samedi, 28 octobre 2023
L'Inde, du géant aux pieds d'argile à acteur actif sur l'échiquier géopolitique?

L'Inde, du géant aux pieds d'argile à acteur actif sur l'échiquier géopolitique?
Peter W. Logghe
Source: Nieuwsbrief Knooppunt Delta, n° 183, octobre 2023
Les lecteurs attentifs se souviendront sans doute de précédentes contributions dans cette Newsletter et dans le magazine trimestriel TeKoS (n°157 notamment), dans lesquelles nous avons déjà largement parlé des défis géopolitiques de l'Inde et du rôle plutôt restreint que ce pays géant a joué sur la scène mondiale jusqu'à présent. Un rôle discret, en décalage avec ses immenses atouts économiques et la taille de sa population.
Certains éléments suggèrent que l'Inde, sous la houlette du nationaliste hindou Modi, a l'intention de jouer un rôle plus actif dans la politique mondiale et de s'affirmer davantage au niveau régional, en Asie du Sud-Est. Le Premier ministre indien Narendra Modi, par exemple, a assumé la présidence du G-20 en septembre 2023, et le président américain Joe Biden est déjà venu prendre un petit café chez lui pour mettre en avant les "relations chaleureuses" entre les deux pays. En juin, le même Modi a effectué une visite d'État aux États-Unis. Le récent incident au cours duquel le Canada a accusé l'Inde d'être impliquée dans le meurtre d'un militant sikh au Canada peut également servir d'illustration du rôle géopolitique croissant de l'Inde sur la scène mondiale. L'incident a été déclenché par des rapports en provenance des États-Unis, que les commentateurs politiques ont décrits comme "particulièrement désagréables pour les États-Unis de Biden", qui étaient sur le point d'entamer de nouvelles relations intenses avec l'Inde.
Le 14 juillet, le Premier ministre indien Modi était en visite en France et a passé en revue les troupes françaises avec le président français Emmanuel Macron. Une visite officielle au cours de laquelle Macron a voulu souligner le rôle important de l'Inde sur l'échiquier géopolitique. Mais avant cela, il y a aussi eu l'atterrissage réussi d'une fusée indienne au pôle sud de la lune. Par ailleurs, l'Inde vient de lancer une mission d'observation du soleil - l'Inde déborde d'ambition, ne le constate-t-on pas?
Après la Seconde Guerre mondiale, le premier Premier ministre indien, Jawaharlal Nehru, a lancé, avec le Mouvement des pays non alignés, une stratégie de neutralité entre les deux blocs de puissance pendant la guerre froide. Cette stratégie de neutralité devait fournir à l'Inde d'importantes ressources (financières et autres).
Aujourd'hui, la constellation mondiale n'est plus la même et la politique étrangère de l'Inde est également différente.


Le ministre indien des affaires étrangères et ancien diplomate, Subrahmanyam Jaishankar, a défini les points clés d'une nouvelle politique étrangère de l'Inde en 2020 dans un livre intitulé : The Indian Way : Strategies for an uncertain world (La voie indienne: stratégies pour un monde incertain). Il y a trois axes principaux :
- La primauté de l'intérêt national et une approche politique réelle du monde. L'Inde n'a pas d'alliés mais des partenaires, avec lesquels elle négociera au cas par cas. Un monde multipolaire, en d'autres termes.
- L'Inde veut être au centre du grand jeu géopolitique et profiter des rivalités entre les grandes puissances. En même temps, elle veut rendre l'Inde incontournable en tant que décideur dans les décisions mondiales.
- Les contradictions inhérentes à la stratégie multipolaire doivent être exploitées au maximum par l'Inde. Les partenaires peuvent être aussi bien la Russie que les États-Unis, la Chine, le Japon, etc.

Totalement absent de nos grands médias, le compte-rendu de la discussion à la Chambre des représentants de l'Inde, le Lok Sabha, le 5 avril 2022. Il en ressort une quasi-unanimité au sein du parlement sur la proposition selon laquelle l'Inde devrait occuper une position centrale dans la politique mondiale actuelle et pourrait parfaitement jouer le rôle de médiateur dans les conflits majeurs. Dans son livre The Indian Way, le ministre en chef Jaishankar avait déjà écrit : "Il est temps pour nous de donner des réponses aux États-Unis, de mettre la Chine en bonne posture, de donner des assurances à la Russie, de donner un rôle au Japon, de nous rapprocher de nos voisins et de renforcer notre base de soutien traditionnelle".
Il n'est donc pas surprenant que l'Inde soit devenue à la fois membre de l'Organisation de coopération de Shanghai (créée et dirigée par la Chine), membre éminent des BRICS (organisation de pays émergents en développement) et du Dialogue quadrilatéral sur la sécurité (avec le Japon, l'Australie et les États-Unis - conçu pour limiter l'influence de la Chine). La mission principale de l'Inde dans toutes ces organisations est de défendre ses propres intérêts nationaux. Elle le fera désormais non pas de manière idéologique (comme pendant la guerre froide) mais plutôt de manière pragmatique.

L'importance économique croissante de l'océan Indien
Dans la revue française de géopolitique Conflits (n° 47 - septembre/octobre 2023), dont l'intérêt ne cesse de croître, Charles Gave souligne l'importance économique croissante de l'océan Indien et la situation géopolitique fortement modifiée depuis la mise en place de la nouvelle route de la soie chinoise et la guerre de la Russie en Ukraine. Le boycott de l'Occident a contraint la Russie à trouver de nouveaux débouchés pour ses produits, en déplaçant ses priorités économiques vers l'est et le sud du globe.
Par exemple, la Russie (deuxième exportateur de pétrole) a exporté du pétrole vers la Chine et a été payée en renminbi, la monnaie chinoise. La Russie a également mis en place une nouvelle route commerciale vers le sud, via la mer Caspienne, l'Iran et l'Inde, appelée le corridor international de transport nord-sud. Il s'agit d'une route commerciale internationale perpendiculaire à la nouvelle route de la soie chinoise, allant d'est en ouest. Si certains prédisent un boom économique pour les pays situés le long de cette nouvelle route commerciale (Inde, Turkménistan, Azerbaïdjan, Asie centrale avec l'Irak et l'Iran), d'autres experts économiques estiment qu'il ne s'agit que de paroles en l'air. Dans l'ensemble, il s'agit tout de même de 2 milliards de personnes.
Il semble bien que l'Inde soit en train de cataloguer ses atouts géopolitiques et de jouer cartes sur table. Ce géant asiatique aux pieds d'argile est-il en train de se réveiller ?
Peter Logghe
15:46 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : inde, politique internationale, multipolarité, diplomatie |
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mercredi, 25 octobre 2023
Claudio Mutti: Quelle Eurasie?

Quelle Eurasie ?
Par Claudio Mutti
Source: https://www.eurasia-rivista.com/quale-eurasia/
Un célèbre roman dystopique [1], paru dans la deuxième année de la "guerre froide", présente le scénario fantaisiste de trois superpuissances continentales gouvernées par autant de systèmes politiques totalitaires: l'Océanie, l'Estasie et l'Eurasie. Cette dernière, soumise à un régime néo-bolchévique, englobe le vaste espace territorial qui s'étend de l'Europe occidentale et méditerranéenne au détroit de Béring. Telle est l'image de l'Eurasie modelée par un informateur au service de l'Information Research Department (IRD) du Foreign Office britannique, un "policier colonial" [2] prêté à la littérature, qui s'inspirait ouvertement des schémas de la propagande antinazie et antisoviétique [3].


En réalité, le nom d'Eurasie circulait depuis longtemps dans les milieux scientifiques : utilisé par le géologue autrichien Eduard Suess (1831-1914) dans son ouvrage Das Antlitz der Erde [4], il avait été inventé par le mathématicien et géographe allemand Carl Gustav Reuschle (1812-1875) dans un Handbuch der Geographie [5] pour désigner le continent qui unit de manière indissociable l'Asie et l'Europe. En effet, le terme continent (du latin continēre, "tenir ensemble, garder ensemble") désigne bien une masse compacte de terre entourée d'eaux océaniques et maritimes, de sorte qu'il ne peut désigner ni l'Europe ni l'Asie, mais seulement l'ensemble continental dont l'Europe et l'Asie sont les éléments constitutifs.

Si, en revanche, ignorant le critère géographique sur lequel repose la notion de continent, on voulait tracer une ligne conventionnelle entre l'Europe et l'Asie, on serait contraint de prendre comme ligne de démarcation l'Oural, une chaîne de montagnes qui n'atteint même pas 2000 mètres d'altitude (le sommet le plus élevé, Narodnaja, culmine à 1895 mètres au-dessus du niveau de la mer). Il faudrait ensuite poursuivre cette ligne de partage le long de l'Oural et de la côte nord-ouest de la mer Caspienne ; mais c'est là que commenceraient les problèmes et les désaccords, car selon certains, la frontière entre les deux supposés continents européen et asiatique serait la ligne de partage des eaux du Caucase, selon d'autres, la dépression de Kuma-Manyč au nord du Caucase.
Tout cela ne fait que mettre en évidence le caractère unitaire de la réalité géographique dont font partie l'Asie et l'Europe. Et que ce caractère unitaire ne concerne pas que la géographie physique devait déjà être pensé par les Grecs, puisqu'entre le 8ème et le 7ème siècle av. J.-C. la Théogonie d'Hésiode mentionne l'Europe et l'Asie comme deux sœurs, filles d'Okéanos et de Thétis, appartenant à la "lignée sacrée des filles [θυγατέρων ἱερὸν γένος] qui sur terre / élèvent les hommes à la jeunesse, avec le Seigneur Apollon / et les Fleuves : ils tiennent ce destin de Zeus" [6] ; et Eschyle, qui avait lui aussi combattu les Perses à Marathon (et probablement aussi à Salamine), parlait de la Grèce et de la Perse - représentatives de l'Europe et de l'Asie - comme de "deux sœurs de sang de la même lignée [ϰασιγνήτα γένους ταὐτοῦ]" [7].

Mais venons-en à des temps plus récents. L'orientaliste, explorateur et historien des religions Giuseppe Tucci (1894-1984), qui a mené plusieurs expéditions archéologiques au Tibet, en Inde, en Afghanistan et en Iran, et qui a fondé en 1933 avec Giovanni Gentile l'Institut italien pour le Moyen-Orient et l'Extrême-Orient, insistait encore peu avant sa mort sur la nécessité d'une conception qui n'opposerait plus l'Asie et l'Europe, mais qui les verrait comme deux réalités complémentaires et inséparables. Il a d'ailleurs fait référence à une sorte d'unité culturelle eurasienne dans sa dernière intervention publique, une interview parue le 20 octobre 1983 dans la Stampa de Turin. Je ne parle jamais d'Europe et d'Asie, mais d'Eurasie", déclarait-il à cette occasion. Il n'y a pas un événement qui se produit en Chine ou en Inde qui ne nous influence pas, et vice versa, et il en a toujours été ainsi". Les déclarations de ce type ne sont pas rares dans l'œuvre de Tucci. En 1977, il avait qualifié de grave l'erreur commise lorsque l'Asie et l'Europe sont considérées comme deux continents distincts l'un de l'autre, car, selon lui, "il faut parler d'un seul continent, l'Eurasie: tellement uni dans ses parties qu'il n'y a pas d'événement d'importance dans l'un qui n'ait eu son reflet dans l'autre"[8]. Plus tôt encore, en 1971, à l'occasion de la commémoration de Cyrus le Grand, fondateur de l'Empire perse, Tucci avait déclaré que "l'Asie et l'Europe forment un tout unique, uni par les migrations des peuples, les vicissitudes des conquêtes, les aventures du commerce, dans une complicité historique que seuls les ignorants ou les incultes, qui pensent que le monde entier se conclut en Europe, s'obstinent à ignorer" (9).
Un autre grand savant du 20ème siècle, l'historien des religions Mircea Eliade (1907-1986), a documenté dans toute son œuvre ce qu'il appelle lui-même "l'unité fondamentale non seulement de l'Europe, mais de tout l'écoumène qui s'étend du Portugal à la Chine et de la Scandinavie à Ceylan" [10]. Au plus fort de la "guerre froide", alors qu'il résidait en exil en France, de ce côté-ci du "rideau de fer" qui le séparait de son pays d'origine, Eliade refusait de concevoir l'Europe dans les termes étroits que les défenseurs de la soi-disant "civilisation occidentale" auraient voulu lui imposer. Il a d'ailleurs rejeté avec sarcasme la conception occidentaliste, écrivant textuellement: "Il existe encore d'honnêtes Occidentaux pour qui l'Europe se termine sur le Rhin ou, tout au plus, à Vienne. Leur géographie est essentiellement sentimentale : ils sont arrivés à Vienne en voyage de noces. Plus loin, il y a un monde étranger, peut-être fascinant, mais incertain : ces puristes seraient tentés de découvrir, sous la peau du Russe, ce fameux Tartare dont ils ont entendu parler à l'école ; quant aux Balkans, c'est avec eux que commence cet océan ethnique confus d'indigènes, qui s'étend jusqu'à la Malaisie"[11].
De son étude de l'ethnographie roumaine, qui s'inscrit dans un contexte géographique qui transcende largement les Carpates et le cours du Danube, Eliade a tiré la conviction que l'Europe du Sud-Est constitue le "véritable pivot des liens stratifiés entre l'Europe méditerranéenne et l'Extrême-Orient" (12). Dans le riche patrimoine folklorique roumain, Eliade a en effet identifié plusieurs éléments qui renvoient à des thèmes mythiques et rituels présents en divers endroits du continent eurasien. Ainsi, en soumettant l'une des plus célèbres ballades folkloriques roumaines, celle de Maître Manole, à une analyse comparative, le savant a mis en lumière toute une série d'analogies qui s'entrecroisent dans une zone située entre l'Angleterre et le Japon. En effet, il constate que le thème du sacrifice humain nécessaire à l'achèvement d'une construction est non seulement attesté en Europe ("en Scandinavie et chez les Finlandais et les Estoniens, chez les Russes et les Ukrainiens, chez les Allemands, en France, en Angleterre, en Espagne" [13]), mais que son aire de diffusion comprend également la Chine, le Siam, le Japon et le Pendjab. Enfin, Eliade a montré que divers phénomènes étudiés dans ses études, comme l'alchimie ou le chamanisme, se retrouvent répartis sur une vaste zone du continent eurasiatique, parfois jusqu'à ses régions les plus éloignées.


Outre Tucci et Eliade, on peut citer un autre chercheur, Franz Altheim (1998-1986), qui a encadré les gravures du Val Camonica dans ce qu'il a appelé "le monde chevaleresque eurasien" [14] et qui, considérant les processus historiques qui ont marqué le passage de l'âge antique à l'âge médiéval, nous a invités à regarder au-delà des frontières de l'Empire romain. Rappelant explicitement la perspective historiographique de Polybe, qui embrassait l'écoumène politiquement unifié par Rome - "tout l'espace entre les piliers d'Hercule et les portes de l'Inde ou les steppes de l'Asie centrale" [15] -, Altheim a souligné la nécessité pour l'historiographie de prendre en compte l'unité substantielle du continent eurasiatique.
Il accorde une attention particulière à la Völkerwanderung des Huns, protagonistes d'une cavalcade transeurasienne qui les a conduits des rives du lac Baïkal, au nord de la Mongolie, jusqu'aux Champs catalauniques, dans le nord de la France. Si, en Asie, les Huns ont conditionné le destin de l'Empire du Milieu pendant des siècles, en Europe - souligne Altheim - ils ont ouvert la voie aux invasions et à la colonisation de toute une série de peuples apparentés: Avars, Bulgares, Kazaars, Cumans, Pechenegs, Hongrois, de sorte que - écrit le chercheur dans son livre sur Attila et les Huns - "le couronnement a été l'avancée des Mongols" [16]. À l'intérêt pour la figure d'Attila, le chef d'origine centrasiatique qui a fondé un empire en Europe, Altheim a associé son intérêt pour Alexandre le Grand, qui a amené la civilisation grecque jusqu'à l'Indus, le Syr-Darya, Assouan et le golfe d'Aden, inaugurant une nouvelle phase dans l'histoire de l'Eurasie.
Les eurasistes des années 1920
L'idée de l'Eurasie qui émerge des travaux de chercheurs tels que Giuseppe Tucci, Mircea Eliade et Franz Altheim [17] est très différente de celle qui inspire l'eurasisme ou eurasiatisme dit "classique" [18], caractérisé par une aversion radicale pour la culture européenne, identifiée comme "romano-germanique" [19].
L'eurasisme "classique" [20] est représenté par un groupe d'intellectuels russes émigrés après la défaite des armées blanches et actifs dans les années 1920, parmi lesquels il convient de citer les plus éminents : le prince Nikolaï S. Trubeckoj (1890-1938), célèbre dans le domaine linguistique pour avoir élaboré, avec les autres savants du Cercle de Prague, la "nouvelle phonologie" [21], l'historien Georgii V. Vernadskij (1887-1973), le géographe et économiste Pyotr N. Savickij (1895-1965), le musicologue Pyotr P. Suvčinskij (1892-1985) et le théologien Georgij V. Florovsky (1893-1973). Dans ce qui est considéré comme le "manifeste" du mouvement, à savoir dans le recueil d'essais intitulé Ischod k Vostoku ["Chemin vers l'Est"] et publié à Sofia en 1921 par une maison d'édition russo-bulgare [22], les eurasistes "classiques" ont exprimé l'idée fondamentale que les peuples de Russie et des régions adjacentes d'Europe et d'Asie forment une unité naturelle, car ils sont liés par des affinités historiques et culturelles. Fondée non seulement sur l'héritage byzantin, mais aussi sur la conquête mongole et donc identifiable comme "eurasienne", l'identité culturelle russe avait été niée, selon les auteurs d'Ischod k Vostoku, à la fois par les réformes de Pierre le Grand et de la classe politique qui avait ensuite gouverné la Russie, et par le courant slavophile, qu'ils accusaient de vouloir imiter l'Europe. Quant à la révolution bolchevique, s'ils l'évaluent négativement, les "eurasistes" de Sofia cherchent néanmoins à en étudier la signification dans le contexte de l'histoire russe ; Savicky, en particulier, voit dans la révolution d'Octobre un développement de la révolution bourgeoise des années 1880, mais observe d'autre part qu'elle déplace l'axe de l'histoire universelle vers l'Est.


Dans un essai de 1925 intitulé Nasledie Čingis Chana ["L'héritage de Gengis Khan"], Trubeckoj entend souligner la relation étroite entre la culture russe authentique et l'élément turco-mongol, en se référant à un événement historique spécifique: l'unification de l'espace eurasien par Gengis Khan et ses successeurs. L'Eurasie", écrit Trubeckoj, "constitue un ensemble unitaire en termes géographiques et anthropologiques. (...). Par conséquent, en vertu de sa nature même, elle est historiquement destinée à constituer une entité étatique unique. Dès le début, l'unification de l'Eurasie s'est avérée historiquement inévitable, et la géographie elle-même a indiqué les moyens de sa réalisation" [23].
Il est évident que par le nom d'Eurasie, Trubeckoj et les autres "eurasistes" des années 1920 n'entendaient pas, comme l'aurait exigé le contenu sémantique du terme, le grand continent situé entre les océans Atlantique et Pacifique et entre les océans Arctique et Indien, mais se référaient à un grand espace intermédiaire entre l'Europe et l'Asie, distinct à la fois de l'Europe et de l'Asie. Pour eux, l'Asie était l'ensemble des régions périphériques orientales, sud-orientales et méridionales du grand continent : le Japon, la Chine, l'Indochine, l'Inde, l'Iran et toute l'Asie mineure. Quant à l'Europe, elle coïncidait avec le "monde romano-germanique", se réduisant essentiellement à l'Europe occidentale et centrale, tandis que ce qu'ils appelaient habituellement "l'Europe orientale", jusqu'à l'Oural, était pour eux une partie de l'Eurasie. D'autre part, ils considéraient que la division de la Russie en une partie européenne et une partie asiatique était erronée et trompeuse. Dans l'essai intitulé Povorot k Vostoku ["Tournez-vous vers l'Est"], Pyotr Savicky est explicite : "La Russie n'est pas seulement l'Ouest, mais aussi l'Est, pas seulement l'Europe, mais aussi l'Asie ; en fait, elle n'est pas l'Europe, mais l'Eurasie" [24]. En substance, pour les auteurs du "manifeste" de 1921, l'Eurasie était identifiée à l'Empire russe, plus ou moins le même grand espace historiquement délimité par les frontières de l'Union des républiques socialistes soviétiques.
L'historien, ethnologue et anthropologue Lev N. Gumilëv (1912-1992) [25], dont les travaux [26] ont réévalué la contribution des peuples turcs, mongols et tatars à la naissance de la Russie, en reconnaissant le caractère multiethnique et la multiplicité des racines culturelles de cette dernière, s'apparente dans une certaine mesure aux "eurasianistes" des années 1920. Gumilëv a également identifié l'Eurasie à la zone géographique de l'Empire russe et de l'Union soviétique. Divisée du nord au sud en quatre ceintures horizontales caractérisées respectivement par la toundra sans végétation, la taïga forestière, la steppe et enfin le désert, cette aire géographique se situe entre deux ceintures climatiques, la séparant d'une part du climat européen plus doux et, d'autre part, du climat de mousson typique des zones périphériques de l'Asie. Une telle conformation, selon Gumilëv, a conduit à la formation d'une civilisation autonome fortement distincte des autres qui l'entouraient.

Le néo-eurasisme
D'une refonte de l'eurasisme dit "classique", enrichie des apports de la géopolitique et d'éléments de la pensée traditionaliste (René Guénon, Julius Evola, etc.), le "néo-eurasianisme" est né en Russie à la fin des années 1980. Son principal théoricien et représentant est Aleksandr G. Douguine (1962-), fondateur du Mouvement eurasien international (Meždunarodnoe Evrazijskoe Dviženie) et, au fil des ans, collaborateur ou partisan de différents sujets politiques: d'abord du parti communiste de Gennadij Zjuganov, puis du parti national bolchevique d'Eduard Limonov, ensuite du parti libéral-démocrate de Vladimir Žirinovskij et enfin du parti Russie unie (Edinaja Rossija) de Vladimir Poutine.
La vision de Douguine diffère de l'eurasisme "classique", car à l'incompatibilité de la Russie avec l'Europe "romano-germanique", il substitue (du moins dans la première phase de sa pensée) l'antithèse radicale entre les intérêts continentaux de l'ensemble de la masse eurasienne et l'Occident hégémonisé par les États-Unis. L'Europe, le monde musulman, la Chine et le Japon ne sont plus considérés comme des adversaires irréductibles entourant la Russie, mais plutôt comme ses alliés potentiels, au nom de l'opposition de type schmittien entre puissances terrestres et maritimes.
L'Eurasie, qui de Trubeckoj à Gumilëv avait été identifiée à l'espace correspondant d'abord à la Russie impériale puis à l'Union soviétique, n'a pas, dans le néo-eurasisme de Douguine, un profil univoque et défini. Parfois, en effet, Douguine appelle l'Eurasie le continent tout entier ; parfois, il affirme que "ni l'idée eurasienne ni l'Eurasie en tant que concept ne correspondent strictement aux limites géographiques du continent eurasien" [27] ; parfois encore, il considère l'Eurasie et l'Europe comme deux civilisations distinctes [28].
Dans la perspective géopolitique de Douguine, qu'il a largement exposée dans le premier numéro d'Eurasia [29], l'ancien continent, c'est-à-dire la masse terrestre de l'hémisphère oriental, est divisé en trois grandes "ceintures verticales", qui s'étendent du nord au sud, chacune d'entre elles étant constituée de plusieurs "grands espaces". La première de ces "ceintures" est l'Eurafrique, formée par l'Europe, le grand espace arabe et l'Afrique transsaharienne. La deuxième "ceinture" est la zone Russie-Asie centrale, constituée de trois grands espaces qui se superposent parfois : le premier est la Fédération de Russie avec les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale, le deuxième est le grand espace de l'Islam continental (Turquie, Iran, Afghanistan, Pakistan), le troisième grand espace est l'Inde. Enfin, la troisième "ceinture verticale" est la zone Pacifique, condominium de deux grands espaces (Chine et Japon) qui comprend également l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines et l'Australie.
Cette subdivision constitue une reprise des Panideen de Karl Haushofer (1869-1946), qui avait théorisé un hémisphère oriental géopolitiquement subdivisé en un espace eurafricain, un espace panafricain s'étendant jusqu'à l'océan Indien mais sans débouché sur le Pacifique, et enfin un espace extrême-oriental comprenant le Japon, la Chine, l'Asie du Sud-Est et l'Indonésie [30]. Au schéma haushoferien, Douguine a apporté quelques changements requis par la situation internationale actuelle, en assignant le Proche-Orient et la Sibérie jusqu'à Vladivostok à la deuxième ceinture (la zone Russie-Asie centrale).


La perspective géopolitique "verticale" théorisée par Douguine a fait l'objet, dans les pages d'"Eurasia", de remarques critiques de Carlo Terracciano (1948-2005) [31]. L'Eurasie, observait Terracciano, "est un continent "horizontal", par opposition à l'Amérique, qui est un continent "vertical"" [32]; en effet, toute la masse continentale de notre hémisphère, l'hémisphère oriental du globe, est constituée d'unités homogènes disposées horizontalement. Traduisant cette vision géographique en termes géopolitiques, Terracciano envisage "l'intégration de la grande plaine septentrionale de l'Eurasie de la Manche au détroit de Béring" [33]. Cette première bande horizontale est flanquée, par bandes horizontales successives, des autres unités géopolitiques de l'Eurasie et de l'Afrique : le grand espace arabe de l'Afrique du Nord et du Proche-Orient, le grand espace transsaharien, le grand espace islamique entre le Caucase et l'Indus, etc. Dans une telle perspective, il est naturel que l'Europe s'intègre dans une sphère de coopération économique, politique et militaire avec la Russie, faute de quoi, écrit Terracciano, l'Europe sera utilisée par les Américains "comme un fusil pointé sur Moscou" [34]. Pour sa part, la Russie ne peut se passer de l'Europe, au contraire, elle en a besoin. Du point de vue russe, "la seule sécurité pour les siècles à venir ne peut être représentée que par le contrôle, sous quelque forme que ce soit, des côtes du nord de la masse continentale eurasienne, ces côtes qui bordent les deux principaux océans du monde, l'Atlantique et le Pacifique" [35]. La nécessité de l'intégration géopolitique de l'Europe et de la Russie impose aux Européens comme aux Russes la révision définitive de certaines oppositions, à commencer par l'"opposition "raciale" entre Euro-Allemands et Slaves" [36]. Mais les Russes doivent aussi éliminer les résidus de cette europhobie qui, née du juste besoin de revaloriser leur composante turco-tatare, les a parfois conduits à opposer radicalement la Russie à l'Europe germanique et latine. Par conséquent, "si l'on peut et doit encore parler d'Occident et d'Orient, la ligne de démarcation doit être placée entre les deux hémisphères, entre les deux masses continentales séparées par les grands océans" [37], de sorte que le véritable Occident, la terre du couchant, se révélera être l'Amérique, tandis que l'Orient, la terre de la lumière, coïncidera avec l'ancien Continent.
Selon la perspective géopolitique qui caractérisait la pensée de Douguine jusqu'en 2016, l'Eurasie - l'ensemble du continent eurasiatique - est l'objet de l'agression des États-Unis d'Amérique, qui sont poussés à la conquête du Heartland et donc de la puissance mondiale par leur propre nature thalassocratique (et pas simplement par l'orientation idéologique d'une partie de leur classe politique). Mais au moment de la campagne électorale de Donald Trump et de son élection à la présidence des États-Unis, la pensée de Douguine subit un changement radical : adoptant un critère plus idéologique que géopolitique et désignant l'"ennemi principal" non plus dans la puissance nord-américaine mais dans la faction libérale et mondialiste, Douguine salue l'élection de Trump avec un enthousiasme fervent et écrit textuellement: "Pour moi, il est évident que la victoire de Trump a marqué l'effondrement du paradigme politique mondial et, simultanément, le début d'un nouveau cycle historique (...). À l'ère de Trump, l'antiaméricanisme est synonyme de mondialisation (...). En d'autres termes, dans le contexte politique actuel, l'antiaméricanisme devient partie intégrante de la rhétorique de l'élite libérale elle-même, pour qui l'avènement de Trump a été un véritable coup dur". Pour les opposants à Trump, le 20 janvier 2017 était la 'fin de l'histoire', alors que pour nous, il représentait une passerelle vers de nouvelles opportunités et options" [38]. Trois ans plus tard, le 3 janvier 2020, le jour même où Trump revendiquait fièrement l'assassinat du général iranien Qasem Soleimani, Douguine lui a souhaité - dans un message posté sur Facebook - quatre années supplémentaires en tant que président: "Four more years". En 2021, Douguine réitère sa position pro-Trump dans un Manifeste du Grand Réveil [39], dans lequel il affirme que le Grand Réveil " vient des États-Unis, de cette civilisation dans laquelle le crépuscule du libéralisme est plus intense que partout ailleurs" [40], ne manquant toutefois pas de reconnaître le " rôle important joué dans ce processus par l'agit-prop américain d'orientation conservatrice Steve Bannon" [41]. La conclusion est que "notre lutte n'est plus contre l'Amérique. L'Amérique que nous avons connue n'existe plus. La division de la société américaine est désormais irréversible. Nous sommes partout dans la même situation, aux États-Unis et à l'extérieur. La même bataille se joue à l'échelle mondiale" [42].



"L'Empire européen est, par postulat, eurasien"
Dans la perspective "horizontale" de Carlo Terracciano, l'influence de la pensée de Jean Thiriart (1922-1992) est évidente, qui en est venu à théoriser, après une longue élaboration, la fusion politique de l'Europe et de la Russie en une seule république impériale. En 1964, dans une Europe divisée entre deux blocs, Thiriart avait publié dans les principales langues européennes un livre intitulé Un empire de 400 millions d'hommes : l'Europe, dans lequel il affirmait la nécessité historique de construire une Europe unitaire, indépendante à la fois de Washington et de Moscou. Dans le cadre d'une géopolitique et d'une civilisation communes, écrit-il, l'Europe unitaire et communautaire s'étend de Brest à Bucarest. (...) Aux 414 millions d'Européens s'opposent les 180 millions d'habitants des États-Unis et les 210 millions d'habitants de l'URSS" [43].
Conçu comme une troisième force souveraine et armée, l'"empire de 400 millions d'hommes" imaginé par Thiriart devra établir une relation de coexistence avec l'URSS basée sur des conditions précises: "La coexistence pacifique avec l'URSS ne sera possible qu'après que toutes nos provinces orientales auront recouvré leur indépendance. La coexistence pacifique avec l'URSS commencera le jour où l'URSS reviendra à l'intérieur des frontières de 1938. Mais pas avant : toute forme de coexistence qui impliquerait la division de l'Europe n'est qu'une supercherie" [44]. Selon Thiriart, la coexistence pacifique entre l'Europe unifiée et l'URSS trouverait son développement logique dans "un axe Brest-Vladivostok. (...) Si l'URSS veut garder la Sibérie, elle doit faire la paix avec l'Europe, avec l'Europe de Brest à Bucarest, je le répète. L'URSS n'a pas, et aura de moins en moins, la force de conserver Varsovie et Budapest d'une part, Tchita et Khabarovsk d'autre part. Elle devra choisir, sous peine de tout perdre. (...) L'acier produit dans la Ruhr pourrait bien servir à défendre Vladivostok" [45]. L'axe Brest-Vladivostok théorisé par Thiriart à l'époque semble avoir davantage le sens d'un accord visant à définir les sphères d'influence respectives de l'Europe unie et de l'URSS, puisque "dans la première moitié des années 1960, Thiriart raisonne encore en termes de géopolitique "verticale", ce qui l'amène à penser selon une logique plus "eurafricaine" qu'"eurasienne", c'est-à-dire à esquisser une extension de l'Europe du Nord au Sud et non d'Est en Ouest.
Le scénario esquissé en 1964 a été développé par Thiriart au cours des années suivantes, de sorte qu'en 1982, il pouvait le définir ainsi : "Nous ne devons plus raisonner ou spéculer en termes de conflit entre l'URSS et nous, mais en termes de rapprochement puis d'unification. (...) nous devons aider l'URSS à se compléter dans la grande dimension continentale. Cela triplera la population soviétique qui, de ce fait, ne pourra plus être une puissance à dominante "russe". (...) C'est la physique de l'histoire qui obligera l'URSS à chercher des rivages sûrs : Reykjavik, Dublin, Cadix, Casablanca. Au-delà de ces limites, l'URSS ne sera jamais en sécurité et devra vivre dans une préparation militaire incessante. Et coûteux" [47]. La vision géopolitique de Thiriart est alors devenue ouvertement eurasienne : "L'empire euro-soviétique", écrit-il en 1987, "s'inscrit dans la dimension eurasienne" [48]. Ce concept a été réitéré dans le long discours qu'il a prononcé à Moscou trois mois avant sa mort : "L'Empire européen", a-t-il déclaré à cette occasion, "est, par postulat, eurasien" (49).

L'idée d'un "Empire euro-soviétique" a été exposée par Thiriart dans un livre écrit en 1984 et publié à titre posthume. En 1984, l'auteur écrivait : "L'histoire donne aux Soviétiques l'héritage, le rôle, le destin qui avait été brièvement attribué au [Troisième] Reich : l'URSS est la principale puissance continentale en Europe, c'est le cœur de la géopolitique. Mon discours s'adresse aux chefs militaires de ce magnifique instrument qu'est l'armée soviétique, un instrument qui manque d'une grande cause" [50]. Partant du constat que dans la mosaïque européenne composée de pays satellites des Etats-Unis ou de l'URSS, le seul Etat véritablement indépendant, souverain et militairement fort était l'Etat soviétique, Thiriart assignait à l'URSS un rôle analogue à celui joué par le Royaume de Sardaigne dans le processus d'unification italienne ou par le Royaume de Prusse dans le monde allemand; ou, pour citer un autre parallèle historique proposé par Thiriart lui-même, par le Royaume de Macédoine dans la Grèce du 4ème siècle av. J.C.: "La situation de la Grèce en 350 av. J.C., divisée en cités-états rivales et partagée entre les deux puissances de l'époque, la Perse et la Macédoine, présente une analogie évidente avec la situation de l'Europe occidentale actuelle, divisée en petits États territoriaux faibles (Italie, France, Angleterre, Allemagne fédérale) soumis aux deux superpuissances" [51]. Par conséquent, de même qu'il existait un parti macédonien à Athènes, il aurait été opportun de créer en Europe occidentale un parti révolutionnaire collaborant avec l'Union soviétique qui, en plus de se libérer des entraves idéologiques d'un dogmatisme marxiste handicapant, aurait dû éviter toute tentation d'établir une hégémonie russe sur l'Europe, faute de quoi son entreprise aurait inévitablement échoué, tout comme avait échoué la tentative de Napoléon d'établir une hégémonie française sur le continent. Il ne s'agit pas, précise Thiriart, de préférer un protectorat russe à un protectorat américain. Non. Il s'agit de faire découvrir aux Soviétiques, qui l'ignorent probablement, le rôle qu'ils pourraient jouer: s'élargir en s'identifiant à l'ensemble de l'Europe. Tout comme la Prusse, en s'élargissant, est devenue l'Empire allemand. L'URSS est la dernière puissance européenne indépendante dotée d'une force militaire significative. Elle manque d'intelligence historique" [52].


L'échiquier eurasien
L'échiquier eurasien est le titre du deuxième chapitre d'un livre écrit en 1997 par Zbigniew Brzezinski (1928-2017) [53], qui fut conseiller à la sécurité nationale de 1977 à 1981, sous la présidence de Jimmy Carter. S'inspirant des thèses de Sir Halford Mackinder (1861-1947), dont il ne manque pas de citer la célèbre formule [54], Brzezinski explique aux milieux de l'impérialisme nord-américain la nécessité d'adopter une "géostratégie pour l'Eurasie" [55], estimant indispensable que les Etats-Unis, s'ils veulent dominer le monde, exercent leur contrôle sur le continent eurasiatique. "Pour l'Amérique, écrit-il, l'Eurasie est le principal butin géopolitique. Pendant un demi-millénaire, les affaires mondiales ont été dominées par les puissances eurasiennes (...) Aujourd'hui, une puissance non eurasienne domine l'Eurasie, et la primauté mondiale de l'Amérique dépend directement de la durée et de l'efficacité de sa prépondérance sur le continent eurasien" [56]. Brzezinski attire l'attention sur un fait : "L'Eurasie est le plus grand continent du globe et est géopolitiquement axiale" [57], de sorte qu'une puissance capable de la dominer contrôlerait deux des trois régions les plus avancées et économiquement productives du monde. D'autre part, "un simple coup d'œil sur la carte montre également que le contrôle de l'Eurasie impliquerait presque automatiquement la subordination de l'Afrique, ce qui rendrait l'hémisphère occidental et l'Océanie géopolitiquement périphériques par rapport au continent central du monde" [58]. En outre, "l'Eurasie abrite également les États les plus dynamiques et les plus affirmés sur le plan politique. Après les États-Unis, les six plus grandes économies et les six plus grands acheteurs d'armes se trouvent en Eurasie. Les deux pays les plus peuplés qui aspirent à l'hégémonie régionale et à l'influence mondiale sont eurasiens. Tous les adversaires politiques et/ou économiques potentiels de la primauté américaine sont eurasiens. Au total, la puissance de l'Eurasie dépasse de loin celle de l'Amérique. Heureusement pour l'Amérique, l'Eurasie est trop grande pour être politiquement unie. L'Eurasie est donc l'échiquier sur lequel la lutte pour la primauté mondiale continue de se dérouler" [59].
Pour donner une idée de "cet immense échiquier eurasien aux formes étranges qui s'étend de Lisbonne à Vladivostok" [60], sur lequel se joue "le grand jeu", Brzezinski insère une carte du continent divisé en quatre grands espaces, qu'il nomme respectivement Espace médian (correspondant approximativement à la Fédération de Russie et aux territoires adjacents d'Asie centrale), Ouest (Europe), Sud (Proche et Moyen-Orient), et Est (Extrême-Orient et Asie du Sud-Est). "Si l'espace médian, écrit Brzezinski, peut être attiré de plus en plus dans l'orbite expansive de l'Occident (où l'Amérique est prépondérante), si la région méridionale n'est pas soumise à la domination d'un seul acteur et si l'Extrême-Orient n'est pas unifié de manière à provoquer l'expulsion de l'Amérique des bases qu'elle maintient en dehors de son territoire, alors on peut dire que l'Amérique l'emporte. Mais si l'espace moyen rejette l'Occident, devient une entité affirmée et prend le contrôle du Sud ou établit une alliance avec le principal acteur oriental [la Chine, ndlr], on peut dire que l'Amérique l'emporte. Il en irait de même si les deux grands acteurs d'Extrême-Orient [la Chine et le Japon, ndlr] s'unissaient d'une manière ou d'une autre" [61].
La "géostratégie pour l'Eurasie" élaborée par Brzezinski identifie l'Europe comme le principal moyen pour les États-Unis de projeter leur puissance sur le continent eurasien. Selon la définition brutalement réaliste utilisée par l'ancien conseiller de Carter, l'Europe est la "tête de pont géopolitique fondamentale de l'Amérique sur le continent eurasien" [62] ; en outre, il s'agit d'une "tête de pont démocratique" [63] puisque "les mêmes valeurs" [64] qui ont été exportées de l'Amérique vers l'Europe en 1945 et 1989 ont fait de cette dernière "l'allié naturel [sic !] de l'Amérique" [65]. Par conséquent, Brzezinski nous assure que l'élargissement de l'Union européenne, politiquement non pertinente et militairement soumise, ne devrait pas inquiéter outre mesure la Maison Blanche, au contraire: "Une Europe plus large élargira le rayon de l'influence américaine (...) sans créer en même temps une Europe politiquement si intégrée qu'elle puisse immédiatement défier les États-Unis ailleurs dans des affaires géopolitiques de grande importance pour l'Amérique, en particulier au Moyen-Orient" [66].
En ce qui concerne le rôle géopolitique de la Russie, le grand pays au centre de la masse continentale eurasienne, Brzezinski se réfère aux éventualités envisagées par les analystes à la fin des années 1990. De toutes les théories formulées à l'époque, celle qui a été pratiquement réalisée était que la Russie, tôt ou tard, formerait un ensemble eurasien avec l'Iran et la Chine : "la puissance islamique la plus militante du monde et la puissance asiatique la plus peuplée et la plus forte" [67].
NOTES:
[1] George Orwell, Nineteen Eighty-Four, Secker & Warburg, London 1949.
[2] Roderigo Di Castiglia (pseudonimo di Palmiro Togliatti), Hanno perduto la speranza, “Rinascita”, anno VI, n° 11-12, novembre-dicembre 1950.
[3] Giulio Meotti, Ecco perché ho scritto 1984, “Il Foglio” (versione digitale), 26 agosto 2013.
[4] Eduard Suess, Das Antlitz der Erde, 3 vol., F. Tempsky, Prag-Wien-Leipzig 1885-1909.
[5] Carl Gustav Reuschle, Handbuch der Geographie oder Neueste Erdbeschreibung mit besonderer Rücksicht auf Statistik, Topographie und Geschichte, Schweizerbart, Stuttgart 1859.
[6] Esiodo, Teogonia, 346-348.
[7] Eschilo, Persiani, 185-186.
[8] Raniero Gnoli, Ricordo di Giuseppe Tucci, ISIAO, Roma 1985, p. 9.
[9] Giuseppe Tucci, Ciro il Grande. Discorso commemorativo tenuto in Campidoglio il 25 maggio 1971, ISIAO, Roma 1971, p. 14.
[10] Mircea Eliade, L’épreuve du labyrinthe. Entretiens avec Claude-Henri Rocquet, Pierre Belfond, Paris 1978, p. 70.
[11] Mircea Eliade, L’Europe et les rideaux, “Comprendre”, 3, 1951, p. 115.
[12] Roberto Scagno, Mircea Eliade: un Ulisse romeno tra Oriente e Occidente, in: AA. VV., Confronto con Mircea Eliade, Jaca Book, Milano 1998, p. 21.
[13] Mircea Eliade, Struttura e funzione dei miti, in Spezzare il tetto della casa, Jaca Book, Milano 1988, pp. 74-75.
[14] Franz Altheim, Storia della religione romana, Settimo Sigillo, Roma 1996, p. 30.
[15] Franz Altheim, Attila et les Huns, Payot, Paris 1952, p. 5.
[16] Franz Altheim, Attila et les Huns, cit., p. 225.
[17] Onpourrait ajouter quelques autres figures exemplaires: cfr. C. Mutti, Esploratori del Continente. L’unità dell’Eurasia nello specchio della filosofia, dell’orientalistica e della storia delle religioni, Effepi, Genova 2011.
[18] Eurasisme ou eurasiatisme? Eurasiste ou eurasiatiste? Il est vrai que les termes eurasisme et eurasiste (sont) désormais entrés dans l'usage commun" (Aldo Ferrari, La Foresta e la Steppa. Il mito dell’Eurasia nella cultura russa, Libri Scheiwiller, Milano 2003, p. 197, n. 89). Toutefois, si nous nous basons sur un critère analogique et sinous retenons comme préférable les formes eurasiatisme et eurasiatiste puisque il existe des termes similaires comme le montrent les exemples d'européisme, d'africanisme, d'américanisme, etc., ainsi que les adjectifs correspondants formés par l'ajout des suffixes -isme, -iste (pour les adjectifs) et non au substantif. Autrement nous aurions "europiste", "afriquiste", "amériquiste".
[19] "La cultrure européenne (...) est la résultante de l'histoire d'un groupe ethnique déterminé. Les tribus germaniques et celtiques, ayant subi en diverses mesures l'influence de la culture romaine et s'étant fortement mélangées entre elles, ont, au départ d'éléments propres à leurs cultures nationales et d'éléments issus de la culture romaine, créé un mode particulier de vie commune. En vertu des conditions ethnographiques et géographiques communes, ils ont vécu pendant longtremps des formes de vie commune et dans leurs coutumes et dans leurs histoire, grâce à des rapports réciproques continus, les éléments communs se sont avérés tellement pertinents que le sentiments d'unité romano-germanique est pour toujours présents, inconsciemment, en eux" (Nikolaj Trubeckoj, L’Europa e l’umanità, Einaudi, Torino 1982, p. 12).
[20] Pour accéder à un panorama de la pensée eurasiatiste "classique", outre l'étude déjà citée d'Aldo Ferrari, La Foresta e la Steppa, on consultera Otto Böss, La dottrina eurasiatica. Contributi per una storia del pensiero russo nel XX secolo, Società Editrice Barbarossa, Cusano Milanino, s.d.
[21] Nicolas S. Troubetzkoy, Principes de Phonologie traduits par J. Cantineau, Paris 1949.
[22] AA. VV., Ischod k Vostoku. Predčuvstrija i sverženija. Utverždenie evrazijcev, Rossijsko-Bolgarskoe izdatel’stvo, Sofija 1921.
[23] Nikolaj Sergeevič Trubeckoj, L’eredità di Gengis Khan, Società Editrice Barbarossa, Milano 2005, p. 24.
[24] Pëtr Savickij, Povorot k Vostoku, in AA. VV., Ischod k Vostoku, cit., pp. 1-13.
[25] Martino Conserva – Vadim Levant, Lev Nikolaevič Gumilëv, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2005; Luigi Zuccaro, La geofilosofia con Lev Gumilëv, Anteo, Cavriago 2022.
[26] In italiano: Lev Gumilëv, Gli Unni. Un impero di nomadi antagonista dell’antica Cina, Einaudi 1972.
[27] Aleksandr Dugin, L’idea eurasiatista, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 1/2004, p. 9.
[28] Alain De Benoist – Aleksandr Dugin, Eurasia. Vladimir Putin e la grande politica, Controcorrente, Napoli 2014, p. 100.
[29] Aleksandr Dugin, L’idea eurasiatista, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, cit., pp. 7-23.
[30] Cfr. Karl Haushofer, Il blocco continentale. Mitteleuropa-Eurasia-Giappone, Anteo, Cavriago 2023.
[31] Claudio Mutti, Carlo Terracciano redattore di Eurasia, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 1/2021, pp. 19-24.
[32] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 2/2005, p. 181.
[33] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 191.
[34] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 184.
[35] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 184.
[36] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 186.
[37] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 190.
[38] “For me it is obvious that Trump’s victory marked the collapse of the global political paradigm, and simultaneously the beginning of a new historical cycle. (…) in the ‘Age of Trump’ anti-Americanism is already synonymous with globalization (…) In other words, anti-Americanism in the current political context is becoming an integral part of the rhetoric of the very same liberal elite for whom the arrival of Trump was a real blow. For the opponents of Trump, January 20 was the ‘end of history’, while for us it represented a window for new opportunities and options” (“Les Amis d’Alain de Benoist”, 28 marzo 2017, alaindebenoist.com). Pour une analyse de l'erreur d'évaluation commise par Douguine quant au phénomène trumpiste, cfr. Daniele Perra, La visione strategica di Aleksandr Dugin, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 1/2020, pp. 19-26.
[39] Alexandre Douguine, Contre le Great Reset. Le Manifeste du Grand Réveil, Ars Magna, 2021. Ed. it.: Aleksandr Dugin, Contro il Grande Reset. Manifesto del Grande Risveglio, AGA Editrice, Cusano Milanino 2022.
[40] Alexandre Douguine, Contre le Great Reset. Le Manifeste du Grand Réveil, cit., p. 47. Sulla rinnovata fortuna del tema evangelico del “Grande Risveglio”, cfr. Claudio Mutti, Le sètte dell’Occidente, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 2/2021, pp. 9-17.
[41] Alexandre Douguine, Contre le Great Reset. Le Manifeste du Grand Réveil, cit., p. 37. Sur le rôle de Steve Bannon, cfr. Claudio Mutti, Sovranisti a sovranità limitata, in AA. VV., Inganno Bannon, Cinabro Edizioni, Roma 2019, pp. 83-102.
[42] “Our fight is no more against America. America we knew doesn’t exists anymore. The split of American society is henceforth irreversible. We are in same situation everywhere – inside of US and outside. So the same combat on global scale” (Alexander Dugin, Great Awakening: the future starts now, “Katehon”, 9 gennaio 2021, katehon.com).
[43] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, Volpe, Roma 1965., pp. 17-18.
[44] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, cit., p. 21.
[45] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, cit., pp. 26-29.
[46] Lorenzo Disogra, L’Europa come rivoluzione. Pensiero e azione di Jean Thiriart, Prefazione di Franco Cardini, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2020, p. 30.
[47] Jean Thiriart, Entretien accordé à Bernardo Gil Mugurza [rectius: Mugarza] (1982), in: AA. VV., Le prophète de la grande Europe, Jean Thiriart, Ars Magna 2018, p. 349.
[48] Jean Thiriart, La Turquie, la Méditerranée et l’Europe, “Conscience européenne”, n. 18, luglio 1987.
[49] L'essai L’Europe jusqu’à Vladivostok, diffusé en sa tradution russe par le périodique “Den’” a été publié en français dans le n°9 de “Nationalisme et République” en septembre 1992, est une reprise dela conférence de presse que tint Jean Thiriart à Moscou le 18 août dela même année. La traduction italienne est parue dans Eurasia: la première partie dans le n°4/2013 (pp. 177-183), la seconde partie dans le n°4/2017 (pp. 131-145).
[50] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2018, p. 204.
[51] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, cit., p. 190.
[52] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, cit., p. 191.
[53] Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard. American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, Basic Books, New York 1997. Ed. it.: La grande scacchiera, Longanesi, Milano 1998.
[54] “Who rules East Europe commands the Heartland; Who rules the Heartland commands the World-Island; Who rules the World-Island commands the world” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 38).
[55] “A geostrategy for Eurasia” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 197).
[56] “For America, the chief geopolitical prize is Eurasia. For half a millennium, world affairs were dominated by Eurasian powers (…) Now a non-Eurasian power is preeminent in Eurasia – and America’s global primacy is directly dependent on how long and how effectively its preponderance on the Eurasian continent is sustained” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 30).
[57] “Eurasia is the globe‘s largest continent and is geopolitically axial” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 31).
[58] “A mere glance at the map also suggests that control over Eurasia would almost automatically entail Africa’s subordination, rendering the Western Hemisphere and Oceania geopolitically peripheral to the world’s central continent” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 31).
[59] “Eurasia is also the location of most of the world’s politically assertive and dynamic states. After the United States, the next six largest economies and the next six biggest spenders on military weaponry are located in Eurasia. The world’s two most populous aspirants to regional hegemony and global influence are Eurasian. All of the potential political and/or economic challengers to American primacy are Eurasian. Cumulatively, Eurasia’s power vastly overshadows America’s. Fortunately for America, Eurasia is too big to be politically one. Eurasia is thus the chessboard on which the struggle for global primacy continues to be played” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 31).
[60] “This huge, oddly shaped Eurasian chessboard – extending from Lisbon to Vladivostok” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 35).
[61] “If the middle space can be drawn increasingly into the expanding orbit of the West (where America preponderates), if the southern region is not subjected to domination by a single player, and if the East is not unified in a manner that prompts the expulsion of America from its offshore bases, America can then be said to prevail. But if the middle space rebuffs the West, becomes an assertive single entity, and either gains control over the South or forms an alliance with the major Eastern actor, then America’s primacy in Eurasia shrinks dramatically. The same would be the case if the two major Eastern players [Cina e Giappone] were somehow to unite” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 35).
[62] “America’s essential geopolitical bridgehead in Eurasian continent” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 59).
[63] “The Democratic Bridgehead” est le titre du troisième chapitre de The Grand Chessboard, cit., p. 57.
[64] “the same values” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 59).
[65] “America’s natural ally” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 57).
[66] “A larger Europe will expand the range of American influence (…) without simultaneously creating a Europe politically so integrated that it could soon challenge the United States on geopolitical matters of high importance to America elsewhere, particularly in the Middle East” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 199).
[67] “the world’s most militant Islamic power, and the world’s most populated and powerful Asian power” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 116).
19:10 Publié dans Actualité, Eurasisme, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : claudio mutti, actualité, eurasie, eurasisme, géopolitique, définition, politique internationale, jean thiriart, carlo terracciona, giuseppe tucci, franz altheim, mircea eliade |
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lundi, 23 octobre 2023
L'Iran détecte la vulnérabilité des États-Unis et de ses alliés: le pétrole

L'Iran détecte la vulnérabilité des États-Unis et de ses alliés: le pétrole
Par Alfredo Jalife Rahme
Source: https://noticiasholisticas.com.ar/iran-detecta-la-vulnerabilidad-de-eeuu-y-sus-aliados-el-petroleo-por-alfredo-jalife-rahme/
Un baromètre sensible à suivre pour refléter l'intensification de la guerre d'Israël contre le Hamas est le prix du binôme pétrole/gaz: une vulnérabilité des Etats-Unis et de son allié Israël, qui a dévalué sa monnaie. Pour faire pression sur l'invasion et la destruction de Gaza par Israël, l'Iran joue la carte du boycott pétrolier.
La guerre d'Israël - qui dispose de l'une des meilleures armées professionnelles au monde avec entre 90 et 400 bombes nucléaires (selon les statistiques) et du meilleur, voire de l'emblématique, service d'espionnage de la planète, le Mossad - contre la guérilla palestinienne sunnite du Hamas, est entrée dans sa deuxième semaine de conflagration, alors qu'une escalade évidente avec des allusions à des menaces nucléaires est en train de se produire.
Il existe plusieurs approches pour analyser l'escalade inquiétante qui pourrait conduire à une contamination aux quatre frontières d'Israël :
- 1) le Sud-Liban, où la guérilla chiite du Hezbollah est équipée de 100.000 missiles pouvant causer de graves dommages au Nord d'Israël et au porte-avions américain USS Gerald R. Ford avec sa puissante flottille maritime, qui se trouve au large des côtes israéliennes pour "protéger" son allié.
- 2) la Syrie, où l'armée de l'air israélienne, censée disposer des meilleurs pilotes au monde, a détruit les deux aéroports de Damas et d'Alep, malgré la présence militaire de la Russie au large des côtes syriennes
- 3) la Jordanie, relativement faible sur le plan militaire, dont la population est composée d'au moins 50 % de Palestiniens.
- 4) L'Égypte, première puissance militaire du monde arabe et pays le plus peuplé, qui s'est limitée à une médiation diplomatique avec les États-Unis et Israël, avec lequel elle a signé un accord de paix en 1979.
Tel serait le "premier cercle concentrique" de l'expansion du conflit, dont les ondes pourraient bien atteindre, dans un "deuxième cercle concentrique", deux pays non arabes qui soutiennent la résistance palestinienne à leur manière et dans leur style particulier: la Turquie sunnite et l'Iran chiite.
La guerre hybride asymétrique entre Israël et la guérilla du Hamas n'est pas seulement militaire, elle implique aussi d'autres pays de la région dans un "deuxième cercle concentrique", centré principalement sur tous les pays riverains du golfe Persique, notamment l'Iran et les six pétromonarchies arabes : l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar, le Koweït, le Bahreïn et Oman.
Le président Biden a subi un affront notoire lorsque les dirigeants de l'Égypte, de l'Autorité nationale palestinienne (l'ancienne OLP) et de la Jordanie ont refusé de le rencontrer au sujet de l'infanticide palestinien à l'hôpital Al-Ahli de Gaza.


Au-delà de la focalisation sur le théâtre de la bataille et son "premier cercle concentrique", la récente visite méga-stratégique du ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amir Abdollahian à son voisin maritime, le prince héritier Mohammed bin Salman, c'est-à-dire le représentant d'une des principales superpuissances gazières avec le représentant d'une des premières puissances pétrolières mondiales, mérite d'être relevée parmi ses nombreuses variantes.
Le ministre iranien des affaires étrangères a exhorté les 57 pays de l'Organisation de la coopération islamique, qui compte 1,8 milliard de fidèles musulmans, à boycotter les exportations de pétrole vers les États-Unis et Israël, ce qui rappelle l'embargo pétrolier arabe de 1973, il y a 50 ans, en raison de la guerre du Kippour, auquel les États-Unis ont répondu un an plus tard en créant l'Agence internationale de l'énergie pour contrer le pouvoir de l'OPEP.
Aujourd'hui, 50 ans plus tard, l'OPEP est passée à un format plus créatif par le biais de l'OPEP+, où la présence de la Russie est remarquable.
À mon avis, l'un des principaux baromètres géoéconomiques/géofinanciers de la guerre en cours se trouve dans les prix actuels du pétrole/gaz et de l'or/argent, qui sont encore relativement stables.
Au-delà de ses effets délétères sur l'Europe et Israël - qui a subi une forte dévaluation de sa monnaie, le shekel, forçant l'intervention de sa Banque centrale avec la vente de 30 milliards de dollars -, une façon de faire face à la guerre est de chercher un moyen de sortir de la crise économique/géo-financière actuelle. 30 milliards de dollars - une façon de mesurer la vulnérabilité pétrolière des États-Unis et de leurs alliés - qui ont été affectés par l'effet boomerang des sanctions contre la Russie, qui a provoqué l'inflation incoercible des États-Unis et déclenché une grave crise de la dette un an après son élection présidentielle controversée - a été exposée avec la levée des sanctions par l'administration Biden sur le régime anathémisé de Maduro au Venezuela, qui possède les plus grandes réserves de pétrole conventionnel et non conventionnel au monde.
Il est clair que la sélectivité de la levée des sanctions américaines était principalement axée sur le secteur énergétique du Venezuela, qui, soit dit en passant, entretient d'excellentes relations avec la théocratie chiite iranienne.
Il est intéressant de noter qu'avant l'emblématique 7 octobre - sans perdre de vue le fait que c'est le discours incendiaire du Premier ministre Netanyahu devant l'Assemblée générale des Nations unies qui a déclenché la grave crise régionale, lorsqu'il s'est vanté avec infatuation de la "normalisation" imminente des relations avec l'Arabie saoudite, parallèlement à la présentation de sa carte du nouveau Moyen-Orient où Gaza et la Cisjordanie ont été effacées, ainsi que de la dissuasion nucléaire d'Israël contre l'Iran (ce dernier point a été supprimé par son équipe) - l'administration Biden, qui s'est félicitée de la "normalisation" des relations avec les États-Unis, s'est trouvée au milieu d'une série de sanctions américaines à l'encontre du Venezuela et des États-Unis, l'administration Biden, qui a récolté de multiples échecs en matière de politique étrangère, s'était rapprochée de l'Iran pour reprendre les négociations sur son contentieux nucléaire qui avaient été abolies par l'ancien président Trump pour plaire à son gendre Jared Kushner et au Premier ministre Netanyahou, qu'il a d'ailleurs sévèrement critiqué pour ses actions passées dans l'ancienne Palestine, allant jusqu'à déclarer ces jours-ci que la guérilla chiite libanaise Hezbollah est "très intelligente".
L'un des moyens utilisés pour séduire l'Iran a été la livraison de 6 milliards de dollars déposés au Qatar à la suite d'un embargo pétrolier imposé par la Corée du Sud à la théocratie chiite.
Il est frappant de constater que M. Biden a déclaré qu'il n'y avait "aucune preuve" de l'implication de l'Iran dans l'attaque du Hamas du 7 octobre.
L'Iran a toujours été la cible privilégiée des néoconservateurs straussiens, pour la plupart des Khazars, qui contrôlent le Département d'État aujourd'hui dysfonctionnel dans sa guerre ratée en Ukraine, pour renverser la théocratie chiite, Gaza ou pas Gaza.
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dimanche, 22 octobre 2023
150 pays pour la route de la soie. Mais pour les melonistes italiens et les larbins des Américains, c'est un échec!

150 pays pour la route de la soie. Mais pour les melonistes italiens et les larbins des Américains, c'est un échec!
Enrico Toselli
Source: https://electomagazine.it/150-paesi-per-la-via-della-seta-ma-per-neomeloniani-e-maggiordomi-e-un-fallimento/
La route de la soie chinoise ? Tout le monde sait, parait-il, que c'est un échec. C'est pourquoi la clairvoyante et surtout indépendante Giorgia Meloni l'abandonne sans regret. En revanche, la réunion organisée à Pékin pour célébrer le 10ème anniversaire du projet aurait été désertée par tout le monde. Enfin, presque tout le monde: Poutine s'y est rendu. Mais lui seul, dit-on, selon l'image qui plaît à la désinformation italienne.
En réalité, les représentants de 150 pays et de 30 organisations internationales étaient présents. Mais inutile de s'attarder sur ces chiffres insignifiants. Ni sur les chiffres économiques: des contrats d'une valeur de plus de 2000 milliards de dollars, plus de 200 accords signés avec 152 pays et 32 organisations internationales.
De grandes infrastructures ont été construites, des chemins de fer, des ports, des barrages, des routes. Mais de nombreux pays se sont endettés auprès de Pékin, rétorquent les critiques atlantistes. Certes, mais mieux vaut s'endetter pour réaliser des travaux qui favorisent le développement que de se faire piller par les anciennes puissances coloniales ou par ceux qui considèrent les autres pays comme l'"arrière-cour" des États-Unis.
Et de fait, à l'exception des pontes italiens, les autres partenaires de l'initiative continuent à vouloir travailler avec la Chine. L'opposition créée par les atlantistes entre la route de la soie chinoise et la future route du coton indienne ne fonctionne pas non plus. Car, dans la réalité et non dans les espoirs des analystes occidentaux, les pays impliqués dans les deux projets sont souvent les mêmes et leurs infrastructures respectives se connectent et se renforcent.
Ce sont les infrastructures qui permettent le développement du Sud. Des investissements auxquels l'Italie du plan Mattei oppose gratuité et effet d'aubaine, exploitation et désillusion. Des investissements? Zéro. Des stratégies de développement? Zéro. Pourtant, ils financent des journaux et des journalistes qui racontent la belle histoire d'une Chine au bord du gouffre et d'une Russie qui plonge dans l'abîme. Bien que la réalité soit légèrement différente. Mais le régime a de nombreux amis prêts à répéter que Zelensky est sur le point d'occuper Moscou et que le PIB italien s'envole. Et près de 50 % des Italiens y croient.
23:35 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, géopolitique, politique internationale, routes de la soie |
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vendredi, 20 octobre 2023
Géopolitique: Quel est l'intérêt de l'Allemagne ?

Géopolitique: Quel est l'intérêt de l'Allemagne ?
Une analyse exclusive du publiciste Dimitrios Kisoudis pour le Deutschland-Kurier
Source: https://deutschlandkurier.de/2023/10/geopolitik-was-ist-deutsches-interesse/?fbclid=IwAR2wP31NZahxPGZ3EGxWNfueZ_FeT2H1dIIrmWxhexjWoB6asotDYXWiL6E
Oui, il faut s'exprimer sur chaque conflit. Car c'est un conflit de même source qui éclate partout dans le monde. Et de son issue dépendra la capacité de l'Allemagne à s'en sortir. Mais il faut prendre position en partant de l'intérêt allemand.
Quel est l'intérêt allemand ? Il consiste tout d'abord à secouer le joug du wokisme, à stopper l'immigration, à normaliser les rôles des hommes et des femmes et à se reconnecter au commerce mondial de l'énergie. Le problème fondamental est l'hégémonie américaine sur l'Europe. Elle conditionne et fixe les règles de l'antiracisme, de l'intégration, de la dimension que prennent les théories du genre et de la pénurie d'énergie. De la rééducation à l'ouverture des frontières et au dynamitage de Nord Stream, le long chemin de l'Allemagne vers un tropisme occidental s'est étendu. Il ne s'est pas terminé par le salut mais par le malheur.
Le pétrodollar et la monnaie fiduciaire constituent la base de l'hégémonie américaine. Les États-Unis impriment des dollars à volonté, car l'argent n'est plus lié à l'or. Pour éviter l'inflation, ils laissent le dollar - sous la menace - s'écouler vers le reste du monde comme monnaie de réserve dans le commerce de l'énergie: our currency, your problem. C'est sur ce principe que repose la domination américaine sur l'Eurasie. L'Allemagne est trop faible pour se libérer activement des États-Unis et de leur idéologie impériale. Elle a besoin que cette domination se brise d'elle-même, de l'extérieur.
Les pays BRICS prennent actuellement de nombreuses initiatives pour briser le pétrodollar et entamer la dédollarisation. En particulier, ils effectuent le commerce de l'énergie dans leurs propres monnaies. Une monnaie liée aux matières premières est en cours de discussion. Ils obligent ainsi les États-Unis à découpler également le dollar, déjà détaché des actifs tangibles, du commerce du pétrole et à faire un pas supplémentaire risqué vers la virtualité. Pour l'Europe et l'Allemagne, cela ouvre la porte de la liberté qu'ils n'ont pas pu ouvrir par leurs propres moyens.
L'accord de paix entre l'Iran et l'Arabie saoudite est un élément important de la dédollarisation. Après des années de querelles et de conflits par procuration, la puissance régionale chiite et la puissance régionale sunnite-wahhabite ont rouvert des ambassades réciproques - par l'intermédiaire de la République populaire de Chine. Avec l'Arabie saoudite, la pierre angulaire du pétrodollar risque de se détacher de l'Occident. L'Allemagne a un intérêt éminent à ce que cette étape réussisse et que les relations entre l'Arabie saoudite et l'Iran soient pacifiées.
Les conflits au Moyen-Orient doivent également être évalués en fonction de cet intérêt prioritaire. Pas à partir d'images télévisées ou d'autres moyens de pression 'moraux'. L'intérêt de l'Allemagne n'est pas identique à celui d'Israël et ne dépend pas du bien-être des Palestiniens. On ne peut pas non plus juger le conflit en assimilant les Palestiniens aux immigrés de notre pays et les Israéliens à la population allemande majoritaire. Cette vision témoigne d'un provincialisme politique et n'a rien à voir avec la réalité.
Le parallèle ne tient pas la route, car la politique étrangère repose sur des conditions différentes de celles de la politique intérieure. C'est précisément l'occidentalisation de l'Allemagne qui a conduit à une orientalisation à l'intérieur: le recrutement de 'travailleurs invités' turcs s'est fait dans le contexte de l'appartenance des deux pays à l'OTAN. Et c'est probablement l'orientalisation de l'Allemagne vers l'extérieur qui permettrait à nouveau une germanisation interieure. Ceux qui prennent l'Occident comme référence pour comprendre les conflits mondiaux font fausse route. L'Allemagne n'a jamais fait partie de cet Occident. Et elle ne le fera jamais.
23:40 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, géopolitique, allemagne, europe, affaires européennes, politique internationale |
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mardi, 17 octobre 2023
La crise au Moyen-Orient et les voies de transport

La crise au Moyen-Orient et les voies de transport
Leonid Savin
Source: https://katehon.com/ru/article/krizis-na-blizhnem-vostoke-i-transportnye-marshruty-evrazii
Sur fond de nouveau conflit en Palestine, l'annonce de la suspension des négociations entre l'Arabie saoudite et Israël a donné lieu à une interprétation plus large des événements affectant les intérêts de l'Inde, de l'Iran, de l'UE, de la Russie et de la Chine. Alors que les guerres au Moyen-Orient ont toujours affecté le monde entier, en particulier la région Eurasie, d'une certaine manière, cette affaire est en effet liée aux projets de plusieurs États à l'égard d'Israël et de l'Arabie saoudite.
Quelques jours avant l'attaque du Hamas, la Maison Blanche a confirmé que presque toutes les questions relatives à la normalisation des relations entre l'Arabie saoudite et Israël avaient déjà été résolues, quelques nuances concernant l'Iran restant à convenir.
Du côté saoudien, il y avait deux conditions: l'accès à la technologie nucléaire et l'amélioration des conditions socio-économiques des Palestiniens, qui dépendaient directement d'Israël. La question palestinienne est devenue la pierre angulaire de ces négociations et le Hamas a pratiquement fait capoter l'accord. Dans le même temps, l'Occident collectif était intéressé par un autre projet géoéconomique - la création d'un autre corridor de transport, avec l'Arabie saoudite et Israël comme acteurs clés.
Corridor Inde-Moyen-Orient-UE
Cet accord a été conclu lors du sommet du G20 à New Delhi. Selon une lettre d'information de la Maison Blanche, les dirigeants des États-Unis, de l'Inde, de l'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de la France, de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Union européenne ont signé un protocole d'accord portant sur la création d'un nouveau corridor économique Inde-Moyen-Orient-UE (IMEC).
Outre les liaisons ferroviaires et les lignes maritimes, des câbles de données à haut débit et des pipelines énergétiques sont envisagés. Ceux-ci viendraient compléter les réseaux maritimes et routiers existants afin d'améliorer la circulation des biens et des services vers et entre ces pays.
D'un point de vue géopolitique, le corridor Inde-Moyen-Orient-UE est désormais considéré comme un concurrent de l'initiative chinoise Belt and Road. Les États-Unis et les pays de l'UE ont probablement caressé un tel espoir, bien que l'initiative chinoise implique plus de 150 pays et qu'une trentaine d'organisations internationales y aient adhéré. L'Arabie saoudite et Israël sont également membres de l'initiative chinoise. Il n'y a donc pas de véritable concurrence.
Quant à l'Inde, elle s'est d'abord opposée à la Ceinture et la Route parce que sa principale composante, le corridor économique Chine-Pakistan, passe par un territoire contesté. Il était important pour New Delhi de créer une route alternative vers les pays de l'UE, car aujourd'hui l'ensemble du flux de marchandises passe par le canal de Suez. En outre, en 2003, le conglomérat indien Adani Group a acquis le port de Haïfa en Israël, et les relations entre l'Inde et Israël ces dernières années ont été très productives dans divers domaines.
Le retrait de l'Italie de l'initiative chinoise témoigne en revanche du scepticisme des pays européens, qui se méfient de plus en plus de la puissance croissante de la Chine, suivant en cela la ligne politique de Washington.
Entre-temps, outre le projet Inde-Moyen-Orient-Europe, qui a échoué jusqu'à présent, et la Ceinture et la Route, il existe d'autres alternatives pour l'organisation des routes et de la logistique. Elles ont leurs propres acteurs et opposants, comme dans le cas des deux projets susmentionnés.



Couloir médian
La veille, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev s'est rendu en Géorgie où, lors d'une rencontre avec le Premier ministre Irakli Garibashvili, il a confirmé l'importance du corridor du milieu et de la participation à celui-ci. La question de la reprise de la construction d'un nouveau port en eau profonde à Anaklia a été soulevée, ainsi que le développement d'autres infrastructures de transport.
Cette initiative a été officiellement créée en 2013 par le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan et la Géorgie, mais a commencé à prendre de l'ampleur relativement récemment. Il existe une association internationale "Trans-Caspian International Transport Route", qui est l'opérateur de ce projet.
Lors de la réunion régulière des 28 et 29 septembre 2023 à Aktaou, un accord sur l'interaction et les mesures de responsabilité dans l'organisation du transport de marchandises dans des trains de conteneurs le long de la route TMTM avec l'utilisation de navires d'apport et un accord sur l'organisation du transport de conteneurs dans la communication internationale directe rail-mer avec la participation de navires d'apport entre les ports de la mer Caspienne (Aktaou - Bakou-Alyat) ont été signés. Les sociétés suivantes ont également été acceptées comme membres : Alport (Azerbaïdjan), BMF Port Burgas (Bulgarie), Semurg Invest (Kazakhstan), LTG Cargo (Lituanie), Global DTC Pte.Ltd (Singapour) et Istkomtrans LLP (Kazakhstan). L'association compte désormais 25 entreprises membres, représentées par 11 pays.
Bien que le corridor médian représente actuellement moins de 10 % du volume total de marchandises transportées le long de la route du Nord (c'est-à-dire à travers le territoire de la Russie), en raison de la capacité limitée des ports maritimes et des chemins de fer, de l'absence d'une structure tarifaire unifiée et d'un opérateur unique, les pays membres de l'association TMTM ont mis en place un système de gestion de la chaîne logistique. Actuellement, les pays membres de TMTM se sont fixé pour objectif de porter la capacité du corridor médian à 10 millions de tonnes par an d'ici à 2025.
L'un des avantages du corridor médian est qu'il est plus court de 2000 kilomètres que le corridor septentrional qui passe par la Russie. Le temps de trajet entre la Chine et l'Europe est ainsi ramené à 12 jours, contre 19 jours pour le corridor nord. En outre, le corridor médian permettra de réduire les risques de sanctions associés au transit par la Russie. Bien entendu, il ouvre l'accès à de nouveaux marchés, avec une population d'environ 80 millions d'habitants le long de l'itinéraire.
Le corridor médian offre également la possibilité d'augmenter les exportations d'énergie de l'Asie centrale vers l'Europe. Par exemple, le Kazakhstan a l'intention d'expédier 1,5 million de tonnes de pétrole (2 à 3% de ses exportations de pétrole) vers l'Europe via le corridor du milieu cette année.
Les deux initiatives ont un point commun. Comme le corridor Inde-Moyen-Orient-UE, cet itinéraire contourne la Russie. Cependant, le corridor du milieu inclut la Chine. Le 19 mai 2023, Xi Jinping a rencontré cinq dirigeants d'Asie centrale lors du sommet Chine-Asie centrale pour discuter du lancement du chemin de fer Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan et de la construction de plusieurs autoroutes qui feront partie intégrante du corridor du milieu.

La Turquie, quant à elle, tente de tirer parti de son importance géostratégique pour devenir un pont entre l'UE, d'une part, et les pays du Caucase et d'Asie centrale et la Chine, d'autre part.
Dans un scénario optimiste, le corridor médian devrait porter la capacité de transit à 50 millions de tonnes, ce qui complète la vision chinoise d'une route de la soie en fer, ainsi que l'influence régionale croissante de la Turquie. Par ailleurs, la Turquie joue également un rôle crucial en tant qu'intermédiaire dans la chaîne de valeur européenne en raison de sa structure géographique.
Toutefois, le président turc Erdogan a récemment annoncé des plans pour un corridor commercial alternatif et envisage de partager le projet de la route de développement irakienne comme itinéraire alternatif. Aujourd'hui, la part de la Turquie dans l'économie irakienne est déjà très importante.

Du nord au sud
Enfin, il y a le corridor de transport international Nord-Sud, dans lequel l'Inde est également impliquée. Les autres acteurs clés sont l'Iran et la Russie, dont le territoire est traversé par cette route.
Cet itinéraire fait l'objet de discussions depuis un certain temps, mais ce n'est que cette année que des résultats concrets ont été observés, à la fois en termes de services de ferry à travers la Caspienne et d'achèvement de la section ferroviaire Azerbaïdjan-Iran. Il pourrait comporter plusieurs branches, en particulier une section maritime de l'Iran à l'Arabie Saoudite (des marchandises en provenance de Russie y ont déjà été transportées), ainsi qu'une direction ferroviaire de l'Iran au Turkménistan et, plus loin, aux pays d'Asie centrale. Une dimension horizontale supplémentaire couvrant l'Afghanistan et le Pakistan (y compris la réactivation du gazoduc énergétique TAPI) est également envisageable à l'avenir.
La Turquie, qui partage une frontière avec l'Iran, pourrait également rejoindre ce corridor, mais elle n'est pas pressée de le faire.
La position russe sur la mise en œuvre de cette route est optimiste (même le corridor du milieu peut être mutuellement bénéfique), mais pas assez proactive. Après tout, ce n'est que maintenant, dans le cadre du régime de sanctions, que nous sommes parvenus à des décisions et à des résultats concrets, alors qu'il aurait été beaucoup plus facile de le faire plus tôt.
En outre, compte tenu de la crainte du Kazakhstan de tomber sous le coup de sanctions secondaires, il est peu probable que les intérêts de la Russie soient pris en compte dans ce pays. Au contraire, le Kazakhstan tentera de promouvoir le corridor médian afin de diversifier ses capacités logistiques.
En résumé, nous pouvons conclure que la Ceinture et la Route continuera à se développer selon la trajectoire prévue. Le corridor du milieu peut représenter un certain risque pour la Russie de perdre une partie de son transit. Le corridor Inde-Moyen-Orient-UE reste irréalisable. Le corridor Nord-Sud est le plus prometteur du point de vue des intérêts de la Russie. Les économies iranienne et russe sont de plus en plus interconnectées (et à la veille de l'adhésion de l'Iran à l'EAEU, c'est important). Les contacts avec l'Inde continuent de se développer, ce qui contrebalance le vecteur chinois. Le développement de ce corridor de transport incitera d'autres pays de la région à l'emprunter. En outre, il ne comporte pas de risques graves, comme dans le cas de la plaque tournante proposée au Moyen-Orient. La Russie et l'Iran sont des partenaires stratégiques intéressés par la formation d'un ordre mondial multipolaire. L'Inde souhaite également modifier l'ordre actuel. Les clients de Washington, tels qu'Israël, ou les acteurs ambitieux, tels que la Turquie, ne sont pas présents en tant que participants clés à ce projet. Il convient toutefois de tenir compte du fait que l'Occident tentera par tous les moyens de mettre des bâtons dans les roues pour entraver le fonctionnement du corridor Nord-Sud. Les tentatives de brouiller l'Azerbaïdjan et l'Iran, ainsi que les diverses accusations portées par les États-Unis contre Téhéran, sont directement liées à cette situation et visent à isoler l'Iran.
18:10 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique internationale, corridors économiques, géopolitique, routes de la soie, eurasie, inde, russie, chine, europe, affaires européennes |
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samedi, 14 octobre 2023
Vers une géopolitique de la Transcaucasie

Vers une géopolitique de la Transcaucasie
Alexandre Douguine
Source: https://katehon.com/ru/article/k-geopolitike-zakavkazya?fbclid=IwAR20isyvIdAM7bUhnFBBA7SVPJAaXBkRaUug7CMAlFuMx4aXrwJEVn_X1HY
Le Caucase du Sud constitue un sérieux problème pour la Russie. Cependant, il en va de même pour tous les pays voisins, à l'exception de la Biélorussie. Seules les relations avec Minsk sont solides et fiables. Tout le reste demeure très problématique.
Tout cela est dû à l'absence d'une stratégie claire. Au cours des 30 dernières années, la Russie s'est engagée dans trois directions à la fois :
- Elle a cherché à s'intégrer dans le monde occidental (d'abord à n'importe quelle condition, puis, sous Poutine, à condition de maintenir son indépendance) ;
- Elle a cherché à renforcer sa propre souveraineté (face à l'Occident et aux États voisins) ;
- Elle a tenté de jouer un rôle de premier plan dans l'espace (impérial) post-soviétique et a facilité partiellement (de manière désordonnée, fragmentaire et incohérente) l'intégration eurasienne.
Ces trois vecteurs ont tiré le pays dans des directions différentes et ont nécessité des stratégies mutuellement exclusives. En conséquence, nous nous sommes retrouvés là où nous étions après le début de l'OTAN: dans une confrontation directe avec l'Occident à propos de l'espace post-soviétique.
Cependant, nous hésitons encore à déclarer publiquement les objectifs de l'OTAN dans leur dimension géopolitique. Mais nous devrions admettre calmement et froidement que nous nous battrons jusqu'à la capitulation complète du régime nazi-zelenskiste de Kiev et l'établissement d'un contrôle militaro-politique direct (et c'est le seul sens de la démilitarisation et de la dénazification) sur l'ensemble du territoire de l'ancienne Ukraine. Et nous sommes prêts à nous battre aussi longtemps qu'il le faudra pour la victoire. C'est la clarté qui affecterait immédiatement toute notre stratégie à l'étranger proche: la Russie ne tolérera pas de régimes et de tendances russophobes sur ce territoire, où que ce soit et quelles que soient les circonstances.
Malgré toute notre incohérence et notre désordre, la géopolitique elle-même a démontré une loi très importante au cours des dernières décennies. L'intégrité territoriale de tout État post-soviétique ne peut être garantie que par des relations positives ou neutres avec la Russie. Toute tentative de passer directement du côté de l'ennemi (et l'Occident est l'ennemi, c'est un axiome de la géopolitique, quiconque en doute est probablement un ignorant ou un agent étranger) met en péril l'intégrité territoriale du pays qui décide de franchir ce pas.
Cela a commencé dans les années 90 - Transnistrie, Nagorno-Karabakh (l'Azerbaïdjan de l'époque avait un gouvernement russophobe mondialiste du type "Front populaire"), Ossétie du Sud et Abkhazie.



La Transnistrie demeure toujours un conflit latent et gelé à ce jour. L'Ossétie du Sud et l'Abkhazie se sont séparées de la Géorgie en réponse à l'acte d'agression de Saakashvili, encouragé par Soros et les forces mondialistes (Bernard-Henri Lévy en particulier). L'Arménie, sous la direction de Pashinyan, a défié la Russie, tandis que Bakou, d'un autre côté, a agi habilement et amicalement - finalement, le Haut-Karabakh est passé de l'Arménie à l'Azerbaïdjan. Tandis que Kiev optait pour une politique multi-vectorielle, elle gardait la Crimée, le Donbass, Kherson et Zaporozhye. Puis, quand cette politique multi-vectorielle a été abandonnée et trahie, les territoires ont commencé à la quitter les uns après les autres, et comme la russophobie ne s'est pas apaisée et s'est transformée en une véritable guerre contre le monde russe, à terme, il n'y aura plus du tout d'Ukraine.
L'Occident ne peut garantir l'intégrité territoriale à personne en Eurasie, toutes ses promesses sont des bluffs. Oui, l'Occident est toujours capable d'infliger de graves dommages à la Russie - au prix de la destruction d'un pays entier (comme c'est le cas aujourd'hui avec l'Ukraine). Mais préserver quelque chose, protéger, construire, créer, organiser... Ce n'est pas pour eux.
Mais revenons à la Transcaucasie.
Si nous voulons une véritable intégration de l'espace eurasiatique, nous devons avoir un plan cohérent, et pas seulement une série de mesures réciproques - même si elles sont parfois efficaces. Nous devons être proactifs. En fait, l'Occident lui-même ne croit jamais aux promesses qu'il fait aux pays voisins de la Russie qui empruntent la voie de la russophobie géopolitique directe. Peu importe ce qu'ils s'inventent, il suffit à l'Occident de déclencher un conflit, et si un allié est ainsi déchiré, démembré et détruit, on n'y touche pas. Pour la Russie, en revanche, ils sont bien plus que cela. Même sans le pathos de l'amitié entre les peuples, il s'agit simplement de notre terre commune et unie. Et ce sont les peuples qui ont été unis à nous dans leur destin historique. Peu importe que des élites traîtresses à la solde de l'Occident les persuadent du contraire.
Si l'Occident veut ouvrir un second front dans le Caucase du Sud maintenant, en particulier à la lumière de l'échec de la contre-offensive ukrainienne, il lui sera très facile de le faire.
Pashinyan, qui dirige une Arménie toujours théoriquement alliée à la Russie, est complètement sous le contrôle de l'Occident. Il a renoncé au Karabakh et n'a pas levé le petit doigt pour protéger les Arméniens qui y vivaient. Il a mené le pays à la ruine, et l'Occident était manifestement prêt à le faire et l'a aidé de toutes les manières possibles.

Mais tout Pashinyan va et vient, mais le peuple reste. Serait-il moral pour nous, Russes, de regarder l'Arménie se transformer en un chaos sanglant - suivant ainsi le chemin de la Libye, de l'Irak, de la Syrie, de l'Ukraine?
Il est improductif de s'asseoir et d'attendre que les Arméniens éveillés réalisent qu'un tel dirigeant est désastreux pour l'Arménie. Ils ne se réveillent pas et ne se réveillent en aucune façon, ils se contentent de crier des slogans préparés par les services de Soros devant notre ambassade et de brûler des passeports russes. Ce n'est qu'un point - le plus évident - des incendies criminels probables qui surviendront dans le Caucase.
Beaucoup craignent que la Turquie, qui se considère comme un complice à part entière de la victoire de l'Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh, ne commence à prendre une position plus active dans le Caucase du Sud, et cela, d'une manière inamicale pour la Russie. Le plus souvent, ces craintes sont exagérées, car les priorités de la Turquie sont de renforcer et de conserver son influence en Méditerranée orientale, dans la région de l'ancien Empire ottoman. Ce n'est qu'ensuite - et le plus souvent sous la pression de l'OTAN et des États-Unis - qu'Ankara fait des plans pour le Caucase ou le monde turc de l'Eurasie. La Turquie n'est pas un antagoniste direct de la Russie, mais si le Caucase du Sud éclate, ce sera chacun pour soi.
Quoi qu'il en soit, nous nous trouvons dans le Caucase du Sud dans une situation délicate. En effet, l'Occident peut la faire exploser à tout moment s'il décide d'ouvrir un deuxième front. Et nous n'aurons qu'à réagir. Oui, nous le faisons parfois très bien, tous les calculs de l'ennemi s'effondrent alors et produisent l'effet inverse. Cela arrive. Mais ce n'est pas toujours le cas.
C'est pourquoi nous ne devons pas perdre de temps et commencer une planification stratégique complète et décisive: à quoi voulons-nous que le Caucase du Sud ressemble et comment pouvons-nous faire de cette image une réalité? Dans le même temps, nous devrions enfin prendre une décision sur l'ensemble de l'espace post-soviétique. Si nous voulons qu'il soit amical et allié, voire neutre, nous devons faire en sorte qu'il le devienne. Il ne le deviendra pas de lui-même ou cessera de l'être.
Il est temps pour la Russie de passer à l'offensive. En Ukraine, dans le Caucase du Sud, dans l'ensemble de l'Eurasie. Nous avons besoin d'un réalisme offensif. Des plans, des analyses froides et sobres et des actions efficaces et strictement dirigées.
14:41 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alexandre douguine, transcaucasie, caucase, russie, géopolitique, europe, affaires européennes, politique internationale |
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mercredi, 11 octobre 2023
Des projets occidentaux pour concurrencer la route de la soie

Des projets occidentaux pour concurrencer la route de la soie
par Matteo Parigi
Source: https://www.cese-m.eu/cesem/2023/10/i-progetti-occidental...
Même pas le temps d'attendre l'entrée effective des nouveaux membres des BRICS+ au début de l'années prochaine que les États-Unis se lancent dans une étude folle et désespérée pour donner du fil à retordre, pour ainsi dire, à la soi-disant Initiative Belt and Road (BRI), c'est-à-dire le projet chinois de Nouvelle Route de la Soie, qui en est maintenant à son dixième anniversaire.
Lors du sommet du G20 à New Delhi les 9 et 10 septembre derniers, le Premier ministre indien Narendra Modi a salué par téléphone l'initiative de Joe Biden visant à créer une alternative à la BRI: celle-ci s'appelle "Corridor Inde-Moyen-Orient-Europe" (IMEC), le plan consiste en 20 milliards de dollars investis par Washington dans la création d'un corridor qui, à partir de la ville indienne de Mumbai, traverse la mer d'Arabie, puis la péninsule du Moyen-Orient pour finalement se connecter à l'Europe via le Pirée, à Athènes. Cependant, l'impression que cet IMEC est un ajout de plus à la série de routes de la soie imaginées par l'Occident et qui ne se trouve que sur "la route des bonnes intentions" n'est pas vaine. Ceux qui connaissent le proverbe savent où il mène.
Qu'est-ce que l'IMEC ?
Le corridor Inde-Moyen-Orient-Europe est, comme mentionné dans l'introduction, un plan d'investissement concocté par les États-Unis et l'Inde auquel s'ajoute le soutien de l'Arabie saoudite, des Émirats arabes, de la France, de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Union européenne représentée par Ursula von der Leyen. Le plan prévoit des investissements d'un montant initial de 20 milliards de dollars pour la construction d'infrastructures logistiques afin qu'une route commerciale entre l'Europe et l'Asie, via la péninsule arabique, prenne forme. Actuellement, l'hypothèse de la route euro-asiatique prévoit la mise en place de deux des plus grands ports du continent eurasiatique, le Pirée à Athènes et le port international de Mumbai.

Environ 5500 kilomètres entrecoupés de quelques arrêts stratégiques: au départ d'Athènes, Haïfa (Israël), Al Haditha, Riyad, Harad (Arabie Saoudite), Al Guwaifath, Jebel Ali (Emirats Arabes Unis) et enfin Mumbai (Inde). Pour l'instant, bien sûr, il n'y a rien de concret au-delà de la bonne volonté. Les États-Unis de Joe Biden s'efforcent de prendre le contrôle de l'Inde afin de construire le mur anti-chinois autour du Céleste Empire, qui existe déjà comme ligne de tension avec Taiwan et le Japon.
L'Inde, déjà membre du QUAD, se trouve actuellement avec un pied dans deux chaussures [1] étant donné son partenariat simultané avec la Russie en tant que fournisseur indispensable de pétrole et d'armes. La propriété transitive dicte dans ce cas que la rivalité avec la Chine n'est pas amère comme on le dit, diluée précisément par l'intérêt commun d'avoir une Russie forte contre l'Occident dirigé par les États-Unis. Mais en dehors de ces considérations, il est difficile pour l'instant que les Indiens soient vraiment intéressés, malgré l'apparente exaltation de Modi [2], par un projet de transport exigeant passant par des zones délicates et déstabilisées (la Jordanie et Israël), freiné et gonflé par au moins cinq frontières nationales qui nécessitent des contrôles, des certificats et des permis; interrompu par deux mers qui obligent les marchandises à se faufiler entre de multiples changements d'itinéraire: navires marchands à l'aller, transport sur roues sur la péninsule et enfin retour à la mer à nouveau.
Il s'agit là d'un facteur fortement dissuasif par rapport au canal de Suez classique, qui permet le commerce entre le monde et le Vieux Continent par la seule marine marchande. D'autres critiques n'ont pas manqué, à tel point que certains pensent qu'il pourrait même favoriser la Route de la Soie au lieu de la combattre [3].
Hussein Askary, vice-président de l'Institut Belt-and-Road en Suède, souligne l'absurdité de jongler avec des conteneurs de fret entre la mer, la terre (avec un climat désertique) et la mer (et la terre à nouveau). Kamran Bokhari, du New Lines Institute for Strategy and Policy, note que le corridor échoue dans son intention éventuelle d'enlever de l'influence à l'Iran, dans la mesure où il ne touche pas du tout les États les plus proches de Téhéran (Syrie, Irak, Yémen, Liban). Il pourrait tout au plus servir de facilitateur entre des paires d'États ou des routes individuelles, comme entre Israël et l'Europe, par exemple, mais l'ensemble du projet semble loin d'être efficace.
L'Europe : une porte d'entrée mondiale
Comme nous l'avons mentionné dans l'introduction, le "plan Marshall pour l'Eurasie" prend place aux côtés d'autres projets d'infrastructure, tels que le partenariat transpacifique (TTP) et l'"initiative indo-pacifique libre et ouverte". Les idées d'Ursula et de son parrain politique Biden ont donné naissance au Global Gateway [4], une "stratégie intelligente" visant à "réduire le déficit d'investissement mondial". Cette dernière, précise l'institution elle-même, produira des bénéfices pour les communautés locales. Or, on peut se demander dans quelle mesure une stratégie qui entend développer des réseaux mondiaux autoproclamés peut en même temps respecter les localités territoriales. Elle ne peut qu'apparaître comme une véritable biplanification à la Orwell, où tout est concevable en même temps que son contraire, malgré l'irrésolue contradiction.
Mais pour revenir à l'agenda concret, l'UE a alloué 300 milliards d'euros à investir, sans surprise, dans les secteurs du numérique, de l'énergie, de la logistique, de la santé, de l'éducation et de la recherche. Sur la question du numérique, il est intéressant de noter que nulle part l'UE ne parle de développement technologique, mais seulement de numérisation, alors qu'il s'agit de deux choses totalement différentes. Et ce n'est pas tout: l'UE admet qu'elle vise une véritable transformation numérique. Les commissaires non élus de Bruxelles admettent qu'ils veulent littéralement changer l'anthropologie et tout le mode de vie des Européens, le peuple de l'esprit pour paraphraser Hegel. D'ailleurs, le concept de transformation numérique est peut-être le seul véritable point commun avec le nouveau monde multipolaire, puisque les BRICS utilisent exactement la même expression, du moins d'après ce qui est écrit dans la déclaration officielle de la dernière réunion de Johannesburg [5]. En tout état de cause, les tentatives de l'Europe de se connecter à d'autres marchés, notamment asiatiques, ne sont que des chevaux de Troie dans un double but: faire la guerre à la prépondérance chinoise et accéder à des ressources dont, suite aux sanctions contre la Russie, l'Europe s'est elle-même amputée.
États-Unis : reconstruire un monde meilleur (Build Back Better World)
Lors du premier G7 de Joe Biden en juin 2021, le président nouvellement élu a approuvé un plan de 40.000 milliards de dollars à investir d'ici 2035 pour créer un réseau mondial Blue Dot d'infrastructures avancées. Le nom du plan reprend celui de la politique adoptée au niveau national pour sortir l'économie étoilée de la crise sanitaire (Build Back Better). Les principaux domaines d'intervention devraient être la santé, la technologie, le climat et l'égalité des sexes [6]. L'initiative a été interprétée comme un retour à l'approche multilatérale, conçue par les États-Unis pour engager autant de partenaires que possible contre la Chine.
Malgré la forte opposition du Sénat, Biden a renouvelé le plan en juin 2022, promettant la mobilisation de 600 milliards de dollars auprès des personnes intéressées au sein du G7, dont 1/3 serait entièrement américain. Cependant, en décembre 2022, il n'y a déjà plus aucune trace de la poursuite du plan, alors que l'économie nationale est au point mort, mettant en échec toute la gestion économique de l'équipe Biden. Il convient de noter que les conditions d'accès aux fonds consistent, pour changer, en les valeurs suivantes : climat, santé et "sécurité sanitaire", technologie numérique, égalité et justice entre les sexes (lire dans son ensemble : Grande Réinitialisation). En ce sens, la GG européenne est parfaitement superposable au B3W.
Les dix ans de la route de la soie
Pendant ce temps, la Chine célèbre le 10ème anniversaire de l'initiative Belt and Road, fille de Xi Jinping, également dans sa 10ème année de présidence. Des doutes et des critiques surgissent des mégaphones rivaux quant à la transparence réelle du projet [7]. Sont notamment contestés l'absence de listes officielles de pays adhérents, la négligence des procédures bureaucratiques, les dépenses énormes et peut-être insoutenables de la Chine, les dommages environnementaux et l'accusation d'avoir placé de nombreux pays asiatiques dans le soi-disant piège de la dette.
Mais les chiffres sans surprise parlent plutôt de quelque 150 pays membres qui ont fait de la Chine le premier investisseur étranger au monde. Depuis 2013, date du lancement de la vaste stratégie de développement de la Ceinture économique de la Route de la soie et de la Route de la soie maritime du 21ème siècle, les Chinois ont respectivement réalisé [8] :
- En Afrique: environ 100.000 km de routes, 10.000 km de voies ferrées et 100 ports, écoles et hôpitaux nouveaux ou rénovés. En outre, 98% des marchandises africaines destinées à la Chine sont exonérées de taxes, ce qui constitue une incitation au développement de l'industrie locale africaine.

- En Asie indo-sinusienne: lignes ferroviaires à grande vitesse vers le Laos, la Malaisie, Singapour, tandis que des connexions avec le Pakistan (Corridor économique), le port de Gwadar, le port de Kyaukphyu en Birmanie et le chemin de fer reliant ce dernier sont en cours de construction.
- Sur le continent eurasien, six grands corridors économiques sont en cours de construction: Chine-Mongolie-Russie, le pont eurasien, Chine-Asie centrale-Asie de l'Ouest, Chine-Péninsule indochinoise, Chine-Pakistan et Bangladesh-Chine-Inde-Myanmar. Le corridor terrestre et maritime occidental a permis de relier 300 ports dans 111 pays différents, dont la majeure partie de l'Europe.

Le projet a également renforcé la coopération au sein de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), y compris avec l'Inde, qui l'a rejointe avec le Pakistan en 2017. Grâce aux deux principales institutions foncières de la zone, la Nouvelle banque de développement et la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, il a été possible d'obtenir des prêts qui ont permis la pérennisation du géant chinois. Sans avoir, entre autres, à recourir à de simples emprunts publics, sachant que la balance de Pékin est nettement excédentaire depuis des années et qu'elle provient à 40% des échanges commerciaux avec les pays de la BRI. De plus, et c'est un point crucial, le plan Marshall chinois ne met pas en place et ne présuppose pas d'institutions militaires, telles que des bases dans des territoires étrangers, des alliances militaires ou le commerce d'armes.
L'ampleur de l'impact est considérable et le succès, s'il y en a un, devra être observé sur au moins une autre décennie, parallèlement à la mise en œuvre d'autres projets mondiaux tels que l'Agenda 2030 et les politiques européennes pour une transition verte d'ici 2035. Une guerre froide commerciale et technologique qui ne cache pas l'intention de gagner les cœurs et les esprits du monde, probablement dans tous les sens du terme.
NOTES:
[1] https://comedonchisciotte.org/fare-lindiano-in-tutti-i-mo...
[2] https://www.ispionline.it/it/pubblicazione/g20-lindia-glo...
[3] https://www.scmp.com/news/china/article/3235111/western-l...
[4] https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/prioriti...
[5] https://brics2023.gov.za/wp-content/uploads/2023/08/Jhb-I... , pp. 22-23.
[6] Pietro Masina, Challenging the Belt and Road Initiative : The American and EuropeanAlternatives, p.13.
https://cadmus.eui.eu/bitstream/handle/1814/74905/RSC_PP_... .
[7] https://time.com/6319264/china-belt-and-road-ten-years/
[8] http://www.chinatoday.com.cn/ctenglish/2018/commentaries/...
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mardi, 10 octobre 2023
L'Asie centrale au centre des intérêts américains

L'Asie centrale au centre des intérêts américains
Leonid Savin
Source: 4https://www.geopolitika.ru/article/centralnaya-aziya-v-fokuse-interesov-ssha
Lors de l'Assemblée générale des Nations unies à New York, Joe Biden s'est entretenu avec les dirigeants des pays d'Asie centrale, honorant ainsi les républiques post-soviétiques - Turkménistan, Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Kirghizstan - que les États-Unis appellent le "C5".
La Maison Blanche a indiqué que "le président américain a discuté avec ses interlocuteurs de l'importance de créer un environnement commercial plus favorable aux échanges avec les entreprises américaines et aux investissements du secteur privé par la création d'une plateforme commerciale du secteur privé qui compléterait la plateforme diplomatique du C5+1". Les États-Unis ont proposé de lancer le dialogue C5+1 sur les minéraux critiques afin de développer les vastes richesses minérales de l'Asie centrale et d'améliorer la sécurité des minéraux critiques. Cet effort s'inscrit dans le cadre des travaux menés actuellement par les États-Unis pour soutenir les investissements et le développement de la route de transport transcaspienne (le "corridor du milieu") par le biais de partenariats pour les infrastructures et les investissements mondiaux."
Dans ce commentaire, tout est clair : les États-Unis veulent accéder aux ressources naturelles et contrôler les communications dans la région.


La réunion des dirigeants d'Asie centrale était attendue et plutôt programmée dans l'agenda du département d'État américain. Au début de cette année, Frederick Starr (photo), un éminent universitaire américain spécialisé dans l'Asie centrale et lié à l'establishment américain, a publié un rapport basé sur des recherches de terrain dans la région sur les perceptions des actions américaines. Le rapport conclut que les États-Unis ont récemment été perçus de manière plutôt critique dans les pays d'Asie centrale, bien qu'il existe un certain réseau d'occidentalistes qui comptent sur l'aide financière de Washington et parlent donc de l'influence croissante de la Russie et de la Chine. Les recommandations portent notamment sur la nécessité pour le président américain de rencontrer les dirigeants de ces républiques. L'importance des divers instruments économiques qui renforcent l'influence américaine dans la région a également été mentionnée. Il a été suggéré que les États-Unis et l'Azerbaïdjan soient inclus dans l'agenda régional commun, ce qui transformerait le concept "C5+1" en "C6+1".

L'implication économique progressive de l'Occident dans les affaires des pays d'Asie centrale pourrait finir par modifier l'atmosphère politique. Divers prétextes peuvent être utilisés à cette fin. Par exemple, l'Ouzbékistan pourrait devenir une plaque tournante de l'énergie, et il ne s'agit pas seulement de corridors de transport pour le gaz, mais aussi pour d'autres types d'énergie.
Le New York Times écrit que "les Émirats veulent être considérés comme une superpuissance respectueuse du climat dans le domaine des énergies renouvelables, en investissant des milliards dans l'énergie éolienne et solaire dans des pays comme l'Ouzbékistan, alors même qu'ils aident ces mêmes pays en développement à produire des combustibles fossiles pendant des décennies grâce à leurs autres investissements". Il est probable que l'UE et les États-Unis profiteront également de l'ouverture actuelle de l'économie ouzbèke.
Selon les médias, Pékin pourrait abandonner le transit russe pour éviter les sanctions occidentales et utiliser un nouvel itinéraire passant par le Kirghizstan.
L'apparition d'une telle ligne ferroviaire réduirait considérablement la durée du voyage et offrirait une alternative à l'itinéraire actuel entre le Kazakhstan et la Russie. Depuis l'Ouzbékistan, le chemin de fer pourrait se connecter à la voie ferrée Ouzbékistan-Turkménistan jusqu'au port de Turkmenbachi sur la mer Caspienne ou au port de Bakou en Azerbaïdjan, et accéder aux marchés de la Géorgie, de la Turquie et même des pays de la mer Noire tels que la Bulgarie.


Le Kirghizstan y a son propre intérêt, puisque, comme l'Ouzbékistan, le pays est enclavé.
D'un point de vue géopolitique, le chemin de fer est conforme aux objectifs plus larges de la politique étrangère de la Chine dans le cadre de l'initiative "Belt and Road", qui vise à renforcer la connectivité des transports et la coopération économique à travers l'Eurasie.
La RAND Corporation s'inquiète également des intérêts américains en Asie centrale. L'analyste Hunter Stoll suggère de renouveler les investissements économiques dans les pays de la région. Le secrétaire d'État américain Anthony Blinken s'est rendu au Kazakhstan et en Ouzbékistan cette année, la première visite personnelle d'un secrétaire d'État américain en exercice depuis plus de trois ans. Il y a rencontré des représentants de cinq pays d'Asie centrale. M. Blinken a annoncé que l'administration Biden allait financer à hauteur de 20 millions de dollars l'initiative de résilience économique pour l'Asie centrale (ERICEN), ce qui portera le financement total à 50 millions de dollars. L'ERICEN repose sur trois piliers principaux : l'expansion des routes commerciales, le renforcement du secteur privé et l'investissement dans les personnes par le biais de la formation et de l'éducation.
Il s'agit là de ce que l'on appelle le "soft power". M. Stoll suggère d'utiliser un outil de puissance dure, à savoir la présence militaire américaine en Asie centrale. Pour ce faire, il est nécessaire de créer une couverture appropriée - la lutte contre le terrorisme.
Pour ne pas irriter la Russie ou la Chine, la présence doit être minimale et les bénéfices maximaux.
Le programme de partenariat d'État encourage les relations entre les unités de la Garde nationale américaine et les pays d'Asie centrale. Depuis 2002, la Garde nationale de Virginie est partenaire du Tadjikistan ; depuis les années 1990, les Gardes nationales de l'Arizona et du Montana sont respectivement partenaires du Kazakhstan et du Kirghizistan ; la Garde nationale du Mississippi et l'Ouzbékistan sont partenaires depuis 2012 ; et jusqu'en 2011, la Garde nationale du Nevada était partenaire du Turkménistan.

En outre, depuis 2002, les forces américaines ont mené à plusieurs reprises l'exercice Steppe Eagle, un exercice d'entraînement multinational impliquant des troupes américaines, britanniques, kazakhes, kirghizes, ouzbèkes et tadjikes.
Stoll souligne l'importance des fonctions réelles des forces spéciales du Commandement central de la défense des États-Unis sur le terrain, dont l'Asie centrale est la zone de responsabilité.
Il ne fait aucun doute qu'étant donné l'activité de la Russie en direction de l'Ukraine, les États-Unis et l'Union européenne tenteront de tirer parti de cette situation. Et dans le contexte des rapports réguliers de russophobie au Kazakhstan ou des tentatives d'escalade des relations entre le Kirghizistan et le Tadjikistan, tout signal d'une présence occidentale accrue en Asie centrale devrait susciter l'inquiétude.
17:41 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : états-unis, asie centrale, géopolitique, politique internationale, actualité, asie, affaires asiatiques |
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dimanche, 08 octobre 2023
Ukraine: la défaite des néocons et de l'Europe

Ukraine: la défaite des néocons et de l'Europe
Source: https://www.piccolenote.it/mondo/ucraina-la-sconfitta-neocon-e-delleuropa
Du coup d'État de 2014, à la guerre de la même année jusqu'au conflit actuel. Comment les néocons ont plongé Kiev dans l'abîme.
"Nous entrons dans la phase finale de la débâcle de 30 ans des néoconservateurs américains en Ukraine. Le plan néoconservateur visant à encercler la Russie dans la région de la mer Noire par le biais de l'OTAN a échoué". C'est ce qu'affirme Jeffrey Sachs dans un article publié par Consortium news.
"Quatre événements ont anéanti les espoirs des néoconservateurs quant à l'élargissement de l'OTAN vers l'Ukraine, la Géorgie et au-delà", explique Sachs.
Guerre perdue, territoires perdus
Le premier est que la Russie est en train de gagner la guerre, le second est "l'effondrement en Europe du soutien à la stratégie néoconservatrice américaine". La Pologne ne parle plus à l'Ukraine. La Hongrie s'oppose depuis longtemps aux néoconservateurs. La Slovaquie a élu un gouvernement anti-néoconservateur", et dans les différents pays de l'UE, le soutien aux dirigeants qui s'alignent sur la ligne néoconservatrice s'effondre.
Le troisième facteur est la difficulté pour l'Amérique de continuer à financer l'Ukraine, difficulté mise en évidence par la récente victoire des républicains trumpistes à la Chambre des représentants. Enfin, le quatrième facteur est la possibilité d'une contre-offensive russe, rendue possible par le fait que les forces ukrainiennes ont été décimées dans des assauts inconsidérés.
On peut argumenter sur le dernier point, à savoir que les Russes seraient mal avisés d'attaquer parce qu'ils pourraient subir des pertes difficiles à gérer. Mais la possibilité existe. Les Russes pourraient tenter une attaque limitée et puissante pour obtenir une victoire symbolique avec des pertes limitées.
Un pion qu'ils pourraient jouer dans l'élection présidentielle américaine pour coincer les candidats à la Maison Blanche. Une défaite directe, quoique symbolique, de l'Ukraine sur le théâtre de la guerre tomberait comme un couperet sur la campagne électorale de Biden ou de son éventuel remplaçant, car elle sonnerait comme un échec et mat de la stratégie des démocrates à l'égard de Kiev.
Et, bien sûr, cela favoriserait un éventuel candidat républicain opposé à l'aide à l'Ukraine, car un tel développement donnerait raison à ce refus (pour l'instant, quel que soit le candidat républicain, il devra tenir cette ligne s'il veut attirer le vote trumpien, qui est de bonne ampleur).
Mais au-delà du détail, la remarque de Sachs sur la défaite de "l'unilatéralisme néo-conservateur" en ce qui concerne l'Ukraine semble exacte.
Ce qui est encore plus intéressant, c'est ce qu'il écrit sur les désastres produits par l'ingérence des néoconservateurs en Ukraine au cours des dernières années. Ainsi Sachs : "Les néoconservateurs américains sont en grande partie responsables de l'affaiblissement des frontières de l'Ukraine [établies lors de l'indépendance] en 1991".
"La Russie n'a revendiqué la Crimée qu'après le renversement du président ukrainien Viktor Yanukovitch, [coup d'État] alimenté par les États-Unis en 2014. De plus, la Russie n'a pas annexé le Donbass après 2014, exigeant au contraire que l'Ukraine honore l'accord de Minsk II soutenu par l'ONU et basé sur l'autonomie du Donbass. Mais les néoconservateurs ont préféré armer l'Ukraine pour qu'elle reprenne le Donbass par la force plutôt que d'accorder une "autonomie" à la région.
Si l'on garde cette dynamique à l'esprit, on peut comprendre que la cession du Donbass aux Russes, qui apparaît aujourd'hui comme une destinée manifeste, ne sera pas le couronnement de l'agressivité, ou du succès, des forces russes, mais découlera des erreurs des néoconservateurs et des dirigeants ukrainiens qui ont obéi docilement à leurs diktats.
La relativité du dogme de l'intégrité territoriale
Encore une fois, alors que l'Occident brandit dans cette guerre l'intégrité territoriale comme s'il s'agissait d'un dogme irrévocable - d'où l'impossibilité de reconnaître la cession d'une partie des territoires ukrainiens aux Russes comme une possibilité - la relativité de ce dogme est démontrée par l'histoire récente.
"L'OTAN, rappelle Sachs, a bombardé la Serbie pendant 78 jours en 1999 jusqu'à ce qu'elle cède la région à majorité albanaise du Kosovo. En 2008, les États-Unis ont reconnu le Kosovo comme une nation souveraine. De même, le gouvernement américain a soutenu l'insurrection du Sud-Soudan pour qu'il se sépare du Soudan et a ensuite reconnu le nouvel État. On peut également ajouter au catalogue la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté israélienne sur le Golan, qui est en réalité syrien. Et bien d'autres choses encore.
Qui plus est, toutes ces décisions ont été prises ou accueillies avec enthousiasme par les mêmes cercles, néocons et libéraux, qui prônent aujourd'hui le dogme susmentionné.
Ailleurs dans son article, Sachs esquisse quelques perspectives pour sortir du conflit et reconstruire une architecture européenne de sécurité. Nous ne les citons pas car il est encore trop tôt pour considérer la crise ukrainienne comme close et parce que les perspectives esquissées pour l'Europe semblent quelque peu iréniques.
En effet, l'unilatéralisme néo-conservateur n'a pas seulement dévasté l'Ukraine, qui risque d'être rayée de la carte, mais aussi les Etats européens qui ont suivi, ou ont été contraints de suivre, les stratégies irréalistes et perdantes de cet idéalisme militant.
Ainsi, la défaite de l'Ukraine est aussi la défaite de l'Europe, qui paiera cher cette défaite, en termes de déclin économique et de déresponsabilisation géopolitique (Paris a déjà perdu la Françafrique...).
Tout cela entraînera une instabilité politique sur le Vieux Continent qui, espérons-le, restera contenue, sous peine de voir naître des monstres à la fois subversifs et autoritaires (les deux faces, en général, d'une même pièce). Nous verrons bien.
19:36 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, politique internationale, ukraine, europe, affaires européennes |
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jeudi, 05 octobre 2023
Corridor Inde-Moyen-Orient-Europe: importance, potentiel et défis

Corridor Inde-Moyen-Orient-Europe: importance, potentiel et défis
Nadeem Ahmed Munakal
Source: https://katehon.com/ru/article/koridor-indiya-blizhniy-vostok-evropa-znachenie-potencial-i-problemy
Dans un monde de plus en plus multipolaire, l'IMEC pourrait servir de symbole de la coopération internationale et du développement économique.
Le sommet du G20 qui s'est tenu récemment à New Delhi est considéré comme une victoire diplomatique pour l'Inde, notamment en raison du consensus complet qui a régné sur toutes les questions mentionnées dans le communiqué commun. Les résultats du sommet du G20 ont également été salués par certains dirigeants de l'opposition en Inde. Lors du sommet, les dirigeants des États-Unis, de l'Inde, de l'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de la France, de l'Allemagne, de l'Italie et de la Commission européenne ont dévoilé un projet ambitieux: le corridor Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC). Il comprend une route orientale qui relie l'Inde au golfe Persique par la mer et une route septentrionale qui relie l'Arabie saoudite à l'Europe via la Jordanie et Israël par le rail et la mer. Les principaux objectifs du projet sont de générer de la croissance économique, de relier l'Asie et l'Europe aux centres commerciaux, d'exporter de l'énergie propre, de soutenir le commerce et l'industrie manufacturière et de renforcer la sécurité alimentaire.
Ce corridor de transport multimodal comprend des liaisons ferroviaires, des routes maritimes, des câbles de données à haut débit et des pipelines d'énergie entre l'Inde, les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite, la Jordanie, Israël et l'Europe. Le corridor de transport proposé complète les efforts déployés par l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis pour faire de leurs pays des axes majeurs de commerce et de transit.
Bien que l'IMEC soit présentée comme un contrepoids à l'initiative chinoise "Une ceinture, une route" (BRI), il est important de réaliser que la portée et le potentiel de la BRI sont bien plus vastes et bien plus importants que ceux de l'IMEC. En outre, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Israël font partie de la BRI et entretiennent des liens économiques et technologiques étroits avec Pékin. Par conséquent, Riyad, Abou Dhabi et Tel-Aviv ne considèrent pas vraiment l'IMEC comme un contrepoids à la BRI ; il s'agit plutôt d'une opportunité pour eux d'améliorer leur connectivité et leur commerce régionaux, et ils positionnent le corridor comme faisant partie de leurs stratégies de diversification de leurs économies en mettant moins l'accent sur la concurrence géopolitique.
Pour les États-Unis, l'IMEC est un projet qui leur permet de projeter leur influence au Moyen-Orient face à la concurrence géopolitique croissante dans la région.
Actuellement, la plupart des échanges de l'Inde avec l'UE, qui est l'un des principaux partenaires commerciaux de New Delhi, passent par le canal de Suez, d'où l'importance d'une route alternative. Pour améliorer la connectivité, le projet utilise les routes commerciales existantes, notamment les ports d'Israël, de Grèce et d'Inde. Il est important de noter que la plupart des ports concernés appartiennent à l'État, à l'exception du port de Mundra en Inde, qui est contrôlé par le conglomérat multinational indien Adani Group, et du port du Pirée en Grèce, qui est contrôlé par l'entreprise publique chinoise COSCO. En outre, le groupe Adani a acquis le port de Haïfa au début de cette année.
L'un des principaux objectifs de l'IMEC est de réduire la charge de marchandises sur les itinéraires existants, afin de développer le commerce mondial et régional. Bien qu'il soit sans aucun doute difficile pour un seul pays d'égaler la portée économique de la Chine, une coalition de pays technologiquement et financièrement capables pourrait collectivement offrir des alternatives vitales pour les chaînes d'approvisionnement mondiales.
L'IMEC reflète également l'attention croissante portée à la géoéconomie dans un monde confronté à des perturbations, à des crises de la chaîne d'approvisionnement et à la transformation du commerce et de la finance en armes. L'IMEC renforcera les liens stratégiques et économiques de l'Inde avec le Golfe, les États-Unis et l'Europe et complétera les accords minilatéraux tels que I2U2 (Inde-Israël-États-Unis-Émirats arabes unis).
Toutefois, l'efficacité opérationnelle de l'IMEC est sujette à caution compte tenu des nombreux défis auxquels il est confronté et des complexités logistiques, notamment les coûts de chargement et de déchargement et le temps passé dans chaque port. Les futurs droits et redevances de transit restent également à déterminer. L'insuffisance des infrastructures dans certaines régions constitue un autre obstacle. L'IMEC est considéré comme une composante du Partenariat mondial pour l'infrastructure et l'investissement, dirigé par le G7, qui s'appuie fortement sur les investissements du secteur privé, contrairement à l'initiative chinoise BRI.
Il est également difficile d'obtenir un consensus entre les multiples parties prenantes au fur et à mesure de l'avancement du projet. En fin de compte, les chargeurs n'envisageront l'IMEC qu'en fonction du volume et de la rentabilité de l'itinéraire par rapport à l'itinéraire traditionnel passant par le canal de Suez. En outre, la distance et l'efficacité de l'itinéraire, les coûts de transport, l'assurance et la gestion des risques sont les facteurs les plus importants que les chargeurs prendront en considération.
Les efforts passés de l'Inde pour établir des corridors et des initiatives de transport ont été confrontés à plusieurs défis et retards. Par exemple, le projet d'autoroute trilatérale reliant l'Inde au Myanmar et à la Thaïlande proposé en 2002, le corridor international de transport nord-sud (INSTC), le port de Chabahar en Iran et l'initiative Bangladesh-Bhutan-Népal-Inde (BBIN) ont connu des retards et des difficultés considérables en raison de problèmes de financement.

Alors que l'INSTC a dû faire face à de nombreux obstacles liés aux sanctions, l'inclusion des alliés des États-Unis au Moyen-Orient et de ses centres économiques dans l'IMEC distingue ce projet. L'impact de l'IMEC sur l'INSTC reste à voir, malgré l'optimisme du premier ministre russe qui pense qu'il complétera l'INSTC. Entre-temps, le président turc Erdogan a annoncé des plans pour un corridor commercial alternatif. Erdogan insiste sur le fait qu'"il ne peut y avoir de corridor sans la Turquie" et envisage de partager le projet de route de développement irakienne en tant qu'itinéraire alternatif.
En 2022, l'UE a importé pour 46,22 milliards de dollars de marchandises d'Arabie saoudite et a exporté pour 32,81 milliards de dollars de marchandises vers ce pays. De même, les exportations de l'UE vers les Émirats arabes unis se sont élevées à 37,38 milliards de dollars, tandis que les importations en provenance des Émirats arabes unis ont atteint 14,7 milliards de dollars. L'Inde a également renforcé ses partenariats économiques avec l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Jordanie et Israël, renforçant ainsi son rôle de partenaire commercial clé dans la région. Les pays membres sont donc incités à veiller collectivement à ce que l'IMEC soit opérationnel.
L'émergence de l'IMEC s'inscrit dans le contexte de l'évolution de la dynamique mondiale. Les États-Unis considèrent le projet comme un élément de leur stratégie visant à influencer l'ordre mondial multipolaire émergent. L'Inde, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis représentent l'ordre émergent et espèrent que le projet soulignera leurs positions géopolitiques régionales et mondiales. L'IMEC s'inscrit dans la stratégie de Washington visant à empêcher une coalition d'États, comprenant la Chine, la Russie et l'Iran, de dominer les relations régionales. Toutefois, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis considèrent l'IMEC comme un moyen de renforcer leurs capacités infrastructurelles, de promouvoir un monde multipolaire et de travailler en étroite collaboration avec leurs partenaires et alliés dans la région et au-delà, afin de renforcer leur position sur la scène internationale.
L'IMEC est une initiative prometteuse susceptible de remodeler le paysage géoéconomique du Moyen-Orient. Elle offre des possibilités de croissance économique, de connectivité et de coopération internationale. Le succès de l'IMEC dépendra de la capacité des pays participants à relever les défis et à tirer parti des opportunités. Dans un monde de plus en plus multipolaire, l'IMEC pourrait servir de symbole de la coopération internationale et du développement économique, à condition qu'il puisse surmonter les obstacles susmentionnés.
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Séoul tente de détourner l'attention de la croisade anti-chinoise

Séoul tente de détourner l'attention de la croisade anti-chinoise
Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/26429-piccole-note-seul-tenta-di-svicolare-dalla-crociata-anti-cinese.html
La Corée du Sud cherche à améliorer ses relations avec la Chine. Pendant ce temps, les États-Unis font de sombres prédictions de guerre avec le géant asiatique.
La Corée du Sud a accueilli un sommet Japon-Chine visant à apaiser les tensions croissantes dans la région, auquel ont participé le vice-ministre sud-coréen des affaires étrangères Chung Byung-won, le vice-ministre japonais des affaires étrangères Takehiro Funakoshi et le vice-ministre chinois des affaires étrangères Nong Rong (al Jazeera).
Bien que Séoul et Tokyo jouent un rôle de premier plan dans la stratégie américaine indo-pacifique visant à contenir la Chine, le sommet indique que Tokyo et Séoul perçoivent les risques qu'une telle stratégie conduise à un conflit à grande échelle avec Pékin, dont ils seraient les premières victimes, et qu'ils tentent de mettre en place certaines limites.
L'initiative de Séoul montre clairement que la Corée du Sud recherche sa propre marge de manœuvre par rapport à une telle stratégie, comme le montre encore plus clairement la rencontre de samedi dernier entre le Premier ministre sud-coréen Han Duck-soo et le président chinois Xi Jinping, en marge des Jeux asiatiques de Hangzhou.
Séoul : une percée possible dans les relations avec la Chine
Une rencontre fructueuse puisque, immédiatement après, Cho Tae-yong, conseiller à la sécurité nationale du président sud-coréen Yoon Suk-yeol, a déclaré que son pays travaillait à l'organisation d'une visite de Xi à Séoul, qui devrait avoir lieu dans l'année à venir.
"Nous pensons qu'il s'agira d'un tournant dans les relations entre la Corée et la Chine", a déclaré M. Cho. "C'est l'objectif que nous devons atteindre" (Japan Times). De son côté, le président chinois a déclaré qu'il "examinerait sérieusement" la proposition (Reuters).

Par ailleurs, Han Duck-soo, qui partait pour les jeux, s'était dit ouvert à une rencontre avec la délégation nord-coréenne (Korea Times), mais celle-ci n'a pas eu lieu.
Tout cela alors que la Corée du Sud est déchirée par un conflit politique sans précédent. Le Parlement, contrôlé par le Parti démocrate - qui est pourtant dans l'opposition - a adopté ces derniers jours deux motions distinctes d'une importance historique pour le pays.
La première concerne l'autorisation de poursuivre le leader du parti démocrate Lee Jae-myung, approuvant ainsi une demande de la justice accusant le leader politique de divers détournements de fonds.
Il est à noter que les magistrats avaient déjà tenté de le faire comparaître, mais le Parlement avait rejeté la première demande, étant donné qu'il était contrôlé par le parti de Lee. Mais cette fois, le vote de certains transfuges aboutit à un résultat différent.
Lee, qui a opposé une résistance farouche aux magistrats - allant jusqu'à une grève de la faim inhabituelle - les accusant de visées politiques, a dû se présenter au tribunal comme n'importe quel Trump (agence Yonhap).
Mais son parti s'est rapidement mis à l'abri en nommant un successeur, qui est alors du même parti que Lee, et en annonçant qu'il remporterait tout de même les prochaines élections, qui auront lieu en 2024 (agence Yonhap).
Lee et l'équidistance entre la Chine et les Etats-Unis
Il convient de noter que Lee s'est "prononcé contre une alliance militaire trilatérale entre son pays, les États-Unis et le Japon, la qualifiant d'"inutile" car elle risque d'aggraver la rivalité croissante entre les deux blocs de puissance opposés" (et, en fait, la Corée du Nord a maintenant établi une alliance stratégique avec Moscou, tandis que les relations de cette dernière avec Pékin se sont renforcées).
C'est ce que rapporte l'agence turque Anadolu, qui explique que Lee a une position très "pragmatique" sur les engagements internationaux de son pays, "arguant que l'alliance avec Washington et le "partenariat de coopération stratégique" avec Pékin "ne sont pas incompatibles" étant donné les intérêts mutuels et les liens commerciaux étroits".
A l'évidence, s'opposer ouvertement à l'Alliance atlantique - et à ses déclinaisons orientales - ne passe pas non plus en Asie, comme le montre l'exemple de l'ancien Premier ministre pakistanais, toujours emprisonné (voir Piccolenote).
La deuxième décision historique du parlement sud-coréen, votée parallèlement à la précédente, a été l'approbation d'une motion de défiance à l'encontre du premier ministre Han Duck-soo, élu en tant que parti indépendant. Le vote, cependant, pourrait n'avoir aucun résultat puisqu'il n'est pas contraignant (al Jazeera). Mais c'est la première fois qu'une telle chose se produit en Corée du Sud....
En résumé, Séoul traverse une période très conflictuelle et subit d'énormes pressions pour se joindre à la croisade anti-chinoise. Pourtant, dans la tempête, elle essaie de trouver une direction qui l'éloigne des rédifs, qui seraient alors un conflit ouvert avec Pékin. C'est d'ailleurs la voie que lui ont tracée les stratèges de la région indo-pacifique.
La guerre avec la Chine en 2025
À ce jour, le conflit avec Pékin semble être une destinée manifeste, malgré quelques mesures de détente prises par l'administration Biden. A tel point qu'en janvier dernier, la prophétie du général Mike Minihan, commandant en chef de l'Air Mobility Command, qui a écrit noir sur blanc dans un mémo qu'il y aurait une guerre entre les Etats-Unis et la Chine en 2025, a fait grand bruit.
"J'espère me tromper", a écrit M. Minihan dans une note interne qui a circulé sur les médias sociaux, mais je note que le président chinois Xi Jinping "a obtenu son troisième mandat et établi son conseil de guerre en octobre 2022. L'élection présidentielle de Taïwan aura lieu en 2024 et fournira à Xi une motivation [pour attaquer...]. L'élection présidentielle américaine aura lieu en 2024 et offrira à Xi le spectacle d'une Amérique distraite. L'appareil, la motivation et les opportunités de Xi sont tous alignés pour 2025".
Nous l'avons mentionné parce que, plus récemment, le général s'est répété et, tout en déclarant que "la guerre n'est pas inévitable", il a réitéré l'exactitude de ce mémo, car "l'état de préparation que je démontre avec ce calendrier est absolument essentiel pour la dissuasion et la victoire décisive". Il doit y avoir une tension sur l'état de préparation, plus qu'un simple "soyez prêts pour ce soir"" (DefenseOne).
Face à de telles crises de colère qui non seulement irritent l'antagoniste mais risquent également de provoquer des accidents, les mesures de détente - bien que limitées et timides - des acteurs régionaux, qui seraient dévastés par une éventuelle guerre, sont plus que bienvenues.
19:42 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, politique internationale, corée du sud, chine, asie, affaires asiatiques |
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mercredi, 04 octobre 2023
Ordo pluriversalis. La pensée de Leonid Savin et la fin de la Pax Americana

Ordo pluriversalis. La pensée de Leonid Savin et la fin de la Pax Americana
Source: https://blog.ilgiornale.it/puglisi/2022/05/09/ordo-pluriversalis-il-pensiero-di-leonid-savin-e-la-fine-della-pax-americana/
Rédacteur en chef du magazine "Geopolitics" de l'université de Moscou et du site web "Geopolitica.ru", Leonid Savin, auteur et analyste prolifique, avec déjà trois publications en italien à son actif, est peut-être l'une des "plumes" les plus intéressantes pour ceux qui souhaitent comprendre ce qui se passe réellement, derrière l'écran de fumée de la propagande et de la guerre psychologique, dans l'esprit des classes dirigeantes moscovites chargées de gouverner le conflit en cours avec l'Ukraine: directeur de la Fondation pour le suivi et la prévision du développement des espaces culturels et territoriaux (FMPRKTP), membre de la Société militaro-scientifique du ministère russe de la défense, M. Savin est également l'un des principaux représentants du mouvement eurasiste international.

À cet égard, la récente publication en italien de l'essai Ordo pluriversalis. La fin de la pax americana e la nascita del mondo multipolare (= La fin de la pax americana et la naissance du monde multipolaire), publié par Anteo Edizioni, préfacé par Marco Ghisetti, jeune et brillant géopolitologue, qui avait déjà écrit, pour la même maison d'édition, l'essai Talassocrazia (préfacé d'ailleurs par Savin lui-même).
"L'ouvrage, explique Ghisetti, commence par constater que le soi-disant paradigme de la "paix américaine" s'est effondré à la suite des événements récents, ce que confirme clairement l'éclatement de guerres chaudes dans des régions et des zones que l'on croyait établies de longue date dans l'orbite de Washington. L'influence américaine recule en effet dans diverses régions du monde, mais plus qu'un affaiblissement général de la puissance outre-mer, c'est aussi un changement de stratégie, c'est-à-dire un repositionnement de Washington sur de nouvelles lignes stratégiques, qui est à l'origine de ce phénomène. Il est un fait, cependant, que la croissance des puissances dites révisionnistes, qui ont forcé les États-Unis à se retirer des régions qu'ils avaient tenté de conquérir, n'aboutit pas à une simple augmentation de leur puissance relative, mais s'accompagne au contraire d'un désarroi général et répandu à l'égard de la structure mondiale qui s'était dessinée ces derniers temps. C'est pour cette raison que la fin de la pax americana peut entraîner un véritable changement dans l'ensemble de l'ordre international et pas seulement dans l'équilibre des pouvoirs.
C'est pour cette raison que l'analyse de Savin entend aller plus loin que les nombreuses analyses déjà présentes, identifiant ainsi les raisons profondes, mais aussi les alternatives possibles à la phase de transition que nous vivons actuellement.
Par ailleurs, il apparaît clairement à la lecture de ce texte que l'objectif de Savin ne se limite pas à déconstruire ou à décrire la phase de crise actuelle. En effet, l'objectif de Savin est constructif : il espère pouvoir identifier et proposer des grammaires intellectuelles qui pourraient s'avérer utiles dans cette construction à la cimentation du nouvel ordre multipolaire en gestation.
Nous avons choisi de proposer cette nouvelle étude de Savin maintenant précisément parce que la récente action russe en Ukraine (à laquelle il faut ajouter l'énorme et inaperçu dynamisme de Moscou en Afrique subsaharienne) a non seulement rapidement confirmé ce que Savin avait pronostiqué, mais a également imposé la nécessité, pour tout acteur politique qui veut être plus qu'un simple objet de la politique de puissance des autres, ou pour tout analyste qui veut s'orienter dans la phase de transition actuelle, de comprendre pleinement à la fois les grandes stratégies des grandes puissances et la vision du monde qui les oriente.
Il est donc particulièrement important et utile pour le lecteur italien. En effet, l'Italie, qui se trouve au centre de la macro-région méditerranéenne et européenne, est un pays dont l'importance est, hélas, directement proportionnelle à l'inaptitude de sa classe dirigeante et au manque d'intérêt de l'opinion publique pour les affaires internationales, de sorte que l'Italie navigue sans boussole dans cette phase de transition houleuse. Le livre de Savin, qui malgré son titre et sa taille est vraiment facile et fluide à lire, a le potentiel d'offrir la boussole nécessaire pour s'orienter dans la phase de crise actuelle, avec la possibilité de répondre de manière plus consciente et appropriée aux choix que nous devrons bientôt faire".
Mais quelles sont donc les alternatives au scénario mondial actuel proposées par l'auteur ?
"Les alternatives au scénario actuel", poursuit Ghisetti, "dépendront des actions et de la volonté des acteurs en jeu, et du type d'ordre qu'ils voudront et parviendront à établir. Le multipolarisme, et en particulier la phase de transition actuelle, est un chantier ouvert. Pour Savin, l'ordre mondial ne dépend pas exclusivement de l'équilibre des puissances mondiales, car sa structure même n'est pas quelque chose de donné et d'immuable. En même temps, Savin affirme que de nombreux niveaux, de nombreuses visions et interprétations du monde coexistent dans la politique mondiale, qui sont tout aussi légitimes et qui influencent donc l'ordre mondial, quel qu'il soit. C'est pourquoi Savin préfère parler de "plurivers" plutôt que de multipolarisme. Pour l'essentiel et à l'heure actuelle, les principales alternatives sont celles des grandes puissances eurasiennes (Russie et Chine), auxquelles s'ajoutent celles du (ou des) monde(s) musulman(s) et latino-américain(s), dont le dénominateur commun est précisément l'opposition à la domination des schématismes ambiants et d'une puissance mondiale unique.
En fonction du succès de leurs politiques anti-hégémoniques, combiné à leur vision particulière du plurivers politique, ces puissances offriront l'opportunité à d'autres visions du monde de s'affirmer, même dans des régions ou des cultures qui leur sont éloignées. L'une de ces régions est précisément l'Europe, pour laquelle Savin consacre un chapitre entier au projet d'autonomie stratégique et au rôle particulier qu'elle pourrait jouer".
Quelles leçons peut-on tirer de l'essai et de la pensée de Savin à la lumière des événements récents ?
Une première leçon, poursuit l'éditeur de l'ouvrage, et la plus évidente, est que nous ne sommes plus dans une période de "paix" garantie par l'hégémon américain, si tant est que l'on puisse parler de paix, puisque certains auteurs ont préféré, pas tout à fait à tort, parler de "guerre sans fin" plutôt que de "paix américaine". Une deuxième leçon, qui découle directement de la première, est que, compte tenu des guerres qui ont maintenant éclaté précisément sur le sol européen, il ne nous est plus possible de supposer avec désinvolture et naïveté que notre sécurité peut dépendre entièrement de la volonté bienveillante d'un hégémon qui est manifestement disposé à nous laisser faire ses guerres (ou à faire ses guerres sur notre peau).
Une troisième leçon est que, dans la situation actuelle, nous devons décider de devenir responsables de notre propre destin et, par conséquent, de décider ce que nous voulons faire et ce que nous voulons être dans un monde où notre importance et l'influence de nos institutions politiques et économiques diminuent rapidement (sans parler de notre influence culturelle de plus en plus dérisoire). Une fois cette prise de conscience effectuée, les portes de tous les futurs alternatifs possibles s'ouvrent devant nous, vers lesquels nous avons la possibilité d'orienter notre avenir historique, si seulement nous sommes conscients de la situation et disposés à entreprendre les actions et les risques éventuels d'une telle entreprise.
Quelle avancée l'"opération spéciale" décidée par le Kremlin en Ukraine peut-elle apporter à la transition vers un modèle polycentrique ?
"Dans le livre, poursuit Ghisetti, Savin affirme clairement que l'engagement de la Russie dans la construction d'un modèle polycentrique pour le monde est une condition sine qua non, mais non suffisante à elle seule, pour le cimentage effectif d'un monde multipolaire. En effet, depuis plus de vingt ans, la Russie s'efforce de promouvoir la construction d'un monde dans lequel elle peut sauvegarder sa souveraineté et maintenir une certaine capacité de projection extérieure qui, aux yeux des hommes du Kremlin, se manifeste par une politique visant à faire jouer à Moscou un rôle stabilisateur et équilibrant dans les différentes régions du monde. Ainsi, avec la Chine et les Etats d'Asie centrale, elle a fixé une fois pour toutes leurs frontières respectives et tenté d'harmoniser ses projets d'intégration avec la Nouvelle Route de la Soie chinoise, évitant ainsi un jeu à somme nulle entre Pékin et Moscou en Asie centrale ; au Proche et au Moyen-Orient, Moscou est intervenue militairement et diplomatiquement pour stabiliser la région et évincer les acteurs qui fomentaient des divisions et des conflits interethniques et interreligieux ; dans l'Arctique, la Russie a également tenté de suivre la même politique, en jetant les bases des futures routes arctiques et en essayant d'éviter une course au réarmement dans la mer Glaciale.
La frontière avec l'Europe de l'Est est donc la dernière zone frontalière qui n'a pas encore été stabilisée, ou en tout cas pour laquelle une situation de jeu à somme nulle subsiste dans le projet d'intégration relatif (l'Union européenne), bien que Moscou ait essayé d'établir avec le projet d'intégration de l'UE une relation à certains égards similaire à celle de la Nouvelle Route de la Soie de la Chine. Cela n'a pas été possible en raison de la politique de l'OTAN visant à empêcher toute forme d'entente entre Bruxelles, Berlin et Moscou, ce qui a entraîné un jeu à somme nulle en Europe de l'Est, qui a fini par dégénérer en guerre en Ukraine.
La décision de Moscou de poursuivre ce qu'elle a appelé une "opération militaire spéciale", dont la logique suit celle de l'intervention en Syrie en faveur du gouvernement al-Assad, montre que les contradictions dans les relations de la Russie avec l'Occident commencent à se manifester et que, de la part de Poutine, il s'agit d'empêcher les dirigeants russes d'avoir des ambitions pro-occidentales. Cela ne signifie pas que Moscou a tourné le dos à l'Europe ou à son désir de stabiliser sa frontière occidentale. La Russie est bien consciente qu'elle ne peut se le permettre, et le fait qu'elle continue officiellement à qualifier celle en Ukraine d'"opération militaire spéciale" visant à la dénazification et à la neutralisation de l'Ukraine ou à la protection de la population russophone des républiques séparatistes en est la preuve.
Mais les politiques européennes visant, sous la pression américaine, à couper les liens avec la Russie, quitte à se castrer et à se détruire économiquement et socialement (la Russie, elle, est capable d'y survivre, car elle mène depuis vingt ans une politique étrangère multi-vectorielle et une quasi-autarcie à l'intérieur de ses frontières).
Les décisions prises au nom d'une morale vide ou de la loyauté envers le monde atlantique ne peuvent que, d'une part, prolonger la situation de guerre dans la zone frontalière euro-russe et, d'autre part, accélérer le déclin de l'Europe vers une situation d'isolement et d'insignifiance sur le plan international.
Mais la macro-région européenne reste l'une des plus stratégiques sur le plan international ; et c'est probablement pour cette raison que Savin, qui commence son étude par la crise du modèle occidental (d'abord eurocentrique, puis américano-centrique), la conclut par un chapitre consacré au déclin européen face à la volonté européenne, minoritaire mais actuelle, d'affirmer son autonomie stratégique et culturelle.
En d'autres termes, l'"opération militaire spéciale" de la Russie ne constitue pas tant un tournant dans la construction d'un monde polycentrique que son accélération, raccourcissant ainsi le délai dans lequel l'Italie et l'Europe doivent décider ce qu'elles veulent être et ce qu'elles veulent faire dans la phase transitoire actuelle, au risque de manquer l'appel de l'histoire et de tomber finalement dans l'oubli".
00:05 Publié dans Actualité, Géopolitique, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : leonid savin, théorie politique, politologie, sciences politiques, géopolitique, multipolarité, pluriversum, actualité, politique internationale |
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samedi, 30 septembre 2023
Haut-Karabakh : résultats de la guerre de deux jours

Haut-Karabakh: résultats de la guerre de deux jours
Source: https://katehon.com/ru/article/nagornyy-karabah-itogi-dvuhdnevnoy-voyny
À l'issue d'un conflit éphémère, le Haut-Karabagh est entièrement et officiellement sous le contrôle de Bakou. Comment cela va-t-il changer l'équilibre des forces dans la région ?
Le dernier conflit
Les 19 et 20 septembre, les forces armées azerbaïdjanaises ont mené des "activités antiterroristes de nature locale" sur le territoire du Haut-Karabakh. En conséquence, les autorités de la République non reconnue d'Artsakh ont accepté une capitulation de facto : désarmement complet et retrait des formations armées arméniennes du territoire du Haut-Karabakh en échange d'un cessez-le-feu de la part de la partie azerbaïdjanaise. Le 20 septembre, cinq soldats de la paix russes, dont le commandant adjoint du groupe de maintien de la paix, le capitaine de premier rang Ivan Kovgan, ont été tués par des tirs militaires azerbaïdjanais dans la zone de conflit.
L'Arménie a refusé d'intervenir dans le conflit aux côtés des Arméniens du Karabakh. Les forces russes de maintien de la paix ont adopté une position neutre, ne s'engageant pas dans les combats avec les militaires azerbaïdjanais, mais ont contribué à l'accord de cessez-le-feu. Le 21 septembre, des négociations entre les représentants de la communauté arménienne du Karabakh et les autorités azerbaïdjanaises ont eu lieu dans la ville de Yevlakh. Aucun accord final n'a été conclu, mais un vecteur commun a été défini : la réintégration du Haut-Karabakh dans l'Azerbaïdjan aux conditions de Bakou.

Le 27 septembre, les autorités azerbaïdjanaises ont arrêté Ruben Vardanyan (photo), un oligarque russe d'origine arménienne qui, en 2022, a renoncé à sa citoyenneté russe et a dirigé le gouvernement arménien autoproclamé du Haut-Karabakh.

L'exode
On assiste à un exode massif de la population arménienne du Haut-Karabakh. Selon les représentants de la communauté arménienne, 120.000 personnes, soit l'ensemble de la population arménienne de la région, quitteront la région. Dans les années 1990, toute la population azerbaïdjanaise a été expulsée de la région. Aujourd'hui, le même processus se produit avec les Arméniens. Bakou, officiellement, est prêt à accorder des garanties pour les Arméniens, mais tout le monde comprend que dans une région où les deux peuples ont des comptes à régler depuis longtemps, les Arméniens qui se sont battus contre Bakou et leurs propres voisins azerbaïdjanais dans les années 1980 et 1990 ne vivront pas sans danger dans un État-nation azerbaïdjanais.
L'avenir du Haut-Karabakh doit être réglé par les Azerbaïdjanais, principalement les anciens réfugiés de la région et leurs descendants. Cela soulève toutefois la question de la nécessité d'un contingent russe de maintien de la paix au Nagorny-Karabakh. Un contingent d'environ 2000 personnes est stationné dans la région depuis 2020, précisément pour assurer la sécurité des Arméniens, qui tentent actuellement de quitter la région.
Le sort de Pashinyan
Lors du dernier conflit au Haut-Karabakh, des manifestations de masse ont eu lieu en Arménie même contre l'inaction du gouvernement de Nikol Pashinyan. Le Premier ministre arménien a déclaré qu'il ne se laisserait pas entraîner dans la guerre. Il a donc refusé toute assistance aux formations armées de la République du Nord-Karabakh, laquelle n'est pas reconnue. Toutefois, rien ne permet pour l'instant de supposer que M. Pashinyan démissionnera, comme le réclament les manifestants, ou qu'il changera le vecteur pro-occidental de sa politique. Les dirigeants arméniens transfèrent la responsabilité des Arméniens du Karabakh à Moscou. Le 24 septembre, Nikol Pashinyan s'est adressé au peuple arménien, accusant la Russie de se plier aux exigences de l'Azerbaïdjan.
Parallèlement aux protestations contre Pashinyan, des manifestations anti-russes ont eu lieu à Erevan et le ministère arménien de la défense a organisé des exercices avec des partenaires américains.
L'Arménie ne renonce pas à son vecteur de développement pro-occidental, abandonnant de facto le Karabakh "problématique" et misant sur la coopération avec les Etats-Unis et la France. L'avenir de la base militaire russe de Gyumri est en question, tout comme l'adhésion de l'Arménie à l'OTSC. Nikol Pashinyan est l'incarnation de ce vecteur pro-occidental du développement de l'Arménie. Pour l'heure, rien ne permet de penser que les manifestations, relativement peu nombreuses, seront en mesure de le contraindre à démissionner.

Influence des acteurs étrangers
Le président français Emmanuel Macron s'est solidarisé avec Nikol Pashinyan, déclarant que "la Russie est désormais complice de l'Azerbaïdjan" et que "la France soutiendra le peuple arménien". La ministre des Affaires étrangères de la Cinquième République, Catherine Colonna, a annoncé l'élargissement des contacts militaro-diplomatiques entre Paris et Erevan. L'intention d'ouvrir un consulat français dans la région stratégique de Syunik, en Arménie, où l'Azerbaïdjan et la Turquie font pression pour la création d'un corridor de transport vers la République autonome du Nakhitchevan, isolée du reste de l'Azerbaïdjan et partageant une frontière commune avec la Turquie, a également été annoncée. De facto, il s'agit d'établir un centre de renseignement français sous le couvert d'un consulat.
Les Etats-Unis, quant à eux, développent des contacts tant avec l'Arménie qu'avec l'Azerbaïdjan. Samantha Power, directrice de l'USAID (Agence américaine pour le développement international), est arrivée la veille à Bakou en provenance d'Erevan.
La Turquie, alliée de l'Azerbaïdjan, renforce activement ses positions. Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan se sont rencontrés à Nakhitchevan le 25 septembre. Au cours de cette rencontre, ils ont discuté du corridor de transport passant par Lachin (Zankezour). Selon Erdogan, le corridor vers le Nakhitchevan via l'Iran est également possible. Ainsi, l'Arménie tente de se placer dans l'orbite de l'influence turque, d'abord économique, en proposant le projet de corridor, qui devrait d'une part débloquer les communications économiques dans la région, et d'autre part ouvrir à la Turquie un accès direct à la mer Caspienne et à l'Asie centrale.
L'Iran, comme la Russie, est, d'une part, préoccupé par l'avancée des positions occidentales dans la région. D'autre part, Téhéran voit d'un mauvais œil les tentatives de déstabilisation de l'Iran par l'intermédiaire des Azéris iraniens, ainsi que la coopération étroite entre Israël et l'Azerbaïdjan. Historiquement, l'Iran a plutôt soutenu l'Arménie dans la région.
En général, les intérêts et les positions de Téhéran et de Moscou coïncident au plus haut point parmi tous les acteurs de la région : empêcher le renforcement des positions de l'Occident en Transcaucasie, empêcher la propagation du pan-turquisme et de l'extrémisme radical sunnite, contrebalancer le renforcement de la Turquie (tout en la détachant des structures euro-atlantiques et en l'impliquant dans les formats régionaux multilatéraux), promouvoir le développement des corridors de transport (principalement le corridor nord-sud). Ce n'est pas un hasard si, lors d'une conversation téléphonique le 26 septembre, les présidents russe et iranien Vladimir Poutine et Ebrahim Raisi ont plaidé pour l'activation de la plateforme régionale "3+3" (Russie, Iran, Turquie, Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie).
L'influence de la Russie, suite au conflit, est objectivement très limitée. Les forces de maintien de la paix russes sont les otages de la situation, car les principales forces militaires ont été détournées vers l'Ukraine. Beaucoup dépendra des actions futures de la diplomatie russe, y compris en direction de l'Iran, ainsi que de la réaction de Moscou à l'assassinat des soldats de la paix russes, de sa capacité à faire preuve de force et à obtenir un châtiment équitable pour les assassins.
17:11 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, europe, caucase, nagorno-karabakh, haut-karabakh, arménie, azerbaïdjan, affaires européennes, russie, politique internationale |
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La fin du Haut-Karabakh et l'instabilité aux frontières de la Russie

La fin du Haut-Karabakh et l'instabilité aux frontières de la Russie
La fin de la jeune république. Les "avancées" occidentales vers l'Arménie et l'Azerbaïdjan et les intérêts d'Israël et de l'Iran
Source: https://www.piccolenote.it/mondo/nagorno-karabakh-e-instabilita-ai-confini-russi
Le président de la République Samvel Shahramanyan a mis fin, par un simple décret, à la courte histoire de la république du Haut-Karabakh, qui cessera d'exister le 1er janvier prochain. Une histoire mouvementée, puisqu'elle est née après la dissolution de l'URSS, avec un référendum proclamant son indépendance, le 21 septembre 1991, posant une question cruciale qui n'a jamais été résolue puisque, dans l'empire soviétique, elle faisait partie de l'Azerbaïdjan, devenu indépendant de Moscou le 30 août de la même année.
L'Azerbaïdjan n'a d'ailleurs jamais accepté la séparation, d'où la pression exercée pour réintégrer la région perdue. La coexistence dans le Nagorno Karabakh d'Arméniens et d'Azerbaïdjanais, avec des conflits de longue date qui ont même conduit à des massacres de part et d'autre, complique considérablement les choses.
Et puis les frictions plus larges entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, tous deux prêts à défendre les raisons de leurs groupes ethniques respectifs dans la petite république. Ces frictions se sont traduites par une guerre ouverte entre les deux États entre 1992 et 1994, qui s'est terminée par un cessez-le-feu rompu en avril 2016 (la guerre des quatre jours) et a repris avec le conflit sanglant de 2020 (septembre-novembre).
La dernière guerre avait pris fin grâce à la médiation de Poutine, la paix ayant duré jusqu'à il y a une semaine, lorsque l'Azerbaïdjan a décidé de recourir à nouveau à la force.
La dernière guerre du Haut-Karabakh
Une intervention de courte durée et le Haut-Karabakh capitule, les forces de maintien de la paix russes, présentes depuis longtemps dans la région, protègent les Arméniens et négocient une reddition inconditionnelle de facto, évitant ainsi le bain de sang redouté (les forces de maintien de la paix russes ont d'ailleurs subi des pertes).

Les images des foules d'Arméniens fuyant le Haut-Karabakh, revenu à toutes fins utiles à l'Azerbaïdjan, en direction de la mère patrie voisine, ont fait le tour du monde, accompagnées d'accusations de nettoyage ethnique.
Reste à comprendre les raisons de cette démarche, alors que le président arménien avait déclaré en mai qu'il était prêt à reconnaître la souveraineté azerbaïdjanaise sur le Haut-Karabakh si la sécurité des Arméniens qui y vivent était garantie.
Bref, Bakou aurait pu obtenir le même résultat sans l'épreuve de force actuelle, manifestement décidée, comme lors de la guerre précédente, par l'hésitation de l'autre partie à faire des pas réels dans cette direction.
Cependant, cette guerre, comme d'autres, implique un jeu géopolitique beaucoup plus complexe que l'antagonisme entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, puisque le sort de deux pays caucasiens, d'une importance stratégique mondiale en raison de leurs frontières avec la Russie, est en jeu.
C'est ce qu'explique M. K. Bhadrakumar dans Indian Punchline, en rappelant qu'au cours des derniers mois, le président arménien Nikol Pashinyan, arrivé au pouvoir grâce à une autre révolution colorée qui a eu lieu dans les anciens pays soviétiques (la "révolution de velours" en Arménie), s'est débarrassé de ses anciens oripeaux modérés pour revêtir ceux habituels des dirigeants établis par de tels bouleversements, amorçant un détachement-antagonisme progressif vis-à-vis de Moscou.
Un détachement qui s'est manifesté dans toute sa plasticité lors des exercices militaires conjoints USA-Arménie qui ont eu lieu peu avant l'attaque azérie et qui ont été le catalyseur de l'intervention : il est probable que les autorités de Bakou craignaient qu'avec Washington engagé en Arménie, la réintégration convoitée du Haut-Karabakh ne devienne une chimère.
Nouvelle instabilité aux frontières russes
Cependant, Bhadrakumar explique comment l'Azerbaïdjan a longtemps été choyé par l'Occident: "L'année dernière, l'UE a signé un accord pour fournir du gaz à partir de Bakou" et "la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a fait l'éloge de l'Azerbaïdjan en tant que "partenaire crucial" pour atténuer la crise énergétique de l'Europe".
"L'intérêt stratégique de l'UE, poursuit M. Bhadrakumar, est que l'Arménie et l'Azerbaïdjan minimisent l'influence russe en Transcaucasie. Avec autant d'acteurs géopolitiques puissants impliqués dans la région du Caucase, la situation est délicate. La ville espagnole de Grenade est l'endroit à surveiller car, dans quinze jours, près de 50 pays européens sont attendus pour une réunion de la Communauté politique européenne, y compris l'Arménie et l'Azerbaïdjan".

L'interprétation de Bhadrakumar est que l'invasion du Nagorno-Karabakh a en fait résolu un problème pour l'UE et les États-Unis : avec le règlement du conflit du Nagorno-Karabakh, l'Arménie et l'Azerbaïdjan pouvaient être invités à rejoindre l'UE. Une étape préalable à une éventuelle entrée dans l'OTAN.
Bref, une voie similaire à celle empruntée par l'Ukraine, qui a commencé son antagonisme avec Moscou par une révolution colorée revendiquant l'entrée dans l'UE, le carburant qui a alimenté l'incendie de la place Maïdan dont les flammes dévorent encore le pays. Cet intérêt a rendu les protestations contre l'agression azerbaïdjanaise quelque peu ineptes, bien différentes de celles soulevées par l'invasion de l'Ukraine.
"Profitant des inquiétudes de la Russie au sujet de l'Ukraine, les États-Unis et l'Union européenne se sont introduits de manière agressive dans la région de la mer Noire et dans le Caucase. L'Arménie est un fruit à portée de main", écrit Bhadrakumar.
L'Azerbaïdjan est moins à portée de main, étant donné son double lien avec la Turquie, une variable incontrôlable dans ce puzzle.
Israël, Iran et Azerbaïdjan
Mais il y a une autre pièce dans cette mosaïque, aussi cachée que significative. L'éditorial du Haaretz écrit à ce sujet : "Depuis la deuxième décennie du 21ème siècle, Israël a aidé l'Azerbaïdjan à commettre des crimes de guerre et à vaincre les Arméniens dans le Haut-Karabakh".
"Israël entretient avec les Azerbaïdjanais une relation stratégique fondée sur l'achat d'armes [israéliennes] d'une valeur de plusieurs milliards de dollars, mais aussi sur la guerre d'Israël contre l'Iran [Tel-Aviv utilise l'Azerbaïdjan comme base contre Téhéran] et sur l'achat à l'Azerbaïdjan d'une part importante du pétrole dont il a besoin".
Et il explique comment "le 6 mars, Haaretz a rapporté qu'au cours des sept dernières années, 92 avions-cargos azerbaïdjanais ont atterri à la base aérienne d'Ovda, le seul aéroport d'où l'on peut exporter des explosifs".
Puis, après avoir évoqué d'autres liens entre les deux pays, il rapporte que "le ministère des Affaires étrangères a admis que le refus d'Israël de reconnaître le génocide arménien - qu'il qualifie simplement de "tragédie" - découle en partie de ses relations avec le gouvernement azerbaïdjanais".
"Ce qui se passe dans le Haut-Karabakh n'est pas le premier cas de nettoyage ethnique qui porte les empreintes d'Israël. La persécution des Rohingyas au Myanmar et des musulmans pendant la guerre en Bosnie ne sont que deux exemples parmi tant d'autres. Israël devrait apprendre de l'histoire du peuple juif que le mélange d'énormes quantités d'armes avec la déformation de l'histoire est une recette sûre pour le désastre".
Enfin, il y a la relation ambiguë entre l'Azerbaïdjan et l'Iran : s'il est vrai que Téhéran regarde son voisin avec inquiétude, il reste les liens ataviques plus élevés, étant donné que l'Azerbaïdjan est le seul pays chiite en dehors de l'Iran.
Un puzzle complexe et risqué.
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lundi, 25 septembre 2023
Vers un "croissant de stabilité": l'isolement d'Israël s'accroît

Vers un "croissant de stabilité": l'isolement d'Israël s'accroît
par Giacomo Gabellini
Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/26391-giacomo-gabellini-verso-una-mezzaluna-di-stabilita-cresce-l-isolamento-di-israele.html
Depuis plusieurs mois, la région du Moyen-Orient fait l'objet de bouleversements géopolitiques d'une ampleur considérable, attribuables principalement au travail diplomatique minutieux de la Chine et de la Russie, devenues les promoteurs d'une recomposition généralisée des relations déchirées par des décennies d'hostilité.
L'événement central est sans aucun doute constitué par la reprise, convenue grâce à la médiation chinoise, des relations diplomatiques entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, impliquant la réouverture des bureaux de représentation, l'afflux d'investissements conjoints pour le développement des gisements de gaz dans le golfe Persique, et la prise conjointe de l'engagement de mettre fin au conflit yéménite. L'accord, note le spécialiste Scott Ritter, promet de transformer ce "croissant de chaos" en "croissant de stabilité". S'il est mis en œuvre avec succès, l'accord pourrait ouvrir une nouvelle ère dans laquelle la croissance économique supplanterait la puissance militaire dans la définition du Moyen-Orient".

L'atténuation des frictions entre Téhéran et Riyad, reconfirmée avec la rencontre à Pékin entre leurs ministres des affaires étrangères respectifs, vide en effet de son sens le projet d'"OTAN du Moyen-Orient" anti-iranien poursuivi par l'administration Trump à travers les accords d'Abraham, jetant ainsi les bases de la reprise du dialogue entre le Front saoudo-émirati et la Syrie baasiste et de la réadmission de cette dernière au sein de la Ligue arabe, favorisée cette fois-ci par l'intercession de la Russie. Une fois la "réintégration" formalisée, rapporte "Bloomberg" sur la base de confidences faites par des sources diplomatiques, l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont même commencé à exercer des pressions sur plusieurs pays européens pour qu'ils rétablissent leurs relations avec la Syrie et entament un processus de levée des sanctions imposées à la nation déchirée par plus d'une décennie de guerre.
Selon Peter Ford, ancien ambassadeur britannique à Damas, "il est difficile de surestimer l'importance de la réadmission de la Syrie au sein de la Ligue arabe [...]. Cette importance va bien au-delà de la Syrie elle-même [...]. Perdre la Syrie est effectivement une perte. Mais perdre l'Arabie saoudite est désastreux et cela deviendra de plus en plus clair". En retour, l'activisme de Moscou a facilité le lancement d'un programme complexe de normalisation des relations entre la Syrie, d'une part, et la Turquie et le Qatar, d'autre part, qui a simultanément apaisé la rupture avec l'Égypte causée par le coup d'État du général al-Sisi et la répression des Frères musulmans qui s'en est suivie.
Dans un contexte aussi profondément marqué par l'altération de la posture traditionnellement adoptée par les pays de la zone du Moyen-Orient, Israël tend à demeurer quasiment la seule force de contre-tendance substantielle. Au point d'inciter les représentants de Riyad à informer l'administration Biden de l'intention saoudienne de suspendre les négociations entamées pour normaliser les relations avec l'État juif. C'est ce qu'a récemment révélé "Elaph", un journal londonien à capitaux saoudiens, sur la base de confidences faites par un fonctionnaire anonyme, membre du cabinet du Premier ministre Benjamin Netanyahou. Ce recul serait dû à la dérive "extrémiste" du gouvernement israélien qui, par sa politique extrémiste, "torpille toute possibilité de rapprochement avec les Palestiniens, et donc avec les Saoudiens".
La reconstruction d'"Elaph" est corroborée par les déclarations irritantes et retentissantes de condamnation de la conduite israélienne faites par d'anciens membres de haut rang des "apparatchiks" comme Tamir Pardo. Dans une interview accordée à l'Associated Press, l'ancien directeur du Mossad a déclaré qu'en Israël "il y a un état d'apartheid. Sur un territoire où deux personnes sont jugées selon des systèmes juridiques différents, il ne peut y avoir qu'un état d'apartheid". Pardo lui-même a ensuite délibérément souligné que ses remarques sur les relations entre Israël et les Palestiniens "ne sont pas extrêmes. Elles représentent une reconnaissance". Les remarques d'un autre ancien directeur du Mossad, Efraim Halevy, ont été encore plus dérangeantes. Selon lui, l'entente entre Téhéran et Riyad, ajoutée grâce à la médiation chinoise, offre à l'appareil dirigeant de Tel-Aviv une occasion en or d'évaluer "si le moment est venu pour Israël de poursuivre une politique différente à l'égard de l'Iran et, peut-être de manière intelligente et confidentielle, de faire part de sa volonté de trouver un "rapprochement"". Il s'agit là d'un signe indéniable qu'au sein du noyau dur de l'"Etat profond" israélien, il existe un niveau élevé de conscience des risques encourus par le pays en suivant la ligne adoptée par Netanyahou sous l'impulsion de l'aile ultra-radicale du gouvernement, qui peut être retracée jusqu'aux partis d'inspiration religieuse et à leurs principaux représentants : le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir et le ministre des finances Bezalel Smotrich.
20:02 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique internationale, géopolitique, proche-orient, croissant fertile, levant, moyen-orient, monde arabo-islamique, israël |
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vendredi, 22 septembre 2023
Haut-Karabakh. Le miroir de la guerre totale

Haut-Karabakh. Le miroir de la guerre totale
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/nagorno-karabach-lo-specchio-della-guerra-totale/
Le conflit chronique entre Arméniens et Azerbaïdjanais resurgit après une période d'accalmie, ou de guerre de basse intensité. Pour le contrôle du Haut-Karabakh. La guerre la plus stupide du monde, disait à l'époque un diplomate d'une autre ancienne république soviétique, bien plus grande. Parce que la région contestée est absolument dépourvue de ressources naturelles d'importance. Et de toute importance stratégique. De plus, le conflit qui dure depuis trente ans l'a presque dépeuplée. Bref, un désert. Mais un désert pour lequel des gens continuent de se battre et de mourir.
Le problème est ancien. Il remonte à l'époque où le Haut-Karabakh a été attribué à la République soviétique d'Azerbaïdjan, dans les années 1920. Avec, toutefois, le statut d'oblast autonome, compte tenu de la composition ethnique complexe.
Aucun problème à l'époque. Ils faisaient tous partie de l'Empire soviétique. Et les frontières ne comptaient pas pour grand-chose. En fait, absolument rien.
Mais avec l'implosion de l'URSS, les choses ont radicalement changé. La population arménienne, majoritaire dans la région montagneuse du Nagorno, s'est déclarée indépendante. Avec le soutien, bien sûr, d'Erevan. Dont l'armée a occupé toute la région. Et, tant qu'à faire, cinq provinces azerbaïdjanaises voisines. Près d'un tiers du territoire de Bakou. Presque toutes les provinces azerbaïdjanaises. Mais Erevan pouvait compter sur le soutien militaire de la Russie. La fameuse solidarité entre frères orthodoxes. Et elle l'a gagnée pour longtemps.
D'où un nettoyage ethnique systématique. Qui a contraint tous les Azéris à quitter les provinces occupées. Et une tension durable. Avec des haines ethniques toujours ravivées.
Et aussi parce que le groupe de Minsk, délégué par l'ONU pour les négociations de paix, a toujours été paralysé. Largement inutile. Principalement sur ordre de Paris, fortement influencé par le puissant lobby électoral arménien en France.
Avec ce scénario, l'Azerbaïdjan a fini par se rapprocher des Etats-Unis, pour contrebalancer l'influence russe. Mais un rapprochement extrêmement prudent, surtout du côté américain. Car même à Washington, le lobby de la diaspora arménienne exerce une influence politique et électorale considérable.
Les relations de Bakou avec Israël sont plus solides. A tel point que certains analystes considéraient le territoire azerbaïdjanais comme la base opérationnelle à partir de laquelle le Mossad contrôlait l'Iran voisin.

En 2020, cependant, le scénario a changé. Bakou, fort de la richesse que lui procurent le pétrole et le gaz, attaque. En quelques jours, il a repris le contrôle de l'ensemble de la vaste région méridionale du Haut-Karabakh. Cette région est historiquement et ethniquement azerbaïdjanaise.
Le succès azerbaïdjanais a en outre été déterminé par la neutralité substantielle de Moscou. Pour de multiples raisons.
Tout d'abord, la nécessité d'apaiser les relations avec Bakou et, peut-être même avant cela, de pacifier le Caucase agité.
L'arrière-cour traditionnelle de Moscou... mais un jardin qui se remplit de mauvaises herbes et de serpents venimeux.
Et puis, la nouvelle politique d'Erevan a manifestement commencé à plaire de moins en moins au Kremlin. En particulier les signes évidents de rapprochement avec Washington. Comme d'habitude, la diaspora arménienne aux Etats-Unis y est favorable.
Cependant, la Russie, pour apaiser le conflit de 2020, a envoyé ses contingents pour servir de ligne de démarcation entre les deux belligérants.
Mais aujourd'hui, la guerre a repris de plus belle. Les Azéris accusent l'Arménie d'armer et de soutenir des groupes terroristes dans le Nagorno. Erevan rétorque que c'est Bakou qui a mis le feu aux poudres.
Il importe peu, cependant, de gloser sur le bien et le mal. Il est plutôt intéressant de noter comment le conflit a été ravivé immédiatement après l'annonce que l'armée arménienne effectuerait de (grandes) manœuvres en synergie avec l'armée américaine. Et avec l'OTAN.
Un signal facile à interpréter. Erevan quitte l'alliance avec Moscou (et avec Téhéran) pour se ranger du côté de ses amis.
Ainsi, le conflit du Haut-Karabakh, qui n'était hier encore qu'un conflit local et tribal, prend une toute autre importance.
Il devient le principal reflet caucasien de l'enjeu entre Moscou et Washington.
Le théâtre du deuxième acte d'une guerre mondiale probablement longue. Celle qui se déroule en Ukraine n'en est que le prologue.
19:49 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : azerbaïdjan, arménie, haut-karabakh, nagorno-karabach, caucase, géopolitique |
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mercredi, 20 septembre 2023
La nouvelle carte de l'Afrique

La nouvelle carte de l'Afrique
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/la-nuova-mappa-dellafrica/
L'Alliance du Sahel est née. Une entente militaire et politique entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
Peu en ont parlé. Mais c'est un fait... révolutionnaire.
La géographie de l'Afrique change. Rapidement. Et les cartes encore utilisées aujourd'hui, qui reproduisent en fait celles de la période coloniale, risquent de finir bientôt remisées au grenier.
L'équilibre de l'Afrique du Nord-Ouest, et de l'Afrique centrale, semble en effet figé. Arrêté au moment du colonialisme, notamment français, qui avait profondément mise en friche ces terres. Sans jamais vraiment lâcher prise.
En fait, la domination coloniale directe avait simplement été remplacée par un contrôle non moins étroit des ressources économiques, de la monnaie et des réserves d'or des pays issus du seul processus apparent de décolonisation. Elle a même maintenu une présence militaire directe. Cette présence a été renforcée par la volonté affichée de coopérer à la lutte contre le djihadisme islamique.
Le gouvernement est resté, nominalement, entre les mains de dirigeants locaux - parler d'élites serait absurde - hétéro-dirigés depuis Paris. Et, presque toujours, auto-référents et profondément corrompus. Incapables, à de rares exceptions près, de donner un sens national à des pays qui s'étaient constitués uniquement sur la base des frontières des anciens gouvernorats coloniaux. Sans aucun respect pour les différences ethniques, culturelles et religieuses des peuples.
Ces pays africains nous ont habitués, pendant des décennies, à de fortes tensions tribales. Et à une instabilité politique chronique, seulement partiellement masquée par des régimes personnalistes. Et, souvent, familiaux, comme celui, vieux de quarante ans, des Bongo au Gabon.
Tout cela, cependant, n'a jamais porté atteinte aux intérêts coloniaux. Et surtout sur ceux de la France, qui a continué à se nourrir sur le dos de ses anciennes (si l'on peut dire) colonies. À tel point qu'il n'est pas exagéré de dire qu'une grande partie de la richesse française provient de son empire africain.
Aujourd'hui, cependant, la situation est complètement différente. Cette nouvelle alliance sahélienne fragilise la CEDEAO, qui a toujours été un outil docile entre les mains de l'Élysée. Et elle ouvre des horizons totalement nouveaux.
Mais il n'y a pas que le conflit, pour l'instant latent, entre les alliés (subalternes) de la France et les rebelles. Toute l'Afrique semble être devenue une poudrière. Et les tentatives de l'Elysée pour détendre les relations tendues avec l'Algérie n'ont guère abouti. Cette dernière ayant publiquement déclaré son soutien au Niger et à la nouvelle Alliance.
Au contraire, cela a eu un effet boomerang. L'aliénation des relations avec le Maroc. Comme en témoigne le double camouflet infligé par Rabat à Macron. Le Maroc a d'abord refusé l'aide française lors du récent et tragique tremblement de terre. Il a ensuite refusé publiquement la visite officielle du président français et sa rencontre avec le roi Mohammed VI.

Et puis le coup d'État au Gabon. Et celui, plus tard démenti mais manifestement tenté, au Congo. Où se jouent d'étranges jeux internationaux.
Car s'il est vrai que Moscou soutient la révolte des États du Sahel - avec également une présence de plus en plus évidente des SMP russes, dont la célèbre Wagner - même Washington ne semble pas mécontent de certains changements en Afrique centrale. A commencer, précisément, par le Gabon.
Une attitude qui révèle comment les Etats-Unis ont l'objectif mal dissimulé de remplacer Paris dans le contrôle d'une certaine région africaine.
L'Afrique est le nouveau théâtre privilégié du Grand Jeu. Un jeu entre puissances qui ne respecte aucun schéma préétabli. Pas d'alliances ou d'alignements formels. Un jeu dont il est très difficile, aujourd'hui, d'identifier clairement les lignes et les frontières.
Une certitude. La carte de l'Afrique évolue rapidement. Et la France est sur le point d'être expulsée du continent qu'elle considérait, hier encore, comme sa propriété.
20:05 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, afrique, affaires africaines, géopolitique, politique internationale |
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lundi, 18 septembre 2023
Mer contre terre: une histoire sans fin

Mer contre terre: une histoire sans fin
par Fabrizio Bertolami
Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/mare-contro-terra-la-storia-infinita & https://comedonchisciotte.org/mare-contro-terra-la-storia-infinita/
Les appels de Joe Biden au G7, à l'Europe et à l'OTAN font écho aux craintes exprimées il y a près de 120 ans par l'un des pères fondateurs de la géopolitique: Sir Halford Mackinder. Sa théorie est revenue à la mode au cours de la dernière décennie parce qu'elle explique, mieux que d'autres, la situation actuelle d'opposition entre la Chine et la Russie d'une part, et les États-Unis, l'Europe et la Grande-Bretagne d'autre part. Ce qui suit est une synthèse de son œuvre et de sa pensée stratégique, d'une grande perspicacité en son temps, d'une inspiration pour d'autres auteurs contemporains (Brzezinski surtout), valable depuis un siècle et toujours d'une grande actualité.

Halford Mackinder : le pivot géographique de l'histoire
La concurrence technologique croissante pour l'appropriation de l'espace était évidente pour Sir Halford Mackinder (1861 - 1947) lorsqu'en 1904, dans son discours The Geographical pivot of History, il affirmait que les puissances maritimes étaient en déclin par rapport aux puissances continentales, précisément en raison de l'avènement du chemin de fer. Le géographe de Sa Majesté soutenait qu'il était possible d'identifier une zone connue sous le nom de "Heartland" qui deviendrait le centre du pouvoir mondial, car en la contrôlant, il était possible de contrôler l'île-monde, et donc le globe.
L'Allemagne, grâce au chemin de fer, avait un accès plus rapide à cette zone et avait donc un avantage dans la course à l'hégémonie sur ses concurrents maritimes. Le Heartland correspond, dans la théorie de Mackinder, à la masse continentale asiatique qui s'étend du Pacifique à la Hongrie dans le sens est-ouest et du cercle arctique à l'Iran dans le sens nord-sud. Le contrôle de cette zone garantissait le contrôle de ce que l'on appelle l'île-monde, qui comprend l'Europe et le Moyen-Orient, déterminant ainsi le contrôle de l'Afrique et donc du monde. Le pivot ou pivot géographique est défini dans le discours de 1904 comme suit :
"[...] cette vaste région de l'Eurasie, inaccessible aux navires mais parcourue dans l'Antiquité par des nomades à cheval, qui est aujourd'hui couverte par un dense réseau de chemins de fer [...]. C'est ici qu'ont été et que sont encore réunies les conditions d'une grande mobilité de la puissance militaire et économique" (1).

Le pivot géographique selon Mackinder
La puissance qui occupait physiquement le Heartland à l'époque était la Russie, même si c'est l'Allemagne, en forte ascension militaire surtout, qui était mentionnée entre les lignes. La préoccupation de Mackinder était que ces deux puissances ne s'unissent pas plus étroitement, car cela permettrait à la Russie de s'installer dans l'espace européen et de modifier progressivement l'équilibre des forces entre les puissances maritimes et terrestres. Il pensait évidemment qu'il était du devoir de la puissance britannique de tout faire pour que cela ne se produise pas.
Mackinder était à l'époque non seulement professeur à la Royal Geographical Society, une institution très écoutée par les décideurs politiques britanniques, mais aussi directeur de la "London School of Economics". L'accent mis sur le caractère déterminant de la situation géographique et des conditions environnementales des nations est un élément fondamental de sa théorie. Il pensait que les États situés en bordure des masses continentales possédaient des avantages inhérents par rapport aux États situés sur la masse continentale eurasienne. Cet avantage était dû à l'accès maritime et seul l'avènement du chemin de fer pouvait remettre en cause cette domination. En effet, la mer n'est pas la frontière que les marchandises doivent franchir par voie terrestre, mais des accords interétatiques pour la construction de chemins de fer sont sur le point de rendre la voie terrestre à nouveau compétitive pour le transport de marchandises.
Mackinder a utilisé les conditions physiques et géographiques des territoires pour prédire le cours et les perspectives de la politique mondiale. Son modèle géopolitique de la puissance maritime par opposition à la puissance continentale était en fait également conçu pour les époques futures. Il était en fait un déterministe bien qu'il se soit proclamé réticent face à ce reproche (2). Sa théorie, considérée dans ses composantes fondamentales, à savoir les concepts de Heartland, de pivot et la dichotomie puissances maritimes/puissances terrestres, est le fondement de la géopolitique dite "continentaliste" encore valable aujourd'hui.
Il a reconnu que le développement de l'activité navale européenne avait créé les conditions d'une inversion de la relation historique entre l'Asie et l'Europe. En effet, cette dernière s'est toujours sentie menacée ou envahie par des peuples venant de l'est et coincée contre l'océan Atlantique à l'ouest. Grâce à sa domination sur les terres découvertes après 1492, elle avait enfin réussi l'exploit d'encercler la première et de la contraindre à la défensive (3).
"En effet, jusqu'au Moyen Âge, l'Europe était enfermée entre un désert impénétrable au sud, un océan inconnu à l'ouest, des étendues gelées ou couvertes de forêts froides au nord et au nord-est. A l'est et au sud-est, elle était constamment menacée par la mobilité supérieure des cavaliers et des chameliers, mais maintenant elle émerge dans le Monde, multipliant plus de trente fois la superficie des mers et des terres côtières auxquelles elle a accès, et enveloppant de son influence la puissance terrestre eurasienne, menaçant ainsi son existence même. [...]" (4).
La Première Guerre mondiale avait établi la nette suprématie des forces maritimes sur les forces terrestres. Cependant, Mackinder voyait encore des dangers dans cette situation, dans la mesure où le contrôle européen du Heartland n'avait pas été réalisé et où les relations entre les Slaves et les Allemands créaient une zone de contact/conflit possible, chargée de nouveaux problèmes. Dans Democratic Ideals and Reality de 1919, Mackinder désigne l'Europe centrale comme le nouvel atout dans l'équilibre du pouvoir mondial. Ce livre a été écrit à l'époque des accords de paix de Versailles et de la redéfinition de l'ordre européen. Sa célèbre devise a changé et est devenue :
"Celui qui contrôle l'Europe de l'Est commande le Heartland, celui qui commande le Heartland commande l'île-monde, celui qui commande l'île-monde commande le monde" (5).
Mackinder était en effet convaincu que si l'Allemagne, en 14, avait tourné toutes ses forces vers la Russie, tout en restant sur la défensive sur le front français, elle aurait conquis le Heartland et ainsi dominé le continent (6). Il a défini l'Allemagne et l'empire des Habsbourg comme des puissances orientales et a identifié comme pivot une zone entre la Russie et l'Europe qui s'étendait de la mer Baltique à l'Adriatique, c'est-à-dire presque exactement ce qui serait un jour occupé par le "rideau de fer".
Cet espace géographique entre l'Europe et la Russie devait séparer les deux puissances et empêcher en même temps une renaissance allemande. La résolution de la question entre Allemands et Slaves est, pour Mackinder, une condition préalable essentielle à une paix durable, à laquelle s'ajoute une réduction appropriée du territoire allemand. Il est également nécessaire de ne pas créer d'espace économique pour l'Allemagne dans cette région, car la puissance économique allemande s'y affirmerait immédiatement au détriment des puissances maritimes et donc de la paix. Malgré la croissance de l'Allemagne, la Russie reste le principal adversaire de la superpuissance britannique dans le "Grand Jeu" eurasiatique.
La Russie, soviétique depuis deux ans, reste au premier rang des préoccupations de Mackinder car elle est désormais capable de propager sa force par la séduction qu'exercent la révolution et la lutte des classes grâce à l'idéologie marxiste-léniniste. Son opposition au communisme est claire et son soutien à la Société des Nations naissante, institution capable de répandre la démocratie et le libéralisme dans le monde, est fort (7).
Cependant, il reconnaît que la propagande marxiste est une arme puissante entre les mains de la Russie, car elle est capable de franchir les frontières et d'apporter à l'Occident l'esprit de la révolution qui pourrait miner les démocraties européennes de l'intérieur.

La "vraie Europe" selon Mackinder
Il attachait une grande importance à la répartition des continents et des océans plutôt qu'aux caractéristiques raciales ou climatiques, affirmant une sorte de "déterminisme spatial" (8). La caractéristique cruciale de sa géographie politique est qu'elle permet la coexistence de deux aspects contrastés de l'Empire britannique: son caractère d'empire commercial mû par la seule puissance maritime britannique et son aspect transnational et multiracial, fondé sur une hiérarchie raciale et sociale. Mackinder a décrit cette unité sur une base géographique, et maritime en particulier, ce qui lui a permis de contourner la nécessité de décrire l'empire comme une communauté de destin, une position intenable puisqu'il n'y avait rien de commun et de sous-jacent qui puisse tenir ensemble des peuples et des cultures aussi divers (9). Mais en fin de compte, Mackinder considérait l'empire comme un moyen de maintenir la base économique de la Grande-Bretagne par le biais de la puissance militaire afin d'assurer la survie du pays. Le modèle imaginé par Mackinder peut encore être considéré comme valable aujourd'hui.
Les idées de Mackinder, et en particulier son concept de pivot et sa division du monde en tellurocraties et thalassocraties, font sortir l'analyse géopolitique du domaine de l'histoire pour la faire entrer dans celui du déterminisme géographique: la géographie l'emporte sur l'histoire (10).

Nicholas Spykman : le Rimland, l'anneau le plus précieux
La théorie de Nicholas Spykman (1893-1943), consécutive à celle de Mackinder, postulait, dans les années 1930, l'existence d'une zone appelée Rimland, formée par tous les États riverains du Heartland. Selon lui, il s'agit du véritable pivot géographique. Son contrôle par les puissances terrestres rendrait le Heartland autosuffisant et inattaquable.
Selon sa thèse, cet anneau autour de la masse continentale asiatique était plus important que le Heartland, précisément en raison de sa capacité à relier la mer à la masse continentale. Il s'agit donc de la partie de la masse continentale nécessaire au commerce mondial, qui comprend Suez, Ormuz, l'Inde, Malacca, la mer de Chine méridionale et le Japon en Asie.
L'ensemble de l'Europe était inclus dans le schéma, de même que la région du Moyen-Orient. Spykman a élaboré ses thèses d'une manière fortement orientée vers la géographie en considérant l'ensemble du globe dans son analyse géostratégique, également à la lumière des développements du transport aérien et de la suprématie navale américaine dans les années 1930 et 1940. Contrairement à Mackinder, Spykman considérait que la position des États-Unis était stratégiquement importante car ils étaient en mesure d'influencer les affaires asiatiques et européennes.
En accord avec la thèse de l'amiral Mahan, il identifie l'océan Indien comme une zone centrale de contrôle géographique d'un point de vue militaire et l'Inde comme un avant-poste clé, comme l'avait fait Mackinder avant lui. Il définit la "Méditerranée asiatique" comme la zone maritime comprenant le Japon, la Chine et l'Inde et la "Méditerranée caraïbe" comme l'espace compris entre la Floride, le Mexique, le Venezuela et Cuba. Dans cette zone, la suprématie est encore garantie par la doctrine Monroe, tandis que dans la zone asiatique, elle peut être conquise en raison de la faible capacité de pénétration de la marine soviétique.
Il a fortement suggéré que les États-Unis abandonnent leur position défensive et isolationniste et adoptent plutôt une politique plus réaliste et plus affirmée. Le concept d'"exceptionnalisme américain" et l'utopisme wilsonien en vigueur à l'époque ont fondé chez les géographes américains une vision extrême du déterminisme environnemental, à laquelle Spykman s'est opposé en faisant preuve dans ses thèses d'excellentes doses de réalisme (11).
Depuis la révolution américaine, l'idéologie politique de ce pays mettait l'accent sur deux différences particulières entre l'Europe et les États-Unis, à savoir la forte insistance sur le libre-échange et l'idéal d'une nation pacifique (concepts antithétiques de l'étatisme européen largement répandu), et la vision des États-Unis comme une expérience sociale (12). Wilson lui-même a adhéré à cette vision et s'est fait l'avocat d'une mission civilisatrice américaine dans le monde, bien que l'opinion publique américaine ait été fortement encline à l'isolationnisme en matière de politique étrangère. Ses propos sont les suivants :
"Plus il y aura de démocraties dans le monde, plus l'hégémonie idéologique américaine s'étendra" (13).
La préoccupation de Spykman restait cependant d'éviter une domination allemande ou russe de la masse continentale eurasienne, même s'il reconnaissait la nécessité de maintenir une Allemagne anti-russe forte dans tout l'Est européen (14). La Russie soviétique occupe progressivement la masse continentale eurasiatique et s'étend de Vladivostock et Port Arthur, arrachés à la Chine, à Bakou, avec des visées sur l'Iran et le Pakistan (qui, à l'époque de Spykman, décédé en 1943, n'existait toujours pas). En Europe, elle surplombe désormais la mer Baltique et potentiellement l'Adriatique, tandis que ses frontières terrestres englobent la moitié de l'Allemagne et l'ensemble de l'ancien empire des Habsbourg, cette Mitteleuropa que Mackinder avait désignée comme le nouveau pivot en 1919. Spykman est mort en 1943 sans avoir pu constater les résultats de la guerre et leurs avatars, mais il a pu prédire avec lucidité les tendances futures. Tout d'abord, il a compris que le développement des transports aériens et maritimes pouvait permettre aux États-Unis de déployer leur potentiel militaire pratiquement n'importe où en très peu de temps, rendant ainsi la géopolitique globale.

Il affirme que l'après-guerre verra une décentralisation régionale du pouvoir, non pas tant en termes militaires qu'en termes économiques et politiques. Il anticipe la future politique d'endiguement (énoncée plus tard par George Kennan) en désignant le Moyen-Orient, l'Europe occidentale et l'océan Indien comme les théâtres d'opérations pour contrer l'URSS. Spykman continuait cependant à considérer l'Europe comme un élément central de la domination mondiale américaine et n'était pas du tout favorable à une intégration européenne plus poussée (15).
Mackinder y voit la possibilité qu'une Europe unie, dotée de sa propre armée, rende inutile la présence américaine sur la masse continentale eurasienne en condamnant les Etats-Unis à être expulsés de la péninsule européenne. La conquête militaire et le maintien de la présence américaine étaient le seul moyen de garantir avec certitude l'arrêt de l'avancée de l'URSS et donc du communisme sur le globe. L'endiguement de l'Union soviétique du côté européen, qui allait devenir la doctrine dominante aux États-Unis au cours des trente années suivantes, devait être fondé sur des hypothèses géographiques et non sur des éléments culturels partagés tels que le libéralisme ou la démocratie.
par Fabrizio Bertolami pour comedochisciotte.org
14.09.2023
Articles précédents :
https://comedonchisciotte.org/lera-della-geopolitica/
https://comedonchisciotte.org/terra-e-conquista-idee-in-guerra/
Notes :
- 1) H. Mackinder, The Geographical Pivot of History (Le pivot géographique de l'histoire) dans The Geopolitical Reader édité par Gearóid Ó Tuathail, Simon Dalby, Paul Routledge, Routledge, New York 1998, p. 30.
- 2) Halford Mackinder, The Geographical Pivot of History (Le pivot géographique de l'histoire) dans The Geopolitical Reader édité par Gearóid Ó Tuathail, Simon Dalby, Paul Routledge, Routledge, New York, 1998, p. 30
- 3) Ibid.
- 4) Ibid, p.29
- 5) H. Mackinder, Democratic Ideals and Reality, National Defence University Press 1996, p.106.
- 6) Ibid.
- 7) Ibid, p.144.
- 8) Ibid p.90.
- 9) Ibid, p. 91.
- 10) Ibid p. 90.
- 11) C. Jean, Géopolitique du monde contemporain, Editori Laterza, Roma-Bari 2012, p. 28.
- 12) J. Agnew, Fare Geografia Politica, Franco Angeli, Milano, 2008 p. 94.
- 13) Ibidem p.95
- 14) R. Kaplan, La revanche de la géographie, Random House, New York 2013, p.99.
- 15) Ibidem.
16:38 Publié dans Géopolitique, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : géopolitique, théorie politique, politologie, sciences politiques, halford john mackinder, nicholas spykman |
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samedi, 16 septembre 2023
La variable arménienne : le gaz et le pétrole au centre des tensions (mondiales) sur le Haut-Karabakh

La variable arménienne: le gaz et le pétrole au centre des tensions (mondiales) sur le Haut-Karabakh
par Fabrizio Poggi
Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/26322-fabrizio-poggi-la-variabile-armena-gas-e-petrolio-al-centro-delle-tensioni-mondiali-sul-nagorno-karabakh.html
Alors que débutent les manœuvres militaires arméno-américaines, qui dureront jusqu'au 20 septembre, les relations entre l'Arménie et la Russie se détériorent davantage. Le Premier ministre Nikol Pašinjan oriente de plus en plus ses choix vers l'ouest, à la recherche de soutiens, alors que l'Azerbaïdjan concentre depuis plusieurs jours des troupes à la frontière arménienne et le long de la ligne de partage du Haut-Karabakh, aggravant le blocus de la République et rendant la situation alimentaire des Arméniens de l'Artsakh désespérée. En effet, Erevan, au mépris des accords tripartites de cessez-le-feu Moscou-Erevan-Bakou de novembre 2020, avait continué à envoyer vers l'Artsakh des marchandises non couvertes par les accords, via le "corridor humanitaire de Lacine", si bien que Bakou avait fermé l'artère, sauf à autoriser désormais (mais ce n'est pas clair) le transit de certains produits de première nécessité.
Ainsi, en quête de soutien, ces derniers jours, et ce en l'espace de 24 heures, Pašinjan, pour annoncer son intention d'entamer des pourparlers urgents avec le président azerbaïdjanais Il'kham Aliev, avait fait sonner les téléphones d'Antony Blinken, d'Emmanuel Macron, d'Olaf Scholz, du président iranien Ebrahim Raisi et du premier ministre géorgien Irakli Garibašvili ; mais pas celui de Vladimir Poutine.
En revanche, note l'agence de presse REX, aux cinq premiers dirigeants, le premier ministre arménien a réitéré son respect des accords d'octobre 2022 à Prague et de mai 2023 à Bruxelles, tout en taisant soigneusement l'accord de paix de novembre 2020 qui, avec la médiation de Moscou, avait mis fin au second conflit du Karabagh.
Bref, très récemment, les relations entre Erevan et Moscou ont bel et bien fait des pas de géant : mais dans le mauvais sens.
Deux jours après l'interview sordide de Pašinjan dans La Repubblica, le 3 septembre, Erevan a retiré son représentant de l'ODKB ; en réponse à la proposition russe de déployer une mission de l'ODKB en Arménie, Pašinjan a opté pour une mission de l'UE, après avoir déclaré à La Repubblica que le contingent russe de maintien de la paix ne garantirait pas la sécurité des Arméniens et que Moscou s'apprêtait même à se retirer du Caucase du Sud. Puis, le 6 septembre, Erevan a confirmé les manœuvres conjointes "Eagle Partner 2023" avec les Yankees sur le territoire arménien, après avoir refusé d'accueillir les exercices ODKB. Le même jour, la compagne du Premier ministre apporte une "aide humanitaire" à Kiev sous la forme d'équipements électroniques "neutres" - pas vraiment : des téléphones portables et des tablettes !
En fait, Moscou n'a pas l'intention d'abandonner une région aussi vitale que le Caucase du Sud ; c'est plutôt l'Occident qui, par le biais de manœuvres "diplomatiques" arméniennes, cherche à déloger la Russie du Caucase. Aujourd'hui, sentant de nouveaux nuages s'accumuler entre Erevan et Bakou, et accusant Moscou d'"inaction", Pashinjan entend se décharger sur la Russie d'une probable débâcle arménienne et, dans le même temps, se débarrasser de la garnison russe en Arménie et du contingent russe de maintien de la paix en Artsakh, où, entre autres, après la démission d'Arajk Arutjunjan, Samvel Šakhramanjan, pas vraiment un fidèle d'Erevan, a été proclamé président le 9 septembre dernier.
Le politologue Jurij Svetov rappelle qu'en 2020, c'est l'Arménie elle-même qui a reconnu les frontières de 1991 et que depuis, à plusieurs reprises, Pašinjan (qui est arrivé au pouvoir, rappelons-le, sur la vague d'une nouvelle "révolution colorée") a déclaré que le Haut-Karabakh était un territoire azerbaïdjanais. En janvier et novembre 2021, Poutine, Pašinjan et Aliev ont à nouveau convenu de créer une commission chargée de démilitariser la frontière azerbaïdjanaise et de rétablir les liens commerciaux. En octobre 2022, les trois dirigeants, évaluant l'état des déclarations adoptées en novembre 2020 et en janvier et novembre 2021, ont réaffirmé leur engagement en faveur d'une ligne pacifique dans les relations Erevan-Bakou. Une nouvelle réunion tripartite a eu lieu en mai de cette année, et Poutine et Pašinjan se sont rencontrés à nouveau en juin.

C'est dans ce contexte que Paris s'intéresse à la région depuis quelques mois: tout en se proposant, sans trop de fanfare, comme intermédiaire entre Erevan et Bakou - le ministre arménien de la Défense Suren Papikjan s'est rendu à Paris en juin dernier - elle continue de faire ses affaires principalement avec la France: TotalEnergie et SOCAR extraient du gaz sur le site d'"Apšeron", dans le secteur azerbaïdjanais de la mer Caspienne.
Mais il n'y a pas que du gaz dans la région. L'Arménie n'est pas riche en pétrole, contrairement au Haut-Karabakh. Par conséquent, on peut se demander si l'orientation pro-occidentale de Pašinjan, qui blâme Moscou pour une "inaction" fictive du contingent russe de maintien de la paix dans la défense des Arméniens de l'Artsakh, et ses "appels" à l'Occident, ne sont pas le prix à payer pour céder le Karabakh et son pétrole aux capitaux occidentaux. Ainsi, parallèlement à la ratification du protocole de Rome (le mandat d'arrêt émis par la soi-disant "Cour pénale internationale" contre Vladimir Poutine) par le parlement d'Erevan, les médias officiels arméniens ont commencé à répandre des rumeurs sur la présence fantôme de 12.000 "Wagnériens" qui, sur ordre de Moscou, tenteraient de renverser Pašinjan. Il est difficile de deviner l'origine de telles rumeurs mais, note Aleksandr Chausov dans Novorosinform, à bien y réfléchir, elles constitueraient un alibi valable pour exiger qu'à l'issue des manoeuvres de septembre, quelques dizaines de milliers de soldats de l'OTAN soient stationnés en Arménie.
Car, à y regarder de plus près, si Moscou n'a aucun intérêt à détériorer ses relations avec Tbilissi ou Bakou (et, par voie de conséquence, avec Ankara, dont la doctrine à l'égard de l'Azerbaïdjan est très explicite : "Deux pays, une nation"), en s'engageant dans un conflit dans la région, qui rendrait complexes des relations même amicales avec Téhéran, alors, à l'Ouest, il ne serait pas mauvais d'ouvrir un second front au sud de la Russie.
Paris, par exemple, affecté par la série de bouleversements dans les pays africains riches en ressources essentielles à l'industrie française, pourrait convoiter le pétrole de l'Artsakh, visé de plusieurs côtés depuis au moins 1987 : c'est-à-dire la période où l'Azeri "AzGeologija" avait réalisé sa première exploration réussie et qui, par coïncidence, coïncidait avec les premiers éclats de la crise militaire au Nagorno-Karabakh. Aujourd'hui, ce pétrole tente Bakou, qui pourrait le transférer à l'Ouest via la Turquie, mais surtout à l'Ouest lui-même, via l'Arménie. Or, rappelle M. Chausov, c'est précisément la France qui a bloqué l'entrée de la Turquie dans l'UE il y a une vingtaine d'années, en reconnaissant le génocide arménien et en proclamant officiellement qu'Ankara n'était pas digne d'adhérer pour, ça va sans dire, "régression en matière de démocratie et de droits fondamentaux". En d'autres termes, dans toute cette affaire, ce ne sont pas seulement des intérêts français "anti-russes" mais surtout "anti-turcs" qui transparaissent: ou plutôt "pro-pétrole".

Il est donc difficile d'exclure un plan de Nikol Pašinjan visant à mettre les ressources naturelles de l'Artsakh entre les mains de Paris et de l'Occident. Ce n'est pas une coïncidence, dit Chausov, que déjà en 2020, feu Evgenij Prigožin avait mis en garde Erevan contre l'admission des États-Unis dans ses affaires et, ce qui est pour le moins intrigant, on se demande pourquoi, dans les mêmes heures où l'avion du "chef d'orchestre" s'est écrasé, un autre jet privé de "Wagner" s'est envolé de Moscou à Bakou, après quoi les fibrillations antirusses ont commencé à Erevan.
Le gaz azerbaïdjanais, disait-on. Selon les données d'Eurostat, le pourcentage de pétrole que l'UE reçoit de la Russie a chuté de 29 à 2 % et celui du gaz de 38 à 13 % en très peu de temps, tandis que les approvisionnements en provenance d'Algérie, de Grande-Bretagne et de Norvège et, par conséquent, d'Azerbaïdjan, le long du corridor gazier méridional, ont augmenté.
Sur Izvestija, Ksenija Loginova se demande donc si Bakou parviendra à prendre à Moscou des parts substantielles des marchés européens du gaz. Entre-temps, les livraisons azerbaïdjanaises à la Hongrie ont déjà augmenté et, d'ici le quatrième trimestre 2023, Budapest recevra 100 millions de mètres cubes de gaz, en plus des 50 millions qu'elle a l'intention d'acheter pour ses propres gisements. Depuis la Hongrie, le gaz azerbaïdjanais transite déjà vers la Bulgarie, la Grèce, la Roumanie et l'Italie. En avril dernier, l'Azerbaïdjan, la Bulgarie, la Hongrie, la Slovaquie et la Roumanie ont signé ce que l'on appelle "l'anneau de solidarité" (auquel ont également adhéré la Serbie et la Bosnie-Herzégovine), afin d'utiliser les ramifications internes pour augmenter les volumes de gaz passant par le corridor sud. L'UE elle-même déclare officiellement, et pas pour l'instant, son intérêt pour l'expansion des approvisionnements azerbaïdjanais, et si elle a encore reçu 8 milliards de mètres cubes de gaz en 2021, la perspective est d'atteindre 20 milliards d'ici 2027.
Mais entre-temps, les rapports sur les concentrations de troupes azerbaïdjanaises, arméniennes et iraniennes aux frontières relatives entre les trois États se multiplient, et plusieurs observateurs craignent l'implication d'acteurs dangereux tels que l'UE et même Paris de manière directe. En effet, les manœuvres de Nikol Pašinjan contre les forces intermédiaires russes font de plus en plus le jeu des acteurs occidentaux.
20:01 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : azerbaïdjan, arménie, nagorno-karabach, caucase, politique internationale, géopolitique, europe, affaires européennes |
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mardi, 12 septembre 2023
L'artichaut et autres stratégies

L'artichaut et autres stratégies
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/del-carciofo-e-altre-strategie/
L'ensemble de nos propos, en soi, peut sembler comique. Une sorte d'humour involontaire. Ou, mieux encore, un paradoxe.
De nombreux analystes occidentaux, en particulier italiens, affirment que Vladimir Poutine adopte la "stratégie de l'artichaut" à l'égard de la pauvre Ukraine.
Une feuille à la fois. Pour finir par tout engloutir.
D'abord la Crimée, maintenant le Donbass. Et, selon eux, il faut y mettre un terme dès maintenant. Sinon...
En bref, il est nécessaire, voire obligatoire, d'arrêter Poutine. Sinon, qui sait où il pourrait aller dans son ambition de reconstruire l'Empire des Tsars. Et celui des Soviets.
Il est probablement vrai que l'on peut déceler certains éléments de la "stratégie de l'artichaut" dans l'action de Moscou en Ukraine. Elle a d'abord acquis, sans coup férir, la Crimée. Puis ce fut le tour du Donbass. D'abord par des accords diplomatiques qui ont permis à la région - historiquement, linguistiquement et culturellement russe - de bénéficier d'un statut particulier. De manière à garantir sa sécurité et, en même temps, l'influence de Moscou.
Ces tentatives diplomatiques ayant échoué, car Kiev, soutenu par Washington, a toujours ignoré les accords de Minsk, la guerre a commencé. Avec un double objectif : l'annexion du Donbass et la neutralisation du reste de l'Ukraine. Pour éviter une nouvelle expansion à l'est de l'OTAN.
Mais c'est là que réside le nœud du problème.
La stratégie du Kremlin n'est que la conséquence logique et inévitable, on pourrait dire la réaction, à celle mise en œuvre par l'OTAN depuis l'effondrement du mur de Berlin.
Lorsque, face à la perspective de la réunification allemande, Washington a assuré à Moscou, à un Gorbatchev trop malléable - car en proie à de graves difficultés internes - que l'OTAN ne s'étendrait jamais à l'est de l'Allemagne.
La manière dont les choses se sont passées en réalité est bien connue. Pour tout le monde, sauf pour les soi-disant analystes qui pontifient aujourd'hui sur la menace de la "stratégie de l'artichaut" que pratiquerait la Russie.
L'OTAN, profitant du chaos interne de la Russie pendant les années folles d'Eltsine, a incorporé l'un après l'autre tous les anciens satellites soviétiques.

Pologne, Roumanie, République tchèque, Slovaquie, Bulgarie. Les frontières de l'Alliance atlantique se sont progressivement et rapidement déplacées vers l'Est. Dans le même temps, elle a occupé l'ensemble de l'ex-Yougoslavie. Sauf la Serbie, qui a toujours été liée à la Russie. Cette dernière a toutefois été durement touchée et contrainte de renoncer au contrôle de la Bosnie et du Kosovo.
Pour ce qui est théoriquement censé être une alliance défensive, ce n'est vraiment pas mal, vous ne trouvez pas ?
Ensuite, l'OTAN est allée plus loin. En annexant les pays baltes. La Lituanie, l'Estonie, la Lettonie. Au Kremlin, cela a été interprété comme un signal extrêmement dangereux.
Car ces trois petites républiques n'étaient pas d'anciens satellites soviétiques. Elles faisaient partie intégrante de l'URSS et, avant cela, de l'empire des tsars. Avec, ces derniers temps, des périodes d'indépendance assez brèves.
Face à cette expansion de l'OTAN, Moscou n'a pas pu réagir. Elle avait d'autres problèmes internes à régler. La crise économique, les sécessionnismes de la Tchétchénie, du Daghestan, de l'Ingouchie dans le Caucase agité...
C'est ainsi que trois autres feuilles de l'artichaut russe ont été épluchées.
La musique a cependant changé en 2008. Lorsque la Géorgie, de facto de plus en plus dans l'orbite des États-Unis, a tenté d'annexer l'Ossétie du Sud manu militari. Une province (nominalement) rebelle, mais qui restait en fait liée à la Fédération de Russie.

La réaction de Moscou a été fulgurante. En moins d'une semaine, l'armée russe était aux portes de Tbilissi. Là où elle s'est arrêtée. Pour faire demi-tour.
Le signal était clair. Le Kremlin n'était plus disposé à accepter que de nouvelles feuilles soient arrachées à son artichaut.
Et les Géorgiens l'ont bien compris. À tel point qu'aujourd'hui, ils ont pour politique de maintenir de bonnes relations avec leur grand et encombrant voisin. Notamment parce qu'ils se souviennent bien qu'ils ont été laissés seuls face au blitz russe. Contre toutes les promesses de l'OTAN.
Qui, de toute évidence, a été prise par surprise. Elle n'était pas préparée à la réaction russe. En effet, la conviction avait prévalu dans les cercles atlantiques que la Russie n'était plus qu'une puissance de troisième ordre. Destinée à un déclin continu. Et qu'il serait donc facile de lui arracher, une à une, toutes ses "feuilles". La réduisant à l'espace de l'ancienne principauté de la Moscovie.
Une croyance qui a manifestement continué à prévaloir à Washington et à Londres. Ce qui a conduit tout droit au conflit en Ukraine. Un pays qui, historiquement, a toujours été une partie intégrante et importante de la Russie. Jamais indépendant.
Le bon sens, même stratégique, aurait recommandé plus de prudence. La tentative de maintenir une Ukraine indépendante et neutre, un État tampon, utile pour éviter et décanter les conflits. Et au lieu de cela.
Et au lieu de cela, nous savons comment cela s'est passé. Et comment cela se passe. Maintenant, au-delà des déclarations de façade, il ne reste plus qu'à voir si Kiev s'effondrera militairement bientôt, ou si, pour un désengagement total de l'OTAN, il faudra attendre le changement de locataire dans le bureau ovale.
L'expérience devrait cependant nous apprendre que la "stratégie de l'artichaut" ne peut pas toujours être appliquée sans en payer le prix fort. Et que, peut-être, il serait plus opportun de revenir à une logique de "concert des puissances" ou, si l'on veut, d'équilibre multipolaire.
Si la leçon avait été retenue. Or, l'impression est différente. Ce qui se passe en Moldavie, en Arménie et même en Bosnie ne nous donne pas beaucoup d'espoir... à moins d'un changement à la Maison Blanche...
19:29 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : otan, états-unis, russie, europe, affaires européennes, géopolitique, politique internationale |
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lundi, 11 septembre 2023
Agitation en Arménie

Agitation en Arménie
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/inquietudini-armene/
Peu de gens l'ont remarqué. Les médias et les analystes sont trop distraits par ce qui se passe en Ukraine. Ou (pas encore) par ce qui se passe dans le Pacifique. Mais le Caucase connaît une violente fièvre. C'est comme s'il s'agissait d'un chaudron en ébullition depuis un certain temps, dont l'eau est maintenant prête à déborder.
Ce n'est certes pas nouveau. La région du Caucase, enchevêtrement de peuples, d'ethnies, de religions, a toujours été, c'est le moins que l'on puisse dire, agitée. Et elle l'est encore plus depuis que les différents États de la région sont devenus indépendants après l'effondrement de l'URSS.

Cette indépendance n'a toutefois pas résolu de nombreux problèmes. Au contraire, elle a exacerbé les tensions et les conflits latents, comprimés par le règne des tsars rouges. Celui du Haut-Karabakh, entre Azéris et Arméniens, n'en est que l'exemple le plus frappant. Ce n'est certainement pas le seul. Et peut-être même pas le plus dangereux.
Et c'est précisément d'Arménie que nous parviennent, en ces heures, des signaux menaçants. Ce qui pourrait laisser penser à une explosion imminente dans toute la région du Caucase.
En bref, le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, a déclaré publiquement que l'alliance, parfois historique, avec la Russie est un fardeau pour Erevan. Un fardeau dont il veut se débarrasser au plus vite. Réaction sèche du Kremlin. Par l'intermédiaire de son porte-parole, il a réaffirmé que la relation Russie-Arménie était une alliance, une amitié "entre égaux". Dans l'intérêt des deux parties. Un point c'est tout.
Mais ce ne sont pas que des mots. Des manœuvres militaires conjointes entre les armées arménienne et américaine ont été annoncées. Presque un prologue à la sortie d'Erevan de l'alliance avec la Russie. Et de son entrée dans l'OTAN.
Il est facile d'imaginer ce que cela pourrait impliquer. La présence de l'OTAN dans le Caucase, qui a toujours été son "arrière-cour", ne peut laisser Moscou indifférent. Ni Téhéran, jusqu'à présent l'autre allié régional de l'Arménie.
Fabio L. Grassi, professeur à l'université Sapienza de Rome et l'un des plus grands spécialistes de la géopolitique caucasienne, a souligné combien il est navrant de constater que les dirigeants arméniens parviennent, infailliblement, à ne pas avoir raison.
En effet, abandonner le camp russe pour passer du côté américain signifie, à l'heure actuelle, l'isolement total de l'Arménie. Celle-ci se retrouve encerclée, entre des voisins hostiles. D'un côté, Moscou et Téhéran qui, comme je l'ai dit, voient la présence de l'OTAN dans la région comme la transformation de cet espace géographique en un baril de poudre. De l'autre, l'Azerbaïdjan et la Turquie. Des ennemis historiques de l'Arménie. Une inimitié exacerbée par la crise du Haut-Karabakh, où le conflit semble sur le point de reprendre de plus belle.
Au-delà des calculs, et des erreurs, du gouvernement d'Erevan, la situation qui se crée présente un haut degré de risque. Washington, de plus en plus conscient de l'échec ukrainien, tend à générer un nouveau foyer de tension avec Moscou dans le Caucase.
Et comme il semble difficile de miser sur la Géorgie pour l'instant, en raison des réticences de sa classe dirigeante, qui a en mémoire l'expérience malheureuse de 2008 - où Tbilissi a été livrée à elle-même face à une attaque russe foudroyante -, elle mise désormais sur l'Arménie.
Pour ouvrir, au Sud, un nouveau front dans la complexe partie d'échecs visant à isoler, et en perspective à démembrer, la Russie et sa zone d'influence.
Cette opération pourrait toutefois facilement déclencher un effet en chaîne. Impliquant également la Turquie. Erdogan ne pourra certainement pas accepter sans réagir le soutien implicite de l'ami américain aux revendications arméniennes sur le Haut-Karabakh. Au détriment de l'Azerbaïdjan qui, pour Ankara, est un "pays frère".
L'administration Biden risque donc un nouvel effet boomerang. En arrachant Erevan à la sphère d'influence russe, elle marque un nouvel éloignement de la Turquie. Et elle amène Bakou, hier encore assez proche de Washington, à regarder avec de plus en plus d'intérêt du côté de Moscou.
Le Caucase est une mosaïque délicate et complexe. Déplacer un pion implique toujours un jeu de réactions en chaîne. Ce qui peut conduire à un tel bourbier que l'actuel conflit russo-ukrainien semble facile à comprendre.
19:09 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, arménie, caucase, politique internationale, géopolitique, europe, affaires européennes |
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samedi, 09 septembre 2023
Le go et le mahjong de la géopolitique

Le go et le mahjong de la géopolitique
Leonid Savin
Source: https://www.geopolitika.ru/article/go-i-madzhong-geopolitiki
L'utilisation de la terminologie des échecs en géopolitique est devenue une évidence. Le livre de Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard : America's Primacy and its Geostrategic Imperatives (Le grand échiquier : la primauté de l'Amérique et ses impératifs géostratégiques), y a partiellement contribué. L'appel aux échecs en tant que jeu intellectuel connu du monde entier a été interprété dans l'ouvrage de Brzezinski sous l'angle de l'hégémonie américaine et de la nécessité de la préserver. Mais il faut se poser la question suivante : est-il suffisant de parler d'échecs lorsque nous parlons d'un monde complexe et global, aux relations multiples et variées, avec les intérêts et les contradictions d'un grand nombre de parties ? Dans le monde bipolaire, qui a pris fin avec l'effondrement de l'URSS, il était encore possible de parler d'un duel entre Blancs et Noirs, mais depuis 1991, nous vivons un moment unipolaire.
Une réponse probable à la question de savoir pourquoi Brzezinski a choisi une telle allégorie se trouve dans les mémoires d'Alexandre Douguine sur sa rencontre avec Brzezinski à Washington. Lorsqu'on lui a demandé s'il se rendait compte que les échecs sont toujours un jeu à deux acteurs (Sea Power et Land Power en tant qu'agents principaux de la géopolitique), Brzezinski a répondu qu'il n'y avait pas pensé. Probablement parce qu'il voyait la bataille sur l'échiquier comme la bataille finale où l'atlantisme lève tous les obstacles à sa domination sur le monde. Une domination qui passe par le contrôle du cœur de l'Eurasie, c'est-à-dire par la victoire finale sur la Russie.

Il s'agit d'une bataille, et non d'une guerre, car une partie d'échecs n'est que le reflet d'une bataille.
Oui, une réflexion stratégique est nécessaire. Mais il s'agit toujours d'une bataille entre deux camps. Ce qui n'est pas le cas du prototype du jeu d'échecs, le chaturanga, où le terrain comporte des pièces pour quatre joueurs et où les pièces elles-mêmes symbolisent les quatre branches de l'armée sous le contrôle d'un commandant.


La transformation en un jeu pour deux symbolise également le dualisme caractéristique de la culture et de la métaphysique occidentales. Il est intéressant à cet égard de rapprocher la transformation du jeu d'échecs du concept de politique de Carl Schmitt, qui divise en amis et en ennemis (il n'est d'ailleurs pas question de forces neutres), et qui s'inscrit également de manière organique dans la tradition politique occidentale, dont les racines (à savoir l'opposition marquée du bien et du mal) se trouvent toutefois en Orient, dans le zoroastrisme.
Cependant, si le Chaturanga a changé ses fonctions et ses règles, il existe en Orient d'autres jeux stratégiques qui ont conservé leur forme originelle. Ils n'en sont pas moins intellectuels. Il s'agit du go et du mahjong. Bien que le go se joue à deux, il est de nature plus géopolitique. Tout d'abord, il ne s'agit pas d'une bataille unique, mais d'une guerre, avec de multiples combinaisons de batailles qui se déroulent sur le terrain. Deuxièmement, il ne s'agit pas d'une chasse à la tête d'un roi (leader politique, gouvernement ou commandant en chef) entouré de ses gardes du corps aux capacités différentes, mais plutôt de la conquête d'un territoire. Le go est plus complexe dans ses règles et reflète davantage la réalité politique du monde moderne - vous devez penser à une variété de combinaisons dans une variété d'endroits.


Il est probable que le succès des actions de politique étrangère de la Chine réside en partie dans la pratique du jeu de Go, qui crée un état d'esprit multicouche et non linéaire pouvant être appliqué aux relations internationales.
Le jeu de mahjong est tout aussi intéressant : il requiert des qualités telles que l'expérience, la mémoire et l'observation, qui sont également nécessaires dans les arts politiques. Mais il y a aussi un facteur aléatoire (on peut l'appeler la main invisible de Jupiter, pour reprendre la formule d'Adam Smith) qui, selon les règles (il existe différentes variantes du jeu), peut être insignifiant ou décisif. Parmi les quatre joueurs, celui qui réunit la combinaison de dés la plus précieuse l'emporte. Cela rappelle à nouveau la politique étrangère de la Chine : s'emparer habilement du marché des métaux rares, dépasser l'Occident dans de nombreux domaines, de l'économie à la technologie, obtenir des ressources énergétiques de la Russie à des prix abordables, s'engager avec d'autres pays dans le cadre d'une stratégie gagnant-gagnant, et l'initiative "la Ceinture et la Route" elle-même - tout cela montre que la Chine est un excellent joueur de mahjong sur la carte du monde et qu'elle rassemble les meilleurs dés pour elle-même.
La Russie doit également apprendre à agir efficacement sur plusieurs fronts et dans plusieurs dimensions simultanément. La nature eurasienne de la Russie appelle à une complexité croissante des vecteurs géopolitiques. L'OTN est une bonne épreuve de force à plusieurs égards, mais pour construire un pôle véritablement souverain dans un monde multipolaire, il est nécessaire non pas de reporter un certain nombre de décisions à des "temps meilleurs", en les justifiant par le fait que ce n'est pas le bon moment, mais dès à présent de procéder à une réorganisation profonde. Et, avant tout, il est obligatoire d'intégrer les décisions pertinentes dans la stratégie de politique étrangère et de créer des mécanismes pour leur mise en œuvre.
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mardi, 05 septembre 2023
Le Niger renverse le néocolonialisme français

Le Niger renverse le néocolonialisme français
Brecht Jonkers
Source: https://crescent.icit-digital.org/articles/niger-overthrows-french-neo-colonialism
Le renversement du gouvernement de Mohamed Bazoum au Niger, soutenu par la France, le 26 juillet, peut peut-être être comparé à la défaite de l'apartheid en Afrique du Sud il y a près de 30 ans. Bazoum n'était pas seulement président du Niger, mais aussi président de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), dont l'agenda est néolibéral. Sa cote de désapprobation auprès de la population nigérienne était très élevée.
Cela ne signifiait pas qu'il jouait un rôle particulier dans la constellation politique ouest-africaine. À bien des égards, Bazoum peut être considéré comme un représentant typique du courant politique dominant dans de nombreuses anciennes colonies françaises d'Afrique de l'Ouest.
Les critiques à l'encontre de son gouvernement portaient sur l'augmentation du coût de la vie, la persistance d'un niveau élevé de pauvreté et une incompétence flagrante. L'incapacité des dirigeants successifs de Niamey à réprimer l'insurrection wahhabite-takfiri menée par des groupes tels que Daesh et Al-Qaïda n'a fait qu'accroître le mécontentement de la population.
Lorsque le chef d'état-major Salifou Modi s'est rendu au Mali voisin en mars dernier et a convenu de mesures antiterroristes conjointes, Bazoum l'a rapidement limogé. Les mouvements anti-impérialistes antérieurs, en particulier le sentiment anti-français, ayant pris le dessus au Mali et au Burkina Faso, le Niger est devenu l'un des derniers piliers explicitement "pro-français" de la région, un pilier que la France, mais aussi les États-Unis, ont utilisé avec empressement dans la mascarade actuelle connue sous le nom de "guerre contre le terrorisme".

Près de 1100 soldats américains et une véritable base de la CIA étaient stationnés au Niger au moment du coup d'État du 26 juillet. Cela a rendu la plupart des Nigériens furieux à un point tel que le nouveau commandant de la Garde présidentielle, le général Abdourahamane Tchiani, a dû intervenir.
Bazoum a été déposé et emprisonné. Le pouvoir au Niger a été confié à un nouveau gouvernement de transition, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).
Comme on pouvait s'y attendre, les grands médias occidentaux se sont déchaînés pour condamner la "prise de pouvoir militaire" au Niger. Ils ont tenté de pimenter les choses en soulignant le "rôle de Wagner et de la Russie" dans la fomentation de l'instabilité au Sahel, et en mettant en garde contre une "nouvelle instabilité" dans la région. La question est de savoir si une région ciblée par des insurgés wahhabites depuis des années, faisant plusieurs milliers de victimes civiles sous l'œil vigilant du "soutien militaire" de la France et des États-Unis, pourra jamais être qualifiée de "stable" ou de pacifique. Mais même cela n'est pas le cœur du problème.
La persistance du néocolonialisme français
Une grande partie de l'Afrique de l'Ouest en a assez du néocolonialisme français, du projet de "Françafrique" et du système monétaire du franc CFA qui lie les monnaies locales au franc français (et ensuite à l'euro) et à l'influence du Trésor français. Le Mali est malade de l'exploitation massive de son or par la France. Paris a accumulé 2 500 tonnes de réserves d'or sans une seule mine d'or en France alors que le Mali, avec environ 860 mines d'or opérationnelles, ne dispose que de 881 tonnes de réserves d'or. De même, le nouveau gouvernement de Niamey critique vivement la façon dont la France a profité de l'abondance d'uranium au Niger. Le "yellow cake" est très recherché par le marché français de l'énergie qui dépend du nucléaire pour plus de 71% de ses besoins.
L'histoire sanglante de la France en Afrique, y compris l'héritage impérialiste permanent, a perduré sur le continent même après l'"indépendance". Le néocolonialisme occidental, en particulier français, est tellement flagrant et connu que même les médias occidentaux ne peuvent pas le nier ou l'occulter. Ils avancent de vagues excuses telles que "la Russie n'est pas meilleure", "l'amélioration se profile à l'horizon" et, argument souvent entendu, "ce n'est pas la bonne méthode". "Ce terme signifie ici l'intervention de l'armée (ou des deux) ou le ralliement des masses dans les rues.

Pour les experts européens, les habitants de la région du Sahel devraient simplement suivre la voie "civilisée" en copiant l'Europe. Ils devraient élire un homme politique qui négociera un avenir meilleur pour son pays, sans répercussions négatives pour les intérêts commerciaux occidentaux, bien entendu.
Condamner les développements révolutionnaires dans des pays comme le Mali, la Guinée, le Burkina Faso et le Niger comme de simples "coups d'État militaires", simplement parce que l'action directe de destitution de l'élite précédente a été entreprise par le personnel des forces armées, est une interprétation simpliste et naïve des événements.
Elle témoigne d'un manque de compréhension de la situation politique et de l'histoire récente de la région du Sahel en particulier, ainsi que du népotisme profondément ancré et de la stabilité fermement excluante et contrôlée par l'étranger de l'élite dirigeante qui a existé dans ces pays.
Se plaindre que "la transition du pouvoir devrait se faire démocratiquement" ne tient pas compte du fait qu'une transition démocratique était pratiquement impossible dans tous les pays susmentionnés. Les cliques au pouvoir dans des pays comme le Niger et le Burkina Faso ressemblent beaucoup à une forme d'aristocratie moderne, dans laquelle la possibilité de gravir les échelons dépend souvent de vos connaissances et des mains que vous graissez, plutôt que de ce que vous êtes ou de ce que vous pouvez faire.
La maxime "c'est un grand club, et vous n'en faites pas partie" s'applique à l'élite politique de ces pays, tout comme aux États-Unis. Aux États-Unis, les outsiders politiques n'ont aucune chance de "percer" dans le système, à moins de se vendre complètement. Et même ceux qui sont présentés comme des "outsiders", tels que Barack Obama et Alexandria Ocasio-Cortez, s'avèrent être soit des initiés de bas niveau depuis le début, soit ont été astroturfés et préparés depuis le début pour donner un semblant de revitalisation tout en gardant intact le cœur pourri du système.

La situation dans une grande partie du Sahel est assez similaire. De toutes les anciennes puissances coloniales, c'est la France qui a adopté l'approche la plus pratique. À bien des égards, la France n'a jamais quitté ses anciennes colonies. Les bases militaires françaises parsèment toujours le paysage ; la France s'empare des réserves d'or et les stocke en Europe, et Paris contrôle la monnaie de ces pays par le biais du franc CFA, ne leur laissant aucune souveraineté financière.
La "transition démocratique" n'était tout simplement pas possible. Il n'y avait pratiquement aucune capacité à voter pour une alternative. Le système politique était rigide et truqué, sans parler du fait qu'il était très statique et qu'il offrait peu de possibilités de mobilité sociale verticale (c'est-à-dire une chance de "monter en grade" ou de "s'imposer" en partant du bas de l'échelle).
L'agitation autour du changement au Niger
L'Occident a fait grand cas de la prise de pouvoir militaire au Niger, et plus tôt au Mali et au Burkina Faso. On peut se demander pourquoi le coup d'État militaire en Égypte (sur le même continent africain), qui a entraîné le massacre de milliers de civils innocents, n'a suscité que peu ou pas d'intérêt. En Afrique, la mémoire de Thomas Sankara est encore fraîche dans l'esprit de nombreuses personnes. Il n'est donc pas surprenant que les Nigériens soient venus en très grand nombre pour soutenir le renversement de Bazoum.
Certes, leur accession au pouvoir ne s'est pas faite de manière "traditionnelle", occidentale, libérale et "démocratique". Mais la question peut être posée : est-ce particulièrement pertinent ? Le fait est qu'il n'existe pas de test décisif universellement applicable pour la légitimité d'un gouvernement dans le monde entier, même si les médias grand public et les élites politiques occidentales voudraient nous faire croire le contraire.
Il est étrange que la distance spatiale et la souveraineté culturelle ne soient pas traitées avec la même préoccupation légitime que la "distance" temporelle dans la politique contemporaine. Personne ne semble se soucier du manque de légitimité démocratique de figures historiques occidentales sacrées telles que Napoléon, Otto von Bismarck ou la reine Victoria, pour ne citer que trois personnages de l'histoire européenne relativement récente. Aucun d'entre eux n'a été élu selon les principes de la démocratie libérale et aucun ne s'est soucié de sauver les apparences. Mais cela ne semble pas avoir d'importance parce que "c'était une autre époque".
Il est vrai que les normes varient selon les époques, mais les crimes de la reine Victoria sont bien plus fondamentaux qu'un simple manque de représentation démocratique (la colonisation et l'asservissement de 23 % de la population mondiale étant un concurrent majeur). Toutefois, les experts politiques et les idéologues occidentaux contemporains semblent être beaucoup moins indulgents lorsqu'il s'agit de différences fondamentales dans la culture, l'histoire politique, la situation économique ou toute autre forme d'identité spécifique des différents pays.

Les normes occidentales ne sont pas universelles
Ils ne se donnent même pas la peine d'expliquer pourquoi les autres sont censés s'attendre à un système politique presque identique dans des pays tels que les États-Unis, le Niger, le Venezuela, l'Iran ou la Russie. On peut supposer que l'opinion publique s'attend à une telle similitude politique comme une nécessité dogmatique, au sujet de laquelle aucune question n'est censée être posée. Si quelqu'un exigeait que tous les pays du monde partagent la même identité culturelle ou les mêmes croyances religieuses, il serait déclaré fou. Pourtant, exiger une telle quasi-uniformité et une suprématie unipolaire en termes de dimension politique est soi-disant considéré comme logique.
Cette attitude ridicule ne s'arrête pas là. L'impérialisme est hypocrite, unipolaire et expansionniste. L'insistance à copier les systèmes et valeurs "démocratiques" libéraux de l'Occident ne s'applique apparemment qu'aux opposants à la suprématie mondiale de l'Occident. Les alliés de l'Occident peuvent faire ce qu'ils veulent, comme le montrent les cas d'États et d'entités non démocratiques tels que l'Arabie saoudite et "Israël".
Pour en revenir au sujet qui nous occupe, il n'y a jamais eu de menace d'invasion de la CEDEAO ou d'intervention de l'OTAN lorsque le banquier du Fonds monétaire international Alassane Ouattara a violemment renversé le gouvernement de Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire en 2010. Au contraire, la France et l'Ukraine ont participé militairement au renversement du gouvernement ivoirien, et la CEDEAO a fait pression pour que Ouattara soit reconnu comme président.
Le chouchou du cartel du FMI règne depuis lors sur la Côte d'Ivoire. Le fait qu'il ait réussi à se représenter et à remporter un troisième mandat lors d'une élection très controversée, bien que la constitution du pays ne le permette pas, ne semble pas déranger les élites de la CEDEAO, de la France ou des États-Unis. En retour, Ouattara s'est montré un atout fiable pour la France, en promettant que la Côte d'Ivoire enverrait des troupes pour attaquer le Niger si la CEDEAO décidait de poursuivre ses plans d'invasion.

Dans le même ordre d'idées, il n'y a pratiquement aucune condamnation étrangère, que ce soit par la CEDEAO ou par l'Occident "démocratique", du président sénégalais Macky Sall, malgré sa décision d'interdire le deuxième parti du pays, le parti socialiste panafricain PASTEF, et d'emprisonner son dirigeant, Ousmane Sonko (photo). La répression meurtrière des manifestants de l'opposition qui a suivi, au cours de laquelle plusieurs personnes ont été tuées par la police, n'a pas non plus semblé déplaire au camp "pro-démocratie". À l'instar de son collègue ivoirien, M. Sall a également promis que les troupes sénégalaises participeraient à la lutte contre le gouvernement révolutionnaire du Niger.
Les discours sur la "démocratie" et les "droits de l'homme" dans les médias occidentaux, en particulier en ce qui concerne l'Afrique ou le monde islamique, ne sont que de la poudre aux yeux. Les élites néolibérales ne se soucient pas de la démocratie ou des droits de l'homme, leur principale préoccupation est le pillage et le profit.
Voler l'uranium du Niger
Le Niger est le septième producteur mondial d'uranium, responsable d'environ 5 % de la production mondiale de ce matériau nécessaire au fonctionnement des centrales nucléaires. L'essentiel de l'uranium nigérien est extrait par la société française Orano, dont l'État français est le principal actionnaire. Paris a donc un intérêt immédiat et très important dans l'économie du Niger, en particulier dans les mines à ciel ouvert d'Arlit, dans le nord-ouest du pays. Orano est également directement impliqué dans le développement d'une nouvelle mine à Imouraren, qui contiendrait l'une des plus grandes réserves d'uranium au monde.
L'exploitation de l'uranium par des sociétés françaises a lieu au Niger depuis 1968 et constitue un véritable trésor pour les marchés occidentaux. Il n'existe aucun droit du travail ni aucune réglementation environnementale. "En Occident, vous avez besoin d'une étagère remplie d'autorisations et de certificats. Au Niger, vous donnez à quelqu'un une bêche et deux dollars par jour, et vous exploitez l'uranium", écrivait le journaliste Danny Forston en 2010. La France a bien sûr promis à son ancienne colonie un avenir radieux grâce à ce nouveau "partenariat" entre Niamey et Paris.

Depuis lors, on estime que 150.000 tonnes d'uranium ont été extraites du Niger par la seule société Orano (anciennement Areva). La mine d'Akuta a été fermée en 2021 en raison de l'épuisement complet du minerai. L'organisation caritative britannique Oxfam estime qu'un tiers des lampes en France fonctionnent grâce à l'énergie produite par l'uranium nigérien.
Les relations entre le Niger et Orano sont d'autant plus compliquées que l'entreprise publique bénéficie du soutien total de l'État français, avec toutes les implications militaires et de renseignement que cela implique. Il en résulte des "accords" très inégaux en faveur de l'entreprise, marqués par des exonérations fiscales extrêmement rentables.
L'exploration incontrôlée et non réglementée de l'uranium autour d'Arlit a entre-temps provoqué un désastre humanitaire et écologique. Plusieurs études menées dès 2003 par la Commission de recherche et d'information indépendantes sur les radiations (CRIIAD), basée en France, ont révélé que les niveaux de radioactivité de l'eau potable consommée par les travailleurs des mines locales dépassaient parfois jusqu'à cent fois les seuils de sécurité de l'Organisation mondiale de la santé. Une étude menée par Greenpeace en 2009 a révélé des résultats similaires, ainsi qu'une pollution toxique, dans cinq des six puits d'eau examinés. Un porte-parole d'Orano a qualifié ces résultats de "contamination naturelle".
Les conséquences médicales alarmantes d'une exposition quotidienne à un niveau de radiation 300 fois supérieur à la normale, détaillées dans un rapport d'enquête publié en 2017 par African Arguments, sont minimisées ou complètement ignorées par les prestataires de soins médicaux, ce qui n'est pas surprenant étant donné que la majorité des soins médicaux à Arlit sont fournis par l'entreprise Orano elle-même et que les professionnels de la santé sont ses employés.
Bien entendu, les gouvernements qui se sont succédé au Niger depuis 1968 portent également une grande responsabilité dans ces abus. C'est là que le néocolonialisme entre en jeu. Le Niger a été, du moins avant les récents événements révolutionnaires, un élément clé du projet néocolonial de la "Françafrique", dans lequel Paris a conservé un contrôle majeur sur ses anciennes colonies en Afrique. Dès le début de l'indépendance du Niger, des centaines de "conseillers" français sont restés à tous les niveaux du gouvernement. L'armée était composée exclusivement d'anciens membres des milices coloniales, et les officiers étaient souvent des Français qui avaient obtenu la nationalité nigérienne dans ce but précis.
Au total, 1500 soldats français et 1100 soldats américains sont toujours présents au Niger, bien que le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) ait officiellement mis fin aux cinq accords militaires conclus avec la France et ordonné le départ de toutes les troupes françaises pour le début du mois de septembre. Ces accords ont souvent été conclus sous la forte pression de Paris.

Effet domino au Sahel
Il est clair que les récents développements ont pris la France complètement au dépourvu, 60 ans d'exploitation impitoyable de l'Afrique de l'Ouest semblant s'effondrer en l'espace de quelques années seulement. Mujtaba Rahman, directeur général pour l'Europe de la société de conseil Eurasia Group, est même allé jusqu'à qualifier les développements anticoloniaux au Niger, qui ont suivi les changements antérieurs au Burkina Faso et au Mali, de "théorie des dominos évidente pour le XXIe siècle".
Il convient de noter que le départ des troupes françaises du Niger ferait du Tchad le seul pays de la région stratégiquement importante du Sahel à maintenir une présence militaire française, bien que de plus petits contingents de troupes françaises soient toujours présents au-delà du Sahel, dans les États membres de la CEDEAO que sont la Côte d'Ivoire, le Gabon et le Sénégal.
Il reste à voir comment la situation au Sahel et dans l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest évoluera. Il est peu probable que la France prenne ces pertes avec élégance. L'élite française est pleinement consciente de sa dépendance totale à l'égard de l'Afrique et de l'exploitation parasitaire qu'elle en fait.
L'ancien président français Jacques Chirac avait déclaré que "sans l'Afrique, la France glissera vers le rang de troisième puissance [mondiale]", faisant écho aux paroles inquiétantes de son prédécesseur François Mitterrand selon lesquelles "sans l'Afrique, la France n'aura pas sa place au XXIe siècle".
La France peut avoir "besoin" de l'Afrique pour continuer à se faire passer pour une puissance mondiale. Mais le fait est que l'Afrique n'a pas besoin, et apparemment ne veut pas ou ne désire pas plus de liens avec la France dans l'ordre mondial multipolaire émergent.
Brecht Jonkers
20:36 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, géopolitique, politique internationale, france, afrique, affaires africaines, niger, sahel |
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dimanche, 03 septembre 2023
La guerre en Ukraine et la crise de l'Occident

La guerre en Ukraine et la crise de l'Occident
par Giacomo Gabellini
Source : L'Antidiplomatico & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-guerra-in-ucraina-e-la-crisi-dell-occidente
Quelles sont les principales raisons des graves erreurs de jugement commises par les décideurs politico-militaires occidentaux dans la guerre en Ukraine ?
Je pense que les raisons de ces erreurs de calcul stupéfiantes résident dans le sentiment de toute-puissance qui a envahi les classes dirigeantes américaines depuis l'effondrement de l'Union soviétique. Cette perception déformée a atrophié la pensée critique et alimenté un mépris substantiel pour le reste du monde ; le conformisme rampant qui en résulte a entravé leur capacité à évaluer de manière réaliste leur propre potentiel et celui de l'ennemi et à comprendre les implications stratégiques de leurs choix politiques. Ils ont ainsi délibérément transformé la question ukrainienne d'une crise régionale en un défi existentiel pour la Russie, sans réaliser pleinement les dangers liés à la décision d'acculer le plus grand pays du monde avec plus de 6000 ogives atomiques et des lanceurs hypersoniques capables de les acheminer jusqu'à la cible. Ils ont ainsi sous-estimé la capacité industrielle, la cohésion sociale, les compétences technologiques et la force militaire latente de la Fédération de Russie, tout en surestimant sa capacité de conditionnement et de dissuasion à l'égard des pays tiers, l'impact des sanctions et les implications de la tendance croissante à la "militarisation" du dollar et des circuits dans lesquels circule la monnaie américaine.
Ils ont ainsi cru pouvoir étrangler l'économie russe comme ils l'avaient fait pour l'économie chilienne dans les années 1970, convaincre facilement le reste du monde de se joindre à la campagne de sanctions orchestrée par l'Occident contre la Fédération de Russie, et infliger une défaite stratégique sur le champ de bataille en s'appuyant sur la supériorité supposée de leur doctrine militaire et de leurs systèmes d'armement.
En ce qui concerne la Chine, ils ont fait des erreurs de calcul comparables, voire pires. Ils ont cru pouvoir l'"occidentaliser" en l'intégrant dans l'ordre mondialisé, et en favorisant ainsi la délocalisation de ses milliers d'usines de production vers la première puissance démographique du monde, qui, au fil des millénaires, est restée remarquablement fidèle à elle-même en s'appuyant sur un patrimoine culturel inestimable. Ils ont ainsi créé les conditions de la transformation d'un pays très pauvre en une superpuissance universelle, avec des intentions ouvertement anti-hégémoniques. Un résultat stupéfiant.


S'agit-il des erreurs d'une classe dirigeante ou d'une culture entière ?
Je pense qu'il s'agit du fruit empoisonné d'un processus généralisé de "barbarisation" culturelle. Aux États-Unis, le concept parétien de "circulation des élites" a été appliqué au point de dégénérer en un système bien connu de "portes tournantes", déjà analysé par Charles Wright Mills (photo) dans son excellent The Power Elite. Soldats, politiciens, banquiers et financiers passent avec une grande facilité du public au privé, puis de nouveau au public, donnant lieu à des enchevêtrements d'intérêts particuliers profondément opposés à ceux de la nation dans son ensemble. La fonction politique devient ainsi l'otage de l'affairisme le plus flagrant, qui s'exprime sous la forme d'une association très particulière que l'ancien analyste de la CIA Ray McGovern (photo, ci-dessous) a appelé le "complexe militaro-industriel-congrès-intelligence-médias-université-tank de réflexion", dans lequel la circulation de l'argent par le biais de pots-de-vin interconnecte les médias, les universités, les "think tanks", les agences d'espionnage et le Congrès, en orientant les directions stratégiques de la puissance publique.

L'ampleur des efforts de propagande visant à façonner l'opinion publique nationale et à "créer un consensus" dans le pays donne la mesure du niveau de corruption atteint par les États-Unis, qui, à mon avis, tendent à ressembler de plus en plus à l'Union soviétique des années 1980.

Ces derniers temps, lorsque je réfléchis à l'ampleur de la dégradation qui caractérise aujourd'hui les États-Unis, je me souviens souvent des évaluations amères faites à l'époque par Nikolai Ivanovic Ryžkov (photo, ci-dessus), ancien fonctionnaire et homme politique soviétique, à propos de son pays. L'abrutissement du pays", déclarait Ryžkov, "a atteint son apogée: après cela, il n'y a plus que la mort. Rien n'est fait avec soin. Nous nous volons nous-mêmes, nous prenons et donnons des pots-de-vin, nous mentons dans nos rapports, dans les journaux, depuis le podium, nous nous révoltons dans nos mensonges et pendant ce temps, nous nous donnons des médailles les uns aux autres. Tout cela du haut vers le bas et du bas vers le haut".
La guerre en Ukraine est la manifestation d'une crise de l'Occident. Est-elle réversible ? Si oui, comment ? Si non, pourquoi ?
Je dirais que oui. Certes, l'Occident a encore de nombreuses flèches à son arc, mais il me semble qu'il est en train de glisser de manière irréversible sur une pente très raide. Comme j'ai tenté de l'expliquer dans mes propres travaux, le conflit russo-ukrainien a révélé urbi et orbi le manque de fiabilité de l'"Occident collectif" et l'arbitraire du soi-disant "ordre fondé sur des règles" dont les porte-parole de Washington vantent sans relâche les vertus inexistantes. Mais surtout, elle a mis en lumière la faiblesse structurelle des Etats-Unis et la fausse conscience des classes dirigeantes euro-américaines, qui présentent le conflit russo-ukrainien comme un affrontement entre démocraties et autocraties, alors que le reste du monde y voit une guerre par procuration entre l'OTAN et la Russie, cette dernière tenant tête économiquement et militairement à l'ensemble de l'Alliance atlantique. Je suis tout à fait d'accord avec Emmanuel Todd pour dire que "la résilience de l'économie russe pousse le système impérial américain vers le précipice".
Personne n'avait prédit que l'économie russe résisterait à la "puissance économique" de l'OTAN. Je pense que les Russes eux-mêmes ne l'avaient pas prévu. Si l'économie russe résistait indéfiniment aux sanctions et parvenait à épuiser l'économie européenne, où elle reste sur le terrain, soutenue par la Chine, le contrôle monétaire et financier américain sur le monde s'effondrerait et, avec lui, la possibilité pour les États-Unis de financer leur énorme déficit commercial à partir de rien. Cette guerre est donc devenue existentielle pour les Etats-Unis". Les États-Unis auraient besoin d'une "adaptation en douceur" à un monde en mutation rapide, mais le pays ne dispose pas d'un appareil de direction à la hauteur de la tâche.


La Chine et la Russie, les deux puissances émergentes qui contestent la domination unipolaire des États-Unis et de l'Occident, ont, depuis l'effondrement du communisme, renoué avec leurs traditions culturelles prémodernes : le confucianisme pour la Chine, le christianisme orthodoxe pour la Russie. Pourquoi ? Le retour au passé, littéralement "réactionnaire", peut-il s'enraciner dans une société industrielle moderne ?
La redécouverte des racines culturelles a permis à la Chine et à la Russie d'ériger de "grandes murailles" suffisamment solides pour résister à la tentative obstinée du tout américain d'occidentaliser le monde entier. La redécouverte du passé constitue un formidable outil pour ces deux Etats-civilisations, en vue d'affirmer leur identité propre et différenciée, et de resserrer la société autour de valeurs millénaires spécifiques.
Je crois que "greffer" ces traditions dans une société moderne est une tâche difficile en général, mais pour des nations comme la Chine et la Russie, elle peut être beaucoup moins ardue car ce sont des pays qui n'ont jamais vraiment renié leur passé. D'une manière ou d'une autre, les pierres angulaires de ces deux cultures ont toujours resurgi, même lorsqu'elles ont été soumises à de rudes épreuves telles que la révolution culturelle ou les projets soviétiques visant à créer ce que l'on appelle "l'homme du futur". La dérive nihiliste de l'Occident, en revanche, rend particulièrement difficile la mise en œuvre d'un processus de réévaluation du passé similaire à celui mené par la Chine et la Russie.
13:43 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politiqie internationale, chine, russie, occident, états-unis, confucianisme, orthodoxie, ukraine, europe, affaires européennes |
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