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samedi, 17 janvier 2009

L'héritage de Sparte

Leonidas_in_Sparta.jpg

 

Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - CRITICON (Munich) - ORIENTATIONS (Bruxelles) - Février 1990

L'héritage de Sparte:

Hommage à la Prusse de la Grèce antique

par Gerd-Klaus KALTENBRUNNER,

Si la Prusse-Brandebourg fut le "pôle nord" et l'Autriche le "pôle sud" de l'histoire allemande mo-derne, la politique et la civilisation hellé-niques furent marquées pendant des siècles par l'opposition entre Athènes et Sparte. L'Autriche et la Prusse ne furent pas seulement des constructions étatiques: elles ont également in-carné une manière d'être, un état d'esprit, un style, une éthique. Il en est de même pour Athènes et Sparte. Ce dualisme resta d'ailleurs bien vivace longtemps après que les deux cités-Etats grecques eurent perdu leur puissance et même leur indépendance. A l'instar de l'ancien Empire allemand, qui comprenait une multitude d'Etats dont certains étaient de taille mi-cro-sco-pique, la Grèce antique ne formait pas une unité politique; c'était une mosaïque de villes et de confédé-rations, toutes jalouses de leur indépen-dance. Cer-taines de ces poleis  jouèrent, en leur temps, un rôle éminent, politiquement ou cultu-rellement. Citons par exemple les villes grecques d'Asie mineure, Ephèse, Milet et Smyrne, les colonies grecques de la Mer Noire, de Sicile ou d'Italie du Sud. Sur le continent hellénique, ce furent Corinthe et Thèbes, Argos et Némée, Eleusis et Delphes, sans oublier les nombreuses villes-Etats de la Mer Egée: la Crète, Chypre, Rhodes, Samos, Lesbos, Delos, Chios, etc...

Chacun de ces noms renvoie à une facette de l'"hel-lénité", incarne un aspect unique, irré-ductible, de la culture grecque. Pourtant, seules Athènes et Sparte ont acquis une dimension historique mondiale. C'est qu'elles furent, avant tout, des "idées" au sens plato-nicien, c'est-à-dire susceptibles, selon les circons-tances, de se réactualiser, de se réincarner sans cesse. Elles ne furent pas des concepts abstraits mais des modèles vivants d'existence historique pouvant à tout moment orienter l'histoire réelle. La Guerre du Pélo-ponnèse, cette "guerre mondiale grec-que" selon la formule magistrale de Thucydide, constitue l'épiphanie de cette opposition, où se résorbe l'insurmontable dualité Sparte-Athènes. Pour Platon mais aussi pour Rousseau et, plus récemment, pour Maurice Barrès, Sparte était l'archétype de l'"Etat vrai". Or, cet arché-type sert depuis longtemps de repoussoir à une politologie qui s'est dégradée en "science de la démocra-tie" au service de l'"esprit du temps".

Sparte ou Spartacus?

On peut, bien entendu, être spartakiste, puisque ce terme ne renvoie pas à un groupe d'extrême-droite mais à un mouvement communiste (le communisme passant déjà pour une forme de démocratie). Etre spartakiste, cela n'a plus rien de dégradant. Le sparta-kisme, c'est de gauche, donc c'est bien. Le mot n'évoque-t-il pas l'es-clave Spartacus, originaire, non de Sparte, mais de Thrace, qui avait organisé la révolte contre ses maîtres romains? Sparte, en revanche, voilà le diable. La "spartitude", c'est synonyme de ru-desse, de dureté, de vexations inutiles... Mais que valent les beaux discours sur la "démo-cratie" quand survient l'Ernstfall:  le cas d'ur-gen-ce, la situation périlleuse, exception-nelle? L'ins-tant où la question n'est plus de savoir si l'on va se permettre un peu plus ou un peu moins de confort "démocratique"? Où le défi existen-tiel se résume en deux mots: se battre ou dispa-raî-tre...

Combien pèsent, sur le plateau de la balance, les so-phismes libéraux-démocratiques le jour où les armées ennemies franchissent la frontière, saluées par des cin-quièmes colonnes qui déroulent joyeusement le drapeau de l'étranger et s'ali-gnent pour la collabora-tion? A ce moment-là, la seule alternative n'est-elle pas: Aut Spartiates aut Spartacus  (Etre Spartiate ou Spartakiste)?

Aujourd'hui, au nom de Sparte, qui se souvient du mythe d'Hélène, la plus belle femme du mon-de? Qui se souvient que Castor et Pollux, le cou-ple inséparable des deux frères héros qui recevra plus tard une patrie céleste en devenant la constellation zodiacale des Gé-meaux, étaient d'o-ri-gine spartiate et furent honorés à Sparte? On a oublié que Cythère, île fortunée dédiée à Aphro-dite, faisait partie du territoire de Sparte. Révolu est le temps où les écoliers découvraient, le coeur bat-tant, les légendes de l'Antiquité classi-que et s'enthousiasmaient de ce que Sparte, pour-tant située au centre de la plaine de l'Eurotas, ait renoncé, jusqu'à la période hellénistique, à se construire des remparts. Si les Spartiates n'ont pas voulu ériger des fortifica-tions artificielles et des forteresses, c'est parce qu'à Sparte, les hommes, c'était l'Etat. Ces hoplites, qui misaient sur la force de leurs poings et de leurs armes, savaient que chacun était une pierre d'un rempart vi-vant: l'esprit de défense de la Polis. Qui se rappelle en-fin ce que rapportaient Aris-tote, Plutarque et d'autres écrivains antiques: nulle part ailleurs, dans aucun autre Etat grec, la femme n'avait autant de droits civils et publics que dans cette cité dorienne qui exaltait comme nulle autre la fraternité virile?

La Gérousie

On oublie souvent, semble-t-il, que Sparte fut le pre-mier Etat au monde à posséder une sorte de tribunal constitutionnel. Il s'agit des cinq épho-res ou "gardiens des lois" qui pouvaient même traduire les rois (il y en avait toujours deux à la tête de la polis) devant leur ju-ridiction. Il faut rappeler que Sparte, justement parce que sa constitution était "spartiate", a toujours su étouf-fer dans l'oeuf l'émergence de tyrans populaires, ce qui ne fut pas le cas des autres cités-Etats grecques. Soucieux de donner une expression politique à la sa-gacité, à l'expérience et à la sa-gesse des Anciens, les Spartiates créèrent la Gé-rousie: aucune affaire impor-tante de l'Etat ne pouvait être tranchée sans l'assentiment préala-ble de ce Conseil des Anciens qui, avec les deux rois représentant le couple de Gémeaux mythologi-ques, Castor et Pollux, comprenait trente mem-bres au total. Pour siéger à la Gérousie, il fallait avoir au moins soixante ans. L'appartenance à ce corps, incarnation politique du principe de sénio-rité, était définitive: seule la mort pouvait y met-tre fin. Il ne fait guère de doute que la stabilité politique de Sparte, pendant des siècles, était due en partie à cette institu-tion, capable de dé-jouer à temps tous les projets préci-pités, les ini-tiatives inconsidérées ou les idées non mû-ries.

Mais ni la belle Hélène ni les dioscures siégeant au firmament étoilé ni la sagesse du Conseil des Anciens n'ont aujourd'hui droit de cité lorsqu'il est question de Sparte. Même le poète Tyrtée, qui vivait au VIIième siècle avant notre ère et dont les éloges de Sparte sont nombreux, paraît oublié. Et pourtant, Tyrtée était Athénien de naissance. On dit qu'il boitait et avait été maître d'école. Ce n'est que plus tard qu'il devint pa-né-gyriste de Lacédémone et citoyen spartiate. Plus de deux mille ans après, le Souabe Hegel allait bien à Berlin où il devint... philosophe de l'Etat prussien! C'est dans la guerre, disait Hegel, que se manifeste la cohésion de chacun avec l'ensemble. Et il ajoutait que la guerre était l'esprit et la forme où se focalisait l'essentiel de la sub-stance éthique d'un peuple ou d'une nation.

Quant à Tyrtée, j'hésite à le citer car, s'il vivait de nos jours, ses éloges de l'héroïsme spartiate lui vaudraient certainement d'être marqué du signe infamant d'"extrémiste de droite". Une de ses élégies, consa-crée aux héros de la deuxième guerre médique, paraî-trait presque obscène à des oreilles pacifistes, à l'instar du fameux vers d'Ho-race selon lequel "il est doux et honorable de mourir pour la patrie" (Carmina  III, 2, 13), ou encore de Hölderlin dont on s'obstine —sans suc-cès— à faire un Jacobin en puissance:

"Sois grande, ô ma patrie,

Et ne compte point les morts;

pour toi, ma bien-aimée

Aucun mort ne sera de trop!".

Le Romain Horace et l'Allemand Hölderlin sont en fait des fils posthumes de Tyrtée, Spartiate d'adoption, qui, dès le VIIième siècle avant no-tre ère, proclamait son mépris pour l'homme, fût-il par ailleurs de qualité ou de haut rang, qui ne fît pas ses preuves sur un champ de bataille. Voici les premiers vers d'une élégie à laquelle se réfère explicitement Platon dans son dia-logue Des Lois  (629, a-e):

"Je ne ferais nulle mention ni ne tiendrais compte d'un homme,

Quand il serait couronné à la course ou à la lutte,

Aurait la taille et la force d'un cyclope,

serait aussi rapide que le vent de Thrace,

Serait plus beau que Tithonos

Et plus riche que, jadis, Midas et Kinyras;

quand il serait de sang plus noble que Pélops, fils de Tantale,

et aurait la magie du verbe d'Adraste,

et serait grand en toutes choses,

s'il n'est pas grand dans la tourmente du combat!

Car il ne sera pas brave à la guerre

Celui qui ne supporte pas de regarder la tuerie sanglante

Et n'attaque pas l'adversaire

en l'affrontant de près.

C'est la vraie vertu, le plus beau et le meilleur des prix

Que le jeune sang puisse un jour conquérir (1)".

L'Etat guerrier

Les vers de Tyrtée, Spartiate d'adoption, nous rap-pel-lent sans équivoque possible que Sparte fut un Etat guerrier au sens le plus vrai du terme. Un Etat enca-serné, a-t-on pu dire, un Etat pratiquant l'élitisme eu-géniste et dont certains as-pects évoquent le commu-nisme de guerre. Le mo-dèle de la politeia  selon Pla-ton, aristocrate athénien mais spartanophile. Une synthèse appa-remment perverse entre prussianisme et so-cia-lisme. Et le cauchemar de tous les libéraux, de Wil-helm von Humboldt à Karl Popper et à Hen-ri Marrou.

Il ne faut pas s'illusionner: toutes ces descrip-tions, même exagérées dans les détails, même caricaturales (et caricaturées pour les besoins de la polémique) ont un fond de vérité. Athènes exceptée, aucun autre Etat antique ne nous est mieux connu que celui des Spar-tiates qui se nom-maient eux-mêmes Lacédémoniens (le Spartiate était l'homme libre, citoyen à part entière). Les anecdotes les plus effarantes reposent sur de so-lides témoignages. Il est hors de doute que Spar-te, même et surtout à une époque avancée de l'his-toire an-tique, était, comparée à Athènes, un Etat extrême-ment archaïque, rude et xénophobe. Et il est indéniable que jusqu'à la fin, cet Etat a veillé jalousement et or-gueilleusement à préser-ver cette différence-là. Inutile de broder sur l'orgueil ostentatoire, sur la morgue du Spartiate, fût-il citoyen ordinaire. Chaque Spartiate était moi-tié roi moitié brigand. Les textes authen-ti-ques de Tyrtée lui-même sont là pour infirmer toute tentative de banalisation. Tyrtée nous mon-tre sans conteste un Etat où le guerrier l'empor-tait sur le bel esprit et le marchand. Toute la cul-ture était axée sur la chose mi-litaire et l'idéal était le sous-officier d'active. Quand une mère avait perdu son fils à la bataille, elle refusait la-co-niquement (c'est le cas de le dire) toutes con-do--léances: "Je n'ignorais pas qu'il était mortel", et ce que proclame solennellement le choeur de la pièce de Schiller Die Braut von Messina:  "La vie n'est pas le bien suprême" (acte 4, scène 10), était, à Sparte, le b.a.-ba de la formation po-li-tique de n'importe quelle recrue. L'épigramme du lyrique Simonidès dédié aux Spartiates tom-bés aux Thermopyles exprime lapidai-rement ce que l'on attendait du soldat:

"Passant, va dire à Sparte

Que tu nous as trouvés, gisants

Conformément à ses lois".

Vouloir minimiser a posteriori la sévérité spar-tiate est une entreprise vouée à l'échec. La civi-lisation lacédé-monienne n'était guère littéraire mais très athlétique. A Sparte, la poésie fut un produit d'importation, comme en témoigne l'exem-ple des trois grands poètes, Tyrtée, Ter-pandros et Thaletas: le premier venait d'Athènes, le second d'Antissa (Ile de Lesbos), le troisième de Crète. Sparte les fit venir comme poètes offi-ciels, un peu comme la Prusse prendra à son service les Souabes Hegel et Schelling, le Baron de Stein, origi-naire de Nassau, le Hessois Sa-vigny et le Saxon Ranke. La cuisine était aus-tère, c'était le cauchemar des gosiers corinthiens, crétois ou sybarites. Les dis-tributions collectives de "soupe au sang" étaient considérées, hors de Sparte, comme un vomitif.

Un système d'éducation terrible

A sept ans révolus, les enfants appartenaient à l'Etat qui prenait en charge leur éducation. Les garçons, no-tamment, devaient gravir, échelon par échelon, les étapes de la hiérarchie dans les formations de la jeu-nesse d'Etat. La musique et la poésie étaient considé-rées comme des acces-soires de la pédagogie d'Etat. L'autonomie du sens et du goût esthétiques n'était guère prisée: la danse réduite à un exercice gymnique, la poé-sie au rôle d'auxiliaire de l'éducation politique et la musique à un instrument de drill et de dres-sage. Outre le chant choral, musique militaire et chansons de marche au son de la flûte (qui jouait dans l'Antiquité, on le sait, le rôle de nos tam-bours et trompettes): tel était le parnasse spar-tiate.

La vertu suprême était le patriotisme poussé jus-qu'au sacrifice et la subordination des intérêts in-dividuels au salut de l'Etat. Obéissance, endurcis-se-ment des corps et des âmes, frugalité et dis-cipline faisaient partie des règles de vie les plus na-turelles. La discipline, surtout, imprégnait et mo-delait toutes choses: celle des enfants et des adul-tes, discipline à l'école, discipline à table, discipline du corps et de l'esprit, de la concep-tion à la tombe: c'était l'art de gouverner à la spartiate. Est-il besoin de souligner que dans cet-te polis dorienne, la pédérastie, amours "inver-ses d'homme à homme", comme disait Hans Blü-her, était omniprésente? Force est de la considé-rer comme une devotio lacedaemonia,  spéci-fique d'un Etat organisé en Männerbund  (con-frérie virile). Dans ce domaine comme dans d'au-tres, n'enjolivons rien.

Le Taygète

Même observation à propos d'une loi que Plu-tarque fait remonter à Lycurgue, le législateur semi-légendaire de Lacédémone: à sa naissance, l'enfant est examiné par les Anciens du clan. S'il est jugé sain, bien fait et vigoureux, il est dé-claré digne d'être éduqué. Si en re-vanche, le Con-seil des Anciens le trouve malingre et mal constitué, l'enfant est "exposé" au fond d'un précipice rocailleux du Taygète. Car "ils pensaient que pour un être incapable, dès le début de sa vie, de se développer et de devenir sain et fort, il vaut mieux ne pas vivre du tout car il ne sera utile ni à lui-même ni à l'Etat" (Lycurgue, 16).

De l'eugénisme spartiate à l'avortement libéral

Cette loi est à mes yeux la seule dans la constitution de Sparte qui devrait trouver grâce auprès des tenants ac-tuels de l'ordre libéral-dé-mo-cratique, quoique pour des raisons opposées: les Lacédémoniens formés à l'école de Lycurgue avaient une pensée eugéniste alors que nos parasites obéissent à des motivations essentielle-ment individualistes et hédonistes: ce n'est pas pour "améliorer la race", c'est pour augmenter leurs chances d'"épanouissement personnel" qu'ils souscri-vent à l'adage selon lequel "être né ne confère aucun droit à la vie": de nos jours, le "citoyen adulte" ne se laisse nullement prescrire si l'enfant venu au monde doit vivre ou non. Le Conseil des Anciens, institution "réactionnaire", a été remplacé, en ce qui concerne le sort du nouveau-né ou du foetus, par l'auto-détermi-na-tion du "conseil parental" et, si ur-gence il y a, par le droit de la mère dans le sein de laquelle se développe, tel un abcès, le fruit de ses en-trailles. La possibilité, admise par la société, de prati-quer, comme à Sparte, l'"exposition" de l'enfant (à ce détail près que l'opération est chronologiquement avancée au stade du foetus) contraste favorablement avec les méthodes "barbares" de Sparte où la mort n'était même pas intra-utérine. L'avancement progres-sif du meurtre silencieux à une période comprise entre le premier et le si-xième mois de la grossesse, et son remplace-ment, au niveau du vocabulaire, par un doux eu-phémisme, l'"interruption de grossesse" (IVG), sont considérés comme des acquis d'une civili-sation qui paraît avoir définitivement surmonté Sparte. C'est ainsi qu'en Allemagne par exem-ple, on considère comme un "progrès" le meurtre d'enfants par le Ge-bärstreik  ou "grève des ventres" bien que cette grève-là fasse cha-que année mille fois plus de victimes en-fantines que n'en fit, en sept siècles d'histoire spartiate, l'exposition rituelle sur le Taygète...

 

La liberté de la femme

La sympathie du démocrate sincère est toujours allée à Athènes, jamais à Sparte. L'homme de par-ti, l'honnête homme respectueux de l'ordre libéral-démocratique, se voudrait Périclès, au moins en miniature. Personne, en revanche, ne souhaite passer pour un héritier ou un disciple de Lycurgue! Athènes est synonyme, on le sait, de Lumière, de Culture, de Démocratie et Périclès est la superstar de ces divinités éthérées. Par contre, la Sparte de Lycurgue passe pour avoir été pire que la Prusse frédéricienne, pres-que une préfiguration an-tique de l'Etat national-so-cialiste!

"Louons ce qui nous affaiblit et nous désarme! Mé-fions-nous de ceux qui nous parlent d'union, de force, de grandeur, de discipline, de cohésion! Ou nous ris-querions de glisser vers le fascisme —et Hitler de re-venir!". C'est à peu près le discours que tient, la main sur le coeur, l'Occident démocratiste et bien-pensant. L'objur-gation, tantôt articulée du bout des lèvres tantôt hurlée, se gonfle démesurément dans le bour-don-ne-ment des médias. Il existe donc bien ce que j'ap-pe-lerais une réaction émotionnelle antispar-tia-te. Elle nour-rit la lutte contre tout ce qui, de près ou de loin, pourrait évoquer l'ascèse, l'hé-roïsme ou la disci-pline. Se recommander de Spar-te, admirer Sparte comme paradigme d'éta-tici-té sévère, certes, mais puis-sante et capable, voilà qui, aujourd'hui, choque. Comme pou-vait choquer, voici cinq siècles, le fait de nier la tri-nité divine ou l'incarnation du Christ.

Et pourtant, sur les traces de Plutarque et de Platon, j'ai rassemblé ici quelques bons points en faveur de Sparte. Il faut tout d'abord signaler que dans cette Sparte au "conservatisme" rigide, les femmes pou-vaient faire tout ce qui leur était strictement interdit à Athènes-la-libérale. A La-cé-dé-mone, les femmes étaient beaucoup plus libres que les hommes. Non seulement en amour mais en affaires. Elles jouissaient de droits in-connus partout ailleurs. Au IIIième siècle, par exem-ple, les femmes spartiates possédaient plus de richesses (y compris des biens fonciers éten-dus) que leurs maris, leurs frères ou leurs amants (Plutarque, Agis,  5, 23, 29). Aristote, déjà, reprochait à Ly-curgue de n'avoir pas extir-pé le "dérèglement et le matriarcat" des femmes spartiates (Politique,  2, 1270a, 6). A l'étranger habitué à un strict et exclusif patriarcat, la ville de Sparte offrait presque le spectacle d'un Etat "exotique", dominé par les femmes (Plu-tarque, Numa,  25,3): "Les femmes spartiates ont sans doute été assez irrévérencieuses et se sont sans doute comportées de façon extrêmement virile, surtout à l'égard de leurs maris puisqu'à la maison, elles déte-naient un pouvoir sans partage et qu'à l'extérieur elles intervenaient en toute liberté dans les affaires d'Etat les plus impor-tantes". Et pourtant, elles n'avaient rien de spa-dassins hirsutes et grivois: leur charme un peu abrupt était proverbial dans toute l'Hellade. Leur li-berté semblait excessive même aux Athéniens les plus "progressistes" et les plus "éclairés".

La rigueur d'un Etat guerrier résolument viril était adoucie par la grâce souriante, la malice, l'élégance spontanée de ses jeunes femmes qui, contrairement à leurs soeurs d'Athènes, avaient accès aux exercices sportifs et gymniques. Com-me les hommes, les fem-mes lacédémo-nien-nes étaient célèbres pour leur sens de la répartie et leur laconisme (le mot, d'ailleurs, nous est resté: Sparte est située au centre de la Laco-nie). Plu-sieurs anecdotes témoignent de cette vivacité de l'esprit, de cette concision propres aux Spartia-tes. Comme une étrangère disait à Gorgo, épou-se de Léo-nidas, roi de Sparte: "Vous autres La-cédémoniennes êtes bien les seules à pouvoir dominer vos maris", Gorgo répliqua avec su-perbe: "Après tout, c'est nous, et nous seules, qui les mettons au monde!" (Plutarque, Lycur-gue,  14, conclusion).

Sans Sparte, pas d'Athènes

Mais concluons. Nous venons d'inscrire le nom de Léonidas. Nous avions, au début de ce texte, cité Si-mo-nidès célébrant les Lacédémoniens morts aux Ther-mopyles face à la supériorité numérique des Perses: "Voyageur, va dire à Spar-te...". Disons-le la-conique-ment: si l'on con-si-dère la civilisation grecque comme le fon-dement permanent de la culture euro-péenne, on ne peut ignorer Sparte. Toute la culture de la Grèce classique, que l'on identifie volontiers à Athènes, n'aurait jamais pu s'épanouir si un peuple de guerriers, comparativement prosaïque, discipliné, en odeur de quasi barbarie, n'avait pas combattu jusqu'à la mort, pour sauver l'Hel-lade, aux Thermopyles, à Sa-la-mine et à Platée. Les victoires militaires, qui ne fu-rent possibles que grâce à la présence spartiate, ont alors conquis, préservé et élargi cet espace où purent s'épanouir librement le théâtre grec, la philo-so-phie grecque, la science grecque et même la démocratie grec-que. C'est ce qu'il faut se garder d'oublier.

Regardons Sparte, presque étrangère dans sa rudesse. Cette société a pu pervertir jusqu'à la caricature des traits qui ont existé, à un degré moindre, dans toute polis grecque. Mais surtout, Sparte, qui incarnait au plus haut point toutes les potentialités de la polis, nous rappelle brutale-ment combien toute l'Antiquité clas-si-que nous apparaîtrait étrangère si nous cessions d'y pro-jeter notre propre humanisme. Sparte nous fait éga-lement saisir le sens du mot "politeia" à l'état chi-miquement pur: l'Etat, "le plus froid de tous les mons-tres froids", comme l'affirme le Zarathoustra de Nietzsche. On peut ne pas aimer Sparte. Mais qui-con-que se sent une attirance pour l'héritage grec doit se souvenir que toutes ces merveilles, toute cette splen-deur, tout ce qui, en nous, "parle" et nous en-thou-siasme (au sens étymologique du terme), que tout cela n'a pu s'épanouir et se déployer que dans un monde soustrait à la menace du despotisme oriental par le sacrifice suprême de quelques dizaines de milliers d'hommes.

Mais Sparte nous remet aussi en mémoire les fonde-ments de la culture européenne sur les-quels on fait si volontiers l'impasse aujourd'hui: l'espace où cette cul-tu-re a pu éclore n'était certes pas défendu par des déserteurs ou des objecteurs de conscience! Il était dé-fendu par des soldats résolus face à la supériorité nu-mérique écrasante de l'adversaire. Les meilleurs guer-riers, la plus belle discipline militaire, étaient à Lacé-démone. Après la victoire sur les Perses, aucun équi-libre harmonieux ne put s'établir entre les deux types de société grecque qu'incarnaient respective-ment Spar--te et Athènes. Peut-être fut-ce là la grande tragédie de la Grèce antique. Culturellement, Sparte fut une im-passe. Mais Athènes elle-même, la "voie" athénienne, nous le pres-sentons aujourd'hui, pouvait-elle se poursuivre en ligne droite jusqu'à nous?

Peut-être, après tout, la culture n'est-elle qu'un inter-mède, un gaspillage stérile d'énergie sur l'arrière-plan des espaces cosmiques infinis. Un certain défaitisme gagne autour de nous. Il déclare publiquement que l'orientalisation de l'Eu-rope, si elle s'était accomplie beaucoup plus tôt, nous aurait épargné bien des maux. Pour ce genre de discours, les victoires grecques sur les Perses ne signifient donc rien. Mais c'est déjà une autre histoire. Il reste que Sparte nous rap-pelera tou-jours, de façon lancinante, une vérité éternelle, large-ment occultée de nos jours: sans un certain degré de "spartitude", non seulement aucun Etat n'est possible, mais aucune civilisation ne peut vivre et… survivre.

Il faut redécouvrir notre héritage lacédémonien.

Gerd-Klaus KALTENBRUNNER.

(texte paru dans Criticón, n°100, März-Juni 1987; traduction française: Jean-Louis Pesteil; adresse de Criticón: Knöbelstraße 36/V, D-8000 München 22; prix de l'abonnement annuel (six numéros): DM 57; étudiants: DM 38).

Note

(1) Dans le dialogue de Platon, Clinias ajoute: "C'est un fait que (ces poèmes) sont venus jusque chez nous, im-portés de Lacédé-mone" (ndt).  

mardi, 06 janvier 2009

Blackwater: l'ascension de l'armée privée la plus puissante du monde

Blackwater : L'ascension de l'armée privée la plus puissante du monde

Présentation de l'éditeur
Comment une société privée américaine a-t-elle pu décrocher des marchés publics dans le secteur de la défense et de la sécurité intérieure pour se rendre, peu à peu, indispensable? Où la firme a-t-elle recruté ses centaines de milliers de "réservistes" ? Quel est son rôle en Irak et dans les transferts "spéciaux" de prisonniers? Comment a-t-elle réussi à s'enrichir lors de l'ouragan Katrina? Pourquoi a-t-elle bénéficié de la menace iranienne? Quels sont ses projets pour l'ère post-Bush? A travers une enquête passionnante, Jeremy Scahill révèle la privatisation partielle d'un service public. Un peu partout dans le monde sont engagés des mercenaires d'un type nouveau, agissant parfois hors la loi. Les pires crimes de guerre commis par des hommes de Blackwater en Irak n'ont, à ce jour, pas été jugés. Les enjeux internationaux du nouveau business de la guerre et de la sécurité deviennent ainsi tangibles. Désormais, chaque conflit armé ou chaque guerre peut avoir recours à ces mercenaires privés, dont les budgets ne dépendent pas des parlements.

John Scahill, Blackwater : L'ascension de l'armée privée la plus puissante du monde, Acte Sud, 2008.

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mardi, 09 décembre 2008

Nouveaux textes sur "Theatrum Belli"

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Bonjour,

Veuillez trouver ci-dessous les dernières publications du blog THEATRUM BELLI (http://www.theatrum-belli.com/).


Armée française : professionalisation et autorité

Les armées ont changé, et c'est un paradoxe, pour une institution dont la pérennité est garantie par des logiques d'action prévisibles et continues. La professionnalisation des armées françaises, intervenue en 1996, offre une occasion de s'interroger sur les processus de transformation des institutions publiques et d'étudier les rapports à l'autorité dans une institution où la hiérarchie...

Cette note a été publiée le 07 décembre 2008

Pour lire la note entièrement, veuillez cliquer ici


L'armée libanaise sera équipée d'armes russes

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Cette note a été publiée le 07 décembre 2008

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Les armes de la puissance (1/3)

La guerre apparaît comme le moyen le plus simple d'imposer sa volonté, d'étendre son pouvoir et d'augmenter sa richesse. Dès lors elle entretient avec l'économie des relations anciennes. Chez certains peuples elle faisait même figure d'activité majeure, nomades du désert razziant les agriculteurs sédentaires ou « barbares » à la recherche de butin et de terres. Dans nos siècles...

Cette note a été publiée le 07 décembre 2008

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Les armes de la puissance (2/3)

II. LA GUERRE POUR ET PAR L'ÉCONOMIE Les évolutions de la guerre expliquent qu'elle réclame une mobilisation économique massive. Elles expliquent aussi que l'économie devient en même temps un but et une arme de guerre.   1. L'économie constitue un but de guerre de plus en plus important Déjà présents lors des conflits entre Athènes et Sparte, Napoléon et le...

Cette note a été publiée le 07 décembre 2008

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Les armes de la puissance (3/3)

III. LA FIN DE LA GUERRE ? Pour de multiples raisons, le XXe siècle a pu espérer en une fin de la guerre. Cet espoir a pourtant été déçu.   1. La puissance de destruction des armes modernes interdiraient de s'en servir Les gaz de combat n'ont pas été utilisés par les principaux belligérants pendant la Seconde Guerre mondiale, chacun craignant les représailles...

Cette note a été publiée le 07 décembre 2008

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Ceci est mon bouclier

 

Cette note a été publiée le 06 décembre 2008

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Décès du colonel Jean Deuve, résistant et spécialiste du renseignement

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Cette note a été publiée le 06 décembre 2008

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Un navire de guerre russe dans le Canal de Panama

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Cette note a été publiée le 06 décembre 2008

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Renforts en Afghanistan

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Cette note a été publiée le 06 décembre 2008

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Arthur, Roi des Bretons (1/5)

 

Cette note a été publiée le 05 décembre 2008

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Le crash pétrolier (1/5)

 

Cette note a été publiée le 05 décembre 2008

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L'Allemagne met en place son propre système de satellites espions

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Cette note a été publiée le 05 décembre 2008

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Le Pentagone officialise l'importance donnée à la "guerre irrégulière"

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Cette note a été publiée le 05 décembre 2008

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Lawrence d'Arabie - 1962 - (1/11)

 

Cette note a été publiée le 04 décembre 2008

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La réforme de l'armée russe exaspère les militaires

Réduction des effectifs, refonte de la chaîne de commandement, ventes de terrains et d'immeubles, fermetures des instituts et des académies : la réforme de l'armée dévoilée le 14 octobre par le ministre russe de la défense, Anatoli Serdioukov, est à l'origine d'une vague de mécontentement chez les gradés. "Je le vois bien autour de moi, les officiers ont une dent contre le pouvoir en...

Cette note a été publiée le 04 décembre 2008

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EADS remporte un contrat de 208 millions de dollars de l'armée américaine

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Cette note a été publiée le 03 décembre 2008

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Les bombes à sous-munitions mises hors la loi à Oslo

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Cette note a été publiée le 03 décembre 2008

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Royaume-Uni : Les mouvements terroristes recrutent

Selon plusieurs sources, des citoyens britanniques d'origine pakistanaise auraient participé aux attentats de Bombay. Une information qui confirme l'implication de jeunes Anglais dans des attaques menées de l'Afghanistan à la Somalie. Selon certaines agences du renseignement, plus de 4.000 citoyens britanniques seraient passés par des camps d'entraînement terroristes en...

Cette note a été publiée le 03 décembre 2008

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Armes, trafic et raison d'État (1/6)

 

Cette note a été publiée le 02 décembre 2008

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La France va renforcer sa présence en Afghanistan

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Cette note a été publiée le 02 décembre 2008

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L'équipe Hautetfort
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samedi, 06 décembre 2008

14-18 : bourrage de crâne et réinformation

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1914-1918 : bourrage de crâne et réinformation

http://www.polemia.com

Auteur à peine connu, lui-même ancien combattant de 1914-1918, Norton Cru a mis son expérience de poilu au service de l’étude et de la critique des témoignages.
En 1929, son remarquable essai « Témoins » (1), sous-titré de manière explicite « Essai d'analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928 », provoqua de violentes polémiques, avec toute la virulence dont était capable la presse de l’époque. Son ouvrage remettait en cause, par exemple, le caractère véridique et réaliste de romans aussi célèbres que « Le Feu » d'Henri Barbusse ou les écrits de Roland Dorgelès. Seul contre tous, il a dû repartir pour les Etats-Unis reprendre l’enseignement qu’il avait dû quitter en 1914 pour rejoindre le front. Son livre est quasiment tombé dans l’oubli du public mais, heureusement, pas dans celui des universitaires (2).
Mais si les témoignages des survivants de l’horrible massacre ne correspondaient pas exactement à la réalité des faits, il faut dire que, pendant la longue durée des hostilités, s’était propagée dans les médias de l’époque, c’est-à-dire les journaux à forte imprégnation idéologique, une propagande à la fois naïve et exécrable qui avait conditionné les esprits aussi bien de ceux de l’arrière que ceux des combattants du front eux-mêmes. Aujourd’hui, avec l’amélioration constante et foudroyante des  technologies de communication, on a fait beaucoup mieux en matière de propagande : voir, par exemple, les couveuses du Koweit et les armes de destruction massive (ADM) irakiennes.

Polémia

Tous ces bobards dans les journaux, pendant la guerre de 1914-1918 : un cas d’école

Le 90e anniversaire de l’armistice de 1918 a montré que cette guerre ne cesse pas de hanter la mémoire collective, en particulier par ses atrocités longtemps occultées. Le président de la République a ainsi évoqué, le 11 novembre dernier, avec justesse dans son discours à la Nécropole nationale de Douaumont ces hommes fusillés « pour l’exemple », « dont on avait trop exigé, qu’on avait trop exposés, que parfois des fautes de commandement avaient envoyés au massacre et qui un jour n’ont plus eu la force de se battre. »

Un autre aspect de cette guerre mérite aussi d’être gardé en mémoire pour le présent comme pour l’avenir : c’est la mobilisation des journaux soumis à la censure avec leurs colonnes blanches, sous prétexte d’accroître les ressources morales des citoyens du pays en guerre. On l’a nommée « le bourrage de crâne ». On reste médusé. Comment, en effet, les journaux ont-ils pu diffuser si massivement des informations aussi invraisemblables sans craindre de perdre toute crédibilité ?

I – Une diffusion massive de leurres invraisemblables

 C’est à longueur de colonne qu’ils répandent les informations les plus absurdes.

1/ Des bobards énormes

Ces bobards ont trait aux armes. Plus elles sont perfectionnées, moins elles causent de morts et de blessés ! (« Le Temps », 4/8/1914). Celles de l’ennemi, en tout cas, ne sont pas dangereuses ; c’est de la camelote ! (« L’Intransigeant », 17/8/1914) : les obus (shrapnels) éclatent en pluie de fer inoffensive ! Les blessures par balles ne sont pas dangereuses ! Les gaz asphyxiants, eux, ne sont pas bien méchants ! (« Le Matin de Paris », 27/4/1915). En somme, les balles allemandes ne tuent pas ! En revanche, les armes françaises sont, elles, efficaces : la baïonnette est même une arme « poétique », « chevaleresque » même, « d’une sûreté chirurgicale » !… (« L’Echo de Paris », 10/7/1915, « L’Intransigeant », 15/12/1914).

Les hommes, eux, sont répartis en deux camps évidemment.
• L’ennemi allemand est taré : il est maladroit dans ses tirs (« L’Intransigeant », 17/8/1914) ; c’est un barbare qui coupe les mains des enfants et attache les prêtres aux battants des cloches ou transforme les cadavres en savon (« The Sunday Chronicle », «  Corriere della Sera », « Le Matin de Paris », fin août 1914) ; c’est même un lâche qu’il faut injurier pour l’obliger à combattre (« L’Echo de Paris », 15/8/1914).
• Rien à voir, évidemment, avec le soldat français qui, lui, au contraire, est héroïque : il se dispute avec ses camarades pour monter au front (« Le Matin de Paris », 15/11/1914) ; il supporte les blessures avec gaieté, fierté et courage (« L’Intransigeant », 17/8/1914) ; le sens du devoir l’empêche de ressentir la douleur, telle l’ordonnance qui vit sa main tranchée par un éclat d’obus et alla la ramasser encore toute crispée sur le message qu’il apportait au général, avant de s’évanouir (« L’Intransigeant », 3/9/1916) ; la guerre lui paraît, en tout cas, moins redoutable que le baccalauréat (« Le Petit Journal », 11/7/1915 ) ; il se demande même ce qu’il pourra bien faire quand la guerre sera finie (« Le Petit Parisien », 22/5/1915) ; blessé, le soldat souhaite écourter sa convalescence pour repartir au front le plus tôt possible (« Le Petit Journal », 5/5/1916).

2/ La création d’une hallucination collective
Ce sont là, on en conviendra, des bobards invraisemblables pour un esprit rationnel, qui contribuent à l’instauration d’une hallucination collective. La relation de cause à effet n’est plus perçue ; l’évidence est niée.
L’innocuité des armes est proportionnelle à leur perfectionnement ; obus, balles et gaz, armes redoutables, sont présentés comme inoffensifs ; la baïonnette est célébrée, avec fétichisme, comme une personne impatiente de tuer l’ennemi.
Le jugement sur les hommes est, quant à lui, d’une partialité outrancière selon une distribution manichéenne des rôles caricaturale : l’ennemi allemand est nul ; le soldat français est héroïque. Les faits rapportés sont même contradictoires : l’ennemi est maladroit et ses armes inefficaces, mais il y a pourtant des morts et des blessés français en grand nombre ; l’ennemi est nul, mais le soldat français est héroïque : or « à vaincre sans péril, (ne) triomphe (-t-on pas) sans gloire » ? 

II – Un faisceau de réflexes stimulés favorisant la réceptivité aux bobards

Comment les journaux ont-ils pu massivement diffuser de tels bobards sans craindre de perdre tout crédit ? On propose une hypothèse : les lecteurs prenaient ces bobards pour des informations fiables, compte tenu de leur cadre de référence qui les rendait insensibles aux relations de cause à effet, aux contradictions et à la partialité des jugements. Le « bourreur » implique un « bourré » qui consent à ce qu’on lui « bourre » le crâne. Et quelle responsabilité en revient à l’Ecole d’alors ? A quoi donc a servi l’instituteur qu’il est d’usage de couvrir d’éloges et de célébrer comme « le hussard noir de la République » ?

1/ Le cadre de référence des lecteurs a été formé avant la guerre où étaient inculqués des réflexes de patriotisme et de nationalisme :

         a) Un patriotisme blessé
Depuis 1871, un patriotisme blessé de défense est inculqué au citoyen français qui doit se préparer à la revanche contre la Prusse/Allemagne pour récupérer les provinces perdues, l’Alsace et la Lorraine. A l’école primaire on apprend à lire dans le livre de Bruno, « Le tour de France par deux enfants », qui mène les écoliers de province en province jusqu’à se heurter « à la ligne bleue des Vosges » au-delà de laquelle vivent sous la botte allemande les chères provinces perdues…

         b) Un nationalisme vengeur
Ce patriotisme de défense s’accompagne d’un nationalisme vengeur : celui-ci célèbre l’excellence de la nation française ; et simultanément est enseignée la haine du « boche » barbare qui occupe indûment une partie du territoire national.

2/ Pendant la guerre, trois réflexes principaux sont activement stimulés :

         a) Le premier est « la transe de la forteresse assiégée » qui fait taire toutes les querelles et les critiques face au danger commun. A la déclaration de guerre en août 1914, le pays est tétanisé par le réflexe du patriotisme : c’est « l’Union sacrée » de quasiment toutes les familles d’opinion autour du gouvernement.

         b) Le deuxième est la soumission aveugle à l’autorité qui conduit les citoyens à croire l’information que livre, par le canal des journaux, le gouvernement en charge du salut du pays.

         c) Le troisième est la soumission de l’individu à la pression exercée par le groupe, qui rend difficile toute velléité d’indépendance d’esprit et de doute méthodique, avec la crainte, en se distinguant, de passer pour un traître. Dans le danger, l’individu est contraint de s’intégrer davantage au groupe, pour les informations, les conduites à tenir, l’alimentation, etc.

3/ Ces trois réflexes sont, en outre, associés à trois autres qui paralysent toute exigence de rationalité :

         a) L’un est évidemment le réflexe inné de la peur.

         b) Le deuxième est le réflexe socioculturel conditionné de compassion et d’assistance à personne en danger. Ce réflexe est stimulé par la division du pays en deux : l’arrière et le front, qui implique une distribution manichéenne des rôles :

  1. au front se trouvent ceux qui exposent leur vie, les courageux, les meilleurs, les héros ;
  2. à l’arrière s’abritent les autres, qui contribuent à l’effort de guerre mais ne peuvent rivaliser avec les héros ; ils sont parfois même suspectés d’être des « tire-au-flanc » ou des profiteurs.

c) Le dernier réflexe est le réflexe de culpabilité.

Cette distribution manichéenne des rôles favorise une prise de partie favorable pour ceux du front, les héros, et défavorable pour ceux de l’arrière, qui connaissent, bon gré, mal gré, un sentiment de culpabilité, avivé par des affiches (Cf. « Moi, je verse mon sang. Et vous ? Versez votre or ! »).

L’inconfort du réflexe de culpabilité peut alors être soulagé de trois manières :

• L’héroïsation à volonté des soldats en est une : elle ne souffre évidemment aucune discussion.
• L’assistance humanitaire en est une autre, par l’envoi de dons en argent ou en nature (les colis, les parrainages) aux soldats du front.
• La troisième manière n’est pas moins efficace : c’est une possible grande réceptivité à des informations minimisant les dangers encourus par les soldats du front : moins le danger est grand, moins grand est le sentiment de culpabilisation envers les soldats. Paradoxalement, les soldats du front, eux-mêmes, lors des permissions ou à leur retour, contribuent par pudeur ou fanfaronnade, à minimiser les risques encourus, allant ainsi au devant de l’attente des récepteurs culpabilisés dont la peur et la culpabilisation peuvent décroître.

On peut penser – du moins est-ce une hypothèse plausible – que sous l’empire de ces réflexes conjugués le citoyen est devenu sourd et aveugle à toute rationalité : les bobards les plus invraisemblables pouvaient lui être servis à volonté par des journaux que censuraient les dirigeants politiques et militaires. Ceux-ci avaient ainsi les coudées franches pour agir à leur guise.

Qu’en serait-il aujourd’hui ? Qui oserait affirmer qu’avec 90 ans d’Ecole publique laïque supplémentaires le niveau culturel atteint par la moyenne des Français les met à l’abri de pareilles aventures hallucinatoires ?

Paul Villach
18/11/08
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=47397...

Correspondance Polémia
24/11/08

(1) Norton Cru, « Témoins », Presses universitaires de Nancy, 1993 (Ed. Les Etincelles, 1929, pour l'édition originale).

(2) Frédéric Rousseau, « Le Procès des témoins de la Grande Guerre. L'Affaire Norton Cru », Ed. du Seuil, 2003, p. 267.

Paul Villach

mardi, 25 novembre 2008

Nouveautés sur le site "Theatrum Belli"

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Bonjour,

Veuillez trouver ci-dessous les dernières publications du blog THEATRUM BELLI (http://www.theatrum-belli.com/ ).


Le "storytelling" de guerre ou l'art de formater les esprits (1/2)

« Des éclats de verre et des débris de meubles brisés jonchent le sol de la pièce. Par une brèche percée dans l'un des murs, on aperçoit la ville, la circulation sur le pont qui enjambe le fleuve, les moineaux qui se dispersent dans la brume... Une musique arabe et les voix des marchands remontent d'une rue commerçante en contrebas. À côté de moi, le commandant Paul Tyrrell scrute avec son...

Cette note a été publiée le 23 novembre 2008

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Le "storytelling" de guerre ou l'art de formater les esprit (2/2)

Des « armes de distraction massive » Pour Richard Lindheim, le vice-président de Paramount Digital Entertainment qui fut à l'origine de l'ICT, si la génération du Viêt-nam était celle de la télévision, les jeunes soldats d'aujourd'hui ont grandi avec les jeux vidéo. Selon une étude de l'armée, 90% des 75.000 jeunes qui rejoignent l'armée chaque année ont déjà utilisé des jeux...

Cette note a été publiée le 23 novembre 2008

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A l'école de l'élite militaire afghane

Une trentaine de soldats afghans grimpent en courant la pente raide de la "colline de l'homme perdu", fusil d'assaut à bout de bras, dans un nuage de poussière. "Hondo" les observe, avec le regard de l'expert : "Les Afghans sont rustiques, parfaitement adaptés à leur environnement ; ce sont des combattants inépuisables : le matin à 5 heures, ils sont à l'entraînement." Le commandant...

Cette note a été publiée le 22 novembre 2008

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Rafale en Afghanistan

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Cette note a été publiée le 22 novembre 2008

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Un militaire français tué en Afghanistan

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Cette note a été publiée le 22 novembre 2008

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Un turboréacteur de missile à peine plus grand qu'un stylo

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Cette note a été publiée le 22 novembre 2008

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Une "EFO" pour l'Afghanistan

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Cette note a été publiée le 22 novembre 2008

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L'Armée de Terre commande 560 nouveaux systèmes SITEL

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Cette note a été publiée le 22 novembre 2008

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La guerre culturelle

 

Cette note a été publiée le 21 novembre 2008

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L'Europe redoute la naissance d'une "Opep du gaz"

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Cette note a été publiée le 20 novembre 2008

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Course aux ressources naturelles : la troisième guerre mondiale a déjà commencé : la RDC en fait déjà les frais

Le contrôle des ressources naturelles sera, en ce 21ème siècle, au centre de nombreux conflits armés. On est encore loin d'un tableau attestant d'une guerre mondiale. Mais, les ingrédients pour y arriver sont bien là. A l'Est de la RDC où se livre depuis une dizaine d'années une grande razzia pour le contrôle des ressources naturelles en témoigne, avec l'entrée en scène de...

Cette note a été publiée le 20 novembre 2008

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Tsahal reste prête à frapper l'Iran

L'élection de Barack Obama suscite l'inquiétude de ceux qui redoutent de voir les États-Unis laisser Téhéran se doter de la bombe atomique. "C'est alors que le soleil s'est arrêté." Exactement comme il s'arrêta pendant vingt-quatre heures dans la Bible, à la demande de Josué, afin de permettre à l'armée d'Israël de vaincre ses ennemis amorites. À l'époque, Leev Raz y avait vu...

Cette note a été publiée le 19 novembre 2008

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Le "syndrome de la guerre du Golfe" confirmé par un rapport US

Le syndrome de la guerre du Golfe est une véritable affection qui touche plus de 175.000 anciens combattants américains exposés à des agents chimiques lors du conflit de 1991, selon un rapport. La conclusion de ce rapport établi par une commission à la demande du Congrès américain est que ce syndrome recouvre des troubles physiques distincts des troubles psychiques dont ont pu...

Cette note a été publiée le 18 novembre 2008

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Le site INFOGUERRE fait peau neuve

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Police/Gendarmerie : main dans la main ?

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Cette note a été publiée le 17 novembre 2008

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Attaques au mortier d'insurgés afghans

 

Cette note a été publiée le 16 novembre 2008

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Génération Irak (1/3)

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Cette note a été publiée le 16 novembre 2008

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Apocalypse Now Redux (1979 et 2001)

Les services secrets militaires américains confient au capitaine Willard la mission de trouver et d'exécuter le colonel Kurtz dont les méthodes sont jugées "malsaines". Kurtz, établi au-delà de la frontière avec le Cambodge, a pris la tête d'un groupe d'indigènes et mène des opérations contre l'ennemi avec une sauvagerie terrifiante. Au moyen d'un patrouilleur mis à sa disposition, ainsi...

Cette note a été publiée le 16 novembre 2008

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Un séminaire pour faire avancer le projet d' "ERASMUS militaire"

Un séminaire de haut niveau s'est déroulé les 13 et 14 novembre 2008 à Paris sur "l'initiative européenne pour les échanges de jeunes officiers" , plus connu sous le nom d' "ERASMUS militaire" puisque ce projet s'inspire du célèbre programme européen d'échanges étudiants. Ce séminaire sera ouvert par le secrétaire d'État français à la défense et aux anciens combattants, Jean-Marie...

Cette note a été publiée le 16 novembre 2008

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Les événements en RDC depuis une "Google map"

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Cette note a été publiée le 14 novembre 2008

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samedi, 01 novembre 2008

Atlas militaire et stratégique

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Atlas militaire et stratégique :

Menaces, conflits et forces armées dans le monde

de François Heisbourg (Postface), Bruno Tertrais (Auteur), Alexandre Nicolas (Illustrations), Bruno Racine (Préface)
Présentation de l'éditeur
Le 11 septembre 2001 marque-t-il le "retour de la guerre", comme on a coutume de l'entendre? Certes, le nombre de conflits dans le monde a diminué depuis la fin de la guerre froide en 1991, mais avec les débats autour de la prolifération nucléaire, les dangers des armes de destruction massive, la montée en puissance du terrorisme et les guerres d'Afghanistan et d'Irak, les enjeux stratégiques et militaires sont revenus sur le devant de la scène, attisant les inquiétudes, déclenchant des polémiques, voire des crises internationales. La guerre a changé de nature et de forme. Redessinée par la mondialisation, elle s'est transformée, renouvelée, notamment au rythme des évolutions géopolitiques. De nouvelles puissances émergent (Chine, Inde), bouleversant l'équilibre international; d'autres cherchent à rétablir leur influence (Russie). De nouveaux champs de conflictualité s'ouvrent: l'espace, le cyberespace. Les menaces se diversifient, les acteurs se multiplient, les technologies progressent et les conflits "asymétriques", face à des groupes non étatiques, se font désormais de plus en plus nombreux. La guerre d'aujourd'hui n'a plus grand-chose à voir avec celle d'hier. Pour faire face aux nouveaux défis sécuritaires, les politiques de défense et les stratégies, notamment occidentales, doivent donc s'adapter. Pour la première fois, un atlas présente une expertise technique et géopolitique de ces questions, dressant l'état des lieux des forces, décodant les conflits en cours et augurant ceux à venir, tout en fournissant quelques notions essentielles de stratégie. Il aide ainsi à décrypter un monde sous tensions et à mieux lire l'actualité.

Biographie de l'auteur
Bruno Tertrais est maître de recherche à la FRS. Il a dirigé cet ouvrage écrit par 16 spécialistes. La Fondation pour la recherche stratégique (FRS) est un organisme privé, reconnu d'utilité publique depuis 1993, spécialisé dans les questions de sécurité internationale. Bruno Racine, le préfacier, est président de la Bibliothèque nationale de France. Il préside également le conseil d'administration de la FRS. François Heisbourg, le postfacier, est président de l'International Institute for Strategic Studies de Londres et du Centre de politique de sécurité de Genève. Alexandre Nicolas est cartographe-géomaticien indépendant et officier géographe.

  • Broché: 79 pages
  • Editeur : Editions Autrement (1 octobre 2008)
  • Collection : Atlas/Monde
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2746711206
  • ISBN-13: 978-2746711204

mardi, 07 octobre 2008

Over legerdienst, waarden, normen en discipline

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Over legerdienst, waarden, normen en discipline

00:05 Publié dans Réflexions personnelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : militaria, service militaire | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 09 septembre 2008

Europa der Völker statt US-Globalisierung

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Europa der Völker statt US-Globalisierung

Gesellschaft für Freie Publizistik (GFP) e. V.

 

Deutscher Kongreß vom 23. bis 25. April 2004

 

DIE NEUE ACHSE – EUROPAS CHANCEN GEGEN AMERIKA

 

Vortrag von Robert STEUCKERS

 

Mein Vortrag hat selbstverständlich eine geopolitische Dimension, aber auch eine geoökonomische, in dem Sinn, daß die grossen Kommunikationswege und –netzwerke auf dem Land oder auf dem Meer oder die Tragweite der modernsten Waffensystemen im heutigen Wettbewerb zwischen Europa und den Vereinigten Staaten eine erhebliche Rolle spielen. Die Weite und der Umfang solcher Wege, Netzwerke, usw., bestimmen ob man in Völker- oder Reichskategorien denken sollte.

 

Wenn von Völkern die Rede ist, muß man wissen worum es geht. Die Völker, in der Zeit der Völkererhebungen im 19. Jahrhundert, haben gegen multiethnische Reiche, die sie als Zwangsjacken empfunden, rebelliert. Ab 1848, rebellierten oder entwickelten eine eigene Identitätsbewegung Polen und Finnen in Rußland, Tschechen und Italiener innerhalb des Hoheitsgebietes der k.u.k-Monarchie, Südslawen und Griechen im Ottomanischen Reich, Iren im Vereinigten Königreich; in Frankreich entwickelten sich die bretonischen oder die provenzalischen (die genannten “Félibriges”) Kulturbewegungen im Sinne einen ausgesprochenen Anti-Zentralismus und Anti-Jakobinismus.

 

Woher kommt diese allgemeine Kulturrevolte? Sie stammt, grob gesagt, aus der Geschichtsphilosophie Johann Gottfried Herders, der feststellte, daß bei jedem Volk, die Sprache, die Literatur, das geschichtliche Gedächtnis, jeweils ein Bündel von Kräften bildeten, die man als Identität anschauen kann. Die Identität ist also volksspezifisch, was impliziert, daß jedes Volk das Recht hat, seine eigene politische Gestalt zu haben, d. h. einen Staat nach seiner Fasson zu bilden. Vorteil davon ist es, daß jedes Volk seine Kräfte und seine Eigenheiten frei entfalten kann. Risiko aber ist es, daß innerhalb einer Völkergemeinschaft bzw eines Kulturkreises, Balkanisierung droht. Herder war bestimmt davon bewußt, da er auch eine Synthese zu entwerfen versuchte, indem er zur Zeit der russichen Kaiserin Catharina II. eine neue politisch-ideologisch-philosophische Gestaltung für den Zwischenraum zwischen Rußland und Deutschland theorisierte. Herder träumte, vom Baltikum bis zur Krim ein neues Griechenland homerischer Prägung entstehen zu lassen. Das Germanische, das Baltische und das Slawische hätten zusammen eine Rückkehr zum ältesten und heroischsten Griechenland versucht,  die auch eine Rückkehr zu den ältesten und erhabenensten Quellen Europas wäre. Heute klingt das selbstverständlich ätherisch und utopisch : davon, und auch vom gesamten Werk Herders, muß man heute ein Grundelement enthalten. Eine Synthese in Europa ist nur möglich, indem man eine Rückkehr zu den urältesten Quellen macht, d. h. eine Rückkehr zu den ersten Grundlagen der europäischen Menschheit, zum Kern unseres eigenen Menschseins, den man ständig aktivieren muß. Archetypen sind Motoren, bewegende Kräfte, die kein Progressivismus auslöschen darf, da anders die Kultur in eine öde Trockenheit erstarrt.

 

Die Nation als Begriff war für Herder eine mehr oder weniger homogene und unveräusserliche Einheit von Ethnizität, Sprache, Literatur, Geschichte und Sitten. Für die französische Revolutionäre war die Nation nicht eine solche Bündelung von objecktiven Tatsachen, sondern bloß die bewaffnete Bevölkerung, egal welche Sprache die Massen sprachen, oder das bewaffnete Demos oder der “Dritte Stand”, den mobilgemacht wurde um die universalistische Republik endlos zu erweitern. Tilo Meyer, in seiner ausgezeichneten Definition der Nation, sagte daß das Ethnos (das Volk in der Herderschen Definition) nicht zur bloßen Verfügung des Demos geraten dürfte, was zur Folge hat, daß man als volksdemokratisch nur die politischen Systeme, die auf Herders Definition der Nation füßen, definieren kann, derweil die anderen Systeme, die vom revolutionären Frankreich stammen und nur das Demos verherrlichen zu ungunsten des Ethnos, gleichschaltend und totalitär sind. Das heutige Multikulti-Projekt ist in diesem Sinn ebenso gleichschaltend und totalitär.

 

Die Mobilisierung der Massen zur Zeit der französischen Revolution hatte selbstverständlich ein unmittelbares militärisches Zweck : den Revolutionsarmeen eine entscheidende Schlagkraft zu geben, um die gut ausgebildeten aber zahlenmäßig geringeren Berufsarmeen Preußens und Österreichs zu zerschlagen. Das ist in Jemmappes und teilweise in Valmy passiert. Die Revolution führte eine neue Kriegsführung ein, die ihr entscheidende Siege versichern konnte. Clausewitz, indem er die Gründe der preußischen Niederlagen erforschte, stellte fest, daß die totale Mobilmachung aller männlichen Kräfte innerhalb eines Staates die einzige mögliche Antwort der Revolution gegenüber war, um die Massen der bewaffneten Soldaten Frankreichs zu überschwemmen statt überschwommen zu werden. Das Beispiel der Bauern Spaniens, wo das ganze Volk sich für die Tradition gegen die Revolution einsetzte, bewies damals, daß auch traditionsorientierte Massen revolutionsinspirierte Massenarmeen zerschlagen oder zermürben könnten. Turnvater Jahn ist also die deutsche Synthese zwischen der Theorie Clausewitz’ und der Praxis der rebellierten Bauern Spaniens. Die Mobilisierung des Volkes erst in Spanien und später in Deutschland machte den Sieg über Napoleon, d. h. über das mechanische Revolutionsprinzip, möglich.

 

Nach dem Wiener Kongreß von 1815 wollten die reaktionären Kräfte die Völker wieder entwaffnen. Die versprochene politische Freiheit wollte das Metternich-Europa rückgängig machen. Aber wenn der Bauer oder der Handwerker Soldat sein sollte, und so den Blutszoll eventuell zahlen, erwirbt er ungezweifelt ein Recht auf Mitbestimmung. Wenn jeder das Recht und die Möglichkeit zu studieren erhält, erhält er auch gleichzeitig ein Recht zumindest geistlich mitzubestimmen, wie die deutschen nationaldemokratischen Burschenschaftler es wollten. Die Studenten rebellierten damals gegen eine Restauration, die die Militärdienstspflicht zwar erhalten wollte aber ohne die politische Freiheit zu gewähren. Ihre Rebellion füßte geistlich auf eine kuriose Mischung zwischen dem Herderschen Begriff der Nation und den mechanischen pseudo-nationalen Idealen der französischen Revolution. In dieser Zeit zwischen Revolution und Restauration, zwischen einem rebellischen Denken in Völkern und einem traditionsorientierten Denken in Reichen, waren die ideologischen Grenzen eher diffus. Eine Synthese, die organisch zu sein brauchte, war notwendig. Da eine solche Synthese noch nicht stattgefunden hat, ist es immer heute noch notwendig, über die Begriffe, die damals entstanden sind, nachzudenken.

 

Um zurück zur Dialektik Volk/Reich bzw Völker/Kulturkreise zu kommen, hatte man also am Ende des 18. und am Anfang des 19. Jahrhunderts einerseits grössere Einheiten, die für die Meisten unüberschaubar waren, andererseits brauchten man doch diese grösseren Einheiten, um Wettbewerb leisten zu können, gegen die transatlantische Macht, die sich schon damals entfaltete. Die spanischen Kolonien machten sich angeblich “frei”, gerieten aber in der Abhängigkeit der aufkommenden Vereinigten Staaten. Der österreichische Minister Hülsemann, angesichts der Proklamation der Monroe-Doktrin, und der französische Philosoph Alexis de Tocqueville, nach einer langen Reise nach Amerika, warnten die Europäer, daß dort über die Atlantik eine Macht auftauchte, die ganz anders war, als was man in Europa stets gekannt hatte. Die Weltpolitik erhielt kontinentale Dimensionen. Die Zukunft wird von jetzt ab denjenigen Mächten gehören, die eine genügende Ausdehnung haben werden, die genug Rohstoffe auf einem geballten, gut abgerundeten, Hoheitsgebiet und nicht wie die Kolonialreiche, über alle Windrichtungen zerstreut.

 

Hülsemann, und später Constantin Franz, plädierten für ein Zusammenschließen der kolonienlosen Kontinentalmächte, was letztendlich dazu führte, daß Verträge wie der Drei-Kaiser-Bund oder daß Prinzipien wie die preussisch-russische Rücksprache praktiziert wurden. Anfang des 20. Jahrhunderts, wollte der Bund zwischen dem Deutschen Reich und Österreich-Ungarn das marode Ottomanische Reich als Ergänzungsraum wieder erquicken. Das implizierte die Konstruktion eines Kommunikationsnetzwerkes, m a w eine Eisenbahnstrecke zwischen Hamburg und Bagdad (und eventuell weiter, bis zur Küste des Persischen Golfes). Da liegen die Hauptgründe des Ersten Weltkrieges. England konnte keine nichtenglische Anwesenheit in diesem Gebiet dulden. Russland konnte es nicht annehmen, daß Deutsche und Österreich in Konstantinopel, bzw. Tsarigrad, die Politik mitentschieden.

 

Innerhalb Europas sind also reichische Strukturen notwendig, um den bodenständigen europäischen Kulturkreis zusammenzuhalten, damit alle Völker, die innerhalb dieses reichisch organisierten Kulturkreises, eine Zukunft haben können. Heute plädiert der US-amerikanische Professor Samuel Huntington dafür, politisch in Kulturkreiskategorien zu denken. Er spricht english von “civilizations”, wobei die deutsche Sprache etwa mit Oswald Spengler den Unterschied zwischen dem Begriff “Kultur”, den man als etwas organisches anschauen sollte, und dem Begriff “Zivilisation”, der als die rein mechanischen Errungenschaften eines Kulturkreises anzuschauen ist; diese Errungenschaften erreichen ihren Hohenpunkt, wenn die organischen Wurzelkräfte fast erschöpft sind. Samuel Huntington, als einer aktuelle Spengler-Schüler, meint, daß solche Wurzelkräfte wieder zu beleben sind, wenn man sich wieder darauf besinnen will, wie etwa die Muslimfundamentalisten oder die Erneuerer des Hinduismus es heute tun. Samuel Huntington spricht von einem allgemeinen westlichen Kulturkreis, der Europa und Amerika in einer atlantischen Einheit zusammenschmelzen würde. Für uns wie für Hülsemann und Tocqueville sind Europa, als schlafend-schlummernden Quelle des ureuropäischen Menschentums, und Amerika, als eine weltgeschichtliche und vergangenheitslose Neuheit revolutionärer und mechanischer Prägung, zwei grundverschiedene Pole, eben wenn an der Oberfläche Bruchstücke einer fabrizierten sogenannten “klassischen” Kultur als Ornamente übrigbleiben. Diese “klassischen” Ornamente werden heute in Amerika gründig zur Diskussion gestellt : sollte man sie bewahren als Überbleibsel einer mehr oder weniger vergessenen europäischen gemeinsamen Vergangenheit, sollte man sie im Denken definitiv erledigen, über Bord schmeißen, oder sollte man sie als geistliche Elemente für Tauschmanöver in der Medienwelt weiter benutzen?

 

Das heutige Europa, in der Gestalt von Euro-Brüssel, ist selbstverständlich kein Reich, aber nur ein Superstaat im Werden. “Staat” gleicht nicht “Reich”, da der Staat “steht”, und bewegt sich nicht, und da ein Reich per definitionem alles Organisches in sich aufnimmt, geistig-politisch bearbeitet und anpasst, und also stets in Gärung und Bewegung ist. Das heutige Euro-Brüssel wird, wenn es so weitergeht, zur totalen Erstarrung führen. Das heutige Euro-Brüssel hat kein Gedächtnis, hat jeden historischen Hintergrund verloren, ist wurzellos geworden : die Ideologie dieser machinenhaften Konstruktion ist eine pure Gedankenmachenschaft, die keine einzige Lektion aus der Vergangenheit lernen will. Dazu ist die wirtschaftliche Praxis Euro-Brüssels weltoffen und neoliberal, also eine Negation der geschichtlichen Dimension der realen Wirtschaftssysteme, die tatsächlich auf dem europäischen Boden sich entwickelt haben.  Neoliberalismus erlaubt noch dazu keine positive Entwicklung in Richtung einer kontinentalen Autarkie. Euro-Brüssel ist deshalb nicht mehr europäisch in realgeschichtlichem Sinn des Wortes sondern westlich, da ein doktrinärer Neoliberalismus, als Modernisierung des alten angelsächsischen Manchester-Liberalismus, eben das ideologische Kennzeichen par excellence des Westens ist, wie so unterschiedliche Autoren wie Ernst Niekisch, Guillaume Faye oder Claudio Finzi es gründlich ausgelegt haben.

 

Aber die Projekte, Europas Kräfte zusammenzuballen, waren Anfangs bestimmt nicht “weltoffen”, sondern “autarkisch”, obwohl freiwirtschaftlich im Sinne eines Ordo-Liberalismus, d h eines Liberalismus, der mit nicht-ökonomischen Faktoren Rechnung hält. Eine Wirtschaft kann nicht ohne Gefahr alle anderen Gebieten der menschlichen Aktivitäten ausschalten. Kulturerbe, Organisation der Medizin und des Unterrichtswesens sollten immer einen gewissen Vorrang vor rein ökonomischen Faktoren bekommen, weil sie Ordnungs- und Stabilitätsfaktoren innerhalb einer Gesellschaft bzw eines Kulturkreises sind, sie garantieren deshalb die Zukunft der Völker die innerhalb dieses Kulturkreises leben. Ohne eine solche Stabilisierung, gehen die Völker am Liberalismus zugrunde, wie schon Arthur Moeller van den Bruck es Anfang der 20er Jahre festgestellt hatte.

 

Was Europa unmittelbar betrifft, hatten österreichische Industriellen und Wirtschaftsleute eine Europapolitik schon Ende des 19. Jahrhunderts vorgeschlagen. Zum Beispiel: Alexander von Peez spürte schon sehr früh, daß die VSA die Ausschaltung Europas nicht nur aus der Neuen Welt sondern auch überall und in Europa selbst planten. Die Überlebensfrage für alle europäische Völker war gestellt : entweder eine gesamteuropäische Einigung in einem autarkischen Wirtschaftssystem wie der Deutsche Zollverein oder die Kolonisierung durch die neue panamerikanische Macht, die damals in Werdung war. Alexander von Peez warnte schon vor der Gefahr einer “universellen Amerikanisierung”. Der Wirtschaftstheoretiker Gustav Schmoller, Galionsfigur der sogenannten “deutschen historischen Schule”, predigte für einen “Europäischen Wirtschaftsblock”, der fähig sein würde, den US-amerikanischen Dynamismus eine Antwort zu bieten.  Für Schmoller sollte ein solcher Block “autarkisch” sein und sich durch Zollhürden schützen. Genau das Gegenteil was Europa heute tut. Julius Wolf, ein anderer deutscher Wirtschaftstheoretiker sah die Schließung des immensen panamerikanischen Marktes den europäischen Waren und Produkten gegenüber voraus, sowie auch eine schärfere Konkurrenz zwischen europäischen und amerikanischen Produkten weltweit. Arthur Dix und Walther Rathenau werden auch diese Perpektive annehmen. Jäckh und Rohrbach plaidierten für einen Wirtschaftsblock, der sich vom Nordsee bis zum Persischen Golf ausdehnen sollte. So entstand die sogenannte “Orientsfrage”, der Achse Hamburg-Kuweit entlang. Kaiser Wilhelm II. wollte den Balkanraum, Anatolien und das Zwei-Ströme-Land als Ergänzungsraum für die deutsche Industrie organisieren, aber er schlug die Mitbeteiligung anderer europäischen Mächten, inklusiv Frankreich, ritterlich vor. Gabriel Hanoteaux war der einzige wichtige französische Staatsmann, der positive Folge diesen rationellen Vorschlag geben wollte. In Rußland war das Projekt vom Staatsmann Sergeij Witte positiv akzeptiert. Leider wurden diese hellsehenden Staatsmänner beiseitegeschoben zugunsten Dunkelmänner aller möglichen ideologischen Schattierungen.

 

Der Zankapfel, der zum Ersten Weltkrieg geführt hat, war eigentlich die Stadt Konstantinopel. Objekt dieses extrem mörderischen Krieges war die Beherrschung der Meerstraßen und des östlichen Beckens des Mittelmeeres. Die Engländer hatten es immer gewünscht, diese Meerstraßen in den Händen der schwach gewordenen Türken zu lassen. Aber eine Türkei, die als Ergänzungsraum eines wirtschaftlich einheitlich organisierten Mitteleuropas unter deutscher Führung,war ihnen einen Dorn ins Auge. Der Rest des ottomanischen Reiches sollte nochmals zerstückelt werden, damit keine territoriale Kontinuität übrigbleibt besonders im Raum zwischen Mittelmeer und Perzischem Golf. Die Türkei, Rußland und Deutschland sollten in diesem hoch strategischen Gebiet der Welt verdrängt worden, eine “Containment-Policy” ante litteram. Die Russen träumten immer Konstantinopel wieder zu erobern und von dieser wunderschönen Stadt ein “Tsarigrad” zu machen. Die Russen, als Hauptvertreter des “Dritten Roms”, wollten, daß  das ehemalige Bysanz der Mittelpunkt des christlich-orthodoxen Kutlurkreises wieder wurde. Die Franzosen hatten Interesse im Vorderasien, in Syrien und Libanon, wo sie die Interesse der dortigen christlichen Gemeinschaften offiziell verteidigten. Keine dieser Macht verstand, daß die neuen Zeiten eine neue Politik forderte. Das Zusammenprallen dieser verschiedenen und unterschiedlichen Interessen führte zur Katastrophe von 1914.

 

In 1918 waren Frankreich und England fast ruiniert. Sie hatten Riesenschulden in den VSA gemacht. Die beiden westlichen Mächte hatten allerlei Material in Amerika gekauft, um die Front halten zu können. Die VSA, die vor 1914 überall in der Welt Schulden hatten, wurden sehr rasch Schuldeiser statt Schuldner. Frankreich hatte nicht nur anderhalb Million Männer, d h ihre biologische Substanz, verloren, es mußte fast ewige Schulden zahlen, sodaß Versailles die Deutschen zwung, ein erhebliche Anteil der Schulden zu zahlen. Dieses Spiel von Schulden und Zahlungen hat Europa ruiniert, und es in einer Horrorspirale von Inflationen und Wirtschaftskatastrophen gestürzt. Während derr 20er Jahren wollten die VSA Deutschland als bevorzugter Kunde haben, um die zollgeschützten europäischen Märkte zu “penetrieren”, wie man damals sagte. Die Wirtschaft der Weimarer Republik, etwa mit den Young- oder Dawes-Plänen, galt in den höchsten Wirtschaftskreisen Amerikas als eine “penetrierte” Wirtschaft. Was damals für Deutschland galt, wird nach dem 2. Weltkrieg für ganz Westeuropa gelten und nach dem Kalten Krieg für Gesamteuropa. So hat sich stufenweise die “universelle” Amerikaniesierung, bzw die Eine-Welt-Ideologie Rooseveltscher Prägung bzw die heutige Globalisierung à la Sörös entwickelt. Die Namen sind zwar anders, die Strategie bleibt aber einheitlich. 

 

Der 2. Weltkrieg hatte als Hauptkriegsziel Washingtons und Churchills, die Einheit Europas  durch die Achsen-Mächte zu verhindern, damit so eine “unpenetrierte” und “unpenetrable” Wirtschaft nicht entstehen und sich behaupten könnte. Der 2. Weltkrieg hatte überhaupt nicht als Ziel, Europa zu “befreien”, sondern seine Wirtschaft in einem ständigen Zustand der Abhängigkeit zu halten, was keine “moralische” aber wohl eine sachlich materialistische und ökonomische Beurteilung der Kriegsverantwortlichkeiten ist. Einige deutlich behaupteten Kriegsziele werden kaum noch in unseren Medien erwähnt, was ihre gründliche Bedeutung nicht ausschließt, im Gegenteil! Die quasi offizielle Zeitschrift “Géopolitique”, die heute in Paris herausgegeben wird, erinnerte uns kürzlich an den britischen Willen, die Flußverkehr auf der Donau und die Verwirklichung der Rhein-Main-Donau-Verbindung zu verhindern. “Géopolitique” publizierte dabei eine Karte, die damals 1942 in der Londoner Presse gedruckt wurde. Deutschland sei gefährlich, nicht weil seine politische Regime “undemokratisch” wäre, aber weil diese Regime in der Lage geworden war, das Plan Karel des Großen und das Testament des preußischen Königs Friedrich des Zweiten zu realisieren, d h eine inländische kontinentale Flußverbindung zu verwirklichen, die die kontinentalen Mächte unabhängig ohne umfangreiche Flotte kontrolieren konnten, was automatisch die britische Kontrolle über das Mittelmeer strategisch stark relativierte. Um von der Atlantikküste nach den Kornfelder der Krim und der Dniestr- Dniepr- und Donbecken oder nach Ägypten zu fahren, braucht man nicht mehr notwendigerweise die Frachter der aus England finanzierten Reedereien. Das Schwarze Meer wird auch so direkt mit Mitteleuropa und  dem Rheingebiet verbunden. Eine solche geopolitische, geostrategische und geoökonomische Symphonie wollten die Seemächte eben vermeiden, da sie so ihre Bedeutung  verloren hätten. Die geopolitischen Visionen des von den englischen Diensten fergeleiteten französischen Geopolitiker André Chéradame, der die Zerstückelung Mitteleuropas und des Donau-Beckens für das Versailler Diktat vorbereitete, haben auch als Hauptziel, soviele künstliche, kaum lebbare und miteinander verfeindete Staaten im Donau-Gebiet zu schaffen, sodaß von Wien bis zum Schwarzen Meer keinen wirtschaftlich dynamischen Ergänzungsraum oder keinen reichisch strukturierten Raum mehr entstehen konnten.

 

Das Ziel, die Flußverkehr zu verhindern, wurde von den späteren Ereignissen des Kalten Krieges befestigt. Die Elbe (Achse Prag-Hamburg) und die Donau als Flußadern wurden durch den Eisernen Vorhang verriegelt. Der Kalte Krieg hatte als Ziel, diese Spaltung zu verewigen, sowie die Bombardierung der Donau-Brücken um Belgrad 1999 das gleiche Ziel verfolgten. Weiter hatte der Kalte Krieg als Ziel, Russland weit vom Mittelmeer zu halten, es keine Zugänge zur warmen Seen zu verschaffen, Deutschland gespaltet zu halten, Frankreich eine relative Autonomie zu lassen. Frankreich zählte offiziell zu den Siegermächten und wurde relativ von diesen Zerstückelungs- und Balkanisierungsmaßnahmen bespart. Die Amerikaner tolerierten diese Autonomie einfach weil die grossen französischen Flüße, wie die Seine, die Loire und die Garonne atlantische Flüße sind und keine nennenswerte Verbindungen mit dem Donau-Raum ermöglichen und weil damals die Konsumindustrie Frankreichs zu schwach war. Nur in den 50er und 60er Jahren, entwickelte sich in Frankreich eine solche Industrie mit billigeren Autos (Die 2CV-“häßliche Enten” von Citroën, die “Dauphine” oder R8-Modelle von Renault, usw), Moulinex-Küchenapparaten, usw aber ohne den deutschen Standard zu erreichen. Die Stärke Frankreichs war immer seine Goldreserven. Die Stärke Deutschlands die Herstellung von ausgezeichneten Prezisionsprodukten, die man gegen Gold oder Devisen verkaufen konnte. Anton Zischka schrieb einmal daß die Rückkehr aus Amerika der französischen Goldreserven zur Zeit der De Gaulleschen Rebellion in den 60er Jahren unter dem Impuls des Wirtschaftstheoretiker Rueff eine unzulängliche Maßnahme war, da gewisse Branchen der Konsumindustrie in Frankreich damals nicht bestanden : Photoapparate, Schreibmaschinen, Optikprodukte, solide Autos für den Ausfuhr wurden im Land nicht produziert. Sowie Zischka in seinem wichtigen Buch “Sieg der Arbeit” theorisierte, ist Gold eine statische Quelle des nationalen Reichtums derweil die Arbeit, als ständig produzierender Faktor, der Dynamik der neuzeitlichen Welt entspricht. Das hatten die US-amerikanischen Strategen sehr gut verstanden. Sie haben den Wirtschaftswunder geschehen lassen, da die quantitative Entwicklung eigentlich eine Täuschung war, da sie doch irgendwann ein Ende kennen wurde, nämlich weil die einzigen Weiterentwicklung der deutschen Industrie nur in Richtung des Balkanraumes, des Schwarzen-Meer-Beckens und Vorderasiens möglich ist.

 

In diesem konfliktreichen Gesamtkontext, dessen Wurzeln schon Ende des 19. Jahrhunderts liegen, sind seit einigen Jahrzehnten die Instrumente der Kolonisierung und Ausschaltung Deutschlands und Europas, die folgenden :

 

◊ DROGEN UND MAFIAS :

 

Um die Kontrolle über Europa zu üben, haben die US-amerikanischen Geheimdienste immer verschiedene Mafiaorganisationen ferngesteuert. Sowie der heutige französische Fachmann für das Mafiawesen Xavier Raufer es feststellt, hat der mafiagelenkte “Tropismus” (“tropisme mafieux”) Geschichte : Alles hat 1943 angefangen, wenn die US-Behörde der aus Sizilien stammende Mafiaboss Lucky Luciano aus dem Gefängnis holen, um die Landung der allierten Truppen in Sizilien und die Eroberung Süditaliens vorzubereiten. Seitdem kann man tatsächlich eine enge Verknüpfung zwischen Mafia und US-Spezialdiensten feststellen. Ab 1949, wenn Mao China in einer Volksrepublik umwandelt zieht sich eine nationalchinesische Kuo-Min-Tang-Armee im Goldenen Dreieck zwischen Burma und Laos zurück. Die Amerikaner wünschen, diese Armee in Reserve zu halten, um eventuell Operationen im kommunistischen China zu leiten. Der Kongreß hätte aber geweigert, eine solche Armee durch Steuergelder finanzieren zu lassen und solche Operationen zu billigen. Deshalb war eine Selbstfinanzierung durch Drogenproduktion und -Schmuggeln nötig. Während des Vietnam-Krieges, wurden Bergstämme, wie die Mois, mit militärischem Material bewaffnet, das durch Drogengelder bezahlt wurde. Vor der Machtübernahme Maos in China und vor dem Vietnamkrieg waren die Zahl der Drogensüchtigen sehr gering : nur Avant-Garde-Künstler, Schauspieler oder Schickeriamitglieder verbrauchten Heroin oder Cocain. Höchstens waren das 5000 Leute im Gesamtnordamerika. Drogenkonsum wurde durch die ferngesteuerten Medien angestachelt und am Ende des Vietnam-Krieges zählte Amerika 560.000 Drogensüchtigen. Die chinesische und italienische Mafia nahm die Logistik über und spielte so eine erhebliche Rolle in der Finanzierung von ungeliebten Kriegen. Die Allianz zwischen der Türkei und den Vereinigten Staaten erlaubt ein drittes Mafianetzwerk, an dieser gesamten Strategie teilzunehmen, nämlich die türkischen Organisationen, die eng mit parareligiösen Sekten und mit der Armee zusammenarbeiten. Die haben Beziehung zu ähnlichen kriminellen Organisation in Uzbekistan, in anderen türkischsprechenden Ländern Zentralasiens und insbesondere in Albanien. Die albanischen Mafiaorganisationen haben sich in ganz Europa ausgedehnt zur Gelegenheit des Kosovo-Konfliktes, um die UCK-Verbände zu finanzieren, die so die selbe Rolle wie die vietnamesischen Mois-Stämme in den 60er Jahren zu spielen, d h das Land vorzubereiten, bevor die NATO-Truppen tatsächlich intervenieren könnten.

 

Weiter hat das Drogenkonsum bei Jugendlichen eine andere strategische Rolle : das Unterrichtswesen zu untermauern, damit Deutschland und Europa eine weitere Trumpfkarte verlieren, d h die besten Erziehungsanstalten der Welt, die immer unser Kontinent die Möglichkeit gab, sich aus den schwierigsten Situationen zu retten.

 

Europaweit sollten die politischen Kräfte die Mafiaorganisationen bekämpfen, nicht nur weil sie kriminelle Organisationen sind, sondern auch weil sie Instrumente eines mit den europäischen Mächten tief befeindeten raumfremden Staatswesens. Die Mafiaorganisationen zu bekämpfen impliziert u a eine strenge Regulierung der Migrationsströme aus mafiakontrollierten Ländern (Türkei, Albanien, Uzbekistan, usw.)

 

◊ Die MULTIS (MULTINATIONALE FIRMEN)

 

Schon seit den 60er Jahren, sind die Multinationalen ein Instrument des US-Kapitalismus, um die anderen Staaten zur Öffnung der Grenzen zu zwingen. Ökonomisch führt das Prinzip der Multinationalen zur Entortungsstrategien, die man im neoliberalen Jargon “Delocalizations” (Delokalisierungen) nennt. Diese Entortungsstrategien sind für die hohen Arbeitlosigkeitsquoten verantwortlich. Eben für anscheinend unbedeutende Produkte wie Spielwaren oder Bonbons haben die Multinationalen hunderttausende Arbeitsplätze vernichtet. Beispiele : Miniaturautos wurden früher in meinen Kindersjahren in England hergestellt (wie etwa Dinky Toys, Matchbox, Corgi Toys, usw.). Jetzt kommen diese kleine Spielautos aus Thailand, Macau oder China. Zur Zeit seines nationalrevolutionären Trips schrieb Henning Eichberg mit Recht in den Seiten der Berliner Zeitschrift “Neue Zeit” über die “totale Subvertierung durch Bonbons”. Süßigkeiten für Kinder werden nicht mehr lokal produziert oder von der Oma mit Liebe hausgemacht sondern als “Mars”, “Milky way” oder “Snickers” von Multis massenhaft hergestellt und weltweit verkauft. Wieviele arbeitslose kleine Menschen?

 

Europaweit sollte die politische Kräfte Europas, zumindest wenn sie wirklich die Arbeitslosigkeit bekämpfen wollen, den Entortungsstrategien entscheidend “nein” sagen und alle möglichen Lokalproduktionen revalidieren.

 

◊ Der NEOLIBERALISMUS ALS IDEOLOGIE

 

Der Neoliberalismus ist die wirtschaftliche Ideologie der Globalisierung. Der berühmte französische Autor Michel Albert stellte Anfang der 90er Jahren, daß der Neoliberalismus, als Erbe der Thatcher- und Reaganregierungen, als Praxis eine allgemeine Ablehnung jeder Investierung am Ort war. Gegen diese neue Rage, Thatcher und die “Reaganomics” nachzuahmen, schlug Michel Albert vor, den Ordo-Liberalismus wieder in Ehre zu stellen. Er bezeichnete den Ordo-Liberalismus als “Rheinisches Modell”, das nicht nur “rheinische” bzw. Deutsch ist, sondern auch japanisch, schwedisch, teilweise belgisch (die patrimoniale Wirtschaft der alten Industrie-zonen Flanderns oder Walloniens) oder französisch (die Familiengroßbetriebe der Regionen um Lyon oder Lille oder aus Lothringen). Das “Rheinisches Modell” privilegiert Investierung statt Börsenspekulation. Die Investierung gilt nicht nur für industrielles Maschinenkapital sondern auch für Universitäten, Hochschulen oder Unterrichtswesen. Der Neoliberalismus neben dem Begleitungsphenomen des Mai-68-Gedankengutes ist eben die Ideologie die die Unterrichtssysteme in ganz Europa untermauert hat. In Deutschland ist die Lage schlimm, in Frankreich noch viel schlimmer, fast die totale Katastrophe. In England verlangt heute eine Bürgerinitiative (“Campaign for Real Education”), daß Lehrer und Elternverbände die Disziplin verschärfen und das Niveau der Unterrichte und die Sprachfähigkeiten der Schüler verbessern. Der Geopolitiker Robert Strauß-Hupé, der im Denkfabrik Roosevelts aktiv war, plante in seinem Programm für Deutschland und Europa, das er neben Morgenthaus Pastoralisierungspläne verfasste, die naturgegebenen Kräfte Europas zu zerstören, nämlich seine ethnische Homogeneität und die Qualität seiner Erziehungssysteme, die gebrochen werden sollten. Dazu haben die antiautoritären Spekulationen von weltfremden Pädagogen, das Drogenkonsum und die Mai-68-Ideologie gedient. Man flüstert manchmal, daß der 68-Philosoph Herbert Marcuse für das “Office for Strategic Studies” (OSS) gearbeitet hätte.

 

Europaweit sollten die gesunden politischen Kräfte für ein ordo-liberales Wirtschaftssystem rheinischen Modells sich einsetzen, das investiert statt spekuliert und das Schulwesen und die Universität unterstützt, ohne die anderen “non profit” Sektoren zu vernachlässigen (Krankenhäuser, Gesundheitswesen, Kulturwesen). Die profitlosen Pfeiler einer jeden Gesellschaft sollten nicht zur bloßen Disposition gestellt werden. Sie schmieden die Volksgemeinschaften zusammen und erwecken Treue in allen sozialen Schichten. Der Neoliberalismus wird eher vom Dschungelgesetz bestimmt.

 

◊ Die MEDIEN :

 

Europa wird auch durch Medien beherrscht, die von bestimmten Diensten ferngesteuert werden, um die “richtigen” Emotionen am richtigen Zeitpunkt entstehen zu lassen. Diese Medien prägen die zeitgenössische Mentalität und schliessen jeden kritischen Geist aus, insofern daß kritische Geister nur Geister sind, die in durch die Geschichte geprägte Traditionen und Bilder denken. Ort- und zeitlose Geister gehören der schwebenden Intelligenz, d h eben diese Art Intelligenz, daß die Amerikanisierung und die neoliberale Globalisierung brauchen. Die Beherrschung Europas durch Medieninstrumente fing schon unmittelbar nach dem 2. Weltkrieg an, wenn die Zeitschrift “Reader’s Digest” überall in Europa und in allen Sprachen verbreitet wurde und wenn Frankreich 1948 gezwungen wurde US-Filme überall spielen zu lassen, weil es anders kein Geld im Rahmen des Marshall-Planes bekommen wurde. Die Regierung Léon Blums akzeptierte dieses Diktat. Der ehemalige linke Regisseur Claude Autant-Lara, wenn er 1989 im Europäischen Parlament auf der Liste vom französischen Nationalisten Le Pen gewählt wurde, nahm die Gelegenheit, als älterster Abgeordneter, die US-amerikanische Politik zu denunzieren, Hollywood-Filme systematisch durchsetzen zu wollen und so die jeweils nationale Produktion der europäischen Länder zu torpedieren. Lieder, Mode, Drogen, Fernsehen (mit CNN), Internet sind alle Kanäle, die die US-amerikanische Propaganda benutzt, um das historische Gedächtnis der Europäer auszuwischen und so die öffentliche Meinung zu beeinflussen, damit keine andere Weltanschauung mehr entstehen kann.

 

Europaweit sollten die gesunden politischen Kräfte, unabhängige und ortsgebundene Medien finanzieren und promovieren, die ideologisch und philosophisch verschieden sind, damit unsere Völker es vermeiden, durch hyperzentralisierte und durch eine raumfremde Supermacht ferngesteuerte Medienkomplexe verblödet und beeinflußt zu werden. Medienkontrolle ist eine vitale Notwendigkeit für die künftige “kognitive Kriege”, die als Ziel haben, die Geister zu beeinflussen und die “feindliche / ausländische Hörerschaften” (“enemy / alien audiences” im CIA- oder NSA-Jargon) rezeptiv zu machen, damit keine andere Lösung noch als moralisch oder akzeptabel angeschaut wird.

 

◊ Die militärische MITTEL

 

Man behauptet üblich, daß die US-amerikanische Macht eine Seemacht ist. Starke See- und Weltmächte sind traditionell “bi-ozeanisch”, haben also Fenster auf zwei Weltmeeren bzw Ozeanen. Der Krieg gegen Mexiko 1848 hatte als Ziel, sich ein breites Fenster in Richtung des Pazifischen Ozeans zu erobern und sich so mittel- oder langfristig den chinesischen bzw fernöstlichen Markt als exklusiver Absatzmarkt zu reservieren. Wenn Ende des 19. Jahrhunderts der US-Admiral Alfred Thayer Mahan seine Spannungen nicht sparte, um die “Navy League” als Instrument zur Promotion des US-Imperialismus zu gründen und zu etablieren, sind seine Intentionen auch von der US-Flotte in Werdung ein Waffenmonopol zu machen. Sein politisches und strategisches Ziel war es, den angelsächsischen Mächten eine weltweite, überall auftauchende und interventionsgerichtete Waffe zu geben, die Amerika und England eine grössere Schnelligkeit für weltweite Interventionszwecke gab und die die anderen Mächte nicht haben dürften. Weiteres Ziel war es, den anderen Mächten eine solche Waffe und alle künftigen gleichartigen Waffen zu entziehen. Die Eroberung des Pazifischen Raumes nach der Eroberung der Pazifischen Küste Kaliforniens 1848 fand fünfzig Jahre später statt, wenn der Krieg gegen Spanien mit der Ausschaltung dieser europäischen Macht aus dem Karibischen Raum und aus den Philippinen endete. Deutschland übernahm die Hoheit auf Mikronesien und verteidigte mit seiner Kriegsmarine die Samoa-Insel gegen  die US-amerikanischen Ansprüche. Zwischen 1900 und 1917 unternahmen die VSA keine entscheidende Schritte, aber der Erste Weltkriege gab ihnen  die Gelegenheit, zu intervenieren und den westlichen Allierten Material zu verkaufen, in so einem Umfang, daß sie nicht mehr Schulder sondern Schuldeiser werden.

 

1922 zwangen US-Amerikaner und Britten Deutschland und ihren eigenen ehemaligen Allierten den Vertrag von Washington auf. Zu wenig wurde uns bis jetzt über diesen schicksalhaften Vertrag erzählt. Er bestimmte die erlaubte Anzahl Tonnen für jede Seemacht der Erde : 550.000 Tonnen jemals für Britten und US-Amerikaner, 375.000 Tonnen für Japaner, 175.000 Tonnen jemals für Franzosen und Italiener. Versailles hatte schon das Schicksal der deutschen Marine besiegelt. Frankreich galt zwar als Sieger, konnte sich aber nicht mehr die Mittel geben, eine starke Seemacht zu werden. Die Reduzierung der deutschen Flotte war eine Rache für Samoa und ein Präventivmittel, das Reich aus dem Pazifischen Raum auszuschalten. Warum sollte man den Inhalt der Washingtoner Vertrag heute erinnern? Weil dieser Vertrag ein Schulbeispiel für einen amerikanischen “Modum operandi” ist. 1) Dieses Verfahren wurde später ständig systematisiert; 2) Die Völker versuchten vergebens Antworten zu erfinden, wie die Entwicklung der französischen Luftfahrt, mit heroischen Figuren wie Jean Mermoz und Antoine de Saint-Exupéry oder wie die Entwicklung der deutschen Zeppelin-Luftschiffe, die ein tragisches Ende mit der Katastrophe des Hindenburg-Luftschiffes 1937 in Neu York. Beide Mächte konnten nicht richtig Luftflotte entwickeln, um die verlorene Marinen zu ersetzen. Allgemeines Ziel war es, keine Autonomie der hochtechnologischen Waffenindustrie eben bei ehemaligen Verbündeten zu tolerieren. Nach dem 2. Weltkrieg, wurden Frankreich und die kleineren westlichen Mächten gezwungen, altes Kriegsmaterial für ihren Armeen zu kaufen. Die französische Armee wurde damals nur mit amerikanischem Material ausgerüstet. Aber mit der Hilfe von kriegsgefangener deutschen Ingenieuren wurde Frankreich fähig, sehr moderne Flugzeuge zu entwickeln, wie der Mistral-Düsenjäger. Nach 1945 besaß Deutschland keine nennenswerte Flugzeugindustrie mehr. Fokker in den Niederlanden überlebte kaum noch und blieb quasi unbedeutend. Unter De Gaulle entwickelten die französische Ingenieure, mit deutschen Kollegen, die Mirage-Flugzeuge, die eine sehr ernst zu nehmende Konkurrenz für die amerikanische Kriegsindustrie darstellten. Der Mirage-III-Jäger war eine weitere Entwicklung des sogenannten Volksjägers Heinkel 162. 1975 zwangen die Amerikaner, nachdem sie korrupte europäische Politiker überzeugt hatten, die Regierungen der NATO-Staaten aus dem Benelux und Skandinavien F-16-Düsenjäger zu kaufen, sodaß Franzosen und Schweden (SAAB) sich technologisch und finanziell nicht weiter entwickeln könnten. Den selben Trick wurden kürzlich mit den polnischen und ungarischen F-16s geübt. Seitdem hinken Franzosen und Schweden technologisch hinterher. Waffentechnologisch konnten die Deutsche Leopard-Panzer zwar entwickeln, weil Amerika als Seemacht eigentlich nicht so sehr an Landheerwaffen interessiert sind. Der Akzent liegt bei ihnen auf Flotte, U-Booten, Raketen, Satelliten und Luftwaffe.

 

Heute, so wie ein Dossier, das in dem Wochenblatt “Junge Freiheit” erschienen ist, es uns lernt, kaufen amerikanische Konzerne spitzentechnologische Industrien in Europa, sowie Fiat-Avio in Italien, also der Zweig des gigantischen Fiat-Konzernes, der sich mit Luftfahrt beschäftigt, die norddeutsche U-Boot-Firma und das spanische Konzern “Santa Barbara Blindados”, das die deutsche Leopard-Panzer für die Armee Spaniens produziert. So haben Leute aus der amerikanischen Kriegsindustrie Zugang zu alle Fachgeheime der deutschen Panzerindustrie. Diese finanziellen Manöver haben als Ziel, Europa zur Abhängigkeit zu zwingen, bevor es sich die Möglichkeiten gibt, sich militärisch zu behaupten.

 

Die US-geleiteten militärischen Organisationen wie die NATO, die CENTO oder die OTASE dienen bloß als Markt für alte amerikanische Waffen, besonders Flugzeuge, damit keine unabhängige und konkurrenzfähige Waffenindustrien in allierten Staaten entstehen, die technologische Fortschritte machen könnten, die dazu leiten würden, mächtigere Waffensysteme in “alien armies” einzusetzen und so die leitende Supermacht im Schach zu halten oder sie zu einer Macht zweiten oder drittens Ranges zu degradieren. Die Angst, daß potentielle feindliche Mächte Waffentechnologien entwickeln könnten, ist sehr tief im Geist des US-amerikanischen Politpersonals eingewurzelt. Deshalb ist das Spionieren des Allierten notwendig. Das Satellitensystem ECHELON, wie Michael Wiesberg es sehr genau in einem Heft des Wocheblattes “Junge Freiheit” ausgelegt hat, wurde während des Kalten Krieges entwickelt als ein militärisches Beobachtungssystem, das die schon existierenden Kommunikationsmitteln komplettierte, wie etwa die unterseeischen Kabeln und die anderen Satelliten, die für militärische Zwecke eingesetzt wurden. Unter Clinton, wurde das ECHELON-System offiziell auch für zivile Zwecke umgeschaltet. Wenn zivile Zwecke Objekte von spitzentechnologischen Spionierungssysteme werden, heißt es, daß die Allierten der stark ausgerüsteten Supermacht auch abgehorcht werden können. In einem solchen Kontext sind diese Allierten keine Verbündete im üblichen Sinn mehr. Die rein politische Perspektive, so  wie Carl Schmitt sie theorisiert hatte, ändert völlig. Es gibt keinen Feind im Schmittschen Sinn mehr, aber auch keine Verbündete, die zumindest theoretisch-juridisch als formell gleichberechtigt gelten. Die Sprache, die heute in den hohen Kreisen der US-amerikanischen Geheimdienste benutzt wird spricht eben nicht mehr von “Feinden” und von “Verbündeten” sondern bloß und schlicht von “alien audiences”, d h buchstäblich von “ausländischen Hörerschaften”, die die US-Propagandadienste prägen müssen.  Was bedeutet konkret diese angeblich unbedeutende semantische Änderung? Es bedeutet, daß nach dem Verschwinden der UdSSR die Verbündeten eigentlich nicht mehr nötig und allein noch Überbleibsel eines vergangenen Zeitalters sind, daß Information bei ihnen abgezapft und abgehorcht werden kann, besonders im Gebiet der Hochtechnologie in Europa, wobei schon festgestellt wurde daß deutsche und französische Firmen, die Wasserreinigungssysteme entwickelt hatten, elektronisch und durch die ECHELON-Satelliten auspioniert wurden, wobei US-Firmen die Produkte billiger produzieren könnten, weil sie für Forschung keinen Pfennig investiert hatten. Das US-amerikanische Staatsapparat begünstigt also seine eigenen nationalen Firmen und plündert die Firmen seiner Verbündeten. Diese Art der industriellen Spionierung vertritt eine sehr hohe Zivilgefahr, da sie Arbeitslosigkeit bei hochqualifizierten Fachleuten verursacht. Der mutige britische Journalist Duncan Campbell, der das ECHELON-Skandal entlarvt hat, gibt uns Dutzende von Beispielen solcher Plünderungen, in allen möglichen Zweigen der Spitzentechnologie. Da nicht nur die VSA an dem ECHELON-System teilnehmen, sondern auch Großbritannien, Kanada, Australien und Neuseeland, ist es für uns von großer Bedeutung, eine wichtige Nebenfrage zu stellen : Ist das Vereinigte Königreich  noch eine loyale europäische Macht? Hatte De Gaulle nicht recht, wenn er sagte, daß die “special relationship” mit den VSA Großbritannien immer feindlich dem Kontinenten gegenüber stelle würden?

 

Wenn man von einem Europa der Völker redet, muß man gut davon bewußt bleiben, daß zwei Ebenen konkret eine Rolle spielen. 1) Die Erste dieser beiden Ebenen ist die kulturelle Ebene, die man im Wirbel der modernen Lebensmuster so weit wie möglich intakt halten muß. Wir sind selbstverständlich davon klar bewußt. Aber dieses Bewußtsein enthält trotzdem ein großes Risiko, das in jedem Kulturkampf anwesend ist : Nämlich jede Kulturerbe ins Musäische zu verwandeln oder Kultur als bloßer Zeitsvertrieb anzusehen. Die Verteidigung unserer Kulturerbschaften darf in keinem Fall so statisch und undynamisch bleiben. Eine Kultur hat immer strategische, politische, wirtschaftliche und geopolitische Dimensionen. 2) Jedes Volk, als kulturtragendes und kulturstiftendes ethnisches Substrat, das von der herrschenden politischen Klasse nie zur Disposition gestellt werden darf, läßt selbstverständlich eine unveraußerliche und spezifische Kultur, bzw Literatur, entstehen, und hat eine bestimmte Geschichte erfahren, aber generiert auch ein eigenes Wirtschaftssystem, und dieses Wirtschaftssystem hat eine bestimmte Geschichte, die so ist und nicht anders. Jede Wirtschaftsform ist in einem Raum und einer bestimmten Zeit eingebettet. Also, gibt es keine lebensfähige Wirtschaft möglich, die weltweit und “universell” wäre. Die französischen Wirtschaftstheoretiker Perroux, Albertini und Silem, die den Akzent auf die Geschichte der Wirtschaftssysteme gelegt haben und dabei die große Theoretiker der autarkischen Systeme nicht vergessen haben, haben auch für didaktische Zwecke, diese gesamten Systeme in zwei Kategorien klassifiziert : Einerseits die Orthodoxen, andererseits die Heterodoxen. Die Orthodoxen sind die Liberalen der Adam Smithschen Schule (Manchester-Liberalen) und die Marxisten, die universalistisch denken, die die gleichen Muster überall unter allen Klimaten und Bodenarten aufpropfen wollen. Die sind eigentlich die philosophischen Vorväter der Gleichschalter der heutigen Globalisierung. Die Heterodoxen legen den Akzent über das Besondere an jedem Wirtschaftssystem. Sie sind die Erben der deutschen “Historischen Schule” mit Namen wie Rodbertus, Schmoller, de Laveleye. Der Tat-Kreis zur Zeit der Weimarer Republik, mit Ferdinand Fried und Ernst Wagemann, haben dieses wertvolle Gedankengut weiter entwickelt. Genauso wie hier schon gesagt wurde, hat für diese Heterodoxen und Anhänger der Historischen Schule jeder ortsgebundenen Wirtschaftsraum eine spezifische Geschichte, die man nich so willkürlich ausschalten kann. Geschichte und Wirtschaft prägen volks- und orts- und zeitsgebundene Institutionen und diese durch die Geschichte geerbten Institutionen bestimmen das Funktionieren einer Wirtschaft. Man spürt ganz genau hier, warum die EU bis jetzt gescheitert ist, weiter scheitern wird, weil sie eben diesem heterodoxen Weg nicht gefolgt ist. Wir sind, so wie sie es natürlich gut verstanden haben, Heterodoxen in Sinn Peroux, Silems und Albertinis. Die Wirtschaft ist der “Nomos” des “Oikos”,  d h die Gestaltung des Lebensortes, wo ich, als potentieller politischer Gestalter, und die Meinen leben. Es gibt, nach der Etymologie selbst des Wortes “Wirtschaft”,  keine mögliche Wirtschaft ohne Ort. Eine universelle Wirtschaft gibt es per definitionem nicht. 

 

So kommen wir zurück zur Geopolitik. Nach der Definition des Begriffes “Geopolitik”, handelt dieses Fach um den Einfluß der erdkundigen und räumlichen Faktoren über die ewige Politik innerhalb eines bestimmten Gebietes. Die räumlichen Faktoren beeinflußen selbstverständlich den Modus der am Ort praktizierten Wirtschaft. Wenn dieser Modus bewahrt sein sollte und nicht durch “pseudo-universelle” Regeln ersetzt wird, dann kann man von “Autarkie” reden, wobei die Wirtschaft darauf zielt, selbstgenügend zu bleiben. “Autarkie” meint nicht notwendigerweise, daß man ein geschloßener Handelsstaat aufbauen will. Ein zeitgenößische Autarkie impliziert ein Gleichgewicht zwischen einer vernünftigen Öffnung der kommerziellen Grenzen und einer ebensogut gedachten Schließung, um die innere Produktion von Waren zu schützen. Ein aktualisierter Autarkie-Begriff zielt auf eine gut balancierte “Auto-Zentrierung” der nationalen bzw reichischen Wirtschaft, so wie der Perroux-Schüler André Grjebine es gründlich ausgelegt hat. 

 

Friedrich List im 19. Jahrhundert plädierte für selbstständige Wirtschaftsysteme. Er gestaltete nach seinen Ideen die modernen Wirtschaften Deutschlands, Amerikas, Frankreichs, Belgiens und teilweise auch Rußlands zur Zeit des Czar-Ministers Sergeij Witte, der Rußland am Vorabend des Ersten Weltkrieges modernisiert hatte. Die Hauptidee Friedrich Lists war, die Industrie in jedem Land anzukurbeln, durch gut funktionierende Kommunikationsnetzwerke zu entwickeln. In Lists Zeit waren solche Kommunikationsnetzwerke Kanäle und Eisenbahnstrecken. In seiner Perspektive, die immer noch die Unsere sein sollte, hat jedes Volk, jeder Kulturkreis bzw Föderation von Völker das recht, sein eigenes Kommunikationsnetzwerk  zu bauen, um desto ökonomisch stärker zu werden. In diesem Sinn, wolllte List die konkrete Wünsche von Friedrichs II. Testament realisieren, indem der preußische König 1756 schrieb, daß die Hauptaufgabe des preußischen Staates in der norddeutschen Tiefebene es war, die Flußbecken durch Kanäle miteinander zu verbinden, sodaß zwischen Weichsel und Nordsee einfache Kommunikationen möglich werden. Dieses Projekt wollte die Uneinheitlichkeit des norddeutschen Raumes erledigen, die schicksalhaft für die deutsche Geschichte war. Das geplante System von Kanälen reduzierte auch die Abhängigkeit der Tiefebene dem See gegenüber. List entwickelte auch das Projekt, die großen Seeen in der Mitte des nordamerikanischen Raumes und dem Atlantik zu verbinden. Er ermutigte die Franzosen, ein Kanal zwischen Atlantik und Mittelemeer zu bauen, um die Position von Gibraltar zu relativieren. Er gab dem belgischen König Leopold I von Sachsen-Coburg  den Rat, Schelde und Maas mit dem Rheinbecken zu verbinden : so enstanden das “Canal du Centre”, das Antwerpen-Charleroi-Kanal und erst später das Albert-Kanal (1928). List ließ auch Eisenbahnen überall bauen, um die Kommunikationen zu beschleunigen. Deutschland aber auch die Vereinigten Staaten verdanken diesem großen Ingenieur und Ökonom, starke industrielle Mächte geworden zu sein. 

 

Prinzip ist es aber, daß Seemächte solche innenländische Entwicklungen nicht dulden können. Die Engländer insbesondere fürchteten, daß das Element ihrer Macht d h ihre Flotte an Bedeutung verlieren wurden. Gegen den Bau des Atlantik-Mittelmeer-Kanals meckerte die englische Presse. 1942 wurde in der Londoner Presse eine Karte publiziert, die die Gefahren einer Rhein-Main-Donau-Verbindung erwähnte. Max Klüver, in seinem äußerst interessanten Buch “Präventivschlag”, erinnerte uns daran, daß schon Sabotage gegen Brücken in Ungarn und Rumänien durch Intelligence-Service-Agenten vorgeplant wurden. Der Kalte Krieg hatte auch als Ziel, die Elbe und die Donau zu sperren, um jede wirtschaftliche Dynamik zwichen Böhmen und Norddeutschland und zwischen Bayern-Österreich und dem Balkan-Raum zu strangulieren. Der Krieg gegen Serbien 1999 diente u a auch dazu, die Donau-Verkehr zu stoppen und jede Kommunikationsachse zwischen dem Raum um Belgrad und dem Ägäischen Meer unmöglich zu machen. Die Ideen Lists sind noch ebenso wichtig heute wie damals und sollten ausgedehnt werden, damit sie auch Satellitensysteme miteinbeziehen. Jede Völkergruppe hat also heute das Recht, eigene elektronische Mittel und Systeme zu entwickeln, um seine industrielle und wirtschaftliche Kräfte zu stärken.

 

Um aktualisierte Interpretationen von Lists Theorien, die in Europa mehr oder weniger verpönt wie alle “heterodoxen” Lehren sind, muß man den Umweg nach Lateinamerika machen. Dort dozieren und arbeiten noch gute Schüler von List und Perroux. Wenn sie über einer Emanzipation den VSA gegenüber reden, benutzen sie den Terminus “Kontinentalismus”. Die meinen dabei eine gesamtkontinentalische politische Bewegung, die die Kräfte bündeln, um aus der Abhängigkeit Washingtons zu geraten. In Argentinien zum Beispiel werden autarkische Ideen schon zur Zeit Perons gründlich entwickelt. Argentinien, bevor übernationale Kräfte aus dem Bankwesen das Land mit allerlei Tricks ruinierten, genieß von einer regelrechten Nährungsfreiheit mit eine Überproduktion von Korn und Fleisch, die auch exportiert werden konnte, was Washington einen Dorn im Auge war. Argentinien hatte auch, teilweise mit der Hilfe von deutschen Ingenieuren, eine unabhängige, autonome und weitverzweigte Kriegsindustrie entwickelt. 1982 benutzten noch argentinische Piloten hausproduzierte PUCARA-Kampflugzeuge, um englische Schiffe während des Falkland-Krieges zu zerstören. Deshalb ist die peronistische Ideologie seit mehr als 60 Jahre Feind nummer eins der VSA im südlichen Teil Ibero-Amerikas. Die zahlreichen inszenierten Krisen, die das Land General Perons heimsuchten, haben die ganze Praxis der Autarkie zunichte gemacht. Ein positives Experiment hat so ein jähes Ende gefunden. 

 

Um eine klare Antwort dem US-Globalisierung zu geben, braucht man, auf Grundlage des hier erwähnten Wissens folgende sechs Punkte für eine unabhängige und nonkonforme Europa-Politik durchzukämpfen :

 

Punkt 1 : Wieder von Neoliberalismus zum Ordo-Liberalismus

 

Die Wirtschaft sollte wieder “patrimonial” werden nach dem Rheinischen Modell, sowie Michel Albert es in einem weltweit verbreiteten Buch dargestellt hat. Hauptrichtung einer erneuten ordo-liberalistische Wirtschaftspolitik heißt es, investieren statt spekulieren. Investierung gilt auch in Erzihungsanstalten, Universitäten und Forschung. Eine solche Politik impliziert auch eine Kontrolle der strategisch wichtigen Sektore, genau so wie Japan, die VSA und heute auch das Rußland Putins es tun. Putin fragte eben Chodorkovski sein Vermögen patriotisch in der russischen Föderation selbst zu investieren, statt im Ausland zu belegen und so risikolos zu spekulieren. Euro-Brüssel hat immer eine solche Politik abgelehnt. Kürzlich fragte der FN-Europaabgeordneter Bruno Gollnisch, Europas Politik auf drei Achsen zu konzentrieren : 1) Airbus, um eine von Amerika unabhängige Luftfahrtindustrie zu entwickeln; 2) Aerospace, um Europa ein Satellitensystem zu geben; 3) Energieforschung, um Europa von dem Zwang der US-geleiteten Ölkonzerne zu befreien. Ein so klares Programm ist ungezweifelt ein Schritt in der guten Richtung.

 

Punkt 2 : Die Unabhängigkeit von den großen amerikanischen Medienagenturen zu erkämpfen

 

Um uns von den Medienagenturen, die die Wirklichkeit gegen unsere eigenen Interessen interpretieren, muß Europa eine eigene Raumfahrt entwickeln und deshalb ist eine enge Kooperation mit Rußland nötig. Ohne Rußland, sind wir viele Schritte hinterher. Rußland hat das nötige Wissen in Raumfahrt-Fragen während langen Jahrzehnten versammelt. Indien und China scheinen mitarbeiten zu wollen. Aber um den mediatischen Totalitarismus amerikanischer Macherei zu bekämpfen, braucht man eine geistige Revolution, eine neue Metapolitik, um die reale Fazsination zu brechen, die die amerikanische Film- und Freizeitindustrie übt. Die Qualität und die Attraktivität einer eigenen europäischen Kulturproduktion, die zur gleichen Zeit die Buntheit und Verschiedenheit der europäischen Kulturen im Sinn der Herderschen Philosophie bewahrt, wird uns erlauben den “kognitiven Krieg” zu gewinnen [Die heutigen französischen Strategen sprechen von “guerre cognitive”]. Eine geistige Revolution braucht Fantasie, Kreativität, Futurismus und über alles eine bestimmte Frechheit, die ein  satirisches Blatt aus der deutschen Geschichte wie “Simplicissimus” sehr gut vertrat. Der freche Geist kann, wenn gut gezielt wird, den “kognitiven Krieg” gewinnen.

 

Punkt 3 : Die Prinzipien der Außenpolitik sollten nicht diejenigen sein, die Amerika pausenlos predigt

 

Europa muß seine eigenen Prinzipien in der Außenpolitik entwickeln, d h den Universalismus Washingtons ablehnen, sei er “multilateralist”, wie Kerry es will, oder “unilateralist”, wie Bush es z. B in Irak praktiziert. Für ein Europa, das nicht mehr Euro-Brüssel sein würde, sollte kein Modell weltweit gelten oder als solches verkündet werden. Zwei Lehren sollten hier erinnert und erwähnt werden : 1) Armin Mohler, im Juli 2003 verstorben, sprach von der Notwendigkeit, den Gaullismus deutsch zu interpretieren und zu praktizieren, in dem Sinn, schrieb er in “Von Rechts gesehen”, daß ein wirkliches Europa sich ständig für eben diese Länder, die die Amerikaner als “Rogue States” oder “Schurkenstaaten” betrachten, interessieren. Zur Zeit, wo Armin Mohler diese texte über den Gaullismus schrieb, war der Hauptschurkenstaat China. In “national-europäischen” Lager sagten Jean Thiriart und die Anhänger seiner Bewegung “Junges Europa” in Brüssel genau dasselbe. In Deutschland versuchte Dr. Haverbeck in Vlotho eine objektivere Information über China zu verbreiten. Die belgische Königin-Mutter Elisabeth von Wittelsbach reiste nach China. Alle wurden als “Maoisten” oder “Krypto-kommunisten” beschimpft. Die Orientierung der Außenpolitik auf chinesischen Modellen ist aber keine Dummheit. 2) Diese letzte Idee bringt uns zu einem Modell, das Europa nachahmen sollte, statt dem amerikanischen Universalismus  zu imitieren. China will weltweit die Außenpolitik innerhalb des heutigen Staatensystems auf fünf Hauptprinzipien reduzieren : 1. Keine Einmischung dritter Staaten in den inneren Angelegenheiten eines bestimmten Staates, was bedeutet, daß die Menschenrechtenideologie nicht benutzt werden sollte, um Streitereien in dritten Staaten aufzustacheln. General Löser, der hier in Deutschland für die Neutralität Mitteleuropas unmittelbar vor dem Fall der Mauer predigte, vertrat ähnliche Argumente. 2. Respekt für die Souveränität der existierenden Staaten. 3. Nie die Existenzgrundlagen eines Staates anzutasten. 4. Die friedliche Koexistenz weiter unterstützen. 5. Jedes Volk die Freiheit gewähren, sein eigenes Wirtschaftssystem zu gestalten.

 

Die politische Philosophie Chinas füßt auf klassische Autoren wie Sun Tzu, Han Fei und der Tao-Te-King : alle enthalten glasklare Argumente, die mit dem verderbeden Moralismus nichts zu tun haben.

 

Punkt 4 : Nach der militärischen Unabhängigkeit streben...

 

Hauptaufgabe einer gesamteuropäischen Freiheitsbewegung sollte sein, die Waffenindustrie zu schützen und es vermeiden, daß die existierenden Firmen in den Händen von US-amerikanischen Konzerne wie Carlyle Incorporation fallen. Fiat Avio in Italien, die deutsche U-Boot-Industrie, das spanische “Santa Barbara Blindados”-Konzern sind kürzlich durch Börsenspekulationen amerikanisch geworden. Als andere Aufgabe gilt es, systematisch das Eurocorps statt die NATO zu schützen und weiter das Eurocorps auf Grundlagen der Prinzipien einer Volksarmee schweizerischen Modells oder einer Miliz wie Löser in Deutschland, Spannocchi in Österreich, Brossolet in Frankreich es theorisiert haben. Die NATO ist tatsächlich überholt seitdem Deutschland und Europa 1989 wiedervereint wurden. Damals haben die Europäer die Chance verpasst, eine neue Weltordnung in ihrem Interesse zu gestalten. Deshalb kommt wahrscheinlich die Idee einer Paris-Berlin-Moskau-Achse zu spät. Dritte Aufgabe : eine Flotte mit Flugzeugträger zu entwickeln. Vierte Aufgabe : ein Satellitensystem zu starten, damit Europa endlich Militär- und Kulturkriege zusammenschmelzen kann. Das führt uns zu Punkt 5.

 

Punkt 5 : Gegen das ECHELON-System kämpfen

 

Als Beobachtungs- und Spionierungssystem Großbritanniens, Australiens, Kanadas, Neuseelands und der Vereinigten Staaten, ist ECHELON eine Waffen gegen Europa, Rußland, Indien, China und Japan. Es verkörpert die gefährliche Idee der totalen Überwachung, wie schon Orwell und Foucault sie vorausgesehen hatten. Eine solche Überwachung sollte entgegengewirkt werden nur mit der Entwicklung anderer Systeme, die durch eine enge Zusammenarbeit zwischen Rußland, Europa, Indien und China entstehen können. Wenn ECHELON nicht mehr das einzige System solcher Art ist, können die Mächte der eurasischen Landmasse eine kulturelle, militärische und wirtschaftliche Antwort geben. In ECHELON, verschmelzen sich tatsächlich die kulturellen, wirtschaftlichen und militärischen Operationen, die heute geführt werden. Die Antwort ist wirklich Euro-Space. 

 

Punkt 6 : Für eine unabhängige Energie-Politik

 

Was die Energie-Politik betrifft, sollte der Modus die Diversifikation sein, wie De Gaulle es für Frankreich in den 60er Jahren plante, wenn er sich von Amerika und NATO distanzieren wollte. Das französische Planbüro wollte damals, alle mögliche Energiequellen ausbeuten, so die Wind-, Sonnen-, Ebbe-und-Flut- und Wasserenergie, ohne Öl oder Kernenergie auszuschließen. Die Diversifikation hilft, die Abhängigkeit von einzigen oder ausschließenden Energiequellen abzubauen. Heute, würde eine solche Politik noch gültig sein, aber dazu sollte eine Entwicklungspolitik der eurasischen Ölleitungen zusammen mit Rußland, China, Korea und Japan weiterentwickelt werden. Hauptsache ist es, die Abhängigkeit von saudischen d h amerikanisch-kontrollierten Ölquellen abzubauen.

 

Diese sechs Punkte können nicht von unserem üblichen Politpersonal realisiert werden. Die Lageanalyse desbetreffend ist schon da, als Fundgrube neuer politischen Ideen und Programme. Prof. Erwin Scheuch, Hans-Herbert von Arnim, Konrad Adam, die italienische anti-partitokratische Tradition und das Werk Roberto Michels, Kritiker der Oligarchen, das Werk des ehemaligen Franco-Minister Gonzalo Fernandez de la Mora, haben Kampfbegriffe bestimmt, um die Cliquen und die allgemeine Parteiherrschaft offensiv zu kritisieren, damit die planlosen Eliten den Weg endlich frei halten für neue Eliten, die die richtigen Antworten für die zeitgenößischen Probleme haben. Deshalb scheint es mir noch wichtig ein Zitat von Arthur Moeller van den Bruck zu meditieren, der sagte, daß “Parteipolitik schlimm sei, da die Parteien sich zwischen dem Staatsapparat, das theoretisch allen gehören sollte, stellen, und so einen Filter einscheiben, der jede UNMITTELBARKEIT zwischen Volk und Politik unmöglich macht”. Nur diese von Moeller van den Bruck erwähnte UNMITTELBARKEIT gründet die wahre Demokratie, die auch nur organisch und populistisch sein kann, da anders der Staat rein formal, unorganisch und leblos, wird.

 

Die große Idee der UNMITTELBARKEIT im reinen Politischen macht es möglich reale Projekte zu realisieren und die falsche ideologische Botschaften zu entlarven. Daran sollen wir alle arbeiten.

 

Ich danke Ihnen für Ihre Aufmerksamkeit,

 

Robert Steuckers.

lundi, 01 septembre 2008

Guerre du Caucase: chronologie des événements

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Soldats géorgiens en manoeuvre

 

Andreï ARECHEV:

Guerre du Caucase: chronologie des événements

 

Dans la chronologie des événements, qui ont précédé l’agression géorgienne contre l’Ossétie du Sud, il y a un aspect qui mérite tout particulièrement notre attention: le 31 juillet s’étaient clôturées des manoeuvres communes, regroupant unités géorgiennes et unités américaines, que l’on avait baptisées “Immediate Response 2008”; au cours de ces exercices, les instructeurs américains avaient entraîné les forces armées géorgiennes à parachever des “opérations de nettoyage” contre des terroristes embusqués en zones résidentielles. Les exercices comprenaient des actions comme nettoyer un village des terroristes qui s’y dissimulaient, probablement en vue des engagements futurs des soldats géorgiens en Irak, et de mettre en lieu sûr les populations civiles; Les atrocités commises par les forces géorgiennes à Tskhinvali sont donc le résultat de l’entraînement qu’elles ont reçues de leurs instructeurs occidentaux sous la couverture cynique de “lutte contre le terrorisme”. Les véritables objectifs sont bien entendu complètement différents. L’ancien ministre géorgien des affaires étrangères, Salome Zurabishvili, qui est indubitablement une personnalité bien informée, a déclaré que la présence des Etats-Unis en Géorgie impliquait le déploiement d’une vaste gamme d’activités, parmi lesquelles l’instruction des forces armées et le contrôle du corridor de grande importance stratégique qui passe par le Caucase, où est notamment installé le tracé de l’oléoduc Bakou-Tbilisi-Ceyhan. Selon Zurabishvili, c’est là l’objectif principal du conflit actuel, qui oppose la Géorgie à la Russie et renforce simultanément la loyauté qu’éprouvent désormais les Géorgiens à l’égard des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, ce qui permet à ces deux dernières puissances de contrôler la Géorgie et, par voie de conséquence, l’ensemble du versant méridional du Caucase.

 

Il faut également noter que l’intensification du conflit caucasien, aux confins méridionaux de la Russie, a coïncidé avec les tensions qui ont agité la région autonome chinoise du Xinjiang, où, alors que commençaient les Jeux Olympiques, une attaque terroriste a été commise. Quelques jours auparavant, à Bishkek, la capitale du Kirghizistan, on avait découvert un dépôt illégal d’armes, près duquel résidaient une dizaine de militaires américains et plusieurs diplomates de l’ambassade des Etats-Unis dans ce pays  d’Asie centrale. L’agression de la Géorgie contre l’Ossétie du Sud est un acte de guerre, dans une guerre qui se déroulera dans l’intérêt de tierces puissances et où les Géorgiens sont destinés à jouer le rôle de chair à canon. Si l’agression contre cette petite région caucasienne ne trouve pas rapidement bonne fin, d’autres conflits régionaux seront inévitables et prendront à coup sûr une ampleur bien plus dramatique.

 

Andreï ARECHEV.

(extrait d’un article paru dans “Rinascita”, Rome, 12  août 2008; trad. franç.: Robert Steuckers).

mercredi, 27 août 2008

De la guerre dans le cyberspace

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De la guerre dans le “Cyberspace”

Entretien avec le journaliste Stefano Silvestri, expert militaire, sur la cryptographie, la sphère privée et la sécurité sur le net

Q. : Professeur Silvestri, au cours de cette der­nière année 1998, on a beaucoup par­lé, sur le net et ailleurs, du projet “Eche­lon”, élaboré par l'agence américaine NA­SA, dans le but de contrôler toutes les com­munications téléphoni­ques, y compris les fax et les courriers électro­niques, mê­me en dehors d'Amérique et, sur­tout, en Eu­rope. D'après certains observateurs, il s'agirait en fait d'une légende colportée sur le net; pour d'autres, en revanche, cet­te intru­sion est une donnée fondamen­ta­le, comme l'ex­plique l'intérêt qu'y por­tent les organismes officiels de la Com­mu­nauté Européenne; cet in­térêt semble prouv­er qu'il ne s'agit donc pas d'une “lé­gende”. Qu'en dites-vous?

StS : Je dis que le contrôle des communica­tions a toujours grandement focalisé l'atten­tion des agences d'information américaines. En ce qui concerne les simples communications té­léphoniques, leur contrôle est déjà un fait ac­quis depuis longtemps. L'attention actuelle, por­tée à internet, n'a fait que croître ces der­niers temps, d'abord dans l'intention de con­trô­ler les aspects de cette technologie qui ont bé­néficié à la criminalité  —je pense notam­ment à la pornogra­phie—  ensuite dans l'inten­tion de protéger les in­for­mations confiden­tiel­les contre les interventions des “hackers”, les pi­rates de l'informatique. Dans ce dou­ble con­texte, est née l'idée qu'il faudra contrôler toujours plus étroitement les communications. Le pro­blème qui se pose est, tout naturelle­ment, de savoir si un tel contrôle est légitime ou non, et dans quelle mesure, car les commu­ni­cations sont en théo­rie ouvertes, car elles ont été créées pour être et de­meurer ouvertes, pour être lues de tous, comme c'est le cas sur la grande toile. Mais si elles sont lues par tous, elles peuvent l'être par les agences de sécu­ri­té. Cette évidence est moins légitime, voire to­ta­lement illégitime, si l'on parle d'informations confi­den­tielles, de quelque forme que ce soit, de quelque manière qu'elles soient cryptées, même si elles ne sont que de simples commu­ni­cations téléphoniques. S'il existe une tutelle, ou des garde-fous, pour ce qui concerne les com­munications à l'intérieur d'un Etat, il n'exis­te aucune protection juridique pour les com­munications internationales.

Q. : Je vais émettre une hypothèse, faire un saut en avant dans le temps, disons de dix ans, ce qui nous amène en l'an 2009. On peut pré­voir, sur base de ce qui se pas­se aujourd'hui, que les autoroutes de l'in­formation acquerront une importance en­core plus importante d'ici ces dix an­nées. A quoi ressembleront ces auto­rou­tes de l'information, seront-elles plus li­bres ou plus contrôlées? Quelle forme pren­dra, se­lon vous, la lutte pour le con­trôle et la sur­veil­lance des informations et surtout pour la pro­tection de la sphère privée?

StS : Ce n'est pas facile de faire des prévi­sions, parce que le net, tel qu'on le connaît au­jourd'hui et tel qu'il s'est développé jusqu'ici, se base sur l'idée d'une liberté complète d'in­for­mer et de faire circuler des informations. Mais la multiplication des phéno­mè­nes de na­tu­re criminelle a forcé les autorités à é­laborer des systèmes plus complexes de contrôle. Je crois donc que cette lutte continuera. Vous sa­vez qu'il existe des organisations à l'inté­rieur même de la grande toile qui s'opposent d'ores et déjà, par principe, à toute forme de contrô­le, même limitée, parce qu'elles estiment que tout type de contrôle fi­nit par bloquer la com­mu­ni­cation. Je retiens person­nellement qu'il faut certaines formes de contrôle, s'il n'y a pas moyen de faire autrement. Il faut réussir pour le net ce qui se passe déjà pour les com­mu­nications téléphoniques internationales : par­ve­nir à généraliser un contrôle sur les thèmes et les mots clefs. De ce fait, je ne pense pas que nous aurons né­cessairement plus ou moins de liberté, mais que nous aurons une si­tuation différente, où deux phé­no­mènes pren­dront parallèlement de l'ampleur : l'é­lar­gisse­ment de la grande toile, c'est-à-dire un ac­crois­­sement de liberté, mais aussi, si­mul­ta­né­ment, une “intrusivité” accrue de la part de cer­taines a­gences étatiques.

Q. : Quels instruments pourra-t-on utiliser pour maintenir la sphère privée dans une situation de ce genre?

StS : Partiellement, la sphère privée est reliée à ce qui se met sur la toile. Il est dès lors évident que ce qui est présent sur la toile peut être lu, tandis que les choses qui n'y sont pas de manière évidente, ne peuvent pas être lues. Par conséquent, on sera tenté de ne pas dire certaines choses sur la toile elle-même. Par ailleurs, on pourra recourir à des sys­tè­mes de plus en plus sophistiqués de cryptage. Mais c'est une démarche beaucoup plus complexe, parce que tout système de cryptage peut être décrypté, sauf si l'on utilise un système supé­rieur d'élaboration de données. En consé­quen­ce, le problème, à ce ni­veau, est celui de pos­sé­der une capacité systémique à élaborer des don­nées de manière plus rapide et plus puis­sante que les autres. Ce type de capacité, seuls les Etats les possèdent.

Q. : Quels sont les Etats qui ont les systè­mes les plus puissants ?

StS : Essentiellement, les Etats-Unis. Nous en som­mes arrivés au stade que les Etats-Unis, sur in­jonc­tion de leur ministère de la défense, n'exportent ja­mais ces systèmes de sécurité complets, qu'ils éla­bo­rent chez eux pour le bé­néfice du gouvernement américain, pour évi­ter d'affronter des systèmes de cryptage étran­gers, difficiles à briser.

Q. : Si je vous comprends bien, nous a­vons af­faire, d'une part, à un processus de globali­sa­tion et, d'autre part, à un re­tour au natio­na­lisme, face au nouveau sys­tème mondial de communication…

StS : C'est un double processus qui survient tou­jours sur les marchés globalisés : au dé­part, on com­mence avec un maximum de li­ber­té, puis, à un certain moment, on en arrive à développer des rapports de force. Dans le cas qui nous préoccupe, nous sommes face à un problème de rapports de for­ce.

Q. : Nous avons donc affaire à une guerre dans le “cyberspace”, pour le contrôle des flux d'in­for­mations, mais est-ce une pers­pective bien réelle? Si oui, comme va-t-on la combattre et par quels moyens?

StS : Disons que cette idée d'une guerre dans le “cy­berspace” reçoit beaucoup d'attention ac­tuellement parce qu'elle se concilie parfaite­ment avec l'hypo­thèse que posent les Amé­ri­cains aujourd'hui, affir­mant que nous assistons à une nouvelle révolution dans les affaires mi­li­taires. Ce que l'on considère dé­sormais com­me le système des systèmes consiste, pour l'essentiel, en une méthode électronique de contrôle des diverses armes, qui tend simulta­nément à utiliser aussi des systèmes de guerre non tradi­tion­nels: par exemple, le contrôle de l'in­formation. Celui-ci revêt évidemment une im­portance cruciale en temps de guerre. Les mé­dias donnent de fausses informations, ou n'en donnent pas, et réussissent ain­si à em­pê­cher la circulation de certaines informa­tions dé­terminées, ou à se substituer aux systèmes d'in­formation nationaux des pays que l'on veut at­ta­quer. Tout cela est théoriquement possi­ble. Le con­trô­le peut également s'exercer sur les informations d'ordre technique, dans la me­­sure où nos nouveaux systèmes d'arme­ment dépendent d'un certain flux d'informa­tion. Par exemple, les informations, en pro­ve­­nance de satellites, relatives aux positions géo-sta­tionnaires, au climat, etc., peuvent se faire in­fluencer d'une certaine manière, ce qui est aussi une façon de faire la guerre. Notam­ment l'intrusion, en provenance de l'extérieur, dans les systèmes d'infor­mation ou de sécu­ri­té, ou dans les systèmes de con­trôle du trafic aé­rien, sont considérés comme des ac­tes de guer­re. De telles intrusions n'ont pas enco­re eu lieu; elles ne sont que de pures hypo­thè­ses, relevant de la science fiction ou du roman et non pas encore du réel. Mais il est évident que si un hacker peut perturber un ordinateur du Pentagone, celui-ci peut utiliser la même technique contre un tiers.

Q. : Par conséquent, dans l'hypothèse d'u­ne guerre “informatique”, n'aurons-nous pas af­fai­re à un problème se focalisant da­vantage sur les sources d'information?

StS : Effectivement, plusieurs problèmes se jux­tapo­sent:  un problème qui relève de la sé­curité des sources, un problème quant à la “pu­reté” des infor­mations et un problème de sé­curité des infor­ma­tions. Sur le Vieux Con­ti­nent, nous avons peu d'ex­pé­riences, parce qu'en Europe, nos systèmes mi­li­tai­res sont ar­chaïques, au pire, trop vieux en tout cas pour faire face à la nouvelle donne. Les Américains ont plus d'expériences parce qu'en fait leurs systè­mes militaires utilisent certes d'anciennes techni­ques, comme les Européens, mais utili­sent aussi la grande toile; ils ont donc une in­dé­niable expérience dans la façon d'utiliser cel­le-ci, tant sur le plan dé­fensif que, po­ten­tiel­lement, sur le plan offensif.

Q. : Pourriez-vous nous donner quelques exem­ples récents de conflits ou, plus gé­néralement, d'événements de la politique internationale, où la lutte pour le contrôle de l'information dans le “cyberspace” a dé­jà eu un rôle d'une im­portance parti­cu­lière?

StS : Je dirais que, pour l'essentiel, c'est enco­re une question de rapports de force entre les Etats-Unis, l'Europe et les autres pays. Exem­ple : nous avons af­faire à un nouveau niveau dans l'utilisation des in­formations et des don­nées recueils à la suite d'in­terceptions télépho­niques à la suite immédiate des attentats en Afrique contre les ambassades améri­caines; ce nouveau degré d'utilisation de la techno­lo­gie s'u­tilise désormais pour repérer les groupes ter­­roristes responsables de ces attentats. Ce ni­veau technologique en est encore au stade de la simple information. Par ailleurs, il y a tou­te une série d'exem­ples de guerre informa­ti­que mais ces cas sont surtout liés au monde in­dustriel plus qu'au monde militaire ou à la sé­curité pure. Ou bien l'on utilise les canaux in­formatiques libres ou couverts pour trou­bler la sécurité des industries.

Q. : Le “cyberspace”, par définition, est en quel­que sorte “a-territorial”, ou, au moins, très éloigné du type de terri­to­rialité auquel nous sommes habitués dans le monde réel (et non virtuel). Existe-t-il dès lors une géopolitique du “cyber­spa­ce”. Et sous quelle forme?

StS : Le “cyberspace” constitue une négation de la géopolitique. Par suite, nous pouvons dire que nous sommes essentiellement con­fron­tés à une question de frontières. Les fron­tiè­res peuvent tout sim­ple­ment se connecter, non pas aux médias, mais aux u­tilisateurs eux-mêmes. Nous pouvons dire qu'il existe une géopolitique du “cyberspace” dans la me­sure où nous trouvons plus d'utilisateurs con­cen­trés dans une région du monde que dans une autre. Ce qui nous donne une forte con­centration aux Etats-Unis, une concentration en croissance constante en Europe et une con­centration très réduite et épar­pil­lée en Afrique. Autre hypothèse : on pourrait déve­lop­per des ca­tégories géopolitiques reposant sur la capa­ci­té technologique à intervenir dans le “cy­ber­space”, capacité qui coïncide dans une large me­sure avec la zone où l'on utilise de la ma­nière la plus in­tense ces technologies et où cel­les-ci sont par con­séquent les plus avan­cées. Je crois que j'ai énuméré là les prin­ci­pa­les catégories, parce que, pour le re­ste, in­tro­duire des barrières à l'intérieur même du “cy­ber­space” équivaudrait à détruire le “cyber­spa­ce” lui-même. Et, en conséquence, cela signi­fie­rait ipso facto de détruire ce principe de li­berté de circulation ou ce principe de grande fa­cilité de circulation des informations, qui po­se problème, mais qui est simul­tanément la ri­chesse de cet instrument.

Q. : Existe-t-il des protocoles de régle­men­ta­tion entre les Etats en ce qui con­cer­ne le “cy­berspace”?

StS : Non. Pas encore en tant que tels. Je di­rais que ce qui va se faire tournera essen­tiel­lement autour du problème des contrôles. En d'autres termes: com­ment pourra-t-on géné­rer des coopérations pour évi­ter l'augmen­ta­tion de la criminalité dans ce nouveau moyen de communication qui, comme tous les mé­dias, peut évidemment se faire pénétrer par les réseaux criminels. Tous ces problèmes sont liés au fait que le “cyberspace” est par défini­tion extra-territorial. En tant que tel, toutes les in­terventions à l'intérieur de ce cyberspace, mi­ses à part les inter­ven­tions sur un opérateur sin­gulier, sont des inter­ven­tions forcément trans­nationales. A l'échelon na­tio­nal, une in­ter­vention est possible, mais elle fait auto­mati­quement violence à des tiers. Des romans com­­mencent à paraître qui prennent pour thè­me de tels sujets. Tom Clancy est de ceux qui s'occupent ain­si de la grande toile; il a inventé une police amé­ricaine fictive qui s'appelle “Net Force” mais qui n'a pas une fonction seule­ment protectrice et judiciaire, mais se livre à des actions offensives et défensives à l'inté­rieur même du “cyberspace”. En Europe, nous n'en sommes pas encore là. Loin de là.

Q. : Pouvez-vous nous donner une défini­tion de ce que l'on appelle un système de “cryptogra­phie”?

StS : La cryptographie est un système visant à ca­moufler, à masquer, le langage. Vous prenez un mot et vous lui donnez une tout autre si­gni­fication. Vous avez affaire là à un système de cryptographie ba­nale. Les systèmes de cry­p­to­graphie ont crû en im­portance, au fur et à me­sure que les communica­tions, elles aussi, ont acquis de l'importance. Ainsi, au fur et à me­sure que les opérations militaires propre­ment dites se sont mises à dépendre toujours da­vantage du bon fonctionnement des com­mu­ni­ca­tions, la cryptographie est, à son tour, de­venue très importante. C'est clair : tant que les communications se faisaient entre le com­man­dant des forces sur le terrain et, par exem­ple, le peloton de cavalerie qu'il avait en­voyé en reconnaissance, la communication se vo­yait confiée à un messager et la cryptogra­phie n'avait pas beaucoup de sens. Pour l'es­sentiel, il suffisait que le messager comprenne bien ce que le commandant lui disait et le ré­pète correctement. Pe­tit à petit, quand les o­pé­rations sont devenues plus globales, on a com­mencé à utiliser des systèmes plus com­plexes, mais qui risquaient d'être intercep­tés ou décryptés comme la radiophonie. La crypto­gra­phie était devenue nécessaire. Pendant la se­con­de guerre mondiale, la cryptographie a joué un rôle fondamental. Les alliés ont réussi à décrypter le sy­stème allemand de crypto­gra­phie. Cela leur a pro­cu­ré un gros avantage stra­tégique, pendant toute la du­rée des ho­sti­lités. Pendant la guerre froide éga­le­ment, la capacité de pénétrer les systèmes de com­­mu­nication de l'adversaire a eu une impor­tan­ce ca­pitale. Dans cette guerre, la capacité des Amé­ricains à parfaire ce genre d'opération é­tait supérieure à celle des Soviétiques, ce qui a donné, in fine, l'a­vantage aux Etats-Unis. Au­jourd'hui, la guerre des cryptographies conti­nue tant dans la sphère écono­mique que dans celle du militaire. La guerre actuelle dépend lar­gement des nouveaux systèmes de cryp­to­­gra­phie, lesquels sont désormais intégrale­ment ba­sés sur l'informatique. Plus l'ordina­teur est rapide et puissant, plus le logarithme est complexe, sur ba­se duquel on crée la cryp­tographie des phrases, et, finalement, l'en­sem­­ble du système est le plus fort. Les super-or­dinateurs américains sont nés, partielle­ment, pour être capables de gérer les opérations de la Nasa dans l'espace, mais aussi, pour gérer de nou­veaux systèmes de cryptographie.

Q. : Par conséquent, les systèmes de cry­pto­gra­phie, comme le soutient le dé­par­te­ment de la défense aux Etats-Unis, peu­vent se considé­rer véritablement comme des armes?

StS : Ils font assurément partie du système de sécu­rité et de défense d'un pays. Ils con­sti­tuent une ar­me offensive dans la mesure où ils peu­vent poten­tiel­lement pénétrer le système de communication de l'ennemi, et constituent aussi une arme défensive, car ils empêchent l'en­nemi de pénétrer leurs propres systèmes. A ce système de cryptographie s'ajoutent les au­tres systèmes spécialisés mis en œuvre. La com­­binaison des divers types de systèmes don­ne un maximum de sécurité.

 

(entretien paru dans Orion, n°179/août 1999; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

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lundi, 25 août 2008

Emigration blanche, fascismes russes, stalinisme

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Emigration blanche, fascisme, stalinisme: approches nouvelles après la chute du communisme

Le généalogie des droites russes chez Walter Laqueur

par Robert STEUCKERS

L'impact des fascismes ouest-européens et du national-socialisme allemand a été important dans les cercles d'émigrés blancs pendant l'entre-deux-guerres. Le fascisme séduisait parce qu'il promettait des solutions rapides aux problèmes de l'époque, alors que les parlements, qui soumettaient tout à d'interminables discussions, étaient accusés de laisser «pourrir les situations». Ce culte de la «décision rapide», très présent dans les débats allemands de l'époque et dans les discours tonitruants de Mussolini, débordait les cercles restreints des fascistes russes purs et durs et séduisait des conservateurs, dont Struve, et des modérés, dont Timachev.

Pour propager ce double culte de l'autorité et de la vitesse de décision, plusieurs groupes ont vu le jour dans les années 20. Ils étaient surtout constitués de jeunes gens enthousiastes. Le plus petit de ces groupes était le «Mouvement des Jeunes Russes» (Mladorossitsy),  dirigé par Alexandre Kassem Bek, issu d'une famille aristocratique d'origine persane, russifiée au cours du XIXième siècle. Emigré à Paris, Kassem Bek prend dès l'âge de 21 ans la tête d'un groupe d'étudiants blancs, réclamant l'avènement d'une monarchie totalitaire de type nouveau. Reprenant à leur compte tous les éléments du decorum fasciste, ainsi que la discipline qui caractérisait cette mouvance, les adeptes de Kassem Bek estimaient, nous explique Laqueur, que l'ancien régime ne pouvait plus être restauré, car il avait été rongé de l'intérieur par la décadence, le «bourgeoisisme» et le «philistinisme». L'effondrement de ce régime sous les coups des Bolcheviks était donc une punition largement méritée. L'apocalypse de 1917 et l'horreur de la guerre civile auraient donc eu des vertus purgatives, selon les partisans de Kassem Bek. Propos qui n'ont guère choqué les conservateurs comme Struve (qui ouvre aux «Jeunes Russes» les colonnes de sa revue) ni Cyrille, le prétendant au trône des Romanovs. Deux grands-princes adhèrent au mouvement.

Au culte de Mussolini et de Hitler, s'ajoute, curieusement, le culte de Staline. Ce dernier, affirmaient Kassem Bek et ses «Jeunes Russes», avait mis un terme à l'anarchie révolutionnaire, avait rétabli l'autorité de l'exécutif (concentrée entre ses mains) et donné congé à l'internationalisme. Kassem Bek plaidait dès lors pour une symbiose entre l'ordre ancien et l'ordre nouveau, pour une monarchie incarnée par le Grand-Prince Cyrille mais reposant sur les nouvelles institutions soviétiques: bref, pour une monarchie bolchévique!

Après une tentative de collaboration avec les nationaux-socialistes allemands, qui téléguidaient le ROND (un parti nazi russe établi à Berlin), le rapprochement tourna court: les Allemands reprochant aux Russes d'être des «nationaux-bolchévistes» et non d'authentiques «nationaux-socialistes». Xénophobes (mais pas officiellement antisémites; en pratique, pourtant, ils l'étaient), les «Jeunes Russes» reprenaient aux Eurasiens l'idée que la mission réelle de la Russie est en Asie, et que Moscou doit constituer un glacis pour la race blanche contre le «péril jaune». Mais Kassem Bek se méfiait des projets concoctés par les Allemands en Europe orientale: en 1939, il demande aux «Jeunes Russes» de soutenir la cause des alliés occidentaux et quitte l'Europe pour les Etats-Unis. En 1956, il revient à Moscou, y devient le secrétaire du Patriarche et meurt en 1977. Il aurait été un agent soviétique tout au long de sa carrière. Laqueur souligne (pp. 111-112) que les Soviétiques ont recruté bon nombre d'agents dans tous les milieux politiques de l'exil russe, y compris chez les Mencheviks, mais que seuls les Blancs fascisants ont été autorisés à rentrer au pays.

Parmi les idéologues autoritaires, monarchistes-bolcheviks, une figure sort du lot: celle d'Ivan Loukianovitch Solonévitch (1891-1953). Il a commencé sa carrière dans la presse radicale de droite avant la Révolution. Il quitte l'URSS en 1934, en franchissant clandestinement la frontière finlandaise, puis publie le récit de cette évasion, qui devient un best-seller international. Solonévitch devient alors journaliste dans la presse émigrée libérale et modérée. Puis, brusquement, il opère un virage à droite, qui le rapproche des cénacles conspiratifs animés par d'anciens lieutenants et capitaines de l'armée du Tsar. Il termine sa vie en Argentine. Son ouvrage politique majeur, Narodnaïa Monarkhiia  («La Monarchie Populaire»), a été réédité à Moscou en 1991, et inspire quelques néo-monarchistes.

Les partis fascistes russes ont connu une brève existence en Allemagne, en Mandchourie et aux Etats-Unis dans les années 30. Le groupe le plus significatif était celui de Mandchourie. Il naît dans la faculté de droit de l'université locale, parmi les jeunes Blancs réfugiés là-bas. Le général tsariste Kosmine les soutient. Ils se regroupent d'abord dans l'«Organisation Fasciste Russe» (OFR), puis dans le «Parti Fasciste Russe» (PFR), et éditent deux revues: Nache Poute  («Notre Voie») et Natsia  («Nation»). De 1931 à 1945, année où l'armée rouge pénètre dans Kharbine, capitale de la Mandchourie, ce fut la figure de Konstantin Rodzayevski qui mèna le parti. Enthousiaste, fougueux mais naïf, il adopte fébrilement les colifichets à croix gammées des nationaux-socialistes allemands, donnant à sa formation des allures quelque peu carnavalesques. De plus, il dépend financièrement du bon vouloir des Japonais. Il espère une victoire de l'Axe Berlin-Tokyo, dont les armées, espère-t-il en dépit de son nationalisme russe, occuperont l'Union Soviétique et placeront à la tête de la nouvelle Russie dé-bolchévisée un «gouvernement national», dirigé évidemment par lui!

Concurrent de Rodzayevski en Mandchourie: l'Ataman Semionov, militaire conservateur, nullement attiré par les imitations du folklore nazi, parie sur la solidarité des Cosaques réfugiés en Extrême-Orient. En 1945, Rodzayevski et Semionov sont tous deux condamnés à mort dans un procès commun, assez expéditif. Et l'activiste du PFR introduit alors une demande pour rentrer au service de Staline, considéré comme «leader fasciste russe», et propose de réactiver ses réseaux pour en faire une «cinquième colonne» au bénéfice de la politique de Moscou. Sa demande n'a pas été retenue.

Aux Etats-Unis, un certain Anastase Vozniyatski fonde une «Organisation Fasciste Panrusse» (OFPR) en 1933, à Windham County dans le Connecticut, avec l'argent de son épouse, une millionaire américaine du nom de Marion Stephens, née Buckingham Ream dans une famille de négociants en bétail et en céréales. Malgré son argent, Vozniyatski n'a pas réussi en politique. La chronique de son mouvement ne révèle rien d'original ni d'extraordinaire.

Pendant les vingt premières années d'exil des Blancs et des anti-bolchéviques de toutes opinions, le mouvement qui, incontestablement, a connu le plus de succès, fut le NTS (in extenso: «Fédération Nationale du Travail de la Nouvelle Génération»). Ce mouvement d'inspiration solidariste et chrétienne-orthodoxe a tenu son premier congrès en 1930 et élu son président, W. M. Baïdalakov, un Cosaque du Don. Objectif: poursuivre le combat pour l'«idée blanche» sous une autre forme, adaptée aux plus jeunes générations. Le NTS travaillait très sérieusement, contrairement aux «Jeunes Russes» et aux groupuscules fascistes de Mandchourie. A peu près tous les deux ans, l'organisation tenait un congrès où l'on décidait des nouvelles orientations et où l'on fixait un nouveau programme. Son idéologie sociale était le solidarisme, un solidarisme qui se distinguait toutefois du solidarisme préconisé par les écoles politiques catholiques d'Europe occidentale. Ce solidarisme reposait sur une triade: idéalisme, nationalisme, activisme. L'idéalisme soulignait l'importance des idées pures et des valeurs, formes permanentes et indépassables dans le monde effervescent de la politique. Le nationalisme indiquait que ces valeurs s'inscrivaient toujours dans un contexte et que ce contexte était la nation, en l'occurrence la nation russe. L'activisme correspondait à la volonté de réaliser l'adéquation de la théorie et de la pratique, un peu comme dans le marxisme.

Ce solidarisme était bel et bien une idéologie conservatrice, dans le sens où l'harmonie entre les classes qu'il prônait le conduisait à rejeter l'«individualisme libéral excessif» et à imposer des limites à la liberté individuelle; le solidarisme du NTS refusait également la démocratie pluripartite. Les industries-clefs devaient demeurer sous la houlette de l'Etat. Le NTS reprenait à son compte une idée centrale dans l'héritage slavophile, l'idée de Sobornost,  telle que l'avait théorisée Khomiakov.

Le NTS ne s'est jamais aligné idéologiquement sur les fascismes européens ou sur le nazisme, car sa dimension religieuse le rapprochait davantage du corporatisme catholique autrichien ou du salazarisme portugais, idéologies éloignées du modernisme industrialiste fasciste-italien ou national-socialiste allemand. Quelques éléments toutefois ont collaboré en Allemagne avec les autorités nationales-socialistes, même si le NTS était interdit et ses adhérants emprisonnés. Cette coopération a eu lieu dans les territoires occupés par l'armée allemande et dans le mouvement du général Vlassov. L'organe de presse de ces militants pro-allemands du NTS était le Novoïé Slovo.

Après la guerre, le NTS adopte une idéologie de «troisième force», cherchant à dépasser le marxisme et le capitalisme. Les puissances occidentales ont passé l'éponge sur la collaboration des quelques éléments du NTS (Redlich, Poremski, Tenserov, Vergoune, et Kazantsev) et les Américains, logique de la guerre froide oblige, ont soutenu le mouvement et financé sa propagande à l'intérieur du territoire soviétique. Cette double collaboration avec les ennemis de la Russie, l'Allemagne d'abord, les Etats-Unis ensuite, n'ont pas donné bonne presse au NTS, en dépit de la pureté de ses idéaux, bien ancrés dans la tradition et le mental du peuple russe. Le citoyen soviétique moyen s'en désintéressait.

Selon Laqueur, le principal idéologue du NTS fut le Professeur Ivan Ilyine (1881-1954), qui enseignait la philosophie à l'Université de Moscou avant la Révolution. Cet excellent connaisseur de la pensée de Hegel est expulsé d'URSS en 1922, en même temps que Berdiaev. Il publiait ses écrits dans la revue Russkii Kolokol,  proche du NTS sans en épouser toutes les thèses: en effet, Ilyine était monarchiste tandis que les militants du NTS ne se prononçaient pas sur cette question et envisageaient l'éventualité d'une République russe non soviétique. Ilyine se faisait l'avocat d'une «démocratie organique», qui n'aurait plus été ni formelle ni mécanique à la façon occidentale. Dans son livre Pout'k otchevidnosti  (= La Voie vers l'évidence), Ilyine définit la «vraie politique» comme un «service», comme le contraire diamétral de la politique envisagée comme «carrière». La notion de service implique de servir les intérêts du peuple tout entier et non d'une catégorie sociale ou d'un réseau d'intérêts. Cette volonté de servir une entité collective de vastes dimensions fait de la politique un «art de la volonté», d'une volonté qui sait d'instinct choisir et promouvoir, dans le flot ininterrompu des faits et des événements, ce qui est bon pour le peuple dans son ensemble, pour l'avenir de l'entité nationale. Or cette volonté doit pouvoir se lover dans le moule d'un idéal et ne pas oublier les vertus du cœur, qui donnent impulsion et sagesse aux potentialités créatives de l'homme politique (pour une approche des idées d'Ilyine, cf. Helmut Dahm, Grundzüge russischen Denkens. Persönlichkeiten und Zeugnisse des 19. und 20. Jahrhunderts,  Johannes Berchmans Verlag, München, 1979).

Laqueur, ensuite, passe à une analyse des sources du néo-nationalisme russe contemporain. Ce «parti russe» est né des œuvres des néo-slavophiles et des «écrivains du terroir». Pionniers à l'ère stalinienne de ce style ruraliste, Vladimir Ovetchkine et Yefim Doroche ont préparé le terrain d'une nouvelle école littéraire populiste et nationaliste. Dans les années 60 et 70, les écrivains de Russie septentrionale et de Sibérie, comme Fiodor Abramov, Vassili Choukchine (Kalina Krasnaïa, Le beau bosquet de boules de neige) et Valentin Raspoutine (Adieu à Matiora).  Cette littérature est loin d'être idyllique, souligne Laqueur. Les conditions de vie dans les villages du Nord et de la Sibérie sont terribles et les villageois décrits par Abramov se haïssent mutuellement, ne forment plus une communauté soudée et solidaire. Belov, pour sa part, est moins pessimiste: ses personnages vivent dans un monde beau et pur, à l'ombre des clochers en bulle, bercé par la musique douce et gaie des cloches des églises, où se côtoient des mystiques et des idiots qui atteignent la sainteté. Soloükhine se déclare disciple du Norvégien Knut Hamsun, qui, lui aussi, a décrit des personnages ruraux non pervertis par la civilisation moderne. Astafiev et Raspoutine évoquent les descendants des pionniers, dispersés dans les immensités sibériennes. Dans les petites villes, les habitants n'ont plus de référants moraux: ils pillent un dépôt en flammes, n'ont plus de racines et plus aucun sens du devoir. Ils ne songent qu'à s'enrichir et saccagent l'environnement naturel. Cette dépravation est le fruit du pouvoir communiste, écrivait Soloükhine, sans pour autant encourir les foudres du régime; au contraire: il a été lauréat du Prix Lénine! La tonalité générale de cette littérature ruraliste est un scepticisme à l'égard du progrès mécanique, matériel et économique, à l'égard des productions intellectuelles des grandes villes, à l'égard de la culture de masse contemporaine, importée de l'Ouest.

Dans le grand public, ce sont des revues littéraires conservatrices, mais fidèles en paroles au régime, qui se sont fait le relais de ce ruralisme, de ce culte de l'enracinement et de ce refus du déracinement: Nache Sovremenik  et Molodaïa Gvardiya. Novii Mir, pour sa part, défendait les thèses progressistes classiques de l'idéologie marxiste. Cet engouement pour le passé intact de la Russie a conduit à une redécouverte de l'héritage slavophile du 19ième siècle, dès la fin des années 70, où Chalmaïev, Lobanov et Kochinov en arrivent à la conclusion que la Russie est devenue un pays décérébré et américanisé, qui perd sa «dimension intérieure», ses racines, en dépit de sa puissance militaire. La Russie est une «coquille vide».

Ce mélange de ruralisme, de slavophilie rénovée, de culte de l'enracinement et d'anti-américanisme, conduit à une critique plus fondamentale de l'idéologie marxiste dominante. Les nationalistes, en effet, évoquent la thèse du «flux unique» de l'histoire russe, thèse qui est en contradiction totale avec le léninisme. En effet, d'après Lénine et ses disciples, l'histoire russe se subdivise en deux courants, un courant progressiste (Pierre le Grand partiellement, Herzen, Tchernitchevski et Gorki) et un courant obscurantiste composé de réactionnaires, de fanatiques religieux et d'exploiteurs du peuple. A ce dualisme officiel, les ruralistes opposent, sans nier la validité du courant progressiste, une réhabilitation des forces politiques et spirituelles qui ont consolidé la Russie au cours des siècles passés, sans être marquées par la philosophie progressiste, moderniste et occidentaliste. L'histoire russe, dans cette optique slavophile et nationale, draine dans un fleuve unique une masse d'éléments positifs, tantôt frappés du sceau du progressisme, tantôt frappés de celui de l'enracinement ou de la tradition, soit de l'immuable.

Le Parti ne pouvait pas accepter cette vision sans risque. Car cela aurait impliqué une revalorisation du rôle de la monarchie et de l'église dans l'histoire russe. Et cela aurait également signifié que, lors de la guerre civile, les Rouges comme les Blancs avaient eu des raisons, avaient eu les uns et les autres partiellement ou entièrement raison. Si Nicolas II et Lénine avaient eu tous deux raison, la révolution aurait pu être considérée comme inutile et l'idéal aurait sans doute été un régime à mi-chemin entre le bolchevisme et la monarchie, sans doute une monarchie populaire comme l'envisageait Ivan Solonévitch. Mais lentement la thèse du «flux unique» a fait son chemin, s'est imposée et structure métaphysiquement la convergence que l'on observe actuellement entre nationalistes et anciens communistes. Hors du «flux unique» ne se trouvent désormais plus que les libéraux qui restent fidèles aux thèses «progressistes», tout en avalisant l'inflation terrible qui secoue la vie russe depuis la libéralisation des prix de janvier 1992, voulue par Gaïdar et son équipe. Aval qui leur fait perdre toute légitimité populaire.

Déjà pendant les dernières années du règne de Brejnev, la maison d'édition Roman Gazetta, qui publiait des livres de poche bon marché, n'éditait plus que des auteurs populistes, slavophiles ou nationalistes, précise Laqueur (p. 135). Signe de leur victoire: quand Alexander Yakovlev, chef du département idéologique du comité central, prononça en 1972 un discours contre l'«anti-historicisme» des russophiles et critiqua leur culte de la religion orthodoxe, tout en défendant les «démocrates» révolutionnaires du XIXième siècle, il fut promu ambassadeur d'URSS au Canada et y resta de nombreuses années. Eviction déguisée, bien évidemment. Cet incident marqua la victoire des revues Nache Sovremenik  et Molodaïa Gvardiya. Novii Mir, dont les collaborateurs «libéraux» et «progressistes» avaient été écartés dès les années 70, tenta de reprendre son combat en faveur du «courant progressiste». Sans succès. Elle fut réduite au silence pendant 20 ans et ne reparut que dans le sillage de la perestroïka.  

Au départ de sa carrière d'écrivain persécuté, Alexandre Soljénitsyne se situait plutôt dans le camp libéral. Il en sortira petit à petit pour esquisser les grandes lignes d'un «conservatisme» populiste et slavophile particulier, en marge du conservatisme plus musclé des nationalistes et des paléo-communistes actuels. Au départ, ce sont les libéraux, notamment les rédacteurs de Novii Mir, qui se sont engagés à défendre l'écrivain Soljénitsyne, alors que conservateurs et nationalistes critiquaient ses positions. Mais Soljénitsyne jugeait les libéraux trop mous dans leur défense des dissidents. Son glissement vers un conservatisme populiste et slavophile s'est amorcé dès sa lettre ouverte aux dirigeants soviétiques, où, depuis son exil zurichois, il critiquait cette intelligentsia libérale qui croyait que sa tâche première était de «dépasser la folie nationale et messianique des Russes». Entreprise impossible, selon Soljénitsyne, car elle aurait réduit la russéité à rien. Dans cette lettre, il exhortait les dirigeants soviétiques à abandonner le marxisme-léninisme, une idéologie qui ne cessait de provoquer des conflits avec l'étranger, affaiblissait la Russie de l'intérieur et instaurait un système du «mensonge permanent». Ensuite, il demandait l'abrogation du service militaire obligatoire, ce qui hérissait les nationalistes. Sa pensée, au fond, était une synthèse entre le libéralisme national et populaire et le nationalisme dur: le régime qui conviendrait à la Russie serait à la fois éclairé et autoritaire, et s'appuyerait sur les Soviets, car introduire une démocratie à l'occidentale sans transition en Russie conduirait à la catastrophe.

Cette synthèse, malgré ses relents d'anti-militarisme, ou, au moins, son hostilité à la conscription générale, finit tout de même par plaire davantage aux nationalistes qu'aux libéraux. Sakharov trouvait le nationalisme de Soljénitsyne «exagéré», voire quelque peu «xénophobe» et déplorait que l'auteur de l'Archipel Goulag n'entonnât pas un plaidoyer a-critique en faveur de la démocratie à l'occidentale. Le nouveau clivage séparait désormais ceux qui prétendaient que les idées occidentales (dont le marxisme) pervertissaient l'âme russe et ceux qui affirmaient que c'était les défauts de la mentalité russe qui précipitaient la Russie dans le malheur.

La «Nouvelle Droite» russe, ou plutôt les «nouvelles droites» russes, puisent leurs idées dans des synthèses plus modernes ou chez des auteurs plus actuels et seul Soljénitsyne conserve une influence réelle dans le débat. Son influence est évidement plus nette auprès des nationaux-libéraux et des conservateurs tranquilles qu'auprès des nationaux-bolchéviques plus militants et plus activistes. Les Russes d'aujourd'hui tentent également de découvrir des auteurs occidentaux auxquels ils n'avaient pas accès au temps de la censure. La révolution conservatrice allemande et la ND franco-italienne, de même que les synthèses nationales-révolutionnaires de tous acabits, influencent les conservateurs musclés et les nationaux-bolchéviques, tandis que les travaux de Max Weber, José Ortega y Gasset, etc. intéressent les nationaux-libéraux. L'engouement pour Nietzsche est général et cela va des réceptions caricaturales aux analyses les plus fines. Dans ce bouillonnement, un penseur original: Lev Goumilev, décédé en juin 1992, considéré comme une sorte de «Spengler russe»; il a élaboré une théorie de l'«ethnogénèse» des peuples, en expliquant que ceux-ci font irruption sur la scène de l'histoire, animés par une passionarnost, une «passion», un instinct, une pulsion. Cette passionarnost  s'épuise petit à petit, forçant les peuples vidés de leurs pulsions créatives, à quitter l'avant-scène de l'histoire, puis à sombrer dans l'insignifiance. Goumilev était «eurasiste» et essuyait les critiques de ceux qui revendiquaient une russéité européenne.

Les nouvelles synthèses russes se forgeront dans la lutte, dans cette opposition à l'occidentalisation brutale dont ils sont les victimes. Imaginatifs et prenant les idées beaucoup plus au sérieux que les Occidentaux, les concepts mobilisateurs de demain seront à coup sûr originaux. Et provoqueront l'étonnement de ceux qui veulent tout mesurer à l'aune des statistiques et des chiffres, des bilans et des profits. Et aussi l'étonnement de ceux qui croient, sur les rives de la Seine, les neurones assaillis par les gaz d'autos, avoir trouvé la formule politique définitive et indépassable dans cette panade ultra-mixée, suggérée par certains journaux (un peu comme si vous mélangiez des fraises écrasées dans l'huile de vos sardines, avec une cuiller de chocolat chaud et du müesli, le tout arrosé de Curaçao bleu, avec un zeste de pamplemousse, le tout saupoudré d'ail).

Robert STEUCKERS.

Walter LAQUEUR, Der Schoß ist fruchtbar noch. Der militante Nationalismus der russischen Rechten, Kindler, München, 1993, 416 S., DM 42, ISBN 3-463-40212-2.

 

 

 

vendredi, 22 août 2008

Die Memoiren von Jaruzelski

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Die Memoiren von Jaruzelski: bemerkenswerte Notizen über die Rolle des Staatsmannes

 

Analyse: Wojciech Jaruzelski, Hinter den Türen der Macht. Der Anfang vom Ende einer Herrschaft,  Militzke Verlag, Leipzig, 1996, 479 S., ISBN 3-86189-089-5.

 

Im Frühsommer 1992 publizierte der polnische General Jaruzelski ein Buch, wo er seine politische Erinnerungen darstellte. Er schilderte die Ereignisse in Polen ab dem 13. Dezember 1981, wenn das Kriegsrecht ausgerufen wurde. Moskau fürchtete, daß das destabilisierte Polen das sowjetische Herrschaftssystem wankeln ließ. Deshalb sollte die kommunistische Moskau-treue Ordnung wiederherstellt werden. Jaruzelski hatte als Aufgabe bekommen, sein Land sowjettreu zu erhalten, eben durch Mittel der Gewalt, wenn nötig. Die Kapitel seines Buches enthüllen wenig bekannte Sachlagen der polnischen Zeitgeschichte in den Jahren 1980-1985. Obwohl “Sozialist” und Anhänger des damals “realexistierenden” Sozialimus sowjetischer Prägung, erscheint uns nach diesen tumultvollen Ereignissen der Militär Jaruzelski als eine Art konservativer “Katechon”, d. h., um die Definition von Carl Schmitt zu wiederholen, als ein Staatsmann, der als Aufgabe hat, die Ordnung zu herstellen und sein Staatswesen vom Chaos und Zerfall zu retten.

 

Selbstverständlich bleibt in unseren Augen der Kommunismus ein Fremdkörper am Leibe der polnischen Nation und die Solidaritätsbewegung Walesas ein spontaner Ausdruck des Volkzornes. Nichtdestoweniger muß heute der neutrale Beobachter doch wohl annehmen, daß fremde Geheimdienste “Solidarnosc” manipuliert haben, genau um das schon morsche Sowjetsystem zu sprengen, am Ort wo es am weichsten war, d. h. zwischen dem sowjetischen Großraum und der DDR (Thüringisches Bollwerk und Speerspitze der Warschauer-Pakt-Verbände). Konservative und militärische Kräfte innerhalb des Sowjetsystems konnte eine solche zwar demokratische aber doch “abenteuerische” Entwicklung in den damaligen Kräftenverhältnissen nicht dulden. Jaruzelski wurde als Retter der Lage eingesetzt: als Militär hat er den Befehlen seiner politischen Vorgesetzten gefolgt. Die Geisteshaltung von Jaruzelski wird im Buch deutlich dargelegt. Sie kann eigentlich als konservativ-erhaltender bzw. katechonischer (im Schmittschen Sinn) Art betrachtet werden. Folgende Aussagen zeugen davon: “Geschichte und Geographie sucht man sich nicht aus. In meiner Generation findet man kaum Menschen, die aus einem Stück Holz geschnitzt sind. Das Leben hat uns aus den Splittern des Schicksals und den Abschnitten des Weges geformt. Wir waren Kinder unserer Zeit, unseres Milieus,  unseres Systems. Jeder ist auf seine Weise aus diesem Rahmen ausgebrochen. Nicht jeder, dem das schnell gelang, verdient Achtung. Und nicht jeder, dem das erst später gelang verdient Verachtung. Das Wichtigste ist, wovon der einzelne Mensch sich leiten ließ, wie er das tat, was er tat, und was für ein Mensch er heute ist”  (S. 8).

 

“Als Soldat weiß ich, daß ein militärischer Führer und überhaupt jeder Vorgesetzte für alles und alle verantwortlich ist. Das Wort ‘Entschuldigung’ mag nichtssagend klingen, aber ein anderes Wort kann ich nicht finden. Ich möchte deshalb um eines bitten: Wenn es Menschen gibt, bei denen die Zeit die Wunden nicht geheilt, den Zorn nicht zum Erlöschen gebracht hat, dann mögen sie diesen Zorn vor allem gegen mich richten, nicht aber gegen diejenigen, die unter den gegebenen Bedingungen, erhlich und in gutem Glauben, viele Jahre lang ihre ganze Arbeitskraft dem Aufbau unseres Vaterlandes geopfert haben”  (S. 9).

In seinem Schluß, äußert sich Jaruzelski in einem klaren “katechonischen” Stil: “Außergewöhnliche Situationen und Maßnahmen führen oft zu Blutvergießen. Wir wissen, daß in vielen Ländern der Ausnahmezustand Tausende und Abertausende von Menschenleben gekostet hat. Wir dagegen trafen diese dramatische Entscheidung eben deshalb, damit es nicht zu einer solchen Tragödie komme. Dies ist uns in hohem Maße gelungen. Hunderprozentig leider nicht. Im Bergwerk “Wujek” kam es zum Schußwaffengebrauch, neun Bergleute kamen ums Leben. Dieses schmerzliche Ereignis wirft bis heute seinen Schatten auf die Gesamtbewertung der damaligen Vorgänge”  (S. 465). 

 

Seine nüchtere Beobachtung der menschlichen Kräfte in der Politik erweisen sich erstaunlich dem konservativ-katechonischen Gedankengut von Denkern wie Donoso Cortés, Joseph de Maistre oder Constantin Franz nah: “Im Machtapparat gab es viele nachdenkliche, gebildete und erfahrene Menschen. Leider führt eine Summe von klugen Köpfen nicht automatisch zu einem Zuwachs an Klugheit. Oftmals wird man von den Dümmeren hinabgezogen, die durch Fanatismus, Demagogie und Schneid dafür sorgen, daß selbst die besten Absichten mit falschem Zungenschlag vorgetragen werden. Sowohl aus objektiven als auch aus subjektiven Gründen ließ sich die Regierungsbasis nicht wesentlich erweitern. Sehr viele wertvolle Menschen, die sich auf keiner der beiden Seiten klar engagieren wollten, gerieten ins Abseits”  (S. 466).

 

Der Unterscheid zwischen Mythologie und Pragmatismus in der Politik sieht der polnische General auch klar: “Die Mythologie ist ein untrennbarer Bestandteil des Gesellschaftsleben. Diese Färbung hat auch der Begriff “Ethos der ‘Solidarnosc’”, obwohl er heute schon merklich an Lebenskraft verliert. Wahrscheinlich war es Pilsudski, der gesagt hat, daß die Polen “nicht in Tatsachen, sondern in Symbolen denken”. Der Pragmatismus hat in der Politik ungeheure Vorteile und sollte eigentlich Wegweiser für alle Führungsmannschaften sein. Aber Pragmatismus allein reicht nicht. Er ist dürr und grau, wenn seine Vertreter nicht gleichzeitig an die emotionalen Grundlagen des kollektiven und des individuellen Bewußtseins appellieren” (S. 469).  Skeptisch bleibt Jaruzelski, wenn er die totale Wirtschafts-Liberalisierung der ehemaligen Ostblokstaaten observiert: “Ich fürchte, daß verschiedene Racheparolen, die zur “Dekommunisierung” aufrufen, unsere Aufmerksamkeit von den wesentlichen Zielen ablenken und zu einer Zersplitterung der Anstrengungen unserer Gesellschaft führen könnten. Das wäre für Polen im wahrsten Sinne des Wortes mörderisch. Es kann den Interessen unseres Landes nur schaden, wenn man sich in dieser von Rivalität, Wettlauf und Konkurrenz geprägten Welt Ersatzziele sucht und die Energie der Gesellschaft darauf verschwendet”  (S. 470).

Jaruzelski hat einen sowjetgeprägten Staat verteidigt und gerettet, ohne anscheinend ein Anhänger der kommunistischen Ideologie zu sein. Warum hat er dann so gehandelt? Kapitel 28 des Buches gibt uns eine sehr detaillierte und interessante Antwort. Hauptsache für den General ist es, die Souveränität Polens zu bewahren: “Gab es für Polen nach dem Zweiten Weltkrieg die Chance, als vollkommen unabhängiger Staat zu existieren, ohne sowjetischen Einfluß? (...) Teheran, Jalta und Potsdam gehören zu jenen Knotenpunkten in der neuzeitlichen Geschichte, über die die Historiker endlos diskutieren werden. (...) Die Mehrheit der damaligen Politiker mußte das Abkommen von Jalta wohl oder übel als gegebene Realität (...) hinnehmen (...). Die existierende Ordnung zwang auch Polen ihre Spielregeln auf und bestimmete seinen Handlungsspielraum. Als Militär konnte ich nicht so tun, als ob ich das nicht wüßte”  (S. 302-303).

Jaruzelski erinnert seine Leser an einen Brief, den er an seine Mutter und seine Schwester 1945 geschrieben hatte: “Ich bin verpflichtet für Polen zu dienen und zu arbeiten, ganz gleich, wie Polen auch aussehen mag und welche Opfer von uns auch gefordert werden mögen”  (S. 304). Der junge damalige Offizier wollte sein Land als ein real-existierende polnischer Staat, für Polen “wie es auch aussehen mag”, und dieses Pflicht allem anderen überordnen. Die nationalen Deutsche werden sehr wahrscheinlich eine solche Bekenntnis als dubiös und unhaltbar betrachtet, sie ist trotzdem wihl oder übel eine typische Haltung des polnischen Offizierentum, wo Dienst und Pflicht wichtiger erscheinen als etwa ethnische oder historische Fakten oder ideologische Konstruktionen. Jaruzelski skizziert in diesem 28. Kapitel die Auseinandersetzungen zwischen den Londoner-Polen um General Anders und den Moskauer-Polen.

 

Die westliche Mächte haben die neue Westgrenzen Polens nie garantiert, im Gegenteil zu Moskau. In den Augen Jaruzelskis, erscheint also die Sowjetunion als ein treuer Garant und ein fester Bundgenosse. Nur Moskau garantierte dem polnischen Staat eine feste und klare Gestalt. Die Londoner-Polen wollten die Grenzen von 1939, was die Sowjets nie akzeptiert hätten, weil Polen Riesengebiete Weißrußlandes und der Ukraine 1921 annektiert hatte, so lief Polen die Gefahr, an der Gestalt des früheren Kongreß-Polen reduziert zu werden, d. h. ein Land, das zergliederte Grenzen gehabt hätte, die nicht zu verteidigen waren.  So wurde das Schicksal der Ostdeutschen besiegelt: das mit der Sowjetunion verbündete Polen mußte seine eigene Ostgebiete abgeben und nach Westen als Kompensation erweitert werden.

Die Feinde Jaruzelskis betonen, Polen war im Warschauer Pakt versklavt. Dazu antwortet der General, daß es zwei Formen der Souveränitätsbeschränkung gibt: 1) Die freiwillige Beschränkung im Interesse des Staates oder einer verbündeten Staatengruppe; 2) Die Beschränkung, die Protektoratscharakter hat. Jaruzelski gibt zu, Polen war ein Protektorat bis 1956, danach war seine Souveränität nur “beschränkt” im Rahmen des Warschauer-Paktes. Funktionsfähigkeit des Staates und Vermeidung des sozialen und wirtschaftlichen Chaos sind die beiden Hauptaufgaben, die Jaruzelski sich gesetzt hatte.

Jaruzelski zitiert noch die Appelle von den Kanzlern Kreisky und Schmidt, die Ordnung zu retten, damit Polen seine vertragliche Verpflichtungen gegenüber anderen Staaten erfülle, und Vernunft und Mäßigung zu pflegen. Weiter finden man den kompletten Wortlaut eines Berichts des polnischen Außenministers Jozef Czyrek über seinen Besuch beim Papsten (S. 353-354), und auch einen Bericht des General Kiszczaks über die sowjetischen, ostdeutschen und tschechischen Manöver an den polnischen Grenzen in Herbst 1981 oder durch Mittel von Geheimdienst-Agenten innerhalb der polnischen Grenzen selbst. Hätte Jaruzelski das Kriegsrecht nicht am 13. Dezember 1981 ausgerufen, wären die Warschauer-Pakt-Verbündeten am 16. einmarschiert, um Polen “vom Wurg der Konterrevolution” zu retten. Genauso wie in Prag 1968.

Die Aktion Jaruzelskis war also, wie der amerikanische antikommunistische “Falke” Zbigniew Brzezinski es geschrieben hat, die Übergang vom “kommunistischen Autoritarismus” zum “postkommunistischen Autoritarismus”. Solidarnosc ist nicht verboten worden, wie auch der Papst es Czyrek gebeten hatte, sondern einfach gezügelt, damit man Polen von einer sowjetischen Invasion, von Chaos und Bankrott bewahren konnte. Man kann skeptisch bleiben, aber die Lektüre dieses Buches ist hoch interessant, nicht weil es uns die Gedankenwelt eines sowjetfreundlichen polnischen Generals, sondern weil es sehr genau das Pflichtbewußtsein eines Militärs in der Politik enthüllt. Militärs, Katholizismus, Russophilie und Kommunismus mischen sich erstaunlicherweise in den Memoiren Jaruzelskis. All diese Ingredienten sind letzter Hand eine unstabile Mischung und entsprechen ganz genau die real-existierende polnische Identität (Robert STEUCKERS).

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mardi, 19 août 2008

Les stratégies des belligérants pendant la seconde guerre mondiale

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Dr. Heinz MAGENHEIMER:

 

Les stratégies des belligérants pendant la seconde guerre mondiale

 

Introduction: Le Dr. Heinz Magenheimer est historien militaire et enseigne à l’Académie de Défense Nationale à Vienne et à l’Université de Salzbourg. L’article qui suit est une présentation de son livre le plus récent, “Kriegsziele und Strategien der grossen Mächte – 1939-1945”, paru à Bonn en 2006 chez l’éditeur Osning (27 euro).

 

Contrairement aux thèses qu’affirment certains historiens, le but de guerre de l’Allemagne, immédiatement après le 1 septembre 1939, se limitait à soumettre la Pologne et à organiser la défense de l’Ouest du pays (et de la Ligne Siegfried) contre les alliés occidentaux. Il me semble passablement exagéré d’attribuer à Hitler un “plan par étapes” car la stratégie allemande dépendait entièrement des vicissitudes de la situation, que l’on ne pouvait évidemment pas prévoir. La stratégie allemande ressemble bien plutôt à de l’improvisation, car la production de guerre, à l’époque, ne suffisait pas pour faire face à une belligérance de longue durée.

 

Les puissances occidentales, elles, avaient d’abord développé une stratégie défensive sur le long terme, visant l’isolement et l’exténuation de l’Allemagne. L’exigence des alliés à l’endroit de Berlin, soit la restitution de la souveraineté de la Pologne dans ses frontières, n’avait plus de sens, après l’occupation soviétique de la moitié orientale du pays, à partir du 17 septembre 1939. Les grandes puissances extérieures, soit les Etats-Unis et l’Union Soviétique, attendaient leur heure et espéraient tirer le maximum d’avantages de la guerre en Europe occidentale. Moscou ne pouvait qu’y gagner, si les deux camps s’épuisaient mutuellement. Les Etats-Unis pourraient, eux, satelliser complètement la Grande-Bretagne et la France, si la guerre durait longtemps. Les deux grandes puissances extérieures suivaient une “stratégie de la main libre”.

 

La victoire rapide de la Wehrmacht en Europe occidentale à partir du 10 mai 1940 a certes renforcé la position du Reich mais n’a pas atteint le but de guerre espéré: forcer une paix de compromis avec l’Angleterre. Une prolongation de la guerre n’allait pas dans le sens de l’Allemagne. Les dirigeants britanniques ont rejeté toutes les propositions allemandes de paix et ont opté pour la lutte à outrance. Churchill suivait en cela une stratégie irrationnelle, car il mettait en jeu l’existence de l’Empire britannique. Son but de guerre était dès lors de briser une fois pour toutes la prépondérance allemande en Europe centrale, en ne craignant aucun sacrifice, ce qui, de manière inattendue, rendit la belligérance encore plus âpre. Le président américain Franklin D. Roosevelt soutenait la Grande-Bretagne, dans la mesure de ses moyens, mais son objectif final était d’absorber la puissance britannique aux profit des Etats-Unis et de la soumettre.

 

C’est alors que la deuxième grande puissance extérieure, l’URSS, qui n’avait pas escompté une victoire aussi rapide de la Wehrmacht, se mit à préparer la guerre contre l’Allemagne. Dans ce but, elle étendit son glacis dans le Nord-Est et dans le Sud-Est de l’Europe en juin et en juillet 1940. Staline abandonna sa politique de prudence, qu’il avait suivie jusqu’à ce moment-là, se mit à préparer la guerre à grande échelle et donna son aval à un déploiement offensif de l’armée rouge, car une guerre avec l’Allemagne lui semblait inévitable.

 

Comme la stratégie directe de l’Allemagne contre la Grande-Bretagne avait échoué, à la suite de la bataille aérienne pour la maîtrise du ciel anglais et que la liberté de mouvement dont le Reich bénéficiait sur ses arrières grâce au pacte germano-soviétique semblait de plus en plus menacée, Hitler décida, pendant l’hiver 40/41, de changer de stratégie: il ne fallait plus donner priorité au combat final à l’Ouest mais d’abord abattre l’Union Soviétique. Il y avait certes d’autres options stratégiques possibles mais elles n’auraient pas été moins risquées. C’est ainsi que l’Allemagne se sentit contrainte d’ouvrir une guerre sur deux fronts, pour échapper à un plus grand danger encore, celui d’une attaque directe de l’Armée Rouge à moyen terme. A l’Ouest, les Allemands devaient s’attendre tôt ou tard à l’intervention des Etats-Unis car Roosevelt, malgré le conflit qui l’opposait au Japon, considérait que l’Allemagne était l’ennemi principal.

L’attaque de la Wehrmacht contre l’URSS, le 22 juin 1941, ruinait tous les principes de la stratégie allemande antérieure mais offrait à Churchill une alliance avec Staline. Les dirigeants de l’Allemagne ont sous-estimé leur adversaire, qu’ils voulaient seuls et sans l’aide du Japon abattre en un bref laps de temps. C’était là une faute stratégique des Etats du Pacte Tripartite,  que Hitler a fort regretté rétrospectivement car, disait-il, les Etats-Unis ne seraient jamais entrés en guerre si l’URSS s’était effondrée.

 

Au Japon, on considérait que les Etats-Unis étaient l’ennemi principal. Après que Washington ait décrété l’embargo économique contre le Japon le 1 août 1941, l’Empire du Soleil Levant se retrouvait face à un dilemme: faire la guerre ou accepter le diktat américain. La stratégie japonaise a misé sur la destruction totale de la flotte ennemie et sur la conquête d’une solide base de matières premières dans le Sud-Est asiatique, conditions pour arriver à une paix de compromis avec les Etats-Unis. Le but de guerre de Roosevelt était d’abattre l’Allemagne et d’ôter toute puissance réelle à la Grande-Bretagne. Il prit le risque d’affronter également le Japon pour se retrouver, par une voie indirecte, en état de guerre avec l’Allemagne.

 

Avec l’enlisement de la Wehrmacht devant Moscou en décembre 1941 et avec l’attaque japonaise contre Pearl Harbour, la guerre prit des dimensions mondiales. La deuxième puissance extérieure était désormais pleinement impliquée dans la guerre mais concentrait, dans cette première phase du conflit, l’essentiel de ses efforts contre le Japon. La déclaration de guerre de l’Allemagne aux Etats-Unis résultait de l’analyse suivante: tôt ou tard le Reich se trouverait tout de même en guerre avec les Américains; pour l’instant toutefois, c’était le Japon qui subissait la pression américaine maximale. 

 

Les Etats du Pacte Tripartite commirent une deuxième erreur stratégique en 1942: ils n’ont pas coordonné leurs efforts, mais ont mené des guerres parallèles, où l’Allemagne passait à l’offensive en Russie et le Japon dans l’espace du Pacifique. Ce que l’on a appelé le “Grand Projet” de guerre maritime en février 1942, de concert avec le Japon, avait pour objectif d’attaquer les positions britanniques en Egypte et au Moyen-Orient. Mais il ne fut pas réalisé car les chefs allemands ont renoncé à déménager vers ces régions le gros de leurs forces massées sur le front principal en Russie.

 

La Wehrmacht a dû changer d’objectif à l’Est pendant l’été 1942 et passer d’une stratégie d’abattement de l’ennemi à une stratégie d’épuisement de ses forces, tandis que la stratégie japonaise n’avait quasiment plus aucune chance de concrétiser ses buts après sa défaite navale à Midway le 4 juin. Les deux pays, à partir de ce moment-là, n’ont plus fait autre chose que de lutter pour conserver leurs acquis, ce qui est l’indice d’une faiblesse stratégique. Les chefs de guerre allemands n’ont pas voulu reconnaître l’aggravation de leur situation à l’automne 1942, alors que la fortune de la guerre allait manifestement changer de camp à Stalingrad, dans le Caucase et devant El Alamein. Ils ont malgré cela envisagé des objectifs offensifs, alors que le sort leur était devenu défavorable.

 

Le but de guerre de l’Union Soviétique était simple au départ: la direction soviétique voulait tout simplement assurer la continuité du régime et de l’Etat. Ce n’est qu’après l’échec allemand devant Moscou que leurs buts de guerre se sont lentement modifiés; d’abord, on a voulu à Moscou récupérer les territoires qui avaient été soviétiques avant le 22 juin 1941. Mais on se réservait aussi l’option d’une paix séparée avec l’Allemagne, parce que les dirigeants  soviétiques estimaient que leur pays subissait à titre principal tout le poids de la guerre. Mais lorsque la situation a réellement changé au profit des Soviétiques et que les alliés occidentaux tardaient à ouvrir le fameux “second front” en Europe occidentale, Staline a clairement envisagé d’étendre ses objectifs de conquête territoriale aussi loin à l’Ouest que possible, sans tenir compte de l’avis des “nations libérées”.

 

Au début de l’année 1943, les alliés occidentaux modifient fondamentalement leurs buts de guerre, dans la mesure où ils ne visent plus à simplement affaiblir l’Allemagne et à ramener l’Europe à la situation qui prévalait avant le 1 septembre 1939 mais à soumettre et à détruire leur adversaire allemand, à le punir de manière rigoureuse. Les chefs de guerre anglo-saxons donnèrent alors à la belligérance un caractère nettement moralisant. L’exigence d’une capitulation inconditionnelle et les directives données pour mener une guerre des bombes à outrance excluaient toute possibilité d’une paix négociée. Si les puissances de l’Axe voulaient poursuivre la guerre, elles auraient alors à encaisser de terribles coups. La guerre des bombes connut effectivement une escalade à partir du printemps de l’année 1943 et tourna véritablement, en de nombreux endroits, à une guerre d’extermination contre la population civile. Le haut commandement des forces aériennes britanniques envisageait même d’infliger à l’Allemagne des destructions si terribles que les alliés pourraient gagner la guerre sans même devoir débarquer en France.

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Après la victoire des alliés dans l’Atlantique au printemps 1943 et le début de leur offensive contre la “Forteresse Europe”, on s’aperçoit clairement que les puissances de l’Axe ne sont passées que bien trop tard à la défensive. La bataille autour de la ville russe de Koursk en juillet 1943, perdue par les Allemands, ruina définitivement leurs espoirs en une victoire limitée. Malgré quelques succès défensifs, la Wehrmacht, à la suite de cette bataille de Koursk, n’a plus subi que des revers sur le Front de l’Est, si bien que toute idée de “partie nulle” devenait impossible. Les dirigeants allemands n’ont pas exploité la possibilité de conclure une paix séparée avec Staline.

 

Du côté des alliés occidentaux, on avait, au départ, des points de vue divergents quant à la stratégie à adopter. Les Américains voulaient une attaque directe contre l’Europe occidentale, en organisant un débarquement, tandis que l’état-major général britannique refusait cette option par prudence; les Britanniques plaidaient pour une invasion de l’Italie d’abord, pour un débarquement dans le Sud ensuite. Finalement, on déboucha sur un compromis en postposant le débarquement en France et en le prévoyant pour le début de l’année 1944. Compromis qui rendit plus difficiles les relations avec Staline. Le débarquement de Normandie, en juin 1944, mené avec une écrasante supériorité en forces et en matériels, et les défaites catastrophiques subies par l’armée de terre allemande à l’Est pendant l’été 1944 firent en sorte que la guerre était définitivement perdue pour l’Allemagne. Dans le Pacifique, les Américains l’emportèrent définitivement contre le Japon après la bataille des Philippines au cours de l’automne 1944.

 

La dernière offensive allemande dans les Ardennes mit une nouvelle fois toutes les cartes dans une seule donne, en négligeant les autres fronts. L’attaque, qui fut un échec, eut pour conséquence que l’offensive générale de l’armée rouge de janvier 1945 se heurta à un front dégarni et affaibli, qui s’effondra très rapidement, ce qui, simultanément, favorisait les plans de guerre de Staline.

 

En résumé, on peut dire, et c’est frappant, que les buts de guerre des Etats belligérants, à l’exception du Japon, se sont modifiés pour l’essentiel au fil des vicissitudes. L’attitude qui a joué le plus fut incontestablement l’esprit de résistance inconditionnelle, adopté par la Grande-Bretagne à partir de l’été 1940, attitude intransigeante qui a étendu automatiquement le théâtre des opérations. Cette extansion n’allait pas dans le sens des intérêts allemands; pour la puissance extérieure à l’espace européen que sont les Etats-Unis, cette intransigeance britannique constituait une aubaine. Beaucoup d’historiens actuels prêtent aux dirigeants de Berlin de l’époque des prétentions à l’hégémonie mondiale, alors que la stratégie allemande n’envisageait ni la destruction de l’Empire britannique ni une attaque contre les Etats-Unis.

 

Alors que la stratégie britannique avait pour objectif final de défaire complètement l’Allemagne,la stratégie allemande fit une volte-face et se tourna contre l’Union Soviétique car elle percevait une menace plus grande encore dans son dos. L’Allemagne a cherché ainsi à échapper à une double pression en déclenchant une guerre sur deux fronts, sans créer pour autant les conditions organisationnelles et matérielles nécessaires pour la mener à bien. L’arrêt de l’avancée de la Wehrmacht devant Moscou marque la fin d’une stratégie qui visait l’élimination de l’Union Soviétique. Les Allemands optèrent ensuite pour une stratégie d’épuisement de leur adversaire soviétique en conquérant d’énormes territoires en Ukraine et au-delà, en direction de la Volga et du Caucase. L’Allemagne s’est alors épuisée dans la défense de ces territoires conquis en 1942. De plus, les Allemands se sont payé le luxe de mener une “guerre parallèle” à celle de leurs alliés japonais.

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Face à cette situation, les buts de guerre des alliés occidentaux, auxquels se joignait l’URSS avec quelques restrictions, ont subi une modification essentielle: il ne s’agissait plus de forcer les Allemands à rendre les territoires qu’ils occupaient ou à payer des réparations; la guerre, dès le début de 1943, prit toutes les allures d’une croisade dont le but était la soumission totale de l’adversaire. Tous les belligérants ont commis de sérieuses erreurs stratégiques, mais celles des alliés ont été beaucoup moins prépondérantes.

 

Les Allemands ont réussi, pendant assez longtemps, à compenser leurs désavantages ou leurs revers par leur valeur militaire et par une gestion de la guerre souple au niveau opérationnel dans  l’espoir de transformer ces atouts en une victoire stratégique. Mais finalement, les décisions erronées du commandement eurent des conséquences fatidiques et la supériorité en nombre et en matériels des adversaires eut le dessus. Les décisions qui mènent à la victoire ou à la défaite se font d’abord au niveau intellectuel, bien avant qu’elles ne deviennent tangibles sur le théâtre des opérations.

 

Dr. Heinz MAGENHEIMER.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°23/2006; trad. franç.: Robert Steuckers).

mardi, 12 août 2008

Aymon de Savoie, Roi de Croatie

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Erich KÖRNER-LAKATOS:

Aymon de Savoie, Roi de Croatie au temps du Poglavnik Pavelic

 

Le matin du 30 janvier 1948, le drapeau de l’Hôtel Plaza de Buenos Aires est en berne. Comme une traînée de poudre, la nouvelle  se répand parmi les clients rassemblées dans la grande salle boisée des petits  déjeuners: Aymon, Prince de Savoie, est mort. Ce client permanent et célèbre de l’hôtel a définitivement ermé les yeux dans la plus belle force de l’âge, à 48 ans. Sa vie fut courte, certes, mais animée.

 

Aimone (Aymon) Roberto di Savoia était né le 9 mars 1900 à Turin, l’ancienne capitale du Royaume de Piémont-Sardaigne, dans une lignée apparentée à la famille royale d’Italie. Son père, Emmanuel-Phillibert était un cousin du roi et portait le titre de Duc d’Aoste. Sa mère est Hélène d’Orléans, princesse française née en 1971 à Twickenham en Angleterre et descendante du roi bourgeois. Le chef de la famille est Amadeo, un frère de deux ans plus âgé.

 

Selon la tradition de la famille, Aymon entame rapidement une carrière militaire et opte pour la marine de guerre. En 1918, il participe aux combats en tant que pilote de l’aéronavale. Outre son service d’officier, l’aristocrate se consacre à des travaux scientifiques. Il dirige ainsi l’expédition dans le désert de Karakoroum, patronnée par l’Institut Géographique italien. Les fouilles archéologiques menées en plein centre de l’ancien empire mongol, où résida jadis Gengis Khan, passionne la nation italienne. Aymon, que la nature a doté d’un physique imposant, se fait aduler par les Italiens comme le Marco Polo du 20ème siècle. Le roi lui octroie le titre de Duc de Spolète.

 

En 1931, son père, qui est surtout son modèle, meurt. Emmanuel Phillibert avait sympathisé dès 1922 avec le mouvement fasciste et mis sa personne à la disposition du pays, pour assurer les fonctions de régent, au cas où Victor-Emmanuel III s’opposerait à la Marche sur Rome. Mussolini n’avait pas oublié cette offre et, reconnaissant, n’a jamais cessé de promouvoir les deux princes désormais orphelins de père.

 

Lors de la guerre contre l’Abyssinie (Ethiopie), Aymon se porte volontaire  pour l’Erythrée, en tant qu’officier de marine. Le 1 juillet 1939, il se fiance à Irène de Grèce, une fille de Constantin, Roi des Hellènes, mort en exil à Palerme. En  novembre de la même année, il devient amiral et commandant-en-chef de la flotte à Pola. A partir de mars 1941, il commande la base navale de La Spezia, sur la côte de Ligurie. Le Duc de Spolète est au sommet de sa carrière militaire. Mais  Mussolini, qui a installé son frère Amadeo comme vice-roi en Abyssinie en novembre 1937, réserve une meilleure promotion encore à Aymon.

 

Le jour décisif est le samedi 18 mai 1941. Lieu de l’action: le Quirinal, résidence royale. A la fin de la matinée se déroule une cérémonie prestigieuse, où la dynastie déploie tout son faste. Le roi est assis sous un baldaquin, avec, à sa droite, le prince héritier Umberto et, à sa gauche, Aymon prend place. C’est alors qu’une délégation, conduite par Ante Pavelic, portant un uniforme de colonel, fait son entrée. Pavelic est le chef, le “Poglavnik”, de l’Etat indépendant de Croatie, proclamé le 10 avril 1941. Avec toute la rigidité de l’étiquette, le roi demande quelle est le requête du visiteur. Celui-ci exprime le souhait du peuple croate d’avoir un souverain issu de la glorieuse dynastie des Savoie. A la suite de quoi, le roi, en sa qualité de chef de la Maison de Savoie, prononce un nom: Aymon. Les assistants se lèvent et les “Evviva” italiens et les “Zivio” croates retentissent dans la salle. Et ainsi se termina l’acte de fondation du royaume de Croatie.

 

La Croatie, qui venait, trois jours plus tôt, de hisser la Couronne médiévale de Zvonimir au rang de symbole du nouvel Etat, devint ainsi une monarchie, mais le pouvoir réel demeure aux mains du premier ministre Ante Pavelic. Benito Mussolini n’avait toutefois nulle intention de tolérer ce nouveau royaume comme un Etat pleinement souverain et lui prépare dès lors un statut que les croates connaissent trop bien depuis des siècles  et qu’ils croient pourtant avoir dépassé définitivement, soit le statut d’un pays qui existe mais comme subalterne, comme annexe, d’une grande puissance ou d’une puissance plus grande; jusqu’en 1918, Zagreb avait tourné ses regards vers Vienne ou Budapest, ensuite, vers Belgrade.

 

Le 18 mai 1941, une bonne heure après sa nomination, Aymon a le sentiment d’avoir été rétrogradé et d’être devenu le Capitaine d’un Etat satellisé. Dans la salle “Mappamondo” du Palazzo Venezia, siège du Duce, Mussolini et Pavelic signent trois traités. Le premier de ces traités concerne les frontières du nouvel Etat croate; il prévoit la rétrocession des villes dalmates de Sebenico, Traù et Spalato (Split), ensuite de la région autour de la ville de Zara (la ville elle-même est italienne depuis le traité de Saint-Germain) et de la Baie de Cattaro/Kotor. Ces territoires appartiennent tous à la Dalmatie dite “classique”, qui faisait jadis partie de la République de Venise. L’ensemble de ces territoires rétrocédés a une superficie de 5400 km2 et compte 380.000 habitants, parmi lesquels seulement 5000 Italiens. La plus belle ville de la région, Ragusa/Dubrovnik, reste croate.

 

Dans le deuxième traité, l’italie garantit l’indépendance de la Croatie. Le troisième réduit l’ampleur de la souveraineté croate: Rome se réserve le droit de faire circuler ses troupes le long de l’antique voie longeant les côtes dalmates, y compris dans les portions relevant de l’Etat croate. De plus, l’Etat oustachiste ne peut se doter d’une flotte de guerre.

 

Après la signature des traités, Benito Mussolini s’est levé pour porter un toast; il évoque alors Aymon de Savoie: “Je me réjouis de penser à ce prince lumineux que l’on vient de choisir pour occuper le trône de Croatie et je me réjouis également de formuler les souhaits les plus cordiaux pour vous, Pavelic, afin que la nation croate aille au devant d’un avenir glorieux!”.

 

Un banquet chez le roi termine cette étrange journée, qui fut aussi, pourtant, une journée de défaite pour la Maison de Savoie: à Amba Alagi en Ethiopie, le frère aîné d’Aymon, Amadeo, Duc d’Aoste, est contrait de capituler devant les Anglais. Le 19 mai, le quotidien helvétique “Neue Zürcher Zeitung”  évoque les accords de Rome de la veille: “Ils maintiennent plus ou moins l’équilibre entre les deux parties contractantes”. Mais le journaliste suisse estime tout de même qu’en fin de compte, c’est l’Italie qui en tire les meilleurs avantages. En Croatie, la rétrocession des régions dalmates suscite un sentiment général de haine à l’encontre des Italiens. Pavelic et le mouvement oustachiste perdent beaucoup de crédit au sein de la population. Le Poglavnik tentera alors de se  dégager de la tutelle italienne.

 

C’est pourquoi Aymon, sous le nom de Tomislav II, ne sera pas couronné à Zagreb, dans la cathédrale Saint-Etienne par l’Archevêque Alois Stepinac. Le roi désigné  —qui est également devenu Prince de Bosnie-Herzégovine et Voïvode de Dalmatie et de Tuszla—  ne mettra jamais les pieds sur le sol croate; il se consacrera entièrement à la marine et assumera les fonctions d’inspecteur général des célèbres et glorieuses unités MAS de vedettes rapides.

 

Le 27 septembre 1943, un héritier voit le jour: Amadeo Umberto Constantino. Le nourrisson ne sera prince héritier de Croatie que pendant fort peu de temps car son père abandonne la Couronne le 12 octobre. En juin 1946, à la suite du plébiscite qui fait de l’Italie une république, la dynastie des Savoie quitte le pays pour l’exil. Aymon-Tomislav prend, lui aussi, la route de l’exode: il n’a plus qu’un an et demi à vivre.

 

Erich KÖRNER-LAKATOS.

(article tiré de “zur Zeit”, Vienne, n°3/2006; trad. franç.: Robert Steuckers).

samedi, 09 août 2008

Sur Ion Antonescu

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Erich KÖRNER-LAKATOS:

Ion Antonescu, Maréchal et Conducator

Quelques jours après le deuxième arbitrage de Vienne (30 août 1940), qui règlait les contentieux entre la Hongrie et la Roumanie sous la houlette de von Ribbentrop, des troubles éclatent à Bucarest. En effet, les Roumains sont consternés: sans qu’un seul coup de fusil n’ait été tiré, la Bessarabie, le Nord de la Boukovine et la moitié de la Transylvanie ont été perdus et on s’attend à la perte du Sud de la Dobroudja. La Grande Roumanie de 1918, voulue par les Français à Versailles, s’est tout bonnement effritée. La colère du peuple se tourne d’abord contre le roi et contre sa maîtresse, Madame Lupescu. Le roi ne sait quelle décision prendre. Le conseil de la Couronne se réunit en permanence. C’est alors qu’un général se présente au Château royal: il s’appelle Ion Antonescu. L’officier vient d’un cloître éloigné de Bistritza, où le souverain l’a fait interner. La résidence royale devient subitement le lieu d’un affrontement. Antonescu évoque l’état d’esprit qui règne au sein du peuple et des forces armées et force le roi à se contenter d’un rôle purement représentatif. Le monarque appelle alors le commandant de sa garde. Il lui pose la  question: ses soldats sont-ils prêts à tirer sur les manifestants? Le commandeur des prétoriens roumains répond par la négative.

Carol II ne voit dès lors pas d’autre issue: sur l’heure, en ce 4 septembre 1940, il nomme Antonescu Premier Ministre. Après avoir reçu la promesse de pouvoir quitter le pays sain et sauf, le roi abdique, s’en va au Portugal, pays généralement choisi par beaucoup d’exilés à l’époque. Son successeur est son fils Mihail, qui cède au nouvel homme fort de la Roumanie bon nombre de ses prérogatives royales: il n’en gardera que cinq.

Qui est donc cet homme qui veut sortir son pays de la crise, d’une main de fer? Ion Antonescu est le fils d’une ancienne famille d’officiers. Il est né le 15 juin 1882 à Pitesti en Valachie, dans le pays vallonné, semi-montagneux, qui annonce les Carpathes du Sud. Avec le grade de major, il s’était distingué pendant la première guerre mondiale. Après la Grande Guerre, par des coups de hussard, il lutte victorieusement contre la république communiste des Conseils hongrois, ce qui lui vaut un avancement rapide. Sous le règne de Carol II, en 1933, il accède au poste de chef d’état-major. Antonescu se jette avec fougue dans sa nouvelle mission mais ses projets déplaisent au monarque. Antonescu démissionne au bout d’un an. En 1937, il assume brièvement la charge de ministre de la défense. Ce poste de ministre n’est qu’une fausse promotion car le général n’est guère apprécié du roi et de la camarilla de la cour: il a des manières trop ouvertes, un style direct et surtout il mène une vie d’ascète. Pour les gens simples, Antonescu incarne le contraire diamétral de ce que représente à leurs yeux la caste dominante roumaine de Bucarest, francophile et aux moeurs dépravées, dont le symbole était le roi Ferdinand, plus tard Carol, alcoolique notoire. Les cercles dominants du “Paris de l’Est” se complaisaient dans le clinquant d’une “victoire” fictive lors de la première guerre mondiale. Le gouvernement avait fait édifier un arc de triomphe dans la capitale.

Après cette parenthèse, le nouveau chef d’Etat (le “Conducatorul al Statului”) se met énergiquement au travail. Un jour seulement après son entrée en fonction, les négociateurs roumains signent le Traité de Craiova qui sanctionne la rétrocession de la Dobroudja méridionale à la Bulgarie. En échange, les Roumains obtiennent ce qu’ils voulaient par ailleurs: que Berlin et Rome garantissent l’intangibilité de leurs nouvelles frontières. Sur le plan de la politique intérieure, Antonescu innove également. Il appelle plusieurs représentants de la fameuse Garde de Fer dans les cabinets ministériels. Le chef des gardistes roumains, Horia Sima, devient son représentant, son substitut. Le nouveau gouvernement demande à Berlin une aide substantielle pour réorganiser l’armée roumaine. Les Allemands ne se le font pas demander deux fois car ils songent surtout au pétrole de Ploesti. Le 15 septembre, le Général Kurt von Tippelskirch arrive à Bucarest. Des troupes composées d’instructeurs le suivent très rapidement: en tout, 20.000 hommes. Le calcul d’Antonescu est clair: il veut récupérer les régions perdues, en montrant une loyauté exemplaire à l’égard d’Adolf Hitler. A la fin du mois d’octobre 1940, les Soviétiques occupent trois îles dans le delta du Danube, acte qui soude littéralement Bucarest à Berlin. La réponse à la provocation soviétique est simple: la Roumanie adhère immédiatement au Pacte des Trois Puissances (ou l’Axe Berlin-Rome-Tokyo).

A la fin du mois de mai 1941, les troupes allemands commencent à se déployer le long de la Moldava, où, dans le cadre d’une mobilisation cachée, stationnent déjà quinze divisions  roumaines. Au début de l’Opération Barbarossa, 200.000 soldats de l’infanterie allemande se trouvent sur le sol roumain. Le 12 juin 1941, Antonescu rencontre Hitler. Celui-ci l’informe de l’imminence de la guerre à l’Est. Le Chancelier du Reich est séduit par ce général aux arguments clairs, aux discours sans fioritures inutiles et lui offre aussitôt le commandement de toutes les unités de l’aile droite du futur front de l’Est. Ce “Groupe d’armées Antonescu” comprend la 11ème Armée allemande et les 3ème et 4ème armées roumaines. Le matin du 22 juin fatidique, Antonescu part immédiatement pour le front, dans un train spécial. Les Roumains étaient déjà en train de consolider des têtes de pont sur la rive orientale du Prouth. Le 26 juin, des appareils soviétiques bombardent Bucarest, la zone pétrolifère de Ploesti et le port de Constanza sur la Mer Noire.

Le Conducator devint rapidement le terreur des états-majors. Il harangue ses troupes, veille à ce qu’elles soient parfaitement approvisionnées. Les soldats l’adorent: sans peur, le Général vient leur rendre visite sous le feu de l’ennemi dans les tranchées les plus exposées du front. Au départ, le “Groupe d’armées Antonescu” avait reçu pour mission de protéger la Roumanie contre toute attaque soviétique vers le Danube. Mais au bout d’une semaine, ce groupe d’armées s’élance à l’attaque, avec succès car, le 26 juillet, il prend la ville d’Akkerman (ou, en roumain, “Getatea-Alba”) sur le cours inférieur du Dniestr, qui redevient roumaine, comme toute la Bessarabie et le Nord de la Boukovine. La  population acclame les troupes roumaines libératrices. Le 6 août 1941, Antonescu est le premier étranger à recevoir la Croix allemande de Chevalier; deux semaines plus tard, le roi le nomme Maréchal de Roumanie. Après avoir atteint le fleuve-frontière qu’est le Dniestr, Antonescu renonce à ses fonctions de commandant de groupe d’armées et retourne à Bucarest. Beaucoup pensent qu’avec la reconquête de la Bessarabie, que Moscou avait obtenue en faisant pression sur la Roumanie, la guerre est finie. Le jeune roi Mihail déclare: “Nous devons rester sur le Dniestr. Entrer en Russie signifierait agir à l’encontre de la volonté du pays”. Mais personne ne l’écoute.

Antonescu prend alors une décision qui sera lourde de conséquence: il croit aux vertus de la Blitzkrieg, de la guerre-éclair, et fait marcher les troupes roumaines dans la région qui s’étend immédiatement au-delà de la rive orientale du Dniestr. Les Roumains l’annexent sous le nom de Transnistrie. Lors de la prise d’Odessa, les difficultés surviennent: la ville ne capitule qu’au bout de deux mois et les Roumains ont dû faire appel à l’aide allemande. En décembre 1941, le Reich demande à ses alliés de participer plus activement à la consolidation du front oriental. Antonescu, sans broncher, renforce ses contingents, dans l’idée de récupérer bientôt le nord de la Transylvanie, devenu hongrois. Vingt-six divisions de l’armée royale roumaine garnissent désormais le flanc sud du front de l’Est. Vers la fin de l’année 1942, la fortune des armes change de camp. Le 19 novembre 1942, les Soviétiques amorcent une grande offensive vers le Don, ce qui conduit à l’effondrement de la 3ème armée roumaine. En même temps, l’Armée Rouge annihile la 4ème armée dans la steppe des Kalmoucks.

Au début de l’année 1943, le Maréchal Antonescu est pris entre deux feux. Les pertes énormes en hommes font que le roi se met à douter de son Premier Ministre. Par ailleurs, lors d’une rencontre, Hitler le morigène cruellement. Dans une atmosphère de glace, où la conversation est menée debout, l’Allemand le rend responsable du désastre sur le Don et à Stalingrad. Au printemps, Antonescu envoie des négociateurs pour traiter avec les alliés occidentaux. A la mi-mai, ces négociations sont rompues parce que les conditions imposées parl es Anglo-Américains sont trop dures. “Nolens volens”, Antonescu est contraint de poursuivre le combat dans le camp de l’Axe. Neuf mois plus tard, les troupes soviétiques s’approchent des frontières roumaines. Dans le royaume, on décrète la mobilisation générale. Le “Groupe d’Armées d’Ukraine méridionale”, commandé par le Colonel-Général Hans Friessner compte à l’été 1944 un million de soldats.

Le 20 août, les feux de l’enfer se déchaînent. Après une préparation d’artillerie qui a duré des heures, où les Soviétiques lancent des milliers et des milliers de fusées “Katiouchka”, les blindés de Staline se taillent une brèche dans le front. Deux jours après, Antonescu se présente chez Freissner, qui commence par lui servir un bon verre de vin, avant de lui annoncer que l’effondrement menace, est imminent. Le roi, à son tour, passe à l’action, et ordonne au Prince Stirbey, chef de la délégation roumaine qui négocie au Caire, d’accepter les conditions draconiennes imposées par les Alliés pour un armistice. C’est alors que se répèta un scénario sembable à celui qui eut lieu à Rome un an plus tôt: le souverain convoque Antonescu au palais l’après-midi du 23 août; lors de l’audience, des officiers affidés au roi s’emparent de la personne du Maréchal.

Le nouveau Premier Ministre est le Colonel-Général Constantin Sanatescu. A vingt-deux heures, à la fin de cette journée de tumultes, les Roumains entendent la voix de leur roi à la radio: “la dictature a pris fin et ainsi toute forme d’oppression”. Le gouvernement Sanatescu rompt le lendemain toutes les relations avec Berlin et déclare la guerre à l’Allemagne le 25 août.

Ion Antonescu et ses plus proches collaborateurs sont alors aux mains des communistes roumains, actifs dans la clandestinité; ils livrent leurs prisonniers aux Soviétiques. Après deux ans d’emprisonnement en Union Soviétique, l’ancien Premier Ministre roumain revient à Bucarest. Un procès pour crimes de guerre s’organise, qui se termine par une sentence de mort comme l’avaient exigé les Soviétiques. Tôt le matin du 1 juillet, on amena le Maréchal dans la cour de la prison militaire de Bucarest-Jilava. Ce furent les dernières minutes de la vie de Ion Antonescu.

Erich KÖRNER-LAKATOS.

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°32/2006; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

dimanche, 27 juillet 2008

Principes élémentaires de la propagande de guerre

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Ecole des cadres de "Synergies Européennes" / Section de Liège.

Rapport de réunion mensuel : Dimanche 17.11.2002.

Objet : MORELLI (Anne),

Principes élémentaires de propagande de guerre.

Bruxelles, Editions Labor, 2001.

Intérêt de l’ouvrage ?

Une nouvelle fois, c’est un ouvrage rédigé par un auteur d’extrême gauche qui monopolise notre attention.  Anne Morelli est professeur à l’Université Libre de Bruxelles où elle est notamment à la tête de la chaire de critique historique ; elle est également spécialiste en histoire des religions.   Elle est proche du P.T.B. (Parti des Travailleurs de Belgique) à l’idéologie communiste et « immigrophile » ouvertement revendiquée.  Anne Morelli est ainsi l’auteur de toute une série d’ouvrages historiques louant les bienfaits de l’immigration en Belgique.  Nous connaissions déjà au sein de cette mouvance les ouvrages (Monopoly, Poker Menteur…) du journaliste Michel Collon critiquant avec virulence la superpuissance américaine, ouvrages dans lesquels cette autre figure de proue du P.T.B. dénonce avec brio la désinformation opérée par les médias occidentaux inféodés aux agences de presse américaines lors de la guerre du Golfe ou du Kosovo.  Principes élémentaires de propagande de guerre appartient indéniablement à la même veine et constitue un ouvrage didactique intéressant pour se familiariser avec les techniques de propagande utilisées « en cas de guerre froide, chaude ou tiède » comme le suggère le sous-titre en page de couverture.  Anne Morelli utilise des exemples historiques bien connus pour illustrer chacun de ces principes et laisse la porte ouverte pour l’avenir ; car en effet tout l’intérêt de l’ouvrage réside dans le fait que, désormais, le lecteur averti pourra reconnaître au cours des guerres futures, les mécanismes de désinformation utilisés par les Etats pour manipuler l’opinion publique.  Nous invitons d’ailleurs nos cadres à procéder au petit jeu consistant à détecter ces grands principes dans nos informations quotidiennes.  Une fois entraînés, vous verrez, vous citerez le numéro du principe sans même avoir besoin de l’expliquer.  Tiens, Bush a encore utilisé le principe n°8…  Une bonne manière à notre sens de filtrer l’information !

Genèse de l’ouvrage.   

En réalité, Anne Morelli ne revendique pas la paternité de la dénonciation des dix principes évoqués dans son livre.  L’essentiel de sa réflexion, elle le doit à l’ouvrage du pacifiste anglais Arthur Ponsonby publié à Londres en 1928 et intitulé Falsehood in Wartime.   L’ouvrage a été traduit en français sous le titre Les faussaires à l’œuvre en temps de guerre.  Comme il dénonçait principalement les fausses informations produites par les alliés durant la guerre 14-18, le livre n’était pas pour déplaire aux Allemands et la traduction française est parue à Bruxelles en 1941, ce qui a longtemps conféré à l’œuvre une réputation d’ouvrage de collaboration.  Ce livre contestataire par rapport à la version officielle de la guerre 14-18 s’inscrit en réalité dans un mouvement pacifiste qui a gagné toute l’Europe durant l’entre-deux-guerres.  Nous sommes effectivement à l’époque de la Société des Nations ou encore du Pacte Briand-Kellog condamnant le recours à la force en cas de conflit.  Ainsi, quelques auteurs se risquent à remettre en question le récit mythologique construit autour de la Première guerre mondiale par les Alliés.  Lord Ponsonby fait partie de ces auteurs contestataires mais signalons également l’ouvrage célèbre de Jean Norton Cru analysant de manière très critique les témoignages des poilus de la Grande Guerre[1] et le livre de Georges Demartial édité en 1922, intitulé La guerre de 1914.  Comment on mobilisa les consciences.

Principales idées dégagées par Anne Morelli.

L’ouvrage d’Anne Morelli est divisé en dix parties, chacune développant un principe de propagande de guerre.  Notre réunion s’est organisée autour de cette structure.  Xavier a reformulé chacun des principes en les ponctuant d’exemples.  Chaque personne participant à la réunion a été invitée à donner son avis ou des exemples personnels de manipulation médiatique.

1. Nous ne voulons pas la guerre.

Il est évident que dans notre société aux valeurs pacifistes, il n’est pas très populaire de se déclarer ouvertement en faveur de la guerre.  Anne Morelli remarque avec raison qu’à la veille de chaque conflit, tous les dirigeants se prononcent en faveur de la paix pour rassurer leur opinion publique ; si par malheur ces derniers décident  quand même de faire la guerre, ils déclarent généralement qu’ils la feront « contraints et forcés » par les circonstances.  De plus, il est important de noter qu’au sein de l’historiographie postérieure à chaque conflit, c’est toujours le vainqueur qui impose sa propre vision de la guerre au vaincu.  La production historique du vainqueur devient alors dominante et colle une étiquette belliciste sur le camp du vaincu.  Les deux guerres mondiales ont à ce titre toujours été présentées dans notre historiographie comme ayant été désirées ardemment par le Reich, les Alliés n’ayant fait que se défendre face au « bellicisme allemand ». Ainsi, dans le récit de la Première guerre mondiale, on insiste par exemple rarement  sur le fait que la mobilisation allemande était en partie provoquée par la mobilisation russe et l’étau géopolitique que constituaient alors les puissances de l’Entente.  De même, lorsqu’on évoque la Guerre 40-45, il n’est pas si inutile de rappeler au néophyte que c’est la France qui, la première, a déclaré la guerre à l’Allemagne en 1939 et non l’inverse, tant l’image populaire de la terrifiante Allemagne nazie la rend à priori totalement responsable du second conflit mondial !  Ce principe est aisément transposable à l’actualité la plus récente.  Lorsque les Etats-Unis désignent des pays tels l’Irak ou la Corée du Nord comme faisant partie de l’ « Axe du Mal », ils justifient à l’avance que les futures guerres projetées par le Pentagone se feront à l’encontre de pays bellicistes  menaçant la paix mondiale : les Etats-Unis ne veulent donc pas la guerre mais se battront s’il le faut pour « imposer la paix »… cherchez le paradoxe !

2. Le camp adverse est seul responsable de la guerre.

Ce principe est évidemment lié au premier.  Si nous ne voulons pas ou n’avons pas voulu la guerre, c’est qu’il faut imputer à l’ennemi la responsabilité entière de toutes les atrocités qui caractérisent un conflit.  Anne Morelli cite à ce titre toute la propagande faite en 14-18 autour de la violation de la neutralité de la Poor little Belgium par l’ « Ogre Allemand ».  La violation du traité des XXIV articles de 1839 par l’Allemagne l’a condamné à être désignée par les Alliés comme la nation parjure par excellence, responsable du conflit car non respectueuse des traités internationaux.  Par opposition, l’Angleterre a été présentée à l’opinion publique des pays alliés comme une nation fidèle et honorable volant au secours de la Belgique.  Cette basse propagande constituant à responsabiliser l’Allemagne et son « plan Schlieffen » est facilement démontable lorsqu’on sait que le « plan XVII » du Général Joffre avait prévu une pénétration des troupes françaises sur le territoire belge en violation flagrante du Traité de 1839 qui importait peu à l’époque aux puissances belligérantes, plus soucieuses d’un côté comme de l’autre de s’assurer un avantage stratégique sur l’armée ennemie au début de la guerre de mouvement.  Les Anglais eux-mêmes avaient cherché à se concilier les faveurs de la Belgique avant le déclenchement du conflit pour obtenir l’autorisation d’un « débarquement préventif » sur notre territoire en cas de mouvement des troupes allemandes.  Aux yeux des Anglais, le respect de la parole donnée comptait finalement fort peu et c’est surtout la nécessité de conserver la Belgique , « pistolet pointé vers l’Angleterre », et plus particulièrement le port d’Anvers hors d’atteinte de l’armée allemande qui a justifié l’entrée en guerre des troupes de Sa Majesté.   Anne Morelli rappelle aussi que rien n’obligeait la France à soutenir la Tchécoslovaquie en 1939 : le pacte franco-tchécoslovaque ne prévoyait pas forcément d’engagement militaire français en cas d’invasion du territoire tchécoslovaque ; ce pacte était d’ailleurs lié à celui de Locarno de 1925 rendu caduc depuis qu’il avait été dénoncé par plusieurs des puissances signataires.  Le soutien nécessaire de la France à la Tchécoslovaquie a pourtant servi de prétexte (à postériori) à l’époque pour justifier auprès de l’opinion publique française l’entrée en guerre de l’Hexagone.

A nouveau il est intéressant de faire un parallèle avec les événements les plus récents.  Lors de la guerre du Kosovo, lorsque la France et l’Allemagne, de concert avec les Etats-Unis, « ont négocié » avec Milosevic le traité de Rambouillet, sensé être un plan de « conciliation », les médias occidentaux ont sauté sur le refus du dirigeant serbe pour justifier les frappes de l’OTAN.  Peu de journalistes ont pris la peine de noter que ce fameux plan de « conciliation » réclamait, en vue d’un soi-disant règlement pacifique du conflit, la présence sur le sol serbe des forces de l’Alliance Atlantique (et non des Nations Unies), ce qui aurait constitué pour la Serbie une atteinte grave à sa souveraineté.  Mais l’occasion était trop belle dans le « camp de la paix » de faire passer Milosevic pour le « seul responsable » des bombardements de l’OTAN.

3. L’ennemi a le visage du diable (ou « L’affreux de service »).

Il est généralement assez difficile de haïr un peuple dans sa globalité.  Quoique la nation allemande ait eu à souffrir au cours du XXe siècle des pires adjectifs de la part de l’opinion publique française, belge, anglaise ou américaine (Boches, Vandales, Huns, Barbares, etc.), les esprits les plus lucides étaient cependant obligés d’admettre que la démarche intellectuelle consistant à identifier l’ensemble d’une population à de simples stéréotypes était parfaitement idiote.  C’est pourquoi la propagande de guerre a trouvé un subterfuge pour mobiliser la haine des plus récalcitrants.  Elle canalise généralement toute l’attention de l’opinion publique sur l’élite dirigeante de l’ennemi.  Celle-ci est présentée d’une telle façon que l’on ne peut éprouver à son égard que le mépris le plus profond.  La presse à sensation n’hésite d’ailleurs pas à rentrer dans l’intimité des dirigeants, usant parfois de théories psychanalytiques fumeuses.  Lors de la guerre du Kosovo, certains médias ont ainsi affirmer que si Milosevic était un va-t-en-guerre invétéré, c’est parce qu’il avait été battu par son père durant sa prime enfance.  La plupart du temps, les dirigeants ennemis sont jugés parfaitement fréquentables avant le déclenchement des hostilités puis ils deviennent subitement des brutes, des fous, des monstres sanguinaires assoiffés de sang dès que le premier coup de fusil a éclaté.  Avant que la Première Guerre mondiale n’éclate, Guillaume II et l’Empereur François-Joseph entretenaient des relations régulières avec la famille royale belge ; à partir d’août 1914, la presse belge n’a cessé de les décrire comme des fous sanguinaires tout en se gardant bien de rappeler leurs anciens contacts avec nos souverains . 

Mais Hitler est sans nul doute le personnage qui aura le plus abondamment subi l’ire et  l’acharnement de l’historiographie contemporaine.  Il ne se passe pas un mois sans qu’une nouvelle biographie sur Hitler ne soit exposée sur les rayons « les plus sérieux » de nos libraires.  Chacune a de nouvelles révélations à faire sur « le plus grand monstre de l’histoire », révélations toujours plus débiles les unes que les autres : le führer aurait eu des relations incestueuses avec sa mère à moins qu’il n’ait été homosexuel, juif, impuissant… ou même frustré de n’avoir pu réussir une carrière d’artiste peintre.  Vous n’y êtes pas du tout, Hitler était un extraterrestre !

Il est d’ailleurs significatif que depuis la guerre 40-45, de nombreux « dictateurs » aient été présentés par la presse sous les traits de tonton Adolphe.  Anne Morelli met bien en évidence cette « reductio ad Hitlerum » et cite notamment le cas de Saddam Hussein dont les moustaches ont été remodelées durant la guerre du Golfe par quelques ignobles feuilles de chou anglo-saxonnes.  Rappelons nous aussi le nom de Milosevic « subtilement » transformé en « Hitlerosevic ».  La méthode de personnalisation est à ce point ancrée que les manifestants anti-guerre du Golfe attaquent la politique américaine sous les traits de son seul président Georges W. Bush et n’ont pas hésité à l’affubler d’une certaine petite moustache sur leurs calicots ou ont remplacé les étoiles du drapeau américain par la croix gammée.  Ce processus de personnification de l’ennemi sous les traits du démon et la canalisation de la haine publique ne sont pas sans rappeler la « minute de la haine » décrite par G. Orwell dans son roman 1984.[2] 

4. C’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers.

L’histoire est là pour nous montrer que toute guerre répond à des intérêts politiques bien précis : gain de territoire, affaiblissement du potentiel militaire, économique ou démographique de l’ennemi, contrôle d’une région stratégique-clef, etc.  Considérer la guerre en ses termes constitue d’ailleurs un principe sain d’analyse des conflits.  Au contraire, entacher la guerre de slogans idéologiques revient à dénaturer l’essence première des guerres.  Un des arguments récurrents de la propagande de guerre à notre époque est la défense des droits de l’homme et de la démocratie, véritable religion laïque justifiant à elle seule tous les conflits.  Ainsi, alors que le prétexte premier de la deuxième guerre du Golfe était la menace représentée par les soi-disant armes de destruction massive iraquiennes.  Ne découvrant malheureusement pas la moindre trace de ces armes sur le territoire iraquien, les responsables de la coalition, relayés docilement par les médias, ont subitement transformé leurs objectifs en « rétablissement de la démocratie » en Irak.  Comme on avait invoqué les noms saints de « démocratie », de « liberté » et de « droits de l’homme », la critique s’est tue car qui pourrait-être contre ?

5. L’ennemi provoque sciemment des atrocités ; si nous commettons des bavures, c’est involontairement.

L’histoire du XXe siècle est riche en faits propres à illustrer cette maxime.  Durant la Première Guerre mondiale, selon la propagande alliée, ce sont surtout les Allemands qui ont provoqué le plus grand nombre d’atrocités.  On accusait par exemple de nombreux soldats de l’armée allemande de couper les mains des jeunes enfants belges, d’utiliser la graisse des cadavres alliés pour fabriquer du savon ou encore de rudoyer et de violer systématiquement les jeunes femmes des pays occupés.  Par contre cette même propagande passe fatalement sous silence le blocus alimentaire meurtrier de l’Allemagne pendant et après la guerre 14-18[3], elle passe sous silence les bombardements de terreur des anglo-saxons sur les villes allemandes et japonaises en 40-45.  La terreur vis-à-vis des civils était d’ailleurs un des moyens clairement revendiqués et assumés par le Haut Etat Major allié ; en témoigne ce tract lancé sur les villes japonaises par les bombardiers américains en août 45 : « Ces tracts sont lancés pour vous notifier que votre ville fait partie d’une liste de villes qui seront détruites par notre puissante armée de l’air.  Le bombardement débutera dans 72 heures. (…) Nous notifions ceci à la clique militaire [diabolisation de l’ennemi] parce que nous savons qu’elle ne peut rien faire pour arrêter notre puissance considérable ni notre détermination inébranlable.  Nous voulons que vous constatiez combien vos militaires sont impuissants à vous protéger.  Nous détruirons systématiquement vos villes, les unes après les autres, tant que vous suivrez aveuglément vos dirigeants militaires… »[4]  Si la légende des mains coupées trouvait un écho certain durant l’entre-deux-guerres, elle a perdu à l’heure actuelle tout son crédit, tant elle était dénuée de fondements.  Cependant, plus insidieuses sont les idées patiemment distillées à la population consistant à assimiler le soldat « au casque à pointe » à une brute épaisse où à criminaliser les armes allemandes « non conformes » aux lois de la guerre, tels les sous-marins, les V.1 et les V.2.  Ces idées restent très solidement ancrées dans la mémoire populaire et il faudrait une propagande tout aussi acharnée que celle qui a contribué à les installer, pour pouvoir les supprimer.

6. L’ennemi utilise des armes non autorisées.

« De la massue à la bombe atomique, en passant par le canon et le fusil automatique, toutes les armes ont été successivement considérées par les perdants comme indignes d’une guerre vraiment chevaleresque, parce que leur usage unilatéral condamnait automatiquement leur camp à la défaite. »[5]  Anne Morelli signale la propagande faite autour de l’emploi des gaz asphyxiants par l’armée allemande et l’utilisation des armes citées ci-dessus.  A l’heure actuelle, on se focalise surtout sur la détention des armes de destruction massive dont il n’est même plus nécessaire de faire usage pour être un criminel de guerre et un ennemi de l’humanité.  La seconde guerre du Golfe a montré qu’il s’agissait d’un prétexte rêvé pour justifier l’impérialisme américain.  Il est d’ailleurs piquant de constater que, si nos souvenirs sont exacts, la seule puissance qui ait fait usage, et d’ailleurs contre des civils, de telles armes est celle qui les dénonce avec le plus de virulence aujourd’hui.  Certains rétorqueront qu’une puissance belliqueuse telle l’Irak est une menace bien plus sérieuse que des régimes aussi pacifiques que ceux des Etats-Unis d’Amérique et d’Israël, ce qui ne manque pas de prêter à sourire.

7. Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes.

Il n’est pas nécessaire d’expliquer en quoi il est utile d’affirmer que les pertes de l’ennemi sont énormes tandis que les nôtres sont  négligeables.  Si les pertes de l’ennemi sont énormes, sa défaite est certaine et comme nos pertes à nous sont faibles, cela justifie auprès de la population et des troupes, un dernier effort de guerre pour remporter une victoire définitive.  « La guerre de 1914-1918 a -déjà- été une guerre de communiqués ou parfois d’absence de communiqués.  Ainsi, un mois après le début des opérations, les pertes françaises s’élevaient déjà à 313.000 tués environ.  Mais l’Etat-Major français n’a jamais avoué la perte d’un cheval et ne publiait pas (au contraire des Anglais et des Allemands) la liste nominative des morts.  Sans doute pour ne pas saper le moral des troupes et de l’arrière que l’annonce de cette hécatombe aurait peut-être induit à réclamer une paix honorable plutôt que la poursuite de la guerre. »[6]  Plus près de nous, lors de la guerre du Kosovo, les pertes que les Américains se targuaient d’avoir infligé aux Yougoslaves, fondirent comme neige au soleil après le conflit.  Dans la récente guerre en Irak, même s’il faut reconnaître à la supériorité technologique américaine le fait que la superpuissance ne compte pas énormément de morts dans ses rangs, les chiffres annoncés officiellement sont tellement peu élevés qu’ils en deviennent suspects.

8. Les artistes et les intellectuels soutiennent notre cause.

Dans l’histoire du second conflit mondial, on nous présente toujours la classe intellectuelle comme ralliée à la cause des Alliés.  D’ailleurs, il est de notoriété publique[7] qu’il n’y avait pas d’intellectuels nazis ou fascistes et que ceux qui se présentaient comme tels n’étaient que des médiocres et des imposteurs achetés ou vendus au pouvoir.  Cette vision de l’ennemi justifie la victoire morale et intellectuelle de «  La Civilisation  » contre ce camp de barbares incultes et primitifs.  Le plus grave avec ces procédés est que la culture de l’ennemi est diabolisée.  Dans le cas allemand, nombreux sont les intellectuels bien pensant d’après guerre qui ont démontré « savamment » que le nazisme était consubstantiel à la culture allemande et que Nietzsche, Wagner et bien d’autres étaient responsables de la barbarie nazie qu’ils avaient préfigurée. Cette vision justifie à l’égard de l’Allemagne toutes les atrocités puisqu’en regard du droit international, elle n’est plus un justus hostis mais un injustus hostis.  Anne Morelli montre que les intellectuels font des pétitions en faveur de leur camp ou contre l’ennemi, que les artistes participent à la propagande en caricaturant ou stéréotypant l’adversaire.  Ceux qui ne participeraient pas à ces pétitions verraient leur notoriété médiatiquement mise à mal et pour éviter ce sort pénible, ils s’alignent sur la position dominante.  Car, il faut le remarquer, les « intellectuels » font souvent preuve d’une lâcheté à la hauteur de leur orgueil et inversement proportionnelle à leur courage physique légendaire.  Anne Morelli se garde bien de mettre en lumière à quel point le rôle des intellectuels dépasse ce simple aspect pétitionnaire et mobilisateur pour investir le champ de la justification intellectuelle, morale et philosophique de la guerre en cours ou de celles à venir.  Ainsi Bernard Henri Lévy et consorts ont tricoté le cache-sexe humanitaire de l’impérialisme le plus abject sous la forme du droit d’ingérence.

9. Notre cause a un caractère sacré.

Anne Morelli dénonce dans son ouvrage les liens de la propagande de guerre avec la religion.  Si nous sommes d’accord pour la suivre dans sa condamnation de l’instrumentalisation de la religion par les propagandistes des Etats belligérants, nous nous garderons bien toutefois de jeter le bébé, c’est-à-dire la religion, avec l’eau du bain.  Si dans les démocraties de marché, il n’y a guère plus que les Etats-Unis pour encore invoquer la religion dans leur propagande guerrière, les autres Etats ont trouvé dans les droits de l’homme, la démocratie et leur sainte trinité « liberté, égalité, fraternité », la nouvelle religion bien terrestre permettant de sacraliser toutes les manœuvres perfides de leur politique extérieure. 

10. Ceux qui mettent en doute la propagande sont des traîtres.

Un article de l’Evenement (29 avril-5 mai 1999) paru durant la guerre du Kosovo, illustre à merveille ce principe.  Nous pouvons y lire en gros titre : Soljenitsyne, Marie-France Garaud, Max Gallo, Peter Handke : ils ont choisi de brandir l’étendard grand-serbe. LES COMPLICES DE MILOSEVIC.  L’hebdomadaire a classé tous les « partisans de Milosevic », entendez ceux qui ont choisi de critiquer plus ou moins ouvertement la propagande anti-serbe, en six grandes familles : La famille « anti-américaine » (Pierre Bourdieu), la famille « pacifiste intégriste » (Renaud), la famille « souverainiste » (Charles Pasqua), la famille « serbophile » (Peter Handke), la famille « rouge-brun » (Le journal La Grosse Bertha ) et la famille « croisade orthodoxe » (Alexandre Soljenitsyne).  Tous les intellectuels qui se sont positionnés au sein d’une de ses grandes familles ou derrière un de leurs patriarches sont par conséquent considérés comme des traîtres et des imbéciles parce qu’ils n’ont pas compris le caractère hautement humanitaire de l’intervention otanienne.[8]  On remarquera au passage l’orgueil démesuré de ce genre d’article brandissant la bannière du « politiquement correct » pour mieux mépriser ses contradicteurs.  Anne Morelli met bien lumière ce dixième principe ; elle ne se limite pas aux guerres passées mais n’hésite pas à rentrer dans le vif du sujet en dénonçant la propagande durant la guerre du Kosovo ou durant la Première guerre du Golfe.  Anne Morelli reconnaît ouvertement que la propagande n’est pas le propre des régimes nazis ou fascistes mais qu’elle affecte aussi nos régimes démocratiques.  Dans une de ses notes, elle fustige d’ailleurs l’historienne de l’U.C.L., Laurence Van Ypersele, pour ses propos tenus dans la revue de Louvain n° 107 (avril 2000) affirmant que ce sont « les régimes totalitaires qui sont passés maîtres dans la falsification de l’histoire par l’image (…)  L’avantage des démocraties est de n’avoir jamais eu le monopole absolu sur la production et la diffusion des images (…)  Cette production (…) émanait de plusieurs centres parfois contradictoires, laissant la place à des contre-discours possibles. »  Selon Anne Morelli, ces propositions sont « fausses au moins en temps de guerre. »[9] 

Cette dernière remarque de Anne Morelli montre une certaine forme d’indépendance d’esprit, se complaisant toutefois dans les carcans idéologiques imposés par le système.  Madame Morelli peut se permettre de critiquer la propagande présente dans les régimes démocratiques en se référant à des auteurs de gauche ou d’extrême gauche, elle n’en risque pas pour autant sa place à l’Université Libre de Bruxelles en tant que titulaire de la chaire de critique historique.  Mais, si elle allait plus en avant dans sa critique, le recteur de cette université « libre » ne manquerait pas de la rappeler à l’ordre et sans doute sentirait-elle alors peser sur ses épaules tout le poids du totalitarisme démocratique.  Il est finalement très facile et peu risqué de dénoncer les carences de la démocratie en temps de guerre, il est par contre très dangereux et interdit d’affirmer à quel point la démocratie est en réalité, autant en temps de guerre qu’en temps de paix, un système totalitaire à la fois plus subtil et plus achevé que ceux habituellement cités.  Un système plus subtil et plus achevé car il diffuse son idéologie dans l’esprit des gens sans que ceux-ci en aient conscience.  Alors que dans un régime totalitaire comme l’U.R.S.S. l’ensemble du peuple n’ignorait pas les moyens mis en œuvre par l’Etat pour le manipuler : un parti unique, une presse unique… la démocratie sous couvert du multipartisme et de la liberté de la presse n’en fonctionne pas moins selon les mêmes principes.  La prétendue pluralité des partis n’est qu’un vernis superficiel recouvrant une même foi en la « sainte démocratie » qu’il serait vain de vouloir remettre en question.  Quant à la diversité de l’information tant vantée pour distinguer nos régimes des régimes totalitaires, il devient patent aux yeux d’un nombre sans cesse croissant d’analystes médiatiques qu’il s’agit tout au plus d’un slogan destiné à maintenir les gens dans l’illusion de la liberté de pensée.  Le système est à ce point fermé que la seule critique possible à l’égard des principes gouvernementaux qui nous dirigent est en réalité une critique « guimauve » du type : nos gouvernements nous manipulent et ne respectent pas assez les règles de la démocratie.  Entendez : vous avez le droit de critiquer le système mais pas en dehors des règles imposées par celui-ci, vous pouvez sermonner la démocratie mais vous ne pouvez le faire qu’au nom des principes démocratiques, il est permis de contester la démocratie pour l’améliorer mais non pour en critiquer l’essence.  Nous sommes sûrs qu’un Staline n’aurait finalement pas trop dédaigné un pareil système.  Il aurait créé à côté du Parti communiste et de la Pravda quelques autres partis et journaux.  Les lecteurs russes auraient ainsi eu le choix entre l’idéologie marxiste, marxiste-léniniste, stalinienne, trotskiste ou encore plus tard maoïste.  Ces différences idéologiques minimes permettant au peuple russe de s’illusionner sur sa liberté de penser.  Sans doute Staline aurait-il d’ailleurs préféré le totalitarisme mou incarné par nos démocraties modernes au totalitarisme trop fermé qu’il a choisi de soutenir à l’époque.  Un tel choix lui aurait ainsi évité de dépenser inutilement l’argent de l’Etat dans la répression idéologique et les déportations en Sibérie. 

C’est pourquoi, dans le contexte des régimes démocratiques, ce dixième principe devrait à notre sens être complété.  Les intellectuels qui critiquent la propagande officielle, pendant la guerre mais aussi en dehors, sont non seulement des traîtres mais aussi des fous, des égarés à la pensée irrationnelle, des idiots…bref ce ne sont pas des intellectuels ! La démocratie se présentant comme un régime où la pensée s’exerce librement, ceux qui s’égarent de la ligne officielle ne pensent pas vraiment !

Conclusion.

Nous considérons ce livre comme un ouvrage pratique, distrayant, un classique du genre qui a sa place dans toute bonne bibliothèque s’intéressant à la propagande.  Toutefois cette analyse sommaire de la propagande est selon nous elle-même vérolée par le virus démocratique.  Anne Morelli a effectivement passé sous silence une des questions les plus élémentaires concernant la propagande de guerre : « Quelle est l’origine, la cause rendant nécessaire un tel phénomène ? »  D’aucuns affirmeront que la propagande de guerre a existé de tout temps.  Certes, nous leur répondrons toutefois : jamais avec une telle ampleur qu’au cours de ces deux derniers siècles.  Avant 1789, un noble, un guerrier, un mercenaire n’avait pas spécifiquement besoin de véritables « raisons » pour se battre, il le faisait soit par allégeance, soit par intérêt calculé, mais rarement par passion ou sentimentalisme.  Par contre, le peuple, lorsqu’il combat, a besoin de moteurs beaucoup plus puissants.  Pourquoi ?  Parce que le peuple répugne à la fois à s’exposer à la mort et à user de la violence.  Il lui faut donc une raison personnelle : la haine ; alors que les guerriers, élevés dans l’esprit du combat, non nullement besoin de personnifier ainsi la guerre.  Pour lever les réticences de la population, il faut agir sur ses sentiments et provoquer en elle une pulsion de meurtre qui justifie son engagement sous les drapeaux.  L’ennemi devient par conséquent un ennemi absolu, l’incarnation du mal avec laquelle nulle trêve, négociation ou paix n’est désormais possible.  Parmi les moteurs puissants mettant le peuple en mouvement, citons la religion[10] et surtout les idéologies ; ces dernières ont été le moteur réel des guerres et des massacres au cours de « la soi-disant période de progrès que l’humanité a connue depuis qu’elle a été libérée du joug des monarques absolus » : nationalisme français (« Aux armes citoyens ! »[11] ), communisme (« Prolétaires de tous les pays, unissez vous ! »), fascisme (« Tout pour l’Etat, tout par l’Etat »), etc.  Tout chef de guerre sait à quel point le patriotisme et le nationalisme sont des moteurs importants pour maintenir la cohésion des troupes et chacun des grands conflits de ces deux derniers siècles nous donne des renseignements précieux sur la manière dont les dirigeants ont procédé pour « mouvoir le peuple ».  Anne Morelli est passé à notre sens à côté de cet élément essentiel : la propagande de guerre est étroitement liée à l’émergence des nationalismes au dix-neuvième siècle[12] et plus spécifiquement des régimes démocratiques.  La propagande de guerre est donc bien à notre sens un phénomène historique visant essentiellement à toucher le peuple dans la mesure où celui-ci est désormais (théoriquement) associé au pouvoir ! Et la propagande de guerre est orientée de telle manière que le peuple continue à soutenir ses dirigeants dans les crises les plus graves.  C’est ce qui fait à la fois la force et la faiblesse d’un pouvoir politique qui s’appuie sur le peuple.  Les victoires napoléoniennes étaient ainsi dues non seulement aux qualités exceptionnelles de stratège de l’illustre officier corse mais surtout à l’étonnante capacité que la France possédait depuis la Révolution de lever des troupes « au nom de la nation en péril ».  Le peuple confère indéniablement une puissance importante en terme quantitatif !  Toutefois, les dirigeants de semblables régimes se trouvent dans une position délicate une fois qu’ils ont utilisé leur botte secrète.  Le peuple, la « nation en arme »,  la « masse » sont par définition des éléments instables[13] qu’il faut sans cesse rassurer, entendez par-là manipuler.  Dans ces conditions une guerre trop longue, trop coûteuse en vies humaines a tôt fait de retirer aux dirigeants la confiance qu’ils détenaient de la base.  L’avènement des « guerres totales » (c’est-à-dire réclamant la participation de l’ensemble de la nation à la guerre, y compris la population civile - d’où le concept d’économie de guerre) et l’essor des télécommunications ont encore accru cette faiblesse du système démocratique.  Lors de la guerre du Vietnam, beaucoup d’observateurs ont déclaré que c’était le choc des images télévisuelles montrant des cadavres américains rapatriés en avion dans des « sacs plastiques » qui avait provoqué la défaite des Etats-Unis pourtant largement supérieurs en matière de technologie militaire.   Semblable constat implique forcément la nécessité pour tout « pouvoir démocratique » de contrôler la presse en cas de crise aiguë au risque de perdre toute légitimité auprès de son opinion publique.  La propagande de guerre est donc bien un phénomène ayant pour origine directe l’avènement de régimes politiques s’appuyant sur le peuple, obligés de contrôler le quatrième pouvoir.  Osons l’affirmer, les régimes démocratiques constituent la cause première de la manipulation médiatique dont nous faisons aujourd’hui les frais. 

La propagande est d’ailleurs passée à notre époque à un stade supérieur.  Nous avons dit au début de notre conclusion qu’elle s’est adressée primitivement au classes populaires.  Un tel phénomène étant cyniquement légitimé par la nécessité d’ « éduquer les masses ».  Il est toujours piquant de rappeler ainsi que « l’école pour tous », tant vantée par les révolutionnaires français, ne répond pas seulement à des objectifs philanthropiques mais surtout à des nécessités économiques et politiques.  Il convient de donner à « l’enfant du peuple » des connaissances techniques suffisantes afin qu’il puisse faire tourner plus efficacement nos industries, il convient de lui donner une éducation politique orientée afin qu’il participe (et donc souscrive) aux règles de la nouvelle gouvernance qui a été mise sur pied.  Et si nos démocraties montrent particulièrement pendant les conflits armés des défauts monstrueux, au point que des intellectuelles comme Anne Morelli puissent s’émouvoir, c’est parce que les nécessités du danger qui les menacent leur font battre pour un court instant le masque recouvrant leurs vrais visages, le visage du plus cynique des totalitarismes, ce que Madame Morelli s’est bien gardée de conclure !

« La propagande est à la société démocratique ce que la matraque est à l’Etat totalitaire ».[14]

 

 

Notes:

 

[1] Le livre a connu deux versions.  La première forte de 727 pages (Témoins.  Essais d’analyse et de critique des combattants édités en français de 1915 à 1928, Paris, 1929) a déclenché de très virulentes réactions (positives ou négatives) lors de sa parution.  La deuxième s’intitule Du Témoignage.  Il s’agit d’une édition abrégée parue en 1930 et reprenant l’essentiel des idées développées dans la première édition.  L’ouvrage de Norton Cru a fait l’objet d’un colloque au Musée de l’Armée de Bruxelles à la fin de l’année 1999.

[2] Ce roman a  fait jadis l’objet d’une des réunions mensuelles de notre école des cadres.

[3] La stratégie du blocus est particulièrement prisée par les puissances thalassocratiques.  Elle permet un minimum d’engagement et un maximum d’effet puisque les morts tués de façon violente lors d’opérations militaires sont beaucoup plus voyants et traumatisants que les morts « doux » dispersés dans l’espace et le temps au fur et à mesure que l’embargo produit son effet.  L’exemple iraquien de la dernière décennie est de ce point de vue exemplaire et témoigne de la cruauté des « droits de l’hommistes internationalistes » qui l’appliquent.

[4] MERARI (Ariel), Du terrorisme comme stratégie d’insurrection, dans CHALIAND (Gérard) (dir.), Les stratégies du terrorisme.- Paris, Desclée de Brouwer, 1999, pp. 76-77.

[5] MORELLI (Anne), Principes élémentaires de propagande de guerre.- Bruxelles, Editions Labor, 2001, p. 49.

[6] Idem, p. 54.

[7] Les cours d’histoire du secondaire présentent le plus souvent l’Allemagne nazie comme une terre dépourvue de penseurs et d’intellectuels puisque ceux qui y étaient avaient fui le régime.  Einstein constitue le choux gras dont se délectent nos professeurs d’histoire « à la page ».

[8] Cité dans HALIMI (Serge) et VIDAL (Dominique), L’opinion ça se travaille.- Marseille, Agone, Comeau & Nadeau, 2000, p. 102-103.

[9] MORELLI (Anne), Principes élémentaires de propagande de guerre.- Bruxelles, Editions Labor, 2001, p. 92.

[10] A nos yeux, il s’agit toutefois du meilleur des motifs pour faire la guerre.  Mais le rôle de la religion dans la guerre devrait faire l’objet d’une étude ultérieure.

[11] Les paroles de la Marseillaise « Abreuvons du sang impur nos sillons » montrent bien jusqu’à quel point conduit l’idéal démocratique. 

[12] Le principe de la « nation en arme » apparaît lors de la révolution française et va bouleverser la manière de faire la guerre. 

[13] Voir à ce sujet le classique de Gustave LEBON, Psychologie des Foules.

[14] CHOMSKY (Noam), Propaganda.- France, Editions du Félin, 2002, p.20.

00:05 Publié dans Défense | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : propagande, manipulation, guerre, défense, militaria, stratégie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 16 juillet 2008

Hommage au dernier soldat du Tennö

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Christian HAFENECKER:

 

Hommage au dernier soldat du Tennô

 

Au Japon, la fidélité du soldat n’est pas un concept vain et creux: pendant 29 ans, un soldat japonais a refusé de capituler car il rejetait comme ruses toutes les tentatives de lui expliquer que la guerre était finie!

 

Qui ne se rappelle pas du film, qui fit tant de bruit, avec Bud Spencer et Terrence Hill et que l’on avait intitulé, en allemand “Zwei Asse trumpfen auf” (“Deux as sortent en atout”), où les deux héros échouent sur une île du Pacifique et tombent sur un poste avancé japonais qui n’a pas appris que la guerre était terminée?

 

A l’époque, le modèle du Japonais inflexible a dû être, immmanquablement, le Premier Lieutenant de l’armée nipponne, Hiroo Onoda. La fidélité d’Onoda, le rude soldat, aux ordres qui lui avaient été donnés a allongé pour lui la durée de la guerre de près de trente ans. Ce n’est que le 10 mars 1974 qu’il s’est présenté aux autorités philippines sur la petite île de Lubang et qu’il leur a remis son arme. Hiroo Onoda avait 52 ans lorsque, ce jour-là, pour lui, la deuxième guerre mondiale se terminait.

 

En décembre 1944, Onoda, spécialiste des techniques de guerilla et ancien élève de Nakano, l’académie militaire pour les troupes d’élite, est débarqué sur l’île de Lubang pour combattre sur les arrières des troupes américaines qui progressent et les harceler pendant leur séjour. L’ordre qui lui est donné est le suivant: ne sortir de la jungle sous aucun prétexte, quoi qu’il arrive. L’archipel philippin était de la plus haute importance stratégique pour le Japon. Car ces îles permettaient le contrôle des voies maritimes vers le Japon dans la Mer de Chine du Sud. C’est sur ces voies-là que transitait le pétrole, si nécessaire à l’industrie nipponne, en provenance de l’Indonésie, en particuler de Bornéo. Ce n’est donc pas un hasard si, après Pearl Harbour, les Philippines ont constitué le second objectif majeur de l’offensive japonaise dans la Guerre du Pacifique.

 

Lorsque la fortune de la guerre changea de camp, les Américains et les Philippins combattirent l’occupant japonais avec succès et, en juillet 1945, les armées du Tennô furent chassées définitivement de l’archipel. Les unités spéciales japonaises, auxquelles appartenait Hiroo Onada, avaient prêté serment à l’Empereur, au Tennô Hiro Hito et mis leurs vies à sa disposition, sans aucune autre arrière-pensée ni “restrictio mentis”. Après que le supérieur hiérarchique direct d’Onada, le Major Yashimi Taniguchi ait été fait prisonnier et que la  plupart de ses troupes aient été durement étrillées sur l’île, Onoda se retira avec trois camarades dans les plus profonds recoins de la jungle. Quand le trafic aérien et maritime diminua après la fin des hostilités, Onada perdit ses premières certitudes et songea une première fois à se rendre. Mais quand éclata la Guerre de Corée au début des années 50 puis la Guerre du Vietnam au début des années 60, Onada repèra encore des porte-avions américains, ce qui l’amèna à reprendre sa mission.

 

Dans le cadre d’une opération de recherche, on avait même mobilisé d’anciens condisciples de collège d’Onada et on les avait équipés de mégaphones, avant de les envoyer dans la jungle pour l’appeler. L’opération s’était soldée par un échec. Dès lors, on déclara officiellement en 1959 qu’Onada était mort. Quelques années plus tard, un étudiant japonais, Morio Susuki, lors d’un raid aventureux à travers la jungle de Lubang, rencontra Onoda par hasard. Celui-ci portait toujours son vieil uniforme et était armé de son fusil d’assaut. Onoda révéla son identité à son compatriote et déclara être prêt à capituler, mais uniquement sur l’ordre personnel de son ancien supérieur hiérarchique. Le Major Taniguchi fut emmené par avion, avec, dans ses bagages, une copie de l’ordre impérial de capitulation d’août 1945. Onoda rendit alors ses armes et considéra que la seconde guerre mondiale était terminée pour lui.

 

L’histoire d’Onoda fit rapidement le tour du monde. A Manille, il fut reçu par le Président Marcos, même si pendant son séjour aux Philippines, il avait tué une trentaine d’habitants de l’île et échangé bon nombre de coups de feu avec la police locale. Le Président Marcos l’a grâcié, vu les circonstances exceptionnelles.

 

Onoda rentra d’abord au Japon puis s’installa au Brésil où il devint éleveur de bétail. En 1996, il revint à Lubang pour offrir à l’école du lieu la somme de 10.000 dollars.

 

Christian HAFENECKER.

(Article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°19-20/2008; trad.  franç.: Robert Steuckers).

samedi, 05 juillet 2008

Rudolf Kjellen (1864-1922)

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Robert Steuckers

RUDOLF   KJELLEN 

1864-1922


Né le 13 juin 1864 dans la petite île de Torsoe au milieu du grand lac suédois de Voenern, Kjellen grandit dans une atmosphère tout empreinte de luthérisme. Il s'inscrit à l'Université d'Uppsala, ou le marque l'influence du Professeur Oscar Alin, une des têtes pensantes du mouvement conservateur suédois. En mai 1891, Kjellen est diplômé de sciences politiques et reçoit un poste de professeur à la nouvelle université de Goeteborg.

Plus tard, outre les sciences politiques, il y enseigne la géographie. Cette circonstance a permis l'éclosion, chez lui, de cette synthèse entre les sciences politiques et la géographie qu'est la géopolitique. Influencé par le géographe allemand Friedrich Ratzel, il applique ses théories à la réalité suédoise (cf. Inledning till Sveriges geografi, 1900) et infléchit ses cours de sciences politiques à Goeteborg dans un sens géopolitique. En 1904, il visite les Etats-Unis avec ses étudiants et y est frappé par la qualité de l'espace nord-américain, différent et plus démesuré que l'espace européen. En 1905, Kjellen est élu au parlement de Stockholm. Désormais, à sa carrière de chercheur et de professeur, s'ajoute une carrière parallèle d'homme politique. Kjellen lutte pour que l'Union qui unit depuis 1814 la Norvège à la Suède ne se disloque pas. En vain. Le reste de sa carrière politique, il la consacre à lutter contre la bureaucratie et le socialisme et à faire passer des lois sur la démographie, la politique économico-sociale et la défense. De 1909 à 1917, il quitte la Chambre pour siéger au Sénat.

Son intérêt pour le Japon ne fait que croître au cours de ces années; il le visite en même temps que la Chine en 1909. Empruntant le transsibérien, il se rend physiquement compte de l'immensité territoriale sibérienne et centre-asiatique. A Pékin, il constate que les jours de la domination européenne en Chine sont comptés. Comparant ensuite les mentalités chinoise et japonaise, Kjellen écrit dans son journal de voyage: "L'ame du Japon est romantique tandis que celle de la Chine est réaliste-classique; l'ame du Japon est progressiste tandis que celle de la Chine est bureaucratique-conservatrice". De même, le rôle croissant de l'Etat au Japon induit Kjellen à le juger "socialiste" tandis que l'Etat chinois, peu interventionniste dans le domaine social, génère une société qui, en fin de compte, est libérale.

En 1913, alors que s'annonce la première guerre mondiale, Kjellen dresse un bilan des puissances qui entourent la Suède. Conclusion: l'Allemagne est l'alliée naturelle des Suédois, tandis que la Russie est leur adversaire depuis des siècles. Dans les débats qui vont suivre, Kjellen opte pour l'Allemagne. Avec bon nombre de professeurs et de philosophes allemands, il affirme que les idées de solidarité nationale, nées en 1914, refouleront les idées libérales/individualistes/universalistes de 1789. Au slogan révolutionnaire de "liberté, égalité, fraternité", Kjellen et ses homologues allemands opposent une autre triade, nationaliste et patriotique: "ordre, justice, fraternité".

En 1916, il est nommé professeur à Uppsala, à la chaire triplement centenaire de Johan Skytte. Au même moment, ses thèses géopolitiques et ses commentaires de l'actualité connaissent un succès croissant en Allemagne. A Uppsala, Kjellen rédige son œuvre majeure Staten som livsform (L'Etat comme forme de vie) qui paraît en langue allemande en avril 1917 et connaît immédiatement un grand succès. C'est dans ce livre qu'il forge le terme de "géopolitique". Avant, on parlait, à la suite de Ratzel, de "géographie politique". Quand la guerre prend fin en 1918, Kjellen voit l'émergence de deux puissances planétaires: l'Angleterre et la Russie, "désormais gouvernée par une aristocratie de forme dégénérée, soit une oligarchie" et par une idéologie batarde, hégélienne dans sa forme et rousseauiste dans son contenu. A la même époque paraît un second ouvrage théorique majeur de Kjellen: Undersoekningar till politikens system  (Recherches sur le système de la politique), récapitulatif complet de ses idées en géopolitique. Pendant les quatre dernières années de sa vie, Kjellen visite plusieurs universités allemandes. Souffrant d'une angine de poitrine, il meurt le 14 novembre 1922 à Uppsala. Ses théories ont connu un impact très important en Allemagne, notamment dans l'école de Haushofer, d'Otto Maull, etc. En Suède, son principal disciple a été Edvard Thermaenius et, en Finlande, Ragnar Numelin (1890-1972).
 

Les idées de 1914. Une perspective sur l'histoire mondiale(Die Ideen von 1914. Eine weltgeschichtlicher Perspektive), 1915


Cette brochure importante ne nous dévoile pas Kjellen en tant que théoricien de la géopolitique ou des sciences politiques, mais une réflexion générale sur les événements de 1914, que reprendront à leur compte les théoriciens de la géopolitique allemande des années 20 et 30 et les protagonistes de la "Révolution conservatrice". Kjellen base sa démonstration sur deux ouvrages: l'un de Werner Sombart (H?ndler und Helden;  "Les marchands et les héros"), l'autre de Johann Plenge (Der Krieg und die Volkswirtschaft;  "La guerre et l'économie politique"). Avec Sombart, il critique la triade de 1789, "Liberté, égalité, fraternité", instrument idéologique de la "bourgeoisie dégénérée par le commerce". La guerre en cours est davantage qu'une guerre entre puissances antagonistes: elle révèle l'affrontement de deux Weltanschauungen,  celle de 1789 contre celle, nouvelle et innovatrice, de 1914. La France et la Grande-Bretagne défendent par leurs armes les principes politiques (ou plutôt, anti-politiques) de la modernité libérale; l'Allemagne défend les idées nouvelles, nées en 1914 du refus de cette modernité libérale. Pour Kjellen, en 1914 commence le crépuscule des vieilles valeurs. Affirmation qu'il reprend du Danois Fredrik Weis (in Idealernes Sammenbrud;  "L'effondrement des idéaux"), pour qui les carnages du front signalent le crépuscule de l'idéalisme, l'effondrement de toutes les valeurs que la civilisation européenne avait portées au pinacle. Kjellen et Weis constatent l'effondrement de cinq jeux de valeurs fondamentales: 
1) l'idée de paix universelle; 
2) l'idéal humaniste de culture; 
3) l'amour de la patrie, qui, de valeur positive, s'est transformé en haine de la patrie des autres; 
4) l'idée de fraternité internationale portée par la sociale-démocratie; 
5) l'amour chrétien du prochain. 
Ce quintuple effondrement scelle la banqueroute de la civilisation chrétienne, transformée par les apports de 1789. Mais le premier idéologème ruiné par la conflagration de 1914 est en fait le dénominateur commun de tous ces idéaux: le cosmopolitisme, contraint de s'effacer au profit des faits nationaux. Les nationalismes prouvent par la guerre qu'ils sont des réalités incontournables. Leur existence peut provoquer la guerre mais aussi la coopération internationale. L'internationalisme n'exclut pas, aux yeux de Kjellen, l'existence des nations, contrairement au cosmopolitisme. L'internationalisme est une coopération entre entités nationales organiques, tandis que le cosmopolitisme est inorganique, de même que son corollaire, l'individualisme. Ce dernier connaît également la faillite depuis que les hostilités se sont déclenchées. 1914 inaugure l'ère de l'organisation et termine celle de l'anarchie individualiste, commencée en 1789. Désormais, l'individu n'a plus seulement des intérêts privés, il doit servir. Son orgueil stérile est terrassé, ce qui ne veut pas dire que les qualités personnelles/individuelles doivent cesser d'agir: celles qui servent bien l'ordre ou la collectivité demeureront et seront appelées à se renforcer. Romain Rolland a dit, signale Kjellen, que la guerre a dévoilé les faiblesses du socialisme et du christianisme. En effet, les soldats de toutes les puissances belligérantes se réclament de Dieu et non du Christ. Ce Dieu invoqué par les nouveaux guerriers est nationalisé; il est totémique comme Jéhovah aux débuts de l'histoire juive ou comme les dieux paiens (Thor/Wotan). Ce Dieu nationalisé n'est plus le Nazaréen avec son message d'amour. Ce panthéon de dieux uniques nationalisés et antagonistes remplace donc le messie universel. En dépit de cet éclatement du divin, il en reste néanmoins quelque chose de puissant. La paix avait été dangereuse pour Dieu: des hommes politiques avaient inscrit l'irreligion dans les programmes qu'ils s'efforçaient d'appliquer. Et si la guerre suscite l'apparition de dieux nationaux qui sèment la haine entre les peuples, elle déconstruit simultanément les haines intérieures qui opposent les diverses composantes sociales des nations. La guerre a transplanté la haine de l'intérieur vers l'extérieur. La paix sociale, la fraternité, l'entraide, les valeurs fraternelles du christianisme progressent, d'ou l'on peut dire que la guerre a accru dans toute l'Europe l'amour du prochain. En conséquence, ce qui s'effondre, ce sont de pseudo-idéaux, c'est l'armature d'une époque riche en formes mais pauvre en substance, d'une époque qui a voulu évacuer le mystère de l'existence.

Effondrement qui annonce une nouvelle aurore. La guerre est période d'effervescence, de devenir, ou se (re)composent de nouvelles valeurs. La triade de 1789, "Liberté, égalité, fraternité", est solidement ancrée dans le mental des anciennes générations. Il sera difficile de l'en déloger. Les jeunes, en revanche, doivent adhérer à d'autres valeurs et ne plus intérioriser celles de 1789, ce qui interdirait d'appréhender les nouvelles réalités du monde. La liberté, selon l'idéologie de 1789, est l'absence/refus de liens (l'Ungebundenheit, le Fehlen von Fesseln).  Donc la négation la plus pure qui empêche de distinguer le bien et le mal. Certes, explique Kjellen, 1789 a débarrassé l'humanité européenne des liens anachroniques de l'ancien régime (Etat absolu, étiquette sociale, église stérile). Mais après les événements révolutionnaires, l'idée quatre-vingt-neuvarde de liberté s'est figée dans l'abstraction et le dogme. Le processus de dissolution qu'elle a amorcé a fini par tout dissoudre, par devenir synonyme d'anarchie, de libertinisme et de permissivité (Gesetzlosigkeit, Sittenlosigkeit, Zoegellosigkeit).  Il faut méditer l'adage qui veut que la "liberté soit la meilleure des choses pour ceux qui savent s'en servir". La liberté, malheureusement, est laissée aux mains de gens qui ne savent pas s'en servir. D'ou l'impératif de l'heure, c'est l'ordre. C'est empêcher les sociétés de basculer dans l'anarchie permissive et dissolvante. Kjellen est conscient que l'idée d'ordre peut être mal utilisée, tout autant que l'idée de liberté. L'histoire est faite d'un jeu de systole et diastole, d'un rythme sinusoidal ou jouent la liberté et l'ordre. L'idéal suggéré par Kjellen est celui d'un équilibre entre ces deux pôles. Mais l'ordre qui est en train de naître dans les tranchées n'est pas un ordre figé, raide et formel. Il n'est pas un corset extérieur et n'exige pas une obéissance absolue et inconditionnelle. Il est un ordre intérieur qui demande aux hommes de doser leurs passions au bénéfice d'un tout. Kjellen ne nie donc pas le travail positif de l'idée de liberté au XVIIIième siècle mais il en critique la dégénérescence et le déséquilibre. L'idée d'ordre, née en 1914, doit travailler à corriger le déséquilibre provoqué par la liberté devenue permissive au fil des décennies. L'idée d'égalité a mené un combat juste contre les privilèges de l'ancien régime, issus du Moyen Age. Mais son hypertrophie a conduit à un autre déséquilibre: celui qui confine l'humanité dans une moyenne, ou les petits sont agrandis et les grands amoindris par décret. En fait, seuls les grands sont diminués et les petits restent tels quels. L'égalité est donc la "décollation de l'humanité". Kjellen défend l'idée nietzschéenne de surhumanité non parce qu'elle est orgueil mais plutôt parce qu'elle est humilité: elle procède du constat que le type humain moyen actuel est incapable d'accomplir toutes les vertus. Or ces vertus doivent être revivifiées et réincarnées: telle est la marque de la surhumanité qui s'élève au-dessus des moyennes imposées. Kjellen accepte le troisième terme de la triade de 1789, la fraternité, et estime qu'elle sera renforcée par la camaraderie entre soldats. Kjellen soumet ensuite la déclaration des droits de l'homme à une critique sévère: elle conduit au pur subjectivisme, écrit-il, et entrevoit les rapports humains depuis la "perspective de la grenouille". Il s'explique: l'homme quatre-vingt-neuvard, comme l'a démontré Sombart, veut recevoir de la vie et non lui donner ses efforts. Cette envie de recevoir, consignée in nuce  dans la déclaration des droits de l'homme, transforme l'agir humain en vulgaire commercialisme (obtenir un profit d'ordre économique) et en eudémonisme (avoir des satisfactions sensuelles). Depuis le début du XIXième siècle, la France et la Grande-Bretagne véhiculent cette idéologie commercialiste/eudémoniste, enclenchant ainsi le processus d'"anarchicisation" et de permissivité, tandis que la Prusse, puis l'Allemagne, ajoutent à l'idée des droits de l'homme l'idée des devoirs de l'homme, mettant l'accent sur la Pflicht  et l'"impératif catégorique" (Kant). Le mixte germanique de droits et de devoirs hisse l'humanité au-dessus de la "perspective subjectiviste de la grenouille", lui offrant une perspective supra-individuelle, assortie d'une stratégie du don, du sacrifice. L'idée de devoir implique aussitôt la question: "que puis-je donner à la vie, à mon peuple, à mes frères, etc.?". En conclusion, Kjellen explique que 1914 n'est pas la négation pure et simple de 1789; 1914 impulse de nouvelles directions à l'humanité, sans nier la justesse des contestations libertaires de 1789. Il n'est pas question, aux yeux de Kjellen et de Sombart, de rejeter sans plus les notions de liberté et d'égalité mais de refuser leurs avatars exagérés et pervertissants. Entre 1914 et 1789, il n'y a pas antinomie comme il y a antinomie entre l'ancien régime et 1789. Ces deux mondes axiologiques s'excluent totalement. Si l'ancien régime est la thèse, 1789 est son antithèse et la Weltanschauung  libérale qui en découle garde en elle toutes les limites d'une antithèse. Ce libéralisme n'aura donc été qu'antithèse sans jamais être synthèse. 1914 et l'éthique germanique-prussienne du devoir sont, elles, synthèses fructueuses. Or les mondes libéral et d'ancien régime sont également hostiles à cette synthèse car elle les fait disparaître tous deux, en soulignant leur caducité. C'est pourquoi les puissances libérales française et britannique s'allient avec la puissance russe d'ancien régime pour abattre les puissances germaniques, porteuses de la synthèse. La thèse et l'antithèse unissent leurs efforts pour refuser la synthèse. Les partisans de l'oppression et ceux de l'anarchie s'opposent avec un zèle égal à l'ordre, car l'ordre signifie leur fin. Les puissances libérales craignent moins l'absolutisme d'ancien régime car celui-ci est susceptible de s'inverser brusquement en anarchie. A l'ancienne constellation de valeurs de 1789, succédera une nouvelle constellation, celle de 1914, "devoir, ordre, justice" (Pflicht, Ordnung, Gerechtigkeit).
 

Les problèmes politiques de la guerre mondiale (Die politischen Probleme des Weltkrieges), 1916


Dans l'introduction à cet ouvrage qui analyse l'état du monde en pleine guerre, Kjellen nous soumet une réflexion sur les cartes géographiques des atlas usuels: ces cartes nous montrent des entités étatiques figées, saisies à un moment précis de leur devenir historique. Or toute puissance peut croître et déborder le cadre que lui assignent les atlas. Au même moment ou croît l'Etat A, l'Etat B peut, lui, décroître et laisser de l'espace en jachère, vide qui appelle les énergies débordantes d'ailleurs. Kjellen en conclut que les proportions entre le sol et la population varient sans cesse. Les cartes politiques reflètent donc des réalités qui, souvent, ne sont plus. La guerre qui a éclaté en aout 1914 est un événement bouleversant, un séisme qui saisit l'individu d'effroi. Cet effroi de l'individu vient du fait que la guerre est une collision entre Etats, c'est-à-dire entre entités qui ont des dimensions quantitatives dépassant la perspective forcément réduite de l'individu. La guerre est un phénomène spécifiquement étatique/politique qui nous force a concevoir l'Etat comme un organisme vivant. La guerre révèle brutalement les véritables intentions, les pulsions vitales, les instincts de l'organisme Etat, alors que la paix les occulte généralement derrière toutes sortes de conventions. Dans la ligne de l'ouvrage qu'il est en train de préparer depuis de longues années (Staten som livsform)  et qui sortira en 1917, Kjellen répète son credo vitaliste: l'Etat n'est pas un schéma constitutionnel variable au gré des élections et des humeurs sociales ni un simple sujet de droit mais un être vivant, une personnalité supra-individuelle, historique et politique. Dans ses commentaires sur les événements de la guerre, Kjellen ne cache pas sa sympathie pour l'Allemagne de Guillaume II, mais souhaite tout de même rester objectif ("Amica Germania sed magis amica veritas"). 
Le livre aborde ensuite les grands problèmes géopolitiques de l'heure. Trois puissances majeures s'y affrontent, avec leur clientèle, des puissances de second ordre. Il y a l'Allemagne (avec ses clients: l'Autriche-Hongrie, la Turquie, la Bulgarie); ensuite l'Angleterre (avec la France, l'Italie, la Belgique et, dans une moindre mesure, le Japon); enfin, la Russie, avec deux minuscules clients, la Serbie et le Monténégro. Trois exigences géopolitiques majeures s'imposent aux Etats et à leurs extensions coloniales: 1) l'étendue du territoire; 2) la liberté de mouvement; 3) la meilleure cohésion territoriale possible. La Russie a extension et cohésion territoriale mais non liberté de mouvement (pas d'accès aux mers chaudes et aux grandes voies de communication océanique). L'Angleterre a extension territoriale et liberté de mouvement mais pas de cohésion territoriale (ses possessions sont éparpillées sur l'ensemble du globe). L'Allemagne n'a ni extension ni liberté de mouvement (la flotte anglaise verrouille l'accès à l'Atlantique dans la Mer du Nord); sa cohésion territoriale est un fait en Europe mais ses colonies ne sont pas soudées en Afrique. Reprenant les idées de son collègue allemand Arthur Dix, Kjellen constate que les tendances de l'époque consistaient, pour les Etats, à se refermer sur eux-mêmes et à souder leur territoire de façon à en faire un tout cohérent. L'Angleterre est ainsi passée d'une politique de la "porte ouverte" à une politique visant l'émergence de zones d'influence fermées, après avoir soudé ses possessions africaines de l'Egypte à l'Afrique du Sud (du Caire au Cap). Elle a tenté ensuite de mettre toute la région sise entre l'Egypte et l'actuel Pakistan sous sa coupe, se heurtant aux projets germano-turcs en Mésopotamie (chemin de fer Berlin-Bagdad-Golfe Persique). L'Allemagne qui n'a ni extension ni liberté de mouvement ni cohésion territoriale sur le plan colonial (quatre colonies éparpillées en Afrique plus la Micronésie dans le Pacifique). Elle a tenté, avec l'Angleterre, de souder ses colonies africaines au détriment des colonies belges et portugaises: un projet qui ne s'est jamais concrétisé. Pour Kjellen, le destin de l'Allemagne n'est ni en Afrique ni dans le Pacifique. Le Reich doit renforcer sa coopération avec la Turquie selon l'axe Elbe-Euphrate, créant une zone d'échanges économiques depuis la Mer du Nord jusqu'au Golfe Persique et à l'Océan Indien, chasse gardée des Britanniques. Les projets germano-turcs en Mésopotamie sont la principale pomme de discorde entre le Reich et l'Angleterre et, en fait, le véritable enjeu de la guerre, menée par Français interposés. La politique anglaise vise à fractionner la diagonale partant de la Mer du Nord pour aboutir au Golfe Persique, en jouant la Russie contre la Turquie et en lui promettant les Dardannelles qu'elle n'a de toute façon pas l'intention de lui donner car une présence russe dans le Bosphore menacerait la route des Indes à hauteur de la Méditerranée orientale.

A ces problèmes géopolitiques, s'ajoutent des problèmes ethnopolitiques: en gros, la question des nationalités. Le but de guerre de l'Entente, c'est de refaire la carte de l'Europe sur base des nationalités. L'Angleterre voit l? le moyen de fractionner la diagonale Mer du Nord-Golfe Persique entre Vienne et Istanboul. Les puissances centrales, elles, réévaluent le rôle de l'Etat agrégateur et annoncent, par la voix de Meinecke, que l'ère des spéculations politiques racisantes est terminée et qu'il convient désormais de faire la synthèse entre le cosmopolitisme du XVIIIième et le nationalisme du XIXième dans une nouvelle forme d'Etat qui serait supranationale et attentive aux nationalités qu'elle englobe. Kjellen, pour sa part, fidèle à ses principes vitalistes et biologisants, estime que tout Etat solide doit être national donc ethniquement et linguistiquement homogène. Le principe des nationalités, lancé dans le débat par l'Entente, fera surgir une "zone critique" entre la frontière linguistique allemande et la frontière de la Russie russe, ce qui englobe les Pays Baltes, la Biélorussie et l'Ukraine. Aux problèmes d'ordres géopolitique et ethnopolitique, il faut ajouter les problèmes socio-politiques. Kjellen aborde les problèmes économiques de l'Allemagne (développement de sa marine, programme du Levant, ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad) puis les problèmes de la Russie en matière de politique commerciale (la concurrence entre les paysannats allemand et russe qui empêche la Russie d'exporter ses produits agricoles vers l'Europe). La Russie veut faire sauter le verrou des Dardannelles pour pouvoir exporter sans entraves son blé et ses céréales d'Ukraine, seule manière d'assurer des boni à sa balance commerciale.

Kjellen approuve la politique conservatrice du Ministre britannique Chamberlain qui, en 1903, a évoqué une Commercial Union  autarcisante, protégée par la puissance maritime anglaise. Trois grandes zones se partageraient ainsi le monde: 1) l'Angleterre, avec le Canada, l'Australie et l'Afrique du Sud; 2) l'Allemagne, avec l'Autriche-Hongrie, la Fédération balkanique et la Turquie; 3) la "Panamérique". En Angleterre, la politique est portée par un paradoxe: ce sont les conservateurs qui défendent cette idée de progrès vers l'autarcie impériale qui implique aussi la non intervention dans les autres zones. La gauche, elle, est conservatrice: elle préfère une politique interventionniste bellogène dans les zones des autres. Kjellen explique ce renversement: le projet d'autarcie est peu séduisant sur le plan électoral tandis que celui de la pantarchie (du contrôle total du globe par l'Angleterre) excite la démagogie jingoiste. Chamberlain, en suggérant ses plans d'autarcie impériale, a conscience des faiblesses de l'Empire et du cout énorme de la machine militaire qu'il faut entretenir pour pouvoir dominer le globe.

Viennent ensuite les problèmes d'ordres constitutionnel et culturel. La guerre en cours est également l'affrontement entre deux modèles d'Etat, entre l'idéal politique anglais et l'idéal politique allemand. En Angleterre, l'individu prime l'Etat tandis qu'en Allemagne l'Etat prime l'individu. En Angleterre, l'objet de la culture, c'est de former des caractères; en Allemagne, de produire du savoir. A cela, les Allemands répondent que l'autonomie des caractères forts erre, sur l'espace culturel anglais, dans un monde de conventions figées et figeantes. Anglais et Français prétendent que l'Allemagne est une nation trop jeune pour avoir un style. Les Allemands rétorquent que leur masse de savoir permet un arraisonnement plus précis du monde et que leur culture, en conséquence, a plus de substance que de forme (de style). L'Angleterre forme des gentlemen alignés sur une moyenne, affirment les Allemands, tandis que leur système d'éducation forme des personnalités extrêmement différenciées se référant à une quantité de paramètres hétérogènes. L'Allemagne étant le pays des particularismes persistants, il est normal, écrit Kjellen, qu'elle prône un fédéralisme dans des "cercles" d'Etats apparentés culturellement et liés par des intérêts communs (Schulze-Gaevernitz) ou des "rassemblements organisés de forces ethniques homogènes contre les sphères de domination" (Alfred Weber). L'idée allemande, poursuit Kjellen, c'est le respect de la spécificité des peuples, quelle que soit leur importance numérique. C'est l'égalité en droit des nations à l'intérieur d'une structure politique de niveau supérieur, organisée par une nationalité dominante (comme en Autriche-Hongrie). Kjellen relie cette idée soucieuse du sort des spécificités à l'idée protestante militante du roi suédois Gustave-Adolphe, champion du protestantisme, pour qui "il fallait sauver la tolérance".

Le jeu se joue donc à trois: les Occidentaux, les Russes et les Centraux. Ou, comme il l'avait écrit dans Les idées de 1914, entre l'antithèse, la thèse et la synthèse. La guerre est également l'affrontement entre les idées de Jean-Jacques Rousseau et celles d'Immanuel Kant, entre l'insistance outrancière sur les droits et le sens équilibré des droits et des devoirs. Aux idées de Rousseau s'allient celles de Herbert Spencer, "commercialistes" et "eudémonistes", et celles, réactionnaires de Pobiedonostsev, tuteur des Tsars Alexandre III et Nicolas II. Le pur individualisme et l'oppression du pur absolutisme font cause commune contre l'ordre équilibré des droits et des devoirs, postulé par la philosophie de Kant et la praxis prussienne de l'Etat.
 

L'Etat comme forme de vie (Staten som livsform), 1917


Ouvrage principal de l'auteur, ou il utilise pour la première fois le vocable de "géopolitique". Kjellen travaille à l'aide de deux concepts majeurs: la géopolitique proprement dite et la géopolitique spéciale. La géopolitique proprement dite est l'entité géographique simple et naturelle, circonscrite dans des frontières précises. Kjellen analyse les frontières naturelles montagneuses, fluviales, désertiques, marécageuses, forestières, etc. et les frontières culturelles/politiques créées par l'action des hommes. Le territoire naturel des entités politiques peut relever de types différents: types potamiques ou "circonfluviaux" ou "circonmarins". L'une des principales constantes de la géopolitique pratique, c'est la volonté des nations insulaires ou littorales de forger un pays similaire au leur en face de leurs côtes (exemple: la volonté japonaise de créer un Etat mandchou à sa dévotion) et de s'approprier un ensemble de territoires insulaires, de caps ou de bandes territoriales comme relais sur les principales routes maritimes. Kjellen étudie le territoire naturel du point de vue de la production industrielle et agricole et l'organisation politique et administrative. Kjellen souligne l'interaction constante entre la nation, le peuple et le pouvoir politique, interaction qui confère à l'Etat une dimension résolument organique.

Outre la géopolitique proprement dite, Kjellen se préoccupe de la géopolitique spéciale, c'est-à-dire des qualités particulières et circonstantielles de l'espace, qui induisent telle ou telle stratégie politique d'expansion. Kjellen examine ensuite la forme géographique de l'Etat, son apparence territoriale. La forme idéale, pour un Etat, est la forme sphérique comme pour l'Islande ou la France. Les formes longitudinales, comme celles de la Norvège ou de l'Italie, impliquent l'allongement des lignes de communication. Les enclaves, les exclaves et les corridors ont une importance capitale en géopolitique: Kjellen les analyse en détail. Mais de toutes les catégories de la géopolitique, la plus importante est celle de la position. Pour Kjellen, il s'agit non seulement de la position géographique, du voisinage, mais aussi de la position culturelle, agissant sur le monde des communications.

Le système de la géopolitique, selon Kjellen, peut être subdivisé comme suit: 
I. La Nation: objet de la géopolitique 
1. La position de la nation: objet de la topopolitique. 
2. La forme de la nation: objet de la  morphopolitique. 
3. Le territoire de la nation: objet de la  physiopolitique. 
II. L'établissement national: objet de l'écopolitique. 
1. La sphère de l'établissement: objet de  l'emporopolitique. 
2. L'établissement indépendant: objet de  l'autarchipolitique. 
3. L'établissement économique: objet de  l'économipolitique. 
III. Le peuple porteur d'Etat: objet de la démopolitique. 
1. Le peuple en tant que tel: objet de l'ethnopolitique. 
2. Le noyau de la population: objet de la  pléthopolitique. 
3. L'ame du peuple: objet de la psychopolitique. 
IV. La société nationale: objet de la sociopolitique. 
1. La forme de la société: objet de la phylopolitique. 
2. La vie de la société: objet de la biopolitique. 
V. La forme de gouvernement: objet de la cratopolitique. 
1. La forme de l'Etat: objet de la nomopolitique. 
2. La vie de l'Etat: objet de la praxipolitique. 
3. La puissance de l'Etat: objet de l'archopolitique.

La méthode de classification choisie par Kjellen, est de subdiviser chaque objet d'investigation en trois catégories: 1. l'environnement; 2. la forme; 3. le contenu.
 

Les grandes puissances et la crise mondiale (Die Grossmaechte und die Weltkrise), 1921


Dernière version de ses études successives sur les grandes puissances, cette édition de 1921 ajoute une réflexion sur les résultats de la première guerre mondiale. L'ouvrage commence par un panorama des grandes puissances: l'Autriche-Hongrie, l'Italie, la France, l'Allemagne, l'Angleterre, les Etats-Unis, la Russie et le Japon. Kjellen en analyse l'ascension, la structure étatique, la population, la société, le régime politique, la politique étrangère et l'économie. Ses analyses des politiques étrangères des grandes puissances, dégageant clairement les grandes lignes de force, gardent aujourd'hui encore une concision opérative tant pour l'historien que pour l'observateur de la scène internationale. 
A la fin de l'ouvrage, Kjellen nous explique quels sont les facteurs qui font qu'une puissance est grande. Ni la superficie ni la population ne sont nécessairement des facteurs multiplicateurs de puissance (Brésil, Chine, Inde). L'entrée du Japon dans le club des grandes puissances prouve par ailleurs que le statut de grand n'est plus réservé aux nations de race blanche et de religion chrétienne. Ensuite, il n'y a aucune forme privilégiée de constitution, de régime politique, qui accorde automatiquement le statut de grande puissance. Il existe des grandes puissances de toutes sortes: césaristes (Russie), parlementaires (Angleterre), centralistes (France), fédéralistes (Etats-Unis), etc. La Grande Guerre a toutefois prouvé qu'une grande puissance ne peut plus se déployer et s'épanouir dans des formes purement anti-démocratiques. Le concept de grande puissance n'est pas un concept mathématique, ethnique ou culturel mais un concept dynamique et physiologique. Certes une grande puissance doit disposer d'une vaste territoire et de masses démographiques importantes, d'un degré de culture élevé et d'une harmonie de son régime politique, mais chacun de ces facteurs pris séparément est insuffisant pour faire accéder une puissance au statut de grand. Pour ce faire, c'est la volonté qui est déterminante. Une grande puissance est donc une volonté servie par des moyens importants. Une volonté qui veut accroître la puissance. Les grandes puissances sont par conséquent des Etats extensifs (Lamprecht), qui se taillent des zones d'influence sur la planète. Ces zones d'influence témoignent du statut de grand. Toutes les grandes puissances se situent dans la zone tempérée de l'hémisphère septentrional, seul climat propre à l'éclosion de fortes volontés. Quand meurt la volonté d'expansion, quand elle cesse de vouloir participer à la compétition, la grande puissance décroît, recule et décède politiquement et culturellement. Elle rejoint en cela les Naturvoelker,  qui ne mettent pas le monde en forme. La Chine est l'exemple classique d'un Etat gigantesque situé dans la zone tempérée, doté d'une population très importante et aux potentialités industrielles immenses qui déchoit au rang de petite puissance parce qu'il fait montre d'un déficit de volonté. Ce sort semble attendre l'Allemagne et la Russie depuis 1918.

Il existe deux types de grandes puissances: les économiques et les militaires. L'Angleterre et les Etats-Unis sont des grandes puissances plutôt économiques, tandis que la Russie et le Japon sont des grandes puissances plutôt militaires. La France et l'Allemagne présentent un mixage des deux catégories. La mer privilégie le commerce et la terre le déploiement de la puissance militaire, créant l'opposition entre nations maritimes et nations continentales. L'Angleterre est purement maritime et la Russie purement continentale, tandis que la France et l'Allemagne sont un mélange de thalassocratie et de puissance continentale. Les Etats-Unis et le Japon transgressent la règle, du fait que les uns disposent d'un continent et que l'autre, insulaire, serait plutôt porté vers l'industrialisme militariste (en Mandchourie). Les grandes puissances maritimes sont souvent des métropoles dominant un ensemble éparpillé de colonies, tandis que les grandes puissances continentales cherchent une expansion territorialement soudée à la métropole. L'Angleterre, les Etats-Unis, la France et l'Allemagne ont choisi l'expansion éparpillée, tandis que la Russie et le Japon (en s'étendant à des zones contigues situées autour de son archipel métropolitain) accroissent leur territoire en conquérant ou soumettant des pays voisins de leur centre.

L'histoire semble prouver que les empires éparpillés sont plus fragiles que les empires continentaux soudés: les exemples de Carthage, de Venise, du Portugal et de la Hollande. L'autarcie, l'auto-suffisance, semble être une condition du statut de grande puissance que remplissent mieux les empires continentaux, surtout depuis que le chemin de fer a accru la mobilité sur terre et lui a conféré la même vitesse que sur mer. Les leçons de la guerre mondiales sont donc les suivantes: la thalassocratie britannique a gagné la bataille, notamment parce qu'elle a fait usage de l'arme du blocus. Mais cette victoire de la puissance maritime ne signifie pas la supériorité de la thalassocratie: une Allemagne plus autarcique aurait mieux résisté et, en fin de compte, ce sont les masses compactes de territoires dominés par l'Angleterre qui ont permis aux Alliés de contrer les Centraux. 
Le facteur déterminant a donc été la Terre, non la Mer. L'idéal est donc de combiner facteurs maritimes et facteurs continentaux.  Faut-il conclure de cette analyse des grandes puissances que les petits Etats sont condamnés par l'histoire à ne plus être que les vassaux des grands? Non, répond Kjellen. Des petits Etats peuvent devenir grand ou le redevenir ou encore se maintenir honorablement sur la scène internationale. Exactement de la même façon que les petits ateliers se sont maintenus face  la concurrence des grandes fabriques. Les forts absorbent très souvent les faibles mais pas toujours. La résistance des faibles passe par la conscience culturelle et la force spirituelle. La pulsion centrifuge est aussi forte que la puissance centripète: l'idéal, une fois de plus, réside dans l'équilibre entre ces deux forces. L'idée de la Société des Nations y pourvoiera sans doute, conclut Kjellen. 
 


 

 Bibliographie: 

 Pour une bibliographie quasi complète, v. Bertil Haggman, Rudolf Kjellen, Geopolitician, Geographer, Historian and Political Scientist. A Selected Bibliography,  Helsingborg, Center for Research on Geopolitics, 1988 (adresse: Box 1412, S-25.114 Helsingborg, Suède). 

Oeuvres de Rudolf Kjellen: 

Hvad har Sverige vunnit genom unionen med Norge? Ett vøktarerop till svenska folket af Hbg, 1892; Underjordiska inflytelser pa jordytan - Om nivaf?røndringar, jordbøfningar och vulkaniska f?reteelser, 1893; Om den svenska grundlagens anda. Røttspsykologisk unders?kning, 1897; Den sydafrikanska fragan, 1898; Ur anteckningsboken. Tankar och stømningar, 1900; Inledning till Sveriges geografi, 1900; Kunna i var tid diplomati och konsulatvøsen skiljas?, 1903; Stormakterna. Konturer kring samtidens storpolitik, I-II, 1905, I-IV, 1911-1913 (avec nouvelle éd. des tomes I et II); Mellanpartiet. En fraga f?r dagen i svensk politik, 1910; Sveriges jordskalf. Foersoek till en seismik landgeografi, 1910; Sverige och utlandet, 1911; Den stora orienten. Resestudier i oestervøg, 1911; Den ryska faran, 1913; "Peter den stores testamenta". Historisk-politisk studie, 1914; Die Großmaechte der Gegenwart, 1914; Politiska essayer. Studier till dagskroenikan (1907-1913), 1914-1915; Die Ideen von 1914. Eine weltgeschichtliche Perspektive, 1915; Vørldskrigets politiska problem, 1915; Den endogena geografins system, 1915; Hvadan och hvarthøn. Tva f?reløsningar om vørldskrisen, 1915; Politiska handbœcker, I-IV, 1914-1917 (nouvelle éd., 1920); Die politischen Probleme des Weltkrieges, 1916; Staten som livsform, 1917; Studien zur Weltkrise, 1917; Schweden. Eine politische Monographie, 1917; Stormakterna och vørldskrisen, 1920; Grundriss zu einem System der Politik, 1920; Vørldspolitiken i 1911-1919 i periodiska oeversikter, 1920; Die Grossmaechte und die Weltkrise, 1921; Dreibund und Dreiverband. Die diplomatische Vorgeschichte des Weltkriegs, 1921; Der Staat als Lebensform, 1924; Die Grossmaechte vor und nach dem Weltkriege, 1930 (réédition posthume, commentée et complétée par Haushofer, Hassinger, Maull, Obst); Jenseits der Grossmaechte. Ergønzungsband zur Neubearbeitung der Grossmaechte Rudolf Kjellens, 1932 (réédition posthume patronnée par Haushofer); "Autarquìa", in Coronel Augusto B. Rattenbach, Antologia geopolitica, Pleamar, Buenos Aires, 1985. 

Sur Rudolf Kjellen: 

W. Vogel, "Rudol Kjellen und seine Bedeutung f?r die deutsche Staatslehre", in Zeitschrift f?r die gesamte Staatswissenschaft, 1925, 81, pp. 193-241; Otto Haussleiter, "Rudolf Kjelléns empirische Staatslehre und ihre Wurzeln in politischer Geographie und Staatenkunde", in Archiv fuer Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, 1925, 54, pp. 157-198; Karl Haushofer, Erich Obst, Hermann Lautensach, Otto Maull, Bausteine der Geopolitik, 1928; Erik Arrhén, Rudolf Kjellén och "unghoegern": Sammanstøllning och diskussion, Stockholm, Seelig, 1933; E. Therm?nius, Geopolitik och politisk geografi, 1937; A. Brusewitz, Fran Svedelius till Kjellén. Nagra drag ur den skytteanska lørostolens senare hist, 1945; Nils Elvander, Rudolf Kjellén och nationalsocialismen, 1956; Mats Kihlberg & Donald Suederlind, Tva studier i svensk konservatism: 1916-1922, Stockholm, Almqvist & Wiksell, 1961; Nils Elvander, Harald Hjørne och konservatismen: Konservativ idédebatt i Sverige, 1865-1922,  Stockholm, Almqvist & Wiksell, 1961; Georg Andrén, "Rudolf Kjellen", in David L. Sills (éd.), International Encyclopedia of the Social Sciences, vol. 8, The Macmillan Company & The Free Press, 1968; Ruth Kjellén-Bj?rkquist, Rudolf Kjellén. En mønniska i tiden kring sekelskiftet, 1970; Bertil Haggman, Rudolf Kjellen. Founder of Geopolitics, Helsingborg, 1988. 

V. aussi: 

Lucien Maury, Le nationalisme suédois et la guerre 1914-1918, Perrin, Paris, 1918; Richard Henning, Geopolitik. Die Lehre vom Staat als Lebewesen, 1931; Otto Maull, Das Wesen der Geopolitik, 1936; Robert Strausz-Hupé, Geopolitics. The Struggle for Space and Power, G.P. Putnam's Sons, New York, 1942; Robert E. Dickinson, The German Lebensraum, Penguin, Harmondsworth, 1943; Adolf Grabowsky, Raum, Staat und Geschichte. Grundlegung der Geopolitik, 1960; Hans-Adolf Jacobsen, Karl Haushofer - Leben und Werk -, 2 vol., Harald Boldt, Boppard am Rhein, 1979; Robert Steuckers, "Panorama théorique de la géopolitique", in Orientations, 12, 1990; Michel Korinman, Quand l'Allemagne pensait le monde. Grandeur et décadence


lundi, 30 juin 2008

La leçon de Lépante

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La leçon de Lépante: qui l'a retenue?

Le 7 octobre 1571, l'Europe impériale coalisée infligeait une sévère défaite sur mer à l'Empire ottoman

430 années ont passé depuis l'un des plus grands évé­ne­ments militaires de l'histoire mondiale. Ce jour-là, 7 octo­bre 1571, une large fraction de l'Europe chrétienne avait laissé de côté les vieilles haines et les divisions fratricides pour se lancer dans une bataille décisive contre l'ennemi mortel qui l'avait continuellement agressée et qui cherchait à l'annihiler. L'héroïsme et le sacrifice de nos ancêtres a per­mis à notre civilisation de vivre et de poursuivre sa rou­te dans l'histoire —pour le meilleur et pour le pire.  Ce jour-là, l'Europe a pu compter sur certains de ses fils (la plu­part!), ceux qui ont répondu à l'appel du destin, ceux qui ont eu le courage de se jeter dans la bataille, et ceux qui se sont retirés du jeu, qui se sont contentés de regarder le combat de loin, en laissant aux autres la tâche de défen­dre l'héritage commun. Et il y a eu ceux qui ont pactisé avec l'ennemi (que la honte les étouffe pour les siècles des siècles!). Ce jour-là, 7 octobre 1571, on a vu à quels hom­mes on avait affaire, on a vu les justes et on a vu les traî­tres. Parlons d'abord de la composition de la flotte im­pé­riale européenne: sur 208 bateaux, 110 étaient vénitiens, 22 génois, 3 piémontais, 12 appartenaient à l'ordre de che­va­lerie toscan de Saint Etienne, 9 appartenaient aux Che­valiers de Malte, 8 relevaient de la Papauté et 44 du Saint Empire. Les équipages des bateaux arborant le pavillon de Saint Marc venaient de Vénétie (60), de Crète (30), des Iles Ioniennes (7), de Dalmatie (8) et des villes de la terre fer­me (5). Les troupes de fantassins embarquées étaient en ma­jorité impériales et composées de soldats venus de Ca­stil­le, de Catalogne, du Pays Basque, de Hollande, de Lom­bardie, d'Allemagne et du Pays de Naples. L'infanterie de Venise était composée de Vénétiens, de Lombards, de Friou­lans et de “Slavons” (Croates de Dalmatie et Serbes de la Krajina).

Presque toute l'Europe catholique était présente. Parmi les ab­sents, certains étaient parfaitement excusables, comme les Autrichiens, les Polonais, les Allemands et les Hongrois, car ils luttaient pied à pied contre les Turcs sur le front con­tinental. Le premier assaut turc contre Vienne avait été brisé en 1529 et les affrontements n'avaient plus cessé de­puis en Slovénie, en Hongrie et en Valachie. Deux absences me semblent toutefois injustifiables. Les Portugais étaient en­trés en rivalité avec les Espagnols et n'avaient pas accep­té de se soumettre au commandement d'un chef espagnol. L'opposition entre les deux puissances ibériques n'était pas d'ordre idéologique mais politique: en réalité, les Portugais me­naient une longue guerre contre les Musulmans sur les cô­tes atlantiques du Maroc et lançaient d'audacieuses in­cur­sions en territoire islamique en Orient, parmi lesquelles une tentative malheureuse, l'expédition en Mer Rouge de 1517.

Une pure trahison à l'endroit des intérêts vitaux de l'Europe

Les Français, eux, n'avaient aucune raison valable pour ne pas être présent à Lépante. Dans le passé, les Francs avaient toujours été aux avant-postes dans la lutte pour la défense des frontières de l'Europe, depuis Poitiers jus­qu'aux Croisades. Leur absence s'explique sans doute par la rivalité qui les opposait à l'Espagne. Mais surtout par leur politique de rapprochement avec les Ottomans, concrétisée par des traités de coopération et d'amitié. Cette politique est devenue au fil du temps une pure trahison à l'endroit des intérêts vitaux de l'Europe. La politique française ne peut pas davantage se justifier pour des motifs écono­mi­ques: Venise, Gênes et les autres puissances européennes avaient passé des accords commerciaux avec les Musulmans mais n'avaient jamais eu l'idée, en les signant, de trahir l'es­prit de défense de la civilisation européenne. Les seuls Français et Occitans présents à Lépante pour défendre l'hon­neur de leurs terres dans la défense commune de l'Eu­rope se trouvaient dans les rangs des héroïques chevaliers de Malte et sur les bateaux niçois du Comte de Savoie.

Le christianisme avait provoqué en Europe une division, cel­le du schisme entre l'Occident et l'Orient, entre Rome et Byzance; il venait d'en provoquer une nouvelle par la Réfor­me. Les positions des diverses fractions de la chrétienté eu­ro­péenne devant l'agression ottomane étaient différentes. Le monde orthodoxe, depuis la chute de Constantinople, fruit amer de la division entre peuples christianisés, lan­guis­sait largement sous l'oppression turque mais résistait vail­lam­ment dans des zones non pacifiées, notamment en Transylvanie et dans les montagnes serbes du Kosovo et de la Métohie. La Russie, la plus grande nation orthodoxe, avait recueilli l'héritage symbolique et politique de Byzan­ce. Elle avait engagé une bataille terrible contre les poten­tats islamiques d'Asie centrale. En 1571, l'année de Lépan­te, les Tatars de Crimée, alliés des Ottomans, avaient lancé des attaques cruelles contre la terre russe, poussant jusqu'à Moscou qu'ils avaient incendiée. Les Orthodoxes ont donc par­ticipé, ces années-là, à la lutte commune de l'Europe con­tre son ennemi mortel. De plus, les équipages de 37 na­vires vénitiens venaient de Candie et des Iles Ioniennes, sans compter les “Slavons” de la Krajina, derrière les côtes dal­mates.

La “Prière contre les Turcs” de Luther

Les Protestants ont été les grands absents, d'abord pour des raisons géographiques, l'Europe nord-occidentale étant très éloignée du danger islamique et ne le percevant pas cor­rectement. Mais ils avaient également des raisons “idéolo­giques”: dans une de ses thèses, Luther avait dit: «C'est un pé­ché de résister aux Turcs, car la Providence se sert de cette nation infidèle pour punir les iniquités de son peu­ple». Luther avait toutefois modifié son attitude première dans deux ouvrages ultérieurs: «Prière contre les Turcs» et «De la guerre contre les Turcs». Toutefois sa thèse de non ré­sistance a servi d'alibi au non engagement des Protes­tants dans la lutte commune. Le ressentiment anti-catho­lique a sans doute permis à certaines franges puritaines de sympathiser avec l'islamisme, plus virulent dans son zèle re­ligieux.

Aujourd'hui l'Europe vit des expériences qui ressemblent dra­matiquement à celles de ce 16ième siècle tragique. La pres­sion islamique se fait sentir de plus en plus durement non plus sur les frontières de l'Europe ou sur les côtes mé­diterranéennes, mais à l'intérieur même des villes du cœur de l'Europe. Dans un tel contexte, notre Padanie a un rôle d'a­vant-garde à jouer dans cette nouvelle lutte, parce qu'el­le doit se souvenir qu'elle a livré les deux tiers des na­vires de combat de la bataille de Lépante, qu'elle a donné au Saint Empire de grands commandeurs militaires et un Pa­pe piémontais, Saint Pie V, qui, [ndlr: à rebours des dis­cours "multicultureux" de l'Eglise d'aujourd'hui], avait ap­pe­lé les Européens à s'unir en une grande armée paneuro­péenne pour battre l'ennemi turc. Aujourd'hui, la Padanie est toujours en première ligne car les infiltrés islamiques s'installent sur son territoire. C'est donc chez nous que de­vra renaître l'esprit de résistance européen. Comme à Lé­pan­te, on pourra compter les présents et les absents.

Gilberto ONETO.

(article paru dans La Padania, 4 février 2000, http://www.lapadania.com ).

 

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dimanche, 29 juin 2008

Les "Oies Sauvages": soldats irlandais au service du Saint-Empire

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Les “Oies Sauvages”: les soldats irlandais au service du Saint-Empire pendant la Guerre de Trente Ans

Il y a plus de 380 ans commençait l'une des plus grandes ca­tastrophes de l'histoire européenne, dont nous subissons en­core aujourd'hui les séquelles: la Guerre de Trente Ans.

Je vais raconter ici l'histoire d'une armée de sans-patrie, dont les soldats ont combattu sur tous les champs de ba­tail­le de la Guerre de Trente Ans en Europe centrale. On les appelait les “Oies Sauvages” (Wild Geese) et on les com­pa­rait à ces oiseaux migrateurs qui quittent à inter­val­les réguliers leur verte patrie insulaire. Mais à la différence des oies sauvages, les Catholiques irlandais, chassés de leur patrie au 17ième siècle, ne connaissaient qu'un départ sans retour vers le continent. Presque jamais ils ne revenaient en Irlande.

Des marins français les introduisaient clandestinement sur le continent via la Flandre ou la Normandie. Débarqués, ils étaient confrontés au néant. Mais ils étaient libres. Un flot ininterrompu de mercenaires irlandais sont ainsi arrivés en Europe continentale. Ils étaient des hommes jeunes ou des adolescents, à peine sorti de l'enfance: la plupart d'entre eux n'avaient que quinze ou seize ans, les plus âgés en a­vaient dix-neuf. Ils voulaient faire quelque chose de leur vie ou du moins voulaient être libres.

Après 1600, l'histoire irlandaise s'était interrompue. Le pays é­tait devenu une colonie anglaise, où les Tudors, pour la pre­mière fois, avaient appliqué la tactique de la terre brû­lée. Les autochtones irlandais ont été dépossédés de leurs ter­res. Leur sol leur a été arraché. On y a implanté des co­lons protestants anglais ou écossais.

Systématiquement, la colonisation de modèle normand dé­mon­trait son efficacité. Déjà, dans la foulée de leurs cam­pagnes contre les Anglo-Saxons à partir de 1066, les Nor­mands vainqueurs perpétraient des destructions sans nom pour confisquer définitivement leur histoire aux vaincus. On brûlait leurs villages, on rasait leurs églises et leurs bâ­ti­ments, de façon à ne plus laisser la moindre pierre qui soit un souvenir de leur culture. Ravage, pillage et violen­ce, oppression systématique, famine organisée contre la population: toutes les tactiques utilisées plus tard par les Anglais en Amérique, puis par les Américains ailleurs, ont été mises au point en Irlande.

Une force militaire inutilisée

Pourtant, sur cette île ruinée par la colonisation anglaise, il y avait une force militaire inutilisée. Les Irlandais étaient des soldats farouches qui ne craignaient pas la mort. Ils se feront rapidement une solide renommée dans les batailles. Ils étaient commandés par des officiers compétents, d'ex­cel­lente réputation, qui feront l'admiration de tous sur le con­tinent.

Dans le Saint-Empire Romain de la Nation Germanique, diri­gé par un Empereur catholique, beaucoup d'Irlandais deve­nus apatrides ont vu un allié puissant voire une puissance protectrice au passé glorieux. Par milliers, ils sont venus s'en­gager au service de cet Empereur de la lignée des Habs­bourgs. Beaucoup sont parvenus en Autriche à la suite de pé­riples fort aventureux.

La première vague d'immigrants irlandais est arrivée en 1619 en Autriche. Ces jeunes hommes combatifs ont débar­qué sur le continent de deux manières totalement diffé­ren­tes. Les uns sont arrivés par des voies clandestines, opéra­tion osée dans la mesure où les fugitifs de ce type ris­quaient la peine de mort. Les autres ont été recrutés de for­ces par les Anglais en Irlande et, contre leur volonté, ont dû servir dans l'armée anglaise protestante. Sur base de traité qui unissait l'Angleterre aux princes d'Allemagne du Nord, ils se sont retrouvés sur le continent dans des unités auxiliaires anglaises au début de la Guerre de Trente Ans. Par une ironie du destin, comme souvent dans les guerres an­ciennes, il n'y avait quasiment pas d'Anglais ethnique dans ces troupes, mis à part quelques officiers supérieurs. La plupart de ces soldats étaient donc “déportés” hors des Iles Britanniques et ces Irlandais encombrants s'en allaient ainsi mourir sur le Continent comme chaire à canons. Les Anglais s'en débarrassaient à bon compte.

Une infanterie montée

Ces Irlandais avaient été incorporés dans des Régiments de Dragons, où les pertes étaient généralement très élevées. Mais au début du 17ième siècle, ces Irlandais profitent de la première occasion pour se rendre sans combattre aux trou­pes impériales catholiques. Très vite, ils enfilent l'uniforme autrichien. L'Empire aligne ainsi ses premiers régiments ir­landais. La plupart de ces Irlandais choisissent de servir dans les dragons. A l'époque, cette cavalerie était très ap­préciée et on la surnommait “l'infanterie montée”. Les hom­mes se déplaçaient à cheval mais combattaient à pied. Ils étaient très rapides et très mobiles et ne dépendaient pas vraiment du cheval comme la cavalerie proprement di­te. Dans une certaine mesure, ces dragons constituaient une troupe d'élite, crainte et admirée, dont le cri de guerre est devenu vite célèbre: “Den Weg frei!” (La voie libre!). Ra­pières au clair, ils fonçaient dans les rangs ennemis.

Les Anglais eux-mêmes, comme tous les autres officiers pro­testants, respectaient ces mercenaires irlandais au ser­vice de l'Empereur et les traitaient mieux qu'ils ne les a­vaient jamais traité en Irlande, alors qu'ils étaient devenus leurs ennemis. Ainsi, les Roi de Suède Gustave Adolphe fit soigner les soldats catholiques irlandais après la bataille de Francfort-sur-l'Oder au printemps de 1631, lors de la prise de cette ville par les armées protestantes. Le Roi suédois admirait le courage des Irlandais au service de l'Autriche. L'officier irlandais Richard Walter Butler, au départ recruté de force par les Anglais, était passé aux Impériaux lors de la fameuse bataille de la Montagne Blanche en 1620. Il avait quitté le corps auxiliaire anglais. A Francfort-sur-l'O­der, il était parmi les blessés, sérieusement atteint. Un coup l'avait frappé au bras et sa hanche était percée d'un coup d'estoc. Le Roi de Suède fit soigner ce blessé. Après quelques mois de captivité, il fut libéré.

Les Britanniques respectaient cet ennemi qu'ils avaient as­servi et humilié jadis. Ces Irlandais jouaient souvent le rôle d'émissaires de l'Empereur, car ils maîtrisaient la langue an­glaise. Les nobles anglais les appréciaient et reconnais­saient pleinement leurs qualités d'émissaires ou d'inter­prè­tes. En 1635, quand la France catholique se joint à la coa­lition protestante et trahit le Saint Empire Romain de la Na­tion Germanique, la situation devient tragique pour les Ir­landais catholiques qui combattent désormais dans les deux camps. Soldats d'élite, on les excite les uns contre les au­­tres.

Certains volontaires servaient dans des armées protes­tan­tes. La France du Cardinal Richelieu avait besoin de bons soldats. Officiellement, elle était catholique et, par consé­quent, incitait bon nombre d'Irlandais à la servir. Les Irlan­dais qui traversaient le pays étaient sollicités à rejoindre ses armées. Leur confiance a été trahie par Richelieu qui, souvent, a envoyé ces hommes se battre contre leurs frè­res de sang, fidèles à la légitimité du Saint Empire.

Dévouement et respect pour l'Empereur

Ces soldats irlandais avaient un dévouement et un respect pour l'Empereur. Ils étaient les mercenaires les plus fidèles de la cause impériale et autrichienne. En Irlande même, l'a­mour du Saint Empire ne cessait de grandir, de même que le culte de la légitimité impériale. Les mercenaires af­fluaient sans cesse et s'engageaient dans l'armée autri­chien­ne. Souvent des familles entières débarquaient et par­fois tous les fils mouraient sur les champs de batailles, pour le salut du Saint-Empire.

Le Comte irlandais Richard Wallis, persécuté par les An­glais, arrive en 1622 avec ses deux fils pour se mettre au ser­vice de l'Empereur Ferdinand II. Nommé colonel, il se bat à la tête de son régiment irlandais à Lützen en novem­bre 1632, une bataille au sort indécis mais qui a exigé un lourd tribut de sang. Wallis y est grièvement blessé. Il meurt de ses blessures à Magdebourg. Son plus jeune fils, O­liver Wallis, reçoit de l'Empereur Ferdinand III un régi­ment d'infanterie. Il fera en Autriche une brillante carrière militaire. Dans les rangs de l'armée impériale, plusieurs ré­giments irlandais sont mis sur pied entre 1620 et 1643. Cha­que régiment comptait de 1000 à 1200 hommes. Le nombre des pertes a été très élevé. L'ennemi a parfois annihilé des ré­giments entiers d'Irlandais. Mais, rapidement, de nou­veaux volontaires permettent de les reconstituer. Avant d'ê­tre une nouvelle fois annihilés… Malgré ces pertes dra­ma­tiques, l'Autriche aligne plus de soldats irlandais à la fin de la Guerre de Trente Ans qu'au début.

L'intégration des immigrés de la Verte Eirinn

Les officiers (chaque régiment appartient à un colonel) é­taient allemands ou irlandais. Mais tous étaient acceptés. Parfois on mélangeait les recrues allemandes et irlandaises. Les survivants se sont presque tous installés en Autriche, de­venue leur nouvelle patrie. Jamais on ne les a considérés comme des étrangers. Ils étaient des Européens (chré­tiens), qui apprenaient très vite la langue du pays. Ils é­taient fidèles à l'Empereur, leurs mœurs et leur aspect phy­sique ne déconcertaient pas. Dans tous les pays apparte­nant à la monarchie des Habsbourgs, ces immigrés venus de la Verte Eirinn se sont immédiatement intégrés.

Pendant cette Guerre de Trente Ans, de vastes territoires de l'Empire ont été complètement dépeuplés à causes des opérations de guerre qui y ont fait rage. Il a fallu attendre la fin du 18ième siècle pour ramener le chiffre de la popu­la­tion centre-européenne à celui du 16ième siècle. Les pays du Nord du Danube, où les batailles ont été livrées, de même que les territoires catholiques de la Bavière, de la Souabe et de la Forêt Noire (ndt: et de la Franche-Comté impé­ria­le) ont dû être partiellement repeuplés.

Bon nombre d'Irlandais au service de l'Autriche sont ainsi de­venus colons, des fermiers qui ont reçu des chambres impériales le droit de mettre en valeur des biens fonciers abandonnés, dévastés ou négligés; il fallait recultiver des terres auparavant fertiles. Les Irlandais sont restés et ont participé à la reconstruction du Saint-Empire. Leurs des­cen­dants, élevés en Autriche, vivent encore parmi nous.

Alexander ERETH.

(article tiré de "Zur Zeit", n°21/1998; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

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mardi, 24 juin 2008

La partecipazione italiana alla guerra di Spagna

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La partecipazione italiana alla guerra di Spagna

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Daniele Lembo stampa
La partecipazione italiana alla guerra di Spagna

Il 1936 è un anno decisivo per la Spagna. Le elezioni hanno portato al governo le sinistre e la situazione politica, già precedentemente incandescente, raggiunge livelli di esasperazione. I militari, appoggiati dalle frange nazionaliste, mal tollerando la situazione politica venutasi a creare, a metà luglio, si sollevano contro il governo legittimo.
Inizialmente, il pronunciamento militare, a capo del quale è il generale Sanjurjo, sembra non attecchire. I rivoltosi controllano saldamente solo il Marocco spagnolo. Oltre alla regione Nord africana, i nazionalisti si impongono anche nella Vecchia Castiglia, nella Navarra, in Galizia, nel nord dell’Estremadura, nelle province di Siviglia, Cadice, Cordova e Granada. Ma le grandi città come Madrid, Barcellona, Bilbao e nella maggior parte del Paese la situazione è decisamente nelle mani del governo legittimo.
La situazione inizierà a cambiare quando, in seguito alla morte di Sanjurjo, a capo dei Nazionalisti si mette il generale Francisco Franco Bahamonde. A Franco, nel prendere il comando delle truppe ribelli, si presenta l’impellente necessità di trasportare le sue truppe marocchine dall’Africa del Nord al territorio metropolitano spagnolo. Il trasferimento è indispensabile per appoggiare la rivolta nella penisola Iberica che, altrimenti, verrebbe presto soffocata.
Per il trasbordo attraverso lo stretto di Gibilterra il generale spagnolo ha bisogno di navi ed aerei, mezzi dei quali, purtroppo egli non dispone e non gli resta che sperare nell’aiuto di Nazioni amiche.
La Germania cede ai nazionalisti venti apparecchi Junkers Ju52 mentre, inizialmente, Mussolini sembra non voler dare alcun aiuto ai rivoltosi. A Roma è stato espressamente inviato da Franco Juan Bolin, per perorare la causa dei nazionalisti e l’ambasciatore di Franco riuscirà a smuovere il Duce solo quando gli dirà che Hitler ha già concesso gli Ju52.
Il 30 luglio 1936 decollano da Elmas, in Sardegna, 12 trimotori Siai SM81 “Pipistrello”. I velivoli, ufficialmente acquistati da Juan Bolin, hanno le insegne obliterate e i 63 uomini che costituiscono gli equipaggi, al comando del tenente colonnello Ruggero Bonomi, vestono abiti civili e hanno nomi di copertura e documenti che li qualificano come personale civile estraneo alla Regia Aeronautica. Per escludere ogni collegamento tra gli aerei e l’Aeronautica italiana, non sono state cancellate solo le matricole militari degli aerei ma sono state limate anche le matricole delle armi di bordo. I trimotori, che volano alla volta del Marocco Spagnolo, incontreranno pessime condizioni meteoclimatiche e non arriveranno tutti a destinazione. Uno precipita in mare, un secondo effettua un atterraggio di emergenza a Bekrane, nel Marocco francese, e va distrutto al suolo, un altro atterra a Zaida, in Algeria, nel territorio del protettorato francese, venendo confiscato dalle autorità francesi. Alla fine, dei dodici partiti dalla Sardegna, solo nove SIAI atterrano a Melilla, in Marocco. Benché il modesto contingente aereo italiano giunga a destinazione ridotto a tre quarti dell’origine, i velivoli saranno preziosi per Franco dando un importante contributo al trasbordo in Spagna del corpo ispano – marocchino dei nazionalisti che viene trasferito sulla penisola iberica entro il 9 agosto.
L’invio dei 12 trimotori Siai SM81 non sarà un fatto isolato legato alle necessità contingenti di Franco e dei suoi, ma segnerà l’inizio dell’invio di una serie infinita di aiuti ai Nazionalisti spagnoli che in Italia avrà come nome di copertura “Esigenza Oltre Mare”. Ai trimotori Siai seguono dodici caccia Fiat CR32 che, il 14 agosto 1936, vengono sbarcati smontati a Melilla (Marocco). I caccia, come d’altronde i Siai, sono accompagnati dai piloti.
Ai primi 12 caccia CR32 ne seguiranno molti altri e gli invii di materiale aeronautico italiano vedranno arrivare in Spagna biplani da ricognizione Imam RO37, assaltatori Breda BA65 e i più modesti Cab AP1, addestratori Breda BA28 e Fiat CR30B, addestratori avanzati Imam RO41, bimotori da osservazione e aerocooperazione CA310, idrovolanti Cant Z501 e Cant Z506, ma anche i nuovi bombardieri Savoia Marchetti SM79. Oltre ai velivoli citati, sarà ceduta all’Aviazione Legionaria anche un’aliquota dei nuovissimi prodotti aeronautici della Fiat: i bimotori da bombardamento BR20 e i caccia G50.
In totale, per l’aviazione nazionalista, verranno inviati in Spagna 730 velivoli, di cui solo 710 giungeranno nella penisola Iberica, dotati di centinaia di motori di ricambio. Per rendersi conto dello sforzo logistico legato a tali velivoli basta ricordare che il personale addetto agli apparecchi sarà composto da 5.699 militari e 312 civili, il carburante dovrà essere sufficiente per le 135.000 ore di volo che verranno effettuate, mentre verranno sganciate 11.584.420 kg. di bombe.
Gli aiuti agli insorti di Franco non consistono solo in invii di materiale e personale aeronautico, ma anche alcune unità della Regia Marina vengono impegnate in azioni controcosta e di interdizione alle unità navali filogovernative. Nel febbraio 1937 gli incrociatori Eugenio di Savoia ed Emanuele Filiberto, senza inalberare alcun segno che ne denunci la nazionalità, cannoneggiano dal mare le città di Barcellona e Valencia. L’incrociatore Barletta, bombardato da velivoli repubblicani, conterà i primi sei morti italiani della Marina su quel fronte marittimo. Nel canale di Sicilia, nel tentativo di interrompere il flusso dei rifornimenti russi, interverranno gli incrociatori Diaz e Cadorna. L’uso di unità di superficie rischia, come è facile intuire, di rivelarsi troppo pericoloso per l’Italia, potendone facilmente compromettere la posizione in campo internazionale, coinvolgendola in un conflitto nel quale, ufficialmente, gli italiani non sono mai entrati. La parte del leone, in aiuto alla modesta flotta nazionalista, verrà svolto dai sommergibili della Regia Marina. Unità insidiose e di nazionalità indefinita fin quando sono immerse, le unità subacquee si rivelano adattissime allo scopo. Ben 36 sottomarini italiani trovano impiego lungo le coste spagnole in una serie di attività che vanno dall’interdizione del traffico repubblicano al cannoneggiamento notturno delle coste. Attività di interdizione al traffico navale russo, diretto in aiuto ai repubblicani, viene poi svolta in Mediterraneo dove i sommergibili italiani fanno base nel Dodecaneso.
Alla Marina nazionalista saranno ceduti “in prestito” i sommergibili Ferraris, Galileo Galilei, Onice e Iride che verranno inquadrati nella Marina di Franco solo per alcuni mesi e faranno definitivamente rientro in Italia nel 1938.
Sul fronte di terra, all’inizio, gli aiuti italiani sono piuttosto timidi in quanto Mussolini non intende assolutamente esporsi in campo internazionale, aiutando a viso aperto i rivoltosi. Evidentemente, al Duce brucia ancora la riprovazione manifestatagli dalla Società delle Nazioni con le Sanzioni comminate all’Italia in occasione dell’intervento in Etiopia.
Nei primi quatto mesi della guerra civile dall’Italia, in aiuto agli insorti nazionalisti, arriva ben poco. In questo primo periodo, sono poco più di 380 gli uomini che il Regio Esercito manda in aiuto agli insorti e si tratta di personale impiegato, prevalentemente, come istruttori e osservatori. Dagli inizi di agosto alla fine di settembre del ’36 arriveranno poi 15 carri L, le famose “scatole di sardine”, e 38 pezzi di artiglieria da 65/17. I carri arrivano senza equipaggi, ma accompagnati solo da istruttori in quanto sono destinati ad essere impiegati da personale spagnolo.
Carri e cannoni italiani troveranno impiego con equipaggi misti italo spagnoli nella presa di San Sebastian e, nell’ottobre-novembre, negli scontri nei dintorni di Madrid. Come detto l’impegno italiano, all’inizio, sembra essere molto cauto e già a fine novembre il personale italiano viene fatto rientrare in Patria, con contestuale definitiva cessione dei materiali agli spagnoli. E’ solo un apparente passo indietro di Mussolini il quale è, invece, destinato ad impelagarsi in una guerra che, vista la massiccia presenza di personale e materiale russo, si avvia ad acquisire l’aspetto della crociata internazionale contro il bolscevismo. Il 16 novembre Italia e Germania riconosceranno ufficialmente il nuovo governo di Francisco Franco e sarà questo il primo passo verso il massiccio intervento italiano nella Penisola Iberica.
Nel dicembre 1936 sbarcano a Cadice i primi 3.000 “volontari” italiani. Imbarcati sul piroscafo “Lombardia”, sono stati arruolati con un premio di ingaggio di 3.000 lire e la promessa di una paga giornaliera di 40 lire. E’ inutile dire che gran parte dei “volontari” provengono dalle regioni più povere del Regno d’Italia. Molti dei volontari, poi, si sono arruolati credendo di essere inviati in Africa Orientale. Perché gli uomini partissero, si sono mossi tutti i Federali con una pesante campagna d’arruolamento e, al momento di firmare, ai volontari è stato genericamente parlato di una “esigenza Oltre Mare” è stata questa vaga indicazione ad indurre molti di loro a identificare i territori “Oltre mare” con l’Etiopia. L’arruolamento è stato considerato allettante perché, oltre che ben pagato, li avrebbe destinati verso una regione dell’Impero che tutti, in quel momento in Italia, credono definitivamente pacificata, mentre invece in Etiopia la realtà è ben diversa. Il fatto che la grande maggioranza dei legionari provenga dalle zone più povere del Meridione può lecitamente indurre a pensare che la buona paga presenti, per molti di loro, un’attrazione più forte della crociata ideologica contro il bolscevismo. Di contro, è da evidenziare, per ragioni di correttezza d’informazione, che molti sono anche coloro i quali si arruolano perché spinti da motivi ideologici, tant’è che molte domande di arruolamento giungono alla rappresentanza franchista a Roma molto prima ancora che venga istituito il Corpo Truppe Volontarie per la Spagna.
Ci sono coloro i quali si arruolano per semplice spirito d’avventura o perché credono genuinamente di andare a combattere contro la barbarie del bolscevismo. Se non fosse così non si spiegherebbe l’alto numero di ufficiali, provenienti dal complemento, che, arruolandosi, lasciano buoni impieghi e sicure professioni per andare in Spagna. Sono stato particolarmente colpito dal pensiero di Montanelli - Cervi che nell’opera “Due secoli di Guerre” (Editoriale Nuova, 1983 Milano p. 256) scrivono: “E’ altrettanto certo che vi furono anche i volontari idealisti, specie tra gli ufficiali di complemento che, a differenza degli “effettivi” non potevano essere sospettati di inseguire promozioni e medaglie, e che non dovevano essere attratti dal denaro, visto che nelle loro file c’erano laureati con un buon impiego professionisti, rampolli di famiglie agiate e perfino industriali come il lecchese Costantino Fiocchi, comproprietario di un’azienda già allora multimilionaria. Essi andarono in Spagna perché credevano realmente di combattere per la civiltà, per la fede cristiana, per il trionfo della fede cristiana sul bolscevismo e, a modo loro, anche per la libertà. Su questo non ci sono dubbi”
Altri 5.000 legionari arrivano nel gennaio successivo ed inizialmente vengono ordinati in una Brigata Volontari agli ordini del generale Roatta che è anche a capo del Servizio segreto militare italiano. Il 16 febbraio 1937, nasce ufficialmente il Corpo Truppe Volontarie che, sempre agli ordini di Roatta, comprenderà le divisioni: “I Dio lo vuole”, “ II Fiamme Nere”, “III Penne Nere” e “IV Littorio”; 2 brigate miste (I brigata “Frecce Azzurre” e II brigata “Frecce Nere”), costituite per il 30% da volontari italiani e per il 70% da volontari spagnoli; 2 gruppi di banderas autonomi (ogni gruppo è equivalente ad un reggimento mentre una banderas è equivalente ad un battaglione); un raggruppamento armi speciali che comprende: un battaglione carri d’assalto L3 su quattro compagnie, una compagnia di autoblindomitragliatrici, una compagnia motomitragliatrici e una sezione cannoni anticarro da 47 mm. Ai reparti citati andranno ad aggiungersi 10 gruppi di artiglieria con 104 pezzi, 3 batterie antiaeree con 16 pezzi, un raggruppamento manovra composto di autoveicoli vari e elementi del genio. Sembra che la Littorio, prima di essere inviata in Spagna, dovesse andare in Africa e forse anche ciò contribuirà a far credere ai volontari che l’esigenza Oltre mare si riferisca all’Africa Orientale.
Nella primavera del 1937, a fronte dell’impegno assunto dall’Italia di non far affluire in Spagna altre truppe, saranno sciolte la I e la III Divisione e gli uomini resi così disponibili andranno a completare gli organici delle altre due divisioni e dei gruppi di banderas. Il 3 novembre 1937 il gruppo di banderas “XXIII Marzo” andrà a fondersi con la divisione “Fiamme Nere”, formando così la divisione “Fiamme Nere XXIII Marzo”. Ma nell’ottobre del 1938, a fronte del rimpatrio di un grosso numero di legionari dalla Spagna, saranno sciolte sia la divisione Littorio che la divisione “Fiamme Nere XXIII Marzo”.
In seguito allo scioglimento delle due divisioni il C.T.V. andrà ad essere composto dalla Divisione d’assalto del Littorio e da tre divisioni miste, denominate “Frecce Nere”, “Frecce Azzurre” e “Frecce Verdi”. Queste ultime, benché definite miste, hanno il personale che è nella quasi totalità spagnolo, mentre solo i quadri e gli specialisti sono costituiti da italiani.
Inoltre faranno parte del C.T.V.:
Un Raggruppamento carristi su due battaglioni carri, un battaglione motomeccanizzato, un battaglione misto (una compagnia lanciafiamme, una compagnia mitraglieri, una compagnia anticarro), una compagnia arditi, una compagnia mitraglieri, una batteria da 65/17 autoportata;
un raggruppamento di artiglieria con pezzi di vari calibri (due gruppi da 105/28, due gruppi da 149/12, due gruppi da 75/27);
un raggruppamento artiglieria antiaerea (quattro batterie da 75, una batteria da 75/46, tre batterie da 20 mm);
Genio Corpo Truppe Volontarie composto da un battaglione artieri, un battaglione telegrafisti, un battaglione radiotelegrafisti, una compagnia fotoelettricisti;
una intendenza legionaria e un centro istruzione con personale istruttore distaccato presso le varie scuole militari spagnole. In totale, si calcola che in Spagna combatteranno circa 100.000 italiani. Come il lettore potrà facilmente intuire, l’impegno italiano a fianco di Franco, analogamente a quanto fatto precedentemente in Africa Orientale, è estremamente oneroso. La sostanziale differenza tra il conflitto con il Negus e l’intervento militare in Spagna sta nel fatto che, mentre con la fine del primo verrà fondato l’Impero, alla fine dell’impegno militare in Spagna, l’Italia non otterrà alcun vantaggio militare, politico o economico. Anzi, il conflitto spagnolo servirà solamente a debilitare le capacità belliche dell’apparato economico militare italiano, con costi particolarmente elevati. Costi che, peraltro, non rientreranno mai perché il generalissimo Franco si deciderà a saldare i debiti con il Regno d’Italia solo dopo la fine della seconda guerra mondiale, pagando i suoi conti in sospeso con svalutatissime lire italiane. In breve, l’appoggio dato ai nazionalisti si rivelerà il peggiore affare militare fatto dalla politica italiana nel XX secolo.
Anche in questo caso, gli italiani avranno molto da imparare dai tedeschi che, differentemente, otterranno il massimo risultato con il minimo sforzo. I tedeschi, in vista del conflitto mondiale oramai prossimo, useranno la Spagna come un immenso campo d’armi dove istruire le proprie truppe. Invieranno su quel fronte solo pochi specialisti da addestrare e da avvicendare semestralmente. Parimenti, utilizzeranno il conflitto civile per provare le loro nuove armi, che cederanno ai nazionalisti in quantità molto inferiori a quelle italiane.

00:14 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : italie, espagne, guerre d'espagne, militaria, défense | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 06 juin 2008

En souvenir d'un soldat politique de la Bundeswehr

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En souvenir d'un soldat politique de la Bundeswehr: le Général-Major Hans-Joachim Löser

 

La Bundeswehr n'a jamais connu de généraux politisés à la fa­çon latino-américaine. Elle a eu la chance, cependant, d'a­voir eu, dans ses rangs, quelques généraux capables de combiner leurs compétences militaires à un instinct politi­que sûr et à une intelligence aiguë des conséquences di­rectes de la politique de sécurité pour leur peuple. Ces officiers reconnaissaient le primat du politique, c'est-à-dire la responsabilité des hommes politiques démocratiquement élus, mais se réservaient toutefois la liberté d'exposer aux responsables politiques leurs convictions politiques solide­ment étayées par un savoir factuel et technique éprouvé, surtout lorsque ces convictions ne concordaient pas avec les idées des politiques, ce que ceux-ci n'aiment guère en­ten­dre. Parmi ces officiers allemands, capables de penser politiquement au meilleur sens du terme, il y avait le Gé­néral-Major e.r. Hans-Joachim (Jochen) Löser, qui vient de nous quitter, ce 13 février 2001, dans sa 83ième année.

 

Jochen Löser était issu d'une famille de Thuringe et de Sa­xe, bien ancrée dans les traditions. Après avoir passé son Abitur  en 1936 dans une école NAPOLA de Berlin-Spandau, il rejoint comme aspirant (Fahnenjunker) le 68ième Régi­ment d'Infanterie du Brandebourg. Au début de la guerre, il est Adjudant de Bataillon, plus tard, lors de la campagne des Balkans et de la campagne de Russie, il est promu Ad­judant régimentaire auprès du 230ième Régiment d'In­fan­terie. Quand commence la terrible bataille de Stalingrad, il la vit et l'endure avec le grade de commandant de ba­tail­lon. Il est grièvement blessé et reçoit la Croix de Chevalier. A­près avoir reçu une formation d'officier d'état-major et avoir servi à ce titre dans les Carpathes et sur le Front de l'Arctique, il évite en avril 1945, face aux troupes amé­ricaines, la bataille de défense de sa ville natale, Weimar, mission impossible et désormais dépourvue de sens. Après la guerre, il gère pendant dix ans une entreprise qui occupe des invalides de guerre. En 1956, il entre au service de la Bundeswehr. Il y exerce les fonctions de maître de confé­ren­ce à l'école militaire de Hardthöhe, de chef d'état-major d'une Division puis d'un Corps d'armée, finalement il accède au grade de commandeur d'une Brigade et d'une Division. En 1974, de son propre chef, il décide de quitter le service des armes et reçoit la Grande Croix du Mérite de la RFA.

 

Quand la FDP proposait une vraie alternative

 

J'ai connu Jochen Löser en 1967, quand je dirigeais le "Cer­cle de travail I" de la fraction FDP du Bundestag, qui s'oc­cupait également des questions de défense. A l'époque, le noyau de la politique de défense de la FDP était le suivant: il nous paraissait inutile d'équiper les troupes allemandes pla­cées sous le commandement de l'OTAN d'armes atomi­ques coûteuses, alors que les munitions ad hoc ne seraient jamais placées entre des mains allemandes. Nous nous po­sions la question: ne serait-il pas plus intelligent de con­centrer nos moyens pour améliorer la défense convention­nelle de l'Allemagne et de laisser la dissuasion nucléaire aux puissances qui pourrait l'utiliser en cas d'urgence? C'est donc surtout grâce aux conseils de Jochen Löser que la FDP, guidée par son expert en questions de défense, Fritz-Rudolf Schultz, a pu présenter une alternative en politique de sécurité, face à la Grande Coalition de l'époque; c'était une alternative inattaquable sur le plan des faits, qui te­nait nettement mieux compte des intérêts du peuple alle­mand divisé en cas de guerre que les plans habituels de l'OTAN.

 

Après 1969, la FDP, malheureusement, a abandonné ses pré­occupations en matières de défense et n'a plus ma­ni­festé d'intérêt pour ces réflexions. En tant que comman­deur, Jochen Löser ne voyait plus aucune possibilité de diffuser ses compétences techniques. Cela a sans doute mo­tivé son départ de la Bundeswehr. Il a alors commencé une fructueuse carrière d'écrivain politique, où il a couché sur le papier ses réflexions en matières de défense, qui, chaque fois, tenaient compte des intérêts de l'adversaire po­tentiel. Des ouvrages comme Gegen den Dritten Welt­krieg (Contre la Troisième Guerre mondiale), Weder rot noch tot (Ni rouges ni morts), Neutralität für Mitteleuropa (Neutralité pour l'Europe centrale), Kämpfen können, um nicht kämpfen zu müssen (Savoir combattre pour ne pas a­voir à combattre), puis, finalement, cette magnifique his­toire de la 76ième Division d'Infanterie de Berlin-Brande­bourg, intitulée Bittere Pflicht (Notre amer devoir), où Jo­chen Löser, le soldat qui défendait les intérêts de son peu­ple, rassemblait tous ses souvenirs, sans perdre de vue les in­térêts des autres peuples.

 

Detlef KÜHN.

(Hommage rendu dans l'hebdomadaire Junge Freiheit, http://www.jungefreiheit.de ).

jeudi, 05 juin 2008

Adieu au Général-Major Jochen Löser

 

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Adieu au Général-Major Jochen Löser

Le Général Major Jochen Löser est décédé le 13 février 2001, à l'âge de 83 ans. J'ai rencontré Jochen Löser le 6 octobre 1984, lors de ma toute première visite à la Foire de Francfort. J'arpentais ses immenses corridors à la recher­che de livres pertinents, capables d'ouvrir à mes lecteurs des horizons nouveaux, en prenant appui sur des faits tan­gibles, capables aussi de crever la croûte des ronrons de la pensée imposée par les médias. Dans le grand stand de Ber­telsmann, mon vœu a été exaucé. Bien en vue, plusieurs di­zaines d'exemplaires de Neutralität für Mitteleuropa s'a­li­gnaient sur les présentoirs. J'ai tendu la main, saisi un de ces exemplaires, que j'ai compulsé un peu fébrilement, pour découvrir une démarche qui était la mienne depuis la lecture du fameux ouvrage de Jacques Droz sur l'Europe cen­trale (paru chez Payot) et du livre collectif de Helmut Be­ring (Wirtschaftliche und politische Integration in Eu­ropa im 19. und 20. Jahrhundert, Vandenhoek & Ru­precht, Göttingen, 1984), où les auteurs abordaient éga­lement les questions relatives à la "Mitteleuropa". Jochen Lö­ser repla­çait la question de l'Europe centrale dans l'ac­tua­lité la plus brûlante, sur le fond d'une contestation gé­nérale de l'in­stal­lation des missiles américains sur le ter­ri­toire de la RFA. L'ouvrage que je tenais entre les mains é­tait un traité ra­tion­nel, réclamant l'élargissement de la zo­ne neutre en Eu­rope centrale. Les non-alignés n'auraient plus été seule­ment la Yougoslavie, l'Autriche, la Suisse, la Suède et la Fin­lande, mais tous ces pays soustraits à la lo­gique binaire de Yalta, plus les deux Allemagnes, le Béné­lux, le Da­ne­mark, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hon­grie. Ce que je découvrais là était enfin une alternative co­hérente au sta­tu quo, qui correspondait à notre volonté de dépasser le duopole mis en place à Téhéran, à Yalta et à Postdam, entre 1943 et 1945.

J'ai aussitôt demandé un exemplaire de presse à la prépo­sée du stand, qui m'a dit: «Si ce livre vous intéresse, re­passez cet après-midi, l'auteur sera présent sur le stand». C'est ainsi que j'ai rencontré Jochen Löser et que nous a­vons tout de suite sympathisé. Le Général Löser était un hom­me affable, doux, d'une extrême gentillesse, avec un sou­rire extraordinaire. Une sorte de complicité est née dans ce stand, où œuvrait également le frère de la mili­tan­te écologiste radicale, Jutta von Ditfurth, fille du biologiste Hoimar von Ditfurth.

Notre visite chez le Dr. Otto Zeller

Nous avons travaillé ensemble pendant deux ans, en ten­tant de diffuser au maximum des alternatives au statu quo imposé par l'OTAN en matières de défense. Les réunions de tra­vail se déroulaient principalement à Bonn, au domicile de Jochen Löser, à proximité du Rhin et d'une falaise ma­gni­fique, couverte de vignobles en terrasse depuis l'époque des Romains. Un jour, pour finaliser l'édition des souvenirs de guerre du Général Löser, nous nous sommes rendus à Os­nabrück chez l'éditeur Otto Zeller. Un personnage extra­or­dinaire, dont je garderai éternellement le souvenir. Le Dr. Zeller, aujourd'hui décédé, était un grand linguiste, tra­duc­teur d'Homère et des Védas, auteur d'une fresque brossant l'histoire indo-européenne depuis les plus lointaines origi­nes. Une fois la version définitive du manuscrit du Général acceptée sans discussion et la remise des dernières photo­graphies de l'épopée de Löser et de ses soldats, Otto Zeller nous a invités chez lui, où il vivait seul  —et très triste—  de­puis le décès de son épouse, un être qui lui avait été très cher. Le Dr. Zeller habitait une vieille ferme nord-alle­man­de de type traditionnel, dont il avait scrupuleusement res­pecté l'aménagement, axé sur le foyer central. L'ar­chi­tec­tu­re tra­ditionnelle —repérable depuis la culture danubien­ne du Michelsberg (entre -4500 et -2750 av. J. C.)— de cet­te bâ­tisse m'a profondément impressionné. Nos plus loin­tains ancêtres avaient un sens de l'espace  —un feng shui oc­cidental—  beaucoup plus développé que nos modernistes en quête perpétuelle de sensationnel. Après une visite de cette superbe ferme, nous nous sommes retrouvés à trois, Lö­ser, Zeller et moi, autour de deux seaux, en train de pe­ler les pommes de terre pour le repas du soir, comme si nous étions en bivouac. Scène d'une extrême simplicité et d'une grande chaleur humaine. Car mes deux aînés, le mi­li­taire et le philologue, hommes façonnés et ciselés par des expériences extraordinaires, ont profité de ce moment pour se raconter leurs souvenirs. Et j'ai écouté.

Les souvenirs du Dr. Zeller

Le Dr. Zeller était juriste et philologue-linguiste; j'avais été le lecteur attentif de son ouvrage Problemgeschichte der ver­­gleichenden (indogermanischen) Sprachwissenschaft (1967; Histoire de la problématique des sciences linguisti­ques indo-européennes comparées), où il retraçait avec pré­­­cision l'évolution de la recherche linguistique des huma­nistes de la Renaissance à Hirt, en passant par Leibniz, Bopp, Rask, les frères Grimm, Schleicher, Schrader, etc. Autour de nos deux seaux, le Dr. Zeller a encore évoqué d'au­­tres souvenirs: j'en ai retenu trois. Sanskritologue, il a­vait été chargé d'accompagner dans Berlin le fils d'un Ma­ha­radjah, volontaire dans le bataillon indien de la Wehr­macht, qui sera stationné à Bordeaux. Il nous a brossé avec humour les anecdotes de cette visite, véritable choc entre deux civilisations. Ensuite, prisonnier de guerre, Zeller a dû servir d'interprète dans un tribunal militaire anglais, qui condamnait à la chaîne de pauvres diables de Polonais, de Russes et d'Ukrainiens, cherchant à rentrer à pied dans leur pays, mourant de faim sur les routes du Reich dévasté et chapardant des victuailles dans les casernes britanniques; des rixes éclataient parfois avec les gardes, à qui il arrivait de prendre un coup fatal. Inévitablement, ces bougres af­fa­més, qui avaient tué pour pouvoir manger, étaient con­dam­nés à la corde d'un gibet de sa Très Gracieuse Ma­jesté. Cette fonction d'interprète, imposée par la con­train­te, a­vait été pour notre philologue particulièrement hor­rible. Enfin, le début de sa carrière d'éditeur; le pouvoir com­mu­niste est-allemand vidaient les bibliothèques publi­ques et privées et vendait à l'Ouest des wagons entiers d'ou­vrages rares et anciens. Zeller les rachetait au kilo, sé­lectionnait les meilleurs titres pour en faire des réim­pres­sions, amorce de sa "Biblio Verlag".

Le lendemain, Zeller m'offrait le livre qu'il venait d'écrire pour ses enfants et ses petits-enfants, Am Nabel und im Auf­trag der Geschichte. Où les titres des chapitres étaient déjà une grande leçon: «Vouloir vivre sans histoire, est une utopie»; «Seul ce qui a une histoire est réel». Deux pré­cep­tes à retenir en toutes circonstances. Am Nabel und im Auf­trag der Geschichte est ensuite un vaste synopsis de l'é­popée indo-européenne dans l'histoire, depuis les méga­lithes jusqu'à la conquête spatiale.

Cette journée à Osnabrück m'a dévoilé l'extrême modestie de deux hommes exceptionnels, sur des plans différents. Une grande leçon. Que je n'oublierai jamais.

Stratégie du hérisson et défense civile

Sur le plan politique, ce bout de chemin fait avec Jochen Löser au beau milieu des années 80 m'a permis de déve­lop­per des idées originales en matières de défense, diamé­tra­le­ment différentes des doctrines officielles de l'OTAN et des thèses pacifistes maniées par une certaine gauche de con­viction donc d'irresponsabilité. Juste avant d'avoir écrit Neutralität für Mitteleuropa, Jochen Löser, avec le con­cours d'Harald Anderson, avait apporté une réponse ori­ginale aux conférences de Genève entre l'Est et l'Ouest, qui avaient débouché sur un échec (cf. Antwort auf Genf. Sicherheit für West und Ost, Olzog Verlag, Munich, 1984). Demeurant dans la logique théorique qui avait toujours été la sienne, y compris dans les coulisses de la FDP qui cher­chait une position originale au temps où elle était isolée dans l'opposition, Jochen Löser préconisait une "stratégie du hérisson", calquée sur les modèles helvétique et you­go­slave, permettant de rendre un territoire hermétique, im­pre­nable, par recours à des moyens strictement con­ven­tionnels. Cette stratégie avait ensuite pour corollaire d'as­surer une protection maximale des populations civiles (a­bris anti-atomiques, etc.), exposées aux opérations aérien­nes et terrestres de tout conflit susceptible d'éclater.

Löser nommait "Raumdeckende Verteidigung" ("Défense couvrant l'espace"), ce système de défense efficace, de ty­pe traditionnel, inspiré du modèle suisse, que d'autres, com­me le Général français Brossolette, appelaient "défense par maillage territorial". L'adoption d'un tel mode de dé­fense impliquait l'organisation d'une armée de citoyens, une milice territoriale (Löser: "Friedensmiliz", "Heimat­dienst" & "Heimatschutz"), appelée à couvrir les tâches non directe­ment combattantes, de même qu'à assurer les missions de soutien logistique, de protection des installations militaires sur les arrières du front, les transports et la surveillance des côtes. In fine, un maillage complet du territoire per­met d'assurer la suprématie du feu sur le mouvement, donc des systèmes de défense sur les stratégies d'attaque fron­tale.

Neutralité, finlandisation et Blockfreiheit

Une telle vision de la défense du territoire allemand per­mettait effectivement de le verrouiller contre toute atta­que venant de l'Est soviétisé, parce qu'à partir du Bran­de­bourg le territoire européen devient plus densément peuplé et structuré, donc moins ouvert comme l'est en revanche la plaine de l'Est, qui, elle, permettait hier le déploiement de masses de cavaliers et permet aujourd'hui celui de divisions de chars d'assaut. La densité du territoire allemand et ouest-européen permet de doter les défenseurs d'armes an­ti-chars très performantes, filoguidées ou à guidage élec­tro­nique, descendant en droite ligne des Panzerfäuste et des Panzerschrecke de la Wehrmacht. Simultanément, ce ver­rouillage et ce maillage militaire du territoire centre-eu­ropéen induisaient une remise en question de l'inféo­da­tion de la RFA aux structures de l'OTAN et de l'Alliance at­lan­tique. Le statut de neutralité  —décrié par les services de Washington maniant le (faux) spectre de la "finlan­di­sa­tion"—  redevenait une option possible.

Du terme polémique "finlandisation"

Neutralität für Mitteleuropa contient justement une criti­que serrée de ce concept de "finlandisation" que cri­ti­quaient et rejetaient les atlantistes. Löser commençait par po­ser les termes "neutre" et "neutralité" comme des con­cepts positifs du droit international, même s'il admettait que "neutraliste" et "neutralisme" recelaient une connota­tion propagandiste, qui n'était ni positive ni objective. La neutralité est un droit des Etats, garanti par l'art. 2, §2, de la Charte des Nations Unies. La neutralité est assortie d'ob­ligations: ne pas faire partie d'une alliance constitué à des fins de belligérance, ne pas céder la moindre parcelle du ter­ritoire national pour en faire un point d'appui pour une puissance voisine belligérante, armer le pays de façon à dis­suader tout ennemi de pénétrer sur son territoire. La neu­tralité implique donc, ipso facto, d'armer la nation et de choyer l'armée, qui l'incarne. La neutralité, au sens juri­dique du terme, n'est donc pas un pacifisme, un anti-mi­li­tarisme, que ceux-ci se camouflent ou non derrière le ter­me "neutralisme". La Finlande n'échappait pas à cette rè­gle, même si cette neutralité devait tenir compte de ses re­lations conflictuelles avec l'URSS entre 1917 et 1945.

Le projet de Löser était donc d'élargir le statut de neutra­li­té de l'Autriche à un espace centre-européen plus vaste, per­mettant de le dégager de la logique bellogène des blocs. Cette logique n'est donc pas celle d'une "finlandisa­tion", comme le proclament et l'entendent les défenseurs de l'OTAN; parce que les Etats concernés n'ont pas les mê­mes rapports de voisinage que ceux de la Finlande et de l'URSS. Elle est plutôt une "austrialisation" ou une "helvé­ti­sa­tion", donc un renforcement de souveraineté par désen­ga­gement vis-à-vis d'une alliance téléguidée par une seule su­per-puis­sance, de surcroît étrangère à l'espace européen ("eine raum­fremde Macht", auraient dit Carl Schmitt et Karl Haus­hofer).

Droits de l'homme et Armageddon 

Autre atout majeur de Neutralität für Mitteleuropa: la cri­tique du néo-machiavélisme occidental, camouflé derrière les discours sur les droits de l'homme. Avec la forte et élé­gante concision du militaire qui se consacre à l'écriture, Jo­chen Löser, dans le chapitre IV de cet ouvrage, critique vertement la volonté américaine de se poser comme l'in­car­nation du "bien" absolu, en lutte contre le "mal" absolu. Un bien qui proclame et défend les "droits de l'homme" et un mal qui les nie. Une telle attitude, explique-t-il, est une incongruité à l'âge des armes nucléaires. La puissance de des­truction de ces armes est telle qu'on ne peut, dans un pa­reil contexte, tenir un langage d'apocalypse, car déclen­cher l'apocalypse devient possible mais n'est évidemment pas souhaitable, puisque la riposte de l'adversaire reste tout de même en mesure de réduire les bases territoriales du vainqueur à néant, le ramenant ipso facto à l'âge de la pierre. Contrairement à Reagan qui parlait d'Armageddon, Löser raisonne au départ de Clausewitz: les intentions de la politique doivent correspondre aux moyens mis en œuvre; l'objectif politique souhaité ne peut être un despote; il doit s'adapter à la nature des moyens. A l'âge des armes nu­cléaires, les moyens sont théoriquement absolus, en prati­que, les puissances atomiques ont une marge de manœuvre très réduite. Le règlement des différends passe donc par la di­plomatie et les négociations.

Clausewitz et Bismarck

Cette perspective clausewitzienne interdit de placer la po­li­ti­que internationale sous le diktat des émotions, comme celles qu'éveillait dans les médias le nouveau culte des droits de l'homme, annoncé dès le discours inaugural de Car­ter en 1977.  La politique internationale ne peut fonc­tion­ner que si l'on jauge objectivement, avec sérénité, les faits, les intérêts, les divergences entre Etats. Löser rap­pelait une parole forte de Bismarck: «Agir selon des prin­cipes est une attitude qui, selon moi, revient à courir dans la forêt en tenant en bouche une barre de fer dans le sens de la longueur». Par conséquent, le diplomate ne peut agir sous la dictée de ses sympathies ou de ses antipathies pour des situations en vigueur dans le territoire d'une puissance voisine ou adverse, ou pour des personnes y exerçant une fonction souveraine. Les émotions suscitées par les antipa­thies ou les sympathies n'ont pas leur place dans la sphère du politique. Les juristes extrémistes et les moralistes é­chevelés n'ont pas de rôle à jouer dans la sphère austère du po­litique.

Certes, les dissidents d'une puissance voisine ont droit à l'a­si­le politique, à écrire et à œuvrer chez nous s'ils y sont ac­cueil­lis, mais leur sort ou leur sécurité ne doit pas troubler le jeu subtil de la diplomatie classique. Si l'enga­ge­ment des moralistes ou des juristes pour la liberté d'ex­pres­sion est un devoir moral, que personne ne va leur con­tester, les diplo­ma­tes ont, eux, le devoir politique et la res­ponsabilité de ne pas déclencher d'apocalypse ou de con­flit au nom de doc­trines éthiques vagues ou instables.

Voilà donc les thématiques que nous avons abordées entre 1984 et 1986. Mon discours à Versailles, lors du colloque du GRECE du 16 novembre 1986, est le résultat (succinct) de ces travaux. Pourquoi notre chemin s'est-il arrêté là? Tout simplement parce que l'accession de Mikhaïl Gorbatchev à la fonction suprême en URSS, remettait tout en question: et le duopole en place et l'ordre né de Yalta. Avec la pe­restroïka, les événements vont se précipiter: les accords "4 + 2", la réunification allemande, le dégel à Moscou, les manifestations de Prague, le démantèlement du Rideau de fer le long de la frontière austro-hongroise. Löser et moi avions l'intention de sortir, avec d'autres, un livre manifes­te, mais chaque jour apportait sa part d'innovations ou de changements, si bien que toutes nos planifications étaient réduites à néant. De l'accession de Gorbatchev au pouvoir à Moscou en 1985 jusqu'au triomphe d'Eltsine en août 1991, l'Europe a vécu une succession de bouleversements aux­quels nous n'étions pas préparés. Impossible dans de telles conditions d'achever un livre collectif, un tant soit peu sub­stantiel. Il a fallu abandonner. Et nos relations se sont in­terrompues. A mon vif regret.

De la vieille leçon du Taciturne

Quinze ans ont passé depuis nos derniers échanges épisto­laires ou téléphoniques. Quinze années de bouleversements inimaginables au jour de notre première rencontre, le 6 oc­tobre 1984. Mais quinze années où l'Europe n'a pas été ca­pable de trouver une solution rationnelle à ses problèmes de défense, comme nous le préconisions. Cet échec, dû à la piètre qualité intellectuelle et morale du personnel politi­que en place, est une tragédie. Notre civilisation s'est dé­li­bérément engagée dans une impasse. Le politique est mort. La citoyenneté, dont on parle à grands renforts de trémolos dans la voix, est devenue une illusion sinon une farce. Mais ce n'est pas une raison pour abandonner le combat: «Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer». Vieille leçon du Taciturne. En souvenir du Général-Major Jochen Löser, nous allons continuer le com­bat. Pour une Europe libre et forte, bien à l'abri de pi­quants, pareils à ceux du hérisson.

Robert STEUCKERS.

mardi, 20 mai 2008

Le "modèle romain" de la nouvelle doctrine stratégique américaine

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Le modèle "romain" de la nouvelle doctrine stratégique américaine

 

La nouvelle doctrine sécuritaire autorise la guerre si les intérêts américains sont en danger

 

«Les Etats-Unis ont pris en charge le rôle du sheriff international. Les vassaux européens sont là pour débarrasser la scène des "dégâts collatéraux"».

 

Le Congrès américain vient de donner les pleins pouvoirs au Président Bush jr., avec une confortable majorité, pour déclencher une guerre contre l'Irak. Tant dans la Chambre des représentants qu'au Sénat, on trouve bon nombre de démocrates pour soutenir cette décision. Bush interprète ce soutien comme un signal clair et net: il annonce que les jours de l'Irak, en tant qu'«Etat sans lois» sont comptés, s'il n'accepte pas la résolution de l'ONU. Le Président américain peut considérer le vote des assemblées américaines comme une étape supplémentaire dans la mise sur pied de sa "National Security Strategy". La ligne directrice de cette nouvelle politique étrangère et militaire consiste à autoriser le Président américain à intervenir militairement partout et à tout moment dans le monde, contre n'importe quel pays, qui, aux yeux des Etats-Unis, constituerait une menace pour les intérêts américains ou, pire, qui pourrait éventuellement, le cas échéant, le devenir. Cette prétention à vouloir exercer une puissance sans limites, selon ses propres décisions prises arbitrairement, avec tout le poids de la machine de guerre américaine, est étayée aujourd'hui par des arguments qui ne résistent même pas à un examen critique superficiel.

 

Comment expliciter cette nouvelle doctrine de "sécurité"? Par exemple, en examinant les thèses énoncées par Robert D. Kaplan, l'un des journalistes les plus intelligents et les plus percutants d'Amérique. Dans l'espace linguistique allemand (ndlr: et français), ses thèses sont à peine connues. Kaplan s'est fait un nom comme spécialiste des Balkans, du Proche-Orient et d'autres régions en crise. Dans un ouvrage déjà paru depuis quelques mois, Warrior Politics. Why Leadership Demands a Pagan Ethos [= De la politique du guerrier. Pourquoi le leadership exige une éthique païenne], il explique clairement quels sont, pour l'essentiel, les objectifs de la politique hégémonique américaine.

 

Dans un paragraphe fort significatif, Kaplan écrit : «Plus notre politique étrangère connaîtra le succès, plus l'Amérique pourra influencer la marche du monde. Très probablement, les historiens du futur décriront les Etats-Unis du 21ième siècle non pas simplement comme une République, mais bien plutôt comme un empire mondial, même s'ils diffèreront de Rome ou de tous les autres empires de l'histoire». Au fur et à mesure que les décennies voire les siècles passeront et que les Etats-Unis n'auront pas eu seulement 43 présidents, mais 100 ou 150, les historiens, très probablement, en dresseront la liste comme ils avaient dressé la liste des empereurs des empires défunts, comme Rome, Byzance ou la Sublime Porte; de cette manière, la comparaison entre les Etats-Unis actuels et futurs et l'histoire antique sera licite. C'est surtout Rome qui pourra servir de modèle aux futurs dirigeants des States, car Rome représente une forme d'hégémonie mettant en œuvre des moyens diversifiés pour donner un minimum d'ordre à un monde désordonné.

 

La position de Kaplan n'est pas originale. Dans les cercles intellectuels américains, on débat intensément, depuis les événements du 11 septembre 2001, sur la forme que devra prendre l'imminente domination totale des Etats-Unis sur le globe. La meilleure expression de ce débat a été consignée dans une édition de la revue Wilson Quartely, titrée significativement "An American Empire?". Dans l'un des nombreux commentaires figurant dans cette édition, on peut lire que le concept d'«Imperium» avait jadis été utilisé comme un reproche voire comme une injure à l'adresse des Etats-Unis, mais, poursuit l'auteur de ce commentaire, depuis l'entrée des troupes américaines en Afghanistan et la guerre globale menée contre l'hydre terroriste, on peut se demander, en toute légitimité, "si le concept d'«Imperium» n'est pas en fait le terme exact pour décrire le rôle des Etats-Unis dans le monde".

 

Richard Haas, conseiller de Colin Powell, Ministre américain des affaires étrangères, expliquait récemment qu'il donnerait aujourd'hui un autre titre à son livre paru en 1997 et qu'il avait intitulé "Le Sheriff malgré lui". L'expression "malgré lui" doit dorénavant être biffée. De moins en moins de voix, Outre Atlantique, critiquent l'impérialité en marche de Washington. Un historien comme Immanuel Wallerstein, qui affirme que les Etats-Unis ont déjà dépassé leurs dimensions, sont minoritaires désormais. Rien ne permet effectivement d'affirmer aujourd'hui que les Etats-Unis se situent dans une phase de déclin. Washington impose en toute souveraineté sa volonté au monde et, pour paraphraser la célèbre expression de Carl Schmitt, décide s'il y a ou non "état d'exception" (Ausnahmezustand).

 

L'Union Européenne n'a évidemment rien à opposer à cette volonté hégémonique bien affirmée. Cela a été prouvé maintes fois. Le rôle de l'UE est désormais déterminé à l'avance. Quand la "guerre préventive" contre l'Irak aura été achevée avec succès, les Européens seront là pour assurer la reconstruction du pays, pour lui donner de nouvelles infrastructures et pour assurer le "processus de démocratisation". De cette façon, Washington bétonnera le nouvel ordre international à deux vitesses: les Etats-Unis prendront le rôle du sheriff international, ce qui revient à dire qu'ils seront la puissance militaire garante de l'ordre. Les vassaux européens, eux, seront responsables de l'élimination des effets indésirables des "dégâts collatéraux", dus aux guerres de "démocratisation" engagées par Washington.

 

La prochaine guerre contre l'Irak entraînera à l'évidence des "dégâts collatéraux" de bien plus grande ampleur que la précédente. Ainsi, la Turquie, pourtant très fidèle alliée des Etats-Unis contre l'Europe, la Russie et l'Arménie, s'inquiète à la vue des préparatifs américains, qui visent notamment à armer les Kurdes irakiens et à les préparer à un rôle politique pour l'après-Saddam, quand l'Irak aura été "normalisé" par l'armée américaine. Le Premier Ministre turc Ecevit a déclaré en octobre 2002, que, dans ce cas, la situation échappera à tout contrôle. Les Kurdes, eux, voient qu'ils ont enfin une chance de créer un Etat kurde. Ecevit estime qu'il y a là une nouvelle donne que la Turquie ne peut accepter. La prochaine guerre contre l'Irak, on le voit, ne mènera pas le monde vers plus de démocratie et de paix, en dépit des trémolos de la propagande américaine, qui affirme de manière impavide que Washington instaurera un nouvel ordre politique international, mais, au contraire, va entraîner toute une région du monde dans un processus de déstabilisation de très longue durée.

 

Michael WIESBERG.

 

(article paru dans "Junge Freiheit", n°43/octobre 2002; http://www.jungefreiheit.de ).

dimanche, 27 avril 2008

Cosaques au combat

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Cosaques au combat

Superbe ouvrage que proposent les éditions normandes Heim­dal: la somme sur les unités cosaques engagées aux côtés de l’Allemagne contre Staline entre 1942 et 1945. Le livre bilingue (français/anglais), magnifiquement illustré, retrace la tragique histoire récente de ces « Cosaques sans patrie » pour reprendre le titre d’un beau roman de F. Traut publié en 1962 à La Table ronde. Apparus au XIVème siècle, les Cosaques sont les héritiers directs des peuples indo-européens de cavaliers de la steppe, Scythes et Sar­mates. Rapidement slavisés, les Cosaques serviront les Tzars en échange de libertés concrètes: statut de paysans libre et exemption d’impôt, droit d’élire leurs atamans, ignorance superbe de la propriété individuelle, ...

 

Leur mission est de défendre les frontières de l’Empire rus­se face aux Mongols; ils servent aussi dans les opérations de maintien de l’ordre face à la canaille. A la veille du coup d’état bolchevique, ils sont 5 millions répartis en 5 groupes distincts: Don, Oural, Kouban, Térek, Orenbourg. Massi­ve­ment engagés aux côtés des Blancs, ils subissent une ré­pres­sion féroce sous le régime communiste. Pour eux, l’ar­rivée des Allemands est vécue comme une libération: c’est d’ailleurs le cas d’une grande partie des peuples soumis à la botte soviétique, qu’ils soient du Caucase ou de la Bal­ti­que. Tous paieront très cher cette tentative de se libérer du joug soviétique: déportations en masse dans les camps de la mort sibériens, extermination des élites, relégation lointaine pour les survivants et calomnie généralisée... jusque chez des universitaires européens, par exemple un certain François Arzalier, communiste bon teint qui publie encore en 1990 (!) un ouvrage de propagande soviétique (et donc bourré d’inexactitudes): Les perdants. La dérive fas­cis­te des mouvements autonomistes et indépendantistes au XXème siècle (La Découverte). L’album de Fr. de Lannoy que publie Heimdal ne tombe pas dans ces travers. Rien que la qualité, la rareté des 350 documents photogra­phi­ques en fait un objet de collection: superbes gueules de cavaliers (qui ne devaient certes pas être des anges), d’of­ficiers comme ce beau reître le général von Pannwitz, ar­mement et uniformes d’un autre temps, bref l’ouvrage sau­ve tout un monde de l’oubli. Il rappelle aussi l’abjecte fé­lo­nie des Britanniques qui livrent les Cosaques aux Rouges malgré leur promesse... mais, en vrais gentlemen, gardent les chevaux. Il est vrai que les Alliés ne font rêver personne au contraire des chevaleries vaincues.

 

Patrick CANAVAN.

 

Fr. de Lannoy, Les Cosaques de Pannwitz 1942-1945, Heim­dal, 2000. A commander à Heimdal, Château de Dami­gny, BP 320, F-14403 Bayeux cedex, internet: Editions.Heimdal@wanadoo.fr .Voir aussi le film d’Enrico, Vent d’est avec Malcolm McDowell et un court roman de Claudio Magris, Enquête sur un sabre, Desjonquères 1987.

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