coléreux exalté, qui, en plus,  ne mâchait pas ses mots quand il évoquait les grandes figures intellectuelles de son pays, surtout Ibsen et aussi, plus tard, son protecteur, l’écrivain national Bjørnstjerne Bjørnson. Hamsun suscitait l’intérêt parce qu’il ribouldinguait et s’avèrait un causeur spirituel de tout premier ordre.

 

Il était charmant et charmeur mais, s’il le fallait, il se montrait très combattif. Il y avait toutes sortes d’attitudes qu’il détestait: l’esprit du mouvement féministe, ensuite ceux de la réforme orthographique (“Il ne faut pas démocratiser la langue, il faut l’anoblir”), du culte des vieillards (devenu vieillard lui-même, il continuait à le mépriser: “on ne devient pas plus sage mais plus bête”), du tourisme qui était en train de se développer, de la vie urbaine (même si elle l’attirait toujours vers les métropoles), de la décadence des temps modernes et surtout l’esprit contemplatif de la bourgeoisie. Et avant toute chose, il abhorrait le monde anglo-saxon avec son “pragmatisme dépourvu d’esprit”. La Russie (parce qu’il aimait Dostoïevski), la France (parce qu’il vécut quelque temps à Paris) et surtout l’Allemagne (il y envoya sa fille Ellinor à l’école) suscitaient sa sympathie. C’est surtout la réception de ses oeuvres en Allemagne qui aida Hamsun à faire rayonner sa célébrité en dehors de la Scandinavie. Son éditeur, Albert Langen, devint l’un de ses meilleurs amis.

 

Pourtant, au départ, l’oeuvre de Hamsun a connu une réception ambigüe. Deux livres surtout ont déplu: l’énigmatique roman “Mystères” (1892), qui est considéré aujourd’hui comme un classique (récemment Helmut Krausser en a tiré une pièce de théâtre sous le titre de “Helle Nächte”/”Nuits claires”), et “Lynge, rédacteur en chef”, une critique mordante du journalisme de son époque. C’est donc avec ses romans “Pan” et “Victoria”, qui n’ont plus jamais cessé d’être édités et réédités, que Hamsun connut le succès.

 

Il eut une fille avec sa première femme en 1902, mais ce mariage fut très éphémère. S’ensuivirent des années fébriles et mélancholiques, ponctuées de crises de créativité. Hamsun en souffrit énormément. Il se soumit même à une psychothérapie de longue durée pour surmonter le syndrome de la page blanche. Son public ne s’en aperçut guère: Hamsun était un polygraphe génial; en bout de course, son oeuvre couvre trois douzaines de volumes, principalement des romans, bien sûr, mais aussi des récits, des poèmes, des drames et des souvenirs de voyage.

 

Vers 1906, plusieurs oeuvres se succèdent à un rythme rapide, comme “Sous l’étoile d’automne”, “Benoni”, “Rosa” et “Un vagabond joue en sourdine”. Une nouvelle phase dans l’oeuvre de Hamsun venait de commencer. En 1909, il épouse Marie, une actrice bien plus  jeune que lui. De ce mariage naîtront deux fils et deux filles. Amoureux de la Vie, qu’il croquait à belles dents, Hamsun savait, depuis sa plus tendre enfance, vivre et créer dans toutes les situations mais, il passait maître dans l’art de ne jamais trouver ni paix ni quiétude.

 

Dans la pauvreté, il fanchissait les obstacles; il avait l’habitude de transporter avec lui une planche qui lui servait de chevalet, son manteau lui servait d’oreiller. Quand il avait de l’argent, il le dépensait en des achats grandioses et distribuait le reste aux nécessiteux. Entouré de sa famille, il ne trouvait pas la quiétude pour écrire. Quand il se retirait, il souffrait de l’absence de sa femme et de ses enfants. Il aimait jouer avec ceux-ci. S’il vivait ici, il fallait qu’il se rende là-bas; s’il était absorbé par la rédaction d’un roman, le travail de la terre lui faisait cruellement défaut.

 

En 1911, Hamsun achète une ferme dans le Nord de la Norvège. En 1917, il retourne dans le Sud avec sa famille, où, avec l’argent que lui procurera l’attribution du Prix Nobel, il achètera une ferme parfaite selon ses voeux. Depuis des années déjà, Hamsun avait été pressenti comme candidat pour ce Prix Nobel. En 1920 aussi, les observateurs estimaient que le Nobel littéraire lui échapperait, à cause de Selma Lagerlöf, membre du jury (Hamsun se moquait d’elle, parce qu’elle était une femme célibataire et sans  enfants). Finalement, le roman de Hamsun, “L’éveil de la glèbe”, paru trois ans auparavant, fit l’unanimité. 

 

Dans ce roman, l’écrivain raconte la vie d’un paysan fruste, qui peine sur une terre ingrate, Isak: comment celui-ci se taille une place au soleil, au milieu d’une nature sauvage, comment il plante, travaille et produit; Isak est brave, fidèle et immunisé contre toute corruption de l’âme. Hamsun montre aussi comment le monde moderne, avec tout son cortège de séductions, s’approche de son héros et le frappe. Non, Hamsun n’a pas fait du romantisme à bon marché. Ne s’est pas posé comme un nostalgique qui regrette le bon vieux temps. Elle recèle chaleur et rudesse, fertilité et putréfaction: telle est la Terre sur laquelle croissent et dépérissent les créations d’Isak. De nos jours encore, “L’éveil de la glèbe” est considéré comme un jalon important dans l’histoire de la littérature mondiale.

 

Cependant, le discrédit tombera sur Hamsun. Jamais il n’avait dissimulé sa germanophilie inconditionnelle. Dans les années 30, il accumule les invectives de nature politique. En 1935, il salue le retour de la Sarre à l’Allemagne. En 1939, des semaines avant que n’éclate la guerre, il plaide pour la réintégration de Dantzig dans le Reich; et il écrit: “Les Polonais sont parfaits – en Pologne”.

 

Lorsque les Allemands occupent la Norvège en 1940 et ne précèdent les Anglais que de quelques heures, Hamsun publie plusieurs appels à son peuple, qui sympathisait avec les Anglais et l’exhortait à accepter l’occupation allemande. Hamsun n’a jamais pris position quant à l’idéologie nationale-socialiste; il n’était pas antisémite et considérait que les Juifs constituaient un peuple “très doué, formidablement musical”; pour l’antisémitisme nazi, il avait une explication toute prête: “Il y a de l’antisémitisme dans tous les pays.  L’antisémitisme succède au sémitisme comme l’effet succède à la cause”. En 1943, Hamsun rend une visite pesonnelle à Hitler, pour se plaindre de la gestion de Terboven, le Commissaire du Reich en Norvège. L’entretien se termine mal: Hamsun a failli se faire jeter dehors sans ménagement. Après cette confrontation tapageuse, Hitler aurait donné l’ordre de ne plus lui présenter des “gens pareils”.

 

A la fin de la guerre, Hamsun avait 86 ans. On le priva de liberté pendant deux ans pour “activités de trahison”: résidence surveillée à domicile, prison, asile psychiatrique. Son dernier livre, “Sur les sentiers où l’herbe repousse” (1949), raconte les péripéties de cette époque, sans aucune amertume, au contraire avec ironie et sérénité.

 

Hamsun meurt dans sa ferme à Nörholm en février 1952, réprouvé et ruiné. Contrairement à Hemingway (qui était l’un des auteurs préférés de Hamsun), notre écrivain norvégien n’a jamais tué personne; il s’est simplement agité dans le mauvais camp, celui des perdants. Voilà ce qui nous explique pourquoi des dizaines de cafés portent le nom de Hemingway. Et pourquoi, récemment encore en Norvège, une âpre polémique a éclaté pour savoir s’il fallait baptiser des rues ou des places du nom de Knut Hamsun.

 

“Je suis comme le saumon”, avait un jour écrit Hamsun, “je me sens  obligé de nager à contre-courant”.

 

Ellen KOSITZA.

(article paru dans “Junge Freiheit”, n°31-32/2009, trad. franç.: Robert Steuckers).

lundi, 03 août 2009

Albrecht Rodenbach

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Albrecht Rodenbach

 

Ex: http://www.nationalisme.info/

Leven

Albrecht Rodenbach, geboren te Roeselare in het jaar 1856, was de oudste van tien kinderen. Hij stamde uit een burgerfamilie. Na de lagere school volgt hij les aan het Klein Seminarie, waar zijn Vlaamsgezindheid groeide. Hugo Verriest had hierbij een grote invloed op hem. Deze had een grote invloed op zijn leerlingen, en dus ook op Rodenbach. Verriest zelf had les gehad van Guido Gezelle, die voor hem een groot voorbeeld was geweest. Hij wou zijn eigen leerlingen in de geest van Gezelle opleiden. Vrijheid, verantwoordelijkheid en christendom waren daarbij zeer belangrijk. Hij vulde dit aan met zijn eigen grootmenselijkheid, zijn breeddenkendheid en zijn politiek engagement. Hij was een flamingant en streefde voor het lesgeven in het Nederlands in het onderwijs in Vlaanderen.

Tijdens het schooljaar 1874-75 kwam het tot een conflict tussen leerlingen van Verriests Poësisklas en de Fransgezinde directeur. Deze leerlingen weigerden Franse liederen te zingen op het schoolfeest en zongen in de plaats daarvan een lied dat Rodenbach had geschreven: ‘Nu het lied der Vlaamse zonen’. Hierbij hoorde de strijdkreet "Vliegt de blauwvoet, storm op zee". Deze actie kreeg de naam "De grote stooringe" en was de start van de zogenaamde "Blauwvoeterie”. De tekst van dit lied had Rodenbach gebaseerd op een roman van Hendrik Conscience: de Kerels van Vlaanderen. Hierin is ook de reeds bovenvernoemde strijdkreet letterlijk te vinden. De Kerels van Vlaanderen gaat over de strijd tussen de zeelui (het woord ‘de kerels’ in de titel van het boek refereert naar deze zeelui) die zichzelf ook wel Blauwvoeten noemden, en de Isengrims. Hendrik Conscience, , had zich ook op een tekst gebaseerd, namelijk op de Histoire de Flandre van Joseph Kervyn de Lettenhove. Deze Histoire vertelt het waargebeurde verhaal van de strijd tussen de Veurnse families Blauvoet en Ingrekin tijdens de 12de eeuw.

In 1876 ging hij naar de Katholieke Universiteit in Leuven om rechten te studeren (in het Frans), hij ontmoette hier een andere dichter (Pol de Mont) en begon de onder de andere studenten vernieuwd Vlaams bewustzijn te vertegenwoordigen. Zo verzette hij zich tegen het gebruik van de Franse taal in het onderwijs, en beklaagde zelfs zichzelf omdat hij vond dat hij zich beter kon uiten in het Frans dan in het Vlaams. Voor hem gold "In Vlaanderen Vlaams" aangezien Vlaams de taal van de burgerbevolking was. Van het Hollands was hij ook geen voorstander, want dit was ondermeer de taal van de protestanten uit het noorden. Hij was streng katholiek opgevoed en kon deze taal dus niet aanvaarden. Volgens hem waren de Vlaamse dialecten een spiegel van het pure en edele karakter van de Vlamingen. Rodenbach en de Mont stichtten samen het Pennoen, wat letterlijk ‘vaandel’ betekent. Het literair tijdschrift werd in 1877 opgericht. In 1880 verbraken de Rodenbach en de Mont de samenwerking waarna Rodenbach eenmalig het literair tijdschrift Nieuwe Pennoen uitgaf. Ook in 1877 werd De Algemene Studentenbond opgericht. De belangrijkste figuren hiervan waren Albrecht Rodenbach, Pol De Mont en Amaat Joos. Algemeen voorzitter van deze vereniging was Rodenbach. Hij zette de grote lijnen uit die de katholieke studentenbeweging nog lang na hem zou blijven volgen. Hij propageerde een romantisch getint Vlaams bewustzijn. De boodschap van Gezelle en Verriest leefde hierin verder: “Wees Vlaming dien God Vlaming schiep”. De studenten werden dan ook tot authentieke en katholieke Vlamingen gevormd die in de Vlaamse strijd hun verantwoordelijkheid zouden opnemen.

Op vierentwintigjarige leeftijd sterft Rodenbach, in Roeselaere (waar hij ook geboren was) op 23 juni 1880. Na zijn overlijden wordt hij het symbool van de Vlaamse studentenbeweging. In 1888 wordt zijn praalgraf ingehuldigd en vanaf 1900 wordt de Rodenbachviering een feest van de hele Vlaamse studentenbeweging. Rodenbach’s ideeën blijven dus ook na zijn dood nog doorgegeven. Zijn liederen, gedichten en toneelwerken bijvoorbeeld bleven nog lang symbolen van de Vlaamse Beweging gebleven.

Familie

Zijn vader (Julius Rodenbach) en oom (Alexander Rodenbach) kwamen uit een Duitse adellijke familie. Zijn oom (Pierre Rodenbach) had eerst samen met Napoleon in de veldtocht tegen de Russen gevochten, vervolgens tegen Napoleon samen met de troepen van Willem van Oranje en tenslotte in de opstand tegen de Hollandse bezetters. Zijn ooms (Constantijn en Alexander Rodenbach) waren in 1830 bij de eerste die verkozen werden voor het Nationaal Congres. Het Nationaal Congres was de eerste grondwetgevende vergadering van het onafhankelijke België sinds omwenteling van 1830.

Bekende gedichten

De Blauwvoet, ook wel Nu het lied der Vlaamse zonen genoemd. Dit heb ik bovenstaand al vermeld.

Klokke Roeland
, het lied over een klok die te vinden is in Gent (sinds 1314), die de stad in het verleden voor brand heeft gewaarschuwd. Deze klok wordt ook De Grote Triomfante genoemd. In de tekst bevind zich een verwijzing naar Jan Hyoens en Jacob van Artevelde, twee Gentse volkshelden. Hyoens was een Vlaams volksleider en aanvoerder van de Witte Kaproenen. De Witte Kaproenen waren een soort agenten, met een wit hoofddeksel. Jacob van Artevelde was eveneens Vlaams volksleider, was ook staatsman, lakenkoopman, makelaar en bezat uitgestrekte eigendommen. Op 3 januari 1338 werd een bewind van vijf 'hoofdmannen' aangesteld (met Willem van Vaernewijk, Gelnoot van Lens, Willem van Huse en Pieter van den Hoeven), waarvan Jacob als 'opperhoofdman' werd aangesteld en de leiding in handen had. Op binnenlands vlak streefde Jacob van Artevelde een beleid van politieke en sociale verzoening na. Ook deed hij inspanningen om het Vlaams op te waarderen: hij liet de Vlaamse ambtenaren kiezen of ze Vlaams of Frans wilden gebruiken, terwijl daarvoor enkel het Latijn en het Frans waren toegelaten, en eiste hij van de graaf dat diens raadgevers uitsluitend Vlamingen zouden zijn.


Karlijn R.
Commilito NSV!-Westland
[Ontgroeningswerk]

vendredi, 31 juillet 2009

Jean Giono : "La nostalgie de l'Ange"

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Pierre Emile Blairon

JEAN GIONO,

La nostalgie de l’Ange

 

Jean Giono a ses fidèles, ses amis, ses fans, ses spécialistes. Mais il suffit de n’être qu’un lecteur occasionnel de Giono, d’être tombé par hasard sur Colline, sur L’eau vive, sur Un de Baumugnes, sur Regain, ou sur son autobiographie Jean le Bleu, sur Que ma joie demeure ou Les vraies richesses, sur Un roi sans divertissement ou sur le Moulin de Pologne ou même d’avoir vu Juliette Binoche dans Le hussard sur le toit et on a déjà ce qu’il faut pour goûter ces mots d’amour viril que l’ami Pierre-Emile a dans ce beau livre tressés à Jean Giono et à sa terre provençale. Ensuite, on ne laissera plus passer un livre de Giono sans l’ouvrir. Et on verra la Provence avec des yeux d’inventeur. Car « Giono est un ange venu sur terre, sur sa terre, en apôtre de la nature, comme un Jésus dans une étable, entre la montagne de Lure et au loin la mer, dans le centre d’un monde qu’il avait pour mission de créer. » Pour Pierre-Emile Blairon, la seule façon raisonnable, sinon rationnelle, d’approcher la science, plus intuitive ou magique que savante, de Giono, c’est de le voir comme un ange. N’est-ce pas négliger le fait que Jean Giono est né d’un cordonnier et que, dans nos traditions, les savetiers sont volontiers investis à la fois de la sagesse et de la joie ? ‘Schumacher und Dichter dazu’, chante Hans Sachs.

Editions Prolégomènes 2009, 216 p. 20€, IBSN 978-2-917584-13-2, www.prolegomenes-editions.fr

mardi, 14 juillet 2009

Une étude néerlandaisesur Malraux, Drieu, Nizan et Brasillach

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Souffrir de l’air du temps...

Une étude néerlandaise sur Malraux, Drieu, Nizan et Brasillach

 

Un livre vient de sortir de presse aux Pays-Bas: celui de Marleen Rensen, professeur de “lettres européennes modernes” à l’Université d’Amsterdam. Il est intitulé: “Lijden aan de tijd – Franse intellectuelen in het interbellum” (= “Souffrir de l’air du temps – les intellectuels français pendant l’entre-deux-guerres”). Ce livre se vendra-t-il? Je ne sais pas. Il est la version grand public d’une thèse de doctorat portant sur la façon dont quatre écrivains français, André Malraux, Pierre Drieu la Rochelle, Paul Nizan et Robert Brasillach, affrontent leur époque dans leur oeuvre, songent au temps qui passe et en sont obsédés. Indubitablement, c’est là un bon sujet. Mais, hélas, le public potentiel me semble bien réduit aujourd’hui, qui s’intéresse encore à la littérature engagée de cette époque-là et qui, de surcroît, serait prêt à se farcir des considérations d’ordre philologique, bien difficiles à ingurgiter. Et nous sommes les premiers à le déplorer. En tout cas, l’éditeur prêt à tout, aux Pays-Bas, “Aspekt” de Soesterberg, mérite nos applaudissements pour avoir publié une fois de plus un ouvrage difficile, peu commercialisable. Il faut oser le faire.

 

L’analyse que propose Marleen Rensen de quatre romans d’avant-guerre, représentatifs de ce qu’elle appelle la “génération anti-Proust”, est remarquable, mais je formulerais tout de même quelques critiques sur l’un ou l’autre détail de son travail. Je rassure: mes critiques ne portent pas sur le fond mais sur des détails, des points et des virgules, de petites inexactitudes que Marleen Rensen aurait pu éviter.  Il est inexact d’affirmer, par exemple, que l’écrivain communiste Nizan ait d’abord été membre du “Faisceau” de Georges Valois dans les années 20. Il est tout aussi inexact d’étiqueter ce mouvement de “fascistoïde”, comme le fait Marleen Rensen: c’est à coup sûr une exagération. Le terme “fascistoïde” est vague; il relève du langage pamphlétaire et non pas de la terminologie scientifique; raison pour laquelle j’éviterais de l’utiliser dans une thèse. Valois entendait, faut-il le rappeler, dissoudre son mouvement dans le front des gauches vers le milieu des années 30, donc, sa milice ne peut guère être qualifiée de “fascistoïde”. De surcroît, dans une thèse, elle aurait dû signaler, pour être exhaustive, le fait très révélateur que pendant l’occupation, le fondateur du “Faisceau” a été déporté par les Allemands à Bergen-Belsen à la suite de ses activités jugées subversives. Il y est décédé le 16 février 1945.

 

Encore une inexactitude de la même veine: le “Parti Social Français”, d’inspiration chrétienne et nationaliste, placé sous la houlette du Colonel François de la Rocque, est qualifié de “fasciste” en page 95 de l’ouvrage. François Mitterrand en était un sympathisant quand il était étudiant. Cette affirmation n’est guère scientifique. Le PSF de droite catholique était certes une formation antiparlementaire mais ne s’est jamais égaré dans les eaux de l’antisémitisme comme le PPF de Jacques Doriot. François de la Rocque a subi lui aussi la déportation pour faits de résistance, d’abord vers un camp annexe de Flossenburg, ensuite au château d’Itter qui dépendait du camp de Dachau. Je tiens à rectifier, dans les cas de Valois et de de la Rocque, car il faut veiller à ne pas coller partout, et sans discernement, l’étiquette de “fasciste”.

 

Mais, en dépit de mon pointillisme, je ne dénigre nullement l’ensemble du travail de Marleen Rensen, constitué d’analyses hors pair de quatre romans intemporels que l’on lit aussi dans bon nombre d’universités, y compris en Flandre: “L’espoir” du “fellow traveller” André Malraux, “Le cheval de Troie” du communiste Paul Nizan, “Gilles” du fasciste Drieu la Rochelle et “Les sept couleurs” de Robert Brasillach, rédacteur en chef du journal collaborationniste “Je suis partout”, fusillé en 1945. Ces quatre hommes se connaissaient avant la guerre. Drieu et Malraux étaient de bons amis et le restèrent en dépit de leurs divergences d’opinion fondamentales sur le plan idéologique. Drieu, tempérament narcissique, s’est suicidé en mars 1945. Malraux, personnalité mythomane, s’est converti au gaullisme et a réussi à se hisser au poste de ministre de la culture après 1958. Nizan et Brasillach avaient tous deux fréquenté la fameuse “Ecole Normale Supérieure”, comme Sartre, et écrivaient des recensions sur leurs ouvrages respectifs. Nizan est devenu communiste vers 1930 mais a quitté le parti après le pacte de non-agression germano-soviétique d’août 1939. Il est mort en combattant devant Dunkerque. Le parti l’a stigmatisé ensuite, lui a collé l’étiquette de “traître”.

 

Les modes d’engagement de ces hommes étaient différents, mais “Lijden aan tijd” nous montre de manière fort convaincante que les quatre écrivains se heurtaient, dans leurs oeuvres, au thème du temps, plus exactement tentaient de donner des recettes à leurs contemporains pour qu’ils sachent comment vivre (intensément) leur époque. On retrouve ce souci dans les multiples essais que nos quatre auteurs ont rédigés. Le point de départ de leurs réflexions est sans nul doute aucun la première guerre mondiale, qui apporte, explique Marleen Rensen, aux quatre écrivains une conception historique du temps, laquelle marque une différence fondamentale entre leur démarche engagée et celle, esthétique et individualiste, d’un auteur comme Marcel Proust, dont le monumental “A la recherche du temps perdu” constitue, in fine, une introspection personnelle, non chronologique, soustraite au temps social, politique et historique, bien éloigné de tout engagement social. Mais s’il peut paraître paradoxal que Proust ait été largement apprécié par les deux “fascistes” que furent Drieu et Brasillach.

 

Proust était déjà considéré comme “suranné” en son temps, où, effectivement, avec nos quatre auteurs, toute une génération s’est dressée: elle voulait que la littérature épouse les passions de l’histoire.

 

Mais Proust va gagner, conclut Rensen. “On remarquera que le roman postmoderne actuel semble revenir aux oeuvres de Proust, Mann, Gide, Joyce et Woolf, sur les plans du style et de la composition... Tandis que l’esthétique des écrivains modernistes reste de nos jours un modèle littéraire important, le style -et le style romanesque- de Brasillach, Drieu, Malraux et Nizan ne sont restés qu’un phénomène éphémère, lié à une période historique restreinte”. Pourtant, ajouterais-je, la postmodernité est, elle aussi, phénomène de mode. Le temps peut tout changer.

 

“Guitry”/’t Pallieterke.

(article paru dans ’t Pallieterke, Anvers, 10 juin 2009, trad. franç.: Robert Steuckers).

 

 

lundi, 13 juillet 2009

Halldor Laxness: catholique, communiste, nationaliste de libération

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Halldor Laxness: catholique, communiste, nationaliste de libération

 

Par Josef M. Rauenthal

 

Réflexions sur la vie et l’oeuvre du Prix Nobel islandais Halldor Laxness

 

Disons-le d’emblée: ce qui m’intéresse dans le cas du grand écrivain islandais Halldor Laxness, ce n’est pas tant sa conversion de jeune homme qui passe du protestantisme au catholicisme (il est baptisé le 6 janvier 1923), ni son engagement zélé, quelques années plus tard, pour la cause de Lénine et de Staline. Soit dit en passant: il a attendu longemps, jusqu’en 1938, pour adhérer au “Front Populaire Islandais”, qui regroupaient socialistes et communistes.

 

Laxness qui, dans la phase catholique de sa vie, envisageait de devenir bénédictin ou jésuite, a transféré son désir ardent de croire vers l’idéologie communiste. Ce qui m’intéresse, dans cette existence faite de ruptures et d’engagements, c’est que ce représentant d’un peuple opprimé pendant des siècles a exprimé, pendant les quelques décennies où il fut communiste, des idées que nous qualifierions aujourd’hui de “nationalistes de libération”, au sens récent du terme. Le nationalisme peut se conjuguer à d’autres idéologies. C’est ainsi que nous trouvons des courants nationaux-conservateurs, nationaux-libéraux, nationaux-socialistes, etc. Laxness interprétait le communisme comme un instrument et une doctrine efficace de libération contre l’impérialisme du 20ème siècle, qui menaçait aussi son propre peuple.

 

Laxness aurait haussé les épaules, montré son incompréhension, si l’on avait exigé de lui, au nom de la pureté doctrinale marxiste-léniniste, qu’il nie peuple et nation parce que la théorie les pose une fois pour toutes comme des “superstructures dominatrices”. Le 8 novembre 1939, Laxness écrit dans un journal islandais: “L’impérialisme n’a rien à voir avec la nationalité: il est, de par sa nature même, une conspiration internationale de voleurs, prêts à tout moment à se battre et s’entre-déchirer, pour savoir qui aura la prééminence pour piller et rançonner le monde, pour asservir des peuples  innocents, pour s’approprier les richesses des nations et de réduire celles-ci en esclavage pour servir leurs sombres desseins; et la méthode, pour poursuivre ces intérêts si ‘nobles’, c’est de noyer les peuples dans le sang”.

 

Contre l’impérialisme

 

Laxness ne percevait pas, à cette époque-là, que toutes ces facettes négatives pouvait parfaitement être attribuées aussi à l’Union Soviétique. Il ne s’en rendra compte que graduellement, dans le sillage de la dé-stalinisation après 1953. Il perdra alors son entêtement de communiste inconditionnel. En 1956, l’invasion soviétique de la Hongrie le bouleverse et le choque profondément.

 

Sur quelles bases reposait donc les prédispositions nationales (voire nationalistes) de l’Islandais Laxness? Pour Laxness, ce qui importe pour une petite nation comme la nation islandaise, ce qui doit lui servir de pôle d’orientation, c’est la culture qu’elle produit. Il se sentait appelé, en ce sens, à conduire la petite nation islandaise et sa culture dans la modernité du 20ème siècle. Dans une lettre écrite en 1932, il formule clairement sa pensée: “Pour un écrivain, c’est un malheur d’être né dans un petit pays en marge du monde, d’être condamné à utiliser une langue que personne ne comprend. Mais j’espère qu’un jour les pierres de la terre islandaise pourront parler au monde entier, grâce à moi”. Lorsqu’il reçut le Prix Nobel de littérature en 1955, il fut convaincu que son oeuvre “allait apporter gloire et honneur à son pays et son peuple”. Pour lui, nationalité et humanité vont de pair; ce qu’il souligne d’ailleurs dans son discours de réception: “Lorsqu’un écrivain islandais oublie ses origines, qui se trouvent ancrées profondément dans l’âme populaire, en ce lieu même où les sagas s’enracinent, lorsqu’il perd le lien et le devoir qui le lie à la vie menacée, à cette vie que ma vieille grand-mère m’a enseignée, alors sa gloire est dépourvue de valeur; de même que le bonheur que procure l’argent”.

 

Pour la liberté de son peuple

 

Le patriotisme de Laxness n’était nullement tapageur, ne relevait pas de ce que les Anglo-Saxons nomment le “jingoïsme”. En mai 1939, il déclare lors d’une rencontre des jeunesses socialistes en Islande: “Il n’est pas un grand patriote celui qui exalte bruyamment la geste héroïque de la nation et qui prononce sans cesse le nom des hommes les plus célèbres du pays; vrai patriote est celui qui comprend aussi les souffrances de son peuple et la lutte silencieuse que mènent dans l’existence d’innombrables anonymes, dont le nom ne figurera jamais dans un livre d’histoire... Le vrai patriote ne reconnait pas seulement les forces de son peuple, et ses succès, il sait aussi, mieux que quiconque,  quand l’humiliation a été la plus amère, la défaite la plus terrible”. C’est parce qu’il savait tout sur l’oppression qu’avaient fait peser les Danois sur l’Islande pendant des siècles,  que Laxness soutenait la lutte pour la liberté de son peuple. Il a fallu attendre le 1 décembre 1918 pour que l’Islande obtienne un statut d’indépendance  conditionnelle. Le Roi du Danemark demeurait, par le truchement d’une “union personnelle” le chef d’Etat de la République (!) d’Islande.

 

Lors des festivités pour le jour de l’indépendance en 1935, Laxness a prononcé le principal discours, retransmis par la radio. Il  profita de l’occasion, pour fondre en un seul concept l’idée du nationalisme de libération et celle du “front populaire”: “Nous sommes au point culminant de la lutte pour la liberté menée par le peuple islandais: hommes et femmes d’Islande, engagez-vous dès aujourd’hui dans le combat, considérez que ce jour de l’indépendance et de la liberté est sacré, unissez-vous au sein du front populaire, union de toutes les forces du pays... contre l’oppression extérieure et intérieure qui prend la forme du capitalisme des banques, de la haute finance, les pires ennemis de l’humanité de chair et de peine qui vit sur cette terre, ennemis qui essaient en ces jours de faire main basse sur notre pays, de planter leurs griffes en chaque poitrine qui respire”.

 

En 1944, l’Islande est définitivement séparée du Danemark. Laxness déclare en cette occasion: “C’était remarquable: chaque habitant de ce pays, en ce jour, ressentait la vie de la nation comme étant la sienne propre, comme si chaque Islandais, cultivé ou non, sentait battre en sa poitrine l’histoire vivante du pays”. Laxness, on le voit, était un communiste très particulier, car ce qu’il  décrit ici n’est rien d’autre que la concrétisation ponctuelle d’un idéal nationaliste très ancien: l’idée de communauté populaire. Pour célébrer le nationalisme de libération islandais, Laxness écrivit un livre-monument, “La cloche d’Islande” (en trois volumes de 1943 à 1946).  La “cloche” est ici le symbole de l’humiliation et de la renaissance islandaises.

 

Lutter contre les Etats-Unis

 

“La cloche d’Islande” place son intrigue dans les 17ème et 18ème siècles; en revanche, le roman “Station atomique” (1948) se déroule après la seconde guerre mondiale. Avec ce roman et de nombreux articles, Laxness entend lutter contre les “cessions de souveraineté” que concédait à l’époque l’Islande aux Etats-Unis, dans le but de permettre aux forces américaines de construire une base militaire. Son mot d’ordre à l’époque était le suivant: “L’Islande ne peut en aucun cas devenir une station atomique pour des profiteurs de guerre étrangers” et “Nous, Islandais, voulons la souveraineté illimitée sur tout notre pays”. Aujourd’hui, l’oeuvre narrative de ce grand écrivain islandais est disponible en langue allemande, dans une édition de référence en onze volumes, achevés en 2002. Sous le IIIème Reich, un seul titre de cet auteur avait pu paraître. Après la seconde guerre mondiale, Laxness fut largement promu par la RDA, même si ses fictions ne contenaient que quelques bribes du message socialo-communiste et ne  correspondaient pas aux critères du “réalisme socialiste”.

 

En 1958, à un moment de sa vie où il s’était distancié considérablement de ses premiers engouements communistes, Laxness se moquait, dans une lettre adressée à sa femme, de “l’atmosphère sinistre qui règnait en Allemagne de l’Est”. Pour la politique de la RDA, son jugement était lapidaire et sans concession: “Je crois que l’Allemagne de l’Est mérite le prix du pays le plus laid et le plus sale que j’ai jamais visité; finalement, on peut dire que rien ne va là-bas car, en l’espace de quelques années, trois millions de personnes ont fui le pays. Si l’on compare avec les chiffres de la démographie scandinave, c’est comme si, en moins de dix ans, tous les Norvégiens avaient fui la Scandinavie”.

 

En 1970, Laxness écrit à un ami des propos peu flatteurs sur la servilité qu’il découvre dans les deux morceaux de l’Allemagne divisée: “De fait, comme je le constate dans les deux parties de l’Allemagne,  tous sont contents de leurs propres troupes d’occupation”. Ce genre de remarque n’étonne guère: le regard de Laxness était lucide, aiguisé, pour ce type de situation: il avait étudié la politique d’occupation danoise, qui avait duré des siècles.

 

Josef M. RAUENTHAL.

 

(texte issu de: http://www.deutsche-stimme.de/ ; trad. franç. : Robert Steuckers).

L. F. Céline: Lettre à Henri Béraud

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Lettre à Henri Béraud

 

«...Alors il n'y aura plus de question juive»

 

Mon cher Henri Béraud,

 

Vous seul pouvez réfuter avec assez de clarté, de force dans la modération, et de finesse pénétrante, les arguments de Blum au banquet de la Ligue contre l'Antisémitisme.

Nous n'en voulons pas aux juifs en tant que Juifs. (C'est une race intelligente, entreprenante, active, — bien que folle dans le fond!) Ce que nous leur reprochons, c'est de faire du RACISME. C'est de ne s'être jamais prêtés chez nous  —comme partout—  à ce mélange des races  dont Blum ose faire état quand il invoque ses ancêtres gaulois! C'est de nous mépriser. Un juif prendra avec plaisir, pour maîtresse, Mlle Dupont ou Mlle Durand. Mais quand il voudra se marier, c'est Mlle Jacob ou Mlle Abraham qu'il épousera. Ce n'est donc pas nous qui l'excluons de notre communauté. C'est lui qui s'en tient volontairement à l'écart, avec une fierté méprisante—et ridicule. Blum a l'aplomb de parler de religion, de prétendre qu'on persécute le juif comme attaché à une foi, au même titre que le catholique (en Allemagne par exemple) — Or, sur dix juifs, il y a neuf agnostiques. La religion juive ne nous gêne en rien, le juif lui-même s'en moque, c'est un enfantillage d'en vouloir faire l'objectif. C'est en tant que race  qu'Israël nous turlupine, race orgueilleusement préservée de la corruption — la corruption, c'est nous! Que M. Blum nous cite un seul non-juif dans ses ascendants, s'il l'ose! Voilà le fait. Fût-il mort au champ d'honneur, le juif est mort sans une goutte de sang français dans les veines. Nous le tenons pour non français parce qu'il se refuse; lui, et lui seul, à pactiser dans le fait  avec les français. Le jour où il lèvera cet interdit et se fondra réellement dans le bloc national, comme les bretons ou les provençaux, alors il n'y aura plus de question juive.

... Et vive Gringoire!

 

L.F. Céline

 

 

Note:

 

Cette lettre, datant sans doute de 1938, est adressée au célèbre éditorialiste de l'hebdomadaire Gringoire,  Henri Béraud, auteur de Popu roi  dans lequel il raille le Front populaire. Dans Gringoire, Béraud attaquait violemment le gouvernement de Léon Blum tout en se défendant toujours d'être antisémite. Ce document est extrait du numéro spécial consacré à Béraud («Henri Béraud, le flâneur salarié») par la revue Le Lérot rêveur  (n° 40, mai 1985). Prix : 50 FF, franco. Editions du Lérot, à Tusson, F-16140 Aigre.

dimanche, 12 juillet 2009

Knut Hamsun sauvé par Staline!

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Knut Hamsun sauvé par Staline!

 

Cette année 2009 célèbre le 150ème anniversaire de Knut Hamsun (1859-1952). Le romancier norvégien, né Knut Pedersen, est, avec Hendrik Ibsen, l’écrivain norvégien le plus lu et le plus traduit dans le monde. En 1890, Knut Hamsun fait ses début avec son roman “La faim” qui innove quant à la manière d’écrire. Ce roman fut d’emblée un grand succès et amorça une carrière littéraire longue et productive. En 1920, Knut Hamsun obtient le Prix Nobel de littérature. Son influence sur la littérature européenne et américaine est énorme et d’une importance inestimable. Des écrivains comme Ernest Hemingway, Henry Miller, Louis-Ferdinand Céline, Hermann Hesse, Franz Kafka, Thomas Mann et I. B. Singer ont été inspirés par le talent de Knut Hamsun. Singer l’appelait le “père de la littérature moderne”. En Flandre, deux écrivains, Felix Timmermans et Gerard Walschap, ont reçu l’inspiration du Prix Nobel norvégien.

 

En Norvège, le 150ème anniversaire de la naissance de Knut Hamsun sera célébré par des expositions, des productions théâtrales et une conférence internationale. L’une des principales places d’Oslo, située juste à côté de l’Opéra national, portera dorénavant son nom. On érigera enfin un monument en son honneur. On dirait que les Norvégiens viennent de découvrir le nom de leur très célèbre compatriote. Ces derniers temps, un grand nombre de villes et de villages ont donné son nom à une place ou à une rue. A l’endroit où il résidait, à Hamaroy, on ouvrira officiellement un “Centre Knut Hamsun”, le 4 août, jour de son anniversaire. Ce jour-là, un timbre poste spécial sera émis. Pourtant, Knut Hamsun a été conspué et vilipendé pendant des décennies par l’établissement norvégien.

 

Goebbels

 

Hamsun a mené une vie de nomade pendant la majeure partie de son existence. Il est né fils d’un pauvre tailleur. Son père, démuni, le confia à un oncle riche. Le garçonnet devait travailler pour cet oncle afin de rembourser les dettes que ses parents avaient contractées auprès de ce dernier, âpre au gain. Au bout de quatre ans, le jeune garçon, alors âgé de quatorze ans, en a eu assez de cet oncle et s’en alla de par le vaste monde. Deux fois, la faim le poussa à émigrer aux Etats-Unis où il exerça trente-six mille petits métiers. Avec, toujours, un même objectif en tête: devenir écrivain. Son modèle était son compatriote Björnstjerne Björnson.

 

Après sa percée littéraire avec “La faim”, Hamsun devint incroyablement productif. Il devait une large part de son succès aux traductions allemandes de son oeuvre. Ses livres y connaissaient des tirages fantastiques. Grâce à son éditeur allemand, Hamsun a enfin pu connaître, après tant d’années de misère noire, la sécurité financière. Mais il y eut plus. L’écrivain norvégien n’a jamais dissimulé sa germanophilie. Qui, de surcroît, prenait davantage de relief au fur et à mesure que grandissait son anglophobie. L’arrogance britannique le révulsait. Il ne put plus la tolérer après la Guerre des Boers et les interventions musclées en Irlande. A ses yeux, les Britanniques ne méritaient plus aucune attention, rien que du mépris. A cette anglophobie s’ajouta bien vite son anti-communisme.

 

Pendant l’occupation allemande de la Norvège (1940-45), il aida certes l’occupant mais demeura avant tout un patriote norvégien intransigeant. Dans ses articles, Knut Hamsun exhortait ses compatriotes à s’engager comme volontaires pour aider les Allemands à combattre le bolchevisme. Le Président américain Roosevelt était, à ses yeux, un “juif de service”. Il fut reçu par Hitler et Goebbels avec tous les honneurs. La rencontre avec Hitler eut des effets sur le long terme. D’abord, Hamsun, atteint de surdité, foula les règles du protocole aux pieds et exigea du Führer le renvoi du gouverneur allemand Terboven, craint et haï. Personne n’avait jamais eu le toupet de parler sur ce ton à Hitler et ne l’avait à ce point brusqué. L’intervention de Hamsun eut toutefois des effets: après sa visite à Hitler, les exécutions arbitraires d’otages ont cessé.

 

La potence?

 

Le 26 mai 1945, Hamsun et son épouse, une national-socialiste convaincue, sont mis aux arrêts à domicile. Pour des raisons peu claires, Hamsun est déclaré “psychiquement dérangé” et enfermé pendant un certain dans une clinique psychiatrique d’Oslo. Le gouvernement de gauche voulait se débarrasser de lui mais, mise à part sa germanophilie, on ne pouvait rien lui reprocher. Il n’avait jamais été membre de quoi que ce soit. Bien au contraire! Grâce à lui, bon nombre de vies avaient été épargnées. Certes, il avait refusé de nier la sympathie qu’il éprouvait pour Hitler. Fin 1945, le ministre soviétique des affaires étrangères, Molotov, fait savoir à son collègue norvégien Trygve Lie qu’il “serait regrettable de voir la Norvège condamner son plus grand écrivain à la potence”. Molotov avait entamé cette démarche avec l’accord de Staline. C’est après cette intervention que le gouvernement norvégien renonça à faire le procès de Hamsun et se borna à lui infliger une solide amende qui le mena quasiment à la faillite. La question reste ouverte: la Norvège aurait-elle condamné le vieillard Hamsun à la peine de mort? Les collaborateurs norvégiens ont tous été condamnés à de lourdes peines. Mais l’Union Soviétique pouvait exercer une influence forte et redoutée en Scandinavie dans l’immédiat après-guerre.

 

Jusqu’à sa mort en février 1952, le gouvernement norvégien a traité Hamsun comme un délinquent de droit commun. Il a fallu attendre soixante ans pour qu’il soit réhabilité.

 

(texte issu de l’hebdomadaire anversois “ ’t Pallierterke”, 24 juin 2009; trad. franç.: Robert Steuckers).

vendredi, 10 juillet 2009

Marcel Aymé: Témoignage sur L. F. Céline

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Témoignage

 

Céline était issu de ce milieu de petits commerçants parisiens, tous plus ou moins antisémites, parce qu'au temps où ils étaient employés de commerce, le juif symbolisait pour eux le patronat et qu'après s'être établis, ils avaient trouvé en lui un redoutable concurrent accusé de ruiner le petit négoce avec le concours de la banque juive. N'oublions pas que jusqu'à l'affaire Dreyfus, la classe ouvrière à Paris (et non en province) était ouvertement antisémite, prétendument en souvenir des banquiers de l'Empire, en realité pour des raisons plus intimes. Lorsque Jaurès eut pris parti dans l'Affaire, l'hostilité des ouvriers cessa d'être avouée, mais n'en subsista pas moins et si, aujourd'hui encore, il existe à Paris un ferment d'antisémitisme, ce n'est pas dans les beaux quartiers, mais dans ce qu'on appelait autrefois les faubourgs et aussi parmi les petits boutiquiers de la capitale. On imagine bien que dans la boutique du passage Choiseul (lequel était déjà sur son déclin) où Céline Destouches (1), la mère de notre futur écrivain, vendait ses dentelles, l'enfant a dû grandir dans la familiarité de cette hargne antijuive flétrissant les suppôts de l'anti-France qui menaçaient le pain du foyer. Et ce n'est pas une prise de conscience littéraire qui a réveille et fait flamber tout à coup un antisémitisme demeuré latent dans son cœur et dans son esprit, mais une injustice outrageante subie dans l'exercice de sa profession de médecin et perpétrée au profit d'un confrère juif. D'autres que lui auraient encaissé l'affront en rongeant leur frein, mais je l'ai dit, on ne l'attaquait pas qu'il ne se défendit à fond, avec toutes ses forces. On jugera excessifs les développements donnés à cette affaire personnelle. Mais une injustice est-elle jamais uniquement affaire personnelle? En tout cas une chose est sûre, c'est que Céline, s'il n'avait pas été provoqué, visé au cœur, ne serait jamais parti en guerre contre les juifs. Ce n'est donc pas, selon le mot de Jean-Pierre Richard, «un délire de causalité» qui l'a jeté hors de ses gonds. Ici, c'est l'injustice qui a engendré l'injustice. Et si la riposte a été hors de proportion avec l'injustice initiale, c'est que Céline, en proie à la colère et à son génie verbal, avait précisément perdu cette faculté d' «objectiver» qu'il possédait pleine lorsqu'il s'agissait de Bardamu et de ses autres créations.

 

Marcel AYME (1963).

 

(1) En réalité, Marguerite Destouches-Céline était le prénom de la grand-mère de l'écrivain.

dimanche, 05 juillet 2009

James Graham Ballard nous a quittés...

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Claudio ASCIUTI:

 

James Graham Ballard nous a quittés...

 

James Graham Ballard, l’écrivain pessimiste et cyberpunk a disparu

 

Les “crocodiles” du journalisme italien sont des animaux étranges. Pendant longtemps, ces “crocodiles”  —expression italienne pour désigner les fiches biographiques d’hommes et de femmes célèbres que l’on conserve dans les rédactions des journaux—  demeurent dans les tiroirs secrets des experts auto-proclamés des médias. On ne les libère de leur prison poussiéreuse qu’à la mort de l’être d’exception qui a justifié leur existence. Aujourd’hui, ces “crocodiles” n’ont presque plus raison d’être: il suffit de faire une petite promenade sur la grande toile, de consulter par paresse Wikipedia et le tour est joué! Tout défunt qui vient fraîchement de décéder, et dont on ignore tout ou quasi tout, trouve subitement, face à son cadavre, une foultitude d’experts qui, par une sorte de parthénogénèse, lui taillent de belles biographies posthumes, véritables “crocodiles” de brics et de brocs, de vérités toute faites et d’approximations. Le 25 février 2009, le grand Philip José Farmer nous quittait et aucun de nos quotidiens nationaux ne lui a consacré une ligne. Le 19 avril 2009, c’était au tour d’un autre grand écrivain anglo-saxon de passer de vie à trépas: James Graham Ballard. Les journalistes italiens de service lui ont consacré des articles, tous égaux, tous similaires, ce qui nous donne l’impression que tous ces zélotes de nécrologues avaient l’habitude de dormir avec ses oeuvres sous l’oreiller.

 

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C’est faux. Evidemment. Seul le quotidien “L’Unità” a choisi un homme digne d’écrire une rubrique nécrologique substantielle à l’occasion de la disparition de James Graham Ballard. Cet homme est Antonio Caronia, spécialiste universitaire de l’imaginaire moderne et traducteur de notre écrivain anglais. Les autres nécrologues zélés ne savaient manifestement pas qui était Ballard: dans leurs “crocodiles”, ils nous ont décrit un homme et sa littérature mais c’était un homme et une littérature qui n’existaient pas. Ou bien ils ont glosé, de manière conventionnelle,  sur d’autres problématiques, déconnectées de la biographie réelle de l’écrivain. Ils évoquaient certes le titre de ses livres mais ceux-ci, sous leur plume, semblaient changer de contenu. On peut même se demander s’il s’agissait bien des mêmes livres. Ou du même auteur...

 

Ballard fut essentiellement un écrivain de science-fiction, qui n’a pas “renié”, comme quelqu’un l’a écrit, ses oeuvres antérieures à 1962, année où il a inventé l’ “inner space”, l’espace intérieur, évoqué dans les “crocodiles” les moins banals mais sans que leurs auteurs ne comprennent réellement de quoi il s’agit. Alors que c’est fondamental. Avec cet “espace intérieur”, Ballard a provoqué une grande révolution dans ce genre littéraire, tout en déclarant, comme bien d’autres dans les années 60, que c’était fini d’écrire encore et toujours comme on l’avait fait auparavant. Les temps avaient changé: la littérature devait changer elle aussi. Ballard s’est donc mis au travail, à fond, jusqu’à pouvoir dépasser les conventions du genre; il s’est mis à écrire des thrillers dans une sphère postmoderne. Le succès mondial est alors arrivé, avec le roman autobiographique “L’Empire du Soleil” (1984); c’est par cet ouvrage que les intellectuels et le grand public l’ont découvert. Lorsque, trois ans plus tard, Steven Spielberg en a tiré un film homonyme et lorsque la vogue du “cyberpunk” l’élit comme son “père putatif”,  alors le monde a su que Ballard était prêt à être “embaumé” dans le mastaba de la littérature.

 

D’où cette volonté des fauteurs de “crocodiles” de donner à leurs lecteurs un cadre préétabli  pour l’oeuvre et une définition homologuée de l’auteur, cadre et définition qui font de lui un écrivan présentable, digne de figurer dans les hautes sphères de la culture officielle, après avoir expurger la science-fiction du discours. Ballard est ainsi devenu un précurseur de la vogue “cyberpunk”, un écrivain décrété “subversif” à la façon des médiacrates, un révolutionnaire, un prophète du futur, un visionnaire, celui qui utilise la science-fiction pour dénoncer le monde moderne, alors qu’en réalité Ballard n’écrivait pas de science-fiction. Et dans la foulée, Ballard est également devenu un anti-fasciste bon teint, un philo-américain. Mais le Ballard, que mes amis et moi avons connu, celui que nous avons aimé, est bien différent de l’image que lui ont taillée les fauteurs de “crocodiles”. Et c’est bien sûr notre vision que nous aimerions évoquer dans cet hommage. Les éléments biographiques coïncident, entre nous et les “crocodiles”, mais non les résultats, non le jugement final à porter sur l’homme et sur l’oeuvre. C’est comme ses livres: mêmes titres mais autres contenus.

 

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Le Ballard, dont nous aimons nous souvenir aujourd’hui, est né à Changhai, en Chine, en 1930, dans une famille anglaise. Elle a été internée dans le camp de détention japonais de Lunghua de mars 1943 à août 1945. Ballard n’utilisera jamais cette détention pour en tirer de quelconques avantages ou pour se faire valoir. Au contraire, en dépit des privations et de la violence des gardiens, il ne cessera de considérer ces deux années comme les meilleures de sa vie. Il témoignera amitié et respect pour les Japonais et l’image que son art nous a léguée, celle du gamin anglais auquel les soldats nippons enseignent le kendo, est très belle. Son père, après la guerre, témoignera d’ailleurs en faveur du premier commandant du camp, Hyashi. Ballard décrira également les avions japonais et anglais, et surtout américains, qu’il verra en action; dès son retour en Grande-Bretagne et après avoir terminé sa scolarité, il s’engagera comme volontaire dans la RAF et partira pour le Canada, où il acquerra toutes les techniques du pilote. C’est quand il servait dans les rangs de la RAF que Ballard a découvert la science-fiction et décidé de devenir écrivain. Il donne sa démission, retourne en Angleterre et commence à écrire des nouvelles.

 

Avec “Prima Belladonna” (1956), il sort de l’anonymat. Avec cet ouvrage, il crée le noyau central de ce que l’on appellera “le cycle de Vermillon Sands”, d’après le nom du lieu où se déroulent les récits. Un lieu qu’il définit comme “les périphéries exotiques de son esprit”, avec un scénario inspiré de Dali et de Tanguy autant que d’Ernst, avec voiliers de sable et scorpions gemmés, et surtout les destins obscurs qui accablent les protagonistes de ses nouvelles et romans. Il suffit de penser à “Mers de sable”, qui reprend et rappelle Coleridge et sa “Balade du vieux marin”, pour se rendre compte de l’ampleur du discours narratif ancré dans “Vermillon Sands”.

 

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Mis à part ce cycle, les nouvelles de Ballard forment, à elles seules, une sorte de second texte: “La parade des atrocités”, qui n’est pas un roman comme l’ont écrit les fauteurs de “crocodiles” mais un recueil de quinze nouvelles qui ont eu un impact très puissant sur l’imaginaire contemporain; il s’agit d’écrits de style expérimental, sorte de croisement entre Dos Passos, William Burroughs et James Joyce. La censure américaine a frappé ces récits de l’anathème d’une interdiction et c’est là, d’après les fauteurs de “crocodiles”, que réside la marque essentielle de cette oeuvre. En réalité, la première édition américaine de 1970 a été envoyée au pilon parce qu’elle contenait un récit (et non un article comme on l’a écrit) intitulé “Pourquoi vouloir enc.. Ronald Reagan”. Ce récit a fait, comme on s’en doute, la réputation de Ballard, tout comme, d’ailleurs, un autre, intitulé, lui, “Plan pour l’assassinat de Jacqueline Kennedy”. Et si le titre n’est pas dû à l’auteur lui-même, “Amour et napalm: les Etats-Unis organisent leurs exportations” en dit long sur son contenu. Le récit le plus célèbre de Ballard, dans cette veine, demeure toutefois “La mort de John Fritz Kennedy considérée comme une course automobile en vrille”. L’idée de Ballard était la suivante: si on commence un récit par la mort de Kennedy, on peut amorcer une construction de la réalité par le truchement des médias; surtout aux Etats-Unis, nous assistons, par le jeu permanent des médias, à la création constante d’une nouvelle mythologie avec des individus et futurs héros de l’imaginaire contemporain, tels Kennedy, Marilyn Monroe, James Dean et Reagan, dont Ballard avait prédit avec beaucoup de lucidité l’élection au poste de Président. Précisons que notre écrivain anglais si raffiné n’est pas anti-américain.

 

Après “La parade des atrocités”, on aurait pu penser que tous les écrits de science-fiction que l’auteur écrirait ultérieurement déboucherait sur la farce. Mais Ballard a continué. Depuis la fin des années 50 jusqu’à la fin de son itinéraire littéraire, il a bousculé le concept même de science-fiction et, dans son oeuvre, publiée en quatre volumes en Italie chez Fanucci après que Mondadori en ait cédé les droits, il me paraît impossible d’établir une hiérarchie, de dire que ceci est meilleur que cela. De l’oeuvre de Ballard, on peut dire qu’elle a exploré le présent ou, mieux, les plis et replis d’événements occultés de notre présent: des “aliens” invisibles qui nous espionnent, des explosions nucléaires, des simulations d’événements, les régressions psychologiques des individus. Les fauteurs de “crocodiles” n’ont pas perçu la similitude qui existe, indubitablement, entre Ballard et le grand poète anglais Thomas Stearns Eliot et sa théorie de l’ “objectif corrélatif”  —mais on pourrait dire aussi qu’ils n’ont pas vu, non plus, le lien entre Ballard et un autre grand poète, Italien celui-là: Eugenio Montale. Selon l’idée de l’ “objectif corrélatif”, l’espace physique extérieur devient la manifestation de l’espace intérieur. Les terrains d’aviation abandonnés, les carcasses amoncelées de vieilles voitures ou alignées de bombardiers déclassés, de hangars délaissés, d’espaces évacués par leurs habitants, de dunes, de marais, d’habitations vides, de plages désertes, de cieux si vifs qu’ils aveuglent, de soleils implacables, voilà tous les paysages, termes des équations narratives de l’écrivain. Ce sont des espaces géographiques d’une valeur unique, qui deviennent les expressions et les symboles d’un mal-être intérieur.

 

L’autre Ballard que nous entendons commémorer est le romancier, celui de “Vent de nulle part” (1961), “Le monde submergé” (1962), “Terre brûlée” (1964), “Forêt de cristal” (1966). Avec ces quatres livres, Ballard a réussi à décrire quatre types différents d’apocalypses de science-fiction. Ces romans témoignent d’une sensibilité écologique, qui, à l’époque, en était à ses premiers balbutiements. Ils mettaient en scène des modes divers par lesquels la Terre allait finir par frapper ses propres habitants, chaque fois à l’aide des quatre éléments alchimiques. Mais “Le monde submergé” et “Forêt de cristal” parient sur un registre plus vaste, en faisant implicitement référence aux symboles mythiques de l’eau et du cristal; l’individu s’y perd en régressant sur l’échelle de l’évolution, dans un monde submergé sous les eaux et devenu ansi un gigantesque marais ou dans une forêt qui, lentement, minéralise ses arbres et les êtres qui y  habitent. L’étape suivante de l’oeuvre ballardienne est marquée par “Crash” (1973), élaboration nouvelle du récit homonyme paru dans “La parade des atrocités”. “Crash” met l’accent sur un problème devenu, au fil du temps, une triste réalité contemporaine: la manie automobiliste qui contamine tous les hommes et provoque une avanlanche ininterrompue d’accidents de la route. Dans le roman de Ballard, l’automobile est devenu un ersatz de la sexualité; un groupe de personnes met en scène les grands accidents de l’histoire de l’imaginaire moderne: la séduction, la mort au volant, le fétichisme des images, tout cela devient autant de points de référence. Quand David Cronemberg fait de ce roman un film du même nom, en 1997, les bien-pensants furent atterrés.

 

 

 

Par la suite, Ballard a travaillé sur des romans largement autobiographiques sinon carrément biographiques: “L’Empire du Soleil”, que nous venons d’évoquer, et aussi “La gentillesse des femmes” (1991). Quant aux ouvrages ultérieurs des années 90, ceux qui permettent aux fauteurs de “crocodiles” de crier au miracle, ils recèlent tantôt une dimension écologiste, comme “Le paradis du diable” (1994), tantôt mettent au goût du jour sa poétique du désastre en situant l’intrigue des thrillers à la Costa del Sol ou en France; enfin, “Le Règne à venir” (2006) appartient aussi à la catégorie des bons romans, mais tous ces livres des années 90 et de la première décennie du 21ème siècle n’ont plus ni l’intensité destructrice ni la magie charmante du premier Ballard. Le passage du monde décapant de la science fiction à celui de la “haute” littérature, a certes apporté la consécration à notre auteur, l’a hissé dans l’empyrée des écrivains aimés du grand public et des intellectuels; ce n’est donc pas un hasard si tous ses romans sont aujourd’hui publiés par Feltrinelli en Italie, alors qu’auparavant ses oeuvres étaient éditées dans la collection de science fiction de Mondadori. Ce passage a fatalement transformé sa force  créatrice et l’a infléchie dans une direction nouvelle. Les fauteurs de “crocodiles” n’ont évidemment jamais lu les pages qu’il écrivait dans la légendaire revue anglaise “New Worlds”, et encore moins les récits qui l’ont fait découvrir et l’ont intronisé “grand écrivain”. Par conséquent, à la lecture de ces textes-là, nous pouvons dire qu’il est vraiment “réducteur” de confiner Ballard dans le seul rayon de science fiction.

 

Le Ballard que nous aimons n’est pas le Ballard des grands médias, des intellectuels médiatisés et médiacrates. C’est bien davantage l’homme qui a rédigé sa propre biographie (“Les miracles de la vie”), éditée depuis peu de temps seulement en Italie, chez Feltrinelli. Dans ce récit autobiographique, Ballard affirme qu’après le camp de prisonniers les meilleurs moments de sa vie sont tous ceux liés à son épouse (qui mourra jeune) et à ses trois fils qui se sont débrouillés seuls et qui, par là même, constituent des miracles, bien plus que ses livres. Il est resté quarante ans avec la même compagne et il en parle avec le même enthousiasme qu’il y a quatre décennies.

 

L’auteur que nous lisions quand nous étions adolescents dans les années 60 et 70 dans les pages de la revue “Urania”, qui nous faisait découvrir les pistes nouvelles de la science fiction où il n’y avait plus de vaisseaux spatiaux, de voyages intersidéraux, d’envahisseurs extra-terrestres mais seulement une volonté bien précise de parler du présent et de ses maux, à travers, par exemple, le corps d’un géant abandonné sur une plage, l’ampleur d’un baiser, un delta grouillant de serpents, de mystérieuses tours d’observation qui descendent du ciel, la carcasse d’un B52. C’est donc ce même homme qui, après une vie qui ne fut guère facile, n’a pas sombré dans les pleurnicheries ou dans les invectives,  comme beaucoup d’autres, mais, au contraire, s’est retroussé les manches pour affronter le réel sans faiblir. Et il termine son autobiographie en annonçant à ses lecteurs qu’il est miné par un cancer et que, par conséquent, ils viennent de lire ses dernières lignes.

 

Je me rappellerai toujours le “gentleman” du Festival du Dragon de Viareggio en 1992 quand, avec ma copine et un ami, je m’étais faufilé parmi les “VIP” pour me retrouver  finalement à sa table, sans y avoir été invité; nous étions là, tous les trois inconnus, en shorts, en maillots de rugby, les cheveux longs. Ballard ne parlait pas italien et, nous, nous ne parlions pas anglais: cela ne l’a nullement empêché de dîner avec nous, ce soir-là, en irradiant une gentillesse toute britannique (soit dit en passant: à peu près toutes les grandes huiles de la littérature italienne auraient fait appel aux services de sécurité pour nous faire virer illico...). Ballard souriait et parlait, interrompu par une interprète. Il y avait là un grand écrivain mondialement connu et trois de ces lecteurs italiens les plus férus incapables de balbutier la moindre parole. Je n’en dirai pas  davantage. Merci, James, bon vol. Et bon atterrissage.

 

Claudio ASCIUTI.

(article paru dans le quotidien romain “Rinascita”, 25-26 avril 2009; traduction et adaptation française:  Robert Steuckers).