vendredi, 25 mars 2022
Boomerang pour les Etats-Unis et coup dur pour le dollar: l'Inde utilisera le rouble avec la Russie et l'Arabie Saoudite le yuan pour son pétrole avec la Chine
Boomerang pour les Etats-Unis et coup dur pour le dollar: l'Inde utilisera le rouble avec la Russie et l'Arabie Saoudite le yuan pour son pétrole avec la Chine
Source: https://kontrainfo.com/boomerang-para-eeuu-y-golpe-al-dolar-india-usara-el-rublo-con-rusia-y-arabia-saudita-el-yuan-para-su-petroleo-con-china/
Les sanctions américaines contre la Russie, excluant la Russie du système interbancaire SWIFT, pourraient finir par s'avérer un boomerang pour le pouvoir hégémonique du dollar en tant que monnaie internationale. L'Inde a indiqué qu'elle négociait avec la Russie pour acheter du pétrole et des engrais dans le cadre d'un échange de roubles et de roupies, et l'Arabie saoudite a laissé entendre qu'elle pourrait échanger ses exportations d'hydrocarbures avec la Chine en utilisant le yuan, deux situations impensables jusqu'à récemment du fait de la domination mondiale du pétrodollar.
Les engrais font partie des produits offerts par Moscou à New Delhi qui intéressent le plus le gouvernement indien. L'attrait réside dans les remises importantes que la Russie est prête à accorder et la possibilité de réaliser la transaction dans ses propres devises.
L'Inde bénéficierait du pétrole bon marché offert par la Russie. New Delhi voit en Moscou un fournisseur d'armes fiable - ce qu'elle considère comme vital face aux tensions avec la Chine et le Pakistan - et a même proposé en décembre dernier un plan de fabrication de 500;000 fusils russes AK-203. C'était lors de la visite de Poutine au Premier ministre indien Narendra Modi.
L'Inde, qui, comme la Russie, est membre du bloc des BRICS, a refusé de suivre les États-Unis dans leurs sanctions. Elle n'a pas non plus condamné l'invasion de l'Ukraine par la Russie lors de l'Assemblée générale des Nations unies. L'Inde reste en marge du conflit, avec un profil plus bas que la Chine, et sans même tenter un rôle de médiateur comme la Turquie ou Israël.
L'Inde et la Russie étudient également la possibilité d'utiliser le yuan chinois comme monnaie de référence pour valoriser le mécanisme commercial roupie-rouble. Tous deux peuvent également envisager un arrangement à taux variable. En septembre, l'Inde et Singapour ont décidé de relier leurs systèmes de paiement rapide respectifs : UPI et PayNow. La RBI et l'Autorité monétaire de Singapour ont annoncé le projet de liaison des systèmes de paiement rapide, qui devrait être opérationnel en juillet.
Les discussions avec la Russie s'inscrivent dans le cadre de l'obtention d'un mécanisme de paiement alternatif à la suite des sanctions occidentales contre la Russie. Selon M. Solodov, la Russie et l'Inde encouragent l'utilisation des monnaies nationales tant au niveau bilatéral que multilatéral, notamment dans le cadre des BRICS. En outre, un mécanisme d'échange roupie-rouble est déjà en place depuis plusieurs années, les paiements étant effectués dans les monnaies nationales par l'intermédiaire de banques désignées.
En début de semaine, les systèmes de cartes occidentaux ont suspendu leurs opérations en Russie, après quoi plusieurs banques russes seraient en train de se connecter au système de l'opérateur de cartes chinois UnionPay ainsi qu'au réseau russe MIR.
"L'utilisation des cartes fait encore l'objet de discussions directes au niveau des banques centrales de nos pays", a déclaré un second responsable de l'ambassade russe, qui n'a pas souhaité être identifié, ajoutant que l'utilisation des cartes sera importante pour les touristes et visiteurs indiens et russes. "Mais ce sera de toute façon un grand pas", a-t-il déclaré.
De son côté, l'Arabie saoudite est en négociations actives avec Pékin pour régler une partie de ses fournitures de pétrole à la Chine en yuans, rapporte le Wall Street Journal, citant des sources familières avec la question.
L'entrée de la monnaie nationale chinoise dans les contrats de pétrole brut réduirait la domination du dollar sur le marché mondial, et marquerait un pas en direction de l'Asie en tant que grand exportateur mondial.
La Chine achète plus de 25 % des exportations de brut de l'Arabie saoudite. Si elles sont payées en yuan, les ventes renforceront le prestige du yuan dans le monde.
Le ministre russe des Finances, Anton Siluanov, a déclaré que "nous avons les ressources nécessaires pour payer nos dettes". Le Kremlin affirme que les sanctions sont une occasion pour la Russie d'acquérir une plus grande indépendance.
17:27 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, économie, politique internationale, yan, rouble, roupie, russie, inde, chine, arabie saoudite, gaz, pétrole, engrais | | del.icio.us | | Digg | Facebook
La carte tatar d'Erdogan
La carte tatar d'Erdogan
La Turquie dispose d'un avantage considérable par rapport aux autres pays pour servir de médiateur entre l'Ukraine et la Russie. L'activisme d'Ankara est dicté par une stratégie préparée au fil des ans. Un bref excursus.
Emanuel Pietrobon
Source: https://www.dissipatio.it/erdogan-zelensky-pace/
L'Ukraine de Zelensky a dès le départ tenté d'obtenir le statut de membre observateur au sein du Conseil de coopération des pays de langue turque, également connu sous le nom de "Conseil turc", une organisation internationale basée à Ankara. Cette nouvelle n'est en fait pas une nouvelle pour ceux qui ont suivi l'évolution de la dynamique ukrainienne depuis l'ère post-Euromaidan. En gagnant la bataille pour l'Ukraine, l'Occident a réussi à se rapprocher de la réalisation du rêve de Zbigniew Brzezinski d'expulser la Russie de l'Europe, la transformant en un "empire asiatique". Entre ce scénario et sa réalisation finale, il ne reste plus que trois obstacles : le Belarus, la Moldavie et la Serbie.
En bref, ce à quoi nous assistons, c'est à la disparition de tout le système d'États tampons construit par Staline dans l'entre-deux-guerres pour protéger la Russie d'une invasion extérieure. Ce système est sur le point de s'effondrer car il a été incorporé dans l'orbite euro-américaine par l'élargissement de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique. Aujourd'hui, la Russie est encerclée de partout - pas seulement au départ de l'Europe, pensez par exemple à ce qui se passe dans le Caucase du Sud et en Asie centrale. Mais revenons à l'Europe. La Biélorussie est secouée par une grande mobilisation d'une partie ostensible de sa société depuis la nuit du 9 août 2021 ; la Moldavie est un acteur vulnérable en raison de son besoin constant d'investissements étrangers et de la présence d'une minorité turque en Gagaouzie que la Turquie subjugue habilement, tandis que la Serbie est presque entièrement entourée de pays de l'OTAN, même si sa position au sein de l'orbite russe ne semble pas se fissurer pour l'instant (à voir également les manifestations pro-russes de ces jours-ci).
Pour en revenir à l'Ukraine, l'entrée au Conseil turc ne se prête qu'à une seule interprétation : le pays passerait rapidement du monde russe au monde turc. Cette situation ne caractérise pas seulement Kiev, mais de nombreux autres pays, comme les anciens États soviétiques d'Asie centrale et l'Azerbaïdjan, et des régions, comme la Gagaouzie, que je viens de mentionner, et les républiques russes à composition ethnique turque, du Caucase du Nord à la Sibérie. La nouvelle du projet ambitieux du gouvernement ukrainien a été donnée par Emine Dzheppar (photo, ci-dessous), une politicienne ukrainienne d'origine tatare qui a récemment été nommée première vice-première ministre chargée des affaires étrangères. M. Dzheppar, interviewé dans le passé par l'agence de presse turque Demirören, a expliqué que la présidence Zelensky souhaitait rejoindre le Conseil turc parce que :
"Nous sommes des pays voisins. L'Ukraine est l'héritière de la culture turque. Les Tatars de Crimée sont un pont entre l'Ukraine et la Turquie" (Emine Dzheppar).
S'il est vrai que les Tatars constituent un point de connexion utile entre l'Ukraine et la Turquie, le passage sur la prétendue identité turque de l'Ukraine est discutable. En fait, elle n'est même pas discutable : elle est tout à fait anti-historique. Il s'agit d'une tentative de réécrire à la fois l'histoire et l'identité de l'Ukraine, qui est, était et sera toujours le berceau de la civilisation russe. Les Tatars représentent une très petite minorité - environ 70.000 personnes selon le recensement de 2001 - mais ils sont la clé de voûte de l'Ukraine pour entrer dans les bonnes grâces de la Turquie et de l'Occident.
Dès le départ, la décision de rejoindre le Conseil turc a été précédée de nombreuses autres initiatives et l'entrée finale dans l'organisation n'était que l'étape naturelle d'un voyage entamé par Volodymyr Zelensky en août 2019 par une visite officielle à Ankara. Depuis lors, les deux pays ont rapidement construit un partenariat stratégique très solide qui, aujourd'hui, s'étend du commerce à l'industrie, de la défense à la sécurité régionale, de la politique étrangère à la Crimée. Ce dernier point est particulièrement important pour les deux, car il s'agit d'un moyen de saper la grande stratégie de la Russie pour la mer Noire.
Mais pourquoi, dans le passé, l'Ukraine est-elle sur le point de devenir une partie intégrante du monde turc ? Il ne s'agit pas seulement du Conseil turc, de nombreux autres événements se sont produits au cours des dernières années. En juillet 2021, l'ambassadeur turc à Kiev, Yagmur Ahmet Gulder, a annoncé que la Turquie allait construire une maxi-mosquée au cœur de la capitale ukrainienne. Les négociations concernant le terrain ont déjà été résolues et les travaux devraient bientôt commencer. Une fois terminée, la mosquée sera la plus grande du pays : le projet prévoit une capacité d'au moins 5000 fidèles. Le gouvernement turc a fourni cinq millions de dollars pour sa construction. L'idée de construire une nouvelle mosquée à Kiev ne vient pas de Turquie, mais de Mustafa Dzhemilev, le chef du Mejlis, l'organe représentatif officiel des Tatars, qui a été mis hors la loi en Crimée pour cause d'extrémisme. Selon Dzhemilev, le pays a besoin d'une nouvelle mosquée en raison de l'arrivée de dizaines de milliers de Tatars de la péninsule au cours des six dernières années.
Avec en toile de fond les négociations sur la mosquée, la Turquie travaille depuis des années à la construction d'appartements résidentiels pour des centaines de familles tatares dans les villes de Kharkiv, Lviv, Odessa, Kherson et Dnipro. Ces deux initiatives ont été très bien accueillies par la minorité turque et amélioreront considérablement l'image de Recep Tayyip Erdogan en tant que protecteur du peuple turc et des musulmans en général. Mais avant même l'annonce de la mosquée, un événement historique s'est produit le 18 mai. Zelensky avait inclus deux célébrations islamiques très importantes dans le calendrier national des jours fériés : la fête du sacrifice (Eid al-Adha) et la fête de la rupture du jeûne (Eid al-Fitr).
La date de l'annonce a été soigneusement choisie car l'objectif était d'accroître la portée symbolique de l'acte : en effet, le 18 mai de chaque année, les Tatars observent ce que l'on appelle la "Journée de commémoration des victimes du génocide des Tatars de Crimée". Depuis 2014, cet événement historique est officiellement inclus dans la liste des guerres de mémoire liées à la Seconde Guerre mondiale qui divisent l'Occident et la Russie. Aujourd'hui, cette date, grâce à Zelensky, a pris une importance égale pour les Ukrainiens, les Tatars et les Turcs. Selon le président ukrainien, la reconnaissance officielle des fêtes islamiques est une étape fondamentale vers la construction d'une "nouvelle Ukraine au sein de laquelle chacun peut se sentir citoyen".
Le même jour, M. Zelensky a également annoncé la formation d'un groupe de travail au sein du bureau de la présidence, spécialisé dans les questions relatives aux Tatars. L'objectif était d'améliorer les conditions de vie de la minorité dans le pays. Ce sont donc les Tatars qui ont conduit l'évolution du partenariat turco-ukrainien formé l'année dernière. En août dernier, Zelensky a assisté à l'inauguration d'un bureau de représentation des Tatars de Crimée à Ankara. En février, c'était au tour d'Erdogan à Kiev, où le président turc a annoncé un plan de logement pour les Tatars qui avaient fui la péninsule, réaffirmant que son gouvernement ne reconnaîtrait jamais le nouveau statu quo car "la Crimée est la patrie historique des Tatars".
La carte tatare est utile aux deux parties : Kiev peut améliorer son image à l'Ouest, Ankara peut accroître son prestige dans le monde turc et islamique et, simultanément, élargir sa marge de manœuvre à l'intérieur de l'Ukraine dans l'espoir de combler le vide de pouvoir laissé par le Kremlin. Enfin, comme cela a déjà été écrit, jouer la carte des Tatars est le seul moyen pour les rivaux ou les pacificateurs de la Russie de garder ouverte la possibilité de déstabiliser la péninsule par une insurrection à motivation ethnique - ou, comme c'est le cas actuellement, de servir de médiateur entre les deux prétendants. La Russie est confrontée à un défi historique, car le scénario tant redouté de l'encerclement qui hantait les rêves de Staline est devenu une réalité, et la chute des États de la zone-tampon entraînera un déplacement de l'attention vers les républiques turco-musulmanes de Russie. Le risque d'une implosion de type soviétique est élevé, et les dirigeants du Kremlin sont appelés à élaborer une refonte stratégique globale : il en va de la survie même de la Russie telle que nous la connaissons aujourd'hui.
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mardi, 22 mars 2022
Xi Jinping et la Chine donnent une leçon de diplomatie aux États-Unis
Xi Jinping et la Chine donnent une leçon de diplomatie aux États-Unis
par Giulio Chinappi
Source: http://www.cese-m.eu/cesem/2022/03/xi-jinping-e-la-cina-danno-una-lezione-di-diplomazia-agli-stati-uniti/
Le 18 mars, les chefs d'État des deux principales puissances économiques mondiales ont tenu une vidéoconférence dont le sujet principal était le conflit en Ukraine.
Le sommet virtuel qui s'est tenu le 18 mars entre le président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, et le président des États-Unis d'Amérique, Joe Biden, a mis en évidence la stature politique et diplomatique du premier, face à un Biden qui, ces derniers jours, n'a pas su faire grand-chose, sinon lancer des insultes personnelles au président russe Vladimir Poutine.
Alors que les États-Unis continuent à envoyer des armes en Ukraine, faisant du peuple ukrainien de la chair à canon pour leur propre projet hégémonique mondial, la Chine s'efforce de trouver une solution diplomatique au conflit dans l'ancienne république soviétique. Xi Jinping a encouragé les États-Unis et l'OTAN à entamer un dialogue avec la Russie pour résoudre les problèmes sous-jacents de la crise ukrainienne et a exprimé son opposition aux sanctions aveugles imposées à la Russie, tout en exhortant les puissances occidentales à mettre un terme au flux d'armes vers l'Ukraine.
"La crise ukrainienne n'est pas quelque chose que nous voulons voir se perpétuer, et les événements montrent une fois de plus que les pays ne devraient pas en arriver au point de se rencontrer sur le champ de bataille. Le conflit et la confrontation ne sont dans l'intérêt de personne, et la paix et la sécurité sont ce que la communauté internationale devrait chérir le plus", a déclaré Xi Jinping lors de la vidéoconférence.
"Les remarques du président Xi sur la crise ukrainienne ont exposé de manière exhaustive la position de la Chine et, se situant à un niveau supérieur, ont encouragé les pourparlers de paix entre l'Ukraine et la Russie et les pourparlers entre les États-Unis, l'OTAN et la Russie", a déclaré Lü Xiang, chercheur à l'Académie chinoise des sciences sociales, au Global Times. "Je pense que l'entretien de vendredi n'était pas seulement significatif pour les relations sino-américaines, mais aussi pour la situation géopolitique mondiale. Les remarques du dirigeant chinois ont montré aux pays qui suivent de près les États-Unis dans la fomentation de la crise ce qu'une grande puissance responsable devrait faire face aux problèmes", a ajouté l'universitaire.
La situation actuelle ne fait que démontrer que les politiques coercitives menées par les États-Unis et d'autres puissances occidentales contre les pays qu'ils considèrent comme "hostiles" ne peuvent mener à autre chose qu'à l'exacerbation du conflit. Les sanctions imposées à la Russie depuis des années, et en particulier celles qui ont été renforcées ces dernières semaines, se sont avérées totalement inefficaces pour atteindre leur objectif.
"La question de l'Ukraine est la conséquence des problèmes accumulés entre les États-Unis et la Russie ou de la pression et des défis continus à la sécurité de la Russie par l'OTAN dirigée par les États-Unis. Ainsi, les États-Unis, au fond, ne s'attendent pas à ce que la Chine résolve le problème, mais ils veulent quand même attirer la Chine dans leur pétrin ou lui demander de les aider, car la situation actuelle a dépassé leurs attentes et il deviendra plus difficile pour les États-Unis d'éviter d'y être directement impliqués", a encore dit Lü.
La position de la Chine sur la crise ukrainienne a été longuement réitérée par le porte-parole du ministère des Affaires étrangères de Pékin, Zhao Lijian, lors d'une conférence de presse avec des représentants des médias étrangers : "En tant qu'initiateurs de la crise ukrainienne, pourquoi les États-Unis ne réfléchissent-ils pas à leur propre responsabilité et à celle de l'OTAN dans la cause de la crise sécuritaire actuelle en Europe ? Pourquoi ne repensent-ils pas à leur hypocrisie en attisant les flammes de la crise ukrainienne ?" a demandé Zhao de manière provocante.
Zhao a déclaré que la Chine avait de la peine pour les victimes civiles, mais il a également rappelé les victimes des raids aériens des États-Unis et de l'OTAN dans les différents pays que les puissances occidentales ont bombardés depuis 1999 : "Nous nous souvenons tous qu'en mars 1999, sans l'autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU, l'OTAN dirigée par les États-Unis a lancé de manière éhontée 78 jours d'attaques en Yougoslavie, tuant 2 500 civils et en blessant plus de 10.000. Au cours des 20 dernières années, les États-Unis ont effectué des milliers de raids aériens en Syrie, en Irak, en Afghanistan et en Somalie", a rappelé le porte-parole, qui s'est demandé si les États-Unis s'inquiéteraient également de la mort de ces civils à la suite de leurs actions militaires.
Alors que les États-Unis et l'Union européenne continuent d'envoyer des armes à l'Ukraine - mercredi dernier, les États-Unis ont annoncé une aide militaire de 800 millions de dollars à l'Ukraine - la Chine a offert une aide humanitaire aux réfugiés civils du conflit, envoyant de la nourriture, du lait en poudre, des sacs de couchage, des édredons et d'autres produits de première nécessité à l'ancienne république soviétique. "La dernière assistance armée américaine à l'Ukraine a-t-elle apporté la stabilité et la sécurité à l'Ukraine ? Ou bien cela entraînera-t-il davantage de victimes civiles ? Le peuple ukrainien a-t-il besoin de plus de nourriture et de sacs de couchage ou de fusils et de munitions ? Il n'est pas difficile pour les personnes dotées de rationalité et de bon sens de faire le bon jugement", a commenté Zhao.
Une fois de plus, la crise ukrainienne démontre l'hypocrisie de l'administration américaine, par opposition à la cohérence et à l'efficacité du gouvernement chinois dans la gestion des crises, comme ce fut le cas avec la pandémie de Covid-19, pour ne citer qu'un incident récent.
18:05 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chine, xi jinping, diplomatie, géopolitique, ukraine, politique internationale, joe biden, sanctions | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Le conflit ukrainien comme premier pas vers la déseuropéanisation / désoccidentalisation du monde
Le conflit ukrainien comme premier pas vers la déseuropéanisation / désoccidentalisation du monde
Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/tribuna-libre/37066-2022-03-13-21-31-00
Le manque d'autonomie de l'Europe
D'un point de vue géographique, la guerre en Ukraine se déroule en Europe. Mais d'un autre côté, cette guerre est un échec stratégique de l'OTAN, notamment parce que cette alliance atlantique n'a jamais tenu compte des préoccupations et des exigences de la Russie en matière de sécurité (ne pas étendre l'OTAN à l'Est, ne pas inclure l'Ukraine dans l'organisation, couper tous les liens avec le régime russophobe de Kiev, abandonner toute tentative de créer une sorte d'"anti-Russie" à partir de l'Ukraine).
De plus, les pays européens n'ont rien fait pour diminuer les risques de conflit. Lorsque la Russie a demandé aux pays européens de ne pas inclure l'Ukraine dans l'OTAN et de freiner les plans américains d'expansion vers l'est, ils n'ont tout simplement pas pu ou voulu faire quoi que ce soit. Maintenant, l'UE et l'OTAN (à l'exception de la Hongrie) font tout ce qu'ils peuvent pour alimenter ce conflit, qui aura sans aucun doute des répercussions catastrophiques pour l'Europe.
En effet, la guerre affecte déjà l'Europe : les pays de l'UE sont submergés par les millions de réfugiés qui arrivent à leurs portes. Josep Borrell, chef du corps diplomatique de l'UE, affirme qu'il n'est possible d'accueillir que 5 millions de réfugiés. Cependant, à la date du 7 mars 2022, au moins 1.735.068 réfugiés ukrainiens sont arrivés en Europe centrale et orientale selon les rapports de l'ONU (1).
D'autre part, la rupture des liens diplomatiques avec la Russie affectera principalement les pays européens, car la hausse des prix des denrées alimentaires, de l'énergie et de l'inflation se fait sentir dans toute l'Europe. De nombreux analystes affirment que l'UE perdra des centaines de milliards d'euros en raison des sanctions et contre-sanctions contre la Russie. Pendant ce temps, les États-Unis poussent l'UE à imposer des restrictions encore plus radicales, sachant pertinemment que ce sont les Européens qui en souffriront le plus. Bien sûr, une Europe faible sera beaucoup plus facile à manipuler.
Enfin, le fait que les pays européens soient entraînés dans ce conflit, qui menace de se transformer en une guerre nucléaire touchant principalement le flanc oriental de l'OTAN, laisse beaucoup de perplexité. Pourtant, ce sont les pays de l'Est de l'OTAN qui ont été les plus ardents défenseurs d'une politique dure contre la Russie.
Cette crise est en grande partie due au manque d'autonomie de l'UE. En effet, on peut affirmer que l'Europe est devenue un simple outil au service des États-Unis. La présence accrue des États-Unis en Europe ne fera que continuer à saper la solidité de l'économie européenne, tandis que la guerre sert de prétexte pour persécuter tous les dissidents du continent - en particulier les forces, mouvements et penseurs qui prônent un euro-continentalisme pragmatique. L'objectif est d'empêcher l'Europe de disposer des ressources morales, intellectuelles, militaires et matérielles pour devenir autonome.
L'euro-atlantisme est l'idéologie qui empêche l'autonomie de l'Europe. Les élites européennes sont entièrement à son service, sans compter que les réseaux d'influence américains en Europe l'utilisent à leur avantage. L'Europe pourrait devenir l'un des futurs pôles du monde multipolaire, mais il semble que cela n'arrivera pas de sitôt.
Le Tiers Monde : de la neutralité pacifique à la neutralité armée
L'un des endroits où une bataille diplomatique des plus féroces a été menée est le "tiers monde". Les États-Unis ont cherché à imposer leur interprétation des événements aux petits pays ainsi qu'aux puissances régionales (Pakistan) et mondiales (Chine). Toutefois, cela reflète l'importance croissante des pays non européens, et des pays non occidentaux en général, dans le système international actuel. Par conséquent, de plus en plus de choses dépendent d'eux.
Certains pays ont choisi de ne pas imposer de sanctions afin de préserver leur souveraineté, en maintenant une sorte de neutralité stratégique comme le pratiquent de nombreux pays en Asie, en Afrique et en Amérique latine. La plupart se sont limités à des condamnations verbales qui ont peu d'effet sur la Russie. Cela montre que le monde n'est plus unipolaire, mais que de nouveaux centres de décision y ont émergé.
Le Premier ministre pakistanais Imran Khan (photo) a répondu aux tentatives des États-Unis et de l'Union européenne pour amener son pays à imposer des sanctions à la Russie par la réponse suivante : "Sommes-nous encore des esclaves à qui on dit comment agir ? (2). Cette réaction du président d'un pays d'Asie du Sud face aux puissances occidentales est symptomatique. L'Inde n'a pas non plus été très enthousiaste à l'idée d'imposer des sanctions à la Russie.
Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian (photo), a déclaré le 10 mars que Pékin répondrait sévèrement à toute tentative de Washington de punir les entreprises chinoises qui continuent à fournir des services à Moscou. Selon l'agence de presse TASS, M. Lijian a déclaré que "les États-Unis n'ont pas le droit d'appliquer des sanctions contre les entreprises et les fonctionnaires chinois, tout comme ils ne peuvent pas dire à la Chine quel type d'accords elle peut conclure avec la Russie. S'ils essaient d'imposer des sanctions à la Chine, alors nous serons obligés de répondre" (3).
Cette réponse chinoise aux États-Unis démontre l'impuissance de la Maison Blanche face à un monde de plus en plus diversifié. On pourrait dire que les États-Unis sont confrontés à une situation désespérée : s'ils veulent isoler la Russie, ils doivent reconnaître l'existence d'autres centres de pouvoir mondial. Les États-Unis sont contraints de négocier avec les "cinq rois" dont parle Bernard Henri-Levy (l'un des principaux théoriciens du libéralisme actuel), mais en échange de la cession d'une partie de l'hégémonie du monde occidental à d'autres acteurs.
Les États-Unis ont tenté de négocier plusieurs traités avec l'Arabie saoudite afin d'atténuer les conséquences négatives de la dépendance européenne au pétrole russe. Toutefois, les relations des États-Unis avec l'Arabie saoudite se sont considérablement détériorées depuis l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. Les États-Unis ont également tenté de tendre la main à des pays tels que l'Iran, l'Inde, la Turquie et même le Venezuela (qui est tout d'un coup considéré comme un acteur légitime), mais en vain. Nombre de ces pays comprennent qu'une fois la Russie vaincue, ils seront les prochains sur la liste.
Les déclarations de la Chine, ainsi que celles de plusieurs pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, montrent qu'aucun d'entre eux n'est prêt à renoncer à ses positions. Cela signifie qu'ils ont assumé une sorte de neutralité armée très similaire à celle assumée par la Russie et d'autres pays européens pendant la guerre d'indépendance américaine à la fin du 18e siècle. La Russie a rejeté le blocus économique que la Grande-Bretagne, la puissance maritime de l'époque, a tenté d'imposer aux États-Unis. Aujourd'hui, les États-Unis, qui sont l'héritier de la "Sea Power" britannique, font l'expérience d'une autre sorte de "neutralité armée", semblable à celle qui leur a sauvé la vie autrefois.
Vers la multipolarité
La neutralité stratégique que de nombreux pays asiatiques ont adoptée à l'égard de la Russie est à leur avantage, car elle leur permet de tirer parti des sanctions que les pays occidentaux imposent à l'économie russe. Il est fort probable qu'une grande partie des échanges que les pays occidentaux avaient auparavant directement avec la Russie (par exemple, le pétrole) et les importations qu'ils effectuaient passeront désormais par elle avant d'arriver à destination. Le pétrole peut être commercialisé via la Turquie, comme le souligne le politologue russe Ivan Starodubtsev (4).
Plus les pays d'Amérique latine, d'Asie et d'Afrique résisteront aux tentatives américaines d'imposer des sanctions, plus ils seront attrayants pour la Russie d'un point de vue économique : cela implique à la fois des investissements russes directs dans ces pays (surtout en ce qui concerne les industries qui n'existent pas en Russie) et l'entrée sur le marché russe pour nombre d'entre eux, d'autant plus que de nombreuses entreprises américaines et européennes quittent la Russie.
Bien entendu, tout cela implique une augmentation de l'interdépendance entre ces économies et la Russie et les menaces que les États-Unis lanceront contre les nouveaux partenaires eurasiens de la Russie. Cependant, les États-Unis ne réussiront qu'à soumettre des pays petits et sans importance. Les plus grands et les plus autonomes resteront indépendants et renforceront leurs liens politiques avec la Russie face à l'incapacité des États-Unis à les déconnecter tous de leur système économique sans détruire le leur. Tout ceci pourrait favoriser la naissance d'un monde multipolaire.
L'Europe est également appelée à devenir une puissance souveraine, mais cela sera impossible tant qu'elle restera dominée par l'élite atlantiste actuelle. Toutefois, ces changements ne dépendent pas uniquement d'aspects matériels : l'Occident a perdu la confiance de la plupart des pays du monde. L'Ukraine est un pays qui a parié sur l'Occident et a perdu, devenant un simple outil aux mains de puissances extérieures et un champ de bataille entre puissances nucléaires. Cela conduira sans doute de nombreux pays à réévaluer leurs propres relations avec les États-Unis.
Le fait que l'Europe soit de plus en plus au bord de la guerre démontre le refus de l'Occident libéral et démocratique d'écouter les arguments et les craintes des Autres (dont la Russie). Cette absence de dialogue a conduit à un véritable conflit ouvert. De même, c'est le manque de dialogue qui empêche les États-Unis et l'Europe de résoudre cette situation, car ils pensent que s'ils cèdent, ils détruiront l'image de grandeur qu'ils ont aux yeux des autres nations du monde. Croire que la voie du développement et du progrès que l'Occident a suivie est le paramètre par excellence de l'évolution humaine pour atteindre la paix et la prospérité (au prix de l'abandon des traditions de nos peuples) n'est qu'un mensonge. L'Occident ne peut pas être une référence morale et éthique pour nous, ce qui devient de plus en plus clair lorsque nous voyons Washington menacer le reste du monde afin d'isoler Moscou. Plus l'Occident fait pression sur les autres pays, plus il rencontrera de résistance.
Notes :
- 1) https://www.rbc.ru/rbcfreenews/622617139a7947c327f07f24?utm_source=yxnews&utm_medium=desktop
- 2) https://www.firstpost.com/world/is-islamabad-their-slave-pm-imran-khan-slams-eu-for-asking-pakistan-to-vote-against-russia-10437...
- 3) https://tass.ru/mezhdunarodnaya-panorama/14019401
- 4) https://t.me/turkey_is/1624
Source : https://katehon.com/ru/article/konflikt-na-ukraine-i-de-evropeizaciya-de-vesternizaciya-mira
16:52 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, politique internationale, géopolitique, russie, sanctions, atlantisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 21 mars 2022
La révolution du transport fluvial en Russie : un projet aux ramifications géopolitiques
La révolution du transport fluvial en Russie : un projet aux ramifications géopolitiques
Tim Kirby
Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/empresas/36775-2022-02-08-18-16-31
Récemment, le gouvernement russe a dévoilé un plan visant à modifier radicalement le transport de marchandises au sein de la Fédération, qui pourrait même avoir un impact géopolitique international. On cherche à révolutionner le transport de marchandises dans le monde entier.
Aujourd'hui, si l'on observe ce qui existait au 20e siècle, la technologie ressemble encore beaucoup à ce qu'elle était au début de la guerre froide. Nous avons des camions sur les routes, des trains, des bateaux et des avions à réaction. Il est vrai que toutes ces grandes formes de transport de marchandises sont devenues plus efficaces, il existe désormais des trains très rapides et, en termes d'expédition, tout est beaucoup moins cher que jamais. Cela a contribué à l'essor de la Chine d'aujourd'hui. Sans exportations maritimes bon marché, ils vivraient dans une nation très différente et moins riche, et c'est exactement la raison pour laquelle Washington et ses amis prennent des initiatives comme ce magnifique accord AUKUS et enserrent la mer de Chine méridionale du mieux qu'ils peuvent.
Washington veut que la Chine soit encerclée afin d'avoir la possibilité de couper l'accès de Pékin aux lignes commerciales. C'est pourquoi les Chinois ont eu l'idée de l'initiative "Belt and Road". Cela permet à la Chine de contourner l'encerclement de l'OTAN et pourrait constituer l'un des projets de "plan B" les plus importants et les plus coûteux de l'histoire de l'humanité.
De l'autre côté du monde, une sorte de pseudo-révolution verte des transports est en cours, essentiellement portée par le brillant sens du spectacle d'Elon Musk et ses suggestions pour le public analphabète. Les semi-remorques autonomes et le mystérieux "HyperLoop" sous-tendent les cours gonflés des actions de son empire. Cette tendance croissante au "vaporware" dans toutes les formes de développement en Occident, où le sentiment et l'enthousiasme pour une technologie l'emportent sur sa viabilité et sa faisabilité, est un phénomène plutôt intéressant. Le concept du Green New Deal est vraiment l'apogée de cette façon de voir la technologie et le développement, sur base de l'équation "sentiments = réalité". Bien que la méthodologie puisse être erronée, il est certainement intéressant pour l'Occident de continuer à chercher un nouveau développement dans le domaine des transports qui puisse changer les règles du jeu.
Ainsi, la Chine, en termes de transport, veut maximiser et diversifier les itinéraires, l'Occident cherche une sorte de réponse verte futuriste à zéro carbone à un problème qui n'existe peut-être pas, et la Russie va mettre un gros paquet sur la forme la plus médiévale de transport de marchandises - le transport fluvial. Nous vivons une époque intéressante.
Le gouvernement russe envisage d'investir jusqu'à 10,3 milliards de dollars pour améliorer les capacités de fret fluvial du pays. Compte tenu du fait que le transport fluvial est pratiquement mort (ou du moins extrêmement limité à l'échelle) dans la plupart des régions du monde, cette décision semble étrange. Le canal Ohio et Erie, près de mon lieu de naissance, en est le parfait exemple. C'était un moyen lent, à capacité limitée et étonnamment coûteux de transporter des marchandises, qui repose sur une infrastructure très "organique" et sensible aux inondations, aux sécheresses et à toutes sortes d'autres problèmes que les trains et les camions ne connaissent pas. En fait, il combine la nature linéaire du transport ferroviaire avec la capacité limitée et les facteurs climatiques qui affectent les semi-remorques, ce qui donne le pire des deux mondes. Alors pourquoi les Russes ont-ils investi autant d'argent dans une technologie qui était obsolète aux États-Unis avant le début de la Première Guerre mondiale ?
Si vous lisez certains journaux, la logique ressemble à ceci. Moyennant quelques modifications, notamment l'élargissement et l'approfondissement de certaines écluses et la mise à niveau d'autres infrastructures, le miracle du transport ultra bon marché par cargo en haute mer pourrait fonctionner en Russie même. Essentiellement, il s'agit de prendre ce modèle de transport maritime chinois et de le placer sur des rivières et des canaux préexistants en Russie même, ce qui peut être réalisé relativement "bon marché" selon les normes des projets gouvernementaux. La longueur du réseau fluvial russe lui permettrait de devenir presque comme un nouveau canal de Suez ou de Panama pour certaines nations.
Image : De nombreux navires utilisent déjà la route en rouge ; avec quelques améliorations, les porte-conteneurs pourraient également l'utiliser.
Ce projet peut sembler très petit et interne à la Russie, mais il a le potentiel d'avoir un effet géopolitique énorme sur le monde. À tout le moins, il a été souligné qu'avec la mise en œuvre de ces améliorations d'infrastructure, une sorte de méga-cargo pourrait voyager librement entre la mer Noire/mer d'Azov, la mer Caspienne, la mer Baltique et la mer Blanche. Cela ferait de l'Iran un voisin de l'Europe dans le sens du transport du jour au lendemain et donnerait certainement à Téhéran un peu de répit, car sa géographie le rend très "bloquable" par la mer. Elle pourrait également contribuer à atténuer certaines des difficultés liées à l'enclavement du Kazakhstan.
Historiquement, la Turquie et la Russie ont souvent été en désaccord et leur capacité à bloquer la mer Noire a toujours été un problème. Il serait donc à l'avantage de la Russie de disposer d'un autre moyen de transport maritime à partir de la mer Noire si nécessaire.
Image : Les Russes veulent développer l'Arctique. Le fait d'avoir de nombreux fleuves importants s'étendant du nord au sud aide sûrement à le relier au reste du pays.
Les rivières de Sibérie ont le potentiel de pouvoir prendre les richesses de cette région et de les transporter sur des porte-conteneurs dans le monde entier, jusqu'à ce que ces navires puissent atteindre l'océan Arctique et ne pas s'échouer. Poutine a été un fervent défenseur du développement de l'Arctique pour de nombreuses raisons, celle-ci étant l'une d'entre elles. Si la Sibérie est célèbre pour ses minéraux et son bois, elle produit également beaucoup de nourriture. Cette infrastructure aidera la Russie à poursuivre sa croissance en tant que titan de la production alimentaire, ce qui est un facteur de la grande relation entre Moscou et Pékin. Les capacités de production alimentaire de la Sibérie méridionale dépassent l'entendement, mais elles ont été maintenues en sommeil par l'isolement de la région.
Si cela est fait correctement, les larges rivières et les canaux préexistants de la Russie, moyennant quelques améliorations, pourraient avoir un impact sur le commerce international et créer certaines routes maritimes auparavant impossibles. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais c'est un élément à surveiller pour les zélateurs de la géopolitique, qui, ironiquement, remonte à la naissance de la Russie, qui a fait un usage intensif du transport fluvial depuis sa création jusqu'à la chute de l'URSS. La Russie est née avec cette infrastructure en grande partie en place, il est maintenant temps pour les Russes de s'assurer que les méga porte-conteneurs peuvent commencer à l'utiliser.
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Ukraine : une guerre qui amorce la grande transition géopolitique et civilisationnelle
Ukraine : une guerre qui amorce la grande transition géopolitique et civilisationnelle
Manuel Monereo
Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/geoestrategia/37126-2022-03-19-14-12-04
"De plus, tout indique que des puissances économiques comme la Russie et la Chine doivent être domptées ou écrasées pour que les grandes économies capitalistes puissent avoir un nouveau souffle. C'est une perspective effrayante".
Michael Roberts 14 mars 2022
La guerre en Ukraine continue. Ce n'est qu'un début. La ligne de front ? La dimension spatio-temporelle des intérêts stratégiques américains ; c'est-à-dire la planète. L'objectif est de conserver le pouvoir et de s'opposer farouchement à ceux qui contestent l'hégémonie euro-américaine, ce que Samir Amin a appelé l'impérialisme collectif de la triade.
Biden a organisé, j'insiste, organisé deux territoires géopolitiquement bien définis : l'un, le principal, se situe en Asie, dans la mer de Chine méridionale ; l'autre, le secondaire, a l'Ukraine comme ligne de front. Les deux sont interconnectés politiquement et militairement par les États-Unis. Les États-Unis imposent une stricte division du travail : l'OTAN est chargée de réduire la Russie ; le monde anglo-saxon est chargé de l'Asie. C'est la Doctrine Monroe complétée de celle d'Alfred T. Mahan : le Pacifique est l'affaire exclusive des Américains et de leurs alliés de confiance ; en dehors de l'Union européenne et, plus précisément, de la France. Un troisième scénario se profile à l'horizon, celui du Sahel, qui commence à dire adieu aux forces expéditionnaires françaises et, je crois, aux autres forces expéditionnaires européennes.
Lorsque le brouillard de la guerre se dissipera, il sera nécessaire de cartographier les dégâts. Les conséquences, le rôle des acteurs et les éléments déterminants d'un nouvel équilibre des pouvoirs devront être identifiés avec précision. Un fait avant tout : le marché économique-productif et financier mondial va-t-il s'effondrer ? C'est ce qu'il semble. La possibilité de construire un pôle de puissance autour de la Chine est motivée par la nécessité de répondre aux sanctions contre la Russie et, surtout, à leurs conséquences collatérales, qui obligent déjà à se définir. Biden joue dur, très dur. Les jours de la domination du dollar sont peut-être en train de prendre fin et la multipolarité est plus proche qu'il n'y paraît.
Une chose semble claire : aujourd'hui plus de gaz russe est vendu à l'Allemagne qu'avant le conflit. Ce couloir fonctionne malheureusement beaucoup mieux que le couloir humanitaire. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'il existe des contacts économiques, financiers et militaires. Il y a encore une chance de parvenir à des accords, d'arrêter la guerre et de mettre fin à la mort qui rode en Europe aujourd'hui. Nous en savons de plus en plus. Lors de la réunion des 27 à Versailles, toujours à la gloire électorale de Macron, il a été décidé que l'Ukraine ne rejoindrait pas l'Union européenne pour le moment ; ce "pour le moment" peut être très long et équivaut à (presque) jamais. Quelques jours plus tard, notre inoubliable Haut représentant de l'UE, Josep Borrell, a reconnu ses erreurs. La plus importante avait été d'ouvrir la possibilité d'une entrée de l'Ukraine dans l'OTAN. Il ne faut pas faire des promesses qui ne peuvent être tenues, a déclaré l'ancien grand espoir de la social-démocratie espagnole.
Comme Luciano Canfora a raison lorsqu'il dit qu'il ne faut pas parler de démocratie lorsqu'il s'agit du pouvoir mondial ; ne pas parler de paix lorsque la guerre se prépare. Il faudra le dire et le redire, avec force même au prix d'être minoritaire : face à un discours dominant unique - qui devient disciplinaire - il faut affirmer que cette guerre est une guerre entre l'OTAN et la Russie, et que l'Ukraine fournit le territoire, la population et la plupart des morts et des blessés. Zelenski doit maintenant se rendre compte de ce que signifie être un allié inconditionnel des États-Unis et un instrument actif d'une stratégie qui n'a rien à voir avec les intérêts de son peuple. Proposer, comme il le fait, une intervention directe ou indirecte de l'OTAN, c'est jouer avec le feu et nous faire tous brûler.
Il a été dit (Thomas Fazi, Olga Rodriguez) que la guerre en Ukraine a été la plus annoncée, analysée et anticipée de l'histoire européenne récente. Tous les grands spécialistes l'ont étudié et analysé pendant des années (Kennan, Kissinger, Mearsheimer, Jack F. Matlock) et leur conclusion a toujours été la même : essayer de faire entrer l'Ukraine dans l'OTAN signifierait une réponse politico-militaire russe et la guerre. Le 13 mars de cette année, Carlos Sánchez, dans El Confidencial, a interviewé un spécialiste de la stratégie - influent au sein du ministère de la Défense - qui n'a pas voulu donner son nom. Le plus surprenant dans ses déclarations est qu'elles coïncident avec celles d'autres géopoliticiens - militaires ou non - qui critiquent le conflit ukrainien et s'inquiètent particulièrement de l'avenir de l'Europe dans un monde en mutation rapide.
Tout le monde s'accorde à dire, premièrement, que nous sommes à un tournant d'une ère caractérisée par un déclin relatif de l'hégémonie américaine et l'émergence de nouvelles puissances qui remettent objectivement en question l'ordre organisé et défini par les États-Unis. Les dimensions et le rythme du processus ne sont pas pacifiques. Deuxièmement, on s'accorde à dire que nous sommes dans une transition vers un monde multipolaire qui implique une redistribution substantielle du pouvoir au niveau mondial. Troisièmement, on s'accorde également à dire que les États-Unis sont la première puissance économique mondiale et, surtout, qu'ils ont une nette domination politico-militaire au niveau planétaire. En d'autres termes, il existe une inégalité structurelle des forces (commerciales, financières, technologiques et militaires) entre le bloc de pouvoir dirigé par les États-Unis et les forces qui tendent à contester son hégémonie. La question clé est le timing. Biden (et le groupe oligarchique qu'il dirige) cherche à anticiper, à prendre l'avantage et à se positionner au moyen d'une stratégie préemptive selon le principe : faites-le maintenant, demain il sera peut-être trop tard. Ils ne font pas mystère de leurs objectifs, à savoir renverser le système de pouvoir dominant en Russie et en Chine au moyen d'instruments économiques, technologiques, hybrides ou de la zone grise.
Quatrièmement, il y a un consensus sur le fait que le grand perdant dans ce conflit est l'Europe. L'UE est incapable de représenter les intérêts stratégiques de ses États et de ses peuples et reste - comme la crise ukrainienne le montre clairement - un allié subordonné des États-Unis. La cinquième question concerne le rôle géopolitique de l'Espagne. Les préoccupations sont nombreuses. Le conflit entre le Maroc et l'Algérie s'aggrave ; au traditionnel problème migratoire s'ajoute celui du gaz dans un contexte propice à la prétention du Maroc de devenir une puissance régionale en relation étroite avec les Etats-Unis et la France. En arrière-plan, la question sahraouie est non résolue. En cas de conflit avec le Maroc, nous, les Espagnols, serons livrés à nous-mêmes ; ni l'OTAN ni l'UE ne nous seront d'aucune utilité.
Une question plus complexe est la relation entre la Chine et la Russie, toujours médiatisée par la tension avec les États-Unis. Kissinger et Brzezinski ont mis en garde très fermement contre le danger d'une alliance entre l'Iran, la Russie et la Chine. Pourtant, toute la politique étrangère américaine - sauf sous Donald Trump - s'est consacrée à la favoriser. Aujourd'hui, avec la montée de la russophobie, il faut souligner que l'avenir des relations internationales sera déterminé par la direction dans laquelle penche la Russie. La Russie a clairement et sans ambiguïté opté pour un partenariat stratégique avec la Chine. Les deux économies se complètent et leurs capacités militaires se multiplient dans l'alliance. La Chine aidera la Russie à surmonter les sanctions, tout comme l'Inde, le Pakistan, l'Indonésie, une grande partie de l'Amérique latine, à commencer par le Brésil et l'Argentine, et la plupart de l'Afrique, Afrique du Sud en tête ; sans oublier l'Arabie saoudite qui décide actuellement de facturer le pétrole en monnaie chinoise. Peut-on imaginer la carte ? C'est le nouveau monde qui émerge contre l'ancien, celui des grandes puissances coloniales.
Pour l'Europe, c'est une tragédie. Ils sont fatigués de le dire ces jours-ci, il n'y a pas de sécurité en Europe sans la Russie. C'est vrai. La Russie revient à une alliance eurasienne explicite avec l'objectif clair de défier une Pax basée sur la puissance euro/américaine. Une fois encore, c'est l'ancien qui ne mourra pas et le nouveau qui ne naîtra pas. Entre les deux, le conflit pour le pouvoir mondial.
"Le réveil politique mondial est historiquement anti-impérial, politiquement anti-occidental et émotionnellement anti-américain à doses croissantes. Ce processus provoque un déplacement majeur du centre de gravité du monde, qui, à son tour, modifie la répartition mondiale du pouvoir, avec des implications majeures pour le rôle des États-Unis dans le monde", écrivait Zbigniew Brzezinski en 2007.
Le vieux faucon américano-polonais savait de quoi il parlait. Il n'y a pas de retour en arrière possible.
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L'Asie centrale "persane" : la relation spéciale Iran-Tadjikistan
L'Asie centrale "persane" : la relation spéciale Iran-Tadjikistan
Par Carlo Parissi
Source: https://osservatorioglobalizzazione.it/osservatorio/lasia-centrale-persiana-la-relazione-speciale-iran-tagikistan/
Depuis l'Antiquité, l'Asie centrale entretient de longues relations avec la région jadis plus connue sous le nom de "Perse", tant pour des raisons de proximité géographique que pour les diverses dominations, qui se sont succédé au cours de l'histoire dans une portion plus ou moins vaste de la zone, par les empires qui avaient pour centre politique l'actuel Iran (Empire perse, Empire sassanide, etc.).
Des cinq États d'Asie centrale, le Tadjikistan est sans doute celui qui a le plus de liens ethniques et linguistiques avec Téhéran, car tous deux sont de culture iranienne et les langues des deux pays sont mutuellement intelligibles [1].
Brève histoire des relations Iran-Tadjikistan
Les relations bilatérales entre les deux États ont été établies le 9 janvier 1992 et l'ambassade d'Iran à Douchanbé a été ouverte le même mois [2].
Pendant les années de la guerre civile au Tadjikistan (1992 - 1997), la République islamique n'a soutenu aucun camp, malgré les menaces de Šomdon Yusuf [3] de demander l'aide de Téhéran en cas d'intervention des troupes de la Communauté des États indépendants [4], et a soutenu la nécessité de parvenir à une solution politique pour mettre fin au conflit [5]. Le 27 juin 1997 à Moscou, les pourparlers inter-tadjiks ont également été suivis par Ali Akbar Velayati, alors ministre iranien des Affaires étrangères, qui a signé l'Accord général sur l'établissement de la paix et de l'entente nationale au Tadjikistan [6].
Depuis la fin du 20e siècle, les relations bilatérales n'ont cessé de s'améliorer, notamment l'expansion des relations commerciales, mais elles se sont arrêtées et refroidies dans la première moitié des années 2010 en raison de deux événements spécifiques.
La première, qui remonte à 2013, concernait Bobak Zanjoni, un milliardaire iranien reconnu coupable de blanchiment d'argent par le biais de banques tadjikes et chinoises, qui aurait vendu deux milliards et demi de dollars américains à certains partenaires de l'État d'Asie centrale. Lorsque Téhéran a exigé la restitution de la somme, les autorités de Douchanbé ont répondu en déclarant que "la partie iranienne n'a envoyé aucun document sur le capital du milliardaire Zanjoni dans les banques du Tadjikistan" [7].
En 2016, le point le plus critique dans les relations a été atteint, en raison du second événement : la participation de Mukhitdin Kabiri, chef du Parti de la renaissance islamique du Tadjikistan (PRIT), à un séminaire islamique organisé fin 2015 dans la capitale de la République islamique, au cours duquel il avait rencontré l'ayatollah Ali Khamenei. En septembre de la même année, les autorités tadjikes ont accusé le PRIT de préparer un coup d'État et ont par conséquent interdit les activités du mouvement. Après la réunion susmentionnée à Téhéran, tous les programmes de coopération ont été partiellement interrompus [8].
En 2019, il y a eu un revirement de situation grâce à la visite officielle du ministre tadjik des Affaires étrangères Sirojiddin Mukhriddin dans ce pays du Moyen-Orient le 1er juin, au cours de laquelle il a rencontré le président Hassan Rohani et son homologue Javad Zarif. Bien qu'il n'y ait pas eu d'actions concrètes par la suite, cet événement a représenté le début du rapprochement entre le Tadjikistan et l'Iran [9].
Le 17 septembre 2021, à l'occasion du 21e sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui s'est tenu à Douchanbé, le président Ebrahim Raisi, à l'invitation d'Emomali Rakhmon, s'est rendu au Tadjikistan, où il a conduit une délégation de haut niveau composée de cinq ministres [10]. Les deux chefs d'État se sont rencontrés le lendemain et ont appelé à une nouvelle saison des relations bilatérales [11]. Au cours de la conférence de presse conjointe qui a suivi, les deux dirigeants ont évoqué la situation de l'Afghanistan voisin, déclarant que l'ingérence d'acteurs extérieurs a causé plusieurs problèmes au fil des ans et que le nouvel exécutif du "Tombeau des Empires" devrait être inclusif et représenter tous les groupes politiques et ethniques du pays [12].
Les deux États sont membres de plusieurs organisations régionales, dont l'OCS susmentionnée, l'Organisation de coopération économique (OCE) et l'Organisation de coopération islamique (OCI).
Relations entre l'Iran et le Tadjikistan
Les relations entre Téhéran et Douchanbé sont régies par plus de 160 documents signés au cours des 30 dernières années.
D'un point de vue économique, les échanges commerciaux se sont élevés à plus de 31 millions de dollars US en 2021 [13]. Le coton brut est le principal produit tadjik exporté, suivi du papier revêtu de kaolin et des produits chimiques. Au contraire, les importations de la République islamique sont variées et comprennent principalement des articles en plastique, des articles en céramique et du fer ou de l'acier [14] [15]. Quant aux investissements iraniens au Tadjikistan, ils ont atteint un pic (77,146 millions de dollars US) en 2014, tandis que la période triennale 2016-2018 a connu le point le plus bas, déterminé par l'absence de capitaux persans [16]. En outre, Téhéran a financé la construction de plusieurs infrastructures tadjikes de la plus haute importance, comme le tunnel d'Anzob, un tunnel d'un peu plus de cinq kilomètres qui relie la capitale à la deuxième ville du pays, Khojand, évitant ainsi de passer par l'Ouzbékistan. Les dirigeants des deux pays ont déclaré qu'ils aspiraient à atteindre l'objectif de 500 millions de dollars US d'échanges commerciaux dans les années à venir [17].
La coopération dans le domaine militaire a débuté fin 1997, après la signature d'une lettre d'intention - la première entre le pays d'Asie centrale et un État non membre de la Communauté des États indépendants (CEI) - selon laquelle l'Iran devait former et éduquer le personnel militaire de Douchanbé [18]. Plus récemment, le 8 avril 2021, lors d'un sommet dans la capitale de la République islamique, auquel ont participé le ministre tadjik de la Défense, le colonel général Šerali Mirzo, et le commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique, Mohammed Bagheri, la création d'une commission conjointe de défense a été établie, dont le but premier serait de combattre le terrorisme [19]. En outre, une éventuelle exportation d'armes iraniennes vers le Tadjikistan a été envisagée [20].
Un autre domaine d'importance est l'énergie, dont le résultat le plus important peut être identifié dans la centrale électrique Sangtuda-2 sur la rivière Vakhš, qui a été achevée en 2011 et officiellement inaugurée trois ans plus tard [21]. La coopération dans ce secteur est principalement axée sur la construction de centrales hydroélectriques, qui ont généré en 2019 environ 40 % de la production totale d'électricité [22]. Les 2 et 3 décembre de cette année-là, dans le cadre de la 13e Commission mixte Iran-Tatar, les ministres de l'énergie avaient discuté de la possibilité de financer la construction d'une nouvelle centrale électrique au barrage de Rogun, ainsi que l'achat et la vente d'électricité [23]. En juin de l'année dernière, un accord a été conclu selon lequel les réseaux des deux pays asiatiques seraient connectés [24].
Conclusions et développements futurs (possibles)
Malgré le ralentissement décrit ci-dessus, les relations entre les pays examinés sont dans l'ensemble bonnes et en progression, surtout après les événements dramatiques survenus en août dans le turbulent Afghanistan. Le dégel "récent" et la phase actuelle peuvent conduire à un certain nombre d'avantages mutuels à l'avenir.
À cet égard, certains observateurs ont fait valoir que, par exemple, le Tadjikistan peut contribuer à l'intégration de Téhéran au sein de diverses organisations régionales ou internationales, tout en étant un précieux promoteur de la coopération entre le pays du Moyen-Orient et d'autres États d'Asie centrale ; inversement, la République islamique peut affecter de manière significative, et de diverses manières, le développement de Douchanbé, notamment sur le plan économique : par exemple, en ouvrant ses ports sur le golfe Persique en tant que route alternative pour les marchandises tadjikes vers les pays du Moyen-Orient et d'Europe, ou en investissant dans la création de nouveaux emplois (par la délocalisation ou la construction à partir de zéro d'entreprises dans la région), diminuant partiellement les taux de chômage et d'émigration, le second étant fortement influencé par le premier. [25]
En résumé, à l'avenir, un réseau de relations pas si différent de celui qui existe entre l'Azerbaïdjan et la Turquie ("Une nation, deux États") pourrait être créé.
Notes
[1] Bien que le farsi et le tadjik fassent partie du même continuum linguistique (persan) que le dari, l'intelligibilité mutuelle entre les deux langues n'est présente qu'au niveau oral, puisque le tadjik utilise (principalement) l'alphabet cyrillique, tandis que le farsi utilise l'alphabet persan-arabe.
[2] https://mfa.tj/ru/main/view/28/otnosheniya-tadzhikistana-s-iranom
[3] Chef du Parti démocratique du Tadjikistan et l'un des dirigeants de l'Opposition tadjike unie pendant le conflit. En 1993, son parti a été interdit et il a été contraint de fuir en Iran.
[4] Жирохов М. А., Семена распада : войны и конфликты на територии бывшего СССР, Санкт-Петербург, БХВ-Петербург, 2012. (Žirohov M. A., Les graines de la chute : guerres et conflits sur le territoire de l'ex-URSS, Saint-Pétersbourg, BHV-Peterburg, 2012, p 191).
[5] Ibid, pp 214 - 215.
[6] https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/TJ_970627_GeneralAgreementontheEstablishmentPeaceNationalAccordinTajikistan.pdf
[7] https://tajikta.tj/ru/news/iran-ne-dokazal-nalichiya-v-bankakh-tadzhikistana-deneg-svoego-milliardera-zandzhoni
[8] https://cabar.asia/en/tajik-iranian-relations-under-the-new-conditions
[9] Ibidem
[10] https://en.irna.ir/news/84473192/President-Raisi-arrives-in-Tajikistan
[11] https://en.irna.ir/news/84474655/Boosting-interactions-to-elevate-Iran-Tajikistan-regional-cooperation
[12] https://en.irna.ir/news/84474878/New-era-in-Iran-Tajikistan-relations-underway-President
[13] https://nbt.tj/ru/payments_balance/analytical_table.php
[14] https://oec.world/en/profile/bilateral-country/tjk/partner/irn
[15] https://tajtrade.tj/menu/index/28?l=en#:~:text=Principaux%20partenairescommerciaux%20de%20la,%2C%20Turkménistan%2C%20USA%20et%20autres.
[16] https://www.ceicdata.com/en/tajikistan/foreign-direct-investment/foreign-direct-investment-iran
[17] https://en.irna.ir/news/84475001/Iran-Tajikistan-target-500m-of-trade
[18] https://reliefweb.int/report/tajikistan/tajikistan-iran-sign-defense-accord
[19] https://www.tehrantimes.com/news/459612/Iran-Tajikistan-agree-to-establish-joint-defense-committee
[20] https://irangov.ir/detail/361457
[21] https://silkroadnews.org/en/news/tajikistan-launched-sangtuda-2
[22] https://www.iea.org/countries/tajikistan
[23] https://caspiannews.com/news-detail/iran-helps-power-tajikistan-with-hydroelectric-power-2019-12-4-35/
[24] https://en.irna.ir/news/84360536/Iran-Tajikistan-agree-on-electricity-networks-connection
[25] https://cabar.asia/en/tajikistan-iran-new-trends-against-the-background-of-a-change-of-government-in-afghanistan
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dimanche, 20 mars 2022
Les penseurs stratégiques qui ont mis en garde contre l'expansion de l'OTAN
Les penseurs stratégiques qui ont mis en garde contre l'expansion de l'OTAN
Par Marc Vandepitte
Source: http://www.cese-m.eu/cesem/2022/03/pensatori-strategici-che-hanno-messo-in-guardia-per-lespansione-della-nato/
L'un des aspects les plus fascinants de la guerre en Ukraine est le grand nombre d'éminents penseurs stratégiques qui avertissent depuis des années que cette guerre serait imminente si nous continuions sur cette voie. Énumérons les plus importants de ces avertissements.
George Kennan, architecte de la guerre froide, en 1998 :
"Je pense que c'est le début d'une nouvelle guerre froide. Je pense que les Russes vont progressivement réagir de manière plutôt négative et que cela affectera leurs politiques. Je pense que c'est une erreur tragique. Il n'y avait aucune raison pour cela. Personne ne menaçait personne d'autre.
Il est évident qu'il y aura une mauvaise réaction de la part de la Russie, et ensuite ils [les "élargisseurs" de l'OTAN] diront que nous vous avons toujours dit que les Russes étaient comme ça, mais c'est tout simplement faux."
Henry Kissinger, ancien secrétaire d'État américain, en 2014 :
"Si l'Ukraine veut survivre et prospérer, elle ne doit pas être l'avant-poste d'un camp contre l'autre, elle doit servir de pont entre eux. L'Occident doit comprendre que, pour la Russie, l'Ukraine ne pourra jamais être un simple pays étranger.
Même des dissidents célèbres comme Alexandre Soljenitsyne et Joseph Brodsky ont insisté sur le fait que l'Ukraine faisait partie intégrante de l'histoire russe et, en fait, de la Russie.
L'Ukraine ne devrait pas rejoindre l'OTAN".
John Mearsheimer, l'un des meilleurs experts en géopolitique des États-Unis, en 2015 :
"La Russie est une grande puissance et n'a aucun intérêt à laisser les États-Unis et leurs alliés s'emparer d'une grande partie d'un bien immobilier d'importance stratégique sur la frontière occidentale et l'incorporer à l'Ouest.
Cela ne devrait pas être une surprise pour les États-Unis d'Amérique, car vous savez tous que nous avons une doctrine Monroe. La doctrine Monroe stipule que l'hémisphère occidental est notre arrière-cour et que personne d'une région éloignée n'est autorisé à déplacer des forces militaires dans l'hémisphère occidental.
Rappelez-vous comment nous sommes devenus complètement fous à l'idée que les Soviétiques mettent des forces militaires à Cuba. C'est inacceptable. Personne ne met de forces militaires dans l'hémisphère occidental. C'est la raison d'être de la Doctrine Monroe.
Pouvez-vous imaginer que, dans 20 ans, une Chine puissante forme une alliance militaire avec le Canada et le Mexique et déplace des forces militaires chinoises sur le sol canadien et mexicain et que nous restons là à dire que ce n'est pas un problème ?
Personne ne devrait donc être surpris que les Russes soient apoplectiques à l'idée que les États-Unis placent l'Ukraine du côté occidental du grand livre. [...] Mais nous n'avons pas cessé nos efforts pour que l'Ukraine fasse partie de l'Occident.
L'Occident mène l'Ukraine sur la route de l'enfer et le résultat final est que l'Ukraine sera détruite [...] Ce que nous faisons, en fait, encourage ce résultat.
Si nous pensons que ces gens à Washington (et la plupart des Américains) ont du mal à traiter avec les Russes, vous ne pouvez pas croire à quel point nous allons avoir du mal avec les Chinois."
Jack F. Matlock, le dernier ambassadeur américain en Union soviétique, en 1997 :
"L'expansion de l'OTAN a été l'erreur stratégique la plus profonde commise depuis la fin de la guerre froide.
Loin de renforcer la sécurité des États-Unis, de leurs alliés et des nations souhaitant rejoindre l'Alliance, elle pourrait encourager une chaîne d'événements susceptibles de produire la menace sécuritaire la plus grave pour cette nation [la Russie] depuis l'effondrement de l'Union soviétique.
Si l'OTAN doit être le principal instrument d'unification du continent, la seule façon d'y parvenir est logiquement de s'élargir pour inclure tous les pays européens. Mais cela ne semble pas être l'objectif de l'administration, et même si c'est le cas, le moyen d'y parvenir n'est pas d'admettre de nouveaux membres en morceaux."
William Perry, secrétaire à la défense sous Bill Clinton en 1996 :
"Je craignais que l'élargissement de l'OTAN à ce moment-là ne nous fasse faire marche arrière. Je pensais qu'une régression ici gâcherait les relations positives que nous avions si laborieusement et patiemment développées au cours de la période opportuniste de l'après-guerre froide.
Je pensais que nous avions besoin de plus de temps pour amener la Russie, l'autre grande puissance nucléaire, dans le cercle de sécurité occidental. La priorité absolue pour moi était évidente.
Lorsque j'ai considéré que la Russie disposait encore d'un énorme arsenal nucléaire, j'ai accordé une très grande priorité au maintien de cette relation positive, notamment en ce qui concerne toute réduction future de la menace des armes nucléaires."
Noam Chomsky, l'un des plus importants intellectuels vivants, en 2015 :
"L'idée que l'Ukraine puisse rejoindre une alliance militaire occidentale serait totalement inacceptable pour tout dirigeant russe. Cela remonte à 1990, lorsque l'Union soviétique s'est effondrée. On s'est demandé ce qui allait se passer avec l'OTAN. Gorbatchev accepte que l'Allemagne soit unifiée et rejoigne l'OTAN. Il s'agissait d'une concession tout à fait remarquable, avec pour contrepartie que l'OTAN ne s'étende pas d'un pouce à l'est.
Ce qui s'est passé. L'OTAN a immédiatement incorporé l'Allemagne de l'Est. Puis Clinton a étendu l'OTAN jusqu'aux frontières de la Russie. Le nouveau gouvernement ukrainien a voté en faveur de l'adhésion à l'OTAN. Le président Porochenko ne protégeait pas l'Ukraine, il la menaçait d'une guerre majeure".
Jeffrey Sachs, haut conseiller du gouvernement américain et de l'ONU, trois jours avant l'invasion :
"Les États-Unis ne seraient pas très heureux si le Mexique rejoignait une alliance militaire dirigée par la Chine, pas plus qu'ils n'étaient heureux lorsque le Cuba de Fidel Castro s'est aligné sur l'URSS il y a 60 ans. Ni les États-Unis ni la Russie ne veulent avoir l'armée de l'autre au bout des doigts.
Il était particulièrement imprudent en 2008 pour le président George W. Bush d'ouvrir la porte à l'Ukraine (et à la Géorgie) pour rejoindre l'OTAN.
La Russie a longtemps craint les invasions de l'Ouest, que ce soit par Napoléon, Hitler ou, finalement, l'OTAN.
L'Ukraine devrait aspirer à ressembler aux membres de l'UE non membres de l'OTAN : l'Autriche, Chypre, la Finlande, l'Irlande, Malte et la Suède".
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mercredi, 16 mars 2022
Nord Stream 2: le noeud géopolitique qui nous lie à la Russie
Nord Stream: le noeud géopolitique qui nous lie à la Russie
Salvatore Recupero
Nord Stream n'est pas seulement un gazoduc, mais surtout le résultat d'un accord géopolitique qui lie la Russie à l'Europe de manière stable. L'Europe peut-elle se passer du gaz russe ?
SOURCE : https://www.centrostudipolaris.eu/2022/03/10/nord-stream-il-nodo-geopolitico-che-ci-lega-alla-russia/
Nord Stream n'est pas seulement un pipeline, mais un véritable "cordon ombilical reliant Moscou et Berlin" (1). (1) Il ne s'agit pas seulement d'une infrastructure, mais du résultat d'un accord géopolitique qui lie la Russie à l'Europe de manière stable. Voyons pourquoi.
Comment fonctionne Nord Stream
Nord Stream (2) est un gazoduc de 1224 km de long composé de deux canalisations parallèles par lesquelles la Russie exporte une partie de son gaz vers l'Europe. L'infrastructure commence à Vyborg, en Russie, et se termine à Lubmin-Greifswald, en Allemagne, en reposant sur le fond de la mer Baltique.
La principale source de gaz alimentant Nord Stream est située sur la péninsule de Yamal, en Sibérie occidentale. Il s'agit d'un champ géant, couvrant une superficie d'environ 1000 km2 et contenant des réserves de gaz estimées à 4,9 trillions de m3. Nord Stream est capable de transporter 55 milliards de m3 par an vers l'Allemagne, soit 27,5 de m3 par gazoduc, répondant ainsi idéalement à la demande annuelle de gaz de plus de 26 millions de foyers. À titre de comparaison, en Italie, nous consommons 70 milliards de m3 par an.
Ces chiffres donnent déjà une idée de l'importance de ce pipeline, mais il y a plus. Nord Stream a été reconnu comme une infrastructure stratégique pour l'Union européenne dès 2000, sa construction a débuté en 2010 et les deux premiers pipelines sont entrés en service respectivement en 2011 et 2012.
Quant au cycle de vie, le pipeline devrait rester en service pendant au moins 50 ans. Inutile de dire que les Américains se sont toujours méfiés de ce projet. Le lien Moscou-Berlin est comme de la fumée dans les yeux pour Washington.
Malgré cela, Mme Merkel a tellement cru au projet qu'elle a doublé la mise. C'est ainsi que Nord Stream 2 est né.
Qu'est-ce que Nord Stream 2 ?
Nord Stream 2 a été construit à partir de 2018, en suivant pratiquement le même itinéraire que son jumeau Nord Stream 1, et a été achevé en septembre 2021, bien que son approbation soit toujours en attente.
Il se compose également de deux gazoducs et pourrait potentiellement transporter 55 milliards de m3 de gaz supplémentaires par an vers l'Europe. Si et quand il sera mis en service, la quantité totale de gaz circulant de la Russie vers l'Allemagne pourrait atteindre 110 bcm par an. Cependant, son fonctionnement est actuellement bloqué.
Questions géostratégiques
Le choix de faire passer le "tuyau" par la Baltique n'est pas un hasard. Cela permet à la Russie de contourner le transit des nations qui lui sont le plus hostile. Dans le même temps, il renforce l'Allemagne car lorsque (et si) Nord Stream 2 entrera en service, elle deviendra la principale plaque tournante du gaz en Europe. Du point d'arrivée de Nord Stream et de Nord Stream 2 partent en fait deux artères de distribution fondamentales : l'une se dirige vers le Benelux et les pays bordant la mer du Nord et l'autre va vers le sud, où elle se connecte à un autre grand centre gazier, en Autriche.
Comme nous le verrons plus tard, les avantages du Nord Stream et de son doublement concernent tous les Européens, et pas seulement Berlin.
L'Europe peut-elle se passer du gaz de la Russie ?
Commençons par une hypothèse. Avec une part d'environ 40 % des importations totales, Moscou est le plus grand fournisseur de gaz de l'UE, qui en est dépendante. Pire encore, elle n'est pas en mesure de le remplacer.
Pour l'instant, il est peu probable que la Russie réagisse aux sanctions en fermant les robinets de gaz. À tout le moins, c'est contre-productif. Le PIB russe dépend de la vente d'hydrocarbures, et l'Europe est le principal marché cible. La Chine n'est pas aussi proche que les gens le pensent. D'autre part, avec l'attaque contre Kiev, le Kremlin a montré qu'il ne prête pas trop d'attention aux répercussions économiques. Alors que faire ?
À long terme, on peut penser à des alternatives (que nous verrons plus tard), mais à court et moyen terme, il est difficile de trouver des solutions viables. Supposons le pire des scénarios : les Russes, fatigués des sanctions, bloquent tout. D'où vient le gaz ?
Si cela se produit, l'Europe peut compter sur ses propres stocks, mais cela ferait grimper le prix du gaz et entraînerait une hausse inévitable de l'inflation. Certains proposent le gaz liquéfié ou GNL comme alternative. Mais peut-il vraiment remplacer 40% de nos besoins ? Difficilement.
Les problèmes du GNL
Le gaz naturel liquéfié ou GNL pose deux problèmes aux Européens (3) : sa disponibilité et la capacité à le recevoir. Le GNL est amené à l'état liquide, puis transporté, généralement par voie maritime. Et voici le premier obstacle : il faut des re-gazéificateurs pour pouvoir le mettre dans les tuyaux. Aujourd'hui, notre capacité de re-gazéification n'est pas suffisante pour répondre à nos besoins et est concentrée dans quelques pays seulement : l'Espagne et, dans une moindre mesure, la France et l'Italie. L'Allemagne, première économie d'Europe, n'en a pas du tout. Sommes-nous sûrs qu'arrêter la locomotive allemande est bon pour tous les Européens ? Il serait stupide de le penser.
Cependant, certains pourraient penser que nous pouvons nous concentrer sur la distribution. Par exemple, nous re-gazéifions en Espagne et acheminons le gaz en Allemagne. Mais l'infrastructure fait défaut et ne peut être construite en quelques mois. Il y a un dernier problème : les fournisseurs.
Les principaux exportateurs mondiaux de GNL, de l'Amérique au Qatar, sont incapables d'augmenter la disponibilité du GNL sur le marché. Non pas parce qu'ils ne peuvent pas produire plus, mais parce qu'ils ne pourraient pas le commercialiser : leur capacité d'exportation est pratiquement saturée, et l'étendre prendrait des années.
En bref, aucun producteur de GNL ne dispose de volumes suffisants pour remplacer complètement les volumes russes en Europe. C'est pourquoi Nord Stream et son doublement sont cruciaux pour l'Europe et pas seulement pour Berlin.
La solution est la diversification
Cependant, on ne peut pas continuer comme si le conflit actuel n'existait pas. C'est pourquoi la Commission européenne (4) a promu un plan d'action permettant d'éliminer la dépendance de l'Union européenne au gaz russe avant 2030. Entre autres, dans un contexte de forte augmentation des prix de l'énergie, l'exécutif communautaire entend assouplir les règles relatives aux aides d'État, permettre la régulation des prix de l'énergie au niveau national, et promouvoir le stockage du gaz sur le territoire européen.
Pour y parvenir, les approvisionnements en gaz doivent être diversifiés, non seulement par une augmentation des importations de gaz liquéfié, mais aussi par une production accrue de biométhane et d'hydrogène renouvelable. Il est également nécessaire de réduire plus rapidement l'utilisation des combustibles fossiles dans les ménages, l'industrie et le système énergétique en augmentant l'efficacité énergétique et l'utilisation des énergies renouvelables.
Selon la Commission européenne, ces choix pourraient réduire de deux tiers la dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe d'ici la fin de l'année. Dans le même temps, afin d'éviter le risque de pénurie de gaz pendant l'hiver, Bruxelles a l'intention de présenter d'ici avril un texte législatif qui obligera les pays membres à disposer de réserves souterraines pleines à 90 % le 1er octobre de chaque année. L'exécutif européen veut promouvoir la solidarité entre les gouvernements nationaux dans ce cas.
Enfin, la Commission européenne a l'intention d'utiliser l'article 107 des traités pour permettre une utilisation plus large des aides d'État dans le but "d'aider les entreprises les plus touchées par la crise, en particulier celles qui doivent faire face à des coûts énergétiques élevés".
Tout cela sera-t-il suffisant pour nous rendre indépendants de la Russie ?
Salvatore Recupero.
Notes:
1. La Gérusse. L'horizon brisé de la géopolitique européenne. Salvatore Santangelo Castelvecchi 2016
2. À propos de nous Site officiel de Nord Stream, https://www.nord-stream.com/about-us/
3. L'Europe peut-elle se passer du gaz russe ? Par Marco Dell'Aguzzo Start Mag 06 mars 2022, https://www.startmag.it/energia/europa-gas-russia-alternative/
4. Gaz, l'UE prévoit de réduire les importations russes de deux tiers d'ici un an. Par Beda Romano Il Sole 24 Ore 08 mars 2022, https://www.ilsole24ore.com/art/gas-ecco-piano-ue-tagliare-due-terzi-l-import-russia-entro-anno-AEMAwkIB
17:47 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, europe, affaires européennes, géopolitique, hydrocarbures, gaz naturel, nord stream, nord stream 2, allemagne | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Le retour de la guerre en Europe et l'art de gouverner
Le retour de la guerre en Europe et l'art de gouverner
par Irnerio Seminatore
Source: https://www.ieri.be/fr/publications/wp/2022/mars/le-retour-de-la-guerre-en-europe-et-lart-de-gouverner
« Pour revenir à la paix, il faut établir un équilibre entre puissance et légitimité qui constitue l'essence même de l'art de gouverner ».
Irnerio Seminatore, Président fondateur de l’Institut Européen des Relations Internationales de Bruxelles (IERI), nous explique les ambitions russes et l’évocation de l’arme nucléaire. Docteur en droit et en sociologie, il est l’auteur de « La multipolarité au XXIe siècle » (VA Éditions) qui précise la multipolarité de notre monde et les risques d’affrontement entre les pôles (Camille Chevolot, Collaboratrice VA Editions).
Le retour de la guerre en Europe et l'art de gouverner (sensemaking.fr)
LE RETOUR DE LA GUERRE EN EUROPE ET L'ART DE GOUVERNER
Irnerio Seminatore
Dans un pamphlet-fiction au titre anticipateur 2017. Guerre avec la Russie. Un cri d'alarme de la haute hiérarchie militaire, le Général Richard Shirref, ancien Commandant Suprême des forces alliées en Europe (DSACEUR) à l'Otan (2011-214), a soutenu la thèse que la Russie est devenue l'adversaire stratégique de l'Occident et qu'elle prépare un affrontement frontal avec l'Otan et un plan d'invasion des pays baltes. Le but de cette invasion serait de rétablir une zone d'influence entre la "défense collective" de l'Alliance et les frontières de la fédération russe. Les raisons de tensions ne manquent pas avec ces Etats-charnières entre l'Est et l'Ouest (jusqu'à 40% de la population russophone a un statut discriminatoire de "non citoyens"). C’était en 2017.
Depuis 2014, une rupture est intervenue entre la Russie et l'Ukraine, ainsi qu’entre la Russie et l'Union européenne, à propos de la révolution de couleur de Maïdan, tenue par Moscou comme un coup d'Etat et le retour de la Crimée à la Russie, considérée par les Occidentaux comme une annexion. Cette rupture est également à l'origine de la naissance des deux républiques auto-proclamées du Donbass (Donetzk et Lougansk), aujourd'hui, reconnues unilatéralement par la Russie comme républiques indépendantes.
On peut affirmer que le retour de la guerre en Europe a pour origine la rupture de l'unité territoriale de l’Ukraine, rendant impossible l'exercice de la pleine souveraineté de Kiev, le revirement pro-occidental du gouvernement du pays, dont la demande d'adhésion à l'Otan menace les intérêts de sécurité de Moscou et le non respects des accords de Minsk, dont les garants sont, avec la Russie, Paris et Berlin, le fameux format Normandie.
Le livre-fiction du Général britannique R. Shirref est-il une pure vision de l'esprit? La "surprise stratégique" d'une invasion armée venant de l'Est n'a-t-elle pas été prévue par anticipation par l’Ouest ? Les signaux contradictoires venant de Washington et de Bruxelles sur la non-intervention occidentale directe en Ukraine, n'ont pas arrêté une planification longue, méticuleuse et calculée, au cours des négociations diplomatiques, nécessairement ambiguës, de Biden, Scholz et Macron avec Poutine, à soumettre à Xi-Jing-Ping, lors des jeux olympiques. Le but de l'ambiguïté et du double jeu entre Poutine et le Président Macron ou le Chancelier Scholz ont été conformes aux règles classiques du réalisme politique, oubliées par les Européens. Il s'agissait de décrédibiliser la détermination des États-Unis d'intervenir en Ukraine ou de défendre, de manière plus large l'Europe, en minant au même temps l'unité de façade de l'Otan. Ainsi, suite au refus des garanties de sécurité occidentales à Moscou, l'invasion militaire de l'Ukraine a été tranchée.
Le but de guerre
Le but de guerre ou, selon la terminologie russe "d'opération spéciale de maintien de la paix", s'est précisée en plusieurs objectifs :
- le premier et principal est de décapiter politiquement l'Ukraine, lui ôtant son statut d'Etat souverain
- parallèlement de provoquer le découplage de la sécurité européenne et atlantique
- de s'assurer de l'effondrement de l'Otan, impuissante à garantir la sécurité collective
- enfin de détruire les infrastructures militaires offensives, préjudiciables pour la sécurité et la défense russes.
L'arme nucléaire et l'escalade
En termes de possible recours tactique à l'arme nucléaire, dont l'emploi en premier fait partie intégrante de la pensée stratégique russe, son évocation par Poutine, rappelle un scénario du pire et préfigure l'hypothèse d'une escalade, allant du conventionnel au nucléaire et du tactique au stratégique. Dans une hypothèse concrète, les gains territoriaux obtenus au plan conventionnel, seraient protégée par le chantage et l'escalade nucléaires, ceux d'un tir anti-cité, auquel ne pourraient répondre ni les européens ni les américains.
Par ailleurs l'isolationnisme bi-partisan des Etats-Unis, à propos du déni d'envoi de soldats américains en défense de l'Ukraine, valide la conviction d'une "surprise stratégique" planifiée depuis longtemps et provoque le réveil tardif des Européens pour une indépendance politique et une autonomie stratégique propres.
En termes de diplomatie et de consensus prévisible, la non intervention directe occidentale en Ukraine a été le fondement, pour Moscou, d'une longue négociation entre Américains et Russes, puis Russes et Européens, afin d'établir assurances et réassurances réciproques et d'aboutir parallèlement à une conception de l'invasion de l'Ukraine sous la forme initiale d'un Blitzkrieg.
L'enjeu du conflit imminent était existentiel pour les deux parties, la Russie ne pouvant pas reculer devant sa sécurité et les Européens devant leurs conceptions de la démocratie. Le prix à payer pour le défi sécuritaire des Occidentaux, s'appelle finlandisation de l'Ukraine, autrement dit arrêt de l'élargissement de l'Otan. En effet "si l'Ukraine rejoignait l'Otan, cela signifierait avoir des missiles à 180 Km de Moscou" (Général Inzerilli, ancien chef des services secrets italiens/photo, ci-dessous). A ce propos l'Agence de presse Reuters a titré le 7 mars dernier, “La Russie s’arrêtera à l'instant, si l'Ukraine respecte ses conditions : « que l’Ukraine cesse toute action militaire, modifie sa constitution pour consacrer la neutralité, reconnaisse la Crimée comme territoire russe et reconnaisse les républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk comme États indépendants. »
"Pour le reste, l'Ukraine est un Etat indépendant et il vivra comme il veut, mais dans des conditions de neutralité (comme la Suisse, l'Autriche, la Suède..)".
D'autre part la politique des sanctions, décidée par les États-Unis et par l'Union Européenne, comporte une pénalité évidente, non seulement pour l'économie et le peuple russes, mais pour l'économie et les peuples occidentaux. Politiquement elle pousserait le président russe à chercher une alternative en Asie, accroissant sa dépendance vis-à-vis de la Chine. Ainsi, une guerre suscitée par l'unilatéralisme atlantiste des États-Unis aboutirait à un multipolarisme asymétrique Chine-Russie.
Un message spécial russe sur la "Sécurité égale et indivisible"
Dans le but de justifier ses arguments et, au courant d'une guerre de l'information qui bat son plein, la diplomatie russe a adressé un message spécial aux pays occidentaux sur le thème de la "sécurité indivisible", car ce qui est visé par ce principe est la modification sournoise des rapports de force et de la balance mondiale du pouvoir, susceptibles de devenir menaçants pour la Russie, de l'extérieur et de l'intérieur.
Sur le plan régional et dans un contexte mouvant et aléatoire l'aide en armements accordés par l'Union Européenne à l'Ukraine apparaît, à une analyse critique, comme une solidarité équivoque, car elle sert à jeter de l'huile sur le feu et à alimenter une résistance prolongée qui ne résout pas le problème de la sécurité égale sur l'ensemble du continent, mais reporte les causalités du conflit dans une perspective sans autre issue que le cumul et l’aggravation de la crise. La situation définissant la conception de la "sécurité égale", aux yeux de Moscou, a été le rappel de Lavrov, dans sa conférence de presse du 5 mars, selon laquelle "l'augmentation de la sécurité d'un pays, ne peut se faire au détriment d'un autre". Puis, à l'adresse des Occidentaux, par une personnalisation désenchantée du rappel : "Ils nous écoutent, mais ils ne nous entendent pas !".
Plus dur et moins diplomatique Poutine, qui, au cours d'une conversation téléphonique avec Macron, du dimanche 6 mars, dispensa froidement: "Par la voie des négociations ou par celle de la guerre", les objectifs russes seront atteints.
La nature explicite de cette revendication est celle d'une politique de puissance, assurée d'elle-même. Le caractère implicite, un rappel des hiérarchies, des limites de la souveraineté et d'une complémentarité inclusive du "verbe" diplomatique et de l'action militaire (R. Aron). Ou encore, de la caractéristique capitale de tout système international, la mixité de coopération et de conflit.
Il faut en déduire le caractère limité de la souveraineté nationale de Kiev, asservie, pour pouvoir s'exercer, à la souveraineté dominante de Washington et au même temps niée, pour vouloir exister, par la souveraineté prépondérante de Moscou.
Personne, sur la scène internationale et surtout pas l'Union Européenne définit un projet d'ordre européen et mondial pour demain et donc les principes de la stabilité et de la sécurité du Heartland et de ses jonctions occidentales, car personne ne semble en mesure de définir les intentions et buts réels de la Russie poutinienne, qui se sent entourée de pays hostiles, arborant les drapeaux de l'Otan.
De manière générale, pour revenir à la paix, il faut établir un équilibre entre les deux composantes de l'ordre international, puissance et légitimité qui constitue l'essence même de l'art de gouverner. Les calculs de pouvoir, sans dimension morale, transformeraient tout désaccord en épreuve de force" (H. Kissinger). La recherche de cet équilibre par une médiation (Israël, Turquie et Chine), ressemble parfaitement à la situation actuelle, car les Occidentaux remettent en cause la légitimité du pouvoir autocratique de Poutine et ce dernier rejette toute intrusion ou atteinte, portée à la Russie par une forme d'unilatéralisme offensif (Irak, Lybie, Syrie, Soudan... allocution du 8 mars 2022).
Or, arrêter un conflit ou reconstruire un système international, après une épreuve de force majeure, est le défi ultime de l'art de gouverner.
Ainsi, évaluer la signification des tendances en cours, signifie, pour l'Europe réévaluer la notion d'équilibre des forces et réduire significativement la rhétorique des valeurs, que les Occidentaux ont cherché à promouvoir, avec ambiguïté, depuis la fin du colonialisme. Défaillants sur le premier point (logique de puissance), les Européens semblent l'être aussi sur le deuxième, car la rhétorique des valeurs se situe aux deux niveaux de l'ordre international, celui de la défense des principes universels, valables pour tous, et celui de la pluralité des histoires et des cultures régionales, ainsi que des diverses formes des régimes politiques. Une attitude différente ou opposée, marquerait une volonté d'assimilation forcée ou un dictat de légitimité, porteurs de conflits.
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dimanche, 13 mars 2022
George F. Kennan : l'élargissement de l'OTAN, l'erreur la plus fatale
George F. Kennan : l'élargissement de l'OTAN, l'erreur la plus fatale
Source: https://www.pi-news.net/2022/03/george-f-kennan-nato-erweiterung-verhaengnisvollster-fehler/
Par KEWIL | George F. Kennan (1904 - 2005) a été l'un des responsables de la politique étrangère américaine les plus influents du siècle dernier. Il a connu Staline et Hitler, a été ambassadeur à Moscou, Berlin, Prague, Lisbonne et Londres, a travaillé au Département d'État de Washington pendant la Guerre froide, et la politique d'endiguement était son idée. Plus tard, il a enseigné comme professeur à l'université de Princeton et également à Berlin, a écrit des livres et a reçu de nombreux prix.
Le 5 février 1997, George F. Kennan, âgé de 93 ans, a écrit un long article dans le New York Times intitulé "A Fateful Error". L'administration Clinton réélue prévoyait justement d'intégrer la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie dans l'OTAN, sans aucune raison dictée par l'actualité.
L'opinion, exprimée par Kennan, est, pour le dire crûment, que l'élargissement de l'OTAN serait l'erreur la plus désastreuse de la politique américaine de tout l'après-guerre.
L'extension de la puissance américaine jusqu'aux frontières de la Russie laisse présager que les tendances nationalistes, anti-occidentales et militaristes s'enflammeront dans la pensée russe, qu'elles auront une influence néfaste sur l'évolution de la Russie, qu'elles rétabliront l'atmosphère de guerre froide dans les relations entre l'Est et l'Ouest et qu'elles forceront la politique étrangère russe à prendre des directions qui nous déplairont résolument.
Enfin, l'extension de la puissance américaine pourrait rendre impossible la ratification des accords Start-Il par la Douma russe, ce qui empêcherait à son tour toute nouvelle réduction des armes nucléaires.
Il serait évidemment malheureux que la Russie soit confrontée à un tel défi. D'autant plus que le gouvernement russe se trouve actuellement dans un état de grande incertitude. C'est d'autant plus malheureux si l'on considère que cette mesure n'est absolument pas nécessaire.
Avec toutes les possibilités d'espoir qu'offre la fin de la guerre froide, pourquoi les relations Est-Ouest devraient-elles se concentrer sur la question de savoir qui pourrait être allié avec qui, et donc contre qui, dans un futur conflit militaire imaginé, totalement imprévisible et improbable ?
Voilà un extrait de l'article prophétique de Kennan, qui montre une fois de plus que même les Américains, du moins dans le passé, avaient parfois des opinions différentes de celles de leur gouvernement ! La traduction vient d'ici: https://corona-transition.org/nato-osterweiterung-verhangnisvollster-fehler-der-us-politik-in-der-gesamten Plus d'infos et l'original en anglais ici: https://www.infosperber.ch/politik/welt/1997-2007-2017-20-jahre-fehlpolitik-der-usa/ . L'élargissement de l'OTAN à l'Est était certainement une erreur !
14:24 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : george f. kennan, diplomatie, états-unis, europe, otan, atlantisme, affaires européennes, géopolitique, russie, guerre froide | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Analyse du conflit en Ukraine
Analyse du conflit en Ukraine
Par Daniele Perra
Source: https://www.eurasia-rivista.com/analisi-del-conflitto-in-ucraina/
L'analyse suivante est divisée en trois sections distinctes et tente d'évaluer le conflit à travers les aspects du droit international, de la doctrine militaire et des données économiques. Plus précisément, tout en reconnaissant que, comme l'affirmait Karl Haushofer, la géopolitique n'est pas une science exacte, on tentera de démontrer que l'action russe, loin d'être "ratée" ou mal planifiée (comme elle est présentée dans un Occident toujours plus éloigné de la réalité), est le produit d'un calcul froid et rationnel , tenant compte des coûts et des avantages.
Sur le point de droit
Il est très difficile d'évaluer selon les critères d'un droit international essentiellement américano-centré ce qui apparaît comme l'agression militaire d'une puissance non occidentale. Toutefois, il convient de rappeler que la Russie, dans le passé (intervention en Syrie et annexion de la Crimée sous le concept de "Responsabilité de protéger"), a souvent essayé de se présenter comme un État agissant précisément en accord avec ce droit.
Tout d'abord, le droit international actuel peut être considéré comme une sorte de jus contra bellum à opposer au concept de justa causa belli. Cette approche théorique antimilitariste est, bien entendu, foulée aux pieds sans que cela ne choque particulièrement l'opinion publique lorsque la guerre est menée par la puissance hégémonique au niveau mondial (les États-Unis) ou l'avant-poste occidental au Levant (Israël). À cet égard, il faut se rappeler qu'il existe quelques exceptions à la violation de l'intégrité territoriale d'un État (théoriquement) souverain. Ceci est permis soit en cas d'autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies, soit en cas de légitime défense collective nécessaire. Cette autodéfense (cas de la Russie) doit répondre à deux critères: a) la nécessité ; b) la proportionnalité.
Il est clair que l'intervention russe est le produit inévitable du mépris par l'Occident à l'égard du droit plus que légitime à la sécurité de la deuxième puissance militaire du monde. Moscou ne peut tolérer une nouvelle expansion de l'OTAN vers l'Est, avec l'installation conséquente de systèmes de missiles en Ukraine capables de frapper le territoire russe en quelques minutes (la nucléarisation de l'espace géographique russe est le rêve des dirigeants militaires américains depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale) ; Moscou ne peut tolérer l'installation de laboratoires biologiques militaires américains à ses frontières [1]. Il est tout aussi évident qu'une intervention militaire russe (pas plus de 70.000 soldats) peut (du moins en théorie) répondre au critère de proportionnalité.
Jusqu'à présent, nous restons dans le domaine très complexe de "l'attaque préventive" utilisée à plusieurs reprises par des homologues occidentaux (Israël en 1967, les Etats-Unis en 2003 en Irak sur la base de fausses preuves). Des sources au sein des services de Moscou font également référence à une éventuelle opération ukrainienne de grande envergure dans le Donbass (grâce à l'utilisation de miliciens formés en Pologne par l'OTAN) qui aurait été empêchée par une action russe. Au-delà, il existe deux autres cas d'intervention "légitime" : (a) la violation du principe de diligence raisonnable ; (b) l'usurpation.
La première s'applique en réponse aux attaques de groupes terroristes et de bandes armées (c'est-à-dire d'acteurs non étatiques) lorsque l'État ayant juridiction sur ces acteurs ne prend pas les mesures qui s'imposent (l'Ukraine face à des groupes paramilitaires, selon l'interprétation russe). La seconde s'applique lorsqu'un État (l'Ukraine) exerce des fonctions gouvernementales sur le territoire d'un autre État (les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk reconnues comme indépendantes par Moscou à une époque précédant le conflit). A cela s'ajoute, et cela semble sans doute être l'argument le plus fort en faveur de Moscou, le non-respect des accords de Minsk et les actions militaires ukrainiennes répétées (aussi brutales soient-elles) pour rétablir l'ordre dans les régions orientales du pays, qui ne sont pas par hasard également les plus industrialisées et riches en ressources.
À la lumière de ce qui a été écrit jusqu'à présent, il est clair que toute justification de l'intervention militaire russe au niveau du droit international est pour le moins assez faible. En fait, il s'agit plutôt d'une tentative de surmonter le positivisme normatif (et l'hypocrisie substantielle) du droit international américano-centrique au nom d'une idée de nomos de la terre liée à un concept historico-spirituel de possession et d'appartenance à l'espace géographique.
Enfin, outre le fait que le droit international lui-même est souvent interprété (surtout par les grandes puissances) à leur guise, on ne peut oublier la suggestion que Iosif Staline a faite à Chiang Ching-kuo, délégué de la République de Chine auprès de l'URSS à la fin de la Seconde Guerre mondiale: "tous les traités sont du papier brouillon, ce qui compte, c'est la force" [2].
Aspects militaires
L'ancien militaire et analyste de la Fondation pour la défense des démocraties, Bill Roggio, a affirmé que la propagande occidentale a conduit à une incompréhension totale de la stratégie militaire russe en Ukraine (3). En particulier, Roggio souligne que l'Occident s'est concentré à tort sur la thèse selon laquelle l'échec de la prise de Kiev dans les premiers jours du conflit signifierait inévitablement l'échec de l'action russe.
Certes, Moscou pensait que l'entrée de ses troupes en territoire ukrainien aurait pu générer un effondrement immédiat du gouvernement de Kiev. Toutefois, cela ne signifie pas qu'une stratégie n'avait pas été prévue qui aurait pu ignorer cet événement. L'analyse des forces sur le terrain, dans ce cas, parle très clairement.
Depuis plusieurs jours, on parle d'une colonne de chars russes de plus de 60 km de long stationnée immobile à la périphérie de Kiev. Pourquoi n'est-elle pas attaquée par l'armée ukrainienne ? Pourquoi n'entre-t-elle pas dans Kiev ?
A la première question, l'ancien général Fabio Mini a répondu que ladite colonne n'est pas attaquée simplement parce que Moscou contrôle l'espace terrestre et aérien [4]. C'est pourquoi Kiev continue de réclamer une No Fly Zone qui n'arrivera jamais (à condition que le fanatisme des franges les plus extrémistes de l'atlantisme choisisse d'opter pour une guerre mondiale). L'entrée dans Kiev, avec le risque de finir écrasée dans une guérilla urbaine entre des factions ukrainiennes qui se combattent déjà (le meurtre d'un négociateur plus enclin au compromis en est la démonstration la plus évidente), n'est pas nécessaire, étant donné que la réunification entre les forces russes arrivant du nord et celles arrivant du sud couperait l'Ukraine en deux, rendant impossible le ravitaillement des troupes et milices opérant sur le front le plus chaud, celui de l'est. Empêcher l'entrée dans les centres urbains et contrôler les infrastructures énergétiques reste l'objectif principal de l'opération militaire russe. L'attaque de la centrale électrique de Zaporizhzhia a été mentionnée à plusieurs reprises. Eh bien, aucun analyste ne semble avoir remarqué que juste au-dessus de la centrale se trouve le canal qui, en 2014 (après l'annexion de la Crimée), a été fermé dans le but précis d'étrangler la péninsule de la mer Noire en lui refusant tout approvisionnement en eau. Le contrôle de cette infrastructure est crucial pour rétablir l'approvisionnement en eau de la région.
À ce stade, à la lumière du succès de propagande de l'ancien acteur Volodymyr Zelenskyi, dont les profils sur les plateformes sociales sont une apothéose de fake news et de déclarations de soutien de l'élite de l'atlantisme (von der Leyen, Biden, Draghi), du sionisme et des multinationales qui leur sont liées, on peut se poser une autre question : pourquoi Moscou s'attaque-t-il aux répétiteurs de télévision mais ne ferme-t-il pas Internet ?
C'est là que la question se complique. Comme l'a souligné l'ancien général de l'armée de l'air chinoise Qiao Liang, la guerre du XXIe siècle est avant tout une cyber-guerre indissociable de son appareil technologique. Les armées (celle de la Russie n'est pas différente) sont dépendantes des technologies de l'information. Ce facteur, selon Qiao, peut être à la fois un avantage et un inconvénient. La technologie de l'information, en effet, est basée sur les puces et la possibilité d'éviter la dépendance à ces instruments est désormais inexistante. Cela rend la protection des données de plus en plus problématique, et l'incapacité à surmonter les faiblesses potentielles découlant du haut niveau d'informatisation représente un risque permanent pour la durabilité des capacités et des actions militaires. C'est pourquoi le choc des puissances au XXIe siècle (et le conflit en Ukraine, avec son mélange de guerre traditionnelle et de cyberattaques, en est le principal indicateur et anticipateur) se déroulera principalement dans ce qu'on appelle le cyberespace.
En conclusion, l'action de Moscou (conçue pour ne pas être trop longue mais pas trop courte non plus) vise toujours à imposer ses propres conditions sur la table des négociations : neutralisation de l'Ukraine et reconnaissance de l'annexion de la Crimée et de l'indépendance des républiques dans l'est de l'Ukraine actuelle. Il ne faut pas oublier qu'il a fallu à la Wehrmacht plus d'un million d'hommes et cinq semaines pour vaincre la Pologne en 1939. À cette occasion, tant les Allemands que les Polonais se sont peu souciés de la population civile. Aujourd'hui, la Russie a choisi de limiter au maximum les attaques contre les centres de population et d'établir (en accord avec son homologue de Kiev) des corridors humanitaires qui, pour l'instant, ne semblent pas fonctionner au mieux en raison de l'obstructionnisme des groupes paramilitaires ukrainiens (le tristement célèbre Bataillon Azov surtout).
Si Moscou a une stratégie précise à long terme, il est tout aussi vrai que l'Occident en a une aussi. En fait, il n'est pas exclu que l'Occident se soit déjà préparé à l'éventualité d'un gouvernement ukrainien en exil. L'envoi d'armes et la facilitation du voyage vers ce pays d'Europe de l'Est de mercenaires et de terroristes internationaux peuvent être interprétés par la volonté précise de poursuivre la déstabilisation de la région si Moscou parvient à ses fins.
Le fait économique
Le fait que le Premier ministre israélien Naftali Bennett se soit rendu à Moscou le jour du Shabbat pour rechercher une médiation dans la crise a provoqué des remous. Outre le facteur géopolitique (montrer son amitié envers la Russie pourrait s'avérer utile en Syrie contre la présence iranienne), il ne faut pas négliger les profonds intérêts économiques et de stabilité interne que l'entité sioniste a dans le conflit. En fait, une grande partie de la population d'Israël, qui est entre autres l'un des principaux importateurs de blé ukrainien, est originaire des républiques qui faisaient autrefois partie de l'Union soviétique. C'est pourquoi une éventuelle prolongation de l'affrontement n'aiderait en rien l'équilibre entre les différentes communautés ex-soviétiques au sein de l'entité sioniste et une économie qui, malgré les mythes de la propagande mensongère, vit déjà largement de l'aide étrangère.
Lorsque l'on parle des données économiques, on ne peut bien sûr pas ignorer le sujet des sanctions. Puisqu'il a été question d'"actions sans précédent" de la part de l'Union européenne, il sera bon d'analyser les effets réels que ces actions peuvent avoir. À cet égard, on peut partir du fait que la Russie dispose d'un trésor de 630 milliards de dollars qui peut être dépensé pour supporter le fardeau des "actions sans précédent" que je viens de mentionner. Il convient également de rappeler que ces dernières années, peut-être en préparation de la guerre et de la réponse occidentale, la Russie a réduit son ratio dette/PIB (la dette publique russe représente 12,5 % du PIB, alors que la dette américaine est de 132,8 %) ; elle a réduit sa dette extérieure ; elle a accumulé de grandes quantités d'or (2300 tonnes), l'actif refuge qui prend de la valeur en même temps que les crises géopolitiques ; et elle a sciemment cédé des titres de la dette américaine. À cela s'ajoutent l'énorme disponibilité de matières premières et la relation étroite avec les deux plus grands pays fabricants du monde (la Chine et l'Inde, qui n'ont guère l'intention de suivre la vulgate des sanctions).
A l'abondance de matières premières s'ajoute la production avancée d'aluminium, de titane (le groupe russe Vsmpo-Avisma couvre largement les besoins en titane de Boeing et Airbus) et de palladium (50% de la production à l'échelle mondiale). Sans parler de la production de céréales, dont le blocus à l'exportation met déjà en crise le secteur italien des pâtes (un sujet pour une éventuelle étude approfondie sur la géopolitique de l'alimentation). Cela signifie que toute contre-sanction russe aurait des effets potentiellement dévastateurs sur l'économie européenne, déjà à genoux après deux années de gestion désastreuse de la crise de la pandémie. Tout cela pour le plus grand plaisir de Washington qui, en jetant les bases de ce conflit, avait vu une belle opportunité de se débarrasser du principal concurrent à l'hégémonie du dollar : l'euro. C'est pourquoi elle invite encore ses vassaux européens à approvisionner Kiev en avions de combat. L'objectif, en fait, est d'élargir le conflit à l'ensemble du continent.
NOTES
[1] Voir Le pentagone bio-armes, www.dylana.bg.
[2] Liu Xiaofeng, La nouvelle Chine et la fin du droit international américain, www.americanaffairsjournal.org.
[3] Poutine n'est pas fou et l'invasion russe n'est pas un échec. L'illusion de l'Occident sur cette guerre, www.fdd.org.
[4] Ukraine, l'ancien général Fabio Mini : "Regardez le ciel, pas la longue colonne de chars. Si c'est une attaque contre Kiev, elle viendra de là", www.ilfattoquotidiano.it.
14:10 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ukraine, politique internationale, géopolitique, europe, affaires européennes, russie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
samedi, 12 mars 2022
L'Europe suspendue entre l'être et le non-être : est-ce une patrie commune ou un cadavre atlantique ?
L'Europe suspendue entre l'être et le non-être: est-ce une patrie commune ou un cadavre atlantique?
par Luigi Tedeschi
Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-europa-sospesa-tra-essere-e-non-essere-e-una-patria-comune-o-un-cadavere-atlantico
L'avènement du multilatéralisme dans la géopolitique mondiale place l'Europe devant un dilemme existentiel entre: être une patrie commune ou ne pas être un cadavre atlantique. L'histoire impose parfois des choix cruciaux et inéluctables.
La nécessaire neutralité de l'Ukraine
La guerre en Ukraine a des origines lointaines. Elle est le résultat de tensions de longue date qui ont explosé en raison de l'ineptie européenne et de la politique expansionniste de l'OTAN, qui ont empêché l'existence d'un équilibre stable entre la Russie et l'Occident. Avec l'effondrement de l'URSS et l'indépendance des républiques d'Europe de l'Est qui faisaient déjà partie de l'ancien empire soviétique, la logique de partition déjà éprouvée à Versailles en 1919 avec le démembrement des empires centraux s'est reproduite. L'Europe était en fait fragmentée en de nombreux États, souvent artificiels, et de nombreux peuples, très différents sinon hostiles les uns aux autres, étaient contraints de vivre ensemble. Comme on le sait, Versailles a jeté les bases de la Seconde Guerre mondiale.
L'ouest de l'Ukraine est peuplé de catholiques ukrainophones qui veulent être intégrés à l'Europe, tandis que l'est est habité par une population majoritairement orthodoxe et russophone qui s'identifie à la Russie. Pour Kissinger, l'indépendance de l'Ukraine était un facteur d'instabilité politique potentielle. Soljénitsyne, qui considérait que l'Ukraine faisait partie intégrante de l'histoire et de l'identité russes, s'y opposait. Une réconciliation pacifique entre les deux âmes de l'Ukraine s'est avérée impossible, en raison de l'expansion progressive de l'OTAN à l'est, qui envisageait l'intégration de l'Ukraine à l'Ouest en hostilité ouverte avec la Russie, qui, elle, voyait sa sécurité menacée. Le coup d'État pro-occidental de Maidan en 2014 en est une preuve objective.
Il était possible de parvenir à un équilibre géopolitique qui empêcherait cette guerre d'éclater : la médiation européenne aurait pu favoriser l'entrée de l'Ukraine dans l'UE, à condition qu'elle ne rejoigne pas l'OTAN. Une telle perspective aurait impliqué une rupture entre l'Europe et l'Alliance atlantique. Mais l'Europe n'est pas une entité géopolitique indépendante ; au contraire, elle ne trouve son unité que dans le contexte atlantique.
En effet, l'Ukraine est déjà associée à l'UE depuis 2017 et a bénéficié d'un financement européen de plus de 5 milliards, en plus des 1,2 milliard déboursés récemment. Par ailleurs, les accords de Minsk de 2014 (jamais respectés par l'Ukraine), entre la Russie et l'Ukraine, qui prévoyaient l'autonomie des républiques russophones du Donbass, ramenées à la souveraineté ukrainienne, ont été signés sous les auspices de l'OCDE. Afin d'éviter un conflit russo-ukrainien, l'Europe pourrait exiger que la partie ukrainienne les respecte. Mais l'Europe a brillé par son ignorance coupable.
Cette guerre entraînera une redéfinition des frontières entre l'Occident et la Russie, évoquant un retour au rideau de fer qui a marqué l'époque de la guerre froide. Mais les similitudes sont plus apparentes que réelles. Pendant la guerre froide, deux puissances mondiales, les États-Unis et l'URSS, se sont affrontées en tant que systèmes idéologiques, politiques et économiques alternatifs, entre lesquels les affrontements (jamais directs) alternaient avec les négociations. Aujourd'hui, les États-Unis et la Russie sont tous deux des puissances capitalistes. Les Américains ne reconnaissent pas le statut de puissance mondiale de la Russie et ne concluent donc pas d'accords avec Poutine, qui n'est pas considéré comme un partenaire égal. Avec la dissolution de l'URSS et la dissolution du Pacte de Varsovie, l'OTAN, en tant qu'alliance de défense de l'Occident contre la menace soviétique, aurait également dû être liquidée. L'expansion dans les pays d'Europe de l'Est et les guerres "humanitaires" menées par l'OTAN sur une période de 30 ans ont réfuté la nature défensive de l'Alliance atlantique. Il faut également considérer que l'OTAN a été fondée en 1949, tandis que le Pacte de Varsovie a vu le jour en 1955. Donc, entre les États-Unis et l'URSS, qui a dû se défendre contre qui ? La nature agressive de l'OTAN n'était-elle pas génétique ?
Cette guerre aurait pu être évitée si la nécessaire neutralité de l'Ukraine avait été reconnue. La stabilité et la sécurité de la région ne peuvent être garanties que par la neutralité ukrainienne, comme l'a observé Henry Kissinger : "Trop souvent, la question ukrainienne se présente comme une épreuve de force : l'Ukraine choisit-elle de rejoindre l'Est ou l'Ouest ? Mais si l'objectif de l'Ukraine est de survivre et de prospérer, elle ne peut être l'avant-poste de deux factions qui se combattent - elle doit être un pont." Kissinger, en 2014, était également un prophète facile lorsqu'il a déclaré qu'en l'absence d'une politique de réconciliation, "la dérive vers le conflit va s'accélérer, et à ce rythme, elle se produira assez rapidement".
L'Amérique, une puissance en crise entre pacifisme et russophobie
Cette guerre a éclaté parce qu'elle a été déclenchée par le désir de la Russie de sauvegarder sa sécurité et de contrer l'avancée de l'OTAN à l'est et par le désir des États-Unis d'éradiquer toute relation entre l'Europe et la Russie et de réaffirmer ainsi leur domination sur l'Europe elle-même. Les États-Unis ont en fait facilité l'invasion russe en déclarant leur réticence à s'engager dans une intervention militaire directe et en refusant tout accord avec Poutine. L'Amérique de Biden est pacifiste. Les divisions au sein de la société américaine ont eu pour effet de paralyser la politique étrangère américaine. L'aile libérale de la côte américaine ne veut pas la guerre pour des raisons pacifistes-idéologiques, pas plus que la population intérieure, patriotique par nature mais désormais fatiguée et désabusée par la succession des défaites américaines dans le monde.
L'Occident veut donc contrer la Russie avec l'arme des sanctions. Avec l'éviction de la Russie du système de paiement rapide et l'embargo économique, elle veut provoquer l'implosion financière de la Russie, avec le défaut de paiement russe associé. Mais la Russie est déjà sous le coup de sanctions depuis 2014. L'arme des sanctions provoque nécessairement des représailles et s'est toujours révélée inefficace. Au contraire, les sanctions politiques renforcent la cohésion interne des nations et encouragent la production de biens pour remplacer les produits étrangers qui ne sont plus importés. En outre, la Russie a été bien équipée au fil des ans pour faire face à de telles éventualités. Devenue économiquement vulnérable lors de la crise de 2014, la Russie a adopté ses propres contre-mesures. Depuis 2016, l'économie russe a enregistré une croissance annuelle du PIB de plus de 4 %, augmenté ses réserves de 631 milliards de dollars, principalement en devises autres que le dollar, contre une dette de 350 milliards de dollars, augmenté ses réserves d'or de 196 %, réalisé d'importants investissements dans le numérique, et le commerce avec la Chine s'élève désormais à 140 milliards de dollars, avec l'objectif d'atteindre 200 milliards de dollars.
Les sanctions ont évidemment aussi un impact majeur sur l'Occident, étant donné l'interdépendance des marchés mondiaux. L'Europe dépend du gaz russe pour 40 % de ses besoins et, puisque les approvisionnements de Gazprom ont été exclus des sanctions, paradoxalement, l'UE finance indirectement les dépenses militaires russes pour l'invasion de l'Ukraine avec les revenus de l'énergie. Alors que la bourse russe a été fermée pour cause de baisse excessive et que le rouble est à son plus bas niveau historique, les marchés européens ont enregistré des pertes de plus de 20 % depuis janvier. Standard & Poor's a rétrogradé la dette publique de la Russie au statut de "junk", mais cette dette ne représente que 20 % du PIB. La crise énergétique, avec des prix du gaz et du pétrole à des niveaux records et une inflation galopante, ainsi que la hausse des prix des matières premières, causent des dommages importants à l'économie européenne. Par le biais de sanctions, l'Occident veut amener la Russie à faire défaut, mais toute implosion russe impliquerait aussitôt l'Europe, étant donné l'exposition du système bancaire européen à la Russie (l'Italie seule est exposée pour plus de 25 milliards), et le blocage des flux commerciaux avec la Russie elle-même. Pour l'Europe, les dommages causés par les mesures de sanction sont encore incalculables.
L'expansion progressive de l'OTAN en Eurasie occidentale est conforme à une stratégie américaine bien connue, poursuivie depuis 1991. La pénétration de l'Atlantisme en Eurasie entraînerait la déstabilisation de la Russie. Les guerres qui ont déjà éclaté en Géorgie et en Tchétchénie, ainsi que la révolution colorée en Ukraine, sont des événements fonctionnels à une stratégie globale : la décomposition de la Russie en de nombreux petits États et leur insertion dans le contexte de l'OTAN, avec l'exploitation indiscriminée de leurs ressources, sous l'égide de la domination américaine.
L'objectif est de reproduire en Russie la stratégie qui a conduit à la fragmentation de l'ex-Yougoslavie (qui a également été expérimentée sans succès au Moyen-Orient). Mais quelqu'un a-t-il prévenu Biden et son équipe que la Russie n'est pas comparable à la Yougoslavie ? Le défaut de paiement et la déstabilisation économique de la Russie devraient être suivis d'une déstabilisation politique, avec la défenestration de Poutine par un complot ourdi par les oligarques russes sanctionnés. Mais les États-Unis, qui ont été incapables de faire tomber Saddam, Assad ou Milosevic, pourront-ils un jour faire tomber Poutine et avec lui tout l'appareil politique et militaire russe ?
À l'ONU, la résolution condamnant la Russie, outre l'unité des talibans européens pro-OTAN et son approbation par 141 voix, a enregistré 35 abstentions et 5 voix contre. Parmi les abstentions figurent la Chine, l'Inde, l'ensemble du monde islamique (à l'exception du Qatar et du Koweït), l'Afrique du Sud, le Brésil, le Mexique et le Congo. Il est donc nécessaire de réfléchir à l'importance économique et géopolitique de ces pays (qui, par ailleurs, détiennent une grande partie des matières premières mondiales et représentent la moitié de la population mondiale). La Turquie elle-même n'appliquera pas de sanctions à la Russie et Israël s'est déclaré prêt à jouer un rôle de médiateur dans le conflit : les intérêts d'Israël ne coïncident manifestement pas toujours avec ceux des Américains. Le front abstentionniste est donc hostile à l'Occident et constitue une démonstration tangible que la Russie n'est nullement isolée dans le contexte géopolitique mondial. La politique de l'Occident américain est inspirée par une profonde russophobie, qui conduira à l'isolement de l'Occident lui-même et à sa réduction géopolitique.
La politique expansive de l'OTAN a favorisé la création d'un partenariat russo-chinois qui pourrait devenir stratégique. La Chine a adopté une politique d'attention prudente dans le conflit russo-ukrainien. La Chine est le premier partenaire commercial de l'Ukraine, mais il faut surtout noter que 90 % du commerce de l'Europe avec la Chine passe par la Russie et l'Asie centrale. Cette guerre pourrait être un coup mortel pour l'économie européenne. Mais le plus important est que l'intensification des relations économiques et politiques de la Chine, de l'Inde et du monde islamique avec la Russie entraînerait une contraction drastique de la zone dollar, qui a jusqu'à présent dominé le commerce mondial. Et, à cet égard, on peut s'interroger : mais l'euro n'a-t-il pas été créé comme monnaie alternative au dollar afin de libérer l'Europe de la tyrannie financière américaine ? Cependant, des changements systémiques dans l'économie mondiale nous attendent.
L'Europe sortira-t-elle de son hibernation historique ?
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec les accords de Yalta et de Potsdam, l'Europe est divisée en deux zones d'influence : l'américaine à l'ouest et la soviétique à l'est. Alors que l'Europe de l'Est a souffert de l'occupation soviétique et de ses régimes totalitaires, l'Europe occidentale a accepté la domination américaine avec un large consentement. Le régime pro-américain de souveraineté limitée a ensuite été étendu, après 1989, aux pays de l'ancien bloc soviétique et s'est étendu à l'UE elle-même, au point de déterminer une identification parfaite entre l'Europe et l'OTAN.
L'Europe a ainsi renoncé à son indépendance et à un rôle puissant dans le contexte géopolitique mondial. Le statut de l'Europe est comparable à celui d'un colonialisme consentant, c'est-à-dire un groupe de pays économiquement avancés, à la prospérité généralisée, mais politiquement aseptisés, culturellement américanistes, dépourvus de pouvoir de décision et de responsabilité en matière de défense et de politique internationale, délégués aux États-Unis. Ce statut colonial, perpétué jusqu'à ce jour, a représenté la sortie de l'Europe de l'histoire.
Ce modèle socio-politique, qui a présidé à la fondation de l'UE elle-même, trouve sa pleine réalisation en Allemagne, qui, en vertu de sa suprématie économique continentale, l'a imposé à l'ensemble de l'Europe. Depuis 70 ans, l'Allemagne vit dans la dimension de la post-histoire. Le diplomate allemand Thomas Bagger a effectivement déclaré que "la fin de l'histoire était une idée américaine, mais une réalité allemande". Dans un article paru dans Limes, Ulrike Franke affirme que, pour la génération des millennials allemands, l'histoire est un récit d'événements passés, et non un processus dynamique en constante évolution. L'oubli de la mémoire historique a condamné les nouvelles générations à vivre dans une dimension existentielle absorbée par l'éternel présent. Il s'agit d'une dimension nihiliste, qui implique l'impossibilité de concevoir des réalités historiques et des horizons futurs comme des alternatives à celle-ci. Le progrès, le bien-être, le cosmopolitisme libéral pacifiste et le marché mondial sont les traits distinctifs d'un modèle économique et social occidental post-historique, qui a néanmoins généré dans la génération post-1989 l'idée de vivre dans le meilleur des mondes possibles.
Ulrike Franke dit : "Et la fin de l'histoire a pris notre avenir. Après tout, nous savions tous comment cela allait se terminer. La politique est devenue ennuyeuse - une activité administrative plutôt qu'une compétition idéologique. Et cela peut aussi nous aider à comprendre pourquoi tous les partis allemands prétendent toujours être du centre. Il semble qu'il ne soit pas nécessaire de penser stratégiquement à l'avenir. Une telle vision ahistorique de la réalité a été transmise à l'ensemble de l'Europe, qui est devenue un continent dépourvu de toute identité culturelle et sans aucune perspective d'avenir".
L'avènement de la post-histoire est lié à une époque où la souveraineté politique de l'Europe était dévolue au protectorat atlantique. L'UE elle-même a été créée en tant qu'organe supranational intégré à l'OTAN à l'extérieur et en tant que structure financière qui a établi un système économique d'extrême compétitivité entre les États à l'intérieur. L'UE n'a pas favorisé le développement et l'émancipation, mais a créé un système de domination économique de l'Allemagne et de ses satellites dans lequel la croissance allemande s'est accompagnée d'une dépression dans les pays du sud. Mais aujourd'hui, l'Europe est confrontée à un ordre géopolitique considérablement modifié. Les États-Unis poursuivent des objectifs qui ne sont pas compatibles, voire conflictuels, avec l'Europe.
Les États-Unis, qui se sont engagés à contenir la Russie et la Chine, n'ont plus l'intention de soutenir les dépenses militaires pour la défense des pays européens, qui sont tenus de consacrer 2 % de leur PIB à l'armement. L'objectif géopolitique poursuivi par les Américains n'est en fait pas la défense de l'Ukraine contre l'invasion russe, mais la restauration de leur domination politique absolue dans l'espace européen, en rompant les relations entre l'Europe et la Russie et en interrompant les flux commerciaux entre l'Europe et la Chine. Une Europe, dévastée par la crise économique provoquée par l'urgence énergétique et réduite dans son rôle de puissance économique dans le monde (surtout en ce qui concerne ses exportations vers les USA), pourrait être réduite à une condition de subordination totale aux USA. Les États-Unis pourraient alors imposer à l'Europe un traité de libre-échange transatlantique capricieux, semblable au tristement célèbre TTIP.
Le retrait américain d'Afghanistan a entraîné un changement substantiel de la stratégie géopolitique américaine. La politique étrangère de Biden, dans la continuité de celle d'Obama et de Trump, n'envisage pas d'interventions militaires dans le monde, sauf si les intérêts américains sont directement menacés. Par conséquent, des déploiements politico-militaires de dimension continentale ont été mis en place pour sauvegarder les zones d'influence de l'Amérique dans le monde. Dans le cadre de cette nouvelle stratégie géopolitique américaine, à travers le pacte abrahamique, la nouvelle OTAN du Moyen-Orient a été établie, dirigée par Israël et avec la participation de nombreux pays arabes. Et aussi l'AUKUS, qui est une alliance militaire dans la zone Indo-Pacifique qui vise à contenir la puissance chinoise. La décision de l'Allemagne d'allouer 100 milliards d'euros aux dépenses d'armement doit être interprétée de la même manière. Jusqu'à hier, le réarmement allemand aurait suscité l'inquiétude de tout l'Occident. L'Europe, sous la direction de l'Allemagne, devrait devenir une puissance continentale au sein de l'OTAN dans une fonction anti-russe. Mais il semble hautement improbable que la société allemande accepte de mourir pour l'Ukraine, comme la société japonaise le ferait pour Taïwan.
La phase post-historique de l'Europe touche donc à sa fin. Une perpétuation de l'hibernation historique de l'Europe est inconcevable. Nous devons occuper une place dans une histoire en constante évolution, sinon l'histoire elle-même s'occupera de nous, c'est-à-dire que d'autres décideront pour nous en fonction de leurs propres intérêts. Et dans notre cas, ce seront les Américains qui décideront.
L'Europe à la croisée des chemins entre multilatéralisme et abandon de l'histoire
Le conflit entre Poutine et l'Occident a pris la dimension d'une opposition d'époque de nature historico-idéologique. Depuis la crise de 2014, la réaction de Poutine au tournant pro-occidental en Ukraine a été interprétée par le courant dominant officiel comme la renaissance d'une conception de la politique du XIXe siècle, qui a été reproposée à travers la résurrection du nationalisme russe comme une réaction à une Russie assiégée et visant à défendre ses frontières et à sauvegarder son indépendance nationale. Ces concepts étaient considérés par l'intelligentsia libérale comme relégués à des époques historiques dépassées. Poutine est donc considéré comme un leader anti-historique.
Cependant, nous voyons dans le conflit ukrainien une opposition géopolitique et un affrontement idéologique, qui avaient déjà émergé dans l'histoire récente. L'Occident est dominé par un système néolibéral et une culture postmoderne qui postulent l'individualisme absolu, les droits de l'homme, la primauté de l'économie sur la politique, l'éradication des cultures identitaires et la dissolution des États. Ainsi, le conflit entre l'Occident et la Russie, selon l'idéologie libérale, est interprété comme le choc entre liberté et répression, progrès et réaction, démocratie et autocratie, laïcité et obscurantisme.
L'émergence de nouvelles puissances continentales telles que la Russie, la Chine, l'Inde, l'Iran et d'autres puissances mineures, qui revendiquent au contraire leur propre identité nationale, la valeur de la patrie en tant que destin commun des peuples, leurs racines historiques et culturelles, a mis en évidence depuis longtemps le déclin de l'idéologie libérale comme seul canon d'interprétation de la réalité dans une clé post-historique, individualiste et progressiste. La défense des droits de l'homme et l'imposition du système libéral-démocratique au niveau mondial constituent donc les valeurs en vertu desquelles l'Occident revendique sa suprématie morale dans le monde. Ces principes constituent la légitimation idéologique du "Nouvel Ordre Mondial". Les conflits qui ont eu lieu au cours des dernières décennies démentent les hypothèses idéologiques sur lesquelles repose le "Nouvel Ordre". C'est ce que dit Alberto Negri dans son article dans "Il Manifesto" du 13/02/2022 : "Cette fois, l'atlantisme est nu. Comme le roi" : "Quel "ordre" libéral les États-Unis et l'OTAN préconisent-ils? Celle qui a incité Washington à utiliser les djihadistes contre l'URSS dans les années 1980? Celle de l'Afghanistan 2021? L'"ordre" de l'intervention fabriquée en Irak en 2003? L'"ordre" de la guerre en Libye en 2011, dont les désastres sont encore sous nos yeux?
L'"ordre" américain qui nous a valu des attaques en Europe et des millions de migrants traités comme des objets et repoussés dans le désespoir, tout en nous privant des ressources énergétiques de nos voisins? L'"ordre" de la Turquie, un pays de l'OTAN utile pour massacrer les Kurdes sous le sultan Erdogan? L'"ordre" qui réduit au silence et efface les Palestiniens?
Les Américains et les atlantistes s'arrogent le droit de décider de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, s'accrochant à des principes d'autodétermination des peuples qu'ils sont les premiers à violer.
Prenez la Syrie : pendant des années, Washington et Bruxelles ont déclaré que "Assad devait partir", mais pour le déstabiliser, ils ont encouragé Erdogan à envoyer des milliers d'égorgeurs djihadistes de l'autre côté de la frontière. Ils ont demandé à la Syrie de rompre ses liens avec l'Iran, puis la Russie, alliée historique de Damas, est intervenue.
Que voulait l'Occident, peut-être le bien des Syriens, toujours maintenus sous un embargo dramatique? Que voulaient les Américains de l'Afghanistan? Pour se venger du 11 septembre 2001, comme Biden l'a lui-même admis? Eh bien, après avoir tué Ben Laden, ils auraient pu partir, mais ils sont restés et ont tué plus de civils que les talibans, à qui ils ont rendu le pays, et maintenant ils se vengent sur la population en gelant les fonds afghans et en entravant l'acheminement de l'aide humanitaire.
L'unilatéralisme américain a généré de nouveaux conflits dans le monde entier entre les États dominés par le néolibéralisme et les États dominés par la souveraineté, entre les gagnants et les perdants de la mondialisation, entre l'Occident post-moderniste et l'Orient traditionaliste. Ce conflit irréductible est également présent au sein de la société occidentale. Les classes dominantes sont idéologiquement libérales et mondialistes, les classes subalternes revendiquent les valeurs communautaires, l'État-providence, les cultures identitaires.
Le monde occidental s'est révélé anti-historique dans la mesure où il n'a pas su comprendre l'esprit de notre époque, dans laquelle un nouvel ordre multipolaire émerge dans la géopolitique mondiale. Et c'est la cause du déclin progressif de l'unilatéralisme américain.
Nous sommes au seuil d'un tournant historique, annoncé prophétiquement par Alexandre Douguine dans son ouvrage La quatrième théorie politique: "La seule alternative plausible, aujourd'hui, se trouve dans le contexte d'un monde multipolaire. Le multipolarisme peut garantir à chaque pays et civilisation de la planète le droit et la liberté de développer son propre potentiel, de s'organiser intérieurement selon l'identité de sa culture et de son peuple, de fournir une base acceptable pour un système de relations internationales justes et équilibrées entre les nations du monde. La multipolarité doit être fondée sur le principe d'équité entre les différentes organisations politiques, sociales et économiques des diverses nations. Le progrès technologique et l'ouverture croissante doivent favoriser le dialogue entre les peuples et les nations et leur prospérité, mais ne doivent pas pour autant mettre en péril leur identité. Les différences entre les civilisations ne doivent pas nécessairement culminer dans un affrontement inévitable - contrairement à ce que pensent de manière simpliste certains auteurs américains. Le dialogue - ou plutôt le polylogue - est une possibilité réaliste que nous devrions tous explorer.
L'avènement du multilatéralisme dans la géopolitique mondiale place l'Europe devant un dilemme existentiel entre être une patrie commune ou ne pas être un cadavre atlantique. L'histoire impose parfois des choix cruciaux et inéluctables.
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Opération militaire en Ukraine : Analyse géopolitique
Opération militaire en Ukraine : Analyse géopolitique
En toute exclusivité: la perspective russe selon Alexandre Douguine
Alexandre Douguine
Source: https://katehon.com/en/article/military-operation-ukraine-geopolitical-analysis?fbclid=IwAR3Y3lIY5eabLUPz3tvclSDLIcGNl6PFCv0d4vj71c0Avnjof-Ojj7AzSBM
La question ukrainienne à l'origine de la géopolitique
La place de l'Ukraine dans la confrontation géopolitique entre la Terre et la Mer a déjà fait l'objet de nombreux écrits et de descriptions détaillées. Il est d'ailleurs symbolique que le fondateur de la géopolitique, Halford J. Mackinder, ait été le haut commissaire de l'Entente pour l'Ukraine pendant la guerre civile en Russie. Et à cette époque-là, dans le gouvernement blanc de Wrangel, le fondateur de l'eurasisme, le géographe Piotr Savitsky, qui fut le premier, dans le journalisme de langue russe, à mentionner lui-même le terme "géopolitique" et à exposer les points principaux de cette méthodologie, travaillait comme assistant du ministre des Affaires étrangères Peter Struve.
La géopolitique : la guerre continuelle entre la terre et la mer
Mackinder a formulé la théorie de la grande guerre des continents, l'opposition entre la civilisation de la Mer (l'Occident en général, l'Empire britannique plus spécifiquement) et la civilisation de la Terre (Heartland, Russie-Eurasie) quelques années plus tôt, en 1904, dans son célèbre ouvrage The Geographic Pivot of History. Terre (Rome, Sparte) et Mer (Carthage, Athènes) représentent deux civilisations antagonistes, opposées en tout - traditionalisme et modernité, spiritualité et matérialisme, esprit militaire et esprit commercial. Le conflit qui les oppose est une constante de l'histoire du monde.
L'Eurasie, théâtre d'affrontements géopolitiques
Au cours des derniers siècles, lorsque le Grand Jeu, la confrontation entre les empires britannique et russe, battait son plein, la grande guerre continentale s'inscrivait dans l'espace de l'Eurasie. Dans cet espace, le "Heartland", c'était la Russie. Et la "civilisation de la mer" était portée par l'Angleterre. L'Angleterre tentait d'enserrer l'Eurasie de l'extérieur, depuis les océans. La Russie se défendait de l'intérieur, en essayant de briser le blocus.
La principale bande territoriale où se multipliaient les tensions se nommait alors, dans le langage spécial de la géopolitique mackindérienne, le Rimland, la "zone côtière". Elle s'étendait de l'Europe occidentale à l'Asie du Sud-Est, comprenait l'Inde et la Chine, en passant par le Moyen-Orient et l'Asie centrale.
L'objectif de la Mer était de subjuguer le Rimland. L'objectif de la Terre était de briser cette influence et de déserrer l'anneau de l'anaconda thalassocratique qu'il fallait rétrécir. C'est la raison de l'avancée de la Russie en Asie centrale et en Extrême-Orient.
D'où la formule principale de la géopolitique: "Qui contrôle l'Europe de l'Est contrôle le Heartland. Qui contrôle le Heartland, contrôle le monde". Telle est la théorie.
Le démembrement de la Grande Russie
De par sa position de Haut Commissaire de l'Entente, Mackinder tenta de mettre la théorie en pratique. La guerre civile russe a donné à la civilisation de la mer une nouvelle chance de repousser les frontières du Rimland vers l'est, aux dépens des territoires qui quittaient alors la sphère de la puissance russe - la Finlande, la Pologne et, surtout, l'Ukraine.
Mackinder (comme Savitsky) avait compris que la victoire des bolcheviks conduirait inévitablement à une confrontation avec l'Occident et à une tentative de recréer l'Empire russe sous une nouvelle forme (et c'est exactement ce qui s'est passé). Et face à cette perspective, Mackinder a exigé que le gouvernement britannique soit plus actif dans l'aide aux Blancs [1], il a tenté de convaincre les dirigeants anglais de la nécessité de soutenir l'indépendance de l'Ukraine. Il a également élaboré un plan visant à séparer de la Russie la grande région du Caucase méridional, la Biélorussie, l'Asie centrale, ainsi que la Sibérie orientale et même un certain nombre de territoires du sud de la Russie. Plus tard, en 1991, l'effondrement de l'URSS permet, dans une large mesure, de réactiver le plan de Mackinder.
L'Ukraine et le cordon sanitaire
L'Ukraine jouait un rôle majeur dans le plan géopolitique de Mackinder. Ce territoire, avec la Pologne et les pays d'Europe de l'Est, faisait partie du "cordon sanitaire", une zone stratégique qui devait être sous le contrôle direct de l'Angleterre et de la France (les alliés de l'Entente à l'époque) et empêcher tout rapprochement entre la Russie et l'Allemagne. Retenue par un "cordon sanitaire", la Russie-Eurasie ne pouvait pas devenir un Empire à part entière. Sans l'Ukraine, la Russie n'est pas un Empire. Et de plus, l'Ukraine, rendue hostile à la Russie et placée sous le contrôle direct des Anglo-Saxons, couperait la Russie de l'Europe continentale, où l'Allemagne, à son tour, était un Heartland, mais pas un Heartland mondial (comme la Russie), mais local, européen. Le conflit de l'Angleterre avec l'Allemagne (aussi avec l'Autriche) était une constante de la géopolitique européenne.
En conséquence, le projet d'une Ukraine indépendante était initialement dirigé contre la Russie et était supervisé par les Anglo-Saxons.
Les bolcheviks créent et démantèlent simultanément l'Ukraine
Nous savons que pendant la guerre civile, les Blancs ont adhéré à une politique de restauration d'un Empire uni et indivisible. En même temps, ils dépendaient du soutien de l'Entente, qui leur imposait certaines conditions. Quoi qu'il en soit, le gouvernement britannique, n'étant pas d'accord avec Mackinder sur la nécessité d'un soutien fort aux Blancs en échange de leur accord à la sécession de l'Ukraine, les Blancs ont perdu la guerre. Dans cette configuration, le sujet a donc été écarté de l'ordre du jour.
Les bolcheviks, quant à eux, ont d'abord soutenu l'Ukraine et encouragé activement les cercles nationalistes en pensant qu'ils s'étaient orientés contre le "tsarisme", mais ils ont ensuite opté pour une politique centraliste, voyant que l'Ukraine n'allait pas accepter le pouvoir bolchevique sans se plaindre et cherchait à céder aux Anglo-Saxons (ce qui signifiait alors le "capitalisme mondial"). Par conséquent, comme Mackinder l'avait prévu, Lénine a commencé la saisie directe de l'Ukraine, qui n'avait pas eu, dans son passé, une histoire d'État indépendant et était une proie relativement facile pour les Rouges. Les Rouges n'ont pas réussi à conquérir la Pologne par le même stratagème. Mais le territoire de la Biélorussie, qui était revendiqué par la Pologne de Piłsudski, est resté aux mains des Rouges.
Ensuite, déjà sous l'autorité des bolcheviks en 1922, Lénine a donné à la République socialiste soviétique d'Ukraine les vastes territoires qui avaient toujours fait partie de l'Empire russe - Slobozhanshchina, Donbass, Novorossiya, ainsi que de vastes zones au nord (oblast de Tchernigov) et à l'ouest (Petite Russie proprement dite). La Galicie est restée sous la tutelle de la Pologne, la Bucovine faisait partie de la Roumanie. La Crimée appartenait à la RSFSR.
Mais cet arrangement territorial de l'Ukraine n'impliquait pas véritablement la création d'un État. Le pouvoir bolchevique s'étendait à tous les territoires de l'URSS et, dans l'esprit de l'idéologie internationaliste, il ne pouvait être question d'un statut d'État pour les différentes républiques. Il s'agissait presque d'une division purement administrative dans le cadre d'un pouvoir solidement unifié. C'est exactement ce que Mackinder avait craint.
Les bolcheviks ont à la fois créé l'Ukraine et l'ont abolie (en tant qu'État indépendant).
L'Ukraine dans l'URSS après la Grande Guerre patriotique
La Galicie, la Volhynie et la Bukovine ont été annexées à l'Ukraine juste avant la Grande Guerre patriotique et la Transcarpathie - juste après la guerre. Mais à ce moment-là, la Russie-Eurasie sous la forme de l'URSS s'est déplacée de manière significative vers l'ouest, déplaçant la frontière du pays au détriment du Rimland, et établissant son contrôle sur l'Europe de l'Est, qui était toute entière sous le pouvoir de Moscou. L'URSS a ainsi réduit à néant et totalement aboli le "cordon sanitaire" de Mackinder et de Lord Curzon, s'installant directement en Europe continentale et s'emparant, en fait, des territoires de l'ancienne Prusse/Brandebourg (RDA).
Dans une telle position - profondément à l'arrière de ce rimland européen de l'Eurasie et donc dans le Heartland eurasien - l'Ukraine a existé jusqu'en 1991. Dans le même temps, pour des raisons de convenance purement administrative dans les limites d'un État absolument unitaire, Khrouchtchev a transféré en 1954 la Crimée à Kiev. Du point de vue géopolitique, cependant, cela ne signifiait rien, car toutes les frontières entre les sujets de l'URSS, les républiques fédératives, étaient conditionnelles et ne signifiaient rien du tout dans la pratique.
L'atlantisme et le monde bipolaire
Pendant la guerre froide, l'Occident est revenu à sa pratique particulière de la géopolitique. C'est ainsi qu'en 1949, suivant les modèles mise au point par Mackinder, l'OTAN (l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) a été créée. Le terme "Atlantique" ayant été introduit dans le sigle de l'organisation militaire, le vocable "atlantisme" devient synonyme de "civilisation de la mer", de thalassocratie, dans le sens exact où Mackinder l'entendait. L'"atlantisme", c'est l'Occident et ses alliés, le monde capitaliste avec un noyau dur anglo-saxon, dont le centre, au XXe siècle, s'est progressivement déplacé de Londres à Washington, de l'Angleterre aux États-Unis.
La carte dessinée par Mackinder correspondait parfaitement à l'équilibre des forces dans la guerre froide, et les deux camps - le communiste et le capitaliste - étaient strictement alignés sur les critères attribués à la Terre et à la Mer. Le bloc de l'Est était la Terre, avec l'URSS en son centre, le Heartland. Le bloc occidental était la Mer, centrée sur l'Atlantique (les Anglo-Saxons), mais comprenait les colonies stratégiques d'après-guerre des États-Unis - les pays d'Europe, le Japon et d'autres États du tiers-monde qui proclamaient leur allégeance au capitalisme. Ils étaient disposés en ordre dispersé en Asie, en Afrique et en Amérique latine, qui constituaient la carte géopolitique de la confrontation mondiale. Terre et Mer s'affrontaient rarement directement (comme lors de la crise des missiles de Cuba), et agissaient généralement par le biais de leurs mandataires, les régimes pro-soviétiques ou pro-américains. Et si la Terre était directement impliquée dans un conflit - comme en Tchécoslovaquie, en Afghanistan, etc., alors la Mer s'y opposait par le biais de mandataires, de "proxies", de groupes et de mouvements antisoviétiques sans intervenir directement. Et quand la Mer intervenait ouvertement - comme en Corée et au Vietnam - la Terre aidait indirectement, avec des conseillers, la diplomatie, l'économie, etc.
Le problème du Rimland
Pendant la guerre froide, le problème du Rimland est redevenu extrêmement pertinent. Ainsi, le géopolitologue américain Nicholas Spykman, révisant les théories de Mackinder, arrive à la conclusion que c'est le Rimland qui est la principale zone de confrontation. Il formule la loi de la géopolitique comme suit : "Celui qui contrôle le Rimland contrôle le monde". Mais il ne s'agit pas d'une nouvelle géopolitique, mais d'une réinterprétation - mineure - du poids des zones principales dans la théorie de Mackinder. D'autant plus que Mackinder lui-même a commencé par énoncer une théorie sur "l'Europe de l'Est", c'est-à-dire sur ce qui deviendra le "cordon sanitaire", et que celui-ci appartient au Rimland.
Quoi qu'il en soit, la guerre froide, d'un point de vue géopolitique, était une bataille pour le Rimland. Moscou a tenté d'étendre son influence - par le biais de partis et de mouvements de gauche - en Europe, au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique et en Amérique latine. À une certaine époque, la Chine maoïste faisait également partie d'un camp socialiste unique, c'est-à-dire du Heartland eurasien.
L'attaque de l'Atlantisme
Lorsque l'URSS a commencé à s'affaiblir, les géopoliticiens atlantistes (Z. Brzezinski, R. Gilpin, etc.) ont commencé à penser et à agir de manière plus avant-gardiste. Outre le modèle bipolaire et le déplacement partiel de l'équilibre à la périphérie du monde et le long des contours de l'Eurasie, ils ont commencé à élaborer des concepts plus audacieux, évoquant un monde unipolaire. Ainsi, les idées de Mackinder ont retrouvé leur fraîcheur et leur pertinence. Pour obtenir la victoire décisive et finale de la civilisation de la mer, il fallait briser le bloc de Varsovie, puis de préférence l'URSS, et enfin ce qu'il en restait. En d'autres termes, faire progresser de manière significative le Rimland dans les profondeurs de la terre, en le bridant et en bloquant l'accès aux "mers chaudes", vers lesquelles la Russie tentait constamment de se porter.
L'un des géopoliticiens atlantistes les plus constants était Zbigniew Brzezinski. À l'époque bipolaire, il soutenait farouchement les forces antisoviétiques en Afghanistan, jusqu'à et y compris Al-Qaïda. Au début des années 80, Brzezinski et Kissinger se sont efforcés de rompre définitivement les derniers liens que la Chine entretenait encore avec l'URSS, en cherchant à l'inclure dans l'économie mondiale et à l'intégrer progressivement dans la civilisation de la mer.
Lorsque les processus destructeurs de l'URSS ont commencé à agir, les atlantistes ont augmenté la pression sur l'Europe de l'Est, provoquant, fomentant et soutenant par tous les moyens possibles des sentiments artificiellement antisoviétiques/russophobes. D'un point de vue géopolitique, le soviétique et le russe coïncidaient à l'époque.
Avec Gorbatchev, l'effondrement rapide du camp socialiste a commencé. La Terre reculait, la Mer avançait. Nous ne devons donc pas être surpris que l'expansion de l'OTAN vers l'Est ait commencé et se soit parachevé. Cette expansion était à l'origine inscrite dans la théorie géopolitique de l'atlantisme. On ne pouvait rien attendre d'autre de la politique atlantiste.
La création de l'anti-Russie
Lorsque l'on a assisté à l'effondrement de l'URSS, les projets de Mackinder visant à démembrer la Russie-Eurasie, redevenaient toujours plus pertinents. Les frontières conditionnelles des républiques au sein d'un État unitaire, entièrement et étroitement contrôlé par le parti communiste, se sont soudainement transformées en frontières d'États-nations souverains. Tous les États post-soviétiques ont été créés selon les moules atlantistes. Ces entités n'ont d'autre sens que d'être anti-russes. L'une de ces "Anti-Russie" était la Fédération de Russie elle-même. Mais parce que la Fédération de Russie occupait le territoire du Heartland, même si elle s'est considérablement réduite, elle représente toujours la Terre ennemie aux yeux des géopoliticiens atlantistes, c'est-à-dire de l'ennemi thalassocratique. Et pour achever l'ennemi, il a fallu pousser l'OTAN plus loin vers l'Eurasie, et aussi tenter de démembrer la Russie elle-même (la première campagne de Tchétchénie, la vague des séparatismes internes à la Fédération de Russie, etc.)
La Russie ne pourra jamais se relancer sans l'Ukraine.
Tous ces processus, Brzezinski les a compris et a contribué à les mettre en pratique (comme Mackinder l'avait fait auparavant). Dans son célèbre livre Le grand échiquier, Brzezinski parle ouvertement de la nécessité de démembrer davantage la Russie, de renforcer le "cordon sanitaire", etc. Plus important encore, Brzezinski comprend le rôle de l'Ukraine dans cette question. Brzezinski dit à son propos que la chose la plus importante est :
- d'arracher irrévocablement l'Ukraine, alors hésitante, à la Russie,
- d'en faire un avant-poste de l'Atlantisme et
- d'imposer à son peuple le nationalisme russophobe comme idéologie principale.
Sans l'Ukraine, la Russie ne sera jamais en mesure de devenir une puissance souveraine à part entière, un Empire, un pôle indépendant du monde multipolaire. Ainsi, le sort de l'unipolarité et du globalisme (pour Brzezinski, c'est presque la même chose), dépend de la capacité de l'Occident à mettre en œuvre la séparation de l'Ukraine d'avec la Fédération de Russie. Après tout, si la Russie et l'Ukraine s'unissent - d'une manière ou d'une autre, l'unipolarité s'effondrera et la carte géopolitique changera à nouveau de manière irréversible.
La bataille pour l'Ukraine et contre la Russie est une constante historique dans la stratégie géopolitique de l'Occident. Cela explique tout, de la déclaration d'indépendance à la révolution orange Iouchtchenko-Timochenko, en passant par le Maïdan et huit années de préparation intensifiée par Kiev, sous la houlette des instructeurs atlantistes, aux opérations militaires visant à s'emparer du Donbass et de la Crimée.
La naissance de la géopolitique en Russie : L'Eurasie comme sujet
Depuis le début des années 1990 en Russie, juste au moment de l'effondrement de l'URSS et de l'arrivée au pouvoir des agents atlantistes (l'ancien ministre des Affaires étrangères Andrey Kozyrev a directement admis qu'il était un atlantiste), contrairement à l'attitude politique et idéologique de base envers le libéralisme et l'occidentalisme, la Russie - principalement dans les cercles militaires (en particulier, à l'Académie d'état-major militaire) - a commencé à développer sa propre école géopolitique. Elle était basée sur l'eurasisme, car ce sont les premiers Eurasiens russes qui, dans les années 1920, ont décrit la carte géopolitique de la confrontation entre la Russie et l'Occident, en dehors de l'idéologie communiste (les Eurasiens étaient des Blancs). Leurs idées sont les plus adaptées à la situation actuelle, face à l'offensive de l'OTAN à l'Est et aux propres politiques incompréhensibles (par endroits perfides) de Moscou. Les militaires ne pouvaient pas prendre pour amis ceux dont ils enregistraient toutes les heures les intentions et les actions agressives contre la Russie. Mais le gouvernement libéral est resté sourd à la géopolitique. Néanmoins, l'école géopolitique ne pouvait être détruite. Tout le monde était occupé par les processus fascinants de la corruption totale.
La géopolitique expliquait parfaitement ce qui se passait en Europe de l'Est et dans l'espace post-soviétique dans les années 1990 (l'écrasement par la mer de la terre, l'expansion des "cordons sanitaires" et du territoire du Rimland), mais cette compréhension restait à l'intérieur des cercles militaires, qui n'appréciaient guère la politique officielle, mais qui n'avaient à l'époque aucun poids ni aucune influence politique. Les atlantistes, en revanche, ont méthodiquement poursuivi leur cause, nourrissant et renforçant l'anti-Russie, à la fois à l'extérieur et, en partie, au sein même de la Fédération de Russie.
Poutine change le vecteur géopolitique
Tout a changé lorsque Poutine est arrivé au pouvoir. Il a commencé par restaurer la souveraineté de la Russie, à se débarrasser des agents atlantistes qui étaient à la tête du pays, à concentrer et à développer son potentiel militaire, et à renforcer l'unité de la Russie. La deuxième campagne de Tchétchénie, l'introduction des districts fédéraux et les changements dans la législation ont renforcé l'intégrité territoriale et la verticalité du pouvoir. Poutine a progressivement commencé à s'opposer de plus en plus à l'Occident et à mener une politique d'intégration eurasienne dans l'espace post-soviétique. En bref, Poutine a rendu à la Russie le statut de sujet de la géopolitique, et a anénati son état de déréliction, qui faisait d'elle un objet de la géopolitique globale, atlantiste. Il a rejoint de manière consciente et responsable la grande guerre continentale au nom de la Terre.
Cela n'a pas échappé à l'Occident et a entraîné une pression accrue sur les pays post-soviétiques pour qu'ils adoptent une position de plus en plus anti-russe, pour qu'ils s'intègrent plus rapidement aux structures occidentales. Cela a touché tous les pays post-soviétiques, mais surtout l'Ukraine. Il dépendait de l'Ukraine de déterminer si la Russie serait capable ou non de restaurer pleinement sa souveraineté géopolitique. Selon les lois de la géopolitique, sans l'Ukraine, la Russie n'est pas un Empire, pas un pôle, pas une civilisation, mais avec l'Ukraine, elle est un Empire, un pôle et une civilisation. Et cette formule peut être lue depuis deux positions - celle des yeux de la Mer et celle des yeux de la Terre. De toute évidence, Poutine l'a lue avec les yeux de la Terre, car il était et reste le dirigeant du Heartland, conscient et puissant.
Le nationalisme ukrainien comme outil géopolitique de l'Atlantisme
Dans le même temps, l'initiateur des cataclysmes en Ukraine était l'Occident atlantiste. Même les politiques neutres, modérément pro-occidentales - multi-vectorielles - de Kuchma ou de Yanukovich ne convenaient pas aux atlantistes. Ceux-ci ont fait pression sur Kiev pour que l'Ukraine se transforme le plus rapidement possible en une anti-Russie agressive et radicale, attaquante. Dans cette logique, Kiev devait attaquer.
Cela explique la Révolution orange, le Maïdan et les raisons de l'opération militaire russe actuelle.
L'Occident se battait pour l'Ukraine. Il faut tenir compte du fait que l'Ukraine n'a pas du tout d'histoire en tant qu'Etat inscrit dans la durée, et que les territoires dans lesquels elle se trouve sont historiquement accidentels et sont le résultat de la créativité administrative des bolcheviks. Lorsque Poutine a justifié l'opération militaire en Ukraine en disant que "Lénine a créé l'Ukraine", il avait parfaitement raison. Cependant, Lénine n'a pas créé l'Ukraine en tant que telle, mais une des zones de contrôle bolchevique parmi d'autres. La nationalité, selon la théorie bolchevique, devait être complètement dépassée dans une société internationale socialiste. Lénine a créé l'Ukraine et l'a en fait immédiatement abolie.
Par conséquent, après 1991, il y avait sur le territoire de l'Ukraine des peuples et des territoires ayant chacun une histoire, une identité, une langue et une culture complètement différentes. La moitié d'entre eux n'étaient pas du tout différents des Russes. La seconde moitié était constituée d'Ukrainiens plus ou moins russifiés. Et seule une écrasante minorité professait une idéologie nationaliste autoproclamée. Mais seule cette minorité était capable, selon les géopoliticiens occidentaux, de transformer les Ukrainiens en une "nation" et ce, à un rythme accéléré. Il s'agissait d'un projet géopolitique atlantiste. Dans d'autres pays, l'Occident a soigneusement éradiqué le nationalisme, surtout dans ses formes radicales. En Ukraine, cependant, l'Occident a agi exactement à l'inverse, soutenant activement toutes les formes de nationalisme jusqu'aux plus extrêmes. Selon les stratèges atlantistes, c'était le seul moyen d'accélérer la formation d'une construction artificielle, rigidement russophobe, un simulacre virtuel de nation. C'est pourquoi la sphère de l'information était si importante, car elle inculquait de manière obsessionnelle aux Ukrainiens une haine infondée des Russes et de tout ce qui unissait nos peuples. Toutes les inepties étaient utilisées, jusqu'à "l'ancienne civilisation des anciens Ukrainiens", ce qui n'aurait provoqué qu'une totale perplexité en Occident. Cependant, toute l'opération était supervisée par les services secrets atlantistes, et c'est pourquoi l'Occident a créé une image artificielle de l'Ukraine comme une jeune démocratie ouvertement vulnérable, souffrant de la menace russe. En fait, un état d'esprit nazi s'est affirmé de manière obsessionnelle dans la société, inextricablement lié à l'atlantisme et même au mondialisme libéral (peu importe combien ces systèmes se contredisent, car le mondialisme nie l'État, et le libéralisme toute identité collective, et surtout l'identité nationale).
L'affrontement final
Le virage russophobe prononcé de Kiev et de l'ensemble de la société ukrainienne est le résultat des événements de Maidan de 2013-2014, qui ont culminé avec l'expulsion et la fuite du président Ianoukovitch. Ianoukovitch n'était ni un politicien pro-russe ni un eurasiste. C'était plutôt un pragmatique à courte vue, mais même cela, du point de vue de l'Occident, était tout aussi inacceptable. L'Occident voulait "tout et pas tout". En regardant la Russie de Poutine se renforcer et en tenant compte des événements de 2008 en Géorgie, où l'Occident a également opposé Saakashvili à la Russie, mais où le résultat n'était clairement pas en faveur de la civilisation de la Mer, les Atlantistes ont décidé d'agir par les méthodes les plus radicales.
L'actuel président américain Joe Biden, alors vice-président, et d'autres membres de son équipe, comme Victoria Nuland, etc., ont participé très activement au renversement de Ianoukovitch et à la préparation du Maïdan. L'objectif était le même que celui de Mackinder et Brzezinski : arracher enfin l'Ukraine à la Russie et préparer le terrain pour un conflit violent entre Kiev et Moscou.
Poutine a répondu en ramenant la Crimée dans le giron russe et en soutenant le Donbass, mais cela n'a pas résolu le problème sur le plan géopolitique. Poutine a déjoué le plan visant à accélérer l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, notamment celui qui visait à expulser la marine russe de Sébastopol, il a ensuite empêché les génocides en Crimée et dans le Donbass, mais l'ampleur de l'Ukraine était trop importante pour qu'il puisse poursuivre son offensive eurasienne en 2014 et mener la défense du monde russe à sa conclusion logique. À ce moment-là, la Terre a cessé de réagir. Le processus des accords de Minsk avait commencé, mais d'un point de vue géopolitique, il était évident qu'aucune solution pacifique ne pourrait être trouvée et qu'une confrontation directe se produirait inévitablement tôt ou tard. En outre, les services de renseignement russes ont reçu des informations selon lesquelles la partie ukrainienne ne faisait que profiter de ce report pour préparer une opération militaire dans le Donbass, puis en Crimée.
Les forces nationalistes qui avaient remporté le coup d'État de 2014 à Kiev haïssaient encore plus la Russie, déployaient une propagande massive pour laver le cerveau de la population, lançaient une opération punitive brutale contre les habitants du Donbass, victimes d'un génocide systématique, et préparaient une attaque contre le Donbass et la Crimée d'ici le printemps 2022. Dans le même temps, Kiev, en collaboration avec l'Occident, élaborait des plans pour construire ses propres armes nucléaires. En outre, il y avait des laboratoires biologiques dispersés dans toute l'Ukraine, engagés dans des expériences illégales pour produire des armes biologiques.
Tout cela faisait partie d'une même géostratégie atlantiste.
[1] L'armée blanche (également connue sous le nom de Gardes blancs ou simplement Blancs) était des forces militaires qui ont combattu le régime bolchevique pendant la guerre civile russe.
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Les limites de la patience russe
La limite de la patience russe
Par Claudio Mutti
Source: https://www.eurasia-rivista.com/il-limite-della-pazienza-russa/
"Patrie de la patience, terre des Russes !"
Fyodor Ivanovič Tjutčev
Il y a environ trente ans, en 1993, le politologue américain John Mearsheimer posait l'éclatement d'un conflit entre la Russie et l'Ukraine comme inévitable. "La situation, écrit-il dans Foreign Affairs, est mûre pour qu'une vive rivalité sécuritaire éclate entre les deux pays. Les grandes puissances divisées par une ligne frontalière très large et non protégée, comme celle qui sépare la Russie et l'Ukraine, entrent souvent en conflit poussées par la crainte pour leur propre sécurité. La Russie et l'Ukraine pourraient surmonter cette dynamique et apprendre à vivre ensemble en harmonie, mais une telle solution serait très inhabituelle (1).
A cette approche, basée sur un modèle "étatiste" de l'école réaliste, Samuel Huntington reproche d'ignorer le fait historique des "liens historiques, culturels et personnels étroits qui unissent la Russie et l'Ukraine et le fort degré d'assimilation mutuelle qui existe entre les populations des deux pays" [2] ; soulignant plutôt la "profonde césure culturelle qui divise l'Ukraine orthodoxe orientale et l'Ukraine uniate occidentale" [3], le théoricien du "choc des civilisations" a appelé à envisager la possibilité d'une scission du pays en deux parties, mais a jugé improbable une guerre russo-ukrainienne.
Presque simultanément, l'ancien conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski, se référant ouvertement à la célèbre formule de Sir Harold Mackinder ("Celui qui gouverne l'Europe de l'Est gouverne le cœur du monde ; celui qui gouverne le cœur du monde gouverne le monde insulaire [4] ; celui qui gouverne le monde insulaire gouverne le monde" [5]), a illustré la fonction stratégique fondamentale qu'une Ukraine séparée de la Russie pourrait jouer pour faciliter le renforcement du contrôle américain sur l'Eurasie.
"L'Ukraine, nouvel espace important sur l'échiquier eurasien", a soutenu Brzezinski dans Le Grand Échiquier, "est un pivot géopolitique parce que son existence même en tant que pays indépendant contribue à transformer la Russie. Sans l'Ukraine, la Russie cesse d'être un empire eurasien. (...) Si Moscou reprend le contrôle de l'Ukraine, avec ses cinquante-deux millions d'habitants et ses grandes ressources, ainsi que l'accès à la mer Noire, la Russie trouve automatiquement un moyen de devenir un puissant État impérial, s'étendant sur l'Europe et l'Asie" [6].
La "géostratégie pour l'Eurasie" [7], proposée par Brzezinski aux États-Unis, impliquait donc qu'il fallait à tout prix empêcher Moscou d'exercer son hégémonie sur sa sphère d'influence historique. L'Ukraine, à laquelle Brzezinski a assigné la fonction de bloquer la Russie à l'ouest et au sud, est ainsi devenue le "bouclier défensif" de l'Europe centrale (un concept réitéré dans les mêmes termes, vingt-cinq ans plus tard, par le président ukrainien Volodymyr Zelensky à la Conférence de Munich sur la sécurité [8]) ; une autre tâche de l'Ukraine serait de maintenir le Belarus sous un contrôle constant. Enfin, bien que Brzezinski se soit rendu compte que la Russie aurait "incomparablement plus de mal" [9] à accepter l'entrée de l'Ukraine dans l'alliance militaire hégémonisée par les États-Unis, Kiev fournirait à l'OTAN des bases militaires et lui garantirait l'accès à la mer Noire. Ainsi, avec l'affaiblissement de la Russie, l'Ukraine aurait été le canal permettant de relier le bloc occidental à la région de la Transcaucasie et lui aurait donc permis de menacer la République islamique d'Iran à bout portant.
Le projet élaboré par Brzezinski constitue le contexte stratégique du document que l'OTAN et l'Ukraine ont elles-mêmes signé en 1997 pour formaliser leur partenariat. Dans ce document, on peut lire que "le rôle positif de l'OTAN consiste à maintenir la paix et la stabilité en Europe, à promouvoir une plus grande confiance et une plus grande transparence dans la zone euro-atlantique, et à ouvrir la coopération avec les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale, dont l'Ukraine est une partie inséparable". Plus tard, en novembre 2002, les relations entre l'OTAN et l'Ukraine seront approfondies et élargies avec l'adoption du plan d'action OTAN-Ukraine, "qui renforce les activités de réforme de l'Ukraine en vue de sa pleine intégration dans les structures de sécurité euro-atlantiques" [10].
Dans le projet géostratégique de Brzezinski, le rôle attribué à l'Ukraine s'inscrivait dans un panorama européen caractérisé par l'élargissement de l'OTAN à l'Est et l'élargissement complémentaire de l'Union européenne, "tête de pont géopolitique essentielle de l'Amérique en Eurasie"[11]. L'élargissement de l'Union européenne n'aurait donc pas dû inquiéter outre mesure la Maison Blanche, bien au contraire. "Une Europe plus grande - a assuré Brzezinski - élargira le champ de l'influence américaine (...) sans créer en même temps une Europe, si intégrée politiquement qu'elle pourrait bientôt défier les États-Unis dans des affaires géopolitiques de grande importance pour l'Amérique ailleurs dans le monde, notamment au Moyen-Orient" [12].
En offrant à l'Ukraine la perspective d'adhérer à l'Union européenne, en s'ingérant sans vergogne dans les affaires ukrainiennes pour aider les subversifs de Maïdan à transformer l'Ukraine en un pays hostile à la Russie, en apportant un soutien politique et militaire au régime issu du coup d'État, et en soutenant les initiatives anti-russes des administrations américaines, l'Union européenne et les gouvernements de certains pays européens ont activement collaboré à la consolidation de la "tête de pont démocratique" requise par le projet américain de pénétration du continent eurasien.
Enfin, après plus de 20 ans de patience, la Russie a été contrainte de réagir. Même un ancien soldat de l'OTAN, le général Marco Bertolini [13], a admis: "Les États-Unis ne se sont pas contentés de gagner la guerre froide, ils ont également voulu humilier la Russie en prenant tout ce qui se trouvait d'une certaine manière dans leur zone d'influence. La Russie a vu les États baltes, la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie entrer dans l'OTAN : face à l'Ukraine, qui lui aurait ôté toute possibilité d'accès à la mer Noire, elle a réagi" [14].
Bien avant de franchir le Rubicon, Vladimir Poutine avait averti l'Occident. Déjà en 2007, lors de la conférence annuelle sur la sécurité de Munich, il avait dénoncé le caractère agressif et provocateur de l'expansion de l'OTAN. En Bulgarie et en Roumanie, dit-il, il y a des bases américaines dites avancées avec environ cinq mille hommes chacune. Il s'avère que l'OTAN a déployé ses forces avancées en direction de nos frontières, tandis que nous, tout en continuant à remplir nos engagements en vertu du traité [15], nous ne réagissons en aucune façon. Je pense qu'il est évident que l'expansion de l'OTAN n'a rien à voir avec la modernisation de l'Alliance elle-même ou la sécurisation de l'Europe. Au contraire, elle représente un sérieux facteur de provocation qui réduit le niveau de confiance mutuelle. Et nous avons le droit de demander : contre qui cette expansion a-t-elle lieu ? Et qu'est-il advenu des déclarations faites par nos interlocuteurs occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie ? Où sont ces déclarations aujourd'hui ?" [16].
NOTES
[1] John J. Mearsheimer, "The Case for a Nuclear Deterrent", dans Foreign Affairs, n° 72, été 1993, p. 54.
[2] Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations et le nouvel ordre mondial, Garzanti, Milan 2001, pp. 38.
[3] Samuel P. Huntington, op. cit. p. 39.
[4] L'île-monde est, pour Mackinder, la masse continentale qui comprend l'Europe, l'Asie et l'Afrique.
[5] "Qui gouverne l'Europe de l'Est commande le Heartland ; qui gouverne le Heartland commande l'île-monde ; qui gouverne l'île-monde commande le monde" (H. J. Mackinder, Democratic Ideals and Reality. A Study in the Politics of Reconstruction, [1919, 1942], National Defense University, Washington 1996, p. 106.
[6] Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard. American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, Basic Books, New York 1997, p. 46.
[7] Zbigniew Brzezinski, op. cit. p. 197.
[8] "L'Ukraine est le 'bouclier de l'Europe' contre l'armée russe. C'est ce qu'a déclaré le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors de la conférence sur la sécurité de Munich" (ANSA, Berlin, 19 février 2022).
[9] Zbigniew Brzezinski, op. cit. p. 121.
[10] https://www.nato.int/docu/sec-partnership/sec-partner-it.pdf
[11] Zbigniew Brzezinski, "A Geostrategy for Eurasia", Foreign Affairs, septembre-octobre 1997, p. 53.
[12] Zbigniew Brzezinski, op. cit, p. 199.
[13] Le général Marco Bertolini était, entre autres, le chef d'état-major de la "force d'extraction" de l'OTAN en République de Macédoine (ARYM) pour la récupération éventuelle des vérificateurs de l'OSCE au Kosovo.
[14] www.liberoquotidiano.it, 24 février 2022.
[15] Le Traité adapté sur les forces armées conventionnelles en Europe, signé en 1999.
[16] Discours de Vladimir Poutine à la 43e Conférence de Munich sur la sécurité, Eurasia. Journal of Geopolitical Studies, 2/2007, p. 251.
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vendredi, 11 mars 2022
Deoorlog in Oekraïne en de geopolitieke rol van Europa
18:43 Publié dans Actualité, Evénement, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jurgen ceder, robert steuckers, géopolitique, politique internationale, événement, débat | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Pourquoi Biden voulait que Poutine attaque l'Ukraine
Pourquoi Biden voulait que Poutine attaque l'Ukraine
Maria Scopece
Toutes les convergences parallèles de la Russie et des États-Unis en Ukraine. Le rôle du Qatar sur le gaz à destination de l'Europe selon l'administration américaine. Et les faiblesses internes de Biden et de Poutine. Conversation entre Germano Dottori (Limes) et Lucio Martino (Institut Guarini)
SOURCE : https://www.startmag.it/mondo/ucraina-russia-usa/?fbclid=IwAR2eShy-pb385NegsS_0TTT8kXsvbNBTzUFlRIl2uAArvB5XNheqDgeB7Qc
Cui prodest la menace de guerre en Ukraine ? Au président russe Vladimir Poutine et au président américain Joe Biden. Le professeur Germano Dottori, analyste géopolitique et conseiller scientifique de la revue de géopolitique Limes, et Lucio Martino, membre de l'Institut Guarini pour les affaires publiques de l'Université John Cabot et ancien directeur de recherche au Cemiss, le Centre militaire d'études stratégiques, soutiennent la convergence parallèle des intérêts des deux dirigeants.
Dossier Ukraine
"Les objectifs de politique étrangère actuellement poursuivis par l'administration américaine sont clairement wilsoniens, l'extension et la protection de la démocratie partout dans le monde font désormais partie d'une stratégie et d'une idéologie néo-conservatrices - a souligné Lucio Martino lors d'une conversation sur la page Facebook du professeur Dottori . De plus, la politique étrangère de l'administration Biden est entre les mains de personnes comme Victoria Nuland, l'épouse de Robert Kagan, l'idéologue de l'administration de Bush fils, celui des guerres du Moyen-Orient, mais aussi comme Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale, ou Antony Blinken, le secrétaire d'État lui-même. C'est la même équipe qui a signé la politique étrangère américaine de 2003, la guerre en Irak, la question du Kosovo de 2008 et la crise ukrainienne de 2014. C'est une équipe qui a pour objectif de réduire la taille de la Fédération de Russie, de ce point de vue idéologique, il y a donc une cohérence."
Victoria Nuland et le scandale de la crise ukrainienne de 2014
Victoria Nuland est une diplomate de longue date, elle a été directrice adjointe du département des affaires soviétiques pendant la présidence Clinton et conseillère du vice-président Dick Cheney. George Bush Jr l'a nommée ambassadrice auprès de l'OTAN à Bruxelles et, sous le président Obama, elle est devenue secrétaire d'État adjointe aux affaires européennes et eurasiennes, gérant les relations diplomatiques avec les pays européens et l'OTAN. Elle a joué un rôle central dans la gestion de la crise ukrainienne en 2014, et a été au centre d'un scandale parce qu'elle a dit Fuck the EU lors d'un appel téléphonique privé avec l'ambassadeur américain en Ukraine, Geoffrey Pyatt. L'appel téléphonique a été intercepté et publié sur Youtube.
Biden et les difficultés de la politique intérieure
Environ un an après son élection, Joe Biden navigue déjà en eaux troubles. Sa cote d'approbation personnelle n'a cessé de baisser, passant de 55 % à 36 %, son retrait précipité d'Afghanistan a porté un coup à son image, l'inflation a atteint 6 % pour la première fois depuis des décennies et le déficit fédéral a atteint le chiffre record de 3000 milliards de dollars. "L'administration Biden n'a guère connu de lune de miel avec son électorat", a ajouté M. Martino. "L'inflation est la plus élevée depuis quarante ans, ce qui a même entraîné une pénurie de produits de première nécessité. C'est un pays divisé culturellement, politiquement et aussi ethniquement selon des lignes identitaires qui sont les mêmes que celles de la guerre civile d'il y a 150 ans". Dans ce contexte, le succès en politique étrangère pourrait être une porte de sortie. "L'administration Biden se tourne vers la politique étrangère pour chercher l'affirmation et le succès, ce théâtre pourrait être l'Ukraine".
Les intérêts américains au Qatar
L'une des raisons des intérêts anti-russes des États-Unis concerne le gaz qatari. Selon Lucio Martino, les Etats-Unis voudraient "rediriger les intérêts européens loin de la Russie par le biais d'un mécanisme de sanction encore plus sévère que celui qui est actuellement en place. Je ferais le rapprochement entre la crise ukrainienne et l'accord qui vient d'être conclu avec le Qatar, qui est un autre grand producteur de gaz naturel". Le Qatar "a été élevé au rang de pays allié, presque comme s'il était membre de l'OTAN. Le grand dessein, s'il en est un poursuivi par l'administration Biden, me semble être celui-ci", a ajouté M. Martino.
Poutine cherche le succès en politique étrangère
Détourner l'attention des problèmes intérieurs vers la politique étrangère n'est pas l'apanage de l'administration américaine. "J'ai l'impression que le succès que Poutine cherche à obtenir actuellement en Ukraine est de fixer des enjeux et d'empêcher l'alliance atlantique de s'étendre davantage vers l'est, en arguant que la Fédération de Russie ne peut l'accepter, et en essayant également de montrer aux dirigeants ukrainiens actuels que la garantie de sécurité fournie par l'Occident à leur pays n'est pas si solide. Le jeu dialectique qui se joue entre les parties atteindra à un moment donné un "moment de vérité".
La guerre : une hypothèse plausible pour le déclenchement des sanctions
La guerre, selon Dottori, serait une hypothèse plausible. Mon impression est que les Américains essaient de convaincre les Russes que l'agression peut être payante", selon le conseiller scientifique de la revue Limes : "Au moment où ils font savoir au monde entier que la guerre est probable, ils en font en quelque sorte une hypothèse normale, voire acceptable, à laquelle l'opinion publique internationale est préparée, et d'autre part, en abandonnant les Ukrainiens à leur destin, ils mettent Poutine dans la position de devoir envisager une attaque facile, ou en tout cas une situation dans laquelle l'Ukraine se retrouve complètement seule".
L'attaque contre l'économie européenne
Tout cela peut entraîner d'énormes conséquences. "Si les Russes n'attaquent pas, la stratégie américaine tire un coup dans l'eau - a ajouté M. Dottori - Si les Russes attaquent et mènent une offensive même limitée, des sanctions sont déclenchées, ce qui pourrait être le véritable objectif de l'administration américaine, afin de séparer définitivement la Russie du marché européen de l'énergie et de porter en quelque sorte un coup à la solidité de l'économie européenne à un moment où l'Europe sort de la pandémie et a besoin de se relancer. La stratégie comporte de multiples objectifs dans lesquels l'Europe peut également être une cible. L'Ukraine est un jeu complexe dans lequel les Européens, les Américains et les Russes ne sont pas complètement alignés, en fait ils me semblent être en compétition les uns avec les autres.
Maria Scopece
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La guerre de religion de Vladimir Poutine
La guerre de religion de Vladimir Poutine
Vladimir Poutine a attaqué l'Ukraine animé par un dessein politico-religieux ultra-conservateur. L'autonomie de Kiev signifie également l'autocéphalie de l'Église orthodoxe ukrainienne
Andrea Molle
Source: https://www.dissipatio.it/putin-dostoevskij-ucraina/
En Occident, nous sommes certains que Poutine a envahi l'Ukraine uniquement pour des raisons géopolitiques, stratégiques ou économiques et nous oublions un facteur fondamental de la politique russe contemporaine : la religion. C'est parce que, malheureusement, en Occident, la religion est considérée comme un élément irrationnel, ou tout au plus comme une expérience privée et en tout cas sans rapport avec la dynamique de la politique.
En réalité, on pourrait dire, à mon avis, que l'invasion est pour Poutine un acte profondément religieux. Ou plutôt une étape dans son projet de recréer un État impérial chrétien sur le modèle des anciens empires préindustriels : une entité étatique qui réunit le pouvoir temporel et spirituel, se proposant alors comme l'unique référence internationale pour ceux qui rejettent la laïcité, qu'elle soit de type néo-libéral individualiste en Occident, ou de type collectiviste socialiste en Chine.
Le plan de Poutine s'inscrit dans un cadre contre-révolutionnaire plus complexe dans lequel les franges traditionalistes de l'orthodoxie russe, du protestantisme évangélique américain et du traditionalisme catholique convergent dans le cadre d'une unité supranationale inspirée du christianisme médiéval. Le dénominateur commun de cette agrégation est le désir de réaffirmer la pureté de la foi chrétienne en opposition au sécularisme décadent du monde occidental et au pouvoir croissant de la Chine et du monde islamique, tel qu'envisagé par Samuel Huntington.
De ce point de vue, nous pouvons également comprendre la dynamique de l'action de désinformation promue par le Kremlin ces dernières années. Si nous analysons son contenu, tant textuel que visuel (mèmes), nous pouvons mettre en évidence des lignes de tendance qui reposent largement sur le fondamentalisme chrétien. Pour cette raison, ils ont immédiatement gagné l'approbation des mouvements traditionalistes et identitaires. Au fil des ans, ils ont également alimenté l'idée que Poutine est une sorte de figure messianique, la seule entité politique capable aujourd'hui de contrer la dégradation et l'immoralité prêtées à la civilisation occidentale en la restaurant aux splendeurs d'un supposé âge d'or.
Aux États-Unis, le nationalisme chrétien s'est incarné à la fois dans le monde subversif du suprémacisme blanc et dans le monde institutionnel du courant "théo-con" et de la soi-disant alt-right, initialement promue par Steve Bannon et qui voit aujourd'hui plusieurs représentants politiques siéger au Congrès américain. L'Europe catholique, en revanche, a posé un sérieux problème pour la réalisation de cette convergence transnationale. L'élection du pape François en 2013 s'est avérée capable d'endiguer la formation d'un axe transversal entre les deux côtés de l'Atlantique. Malgré les nombreuses tentatives faites tant par les Américains, par exemple à travers leur soutien au Brexit ou l'ouverture d'un think tank dirigé par Bannon lui-même à Rome, que par les Russes, avec les fréquents voyages en Europe du philosophe politique et représentant du courant mystique et noétique au sein de l'orthodoxie Aleksandr Gelyevich Dugin (Douguine), le projet n'a jamais vraiment pris pied sur le vieux continent. Il y a toutefois eu l'émergence d'un courant traditionaliste quantitativement important au sein de l'Église catholique, mais il n'a jamais réussi à créer une masse critique suffisante pour promouvoir un véritable schisme. C'est ici, d'ailleurs, que l'on trouve bon nombre des partisans européens de Poutine.
En Russie, grâce également à l'application des préceptes de la Quatrième théorie politique de Douguine, Poutine a réussi à promouvoir l'Église orthodoxe comme point de référence de ce mouvement, gagnant ainsi à la fois la sympathie des évangéliques américains et l'intérêt des traditionalistes européens. Ces dernières années, Poutine a vu sa popularité croître en tant que point de référence moral de ce monde. Et c'est là que se pose, à mon avis, la question ukrainienne : l'Église orthodoxe ukrainienne n'a jamais reconnu la prétention de Moscou à la primauté et c'est un sérieux problème pour Poutine, car, dans la théologie orthodoxe qu'il a embrassée, Kiev occupe religieusement la deuxième place après Jérusalem.
Pour faire court, en 980, le prince Vladimir le Grand a unifié les actuelles Russie, Biélorussie et Ukraine en un seul royaume. Se tournant vers Constantinople, Vladimir décide de se convertir au christianisme, épousant l'une des princesses impériales et faisant passer l'ensemble du royaume sous l'égide de l'église byzantine. Dès lors, Kiev devient un centre névralgique de l'Empire byzantin, comme en témoigne sa riche architecture religieuse. C'est également pour cette raison qu'au XIIIe siècle, la ville a été soumise aux tentatives de conquête d'autres princes russes et d'envahisseurs mongols, qui ont fini par s'installer dans ce qui est aujourd'hui Moscou, donnant naissance à l'Église orthodoxe russe, qui est devenue avec le temps l'une des églises les plus riches et les plus puissantes du monde oriental. La profonde tension entre le siège patriarcal de Moscou et l'Église ukrainienne a duré jusqu'à la chute de l'URSS, lorsque cette dernière a recommencé à se tourner vers Kiev. Avec la dissolution du bloc soviétique, les tensions ethniques bien connues ont commencé, entraînant l'émergence de tendances autonomistes parmi les minorités russes, comme par exemple en Crimée et aujourd'hui dans le Donbass, pour lesquelles la religion a toujours représenté un élément fondamental de leur identité ethnique. En 2018, l'Église orthodoxe ukrainienne unifiée s'est rendue complètement indépendante de Moscou, en réactivant l'ancien siège patriarcal à Kiev avec le placet du Patriarcat œcuménique de Constantinople.
Poutine et les autorités religieuses russes ont vivement protesté et ont tenté d'imposer leur primauté en s'appropriant la figure de Vladimir le Grand, prétendant qu'il n'était pas ukrainien mais russe. La proximité de Kiev avec le patriarcat de Constantinople, qui a toujours été le sommet de l'orthodoxie et qui, au fil du temps, a adopté des positions progressistes sur diverses questions religieuses et sociales, a été considérée comme une menace directe pour le pouvoir du patriarcat de Moscou, qui aspire au contraire à devenir le symbole du conservatisme et du traditionalisme chrétien dans le monde entier.
Pour le président russe, dont la fortune politique est également due à sa capacité à faire appel aux sentiments religieux de son peuple, prendre parti contre Kiev était nécessaire pour légitimer ses propres aspirations politiques et religieuses. Vladimir Poutine a commencé à se considérer comme le véritable héritier de Vladimir le Grand, se voyant comme une sorte de Vladimir II, en mission pour reconstruire l'âme et les frontières de la Sainte Mère Russie.
Cela explique pourquoi l'existence même de l'Ukraine en tant qu'État indépendant et prétendant au rôle d'unificateur et de "christianisateur" des peuples russes est lue par Poutine presque comme une offense personnelle. Pour Poutine et l'Église de Moscou, l'invasion est donc devenue une partie indispensable de la croisade pour reconquérir la terre sainte de l'orthodoxie, dans laquelle Kiev figure comme une seconde Jérusalem.
Cela explique également la participation forcée de la Biélorussie au conflit. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, quand on écoute attentivement les discours de Poutine, on y trouve de nombreuses références pseudo-religieuses et eschatologiques à ce conflit. Enfin, un élément très important est la fréquence et la quasi-intimité de ses contacts passés et présents avec Israël (Jérusalem), la Turquie (Constantinople) et l'Italie (Rome) : des pays qu'il considère peut-être secrètement comme les seuls dignes d'interagir sur un pied de quasi-égalité avec la Russie, dans la mesure où ils sont les héritiers de ces mêmes empires auxquels il fait évidemment référence. En ce sens, l'Italie devrait peut-être occuper un rôle de premier plan dans les négociations, au lieu d'être éclipsée comme toujours par la France et l'Allemagne, pays envers lesquels Poutine ne cache pas un certain mépris paternaliste.
Il est difficile de faire des prédictions sur l'avenir du conflit, mais il est certain que les sanctions fondées sur la conception de la Russie comme un acteur rationnel influencé uniquement par des facteurs économiques ne suffisent pas. Poutine voit son combat comme une croisade contre l'hérésie et la décadence morale occidentale, où la renaissance de la Russie est inspirée et approuvée par Dieu. C'est pourquoi il sera très difficile de trouver une solution à la crise avec les outils auxquels nous avons été habitués jusqu'à présent, car Poutine ne peut même pas envisager de céder ses prétentions sur l'Ukraine.
10:10 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : religion, orthodoxie, patriarcat de moscou, patriarcat de kiev, russie, ukraine, europe, affaires européennes, vladimir poutine, eschatologie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Tout pour le pétrole: comment les Etats-Unis réhabilitent le Venezuela - Mais isoler la Russie pose problème à l'Europe!
Tout pour le pétrole: comment les Etats-Unis réhabilitent le Venezuela
Mais isoler la Russie pose problème à l'Europe!
Eugenio Palazzini
SOURCE : https://www.ilprimatonazionale.it/esteri/tutto-petrolio-cosi-usa-riabilitano-venezuela-isolare-russia-problema-europa-226438/
La guerre en cours ouvre les portes à une série de scénarios imprévisibles et met en lumière un aspect difficile à digérer pour ceux qui ont l'habitude d'observer les dynamiques géopolitiques avec un manichéisme superficiel. En substance, on assiste à une prise de conscience générale de la complexité inhérentes aux relations internationales. Aujourd'hui, plus que jamais, elles sont liquides, elles ne sont pas ancrées dans les schémas du siècle dernier, elles sont volatiles car les bases sur lesquelles elles sont construites sont strictement contingentes. Si nous saisissons ce concept, ce qui se passe dans un pays géographiquement très éloigné du conflit en Ukraine est frappant, mais pas trop surprenant. Nous parlerons ici du Venezuela, qui, sur le papier - du moins en politique plutôt qu'en géographique - est depuis des années proche de la Russie et éloigné des États-Unis.
Le Venezuela et les États-Unis, nous nous haïssions tellement
Avec l'imposition de sanctions à l'encontre de Moscou, le gouvernement de Caracas a réagi comme prévu : il ne s'est pas aligné en pointant du doigt l'Occident. "C'est un crime ce qu'ils font contre le peuple russe, une guerre économique. Maintenant que l'Occident a sombré dans l'hystérie, le désespoir et la folie contre la Russie, nous allons maintenir nos relations commerciales avec la Russie et nous sommes prêts à leur vendre tout ce que nous pouvons", a déclaré le président vénézuélien Nicolas Maduro. Prévisible, voire trop prévisible. Et pourtant, preuve du fluide qui érode toute certitude dans les relations entre nations, samedi dernier, quelque chose a ébranlé la position de granit qu'avait prise ce pays sud-américain.
Le pétrole de mon ennemi...
Une rencontre totalement inattendue entre une délégation du gouvernement des États-Unis et le gouvernement de Caracas. Une rencontre que Maduro a qualifiée de "respectueuse, cordiale et très diplomatique". Un jargon diplomatique inhabituel pour quelqu'un qui a l'habitude d'invectiver les Américains. "J'ai estimé qu'il était très important de pouvoir parler face à face des questions qui intéressent le plus le Venezuela et le monde", a déclaré Maduro, précisant que "les pourparlers, la coordination et un agenda positif avec le gouvernement des États-Unis se poursuivront". Sur quoi exactement ? C'est le président vénézuélien lui-même qui le souligne : "Le Venezuela est prêt, une fois que le Pdvsa (géant pétrolier vénézuélien, ndlr) sera renforcé, à augmenter d'un, deux, trois millions de barils si cela est nécessaire pour la stabilité du monde".
Le déménagement américain est un problème pour l'Europe
Ce revirement soudain sur les hydrocarbures intervient au moment où Washington envisage de nouvelles sanctions contre la Russie, notamment sur le pétrole et le gaz. En conséquence, l'administration Biden semble disposée, comme l'a souligné CNN hier, à envisager un assouplissement des sanctions à l'encontre du Venezuela, afin que Caracas puisse produire davantage de pétrole et ainsi le vendre sur le marché international. La démarche américaine semble donc claire : isoler encore plus la Russie, en l'éloignant également de ses alliés historiques en Amérique du Sud. Aucune mesure concrète n'a encore été prise dans ce sens. Pourtant, selon le New York Times, les États-Unis ont promis au Venezuela la libération de prisonniers afin de parvenir à un accord visant à acculer davantage les Russes. Il s'agit d'un plan très risqué pour des raisons évidentes, difficile à mettre en œuvre et peu souhaitable pour une Europe qui se trouverait en grande difficulté sur le plan énergétique. Comme si la situation, en laquelle nous nous débattons, n'était pas déjà assez mauvaise.
Eugenio Palazzini
09:47 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : états-unis, joebiden, venezuela, amérique du sud, amérique latine, pétrole, caraïbes, russie, sanctions sanctions antirusses, europe, affaires européennes, hydrocarbures | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 09 mars 2022
L'alliance franco-russe de Louis XVI relègue le projet de l'Union Européenne au niveau d'un bac-à-sable d'école maternelle !
L'alliance franco-russe de Louis XVI relègue le projet de l'Union Européenne au niveau d'un bac-à-sable d'école maternelle !
Par Frédéric Andreu
La tragédie qui secoue l'Europe ne veut absolument rien dire par elle-même. Sans le recours au temps long de l'Histoire, ces images de guerre qui nous martèlent nuit et jour ne font qu'imposer leur vérité. Or, une vérité, surtout lorsqu'elle est martelée par des médias partisans, n'est pas une découverte, c'est même exactement le contraire.
Ce modeste article reflète au contraire une découverte, résultat de l'“effet puzzle” produit par l'emboitement de plusieurs pièces, alors même que les bombes pleuvent sur Kiev.
Il y a quelques années, j'avais traversé la Biélorussie à bicyclette, puis l'Ukraine du nord au sud, jusqu'à la Crimée encore territoire ukrainien. Je me souviens que le passage de la frontière avait été rendu possible par une liasse de billets glissée dans la poche du douanier. Mon voyage sur les routes défoncées s'acheva au-dessus des falaises blanches d'où s'étalait une mer magnifiquement bleue pourtant appelée “mer noire”.
Ces souvenirs de voyages, ces images, ces rencontres, se sont emboitées à une carte, à des lectures, pour se transformer en pistes intuitives.
En lisant ces lignes, vous pouvez vous demander : quels rapports entretiennent les vociférations anti-russes de Biden, la guerre en Ukraine, Louis XVI, Catherine II ? Apparemment aucun ! Et pourtant.
On peut se dire : L'Ukraine de Poutine sera-t-elle le bourbier espagnol de Napoléon ? La résistance farouche des Ukrainiens est-elle comparable à celle des résistants pendant l'occupation allemande ? Tous ces rapprochements infusent en nous des émotions, éclairent des feux, mais qui n'éclairent finalement pas grand chose. La première des choses qui compte dans l'univers des compréhensions politiques, ce sont les contraintes géographiques, ce sont elles qui déterminent aussi bien les rapports entre voisins que le mindscape des peuples qui y habitent.
Or, l'Ukraine n'est pas une péninsule comme l'Espagne, ni un “finisterre” comme la France, mais une zone de contact continental avec deux polarités, l'Occident et la Russie (voire, trois si l'on y ajoute la Turquie) à la fois différentes et complémentaires. L'axe Estonie-Ukraine est une ligne de fracture qui oppose deux géopolitiques antagonistes, la première arrimée au Etats-Unis le “Sea-power" et la seconde, au "Land-Power" incarné par l'immense Russie. Puissances de la mer et puissances et la terre, d'un côté, une Europe gagnée par l'imaginaire libéral-américain ; de l'autre, une Russie pan-continentale, siège de la “troisième Rome”. Ce sont ces deux mondes qui s'affrontent aujourd'hui en Ukraine.
Tout cela dépasse, bien sûr, les personnes et les passions. Mais il faut connaître un peu les hommes car l'Histoire est aussi faite d'imaginaire, de personnalité, de passions et d'irrationnel.
Les masses humaines, lorsqu'elles sont guidées par des élites illégitimes, se limite au niveau du bas-ventre. Les Ukrainiens se trouvent aujourd'hui devant le choix du ventre devant celui de l'âme. Ils sont partagés entre, d'un côté, la perspective d'un salaire à 150 Euros qu'implique le rattachement au grand frère russe et, de l'autre, les paillettes de l'Occident...
Le problème, c'est que la stratégie insidieuse des Etats-Unis et de l'Otan oblige à cette alternative diabolique entre mourir à 50 ans dans une église orthodoxe ou à 75 dans un supermarché Carrefour.
Cela c'est la victoire posthume de Brzezinski, le merlin noir des élites étatsuniennes. A ce jeu-là, il n'est pas impossible que la guerre fratricide qui se déroule en Ukraine s'achève par la scission du pays de son territoire au niveau du fleuve Dniepr. L'Ukraine pays-tampon entre Europe et Russie est en train de se transformer en deux Ukraines rivales, instrument d'affrontement entre l'Occident et la Russie. Il y a une différence majeure entre les deux scénarios qui déterminent deux géopolitiques mondiales. Le second scénario rimerait avec le martyr des minorités de part et d'autre. A la vérité, ce martyr a déjà commencé dans l'Est du pays, le Donbass. Huit ans de guerre où les villes russophones sont bombardées par un gouvernement ukrainien à la botte de l'Etat profond américain ; non par quelques obus égarés, mais par un bombardement systématique, ciblé, visant les populations civiles et non militaires.
En d'autre terme, un nettoyage ethnique qui ne semble pas émouvoir nos bonnes âmes droits-de-l'hommistes. Au cours de mon séjour en Russie, j'avais rencontré des Ukrainiens du Donbass (ukrainiens russophones) traumatisés par les frappes, les immeubles éventrés, les enfants contraints de vivre dans des caves.
On peut comprendre, sans diplôme de géopolitique, qu'une Ukraine à couteaux tirés, arrange les affaires de Washington puisque le but des Etats-Unis est de diviser l'Europe et la Russie et pour se faire, détacher l'Ukraine de la Russie.
Le camp des “non-alignés”
Les politiques assez lucides pour refuser cette fatalité sont nombreux à droite. On connait François Fillon, Philippe de Villiers, favorable à une “Europe de l'Altantique à l'Oural”. Mais tous ne sont pas issus des rangs de la droite. Jean-Luc Mélenchon, fervent défenseur du non-alignement, ancien député socialiste, certes, mais pas plus ni moins que ne l'était Marcel Déat avant guerre, étonne par ses positions. Les candidats patriotes de droite et de gauche veulent chasser du pouvoir la classe politique embourgeoisée et technocratique qui règne à Paris et à Bruxelles. Ces politiques, capables des pires traîtrises et des pires contre-sens historiques, déclaraient, encore hier, tous en coeur : “Avec nos sanctions, nous allons isoler la Russie !”.
Ont-ils tort ? Ces idiots utiles des Multi-nationales américaines pensent sanctionner, comme on le ferait à un mauvais élève, un “pays-continent” dont la superficie est 35 fois celle de la France, allié de surcroît de la Chine, voire de l'Inde, dont le réservoir démographique correspond à la moitié de la population mondiale ! Une super union économique basée sur l'étalon or et indépendante du dollar.
Bref, le conséquence de cette union, c'est la mort lente de l'Europe, continent déclassé, vieilli, asséché par 50 ans de planification technocratique.
L'Europe aurait alors pour seul avenir d'être un marché américain. Certes, elle l'est déjà depuis 1945 mais cette dépendance s'amplifierait de manière exponentielle. Elle distillerait le poison consumériste, le wokisme, la culpabilisation, pilules abortives des ventres et des âmes. Mais que les démographes se rassurent, l'Afrique pourra toujours suppléer au manque démographique des Européens : les populations noires déracinées pourront se déverser, toujours plus nombreuses, sur le Vieux Continent, avec la bénédiction d'un pape tiers-mondiste et des élites européennes métissolâtres.
Nul doute que ce grand remplacement de populations aidera à l'harmonie entre les peuples, fera augmenter le nombre de prix Nobel. Oui, lorsque cette classe de libéraux-traitres non élue qui dirige l'Union Européenne parle de "paix", il faut entendre : “Lgbtisme”, “pensée unique”, “matérialisme pratique”, “MacDonaldisation” de la société, autant de dissolvants de la société traditionnelle. Ces technocrates incarnent parfaitement les deux vers écrits par le poète :
“Ils refusent le halo autour des choses
Ils appellent solidarité la cohabitation”.
Avec la mise au ban de la Russie, l'Europe sera en donc “paix”, mais sans halo autour des choses, soumis au communisme libéral de l'UE à la puissance dix. Voici le contenu des mots “paix” et “démocratie” pour la génération à venir ! Voulez-vous de cette “paix” là ? Alors, dites adieu à Homère et à Pic de la Mirandole et dites bonjour au clown Mac-Do !
La “triple alliance” France-Autriche-Russie, contingence historique ou “alignement de planètes” géopolitiques ?
Les partisans d'une autre paix que celle imposée par les instances de l'OTAN savent que l'Europe a au contraire tout intérêt à s'ouvrir à cette Russie frappée de l'aigle à deux têtes, l'”empire bicéphale”, janus bifrons orient-occident et symbole de l'union des polarités grand continentales.
En effet, on ignore complétement, dans le pays qui a coupé la tête au roi, que le projet du Roi Louis XVI était non seulement d'en finir avec la rivalité Bourbon/Habsbourg, mais aussi de créer une alliance commerciale, voire plus, avec la Russie de Catherine II. Il m'a fallu tomber sur le livre de Jean Savant: Louis XVI et l'alliance russe pour en arpenter l'histoire différemment. On y apprend que l'ambassadeur français, le comte de Ségur, signa de nombreux échanges commerciaux entre Paris et St Petersbourg.
Quant à la fameuse expédition de La Pérouse dans le Pacifique, elle fut rendu possible grâce à une alliance de facto entre la France, l'Autriche-Hongrie et la Russie. Les Russes explorent le Pacifique et installent un comptoir de pêche à Hawaï. Ils se rendent maître de l'Alaska et poussent jusqu'en Californie. Sensible à l'ouverture vers les mers, Catherine II crée une politique monde du Pacifique à la Mer Noire...
La Crimée et l'Ukraine, déjà objets de toutes les convoitises au XVIIIème siècle
On sait peu de choses du comte Louis-Philippe de Ségur sinon qu'il a été une pièce maitresse dans le projet d'alliance franco-russe. Il faut comprendre que l'histoire officielle de la France écrite après la Révolution, a cherché à faire la part belle aux Lumières et à la République. Elle a cherché a discréditer Louis XVI et la Royauté en général jusqu'à la caricature. Très peu d'études ont été consacrées à la politique de Louis XVI, sinon pour, au bas mot, la dénigrer. Nous savons donc peu de choses sur les motivations de Ségur. Nous savons cependant que Ségur accompagna Catherine II en Crimée. C'est sur les rives de la Mer Noire que Ségur aurait eut la pré-science d'une relation étroite entre la Russie, l'Autriche et la France... Nous savons qu'en France, Necker y fut opposé et retarda la projet. Des accords étaient sur le point d'être noués lorsque la Révolution, qui plongea la France dans 10 ans de guerre civile, mis brutalement un terme au projet.
Portrait de Louis-Philippe de Ségur
A l'époque, les aristocrates russes et européens ne phosphoraient pas dans un anglais d'aéroport, de taux d'inflation et de statistiques. Ils pratiquaient l'art de la conversatio dans le Français de Molière. De quoi parlaient-ils ? De découvertes d'îles, de Nouveau Monde, de philosophie, de vin et de Belles Lettres. Le comte de Ségur, poète, jouait, paraît-il, les pièces qu'il écrivait lui-même, dans le théâtre privé de l'Impératrice...
Au-delà des anecdotes, la politique du dernier Roi Bourbon, reposa sur un tissage diplomatique de longue date qui a laissé des traces dans le vocabulaire. Les mots russes pour “bagage”, “étage”, “chauffeur”, “ambassade” sont tous des mots d'origine française. Les mots parlent d'eux-mêmes. On imagine bien que ce champs lexical (russe mais aussi suédois et autres) reflète, bien mieux que des thèses universitaires illisibles et politisées, l'intense activité diplomatique de la France des XVIIème et XVIIIème siècle.
Au fond, qu'a fait Napoléon, sinon poursuivre la politique des Bourbons ?
Même si les choses ne sont, là encore, jamais présentées comme cela, la même politique pan-continentale inspira l'Empereur des Français même si Napoléon fut - bien malgré lui - contraint de la réaliser... sur les champs de bataille.
Cherchant à nouer des alliances, Napoléon aurait sans doute épousé la grande duchesse Anna Pavlovna, la soeur du Tsar, si le camp de Talleyrand ne l'avait emporté sur celui de Cambacéres. Cependant, cherchant à créer une dynastie européenne, il épousa la nièce de Marie-Antoinette d'Autriche, imitant ainsi Louis XVI. Bien que rival des Bourbons, il aimait à rappeler qu'il était le “neveu du Louis XVI !”.
Bref, les deux tentatives françaises avortées n'empêchèrent pas la IIIème République de poursuivre des relations avec la Russie, mais le rêve d'alliance grand continental fut oublié au profit de la soumission à l'Angleterre et de l'aventure coloniale. Au lieu d'un rapprochement organique avec la Russie, ce sont des peuples africains et asiatiques qui ont été, aux cours du XIXème Siècle, la proie des exploitations honteuses de la bourgeoisie industrielle et cela, au détriment de la paysannerie française.
Le grand tremblement géopolitique déclenchée par la guerre en Ukraine oblige à revoir notre Histoire officielle. Il serait temps de ressortir des cartons ce plan d'alliance datant de Louis XVI. On s'apercevra alors que Louis XVI était loin d'être le chef d'Etat poussif décrit par la propagande républicaine. En réalité, ce roi si dénigré relègue le petit projet néolibéral de l'UE à un bac-à-sable d'école maternelle. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette grande politique est inscrite dans le destin de la France, à la fois géographiquement, politiquement et aussi spirituellement. Oui, il ne s'agit pas seulement d'échanges économiques, il s'agit de faire passer l'oxygène du poumon gauche (l'Europe) au poumon droit (la Russie) et vice-versa. Deux mondes différents et organiquement complémentaires qu'un demi-siècle de guerre froide ont rendus incompréhensibles. Ce projet est d'ailleurs inscrit dans la géographie car, lorsqu'on ouvre une carte, on s'aperçoit que la France commence le Grand Continent et que la Russie, le termine. Louis XVI, catholique pratiquant et Catherine II, impératrice d'origine allemande, n'ignoraient rien de cette géopolitique. Cherchant à s'extirper du rapprochement anglo-prussien, Catherine qualifie la France de “nation privilégier de la Russie”. Louis XVI parlera à cet endroit de “politique naturelle”. Les acteurs politiques de cette époque n'étaient pas de vulgaires technocrates interchangeables, ils incarnaient aussi et surtout des principes cosmiques reliant la terre et les peuples.
Des révolutions très opportunes...
Cette voie pan-continentale reliant la France à la Russie a pu émerger ici ou là dans le cours méandreux de l'Histoire. Nous avons ciblé ici les accords qui précédèrent de quelques mois la Révolution Française. Mais il y a une différence entre des accords conjoncturels et un tropisme géopolitique profond, or, l'alliance franco-russe et ceux qui s'y opposent, oppose également la puissance de la terre à la puissance de la mer. La seule fois où elle fut en voie de réalisation concrète c'est au cours de l'année 1788, début 1789, mais ô surprise, une révolution éclata à Versailles qui allait renverser le roi... Au lendemain de la prise de la Bastille, élément rhétorique du coup d'Etat libéral téléguidée par les ennemis de la France, Catherine II coupa toute relation avec la France.
La seconde fois dans l'Histoire où une coalition d'alliance franco-russe aurait pu se réalisé, c'est dans les années qui précèdent la première guerre mondiale mais la révolution bolchevique de 1917 en décida autrement. La troisième fois, dans les années 2012 / 2015, un scénario similaire se produisit. Vladimir Poutine, conseillé par son merlin en politique, Alexandre Douguine, inspira cette politique de rapprochement ; des pipelines de gaz allaient été construits, des liens diplomatiques, renforcés, mais une autre révolution éclata. Non pas à Paris ni à Moscou, mais à Kiev. La révolution dite de Maïdan.
Fomentée par un gouvernement ukrainien pro-américain et par un étrange conglomérat composé de néo-nazis auto-proclamés et de sionistes activistes, la révolution “orange” présentée dans les mass-média occidentaux comme une révolution populaire et spontanée, reste en réalité mal connue. Elle mériterait une étude approfondie.
Retenons simplement la coïncidence troublante entre les projets d'alliance et ces révolutions – toujours téléguidées de l'extérieur - qui éclatent presque toujours au moment où une alliance constructive va être scellée... Alors que les planètes semblaient alignées une nouvelle fois pour une alliance trans-continentale qui auraient pu renverser le nouvel ordre mondial, Maïdan fait en effet figure d'une enième révolution “de couleur”.
Aujourd'hui, l'Ukraine subit une guerre téléguidée par des puissances étrangères, une sale guerre où résonne plus que jamais les mots de Paul Valéry : “La guerre, c'est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas”. Notre article peut aider à montrer les enjeux géopolitiques énormes qui s'y déroulent visant l'isolement de la Russie, enjeux que ne montrent ni les caméras ni les commentaires à chaud, de part et d'autre.
Et si le rêve pan-continental pouvait encore inspirer l'avenir ?
Si le vieux rêve du dernier roi capétien et de l'Empire Français reprenait vie dans le moment dramatique que traverse aujourd'hui l'Europe, par un socialiste franc-maçon d'inspiration révolutionnaire ? Alors, Jean-Luc Mélenchon, ou un autre candidat qui réaliserait ce dessein, resterait dans l'Histoire d'abord et avant tout comme Français !
Contact : fredericandreu@yahoo.fr
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mardi, 08 mars 2022
Il n'y aura pas d'ordre international sans équilibre géopolitique
Il n'y aura pas d'ordre international sans équilibre géopolitique
Par Alberto Hutschenreuter*
(article écrit le 16 décembre 2021)
Ex: https://nomos.com.ar/2021/12/16/no-habra-orden-internacional-sin-equilibrio-geopolitico/
Ces dernières semaines, la situation qui s'établit désormais entre l'Ukraine, l'Occident et la Russie a clairement montré qu'il sera très difficile dans les années à venir d'avoir une configuration ou un ordre international qui assure la stabilité.
La paix entre les nations est plus un objectif formel que réel. Ainsi, comme l'affirme à juste titre Henry Kissinger, c'est l'ordre international, c'est-à-dire un arrangement plus large convenu et respecté par les puissances d'échelle, qui rend possible une coexistence que nous pourrions appeler "paix".
L'une des composantes clés de tout ordre est l'équilibre géopolitique, c'est-à-dire la satisfaction (toujours relative) des acteurs, prééminents et intermédiaires, en matière de sécurité et de protection territoriale.
L'expérience est ici catégorique : chaque fois qu'un ordre a été recherché sur la base d'insatisfactions territoriales, l'ordre prévu a tôt ou tard fini par s'effondrer. Rappelons les préludes politico-territoriaux dans les Balkans avant 1914, où les prémisses de la guerre avaient déjà commencé à s'installer. Ou ce qui s'est passé avec l'ordre de Versailles en Europe centrale et orientale, où l'application du principe d'autodétermination nationale a fini par être l'une des causes de l'effondrement mondial en 1939. Au Moyen-Orient, en Afrique, plus récemment à nouveau dans les Balkans, ou en URSS même, le grand séisme géopolitique de l'après-Seconde Guerre mondiale, dans tous les cas, la "contradiction territoriale" a impliqué une déstabilisation régionale, continentale et même mondiale.
Le grand Raymond Aron, un penseur malheureusement de plus en plus oublié, disait que "tous les ordres internationaux sont des ordres territoriaux" ; on pourrait donc dire que tous les désordres internationaux impliquent des désordres territoriaux.
Le "désordre territorial" qui se produit en Europe de l'Est est dû au fait qu'une stratégie basée sur la "rentabilisation de la victoire au-delà de la victoire" a été privilégiée, ce qui a fini par provoquer un déséquilibre géopolitique d'envergure dont il est de plus en plus difficile de trouver des stratégies de sortie.
En d'autres termes, l'Occident n'a jamais considéré qu'après la fin de la guerre froide et la disparition de l'URSS, un ordre d'après-guerre aurait dû être envisagé. La fin d'une guerre, et la guerre froide en était une, nécessite nécessairement toujours une réflexion stratégique par rapport à l'ordre qui la suit. Il est vrai que le côté gagnant jouit du droit que donne la victoire, mais s'il ne le fait pas avec un sens de l'équilibre, alors ce que nous aurons est un ordre mou, contesté et de plus en plus instable. C'est ce qui s'est passé après 1919 : après une éphémère période de coopération internationale, les revendications des vaincus ont émergé, qui, de surcroît, ont défilé ensemble (l'Allemagne, le principal vaincu, et l'URSS, le vaincu des vaincus et des marginaux à Versailles).
Après sa victoire dans la guerre froide, l'Occident se comporte comme les vainqueurs de 1918, et le traitement de la Russie est semblable à celui accordé alors à l'Allemagne. L'élargissement de l'OTAN est la principale manifestation de la victoire sans stratégie pro-ordre international.
Si Machiavel était avec nous aujourd'hui, il aurait demandé : était-il nécessaire d'amener l'Alliance aux portes mêmes de la Russie ?
Ce n'est pas si le schéma territorial avait été apprécié comme une carte maîtresse d'une nouvelle configuration entre les États. Mais l'Occident, faisant fi du passé et des sages conseils des stratèges d'État qui déconseillaient de pousser l'OTAN plus loin que nécessaire, a opté pour la "voie de Carthage", c'est-à-dire pour une décision qui empêcherait à jamais (comme l'a fait le général Scipion lorsqu'il a conquis la ville africaine ennemie de Rome dans l'Antiquité et a semé du sel dans les sillons) une Russie politiquement conservatrice et géopolitiquement révisionniste de contester à nouveau la prépondérance de l'Occident.
Pour l'OTAN, "frotter du sel dans les sillons de la Russie" signifie anéantir ses actifs territoriaux qui ont toujours signifié des barrières géopolitiques et du temps stratégique. C'est-à-dire les questions qui concernent les intérêts vitaux de la Russie ; pour elles, la Russie est entrée en guerre en 2008 en Géorgie et en 2014 elle a mutilé le territoire de l'Ukraine.
Pour les tenants de cette croisade occidentale, les équilibres géopolitiques n'ont aucun intérêt. Le secrétaire général de l'OTAN vient d'avertir, en rejetant la demande de Moscou de retirer l'invitation à adhérer à l'Ukraine : "La relation de l'OTAN avec l'Ukraine sera décidée par les 30 alliés de l'OTAN et l'Ukraine, et personne d'autre. Nous ne pouvons pas accepter la tentative de la Russie de rétablir un système dans lequel les grandes puissances, comme la Russie, ont des sphères d'influence".
L'Occident (et l'Ukraine) n'envisage aucune alternative, c'est-à-dire que l'Ukraine ne fasse partie d'aucune alliance politico-militaire et, sans atteindre un statut de neutralité, maintienne des relations avec les deux parties, comme c'était le cas avant le début du conflit, lorsqu'il existait une relation économique intéressante avec la Russie. Cette possibilité ayant pratiquement disparu, le conflit a pris un caractère irréductible. Il est compréhensible que Kiev veuille faire partie de toutes les assurances fournies par l'Occident ; mais ne pas supposer que sa situation géographique l'oblige à maintenir une diplomatie déférente calibrée lui a coûté des territoires et pourrait lui coûter beaucoup plus. C'est là que réside son statut d'"État pivot".
Dans ce conflit, il n'est pas très utile de s'attarder sur le type de régime ou le leadership. La clé, selon les mots du regretté Kenneth Waltz, est de considérer la structure internationale, et cela, dans cette région unique ou "plaque territoriale", signifie ne pas dépasser le mandat de la géopolitique et les équilibres nécessaires qu'elle exige des puissances, ce qui ne s'est pas produit et devient de plus en plus inquiétant.
*Alberto Hutschenreuter est titulaire d'un doctorat en relations internationales. Professeur à l'Instituto del Servicio Exterior de la Nación. Son dernier livre s'intitule Ni guerra ni paz, una ambigüedad inquietante, Editorial Almaluz, Buenos Aires, 2021.
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lundi, 07 mars 2022
Lorsque les Russes ont conquis la mer Noire
Histoire
Lorsque les Russes ont conquis la mer Noire
L'épopée du napolitain Don Giuseppe de Ribas y Boyonsin parmi les protagonistes des guerres avec les Turcs
par Mirko Tassone
Ex: https://www.barbadillo.it/103335-storia-quando-i-russi-conquistarono-il-mar-nero/
"Conquête de la forteresse d'Izmail par les troupes russes en décembre 1790 (huile de Mikhail Grachev,1953 - Musée naval de Saint-Pétersbourg)
Dans leur attaque contre l'Ukraine, les troupes russes concentrent une partie importante de leurs forces sur le front sud. C'est la zone où, selon de nombreux observateurs, se déroulent les batailles les plus sanglantes. En outre, la bande de terre qui fait face à la mer Noire est d'une valeur stratégique extraordinaire pour les deux parties. Pour les Ukrainiens, elle constitue le seul débouché sur la mer ; tandis que pour les Russes, elle représente la possibilité de réaffirmer l'hégémonie exercée sur la mer Noire depuis plus de deux siècles.
Le dernier tsar du Kremlin ne cache pas qu'il veut reprendre le contrôle d'une région qui fait l'objet de l'expansionnisme russe depuis la fin du XVIIe siècle, lorsque Pierre le Grand a commencé à caresser le rêve de donner à son empire naissant un débouché sur les mers chaudes. En 1696 - bien avant la paix de Nystadt (1721), par laquelle ils obtiennent de la Suède le contrôle de la Baltique - les Russes avaient déjà occupé la forteresse turque d'Azov. Cette étape a été suivie par la construction du port de Taganrog et d'une flotte pour garder la nouvelle colonie. Azov était destiné à être un avant-poste à partir duquel il serait possible de s'étendre par la suite.
En fait, le tsar a ensuite étayé ses revendications devant la Sublime Porte en occupant l'ancien khanat tatar de Crimée, protectorat ottoman depuis 1475. L'occupation a duré jusqu'en 1711, lorsque, engagés dans une guerre avec la Suède, les Russes ont dû tout rendre aux Ottomans. En 1736, sous le règne de l'impératrice Anne, les troupes tsaristes reviennent en Crimée, mais sont à nouveau contraintes de partir par le traité de Nyssa. C'est Catherine II qui s'assura du contrôle final du Khanat, pour qui la conquête de la Crimée faisait partie d'un plan beaucoup plus ambitieux : le "Projet grec", un programme d'expansion grandiose élaboré en 1780 par le secrétaire privé de l'impératrice, Alexandre Andreyevich Bezborodko. Le plan consistait à prendre les possessions européennes aux Turcs, à diviser les Balkans entre la Russie et l'Autriche et à créer un empire chrétien avec Constantinople comme capitale. L'idée a été favorisée par les résultats encourageants obtenus lors de la première guerre russo-turque, qui avait été déclenchée en 1768 par la décision du sultan Mustafa III de s'opposer à Catherine II qui, en violation des accords de 1739 empêchant la Russie de s'immiscer dans les affaires polonaises, avait placé son favori, Stanislaus Augustus Poniatowski, sur le trône de la Confédération polono-lituanienne.
Don Giuseppe de Ribas y Boyonsin
La fin du conflit
La guerre s'est terminée en 1774 par le traité de Kücük Kainarci, par lequel les Russes ont obtenu la possession des ports d'Azov, du détroit de Kerch et de la base de Taganrog, ainsi que le contrôle de l'estuaire du Dniepr et la reconnaissance de la neutralité de la Crimée. En 1777, Catherine décide de confier les provinces de Nouvelle Russie (Novorossiya) et d'Azov - les territoires correspondant à l'actuel sud-est de l'Ukraine - au gouvernement de l'un de ses nombreux amants : le comte Grigory Aleksandrovich Potëmkin. Entre 1778 et 1779, les nouvelles villes d'Ekaterinoslav, Cherson et Nikolaev ont été créées, avec des colons venus d'Allemagne, de Pologne, d'Italie, de Grèce, de Bulgarie et de Serbie. Conformément au "projet grec", la tsarine décrète en 1783 l'annexion de la Crimée, qui est suivie l'année suivante par la construction de la base navale de Sébastopol. Une autre pierre à l'édifice de la réalisation des aspirations russes s'est ajoutée, à partir de l'automne 1787, lorsque la Russie et l'Autriche ont uni leurs forces contre la Suède et les Ottomans. Déterminée à maintenir ses conquêtes et à en réaliser de nouvelles, Catherine confie le commandement de la deuxième guerre russo-turque à Potëmkin.
Au début, une tempête qui a dispersé leur flotte a forcé les Russes à se mettre sur la défensive. Profitant de leur supériorité momentanée en mer, les Turcs concentrent 42 navires dans l'estuaire du Dniepr et débarquent 5000 hommes pour attaquer la forteresse de Kinburn. Le siège, grâce à l'énergie déployée par le commandant de la forteresse, le comte Aleksandr Vasil'evic Suvorov, s'est avéré être un échec et les Turcs ont dû battre en retraite.
Bloquée par les rigueurs de l'hiver, la guerre reprend l'année suivante. Entre-temps, Potemkin (portrait) avait évincé Mordvinov et confié le commandement de la flotte de la mer Noire au prince Karl von Nassau-Ziegen qui, aidé du brigadier Panaiothos Alexiano et du père de l'US Navy, le contre-amiral John Paul Jones, a vaincu l'escadre navale dirigée par le kapudan (amiral) Hassan Pacha dans l'estuaire du Dniepr les 28 et 29 juin 1788. Le 10 juillet, les Russes engagent à nouveau la bataille près de l'île de Tendra, où l'escadron naval du contre-amiral comte Mark Voynovich met en déroute ce qui reste de la flotte ottomane. Ayant pris le contrôle de la mer, les Russes assiègent Očakov, sur l'estuaire du Dniepr.
Après une période d'étude, poussé par les rigueurs de l'hiver et le belliqueux général Alexandre Souvorov (potrait, ci-dessous), Potemkine lance son armée de 50 000 hommes à l'assaut en décembre 1788. La bataille a été un bain de sang. Au prix de 20 000 morts, les Russes ont réussi à prendre la forteresse, laissant plus de 30 000 Turcs sur le terrain. L'année suivante, la flotte d'un nouveau sultan dirigée par Pasha Hussein met le cap sur la Crimée.
Informé de la manœuvre, le nouveau commandant de l'escadron de Sébastopol, l'amiral Fedor Fedorovich Ushakov, engage la bataille dans le détroit de Kerch le 19 juillet 1790, où il remporte une brillante victoire. Entre-temps, les généraux de Catherine II avaient décidé de prendre pour cible toute la côte nord de la mer Noire, jusqu'à l'embouchure du Danube. Un objectif ambitieux, d'autant plus qu'ils auraient à affronter la formidable forteresse d'Izmail. Située sur la rive gauche de l'estuaire du Danube, la ville - aujourd'hui dans la région ukrainienne d'Odessa - a été fondée par les Génois au 12e siècle. Conquise par les Ottomans en 1484, elle a été modernisée par des ingénieurs français et allemands peu avant le début de la guerre. Protégé par des murs massifs, un fossé de 12 mètres de large sur 6 mètres de profondeur et sur un côté par le Danube, Izmail, avec ses 11 bastions défendus par 260 canons et 40.000 hommes, était considéré comme imprenable.
C'est à ce moment de l'histoire qu'entre en scène Don Giuseppe de Ribas y Boyonsin, un Napolitain qui a joué un rôle décisif dans la chute d'Izmail. De père espagnol et de mère irlandaise, il est né à l'ombre du Vésuve en 1749, où, à l'âge de 16 ans, il a rejoint la Garde napolitaine avec le grade de lieutenant. En 1769, à Livourne, il rencontre l'homme qui va changer sa vie : le commandant en chef de la marine russe, le comte Aleksei Orlov. Arrivé avec la flotte de la Baltique pour engager les navires du sultan en Méditerranée, Orlov est fasciné par le jeune Napolitain qui parle couramment six langues. Il décide d'en faire son assistant et son interprète. En 1770, de Ribas a pris part à la bataille de Cesme - la première bataille menée par des navires russes en Méditerranée - qui s'est soldée par une défaite écrasante de la flotte ottomane.
En 1772, nous le trouvons à Saint-Pétersbourg, sous le nom d'Osip Michajlovic Deribas. L'année suivante, il entre au service du nouveau favori de la tsarine, le comte Potëmkin, avec lequel il rejoint le sud de l'Ukraine pour prendre le commandement d'une escadre navale. En 1790, après avoir remporté plusieurs succès dans une série de raids contre des établissements turcs le long de la côte, de Ribas est chargé par Potëmkin de conquérir Izmal avec le comte Ivan Vasil'evic Gudóvic. Commencé en mars 1790, le siège a duré jusqu'en novembre lorsque, en vue de l'hiver, Gudovic (portrait, ci-dessous) a décidé de suspendre les opérations.
Cette nouvelle a mis Potemkin dans une colère noire et il a décidé de remplacer Gudovic par Souvorov. Lorsqu'il arrive à Izmail, le général convoque de Ribas et, avec lui, prépare le plan d'attaque. Le 21 décembre, il lance un ultimatum à la garnison. Après avoir reçu une réponse négative du commandant ottoman, Aydozle-Mehmet Pacha, à 3 heures du matin le 22 décembre, se déplace pour attaquer dans trois directions. Un rôle décisif a été joué par de Ribas lui-même qui, à la tête de 9000 hommes, a mené l'attaque au point le plus inaccessible des rives du Danube, là où les défenses étaient les plus faibles. L'assaut a désorienté les défenseurs qui ne s'attendaient pas à être attaqués dans ce secteur. Pour tenter de combler l'écart créé de ce côté, les Turcs ont dû déplacer une partie des troupes qui faisaient face aux 7500 hommes du général Pavel Potemikin sur l'aile ouest et aux 12.000 du général Samoilov sur l'aile est. À 16 heures, la bataille était terminée, la forteresse était tombée. Comme dans les sièges médiévaux, les vainqueurs étaient autorisés à piller pendant trois jours. C'est un massacre : les Turcs comptent plus de 26.000 morts et 9000 prisonniers.
Les Russes ont eu 1815 morts et 2445 blessés. L'année suivante, les Ottomans cherchent à se venger sur mer, mais les escadrons navals algériens, tunisiens et tripolitains sont mis en déroute dès qu'ils atteignent la mer Noire. Tout semblait aller dans le sens de l'accomplissement du "projet grec", si le spectre de la Révolution française ne planait pas sur l'Europe. Inquiet de la fureur révolutionnaire, l'empereur autrichien Léopold II signe la paix de Sistova (août 1791) par laquelle il rend aux Turcs la plupart de ses conquêtes. Privée de son allié autrichien, Catherine II doit signer le traité de Jassy (janvier 1792). La Russie obtient toutefois la place forte d'Ochakov, la côte nord de la mer Noire jusqu'à Dnestr et la reconnaissance de l'annexion de la Crimée, tandis qu'Izmail est rendu aux Turcs. Après trois cents ans de domination turque, la mer Noire est devenue un lac russe. Pour ses services, de Ribas se voit confier le commandement de la flotte de la mer Noire en 1791. En sa qualité d'amiral, en 1794, il propose à Catherine de construire Odessa. La nouvelle ville russe devait avoir un aspect nettement italien, mais c'est une autre histoire.
Mirko Tassone
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dimanche, 06 mars 2022
Sur la situation géopolitique dans les Caraïbes
Sur la situation géopolitique dans les Caraïbes
Leonid Savin
Source: https://www.geopolitica.ru/article/o-geopoliticheskom-polozhenii-v-karibskom-basseyne
La transformation des processus clés de la politique mondiale et l'intensification de l'action de la Russie en Amérique latine obligent à regarder de plus près la région située à proximité immédiate des États-Unis - les Caraïbes, qui sont un carrefour pour les intérêts de nombreuses grandes puissances.
La plupart des acteurs de la région sont de petits pays, même s'il existe des géants comme le Mexique et le Venezuela. Certains sont des clients des Etats-Unis, un certain nombre ont des politiques indépendantes et sont en bons termes avec la Russie. Mais la plupart préfèrent trouver un équilibre.
En raison de sa proximité avec les États-Unis, Washington a toujours accordé une attention particulière à la région. En 1983, alors que la guerre froide faisait encore rage, les États-Unis ont lancé l'Initiative du bassin des Caraïbes (ICB), qui est devenue la pierre angulaire de l'interaction économique entre les États-Unis et les Caraïbes.
L'idée était de fournir une aide économique à la région afin de faire des États de la région des satellites fiables. Il s'agissait d'une sorte de soft power visant à contrer toute influence de l'Union soviétique et de ses alliés, surtout de Cuba. Officiellement, comme aujourd'hui, elle était justifiée par la nécessité de promouvoir et de renforcer les démocraties des Caraïbes.
L'ICB se compose de deux programmes commerciaux destinés aux pays et territoires des Caraïbes et d'Amérique centrale : la loi sur la relance économique des Caraïbes (CBERA) et la loi sur le partenariat commercial des Caraïbes (CBTPA).
Aujourd'hui, l'ICB fournit des avantages à 17 pays dans le cadre de la CBERA, dont huit sont également bénéficiaires de la CBTPA. La CBERA est imprescriptible et la CBTPA a été re-prolongée par le Congrès américain jusqu'en 2030. Les États-Unis offrent aux pays des Caraïbes un accès favorable à leur marché, ainsi qu'une impulsion en faveur de réformes libéralisées.
En 2016, la loi sur l'engagement stratégique États-Unis-Caraïbes a été adoptée, qui vise à accroître l'engagement avec les gouvernements, le secteur privé et la société civile dans la région. Les États-Unis partent du principe qu'ils n'ont pas encore tiré suffisamment d'avantages des Caraïbes et vont identifier divers points focaux pour s'engager, c'est-à-dire accroître leur influence.
Les États-Unis sont le premier partenaire commercial des Caraïbes et, à leur tour, les Caraïbes sont le sixième partenaire commercial des États-Unis, avec 35,3 milliards de dollars passant entre eux chaque année. En 2017, la région était le troisième marché d'exportation américain de produits manufacturés en Amérique latine, après le Mexique et le Brésil.
Toutefois, en dehors de l'accord de libre-échange entre la République dominicaine et l'Amérique centrale (CAFTA-DR), les pays des Caraïbes ne disposent pas d'accords de libre-échange bilatéraux avec les États-Unis, n'ayant accès aux marchés américains que par le biais de l'ICB.
Présence militaire américaine
Les États-Unis restent le principal partenaire des Caraïbes en matière de coopération sécuritaire. La région abrite sept bases militaires américaines clés qui font partie du Commandement sud des États-Unis (SOUTHCOM), et la sécurité a été un élément central de la stratégie américaine dans les Caraïbes [i]. Les bases américaines actives en Amérique latine sont connues sous le nom de "Forward Operation Locations" (FOL) ou Cooperative Security Locations (CSL).
Ironiquement, l'une des bases est située à Cuba, dans la province de Guantanamo et représente en fait l'occupation illégale de la République depuis 1959. Le Honduras possède une base à Palmerola/Soto Cano, qui abrite environ 500 militaires américains + 600 entrepreneurs civils (dont des ressortissants honduriens).
Au Salvador, les avions de l'US Navy et de la Drug Enforcement utilisent l'aéroport international de Comalapa. La garnison qui s'y trouve fait partie du Joint Interagency Group basé à Key West, en Floride. Les îles de Curaçao et d'Aruba, qui sont des territoires d'outre-mer des Pays-Bas, ont rendu leurs territoires disponibles pour une présence militaire américaine.
L'armée américaine est assistée par les garde-côtes néerlandais. Une base militaire américaine existe à Antigua depuis la Seconde Guerre mondiale. L'US Air Force loue désormais le site au gouvernement d'Antigua. Aux Bahamas, il existe un centre pour tester les nouvelles armes sur l'île d'Andros. Il est associé à la marine américaine, mais d'autres membres de l'OTAN - Canada, Danemark, Allemagne, Grèce, Italie, Norvège, Grande-Bretagne - sont régulièrement présents sur le site. Enfin, l'armée américaine utilise régulièrement le port principal du Panama à Basco Núñez de Balboa pour le ravitaillement en carburant et le déchargement [ii].
Au large des côtes du Panama, l'armée américaine mène continuellement depuis 2003 des exercices militaires PANAMAX sous le prétexte de sécuriser le fonctionnement du canal. Il est intéressant de noter qu'aucune menace n'a jamais pesé sur le canal [iii].
La stratégie 2017-2027 de l'US SOUTHCOM indique que les défis potentiels futurs comprennent les réseaux de menaces transrégionaux et transnationaux qui incluent les organisations criminelles traditionnelles ainsi que la capacité croissante des organisations extrémistes telles que l'ISIL et le Hezbollah opérant dans la région, en utilisant les institutions faibles des Caraïbes et de l'Amérique latine. L'US SOUTHCOM note également que la région est "extrêmement vulnérable aux catastrophes naturelles et aux épidémies de maladies infectieuses" en raison des problèmes de gouvernance et d'inégalité.
Enfin, le rapport reconnaît la présence croissante de la Chine, de l'Iran et de la Russie dans la région et que les intentions de ces pays constituent "un défi pour toute nation qui valorise la non-agression, l'état de droit et le respect des droits de l'homme" [iv]. Ces préoccupations ont servi de prétexte pour renforcer les relations entre les États-Unis et les gouvernements de plusieurs pays de la région.
Dans ce cadre, l'Initiative de sécurité du bassin des Caraïbes (CBSI) est un partenariat de sécurité collaborative qui soutient la coopération en matière de lutte contre le trafic, de prévention du crime et d'initiatives de sécurité citoyenne.
Entre 2010 et 2018, le programme a dépensé plus de 556 millions de dollars. Le programme se concentre sur la coopération maritime et aérienne, le renforcement des capacités d'application de la loi, la sécurité des frontières et des ports, la réforme judiciaire et la prévention de la criminalité chez les jeunes à risque. Il implique le Bureau des affaires internationales de stupéfiants et de répression, le ministère de la Défense et l'Agence américaine pour le développement international.
Le rôle de la Chine, les intérêts de la Russie et d'autres pays
Fait important, entre 2002 et 2019, le commerce entre la région et la Chine a été multiplié par huit, passant de 1 à 8 milliards de dollars. Malgré l'existence du Forum de coopération économique et commerciale Chine-Caraïbes, les relations commerciales reposent essentiellement sur des accords bilatéraux, qui permettent à la Chine d'exporter principalement des produits manufacturés de grande valeur.
Le commerce sur les marchés chinois reste cependant largement unilatéral ; la CARICOM n'a pas d'accord d'accès préférentiel avec la Chine, qui a toujours un énorme excédent commercial dans la région. Grâce à sa présence croissante dans les Caraïbes, la Chine a de plus en plus attiré les partenaires commerciaux de longue date de Taïwan ces dernières années, alors même que Taïwan continue de proposer des accords de libre-échange bilatéraux dans le cadre d'une lutte d'influence.
Quatre des 15 pays qui reconnaissent Taïwan se trouvent dans les Caraïbes. Néanmoins, ces pays ont toujours un volume d'échanges nettement supérieur avec la Chine continentale, car Taïwan attire ses alliés dans la région principalement par le biais d'investissements et d'aides étrangères.
Le commerce entre le Mexique et les pays du CARICOM est également relativement insignifiant. Quant au Mexique, le commerce avec les Caraïbes représente moins de 0,1 % de son portefeuille de commerce international. Collectivement, les autres pays d'Amérique latine ont également des échanges minimes avec les pays du CARICOM : ces derniers ont exporté 2,2 milliards de dollars vers l'Amérique latine et importé 3 milliards de dollars de la région en 2019.
Le commerce entre les pays de la CARICOM et le Canada est également faible. Cette relation économique est régie par l'Accord commercial entre le Canada et les Caraïbes (CARIBCAN), qui accorde aux pays des Caraïbes un accès en franchise de droits au Canada de manière unilatérale dans le cadre d'une initiative similaire à l'ICB. Cependant, malgré de nombreuses négociations, les États des Caraïbes n'ont pas encore conclu d'accord de libre-échange officiel avec le Canada, comme ils l'ont fait avec l'Union européenne.
En 2008, le Forum des Caraïbes a signé l'accord de partenariat économique CARIFORUM-UE, donnant à chaque région un accès préférentiel à l'autre. L'Union européenne est le deuxième partenaire commercial du CARIFORUM après les États-Unis. Elle importe principalement du carburant et des produits miniers des Caraïbes.
En 2010, la Russie et le CARIFORUM ont signé un protocole d'accord et établi un mécanisme de dialogue politique et de coopération. Et ce cadre juridique d'engagement s'étend [v]. En 2013, la Russie a effacé 277.000 dollars de dette envers la Guyane, et en 2015, un accord a été signé pour restructurer la dette de la Grenade.
Lorsque la question de la Crimée a été examinée à l'ONU en 2014, évaluant le retour de la Crimée à la Russie, la plupart des États des Caraïbes ont adopté une position neutre. Ces États étaient Antigua-et-Barbuda, la Jamaïque, le Guyana, le Suriname, la République Dominicaine, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie et Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Peu de pays ont voté contre la Russie, parmi lesquels des pays traditionnellement pro-américains comme la Barbade, les Bahamas, Haïti et Trinité-et-Tobago [vi].
Depuis 2018, tous les pays des Caraïbes sont devenus exempts de visa pour les citoyens russes.
Le 27 juillet 2019, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lors d'une visite au Suriname, a noté l'intérêt des pays de la Communauté des Caraïbes à accroître la coopération et le dialogue politique avec Moscou : "Nous avons un intérêt mutuel à accroître la coopération, y compris le dialogue politique, entre les membres de la Communauté des Caraïbes et la Russie" [vii].
Selon l'ambassadeur russe en Guyane, Nikolay Smirnov, qui représente également notre pays à la Barbade, à Grenade, à Trinité-et-Tobago et à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, "les pays des Caraïbes soutiennent le concept de multipolarité avec un rôle de coordination pour l'ONU, la règle du droit international et le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États".
Et leurs voix ont un certain poids dans les arènes internationales, d'autant plus qu'ils adoptent souvent une position consolidée sur les grandes questions à l'ordre du jour international - qu'il s'agisse de la mise en œuvre des dispositions de l'Accord de Paris sur le climat, de la levée de l'embargo commercial et économique contre Cuba ou de la nécessité de résoudre la crise au Venezuela sans pression ni ingérence extérieures" [viii].
Dans la région, la Russie n'a une présence militaire conventionnelle qu'au Venezuela et au Nicaragua, avec des conseillers et des formateurs. Au Nicaragua, la Russie contribue également à la lutte contre le crime organisé, en particulier les tentatives d'utiliser le pays comme pays de transit pour les drogues.
La proximité de la région avec les États-Unis en fait une route majeure pour les activités illicites, notamment pour les organisations criminelles colombiennes et mexicaines qui coopèrent avec des groupes locaux pour le trafic de drogue dans les Caraïbes. Mais récemment, des cargaisons de drogue ont également été envoyées directement en Europe via des ports colombiens et brésiliens.
Le développement énergétique peut également présenter un certain intérêt. Seuls trois pays des Caraïbes - la Guyane, le Suriname et Trinité-et-Tobago - sont des exportateurs nets d'énergie, tandis que les autres dépendent fortement des importations de produits pétroliers [ix]. Trinité-et-Tobago est un important fournisseur d'énergie de la région, mais doit faire face à une baisse des revenus pétroliers en raison de la chute des prix mondiaux.
Le Guyana et le Suriname sont également sur le point de devenir des acteurs sérieux dans l'exploration des hydrocarbures dans la région, selon les données récentes des compagnies pétrolières internationales. Les réserves du bassin dit de la Guyana, dont la production a débuté en 2019, sont estimées à 10 milliards de barils, ce qui en fait l'hôte de l'un des 50 plus grands bassins pétroliers du monde.
La Guyane est membre du Commonwealth britannique et est le seul pays anglophone du continent. En outre, la Grande-Bretagne possède des territoires dans la région - Anguilla, les îles Vierges britanniques, les îles Caïmans et Montserrat font toutes partie des Petites Antilles, autrefois découvertes par Christophe Colomb et conquises par l'Espagne.
Trinité-et-Tobago est depuis longtemps le plus grand producteur de gaz naturel liquéfié (GNL) des Caraïbes et le sixième plus grand producteur de GNL au monde, ce qui en fait la seule nation insulaire de la région qui n'est pas un importateur net d'énergie.
Les Caraïbes sont également considérées comme ayant un énorme potentiel pour une transition énergétique verte, étant donné leur abondance de possibilités de production d'énergie solaire, éolienne, géothermique volcanique et (dans des circonstances limitées) marémotrice et hydroélectrique.
Il semble qu'une position plus active de la Russie dans la région, ainsi que sa participation à divers projets économiques et d'infrastructure, pourraient accroître le statut et le rôle de Moscou, et favoriser une nouvelle expansion de sa présence politique et même militaro-politique.
Notes:
[i] https://www.coha.org/the-u-s-militarys-presence-in-the-greater-caribbean-basin-more-a-matter-of-trade-strategy-and-ideology-than...
[ii] https://www.state.gov/wp-content/uploads/2019/12/WHA-US-Caribbean-2020-Report-web.pdf
[iii] https://www.navaltoday.com/2016/07/26/panamax-military-exercise-kicks-off/
[iv] https://web.archive.org/web/20170622051944/http://www.southcom.mil/Portals/7/Documents/USSOUTHCOM_Theater_Strategy_Final.pdf?ver...
[v] https://interaffairs.ru/news/show/23281
[vi] http://vestnik.bukep.ru/articles_pages/articles/2014/2014-4/Articles_362-365.pdf
[vii] http://caribbean-russia.com/frend
[viii] https://iz.ru/668332/nataliia-portiakova/kariby-i-rossiia-podderzhivaiut-kontceptciiu-mnogopoliarnosti
[ix] https://data.worldbank.org/indicator/EG.FEC.RNEW.ZS?locations=S3
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vendredi, 04 mars 2022
Finlandisation de l'Ukraine ? - Deux points de vue de l'Autriche neutre
Finlandisation de l'Ukraine ?
Deux points de vue de l'Autriche neutre
Erich Körner-Lakatos & Bernhard Tomaschitz
Source : https://zurzeit.at/index.php/ploetzlich-ist-fuer-selenskij-eine-neutralitaet-der-ukraine-denkbar/ & https://zurzeit.at/index.php/kommt-es-zur-finnlandisierung-der-ukraine/
Va-t-on vers une finlandisation de l'Ukraine?
Erich Körner-Lakatos
Neutralité et renonciation à l'adhésion à l'OTAN : une alternative envisageable
Au vu de la situation en Ukraine, on parle ces derniers jours de la possibilité que le pays situé sur le Dniepr renonce à l'avenir à adhérer à l'OTAN et devienne un Etat durablement neutre. Des signes en ce sens sont même apparus dans la bouche du président Volodymyr Zelenski (soit dit en passant, le prénom Volodymyr signifie Vladimir ; Zelenski et son adversaire Poutine partagent donc au moins le même prénom). Avant cela, Emmanuel Macron avait déjà évoqué le terme de finlandisation, car la Finlande et l'Ukraine sont tout à fait comparables d'un point de vue géographique : les deux pays ont une longue frontière avec leur voisin oriental, la Russie, qui est militairement surpuissante.
En d'autres termes, la finlandisation signifie que le petit voisin ne peut affirmer son indépendance limitée que si sa neutralité présente une caractéristique particulière, à savoir un déséquilibre en faveur de la Russie. Un autre parallèle saute aux yeux : la Finlande et l'Ukraine ont longtemps fait partie de la Russie des Tsars, l'Ukraine en sa totalité en fit même partie après le pays nordique, et, dans ses frontières actuelles pendant la seule période de domination communiste. Les deux pays n'ont pu obtenir leur indépendance étatique que pendant une période de faiblesse de la Russie.
Pour comprendre ce que signifie la finlandisation pour la future Ukraine, il est nécessaire de se pencher sur l'histoire de la Finlande pendant qu'a germé le processus qui a donné, in fine, cette forme particulière de neutralité.
Comme on le sait, la Finlande faisait partie de la sphère d'intérêt soviétique en vertu du protocole additionnel secret du pacte Molotov-Ribbentrop signé en août 1939. C'est pourquoi les troupes soviétiques ont envahi les trois États baltes, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, sans rencontrer de résistance. Il en fut autrement en Finlande : pendant la guerre dite de l'hiver 1939/40, l'armée finlandaise, relativement petite, remporte des succès défensifs et met à mal l'Armée rouge, affaiblie par les purges de Staline. Ce n'est qu'au bout de six mois que la supériorité de Moscou se fait sentir et qu'Helsinki doit demander un armistice et subir des pertes territoriales, tout en étant épargnée par l'occupation.
La situation est similaire après la guerre dite "de Continuation" qui rangea la Finlande du côté allemand dans le cadre de l'entreprise Barbarossa. En 1944, la Finlande n'est pas non plus occupée, mais commence alors une période qui durera jusqu'à l'effondrement de l'Union soviétique et qui est connue sous le nom de finlandisation, c'est-à-dire de prise en compte particulière des sentiments et des souhaits de Moscou.
Sous les présidences de Juho Paasikivi (1946-1956) et d'Urho Kekkonen (1956-1981), la Finlande a plutôt le statut de vassal de l'Union soviétique, du moins en politique étrangère. Kekkonen, qui appartient au parti paysan du centre et gouverne de manière presque dictatoriale, fait participer les communistes finlandais au gouvernement. On murmure même que Kekkonen a travaillé pendant des années pour les services secrets soviétiques, le KGB.
L'obéissance anticipée d'Helsinki est frappante. Lorsque la télévision suédoise diffuse un film basé sur la nouvelle d'Alexandre Soljenitsyne Un jour dans la vie d'Ivan Denissovitch, la Finlande coupe les émetteurs des îles Åland (un groupe d'îles dans le golfe de Botnie entre la Suède et la Finlande) parce que le bureau de la censure d'Helsinki interdit le film car il est considéré comme hostile aux Soviétiques. Le roman L'Archipel du Goulag, également écrit par Soljenitsyne, ne peut pas être publié en finnois - le chef de l'État Kekkonen s'y oppose. Par crainte d'effrayer Moscou.
Les manuels scolaires ne doivent rien contenir qui puisse fâcher les amis russes (les deux pays ont signé un traité d'amitié en 1948). Même la vie culturelle est soumise à une censure sévère : les acteurs et les artistes de cabaret qui se permettent de faire de petites blagues sur le voisin de l'Est n'obtiennent plus de rôles.
Leonid Brejnev et son Politburo vieillissant se réjouissent d'autant plus des quelque mille manifestations festives organisées en Finlande en 1970. L'occasion en est le retour du centenaire de la naissance de Vladimir Ilitch Lénine, le fondateur de l'Union soviétique.
D'autre part, entre 1945 et 1979, l'économie finlandaise connaît un essor fulgurant, basé sur l'économie de marché occidentale. On se transforme pour le voisin de l'Est en une sorte d'épicerie fine, qui profite certes en premier lieu à la nomenklatura, c'est-à-dire à la classe des fonctionnaires du PC soviétique.
En ce qui concerne l'Ukraine, une neutralité à la finlandaise serait un moindre mal. D'autres scénarios - un État vassal à la manière de la Biélorussie, voire une incorporation totale dans la Fédération de Russie - ne sont probablement pas du goût des citoyens ukrainiens.
***
Soudain, la neutralité de l'Ukraine est envisageable pour Zelensky
Dr. Bernhard Tomaschitz
Un statut de neutralité aurait permis à l'Ukraine d'éviter la guerre avec la Russie
Dans le cadre de l'opération militaire lancée par la Russie en Ukraine, les troupes russes ont désormais atteint la capitale Kiev. Face au désespoir de sa propre situation, le président ukrainien Volodimir Zelensky est manifestement en train de changer d'avis.
Dans un message vidéo diffusé sur Telegram, Zelensky a déclaré qu'il était prêt à discuter d'un statut de neutralité pour l'Ukraine: "Nous n'avons pas peur de la Russie, nous n'avons pas peur de parler avec la Russie, de parler de tout : des garanties de sécurité pour notre pays et un statut de neutralité". Si l'Ukraine avait négocié plus tôt un statut de neutralité avec la Russie ou avait déclaré sa neutralité de son propre chef au lieu de se laisser entraîner dans le sillage de la politique hégémonique américaine, le pays aurait évité bien des désagréments. Notamment la guerre actuelle avec son puissant voisin de l'Est.
En outre, Zelenskij s'est plaint de ce qu'il considère comme un manque de solidarité de la part de l'OTAN : "Nous sommes livrés à nous-mêmes. Qui est prêt à partir en guerre pour nous ? Honnêtement, je ne vois personne. Qui est prêt à donner des garanties à l'Ukraine pour qu'elle devienne membre de l'OTAN ? Franchement, tout le monde a peur".
Pour les États-Unis, l'Ukraine, qui a été réarmée et qui devait se rapprocher de l'OTAN, était un instrument important pour parfaire l'endiguement de la Russie. Mais dans la situation actuelle, les pays de l'OTAN ne sont pas prêts à envoyer des soldats dans ce pays non-membre, pour des raisons compréhensibles. En ces heures amères, l'Ukraine et son président Zelenski doivent se rendre compte qu'ils ont été des pions dans le jeu des États-Unis.
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jeudi, 03 mars 2022
Géopolitique d'un échec
Géopolitique d'un échec
par Stefano De Rosa
Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/geopolitica-di-un-fallimento
Au lieu de justifier une critique à sens unique contre la Russie, les événements de guerre en Ukraine devraient surtout interpeler l'Union européenne sur sa fonction politique, laquelle est inexistante, et sur sa subordination aux États-Unis et à l'OTAN
Au cours de l'été 2008, l'actualité internationale et la diplomatie du monde entier ont été monopolisées par la crise russo-géorgienne. Presque tous les commentateurs et décideurs politiques ont traité les événements caucasiens selon la distinction habituelle entre "bons" et "mauvais", plaçant la Géorgie, l'OTAN, les États-Unis et l'UE parmi les premiers et la Russie, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud parmi les seconds.
L'affaire présentait des analogies avec la question du Kosovo, une région serbe à majorité albanaise qui, une décennie plus tôt, a jugé bon de se séparer de la Serbie, faisant valoir un droit fondé sur l'autodétermination des peuples et donnant naissance à une nation artificielle. Chacun se souvient de la façon dont l'Occident - avec sa logique coloniale du XIXe siècle - s'est comporté face à la réaction légitime de Belgrade qui, voulant préserver son intégrité territoriale, ne pouvait tolérer le séparatisme islamo-kosovar.
L'OTAN, composée d'États membres dans un but de défense mutuelle, a bombardé un État souverain - la Serbie - sans que cet Etat n'ait menacé l'un de ses membres. Pour la première fois, l'Alliance atlantique est intervenue dans une guerre civile sans mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, inaugurant ainsi une nouvelle ère dans les relations internationales, dans laquelle le "droit d'ingérence" était justifié par la défense de la démocratie, des minorités et des droits de l'homme.
Un critère refusé, par exemple, aux Serbes de Bosnie (quelques années plus tôt), aux Kurdes ou au Tibet, au nom de la (prétendue) intangibilité des frontières. Cette guerre - une monstruosité juridique avalisée, de surcroît, en Italie par le gouvernement D'Alema - s'est révélée être un dangereux précédent historique, dont la légitimité a été contestée par de larges couches de l'opinion publique internationale et, de manière significative, par la Russie elle-même.
Plus de neuf ans plus tard, les camps des acteurs se sont inversés: c'est la Russie, alliée traditionnelle de la Serbie, qui a bénéficié politiquement de l'indépendance vis-à-vis de la Géorgie des deux petites républiques ethniques caucasiennes, désireuses d'entrer dans la sphère d'influence et la protection militaire du Kremlin. Pourquoi la Russie aurait-elle fait fi en 2008 du principe d'autodétermination (si cher au président Wilson en 1919) alors qu'en 1999, son exercice était garanti aux Kosovars avec la précieuse contribution de l'uranium appauvri des bombes lancées sur Belgrade ?
Cela n'a pas eu pour résultat le bombardement de Moscou par l'OTAN en 2008. De toute évidence, l'intangibilité des frontières était considérée comme un principe élastique à adapter au potentiel atomique ou au droit de veto à l'ONU du "mauvais" pays. Les récurrences de l'histoire (et parfois de la géographie) se sont répétées au cours de l'hiver 2022 en Ukraine. Les revendications des républiques autoproclamées de Donetsk et Luhansk dans le Donbass reconnues par Moscou étaient similaires à celles des républiques ethniques de Géorgie en 2008 et similaires aussi avec celles du Kosovo en 1999: les raisons invoquées étaient linguistiques, culturelles et religieuses pour justifier un détachement légitime (malgré une application intermittente du principe d'autodétermination des peuples) d'avec l'État auquel elles appartiennent.
Plutôt que de se diviser, de se demander si les craintes de la Russie sont fondées et si les raisons de son action militaire sur le territoire ukrainien sont justifiées, il serait plus constructif de se demander quelle est la fonction actuelle de l'Union européenne et si, dans cette affaire, elle n'a pas manqué une nouvelle occasion de se libérer de la protection des États-Unis, d'un point de vue énergétique et militaire, et de se différencier de l'OTAN, d'un point de vue politico-international. Une approche géopolitique à long terme pourrait peut-être offrir des éléments pour une meilleure compréhension prospective des événements et nous permettre d'échapper au joug d'une propagande narrative banalisée et à sens unique.
À cet égard, la théorie organique de l'État élaborée en 1897 par Friedrich Ratzel peut venir à la rescousse. Il considère l'entité étatique comme un organisme vivant et, en tant que tel, ayant tendance à s'étendre, à acquérir de nouveaux espaces également par le biais de fusions entre États et à lutter pour la conquête de son espace vital (le Lebensraum, l'espace géographique dont il a besoin pour vivre). Selon Ratzel, ce sont les batailles et les conflits, et non les accords, qui régissent les relations entre les États.
À la mort de Ratzel en 1904, Sir Halford Mackinder (photo), dans un discours célèbre à Londres, a parlé du "pivot géographique de l'Histoire", le Heartland, le cœur eurasien de la Terre. Le géographe anglais a appelé cette région l'île du monde, dominée par le Heartland. Mackinder a écrit en 1919 : "Celui qui dirige l'Europe de l'Est dirige le Heartland ; celui qui dirige le Heartland dirige l'île du monde ; celui qui dirige l'île du monde dirige le monde". Il est facile d'y voir les préoccupations d'un exposant de la "thalassopolitique" dont parle Julien Freund.
La Première Guerre mondiale venait de se terminer. Pour Mackinder, il était essentiel d'empêcher une alliance entre l'Allemagne et la Russie et donc la conquête du Heartland. D'où la nécessité de créer des "États tampons" pour contrecarrer ce projet. Malgré les développements ultérieurs de la Seconde Guerre mondiale, de la Guerre froide et de l'effondrement du système soviétique, son modèle peut encore être adopté avec succès pour clarifier la dynamique d'un présent qui, autrement, serait incompréhensible.
Il ne peut y avoir de politique - pour emprunter à Carl Schmitt - que s'il existe une pluralité d'entités politiques entretenant entre elles des relations amicales ou hostiles. L'unification politique du monde poursuivie par la globalisation économique et financière conduit à une "dépolitisation totale" (Alain de Benoist). Le dilemme schmittien entre le monopole mondial d'une seule puissance (univers), d'une part, et les sphères d'intervention et les aires de civilisation (plurivers), d'autre part, est la véritable clé d'interprétation de ce qui se passe sur le flanc oriental de l'Europe.
Sans connaître l'issue, le mérite de l'initiative russe est, pour l'instant, au moins celui d'avoir remis la géographie et la politique sur le devant de la scène. Elle a également mis en évidence une saine distinction entre solide et liquide, entre fermeture et ouverture, entre identité et hybridité, entre enracinement et nomadisme, entre sentiment de limitation et omnipotence. C'est sur ces dichotomies que les chancelleries et les consciences individuelles doivent être appelées à s'exprimer. Il ne s'agit pas d'adhérer sans critique à ces visions stratégiques et culturelles ou de les partager. Ce qui est important, cependant, c'est de ne pas les négliger ou de les reléguer dans les scories contaminées de l'histoire.
17:52 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : géopolitique, actualité, politique internationale, ukraine, russie, europe, affaires européennes | | del.icio.us | | Digg | Facebook